Aristote et l'histoire: essai sur la "Politique" 2252017147, 9782252017142

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Polecaj historie

Aristote et l'histoire: essai sur la "Politique"
 2252017147, 9782252017142

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ARISTOTE ET L'HISTOIRE ESSAI SUR LA « POLITIQUE»

ÉTUDES

ET

COMMENTAIRES XXXVI

RAYMOND

WEIL

Maître de conférences à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines

de Montpellier

ARISTOTE ET L'HISTOIRE

ESSAI SUR LA «POLITIQUE»

PARIS LIBRAIRIE C. KLINCKSIECK 1960

Tous droits de reproduction, traduction et adaptation réservés. © Librairie C. Klincsieck, 1960.

A LA MÉMOIRE

DE

MON

PÈRE

ERRATA

note 212, lire Staats-

ligne antépénultième, dernier mot : Kai. quatrième ligne du bas: même correction. note 328 : lire Vita. 49 : lire: en réalité. ligne 22: ἀληθινῶς ligne 13: ἐν. note 216: lire : et (troisième ligne), p. 95 sq. (quatrième ligne).

PRÉFACE Cette thèse a été commencée en 1948 à la suggestion

de

Fernand

Chapouthier. Il avait pu en examiner les grandes lignes lorsqu'une mort prématurée l'a frappé. M. André Plassart voulut bien accepter de guider jusqu'à son terme un travail qui, dans sa forme présente, doit beaucoup

aux conseils et à la critique de ces deux maîtres. Les observations qu'ont faites à l'occasion de la soutenance M. Fernand Robert et Mme J. de Romilly, les remarques de M. Robert Flacelière et de M. Pierre-Maxime Schuhl, m'ont également été trés précieuses, ainsi que la relecture attentive du manuscrit dont s'est chargé M. Jean Sirinelli. Ma reconnaissance va aussi à tous ceux qui, à l'École Normale Supérieure puis

à la Sorbonne, m'ont procuré des conditions de travail trés favorables. La soutenance a eu lieu en 1958, sur exemplaires dactylographiés.

Il ne m'a pas semblé indispensable de tenir compte de toutes les publications postérieures ; mais j'ai essayé d'en utiliser les principales.

NOTE

PRÉLIMINAIRE

On a essayé de limiter le nombre des abréviations. Celles qui sont utilisées sont empruntées, pour les travaux les plus courants, à L’Annde philologique (R. E. A., R. E. G., etc.) ou bien sont asser explicites pour qu'une table de correspondance soit superflue. En ce qui concerne les écrits d’Aristote : les abréviations les plus simples, sinon toujours les plus claires, seraient celles de Bonitz, Indez Aristotelicue,

Berlin, 1870. Mais elles exigeraient l'emploi de caractéres grecs. On a donc seulement écrit E. E. pour Éthique d'Eudàme, E. N. pour Éthique de Nicomaque, Pol. pour Politique, etc. Signalons cependant les conventions suivantes, d'ailleurs expliquées en notes

:

W. JaEczn, Aristotle! : v. Introd., n. 15 Newman SUSEMIHL Rose, 1886

: v. Introd., n. 26 v. Introd., n. 25. v. chap. IV, p. 98, n. 13, fin

WALZER

: v. chap. IV, p. 145, n. 370.

Les traductions citées sont empruntées chaque fois que possible à la collection des Universités de France. Les fragments des historiens sont tirés des F. H. G. de Müzzer (Didot) plutôt que des Fr. Gr. Hist. de Jacosy, qui sont excellents mais difficiles à utiliser.

INTRODUCTION A. PosiTION

DU

PROBLÈME.

« S'attaquer à Aristote, traiter de ses idées politiques, entreprendre une œuvre qui, pour être menée à bien, exige que l’on soit tout ensemble

un helléniste rompu aux difficultés d'interprétation que soulève un texte, un érudit versé dans toutes les questions historiques, juridiques,

sociales, économiques, que fait naître une théorie, un homme

d'État

capable d'apprécier à leur valeur pratique ou les jugements portés ou les réformes proposées »... c'est là « une audace qui n'a son excuse que

dans l'inexpérience » 1. Au début de cet essai sur la Politique d' Aristote, on pourrait reprendre presque mot pour mot ces lignes que G. Cousin consacrait, il y a plus de soixante ans, au philosophe, en abordant un sujet comparable à celui-ci. Mais la véritable excuse à tant d'ambition est peut-étre que la Politique ne sera jamais assez étudiée. Une vieille habitude veut que l'on attribue la plupart des œuvres d'Aristote à une spécialité : l'Organon aux logiciens, les traitós « sur les Animaux » aux naturalistes,

la Constitution d' Athénes aux historiens... Mais le spécialiste de la Politique, oà le trouver ? Le sociologue méme, qui apporterait la synthése

de la philosophie proprement dite et de l'histoire, demandera ici au philologue un appui autrement considérable qu'il ne faut au naturaliste,

par exemple, étudiant l'Histoire des Animauz. La Politique n'est pas seulement un recueil ou un catalogue, c'est une démonstration 3. Or elle constitue, dans l’état où elle nous est parvenue — peut-être dans l'état oà Aristote l'a laissée — la plus complexe des ceuvres du Stagirite, la plus déconcertante sans doute ?. Les problèmes d'établissement de texte, qui se posent ici comme ailleurs, prennent cependant une importance plus remarquable dans la mesure où, de leur solution, peut dépendre

la valeur d'une allusion historique discutable, et méme, dans certains cas, la signification propre de l’œuvre. 1l s'agit donc, en bref, de voir tout ensemble non seulement ce que la Politique apporte à l'historien, mais comment elle a été nourrie d'histoire, et ce que sa composition 1. G. Cousin, Les idées politiques d'Aristote, Leçon d'ouverture (157 décembre 1891), Annales de l' Est, 6 (1892), p. 539-540. 2. Le caractère ambigu de ce texte a été exactement défini par W. SıEGFRIED, Die Entstehungsgeschichte

von A.

Politik,

Philologus,

88

(1933), p. 363:

ni une

œuvre littéraire, ni une simple collection de matériaux, mais la matière d'une œuvre littéraire. C'est aussi l'exposé et la justification d'une doctrine, ou plutót de plusieurs doctrines. 3. C'est l'exemple entre tous que cite L. Rosın,

Aristote,

Paris, 1945,

p. 23 sq.

pour illustrer les difficultés que souléve l'interprétation des ceuvres d'Aristote, dés que, parmi elles, « on en considère une qui soit de quelque étendue ».

10

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

implique quant à la conception aristotélicienne de la cite. Ces trois ordres de recherches sont liés.

Or ils n’ont plus été menés de front, à la fois dans l’ensemble et pour le détail, depuis plus de trois quarts de siècle. On peut même considérer, en tenant compte du progrès que les études ont accompli dans ce laps de temps, qu’un tel examen n’a jamais pu être tout à fait réalisé. La dernière tentative importante en ce sens est celle de Oncken, de 1870 à 1875 *. Dans ce travail de large envergure, qui est resté fondamental, Aristote apparaît, en contraste avec Platon le « romantique », comme le chef de file du réalisme en politique — et en histoire constitutionnelle.

« Aristoteles ist der Naturforscher der hellenischen Staatsidee 5. » Mais c'est, par la force des choses, un Aristote d'une seule pièce, comme

on

le concevait

de

alors

; Oncken s'en tient

au texte

de Bekker,

puis

Susemihl δ. De plus, écrivant bien avant la découverte de ᾿Αθηναίων πολιτεία, il ne pouvait aboutir, sur Aristote historien,

qu'à des conclu-

sions maintenant périmées. Enfin, comme il voyait alors triomphante l’œuvre d’unification accomplie en Allemagne par la Prusse, il a transporté dans son étude, avec un enthousiasme aujourd'hui désuet, les préoccupations de ses contemporains et un idéal politique qu'il partageait visiblement.

Sans doute est-ce le lot, et parfois la raison d'étre,

des travaux sur la pensée antique. « Nous accrochons nos idées à la lettre des vieux textes. Chaque génération imagine à nouveau les chefs-d'ceuvre antiques et leur communique de la sorte une immortalité mouvante *. » Aujourd'hui non plus il n'est pas possible de se pencher sur l'histoire grecque du 1v? siècle, et sur une œuvre comme la Politique, sans évoquer, toutes réserves faites d'ailleurs, la crise de notre civilisation ou les ten-

tatives d'unification européenne. Mais le reflet de Bismarck et de Guillaume I** apparaît trop nettement dans le Philippe ou l'Aristote

qu'Oncken a voulu nous dépeindre *. Une fois connue

et reconnue

la Constitution d' Athénes,

Wilamowitz

a repris de façon magistrale, dans son Aristoteles und Athen !9, le double probléme d'Aristote historien et des rapports du philosophe avec son temps. Il songeait beaucoup plus, cependant, à la Constitution d' Athènes 4. W. Oncken, Die Staatslehre des Aristoteles in historisch-politischen Umrissen (Ein Beitrag zur Geschichte der Hellenischen Staatsidee und zur Einführung in die aristotelischen Politik), 2 vol., Leipzig, 1870-1875.

5. Ibid., II, p. 528. 6. Bexxer, Berlin, 1855 (Oncken, ibid., I, p. 96 sq.). SusEwinBr, Leipzig, 1872 (Oncken, ibid., II, p. i1). SuseminL devait modifier, c'est-à-dire le plus souvent compliquer, sa doctrine. Cf. infra, p. 60 sq. 7. A. France, Le mannequin d'osier (t. 11 de l'Histoire contemporaine), éd. Calmann-Lévy, p. 352. 8. Voir

p. ex.

Mason

Hımmonp,

City-State

and

World-State

in

Gr.

and

Rom.

political theory until Augustus, Cambridge, Massach., 1951, notamment introd., p. 2 sq., et chap. II. V. aussi infra, chap. XI, p. 404 sq, 9. Die Staatslehre..., II, p. 261 sq. — Cf. les interprétations comparables de G. Darpricx, Die Autarkie des A. und der totale Staat, Diss. Marburg, 1936, et de

W. NrsTLE, Der Führergedanke in der aristotelischen Staatslehre, p. 73-89. Etc. _ 10.

1893.

U,

von

Wıramowırz-MoELLENDORFF,

Aristoteles

und Athen,

Gymn.,

1937,

2 vol., Berlin,

INTRODUCTION

11

qu'à la Politique, et, loin de faire porter son enquéte, en élargissant les travaux antérieurs, sur l'ensemble du Corpus aristotélicien, il l'a restreinte au contraire à une étude souvent magnifique — « also sprach Wilamowitz » 11 —, souvent aussi hasardeuse, de cette œuvre si longtemps perdue, si regrettée, et qui accaparait désormais l'attention. En examinant pourtant la Politique, Wilamowitz parvint presque à formuler — vingt ans avant Werner Jaeger, et dans un extraordinaire éclair d'intuition — l'hypothése génétiste qui explique bien la formation et l'état actuel du Corpus !*, Il est permis de regretter qu'il n'ait pas continué ses recherches en ce sens. Comme par un caprice du sort, cette Constitution d' Athénes, dont la perte avait tellement aggravé nos ignorances, devait une fois retrouvée éclipser le reste de l’œuvre historique d'Aristote, la Politique entre autres, au point d'en fausser les perspectives : ce qu'on avait regagné d'un côté, on risquait de le perdre par ailleurs. Wilamowitz fut l'une des premières victimes de ce danger, et beaucoup d'autres l'ont suivi. Si, pour donner une idée simplifiée mais approximativement exacte de le chose, nous comparons le nombre d'éditions que la Constitution d' Athénes a eues depuis trente ans, aux éditions de la Politique parues dans le méme laps de temps, la disproportion qui existe en faveur des premières paraîtra saisissante !*. La Politique ne fut certes pas négligée complétement. Mais on trouvait dans la Constitution une matiére plus riche et surtout plus neuve. Du moins, les philosophes étaient-ils à peu prés les seuls à s'intéresser à la Politique: elle paraissait préter à des analyses d'idées, plutót qu'à des discussions de fait. De toute facon, les travaux de synthèse étaient rares 14, Deux essais furent cependant faits en ce sens, mais restérent incomplets, quoique essentiels chacun en son genre : l' Aristote de W. Jaeger !5 11. H. J. 12. 13.

La formule est de M. Ch. Pıcarp ; elle est venue aussi sous la plume de Rose, Class. Rev., 45 (1931), p. 174. Aristoteles und Athen, 1, p. 355-359. Ce sont surtout des noms de philosophes qui apparaissent dans une biblio-

graphie de la Politique depuis 1890 ; JAEGER, von ÁnNIM, THEILER, SIEGFRIED, BARKER, ZüncnEnR...,cf. infra, p. 64. sq Peu d'historiens, sinon pour des questions de dé-

tail, tandis que W. Oncxen enseignait l'histoire à l'Université de Giessen. La floraison de Constitutions au lendemain de la découverte est en revanche bien naturelle, s'agissant d'un texte nouveau, alors que la Politique était déjà très bien éditée. Mais le mouvement lancé pour la Constitution avec l'édition Kenvon ne s'est pas arrêté. Dès 1925 pourtant, cette « hégémonie » de la Constitution était parfois discutée ; cf. C. Hıcnert, A history of the Athenian Constitution to the end. of the fifth century B. C., Oxford, 1952, p. 29, n. 2, et tout le premier chapitre. 14. Bibliographie dans O. Immiscn, Arist. Politica, 2e éd., Leipzig,

1929,

p. vin sq. et xxx vin sq. Depuis cette date : cf. infra, p.64 sq., et les recansions bibliographiques suivantes : P. WirPEnT, Zeitschr. f. Philosophische Forschung, I, 1946,

p. 123-140 ; M.-D. PniriPPz, Aristoteles, Berne, 1948, t. ΠῚ

des Bibliograph.

Einführ. in das Studium der Philosophie, de I. M. Bochenskı (voir surtout p. 43). P.-M. Scnuunr, Rivista Critica di Storia della Filosofia, IV (1949), p. 64 ; H.-D. SarrnEv, Revue des Sciences philosophiques et théologiques, XXXIV (1950), p- 540. Actes du Congrès G. Budé de Lyon, Paris, 1960. 15. W.

JAEGER,

Aristoteles,

Grundlegung

einer

Geschichte

seiner

Entwicklung,

Berlin, 1923. Nous nous référerons toujours à la 2° édition de la traduction anglaise, revue et corrigée par l'auteur : Aristotle, Fundamentals of the history of his development, Oxford, 1948, que nous abrégerons en Aristotle®. L'idée fondamentale de

W, JAEGER est déjà à la base des Studien zur Enistehungsgeschichte der Metaphysik

12

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

et les Études sur la Politique de M. Defourny 35. Ce dernier, reprenant

parfois et renouvelant les vues de Oncken 17, a donné de l'expérience politique et historique sur laquelle Aristote fondait sa théorie une image séduisante, à laquelle notre travail doit beaucoup. Mais le cadre qu'il avait choisi l'empéchait, par définition, de serrer les textes d’assez près 19:

c'est ainsi que ses recherches sont indépendantes des hypothéses de W. Jaeger sur la genèse du Corpus 1°, alors qu'il est devenu bien difficile d'étudier Aristote sans prendre position, d'une façon ou d'une autre, à leur égard 2°. Mais W. Jaeger lui-même, l'auteur d'une révolution véritable dans les études aristotéliciennes, a consacré ses travaux les

plus précis à la Métaphysique 31, La Politique lui sert seulement à dégager les traits principaux de la « politique originelle », de l'« Urpolitik », et de l'évolution politique d’Aristote 33 : analyse primordiale, puisque les idées politiques sont un des axes de l'Aristote de Jaeger — comme

de son Platon 33. Il reste pourtant que tout en posant d'une facon nouvelle les problémes de la Politique — et du Corpus en général — Jaeger, loin de les résoudre tous, a au contraire ouvert la voie

W.

à des

solutions très différentes des siennes %#. Ainsi aucun de ces travaux, même les plus récents, n’a pu scruter les textes d'aussi prés qu'un commentaire suivi. En revanche, le genre du commentaire permet mal l'exposé de vues systématiques comme celles de Jaeger et de Defourny. Les commentaires, d'ailleurs magistraux, de Susemihl 3*5 et de Newman *$, rejettent dans des introductions ou des appendices, forcément réduits, les vues d'ensemble qui sont pourtant indispensables au lecteur d'un ouvrage aussi fragmenté et complexe que celui-ci. Qui plus est, ces commentaires, dont l'intérét demeure

considérable, sont déjà anciens ; ils représentent une conception dépassée de l'aristotélisme. Les éditions de la Politique dans les cinquante derdes A., Berlin, 1912. Elle avait été conçue

par T. Case, Encyclo

ia Britannica,

11* éd., 1911, vol. II, p. 501-522 ; XVI, p. 879-896 ; et XVIII, du méme, Mind, 84 (1925), p. 80-86, The development of A. 16.

M.

Derourny,

Aristote,

Études

sur la Politique,

Paris,

p. 225-253.

1932.

Ct.

Cet puvrage

réunit trois articles déjà publiés séparément : Aristate, Théorie économique et politique sociale, Annales de l'Institut supérieur de philosophie de Louvain, III (1914), p. 1-134 ; Aristote et l'éducation, ibid., IV (1919), p. 1-176 ; Aristote et l'évolution sociale, ibid., V (1924), p. 529-696. 17. Notamment à propos de la « personnalité unique de IV,11,1296 a 36 sq. Cf. à ce sujet le c.-r. d'E. BRÉHIER, R.E.G.,38 (1925),p. 133-135, qui du reste attribue à Derourny l'idée que celui-ci emprunte à Oncken. Infra. p. 411 sq.

18. Voir les nombreuses réserves de L. Rosin, FR.E. G.,29 (1916), p. 114°sq., por-

tant parfois sur l'établissement méme du texte. 19. M. Derourny, op. cit., p. X18q. 20. E. WzrrL, Aristotelica, R.M.M., 57, 4 (oct.-déc. 1952), p. 450 sq. 21. Studien zur Entstehungsgeschichte..., Berlin, 1912, et, dans son Aristote, les chap. VII, VilI et XIV.

22. Essentiellement chap. X. Voir aussi les chap. V, XII et XIII. 23.

W.

JAkEczn,

25.

F. SuseminL,

Paideia,

24. Cf. infra, p. 64 sq.

II, New-York,

1943,

et III, New-York,

1944.

Aristoteles' Politik, 2 vol., Leipzig, 1879, que nous abrégerons

en :SUSEMIHL. 26.

W.-L.

Newmann,

The Politics of Aristotle,

nous abrégerons en : NEWMAN.

4 vol., Oxford,

1887-1902,

que

INTRODUCTION

13

nières années ne se signalent pas seulement pas leur rareté : aucune d'entre elles ne comporte un commentaire remarquable #. Et certes, ni les progrès de la connaissance historique, ni ceux de l'histoire de la philosophie n'ont rendu entiérement caduques les publications du siécle dernier : la découverte des Helléniques d'Oxyrhynchos, qui constitue somme toute la principale découverte de notre siècle, n'affecte pas beaucoup l'interprétation de la Politique ; de méme, l'idée d'une « évolution » d'Aristote laisse subsister la plupart des interprétations de détail proposées par Susemihl ou par Newman. Mais un travail de mise au point générale peut cependant paraître nécessaire. Aussi voudrais-je apporter ici, non pas un commentaire détaillé et

nouveau de la Politique, mais une étude d'ensemble, assez proche pourtant du texte pour en faire ressortir ce qui m'a semblé l'essentiel. L'inconvénient qu'il y a, dans ce dessein, à ne pas suivre l'ordre du texte, devrait être à peu prés compensé par la présence d'« indices » 38, L'état de notre Politique rend aussi l'entreprise moins hasardeuse, puisque l'ordre traditionnel tire surtout son autorité des habitudes acquises. Le but final sera de définir les rapports de la pensée politique d’Aristote avec son temps, — c'est-à-dire de savoir si Aristote s'est limité, comme on l'affirme généralement, à une conception étroite et en quelque sorte classique de la cité, ou s'il a étudié, imaginé, entrevu tout au moins, des ensembles politiques plus vastes. Il n'y a pas de critére mieux adapté à une pensée politique qui s'est développée dans la seconde moitié du 1v? siécle, à moins qu'elle ne prétende s'abstraire du réel ; ce

n'est pas le cas. Áristote fonde sa philosophie sur une information aussi précise que possible, dans le domaine politique comme partout ailleurs. De plus, sa biographie n'est pas celle d'un homme qui vivait en marge de son époque : métèque à Athènes, il fut cependant, partout où il alla, un philosophe-citoyen. B. BriocnAPHIE

D'ARISTOTE $*.

Né en 384/3 à Stagire 9, cité grecque située en bordure du royaume de Macédoine, Aristote avait pour mère Phaistis, originaire de Chalcis en Eubée, et pour pére le médecin d'Amyntas II, Nicomaque. Celui-ci 27. Le dernier est celui de Newman. On peut également consulter F. SusezmıarR.-D. Hicxs, The Politics..., T, I à III et VII-VIII, Londres, 1894. 28. Nous avons aussi développé la table des matières. 29. Sources principales : — Les trois Vies publiées par V. Rose, Aristotelis Fragmenta, Leipzig, 1886, p. 426-450 : Vita Marciana (ms du xiv? siècle}, Vie dite d'Ammonius (publiée également par A. WESTERMANN, elle figure aprés les Vies de Diockne LaEncE dans l'éd. Didot, Paris, 1878) et Vita en latin, qui semble une compilation des deux

précédentes, Toutes trois font d'Aristote un éléve non seulement de Platon, mais de Socrate, et donnent par ailleurs nombre — Diocène LAERCE, V, 1, 1 sq.

d'indications suspectes.



Danvys D’HaLıcarnasse, 179 Lettre à Ammée.



DipvuE,



Vie anonyme,

Commentaire sur Démosthéne.

dite de Ménage, attribuée

à H£svcnius

par

V.

Rosz,

De

14

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

mourut avant que son fils atteignit l’âge d'homme, et n'eut certainement pas « le temps, selon l’usage de la corporation des Asclépiades, de former son fils à l'exercice de son art » ?! — du moins de le former complètement. Mais peut-être put-il l'initier aux éléments de la médecine, peut-être Aristote lut-il trés jeune des ouvrages scientifiques empruntés à la bibliothèque de son père, bref peut-être faut-il chercher ici la source première du goût qu'Aristote devait manifester pour les sciences naturelles, sinon de son réalisme en général 52, Confié ensuite à Proxéne d'Atarnée — et ce sont les premiers rapports qu'entretint Aristote avec ce pays d’Atarnée dont le rôle dans sa vie devait étre capital — il arrive à Athénes, auprés de Platon, en 368/7

ou plutôt 367 /6 35 : il sera l'auditeur du maître jusqu'à la fin, en 348 [7 #; il participe donc aux travaux des derniéres années ; il assiste à la crise qui, vers 360, éprouve et renouvelle la pensée de Platon % ; il devint

pour lui un collaborateur en méme temps qu'un éléve. Arrivé à Athénes à l'áge de dix-sept ans, il en a trente-sept lorsque le maítre meurt.

Speusippe succéde à Platon, et Aristote, avec Xénocrate,

quitte

Aristotelis librorum ordine et auctoritate, Berlin, 1854, p. 49 ; of. H. Scaurtz, R.E., VIII, 2, col. 1324, s. v. Hesychios, 10. Elle est publiée notamment par V. Rose, Fragmenta, 1886, p. 9 sq., et A. WESTERMANN, ibid. — Vie de Suidas, trés voisine de la précédente. Toutes les sources, y compris les sources arabes, ont été rassemblées et commentées dans le beau livre de I. DüniNc, Aristotle in the ancient biographical tradition, Göteborg, 1957. . . .

On peut encore consulter J. W. Braxesıev, À life of Aristotle, Cambridge, 1839. Surtout W. JaEGen, Aristolle® ; P. Monaux, Les listes anciennes des ouvrages d' Aristote, Louvain, 1951. Résumé commode dans L. RoniN, Aristote, Paris, 1944, 17? partie,

Une tentative pour « ressusciter » Aristote, par J. Bıpez, Un singulier naufrage littéraire dans l'Antiquité, A la recherche des épaves de l' Aristote perdu, Bruxelles, 1943. Également, U. v. Wıramowıtz, Ar. Gercxe, dans la R.E., II, 1, col. 1012 sq.

u.

Athen,

1893,

t.

I, et l'article

de

Dans la bibliographie qui suit, nous n'indiquerons pas les références lorsqu'il y

aura accord entre les principales sources. 30. La première année de la 99* olympiade (Droc. D'HALICARNASSE le fait naître dans la 995 olympiade, (179 Lettre à Ammée, 5) ; mais il lui attribue par erreur théne, né en 384 /3. Cf. A. ScuAErEn, Demosthenes dice B, 29 éd., 1887. 31.

L., sous trois und

V, 1, 9). De méme Denys l'archontat de Diotréphès ans de plus qu'à Démosseine Zeit, t. III, appen-

L. RonBiN, Aristote, p. 3.

32. PLUTARQUE, Alerandre, 8, remarque le goût d'Aristote pour la médecine. Il serait utile de savoir si Proxéne recueillit Aristote très vite aprés le décès de Nicomaque

; mais les dates sont inconnues.

Mieux

thèses relatives à « l'hérédité scientifique

vaut en tout cas écarter les hypo-

» de l'enfant Aristote. Cf. E. BARkER,

The Politics of Aristotle, Oxford, 1946 : « It is little more than a fancy. »

33. Sous l'archontat de Polyzélos selon DzNvs, Olympiade 103.2, soit 367 /6, dans sa dix-huitiéme année. Agé de dix-sept ans selon DrocENx (V, 1, 6 et 9). Mais le même DiocÈne le fait séjourner vingt ans auprès de Platon. Toutefois, ce dernier chiffre

est vraisemblablement

arrondi. Gercke cependant (R.E.,

II, 1, col. 1012)

suppose qu’Aristote est arrivé sous l'archontat de Nausigénés (368/7) plutôt que sous celui de Polyzélos. 34.

.

Contra, DiocENE, V, 1, 2, qui se contredit en V, 1, 9. Une

tradition

rapportait

qu'Aristote avait fondé le Lycée du vivant de Platon (Vita Marciana, dans

Rose,

Fragmenta, Leipzig, 1886, p. 428,1. 8 sq., et Vied'Ammonius, ibid., p. 438,1. 21 sq.).

Cette tradition, isolée, donne une idée fausse des rapports entre les deux philosophes. Sur la fondation du Lycée, cf. infra, p. 14 sq. 35.

P. M. Scuunr,

L'œuvre de Platon, Paris, 1954, p. 117 sq.

INTRODUCTION

45

Athènes pour la Troade — pour Assos, dans les possessions d’Hermias, dynaste d'Atarnée 9. Ce Bithynien, ancien esclave, avait succédé à son

maître Eubule vers 351 et, tout en étendant son pouvoir sur les pays voisins, s’exergait à la philosophie. Une tradition veut qu'il ait été, à Athènes, l'éléve de Platon et d'Aristote 57, Deux membres de l'Académie, Erastos et Coriscos, revenus dans leur pays de Scepsis, auraient aussi, sur les instructions de Platon, aidé Hermias à gouverner en bon

philo-

sophe ®. Personnalité discutée, Hermias pouvait susciter aussi bien de violentes haines, dont Théopompe a laissé le témoignage 35, que de solides amitiés: celle d' Aristote ne fut pas la moindre. Le Stagirite composa un hymne en l'honneur d'Hermias, lui consacra un monument commémoratif à Delphes, et devint, par alliance, son neveu ®.

Installé à Assos, Aristote, parmi les « compagnons » d’Hermias, ne se

consacra pas tout à ses recherches et à son enseignement : des témoignages anciens affirment que, sous l'influence de ces conseillers

phi-

losophes, le gouvernement d’Hermias devint « plus doux » 42. Ce changement fut peut-étre antérieur à l'arrivée d'Aristote, et serait alors 36. Archontat

de T héophilos,

Olympiade

108.1. Sur

Hermias,

v.

également

D.-E.-W. WonMELL, The literary tradition concerning Hermias of Atarneus, Yale Classical Studies, b (1935), p. 57-92, et en dernier lieu, P. Anprews, Aristotle, Poli-

tics 1V,11,1296 a 38-40, Class. Rev., 86, N. S., 2 (1952), p. 141-144, notamment p. 142, n. 1-2; Sur les raisons du départ d’Aristote, v. GLorz-Couen, Hist. Gr., III,

. 287 et n. 91. P 37.

SrRABoN,

XIII,

I, 57, C 610. Mais

Pıaron,

ne connaît pas Hermias personnellement (ὅσα μήπω

Lettre VI, 322 e, déclare

συγγεγονότι).

qu'il

V. J. SouiLné,

éd. des Lettres, Coll. des Univ. de Fr., p. xci sq. Les doutes qui entourent

cette

lettre (v. J. SouiLué, ibid.) n'empéchent qu'elle contient vraisemblablement des renseignements exacts pour l'essentiel. R. SrAnx, Aristotelesstudien, Mun ch, 1954, p. 20 sq., tente en vain de concilier les deux textes. 38.

PraToN, Lettre VI. Érastos et Coriscos

sont connus par ailleurs

disciples de Platon, Coriscos comme disciple d'Aristote. 39. D. E. W. Wonuzrt, The ZO Jugements sur Hermias IV, 60 sq. 40. Ou son gendre (DiocEnz, les deux à la fois, si Pythias était RAUX, La composition

dela

comme

des

literary tradition..., Yale Class. Studies, 5 (1935), rapportés par Dipvus, éd. H. Dısıs-W. ScausanT, V, I, 3., et Vita Menagiana— et probablement la nièce et la fille adoptive de l'ennuque (V. P. Mo-

Vie d’Aristote chez Diogéne-Laérce,

REG, 68 (1955),

. 138. P Sur le poème en l'honneur d'Hermias, v. Rose, Fragmenta, 1886, 675, W. JAEGER,

Aristotle*, p. 118 sq., J. Bınez,

Un singulier naufrage littéraire..., p. 58 aq. Sur le

monument de Delphes, V. Rose, Fragmenta, 1886, 674. J. Bipzz, ibid., p. 57. 41. Dipvurz, éd. H. Diezs-W. Scausanr, V,52aq., notamment 57-59 : τὴν rupav-

νίδα μετέστησεν εἰς npgortpav δυναστείαν. Le texte d'un traité conclu entre, Atarnée et Érythres mentionne expressément « Hermias et ses compagnons », ol ἑταῖροι (Boec«n, Hermias von Aterneus, Abhandlungen der Berl. Akad., Histor. Philosoph. Ki., 1853, p. 133sq.

DrrrENBEROzER,

Syll.?, 229 ; Top,

Gr. Hist. Inscript.,

Il,

165.

Top date l'inscription de 350. Pour P. Anprews, Class. Hev., N. S.,2 (1952) p. 143, n. 3, elle est plus récente, parce que postérieure à l'association avec les philosophes. Celle-ci néanmoins n'est pas sürement datée). Les philosophes semblent avoir bénéficié, pour gouverner Ássos, d'une certaine autonome : ὑπερησθεὶς τοῖς εἰρημένοις φιλοσόφοις ἀπένειμεν τὴν ᾿Ασσίων πόλιν (Dipvar, V, 60-62). Cf. PRiLopEME, Ind. Acad., éd. MEkLER,

V, 1 sq. : ὁ δὲ αὐτοῖς

τά τε πάντα Enöroe χοινὰ xal πόλιν ἔδωχεν αὐτοῖς οἰκεῖν τὴν ᾿Ασσόν. Cet olxeiv est ambigu. Mais }᾿ ἀπένειμεν de Didyme ne peut évidemment, dans le contexte, signifier une « résidence forcée » : c'est bien le don d'une cité. Cf. le don de trois cités à Thémistocle par le Grand Roi, Tuvucvpipz,

VI, 70. Etc.

1, 138, 5. Également IÍ£noporz,

16

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

l’œuvre d'Érastos et Coriscos. Mais la participation d'Aristote dans le gouvernement d’Assos est certaine, et son influence sur Hermias très

probable 43. Certaine également est l'influence d’Hermias sur Aristote : au contact des réalités de la politique, dans cette principauté qui occu-

pait une position difficile entre la Macédoine et l'Empire du Grand Roi, Aristote ne pouvait cótoyer, admirer, aimer Hermias, le conseiller peutétre, sans renoncer pour beaucoup à cette intransigeance idéaliste qui,

dans les Lois encore, caractérisait la politique platonicienne. Après trois ans, en 345 /4 4%, Aristote partit pour Mytiléne. Ce change-

ment de résidence n'est pas expliqué : faut-il croire qu'Aristote s'était brouillé avec Hermias ? Mais son amitié pour lui ne s'est pas autrement démentie. Au surplus, Mytiléne faisait partie du domaine d'Hermias, et c'eüt été alors une façon bien timide, et bien maladroite, de lui

échapper *. Peut-être est-ce avec un des « compagnons » qu’Aristote

était en froid. Peut-étre, simplement, voulait-il poursuivre plus commodément à Mytiléne ses recherches de sciences naturelles.

Il n'y demeura pas longtemps. En 343/2 %, Philippe de Macédoine le choisit, entre plusieurs candidats fort appuyés, pour étre le précepteur

du jeune Alexandre *5. Le souvenir de Nicomaque,

médecin d'Amyntas,

était trop ancien

pour déterminer ce choix. Il est évident, en revanche, que si, comme tout porte à le croire, les négociations entre Hermias et Philippe étaient déjà avancées à ce moment, Hermias a recommandé le philosophe à

Philippe. Cela n'implique pas forcément qu'Aristote a joué un rôle dans ces négociations. Mais, quelle que soit du reste leur date exacte, il a dà, acteur ou spectateur, les suivre avec attention, du moins lorsqu'il

fut en Macédoine. Cependant, un an aprés, la mort d'Hermias les interrompait tragiquement “7.

Aristote se donna-t-il alors tout entier à l'éducation d'Alexandre ? C'était déjà une táche politique que de former l'héritier de Philippe, et pour l'avoir acceptée, il devait d'emblée en avoir saisi la portée.

Rien

en tout cas n'autorise à taxer ce préceptorat de légende : Aristote, a-t-on dit, n’a pas laissé, dans le Corpus que nous possédons, de texte qui constitue un souvenir précis de cette époque et, s'il fut vraiment l'hôte de cette cour de « demi-barbares », il a dû s'en aller « en claquant la porte » #, L'hypothèse est aventurée, et part d'un argument exact sans 42.

Le

nom

d'Aristote

est mentionné

par

Dipvwr,

V, 52 sq.

43. Archontat d'Eubule, Olympiade, 108. 4.

45, P. Foucanr, Étude sur Didymos, p. 126.

45. Archontat de Pythodotos, Olympiade 109. 2. — Sur le préceptorat, v. aussi

PrvrARQuE,

Alexandre,

7-8.

46. Sur la compétition qui opposa alors, dit-on, Aristote, Isocrate, Théopompe,

Isocrate d'Apollonie et Speusippe, v. G. MarniEv,

Lettres d' Isocrate, Paris, 1924,

Lettre V ; G. Grorz-R. Conen, Hist. Gr., 111, p. 322, n. 77 et 78 ; Ph. Menıan, Isocrates, Aristotle and Alexander the Great, Historia, 8 (1954), p. 60-81.

47. Vraisemblablement en 342 /1, d'après Dıpyme. On a longtemps cru, d’après Di1oponz, XVI, 52, et Srrason,

XIII, 1, 57, que l'arrestation d'Hermias précédait

le départ pour Mytiléne (article Aristoteles de la RE, II, 1, col. 1014, GERCKE) mais v. P. Foucanr, Étude sur Didymos, p. 186 sq, et infra, p. 19 sq. 48. S. Reınacu, Revue critique, N. S., 93 (1926), p. 76.

;

INTRODUCTION

17

doute, mais non décisif. Il est vrai qu’une allusion à Alexandre, que l’on a cru trouver au livre III de la Politique, est fort contestable 4 ; quant à la Rhétorique dite « à Alexandre », qui au surplus ne prouve pas grand chose, elle passe en général, et à bon droit, pour apocryphe 9. Mais pourquoi veut-on qu’Aristote, enseignant la politique au Lycée, ait cité

l'exemple d'Alexandre Alexandre

fut sans

ἢ Celui de Philippe était plus éloquent.

doute

un

élève

brillant,

mais

combien

Car

indocile!

Fusion des Grecs et des Barbares, violences que l’« enthousiasme » ou les nécessités politiques justifient difficilement, emprisonnement et mort de Callisthène, tout cela était-il fait pour plaire au Stagirite, et pour

accréditer son enseignement auprès des Athéniens et de tous ceux qui l'écoutérent ? Quant aux « barbares », Aristote dit bien que les Macédoniens l'étaient, en effet, — ou plutôt qu'ils l'avaient été 5! : son père n’exerçait-il pas chez eux sa profession ? Aristote les connaissait de longue date. L'enseignement qu'Áristote donna à Alexandre et à ses jeunes compagnons reste pour nous cependant une énigme. En dehors des commentaires sur Homére, nous ignorons ce que le Stagirite inculqua au Jeune prince, et « les allées du nympheum de Miéza... ont gardé leur secret » 52, Mais cette idylle ne dura guére. Dés 340, Alexandre est régent en l'ab-

sence de Philippe ; en 338, il combat à Chéronée. Le préceptorat prit-il fin dés 340 ? Du moins, à partir de cette date, l'influence d'Aristote sur

Alexandre fut-elle trés amoindrie, quoiqu'il demeurát sans doute en Macédoine jusqu'en 335 /4 5?, séjournant seulement, nous dit-on, parfois à Stagire 54. 49. Il s'agit de l'homme doué d'une nature divine, qui, seul, serait un roi digne de ce nom : Pol., 111, 13, 1284 a 8 sq. Voir H. von Arnım, Die politischen Theorien

des Altertums, Vienne, 1910, p. 97 et infra, chap. VI, p. 184 sq. 50. V. P. Moraux, p. 258 sq. Cependant,

Les listes anciennes des ouvrages d' Aristote, Louvain, 1951, M. HaAuBunczn, Morals and Law, The growth of Aristotle's

legal theory, New-Haven, Londres, 1951, p. 69, n. 4, fait le point de favorable à l'authenticité. L'argument principal (l'ouvrage serait Rhétorique) n'est ni décisif ni sûr : plus ancienne que la Rhétorique, Alexandre pourrait être attribuée à Aristote, si elle n'était Cf. M. Durour (éd. de la Rhétorique, Coll. des Univ. de Fr., I, p. 5 place après 300. —

J. Züncuer,

Ar. Werk und

la bibliographie antérieur Ë la la Rhétorique à si composite. et n. 1) qui la

Geist, Paderborn, 1951, p. 270

sq.

est aussi partisan de l'authenticité (sur ses arguments, v. infra, p. 54). 51.

En Pol, V, 10,

1310

ὃ 39, les rois de Macédoine

sont cités

entre

ceux

de

Lacédémone et ceux des Molosses. Un peu plus loin (V, 10, 1311 b 1 sq.), l'assassinat de Philippe par Pausanias succéde à l'exemple dea Pisistratides à Athénes, de Périandre à Ambracie ; on trouvera plus loin Xerxès, Sardanapale, Denys le Jeune.

Ces deux premiers textes ne distinguent donc pas Barbares et Grecs, et ne permettent pas de ranger les Macédoniens dans une catégorie définie. Mais VII, 2, 1324 b 9 sq. est plus Seythes, les Thraces,

précis : les Macédoniens sont un ἔθνος, comme les Perses, les les Celtes, les Carthaginois, les Ibéres ; toutefois, la particu-

larité qui permettait de les classer exactement avec ces Barbares est du passé : ἦν δέ ποτε xal περὶ Μακεδονίαν νόμος. Aristote n'affirme donc pas expressément que les Macédoniens sont encore barbares. Voir sur cette équivoque notre chapitre VII, 1, p. 211 sq. 52. G. Rapzr, Alexandre le Grand, 6° &d., Paris, 1950, p. 25. Diverses hypothèses dans PLUTARQUE, Alexandre, 7-8. Voir aussi Ph. MERLAN, Isocrates, Aristotle and

Alexander the Great, Historia, 8 (1954), p. 60-81.

53. Archontat d'Évainétos, Olympiade, 111. 2. 54. ' The natural thing to suppose is that Aristotle spent his time in study at Aristote et l'histoire

2

18

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Il n’est pas exclu pourtant qu’Aristote soit revenu à Athènes dans l'intervalle. Un passage de la Vita Marciana mentionne en effet une sorte de partage de l'enseignement entre Xénocrate et Aristote, à la mort

de Speusippe 55. Est-ce une interprétation, trés libre, comme c'est souvent le cas dans cette Vie, du retour définitif de 335 /4 ? Diogéne-Laérce raconte, en effet, d'aprés Hermippe, qu'Aristote, revenant à Athénes, trouva Xénocrate à la tête de l'Académie, et fonda alors le Lycée ὅδ. Mais Hermippe fait justement d'Aristote, dans ce texte, un « ambassadeur » 5° des Athéniens auprès de Philippe. Est-ce, là encore, une interprétation « libre » du róle que jouait Aristote ? Ou bien peut-on rapprocher la version d'Hermippe de la Vita Marciana (dont les sources sont ici impossibles à bien déterminer) ? C'est ce que suggère un texte qui nous est parvenu sous le nom de Démétrios de Phalére: le rhéteur attribue à Aristote de magnifiques homoeotéleutes : « Je suis allé d'Athénes à Stagire à cause du grand roi, de Stagire à Athénes à cause du grand froid » 5. W. Jaeger cite ce texte, non sans réserves, pour

confirmer la probabilité d'un séjour — ou de plusieurs séjours — qu'Aristote aurait effectués à Stagire avant 335 /4 59. Mais si ce témoignage a ici une valeur, c'est de montrer qu'Aristote a, une fois au moins, accompli le voyage Stagire-Athénes et retour, l'intervalle entre les deux

étapes n'étant pas fixé 9. Or, dans le sens Stagire-Athènes, c'est peutêtre à son retour définitif qu'Aristote fait allusion. Mais ce déplacement d'Athénes à Stagire Une affirmation de serait décisive ; il est qui nous la transmet, poser que Démétrios

nous est inconnu par ailleurs. Démétrios, disciple d'Aristote, ami de Théophraste, vrai qu'on attribue souvent le Περὶ ἑρμηνείας, à un autre Démétrios*! ; mais alors il faudra soit supde Phalére fut le premier rédacteur d'un ouvrage

Stagira whenever he was not required at the court " (W. JaEcEn, Arisiotle®, p. 311, n. 2). Selon G. Grorz-R. Couen, Hist.

Gr., III, p. 437,et IV, I, p. 41, le préceptorat

prit fin, totalement, dés 340.

55. V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, p. 431, 1. 16 aq. : Τοῦ δὲ Σπευσίππου τελευτήσαντος ol ἀπὸ τῆς σχολῆς μεταπέμπονται τὸν ᾿Αριστοτέλη, καὶ διαδέχονται αὐτὴν αὐτός τε καὶ Ξενοχράτης σωφρονέστατα. Καὶ ᾿Αριστοτέλης μὲν ἐν Λυκείῳ, Ξενοκράτης δὲ ἐν ᾿Ακαδημίᾳ κτλ. V. aussi Vie d’Ammonıus (ibid., p. 440, 1. 6 sq.) et Vieen latin (ibid., p. 446, 1. 17 sq.). 56. Dioc. LaEncz, V, I, 2. 57. Πρεσθδεύοντος. 58.

V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, 669. Il attribue ce fragment à une « lettre

à Antipatros » ; cf. Rose, Aristoteles Pseudepigraphus, Leipzig, 1863, p. 596-597, 15.

Cette hypothése, si elle est fondée, souligne le caractére politique du texte. Nous

traduisons χειμών par « froid », pour conserver l'assonance : ἐκ μὲν ᾿Αθηνῶν εἰς Στάγειρα ἦλθον διὰ τὸν βασιλέα ἦν μέγαν, ἐκ δὲ Σταγείρων εἰς ᾿Αθήνας διὰ τὸν χειμῶνα τὸν μέγαν. 59. V. n. 54.

60. Contraire à la lettre même du texte est l'hypothèse de V. Rose, Arist. Pseude-

pigraphus, p. 597 : « Haec quo spectant incertum est, nisi forte ad tempus illud quod in Macedonia (cf. Pıur., Alez., 7) Alexandri magister degerit, unde propter belli Persici tempestatem Athenas redierit. »Le texte dit que le Grand Roi l'a fait aller d'Athénes à Stagire. 61. RE, IV, 2, col. 2839-2841 (Manrını) ; F. Weurui, (Die Schule des A., IV), Bâle, 1949, p. 88 sq.

Demetrios

von Phaleron

INTRODUCTION

19

retouché ensuite par un autre ou d'autres rhéteurs *5, soit en tout cas reconnaître, à des indices sûrs, que le mystérieux Démétrios connaissait

bien les premiers textes péripatéticiens %. Même dans ces hypothèses, par conséquent, la citation conserve de sa valeur, et voyage est assez bien attesté pour retenir l'attention. Où le placer ἢ L'hypothèse d'un passage par Athènes, à Mytilène et l'installation prolongée en Macédoine, est solution, qui fut longtemps admise ; la durée du séjour à en effet précisée par aucune source ; Aristote a eu

le mystérieux entre le séjour une première Mytilène n’est le temps —

par exemple sous l’archontat de Lykiskos et au début de l’archontat de Pythodotos — de se rendre à Athènes et d'y enseigner **. Toutefois le texte d’Isocrate, sur lequel s'appuie cette interprétation 55, n'est pas concluant : ces sophistes qui professent au Lycée et qu'attaque Isocrate,

ces sophistes qui prétendent tout savoir et qui, voyageurs infatigables, sont partout « à la fois », ou presque, évoquent pour nous bien d'autres

figures que celle d'Aristote, et le Lycée, en outre, fut un centre intellectuel longtemps avant l'installation des Péripatéticiens : dés le temps

de Socrate 96, Argument supplémentaire, ce voyage-là n'expliquerait pas cette intervention du Grand Roi qu'évoque Démétrios. Il faudrait en effet, pour concilier les textes, qu'Aristote se füt rendu d'Athénes en Ma-

cédoine après l'arrestation d'Hermias : on concevrait à la rigueur qu'il eüt alors cherché l'appui de Philippe, pour Hermias ou pour lui-méme. Mais la tradition affirme par ailleurs qu'il gagna la Macédoine, appelé par Philippe, pour s'occuper d' Alexandre : il ne partit pas spontanément. Enfin et surtout, son arrivée en Macédoine est antérieure à l'arresta-

tion d'Hermias : celle-ci, dont la date était discutée déjà dans l'anti-

quité, ne peut en réalité avoir eu lieu qu'à partir de 342/1, d'aprés Philochore que cite Didyme δ΄. Or Aristote est à Pella depuis l'année précédente. 62.

Hypothèse

de

E.

Durassıer,

Démétrios

de Phalére,

De

l'élocution,

1875, p. xır sq. — Les dates généralement proposées s'échelonnent de hellénistique à la fin du 157 siècle de notre ère (ManriNr, ibid.). 63.

Carıst-Scewip-Stäurın,

Paris,

l'époque

Griech. Lü., II, 1, 1920, p. 79, n. 4, tout en considé-

rant que les citations d'Aristote relevées dans le Περὶ é pu. par A. KAPPELMACHER, W. S., 24 (1902), p. 452-6, ne sont pas décisives, admettent que l'auteur à pu s'inspirer de Théophraste et de Démétrios lui-même. C'est un fort argument en faveur de l'authenticité des citations. W. JAEGER, Aristotle?, p. 311, craint que ces homoeo-

téleutes ne soient l'œuvre d'un rhéteur plutôt que d'Aristote, dont « la manière aisée... était renommée dans l'antiquité comme l'idéal du style épistolaire ». L'expression pourtant est élégante, comme Démétrios lui-même l'a indiqué : el γοῦν ἀφέλοις τὸ ἕτερον μέγαν, συναφαιρήσῃ καὶ τὴν χάριν. 64. G. TEicHMÜLLER, Literarische Fehden im vierten Jahrhundert vor Chr., I, Breslau, 1881, 3° partie, p. 259 sq. De méme RE, II, 1, col. 1014 (GrRcxE), et G. Marnıeuv, Les idées politiques d' I5ocrate, Paris, 1925, p. 168. Contra, W. JAgGER, Aristotle*, p. 117, n. 1.

65. Panathénalque, 18 sq. 66. V.p.ex. L. MÉnibizn, Notice de Praron, Ion, Coll. des Univ. de Fr., p. 10. 67. P. Foucanr, Étude sur Didymos, p. 186 sq. On trouve encore la datation ancienne de la capture d'Hermias dans G. Grorz-R. Cong, mais elle est rectifiée ibid., IV, I, p. 20.

Hist. Gr., III, p. 437,

20

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Le voyage d'Athénes à Stagire « à cause du Grand Hoi » ne peut non plus, dans ces conditions, s'expliquer comme un résumé cavalier des

pérégrinations d'Aristote qui le menérent effectivement d'Athénes en Macédoine, de 348 à 342, mais en passant par la Troade et Lesbos : ce n'est pas «ἃ cause du Grand Roi », comme le croyaient Strabon et

Diodore, qu'il a quitté Assos pour Mytiléne

: la chronologie s'y oppose.

Une seule solution demeure — dont il ne faut cependant pas se dissimuler la fragilité. C'est qu'aprés la mort de Speusippe, Aristote se soit rendu à Áthénes pour y recueillir, avec Xénocrate — ou contre Xénocrate ? — une succession qui leur avait échappé neuf ans plus tôt. Sans doute arriva-t-il trop tard. La division des deux écoles se serait produite alors *?. Élien nous rapporte en effet que Philippe subvint à la fondation du Lycée 70, Il fallait que ce fût à une époque encore proche de la mort de Speusippe, et où cependant les subventions macédoniennes ne pussent soulever d'objections ni de protestations décisives à Athènes : l'année qui suivit Chéronée, peut-être. Le séjour a pu être de courte durée : Aristote savait par de bons exemples que l’enseignement « à distance », en l’absence du maître, était possible : Platon n’avait-il pas fait deux fois le voyage de Sicile alors qu’Aristote comptait déjà parmiles membres de l'Académie ? Le Lycée était, autant qu'un lieu d'enseignement, un centre de recherches, et la présence constante du maître n'y était pas indispensable. Aristote avait laissé des amis en même temps que des collègues, peut-être des disciples, à Assos et Mytiléne ; il en comptait à Pella et Stagire, il lui était loisible d'en avoir aussi à Athènes. Ainsi s'explique bien le fameux mot qu'on lui prête : « Il est honteux de se taire, et de laisser parler Xénocrate »*!:]a formule implique plutôt une opposition immédiate qu'une réaction tardive contre l'enseignement de Xénocrate. Il est vrai pourtant que le mot n'est pas sür, ni dans le détail ni pour l'authenticité d'ensemble 73, Il est vrai également, que, dans cette perspective, aucune interprétation précise n'est apportée des mots διὰ τὸν βασιλέα τὸν μέγαν. S'agit-il des préparatifs de Philippe contre le Grand Roi une fois constituée la Ligue de Corinthe 73 ? d'une mission 68. V. supra, p. 16, n. 47.

69. Il semble, en effet, qu'à la mort de Speusippe, les membres de l'Académie considéraient encore Aristote comme un des leurs (Inder Herculanensis, éd. MERLER, col. VI-VII, p. 38), ainsi que l'a montré Ph. Meran, The successor of Speusippus, Trans. and Proceed. of the Am. Philolog. Assoc., 77 (1946), p. 103-111. Le texte précise qu’Aristote était alors en Macédoine. Si notre hypothèse est exacte, il ne serait donc pas arrivé à temps. 70. ÉrikeN, V. H., IV, 19. Cf. infra, p. 21, n. 74. 71.

Dioc. L., V, I, 3.

72. Sur les différentes versions (« Xénocrate »/« Isocrate ») de cette parodie d'Euripide, v. P. MonaAvx, La composition de la Vie d' Aristote chez Diogéne Laérce, REG, 68 (1955), p. 132 sq., qui montre que ce bon mot, sous sa forme originelle, devait être dirigé contre Isocrate. Mais suit-il de là que la version « Xénocrates ne peut remonter à Aristote lui-même ? Selon P. Monaux, elle est — à l'époque du moins où la situe DiocENE LAERCE, bien aprés la création du Lycée — dépourvue d'à-propos et de sel. Mais il nous est difficile d'en juger, quand nous connaissons si mal les circonstances. Et un bon mot peut servir deux fois. 73. G. Grorz-R. Congw, Hist. Gr., 1H, p. 377 sq.

INTRODUCTION

21

quelconque dont Aristote aurait été chargé ? Il est impossible de rien affirmer. Mais il est également impossible d'affirmer, selon l'opinion généralement admise, qu’Aristate ne revint pas à Athènes avant 335, et

de ne pas retenir que, très tôt, les témoignages anciens lui attribuent un rôle politico-diplomatique, à cette période de sa vie. Mieux vaut sur ce point avouer notre incertitude. En 335 /4, il s’installe donc définitivement à Athènes. C'est au Lycée qu'il enseigne et qu'il dirige les recherches de ses disciples. L'organisation

matérielle, grâce — nous l'avons vu — à Philippe probablement d'abord, puis en tout cas à Alexandre 75, permet

les travaux

les plus variés.

Aristote jouit aussi de l'amitié et de -la protection d'Antipatros 75. Contrairement à ce qu'assurent la Vita Marciana et quelques commen-

tateurs mal informés 75, Aristote n'accompagne pas Alexandre dans son expédition : on comprend aisément que l'étendue des recherches auxquelles se livrait le Stagirite ait accrédité cette légende. Mais Alexandre emméne Callisthéne, qui de Babylone encore envoie des documents à son oncle 7 ; Nicanor, fils de Proxéne, est là aussi, fort probablement #. En Égypte, Alexandre se préoccupe, sur les indications de son maítre,

des crues du Nil??. Bref, Aristote est présent en esprit dans cette aventure, dont il suit peut-étre avec inquiétude les péripéties 99. L'arrestation et la mort de Callisthéne altérèrent-elles l'amitié d’Aristote et de son royal élève *! ? Aristote n'a pas laissé témoignage des sentiments qu'il en éprouva, et c'est Théophraste qui écrivit un Callisthène ou le deuil &. Les Athéniens, du moins, continuérent à voir dans le

philosophe de Stagire un suppót de la Macédoine et d' Alexandre. Le Roi 74.

Supra,

p. 20; ἔπιεν,

V. H.,

IV,

19; Ατπένέεξ,

IX, 398 e; Puine,

H.

N.,

VIII, 17.— Notre connaissance du Lycée, dans son organisation matérielle, provient pour une large part du testament de Théophraste, conservé par Dioc. L., V, 2, 51. (P. Moraux, La composition de la Vie d' Aristote..., REG, 68 (1955), p. 148,

montre que les testaments que cite Diogéne pourraient provenir d'Ariston). Cf. W. JaEczR,

Aristotle!*,

p. 314 sq. ; H. Jackson,

Journal of Philology, 85 (1920), p. 191-200.

Aristotle's lecture-room and lectures,

75. Correspondance avec Antipatros dans V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, 663 sq. Cf. E. Barken, The Politics..., Oxford, 1946, p. xix sq. et p. 368 : l'authenticité de ces fragments est probable. L'amitié des deux hommes se manifesta peutêtre encore aprés la mort du philosophe, avec la constitution imposée aux Athéniens en 321 ; proche de la doctrine aristotélicienne, elle donne le pouvoir à la classe moyenne.

I, p. 274.

Cf. E. Barker,

ibid., p. xxiv sq., et G.

GLorz-R. Couen, Hist.

Gr., IV

76. V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, p. 258 (1. 17 sq.)-259.

.

me

5; ScR1FFER, Aristote à Athènes et Callisthène

273-276.

à Babylone,

. REA,88

(1936),

P 78. RE, XVII, 1, col. 267, s. v. Nikanor, 4 (H. Berve) : « Anscheinend ». Selon G. Coin,

éd. d'Hypéride, Coll. des Univ. de Fr., p. 255, n. 1, et W. JAEGER, Aris-

totle*, p. 320, cette présence est certaine. Effectivement, Nicanor s'est trouvé en

Asie avec Alexandre, au moins à l'époque où fut décidé le rappel des bannis (Diod., XVIII, 8, 3, ἐξέπεμψεν εἰς ᾿Ελλάδα Νικάνορα τὸν Σταγειρίτην, δοὺς ἐπιστολὴν περὶ τῆς καθόδου).

79. J. Parrscn, Das Ar. Buch Ueber das Steigen des Nil, Leipz. Abhandl., 27

(1909), p. 553 sq. 80.

U. v. Wıramowiıtz,

Ar. u. Ath., 1, Berlin, 1893, p. 370 sq.

81. C'est l'opinion généralement admise. V. E. Barker, The Politics..., Oxford,

1946, p. xxi.

82. Dioc. L., V, 2, 44.

22

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

mort, Aristote est accusé d'impiété ; la statue d' Hermias qu'il a consacrée à Delphes, l'hymne qu'il a composé en passent pour autant de sacriléges. Aristote ne niens condamnent Socrate pour la seconde fois sur un domaine qu'il avait hérité de sa mère **.

l'honneur de son ami, veut pas que les Athé#. I] se retire à Chalcis, Il y meurt, au bout de

quelques mois, peu avant Démosthéne $5, Cette coincidence entre la disparition du grand patriote athénien et celle du péripatéticien de Stagire n'est pas dépourvue d'une émouvante signification ®. Avec Alexandre, avec eux finissait un monde, que Démosthéne avait voulu sauvegarder, envers et contre tous. Bien différente était, de prime abord, la situation d'Aristote. Né aux confins du monde barbare, voyageur, météque dans Athènes, il n'était pas exclu-

sivement attaché à une cité. L'exemple d'Hermias lui avait montré ce qu'était une politique réaliste, mais aussi, aprés Platon, ce qu'était un despotisme éclairé. Ses rapports avec la cour de Macédoine avaient été étroits et, quel que soit le mépris où l'on tienne les biographies et les diverses traditions antiques, qui parlent d’un rôle politique d'Aristote 8", on ne peut penser qu'il ait appris moins en Troade et à Pella, que n'avait fait Platon à Syracuse. Plusieurs grandes dates, dans la biographie

d' Aristote, coincident justement avec des faits importants dans l'histoire de la Macédoine % et, finalement, du monde grec : il s'éloigne d'Athénes

aprés la mort de Platon, mais aussi aprés la chute d'Olynthe et la ruine de Stagire 9? ; il revient définitivement à Athénes une fois Álexandre sur le tróne ; il fuit aprés la mort d'Alexandre et, pendant les treize ans qui 83,

V. Rosz,

Fragmenta,

Leipzig, 1886, 667.

84. E. BARKER, OD. cit..,p. xx111, admet que cette accusation ne fut portée qu'aprés

le départ du philosophe pour Chalcis. Contra, D1oc. L., V, I, 5. Voir

E. DenENxE,

Les procès d'impiété intentés aux philosophes à Athènes au V* et au IV® siècle av. J.-C., Bibl. de la Fac. de philosophie et lettres de Liége, fasc. XLV,

Liége-Paris,

1930,

. 194 sq. P 85. La date du départ pour Chalcis et celle du décès sont confondues par Diogéne (V. P. Moraux, La composition de la Vie d' Aristote..., RE G, 68 (1955), p. 125, et a. 2). Le départ est de 323 (2, ol. 114.2, archontat de Céphisodore ; la mort, de 322 /1, ol. 114.3, archontat de Philoclés. Alexandre meurt le 13 juin 323 (Grorz-Conen, Hist. Gr., 1V,1, p. 182). La nouvelle ne dut pas être connue à Athènes avant juillet,

mais des mesures avaient déjà été prises contre la domination macédonienne (ibid., . 266). Diogéne nous a conservé le testament d'Aristote (cf. U. v. WirAMOWITZ, Lesetrüchte, XXII, Hermes, 88 (1898), p. 531 sq., et supra,

p. 21, n. 74). Une

tombe

a été retrouvée que l'on a proposé d'identifier avec celle d'Aristote (C. WALDSTEIN, Is it Aristotle's tómb ἢ. Nineteenth Century, 29 (1891), p. 845-850). 86. 87.

Elle eat déjà signalée par Droc. L., V, I, 10. PnıLopeme, p. ex., est formel : αἰτίας πλείους παρέθηκεν πρὸς τὸ πολιτεύεσθαι

ἐπισπασαμένας ἑχυτόν, πρῶτον μὲν ἐνθυμούμενον ὅτι τῷ ἀπείρῳ τῶν περὶ τὰς πόλεις συμβαινόντων οὐδέν ἐστι φίλον * δεύτερον δὲ διὰ τὸ φιλοσοφίαν πολλὴν ἐπίδοσιν λαδεῖν τυχοῦσαν χρηστῆς πολιτείας ᾿ τρίτον δ᾽ ἀγανακτήσαντα ἐπὶ τοῖς πλείστοις τῶν νῦν τὰ πολιτικὰ πραττόντων, ὡς ἀντερείδοντες οἱ μὲν ἄρχουσιν, οἱ 8’ ἄρχειν ἀξιοῦντες ... Vol. Rhet., II, p. 51, col. xıvım, Supmaus.

Cf.

ibid.,

p. 60,

col. ıv, p. 61

sq., col.

LVI. 88. P. Monavux, Les listes anciennes des ouvrages d' Aristote, Louvain, 1951, p. 338. Cf. aussi Grorz-ConkN, Hist. Gr., III, p. 287, n. 91.

89. Il obtiendra méme de Philippe, ou d'Alexandre — ou de tous deux —

la

restauration de Stagire, suivant la Vita Marciana (V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, 655) et Dion Chrysostome (V. Rose, ibid., 657).

INTRODUCTION

23

précédaient, il a été dans Athènes un ami des Macédoniens victorieux ®. Mais devait-il souffrir, comme on l’a brillamment soutenu, d'un « com-

plexe de trahison » *! ? Quel était, en face des problèmes contemporains de la cité, son sentiment véritable ? C. MÉrHODE

ENVISAGÉE.

La Politique est probablement le seul ouvrage d’où l'on puisse tenter de l'extraire et de le définir avec quelque certitude. Les autres travaux

politiques d'Aristote ont disparu ou sont terriblement mutilés **. Quant aux données biographiques, ou à la correspondance, elles sont également Íragmentaires et suspectes, au point que seuls quelques repéres ont pu

être fixés. Ils aident à comprendre la Politique qui, en revanche, permet de les interpréter. Mais pour unir ainsi pensée politique et biographie, il faut d'abord résoudre, dans la mesure où l'exige la question posée, le probléme de la composition de la Politique elle-méme et des autres travaux politiques

d'Aristote. Or il se trouve que, dans ces préliminaires indispensables pour comprendre ce qu'a été l'attitude d'Aristote en face de l'histoire

— l'histoire de son temps ou celle qui pour lui était déjà de l'histoire — le critère proprement historique est peut-être le plus simple et, sans être toujours décisif, donne du moins des indications souvent précises et précieuses. Les informations historiques contenues dans la Politique et

ailleurs dans le Corpus peuvent servir de points de repére. Leur utilisation n'est certes pas une nouveauté : des variations, des contradictions ont été relevées depuis longtemps et ont pu servir aux commentateurs du xix? siècle pour effectuer leur « découpage » du texte **. Mais il nous est possible aujourd'hui, où l'on envisage tout le Corpus d'un point de vue génétique, d'élargir la méthode de nos devanciers, et d'étudier dans son évolution toute la documentation historique d’Aristote, alors qu’on tend plutót à la reléguer au second plan. W. Jaeger, par exemple, ou H. von Arnim ne tirent que rarement argument d'allusions historiques pour leur chronologie, et encore ne sont-ce que des arguments acces-

soires **, M. M. Prélot, dans sa récente adaptation de la Politique 95, croit pouvoir rejeter en appendice l'essentiel des informations historiques du livre II et semble attacher beaucoup plus d'importance aux livres I-11I et VII-VIII qu'aux livres IV-VI qui sont bourrés d'information histo90. C'est Nicanor qui en septembre

324 apporte le décret exigeant le rappel

des bannis ; cf. supra, p. 21, n. 78 (RE, s. v. Nikanor,

5, et Diopong, XVIII, 8,3).

Sur les relations avec Antipatros, p. 21, n. 75. 91.

R. ALLENDY,

Aristote ou le complexe de trahison, Genève, 1943.

92. V. infra, p. 97 sq.

93. Le meilleur exemple est fourni parles deux premières éditions de F. Susgwinr, publiées en 1872 et 1879, à Leipzig. 94. W. JArGER, Aristotle*, p. ex. p. 266, 286 et n. 1. Pour H. von Arnım, p. 203 sq., 207 sq. |

infra,

95. Politique d Aristote, texte français présenté et annoté par M. Ῥπέσοτ, Paris, 1950. V. les appendices, et aussi l'avant-propos p. xxvii et n. 5 (qui renvoie à l'édition Susgurinr-Hicxs, des livres

I à III et VII-VIII, numérotés

IV-V).

24

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

rique. De méme, publiant un abrégé de sa grande traduction, E. Barker supprimait les passages qui sont, selon sa propre expression, « of antiquarian interest » 9 — par exemple les constitutions de Créte et de Carthage, divers exemples de révolutions, un passage, suspect il est vrai, sur la durée des tyrannies... Dans ce domaine, mieux vaut maintenant

retourner

aux

textes.

Ainsi faudra-t-il en premier lieu faire le point des difficultés qu'ils présentent, et des théories qu'elles ont suscitées, puis examiner dans quelles conditions le critére historique peut répondre aux exigences de

la question posée 9". Il sera aussi nécessaire de considérer dans son ensemble la documentation historique d’Aristote dans la Politique et, la cas échéant, dans le reste du Corpus. Nous ne prétendons

évidemment

pas reconstituer en détail les « fichiers » de Troade, de Lesbos, de Macé-

doine et d'Athénes, mais, si la facon dont s'est enrichie et a évolué toute

cette documentation que réunissait l'école d'Aristote apparaît assez nettement, la chronologie relative de certains passages importants sera plus sûre, et l’histoire, qui a nourri la pensée politique d'Aristote, sera

aussi un bon moyen de la discerner et de la mieux comprendre. 96. E. Banken, The Politics of Aristotle, Oxford, 1948 (abrégé du travail paru en 1946), p. 111. La liste des passages supprimés est donnée en p. tv. 97. D'ou l'ordre assez complexe des deux premiéres parties. L'intérét du critére

historique ne peut être admis’qu'une fois posés des repères suffisants (chap. III et IV], mais ces repéres aupposent déjà le critére accepté (fin du chapitre II).

PREMIÈRE

PROBLÈMES

PARTIE

ET HYPOTHÈSES

DÉFINITION DE LA MÉTHODE

CHAPITRE

I

Les problèmes de la compesition L'état dans lequel nous est parvenu le Corpus Aristotelicum est depuis toujours un tourment pour les érudits. Au cours d’une transmission fertile en accidents 1, les textes se sont raréfiés, et ceux qui subsistent ont subi altérations et bouleversements de toute sorte. Souvent, ils s'accordent mal entre eux, ou ne s’accordent pas. Sous ce rapport, la

Politique est tristement privilégiée : heurts entre les livres, heurts à l'intérieur des livres. On n'en lira guère quelques chapitres d'affilée sans étre géné par des lacunes, des répétitions, des contradictions. Ces difficultés peuvent tenir dans une certaine mesure à la loi d'un genre, celui du cours, et à la manière professorale d'Aristote ?, qui rectifie au passage des idées reçues, revient en arrière, précise sa pensée, cite et reprend,

entre autres, son « collègue » — autant que son maître — Platon. Mais cette explication ne suffit pas à supprimer ou à voiler les incohérences du texte : l'illogisme n'a, en fin de compte, jamais caractérisé suffisamment un style magistral.

Examinons d'abord ces leçons de politique, sous la forme où la tradition nous les a léguées. Le but de ce premier exposé sera surtout de donner une idée approximative de ce que contient et de ce qu'est cette «euvre, souvent consultée, souvent citée, mais que l'on a rarement l'occasion de lire de bout en bout. Or c'est ici cette lecture totale qui importe

pour commencer. Nous soulignerons au passage les difficultés rencontrées, plutót que nous ne donnerons un résumé détaillé, qu'il serait impos-

sible d'établir sans recopier tout bonnement le texte : tout schéma serait faux, parce que la pensée est en général déjà condensée à l'extréme, et parce qu'il omettrait, par définition, ce foisonnement du détail d’où naît

précisément ici le probléme à étudier ?. Mais des impressions de lecture 1. L'histoire de la bibliothèque d'Aristote et de Théophraste, léguée à Nélée de Scepsis, cachée, perdue, retrouvée, et parvenant à Tyrannion puis à Andronicos par l'intermédiaire d'Apellicon de Téos et lie, n'est peut-être qu'une légende (transmise par SrnaBon, XIII, 1, 54, C 608-609 ; PLuTARQUE, Sylla, 26 ; ArnÉNÉE, 214 d). Acceptee par M. Pn£ror, Politique d'A., Paris, 1950, p. xxvi, elle se heurte au

scepticisme de L. Rogin, Aristote, Paris, 1944, p. 10-12. — W. L. Newman,

The

Politics of Aristotle, II, Oxford, 1887, p. v-vı, et tout récemment; pour des raisons trés différentes, P. Monaux, Les listes anciennes..., Louvain, 1951, p. 298, 320, ont

admis qu'elle pouvait contenir quelque vérité. Quoi qu'il en soit, les cours d'Aristote ont sürement été remaniés, au Lycée méme ou au sortir des caves de Scepsis. Résumé commode de L. Rosın, ibid., p. 23 sq. ; éléments de bibliographie, p. 303 sq. Sur l'hypothèse inacceptable d'une refonte complète (J. ZürcHER, Ar. k und Geist, Paderborn, 1952) v. infra, p. 54.

2. V. infra, p. 52 sq., l'hypothése qu'il s'agit, non seulement d'un cours, mais de notes prises par un ou plusieurs auditeurs.

3. Ainsi sont difficilement utilisables les plans proposés par F. ϑυβεμιηι, Ar.

Politik, Leipzig, 1879, II, p. vi13q., ou plus modestement par J. MAn1Aset M. AnAv1O,

28

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

permettent de le poser plus facilement, en respectant le texte tel qu'il est, en réduisant la part des corrections et aussi du commentaire dont ce texte s'est enrichi en plus de vingt siécles. Aprés quoi, les regroupements

pourront étre plus tranchés et plus clairs. A.

IMPRESSIONS

DE

LECTURE.

Des huit livres de la Politique *, le premier a, comme le dernier, le plus d'unité. Il traite, à proprement parler, d'« oikonomia ». Dans ce livre, — écrit Barthélemy-Saint-Hilaire, dont nous utiliserons ici le résumé —

«l'auteur examine et décrit les éléments constitutifs de l'État : les individus et les choses. C'est là que se trouve cette théorie de l'esclavage naturel, la seule que l'antiquité nous ait laissée sur ce grave sujet ; et cette autre théorie de l'acquisition et de la richesse, qui est un des premiers essais d’Economie politique que la science puisse citer » 5.

Plus précisément, les deux premiers chapitres ® définissent les communautés principales — famille, village, cité — et présentent l'homme, selon la formule fameuse, comme un « animal politique »: un étre vivant dont la fin est de vivre dans une πόλις. Le troisième chapitre revient à la famille, en tant qu'élément de la cité. Les chapitres 4 à 7 sont consacrés à l'esclavage, les chapitres 8 à 11, à la propriété et à l'acquisition (chré-

matistique) ; enfin, les chapitres 12-13, aux rapports à l'intérieur de la famille et aux vertus qui s'y rattachent. Rien de plus clair jusqu'ici. Mais dans le détail les choses ne sont pas si nettes. Il est d'abord et surtout remarquable que le thème central, celui du caractère particulier de cette χοινωνία qu'est la cité grecque, Ar. Politica, Madrid, 1951,

p. ıxıx sq. Les résumés d'E. BAnxzn, The Politics, Oxford,

1946, dissolvent également les difficultés. En revanche, O. Gicon, Aristoteles, Politik und Staat der Athener, Zurich, 1955 (trad. en allemand) propose, p. 26 sq., une analyse qui met toujours les problémes en évidence. 4. La division en livres peut être très ancienne (vers 200 av. J.-C. V. P. Monaux, Les listes anciennes..., Louvain, 1951, p. 95 sq., 200, 312 sq., 321). Huit livres de Politique sont enregistrés par le Catalogue de DiocEwz (n? 75) et par celui de l'Anonyme de Ménage (n? 70). La division ne remonte évidemment pas pour autant à

Aristote. Mais nous l'utiliserons, méme dans cette analyse, parce qu'elle donne des

repéres commodes. La supprimer n'abolit pas les difficultés de lecture. Au contraire les heurts « entre livres » paraîtront encore plus surprenants si le texte est considéré comme ininterrompu. 5. Politique d' Aristote, Paris, 1837,

I, p. cxrir. En dépit de faiblesses fameuses,

cette édition est le premier travail important publié en France dans ce domaine. Elle a servi les études aristotéliciennes par les suggestions qu'elle apportait et par les oppositions qu'elle a suscitées, Elle est encore couramment utilisée aujourd'hui, faute de mieux. Aussi avons-nous consacré un développement à la théorie que BAnTBÉLEMY-SaiNT-HiLAIRE a formulée, sur la structure de la Politique (infra, chap. II, p.97 sq.), et cela en nous référant toujours à la première édition de 1837, qui eut cette

importance historique. Les éditions de 1848 et 1874 n'ont du reste apporté en la ma-

tiére aucune modification aux vues de l'auteur. 6. Division de l'édition Bexxker (Berlin, 1831). La division de l'édition Scaseiper (Francfort, 1809) est moins heureuse. La plupart des éditeurs et traducteurs préfèrent la première ou bien indiquent les deux divisions. La division de BEKkEr remonte en réalité à une édition de 1540 (BAnrBÉLEMY-SA1NT-HiLAIRE, op. cit., p. ci, cf. p. xcvi sq. et p. 2, n. 1).

COMPOSITION

: LES

PROBLÈMES

29

se perde quelquefois dans les ramifications de l'analyse ", comme si finalement il ne constituait pas le fondement essentiel de la doctrine aristotélicienne. Quant à l'ordre des idées, aprés le développement sur l'esclavage, suivrait naturellement un exposé des rapports à l'intérieur de la famille ; mais l'esclave étant envisagé comme une partie de la pro-

priété, Aristote traite d'abord de cette derniére question, puis de la chrématistique et passe alors seulement digression facilement explicable. Mais ce désigne, dans les chapitres 8 à 10, tantót sition (1238 a 20, 28), tantót des formes

aux questions familiales —, méme mot de χρηματιστική ὃ des formes normales d'acquianormales (1257 a 29, 58 a 8),

tantôt les deux à la fois (1257 a 17, b 2, 36, 1258 a 6, 37). I] n'y a peut-être

là, d'abord, qu'une manifestation de la volonté qu'a Aristote de serrer

toujours de plus prés la vérité, de définir exactement les notions, en luttant contre les équivoques d'un vocabulaire technique insuffisant. Mais au chapitre 11, il entendra par ce méme terme trois formes différentes de chrématistique, au lieu de deux : Ἰ᾿ οἰκειοτάτη (1258 b 20), la μεταθδλητική (58 b 21), et une catégorie intermédiaire (58 b 27). Cette

μεταθδλητική, qui en 1258 b 1 correspondait à la καπηλική, maintenant l'éyxopía, (ainsi affirme ® qu'usure et échange l'usure n'est qu'une forme de δικαίως, εὐλογώτατα μισεῖται

que le τοκισμός et la μισθαρνία. étaient distingués en 1258 b 1 l'échange : τῆς δὲ μεταδλητικῇς à ὀδολοστατική ...). Le point

comprend E. Barker : en réalité ψεγομένης de vue est

donc totalement transformé, sans transition, comme s'il s'agissait d'un

texte plus récent, ou plus ancien, juxtaposé au premier. Qui plus est, le chapitre 11 tout entier tranche sur les précédents 30, avec ses développements sur τὰ πρὸς τὴν χρῆσιν opposés, brusquement, à τὰ πρὸς τὴν γνῶσιν. II n'y a pas là, à vrai dire, opposition profonde de doctrines 11, mais rupture, assurément, dans la continuité de l'exposé. Aussi le chapitre apparaît-il comme une addition postérieure 1? — peut-être de peu.

Le chapitre 12, lui, introduit une analyse de la πατρικὴ et de la γαμική, qui devrait normalement être poussée aussi loin que celle de la δεσπο-

mx, de la κτητική et de la χρηματιστική, si l'on s'en tient au plan annoncé en 1253 b 4-12 13. Or elle tourne court, rattachée maintenant 7. BankzR,

The Politics..., Oxford, 1946, p. 17, n. 2.

8. Newman, II, ad 1256 a1, et p. 197 aq. 9. The Politics..., 1946, p. 32, n. 6. 10. Newman, II, p. 196-198. A l'intérieur même

de ce chapitre, et dans tout

le

livre, des passages sont discutés (1258 b 39 sq., par exemple) et parfois suspectés. Ni pour le livre I ni pour les autres il n'était cependant possible ici d'étudier l'établissement du texte lorsqu'il ne pose pas de probléme vraiment essentiel à la suite des idées. Voir les éditions critiques et commentées indiquées p. 60. 11. Newman, ibid., souligne l'intérêt d'Aristote pour l'« utile », à propos de l'esclavage (1253 b 15) et dans toute la Politique. Sa remarque s'applique pourtant moins bien aux livres VII-VIII (IV-V pour Newman). Quant aux différences dans l'emploi du mot de « chrématistique », il se borne à les constater. 12. Hypothése à peu près acceptée par E. Barker (The Politics..., Oxford, 1946, . 29, n. 3: « Some of it may possibly be an addition ») et à peu prés refusée par EWMAN, II, p. 198 : « Perhaps coeval ». 13. AnisTOTE y souligne l'importance de la γαμικὴ et de la πατρική au point de regretter que chacune de ces catégories d'activités n'ait pas un nom quila définisse exactement : γαμικὴ (ἀνώνυμον γὰρ ἡ γυναιχὸς καὶ ἀνδρὸς σύζευξις) xal τρίτον πα-

30

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

à la « politique », non plus à l'« économique », et renvoyée à un autre

livre 15, où nous ne la trouverons pas. Le début du chapitre 13 tire les conclusions des chapitres précédents en des termes qui surprennent : « Il est donc domestique concerne les humains plutót que la En réalité, les chapitres 8 à 11 traitent largement et le chapitre 12, reprenant trés rapidement les

évident que l'économie propriété des objets... » des « objets inanimés », problèmes de la ÿYæpurxr

et de la xarpixr, forme tout au plus une introduction (le mari commande à sa femme comme un homme politique à ses concitoyens, le pére commande à ses enfants comme un roi à ses sujets). Méme si l'on considére avec Newman (ad 12 et 13, début) le chapitre 12 comme une parenthése, la suite des idées n'est pas pleinement satisfaisante, à moins de préter à Aristote un raisonnement vain : « Puisque les trois parties de l’économie domestique concernent esclaves, femmes et enfants, il est évident qu'elle

concerne les humains plus que les objets ». Φανερόν, en effet.

La définition méme de l’olxovouxà ἀρχή est différente au livre III, 1278 b 32 sq., notamment 37 sq., où, résumant ses « travaux exotériques », Aristote oppose l'olxovoyuocf; à la πατρικὴ ἀρχή et la rapproche de la « politique ». Le livre I au contraire rapproche les deux premiers termes, et les oppose à la « politique », considérée seulement comme idéale et pure !5.

La liaison avec le livre II rompt la suite des idées. Ce livre prévoit un exposé des constitutions les meilleures « en vigueur dans des cités qui passent pour bien gouvernées, et de toutes autres qu'ont pu proposer tel ou tel » 16, A la fin du livre I, Aristote annonçait seulement une en-

quête sur « les théories de la meilleure constitution » 7. Ainsi, une analyse de la constitution idéale — correspondant assez bien au dévelopτρική (xal γὰρ αὕτη οὐκ ὠνόμασται ἰδίῳ ὀνόματι). L'emploi de ces deux termes avec cette valeursemble une création d'AnisTorz (cf. LippELr-Scorr, 8. v.) (πατρικὴ = πατρικὴ

οὐσία, EuniPipE,

Jon, 1304). Sur l'extension

des

mots

à suffixe

en

ικός,

voir P. CHANTRAINE, Études sur le vocabulaire grec, Paris, 1956, p. 97 sq. 14.

Livre II selon W. JAEGER, Aristotle®, p. 272 et n.

1. Au contraire H. von ARNIM

(Zur Entstehungsgeschichte der aristotelischen Politik, Sitz. Ber. Wiener Akad. d. Wiss., 200, I, Vienne-Leipzig, 1924, p. 108 sq.) pense que le livre I, dans un premier état, présentait ce développement aujourd'hui disparu ; Aristote l'aurait supprimé lui-même, parce qu'il devait traiter à nouveau la question à propos de l'État idéal, Il peut s’agit aussi des livres VII-VIII, dans la mesure où ceux-ci ont pu à un moment donné faire suite au livre III (infra, p. 34 sq., et chapitre II). Dans cette hypothése, l'ensemble III (ou méme II-III)-VII-VIII peut constituer les « développements sur

les

constitutions

»

annoncés

en

I, 13, 1260

b 12,

kv τοῖς περὶ τὰς

πολιτείας.

Cette solution n'exige donc pas la correction de περὶ τὰς x. en περὶ τῆς x. ou en περὶ π᾿ comme

le croit W. JAEGER,

qui du reste refuse cette « méthode

douteuse

». Il faut

aussi remarquer que le livre VIII, De l'éducation, reprend une partie du sujet annoncé ici. 15. 1, 3,1253 δῖ sq ; 12, 1259 a 37 aq. Sur ce point, le livre III est tout proche d'E. N., V, 10, 1134 ὁ 8-17.

16. 11, 1, 1260 b 30-33 : αἷς τε χρῶνταί rives τῶν πόλεων τῶν εὐνομεῖσθαι λεγομένων, Xv el τινες ἕτεραι τυγχάνουσιν ὑπό τινων εἰρημέναι. 17. 1,13,1260 5 23-24 : καὶ πρῶτον ἐπισχεψώμεθα περὶ τῶν ἀποφηναμένων περὶ τῆς πολιτείας τῆς ἀρίστης.

COMPOSITION

pement

: LES

PROBLÈMES

31

sur Platon, Phaléas et Hippodamos, — fait place à un point

de vue beaucoup plus réaliste et, pourrait-on dire, historique : celui d’une enquête sur les faits et non plus seulement sur les théories. Ce change-

ment de perspective est la seule justification du δέ par lequel s'ouvre le livre II P, et qui est finalement l'unique transition, bien insuffisante. En outre, ce prologue au livre II prétend résumer le premier livre, mais n'en donne qu'une image inexacte : Aristote n'avait pas encore envisagé le cas des δυνάμενοι ζῆν ὅτι μάλιατα κατ᾽ εὐχὴν dont il est maintenant fait mention !?, Aussi a-t-on voulu corriger le texte. Mais

aucune suppression ne peut convenir, puisque la fin de I n'annonce pas exactement

II, et qu'en revanche le début de II répond mal à I. Ici

apparaît, pour la première fois, la difficulté qui complique toutes les études sur la Politique: c'est que le procédé traditionnel, et d'ailleurs

discutable, qui consiste à émonder le texte, ne donne pas en l'occurrence de résultats satisfaisants. Le livre II est donc consacré aux meilleures constitutions : les cinq premiers chapitres, à la République de Platon, le sixième aux Lois. Puis Aristote étudie et critique les théories de Phaléas de Chalcédoine (chapitre 7) et d'Hippodamos de Milet (chapitre 8) avant d'en venir aux constitutions en vigueur : celles de Sparte (chapitre 9), de Créte (chapitre 10) et de Carthage (chapitre 11). Le chapitre 12 évoque rapidement les lois de Solon, puis d'autres législateurs, d'une façon assez

désordonnée. Le plan énoncé au début du livre était pourtant trés net : δεῖ xal τὰς ἄλλας ἐπισκέψασθαι πολιτείας, αἷς τε χρῶνταί τινες τῶν πόλεων τῶν εὐνομεῖσθαι λεγομένων, κἂν εἴ τινες ἕτεραι τυγχάνουσιν ὑπό τίνων εἰρημέναι καὶ δοχοῦσαι καλῶς ἔχειν 39, Le premier terme correspond exac-

tement aux chapitres 9 à 11, le deuxième aux huit premiers chapitres. Mais le douzième chapitre introduit une nouvelle distinction ?! entre législateurs qui ont joué un rôle politique actif, et théoriciens. Elle n’est du reste pas respectée dans la suite, où sont mtlées les lois de Dracon, de Platon, et des détails anecdotiques sur Zaleucos, Charondas, Phi-

lolaos, Pittacos, Androdamas de Rhe£gion... Ce chapitre est condamné, en tout ou en partie, par de nombreux érudits. Il est sûr du moins qu'il

ne peut appartenir à la même rédaction que l’ensemble des chapitres précédents. Et, parmi ceux-ci, nous aurons

encore des distinctions à

faire 33, 18. C'est la leçon des meilleurs manuscrits. V. O. Immiscn, app. crit., ad loc. 19. 11, 1, 1260 ὁ 28-29. 20. 29-32. 21. La première distinction disparaît déjà, du moins dans l'expression, lorsque tout au début du livre Aristote réunit constitutions en vigueur et théories constitutionnelles sous le terme commun de τὰς νῦν ὑπαρχούσας (1260 b 35). (Cet emploi

vague de ὑπάρχειν n'est pas relevé par Bonıtz dans son Inder Aristotelicus, Berlin, 1870.) 22. Infra, p. 246 sq. Sur la condamnation du chapitre final, les principales hypo-

thèses sont signalées dans l'app. crit. de O. Immiscn. Cf. Newman,

HH, p. 377.

32

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Le livre III est généralement considéré comme

le plus important

de tous. Il contient la théorie du droit de cité et des constitutions. Les cinq premiers chapitres définissent le citoyen et son ἀρετῇ, par rapport à l'homme en général : le citoyen est celui qui peut participer au pouvoir délibératif et judiciaire ?3, et le bon citoyen s'identifie à l'homme de bien dans une constitution idéale, et sous des conditions précises ?*. Les chapitres 6 à 8 donnent la classification des constitutions, qui comprend trois types justes : royauté, aristocratie, politeia 35 — et trois déviations ? correspondantes : tyrannie, oligarchie, démocratie. Les chapitres 9 à 13 étudient les principes généraux de l'attribution du pouvoir politique, notamment, dans la démocratie et l'oligarchie, par rapport

aux notions de justice et d'égalité. Les cinq chapitres suivants sont consacrés à la royauté et à ses différentes formes. On voit qu'après avoir distingué six constitutions, Aristote n'en étudie à proprement parler que trois. C’est déjà une difficulté de savoir dans quelle mesure et de quelle façon les autres livres de la Politique comblent cette lacune. Mais en outre, la démocratie, l’oligarchie et la royauté sont de nouveau envisagées ailleurs, et sous un angle parfois très

différent 57. D'autres discordances sont non moins étonnantes dans le détail du livre III. Le livre commence ez abrupto, sans particule de liaison 33, et comme si l'enquéte débutait à peu prés (σχεδόν) à ce moment : τῷ περὶ πολιτείας ἐπισκοποῦντι, xal τίς ἑκάστη καὶ ποία τις, σχεδὸν πρώτη σκέψις περὶ πόλεως ἰδεῖν, τί ποτέ ἐστιν ἡ πόλις 2°. Le livre III, pourtant, dépend des précédents d’une façon assez étroite. Le principe de méthode exposé au début, ἐπεὶ δ᾽ ἡ πόλις τῶν συγκειμένων ..., n'est qu'un rappel

de 1252 a 17-23 et 1253 b 4 sq. ®. L'apparition soudaine de la notion ἀ᾽ αὐτάρκεια dans la définition de la cité 332, — notion inconnue dans les premières lignes du troisième livre — rappelle évidemment et reprend (ou annonce) le début du premier livre 83, 23. 111,1,1275 5 18-19. 24. Définies au chap. 4 du même

livre.

25. Nous adoptons, faute de mieux, cette transcription conventionnelle. La tra-

duction par « république », à laquelle on a eu parfois recours, est encore moins satisfaisante : pour un moderne, la république est aussi démocratie, quoique toutes les démocraties n'aient pas la forme républicaine. 26. Ilupexôdoets. 27. Au livre V, l'aristocratie est présentée comme une oligarchie (V, 7, 1306 5 22 sq. Cf. VI, 1, 1317 a 2) et la démocratie

est signalée

comme

une

constitution

stable (V, 1, 1302 a 7 sq. Cf. IV, 11, 1296 a 13 sq.). 28. Le livre IL est lié à I par δὲ, V à IV, VI à Vet VIII à VII par μὲν οὖν. Mais III, IV et VII n'ont pas de particule initiale. Ce sont justement des livres que d'autres raisons encore suggérent de déplacer. V. chap. II, p. 57 sq. 29. Cf. le début, trés général, de IV (Ἔν ἁπάσαις ταῖς τέχναις κτλ.) et celui de VII : περὶ πολιτείας τῆς ἀρίστης τὸν μέλλοντα ποιήσασθαι τὴν προσήχουσαν ζήτησιν ἀνάγχη διορίσασθαι πρῶτον

τίς αἱρετώτατος

βίος

30. Autre formulation de la même méthode en Parties des Animaux, I, 4, 644 a 29 sq. et De l'âme, 1, 1, 402 ὁ 9 sq. Mais

on

ne

peut

évidemment

en

conclure

que

Pol., III, 1, 1274 b 38 sq. dépend de ces passages-ci plutôt que de I, 1, 1252 a 17 sq. et 3, 1253 b 4 sq. 31. III, 1, 1275 5 20 sq. 32. I, 2, 1252 b 27 sq.

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

33

En revanche, à l’intérieur même du livre III, la pensée manque souvent d'unité. Ainsi, la définition du citoyen comme à κοινωνεῖν ἔξεστιν ἀρχῆς suppose, en 1275 a 30 sq. 33, que l’&py peut être « indéfinie » 84, réduite à la participation au pouvoir délibératif ou au pouvoir judiciaire. Mais un peu plus loin %, l’&pyn sera une magistrature au sens plein du mot et, comme le remarque Newman (à 1277 b 34), la contradiction est encore soulignée par la nouvelle définition de 1278 a 35 sq. : λέγεται

μάλιστα πολίτης ὁ μετέχων τῶν

τιμῶν ... μέτοικος γάρ ἐστιν ὁ τῶν

τιμῶν μὴ μετέχων. La première définition doit en effet comprendre les ‘citoyens d’une démocratie, tandis que la définition de la vertu propre

au citoyen est un concept aristocratique. De même, il est admis en 1281 b 25-31 que les pouvoirs délibératif et judiciaire ne constituent pas une ἀρχή. Il est difficile d'accorder ces derniers textes avec les distinctions marquées au début du livre, entre les magistratures limitées dans le temps, et les magistratures « indéfinies », οἷον ὁ δικαστὴς καὶ ἐχκλησιαστής.

Τάχα

μὲν

οὖν Av

οὐδὲ μετέχειν διὰ τοῦτ᾽

φαίη

ἀρχῆς"

τις οὐδ᾽ ἄρχοντας

καίτοι γελοῖον

εἶναι

τοὺς τοιούτους,

τοὺς κυριωτάτους

ἀπο-

στερεῖν ἀρχῆς. ὃ5. La contradiction est résolue apparemment un peu plus loin, où γὰρ ὁ δικαστὴς οὐδ᾽ ὁ ἐκκλησιαστὴς ἄρχων ἐστίν, ἀλλὰ τὸ δικασ-

τήριον καὶ ἡ βουλὴ καὶ ὁ δῆμος 57. Mais alors les conclusions précédentes sont affaiblies. La classification des royautés est très détaillée ; elle n’est cependant pas non plus homogène. Les quatre formes distinguées en 1285 a 3 sq., — stratégie à vie, royauté barbare, aisymnètie, royauté des temps héroïques — sont récapitulées en 1285 b 20 sq., mais la royauté de type lacédémonien, stratégie à vie, catégorie qui en 1285 a 15-16 se subdivisait en κατὰ γένος et en œipetal, n'est plus ici que κατὰ γένος — alors pourtant que les deux formes κατὰ γένος et κατὰ αἵρεσιν apparaissent de nouveau en 1285 b 39 (mais plusieurs manuscrits remplacent alpeoıv par μέρος ou ἀρετήν). Cette royauté devait être étudiée ailleurs, peut-être dans le Περὶ βασιλείας, ou dans un ouvrage sur les lois #. Nous ne la retrouvons nulle part. De même,

le roi absolu, le παμβασιλεύς,

devient

soudain,

dans

une

hypothèse, « souverain selon la loi » 39, c'est-à-dire qu'il se confond avec le roi barbare, dont il avait été distingué jusqu'ici 9. Mais il sera dis-

tingué aprés cela du roi « selon la loi » δ — en l'occurrence cette fois 33. Cf. 1, 1275 34.

b 18-20.

"Aöpıoros.

35. III, 5, 1277 b 34 sq. Ce sens courant de l'« ἀρχὴ » est aussi celui que lui donne Arıstore en IV, 15, 1299

a 14 sq. ; le philosophe a méme tendance à restreindre ici

le sens du mot par rapport à la loi athénienne ; cf. Escaıne, C. Ctésiphon, 14-15. Newxan suppose (ad loc.) qu'AnRisTOTE s'inspire ici de ce texte d'Escuine ; lerapprochement est subjectif. V. infra, p. 194 sq. 36. III, 1, 1275 a 26 sq. 37. IH, 11, 1282 a 34 sq. 38.

III, 15, 1286 a 2-5. Cf. infra, p. 121 sq., et surtout p. 157 sq.

39.

III, 15, 1286 5 31.

40.

III, 14, 1285 a 16 sq., b 23 sq.

41. III, 16, 1287 a 1 sq. Aristote et l'histoire.

8

34

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

le roi « à la lacédémonienne », et il continue apparemment à être confondu avec le roi barbare *?. Newman remarque justement qu’Aristote pense à un roi comme celui de Perse. Et pourtant, la premiére royauté barbare. celle de 1285 a 16 sqq., excluait probablement des monarchies à pouvoirs limités 4, et comprenait la monarchie perse, tout en étant consi dérée comme « selon la loi » : la contradiction est flagrante. La pensée aussi se répéte de facon surprenante à des intervalles si brefs. Ainsi, l'argument de la foule qui juge mieux, dans son ensemble,

qu'un individu isolé **, reprend sans les citer, jusque dans le détail, des comparaisons, des passages antérieurs #. Un peu plus loin pourtant, utilisant encore un argument analogue #, Aristote renvoie soigneusement à son emploi précédent.

Mais les heurts de ce livre central avec les autres livres de la Politique ne font pas non plus défaut. La succession des constitutions exposée en 1286 b 8 sq., ne s’accorde ni avec le livre IV, ni avec le livre V #. Un développement sur les dimensions de la cité semble bien annoncer le

septième livre €, — mais le probléme posé, dans le voisinage *°, du rapport entre les dimensions et l'unité de l'État n'est en fait jamais résolu clairement, ni non plus celui, posé un peu plus loin 95 de l'unité

ethnique de l'État 5!, ni davantage celui de la validité que peuvent garder les engagements publics en cas de révolution 5, ni l’Erepog λόγος annoncé en 1281 a 39 sur le κύριον de l'État. L'idée que la cité idéale ne pourra pas être peuplée uniquement de gens de bien 5 contraste apparemment avec le livre VII 5*, Bref, il faudrait transformer le texte, pour sauvegarder tant bien que mal l'idée traditionnelle d'un systéme

d'Aristote. Tout un morceau du dix-septième chapitre 5°, qui brise la pensée, est lui aussi considéré comme interpolé (Susemihl) ou du moins suspect 42. Ibid., τοῦ

βασιλέως τοῦ κατὰ τὴν αὐτοῦ

43. 44.

Newman, ad loc. III, 15, 1286 a 26 sq.

45.

III, 11, 1281 a 42 sq., 1282 a 38 sq.

βούλησιν πάντα πράττοντος.

46. III, 16, 1287 b 11, renvoyant à 15, 1286 b 3 sq. Les renvois rant chez Aristote. 47. 1V,13,1297 b16 sq. ; V, 12, 1316 a 20 sq.

sont d'usage

cou-

48. III, 4, 1276 5 30 sq., et VII, 4, surtout 1326 b 2 sq. 49. 111, 3, 1276 a 19 sq. 50. 1276 a 32 sq. 51. Ni VII, 9, 1329 a 25 sq., et 10, 1330 a 25 sq., ni V, 3, 1303 a 25 sq., ne répondent exactement ni suffisamment à la question. Voir Newman, I, p. 295, n. 1. 52. 111,3,1276 b 13 aq. : el δὲ δίκαιον διαλύειν, λόγος ἕτερος.

53. III, 4, 1276 b 37 sq. 54.

VII, 13, 1332 a 32 sq. Sur les tentatives

pour

résoudre

cette

contradiction

v. Newman, ad loc. Il y a en réalité une équivoque sur le mot πολίτης, v. infra, p. 67 sq. — En revanche, l'opposition que voit Newman avec V, 12, 1316 ὁ, 9 n'est pas nette. Ce texte est trés général: ἄτοπον δὲ καὶ τὸ φάναι δύο πόλεις εἶναι τὴν ὀλιγαρχικήν, πλουσίων xal πενήτων. Τί γὰρ αὔτη μᾶλλον τῆς Auxwvixig πέπονθεν 3) ὁποιασοῦν ἄλλης οὗ μὴ πάντες χέχτηνται ἴσα 7) μὴ πάντες ὁμοίως εἰσὶν ἀγαθοὶ ἄνδρες ; (1316 b 6-10). Il n'implique pas, par contraste, que dans certaines cités tous les citoyens soient gens de bien, — pas plus qu'il n'implique, dans certaines autres, une égalité absolue des richesses. 55. III, 17, 1288 a 6-15.

COMPOSITION

: LES

PROBLÈMES

35

(Newman, Barker). En effet, l'étude de τί τὸ ἀριστοκρατικὸν καὶ τί τὸ πολιτικόν n’est pas utile à la recherche, envisagée ici, des qualités que doit posséder un roi. De fait, en 1288 a 15 sq., c’est à la monarchie seule que s’applique la suite de l’analyse. Il est vrai °® qu’aristocratie, au moins, et royauté sont étroitement liées dans le dix-huitième et dernier chapitre. Mais celui-ci n'appartient pas forcément à la même rédaction que ce qui précède, à la fois pour cette raison justement qu’à un développement sur la royauté il fait succéder un développement sur royauté et aristocratie — et par sa fin, qui conduit normalement au livre VII, non au livre IV. Les toutes dernières lignes reprennent en effet, ou annoncent, le début du septième livre °°. L'indication en elle-

méme n'est pas décisive : elle peut se réduire à un procédé d'éditeur, qui

est employé ailleurs dans-le Corpus 99. Mais elle tire une valeur supplémentaire des lignes précédentes, qui nous orientent dans le même sens : διωρισμένων δὲ τούτων περὶ τῆς πολιτείας ἤδη πειρατέον λέγειν τῆς ἀρίστῆς, τίνα πέφυκε γίγνεσθαι τρόπον καὶ καθίστασθαι πῶς 59.

C’est cependant le livre IV qui vient ensuite dans tous les manuscrits. Il commence, ez abrupto ®, par un préambule sur la nécessité de consi-

dérer, non seulement la constitution idéale, mais ce que la pratique exige et autorise (chapitre 1). Reprenant alors la classification posée au troisiéme livre, Áristote envisage un plan de travail (chapitre 2), en cinq points ‘1 : 1. — Les variétés de chaque constitution, et notamment de la démocratie et de l'oligarchie.

2. — La meilleure constitution accessible à tous. 3. — La constitution qui convient à chaque sorte de cité. 4. — La facon d'établir chaque forme de démocratie et d'oligarchie. 5. — Les causes des révolutions, et les moyens d'y parer, dans chaque constitution. Ce plan posé, Aristote analyse les différentes variétés de chaque constitution (chapitres 3-10). Les trois points suivants sont envisagés dans

l'ordre (chapitres 11 ; 12 et 13 ; 14-16). Le cinquiéme point est réservé pour le livre V. Mais cette fois encore, le détail du livre n'a pas cette netteté : le plan n'est pas si rigoureusement suivi, et il ne ressort pas lui-méme du texte 56. Les principaux arguments pour ou contre le maintien de ce paragraphe sont résumés par NEwman, à 1288 a 6. Ajoutons avec E. Barker, The Politics..., Oxford,

1946, p. 150, n. 1, que le lien établi ici entre politeia et organisation militaire correspond beaucoup mieux aux idées de IV, 13, 1297 b 16-25, qu'à III, 15, 1286 5 11-13. Mais il est déjà signalé en HI, 7, 1279 a 39 aq. 57. ᾿Ανάγκη δὴ τὸν μέλλοντα περὶ αὐτῆς (scil. τῆς ἀρίστης πολιτείας) ποιήσασθαι τὴν προσήκουσαν σκέψιν... Les premiers mots du livre VII sont : περὶ πολιτείας ἀρίσττε τὸν μέλλοντα ποιήσασθαι τὴν προσήχουσαν ζήτησιν ἀνάγκη... 58.

V. O. Iuurscn, app. crit., à 111,18, 1288 55.

59. 111, 18, 1288 b 2-4. 60. Ἔν ἀπάσαις ταῖς τέχναις καὶ ταῖς ἐπιστήμαις... Cf. supra, p. 32, n. 28 et n. 29. 61. 1V,2,1289 b 12 aq.

36

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

de façon aussi incontestable. Les chapitres 1 et 2 ne s'accordent pas : le premier contient déjà une esquisse de plan, qui est différente *? : 1. — Recherche de la constitution idéale. 2. — La constitution propre à chaque catégorie de cités. 3. — L'établissement et la conservationd’une constitution quelconque. 4. — La constitution qui convient le mieux à toutes les cités. Il s’y ajoute, accessoirement, la connaissance des variétés de constitutions 9? et la connaissance des lois, les meilleures et celles qui

conviennent à chaque constitution %. On voit que, dans le second plan, le premier point de celui-ci disparaît %, le quatrième devient le second, le:troisième se subdivise entre le quatrième et le cinquième, le deuxième passe au troisième rang. Le premier point du chapitre 2 correspond à une remarque secondaire du chapitre 1 55. Au total, le deuxième plan est plus tourné vers l’action et la réalité de la vie politique. La théorie politique, apparemment, se fonde davantage ici sur l'expérience. Qui plus est, le deuxième point du chapitre 2 se subdivise en trois

catégories, qui ne sont pas mentionnées au quatriéme point correspondant du chapitre 1. Comparons les textes :

1. 1288 b 33-39

2. 1289 b 14-17

παρὰ πάντα δὲ ταῦτα τὴν μάλιστα πάσαις ταῖς πόλεσιν ἁρμόττουσαν δεῖ γνωρίζειν... Οὐ γὰρ μόνον τὴν ἀρίστην δεῖ θεωρεῖν, ἀλλὰ καὶ τὴν δυνατήν, ὁμοίως δὲ xal τὴν ῥάω καὶ κοινοτέραν ἁπάσαις.

ἔπειτα τίς κοινοτάτη καὶ τίς œipeτωτάτη μετὰ τὴν ἀρίστην πολιτείαν κἂν εἴ τις ἄλλη τετύχηκεν ἀριστοκρατικὴ καὶ συνεστῶσα καλῶς, ἀλλὰ ταῖς πλείσταις ἁρμόττουσα πόλεσι, τίς ἐστιν.

: D’après le premier de ces deux textes, la constitution « qui convient le mieux à toutes les cités » est à la fois « possible », évidemment, et « particulièrement accessible et commune à toutes les cités ». Mais par le mot « possible », Aristote fait surtout allusion à la constitution « la meilleure après l’idéale », pour chaque cité séparément, dont il a parlé plus

haut *. Ces deux

constitutions,

distinctes,

sont

celles que

men-

tionne, quoique dans l'ordre inverse, le début du second texte : κοινοτάτη, αἱρετωτάτη μετὰ τὴν ἀρίστην. Mais il comporte une troisième catégorie qui, elle, est nouvelle : de la constitution la plus « commune » est distinguée maintenant une constitution également « commune », mais

62. IV, 1, 1288 5 21 sq. 63. IV, 1, 1289 a 10-11. 64. Ibid., 11-13. 65.

E. BAnxzn,

The Politics..., Oxford, 1946, p. 159, n. JJ. Mais cette disparition

n'est pas étonnante si, comme le suggère 2, 1289 a 30-33, la question a déjà été traitée : xal περὶ μὲν ἀριστοκρατίας xal βασιλείας εἴρηται (τὸ γὰρ περὶ τῆς ἀρίστης πολιτείας θεωρῆσαι ταὐτὸ καὶ περὶ τούτων ἐστὶν εἰπεῖν τῶν ὀνομάτων). Sur l'interprétation, difficile, de ce dernier texte, v. infra, n. 70 sq.

66. Recherche de la constitution idéale. Cf. 1, 1288 5 33-39, cité plus bas : où γὰρ μόνον τὴν ἀρίστην δεῖ θεωρεῖν.

' 67. IV,1,1288 ὃ 24 sq., cf. 32 sq.

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

37

en outre de caractère aristocratique. Et c’est d’une seule de ces catégories qu’Aristote se préoccupera au chapitre 11 % : les deux autres subdivi-. sions ne sont pas développées *?, comme si elles n'étaient qu'une survivance de classements et de travaux probablement plus anciens. C'est ce que confirme l'allusion que fait le chapitre 2 aux travaux sur la « meilleure constitution », qui revenaient, dit Aristote, à traiter de l'aristocratie et de la royauté ”°. Si en effet le troisième livre développe les conceptions du philosophe quant à la royauté, le régime aristocratique n'y est qu'à peine envisagé, et indirectement 71, Ce n'est pas là, non plus, traiter de la « meilleure constitution ». Ce passage du chapitre 2 a donc été écrit en fonction d'une structure de la Politique correspondant à la derniére phrase que portent, pour le livre III, nos manuscrits : VII après III, en tout cas avant IV ??, Le troisiéme et le quatriéme chapitres du livre IV conduisent à une conclusion analogue. Au chapitre 3, Aristote aborde le probléme de la multiplicité des constitutions, et donne les raisons de cette variété : elle provient, selon lui, de la multiplicité des parties qui constituent un Etat. Par « parties » 73, Aristote entend ici des classes sociales ”*. Puis, réfutant au passage l'opinion simpliste qui réduit tous les régimes à deux types essentiels — démocratie et oligarchie *5 — il entreprend de classer, au chapitre 4, les diverses démocraties. En méme temps, il explique pourquoi il existe plus de deux constitutions typiques — cela,

par analogie avec l'anatomie, qui montre aussi comment les combinaisons variées des divers organes produisent des espéces différentes d'animaux 75, Et c'est aprés avoir énuméré les divers éléments, sociaux et politiques — les « organes » — de la cité, qu'il établit avec précision le classement des démocraties, — mais cette fois en fonction de critères

uniquement politiques. La composition de ces deux chapitres laisse donc beaucoup à désirer, parce que sans doute ils ont été écrits trop vite, et cependant en plusieurs fois. Aristote, au chapitre 4, mélange classes sociales et éléments politiques : d'une part, agriculteurs, artisans, commerçants, thètes, gaüerriers 7, puis, les riches, qu'une activité professionnelle ne permet pas, apparemment, de distinguer autrement 78, Et enfin, d'un tout autre point de vue, quoique dans le méme recensement, les magistrats,le pouvoir 68. Le rapport des trois catégories avec le chapitre 11 est obscur. Voir SusEMIBL, Rem. 1141, Newman, ad 1289 b 14, et l'apparat critique de O. Immisca, 69. Pas plus que ne sera établi dans la Politiquele classement, annoncé en 1289 b 11-12, des constitutions déviées. 70. V. supra, p. 36, n. 65. A IV, 2, 1289 a 30 sq., ajouter IV, 3, 1290 a 1-3, et 24 sq., IV, 7, 1293 bi sq. 71. ‘Supra, p. 32 sq. 72. Sur l'hypothèse d'un état ancien du livre III, où il était traité de l'aristocratie (EATON, von Arnım), infra, chap. II, p. 62 sq., 67 sq. 73. 74.

Μέρη, IV, 3, 1289 5 28, etc. Riches, pauvres, classes moyennes ; Cf. infra.

75. 76. 77. 78.

1V,3, 1290 a 13 aq. IV, 4, 1290 b 25 sq. 1290 b 39 sq. 1291 a 33 sq.

38

.

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

délibératif et le pouvoir judiciaire 79. Soit, au total, neuf éléments hétérogènes. Mais Aristote en compte dix : il passe du cinquième (les guerriers) à ce qu'il appelle le septiéme élément (les riches) — en omettant le sixième. À cette énumération incomplète et peu cohérente, s'opposent, en outre, les trois classes que distinguait le chapitre 3 (riches, pauvres, classe moyenne) oü des subdivisions seulement étaient admises — selon la naissance, la richesse, le mérite, dans

le premier groupe

; selon

la

profession dans le second 99. L'importance de ces textes contradictoires n'est pas aisée à définir. Ni le programme du chapitre 1, ni celui du chapitre 2 ne les prévoient exactement ; l'un et l'autre, au contraire, tantót implicitement, tantót

explicitement 9!, acceptent comme un fait la diversité des constitutions, sans s'inquiéter de ses causes. Aussi certains éditeurs croient-ils reconnaître là une interpolation. Immisch, suivant Susemihl 9?, condamne le chapitre 3 tout entier, et le chapitre 4 jusqu'en 1291 b 13 ; Congreve refuse, dans le chapitre 4, tout ce qui va de 1290 b 22 à 1291 ὁ 13. Mais ne s'agit-il pas plutôt, comme l'ont envisagé Newman ®®, puis E. Barker %, de la fusion, souvent maladroite, de travaux différents portant sur le méme sujet ? Un argument de poids est fourni en cesens par le chapitre 3 qui, en 1290 a 1-3, renvoie à de précédentes recherches touchant l'aristocratie. Comme le texte, déjà étudié, du chapitre 2 55, cette référence ne peut, sans difficultés, viser que le livre VII 5. Le chapitre 4 distingue cinq formes de démocratie 9. Le chapitre 6 n'en connait plus que quatre, définies cette fois par des critéres sociaux, et non plus politiques. Les quatre variétés d'oligarchie du chapitre 5 coincident au contraire avec celles du chapitre 6 : celui-ci apporte une explication sociale aux faits politiques classés dans le chapitre 5. En revanche : à la premiére démocratie du chapitre 4, fondée sur une véritable égalité et sur la volonté de la majorité, ne correspond rien au chapitre 6 ; à la deuxiéme démocratie du chapitre 4 (démocratie censitaire, avec un cens faible), correspond la premiére démocratie du chapitre 6, censitaire ; 79. 80.

IV, 4,1291 a 34 sq. IV, 3, 1289 b 29 sq. Peut-être le δῆμος

(1289

ὁ 32)

composé

d'agriculteurs,

de marchands et d'artisans, comprend-il aussi la classe moyenne. 81.

IV,1,1289 a 7-11,26 (εἴπερ εἴδη πλείω...)

; IV, 2, 1289

b 13-14

(εἴπερ

ἔστιν

εἴδη πλείονα). 82. V. Suseuıur, éd. de 1879 (que nous designons par SusentuL), Rem. 1145 sq., qui trouve une raison supplémentaire de condamnation dans les chapitres 6 sq. (IV sq. Scuneider) du livre III. Mais Aristote y envisageait la multiplicité des constitutions au point de vue de la valeur, pour distinguer constitutions justes et constitutions déviées. 83. IV,3, 1289 b 27. 84. The Politics..., Oxford, 1946, p. 162, n. KK. 85. Supra, p. 37 avec la n. 70. 86. Newman rapproche III, 12, 1283 a 14 sq. Mais ce chapitre ne traite pas de l'aristocratie. SusemraL (rem. 1155) renvoie à juste titre à VII, 8, 1328 a 21 sq. 87. IV, 4, 1291 b 30 sq.

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

39

à la troisième du chapitre 4 (participent au gouvernement les citoyens de « naissance irréprochable » 8 sous le règne de la loi), répond la deuxiéme du chapitre 6 (méme critére) ; à la quatriéme

du chapitre 4 (tous les citoyens sont actifs, sous le

"régne de la loi), — la troisième du chapitre 6 (naissance libre et règne de la loi) ; enfin, à la cinquiéme démocratie du chapitre 4 (démocratie de masse) répond la quatrième du chapitre 6 (méme critère); La seconde classification est évidemment plus concrète et plus réaliste

que la première, dans la mesure où elle supprime la première démocratie, toute théorique, du chapitre 4. De même, au début du septième chapitre, Aristote ne connaît plus que quatre types en tout de constitutions : monarchie, oligarchie, démocratie, aristocratie. Il y ajoute, comme s’il venait de la découvrir,

la politeia 33. Quant à la tyrannie, elle disparaît de l'énumération, pour reparaître au début du chapitre 8 et au chapitre 10. Mais elle est comprise dans les « monarchies » du chapitre 7 %, Une classification analogue — sans politeia — est donnée par la Rhétorique et l’Éthique de Nicomaque ?!. Elle n'est pas fondée sur la valeur, comme au livre III, mais sur l'histoire. Non sans doute qu'Aristote renonce aux principes affirmés au troisiéme livre, mais il adopte maintenant un point de vue pratique. D'une façon générale, à partir du livre IV, et jusqu'au sixième, la classification des constitutions est beaucoup plus proche des réalités historiques : la constitution la meilleure n'a plus qu'un ou deux types (aristocratie et royauté), dont les autres constitutions ne sont que des déviations (oligarchie, démocratie, tyrannie) ?*. Même la politeia, qui en 1289 a 26 sq. est encore une des constitutions « justes », n'est plus considérée, dés ce moment-là, comme parmi les meilleures. En 1290 a 2425, elle a perdu sa place parmi les constitutions « bien organisées ». Sans être à proprement parler une « déviation » (au sens du livre III), elle donne lieu elle-méme (ainsi que diverses catégories d'aristocraties, au chapitre 7) à tant de « déviations » qu'Aristote la classe avec celles-ci et la place dans le méme développement que la tyrannie **. Un tel voi-

sinage serait impossible dans les perspectives du livre IIT, et méme du début du livre IV. La classification qu'il implique, et qui étaie les livres IV-VI, provient d'une enquéte étendue, dont le philosophe accepte les résultats, au lieu de les faire pénétrer de force dans des 88. Ibid. 1292 a 1 sq. Ce sont les ἀνυπεύθυνοι

(scil. κατὰ

τὸ γένος). Cf. Newman,

ad loc., et Suszumını, Rem. 1203 b.

89. IV, 7, 1293 a 35 sq. "Ext δ᾽ εἰσὶ δύο πολιτεῖαι παρὰ δημοχρατίαν re xal ὁλι-

yapylav... Λέγουσι δὲ τέτταρας μοναρχίαν ὀλιγαρχίαν δημοχρατίαν, τέταρτον δὲ τὴν καλουμένην ἀριστοκρατίαν Et soudain : πέμπτη δ᾽ ἐστὶν f) προσαγορεύεται τὸ κοινὸν ὄνομα πασῶν, πολιτείαν γὰρ καλοῦσιν, κτλ. 90. Μοναρχία. La traduction par « royauté » est une erreur, ici plus encore qu’ailleurs. Cette erreur entraine E. Barker (The Politics..., Oxford, 1946) dans des difficultés qu'il signale, et, forcément, surmonte, p. 172, n. 1. 91. Hhét.,1, 8,1365

b 29 sq. ; E. N., VIII, 12, 1160

nommée τιμοχρατία. 92.

IV,3,1290 a 24-29 ; cf. 1V,2,1289 a 30 sq.

93. IV, 8, 1293

b 22-27.

a 34

sq., où la πολιτεία

est

40

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

cadres a priori — richesse, naissance, ou principes moraux. La science historique d’Aristote — sauf en matière de royauté — est beaucoup plus compléte dans ces livres-ci que dans ce livre-là. Ce méme chapitre 7 introduit le probléme de l'aristocratie — ou plutót des aristocraties — qui n'est pas prévu au programme du cha? pitre 1*7, ni expressément non plus au chapitre 2, mais dont la solution est nécessaire avant l'étude de la politeia (chapitres 8-9). Les πρῶτοι λόγοι qui traitent de la véritable aristocratie ** sont-ils contenus dans

le livre III ? *5 Plutôt dans le livre VII %. Et parmi les aristocraties réelles, et septième), ment vers de compte

non plus théoriques comme celle du troisième livre (ou du Aristote inclut ici * les politeiai qui « penchent particulièrel'oligarchie », — c’est-à-dire où la vertu n'entre pas en ligne pour l'attribution des magistratures. Jusqu'ici l'oligarchie

était

déviation

une

de

l'aristocratie 9 : désormais,

l’aristocratie

est

« une sorte d’oligarchie » 39, C'est qu'il s'agit de l’aristocratie réelle, celle que «l'on appelle aristocratie » !9, et non plus de l'aristocratie théorique. Cette oligarchie historique serait une « déviation » dans la perspective du troisième livre 19! — mais au livre IV 1%, elle est une constitution normale. C'est qu'Aristote, comme le note Newman, passe ici de son langage propre au langage courant !95, d'autant plus aisément que le langage courant lui-méme fonde souvent l'aristocratie sur la vertu, mais en confondant à tort gens vertueux et notables 194, Le chapitre 10 apporte quelques nouveautés par rapport à la classification des royautés que donnait le livre III (14-17). Les souverains absolus des barbares, et les aisymnétes des anciens Grecs, qui étaient des « rois » en 1285 a 16-85 b 3 — avec il est vrai une nuance de tyrannie pour les aisymnétes 195 —, deviennent maintenant des tyrans. Le principe méme de la tyrannie n'est plus le méme : les tyrans du livre IIT gouvernent contre la volonté de leurs sujets 1%, ceux-ci ont le consentement de leurs sujets 17. 94. IV ‚7,1293 b1 sq. Cf. supra, p. 37 sq. 95.

Newuan,

chap. 4-5 ; 7, 1279 a 34 sq. ; 15, 1286 ὃ 3 sq. ; 18,

1288

a 37 sq. ;

qui pourtant ne répondent que vaguement à la question posée. 96. SuseuinL, Rem. 1232 : 14, 1333 a.11 sq. ; 9, 1328 ὁ 37 sq.

πρῶτοι λόγοι sur la royauté sont sûrement 97. IV, 7,1293 b 20-21. Cf. V, 7, 1307 98. III, 7, 1279 b 5. 99. Cf. IV,8, 1293 536 sq. ; V, 7, 1306 supprimer avec Susesınr à la fois 1293 93 b 20. 100.

IV, 7, 1293 a 38 sq. ; b 7 sq., etc.

101.

III, 7, 1279 b 5.

En

III, 14-17, cf. supra, p. 33 sq. a 10-16.

revanche,

les

| ὃ 24 sq., par ex. Sur la difficulté qu'il y a à b 20-21, et 1307 a 10-16, v. Newman ad

102. IV, 8, 1293 b 23 sq. Dans ce passage les aristocraties ne sont « déviations » que par rapport à }᾿ ὀρθοτάτη πολιτεία, au méme titre que le sont rannie. L'oligarchie alors ne serait déviation que par rapport aux et non plus par rapport à l'aristocratie pure (Newman, à 1293 πολιτεία ést donc R seul centre de référence théorique, alors en avait trois ; c'est maintenant la réalité historique qui fournit 103. IV, 8,1293 ὁ 34-35, εἰώθασι δὲ καλεῖν. 104. V,8,1309 a 2-3 ; cf. IV, 8,1293 b 38 sq. ; 1294 a 17 sq. 105.

III, 14, 1285

la politeia et la tyaristocraties réelles, b 26). 1 ὀρθοτάτη qu'auparavant il y le repère principal.

b 2-3, 26.

106. 1285 a 27. 107. IV, 10, 1295 a 16. V. Newman, à 1295 a 7, T. IV, p. 207.

COMPOSITION

: LES

PROBLÈMES

41

Le programme annoncé à la fin du second chapitre (ou même au cours du premier) n’est donc suivi jusqu'ici qu'avec bien des additions, des lacunes et des détours. Le chapitre 11 rejoint le plan, en proposant

d’étudier maintenant « la constitution et le mode de vie les meilleurs pour la majeure partie des États et des hommes

» : ce sera la constitu-

tion « moyenne », dont les chapitres 8 et 9 ont préparé l'étude, et sur laquelle finalement devront se modeler, pour étre bonnes et stables, toutes les autres constitutions (chapitre 12). Le chapitre 13 introduit

de nouvelles digressions, notamment sur les « artifices » 1% qu'emploient politeiai, aristocraties, oligarchies et démocraties pour assurer leur régime 1%. Les trois derniers chapitres répondent à l'avant-dernier point du programme 11, mais ils en élargissent la portée : le chapitre 2 envisageait «l'établissement des différentes formes de démocratie et aussi d'oligarchie »; Aristote traite encore, en fait, des autres constitutions 111, Le développement se présente, à plusieurs reprises, comme le complément des « artifices » des chapitres précédents !!? ; i] leur est

donc lié, mais il comporte lui-même un plan 115 qui n'est pas respecté exactement dans la suite !!*, Le chapitre 14, cependant, correspond en gros, comme prévu, au pouvoir délibératif, le chapitre 15 à l'exécutif, le chapitre 16 au judiciaire. L'ensemble est lié à ce qui suit. Le chapitre 15, par exemple, renvoie au livre VI !!5, Et le livre V est consacré au dernier point du programme que fixait IV, 2 : causes des révolutions, moyens de les éviter 116,

108. Σοφίσματα. 109.

En

IV, 13, 1297 a 14,

πολιτεῖαι

désignerait

seulement

les

« politeiai », et

non toutes les « constitutions », si l'on en croit Newman, qui rapproche V, 8, 1307 b 40 sq. Mais ce dernier texte ne s'adresse pas seulement aux législateurs des politeiai (en 1308 a 2, le mot signifie sürement « constitution » ; dans les lignes suivantes, ARISTOTE cite les aristocraties, les oligarchies, etc.). De toute façon, le rapprochement

n'est pas décisif ; la conclusion du premier développement sur les « artifices », 1297 a 34-35, suggère une interprétation plus large que celle de Newman : ταῦτα μὲν οὖν ὀλιγαρχικὰ τὰ σοφίσματα τῆς νομοθεσίας. Ces σοφίσματα intéressent donc toute

constitution où l'on désire se prémunir contre le peuple, πρὸς τὸν δῆμον, 1297 a 15. E. Barker,

110.

The Politics..., Oxford, 1946, propose ici, à juste titre, un sens

IV, 2, 1289 b 20-22.

élargi.

111. Politeia: IV, 8, 1298 ὁ 8 sq. Aristocratie : ibid., 5 sq. Cf. ibid.,26 sq., notamment 28, « dans certaines constitutions ». 112. [V,14,1298 513 sq., 23 sq., etc.

113.

Ibid., 1297 b 39-98 a 3.

114.

SusemraL, note 1343. Newman

à 1299 a, 3. Arisrore pose, en

une question omise au début du chapitre 14 (durée de chaque n'y sera pas répondu ici, ni plus loin.

1299

a 5-6,

magistrature) ; il

115. iV. 15, 1300 a 8-9, et tout ce qui précéde, annonce VI, 8, 1323 a 3 sq. ; 2,1317 b 30-35. De même 1300 ὃ 7 sq., annonce VI, 5,1320 b 11 sq., probablement.

116. La coincidence de plan entre la fin de IV et la seconde tilution d'Athènes est remarquable

(B. HıussovLuier,

Introd. à

partie de la Consl'éd. de la Coll.

des

Univ. de Fr., 4° éd., Paris 1952, p. xvit sq.) : aux trois pouvoirs distingués dans la Politique correspondent trois subdivisions de la Constitution (HAussourL1ER). De plus, le livre IV s'achève assez brusquement sur l'étude du pouvoir judiciaire, — comme notre Constitution, qui est incompléte. C'est que — coincidence supplémentaire — la théorie des révolutions, qui vient dans la Politique, au cinquiéme

livre, continuer ce développement, trouve son équivalent dans la partie historique

42

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Mais il débute lui-même par un plan qui ajoute quelque chose de nouveau. En IV, 2, Aristote prévoyait une enquête examinant τένες φθοραὶ xal τίνες σωτηρίαι τῶν πολιτειῶν xal κοινῇ καὶ χωρὶς ἑκάστης,

καὶ διὰ τίνας αἰτίας ταῦτα μάλιστα γίνεσθαι πέφυκεν 17. A ces questions correspondent en gros, quoique inexactement, les deux premiers points du nouveau plan, et les deux derniers : ἐκ τίνων δὲ μεταδάλλουσιν al πολιτεῖαι καὶ πόσων καὶ ποίων, καὶ τίνες ἑκάστης πολιτείας phopal, … ἔτι δὲ σωτηρίαι τίνες καὶ κοινῇ καὶ χωρὶς ἑκάστης εἰσίν, ἔτι δὲ διὰ τένων

ἂν μάλιστα σῴζοιτο τῶν πολιτειῶν ἑκάστη, σκεπτέον ἐφεξῆς τοῖς εἰρημένοις 118, Mais le troisième point de V, 1 : καὶ ἐκ ποίων εἰς ποίας μάλιστα

μεθίστανται 119, non seulement n'a pas son équivalent en IV, 2, mais encore est à peine traité au livre V 120, Les quatre premiers chapitres en sont consacrés aux causes des révolutions, considérées en général et dans toutes les catégories de constitutions. Les causes des révolutions dans les démocraties, les oligarchies et les aristocraties sont examinées plus précisément aux chapitres 5-7. La politeia n’apparaît qu'incidemment, à côté de l’oligarchie 121 et de l'aristocratie 122. Les deux chapitres suivants indiquent les moyens de préserver les constitutions là où elles sont en vigueur 128, le chapitre 9 de la Constitution. Or cette partie est, elle, placée au début. Les deux traités représentent bien des conceptions semblables. 117. IV, 2, 1289 b 24 sq. 118. V, 1, 1301 a 20-25. 119. Ibid., 22. 120. Newman renvoie surtout aux chap. 5-7. V. aussi chap. 12. 121. V, 6, 1306 5 6 sq. | 122.

V, 7, 1307 a 5 sq. Oligarchie et aristocratie sont aussi rapprochées,

mais

la

démocratie est traitée à part, dans des parenthéses bien délimitées, dont l'objet est précisé nettement : 6, 1306 5 17-21, ou 7, 1307

b 19-24,

qui sert de

conclusion

aux trois chapitres précédents. Aussi est-il difficile d'admettre avec Newman que la révolution de Thourioi dont il est fait mention en 7, 1307 b 6 sq., se soit produite dans « la démocratie dont l'origine est décrite en 1307 a 27 sq. »: tout le contexte de

1307

b 6 traite en effet d'aristocraties,

de

politeiai, d'oligarchies.

Cf.

infra,

. 280 sq. P 123.

E. Banker

(The Politics..., Oxford, 1946, p. 202, n. 1, et p. 229-230, n. RR)

s'étonne qu'Aristote place en cet endroit ces deux chapitres sur les σωτηρίαι des constitutions,

puisqu'il

traite

Cf. Newman,

IV, p. 569-570).

ensuite,

pour

les

monarchies,

encore

de

φθοραΐ

les σωτηρίαι devraient se trouver groupées, au livre VI. On explique l'anomalie posée par une distinction entre des « remèdes » qui correspondent spécialement « maladies » diagnostiquées dans les chapitres immédiatement précédents, d'autre part des « remèdes » plus généraux, exposés au livre VI (E. Banken,

:

ainsi aux — et ibid.

En réalité, il est normal qu’Aristote sépare φθοραί et σωτηρίαι des constitutionst, et d'autre part des monarchies, puisque dans la plus grande partie du livre V les monarchies ne sont pas considérées comme des régimes constitutionnels (sauf en 10, 1312 a 39 sq., et en 12, 1315 b 11 sq., que Newman lui-même, ad loc., juge suspect). En outre, dès le début du livre VI, φθοραί et σωτηρίαι sont données pour déjà traitées : VL 1,1316 b 34 sq., cf. 1317 a 37 sq. Sile thème en est repris, c'est

pour fournir des

précisions et des compléments nécessaires, à propos de cas négligés jusque-là : 316 b 36 sq. Le but du sixiéme livre consistera principalement à envisager l'établissement d'une démocratie, ou d'une oligarchie, d'un type donné

; mais création

d'un régime nouveau et sauvegarde d'un régime préexistant peuvent étre liées, oser les mémes problémes, appeler les mémes solutions : VI, 1, 1316 5 39-1317 a Ἢ ‚1317 a 29-38, notamment 35-38 : ζητοῦσι μὲν γὰρ οἱ τὰς πολιτείας καθιστάντες ἅπαντα τὰ οἰκεῖχ συναγαγεῖν πρὸς τὴν ὑπόθεσιν, ἁμαρτάνουσι δὲ τοῦτο ποιοῦντες, καθάπερ ἐν τοῖς περὶ τὰς φθορὰς καὶ τὰς σωτηρίας τῶν πολιτειῶν εἴρηται πρότερον. (= V, 9, 1309 ὁ 18 sq.).

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

43

traitant plus spécialement du choix des magistrats et des qualités que doivent posséder, si possible, la majorité des citoyens. Aristote examine alors la nature du gouvernement et les causes de révolution dans les monarchies (royautés et tyrannies, chapitre 10) !3* et les moyens de les éviter (chapitre 11), dans un développement fameux que l'on a souvent comparé, non sans raison, au Prince de Machiavel 138, Le chapitre 12 commence par une chronologie de quelques tyrannies et s'achéve sur une critique de Platon, pour la théorie des révolutions qu'il a exposée dans

la République 126, Les définitions mêmes de la royauté et de la tyrannie varient dans ces chapitres. Non seulement elles apparaissent tantót comme des « constitutions » et tantôt en dehors de celles-ci 19, mais Aristote semble une fois considérer que monarchies, tyrannies et royautés peuvent former trois catégories — et non deux (conception habituelle : la monarchie est soit une tyrannie, soit une royauté) 13? : οὐ γίγνονται δ᾽ ἔτι βασιλεῖαι νῦν, ἀλλ᾽ ἄν περ γίγνωνται, μοναρχίαι xal τυραννίδες μᾶλλον 139.

Il est difficile de donner ici à καί sa valeur explicative 189 — et la traduction par « ou » (ou bien par « et ») implique que μοναρχία prend un sens spécial, voisin — mais différent — de « tyrannie » 1?!, Newman renvoie à 1302 b 17, qui est beaucoup moins caractéristique, puisque le mot μοναρχία n’y est rapproché ni de βασιλεία ni de τυραννίς et peut par conséquent conserver là un sens vague, péjoratif en tout cas, au voisinage de δυναστεία. 124. Le plan (chap. 1) ne prévoyait pas explicitement cette analyse détaillée de la royauté et de la tyrannie qui ouvre le chap. 10. Mais elle est indispensable à l'exposé : retrouvant dans les monarchies des éléments empruntés à d'autres constitutions, Aristote fonde son affirmation de principe (à savoir que φθοραί et σωτηρίαι sont du méme ordre dans les régimes constitutionnels et dans les monarchies, 1310 a 39 sq.; 1311 a 22 sq.) et justifie ainsi les répétitions auxquelles il peut être obligé (comparer p. ex. 1311 a 25 sq., avec 2, 1302 ὁ 2-3). 125.

E. Banken, The Pol..., Oxford, 1946, p. 247, n. 1 ; A. ABBAMONDI, La politica

in Aristotele e Macchiavelli, Rossano, 1911. On peut citer entre autres : chap. XIV (De ce qui concerne le prince touchant le fait de la guerre), XVI (De la libéralité et de la parcimonie), XVII (De la cruauté et clémence), XIX. (Qu'on doit se garder d'être hal et méprisé), etc., ainsi que le Discours sur la première décade de Tite-Live, III, XXVI,

où la Politique est justement citée (divisions et traductions complètes,

Paris

(La

Pléiade),

1952.

W.

S. Fercuson,

Greek

de l'éd. des Œuvres Imperialism,

1913,

p. 110 sq., remarque que les valeurs morales n'ont jamais perdu de leur importance aux yeux d'Aristote. Mais du moins a-t-il renoncé à une pureté politique qu'il jugeait impossible et inefficace. 126. Rép., VIIT-IX. 127. Cf. n. 123. 128. PLaron, Politique, 291 e. 129. V, 10, 1313 a 3 sq. 130.

Suggéré par Newman,

ad loc., qui renvoie à I, 9, 1257 5 7-8. Cf. H.

Bonırz,

Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v. xa(,357 b13; Künner-Gertu, Ausfürhliche Gr. Gramm., l1*, p. 247 ; J. Humsear, Synt. gr., 2° éd., Paris, 1954, p. 412sq. Dans cette

hypothèse, μοναρχίαι καί devient inutile et peut passer pour une interpolation ; car la distinction que ce sens de καί laisse ici subsister entre

βασιλεῖαι et μοναρχίαι est

aussi étonnante que celle qu'il s'agit de faire disparaître entre μοναρχίαι et rupavνίδες. Une solution également radicale, et aussi arbitraire, consiste à supprimer ce xal embarrassant : ἄνπερ γίγνωνται μοναρχίαι, τυραννίδες μᾶλλον. (SPENGEL, Susemin1). 131.

Newman,

Barker

: « ou ». Julian Marıas-Maria ÁnAUJO : « et ».

44

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

La premiére partie du chapitre 12 est condamnée par la majorité des éditeurs !3? : cette chronologie des tyrannies contient des erreurs

et des lacunes — dont aucune à vrai dire n'est pourtant décisive 133 — ; également, une référence à l'oligarchie qui surprend puisque le développement est en principe consacré aux tyrannies — mais le rapprochement entre tyrannie et oligarchie n'est pas nouveau chez Aristote, ni les réflexions sur la briéveté de vie des oligarchies !** ; enfin la tyrannie est ici une « constitution », comme en 1312 a 39 sq., 126 et nulle part ailleurs dans le livre — mais ce dernier texte indique justement qu' Aristote n'a plus en la matière une terminologie bien arrêtée. Ce début n'est donc pas si évidemment une interpolation ; mais il constitue du moins une digression, soulignée par sa conclusion : τὰ μὲν οὖν περὶ τὰς πολιτείας xal τὰ περὶ τὰς μοναρχίας, ἐξ ὧν τε φθείρονται καὶ πάλιν σῴζονται, σχεδὸν εἴρηται περὶ πάντων 135, La deuxième partie du chapitre, consacrée à la critique de la République, reproche à Platon sa théorie cyclique des révolutions, et oppose à cette « logique » du changement politique une histoire des cités grecques et barbares 1%. Parfois aussi injuste pour Platon que dans ses objections du livre II 1%, Arıstote l'accuse aussi d’avoir confondu les diverses formes d'oligarchie

et celles de démocratie !3? : en fait, lui-méme n'a pas tenu complétement compte au livre V des divisions posées au livre IV, et qu'il précisera au livre VI 1% : la classification de IV, plus concrète que celle de III, est déjà dépassée par l'information historique de V. Le livre se termine brusquement, sans transition avec le livre VI : qu'il y manque une argumentation contre Platon !*!, ou une « formule solennelle » 12, i] paraît inachevé. Le livre VI doit fournir des compléments 148, Lie étroitement aux deux livres précédents par des renvois explicites 44, il reprend les pro-

blèmes de l’oligarchie et de la démocratie : les cinq premiers chapitres 132.

1315 5 11-39 : SusemrnL, NEWMAN.

133. Infra, p. 112 sq., 284, 297, 302. 134. IV, 11, 1296 a 1 sq. 135. Φθείρεται δὲ τυραννὶς Eva μὲν τρόπον, ὥσπερ καὶ τῶν ἄλλων πολιτειῶν ἑκάστη. 136. 137.

V, 12, 1315 ὁ 40 sq. Susgwinr, Rem. 1767.

E.

Banxer,

The

Pol...,

Oxford,

1946,

p. 250,n. 3.

Cette « histoire » est parfois en contradiction avec d'autres traditions, dont certaines sont connues d'ARISTOTE. Infra, p. 252 sq., 302. 138. P. ex. 1316 b 14, cf. Newman, ad loc. ; 1316 a 14 sq., cf. 1765, et E. BAnxzn, ibid., p. 251, n. 3. V. infra, p. 88 et n. 16.

Susemiur,

Rem.

139. V, 12, 1316 b 25. 140. 141.

Newman, ad 1316 b 25. Suseminı, Rem. 1786, suivant

ScuNEIDER.

142. ScHNEIDER, cité par SUSEMIHL. 143. V. infra. 144.

VI, 1, 1316 5 31-34, renvoie à IV, 14-16 ; 1316 ὁ 34 sq., au livre

V. Ces der-

niéres lignes sont condamnées par les éditeurs qui placent VI avant V ; v. infra, p. 58 sq. De méme pour 1317 a 37 sq. ; 4, 1319 ὃ 4 sq. ; 5, 1319 b 37, condamnés ou corrigés. Suseminı maintient cependant 1317 a 37 sq. dans son texte, pour le condamner

dans sa traduction

Également : 1, 1317

15-28 ; 6, 1292 b 25 sq. ; 12, 1296 b 26-31, etc.

a 24 renvoie à IV,

4,

1291



COMPOSITION

: LES

PROBLÈMES

45

traitent de l'institution des démocraties, les chapitres 6 et 7 de l'installation des oligarchies. Le huitiéme et dernier, des principales magistratures, dans ces deux constitutions surtout, mais aussi en dehors d'elles M5, Cette division, qui est nette, ne suit pas exactement le plan

annoncé au début du livre : ἐπεὶ δὲ τετύχηκεν εἴδη πλείω δημοκρατίας ὄντα καὶ τῶν ἄλλων ὁμοίως πολιτειῶν, ἅμα τε περὶ ἐκείνων εἴ τι λοιπόν, οὐ χεῖρον ἐπισκέψασθαι, καὶ τὸν olxeïov καὶ τὸν συμφέροντα τρόπον ἀποδοῦναι πρὸς ἑκάστην 1. Un second plan, plus restreint, qui suit le premier de peu, correspond beaucoup mieux au contenu du livre: xal πρῶτον μὲν περὶ Önnoxparias εἴπωμεν ᾿ ἅμα γὰρ καὶ περὶ τῆς ἀντικει-

μένης πολιτείας φανερόν, αὕτη δ᾽ ἐστὶν ἣν καλοῦσί τινες ὀλιγαρχίαν 17,

Il ne traduit plus qu’une partie du dessein primitif, mais il reprend, en

revanche, le plan du livre IV 148. De même, les différentes combinaisons

des trois pouvoirs, dont l'importance est notée au début de ce sixième

livre 1*9, ne sont pas plus étudiées par Aristote ici qu'elles ne l'avaient

été par ses prédécesseurs

: oüc δεῖ μὲν ἐπισκοπεῖν, οὐκ ἐσκεμμένοι δ᾽ εἰσὶ

νῦν 150, . La fin du chapitre 2 et tout le chapitre 3 sont condamnés par Susemihl 15! : c'est une analyse de ce qu'est l'égalité dans une démocratie extréme, et de la facon d'assurer l'égalité, en général, dans les démocraties. Elle rompt évidemment la suite des idées entre le chapitre 2 (liberté dans les démocraties, institutions qu'elle exige) et le chapitre 4 (plusieurs formes de démocratie), puisque l'égalité avait déjà été prise en considération comme fondement de la justice 152, L'idée centrale du livre (comment établir une constitution donnée, en l'occurrence une démocratie) est perdue de vue. Mais puisque le chapitre 4 fournit une classification proprement sociale, le chapitre 3 peut aussi servir à la préparer 152, Et Newman remarque à juste titre que, s'il y a addition, rien

ne s'oppose à ce qu'elle soit d'Aristote lui-même 154,

Le chapitre 4 s'inspire de la classification des démocraties élaborée progressivement au livre IV, du moins pour le nombre des types de démocratie : elles sont quatre, comme en IV, 6, et non cinq comme

en

IV, 4 5, Le détail du classement, cependant, n'est pas arrêté : la démo145.

E. Barker,

147.

VI, 1, 1317 a 16 sq.

The Politics..., Oxford, 1946, p. 270, B,

la seule « construction des oligarchies ». 146. VI, 1,1316 ὁ 36 sq. ; cf. 1317 a 13 aq. 148. IV, 2, 1289 Banxzn (ibid., p. Deux programmes définitivement en vue du moins, une

rattache ce chapitre à

b 20 sq. Cf. Newman, ad 1316 b 36. On ne peut donc dire avec 257, n. XX) que le plan de IV, 2, soit maintenant abandonné. sont juxtaposés, et c'est au contraire celui de IV, 2 qui est pris considération. Le livre VI ne constitue donc pas, de ce point de « gection »à part. Il est vrai que IV et V sont cités parfois comme

ἡ μέθοδος à πρὸ ταύτης

ou

ol πρὸ τούτων λόγοι

(VI, 2, 1317 5 34 ; 4, 1318

livre VI serait donc un supplément de ces deux livres (V. Newman, 149. V], 1, 1316 5 39 sq. 150. 1317 a 4. 151. VI, 2, 1318 a 3-b 5. 152. 1317 b 3 sq. 153. 154. 155.

E. Barker, The Pol..., Oxford, 1946, p. 263, n. 1. Newman, ad 1318 a 3. E. Barker, ibid., p. 263, n. 1, renvoie à IV, 4.

b 7). Le

ad 1317

b 34).

46

ARISTOTE

cratie

d'agriculteurs

et

la

ET

L'HISTOIRE

démocratie

pastorale

semblent

tantôt

séparées 155, tantôt réunies 157. La division repose sur des critères purement sociaux, mais est beaucoup plus précise, en la matiére, que ne l'était celle du quatriéme livre, chapitre 6. Celle-ci marquait déjà un

progrès par rapport au chapitre 4 du méme livre 158, puisqu'elle distinguait, pratiquement, les démocraties par le citoyens pour participer aux affaires publiques des citoyens qui fonde le classement. Le chapitre 5 revient au thème des σωτηρίαι, livre. Aristote envisage avec plus de détails le craties, et justifie son développement par un

déjà traité au cinquième cas particulier des démojeu sur les mots : l'objet

du

constitution,

livre

VI

étant

la « construction » d'une

loisir dont disposent les 159, Ici, c'est la profession

il faut,

dit

l'auteur, κατασχευάζειν τὴν ἀσφάλειαν 19 — et non plus τὴν πολιτεέαν. En réalité, le plan n'est pas rigoureux !9!, mais il s'agit d'un livre de compléments. Les oligarchies viennent ensuite (chapitre 6), correspondant aux démocraties 19? : elles aussi sont quatre, et Aristote reprend les types de IV, 6. Le chapitre 7 propose des σωτηρίαι pour les oligarchies : elles consistent dans une organisation militaire appropriée (dépendant elleméme de la structure sociale) 1%, dans une certaine participation des

masses à la vie publique 1%, dans des obligations financières lourdes pour les hauts magistrats 1%, Le chapitre 8, sur l'organisation des magistratures, enchaîne naturellement sur ce développement, ce qu’Aristote souligne : ἀκόλουθον δὲ τοῖς εἰρημένοις 1*9. Cette étude, en réalité, n'était pas prévue dans le

plan primitif, sinon trés vaguement : el τι λοιπόν 19, et le sujet avait déjà été traité, quoique incomplètement et de façon plus abstraite 1, au livre IV, chapitre 15 19%. Les magistratures sont d’abord énumérées 156. VI, 4, 1318 b 9-11 ; 1319 a 19-21. 157. VI, 4, 1319 a 38-40, où à βελτίστη xal πρώτη 9nuoxpaía désigne vraisemblablement les deux « bonnes » démocraties qui ont été étudiées précédemment ; les autres sont écartées, parce que leurs populations sont πολλῷ φαυλότερα, 1319 a 25. 158. Cf. supra, p. 37 sq. 159. Et non par la structure politique. 160. VI, 4, 1318 ὁ 38-39. 161. Il ne l'est pas davantage si l'éditeur place VI avant V, en condamnant ou en modifiant, notamment, 1319 b 37 sq. V. infra, chap. II, p. 58 sq. Dans cette hypothése, l'absence totale en V (devenu VIII) de références aux développements analogues de VI (devenu VII) surprend autant que l'ordre traditionnel. 162. Sur la valeur de ces correspondances, et les rapports de la logique et de l'histoire, v. E. Banken, The Pol..., Oxford, 1946, p. 270, n. 1, et infra, p. 353 sq.

163. 164. 165. 166. 167.

VI, 7, Ibid., Ibid., VI, 8, VI, 1,

1321 a 5-26. 26-31. 31-40. 1321 b 4. 1316 5 37 sq.

168.

Newman,

ad 1321

b 4.

169. Supra, p. #1 et n. 115. Il semble qu'AnisToTE renvoie lui-même à IV en 1321 b 5-6. Newman comprend cependant que ce καθάπερ εἴρηται xal πρότερον porte sur ἀκόλουθον τοῖς εἰρημένοις ; mais ÁnisTOTE, comme le remarque le méme Newman, n'a rien dit de tel.

COMPOSITION

: LES

PROBLÈMES

47

par ordre d'importance croissante, puis classées par catégories: magistratures religieuses, militaires, financières, etc. La fin du chapitre, et du livre, est soudaine. Certains éditeurs ont

supposé une lacune 170, Le fait est que la dernière phrase commence par un μὲν οὖν auquel ne correspond rien : le début du livre VII est dépourvu de particule de liaison 171, L'imagination peut trouver bien

des moyens de combler cette lacune, parmi les « compléments » qu’on attendrait du livre VI, et qu'il ne fournit pas. Mais en fait, l'inachévement du texte est notre seule certitude. Rien ne prouve qu'Aristote ait jamais poussé ses lecons plus loin sur ces sujets. L'interruption, aprés

une énumération si détaillée, indique seulement que sa documentation s'arrétait là, qu'il ait eu ou non l'intention de la compléter. Le livre VII s'ouvre 172 par des recherches théoriques, sans le moindre rapport avec la fin du livre VI : il s'agit de déterminer « la vie la meil-

leure » pour définir ensuite « la meilleure constitution » (chapitres 1-3). Mais cette « meilleure constitution » se meilleure dans des circonstances données leure que l'on puisse souhaiter 179 — alors πολιτεία sont soigneusement distinguées Aristote ignorait au septiéme livre les quatriéme.

présente tantôt comme la 173, tantôt comme la meilque ces deux sortes d’&plorn au livre IV 175 : comme si classifications détaillées du

La « vie la meilleure » s’identifie à la pratique de la vertu pourvue d'un minimum de ressources (chapitre 1 )178, Cela est vrai pour l'État comme

pour l'individu, et doit le détourner d'une vie consacrée uniquement aux conquétes (chapitre 2). Ce n'est pas pour autant refuser l'activité :

l'État isolé — comme l'homme isolé — peut avoir une activité interne, comparable à l'activitéde Dieu ou du monde (chapitre 3). 170. V. app. crit. de Newman, le plus complet sur ce point.

171. V. supra, p. 32, n. 28. 172. Ibid. 173. VH, 1, 1323 a 17 sq., cf. NEwxaN, ad loc. 174. VII, 4, 1325 b 36 aq. 175. IV, 1, 1288 b 21 sq. 176. V. p.ex. 1, 1323 b 40-1324 a 2. — La fin de ce chapitre renvoie à un autre développement de morale, qui n'est pas facile à localiser. De plus, ARISTOTE prend déjà pour acquise l'identité entre le bonheur de l'individu et celui de la cité, ainsi qu'entre ces bonheurs et la vertu (1323 b 29 sq., 40 sq.), alors que ces identités sont démontrées seulement au chapitre suivant. Cependant, ces difficultés proviennent peut-être surtout de l'expression. NEwMAN considère (ad 1324 a 5) que « we have been told that the most desirable life both for the state and for the individual is pet’ ἀρετῆς, but we have not yet learnt whether the happiness of the state resembles the happiness of the individual (1323 b 21 sq.), in springing from virtue and being proportionate to it and, till we know this, we cannot affirm that the happiness of the state and that of the individual are the same ». 1323 540, pourtant, (βίος ἄριστος) introduit déjà une idée de proportion, et la solidité du lien entre bonheur et vertu est marquée par μετέχειν τῶν κατ᾽ ἀρετὴν πράξεων (1324 a 1-2). Susemint d'autre part considére qu'il y a répétition d'un passage à l'autre, et qu'il faut modifier le texte (Susemunt, p. 379, n. 12), — du moins l'ordre du texte. Reméde superflu si l'on veut bien considérer le second développement (1324 a 5 sq.) comme une précision supplémentaire et une confirmation du premier (V. E. Barker, The Pol..., Oxford, 1946, p. 282, n. 1, et 283, n. 1).

48

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Les chapitres 4-12 font le plan de l'État κατ᾽ εὐχήν : chiffre de la population (chapitre 4). territoire avec ses dimensions (chapitre 5), sa situation {chapitre 6), caractère des habitants (chapitre 7), éléments de population nécessaires à l'État (chapitre 8), division en classes (9-10) et répartition du territoire extra-urbain (chapitre 10), disposition de l’&otu (chapitres 11-12). Des difficultés apparaissent dans le détail de ces textes. Aristote d'abord y renvoie à un exposé sur «les autres constitutions » 17, qui n'est pas défini plus clairement. La solution radicale adoptée par Spengel et Susemihl entre autres — « secluserunt » — ne résout rien ; l’Aristote

de notre Politique devait par principe 178 examiner d'« autres constitutions » avant de s'attaquer à la constitution idéale. Reste à décider si cette phrase renvoie au livre II seulement 179 ou également aux livres IV-VI 1%. Notons seulement que le verbe τεθεώρηται, avec cette construction, s'applique mal aux énumérations concrétes et aux régles pratiques du livre V par exemple ; mais l'argument n'est pas décisif 181, Le chapitre 7 est rattaché de façon gauche à son contexte. La fin du chapitre 6 est une récapitulation détaillée de ce qui précède : περὶ μὲν οὖν χώρας xal λιμένων xal πόλεων xal θαλάττης

xal περὶ

τῆς ναυτικῆς

δυνάμεως ἔστω διωρισμένα τὸν τρόπον τοῦτον περὶ δὲ τοῦ πολιτικοῦ πλήθους, τίνα μὲν ὅρον ὑπάρχειν χρή, πρότερον εἴπομεν 153. Mais la même récapitulation, à quelques détails prés 193, se retrouve à la fin du septième chapitre : περὶ μὲν οὖν τῶν πολιτευομένων, πόσους TE ὑπάρχειν δεῖ καὶ ποίους τινὰς τὴν

φύσιν,

ἔτι δὲ τὴν χώραν

πόσην

τέ

τινα

καὶ

ποίαν τιγά, διώρισται σχεδόν. Non seulement le premier de ces résumés est inutile, mais, par les précisions qu'il contient, il a un accent inhabituel 1%, et cette répétition de résumés, phénomène d'ailleurs fréquent, au quatrième livre par exemple !55, est également surprenante ici. Jusqu'à la fin du chapitre 6, le plan prévu au quatrième chapitre se déve177. Περὶ τὰς ἄλλας πολιτείας

ἡμῖν

τεθεώρηται

πρότερον,

VII, 4, 1325

b 34,

Notons aussi qu'en 3, 1325 a 30-31, ἐν τοῖς πρώτοις λόγοις renvoie à I, 7, 1255 b 16 sq. (ou 4, 1253 ὃ 24-7, 1255 b 39, selon SusE»inr, Rem. 735). Newman observe que III, 6, 1278 b 17 sq., présente une référence semblable ; il est pourtant enclin à placer III dans les πρῶτοι λόγοι, Cette confusion contribue à enlever de leur crédit aux références entre livres.

178. V. E. N., X, 10, 1181 b 13 sq. ; infra, p. 51 aq.

179.

Newman,

BARKER.

180. La plupart des autres commentateurs, dont Susemını, Rem. 749. Mais W. JaAEGER, Aristotle®, p.267,n.2,renvoie à III, 6-8. H. von Arnım, Zur Entstehungsgeschichte der ar. Pol., Sitzungsb. der Akad. der Wissensch. im Wien, Philosoph. Histor. Kl., 200 (1924), croit à une interpolation.

181.

1,5,1254 a20sq.,τῷ λόγῳ θεωρῆσαι, distingué de ἐκ τῶν γενομένων καταμα-

θεῖν. En revanche, Hist. Anim., V1,3,562 a 23, τεθεώρηται ἐπὶ τῶν περιστερῶν, mais avec un sujet, τοῦτο, Toutefois, IV, 14, 1297 5 38, θεωρεῖν : il s'agit apparemment

d'une « analyse théorique ». 182. Pour la valeur du pluriel πόλεων, v. infra, p. 402 sq. Ce pluriel ne correspond évidemment pas au contenu des chapitres précédents : on attendrait le singulier. 183. Détails importants à coup sûr : λιμένων, πόλεων, ναυτικῆς δυνάμεως, disparaissent. Mais il y a répétition de l'essentiel. 184. V. au contraire le passage de 5 à 6, de 8 à 9. 185. IV,3,1289 b 27 sq., rapproché de 4, 1290 b 21 sq., et 1291 b 14 sq. Il s'agit précisément de textes mal ajustés, cf. supra, p. 37 sq.

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

49

loppait sans heurts : λέγω δὲ οἷον περί τε πλήθους πολιτῶν καὶ χώρας ...

πρῶτον τό τε πλῆθος ... καὶ κατὰ τὴν χώραν ὡσαύτως 19... Maintenant, la pensée semble hésiter, comme devant une difficulté imprévue. De même au chapitre 10, les considérations sur les origines de la division en classes et des syssities interrompent la suite des idées, et sont suivies d’une nouvelle récapitulation (1329 b 36 sq.), qui reprend en partie celles de 6-7 et 7-8 17. Mais c'est à partir du chapitre 13 que le

texte présente la plus grande complication : Aristote pose le problème du but que doit viser l'État, et de ses rapports avec l'éducation (chapitre 14-15) : sous ce dernier aspect, c’est un problème nouveau. Mais,

dans la mesure où,au chapitre 13, Aristote définit le bonheur, il reprend, sans le renouveler, un sujet traité peu auparavant : au début du livre 18, De même les développements sur l'impérialisme (chapitres 13 et 14) rappellent évidemment le second chapitre. Quoique le chapitre 2, dans ses dernières lignes, renvoie aux chapitres 13 et 14 199, et que le chapitre 14

renvoie lui-même au début du chapitre 3 1%, l'ensemble manque d'unité, et ces renvois sont, plutôt que des liens véritables, des raccords

qui

pourraient être l’œuvre d'un éditeur, ou tout simplement de l’auteur, mais aprés coup 1*1, Les chapitres 16 et 17 préludent au livre sur l'éducation, le chapitre 16 186. VII, 4, 1325 b 39 sq. 187. Kai πόσην τινὰ χρὴ xal ποίαν εἶναι τὴν χώραν, VII, 10, 1329

5 38-39. Sur

le contenu de cette histoire des castes et des syssities, cf. infra, p. 306 sq. Suseminı

(v. Rem. 830) condamne tout le texte jusqu'à 1329 b 39. Newman, de 1329 a 34 à 29

b 35. De méme,

E. Banxzn,

The Pol..., Oxford, 1946, p. 306, n. DD.

Mais ces

deux dernières condamnations ne sont pas catégoriques.

188. J. BznNAvs, Die Dialoge des Aristoteles in ihrem Verhälinis zu seinen übrigen

Werken, Berlin, 1863, p. 69 sq., note la faiblesse des liens qui unissent les douze pre-

miers chapitres au reste du livre. D'oü diverses corrections : v. ci-dessus, n. 187 ; Concreve supprime 1331 a 26-32 a 27 ; BnoucuroN, tout le chapitre 13 (éd. de la Pol., I, IIL et VII — chiffré IV — Oxford-Londres, 1876). Les répétitions du chapitre 14 peuvent en revanche s'expliquer par un changement de perspective, ArısTOTE traitant désormais d'éducation, et cherchant de ce fait de nouvelles précisions.

Mais l'explication n'est de toute facon pas valable pour le chap. 13. E. von IvANKA,

(Die Aristotelische Politik und die Stadtegründungen Alexanders des Grossen, Budapest,

938) croit que ces douze premiers chapitres sont inspirés du Sur les colonies, cf. infra, p. 155. Mais ses argumenta ne sont pas décisifs. Sans doute ARISTOTE envisaget-il de faire appel à des cultivateurs barbares (9, 1329 a 25 ; 10, 1330 a 25) dans sa

cité idéale, comme il pouvait souhaiter qu'on le fit dans une colonie. Mais dans ces mémes textes il admet une autre possibilité, L'exemple d'Héraclée et des Mariand ynes n'est pas probant (6, 1327 b 11) puisque Praron loue aussi le régime d'Héraclée dans les Lois (VI, 776 c, sq. Infra, p. 228, n. 138). On ne peut dire non plus que le thème de la supériorité des Grecs sur les Barbares soit caractéristique du livre VII;

au l. I, 2, 1252 b 8, AnisroTE a notamment cité le vers d'Euripide, βαρβάρων δ᾽ “Ἕλληνας ἄρχειν εἰκός. Et leg anciens Macédoniens sont en VII, 2, 1324 b 15,

considérés comme un peuple non-civilisé— ce qui n'est pas une affirmation opportune dans un texte adressé à Alexandre. Enfin, tout ce qui selon von Ivanxa (p. 18) est ici caractéristique d'un Sur les colonies, écrit dans la derniére période (limitation du nombre des habitants, isolement relatif de la cité, etc.), est déjà dans les Lois.

189. 190. 6, 1278 191.

VII, 13, 1331 5 26 sq. ; 14, 1333 a 11 sq. 1333 a 3 renvoie au chap. 3 et en méme temps à III, 4, 1277 b 30 sq. . De méme 14, 1332 b 35 renvoie à 9, 1329 a 2 sq. 14, 1333 a 11 sq.

à I1, 4.

15, 1334 b 6 15, 1334 b 8

à VII, 13, 1332 a 38 sq. au chap. 7.

Aristote et l'histoire.

a 33 sq. ;

50

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

traitant du mariage — qui doit étre réglé de facon que les enfants soient conçus dans les meilleures conditions —, et le chapitre 17 envi-

sageant les soins à donner aux jeunes enfants. Aristote annonce (1335 ὃ 2 sq.), une étude sur « l'état physique des parents », en rapport avec celui des enfants : elle devrait figurer au livre VIII, d’où elle est absente. En revanche, à l'occasion d'une remarque faite en passant sur la valeur éducative de certains spectacles, Aristote prévoit une analyse détaillée

de la question, que fournit effectivement le huitième livre 192, Celui-ci est inséparable du livre VII, dont il n'a pu étre distingué que pour des raisons d'ordre pratique, soit par un éditeur, soit par Aristote lui-méme. Son plan méme est posé à la fin du septiéme livre : « Le premier point est de savoir si l'éducation doit étre réglementée, le second, s'il y a un intérét à organiser une éducation d'État ou privée ; en troi-

siéme lieu, ce que doit étre cette éducation » 193. Mais, comme le remarque Newman 1%, si réponse !%, la livre VIII. Qui trois questions

les deux troisième plus est, souligne

premières questions trouvent facilement leur au contraire déborde ce que nous avons du cette différence méme de traitement entre ces combien il est étonnant que toutes trois aient

été présentées de la méme facon, sur le méme pied, à la fin du livre VII.

Le premier chapitre, qui est consacré aux deux premiéres, a l'air d'un résumé rapidement mené. Or le livre V 1% contient une allusion aux idées exprimées dans ce premier chapitre 157 : les deux développements se correspondent bien. Et-cependant, ils ne coincident pas. Les exemples choisis sont les mémes (démocratie, oligarchie) ; le point de vue de V est,

comme il fallait s'y attendre, moins abstrait, plus réaliste. Mais l'étrange est que le développement de V soit finalement plus large que celui de VIII 295, Aussi peut-on supposer que l'allusion de V ne vise pas la rédac-

tion que nous possédons de VIII, mais une autre, plus complète. En tout cas, si VIII est postérieur à V, il est étonnant qu'il ne contienne, lui, aucune allusion à ce passage de V. Le chapitre 2 pose les principes d'une éducation d'homme libre : ce n'est celle ni d'un professionnel, ni d'un spécialiste, méme dans les arts 192. VII, 17, 1336 b 24 sq., cf. VIII, 1-3, 5 sq. 193. VII, 17, 1337 a 3 sq. 194. Ad 1337 a 3. 195. VIII, 1, 1337 a 11-21 et 21-33. 196. V, 9, 1310 a 12 sq. Μέγιστον δὲ πάντων τῶν εἰρημένων πρὸς τὸ διαμένειν τὰς πολιτείας, οὗ νῦν ὀλιγωροῦσι πάντες, τὸ παιδεύεσθαι πρὸς τὰς πολιτείας. 197. Newman n'explique pas l’allusion πάντων τῶν εἰρημένων. BARKER renvoie à IV, 11, 1295 b 13 sq., qui n'est pas approprié. Θυβέμιηι, comprend (et peut-être est-ce aussi l'interprétation de Newman) « wichtiger und bedeutender als alle

(bisher) besprochenen ». Cet emploi du superlatif à valeur de comparatif est bien

attesté chez AnisToTE (Bonrrz, Index Aristotelicus, 403 a 3sq.). Toutefois, dans cette

interprétation, si V est antérieur à VIII, on ne comprend pas que la reprise du méme thème en VIII ne soit pas annoncée dés V. Et si V est postérieur, la traduction du superlatif par un comparatif ne se justifie pas. 198. Dix lignes (TEUBNER) d'exposé des principes en V, 9, 1310 a 12 sq., à peine

sept en VIII, 1.

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

51

proprement dits libéraux. Le chapitre 3 précise ces notions, en distinguant entre les études qui tendent à préparer l'homme à des travaux : nécessaires, à 1᾿ ἀσχολία — et celles qui, au contraire, préparent au

bonheur que donne le loisir, la σχολή. Des premières sont la « grammaire», le dessin, la gymnastique ; la « musique » est de la seconde catégorie. La grammaire même et le dessin peuvent, indirectement, contribuer

à la culture de la σχολή. Suivent un chapitre — le quatrième — sur le bon usage des sports, lié au livre précédent 199, et trois chapitres (5-7) sur les buts et les mé-

thodes de l'éducation musicale : l'analyse du chapitre 3 est reprise et développée ?%, mais avec quelques variantes : la notion de distraction

(διαγωγή) semble ici identique à la détente (ἄνεσις) ou à la « relaxation » (συντονίας

ἀνάπαυσις)

20%,

tandis

qu'au

chapitre

3

ces

notions

sont

distinguées #2. Surtout, en ce méme passage apparaît, comme effet de la « musique », la mystérieuse κάθαρσις 2% qui n'était pas même envi sagée au chapitre 5 4, Le texte s'arréte là. B.

PREMIÈRES

RÉFLEXIONS.

En dépit de quelques analogies d'ensemble, la structure actuelle de la Politique n'évoque donc que de loin le plan que proposent les derniéres lignes de l’Ethique de Nicomaque, introduisant le cours de politique:

« Puisque nos prédécesseurs ont négligé d'explorer le domaine de la législation, peut-être vaudrait-il mieux y porter notre attention, et l'étendre à la science du gouvernement

en général, afin de donner, autant

que

nous le pouvons, sa forme achevée à la philosophie humaine. Tout d'abord efforçons-nous de compléter tout ce qu'ont dit d'une manière satisfaisante, quoique fragmentaire, nos devanciers ; puis, à l'aide de notre collection de constitutions, nous envisagerons les conditions favorables ou défavorables aux États en général et aux formes particuliéres de gouvernement, ainsi que les raisons qui font, ou non, la bonne administration des États. Ces considérations nous permettront de mieux discerner le meilleur gouvernement, les institutions, les lois et les mœurs qui as-

surent cette supériorité. C'est ce que nous allons dire encommençant 2% », 199. 1338 b 14 semble renvoyer à VII, 14, 1333 55 sq. ; 15, 1334 a 40 sq. Peutêtre aussi à II, 9, 1271 a 41-b 6 (Susemimı, Newman). Toutefois, ce dernier

passage renvoie lui-même aux Lois de PLaron ; peut-être alors 1᾿ εἴρηται πολλάκις d'AnisToTE signifie-t-il «on a dit », et non « nous avons dit » ; v. Lois, I, 630 e, p. ex. Références détaillées dans SuseminL, Rem. 344. 200. VIII, 5, 1339 a 11-12, renvoie à 3, 1337 b 27 sq. 201.

VIII, 7, 1341

b fin.

202. VIII, 3, 1337 b 38 sq., notamment : ἄνεσις γὰρ ἡ τοιαύτη χίνησις τῆς ψυχῆς, xal διὰ τῆν ἡδονὴν ἀνάπαυσις. 203. 1341 b fin. 204. 5,1339 a 15 sqe, b 12 sq. — Pour les différentes modifications de texte proposées, v. O. Daxiscn, ad loc. Sur les interprétations, Suseminz,

Newman,

ad loc.

Quant au probléme difficile de la « purification », v. notamment R. Srarx, Aristotelesstudien (Zetemata, 8), Munich, 1954, p. 37 sq. 205. E. N., X,10,1181 b 13 sq., trad. J. VoıLquın, Paris, s. d., modifiée : v. infra,

p. 79 et n. 173.

52

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Sans doute, l'inachévement du livre VIII ne prouve-t-il pas une infidélité grave à ce plan. Aristote a pu étre empéché, ne serait-ce que par l'exil et la mort, de définir plus complètement « les institutions, les lois et les mœurs » qui devaient assurer la supériorité de son gouvernement idéal. Même l'existence du livre I, que ne prévoit pas l' Éthique, ne signifie pas un changement considérable de perspective. Les problémes d'économie traités dans ce livre sont un peu extérieurs à la science

politique, comme Aristote l'affirme lui-même 395, Les développement: sur l'origine et le caractére naturel de la cité, les définitions que donne aussi Áristote, ne sont pas à la rigueur indispensables aux démonstrations des livres suivants. L'idée de « cité » pouvait étre considérée co mime une idée admise, courante, toute faite. Mais les livres III et IV, qui sont capitaux, ne sont eux-mêmes envisagés dans l’Ethique que de facon trés indirecte : la classification — multiple — des constitutions, la definition du citoyen, la nature méme de chaque constitution, sont passées sous silence dans ce chapitre de conclusion et de transition. Or classement et définitions des constitutions sont des préliminaires indispensables aux enquétes du livre V ; l'analyse du citoyen et de sa « vertu » est un fondement nécessaire du septième livre. En réalité, l’Éthique de Nicomaque paraît connaître seulement les livres II, V, VI, VII et VIII 27. Bien plus : le livre VII peut, aussi bien sinon mieux que le quatrième,

faire suite au troisiéme ; les deux derniers livres ne reposent nullement sur les livres IV-VI. D'une facon générale, les liens entre les divisions de l’œuvre sont souvent ténus, artificiels. Les références de l'une à l'autre sont parfois obscures, parfois méme contradictoires. Il en est ainsi entre les livres, et dans les livres eux-mêmes. Par exemple, Newman

a dressé la liste des « promesses » d'enquéte qu'Aristote n'a pas tenues : elles atteignent la dizaine *9, Rien de tout cela ne ressemble à la division et à la progression harmonieuses qu’annongait la fin de l' Éthique de Nicomaque. Que ces dernières lignes soient l’œuvre d'Aristote luiméme, ou d'un disciple, elles correspondent assurément à une conception du cours de politique, à un état du texte de la Politique, dont notre texte

est différent ?99, Il est vrai que ces difficultés s'évanouiraient, et ne vaudraient méme 206. 207.

Pol., I, 1, 1252 a 7 sq. ; mais contra I, 3, 1253 b 1 sq. J. Züncuzn, Aristoteles' Werk und Geist, Paderborn, 1952,

p. 234, comprend

que le livre II était déjà « ausser Kurs », le recueil des Constitutions Fayant remplacé, quand fut rédigée la fin de l'E. N. C'est confondre le livre IL avec le cinquième, dont les Constitutions auraient pu en effet, à la rigueur, être l'équivalent ; mais ce n'est pas ce que dit l'E. N. 208. Newman, t. II, p. xxvirsq. 209.

Il ne sert en réalité à rien de considérer la fin de l'E. N. comme

une

interpo-

lation, füt-elle l'œuvre d'un disciple (W. JAEGER admet, Diokles von Karystos, Berlin, 1938, p. 56, que l'E. N. a pu être retouchée jusqu'à la fin du 1v* siècle). Cette hypothèse ne supprime pas les incohérences de la Politique, NEwman pense, plus simplement, t. I, p. 2 sq., qu’Arıstorte a changé de plan entre la fin de l'E. N. et la Politique, — disons, l'a achévement » de la Politique. V. aussi W. THEILER, Mus. Helv., 9 (1952), p. 78. R. Stark, Aristotelesstudien, Munich, 1954, p. 76 sq., pense

que la fin de l'E. N. a été remaniée : elle n'aurait d'abord renvoyé qu'à ce qui constitue actuellement les deux derniers livres de la Politique.

COMPOSITION

:

LES

PROBLÈMES

53

pas la peine d’être relevées, si, comme on l’a supposé 21°, la Politique — et avec elle sans doute tous les traités ésotériques — se réduisait à des notes de cours, prises rapidement et sans régularité par des auditeurs parfois distraits, fatigués en tout cas ou peut-être dépassés par un exposé trop ardu. Beaucoup de problèmes alors ne se poseraient plus : flottements du langage, contradictions même dans les arguments de fait ou dans la suite des idées ; il suffirait d'imputer aux élèves les faiblesses qui sont indignes du maître — ou de l’idée que nous nous faisons de lui. Et à supposer même, dans cette hypothèse, qu’Aristote en personne ait revu ces notes, il serait aujourd’hui impossible de distinguer entre les erreurs des secrétaires et celles de l'auteur-réviseur. Tous repères confondus, le cas serait désespéré. En faveur de ce point de vue témoignent l’existence, pour certains traités, de rédactions doubles 211 — et surtout l’allure même des textes :

« Les transitions fortement marquées, les redites et les omissions involontaires, les regards en avant et les retours en arrière, les précisions et les repentirs, les annonces sans suite et les objections non résolues, les allusions d'actualité et les traits personnels, tout cela tient de l'exposé

universitaire, de la parole libre du maître... devant des auditeurs qu'il peut supposer connaítre beaucoup de choses et qu'il veut plus éveiller à la réflexion que fournir de pensées toutes faites à emporter à la maison ?3, » Le rapprochement est en effet saisissant ; mais comparaison n'est pas raison ; il ne suffit pas à prouver que « l’œuvre n'est pas d'Aristote lui-même, que c'est le cahier de notes d'un de ses élèves » 518 — ou de plusieurs de ses éléves. Si les rédacteurs avaient été nombreux, les textes présenteraient des traces de cette diversité, de ce travail d'écriture en équipe. Quant à un méme et unique secrétaire, ce n'est qu'une hypothése de recherche ; encore n'est-elle méme pas satisfaisante.

Relativement à la première solution, Médéric Dufour *!* a constaté, en envisageant l'ensemble des traités ésotériques, que « si la rédaction était due à plusieurs mains nous surprendrions des disparates de style, que méme une révision du maítre n'eüt pas réussi à effacer ». Cette observation générale s'applique particuliérement bien à la Politique, dont 210. En dernier lieu, M. PRÉLOT, dans son adaptation Paris, 1950, p. xxv sq.

de la Politique d' Aristote,

211. De l'âme, II, Physique, VII, etc. Cf. R. SuvrE, On the history οἱ the process by which the Aristotelian writings arrived at their present form, Oxford, 1888, p. 8 sq., 117 sq., dont les analyses, sinon les conclusions, sont encore utilisables. Le probléme des deux Éthiques est voisin, mais il s'agit plutôt d'éditions différentes et de cours différents que de variations dans l'enregistrement d'un méme cours ; cf. L. Rosin, Aristotle, Paris, 1945, p. 20 et 25.

Nous laissons de cóté la Grande morale, en dépit des plaidoyers pour l'authen-

ticité de II. von Arnım et M. HAMBURGER, suivons L. Rosın, op. cit., p.20.

— L'existence

des doubles

rédactions

voir tnfra, p. 66 avec la note 75. Nous

peut

aussi

s'expliquer

ventions d'AnisToTE lui-même ; v. L. Ronin, ibid., p. 13. 212. M. Pn£ror, Politique d' A., Paris, 1950, p. xxv sq. Stastslehre..., 1, Leipzig, 1870, p. 61. 213. M. Pn£ror, ibid.

214. Éd. de la Rhétorique, Coll. des Univ. de Fr., p. 17.

Cf. W.

par des interOncxen,

Die

54

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

le style est uni. Les variations que nous avons relevées dans le vocabulaire s'expliquent assez par une évolution dans la manière et les idées de l’auteur ; de même, des passages plus soignés, où l’hiatus est évité, et qui évoquent les ouvrages exotériques 215, peuvent correspondre seulement à des moments différents et à des intentions différentes de l'auteur, sans qu'il soit nécessaire de « multiplier » celui-ci. A plus forte raison

faut-il refuser la théorie, récemment

émise,

qui fait de

Théo-

phraste, le reviseur, et pour ainsi dire le « re-writer », d'Aristote ?!*. Outre qu'elle se heurte à des objections d'ordre historique, qui sont insurmontables 317, elle suppose connus, parfaitement distincts et parfaitement distingués, un style d'Aristote — ceci d'aprés les seuls fragments exotériques — et un style de Théophraste ; elle est fondée sur la répartition, à travers le Corpus, de quelques mots et quelques expres-

sions « clés » qui, en réalité ne sont pas décisifs *!5 ; elle fait enfin litière de cette unité de style, qui apparaît dés la première lecture. De

la méme

facon,

et pour

des raisons

comparables,

l'idée

qu'un

disciple — un seul — a pris en notes toute la Politique, et avec elle tous les traités ésotériques, ne résiste pas à l'examen. « Il aurait son style à lui — écrivait Médéric Dufour —, de sorte qu'en maint endroit l'expression füt restée inférieure à la pensée d'un autre, et les corrections du maître n'eussent pu le dissimuler partout » 315, Il faudrait aussi que 215.

Newuan,

I, p. 297 sq. R. D. Hicks,

Proceedings of

the

Cambridge

Phil.

Soc., XIII-XV, p. 22 sq. R. SauTE, op. cit., p. 164 sq. Infra, p. 61 sq. et 74. 216.

J. Zuncuzn, Aristoteles’ Werk und

217. Infra, p. 181 sq.

Geist, Paderborn, 1952.

.

218. J. Zuncsen dresse un tableau stylistique de la Pol., et de toutes les œuvres d’Arısrorte : il y a un seul ἀλλὰ uñven I, 8 en II, 13 en III, 1 en IV, aucun en V-VI,

8 en VII, 2 en VIII. De méme, la proportion de ὥσπερ par rapport à καθάπερ est de 31 pour 5 en I, 24 pour 14 en II, 25 pour 14 en III, 16 pour 5 en IV, 39 pour 10 en

V, 7 pour 8 en

VI, 30 pour 9 en VII, 7 pour 9 en VIII ; etc. Conclusions

: les

livres II et III ont sûrement été refondus par Théophraste aprés la mort d’Aristote VII l'a été vers 315, VIII vers 310, IV, vers 310 aussi, mais le « noyau » des

quatorze

premiers chapitres resterait aristotélicien. I, dans sa rédaction actuelle, ne serait pas antérieur à 300 ; de même VI et probablement V (J. Züncuen, ibid., p. 232-257)... Il reste cependant que Théophraste a hérité de la bibliothèque d'Aristote, qu'il avait travaillé avec lui, qu'il a dà, tout naturellement,

poursuivre aprés la mort de

son maitre et ami les travaux commencés en commun. Πάντα κοινὰ τῶν φίλων. Cette communauté de recherche et d'information a pu entrainer des confusions dans les recueils documentaires, dans les collections ; v. infra, p. 100 sq., 121 sq., 130, etc. En

a-t-il été de méme pour la Politique ? Les catalogues anciens distinguaient déjà, tout en les rapprochant, une Politique de Tn£orunasTE, et une Politique d'AnisToTz ; Diocène LaEncE, V, 2, 45, et V, 1,24, πολιτυεῆς ἀκροάσεως ὡς à Θεοφράστου (n? 75 dans Rose, Aristotelis Fragmenta, Leipzig, 1886, p. 6). Ce renseignement pourrait remonter au rii? siècle (P.

Mona ux, Les listes anciennes..., Louvain, 1951, p. 312 sq.).

Cıc&ron s'écrie d'autre part : « Quid

? Theophrastus mediocriterne delectat, cum

tractat locos ab Aristotele ante tractatos ὃ » (De Finibus, 1, 2, 6). 219. M. Durovn, éd. de la Rhét., Coll. des Univ. de Fr., I, p. 17. R.

SnurE,

On

the history of tha process..., Oxford, 1888, affirme au contraire : « The unity of style observable may belong quite as well to the school and the method as to the individual », — ce qui est téméraire. M. Durour fait ensuite du style d'Aristote une analyse élogieuse dont on ne saurait changer un mot. Les ouvrages de R. Eucken auxquels il renvoie (p. 18, n. 2) sont aux antipodes des thèses de J. ZURCRER et ne sont pas périmés (De Aristotelis dicendi ratione, Göttingen, 1866 — sur les particules. Uber den Sprachgebrauch des Aristoteles, Berlin, 1868 — sur les conjonctions). — V. déjà Newman,

II, p. xxxvi.

;

COMPOSITION

: LES

PROBLÈMES

55

le même disciple eût, des années durant, écouté et rédigé tous les cours du maitre ; car il est exclu que la Rhétorique, la Poétique, la Métaphysique dans son ensemble, les principaux traités sur les Animauz, etc... ne soient pas sortis tous du méme stylet 2% : l'unité stylistique est aussi sensible d'une œuvre à l'autre qu'à l'intérieur de la seule Politique ou,

par exemple, de la seule Rhétorique. Ainsi Aristote aurait eu un perpétuel secrétaire — et l'histoire aurait oublié, non

seulement

le nom,

mais

l'existence de ce disciple entre tous utile et fidèle, ombre du maître ? Les éditeurs des Éthiques, pourtant, si discuté que soit leur róle, ne sont

pas passés inapercus. Ce scribe idéal risque fort, au total, de se confondre avec Aristote lui-même : mieux vaut rendre au maître ce qui doit lui appartenir 221, Ces cours sont donc de la main d'Aristote, dans leur ensemble. Mais

quand les rédigeait-il ? avant de les professer, comme l'admettait Wilamowitz 223 ? l'hypothèse n'est pas tenable ; Aristote — comme le remarquait encore Médéric Dufour, — n'aurait pas écrit « au préalable jusqu'aux résumés et aux transitions qui réguliérement concluent et commencent chacun de ses chapitres » 4% : résumés et transitions apparaissent, à vrai dire, moins réguliérement dans la Politique que dans la Rhéforique, à laquelle songeait surtout M. Dufour ; mais l'argument, dans son ensemble, reste valable ; il est peu probable en effet que les cours d’Aristote — en politique comme dans les autres disciplines —

se soient réduits à des exposés ez cathedra; ils devaient plutót ressembler à des discussions dirigées 224, comprendre en tout cas une part de discus-

sion assez importante pour que le cours ne püt être fixé d'avance jusque dans le détail. Quel professeur, d'ailleurs, enseignerait en s'aidant de « notes » et de « fiches » aussi détaillées et aussi rédigées que ces cours ? Nos traités, et particulièrement notre Politique, ne peuvent donc être

que des « memoranda » ?*5, écrits une fois le cours professé, et par le seul Aristote ; un autre qu’Aristote n'a pu les écrire ; et Aristote ne les aurait pas écrits ainsi, avant de les dire et de les discuter. Il s'agissait probablement de permettre aux auditeurs de « corriger leurs notes »,

et aussi de « conserver dans la bibliothéque du Lycée le monument officiel » de l'enseignement 338, Ainsi s'expliquent à la fois l'allure de 220.

M. Duroun,

ibid.

221. C'est à une conclusion analogue qu'aboutissait NzwxaN, II, p. xxxv-xxxvim) 1 The supposition which involves fewest difficulties. » Cette conclusion prend, dans les perspectives génétistes, une valeur nouvelle. — NEwman s’appuyait, notamment, sur un argument d'une force singuliére : aucun Ancien n'a jamais eu l'idée que notre ARisTOTE fût un recueil de notes d'étudiant. 222.

U. v. Wıramowırz-MoELLENDoRFF,

Ar. und Ath., Berlin, 1893, I, p. 355 sq.

Hypothèse apparemment reprise par L. Rosın, Aristote, Paris, 1944, p. 12 sq., qui

ne se prononce pas nettement. M. MaNquar, Aristole naturaliste, Paris, 1932, p. 18,

suppose qu'Aristote dictait certains passages difficiles, qu'il avait rédigés d'avance, 223. M. Duroun, op, cit., p. 19. 224. 225.

E. BAnkEn, The Pol..., Oxford, 1946, p. xxxvi. M. Duroun, E. BAnkzn. Cf. le témoignage de GaLien, De Subst. Facult.

Nat.,

IV, 3 458, Kühn, ᾿Αριστοτέλους καὶ Θεοφράστου, τὰ μὲν τοῖς πολλοῖς γεγραφότων,

τὰς

δὲ ἀχροάσεις τοῖς ἑταίροις. 226. M. Durour.

56

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

cours que présentent incontestablement ces textes, et en méme temps l'unité, souvent méme la tenue du style ; ainsi encore prend a priori quelque vraisemblance l'hypothése que ces cours ont pu étre retouchés, quelquefois aussi mélengés. Car, à la différence de la Rhétorique ou de la Poétique, qui sont des

«arts», τέχναι ( Ῥητορικὴ τέχνη, Ποιητικὴ τέχνη) 27, la Politique se présente comme un « enseignement oral », ou comme des «travaux », des « recherches » de politique ?? : ceci rend particulièrement délicat,

mais aussi particulièrement suggestif, le problème de sa composition. Le contenu de l’œuvre, son genre et même son titre, indiquent que ses

éditeurs — Andronicos d'abord 22° ? ou un péripatéticien plus ancien 2% ? ou tout simplement Aristote en personne, lorsqu'il classa pour la der-

nière fois son cours, sans doute inachevé, de politique 2?! — Jui ont fait subir des remaniements profonds. Dans quelle mesure ceux-ci ont-ils pu altérer le sens de l’œuvre — et dans quelle mesure est-il possible de les déceler exactement ? Examinons maintenant les solutions que ces problémes ont suscitées. 227. Rhétorique : Catalogue de DiocENz L., n? 78 ; de l'Anonyme de Ménage, 72 et 153. M. Dvroun, ibid., p. 5 sq. Poétique : DiocEnNr, n? 83, Pol. 39 sq. Cf. Bowrrz, Inder Aristotelicus, Berlin, 1870, 610 a 34 aq.

VIII, 7, 1341 |

228. Πολιτυκὴ ἀκρόασις : DiocENE, n° 75, Anonyme, n° 70. La Physique aussi est

5

une &xpôaow, Anonyme, n? 148, Πολιτικά : Rhét. 1, 8, 1366 a 22. On dit aussi ἠθικά, DiocÈne, n? 38 ; Anonyme n? 39, 174, etc. 229. Newman, II, p. IV sq., d'après Ponpuvnz, Vie de Plotin, 24. C'était une

hypothèse

généralement

admise,

anciennes..., Louvain, 1951.

jusqu'aux

travaux

de

P.

Monaux,

Les

listes

)

230. P. Monaux, ibid., p. 311 sq., envisage, non pas une édition, mais un premier rassemblement εἰς πραγματείας, réalisé au plus tard à la fin du 111 siècle, et qui a pu modifier considérablement le découpage des textes. 231. Toutes ces activités ont pu s'exercer successivement, et se superposer.

CHAPITRE

II

Les théories relatives à la composition Placés devant ces problèmes, les érudits ont adopté au cours des siècles trois attitudes différentes : les uns ont proposé de déplacer cer-

tains livres ; c’est le type de solution le plus ancien, celui que l’on peut appeler classique. D’autres, moins nombreux depuis les progrès de la philologie moderne, ont soutenu que l’ordre actuel de la Politique était le seul concevable. D’autres enfin, à partir surtout de W. Jaeger, ont préféré appliquer à la Politique les théories « génétistes ». La plupart de ces solutions, enfin, comportaient dans le détail des corrections de texte

d'importance. variable A.

1. LES

SOLUTIONS

CLASSIQUES.

Dès le xıv® siècle, Nicolas Oresme remarquait que le VII? livre devrait normalement faire suite au III® ?. Peut-être avait-il été précédé dans

son hypothèse par des érudits de l’Antiquité, dont les manuscrits, à la fin du troisième livre, ont alors enregistré l'opinion ?. D'autres ont, jusqu'au xix? siècle, retrouvé, repris ou complété les idées d'Oresme #,

Mais la question ne passa vraiment au premier plan qu'avec l'édition procurée, en 1837, par J. Barthélemy-Saint-Hilaire 5. C'est par rapport à ses théses qu'éditeurs et commentateurs du xix? siécle ont pris successivement position. Barthélemy-Saint-Hilaire propose de placer les livres VII-VIII aprés le troisiéme et d'intercaler le livre VI entre les livres IV et V, selon, au total, l'ordre suivant : I, II, IIT, VII, VIII,

IV, VI, V. La première

de ces transformations lui est suggérée d'abord par la phrase finale du

livre III, reprise au début du livre VII 5. De plus, la fin du troisième livre, posant le probléme de la « meilleure constitution »', trouverait sa suite normale dans les premiéres lignes de ce méme livre VII. L'ar1. Il est nécessaire de reprendre toutes ces solutions dans une étude d'ensemble, alors qu'un éditeur comme Immiscu pouvait écrire que les hypothèses génétistes avaient bouleversé les fondements mémes des discussions relatives à la composition, et rendu caduques les solutions antérieures (Ar. Pol., 2° éd., Leipzig, 1929, p. vin). Mais le « génétisme »n'est plus à son apogée, et le commentaire historique d'Aristote doit beaucoup aux travaux antérieurs. 2. N. Oresue traduisit pour Charles V les Éthiques, la Politique et l’ Économique, 1370 ; ouvrage imprimé à Paris, 1489. 3. V. supra, p. 35. 4. Historique dans l'éd. de J. BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE, Paris, p. CxLv sq., et W. Oncken, Die Staatslehre..., 1, Leipzig, 1870, p. 85 sq.

5. Supra, p. 28, n. 5. 6.

Supra, p. 35. BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE,

7. Ibid., p. cuisq.

ibid., p. ΟΧΤΙΧ sq.

1837,

I,

58

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

gument matériel vaut mieux ici, évidemment, que l'argument intellectuel. Car il est reconnu au livre III que la « meilleure constitution » est fondée sur la vertu, tandis que le septiéme livre reprend la discussion ab ovo, sur Ἰ᾽ ἄριστος βίος.

Plusieurs renvois du livre IV au livre VII incitent d'autre part à conclure que le premier a été composé aprés le second. En écrivant ? qu'il a « déjà traité de l'aristocratie et de la royauté, car étudier la meilleure constitution, c'est ? aussi traiter ces deux formes », Aristote doit faire allusion au septiéme livre. L'allusion au développement sur les « parties constitutives de l'État », « dans les considérations sur l'aristocratie » M, vise aussi le livre VII. Barthélemy-Saint-Hilaire croit également que l’&plorn πολιτεία de IV, 11, 1296 ὁ 2 sq. 11, est celle du livre VII : le contexte prouve cependant qu’Aristote envisage « la constitution la meilleure pour la majorité des États », c'est-à-dire la « constitution moyenne », et non un régime idéal 12. Il en est de méme en

IV, 13, 1297 b 32 sq., de l'éplorn «àv πολιτειῶν ὡς ἐπὶ τὸ πλεῖστον εἰπεῖν 1°. Enfin, le passage de VII, 9, 1328 b 29 sq., sur les diverses combinaisons possibles dans l'admission des citoyens aux emplois, ne renvoie pas plus forcément au livre III !*ou au livre II !5, comme le veut Barthélemy-Saint-Hilaire, qu'à la fin du livre IV !5, comme le voulait Goettling critiqué en cela par Barthélemy-Saint-Hilaire 17 : Susemihl et Newman suggèrent non sans ingéniosité qu' Aristote peut résumer ici, par une formule plus nette, le début, plus dilué, de son chapitre 18. Quant au déplacement du livre VI, Barthélemy-Saint-Hilaire considére qu'il est nécessaire pour compléter le livre IV : « Aprés avoir traité à la fin de celui-ci de la division des pouvoirs et de leur organisation générale dans les divers systèmes de gouvernements, Aristote passe, par une conséquence toute naturelle, aux principes d'organisation spéciale dans chacun de ces systèmes » 1°, c'est-à-dire au sixième livre. Barthélemy Saint-Hilaire trouvait une confirmation de son hypothése dans le début 8. IV, 2, 1289 a 30. Cf. supra, p. 37. 9. « C'est », ἐστίν. BARTUHÉLEMY-SAINT-HiLAIRE,

ibid., p. cLıv, traduit

«c'était »,

ce qui suppose le probléme résolu. Le présent n'affaiblit du reste pas sensiblement la solution proposée ; il exprime une idée générale, dont le « c'était »de BARTRÉLEMYSAINT-HILAIRE marque seulement une conséquence particulière. 10.

1V, 3, 1290 a 1 sq. Cf. supra, p. 37, n. 70.

11. Διωρισμένης τῆς 12. 13.

ἀρίστης.

V. surtout le début de IV, 11, 1295 a 25 sq. Contra, BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE, ibid., p. cLv.

14. III, 1, 1275 5 16 sq. Il ne s’agit pas ici de toutes les constitutions, mais de celles qui ne sont pas démocratiques. 15. 11,1,1260 5 37 sq. Au livre VII, le probléme posé est seulement celui de l'égalité politique ; au livre II, il s'agit surtout de la « communauté » sociale ; cf. II, f,

1261 a 4 sq.,la réfutation du communisme καὶ γυναικῶν καὶ κτημάτων 16. 17.

platonicien, ἐνδέχεται γὰρ xal τέκνων

κοινωνεῖν X...

IV, 14, 1298 a 7 sq. Banrn£rLEuMY-SaivT-HirA IRE,

ibid., p. σὰν: sq. C. Gorrzinc,

éd. de la Pol.,

Iéna, 1824. 18. Suseminı, Rem. 805 ; Newman, ad 1328 b 29. Il est vrai que l'expression χαθάπερ εἴπομεν est équivoque. (DÉMOsTRÈNE), Sur le traité avec Alexandre, 8, écrit καθάπερ ἄρτι εἶπον, pour renvoyer à 5. 19. Op. cit., p. crvii sq.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

59

du livre V qui, disait-il, reprenait la conclusion du sixième ?° ; mais il lisait un texte oü la phrase finale de VÍ et la phrase initiale de V étaient interverties ?! ; avec le texte authentique, donné par tous les manuscrits, l'argument s'évanouit. | Les renvois du livre VI au livre V ne pouvaient arréter l'éminent Académicien. Ils sont une dizaine ?*, étroitement délimités — comme le sont presque toujours des références. Barthélemy-Saint-Hilaire y voit des interpolations, aisément explicables, il est vrai, par l'histoire des

écrits d’Aristote ??. De cette facon, le texte est plus conforme au plan posé dans le second chapitre du livre IV : « Nous devrons ensuite examiner comment doivent procéder ceux qui veulent établir ces constitutions — à savoir les différentes variétés de démocratie et, inversement, d'oligarchie. Enfin ... nous traiterons des causes de ruine et de conservation des constitutions 3%...» Le livre VI correspond au premier point, le livre V au second ?5, La démonstration est au moins discutable, pour la raison que, dés les chapitres 14-16 du quatriéme livre, Aristote a abordé ce sujet, de

l'établissement des constitutions ?5. Le livre VI n'est qu'un supplément”?. En outre, comme le livre VI reprend le thème des φθοραί et des awrnplat *®, le plan de toute façon n'est pas respecté.

Mais l'intérét principal de l'argumentation soutenue par BarthélemySaint-Hilaire n'est plus tant pour nous dans les résultats

avoir atteints, que dans l'esprit dont elle procéde.

qu'il croit

Elle consiste

à

regrouper les textes de la maniére la plus logique, pour pouvoir en dégager un systéme politique d'Aristote, systéme un et unique. Il faut ici

citer Barthélemy-Saint-Hilaire, qui donne l'expression la plus formelle de cette thése : « Áucun doute ne s'éléve sur l'ordre des trois premiers

livres. Dans le III®, Aristote annonce qu'il reconnaît trois formes fondamentales de gouvernement : la monarchie, l'aristocratie et la république 35. Il traite de la monarchie sous forme de royauté à la fin du III? livre. Dans le VII® et le VITIS, qui viennent ensuite, ... il traite de l'aristocratie, qui, pour lui et comme il a soin de le dire, est la méme chose que la constitution modèle... Dans les IV? et VIS livres, il traite de la république et des formes dégénérées des trois gouvernements purs : la tyrannie, l'oligarchie et la démagogie... Enfin vient le Ve livre, et, 20. Ibid., p. crix. 21. Περὶ μὲν οὖν τῶν ἄλλων ὧν προειλόμεθα... est le début de V, non la fin de VI (qui est : περὶ μὲν οὖν τῶν ἀρχῶν, ὡς kv τύπῳ, σχεδὸν εἴρηται περὶ πασῶν). BarTHÉLEMY-SAINT-HiLaIRE lit encore ce texte fautif en 1874. 22. Ibid., p. cıxvısq. Mais plusieurs d'entre eux peuvent se rapporter à d'autres livres. Sont sûrs: VI, 1, 1316 534 sq. ; 4, 1319 a 38 sq., 1319 b 4 8q.; 9, 1319 b 37 sq. 23. Ibid., p. cuxiv sq. Cf. supra, p. 27, n. 1.

24. 25. 26. 27. 28. 29.

IV, 2, 1289 b 20 sq. BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE, ibid., p. crx sq. O. Immiscu, Ar. Pol.?, Leipzig, 1929. Ibid. V. supra, p. 44 sq. Supra, p. 46. Πολιτεία. Nous reprenons ici la trad. de BARTRHÉLEMY-SAINT-HILAIRE.

60

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

aprés avoir considéré tous les gouvernements en eux-mémes, dans leur nature, dans leurs conditions particuliéres, Aristote les étudie dans leur

durée... En gardant au contraire l'ordre actuel des livres, voyez comme cette pensée d'Aristote, ordinairement si conséquente, devient incohérente et incompléte, comme le systéme de ses idées est rompu, brisé,

bouleversé de fond en comble... Quel désordre *? ! » On modifiera donc le texte, parfois en profondeur, on condamnera aussi la conclusion de l'E. N., qui est génante, pour satisfaire à des exigences de pure logique *! — le mot revient constamment sous la plume de Barthélemy-Saint-Hilaire — : « Pourquoi attribuer légérement un défaut de méthode au philosophe le plus systématique et le plus régulièrement logique de tous les philosophes ?*... ? » Il s'agit de donner de lui une image « raisonnable ». Ce qui exigerait l'unité du système 55. C'est dans les mémes perspectives que se sont placés, pendant prés d'un siécle aprés Barthélemy-Saint-Hilaire, beaucoup des éditeurs de la Politique. Le tableau suivant permet d'en prendre une vue rapide ** : J. BARTRÉLEMY-SAINT-HiLAIRE, Pans, 1837, 1848, 1874. A. Staur, Leipzig, 1839. I. BExxzn, Berlin, 1831, et Oxford,|

1837.

Berlin, 1855, et 1878. J. R. T. Earon, Oxford, 1855. R. Concreve, Londres, 1855, 1874. | Fr. Susemiur, Leipzig, 1872, 1879, 1882, 1894. J. E C. Weııoon, trad., Londres 1883, B. Jowerr, Oxford, 1885, etc., et Ox-

ford, 1921.

I, 11, III, VII, VIII, IV, VI, V. I II, III, IV, V, VI, VII, VIHI. 1, II, IH, IV, V, — VI, VII, vn

|

I, H, III, VII, VIII, IV, VI, V. LILIH,IV, V, VI, VII, VIII. I, II, III, VII, VIII, IV, VI, V. | I, I1, III, VII, VIII, IV, VI, | I, 11, HI, VII, VIEL IV, VI,

LIL IL IV, V,

W. L. Newman, Oxford, 1887-1902. | I, II, III, VII, O. Imsıscn, Leipzig, 1909 et 1929. I, H, HI, IV, H. Rıckuam, Londres, N. Y., 1932, 1944. I, 11, HI, IV, E. Rorrrs, trad., Leipzig, 1912, Je éd., 1943. L II, TIL, IV, E. Barken, trad., Oxford 1946, 1948.| I, II, III, IV, J. Manras et M. Arauso, Madrid, 1951. I, I], III, VII, O. Gicon, trad., Zurich, 1955. I, I, IH, IV,

V. V.

VI, VII, var

VIH, IV, V, VI. V, VI, VII, VII. . V, VI, VII, VIII. V, V,

VI, VII, VIII. — VI, VII, VII.

VIII, IV, V, VI. V, VI, VH, VOL

30. Ibid., p. crx sq. 31. Ibid., p. cıxx. Cf. supra, p. 51 sq. 32. Ibid., p. cıxv, cf. notamment p. cıxxı. 33. V. au contraire les thèses génétistes. Mais c'est un apport positif de BanruéLEMY-SAINT-HiLAIRE d'avoir montré, p. cLvit sq., que l'actuelle division en livres n'avait pas de valeur décisive (il admet méme qu'elle ne peut étre trés ancienne, ce qui est discutable, cf. supra, p. 28, n. 4). Ill a également montré qu'il était arbi-

COMPOSITION

:

LES

THÉORIES

61

Congreve, Susemihl, Bekker— à partir de 1855 —, Welldon, ont donc suivi Barthélemy-Saint- Hilaire, et toujours d’après le méme principe : l'œuvre doit être une et exprimer un système un. Congreve % juge que la logique est ainsi mieux respectée, que la méthode est plus claire et la suite des idées plus facile à saisir : les livres IV et VI n'ont pu, dit-il, étre séparés que par accident ; il est normal que l'aristocratie des livres VII-VIII (que Congreve appelle IV-V) suive la monarchie du troisième livre et précède la πολιτεία des livres « réalistes » ; enfin,

« aprés que l'analyse des deux premiéres formes idéales est achevée, (Aristote) traite séparément les éléments de la troisième forme et prépare ainsi la voie à un traitement de ces éléments en combinaison ».

Il passe alors naturellement aux problémes concernant les formes réelles de gouvernement, et aux révolutions. Plus tard, Susemihl %, s'appuyant sur l'autorité de Spengel et sur ses propres travaux, se rallie aux mémes solutions, notamment parce que la transposition du livre VI rendrait son état d'inachévement moins sensible. Et, dans son édition de 1879,

il multiplie, dans le méme

sens, les corrections et les déplacements

de textes, au point que la Politique devient, par endroits, méconnaissable 57. Bekker, Welldon, admettent le méme point de vue 33, Plus sceptique, Newman propose en 1887 une solution mixte — qu'en 1951 J. Marias adopte encore, dans l'espoir non de résoudre ainsi les difficultés, mais du moins de les diminuer 89. Newman en effet croit moins

fortement que ses prédécesseurs à l'unité de l’œuvre politique d’Aristote, et admet que des traités séparés ont pu étre refondus et réunis — par

Aristote

lui-méme,

croit-il, selon,

toute

vraisemblance.

Pour

lui,

les livres VII-VIII font bien suite au Eure III : celui-ci forme une introduction à l'étude de toutes les constitutions, mais surtout de la meil-

leure ; le livre VII *9 développe III, 18, 1288 ὁ 3 sq., περὶ τῆς πολιτείας ἤδη πειρατέον λέγειν τῆς ἀρίστης, τίνα πέφυχε γίγνεσθαι τρόπον xa

καθίστασθαι πῶς *'. Mais les livres VII et VIII (IV et V pour New man), de ton plus tranchant et plus vif que les autres, ressemblant plus traire de supposer une édition primitive comprenant plus de huit livres, en l’absence de tout témoignage ancien. 34. Cette liste n’est qu'un choix ; elle pourrait être beaucoup plus longue. — Une complication supplémentaire naît de ce que certains éditeurs (p. ex. SUsEMIHL, en 1872) désignent le sixième livre par c et non par Z ; de méme Scnxzipzn (Francfort, 1809) le désignait par ZT. V. le tableau dressé par Imuiscu, 29 éd., p. vir. 35. KR. CoNGREVE, op. cit., p. visq. 36. Éd. de 1872, p. Lısq. Travaux de Spencer cités dans l'éd. de 1879, I, p. xx, n. 9. 37. O. IuxiscH, 2° éd., p. v sq., remarque que les éditions suivantes de SusemiuL sont plus prudentes ; elles conservent cependant l'ordre proposé par BanrnÉLEMY-SAINT-HiLAiRE (SusEkMIHL-Hicks, 1894, ne contient que I-II-III, et VII-VIII, numérotés IV-V). SusEwinr, éd. de 1879, I, p. 3 sq., est tout prés de formuler une théorie « génétiste », mais s'en tient (ibid., p. xxim) à l'hypothèse de

doubles recensions. 38. Bexker, à partir de 1855. Cf. tableau précédent. 39. 7. Manias,op. cit., p. xxxvimsq. W.L. Newsanavait publiéses deux premiers volumes en 1887, les deux autres en 1902 ; ses idées sur la composition de l’œuvre

ne semblent pas avoir évolué dans l'intervalle. 40. IV pour Newman. 41. T. Í, p. 292 ; III, p. xxxıv sq.

62

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

à une construction qu'à une recherche, ont pu, selon lui, étre écrits pour une publication à part, ou sont peut-étre, du moins, formés de matériaux destinés à la publication, à un degré plus élevé que les autres livres **. De méme, le livre V (qu'il appelle VII) fait suite au livre IV (VI pour Newman), selon l'ordre traditionnel ; mais « il est probable

qu'il fut écrit d'abord comme un traité à part, et n'était pas fait pour la place qu'il occupe actuellement dans la Politique, ni peut-étre méme

pour aucune place du tout dans la Politique. Est-ce là ou non l'étude sur les causes des révolutions annoncée à la fin de l' E. N., il est difficile de

le dire. En tout cas, il ne semble guère jeter de lumière sur le probléme de la meilleure constitution » 3. Newman souligne en méme temps que le début du livre VI (VIII pour lui) est néanmoins trés proche du livre IV (VI), par la classification des démocraties et des oligarchies, qui avait disparu au cinquiéme livre (septième pour lui) **. D'autre part, le début du livre IV (numéroté VI), en annoncant l'achévement du programme posé au troisiéme livre, réduit la distance entre les deux livres ®. Ainsi, sans exclure la possibilité de retrouver trace de couches successives dans la composition de l'ouvrage, Newman envisage encore des solutions de logique plutót que de chronologie, et cherche à présenter la Politique comme un tout cohérent. L'hypothése méme que notre texte

résulte de la contamination de deux ou plusieurs éditions * ne l'empéche pas de souligner la continuité du travail 57 et l'unité de la doctrine 48. Il n'est pourtant intéressant de déterminer le progrès de la composition que dans la mesure où il correspond à une évolution de la doctrine. B.

Le

sTrATU

Qvo.

La plupart des partisans du « statu quo » ont eu une conception analogue de la philosophie d'Aristote. La premiére édition — sinon le premier travail philologique *? — qui ait réagi nettement contre les transpositions de Barthélemy-Saint-Hilaire, est celle d'Eaton 9. Préoccupé avant tout du déplacement des livres VII-VIII, Eaton constate qu'aucun manuscrit ne donne l'ordre nouveau, et que la similitude entre la fin de III et le début de VII s'explique mal : quelle que soit l'origine de la phrase qui est à peu prés commune aux deux livres, la coupure est in42. T. I, p. 295 sq. ; III, p. xxxv sq. ; cf. II, p. xxxi, n. 2.

43. T. I., p. 521 sq. ἀξ, Ibid., p. 547. 45. Ibid., p. 489 sq., 492 sq. 46. T. II, p. xxxi, n. 2. 47. Ibid., p. 229. 48. T. I, p. 554 aq. 49. Bibliographie détaillée de SusEwinr, éd. de 1879, I, p. xx sq. En outre, indépendamment de toute doctrine philosophique, beaucoup d'éditeurs ont voulu et veulent s'en tenir à l'ordre traditionnel, pour éviter des confusions et des difficultés supplémentaires.

C'est le bon sens méme.

De ce point de vue, L. Rozın, Aristote,

Pans, 1944, p. 21, condamnait à juste titre les discussions sur l'ordre des livres. Mais l'interprétation du texte a d'autres exigences. 50. Oxford, 1855, p. 111-X1v.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

63

compréhensible : ou bien III n'a pas de fin, ou VII n'a pas de commencement. Mais il va de soi, dirons-nous, que la répétition est aussi incompréhensible que la coupure. Les allusions du livre IV à « l'aristocratie », constitution la meilleure, ne se rapporteraient pas alors à « la constitution la meilleure » des livres VII-VIII, mais à un développement, aujourd’hui disparu, qui completait primitivement le livre III. De plus, Aristote, en identifiant au livre IV « constitution la meilleure » avec aristocratie et royauté, songerait seulement à une constitution « la meilleure possible » « pour la majorité des cités et des hommes », tandis que la constitution des deux derniers livres est une construction idéale. Au total, l'ordre actuel — en faveur duquel plaide la conclusion de VE. Ν. — est, selon Eaton, le fruit d'une méthode cohérente : la famille est (livre I) à la base de l’État. La revue des théories émises par les devanciers se place normalement (livre II) avant les analyses du livre III, qui procèdent du même esprit que le premier livre. Le livre IV les complète — étant admis qu’une partie du troisième livre, consacrée à l'aristocratie, a disparu. Le livre V fait appel plus largement à l'induction, et le livre VI, dans le méme esprit, apporte aux livres précédents un « corollaire » pratique. Enfin les deux derniers livres — le huitiéme étant un peu hátivement rédigé — accomplissent le projet initial de l'ouvrage : proposer une constitution aussi vertueuse que l’aristocratie, aussi stable et aussi juste que la « politeia ». Or cette organisation détaillée, concernant « la division du sol, les repas publics, la limitation et l'amélioration de la population, le caractére à imprimer en général à la vie publique et privée des citoyens » 51, n'aurait pu étre mise au point sans une connaissance profonde de la réalité historique, c'est-àdire sans la rédaction préalable des livres IV-VI. « Il est absolument nécessaire qu'ait été fait un examen préliminaire de tous les types de gouvernement en vigueur, —et en méme temps que le résultat de la construction spéculative soit spécifiquement distinct de chacun de ces types 53. » Ce dernier argument repose sur une confusion entre la documentation historique

d'Aristote,

en

général,

et

son

utilisation

dans

les

livres

« réalistes ». Les deux éléments au contraire sont distincts. La connaissance qu'avait Aristote des gouvernements existants — ou qui avaient

existé — au moment où il professait les livres VII-VIII n'est pas forcément celle dont témoignent abondamment les livres IV-VI 53. I] est en revanche possible qu'à un moment donné il ait voulu que les livres IV-VI jouent ce róle dans une ultime rédaction, un ultime arrangement de la Politique. Mais cet arrangement, artificiel, incomplet, ne dissimulerait

en tout cas pas totalement les états antérieurs des textes, et ce sont ces états

qu'il serait utile de mieux

connaître, en ce qui

concerne

51. Ibid., p. xui.

52. Ibid.

53. V. au contraire infra, chap. VII et VIII, p. 211 sq. Mais Eaton trente-cinq années avant la découverte de la Constitution d' Athénes.

écrivait

64

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

non seulement la place véritable des livres VII-VIII, mais l'ensemble de l'euvre. Tout indique qu'il faut renoncer à l'idée d'un « projet initial » qu'Áristote aurait réalisé méthodiquement, selon une unité de doctrine : il y a eu « des » projets initiaux. Enfin, les partisans du statu quo sont amenés eux aussi à corriger le texte au nom de leur système ou à en éluder les difficultés. A cet inconvenient n'échappent pas non plus ceux qui, écrivant aprés 1923 et W. Jaeger, mais refusant les perspectives « génétistes », ont voulu sauvegarder l'unité de la Politique pour des raisons qui ne sont pas seulement de

commodité dans la présentation matérielle 5*. C'est surtout le cas de la traduction anglaise d' E. Barker 55. Celui-ci, qui reproche — à juste titre — aux explications génétistes leur « subjectivité » 56 et leur oppose, avec moins de bonheur, quelques arguments historiques qui seront discutés plus loin 5°, considère qu'en fin de compte la Politique appartient tout entiére à la période du Lycée, entre 335 et 322. Aristote a pu utiliser des matériaux plus anciens, tirés de ses premiéres ceuvres ou accumulés à

Assos, puis à Pella 58 : il a tout fondu dans la Politique. L'état actuel du texte ne se préte pourtant pas, dans son ensemble, à cette théorie de la « fusion ». Et l'explication que donne E. Barker des imperfections qu'il constate — explication par des conditions maté-

rielles défectueuses — n'est pas pleinement satisfaisante 5°. Sans doute les différences de ton ou d'accent ne sont-elles pas forcément le signe de différences chronologiques. Les ruptures dans la suite des idées ne sont pas non plus toujours concluantes. Mais les contradictions, chez un penseur

rigoureux,

ne

peuvent

que

rarement

admettre

une

autre

explication 99. C.

LES

THÉORIES

GÉNÉTISTES.

C'est la conclusion à laquelle était parvenu, dans son Aristote $!, W. Jaeger, pour l'ensemble du Corpus, et notamment pour la Politique. 54. Supra, p. 62, n. 49. 55. Édition compléte, Oxford, 1946 (édition abrégée, 1948). E. BARKER renonce ici aux hypothéses génétistes qu'il avait formulées antérieurement ; v. infra, p. 75 sq. Mais son renoncement comporte des nuances significatives : BARKER admet le recours à une documentation ancienne. 56. Ibid., p. xzv. 57.

Ibid., p. xx1et n. 3, xxxi, n. 1, xr iim et notes. V. infra, p. 186 sq.

58. Ibid., p. xLıv sq. 59. Les conditions matérielles n'étaient pas meilleures pour Thucydide, Xénophon ou Platon. Elles ne suffisent cependant pas à expliquer les inégalités de a République, de la Guerre du Péloponnése ou de l'Anabase. — V. Barker, ibid., p. XLVI sq. 60. Ajoutons que méme parmi les partisans du statu quo, l'accord ne se fait pas sur cet ordre logique qu'ils entrevoient dans la Politique. Ainsi E. Barker (p. xxxvirsq.) distingue six sections groupant les livres I, II, III, IV-V, VI, VII-VIII. Mais W. D. Ross (Aristotle, 29 éd., trad. fse, 1930, chap. VIII) réunissait en un seul

x traité » les livres IV-V-VI,— tout en admettant qu'il pourrait être commode de placer VI avant V. Bref, le statu quo demeure une solution d'éditeur, non de com-

mentateur. 61.

V. supra, p. 11, n. 15.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

65

Les contradictions matérielles, entre les références qui renvoient d'un livre à l'autre, ne s'expliquent pas, dit-il **, par des interpolations et des omissions — à moins que nous n’acceptions de refaire complètement une nouvelle Politique, expurgée et complétée à la fois, mais méconnaissable. Reste la seule hypothése que deux systémes de références distincts, en partie contradictoires, sont mélés, correspondant à deux états successifs du texte : c'est ainsi que le livre III est souvent présenté comme « le début de notre analyse », que VII-VIII et III sont liés étroitement ** ; en revanche, il n'y a pas de référence à IV-VI en VII-VIII. Mais IV-VI renvoient à III et à VII **, III renvoie à I 55, de méme que VII, comme si I était le début de la Politique. Bref, il faut supposer une première rédaction de II, III, VII, VIII, retouchée plus tard et complétée par

l'interposition de IV-VI, puis par l'addition de I *. Cette hypothése tire sa force de la conception que formule

Jaeger,

des rapports intellectuels entre Aristote et Platon. La politique, selon Platon, doit se fonder sur une connaissance de l'idée du Bien, et le but que vise le penseur politique est essentiellement de construire une cité

idéale, une Utopie. Aristote serait parti de là. Jaeger en voit la preuve * dans les fragments des livres Sur la Justice et du Politique, dans ceux, surtout, plus étendus, du Protreptique, qui condamnent l'empirisme en

politique, au nom d'un absolu. Or cette idée du Bien, base de la première politique aristotélicienne, est en méme temps l'objet de la première morale du philosophe δ᾽ : celle de l' Éthique Eudémienne ?? que Jaeger

place avant l'enseignement de l' Éthique Nicomachéenne, dans les perspectives méme où il envisage la genèse de la Métaphysique. Les livres « idéalistes », encore tout imprégnés de platonisme, n'auraient cependant pas été composés avant le séjour d’Aristote auprès

d'Hermias, ni non plus aprés la mort de celui-ci?!. Le livre II, en effet, par l'intérét qu'il porte à la politique extérieure, trahirait déjà l'influence du tyran d’Atarnée, « réaliste » quoique philosophe. La matière cependant des chapitres relatifs à Sparte, à la Créte,

à Carthage méme, serait

ancienne et pourrait remonter aux travaux de l'Académie. En revanche, les livres IV-VI, fondés sur l'expérience, proposant une véritable bio-

logie de la politique 72, sont séparés de l'idéalisme platonicien par un fossé profond : ils seraient liés aux recherches historiques des derniéres années (période du Lycée), dont la Constitution d' Athénes est un autre exemple

caractéristique et, selon W. Jaeger, exactement daté 73.

62. Aristotle? p. 273.

63. Ibid., p. 267. 64. 65. 66. 67. 68. 69.

lbid. Ibid., p. Jbid., n. Ibid., p. Ibid., p. V. ibid.,

70.

Ibid., p. 283, cf. p. 230 sq.

274, n. 2. 3. 268 sq., 273 sq. 260 sq. p. 261 et chap. IX.

71. Ibid., p. 285-290.

72. Ibid., p. 269 sq. 73. Ibid., chap. XIII. Aristote et l'histoire.

Sur la datation « exacte » de la Constitution,

v. infra, 5

66

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

L'ordre actuel de la Politique ne correspondrait donc nullement à l'ordre véritable de composition. Mais, selon Jaeger, il a été adopté en dernier lieu par Aristote lui-méme, qui pourrait aussi avoir complété, dans le méme sens, le livre X de l'E. N. ^ : « Le trait véritablement original et caractéristique de l'eeuvre (dans sa dernière version) est la

facon dont elle reprend la notion platonicienne d'un État idéalet l'appuie sur un vaste support empirique ». Les incohérences du texte proviennent seulement, dans cette hypothése, de ce qu'Aristote n'a pas profité de l'occasion pour écrire de nouveau la Politique d'un bout à l'autre. Solidement adossée à la biographie d'Aristote, l'interprétation de W. Jaeger présente une cohésion et une valeur remarquables, en ce qu'elle suit la pensée du philosophe, sans rupture mais aussi sans raideur artificielle, de l'Académie au Lycée, sur une route dont Hermias, Philippe,

Alexandre, Antipatros jalonnent les étapes. Envisageant tout le Corpus dans son ensemble, W. Jaeger lie entre eux les problémes que posent, dans les domaines les plus différents où a pénétré le philosophe, des œuvres dont la composition respective a obéi aux mêmes rythmes : les problémes étant hés, les solutions le sont aussi, et s'étayent mutuellement. Mais en revanche, si l'un des points d'appui céde, l'ensemble est ébranlé. Aussi H. von Arnim, en méme temps qu'il essayait de rehabiliter la

Grande Morale 5 et d'en faire cette « Ur-Ethik », qui n'était autre, selon Jaeger, que l' Éthique Eudémienne, contestait-il les analyses de Jaeger relatives à la Politique, et proposait-il l'ordre de composition suivant :

I, III, IV, V, VI, II, VII, VIII 6. Les rapprochements de Jaeger entre Politique VII-VIII d'une part, et Protreptique ou Éthique Eudémienne d'autre part, ne suffisent pas en effet, selon von Arnim, à prouver l'ancienneté de ces deux livres de

la Politique, soit que le Protreptique ait pu présenter, mais de facon plus sommaire, des thèmes qu’Aristote reprend en Politique VII-VIII, soit que d’autres œuvres plus récentes permettent les mêmes rapprochements 7’ : l'E. N., par exemple, dont Jaeger et von Arnim admettent tous deux le caractére plus récent, ou méme un état intermédiaire des p. 104 sq. En résumé, les indices suggérent seulement qu'à une date tardive Aristote travaillait encore à cet ouvrage, mais celui-ci a pu être commencé plus tôt. 74. Aristotle?, p. 264 sq. Mais cf. supra, p. 52, n. 209. 75. H. von Arnım, Die drei Aristotelischen Ethiken, Sitzungsb. d. Akad. der Wissensch. im Wien, Philosoph. Histor. Kl., 202, 2 (1924). Nochmals die Aristote-

lischen Ethiken, ibid., 209, 2 (1929). Cf. W.

JaEGER, Uber Ursprung und

Kreislauf

des philosophischen Lebensideals, Sitzungsb. des Preuss. Akad. der Wissensch., Philosoph. Histor. Kl., 25 (1928), p. 390-421. En dernier lieu, M. Hamsurgen, Moralis and Law, The growth of A.'s legal theory, New-Haven, Londres, 1951. 76. H. von Arnım, Zur Entstehungsgeschichte der Aristotelischen Politik, Sitzungs d. Akad. der Wissensch. im Wien, Philosoph. Histor. Kl., 200, 1 (1924), et,

à part, Wien-Leipzig, 1924. Cf. Zu W. Jaegers Grundlegung der Entwicklungsgeschichte des Aristoteles, Wiener Studien, 46 (1927-1928), p. 1-47. — Sur les arguments proprement historiques de von ARN1M, v. infra, p. 78, n. 165, et surtout p.

203 sq.

77. H. v. Arnım, Zur Entstehung..., p. 100-103.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

67

Éthiques, qui aurait disparu, et que von Arnim suppose connu des auditeurs du philosophe 78, Sur ce point précis, donc, les arguments des uns et des autres s'annulent en quelque sorte: des rapprochements qui, tous possibles, ne sont jamais sûrs, ne démontrent rien. Reste à savoir, quant à la composition de ces deux livres, si la cité idéale qu'ils construisent fait naturellement suite, comme le veut Jaeger, au livre III, ou s'il faut, avec von Arnim, y voir la suite normale des recherches empiriques dont témoignent les livres IV

à VI. Comme une partie des livres VII-VIII fait défaut, parce que perdue ou plutót jamais écrite, les indications sont rares sur l'organisation proprement politique de l'État idéal. Von Arnim cependant considére

que cet État n'entre pas dans la classification des constitutions proposée au troisième livre 79 : tous les citoyens y participent à la

politique, conséquent,

et gouvernent ou sont gouvernés

vie

alternativement 9, Par

cet État, dit-il, n'est pas une oligarchie, gouvernement de

minorité. Ce n'est pas non plus une démocratie, puisque les citoyens y sont libérés de tout métier manuel, et notamment du travail de la terre — ni une « politeia,», régime d'équilibre entre pauvres et riches,

alors que dans l'État idéal ces deux extrémes sociaux n'existent pas. Or ce n'est pas davantage une aristocratie, et par conséquent VII-VIII supposeraient une classification des constitutions beaucoup plus souple

que celle du livre III !. Mais ici von Arnim rencontre des objections insurmontables. Sans doute l'aristocratie du livre III apparaít-elle comme un gouvernement de minorité 82, agissant, à la différence de l’oligarchie, pour le bien de la communauté. Mais les πάντες du livre VII sont-ils si différents des ὀλίγοι du livre III ? Car les autres citoyens, dans cette aristocratie du troisiéme livre, ne sont pas déchargés, tous, de tout travail. Le livre VII

suppose seulement des conditions κατ᾽ εὐχήν, où les ὀλίγοι sont plus nombreux qu'ils ne le sont jamais dans la réalité — parce que la vie matérielle, pratiquement, y est autre. Qui plus est, ces πάντες ne sont jamais au pouvoir tous à la fois ; le mot désigne seulement l'ensemble 78. L'incertitude de telles démonstrations est soulignée, s'il en était besoin, ar le fait que, là où (Pol., VII, 13, 1332 a 8, 21) von Arnım suppose une allusion P un état intermédiaire des Éthiques, W. JAEGER rapproche l'E. E., et H. Rackuam l'E. N. (éd. citée supra, p. 60). 79. Zur Entstehung..., p. 6-14. 80. VII, 13, 1332 a 34, ἡμῖν δὲ πάντες ol πολῖται μετέχουσι τῆς πολιτείας. Cf. 14, 1332 b 12 sq., 25 sq. 81. AnisTOTE dit bien qu'il n'y a pas de constitution en dehors des six qu'il distingue. Mais la constitution idéale ne peut-elle faire exception ? Ces développements du livre III sont trés proches du Politique de PrATON. Or celui-ci sépare nettement (302 c) des six constitutions réelles (reprises, en gros, par Aristote) la septième qui est parfaite, mais irréalisable (301 d : il ne nait pas des rois dans les cités comme des reines dans les ruches). En outre, la classification d'Aristote s'est assouplie : les livres IV-VI considérent des mixtes de constitutions, formant des variétés nouvelles.

Ce passage du troisiéme livre ne peut donc véritablement étre allégué. 82.

111, 7, 1279 a 34 sq. V. supra, p. 34, et n. 53 et 54.

68

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

de ceux qui gouvernent actuellement ou qui gouverneront un jour, l'áge venu. Ce systéme permet justement à l'aristocratie de bien fonctionner : les jeunes, sachant qu'ils y entreront effectivement un jour, peuvent se contenter d'une participation nominale à la πολιτεία 55. Von Arnim montre du resteδέ que la vertu forme le but de l'État dans le régime idéal comme dans l'aristocratie : ici comme là, la vertu de l'homme est identique à la vertu du citoyen ®. L'État idéal ressemble donc à une aristocratie, élargie grâce à des conditions naturelles et à un système d'éducation particuliérement favorables. Aristote lui-méme autorise cette interprétation, en étudiant la configuration de terrain qui convient à chaque régime politique : « En ce qui concerne les hauteurs, écrit-il, les besoins de toutes les constitutions ne sont pas les mémes : ainsi une acropole convient aux oligarchies et aux monarchies, un terrain plat aux démocraties, mais aucune de ces deux dispositions ne favorise les aristocraties, pour lesquelles valent mieux plusieurs positions fortes ® ». Von Arnim en conclut 8 que cet État idéal n'est

pas

une

aristocratie — parce

qu'il

ne

possédera

qu'une

seule

« position forte », la hauteur oü seront placés les temples et les principales constructions officielles 98, avec l'«agora supérieure » δ᾽, L'argument est faible. Rien n'indique dans le texte que cette hauteur doive être consi-

dérée comme une « acropole », une citadelle 9, ni que cette hauteur principale en exclue d'autres : elle est simplement « dans une situation plus forte » que les « parties avoisinantes » de la cité ®!. Il serait en outre étonnant qu’Aristote empruntät une disposition aussi caractéristique à l'oligarchie — ou à la « monarchie », qui ici implique plutót, évidemment, tyrannie que royauté ?* — sans le signaler clairement. L'ordre du texte ne vient pas non plus confirmer l'interprétation de

von Arnim : le dernier terme est ἀριστοχρατικόν, comme la fois la conclusion et la derniére solution possible.

si c'était à

Enfin, un texte de Platon, dans les Lois 33, auquel Aristote se réfère vraisemblablement ici sans le dire, fournit un nouvel argument : le fondateur de la cité, dit Platon, « distinguera douze parties, en réservant d'abord pour Hestia, Zeus et Athéna une enceinte qu'il nommera 83.

De

méme

IsocnaTz,

Nicoclös, 15, peut soutenir que

l'oligarchie, comme

démocratie, « recherche l'égalité entre tous ceux qui participent à la (trad. Maraimu-BrémonD, Coll. des Univ. de Fr.) : mais c'est que « participants », μετέχοντες, y est singulièrement restreint. C'est artifice au on verra là un caractère « démocratique » (ou « politique ») 84. p. 13 sq

85. Vi A14, 1333 ai 86. 87. 88. 89.

VII, 11, I bid., p. VII, 12, Ibid. cf.

90.

Cf. NEWMAN,

la

vie politique » le nombre des seulement par de l'oligarchie.

sq.

1330 5 17 sq. 12 sq 1331. a 28 sq 12, 1331 512. ad 1330 b 19.

91. Πρὸς τὰ γειτνιῶντα μέρη τῆς πόλεως ἐρυμνοτέρως, VII, 12, 1331 a 29 sq. 92. Newman, ibid. Susgwiur, Rem. 849, semblait déjà d'un avis analogue. 93. Lois, V, 745 b, trad. E. pgs PLACES, Coll. des Univ. de Fr. Newman cite déjà ce texte, ad loc., considérant d'ailleurs, comme SusemiuL, que la « constitution idéale » est identique à l'aristocratie du livre III.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

69

acropole ». Aristote remarque au passage que cette indication — d’ailleurs vague ?* — fait de la cité des Lois une oligarchie, ou du moins lui donne un ceractère oligarchique — et il rectifie : si nous désirons un régime aristocratique, il nous faudra plusieurs positions fortes. Cette critique probable de Platon rejoint un autre reproche souvent adressé par Aristote à son maître dans la Politique : c'est de négliger à l'excés les problémes de politique extérieure et de défense de la cité 95. Or Susemihl % remarquait justement que les points fortifiés, dans une aristocratie, serviront seulement

contre un ennemi

extérieur,

et que leur

multiplicité, de toute évidence, facilite la défense de la cité. Dans une oligarchie,

au

contraire, ou dans

une

tyrannie,

le ou

les maítres

de

l'État ont intérêt à détenir, contre leurs sujets, une position privilégiée, unique. Mais est-il alors vraisemblable qu’Aristote ait voulu priver son État idéal de cet avantage militaire que possèdent les aristocraties ? Il insiste au contraire

sur

la

nécessité

de

le

fortifier,

en

écartant

les

préjugés spartiates V. Son idée est qu'en la matière deux précautions valent mieux qu’une. Dans

ces conditions,

il n’est pas possible de suivre

von

Arnim,

et

l’autre branche de l’alternative est que cette cité idéale sera une forme d'aristocratie, dont la conception ne suppose pas absolument la science et l'expérience historiques des livres IV-VI. Car, s'il est exact que, comme le remarque von Arnim, la constitution idéale de VII ressemble par certains côtés à une « politeia » %, il a marqué lui-même par ailleurs que cet État ne présente pas les contrastes sociaux dont une « politeia » réalise le bon équilibre ??. L'attribution du droit de cité aux seuls

ὡπλιτευκότες 1% n'est pas un argument : cette disposition est banale dans les projets oligarchiques du v® siècle déjà ; Platon, dans les Lois, y a eu recours !?!, Quant à l'égalité démocratique 1??, Aristote lui fait-il

beaucoup plus de concessions que le Platon de ces mêmes Lois 108 ἢ Cet État idéal du livre VII pourrait bien, en réalité, nous donner une idée de ce qu'aurait été, pour Platon, la « cité du troisième rang », dont il n'a pu nous laisser le plan 1%, | 94. 95.

V. note ad loc., de l'éd. E. nes PLaces. IH, 6, 1265 a 18 sq., cf. Newman, ad loc.

96. Hem. 849. 97. VII, 11, 1330 5 17-31 a 18. 98. V. Annim, op. cit., p. 19 sq. 99. Supra, p. 67. 100. VII, 9,1329 a11 sq., et chap. 14, d'où il ressort que les jeunes citoyens feront, le cas échéant, la guerre, en attendant une participation effective au gouvernement. 101. Const. d' Ath., 33, 1-2, cf. 29, 5 ; 30 et 31; PLaron, Lois, VI, 753 b, 755 e. Wıramowırz, Ar. und Ath., Berlin, 1893, I, p. 478.

102. V. Arnım, ibid., pour qui la constitution de VII-VIII n'est cependant pas une démocratie ; v. supra, p. 67 sq. 103.

Cf. L. Gerner, introd. à l'éd. des Lois, Coll. des Univ. de Fr., p. cx : « Le

caractère '' mixte " de la constitution platonicienne réside en ce qu'elle satisfait tout à tour au principe de la démocratie, qui admet tous les citoyens au gouvernement, et au principe opposé, qui réserve les droits politiques à quelques-uns. Au surplus, on n'oubliera pas que Platon a pris parti d'avance sur un point débattu (cf. AnisToTE Pol., 111, 5,1277

533 a): en excluant les « artisans » de la cité même.

»

104. Lois, V,739 e: τρίτην δὲ μετὰ ταῦτα, ἐὰν θεὸς ἐθέλῃ, διαπερανούμεθα. Cf. VII, 807 ὁ. Le verbe διαπεραίνεσθαι signifie-t-il une réalisation concrète, — ou une dis-

70

᾿

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Il n'est donc pas nécessaire de supposer avec von Arnim 1% qu'a disparu toute une partie d'une ancienne rédaction, où le livre III traitait de l'aristocratie, « la meilleure constitution ». Cette hypothése est pour lui la seule explication de l'allusion que fait Aristote, au début du quatriéme livre, à une étude antérieure de la « constitution la meilleure » 19€, Il faudrait qu'il y eût eu deux conceptions successives de l’a aristé politeia », et, IV étant sur ce point plus proche de III que de VII, l'ordre III-IV serait préférable 1%. Mais nous avons vu qu'il est artificiel d'opposer à un idéal de « l'aristocratie restreinte » (— III-IV), un autre idéal de régime aristocratique plus large (= VII) 198, En outre, de méme que ]a royauté parfaite est un régime tout théorique, qui demande, dit Aristote, des qualités divines 1%, de méme l’aristocratie parfaite, dont Aristote serait bien en peine de citer un exemple, demeure pour lui un régime théorique, dont il est normal que la description coïncide avec le tableau, également théorique, de la constitution κατ᾽ εὐχήν. Ainsi s'explique l'emploi du mot ὀνομάτων au début du livre IV 110 : Aristote souligne par là le caractére théorique de la royauté parfaite et de l'aristocratie parfaite ; ce ne sont que des dénominations, et la « meilleure constitution » est leur équivalent. Cet emploi du mot, qui correspond à une conception aristotélicienne précise de l’évoux !11, distingué du λόγος, signifie la notion méme dont il est question, en dehors de tout attribut concret 115, Sinon, Aristote dirait naturellement πολι-

τειῶν. Cette valeur d’évoux n'était pas exceptionnelle, puisqu'elle est déjà attestée chez Hérodote !!?. Mais un emploi analogue, rapproché par Newman 114, et que l'on trouve chez Isocrate, est particulièrement suggestif : περὶ δὲ σοφίας xal φιλοσοφίας, τοῖς μὲν περὶ ἄλλων τινῶν ἀγωνιζομένοις οὐκ ἂν ἁρμόσειε λέγειν περὶ τῶν ὀνομάτων τούτων ... 115, Ce n’est pas que la sagesse et la philosophie se réduisent à des « mots » pour l'auteur du discours Sur l'échange ; tout au plus dirait-il qu'elles cussion ὃ Trad. E. pes PrAcEs. « Nous en traiterons »; P.-M. Scnunı,

L'œuvre de Pla-

ton, Paris, 1954, p. 183: « Nous la mènerons à bien »; E. B. Encranp, The Laws of Plato, I, Manchester, 1921, ad 739 e 5 : il s'agit de « donner aux auditeurs », le

moment venu, des éléments d'une législation convenable. Cf. E. pgs PLACES, note ad loc.

105. Op. cit., p. 28 sq., où von Anim retrouve, dans une perspective nouvelle, hypothèse déjà formulée par Earon (supra, p. 63). 106. Supra, p. 37. 107.

V. Arnım, ibid., p. 31 sq.

108. Supra, p. 67 sq. 109. 110.

111,13, 1284 a 3 sq., et 1284 ὃ 25 sq. V. infra, p. 18^ sq. Supra, p. 36 sq. (IV, 2,1289 a 30 sq. : περὶ us ἀριστοκρατίας καὶ βασιλείας

ἐΐρηται (τὸ γὰρ περὶ τῆς ἀρίστης πολιτείας θεωρῆσαι ταὐτὸ xxl περὶ τούτων ἐστὶν εἰπεῖν τῶν ὀνομάτων * βούλεται γὰρ ἑκατέρα xxt! ἀρετὴν συνεστάναι χεχορηγημένην). 111.

ΒονιτΖ, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, 514 b 59 sq.

112.

Bonrrz,

ibid.,

515

appellantur »; Newman beiden 113.

Formen. » H£ropvore,

a 4 : « De

notionibus

sive de rebus,

quae

his nominibus

: « The things called by these names »; SusemiuL: e Diese

II, 43, 49, 50. Ce sens n'est pas mentionné par les dictionnaires

usuels. (BairLv, Lip. Scorr). 114. 115.

Newman, ad 1289 a 32. IsocRarE, Sur l'échange, 270 (Trad. G. MaruiEv,

ὀνομάτων = « termes x).

Coll. des

Univ.

de Fr. :

COMPOSITION

: LES

THEORIES

71

ne sont rien de plus, pour ceux qui participent aux autres débats judiciaires 116 : dans ces débats, elles ne seraient que mots. Mais surtout, Isocrate distingue ici entre une vraie philosophie — et une vraie sagesse — ou une prétendue philosophie, d'où l'emploi de ὀνομάτων, « dénomination » commune à la véritable comme à la fausse philosophie. De la méme façon, Aristote considère qu'aristocratie et royauté ne sont que des dénominations comprenant une seule idée précise, celle d’excellente

constitution 117, En cela, il est fidèle à l’enseignement de Platon, qui écrivait dans la République : « Il y a, répondis-je, cinq formes de gouvernement, et cinq formes d’âmes. « Nomme-les, dit-il. « Je dis, repris-je, que la forme de gouvernement que nous venons de tracer en est une, mais qu’on pourrait lui donner deux noms : quand l’un des gouvernants a autorité sur les autres, on appelle le gouvernement royauté ; et, si l'autorité est partagée entre plusieurs, aristocratie. « C'est vrai, dit-il. « Je dis donc, repris-je, que ées deux formes n'en font qu'une ; car,

qu'il y eit plusieurs chefs ou qu'il n'y en ait qu'un, ils ne changeront rien aux lois fondamentales de l'État, s'ils ont recu l'éducation et l'ins-

truction que nous avons décrites » 118, 116.

Toi;

μὲν περὶ

ἄλλων

τινῶν

ἀγωνιζομένοις.

117. Une autre remarque d'AnisTOTE suggère, par comparaison, qu'il ne croyait tre à la royauté, sauf dans des cas exceptionnels (Alexandre ?) : τὴν δὲ βασιλείαν

ναγχαῖον À τοὔνομα μόνον ἔχειν οὐκ οὖσαν À διὰ πολλὴν ὑπεροχὴν εἶναι τὴν τοῦ βασιλεύοντος (IV, 2, 1289 a 41-b 1). Ainsi, d'un point de vue théorique (car il s'agit ici de classer les constitutions), la royauté vraie n'est qu'un « nom », si le roi n'est pas une personnalité remarquable. Mais, dans la réalité, on constate (III, 13, 1284 a 2 sq. ; III, 17-18, et surtout VII, 14, 1332 5 23 aq.) que cette supériorité quasi-divine du roi n'apparaît presque jamais ; de ce point de vue aussi, la vraie royauté ne sera qu'une notion. Quelle place Aristote peut-il donc réserver à ce régime? Au livre V, il en traitera en même temps que de la tyrannie, et la distinction qu'il fera entre les deux régimes restera théorique : les exemples qu'il propose (1310 b fin) sont en partie empruntés à des royautés où les rois ne gouvernent guère, cf. 1313 a 20 sq. : Sparte, les Molosses. L'exemple de Codros est celui d'une royauté primitive. Les rois des Macédoniens ne reculent pas devant un comportement tyrannique (V,10, 1311 51-34). Ces exemples de royautés historiques une fois éliminés, il ne reste plus rien : où γίγνονται δ’ ἔτι βασιλεῖαι vov, 1313 a 3 sq. Enfin, ARISTOTE

insiste sur les points communs de la royauté et de l'aristocratie (V, 10, 1310 ὁ 2-3, 1312 b 6). si en est ainsi de la royauté et de l'aristocratie historiques, « ainsi appelées », on comprend mieux le rapprochement de la royauté et de l'aristocratie idéales dans l'äplorn πολιτεία, IV, 2, 1289 a 30 sq. Le long développement que le livre III consacre à la royauté s'explique donc surtout par les discussions contemporaines autour de ce régime : PLATON, Politique ; Χένορβον, Cyropédie ; etc. Cf. 111, 14, 1284 ὃ 35 aq. : ἴσως

δὲ καλῶς ἔχει μετὰ

τοὺς

εἰρημένους λόγους μεταδῆναι καὶ σκέψασθαι περὶ βασιλεΐας. φαμὲν γὰρ τῶν ὀρθῶν πολιτειῶν μίαν εἶναι ταύτην. AnisTOTE lui-même avait traité ce sujet dans le Sur la royauté, sans doute à l'intention d'Alexandre, cf. infra, p. 157 sq. 118. Hép., IV, 445 d-e (trad. E. Cnampay, Coll. des Univ. de Fr. Toutefois, E. Caauary traduit βασιλεία par « monarchie »; nous avons préféré « royauté » ; cf. supra, p. 39, n. 90 et p. 43). — Cf. encore Rép., IX, 587 d ; Lois, III, 681 d,

ἀριστοκρατίαν τινὰ... 7) καί τινα βασιλείαν. V. T. A. Sıncraır, Histoire de la pensée litique grecque, trad. fse, Paris, 1953, p. 200. — On distinguera naturellement de 'aristocratie idéale de la République ou du Politique l'aristocratie réelle, constitution « légale », dont traite aussi le Politique, et qui est aussi éloignée de la constitution

idéale de PLATON que les analyses d’ArısToTe eur les aristocraties réelles, Politique, IV, différent des livres VII-VIII.

72

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Le Politique exprime une idée analogue : « La droite forme du com dement, c'est en un seulement, ou bien en deux, ou dans quelqu tout au plus qu'il faut la chercher, au cas où cette droite -fôrme

se réalise » 119, Platon définit ici une « aristocratie restreinte » — surtout dans

le

texte du Politique — dont il s'éloignera dans les Lois, suivi en celuf-nous l'avons entrevu, par Áristote. Mais la confusion entre les deux régimes, d'aristocratie et de royauté, sous le nom d'« aristé politeia », est. caractéristique, parce que Platon lui-méme, en dehors de son État idéajzde la République renonce dans cet ouvrage à traiter de l'aristocratie : tótft»s les formes réelles sont défectueuses, croit-il, la meilleure étant à la rigueur la timocratie, c'est-à-dire un gouvernement qui, Aristote le mofÉrera dans la Politique, passe souvent, mais à tort, pour une aristocratie AM, Aristote suit évidemment le même chemin que Platon: son « açistocratie » sera son État idéal des livres VII-VIII. La symétrie avec la République n’est rompue que sur un point : le développement du livre HI

sur la royauté. Mais ici l'exemple du Politique de Platon vient s'ajoutr, dans l'esprit d’Aristote, à l'expérience politique contemporaine wer à ses propres recherches historiques, pour imposer que le sujet soit tréáité

complétement. Aussi Aristote, de méme que Platon étudie la timocratie aprés son aristocratie idéale, analyse-t-il au livre IV les formes de ce qu'on appelle aristocratie, l'aristocratie historique, qui ne mérite pas exactement ce nom (chapitre 7) 121, Ces aristocraties-là ne sont que des « déviations », inclinant plus ou moins vers l'oligarchie ou la politeia #3. Et ce sont des déviations d'une « constitution idéale » qui « revét une ou deux

formes » 133, c'est-à-dire qui se définit beaucoup

moins comme

une

forme particuliére de gouvernement que par une qualité commune à tous les citoyens : la vertu de l'homme y est identique à celle du citoyen. Cette idée est la même au livre ITI et au livre VII. Elle traduit un idéal,

que seules des conditions exceptionnelles de race, de temps, de lieu,

d'éducation, permettraient de réaliser. Ce sont ces conditions qui sont importantes pour Aristote, et non telle disposition du gouvernement : on comprend alors qu'il soit si peu explicite sur la facon dont les citoyens de son « aristocratie »se régiront 125. Non seulement il lui paraît superflu d'énumérer — comme l'avait fait Platon dans les Lois — le détail de la législation locale !35, mais encore il se contentera d'énoncer le principe du gouvernement idéal : le reste ira de soi, une fois données les conditions nécessaires 126, 119.

Praron, Politique, 293 a (trad. A. Diès, Coll. des Univ. de Fr.).

120.

Arisrore, Politique, IV, 7-8, etc. C'est une « prétendue aristocratie », Arıs-

ΤΟΤΕ n'emploie pas dans

la Politique le mot de τιμοχρατία, et l'applique dans l'E. N.

à la πολιτεία (VIII, 12, 1160 a 34 sq. ; 1161 a 3).

121. 122. 123. 124. 125. 126.

IV, 7, 1293 b 1 sq. Infra, p. 353 sq. IV, 3, 1290 a 24 sq. Cf. supra, p. 37 et n. 70. Supra, p. 67 sq. Critique de PLaron à ce sujet, Pol., VII, 12, 1331 ὁ 18 sq. 111, 17, 1288 a 8 sq., et III, 18.

COMPOSITION

: LES THÉORIES

73

On ne refusera sans doute pas, au total, toute nuance entre les « constitutions parfaites » des livres III et VII : le premier développement

est plus idéaliste, en ce sens qu'Aristote y souhaite une constitution absolument parfaite, et non une constitution parfaite, certes, mais réa-

lisable cependant 1”. Plus précisément, Aristote n'y indique pas comment sera réalisée cette perfection qu'il entrevoit : il faut, dit-il seulement, que l’État considéré produise une famille d’une vertu supérieure, qui régnera, ou qu'il soit capable de se laisser gouverner « liböralement » par des chefs vertueux, dans le cas de l'aristocratie 128, Le probléme du gouvernement parfait est posé ici sans compromis — et sans so-

lution —, tandis que la solution du septiéme livre est inséparable d'une concession majeure : s'accommoder du possible. Il est significatif qu'Aristote, au livre II, reproche précisément au Platon des Lois de vouloir l'impossible !?? ; Je livre VII, si proche des Lois, cherche à éviter ce méme défaut. Mais cette différence de points de vue entre le troisième et le septième livre n’entraine pas obligatoirement la conclusion que propose von Arnim. Si le livre VII est éloigné de la République et du Politique, tandis que le livre III en est, par certains points, tout proche, celui-ci n'est pas forcément le plus ancien : la premiére influence qu'a pu subir Aristote, écrivant sa Politique, c'est bien celle des Lois 1%, et l'expres-

sion de thèses qui évoquent un Platon plus jeune !?! ne peut guère appartenir à l'Aristote le plus jeune. On les attribuerait plus vraisemblablement à un Aristote qui subit moins l'influence du dernier Platon et qui connaít mieux l'ensemble du platonisme. Les hésitations qui marquent le début du livre IV, et qu'on pourrait expliquer, en s'inspirant de von Arnim 132, comme l'indice d'une évolution d’Aristote conduisant d'une premiére « aristé politeia » à la seconde, sont, dans notre perspective aussi, la marque

d'une évolution, mais inverse, ou plutót

d'un effort de synthése : au chapitre 2, Aristote distingue, entre les constitutions qu'il va maintenant étudier, τίς χοινοτάτη xal τίς alpeτωτάτη μετὰ τὴν ἀρίστην πολιτείαν, κἂν εἴ τις ἄλλη τετύχηκεν ἀριστοχρατικὴ xal συνεστῶσα καλῶς, ἀλλὰ ταῖς πλείσταις ἁρμόττουσα πόλεσι 153. Deux termes sur trois ne seront pas traités séparément au chapitre 127. VII, 4, 1325 b 38 sq. 128. III, 17, 1288 a 8 sq. ; III, 18. 129. II, 6, 1265 a 17 sq. 130. A moins d'admettre qu'il a commencé à professer très tôt après son arrivée à Athènes ; hypothèse invraisemblable, qui n'a jamais été soutenue. Raisonnablement, Aristote a dû choisir sa voie, et enseigner à l'Académie seulement après un assez long délai de formation. Or le Politique de PLATON ne peut guère être placé plus tard que 357 (A. Dies, éd. du Pol., Coll. des Univ. de Fr., p. Lx118q.). Ace moment (Ip., ibid.) les Lois devaient déjà être sur le chantier. ARISTOTE a très vraisem-

blablement commencé

lui-même

par un Politique qui évoque

(infra, p. 145 sq.). Mais c'était un dialogue. dà dépendre des Lois, elles-mémes fondées en 131. Dans la Politique naturellement. Le mais son contenu est mal connu. 132. H. von Annım, Zur Entstehung..., p. 133. IV, 2,1289 ὁ 14 sq.

celui de PLaron

Ses premiers travaux d'érudition ont partie sur des recherches érudites. dialogue du Politique est plus ancien, 28 sq.

74

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

11 1%, Le troisième n'est peut-être ici mentionné à part, comme le note Newman,

que par une précaution de savant, dont les investigations ne

sont pas achevées 135, Mais le second est important. Il correspond

tout

à fait à ce que Platon pense de ses propres Lois, et c'est justement à propos des Lois qu'Aristote a déjà distingué xotvorérn πολιτεία et ἀρίστη μετὰ τὴν πρώτην 1%. Par rapport à une constitution absolument parfaite, celle du livre VII fournit bien ce deuxiéme terme. Et c'est parce que le sujet est déjà traité, qu'Aristote ne le reprendra pas dans le cadre du livre IV. Il ne peut non plus v insérer les longs développements qu'il a consacrés à ce second terme, parce que ce cadre éclaterait totalement. Reste à rejeter en fin d'ouvrage — aprés révision — cet exposé qui constitue à la fois, par rapport à un absolu, le second terme, mais, pour l'Aristote réaliste, le premier

terme, parce que c'est le meilleur régime possible, dans des conditions imaginaires, certes, mais concevables. Par conséquent, il ne fautni minimiser les contrastes entre le troisième livre et le groupe IV-VI, ni en revanche opposer, pour le fond, ce troisiéme livre au groupe VII-VIII. Von Arnim, cependant, a montré de façon décisive 1% la relative autonomie — ou, pour employer le langage d'Aristote, l'autarcie — de ces deux livres VII-VIII ; un style plus élégant, plus clair, — mais dont les particularités ne permettent tout de méme pas une « datation stylistique » — et surtout une construction qui se suffit à elle-même, sans recours aux résultats acquis dans le troisième livre. L'ordre III-VII ne s'impose donc pas absolument, et

nous sommes amenés à considérer la derniére phrase, mutilée, de III, comme une addition : c'est l'opinion des partisans du statu quo, mais

toute la discussion Jaeger — von Arnim permet de l'interpréter différemment : car von Árnim

n'a pu rétablir une véritable continuité

entre III et IV-VI. N'y aurait-il donc pas eu une premiére rédaction des deux derniers livres, antérieure au

livre III, mais de peu ou d'assez

peu 1% ? Ainsi s'expliquent les similitudes soulignées par Jaeger, et aussi la structure indépendante de VII-VIII. Tous les renvois de VII-

VIII à IIT, comme le montre von Arnim, ont pu être rajoutés 135, En revanche, l'absence de renvois de VII-VIII à IV-VI prend une signification que von Arnim lui a refusée 149, Si en effet Aristote — ou un 134.

Supra, p. 36 sq.

135.

Newman,

ad loc.

136. II, 6, 1265 5 29 sq. 137. H. von Arnım, op. cü., p. 5 sq. Cf. déjà, supra, p. 61 sq. et n. 42. 138. L'unité de doctrine entre Ill et VII-VIIE a été soulignée, aprés

JAEGER

par K. KAnLengerg, Beitrag zur Interpretation des III Buches der Arístotelischen Politik, Berlin, 1934, qui croit, comme JAEGER, que III précède VII. L'allure au-

tonome de VII rend précaire toute démonstration de ce genre. Il reste que ces deux étapes sont voisines. 139. H. vos Annim, Zur Entstehung..., p. 17 eq. Il croit méme pouvoir affirmer que la place de ces références n'est pas naturelle : elles ne sont pas, selon lui, là où on les attendrait si VII suivait immédiatement III. 140. Id., Ibid., p. 19 sq. — On a cependant supposé que VII, 4, 1325 b 33-34, renvoyait aux livres réalistes : ἐπεὶ δὲ πεφροιμίασται τὰ νῦν εἰρημένα περὶ αὐτῶν καὶ περὶ τὰς ἄλλας πολιτείας ἡμῖν τεθεώρηται πρότερον ... Mais cf. supra, p. 48. Dans cette confusion, cette bataille de références n'a pas de sens.

COMPOSITION

:

LES

THÉORIES

75

éditeur — a un jour complété VII-VIII par rapport à III, comment supposer en méme temps que le même réviseur n'aurait pas fait le même travail par rapport à IV-VI — surtout si VII- VIII présentait avec IV-VI les liens intellectuels que veut von Arnim ? En réalité, VII-VIII a dà rester assez longtemps indépendant de IV-VI. C'est effectivement vers une conclusion en ce sens que semble s'orienter le débat ouvert par Jaeger et von Arnim, conclusion partielle, bien sûr, car il est difficile et peut-étre impossible d'envisager, à plus forte raison de résoudre, l'ensemble des problémes posés. Du moins des repéres peuvent-ils étre fixés. C'est ce qu'ont voulu déterminer des travaux dont les principaux sont, aprés

la mise

au point

de A. Mansion,

1927 !*!, ceux

de E. Barker,

1931 142, W. Siegfried, 1933 143, W. Theiler, 1934 24, J. L. Stocks, 1936 145, F. Nuyens, 1939 M$, P. Gohlke, 1944 1€, H. Ryffel, 1949 14, et de nouveau W. Theiler, 1952 149, A moins en effet que l'on ne renonce à toute solution, avec les derniers travaux d’E. Barker 1% et ceux de L. Robin !5!, parce que les éléments de solution seraient insuffisants, il faut admettre que plusieurs études distinctes, de date différente, ont été regroupées et en partie refondues dans la Politique: E. Barker, en 1931, voyait déjà dans VII-VIII la véritable « Urpolitik », qui daterait du séjour à’ Assos, ou à Mytilène, tandis que IV-VI serait récent. Les livres I et III, correspondant au Politique de Platon, occuperaient une position intermédiaire, ainsi que le livre II, intercalé sans doute ensuite entre ] et III ; ces trois premiers livres, dans l'ensemble, dateraient de Pella, ou des débuts du Lycée.

Ces solutions, proches en partie de ce qui nous a paru résulter de la discussion Jaeger— von Arnim, sont cependant un peu trop globales pour étre acceptées sans réserves : Barker tenait trop grand compte, 141. A. Mansion, La genèse de l’œuvre d'Aristote d'après les travaux récents, Revue néoscolastique de philosophie, 29 (1927), p. 307-341 et 423-466. 142. E. Banken, The life of Aristotle and the composition and structure of the Politics, Class. Rev., 45 (1931), p. 162-172. V. aussi Encycl. Soc. Sc., 2 (1930), p. 191193. — E. Barxen a, dans sa traduction de la Politique (Oxford, 1946), renoncé à sa thése. 143. W. SigarnRrED, Die Entstehungsgeschichte von Arist. Politik, Philologus, 88 (1933), p. 362-391. V. aussi Untersuchungen zur Staatslehre des Aristoteles, Zurich, 1942. 144. W. TeeıLen, Zur Entstehungsgesch. v. Arist. Pol., Philologus, 89 (1934), p- 250-253. j 145. J. L. Stocks, Σχολή, Class. Quart., 80 (1936), p. 177-187. Cf. The composition of Aristotle'a Politics, Class. Quart., 21 (1927), p. 177-187. 146. F. Nuvens, Ontwikkelingemomenten in de Zielkunde van Aristoteles, NimégueUtrecht, 1939 (trad. fr., L'évolution de la psychologie d' Ar., Louvain, 1948). 147. P. Gonrxr, Die Entstehung der Aristotelischen Ethik, Politik, Rhetorik,

Sitzunsgb. d. Akad. 148. H. Rvrrez, 149. W. TueıLer, (1952), p. 65-78. On trouvera une

Wissensch. Wien, 223, 2 (1944), p. 1-144. Meza 60Ad πολιτειῶν, Berne, 1949, chap. IV. Bau und Zeit der Aristotelischen Politik, Museum Ilelset., 9 vue

générale

de l'évolution d'Aristote, correspondant à cette

orientation chez R. SrAnx, Aristotelesstudien (Zetemata 8), Munich, 1954. 150. Trad. citée supra, n. 142. 151. L. Rosın, Aristote, Paris, 1944. V. supra, p. 62, n. 49.

76

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

sans doute, de la division en livres telle que la tradition l'a léguée. W. Siegfried, en 1933, analysant le texte de plus prés, a au contraire envisagé l’hypothèse de développements primitifs isolés, sur l'aristocratie, sur la monarchie, sur la nature de la cité, etc., qui ne correspondaient pas forcément à notre division des livres. VII et VIII seraient probablement la partie la plus ancienne, avec la critique de la ÆRépublique au livre II: l'ensemble formerait un περὶ τῆς ἀρίστης πολετείας,

où déjà l'égalité entre les citoyens s'oppose à l'inégalité de la cité platonicienne. Puis Aristote élabore une théorie générale des constitutions, et écrit I et III — où seuls les gouvernants participent à «la vie la meilleure ». III, 18, marque le compromis entre ces deux « meilleures constitutions » Aristote renvoyant — provisoirement sans doute — à VII-VIII. Mais IV, d'une part continue l'étude περὶ πολιτειῶν de III, d'autre part introduit une nouvelle conception, plus scientifique : I V-V seront la δευτέρα μέθοδος περὶ τῶν πολιτειῶν, et VI en forme une troisième, complémentaire. Ce découpage a le grand mérite de donner une vision continue de l’évolution d’Aristote, en ce que W. Siegfried substitue, à une juxtaposition d’images, une sorte de film, et surtout recherche à l'intérieur de tous les livres les articulations de la pensée, sans supposer cependant que des morceaux considérables du texte aient disparu. W.

Siegfried, toutefois,

distingue,

comme

von Arnim,

artifi-

ciellement deux conceptions théoriques de la « meilleure constitution » 152, W. Theiler, en 1934, soulignait en revanche le caractére d'adjonction que présentent, au livre IV, deux passages qui sont dans le méme esprit que III, c'est-à-dire le début du chapitre 2 et les chapitres 8-10. Nous avons déjà remarqué les contradictions et les répétitions qu'apportent ces passages 15%, En effet, ce doit être en partie des adjonctions, mais qui peuvent provenir d'études elles-mémes plus anciennes. On ne voit pas non plus comment le quatriéme livre aurait pu ne pas compor-

ter de développement sur la πολιτεία. J. L. Stocks, en 1936 s'appuyant remonter assez loin, avec

sur la notion

de

σχολή,

faisait

II, VII et VIII, les livres I et III, mais sans

pouvoir préciser leur place exacte dans la chronologie. En 1939, F. Nuyens, par son étude de la psychologie d'Aristote, appor'ait une confirmation générale aux idées de W. Jaeger 154, La théorie de l'àme dans les livres II, III, VII et VIII lui paraît en effet trés proche des conceptions platoniciennes : ainsi, il y a, pour Platon comme pour cet Aristote, des « parties de l’âme »; cette division n'existe plus dans le De Anima !55, D'après cet ouvrage, l’äme ne vieillit pas ;

elle vieillit selon le deuxième livre de la Politique 1%, Le livre I, plus récent, et que F. Nuyens juge volontiers — comme W. Jaeger — contemporain de IV, V, VI, est cependant encore marqué 152. Supra, p. 69 sq. 153. Supra, p. 35 sq., 40. 154. Ed. en néerlandais, p. 176-180. 155.

Pol.

VII,

15,

1334

156. Pol. II, 9, 1270

b 17 sq.

b 40 sq.

; De l'âme,

; De l'âme,

1, 5, 411

1, 4, 408

b 5 sq.

b 24 sq.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

77

de ce dualisme et de ce mécanisme qui disparaissent du De Anima 17, Au total, la Politique appartiendrait à la période de transition que F. Nuyens place entre 347 et 330 158. Mais le point de vue qu'il adopte

ne permet pas de retracer la genèse de l’œuvre plus précisément que ne l'avait fait W. Jaeger. La Politique, en effet, se préte mal à l'application d'un critére psychologique » ; il n'y a méme rien dans les livres IV,V, VI

qui soit caractéristique de la psychologie aristotélicienne 1, La chronologie proposée en 1944 par P. Gohlke s'étend au contraire sur de nombreuses années. Disciple de von Arnim, il admet d'abord

l'authenticité de la Grande Morale 180 — qui serait la plus ancienne de toutes.

À cette morale correspondraient les premiers éléments de la

Politique !*! : une étude de l'État idéal, consacrée surtout aux problèmes d'éducation ; ce premier État idéal serait — ce qui alors revient au méme — aristocratique ou royal. Ensuite viendraient les analyses des

constitutions existantes : VI, précédant la plus grande partie de V c'est, selon P. Gohlke,

l'époque

de l' Éthique Eudémienne.

;

Ces deux

premiéres séries de travaux auraient ensuite été réunies, dans le cadre classique et commode des six constitutions ; le livre III formerait donc, à ce stade, le début du cours, VI précédant encore V, et IV existant

den pour une part ; VII et VIII — ou plutót, les développements sur l'État idéal — ont alors leur place à la suite de IIÍ. Enfin Aristote ' — lorsqu'il professait la morale de I’ Éthique Nicomachéenne — donne

à la notion de « politeia » une valeur et un contenu nouveaux : la notion de « juste milieu » prend à ses yeux de plus en plus d'importance ; au lieu d'un État idéal, aristocratique ou royal, il en vient à concevoir l'État « que l'on peut raisonnablement souhaiter », κατ᾽ εὐχήν, le « Wunschstaat »

de von Árnim, proche

de la « politeia ». C'est alors que les livres I et II

auraient complété l'ouvrage, tandis que V devangait VI et que III, IV,

VII et VIII étaient retouchés ou refondus 153, Cette reconstruction met en valeur, à juste titre, aprés les recherches de von Árnim et de nombre de ses devanciers, les remaniements importants et multipliés qu'ont dû subir les livres III et IV 1, Mais les conclusions que tire P. Gohlke de ces indices, et aussi des difficultés qu'il reléve dans les autres livres, supposent un postulat commun :

l'authenticité et le caractére ancien de la Grande Morale; or ce postulat 157.

Pol. 1, 5,1254 a34 sq. ; 13,

158.

F. NuvzNs, ibid., IV et V* parties.

ibid., VIS partie.

1260 a5sq. Pour le traité De l'âme, v. F. Nuyens,

159. Ibid., p. 179.

160. Die Entstehung..., SAWW, 228, 2 (1944), p. 11-78. Cf. les travaux de H. vox Annım cités supra, p. 66, n. 75 et 76. — Notons qu'au point de départ P. Gonrkz admet la conformité de notre Politique à l'édition qui aurait été établie une fois retrouvés les manuscrits disparus d'AnisToTE ; P. Gonrxx suit ici STRABON. Il est vrai que, depuis lors, P. Monaux a démontré (Les listes anciennes..., Louvain, 1951 ;

supra, p. 28, n. 4) que dès la fin du 1τ| qu'il n'y a pas de raison de distinguer verte ne fait qu'ajouter à l'autorité du 161. Die Entstehung..,. SAWW, 223,

siècle la Politique comprenait huit livres, — de nos actuels huit livres. Mais cette découtexte que nous lisons. 2 (1944), p. 75-78.

162. Ibid., p. 78-111. 163. Ibid., p. 88-96 (l. IV) et 96-104 (I. III).

78

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

est loin d’être généralement admis 14, En outre, lorsqu'il a recours au critère historique, P. Gohlke donne beaucoup d'extension aux hypothèses formulées encore par von Árnim — et qui elles-mémes exigent une cor-

rection préalable du texte 155, Dans ces conditions, il n'emporte pas la conviction. Mais son systéme n'en présente pas moins un aspect remarquable : c'est que, dans la perspective méme qu'avait ouverte von Arnim critiquant Jaeger, P. Gohlke est contraint de rejoindre une thèse essentielle de Jaeger. Von Arnim date VII et VIII des dernières années : P. Gohlke également, mais il ne s'agit plus à ses yeux d'une première rédaction : Aristote, dit-il, a rédigé trés tard ce « Wunschstaat », mai: en utilisant les développements anciens — trés anciens — qu'il avait autrefois composés autour d'un État idéal. Aussi P. Gohlke décèle-t-il dans nos livres VII-VIII des souvenirs d'un ancien État aristocratique ou royal, des additions, des suppressions aussi 1%, Sans doute faudrait-il, pour que ces hypothéses fussent pleinement acceptables, retrouver aussi dans ce « premier État idéal » bien des souvenirs des Lois de Platon 1€'. Mais, cette réserve faite, le système de P. Gohlke est ici analogue à

celui de W. Jaeger.

|

H. Ryffel confirme aussi pour sa part les idées de W. Jaeger, en

sou-

lignant le fossé qui sépare, en matière de théorie des révolutions, le livre V du troisième, et méme le quatrième du troisième : le livre V se fonde sur des considérations empiriques, tirées de l’histoire ancienne

ou contemporaine ; ces exemples sont classés, mais Aristote n’essaie pas de les réduire à une ou quelques lois générales ; c’est, tout au plus,

une pathologie des différents régimes. Au contraire, le livre III 1€ s'appuie sur des considérations éthiques, unies assez imparfaitement à des arguments touchant la taille des États, pour définir une loi historique. Ryffel peut rapprocher de ces textes aristotéliciens le troisième livre des Lois, où la succession des constitutions correspond au développement

de l'État 1,

Aristote,

comme

Platon,

veut construire ici un

cadre rationnel. Or, au livre IV !'?— remarque Ryffel —, dans un cadre rationnel comparable, Aristote n'a plus recours, comme au livre III, à un critére éthique — la « vertu » — pour expliquer l'évolution des régimes, mais à un critére de fait : le droit et la possibilité de porter des armes, la nature aussi de l'armement, qui correspond à des classes économiques et sociales. Ici Aristote n'est plus platonicien ; il le sera encore moins au livre V. La distance est donc considérable, déjà, entre

III et IV. Cette analyse décisive doit laisser cependant de cóté les livres VII164. V. supra, p. 66. 165. Supra, p. 66 sq., infra, p. 203 sq. : tv τοῖς ᾿Ανδρίοις, II, 9, 1270 b12, corrigé en

ἐν τοῖς

᾿Αντιπατρείοις,

Le

texte

serait

alors postérieur à la bataille de Méga-

lopolis. De méme pour les passages de VII et VIII qui signalent un affaiblissement de Sparte, v. infra, p. 131, n. 244, et p. 192, n. 94.

166. P. GonrkE, op. cit., p. 82 sq., 104 sq. 167. Cf. supra, p. 68 sq. 168. Pol. III, 15, 1286 ὁ 8 aq. 169. Meza 602. d πολιτειῶν, p. 129. 170. Pol., YV, 13, 1297 b 12 sq.

COMPOSITION

: LES

THÉORIES

79

VIII, où Aristote ne s'intéresse pas à la μεταδολή- Cette lacune, inévitable, a été comblée en 1952 par W. Theiler, qui, reprenant et approfondissant ses remarques de 1934, multiplie les paralléles entre VIIV III et les Lois. Ces deux premiers livres remonteraient à 345 environ. Des compléments, notamment les références à III, auraient été apportés plus tard, une fois III et I rédigés dans une premiére rédaction : vers 335. Un premier état de IV-VI, indépendants, aurait suivi, entre 329 et 326. Enfin, vers 325, I, III et IV auraient été complétés.

Ces deux derniéres étapes sont cependant discutables, parce que, tout d'abord, Theiler les détermine d'aprés la date, elle-méme discutée, de la Constitution d' Athénes : suivant Jaeger, il en place la composition entre 329 /8 et 327 /6, alors qu'il est possible de la faire descendre plus bas, et que surtout ce « terminus », quel qu'il soit, indique peut-étre la date d'une ultime addition, non forcément la date du travail principal ; celui-ci fut étalé certainement sur plusieurs années — peut-étre sur de nombreuses années !?!, D'autre part, les incohérences du bloc IV-VI ne sont

pas la preuve formelle d'une révision profonde; elles peuvent aussi bien 8 "expliquer par des hésitations d’Aristote, par une modification progressive de sa doctrine au contact des réalités historiques dont il accumulait alors les témoignages. Les analyses de von Arnim sont ici précieuses, et nous verrons nous-mêmes les cadres de la politique aristotélicienne s'infléchir et en partie éclater sous la pression d'une documen-

tation qui s'enrichissait continuellement ??, Dans

la conclusion

de

l'Éthique de Nicomaque, si même l'on admet qu’elle n’a pas été complétée ou ajoutée après coup, il ne faut pas prendre au pied de la

lettre le parfait de l'expression ἐκ τῶν

συνηγμένων

πολιτειῶν 173, Il

n'exclut certes pas remaniements et additions. En revanche, les rapprochements avec les Lois sont si nombreux et si précis qu'ils emportent la conviction. D'autres pourront s'y ajouter, pour une communauté de documentation historique que Theiler, au contraire, contesterait 1%, De méme, la place de III par rapport à VIIVIII est d'autant plus vraisemblable, que VII-VIII, nous l'avons vu,

parait indépendant de ce qui précède 5, Tels sont les résultats principaux auxquels sont parvenues, en ce domaine, les recherches « génétistes », et les perspectives qu'elles ouvrent : résultats partiels, perspectives encore imprécises. Leur carac171. V. infra,p. 104 sq. 172. Infra,p. 351 sq. 173. E. N., Κ᾿ 10,1181 ὃ 18. Le parfait ne signifie pas que toutes les constitutions sont déjà rassemblées. Vorcquix (trad. Garnier) lui donne pour équivalent un futur (« nous rassemblerons les constitutions »). Mais le sens le plus naturel est « les constitutions que nous avons rassemblées » ; à ces premiers documents pourront évidemment s'en ajouter d'autres. Nous traduisons donc (supra, p. 51) « à l’aide de notre collection de constitutions » : collection en formation. 174. V. infra, p. 211 sq. TuEILER, op. cit., p. 71 et n. 22, p. 74 et n. 29-30. 175. V. supra, p. 47 sq.

80

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

tère subjectif est en effet évident, dans la mesure où il s'agit de déterminer, chez Aristote, des rapports entre des notions, que l'on dit ou que l'on veut plus ou moins platoniciennes 575, Cette réserve est déjà valable lorsqu'on entreprend d'établir une chronologie dans les écrits de Platon lui-méme : « Une notion peut étre bien antérieure — écrit M. P.-M. Schuhl 27° — chez un auteur, au moment où il la développe dans son œuvre, et l'évolution de la pensée ne coincide pas nécessairement avec

l'ordre des publications ». Et cependant, la tradition a favorisé nos études en nous livrant un Platon à peu prés intact — enrichi plutót qu'appauvri — , tandis que les écrits d'Aristote ont subi d'irréparables dégáts. De plus, ces recherches génétistes seront évidemment toujours arbitraires, si leur point de départ est discutable : ainsi von Arnim identifiait « théorie politique de Platon » et « enseignement de la République et du

Politique », oubliant apparemment les Lois. L'opposition entre un idéalisme du jeune Aristote, et un empirisme de la vieillesse, est aussi trés

contestable 178, Bref, sans aller jusqu'à proclamer, avec Max Hamburger, « the utter discrediting of Jaegers's method as applied to the Politics » 1**,

il semble nécessaire de définir, pour l'application de cette méme

mé-

thode, des critéres plus objectifs : ni la suite des idées, ni leur évolution,

ne permettent de reconstituer la genèse de l’œuvre — c’est-à-dire de

surmonter les contradictions pour la mieux comprendre 19, Il faudrait, pour bien faire, que les repéres choisis pussent se retrouver

dans l'ensemble du Corpus et servir à fixer une chronologie complète. Mais les centres d'intéréts qui attirent Aristote sont si variés, qu'un critère « général » semble une utopie, si on le veut vraiment décisif. Il faudrait alors choisir entre un repére fréquent, mais par là-méme imprécis parce que non spécialisé — tel le critére psychologique dans la remarquable étude de Nuyens !*! — ou bien un repère de « spécialité», décisif dans une œuvre donnée, tout au plus dans un ordre de travaux

particulier, mais inutilisable pour une chronologie totale. Il va cependant de soi qu'une contribution, si mince füt-elle, à la chronologie d'une

œuvre centrale comme la Politique, aiderait à comprendre le probléme général. Les résultats obtenus pour les travaux biologiques d'Aristote constituent ici une indication et un encouragement. Depuis que D'Arcy Thompson a, en 1911, remarqué la coincidence entre le séjour d'Aristote en Asie Mineure, et de nombreuses références dans l'Histoire des Ani176. V. supra, p. 64, en faveur du « statu quo ». 177.

P.-M. Scnunr, L'œuvre de Platon, Paris, 1954, p. 15.

178.

R. SraAnx, Aristotelesstudien (Zetemata 8), Munich, 1954.

179.

M. Haununczn,

Moralis and Law..., New-Haven Londres, 1951, p. 3.

180. C'est ce que remarquait, dés le début de cette controverse, A. Mansion,

Rev. néoscol., 29 (1927), p. 463 sq. notamment, à propos de W. JAEGER : « La date des écrits... a étó déterminée surtout grâce à des données prises comme indices suffisants d'une évolution trés profonde»: de tels indices sont toujours subjectivement choisis. 181.

V. p. ex.

J. μέονακυ,

E. Wzir, Aristotelica,

Lebonheur

chez Aristote,

RM M, 67, 4 (1952), p. 450 sq.

Bruxelles,

1948,

p. 202;

COMPOSITION

: LES THÉORIES

81

maux 188. des relevés plus complets ont suggéré que ce texte représentait

le premier travail d’Aristote en biologie, ou du moins un travail commencé, contrairement aux hypothèses de Jaeger, relativement tôt 153, Ainsi une série d'indications extérieures à l’œuvre, indépendantes en tout cas des principes qui fondent la biologie aristotélicienne, permettent d'esquisser une chronologie. Quelques repères analogues existent dans la Politique. Mais à plus forte raison faut-il y tenir compte de la documentation historique, dont se nourrit la pensée politique d’Aristote. Elle a déjà été étudiée, sans doute, dans le plus petit détail, mais généralement en dehors des hypothéses génétistes, qui sont récentes. Or peu de repères sont aussi utiles pour reconnaître la genèse de l’œuvre. Aristote en effet est un professeur, l’auteur consciencieux de toute

une série de cours qu'il a écrits ou revus lui-même 18 ; il dirige des travaux, des recueils et des collections, il constitue toute une biblio-

thèque de travail 1%. Aussi donne-t-il à ses auditeurs — à ses lecteurs — toutes les précisions dont ils peuvent avoir besoin, au sujet d’un fait qu’il analyse et qui lui sert de source ou d'exemple. Mais il ne se plaît pas aux détails inutiles. Aussi lorsqu'il se borne, ce qui est fréquemment le cas, à une brève allusion, c'est qu'il vise des faits très connus (en général le lecteur moderne peut s’en assurer), ou au contraire des faits plus obscurs, mais dont il a déjà dà s'expliquer ailleurs, dans un autre cours ou dans un autre travail de l'École : ses éléves connaissaient déjà l'in-

terprétation qu'il proposait. Il est vrai que d'une œuvre

à l'autre, ou à l'intérieur d'une

méme

œuvre, les renvois explicites abondent, et qu'ils sont souvent, peut-être postérieurs, contradictoires en tout cas et inutilisables !9. En revanche, les résumés

trop denses,

les sous-entendus,

sont autant

de références

implicites, d'autant plus significatives qu'elles ne peuvent, dans leur ensemble, provenir d'interpolations : l'interpolateur aurait exprimé toute sa pensée au lieu d'étre bref ; ou bien, au lieu de renvoyer implicitement

à un autre texte d'Aristote, 1l l'aurait cité.

182. Historia Animalium, Oxford Translation, 1910, Prefatory note ; d’Ancr

W.

Tuomrson, On Aristotle as a biologist, Oxford, 1913, p. 12. 183. W. Jaecer, Aristotle*, p. 330 sq. — Relevé détaillé chez M. Manquar Aristote naturaliste, Paris, 1932, p. 26 sq. Études de H. D. P. Lex, Place names and

the date of A.'s biological works, Class. Quart., 42 (1948), p. 61-67, et P. Louis, Sur la chronologie des œuvres d'Aristote, Bull. de l'Ass.

G. Budé.

N. S., 5, juin 1948,

p. 91-95. V. aussi P. Lovrs, éd. des Parties des Animaux (Coll. des Univ. de Fr.), p. xxi

sq. J. Burner, Aristotle, Proceedings of the British Academy,

XI, Londres

1924, p. 117 sq., a rattaché les œuvres d'AnisToTE à l'inspiration platonicienne. SeEusirPPE avait en eílet établi une classification d'histoire naturelle, les "Ὅμοια, Droc. L., IV, 1,5.

V.

aussi les railleries d'ÉPicRATE à propos des classifications de

l'Académie, chez ATRÉNÉE, II, 59 d : AnisTorx était déjà là, pour participer à ces exercices autour d'une citrouille ; v. A. Drès, éd. du Politique de Praron, Coll. des

Univ. de Fr., p xxıx.

184. Supra,. p. 52 sq. 185. Supra, p. 21 et infra, E 100 sq. 186. Sur ceux que présente la Politique, v. supra, p. 27 sq. — P. TurErscugn, Die relative Chronologie der erhaltenen Schriften des Aristoteles, Philologus, 97 (1948), p. 229-265, a établi la « chronologie relative » des œuvres d'ARISTOTE d’après des réfé-

rences de ce type. Elle ne peut avoir qu'une valeur d'indication. Aristoteet l’histoire.

6

82

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Inversement, un récit ou un commentaire trés détaillé est en général un élément nouveau dans l'enseignement aristotélicien, une information que les disciples ne pouvaient trouver ailleurs dans la bibliothéque du

Lycée, ou dans leur mémoire. Ainsi apparaissent, au moins dans leurs grands traits, les étapes de la documentation aristotélicienne, d'autant mieux qu’Aristote, épris de vérité, ne craint jamais de se corriger ou de se contredire. Peut-étre y a-t-il quelque paradoxe à vouloir fonder ainsi sur des « realia », et non plus principalement sur l'évolution des idées, la chronologie d'une œuvre philosophique. Mais ce philosophe est un encyclo-

pédiste, pour qui les « realia » présentaient une consistance singuliére. Au contraire, fidèle disciple en cela de Platon et, aussi, profondément Grec, il aime à jouer avec les idées. Qui dira ce qu'il entre de παιδιά et

combien de σπουδή, dans les dialogues où le sourire de Socrate, ou bien celui de Platon, égaie soudain la discussion la plus sérieuse, et rappelle

au commentateur trop zélé que ni σμιχρολογία ni φιλονεικία ne sont de mise. Le grave Aristote suit parfois Platon sur cette voie, lorsqu'il accumule hypothéses et arguments contradictoires — non seulement, semble-t-il, pour en dégager la vérité, mais comme pour le plaisir de voir « tout ce que l'on peut dire sur la question » : ainsi les définitions

qu'il donne successivement de la constitution de Sparte, au quatriéme livre ou dés le second, ainsi encore les théses qui s'affrontent sur l'esclavage au premier livre, sur l'empire au septiéme : information assuré-

ment, mais aussi pulvérisation ironique d'une idée par l'idée contraire 18. Et parfois méme Aristote joue sur les mots : £v ἀρχῇ γὰρ γίνεται τὸ

ἁμάρτημα, N δ᾽ ἀρχὴ λέγεται ἥμισυ εἶναι παντός, — écrit-il en citant un vieux dicton 158, mais en le renouvelant parce qu'ici il s’agit du « commencement » des révolutions à l'intérieur des « gouvernements », d’&pyñ chez les ἄρχοντες ou mieux dans les ἀρχαί 199. Aristote sur ce point n'a rien à envier à Isocrate 199, En revanche, historiques sont instructifs, mais a le plus grand Isocrate d'avoir athénien, quand 187.

Sparte:

alors que pour Isocrate comme pour Platon les faits souvent prétexte à des développements poétiques ou qui ne prétendent pas toujours à l'exactitude, Aristote respect pour l'exactitude historique. Peu importe à dans le Panégyrique célébré les bienfaits de l'empire il en stigmatise les méfaits dans le discours sur la Paix ;

II, 6, 1265

5 33 sq. ; IV, 9, 1294

notamment 6,1255 a 4aq., ὅτι δὲ καὶ ol τἀναντία

ὀρθῶς, οὐ χαλεπὸν

b 14 aq. L'esclavage : I, 4-7.

Cf.

φάσχοντες τρόπον τινὰ λέγουσιν

ἰδεῖν. --- L'impérialisme : VII, 2-3, notamment 1324 a 35 sq.

188. Pol., V, 4, 1303 5 28 sq. Le proverbe est cité par PLATON et par ARISTOTE lui-même (Lois, VI, 753 e ; E. N., I, 7, 1098 b 7 sq. Etc. V. Susemini, Rem. 1544 ; Newman, ad loc). . 189. Newman, ad loc. ; E. Banken, The Pol..., Oxford, 1946, ad loc.

190. IsocrATE joue à trois reprises sur l'équivoque ἃ commencement/empire », ἀρχὴ θαλάττης, ἀρχὴ κακῶν : Panég., 119; Paix, 101 ; Philippe, 61 (cf. Paix, 105, &pyf/s€A£urt). P. 6. aussi Hélène, 16. Le jeu de mots évoque sans doute les navires ἀρχέκακοι de l’Iliade, V, 63, et d'Hérodote, V, 97, Arıstotz,

Rhét., III, 11, 1412



1 sq., citant et commentant IsocRATE, atteste que ce jeu de mots était devenu fréquent ; la lourdeur de ce commentaire contraste avec l'ambiguité élégante de Pol., V, 4,1303 b 28 sq. ; ce second texte ne peut guère être antérieur à l'autre.

COMPOSITION

:

LES

THÉORIES

83

peu lui importe encore, lorsqu'il écrit l' Aréopagitique, ce qu'était vraiment

la «constitution

des

ancétres », une

réalité

historique,

ou

un

mythe commode 1?!, Platon a lui aussi une vision mythique de l'histoire — bien que ses mythes aient assurément une autre portée. La succession des constitutions, dans la République 1%, est de l'imagination pure, comme Aristote l'a lui-même remarqué au livre V de la Politique: L'« archéologie » des Lois unit délicieusement science et fantaisie, et la part de l'une et de l'autre est, hélas, difficile à discerner dans le mythe

de l'Atlantide 138. Ici aussi παιδιά et σπουδῇ

se prêtent un mutuel

appui, au point que, par exemple, les contradictions entre un texte des Lois sur les origines du régime spartiate, et la Lettre VIII, ne sont nullement un argument contre l'authenticité de cette lettre 1%, I] est vrai que chez Aristote non plus les contradictions ne manquent pas ; mais ce sont des contradictions « sérieuses », qui naissent de documentations différentes, et qui marquent le progrés — parfois contestable —

de son savoir. Chez Platon, ce sont des hypothéses auxquelles l'écrivain n'attache pas d'importance : au livre III des Lois, même dans la partie qui se donne pour historique, l'importance de l'eixóc est considérable, et c'est un vraisemblable que sa commodité surtout impose à l'auteur ; les seules affirmations catégoriques, passionnées même, se trouvent dans le texte relatif aux Guerres Médiques ; mais c'est peut-étre son patrio-

tisme, ou quelque malice, qui les dicte à Platon 1%. Bref, Platon se contredit

par

scepticisme,

tandis

qu’Aristote

se contredit

par dog-

matisme 1%, Ainsi l'histoire peut nous fournir, dans l'analyse de la Politique, des repéres commodes, qui n'excluent du reste nullement le recours à une reconstitution de la suite des idées. La coincidence entre une évolution dans la documentation, et une articulation logique, est justement une indication précieuse. Mais il faut d'abord écarter la tentation du découpage trop rigoureux, qui exige presque inévitablement que l'on suppose des lacunes considérables et, par voie de conséquence, que l'on reconstitue arbitrairement un état premier du texte. À un découpage par tranches, il faudrait substituer un découpage par couches ; et c'est bien là l'enseignement de W. Jaeger. La documentation historique permet ce

découpage. Mais il serait lui aussi arbitraire, s'il n'était guidé par une idée 191. Isocrare, il est vrai, se défend du reproche de fantaisie historique, Panathénaique, 149 sq. ; mais selon le mot d'A. Croıser, « il s'en défend fort mal» (A. Croiser, Litt.

gr., IV, p. 498, n. 8).

192. Rép., VIII-IX. Les causes des révolutions, telles que PraTow les présente, sont bien réelles ; mais il n'envisage qu'une partie de ces causes, et seulement une partie des résultats. V. Pol., V, 12; A. Dr£s, Introd. à l'éd. dela Rép., Coll. des Univ.

de Fr., 193. 194. 195.

aussi —

p. xcu sq. Lois, III-IV ; Timée; Critias. V. notre Archéologie de Platon, p. 18 sq. Lois, III, 691 c sq. ; Lettre VIII, 354 b ; infra, p. 240, n. 237. V. notre Archéologie de Platon, p. 45. Dans l'«archéologie » de Tuucrpiıpe comme,

forcément,

dans toute

histoire de cette période —

l'elxóc est trés

important. Mais la différence de ton entre PLaton et THUCYDIDE est saisissante. 196. Sur le prétendu scepticisme d'Aristote à l'égard de l'lovopla (Poét., IX ; Pol., V., 10, 1312 a 1 sq.), v. infra, p. 163 sq.

84

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

directrice. Or l'essentiel d'une politique antique est la notion de cité : comment a évolué chez Aristote cette notion ? La justification de notre recherche est dans le rapport qu'elle établit entre l'histoire telle qu'il

l'a vécue, et sa conception de la polis 19, Cependant, le procédé serait très incertain, si Aristote n'avait fait œuvre d'historien que dans un domaine restreint et dans une période étroite de sa vie. Quelles sont donc les limites, par son objet et par sa durée, de sa curiosité historique ἢ A-t-il aimé l'histoire, l'a-t-il longtemps aimée, et qu'a-t-il produit ? 197. Ainsi chercherons-nous à éviter l'écueil signalé par Gercxe (RE II, col. 1038) :

un repére chronologique peut avoir été ajouté, füt-ce par l'auteur ; il ne date pas forcément le contexte. — Mais cette objection disparait s'il y a concordance entre l'évolution ainsi reconstituée de la documentation et une idée centrale.

DEUXIÈME

AUTOUR

PARTIE : ‘1ETOPIA

DE LA POLITIQUE,

PRINCIPES

ET TRAVAUX

CHAPITRE

III

Intérêt pour l'locopía Généralités Les jugements les plus divers et les plus contradictoires ont été portés sur Aristote historien, et cela dés l'Antiquité. Timée l'accusait de légéreté, de précipitation, d'impudence, — d'erreur et de mensonge !, en des termes qui, remarque déjà Polybe, dépassent les bornes d'une polémique entre érudits ?, Mais les éloges des Anciens, pour étre plus mesurés, n'en sont pas moins considérables : l'acharnement de Timée suffit à marquer la diffusion, rapide, de ces ouvrages d'histoire ; Polybe croit nécessaire de leur consacrer une « mise au point » scrupuleuse, Cicéron les consulte ?, et Strabon,

autres,

Pline

l'Ancien,

Plutarque,

Athénée,

entre

leur font de fréquents emprunts. Photius résumera une partie

au moins des Constitutions ἃ. Les Modernes sont tout aussi divisés, et la publication, en 1891, de la Constitution d' Athénes, n'a pas atténué ces contradictions. Pour W. Oncken, Aristote était le premier des grands historiens des constitutions, et l'un des meilleurs historiens en général 5. Dès 1821, C. Gôttling avait opposé Aristote à Platon en ces termes emphatiques: « Id effecit Aristoteles ut humo nos affigeret, sed nostrae... patriae, ille (sc. Plato) poeta, Aristoteles historicus » *, Mais une fois retrouvée la Constitution d' Athénes, on voulut tout y voir, sauf l’œuvre d'un historien, et ce fut

précisément une raison qu'invoquérent certains admirateurs d’Aristote pour refuser au Stagirite la paternité, totale ou méme partielle, du texte miraculeusement revenu à la lumière ?, Nissen, lui, en tirait argument pour imaginer un Aristote pamphlétaire ou propagandiste, subordon-

nant l'histoire à une politique bien définie, celle de la Macédoine ®. Vingt ans aprés, W. Scott Ferguson décide, sans appel semblerait-il, tant la formule est sèche : « Ce n'était pas un grand historien » * — mais

pour reconnaître aussitôt que peut-être Aristote comprend l'histoire 1. Porvsar, XII, 8. Cf. XII, 24 (accusation de gloutonnerie). 2. Ibid., XII, 8. Cf. XII, 25. 3. De finibus, V, 4 ; De legibus, III, 6, 14, etc. 4. Voir V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, index. Le même V. Ross avaitsoutenu (Aristoteles Pseudepigraphus, Leipzig, 1863) que les Anciens — et les Modernes — étaient victimes de « pseudépigraphes » ; la découverte de la Constitution d'Athènes a confirmé les critiques que cette thèse avait suscitées. 5. W. Oncken, Die Staatslehre..., notamment, Il, Leipzig, 1875, p. 330, 411. 6. C. Gôürruinc, De servitutis notione, Iéna, 1821.

7. Th. Rginacn, La Constitution de Dracon, REG, IV (1891), p. 82-85, et surtout Aristote ou Critias, ibid., p. 143-168. Et récemment C. Hıcnerr, A history of the Athenian Constitution, Oxford, 1952. 8. H. Nissen, Die Staatsschriften des A., Rhein. Mus., 47 (1892), p. 161-206.

9.

Greek Imperialism, Boston, New-York, 1913, p. 108.

88

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

primitive de la Grèce autant que son époque le permet, et qu’en tout cas il prend une « peine infinie » dans son effort d’historien. Tout récemment, W. Theiler le dépeignait comme « eine unhistorische Natur », attirée vers l'histoire seulement sous l'influence de ses élèves !%, Et un excellent juge, F. Jacoby, ne trouve, pour le défendre contre la condamnation de Wilamowitz, qu’un argument, tranchant des deux côtés : il ne faut pas blämer l'historien Aristote, car Aristote n'a jamais été ni voulu être un historien !!, Ailleurs, du reste, Jacoby s'en prend à cet historien « bien médiocre » 12, I] n'empéche que nos histoires grecques citent Aristote à l'envi, et qu'il est difficile de ne pas le citer 18, Les mêmes contradictions se font jour dans les autres domaines où Aristote a pu exercer une activité d'historien, ou si l'on veut, pour établir une distinction qu'Aristote lui-méme ignorait, de doxographe. Ainsi, notre connaissance des philosophes les plus anciens repose en grande partie sur les extraits, les résumés et les critiques que nous a légués le Stagirite : ses citations et ses allusions occupent plus de douze colonnes dans l'index des Fragments des Présocratiques, ce qui représente plusieurs centaines de fragments !*, Pourtant, une analyse méthodique a fait accuser Áristote d'avoir altéré volontairement les doctrines de ses prédécesseurs, d'avoir déformé en les interprétant des théories ou des axiomes qu'il venait de citer, de les avoir résumés ou répétés sans les comprendre, d'avoir donné aux mots, aux idées, aux raisonnements, un sens, une allure, une portée qu'ils n'avaient pas !5, Méme dans ses exposés et ses critiques d'une doctrine qu'il devait bien connaítre — celle de Platon —, il n'échappe pas à des reproches analogues. Soit désir d'avoir toujours raison, soit travail hátif, confiance excessive dans une mémoire surmenée et une documentation trop vite réunie, il ne fait pas ici œuvre d'historien objectif 18, Bref, en matière d’histoire, beaucoup considèrent que chez Aristote la qualité ne répondait pas à la quantité : Aristote aurait travaillé vite, et — volontairement ou non — consciemment ou non — aurait négligé 10. W.

TaeıLer,

Bau und Zeit der Aristotelischen

Pol., Mus.

Helv.,

9 (1952),

p. 74 et n. 29-30. 11. F. Jacosv, Atthis, Oxford, 1949, p. 210 : AnisTOTE décrit, dans la Constitution d'Athénes, « une forme de constitution parmi beaucoup d'autres, dont l'exposé

devait servir de matière à une étude “' philosophique " de

l'État en général ». Wıra-

MOWITZ, Ar. u. Ath., I, p. 308 sq.

12. Atthis, p. 120. 13. V.encore les jugements trés favorables de A. Huc, Studien aus dem classischen Alterthum, I, Fribourg et Tübingen, 1881, p. 56, et de H. DoEnczNs, I : Uber das Gesetz der Geschichte, 2° éd., Leipzig, 1872, etc.

Aristoteles...,

14. H. Dixrs-W. . 579 sq.

Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker*, III, Stellenregister

P 15. Hm Cuernıss,

Aristoile's criticism of presocratic philosophy, Baltimore, 1935,

notamment chap. VII. L. Sicninorro a entrepris un rassemblement des textes doxographiques d'AnisTOTE, avec un commentaire plus mesuré que celui de H.CnEerNiss : Aristotelica, Studi Urbinati, 27 (1953), p. 220-264 ; 28 (1954), P. 387-405. Voir aussi

l'appréciation plus favorable de M. Miren, Aristoteles als Historiker, Mélanges J. Geyser, Regensburg, 1930 (Philosophia perennis, I, p. 39-54). 16.

H. CnzgnNiss,

ibid. ; E. Bonnemann, Aristoteles Urteil über Platons politische

Theorie, I: Die Kritik der Politik, Philologus, 79 (1923), p. 70-111 et 113-158 ; II : Die Kritik der Nomoi, ibid., p. 234-257. V. supra, p. 44 et n. 138.

Ἰστορία : GÉNÉRALITÉS

89

l'essentiel de l'histoire. Peut-être méme n'a-t-il pas voulu « écrire l'histoire », et il ne peut alors qu'accidentellement, ou épisodiquement, avoir fait œuvre de bon historien. Ce jugement défavorable est renforcé par l'idée qui prédomine, de la répartition de cette œuvre historique. La tendance la plus générale est de considérer qu’Aristote s'est intéressé à l'histoire, et à la méthode historique, seulement pendant une partie restreinte de sa vie, la dernière ; l'aspect historique de l'univers ne serait qu'un élément assez secondaire dans la conception qu'il s'en faisait. Aussi, parmi les travaux consacrés à Aristote, peu l'ont-ils étudié systématiquement sous cet angle. Le mot « histoire » ne figure méme pas, ou figure mal, dans les « indices » d'ouvrages aussi importants que l'édition de la Politique par Newman, l'Histoire de la pensée politique grecque de T. A. Sinclair 37, le Morals and Law de M. Hamburger !. L. Robin, dans son Aristote 19, n'y fait que de rapides allusions, et W. Jaeger, le premier qui ait posé dans toute son ampleur le probléme d'« Aristote historien », est aussi précisément celui qui a placé au dernier terme de l'évolution d'Aristote cette attitude d'esprit et cette méthode de travail, comme l'ultime pointe de sa réaction en face de la philosophie platonicienne : dans ses derniéres années, selon Jaeger, Aristote crée l'histoire des sciences et celle de la philosophie ; alors « l'histoire du développement progressif de la connaissance humaine est le grand théme du savoir » 9, Théophraste à cette époque est chargé de faire l'histoire des systémes de physique et de métaphysique ; il y consacre dix-huit livres. A Eudéme incombe l'histoire de l'arithmétique, de la géométrie et de l'astronomie — probablement aussi celle de la théologie ; à Ménon, celle de la médecine ?!, A la même période appartiennent, selon Jaeger, les Catalogues de vainqueurs aux jeux, les Didas-

calies, les Constitutions, les δικαιώματα, les νόμιμα 3%. L'effort historique du premier livre de la Métaphysique, qui lui, est sürement antérieur, n'apparaît que comme un essai 33, L'iotopla, en général, serait des derniéres années, du second séjour à Athénes. On s'explique alors qu’Aristote, travaillant si vite, ait pu travailler mal. Mais ce mot d’iotoplx est équivoque, puisqu'il peut désigner toute sorte d'« enquéte », l'histoire, l'« enquéte » historico-géographique, aux mille aspects, d'Hérodote d’Halicarnasse, aussi bien que l’« histoire »

naturelle : περὶ τῶν ζῴων, περὶ φυτῶν ἱστορίαι 24, Or, à ce dernier aspect de la « recherche », nous avons vu qu’Aristote s'est, selon toute proba17. T. A. Sincrair, Histoire de la pensée politique grecque, trad. fse, Paris, 1953. L'index, au mot « histoire », renvoie seulement à PLATON. 18.

New-Haven,

Londres,

1951.

19. Paris, 1944, surtout p. 293 sq.

20. Aristotle*, p. 335. 21. Ibid., p. 334-336.

22. Ibid., p. 324-329. V. infra, chap. IV, p. 97 sq.

23. lbid., p. 335. 24. Œuvres d'AnisTOTE et de THÉOPHRASTE p. ex. ARISTOTE n'a pas seulement des souvenirs précis d'HénopoTE (v. infra, p. 312 sq.). Il sait exactement que son œuvre s'appelle ἱστορίη, Rhét., III, 9, 1409 a 28 (v. Ph.-E. LzcnaNp, Hérodote, Introduction, Coll. des Univ. de Fr., p.

13 sq.).

90

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

bilité, intéressé beaucoup plus tót que W. Jaeger ne l'avait cru : dés son séjour en Asie Mineure 35, De la méme façon, pour l'histoire proprement dite, les travaux d'Aristote sont si nombreux et si variés, qu'à moins de les considérer pour la plupart comme des apocryphes, il est a priori difficile de les placer tous dans cette période du Lycée, soit une douzaine d'années (335-322) #. Sans doute savons-nous que le travail collectif était l'habitude du Lycée ?', Mais Aristote, directeur d'études, s’attachait

à orienter et réviser les travaux de ses élèves ®, Comprendrions-nous, autrement, que ces textes nous soient parvenus, intacts ou mutilés, sous son nom, alors que la tradition n'hésitait pas à accorder à Théophraste, à Eudéme, à Ménon, ce qui leur appartenait vraiment *? ? Les nuances ou méme les contradictions qui peuvent opposer tel travail historique (les Constitutions par exemple) et un « cours », comme la Politique, n'infirment pas cette hypothése : des contradictions, nous l'avons vu, existent dans les cours eux-mémes, notamment dans la Politique ; reste à les interpréter. Qui plus est, le nom d’Aristote est attesté, comme autour d’un recueil documentaire au moins, non seulement par la tradition manuscrite mais par l'épigraphie 9. L'inscription prouve bien que ses contemporains déjà lui attribuaient la copaternité de cette recherche — puisqu'il s'agit d'une étude réalisée en commun avec Callisthène. Nombreux aussi sont les textes où Aristote pose, comme un principe de travail et de pensée, la nécessité de recourir à la connaissance du passé. Laissons de côté les exemples où ἱστορία (ainsi que les termes apparentés, ἱστορεῖν, ἱστορικός, ἱστορικῶς) désigne des recherches d'histoire naturelle, ou toute information en général °!, Il reste que le mot est attesté neuf fois dans le Corpus, six fois sous la forme ἱστορία, deux sous la forme ἱστορικός, une pour l'adverbe ἱστορικῶς ??. L'idée l'est beaucoup plus largement encore. 25. Supra,

p. 80 sq. C'est une probabilité proche de la certitude. En tout cas

le contraire ne peut étre soutenu actuellement. 26. La dernière année, aprés la mort d'Alexandre, n'a pas dü offrir à Aristote un climat favorable

à la recherche

: dénonciation,

procés, exil, maladie.

Son activité

s'arréte pratiquement en 323. V. supra, p. 22. 27. Infra, p. 100 sq. H. Usener, Organisation der Wissenschaftlichen Arbeit, Preuss. Jahrb., 58 (1884), p. 1-25 ; W. JAEGER, Aristotle?, chap. XIII. 28. G. MaTuiEU, éd. de T. Const. d' Ath., Coll. des Univ. de Fr., 4* éd. Paris, 1952, .

II.

P 29.

W. JAEGER, Arislotle*, p. 335.

30. Catalogue pythique, v. infra, p. 133 sq. 31. V. P. Louis, Le mot ἱστορία chez Aristote, Revue de Philologie, 29 (1955), p. 39-44, et BoNiTz, Index Aristotelicus, s. v. 32. 'Iocopía : Rhét., 1, 4,1360 a 37 ; I11, 9, 1409 a 28 ; Poét., 9, 1451 b 3, 6 et 23, 1459 a 21 ; Probl., XVIII, 9, 917 5 8. ‘Ioropuxôc : Rhét., I, 4, 1359 b 32 ; Poét., 9, 1451 b 1. ᾿Ιστορυκῶς : Génération des Animauz, III, 8, 757 b 35. La référence aux Problèmes n'a qu'une valeur d'indication ; les Problèmes sont un mélange d'éléments divers (AnisTrorE, Tu£oPnnasTE, collection hippocratique, etc.) compilé vers le ve ou le vi? siècle, de facon telle qu'il n'est pas « le plus souvent possible de discerner la vraie source de ce qu'on y trouve » (L. Rosın, Aristote, Paris, 1944, p. 17). Peut-étre faut-il encore emprunter trois références à des recueils dont le caractère apocryphe est encore plus net : ἱστορεῖν, Récits merveilleux, 37, 833 a 12, et Du monde, 4, 395 b 16 et 396 a 20. Les Récits merveilleux sont « une compilation hétéroclite à souhait » (L. Ropın, ibid.), constituée d'abord au ri siècle de notre

ére, et complétée beaucoup plus tard. Quant au traité Du monde, c'est « certainement

‘latopla : GÉNÉRALITÉS

91

C'est ainsi que dans le genre de l'éloquence délibérative, l'orateur doit selon Aristote recourir à l'histoire. Les sujets de délibération, dit-il en effet, « sont, peut-on

dire, au nombre

de cinq : revenus,

guerre

et

paix, et en outre, protection du territoire, importation et exportation, législation » %%, Mais il nous faut citer ici le texte dans son ensemble : « (19 Revenus). — Celui qui veut donner des conseils sur les revenus devra connaitre les ressources de sa cité, leur nature et leur nombre, afin de faire ajouter celles qui manquent et augmenter celles qui sont insuffisantes ; comme aussi toutes les dépenses de sa cité, afin de faire supprimer celles qui sont superflues et réduire celles qui sont excessives. Car l'on ne s'enrichit pas seulement en augmentant son avoir, mais aussi en retranchant sur ses dépenses. L'expérience des finances de son pays ne suffit pas pour s'élever à une vue d'ensemble ; il est encore nécessaire, pour donner des conseils autorisés en ces matiéres, de pouvoir faire une enquéte historique sur les procédés inventés chez les autres peuples » %, L'orateur doit donc posséder, outre la connaissance des finances de son pays — et probablement aussi leur histoire — l'histoire des finances dans les pays étrangers. Mais l'histoire la plus générale fait aussi partie de sa culture. « (29 Guerre et paix). — Au sujet de la guerre et de la paix, il faut connaître la puissance militaire de sa cité ; les forces qu'elle possède déjà et celles qu'il lui est possible de posséder ; la nature des forces actuelles et celles qu'elle pourrait y adjoindre ; et en outre quelles guerres la cité a soutenues, et avec quel succès. Il est nécessaire d'avoir ces connaissances sur sa propre cité, et aussi sur les cités limitrophes. Il faut savoir encore avec quels peuples on peut s'attendre à avoir la guerre, afin de rester en paix avec les plus forts que soi, et d'étre maitre de faire la guerre contre les plus faibles. Il faut également savoir si les ressources militaires de la cité sont semblables à celles des pays voisins, ou dissemblables ; car on peyt aussi à cet égard étre en état de supériorité ou

d'infériorité. Indispensable encore pour atteindre à ces fins d'avoir fait une étude spéculative 35, non seulement sur les guerres faites par la cité, mais encore sur les guerres faites par les autres, et sur le succés qu'elles un apocryphe d'origine stoicienne... dont on peut situer la composition aux environs de l'ère chrétienne » (L. Rosın, ibid., cf. W. A. Lorımen, The text traditionof PseudoAristotle De

Mundo,

(St Andrews

University

Publications,

XVIII),

Oxford,

1924,

et Some notes on the text of Ps. Ar. De Mundo (ibid., XXI), 1925 : entre 40 et 140 ap. J.-C. — Ces références à } ἱστορία dans des textes apocryphes marquent néanmoins l'importance de cette notion pour Aristote. Elle le caractérisait assez pour qu'un faux püt ou düt aussi la présenter. Les mots συγγραφή, συγγράφειν, ne sont pas attestés chez ARISTOTE au sens d'« histoire », d'« écrire l'histoire », cf. Bonıtz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, 8.V,

Συγγραφεύς n'est circonstance a pu mots contribuant a pris une forme

pas attesté. C'est que la langue d'Aristote est déjà la κοινῇ. Cette favoriser la notion d'histoire chez le philosophe ; la confusion des à la confusion des choses, le goüt encyclopédique de l'« enquéte » surtout « historique » au sens actuel du mot. Cf. infra, p. 163 sq.

33.

Rhét., I, 4, 1359 b 20 sq., trad. M. Durovn, Coll. des Univ. de Fr.

34.

Ibid., 23 aq.

35. Τεθεωρηκέναι, 1360 a 4. Cf. supra, p. ^8.

92

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

ont eu ; car il est naturel que les causes semblables aient des effets semblables » 38, Les deux sujets suivants supposent aussi des connaissances précises d'histoire, bien qu’Aristote ne prenne pas la peine de le souligner ?.

a (3° Protection du territoire). — En outre, touchant la défense du pays, il ne faut pas ignorer comment il est défendu, mais savoir le nombre et l'espéce des troupes qui le défendent et les emplacements des ouvrages défensifs (ce qui est impossible à qui ne connaît pas le pays), afin d’ajouter à la défense si elle est insuffisante, d’y retrancher si elle est excessive, et de prêter une attention plus grande aux positions favorables. « (49 Importation et exportation). — Puis, au sujet de l’alimentation, il faut savoir le montant et la nature de Ja dépense qui suffit à la cité, les produits de son sol et ceux qui sont importés, ceux qu'il est besoin d'exporter et qu'il faut importer, afin de conclure avec les peuples pouvant les recevoir ou les fournir pactes et conventions. Car il y a deux sortes de peuples envers lesquels il est nécessaire de tenir les citoyens à l'abri de tout reproche, ceux qui sont plus forts et ceux qui sont utiles pour les fins précitées » 35. Aussi bien la valeur des positions militaires que les capacités d'exportation ou d'importation des peuples étrangers impliquent, chez celui qui doit les déterminer, un minimum d'expérience historique. La « force » que l'on posséde soi-méme, la « force » des autres, les services qu'ils peuvent rendre, sont connus en partie gráce à l'histoire, qui permet d'atteindre à la connaissance spéculative : εἰς δ᾽ ἀσφάλειαν ἅπαντα μὲν ταῦτα ἀναγκαῖον δύνασθαι θεωρεῖν 85. Mais la législation, cinquième thème, en exige bien davantage : « (59 Législation) ... l'expérience de la législation ne l'est pas moins (sc. nécessaire) ; car c’est sur les lois que repose le salut de la cité ; aussi est-il indispensable de savoir combien il y a de formes de constitutions, quelles conditions sont favorables à chacune, par quels principes ıl est naturel que ces constitutions se corrompent, principes internes et principes contraires... ‘Il n'est pas seulement utile, pour légiférer, de connaitre par l'étude spéculative du passé # quelle constitution est utile à la cité, mais encore quelles constitutions existent chez les autres peuples et quelles formes sont en harmonie avec leurs caractéres. Les relations de voyages sont donc manifestement utiles pour la législation (car c'est par là que se peut acquérir l'intelligence des lois des divers peuples), comme les enquétes de ceux qui écrivent sur les actions humaines le sont pour les délibérations politiques ; mais toutes ces recherches sont l'affaire de la politique, non de la rhétorique » #1. 36. Ibid., 1359 b 33 sq. 37. M. Dvroun, ibid., I, p. 45 : « Il est remarquer qu'en traitant des premier, second et cinquième chefs, Aristote recommande la méthode historique et comparative. » 38. Rhét., 1, 4, 1360 a 6 sq. 39. Ibid., 1360 a 18-19. Pour θεωρεῖν, v. supra, p. 48 et 91, n. 35. 40. Ibid., 1360 a 31-32, ἐκ τῶν παρεληλυθότων θεωροῦντι. Cf. note précédente.

41. Ibid., 1360 a 19-23 et 30-37.

‘Ioropla : GÉNÉRALITÉS

93

Ainsi se trouvent réunies, pour Aristote, l'histoire du passé et l'histoire

qu'on pourrait appeler tout à fait contemporaine, ou méme la géographie humaine : il ne les sépare pas. Ainsi, également, est affirmée l'im-

portance de cette information historique, à la fois et à peu prés dans les mémes termes, pour l'orateur et pour le politique. Les deux disciplines en effet se recoupent, la premiére dépendant de la seconde **, Elles se

rejoignent d'autant plus, par la documentation, qu'il s'agit du genre délibératif. Or, dit Aristote, « s’il y a narration, elle portera sur le passé, et elle aura pour objet en le rappelant de mettre les auditeurs en état de mieux délibérer sur l'avenir, soit qu'on blâme, soit qu'on loue»; et

plus loin : «la délibération en effet porte sur l'avenir, aussi se voit-on dans la nécessité de tirer des exemples des faits passés » 43, Précisément, la Politique aussi renvoie à l'occasion à ces auteurs de récits de voyages qui, selon ce passage de la Rhétorique, sont « utiles pour la législation » : à propos de la communauté des femmes, mais non des enfants, chez certaines peuplades de Libye *, Et l'auteur des Météo-

rologiques les consulte également : ces περίοδοι indiquent que « les plus grandes rivières coulent des plus hautes montagnes. On peut clairement s'en rendre compte si l’on considère les relations de voyages, où ont été enregistrées les informations recueillies chez les autres, pour toutes les . parties que les auteurs n'ont pas eu le temps de voir par eux-mémes » $5, Et ailleurs, Aristote reproche aux περίοδοι de représenter la terre habitée comme ronde #, Qui plus est, l'orateur politique doit « connaître toutes les constitutions, en distinguer les habitudes, les institutions et les intéréts » €, Cela suppose une information détaillée sur l'histoire des constitutions, aussi bien dans le passé qu'en leur état contemporain, et cette information est analogue à celle qu'utilise la Politique. Aristote souligne lui-méme

le rapport entre les deux disciplines : « À quels buts futurs ou présents il faut tendre en conseillant, de quelles prémisses tirer ses preuves au sujet de l'utile, et en outre par quelles voies et en quelle facon l'on se

pourvoira d'arguments au sujet des caractères et des institutions concernant les constitutions, nous l'avons dit dans la mesure qui s'accordait

avec la présente occasion ; car il en a été traité avec la précision requise dans notre A quels comme il seulement

Politique » 9. auteurs d'ouvrages documentaires Aristote fait-il allusion ? ne s'agit, justement, que d'allusions trés rapides, on peut supposer qu'il songe à des relations de voyages semblables à

42. V. notamment ibid., 1359 |b 2-18, p. ex. « La rhétorique se compose de deux éléments, la science analytique et la science politique relative aux caractéres. »

Ct. 1360 a 33 sq., et I, 8.

43. Rhét., 111, 16, 1417 44.

b 13 sq. ; 17, 1418 a 2 sq.

Pol., 11,3,1262a18 sq. HEropore,

IV,180 sq., donne une indication

un peu

différente, v. infra, p. 224 et 315. 45. 46.

Météor., 1,13, 350 α 13 sq., trad. J. Trıcor, Paris, 1941, modifiée. Ibid., II, 5, 362 ὃ 12 sq. Ici, la περίοδος semble être une carte.

ScoTT..., 8. v. 47. Rhét., 1, 8, 1365 b 23 sq. 48. Ibid., 1366 a 17 sq.

Cf.

Lipp.-

94

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

celles d'Hécatée de Milet49, ou à celles, plus récentes, d' Eudoxe de Cnide5 qu'il avait dà connaître à l'Académie δ᾽, 1] pense sans doute encore à des περίπλοι comme celui de Scylax, qu'il cite dans la Politique : « Nous ne voyons nulle part cette différence naturelle entre rois et sujets qui, selon Scylax, existe dans l'Inde » 52. Peut-être aussi Ctésias est-il une de ces sources 5%. Parmi les ἱστορίαι, figure sûrement — entre autres — celle d'Hérodote 5, Quant aux études d'histoire proprement constitutionnelle, Aristote pouvait au moins lire Critias 55, Il pouvait aussi songer aux recueils d’eüphuare — ἀναγκαῖον xal τῶν παρὰ τοῖς ἄλλοις εὑρημένων ἱστορικὸν εἶναι — dont la fin du livre II de la Politique pourrait, sur d'autres sujets, fournir un exemple 9, C'est que, dans aucun de ces genres, il ne s'est contenté des recueils et des exposés existants. Il a voulu au contraire que le Lycée confectionnát les siens propres. Le premier livre de la Politique indique ainsi des sujets de recherche et de compilation aux disciples du Stagirite. La chrématistique, dit-il, comprend diverses techniques susceptibles d'étre étudiées, « Charétidés de Paros et Apollodore de Lemnos ont écrit sur la culture, avec et sans plantation ; d'autres ont étudié des sujets analogues ; ceux qui s'intéressent à ces questions peuvent se reporter à ces travaux. Mais il y a aussi des récits dispersés sur les moyens gráce auxquels certains se sont enrichis. Il faudrait les rassembler (δεῖ

συλλέγειν) 9. » Suivent

deux

exemples, celui de Thalès de Milet

et

celui d'un Sicilien, qui, chacun de son cóté, avaient inventé le monopole. Mais Aristote n'y donne pas seulement une suggestion de travail: c'est encore un modéle de méthode. L'exemple de Thalés de Milet est présenté comme une anecdote significative, qu'il ne faut pas prendre à la lettre : τοῦτο γάρ ἐστι κατανόημά τι χρηματιστικόν, ἀλλ᾽ ἐκείνῳ (scil. τῷ Θαλῇ) διὰ τὴν σοφίαν προσάπτουσι, τυγχάνει δὲ καθόλου τι ὄν. Et plus loin: Θαλῆς μὲν οὖν λέγεται τοῦτον τὸν τρόπον ἐπίδειξιν ποιήσασθαι τῆς σοφίας ᾿ ἔστι δ᾽, ὥσπερ εἴπομεν, καθόλου τὸ τοιοῦτον χρηματιστικόν 59. Ainsi Aristote attache assez d'importance à ce genre de travaux pour vouloir que leurs auteurs y manifestent de l'esprit critique et qu'ils dégagent en philosophes la signification des faits, au lieu d'accepter telles quelles les traditions qu'ils recueillent. 49. 50. 51.

V. p. ex. HÉnopors, II, 143 ; V, 36, 125, etc. ATHENEE, VII, 288 c. W. JAEGER, Aristotle?, p. 16 et n. 2. J. Bipzz, Éos ou Platon et l'Orient, Bru-

xelles, Pop? 25 et n. 9. Voir, sur Eupoxk en général, ibid., p. 24 sq. 52. Pol., VII, 14, 1332 b 23 sq. 53.

E. M . Core-J.

E. Sınpys,

The Rhetoric of Aristoile..., I, Cambridge,

1877,

ad 1, 4, 13, p. 71. V. infra,p. 312 sq. 54.

Infra, ibid.

55. R. E., XI, 2, 1906 sq. (Dieu). V. notre Archéologie de Platon, p. 10.

56. Rhét.,1, 4, 1359 5 31 sq.

57. Sur ce chap. 12 du livre II, supra, p. 31. La littérature ἀ᾽ εὑρήματα est déjà bien attestée à cette époque : ex. cités infra. Également, un fragment du Sur l'éducation (Frag. 63 de l'éd. Rose de 1886, = ments d'autres dialogues, infra, p. 161 sq.

Dioc. L.,

IX, 8, 53)

et des frag-

98. Pol., I, 11, 1258 b 39 sq. Le nom de Charétidès n'est pas sür: var. Charés. 59. Pol., I, 11, 1259 a 7-9 et 18-20.

‘loropla : GÉNÉRALITÉS

95

Intérét pour l'histoire, analyses de politique, attitude philosophique sont donc solidaires, et c'est une raison de plus pour chercher dans les travaux d'histoire une des clés de la Politique aristotélicienne. Peut-être objectera-t-on que ces derniers textes, où Aristote manifeste un goût si vif pour l'histoire, sont de la derniére période, et qu'ainsi se trouve renforcée la thése de W. Jaeger. Comment alors utiliser les données historiques pour définir une évolution antérieure au Lycée ? Il est vrai que la Rhétorique est de la dernière période, ainsi que la Poétique, la Géhération des Animaux et les Météorologiques 9. Le premier livre de la Politique, en revanche, ne saurait dans l'ensemble être très récent *!, En outre, le classement des morceaux qui, dans les restes de l'œuvre aristotélicienne, présentent un intérêt historique, va nous conduire à des conclusions différentes de celles de Jaeger. Nous essaierons donc de déterminer la portée de ces écrits et, si possible, leurs rapports chronologiques. Nous tenterons également de situer les ouvrages politiques qui sont, au moins à partir d'une certaine date, fondés sur l'histoire — à tel point qu'ils pourront parfois se confondre avec elle : c'est le cas de la Politique, qui restera cependant en dehors de ce premier examen. 60.

Rhét. : textes

et références,

p. 90

et n.

32.

Date:

M. Durour,

éd. de

la

Coll. des Univ. de Fr., I, p. 14 sq. On en retiendra du moins que la Rhét. appartient à la période du Lycée. Poét. : références, p. 90, n. 32. Date: J. HaAnpv, éd. de la Coll. des Univ. de Fr.,

. 13 sq. P Génération des Animaux : références, p. 90, n. 32. Date : L. tion et expérience chez Aristote, Paris, 1955, p. 20.

BouncEv,

Observa-

Météorologiques : textes et références, p. 93, n. 45 sq. Date : W. JAEGER, Aristotlet,

p. 307, n. 1, et L. Ronin, Aristote, Paris, 1944, p. 23 sq.

Les Météorologiques citent la Physique, le Du ciel, le De generatione et corruptione (Météor., I, 1, 338 a 20 aq.). L'ouvrage est peut-être postérieur au départ de l'expédition d'Alexandre. Il ne saurait en tout cas être de beaucoup plus ancien,

quoiqu'on puisse le placer avant la Rhétorique, la Poétique et la Génération des animauz (L. Bounczv, ibid., p. 30 sq.). 61. Cf. infra, p. 192 sq., 336 sq.

CHAPITRE

IV

Les œuvres A.

CorrEcTioNs

ET MÉMOIRES.

Nous réunirons sous cette rubrique deux catégories voisines d'écrits : les « collections » que P. Moraux a définies comme des « collections d'études particulières et recueils de documents relatifs à l'histoire littéraire ou à l’histoire politique»! — dans la mesure où l'histoire littéraire pouvait pour Aristote étre liée à l'histoire tout court — et, d'autre part, les « mémoires », ὑπομνήματα, que les catalogues anciens, comme l’a montré P. Moraux , distinguaient des collections ; mais cette dernière division serait inutile de notre point de vue. L'ensemble se présente comme des compilations d'iccopla au sens large du terme ; toutefois cette « enquête » est riche d'informations proprement « historiques ». Elle comprend, pour ce qui touche à notre propos :

19 Les Constitutions. 20 Les Νόμιμα βαρδαρικά. 30 40 99 60 79 89 99 109 119

|

Les Lois. Les Tableaux des lois de Solon. Les Δικαιώματα. Les‘ Tropvnuara lovoptxá. Les Catalogues de Vainqueurs aux Jeux: Olympiques, Pythiques. Les Didascalies et les Victoires. Le Sur les Tragédies. Les Problémes homériques. Les Proverbes.

129 Le Péplos. 19 Les

Constitutions,

Les catalogues de Diogéne Laérce ? et de l'Anonyme * attribuent à Aristote cent cinquante-huit constitutions, Celui de Ptolémée en connait 1.

P. Monaux, Les listes anciennes..., Louvain, 1951,

p..122 sq. Le recensement qui

suit doit beaucoup au grand travail de P. MonAux, qui apporte une mise au point remarquable à propos de tous les ouvrages d'AnisTOTE, mentionnés ou non dans les catalogues anciens. Peut-être cependant P. MonaAux est-il sévère (p. 130, n. 43) pour le vieil article de F. DümmLer,

Zu den historischen Arbeiten der ältesten Peri-

patetiker, Rhein. Mus., 42 (1887), p. 179-197. V. aussi E. Barker, Aristotle, Oxford, 1946, appendices

The Politics of

IV-V.

2. P. Moraux, ibid., p. 114 sq., 145 aq. 3. N° 143. Dans tout ce qui suit, nous adoptons la numérotation de V. Rose, Aristotelis Fragmenta, Leipzig, 1886 {corrigée parfois au contraire par P. Moraux, ibid.). 4. N9 135. Aristote et l'histoire

98

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

d’une part cent soixante et une ou cent soixante et onze 5 — chiffre que donne aussi une autre source arabe * —, d'autre part deux ?. La Vie dite d’Ammonius, qui fait suite à la Vita Marciana, deux cent cinquantecinq 8, Des Commentaires, deux cent cinquante ?, Mais les renseignements chiffrés transmis par les Arabes sont

suspects 19, En ce qui concerne la liste de Ptolémée, P. Moraux a montré que les deux Constitutions isolées correspondent aux 160— 2 — 158 de Diogéne et de l'Anonyme : 161 serait un doublet, sans importance !!, Les chiffres de deux cent cinquante ou cinquante-cinq semblent dus à une erreur d'une centaine : 250 pour 150, ce dernier chiffre étant, comme le dit un des commentateurs, « approximatif » !?, Le total de cent cinquante-huit peut donc être retenu !?, Diogéne Laérce et l'Anonyme indiquent que les Constitutions comprenaient quatre catégories : démocratiques, oligarchiques, tyranniques, aristocratiques, Est-ce la survivance d'une édition par catégories 14 ? Diogéne précise que les Constitutions étaient, expression mystérieuse et sürement déformée, καὶ ἰδία (Anonyme ἰδιωτικῶν). P. Moraux corrige en xar’ εἴδη. Mais la conjecture de Bernays !5, suivi par Rose,

xorval xal ἴδιαι, paraît de beaucoup préférable. En effet, à des constitutions peuples, titution mune » :

de cités, ἴδιαι, se mélaient dans le recueil des constitutions de κοιναί : une constitution κοινή n'est pas forcément une « consrespectant l'intérét général » 1, mais une constitution « comÁristote a écrit des constitutions xorval pour les Arcadiens,

5. N° 81 : 171 (éd. de Berlin, 1870), 161 (éd. de Leipzig, 1886). 6. V. Rose, Ar. Pseudepigraphus,

7. No 89,

Leipzig, 1863, p. 394.

8. V. Rose, Fragmenta, Leipzig, 1886, p. 440, l. 25. 9. Ibid., p. 258, 1. 25 sq. C'est aussi le chiffre restitué dans la Vita Marciana,

ibid., 10. |

p. 258, 22. V. Rose, Ar. Pseudepigraphus, p. 394.

11. P. Monavx, Les listes..., p. 303. 12. « Environ deux cent cinquante », Rose,

Fragmenta,

Leipzig,

1886,

p. 258,

. 25. 13.

Simplicius, cité par Rose, ibid., p. 259, condamne certaines de ces constitutions

(cf. ταῖς γνησίαις αὐτοῦ πολιτείαις). Mais nous ne savons s'il visait notre collection des 158. En admettant que des constitutions non-aristotéliciennes aient circulé sous le nom du Stagirite, encore faudrait-il que justement nos fragments fussent extraits de celles-là. En outre, les doutes de Simplicius sont eux-mémes sujets à caution. Le Lycée, quand il produisit de nouvelles constitutions, n'essaya pas, semble-t-il, de les attribuer à Aristote : v. p. ex. les constitutions de Dicéarque, Cicéron,

Ad

Att.,

II, 2

(contra,

naturellement,

V.

Rose,

Ar.

Pseudepigraphus,

p. 397 sq.). I semble que la phrase de Simplicius ne concerne que la forme de l'enseignement aristotélicien : ἐν οἷς ἐδουλήθη σαφέστατα ἐδίδαξεν, Il est, de fait, évident qu'AnisTOTE n'a pas rédigé lui-même entiérement toutes ses collections. V. infra, p. 100 sq. Simplicius ne pouvait icitirer argument de textes qui n'étaient pas dela main méme du maitre. Mais Pur contenu n'est pas en cause. Quant aux doutes de Tzerz£s sur l'auteur de la Const. d'Orchoméne (Rose, Fragmenta, 1886, 565), ils sont purement conjecturaux (cf. Rose, Arist. Pseudepigraphus, p. 398). Dans ce qui suit, nous abrégerons les références aux Fragments de Rose, Leipzig, 1886, en Rose, 1886. 14. V. P. Monaux, Les listes..., p. 131, n. 52, et c. r. dans la Revue Philosophique,

143 (1953), p. 466. 15. Rhein. Mus., 7 (1850), p. 289. 16.

P. Moraux,

loc, cit.

Ἰστορία : LES ŒUVRES

99

les

Achéens, les Thessaliens, les Etoliens, les Acarnaniens, etc. 7. Or, ainsi corrigé, le texte de Diogène peut indiquer deux possibilités de classement, soit en χοιναὶ καὶ ἴδιαι, soit en démocratiques, oligarchiques, etc. La combinaison des deux serait compliquée et peu pratique. Mais si une seule de ces possibilités était exploitée, l'indication des deux est surprenante, Mieux vaut donc croire que Diogéne décrit ici le contenu des constitutions, non les divisions d'une édition, En revanche, un classement alphabétique est bien attesté : la Constitution d' Athénes portait le n9 1, celle d'Ithaque le n? 42, Ce dernier nombre est d'autant plus sûr qu'elle occupe le n? 21 parmi les 68 Constitutions dont le titre est connu : or le rapport de 21 à 68 est à peu prés celui de 42 à 158 18, En outre, un commentaire signale aussi cet ordre alphabétique, et place, semble-t-il, en téte la Constitution d' Athénes 19, Enfin, l'hypothése d'un classement par catégories — à l'intérieur desquelles pouvait être observé l'ordre alphabétique ® — soulève deux objections. La premiére, formulée par Müller ?!, touche l'époque choisie comme référence : le régime d'une cité grecque ayant évolué avec le temps, comment déterminer l'appartenance d'une cité à une catégorie plutót

qu'à une autre ? Se référera-t-on à la constitution en vigueur quand Aristote achève son travail ? Il faut admettre alors, au moins, que le classement est posthume : nous verrons en effet Aristote enrichir constamment sa documentation ; toute révolution aurait donc, de son vivant,

modifié la répartition, à vrai dire déjà trés incommode : Aristote, lorsqu'il utilisait ces éléments de ses collections, puisait ses renseignements autant dans la partie historique que dans le tableau que comprenait chaque Constitution si nous en jugeons d’après la Constitution d' Athénes. La découverte de celle-ci, en montrant l'importance de la partie historique, a apporté un nouvel argument au scepticisme de Müller: les différentes constitutions oligarchiques qu'Áristote a enregistrées auraient été fort mal placées dans une subdivision intitulée « démocraties » 22, En outre, ces catégories étaient beaucoup moins précises, aux yeux d'Aristote, qu'il ne serait nécessaire pour qu'elles pussent fonder un classement. Le philosophe n'a pas établi de barriéres entre les constitutions, Les définitions qu'il en a données ont varié 23. Objectera-t-on encore qu'il peut s'agir d'un classement posthume ? Mais rien, finalement, ne le rend nécessaire : le seul postulat indispensable est que les 17. Rose, 1886, passim. Aristoteles Pseudepigraphus, p. 395. 18.

P. Monavx,

op. cit., p. 116, qui compte

67 constitutions.

Il nous parait plus

commode de nous en tenir aux fragments de Rose, 1886, quitte à les corriger le cas échéant, v. infra, p. 101.

19. Rose, 1886, p. 259, 1. 19 aq.: ὅτι τυχὸν μὲν ᾿Αλεξανδρεῖς τοιῶσδε πολιτεύονται καὶ

᾿Αθηναῖοι τοιῶσδε καὶ Βιθυνοὶ καθεξῆς

κατὰ τὴν τάξιν τῶν

στοιχείων.

Le nom

des Alexandrins n'est attiré en tête que par celui d'Alexandre, « le fondateur de villes », qui vient d’être mentionné.

20. H. Nissen, Die Staatsschriften des A., Rhein. Mus., 47 (1892), p. 187 sq. 21. Mürrzn, Frag. Hist. Gr., II, p. 104. 22. Const. d' Ath., 29-31,

23. Cf. IV, 9,1294 b 13 sq. Supra, p. 33 sq., 39 sq., 43, etc. Infra, p. 109 et 343sq.

100

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

cent cinquante-huit Constitutions, du vivant d’Aristote, devaient être classées : elles l'étaient par ordre alphabétique plutôt qu’autrement **. Rien ne suggére que cet ordre ait été modifié par la suite. Le recueil comprenait des constitutions de cités barbares aussi bien que de cités grecques 25, Sur ce point, le témoignage de Photius, qui aurait lu une Constitution des Lyciens, peut n'avoir à la rigueur que la valeur d'une indication : Photius, qui mêle « politika » et « politeiai » 35, a pu confondre aussi « politeiai » et « nomima ». Les Vies d'Aristote également sont sujettes à caution, ainsi que les Commentaires, qui montrent d'ailleurs Aristote composant ses Constitutions alors qu'il accompagnait Alexandre en Asie *, Cette légende aurait-elle pu toutefois prendre naissance si l'horizon des Constitutions était limité au monde grec ? Ici encore, une confusion entre recueils peut à la rigueur être alléguée. Mais le développement de la Politique sur la constitution de Carthage est décisif : il prouve qu’Aristote n'a pas cherché, dans les pays barbares, seulement de curieux exemples de « nomima », paraît mais aussi des règles constitutionnelles #, La Constitution de Carthage — qu'aucun témoignage ancien ne place formellement dans le recueil des « politeiai » 39 — ne pouvait figurer parmi les « nomima », tels que nous les présentent les fragments que nous en possédons 99, Cicéron du reste dit expressément : « Omnium fere civitatum non Graeciae solum sed etiam barbariae ab Aristotele mores, instituta, disciplinas, a Theophrasto leges etiam cognovimus » ?!, Mais cette phrase doit concerner aussi les « nomima » : l'expression « civitatum... barbariae » ne peut donc absolument être invoquée 32. Toutes ces Constitutions sont trop variées et trop nombreuses pour étre l’œuvre personnelle d'Aristote. Il a seulement dirigé un travail d'équipe. Ainsi Philodéme rapporte qu'il collaborait avec Théophraste, τούς τε νόμους συνάγων

ἅμα τῷ μαθητεῖ καὶ τὰς τοσαύτας πολιτείας καὶ τὰ περὶ

24. D'autres groupements ont été utilisés par ÁnisTOTE, v. infra, p. 317 sq. Mais rien n'indique qu'ils correspondaient à un type d'édition ou à un classement stable. 25. Rose, Ar. Pseudepigraphus, p. 395. G. Maruieu, introd. à l'éd. de la Const. d' Ath., Coll. des Univ. de Fr., 4? éd., Paris, 1952, p. 1. Contra, L. RoniN, Aristote, Paris, 1944, p. 21; E. Barker, The Politics..., Oxford, 1946, p. 83, n. 3, p. 386, 387, n. 2

26. Rose, 1886, p. 258, 1. 14-16: ἐκ τῶν ᾿Αριστοτέλους πολιτειῶν, Θετταλῶν

τέ

φημι καὶ ᾿Αχαιῶν xal Παρίων Auxlwv τε xal K(ov xal ὧν ἐκεῖνος ἁπλῶς ἐν τοῖς πολιτικοῖς αὑτοῦ διαλαμθάνει. La Politique ne mentionne pas le nom des Lyciens, ni du reste non plus celui des Pariens, ni des gens de Kios. 27. Rose, 1886, p. 258, 1. 17 sq., 259. Même confusion de Constitutions et Politique chez Micnez p'Érn£sz, ad E. N., X, fol. 1867, 187v, 188”, etc. 28.

Pol., I, 11, cf. infra, p. 228 sq. E. Banken,

The Pol..., Oxford, 1946, p. 387,

n. 2, suppose que ce développement de la Pol., est fondé sur les Nouiua, non sur une Constitution. Rien ne l'indique. 29.

Le fragment

Rose, 1886, 600, doit être, selon toute vraisemblance,

à une étude sur Chalcédoine,

non

sur Carthage

Καρχηδόνιοι). Il n'est pas sûr que cette étude faisait 30. Infra., p. 116 sq. En ce qui concerne les

(Χαλκηδόνιοι,

attribué

correction

pour

partie d'une Πολιτεία. Épirotes et particulièrement les

Molosses, qu'AnisTOTE devait considérer comme barbares, cf. infra, p. 223. 31. De finibus, V, 4,11.

32. Contra, Rose, 1886, p. 258, qui cite ce texte au chapitre des constitutions. Cf. infra, p. 117.

“Ιστορία : LES ŒUVRES

101

τῶν τόπων δικαιώματα καὶ τὰ πρὸς τοὺς καιρούς 99, Mais il n'y a pas de raison de refuser à Aristote la paternité des travaux qui, exécutés dans ces conditions, nous sont parvenus sous son nom : le texte n’est pas toujours de sa main, sans doute ; mais il l’a certainement lu, approuvé,

corrigé ; ces textes ne permettent assurément pas de définir la langue ou le style d’Aristote, par exemple, mais, beaucoup mieux, de connaître

la documentation dont il pouvait disposer et qu’il trouvait utile. De

ces

Constitutions,

ont

subsisté

la Constitution

d'Athènes,

mira-

culeusement retrouvée, à peu prés intacte, ainsi que de nombreux fragments. Ces fragments seront étudiés plus loin **, dans leurs rapports avec d'autres textes d'Aristote, et surtout avec la Politique ; c'est en effet

le seul moyen d'en esquisser la chronologie. Bornons-nous à examiner l'état des textes et leurs caractéres principaux. Le nombre des Constitutions attestées n'est méme pas sür : dans sa dernière édition (1886), V. Rose en connaissait soixante-huit 55, Aux fragments proprement dits, il faudrait sans doute ajouter des extraits de la Politique ; mais les références que la Politique empruntait aux Constitutions sont difficiles à distinguer de celles qui avaient une autre origine. C'est pourquoi des recensements comme ceux de Müller (qui donnait quatre-vingt-quinze Constitutions) ® ou de Nissen (quatre-vingtdix-huit) * ne peuvent servir de base à une étude des Constitutions proprement dites, Il sera donc commode de prendre en considération les Fragments de V. Rose (1886), en y ajoutant trois références nouvelles, découvertes depuis lors sur des papyrus : références aux Constitutions — déjà connues par ailleurs — de Paros, de Soles et de Thessalie #, Le 33.

PnıLopeEme,

Vol. Rhét., II, p. 57, Sudhaus.

Supra,

p. 90.

34. 1115 partie, chap. VII et VIII, p. 211 sq. 35. Soixante-neuf si l'on retenait un fragment trés douteux de la Constitution de Cnide (Rose, 1886, p. 324, app. crit.). Soixante-sept dans l'éd. de Berlin, t. V, 1870 ; c'est le chiffre retenu par P. Monaux, v. supra, n. 18. Soixante-trois seulement

dans Ar. Pseudepigraphus, 1863. Etc. Tous ces chiffres, de NissEN, ne dépendent pas seulement des découvertes sentiments personnels. 36. FHG, il, p. 103 sq. Les Fragments de F. JacoBv, sur le méme principe. 37. H. NissEN, Die Staatsschriften.., Rhein. Mus., 47 runte

aussi des références

erakleides’ propose neuf de ces titres Νόμιμα (cf. d'ARISTOTE. demeure mal

à TnéoparasTe.

C. von

comme ceux de Mürrzm et philologiques, mais aussi de en préparation, sont fondés (1892), p. 161-206, qui em-

HorziNcEn,

Aristoteles’ und

lakonische und kretische Politeiai, Philologus, 52 (1894), p. 115 sq., titres nouveaux, qu'il tire des extraits d'HÉRACLIDE. La répartition dans les Constitutions est trés incertaine. On peut aussi songer aux d'ailleurs v. HorziNcER, ibid.), ou à tout autre ouvrage historique D'autre part, le rapport de ces extraits avec les travaux d’ARISTOTE défini : &pitomd ἢ épitomè d'un ouvrage intermédiaire ? Mais ce rap-

port est certain, et étroit, comme

l'a montré

v. Hoızıncen

(cf. aussi Philologus,

(1891, p. 436-446). Quant à l'Héraclide dont il est question, est-ce Héraclide du Pont

? ou Héraclide

Lembos, comme

l'a soutenu notamment

H. Brocn,

Hera-

kleides Lembos and his Epitome of A. 's Politeiai, Trans. and Proc. of the Am. Philolog. Ass., 11 (1940), p. 27-39 ? 38. R. A. Pack, The Gr. and Lat. literary texts from Greco-Roman Egypt, Univ. of Michigan, 1952, sous les n° 114 (Paros) et 1660 (Soles, Thessalie).— On a observé (Pap. Ozy., 15, p.162, comm. à 58-60) que la présence d'une Const. de Soles parmi les collections aristotéliciennes

était inconnue.

Plus exactement,

cette découverte

102

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

total reste de soixante-huit, Encore ne faut-il pas oublier que sur soixante-huit, cinquante et une Constitutions seulement sont attestées en

termes exprès : £v τῇ τῶν δείνων πολιτείᾳ ?*. L'état de ces fragments ne permet pas une répartition süre entre une partie historique et une partie descriptive supposées — par analogie avec la Constitution d' Athénes. Ils ne se prêtent pas non plus à une interprétation précise, par leur briéveté, et aussi parce que les auteurs de ces « excerpta », guidés par des préoccupations personnelles, ont pu fausser les perspectives 9, Ainsi, nous possédons six fragments de la Constitution d’Ithaque, parce que la patrie d'Ulysse intéressait particulièrement les commentateurs d'Homére *!, Mais la Constitution de Carthage est mal attestée, celle de Crète ne l'est pas beaucoup mieux #2, Une étude systématique des fragments serait donc faussée dés le départ. Mais ils expriment des goüts que l'on peut encore apercevoir. Il serait arbitraire, en tout cas, et probablement injuste, de supposer que les auteurs de nos citations ont spécialement choisi dans les Constitutions des textes relatifs aux curiosités naturelles et, notamment, à des vignobles célèbres. Ces fragments sont en effet assez nombreux pour suggérer qu’Aristote et ses disciples prenaient eux-mêmes à ces sujets un intérét particulier. C'est ainsi qu'ils mentionnent la vigne de Thessalie, que les gens d'Aminaea ont transplantée en Italie (Rose, 1886, 495). Est-ce en l'honneur du Falerne que ce renseignement a été recueilli par les lecteurs de la Constitution de Thessalie ? Mais voici le vin doux de Syracuse,

ce Pollios

auquel

le roi Pollis,

selon

Aristote,

avait

donné

son nom (tbid., 585). Voici encore les vignes d'Anthédonia et d’Hypereia, et encore la vigne d'Althéphias (ibid., 596-597). A côté des vignes, Aristote s'intéresse au silphion de Cyréne (ibid., 528), aux pourpres de Cythere (ibid., 521), aux liévres qu'Anaxilas a introduits en Sicile (ibid., 568), voire aux sources à température variable qui se trouvent dans l'oasis d’Ammon (ibid., 531). Sa curiosité pour les choses médicales est également vive : Gélon, note-t-il, mourut d'hydropisie, Hiéron souffrait de dysurie (ibid,, 486, 587) ; la vue de Denys le Jeune était affaiblie par l'alcoolisme (ibid,, 588). confirme l'hypothèse de Rose, 1886, 582 ; le papyrus et le fragment Rose sont bien relatifs, tous deux, à Soles en Cilicie. Il n'y avait rien sur Soles, en revanche, dans l'éd. de Berlin, t. V, 1870. — A. DovATOUR croit retrouver un nouveau fragment

de la Const. de Delphes (déjà connue,

Rose, 1886, 487) chez H£racrive

(REG,

46 [1933], p. 214-223). De même un nouveau fragment de la Const. de Mégare (déjà attestée,

Rose,

1886,

550)

chez

TerrurLien,

Apol,

46,

16,

selon

H.

Exowps,

Rhein. Mus., N. F., 88 (1937), p. 180-191 ; mais v. les réserves d'A. Mansion, Chronique de litt. arist., Rev. néoscolastique de philosophie, 40 (1937), p. 619. 39. Cinquante seulement si nous ne suivons pas Rose, qui attribue à Aristote les trois constitutiens dites de Dicéarque, Cicéron, Ad Att., 11, 2(— éd. Constans,

I, xxvii) : Athènes, Pellène et Corinthe. Puisque les constitutions aristotéliciennes d'Athénes et de Pelléne sont attestées par ailleurs (pour Pelléne, v. Rose, 1886, 567), reste à déduire

celle de Corinthe.

40. La méme réserve vaut naturellement pour tous les fragments, eten particulier pour tous ceux que nous examinons dans ce chapitre.

41. Rose, 1886, 504-509.

42. Carthage : Rose, 1886, 600 (Χαλκηδόνιοι, Καρχηδόνιοι Ὁ). Cf. supra, p. 100. — Crète : Rose, 518-519 et 611, 14-15 ; cf. infra, p. 244.

‘loropla : LES ŒUVRES

103

Ce genre d'intérêt peut être éveillé, chez Aristote et ses collaborateurs, par une particularité de la source qu'ils utilisent ; ainsi, les notations médicales

se trouvent

seulement

dans

des Constitutions siciliennes, et

concernent trois tyrans ; on peut soupconner ici une source commune, un auteur qui cultive la médecine. Mais il est précisément caractéristique que ce goût de la médecine apparaisse dans deux Constitutions différentes, celle de Syracuse et celle de Géla ; si la source est commune, du moins Aristote a-t-il été y puiser deux ou trois fois, du moins a-t-il voulu à deux ou trois reprises différentes montrer sa science dans ce domaine 45, Faut-il voir là une preuve de la formation médicale qu'il aurait reçue, voire de son « hérédité » médicale # ? à coup sûr, de son goût pour les sciences naturelles, attesté aussi par les autres fragments qui viennent d'étre cités. Naturaliste, Aristote le fut probablement assez tôt, et trés tard 55, Aussi, en l'absence de toute indication plus précise, ce goût ne peut-il aider à dater les Constitutions où il se manifeste. Mais il faut retenir l'unité de la documentation d'histoire et de sciences naturelles : le silphion, la pourpre surtout, la vigne, le vin, sont cités, étudiés dans les travaux d'histoire naturelle ; de nombreux textes y sont consacrés au lièvre #. Bref l'historien est ici, au sens large du mot, ioropixés. Il l'est encore comme philologue. Aristote remarque le sens et l'origine des noms, pour expliquer une évolution, ou par érudition pure et simple. Il note le premier nom de Cythére —« Porphyroussa » — (Rose, 1886, 521), le surnom de Ténos — « Hydroussa » — (ibid., 595), le rapport entre Soles de Cilicie et Solon de Lindos (ibid., 582), entre Ténéa et Ténédos (ibid., 594), entre Abantes et Aba (ibid.,601). Il explique l'épithéte que

s'attribuaient les Arcadiens, rpooéAnvot, par une bataille livrée avant le lever de la lune (ibid., 591). Il remarque le nom des mesures : l’&x&vn d'Orchoméne (ibid., 566) ; le nom des monnaies : dénominations siciliennes (ibid., 510) ou de Cyréne (ibid., 529) ; 1] explique le nom de l'obole, par ὀδελός et par ὀφελός :

«on est passé de p à 6, xa«à συγγένειαν. »

(tbid., 481, 580). Rencontrant des μαστροί à Pellène, il les compare aux μαστῆρες d'Athènes et, semble-t-il, esquisse une étymologie du mot

(ibid., 567) #7, 43. A deux reprises au moins, puisque ce sont deux Constifutions différentes ; peut-être à trois reprises, si les fragments 587 et 588, extraits tous deux de la Const. de Syracuse, ne font pas partie d'un même développement. 44. V. supra, p. 13 sq. 45. V. supra, p.80 sq. (« assez tôt ») et, pour «trés tard », W. JAEGER, Aristotle, p. 308 (Génération des animaux), ainsi que L. BouncEv, Observation et expérience chez Aristote, Paris, 1955, p. 19 sq., et P. Louis, édition des

Parties des animaux,

Coll. des Univ. de Fr., Paris, 1956, p. xxtit sq., qui nuancent et précisent la chronologie de Jaecer. 46. Silphion : Hist. an., VITI, 29, 607 a 29 ; c'est une légende de Cyrène. Pourpre:

une

col.

de

références

Vigne : ibid., 39 a 20-28.

Vin : ibid., 501 a 42-5 15. Liévre : ibid., 421 a 16-37.

dans

Bonrrz,

Ind. Ar., Berlin, 1870, 626 a-b.

-

On trouve dans les fragments de Carrias un intérét pour le vin. Mais il s'agit de coutumes que l'auteur décrit, non de science naturelle (Dıeıs, Frg. der Vorsokratiker, II, 6° éd., Berlin, 1952, 88, fragts 6 et 33).

47. Cf. encore Rose, 1886, 570, 579, 585, 586, 596, 597, etc.

104

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Ainsi la documentation historique est encore une documentation de philologue. Des recueils philologiques d' Aristote, nous possédons malheureusement trop peu de chose, pour pousser plus loin ce rapprochement #. I] montre cependant qu’Aristote, qui explique les textes littéraires par l'histoire *?, méle, en revanche, la philologie à ses recherches proprement historiques. Ces deux préoccupations, chez lui, ne peuvent étre séparées. Ces goûts sont peu apparents dans la Constitution d’Athenes ®, où Aristote, comme il est naturel, avait moins à signaler et commenter des faits rares et curieux, qu'à établir, classer et exposer correctement des éléments mieux connus : ni par ses institutions, ni par son langage, ni par son climat, Athènes ne peut avoir aux yeux du Lycée le charme du dépaysement et de l’exotisme. Plutôt que les goûts de l'auteur, c'est donc une méthode qui se manifeste ici, avec plus de précision que dans les fragments : la méme méthode que dans la Politique 51, Malgré un effort de rigueur scientifique, elle aboutit parfois, comme l'a noté G. Mathieu, à des disparates ou à des contradictions 5°, Mais celles-ci sont précieuses, dans la mesure où elles marquent les étapes de la composition et retracent la chronologie de l’œuvre. Nous ne sommes plus livrés ici à des impressions ; une analyse exacte est possible. Ce probléme chronologique semble de prime abord facile. Deux repéres permettent en effet d’encadrer la Constitution, entre 329 /8, archontat de Céphisophon (54, 7) 53 et 322/1, année où meurt Aristote et aussi où disparaît, au plus tard, le gouverneur athénien de Samos (62, 2) 54. « Peut-étre méme », écrit G. Mathieu, « pouvons-nous arriver à plus de

précision encore, si nous admettons avec Weil et Nissen 55 qu'une des trières sacrées n'a porté le nom d'Ammonias qu'aprés 324 » 556. La « trière d'Ammon » est en effet mentionnée en 61, 7. Le « terminus » de 329 [8 est confirmé par 46, 1, où Aristote, traitant

des vaisseaux de guerre athéniens, mentionne les tétréres : celles-ci apparaissent pour la premiére fois dans un inventaire de l'année précédente 57, Mais dans le méme passage, il omet les pentéres, qui sont en service 48. V. cependant, sur les Problèmes homériques, infra, p. 139 sq. 49.

Attesté dans les Prob. hom., infra, ibid.

50. Cependant, v. Const. d' Ath., 3, 5 (Epilykeion). 51. Infra, chap. VII sq., p. 211 sq., p. ex. p. 317 sq. 52. G. Marureu, introd. à l'éd. de la Coll. des Univ. de Fr., 4* éd., 1952, p. x sq., et surtout AnisTOTE, Const. d' Ath., Essai sur la méthode suivie par Aristote dans la discussion des textes, Bibl. de l'Ec. des H. E., Sc. hist. et philolog., fasc. 216, Paris, 1915, passim ; notamment, conclusion. 53. V. R. E., II, 1, s. v. « Archontes » (V. Scnorrrrn). 94. Grortz-Rousseı, Hist. Gr., IV,2, p. 274. : 55. H. Weıı, Aristote, ᾿Αθηναίων πολιτεία, Journal des savants, 1891, p. 199 ;

H. Nissen, Die Staatsschriften..., Rhein. Mus., 47 (1892), p. 197. 56. Introd., p. 111. De méme F. Kenvon, dans The works of Ar. transl. into English, X, Oxford, 1921, n. 4 au chap. 61 de la Const. 57. C. Tonn, Aristotle, Atheniensium Respublica, Class. Hev., 5 (1891), p. 119, n. 1 ; 1. G., II, 1627, l. 269 sq.

‘Ioropla : LES ŒUVRES

105

dès 325 [4 ®. Il faudrait alors que la Constitution fût un peu plus ancienne 5°, Mais à cela s’oppose le « terminus » de 324, suggéré par 61, 7. Faut-il cependant tenir compte de cette contradiction ? Dans une étude récente, C. Hignett, qui d'ailleurs place l'achèvement de la Constitution dans les dernières années d'Aristote 9, considère que cet ouvrage n'est pas du philosophe, mais d'un de ses élèves, et non d'un des meilleurs. Pourquoi, remarque-t-il en effet, Aristote se serait-il réservé la Constitution d' Athénes ὃ « Peut-être le sujet était-il moins important pour lui que pour nous ». En tout cas, « il est douteux qu'Aristote ait jamais vu le résultat ; il n'est pas vraisemblable que, s'il l'eüt vu, il l'eüt laissé publier comme un travail de son école avant de le soumettre à une révision énergique » ‘1. « Si Aristote était l'auteur de la Constitution d' Athénes, dit encore, non sans ironie, C. Hignett, c'est qu'il avait changé d'avis, toujours dans le mauvais sens, depuis qu'il avait

écrit la Politique » 53, Dans ces conditions, les indices chronologiques n'auraient pas plus de valeur

que

tout le contenu,

en général, de la Constitution, et l'on

conçoit que C. Hignett ne donne guère d'argument à l'appui de sa « ferme conviction » quant à la date de la Constitution. Toutefois, en dehors de tout jugement porté sur ce contenu de la Constitution, des éléments d'ordre extérieur nous inclinent à penser autrement. Qu'une revision fût nécessaire à l' Athénaion Politeia, qui le nierait ? mais qui contesterait davantage que l' Histoire des Animauz, par exemple, ou tout simplement la Politique, auraient mérité aussi d'étre revues et corrigées ? En outre, la place de l'Athénaion Politeia dans la collection des Constitutions — en tête — suggère bien qu'elle servait de modèle aux travaux du Lycée ; elle doit alors étre d'Aristote, c'est-à-dire, au minimum, avoir recu son approbation, Dans l'autre hypothése, les différences entre la Constitution et la Politique s'expliquent encore plus mal ; l'éléve médiocre et consciencieux à qui C. Hignett attribue la Constitution n'aurait-il pas été, d'abord, chercher des références et des renseignements dans la Politique, au lieu de la contredire sans jamais la citer ? Si donc nos indices chronologiques sont incompatibles, ces incompatibilités valent la peine d’être relevées. Car il est juste de les attribuer à Aristote lui-méme, qui en a endossé la responsabilité. Faut-il alors choisir entre le terminus de 61, 7 et celui de 46, 1 ? L'état de nos connaissances ne permet pas de le faire avec une certitude suffi58. I. G., 11*,1629,1. 801 sq. 59.

WiLAMOwrTZ, Ar. und Ath., Berlin, 1893, I, p. 211, n. 43; W. JAEGER,

Aris-

totle*, p. 327 et n. 1. 60.

À history of the Ath. Const., Oxford, 1952, p. 390.

61. Ibid., x. 30. 62. Ibid., p. 29 et 390. M. Hicnerr accorde cependant plus de valeur au tableau des constitutions — oü figurent précisément les indices chronologiques — qu'à l'histoire de la constitution athénienne (p. 28) ; mais son jugement d'ensemble sur l’œuvre et sur l'auteur est franchement défavorable. Peu aprés sa découverte, la Constitution avait déjà suscité des critiques du méme genre (v. p. ex. Th. Reınaca, art. cité supra, Ρ. 87, n. 7).

106

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

sante. Il se peut d'une part que l'argument tiré des pentéres soit faible 53, d'autant plus faible qu'il se fonde sur une omission ; cependant, Aristote paraît bien vouloir ici faire une énumération complète : vaisseaux, agrès, loges. En revanche, le culte d’Ammon est certainement antérieur, en

Attique, à l'année 324 ** ; mais pour que le dieu devint l'éponyme d'une

trière officielle, il fallait un événement considérable, qu'on a du mal à placer avant 324 ®. Finalement, on ne préférera un indice subjectifs. Or, ce pas une fois franchi, méme ordre, subsisteront. Mieux vaut semble, pour tenter de les résoudre de

à l'autre qu'en vertu de critéres d'autres difficultés, qui sont du donc les envisager toutes enla méme façon “.

Ces difficultés sont au nombre de trois : a) Constitution de Dracon et premiéres constitutions. Le chapitre 4 de l'Athénaton Politeia attribue à Dracon une constitution qu'il n'a pu établir, ni méme concevoir. Ce document est certainement un faux, trés probablement destiné à renforcer une propagande politique ®. Dans le texte que nous possédons de la Politeia, qui est incomplet, cette constitution est, selon l'ordre chronologique, la seconde. La premiére, dite « ancienne constitution», ἀρχαία πολιτεία ®, est décrite au chapitre 3, et appelée expressément « premiére constitution », πρώτη πολιτεία, au début du chapitre 4. Cependant, cette « première constitution » est très complexe. Le chapitre 3, non seulement la décrit, 63. G. MaATnIEU n'en tient pas compte. Cf. W. W. Tann, Hellenistic military and naval developments, Cambridge, 1930, p. 131 (invoqué par C. Hıcnerr, ibid., p. 390) :

à l'époque d'Alexandre, les Athéniens n'auraient pas eu encore de véritables pentères ; mais ils en expérimentaient la construction

; du reste, Alexandre avait trouvé des

pentéres à Chypre et en Phénicie dés 332. 64. C'est l'opinion de Wıramowırz,

Ar. und Ath., Berlin, 1893,

(qui refuse de fonder sa datation sur 61, 7). De méme

I, p. 208,

aussi, semble-t-il,

n. 38

Grorz-

Cosen, Hist. Gr., 1V, I, p. 94. 65. H. WeıLet H. Nissen, op. cit. W. W.Tarn, Alexander the Great, I, Cambridge,

1951, p. 42 et n. 4, soutient que le nom d'Ammonias ne peut étre lié à la déification d'Alexandre, parce qu'Athénes a déifié le roi à contre-cœur, et que cette déification n'a aucun rapport avec le culte d'Ammon. Le premier argument n'est pas concluant. Quant au second, c'est que selon Tarn la déification fut une mesure purement politique: tbid., II, Cambridge, 1950, appendice 22, III. Mais cette question est discutée ; cf. Tarn,

ad loc. G. RApET, Alexandre le Grand, 6° &d., Paris, 1950, p. 370

sq. 66. C'est la méthode proposée par A. TovaR, Aristöteles, Constitución de Atenas, Madrid, 1948, p. 27-31 et Sobre la naturaleza de la Const. de At., Revista de Estudios

Clásicos, 8 (1948), p. 153 sq. Cf. la tentative analogue faite par D. pz MowTMOLLIN à propos de la Poétique d’Ar., Neuchâtel, 1951.

67. V. G. MaTnBiEU, éd. de la Const. (Coll. des Univ. de Fr.), p. vırıısq., et surtout Essai sur la méthode..., Paris, 1915, chap. VII. P. CLocuÉ Remarques surla prétendue Constitution de Dracon, REA, 42 (1940) (Mélanges G. Raper), p. 64-73. — K. von Frirz-E. Kap», Aristotle's Const. of Ath., New-York, 1950, p. 8-11, et K. von Fritz,

The

composition

Constitution,

of Aristotle's

Constitution οἱ Athens and the so-called Dracontian

Class. Phil., 49 (1954), p. 73-93, soutiennent

qu'Aristote n'attribuait

pes cette constitution à l'archonte ; ce serait la constitution « du temps de Dracon

».

ais les textes de 3,1 (τῆς πρὸ Δράκοντος), 4, 1 et 41, 2, ne se prêtent pas à cette interprétation. 68. 3, 1.

‘Ioropia : LES ŒUVRES

107

mais en retrace l'évolution, qui a couvert une longue période de temps ‘?. Elle semble inclure toute l'organisation ancienne de l’Attique, sous le régime monarchique comme aux débuts de l'aristocratie, à l'époque d' Ion, puis de Thésée, et dans les temps qui ont suivi. Aristote en effet, mentionnant la royauté, indique qu'elle était « ancestrale », πάτριος, sans en préciser davantage les origines ; puis il rappelle l'intervention militaire d'Ion, et expose l'affaiblissement progressif de la royauté. À cette « première constitution » succède donc celle de Dracon, puis une troisième, celle de Solon 70, Or la récapitulation des constitutions, qu'Áristote établit à la fin de la partie historique, en 41, 2, est à la fois confuse et difficile à concilier avec ces données premières. Aristote compte au total onze réformes ou transformations — μετὰθολαί --- de l'organisation athénienne, la onzième correspondant au retour du peuple en 403. Examinons les étapes initiales de cette évolution : 1) L'immigration d’Ion : Ἦν δὲ τῶν μεταβολῶν ἑνδεκάτη τὸν ἀριθμὸν αὕτη. Πρώτη μὲν γὰρ ἐγένετο μετάστασις τῶν ἐξ ἀρχῆς "Imvos καὶ τῶν uet! αὐτοῦ συνοικησάντων᾽ τότε γὰρ πρῶτον εἰς τὰς τέτταρας συνενεμήθησαν φυλὰς καὶ τοὺς φυλοδασιλέας κατέστησαν. « C'était la onzième réforme de l’organisation athénienne. Le premier changement à l’état primitif fut dû à Ion et à ceux qui s'établirent avec lui ; alors pour la première fois ils se répartirent dans les quatre tribus et établirent les rois des tribus » 77], 2) L'œuvre de Thésée : Δευτέρα δὲ καὶ πρώτη μετὰ ταύτην ἔχουσα πολιτείας τάξιν, ἡ ἐπὶ Θησέως γενομένη, μικρὸν παρεγκλίνουσα τῆς βασιλικῆς. « En second lieu la première

modification,

après celle-là,

sous

forme

de véritable

constitution se produisit sous Thésée et s'écarta un peu de l’état monarchique » 73, 3) L'œuvre de Dracon :

Μετὰ δὲ ταύτην à ἐπὶ Δράκοντος, ἐν } καὶ νόμους ἀνέγραψαν πρῶτον. « Après elle ce fut la réforme de Dracon, où l’on rédigea pour la première fois les lois ». 4) L'œuvre de Solon : Toten δ᾽ ἡ μετὰ τὴν στάσιν ἡ ἐπὶ Σόλωνος ... « La troisième se produisit aprés la guerre civile, sous Solon »... Ainsi Aristote appelle « troisième » la quatrième transformation de notre liste, En revanche, cette troisième étape occupe le méme troisième rang au début de la partie historique 73, Mais là, Aristote décrivait une 69. 3, 2-4. 70. 5 sq. 71. 41, 2, trad. MarniEv-HaussoULLIER traduisons « organisation athénienne

(ainsi que dans ce qui suit). Mais nous

», au lieu de « constitution athénienne

», parce

que le mot « constitution » n'est pas exprimélen grec ; il faut recourir à une expression vague. 72.

Nous ajoutons la traduction de μετὰ ταύτην, omise par

LIER (ταύτην représente la « transformation » due à Ion). 73. 5 sq.

MarutEv-Haussour-

108

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

« premiére constitution » qui ne correspond ni par ce chiffre, ni exactement par son contenu, aux deux premiers points de la récapitulation. La contradiction est manifeste. Faut-il croire que, dans sa récapitulation, l'auteur, rédigeant vite, a confondu « constitution » et « réforme», πολιτεία et peradorn ? Il compterait alors douze constitutions — ce qui explique le décalage d'une unité — et onze transformations. Avant annoncé onze transformations, il indiquerait d'abord le régime primitif, puis les onze réformes successives. Mais cette interprétation ?* laisse subsister la contradiction avec les premiers chapitres, et surtout, elle fait violence au texte μετάστασις τῶν ἐξ ἀρχῆς : l'état primitif, pour Aristote, n'est pas le régime d’Ion, mais ce qui l’a précédé, τὰ i£ ἀρχῆς. Le régime d'Ion, en revanche, est à la fois première transformation et première constitution, ou, plus exactement, première transformation ayant valeur constitutionnelle : Ja seconde sera l’œuvre de Thésée, ainsi qu'Aristote l'affirme, πρώτη μετὰ ταύτην ἔχουσα πολιτείας τάξιν.

Un premier élément de solution, fort vraisemblable, consiste ἃ admettre que la constitution dite de Dracon a été ajoutée au texte original 78. C'est en effet la seule explication possible du décalage dans les chiffres : si dans la récapitulation nous supprimons la phrase relative à Dracon, les μεταδολαί sont réduites à onze, dont l’œuvre de Solon représente bien la troisiéme. Áristote a été ici victime, comme l'écrit G. Mathieu, « de son amour de la documentation précise au détriment de la tradition authentique » 7%. [ntercalant une nouvelle étape — un faux — dans la partie historique, il a complété rapidement le résumé, déjà établi, du chapitre 41. Il a aussi précisé, au début du chapitre 3, que « l'ancienne constitution » était « antérieure à Dracon », τῆς πρὸ Δράκοντος. Ce n'est guére que l'auteur lui-méme qui a pu à la fois ajouter ces précisions, et laisser en l'état les chiffres que comportait une rédaction antérieure : τρίτη δ᾽... 7. Tant de précautions jointes à tant de négligence surprendraient de la part d'un interpolateur, En revanche, un passage de la Politique, à la fin du second livre, indique clairement que la documentation d’Aristote, au sujet de Dracon, a évolué : Dracon, dit-il,

n'est pas l'auteur d'une constitution, Δράκοντος δὲ νόμοι μέν εἶσι, πολι-

τείᾳ δ' ὑπαρχούσῃ τοὺς νόμους ἔθηκεν 78. Ce texte 79. est probablement antérieur à l’addition,

dans l’Athènaion

Politeia, du chapitre 4 et des

quelques modifications qu'il a‘entraînées par ailleurs ; il montre comment s'enrichissait l'information d’Aristote. Si même il était posté74. C'est apparemment

la première interprétation de MarRIEU-HAUSSOULLIER,

v. addendum à la 4° éd., Paris, 1952, p. 101. 75. G. Marnieu, Essai sur la méthode..., Paris, 1915, chap. VII; introd. à l'éd. de

la Coll. des Univ. de Fr., p. viri sq. ; E. Drerup, £st. dic Ath. Pol. des Ar. vollendet? Mnemosyne, N. S., 10 (1941), p. 3sq.; A. Tovar, Ar. la Const. de At.,

p. 29 76. 77. 78. ουργὸς

Madrid, 1948,

sq. Éd. de la Const., p. 1x. 41,2. Pol., 11, 12, 1274 b 15 sq. (cf. b 18-19 : ἐγένετο δὲ καὶ Πιττακὸς νόμων δημιἀλλ’ οὐ πολιτείας.

79. Cf. supra, p. 31.

Ἰστορία : LES ŒUVRES

109

rieur, il attesterait du moins qu'Aristote ne restait pas obstinément fidèle aux premiers renseignements qu'il avait recueillis, Sa position a pu varier à plusieurs reprises. Toutefois, l'addition une fois admise, la récapitulation ne correspond pas encore exactement au début de la partie historique. T.’&limination de la constitution attribuée à Dracon justifie la troisième place donnée à Solon. Mais les deux premières étapes distinctes — Ion, Thésée, — ne coïncident pas avec les premiers chapitres de la Politeia : l'« ancienne constitution,

antérieure

à Dracon » était, disent-ils, « la première » 9),

Aristote nous donne donc, séparées par une quarantaine de chapitres, deux vues différentes de l'histoire constitutionnelle d'Athènes. Mais les premiers chapitres que nous lisons ne forment pas le début de la Politeia *! ; les Anciens en connaissaient d'autres, dont ils nous ont légué quelques fragments. Ces textes, quoique trés brefs, ne laissent aucun doute : Aristote, au début— au véritable début — de l'Athénaton Politeia, attribuait effectivement à Ion une « réforme constitutionnelle », et une autre à Thésée.

Ion, dit-il, « réunit l'Attique en un seul État »,

et ]a répartition des citoyens en tribus, trittyes, phratries, familles, devait

lui étre attribuée 82, Quant à Thésée, il fut « le premier à pencher vers la foule... et à abandonner le pouvoir absolu » 9, Ainsi, cette partie aujourd'hui perdue de la Constitution d' Athénes, en décrivant l'évolution constitutionnelle de la cité, s'accordait avec la récapitulation, mais non avec nos premiers chapitres, Est-ce que, cette fois encore, l'utilisation de documents nouveaux peut expliquer la différence des versions ? Il est certes permis d'imaginer qu’Aristote a consulté tantôt des travaux qui présentaient comme un tout le régime antérieur à Dracon, et tantót d'autres qui établissaient des distinctions. Mais aucun élément ne confirme cette hypothése, au contraire : la tradition marquait une étape décisive, une véritable cou-

pure, à l'époque de Thésée %. Le rôle d' Ion aussi était souvent souligné 85. Or, en l'absence de toute source historique définie, il ne faut pas oublier que la contradiction peut tirer son origine, plus vraisemblablement, d'idées proprement aristotéliciennes, D'une part, en effet, le Stagirite a donné, de la constitution en général et de chaque type constitutionnel, des définitions précises 9. Mais, d'autre part, à mesure qu'il classait les

documents

dont

il disposait,

1] modifiait

certaines

définitions,

1]

assouplissait les cadres qu'il avait d'abord posés. Il lui arrivait de distinguer dans chaque variété des nuances si subtiles, qu'il devait renoncer 80. 3,1;4,1. 81. Cf. éd. Maruieu-HaussouLuiE, app. crit., début. 82. Rose, 83. 84. ment 85. Solon, 86.

Rose, 1886, 381 (= Marmieu-HaussouLzien, 1, p. 74). HÉRACLIDE, début ; 1886, 385 (cf. MarniEu-HAUSSOULLIER, 3, 4, 5, p. 74 8q.). Rose, 1886, 384 (= Maruikgv-HavussourLiEn, 2, p. 74) ; HÉRACLIDE, début. Tuucyoıne, II, 15, 1-2; PzuTARQUE, Thésée, 24-25, qui ne dépend pas forcéd'AnisTOTE ; cf. F. Jacogr, Atthis, Oxford, 1949, p. 247, n. 49. H£noporz, V,66; VIII, 44; EuniPiDE, Jon,1571sq.Cf. cependant PLU TARQUE, 23. Pol., II, 7 sq. et IV, 2 sq.

110

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

à un classement strict : n’a-t-il pas affirmé qu'une constitution « bien équilibrée » pouvait étre rangée indifféremment dans deux catégories réputées distinctes * ? De ces hésitations du philosophe, de ces difficultés, notre récapitulation présente une trace: πρώτη μετὰ ταύτην ἔχουσα πολιτείας τάξιν — Aristote s'obstine à diviser, à classer exactement —, mais il ajoute : μικρὸν παρεγκλίνουσα τῆς βασιλικῆς : presque une royauté, encore une royauté, et cependant, un régime déjà autre, qui n’a pas de nom à lui. Ce sont ces difficultés de vocabulaire et de classement qui ont dû l’amener, au chapitre 3, à rassembler en une seule constitution — « la première » — des régimes qu'ailleurs il croyait pouvoir distinguer. Nous conelurons donc que nos premiers chapitres de l'Athénaion Politeia, les fragments de ceux qui/les précédaient et la récapitulation (41, 2) marquent deux repentirs : introduction de la constitution dite de Dracon, qui bouleversa un classement antérieur ; hésitations relatives

à l'époque primitive, de la monarchie et de l'aristocratie la plus ancienne. L'ordre dans lequel ces modifications sont intervenues ne peut étre rigoureusement déterminé, ni a fortiori l'état premier du texte. La partie historique disparue est, cependant, contemporaine d'une récapitulation oü Dracon ne figurait pas ; l'actuel chapitre 4, non plus, n'existait pas. Puis fut introduite dans le texte la documentation

relative à Dracon,

la récapitulation étant modifiée sans doute en méme temps que le début de l'ouvrage, ou peu aprés. Il est vraisemblable qu'alors seulement— à une date assez récente ® — Aristote admit de confondre les constitu-

tions primitives dans l'actuel chapitre 3 ; l'expression τῆς πρὸ Δράκοντος serait donc contemporaine du chapitre 4, naturellement, mais aussi de toute cette rédaction de 3 que nous possédons 99. Ainsi s'explique qu’Aristote ait ajouté toute une phrase dans la récapitulation — μετὰ δὲ ταύτην ἡ ἐπὶ Δράκοντος, ἐν ἢ καὶ νόμους ἀνέγραψαν πρῶτον --- sans corriger les chiffres qui, de ce fait, devenaient faux, et sans commenter

le moins du monde cet insolite « numéro bis » : c’est qu’à ce moment, il juge artificielles ces distinctions tranchées et chiffrées. Quoi qu'il en soit, ces modifications sont le résultat d'un travail progressif. Elles prouvent que la Constitution n'a pas été écrite d'un seul trait, ni en un temps trés limité. Les deux difficultés qui restent à examiner conduisent à la méme conclusion. Toutes deux prouvent en effet que, dans deux passages de sens remarquable, l'auteur a hésité et transformé son texte. 87.

Pol., IV, 9,1294

5 13 sq. Cf. infra, p. 356.

88. Cf. infra, p. 351 sq. L'idée d'une « unité des constitutions » parait en effet assez tardive chez ARISTOTE. 89. On considère en général que c'est une addition au chap. 3, cf. A. Tovan, Ar., la Const. de At., Madrid, 1948, p. 30. En revanche, K. von Fnirz-E. Kapp., Ar.'e

Const. of Ath., New-York, 1950, p. 9 sq., soutiennent que les chap. 3-4 forment un tout, et montrent que le chap. 2 devrait normalement étre suivi du chap. 5. Contre l'interprétation que ces auteurs donnent de la Constitution de Dracon, v. supra, p. 106, n. 67. Mais le rapport entre 2 et 5 est évident, et fournit un argument en faveur de la chronologie que nous proposons.

‘Iorople:

b) Trieres, Le texte de correction, Le (scil. ἣ βουλὴ)

LES

ŒUVRES

111

tetreres... 46, 1, d’où les pentéres sont absentes, est le produit d'une papyrus porte un δέ, qui n'a pas de sens : ἐπιμελεῖται δὲ xal τῶν πεποιημένων τριήρων xal τῶν σχευῶν xol τῶν

νεωσοίκων, καὶ ποιεῖται καινὰς [δὲ] τριήρεις À τετρήρεις, ὁποτέρας dv ὁ δῆμος χειροτονήσῃ, xal σχεύη ταύταις καὶ vewaolxouc. Depuis la première édition, de Kenyon, ce δέ est généralement condamné ®. Dans son étude ?!, A. Tovar montre au contraire que cette particule mal placée doit étre l'indice « d'une addition, faite par Aristote précisément aprés 330, quand apparaissent les tétréres dans la flotte athénienne ». L'indice est en effet remarquable, car le texte est mal composé. Aristote a d'abord mentionné, avec les agrés et les loges, les seules triéres,

dont l'entretien est surveillé par le Conseil.

Mais, lorsqu'il s’agit de

constructions neuves, les tétréres viennent se joindre aux trières. Cependant, l'énumération des matériels à entretenir était détaillée et, apparemment, voulait étre compléte. Il faut donc admettre qu'un premier texte traitait — pour l'entretien et pour la construction — des seules trières, de leurs agrès et de leurs loges. Puis la construction des tétréres a amené Aristote à compléter son développement. Le δὲ suspect subsiste de la premiére rédaction, A. Tovar propose méme de reconstituer le texte primitif, qui serait xal ποιεῖται

καινὰς

δὲ xal

σκεύη

ταύταις

καὶ

veccolxouc.

Mais cette

position de δὲ demeure surprenante. Dans l'expression xal... δὲ... il y a rarement plus d'un mot entre καὶ et δέ, Il s'agit alors de ne pas séparer par δέ des mots qui vont naturellement ensemble (article et substantif, préposition et régime, etc.) 92, L'usage d'Aristote est ici conforme à

l'usage général 35, L'hypothése d'un groupe xal ποιεῖται καινὰς

δὲ...

ne peut être acceptée,

Nous ne retrouverons donc pas la premiére rédaction— d'autant moins que plusieurs rédactions et corrections, non pas deux seulement, peuvent aussi bien être confondues ici. Mais il reste que ce δέ, joint à la précision supplémentaire 7) τετρήρεις, est un indice d'addition dans ce passage si important pour la datation de l’œuvre. Le texte a dû être 90.

H.

van HERWERDEN-J.

van LeEgUWEN,

Aristotelis

Respublica, Leyde,

1891,

p. 117, suggèrent de lire xal καινὰς δὲ τριήρεις ἢ τετρήρεις ποιεῖται. 91. 92.

Sobre la naturaleza..., cf. supra, p. 106, n. 66. J. D. DeNNisTON, The Greek Particles, Oxford, 1934, allégué par A. Tovan,

dit bien (p. 202) qu'entre καὶ et δὲ il n'y a en général qu'un ou deux mots ; mais il ne cite aucun exemple où ces deux mots ne soient pas unis par un rapport étroit. Ce rapport n'existe pas dans ποιεῖται xatv&q. Cf. encore Χένορηον, Anabase, I, 1, 5, xal τῶν rap’ ἑαυτῷ δὲ... ; SrRABoN, 1,3,18 (C 59), καὶ ὑπὸ τῆς Βιστονίδος Bb... ; Drocène Laeace,

11,7, 61, xal τοὺς τῶν ἄλλων δὲ.... Et méme Politique, V, 11,1313 b

32, xal τὰ περὶ τὴν δημοχρατίαν

δὲ..., où quatre mots, fortement liés, séparent xal

et δὲ. On pourrait cependant invoquer, pour l'analogie, PLaron, Lettre VII, 345 d,

1, αὑτοῦ xarà νόμους δὲ ἐπιτροπεύοντος, mais le texte n'est pas sûr. Dans une ex-

pression comme per’ οὐ πολὺ δέ, Dic£AnQUE, frag. 59 MUrrzn, Fr. Hist. Gr., Il, p. 254, existe également un lien grammatical étroit. De méme chez JAMBLIQUE, cité infra, p. 151, n. 418. Etc.

93. Références dans Bonıtz, Inder Ar.,357 b4^ sq. ; ajoutons Pol., V, 11, 1313 ὃ 32; VI, 1, 1317 a 12.

112

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

complété aprés 329 et, probablement, avant 326, — puisqu'Aristote omet les pentéres : l'auteur n'a pas jugé nécessaire, dans ses toutes derniéres années, de le retoucher encore.

c) La chronologie de Pisistrate. Les chiffres que donne la Constitution, pour les tyrannies et les exils de Pisistrate, sont en désaccord avec ceux que donne la Politique % ; mais en outre, ils ne concordent méme pas entre eux. La premiére tyrannie aurait duré cinq ans (chap. 14, 3), le premier exil onze ans (14, 4), la seconde tyrannie six ans (15, 1) *5, le second exil dix ans (15, 2) — et cependant Pisistrate, mort trente-trois ans aprés sa premiére accession au pouvoir

(17, 1), aurait été tyran,

au total, dix-neuf

ans,

et exilé

quatorze ans (17, 1). G. Mathieu a montré que cette contradiction interne provenait d'un mélange de sources %. Aristote a emprunté à Hérodote le chiffre de dix ans pour le deuxième exil ; les autres données sont cohérentes. Toutefois, Aristote, dans son récit du second exil, n'a suivi Hérodote

que sur ce point précis. La version qu’il donne des événements est, dans l'ensemble, trés différente, D’après Hérodote, Pisistrate exilé se rendit tout de suite à Érétrie ; là, « le temps passa » ® en préparatifs de retour, et la onzième année Pisistrate et ses fils rentrèrent en Attique. Chez Aristote au contraire, Pisistrate, semble-t-il, n'arrive à Érétrie qu'après bien des détours : il a d'abord colonisé Rhaikélos, prés du golfe Thermaïque ; de là, il a gagné la région du Pangée, et enfin seulement Érétrie, Tous ces voyages sont inconnus d’Hérodote. C'est donc en introduisant ce chiffre de dix ans qu'Aristote a de nouveau recours à Hérodote. Ici se place le raccord entre des versions differentes 9°, Aristote écrit : ἐλθὼν εἰς ᾿Ερέτριαν ἑνδεκάτῳ πάλιν ἔτει τό < τε πρῶτον ἀνασώσασθαι βίᾳ τὴν ἀρχὴν ἐπεχείρει 100, Or la signification exacte de cette phrase est difficile à déterminer. Plusieurs interprétations en ont été proposées, A la suite de Sandys, certains croient trouver là une allusion indirecte à un premier passage par Érétrie, au début de l'exil. Ainsi K. von Fritz et E. Kapp traduisent : « He went again to Eretria in the eleventh year. It was then that he made an attempt for the first time to recover his 94. Pol., V, 12, 1315 5 29 sq. Des éditeurs condamnent ce passage, mais sans arguments décisifs, cf. supra, p. 44. Sur la chronologie de Pisistrate, v. A. Armanp,

dans Les premiéres civilisations (Peuples et Civilisations, I), Paris, 1950, p. 576 sq. 95. « Sept ans », par erreur dans G. MarurEv, introd. à l'éd. de la Const., p. xi ; cf. au contraire traduction, 15, 1.

96. Ibid., et déjà Essai sur la méthode..., chap. III, p. 31 sq. Diverses corrections ont été proposées, cf. G. Maruieu, ibid., et F. Jaconv, Athis, Oxford, 1949, p. 188 sq.

Mais elles ne suffisent pas à rendre ces données cohérentes. V. K. von Frıtz-E. KApr, Ar.'s Const. of Ath., New-York,

97.

I, 62,

DEORAND,

διὰ

évôexarou

Hérodote,

1950, p. x sq., et 159, n. 36.

ἔτεος;

sur

le sens,

certain,

1 (Coll. des Univ. de Fr.), p. 67, n. 3.

98. I, 61. 99. Deux ou plusieurs, ce qui n’importe pas ici. 100. 15, 2.

de

l'expression,

Ph.

E.

“Ἰστορία : LES ŒUVRES

113

rulership by force » 11, Πάλιν, au sens de « again », « encore », marquerait un retour à Érétrie ; il faut alors supposer qu’Aristote suit Hérodote, en amenant Pisistrate à Érétrie immédiatement après sa chute ; il omet simplement de l'indiquer un peu plus haut 14 Omission vénielle ? ou contamination maladroite ? Toutefois, cette interprétation est douteuse, Πάλιν, à cette place, dans

ce contexte, ne peut guère la supporter. L’adverbe est trop éloigné du verbe pour suffire à exprimer l'idée d'un retour à Érétrie; on attendrait, dans cette hypothèse, un verbe précis, comme ἀνελθών 1%, au lieu de ἐλθών. Ici, enclavé dans un complément de temps, le mot πάλιν indique une étape nouvelle, et, effectivement, un retour 1% : mais c'est d'un retour au pouvoir qu'il s’agit. Pisistrate se rend d'abord — πρῶτον μέν — 1% à Rhaikélos, puis de là — ἐκεῖθεν δέ — au Pangée, et enfin, la onziéme année, revenant vers l'Attique et la tyrannie, il gagne Érétrie. Πάλιν souligne la signification générale de la phrase qui, elle, n'est

pas douteuse 1%, Aristote, par conséquent, diffère bien d’Herodote, au sujet du premier séjour de Pisistrate comme à propos des autres déplacements du tyran. Mais le groupe ἑνδεκάτῳ πάλιν ἔτει, placé à ce raccord entre des récits contradictoires, est lui-même, en soi, contradictoire. Les autres interprétations qui ont été proposées de ce passage ne réduisent pas cette incohérence, . En effet, l’idée de retour, non à Érétrie, mais vers le pouvoir,

que

contient πάλιν, est également incluse dans le préverbe ἀνα- de ἀνασώσασ-

θαι. Pourtant,

faut-il rattacher ἑνδεκάτῳ πάλιν ἔτει à ἐπεχείρει ? La

construction est évidemment impossible dans le texte corrigé par Blass, τότε πρῶτον, qu’adoptent la plupart des éditeurs. Mais l'impossibilité existe déjà dans le texte du papyrus, τὸ πρῶτον. Le rapprochement

des deux adverbes, πάλιν et τὸ πρῶτον, dont l’un marque un mouvement inversé, tandis que le second correspond à un élan nouveau, est en effet

singulièrement brutal : « Il entreprit, la onzième année, cette fois en sens inverse, pour la première fois » ... A. Tovar, qui choisit cette construction avec ce texte, ne le traduit pas exactement, lorsqu'il écrit: «... vino a Eretria y al aüo undécimo comenzó a querer recuperar el poder por la violencia » 19, Le heurt πάλιν [τὸ πρῶτον est amorti : c'est 101. K. v. Furrz-E. Kar, Op. cit., p. 83. SanDys adoptait cette interprétation dés 1893. Kenvon, qui ne la signale méme pas dans ses premières éditions (Londres, 1891, 1892), l'accepte dans sa traduction de 1920 (The works of Aristotle..., Oxford,

t. X) : « And not till ten years had elapsed did he return to Eretria. » 102.

K. v. Frirz-E.

Kar,

ibid., n. 35, p. 158 sq.

103. Ou ἐπανελθών, ou κατελθών....

104. Bonıtz, Index Aristotelicus, 559 a 60 sq. : « Omnino contrarium motum vel

actum haustit 105. 106.

significat. » Aucun des exemples de l'7ndez — qui, il est vrai, n'est pas ex— n'appuie l'interprétation de Sanpys. 15, 2, comme ce qui suit. Selon G. Kaiser, Stil und Text der Politeia Athenaion des Aristoteles, Berlin,

1893, p. 13, ce πάλιν est surtout là pour éviter un hiatus ; sa valeur est faible ; au contraire, en 13, 1, dans l'expression xal πάλιν Ereı πέμπτῳ, le mot est détaché, et

prend une signification forte. 107.

A. Tovan, Ar., La Const. de At., Madrid, 1948, p. 79. Sur la valeur qu'il attri-

bue à τὸ πρῶτον, infra, n. 110. Aristote et l'histoire

8

114

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

que τὸ πρῶτον n'est guère traduit, Enfin, à la difficulté logique s'ajoute une objection grammaticale : le complément de temps au datif marque la date ; les verbes du contexte étaient jusque là à l'aoriste, qui est justement le «temps de la chronologie pure et du procès-verbal » 18 ; brusquement, Aristote passe à l'imparfait, ἐπεχείρει, « employé dans toute description détaillée et concrète, par opposition à l'aoriste » : il serait étonnant que le complément de « date » füt, ici, rattaché à l'imparfait, et non au participe aoriste qui, de la méme facon que deux autres participes aoristes et que les indicatifs aoristes précédents, marque des faits précis, de durée négligeable 109,

On rattache donc, en général,

ἑνδεκάτῳ

πάλιν ἔτει à ἐλθών. Mais

— l'interprétation de Sandys étant écartée — le texte n'est pas encore clair, Τὸ πρῶτον, ainsi placé en tête de proposition, brise la phrase, par une reprise qui reste brutale. La correction de Blass, τότε πρῶτον, donne

plus de naturel à la phrase : Pisistrate se rend à Érétrie la onziéme année, et c'est alors, pour la première fois, etc. Τότε reprend, de façon souple, ἑνδεκάτῳ ἔτει. Et πρῶτον signifie « pour la première fois », au moins aussi bien que τὸ πρῶτον !!9, Mais il faut corriger. Et méme ainsi, le rapport πάλιν [ἀνα- subsiste : πάλιν, disions-nous 111, souligne la signification générale de la phrase — tout en dépendant exclusivement du premier verbe. Il y a là un déséquilibre, G. Mathieu et B. Haussoullier traduisent : « Arrivé à Érétrie, dans le cours de la onzième année, ce fut

alors qu'il tenta pour la première fois !1?,, » : la disparition de πάλιν est ici encore un signe de la difficulté, que la correction ne parvient pas à supprimer. Ce texte, en somme, manque de cohérence, à l'endroit précis où Aristote, recourant de nouveau à Hérodote, introduit un chiffre qui, lui, est inconciliable avec les autres données numériques du récit, C'est la preuve, soit que ce chiffre a été rajouté, soit qu’Aristote, aprés coup, l'a commenté par une notation du type τὸ πρῶτον. Il n'est pas possible de rétablr sans imprudence une première version et de faire l'histoire des corrections qu’Aristote lui a apportées, Mais il y a eu, certainement, hésitation et, d'une facon ou d'une autre, retouche,

Les trois problémes que nous venons d'examiner présentent donc une remarquable particularité commune : à une nouveauté de la documenta108.

J. Humserrt,

Synt. gr., 2° éd., Paris, 1954, p. 139, & 238.

109. Ibid., p. 141 sq., et p. 175, $8 292. — DÉNOsTHÈNE, Cour., 169, écrit: τῇ 5

ὑστεραίᾳ... ol μὲν πρυτάνεις τὴν βουλὴν ἐκάλουν εἰς τὸ βουλευτήριον, ὑμεῖς 8 els τὴν ἐχκλησίαν ἐπορεύεσθε, Mais tout le récit, dans les lignes qui précèdent, est déjà à l'imparfait ; DÉMOsTHÈNE n'emploie pas ici un seul aoriste. 110.

V. Dict. de Lippgrt-Scorr..., 3.

v. πρότερος,

B III a et d.

Bonrrz,

Indez

Aristotelicus, Berlin, 1870, 654 a 8 sq., donne des exemples de τὸ πρῶτον ou πρῶτον, indifféremment,

mais

au sens de « d'abord »,

«en premier lieu ». A. Tovar,

Sobre

la naturaleza..., Revista de Estudios Clásicos, 8 (1948), p. 162 sq., semble ici admettre les deux sens. 111. Supra, p. 113. 112. Trad. Marmieu-Hauscovrrien. C'est déjà, apparemment, l'interprétation

‘Iotoplæ : LES ŒUVRES

115

tion correspond une incohérence du texte, sans qu’une correction raisonnable, susceptible de donner au texte une unité, suffise à faire en méme temps disparaître l'élément documentaire nouveau, En 15, 2, une correction est utileà l'interprétation littérale ; en 46, 1, elle est indispensable; mais ni l'une ni l'autre ne peuvent, sans arbitraire, modifier la durée de l'exil ou l'énumération des triéres, tétréres, pentéres, Quant à la

« constitution de Dracon », il faudrait, pour supprimer toute anomalie, rectifier le chapitre 3, supprimer le quatriéme et mutiler le quarante et uniéme, L'hypothése d'interpolations ou d'erreurs n'est pas concevable à ce degré, en l'absence d'indices plus probants. Au contraire, ces faits appuient fortement l'hypothése émise par A. Tovar 115, selon qui la Constitution d' Athénes était en réalité un « manuscrit de travail », constamment retouché par Aristote. Une publication était peut-étre envisagée par le Stagirite ; du moins l'indispensable révision finale n'a-t-elle jamais été menée à bien. Ainsi s'expliquent les contradictions de date : un passage peut étre antérieur (46, 1) à 326, tandis qu'un autre (61, 7) est postérieur à 324, si tous deux n'appartiennent pas à la méme rédaction. Ces dates, il est vrai, ne sont pas certaines, dans l'état actuel de nos

connaissances, Mais la contradiction entre les indices ne doit pas non plus constituer une objection contre l'un ou l'autre d'entre eux, Ainsi Aristote travaillait à la Constitution d' Athénes aprés 329, à coup sûr ; peut-être aprés 324 encore ; peut-être aussi une étape intermédiaire apparait-elle, avant 326. Le tableau des institutions, oü figurent ces references, a donc été retouché. La partie historique a subi le même traitement, sans qu'on puisse toutefois fixer ici de dates, Mais celle de 329 n'est elle-méme qu'un repére : ce travail, si progressif et minutieux, a dà commencer plus tót, Toutefois, cette derniére vraisemblance ne nous éloigne pas beaucoup de la datation traditionnelle. Rien ne prouve en effet que les premiéres recherches — et a fortiori une première rédaction — soient beaucoup plus anciennes, Sans doute, dans son ouvrage déjà cité, J. Zürcher affirme-t-il que la première partie serait une œuvre de Jeunesse d’Aristote — ceci, d’après l'unité de style !!*. Mais n'est-ce pas oublier que fait ici défaut, en revanche, une unité beaucoup plus fondamentale dans une étude historique, l'unité de documentation ? N'est-ce pas aussi de G. Marmieu, Essai sur la méthode..., p. 31 sq., où, rapprochant Aristote et Hérodote, il n'attribue nullement à Aristote l'idée d'un premier séjour à Érétrie. 113. Op. cit., p.158 sq. A. Tovan prend en considération plusieurs des textes que nous

venons

d'examiner aprés lui, En outre, dans son éd, de la Const. (Madrid, 1948),

p. 29 sq., il signale (d’après E. Drerur, Mnemosyne, 10 [1941], p. 1 sq.), des irrégula-

rités qui paraissent cependant moins significatives : 3, 1, ἀριστίνδην xal πλουτίνδην

serait un doublet de 3, 6. — 4, 1, μετὰ δὲ ταῦτα reprendrait la méme expression, de 2, 1. Etc. 114. J. Züncnen, Aristoteles Werk und Geist, Paderborn, 1952, p. 258 ; sur cet

ouvrage, v. supra, p. 54. J. ZÜRCHER est cependant, à notre connaissance, le premier qui ait remarqué que les indices chronologiques sont tous groupés dans la seconde partie de la Constitution ; ila ne permettent donc pas de dater sans réserve l'exposé historique.

116

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

surestimer un style qui souvent n'évoque que de fort loin le « fleuve d'or »

dont parle Cicéron 115 ? Au total, il n'y a pas de raison de croire qu’Aristote a entrepris la Constitution d'Athènes avant la période du Lycée, Mais au lieu de se placer rigoureusement entre 329 et 326, ou 324 et 322, l’œuvre apparaît maintenant comme le résultat de recherches et de corrections qui ont pu durer dix ans, ou un peu davantage. 20 Les Νόμιμα. Ce travail semble, au contraire, avoir été entrepris trés tôt. Il est attesté sous plusieurs titres et sous plusieurs formes. Varron et Apollonios citent les Νόμιμα βαρθαρικά 116 : le catalogue de Diogéne Laérce les ignore, mais l'auteur de la liste anonyme connait des Νόμεμα

(n9 131 dela liste), des Νόμιμα ἹΡωμσίων (n° 186), une Νομίμων βαρδαρυκῶν συναγωγή (n° 187) 117, Athénée se réfère à des Τυρρηνῶν νόμιμα 1:3. Cette dernière expression suggère que les Νόμιμα étaient classés par peuples, dans un ordre, alphabétique ou rationnel, qu'il n'est pas possible de déterminer 119, Les Νόμιμα Ῥωμαίων de l’Anonyme pouvaient donc correspondre à des extraits qu'il était facile de séparer 19, Athénée lui-méme a pu consulter de semblables extraits relatifs aux Étrusques, ou seulement une subdivision de l'ouvrage d'ensemble. Quant à la

συναγωγή de l'Anonyme, le mot indique-t-il, comme on le veut quelquefois, un résumé du grand recueil ??! ? En général, il désigne plutót a une collection » : c'est en ce sens qu’Aristote lui-même l'emploie 122, et bien que les titres de la liste ne remontent pas forcément à Aristote, il est difficile de les interpréter d'une facon qui ne soit pas, si possible, 115. Cicéron, Acad. Pr., 11, 38, 119. Il est vrai que G. Karnzr, Stil und Text der Pol. Ath. des Ar., Berlin, 1893, p. 2, considère la-Constitution comme une œuvre d'art. Mais cf. K. von

Frirz-E.

Kap», Ar.'s Const. of Ath., New-York,

1950, p. 6

et n. 1. G. Kainzr reconnaissait du reste (ibid., p. 10) que le style de la Constitution était beaucoup moins travaillé que celui des dialogues. 116.

Varron, De ling. lat., VII, 70 =

117.

Nous nous en tenons aux numéros donnés par Rose (1886), qui sont parfois

11 = ibid., 605.

Rose,

1886,

604, ArozLon., Hist.

mirab.,

rectifiés par P. Monaux, Les listes anciennes...

118. Arn., Épit., 1, 23 d = Rose, 1886, 607.

119. F. Dümuren,Zu den historischen Arbeiten der ältesten Peripatetiker, Rhein. Mus., 42 (1887), p. 194, croit que l'expression ἐν Τυρρηνῶν νομίμοις est une facon négligente de citer ; le recueil aurait été classé par matières. Mais rien n'appuie cette hypothèse. Au contraire, elle est infirmée par le rapprochement entre cet ἐν Γυρρηνῶν νομίμοις et les νόμιμα Ῥωμαίων de l'Anonyme : c'est bien un classement par peuples.

C'est ce que confirme le fragment de Dipvwe : 'Apiorot [king ἐν τῇῆι τρίτη[ι τῶν Νομίμων ἣ περὶ] τῶν Σκυθῶν ἐθῶν ἐ]στί pn[erv... Dıpymz, dans l'éd. DıersScausarr,

Mais

IV,

14.

le troisième

livre

était-il donc

entièrement

consacré

aux

mœurs

des

Scythes ? Le contenu et l'ordonnance des trois autres livres seraient alors bien difficiles à concevoir. Vraisemblablement Dıpyme entend qu'au troisième livre AnisTOTE traitait, entre autres, des Scythes. C'est du reste un texte conjectural, qu'il ne faut pas serrer de trop prés. 120.

P. Monaux,

122.

Lipp.-Scorr,s. v. —

121. Id., ibid.

Les listes anciennes..., p. 265. E. N., X,10,1181

5 7.

“Ἰστορία : LES ŒUVRES

117

aristotélicienne. Il n'y a donc pas de différence certaine entre les n°5 131

st 187 de l'Anonyme — peut-être une différence d'édition : on en pourrait conclure alors que ce travail a longtemps retenu l'attention du Stagirite, si la « seconde édition » supposée était de lui, et non, comme cela demeure possible, d'un de ses successeurs. L'existence des « nomina » comme recueil général est en outre confirmée par Cicéron. Le passage du De Finibus que nous avons cité 123 ne peut être une allusion aux seules Constitutions : « mores, instituta, disciplinas » peut sans doute s'appliquer aussi bien aux deux recueils ;

mais comment comprendre l'oubli de la partie historique, si importante dans la Constitution d'Athénes et fort probablement dans les autres, si Cicéron ne pense qu'à cette dernière collection 134 ? Il faut qu'il songe aussi, et peut-être surtout, à un recueil plus descriptif qu’historique : ce qui est le cas des Νόμιμα. Peut-être aussi confond-il dans son souvenir Constitutions et Νόμιμα, confusion facilitée par l'existence de Constitutions pour les cités barbares. Nous avons vu que cette confusion a peut-être été faite par Photius et les auteurs de Vies et de Commentaires 1%, Elle est certaine en tout cas chez un écrivain probablement antérieur à Cicéron, l’auteur de ce qu’on appelle, faute de mieux, les « extraits d'Héraclide » 1% : il a en effet mélangé des éléments tirés des deux collections. Au milieu de véritables « constitutions », il cite les Lyciens (il est vrai que ceux-ci étaient peutêtre étudiés dans les Constitutions), les Lucaniens 127, et surtout ces Étrusques 128 dont Athénée atteste d'autre part qu'Aristote étudiait les mœurs dans les Νόμιμα. Nous lisons en effet dans I’ Épitomé d' Athénée :

᾿Αριστοτέλης τῶν γυναικῶν

ἐν Τυρρηνῶν

νομίμοις * ol δὲ Τυρρηνοὶ

ἀνακείμενοι ὑπὸ τῷ αὐτῷ

d’Heraclide » : Τυρρηνοὶ... πάντες

δὲ ὑπὸ

δειπνοῦσι

μετὰ

ἱματίῳ, et dans les « extraits

τῷ αὐτῷ ἱματίῳ μετὰ

τῶν

γυναικῶν χατάκεινται κἂν παρῶσί τινες. L'analogie, et presque l’identité de ces textes prouve que l’auteur des « extraits » recourait indistinctement aux deux recueils 129?, Cicéron a pu ne pas les distinguer davantage. Ces deux recueils sont cependant différents, par le contenu et probablement aussi par la date, Du contenu des Νόμιμα, les quelques fragments que nous possedons permettent de se former une idée assez précise, Ils concernent la Carie

(Rose, 1886, 604 et 605), l'Afrique (ibid., 606), l'Étrurie (ibid., 607 : et 608), Rome (ibid., 609 et 610). A ces fragments édités par V. Rose, il faut ajouter le texte trés mutilé, concernant les mœurs

des Scythes,

123. De [in., V, 4, 11, supra, p. 100. 124. Supra, ibid. 125. Supra, ibid. 126. Supra, p. 101, n. 37. 127. Rose, 1886, fr. 611, 43 (Lyciens), 48 (Lucaniens). D'aprés Paorius (Rose, ibid., p. 258, l. 15), il existait une Constitution des Lyciens. Mais nous avons vu (p. 100) que ces affirmations de Pnorius doivent être reçues avec réserve, 128. Rose, 1886, fr. 611, 44. 129. Rose, 1886, fr. 607.

118

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

que nous a transmis Didymos 1%, et peut-être quelques traces, décelées par F. Dümmler dans la παραδόξων ἐθῶν συναγωγή de Nicolas de Damas 11, et par Η, Diels dans un fragment de papyrus qui ressemble

précisément à l'un des extraits de Nicolas 122, Un écho des Νόμιμα est également perceptible dans la Politique 1%, Mais les textes de Rose sont la seule base sûre 1%, et aussi Ja plus riche. Ils témoignent d'intérêts très variés. Le fragment 609 est une anecdote sur les origines gréco-troyennes de Rome, qui appartient à la petite histoire ; il peut cependant avoir une signification politique, De même le fragment 610, qui évoque la prise de Rome par les Gaulois. Tous deux peuvent se rapporter à la fondation de la cité, ou au fonctionnement de ses institutions. Le premier pourtant semble surtout l'explication d'une coutume. Aucun des deux en tout cas ne correspond sûrement à une « histoire » des Νόμιμα comparable à l'histoire, par exemple, de la Constitution d’Athenes. Au contraire, il ressort du fragment 610 — tiré de Plutarque 135 — qu'Aristote traite seulement en passant de la prise de Rome : ᾿Αριστοτέλης δὲ ὁ φιλόσοφος τὸ μὲν ἁλῶναι τὴν πόλιν ὑπὸ Κελτῶν

ἀκριδῶς

δῇλός

ἐστιν

ἀκηκοώς,

τὸν

δὲ

σώσαντα

Λεύχιον

εἶναί

φησιν. Le δῆλός ἐστιν ἀκηκοώς (malgré ἀκριδῶς) indique bien que Plutarque raisonne d’après un texte qui n’est pas consacré principalement au sujet en question. Il a de plus écrit, quelques lignes plus haut : « Pour le désastre lui-même et la prise de Rome, il semble qu’un bruit plus ou moins vague en ait couru tout de suite en Grèce » 1%, Ces deux fragments pourraient du reste n'appartenir pas aux Νόμιμα, qui n'y sont pas expressément cités, mais aux * ὑπομνήματα 1%, Ils ne semblent convenir à aucune autre des œuvres érudites d'Aristote, Les fragments 604 (le deuil chez les Cariennes), 607 et 608, sur la mollesse, voire la débauche, des Étrusques, décrivent des mœurs

et des institu-

tions sociales (du «folklore», dit P. Moraux) 1%, Íragments 605 et 606 sont autant — et méme plus — que d'un sociologue : les Machlyes sont des androgynes est mi-masculine, mi-féminine ; certains scorpions de indigénes, mais non les étrangers.

tandis que les d'un naturaliste dont la poitrine Carie tuent les

130. Supra, p. 116, n. 119. 131.

F. Dümmıer,

Rhein.

Mus., 42 (1887), p. 192-195

: sur les Celtes

(souvent

cités dans la Pol., v. infra, p. 211 sq. E. N., 111,10, 1115 528 = E. E., 111,1,1229 528, seraitempruntéaux Nóu ty a). Cf. Nicoraschez ἔπιεν, V. H., XII, 2,3, et ϑτοβέε, Flor., VII, 40. De méme sur la communauté des femmes en Libye (Pol., II, 3, 1262 a

18 sq.), cf. Nicoras chez Srosée, XLIV, 41. Voir infra, p. 314 sq. 132. H. Digrs, Communication, dans Sitzungsb. der Pr. Akad. d. Wiss., Berlin, 1891, 39, p. 837 (J. P. Manarrv, Roy. Irish Acad., Cunningham Memoirs, VIII,

Dublin, 1891, Pap. IX, p. 29, à rapprocher de Nic. pe Damas, chap. 119). 133. Infra, p. 211 sq. Voir aussi H. BLocn, dans Athenian Studies presented to W. S. Ferguson, Cambridge, 1940, p. 355-376.

134.

Nicoras

la Politique, et

pe Damas à HÉRODOTE,

a pu

se reporter directement à l'une des

iV. 180.

135. Camille, 22. 136.

Ibid. Trad. B. Larranus, Paris, 1950.

137. Infra, p. 130. 138. Les listes anciennes..., p. 130 sq.

Éthiques, à

‘loropla: LES ŒUVRES

119

On peut donc admettre que sous ce titre de Νόμιμα étaient groupés des renseignements très divers, Donnaient-ils, comme l’a pensé E, Barker !??, un tableau, notamment, de «a la vie sociale et constitutionnelle à Rome vers 350 », du moins de la vie sociale, car les indications d'ordre constitutionnel sont problématiques !9 ? Ce n'était pas seulement, en tout cas, ce que L. Robin appelait un « droit coutumier des Barbares » 141, mais aussi une étude sur le genre de vie, sur la « civili-

sation » des Barbares.

Ici comme

dans les Constitutions 142, l'exposé

des conditions de vie, la description du pays, de sa faune le cas échéant, devaient tenir une grande dire pour autant avec W, Jaeger 14? que les Νόμιμα barbare des Constitutions, et doivent appartenir

ses productions, de place, Mais peut-on sont la contre-partie à la méme époque,

c'est-à-dire, selon Jaeger, au Lycée ?

L'existence de Constitutions pour les cités barbares rompt évidemment cette symétrie; et les Νόμιμα n'ont pas, non plus, le caractère d'une histoire constitutionnelle, Si méme cela était, il resterait à prouver que toutes les Constitutions sont bien de la derniére période d'Aristote, En revanche, les Νόμιμα rejoignent étrangement l'intérêt que portait l'Académie, alors qu'Aristote en faisait partie, aux lois et coutumes des peuples 14, De la méme façon, l'Académie — et Aristote — s'intéressaient alors aux recueils de proverbes 1#, Mais les Νόμιμα rencontrent aussi les préoccupations du naturaliste Aristote, Le curieux passage relatif aux scorpions de Carie correspond, mais en la déformant, à une indication de l' Histoire des Animaux : selon les Νόμιμα, ces scorpions ne sont dangereux que pour les indigènes ; dans l'Histoire des Animaux, cette restriction n’apparait pas 1*5, Ainsi, dans cet état, les deux textes ne sauraient étre contemporains, Mais faut-il en conclure qu'Aristote a voulu,

en

écrivant

l'Histoire

des Animauz,

reprendre

et corriger

les

Νόμιμα ? ou méme — avec J, Zürcher 14 — qu'il y a là une «correction implicite » d'Aristote (Ν όμι μα) par Théophraste (Histoire des Animaux) ? Ou faut-il, inversement, supposer que les Νόμιμα complétaient l’Histoire des Animaux ? La nature du complément serait telle, que la premiére hypothése est de beaucoup la plus vraisemblable — si du moins ce n'est pas là accorder trop de crédit aux auteurs, rarement scrupuleux, des Récits merveilleux qui nous ont transmis le texte des Νόμιμα et que Pline l'Ancien, notre autre source, a pu consulter 1€, Bref, dans ces 139. The Pol..., Oxford, 1946, p. 387. 140. E. Barwer a tendance à voir dans les Νόμιμα Constitutions. Mais cf. infra. 141.

l'équivalent barbare des

L. Ropın, Aristote, Paris, 1944, p. 21.

142. Supra, p. 102 sq. 143. Aristotle®, p. 328, n. 1 (« fairly probable »). 145. Infra, p. 224 sq. Cf. aussi Protreptique, infra, p. 153 sq. 145.

P. Monaux,

Les

listes anciennes...,

p. 131.

V.

infra,

p. 153

sq. : la

date

ancienne des Proverbes peut être considérée comme sûre. 146. Rose, 1886, 605. Hist. An., VIII, 29, 607 a 15. 147. 148.

Ar.' Werk und Geist, Paderborn, 1952, p. 47, cf. supra, p. 54. Rosz, 1886,605 (= Arorıon., Hist. mir., 11; Anrıc., Hist. mir., 16; PLine,

Hist. nat., VIII, 229).

420

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

conditions, les Νόμιμα auraient été écrits, ou du moins commencés, soit en même temps que l'Histoire des Animaux, soit plus tôt encore. L'intérét pour la Carie en d'autres passages de l'Histoire des Animaux vient confirmer ce caractère ancien des Νόμιμα : trois autres références (une quatriéme est suspecte), pour une seule dans les Parties des Animauz, œuvre plus récente, et aucune autre dans le reste du Corpus 149, Quant au rapprochement, de nature et de chronologie, que Jaeger établit avec les Auxato p.a ca, il est infirmé par ce caractère ethnologique,

« antiquarian and mythological » des Νόμιμα que Jaeger souligne luiméme 1%, Il n'y a rien de tel dans les Δικαιώματα — mais, au contraire, dans les Lois de Platon, et dans les premiers dialogues 15!, Rien par conséquent n'autorise à placer ce travail dans la derniére période d'Aristote, Il est beaucoup plus vraisemblable qu'il l'a entrepris assez tôt, et nous avons le droit d'imaginer qu’Aristote, aprés avoir concu ses Νόμιμα dés l'Académie, en a précisé les contours, enrichi et organisé la documentation, à peu prés à l'époque où il accumulait aussi des « fiches » d'histoire naturelle, à Assos et à Mytiléne ; il y a travaillé dans le pays méme du seul Grec qui, avant lui, avait eu l'idée d'un tel recueil, Hellanicos de Mytiléne, dont l’œuvre encyclopédique présente, à bien des égards, des rapports avec les enquêtes érudites du Stagirite 152. Elle était bien connue à Athènes, puisque Thucydide discute déjà !’Arrıch ξυγγραφῇ 158, Mais Aristote a dû, sur place, s'intéresser particuliérement aux travaux du grand historien de Lesbos, comme à toutes les curiosités et aux événements notables du lieu et de la région: animaux, plantes, ou, indifféremment, siège d'Atarnée par les Perses 154, Il le devait d'autant plus, qu'il poursuivait ses recherches, comme en 149. Hist. an., III, 11, 518 a 35 (emprunté

peut-être à H£noporzE,

voir

infra,

p. 313 et n. 23). V, 15,547 a 6 ; Χ, 48, 631 a 10 sq. ; V, 15, 548 a 14 est suspect.

Part. An., I1I, 10, 673 a 17 ; le texte n'est d'ailleurs pas sûr. L'allusionde Rose, 1886, 491

(=

SrraBon,

VIII, 6, 15,

C 374)

à l'occupation

ancienne d'Épidaure est d'un autre ordre : historique au sens moderne du mot, elle fait partie d'un récit relatif au retour des Héraclides et à la colonisation ionienne en Gréce ; elle ne marque pas un intérét spécial pour le pays carien. 150.

Aristotle*, p. 328 et n. 1.

151. Infra, p. 153 sq., p. 161 sq., 224 sq. 152. Sur les rapports avec la Politique, cf. infra, chap. vii, p. 227 sq. Νόμιμα d'HxrrAwicos : les rapprochements établis par NesrLE, Von Mythos zum Logos, Stuttgart, 1940, p. 252, 273, 357 et 440 notamment, témoignent de l'intérét accordé, trés tôt, aux «coutumes des peuples », barbares ou non ; cf. déjà Odyssée, 1, 3. Mais avant AnisTOTE, le seul recueil d'ensemble touchantles barbares est

celui d'HELLANICOS.— Aprés AnisToTE, des Νόμιμα posés par NymPHopoRe,

et, avant

βαρθαρικά

lui,. par Tn£opEcrE

fils

de

ont été com-

Tnu£opEcrE

(RE,

Theodektes, 2, col. 1734, F. Sormsen). Il est toutefois possible de refuser ce dédoublement (cf. discussion par F. Sor wseN) Dans ce cas, Théodecte (a le père ») étant mort à Athènes peu aprés 340 (RE, Theodektes, 1, col. 1722-23, E. Dıeur), ses Nóμιμα

pourraient être contemporains de ceux d'Aristote. F. SoLmsen, ibid., attribue

d'autre part, à tort, des Νόμιμα à Tu£oPBRASTE ; mais on ne peut exclure la possibilité d'un rapport entre les Νόμιμα d'AnisrorE, etles Νόμοι de THÉOPHRASTE (RE,

Theophrastos,

Suppl.

VII,

col. 1519-1520,

O.

ReGenBoGen). Cf. ci-dessous,

p. 121. 153.

Tnvcvpipz,

I, 97.

154. Faune et flore : v. supra, p. 80sq. Siége d'Atarnée : Pol., II, 7, 1267 a 31 sq., v. infra, p. 186 sq.

‘loropla: LES ŒUVRES

121

témoigne Philodème, en collaboration avec Théophraste 15, et celui-ci, Lesbien, ne pouvait ignorer l’œuvre d’Hellanicos. Il aurait donc, s'il en était besoin, attiré sur elle l’attention d’Aristote.

30 Les Νόμοι. De cet ouvrage, mentionné par Diogène Laërce sous le n° 140, et qui

aurait compris quatre livres, il ne nous reste rien. La plupart des érudits, depuis E. Heitz jusqu'à F. Jacoby et P. Moraux, considèrent qu'il s'agit en réalité des Νόμιμα, que ne cite pas Diogène 15%, Nissen y reconnaissait au contraire les lois données à Stagire par Aristote quand Philippe fit reconstruire la ville 157 : à cette hypothèse téméraire, P. Mo-

raux préférerait celle d'une faute de copie : au lieu de νόμοι xà', un copiste aurait écrit... δ᾽, puis... «’ß’y’ö’. Ce seraient donc en réalité les

24 livres des Lois de Théophraste, confondus dans les travaux d'Aristote !55, Puisque tous deux y travaillaient en commun 15°, la confusion est en effet possible en principe. Nissen croyait méme que les Lois de Théophraste complétaient les Constitutions, se subdivisaient, comme elles, en 158 sections, une par cité 19 ; de cet énorme effort de recherche, Aristote n'aurait pas vu la fin ; les derniers paragraphes du livre II de la Politique témoigneraient, par leur inachévement et leur désordre, en

faveur de cette interprétation de Nissen : travail en commun, ordre et désordre communs. Du moins prouvent-ils qu’Aristote n'avait pas arrêté de classement définitif de ses travaux, en l'occurrence de ces Lois, quelle que soit la mesure oü elles étaient siennes. Aussi l'existence d'un recueil partiel, comparable aux extraits des Νόμιμα, est-elle également possible, et ne faut-il pas se háter de conclure à l'identité des Νόμοι νος ces Νόμιμα, ni de corriger le texte : s'il s'agissait, in extenso, de tous les 24 livres de Théophraste, la liste l'indiquerait sans doute, elle qui mentionne ail-

leurs ce genre de rapprochements : πολιτικῆς ἀκροάσεως ὡς à Θεοφράστου (n9 75). L'hypothése d'extraits est donc finalement la plus probable. Est-ce donc à ce recueil — quel qu'il füt — que fait allusion Aristote au cinquième livre de la Politique, lorsqu'il écrit : ἁπλῶς δέ, ὅσα ἐν τοῖς νόμοις ὡς συμφέροντα λέγομεν ταῖς πολιτείαις, ἅπαντα ταῦτα σῴζει τὰς

πολιτείας 161, Depuis

Gilbert,

on traduit parfois

ἐν τοῖς νόμοις

par

155. Cf. supra, p.100sq., PaıLop&me dans Vol. Rhet. II, p. 57Sudhaus. Théophraste d'Érésos était à Lesbos avec Aristote (W. Jaecer, Aristotle!, p.115 et n. 1), peut-être déjà à Assos (VW. JAEGER, ibid.). 156. E. Heırz, Die verlorenen Schriften des Ar., Leipzig, 1865, p. 252 sq. ; F. Jacopy, Atthis, Oxford, 1949, p. 386, n. 51; P. Monaux, Les listes anciennes..., p.130

(avec bibliographie, n. 43). 157. H. Nissen, Die Staatsschriften..., Rhein. Mus., 47 (1892), p. 167. Cf. Droc. L., V, I, 4 ; Rose, 1886, 655 et 657. La reconstruction est attribuée tantôt à Philippe, tantót à Alexandre.

158. Les listes anciennes..., ibid. 159. Supra, p. 100 sq. 160.

H. Nissen, ibid., p. 184 sq.

161. Pol., V, 9, 1309 b 14-15.

422

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

« dans notre recueil de lois » — et la seule explication possible est alors qu'il s'agit effectivement de ces Lois de Théophraste 192 ; c'est en méme temps une interprétation commode du présent λέγομεν. Toutefois, il est plus normal de rattacher ἐν τοῖς νόμοις au complément plutôt qu'au sujet, et de comprendre : « tout ce que nous disons qu'il y a, dans les lois, d’utile... ». Reste à préciser le sens de λέγομεν, car cette traduc.tion littérale se réduit en réalité à une tautologie : « Tout ce qui est utile aux constitutions, les préserve... ». Susemihl, à qui l'on doit cette construction 193, semble se satisfaire du sens plat qu'elle présente. Newman, qui suit ici Susemihl 154, pense que λέγομεν renvoie au sixième livre, et peut-être à un passage du cinquième 155 : mais tous ces textes, du reste peu significatifs, sont, méme dans l'ordre adopté par Newman 1%, postérieurs à notre λέγομεν, et le présent n'est pas justifié, La traduction par un passé est évidemment séduisante 1, mais inexplicable. Il est préférable,

au total,

d'adopter

la construction

de

Susemihl,

qui est naturelle ; de refuser par conséquent le sens de « dans notre recueil de lois » pour ἐν τοῖς νόμοις, mais de comprendre en méme temps λέγομεν — et non plus ἐν τοῖς νόμοις — comme une allusion soit au recueil lui-même, soit plutôt au travail en cours pour la composition de ce recueil. C'est la seule explication possible de λέγομεν en l'absence de textes précis dans la Politique ou ailleurs dans le Corpus. Elle est finalement plus proche, non pour la construction, mais par le sens, de l'interprétation de Gilbert, et elle tend à confirmer que les Νόμοι du catalogue de Diogéne seraient, eux aussi, un témoignage du travail accompli en commun par Aristote et Théophraste dans le domaine de la législation 188, Dans ces conditions, les lacunes de la Constitution d' Athénes relatives à la législation athénienne s'expliqueront moins aisément par le désir d’Aristote de ne faire pas « double emploi avec un livre sorti de son école » : l'argument, présenté par B. Haussoullier 169, serait valable si Théophraste avait possédé une sorte de monopole des questions de 162. V. Newman, ad loc., qui renvoie à GizBerrT (Const. Antiq. of Sparta and Ath., trad. angl., p.xxvi, n. 3). En dernier lieu, P. Monaux, op. cit. 163. V. trad., et rem. 1633 (D. h. wohl so viel als « von den gesetzlichen Bestimmungen oder Einrichtungen »), qui éclaire le sens de ἐν τοῖς νόμοις, mais non le sens général de la phrase. 164.

165. 12. Cf. 166. 167. 168.

Newman,

ibid.

Newman, t. I, p. 537,n. 2 (VI, 5,1319 540 ; VI, 1, 1317 a 29; V, 11, 1314 a VI, 2, 1317 5 18 aq.). Supra, p. 61 sq. E. Banken, The Pol..., Oxford, 1946 : « All the legal rules already suggested. » Supra, p. 100sq.— AnisTOTE manifeste à deux reprises au moins, dans la Poli-

tique, l'intention de traiter ailleurs des lois. En III, 15, 1286 a 2 sq., il remarque que

l'étude dela stratégie à vie relève plutôtde la législation que de la politique et conclut : ὥστ᾽ ἀφείσθω τὴν πρώτην, «laissons-la de côté pour le moment ». Mais au livre IV (1, 1289 a 11 sq.), qui est sûrement plus récent, quel que soit l'ordre de composition que l'on suppose, l'étude des lois apparaît comme une nécessité pressante, et semble figurer dans le programme immédiat des recherches : μετὰ δὲ τῆς αὐτῆς φρονήσεως ταύτης καὶ νόμους

κτλ.

τοὺς ἀρίστους

ἰδεῖν xal

τοὺς ἑκάστῃ τῶν πολιτειῶν

169. Const. d’Ath., Coll. des Univ. de Fr., p. xxv sq.

ἁρμόττοντας

‘loropla : LES ŒUVRES

123

législation ; il devient beaucoup plus faible s'il y avait, véritablement, travail en commun et si ces Νόμοι représentent la totalité ou un résumé des Lois dites de Théophraste. B. Haussoullier considérait seulement que « le traité des Lois » (œuvre de Théophraste) « figurait au programme des travaux réglés par le maître » ; il s'appuyait d'ailleurs sur une interprétation de Politique, V, 9, 1309 5 14 — celle de Gilbert — qui nous a paru artificielle, Mais il ne s'agit pas seulement d'un programme, puisque la compilation des lois a été faite en commun, comme l'atteste Philodéme 1%, Aristote avait-il tant de scrupules à se répéter lui-même ? Il lui arrive fréquemment de se contenter d'une allusion à tel ou tel de ses travaux — mais au moins y a-t-il allusion, et souvent aussi il se cite explicitement 17! : aussi vaut-il mieux admettre, avec G. Glotz 12, que ces questions de législation, selon Aristote, ne faisaient pas partie des problèmes constitutionnels, et qu'il n'estimait pas devoir en traiter, Quant à l'hypothése plus générale, qui veut qu'Áristote se soit toujours désintéressé des recherches sur les lois, pour des raisons de principe 178 elle est d'abord discutable dans son principe méme : Aristote, dit-on, ne

pouvait s'intéresser à une collection de lois, et en méme temps affirmer ce qu'il écrit à la fin de l’Éthique de Nicomaque : « Ceux-là donc qui, parmi les sophistes, s'engagent à enseigner la politique sont fort éloignés, semble-t-il, de tenir leurs promesses ; ils ignorent absolument en quoi elle consiste et à quoi elle s'applique ; autrement, ils ne l'auraient pas confondue avec la rhétorique, ou méme ravalée à un rang inférieur. Ils ne s'imagineraient pas non plus qu'il est facile de devenir législateur en rassemblant les lois qui ont obtenu l'approbation, Ne pensent-ils pas qu'on peut extraire les meilleures, comme s'il n'y avait pas, dans ce choix, à faire preuve d'une grande sagacité ? ... Les lois ne sont pas sans entretenir des rapports avec les travaux de la politique. Comment donc un de ces sophistes pourrait-il étre capable de légiférer ou de discerner les lois les meilleures ? Il ne semble pas non plus qu'on devienne médecin à la simple lecture des recueils d'ordonnances... Les renseignements sont, semble-t-il, fort utiles aux gens d'expérience, mais non pour ceux qui ne possédent aucune science, De méme, les recueils de lois et de constitutions pourraient bien étre d'une grande utilité pour ceux qui sont en état de méditer et de juger ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, ce qui est applicable aux uns ou aux autres, Mais ceux qui n'ont pas de dispositions pour traiter ces questions ne peuvent juger comme il convient, à moins que ce ne soit par hasard. Toutefois, il n'est pas impossible que leur compréhension sur ces sujets se développe quelque peu » 17, Or, il ressort de ce texte, précisément, qu'Aristote place exactement

sur le méme plan les recueils de lois et les recueils de constitutions, τῶν 170. Supra, p. 100 sq. 171. V. supra, p. 34, n. 46, p. ex. 172. G. Grorz, La cité grecque, 2° éd., Paris, 1953, p. 389. 173. 174.

R. Stark, Aristotelesstudien (Zetemata, 8), Munich, 1954, p. 16-19. E. N., X,10,1181 a 12 sq. (trad. VoirquiN, Paris, s. d.).

124

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

νόμων xal τῶν πολιτειῶν al συναγωγαί 175, Les uns et les autres peuvent étre utiles aux esprits compétents, Par conséquent, ce mépris « de principe » qu'aurait éprouvé Aristote pour les recueils de lois n'est nullement sensible ici, En outre, le témoignage de Philodéme "76 fournit un argument de fait. Tout concourt, en somme, à suggérer qu'il pouvait exister des Lois d'Aristote (ou d'Aristote et Théophraste plus probablement), parce qu'il est prouvé qu'Aristote s'intéressait aux recueils de Lois comme aux recuells de Constitutions, Seulement, il trouvait dans ces derniers un plus grand nombre de documents directement utiles à une Politique, et c'est la seule raison actuellement perceptible qui puisse expliquer son activité de premier plan dans le domaine des πολιτεῖαι, tandis qu'en matière de νόμοι Théophraste avait l'hégémonie. Aristote, d'aprés le catalogue anonyme, aurait également composé des νόμοι ἀνδρὸς xal γαμετῆς (n° 166) — mais il faut sans doute voir dans ce titre une glose au περὶ συμδιώσεως

ἀνδρὸς

xal γυναικός (n° 165

de la méme liste) 17 —, et, d’après Diogéne Laërce et l'Anonyme, des γόμοι συστατικοί (n° 139 du catalogue de Diogene, 130 de l'Anonyme): ce dernier texte pourrait avoir un intérét historico-politique, s'il s'agissait de νόμοι destinés à assurer la σύστασις de la cité ; mais la correction de Rose, νόμοι συσσιτικοί 1%, est généralement adoptée, que l'on voie dans ce texte un « cérémonial des syssities » 179. ou des « chants » 199, Toutefois Proclus, qui cite ce travail, et cela sous la forme de συσσιτικός, indique expressément qu'il contenait au moins une référence à la Hépublique de Platon; il le rapproche des extraits de cette même République 181, et aussi de la Politique, ainsi que des Lois de Théophraste. Ce dernier rapprochement, joint à celui qu'établit le catalogue de Diogéne — « 139,

νόμοι

συσσιτικοὶ a, 140, νόμων αδγὸ» — est curieux, surtout

si

ces derniers νόμοι ont bien le rapport que nous pensons avec les Lois de Theophraste, L’explication en paraît être que les νόμοι συσσιτικοί contenaient, entre autres, des réflexions sur le régime des syssities, dont Aristote a montré l'importance politique, au second livre de sa Politique 182, Platon aussi l'avait vanté dans les Lois et, non sans « un certain flottement » 133, l'avait adopté. Aristote revient sur la question des syssities et l'aborde d'un point de vue historique et non purement politique, au VII? livre de la Politique 19 : c'est un passage qui ne peut guère 175. Ibid., 1181 b 6 sq. 176. Supra, p. 100 sq. 177. P. Moraux, Les listes anciennes..., p. 256 sq., 269. Ce texte est peut-être à identifier avec le troisième livre de l' Économique attribuée à AnisTOTE, v. infra,

p. 160, 178. 179. 180. 181.

n. 498. Il y a hésitation aussi W. JAEGER, Aristotle?*, E. Wrir, Aristotelica, V. infra, p. 146 sq. Le

entre le singulier et le pluriel. p. 315 sq. RMM, 57, 4 (octobre-décembre 1952), p. 450 sq. texte de Procıus (Comm. à la Rép., p. 350) est cité

par Rose, 1886, 180-181. 182. 11, 6, 1265 a 8 eq. ; 9, 1271 a 26 sq. ; 10, 1272 a 12 sq.

183. L. Gerner, éd. des Lois (Coll. des Univ. de Fr.), I, p. xcix, qui donne références aux Lois. 184. VII, 10, 1329 a 40 - b 35.

des

“Ἰστορία : LES ŒUVRES

125

être contemporain du contexte, tant il rompt la suite des idées 1%, Mais au lieu d’y voir une interpolation indiscrète, alors que rien en définitive n'y est décidément contraire aux idées, d'ailleurs mouvantes, du Stagirite, mieux vaut croire qu'il l’a rajouté lui-même : s'il a repris le probléme des syssities, il a pu normalement compléter ce qu'il en avait déjà dit. Le livre VII de la Politique refléterait donc ici les νόμοι

συσσιτικοί 186, 49 Les Tableaux

des Lois de Solon.

Ce travail, attesté dans le catalogue anonyme (n° 140) aurait compris cinq livres, mais le chiffre n'est pas sûr 1%. Ni sa date, ni sa nature, ni même son authenticité ne sont non plus évidentes. Nissen hésitait à le placer à l'époque où Aristote donnait des lois à Stagire — cette date elle-même est mal définie — ou bien dans la dernière période de sa vie 18, Heitz avait supposé que ces tableaux formaient une partie de la Constitution d'Athènes : la découverte de F. Kenyon a ruiné cette hypothèse 189, D'oà la défiance de beaucoup de modernes à l'égard de ce recueil, que ne citent ni W, Jaeger, ni L. Robin, ni E, Barker 1%, entre autres, et dont C, Hignett a voulu expliquer la mention dans le catalogue par une confusion avec une étude de Démétrios de Phalére : le περὶ τῆς ᾿Αθήνησι νομοθεσίας, en cinq livres également !?!, Mais une confusion

avec les Lois de Théophraste serait tout aussi vraisemblable. Ce qui l'est davantage, c'est qu’Aristote, aidant à rassembler lois et constitutions, ait plus particulièrement dirigé l'étude de ce problème difficile, que peut-être il s'y soit consacré lui-même, En effet, la Politique et la Constitution d' Athénes attestent qu'Aristote ne disposait guère d’&Eoves ni de xbpBex — de quelque nom qu'on les appelle — provenant directement de l'époque de Solon : sinon il ne raisonnerait pas sur des documents figurés, ou sur des survivances 19?, Sans doute est-il arbitraire de supposer, parce que la conservation des documents originaux est une énigme, qu'il n'en possédait aucun !?3 : 185. Supra, p. 49. 186. Infra, p. 306 sq. 187. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 251. 188.

H. Nissen, op. cit., p. 167 sq., cf. supra, p. 121, et n. 157.

189. E. Hxirz, Die verlorenen Schriften des Ar., Leipzig, 1865, p. 52. V. P. MoRAUX, Les listes anciennes..., p. 250 sq., qui tire argument de la longueur du Sur les tableauz des lois de Solon ; mais le nombre des livres n'en est justement pas sür. Plus

significatif est l'emploi du mot χύρδεις, et non ἄξονες, dans la Constitution.

Difficiles à définir aujourd'hui (v. toutefois A. Aymann, Peuples et Civilisations, I. Les premières civ., 2° éd., Paris, 1950, p. 570), ces termes

l'étaient déjà dans

l'An-

tiquité (PruTAnQUE, Solon, 1 et 25.) AnisToTE a d'ailleurs pu changer de vocabulaire d'un texte à l'autre, si l'étude περὶ τῶν ἀξόνων représentait par exemple sa documentation première, 190. W. JAEGER, Aristotle* ; L. Rosın, Pol..., Oxford, 1946.

Aristote, Paris, 1944;

E. Barker,

The

191. C. Hicnerr, A history of the Ath. Const., Oxford, 1952, p. 25. L'ouvrage de

Démétrios est cité par Droc. L., V, 5, 80. 192, Documents figurés : Const. d'Ath., 7, ^, (la statue d'Anthémion). Survivances : ibid., 7,1 (serment des neuf archontes), 7, 1 (choix des archontes), etc. 193. Thèse extrême soutenue par C. Hıcnerr, ibid., p. 12 sq.

126

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

c'est ériger notre ignorance en preuve. Mais Aristote avait sûrement besoin, dans un tel domaine, d’établir avec soin ses documents avant de

les utiliser. De cet effort la Constitution d'Athènes fournit encore un témoignage, ainsi que la Politique, lorsqu’Aristote y discute les élégies de Solon 1%, 1] fallait encore discerner la vérité — du moins une vérité — entre les différentes interprétations que la politique, la propagande, les pamphlets avaient proposées des réformes de Solon ; de même, dans la Politique et la Constitution !*5, Enfin, il est probable qu'Aristote ne pouvait guère évoquer l’œuvre de Solon sans la juger. Mais toutes ces nécessités, tous ces aspects nous éloignent de l'idée, effectivement inacceptable, que ce travail était un simple recueil : ce ne pouvait étre qu'une étude, presque un commentaire sur les lois de Solon — et c'est bien ce que suggère le titre dans le catalogue anonyme : « Sur les tableaux des lois de Solon » : περὶ..., comme dans le περὶ τῆς ᾿Αθήνησι νομοθεσίας de Démétrios, tandis que les simples recueils (catalogue pythique, catalogue olympique) 1% portent un titre dépourvu de préposition. Une différence entre le Solon de la Politique et celui de la Constitution d'Athènes, l'allure méme des deux développements en question, suggèrent qu'Aristote s'appuyait sur une documentation détaillée et en évolution.

Ainsi, dans

la Constitution, les archontes

sont tirés au sort

ἐκ προχρίτων, et c'est l'Aréopage qui examine les redditions de comptes ; dans la Politique, ce contróle revient au contraire au peuple, et il élit les archontes 1%. Par conséquent, Aristote tenait son information « à jour ». De plus, il est visible dans les deux textes qu'il reprend des sujets déjà bien connus. G. Mathieu a montré, à propos de la Constitution, comment Aristote, le plus souvent, choisit ici et juge des faits déjà publiés par d'autres 1%, La méme constatation peut être faite à propos de la Politique où Aristote expose essentiellement la thèse des admirateurs de Solon, et celle de ses adversaires : « Certains pensent qu'il fut un bon législateur... Quelques-uns le critiquent »... 199, Aristote indique bien son Jugement et ses préférences, qui sont en faveur de Solon, mais c'est avec des précautions remarquables ; « il semble », dit-il à plusieurs reprises, ou «il paraît»: ἔοικε, φαίνεται ?9, Dans la Constitution, également, Soxet ©1 et, à plusieurs reprises, εἰκός ®2, Bref, Constitution et Politique nous offrent des résumés et des mises au point prudentes : 194.

Const. d' Ath., 5, 12. Pol., II, 12, où les poèmes

ne sont pas

cités.

Mais

cf.

ἔοικε τὴν ἀναγκαιοτάτην ἀποδιδόναι τῷ δήμῳ δύναμιν (1274 a 15 sq.) avec : δήμῳ μὲν γὰρ ἔδωκα τόσον γέρας ὅσσον ἀπαρχεῖ etc., Const. d’Ath., 12, 1, et PLUFARQUE, Solon, 18 (rapprochement noté par G. Marureu-B. HaussouLLier, éd. de la Const. d'Ath., Coll. des Univ. de Fr., p. 11, n. 1). 195. V. ibid.,et G, MatnıEu, Essai sur la méthode..., Paris. 1915, chap. II.

196. Infra, p. 131 sq. 197. Const. 8, 1, 4 ; Pol.,

11, 12, 1274

a 15 sq. ; III, 11, 1281

ὁ 32 sq.

C'est,

concernant la constitution de Solon, la seule différence notable entre les deux textes. Voir infra, p. 255.

198. Essai sur la méthode..., Paris, 1915, chap. II. Il insiste sur les incertitudes du plan, les retours

en arrière.

199. Pol., 11, 12, 1273 b 35 ; 1274 a 3. 200. Ibid., 1273 b 41 ; 1274 a 11, 15. Φαίνεται est ici suivi de l'infinitif. 201.

Const., 9,1

; 10,1.

‘Ioropla : LES ŒUVRES

127

mais l’une et l’autre laissent parfaitement place à une étude plus complète des documents ; elles la supposent même puisqu'elles la résument : ce n'est pas seulement entre des faits publiés par d'autres que choisit Aristote, c'est entre des faits rassemblés par lui, Ce premier état de son travail, cette réflexion préparatoire sur des documents, correspondrait exactement à une « étude sur les tables de Solon » : il n'y a donc aucune raison d'exclure celle-ci des recherches d’Aristote, et mieux vaut, avec F. Jacoby 23, admettre qu'elle a existé. On peut méme préciser, en se fondant sur la relative similitude des textes relatifs à Solon dans la Politique et dans la Constitution, que cette étude a dû être entreprise

avant eux 99, 59 Les Avxató uaa. Ce recueil en un livre, connu de Diogéne Laérce (n? 129) et du catalogue anonyme (n? 120) n'avait pas pour seul but de réunir des « documents juridiques » 95, mais bien de définir et de discuter les « revendications des cités » 2° : un δικαίωμα est en effet pour Aristote le « rétablissement de la justice aprés un acte injuste » 2”, Cette interprétation du titre correspond aux maigres fragments qui nous sont parvenus 2%; Aristote semble s’être préoccupé d'établir les droits historiques des États dans certains domaines contestés, Ainsi deux fragments sont relatifs à des différends de frontière entre l'Attique et la Béotie 399. Un troisième fragment ?!? fournit un repère chronologique utile : il est en effet postérieur à l'expédition d'Alexandre le Molosse en Italie, c'est-à-dire à l'année 333 211, Il lui est méme nettement postérieur, car l'expression qu'emploie Aristote ne peut convenir à un événement trés récent : ᾿Αλέξανδρος ὁ Μολοττὸς ὑπὸ τὸν αὐτὸν χρόνον, Ταραντίνων αὐτὸν μεταπεμψαμένων

ἐπὶ τὸν πρὸς τοὺς βαρδάρους πόλεμον, ἐξέπλευσε

ναυσὶ

μὲν

πεντεκαίδεκα, πλοίοις δὲ συχνοῖς ἱππαγωγοῖς καὶ στρατηγικοῖς. En effet, ὑπὸ τὸν αὐτὸν χρόνον évoque un fait de caractère déjà historique. Bref, ce texte doit être postérieur à la mort d'Alexandre, assassiné dans le

Bruttium en 330 212, 202. Ibid., 6,3 ; 9,2. 203. Atthie, Oxford, 1949, p. 385, n. 51. 204.

Selon P. Monaux,

Les listes anciennes,

p. 273 sq., cette mention

du

περὶ

τῶν ἀξόνων a été interpolée dans un catalogue qui provient finalement d’Arısron. Mais c'est aussi le cas de l'E. N., du traité Du ciel,

des

Premiers

analytiques,

des

Météorologiques ; cf. ibid., p. 317 sq. 205.

Interprétation de G. Marnieu, Const. d' Ath., éd. des Univ. de Fr., p. vi.

206. H. Nissex, DieStaatsschriften..., Rhein. Mus., 47 (1892), p. 168sq. De même, ὟΝ. JaEctn, Aristotle?, p. 328 (« Pleas of the cities ») ; E. Barker, The Pol..., Oxford, 1946 (« Claims or pleas »}, etc. 207. 208.

E. N., V, 10,1135 a9sq. ; v. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 123. Rose, 1886, XLVI, 612-614 ; Pnitop£wE, Vol. Rhet., II, 57, Sudhaus

Fragment de Madrid (Codex Matritensis 4676, olim n. 9), étudié par A. Tovan, Para la formacion de la Vita Marciana de Aristóteles, Emerita, 11 (1943), p. 180-200. 209. Rose, ibid., 612-613. 210.

Rose,

ibid., 614, cf. EscniNE,

C. Ctés., 242.

211. Grorz-Cosen, Hist. Gr., III, p. 417 sq. 212.

Ibid.

;

128

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Mais la Vita Marciana 318 ainsi que le fragment de Madrid 314 rapportent que ces Atxato uaa servirent à Philippe pour rétablir la paix en Grèce — aprés Chéronée évidemment — et qu'il prononça alors les mots fameux : ὥρισα γῆν Πέλοπος. Si l'on s'en tient à la date que suggère le fragment 614, l'anecdote doit être apocryphe ?!5 ; tout au plus pourraiton alors supposer que l'ouvrage a été utilisé par Alexandre, ou Antipatros 216, Inversement, V. Rose proposait de condamner le fragment 614 217, Mais il n'est pas impossible de concilier toutes les données de la tradition, puisqu'un tel recueil a dà étre complété et enrichi pendant des années, Nissen déjà pensait que les Διχαιώματα, utilisés ‘par Philippe, n'avaient été publiés que dans les dernières années 318 Le fragment de Madrid cite, semble-t-il, les Δικαιώματα parmi des œuvres de jeunesse ?1?, Il faudrait donc qu’Aristote les eût repris et modifiés 2%, Philodéme en outre les rapproche du travail de Théophraste — et d'Aristote — πρὸς τοὺς καιρούς ?31: les Δικαιώματα eux aussi dépendaient étroitement du καιρός, et il serait normal qu'Aristote eût, jusqu'à la fin, enregistré les « conjonctures » significatives ?32, Quoique les indications chronologiques de la Vita Marciana soient sujettes à caution — on sait qu'elle fait d'Aristote un auditeur de Socrate, et aussi un membre de l'expédition d'Alexandre 22? —, elle précise pourtant la date relative des Διχαιώματα et des Constitutions par un renseignement qui, en l'occurrence, peut étre pris en considération ; il est en effet totalement indépendant des fantaisies chronologiques du contexte, Or la Vie affirme en propres termes : « Son enquéte

sur les constitutions est postérieure » (aux Atxató paca) 325. Cela ne peut guère signifier que les Δικαιώματα ont été achevés avant les Constitutions, puisque le fragment 614 indique pour les premiers une date postérieure à 330 — et c'est justement dans ces années-là qu'il faut placer l'achévement de la Constitution d’Athenes 2%, Par conséquent, ce serait le début de ces deux entreprises que la Vie permettrait de dater. Du moins confirme-t-elle la solidité de la tradition selon laquelle Philippe avait utilisé le premier recueil. Il est possible en effet qu'une fois constituée la ligue de Corinthe, 213.

Rose, op. cit., p. 427,1.

9 aq.

.

214. A. Tovar, op. cit., p. 183 et 191. 215.

P. Moraux,

op. cit., p. 123, n. 3, qui renvoie à Heıtz, Die verlor. Schrift. d.

Ar., Leipzig, 1865, p. 253 sq. — W. JAEGER, qui ne relève pas cette contradiction,

admet probablement la méme solution ; il place en effet les Δικαιώματα les derniéres années (Aristotle*, p. 328). 216.

E. Banken,

dans

The Pol..., Oxford, 1946, p. 387.

217. V. Rosz, Ar. Pseudepigraphus, Leipzig, 1863, p. 543. 218. H. NissEN, op. cit., p. 171. 219.

A. Tovar,

op. cit., p. 198 sq.

220. Ibid., p. 191. 221. Supra, p. 100 sq. 222.

Allusions au καιρός aussi en Pol., V, 6, 1306 b 10, et 10, 1312 5 25, c'est-à-

dire dans un texte qui, justement, a été enrichi progressivement d'exemples. 223. Rose, 1886, p. 427, 1. 14 sq., et p. 431, 1. 7 sq. 224. Ibid., p. 427, l. 12 sq. 225. Supra, p. 116.

‘lotopla : LES ŒUVRES

129

comme l'a supposé Nissen 2%, Philippe ait voulu appuyer ses décisions sur le droit et non plus sur la force : Aristote lui aurait fourni des arguments juridiques tirés de la tradition, Mais il est remarquable que l'attention d’Aristote ait, peut-être du vivant de Philippe, en tout cas après lui, débordé le cadre de la Grèce propre, pour envisager aussi les revendications des cités de l'extérieur, comme Tarente 22 ; c'est même d'une guerre entre Tarenteet les barbares qu'il s'est agi; Aristote poseainsi le probléme de l'expansion grecque, qui, vers 330, est effectivement d'actualité, En outre, cet ouvrage implique une idée précise de la « loi internationale » : dans la Rhétorique, Aristote indique en effet que ces δικαιώματα peuvent s'entendre par rapport à une « loi commune », qui est « naturelle », κατὰ φύσιν 22 : c'est la loi, dit-il, dont se réclament Empédocle, et l'Antigone de Sophocle, c'est aussi et surtout la loi en vertu de laquelle Aleidamas défendait les droits des Messéniens en révolte : « La divinité a donné la liberté à tous les hommes, nul n'est esclave du fait de

la nature » ???, Ainsiilexiste au moins une « équité internationale »; l'équitable, en effet, « semble étre le juste, mais c'est le juste qui dépasse la loi écrite » ?9; or, « être équitable... c'est consentir qu'un différend soit tranché plutót par la parole que par l'action, préférer s'en remettre à un arbitrage plutót qu'à un jugement des tribunaux » ??!, Sans doute n'y avait-il pas de « Cour internationale » impartiale à laquelle les contemporains d'Aristote pussent préférer l'arbitrage de Philippe ; du moins la politique du Macédonien était-elle d'imposer cet arbitrage aux lieu

et place des solutions « d'action, de fait », ἔργῳ ??*, Les décisions qui suivirent Chéronée en témoignent, et aussi les « conventions » que les Grecs durent passer avec Philippe, puis avec Alexandre ???, Est-il dans ces conditions possible qu’Aristote ait consacré tant de recherches à ces « revendications légitimes des cités », sans que son travail ait un rapport avec la politique contemporaine, alors que son idée méme du δικαίωμα correspond exactement à ce que Philippe et Alexandre prétendaient mettre en pratique ? Cette « impossibilité », il est vrai, aurait pu suffire à donner naissance

aux traditions relatives à l'utilisation des

Atxató pu aca par Philippe;

celles-ci seraient alors mensongéres, Mais l'impossibilité, elle, demeure : enregistrer et définir, peut-être critiquer ?**, les revendications des 226. H. Nissen, op.cit., p.168 sq. — Surla politique de Philippe à ce propos, cf. C. Roesuck,

The settlements of Philip II with the Gr. States in 338 B. C., Class.

Philology, 48 (1948), p. 73-92. 227.

Rose, 1886, 614.

228. 229. 230. 231. 232.

Rhét., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

233.

Grorz-ConEsN, Hist.

I, 13, 1373 b 1 sq. 1373 b 18 sq., (le texte complet n'est pas donné par tous les mss). 1374 a 26 sq. 1374 b 19 sq. Gr., III, p. 364 sq., 369 sq. C'est le Synédrion, soumis

à la Macédoine, qui constitue cette Haute Cour (ibid., p. 373). 234. Ce que suggèrent les fragments 612-613 : s'il y a deux Drymon (ou Drymos), les revendications de l'Attique et de la Béotie sur la région frontiére sont fondées, et en méme temps excessives dans la mesure οὐ elles portent sur l'ensemble des territoires contestés. Aristote et l'histoire

9

130

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

États au moment où les frontières sont refondues et stabilisées en Grèce, c'est s'intéresser à cette refonte et à cette stabilisation, Il n'est assurement pas prouvé de façon irréfutable qu'Aristote a ici documenté Philippe ou Alexandre, ou Antipatros. Mais un ouvrage de ce genre, à cette époque, avait un intérét pratique, Son inspiration, la méme au fond que celle des livres IV-VI de la Politique, doit étre cherchée dans ce désir de tranquillité qu'éprouvait la Gréce épuisée : la Politique traduit surtout cette lassitude devant les troubles nationaux ?®, les Atxató para devant les rivalités entre cités, Faut-il croire alors que les maîtres de la Macédoine aient vu d'un œil indifférent un travail où s'exprimait un sentiment si conforme à leurs visées politiques ? 60 Les

“Ὑπομνήματα

locoptxá.

Ce travail, qui n'est enregistré par aucun des catalogues que nous possédons 2%, témoignait d'intéréts trés divers : pour les mœurs (l'hospitalité des habitants de Magnésie du Méandre, Rose, 1886, 631), pour l'histoire naturelle et la médecine (tbid., 632-633), la physique et la météorologie (ibid., 634), l'histoire du théâtre (ibid., 635), la philologie (ἐδιά,, 636). Mais les Anciens hésitaient déjà à décider de leur auteur : Aristote ou Théophraste 2% ? Cette incertitude constitue un indice supplémentaire du travail en commun pratiqué au Lycée 2%. Les « mémoires » apparaissent

comme

des

notes

variées,

issues

de

recherches

communes,

formant comme un fichier indivis entre les deux philosophes, et peut-étre aussi commun avec d'autres savants du Lycée. Comme ces notes n'entraient

pas

dans

le cadre

d'autres

travaux,

plus

achevés,

elles

sont

demeurées ainsi sans auteur défini, et Théophraste a dà les enrichir aprés la mort d'Aristote. Il serait donc inutile de tenter de les dater. Mais il ne faut pas non plus les exclure de l’œuvre historique d'Aristote ?3?, puisqu'elles sont au contraire un produit typique de sa méthode 249, 235. Infra, p. 360 sq. 236.

Peut-être sont-ce les ὑπομνήματα de Ptolémée (n? 82, 82 a, 88, 90 a).

237. Les fragments 631-632-6323 sont attribués à « ARISTOTE ou THÉOPHRASTE ,, le fragment 634 à TuÉoPnnasrE, les fragments 635 et 636 à Arisrore. Voir également Dioc. L., V,2,48 (catalogue

« des œuvres de THÉOPHRASTE) : ὑπομνημάτων

"Apıcro-

τελικῶν à Θεοφραστείων αβγδεῖ. J. Züncnxn, A.' Work und Geist, Paderborn, 1952, p- 47, cite d'autres cas analogues : Rose, 1886, 221, 223, 226. De méme la Politique est dite par Dioc. L. (n? 75, V, I, 24) ὡς à Θεοφράστου et le Sur le plaisir de Tu£oPHRASTE est dit ὡς "Apraroréhous (Dıioc.L., V, 2, 44). Mais dans ces deux derniers

cas, la comparaison (ὡς) porte apparemment sur le nombre de livres, non sur le contenu. Et les fragments 221, 223, 226, peuvent n'indiquer qu'une coincidence d'opinion chez ArıstoTe et TRÉOPHRASTE, sans qu'il y ait doute sur I ‘attribution des textes. De même le fragment 222. Au contraire, dans le cas des ὑπομνήματα, c'est

évidemment la paternité de l'œuvre qui est discutée. 238. Supra, p. 100 sq. 239. Ce qui est généralement le cas : silence de L. Rosın, E. Banken, W. JAEGER. 240. Peut-être trouvons-nous un écho des ὑπομνήματα au livre V de la Politique, et dans le πρὸς χαιρούς de Τπέορηπαςτε. Cf. infra, p. 222 aq.

‘loropla : LES ŒUVRES

131

70 Les Catalogues de vainqueurs aux Jeux. a) Jeux olympiques. Attesté par Diogéne Laërce (n° 130) et par l'Anonyme (n° 122), ce catalogue, en un livre, a totalement disparu. Peut-être était-ce une édition corrigée et complétée de la liste établie par Hippias, qui elle-même pouvait être partielle 21, On admet en général que cette liste fut composée dans la dernière période de la vie d’Aristote #2, à peu prés en méme temps que le Catalogue pythique dont la datation est plus sûre ?*?. On croit également retrouver, au huitième livre de la Politique, une allusion

ou

un

emprunt à ce catalogue : « Parmi les vainqueurs olympiques — écrit Aristote —, on ne trouverait que deux ou trois exemples de vainqueurs dans la catégorie des adultes, qui aient déjà, enfants, renaporté la victoire » 2, La date tardive du catalogue et la date également tardive que H. von Arnim a proposée pour le livre VIII s'étaieraient ainsi mutuellement *45, Mais ce rapprochement avec la Politique est fort discutable, indépendamment méme du fait que la datation tardive de von Arnim est aussi discutée et nous parait inacceptable 2%, Bien avant les recherches d'Aristote, et de tout temps, « la notoriété d'un vainqueur aux Jeux était générale en Grèce » 2%, et des listes existaient : au moins celle d' Hippias, précisément. Lorsqu'Isocrate indique dans le discours Sur l’Attelage qu'Alcméon fut le premier Athénien qui vainquit à Olympie avec un attelage, il doit pouvoir consulter une documentation précise ? ; de méme Thucydide, quand il rapporte les exploits d'Alcibiade et de ses sept chars **?, Admettra-t-on qu'il s'agit là de victoires exceptionnelles, 241. V. P. Monaux, op. cit., p. 123, qui donne (n. 5) la liste des textes (tradition manuscrite, épigraphique, papyrologique) qui peuvent avoir un rapport avec le travail d'AnisToTE. 242.

W.

JAEGER,

Aristotle?, p. 328.

243. Injra, p. 135 sq. 244. Pol., VIII, 4, 1339 a 1 sq. On peut également songer aux lignes précédentes, 1338 b 24 sq. : les Spartiates, remarque ArısToTe, l'emportaient autrefois sur les autres peuples : « Nous savons que maintenant ils sont inférieurs aussi bien dans les concours athlétiques qu'à la guerre. » Mais ce texte implique-t-il une connaissance exacte de la chronologie des jeux ? Newman remarque à juste titre qu'AnisTOTE peut songer à l'anecdote d'Épaminondas rapportée par PLurarques, Pélopidas, 7 ; paminondas exhortait les jeunes gens « dans les gymnases, à provoquer les Lacédémoniens et à lutter avec eux ; et puis, les voyant fiers de leurs victoires et de leurs

avantages, il rabattait leur orgueil, de rester, par lácheté, esclaves de force » (trad. B. Larzanus, Paris, n. 95, le parti que P. Gonr&r croit 245.

H.

vou

AnNiIM,

v. supra,

en leur disant qu'ils devraient bien plutôt rougir ceux auxquels ils étaient si supérieurs par leur 1951). V. supra, p. 78, n. 165 et infra, p. 192, pouvoir tirer de ce texte et d'autres analogues. p. 66 sq. ; E. Banker,

The Pol..., Oxford, 1946,

p. xxxii et n, 1, p. 387 et n. 2 ; P. Moraux, Les listes anciennes..., p. 124 sq., et n. 9 et 10. 246. Supra, p. 66 sq. 247. V. Martın-G. pe Bune, Eschine, II (Contre Ctésiphon), Coll. des Univ. de Fr., p. 98, n. 1. Cf. N. GanpiNzn, Greek athletic sports and festivals, Londres, 1910; RE,

XVIII, 1, 232 sq., s. v. Olympioniken 248. Sur l'attelage, 25, cf. 3^. 249.

TRucvDipre,

VI, 16, 2.

(J. RECNER).

132

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

dont le souvenir ne risquait pas de se perdre ? Mais Hérodote peut citer sans hésiter le nom de l’olympionique Philippe de Crotone 2%; Thucydide et lui savent que Cylon avait vaincu à Olympie 2! ; Hérodote encore connaît assez précisément la chronologie des victoires qu’a remportées Cimon, fils de Stésagoras #2. Ce genre d'exemples pourrait être multiplié indéfiniment. Dans ces conditions, ce n'est pas forcément à ses propres recherches qu'Aristote se référe en Politique VIII, mais aussi bien à des travaux antérieurs. En outre, le dialogue Sur les Poétes contient aussi une allusion précise à Ja chronologie olympique ?53 : d’après Diogéne Laérce, en effet, « Eratosthéne écrit, dans le Catalogue olympique, que le père de Métón fut vainqueur dans la soixante et onzième olympiade ; sa source est Aristote » 254. Ce texte a été placé par V. Rose parmi les fragments du dialogue Sur les Poétes, à juste titre, puisqu'un autre fragment montre qu’Aristote traitait de ce même sujet, effectivement, dans le dialogue 2%, et puisqu'aussi le contexte contient des indications qui ne pouvaient figurer dans le Catalogue olympique d' Aristote 2%, C'est bien un morceau du

Sur les Poétes.

Or ce dialogue

est, selon toute

vraisemblance,

an-

cien ??, Ou bien par conséquent on rapprochera tous ces textes pour considérer d'emblée que le Catalogue olympique — et du méme coup le huitième livre de la Politique — sont également anciens 2%, ou bien il faudra chercher, s'il est possible, un autre critère chronologique. ll est raisonnable de supposer que cette liste, fondée sur des travaux déjà existants, fut entreprise la première, avant le Catalogue pythique. Ce serait l'initiation d’Aristote à ces sortes de recherches, et l'explication de la commande qu'on lui passa ensuite, du Catalogue pythique, sinon des

Victoires

et des Didascalies *5?.

La

collaboration

de

Callisthéne,

sûrement attestée pour ce Catalogue pythique ?9, est seulement vraisemblable en ce qui concerne l'Olympique #1. Il s'est intéressé, en effet, à 250. H£noporz, V, 47. 251. 252.

Tnuucvpipz, I, 126, 3. H£ropore, Héronore, VI, 103.

V, 71.

253. A. Rostacnı, Il dialogo aristotelico περὶ ποιητῶν, Riv. di Filol., 54 (1926), p. 435. Cf. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 123, n. 5, qui n'a pas l'occasion

de

signaler la tontradiction avec les vues de von ARNIM.

254. Rose, 1886, 71 (= Dioc, L., VIII, 2, 51, cf. 52). 255.

Jbid., 70, également relatif à Empédocle

τῷ περὶ ποιητῶν.

(= Dioc. L., VIII, 2, 57) : ἐν δὲ

Il est vrai qu'Anisrorz traitait d'un sujet voisin dans le Sophiste

(fragment 65, à rapprocher du fragment 72). Mais le dialogue Sur les poètes semble accorder plus d'importance à ces questions de chronologie, d'après son titre même (pluriel) et certains fragments (72, 75 ?). De toute façon, le Sophiste lui-même est ancien (W. JAEGER, Aristotle!, p. 30 sq.). 256.

Rose, 1886, 71:

Empédocle est mort à soixante ans.

257. W. JAEGER, Aristotle?, p. 326; L. Rosın, Aristote, Paris, 1944, p. 15 et 22. 258. Conclusion à laquelle nous aboutirons dans l'ensemble, par d'autres voies, en ce qui concerne Pol., VIII.

259. Cf. infra,p. 133sq., (catalogue pythique),et p. 137 sq., pour les Didascalies et

lea Victoires qui nous paraissent, au contraire, avoir été entreprises à date ancienne.

— W. JAEGER, Aristoile, p. 327, juge vraisemblable l'Olympique aprés le Pythique. 260. Infra, p. 133 sq.

(« presumably ») de placer

261. H. Dıeıs, (Hermès, 86 [1901], p. 75) croyait lire une référence à Callisthéne

‘loropla : LES ŒUVRES

133

plusieurs éléments des collections #2. Comme tous ces travaux n'ont pu être réalisés à la fois, entre le retour d’Aristote à Athènes et le départ de Callisthéne pour l'Asie Mineure #3, i] faut bien que plusieurs d'entre eux aient été commencés plus tót. Le raisonnement est également valable si l'on admet que, méme sans la participation de Callisthéne, cette liste est antérieure à la Pythique ?^, Des disciples d'Aristote l'ont-ils entreprise, à Athènes, avant son retour définitif 255. ? S'en est-il occupé depuis la Macédoine, ou méme auparavant ἢ C'étaient, du moins, des travaux qu'il pouvait diriger à distance. La date de la liste est donc, dans ces conditions, impossible à fixer. Du moins est-il certain que ces problémes de chronologie olympique ont préoccupé Aristote trés tôt, dés l'époque où il composait des dialogues d'inspiration platonicienne, et qu'aussi il s'y intéressait encore tardivement : l’Éthique de Nicomaque, la Rhétorique présentent de nombreuses allusions aux Jeux Olympiques 2355, Il est ainsi vraisemblable que sa liste était tenue à jour. b) Jeux pythiques. Cet ouvrage, en un livre, figure dans le catalogue de Diogène Laërce (n? 134, et aussi 131-133) 2”, ainsi que dans celui de l’ Anonyme (n° 123),

qui précise méme : Πυθιονίκας

βιδλίον a, ἐν &

Μέναιχμον

ἐνίκησεν.

Quelques fragments, rassemblés par V. Rose sous les n°% 615 à 617, ont été conservés. Mais surtout un témoignage épigraphique est venu, à la fin du xıx® siècle, compléter et éclairer la tradition relative à cette étude. Une inscription de Delphes # indique en effet qu’Aristote et Callisthène furent couronnés et reçurent divers honneurs, pour avoir dressé la liste des vainqueurs pythiques depuis l’archontat de Gylidas, et fait une sorte d'exposé « mythico-historique » 359 de l'histoire des jeux, depuis les origines. De la méme façon, Clidéme fut honoré par les Athéniens pour avoir écrit son Atthis =”, de méme aussi l'avaient été peut-être Hérodote 5271, en tout cas Pindare *?? : tant d’honneurs signalent un travail important et célébre. dans

une liste d'Oxyrhynchos : οὕτως Καλλισθένης, mais la lecture

douteuse (F. Jacopy, Fr. Gr. Hist., 11 D, 124, commentaire

est plus que

à F. 55).

262. V. infra, p. 137, n. 301 (Didascalies) et déjà supra, p. 21, n. 77 (Astronomie, article de S. Scnirrrn). 263. Il accompagne Alexandre (supra, p. 21) au printemps de 334 (GLotz-Conen, Hist.

Gr., 1V, 1, p. 59 sq.).

264. Qui plus est, les recherches relatives au catalogue pythique ont pu commencer assez tót (infra, p. 136 sq.). Par conséquent, méme si l'Olympique n'est pas antérieur, et méme s'il était plus récent, il ne serait pas forcément trés récent. 265. Ceci est possible dans l'hypothése d'une fondation du Lycée antérieure à 335, cf. supra,p. 18 sq. 266. Bonrrz, Index Aristotelicus,s. v. ᾿᾽Ολυμπίχ, 'OXóu ma, ᾿Ολυμπιονίκης. 267. Infra ; P. Moraux, op. cit., p. 126. 268. Sylloge, n° 275 ; F D, III 1, 400. 269. 270. 271. 272.

P. Monaux, ibid. TERTULLIEN, De anima, 52. EusÈèse, Chronique, 169. Isocrare, Sur l'échange, 166 ; Pınnare, éd. Puecn

fragment 5 ; Pausanras,I, 8, 4.

(Coll. des Univ. de Fr.),

134

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

En effet, les comptes des trésoriers de Delphes pour les années voisines de 330 permettent de supposer que l'inscription comprenait environ 21 000 lettres : elle devait couvrir quatre trés grandes steles ??, Mais l'ouvrage d’Aristote avait-il été entièrement gravé ? Ces 21 000 lettres correspondent, au maximum, à vingt ou vingt et une pages d'une édition Teubner, en admettant une moyenne de quarante lettres par ligne Teubner, et un minimum, trés faible, de vingt-cinq lignes par page : 525 lignes, 21 pages, sont peu de chose, pour une liste de vainqueurs et un recueil de traditions. Les Jeux Pythiques comprenaient des épreuves variées, musicales et athlétiques. Célébrés d'abord tous les huit ans, ils l'étaient tous les quatre ans depuis 582 574 : Ja liste des vainqueurs, à elle seule, devait donc occuper une grande partie des 525 lignes. Or le recueil de traditions a présenté une forme assez ample : d’après le fragment Rose 615, il racontait en détail les origines de la premiére Guerre Sacrée, le róle qu'avait alors joué Solon. Ce texte, qui est un extrait du Solon de Plutarque 27, ne peut que difficilement trouver place dans les 525 lignes de l'inscription. Il correspond mal, en outre, au résumé que donnent les comptes : liste des vainqueurs et τῶν ἐξ &pyñc τὸν ἀγῶνα κατασκευασάντῶν ; ces derniers mots semblent en contradiction avec les éléments assez

complets qu'a reproduits Plutarque. Il faut donc conclure à l'existence d'un travail gravé, et d'un travail plus vaste, non gravé. On pourra alors considérer avec P. Moraux ?? que le Πυθικός (Diogéne Laérce, n° 133) et les Πυθιονικῶν ἔλεγχοι (Diogéne Laërce, n° 134) représentent les deux moitiés de l'ouvrage, le recueil et la liste ; mais si ce recueil était gravé, alors il ne formait qu'un abrégé d'un recueil plus ample. Plus vraisemblablement,

le Πυθικός

était ce recueil

plus vaste,

et Aristote

en

avait fait graver un résumé ; c'est la solution la plus probable : les stéles portaient principalement la liste des vainqueurs et Πυθικός serait un mot bien ambitieux pour désigner un bref sommaire. Ainsi s'explique que l'ouvrage soit cité comme ἀναγραφή dans les comptes amphictioniques : Hésvchios et les scholies de Pindare emploient le méme mot ou des termes analogues — ἀναγράφει, ἀναγέγραπται — pour désigner la partie correspondante de l'ouvrage non gravé 2”. Quant à Plutarque, qui dit aussi &vaypapn dans le passage où il relate le rôle de Solon, il a dà confondre deux rédactions et employer un mot pour un autre — puisqu'il est impossible que ce renseignement provienne d'une &vaypapn au sens exact du mot. 273. Syllogé, n° 252,1. 42 (FD, 1115, 58). « 21 000 lettres environ »est l'évaluation de la Sylloge. W. JAEGER, "Aristotle? P. 326, parle de 60 000 mots (?). L'inscription était généralement datée de 331. Mais D. M. Lewis, Class. Review, N. S.,8 (1958), p. 108, la fait descendre jusqu'en 327, d'après P. La Cosre MEssELiÈRE, Listes amphictioniques du IVe siècle, B. C. H., 73 (1949), p. 201 sq. 274.

GLortz-Couen, Hist.

275.

Solon,

Gr., I, p. 517, avec bibliographie.

276.

Les listes anciennes,

277.

Rose, 1886, 616 (IIésvcuros, s. v. Βοῦθος περιφοιτᾷ) et 617 (scholies de Pin-

11.

ibid.

dare, Isthm., 2, inscr. et Olymp. 2, 87).

*[orop(a : LES ŒUVRES

135

L'existence de plusieurs rédactions est confirmée par une indication de Diogéne et de l’Anonyme : tous deux (Diogéne Laérce 131 et 132, Anonyme 124) ont enregistré une liste des vainqueurs aux concours pythiques de musique. Il est difficile de savoir si cette liste fut une premiére étape du travail d'ensemble entrepris par Aristote et son neveu 578, ou s'il s'agit au contraire d'un extrait fait aprés coup 379, Mais dans les deux hypothéses, nous devons bien admettre qu'il y a eu plusieurs états des textes, plusieurs « éditions » peut-étre, exactement comme pour les Νόμιμα ?9. Rien ne prouve au surplus que les titres donnés par Diogéne et l'Anonyme recouvrent rigoureusement le méme contenu que l'inscription de Delphes. Un argument complémentaire, enfin, est fourni par l'énoncé plus détaillé du titre, que donne le catalogue anonyme. L'établissement de la liste faisait l'objet d'un concours ; Aristote, aidé de Callisthéne, l'emporta sur un certain Ménaichmos, qui serait Ménaichmos de Sicyone ?9! ; et le catalogue primitif, dont P. Moraux a suggéré l'existence par tant de bons arguments 382, aurait été ainsi rédigé : Πυθιονῖκαι £v, ᾧ (et non ἐν &) Μέναιχμον ἐνίκησεν. On ne conservait donc plus, au moment oü fut établi ce catalogue primitif, que le souvenir d'une liste de vainqueurs : ainsi les Πυθιονῖκαι de l'Anonyme n'incluent pas le Πυθικός de Diogéne, mais tout au plus un résumé de ce recueil ; et ce résumé

pouvait correspondre à celui de l'inscription. La date oü la liste fut gravée à Delphes constitue le « terminus ante quem » de cette série de travaux d'Aristote, du moins pour l'essentiel ; car il a pu ensuite tenir son catalogue à jour. Or cette date peut étre déterminée avec quelque certitude : si Aristote et Callisthéne ont achevé leur travail en collaboration, ce ne peut être qu'avant le départ du second pour l'Asie, soit 334 283, D'autre part, c'est au lendemain de la Guerre Sacrée que, comme l'a montré Th. Homolle, « les administrateurs du temple s'empressérent dans la mesure du possible de réparer les ruines » et, notamment, de « réviser, compléter, suppléer les archives sacrées » ?9!, Mais c'est aprés la guerre d'Amphissa que l'administration des sanctuaires est profondément réorganisée et que des travaux de toute sorte sont exécutés à Delphes ?55, On admettra donc que la gravure est des environs de 335 ?95, Sans doute n'est-il pas prouvé qu’Aristote et Callisthéne se sont 278. Th. HomorLe, Un ouvrage d'Aristote dans le temple de Delphes, B. C. H., 22 (1898), p. 267. 279. P. Monavx, Les listes anciennes..., p. 126. La première hypothèse correspond mieux à l'évolution des recherches conduites par AnrsTOTE et CALLISTRÈNE, cf. infra. En outre, la liste des vainqueurs était-elle si considérable qu'il füt nécessaire ou commode d'en établir des extraits ? 280. Supra, p. 116 sq. 281. P. Monaux, ibid., p. 200 sq. L'explication a été imaginée par A. Brınk-

MANN, Die Olympische Chronik, Rhein. Mus., 70 (1915), p. 627. 282.

V. supra, p. 127 et n. 204, et P. Moraux,

ibid., passim.

283. Syll.®, n? 275. 284. 285.

Th. Hoxorre, B. C. H., 22 (1898), p. 633. G. Grorz-R. Couen, Hist. Gr., III, p. 353 sq.

286. Syll.*, ibid.

136

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

trouvés là, précisément, tous deux pour diriger la gravure et recevoir les honneurs delphiques : Aristote pouvait achever le travail seul et dignement représenter son neveu absent 2. Mais cette hypothèse ne tire pas à conséquence, puisque les comptes de Delphes ne permettent en aucune facon de dater la gravure d'un millésime beaucoup plus tardif : tout est terminé en 330 au plus tard. En revanche, le travail de documentation, lui, peut étre nettement plus ancien. On considére généralement

qu' Aristote et Callisthéne devaient habiter Athènes pour l'entreprendre, et c'est une raison supplémentaire qui appuie la date de 335 ou 334 : au cours du premier séjour d'Aristote en Attique, Callisthéne était en effet trop jeune 288. Mais les recherches ne pouvaient-elles être effectuées à distance ?9? ? ou par un seul des deux collaborateurs ? Rien ne prouve que Callisthéne soit constamment resté en Macédoine aux cótés de son oncle, et une démonstration ne peut reposer sur ce compagnonnage incertain. Qui plus est, Callisthéne avait consacré un ouvrage à la Guerre Sacrée 2% : or le fragment du Catalogue pythique qu'a utilisé Plutarque ??! indique que ces deux travaux présentaient des centres d'intérét communs. La collaboration des auteurs rend alors probable une communauté de documentation 292, et cette documentation a pu commiencer tôt. Il est vrai que l'histoire de la Guerre Sacrée n'est pas datée avec précision. F. Jacoby suppose cependant qu'elle n'est pas de beaucoup postérieure à 346. Mais 1l fallait donc que Callisthéne se procurát une documentation en grande partie d’origine delphique, à l'époque justement

où Aristote résidait en Troade,

à Lesbos,

en Macédoine.

I] est vrai encore que les documents une fois rassemblés ont pu rester longtemps inutilises 29%, Mais ce rassemblement méme ne s'est pas réalisé sans qu'Aristote y prit part : Callisthéne, disait-il, avait besoin d’être aiguillonné, et Aristote a dû diriger ses recherches 2%. Inversement, ces documents ont dû lui servir ensuite, car d'autres rapprochements nous montreront que Callisthéne est parfois une « source » pour Aristote ?95, Bref, bien avant la rédaction du catalogue couronné, Callisthéne et Aristote ont pu travailler à ces recherches delphiques, qu'on aurait tort de reporter vers 335 seulement. W. Jaeger lui-méme doit bien placer la liste pythique « vers la fin de la période macédonienne ou au début de l'athénienne » 2%, quoique cela ne cadre pas entièrement 287. Th. Honwozrz, ibid., p. 631 sq. 288.

Syll.*, ibid. Cependant, la date de naissance de Callisthène est inconnue, et

c'est précisément son activité dans les années 40 qui incite à la placer plus prés de 370 que de 360 (R. E., X,2, col. 1675, W. Knorr). Mais il est au total peu probable qu'il ait pu véritablement collaborer avec Aristote pendant le premier séjour. 289. Sur une correspondance entre Aristote et Delphes, in/ra, p. 160. 290.

F. Jaconv, Fr.

Gr. Hist., 11 B, 124, F 1.

291. Rose, 1886, 615 = Solon, 11. Cf. supra, p. 134. 292. F. Jaconv, ibid., II B, 124, T 23. Les deux ouvrages sont rapprochés aussi

par W. JAEGER, Aristotle*, p. 325 aq. 293.

F. Jaconv,

ibid.

294. Ibid., II B, 124, F 4 (= Dioc. L., V, 2, 39). 295. Infra, p. 312. 296. Aristotle*, p. 326.

Ἰστορία : LES ŒUVRES

137

avec le développement de l’œuvre d’Aristote tel qu'il le conçoit : mais

on peut en réalité remonter sans inconvénient assez haut dans la période macédonienne, et ce caractère progressif des recherches explique bien la diversité des textes dont témoignent Diogène Laërce et l’Anonyme. Quel que soit d’ailleurs le rapport que l’on établit entre le Catalogue Pythique et l'Olympique, ce dernier, dans ces conditions, a peu de chances

d’être très récent 29. 89 Didascalies

et Victoires.

Les Didascalies (Diogène Laërce 137, Anonyme (Νῖκαι Διονυσιακαὶ

129) et les Victoires

x, Diogène Laërce 135 ; Νικῶν Διονυσιακῶν ἀστικῶν

καὶ Anvalwv a, Anonyme, 126) formaient probablement les deux éléments d'un même travail d'ensemble : on suppose en effet que les Victoires figuraient au début des Didascalies 338, Toutes ces recherches, portant sur des matières spécifiquement athéniennes, n’ont pu être menées à bien que pendant un séjour prolongé d’Aristote à Athènes : il est difficile, ici, de supposer un travail à distance. Didascalies et Victoires sont donc postérieures à 335 — c'est l'hypothèse de W. Jaeger 2% — ou bien antérieures, par une première rédaction, à 347 99 ; dans un cas comme dans l'autre, la liste a dû être tenue à jour, probablement après chaque série de représentations %1,

Pour choisir entre ces deux solutions, les textes ne fournissent que des éléments incertains. Il ne reste rien des Victoires, qu'une inscription 99, Les

fragments

nombreux,

en

revanche,

des

Didascalies,

de

source

littéraire ou épigraphique, ne sont pas plus décisifs 93, quant aux origines premières du travail. À l'inverse de ce qui se produit pour les Νόμιμα, aucun rapprochement avec les recherches de l'Académie n'est véritablement possible ®% : l'attention que les Lois de Platon accordent aux problèmes du théâtre n'implique pas l'existence d'une telle documentation ; à ce compte il eût fallu, d'ailleurs, que Platon en disposát 297. V. supra, p. 132 sq. 298.

F. Jacosv, Atthis, Oxford, 1949, p. 349, n. 5. Selon W. Jaecer

(Aristotle®,

p. 326 et n. 2), les Didascalies proviendraient du goût personnel d’Aristote pour l'histoire du théâtre, tandis que

les Victoires, liées à la réforme du théâtre réalisée par

Lycurgue, seraient le résultat d'une commande officielle. Mais cette distinction est hypothétique. Il est sûr du moins que la structure des Didascalies et celle des Victoires étaient exactement parallèles (v. /._G., II? 2, 2319-2324 (didascalies) et 2325 (victoires).

299.

Ibid.

300. F. Jaconv, ibid., semble pencher pour cette solution. Cf. A. WirnEkrM, Urkunden dramatischer Aufführungen in Athen, Vienne, 1906, p. 7, et le c.-r. du livre

de P. Monaux, Les listes anciennes..., Rev. philosophique, 148 (1953), p. 465 sq. 301. Il se peut que Callisthène ait ‘collaboré à ces recherches. Un fragment de ses Helléniques marque un intérêt pour l'histoire du théâtre (dans F. Jacosy, Fr. Gr. Hist., 11 B, 124, F 30). Mais on rapprochera, avec F. Jacosv, IlEropore, VI, 21. 302. I. G., II? 2, 2325 (= C. I. A., II, 977. La référence à C. I. A., Il, 971, c'est-à-dire 7. G., ibid., 2318, donnée par W. JAEGER, Aristotle!, p. 326, n. 2, est incertaine ; cf. 1. G., ibid., p. 659). 303. Rose, 1886, XL VIII, 618-630 ; /. G. citées supra, n. 298.

304. Supra, p. 119 et n. 144.

138

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

au moins dès l'époque où il rédigeait le dixième livre de la République 95, De méme, on admettra, avec W. Jaeger, que le dialogue Sur les Poëtes peut facilement être antérieur à cette compilation 2%, Mais différent est le cas de la Poétique, que l'on peut dater des environs de 335 #7. La Poétique, en effet, ne suppose pas absolument Victoires et Didascalies, mais bien une partie de la documentation que contenait — ou plus précisément peut-étre, qu'allait réunir et contenir — ce double recueil : ainsi l'histoire de la tragédie, qui termine le quatriéme chapitre de la Poétique, et l'histoire de la comédie, au cinquiéme chapitre, sont fondées sur une information détaillée et scrupuleuse. Áristote indique méme qu'il ne nous livrera pas tous les détails qu'il connaît : πολὺ γὰρ Av ἴσως ἔργον εἴη διεξιέναι καθ᾽ ἕκαστον 99, et en revanche il signale loyalement les difficultés qu'il n'a pu résoudre : « Les transformations successives de la tragédie et les auteurs de celle-ci nous sont connus, mais la comédie dans ses détails nous échappe parce qu'elle était peu en faveur. Car ce n'est que tard que l'archonte fournit un chœur de comédiens : auparavant, ceux-ci étaient des volontaires. C'est seulement depuis que la comédie a pris forme qu'on garde le souvenir des poétes appelés comiques. — Qui a apporté masques, prologues, nombre des acteurs et tous détails de ce genre, on l'ignore » 999... etc. Ce sont là, entre autres, des assertions qu'a préparées une étude approfondie. I] devient ainsi plus vraisemblable que ces recherches ont débuté relativement tót, pendant le premier séjour à Athénes, et qu'Aristote les a ensuite complétées. Le rapprochement qu'étabht W. Jaeger avec l'action réformatrice de Lycurgue 319, prend alors une autre signification : si les autorités d'Athénes

se sont adressées à l'école d'Aristote,

ne serait-ce pas en raison de la compétence que le philosophe avait déjà manifestée dans ce genre de travaux, non seulement avec les listes pythique et olympique, dont il s'occupait alors ou s'était occupé antérieurement ?!1, mais aussi avec une première compilation sur l'histoire du théátre ? L'idée de W. Jaeger, que « les investigations préliminaires... auraient été impossibles sans la permission du gouvernement » ?!?, n'implique pas, en tout cas, qu'il s'agissait d'une mission officielle, qui aurait été encouragée et appuyée, sinon voulue, par l'État : une autorisation n'est ni une approbation ni un ordre. D'ailleurs, une partie des archives n'étaient autres que des inscriptions, accessibles à tous : Aristote mentionne, au huitième livre de la Politique, « la plaque (πίναξ) consacrée par Thrasippos qui avait été le chorége d'Ecphantidés » 313, comme si elle était bien connue. 305.

P. ex. Lois,

II, 658 e sq. ; Rép., X, 605 c sq.

306. Aristotle?, p. 326. 307.

Supra,

308. 309. 310. 311. 312. 313.

Poét., 4, 1449 a 30. Poet., 5,1449 a 37- b 5 (trad. J. HAnpv, Coll. des Univ. de Fr.). Supra, n. 298. Cf. P. Moraux, Les listes anciennes..., p. 127, n. 26. Supra, p. 132 sq. Aristotle?, p. 326. Pol, VIII, 6, 1341 a 35 sq. — Sur le poète comique ECcPHANTIDÈS,

SUSEMIAL,

Rem.

p. 95, n. 60.

1076.

v.

‘loropla : LES ŒUVRES

139

Il se trouve justement que cette allusion à la plaque de Thrasippos suggère une date récente pour ce chapitre de la Politique. E. Barker considère même que ce rapprochement de documentation est décisif, et contribue à placer tout le livre VIII dans la dernière période 514, Mais la solution peut être tout autre, si l'on retient qu'il n'y a aucune raison solide de cantonner Didascalies et Victoires dans la seule période du Lycée ; la documentation, en tout cas, qu'exploitent ces catalogues, est sürement en partie plus ancienne que la Poétique. Dans ces conditions, si l'allusion à la plaque permet de placer aprés 335 une partie du huitiéme livre de la Politique, ce ne sera nullement parce que cette documentation est également récente, argument si contestable, mais tout simplement parce qu'une telle allusion ne pouvait guére intéresser qu'un auditoire athénien ?!5,

99 Le περὶ

τραγῳδιῶν.

Cet ouvrage en un livre, recensé par Diogéne Laérce (n9 136), est entiérement perdu. On a supposé, avec la plus grande vraisemblance, que c'était un recueil où Aristote avait groupé « ceux des renseignements (concernant le théâtre) qui ne pouvaient figurer ni dans ses Didascalies ni dans ses Victoires » 6, Ainsi une documentation d'ensemble, enrichie progressivement, serait entrée dans différents recueils. Celui-ci, s'il était postérieur aux Didascalies et aux Victoires, serait trés récent. 109 Les Problémes

homériques.

Ce gros recueil, enregistré par Diogene Laérce (n? 118) et par l’Anonyme (n° 106), comprenait six livres ?? de problèmes, d'un caractère historico-littéraire. Homére est justement, pour un Grec de l'Antiquité, à la fois le premier des poètes et le premier des historiens — et aussi un maître dans tous les arts et toutes les techniques. C'est bien ainsi qu’Aristote le considère, comme en témoignent les fragments assez nombreux qui nous sont parvenus de ce recueil (Rose, 1886, 142-179) : les « problémes » que pose le texte d'Homére sont toujours résolus dans un sens favorable au poéte, en vertu d'arguments parfois bien sophistiques ?19, Mais c'est aussi à des considérations d'ordre historique #1, 314.

The Pol..., Oxford, 1946, p. xxxii, n. 1, et p. 387 et n. 2 (la reference à un

chap. VIII, 12, de Pol., VIII, est erronée ; il ne peut s'agit que de 1341 a 35 sq.). E. Barker trouve là un argument en faveur des idées de von Anni, cf. supra . 66 sq. P 315. Infra, p. 187 sq. 316. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 127, n. 26. 317. L'Anonyme, sous le n? 147, lui en attribue dix ; mais v. P. Moraux,

ibid.,

. 275 8q. P 318. V. p. ex. Rose, 1886, 146 : à propos du nombre des villes crétoises et de la contradiction entre Iliade, II, 649, et Odyssée, 19, 174 : 'Αριστοτέλης δὲ οὐκ ἄτοπόν

φησιν, εἰ μὴ πάντες τὰ αὐτὰ λέγοντες πεποίηνται αὐτῷ * οὕτως γὰρ xal ἀλλήλοις

πὰ αὐτὰ παντελῶς λέγειν ὥφειλον.

319. Sur l'exégése « historique » des mythes homériques par AnisToTE, BurriEnE, Les mythes d'Homére ei la pensée grecque, Paris, 1956, p. 243 sq.

v. F.

140

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

précises et, pourrait-on dire, modernes, qu'Aristote a recours : « Homére,

dit-il, représente toujours les pratiques de son temps ; et les pratiques antiques étaient celles des barbares de notre époque » ?9, Cette méthode, qu'il emploie au moins à deux reprises dans les Problémes ?*!, fondée à la fois sur la comparaison des civilisations et les « survivances », est familière à Thucydide et aussi à Aristote lui-même dans la Politique ???, Une autre remarque, sur l'organisation politique au temps d’Homere, évoque également un passage de la Politique, au troisiéme livre: « Le peuple — selon les Problèmes ??? — avait seulement le droit d’assister

aux

délibérations

; les

chefs

avaient,

eux,

celui

d'agir. »

De la méme facon, quoique à un autre propos, l’auteur de la Polıtique montre une connaissance précise de la royauté homérique : le roi n'est qu'un stratége et un Juge à vie, chargé en outre des fonctions rehgieuses ; ses pouvoirs — comme ceux des rois de Lacédémone — sont limités 324, Mais un rapprochement avec l’Éthique Nicomachéenne est plus suggestif : au troisième livre, Aristote évoque « les anciennes constitutions, qu'Homère a représentées : les rois y prenaient les décisions, qu'ils communiquaient ensuite au peuple » 32, Ces « rois » (βασιλεῖς) dont parle l’Ethigue sont évidemment identiques aux chefs (ἡγεμόνες) des Problémes : le scholiaste qui nous a transmis le fragment d'Aristote

précise justement qu'il s'agit de τοὺς ἡγήτορας xal βασιλεῖς 335, Les

deux textes sont donc trés proches : la seule différence est que, dans les Problémes, le peuple assiste, muet, aux délibérations, tandis que dans l'Éthique il semble privé méme de ce droit-là. C'est du moins ce que suggère le mot « communiquaient », ἀνήγγελλον, et c'est précisément pour cela qu'il a paru difficile de déterminer le passage de l'épopée auquel songeait Aristote en professant |’ Éthique 327, Mais il est probable qu’Aristote, qui ici ne cite pas des vers et se contente de résumer une notion, n'avait pas le texte homérique sous les yeux. Or s'il procéde ainsi, de mémoire, il songe autant aux interprétations qu'il a pu déjà donner d’Homere, au commentaire dont il a accompagné le poème, qu'au texte lui-méme et à un passage précis, Nous savons justement qu'il avait commenté Homère à l'intention d'Alexandre 3838. L’ Éthique de Nicomaque, d'autre part, n'est généralement pas considérée comme une 320.

Rose, 1886, 160.

321. Cf. ibid., 166. 322.

TnucvbDipz,

I, 5-6, surtout 6,6 ; Politique, 1, 2, 1252 b 19 sq. ; II, 8, 1268 b

39 sq. Sur la méthode des « survivances » dans la Const. d' Ath., v. G. MaTuieu, éd. de la Coll. des Univ. de Fr., p. 1x. 323.

Rose, 1886, 158 (Scholie ext. B de l' Iliade, IX, 17).

324. Pol., III, 14, surtout 1285 a 9 sq. et 1285 b 21 sq. 325.

E. N., III, 5, 1113 a 7 sq. (trad. J. VoıLqvın,

Paris, s. d., modifiée) : Δῆλον

δὲ τοῦτο xal ἐκ τῶν &pyalov πολιτειῶν, ἃς “Ὅμηρος ἐμιμεῖτο" ol γὰρ βασιλεῖς à προέλοιντο ἀνήγγελλον τῷ δήμῳ. 326. Supra, n. 323. 327. Cf. l'embarras de J. VoirquiN (ibid., note 75), le silence de Ross (Oxford translation, IX, 1925) et de Gaurmier-Jorır (Commentaire, Louvain-Paris, 1959). 328. V. supra, p. 17 ; Vira Marciana, dans Rose, 1886, p. 427, l. 3 sq. Cf. W. JAEGER, Aristotle", p. 122 sq. ; P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 340.

“Ἰστορία : LES ŒUVRES

141

des plus anciennes œuvres d’Aristote, bien au contraire ???, N'est-ce donc pas à ses souvenirs de l'enseignement qu'il avait dispensé au prince héritier de Macédoine, que le philosophe fait ici appel ? Le fragment 158 des Problémes semble, dans ces conditions, remonter à la période macédonienne, Du moins doit-il être antérieur à l’Éthique de Nicomaque, — ce qui interdit de lui assigner une date trés récente, Les autres fragments des Problémes ne fournissent pas d'indications chronologiques valables, Le fragment 164 marque un intérét pour les monnaies qui apparaît aussi dans les Constitutions 39 ; en admettant que le rapprochement soit significatif, encore faudrait-il, pour l'interpréter, pouvoir dater exactement les diverses Constitutions : or nous ne pourrons guére proposer de celles-ci qu'une chronologie sommaire et relative ??1, Au total, cependant, il apparaît que les Problèmes homériques n'étaient pas, contrairement à ce que pense W. Jaeger 353, un travail « purement littéraire et philologique » : c'est aussi en historien qu’Aristote envisageait l'épopée et a dû l'expliquer à Alexandre. Et c'est justement un des fragments « historiques » qui suggére de dater les Problèmes, au moins partiellement, d'une période antérieure à celle du Lycée, où les place W. Jaeger 323, Sans doute faut-il joindre à ces Problémes homériques toute une série de Problémes relatifs à d'autres

auteurs,

et dont nous ne connaissons

que les titres. Encore ceux-ci ne sont-ils pas tous bien connus. A plus forte raison est-il impossible de déterminer avec quelque vraisemblance ce qu'il y avait d'authentiquement aristotélicien dans ces recueils. Il s'agit surtout des ᾿Απορήματα ᾿Ησιόδου ?95, des ᾿Απορήματα ᾿Αρχιλόχου,

Εὐριπίδου, Χοιρίλου 335, et des Problèmes poétiques 936, 119 Les

Proverbes.

Mentionné par Diogène Laërce (n? 138) et peut-être par l'Anonyme 387, ce recueil en un livre a totalement disparu 3. Mais son existence n'a 329.

V. supra,

p. 66.

F. Nuvens

(Ontwikkelingsmomenten...,

Nimégue-Utrecht,

1939, p. 171 sq.) place l'E. N. dans la « période de transition ». Mais elle est encore ainsi postérieure aux Problèmes. .

330. Ὃ ’Apıororking τὸ τάλαντον οὔτε ἴσον φησὶ τότε xal νῦν εἶναι οὔτε ἀφω-

ρισμένῳ χρῆσθαι σταθμῷ, ἀλλὰ μέτρον τι μόνον εἶναι κτλ. cf. supra, p. 103. 331. Infra, p. 255 sq. 332. Aristotle*, p. 328. 333.

De méme

334. Anonyme,

E. Barker,

n? 143.

sous le n? 107, ἀπορήματα

The Pol..., Oxford, 1946, p. xxxi.

Ce sont

probablement les mómes

θεῖα, cf. V. Rose,

qui sont

éd. de Berlin, 1870

enregistrés

(Aristotelis opera

omnia, V), p. 1467, app. crit. à 107 : « fortasse ᾿Ησιοδείων ». 335.

En

trois livres, Anonyme

n? 144.

Cf.

P. Monaux,

Les listes anciennes...,

. 272 sq. P 336. Anonyme n? 145, rapproché du n? 108 par P. Moraux, conséquent de Dıoc. L., n? 119. On citait également un χύκλος περὶ ποιητῶν (Anonyme n° “Ὅμηρος (ibid., n° 142) et des αἴτιαι ποιητικαὶ (ibid., n° 146). ibid., p. 197, 251 sq., 277. 337. Si du moins (P. Moraux, ibid., p. 199, suivant Rose) παροιμίαι ἃ de Dioc&NE dans le mystérieux προοιμίων ἃ de (V. Rose, éd. de Berlin, V, p. 1468).

ibid., p. 273, et par 115), un τί δήποτε Mais v. P. Monaux, il faut retrouver les l'Anonyme n? 127

338. V. cependant E. L. von Leurscuet F. G. ScaNeibewin, Corpus Paroemio-

142

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

jamais été contestée avec des arguments solides 33?, Un tel travail marque, pour les coutumes, pour le folklore, un intérét que manifeste aussi, comme l'a vu P. Moraux, le recueil des Νόμιμα. De nombreux textes d'Aristote, et des plus divers, citent ou résument ou analysent des proverbes, qui proviennent peut-être de cette collection et qui du mcin: témoignent des mêmes préoccupations 890 : ils figurent dans des œuvres sürement anciennes — des dialogues — mais aussi dans des travaux qui appartiennent à la dernière période : par exemple la Rhétorique et la Génération des Ahimaux #1 ; et le cinquième livre de la Politique, sürement postérieur à 336, cite un proverbe en le détournant de son

sens habituel: « Un clou chasse l'autre », dit Aristote, ἥλῳ γὰρ ὁ ἦλος, ὥσπερ À παροιμία #2; mais, comme le note Newman (ad loc.), Aristote n'entend pas par là qu'une chose est écartée et remplacée par une autre de méme nature (« The driving out of a thing by a thing of the same kind ») — mais qu'un méchant est, pour un tyran, l'instrument idéal de ses méchants desseins (« the execution of evil deeds by appropriate agents ») : cette utilisation libre du proverbe marque une grande famiharité avec ce genre de citations et comme une habitude de l'interprétation la plus variée des différents dictons : sans doute était-ce un exercice de rhétorique, auquel le Stagirite était rompu depuis longtemps. Tout indique justement que ce recueil a été entrepris trés tót, W. Jaeger voulait le situer à l'époque du Sur la philosophie, c'est-à-dire, dans la chronologie qu'il construit, peu aprés l'installation à Assos #3. L'hypothése qu'Aristote s'intéressait déjà à des « collections », alors qu'il venait à peine de quitter l'Académie, constitue pourtant, dans les perspectives de W. Jaeger, une anomalie, qu'il essaie d'atténuer en réduisant, à cette date, l'importance du travail de collection entrepris : « He therefore laid the foundation of a collection of Greek proverbs » 34. Mais il faut, au contraire, remonter plus haut dans le temps : dans son Contre Aristote, en effet, Céphisodore, disciple d'Isocrate, avait reproché vivement à Aristote cette collection de proverbes *5. Or on a montré que cette polémique datait du premier séjour à Athènes, du moment où Aristote était déjà chargé d'un enseignement — celui de la rhétorique très probablement — à l'Académie 345 : le recueil serait donc, du moins graphorum Graec., Göttingen, 1839-1851 (indices, s. v. ᾿Αριστοτέλης), et R. SrrouBERG, Gr. Proverbs, À collection of Prov. and proverbial phrases which are not listed by the ancient and byzantine Paroemiographers, Göteborg, 1954, p. 28 (Artsrore). 339. V. cependant E. Heırz, Die verlorenen Schriften des Ar., Leipzig, 1865, p. 163 sq. Ni L. Ronin, ni E. Banken ne mentionnent les Proverbes, dont l'existence est au contraire admise par VW. JAEGER, Aristotle?, p. 129 sq. V. aussi P. Moraux,

Les listes anciennes..., p. 128 sq. et n. 30 à 36. 340.

W. JAEGER, Aristotle?, p. 130 et n. 2, qui renvoie à Bonıtz, Indez Ar., Berlin,

1870, 8. v. παροιμίαι : deux colonnes de références. 341.

Rhét., 1, 11, 1371

5 12 sq. Pour la date, supra, p. 95,

n. 60.

Gén.

an.,

II,

7, 746 b 7 sq. Pour la date, supra, ibid. $42.

343. 344. 345. 346. P. 37 et

Pol., V, 11, 1314 a 5. Pour la date, infra, p. 181.

Aristotle*, p. 124 sq. Ibid., p. 130. ArnÉNÉr, II, 60 d. Voir P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 336 sq. Cf. W. 130.

JAEGER,

ibid.,

‘lotopla : LES ŒUVRES

143

pour une part, antérieur à 347, et ainsi les collections, les travaux d'« antiquaire », seraient une conception non d'Aristote vieillissant, mais de la jeune maturité. W. Jaeger, il est vrai, a considéré que ces premiers travaux de caractére historique avaient un intérét philosophique autant qu'historique. Mais il serait difficile et d'ailleurs paradoxal de ne pas porter un jugement semblable aussi sur l'histoire de la dernière période. Et surtout, ce qui est d'ores et déjà remarquable dans l'attitude d'Aristote, c'est ce désir de rassembler tant de données

du passé, en vue d'une démonstration philosophique ; c'est ce rapproche-

ment de l'histoire et de la philosophie. Cette datation ancienne des Proverbes — en tout cas des premiers d'entre eux — est confirmée par la similitude de ce travail avec celui des Νόμιμα 9* et aussi par le goût que manifestait pour les proverbes l'enseignement de Platon # : l'éléve a voulu donner une forme systématique et rigoureuse aux suggestions du maître ; ce qui n'était chez l'un que tendance, est devenu, de la main de l'autre, un recueil. Parmi les études spécialisées auxquelles se livrait l'Académie dans les dernières années de Platon 335, les Proverbes ont tenu leur place, réunis naturellement par le jeune maître de rhétorique de la compagnie. Plus tard encore, professant sa Rhétorique, Aristote montrera l'importance des proverbes pour cet enseignement : car ce sont des « témoignages » que l'orateur doit utiliser 3% ; ils forment, dans le style, un élément agréable et piquant 55! ; ils sont un condensé heureux de psychologie 353, Aussi l'auteur de la Rhétorique mentionne-t-il des recueils d'apophtegmes, que l'orateur fera bien de consulter : il y a des cas, dit Aristote, où « sont appropriés les apophtegmes laconiens et les maximes énigmatiques » 353, M.

Dufour décéle dans cette phrase « un indice que, dés le 1v? siècle,

existaient des collections d'apophtegmes des Lacédémoniens, analogues à celle qui nous a été transmise par Plutarque » #4, Ce sont de tels recueils qu'Aristote a dà utiliser et compléter. Proverbes et enseignement de la rhétorique apparaissent bien comme liés. Mais il ne faut pas séparer pour autant Proverbes et curiosité historique. De nombreux exemples indiquent au contraire que les historiens de cette époque s'intéressaient particuliérement aux dictons de la sagesse traditionnelle. Éphore y a souvent recours 355, Deux atthidographes, Démon 347. Supra, p. 119. 348.

P. ex. Banquet, 222

b ; Hippias Maj., 301 c ; Théétète, 162 c ; Philèbe, 45 d ;

Lois, VII, 818 5, etc. Ce goût des dictons est déjà le propre

de SocnATE — et de

toute sagesse : « Connais-toi toi-même. Rien de trop. » Cf. P. Monaux,

ibid., p. 131.

349. W. JAEGER, Aristotle?, p. 19-21, admet qu'il s'agit de « collections ». Il n'y a pas mention cependant chez Platon ou autour de Platon de collections systématiques, comparables à celles de l'école d'Aristote. Mais il y eut certainement des rassemblements partiels de faits. Cf. infra, p. 22^ sq., et notre Archéologie de Platon. 350. 351. 352. 353.

Hhét., 1, 15, 1376 a 2 sq. Rhét., III, 11, 1413 a 14 sq. Rhét., I, 11, 1371 ὃ 15 sq. Rhét., II, 21, 1394 b fin.

354. Éd. de la Rhét., Coll. des Univ. de Fr., II, p. 108, n. 4.

355. F. Jaconv, Fr. Gr. Hist., 11 A, 70, F 20, et 63. Cf. aussi F 12, 19, 27, 37, 58, 55, 1^9, 175, 183....

144

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

et plus tard Istros, composent aussi des recueils de proverbes 3%. C'est là « un aspect, entre autres — écrit L. Pearson — du « goût de l'antique», du goût d'«antiquaires » qui se manifeste aux iv? et 1118 siècles » #7, Nous avons rencontré ce même goût dans les Constitutions. Mais les Proverbes permettent d'ores et déjà d'affirmer qu’Arıstote l'a éprouvé et lui a cédé trés tót. 129 Le Péplos. Cité à deux reprises dans le catalogue anonyme, mais inconnu de Diogéne Laérce 959, le Péplos, dont il nous reste d'assez nombreux fragments 3°, était selon le mot de l'Anonyme « de l’« histoire » variée » 999. Ce « Voile » était, comme celui d’Athena, brodé de sujets religieux et mythologiques : généalogies de héros homériques #1, énumération et origines des différents jeux 953 ; l'auteur s'intéressait méme à l'origine de l'alphabet 363, La liste, qui nous a été conservée, des épitaphes des héros, est sürement apocryphe %4. Mais tout le Péplos paraissait déjà suspect à Tzétzés, et Ja plupart des modernes l'ont suivi dans son jugement 99. Il est remarquable, cependant, que dans un de nos fragınents le Péplos soit attribué à Théophraste 9*5, Sans doute faut-il en conclure que le Péplos provenait, comme les Hypomnémata, d'un travail commun et méme d'un fichier commun 357, Mais autant il est facile de considérer les Hypomnémata, d’après leur titre en méme temps que leur contenu, comme un rassemblement sans unité des éléments historiques qu’Aristote et Théophraste n'utilisaient pas autrement, autant le titre du Péplos garde une signification énigmatique : qu'était-ce que cette « « histoire » variée » différente des Hypomnemata ? B. Écrirs

pe

PoLiriQue.

Arrivé à l’Académie à l’époque où Platon prépare ou même publie le Politique ®®, contemporain de la préparation des Lois, Aristote 356.

L. Pearson, The local historians of Attica, Philadelphie, 1942, p. 95 sq.

357.

Ibid., p. 96.

358. Anonyme n? 105 et 169. Sur le silence de Dıocsne, v. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 188, n. 8.

359. Rose, 1886, 637-644. 360. Anonyme, n° 169. 361. 362.

Rose, 1886, 639, et p. 394 ; 1. 24 sq. (Eustartue, in Iliad., II, 557). Rose, 1886, 637.

363.

Ibid., 638.

364.

lbid., 640-644,

cf. P. Moraux,

Les listes anciennes..., p. 196, n. 6.

365. Rose, 1886, p. 394, 1. 5 sq. ; P. Monaux, 366.

Ross, 1886,

638.

E. BARKER,

ibid.

The Pol..., Oxford,

1946, p. χχχτῖ

et n. 2,

tend à l'attribuer au Lycée, à l'époque d' Aristote, mais affirme que c'est l'opinion générale ; ce l'est si peu que ni JAEGER ni L. Roni (Aristote, Paris, 1944) ne citent seulement le titre du Péplos. 367. Supra, note 238.

368. Sur la difficulté qu'il y a à dater exactement le Politique de PLarton, v. A. Diës,

‘Ioropla : LES ŒUVRES

145

composa lui-même bientôt des œuvres proprement politiques. L'ensemble de ces écrits, de théorie, de critique ou simplement de documentation politique, sa correspondance enfin, donnent une idée assez précise de l'évolution qu'il accomplit en ce domuine. Treize titres sont à considérer à côté de la Politique : 19 Le Politique. 20 Les extraits de la République et des Lois de Platon. 39 Le Sur l'Orateur ou le Politique. 49 Le Sur la Politique, ou Gryllos.

59 Le Sur l' Éducation. 69 Le Sur la Noblesse. 70 L'Éloge d' Alexandre.

80 Les Πολιτικὰ 99 109 119 129 139

B.

Le Περὶ δικαίων et le Περὶ Le Protreptique. L'Alezandre, ou sur les colonies. Le Sur la royauté. La correspondance.

δικαιοσύνης.

19 Le Politique Enregistré par Diogéne Laérce (περὶ πολιτικοῦ a6, n° 4) et par l'Anonyme (πολιτικὸν a, n? 4) sous des rubriques dont la diversité est explicable par l'histoire de ces catalogues 399, l'ouvrage se réduit pour nous à quelques fragments °”. Il comprenait deux livres #71, trés probablement dialogués 522, où Aristote, semble-t-il, traitait à sa manière le thème qui était déjà celui de Platon dans le dialogue du même nom : Cicéron nous apprend en effet qu’Aristote a voulu faire ici la théorie du « princeps ». Aristote, dit-il dans le De Finibus, et Théophraste

aussi, ont enseigné

« qualem in republica principem esse conveniret » 5153. Cicéron encore, dans une lettre à son frére Quintus, indique peut-étre que, dans cet ouvrage, Aristote étudiait l'État et l'homme prépondérant : « Aristotelem denique quae de republica et praestante viro scribat #4...» Toutefois W. Jaeger, aprés Heitz, pensait que, par ce « de republica », Cicéron se référait non au Politique, mais au Sur la Justice 95, Sans doute notice de l'éd. de la Coll. des Univ. de Fr., 29 éd., p. ıxırsq. Il nous suffit de savoir que le Politique est postérieur — de peu, ou d'un peu plus — à 367. 369.

P. Monaux,

Les listes anciennes..., p. 203 sq., doit cependant renoncer à en

déterminer l'origine exacte. Mais il s'agissait sûrement d'un méme ouvrage. Cf. p. ex v. Rose, 1886, n° 4 de la liste d'« Hésychius ». 370. V. Rose, 1886, 78-81; R. Waızen, Aristotelis Dialogorum Fragmenta,

Flo-

rence, 1934, p. 99. V. aussi E. Bıcnone, L'Aristotele perduto e la [ormazione filosofica di Epicuro, Florence, 1936, 1I,

p. 97 sq.

Nous abrégerons en WALzER les références à cette édition des fragments. 371.

Droc. L., n? 4, cf. Rose, 1886, 79 (« au second livre du Politique »).

372. W. JAEGER, Aristotle?, p. 29 aq. 373. De finibus, V, 4,11. 374. Ad Quintum fratrem,

375. W.

III, 5, 1.

:

JAEGER, ibid. (surtout p. 29, n. 2, p. 30 et n. 1) ; E. Hwirz, Fragments

d'AnisTOTE, éd. Didot, p. 41. Aristote et l’histoire

10

146

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

est-ce implicitement supposer aussi — ce qui n'est pas démontré — que le Sur la Justice s'intitulait également République, de la méme façon que la République de Platon aurait déjà porté le sous-titre Sur la Justice *'*, On sait néanmoins que le Sur la Justice ressemblait à la République, et dans sa lettre Cicéron parle justement de son De Hepublica, inspiré du Sur la Justice. Le rapprochement est donc possible. Faut-il croire cependant, si on le refuse ?", que les deux termes dis-

tingués par Cicéron correspondent aux deux livres du Politique d'Aristote ? le premier étant consacré à « de republica », le second au « praestans vir » ? La comparaison du De Finibus avec la lettre à Quintus ne permet pas d'accepter cette hvpothése : l'expression « de republica et praestante viro » ne semble pas signifier autre chose que les mots « in republica principem ». Il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, des rapports entre le « princeps » (ou « praestans vir») et l'État. La différence est seulement de style : « et », dans la lettre à Quintus, peut

marquer un rapport, comme « in » dans le De Finibus. Nous ne pouvons donc nous faire qu'une idée sommaire du contenu et de l'organisation de ce Politique. Du moins était-il proche de la pensée platonicienne et aussi, comme la remarque en a été faite depuis longtemps, des deux derniers livres de la Politique 578. : argument supplémentaire en faveur d'une datation ancienne pour cet « État idéal » d'Aristote. 29 Les extraits de la République et des Lois Les extraits de la République (en deux livres selon Diogéne Laérce, n? 22, et d'après Ptolémée, n° 15) et ceux des Lois (trois livres d’après Diogéne, n? 21 ; deux d'aprés l'Anonyme, n? 23, et d'aprés Ptolémée, n° 15) sont évidemment à rapprocher des extraits du Timée (n? 94 dans le catalogue de Diogene, 85 de l'Anonyme) 579. L'existence de ces extraits ne peut étre mise en doute, puisqu'au témoignage de Proclus, Aristote lui-même avait employé l'expression ἐπιτέμνεσθαι τὴν πολιτείαν. 1] n'est pas facile de savoir si Proclus avait sous les yeux le texte d'Aristote. Il écrit en effet : ἕτεροι δὲ οὐκ ἐλάττους τούτων οὐδὲ ἀνεχεγγνώzepa Ὑζάφοντες περὶ πολιτείας εἶναι τὴν πρόθεσιν ἀξιοῦσιν, εἰ καὶ πρότερον ζήτημα γέγονε περὶ δικαιοσύνης, οὐχ ὡς προηγούμενον ἀλλ᾽ ὡς εὐπρόσωπον τῷ περὶ πολιτείας σχέμματι παρέχον ὁδόν. Καὶ μαρτυροῦνται xal οὗτοι τὴν ἐπιγραφὴν ἀρχαιοτάτην οὖσαν᾽ καὶ γὰρ ᾿Αριστοτέλης ἐπιτεμνόμενος τὴν πραγματείαν ταύτην οὑτωσί φησιν “ ἐπιτέμνεσθαι τὴν πολιτείαν ”, καὶ ἐν τῷ συσσιτικῷ τοῦτον αὐτὴν προσαγορεύει τὸν τρόπον 376. 377. 378.

Réfutation de ΦΑΈΘΕΝ par R. Stark, Aristotelesstudien, Munich, 1954, p. 12. Avec R. Stark, ibid. E. Barker, The Pol..., Oxford, 1946, p. 385. V. p. ex., sur la χάθαρσις, Ross,

1886, p. 86, 1. 9-11, qui rapproche

Pol., VIII, 5, 1340 a 7 sq., et 7, 1342

a 14 sq.

Au contraire, le fragment Rose, 1886, 79 (= WarzEn, p. 99), πάντων γὰρ dxpıbkoratov μέτρον τἀγαθόν ἐστιν, s'oppose à E. N., Ill, 6,1113a 29; IV, 14, 1128 a 31 ; et X,5,1176a18 (Wazzer, ibid., n. 2). R. Sranx, ibid., p. 27 sq., en souligne le carac-

tére platonicien. 379.

P. MonaAux, Les listes anciennes..., p. 40 sq. Dioc. L., V, 2, 43, attribue aussi

à Tn£ornnasTE un épitomé de la République, en deux livres.

“στορία : LES ŒUVRES καὶ ἐν τοῖς πολιτικοῖς

147

ὡσαύτως καὶ Θεόφραστος ἐν νόμοις καὶ

ἄλλοθ᾽

πανταχοῦ 99. Ce καὶ γὰρ introduit-il seulement les assertions des anciens commentateurs qu'allégue Proclus (οὗτοι) #! ou des arguments qui lui sont personnels ? Il semble que, dans le premier cas, le style indirect serait plus naturel ; il est sür également que Proclus pouvait lire au moins la Politique ; l'argument qu'il en tire pourrait donc étre de lui et, par conséquent, les autres arguments, qu'il place sur le méme plan. Mais, quoi qu'il en soit, Proclus, méme s'il emprunte tous ses exemples à autrui, les présente comme certains, et il n'y a pas de raison de refuser ici cette certitude. De tels extraits, si l'on en juge d'aprés leurs titres, ne comportaient ni critique ni aucun commentaire : par conséquent, il faut distinguer entre ces morceaux choisis de la Hépublique et des Lois, et l'exposé polémique 1elatif à la République et aux Lois qui occupe, dans la Politique, une partie importante du second livre. Mais c'est peut-être sur des cxtraits de ce genre, confectionnés à l'intention de ses élèves 333 ou pour lui-même, qu’Aristote s'est fondé lorsqu'il professait cette critique de Platon, dont l'inexactitude et même l'injustice ont été remarquées *9*, A la fin du livre V également, l'exposé critique de la théorie platonicienne des révolutions ne manifeste pas une connaissance rigoureuse des textes correspondants de la République : non seulement Aristote méconnaît systématiquement le point de vue de Platon, qui est logique, ou psychologique, et non historique, mais il lui arrive d'interpréter une phrase de Platon indépendamment de son contexte. Ainsi Platon avait écrit que « tout ce qui naît est sujet à la corruption » 3% ; Aristote lui répond : « L'influence du temps, à laquelle il attribue le changement de toute chose, suffit-elle à expliquer que des choses qui ne sont pas nées en méme temps changent en méme temps 3€ ? » Mais, comme l'a noté E. Barker 39, Aristote entend dans un sens général, indépendant du reste du texte, une phrase pourtant inséparable de l'argumentation mathématique qui l'accompagne : toutes choses changent, avec le temps, en fonction du fameux nombre géométrique. Pourtant Aristote, ici, ne se fie pas à sa mémoire ; la critique précise du « nombre géométrique », dans les lignes qui précédent, exclut cette hypothése. Mais il ne semble pas avoir un texte complet sous les, yeux : c'étaient plutôt des extraits, moyen de remémoration, ὑπόμνησις, comme l'écrivait Platon dans le Phèdre, en indiquant justement combien

l'ónóuvnoiu est nuisible à la μνήμη, à la mémoire #7. Aristote devait, en la matière, hien malgré lui, donner raison à son maître. 380.

PRocrus,

in Rempubl.,

p. 350, Bas. ; v. Rose,

1886,

180-181.

381. C'est l'opinion de V. Rose, Ar. Pseudepigraphus, Leipzig, 1863, p. 180 ; E. Hzirz, Die verlor. Schrift. des Ar., Leipzig, 1865, p. 220 aq. ; P. Moraux, Les listes anciennes, p. 41. 382.

383. : 384. 385. 386. 387.

P. Moraux,

ibid.,

Supra, p. 88. Rép., VII, 546 a. Pol., V, 12, 1316 a 14 sq. The Pol..., Oxford, 1946, p. 251, n. 3. Phédre, 274 c sq.

148

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Indiquons pour mémoire les trois titres suivants : 39 Sur l'Ürateur ou le Politique Cet ouvrage, mentionné par l'Anonyme sous le n? 177, pourrait être identifié avec la Rhétorique à Alezandre*9, généralement considérée comme apocryphe, et qu'en dernier lieu J. Zürcher et M. Hamburger ont tenté de réhabiliter ?®. 49 Sur la Politique, ou Gryllos

Il s'agit ne réalité d'un περὶ ῥητορικῆς,

non d'un περὲ πολιτικῆς.

L'indication de l'Anonyme (n? 5) doit être ainsi rectifiée, d'après celle de Diogene Laérce (n° 5) et les fragments que nous possédons ?99,

50 Sur l Éducation Enregistré par Diogéne Laérce (n? 19) et l'Anonyme (n? 18) 351 ainsi que par Ptolémée (n° 4) 352, ce dialogue est à peu prés entièrement perdu 333. Son sujet, traité aussi dans le Protreptique et dans le dernier

livre de la Politique, était d'intérét politique ?**, 69 Sur la Noblesse

De ce dialogue, connu de Diogéne Laérce (n° 15) et de l'Anonyme (n° 11) 2%, ains; que de Ptolémée (n° 5) 2%, nous possédons d'assez nombreux fragments 3%, cités pour la plupart dans le Florilège de Stobée. L'authenticité de l'ouvrage a été mise en doute par Plutarque, mais sans raison explicite %%. La définition de la noblesse comme « une vertu de la race », ἀρετὴ γένους 335, trouve un écho au troisième livre de la Politique, où Aristote la reproduit textuellement % ; i] indique aussi, 388. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 258. 389. Supra, p. 17, n. 50. 390.

Rose, 1886, 68- 69; Wazzen,

p. 100. V. P. Monaux,

Les listes anciennes,

p. 31 sq. et 199. Ce Gryllos” était le fils de Xénophon. 391. Qui le cite encore sous le n° 172.

392. Qui lui attribue quatre livres, pour un dans les autres listes.

393. Rose, 1886, 62-63. 394. Parmi les tentatives qui visent à le mieux déterminer, citons J. Branays, Die Dial. des Ar., Berlin, 1863, p. 133 ; E. BicNoNz, L'Ar. perduto..., Florence, 1936, LI, p. 58 sq. ; E. Barker, The Pol..., Oxford, 1946, p. 386.

395. Le méme

titre est répété dans l'Appendice du Catalogue anonyme, n? 183

(182 selon P. Monavx,

cf. Les listes anciennes..., p. 263 et 269).

396.

Qui lui attribue cinq livres, pour un selon DiocENE et l'Anonyme,

397.

Rose, 1886, 91-94.

398. PLUTARQUE, Aristide, 27, dont les hésitations sont apparemment partagées par W. Jarcer (Aristotle!) et L. RoniN (Aristote, Paris, 1944), qui ne mentionnent pas plus cet ouvrage que le Sur l'éducation. Mais v. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 36, avec la note 48. 399. Ross, 1886, 92 et 94. 400. Pol., 111, 13, 1283 a 37.

στορία : LES ŒUVRES

149

aux livres IV et V, que la noblesse est un mélange de richesse et de vertu héréditaires @1, et ainsi, en introduisant dans sa définition cet élément supplémentaire qu'est la richesse, il se rapproche davantage de l'opinion commune sur la noblesse #2, Le troisième livre apparaît donc, comme le veut Jaeger, beaucoup plus voisin de l'époque des dialogues. Mais également la concordance générale entre Politique et Sur la Noblesse constitue un argument solide en faveur de l'authenticité. 70 L'Éloge d’ Alexandre Cet Éloge, que lisaient Thémistius, Julien et Rutilius Lupus 95, ne figure dans les catalogues que, peut-étre, sous la rubrique plus générale d'« éloges » (Anonyme n? 180). Il est considéré comme apocryphe **. 89 Les Πολιτικὰ

B. ou les θέσεις πολιτικαί

Les Πολιτικά attestés par Diogéne Laérce (n° 74) sous ce titre, ne nous sont pas connus par ailleurs. V. Rose propose de corriger le texte de Diogéne en θέσεις πολιτικαί, puisque Diogéne énumére justement ici une série de θέσεις, et puisque l'Anonyme cite des θέσεις πολιτικαί dans le méme contexte. Mais P. Moraux remarque que c'est au contraire le texte de l'Anonyme qui doit provenir d'une correction mal inspirée : à cette place, des θέσεις πολιτικαί rompent l'ordre adopté pour les autres θέσεις, qui est alphabétique %. Il s'agit donc plutôt d'une Politique en deux livres, différente de la grande Politique en huit livres. Cette différence, bien qu'impossible à déterminer, confirme l'hypothése d'une évolution marquée dans la pensée politique d'Aristote.

9 Le Περὶ

δικαίων et le Περὶ

δικαιοσύνης

D'un Περὶ δικαίων en deux livres, attesté par Diogéne Laérce (n? 76), il ne subsiste rien 9. En revanche, les fragments du Sur la Justice, en401.

1V, 8,1294 a 21 ; V, 1,1301 5 3. Cf. aussi Rhét., 1, 5, 1360 534,

qui doit être

assez récent, et Pol., I, 6, 1255 a 32 sq., qui est moins net. 402. P.ex. PrATON, Théétète, 174 e. Cf. Newman, ad1294 a 21. Toutefois,

E. BAn-

XER (The Pol..., Oxford, 1946, p. 385) suggère que le Sur la noblesse a pu être utilisé encore dans la rédaction du livre IV. Il semble plutót qu'il s'agit ici de souvenirs lointains. 403. Références dans Rose, 1886, LIV (p. 409 sq.). 404. V. Rose, Ar. Pseudepigraphus, Leipzig, 1863, p. 580 sq.; P. Monavx, Les listes anciennes..., p. 261, n. 60. A cet « éloge », il convient d'ajouter d'autres apocryphes, mentionnés comme tels dans le catalogue de l'Anonyme : ᾿Αλεξάνδρου ἐκκλησία (ἐγκλησία MéNAGE, ἔγκλησις Monaux), n° 194, et πρὸς ᾿Αλέξανδρον

n? 196. S'agit-il bien ici d'Alexandre de Macédoine un περὶ ᾿Αλεξάνδρου,

probablement

identique

? Également, Anonyme 176,

à la Rhét. à Alexandre,

cf. supra,

. 17, n. 50. P 505. Les listes anciennes..., p. 95 et 199.

406. Ibid., p. 99 : l'ouvrage traitait peut-être de la nature et de l'exercice du pouvoir judiciaire. Dans un livre brillant (A la recherche de l' Aristote perdu. Le dialogue

Sur

la

Justice,

Louvain,

1957),

M.

P.

Monavux a essayé

de reconstituer

le Sur la Justice. ll a retrouvé ainsi une doctrine aristotélicienne du« commandement »,

150

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

registré également par Diogéne Laérce et l'Anonyme (n° 1) sont assez nombreux #7. L'ouvrage comprenait quatre livres. On le considère comme ancien, parce que proche de la République de Platon : Cicéron en effet a utilisé les deux textes dans sa propre République *9. Les thémes proprement politiques ne manquaient pas dans ce traité : Aristote esquisse d'un trait acéré le portrait de ces citoyens oisifs. dont la journée se passe en futilités 99 ; un autre se lamente sur les malheurs d'Athénes 41 ; ailleurs, Aristote s'en prend aux liturgies trop somptueuses *!1, Mais aucun de ces textes ne paraît d'une pensée trés originale, et ils évoquent aussi bien Démosthéne que Platon. Un fragment cependant serait plus caractéristique, celui que Rose publie — en 1886— sous le n° 90 ; mais nous le retrouverons plus loin, car il vaut mieux l'attribuer au Protreptique 413͵ 100 Le Protreptique Dialogue *!? ou exhortation *!*, le Protreptique, qui figure aux catalogues de Diogéne (n? 12), de l'Anonyme (n? 14) et de Ptolémée (n? 1), était destiné au dynaste Thémison de Chypre, qu'Aristote entendait exhorter, προτρέπεσθαι, à la philosophie. Le but politique de l'ouvrage ressort donc du sujet méme — philosophes-rois et rois-philosophes —, mais il apparait encore plus nettement dans les nombreux fragments qui en ont été conservés 415, Ainsi peuvent être mieux connus les premiers aspects de la politique aristotélicienne : le Protreptique est sürement un travail ancien, antérieur ou de peu postérieur à 353. Il constitue en effet une étape importante dans la polémique qui opposait Aristote à Isocrate — et celui-ci, justement, en publiant les deux discours qui portent le nom de Nicoclès, et l’Evagoras, avait manifesté pour les de l'« amitié » et de la « justice ». Mais cette doctrine était-elle vraiment exprimée dans un seul ouvrage ? 407. Rosz, 1886, 82 sq. 408. Cf. W. JaEcER, Aristotle®, p. 30, n. 1 et p. 259. Mais v. aussi supra, p. 145 sq., à propos de l'hypothése, non démontrée, de W. JAEGER, qui veut que le Sur la Justice ait été un véritable De republica. Datation ancienne également admise par L. Rosi, Aristote, Paris, 1944, p. 15.

409. 1319 a 410. 411.

Rose, 1886, 83. Cf. peut-être un souvenir de ce texte en Politique, VI, 4, 28 sq. Ibid., 82. Ibid., 88-89.

412. W. JaAEGER, Aristotle, p. 253 sq. ; WALzER, p. 60, n916, qui ajoute aux textes cités par Rose, Srrason, XIV, 5, 9 (C 672). Infra, p. 153 sq. 413. V. Rose, De Ar. libris ordine, Berlin, 1854, p. 108. H. Dıeıs, Zu Ar.’ Protrept.

und Ciceros Hortensius, Arch. f. Gesch. d. Philosoph., 1 (1888), p. 477-497. Signalons ici la critique acérée de la reconstitution du Protreptique que W. Gerson Rasinowırz a publiée récemment (Aristotle’s Protrepticus and the sources of ils reconstruction, 1, Berkeley et Los Angeles, 1957) ; ce livre, encore inachevé, ne nous paraît pas décisif. 414. E. Bicnone,

L'Ar. perduto, Florence, 1936, I,

p. 78, n. 1. W. JAEGER, Aris-

totle*, p. 54 sq. V. bibliographie de P. Moraux, Les listes anciennes..., p. 33, n. 37-38. 415. Rose, 1886, 50-61; Wazzer, p. 21-65. Le Protreptique de JAMBLIQUE serait largement inspiré de celui d’ArısToTE, que CicÉnoN, également, a pu utiliser dans son Hortensius.

“loropla : LES ŒUVRES

151

affaires de Chypre une attention particulière 416, Aristote pénétrait donc ici

sur

un

terrain

réservé,

pour

attaquer

ou

pour

contre-attaquer.

Isocrate, dans son discours sur l' Échange, s'en prenait à des idées analogues à celles que nous retrouvons dans le Protreptique ; peut-étre mème citait-il expressément l'ouvrage d'Aristote. Comme ce discours isocratique est de l'année 354 /3 47, le Protreptique appartient sûrement à cette période. Il contient du reste une allusion aux Dionysies, qui n'a pu être faite que pendant un séjour d'Aristote à Athènes : pendant le premier séjour #8, De nombreux rapprochements, d'ordre proprement philosophique, ont pu étre établis avec le septiéme livre de la Politique : dans les deux ouvrages, Aristote soutient que la raison est nécessaire au bonheur *!? ; que les biens de l’äme sont supérieurs aux biens matériels *9 ; que l'art complète la nature “4! ; que l'intelligence et la sagesse sont la dernière partie de l'àme à se développer *?* ; etc. Tout cela *?3 milite en faveur d'une datation ancienne également pour ce livre VII, selon la thése de W. Jaeger. Comme dans ce livre VII en effet, le législateur du Protreptique doit toujours se conformer à un modèle idéal, à des principes — ὅροι — tirés de la nature et de la vérité “#4, Au contraire, le quatrième livre de la Politique insiste sur l'efficacité qu'il convient de donner à la science politique : « La plupart des théoriciens politiques, remarque Aristote, lors méme qu'ils ont raison sur le reste, négligent l'efficacité. Il ne faut pas considérer la meilleure constitution seulement, mais aussi celle qui est possible 4%... » Si bien que, comme l'a noté W. Jaeger, la théorie politique des sophistes, qui tenaient Sparte et la Créte pour des modéles, est rejetée dés le Protreptique parce qu'empirique, tandis que la Politique la refuse parce que trop schématique 425, Toutefois, le Protreptique contient déjà quelques notations de carac416.

W. JAEGER,

ibid.

417. Date dans ἃ. Marnixu, éd. d'Isocrate (Coll. des Univ. de Fr., III), p. 96. On discute sur le rapport entre le Protreptique et le Sur l'échange. Selon P. von DER Münrr, Isokrates und der Protrept. d. Ár., Philologus, 94 (1940), p. 259 sq., le Protrept. serait mentionné en Échange, 84. D’après B. Eınarson, Ar.'s Protrept. and the structure of the Epinomis, Trans. and Proc. of the Am. Philolog. Ass.,67 (1936), p. 261

sq., AnisToTE

répond à Isocrare.

Il faut avouer que le texte d' Échange, 84,

est bien vague. Quoi qu'il en soit, le Protreptique demeure une œuvre ancienne. 418. Rose, 1886, 58 = Wazzzn, 12 (JamBrique, Protrept, 9) : καὶ τὰ Διονύσια δὲ θεωροῦμεν.

419. Rose, 1886,55 = Wazzen, 9, qui, p. 41, n. 2, rapproche Pol., VII, 1, 1323 a 27 sq., et 15, 1334 a 36 sq. 420. Rose, 1886, 57 = WaLzER, 3, qui, p. 25, n. 1, rapproche Pol., VII, 1,1323 a

36 sq. 421. 422.

WarzER, 11, qui, p. 48, n. 2, rapproche Pol., VII, 17, 1337 a 1. Warzen, 11, qui, p. 50, n. 1, rapproche Pol., VII, 9, 1329 a 15 et 15,

1334 b

12 sq. 423. P.ex. encore : Warzen, 7 (p. 37, n. 1) avec Pol., VII, 1, 1323 b 13 ; Waızen, 12 = Rose, 1886, 58, avec Pol., VII, 1, 1323 5 7 sq., 23 sq., et 15, 1334 a 28 sq. (WALZER, p. 51, n. 1 ; p. 52, n. 2-3). 424. Wazzen, 13, v. notamment p. 54, n. 1-2. 425. Pol., IV, 1, 1288 b 21 sq. (Waızen, p. 55, n. 3).

426. Aristotle!, p. 54, n. 1 et 2.

152

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

tère historique. Dans ce même texte où il assigne au législateur une si haute mission, Aristote écrit : « Celui qui donne, des lois aux États, ou qui agit, en considérant et en imitant d'autres actions, ou d'autres constitutions humaines — celle de Sparte, de la Créte, ou toute autre analogue —, celui-là n'est pas un législateur bon et sérieux ; car la reproduction de ce qui n'est pas beau ne peut être belle » 47. Ainsi Aristote a présents à l'esprit les exemples de « Sparte, de la Créte, ou tous autres analogues ». R. Walzer, d’après W. Jaeger, rapproche de ce texte la critique des trois constitutions modéles, que contient le second livre de la Politique 4238, Mais cette critique, nous le verrons, ne forme pas un tout homogène. Il est à remarquer du moins que dans le Protreptique la constitution de Carthage n'est pas nommée : l'expression « ou toute autre analogue » — # τίνων ἄλλων τοιούτων — est bien vague. De la méme facon, aux livres VII et VIII de la Politique, Sparte et Créte sont

citées ensemble, mais Carthage est toujours à part : c'est justement l'habitude de Platon 4295. Le «ou toute autre analogue » n'est donc apparemment qu'une clause de style, une réserve naturelle de la part d'un esprit scientifique qui estime son information incompléte. Rien ne prouve ici qu'Áristote eüt déjà à sa disposition une documentation relative à Carthage : pourquoi, dans l'affirmative, ne l'aurait-il pas mentionnée 41% ? Mais cette réserve, en elle-même, est déjà caractéristique : Platon se contentait de citer les exemples de la Crète et de Lacédémone, conjointement, sans rien y ajouter *?!, Aristote déjà ne les considère plus comme uniques. En outre, il s'intéresse tant à l'histoire, qu'il pose dans les mémes termes le probléme classique de la constitution-modéle, et celui de l’action-modèle : des théoriciens voulaient que la meilleure constitution imitát une constitution existante ; Aristote repousse cette thèse. Et de la méme facon il conteste que l'action parfaite puisse se conformer à des actions antérieures,

πράξεις.

Ce

double refus

est exprimé en une

seule phrase, où constitutions et actions sont réunies, et où « actions » — πράξεις— prend finalement le sens d'« histoire » : el τις ἢ νόμους τίθεται πόλεσιν À πράττει πράξεις ἀποδλέπων καὶ μιμούμενος πρὸς ἑτέρας

πράξεις 3) πολιτείας ἀνθρωπίνας Λακεδαιμονίων à Κρητῶν fj τινων ἄλλων τοιούτων... 4532. La valeur de ἑτέρας πράξεις ressort du rapprochement de « Sparte, Crète, etc. », et elle est naturelle, puisque le Protreptique est adressé à un prince, dont la conduite même est de l'histoire. Ainsi Aristote, tout en contestant qu'il faille se modeler sur l'histoire, montre 427.

Warzrn,

13, p. 54 sq. (JAMBLIQUE,

Protrept., 10).

428. WALZER, p. 55, n. 1 (qui renvoie à l'éd. allemande de JAEGER, Aristoteles, p. 273 sq., et 300, — soit dans l'éd. anglaise de 1948, p. 261 sq. et 285 sq.). 429.

Infra, p. 229 sq

430. E. N., T. 13, 1102 a 9 sq., paraît également antérieur aux études sur Carthage : παράδειγμα δὲ τούτων ἔχομεν τοὺς Κρητῶν καὶ Λακεδαιμονίων νομοθέτας, καὶ εἴ τινες ἕτεροι τοιοῦτοι γεγένηνται. Cependant, il est impossible de faire remonter l’Ethique de Nicomaque aussi haut que le Protreptique, cf. infra, p. 154.

431. P. ex. Hép., VIII, 544 c.

432.

V. n. 427.

Ἰστορία : LES ŒUVRES

153

par son refus même qu'il garde l'histoire présente à l'esprit, et qu'il y attache de l'importance. Le Protreptique évoque également, et d'une facon beaucoup plus précise, les Νόμιμα des Barbares. Aristote y décrit la férocité des Étrusques qui suppliciaient leurs prisonniers en liant ensemble morts et vivants : de la méme manière, dit le philosophe, l’âme est liée au corps, et condamnée à souffrir de cette union 433, Cette comparaison, comme l'a

montré W. Jaeger, est un indice du platonisme d'Aristote ***, Mais elle ne présente pas seulement cet intérét proprement philosophique. Le recours à un exemple étrusque est en effet assez rare dans l’œuvre d'Aristote. À cóté d'une allusion — purement géographique — à la « mer étrusque », c'est-à-dire tyrrhénienne, dans les Météorologiques, travail relativement récent *55, et d'une autre allusion, également géographique, à l’Étrurie, dans un passage de la Politique (livre VII), que nous considérons lui aussi comme récent 4%, les seules références à l'Étrurie et aux Étrusques qui témoignent d'une information historique ou ethnographique précise figurent soit au troisième livre de la Politique, qui de l'avis général n'est pas de la toute dernière période 437, soit surtout,

comme nous l'avons vu, dans les Νόμιμα 423: là sont aussi notées et stigmatisées la voluptueuse mollesse et la cruauté mélées des Étrusques — leur sadisme en un mot : n'allaient-ils pas jusqu'à fouetter leurs esclaves au son de la flûte *3? ? Cette coincidence donne un argument supplémentaire pour une datation ancienne des Nó utu a *9. Enfin, un texte relatif à Sardanapale **! indique un repère précis dans la documentation historique d'Aristote. Celui-ci commente l'épitaphe que Sardanapale avait fait graver sur son tombeau : « À moi sont les plats que j'ai mangés, les débordements de mes passions, les plaisirs d'amour que j'ai éprouvés. Mais tous ces bonheurs sont maintenant derrière moi. » Épitaphe d’une bête, disait à peu prés Aristote, non d'un roi : « Il prétend avoir, alors qu'il est mort, ce que de son vivant méme il avait seulement pendant le temps qu'il en jouissait. » Comme l'a montré W. Jaeger #2, le Protreptique et l' Éthique d' Eudéme présentent ici la méme idée, dans un contexte qui, lui aussi, est commun aux deux ouvrages. L’Éthique est un résumé du Protreptique : « Ceux qui louent le bonheur de Sardanapale ou de Smindyridés de Sybaris ou des autres qui ménent la vie voluptueuse, ceux-là semblent tous placer le bonheur dans le plaisir. » 43 En revanche, au premier livre de l' Éthique de Nico433. WaLzER, p. 44-45 (JAMBLIQUE, saint AUGUSTIN, CLÉMENT les deux premiers textes seulement dans Rose, 1886, 60).

D'ALEXANDRIE)

434. Aristotle*, p. 99 sq.

435. 436. 437.

Météo., 11,1, 354 a 21. — Sur la date, supra, p. 95, n. 60. Pol., VII, 10, 1329 b 18. Cf. infra, p. 306 sq. Pol., III, 9, 1280 a 36, allusion à un traité entre Étrusques

et Carthaginois.

Sur la date de ce livre, les désaccords sont insignifiants, v. supra, p. 57 sq. 438. Supra, p. 116 sq. 439.

Rose, 1886, 608, cf. 607.

440. Supra, p. 119 sq. 441.

Supra, p. 150. Rose, 1886, 90 ; Wazzer,

442. Aristotle!, p. 253 sq. 443.

E. E., 1, 5, 1216 a 16 sq.

16, p. 60 sq.

;

154

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

maque, on ne percoit plus, selon l'expression de Jaeger, qu'un « faible écho #4 de cette idée : « La foule qui, de toute évidence, ne se distingue en rien des esclaves, choisit une existence tout animale, et elle trouve

quelque raison dans l'exemple des gens au pouvoir, qui ménent une vie de Sardanapale » #5, Au lieu d'un résumé, Aristote ne nous livre plus ici qu'un souvenir. Mais le cinquiéme livre de la Politique atteste un renouveau d'intérét pour le faible roi d'Assyrie : travaillant probablement avec Callisthéne, Aristote sait maintenant qu'il y eut peut-être deux Sardanapale #. Bref, l'ordre normal de la documentation correspond ici à ce que nous savons par ailleurs de la chronologie du Protreptique et des Ethiques:

Protreptique et Éthique Eudémienne sont plus anciens #7. En outre, le cinquième livre de la Politique paraît l'élément le plus récent. Une partie au moins de l’Éthique de Nicomaque pourrait donc occuper cette place intermédiaire que lui attribue justement, en vertu du critère psycho-

logique, l'étude de F. Nuyens #, 119 Alexandre, ou Sur les colonies

Diogène Laërce mentionne un ᾿Αλέξανδρος ἢ ὑπὲρ ἀποίχων (n° 17), l'Anonyme un ᾿Αλέξανδρος ἣ ὑπὲρ ἀποικιῶν (n° 22). V. Rose s'en tient au premier de ces titres, mais c'est en général la leçon de l'Anonyme qui a prévalu *?. Un commentaire indique précisément qu’Aristote composa, à la demande d'Alexandre, un ouvrage « sur la facon de fonder les colonies », ὅσα

ἐρωτηθεὶς

βασιλείας καὶ ὅπως

δεῖ τὰς

ὑπὸ

᾿Αλεξάνδρου

ἀποικίας ποιεῖσθαι

τοῦ

Μακεδόνος

περί

τε

yeypépnxe “2. Cette

interprétation du titre a pu cependant étonner, par l’emploi qu’Aristote ferait de ὑπὲρ au sens de περί #1. Toutefois, ὑπὲρ a cette valeur dans d'autres textes qui sont sûrement d’Aristote #3 ; il l’a aussi bien avant Aristote #3 ; les deux prépositions sont même considérées, dans certains cas, comme interchangeables #4. Ce titre pourrait donc remonter à Aristote, et c'est une constatation importante, s'agissant d'un ouvrage 445. 445. 446.

Aristotle®, p. 254, n. 1. E. N., 1, 3, 1095 b 19 sq., trad. J. Vorrquix. Pol., V, 10, 1312 a 1 sq. Cf. infra, p. 164, p. 219, où

le

texte

est

cité et

commenté, et p. 310. 447. Supra, p. 66 sq. (rapport des deux Éthiques). 448. Ontwikkelings momenten..., Nimègue-Utrecht,1939, p. 171 sq. Mais F. Nuvens met aussi la Politique dans cette « période intermédiaire », v. supra, p. 76 sq. 449. L. Rosın, Aristote, Paris, 1944, p. 6 et 15; E. Barker, The Pol..., Oxford, 1946, p. 386; W. JAEGER, Aristotle*, p. 24, etc. Mais O. Gicon, Aristoteles, Politik und Staat der Athener, Zurich, 1955, p. 24 sq., écrit : « Alexandros oder die Vertei-

digung der Kolonisten ». Sur la valeur de ὑπέρ, cf. infra. 450. Rose, 1886, p. 408, 1. 10 sq. (Comment. d'Ammonius). 451. 452.

P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 37, n. 53. Bonıtz, Index Ar., Berlin, 1870, 790 b 20 sq. (E. N., I, 4, 1096

b 30;

III, 5,

1112 a 20, 21, etc.). V. aussi R. Eucken, Ueber den Sprachgebrauch des Ar., Berlin, 1868, p. 47. 453, Lipp.-Scorr, s. v. ὑπέρ, A III. 454, Künner-Gentu, Evcken, ibid.

Auf.

Gr.

Gramm.,

1, p. 487, $ 436, et p. 548, $ 450, et R.

‘“Joropla : LES ŒUVRES

155

dont il ne nous reste presque rien. À ce titre et au commentaire déjà cité, P. Moraux et W. D. Rose ajoutent la phrase fameuse, que rapporte Plutarque dans son De fortuna Alerandri % : « Il faut se conduire en chef envers les Grecs, en maître envers les barbares ; se préoccuper

des premiers comme d’amis et de proches, traiter les seconds comme des animaux et des végétaux. » Mais V. Rose, en 1886, suivi encore par W. Jaeger,

la plaçait dans

une

lettre à Alexandre,

Heitz

dans

le Sur

la

royauté 455: aucun argument ne suffit actuellement à trancher la question. En effet, il est à la vérité impossible que dans un ouvrage sur la colonisation, Aristote n’ait pas évoqué, d’une façon ou d’une autre, l’idée

de la supériorité générale des Grecs sur les Barbares. Mais si, comme tout permet de le croire, l' Alexandre a été publié à la suite des mariages de Suse, voire aprés la mort d'Alexandre *?, cet ouvrage devait rappeler bien des conseils antérieurement prodigués au Hoi par son précepteur ; l'allusion de Plutarque peut aussi bien viser l'un de ces conseils précédents, lettre ou autre ouvrage perdu. De fait, toutes les tentatives qui ont visé à placer l' Alezandre plus tót dans l’œuvre d'Aristote ne sont pas convaincantes. Von Ivanka, qui l'assimile aux douze premiers chapitres du septiéme livre de la Politique, y voit une critique dirigée contre la fondation d'Alexandrie : l'ouvrage serait de peu postérieur à la conquête de l'Égypte, qui se fit pendant l'hiver 332/331 48. Mais, en dehors de toutes les réserves qu'appelle par ailleurs le point de vue de von Ivanka 559, une critique si indirecte serait étonnante. Áristote n'a pas coutume de tendre de pareils voiles sur les erreurs d'autrui, qu'il s'agisse par exemple de son maitre Platon, ou de Philippe de Macédoine dont les mœurs sont présentées au cinquième livre de la Politique sous un jour franchement défavorable *9. La seule référence directe à l'Égypte que contienne ce début du septième livre est un passage relatif à Sésostris. C'est à tort qu'on le croit souvent interpolé #1, Mais il n'indique certes pas qu'Aristote traitát'ici d'un sujet d'une brülante actualité. 455. I, 6. Cf. Les listes anciennes..., p. 344, et W. D. Ross, Aristotelis Fragmenta selecta, Oxford, 1955, p. 63. C'était encore l'opinion de Rose, en 1863 (Ar. Pseudepigr., p. 95) et 1870 (éd. de Berlin, V, 1489 b, fr. 81). 456. Rose, 1886, 658; W. JAEcEn, Aristotle*, p. 259, n. 2( à qui K. v. Fnirz-E. Ka», Ar.'s Const. of Ath., New-York, 1950, p. 217, n. 1, attribuent l'opinion con-

traire) ; E. Herrz, Die verlorenen Schriften des Ar., Leipzig, 1865, 457.

P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 345 et n. 62-63, fait

tion. Un argument de un personnage encore V. Rose trouvait là graphus (p. 95). Mais 458. E. v. IvaNxA,

p. 206. le point de la ques-

poids est qu'il n'était pas d'usage d'introduire dans un dialogue vivant ; l' Alerandre serait ainsi postérieur à juin ou juillet 323. un argument en faveur de sa thèse sur Aristoteles Pseudepil' Alexandre était-il un dialogue ? infra, p. 157. Die Aristotelische Politik und die Stadtegründungen Alexzanders

des Grossen, Budapest, 1938. 459. V. supra, p. 49, n. 188, et P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 37 sq. 460. Pol., V, 10, 1311 b 1 sq. C'est la « version officielle », relativement favorable

à Philippe (GLorz-Conen, Hist. Gr., III, p. 379). Mais Philippe est ici encadré par les Pisistratides, Périandre d'Ambracie, Amyntas, Évagoras ; tous ces personnages finissent tragiquement : vengeance suscitée par l'665«. 461.

Pol., V11, 10, 1329 b 4, 25. Cf. supra, p. 49, et infra, p. 306 sq. C'est une ad-

dition due à AnisToT£ lui-méme.

156

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Le témoignage d’Ammonius doit-il, au contraire, faire dater l'ouvrage de l'époque du préceptorat, ou des années qui l'ont immédiatement suivi ? Cette « question » — ἐρωτηθείς — posée par Alexandre à Aristote est-elle celle d'un éléve à son professeur ? Le Sur les colonies est ici joint, dans le commentaire, au Sur la royauté, qui, lui, s'adresse certaine-

ment à un trés jeune prince #2, C'est sans doute pourquoi une datation ancienne est souvent admise, également, pour le livre Sur les colonies #3. Mais, dans le contexte du commentaire, sont aussi mentionnées les

lettres à Alexandre — qui, authentiques ou non, sont plus récentes ou sont censées l'étre. En fin de compte, le titre seul de l'ouvrage peut donner une indication, et il suggére plutót qu'Aristote prenait ici position contre la politique de fusion inaugurée par Alexandre en Asie. Ce serait dont un travail des toutes dernières années #4, Deux arguments extérieurs au livre peuvent confirmer cette datation. C'est d'abord l'intérêt trés faible que portait l'Académie, quand Aristote la fréquentait, au probléme de la colonisation. Il est arrivé à Platon d'évoquer, en termes trés généraux, la possibilité d'une domination des Grecs sur les Barbares, avec les avantages qu’elle apporterait #. Mais la recherche de terres et de débouchée nouveaux ne l'a apparemment pas préoccupé de la méme facon qu’Isocrate, véritable technicien de ces questions *9, Dans les Lois encore, la fondation d'une colonie est envisagée en vue d'une installation à la fois bonne et réalisable, mais jamais comme un aspect du probléme général de la colonisation. Au contraire, il semble qu'Aristote, en traitant « des colonies », a voulu définir ou méme résoudre, dans le concret, l'ensemble des difficultés que soulevait

la colonisation. La cause principale de la colonisation — relativement surpeuplée ou plutót mal peuplée — n'avait pas échappé à l'attention de Platon, et c'est à tort qu'Aristote un reproche de ce genre #7. Mais Platon indique seulement

«cet antique expédient », παλαιὸν μηχάνημα,

une Grèce sans doute lui adresse au passage

l'envoi de colonies *®.

Pour Aristote encore, quand il écrit le onziéme chapitre du livre II de la Politique, la colonisation n'est visiblement aussi qu'un expédient : les Carthaginois, remarque-t-il, évitent l'appauvrissement des citoyens

« en envoyant régulièrement une partie du peuple dans les c'est un remède qui procure la stabilité de la constitution. Aristote —- c'est là l'effet du hasard, tandis que la paix être le résultat de la législation » 469, Ainsi la colonisation

cités sujettes ; Mais — ajoute politique doit relèverait d'un

462. Infra, p. 158. 463.

Th. Case, Mind, 84 (1925), n° 133, p. 85. L. Rosın,

Aristote, Paris, 1944,

p. 6 et 15, mais sous réserves. 464. 465.

W. JAEGER, Aristotle?, p. 24. Rép., V, 469 b sq ; Lois, III, 685

b sq.,

687 a sq.

V.

infra, chapitre

XI,

notamment p. 408 sq. 466. Sur la pair, 23-24. G. Marnieu, Les idées politiques d'Isocrate, Paris, 1925, sq P 467. Pol, 11, 6,1265 a 38 sq. A ce moment, ARISTOTE est visiblement mal informé des problèmes de population. Cf. Grorz- Conen, Hist. Gr., Ill,p 468. Lois, V, 740 e ; tout le contexte est consacré précisément ἢ la stabilité de la population. V. aussi 736 a, et Politique, 293 d. 469. Pol., 11, 11, 1273 b18 sq.

“Ioropla : LES ŒUVRES

157

empirisme peu estimablc. Le sixième livre présente au contraire les mêmes procédés, dans les mêmes conditions, comme un modèle à imiter : « Une politique analogue vaut au gouvernement carthaginois l'appui populaire ; l'envoi régulier d'hommes du peuple dans les villes sujettes les enrichit » Ὁ Aristote considère ici les Carthaginois comme un peu plus loin les Tarentins, dont il fait grand éloge : καλῶς δ' ἔχει μιμεῖσθαι... Ainsi les opinions d’Aristote, en ce domaine, ont évolué, et se sont peu

à peu éloignées de l'enseignement académique. On en conclura que l' Alezandre, par le sujet qu'il traite, est plus proche du livre VI que du livre II: c'est une raison de plus pour accepter la datation tardive de W. Jaeger. Ce Sur les colonies manifeste donc, selon toute probabilité, l'intérét qu'Áristote a porté aux circonstances politiques, jusqu'à ses derniers moments. Il importe peu, de ce point de vue, que g’ait été un dialogue €'!, ou bien une exhortation 573, P. Moraux fait remarquer justement que les deux hypothèses sont a priori défendables, « puisque le nom propre du titre peut désigner le protagoniste du dialogue aussi bien que le destinataire de la παραίνεσις » 5. D'une part, l'hypothése du dialogue conviendrait bien à la datation tardive *'*, Mais Aristote n'avait apparemment

aucune

raison de reprendre,

en cette occasion,

la forme

du

dialogue, qu'il avait abandonnée depuis si longtemps *5 : aurait-il voulu alors, pour ranimer les souvenirs de son enseignement de Miéza, créer la fiction d'un nouvel entretien avec le roi ? D'autre part, le Sur la royauté était déjà une exhortation **. On croira donc, au total, plus volontiers, que l' Alezandre appartenait au méme genre.

129 Le Sur la royauté Cet ouvrage en un livre, enregistré par Diogéne Laérce (n9 18) et l'Anonyme (n? 171) était, au témoignage de Cicéron, un συμθουλευτικός adressé à Alexandre 7. II n'en reste que deux fragments très maigres € ; nous possédons aussi une lettre, traduite en arabe, sur ce méme

sujet,

qu’Aristote aurait écrite à Alexandre aprés l'effondrement de l'empire

perse ; mais c'est un faux 479, 470. Ibid., VI, 5, 1320 b 4 sq. 471. J. Bennavs, Die Dialoge des Ar., Berlin, 1863, p. 56 sq. ; W. JagaEn, Aristotle*, p. 24, 259, 318, mais avec des réserves ; K. v. Frirz-E. Kapp, Ar.'s Const. οἱ

Ath., New-York, 1950, p. 217. 472. E. HEiTz2, Die verlorenen Schriften des Ar., Leipzig, 1865, p. 204 sq. ; E. BarxER, The Pol..., Oxford, 1946, p. 386.

473. Les listes anciennes..., p. 37, 474. Supra, p. 155, n. 457. 475. V. p. ex. W. JAEGER, Aristotle®, p. 24. Il faut ajouter qu'une exhortation est, au total, plus qu'un dialogue, proche d'un traité du genre ésotérique. 476.

Infra.

471. Ad Att., XII, 40. 478. Rose, 1886, 646-647. 479. Rosz, ibid., p. 408 ; J. Lippenr, De epistula pseudoaristotelica περὶ βασιλείας, Berlin, 1891. En dernier lieu, P. Moraux, Les listes anciennes..., p. 38, n. 60.

H. Nissen, Die Staatsschriften des Ar., Rhein. Mus., 47 (1892), p.161 sq., a soutenu

la thèse de l'authenticité. Mais cf. B. Kerr, Die Solonische Verfassung in Aristoteles Verfassungsgeschichte Athens, Berlin, 1892, p. 128 sq.

158

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Aussi s’accorde-t-on à dater le Sur la royauté de l’époque du préceptorat, ou des années qui l'ont immédiatement suivi *9, Cicéron indique en propres termes que l'ouvrage s'adressait à un prince encore trés jeune, « adulescentem incensum cupiditate verissimae gloriae », et qui demandait des conseils, « cupientem sibi aliquid consilii dari quod ad laudem sempiternam valeret » #1, I] est vrai qu'à la rigueur Alexandre pouvait, jusqu'à son dernier jour, passer pour un « adulescens », puisqu'il vécut trente-trois ans, et que surtout la jeunesse du conquérant a contribué, autant que ses triomphes, à sa gloire légendaire ; mais on l'imagine mal demandant à Aristote des conseils sur la facon de régner, une fois engagé

en Asie. N'avait-il pas dés lors trouvé lui-même la voie d'une éternelle gloire, « laus sempiterna » ? En outre, la précision des développements qu'Aristote, au troisiéme livre de la Politique, consacre à la monarchie, implique non seulement de nombreuses réflexions préalables, mais au moins un premier classement des idées, une rédaction antérieure de cette partie, tandis que le philosophe en est encore à élaborer et à mettre au point les notions d'aristocratie, de politeia, d'oligarchie, de démocratie #?. La seule incertitude d’Aristote, en matière de royautés, concerne ici leur classification : elle semble correspondre au mélange de deux conceptions — de deux rédactions. En revanche, l'étude de la royauté à la spartiate — stratégie à vie — est renvoyée à une autre occasion, ce qui peut étre une allusion au Sur la royauté lui-méme, ou aux études de législation qu’Aristote a poursuivies avec Théophraste #%. Mais surtout la façon dont il aborde le problème de la monarchie absolue est significative: « C'est là, dit-il, une forme de constitution, aussi faut-il en faire une étude

théorique, et examiner briévement les difficultés qu'elle souléve », πολιτείας εἶδός ἐστιν, ὥστε περὶ τούτου δεῖ θεωρῆσαι καὶ τὰς ἀπορίας ἐπιδραμεῖν τὰς ἐνούσας 9*. Le verbe ἐπιδραμεῖν est remarquable, parce qu'il exprime l'idée d'un exposé rapide et sommaire, sinon d'un résumé, en tout cas d'un schéma. Aristote l'emploie une autre fois, dans la AÄhetorique *55, pour introduire l’énumération des « preuves extra-techniques », qu'il considére comme extérieures à son véritable sujet ; il s'agit ici d'« examiner briévement » ces preuves auxquelles les prédécesseurs d'Aristote ont attaché, dit-il, beaucoup trop d'importance 9 ; elles seront donc « examinées brièvement » parce qu'elles ne méritent pas une attention soutenue. En revanche, dans le texte du troisiéme livre de la Politique, les « difficultés » qu'Aristote veut « exa480. M JAEGER, Arisiotle, 1948, p. 259 sq. ; L. Ronın, Aristote, Paris, 1944, .6et 15. P 481. Ad Att., XIII, 28. Cf. les indications d'Ammonius, ἐρωτηθεὶς ὑπὸ τοῦ 'AXe ξάνδρου, Rose, 1886, p- 408, 1. 12, et παιδεύων αὐτὸν ὅπως δεῖ βασιλεύειν, ibid. frag. 646. De même, ibid., la Vita Marciana : διδάσκων ὅπως βασιλευτέον.

482. Pol., IIL, 14 sq. Cf. supra, p. 33 sq. 483. Supra, p. 121 sq. Cf. déjà, p. 33. 484.

Pol., III, 15, 1286 a 5 sq.

485.

Rhét., 1,15,1375 a 23,

1 486. V- Rhét., , p. 31 sq.

I, 1, et M.

Dvrovn,

Notice

de la Hhét., Coll. des

Univ.

de Fr.

‘lotopla : LES ŒUVRES

4159

miner brièvement » ont hien pu être déjà définies par ses prédécesseurs, ne serait-ce que par Xénophon #7. Mais ces ἀπορίαι ne sont nullement pour le philosophe des questions secondaires. Elles touchent au cœur méme de son sujet, royauté ici, plus généralement constitutions : ὁ δὲ λοιπὸς τρόπος τῆς βασιλείας πολιτείας εἶδός ἐστιν. S'il se contente ici d’un survol rapide, c’est que l’analyse détuillée a déjà été faite, — et cela ne peut être que dans le Sur la royauté. Malheureusement, il n'est plus possible de définir exactement ce qu'était le contenu de cet ouvrage. W. Jaeger a pu montrer seulement qu' Aristote donnait à son royal éléve des conseils d'ordre à la fois moral et politique 458; « honesta », dit Cicéron 438, et la Vita Marciana rapporte le mot fameux d'Alexandre, effet de ce noble enseignement : « Je n'ai pas régné aujourd'hui, car je n'ai fait de bien à personne » *9 Mais sur quoi Aristote fondait-il sa démonstration ? Il semble bien qu'elle devait s'appuyer sur des exemples historiques, opposant les mauvais princes à ceux qui méritent « une gloire éternelle » : « quae sunt ad Alexandrum hominum eloquentium et doctorum suasiones... » dit Cicéron *?!, qui évidemment range ici Aristote parmi les « docti ». De plus, Aristote faisait dans ce texte preuve de réalisme, en transposant

la formule célèbre de Platon : μικρὸν τὰ Πλάτωνος ῥήματα μεταθεὶς τὸν λόγον πεποίηκεν ἀληθέστερον, φιλοσοφεῖν μὲν τῷ βασιλεῖ οὐχ ὅπως ἀναγκαῖον εἶναι φάσκων, ἀλλὰ καὶ ἐμποδών, τὸ δὲ φιλοσοφοῦσιν ἀληθινῶς ἐντυγχάνειν εὐπειθῇ καὶ εὐήκοον 192. Et Thémistius, qui rapporte cette tradition, conclut : ἔργων γὰρ ἀγαθῶν τὴν βασιλείαν ἐνέπλησεν, οὐχὶ ῥημάτων. Il est donc certain qu'Aristote prétait ici une grande attention à l'efficacité du gouvernement royal, aux conditions dans lesquelles il pouvait s'exercer, et de ce fait il devient probable qu'il en étudiait des exemples tirés de l'histoire. C'est le classement de ces exemples qui transparait encore au troisiéme livre de la Politique ; mais ce ne sont plus pour nous que des ombres, qu'il faut deviner, sans mieux les apercevoir. 139 La correspondance Enfin, les Anciens lisaient une correspondance d’Aristote, fort abondante, qui d'ailleurs n'était certainement pas tout entiére authentique, et dont des fragments ont été conservés 493, Le nom méme des correspondants du Stagirite indique l'intérét politique de ces textes : lettres à Philippe et à Antipatros, dont l'authenticité est probable 4% ; lettres 487. J. Luccıonı, Les idées politiques et sociales de Xénophon, éd. Ophrys, Gap,

1947, p. 201 sq.

488. W. JAEGER, Aristotle, p. 259 sq., selon qui il s'agirait même d'affirmations de principes, plutót que de conseils.

489. Ad Au., XII, 40. 490.

Rose, 1886, 646.

493.

Ibid., LVI. V. P. Monaux, Les listes anciennes..., p. 143 sq.

491. Ad Att., XIII, 28. 492. Rosz, 1886, 647. 494. Ibid., p. 134, 136.

160

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

à Alexandre, qui en revanche sont suspectes 4%, Le catalogue de Diogéne Laërce (n° 144) 4% mentionne en outre des lettres aux Sélymbriens, à Mentor, Ariston, Olympias, Héphaistion, Thémistagoras, Philoxéne, Démocrite. Presque tous ces personnages, comme le remarque P. Moraux, « sont en rapport avec la cour de Macédoine ou avec l'entourage d'Alexandre » *?. Et si, comme le suggère le méme auteur, le Philoxéne avec qui correspondit Aristote était l’hiéromnémon d'Alexandre à Delphes en 335, cette correspondance était relative au catalogue pythique et pouvait présenter un intérêt historique *#. Cet examen des œuvres historiques, politiques, politico-historiques du Stagirite révèle d'abord l'intérét constant qu'Aristote, bon disciple, au total, de Platon, a porté à la politique, science « architectonique » ; sa vie est intimement liée aux événements qui ébranlent le monde grec au profit de la Macédoine *9? ; sa philosophie aussi, d'un bout à l'autre de sa carriére, donne à la politique une place de premier rang. Mais l'histoire contemporaine n'est pas seule à influer sur cette pensée. C'est à l'histoire proprement dite que, trés tót, Áristote demande des lecons ou du moins des exemples. Ainsi se confirme notre impression premiére : il paraissait impossible, pour des raisons proprement matérielles, de cantonner toute l'activité historique du Stagirite dans sa derniére période 99, Effectivement, le Sur la Royauté, où l'histoire fondait apparemment la doctrine politique, doit étre plus ancien, et dans le Protreptique, sürement antérieur de plusieurs années à la mort de Platon, Aristote déjà en appelle volontiers à l'histoire. De la méme facon, il n'y a aucune raisen pour attribuer aux recherches du Lycée les Νόμιμα, le Catalogue olympique, la première documentation au moins du Catalogue pythique, des Didascalies, des Victoires, des Proverbes, probablement aussi des Problémes homériques.

495. 496.

Ibid., p. 135 sq. Cf. Anonyme, 137 et Ῥτοτιιέμέε, 90.

497. Op. cit., p. 142,en conclusion d'une étude rapide mais complète sur la correspondance d'AnisToTE. 498. V. supra, p. 136 et n. 289. Faut-il ajouter à ces textes une Économique d’Arıstore ἢ Les listes anciennes mentionnent une Économique en un livre (Dioc£wz Laërce, 23 ; Anonyme, 17). Ce doit étre le premier livre de notre Économique qui est tout entiére apocryphe. (Ce premier livre est fortement inspiré de XEnoruon, cf. F. SuseuiuL, Ar. quae deruntur (Economica, Leipzig, 1887, p. vr sq. Le second contient des anecdotes postérieures à la mort d'Aristote : SusemiuL, ibid., p. x18q., cf. B. A. van GroninGEN, Aristote, le second livre de l'Économique, Leyde, 1933, p. 34 sq., et L. Rosın, Aristote, Paris, 1944, p. 21. Le troisième livre correspond peut-être aux νόμοι ἀνδρὸς

καὶ γαμετῆς, E 180 sq.). La ivre de notre 499. Supra, $00. Supra,

supra, p. 124, cf. V. Rosx, Ar. Pseudepigraphus, Leipzig, 1863, seule Économique d'AnisToTE authentique Egure donc dans le premier Politique. p.22 sq. p. 90.

‘Joropla LES ŒUVRES

161

Les dialogues non-politiques, dont la date ancienne est admise, fournissent un argument de plus à l’appui de cette chronologie élargie. Dans le Sophiste, Aristote s'intéressait déjà aux « inventions » : Empédocle, dit-il, a inventé la rhétorique, Zénon la dialectique 9!, Le dialogue Sur les Poètes 9? traite également d'« origines » et d'« inventions » 503, et aussi des mœurs d’un peuple grec relativement arriéré, les Étoliens 5%; il contient une référence précise à la chronologie olympique °%, Dans l'Eudème, qui fut écrit en 354, ou très tôt après cette date 50%, Aristote rapportait l’assassinat du tyran Alexandre de Phères 5@. Dans l' Éroticos, il mentionne,

à l'appui d'un récit légendaire,

le tombeau

d'Iolaos 99,

et raconte.la mort de Cléomaque, au cours de la guerre lélantine, avec un grand luxe de détails 50 ; Plutarque, en effet, à qui nous devons ce fragment d'Aristote, donne d'abord une premiére version, trés précise, de cette mort au combat ; il indique notamment que Cléomaque fut embrassé par son bien-aimé avant la bataille, et 1l ajoute : « Aristote, s’il dit bien que Cléomaque fut tué en triomphant des Érétriens au combat,

s'écarte pourtant de ce récit : selon lui, le guerrier embrassé

par son jeune ami aurait été l'un des Chalcidiens de Thrace envoyés au secours des Chalcidiens d'Eubée ; l'on aurait chanté ensuite le couplet suivant chez les Chalcidiens... etc. » 519, Pour que Plutarque ait relevé cette seule différence entre les deux versions, il faut assurément que celle d'Aristote soit, par ailleurs, aussi compléte que la sienne. Quelques années plus tard, dans le Sur la philosophie — «l'un des premiers ouvrages dans lesquels Aristote affirmait son indépendance à l'égard de Platon » 511 —, le Stagirite fait l'histoire du « Connais-toi toi-même », et le date, d’après l'histoire du temple, d'une période antérieure à Chilon 513, montrant ainsi un respect scrupuleux de la chro501. Rose, 1886, 65. De méme les fragments 66-67 marquent un intérêt pour l'histoire littéraire. Pour la date du Sophiste, v. W. JAEGER, Aristotle*, p. 30 sq. 502. Date ancienne : supra, p. 132, n. 257. 503. Rose, 1886, 71 (histoire d'Empédocle), 72 (invention du dialogue comme forme littéraire), 76 (histoire d'Homére).

504. Ros, 1886, 74 (les Étoliens partent en guerre avec un pied nu).

505. Supra, p. 132. 506. W. JAEGER, Aristotle?, p. 39. Eudéme fut tué en 354, et l'Eudéme est dédié à sa mémoire. 507. Rose, 1886, 37 = Warzzn, 1. Peut-être AnrsTOTE décrivait-il aussi, et assurément sans tendresse, la tyrannie d'Alexandre. Mais les termes qu'emploie Cicéron, qui nous a transmis ce passage de l'Eudème (De divin., I, 25) peuvent exprimer plutôt le jugement de Cicéron lui-même, que celui d’Arıstore (« Pheras..., quae erat urbs in Thessalia tum admodum nobilis, ab Alexandro autem tyranno crudeli dominatu

tenebatur. »)

508. Rose, 1886, 97. Il n'y a pas de raison de refuser l'authenticité de cet Éroticos, sur lequel en général les érudits ne se prononcent pas (W. Jaecen, L. Ronin). Un Eroticos d'AnisToTE est attesté par Dioc£NE L., n? 9, et l'Anonyme, n? 12, 509. Rose, 1886, 98. 510. PLurarqus, Éroticos, 17, 760 esq., trad. R. FrAckLIERE, Annales de l'Univ.

de Lyon, 3° série, 21. 511. P. Monavx, Les listes anciennes..., p. 30. — Le Sur la philosophieeat généralement considéré comme un dialogue (Jazcer, Bıcnone). Voir cependant les doutes d'A.

Jannone, I Logoi essoterici di Aristotele, Atti dell'Istituto

Veneto di Scienze,

Lettere ed Arti, 118 (1954-1955). 512. Rosz, 1886, 3 = Wazzzn, 3. Aristoteet l'histoire.

1

162

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

nologie. En revanche, c'est à Chilon lui-même qu'il attribue le « Rien de trop » 513 : Aristote n'est déjà pas l'homme d'une seule tradition >14, Il affirme l'antériorité des Mages par rapport aux Égyptiens 515, suivant probablement Eudoxe sur ce point. Plus tard, il écrira au contraire, sous l'influence d'une documentation nouvelle, que les Égyptiens sont les plus anciens de tous les hommes 51%, Ici encore, il recherche les origines des poèmes orphiques 517, esquisse méme, par comparaison, les origines de la religion 5! et, plus largement, toute une histoire de l'humanité : les proverbes, dit-il en effet, « sont les survivances d'une antique sagesse, détruite par les terribles catastrophes qu'a subies l'humanité »; leur forme et leur justesse les ont sauvés 519, 'Tel est le premier énoncé, fort platonicien, de l’« archéologie » d'Aristote 599, Ainsi l'intérét pour l'histoire, le sens de la perspective historique, apparaissent dés les premiers dialogues et, plus marqués dans le Sur la philosophie, existent cependant dans les écrits antérieurs. Il s'y joint encore un goût pour l'« histoire naturelle » qui est solidaire du goût pour l'histoire en général : quand il rapporte l'anecdote de Magon de Carthage — qui avait trois fois traversé le désert, sans boire — Aristote est à la fois naturaliste et historien **!, Une évolution apparaît méme dans son information : d'aprés le Banquet, l'usage de porter couronne est un symbole d'abondance 533; d’après l' Eroticos, il s'agit seulement d'un remède contre les maux de tête 523, Faut-il croire que déjà le Stagirite se contredisait à plaisir ? Bien plutót, qu'il se tenait à l'affüt de toute information nouvelle, et qu'il aimait à le montrer. 513.

Rose, 1886, 4 — WALZER, 4.

514. Les deux fragments précédenta l'attestent. 515.

Rose, 1886,

6 =

Wazzen,

6. Cf, Rose, 1886, 34 =

WALZER, 6.

516. Pol., VII, 10, 1329 b 31 sq. V. infra, p. 307. 517. 518.

Rose, 1886, 7 = WaLzER, 7. . Rose, 1886, 12 = Wazzen, 13. Ici encore se marque l'influence de PLaron,

Rép., VII, 514 a (WALzER, p. 77, n. 1). 519. Rose, 1886, 13 = Wauzer, 8, beaucoup plus complet. 520. Infra, p. 328 sq. 521.

Rose,

1886,

103, extrait du

Sur l'ivresse, c'est-à-dire, du

Banquet,

cf. P.

Monavx, Les listes anciennes..., p. 33 et n. 33. Également, dans le Sur la philosophie, ROSE, 1886, 42 = Warzen, 23 : l'homme qui se nourrissait « de rayons de soleil » tc.

522. 523.

Rose, 1886, 101. Rose, 1886, 95.

CHAPITRE

V

Le philosophe en face de l'iccopía Cet intérét trés tót manifesté pour une connaissance exacte du passé éclaire d'un jour nouveau le texte fameux de la Poétique, où Aristote se montre si sévère pour l'histoire : « Le récit exact de ce qui est arrivé n'est pas l'affaire du poéte, mais lui appartient ce qui aurait pu arriver, le possible, selon la vraisemblance ou la nécessité. L'historien et le poéte ne se distinguent pas l'un de l'autre par le fait que le premier écrit en prose et le second en vers (car si l’on mettait en vers l’œuvre d' Hérodote, elle n'en serait pas moins une ceuvre d'histoire, que le métre y figure ou non). Ils différent entre eux par ce fait que l'un raaonte ce qui est arrivé et l'autre ce qui aurait pu arriver. C'est poürquoi la poésie est plus philosophique et d'un caractère plus élevé que l'histoire — φιλοσο-

φώτερον

xal σπουδαιότερον ---- car la poésie reste dans le général et

l'histoire n'étudie que le particulier. Le général, c'est ce qu'il arrive à telle catégorie d'hommes de dire ou de faire dans telles circonstances, suivant la vraisemblance ou le nécessaire ; c'est là le but de la poésie ;

le particulier, c'est ce qu'a fait Alcibiade, ou ce qui lui est arrivé » !, 1, ἱστορία n'est donc qu'une discipline de second ordre, si les problèmes qu'elle se pose sont d'intérét accessoire : ce n'est pas un hasard si Aristote indique, comme type de recherche historique, « ce qu'a fait Alcibiade, ou ce qui lui est arrivé ». Nulle part en effet il n'a étudié l'histoire d’Alcibiade dont le nom n'est méme pas cité dans la Constitution d' Athénes *. Les seules références à Alcibiade que présente le Corpus sont relatives à des anecdotes, quelquefois futiles. L'Histoire des Animauz enregistre que, dans la région oü il mourut, toutes les biches ont l'oreille fendue ®! La Rhétorique contient une allusion aux fils d'Alcibiade, dont la conduite scandaleuse était de notoriété publique *. Enfin les 2*9 Analytiques le prennent comme exemple de magnanimité, μεγαλοΨυχία 5. I n'y a rien de plus à son sujet dans ce que nous possédons, directement ou indirectement, de l’œuvre d'Aristote. Alcibiade, pour lui, n'était donc qu'un exemple commode à l'appui d'une démonstration, 1. Poétique, 9, 1451

a 37-5 11 (trad. J. VorLquın-J. CaPELLE,

Paris, s. d.).

2. Alcibiade est cité dans le fragment Rose, 1886, 443, qui a un rapport avec la Const. d' Ath. Il traite des triéres sacrées. Mais dans ce fragment sont mélées plusieurs sources, et le nom d'Alcibiade n'est pas emprunté à la source aristotélicienne : il ne figure pas dans le passage correspondant de la Const. d' Ath., 61, 7 (que Rose ignorait forcément encore en 1886). 3. Hist. an., VI, 29, 578 b 28. 4. Rhét., II, 15, 1390 b 28. 5. 2** Analyt., 11, 13, 97 b 18.

164

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

un point de repére bien connu, comme ailleurs Socrate ou Coriscos *. Si vraiment alors l'intérét qu'Aristote portait à l'histoire se réduit à l'intérét que suscitait chez lui la vie d'Alcibiade, on congoit qu'il ait rangé l'histoire derrière la poésie. Ce jugement sévère est, à vrai dire, unique dans tout le Corpus. Un seul autre texte pourrait d'abord paraître susceptible de l'étayer ; encore le rapprochement ne résiste-t-il pas à l'analyse. Au cinquiéme livre de la Politique, Aristote semble en effet admettre que la vérité historique n'a de valeur qu'indirecte; il ne serait alors pas nécessaire de la cerner de prés, et l'historien pourrait se permettre, systématiquement, des négligences. Certains attentats contre des princes, écrit-il, proviennent du mépris où ils sont tenus ; « c'est ainsi que Sardanapale fut l'objet d'un attentat parce qu'on l'avait vu peigner la laine avec les femmes » — et Áristote ajoute aussitót : «si ce récit légendaire est exact ; mais s'il ne s'applique pas à Sardanapale, il pourrait en tout cas s'appliquer à un autre » ?. Façon cavalière de discuter un document ? ou seulement goût de l'idée générale plutôt que du fait précis ? Ces interprétations, en réalité, s'accordent mal avec les précautions minutieuses dont Aristote entoure l'établissement des faits, partout ailleurs *. Sa liberté d'expression, au contraire, cache un scrupule remarquable. L'histoire de Sardanapale — que nous avons déjà rencontrée dans le Protreptique * — avait suscité de multiples hypothèses, sujettes encore à controverse : par probité, Aristote se refuse à choisir entre elles. Il indique seulement que toutes reviennent au méme, pour la démonstration qu'il a entreprise, et il ne s’arrête pas au détail. De tous les problèmes soulevés par cette anecdote, il était sürement informé : la comparaison de ses travaux avec ceux de Callisthène le prouve 19, et aussi sa réserve relative aux « auteurs de récits légendaires », qui indique à la fois la richesse de sa documentation et la prudence de sa critique. Unique, par conséquent, en son genre, le texte de Poétique IX suffit pourtant à constituer une difficulté et une énigme. Comment Aristote pouvait-il à la fois se consacrer à 1 ἱστορία et la juger moins philosophique et moins sérieuse que la poésie ? La date de la Poétique est fixée, avec toute la certitude possible en la matière, dans la période du Lycée !!. Si nous admettions avec W. Jaeger que c'est le moment où Aristote se consacre aux enquétes systématiques, la contradiction serait flagrante et mériterait d'étre résolue. L'examen des textes nous a imposé, en réalité, de considérer qu'Aristote s'est intéressé beaucoup plus tót à la connaissance du passé ᾽ξ ; mais dans cette perspective encore, la diffi6. Cf. Bonrrz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v., et W.

Jarcen, Arístotle!,

. 46, n. 3.

P 7. 8. 9. 10. 11.

Pol., V, 10, 1312 a 1-4. Supra, notamment p. 125 sq. Infra, chap. Supra,p. 153 sq. Infra, p. 219, 312. J. Hanpv,

IX, p. 311 sq.

éd. de la Poét., Coll. des Univ. de Fr., p. 13 sq. Soit aprés 335, ou,

si la fondation du Lycée est un peu antérieure (Supra, p. 18 sq.), deux ans avantau maximum. 12. Supra, chap. IV, notamment p. 160 sq. W. Jazcen ne semble pas avoir

LE PHILOSOPHE

EN

FACE

DE

L'loropla

165

culté subsiste. Aristote aurait-il — solution radicale — renoncé à l'icropía dans la dernière période ? non, puisque tant de recherches ont

été réalisées,

ou

du

moins

achevées,

dans

ses derniéres

années

:

Constitution d'Athènes, Dikaiomata, etc. Cette difficulté persistante risque méme de ruiner la méthode de classement chronologique adoptée ici : que vaudra le repère historique, si l'loropía elle-même vaut si peu ? La chronologie obtenue n'atteindra méme pas au « sérieux » de la poésie... Aussi bien ce texte est-il d'ordinaire interprété comme une marque de mépris à l'égard de l'histoire. Ainsi, pour H. Nissen 15, Aristote subordonne cette discipline à la politique, ou bien la réduit à une littérature vaine ; l'histoire servira donc le grand dessein d'unir les Grecs, qu'Aristote veut appuyer ; la Constitution d' Athénes, par exemple, ne sera qu'une œuvre de propagande : conclusion évidemment téméraire 14, et analyse qui méconnaît l'étendue de l’œuvre historique du Stagirite : Nissen ne pouvait prévoir les hypothéses génétistes. En revanche, d'autres ont considéré — c'est le cas de A. Gudeman !5 — qu’Aristote posait ici le problème du drame historique ; l'histoire ne serait donc envisagée qu'accessoirement, comme point de comparaison. Mais à cette date, ce retournement demeure difficile à comprendre, sous

une forme aussi catégorique : φιλοσοφώτερον,

σπουδαιότερον... Faut-il

alors supposer non seulement qu'Aristote méprisait l'histoire tout en y travaillant, mais qu'encore les termes mêmes de cette condamnation trahissent une incompréhension caractérisée des études « historiques »

auxquelles il se livrait, de leur signification, de leur nature ? C'est ce qu’imphque la remarque de Wilamowitz : « Das olov Av γένοιτο ist philosophischer, aber es ist mit dem olov ἦν inkommensurabel » V6, Aristote n'aimerait alors vraiment ni ne comprendrait l'histoire. Comment en effet, dit-on, a-t-il pu s'exprimer ainsi, s'il a lu Thucydide — et comment n'aurait-il pas eu au moins quelque contact avec l'historien de la Guerre du Péloponnése, s'il s'intéresse à l'enregistrement des πράξεις 17 ? Barthélemy-Saint-Hilaire,

dans son pas déjà l'écrivait générale Pippidi :

déjà, s'étonnait à juste titre

commentaire à la Poétique : « Cette théorie n'était peut-être trés juste en présence de l'histoire telle que la concevait et Thucydide. La philosophie de l'histoire est beaucoup plus encore que la poésie ne peut l'étre » 18. Et, récemment, D. M. « Aristote dénierait à l'historiographie cette capacité d'atteindre

envisagé cette difficulté. Ce texte n'est pas discuté dans son Aristote, où la Poétique ne trouve pas sa place. 13. H. Nissen, Die Staatsschriften des Ar..., Rhein. Mus., 47 (1892), p. 165 sq. 14.

Ἐς Susemiu,

Bericht über Ar..., Jahresb. de Bursian, 1893, p. 64 sq., et 1894,

. 116.

P 15. A. Gupeman, Aristoteles περὶ ποιητικῆς, Berlin-Leipzig, 1934, p. 206 sq. 16. U. vou Wiramowirz-MorrrtEeNpomrr, Einleitung in die Gr. Trag., Berlin, 839 éd., 1921 (Gupeman cite ce texte en ge référant à Euripides Herakles, I, p. 112.

Il s'agit de la 119 éd., Berlin, 1889. Ce développement disparaît dans l'édition de 1895, et est repris dés 1907 dans la 1'* édition de l'Einleitung). 17. Sur Tuvcvpipe source possible d'AmisroTE, infra, p. 311, n. 4. Notons déjà que PLaron a αὐ lire TnucypipE, — encore qu'il n'en existe aucun témoignage direct. Cf. notre Archéologie de Platon, notamment p. 23 sq., 45 sq., 64. 18.

BARTHÉLEMV-SAINT-HiLaire,

éd. de la Poét., Paris, 1858, p. 49, note au $ 3.

166

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

à l'universel, qui est un trait distinctif des créations de l'esprit grec et que nous nous plaisons à reconnaître à un degré éminent dans les œuvres d'un Thucydide et d'un Polybe » !?, Bref, Aristote penserait comme plus tard Diderot — qui en effet pouvait avoir lu le Stagirite : «Ὁ Richardson! j’oserai dire que l'histoire la plus vraie est pleine de mensonges, et que ton roman est plein de vérités. L'histoire peint quelques individus ; tu peins l'espéce humaine... L'histoire n'embrasse qu'une portion de la durée, qu'un point de la surface du globe ; tu as embrassé tous les lieux et tous les temps... J'oserai dire que souvent l'histoire est un mauvais

roman,

et que le roman,

comme

tu l'as fait, est une

bonne

histoire » ?9, L'explication de ce paradoxe est-elle qu'Aristote réduit l'ioroplæ au niveau d'une chronique, tandis qu'il admire en Thucydide un profond penseur politique ? Une œuvre comme celle de Thucydide ne serait

plus pour lui de l'ioropía, mais bien de la philosophie.

Loin

d’être

injuste pour Thucydide, le neuviéme chapitre de la Poétique lui réserverait en quelque sorte une place à part, au milieu des philosophes. Aristote aurait, aisément, reconnu l'un des siens : car « le semblable est ami

du semblable » 33. Telle est l'hypothèse suggérée par D. M. Pippidi 35, d'autant plus séduisante qu'elle rend justice à la fois à Thucydide et à Aristote, et qu'elle réunit dans une méme admiration deux esprits que le texte mystérieux de la Poétique semblait, à tort et contre toute attente, opposer. Mais il convient de la nuancer, parce qu'elle souléve plusieurs difficultés et qu'ainsi formulée elle n'explique nullement comment Aristote a pu se consacrer à une ἱστορία qu'il méprisait, placer Thucydide trés haut et entreprendre des travaux si différents des siens. Le caractère philosophique de la Guerre du Péloponnése, la volonté qu'avait son auteur de dégager une philosophie de l'histoire ne sauraient être contestés : κτῆμα ἐς αἰεί 33, Aristote pouvait assurément, de ce fait, le ranger parmi les penseurs politiques. Le nom de Thucydide, il est vrai, n'est jamais cité dans le Corpus. Mais les aventures des écrits aristotéliciens à travers les âges rendent ici plus que jamais impossible un raisonnement e silentio. Toutefois, Aristote devait-il, pour autant, renoncer à voir en Thucydide un historien ? dans quel genre précis l'aurait-il donc classé ? Il faut lever ici l'équivoque du mot ἱστορία. Le mot peut signifier assurément à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que notre histoire : beaucoup plus dans le temps et dans l'espace, beaucoup moins en matiére d'ordre et d'analyse ?*. Peut-étre D. M. Pippidi a-t-il raison de supposer conscient et voulu l'usage de Thucydide, « dans l'œuvre duquel les mots « histoire » et « historien » ne viennent jamais carac19. D. M. Ριρριρι, Aristote et Thucydide, En marge du chapitre IX de la Poétique, Mélanges J. Marouzeau, Paris, 1948, p. 485. 20. Diprnor, Éloge de Richardson, Œuvres choisies, Paris, Garnier, s. d., I, p. 192. 21. E. N., VIII, 2, 1155 a 34. 22.

D. M.

Ριρριρι,

23. Taucypipe,

ibid., p. 489 sq.

I, 22, 4.

24. V. aussi supra, p. 89 sq.

LE

PHILOSOPHE

EN

FACE

DE

L’loropla

167

tériser son activité » 2. Ainsi pour Thucydide, ἱστορία signifierait surtout « beaucoup moins » qu’histoire ; quant au « beaucoup plus », à l'éparpillement dans l'espace et dans le temps, Thucydide n'y peut trouver

aucun

intérét.

Toutefois,

méme

volontaire,

cette

absence

du

mot n'est pas décisive : car Thucydide ne qualifie pas davantage d’iaroplx, mais bien de ξυγγραφή, le travail d'Hellanicos, pour lequel il se montre cependant sévére 7 ; et ses pointes contre Hérodote ne visent jamais explicitement l'locopla ou l’oropixés, mais le « logographe » **. Nous ne sommes donc pas fondés à supposer que l'loroplx représentait à ses yeux un défaut. Mais bien plus : Thucydide n'emploie jamais le mot ἱστορία, ni aucun terme de la méme famille, pour désigner une « recherche méthodique » ou le « produit de cette recherche » 38, Comme en effet aucun

de ces mots

n'est, avec

cette valeur,

attesté en prose

attique avant Platon 39, Thucydide faisait-il autre chose ici que de se conformer à l'usage attique de son temps ? Rien ne permet de l'affirmer. En outre, si méme il était exact que Thucydide eüt refusé de ranger son œuvre dans la catégorie des ἱστορίαι, considérée comme vulgaire, les générations suivantes ne l'ont pas suivi, en tout cas, unanimement sur cette voie, au contraire. Rares et tardifs sont les textes où } ἱστορία, chronique, est distinguée de la συγγραφή entendue cette fois comme histoire contemporaine 9. On voit méme les Placita Philosophorum, en opposant, à Éphore 1 ἱστοριογράφος, le συγγραφεὺς Hérodote, rapprocher implicitement Hérodote et Thucydide (deux auteurs d'histoires contemporaines, de suyypapal) d'une façon ruineuse pour l'hypothése envisagée ?!, En revanche, pour Polybe, Éphore est un συγγραφεύς, ainsi que Xénophon, Callisthene,... Pluton 33, Le mot a bien ici le sens d'historien, non la valeur générale d'« écrivain ». Le méme Polybe emploie des mots apparentés à ἱστορία et des mots de la famille de συγγραφή — histoire — pour désigner une méme réalité 33, Ainsi, au milieu de cette confusion, nous voyons Polybe nommer συγγραφεῖς des auteurs qui, assurément, dans la perspective de D. M. Pippidi,. passeraient pour des ἱστορικοί ; mais en revanche, le « canon » attribué à Aristarque et Aristophane de Byzance range aussi bien Thucydide qu'Hérodote, Xénophon et Théopompe parmi les dix ἱστορικοί ** ; 25. Op. cit., p. 490. 26. I, 97, 2: τούτων δὲ ὅσπερ xal ἥψατο ἐν τῇ ᾿Αττικῇ ξυγγραφῇ ᾿Ελλάνικος Βραχέως τε xal τοῖς χρόνοις οὐκ ἀχριβῶς ἐπεμνήσθη. 27. I, 21, 1, ὡς λογογράφοι ξυνέθεσαν ἐπὶ τὸ προσαγωγότερον τῇ ἀκροάσει À &Xnθέστερον, Cf. I, 20, qui vise H£nopoTE. 28. E. A. Béranr, Lericon Thucydideum, II, Genève, 1847. M. H. N. von Essen, Index Thucydideus, Berlin, 1887. Xenornon, continuateur de TnucvpriptE, désigne aussi l'historien par συγγραφεύς (Hellén., VII, 2, 1).

29. Lipp.-ScorT..., s. v. On ne trouve encore qu'un seul mot grec de cette famille dans DéxosTu£NE (Couronne, 114, loropla τῶν κοινῶν). 30.

Lipp.-Scorr..., s. v.

ἱστορία

II, fin, et ἱστοριογράφος, fin.

31. Plac., 4, 1, 6. (H. Dıeıs, Doxographi

Graeci, 25 éd., Berlin, 1929).

32. PoLyse, VI, 45, 1. 33. Porvsr, IX, 1, 3; cf. IX,1,6; 1, 5,6 ; etc. 34. Montraucon, Bibl. Coislin., p. 597. Sur l'attribution aux Alexandrins, fort douteuse, v. Carıst-Scumip-StAuLın, Gesch. der Gr. Lit., 11, 1, 6° ed., Munich,

168

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Denys d'Hahcarnasse, Pseudo-Longin, scholiastes, lexicographes, manuscrits enfin, appellent son œuvre ἱστορία ** Bref, Thucydide est souvent considéré comme un auteur d'iacopía et la distinction entre ἱστορία et συγγραφή, ou mots apparentés, n'est ni si nette, ni si stable qu'on puisse rien inférer de l'emploi du seul ξυγγραφὴ par Thucydide, ni de l'emploi ἀ᾽ ἱστορία par Aristote en Poetique IX. Puisque Aristote, pour désigner l’histoire de quelque type qu'elle soit, n'utilise pas plus les mots comme συγγραφή *, que Thucydide n'a recours à ἱστορία, il est impossible de croire qu’Aristote, en Poétique IX écrivait ἱστορία plutôt que συγγραφή par un choix délibéré et significatif. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'à la façon de Thucydide, mais inversement, il obéissait à une habitude de langage. Sinon, n'aurait-il pas distingué explicitement les deux termes ? s'il estimait si différente l'histoire de Thucydide, n'aurait-il pas voulu écarter toute équivoque ? Aurait-il, également, confondu Thucydide, dans la Rhetorique, au milieu de tous ceux qui «écrivent les πράξεις » 57 ? Il est décidément impossible d'admettre qu’Aristote se soit satisfait d'un sous-entendu que rien, dans le Corpus ni ailleurs, ne vient suffisamment confirmer et expliquer. Lorsqu’au contraire Aristote, racontant dans la Constitution d'Athènes le meurtre d'Hipparque, trouve une occasion remarquable de citer expressément Thucydide, que fait-il ? il se contente d'une allusion à la « tradition commune », au λεγόμενος λόγος %. Thucydide n'est donc pour lui qu'une source de méme nature que les autres : de ᾿᾿ ἱστορία. . S'il existe aux yeux d’Aristote une distinction entre l'histoire thucydidéenne et toute autre ἱστορία, ce n'est donc pas ce vocabulaire qui la marque. Faut-il croire alors que cette distinction, il ne l'ait jamais faite ? Un seul texte permet d'entrevoir ce que pouvait être le jugement d'Anstote sur la méthode de Thucydide— le texte déjà cité de la Constitution d'Athènes — et ce jugement, à coup sûr, ne lui est pas favorable en l'occurrence : « La tradition commune... est fausse», ὁ λεγόμενος λόγος ... οὐκ ἀληθής ἐστι 39, Mais il ne s'agit ici que d'une critique de détail, dont on ne peut rien conclure de général. Est-il même sûr qu' Arıstote vise directement Thucydide ? l'absence du nom de Thucydide con1920,

p. 28, n. 4, qui cite le texte, et l'article

« Kanon » de la RE,

X,

2,

1873-

1878 (RADERMACHER). 35. Pseuno-Loncin, Du sublime, XIV, 1 (ἐν ἱστορίᾳ Θουκυδίδης), Sur Denys D'HaricARNAssE (825,11, et 939, 18), etc., v. O. Luscunat, Thucydidis Historiae, I, Leipzig, 1954, p. 19, app. crit. Il est notable que le méme Denys, Sur Thucydide, 5, appelle cette fois συγγραφεῖς non seulement Thucydide mais Hécatée, Charon de Lampsaque, Hellanikos, Xanthos, Hérodote... 36. Bonrrz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, 8. ν. σύγγραμμα (le poème d'HéracLiTE, Rhét., III, 5, 1407 b 16. Recueils médicaux, E. N., X, 10, 1181 ὃ 2. 5). ouy-

γράφειν

(E. 'É., 1, 1,1214 a2 : poésie) ; συγγραφή

Cf. supra,

a

p. 90 (Bonıtz cite

encore

deux

(contrats, Rhét., I, 2, 1355 5 37).

références à συγγράφειν, "dans

trés général, tirées de la Rhét. à A:er., qui est apocryphe, cf. supra

a 37. Rhét., 1, 4, 1360 a 36, αἱ τῶν περὶ τὰς πράξεις γραφόντων ἱστορίαι. 38. Const. d'Ath., 18, 4 (Tuvcvpipz, VI, 58, 2) 39. Const. d' Ath., ibid.

un

sens

p. 17,

LE PHILOSOPHE

EN FACE DE L’loropla

169

tribuait à infirmer l’hypothèse qu’Aristote aurait considéré la Guerre du Péloponnése comme d'une nature supérieure à l’ioroplx ; mais en revanche, puisque pour Aristote Thucydide est un ἱστορικός, rien ne prouve que cette fois-ci le Stagirite visait entre autres cet locoptxóc-là. L'expression ὁ λεγόμενος λόγος est vague. Aristote a pu se souvenir seulement d'une tradition générale, et oublier que Thucydide en était — semble-t-il — le chef de file (oubli au contraire surprenant si Thucydide représentait pour lui tout un genre, rare et admirable). La critique de Thucydide n'est alors que virtuelle : Aristote ne l'a méme pas réellement conçue. Au total, la possibilité demeure entière, qu'il ait reconnu

à l'lovopia de Thucydide, non pour sa documentation, signification, une place de choix.

mais

pour

sa

En second lieu, si Aristote estime que toute ἱστορία du passé est une chronique, et en cela peu philosophique, Thucydide lui-méme, classant les événements par étés et par hivers *, peut par ce biais tomber sous cette définition, et par suite sous le reproche qu'elle entraîne. Mais plutôt que de déterminer ainsi, arbitrairement parce que de l'extérieur, la «catégorie » où Aristote rangeait son Thucydide, mieux vaut se demander si pour le Stagirite l'lacopía se réduit vraiment, dans tous les cas, à une chronique. Le chapitre IX de la Poétique paraît bien impliquer une conception aussi étroite. L’loropla, dit Aristote, ne porte que sur l'individuel ; elle

enregistre seulement τὰ γενόμενα, tà καθ᾽ ἕκαστον. De recherche des causes, de construction historique, il n'est ici nullement question. « Post quod » et non « propter quod. » Hérodote, seul exemple précis que mentionne Aristote, est ainsi sévérement traité, car il est injuste de lui dénier tout sens de l'explication historique, toute philosophie de l'histoire *!. Mais telle est bien, semble-t-il, la conception aristotélicienne de 1᾿ ἱστορία — qu’Aristote a encore exprimée, de facon plus nette, au vingt-troisiéme chapitre de la Poétique : dans les récits historiques, écrit-il, « il faut faire voir non une seule action, mais un seul temps, c'est-à-dire tous les évé-

nements qui, au cours de ce temps, sont arrivés à un seul homme ou à plusieurs, événements qui n'ont chacun entre eux qu'un rapport de fortune. Car de méme que la bataille navale de Salamine et la bataille que livrérent les Carthaginois en Sicile eurent lieu à la méme époque, sans cependant tendre aucunement

à la méme

fin, ainsi aussi, dans la

succession des temps, assez souvent une chose arrive aprés une autre sans qu'il y ait fin commune » #2. L'exemple allégué, il est vrai, est trés

discutable. Aristote, suivant une tradition d’ioroplx que nous retrouvons chez

Hérodote 45, en tire contre 1 ἱστορία méme

un

argument

40. Taucyoipe, II, 1, etc. 41. V. p. ex. Ph. E. Lecrann, Hérodote, Introduction, Coll. des Univ. de Fr., p. 131 sq. Les considérations d'ordre général, ola ὧν γένοιτο et non ola. ἐγένετο,

et les explications ne sont pas rares chez H£ropore (I, 29 sq., Solon chez Crésus, VII, 139: comment aurait fini la 2° Guerre médique sans la résistance athénienne). Etc. 42. 43.

Poét., 23, 1459 a 22 sq., trad. J. HAnpv. Hérovore, VII, 166, qui rapporte une tradition plus précise : les deux batailles

auraient eu lieu le méme

jour.

470

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

qu'il serait facile de retourner #. Mais l’idée d'ensemble est formulée aussi catégoriquement que possible : il s'agit de rapports chronologiques fortuits, et non logiques : ἐν τοῖς ἐφεξῆς χρόνοις ἐνίοτε γίνεται θάτερον μετὰ θάτερον, ἐξ ὧν ἕν οὐδὲν γίνεται τέλος 5. De ce rassemblement des coincidences, de cette ἱστορία élémentaire, où Hérodote trouverait à peine sa juste place, Thucydide est forcément exclu. Toutefois, ne peut-il exister aux yeux d'Aristote quelque autre type d’ioroplx ὃ Examinons de plus prés le texte-clé, qui est celui du chapitre 23 de la Poétique. Il commence ainsi: Περὶ δὲ τῆς διηγηματικῆς xai ἐν μέτρῳ μιμητικῆς, ὅτι δεῖ τοὺς μύθους καθάπερ ἐν ταῖς τραγῳδίαις συνιστάναι δραματικούς, καὶ περὶ μίαν πρᾶξιν ὅλην καὶ τελείαν, ἔχουσαν ἀρχὴν καὶ μέσα καὶ τέλος, ἵν᾽ ὥσπερ ζῷον ἕν ὅλον ποιῇ τὴν olxelav

ἡδονήν, δῆλον, καὶ μὴ ὁμοίας ἱστορίας τὰς συνήθεις εἶναι, ἐν αἷς ἀνάγxv … X. t. À. * Le sens du début ne présente pas de difficulté. Il s'agit de l'unité d'action dans l'épopée, et Aristote écrit : « Pour ce qui est de l'imitation narrative et en vers, il y faut, comme dans les tragédies, composer la fable de facon qu'elle soit dramatique et tourne autour d'une seule action, entiére et compléte, ayant un commencement, un milieu et une fin, afin qu'étant une et entiére comme un étre vivant,

elle procure le plaisir qui lui est propre ; cela est évident » *. Δῆλον. Reste à interpréter la proposition xal μὴ ὁμοίας ἱστορίας τὰς συνήθεις εἶναι. Elle dépend, assurément, de δῆλον ὅτι δεῖ, et tout aussi sürement, Aristote y oppose la composition narrative au genre historique. Mais, comme l'indique I. Bywater #, il a été remarqué depuis longtemps qu’Aristote semble, par ces mots, vouloir critiquer et corriger, avant tout, les procédés des historiens: « Nos histoires usuelles, dit-il, ne de-

vraient pas ressembler aux tragédies et aux épopées ». Or, la critique ne serait

ni bien

prouve tout le historique. Ces de systéme de donné, au lieu

placée,

ni

bien

venue.

contexte, les régles dernières peuvent référence. Raison de sortir du sujet

du et de en

Aristote

établit

ici, comme

le

genre épique, et non celles du genre doivent servir de point de repère, plus pour les prendre comme un entreprenant ici de les établir. Qui

plus est, cette critique, mal placée, serait en outre absurde. Si Aristote

ne veut pas que les « histoires usuelles » ressemblent aux épopées, cela signifie que l'histoire doit absolument manquer d'unité. Or c'était précisément puisqu'il

le cas des «histoires usuelles » — et Aristote le sait bien, en donne immédiatement un commentaire précis: ἐν als

ἀνάγκη x. τ΄ À. ... Le texte perd alors tout sens. Cette interprétation du xal μὴ ὁμοίας ἱστορίας τὰς συνήθεις est donc à rejeter. 45. Diopone, XI, 24 (synchronisme Thermopyles-Himére, et non SalamineHimére) mentionne un traité entre Xerxés et les Carthaginois. Dans cette hypothèse, qui est fort vraisemblable

indiquée simplement comme

ÁnisTOTE,

(GLorz-Conen, Hist. Gr., 11, p. 45), la coincidence

par l'lozopuxóg lHÉnoporE est

« philosophique

significative

et,

pour

45. 1459 a 27 sq. 46. Poét., 23, 1459 a 17-22. La traduction des lignes suivantes a été citée cf. note 42. 47. Trad. J. HAnpv. 48.

I. Bywater,

parler

».

Aristotle, On the art of poetry, Oxford, 1909, ad 1459

a 21,

p. 169, p. 305.

LE

PHILOSOPHE

EN

FACE

DE

L'latopia

171

Toute autre construction est cependant impossible. Celle de D. 5. Margoliouth 49, qui voyait dans ὁμοίας une épithète, traduite par « monotone », « uniforme », donne un sens intéressant — « l'épopée ne doit pas se réduire à des chroniques monotones, de type courant » —, mais le texte ne la supporte pas. 'Oyo(ac, dans ce contexte, ne saurait signifier, ex abrupto, «toujours semblable à soi-même », donc « monotone », « uniforme » 9, Le groupe τὰς συνήθεις, par son article et par sa place,

serait également trés surprenant, ainsi que la fonction d'attribut que remplirait ἱστορίας : on attendrait un terme marquant la comparaison, ὥσπερ par exemple ou καθάπερ, correspondant à la valeur habituelle de ὅμοιος. Faut-il donc se résoudre à corriger le texte ? Deux solutions de cet ordre ont été proposées. La première, qui est due à Dacier °!, transforme ἱστορίας en ἱστορίαις et συνήθεις en συνθέσεις : xal μὴ ὁμοίας ἱστορίαις τὰς συνθέσεις εἶναι, £v αἷς ..., «les compositions ne doivent pas être semblables aux récits historiques, dans lesquels..., etc. » °®, Le sens devient ainsi trés satisfaisant, mais la correction est d'importance. En outre, l'autorité du

Riccardianus, sur laquelle elle s'appuie, est faible: ce manuscrit, écrivait J. Hardy, « nous présente un texte remanié par un scribe qui, de loin en loin, a corrigé sur des apparences très superficielles » 53. Une correction beaucoup plus modeste a été imaginée par I. By water, qui lit θεῖναι au lieu de εἶναι (OINAI = EINAI). On comprendra donc, littéralement, « il ne faut pas supposer que nos histoires courantes sont semblables (à l'épopée) », ce qui signifie en vérité : « il ne faut pas supposer que l'épopée est semblable à nos histoires courantes », « l'épopée ne doit pas étre, comme on le suppose si souvent, semblable à l'histoire traditionnelle ». La difficulté de l'expression nait seulement de l'ordre inverse des termes. Or cette inversion est fréquente dans les comparaisons d’Aristote 64, Bywater traduit donc : « Nor should one suppose that there is anything like them in our usual histories. » 49. 1911,

D. S. MarcoLiours, The Poetica of Aristotle, Londres, New-York, Toronto, p. 211 et note (« monotonous ») ; cf. ibid., Glossaire, p. 327, s. v. ὅμοιος

(« uniform »). 50. V. Lipp.-Scorr..., s. v. ὅμοιος, I, 2. Dans les exemples cités, le sens d'6potoc est déterminé par le contexte, ce qui n'est pas le cas ici. P. ex., ἀεὶ ὅμοιος, PrATON, Banquet, 173 d. Γνῶμαι πρὸς τοὺς αὐτοὺς κινδύνους ὁμοῖαι, Tuucvpine, II, 89, etc.

51. Elle apparait déjà dans un manuscrit de la Renaissance (Rıccarnıanus, 46) : συνθήσεις, sic., — puis chez Dacıer. V. éd. J. Hardy, app. crit. ad loc. 52. Trad. J. Ilarny. La difficulté du passage se manifeste de façon assez curieuse dans

l'édition

J.

Voizquin-J.

CAPELLE,

qui

conserve

le texte

traduit apparemment le texte corrigó : « La combinaison des s'opérer comme dans les histoires. » 53. J. Hanpv, ibid., p. 25. 54. L. Bvwarrn, op. cit, suivant J. Vaurew (infra, n. dans les comparaisons introduites par ὅμοιος, Cf. Rhét., III, 14, on peut généraliser : il existe un décalage analogue en Pol., (διοίσει

δὲ τῷ

τοιούτῳ

xal

πόλις

ἔθνους— au lieu de καὶ

traditionnel,

mais

éléments ne doit pas 59), précise même : 1414 b 19 sq. Mais II, 2, 1261 a 27 sq.

ἔθνους

πόλις.

Voir sur

ce texte infra, p. 269 sq.). Cf, avec Newman, 1I, p. 233, un autre exemple en I, 5, 1254 b 16, et le recensement par Bonmirz des négations déplacées (Index Aristotelicus, Berlin, 1870, 539 a 14-47).

172

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Bywater n'a pas été suivi, parce que cette construction semblait difficile : A. Gudeman, J. Hardy, A. Rostagni, ont adopté la correction de Dacier 55. Toutefois, la version arabe de la Poétique, qui repose elleméme sur une version syriaque du vi? siècle, montre que la difficulté de ce passage est trés ancienne. Ces quelques mots, en effet, n'ont pas d'équivalent dans la version arabe 9, qui n'est pourtant qu'un « décalque machinal de l’original » 9. Il est donc permis de supposer que l'auteur de la version syriaque — ou le traducteur arabe — s'est luiméme trouvé devant une difficulté qu'il n'a pas résolue, mais fait disparaitre. Cependant, tout suggére par ailleurs une parenté entre cette source grecque de la version syriaque, et le Riccardianus 46 5® — qui donne justement déjà la « lectio facilior », ἱστορίαις τὰς συνθήσεις (sic). Cette

lecon

a bien

l'air dans

ces conditions

d'une

correction,

ce qui

n'incite pas à l'adopter : pourquoi une expression aussi claire d'une idée aussi importante n'aurait-elle pas été traduite ? Mais est-il en revanche vraisemblable que le texte corrigé de Bywater, en dépit de sa rudesse, ait pu susciter tant d'accidents ? Il est bien plus probable que notre texte traditionnel, difficile, était déjà celui qu'on hsuit dans l'Antiquité. Or il se trouve que la construction inversée, que Bywater empruntait à J. Vahlen, peut s'adapter au texte traditionnel : J. Vahlen l'avait déjà montré, mais sans éveiller beaucoup d'écho 5°. Cette interprétation en effet est délicate, et a pu assurément arrêter l'auteur de la version syriaque. Mais il se trouve aussi qu'elle résout plus de problèmes que J. Vahlen lui-même ne l'avait remarqué, puisqu'elle permet également, par les conséquences qu'elle entraîne, de mieux comprendre le texte du chapitre IX relatif à l’histoire. Aussi tirerons-nous de là une raison nouvelle de l’accepter. J. Vahlen construit en effet de la façon suivante : δῆλον καὶ (ὅτι δεῖ) un ὁμοίας (τοῖς μύθοις) ἱστορίας τὰς συνήθεις εἶναι c'est-à-dire δῆλον x«i (ὅτι dei) μὴ ὁμοίους (τοὺς μύθους) ἱστορίαις εἶναι 9. L'inversion, nous l'avons vu, est pleinement justifiée. Quant à l'expression ἱστορίας τὰς συνήθεις qui est un peu dure, elle ne doit pas surprendre, cependant, dans un texte d'Aristote ; de la méme façon, il écrit ailleurs συμφωνεῖν συμφωνίαν τὴν ἀρίστην fl, pour donner — τὴν ἀρίστην — une précision supplémentaire ; τὰς συνήθεις, ici, suggère que certaines ἱστορίαι échappent à la critique générale portée par Aristote, et que toutes devraient, si elles étaient bien faites, éviter le défaut incriminé. C’est ce qu'avait en partie remarqué I. Bywater — car la valeur de τὰς συνήθεις 55. περὶ

J. Hanpy, Poétique d'Ar., Coll. des Univ. de Fr., 1932 ; A. GupkMaN, Ar., ποιητικῆς, Berlin-Leipzig, 1934 ; A. Rostacnı, Ar. Poetica, 2° éd., Turin,

1945. 56.

Cf. J. MARGOLIOUTH,

57. J. HARDY, 58. 59.

op. cit., p. 301, 1459 a 21.

op. cit., p. 26.

J. HAnpv, ibid., p. 27. J. Vanıen, Ar. De arte poetica

(p. 237 sq.), qui rapproche notamment

liber, 39 éd.,

105 ; PraToN, Rep., II, 375 d, etc. Cf. supra, n. 54. 60. J. VaurEN, ibid.

61. Pol., VII, 15, 1334 b 10.

Leipzig,

Rhét., I1I, 14, 1414

1885,

ad 1459

b 19 ; H&nopore,

a

21

III,

LE

PHILOSOPHE

EN

FACE

DE

L'locopía

173

reste la méme si l'on corrige εἶναι en θεῖναι : « In saying ἱστορίας τὰς συνήθεις, écrit-il, Aristote seems to be aware of there heing exceptions to the rule » ®, Et Bywater, à juste titre, rapproche une observation que fait Aristote au chapitre IX de la Poétique : « Quand il arrive (au poète) de prendre pour sujet des événements qui se sont réellement passés, il n'en est pas moins poète ; car rien n'empéche que certains événements arrivés ne soient de leur nature vraisemblables et possibles ; et par là l'auteur qui les a choisis en est le poète » **, Ainsi le poète peut emprunter des sujets à l'histoire, dans certaines conditions définies. Mais le texte du chapitre XXIII va en réalité beaucoup plus loin : il s'agit ici, non seulement de la matiére historique, mais du genre méme

de 1 ἱστορία : il existe des ἱσταρίαι dont la conception n'est pas συνήθης. Qui plus est, la restriction τὰς συνήθεις ne naît pas seulement d'une constatation de fait. Elle ne peut qu'impliquer un vœu — en faveur d'une histoire qui ne soit pas « courante ». Ce vau est conforme à tout ce que nous savons de l'enthousiasme d’Artstote pour l’ioropla. Il ne faut donc pas croire qu'en écrivant μὴ ὁμοίας ἱστορίας τὰς συνήθεις

εἶναι, Aristote

voulait,

directement,

établir

des règles

pour

l'histoire. Ainsi interprétée et présentée, l'intention d’Aristote serait, comme le notait Bywater %, inattendue et méme absurde. Le rapport des termes doit être inversé, comme le permet la construction de J. Vahlen. Aristote établit les règles de l'épopée par rapport aux habitudes de l'histoire. Mais τὰς συνήθεις indique bien qu'il fait subir à ces habitudes un examen critique et une révision — qu'il distingue entre ces régles de fait, et des régles idéales, sans pouvoir énoncer celles-ci à cette place. L'inversion, alors, prend toute sa valeur : c'est parce qu'il ne considére pas les habitudes des historiens comme conformes aux vraies lois du genre, qu'Aristote retourne la construction. C'est bien des lois de l'épopée qu'il s'agit d'abord ici ; mais les règles de l'histoire ont, aux yeux d'Aristote, tant d'importance, qu'il fait passer au premier plan la critique implicite qu'il en donne. Le texte traditionnel du chapitre XXIII est donc satisfaisant, et peut être conservé. Tout en évitànt une correction discutable, cette interprétation permet de découvrir dans ce passage plus de richesse et de densité. Mais surtout, elle dissipe le mystére qui entourait le début du

neuvième chapitre. C'est qu'au chapitre XXIII,

τὰς συνήθεις

met à

part les historiens « philosophes », qui ne se contentent pas d'écrire des chroniques : Thucydide certainement et peut-étre Aristote lui-méme avec ses disciples. Nous sommes donc ainsi fixés sur l'opinion véritable du Stagirite : il ne nie pas l'existence d'une histoire « philosophique » ; il semble au contraire la donner en exemple. Mais cette opinion contreditelle l'énoncé du neuviéme chapitre ? ou bien est-il normal que dans ce chapitre, cette opinion n'apparaisse pas ? 62. I. Bvwarzn, Ar., On the art of poetry, Oxford, 1909, ad 1459 63.

Poét.,

9, 1451

b 29 sq., trad.

7. Hanpv.

64. Op. cis., p. 305. Cf. supra, p. 170.

a 21, p. 306.

174

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Il est remarquable que le chapitre XXIII soit une critique de la poésie tandis que le chapitre IX prend vigoureusement position en sa faveur. Dans sa critique de la poésie — « pour ainsi dire la plupart des poétes commettent cette faute » 55 — Aristote peut naturellement, au passage, indiquer une qualité de l'histoire : il n'affaiblira pas pour autant sa critique, bien au contraire. Mais lorsqu'il veut réhabiliter la poésie en face de l'histoire, peut-il sans inconvénient nuancer son jugement hostile à l’ioropla ? Aristote, en effet, s'oppose ici résolument à Platon. Celui-ci n'acceptait pas dans sa cité — celle de la République ou, moins nettement, celle des Lois — la poésie d'imitation% : ni les comiques, ni les tragiques, ni même Homère, ne trouvent grâce à ses yeux . Aristote adopte l'attitude inverse : la poésie, pense-t-il, porte sur le général — comme la science ® ; qui plus est, par la vertu de la κάθαρσις, elle possède une valeur morale *?. Ainsi, dans cette « vieille brouille », comme dit Platon,

« entre la philosophie et la poésie » *, Aristote prend le parti de la conciliation : le philosophe ne doit pas bannir le poète —- pas plus, sans doute, que le poéte ne devrait attaquer le philosophe. Mais cette solution de compromis est en méme temps un refus de l'intransigeance platonicienne, c'est-à-dire en somme un renversement complet des théses de Platon. Celui-ci « proteste hautement que si la poésie imitative qui a pour objet le plaisir peut prouver par quelque raison qu'elle doit avoir sa place dans une cité bien ordonnée, nous l'v raménerons de grand cœur ; car nous avons conscience du charme qu'elle exerce sur nous ; mais il serait impie de trahir ce qu'on regarde comme la vérité »*!. Aristote, lui, met en évidence une vérité contraire. Ce passage de la Poétique n'est donc pas une simple démonstration : il a une signification polémique. Ce sont les besoins de cette polémique qui expliquent le caractére général, brutal méme, du jugement porté contre l'histoire : Aristote exalte, parce que philosophique, la poésie, au détriment d'une recherche, l’ioroplta, dont l'Académie avait précisément reconnu

et déjà

exploité l'intérét philosophique 75. Il n'a pas à indiquer ici les arguments qui peuvent militer en faveur de certaines ἱστορίαι : celles-ci, somme toute, ne sont pas συνήθεις. Il rabaisse 1᾿ ἱστορία prise en bloc. Mais ce 65. Poét., 23,1459 a 29 sq. 66. Rép., notamment II, 376 esq. ; III, 398 a sq. ; X, 606 esq., etc. Cf.

introd. à l'éd. de la Rép., Coll. des Univ. de Fr., p. cvırı sq. Lois, 658 a sq. ; VIII, 829 b sq. ; 834 e sq., etc. Cf. la note de E. pes

A.

Dies,

notamment

PLaces,

II,

éd. de la

Coll, des Univ. de Fr., I, p. 46, et l'article de J. Ducnemin, R. E. G., 68 (1955),

F 67. L'hostilité envers les comiques serait de prime abord plus naturelle, quand on songe au Socrate envers lequel PLaron quet, Coll. des Univ. 68. Méta., Καὶ, (X1),

d'ARISTOPHANE. Mais il y a aussi l’Aristophane du Banque, n'est pas uniformément sévère. V. L. Rosın, notice du Bande Fr., p. ıvıı sq. 1059 b 25 sq. Cf. L. RoniN, Aristote, Paris, 1944, p. 35 sq.

69.

Poét., 6, 1449

b 24 sq. ; cf. Pol.,

70. 71. 72.

Rép., X, 607 b, trad. E. Cnamsay Ibid., 607 c. Supra, p. 119 ; infra, p. 224 sq.

1342 a 11 sq. V. supra, p. 51, n. 204.

VIII,

6, 1341

a 23 sq. ; 7, 1341

(Coll. des Univ.

de Fr.).

b 39 sq. ;

LE PHILOSOPHE

EN

FACE

DE

L’loropla

175

jugement de combat n'exclut pas la possibilité d'exceptions : le chapitre XXIII en fournit un témoignage sür. Mais déjà la facon dont l'opposition est formulée au chapitre IX pouvait constituer un indice ; ou plutôt, au point où est parvenue notre analyse, elle servira de confirmation. A la « vieille brouille » entre poésie et philosophie se méle en effet ici la rivalité, qui n'est pas non plus nouvelle, entre prose et poésie. Il suffira à ce sujet de rappeler quelques textes où Platon et Isocrate prennent —- et pour cause — le parti des prosateurs. Isocrate affirme dans le Discours sur l' Échunge que la prose -offre autant de ressources que la poésie : « Les genres de prose ne sont pas moins nombreux que ceux des compositions rythmées. En effet, certains prosateurs ont passé leur vie à explorer la généalogie des demidieux, d'autres ont médité sur les poétes, d'autres ont voulu rassembler

les actions guerriéres, certains autres se sont occupés des questions et des réponses (ce sont ceux qu'on appelle dialecticiens) »?*. Voilà donc non seulement la philosophie (sous la forme ici de la dialectique) ^! en face de la poésie, mais avec la dialectique, toute prose. Et parmi ces différents genres de prose, le charme des discours épidictiques, selon Isocrate, vaut bien celui de la poésie : «.. Il] y a des gens qui, sans être dépourvus d'expérience pour les genres cités plus haut, ont préféré écrire des discours, non pas sur les contrats que vous faites entre vous, mais pour intéresser les Grecs, leurs

concitoyens et le public des réunions solennelles, discours qui, de l'avis général, ressembleraient plus aux compositions accompagnées de musique et de rythine qu'aux plaidoyers prononcés en justice. En effet, c'est avec un style plus poétique et plus varié qu'ils exposent les faits, ce sont des pensées plus nobles et plus neuves qu'ils s'efforcent d'employer, et en outre c'est avec des thémes plus éclatants et plus divers qu'ils organisent l'ensemble du discours. Aussi tout le monde n’a-t-il pas moins de plaisir à écouter cela que les compositions rythmées *5.... » Plaisir qui n'est pas l'unique intérét de cette prose : sa valeur morale et poétique, également, est supérieure 6 — au point qu’Isocrate peut s'indigner d’être moins ‘bien traité qu'un poète : « Il serait plus scandaleux encore que les gens d'une génération antérieure aient récompensé le poéte Pindare pour une expression seulement, pour avoir nommé notre cité «le rempart de la Gréce », cela jusqu'à lui donner le titre de proxéne et un cadeau de dix mille drachmes, et qu'à moi, qui ai fait de notre cité et de nos ancétres des éloges bien plus nombreux et bien plus beaux, il ne füt méme pas permis de passer en paix le reste de ma vie » 7. Bref, la poésie tire son 73. 74.

IsocnaTE, Sur l'échange, 45 (trad. ὦ. Maruıev, Coll. des Univ. de Fr., III). Sur la valeur exacte du mot, désignant ici à la fois les Éristiques et les Plato-

niciens, v. G. MATHIEU, ibid., p. 114, note. Il va de soi que nous n'employons paa icile mot de « philosophie » au sens proprement isocratique de « culture intellectuelle ». 75.

IsocnarE,

76. V.

Sur l'échange, 46-47.

G.

MarurEv,

Les

E. Mikxora,

Isokrates,

Seine

idées

1954, notamment p. 180 sq., 193 sq. 77.

IsocnaTE,

politiques

Anschauungen

Sur l'échange, 166.

d'Ísocrate,

Paris,

im Lichte seiner

1925, Schriften,

p.

36

sq.

Helsinki,

176

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

pouvoir de sa forme : Isocrate et Platon l'affirment tous deux, en des termes dont Aristote, écrivant le neuvième chapitre de la Poétique, a dû se souvenir. Isocrate écrit : « Les poètes disposent de nombreux procédés d’ornement.... Les orateurs, au contraire (τοῖς δὲ περὶ τοὺς λόγους) ne disposent d'aucune de ces facilités... En outre, tandis que les uns écrivent toutes leurs œuvres en s'aidant du mètre et du rythme, les autres ne s'approprient aucun de ces avantages dont le charme est pourtant si fort que, méme accompagnés d'une expression et d'une pensée défaillantes, par les seuls effets de l'harmonie et de la symétrie, ils séduisent les âmes. On reconnaitra leur puissance à ce signe: les poémes, et méme les plus célébres, en admettant qu'ils conservent leur vocabulaire et leurs pensées, mais qu'ils soient privés de leur rythme,

paraitront trés inférieurs à la réputation que nous leur concédons » ?*. L'idée était certainement « dans l'air » à l'époque. Platon déjà, à deux reprises, l'avait exprimée —, dans le Gorgias 19 d'abord : « Si l’on enlève à la poésie la musique, le rythme et le métre, ce qui reste, n'est-ce pae

simplement le langage », λόγοι 9 ? Mais surtout, dans la République : « ... Le poéte, au moyen de mots et de phrases, revét chaque art des couleurs qui lui conviennent, sans qu'il s'entende à autre chose qu'à l'imitation, si bien que les gens comme lui qui ne jugent que sur les mots, quand ils l'entendent parler, avec les prestiges de la mesure, du rythme et de l'harmonie, soit de la cordonnerie, soit de la conduite des armées, soit de tout autre sujet, estiment qu'il parle trés pertinemment, tant ces ornements ont en eux-mémes de charme naturel ; car si l'on dépouille les ouvrages des poétes des couleurs de la poésie et qu'on les récite réduits à eux-mémes, tu sais, Je pense, quelle figure ils font... On peut les comparer ... à ces visages qui, n'ayant d'autre beauté que leur fraicheur, cessent d'attirer les yeux, quand la fleur de la jeunesse les a quittés » ?!, Aristote reprend donc au neuvième chapitre de la Poétique le même type d'explication — mais en le renouvelant sur deux points essentiels : au lieu d'imaginer une poésie dépouillée de ses ornements au point de devenir prose, il songe à une prose mise en vers — l’œuvre d'Hérodote par exemple, versifiée. Deviendrait-elle poésie ? non, puisque le vers ne fait pas le poète # ; elle resterait ἱστορία. Ainsi Aristote refuse la distinction traditionnelle de la prose et de la poésie. Cette particularité doit nous donner l'éveil : ce texte-ci, loin d'exprimer une affirmation isolée et sans écho, constitue bien un engagement dans un débat. Mais la seconde originalité du passage est plus importante encore : à la ποίησις, Platon et Isocrate opposaient toutes les sortes de λόγοι, — sans réserver 78. IsocnaTE, Évagoras, 9-11. 79. Le Gorgias est sûrement antérieur à l'Évagoras, que E. Βκέμονν, éd. de la la Coll. des Univ. de Fr., 1I, p. 142 sq., suivant G. Marureu, Les idées pol. d'Isocr.,

Paris, 1925, p. 110, place autour de 365. Quant au dixième livre de la République, il n'est guère possible de le placer beaucoup aprés 375 (A. Di£s, introd. à l'éd. des Univ. de Fr., p. cxxxvini).

80. Gorgias, 502 c (trad. A. Croıser-L. Bopın, même coll.). 81.

Hép., X, 601

a-b, trad. E. Canamsry.

82. Poét., 1, 1447 a 28-b 23. Ce premier chapitre de la Peétique montre que ls

poésie est une « imitation ».

LE PHILOSOPHE

EN

FACE

DE

L’loropla

177

une place spéciale à l’ioropla. Platon ne la mentionne méme pas ; Isocrate la cite en passant, entre autres λόγοι — « d'autres ont voulu rassembler les actions guerrières » 88 — ; il pense si peu, dans cette opposition, à lui accorder une valeur particulière, qu'il lui arrive, pour les besoins de sa rhétorique, de mettre sur le même plan poètes et historiens : « Combien, dans les générations passées, n'ont pu laisser de nom, qui cependant avaient plus de valeur et de vertu que ceux que célébrent les poèmes et les tragédies : c'est que les uns, à ce que je crois, ont trouvé des poétes et des historiens, tandis queles autres n'ont eu personne pour les

chanter... » ol μέν, οἶμαι, ποιητῶν ἔτυχον xal λογοποιῶν 9%... Au contraire, Aristote oppose à la poésie ce genre particulier de prose qu'est l'iocogía. La nouveauté est d'autant plus remarquable qu'au 1v? siècle l’his-

toire se rapproche de l'éloquence ; l’iotopla est comprise dans les λόγοι, au sens le plus technique de ce dernier terme — au sens de « discours ». Telle est la voie qu'ouvrent les disciples d'Isocrate, et où Aristote refuse

de s'engager ®. Il pense ἱστορία là où, de plus en plus, on pensait λόγος. Füt-ce pour la critiquer, füt-ce pour étre, par imprécision et omission, injuste envers elle, il songe à 1᾿ ἱστορία. L'apparition du mot — et de l'idée — a donc ici une double signification : aux Platoniciens, Aristote montre l'inconséquence du maitre,

qui bannissait la poésie mais faisait à 1᾿ ἱστορία si bon accueil. Et en méme temps, Áristote manifeste sa préoccupation constante, son goüt de l'« histoire ». Puisque, bien comprise, elle vaut tellement, bannira-t-on la poésie qui, en principe, vaut mieux 89 ἢ Cette opposition des deux termes ne l'empéche point de traiter la poésie comme si elle était de l'histoire, lorsque les poétes sont les seuls documents dont il dispose. Souvent, il utilise ainsi Homère, comme nous

l'avons vu 8. Les mythes provoquent en lui cet « émerveillement » qui est à l'origine de la spéculation philosophique % : φιλόμυθος, φιλόσοφος. Et de lui-méme il a dit : « Plus je suis solitaire et isolé, plus j'aime les mythes ®, » Mais loin de se laisser captiver par leur fantaisie, il les accueille avec une critique sévère : « Les subtilités mythologiques, écrit-il 83. Sur l'échange, 45. V. supra, p. 175. 84. Ibid., 136-137. Le mot ἱστορία, ou ἰστορικός, sens n'est pas douteux. Cf. Philippe, 109, et Busiris, dent. La référence à PLaron (Rép., III, 392 a), donnée Lipp.-ScorT) s. v. λογοποιός, doit en tout cas être sateur

», cl. trad.

n'est pas prononcé, mais le 37, où le sens est moins éviparles dictionnaires (Barrrv, interprétée au sens de « pro-

E. Caamerr.

L’loropla est, parfois, à ce point rapprochée de la poésie qu'au sens d'enquéte ou d'érudition elle peut inclure la poésie méme : EscniNz, c. Timarque, 141. 85. V. E. Eccer, Essai sur l'histoire de la critique chez les Grecs, Paris, 1849, p. 213; L. Pearson, The local historians of Attica, Philadelphie, 1942, p. 49.

86. E. Ecczn, ibid., p. 212 sq., a mis en lumière le mérite d'AnisTOTE, qui est le premier à marquer avec cette précision les limites de l'histoire et de la poésie. En Gréce, dit-il, « la poésie a toujours eu tendance à envahir l'histoire » (QuiNTILIEN, IL, 4) ; AnisTOTE a raison de distinguer nettement ces deux formes littéraires.

Eccrn avait donc montré l'importance de la notion d’loroplx dans cette opposition qu'établit AnisTOTE ; mais il envisageait surtout l'histoire littéraire, 87. Supra, p. 139 sq. 88. 89.

Méta., A (I), 2, 982 b 12 sq. Cf. Praton, Théétète, 155 Rose, 1886, 668 ; V. W. JAEGER, Aristotle?, p. 321.

Aristote et l'histoire

d.

12

178

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

inême, ne méritent pas d’être soumises à un examen sérieux » 9. Ainsi,

c'est encore avec l'esprit de l’{oropla, et non avec la nonchalance d'un Platon, qu'il aborde la poésie: à Homére, il demande des renseignements précis, et non un plaisir qu'il faudra refuser, ou une morale que le poète ignorait 31, Le texte de Poétique IX est bien un texte de polémique : Aristote était-il, au fond de lui-même, bien convaincu que la poésie füt plus philosophique que l’« histoire » ἢ Il n'y a donc aucune objection de principe à l'emploi du critère historique : il peut servir à distinguer diverses couches de composition. Ainsi

se trouvent,

dans

une

certaine

mesure,

confirmées

les solutions

partielles qu'a suggérées l'examen des œuvres « historiques » et politiques d'Aristote — Politique mise à part : aucune raison solide n'existe de placer tous ces travaux dans la période du Lycée. Elles y sont trop ὃ l'étroit. Des arguments nombreux, au contraire, permettent d'imaginer, pour plusieurs d'entre elles, une datation beaucoup plus ancienne. Ainsi le premier livre de la Métaphysique ne serait pas, comme le voulait Jaeger, un simple essai ,

mais une manifestation, entre autres, d'une

tendance confirmée. De ces arguments, beaucoup sont de l'ordre du vraisemblable. L'analyse de la Politique, que nous allons maintenant aborder, leur apportera diverses

confirmations.

En

outre,

la communauté

de documentation,

que nous avons déjà notée 38, entre l'histoire proprement dite et l’histoire naturelle — deux formes αἰ ἱστορία — aidera à préciser les contours de l'information qu'Aristote a accumulée peu à peu, dans tous les domaines, au cours de longues années de recherches. 90.

Méta.,

B (III), 4, 1000 a 19 sq., cf. A (I), 2, 983 a 3 (« Selon le proverbe, les

92.

Supra, P. 89. Cf. encore Méta., « (1I), 1, 993

poétes sont de grands menteurs 91. Supra, p. 174.

»).

ὃ 11 : l'histoire

des

doctrines

permet à la fois de rendre justice aux devanciers et d'expliquer l'état actuel des problèmes. — Une affirmation si nette ne peut être une remarque faite par hasard ; elle exprime une doctrine. 93. Supra, p. 102 sq., 118 sq.

TROISIÈME

PARTIE

LA DOCUMENTATION HISTORIQUE DANS LA POLITIQUE

|

CHAPITRE

VI

Éléments de datation absolue La Politique étant une création continue, les repères chronologiques

qu'elle présente n'ont qu'une portée limitée. Ils sont, en outre, rares et généralement ténus. Le seul qui soit indiscutable apparait au cinquiéme livre ! : l'attentat de Pausanias contre Philippe de Macédoine, dit Aristote, provint de ce que le roi avait laissé outrager Pausanias par Attale et ses amis. Ce meurtre remontant à l'été 336 *, Aristote travaillait encore à sa Politique au début de la période du Lycée, en tout cas. Comme le livre V, dans ce passage-là et dans son ensemble, présente une information historique trés riche, qui évoque les recherches accomplies, autour de 330, sur la constitution d'Athénes 3, il est raisonnable de dater de cette période l'essentiel du livre. Mais la mort de Philippe fournit seulement un « terminus post quem », alors qu'un « terminus ante quem » aurait aussi de l'intérét. D'autre part, la date du cinquiéme livre — dans sa totalité ou en partie — n'est pas forcément celle de toute l’œuvre, loin de là. D'autres indices sont donc à considérer. Parmi ces indices, il faut distinguer allusions générales et références précises. À. ALLUSIONS

GÉNÉRALES.

Aristote fait parfois allusion à une situation contemporaine, dont la détermination aiderait à dater une partie du travail. Mais ces allusions doivent être interprétées avec réserve. \

19 Allusions à l’époque des diadoques et à Alexandre ? La fragilité de ces rapprochements apparaît dans les allusions à l’époque des diadoques, que J. Zürcher a cru trouver en plusieurs passages de la Politique, étayant ainsi sa thèse d’une refonte du Corpus par Theophraste *. Tous ces textes sont, en réalité, susceptibles d'autres interprétations plus naturelles. Citons pour mémoire : 1. V, 10, 1311

5 1 sq.

2. GLorz-Conen, Hist. Gr., 111, p. 379. C'est la version officielle des événements, cf. supra, p. 155, n. 460. Mais nous ne savons si elle fut élaborée sans délai.

3. Supra, p. 116. 4. Supra, p. 54.

182

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

— la démocratie athénienne des années 310-300 ? C'est elle qui serait décrite au livre IV, à partir de 4, 1292 a 5 sq., et qu'on

retrouverait,

notamment,

au livre V. Au

livre

IV,

en

effet.

comme cela a été remarqué depuis longtemps, l'auteur néglige le róle que Jouent les nomothétes dans l'établissement des lois, et d'autre part, attribuant toute la souveraineté au peuple, il passe sous silence « l'action d’illegalite et la dénonciation portée au Conseil contre les magistrats qui ne se conforment pas aux lois »5. Ces dispositions légales existaient au temps d’Aristote : le texte serait donc postérieur ®. © Cet argument e silentio est d'autant moins convaincant que cette législation existait encore, en principe, dans les derniéres années du siècle ?. Théophraste, s’il était l'auteur de ces textes, serait donc, lui aussi,

très sévère pour la démocratie athénienne. Mais à vrai dire, il n'est pas nécessaire de recourir aux événements de l'année 307 pour expliquer des expressions aussi tranchantes que ἡ τελευταία δημοχρατία νῦν 'διοικεῖται ou λέγω δὲ τοιαύτην ἐν ἧ κύριος ὁ δῆμος xal τῶν νόμων ἐστίν 9, ou, au livre V,

ὅπου

τὸ πλῆθος

κύριον

τῶν

νόμων

ou

bien



δημοκρατία ἧ τελευταία τυραννίς ἐστιν *. Déjà Platon dans sa République condamnait — non sans une tendresse secrète il est vrai — la démocratie athénienne 19, Pour écrire ces passages de la Politique, l’auteur n’avait nul besoin de s’indigner en songeant au procès de Théo‘phraste ou à la loi contre les philosophes 11 — Joi, qui, justement, fut abrogée parce qu'illégale ?*. Il n'avait même pas à évoquer les poursuites ]ancées contre Aristote lui- méme en 323 13. Sa sévérité peut aisément s'expliquer autrement: il lui suffit de connaître la fin de Socrate, sans parler de tous les autres procès d'impiété intentés à des philosophes * ; il lui suffit encore, de ce point de vue, de ne pas oublier les circonstances dans lesquelles Isocrate composa son discours sur l’Échange 15. Mais il lui suffit avant tout d’avoir vécu les dernières années de la liberté grecque, ou d’avoir lu, sinon quelques harangues de Démosthène, du moins Platon ou Isocrate — ce qu'a fait, avant Théophraste, Aristote lui- méme 15, La description de la démocratie n'est assurément pas ici 5. B. HaussouLLiER, Introd. à l'éd. de la Const. d'Ath., Coll, des Univ. de Fr., 4* éd., Paris, 1952, p. xxıv-xxvı. 6. J. ZUncuEn, Aristoteles! Werk und Geist, Paderborn, 1952, p. 235 sq., 250. 7. Cf. p. ex. GLorz-Rousseı, Hist. Gr., IV, 2, p. 329 sq. 8. IV, 14, 1298 a 31 sq. ; b 14 sq. 9. V, 9, 1310 a 4 et 10, 1312 b 5 sq. J. Zunchen, ibid., p. 254.

10. Rép., VIII, 555 b sq. On perçoit quelque sympathie pour la démocratie athénienne en 557 b sq. V. aussi A. Diës, introd. à l'éd. de la Rép., Coll. des Univ. de Fr. (Pıaron, t. VI), Paris, 1947, p. xcvi, n. 1. 11. J. ZürcHER, op. cit., ibid. 12.

Grotz-Rousseı,

Hist.

Gr.,

IV, 2, p. 329.

13. Supra, p. 22. 14. E. Derenne, Les procès d'impiété intentés aux philosophes à Athènes au V* et au IV® siècle av. J.-C., Liége-Paris, 1930. 15. G. Marii,

éd. d'Isocrate, Coll. des

Univ.

de Fr., III, 2° éd., Paris, 1950,

Ρ. 90. 16. AnisToTE ne cite probablement jamais DÉMosTHENE. Cf. Bonıtz, Inder Aristotelicus, Berlin, 1870 (Rhet., 11, 23, 1397 b 7 ; 24, 1401 5 33 ; III, 4, 1407 a 7: aucune de ces références n'est significative, et il ne s'agit pas forcément de Démos-

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

183

exacte jusqu'au moindre détail. Mais elle ne prétend pas l'être : l'auteur construit un type de démocratie « extrême », qu'il juge en fonction d'un idéal exigeant. Ce sont « sévérités de théoricien » ", et non scrupules d'historien. — la « démocratie sous Polyperchon » ? A plusieurs reprises, l'auteur de la Politique porte sur la démocratie une appréciation relativement favorable. Ainsi en IV, 2, 1289 b 2 sq., la démocratie est dite beaucoup plus « modérée » que la tyrannie ou méme l’oligarchie. Et la définition du citoyen donnée au livre III — πολίτῆς 9' ἁπλῶς οὐδενὶ τῶν ἄλλων ὁρίζεται μᾶλλον À τῷ μετέχειν χρίσεως

καὶ

ἀρχῆς 1° — convient

surtout

à une

démocratie:

ὁ λεχθεὶς

ἐν

δημοκρατίᾳ μάλιστ᾽ ἐστὶ πολίτης 1°. Faut-il en conclure que l'auteur est Théophraste, devant qui « la démocratie avait trouvé grâce » au temps de Polyperchon * ? On admettra plus aisément qu'Aristote ne jugeait pas absolument indigne de considération le régime sous lequel il a vécu à Athénes. — le couple oligarchie-démocratie ? Ces deux concepts politiques sont au centre des livres IV, V et VI “ἢ, J. Zürcher veut qu'ils aient été aussi les « foyers » de la vie politique athénienne entre 319 et 307. D'autres préoccupations ont cependant sollicité les Athéniens, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur, sous Démétrios de Phalére. De toute facon, l'opposition entre les deux régimes a des racines trop anciennes pour contribuer à dater la Politique. — le calme des populations paysannes de 320 à 300 ? Ce serait, selon le méme auteur, la source de certaines observations du

sixième livre : βέλτιστος γὰρ δῆμος ὁ γεωργικός ἐστιν ?*... Mais elles sont déjà en germe chez Isocrate, voire chez Aristophane *. — La παμβασιλεία d'Alexandre et des diadoques ? Le concept de παμδασιλεία, étudié au livre III *, supposerait la monarchie absolue d'Alexandre et des diadoques **. Cependant, l'auteur ne fait aucune allusion explicite aux diadoques. Au contraire, la succession confuse d'Alexandre n'eut aucun rapport avec cette supériorité thène

l'orateur)

; M.

Derourny,

Études

sur la Politique,

Paris, 1932,

p. 211

sq.

Ce silence ne prouve cependant pas qu'ARisTOTE ignore l'œuvre de l'orateur. 17.

B. HAUSSOULLIER, 0p. cit., p. XXIX.

18. 111, 1, 1275 a 22 sq. 19. 1275 b 5 sq. 20. J. Zuncnzn, op. cit., p. 237,240 sq. J. Zürcher interprète de la méme (p. 237) II, 6, 1266 a 5, d’après SusEwiur, 21. J. Züncnrn, ibid., p. 250, 253 sq.

22. 23. 24. 25.

Rem.

222. Mais

v. NEwMaN,

VI, 4, 1318 5 9 sq. 7. Zürcher, ibid., p. 255 sq. ARISTOPHANE, Paix, passim. IsocRATE, Aréopagitique, 52. Etc. III, 14 sq. J. ZÜRCHER, op. cit., p. 242.

façon

ad loc.

184

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

reconnue d'un homme ou d'une famille, dans laquelle Aristote voit le

fondement de la véritable monarchie absolue **. Quant au rapprochement avec Alexandre, il ne suffirait pas à indiquer une date récente, car il est possible dès 336 *, et même à la rigueur dés 343. Toutefois, la précision de plusieurs développements relatifs à la royauté (livre IIT) donnant à penser qu’Aristote les a professés seulement après avoir conçu le Sur la royauté, dont il a dà s'inspirer *, il ne sera pas nécessaire de remonter jusqu’à la période macédonienne : la vraisemblance suggère une date plus proche de 335 que de 343. Mais est-il donc acquis qu'Aristote, ici et par le fameux θεὸς ἐν ἀνθρώrow

”, fait allusion

à Alexandre

Si telle était son intention, il est plus clairement. Ni pendant son l'Athénes d'après Chéronée, des lui imposer de telles équivoques. envisager d'un point de vue de

et à la monarchie

macédonienne

?

étonnant qu'il ne l’ait pas manifestée séjour en Macédoine, ni méme dans considérations de prudence n'ont pu Il semble bien plutôt, par ces textes, théoricien une possibilité qu'il juge

ténue, mais qu'il ne veut pas exclure : τῷ δὲ περὶ ἑκάστην

μέθοδον

φιλοσοφοῦντι xal μὴ μόνον ἀποδλέποντι πρὸς τὸ πράττειν, οἰκεῖόν ἐστι τὸ μὴ παρορᾶν μηδέ τι καταλείπειν, ἀλλὰ δηλοῦν τὴν περὶ ἕκαστον ἀλήθειαν 9. Aussi examine-t-il tous les cas et, entre autres, celui où un ou plusieurs individus, dans la cité, sont doués d’une vertu transcendante : alors, dit Aristote, « il ne faut pas les considérer comme une partie de la cité ; on les léserait en leur imposant l'égalité, alors qu'ils sont tellement au-dessus d'elle par la vertu et la capacité politique ; un pareil individu doit être comme «un dieu parmi les hommes » : οὐκέτι θετέον τούτους μέρος πόλεως ἀδυκήσονται γὰρ ἀξιούμενοι τῶν ἴσων,

ἄνισοι

τοσοῦτον

κατ᾽

ἀρετὴν

ὄντες καὶ τὴν πολιτικὴν

δύναμιν"

ὥσπερ γὰρ θεὸν ἐν ἀνθρώποις εἰκὸς εἶναι τὸν τοιοῦτον 31, Ce « pareil individu », τὸν τοιοῦτον, désigne-t-il Alexandre ? Le seul argument en faveur de cette interprétation, qui ne soit pas purement subjectif, est fourni par le passage, sans transition, du pluriel au singulier : aprés τούτους, τὸν τοιοῦτον. Aristote, ensuite, a de nouveau recours au pluriel. C'est, dit-on, qu'il songe dans l'intervalle à un person-

nage déterminé — Alexandre **. 26. Pol., III, 17, 1288 a 9, γένος ὑπερέχον xat!

ἀρετὴν

πρὸς

ἡγεμονίαν πολι-

τυκτὴν..., Cf. 15 sq.

27. A moins

que le θεὸς ἐν ἀνθρώποις (cf. infra, n. 29) ne soit interprété comme

une allusion à la divinisation d'Alexandre. Mais le rapprochement avec PLaron, cf. infra, p. 185, est beaucoup plus naturel, et le texte de PLATON ne peut, lui, s'expliquer par une divinisation de ce genre. 28. Supra, p. 33, 157 sq. 29. IIS, 13, 1284 a 10. Cf. T. A. Sıncraın, Histoire de la pensée politique grecque, traduction francaise, Paris, 1953, p. 187 et n. 2. 30. III, 8, 1279 b 12 sq. Cette déclaration de principes est placée au début de l'étude des diverses constitutions (Cf. Suseuısı, Rem. 601, et introd., p. 42).

31. 111, 13, 1284 a 8 sq. 32. ὟΝ. W. Tarn, Alezander the Great, 11, Cambridge, 1950, Appendice p. 367,

discutant

les conclusions

négative

de

Greeks (trad. angl.), Oxford, 1938, chap. 111.

V.

EnRENBERG,

Alexander

22, II, and the

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

185

Mais l'hypothèse d'un singulier générique 3 est ici beaucoup plus naturelle. Un tel homme — qu'il y en ait non seulement un, mais plusieurs — est assez exceptionnel pour être considéré dans sa singularité. En outre, Áristote exprime cette situation exceptionnelle par une locution proverbiale qui, en général, comporte elle aussi le singulier € Enfin Platon, déjà, avait eu recours à une expression trés voisine — θεὸς ἐξ ἀνθρώπων — pour désigner, dans le Politque, le gouvernement fondé

sur la science. Une réminiscence du Politique est, dans ce livre III, tout à fait à sa place *5. Aristote, imaginant cet « homme loi méme, songe naturellement au « royal tisserand encore pourquoi, de méme que Platon, il emploie le le contexte chez Aristote envisage aussi la possibilité, d'une pluralité, d'ailleurs théorique. Est-ce à dire qu'en ce livre III Aristote ne songe narchie macédonienne

étre chargée

royal», qui est la » de Platon. C'est singulier, quoique exclue par Platon, nullement à la mo-

? Non, car de ce cóté-là aussi sa mémoire devait

de souvenirs, — qui apparaissent plus précisément

livre V ®, Mais il n'est pas celle d'Alexandre, — à plus lippe fournissait à Aristote, monarque qui l'emporte sur

possible d'affirmer forte raison celle le cas échéant, ses sujets, par la

au

que cette monarchie est de ses successeurs. Phiun exemple suffisant de capacité politique, sinon

par la vertu 9. Il est donc arbitraire de placer à une date postérieure à 322 tel ou tel passage de la Politique 9, ou d'y chercher quelque allusion au royal disciple du Stagirite. Mais ce type d'arguments « d'atmosphère » fournit quelques repères moins discutables à l'intérieur de la vie d'Aristote : 33.

Contra, Tann,

ibid., p. 367, n. 1.

34. L'expression est proverbiale. Cf. les exemples cités par Newman, ad 1284 a 10, notamment

PLaron, Rép., I1, 360 c. On peut ajouter Politique, 303 b, cité ci-après,

IsocnATE, Évagoras, 72, et surtout Iliade, XXIV, 258-259, dont AnisTOTE se souvient certainement, puisqu'il cite partiellement ces vers en E. N., VII, 1,1145 a 20. il y insiste sur la rareté de ces « hommes

divins ». Cf. Pol., VII, 13, 1332 b 24, τοῦτ᾽

où ῥάδιον λαθεῖν xtA. — Ces réminiscences littéraires accentuent en tout cas le caractère théorique du passage de Pol., I1I, 13, 1284 a 10. Cf. J. P. V. D. BArspoN, The Divinity of Alexander, Historia, 1 (1950), p. 363-388. 35. K. KanrewBrnc, Beitrag zur Interpretation des 3. Buches der aristotelischen Politik, Berlin, 1934. 36. Infra, p. 214 sq. ᾿ 37. Supra, p. 17. Tarn, ibid., II, p. 367 sq., remarque qu'en 1286 a 30 sq. AnisTOTE, attribuant à la foule un jugement plus sain qu'au chef unique, néglige des exemples nombreux, où le jugement de la foule fut faussé par la passion (Hermocopides,

procés

des Arginuses)

; Aristote, dit-il, doit avoir à l'espnt un fait récent,

le meurtre de Cleitos (été 328). Mais cette réminiscence s'accorderait mal avec une allusion à Alexandre sous la forme θεὸς ἐν ἀνθρώποις. Du reste, la Constitution d'Athènes, 41, 2, contient une observation analogue,

qui

a

une

Enfin Anisrore peut penser, tout simplement, aux excès commis qu'il cite au livre V, 10-11.

rtée

générale.

par les tyrans

On se ralliera donc, finalement, au scepticisme de H. von Arnim, op. cit., supra,

. 17, n. 49. P 38. 7. ZüncnBEnR essaie encore (op. cit., p. 256)de montrer que le livre VI de la Politique correspond à une époque postérieure à la Constitution d'Athènes ; démonstration qui n'est pas concluante.

186

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

20 Athènes ou la Troade dans les livres II, VII et VIII? Dans les livres qui traitent de l'État idéal, W. Jaeger retrouve l'atmosphére de la Troade entre 347 et 343, la politique et les idées d’Hermias 99, Au contraire, E. Barker considère que ces livres évoquent parfois la prépondérance de Lycurgue à Athénes, et l'atmosphére athénienne 9. Chacune de ces deux interprétations contradictoires contient une part probable de vérité. a) La Troade ? , Ce n'est pas dans les livres proprement « utopiques », VIT et VIII, que W. Jaeger prend toutes ses références, rnais aussi au livre II, qui selon lui est de la méme époque *!. Ici, Aristote rappelle la facon dont Eubule, précécesseur d'Hermias, décida le satrape Autophradatés à lever le siége d'Atarnée : il se déclara prét à évacuer la place, pour une somme inférieure aux frais du siège ; Autophradatès réfléchit là-dessus, et se retira ©. L'intérêt qu'Aristote accorde à cette anecdote, sa nature aussi, incitent évidemment à la considérer comme un souvenir personnel ; également, quoique de facon moins concluante, le fait que nous ne la lisons nulle part ailleurs, et ne pouvons lui supposer d'autre source que la tradition orale. Aristote d'autre part, dans ce méme second livre, critique Platon d'avoir négligé armée et politique étrangère ; il y revient au livre VII €. La nécessité des armements, les rapports avec les puissances étrangères, y sont souvent évoqués. Or ces problémes étaient capitaux pour un dynaste comme Hermias. Ainsi que l'écrivait W. Jaeger, « aucun État grec de l'époque ne dépendait plus des « pays voisins » que celui d’Hermias. Son équilibre instable, entre le royaume militaire de Philippe qui s’accroissait puissamment sur la rive européenne de l'Hellespont, et l'empire perse, jaloux de sa suzeraineté sur la rive asiatique, exigeait une vigilance incessante... » #. 11 n'est pas douteux que ces nécessités et ces préoccupations d'Hermias ont dû influencer Aristote et contribuer, sur ce point, à sa critique de Platon et à sa conception de la « défense nationale ». . Mais il est moins sûr que ces développements reflètent, comme le croit W. Jaeger, « la couleur locale » de la Troade. Selon lui, ils ne peuvent avoir été écrits qu'avant la reprise des attaques perses et la mort tragique d'Hermias : on entendrait donc ici comme l'écho des discussions 39. W. JAEGER, Aristotle®!, p. 287 sq. 40.

E. Barker,

The Politics..., Oxford,

1946, p. χει; sq.

41. Supra, p. 6^ sq. 42. Pol., 11, 7, 1267 a 31sq. W. JAEGER, op. cit., p. 289, attribue à Eubule le conseil

exprimé en 1267 a 29-30 : ἄριστος ὄρος τὸ μὴ λυσιτελεῖν τοῖς κρείττοσι διὰ τὴν ὑπερδολὴν πολεμεῖν.

sq.

i3:

I1, 6, 1265 a 18 sq. ; 7, 1267 a 19 sq. ; 9, 1269 a 40 sq. ; VII, 11, 1330 5 32

Etc.

44. W. JAEGER, op. cil., p. 288.

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

187

auxquelles se livraient les philosophes et le tyran. Mais inversement, la complaisance même avec laquelle Aristote rapporte l’anecdote d'Eubule s'explique mal si le cours était ainsi professé à Assos ou à Mytilene ; une allusion rapide aurait pu suffire. L'évocation de cette affairé aurait-elle vraiment été insupportable à Aristote aprés la mort d'Hermias 9 ? pas plus sans doute que les références à Mytiléne qu'il utilise au livre V de la Politique #. Sa sensibilité douloureuse se réfugie plutót, apparemment, dans le silence total qu'il observe, d'un bout à l'autre de l’œuvre, sur son ami Hermias. Les conseils de politique étrangére peuvent, eux aussi, n'avoir été professés et rédigés que bien plus tard. Le premier livre de la Rhétorique, déjà cité à ce sujet, traite abondamment de la guerre et de la paix ; or il ne peut être trés ancien *'. Ainsi, l'écho d’Atarnée, qui se fait encore entendre ici, peut être beaucoup plus faible que s'il s'agissait de cours prolessés avant 343. Aucune de ces réminiscences ne suffit à dater si haut les livres IT, VII, VIII.

b) L'Athénes de Lycurgue ? Trois séries de textes, dans les livres VII et VIII, ont pu étre attri:buées à une documentation proprement athénienne ; nous avons déjà rencontré les deux premiéres références : 1. — La chronologie olympique du livre VIII, 5, 1339 a 1 sq. 9. Mais il faut alors admettre que le catalogue olympique d'Aristote est postérieur à 335, ce qui n'est pas acquis, et négliger l'intérét qu’Aristote a porté à ce sujet bien avant cette date. 2. — La plaque de Thrasippos

(VIII, 6, 1341

a 35 sq.):

Aristote

aurait tiré cette référence de ses recueils de Didascalies et de Victoires 4°. Mais ici encore, la documentation peut étre plus ancienne que les recueils, et les recueils eux-mémes peuvent avoir été entrepris trés tót — au point que, par le rapprochement de ces travaux, on pourrait aboutir à l'hypothèse étonnante d'une première rédaction de Politique VII-VIII antérieure à 347, c'est-à-dire aux Lois de Platon.

Reste toutefois la facon dont Aristote présente sa référence : il considére évidemment cette plaque comme bien connue de tous ses auditeurs 9, On en conclura qu'il professait alors devant des Athéniens et que les livres VII-VIII ont été, sinon rédigés, du moins complétés, au

‘temps du Lycée. 45. Ibid., p. 290. 46. 4, 1304

a 4 ; 10, 1311

b 26.

De

méme

l'analyse

détaillée

des

« artifices »

employés par les rois de Perse pour maintenir leur empire, 11, 1313 a 37 aq. 47. Supra, p. 95, n. 60. 48.

E.

Banker,

The

Politics...,

Oxford,

Cf. supra, p. 176 sq. 49. E. Barker, ibid. Cl. supra, p. 137 sq. 50. Supra, p. 138.

1946,

p. xxxii,

n. 1, et p. 387,

n. 2.

188

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

3. — La politique de Lycurgue: Parmi les mesures qui furent prises à Athènes dans les années qui suivirent Chéronée, et qui se rattachent, directement ou non, à la politique de Lycurgue 5!, trois séries de décisions ont pu être rapprochées des derniers livres de la Politique : — Fortifications d'Athènes : elles furent reconstruites et renforcées 5*. Ces travaux ont-ils inspiré à Aristote l'éloge, d'ailleurs mesuré, qu'il fait des fortifications, au livre VII ? C'est l'opinion d'E. Barker 5?. Aristote, en effet, se veut ici « moderne » et informé des derniers progrès de l'art militaire. Les adversaires des fortifications, dit-il, ont une concep-

tion « bien désuéte », λίαν ἀρχαίως ὑπολαμθάνουσιν 5, Et aprés une critique contre ceux — les Spartiates, sans doute — qui s'enorgueillissaient de n'avoir pas de remparts, et à qui les faits — probablement Leuctres et ses suites — avaient cruellement donné tort, Áristote re-

marque que, contre certaines supériorités matérielles, le courage seul ne peut rien, « surtout aujourd'hui, où l'invention des catapultes et autres engins de siège atteint une telle précision » %. A ces nouveaux moyens d'attaque doivent répondre de nouveaux procédés de défense : « Les murs... doivent pouvoir faire face aux besoins militaires, traditionnels ou découlant d'inventions récentes. Comme l’assaillant, qui étudie les moyens d'assurer sa supériorité, de méme la défense, qui a déjà découvert de nouveaux moyens, doit en chercher et en concevoir

d'autres » 55, Il s'agit d'une critique de Platon qui, dans les Lois, se montre hostile aux villes fortifiées : « En fait de remparts, Mégillos, j'accorderais à Sparte qu'il faut les laisser reposer et dormir dans la terre » 5? : ils sont en effet nuisibles à la santé physique et morale des citoyens. La seule fortification qu'admette Platon est formée par les murs des maisons : « Si les hommes ont pour quelque raison besoin de murailles, il faut dés le début jeter les fondements des habitations particulières de façon que toute la cité ne soit qu'un rempart, en alignant toutes les habitations sur le méme plan du côté de la rue pour en assurer la défense » 58, Aristote a-t-il attendu jusqu'à l'époque du Lycée pour critiquer le caractére « désuet » d'une telle conception ? La chose est d'autant moins vraisemblable qu'au contact d’Hermias, nous l'avons vu, son attention avait été attirée sur l'importance des facteurs diplomatiques et militaires 5?. En outre, les controverses sur ce probléme précis des fortifi51. F. DunnaAcnB, introd. à l'éd. de Lycurgue, Coll. des Univ. de Fr., p. xxxvi sq. 52.

F.

DunnaBacu,

ibid. ; Gtorz-ConEeN,

Hist.

Gr.,

IV,

I, p.

201.

Démosthéne

dirigea les réparations, qu'il fit décider en juin 337 (Escuine, contre Ctésiphon, 27). 53.

54. 55. 96. 57. 58. toire 59.

E. Banker,

The Politics..., Oxford,

1946, p. xx1, n. 3.

Pol., VII, 11, 1330 5 32. 1bid., 1331 a 1 sq. Ibid., 1331 a 14 sq. Lois, VI, 778 d (trad. E. pes PLaces). Ibid., 779 a sq. (trad. E. Des Praces). PLATON veut en revanche que le terrisoit fortifié (760 e). Supra, p. 15 sq., 65.

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

189

cations ne constituaient pas une nouveauté : Alcée et Eschyle, Lycurgue de Sparte et Thémistocle, entre autres, avaient affirmé la supériorité du rempart des poitrines sur les remparts de pierre 9. C'était même devenu un lieu commun, que Thucydide avait mis dans la bouche de Nicias au moment de la retraite de Sicile et que l’orateur Lycurgue lui-même utilisait,

dans

une

belle

amplification,

au

lendemain

de

Chéronée ®.

Bien avant cette bataille décisive, des événements militaires importants avaient été marqués par ces « découvertes » dont parle Aristote. Sans remonter jusqu’aux inventions faites en Sicile sous Denys l’Ancien, ni même jusqu’à la muraille fameuse dont Épaminondas entoura Messène, Aristote avait sous les yeux l'exemple de Philippe de Macédoine : on a pu écrire que « les siéges de Méthoné en 354, de Périnthe et de Byzance en 340, font époque dans l'histoire de la poliorcétique » **. Démosthéne remarquait dés 341 : « Ne voyons-nous pas combien presque tout a progressé, combien le présent ressemble peu au passé, et que néanmoins c'est dans l'art de la guerre, à mon avis, qu'il y a eu le plus de changements et de progrès 9? ? » Enfin, Aristote disposait de sources livresques si, comme il est probable, le Commentaire d'Énée le Tacticien a été écrit peu aprés 360 #4. Énée fut, selon Élien le Tacticien, le premier grand écrivain militaire — après Homère ® ; et de fait Aristote ne pouvait guère trouver de renseignements utiles à son propos dans un travail comme l'Hipparque de Xénophon. Le Commentaire, au contraire, rassemblait des procédés utiles à des assiégés : πῶς χρὴ moXtopxouu£vouc ἀντέχειν 9. Ce sont précisément ces « découvertes » auxquelles Aristote attache tant de prix. Peut-être méme connait-il l'ouvrage complet d'Énée, τὰ περὶ τῶν στρατηγικῶν ὑπομνήματα, dont Polybe nous a conservé le souvenir 9. Car il insiste ailleurs sur la nécessité de consulter « les compétences en matière d'art militaire » 5, et il connaît bien les méthodes d'amalgame employées par certains généraux 99, Il est certain, toutefois, qu'un recours d’Aristote à Énée n'est pas directement attesté ; quelques rappro60. Arcée, fragment 23 Bzncx — 123 éd. Th. Reınacu, Coll. des Univ. de Fr. EscnuvLE, Perses, 349 ; PLutarquz, Lycurgue, 19. P. Mazon (éd. des Perses, Coll.

des Univ. de Fr., note au v. 349) a rapproché des textes d’ALc£e et EscayLe la conduite de Thémistocle avant Salamine (cf. Hí£noporz, VIII, 61-62). Le rôle que joua ensuite le méme Thémistocle dans la fortification d'Athènes (Tuucvpipz, 1, 89 sq.) montre que dés cette époque la doctrine militaire variait. 61. TBucvDipr, VII, 77, 7. Lvcuncvus, Contre Léocrate, 47. 62. Grorz-Coxen, Hist. Gr., III, p. 240.

63. D&wuosruiwz, 3° Philippique, 47 (trad. M. Croıser). Quelques lignes plus loin (ὃ 50) D£wosrBENE mentionne la poliorcétique de Philippe. — La date du discours est sûre, cf. M. Croiser, éd. des Harangues, Coll. des Univ. de Fr., Il, p. 86.

64. Aucun des exemples cités par Ente n'est postérieur à 360 ; plus de la moitié se placent entre 400 et 360 (A. vox Gurscamip, Kleine Schriften, IV, p. 218 sq. ; v. p. 191 sq., 214 sq.). Cf. A. Daın, Les manuscrits d' Énée le tacticien, Paris-Bruxelles, 1935, p. 1, note.

65. ELien, Tactica, I, 2. 66. Titre du traité dans l'archétype. Il est apocryphe (A. Datw, ibid., p. 2, n. 2). 67.

PorvBr,

X, 44.

68. Pol., VII, 5,132

5 39 sq.

69. Pol., VI. 7, 1321 a 16 sq.

190

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

chements d'idées, signalés depuis longtemps, ne constituent pas un argument sûr ”. Mais on voit mal comment Aristote aurait pu, traitant d'inventions

militaires

nouvelles,

et

si’ vraiment

Énée

écrivait

vers

360-350, ignorer cet ouvrage capital. Tout par conséquent suggère que ce chapitre de la Politique n'a pas été inspiré par l’action de Lycurgue : les éléments qu'il contient peuvent tous être antérieurs à Chéronée, et c’est plutôt au cours de son séjour en Troade, ou en Macédoine, qu’Aristote a pu être tenté de les réunir. — Réforme de l'éphébie ? Aristote envisage l'établissement, autour de la cité idéale, de postes

de garde, φυλακτήρια, où auront lieu aussi les repas en commun des magistrats chargés de surveiller le pays, ὑλωροὶ et ἀγρονόμοι 71. C'est, selon E. Barker ”?, un emprunt au système pratiqué à Athènes après «la réforme de l'éphébie », et décrit dans la Constitution d’ Athènes 13. L’ephebie fut peut-être réorganisée au lendemain de Chéronée, dans des conditions si mal connues que la datation récente fondée sur ce rapprochement est, de toute facon, bien précaire 74. Mais il est en outre d'une

fragilité extréme. Alors que dans la Constitution — qui est précisément notre principale source relative à l'éphébie — Aristote en connait parfaitement le régime, il se borne ici à une allusion — si c'en est une — trés indirecte ; il mentionne des φυλαχτήρια. Les « postes de garde » ne sont pourtant pas, en Áttique, une création postérieure à Chéronée 75, ni méme le systéme de formation militaire que, à partir de ce mot de φυλαχτήρια, E. Barker attribue à l'auteur de la Politique : comme l'a montré G. Mathieu, « une éphébie de caractére militaire existait à Athènes dans la première moitié du 1v? siècle » 76 ; en outre, Platon préconisait dans les Lois une institution de ce genre 7. Faut-il croire que 70.

V. notamment

5,1326 b 39

Suseminı,

Rem.

836;

Newman,

ad VII

(=

IV selon

lui),

(mais l'idée que le territoire doit être difficile pour les ennemis et dégagé

pour les amis est déjà, à un détail prés, chez PLaron, Lois, VI, 761 a) ; ad V (qu'il

appelle VII), 6, 1305 ὁ 39 (on rapprochera également PLaron, Rép., VIII, 555 d, etc.) et V (= VII), 11, 1313 a 41 (Cf. IsocnATE, Nicocles, 54. Mais le rapprochement ARISTOTE-ÊNÉE parait ici plus consistant.) 71. 72.

Pol., VII, 12, 1331 b 13 sq. E. Banxzn, The Politics..., Oxford, 1946, p. xxı, n. 3, p. 310,

n. 4, et p. 384

et n. 2. 73. Const. d' Ath., 42, 2-5. 74. V. p. ex. F. DunnBacn, éd. de Lycurgue, Coll. des Univ. de Fr., p. xxvi; GLorz-Couen, Hist. Gr., IV, I, p. 201 sq. ; H. I. Mannov, Hist. de l'éducation dans l'Antiquité, 3° éd., Paris, 1955, p. 481 ; surtout Chrysis P£L£xınıs, Histoire del'éphébie

attique des origines à 31 av. J.-C., thése de l'Univ. de Paris, 1956 (dactylogr.). 75.

Grorz-ConEw,

Hist.

Gr., Il, p. 343.

76. G. Marmieu, Remarques sur l'éphébie attique, REG, 48 (1935), p. ıvı. Voir surtout le textc épigraphique du serment des éphébes, publié et commenté par M. L. Roserr (Inscriptions du déme d'Acharnai, dans Études épigraphiques οἱ philologiques, Bibl. de l'École des Hautes Études, fasc. 272, Paris, 1938, p. 296 sq.), et Chrysis PÉLÉKiDIs, op. cit., p. 115 sq. 77. Lois, VI, 760 b sq. : sous la direction des agronomes, des jeunes gens s'initieront à la connaissance du territoire et prépareront sa défense, pendant deux ans. Cf. 778 e et VIII, 848 d sq. Déjà, dans la République (VII, 537 δ) une institution

analogue est adoptée, et l'an a pu supposer que PraTon s'inspirait ici du régime en

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

191

Lycurgue, influencé par Platon, a lui-même influencé Aristote "5 ? ou, plus simplement, qu’Aristote suivait ici l’enseignement du maître commun 79 ? Aristote n'a pas laissé, à vrai dire, d'indications précises sur la formation prémilitaire qu'il souhaitait pour ses citoyens de l'État parfait 9. Mais si les φυλακτήρια qu'il a mentionnés au passage évoquent Lycurgue, ils rappellent d'abord une réalité plus ancienne, et l'enseignement de Platon. L'emploi par Aristote du mot φυλακτήριον n'est pas une objection. Sans doute est-ce le terme technique, qui désigne les postes où sont cantonnés les éphébes, aprés la réforme supposée ; il a cette valeur dans la Constitution d' Athènes 9!, Peut-être l'a-t-il aussi dans la Rhétorique 8, oü il s'applique cependant à des ouvrages défensifs qui ne sont pas forcément ceux de l'Attique ; mais on peut à la rigueur admettre qu'Aristote a recouru ici, volontairement ou non, au mot qui était alors officiellement employé en ce seris à Athénes ; la Hhétorique est de toute facon postérieure, dans son ensemble,

à cette « réforme de l'éphébie » 83,

En revanche, φυλακτήριον n'est pas attesté avec cette signification chez la source probable d'Aristote, chez Platon. Mais il existe chez des auteurs plus anciens ou contemporains ** ; il n'y a donc pas lieu de supposer qu'Aristote l'a « emprunté » pour sa Politique au vocabulaire en usage aprés la « réforme de l'éphébie ». Selon toute vraisemblance, les réformateurs de leur côté — si tant est qu'il y eut réforme — et Aristote du sien, ont choisi, pour des raisons probablement subjectives, un mot qui était alors courant — mais que Platon, pour des raisons aussi mal définies, avait écarté. Sans doute est-ce encore la véritable explication de sa presence dans la Rhétorique. Mais surtout, dans l'hypothése adoptée par E. Barker, il est incompréhensible que le méme ınot φυλακτήριον, au méme livre de la Politique, désigne les « postes de garde » qu'Aristote veut installer dans l'enceinte méme de la cité— probablement à l'intérieur des tours 9 ; car ces derniers φυλακτήρια n'ont aucun rapport avec les forts d’où les éphébes surveillaient le

territoire 9 C'est pourquoi doit étre conservée l'interprétation traditionnelle, selon laquelle Aristote, lorsqu'il écrivait cette partie de la Politique, ne connaissait pas de réforme de l'éphébie 9. Les textes en discussion ne peuvent étre datés d'une époque postérieure à la réforme supposée. vigueur à Athènes dés cette époque (E. Cuamenrr, éd. de la Coll. des Univ. de Fr., Platon, V1I, I, p. 180, n. 1). 78.

E. Banker,

The

Politics..., Oxford,

1946,

p. xxi,

n. 3, fin.

79. Sur Lycurgue auditeur de ‘Platon, v. F. Durnaacn, op. cit., p. xi sq. 80. Le livre VIII est inachevé, 81. Const. d' Ath., 42, 4. 82. Rhét., 1, 4, 1360 a 9. 83. Supra, p. 95, n. 60. 84. Lipp.-Scorr, s. v. (Hérodote, Thucydide, Xénophon). 85. VII, 12, 1331 a 20 ; cf. Newman, ad loc. 86. Le Dictionnaire de Lipp.-Scorr... cite seulement ce dernier exemple, au sens de « salle de garde », « corps de garde », tandis que les φυλακτήρια disséminés dans les campagnes sont des fortins. 87. P. ex. U. vou Wıramowırz-MoELLENDORFF, Arist. und Ath., I, p. 189 sq.

192

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

— Stade et gymnase ? Aristote, apparemment, ne connaissait pas davantage à ce moment le stade et le gymnase de Lycurgue, dont E. Barker croit apercevoir la silhouette derrière ce méme chapitre 12 du livre VII 8. Aristote veut 55, d'une part, séparer le gymnase des jeunes et le gymnase de leurs afnés — en quoi il s'inspire peut-étre d'un exemple spartiate 9, mais non de la pratique athénienne — et, en second lieu, il désire que les gymnases solent à l'intérieur de la ville ; ce n'était pas la solution adoptée par Lycurgue ; en revanche, Platon l'avait déjà recommandée dans les Lois **, peut-être parce qu'elle était conforme à la coutume de Lacédémone ??, Ces idées, en tout cas, étaient accessibles à Aristote avant

son installation au Lycée . Ainsi les deux derniers livres reflétent, semble-t-il, une fois l'atmosphére athénienne 9%, mais correspondent en général à un contexte historique qui peut étre beaucoup plus ancien que la période du Lycée ; on conçoit mal, s'ils étaient récents, que les allusions supposées à la politique de Lycurgue ne soient pas plus précises. Cette impression donne une premiére confirmation aux hypothéses de W. Jaeger, selon qui ces livres sont le fruit de recherches assez anciennes, reprises et retouchées par la suite #. 30 Athènes

et le IE! livre ?

En revanche, ces rapprochements ne sont d'aucune utilité. directe pour la datation du premier livre. Un souvenir possible de la politique d'Eubule, en I, 11, 1259

a 34

sq. 55 — « nombre d'États ont besoin de

ressources financières et des moyens de s'en procurer... Aussi certains hommes politiques confinent-ils leur activité à ce domaine » — n'apporte qu'un repère très éloigné. Encore n'est-ce qu'une allusion fort indirecte, et qui rabaisserait injustement le rôle d'Eubule %. Aristote pouvait encore,

à ce compte, aussi bien songer à Lycurgue qui, tout en intervenant dans l'ensemble de l'administration d'Athénes, fut avant tout, officiel88. E. Barker, op. cit., p. xx1, n. 3. Sur la reconstruction du Gymnase, du Lycée et la construction du stade panathénaïque, GLorz-Cosen, 89. VII, 12, 1331 a 35 sq. 90. Newman, ad loc., d’après PruTARQUE, Cimon, 16.

Hist. Cf.

Gr., IV, ı, p. 204. Χένορηον,

Cyrop.

I, 2, 4. 91. Lois, VII, 804 c. 92.

Newman,

ad loc.

93. Plaque de Tbrasippos. 94. Supra, p. 64 sq. P. Gonıke a d'autre part soutenu (Die Entstehung der anstotelischen Ethik, Politik, Rhetorik, SAWW,

223, 2 [1944], p. 104 sq.) qu’Arısrote

avait modifié aprés Mégalopolis son jugement sur Sparte : VII, 15, 1334 b 4 ; VIII, 4,1338 b 12 sq. CI. supra, p. 78, n. 165, et p. 131, n. 244. L'affaiblissement spartiate,

qu'enregistre AnisTOTE, n'est-il pas déjà consécutif à la défaite de Leuctres ἢ P. Gourxe invoque l'analogie de Pol., 11, 9, 1270 b 12, ἐν τοῖς ᾿Ανδρίοις, où il voit, après If. von Arnım, une corruption de ἐν τοῖς ᾿Αντιπατρείοις, Sur ce point, cf. infra, p. 203 sq. 95. Newman, ad loc.

96. Grorz-ConrN,

Hist.

Gr., III, p. 245 sq., 249 sq.

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

193

lement, le « ministre des finances » de la république ”, le ταμίας 99. C’est encore à Lycurgue que fait songer la phrase : « Nul ne soutiendrait qu'est réellement esclave celui qui ne mérite pas la servitude ; sinon, il arrivera que les hommes réputés les plus nobles seront esclaves et fils d’esclaves, à la faveur d'une vente aprés capture » 39. Lycurgue avait précisément, au témoignage du Pseudo-Plutarque, fait voter une loi interdisant « à tout Athénien ou tout étranger domicilié à Athénes, d'acheter comme esclave un homme libre qui aurait été capturé, comme aussi tout esclave sans l’assentiment de son maître précédent » 1%, Mais Lycurgue visait-il ici les prisonniers de guerre, ou plus généralement

tout homme libre enlevé par un ἀνδραποδιστῆς 1°! ? De plus, le législateur

avait

d'illustres

précurseurs.

Dés

406,

le Spartiate

Callicratidas,

vainqueur de Méthymme, « déclara que, tant qu'il commanderait, et pour autant qu'il dépendrait de lui, aucun Grec ne serait réduit en esclavage » 3, Au milieu des discussions que suscitaient les problèmes de l'esclavage, et dont Aristote a voulu présenter la synthése au premier livre de la Politique, Platon écrivait dans la République : « Nous n'aurons pas nous-mémes d'esclaves grecs et nous conseillerons aux autres Grecs de faire comme nous » 103, C'est à lui, entre autres, qu’Aristote peut étre redevable de sa remarque, et Lycurgue de sa loi. Enfin, l’hostilite d'Aristote envers l'art des affaires — χρηματιστικὴ — surtout lorsqu'il prend la forme, malsaine entre toutes, du commerce de détail — καπηλική — s'expliquerait, selon Newman, par la disette qui se fit sentir à Athènes entre 330 et 326 1%, Quoique les Athéniens n'eussent pas alors à se plaindre spécialement des importateurs, l'accaparement par les détaillants, et la spéculation, ne sont pas des hypothéses à exclure 1%. Mais Newman remarque lui-même que les marchands de blé, au temps de Lysias, n'étaient déjà pas populaires 1%, Platon d'autre

part,

dans

les Lois,

restreint

et

limite

strictement

le petit

commerce ; les Magnétes n'ont pas le droit de s'y livrer ; les météques et les étrangers, auxquels il est abandonné, devront présenter toutes garanties de moralité, et seront surveillés de prés 1. [ci encore, Aristote a retenu l'enseignement de son maitre. 97.

Grorz-Cosen,

Hist.

Gr.,

IV,

I, p. 199.

F.

DunnBacH,

Introd.

à l'éd.

de

Lycurgue, Coll. des Univ. de Fr., p. xx sq. 98. Hvr£nipz, C. Démosthéne, fragment d'Hypéride, Coll. des Univ. de Fr., p. 222. 99. Pol., I, 6, 1255 a 25 sq.

VII, col. xxvii,

. 100. Ps.-PLUTARQUE, Vies des X Orateurs, Lycurgue, modifiée). 101. F. Dunnaaca, éd. de Lycurgue, p. 3, n. 1.

1, 5, et G. Cori,

éd.

16 (trad. F. Dunrsacu,

102. Xenorson, Hellén., I, 6, 14 (trad. J. HarTzrELD, Coll. des Univ. de Fr.). 103. Rép., V, 469 c. — AnisTOTE cite dans la Rhétorique (I, 13, 1373 b 18 sq., cf. II, 23, 1397 a 11 sq., 1398 b 10 sq.) le Messéniaque d’ALcıpamas, qui va bien

plus loin : « La divinité a fait libres tous les hommes, nature. » 104.

Pol., I, 9, surtout 1257

b 1 sq. ; Newman,

personne n'est esclave par

I, p. 135, n. 2. Cf. Gtorz-ConkN,

Hist. Gr., IV, 1, p. 209 sq. 105. Ibid., p. 210-211. 106. 107.

Lvsias, Contre les marchands de blé. Lois, VIII, 849 b sq. ; XI, 918 a sq.

Aristote et l'histoire

. 13

194

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Aucun de ces éléments, au total, n'impose ni méme ne suggère une datation pour le premier livre — ni non plus ne s'oppose à une datation, récente ou ancienne, qu'indiqueraient d'autres arguments. 49 Le livre IV apres 330 ?

De méme la date trés récente qui a été proposée pour le livre IV, en vertu d'arguments analogues, n'est pas sürement établie. Newman rapproche, en effet, la référence aux « mesureurs de blé » — ToAAdxiG γὰρ αἱροῦνται σιτομέτρας— que présente le livre IV, de la méme période difficile qui a suivi 330 1%, L’existence d'un rationnement à Athénes, vers cette époque, est en effet bien attestée, par exemple par le Contre Phormion attribué à Démosthène 109, Mais ne faut-il pas identifier «sitométrai » et «sitophylaques», comme Je voulait Susemihl 11 ? C'est aussi la conclusion que l'on peut tirer du silence qu'observent Busolt et Swoboda quant aux « sitométrai » 111, Un argument supplémentaire est qu’Aristote, qui mentionne les « sitophylaques » dans sa Constitution d'Athènes 112, n'emploie jamais ce mot dans la Politique, ni nulle part ailleurs. De toute façon, le mot πολλάκις implique bien que l'institution était courante ; il n'y a donc aucune raison d'admettre qu'Aristote l'a envisagée seulement après 330. Dans le méme chapitre, Newman suppose qu’Aristote s'inspire d'un passage du Contre Ctésiphon, qu'Eschine a prononcé en 330 !!3, ἢ] s'agit de la définition du « magistrat », &py?j. Aristote constate qu'un État «a besoin de nombreux préposés », πολλῶν γὰρ ἐπιστατῶν à πολιτικὴ κοινωνία δεῖται, qui ne sauraient prétendre au titre de « magistrats », quoique désignés, comme les magistrats, par le sort ou par l'élection ; tels sont les prétres, les choréges, les hérauts, les ambassadeurs.

Sont

« magistrats », en revanche, tous les fonctionnaires qui détiennent le pouvoir de délibérer, βουλεύσασθαι, de décider, κρῖναι, et surtout de commander, ἐπιτάξαι. Eschine, attribuant une doctrine analogue à ses adversaires, soutient en revanche qu'est magistrature toute charge « que le peuple confère par élection » 114, I] emploie, comme Aristote, le mot « préposé », ἐπιστάτης !5. Mais c'est en citant le texte d'une loi qu'il croit pouvoir opposer à Ctésiphon et Démosthéne 2%, Si donc un 108. IV, 15, 1299 a 23. 109.

V.

L. Gernet,

Plaidoyers civils de Démosthéne,

p. 150-151 ; v. notamment les $ 37

(crises successives, datées par L. GERNET, 110. Rem. 1348. 111.

1, Coll. des

Univ.

de

Fr.,

(distributions de farine à l'Odéon) et 38 sq. ibid.).

Gr. Staatsk., Register, 8. v., et passages cités s. v. « stitophylakes ». Toutefois,

Linp.-ScorT..., s. v. voient dans les sitométrai des « inspecteurs des mesures ». 112. Const. d' Ath., 51, 3. 113.

Newman,

ad IV, 15, 1299 a 14. —

La date du C. Ctésiphon

V. Martin et G. DE Bung, ed. d’Eschine (Coll. des Univ. de entre juillet et septembre 330. 114. C. Ctés., 13 sq. 115. Ibid., 14. 116. Ibid., 14-16.

est sûre : cf,

Fr.), II, p. 11 sq.:

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

195

rapprochement doit être fait, c’est entre Aristote et cette loi, plutôt qu'entre Eschine et le philosophe. Dans ces conditions, le repère de 330 perd toute valeur. Il est d'autant moins sür, que les arguments ici développés par Eschine n'ont pas leur contre-partie dans le Sur la Couronne de Démosthène 117, N'est-ce pas la preuve que la discussion juridique entreprise par Eschine était un lieu commun, soulevant un probléme dépourvu d'intérét pratique ? C'est bien ce qu'affirme de son cóté Aristote : « Ces questions n'ont pour ainsi dire pas d'importance effective ; il n'y a jamais eu encore de décision fixant ce vocabulaire, et c'est seulement, dans une certaine mesure, le sujet d'une recherche théorique » 118: questions souvent discutées — avant 330 déjà.

Ainsi, un repère central étant fixé en 336, ces analyses d'« atmosphére n'y a pas lieu de supposer un travail aprés la mort du philosophe, mais l'œuvre

d'Alexandre,

et que

par l'allusion à la mort de Philippe, » montrent que, non seulement il important effectué sur la Politique qu'il n'a pas pris en considération

d'une

façon

générale,

une

datation

de

beaucoup postérieure à 335, sans étre exclue, reste à démontrer. Dans ces limites toutefois, il apparaît que les livres « idéalistes », qui ont pu étre partiellement commencés trés tót, ont fait l'objet d'un travail à l'époque du Lycée. Des références plus précises permettent d'esquisser plus nettement cette premiére chronologie. B.

RÉFÉRENCES

DIRECTES.

19 Thébes.

La destruction de Thèbes par Alexandre, en octobre 335 !19, n'est pas mentionnée par Aristote, qui dans l'ensemble s'intéresse peu à cette ville et à l'hégémonie qu'elle avait exercée un moment sur la Grèce 1%, Mais il indique, au livre VI, une disposition de la législation thébaine, comme si elle était encore en vigueur. Les oligarchies, dit-il, doivent accorder au peuple une certaine participation au gouvernement, sous peine d'étre renversées ; ces droits politiques peuvent étre donnés « soit, comme il a été dit précédemment, à ceux qui ont le cens, soit, comme à Thébes, à ceux qui n'ont pas exercé de métier artisanal pendant un certain temps, soit comme à Marseille, en faisant une sélection des individus qui en sont dignes, à la fois parmi les membres du corps civique et parmi les autres » 121, L’expression à καθάπερ Onbalors, ἀποσχομένοις χρόνον 117. Éd. V. Manris-G. pe Bup£, Il, p. 30, n. 1. 118. Poi., IV, 15, 1299 a 28-30. 119.

Grorz-Conrw,

Hist.

120. Infra, p. 279. 121. VI, 7, 1321 a 26 sq.

Gr., IV, 1, p. 49.

196

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

τινὰ τῶν βαναύσων ἔργων, ne peut être qu'au présent : il est impossible de sous-entendre un passé, en l'absence de verbe au passé dans le contexte !??, B. Keil en a conclu qu'Aristote vise ici une Thèbes encore

existante : aprés la destruction, il n'aurait pu écrire que

Θηδαίοις

ποτέ 123, ou une expression similaire. Mais il faut ajouter qu'au livre III Aristote a rapporté, au passé cette fois, la méme disposition. « À Thébes, écrit-il, il y avait une loi, interdisant toute magistrature à ceux qui ne s'étaient pas abstenus de vendre sur l'agora depuis dix ans», ἐν Θήδαις δὲ νόμος ἦν, τὸν δέκα ἐτῶν μὴ ἀπεσχημένον τῆς ἀγορᾶς μὴ μετέχειν ἀρχῆς 14. Les deux dispositions

sont certainement les mêmes, quoique énoncées sous une forme — independamment du temps — un peu différente. « Il semblerait, remarque Newman 125, que les artisans fabriquaient leurs marchandises et les vendaient eux-mêmes sur l’agora. » De la même façon, Aristote montre ailleurs ! les artisans — βάναυσοι — et les boutiquiers — ἀγοραῖοι ἄνθρωποι —, ainsi que les journaliers, tournant autour de l’agora, par les rues de la ville, tout prêts, dans une démocratie, à participer à l'as-

semblée : διὰ τὸ περὶ τὴν ἀγορὰν xal τὸ ἄστυ χυλίεσθαι πᾶν τὸ τοιοῦτὸν γένος ὡς εἰπεῖν ῥᾳδίως ἐχκλησιάζει. Effectivement, Aristote, au livre III, signalait cette interdiction de vendre au marché, à propos de la faculté qu'ont les artisans — non les commerçants — d’être citoyens dans la plupart des oligarchies : « Car la plupart d'entre eux s'ennchissent » 12°. Les deux textes traitent donc bien de la même loi !?*.

Reste la différence de temps, ἐν O6atc δὲ νόμος ἦν 13. Une première explication serait que ce passage du livre III est postérieur à la destruction de Thébes, le texte correspondant du livre VI étant antérieur. Mais il n'existe aucune autre raison de placer VI avant III 1%, ni de supposer 122. La référence suivante, aux institutions de Marseille, concerne

un fait qui

dure encore. On opposera à ces textes IV, 15, 1300 a 17 sq., ἐν Μεγάροις ἐκ τῶν συγκατελθόντων καὶ συμμαχεσαμένων πρὸς τὸν δῆμον, où l'expression τῶν συγκατελθόντων καὶ συμμαχεσαμένων oblige au contraire à restituer un verbe principal au passé. Cf. infra, p. 291 sq. 123. B. Keır, Die Solonische Verfassung in Aristoteles Verfassungsgeschichte Athens, Berlin, 1892, p. 123. 124. 111, 5, 1278 a 25 sq. 125.

Ad 1278

a 25. —

Toutefois,

GLortz-Cosen,

Hist.

Gr., 1, p. 309, considèrent

que seul « le commerce, réservé aux petites gens, interdisait l'accès de la vie publique ». Cf. contra A. Aymarp, dans Les premières civilisations (Peuples et civilisations, I) 2° éd., Paris, 1950, p. 499 : « une activité commerciale 126. VI, 4, 1319 a 26 sq.

127.

ou artisanale ».

1H, 5, 1278 a 21 sq.

128. Δέκα ἐτῶν est évidemment plus précis que χρόνον τινά, mais les expressions sont équivalentes. Faut-il avec SusemiuL traduire δέκα ἐτῶν par « zehn Jahre lang», comme le ferait volontiers Newman, ad loc. ? Le génitif ne marque pas la durée. SusemiuL n'apporte du reste aucune justification à l'appui de sa traduction, et, s'il fallait ainsi distinguer les choses, on admettrait que la législation thébaine était singuliére : pendant dix ans — qui ne sont pas forcément les dix derniéres années ? Mieux vaut comprendre a depuis dix ans » — dont χρόνον τινά, « pendant un certain temps », est un équivalent vague. 129. P. Crocn£, Thébes de Béotie, Louvain-Paris, concilier les deux textes, en vain, semble-t-il.

1952,

p. 24

sq.,

essaie

de

130. La transposition n'a jamais été envisagée, parmi toutes celles que l'érudition a su concevoir, cf. chap. 1I, supra, p. 57 sq.

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

197

que, dans ces passages précisément, III et VI — ou bien III seulement — déjà rédigés, ont été complétés. En outre, il est généralement admis que cette interdiction fut instituée sous l'une des oligarchies que Thébes a connues bien avant l'époque d'Aristote — peut-être au vi? siècle 181, C'est à ce régime ancien — quelle que soit son origine exacte — que se rapporte le ἦν du livre III: ce texte a été écrit alors que cette interdiction n'était plus en vigueur — ce qui de prime abord ne donne pas un repére chronologique utile, puisque certainement elle n'existait plus depuis 378, si méme elle n'avait pas été abolie ou n'était pas tombée

en désuétude plus tôt P, Et cependant, le texte du livre VI est au présent. Il est impossible d'interpréter ce présent comme l'énoncé d'une idée générale — comme nous dirions : « Les femmes ne doivent pas avoir accés au tróne, ce qui est la pratique des Francs Saliens. » Car les Francs Saliens ont cessé d'étre, et par là toute confusion est évitée, tandis qu'il y avait en Gréce, avant et méme aprés 335, des Thébains. La phrase ne peut étre non plus, dans ces conditions, le rappel d'un fait historique connu des auditeurs, déjà évoqué dans une précédente conférence — au livre III : un passé serait encore nécessaire, ou une précision quelconque, chronologique ou bien logique : par exemple, un renvoi au livre III — ce qu’Aristote exclut au contraire de facon nette ; car il vient d'écrire « comme il a été dit pré-

cédemment », mais c'est à propos des personnes qui viennent à posséder le cens 1*5 ; la place de l'expression ne laisse aucun doute, Aristote a voulu qu'elle ne concernát pas l'exemple thébain : Aroı καθάπερ εἴρηται πρότερον τοῖς τὸ τίμημα κτωμένοις ἢ καθάπερ Onbalorz etc. Ainsi, cette disposition, abandonnée

au moment

où fut rédigé notre

livre HI, était en vigueur, au contraire, quand fut écrit le livre VI. L'interprétation de B. Keil conserve donc toute sa valeur : VI est antérieur à la destruction de Thèbes. Mais comme III ne peut être postérieur à VI, il faut bien admettre que les Thébains, aprés avoir renoncé à exclure les artisans des fonctions publiques, les ont de nouveau écartés, conformément à la coutume ancienne, et que ce revirement s'est produit entre la rédaction de III et celle de VI. Cette hypothèse, qu'aucun texte littéraire ni épigraphique ne vient confirmer directement, est cependant en harmonie avec ce que nous 131. F. Scnoszn, R. E., X, À, 2,s. v. « Thebai, » col. 1457 ; GLotz-Couen, Hist. Gr., I, p. 309. 132. F Scnonzn, ibid., considère qu'au v® siècle elle était remplacée par un cens ; cf. id., ibid., col. 1463, et Hell. Oxy., X1, 2, τοῖς κεκτημένοις Mery» τι χρημάτων

(il s'agit des citoyens dans les villes de la première confédération béotienne). Toutefois, les deux institutions ont pu être maintenues conjointement : BusorrSwoBopa, Gr. Staatsk., I, p. 353, n. 5 (Busorr) ; II, p. 1416 ; GLorz-Couen, Hist. Gr., 11, p. 162. A. Aymarp, dans Premières civilisations, 2° éd., Paris, 1950, p. 499

(l'institution existait encore au début du 1v? siècle). Cette hypothèse a pour elle un passage de X£noruon, Économique, IV, 3, et contre elle le texte d’Arıstorz, Pol., VI, 7, 1321 a 26 sq., qui distingue expressément exclusion des commergantsartisans et cens ; il attribue seulement la premiére disposition à l'oligarchie thébaine.

133. ll renvoie à VI, 6, 1320 ὁ 25 sq. Sinon, à notre plus-que-parfait.

ἀποσχομένοις

pourrait correspondre

198

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

savons de la constitution thébaine au lendemain de Chéronée. Notre principale, et presque notre unique source, est Justin, qui mentionne l'établissement d'une oligarchie étroite, composée de trois cents partisans de la Macédoine 135, Il est vraisemblable que les restrictions imposées par l'ancien régime oligarchique ont été alors renouvelées : l'absence de tout renseignement concernant une nouvelle constitution thébaine est l'indice d'un pur et simple retour au passé 135. Cette oligarchie subsista, tant bien que mal, jusqu'à la ruine de la cité 1%, et c'est à elle seulement que peut songer Aristote au livre VI de la Politique. Ainsi le livre III est antérieur à la bataille de Chéronée, tandis que le livre VI se place entre les suites de la bataille et la fin de l'année 335. Il est donc, en totalité ou en partie, à peu prés contemporain du livre V, quelle que soit la position relative qu'on leur attribue à tous deux dans un ordre logique et systématique. En revanche, le livre III, qui suppose probablement le Sur la royauté 19', doit avoir été professé, pour l'essentiel, peu avant Chéronée. Deux remarques complémentaires suggérent que pour le livre V — comme pour le livre VI — le gros du travail était achevé assez vite aprés la mort de Philippe. 29 La

Perse,

Clazoménes.

Nulle part en eífet Aristote, qui pourtant emprunte souvent ses exemples à l'histoire de la Perse 1#, ne semble connaître la fin du Grand Roi et de son Empire, ni méme les premiéres défaites que leur a infligées Alexandre. Nulle part non plus n'intervient dans la Politique une documentation nouvelle, fruit de l'expédition gréco-macédonienne. Au contraire, lorsqu'il évoque l'esclavage oü les rois de Perse tiennent leurs sujets, Aristote s'accorde avec des écrivains plus anciens, Isocrate, Platon, Xénophon, par exemple, sans apporter aucune précision originale 1%. En revanche, l'auteur du premier livre de l'Économique, qui écrit plus tard, parle au passé de l'empire achéménide : « Le systéme perse (pour la conservation des richesses) était que tout füt organisé et que le maître püt tout surveiller en personne... » 19 ; le méme auteur 134. Justin, cf. F. ScuoBer,

IX,

4,

6-10.

Sur

les

autres

mesures

art. cité, col. 1480 sq. ; P. CLocu£,

imposées

par

Philippe,

Thèbes de Béotie, 1952, p. 197.

135. Cependant, F. ScuoBEr suppose que la démocratie fut seulement abolie en fait (« tatsächlich ausser Kraft >»). 136. En dépit de l'agitation qui régna à Thébes aprés la mort de Philippe. V. Grorz-ConzeN, Hist. Gr., IV, 4, P: ^^ sq. Le renouvellement du pacte de Corinthe

stipule le maintien des constitutions existantes : cf. Psgupo-DéwosrHENE, Sur le traité avec. Alezandre, 10. Les bannis qui rentrent à Thébes à l'automne 335 appellent les citoyens à la révolte contre les institutions oligarchiques, ἐπὶ vewreρισμῷ, ArrıEn, I, 7, 1. Cf. PLUTARQUE, Alexandre, 11, 4. 137. Supra, p. 33, 157 sq. 138. Pol., 111, 13, 1284 a 41 sq. ; V, 11, 1313 a 36 sq., etc. 139. WM

» 9.

140.

Pol., V, 11, 1313 a 36 sq., rapproché de PLaron, Lois, III, 697 c sq., IsoNicoclés, 54. Cf. Newmann, ad 1313 a 37, 41. Χένορηον, Hiéron, V, 1-2, PsauDo-ARISTOTE,

Économique, I, 6, 1344 b 34 aq.

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

199

emploie scrupuleusement le présent pour les systèmes attique et lacédémonien 11, Ces rapprochements et ces contrastes montrent que le cinquième livre de la Politique, dans son ensemble, était achevé avant la fin des années 30. C'est encore ce qu'indique, dans le méme livre, une référence à la ville de Clazoménes et aux différends qui opposaient les habitants de l’île à ceux de Chytros (ou Chytron), localité du territoire de Clazoménes,

‚mais située sur le continent : ol ἐπὶ Χύτρῳ πρὸς τοὺς ἐν νήσῳ !**. Aris-

tote considére évidemment que ces différends subsistent, ou du moius les conditions qui en favorisent l'apparition ; l'ensemble du texte est au présent, il s'agit d'une constatation générale, encore valable au point de vue de l'auteur: στασιάζουσι δὲ ἐνίοτε al πόλεις καὶ διὰ τοὺς τόπους, ὅταν μὴ εὐφυῶς ἔχῃ 3) χώρα πρὸς τὸ μίαν εἶναι πόλιν, olov ἐν Κλαζομεναῖς οἱ ἐπὶ Χύτρῳ πρὸς τοὺς ἐν νήσῳ, καὶ Κολοφώνιοι καὶ Note ... 143, Clazoménes en effet était bien une île, séparée du continent par un bras de iner, quand Alexandre passa en Asie ; mais peu après il la fit rattacher à la terre ferme par une digue !**. Quant à Chytros (-on), son identification pose un double probléme, de topographie et de toponymie. Strabon connaît un lieu dit Chytrion, qui est l'ancienne Clazoménes, antérieure à l'invasion perse et au repli dans l'ile 1% ; le nom de Chyton est bien attesté également, chez Ephore et par une inscription 145. Faut-il admettre qu'il y a là trois localités distinctes 1, ou que Chytros (-on) est une orthographe fautive pour Chytrion !9, ou bien pour

Chyton 14 ? ou, tout

simplement, qu'il s'agit d'un

seul et méme

lieu ? C'est cette derniére explication qui prévaut !9, Or selon Strabon, Chytrion était hors les murs de ce qu'il appelle «la ville actuelle », comprenant, avec l'ile, la digue et une partie du continent !5!, Comment alors Aristote aurait-il pu parler d'une opposition entre les gens de Chytros (-on, -ion...) et ceux de l'ile, une fois que l'ile formait une agglomération unique avec une portion de la terre ferme ? C'est la « ville » 141. I, 6, 1344 b 31 κα. ; 1345 b 1 sq. 142. Pol., V, 3,1303 b 7 sq. "Er( a ici la valeur de ἐν des Chytron »). Newman suggère le sens de « near Chytros de l'hostilité ? — Chytros selon Newman, ΠῚ, 2, col. 2529, s. v. Mais Chytron selon Suszeuinr

ou ἀπό (cf. Susguinr, « denen » ; mais faut-il alors exclure et Bürcanen, dans ἢ. E., (1879), Baizzy, BÜRCHNER,

dans R. E., XI, 1, col. 555, s. v. « Klazomenai. » 143. Au contraire, SusemimL : « Ein solcher Gegensatz...

« Were 144. 145. 146. datée

bestand

» ; BARKER

:

at discord. » Article « Klazomenai » de la R. E., XI, I, col. 555 (BürcuNER). Srrason, XIV, 1, 36 (C 645). Éruone, fragment 136, Mürrer (I, p. 271) ; Syll. 136, inscription d'Athènes, de 387 /6, où se trouvent des expressions analogues à celle d'AnisToTE : ol

ἐπὶ Χυτῷ, ἀπὸ τοῦ Χυτοῦ. 147. C'est apparemment

148. Susemis 149. SusEwinr

l'idée de Newman,

et de ϑύυβεέμιηι, 1879,

Rem.

1540.

(1879), apparat critique. (1882), Imsısch, corrigent en Χυτῷ.

150. R. E., XI, 1, col. 555, s. v. « Klazomenai » (Bürcnner), et déjà III, 2, s. v. « Chytrion », etc., col. 2529 (BüncnwEn). 151. Strason, loc. cit.

200

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

sans doute qu'Aristote aurait opposée à Chytros (-on, -ion...), comme il oppose, à Notion, Colophon, au Pirée, Athènes 152, Si méme, contrairement à toute vraisemblance, le Chytrion de Strabon et le Chytros (-on) d'Aristote ne colncident pas exactement, Chytros (-on) ne peut cependant désigner, pour Aristote, l'ensemble des Clazoméniens du continent aprés construction de la digue. On comprendrait, en effet, qu'il opposát l'ile au continent, füt-elle rattachée à lui par une digue. Mais Chytros (-on) est sürement distinct d'autres localités continentales, tout au moins de Polichne, position fortifiée, dont le nom est connu 15%, et qui fut justement englobée dans la ville nouvelle 154, La rivalité n'est donc plus de Chytros (-on) et de l'ile : elle est de Chytros (-on) et de la presqu'ile agrandie d'une partie du continent. Aristote a-t-il pu dire νῆσος pour « presqu'île » ? Le mot de χερσόνησος, à vrai dire, n'est pas attesté dans le Corpus. Mais en revanche, νῇσος n'a jamais le sens de « presqu'île » que dans un texte de Sophocle, où il s'agit de « l’île de Pélops » 155; le nom méme de « Péloponnése » contenait en puissance la métaphore, tandis qu'Aristote ne recourt guére, dans la Politique, à cette figure 1%. Il a d'autant moins de raisons de l'employer icl, que,

dans

ces années

voisines

de 335, il travaille

également

aux

Météorologiques, qui sont en partie une géographie 17. Ce faisant, il s'astreint à l'emploi des termes géographiques les plus propres : « Le lac qui est au pied du Caucase, dit-il, que les habitants de ces contrées appellent une mer, est considérable » 158, Là encore, il montre, — sans utiliser Jamais le mot de « presqu'ile » — combien il s'intéresse aux rapports mouvants de l'élément liquide et de la terre ferme, des îles et des continents : « Un méme lieu ne reste pas tout le temps terre ou mer ; la mer vient là où était la terre ferme, et là où il y a maintenant mer il y aura de nouveau terre 15°... » L’Egypte, le Palus Méotide, les marais d’Argos et la sécheresse de Mycénes, lui en fournissent des exemples 199. Et plus loin : « Les iles qui sont prés du continent sont en réalité une portion du continent lui-même » 11, Dans la Constitution de Corcyre aussi, il mentionne les alluvions, qui finissent par transformer une ile en terre continentale 152, Partout, il se montre sensible à ce passage d'une catégorie géographique à une autre. Il ne pouvait en étre autrement dans le cas de Clazoménes. Une négli152. Pol., V, 3, 1303 b 10 sq. 153. Tnucvnipz, VIII, 14, 3 ; 23, 5. 154. Susemimz (1879), Hem. 1540. L'état des lieux a naturellement changer,

entre

le temps

d'Alexandre

et celui

de

Strabon.

Mais

Polichné

pu et dü est, dés

l'origine, une localité fortifiée, à part, dont la réunion avec l'ile forme un tout géographique. 155. Sopnocze, Œdipe à Colone, 696. 156. ll étudie cette figure, avec soin, dans la Rhétorique, ΠῚ, 4, 10, 11, etc., et la Poétique, 21, 1457 b 6 sq.

111, 2, 1405

157. Supra, p. 95, n. 60. 158.

Météor.,

1, 13, 351

159. 1, 14, 351 a 160. 1, 14, 351 ὁ 161. II, 8, 369 a 162. Rosz, 1886,

a 8 sq.

(trad. J. Tricor).

22 aq. ; cf. 352 a 22 sq. ; 353 a 20 sq. 28 sq. ; 352 a 8 sq. ; 352 b 20 sq. ; 353 a 1 sq. ; etc. 2 sq. fragment 512.

a 3 sq. ;

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

201

gence ici ne serait pas seulement contraire à ces habitudes de pensée aristotéliciennes, manifestes dans les textes précédents : elle infirmerait la démonstration qu’Aristote entend faire, car il aurait au moins fallu dire que la digue n'améliorait pas les relations des Clazoméniens entre eux, et qu'en pratique la cité restait coupée en deux. L’argument e silentio garde donc sa valeur. Strabon et Pausanias lui apportent, chacun de son côté, une confirmation. Tous deux font de Clazoménes une presqu'île. Pausanias : ᾿Αλέξανδρος δὲ ἀνὰ χρόνον ἔμελλεν ὁ Φιλίππου χερρόνησον Κλαζομενὰς ἐργάσεσθαι χώματι ἐς τὴν νῆσον ἐκ τῆς ἠπείρου 19°, Et Strabon : νῦν δὲ τρόπον τινὰ χερρόνησος γέγονεν [sc. ἡ Φάρος ἡ κατ᾽ Αἴγυπτον) ὡς δ᾽ αὕτως καὶ Τύρος καὶ Κλαζομεναί

164,

Le projet de digue dut être conçu quand Alexandre libérait l'Ionie, pendant l'été de 334 1%. Sa réalisation, dont la date précise est inconnue, ne fut certainement pas immédiate ; mais y fallut-il beaucoup plus longtemps que pour achever le móle de Tyr, construit en quelque six mois sous les contre-attaques acharnées des Tyriens !% ? A la fin des années 30, la digue de Clazoménes devait déjà exister, et Clazoménes n'était plus une fle. Tels sont les faits qui placent beaucoup plus prés de 336 que de 330 l'élaboration, pour l'essentiel, des livres V et VI, ainsi que du livre IV qui leur est étroitement rattaché 157, En revanche, des indices précis de datation, que l'on a cru découvrir au livre V et au livre II, ne peuvent étre retenus. Ce sont : 30 Denys le Jeune. Au livre V, Aristote rappelle la chute de la tyrannie fondée par Gélon,

puis celle de Denys le Jeune : ὥσπερ à τῶν περὶ Γέλωνα [sc. τυραννὶς διεφθάρη ou κατελύθη] xal νῦν à τῶν περὶ Διονύσιον 1, Le contexte indique qu'il s'agit, non de l'expulsion définitive de Denys, en 344, mais

de l'entreprise de Dion, qui eut lieu en 355 165, B. Keil concluait de ce νῦν que le texte en question avait été écrit peu après 355 10, 1] est cependant invraisemblable que cette enquéte historique ait été entreprise, de façon si détaillée, dés cette date ancienne. Il est encore moins admissible qu'Aristote, encore à l'école de Platon, ait donné dansun cours un résumé si complet d'un événement que tous les disciples de 163.

Pausanras, VII, 3, 9.

164. SrRABON,I, 3, 11 (C 98). Inversement, H£nopore, VII, 22, note avec précision que Xerxés, en perçant l'isthme de l'Athos, rendait « insulaires » des villes auparavant « continentales », νησιώτιδας 10. Tuvcroipe, Il, 102, etc.

ἀντὶ

ἠπειρωτίδων.

165. 166. 167. 168.

GLorz-ComEn, Hist. Gr., IV, I, p. 63 sq. Ibid., p. 85 sq. Supra,p. 35 sq. Pol., v) 10, 1312 5 16 sq.

169.

SusEuiur, Rem. 1699.

170. B. Kzir, Die Solonische Athens, Berlin, 1892, p. 124.

Verfassung

in

Aristoteles

Cf. aussi

1, 174 ; II,

Verjassungsgeschichte

202

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Platon étaient bien placés pour connaitre : « Dion mena une expédition contre Denys, son beau-frére, et avec l'appui du peuple le chassa, pour périr lui-méme ensuite !?!, » C'est à la fois trop et trop peu de détails pour un auditoire qui devait en savoir autant que nous en apprend la lettre VII de Platon, écrite probablement vers cette date 172, Le sens de νῦν est en vérité beaucoup moins limité que ne le croyaient Keil et en dernier lieu Zürcher 175, Νῦν, peut exprimer la réalité par opposition à une hypothése — comme dans l'expression

classique νῦν δέ 174, C'est ainsi qu'au livre II, à l'État idéal construit dans les Lois de Platon est opposée la réalité historique, celle-ci exprimée par νῦν, celui-là par τότε 175. Νῦν peut aussi distinguer du passé une situation qui dure encore, mais qui n'est pas forcément trés récente. Ainsi dans les Météorologiques, à propos de « l'ancienne Hellade, qui est le pays de Dodone et de l'Acheloüs », Aristote écrit : « C'est là qu'habitaient les Selles, et ceux qu'on appelait alors Grecs, et qu'on nomme aujourd'hui (νῦν) Hellenes » 5, Un peu plus loin, critiquant la théorie d'Empédocle qui voyait dans la mer « une sueur de la terre », il observe : « S'il est vrai qu'elle (sc. la terre) suait autrefois, elle devrait encore suer aujourd'hui » — vüv 17, Cet « aujourd'hui » oppose seulement la situation contemporaine, le « moderne », au « début de la formation » 175 terrestre. De méme dans ce texte de la Politique, Denys le Jeune apparait comme un tyran « des temps modernes », tandis que Gélon fait

partie de l'antiquité, des ἀρχαῖοι

χρόνοι : un événement survenu à

Syracuse, probablement peu avant l'expulsion des Gamores, est en effet

daté des ἀρχαῖοι χρόνοι 17? ; Gélon constitue une exception parmi ces tyrans d'autrefois (ἀρχαῖοι) qui, dit plus loin Aristote, débutaient pour la plupart comme démagogues et comme chefs militaires 1% ; Denys l'Ancien, de son côté, fait également partie des ἀρχαῖοι 191. Il convient donc, avec Susemihl, d'interpréter ce νῦν par «de notre temps » !?, De la même façon, Aristote dit dans les Météorologiques que l'incendie du temple d'Éphése s'est produit « de notre temps » : νῦν συνέθαινε. L'événement est de 356 85, Plus précisément encore, puisque Platon est ailleurs désigné clairement par l'expression τις ... τῶν προτέρων 19, tandis que νῦν, dans l' Éthique de Nicomaque, s'applique 171. Pol., V, 10, 1312 b 16 sq. 172. V. J. Sovirn£, éd. des Lettres de Platon, Coll. des Univ. de Fr., p. xr sq. 173. J. Züncuzrn, Ar.'Werk und Geist, Paderborn, 1952, p. 254. 174. L'expression est utilisée par Aristote, cf. Bonıtz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v. vuv, fin.

175. 176. 177. 178.

Pol., 1I, 6, 1265 b 1 sq. Météorologiques, I, 14, 352 a fin, et b, début. (trad. J. Trıcor). Ibid., 11, 3, 357 ὃ 15. Ibid., 357 5 17.

179. 180.

Pol., V, 4, 1303 b 19 sq. Cf. infra, p. 300. Pol., V, 5, 1305 a 7 sq. Cf. VI, 4, 1318 5 18 (τὰς ἀρχαίας

481. Ibid., 1305 a 26 sq.

τυραννίδας).

182. Susenıur, Rem. 1699 ; Newman, ad loc. ; de même, E. Barker, J. Manias et, moins nettement (« später »), O. Gicon. Cf. Lipp.-Scorr..., s. v. νῦν, I. 183. Météor., 111, 1, 371 a 30 ; ΝΥ. JaEGER, Aristotle®, p. 307, n. 184. Pol., IV, 2, 1289 b 5 sq.

ÉLÉMENTS

à

DE

DATATION

l'école péripatéticienne #, il semble

que

ABSOLUE

νῦν

203

s'oppose

à πρότερον

comme le vivant au mort 1%. 1] n'est pas exclu en effet que Denys le Jeune ait survécu jusqu'en 335, et même au delà 18, Dans ces conditions, cet adverbe ne saurait servir à dater cette partie de la Politique. 49 Andros.

Un autre νῦν pose au livre II un probléme plus délicat, car son contexte demeure obscur. Critiquant l'éphorat tel qu'il est institué à Sparte, Aristote écrit : « Cette magistrature détient à Sparte les plus grands pouvoirs ; or les éphores proviennent de l'ensemble du peuple, si bien que souvent arrivent à ces fonctions des hommes extrémement pauvres, que leur indigence prédisposait à la vénalité. Il y en a eu bien des exemples autrefois, et de notre temps encore (xal νῦν δὲ ...) dans les affaires d'Andros (ἐν τοῖς ᾿Ανδρίοις), où certains éphores, corrompus à prix d'argent, ont fait tout ce qu'ils ont pu pour perdre entiérement leur

cité » 188, Cette référence précise à un événement récent peut-elle fournir un indice chronologique ? Il faut d'abord remarquer le mauvais état du texte : à côté de la leçon *Avôplots, avec une majuscule, qui est moderne, existent dans les manuscrits les variantes &vöploıs avec une minuscule et ἀνδρείοις, ἀντρείοις (antriis dans la traduction latine de G. de Moerbeke), également ἀνρίοις et ἀνρείοις, surmontées d'un ὃ 169, La variante ἀντρείοις /antriis ne peut être prise en considération, puisque, dépourvue de sens littéral, elle est aisément explicable à partir de ἀνδρ- 1%, Mais ἀνδρίοις, ou -elous, est susceptible de deux interprétations : — ou bien le mot peut désigner les ἀνδρεῖα ou ἄνδρια — nom que, nous apprend Aristote, les Lacédémoniens donnaient autrefois à leurs 185.

E. N., VI, 13, 1144

b 21 : opposition entre

relativement au probléme de la vertu.

Socrate et

186. De méme, DÉMOsTHÈNE (Couronne, 317) oppose

les

péripatéticiens,

ol πρότερον à ol ὄντες :

il s'agit bien des générations antérieures opposées aux contemporaines. IsocRATE, Panégyrique, 20, oppose l'ancien empire d'Athénes (πρότερον) aux revendications actuelles (vov) de la cité : cet empire a disparu depuis plus de vingt ans, et l' « actuel » semble coïncider avec la « génération actuelle », I νῦν ἡλικία, ibid., 167. 187.

GLorz-Couen, Hist. Gr., III, p. 413.

188. Pol., 11, 9, 1270 5 7 sq. Nous traduisons par « que leur indigence prédisposait à la vénalité » l'expression ot διὰ τὴν ἀπορίαν ὥνιοι ἦσαν. Newman, ad 9, 1270 b 10, envisage deux interprétations : référence au temps de l'empire spartiate, ou à des exemples précis. La premiére interprétation est cependant impossible, puisqu'AnisToTE considère l'empire de Sparte (9, 1269 b 32, ἐπὶ τῆς ἀρχῆς αὐτῶν) comme du passé, et non du νῦν. Elle est d'ailleurs inconciliable avec la date récente que propose Newman pour les « affaires d'Andros », cf. infra. La seconde interprétation est plus vraisemblable. Mais elle n'exclut pas celle que nous adoptons : l'imparfait marque l'antériorité et cela renforce le sens de “wor ; il s'agit ici d'une virtualité de corruption, qui passe à l'acte. Newman écarte à juste titre la traduction de τὴν πόλιν par « Andros ». La suite des idées montre qu'il s'agit de Lacédémone. 189. CI. O. Immiscu, app. crit., ad loc. 1%. Newman, note critique ad 9, 1270 b 12, t. II, p. 89.

204

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

φιδίτια, leurs repas en commun, suivant l'usage crétois 191, C’est l'interprétation que préfèrent, dans sa première édition, E. Bekker, et. « de nos jours encore », καὶ νῦν δέ, M. Prélot 192. Susemihl ne l'exclut pas 193, et Barthélemy-Saint-Hilaire la mentionnait. Mais comme ce dernier le remarquait dès 1837, ἄνδρια est, de l'aveu méme d’Aristote, une expression archaïque pour désigner les φιδίτια spartiates : on ne voit pas pourquoi le philosophe y aurait recouru à propos d'un événement récent. On est d'autant moins fondé à supposer cela, que traitant des repas en commun des Crétois, Aristote n'emploie pas non plus ce mot d'&y9pix, pourtant usité dans l'ile, et dit seulement

συσσίτια 153, Le terme d’ävôpræ ne lui vient donc pas naturellement à l'esprit, tandis qu'il utilise volontiers φιδίτια 1% ; le mot appartient

effectivement à la langue courante 1%, tandis qu’&vöpei«, pour désigner les syssities spartiates, est rare 19. En outre, si importants que fussent les repas publics dans la constitution lacédémonienne 1%, Ja violation des règlements qui les ordonnalent, par des éphores corrompus, pouvait-elle entraîner les conséquences dramatiques qu'évoque ici Aristote : « Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour perdre entiérement leur cité ? » Et des événements si graves ne seraient-ils pas rappelés un peu plus loin, lorsque le philosophe critique l'organisation des syssities lacédémoniennes 199 ? —]a seconde interprétation, « dans les affaires — ou l'affaire — d'Andros » est donc plus vraisemblable, et c'est elle qui en général prévaut. Ce sens de "Ανδρια est en effet plausible 99, Mais comment situer dans le temps ces événements auxquels aucune référence directe n'est faite nulle part ailleurs 99! ? Newman 22 songe à les placer en 333, quand la flotte perse s'avanca jusqu'à Andros et Siphnos pour effectuer une diversion aux opérations d'Alexandre. Agis, avant Issos, se rendit à Siphnos et négocia avec Pharnabaze et Autophradatès #3. Diodore indique justement que Memnon avait corrompu de nombreux Grecs 2%, « Si — écrit Newman 191.

Pol., II, 10, 1272 a 1 sq.,

Staatsk., 11, p. 697 sq. - 192. P. 229 de son adaptation.

variante

ἀντρεῖα.

Cf. BusorT-SwosBopa,

Griech.

&

193. Éd. de 1879, Rem. 317. 194. 195. 196. 197.

Pol., II, 10, 1272 a 12. Cf. Busorr-Swonopa, II, p. 698, n. 3. Pol., IE, 9, 1271 a 27 ; 10, 1272 a 2 ; 11, 1272 b 34. Lipp.-ScorT..., 8. v. Busorr-Swosopa, ibid.: aucune référence à un écrivain athénien

de

date ancienne. Le fait qu’Ernore (chez SrRABoN, X, 4, 18, C 482) donne sur l'origine des syssities spartiates la méme indication qu'AnisroTE (SusEwiIBL, Hem. 359) est significatif : quel que soit le rapport d'un de ces écrivains à l'autre, cette remarque est, aux yeux de chacun, assez nouvelle pour étre mentionnée. 198. Pol., 11, 9. 1271 a 35 sq. : ὄρος τῆς πολιτείας ... ὁ πάτριος. 199. Pol., II, 9, 1271 a 25 sq. 200. Cf. Dictionnaire de Baizzy, s. v. "Av8ptoc, et 7. Humsert, Syntaxe gr. 25 éd., Paris, 1954, p. 50, & 71. 201. SusEMiHL, Hem. 317, renonce à toute explication, faute de documents. 202. Ad 9, 1270 b 11. 203. Grorz-ConrN, Hist. Gr., IV, 1, p. 194. 204. Dionors, XVII, 29.

ELEMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

205

—, comme il est probable, ce sont les éphores qui avaient envoyé Agis pour cette mission, Aristote peut bien avoir pensé qu'ils ont presque perdu leur pays » 2%, Mais Diodore affirme aussi *9 que les Lacédémoniens penchaient déjà pour la Perse — suite naturelle de l'attitude qu'ils avaient adoptée depuis Chéronée. En outre, il est étonnant qu'Aristote attribue aux éphores la responsabilité — fût-elle nominale — d'une politique dont Agis a été, selon toutes nos autres sources, l'inspirateur et le chef. Aristote ne mentionne méme pas le nom du roi de Sparte. C'est là du moins un indice que la référence à τοῖς ᾿Ανδρίοις ne serait pas une addition tardive : avec le recul du temps, Aristote aurait selon toute vraisemblance enregistré les événements ultérieurs et la fin du roi devant Mégalopolis. Mais mieux vaut dans ces conditions ne pas accorder à l'hypothése de Newman plus de crédit qu'ilne le faisait luiméme 20, Aussi une troisième solution a-t-elle été imaginée par H. von Arnim 2%, Elle consiste à corriger ce texte désespérant, — ce qui aboutit à une date voisine de la précédente. En parlant de la « perte » de Sparte, selon von Arnim, Aristote ne pourrait songer qu'à l'entrée de Philippe en Laconie aprés Chéronée, ou à l'expédition que mena Antipatros, en 331 ; or en 338 Sparte, bien qu'éprouvée, ne fut pas véritablement ruinée, tandis que Mégalopolis marqua bien sa perte ; en outre la conduite de Sparte aprés Chéronée pouvait lui attirer de la part des Grecs sympathie et admiration, tandis que l'accusation, fondée ou non, d'avoir cédé à l'or perse était en 331 plausible, surtout aux yeux d’Aristote. Von Arnim admet aussi que le ξενικὸς πόλεμος crétois, dont il sera question plus loin 20, est une référence à Agis : cette guerre ayant eu lieu νεωστί,

il

n'accepte pas que νῦν date un événement plus ancien. D'où la correction, qui est paléographiquement remarquable, ἐν τοῖς ᾿Αντιπατρείοις. Von Arnim lève ainsi une des objections faites à Newman: Aristote pouvait bien ne pas mentionner expressément Mégalopolis et Agis, puisqu'il résumait tous les événements sous le nom redouté d'Antipatros. Mais le róle attribué aux éphores demeure ici inattendu. En outre, ni il n'est sür que les événements de Créte se soient déroulés en 333 210. ni le rapport de νῦν à νεωστί n'est celui qu'affirme von Arnim: puisque νῦν date l'expulsion de Denys en 355 311, yewarl, « récemment », doit au contraire situer un fait plus proche : tel le séisme d’Heraclee, présenté dans les Météorologiques comme tout récent — ἐγένετο νεωστί 212 — telle encore, dans le Gorgias de Platon, la mort récente 205.

Cf. aussi

Dioponz,

XVI,

64 : les villes « les plus

considérables

» perdent

en luttant contre Antipatros suprématie et indépendance. 206. 207. 208. 209. 210.

Dionore, XVII, 29. Newman, ad 9, 1270 b 11, fin. H. von Arnım, Zur Entstehungsgeschichte..., Infra, p. 207 sq. Pol., II, 10, 1272 b 20 sq. Infra, ibid.

. 211. Supra, p. 201 sq. 212. Météorologiques, 11, 8, 367 du Pont.

a 1. AnisTorE

p. 112.

précise

qu'il s'agit

d'Héraclée

206

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

de Périclés — Περικλέα rourovi τὸν νεωστὶ τετελευτηχότα 213. Cet emploi du mot est d'usage courant 315, Enfin, une chronologie fondée sur une correction demeure forcément sujette à caution. Mieux vaut donc nous en tenir au texte traditionnel, en reconnais-

sant que dans l'état de la documentation, ces « affaires d’Andros » sont un repére presque inutilisable. Du moins est-il possible de délimiter ici nos ignorances. Peu d'événements en effet sont connus, dans les années 360-330 (ou méme, pour ne rien refuser en principe, 322), où la position d'Andros ait joué un róle signalé, dans des circonstances importantes pour Sparte et, probablement, pour toute Ja Grèce en máme temps que pour elle. Tout au plus, pourrait-on penser à l'appel qu’Athènes lança à Andros (mais aussi à Céos, Trézéne et Épidaure) au lendemain de Chéronée ?!5, mais qui n'a pas d'autre rapport apparent avec ce texte d'Aristote. Faut-il croire que le Stagirite, originaire d'une cité dont Andros était la métropole ?!*, suivait avec une attention particulière l'histoire de cette petite île ? Il ne le semble pas, puisque dans tout le Corpus ce texte est bien le seul à mentionner le nom d'Andros. Un seul point, dans ces conditions, est probable : c'est qu'en 346, date où Eschine prononça son contre Timarque 317, les événements en question ne s'étaient pas encore produits. Timarque en effet avait été gouverneur d'Andros, où il s'était rendu odieux par ses exactions et sa vénalité. Or Eschine écrit : « Souvent déjà, par Zeus et Apollon ! j'a: pensé que notre cité, favorisée par le sort en tant de circonstances, l'a été plus que jamais dans ce fait qu'à l'époque du gouvernement de Timarque, personne n’a demandé à acheter la ville d'Andros », ὅτι κατ᾽ ἐκείνους τοὺς χρόνους οὐδεὶς ἐγένετο τῆς ᾿Ανδρίων πόλεως ὠνητής 218 Si une affaire notoire de corruption entraînant de graves suites politiques, s'était déroulée autour d'Andros dans les années qui ont précédé le procés, Eschine, qui ne résiste jamais à la tentation d'amplifier, aurait exploité cette mine ; du moins n'aurait-il pu éviter de faire allusion à l'événement, en écrivant xark γ᾽ ἐκείνους τοὺς χρόνους. Peut-être faut-il trouver une confirmation indirecte de cette hypothèse dans la scholie qui glose ὠνητής par πολέμιός τις 219 : la vente plaisamment imaginée par Eschine aurait été une affaire diplomatique considérable, comme l'affaire qu'évoque de son côté Aristote. D'une telle affaire, Eschine ne souffle mot. Il est remarquable qu'Aristote ait enregistré d'autre part dans la Rhétorique, avec plus de détails mais sans le situer plus nettement, un 213.

PrAToN,

Gorgias,

502 c.

214. Lipp.-ScorT..., s. v. Le rapport des deux mots est cependant inverse dans l'expression où νῦν οὐδὲ νεωστί (ni d'aujourd'hui ni d'hier), Pol., VII, 10, 1329 a 40 : c'est qu'ici νῦν prend son sens le plus restreint. 215. Lvcuncvuz, Contre Léocrate, 42. 216. A. Aymarp, Les premières civilisations, dans Peuples et civilisations, I, 2* éd., Paris, 1950, p. 458. 217. V. ManriN et G. pe Bup£, éd. d'Eschine, Coll. des Univ. de Fr., I, p. 15 sq.

218. Contre Timarque, 108. 219.

Scholies d'Escuiner, éd. Scuuzz, Leipzig, 1865.

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

207

fait analogue emprunté lui aussi à l’histoire de Lacédémone

: « C’est

ce que fit également un Lacédémonien, au moment où il rendait compte de son mandat d’éphore. Questionné sur le fait de savoir si les autres éphores avaient été justement condamnés à mort, il répondit affirmativement : « Ainsi donc tu as proposé les mêmes mesures que tes collègues ? — Oui certes, dit-il. — Ainsi tu mériterais de mourir, toi aussi ? — Pas le moins du monde, répliqua notre Lacédémonien ; mes collègues avaient recu de l'argent pour agir ainsi ; moi, non, je n'ai écouté que ma conscience » 22°, Barthélemy-Saint-Hilaire suppose que les deux textes se rapportent au méme événement ??!, Le fait est que dans chaque cas il s'agit de la corruption de plusieurs éphores, non de tout le collége, et que dans chaque cas aussi Lacédémone s'est trouvée gravement en danger ?*?, Toutefois, dans l'affaire d'Andros, Aristote juge que la corruption des éphores a abouti incontestablement à un désastre — leur politique étant absolument néfaste — ὅλην τὴν πόλιν ἀπώλεσαν — tandis que la Rhétorique marque une certaine hésitation dans le jugement : les mesures que les uns ont proposées par vénalité, un autre pouvait les vouloir en conscience. Si donc il s'agit bien du méme événement, la documentation d’Aristote a dû s'enrichir entre la rédaction des deux textes ; assez de temps du moins a passé pour modifier son point de

vue 223, Mais l'identification demeure pourtant fort douteuse ; les points communs aux deux récits sont beaucoup trop vagues pour donner une certitude. Áristote évoque lui-méme dans la Politique les nombreux cas de corruption qui remontent à une époque plus ancienne 224 : 1] peut fort bien, dans la Rhétorique, reprendre et narrer plus complètement l'un d'eux. Il y aurait alors, non plus peut-étre enrichissement, mais communauté

de documentation,

Aristote fondant ses affirmations

sur des

recherches érudites et méthodiques. Le dernier indice de datation absolue que présente le livre II est beaucoup plus sür, et nous permettra méme des conclusions plus précises que celles de nos prédécesseurs. C'est : 50 Le ξενικὸς

πόλεμος

crétois.

Au chapitre suivant du second livre, Aristote explique en effet que

l'isolement de la Crète permet aux Crétois de conserver une constitution 220. 221.

Rhét., III, 18, 1419 a 31 aq. (trad. VoıLquin-CAPELLE). J. BARTRÉLEMY-SAINT-HiLaiRe, Politique d'Aristote, Paris,

1837,

p. 168,

n. 2. 222. Condamnation à mort des responsables dans la Rhétorique : il fallait qu'elle fût motivée. 223. Sur la date relativement récente de la Rhétorique, v. supra, p. 95 sq, n. 60. — De l'emploi méme du mot fort ἀπώλεσαν on ne peut rien conclure: DEMOSTHENE l'emploie déjà à propos des Spartiates dans la 3° Olynth., 27 (Λακεδαιμονίων μὲν ἀπολωλότων). 224. Pol, II, 9, 1270 b 11 (πολλάκις μὲν καὶ πρότερον). Eaton rapproche Taucypine 1, 131, 2 (Pausanias corrompant les éphores). Busorr-SwoBopa, Gr. Staatsk.,

II, p. 661, n. 6, citent le seul texte d'AnisTOTE.

208

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

qui, en réalité, est fragile. « Ce n'est que récemment, dit-il, qu'une guerre étrangère 225 a atteint l'ile, et mis en évidence la faiblesse de sa législation » —

πεποίηχε

νεωστί

τε

πόλεμος

ξενικὸς

διαδέδηχεν

εἰς

τὴν

νῆσον,

ὃς

φανερὰν τὴν ἀσθένειαν τῶν ἐκεῖ νόμων 235. Quel est donc ce

πόλεμος ξενικός tout récent ?

Deux réponses ont été faites à cette question : il s’agit de l’entreprise de Phalaicos, ou bien de celle d’Agis et d’Agesilas. C’est en 345 que Phalaicos passa en Crète, où ıl intervint dans le conflit qui opposait Cnossos à Lyctos ; il trouva la mort devant Kydonia, en 343 2%. C'est en 333 qu’Agis confia à son frère Agésilas le soin de maintenir la Crète dans l’obéissance au Grand Roi ; après Issos, il passa lui-même dans l'île, avec huit mille mercenaires grecs qui, à Issos, étaient au service de la Perse 333 Ces deux solutions expliquent également bien l'allusion d’Aristote. Toutefois, H. von Arnim 335, suivi par P. Gohlke ?%, a adopté la seconde, parce que, dit-il, Phalaicos est simplement intervenu, occasionnellement, dans un conflit entre cités crétoises, et son action n'a en rien révélé les

faiblesses de la constitution crétoise ; Agis au contraire conquit la plupart des cités de l'ile, et son róle fut trés important. À cette interprétation on objectera qu'en 333 non plus la faiblesse du régime crétois ne fut pas, d'aprés les sources que nous pouvons consulter, mise en lumiére par la guerre. Et s'il faut recourir à la conjecture pour l'année 333, la méme hardiesse d'imagination trouve aussi un objet digne d'elle dans les années 345 et suivantes. L'expression πόλεμος ξενικός, dont le sens fut discuté, ne permet pas de trancher ce débat 231, Car ces mots, qui selon Susemihl, Newman,

J. Marias, O. Gigon, entre autres, signifient « guerre étrangère » 352, mais selon W. Jaeger « guerre de mercenaires » 223, peuvent en réalité avoir les deux sens 2%, En outre, s'il s'agit évidemment, en 345 comme en 333, d'une guerre de mercenaires ?35, et si en 333 c'est en même temps, à coup sûr, une guerre étrangère, on peut se demander si le passage en Créte des vaincus de la Guerre Sacrée et l'intervention de Sparte au profit de Lyctos, ne sont pas aussi les manifestations, ou les séquelles, 225. Nous adoptons cette ducteurs, mais cf. infra.

interprétation

de

ξενικός,

avec

la majorité

des

tra-

226. Pol., 1I, 10, 1272 b 20 sq. 227. 228.

Droponz, Diopong,

XVI, 62. XVII, 48.

229. Zur Entstehungsgeschichte der aristotelischen Politik, SAWW, 200, 1, 1924, p. 112. 230. Die Entstehungsgeschichte der aristotelischen Ethik, Politik, Rhetorik,

SAWW, 228, 2, 1944, p. 105.

231. Comme le croit B. Keır, Die Solonische Verfassung in Aristoteles Verfassungsgeschichte Athens, Berlin, 1892, p. 120 sq. 232. Cf. traductions ou commentaires de ces auteurs. 233.

ΝΥ. JAEGER,

Aristotle*, p. 286, n. 1.

1934 H. van ErrENTERRE, La Crète et le monde grec de Platon à Polybe, Paris, 48, p. 82. 235. H. van EFFENTERRE pense toutefois que l'expression « guerre de mercenaires » ne pouvait s'appliquer à l'expédition d'Agis. Mais Agis avait sous ses ordres des mercenaires grecs (Grorz-Conrew, Hist. Gr., IV, 1, p. 194).

ÉLÉMENTS

DE

DATATION

ABSOLUE

209

d'une guerre étrangère 2°. C'est apparemment l'opinion de Susemihl, de Newman, et des traducteurs qui les ont suivis. Dans ces conditions, mieux vaut, avec Newman et Van Effenterre, se rallier à l'opinion de Susemihl **' : si Aristote écrivait aprés 333, il n'au-

rait pas mentionné une guerre, mais deux. Contrairement à ce que pense von Arnim, les événements de 345 furent assez marquants. Sans doute

leur influence sur la vie constitutionnelle

inconnue,

mais il y eut bien, alors,

πόλεμος

de la Créte est-elle

ξενικός —

quel

que soit

le sens de cet adjectif —, guerre qui franchit la mer et passa en Crète : l'ile, dés lors, n'est plus ce monde à part qu’Aristote vient d'évoquer 23$,

Ce texte fut donc écrit entre 345 et 333. L'adverbe νεωστί n'est pas assez précis à lui seul pour permettre une datation plus exacte. Mais son

rapport avec le verbe est remarquable : νεωστὶ πόλεμος Quand

διαθέθδηκεν.

il s'agit du séisme d'Héraclée, Aristote écrit : περὶ 'Ηρακλείαν

ἐγένετο

νεωστὶ

σεισμός,

«à

Héraclée,

s'est

produit

récemment

un

tremblement de terre » 339? : le verbe est à l'aoriste. Au contraire, dans

notre texte de la Politique, διαδέδηκεν est un parfait. Le verbe est encore au parfait dans plusieurs textes analogues, dont le sens ne fait pas de doute. Ainsi Aristote écrit dans la Rhétorique : τοῖς νεωστὶ κεκτημένοις, « les nouveaux riches » *€ ; ce sont des gens qui sont depuis peu de temps dans la situation de riches, et qui s'y trouvent encore. Νεωστί est méme

employé, dans la Rhétorique encore, avec un présent, ou sans verbe, dans des expressions qui ont exactement la méme valeur : ol νεωστὶ πλουτοῦvrec 241,

τοῖς

νεωστὶ

πλουσίοις #3,

ἐὰν νεωστὶ

ἔχοντες

τυγχάνωσι

243,

Un passage des Problèmes Homériques présente un plus-que-parfait qui

a la signification classique correspondante ?** : νεωστὶ ἐτέτρωτο (6 Μενέλαος) ὑπὸ Πανδάρου, la blessure était encore fraîche. Ainsi, au parfait marquant le résultat présent d'une action passée, s'oppose l'aoriste du séisme d' Héraclée : ce tremblement de terre est bel et bien achevé 245, 236. Mais il ne faut pas serrer de trop prés le sens du préverbe dıx- dans &ta8é6nxtv. S'agit-il du guerre ? Cf. H.

prolongement d'une guerre commencée ailleurs ? ou de la même Van

EFFENTERRE,

ibid., p. 82, n. 3, qui toutefois, en traduisant

« une guerre d'étrangers s'est déchainée à travers l'ile », p. 81 sq., enléve de sa valeur à ce δια- ... εἰς... 237.

Newman, ad loc., en accord tacite avec SusemiuL, Rem.375;

H. Van ErrEN-

TERRE, ibid., p. 82 sq. 238. 11,10,1272 α 41 sq. (πόρρω γ᾽ ἀποικοῦσιν ἐν νήσῳ τῶν διαφθερούντων,(b 17 sq. (σῴζεται διὰ τὸν τόπον " ξενηλασίας γὰρ τὸ πόρρω πεποίηκεν). 239. Météorologiques, II, 8, 367 a 1. 240. Rhét., 11,16, 1391 a 15. 241. 11, 9, 1387 a 18. 242. 1387 a 29. 243. 1387 a 17. 244. Rose, 1886, fragment 156. 245. Cf. P. CHANTRAINE, Histoire du parfait grec, Paris, 1927, notamment p. 146sq. ; J. Huusenrr, Syntaxe grecque, 2° &d., Paris, 195%, p. 146 sq. L'emploi du parfait dans un sens proche de l'aoriste, attesté dés l'époque ancienne et plus particuliérement à partir du 1v? siécle, n'est pas une habitude aristotélicienne. Voir p. ex. Newman

à 1280 a 16, 1282

b 24, 1289 a 16,

et

Bonıtz,

Index

Aristotelicus,

s. v.

Tempora verbi. D'autre part, le dictionnaire de Lipp.-Scorr... cite, s. v. νεωστί, lusieurs exemples caractéristiques de parfaits accompagnés de cet adverbe. P. ex. Iiénoporz,

I, 196 ; II, 15 ; 11, 49.

Aristote et l'histoite.

14

210

ABISTOTE

ET L'HISTOIRE

Le parfait διαδέδηκεν ne peut donc s’expliquer que si la guerre n'est pas terminée en Créte : ce texte a été écrit au plus tót en 345, au plus tard en 343, ou trés peu aprés. Il remonte au séjour d'Aristote en Troade ou à Lesbos, ou au début du préceptorat 2%, Récapitulons maintenant les résultats obtenus : Livre I : c'est le plus décevant. Il ne présente aucun indice net. Livre II : rien ne prouve que l'affaire « d'Andros » soit récente ni non plus que les souvenirs possibles de Troade soient tout frais. En revanche, l'allusion au πόλεμος ξενικός crétois est ancienne : 343 environ.

Livre III : pas plus ici qu'ailleurs dans la Politique, on ne trouve de référence nette à Alexandre, ni, à plus forte raison, à l'époque des diadoques. Au contraire, une phrase de ce livre semble antérieure aux conséquences de Chéronée. Livre IV : aucun indice chronologique ne suffit à prouver qu'il a été écrit ou remanié aprés 330.

Livre V : étroitement lié à IV et VI, il mentionne la mort de Philippe. L'hypothése d'une premiére rédaction vers 355 n'est plus soutenable. L'essentiel était certainement achevé avant 330. . Livre VI : ces résultats sont confirmés par la place de ce livre qui, en totalité ou en partie, fut rédigé entre la bataille de Chéronée et la destruction de Thébes. Livres VII-VIII : l'atmosphére de la Troade au temps d'Hermias et celle d'Athénes aprés 335 y sont mélées. Tels sont les cadres chronologiques dans lesquels s'insére la rédaction de notre Politique. Il convient de les préciser par des éléments de datation relative, en étudiant l'ordre dans lequel la documentation d'Aristote a pu parvenir à sa connaissance et retenir son attention, lors méme que ces faits ne peuvent étre exactement datés, mais se datent seulement les uns par rapport aux autres. 246. Un texte relatif à Thèbes, à la fin du livre II, et dans un passage d'ailleurs discuté (cf. supra, p. 31) contient deux indices chronologiques, mais qui ne sont pas sûrs : il s'agit des tombeaux de Philolaos et Dioclès, que « les Thébains montrent

encore », xzi

νῦν

ἔτι δεικνύουσι,

11, 12, 1274 a 36, et des lois sur l'adop-

tion, οὖς καλοῦσιν ἐχεῖνοι νόμους θετικούς, ibid., 1274 b 3 sq. On sait qu'il subsista des Thébains aprés la destruction de la ville: οὖς χαλοῦσιν ἐκεῖνοι pourrait donc à la rigueur étre écrit aprés octobre 335. De méme, les sanctuaires furent épargnés (GLoTz-Couen, Hist. Gr., IV, 1, p. 49. Escmine cependant prétend que ni lieux sacrés ni tombeaux n'échappérent au désastre, C. Ctésiphon, 156). — Sur ces lois relatives à l'adoption, v. Busorr,

La documentation voir p. 121 sq.

d’ARISTOTE

Gr. Staatsk., I, p. 144, 347, n. 3, et 379.

pourrait se rattacher j

à sa compilation

des

Lois,

CHAPITRE

VII

Datation relative I : Les barbares, Sparte, Crète, Carthage. Quatre centres d'intérêt essentiels sont d'abord à considérer : les textes relatifs aux barbares, à Sparte, à la Créte, à Carthage. 1. Les

BARBARES.

Les livres VII et VIII présentent de nombreuses références aux us et coutumes de certains peuples barbares. Ce sont, dans l’ordre :

VII, 2, 1324 b 9 sq., 10, 1329 a 40 sq., 14, 1332 ὁ 23 sq., 17, 1336 a 10 sq., VIII, 4, 1338 b 17 sq., et 5, 1339 a 34 sq.

Laissons de cóté le chapitre 10 du livre VII, dont il sera traité plus loin !. En VII, 14, 1332 b 23 sq., Aristote cite Scylax, selon qui les rois des Indiens sont par nature trés supérieurs à leurs sujets. C'est la seule référence à Scylax dans tout le Corpus, et Aristote ne l'avance qu'avec un scepticisme de bon aloi. Les références à l'Inde y sont, en revanche, nombreuses ?, — mais celle-ci est unique dans la Politique ? : il est probable que, dans les derniéres années du régne d'Alexandre, Aristote aurait eu plus d'attention pour l'Inde ; il ne se serait pas non plus contenté de citer un auteur que connaissait déjà Hérodote *, et que le philosophe ne juge pas plus digne de foi que, sur un sujet analogue, l’oùx ἀξιόπιστος Ctésias 5. Mais ceci n'est encore qu'hypothése, et d'autre part les allusions à l'Inde sont, dans le Corpus, dispersées à travers des œuvres de dates trop diverses ou incertaines ®, pour que des rapprochements soient fructueux. | En VII, 17, 1336 a 5 sq., Aristote mentionne plusieurs pratiques des peuples barbares, en matière de nourriture et d’education des enfants : les peuples belliqueux recourent à l’alimentation lactée, et évitent le vin. Certains, en outre, utilisent des appareils d'orthopédie, pour préserver 1. Infra, p. 306 sq. 2. Bonıtz, Inder Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v. ’Ivôtxéc, ᾿Ινδός, "Iv8ot, renvoie notamment à : Météorologiques, 1, 13, 350 a 25 ; II, 5, 362 5 21, 28 ; Parties des animaux, I, 3, 643 b 6 ; Ill, 2, 663 a 19, 23 ; Gen. des animaux, Il, 7, 746 a 34 ; Hist. des animaux, Il, 1, 499 ὃ 19-20 ; VIII, 12, 597 5 27 ; VIII, 28, 606 a 8, 607

a4 ; 29, 607 a 34 ; IX, 1, 610 a 19, etc. (dont de nombreux fragments). 3. Bonrrz, ibid. 4. H£noporz, IV, 5. H. A., VIII, 28, Gen. anim., 11, 2, 736 Feldzug Alex. d. Gr.,

44. 606 a 8, cf. II, 1, 501 a 25 et III, 22, 523 a 26, ainsi que a 2. Cf. W. Reese, Die griech. Nachricht. über Indien bis z. Leipzig, 1914, p. 13 sq., 98 sq., et P. CRANTRAINE, éd. d'An-

nıen, L'Inde, Coll. des Univ. de Fr., p. 2 sq. Infra, p. 312 sq. 6. Cf. supra, note 2.

212

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

des déformations les enfants aux membres trop faibles. Certains enfin les endurcissent contre le froid en les plongeant dés leur naissance dans l'eau froide, ou, comme les Celtes, en les habillant toujours légèrement.

Cette référence aux Celtes n'est pas isolée, puisque nous en retrouvons au livre II de la Politique (1I, 9, 1269 b 26 sq. : l'amour masculin chez les Celtes) et dans ce même livre VII, 2, 1324 b 127. L' Éthique de Nicomaque et 1" Éthique d' Eudéme mentionnent aussi leur bravoure, dans des passages qui n'appartiennent pas, selon toute vraisemblance, à la derniére période d'Aristote *. Les Celtes ou leur pays sont également cités dans les Météorologiques, l'Histoire et la Génération des Animaux, et, naturellement, dans les Νόμιμα des Barbares ®. En VIII, 4, 1338 b 17 sq., Aristote veut montrer que le courage n'est jamais associé à la férocité, mais, dit-il, à « des tempéraments plus doux, semblables à celui du lion » !? ! C'est, selon lui, ce que l'on constate chez les peuples barbares comme chez les animaux. « Il est vrai — ajoute-t-il — que nombre de peuples barbares sont portés au meurtre et à l'anthropophagie ; ainsi, dans la région du Pont, les Áchéens et les Hénioques, et d'autres peuples du continent, à un degré égal ou supérieur ; ce sont des peuples de brigands ; mais ils n'ont pas de courage. » Achéens du Pont et Hénioques n'apparaissent pas ailleurs dans le Corpus 11, Toutefois, les barbares du Pont-Euxin, pris dans leur ensemble, figurent dans l' Éthique de Nicomaque, d'une façon analogue : « Certains peuples sauvages du Pont-Euxin, à ce qu'on rapporte, aiment à manger de la viande crue, d'autres de la chair humaine » 12. La référence de la Politique est évidemment plus précise. Celle de l’ Éthique pourrait n'étre qu'un souvenir atténué, de rédaction plus récente. Mais ceci encore n'est qu'impression. En VIII, 5, 1339 a 34 sq., Aristote rapporte que les rois des Perses et des Médes avaient des musiciens attachés à leur cour. Xénophon l'indiquait déjà dans la Cyropédie !3. Mais le plus important et le plus précis de ces textes où sont allégués des exemples barbares, est aussi le premier de tous : VII, 2, 1324 ὁ 9 sq. La valeur militaire, explique Aristote, est à la base de bien des organisations politiques ; aprés avoir cité le cas de Lacédémone et de la Créte, il écrit : « Chez tous les peuples barbares capables de conquêtes, cette capacité est honorée : ainsi chez les Scythes, les Perses, les Thraces, les Celtes. Chez certains, il y a méme des lois qui encouragent cette vertu. Par exemple, on dit qu'à Carthage, les soldats sont décorés d'autant 7. Infra. 8. E. N., 111, 10, 1115 ὃ 28, et La date ancienne de l'E, E. peut de l'E. N. est plus discutée. Pour de F. Nuvens, citées p. 76 sq. et

E. E., III, 1, 1229 ὃ 28, cf. supra, p. 118, n. 131. être considérée comme sûre, supra, » 66 sq. Celle W. JaEceR, elle est récente. Mais v. les recherches 154, n. 448.

9. Météor., 1, 13, 350 b 2 ; H. A., VIII, 28, 606

Νόμιμα : Rose, 1886, 610, supra, p. 116 sq. 10. Τοῖς ἡμερωτέροις καὶ λεοντώδεσιν ἤθεσιν 11.

Bonıtz, Index Aristotelicus, s. v.

12. E. N., Vil, 6, 1148 b 21 sq. 13. Cyropédie, IV, 6, 11.

b 4 ; Gen. anim., II, 8, 748 a 25

DATATION

RELATIVE,

I

213

d’anneaux qu'ils ont fait de campagnes. Il y avait aussi jadis une loi en Macédoine, qui substituait un licou au ceinturon, pour ceux qui n'avaient tué aucun ennemi. Chez les Scythes, celui qui n'avait tué aucun ennemi ne pouvait pas boire dans la coupe qui circulait au cours d'une certaine féte. Chez les Ibéres, peuples belliqueux, on plante autour des tombes autant de broches !* que le mort a abattu d'ennemis. Et il y a bien d'autres institutions de ce genre, variables selon les peuples, que fixent la loi ou la coutume. » Sept peuples sont donc mentionnés. Les Scythes le sont deux fois. Les Perses, les Thraces et les Celtes ne le sont que pour mémoire. Nous avons déjà rencontré les Celtes, en tant que peuple militaire, dans le méme livre et dans d'autres textes 15. Les pratiques qu'évoque Aristote sont mal connues par ailleurs. Des anneaux des Carthaginois, Newman rapproche les anneaux que portent les femmes des Gindares de Libve ; mais le moins qu'on puisse dire est que ces décorations n'avaient pas la méme signification 16 ! Nous songerions plutót aux « chevrons » des armées modernes. Le goüt des Macédoniens pour la guerre, sinon pour les beaux ceinturons, est naturellement plus fameux 17. Quant aux Scythes, Hérodote rapporte une coutume trés voisine de celle-ci : « Une fois par an, chaque chef de district, dans son district, prépare un cratére de vin mélé avec de l'eau ; de ce vin boivent ceux des Scythes qui ont tué des ennemis ; ceux qui n'ont pas accompli cette prouesse ne goütent pas au vin, mais ils restent assis à l'écart, sans honneurs ; et c'est pour eux un trés grand opprobre ; au contraire, ceux d'entre eux qui ont tué un trés grand nombre d'ennemis, ceux-là reçoivent deux coupes à la fois, qu'ils vident coup sur coup » 8. Mais, comme le remarque Newman, il n'y a pas chez Hérodote de coupe qu'on fait circuler. Ajoutons méme que chez Hérodote, les plus brillants héros reçoivent à la fois et doivent vider « coup sur coup » deux coupes. Cela implique bien que les soldats moins heureux, mais qui ont néanmoins des cadavres à leur actif, boivent dans une coupe individuelle. Le rite est donc différent.

Enfin, les ὀδελίσκοι des Ibéres sont mystérieux,

puisqu'on ne sait

s’il s’agit d'obélisques, comme le croit Susemihl par exemple !?, ou, comme nous l'avons admis aprés Newman %, de broches. Aristote est donc, pour presque tous ces faits, notre unique témoin, et cette originalité suggére qu'il s'était livré à un travail de recherche assez poussé. La convergence de plusieurs de ces citations confirme cette hypothése d'une enquéte préalable : Scythes, Perses, Thraces, Carthaginois, Macédoniens, Ibères, et Celtes, deux fois cités, sont envisagés 14. *O6eXoxo. 15. Supra, p. 212. 16.

Heropore,

IV, 176 : ces femmes portent autant d'anneaux qu'elles ont connu

d'hommes. 17.

Cf. Grorz-Conrn,

list.

Gr., III, p. 211 sq.

18. HEropore, IV, 66. Rapprochement dà à Eaton. 19. Susemru, trad. : « Spitzsáulen », obélisques ou pyramides. 20. Ad 1324 b 18. ,

214

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

à peu près de la même façon que les Hénioques et les Achéens du Pont :

pour leur goût de la force ?!. Les références aux sept peuples de 1324 b 9 sq., sont nombreuses dans le Corpus 33, Mais peu sont exactement du méme ordre. C'est seulement le cas de celles qui concernent les Celtes. En revanche, la mollesse des rois des Scythes était, si l'on en croit l’Éthique de Nicomaque 33, héréditaire, ce qui ne s'accorde pas avec les mœurs d'un peuple belliqueux. Les Perses et les Carthaginois ne sont pas non plus présentés ailleurs comme de grands militaires 4. Ces rapprochements ne sont donc pas significatifs. Mais d'autres permettent de mieux définir le caractére de la documentation « barbare » d’Aristote dans ces livres VII et VIII: elle évoque évidemment les Νόμιμα des barbares ?5. Comparons-la en effet avec les autres textes de la Politique où il allégue des exemples barbares. Les plus nombreux sont rassemblés aux chapitres 10 et 11 du livre V, qui sont consacrés à la monarchie. Le premier exemple barbare qui soit cité est déjà caractéristique. Sont devenus rois, dit Aristote, « tous ceux qui ont rendu service ou pouvaient rendre service à leurs cités ou à leurs peuples », τὰς πόλεις à τὰ ἔθνη *.

Suivent, dans l'ordre, les exemples

de Codros, de Cyrus, des rois de

Lacédémone, de Macédoine et des Molosses.

Codros, en effet, a mérité la royauté en sauvant Athénes de l'esclavage ; telle est la tradition que rapporte Aristote, et qui n'est pas courante 27, Cyrus a libéré les Perses du joug des Médes 33. Les rois de Sparte, de Macédoine et des Molosses ont acquis et donné à leurs sujets tout un territoire : c'est la légende des Héraclides 39, celle de l'origine « argienne » des rois de Macédoine ®, et la légende enfin de Néoptoléme en Épire ?!, les rois des Molosses étant rapprochés, ici comme un peu plus loin, de ceux de Lacédémone, à cause peut-étre d'une origine commune et de la faiblesse de leur pouvoir ??. 21. Τοῖς ἔθνεσι πᾶσι τοῖς δυναμένοις πλεονεχτεῖν, VII, 2, 1324 b 10. "EOver πολεμικῷ, b 19. Διὰ τῶν ἐθνῶν οἷς ἐπιμελές ἐστιν ἄγειν τὴν πολεμικὴν ἕξιν, VII, 17, 1336 a 6 sq. Λῃστρικά, VIII, 4, 1338 ὁ 24. 22. Bonıtz, Index Arist.,s. v. Toutefois les Ibéres ne sont cités que dans ce passage

de la Politique (et dans les Récits merveilleux). 23. E. N., VII, 8, 1150 b 14. 24. Pol., 11,11

; V, passim, etc. Cf. Bourrz, Index Arist.,s. v.

25. On rapprochera notamment de ces textes de la Politiqueles«extraits d'HénaCLIDE » relatifs aux coutumes

thraces,

Rose,

1886, 611, 58.

26. V, 10, 1310 b 34 sq. 27.

Sur les différentes formes de la tradition, v. Busorr-Swonopa,

Griech. Staatsk.,

II, p. 768, n. 2, et p. 784 sq. 28. Cf. notre Archéologie de Platon, p. 123sq., et R. E., Suppl. IV,s. v. Kyros, 6, col 1128 sq. (WzrssBAcR). 29. Cf. Isocrare, Archidamos, 18 sq., notamment 24 (χεχτημένοι). 30. Susemisı, Rem. 1663 ; Busorr, Gr. St., I, p. 108 et n. 3. 31. SusEMIHr, Hem. 1664.

32. V, 11, 1313 a 24, v. infra, p. 221 sq. Les Molosses étaient-ils considérés par ARISTOTE comme barbares ? Cf. infra, p. 223.

DATATION

RELATIVE,

I

215

Ainsi, Barbares et Grecs sont ici envisagés ensemble, point de vue. Cités et peuples, πόλεις et ἔθνη,

sont

tous

et du même deux

consi-

dérés comme matière de « politique ». Il ne s’agit nullement, comme au livre VII, d'exemples de caractère purement barbare. De plus, ce sont des faits précis, délimités dans le temps, qui sont ici évoqués, non des

coutumes propres à tel ou tel peuple. Le texte du livre V est beaucoup plus proche de celui du troisième livre, où sont résumées les origines de la royauté aux temps héroïques : « Les premiers rois étaient les bienfaiteurs du peuple, par les arts ou par la guerre ; ils l'avaient rassemblé

ou lui avaient procuré du territoire... » (IIT, 14, 1285 b 6 sq.) Dans le reste du chapitre 10, exemples grecs et barbares sont encore mélés. Exemples grecs, d'Athénes (les Pisistratides, 1311 a 36 sq., 1312 b 30 sq.), de Corinthe (Périandre et Thrasybule, 1311 a 20 sq.), d'Ambracie (Périandre, 1311 a 39 sq.), de Chypre (meurtre d'Évagoras, 1311 b 4 sq.) de Mytilöne (Mégaclés contre les Penthilides, 1311 ὁ 26 sq.), de Syracuse (tyrannie de Gélon, 1312 b 10 sq., Dion contre Denys le Jeune, 1312 a 4 sq., 33 sq., 1312 b 10 sq.), enfin politique de Sparte et de l'aristocratie syracusaine envers les tyrannies (1312 b 7 sq.) ?*. Avec ces références grecques alternent l'histoire de Macédoine (1311 b 1 sq., 3 sq., 8 sq., 30 sq.), de Thrace (1311 b 20 sq., 1312 a

14 sq.), et de l'empire du Grand Roi (1311 b 37 sq., 1312 a 1

sq.,

1312 a 12 sq., 16 sq.). Le premier exemple tiré de l'histoire de Macédoine est l'assassinat de Philippe par Pausanias, qu'avait insulté Attale, oncle de Cléopâtre, sans que Philippe intervint. Du moins est-ce la « version officielle » de l'événement **, Il s'agit donc d'un fait probablement discuté dés cette époque, mais précis : un événement unique dans le passé. Le second exemple a le méme caractère. C'est, en 1311 b 3 sq., le complot de Derdas contre Amyntas

le Petit, διὰ τὸ

καυχήσασθαι

εἰς τὴν

ἡλικίαν

αὐτοῦ. Cet Amyntas

n'est pas Amyntas III, père de Philippe, qui serait vraisemblablement désigné comme tel %. D'autre part, Amyntas II, bâtard d'Archélaos,

et roi en 392, est mentionné quelques lignes plus loin (1311 b 13 sq.) ®, mais sans étre alors appelé « le Petit ». Newman en conclut qu'il ne peut s'agir de lui en 1311 b 3. L'argument, pourtant, est fragile, précisément parce que si Amyntas II a déjà été mentionné avec ce surnom de « Petit » en 1311 b 3, Aristote peut se contenter de dire, dix lignes aprés, « son fils, Amyntas ». Ce sont ici les mots « son fils » (le fils d'Archélaos) qui sont importants : à Crataios, Archélaos a dû préférer son fils. L'expression τῷ ὑεῖ ᾿Αμύντα souligne ce mouvement de la pensée : l'apposition y est mise en valeur au détriment du nom propre #7. C'est au contraire la 33. 34. 35. 36.

Sur ces exemples, v. infra, chap. VIII, p. 255 sq. Supra, p. 155, n. 460. Susemisı, Rem. 1673. Cf. surtout Dıopore, XVI, 91 sq. NEWMAN. Texte cité infra.

37. Küaner-GEnru, Aus/. Gr. Gramm., p. 282, $ 406, 2, et p. 601, ὃ 462, Rem. 1. Cf. Praron, Banquet, 185 d, τὸν ἰατρὸν "Ἐρυξίμαχον : c'est « k médecin » qui est

216

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

répétition « Amyntas le Petit », qui serait peu naturelle et surprenante. Derdas pourrait être alors le méme personnage que Derdas, « seigneur» de l'Elimeia (ἄρχων), qui selon Xénophon participa à des événements de l'année 382 95. Mais il faut dans cette hypothèse admettre que Derdas n'était pas encore au pouvoir du temps d'Archélaos 33, lorsque ce roi, nous dit Aristote quelques lignes plus loin (1311 b 13) maria l'une de ses filles au « roi d'Elimeia ». Car on comprendrait mal que ce roi, déjà cité plus haut sous le nom de Derdas, apparüt ici soudain comme un personnage encore inconnu. La troisiéme référence à l'histoire de Macédoine évoque, en deux temps, la conspiration de Décamnichos, Crataios et Hellanocrate de Larissa contre Archélaos : « Bien des insurrections, explique d'abord Aristote, ont eu pour cause aussi les attentats des monarques à la pudeur d'autrui. Ainsi, celle de Crataios contre Archélaos. ]l n'avait jamais accepté ces relations que de mauvais gré, de sorte que le moindre prétexte pouvait suffire. Peut-être une cause fut-elle qu'Árchélaos ne lui donna aucune de ses filles, en dépit de ses promesses. Sous la pression de la guerre qu'il menait contre Sirrhas et Arrabaios, ıl donna l’aînée au roi d’Elimeia, et la seconde à son propre fils, Amyntas, avec l'idée d'améliorer ainsi au maximum les rapports d'Amyntas et de son autre fils, né de Cléopátre. Mais l'origine de leur brouille fut certainement que Crataios n'accordait ses faveurs que de mauvais gré. Hellanocrate de Larissa participa à la conspiration pour la méme raison. Árchélaos abusait de sa jeunesse et ne le ramenait pas dans sa patrie, aprés s'y être engagé. Hellanocrate pensa que leurs relations avaient pour principe le mépris, et non le désir d'amour » €. Et un peu plus loin, Aristote remarque que bien des conspirations tirent aussi leur origine de mauvais traitements ; et il reprend : « Décamnichos fut le chef de la conspiration contre Archélaos, c'est lui qui poussa le premier les autres conjurés. La cause de sa colère était qu'Archélaos l'avait livré au poète Euripide, pour être fouetté. Euripide lui en voulait d'une allusion à sa mauvaise haleine *!. » Cette version des événements est loin d'étre unique *?. Le nom méme de Crataios n'est pas sûr 43, Diodore affirme que le meurtre d'Archélaos fut involontaire : ç’aurait été un accident de chasse. Plutarque au contraire confirme Aristote, qui probablement est ici, directement ou non, sa source #4, Élien et l'auteur du Second Alcibiade attribué à Platon important. — Karnsr, R. E., I, 2, col. 2006, 5. v. Amyntas 13, identifie bien les Amyntas d'AnisToTrE avec Amyntas II. 38. Χένορηον, Hellen., V, 2, 38 sq. Cf. Berocn, Gr. Gesch., III, 2, p. 76 sq. ; Grorz-ConzN, Hist. Gr., III, p. 222; R. E., V, 1,5. v. Derdas, 2, Vol. 239 (KAERsST). Selon Karnsr, ce Derdas serait le fils du Sirrhas mentionné en 1311 5 12. 39. Contra, R. E., V,2,s. v. Elimeia, col. 2367 sq. (OBERHUMMER). 40. 1311 5 8 sq.

41. 1311

b 31 sq.

42. Mais on date toujours l'assassinat de 399, Dionore, XIV, 37, 6. Voir l'article de Kaznsr, R. E., II, 1, s. v. Archelaos 7, col. 447 sq. 43. Cratéros selon Dioponz, XIV, 37, 6 ; Crateuas ou Cratéas selon PLUTARQUE, Eroticos, 23 ; Crateuas aussi selon Ériew, V. H., VIII, 9.

4^. Dans son édition de l'Eroticos (Paris, 1953), M. R. FLACELIÈRE remarque (n. 159) que l'anecdote concernant Périandre d'Ambracie, citée par PruTARQUE

DATATION

RELATIVE,

I

217

parlent aussi d'une conspiration 45. Mais elle aurait son origine dans l'am-

bition des conjurés. La façon dont Aristote présente les faits prouve que de son temps déjà ils étaient discutés. Il indique d’abord ce qui fut selon lui la cause essentielle, αἰεὶ γὰρ βαρέως εἶχε πρὸς τὴν ὁμιλίαν, puis il passe à une autre hypothèse, À διότι τῶν θυγατέρων οὐδεμίαν ἔδωκεν ὁμολογήσας αὐτῷ ; il l'analyse en détail (τὴν μὲν προτέραν ... τὴν δὲ νεωτέραν ...) *5, pour l'écarter finalement en revenant à son idée première : ἀλλὰ τῆς γε ἀλλοτριότητος … L'analyse des motifs qui poussèrent Hellanocrate dans la conspiration a la méme allure : Aristote précise un fait certainement connu et probablement discuté *. Il en est de méme des circonstances étranges qui mirent Décamnichos à la téte des conjurés. Comme Newman le remarque aprés Grote #, il fallait que ce Décamnichos eût la rancune tenace, car Euripide était mort depuis plus de six ans. Il s'agit donc ici encore d'un

détail qu’Aristote juge remarquable et significatif pour sa démonstration. . Mais aucune de ces précisions sur l'origine et la succession de faits trés limités n'est du méme ordre que la loi macédonienne archaique dont le livre VII est le témoin : 1l s'agissait d'un trait de mœurs curieux. De méme, les exemples thraces ne rappellent en rien le jugement porté en ce méme livre VII sur les Thraces, peuple belliqueux. Le premier de ces textes rapporte le meurtre de Cotys par Python et Héraclide d'Ainos, « qui voulaient venger leur pére », puis la révolte d'Adamas, dont Cotys avait fait, enfant, un eunuque *?, Le meurtre est de 359 9, La lecture Python est une correction, les manuscrits en ce méme chapitre 23, a pu être empruntée à la Politique, 1311 a 39 sq. L'exemple d'Archélaos permet de rapprocher également les deux textes. 45. 46.

(Praron), Alcibiade II, 141 d. Sur Arrabaios, Sirrhas et le roi d’Elimeia, voir aussi R. E., II, 1, s. v. Arrabaios

1, col. 1223 sq. (Karnsr) ; VI, 1, s. v. Eurydiké, 14, col. 1326 (Kaznsr) ; V, 2, s. v. Elimeia, col, 2367 sq. (OBERHUMMER)

; et surtout XI, 1, s. v. Kleopatra 11, col. 734

(Stänerın). Cléopâtre avait épousé Perdicas II, puis Archélaos. Le fils « né de Cléopâtre » pourrait être Oreste ; fille aînée et fille cadette seraient aussi nées de Cléopâtre ; Amyntas II était né d'une première union d'Archélaos (STAHELIN).

On a proposé (cf. ϑτάπειιν, ibid.) de corriger le texte : τῷ ᾿Ερριδαίου ot (ou dei)

’Ayuövrg. — Quant à Eurydiké, épouse d'Amyntas III et mère de Philippe était petite-fille d'Arrabaios selon Staazon,

LI, elle

VII, 7, 8 (c 326). Selon une indication

énigmatique du même

texte de Srrason, elle était peut-être fille de Sirrhas (qui

serait alors le gendre

d'Arrabaios,

Suseminz,

Hem.

1676

et

1678,

ou

peut-être

son fils, Newman, ad 1311 b 12). Mais il se peut aussi que SrRABON mentionne en réalité non pas Sirrhas, mais une fille d'Arrabaios, Sirrha,— qui serait alors la mére

d'Eurydiké, selon toute vraisemblance : τούτου (sc. τοῦ ”Appabalou) δ᾽ Av θυγατριδῇ ἡ Φιλίππου μήτηρ τοῦ ᾿Αμύντου Εὐρυδίκη, Σίρρα δὲ θυγάτηρ (Σίρρα Meineke, Ἴρρα mss). — L'hypothèse qui fait de Sirrhas le roi d’Elimeia et, par voie de conséquence, le père de Derdas, se heurte à l’objection déjà faite p. 216, à propos de Derdas : l'expression serait bizarre (cf. cependant Grorz-Conxw, III, p. 222, et Kaersr, art. Derdas 2 de la ἢ. E.). 47.

Le personnage est inconnu par ailleurs : R. E., VIII, 1, s. v. Hellanokrates 2,

col. 157 (Sunpwaut). 48. Ad 1311 5 8. 49. V, 10, 1311 b 20 sq. 50. Voir Grorz-Conzw, Hist.

1551

sq. (KannsTEDT).

Gr., III, p. 184; R. E., XI, 2, s. v. Kotys 2, 1, col.

218

ARISTOTE

donnant Pyrrhon,

ET L'HISTOIRE

Parrhon, voire Parthon.

Mais la correction est süre,

car Python et Héraclide avaient été auditeurs de Platon 51, et Aristote devait connaître leurs noms : en outre, si comme il est probable Python doit être identifié avec Python de Byzance 5, c'était un personnage trop fameux pour que ce lapsus fût possible. Aristote pouvait en revanche l'appeler « d’Ainos » alors qu'il était devenu « de Byzance »: il suffisait qu'il eüt été encore « d'Ainos » au moment de l'assassinat. C'est ainsi qu'Aristote dit tantôt Hestiaia, tantôt Oréos, selon l'époque envisagée 9. L'indication « qui voulaient venger leur pére » est isolée. Áristote est

notre seule source à ce sujet. Quant à Adamas, le personnage n'est pas connu non plus par ailleurs. On en a fait un eunuque de la cour 54 ou un prétendant au tróne 55 : les deux hypothéses peuvent étre combinées. La date de l'insurrection se place vraisemblablement enre 380 et 370 **. L'autre texte mentionne la révolte de Seuthés le Thrace contre Amadocos, dont il était le général 9". La date exacte et la nature de l'événement ne sont pas connues, mais peuvent étre approximativement délimitées. Xénophon rapporte en effet que Seuthés, qui avait, avec l'appui d'Amadocos, reconquis vers 400 la principauté de son père 59, eut, une dizaine d'années plus tard, des difficultés avec ce même Amadocos : στασιάζοντας. C'est Thrasybule de Steiria qui, finalement, les réconcilia, en 389 5?, Faut-il croire, avec Newman, que la « révolte » de Seuthés est postérieure à cette date ? Il est plus naturel de supposer, avec Swoboda 9, que les deux événements n'en font qu'un. Ainsi la révolte de

Seuthés n'aurait pas eu de suite. La mention στρατηγὸς &v, « dont il était le général », ne permet pas de préciser mieux les faits. Car dés ses débuts, Seuthés a disposé de troupes fournies par Amadocos *!, et rempli, en somme, les fonctions de général. Restent quatre exemples empruntés à l'empire du Grand Roi. Le premier rapporte la révolte d'Artapanés : « Ártapanés, par crainte du discrédit que lui valait l'affaire de Darius, se souleva contre Xerxés : il avait fait pendre Darius sans ordre de Xerxés, pensant obtenir son pardon de Xerxés qui ne se souviendrait plus de ce qu'il lui avait dit au cours de son repas » ®2, 51. R. E., Vl, 1, col. 458, s. v. Herakleides 2 (SrAnxLIN). (KAnnsrEDT, art. cité, écrit par erreur : Herakles) ; Dioc£NE LAERCE, III, 46. 52. SuseminL, Hem. 1680, suivant Scraerer, Dem. u. s. Zeit, II, p. 351 sq.

Cf. Brass, Att. Bered., 11, p. 55. Le passage de ce Python d'Ainos auprès de Philippe nous est connu notamment par D£wosTnENE, Contre Aristocrate, 119, 127, 163. 53. 54. 55. 56.

Pol., V, 3, 1303 a18 (Oréos), et V, 4,1303 533 (Hestiaia). Infra, p. 275. NEWMAN. KaHnsrTEDT, dans la A. E., XI, 2, s. v. Kotys 2, 1, col. 1551. KAHRsTEDT.

57. Pol., V, 10, 1312 a 14. 58. Anabase, VII, passim, notamment 2, 32 sq. 59. Hellén., IV, 8, 26 ; cf. Diopong, XIV, 94, 2. 60. R. E., II, A, 2, col. 2021, s. v. Seuthés 2, SwonBopa émet des doutes sur l'hypo-

thèse qui fait de Cotys le fils de Seuthés ; elle est au contraire admise par KAHRSTEDT, R. E., X1, 2, s. v. Kotys 2, 1.

61. Anabase, VII, 2, 34. 62.

Pol., V, 10, 1311

5 37 sq.

DATATION

RELATIVE,

I

219

C'est en 464 que Xerxès fut assassiné et que son fils cadet Artaxerxès lui succéda *? ; Darius était le fils aîné de Xerxès δὲ, D’après d'autres sources, Darius est mort seulement après Xerxès ®. Si l'on admet que le Xerxès d’Aristote désigne en réalité Artaxerxès, cette difficulté disparait . Mais il reste que, dans les autres récits, Artaxerxès assiste au meurtre de Darius, ou méme y prend part 7. En outre, si Aristote voulait indiquer ici la tentative manquée d'Artapanés contre Ártaxerxés, on comprendrait mal qu’il ne signalât pas, au moins, la tentative préalable, et qui elle, avait réussi, du même Artapanès contre Xerxès : à moins bien sûr qu’Aristote n'admít une autre version de la fin de Xerxés, par exemple celle que suivra Élien : Xerxés assassiné par son fils (Artaxerxés ?). Le mobile du crime n'est pas non plus le méme dans ces différents récits : peur chez Aristote, ambition ailleurs *. Mieux vaut donc,

au total, admettre avec Newman qu' Aristote suit une tradition isolée $9, L'exemple suivant est celui de Sardanapale, contre qui l'un de ses sujets se révo]ta, par mépris, « pour l'avoir vu peigner la laine, avec les femmes » 9, De cet événement existaient aussi deux versions assez différentes : dans l’une, le Mède Arbakés assassinait le roi, sur le champ?! ; dans l'autre, il parvenait à le vaincre et à le pousser au suicide 72. La phrase d'Aristote est trop elliptique pour que l'on puisse décider de la version qu'il suit. Et sans doute ne faut-il pas attacher à ce choix plus d'importance qu'il ne lui en donne lorsqu'il ajoute : « ... si ce récit légendaire est exact ; mais s’il ne s'applique pas à Sardanapale, il pourrait en tout cas s'appliquer à un autre. » C'est qu'Aristote, qui s'intéresse depuis longtemps au roi d'Assyrie, connaît les difficultés que pose sa biographie, et veut retenir ici la philosophie de l'histoire, plutót que l'histoire elle-même 73, Peut-être, par le doute qu'il émet ici, est-il plus proche des historiens modernes que des autres historiens anciens, et a-t-il envisagé que Sardanapale-Assourbanipal avait pu étre un grand roi **, Quoi qu'il en soit, il s'agit ici encore, à l'inverse de ce que nous avons rencontré dans les livres VII et VIII, d'un détail biographique isolé, non d'un trait de mœurs. 63. R. E., II, 1, s. v. Artaxerxés I, col. 1311 sq. (Jüpxrcn). 64. Ibid.,et R. E., IV, 2,s. v. Dareios (4), col. 2211 (SwonopA). 65. Crésias, chez Puorius, cod. LX X1I, 29 sq. (frag. 29, 29, Mürrrn) ; Dionorr, XI, 69 ; Justin, I11,1,1 sq. ἔπιεν, V. H., XIII, 3. Cf. R. E., I1, 1, s. v. Artabanos 2,

col. 1292 (F. CAven). 66. ScuNEIDEn, Suskeuinr, Rem. 1686. 67. 68.

NEWMAN. NEWMAN.

69. C'est aussi ce qui ressort des trois articles cités ci-dessus de la R. E. 70. V, 10, 1312 a 1 sq. M 71. ande, Deipnosoph., XII, 528 (version de Dounis) (fragment 20 de Cr£sias, ürrER).

72. Ibid. (version de Crésias). Cf. R. E., I, À, 2, s. v. Sardanapal, notamment col. 2437-39, tradition de Crésras, 2440-2443, mort de Sardanapale ; ARISTOTE, CALLISTHENE, etc, (WE1SSBACH).

73. Cf. supra, p. 154 et n. 446, 164. 74. Ci. E. Dnorme,

Premières civilisations, 2° &d.,

Paris,

1950 {Peuples

et civi-

lisations, 1), p. 395 sq. Sur le caractère composite du personnage de Sardanapale, cf. l'article cité de Weısspacn

dans la R. E., I, A, 2.

220

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

En 1312 a 12 sq., est évoquée la révolte de Cyrus contre Astyage « dont il méprisait la façon de vivre et la puissance ; car cette puissance était

inactive, et il vivait dans la mollesse ». L'exemple, déjà utilisé, du libérateur des Perses 75, est présenté comme celui d'un général attaquant son roi : ὥσπερ ol στρατηγοῦντες τοῖς μονάρχοις (sc. ἐπιχειροῦσι". Hérodote dit en effet que Cyrus prétendait avoir reçu d'Astyage les fonctions de στρατηγός des Perses ?*. Toutefois, Hérodote fait aussi d'Astyage le grand-père de Cyrus 7, tandis qu'Aristote ne dit rien de cette parenté. Comme Ctésias l'avait contestée #, c’est peut-être lui que suit Aristote. Enfin, en 1312 a 16 sq., Aristote mentionne la révolte de Mithridatés contre Ariobarzane, motivée par le mépris et l'intérêt. Xénophon et Harpocration font allusion au méme événement 79, qu'il est cependant difficile de situer. Un Ariobarzane fut satrape du Pont, de 363 à 337 ;

son fils Mithridates lui succéda ®. S'il s'agissait de ces deux personnages, il faudrait admettre que la révolte est bien antérieure à la mort d’Arıobarzane, puisque Xénophon n'a pas survécu longtemps aprés 355 91. Cependant, Mithridatés aurait survécu à son échec, et succédé beaucoup plus tard à son père. Cela est invraisemblable 92, et il n'est d'autre part pas plus croyable que Xénophon et Aristote rapportent des faits différents : le risque de confusion aurait obligé Aristote à préciser sa pensée. Il songe donc trés probablement à Ariobarzane satrape de l'Hellespont en 368, et révolté contre Ártaxerxés Mnémon

; il aurait été livré au

Grand Roi, par son fils Mithridatés ou Mithradatès, vers 360 #, Ce Mithridatés serait alors sans doute le méme qui, d'abord allié de Cléarque à Héraclée, devint son prisonnier par la suite 55, Cette solution est d'autant plus vraisemblable 95, qu'Artabaze, neveu

de cet Ariobarzane, petit-fils d'Artaxerxés Mnémon et neveu d'Ochos, se réfugia en Macédoine en 353, et n'en revint qu'en 343 87, Les rapports entre Aristote et Hermias d'une part et la Macédoine d'autre part sont 75. 1310 b 37 sq., cf. supra, p. 215. 76.

H£nopnorz,

1, 125. Le « stratégos » est ici en réalité un gouverneur, cf. trad.

Ph. E. LecnANp et Inder analytique d'H£nopors, Coll. des Univ. de Fr., p. 240, s. v. 77. H£noporr, I, 107 aq. ; cf. Xenopuon, 78. Crésias, chez Pnorius (cod. LXXII,

Cyrop., I, 2, 1. : 2 sq., fragment 29, 2 sq., Muzzen),

complété par NicorAs ΡῈ Damas, fr. 66 (MürrEn, F. H. G., III, p. 397 sq.). Résumé des différentes traditions par A. AvMAnp dans Premières civilisations, 2° éd. p. 667 sq. V. aussi A. E., suppl. IV,s. v. Kyros, 6, col. 1128 sq. (WrisssaAcn)]. 79. 80. 81. 82. 83. XVII,

Cyrop., VIII, 8, 4 ; HARPOCRATION, s. v. ᾿Αριαδαρξάνης. Dioponz, XVI, 90,2 ; R. E., XV, 2, s. v. Mithridates 6, col. 2158 (Geyer). P. Masquenavy, introd. à l'Anabase, Coll. des Univ. de Fr., p. V. R. E., XV, 2, s. v. Mithridates, 5, col. 2158 (GEYER). R. E., II, 1, s. v. Ariobarzanes 1, col. 832 (Jünricu) ; Dioponz, XV, 90, 3; 17, 6.

84. 360 selon Grorz-Conen, Hist. Gr., IV, 1, p. 10. 362 pour Jüpzicn, et pour Geyer, R. E., XV, 2, s. v. Mithridates 5, col. 2158. 85. R. E., XI, 1, s. v. Klearchos 4, col. 578 (Lenscnau).

86. C'est celle de JüpEicB, GEYER, Grorz, et de la plupart des ouvrages qu'ils citent en référence. 87. GLotz-Conen, Hist. Gr., IV, 1, p. 11 sq., 15. Sous l’archontat de Callimachos selon DioponE, XVI, 52, 3, c'est-à-dire en 349/48. Mais cf. Grorz, ibid., p. 15.

DATATION

RELATIVE,

I

221

tels à cette époque, qu’Aristote a dû avoir des relations avec Artabaze 88. C'est ainsi que la triste fin d’Ariobarzane n'a pas pu lui échapper.

Le chapitre 11 traite des « remèdes » qui conservent les monarchies. Il comporte le méme mélange d'exemples grecs et barbares. En Grèce, Aristote étudie les cas de Sparte (limitation du pouvoir royal, 1313 a 25 sq.) Athènes (construction de l'Olympieion par les Pisistratides, 1313 b 23), Corinthe (politique de Périandre, 1313 a 36 sq., offrandes des Cypselides, 1313 5 22), Syracuse (pratiques d’espionnage employées par les tyrans, 1313 b 12 sq., charges fiscales sous Denys l’Ancien, 1313 b 26 sq.), Samos (travaux de Polycrate, 1313 b 24) 8. Les exemples barbares sont relativement moins nombreux. Ils sont empruntés aux Molosses (1313 a 24), à la Perse (1313 a 37 sq., b 9 sq.) et à l'Égypte (1313 b 21 sq.). C'est parce qu'elle est limitée, affirme d'abord Aristote « que la royauté a duré longtemps chez les Molosses » :--διὰ γὰρ τοῦτο καὶ ἡ περὶ Μολοττοὺς

πολὺν

χρόνον

βασιλεία

διέμεινεν ... 9. L'aoriste

διέμεινε est surpre-

nant. Il n'implique pourtant pas, remarque Newman, que la royauté avait disparu lorsqu'Áristote écrivait — ce qui serait contraire aux données historiques ?1, C'est la seconde fois que nous rencontrons les rois des Molosses, rapprochés, cette fois-ci encore, des rois de Lacédémone ??, Il ne s'agit plus maintenant d'un détail biographique, mais d'un systéme politique. Toutefois, il n'est pas présenté, à la façon des coutumes ou des lois barbares des livres VII et VIII, comme une curiosité pittoresque. L'exemple égyptien est, comme le précédent, étroitement uni à des exemples grecs : la construction des Pyramides, dit Aristote, contribuait à appauvrir et assagir les sujets des Pharaons 98. Sur le méme principe étaient fondées les politiques des Cypsélides, des Pisistratides, de Polycrate, de Denys l'Ancien. Aristote reprend ici une idée d'Hérodote *!, qui est d'ailleurs fort naturelle. Mais comme Théophraste l'énonce à nouveau dans sa « Politique en fonction des circonstances », en l'ap88. Supra, p. 15 sq. ; Grorz-ConrN, ibid., p. 12. 89. Pour ces exemples, cf. infra, chap. VIII, p. 255 sq. 90. V, 11, 1313 a 24. 91.

Busorr-Swonopa,

Gr.

St.,

II, p. 1473-1477.

Il serait

tentant

de

chercher

dans cet aoriste un indice de datation absolue. Mais des travaux récents tendent à prouver que le koinon des Molosses n'avait pu se transformer en symmachie des Épirotes avant la fin du 1v? siècle : voir P. LÉvèque, Pyrrhos, Paris, 1957, p. 212 sq.,

et Recherches nouvelles sur l'histoire de l'Épire, R. E. G., 70 (1957), p. 488 sq., critiquant

P. R.

Franke,

Alt-Epirus

und das Kónigtum

der Molosser,

diss. Erlangen,

1955. P. LÉVÊQUE, qui d'ailleurs porte sur les Constitutions aristotéliciennes un jugement très réservé, indique que, dans la Constitution des Épirotes (Rose, 1886, 494) attestée chez ÉTIENNE DE Byzance, « Épirote 1 peut avoir une signification ethnique et non politique. Il faut aussi noter que l'organisation des Molosses et celle des Épirotes se chevauchent de facon complexe. Voir à ce sujet le c. r. du Pyrrhos de P. L£vÊQUE

92. 93.

par Ed. WiLL, Revue de philologie, 1959.

Supra, p. 215. Cf. notamment Busorr-SwosopA, V, 11, 1313

b 21 sq.

i bid.,

p. 1474, avec la n. 3.

222

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

puyant sur trois des mêmes exemples (Denys, l'Égypte. les Cypsélides) "5, on a pu penser qu'il avait sous les yeux, ou présent à l'esprit, ce passage de la Politique aristotélicienne 99. Toutefois, l'emprunt n'est pas textuel, et les exemples cités par Théophraste sont moins nombreux, autant qu'un trés maigre fragment permette d'en juger. Ne faut-il pas supposer plutót, à l'appui d'une idée que chacun pouvait avoir, une documentation commune, que Théophraste a pu de nouveau consulter, ou qu'il avait du moins réunie en travaillant avec Aristote *' ? Cette œuvre commune ne peut être que les “ὑπομνήματα ἱστορικά, qui, nous l'avons vu, étaient précisément attribués souvent par les Ánciens à « Aristote ou Théophraste » #. Car ni dans les Lois, ni dans les Constitutions, ni dans les Atxatouata, cités aussi comme fruits de cette collaboration par Philodéme ?9, tous ces renseignements ne pouvaient trouver leur place !9, Resterait cependant l'hypothése que ces exemples aient été introduits par Aristote lui-même dans le Πρὸς καιρούς de Théophraste, auquel il avait aussi participé selon le même Philodème. Mais alors encore, il fallait d’abord qu’Aristote eût rassemblé sa documentation. L'examen des derniers exemples barbares aidera à résoudre ce petit problème. Ce sont deux références à l'Empire du Grand Roi 191. La monarchie perse, remarque Aristote, emploie pour se maintenir de nombreux artifices, qu’utilisent aussi parfois d'autres régimes barbares 19%, Ainsi on réduira ceux des sujets qui paraissent se distinguer 13, On empéchera les citoyens d'avoir une vie privée et on les retiendra devant les portes du palais 2%, On favorisera aussi l'espionnage 1%, pratique également en vigueur à Syracuse. C'est ainsi qu'Áristote commence à peindre le tableau peu séduisant d'un despotisme qui ne veut rien céder de son pouvoir. S'agit-il ici, comme aux livres VII et VIII, de « coutumes » propres à des peuples barbares ? Non, puisque Aristote rapproche ici les procédés perses de la politique de Périandre à Corinthe et des tyrans en Sicile. Ce ne sont point les mœurs d'un peuple, mais les artifices de ses gouvernants, qui sont envisagés. Et barbares et Grecs sont mélés. La conclusion s'impose donc que la documentation « barbare » du 94. H£Rroporte, II, 124 sq. 95. TRÉOPHRASTE, fragment

128, WiMMER.

96. Susemıur, Rem. 1720, en note, rapproche les deux textes. MAN, ad 1313

V. surtout Ngw-

b 22.

97. Supra, p. 100. 98. Supra, p. 130. 99. Texte

cité, p. 100 sq.

100. Ainsi, il n'y a pas trace d'une Constitution d'Égypte, et il n'y a pas de raison de placer une allusion aux pyramides dans les Δικαιώματα niles Lois, — pas plus que Corinthe, Athènes ou Samos ne sauraient figurer dans les Νόμιμα des Barbares. 101.

V, 11, 1313 a 37 sq., b 9 sq.

Cf. Newman,

ad loc., et SusEeMinr,

Rem.

102. Περσικὰ xal βάρδαρα, b 9 sq. 103. 1313 a 40 sq. ; cf. III, 13, 1284 a 41 sq. 104. 1313 b 6sq. ; cf. XÉNoprnow, Cyrop., VIII, 1, 6-8 et 16-20 ; 6, 10 ; 8, 13. 105. 1313 ὃ 11 sq., cf. Cyrop., VIII, 2, 10-12.

1712.

DATATION

RELATIVE,

I

223

livre V et celle des livres VII et VIII ne sont pas du méme ordre. Lorsque Müller, rassemblant les Fragmenta Historicorum Graecorum, a admis que plusieurs de ces textes pouvaient à la rigueur étre empruntés au méme recueil — les Νόμιμα — que ceux de VII et VIII 1%, il n'a pas assez distingué entre coutumes d'un peuple, et détails biographiques ou procédés politiques. Une confirmation en est fournie par les exemples empruntés aux Molosses. Si l’on admettait — comme Müller Y? — qu'Aristote ne considère pas ce peuple comme barbare, il faudrait seulement remarquer que ces exemples « grecs » sont mélés à d'autres exemples, indubitablement barbares. Mais il n'y a pas de raison de penser qu’Aristote ait jugé autrement que ne faisaient, avant lui Thucydide 1%, et bien aprés lui, Strabon 99, Or Aristote a composé, ou fait composer, une Constitution d'Épire 119 (il n'y a pas trace d'une Constitution des Molosses). Les exemples molosses peuvent provenir de cette Constitution, ou de la méme documentation qu'elle. En revanche, ils ne sauraient provenir des Νόμιμα 1", Les autres exemples barbares du livre V, auxquels ne correspond, dans nos fragments, aucune Constitution, peuvent donc avoir été rassemblés d’abord, ou reclassés à un moment quelconque, dans les Hypomnèmata : il serait tout naturel que fussent réunies sous ce titre des notes de lecture prises, entre autres, chez Hérodote ou Xénophon ; nous avons justement rencontré bien des coïncidences entre Aristote et ces deux auteurs 113,

Il est plus difficile de situer l'exemple égyptien du livre III, que Müller rattacherait aussi aux Νόμιμα: « En Égypte, affirme Aristote, les médecins n'ont le droit de modifier le traitement réglementaire qu'aprés quatre jours ; s'ils le font plus tôt, c'est à leurs risques et périls » 118, Cette obligation a sans doute tout le caractère d'un νόμιμον. Mais si

Aristote s’est vraiment intéressé à l'Égypte dans les Hypomnémata, ce que suggérait l'exemple des Pyramides, il a pu y rassembler tout ce qui concernait ce pays 1X, # 106. Mürrzn, F. H. G., II, p. 178 sq. Il cite l'exemple libyen au l. II, les Celtes au méme livre ; Celtes, Ibéres, Scythes, Achéens, Hénioques, Perses en VII-VIII ; le développement sur les syssities en VII ; l'exemple égyptien de III ; Sardanapale,

Cyrus, Artapanés, les Pyramides, en V. — Mürzr manifeste du reste quelque hésitation (ibid., p. 180, fin) sur ce classement, qui en effet paratt arbitraire. 107. Il ne le cite pas dans ses rapprochements avec les Νόμιμα, non plus que les Thraces ni les Macédoniens. 108. Taucyoipe, II, 80-81. 109. Srrason, VII, 7,1 (c 321). Cf. Busorr,

110.

Gr. St., I, p. 124 sq.

Rose, 1886, 494. Cf. supra, p. 98 sq. et 221 sq.

111. C. v. Horziwczn, Philologus, 52 (1894), p. 116, croit trouver dans les extraits dits d'HÉRACLIDE, la trace de Νόμιμα des Molosses (Rose, 1886, fr. 611, 45). Mais

ce texte est plutót à rattacher à la Constitution d'Ithaque. Il s'agit d'une rivalitó entre Molosses et Céphalléniens, et l'auteur enchaîne : « Les Céphalléniens tirent leur nom de Céphale. » Ceci est à rapprocher de Rose, 1886, fr. 504, ἐν τῇ ᾿Ιθακησίων πολιτείᾳ, et du méme H£nacLiIDpE, Rose, 1886, fr. 611, 64, 70, 71. 112. Supra, notes 79, 94, 104, 105, etc. 113. III, 15, 1286 a 12 sq. 114. Il est également difficile de situer le traité de commerce entre Carthaginois et Étrusques, mentionné en 111, 9, 1280 a 35 sq. Il ne provient sans doute pas des

224

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

En revanche, l'exemple celte du second livre, déjà mentionné !!, et l'exemple libyen du même livre !!* sont à rapprocher des Nóut gua. Car il s'agit bien, dans le premier cas, des mœurs des Celtes, et dans le second, des mœurs des Libyens : en alléguant l'autorité de certains géographes, Aristote affirme « que certains des habitants de la haute Libye ont leurs femmes en commun ; mais on distingue d'aprés la ressemblance les enfants nés de ces unions » 17,

Tels sont les exemples précis et caractéristiques que, dans sa Politique, Aristote emprunte au monde barbare : parmi eux, seuls peuvent étre rapprochés des Νόμιμα avec quelque certitude ceux qui figurent aux livres II, VII et VIII. Or les références barbares de VII et VIII sont étonnamment proches de certains textes platoniciens. Il est vrai qu'elles évoquent aussi d'autres auteurs que Platon. Ainsi Hérodote, affirmant qu'il existait en Égypte une caste de guerriers, écrivait : « Les Thraces, les Scythes, les Perses, les Lydiens, et autant dire tous les peuples barbares, tiennent pour moins honorables que les autres ceux de leurs concitoyens qui apprennent les métiers d'artisans, eux-mémes et leur descendance, et considérent comme nobles ceux qui sont affranchis des professions manuelles, principalement ceux qui se sont consacrés à l'art de la guerre » 118, Newman rapproche ces lignes du développement qu'Aristote a consacré aux coutumes et aux lois qui, chez les peuples militaires, encouragent et récompensent la bravoure 119. Il admet que dans les exemples qu'il cite, Aristote a simplement substitué les Celtes aux Lydiens d'Hérodote. Mais les coutumes ou les lois qu'énumére ensuite Áristote n'ont certainement pas pu étre empruntées à Hérodote. Puis Aristote mentionne sept peuples, et non quatre comme Hérodote, qui se contente finalement d'une indication très générale : « Autant dire tous les peuples barbares. » On peut évoquer encore, avec Newman, un texte d'Isocrate : « Les races les plus désireuses de domination et les plus puissantes sont les Scythes, les Thraces et les Perses » 12, De méme Thucydide remarque que les Ibères sont, de l'avis général, parmi les plus belliqueux des Barbares de l'Ouest, μαχιμωτάτους 121, et que les Thraces peuvent être extrêmement sanguinaires !??, Hérodote encore souligne la valeur Νόμιμα. Mais on peut hésiterentre Hypomnémata et Constitution de Carthagesi tant , est que ce traité ait figuré dans un recueil aristotélicien. Le texte n'est pas typique. 115. 11, 9, 1269 b 26 sq. supra, p. 212. 116. 117.

11, 3, 1262 a 19 sq. Cf. Ἠέπονοτε, IV,

180,

qui

attribue

cette

coutume

aux

Auses,

peuple

nomade, mais vivant au bord de la mer, non en Haute-Libye. Infra, p. 314 sq. 118. 119.

120.

H£ropore, I, 167. Newman, ad 1324 b 9. Supra, p. 212 sq.

IsocnaTE,

Panég., 67. Newman

XEnorpnon, Mémorables, II, 1, 10. 121. Taucypine, VI, 90, 3.

122. VII, 29, 4.

rapproche

encore, avec

plus de réserves,

DATATION

RELATIVE,

I

225

militaire des Perses 12. Mais nulle part ne sont rassemblés à peu près tous les peuples dont Aristote allégue l'exemple, nulle part non plus ne sont mentionnées précisément des coutumes propres à ces peuples et telles que celles de nos livres VII et VIII. | Il est vrai encore que chez Platon, certaines allusions aux peuples barbares ne sont pas plus probantes que celles-là. Ainsi, dans le Lachès, Socrate et Lachés discutent de la tactique des cavaliers scythes, qui se battent « aussi bien en reculant qu'en poursuivant » 124, Puisqu’il leur emprunte cet exemple de combat, Platon considére bien alors les Scythes comme

un peuple militaire ; de méme, Aristote — mais de méme aussi,

Hérodote et Isocrate. Une référence analogue aux Scythes, dans le septiéme livre des Lois, appelle des réserves analogues : « Les Scythes ne se servent pas uniquement de la main gauche pour éloigner l'arc et de la droite pour tirer la fléche à eux, mais se servent indifféremment des deux mains pour les deux gestes » 1%, L'anecdote plaisante des Scythes qui ont « beaucoup d'or dans leurs cránes », inspirée d’Herodote, n'est naturellement pas plus significative 1%. Mais au méme livre VII des Lois, la référence aux Scythes est suivie de deux textes du méme type. C'est d'abord, à propos de l'égalité physique entre les sexes, l'affirmation « qu'aujourd'hui méme il y a autour du Pont des milliers et des milliers de femmes appelées Sauromatides, qui, suivant les prescriptions de la loi, s'exercent non seulement à l'équitation, mais encore au maniement de l'arc et des autres armes » 17, En revanche, Platon écrit plus loin que chez « les Thraces et beaucoup d'autres nations, les femmes labourent, font paître des troupeaux de bœufs et de moutons et servent de domestiques absolument comme des esclaves » 1%. Aussi l'Athénien, Clinias et Mégillos ont-ils le choix entre plusieurs genres de vie — dont celui des Grecs. Sans doute est-ce une habitude chère à Platon de comparer ainsi les mœurs des peuples, grecs ou barbares : les exemples en sont nombreux !??. Mais ce sont le plus souvent des comparaisons d'ordre général. Au contraire, des références aussi précises, réunies dans le méme déve-

loppement 1%, marquent un intérêt particulier pour les coutumes bar-

bares. Or comme chez Aristote, c'est bien d'habitudes militaires qu'il s'agit ici. La documentation est du méme ordre. 123. 124.

Hérovore, I, 136, etc. Praron, Lachès, 191 a sq.

125. Lois, VII, 795 a. 126.

Euthydéme,

299

e, cf.

H£noporz,

IV,

65.

On

pourrait

encore

citer Lois,

V, 747 c (Égyptiens et Phéniciens), etc. Il faut laisser de côté les textes du livre III, qui relatent l'histoire militaire et politique de certains peuples barbares, mais ne constituent pas une histoire des mœurs. 127.

Lois, VII, 804 e ; cf. 806 b. (trad. E. CuAMBRY).,

128. Ibid., 805 d-e. 129. K. I. Vourverıs, Alla copixal

γνώσεις

τοῦ Πλάτωνος,

A’, Bap6a-

pıxd, Athènes, 1938, en cite bon nombre, p. 71 sq. : Banquet, 182 a-c, Politique, 290 d-e, etc,

130. On n'ose dire le méme livre, puisque la division en livres n'est pas forcément platonicienne. Cf. H. ArriwE, Aristote et l'histoire

Histoire du texte de Platon,

Paris, 1915. 16

226

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Le caractère que cette érudition prend dans les Lois sera mieux défini par la comparaison de deux textes, l'un emprunté à la République. l’autre aux Lois elles-mêmes. Au quatrième livre de la République, Platon mentionne en effet « le caractère emporté... des Thraces, des Scythes et en général des peuples du Nord, ou la passion de la science, qu’on peut dire propre à notre pays, ou l'avidité du gain, qu'on peut regarder comme la marque particuliére des Phéniciens et des habitants de l'Égypte » 1*1, Il écrit d'autre part dans les Lois, à propos des beuveries : « Je ne parle pas d'un usage quelconque du vin ou de l'abstinence totale, mais de l'ébriété, pour savoir s'il faut. la traiter comme les Scythes et les Perses, ou encore comme les Carthaginois, les Celtes, les Ibéres et les Thraces, qui sont tous des peuples belliqueux (πολεμικὰ σύμπαντα ὄντα ταῦτα γένη), ou au contraire comme vous; pour vous en effet (sc. les Lacédémoniens)... vous la rejetez entiérement, tandis que les Scythes et les Thraces, qui boivent le vin pur, les femmes autant que les hommes, et qui le répandent sur leurs vétements, se sont faits à l'idée qu'ils observent une coutume belle et béatifiante. Quant aux Perses, ils usent aussi largement des autres délices que vous répudiez, mais avec plu: d'ordre que ces peuples » 152, Ainsi, dans le texte de la Hépublique, quatre peuples sont expressément cités : Thraces, Scythes, Phéniciens, Égyptiens. Il s'y ajoute une indication vague, concernant «les peuples du Nord ». Aussi vague est l'allusion à « notre pays ». Il n'y a point là non plus une connaissance vraiment originale des mœurs de ces peuples : Platon se borne à des considérations d'ensemble sur leurs caractéres, considérations qui ont leur équivalent dans la Politique d' Aristote, mais que l'on trouvait déjà dans le traité hippocratique De l'air, des eaux et des lieux 135. Dans le texte des Lois, au contraire, ce sont des coutumes trés précises

qui sont évoquées. Elles sont tout à fait comparables à celles que mentionne Aristote dans sa Politique, en VII, 2, 1324 b 9 sq. Chez

Platon,

Scythes et Thraces répandent du vin pur sur leurs vétements. Les Scythes d'Aristote font circuler une coupe au cours d'une féte. Et les autres traits 131. Rép., IV, 435 e sq. On peut rapprocher, pour les Égyptiens et les Phéniciens, Lois, V, 747 c, déjà cité. 132.

Lois, 1, 637 d sq. Cf. 11, 674 a sq., où la loi carthaginoise est différente : elle

interdit la boisson en campagne et dans d'autres grandes circonstances. Cette contradiction a suscité différentes corrections de texte, et des explications qui sont pour la plupart rassemblées par K. I. VounvEnis, Alloropıxal γνώσεις τοῦ IM, A’, Bap6apixé, Athènes, 1938, p. 145 sq. On y ajoutera celle d'E. B. ENGLAND, The Laws of Platon, Manchester-Londres, t. I, 1921, p. 340: ce peuple d'ivrognes devait trouver cette disposition nécessaire en temps de guerre. Mais ceci ne rend pas compte des autres cas d'interdiction ; et d'ailleurs en 637 d sq. lesfCarthaginois sont présentés à la fois comme grands buveurs et grands soldats. — 1l suffit cependant d'admettre entre les deux textes unc différence de date correspondant à un change-

ment dans la législation carthaginoise, Cf. E. nes PLaces, éd. des Lois (I-II), Coll. des Univ. de Fr., p. 69, n. 2. 133. Pol., 111, 14, 1285 a 19 sq. ; VII, 7, 1327 b 20 sq. ; Hırrocaate, De l'air, des eaux et des lieux, 12 sq., surtout 16 (où l'on signalera, l. 30, l'intéressante correction

ἀποδημιῶν pour πολεμίων ou ἀπολεμίων, due à J. S. Monnison, Class. Rev., N. S., 6 (1956), p. 102-103) et 23. Cf. aussi T'imée, 24 c, et plus tard Cicéron, De natura deorum,

YI, 15, ^2 - 16, 43. Voir infra, p. 406.

DATATION

RELATIVE,

I

227

de mœurs que rapporte le Stagirite sont du même ordre 1%, En outre, chez Platon comme chez Aristote, les peuples dont les noms sont cités, sont choisis parce que belliqueux : ce sont les πολεμικὰ γένη de Platon, les ἔθνεσι πᾶσι

τοῖς δυναμένοις πλεονεκτεῖν

d'Aristote.

Or, à un

nom

près, cette liste de peuples est identique chez les deux philosophes: Scythes, Perses, Carthaginois, Celtes, Iberes, Thraces... Aristote a ajouté seulement les Macédoniens, peuple auquel Platon s’interessait fort peu 1%, et qu'en revanche Aristote avait de bonnes raisons de connaître et de ne pas oublier.

Ainsi, toute une documentation barbare, du méme type, se rencontre

chez Platon, dans les livres VII et VIII de la Politique aristotélicienne, probablement aussi au livre II du méme ouvrage, et dans les Νόμιμα des Barbares. Il n'est pas possible de considérer qu'Aristote dans sa Politique a emprunté directement cette documentation aux Lois : car la documentation des deux écrivains est analogue, mais non littéralement identique. Il n'est pas possible non plus, comme l'avait fait W. Jaeger 1%, de rapprocher une partie seulement de ces éléments analogues : il faut admettre que tous ces textes — Lois, Politique, et Νόμιμα, — portent la marque d'une inspiration commune, d'un intérét cominun pour les barbares, les ἔθνη. Ce fait est cependant susceptible de deux interprétations : l'une est, évidemment,

que ces textes, ou les recherches qui les fondent, sont à

peu prés contemporains. L'autre admettrait des coincidences, des retours en arrière. Aristote aurait pu en effet reprendre trés tard des documents anciens, il aurait méme pu créer de nouvelles collections dans un domaine déjà exploré par lui ou enrichir, trés tard, des collections anciennes. Cette derniére hypothése ne peut étre absolument éliminée, car rien n'est absolument sür dans le détail. Mais il y a des oppositions massives : la documentation barbare de Politique, V, n'est pas celle de VII-VIII (ni probablement de II). Cette dernière ressemble au contraire à celle

des Νόμιμα et à celle des Lois de Platon. Et celle précisément de Platon dans les Lois est beaucoup plus érudite que dans les dialogues antérieurs. Ainsi, à l'époque oü il professe le livre V — aprés 336 —, Aristote ne s'intéresse apparemment pas aux coutumes barbares. Dira-t-on qu'il y est venu plus tard pour composer VII et VIII ? Il apportait alors si peu de nouveautés par rapport à Platon, que l'hypothése est invraisemblable : Platon était mort depuis plus de douze ans ; et comment le savant compilateur des Constitutions se serait-il contenté de quelques notations de mœurs ? Dira-t-on qu'il est seulement revenu alors à des 134. Cf. texte cité supra, p. 212 sq. 135. Cf. peut penser 136. W. p. 165 ; F.

p. 178 sq.

K. I. VounvERis, op. cit., index : les Macédoniens ne sont pas cités. On à un texte comme Gorgias, 470 d sq. (les crimes d'Archélaos). JAEGER, Aristotle?, p. 21, 328. Cf. E. Barker, Class. Rev., 45 (1931), Jaconv, Atthis, Oxford, 1949, p. 386, n. 51 ; et Mürrzn, F. H. G., II,

228

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

préoccupations antérieures ? La méme objection resterait valable. En outre, c'est admettre par hypothése qu'il y a eu chez lui un intérét plus ancien pour ces « coutumes » barbares, intérêt qui coïncide avec celui de Platon : leur documentation est en partie commune et comprend probablement les Νόμιμα, ou l'idée première de ce recueil, qui, nous l'avons

vu, a toutes chances

d’être ancienne 1%, Dans ces conditions,

il est plus simple de rattacher à ce goût ancien toutes les manifestations que nous en avons, y compris la fin de la Politique. Ceci est d'autant plus vraisemblable, que l'évolution de Platon, son goüt de plus en plus marqué, ainsi qu'en témoignent les Lois, pour l'érudition dans ce domaine barbare, peut s'expliquer en partie par l'influence d'un disciple — d'un collègue aussi — que ce sujet intéressait. Cet intérêt a dû s'exprimer dans les ceuvres que le disciple écrivit, lui aussi, à peu prés vers cette époque. Mais il faut aller plus loin : l'utilisation de cette documentation barbare dans les livres VII et VIII ne peut sürement pas étre récente. Un indice en est fourni par l'allure générale de la documentation historique que contiennent ces livres : à part les exemples barbares, peu de faits historiques précis y sont considérés 135, et ceci surprendrait à l’époque où Aristote étudie les Constitutions, à l'époque aussi où il aurait déjà rédigé un livre V bourré d'érudition. Une certitude enfin est apportée, par la facon dont il considére ici et ailleurs les trois grandes constitutions historiques du livre II : Sparte, Créte, Carthage. 2. SPARTE,

CRÈTE, CARTHAGE.

Les Carthaginois, en effet, apparaissaient au livre VII 1%? comme un ἔθνος barbare, régi par des règles remarquables — aussi remarquables, exactement, que celles qui régnaient chez les Scythes, les Perses, les Thraces,

les Celtes,

les Macédoniens

ou

les

Ibères : toutes

pouvaient

mériter d’être enregistrées dans un recueil de Νόμιμα des Barbares. Au contraire, le second livre de la Politique contient l'exposé détaillé de la constitution carthaginoise : tout le chapitre 11 lui est consacré. . Aucun témoignage direct, il est vrai, ne prouve l'existence d'une Constitution de Carthage dans la collection des Constitutions aristotéliciennes. Mais ce texte du second livre, comme l'avait vu Müller, n'entre pas dans le cadre des Νόμιμα, alors qu'il convient parfaitement au «genre» des Constitutions. Ainsi Aristote a considéré que les institutions de Carthage, tantôt appartenaient au domaine des Nó papa, et 137. Supra, p. 116 sq. 138.

Cf. O. Immiscu ou W. D. Ross, Index de leurs éditions. On rencontre en 1327 b

14 une allusion remarquable à l'asservissement des Mariandynes par les habitants d'Héraclée du Pont. ARISTOTE a peut-être ici la méme documentation que Praron, Lois, VI, 776 c. C'est en tout cas le seul texte où il désigne

Héraclée du Pont par

l'expression ἡ πόλις τῶν 'HpeaxAeotóv, cf. PLaron, fj τε ᾿Ηραχλεωτῶν δουλεία τῆς τῶν Μαριανδυνῶν καταδουλώσεως.... Partout ailleurs, Arısrote dit “Ηρακλεία. Cf. Bonıtz,

Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v.

139. VII, 2, 1324 b 9 sq. Supra, p. 212 sq.

DATATION

RELATIVE,

I

229

tantôt à celui des Πολιτεῖαι. Il est peu probable que ces deux points de vue différents aient été simultanés 140, Un second fait significatif, et lié au précédent, est que Carthage, dans une partie de la Politique, est associée à Sparte, comme exemple historique, et parfois comme modèle proposé. Ainsi, en III, 1, 1275 b 8 sq., Aristote compare l'organisation judiciaire des deux États. En IV, 7, 1293 b 14 sq., il rapproche et distingue à la fois ces deux aristocraties. En V, 7, 1307 a 2 sq., l'exemple d'Hannon à Carthage succéde à celui de Pausanias,

vainqueur

lacédémonien

de Platées.

En

V,

12,

1316 a 33 sq., les deux États sont encore réunis, comme aristocraties issues de tvrannies M, Ce couple Sparte-Carthage n’apparaît que dans la Politique et seulement après le chapitre 11 du livre II, où Aristote a précisément souligné, pour la première fois, les rapports qui existent entre les deux constitutions 142, Mais on ne le rencontre jamais non plus aux livres VII et VIII. Ici, au contraire, les constitutions de Sparte et de Crète sont étroitement associées, et cela dans le texte méme où Carthage, elle, est men-

tionnée parmi les pays barbares aux coutumes curieuses : « Chez la plupart des peuples, la plupart des lois sont accumulées sans ordre. Mais lorsqu'elles ont une orientation assez définie, c'est toujours vers la domination. Ainsi à Sparte et en Créte l'éducation et l'ensemble des lois sont organisées en vue de la guerre. De méme chez tous les peuples

barbares capables de conquétes... etc... » 143, Le couple Sparte-Créte apparaît également au second livre, avant l'étude de Carthage, là oà Aristote ne mentionne jamais un couple SparteCarthage: II, 5, 1263 b 40 sq., 9, 1269 a 29, cf. 10, 1271 b 20 sq., etc. Il est attesté enfin dans d'autres œuvres d’Aristote : le Protreptique !4, le premier livre de !' Éthique de Nicomaque 145. En revanche, dans la Politique (et partout ailleurs chez Aristote), il n'est jamais rapproché du couple Sparte-Carthage. Nous ne rencontrons celui-ci que dans la Politique entre la fin de II et V. Or dans aucun de ces textes Aristote n'envisage le couple Sparte-Créte. Bien plus : dans aucun de ces textes le nom de la Créte n'est seulement mentionné. Tout se passe donc comme si ces deux couples, Sparte-Créte et SparteCarthage, s'excluaient l'un l'autre. Et lorsqu'apparait le premier, Carthage, si elle est étudiée, l'est seulement comme objet de Νόμιμα : c'est le cas en VII. Mais lorsqu'elle est associée à Sparte, ce sont ses dispositions constitutionnelles qui intéressent Aristote : elle est matière à Πολιτεία. Ce changement de point de vue ne peut s'expliquer que par une évolution d'Aristote. 140. Supra, p. 100 sq. ; Mürrn, F. H. G., 11, p. 167 sq., 178 sq. 141. Mais Carthage est citée isolément en 111, 9, 1280 a 36 ; V, 12, 1316 b 5 ; VI, 5, 1320 b 4. 142. 1I, 11, 1272 b 24 sq., 28, etc.

143. VII, 2, 1324 b 7 sq. cf. supra, p. 212 sq. 144. Protreptique, fragments WALzER 13, p. 54 sq. cf. supra, p. 151 sq. 145.

E. N., 1, 13, 1102 a 10 sq.

230

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

En effet, le Protreptique, où Sparte voisine avec la Crète, est sûrement ancien 1, Le livre I de l’ Éthique de Nicomaque, qui présente le méme rapprochement, sans être ancien, n’est pas très récent : il appartient très probablement à ce que F. Nuyens appelle « la période intermédiaire» 1€, En outre, le couple Sparte-Crète est traditionnel. Hérodote faisait déjà venir de Crète les institutions lacédémoniennes !€. Polybe atteste que de nombreux historiens ont souligné les similitudes des deux régimes : il cite Éphore, Xénophon, Callisthène, Platon 14°... L'exemple de Platon est, de tous, le plus sûr, et aussi, par rapport à Aristote, le plus signi-

ficatif. Il rapproche souvent Sparte et la Crète : on a pu compter dans les Lois dix-huit couples de ce genre 1%, On en rencontre déjà dans le Protagoras, et dans la République— entre autres 151, En revanche, le couple Sparte-Carthage est, avant Aristote, à peu près inconnu. Méme lorsqu'un écrivain vante une loi de la barbare Carthage, il n'ose la placer sur le méme plan que l'exemplaire Lacédémone. Carthage, qui pourtant n'est pas sans relations avec la Grèce 154, est en somme considérée comme un monde à part. Ainsi Platon oppose fortement à « l'usage crétois ou lacédémonien » la loi de Carthage sur l'ivresse, que d'ailleurs il approuve 158, Dans la République, si les « royautés vénales » que mentionne le livre VIII sont une allusion à Carthage entre autres cités, on voit comme ce régime est soigneusement distingué du « fameux gouvernement de Créte et de Lacédémone » 154, La Lettre VII — où l'on respire, il est vrai, une atmosphére sicilienne — rejette décidément les Carthaginois au rang des barbares les moins civilisés 155, Un seul texte, qui figure dans le Nicoclés d’Isocrate, parait d'abord faire exception, et unir, avant Aristote, ce couple Carthage-Lacédémone. Le rapprochement serait d'autant plus significatif, qu'il s'agit justement de bon gouvernement ; mais il ne résiste pas à l'examen. Isocrate, en effet, vante ici les avantages de la monarchie, particulièrement à la guerre, Et il donne des exemples : « Exemple, la puissance des Perses... Exemple, 146. Supra, p. 150 sq. 147. Supra, p. 76 sq., 154. 148. Herovore, I, 65. 149.

Porvsar, VI, 45. La référence

à XÉNoPHON

est erronée : XENOPRON

rien de tel. Cf. F. OrriEn, éd. de la Rép. Lac., 1933, p. x : XEnornon contraire le caractére original et inimitable du régime spartiate. 150.

ne dit

affirme au

H. van ErrENTERRE, La Crète et le Monde grec de Platon à Polybe, Paris, 1948,

p. 69 et n. 3: I, 625 a, 634 d, 635 b, 636 b-d, 641 e; I1, 660 b sq., 666 d, 673 b, 674 a; III, 680 c, 683 a, 693 e ; IV, 712 e ; VI, 780 b ; VII, 796 b ; VEHI, 836 b-c, 842 ; X, 886 b. —

H. van

ErreNTERRE

remarque, contre

E. Kırsten et F. OLLIER, que

dans nombre de ces citations, l'usage crétois est individualisé. Mais cela n'importe pas à notre propos, non plus que les raisons, évidentes, de ces rapprochements entre constitutions doriennes. 151.

Protag., 342 a ; Rép., V, 452 c ; VIII, 544 c. Cf. encore Criton, 52 e, etc.

152. Sans parler des rapports avec les Grecs de Sicile, et en nous bornant à un événement contemporain d'Aristote, citons G. Grorz, Un Carthaginois à Thébes en 365 av. J.-C., Mélanges Nicolas Jor ga, 1933, p. 331 sq.

153. Lois, II, 674 a sq. 154. Rép., VIII, 544 c et d. 155.

Lettre VII, 333 a, et le contexte.

DATATION

RELATIVE,

I

231

Denys le Tyran, qui trouvant toute la Sicile dévastée et sa propre patrie assiégée, non seulement sut délivrer cette ville des dangers qui la menaçaient, mais encore en fit la plus puissante des cités grecques. Témoins encore les Carthaginois et les Lacédémoniens, les mieux gouvernés d'entre les Grecs, qui chez eux sont conduits par une oligarchie, mais à la guerre subissent l'autorité d'un roi » 156, Est-ce vraiment un couple Sparte-Carthage que nous trouvons ici, systématique, formé aprés müre réflexion, comme chez Aristote ? La division du texte en paragraphes tend à accréditer cette idée : le paragraphe 24 débute avec « Témoins encore les Carthaginois... » 157, comme si les Carthaginois étaient isolés de ce qui précéde. Mais il n'en est rien. C'est en réalité la référence à Denys, vainqueur des Carthaginois, qui a amené ici la référence aux Carthaginois eux-mêmes. Il est vrai que le nom de ces Carthaginois n'est pas prononcé dans la phrase qui retrace les exploits de Denys. Mais l'association d'idées est manifeste 15%, Aussi ne peut-on conclure du texte d’Isocrate qu'il était habituel, avant Aristote, de louer la constitution de Carthage comme on louait celle de Sparte !5?, Un hasard a rapproché les deux cités dans la pensée d'Isocrate, qui n'a pas manqué de voir et de souligner les caractéres communs de leurs régimes. Mais ce rapprochement accidentel est exceptionnel. Dans ces conditions, il n'est pas possible d'admettre qu'Aristote a songé au couple Sparte-Créte aprés avoir déjà formé des couples SparteCarthage : ceux-ci, originaux, doivent étre plus récents que les traditionnelles associations Sparte-Créte. Ainsi, le début du livre II, jusqu'à l'étude sur Carthage, et les livres VII et VIII, reflétent cette conception ancienne. Ce sont précisément les textes où apparaît une documentation barbare qui évoque les Νόμιμα : elle aussi doit être ancienne et anciennement utilisée. Vint au contraire un temps oü Aristote ne s'intéressait plus aux Νόμιμα en tant que tels, mais aux Πολιτεῖαι. Et ce fut aussi le temps où le régime de Carthage, étudié maintenant parmi les Constitutions, vint se substituer au régime crétois dans l'esprit et l'admiration d'Aristote. Cette étape commence au plus tót quand Aristote étudie systématiquement Carthage : en II, 11. Un examen plus détaillé des textes relatifs à Sparte, la Créte et Carthage montrera mieux cette évolution du philosophe historien. 19 Lacédémone

19

Le texte le plus considérable qu’Aristote a consacré à Lacédémone dans sa Politique est le chapitre 9 du livre Il. Aristote y remarque 156. Nicoclés (III), 24. 157. Ἔτι δὲ Καρχηδονίους καὶ Λακεδαιμονίους. Kal Λακεδαιμονίους, omis dans un manuscrit, ἃ été rajouté. Sans ces mots, la suite est peu compréhensible : τοὺς ἄριστα τῶν “Ελλήνων πολιτευομένους. 158. Cf. Archidamos, 44 sq. 159. Ajoutons que dans un éloge de la monarchie l'exemple crétois était inutilisable, et qu'enfin le Nicocles est plus intéressant pour le moraliste que pour le philosophe politique (ἃ. Marniec, Les idées politiques d' Isocrate, Paris, 1925, p. 110). 160.

V.surtout F. OrLLier, Le mirage spartiate, I, Paris, 1933, chap.

IX, ainsi que

232

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

d'abord que cette constitution, comme en général toute constitution, peut être examinée de deux points de vue (σκέψεις) : par rapport à la meilleure constitution, et par rapport à son principe méme. Mais cette distinction, à laquelle Aristote semble se référer à l'occasion !f!, ne fonde cependant pas, comme on aurait pu s'y attendre, le plan du chapitre. C'est d'abord l'organisation sociale qui est examinée, puis l’organisation politique; Áristote termine par des généralités et un complément. Du point de vue social, Aristote critique d'abord l'institution des hilotes, qui lui paraít en principe indispensable, mais qui est mal réglée, puisque les hilotes guettent toute occasion de se révolter 2. La cond: tion des femmes n'est pas non plus satisfaisante : elles qui forment « ]a moitié de la cité » vivent dans la licence, et elles ont en méme temps toute l'influence que détiennent d'ordinaire les femmes chez les peuples militaires. Leur insolence ne leur a pas donné en contre-partie le courage: leur conduite aprés la défaite de Leuctres en est le triste témoignage. Elles contribuent au contraire à développer le goût du luxe et le culte de l'argent 193, L'inégalité des fortunes est, elle aussi, choquante : par le jeu des héritages et des dots, les deux cinquiémes du sol appartiennent aux femmes. C'est une cause de dépopulation !**, et la défaite de Leuctres a montré aussi la gravité de ce danger : « Un seul coup a suffi pour abattre la cité ; la faiblesse de sa population l'a perdue » 1%. La loi qui encourage la natalité ne peut corriger cette faiblesse, puisqu'avec ce régime de la propriété elle accentue l'appauvrissement général 1%, C'est précisément la pauvreté des éphores qui constitue la première des critiques d'ordre politique qu'énonce Aristote : dotés de pouvoirs considérables, mais recrutés dans le peuple tout entier, les éphores sont souvent pauvres, donc vénaux. En outre, leur pouvoir égale presque celui de tyrans : les rois eux-mêmes sont contraints de les flatter. Utile en principe, puisqu'elle fait participer le peuple au gouvernement, cette magistrature devrait être élue d'une façon qui ne fût pas « puérile », παιδαριώδης. Il n'est pas normal non plus que des citoyens non qualifiés jugent souverainement, sans recours à des textes, dans des causes trés importantes. Enfin, le mode de vie des éphores ne s'accorde généralement pas avec l'austérité qui est en principe la régle de la cité 1€. Les gérontes sont également vénaux, sensibles aux influences. Ils sont élus à vie ; or « il y a une vieillesse de l'esprit comme il y en a une du corps ». Le mode d'élection, cette fois encore, est « puéril ». Le contróle exercé sur eux par les éphores n'est pas satisfaisant 18, E. Braun, Die Kritik der Lakedaimonischen toteles,

Kürtner

Museumsschriften,

XII,

161. 1269 5 12-14 ; 1270 b 31 sq., etc. 162.

1269

a 34-b 12.

163. 164. 165. 166. 167. 168.

1269 1270 1270 1270 1270 1270

b a a a b b

12-1270 a 15. 15-39. 33 sq. 39-b 6. 6-35. 35-1271 a 18.

Verfassung in den Politika des Aris-

Klagenfurt,

1956.

DATATION

RELATIVE,

I

233

Quant aux rois, le principe d'hérédité est évidemment mauvais. faut surveiller les rois, entretenir des désaccords

Il

entre eux 199,

Aristote passe ensuite, de facon assez surprenante, à la question des syssities. C'est pour lui un probléme politique, parce que la participation à ces repas publics fournit justement le critére du droit de cité. Or les pauvres en sont exclus, parce que l'État n'assume pas les frais des syssities : chaque citoyen doit y contribuer pour sa part 1”, Enfin, les navarques occupent une fonction militaire paralléle à celle des rois, et sont souvent leurs rivaux 17],

Aristote va conclure en critiquant l'esprit de cette constitution, oü la vertu militaire est seule considérée ; aussi les Spartiates ont-ils su

conquérir un empire, mais non le conserver. En outre, ils croient que les biens matériels sont préférables à la vertu qui permet de les acquérir 172, Remarque complémentaire, liée à cette derniére considération sur l'attachement des Spartiates aux biens matériels : le trésor public est toujours vide. Cette constitution obtient en effet ce résultat paradoxal, que la cité n'a jamais d'argent, mais que les citoyens adorent l'argent : τὴν μὲν γὰρ πόλιν πεποίηκεν ἀχρήματον, τοὺς δ᾽ ἰδιώτας φιλοχρημά-

τοὺς 173,

Le plan est donc assez net. Mais il arrive qu’Aristote passe d’une considération à la suivante par une simple association d'idées. Surtout, il juge que la plupart des institutions spartiates sont faussées par l'avidité, la φιλοχρηματία. C'est le principe de plusieurs de ses critiques, d'ordre social ou politique : elles se fondent donc sur une objection essentielle, qui est d'ordre moral. Ces critiques, dans l'ensemble, l'emportent de beaucoup sur les éloges, qui ne font cependant pas totalement défaut, mais qui sont toujours trés nuancés. Áinsi Sparte fait partie, selon Aristote, des « cités bien gouvernées » 1%, Elle jouit d'une « réputation justifiée » 5. Mais Aristote affirme aussi que les Lacédémoniens comme les Carthaginois, « passent pour bien gouvernés », δοκοῦσι 1%, Et le développement relatif à Sparte a été annoncé, au début du livre II, par une formule pleine de réserves : «les constitutions des cités que l'on dit bien gouvernées »,

τῶν εὐνομεῖσθαι λεγομένων 17. De méme, Aristote loue le principe de l'hilotisme, et celui des syssities. Il refuse de se prononcer sur celui de la royauté. Il admet volontiers que les éphores soient recrutés dans le peuple, et loue les Spartiates de préférer le courage à la lácheté. Mais partout il voit excés ou déformation de ces principes, corruption de toutes choses par la cupidité. A

169. 170. 174. 172. 173. 175. 175. 176. 177.

1271 a 18-26. Cf. 11, 1272 ὃ 38 sq. 1271 a 26-37. Cf. 10, 1272 a 12 sq. 1271 a 37-41. 1271 a 41-b 10. 1271 b 16 sq. II, 6, 1265 a 32 sq. II, 11, 1273 δ 24 sq. 1272 5 24 sq. Il, 1, 1260 ὃ 30 sq.

234

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

n'en pas douter, il considère que le régime spartiate est déséquilibré. Ces critiques ont encore un écho dans les deux derniers livres de la Politique. Là aussi, Aristote reproche à Lacédémone — et à la Crète — une législation et un système d’éducation organisés en vue de la guerre!®, alors que les activités militaires « sont nobles sans doute, mais ne sauraient être considérées comme la fin suprême » 179, C'est pourtant, dit-il plus loin, « l’erreur que commettent Thibron et tous ceux qui ont écrit sur la constitution de Sparte » 4% : ils louent Sparte de sa valeur militaire, qui lui a valu son empire. Mais la perte de cet empire, remarque Aristote, donne alors la preuve que cette constitution est mal conçue. La conception spartiate de la vertu est encore critiquée à la fin du septième livre : les Spartiates placent avant toute chose les biens matériels, et s'imaginent qu'une seule vertu — la vertu militaire — leur permettra de les obtenir 1381, Et Aristote tient tellement à cette idée qu'il y revient au livre VIII, où cependant les Spartiates sont loués d'accorder la plus grande attention à l'éducation des enfants et d'avoir pour cela une organisation d'État 182, La qualité de leur goût musical y est aussi signalée tout particulièrement 193 : sans être eux-mêmes exécutants, ils savent parfaitement, du moins à les en croire (ὥς φασι) distinguer la bonne musique de la mauvaise. Mais à côté de ces éloges, Aristote formule encore des critiques qui ont singulièrement plus de poids : le culte du courage a déformé l'éducation spartiate. Le courage n'est pas une vertu à laquelle il faut sacrifier toutes les autres ; et celle-là même n’est pas le produit de l’éducation spartiate : le système lacédémonien engendre la férocité, et non la bravoure. Les victoires des Spartiates n'étaient pas le fruit de ce système, mais bien du laisser-aller des autres peuples. Car depuis que ce laisser-aller a pris fin, les Spartiates sont vaincus dans les compétitions sportives comme à la guerre 164. Telles sont les réserves fort graves qu’Aristote fait sur le régime spartiate, au livre II et dans les deux derniers livres. En revanche, au quatrième livre, il le présente comme un modèle d'équilibre, où s'harmonisent des éléments divers et contraires ; aussi peut-on dire que cette constitution est démocratique, ou oligarchique. Cette ambiguïté méme est, selon Aristote, le propre d'une constitution bien équilibrée 18, Lui-méme n'attache, en conséquence, qu'un intérét limité à ces dénominations. Car il range Sparte tantót parmi les aristocraties, tantót parmi les monarchies 1%, tantôt, dans le méme texte du livre IV, parmi les « politeiai ». 178. 179. 180. 181. 182.

VII, 2, 1324 Ibid., 1325 a VII, 14, 1333 VII, 15, 1334 VIII, 1, 1337

b 7 sq. 6 sq. b 18 sq. a 40 sq. a 31 sq.

183.

VIII, 5, 1339 a 41 sq.

186.

Aristocratie : V, 7, 1306 b 29 sq. Monarchie : V, 11, 1313 a 25 sq., etc.

184. VIII, 4,1338 5 9 sq. L'affaiblissement spartiate, dont il est question dans ces textes, s'explique naturellement par la bataille de Leuctres. Cf. supra, p. 131, n. 244, et p. 192, n. 94. 185. IV, 9, 1294 b 14 sq. Cf. infra, p. 235 sq.

DATATION

RELATIVE,

I

235

Mais cet équilibre qu'il reconnaît ici au régime spartiate est-il incompatible avec les critiques, beaucoup plus nombreuses que les éloges, qu'il en faisait aux livres II, VII, VIII ? On pourrait être tenté, effectivement, de distinguer deux attitudes d’Aristote envers Sparte : l'éloge et la critique, en supposant que dans ses éloges, il était surtout tributaire de Platon 15, Mais 1] ne faut pas oublier que Platon lui-même n'hésitait pas à critiquer Sparte 1, et que le méme mélange d'éloges et de critiques se retrouve dans les développements consacrés à Carthage, oü Aristote, cette fois, n'était sûrement pas tributaire de Platon 1°. L’eloge de l'équilibre spartiate au livre IV s'explique bien dans la perspective de ce livre, où Aristote, se détournant des considérations idéalistes qui le guidaient dans les livres II, VII et VIII, étudie les réalités de la politique. De ce point de vue, Sparte n'est pasfle pire des régimes. Les louanges qu'elle obtient ici sont du reste tempérées rapidement par cette affirmation, que dans une constitution dont l'équilibre est vraiment bon, « aucune des parties de la cité ne veut un autre régime » 19, Or Aristote mentionne justement au livre V des exemples de troubles survenus dans « l'aristocratie » lacédémonienne !?!, 1] ne se faisait aucune illusion sur la stabilité de cet équilibre. Aussi faut-il admettre que le jugement d'Aristote sur la constitution spartiate est homogène. On n'y relève aucune trace d'évolution. Il parait avoir été arrêté assez tôt. C'est assez tôt également que durent être connus d’Aristote les faits qui fondent ce jugement. Ce qu'on peut appeler sa « documentation lacédémonienne » est homogéne. Elle comprend essentiellement les références à Sparte de la Politique, et les fragments de la Constitution de Lacédémone,

dont l'existence est formellement tique se concilient entre eux, et, la Constitution. Ainsi, le texte du livre IV, oà tution spartiate 158, reprend et livre II 1%, Les éléments de ces Au livre II, Aristote remarquait

attestée 192. Or les textes de la Poligénéralement, avec les fragments de Aristote loue l'équilibre de la constimodifie un jugement déjà énoncé au appréciations ne sont pas identiques. qu'aux yeux de certains, la royauté

représentait à Sparte le facteur monarchique,

le sénat,

le facteur oli-

garchique, tandis que l'éphorat passait pour démocratique. D'autres cependant considéraient l'éphorat comme tyrannique, mais admettaient q ue les syssities et les régles de la vie quotidienne étaient démocratiques. 187. F. Orrikn, Le mirage spartiate, I, Paris, 1933, chapitre IX. 188. Rép., VIII, 548 asq. ; Alcibiade 1, 122 d sq. ; Hippias majeur, 283 bsq. ; Lois, 1, 626 d aq.; VI, 776 c ; VI, 780 esq., etc. Cf. F. OLLier, Le mirage spartiate, p. 217 sq.

189. Cf. P. Crocn£, Aristote et les institutions de Spartes, Les Études Classiques,

XI (1942), p. 190. IV, 9, 191. V, 7, 192. Rose,

sûrement

289-313. 1294 b 38 sq. 1306 b 29 sq. Fragmenta, 1886,

532-545,

Les

de la Constitution aristotélicienne

HorziNcrn, alléguée supra, p. 101, n. 37. 193. Supra, p. 234. IV, 9, 1294 b 19 sq. 194. II, 6, 1265 5 35 aq.

« extraits

d'Héraclide

: cf. la démonstration

» proviennent

de

Carl

von

236

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Ceux qui, selon le livre IV, qualifient Sparte de démocratie, tirent aussi argument du mode de vie des Spartiates, et de l'éphorat ; ils s'appuient encore sur le choix des gérontes par le peuple, et sur l'égalité qui caractérise l'éducation. À quoi d'autres répondent qu'une élection sans tirage au sort est oligarchique, et oligarchique aussi le fait que la vie et l'exil des citoyens dépend d'une minorité, Etc., ajoute Aristote, xal ἄλλα τοιαῦτα πολλά, montrant par ces mots que ces considérations ne méritent pas une attention excessive. Il affirme lui-même ailleurs que la constitution lacédémonienne est un mélange « de démocratie et de vertu » 1#, et c'est sans doute son opinion personnelle. Il n'y a pas, en tout cas, de contradiction entre le livre II et le livre IV : Aristote y rapporte les opinions d'autrui; on a pu en effet rapprocher ces textes des Lois de Platon ou de l' Aréopagitique d'Isocrate 1%. Mais il ne prétend nulle part épuiser la gamme des opinions possibles. Son «etc... » le dit assez. II serait donc imprudent de conclure de cette comparaison qu'entre la rédaction des deux textes, la documentation d’Aristote a varié 1%. Dans ce méme texte du livre IV, Aristote affirme que gérousie et éphorat sont à Sparte les magistratures les plus importantes, αἱ μέγισται

ἀρχαί 198. Faut-il voir là, comme le fait Newman, une contradiction avec le passage du livre II, où les rois sont dits « maîtres de questions importantes », μεγάλων κύριοι 19? ? Le superlatif μέγισται lève évidemment cette objection. En outre, comme Aristote rapporte au livre IV le point de vue d'autrui, il serait à la rigueur possible qu'il ne prít pas ici à son

compte cette « extréme importance » de la gérousie et de l'éphorat. Mais il n'est méme pas nécessaire de recourir à cette explication : n'a-t-il pas écrit au livre II que « la magistrature des éphores décide des affaires

les plus importantes», 5 γὰρ ἀρχὴ κυρία μὲν αὐτὴ τῶν μεγίστων αὐτοῖς ἐστιν 99 ? Quant aux gérontes, qui sont justement xüpiot ... χρίσεων μεγάλων, exactement comme les éphores 9!, ils sont mentionnés immediatement aprés ceux-ci, comme dans l'ordre d'importance des magistratures. Les rois ne figurent qu'ensuite, et Aristote a insisté sur les divisions et la surveillance qui affaiblissent leur pouvoir. Le róle des rois de Sparte est précisé au livre III, lorsqu'Aristote étudie les divers types de royautés. Là encore, cette institution apparait comme limitée à un domaine restreint : le roi « à la lacédémonienne » est soumis à la loi. C'est un chef militaire, et un chef religieux 2%. Il 195.

IV, 7, 1293 b 16 sq.

n 196. Lois, IV, 712 d sq. ; Aréop., 61. Cf. Susgwinr, Rem. 1263 ; Newman, ad 1294 18 sq. 197. On trouve encore une idée analogue à celle de II, 6, 1265 b 35 sq., mais trés condensée, en IV, 1, 1288 b 40 sq. Enfin, V, 12, 1316 a 17 sq., montre la même

méfiance envers les classements et les considérations trop théoriques : PrATON ἃ tort de dire (Rép., VIII) que la constitution « lacédémonienne » succéde forcément à sa constitution idéale et se trouve elle-méme remplacée ensuite par l'oligarchie. 198. IV, 9, 1294 b 29 sq. 199. 11, 11, 1272 b 41 ; cf. VII, 14, 1333 b 34 aq. 200. II, 9, 1270 b 7 sq. 201. 1270 b 28 sq. et 39. 202. III, 14, 1285 a 3 sq.

DATATION

RELATIVE,

I

237

détient une sorte de stratégie, avec pleins pouvoirs il est vrai, et à vie 99 ; elle est méme héréditaire. Mais il n'a pas le droit de vie et de mort, sauf en campagne. C'est, en fin de compte, la moins puissante des royautés 24, Des éphores, Aristote dit au livre III 2% que chacun juge, en matière de contrats, une catégorie de causes, cependant que les gérontes connaissent des procès de meurtres, et que d’autres causes peuvent ressortir à d’autres magistratures. Cette répartition, qui n'est pas inconnue par ailleurs 95, est conforme à ce qu’Aristote, au livre II, dit des éphores et des gérontes « qui décident souverainement de causes importantes », et au livre IV, de l'organisation « oligarchique » de la justice spartiate, « où une minorité décide de la mort et de l'exil des citoyens » 2°, Enfin, le principe de la répartition des causes entre les magistrats est, au livre II aussi,

formellement

attribué

à Lacédémone 2%,

À propos des gérontes encore, Áristote remarque au livre V que lorsqu'Élis était en régime oligarchique, l'élection des gérontes était réglée de façon à servir quelques intérêts particuliers (Suvaoteutixr), et tout à fait comparable au système spartiate 2%. Ceci ne fait que confirmer le jugement sévère porté au livre II sur la « puérilité » des élections à Lacédémone 2°, En ce qui concerne l’organisation sociale, Aristote loue, au chapitre 5 du livre II, le législateur spartiate d’avoir établi dans sa cité la communauté des biens par le moyen des syssities 211, Cet éloge est évidemment nuancé aux chapitres 9 et 10, où Aristote relève tous les défauts des phidities spartiates. Mais il ne s'agissait, au chapitre 5, que du principe, et non des modalités des repas en commun. Aristote critique le communisme platonicien et la conception que Platon se faisait de l'unité de la cité. Une cité trop unifiée, objecte Aristote, est de l'utopie, et n'est méme pas souhaitable : la vie y serait impossible. Mieux vaut, par les mceurs, la culture et les lois, insuffler aux citoyens l'esprit qui convient à un bon usage de la propriété. Tel est le but des repas en commun. Citant ici l'exemple de la Créte en méme temps que celui de Sparte, Aristote indique de ce fait que le principe de l'institution, seul, l'intéresse pour le moment. Plus tard viendront, aux chapitres 9 et 10, les considérations pratiques. Alors l'organisation crétoise se révélera différente, mais meilleure. Mais ces textes, situés sur des plans distincts, ne s'opposent pas ils se complétent. Aristote attache beaucoup d'importance à la facon dont les Lacédé203. olov στρατηγία τις αὐτοχρατόρων καὶ ἀίδιος, 1285 a 7 sq. 'ῶς εἰπεῖν ἁπλῶς στρατηγία κατὰ γένος ἀίδιος, III 204. 205.

14, 1285 b 26 sq.

III, 15, 1285 5 35 sq. III, 1, 1275 5 9 sq.

206. (PLurarque), Apopht. Lac., Eurycratidas, 221 b ; H&ropore, VI, 57 (New-

MAN). Cf. BusoLt-Swosonpa,

207. 443 b, 208. 209. 210.

Gr. St., II, p. 674 sq., 681 sq., 689 sq.

II, 9, 1270 b 28 sq., 39 ; IV, 9, 1294 b 33 sq. Cf. Suskuinr, Rem. 329 b, 1266. II, 11, 1273 a 19 sq. V, 6, 1306 a 15 sq. ; cf. infra, p. 276. 11, 9, 1271

a 9 sq.

211. II, 5, 1263 b 40 sq.

238

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

moniens utilisent leurs biens : chez eux, esclaves, chevaux, chiens, sont mis en commun, et l'on peut méme, en voyage, s'approvisionner sur le domaine d'autrui ?!?, Cela est conforme au principe de la constitution, tel qu'on peut le dégager du chapitre 9. De méme, l'indication selon laquelle on s'efforce que les citoyens — semblables aux gardiens de la République — ne cultivent pas la terre 213. Ceci convient à la fois au principe de la constitution, et aussi à l'appauvrissement général de Sparte: cet «on s'efforce », ἐπιχειροῦσι, prouve qu'il y avait, par nécessité, des exceptions 214. C'est dans le méme esprit qu'au livre V Aristote note le caractére oligarchique de l'aristocratie lacédémonienne, où les fortunes, de ce fait, sont concentrées 215 : εἰς ὀλίγους al οὐσίαι ἔρχονται. L'idée est analogue en II, 9, et méme la forme : εἰς ὀλίγους ἧκεν à χώρα 315. Nous la retrou-

vons encore à la fin du livre V, où Aristote indique qu'à Sparte — et ailleurs —, « tous ne sont pas également riches, ni tous également gens de bien » 217, Enfin, tous les textes des livres VII et VIII, qui analysent et critiquent

l'esprit de l'éducation

et de la constitution

spartiates,

considèrent

exactement la méme Sparte qui était dépeinte au livre II. Elle a uue éducation d'État ?15, et une inspiration unique. Mais c'est une inspiration essentiellement militaire 315, ce qui est confondre le but et les moyens. Elle est φιλοχρήματος ?9, au début comme à la fin du texte actuel de notre Politique. Et au début comme à la fin, les qualités de sa constitution ne compensent pas ses défauts. Les faits ont démontré la faiblesse de Sparte. Aristote n'oublie pas de dire au livre VIII que les Spartiates sont bons juges en matière de musique ??!, et qu'un chorège de chez eux a poussé le goût de la flûte jusqu'à jouer, en personne, pour un chœur 222, Mais ces qualités n'empéchent pas l'éducation spartiate d’être sauvage 223 et inopérante : au livre II comme en VII et VIII, Sparte est la grande vaincue de Leuctres 2%. Pour Aristote, « le mirage spartiate » est presque

évanoui.

C'est seulement au livre VII qu’Aristote mentionne de facon précise ses devanciers qui ont étudié la constitution de Sparte. Sans doute a-t-il ailleurs signalé des opinions, en ce domaine, différentes de la sienne 212. 159. 213. 214. 215. 216. 217. 218. 219.

II, 5, 1263

a 35 sq. Cf. XéNoprnon,

Rép. Lac., VI, 3,

II, 5, 1264 a 10 sq. Newman; cf. II, 9, 1270 b 6. V, 7, 1307 a 3^ sq. II, 9, 1270 a 18. V, 12, 1316 b 8 sq. VIII, 1, 1337 a 31 sq. VII, 2, 1324 b 7 sq. ; 14, 1333 b 11 sq. ; 15, 1334

et

Suseuinr,

a 40 sq. ; VIII,

Rem.

4, 1338 b

9 sq., etc. 220. 221. 222.

Même idée dans la Const. de Lacéd., Rose, 1886, fr. 544. VIII, 5, 1339 a 41 sq. Supra, p. 234. VIII, 6, 1341 a 33 sq.

224.

11, 9,1269

223. VIII, 4, 1338 b 11 sq. fq.,

etc.

b 37 sq., 1270 a 33 sq. ; VII, 14, 1333 5 21 sq. ; VIII, 4, 1338 ὁ 24

DATATION ou

semblables,

au

contraire,

ou

RELATIVE, differentes

I entre

239 elles ; mais

jamais

il n'a dit s’il s'agissait vraiment d’études systématiques de cette constitution, ou seulement d'opinions émises à son sujet, mais à une autre occasion, par écrit ou verbalement ??5, [] cite, cette fois « Thibron (ou Thimbron)... et tous ceux qui ont écrit sur cette constitution » 325, Quel

que soit ce Thibron (on a voulu l'identifier avec l'auteur de la République des Lacédémoniens 3%, ou avec Xénophon lui-même qui aurait choisi ce pseudonyme 2% ; mais c'est sans doute le navarque Thibron que Xénophon, précisément, mentionne dans l'Anabase et les Helléniques ?2?), il ne faut pas s'étonner de le voir ainsi apparaitre soudain au livre VII. La place exacte de ce passage dans l'enseignement politique d'Aristote importe peu ici ; cette mention ne signifie pas en effet que le philosophe venait de renouveler sa documentation sur Sparte. On s'étonnerait plutót, dans ce cas, de le voir citer Thibron et non un écrivain plus considérable : Critias, Pausanias, par exemple. Mais s'il pense à celui qui fut, probablement, un navarque assez borné et d'áme peu philosophique, c'est tout simplement parce qu'à quelques lignes de distance il cite l'exemple, que nous retrouverons un peu plus loin, du roi Pausanias 2% : dans la polémique menée par Pausanias et autour de lui, il est vraisemblable que ce Thibron, si c'était bien son contemporain, a joué son rôle. Évoquer Pausanias — peut-être, ouvrir son « dossier » ou examiner

sa « fiche » — c'était alors, forcément,

évoquer

Thibron.

Enfin, à plusieurs reprises, Áristote évoque et retrace le passé de Sparte. L'image qu'il en donne est cohérente. C'est ainsi qu'il rappelle au livre V l'origine de la royauté lacédémonienne : elle remonte à la conquéte du pays ?*! — souvenir évident de la légende des Héraclides. Au méme livre sont signalés les troubles qui agitérent Sparte au temps dela seconde guerre de Messénie : « Certains, accablés par la guerre, réclamaient la réforme agraire » 292. Aristote a déjà remarqué, au livre II, d'autres inconvénients de ces guerres menées contre les voisins de Sparte : appui donné aux hilotes révoltés 333, et liberté excessive des femmes 2%. Le nom méme de Charilaos et le remplacement de sa tyrannie par l'aristocratie, évoqué au livre V ?35, confirment le récit du livre II 2%, où l'on voit Lycurgue, d'abord tuteur 225. II, 6, 1265 5 33 sq. ; 9, 1271 a 37 sq. ; IV, 9, 1294 5 18 sq. 226. VII, 14, 1333 b 18 sq. 227. Que l'on refuserait alors à X£nornon. Cf. SusEkuinr, Rem. 911 ab, qui n'admet pas cette hypothèse. Voir en effet F. OrriEn, éd. de la Rép. Lac., 1933. 228.

C'est

1875, p. 179.

l'hypothèse

de

W.

Oncken,

Die

Staatslehre

des.

Ar.,

Yl,

Leipzig,

229. Anabase, VII, 6, 1,etc. ; Hellén., 111, 1, 4-10 ; 2, 1 ; IV, 8, 17, 22. Cf. GrorzCouen, Hist. Gr., III, p. 32, n. 26. 230. 1333 b 34 sq. Sur les qualités de Thibron, v. XÉNoPHON, Helléniques, III, 1, 8; IV, 8, 22 ; Dioponz, XIV, 38 ; et surtout Eruore chez ATRÉNÉE, XI, 500 c

(un esprit proprement « laconien » et simple). 231. V, 10, 1310 ὁ 38. 232.

V, 7, 1306

b 37 sq.

233. 11, 9, 1269 a 40 sq. 234. 1270 a 1 sq. 235.

V,12,1316 a 33 sq. Charilaos est la leçon de tous les manuscrits.

236.

II, 10, 1271

5 2^ «sq.

240

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

de Charilaos (appelé ici Charillos par les manuscrits unanimes), partir ensuite pour un long voyage et en ramener ses lois. C'est exactement ce que rapportent les « extraits d'Héraclide » : « Lycurgue mit fin au pouvoir tyrannique de Charillos » 2%, Au méme livre V, Aristote résume à deux reprises la politique extérieure de Sparte au temps de son hégémonie : pour des raisons que nous dirions idéologiques, l'aristocratie spartiate abattait, partout oü elle

le pouvait, les démocraties ?35, et aussi les tyrannies 29%. Ces deux affirmations, qui du reste gagneraient à étre nuancées ?9, sont complémentaires. Aristote évoque en effet au livre IV le temps où certains maîtres de la Gréce — il s'agit évidemment des Spartiates — établissaient partout, comme chez eux-mêmes, des oligarchies #1. Enfin cette politique de force s'accorde bien avec ce qu'Aristote disait aux livres II, VII et VIII, du goût des Spartiates pour toute domination. Restent à examiner cinq exemples précis de troubles survenus dans l'histoire de Sparte, et enfin le probléme posé par le Lycurgue d'Aristote. Au livre V est mentionnée la conspiration que « Cinadon organisa contre les Spartiates au temps d'Agésilas » 242, Ceci ne contredit nullement le reste de l'information aristotélicienne. De méme dans le contexte l'exemple de Lysandre, dont les menées étaient dues à la facon, dit Aristote, dont les rois le traitaient ?*3, et l'exemple de Pausanias, vainqueur de Platées,

un de ces hommes

considérables,

remarque

Aristote,

qui

peuvent grandir encore en puissance et rechercher le pouvoir absolu 39. Lysandre avait déjà été mentionné au début du livre V 2% : a Certains disent qu'il voulut abolir la royauté. » Sans doute s'agit-il plus précisément, comme le note Newman, de la royauté des Héraclides 335. En tout cas, ces indications relatives à Lysandre confirment pleinement ce qu’Aristote disait, au livre II, des difficultés qui surgissaient parfois entre rois et navarques 2, Il se trouve qu'en ce début du livre V, Lysandre est aussi associé à un Pausanias accusé d'avoir voulu, lui, abolir l'éphorat. Ce Pausanias n'est pas, cette fois, présenté comme le vainqueur de Platées, ὁ στρατηγήσας κατὰ τὸν Mnôtxèv πόλεμον. Aristote l'appelle «le roi », Παυσανίας ὁ βασιλεύς. C'est assurément le méme Pausanias que nous avons déjà rencontré au livre VII 2#, Παυσανίας ὁ βασιλεύς encore, accusé par les Lacédémoniens d'avoir visé au pouvoir absolu en dépit des honneurs 237. Rose, 1886, fr. 611, 10. Tradition semblable dans la Lettre VIII attribuée à PLATON, 354 b (l'authenticité de cette lettre est probable, selon J. Sovirn£, éd. de la Coll. des Univ. de Fr., p. ıxısq.). Contra, PLuTARQUE, Lycurgue, 5 (Newman). 238. V, 7, 1307 b 20 sq.

239. V, 10, 1312 b 7 sq. 240.

Cf. Newman,

ad 1312

b 7.

241. IV, 11, 1296 a 32 sq. 242. V, 7, 1306 b 34 sq. 243.

1306 b 31 sq.

244. 1307 a 1 sq.

245. V, 1, 1301 5 19 sq. 246. 247.

Cf. GLorz-Conen, Hist. 11, 9, 1271 a 37 sq.

Gr., III, p. 32 sq.

2^8. VII, 14, 1333 5 32 sq. Supra, p. 239.

DATATION

RELATIVE,

I

241

qu'il possédait déjà. Or la phrase d’Aristote ressemble assez à ce qu'il disait du vainqueur des Guerres médiques. Faut-il croire que ces trois Pausanias n'en font qu'un, ou faut-il distinguer, plutôt, du vainqueur des guerres médiques le « roi » — qui serait l’adversaire de Lysandre ? Le rapprochement du « roi » et de Lysandre au livre V, du roi et de Thibron au livre VII, font pencher davantage pour la seconde solution, qui ne va pas cependant sans difficultés 49, Quoi qu'il en soit, l'unité de documentation entre le livre V et le livre VII est ici évidente. Et les allusions du livre II aux faiblesses de la royauté spartiate renforcent et élargissent cette évidence. Le dernier exemple à examiner est celui des « Parthéniai » : « Ceux qu'on appelle les Parthéniai — qui étaient issus des Égaux — furent envoyés coloniser Tarente aprés la découverte de leur conspiration » 290, Newman remarque qu'il existait plusieurs versions de l'origine des Parthéniai. Tantót on en faisait les fils de Lacédémoniens abaissés au rang d'hilotes #1, tantôt les fils de jeunes soldats lacédémoniens et de jeunes filles, conçus à Ja fin de la première guerre de Messénie, quand on craignait la dépopulation de Sparte 352, Le récit d’Aristote est analogue à celui-ci #3, Mais il existait encore une autre version : les Parthéniai seraient issus de l'infidélité des femmes spartiates pendant cette .premiére guerre de Messénie. Or c'est là le récit qu'offrent les « extraits d'Héraclide », inspirés des Constitutions d’Aristote 254, Toutefois, il ne semble pas que leur auteur ait résumé ici la Constitution de Lacédémone, car la mention des Parthéniai (qu'il appelle Parthénioi) est nettement séparée du développement qu'il avait consacré aux institutions lacédémoniennes. Elle est solidaire au contraire d'indications relatives à la colonisation de l'Occident : fondation et histoire de Rhégion, expédition des Corcyréens en lapygie ®°. On reconnaîtrait donc là plutôt un extrait de la Constitution de Tarente, bien attestée par ailleurs 2%, Ainsi 1l y a eu, assurément, quelque évolution sur ce point, dans la documentation d'Aristote ; mais c'est une évolution en tout cas minime, 249. Newman, aient eu la méme

ad 1301 b 19, juge invraisemblable que deux Pausanias différents conduite

séditieuse.

V. Costanzı,

« Il re Pausania

» nei Politici

d'Aristotele, Atene e Roma, 14 (1911), p. 30-38, conclut aussi à l'identité. F. OrLier Le mirage spartiate, I, Paris, 1933, p. 955q., remarque que rien de ce que nous savons par ailleurs du second Pausanias ne le montre désireux d'abolir l'éphorat (mais il a parfois des difficultés avec les éphores, cf. Χένορηον,

Hellén., II, 4, 29) et que le

premier Pausanias est parfois appelé « roi » (PsEupo-DÉwosTnBÉNE, C. Néère, 97 ; Dounis chez ATRÉNÉE,

XII, 535 e = F. H. G., Il, p. 477, fr. 31). F. Orrren conteste

aussi la signification du rapprochement Lysandre-Pausanias.— V. au contraire Ed. Meyer, Lykurgos, Forsch. zu alten Gesch., 1892, I, p. 233 sq. (critiqué par F. OrLien) ; GLOTZ-COHEN, Hist. Gr., I, p. 338. Il faut souligner que le texte de STRABON

(VIII, est fort 250. 251.

5, 5, C 366) qui mentionne l'activité de polémiste corrompu (cf. F. Orrizn, ibid.). V, 7, 1306 b 29 sq. ANTIOCHOS chez Strason, VI, 3, 2 (C 278).

du

second

Pausanias

252. Ermore chez Strason, VI, 3, 3 (C 279).

253. Newman l'en distingue cependant. 254. Rose, 1886, fr. 611, 57. Cf. sur les Partheniai, Busorr, Gr. Gesch, I3, p. 407. 255.

Rose, 1886, fr. 611, 55-56.

Institutio

9 de Sparte

: ibid., 9-13.

256. Rose, 1886, fr. 590. Infra, p. 303 Aristote et l’histoire

16

242

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

et qui probablement ne concerne pas de facon directe les travaux du philosophe sur Sparte. Peut-on en revanche discerner une évolution plus nette et plus sıgnificative, dans la facon dont

Aristote a envisagé

la naissance

et la

formation du régime spartiate ? C'est le probléme que pose le Lycurgue d'Aristote : ce Lycurgue est-il ou non considéré comme l'unique législateur de Sparte, à un moment quelconque de la pensée politique aristotélicienne, et notamment au livre II ? Les indications de ce livre contredisent-elles le livre V, qui attribue l'éphorat à Théopompe 2° ? Aristote a donné à son Lycurgue une personnalité assez distincte, peut-être sous l'influence d'Éphore, comme le note F. Ollier #8. ἢ semble en tout cas réunir plusieurs traditions différentes. Ainsi, sa chronologie est remarquable. Car Lycurgue est, dans la Politique, le tuteur de Charilaos, que d’après Hérodote on pourrait situer vers 825 29. Or Aristote a établi ici sa chronologie avec soin, puisqu'il reproche précisément leur négligence « des temps » à ceux qui mettent en rapport Lycurgue et Thalès le Cretois 390, Pourtant, dans la Constitution de Lacédémone, Lycurgue est l’un des fondateurs des jeux et de la trève olympique #1, Il faut donc croire qu’Aristote suivait ou établissait une version originale des événements. Rien en effet n'autorise par ailleurs à opposer Politique et Constitution de Lacédémone. Il est vrai que l'une conduit Lycurgue en Crète pour y chercher des lois, tandis que l'autre l'améne pour cela à Delphes. Mais c'était déjà le récit d'Éphore 22, Et, autre point important, nulle part chez Aristote Lycurgue n'apparait comme un roi. C'était, précise la Politique, un homme de condition moyenne 358. Reste le probléme de la paternité de la constitution spartiate, et plus précisément de l'éphorat. Au chapitre 9 du livre II, lorsqu'Aristote critique cette constitution, il ne prononce qu'une fois le nom de Lycurgue. Partout ailleurs ce chapitre ne connaît que le « législateur », ὁ νομοθέτῆς #4, terme qui peut aussi bien désigner un individu ou une série de législateurs pris globalement. Ainsi, nous voyons Eschine, dans le Contre T imarque ?®, énumérer trois catégories de législateurs, puis les confondre sous ce nom générique de ὁ νομοθέτης. Mais il se trouve qu'Aristote, au chapitre 12 du méme livre II, déclare qu'il a déjà traité de l'œuvre 257. 258. 259. Gr. St.,

Pol., V, 11, 1313 a 23 sq. F. OrLıen, Le mirage spartiate, I, Paris, 1933, p. 315. Pol., 11, 10, 1271 5 24 sq. ; HÉronore, vii, 131. Cf. Busorr-Swopopa, II, p. 651, n. 5. Mais H£noporr fait de Lycurgue le tuteur de Léobotas

(1, 65), qui d'après un calcul analogue {fondé sur VII, 204) serait à situer vers 875. Cf. Piuranque, Lycurgue, 1. 260. Pol., 11, 12, 1274 a 25 sq. 261. Rose, 1886, frag. 533. 262. Pol., II, 10, 1271 b 24 sq. ; Const. Lac., Rose, STrABON, X, 4, 19 (C 482). 263. Pol., IV, 11, 1296 a 18 sq. Contra ÉPaore, ibid.

Ernore

chez

264. Lycunsve en 1270 a 7 (il ne serait pas parvenu à soumettre les femmes

aux

lois). Le « législateur » : 1269 b 20 ; 1270 a4 ; 1270 b1, etc.

265. C. Timarque, 6 sq.

1886,

536.

DATATION

RELATIVE,

I

243

de Lycurgue, puisqu'il a traité de la constitution de Sparte 335, Il se trouve aussi qu'au chapitre 10, cette constitution est évidemment placée sous l'égde de Lycurgue, qui pour la fonder s'est inspiré de l'exemple crétois #7, On sera donc tenté de considérer que le « législateur » est Lycurgue lui-méme. Mais on comprend mal, alors, qu' Aristote dise toujours « le législateur », et non « Lycurgue », comme s’il cherchait à éviter une expression trop précise. En outre, il faudrait admettre que la Constitution de Lacédémone et le livre V de la Politique présentent sur ce méme sujet une information différente. Or cela aussi est difficile à concevoir. En effet, la Constitution n'accordait certainement pas à Lycurgue la paternité de tout le régime spartiate. C'était là, selon les « extraits d'Héraclide », la thèse de « certains » : τὴν Λαχεδαιμονίων πολιτείαν τινὲς Λυκούργῳ προσάπτουσι πᾶσαν *9. Parmi les tenants de cette thèse, on pourrait en effet citer Hérodote, Xénophon, l'auteur de la Lettre VIII

attribuée

à Platon **?, Mais il ressort du texte dit d'Héraclide,

que

l'auteur qu'il résume — Aristote — était d'un avis different 3%. L’opinion de ces τινὲς est mentionnée comme remarquable. Mais si c'était celle d'Aristote, les extraits ne la présenteraient pas sous cette forme dubitative. En

outre,

les mémes

extraits distinguent,

d'une facon

assez nette,

l'éphorat de l’œuvre de Lycurgue. L'auteur résume la vie de Lycurgue?! : mort à Samos, il avait introduit dans le Péloponnèse les poèmes homé-

riques. Il avait mis fin à la tyrannie de Charilaos. Il avait institué la tréve olympique. L'auteur poursuit : « On dit aussi qu'il avait institué la cryptie, pour laquelle, maintenant encore, les Lacédémoniens se cachent le jour hors de la ville et, de nuit, se cachent en armes et tuent tous ceux des hilotes qu'il convient ». Sur quoi l'auteur ajoute : « Ils nomment aussi des éphores, qui ont un pouvoir considérable », καθιστᾶσι δὲ xal ἐφόρους, xal μέγιστον οὗτοι δύνανται. L'éphorat est donc, dans cette énumération, séparé de l'euvre de Lycurgue. On peut supposer que l'auteur — et celui qu'il résume — y voyaient une institution indépendante. D'autre part, au livre V de la Politique, la création de l'éphorat est attribuée à Théopompe : τὴν τῶν ἐφόρων ἀρχὴν ἐπικαταστήσαντος 272, Croira-t-on qu’Aristote contredit ici l'enseignement du livre II ?3 Ὁ Il faudrait alors admettre un étrange enrichissement de son information, qui le raménerait, finalement, à son point de départ : l'enseignement 266. 11, 12, 1273 b 32 sq. 267. 11, 10, 1271 5 24 sq. 268. 269.

Rose, 1886, fr. 534. Ἠέποροτε, 1, 65; XEnornon, Rép. Lac., 1,2 ; VIII,

3; Praron, Lettre VIII,

354 b. 270.

C. von

Hozzincer,

Philologus, 52 (1894), p. 60.

271. Rose, 1886, fr. 611, 10. 272. Pol., V, 11, 1313 a 26 sq. 273. Éd. 'Mevzn, Die Entwickelung der Ueberlieferung über die lykurgische Verfassung, Rhein. Mus., 41 (1886), p. 583.

244

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

de Platon. Car Platon, dans les Lois **, dit qu'après l'institution de la gérousie par Lycurgue (« une nature humaine unie à une nature divine »), un « troisiéme sauveur » (Théopompe selon toute vraisemblance) « voyant (à Lacédémone)... le pouvoir encore enflé et irrité, lui imposa comme un frein la puissance des éphores, qu'il rapprochait de la puissance établie par le sort ». Il est vrai que Platon lui-méme. si la Lettre VIII est vraiment son œuvre, s'est contredit sur ce point. On comprendrait qu'Aristote eüt pris la méme liberté. Mais on concevrait mal, en revanche, si son enseignement du livre Il s’opposait sur ce point à celui de Platon, qu'il ne l'eüt pas noté. Il est donc beaucoup plus naturel de croire qu'au livre II, l'expression « le législateur » était un terme générique. Il désigne simplement l'auteur de la loi qu'Aristote envisage au moment où il emploie ce mot de « législateur » 27°. C'est ainsi qu'en II, 9 le nom de Lycurgue apparait brusquement, à propos de la condition des femmes ; car c'était à Lycurgue qu'était attribuée une vaine tentative pour mettre fin à leurs excés. Mais le contexte est plu: vague. De méme, au début du chapitre 10, Aristote mentionne le voyage de Lycurgue en Créte, parce que la législation spartiate tirait de là, en partie, son origine ; mais en partie seulement. Et si au début du chapitre 12, il remarque qu'ayant déjà traité de la constitution de Sparte. il n'a pas à examiner l’œuvre de Lycurgue, cela signifie bien que le premier terme contient le second, mais non qu'ils sont identiques : la constitution de Sparte était fondée sur les lois de Lycurgue ; mais. pour Aristote, elle avait, dés une époque ancienne, été modifiée. Toutefois, 11 n'éprouve pas le besoin de préciser davantage les choses. C'est qu'on disait couramment «les lois de Lycurgue » — comme « les loi: de Solon » — sans attacher trop d'importance à l'expression. Aristote la cite lui-même dans la Hhétorique, comme un lieu commun *?^*, Ainsi, la connaissance que possédait Aristote des institutions de Sparte et le jugement qu'il portait sur elles n'ont pas évolué de facon sensible. L'enseignement de la Politique est homogéne et coincide avec celui de la Constitution. Il est vrai que celle-ci offrait, sur l'organisation spartiate, bien des détails qui ne figurent pas dans la Politique. Mais c'est qu'ils n'y avaient pas leur place. Jamais non plus il n'y a contradiction entre les deux œuvres : les données qu'elles apportent se complètent 27. Bref, il semble qu'au sujet de Sparte, Aristote a eu son siège fait très tôt. Il en était de méme pour la Créte. 29

La

Crète

C'est au chapitre 10 du livre II qu'Aristote étudie la constitution dite « crétoise » *8, dans un développement qui a souvent été rapproché des 274.

Lois, III, 691

e sq.

275. C. v. Hoızınger, Philologus, 52 (1894), p. 61. 276.

Rhét., II, 23, 1398 5 17 sq.

277. V. p. ex. Rose, 1886, 536 (la rhétra), 538 (la cryptie) ; 611, μοίρα... cf. Pol., II, 9, 1270 a 19 sq.), etc. 278. C'est-à-dire commune à de nombreuses cités de l'ile. Cf.

H. van

12

(l'apyaía

EFFENTERRE,

DATATION

RELATIVE,

I

245

fragments d’Ephore 379, Mais des fragments ne sauraient donner une vue précise d'un texte, tandis que l'étude d'Aristote présente une orientation certaine et remarquable. Il s'agit, presque uniquement, d'une comparaison entre Créte et Lacédémone. Aprés avoir rappelé le souvenir du voyage de Lycurgue et, dans une parenthése, évoqué la situation géographique de la Créte et l'empire de Minos ?9», Aristote rassemble les éléments de sa comparaison : périéques et hilotes, syssities, cosmes et éphores, conseil et gérousie, rois,

assemblée #1, Puis il examine plus précisément d'abord les syssities, qui lui semblent plus démocratiques et mieux organisées qu'à Sparte (et à ce propos il traite des mœurs crétoises) ?3?, puis les organes du gouvernement, particuliérement les cosmes. Il conclut sur l'anarchie qui régne parfois en Crète, et les dangers qu'elle comporte #5. ; Cette comparaison est donc bátie à peu prés sur le méme plan que la critique des institutions spartiates au chapitre précédent : aspect social, aspect politique. Cette similitude ne surprend pas : il est normal que deux constitutions considérées comme trés proches soient étudiées de la méme façon. Aristote, nous l'avons vu, avait — comme

Platon —

uni dans une méme formule la Créte et Sparte, au livre II déjà, et au livre VII 2%. Il a dà professer dans des leçons trés voisines le contenu des chapitres 9 et 10 du livre II : idées complémentaires, exposés semblables. Et puisque c'est au chapitre 10 qu’apparait le πόλεμος ξενικός crétois, qui probablement dure encore ou s'achéve à peine ?55, ces développements sont anciens : ils remontent, au plus tard, au début du séjour en Macédoine. La mention des Crétois, avec les Lacédémoniens, comme

peuple militaire, en VII, 2, 1324 b 7 sq., témoigne d'une conception analogue. Elle peut étre, de ce point de vue encore, ancienne elle aussi. Quant aux fragments d'une hypothétique Constitution des Crétois, aucun n'est absolument sür, puisque nulle part n'est employée l'expression formelle de « Constitution des Crétois ». Toutefois, les textes rassemblés sous ce titre par Rose, et surtout les extraits dits d' Héraclide ?95,

indiquent qu'à défaut d'une Politeia, Aristote avait amassé une documentation crétoise assez riche. Et il est probable, par analogie, que les « extraits d' Héraclide » reposent bien sur une Politeia. Quoi qu'il en soit, La Créte et le Monde grec de Platon à Polybe, Paris, 1948, p. 26 sq. ; NEWMAN, p- 346 aq. ; Busovr-Swonopa, Gr. St., II, p. 737 sq.

t. II

279. V. p. ex. ll. van ErrENTERRE, La Crète et le Monde grec..., p. 75 sq. 280. Il n'y a pas de raison de considérer cette parenthèse (1271 b 30 ou 32, jusqu'à 40) comme une interpolation, comme le veut par exemple SusEwinr, Rem. 355. Ce texte, qui peut être inspiré d'ÉPnons, comme le note Newman à 1271 b 32, suggére que la Créte, avec sa position susceptible de lui valoir l'hégémonie, a bien pu influer sur les lois de la vaillante Lacédémone. En outre, le nom de Minos, mentionné là naturellement, entraine tout aussi naturellement ce qui suit.

281. 282. 283. 284. 285.

LE, 10, 1272 a 1272 a Supra, II, 10,

1271 5 40-1272 a 12. 12-27. 27-b 23. p. 229 aq. 1272 b 20 sq. Supra, p. 207 sq.

286.

Rose, 1886, fr. 518-519 et fr. 611, 14-15. Cf. C. v. Horzixczn,

52 (1894), p. 9^ sq.

Philologus,

246

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

cette documentation crétoise ne contredit jamais l'enseignement de la Politique. Ici comme pour Sparte, il semble que l'effort érudit d'Aristote s'est arrêté assez tôt. Et ceci est évidemment à rapprocher du silence observé sur la Créte, dans les livres III-VI. L'intérét pour la Créte se manifeste seulement dans les textes où Carthage est considérée d'assez haut #7. En revanche, le développement sur la constitution de Carthage marque

une rupture.

39 Carthage 388 Le chapitre 11 du livre II débute par une appréciation favorable portée sur la constitution de Carthage, qu’Aristote compare à celle de Lacédémone et à celle de Créte. Il énumére alors les éléments d'un parallele avec les institutions spartiates : syssities ; magistrature des Cent-Quatre semblable à l'éphorat (et avec un mode de désignation ἀριστίνδην, ce qui « n'est pas plus mal», où χεῖρον) ; gérousie et rois (la royauté n'étant pas héréditaire, ce qui « est meilleur », βέλτιον) 339, Cette introduction rappelle naturellement le sommaire qui, au chapitre 10, précédait un paralléle détaillé des institutions crétoises et lacédémoniennes ?9 ; aussi attendrait-on ensuite, par une sorte de symétrie,

une comparaison précise entre Carthage et Sparte : la méthode d'analyse ne doit normalement pas changer d'un chapitre à l'autre ; et surtout, l'introduction laissait prévoir ce paralléle. Or Aristote ne l'a pas tracé. Il remarque seulement que cette constitution a subi, par rapport à la meilleure possible, les mêmes « déviations », παρεχδάσεις, que les précédentes : il n'en traite donc pas, et considére seulement les défauts que présente le régime carthaginois par rapport à son principe, qui est d’être une aristocratie et une « politeia » 391, Est démocratique l'arbitrage que rend le peuple entre rois et gérontes ; car ceux-ci décident en principe des questions à soumettre au peuple, mais ils doivent être unanimes. De plus, le peuple n'est pas simplement informé ; il possède le droit de décision, et la discussion est libre 292. Sont oligarchiques en revanche le recrutement des pentarchies par cooptation, le pouvoir qu'elles ont de désigner les Cent, la durée de leurs pouvoirs 333, Un trait 287. Supra, p. 229 sq. 288. ARISTOTE est notre principale source sur la constitution de Carthage. V. aussi Porvnar,

VI, 51 sq. Peut-être, en effet, les institutions carthaginoises

étaient-elles

encore, au début de la seconde guerre punique, celles qu'AnisToTE avait analysées.

Cf. E. CavarcNac, La constitution punique en 218 av. J. C., Rev. des cours et conférences, 88 (1935), 1, p. 229-242. L'étude principale est celle de St. Gseıı, Hist. ancienne de l'Afrique du Nord, 11, 3° éd., Paris, 1928, p. 183 sq. Cf. aussi L. Dna-

PEYRON, La constitution de Carthage d'après ARISTOTE et PorvaE, Revue de géographie, 5 (1882), p. 280-293. L'article Karthago de la R. E., X, 2, par Lenscuau, contient une étude des rapports entre Carthage et la Gréce (col. 2227 sq.). 289. II, 11, 1272 b 33-1273 a 2. 290. II, 10, 1271 5 40-1272 a 12. 291. 11, 11, 1273 a 2-6. 292. 1273 a 6-13. 293. 1273 a13-17.

DATATION

RELATIVE,

!

247

aristocratique est l'absence d'indemnités {μισθοί) et de tirage au sort» ainsi que la compétence des magistrats dans toutes les causes 2%. Mais un autre caractére oligarchique est l'importance de la richesse. Les

magistratures ne sont pas seulement pourvues ἀριστίνδην, mais πλουτίνδην : c'est particulièrement le cas des magistratures suprémes — rois et généraux ; aussi l'argent est-il le maître, tandis que se développent vénalité et prévarication 3935, Enfin, le cumul des emplois est encore un élément oligarchique 2%. Aussi n'est-ce que par des expédients que la paix se maintient dans Carthage 2%. La réalité historique qui se cache derriére ce tableau précieux parce qu'unique, mais fort ramassé, est souvent mal connue. Toutefois, on reconnait, sous le nom de rois, les suffétes. Les Cent élus par les pentarchies sont trés vraisemblablement identiques aux Cent-Quatre qu’Aristote comparait aux éphores 2%. Mais bien des obscurités subsistent, et des erreurs, qui montrent qu’Aristote s'est informé assez rapidement de cette constitution. Ainsi, la comparaison entre les phidities spartiates et les syssities des hétairies est, selon l'expression de L. Drapeyron, « une méprise évidente » : Carthage est une ville énorme, et Aristote le sait bien, puisqu'à deux reprises il explique que les Carthaginois se débarrassent par l'émigration de leur population en excédent. Dans cet État massif, des repas en communs quotidiens, à la spartiate, sont impossibles 2%. [De même, Aristote ne connaît que la gérousie. Mais peut-être existait-il déjà, comme au temps de Polybe, à côté du grand Sénat (que Polybe nomme σύγκλητος), un conseil restreint, sorte de comité permanent — que Polybe nomme γερουσία 99. Quant à la nature et au rôle exacts des pentarchies, des Cent-Quatre, et peut-être des Cent s'il fallait les distinguer des Cent-Quatre, Aristote n'est guére explicite. Comme l'écrivait St. Gsell, « notre auteur est si concis qu'il en devient obscur » 99, Mais cette obscurité et ces défaillances, si défavorables à la science historique, sont significatives pour qui envisage la composition de la Politique. Elles suggèrent qu' Aristote s'est pressé de préparer cette leçon, pour compléter son étude des « bonnes constitutions ». Lacédémone, la Créte, étaient étudiées, semble-t-il, à téte reposée. Quand il fallut s'occuper de Carthage, Aristote fut comme bousculé. 294. 1273 295. 1273 296. 1273 297. 1273 298. Pour Pour les 100 299.

a 17-20. a 21-1273 ὃ 7. b 8-18. b 18-24. les suflötes, v. St. Gserı, Hist. anc. de l' Af. du N., 115 (1928), p. 193 sq. et les 104, ibid., p. 205 sq. ; Newman, t. II, Appendice B, p. 405.

Pol., II, 11, 1273

ὃ 18 sq. ; VI, 5, 1320 b 4 sq. ; L. Drarernon,

Rev. de géo-

graphie, 5 (1882), p. 280 sq., croit que les hétairies sont des corporations de métiers. On les a aussi assimilées à des clubs. St. GsEeLL admet une ressemblance avec phratries et curies ; elles peuvent avoir formé les sections de vote (Hist. anc. de l'Afr. du N., IP, p. 232 sq.). 300. Porvsr, 1,21, 6; VII, 9, 1 et 4; X,18, 1 ; X XXVI, 2, 6, etc. Cf. Tire-Live, XXX, 16,3 ; St. Gserı, ibid., p. 202 sq., notamment 210.

301. Ibid., p. 209, n. 2. Cf. les solutions proposées par Gszrt. à ces difficultés et à tous les problèmes historiques en général que pose le texte d'Anisrork.

248

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Or le plan de ce développement sur Carthage n'est, comme nous venons de le voir, nullement semblable à celui qu'observait Aristote dans les deux chapitres précédents : à la division en facteurs politiques et facteurs sociaux, à la comparaison entre constitutions sœurs, Aristote a substitué un point de vue différent : il examine seulement les défauts des institutions carthaginoises par rapport à leur principe. Ce faisant, il revient en réalité au plan qu'il a tracé au début du chapitre 9, mais qu’il n'a respecté ni pour Sparte ni pour la Crète : « Pour traiter, disait-il, de la constitution lacédémonienne, de la crétoise, et en général

de toutes les constitutions, deux points de vue (σκέψεις) sont possibles : la recherche des dispositions bonnes ou mauvaises par rapport à la meilleure

constitution,

et en second

lieu la recherche

des contradictions

avec le principe et le caractère du régime envisagé » 33, Mais Aristote n'était pas resté dans cette perspective. Aussi, quand il affirme maintenant que le « rapport avec la meilleure constitution » a déjà été étudié à propos de Sparte et de la Créte, il déforme en réalité les proportions : ce sujet n'a jamais été systématiquement traité. De méme, le rapport avec le principe de chaque constitution a certes été déjà pris en considération. Mais jamais Áristote n'a attaqué ce probléme de front, comme il le fait ici. Jamais il n’en a fait l'axe de son développement 992, S'il s'v résout, c'est évidemment parce que l'autre point de vue — rapport avec la meilleure constitution — est maintenant éliminé. Mais pour en trouver l'équivalent dans les deux chapitres précédents, il faudrait réunir des remarques qu’Aristote y a dispersées — qu’il n'avait pas d'abord jugé utile de rassembler. Le résultat est donc qu'aux chapitres sur Sparte et la Crète, entièrement analytiques, s'oppose un chapitre sur Carthage, qui, lui, est fondé sur des définitions théoriques des constitutions. En outre, Aristote n’examine plus guère l'aspect social du régime étudié, alors que ce point de vue l'avait longuement retenu quand il traitait de Sparte et de la Crète 994, C’est assurément qu'il dispose, pour Carthage, d'une documentation moins abondante. La riche information qu'il possédait sur Sparte et la Créte était difficile à réduire à quelques principes théoriques. Pour Carthage, au contraire, le plan analytique serait apparemment moins satisfaisant. Or cette relative pauvreté est déjà l'indice d'une plus grande nouveauté : Áristote a professé ce chapitre sur la constitution carthaginoise pour compléter ce qui précédait, mais alors que son enseignement n'était pas encore tout à fait prét. Ceci, qui n'est qu'hypothése, devient beaucoup plus probable lorsque nous constatons que, tout en paraissant reprendre un plan antérieur, Aristote introduit ici une notion nouvelle :

celle de « déviation », παρέκχδασις. L'idée de rechercher les éléments qui, comme des ingrédients dans un mélange, entrent dans la composition d'une constitution, n'est évi302.

II, 9, 1269 a 29 sq.

303.

Les mots de δῆμος, oligarchie, aristocratie, n'apparaissent qu'en 9, 1270 516

sq. ; 1271 a 32 sq. Ce sont maintenant les points de référence qu'AnisTOTE choisit. 304.

Newman, t. II, appendice B, p. 402.

DATATION

RELATIVE,

I

249

demment pas nouvelle. Sans même remonter jusqu’à Platon, nous la rencontrons au livre II de la Politique, quand Aristote pose le probléme de la constitution « moyenne » ou « mélée », 95, et rapporte à ce sujet quelques jugements qui ont été portés sur la.constitution de Sparte. Là, notamment, il envisage qu'une constitution puisse « pencher », ἐγκλίνειν 20%, plus ou moins vers un régime type pris comme référence. Cette idée n'est pas non plus absente, nous l'avons vu, des chapitres consacrés à Sparte et à la Créte, non plus que la comparaison, déjà chére à Platon, d'un régime avec la meilleure constitution que l'on puisse souhaiter. Mais jamais encore dans la Politique Aristote n'a introduit cette métaphore de la « déviation », ni n'a prononcé ce mot. Or en ce début du onziéme chapitre, le nom et la chose sont considérés comme familiers : τὰ μὲν οὖν πλεῖστα τῶν ἐπιτιμηθέντων Av διὰ τὰς παρεχδάσεις κοινὰ τυγχάνει πάσαις ὄντα ταῖς εἰρημέναις πολιτείαις 9". Qui plus est, dans les deux chapitres précédents, auxquels renvoie précisément cette phrase, Aristote est souvent tout près de cette idée de « déviation ». Au début notamment du chapitre 9, on croirait qu'il va définir la πα-

ρέκθασις : μία μὲν (σκέψις) εἴ τι καλῶς 3) μὴ καλῶς πρὸς τὴν ἀρίστην νενομοθέτηται τάξιν, ἑτέρα δ' εἴ τι πρὸς τὴν ὑπόθεσιν καὶ τὸν τρόπον ὑπεναντίως τῆς προκειμένης αὐτοῖς πολιτείας. C'est déjà la « déviation ». Mais l’idée demeure implicite. On ne peut dire cependant que la métaphore de la « déviation » puisse être employée ainsi, er abrupto, car elle n’est pas claire : Aristote ne nous dit pas par rapport à quoi il y a déviation, et seul le contexte éclaire le sens de ce mot. Aucun souvenir platonicien ne pouvait venir au secours de ses auditeurs : Platon, qui connaît les constitutions « défec-

tueuses », ἡμαρτημέναι, ignore les constitutions « déviées » X8, Aristote d'ailleurs, dans un texte sûrement ancien, car il fait partie de l' Éthique Eudémienne, n'a présenté cette idée de παρέκβασις qu'avec précaution : toutes les constitutions, dit-il, coexistent, « constitutions justes et dévia-

tions (car il en est des constitutions comme des harmonies)... » xal αἱ ὀρθαὶ xal αἱ παρεκδάσεις (ἔστι γὰρ τὸ αὐτὸ ὥσπερ καὶ ἐπὶ τῶν ἁρμονιῶν xal τῶν ἐν ταῖς πολιτείαις 99. La métaphore est donc expliquée par un commentaire sans lequel, apparemment, Aristote craindrait qu’elle ne fût incompréhensible. En revanche, dans un passage de l’Ethique Nicomachéenne, qui est sûrement plus récent, Aristote écrit seulement : « Il y a trois espèces de constitutions, et autant de déviations, qui

en sont comme les formes corrompues », οἷον φθοραὶ n'est plus une explication, mais

une

nouvelle

τούτων #19 : ce

métaphore.

L'idée

de

305. II, 6, 1265 b 26 sq. : μέση, μεμειγμένη 306. 1266 a 7. 307.

Le mot

revient, tout aussi simplement,

un

peu plus loin : II, 11,

1273

a

24, 31. 308. Constitutions ἡμαρτημέναι: Rép., V, 459 a ; VIII, 544 a., etc. Cf. Politique, 300 c sq. Les mots παρέχβασις, παρεκδαίνω, ne sont jamais employés (ce que confirme F. Asr, Lezicon Platonicum). 309. E. E., VII, 9, 1241 ὃ 27 aq. 310. E. N., VIII, 12, 1160 a 31 sq.

250

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

« déviation » constitutionnelle est maintenant connue des auditeurs. Il faut donc admettre que le chapitre 11 du livre II, introduisant cette idée de « déviation » qui est pressentie, mais non encore nettement exprimée dans les chapitres précédents, est aussi plus récent qu'eux. Au moment où Aristote le compose, sa théorie des constitutions est beaucoup plus précise qu'elle ne l'était auparavant. Il s'est méme forgé un vocabulaire technique, qu'il ne possédait pas jusqu'ici, et qu'il continuera à employer : naptxbaoız, παρεχθαίνω, sont bien attestés en ce sens. lorsque l'occasion s'en présente, dans les livres suivants ?!!, — sauf toutefois dans les deux derniers livres : VII et VIII, pas plus que le: dix premiers chapitres de II, ne connaissent la « déviation » constr tutionnelle ?12, Une objection cependant se présente. C'est qu'au début du livre IIl. Aristote, ayant remarqué

que, nécessairement,

les constitutions défec-

tueuses et déviées (ἡμαρτημέναι καὶ παρεχδεδηκυῖαι) sont inférieures aux autres, croit utile d'ajouter : «On verra plus loin comment nous entendons ce terme de « déviées », τὰς δὲ napexbebnxulas

ὕστερον

ἔσται

φανερόν 318.

Il considère

donc

qu'une

πῶς λέγομεν,

explication

encore indispensable, alors qu'en II, 11, il n'en donnait aucune.

est

Faut-il

alors supposer que le livre II est postérieur au livre III, et rejoindre ainsi les thèses de H. von Arnım 336 ? Mais il faudrait au moins les nuancer : seul serait postérieur à III le chapitre 11 (peut-étre aussi le chapitre 12) du livre II. Toutefois, une telle hypothése n'est ni nécessaire, ni méme acceptable : il suffit de constater que l'explication annoncée en ce début du livre III n'est, en réalité, jamais fournie nettement : nulle part Aristote ne s'astreint à démonter le mécanisme de sa métaphore comme il l'avait fait dans l' Éthique d’Eudeme. Il se contentera d'énumérer les différentes déviations et d'expliquer ce qui fausse une constitution ?!5, Bref, il définit la « déviation », mais ne cherche plus à justifier la métaphore. Et si ces définitions sont données, c'est que dans un cours qui, pour une bonne part, repose sur la notion de « constitution déviée », elles sont maintenant indispensables. Elles ne l'étaient pas en revanche au chapitre 11 du livre II : le renvoi au début du chapitre 10 suffisait, du moins pour définir la nature des « déviations» critiquées.

Ainsi pouvons-nous admettre que III et le chapitre carthaginois du livre II sont sensiblement contemporains, mais qu'entre ce chapitre carthaginois et le chapitre crétois qui précède, un certain temps s’est écoulé. Deux séries de remarques viennent confirmer cette conclusion. 311.

III, 6, 1279 a 20 ; 7, 1279 b 4, etc. ; IV, 2, 1289 a 28 ; 3, 1290 a 25, etc. Cf.

Bonıtz,

Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v.

312. Cependant, le début du livre VIII enseigne qu'il faut préserver l'esprit de cbaque constitution. L'idée de « déviation » pourrait surgir ici. Il n'en est rien. En revanche,

ARISTOTE

emploie

παρέκδασις

au sens musical,

et napexbalvev τῆς ἀρετῆς, VII, 3, 1325 b 5 sq. 313. III, 1, 1275 5 1 sq. 314. Supra, p. 66 sq. 315.

III, 6, 1279 a 19 sq. ; 1279 b 4 sq., etc.

VIII,

7, 1342

a 22 sq.

DATATION

RELATIVE,

I

251

En premier lieu, le début du chapitre 9, le début et la fin du chapitre 11,

présentent des traces de raccords. Le chapitre 9 commence ainsi : Περὶ δὲ τῆς Λακεδαιμονίων πολιτείας καὶ τῆς Κρητικῆς, σχεδὸν δὲ καὶ περὶ

τῶν ἄλλων πολιτειῶν, δύο εἰσὶν αἱ σκέψεις ... Ces «autres constitutions » se réduisent à celle de Carthage, et l'on comprend mal qu’Aristote n'ait pas tout de suite mentionné Carthage avec Sparte et la Crète — ou, inversement, inclus les trois régimes dans un πᾶσαι πολιτεῖαι qui eût été plus logique et tout aussi clair. Aristote n’envisageait-il donc pas, à ce moment-là, de traiter de Carthage ? C'est ce que suggère d'abord l'analogie de ce texte avec un extrait du Protreptique, que nous avons déjà rencontré 315, et où étaient évoquées les constitutions « de Sparte, de la Crète, ou toute autre analogue », fj τινων ἄλλων τοιούτων : Carthage

n'est pas mentionnée, et ne le sera pas. Devait-elle l'être davantage au livre II ? Le chapitre 11 confirme nos doutes : Πολιτεύεσθαι δὲ δοκοῦσι καὶ Καρχηδόνιοι καλῶς καὶ πολλὰ

περιττῶς πρὸς

τοὺς

ἄλλους,

μάλιστα

δ᾽ ἔνια παραπλησίως τοῖς Λάκωσιν. Αὗται γὰρ αἱ πολιτεῖαι τρεῖς ἀλλήλαις τε σύνεγγύς πώς εἰσι καὶ τῶν ἄλλων πολὺ διαφέρουσιν, fj τε Κρητικὴ καὶ Λακωνικὴ καὶ τρέτη τούτων à τῶν Καρχηδονίων. Par ces mots, Aristote s’excuse, naturellement, de consacrer un si long développement à une cité barbare : le passage des Νόμιμα à la Πολιτεία ne va pas sans heurt. Mais pourquoi comparer si étroitement Carthage tantôt à Sparte, tantôt à Sparte et à la Crète réunies, pour renoncer, dans le corps du chapitre, à cette comparaison ? Ce sont bien plutót les perspectives évoquées au début de 9 qui, nous l'avons vu, seraient à leur place ici. Et la fin du chapitre 11 sera probante : περὶ μὲν οὖν τῆς Λακεδαιμονίων

πολιτείας καὶ Κρητικῆς καὶ τῆς Καρχηδονίων, αἵπερ δικαίως εὐδοκιμοῦσι, τοῦτον ἔχει τὸν τρόπον. La constitution de Carthage, τῆς Καρχηδονίων, semble avoir été ajoutée à une première énumération 317, Sans doute n'est-il plus possible de reconstituer exactement un texte « primitif » de ces débuts et de ces fins de chapitres. Mais il est certain qu’Aristote a hésité. En second lieu, la documentation carthaginoise d’Aristote est en evolution constante. Nous avons vu Carthage tantöt parmi les peuples les plus barbares, tantôt associée aux constitutions les plus renommées, et formant avec Sparte un couple neuf. Il faut y ajouter que plusieurs références à Carthage, l’une au livre III, les autres aux livres V et VI, contredisent l'enseignement du livre II. Au livre II, Aristote remarquait qu'à Carthage, la compétence judiciaire des magistrats est universelle, tandis qu'à Sparte, les juges sont spécialisés 218, Au début du livre III, il signale encore cette spécialisation des juges lacédémoniens, et continue : « Il en est de méme à Carthage, où certains magistrats jugent toutes les causes » 319, On a d'abord 316. Supra, p. 152. 317. Cf. PLATON, Rép., VIII, 544 c: fj re ὑπὸ τῶν πολλῶν ἐπαινουμένη, à Kpnrixh τε καὶ Λακωνικὴ αὕτη * xal δευτέρα xxl δευτέρως ἐπαινουμένη, καλουμένη δ᾽ ὁλιγαρχία..... χτλ. 318. II, 11, 1273 a 19 sq. 319. III, 1, 1275 5 8 sq.

252

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

voulu voir une contradiction dans cettc assimilation du systéme carthaginois au systéme spartiate, succédant à l'opposition que marquait le livre II 5%. Mais le contexte est différent, Comme le remarquent notamment Susemihl et Newman, le livre II oppose justement spéciahsation et non-spécialisation, tandis que le livre III souligne, non moins justement, un trait commun aux deux régimes : la justice est entre les mains de corps de magistrats, non de la masse du peuple 321, Toutefois, les textes d'Aristote ne sont pas pour autant homogènes : au livre III. les pouvoirs judiciaires sont réservés à certains magistrats : πάσας Yas ἀρχαί rives κρίνουσι τὰς δίκας. Telle est la leçon de tous les manuscrits. En revanche,

d'aprés le livre II, il semblerait que tous les magistrats

disposaient de ces pouvoirs : τὸ τὰς δίχας ὑπὸ τῶν ἀρχείων δικάζεσθαι πάσας. C’est la leçon des meilleurs manuscrits. La variante τῶν

ἀρχείων

πάντων, qui n'a pas d'autorité 922, serait formelle. Mais le texte τῶν ἀρχείων est déjà inquiétant, et a suscité des corrections : τινῶν ἀρχείων.

τῶν αὐτῶν ἀρχείων 333, Il est pourtant beaucoup plus naturel de supposer, en l’état de la tradition manuscrite, qu "Aristote a modifié, au livre IH, ce qu'il avait dit au livre II. En quoi il a bien fait. Second point: en II, 11, Aristote affirme qu'il n'y a jamais eu à Carthage de trouble politique digne d’être mentionné, ni de tyran °*. Cependant, une tentative révolutionnaire au moins est connue par ailleurs, ou plutôt une double tentative, celle d’Harınon, qui à deux reprises essaya en vain de prendre le pouvoir. Ce fut un événement important. dont la date incertaine — peut-étre 344 — est en tout cas antérieure à 339 325, De cette ignorance d’Aristote, on ne peut donc conclure à la datation absolue de ce chapitre, d'autant moins que les nouvelles, et surtout des nouvelles de ce genre, ne parvenaient peut-étre pas vite de Carthage jusqu'au monde grec. Mais la transmission était un fait accompli lorsqu’Aristote professa le contenu de notre livre V : la tentative d'Hannon y est mentionnée, et comparée avec la conduite de Pausanias, le vainqueur de Platées 336. En outre, dans ce méme livre, il est dit que l'aris320. D'où la correction : « Il n'en est pas de méme à Carthage », X 007^ τὸν αὐτὸν δὲ τρόπον κτλ. 321.

SuseminL,

Rem. 444 ; Newman,

ad 1], 11, 1273

a 19.

322. Cf. O. Iuwiscn, app. erit., ad loc. 323.

St. Gseıı, Hist. anc. de l Afr. du N., 11, 3° éd., Paris,

325.

Jusrin, XXI, 4, 1-8. Cf. R.

préfère la lecture ὑπό τινων ἀρχείων. 324. 1272 b 30 sq

E.,

1928, p. 205,

n. 9,

VII, 2, col. 2353 sq.,s. v. Hanno, 3 (Lens-

CRAU) ; St. GsELL, op. cit., p. 245 sq. 326. Pol., V, 7, 1307 a 5 ; St. Gseıı, ibid., p. 244, n. 3, affirme que ce texte ne contredit pas 1272

b 30 sq., pour trois raisons: Hannon

avait échoué ; il ne semble

pas s'être appuyé sur le peuple ; s'il avait réussi, il aurait été un monarque, non un tyran. Mais aucun de ces arguments n'est solide: ARISTOTE ne se borne pas à mentionner les entreprises qui ont réussi, ni qui ont exigé l'appui populaire. ll remarque seulement que le peuple ne bouge pas et que — plus généralement — il n'y a eu ni troubles, ni tyran. Enfin, la distinction entre monarques et tyrans est exceptionnelle, v. supra, p. 43, et Pausanias, le vainqueur de Platées, qu'Aristote compare à Hannon, avait justement été accusé d'aspirer à la tyrannie (H£ronore, V, 32).

DATATION tocratie, à Carthage,

RELATIVE,

I

253

a succédé à une tyrannie 357, Faut-il croire, avec

Newman 3%, qu'au livre II Aristote avait envisagé seulement l'époque où cette aristocratie était en place, et non les temps qui l'avaient précédée ? Dans cette hypothèse méme on reconnaîtra que l'enseignement d'Aristote est plus précis et plus complet au livre V. Mais puisqu'il a appris du nouveau sur Hannon, on supposera tout aussi bien qu'il a

pu apprendre du nouveau également sur le lointain passé de Carthage. Un dernier texte du livre V, appuyé par un passage du livre VI, confirme cette évolution. Carthage était classée au livre II parmi les aristocraties et les « politeiai », avec quelques traits démocratiques et surtout des traits oligarchiques. À peu prés de la méme facon, Aristote remarque au livre IV qu'elle posséde un régime aristocratique qui prend en considération « la richesse, la vertu et le peuple » 339. Cette constitution est encore rangée parmi les aristocraties lorsqu' Aristote au livre V, signale la tentative d'Hannon, et plus loin explique que l'aristocratie a succédé à une tyrannie ?%. Mais à quelques lignes de là, opposant Carthage à des oligarchies, il la qualifie de « démocratie ». « A Carthage, qui a un gouvernement démocratique, (les magistrats) ont des occupations lucratives, et cela n'a pas encore entrainé de changement constitutionnel », £y Καρχηδόνι δὲ δημοκρατουμένῃ χρηματίζονται καὶ οὕπω μεταδεθδλήκασιν 331, Faut-il, comme on l’a souvent proposé, et comme peut le suggérer d'ailleurs l’histoire de Carthage, corriger ce texte 33? ? En l'état des manuscrits, qui sont unanimes,

portante est arbitraire. Mais saire.

une correction aussi im-

qui plus est, elle n'est méme

Car au livre VI, Carthage

est encore

mentionnée,

pas néceset, de

facon

cette fois incontestable, Aristote la range parmi les démocraties. Il s’agit de démocraties fort modérées, puisqu’Aristote cite également la pythagoricienne Tarente %%%. Mais tout ce développement étant consacré aux moyens d'organiser les démocraties, il fallait bien que Carthage füt démocratique aux yeux d’Aristote, pour lui fournir ici un exemple de politique à imiter 334, Son jugement sur cette constitution s'est donc encore modifié, alors qu'il professait la fin de notre livre V et notre livre VI. Cette modification ne traduit pas un simple changement de perspective, comme lorsqu'Aristote insiste tantót sur le caractére aristocratique 327.

V, 12, 1316 a 29-34.

329. 330.

IV, 7, 1293 b 14 sq. V, 7,1307a5,;12,1316

328. Ad II, 11, 1272 ὁ 32. a 34.

331. 1316 b 9 sq. 332. ἀριστοκρατουμένῃ, τιμοχρατουμένῃ, [δημοκρατουμένῃ]. St. GseLL, Hist. anc. de l'Afr. du N., 11, 3° éd., Paris, 1928, p. 235, n. 1, accepte avec réserve la correction ἀριστοκρατουμένῃ. 333.

GLotz-Couen,

Hist.

Gr., ΠῚ, p. 402.

334. VI, 5, 1320 b 4 sq. : Τοιοῦτον δέ τινα τρόπον Καρχηδόνιοι πολιτευόμενοι φίλον κέκτηνται τὸν δῆμον. ἀεὶ γάρ τινας ἐκπέμποντες τοῦ δήμου πρὸς τὰς περιοικίδας ποιοῦσιν εὐπόρους. Cf. au contraire II, 11, 1273 ὁ 18 sq. : ὀλιγαρχικῆῇς δ᾽ οὔσης τῆς πολιτείας ἄριστα ἐκφεύγουσι τῷ πλουτεῖν, αἰεί τι τοῦ δήμου μέρος ἐχπέμποντες

ἐπὶ

τὰς

πόλεις

χτλ.

254

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

de la constitution spartiate, tantót sur sur son aspect monarchique. Il ne s'agit pour essayer d'en dégager une opinion bérément Carthage dans une catégorie son jugement ont évolué 3%,

son aspect oligarchique, tantót pas d'opposer des points de vue juste. Aristote, ici, range delıtout autre. Son information.

La Politique d' Aristote est donc en partie fondée sur une documentation ancienne. Les peuples barbares y fournissent des exemples de Νόμιμα, Sparte et la Crète y sont associées. Ces éléments apparaissent surtout aux livres VII et VIII, et dans les dix premiers chapitres du livre II. Ce qui concerne Sparte et la Créte pourrait, comme l'indiquait W. Jaeger %%, provenir — du moins pour la plus grande part — des recherches

de l'Académie,

qui s'intéressait fort à ces deux

États ; les

Νόμιμα ne sont pas beaucoup plus récents. Mais avec le chapitre 11 du livre II, tout change. Pour des raisons qu'il serait téméraire de chercher à définir, et peut-être tout simplement aprés une rencontre fortuite, Aristote se tourne vers Carthage, qui lui fournit maintenant matiére à Πολιτεία, non plus à Νόμιμα. Cela l'améne peut-être à modifier la présentation de sa leçon sur Sparte et la Crète : le chapitre 9 du livre 1], par son début, le dorinerait à croire. En tout cas, dans un nouvel ensei-

gnement dont l'actuel livre III et les livres « réalistes » sont les témoins, la cité punique se substitue à la Créte, pour former avec Lacédémone un couple digne d'éloges, cependant que le philosophe compléte et rectifie patiemment ce qu'il connait d'elle. Quant aux autres exemples barbares qu'i] allégue désormais, ils n'ont plus en général le caractére de Νόμιμα : aidé de Théophraste, il a pu les rassembler pour la plupart dans le recueil des “Ὑπομνήματα — et cela à une date récente. Ainsi se complétent et se garnissent les cadres chronologiques que nous apportait notre chapitre VI: les deux derniers livres et une partie du second conservent le témoignage d'un ancien cycle d'enseignement. Puis Aristote a renouvelé son cours, gráce à une documentation plus récente,

qu'il n'a cessé de perfectionner. Ce travail a pu durer des années : les livres réalistes eux-mémes portent la marque de ces tátonnements prolongés. Car enseignement et recherche vont ici de pair, et les conférences sur la politique ont dü être plusieurs fois prononcées, reprises, enrichies. 335. Les Carthaginois sont encore mentionnés en III, 9, 1280 a 36 sq., pour leur traité avec les Étrusques.

Dans

la Rhétorique,

I, 12, 1372

b 27,

s'il faut bien lire

Καρχηδονίους et non Χαλκηδονίους, ils sont cités dans le méme chapitre que des Syracusains, des Thessaliens : Grecs et Barbares sont mélés, — comme au cinquiéme livre de la Politique. 336.

W. JAEGER, Aristotle?, p. 286.

CHAPITRE Datation

VIII

relative

Il : Πολιτικά et Πολιτεῖαι Constitution d' Athénes mise à part, une chronologie des Constitutions reposerait sur des textes trop minces pour avoir quelque solidité !. Mais pour préciser la composition de la Politique, il est nécessaire de comparer entre elles les références historiques de la Politique que nous n'avons pas encore examinées, et de tenir compte ce faisant, non seulement de la Constitution d'Athènes, mais de certaines Constitutions fragmentaires. 19 ÁrHÉNES

Comme nous l'avons vu, la documentation de la Constitution d' Athénes

n'est pas homogène. Les incohérences et les difficultés qu'elle présente ont été étudiées par G. Mathieu ?. C'est sur certaines d'entre elles qu'est fondée notre chronologie de la Constitution ὃ. Cette chronologie s'appuie également sur des contradictions significatives entre Politique et Constitution. L'une nait de la constitution dite de Dracon, qu'allégue l'Athénaion Politeia, alors que la Politique en nie l'existence *. L'autre consiste en un désaccord sur les tyrannies et les exils de Pisistrate 5. Il faut y ajouter d'autres différences notables entre les deux textes. La plus importante concerne les pouvoirs que détenait le peuple sous le régime de Solon. Selon la Politique, il élisait les archontes et recevait leurs comptes. Mais la Constitution attribue ce contróle à l'Aréopage, et affirme que les archontes étaient tirés au sort ἐκ προκρίτων ®. La Politique encore admet que la conjuration d'Harmodios mit fin à la tyrannie des Pisistratides. Aristote suit dans la Rhétorique la méme tradition, que connaissait

aussi Platon.

Mais la Constitution,

d'accord

sur ce point avec Thucydide et les historiens modernes, enseigne que la tyrannie subsista ?. La Constitution enfin, confirmée par d’autres témoignages, nous ap1. Supra, p. 101 sq. 2. G. Maruieu, Aristote, Constitution d'Athènes, Essai sur la méthode..., thèque des Hautes Études, 216, Paris, 1915, p. 9 sq., 22, 32, etc.

Biblio-

3. Supra, p. 104 sq., 111 sq. 4. 5. 6. 7. 182

Const., 4 ; Pol., II, 12, 1274 b 15 sq. Supra, p. 106 sq. Const., 14 sq. ; Pol., V, 12, 1315 b 29 sq. Supra, p. 112 sq. Const., 8, 1, 4 ; Pol., 11, 12, 1274 a 15 sq., 111, 11, 1281 b 32 sq. Supra, p. 126. Politique, V, 10, 1312 5 29 sq. ; Rhet., 11, 24, 1401 b 11 sq. ; Patron, Banquet, c. Const., 19 ; Tnvcvpnipz, I, 20, 2 ; VI, 59.

256

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

prend que peu aprés les guerres Médiques, les orphelins de guerre étaient élevés aux frais de l'État. Mais la Politique prétend que ce systéme fut inventé par Hippodamos de Milet, alors qu'il n'existait encore nulle part : son institution à Athènes serait plus récente *. On a voulu déceler d'autres contradictions encore. Ainsi, à une époque oü, selon la Constitution, les rois ne jouaient plus de róle militaire, la Politique affirme que Codros préserva les Athéniens de l'esclavage κατὰ πόλεμον ὃ. Mais il semble justement que, dans la version suivie par Aristote, Codros n'était pas encore roi lorsqu'il accomplit cet exploit ?*. La Constitution dit encore que Clisthéne ne toucha pas aux phratries !!. On a voulu induire le contraire d'un texte de la Politique 13, où Aristote énumére les procédés qu'utilisérent « Clisthéne à Athénes pour accentuer la démocratie, et à Cyréne ceux qui établirent le pouvoir du peuple : créer des tribus nouvelles et plus nombreuses, ainsi que des phratries », etc. Mais puisqu'Aristote méle ici l'exemple de Clisthéne et celui de Cyréne, on peut trés bien admettre que la transformation des phratries se produisit à Cyréne, non à Athènes 15. De la méme facon, lorsque la Politique affirme que la domination d'Athénes sur Samos, Chios et Lesbos fut brutale !5, elle ne contredit pas vraiment la Constitution qui fait état pourtant d'un régime exceptionnel accordé à ces alliés !5. Car comme le remarque Newman, ce texte de la Constitution se rapporte aux premiers temps de la Confédération. Plus tard Samos, puis Mytiléne et méme Chios furent traitées, à des degrés divers, sans ménagements 9, De méme encore, Áristote remarque dans la Constitution que le systéme athénien de mobilisation, joint à l'ignorance des stratéges, entraínait un « gaspillage de la partie honnéte du peuple et des riches » "7, Il situe cette hémorragie à l'époque de Cimon. En revanche, dans la Politique, il rapporte à la guerre du Péloponnése et aux défaites qu'Athénes y subit sur terre, un affaiblissement analogue des « notables », les γνώριμοι 18, Mais les deux affirmations ne s'excluent pas. Des causes analogues ont pu, selon Aristote, produire à des époques différentes des résultats analogues : en l'occurrence, un renforcement de la démocratie. 8. Const., 24, 3 ; Pol., II, 8, 1268 a 6 sq. ; G. Maruieu, Essai sur la méthode..., p. 67 ; Grorz-ConeN, Hist. Gr., 11, p. 219. Cf. cependant Suskxinr, Rem. 259,

et Newman, ad loc., qui veulent que νῦν signifie « en fait » et ὡς «dans l'idée (fausse) que... », 9. Const., 3, 2 ; Pol., V, 10, 1310 5 36 sq. Cf. supra, p. 214. 10. V. G. MaruiEu, Essai sur la méthode..., p. 6, n. 6. 11. 21, 6. 12. Vl, 4, 1319 b 19 sq.

13. Newman, ad loc. C. Hıcnett, A history of the Athenian Const., Oxford, 1952, p. 144.

Contra,

Busorr-SwonopaA,

Gr.

Staatsk.,

Il, p. 879, n. 4. Cf. G.

Marasıer,

Essai sur la méthode..., p. 5^. 14. 15. 16. Il, p. 17. 18.

111, 13, 1284 a 39 sq. 24,2. Newman, ad 1284 a 39. V. pour Samos et Mytilène, GLorz-Conex, 191 sq., 206 sq., 635 sq. Pour Chios : TuucvDipz, IV, 51. Const., 26, 1. Pol., V, 3, 1303 a 8 sq.

Hist.

Gr.

DATATION

RELATIVE,

τι

257

Il est plus remarquable que la Politique insiste sur le rôle que jouèrent Phrynichos au temps des 400 et Chariclès sous les 30, alors que la Constitution ne cite même pas le nom de ces deux hommes politiques 19. Aristote a évidemment, d’une œuvre à l’autre, changé de point de vue. On sait qu'il a concilié plusieurs sources dans la Constitution pour retracer les événements de 411 à 404 33. La Politique marque une étape de sa démarche. Au total, la documentation athénienne de la Politique n'est donc pas toujours incompatible avec celle de la Constitution. Mais les divergences que nous avons rencontrées confirment l'idée que les recherches d'Aristote, dans ce'domaine athénien, ont dû s'étendre sur de nombreuses années.

Reste à marquer la place de la Politique dans cette évolution. Loin

d'étre

aussi

mouvante,

la

documentation

athénienne

de

la

Politique est une. Les contradictions y sont rares. Seule la place — autant que la nature — de certains détails traduit une hésitation d'Aristote, une recherche complémentaire. Quand il traite des institutions de l'Athénes contemporaine, Aristote ne se contredit jamais dans la Politique. C'est ainsi qu'il a signalé le régime des orphelins de guerre ?!, l'existence du tribunal de Phréatto ?3, le double rôle des Onze qui sont à la fois gardiens et exécuteurs 33, la pratique de l'ostracisme ?*, Ce sont, il est vrai, des notations isolées, sur lesquelles il n'a pas eu l'occasion de revenir. Du moins son jugement sur la population d'Athènes ne varie-t-il sûrement pas. Il remarque au livre IV que les nombreux matelots qui forment les équipages des triéres donnent à la démocratie athénienne un caractére que nous dirions avancé ; de méme au livre V, il rappelle que les habitants du Pirée sont plus démocrates que ceux de la ville 35. De l'histoire d'Athénes, il se fait une idée tout aussi homogène. Les rois (en l'occurrence Codros) et Dracon ne sont cités qu'une fois 35, Mais Solon apparait plus souvent, et c'est toujours comme un démocrate modéré *^, issu des classes moyennes #, dont la législation tend à éviter l'accaparement des terres 2° et à donner au peuple des pouvoirs judi19. V, 6, 1305 b 25 sq. 20. G. Marnıev, Essai sur la möthode..., p. 74-98. Voir notamment sur les faits F. Sarrorı, Le eterie nella vita politica ateniese del VI e V secolo A. C., Rome, 1957, p. 105 et n. 12, p. 129 sq. 21. 11, 8, 1268 a 6 sq. ; cf. supra, p. 255 sq.

22. IV, 16, 1300 b 28 sq. 23. VI, 8, 1322 a 19 54. : πολλαχοῦ δὲ δὴ προσήρτηται xal ἡ φυλάττουσα πρὸς τὴν πραττομένην, οἷον ᾿Αθήνησιν τῶν ἕνδεκα καλουμένων. — δὴ προσήρτηται est une correction de IuxiscH ; le texte de tous les manuscrits, Otfiprat, est surprenant. . 24. V, 3, 1302 b 18 sq. 25. 26.

IV, 4, 1291 b 23 sq. ; V, 3, 1303 b 10 sq. V, 10, 1310 5 36 sq. ; 11, 12, 1274 b 15 aq. —

avec Éphialte affaibli l'Aréopage, nération, 1274 a 7 sq. 27. 1273 b 35 sq. 28.

IV, 11, 1296

De méme

puis pour avoir accordé

Périclès, pour avoir

aux juges une rému-

a 18 sq.

29. II, 7, 1266 b 14 sq. : ἔχει τινὰ δύναμιν εἰς τὴν πολιτικὴν κοινωνίαν À τῆς Aristote et l’histoire

17

258

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

ciaires et politiques 9, Pisistrate est un démagogue ?!, qui a méme accepté d’être cité devant l'Aréopage ?, et à qui ses dissentiments avec les riches de la « plaine » avaient valu la confiance du peuple 55. Mais les Pisistratides — sans doute faut-il entendre ici, sous ce nom, Pisistrate et ses fils — ont su aussi appauvrir et occuper le peuple, en construisant l'Olympieion #. Toutefois, l'a hybris » a perdu les fils du tyran : Harmodios est venu au secours de sa sœur, Aristogiton à l'aide d'Harmodios 5. Plus difficile à interpréter, mais également homogéne, est le Clisthéne de la Politique, qui, nous l'avons vu, a multiplié les tribus, sans probablement toucher aux phratries ®. Un autre texte fait allusion à la méme réforme, en des termes mystérieux : πολλοὺς γὰρ ἐφυλέτευσε ξένους xal δούλους μετοίχους V. Il s'agit naturellement de la création de nouveaux citoyens, comme l'indiquent les lignes précédentes (ὅσοι μετέσχον uetaBoAñc γενομένης πολιτείας, olov ᾿Αθήνησιν ἐποίησε Κλεισθένης

μετὰ τὴν τῶν τυράννων ἐκθολήν) et aussi une allusion de l’Athènaion Politeia aux νεοπολῖται, les « nouveaux citoyens » %, Mais le détail des dispositions adoptées par Clisthene nous échappe. Les ξένοι admis parmi les citoyens sont probablement les étrangers domiciliés 35, Mais que sont les δοῦλοι μέτοικοι ἢ Des affranchis qui avaient reçu le statut de météque ? L'expression est d'autant plus surprenante, que tout affranchi obtenait pratiquement ce privilège 9. On a preposé aussi de

lire ξένους καὶ δούλους καὶ μετοίκους 1. Le fait est que Clisthène a pu donner le droit de cité à des étrangers qui n'étaient pas encore officiellement domiciliés en Attique avec les avantages que comportait cette domiciliation. En outre et surtout, il arrive à Aristote de distinguer entre ξένοι et μέτοικοι 43, Mais peut-être encore cette appellation de « serfs devenus météques » était-elle employée par dérision à l'égard d'anciens hectémores parvenus sous les tyrans à la condition de citoyens **, Il se peut méme qu’Aristote, par un zeugma à vrai dire hardi, ait entendu que Clisthéne donna le droit de cité aux météques et le statut de métèques à des esclaves **. Aucune de ces explications ne peut passer pour pleineοὐσίας

ὁμαλότης,

ἐνομοθέτησεν.

xal

τῶν

πάλαι

τινὲς

φαίνονται

législation solonienne. Cf. Grorz-CongN, Hist. 30.

διεγνωχότες,

olov

καὶ Σόλων

Il ne s'agit donc pas d'une loi spéciale, mais d'une tendance de la

II, 12, 1274

31. V, 10, 1310 32. V, 12, 1315

Gr., I, p. 433.

a 2 sq., 15 sq. ; III, 11, 1281

5 31 sq.

ὃ 30 sq. b 21 sq., cf. Const. d' Ath., 16, 8.

33. V, 5, 1305 a 23 sq. 34.

V, 11, 1313

35. V, 10, 1311

ὁ 23.

a 36 sq. ; 1312

b 29 sq.

36. VI, 4, 1319 b 19 sq. ; cf. supra, p. 256. 37. III, 2, 1275 b 36 sq. 38. Const. d' Ath., 21, 4. 39. Grorz-Couen, Hist. Gr., I, p. 470 ; G. Matnıev, Essai sur la méthode..., . 52 sq. P 40. G. MarTuieu, ibid., p. 53, n. 6. La différence entre affranchis et météques est minime : Grotz-Couen, Hist. Gr., II, p. 266.

41. Voir O. Iumiscu, app. crit., ad loc. 42.

III, 5, 1277

b 39. Cf. Newman,

ad 1275

b 34.

43. Cf. HicNeTT, A history of the Athenian Constitution, Oxford, 1952, p. 133. 45. G. MarniEv, ibid. : ἐφυλέτευσε (= φυλέτας ἐποίησε) ξένους xal δούλους (ἐποίησε) μετοίκους. .

DATATION

RELATIVE,

Il

259

ment satisfaisante. Mais aucune ne rompt l’unité du Clisthène de la Politique. Restent enfin 58 deux textes franchement contradictoires de la Politique : ils concernent les rôles joués respectivement par l’Ar&opage et le peuple dans les Guerres Médiques. Ils présentent en outre cette particularité de s’opposer au récit de la Constitution d'Athènes. Au livre II, chapitre 12, de la Politique, Aristote écrit que « le peuple, à qui Athènes devait sa suprématie maritime dans les Guerres Médiques, en conçut de l’orgueil et se choisit des chefs vils, malgré l’opposition des gens de bien » 45, Le livre V attribue au contraire le mérite de la victoire, non seulement au peuple, mais à l'Aréopage 1? — tandis que la Constitution d'Athènes met uniquement en valeur le rôle de l'Aréopage ®#. On concoit aisément qu'Aristote a pu hésiter devant les difficultés que comportait ce sujet souvent discuté *?. Il se peut qu'il ait subi successivement l'influence de sources diverses 9, Mais l'ordre dans lequel se sont exercées ces influences — ou dans lequel se sont succédés différents raisonnements du philosophe — est impossible à étabhr. Le texte du livre V représente logiquement la synthése des deux autres : en face de traditions contradictoires, Aristote a pu recourir à ce procédé de contamination dont il y a chez lui de nombreux autres exemples δ᾽, Mais sommes-nous fondés à admettre que, sur ce point au moins, la Politique a été complétée, une fois rédigée une partie de la Constitution ? Comme la Constitution a été longuement travaillée, cette hypothése ne signifierait pas que le livre V de la Politique a été achevé ou remanié une fois toute la Constitution elle-méme achevée. Mais du moins ce texte devrait-il étre nettement postérieur à 336, date du dernier événement mentionné par le cinquième livre 5. Il faut rappeler que le chapitre 12 du livre II fait figure d'addition, au point que plusieurs érudits ont proposé de le considérer, en totalité ou en partie, comme une interpolation 53. Sans recourir à cette solution dépourvue de nuances, netons que, dans son ensemble, il est mal rattaché au livre II. C'est une compilation qui serait apparemment mieux à sa place dans les Lois d'Aristote que dans la Politique 54. Enfin, le chapitre 11 (Carthage) paraissant lui-méme nettement plus récent que les précédents 55, il est normal que le douzième chapitre ait été rattaché encore plus tard à l'ensemble. 45. Laissons de côté la mystérieuse allusion à Diophantos II, 7, 1267 b 16 sq. (travail des esclaves publics). Sans doute s'agit-il de Diophantos de Sphettos. Voir R. E., V,1,s. v. Diophantos, 7, col. 1050 46. Pol., IT, 12, 1274 a 12 sq.

(Kırcaner)

et Susemiuz,

Rem. 249.

47. Pol., V, 4, 1304 a 20 sq. 48. 23,1. 49. V. p. ex. IsocnaTE, Aréopagitique ; PLATON, Lois, III, 698 a sq. F. Jacopr, Atthis, Oxford, 1949, p. 75 et n. 29. 50. G. MarnrEv, Essai sur la méthode..., p. 61. 51. G. MarniEv, Essai sur la méthode....

52. 53. 94. 55.

Supra, p. 181. Supra, p. 31. V. supra, y; 121 sq. Supra, p. 246 aq.

260

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

On voit dans ces conditions qu'il n'est pas possible d'élargir l'intervalle entre la fin du livre II et le texte de V, 4, 1304 a 20 sq. : placer entre eux la rédaction de la Constitution d'Athènes est difficile. Il n'est

d'ailleurs pas a priori absurde de supposer qu'aprés avoir fait la part égale au peuple et à l'Aréopage au livre V, Aristote a tout accordé à l'Aréopage dans la Constitution — ou méme tout au peuple dans la fin du livre II. Renongons donc à établir un ordre chronologique précis. Un fait néanmoins demeure certain : le seul point où il y a contradiction, à l'intérieur de notre Politique, en matiére de documentation athénienne. est étudié dans deux textes relativement récents de cette Politique. Il est étudié aussi dans la Constitution d' Athénes, œuvre également récente. La fin du second livre de la Politique porte en outre la marque de deux autres hésitations d'Aristote, de recherches différentes : les pouvoirs du peuple

dans la constitution solonienne

sont, nous l'avons vu,

plus

considérables dans la Politique que dans la Constitution. D'autre part, au moment où Aristote examinait le rôle du peuple dans les Guerres Médiques, il se penchait aussi sur la « constitution » de Dracon, qu'il a intercalée dans sa Constitution d' Athénes 95. À époque récente encore, il s'interrogeait sur la chronologie de Pisistrate, en préparant sa Constitution 9'. Or le texte de la Politique qui fixe une chronologie incompatible avec la Constitution fait lui-méme figure d'addition, comme le montrent des incohérences légères 5* et surtout l'énumération incompléte qu'il fait des tyrannies 5? : ce sont, semble-t-il, des notes incorporées ultérieurement au texte, comme la fin du livre 1I. Ainsi, sur plusieurs points difficiles, les hésitations de la Constitution d'Athènes correspondent à celles de la Politique. Ces incertitudes contrastent avec l'allure homogéne de la documentation athénienne, dans l'ensemble de la Politique. L'explication en est que, en général, lorsqu'il professa son cours de Politique, Aristote se fit assez vite une idée précise de l'histoire athénienne : il en avait été de méme pour Sparte et la Créte 9). Plus tard, les recherches qui préparaient la Constitution l'amenérent à des conclusions nouvelles qu'il accepta parfois sans hésitation. Mais sur quelques points précis, des scrupules l'arrétérent, il suspendit son jugement, quitte à en changer plusieurs fois : telle est la « constitution de

Dracon », telle est la chronologie

des

Pisistratides,

telle est enfin

l'interprétation du róle joué par le peuple et l'Aréopage dans les guerres Médiques : peut-étre le texte synthétique du livre V est-il en réalité le premier qu'Aristote ait écrit. Quoi qu'il en soit de ce sujet, il faut bien admettre, une fois de plus, un travail progressif, dont — dans un ordre non déterminé — le chapitre 12 du livre II, le livre V et la Constitution d' Athénes marquent les étapes. 56. V. supra, p. 106 sq., 255 ; Pol., 11, 12, 1274 5 15 sq. ; Const. d' Ath., 4. 57. 58.

Const. d' Ath., 14 sq. Supra, p. 112 sq, 255. Pol., V, 12. — C'est une interpolation selon SusEMiuL, NEWMAN, etc. V. supra,

p. ^^. 59.

NEWMAN,

ad loc.

60. Supra, p. 228 sq.

DATATION

RELATIVE,

II

261

20 Epınanne

La Politique présente quatre références à Epidamne : la premiere (11, 7, 1267 5 16 sq.) nous apprend que dans cette cité, les artisans travaillant sur des biens de l'État étaient esclaves publics. Cette allusion à des faits mal connus *! n’aide en rien à dater le texte. Il n'en est pas de même des deux références suivantes et peut-être de la dernière, encore que les faits évoqués soient eux aussi très obscurs 62. En III, 16, 1287 a 4 sq., Aristote note qu'à Épidamne — comme dans une moindre mesure à Oponte — un magistrat suprême unique détient l'essentiel du pouvoir : τοιαύτη γὰρ ἀρχή τις ἔστι καὶ περὶ ᾿Επίδαμνον. Mais au livre V, 1, 1301

ὁ 21 sq., il décrit ainsi une révolution survenue

à Epidamne : « La constitution d'Épidamne a changé partiellement ; aux phylarques fut substitué un conseil ; mais seuls parmi les citoyens actifs, les magistrats sont contraints, aujourd'hui encore, de se rendre

à l'Héliée pour l'élection d'un magistrat ; un autre trait oligarchique, dans l'ancienne constitution, était la magistrature supréme unique » : ὀλιγαρχικὸν δὲ καὶ ὁ ἄρχων ὁ clc ἦν ἐν τῇ πολιτείᾳ ταύτῃ. Le texte ἦν est aussi sûr que possible ; il n'y ἃ aucune raison plausible de le supprimer 53, Aristote mentionne enfin (V, 4, 1304 a 13 sq.) les causes d'une révolution survenue à Épidamne « à cause d'un mariage : un homme avait promis sa fille en mariage ; mais il fut frappé d'une amende par le père du prétendant, qui était devenu magistrat ; l'autre se sentit outragé et s’assura l'appui des citovens privés de droits politiques ». Cette révolution est peut-être ** identique à celle que mentionnait V, 1, 1301 ὁ 21 sq.: Aristote semble en effet considérer l'événement comme bien connu: μετέθαλε δὲ καὶ ἐν ᾿Επιδάμνῳ à πολιτεία ἐκ γαμικῶν. On ignore si Aristote écrivit jamais une « Constitution d’Epidamne » : aucun fragment en tout cas n’en a subsisté. Mais la comparaison des deux textes de III, 16, 1287 a 4 sq. et V, 1, 1301 ὁ 21 sq., prouve qu'il était bien informé de la vie de cette cité. Il renouvelait sa documentation, soit qu’une transformation constitutionnelle eût supprimé « l’archonte unique » entre la rédaction de ces deux passages (Newman), soit qu'un renseignement nouveau eüt entre-ternps averti Áristote que sa premiére affirmation était erronée. Ceci confirme l'importance du délai qui a déjà été constaté entre le livre III et les livres réalistes 55. 30 Examinons maintenant les autres références historiques de la Politique ; elles sont moins directement utiles à notre propos, mais 61. 62.

Suseminı, Rem 249. ARISTOTE est notre unique

information

Dyrrhachion, col. 1886 (PnizirrsoN). 63. BExkEr le condamnait, suivi encore mais voir Newman 64. NEWMAN.

et O. Immisch, ad loc.

65. Supra, p. 210.

en la matière.

par Suseminı?,

V.

R. E., V,2,

s. v.

et par E. Barker ;

262

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

permettent parfois une comparaison entre la Politique et d'autres travaux

érudits

d’Aristote,

notamment

les Constitutions.

Nous

suivrons

en général, pour la commodité, l’ordre alphabétique.

’ABuônvol. Deux textes sont à considérer : en V, 6, 1305

b 28 sq., Aristote ex-

plique que les révolutions peuvent survenir dans les oligarchies lorsque les membres de l’oligarchie cherchent à conquérir la masse. Cela se produit, dit-il (30 sq.), « dans toutes les oligarchies où les magistrats ne sont pas recrutés dans la classe de leurs électeurs, mais où les magistrats doivent posséder un cens élevé ou appartenir à des hétairies, tandis que les électeurs sont les hoplites ou le peuple — ce qui se produisait

à Abydos », ὅπερ ἐν ᾿Αδύδῳ auveßauvev. Quelques lignes plus loin, en V, 6, 1306 a 26 sq., Aristote constate que dans les oligarchies, la méfiance qui règne entre les factions amène à confier la sécurité de l'État à des soldats (sans doute des mercenaires) et à un médiateur, qui parfois se soumet les deux factions : « ce qui s'est produit à Abydos au temps des hétairies dont l'une était celle d’Iphiades», ὅπερ cuvé6n... ἐν ᾿Αθύδῳ ἐπὶ τῶν ἑταιριῶν ὧν ἦν μία À ᾿Ιφιάδου. Une oligarchie s'était installée à date ancienne à Abydos %. Sa durée n’est pas connue exactement. Mais il est possible de tirer quelques indications des deux textes d’Aristote : Iphiadès doit être en effet le même personnage que mentionne Démosthène dans le contre Aristocrate. C’est encore le mème Iphiadès, semble-til, qui était selon Énée le Tacticien un général de valeur δ΄, Il est probable qu'il fut à Abydos « magistrat arbitre » puis maître absolu. Il s'agit donc d'événements assez récents. Ces hétairies qui ont disparu par l'action d'Iphiadés doivent être les mêmes que mentionne le texte de V, 6, 1305 ὁ 28 sq., où en outre l'imparfait συνέβαινε correspond à la cessation, apparemment récente elle aussi, d'événements habituels. Le voisinage des deux textes laisse effectivement supposer qu'ils se complétent.

L'attention d'Aristote pouvait étre dirigée sur ces événements parce qu'il connaissait bien la Troade, ou parce que depuis la fin du régne de Philippe, les Macédoniens tenaient solidement Abydos, future base d'opérations ®, Le philosophe n'a en tout cas pas étudié systématiquement l'histoire d’Abydos. Ces deux textes, si proches, sont en méme temps isolés dans son œuvre, qui ne comporte aucune autre référence à cette cité *®. En particulier, aucune trace n'existe d'une « constitution 66. Elle remonte sans doute à la guerre du Péloponnése, lorsque Abydos abandonna la confédération athénienne et devint une station lacédémonienne (411). V. Taucynine, VIII, 62; X£noruon, Hellén., IV, 8, 35 sq. ; À. E.,I, 1, s. v. Abydos,

col. 129 (HinscurELp). 67. C. Aristocrate, 176 sq. ; Enke, 28, 6 sq. — Schneider, Rem. 1589

b, et Newman.

Cf. Giorz-Couen,

Hist.

suivi par Susemiui,

Gr., III, p. 183 ; R. E., IX, 2,

col. 2016, s. v. Iphiades (Sunpwaıı). 68. Grorz-Congn, Hist. Gr., IV, 1, p. 59. 69. Sauf dans les Récits merveilleux, 31, 832 b 17, et l' Économique,

3, qui ne sont pas authentiques.

II, 2, 1349 a

DATATION

RELATIVE,

II

263

d’Abydos ». Cette absence ne saurait surprendre si l’on admet que dans la collection aristotélicienne classée par ordre alphabétique, Athènes était en tête 9, Aristote n'eut peut-être pas le projet, il n’eut du moins certainement pas le temps, de faire rédiger une « constitution d’Abydos ». Si ces deux textes reposent sur une information qu’il avait enregistrée dans un recueil érudit, c'était selon toute vraisemblance dans les Hypomnémata. . Le caractère occasionnel de ses recherches sur Abydos est confirmé par les recherches sur Larissa — qui en sont solidaires, et qui elles aussi

sont isolées.

Λαρισαῖοι. Les deux passages où Aristote évoque l’histoire d’Abydos contiennent en

effet

chacun

une

référence

à

l'histoire

de

Larissa.

En

V,

6,

1305 » 28 sq., Aristote cite, à propos d'oligarchies où les maîtres du pouvoir briguent la faveur de la masse, l'exemple de Larissa : « A Larissa les politophylaques flattaient la masse, qui les choisissait. » En V, 6, 1306 a 29 sq., la conduite des archontes médiateurs, qui quelquefois se soumettent les deux partis au lieu de rendre un arbitrage, est illustrée par une référence précise : « C'est ce qui se produisit à Larissa, au temps du gouvernement des Aleuades qui comptaient parmi eux Simos ». Le premier de ces textes évoque un régime qui prit fin à peu prés en méme temps que la guerre du Péloponnése, une fois que Lycophron de Phéres se fut emparé de Larissa 7!. Le personnage de Simos est, en revanche, moins bien déterminé. On est tenté de l'identifier avec le Simos de Démosthéne, qui fut peut-être tétrarque de Thessalie 72. L'identification demeure incertaine 73, Toutefois le rapprochement qu’etablit Aristote entre les événements de Larissa et la prise récente du pouvoir par Iphiadès, à Abydos, suggère qu'il s'agit aussi à Larissa d'un fait récent : ce serait donc bien le méme Simos qui figure chez Démosthéne et chez Aristote. Dans la Politique, un autre passage — que nous avons déjà rencontré — mentionne

Hellanocrate

de Larissa

(V, 10, 1311

b 17 sq.) — mais

c'est à propos d’Archelaos, et non de l'histoire de Larissa 76, Aristote fait d’autre part allusion à la plaisanterie de Gorgias sur les « démiurges » de Larissa, qui sont fabricants de « larisséens » 75, Aucun de ces 70. Supra, p. 99 sq. 71. SrAnLIN, dans ἢ. E., XII, 1, s. v. Larisa, 3 (Adpıoa Πελασγίς) col. 849. M Grorz-Conzn, Hist. Gr., III, p. 34 sq. Sur les politophylaques, v. II, 8, 1268 a

sq. 72. Sur la Couronne, 48. Cf. C. Néére, 24 sq., 108 ; 39 Phil., 26. C'est l'interprétation de NEWMAN, suivant SCHAEFER, et de Onsr, R. E., III, A, 1, s. v. Simos, 3, col. 201. Selon GLorz-Couen, Hist. Gr., III, p. 268 sq., 302 sq., le Simos du ıv® siècle

ne fut pas tétrarque. 73. H. Weıı, éd. du Discours sur la Couronne (Plaidoyers Politiques, 19 série, 2° éd., Paris, 1883), note au paragraphe 48 ; SrAuriN, R. E., XII, 1, col. 853. Cf. Suseminı, Rem. 1589 b, qui ne se prononce pas.

74. Supra, p. 216 sq. 75. 11], 2, 1275 b 26 sq. Le mot « démiurge « désigne à la fois des magistrats de Larissa et des artisans. On fabriquait dans cette cité des vases appelés « Larisséens ».

264

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

deux textes ne prouve un intérét particulier pour l'histoire de Larissa. Or il n'y a pas d'autre référence à cette ville dans tout le Corpus. Aucun fragment de Constitution ne nous est notamment parvenu. On conclura donc que les deux premiers textes du livre V proviennent, comme les textes également isolés qui concernent Abvdos, d'une recherche accidentelle sur l’histoire de ces deux cités. L'ensemble figurait probablement dans les Hypomnémata. Aristote a rapproché une fois les deux cités, en 1305 b 29 sq. Puis rencontrant plus loin Larissa, i! a retrouvé en méme temps Abydos : les deux dossiers étaient sortis de leur classeur, les « fiches » étaient déjà rapprochées. Αἰγινῆται. Égine est mentionnée au livre IV, parmi les États où la classe commerçante (ἐμπορικόν) est importante (IV, 4, 1291 ὁ 24). D’autre part, Egine figure au livre V parmi les exemples d’oligarchie où des notables ruinés provoquent des troubles, en vue d’une tyrannie : « À Égine, celui qui avait fait la transaction avec Charés — 6 τὴν πρᾶξιν τὴν πρὸς Χάρητα πράξας — tenta de transformer le régime pour une raison de cet ordre » (V, 6, 1306 a 4 sq.). Un oligarque ruiné avait — peut-étre en 367 — essayé d'établir sa tyrannie sur Égine, avec l'appui de Charés *. L'événement paraît connu des auditeurs d’Aristote : mais il est trop récent, et Charés était un personnage trop fameux, pour que l'hypothése d'un renvoi à la Constitution d' Égine soit à retenir. Cette Constitution, d'ailleurs solidement attestée, peut donc étre

plus récente Τῇ,

|

"Axpayavrivoı. En V, 10, 1310 b 28 sq., Aristote

remarque que Phalaris —

comme

les tyrans de l'Ionie — conquit le pouvoir alors qu’il détenait déjà une magistrature. Polyen rapporte en effet que Phalaris tira habilement parti des fonctions d’« épistate » que lui avaient confiées les Agrigentins, lors de la construction du temple de Zeus Polieus. Aristote d’autre part rappelle dans la Rhétorique la fable édifiante que Stésichore conta aux citoyens d’Himère, lorsqu'ils choisirent Phalaris pour stratége αὐτοκράτωρ et lui donnèrent une garde 78, Mais ce n’est qu’une fable de Stésichore, et Aristote la donne bien pour telle. Il n'y a donc pas lieu de supposer que la Politique y fait allusion 79, ni non plus que d'une œuvre à l'autre, Aristote avait changé d'opinion. Il n'y a méme pas lieu de rattacher ce texte à la Constitution d' Agrigente, dont l'existence est attestée en propres termes par Pollux et oü 76.

Newman,

ad loc. Cf. Susemiuı,

Rem. 1578.

77. Rose, 1886, 472 (il y aurait eu à Égine quarante-sept myriades

d'esclaves).

78. PoLven, V, 1; Aristote, Rhét., II, 20, 1393 b 8 sq. V. SusEMiRHL, Rem. 1656 ; Newman, ad loc. Sur Phalaris, qui arriva au pouvoir vers 570, voir la mise au point de GLorz-Conen, Hist. Gr., 1, p. 195.

79. Hypothése

que préfère NEWMAN.

DATATION

RELATIVE,

II

265

le personnage de Phalaris ne pouvait être passé sous silence ®. Aristote pouvait citer le cas de Phalaris, personnage bien connu, sans avoir étudié spécialement l'histoire d’Agrigente ®!. Le rapport entre les deux ouvrages n'est donc pas determine.

"Aufpaxiócat. Trois textes de la Politique concernent l'histoire d'Ambracie. Tous trois figurent au livre V. 1. V, 3, 1303 a 23 sq. : parmi les constitutions que transforment profondément, en s'additionnant, de petites altérations successives, Aristote cite celle d’Ambracie, où « le cens était bas, et où finalement l'élection aux magistratures n'en comportait plus aucun ; on avait admis qu'entre un cens bas ou nul la différence était faible ou nulle ». Ce régime où le cens diminua jusqu'à s'annuler est probablement ®? issu lui-méme de la démocratie qui succéda à Périandre, et dont Aristote retrace l'origine dans le texte suivant : 2. V, 4, 1304 a 31 sq. : parmi les exemples de constitutions qu'a transformées la prépondérance d'une catégorie de citoyens, figure Ambracie, où «le peuple qui s'était joint aux conspirateurs pour chasser le tyran Périandre, réorganisa ensuite le régime dans son propre intérét ». Cette conspiration enfin est évoquée un peu plus loin : 3. V, 10, 1311 a 39 sq. : une conspiration se forma contre Periaudre parce qu'il avait insulté son mignon. Ces événements, qui se déroulérent peut-être vers 580 55, sont évoqués par Aristote avec beaucoup de précision. Les références à Abydos et à Larissa — pour ne pas mentionner la référence à Agrigente, qui n'est pas assez significative 5! — se réduisaient au contraire à des allusions : Aristote rappelait des faits connus de ses auditeurs, qui les avaient déjà étudiés ou pouvaient se reporter à un recueil du Lycée — surtout aux Hypomnémata. Ici, au contraire, il semble que les auditeurs avaient tout à apprendre. Une Constitution d' Ambracie est attestée de façon certaine par Étienne de Byzance 9. Il est probable que lorsque ce passage du cours de Politique fut. professé, elle n'était pas encore à la disposition des Péripatéticiens. Aristote et ses disciples devaient en avoir réuni quelques élé80. Rose, 1886, 476 (=

Porrux,

IV, 174 ; IX, 80), et 611, 69 (« extraits d'HÉRA-

CLIDE », sur la férocité de Phalaris). 81. Cf. Eth.

Nic., VII,

6, 1148

b 24,

1149

a 13, où est évoquée

l'abominable

cruauté du tyran. 82. Newman, ad 1304 a 31. 83. SusEuiBL, Rem. 1525 ; Newman, ibid. Mais la date dépend de la chronologie des Cypsélides : voir infra, s. v. Κορίνθιοι, Sur Périandre d'Ambracie, v. R. E.,

XIX, 1, s. v. Periandros

1, col. 712

(ScmBAcHERMEYR).

Ed.

Wirr,

Korinthiaka,

Paris, 1955, notamment p. 521 sq., admet probablement l'identification de Périandre avec Archinos.

84. Supra, s. v. 85. Rose,

1886, 477

(=

Étienne

ve

Byzance,

Epit., s. v. Ac£aueval).

266

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

ments, que la Politique a utilisés 9. Le travail était en cours — Ambracie comme pour Epidamne ®.

pour

᾿Αμφιπολῖται. Deux textes de la Politique sont — mise à part une allusion de: Récits merveilleux ®, qui sont apocryphes — les seules mentions d’Amphipolis dans tout le Corpus. Ces deux textes concernent les mêmes faits : Aristote rapporte d’abord (V, 3, 1303 b 2 sq.) que « les Amphipolitains furent presque tous expulsé: par des colons de Chalcis qu'ils avaient accueillis ». Plus loin il précise qu'« un nommé Cléotimos amena les colons chalcidiens, et après leur arrivée les opposa aux riches » (V, 6, 1306 a 2 sq.). D'aprés le contexte. il est possible de comprendre qu’Amphipolis vivait jusqu'alors sous un régime oligarchique (« les révolutions se produisent dans les oligarchies »... 1305 b 39 sq.) 89 et que ce Cléotimos, ancien riche qui avait dissipé sa fortune, voulait établir une tyrannie. Ces événements se sont vraisemblablement produits sous la constitution oligarchique qui régit Amphipolis aprés 424 9. Ils pourraient même avoir précédé de peu la campagne que Timothée mena dans cette région en 365 [4 91, L'origine de l'information aristotélicienne est inconnue. Du moin: serait-il inutile de supposer une Constitution d'Amphipolis : Aristote de Stagire, précepteur d'Alexandre, a eu mille occasions de s'intéresser à Amphipolis et à la colonisation chalcidienne. Il avait du reste étudié spécialement celle-ci, peut-étre dans une Constitution de Chalcis ?*.

᾿Αντισσαῖοι. « Les gens d’Antissa expulsèrent par la force les exilés de Chios qu'ils avaient

accueillis » (V, 3, 1303

a 34

sq.). Cette notation isolée sur la

petite cité lesbienne 38 concerne des faits inconnus par ailleurs. Elle peut provenir du séjour d’Aristote à Lesbos ; du moins, l'intérêt d’Aristote pour cette région peut remonter à cette époque, même s’il ne connut 86. On pourrait méme considérer qu'entre V, 4,1304 a 31 sq. et 10, 1311 a 39 sq., cette documentation

sinat de

s'est enrichie, si dans ce dernier texte ARISTOTE admet l'assas-

Périandre, alors que

conspiration

dans le premier texte il s'agissait d'expulsion.

est en eflet évoquée,

en 1311

a 39 sq., au milieu de

toute

une

La série

d'assassinats ou de tentatives d'assassinat : les Pisistratides, Philippe, Amyntas le Petit, Évagoras de Chypre, Archélaos. C'est ainsi que PLUTARQUE comprenait ce texte, dont il a dû s'inspirer dans son Eroticos, 23, 768 I. L'assassinat d'Archélaos

est également évoqué par ARISTOTE et par PLUTARQUE, v. supra, p. 216, n. 44. 87. Supra, p. 261 sq. 88. Récits merv., 118, 841 b 15. 89. 90.

Contra, sans raison valable, NEwMaw, Susemiuz, Rem. 1539.

ad loc.

91. Newman, ad 1303 ὃ 2, s'appuyant sur le fait qu'Amphipolis a alors une population en majorité chalcidienne. — Cf. DEMOSTRENE, C. Aristocrate, 150. — Hırsc#reıo

(HR. E., I, 2, col. 1952, s. v. Amphipolis,

1) ne date

pas l'événement

de facon si précise. . Fax

Rose,

1886,

603, cf. « extraits d'HÉRACLIDE

», Ross, 1886, 611, 62, 63. Voir

infra, 8. v. 93. Une autre référence à Antissa figure dans l' Économique, II, 2, 1347 a 25.

DATATION

RELATIVE,

II

267

ces faits que plus tard. L'hypothèse d'une Constitution d' Antissa serait donc superflue.

᾿ῬΑπολλωνιᾶται

ol ἐν τῷ

Ἰονίῳ

et Θηραῖοι.

Au livre IV, 4, 1290 b 11 sq., Aristote refuse le nom de démocratie %#

à Apollonie sur le Golfe d’Ionie et a Théra où « les honneurs revenaient aux citoyens de noble naissance, descendants des premiers colons, qui n'étaient qu'une minorité ». Ce régime oligarchique d’Apollonie 95 n'existait donc plus au temps d'Aristote 95, mais il est difficile à situer dans le passé. Il s’agit cette fois encore d'une référence unique dans tout le Corpus. A cet isolement s'ajoute une telle imprécision chronologique qu'il s'agit probablement de l'extrait d'un travail plus vaste : une Constitution ? La méme conclusion vaut pour Théra, référence également isolée 9', ’Aroddwvıdrar ol ἐν τῷ Πόντῳ. Deux textes sont à considérer : Le livre V, 3, 1303 a 36 sq. indique que « les Apolloniates du Pont Euxin connurent des troubles après avoir introduit chez eux des colons ». Un peu plus loin (V, 6, 1306 a 6 sq.), Aristote remarque que les malversations d'oligarques ruinés peuvent entraîner des troubles « ce qui s'est produit à Apollonie du Pont ». Ces deux événements sont inconnus par ailleurs ; il est également difficile de savoir s'il existait un lien entre eux 95. Ces références à Apollonie sont uniques dans le Corpus. Mais elles sont assez vagues pour que l'hypothése d'une documentation sur cette cité, réunie avant la rédaction de ces textes, ait quelque fondement.

᾿Αργεῖοι. Avec Argos, notre recherche s’avance sur un terrain plus solide : les references de la Politique à cette cité sont plus nombreuses ; d’autres ouvrages d’Aristote y font allusion, et notamment une Constitution d’Argos est bien attestée. Il faut laisser de côté deux textes du livre II, où est simplement mentionnée la vieille hostilité des Argiens et des Lacédémoniens 99. Restent quatre passages du livre V. 94. Le texte est incertain. V. NEWMAN, app. crit., ad loc. Nous préférons ici le texte de Newman à celui d'Immiscu. 95. Cf. Exıen, V. H., XIII, 15, qui compare le régime d'Apollonie à la constitution spartiate ; HÉRoDoTE, IX, 93 ; SrnABon, dans la ἢ. E., II, 1, col. 112, s. v. Apollonia, 1. 96. Newman, ad 1290 b 9.

VII, 5, 8 (C 316). V. HinscurELp,

97. Une mention de Théra, d'où Battos partit pour fonder Cyréne, figure dans la Constitution de Cyréne, Rose, 1886, 528. — Sur l'obscurité qui entoure la constitution de Théra, voir F. v. HitLEn, Thera, 1, R. E., V, A, 2, col. 2296, 1. 7 sq.

98. Newman, ad 1303 a 36. — Susesunı, Rem. 1537, les oppose radicalement. L'article de HinscnrErp (RF. E., HH, 1, col. 113 sq., s. v. Apollonia, 2) ne mentionne pas les deux textes d'AnisTOTE. 99. 11, 9, 1269 ὁ 3 sq. ; 1270 a 1 sq. Cf. E. N., HIT, 11, 1117 a 26 sq.

268

ARISTOTE

En V, 3, 1302

b 18 sq.,

ET L'HISTOIRE

Aristote mentionne la « pratique de l'ostra-

cisme, par exemple à Árgos et à Athènes ». Quelques lignes plus loin, en V, 3, 1303 a 6 sq., il rapporte qu'à Árgos le droit de cité s'est ouvert plus largement après le massacre des Argiens de l' « hebdomé » par Cléoméne de Sparte: « Ils furent contraints d'admettre une partie des périéques » 19, L'événement est de 519 — ou moins probablement de 509 #1, Ici encore, l'exemple argien est rapproché d'un exemple athénien (affaiblissement des notables, décimés par la guerre du Péloponnése). C'est aussi à côté d'une référenceà Athènes (Guerres médiques) qu' Aristote indique, en V, 4, 1304 a 25 sq., qu'« à Argos les notables, à qui la bataille livrée à Mantinée contre les Lacédémoniens avait conféré du prestige, tentérent d'abattre la démocratie ». Cette bataille fut livrée en 418 ; l’aristocratie triompha pendant quelques mois à Argos 103, La dernière référence, V, 10, 1310

5 26 sq., concerne des événements

beaucoup plus anciens. Parmi les rois à qui leur dignité royale facilita l'installation d'une tyrannie, Aristote mentionne Pheidon d'Argos — dont les innovations monétaires étaient étudiées dans la Constitution d' Argos 103. La Rhétorique enseigne qu'à Argos « il y a une peine pour celui à cause de qui une loi a été faite et pour ceux à cause desquels la prison a été bátie » 14, Les Météorologiques montrent une connaissance solide du pays d'Argos 1%, D'autres allusions moins précises à Argos sont éparses dans le Corpus 1%. Mais il est remarquable que les références érudites figurent toutes dans des textes dont le caractére récent ou relativement récent n'est pas contesté : Politique V ; Rhétorique ; à la rigueur, Météorologiques. Restent les fragments de la Constitution — dont le rapprochement avec les trois ouvrages qui viennent d'étre cités, suggére aussi une datation récente. 100. Le sens littéral du texte τῶν ἐν τῇ ἑδδόμῃ ἀπολομένων ὑπὸ Κλεομένους est difficile : « Ceux (qui périrent) le septième jour (du mois ?) ayant été massacrés par Cléoméne » — ou bien : « Les membres du septième ordre (classe ? tribu ?) ayant été massacrés par Cléoméne. » On a aussi supposé que ἐν τῇ ἑδδόμῃ était une indication de lieu. —

Un texte de PLUTARQUE

(De mulierum virtutibus, 4, 245 c sq.)

rapporte que selon certains la bataille avait eu lieu le septième jour du mois. D'après le PsEupo-PrurARQUE (Apophth. Lac., ἃ, 223 a 8q.), une trêve de sept jours aurait été conclue entre Cléoméne et les Argiens ; Cléoméne attaqua de nuit. En

les Anciens tendaient à interpréter

tout cas,

ἐν τῇ 66864 n comme un complément de temps.

Cf. Susemiuz, Rem. 1518, à compléter par Newman, ad 1303 a 6, et l'article Hebdome de la R. E., VII, 2, col. 2579 (E1TREM). — HERODOTE, qui rapporte ces

événements,

affirme

que

ce sont

les esclaves

qui

parvinrent

au

gouvernement

(VI, 83). Les textes anciens utiles sont relevés par F. CAUER, s. v. Argolis, R. E.,

11, 1, col. 735. 101.

V. Grorz-Conrn,

102. Ibid., 103. Rose, de Pheidon : 2° éd., 1950,

Hist.

Gr., II, p. 27, n. 113.

p. 669 sq. 1886, 480-481. — Les textes d'AnisroTE n'aident pas à dater le règne première moitié du vıı® siècle ? V. A. AvMARD, Premières civilisations, p. 516, avec la bibliographie de la p. 512.

104. Rhét., 1, 14, 1375 a 5 sq. 105. Météo., I, 14,352 a 8 sq. 106. Cf. Bonrrz, Index Aristotelicus,

Berlin, 1870, s. v.

DATATION

RELATIVE,

II

269

La conjonction, à trois reprises, d’Argos et d'Athènes dans la Politique, est moins significative que celle d’Abydos et de Larissa : Argos était une démocratie dont le sort avait été souvent lié à celui de la démocratie athénienne. Ici encore cependant, la proximité des textes (1302 b 18, 1303 a 6, 1304 a 25) donne à penser que le rapprochement des deux cités n'est pas le résultat d'une association d'idées renouvelée — mais d'un rapprochement de dossiers : Aristote a isolé une fois les « fiches » des démocraties et les a de nouveau consultées à deux reprises. Enfin, l'expression mystérieuse £y τῇ ἑδδόμῃ n'offrait apparemment pas de difficulté pour les auditeurs du Stagirite. Ils devaient l'avoir déjà rencontrée, ou pouvoir se reporter à une source d'explication : probablement à la Constitution d' Argos, achevée ou en cours d'élaboration.

᾿Αρκάδες. Deux des trois références aux Arcadiens que présente la Politique sont insignifiantes pour notre propos : elles concernent — comme deux références à Argos, déjà citées — les guerres que les Spartiates menèrent contre de dangereux voisins (II, 9, 1269 b 3 sq., 1270 a 1 sq.). La troisiéme — qui est la premiére dans l'ordre du texte — est beaucoup plus suggestive, mais aussi plus difficile à expliquer: Au début du livre II, Aristote montre que l'unité de la cité n'est pas faite de la réunion d'éléments semblables, mais d'éléments spécifiquement différents. Il précise : “ἕτερον γὰρ συμμαχία καὶ móMG^ τὸ μὲν Y&p τῷ ποσῷ χρήσιμον, κἂν fj τὸ αὐτὸ τῷ εἴδει (βοηθείας γὰρ χάριν À συμμαχία πέφυκεν), ὥσπερ ἂν εἰ σταθμὸς πλεῖον ἑλκύσει (διοίσει δὲ τῷ τοιούτῳ καὶ πόλις ἔθνους, ὅταν μὴ κατὰ κώμας dat κεχωρισμένοι τὸ πλῆθος,

ἀλλ᾽

οἷον ᾿Αρκάδες)

10.

Le sens général des premières lignes est clair, encore que le détail puisse prêter à discussion : « Une ligue et une cité sont choses différentes. C'est la quantité qui fait la valeur de la ligue, quand méme les éléments en seraient spécifiquement semblables. (La ligue a en effet pour but naturel de secourir ses membres.) On peut la comparer à une balance où l'emporte le plateau le plus chargé » 1%. Mais les deux dernières lignes sont d'interprétation délicate : « C'est aussi la différence entre une cité et un peuple » — cette différence étant que l'une rassemble des éléments différents spécifiquement, tandis que le peuple est, comme la ligue, τῷ ποσῷ χρήσιμον 19. — Cette différence 107. 11, 2, 1261

a 24 sq. Texte

de l'édition

Iwxiscm.

La

place

de ces quelques

lignes dans le chapitre a fait l'objet de nombreuses hypothéses ; plusieurs corrections ont été proposées, dont aucune ne s'impose. Pour les plus anciennes, voir ϑυβεμιηι3, app. crit., note 7. Récemment,

A. JaxNoNE,

Giornale Italiano di Filo-

logia, V1, 2, 1953, p. 149-151, a étudié de prés la plus grande partie de ce texte, et suggéré de lire πλοῖον pour πλεῖον. V. les objections de D. FERRANTE, Paideia 1954, p. 292-293, et les réserves que nous avons émises, R. E. G., 69 (1956), p. 484 sq,

108. Sur les difficultés accessoires que peut soulever cette traduction, v. NEWMAN,. ad loc, ; À. JANNONE,

ibid.

109. Sur cette valeur de τῷ τοιούτῳ, v. également

Newman,

ad loc.

270

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

n'existe cependant que ὅταν μὴ κατὰ κώμας ὦσι χεχωρισμένοι τὸ πλῆθος ἀλλ᾽ οἷον ᾿Αρκάδες — « lorsque la masse des habitants n'est pas disseminée dans des villages, mais installée comme les Arcadiens ». Un premier obstacle surgit lorsqu'il s'agit de déterminer si cette « masse d'habitants » est celle de la cité ou du peuple, de la πόλις ou de l'£üvoc. Mais il est vite surmonté. D'une part, en effet, les habitants d'une πόλις pouvaient

minés χατὰ κώμας : l'ensemble n'en formait pas moins

être

dissé-

une πόλις 110,

Disséminés aussi étaient de nombreux ἔθνη, barbares ou non 111, Jusqu'ici, l'ambiguité subsiste donc. Mais il n'est pas possible d'admettre — comme on l'a fait parfois !!? — que les Arcudiens soient pour Aristote un exemple de πόλις : l'Arcadie comprenait des κῶμαι et des πόλεις — liées ou non, selon les époques, en une confédération. Ils étaient un ἔθνος, non une cité. Le raisonnement d’Aristote peut donc se résumer ainsi : cité et peuple diffèrent par la nature des éléments qu'ils rassemblent. — Cette différence n'existe pourtant que lorsque les individus qui composent ce peuple ne sont pas dispersés en villages, mais organisés comme les Árcadiens. Le κοινὸν des Arcadiens, qui connut d'ailleurs bien des vicissitudes 114, était une confédération de cités autonomes: les affaires communes relevaient du pouvoir fédéral. Cette organisation, selon Aristote, ne suffit pas à former une πόλις. Elle consiste en un groupement d'éléments semblables, et non spécifiquement différents. Elle vaut par la quantité, τῷ ποσῷ. Comment interpréter alors le ὅταν μὴ κατὰ κώμας Dot κεχωρισμένοι τὸ πλῆθος ? Les peuples ainsi organisés — ou inorganisés — ne peuvent être opposés formellement aux Arcadiens : il existait aussi en Arcadie une dispersion en villes et villages. La différence est que les Arcadiens sont soumis à un pouvoir fédéral qui manque chez d’autres peuples. Faut-il croire — avec Newman — que ces peuples dispersés, sans pouvoir fédéral, ne valent même pas τῷ ποσῷ — que « l’addition de nouveaux villages à une masse inorganisée de villages n'apporte aucune force supplémentaire » ? C'est supposer que ὅταν signifie ὅταν γε, « quand du moins » : « un peuple est d'autant plus fort qu'il est plus nombreux 110. Voir à ce sujet Busorr, Gr. Staatsk., I, p. 145 sq. C'est par exemple le cas de Lacédémone (T nucvpipz, I, 10, 2) ou de Mantinée après 385 (XéNopnoN, Hellén., V, 2, 1 sq.). Cf. Tnucvpipz, I, 5, 1 ; Isocrate, Éloge d'Hélène, 35 ; ARISTOTE, Constitution des Naziens, fragment Rose, 1886, 558 ; Poétique, 3, 1448 a 35 sq. DEmos-

THÈNE, Ambassade, 81, note que les Phocidiens sont διῳχισμένοι χατὰ κώμας, mais il évoque plus loin (263 sq.) l'époque où les Chalcidiens de Thrace n'étaient as encore réunis en un seul État, οὕπω Χαλχιδέων πάντων clc ἕν συνῳχισμένων : la

Chaleidique

comptait pourtant

dés lors des villes comme

Olynthe, —

ou comme

Stagire. Ainsi « dioecisme » et répartition « χατὰ κώμας » ne sont pas forcément

—Sur

liés.

la souplesse de ce vocabulaire politique, voir infra, chap. X-XI, p. 327 sq.

111. Étoliens, Acarnaniens, sujets du Grand Roi... 112. Voir Newman, ad loc. E. BonNEMANN, Philologus, T9 (1923), p. 76 avec les notes 8 et 9.

113. Voir à ce sujet DaAnEMBERG-SAGLIO-PoTTigR-LarrAYE, Dict. des Antiquités, I, article Arcadicum foedus (Foucanr) ; Busorr-SwonBopa, Gr. Staatsk., I, p. 157, et II, p. 1405 sq. ; GLorz-Couen,

Hist. Gr., III, p. 154 sq., 174 sq., 369.

DATATION

RELATIVE,

II

271 -

—- quand du moins il n'est pas dispersé en villages, mais organisé à l'arcadienne ». C'est admettre aussi qu'Aristote ne distingue la πόλις de l’Éôvos que dans ce cas précis, d'une organisation fédérale. L'organisation des Perses — par exemple — était différente, et valait pourtant par le nombre !!* : les Grecs le savaient bien, qui avaient fait les guerres Médiques et qui considéraient souvent les entreprises de Philippe et d' Alexandre comme l'achévement et la revanche de ces guerres. L'emploi du futur διοίσει ---- alors que le présent διαφέρει semblerait d'abord suffisant — suggére une autre interprétation : du moment que le verbe de la proposition principale est au futur, ne faut-il pas comprendre que ὅταν... ὦσι a également la valeur d'un futur ? On traduira alors : « La méme différence existera aussi entre cité et peuple, lorsque celui-ci ne sera pas disséminé en villages, mais sera organisé comme le sont les Arcadiens. » Dans cette perspective de futur, l'expression « lorsque celui-ci ne sera pas disséminé » équivaut à « lorsque celui-ci ne sera plus disséminé » : la négation un remplace aisément μηκέτι 115, Aristote

veut

dire

que

la

différence

entre

πόλις

et

ἔθνος,

évidente

lorsque ἔθνος est dispersé, existe encore s'il est organisé à l’arcadienne. Le philosophe juge inutile d'expliquer l'évidence ; ce qui lui importe c'est de remarquer qu'une organisation à l'arcadienne, elle non plus (xai) ne forme pas une πόλις : car elle vaut par le ποσόν.

L’Arcadie et les Arcadiens sont souvent cités dans le Corpus. Il s'agit en général de particularités géographiques, ou de fragments de la Constitution de Tégée, qui n'ont pas de rapports avec ce texte de la Politique 118, Toutefois, le Corpus contient aussi une référence précise à la κοινὴ ᾿Αρκάδων πολιτεία d'Aristote, que nous a conservée Harpocration 1%, Or cette κοινὴ πολιτεία n'a pu être conçue par Aristote à l'époque où il professait cette leçon de politique qui forme aujourd'hui le début du livre II : dans ce dernier texte, l'organisation des Arcadiens — olov ᾿Αρκάδες --- n'a visiblement pas rang de constitution; Aristote ne lui accorde aucune dénomination précise : olov ’Apx&des — c'est une « certaine façon d’être organisé », pour un peuple. Le livre II, du moins jusqu'à la fin du dixième chapitre, paraît dans l'ensemble de rédaction ancienne 13, La référence aux Arcadiens date de la méme époque : rien en effet n'autorise à la séparer de son contexte ; au contraire, elle correspond exactement aux idées de Platon, qui n'envisage pas davantage les χοιναὶ πολιτεῖαι. Mais plus tard, Aristote a 114. On peut retenir sur ce point l'interprétation du texte proposée par DirrenBERGER (GÓtt. gel. Anz., 1875, p. 1376 sq.), reproduite et adoptée dans son ensemble par ϑύβεμιηι, Rem. 132. DrrrENBERGER considérait par ailleurs que les Arcadiens étaient un exemple d'ÉÓvoc de cités indépendantes, — opinion réfutée victorieusement par NEWMAN.

115. Correction possible : unxtrı xac. 116. Météo., I, 13, 351 a 3 ; IV, 10, 388 b 6. Cf. H. A., IX, 19, 617 a 14 ; Rose, 1886, 591-592. — Autres Index Aristotelicus, s. v.

117. Rose, 1886, 483. 118. Supra, p. 254.

références,

encore

moins

significatives,

dans

BoniTz,

272

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

constaté l'importance de ces constitutions communes, et leur a donné une place dans la collection qu'il rassemblait !!?, Ol ἀπ᾽ ’Atapvéus. La référence à Atarnée (II, 7, 1267 a 31 sq.) s'explique comme nous l'avons vu par des souvenirs personnels !??, Elle n'implique en rien une recherche historique particuliére. Elle est en outre unique dans le Corpus 1?1, ᾿Αφυταῖοι. En VI, 4, 1319 a 14 sq., Aristote explique que la loi en vigueur à Aphytis favorise la formation d'une classe importante d'agriculteurs: « À Aphytis, en effet, où la population est pourtant nombreuse sur un faible territoire, tous les citoyens sont agriculteurs : l'évaluation du cens, au lieu de prendre en considération l'ensemble de chaque propriété, est fondée sur une division en parcelles si petites que méme les pauvres dépassent le cens requis. » Aphytis, sur la Palléne, était probablement l'objet d'une Consfitution : les « extraits d'Héraclide » célèbrent la pureté des mœurs qui régnaient dans cette cité !??, La précision du texte de la Politique laisse supposer qu'au moment où il fut professé, la Constitution, inachevée ou méme non entreprise encore, n'était pas accessible aux auditeurs d'Aristote. ᾿Αχαιοί,

Μάγνητες,

Περραιβοί.

En II, 9, 1269 b 5 sq., les Achéens sont simplement mentionnés avec

les Perrhébes et les Magnétes comme des ennemis acharnés des Thessaliens. Βυζάντιοι. Aristote indique au livre IV, 4, 1291 ὁ 22 sq., que les pêcheurs étaient nombreux à Byzance. A cette notation sommaire, s'ajoute une référence plus précise du livre V, 3, 1303 a 33 sq. : « Les nouveaux colons de Byzance, pris en flagrant délit de complot contre les Byzantins, furent expulsés par la force. » Cet événement est inconnu par ailleurs 123, [l est présenté par Aristote de facon assez imprécise pour que ses auditeurs aient besoin d'éclaircissements supplémentaires. Les trouvaient-ils dans une Constitution — dont aucune trace n'a subsisté ? L'intérét marqué au livre IV pour les pécheurs s'accorde bien avec les nombreuses références aux poissons 119.

Infra, p. 308, 383,

120.

Supra, p. 186 sq.

403 sq.

121.

Mise à part une référence, d'ailleurs sans portée spéciale, aux eaux chaudes

d'Atarnée, dans la compilation suspecte des Problémes, 122.

Rose, 1886, 611, 72-73 (p. 385). —

XXIV, 16, 937 b 7.

Sur Aphytis, v. l'article de Hırscarsto,

R. E., I, 2, col. 2801, qui témoigne de notre ignorance.

123. Susewinr, Rem. 1534; Newman, ad loc; J. Mitten, R. E., III, 1, s. v. Byzantion, col. 1129, 1144.

DATATION

RELATIVE,

Il

273

de la région, qui figurent dans l' Histoire des Animaux 134. et qui doivent être anciennes. L’ensemble de cette documentation byzantine pouvait donc être réuni dans les Hypomnémata 135 Γελῷοι. En V, 12, 1316 a 34 sq., Aristote mentionne — entre autres — comme

issue d’une oligarchie, la tyrannie de Cléandros à Géla.

Une Constitution de Géla est bien attestée, mais le seul fragment qui en subsiste concerne l'hydropisie de Gélon 135, Δελφοί. Au livre V, 4, 1303 ὁ 37 sq., Aristote explique que des discordes entre notables peuvent provoquer une révolution, et cite à ce propos l’exemple de Delphes : « A Delphes, d’un mariage manqué naquit une querelle, qui fut à l’origine de tous les troubles ultérieurs : le fiancé crut voir un mauvais présage alors qu'il était venu chercher sa femme, et repartit sans elle ; se jugeant insultés, les parents de la femme le compromirent en mélant à ses affaires des objets sacrés tandis qu'il sacrifiait ; puis ils le mirent à mort comme sacrilége. » L'événement n'est pas daté par Aristote : il remonte à la seconde guerre sacrée 127. Mais la simple allusion à « tous les troubles ultérieurs », si vague 12, en face des détails précis que contient l’ancedote, est significative. Le texte suppose que les séditions étaient connues des auditeurs encore que l'anecdote ne le füt pas : ils avaient à leur disposition un moyen d'information encore incomplet. Aristote a inclus une Constitution de Delphes dans sa collection 139, Il faut donc croire qu'au moment

où fut professé ce cours de Politique, elle était sur le métier,

mais ne contenait pas encore cette anecdote, dont Aristote a donné la primeur à ses auditeurs « d'études politiques ». L'anecdote a été ensuite insérée, avec plus de détails, dans la Constitution, oà Plutarque et Élien (ou leurs sources) ont pu la recueillir 1%,

Ἐπιδάμνιοι. V. supra, p. 261. 124. H. A., VI, 17, 571 a 17 ; VIII, 13, 598 ὁ 10 sq. ; 14, 599 a 3. 125. Supra, p. 130. 126. Rose, 1886, 486. — Sur la tyrannie de Cléandros, qui conquit le pouvoir vers 500 et fut assassiné vers 493, v. Héronore, VII, 154 ; GLorz-Couen, Hist. Gr., I, p. 195 ; Lenscaau, R. E., XI, 1, col. 557, s. v. Kleandros, 1. Far. PrurARQuE, Reip. gerend. praec., 32, 825 ὃ sq., et ἔπιεν, V. H., XI, 5, donnent des détails supplémentaires. — V. GLorz-Conen, Hist. Gr., Il, p. 160 sq. ;

I1I, p.262. — Th. Honmorrr, La loi de Cadys sur le prêt à intérêt, B.C. H.,50 (1926), . 96. P 128. Rien dans le contexte ne vient le préciser. Áu contraire, il sera un peu plus loin question, trés précisément, de la troisiéme guerre sacrée, V, 4, 1302 a 12.

129. Rose, 1886, 487. Cf. 611, 52 («extraits d'HÉRACLIDE ») et A. DovaToUR, Un fragment de la Constitution de Delphes d'Aristote R. E. G., 46 (1933), p. 214-223. 130. Cette information peut aussi étre en rapport avec l'Histoire de la Guerre sacrée, de CaLzisTHÈèNE, et surtout le Catalogue pythique. qu'AnisroTE élabore avec CaLLISTRÈNE vers 335. Voir supra, p. 133 sq. Aristote et l'histoire.

18

274

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Ἐρετριεῖς. Deux textes sont à considérer dans la Politique : En IV, 3, 1289 b 35 sq., Aristote examine le rapport qui existe entre élevage des chevaux et régime social et politique : l'élevage des chevaux. dit-il, exige la richesse, « c'est pourquoi autrefois les États dont la force militaire reposait sur la cavalerie connaissaient des régimes oligarchiques. Ils utilisaient leur cavalerie dans les guerres contre les États voisins : tels les Érétriens, les Chalcidiens, les Magnétes du Méandre et bien

d'autres cités d'Asie ».

"

Cette constitution est mentionnée à nouveau en V, 6, 1306 a 35 sq. parmi les oligarchies que ruinent, en temps de paix, les dissensions des notables : « Également, l'oligarchie des cavaliers à Érétrie fut renversée par Diagoras, qui avait été lésé dans une affaire de mariage. » L'oligarchie des «cavaliers » d'Érétrie — que la guerre lélantine opposa aux « hippobotes » de Chalcis — était encore au pouvoir lors du second exil de Pisistrate 151, L'entreprise de Diagoras est mal connue et mal datée !?3, Cette imprécision, ici encore, montre que les auditeurs d'Aristote étaient mieux informés que nous. Une documentation sur Érétrie était déjà réunie au Lycée. Bien qu'aucun fragment sür n'ait subsisté d'une Constitution d' Érétrie, on pourrait admettre que sa rédaction était

déjà avancée lorsque ce cours fut professé 153, Ἐρυθραῖοι. Parmi les révolutions qui opposent le peuple à une oligarchie au pouvoir, Aristote mentionne celle d’Erythres, où « au temps de l’oligarchie des Basilides, à époque ancienne, la qualité du gouvernement n’empècha pas le peuple de s’indigner d’être commandé par une minorité, ce qui provoqua un changement de constitution » (V, 6, 1305 b 18 sq.). Les caractères généraux de cette transformation sont mieux connus que sa date 13 — sur laquelle Aristote donne cependant une précision exceptionnelle : « au temps de l'oligarchie des Basilides, à époque ancienne ». Cette netteté d'une référence isolée, unique dans tout le Corpus, rend problématique l'existence d'une Constitution d' Érythres, au moment où ce cours fut professé. 131. 132.

Const. d' Ath. 15, 2. Sur les « hippeis », v. GLorz-Conzgn, Hist. Gr., I, p. 312 sq. V. le résumé trés général de PuiripePsoN, R. E., VI, 1, col. 423, qui ne men-

tionne pas le nom de Diagoras (il n'y a pas d'article à lui consacré dans la R. E.). 133. Les autres références du Corpus à Érétrie ne sont pas significatives : Éroticos (Rose, 1886, 98, cf. supra, p. 160), Constitution de Chalcis (?) (Rose, 1886, 603), 2emes Analytiques, Il, 11, 94 b 1. Toutefois, les «extraits d'HÉRACLIDE» mentionnent

la mort de Diagoras à Corinthe et la statue que lui élevèrent les Érétriens (Rosr, 1886, 611, 40): c'est un indice, d'ailleurs ténu, qu'il existait une Constitution d' Érétrie. 134. V. Susemier, Rem. 1571 ; BüncnwNrn, dans R. E., Vl,4, s. v. Erythrai, 1, col. 584, 587 ; Grorz-Conzw, Hist. Gr., I, p. 275 ; A. Aymanp, Les premières civilisations, 29 éd., 1950, p. 605 (bibliographie, p. 602).

DATATION

RELATIVE,

II

275

'Eotiaieig et ᾿Ωρεῖται. C'est aprés la révolte de l'Eubée (446) que le nom d'Oréos fut imposé à Hestiaia (ou Histiaia) 1% ; mais l'ancienne appellation ne disparut pas complètement 158, La Politique mentionne deux faits qui se sont déroulés dans cette cité : V, 3, 1303 a 18 sq. : la négligence des citoyens, dit Aristote, engendre des révolutions, lorsqu'ils laissent parvenir aux charges souveraines des ennemis du régime : « Ainsi à Oréos l'oligarchie fut renversée quand Héracléodore devint magistrat : il transforma l’oligarchie en politeia, puis en démocratie » 17. V, 4, 1303 b 32 sq. : l'État est entraîné dans les querelles des notables : « C'est ce qui se produisit à Hestiaia aprés les guerres Médiques, quand deux fréres se disputérent l'héritage paternel. Le plus pauvre, affirmant que l'autre dissimulait les biens contestés et notamment un trésor que leur pére avait découvert, put bénéficier de l'appui populaire ; l'autre, qui avait une vaste fortune, de l'appui des riches.. » Ce dernier événement doit étre, d'aprés l'indication d'Aristote, de peu postérieur aux guerres Médiques 1%, Hestiaia porte encore son nom traditionnel. La révolution d'Héracléodore peut en revanche dater de 395 ou de 377 : Hestiaia porte alors tantót un nom, tantót un autre — mais celui d'Oréos est plus courant !39, Le rapprochement de ces deux références, isolées d'ailleurs dans le Corpus 19, est significatif : toutes deux sont détaillées ; la référence à Héracléodqre est moins précise que l'autre ; c'est que l'action d'Héracléodore

l'autre mation réalité, ou celle c'est la lection

était assez récente,

et bien connue.

Ni dans

un cas ni dans

les auditeurs d'Aristote n'avaient besoin de chercher une inforsupplémentaire dans une Constitution. Quelle constitution, en auraient-ils pu demander à leur bibliothécaire ? celle d'Oréos, d'Hestiaia ? Aristote a employé successivement les deux noms : meilleure preuve qu'il ne tire pas ici son information d'une colde constitutions, mais de documents plus directs, qu'il utilise

aussi directement.

Sinon, son vocabulaire serait unifié.

Ζαγκλαῖοι. Pour illustrer les dangers d’un mélange de populations, Aristote écrit 135. GLorz-Couex, Hist. Gr., II, p. 203. Cf. SrRABON, X, 1, 3 sq. (C 445 sq.). 136. V. Grorz-Couen, Hist. Gr., fi ; Newman, ad 1303 a 18 ; R. E., suppl. IV, s. v. Histiaia, col. 749 (GEYER).

137.

Ou bien: « En politeia, ou plutôt en démocratie »: πολιτείαν xal δημοχρα-

zlav κατεσχεύασεν.

V. Newman,

ad loc.

138. L'anecdote n'est pas mentionnée ailleurs. — GEYER, R. E., suppl. IV, col. 756, émet sur le récit d'AnisrorE des doutes qui ne semblent pas fondés. Th. Howoıte, B. C. H., 50 (1926), p. 96, situe le fait peu avant 446. 139. SuseMInL, Rem. 1529 ; Newman, ad loc. ; GEYER, R. E., suppl. IV, col. 749.

Newman soutient aprés GrrBEnT la date de 377. Geyer, R. E., suppl. IV, col. 756, propose 395, en arguant du récit de X£nornon

(Hellén., V, 4, 56) sur les événements

de 377 : XÉNoPHON et AnisTOTE donneraient des indications incompatibles. 140. La Constitution d'Athènes, 33, 1, mentionne qu'Oréos ne prit pas part à la révolte de l'Eubée, en 411. Ce renseignement ne provient évidemment pas de recherches relatives à cette seule cité, Ÿ

276

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

(V, 3, 1303 a 35 sq.) : « Les habitants de Zancle furent expulsés par des Samiens qu'ils avaient. accueillis. » Le fait est connu par Hérodote et Thucydide, qui apportent quelque: nuances au résumé d'Aristote !!!. Il fut la conséquence de la bataille de Lade !**. Rien n'autorise à le rattacher à une Constitution de Zancle (ou de Messéne 9) 1#3,

"HA eio. La Politique présente deux références à l'histoire d'Élis. V, 6, 1306 a 15 sq. : il arrive, dit Aristote, que dans une oligarchie se forme un clan dirigeant plus restreint, ce qui engendre des trouble: : « C'est ce qui arriva jadis à Élis ; la constitution était une oligarchie où quelques-uns seulement entraient dans la gérousie, parce que les gérontes étaient nommés à vie, au nombre de quatre-vingt-dix, et que l'élection se faisait de facon à favoriser un clan, comme pour la gérousie de Lacédémone. » L'événement est mal daté : peut-étre s'agit-il de la révolution de 472 1%, Aristote, qui donne ici plusieurs détails sur la constitution d'Élis, sans doute parce qu'il n'a pas d'autre exemple à alléguer, situe cette révolution par un simple « jadis », ποτέ. De la méme facon, en IH, 7, 1267 b 18, il datait par un ποτέ l'action de Diophantos à Athènes. qui devait être connue de ses auditeurs 1%. Ceux-ci ont donc étudié avec Aristote — ou pouvaient étudier au Lycée — la constitution d'Élis. La seconde référence, à la loi d'Oxylos

(VI, 4, 1319 a 12

sq.), a le

méme caractére : beaucoup de cités, remarque Aristote, cherchaient dés les temps anciens à protéger les petits propriétaires en interdisant de vendre les lots primitifs : « Il y a aussi la loi que l'on attribue à Oxylos. et qui produit un résultat analogue : elle interdit les préts gagés sur une partie déterminée des terres de chacun. » La loi « attribuée à Oxylos » est une loi d'Élis, ce qu' Aristote juge inutile de préciser : ces faits étaient connus de ses auditeurs — ou bien l'explication leur en était accessible 15. 141.

Héronore, VI,22sq.

; Taucvoıpe, VI, 4,5 sq. Selon HEnoporez, les Samiens

se sont emparés de Zancle, à l'instigation d'Anaxilas, alors que les Zancléens étaient partis en guerre. Sur Zancle, v. en dernier lieu G. VarrET, Rhégion et Zancle, Paris, 1958. 142. 494. V. Grorz-Conen, Hist. Gr., Il, p. 25; J. Béraro, La colonisation

grecque de l'Italie méridionale et de la Sicile dans l'antiquité, 2° éd., Paris, 1957, . 93.

E.

S.

G.

Rosınsox,

Rhegion,

Zankle- Messana

and the Samians,

J.

H. S.,

bo (1946), p. 13-21. 143.

Sur ce changement

de nom, v. GLoTz-Conen, Hist.

Gr., 11,

p. 97. AnisTOTE

ne mentionne le nom de Messéne que dans un Probléme, naturellement suspect (XXIII, 5, 932 a 5). 1l ne donne pas d'autre référence à Zancle que celle de la Politique. 144.

V. Grorz-Cours,

Fist.

Gr.,

Il, p. 123 sq. Contra,

Swosopa,

ἢ. E., V,2,

8. v. Elis, col. 2424 sq., qui place cette transformation constitutionnelle au début du vit siècle. Suseminr, Hem. 1586, hésite entre plusieurs dates. Cf. Prurargte, Reip.

gerend. praec.,

10, 805 d.

145. V. supra, p. 259, note 45. 146.

Swonopa, R. E., V,2, s. v. Elis, col. 2423, et MürrkenR-GnAUPA, R. E., XVIII,

2, s. v. Oxylos

2, col.

2034-2040.

DATATION

RELATIVE,

II

277

À côté de ces références insignifiantes 157, la tradition a conservé deux fragments d’une Constitution des Éléens 8. On admettra aisément que cette constitution était, sinon achevée, du moins déjà assez complète, lorsqu’Aristote professa nos livres V et VI de la Politique. On l’admettra d’autant mieux que cette « constitution » traitait naturellement de l’organisation olympique (v. Rose, frag. 492) — à laquelle Aristote s'était déjà intéressé dans son « catalogue olympique » 149,

ραιεῖς. La référence à Héraia, en Arcadie (V, 3, 1303 a 13 sq.) est en revanche isolée et ne peut étre interprétée : « Les régimes peuvent se transformer méme sans troubles, par la seule brigue, comme à Héraia, oü l'on décida de tirer les magistrats au sort, au lieu de les élire, parce qu'étaient élus ceux qui usaient de brigue. » L'événement, qui survint sans doute dans une oligarchie, est mal connu 15,

Ἡρακλεῶται. La Politique présente cinq références à « Héraclée » : mais il convient d'abord de déterminer s'il s'agit toujours de la méme cite. Deux références sont claires : En V, 6, 1305

b 33 sq., Aristote montre qu'il se produit des troubles

dans les oligarchies « où les membres des tribunaux ne sont pas recrutés dans le corps civique, — car la démagogie s'introduit alors dans le systéme judiciaire, renversant la constitution, comme cela s'est justement produit à Héraclée du Pont ». Cette révolution semble avoir conduit de l'oligarchie à la démocratie. D'autre part, en VII, 6, 1327 b 11 sq., une allusion à la condition des Mariandynes, qui fournissent à Héraclée de nombreux matelots alors que la cité n'est pas trés importante, se rapporte sürement à Héraclée du Pont 151, Restent trois textes : V, 5, 1304 b 31 sq. : « La démocratie fut renversée à Héraclée aussitôt

aprés la fondation de la colonie, à cause des démagogues : ils brimaicnt les notables, qui furent expulsés ; mais les exilés se rassemblérent, revinrent, et renversérent la démocratie ».

V, 6, 1305 b 1 sq. : dans les oligarchies, les riches peuvent provoquer des troubles, s'ils ne participent pas assez largement aux honneurs : 147. G. A.,1,18, 722 a 9 ; Rhét., 111,14, 1416 a 1 sq. Cf. Bonirz, Inder Aristotelicus, s. v. 148. Rose, 1886, 492 et 493. 149. V. supra, p. 131 sq. 150. De la facon dont AnisTOTE en parle, il doit être assez récent. La numismatique, qui fournit nombre de documents pour l'histoire d'Héraia, n'est ici d'aucun secours. On admettra cependant que cette transformation constitutionnelle n'a pu se produire avant la fin de l'hégémonie spartiate : méme aprés Leuctres, Héraia reste fidèle à l'alliance spartiate. Son régime a pu changer au moment où elle entra dans la Condéfération arcadienne (Börte, dans la R. E., VIII, 1, s. v. Ileraia, col. 412 sq., notamment 415. Cf. J. W. Heapıam, Election by lot at Athens, 2° éd.,

Cambridge, 1933, p. 38). 151.

V. supra,

p. 49,

n. 188,

et p. 228,

n. 138.

278

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Aristote illustre ce principe avec les exemples de Marseille, Istros, Héraclée, où peu à peu les aînés des familles riches, puis les plus jeunes, ont acquis une part du pouvoir : « À Héraclée, le pouvoir échut finalement à six cents citoyens. » V, 6, 1306 a 36 sq. : « Un jugement provoqua les troubles (contre loligarchie) d’Heraclee... ; les juges d'Héraclée avaient condamné Évétion 152 pour adultére, à juste titre, mais en cédant aux passions partisanes » : Évétion fut exposé sur le pilori. Ainsi, quatre références à « Héraclée » se succédent en quelques pages : 1304 b 31 sq., 1305 b 1 sq., 1305 b 33 sq., 1306 a 36 sq. Comme Aristote précise seulement que l'exemple allégué en 1305 ὁ 33 sq. est emprunté à Héraclée du Pont, on pourrait croire que les deux précédents, su moins, concernent l'histoire d'une autre Héraclée : on a rapporté la chute de la démocratie (1304 ὁ 31 sq.) à Héraclée Trachis !53, Mais en 1305 b 1 sq., l'Héraclée dont l'oligarchie s'élargit ne peut étre Héraclée Trachis, qui en 395 subit une révolution violente, avec le rappel des citoyens que les Spartiates avaient exilés en 399 154, Dans ces conditions il est naturel d'admettre que 1304 b 31 sq., comme 1305 b 1 sq., concerne Héraclée du Pont. Et 1306 a 36 sq., allusion à des faits connus, doit étre emprunté à l'histoire de la méme cité !55, qui aurait connu successivement la démocratie, une oligarchie restreinte, puis une oligarchie plus large oà se produisit l'affaire d'Évétion. 1306 a 36 sq. reprend et explique 1305 b 33 sq. Il est en tout cas possible d'expliquer, à la lumiére d'un fait déjà constaté, pourquoi Áristote a précisé en 1305 b 33 « Héraclée du Pont » — ce qu'il ne jugeait pas nécessaire ailleurs : c'est qu'ici, il vient de mentionner Larissa, et aprés elle Abydos — qui forme avec Larissa un couple 1% : tout naturellement, les auditeurs d'Aristote risqueraient de croire qu'aprés Larissa et Abydos, l'Héraclée citée est Héraclée de Thessalie — si Aristote ne spécifiait pas « du Pont ». Un peu plus loin, en 1306 a 36 sq., la méme confusion ne peut se produire : Aristote a, il est vrai, mentionné de nouveau Larissa et Abydos, — puis Érétrie :

mais quand il nomme Héraclée, c'est avec l'expression à ἐν "Ηρακλείᾳ στάσις ἐγένετο : il s'agit de « la révolution » dont il a déjà été question — celle de 1305 b 33 sq. Aucun fragment n'a subsisté d'une Constitution d’Heraclee. Il est sûr cependant qu’Aristote — aprés Platon — s'intéressa tôt à cette cité 17, à laquelle s'attachait le nom de Cléarque, autre disciple de Platon 138. 132. Ou Eurytion ? Le texte n'est pas sür. 153.

V. SusEMiuL,

Rem. 1555;

Newman,

ad loc. —

L'article Herakleia 19, dans

la R. E., VIII, 1, col. 433 sq., de Rue, n'apporte rien à ce sujet. 154.

Diopone,

XIV,

38, 4 sq. 82, 6 sq.; SusEMIuL,

VILI, 1, col. 426, s. v. Herakleia 4 (ἡ ἐν Τραχῖνι). 155.

SusEMiHL,

156.

Supra, p. 262 sq.

157. P. A.,

Rem.

1555; SrAuzin,

R. E.,

NEWMAN.

V. supra, p. 277 avec IV, 8, 684 a 7 sq.

la n. 151. Cf. H. A., IV, 2, 525

158. P.-M. Scuvur, Platon et l'activité (1946), p. 46 sq. V. aussi supra, p. 220.

politique

de

.

b 5 ; 3, 527

l'Académie,

b 12;

R. E. G.,59

DATATION

RELATIVE,

II

279

Mais précisément parce qu'Héraclée était familière à ses auditeurs, Aristote avait-il jugé nécessaire de lui consacrer une Constitution ?

Θετταλοί. Aristote mentionne au livre II les Thessaliens pour leurs démtlés avec les pénestes et avec leurs voisins (II, 9, 1269 a 36 sq.) et au livre VII

pour leur ἐλευθέρα ἀγορά, libre de toute activité mercantile (VII, 12, 1331 a 30 sq.). Aucune de ces allusions sommaires n'exige la rédaction préalable de la « Constitution commune de Thessalie », qui est d’ailleurs attestée de façon sûre 159.

Θηβαῖοι. Les références à Thèbes sont nombreuses. Mais, mis à part les deux textes significatifs qui ont déjà été commentés 1%, elles sont de peu d'importance

pour

notre

En V, 3, 1302

propos.

b 27 sq., Thèbes est citée parmi les démocraties où le.

désordre et l'anarchie encouragent les riches au mépris des institutions et à la sédition : « À Thèbes, la démocratie fut détruite à cause de la politique néfaste qui suivit la bataille d’CEnophytes » — ou bien «la démocratie fut détruite aprés la bataille d'CEnophytes à cause de la politique néfaste (qui avait abouti à cette bataille) ». Le texte est ambigu ; or il est le seul à signaler cette révolution 1, En V, 6, 1306 a 36 sq., Aristote rapporte qu'une oligarchie thébaine 8 été agitée (voire peut-étre renversée) pour le méme motif qui a provoqué «la révolution d'Héraclée » 1? : une condamnation justifiée en principe, mais partisane, pour adultére, prononcée cette fois contre Archias, qui fut exposé sur le pilori comme le fut Évétion à Héraclée. Cet Archias, qui n'a rien de commun avec le polémarque ami des Lacédémoniens, égorgé en 379 15, est inconnu par ailleurs. Mais il faut croire que les auditeurs d'Aristote en étaient mieux informés 19, Aucun de ces textes ne suppose absolument l'existence d'une Constitution de Thèbes, qui d'ailleurs n'est pas sûrement attestée !65 : ils étaient sans doute plus clairs pour un apprenti péripatéticien qu'aux yeux du lecteur moderne.

Θηραῖοι. V. supra, p. 267. 159. Rose, 1886, 495-500. 31150. Supra, p. 195 sq. Voir aussi, p. 210, n. 246 du chap. VI, pour II, 12, 1274 a 8q. \ 161. La défaite d'CEnophytes est de l'automne 457. V. la mise au point détaillée de P. Cıock£,

Hist. Gr., 11,

Thèbes de Béotie, Louvain-Paris, 1952, P. 49 sq., 69. Grorz-CoHEN,

p. 161,

aprés Œnophytes.

admettent que la démocratie s'installa, pour peu de temps,

162. Supra, s. v. 163.

Voir

P. Crocn£,

ibid., p. 118.

164. Newman, ad 1306 a 36. 165. Rose, 1886, 501-502. C'était peut être une Constitution de Béotie (Nissen).

280

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

θούριοι. Parmi les révolutions que provoque le mélange de populations

di-

verses, un texte de V, 3, 1303 a 31 sq., cite l'exemple de Thourioi,



« les Sybarites se heurtérent aux autres colons : prétendant que la terre leur appartenait, ils manifestérent des exigences qui aboutirent à leur expulsion ». Cette version des faits, à peu prés semblable à celle de Diodore 1€, n'est généralement pas acceptée : les troubles se sont produits à Sybaris d'abord, avant la colonisation de Thourioi 15. Une longue référence du méme livre V (7, 1307 a 27 sq.) rapporte une révolution démocratique survenue dans l’aristocratie de Thourioi, où les pauvres, se jugeant lésés, bouleversérent l'équilibre constitutionnel : a L'accés aux magistratures comportait un cens trop élevé, ce qui entraina une réduction du cens et une multiplication des magistratures ;

l'aecaparement du sol par les notables (car le caractére plutót oligarchique de la constitution favorisait ces abus)... (lacune) — et le peuple, qui avait eu l'occasion de s'aguerrir, l'emporta sur les milices (τῶν φρουρῶν) et finalement toutes les terres accaparées furent libérées. » Enfin, quelques lignes plus loin (V, 7, 1307 b 6 sq.), Aristote cite encore largement l'exemple de Thourioi parmi les aristocraties transformées par une succession de petites réformes : « Une loi imposait un intervalle de cinq ans entre deux élections du méme citoyen à la stratégie. Mais

certains jeunes gens, qui avaient manifesté des qualités militaires et gagné la faveur de la masse des miliciens, cédérent au mépris qu'ils ressentaient pour les hommes au pouvoir. Persuadés de l'emporter sans peine, ils entreprirent d'abolir d'abord cette loi, pour permettre aux mémes citoyens d'exercer sans interruption la stratégie : ils croyaient que le peuple les élirait d'enthousiasme. Les magistrats chargés de cette affaire — qu'on appelait les conseillers — cédérent aprés un essai de

résistance, avec l'idée que cette loi supprimée, le reste de la constitution demeurerait intact. Mais quand par la suite ils voulurent empécher d'autres transformations, ils s’aperçurent qu'ils n'y pouvaient plus rien, et l'ensemble du régime se transforma en un pouvoir personnel des initiateurs de la révolution. » Les circonstances de ces deux révolutions sont mal connues et discutables 1%, Cette incertitude méme suppose que les auditeurs d'Aristote possédaient sur ces événements des données chronologiques précises. Mais la richesse des détails que donne le philosophe ne s'accommode pas de l'hypothése d'un renvoi à une étude préexistante. Il semble seule-

166. Dionore, XII, 11, 1. 167.

Strason,

VI, 1, 13

(C 263) ; Newman,

ad loc. ; GLorz-Couen,

Hist.

Gr.

I1,p. 173 sq. ; J. B£nanp, La colonisation grecque..., 2€n€ éd., Paris, 1957, p. 150. 168. La première a pu avoir lieu peu aprés la fondation de la cité, ou aprés le désastre

de Sicile, ou méme

au ıv® siècle

(V.

Newman,

ad 1307

a 27,

Susemiuz,

Rem. 1602) ; la seconde peut étre aussi bien antérieure que postérieure à la premiere (ibid.). —

H. Puiuipr (R. E., IV, A, 1, s. v. Sybaris, 10, col. 1009) ne propose

pas de date. —

Voir en tout cas supra, p. 42, n. 122.

DATATION

RELATIVE,

Il

281

ment que les cadres de cette étude étaient déjà fixés, que certaines institutions de Thourioi avaient méme déjà été signalées — par

exemple, « ceux qu’on appelait les conseillers », οἱ καλούμενοι σύμθουλοι. Mais

le travail était en cours

: Aristote

apporte

ici des documents

nouveaux. Θρᾷκες

"59.

Aristote a étudié successivement coutumes

et histoire de la Thrace,

se fondant d’abord, semble-t-il, sur les Νόμιμα. Les références à divers rois de Thrace (Amadocos, Cotys) ne supposent pas une « Constitution de Thrace ».

Ἴβηρες.

V. supra, p. 211 sq.

|

Ἴνδοι. V. supra, ibid. Ἰστριεῖς. Parmi les oligarchies que ruinèrent les discordes de la classe possédante, lorsque les magistratures sont aux mains d’une minorité trop étroite, Aristote cite Istros avec Marseille et Héraclée !? : à Istros, dit-il, on aboutit à une démocratie (V, 6, 1305 ὁ 1 sq.). Cette révolution survenue dans la colonie de Milet n'est pas autrement connue !?!, La référence à Istros est elle-même unique dans le Corpus 172 Aussi ne peut-elle étre interprétée.

Ἰταλιῶται. Voir infra, p. 306 sq. Ἴωνες. Comme exemples de magistrats devenus tyrans, Aristote cite (V, 10, 1310 b 28 sq.), en même temps que Phalaris, «les tyrans d'Ionie ». De même, en V, 12, 1316 a 35 sq., il rassemblera les tyrannies de Sicile.

Ces regroupements ont dû être effectués à l’occasion du cours 173, Il n'y a pas lieu de supposer qu'Aristote avait consacré une étude d'ensemble aux « tyrans d'Ionie ».

Kopxn5óvtot. V. supra,

p. 211 sq., 228 sq., 246 sq.

169. V. supra, p. 212 sq., 217 sq. 170.

V.s. v.

171. Vuric (R. E., IX, 2, s. v. Istros, 5, col. 2268 sq.) ne peut que mentionner le texte d’Arıstore. Il en conclut qu'Istros était autonome au temps du philosopho (jusque sous Lysimaque). 172. AntsroTe en revanche s'intéresse beaucoup au fleuve Istros, dans l'Histoire des animaux et les Météorologiques. V. Bonıtz, 1 Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v. 173. C'est ce que montre l'énumération de V, 12, 1316 a 35 sq.

282

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Karol. V. supra, p. 211 sq.

Ἰλαζομένιοι. V. supra, p. 199 sq. : la référence à «l'ile de Clazoménes » doit être antérieure à 330 (V, 3, 1303

b 7 sq.). Elle est isolée dans le Corpus,

et

ne suppose nullement une Constitution de Clazoménes.

Κνίδιοι. Deux textes sont à considérer : V, 6, 1305 b 12 sq. : aux exemples d'Héraclée, de Marseille et d’Istros

(oligarchies ruinées par les dissensions des riches) Aristote ajoute celui de Cnide. « A Cnide aussi l'oligarchie fut transformée, à la suite des dissensions des notables : un petit nombre seulement participait au pouvoir et — comme nous l'avons mentionné — si le pére y participait, son fils en était exclu ; de plusieurs fréres, l'ainé seul y avait accés. Le peuple saisit l'occasion que lui donnaient ces troubles, trouva un notable pour le diriger, passa à l'attaque et l'emporta : un camp divisé est faible. » V, 6, 1306 b 3 sq. : « Beaucoup d'oligarchies, écrit Aristote, étant trop despotiques, ont été renversées par certains de leurs membres qui en étaient mécontents : c'est le cas de l'oligarchie de Cnide. » Newman considère 114 que cette oligarchie renversée par des oligarques est probablement différente de celle que renversa le peuple. Il est remarquable cependant qu'Aristote introduise le second exemple comme s’il reprenait un fait déjà étudié et unique, ὥσπερ à ἐν Κνίδῳ ὀλιγαρχία. En réalité, les deux récits ne sont pas inconciliables : l'oligarchie renversée par le peuple avait été d'abord affaiblie par les divisions des oligarques. ll est plus naturel de considérer qu'il s'agit du méme événement 175. La date en est incertaine 1%. Aristote cite Cnide dans l' Histoire des Ánimauz (VI, 15, 569 a 14 sq.) : on y aurait constaté des exemples de génération spontanée. La précision de la premiére référence de la Politique convient à des détails nouveaux, se rapportant à des faits déjà connus dans l'ensemble (Aristote ne juge pas utile de les dater). Aristote possédait déjà une première documentation « cnidienne ». Mais une Constitution de Cnide 17] n'est pas attestée. Ἰζολοφώνιοι. Au livre IV, définissant démocratie et oligarchie, Aristote semble refuser le nom d’oligarchie 178 à l'ancien régime de Colophon « où la 174. 175.

Newman, ad 1305 b 12. Suskwinr, Rem. 1570 ; Busorr,

176.

Date ancienne ? ou bien 1v* siécle, si la législation d'Eudoxe mit fin à ces

Gr. Staatsk.,

I, p. 358.

troubles ? V. SusemiuL, ibid. Busorr, ibid., admet qu'il s'agit de l'oligarchie primitive. Büncnner (ἢ, E., XI, 1, col. 919, s. v. Knidos) propose avec une extrème

réserve 177. 292 a) 178.

la date de 366. Le fragment que Rose (1886, p. 324, app. crit. = PLUTARQUE, Qu. gr., 4, propose avec hésitation est en effet d'une attribution trés douteuse. Texte discutable. Cf. supra, p. 267 et n. 94.

DATATION

RELATIVE,

Il

283

masse avait acquis une grande fortune avant la guerre contre les Lydiens » (IV, 4, 1290 ὁ 15 sq.). Quoique la chronologie des Mermnades soit incertaine, on peut admettre que Gygès, qui prit Colophon, régna jusque vers 650 environ 179, Ce régime, que l'on appelle «l'oligarchie des mille », est assez bien connu par ailleurs 19), ' En V, 3, 1303 b 10, l'exemple de Colophon et des gens de Notion (entre celui de Clazoménes opposée à Chytros, et celui d'Athénes opposée au Pirée) illustre les inconvénients d'un territoire dépourvu d'unité. Une Constitution de Colophon est attestée de façon sûre 151, La seconde référence de la Politique peut en être indépendante. La première, au contraire, implique une connaissance précise du passé de Colophon : elle peut aussi bien refléter une documentation empruntée à la Constitution, qu'une documentation en cours de rassemblement, utilisée ensuite dans la Constitution. Κορίνθιοι. La Politique comprend six références à l’histoire de Corinthe 182, II, 6, 1265 5 12 sq. : « Pheidon de Corinthe, l’un des plus anciens legislateurs, considérait que le nombre des propriétés familiales et le nombre des citoyens devaient rester dans un rapport constant 13, méme si à l'origine la taille des lots était inégale. » Cette référence peut avoir été recueillie aussi bien pour un travail juridique que pour une collection historique !% ; elle est liée à la discussion des Lois de Platon. Parmi les cinq autres références, quatre concernent les Cypsélides : V, 10, 1310 5 29 : Cypselos est devenu tyran, de « démagogue» qu'il était 18, V, 11, 1313 a 34 sq. : allusion aux moyens de conserver une tyrannie, qu'a inventés, dit-on, Périandre de Corinthe. V, 11, 1313 b 18 sq. : les offrandes des Cypsélides sont citées — entre les Pyramides d'Égypte, la construction de l'Olympieion par les Pisistratides, les grands travaux de Polycrate et les lourds impóts de Denys 179.

H£noporz,

p. 612 sq. 180. 345. 181. 182.

I, 14 ; A. AvuaARD,

Grorz-ConEN,

Hist.

Gr.,

dans

Premières

I, p. 273 sq. ; Busorr,

civilisations,

2° éd., 1950,

Gr. Staatsk., I, p. 210 sq.,

Rose, 1886, 515 (poésies de Tu£oponE DE Coropuow). En outre : II, 12, 1274 a 31 sq., histoire de Philolaos

de Corinthe,

légis-

lateur de Thèbes (voir p. 210, n. 246 du chap. VI) et III, 9, 1280 5 13 sq. : « Si l'on unifiait des territoires, de facon par exemple à faire se toucher les murs de Mégare et de Corinthe, cela ne ferait pourtant pas une seule cité. » 183.

Ou « rester constant

». Cf. Newman,

ad loc.

184. Sur Pheidon de Corinthe (viri? siècle au plus tard), v. GLorz-Conen, Hist. Gr., I, p. 317 ; Busorr, Gr. Staatsk., I, p. 379 ; Ed. Witz, Korinthiaka, Paris, 1955, p. 317 sq. Pour tout ce qui concerne l'histoire de Corinthe, il est commode de se

reporter à ce livre d'Ed. ἡ τειν. 185.

Il était aussi

p. 392 (Newman).

polémarque,

selon

N1corAs

DE

Damas,

fr. 58, F. H. G.,

III,

284

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

l'Ancien — comme un moyen d'appauvrir et d'occuper les sujets du tyran : ainsi ne peuvent-ils se soulever. V, 12, 1315 b 22 sq. : Aristote classe la tyrannie des Cypsélides comme la deuxiéme par la durée : soixante-treize ans et six mois (trente ans pour Cypsélos, qui fut un « démagogue » et sut se passer de gardes du corps ; quarante ans et demi pour Périandre, tvran dur, mais valeureux soldat ; trois ans pour Psammétique, fils de Gorgos). Le second de ces textes, V, 11, 1313 a 34 sq., évoque

une

tradition

déjà mentionnée au livre V (10, 1311 a 20 sq.) et surtout au livre III (13, 1284 a 26 sq.) : au rebours de ce que raconte Hérodote, c'est Périandre qui aurait donné à Thrasybule de Milet le conseil fameux de décapiter les épis trop élevés !95. Défaillance de mémoire !* ἢ tradition différente ? De toute facon, il ne s'agit pas là d'érudition véritable concernant l'histoire de Corinthe. En revanche, les références aux origines de cette tyrannie, à la politique active des Cypsélides, à la durée de cette tyrannie, impliquent qu’Aristote avait étudié tous ces faits de près. Quoique les dates soient discutées, sa chronologie sert encore de base à notre chronologie des Cypsélides, et le jugement que les Modernes portent sur ce régime ne diffère pas sensiblement du sien !#, | Dernière référence à l'histoire de Corinthe enfin, un exemple des révolutions qui surviennent en temps de guerre dans les oligarchies : la défiance envers le peuple oblige à employer des mercenaires : « Or celui à qui on les confie devient en bien des cas un tyran, comme Timophanes à Corinthe » (V, 6, 1306 a 21 sq.). L'événement est récent #° et peut étre présent aux esprits quand Aristote le cite : le texte n'est donc pas significatif. Une Constitution de Corinthe est assez bien attestée — encore que le seul témoignage sûr vise la Constitution de Dicéarque, et non d'Aristote 19, Les «extraits d'Héraclide » et deux citations de Diogène Laérce 1?! semblent provenir de la Constitution aristotelicienne. Or ces textes traitent justement des Cypsélides. Ce rapprochement, joint au caractére rigoureux de la chronologie établie au chapitre 12, suggére qu' Aristote s'inspirait — au moins au livre V — de documents utilisés également dans la Constitution. En outre, la fréquence relative, dans la Politique, des références corinthiennes, et aussi le caractére d'addendum que présente le chapitre 12 du livre V, donnent à supposer qu’Aristote 186. Hérodote, V, 92, C, cf. I, 20 sq. 187. Hypothese envisagée par Newman,

ad 1284

a 26.

188. Voir A. AvMARD, Premières civilisations, 2° 6d., 1950, p. 502 sq., et Ed. Witt, Korinthiaka, Paris, 1955, notamment p. 363 sq. Les dates proposées, si variables

qu'elles soient, respectent à peu près les intervalles indiqués par AnisTorE (Ed. Wit, . 440). On fait accéder Cypsélos au pouvoir vers 657 (« chronologie haute », comme A nomme Ed. Wirr), — ou plutôt vers 620 (« chronologie basse », proposée par J. Bzrocn et vigoureusement soutenue par Ed. Wirr). 189. V. Grorz-Conen, Korinthos (Lexscnau], et 190. Cicéron, Ad Att., 191. Diocèse LAËRCE,

Hist. Gr., Ill, p. 166. R. E., suppl. IV, col. 1028, s. v. VI, A, 2, col. 1307, s. v. Timophanes (H. E. Srıer). II, 2 = éd. Coxstans, t. I, lettre XXVIII. I, 98et 99, Rose, 1886, 516 et 517, ainsi que 611, 19 sq.

DATATION

RELATIVE,

II

285

.rassemblait ces documents au moment même où il professait son cours. : Ceci peut être confirmé par l'allusion mystérieuse de la Rhétorique, .ouvrage également récent, au témoignage de Périandre, invoqué par les Ténédiens contre les Sigéens 1°? : les auditeurs d’Aristote compre.naient à demi-mot ces lignes qui nous sont obscures. C'est même la preuve qu'à ce moment-là on étudiait au Lycée tout ou partie de l'histoire corinthienne. Dans cette perspective, l’allusion à Timophanès se rattacherait aussi à ces études 193, Kpñres. V. supra, p. 228 sq., 244 sq. Κυμαῖοι. , Au livre II, 8, 1269 a 1 sq., une loi de Cymé illustre cette idée, que l'antiquité d'une loi n'en garantit pas la valeur : « Il y a à Cymé une loi sur le meurtre, qui prescrit que si le plaignant peut fournir suffisamment de témoins de sa famille, l'accusé est déclaré coupable » 194, Au livre V, 5, 1304 b 39 sq., Aristote mentionne un fait historique précis : parmi les démocraties que ruinent les excés de la démagogie, entrainant une réaction des notables exilés, figure l'exemple de Cymé : « Le méme fait s'est produit à Cymé pour la démocratie (ἐπὶ τῆς ônuoxpatlac) 19° que renversa Thrasymachos. » L'événement nous est inconnu 1%. Il est improbable qu'il soit récent et ignoré de tous les auteurs qui ont vécu au 1v? siécle ou bien ont traité de son histoire. S'il est ancien en revanche, l'allusion rapide d'Aristote à «cette démocratie » que connaissent ses auditeurs, ne s'explique que par rapport à la Constitution de Cymé. Celle-ci est bien attestée 1%. Elle retracait l'histoire de la cité, étudiait l'aisymnétie et au moins certaines coutumes locales. Il serait cependant imprudent d'y rattacher le texte du livre II, « curiosité » qui avait pu frapper l'attention d’Aristote bien avant qu'il mit sur le chantier cet élément de ses Collections : Lesbos et Atarnée ne sont pas loin de Cymé. 192. Rhét., I, 15, 1375

b 28 sq. Sur l'arbitrage de Périandre entre Mytiléne et

Athènes au sujet de Sigée, v. A. AymanD, Premières civilisations, 2° éd., 1950, p. 609 sq., et Grorz-Conew, Hist. Gr., I, p. 427, qui rapporte à cet événement le

texte de la Fhétorique. Il se peut que l'arbitrage rendu entre Mytilène et Athènes ait été invoqué ensuite par les Sigéens contre les Ténédiens : Ed. Wırı, Korinthiaka, Paris, 1955, p. 560, n.1 (cf. p. 381 et 446 sq.), suivant S. Mazzarıno, La politica coloniale ateniese sotto i Pisistratidi, Rendiconti dell’ Istituto Lombardo, 72 (1939),

. 289. P 193. THÉOPARASTE connaissait peut-être le passage de la Politique relatif aux « offrandes des Cypsélides ». Voir supra, p. 221 sq. 194. On admet généralement qu'il s'agit de Cymé d'Éolide, v. Grorz-ConeN, Hist. Gr., I, p. 286 ; A. AvuARD, Premières civilisations, 2° éd., 1950, p. 609. Réserves de Newman, ad 1269 ai.

195. Ou « au temps de la démocratie ». 196. Newman. SusemınL ne se hasarde pas à le commenter. BüncnwEn XI, 2, col. 2475 sq., s. v. Kyme,

2) ne le mentionne

méme

(ἢ. E.,

pas. K. v. Fritz (ἢ. E.,

Hr A: 1, col. 592 sq., s. v. Thrasymachos, 3) croît qu'il s'agit plutôt ici de Cymé d'Italie. 197.

Rose, 1886, 524-525. « Extraits d'HERACLIDE

»,ibid., 611, 36 sq.

286

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Les références du livre III aux « aisymnétes » des temps anciens (III, 14, 1285 a 30 sq.) s'expliquent aussi sans une étude précise de Cymé : dans ce texte, Aristote cite notamment Mytiléne, qu'il connaissait bien. Mais il est probable que la documentation Cyméenne était à peu près réunie, sinon mise définitivement en forme, lorsqu'il professa le livre V. Κύπριοι. Parmi ceux qui, pour se venger d'une insulte, se sont révoltés contre un monarque 1%, Aristote cite «la conspiration de l'eunuque contre Évagoras de Chypre : il assassina le tyran parce que le fils de ce dernier lui avait pris sa femme, et qu'il se sentait offensé ». (V, 10, 1311 ὁ 4 sq.). Selon Théopompe, l'eunuque Thrasydaios d'Élis assassina non seulement Évagoras, mais son fils Pnytagoras, pour venger son maitre Nicocréon, lui-même pris à conspirer contre Évagoras, et banni !??. La version aristotélicienne des causes de meurtre peut en revanche s'accorder avec l'insistance dont use Isocrate pour recommander à Nicoclés la maîtrise des passions 390, D'autre part, le texte d'Aristote n'exclut pas expressément le meurtre de Pnytagoras : Kai ÿ τοῦ εὐνούχου Εὐαγόρᾳ τῷ Κυπρίῳ (sc. ἐπίθεσις ἐγένετο τιμωρίας χάριν) #1. Διὰ γὰρ τὸ τὴν γυναῖκα παρελέσθαι τὸν ὑιὸν αὐτοῦ ἀπέκτεινεν ὡς ὑδρισμένος. On peut admettre χυ᾿ ἀπέκτεινεν correspond à un double meurtre : «1] (les) tua », plutôt que « il (le) tua ». L'auteur du Protreptique s'est intéressé assez tôt à Chypre 3. D'autre part, une Constitution de Chypre est bien attestée ; des deux fragments qui en subsistent, le second indique qu’Aristote traitait de la famille de Nicoclès 93, En était-il déjà arrivé à ce point de son étude lorsqu'il professait ce passage de lu Politique ? Notre texte, par sa précision, n'incite pas à le croire. Toutefois, il représente peut-être une prise de position dans une controverse dont Aristote pouvait être averti— exactement comme les quelques mots relatifs à l’assassinat de Philippe de Macédoine (1311 b 1 sq.) sont la version officielle de l'événement, mais non la seule version qui circulait. Aussi le rapport de la Constitution de Chypre à cette interprétation du meurtre d'Évagoras ne peut-il étre sürement déterminé. Κυρηναῖοι. Deux textes VI, 4, 1319 gogie incitent « C'est ce qui

voisins sont à b 11 sq. : parmi les notables à fut cause de la

considérer : les démocraties où les excès de la démala sédition, figure l'exemple de Cyrene : révolution de Cyréne. »

198. V. supra, p. 215 sq. 199. TnéoPomre, chez Puorius, 176, p. 202 54. = F. H. G., T, p. 295, fragment 111. Cf. Diopong, XV, 47, 8 ; Susemiuz, Rem. 1674 ; Newman, ad loc. — L'assassinat est de 374 /3. 200. A Nicoclés, 29 ; Nicoclés, 36-47, notamment 36. 201. V. Newman, ad loc. 202. V. supra, p. 150 sq., et Bonızz, Index Aristotelicus, s. v. Κύπρος, Notam sent, Hist. anim., V, 19, 552 b 10.

203.

Rose, 1886, 526-527.

DATATION

RELATIVE,

II

287

VI, 4, 1319 b 19 sq. : dans un texte qui a déjà été en partie étudié 24, Aristote note que pour une démocratie radicale sont « utiles les mesures que Clisthène appliqua pour accroître la démocratie, et qu’appliquerent aussi à Cyrène les fondateurs de la démocratie : il faut multiplier tribus et phratries, concentrer et rendre accessibles à tous les cultes privés, et tout arranger pour que les citoyens soient aussi mélés que possible ». Quoique voisins, les deux textes ne font pas allusion au méme événement : le premier évoque une révolution dans une démocratie déjà établie — peut-étre la révolution de 401. Le second traite de l'institution de la démocratie : elle se produisit sans doute vers 440, à la mort d'Arcésilas IV 995, Une Constitution de Cyréne est bien attestée 2%. Elle traitait notamment de la monarchie des Battiades et, d'aprés les « extraits d'Héraclide », de la « démocratie » qui leur succéda. Le caractére allusif des références de la Politique suggére que cette partie au moins de la Constitution était préte lorsqu'Áristote professa l'actuel livre VI. Le groupement de ces deux références isolées dans la Politique, réunies dans un livre qui sürement n'est pas ancien, implique en outre que le travail sur Cyréne était récent. Sans doute Aristote s'est-il intéressé à cette région dés une époque antérieure 2”, Mais il a attendu, semble-t-il, assez tard pour en retracer l'évolution constitutionnelle. La comparaison avec le livre III (2, 1275 5 35 sq.), où Aristote évoque les mémes réformes de Clisthéne sans mentionner l'histoire de Cyréne, apporte un argument de plus en faveur de cette chronologie : au temps où il professe notre livre III, Aristote ne songe pas à associer Cyrène à Athénes ; sa documentation est moins compléte.

Kot. Un texte isolé (V, 5, 1304 b 25 sq.) allégue l'exemple de Cos parmi les démocraties victimes de la démagogie: « À Cos la démocratie fut renversée à la suite de néfastes manœuvres démagogiques (car les notables s'étaient coalisés. » | Il n'existe ni trace d'une Constitution de Cos, ni référence significative à ce pays dans d'autres textes d’Aristote 2%. ]] se peut dans ces conditions que l'événement soit récent, bien connu des auditeurs : il serait alors en liaison avec la révolte de Cos, survenue en 357 29. 204. Supra, p. 256, 258 sq. 205. V. Newman, ad loc. ; SusEMint, Rem. 1426 a-b ; Bnonorm, R. E., XII, 1, s. v. Kyrene, col. 162 ; F. Cuamoux, Cyréne sous la monarchie des Battiades, Paris,

1953, p. 205 sq. ; v. aussi R. E. G., e, 302-303

(juillet-décembre 1951), p. x1-xrr.

206. Rose, 1886, 528-531 ; « Extraits d’HERACLIDE », chez Rose, 1886, 611, 16 sq. 207. V. infra, p. 318 sq., et Bourrz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v., notamment H. A., V, 30, 556 a 22 ; 556 b 2 , 31, 557 a 29. Ces références sont également

groupées, quoique ne portant pas toutes sur le méme sujet. HÉRODOTE (IV, 169, 199) s'intéressait déjà aux ressources de ce pays. 208. H. A., V, 19, 551 b 15 sq., rappelle que Pamphila de Cos fut la première à tisser la soie. 209. Newman, d'après Scnarrer. — Bürcanen (ἢ. E., XI, 2, col. 1477 donne de l'histoire constitutionnelle de Cos un schéma trés sommaire.

sq.)

288

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Λακεδαιμόνιοι. V. supra, p. 228 sq. Λαρισαῖοι. V. supra, s. v., Ὁ. 263 sq.

Acovrivor. Deux textes sont à considérer, relatifs tous deux à la tyrannie de Panaitros 219: V, 10, 1310 b 29 : Panaitios est mentionné parmi les démagogues devenus tyrans ?11, V, 12, 1316 a 34 sq. : la tyrannie de Panaitios figure parmi celles qui ont succédé à une oligarchie. Ces references à Léontinoi sont isolées ?1? et ne peuvent être rattachées à une documentation plus large concernant cette cité. Λέσβιοι. Ils sont mentionnés seulement comme alliés d'Athènes,

III, 13, 1284 a

40. Voir supra, p. 256, infra, p. 297 et 306.

Λευκάδιοι. Un texte du livre II, 7, 1266 ὁ 21 sq., rapporte que les dispositions qui interdisaient de vendre les lots primitifs de propriété étant négligées, «la constitution de Leucade en devint trop démocratique, car l'accès aux magistratures ne se trouvait plus limité par les cens légaux ». L'événement ?1? est évoqué avec précision et, sans être exactement daté, est rejeté dans le passé assez nettement, pour que le texte se suffise à lui-même. Il n'y a pas lieu de supposer qu'Aristote prend son information dans la Constitution de Leucade, bien attestée par ailleurs ?14,

Λοκροὶ

(Ἐπιζεφύριοι).

:

Cette référence à Leucade est précédée d’une mention de la loi qui « à Locres, interdit de vendre les propriétés, à moins qu'on ne puisse invoquer un revers indiscutable » (II, 7, 1266 b 19 sq.). Il s'agit de Locres Épizéphyrienne 215 : le traditionalisme de cette cité était si connu, qu’Aristote n'avait pas à préciser 218, 210. 608 av. J.-C. Voir R. E., XII, 2, s. v. Leontinoi, col. 2043 (ZikcrreR) ; A. AYMARD, dans Premières civilisations, 2° éd., 1950, p. 481. C'est le premier en

date des tyrans de l'Ouest, 211. 212.

Il était aussi polémarque. Newman, ad loc., d'après Porven, V, 47. V. cependant Hist. an., III, 17, 520 b 1 sq. (élevage des moutons à Léontinoi).

213. 214.

Il n'est pas connu par ailleurs. V. R. E., XII, 2, col. 2232 (Bürcaner). Rose, 1886, 546 (installation des fils de Téléboas à Leucade). — On rappro-

chera

les conclusions

proposées,

sur

le

méme

sujet

du

πρῶτος

χλῇρος,

p.

272

{loi d'Aphytis, énoncée avec précision, indépendante sans doute de la Constitulion) et p. 276 sq.

(loi d'Élis,

dite d'Oxylos, —

rattacher à une Constitution). 215. Ce qu'admettent notamment

allusion à un

R. von PGHLMANN,

fait connu,

et qu'il faut

Gesch. der sozialen Frage

und des Sozialismus in der antiken Welt, I, Munich, 1893, p. 88 ; Newman, ad loc., mais avec réserves, cf. ad 1307 a 38. — Réserves aussi chez L. LERAT, Les Locriens

DATATION Comme pour Leucade, cette Constitution — en l'occurrence attestée. Aristote y étudiait auxquelles il faut sans doute

RELATIVE,

II

289

référence ne dépend pas forcément d’une celle de Locres qui est d'ailleurs bien naturellement les lois de Zaleucos 217, rattacher cette loi-ci. Mais la législation

de Locres était trop célèbre pour que le rapprochement soit probant 318, Mention

est faite encore

de Zaleucos

législateur de Locres

Epize-

phyrienne en II, 12, 1274 a 22 sq. Aristote doit ici préciser qu'il s'agit de l’Épizéphyrienne, parce que dans ces quelques lignes sont rassemblés des exemples tirés d'Italie et de Sicile. Ce texte, comme les deux précédents, peut se rattacher à une compilation de lois. Enfin, en V, 7, 1307 a 36 sq., Aristote range Locres parmi les « aristocraties » mal équilibrées, « où les notables ont plus de liberté pour agir à leur fantaisie, et s'allier à qui ils veulent : c'est pourquoi la cité de Locres fut ruinée par le mariage de Denys (avec une Locrienne) ». Le nom de Denys suffit à situer Locres en Italie. Du mariage de Denys l'Ancien avec une Locrienne naquit Denys le Jeune qui, réfugié à Locres en 356, y exerca ensuite une tyrannie impitoyable 219. L'allusion est trés vague. Mais le fait était récent et devait étre connu. . Le rapport de la Politique à la Constitution de Locres demeure donc

incertain. Μάγνητες. Voir supra, s. v., p. 272.

Μάγνητες

ol ἐπὶ Μαιάνδρῳ.

ΙΝ, 3, 1289 ὁ 39 sq. : Ils sont cités, avec les Érétriens et les Chalcidiens 2%, ainsi que « beaucoup de peuples d'Asie », parmi les anciennes oligarchies fondées sur la cavalerie (l'élevage du cheval exigeant la richesse). Dans les Hypomnémata ??1, Aristote (ou Théophraste) peignait les mœurs des Magnètes. Les « extraits d' Héraclide » évoquent les malheurs de ce peuple, et aussi leur vie d'éleveurs de chevaux *??, Cette derniére coincidence permet de supposer que, pour Magnésie comme pour Érétrie 323, Aristote disposait déjà, sinon d'une Constitution, de l'Ouest, II, Paris, 1952, p. 142. OrprATBER, ἢ. E., XIII, 2, col. 1346, s. v. Lokroi,

1, pense qu'il s'agit des Locriens de Gréce, mais que la loi existait aussi en Italie. De

méme,

T. J. Dunsasın,

The

Western

Greeks,

Oxford,

1948,

pense

que

la loi

n'était pas en vigueur chez les seuls Épizéphyriens. 216.

D£uosTRENE,

Contre Timocrate, 139 sq. En Rhét.,

II, 21, 1395 a 1, Λοκροί

désigne aussi Locres Épizéphyrienne. En Pol., III, 16, 1287 a 8, Locres Opontienne est nommée Oponte. 217. Rose, 1886, 547-548. « Extraits d'HénRACLIDE », Rose, 1886, 611, 61, cf. 60. Voir L. Lerat, Les Locriens..., II, p. 138 sq., sur le fragment 547. 218. V. Rhét., I, 7, 1365 b 17 sq. ; PLaron, Timée, 20 a ; DÉmosraène, loc. cit. 219. Susegwiur, Rem. 1604 ; Newman, ad loc. ; GLidrz-CouEn, Hist. Gr., III, p. 411 sq.; OrprarHen, ἢ. E., XIII, 2, col. 1335 et 1346. 220. V.s. v. 221. Rose, 1886, 631. 222. Rose, 1886, 611, 50-51. 223. Supra, s. v. Aristote οἱ l’histoire

19

290

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

du moins d'une documentation détaillée, quand il professa ce cours de politique.

Μακεδόνες. V. supra, p. 211 sq., 214 sq.

Madueis. L'ancienne constitution des Maliens est un exemple de « politeia » : « Le droit de cité y appartenait à tous ceux qui servaient ou avaient servi dans l’armée, mais les magistrats étaient élus parmi les soldats en service actif » (IV, 13, 1297 b 14 sq.). Cette référence paraît assez précise pour être indépendante d'une Constitution des Maliens, qui est sûrement attestée d'autre part 224. Mavriveis. Un texte du livre VI atteste qu'il avait existé à Mantinée une sorte de gouvernement en partie représentatif et démocratique : « Dans plusieurs démocraties, tous les citoyens ne participent pas à l’élection des magistrats, qui est laissée à des représentants élus dans tout le peuple à tour de rôle, comme à Mantinée. Le peuple dispose du pouvoir délibératif et s’en contente (il faut bien admettre que c’est là un type de démocratie, comme il y en avait jadis à Mantinée) » (VI, 4, 1318 5 23 sq.). Ce texte curieux est malheureusement unique, dans notre information en général, et en particulier dans le Corpus 225. 1] semble faire allusion à des faits connus des auditeurs d’Aristote.

Μασσαλιῶται. Deux textes sont à considérer : V, 6, 1305 b 2 sq. : les exemples d'Istros et d'Héraclée 335 sont precédés d'une référence à Marseille, prise elle aussi comme type d'oligarchie bouleversée par les riches, qu'un régime trop étroit excluait du pouvoir : l’oligarchie est ici devenue « plus proche de la politeia ». VI, 7, 1321 a 29 sq. : traitant de la facon dont les oligarchies peuvent accorder des droits politiques à la masse, Aristote ajoute à l'exemple de Thèbes ?? la méthode des Marseillais : « Ils font une sélection des individus qui sont dignes (des fonctions publiques), à la fois parmi les membres du corps civique et parmi les autres. » 224. Rose. 1886, 553-554 (éducation des enfants ; proverbe’du « vaisseau malien”). Sur les Maliens, v. SrAnriN, R. E., XIV, 1, col. 901, s. v. Malier. 225. Voir NEWMAN, ad loc., renvoyant à GiLBERT, Gr. Staatsali., 11, 1885, p. 126, n. 2 (démocratie établie en 421 ?) — Boire, R. E., XIV, 2, col. 1320, s. v. Mantinea (sous la constitution de Nikodoros, entre 425 et 423). — J. A. O. Larsen, Aristotle on the electors of Mantinea and representative government, Class. Phil., 54 (1950), . 180-183, hésite entre ces dates. Sur le gouvernement représentatif, voir encore,

de J. A. O. Larsen, Representative Government in Gr. and Rom. History, Berkeley et Los Angeles, 1955, notamment p. 18 sq. 226. Voir s. v. 227. Supra, p. 195 sq.

DATATION

RELATIVE,

II

291

C'est probablement par l'institution de ce système, que l’oligarchie de Marseille était devenue, comme celles d'Héraclée et d'Istros, plus proche de la « politeia » 22, Dans cette hypothèse, les deux textes sont liés : Aristote aurait utilisé deux fois la méme fiche » ou des « fiches » voisines. Il a accueilli dans sa collection une Constitution de Marseille ; un fragment en subsiste, relatif aux origines de la cité *?9?, Le second des textes de la Politique, par sa précision, donne à croire que la Constitution n'était pas encore au point quand le livre VI fut professé. Μεγαρεῖς Quatre textes sont à considérer IV, 15, 1300 a 15 sq. : à propos bilité aux magistratures, Aristote seuls éligibles « ceux qui étaient combattu le peuple ». V, 3, 1302 b 30 sq. : parmi les

2% : des restrictions que peut subir l’éligicite l'exemple de Mégare, où étaient rentrés d'exil ensemble et avaient révolutions dues au mépris des insti-

tutions, figure — aprés celle de Thèbes au milieu du v® siècle 3?! — « la chute de la démocratie de Mégare, que le désordre et l'anarchie avaient conduite à la défaite ». V, 5, 1304 b 34 sq. : de méme qu'Héraclée, Cos et Cymé, Mégare a vu sa démocratie renversée à cause de la démagogie : « Les démagogues expulsérent de nombreux riches pour confisquer leurs biens, jusqu'au moment où les exilés furent en nombre : revenant, ils vainquirent le peuple et installérent l'oligarchie. » Il serait étonnant que, comme on l'admet parfois ?93, ces trois textes

ne fussent pas relatifs aux mémes événements : tous trois sont imprécis, surtout les deux premiers ; tous trois n'étaient compréhensibles que pour un auditeur déjà informé ou susceptible de se reporter à une étude plus compléte. Mais comment aurait-il pu faire appel à ses souvenirs ou à un autre texte, s'il s'agissait, sous une forme si vague, d'événements différents 235 ? La quatrième référence rapporte l’anecdote de Théagène, qui gagna la confiance du peuple «en massacrant les troupeaux des riches: il 228.

Newman,

ad 1305

b 10 ; H. G. WAcKERNAGEL,

art. Massalia de la R. E.,

XIV, 2, col. 2139. 229. Rose, 1886, 549 (fondation de Marseille parles Phocéens ; mariage d'Euxénos avec une fille du roi Nanos). 230. Il s'y ajoute en III, 9, 1280 5 13 sq. l'hypothèse d'un synccisme entre Corinthe et Mégare. V. supra, p. 283, n. 182. 231. Voir s. v. 232. G. Busorr, Gr. Gesch., 2° éd., II, p. 395. 233. Resterait à décider entre les diverses dates possibles : époque de Théognis ? (v. J. CanniEng, Théognis de Mégare, Gap, 1948, p. 11 sq.) 447 ? 424 ? Voir les diverses hypothèses rassemblées par Newman, ad 1300 a 17. — En faveur de la premiére époque, on retiendra l'expression employée dans la Poétique, 3, 1448 a

31 sq. : les Mégariens affirment que la comédie est née chez eux « du temps où ils étaient en démocratie », ὡς ἐπὶ τῆς παρ᾽ αὐτοῖς δημοχρατίας γενομένης. Toutefois, Ernst Mever,

R. E., XV, 1, s. v. Megara, 2, col. 185, souligne que la datation des

faits allégués en 1302 b 30 et 1304 b 34 est incertaine,

292

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

les avait surpris, paissant au bord de la rivière » (V, 5, 1305 a 24 sq.) ?**. Une Constitution de Mégare est bien attestée 2%. Le rapprochement des trois premiers textes de la Politique suggère qu'elle était déjà composée, ou en cours de composition, quand ces leçons furent professées.

Meofjvtot. Ils sont mentionnés seulement pour leurs relations avec Sparte: II, 9, 1269 b 4, 1270 a 3 (avec Argiens et Arcadiens) ; cf. V, 7, 1306 b 37 sq. (troubles à Sparte au temps de la seconde guerre de Messénie) ***. Μῆδοι. Voir supra, p. 211 sq., 214 sq. Μιλήσιοι. Il faut mettre à part l'anecdote qui fait de Thalès de Milet un inventeur du monopole (I, 11, 1259 a 6 sq.) 2”, le développement sur Hippodamos de Milet (II, 8), dont les vues ne furent pas réalisées à

Milet, et enfin l'allusion à Téléclés de Milet (IV, 14, 1298 a 11 sq.) qui imagina une constitution oü les citoyens participaient à tour de róle au pouvoir délibératif : Téléclés semble avoir été un théoricien comme Hippodamos 28, Reste une référence à une tyrannie établie à Milet à date ancienne : « Les tyrannies s'installaient plus facilement autrefois qu'aujourd'hui, pour une autre raison ; des magistratures importantes étaient confiées à certains citoyens ; ainsi à Milet de la prytanie sortit la tyrannie — car le prytane disposait de nombreux pouvoirs considérables » (V, 5, 1305 a 15 sq.). Il s'agit probablement de la tyrannie de Thrasybule, contemporain de Périandre de Corinthe ?3? : Thrasybule est cité au livre III (13, 1284 a 26 sq.) et au livre V (10, 1311 a 20 sq.). D'autre part, Aristote, dans l'Histoire des Animaux, possède une information milésienne précise ?9. Enfin, une Constitution de Milet a probablement été rédigée au Lycée #1. Le rapport entre tous ces textes n'apparait toutefois pas nettement. La référence à la prytanie, dans la Politique, n'implique point en tout cas que la Constitution soit antérieure. 234. Vers 640 (Grortz-Conen, Hist. 235. Rose, 1886, 550. 236. V. supra, p. 239. 237. 238.

Gr., I, p. 328).

V. supra, p. 94. NEWMAN, ad loc., suivant SuseminL, Rem. 1321.

239. V. supra,p. 284 GLorz-ConEn, Hist. Gr., I, p. 278 ; H. v. GagRTRINGEN, ἢ. E., XV, 2, s. v. Miletos (1. Geschichte) col. 1592. 240. H. A., VIII, 28, 605 b 26 sq. : les cigales sont réparties de facon bizarre sur le territoire de Milet.

241. Rose, 1886, 556-557 (vengeance de Cleoboia sur Antheus qui l'avait dédaignée ; puissance passée de Milet). Il faut peut-être y ajouter, comme le suggère Rose, le fragment 556 a (IIEsycnıos, s. v. ἀειναῦται = PLUTARQUE, Qu. Gr., 32,

298 c).

DATATION

RELATIVE,

II

293

MoAottol. Voir supra, p. 214 sq., 221 sq. Μυτιληναῖοι. Au livre III (14, 1285 a 34 sq.), Aristote rappelle le choix de Pittacos par les Mytiléniens. Affirmant que Pittacos fut nommé tyran, il s'appuie sur des vers d'Alcée, qui ont probablement inspiré aussi un passage de Y’ Éthique de Nicomaque 342, Pittacos est cité souvent par Aristote, et

notamment à la fin du livre II de la Politique 333, Dès l'époque où il entreprit ses recherches sur la poésie, le philosophe a pu étudier ces vers 24, Aussi le texte du livre III peut-il être indépendant de toute recherche sur les constitutions. Au livre V (4, 1304 a 4 sq.), l'exemple de Mytiléne figure parmi les révolutions que suscitérent les querelles des notables : « Une affaire d'épicléres provoqua des dissensions d’où sortirent de nombreux malheurs, et la guerre contre Athènes, au cours de laquelle Pachés prit la cité. Un riche, Timophanés, avait laissé deux filles. Dexandros, que l'on avait évincé alors qu'il leur destinait ses fils, prit la téte du parti adverse et n'eut de cesse qu'il n’eût entraîné les Athéniens, dont il était proxéne. » Thucydide, dont le récit n'est pas absolument incompatible avec celui d'Aristote, souligne avant tout les causes politiques de la révolte de 428 #5, Aristote se fait sans doute l'écho d'une tradition locale, qu'il a connue sur place ?9 : les détails qu'il donne conviennent à unc information rare. | Le troisième et dernier texte (V, 10, 1311 b 26 sq.), n’implique pas davantage une Constitution de Mytilène. Cette cité fournit à Aristote des exemples de révoltes dues aux exactions des gouvernants : « Mégaclès et ses amis attaquèrent et tuèrent les Penthilides, qui allaient partout frapper le peuple à coups de massue ; plus tard, Smerdès assassina Penthilos qui l'avait fait battre et dont la femme l'avait repoussé » : ces précisions sentent l'information nouvelle, isolée 27. Νάξιοι. Aristote évoque au livre V, 6, 1305 a 37 sq., les révolutions qui surviennent dans les oligarchies : « Elles surviennent en premier lieu, 242. Fragment 37 A Bencx, 110 Reınacn ; E. N., IX, 6, 1167 a 30 sq. On a rapproché aussi (v. Newman, ad 1285 a 39), Pruranque, Eroticos, 18, 763 e. Ce

dialogue

présente plusieurs références qui ont pu être empruntées à AnisToTE. V.

supra, p. 161, 216, 266, n. 86. — Sur Pittacos, v. Busorr, Gr. Staatsk., 1, p. 372 sq. 243. Pol., II, 12, 1274 5 18 sq. (loi sur l'ivresse) ; Bonıtz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v.

244. Rose, 1886, 75 : Alcée attaquait Pittacos (Dialogue Sur les poètes, — dont la date est ancienne : v. supra, p. 132). 245. Newman, suivant JowrTT, admet qu'il n'y a aucune incompatibilité. — TnaucvDipz, Ill, 1 sq. ; GLotz-Coren, XVI, 2, s. v. Mytilene, col. 1413. 246. NEWMAN.

Hist.

Gr., Il, p. 635 sq. ; R. HEnsnsr, HR. E.,

247. Cf. GLorz-Couen, Hist. Gr., I, p. 237 sq., 286 sq.

294

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

si la masse est lésée. N'importe qui suffit alors à la mener, et surtout si ce chef se trouve issu de l'oligarchie elle-méme. Ce fut le cas, à Naxos, de Lygdamis, qui justement (ou : lui aussi) devint ensuite tyran des Naxiens. » La Constitution des Naxiens, attestée avec certitude, donne une version très proche de ces événements, dont la date est incertaine 3% : des jeunes gens maltraitérent un certain Télestagoras, riche et fort estimé ; les Naxiens indignés prirent les armes : « Ce fut une révolte trés grave ; les Naxiens avaient à leur téte Lygdamis, qui à la suite de ce commande-

ment (ἀπὸ ταύτης τῆς στρατηγίας) devint tyran de sa patrie » 339. La Constitution ne précise pas que Lygdamis était lui-méme un oligarque ; mais ce silence — surtout dans un texte fragmentaire — n'indique aucune contradiction entre Constitution et Politique. Il n'y a pas non plus contradiction entre l'affirmation de la Politique — selon laquelle tout le peuple était lésé — et cette anecdote, qui fait du seul notable Télestagoras une victime des νεανίσχοι : Newman suggère que de tels outrages devaient aussi frapper le peuple. Sans doute Aristote les mentionnait-il dans le contexte de la Constitution. Mais la Politique s'inspire-t-elle de la Constitution ? 1l semble bien qu’Aristote introduit un fait connu quand il précise : Λύγδαμις ὃς xal ἐτυράννησεν ὕστερον τῶν Ναξίων, «lui qui justement — ou : aussi — devint ensuite tyran ».. Est-ce toutefois une référence à la Constitution des Naxiens ? L'étude de l'histoire athénienne offrait aussi une occasion de rencontrer le personnage de Lygdamis 2°. En outre Aristote a cité peu auparavant les exemples de Pisistrate, de Théagéne, de Denys l'Ancien, qui ont renversé des démocraties #1 : il remarque maintenant que Lygdamis a agi de la méme façon dans une oligarchie :

ὃς καὶ ἐτυράννησεν. L'adverbe καί — « justement » ou « aussi » — ne renvoie pas forcément à une étude systématique déjà composée. On croira méme volontiers qu'au contraire la Constitution des Naxiens fut élaborée plus tard : Naxos n'est citée que cette fois-là dans toute la Politique 232, Νοτιεῖς. Voir supra, p. 283. ?53,

᾿πούντιοι. Dans le passage du livre III, 16, 1287 a 6 sq., où il mentionne la « magistrature unique » d'Épidamne, Aristote signale qu'une telle ma248. P. ex., 535 environ selon GLorz-Conen, Hist. Gr., I, p. 291 sq., mais vers 550 selon R. Hersst, R. E., XVI, 2, s. v. Naxos, col. 2088.

249. Rose, 1886, 558 (Aruen£e, VIII, p. 348). Le fragment Polycrité) semble aussi tiré de cette Constitution. d'Ath.,

559

(histoire de

250.

Const.

251.

Pol., V, 5, 1305 a 23 sq.

15, 2-3.

252.

Les références aux travaux de sciences naturelles (Hist. an., I, 17, 496

b 26

et Part. an., IV, 2, 677 a 2) ne sont pas significatives. 253.

Notion ne fut pas toujours rattachée à Colophon (v. J. Kerz, R. E., XVII, 1,

s. v. Notion 1, col. 1075 sq.) ; mais AnrsTOTE ne l'envisage que de ce point de vue.

DATATION

RELATIVE,

II

295

gistrature « existe aussi à Oponte, avec des pouvoirs moindres » 2%. Une Constitution d’Oponte est sûrement attestée 355 : mais aucun des

fragments qui en subsistent ne traite de cette magistrature unique. Aussi n'est-il pas sûr que cette référence de la Politique, seule consacrée à Oponte, soit tirée de lu Constitution. Elle paraît plutôt la précéder à cause de cet isolement même : à ses recherches, déjà avancées, sur la royauté 25%, Aristote avait joint sans doute une étude de ces sortes de

« strategies à vie», στρατηγίαι ἀίδιοι. De fait, il s'est intéressé tôt aux Locriens de l'Est : dans l'Histoire des Animaux figure déjà une anecdote sur un étalon d'Oponte, qui passait pour.particuliérement fougueux 257, Περραιβοί. Voir supra, 8. ν. ᾿Αχαιοί. Πέρσαι. Voir supra, p. 211 sq., 214 sq. Ῥηγῖνοι. Parmi les tyrannies de Sicile issues d’une oligarchie, figure à Rhégion celle d’Anaxilas (V, 12, 1316 a 34 sq.). C'est la seule référence à Rhégion et à Anaxilas que présente la Politique — puisqu’Aristote ne mentionne pas l'intervention du tyran dans l'affaire de Zancle 358, Une Constitution de Rhégion a très probablement existé : un fragment de Pollux semble en être inspiré, et surtout un « extrait d'Héraclide » est consacré à cette cité 25°, Ces deux textes rapportent des anecdotes tirées de la biographie d’Anaxilas. Mais le personnage était si fameux que, pas plus ici que pour Panaitios à Léontinoi, ou Cléandros à Géla 2%, il n'est nécessaire de supposer qu'une étude détaillée de la Constitution a précédé la Politique.

Ῥόδιοι. Trois références sont à considérer #1. Toutes figurent au livre V : V, 3, 1302 b 24 sq. : la crainte d'une injustice peut susciter une révolution préventive: « Ainsi à Rhodes les notables se coalisérent contre le peuple à cause des poursuites dont ils étaient l'objet. » 254. V. supra, p. 261. Cette magistrature d'Oponte est mal connue. V. Newman, loc. ; Busorr-Swonopa,

255. 256. 257. 258.

Gr. Staatsk.,

ad

II, p. 1457.

Rose, 1886, 560-564. Supra, p. 158 sq. H. A., VI, 22, 576 b 25 sq. Supra, s. v. — Les principaux textes concernant

Anaxilas sont indiqués

per PuiLipp, R. E., I, A, 1, col. 496 sq., s. v. Regium. Sur cette ville, v. en dernier jeu G. VarrET, Rhégion et Zancle, Paris, 1958. 259. Rose, 1886, 568, qui cite une partie de « l'extrait d'HÉRACLIDE » ; le texte

complet figure chez Rose, 1886, 611, 55 ; il est cité et commenté La colonisation

grecque..., 2° éd.,

260. V.s. v. 261. Une quatriéme, II, 10, 1271

Paris,

1957,

p. 100

par J. BÉnAR»D,

sq.

b 35 sq., est géographique, et non

historique.

296

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

V, 3, 1302 b 27 sq. : parmi les démocraties qu’abat le mépris où les riches les tiennent, l'exemple de Rhodes s'ajoute à ceux de Thèbes, Mégare, Syracuse #3 : « A Rhodes fut ainsi méprisé le peuple avant le soulèvement des notables » 383, V, 5, 1304 b 27 sq. : l'exemple de Rhodes est joint cette fois à ceux de

Cos,

Héraclée,

Mégare,

Cymé



toutes

démocraties

victimes

des

démagogues: «A Rhodes, les démagogues instituérent la rémunération des emplois, et en conséquence empéchérent qu'on remboursát de leur dû les triérarques; ceux-ci, à cause des poursuites dont ils étaient l'objet, furent contraints de se coaliser et de renverser la démocratie. » Les trois catégories où Aristote range ces événements — crainte, mépris, démagogie — ne sont pas incompatibles. L'analogie des situations et aussi des expressions prouve qu'il s'agit d'une méme révolution : la proximité des deux premiers textes le confirme #4. En outre, dans le premier et le troisième de ces textes, l'exemple rhodien est accompagné d'une référence à Mégare qui, semble-t-il, concerne dans les deux cas la méme révolution mégarienne ?55 : Aristote a consulté chaque fois le méme dossier, le méme groupe de « fiches ». Quelle que soit la date de cette révolution 2%, ces textes, non

dates,

doivent étre appuyés sur une étude préalable de l'histoire rhodienne. Celle-ci a existé probablement sous la forme d'une Constitution de Rhodes #7, Toutefois, puisque la Politique n'allégue que cet exemple rhodien, puisqu’Aristote ne semble pas s'étre intéressé particulièrement à Rhodes avant de professer ce livre V 2%, il est à supposer que les recherches rhodiennes étaient en cours au moment où cet enseignement politique était donné 399, 262. V.s. v. 263. Kal ἐν ᾿Ῥόδῳ ὁ δῆμος πρὸ τῆς ἐπαναστάσεως. Avec NEWMAN, nous comprenons : ὁ δῇμος (κατεφρονήθη) et non (διεφθάρη). 264. συνέστησαν, διὰ τὰς ἐπιφερομένας δίκας, dans le premier texte ; διὰ τὰς ἐπιφερομένας δίκας, συστάντες, dans le troisième. Dans le second, πρὸ τῆς ἐπαναστάσεως renvoie à un « soulèvement » qui vient d’être mentionné. SusEwinr, Rem 1511, 1515, 1554, et Newman,

ad loc., aboutissent à la méme

conclusion.

265. V.s. v. 266. SuseminL et Newman opinent pour 390 ; ScnAEFER (Demosthenes u. seine Zeit, I, p. 427), pour 357 ; H. v. GagRTRINGEN, R. E., suppl. V,s. v. Rhodos, col. 772, pour 397. 267. Le fragment Rose, 1886, 569 (histoire de Diagoras) est d'origine douteuse : il peut provenir d'un travail sur Olympie, aussi bien que d'une Conatitution des Rhodiens.

Mais les « extraits d'HÉRACLIDE

» (Rose, 1886, 611, 65) offrent une trace

de cette "Gonstitution. 268. Bonıtz, Index Aristotelicus, Berlin, 1870, s. v. : une seule référence qui est récente : Gén. an., III, 11, 763 a 31.

269. Resterait à expliquer pourquoi le dernier détaillé que les deux précédents (sans qu'aucun chronologique). Le contexte fournit cette explication e des exemples sommairement esquissés (de méme V,3,1302

à retenir,

texte de la Politique est plus toutefois donne une indication : V, 3, 1302 b 21 sq. ne groupe que les lignes qui précédent] ;

b 32 sq. n'est qu'un rappel. En revanche, en V, 5, 1304

b 27 sq., l'exemple

rhodien est entouré de références beaucoup plus explicites. ARISTOTE avait-il senti la nécessité pédagogique d'illustrer plus abondamment son cours ? C'est à partir du chapitre 4 que les exemples se font plus détaillés.

DATATION

RELATIVE,

II

297

Σάμιοι. A part une référence à leur situation dans la confédération athénienne (III, 13, 1284 a 39 sq.) et à leurs démélés avec les gens de Zancle (V, 3, 1303 a 35 sq., voir Ζαγκλαῖοι), les Samiens n'apparaissent dans la Politique que comme les sujets dociles de Polycrate, qui savait consolider sa tyrannie par une politique de grands travaux (V, 11, 1313 b 24 sq.). Les richesses de Samos étaient assez connues “Ὁ pour qu’Aristote les mentionnát sans recherches préalables : la Constitution de Samos, bien attestée ?'!, ne doit pas avoir fourni cette référence simple et isolée ???,

Συιυώνιοι. Deux textes voisins sont à considérer : V, 12, 1315 b 12 sq. : dans sa chronologie des tyrannies, Aristote affirme que « la plus durable fut celle de Sicyone, exercée par les enfants d’Orthagoras et.Orthagoras lui-même ; elle subsista cent ans. La cause en était que ces tyrans traitaient leurs sujets avec mesure et obéissaient scrupuleusement aux lois sur bien des points ; en outre, Clisthène, en raison de ses qualités militaires, n’était pas un homme qu’on püt mépriser; enfin, leur sollicitude leur attirait la faveur du peuple. On rapporte en tgut cas que Clisthène fit couronner un juge qui lui avait refusé une victoire, et certains affirment que la statue assise de l’agora de Sicyone représente l’auteur de cette sentence ». V, 12, 1316 a 29 sq. : à l’appui du principe qu’une tyrannie peut succéder à une tyrannie, Aristote cite l’exemple de « Sicyone, où la tyrannie de Myron fit place à celle de Clisthène ». Ces faits, dont le detail est discutable 77%, attestent que, pour cette période au moins, l'histoire de Sicyone était connue d'Aristote et de ses auditeurs : Orthagoras et ses « enfants », Myron, Clisthéne, leur sont évidemment familiers. Toutefois, l'anecdote de Clisthéne et du juge parait une nouveauté : comme pour la tyrannie des Cypsélides 2%, comme pour la tyrannie des Pisistratides *'5, dont traite aussi ce passage, la documentation aristotélicienne atteint ici une nouvelle étape. De fait, ce chapitre a le caractére d'une addition. 270.

H£noporz,

III, 60, admire le tunnel, le môle et le temple de Samos ; d'autre

part (III, 39 sq., 120 sq., etc.), il s'intéresse à l'histoire de Polycrate. V. plus généraement Börcuner, R. E., I, A, 2, s. v. Samos, 4, col. 2214. 271. Rose, 1886, 570-578 ; « Extraits d'HEnacLiDpE », Rose,

272. Confirmation avec la Politique qui 1393 b 22 sq. (Ésope compare les Samiens 273.

V.

Newman,

1886, 611, 30-35.

en est donnée par la Rhétorique, ouvrage récent, et le seul cite Samos : II, 6, 1384 b 32 sq. (la clérouquie de Samos), 20, à Samos, cf. Rose, 1886, 573) ; III, 4, 1407 a 1 sq. (Périclés à des enfants qui prennent leur bouillie tout en pleurant). ad loc. ; Grorz-CongN,

Hist. Gr.,

1, p. 331 sq. ; A. AYMARD,

dans Premières civilisations, 2° éd., 1950, p. 509 sq. avec bibliographie de la p. 502, n. 1, et Geyer,

ἢ. E., II, A, 2, col. 2536 sq., s. v. Sikyon.

Il ne semble pas que les

successeurs d'Orthagoras aient été « ses enfants », mais ses enfants et petits-enfants, ou bien son frére, son neveu et ses petits-neveux. Il n'est pas sür non plus que Clisthéne ait succédé directement à son frére Myron. Les « cent ans » de cette dynastie couvrent approximativement la période 670-570 (mais GEYER, notamment, admet une datation plus basse : 640-540). 274. Supra, s. v. Κορίνθιοι, 275. Supra, p. 112 sq., 255.

298

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Or une Constitution de Sicyone est bien attestée. Aristote y exposait notamment

l'origine du nom de l'obole. Cet exposé, à en croire Pollux,

ajoutait quelque chose d'original à ce qu'Aristote disait du méme sujet dans la Constitution d' Argos : celle-ci expliquait « l'obole », ὀδολός, par l'emploi ancien de grosses broches (ὀδελοὶ βουπόροι) pour les échanges. Cette explication était courante. Mais Aristote affirmait aussi, dan: la Constitution de Sicyone, que les broches, ὀδελοί, s'appelaient d'abord ὀφελοί, parce qu'on les avait « allongées », ὀφέλλειν signifiant αὔξειν. àugmenter 7%. Quoi que vaille cette « nouveauté » 7, la différence entre les deux Constitutions d'Aristote est certaine. La Constitution d'Argos est elleméme récente — peut-étre n'était-elle pas achevée lorsqu'Aristote professait l'essentiel du livre V. Mais les exemples que la Politique emprunte à Sicyone sont groupés dans ce chapitre additionnel 5, et paraissent l'indice d'un travail en cours d'élaboration ; dans la Politique, la documentation sicyonienne doit être plus récente que l’information argienne ; la Constitution de Sicyone devrait donc avoir été achevée, elle aussi, aprés la Constitution argienne.

Zx60aL. Voir supra, p. 211 sq. Συβαρῖται. Les inconvénients d’une population mêlée sont illustrés par l’exemple

de Sybaris : « Les Achéens

habitèrent — συνῴκχησαν — Sybaris

avec

les Trézéniens ; puis devenus plus nombreux les Achéens chassèrent les Trézéniens : ce fut l’origine de la souillure des Sybarites » (V, 3, 1303 a 28 sq.). La fondation de Sybaris (en 710/709), l'expulsion des Trezeniens, l'anéantissement de la cité par Crotone (en 511), sont présentés comme des faits connus *?, La nature de cet ἄγος a cependant fait l’objet d'interprétations variées *9, L'étude de Sybaris était donc plus poussée au Lycée, quand Aristote professe cette partie du cours, que ne l'était l'étude de Thourioi, dont l'exemple figure dans les lignes qui suivent #1 : 276. Porrux,

IX, 77 : Rose, 1886, 481 et 580.

277.

AvMARD,

Voir

A.

dans

Premières

civilisations,



éd., 1950,

p.

470

sq.

avec bibliographie. L'emploi primitif de « broche », en tout cas, est sür. 278. L'unique référence à Sicyone (elle concerne aussi Argos et Lacédémone) que présente par ailleurs le Corpus n'est pas significative. Il s'agit de la surprise des Argiens, qui, croyant affronter des Sicyoniens, tombérent sur des Lacédémoniens

(E. N., 111, 11, 1117 a 26 sq.). 279. Voir GLorz-Conen, Hist. Gr., I, p. 184 sq., 191 sq. La date de l'expulsion des Trézéniens est discutée (Newman, ad loc.; Paizrep, R. E., IV, A, 1, 8. v. Sybaris 10, col. 1008 ; J. BénAnp, La colonisation grecque..., 2° éd., Paris, 1957,

p. 141 sq., 214 sq.). 280. Newman, d'après G. Busorr, Gr. Gesch., II, 2° éd., p. 769, n. 1. Cf. L. MovLINIER, Le pur et l'impur dans la pensée des Grecs d'Homére à Aristote, Paris, 1952,

notamment p. 248. 281. Supra, s. v.

DATATION

RELATIVE,

II

299

la Constitution de Sybaris, dont l'existence peut être tenue pour sûre 82, était alors plus avancée que ne l'était celle de Thourioi. Συραχούσιοι. Les références de la Politique à l'histoire syracusaine sont trés nombreuses : I, 7, 1255 b 22 sq. : il peut exister une science propre à l'esclave « comme celle qu'enseignait l'habitant de Syracuse : il y avait là un homme qui, moyennant un salaire, enseignait aux jeunes esclaves le service domestique quotidien ». I, 11, 1259 a 23 sq. : Aristote rapporte que Denys l'Ancien expulsa, sans lui confisquer ses biens, un Syracusain qui avait su conquérir le monopole du fer. Ces deux anecdotes, qu’Aristote d'ailleurs est seul à mentionner, ne sont pas significatives. Tout au plus les rapprochera-t-on du passage également anecdotique de l'Histoire des Animaux, où Aristote raconte qu'à Syracuse un ivrogne s'asseyait sur des œufs pour les couver (VI, 2, 559 b 2 sq.) : l'histoire du monopole et celle du professeur és sciences domestiques peuvent être aussi anciennes que celle de cet étrange

couveur.

ΠῚ, 15, 1286 ὁ 35 sq. : quand Denys de Syracuse demanda une garde, un Syracusain proposa de lui en accorder une qui füt à la fois plus forte qu'une faction quelconque et plus faible que l'ensemble des citoyens. Ici non plus, aucune conséquence ne peut étre tirée de cette anecdote 23, V, 3, 1302 b 31 sq. : parmi les démocraties dont le désordre suscite le mépris chez les notables, figure « celle de Syracuse avant la tyrannie de Gélon ». Il s'agit de la réaction des Gamores après leur expulsion, qui précéda de peu l'entrée de Gélon à Syracuse (482) #4, et qu'Aristote étudiait dans la Constitution de Syracuse ®. I] résume ici les faits de manière si allusive, qu'un travail antérieur est certain. V, 3, 1303 a 38 sq. : les populations mixtes sont sujettes aux révolutions : « Après la période des tyrans, les Syracusains, qui avaient accordé le droit de cité aux étrangers et aux mercenaires, connurent des troubles et en vinrent aux mains » 29, 282. Rose, 1886, 583-584 (mollesse des Sybarites et des habitants de Siris). Rose cite ces fragments sous réserve. De fait, l'expression ἐν τῇ Συβαριτῶν πολιτείᾳ ne figure dans aucun d'entre eux. Toutefois, ATRÉNÉE, dans le premier fragment (Xll, 520) écrit : ὡς xal ᾿Αριστοτέλης loropel διὰ τῆς πολιτείας αὐτῶν — ce qui

est presque aussi explicite. 283.

V. Susemiuz, Rem. 668. L'événement est de 405 : GLorz-Comen,

ΠῚ, p. 384 sq.

Hist.

Gr.,

.

284. Newman, ad loc. ; GLorz-Couen, Hist. Gr., The Western Greeks, Oxford, 1948, p. 414 aq.

II, p. 98 sq. ; T. 7. DuNBABIN,

285. Rose, 1886, 586. Les fragments 585-589 proviennent de cette Constitution, attestée avec certitude. 286. Συραχούσιοι μετὰ τὰ τυραννικὰ τοὺς ξένους xal τοὺς μισθοφόρους πολίτας ποιησάμενοι ἐστασίασαν καὶ εἰς μάχην ἦλθον. Nous rapportons, avec Susemint (v. Rem. 1538), μετὰ τὰ τυραννικά à ἐστασίασαν seulement ; rapporter ce complément à ποιησάμενοι met arbitrairement AR1ISTOTE en contradiction avec d'autres

300

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

Ces troubles qui suivirent l’exil de Thrasybule #° sont évoqués façon précise, mais concise : de là provient justement l’obscurité l'expression, qui n’était claire que pour un auditeur informé. V, 4, 1303

b 19 sq. : cet

exemple

ὦ» d:

au contraire est très détaillé.

montre que les petites rivalités des notables peuvent avoir de grande: conséquences : « C'est ce qui se produisit à époque ancienne à Svracuse. Une révolution sortit de la rivalité amoureuse de deux jeunes gens. qui étaient magistrats. En l'absence de l'un, l'autre, son ami, séduisit les amours de l'absent ; à son tour celui-ci, fort mécontent, sut attirer à lui la femme de l'autre ; finalement, avec l'appui de leurs concitoyen:.

ils provoquérent une agitation générale. » L'événement remonte sans doute au temps de l'oligarchie des Gamores 2%. La précision du récit exclut qu'Aristote renvoie ici à un autre ouvrage : c'est un fait nouveau qu'il apporte à l'étude, qu'il a entre prise, de l'histoire syracusaine *99, V, 4, 1304 a 27 sq. : le prestige ou la force d'un élément de la population peut renverser un régime : « À Syracuse, le peuple, à qui l'on devait la victoire dans la guerre contre Athènes, remplaca la politeia par une démocratie. » Ainsi une sorte d'aristocratie aurait existé à Syracuse jusqu’en 413 ?*. Ce texte, quoique allusif, ne peut être situé par rapport à la Consti tution de Syracuse: les événements de 413 étaient bien connus. Mais le texte suivant est plus probant : V, 5, 1305 a 26 sq. : parmi les tyrannies conquises par des ennemis des riches, aux exemples de Pisistrate et de Théagéne, Aristote ajoute celui de Denys qui « se montra digne de la tyrannie en accusant Daphnaios et les riches ; cette haine lui valut la confiance que le peuple accorde à un démocrate ». Il fallait que les auditeurs d'Aristote connussent déjà l’histoire de Daphnaios et les malheurs des riches Syracusains 531 pour interpréter convenablement cette allusion. V, 6, 1306 a 1 sq. : les oligarques ruinés installent parfois un tyran : « Ainsi fit Hipparinos pour Denys à Syracuse. » Cette allusion ne repose pas nécessairement sur une documentation érudite. Dés la période de l'Académie, Aristote aurait pu, par ces mots, se faire comprendre d'un auditoire à qui les affaires de Sicile étaient familières 393, Mais il est sources (v. note suivante). Les scrupules de Newman, ad loc., ne suffisent pas à infirmer la construction

de Susexint.

287. En 465 : GLotz-Couen, Hist. Gr., II, p. 679 sq. ; Wickznr, ἢ. E., IV, A, 2, 8. v. Syrakusai, col. 1489. 288. SuseMIur, Gesch., 2° éd., 11,

Rem. 1543 ; Newman, ad 1303 b 20, suivant G. Busozr, Griech. p. 785, n. 2; Wıckent, R. E., IV, A, 2, col. 1483 sq. Les Gamores

auraient été expulsés peu aprés.

289. Une anecdote analogue, tirée de l'histoire de Delphes, et citée dans les lignes

suivantes, nous a suggéré une conclusion comparable : supra, s. v. Δελφοί,

Pr uTARQUE,

qui rapporte l'anecdote delphienne, connait également cette histoire syracusaine. 290. 201. 292.

Newman, ad loc. ; GLoTz-Conen, Hist. Gr., III, p. 380 sq. GLoTz-Couen, Hist. Gr., III, p. 384 sq. Supra, p. 201 sq. Sur les faits, v. GLorz-Cosen, ibid., et, pour les rapports

de Platon et de Syracuse, essentiellement la lettre VII.

|:

DATATION

RELATIVE,

II

301

remarquable que la Syracuse de 405, qui d’après 1304 a 27 sq., était en démocratie, soit ici rangée parmi les oligarchies : Aristote, entre ces deux

leçons, a modifié son classement des constitutions 29,

V, 10, 1310 ὁ 30 : -Denys est rangé parmi les tyrans qui doivent leur pouvoir à la démagogie. Cette indication concorde avec l’allusion de 1305 a 26 sq. V, 10, 1312 a 4 sq. : la conspiration de Dion contre Denys le Jeune est due au mépris : « Il voyait que les citoyens partageaient son état d'esprit et que Denys ne cessait d'étre ivre. » V, 10, 1312 a 33 sq. : Dion figure parmi les adversaires de la tyrannie qui agissent par amour de la gloire : « Il marcha contre Denys avec une poignée d'hommes, en disant que, où qu'il dût s'arréter, il lui suffirait d'avoir mené jusque là son entreprise ; si méme il tombait à peine débarqué, cette mort serait pour lui un succés. » Comme le note Newman 395, ces deux textes présentent deux interprétations complémentaires d'un méme fait. L'intempérance de Denys était célèbre : Aristote la mentionnait dans sa Constitution de Syracuse 2%. Le rapport de ce dernier texte avec ce passage de la Politique est douteux. Mais l'anecdote de Dion, en revanche, représente assurément une information nouvelle, qui ne figurait pas encore dans la documentation du Lycée. V, 10, 1312 5 6 sq. : royauté et aristocratie s'en prennent aux tyrannies: comme les Lacédémoniens, «les Syracusains, au temps de leur bon gouvernement, » renversèrent la plupart des tyrannies, — χατὰ τὸν χρόνον ὃν ἐπολιτεύοντο καλῶς. Cette politique de Syracuse se situe entre la chute des Gélonides et la démocratie de 413 2% : Aristote, comme

en

1304 a 27 sq., range la

constitution de cette époque parmi les régimes équilibrés — tandis qu'en 1306 a 1 sq., il la qualifiait d’oligarchie. V, 10, 1312 b 9 sq. : Aristote cite deux exemples de tyrannies détruites « de l’intérieur », à la suite de dissensions entre les puissants : « ainsi, celle de la famille de Gélon, et de nos jours, celle de Denys : dans le premier cas, Thrasybule, frère d’Hieron, flattait le fils de Gelon

et l'excitait aux voluptés, pour régner lui-même ; la famille du jeune homme rassembla des forces, pour renverser Thrasybule et sauver la tyrannie ; mais leurs alliés profitèrent de l’occasion, et les expulsèrent tous. Quant à Denys, Dion, qui était de sa famille, l'attaqua avec l'appui du peuple et le chassa, mais fut tué à son tour ». L'exemple de Denys et de Dion n'est pas significatif ?*' .Mais celui des Gélonides est remarquable, puisqu'il implique que le fils de Gélon lui succéda,

au

293. Newman, tement 294. 295. p. 314, 296.

moins ad 1306

nominalement,

tandis

que

d'autres

sources

et

a 1, minimise cette opposition, qui est cependant net-

marquée. Ad 1312 a 4. — Sur les faits, v. GLotz-Coren, Hist. Gr., III, p. 409 sq. Rose, 1886, 588. Cf. Tu£oPoMPE chez ATHÉNÉE, X, 435 e (F. H. G., fragment 217), — et SuseniuL, Rem. 1688. NEWMAN, ad 1312 b 8.

297. V. supra, 1312 a 4 sq., et pour la date, p. 201.

I,

302

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Aristote lui-même nous apprennent que Thrasybule succéda à Hiéron **. Ces hésitations, la précision aussi de ce texte, confirment

qu’Aristote

n'avait pas encore arrêté sa doctrine au sujet de cette époque ancienne ??*, V, 11, 1313 b 12 sq. : l'utilité de l'espionnage et de la surveillance dan: une tyrannie est illustrée par l'exemple de Syracuse, avec « les espionne: appelées ποταγωγίδες et les espions dits ὠτακουσταί qu'Hiéron faisait circuler partout ». Ces faits étaient connus 99 : l'exemple n'est pas significauf. V, 11, 1313 b 25 sq. : un tyran se maintient en appauvrissant ses sujets, notamment par l'impót : « En cinq ans, sous Denys l’Ancien, toute la fortune syracusaine se trouvait absorbée par l'impót. » Cette anecdote, qui évoque la lutte de Denys contre les monopoles (I, 11. 1259 a 23 sq.) ne peut pas étre située non plus. V, 12, 1315 b 34 sq. : la tyrannie des Gélonides à Syracuse prend le quatrième rang pour la durée, aprés celles des Orthagorides, des Cvrsélides et des Pisistratides : « Elle ne dura pas non plus longtemps : dix-huit ans au total. Gélon régna sept années, i! mourut la huitième ; Hiéron régna dix ans ; Thrasybule fut chassé aprés dix mois. » Cette chronologie contredit en partie 1312 b 9 sq., qui mentionnait. outre Gélon,

Hiéron et Thrasybule,

le fils de Gélon. En outre, elle est

discutable 1, comme son contexte 9?, Ces incertitudes, loin de condamner le passage, suggérent au contraire qu'il provient d'une rédaction différente. La méme conclusion ressort du dernier texte relatif à Syracuse : V, 12, 1316 a 32 sq. : « La tyrannie des Gélonides à Syracuse a fait place à une démocratie » : ce qui s'appelait politeia en 1304 a 27 sq. oligarchie en 1306 a 1 sq., de nouveau « bon régime » en 1312 5 6 sq. est maintenant nommé démocratie 9? : documentation nouvelle ? ou vocabulaire incertain ? C'est de toute facon la preuve que ces quatre textes n'appartiennent pas à une méme série de lecons. Cette longue énumération montre donc que la documentation syracusaine d'Aristote, et son jugement sur Syracuse, ont évolué pendant qu'il professait notre livre V. Les textes mémes que nous n'avons pu situer contribuent à cette impression. Car ils font partie d'un ensemble de références trés riche : la documentation syracusaine d'Aristote, au livre V, n'est pas seulement variée ; elle est d'une abondance extraor-

dinaire. Ces deux constatations, assurément, concordent : elles dénotent une étude en cours, à laquelle Aristote porte alors un intérét particulier ; 298. Newman, ad loc. ; ÀnisTOoTE, infra, 1315 b 38; Grorz-Conxn, Hist. M, p. 678 sq. ; WickznT, R. E., IV, A, 2, s. v. Syrakusai, col. 1488 sq.

299.

Gr.,

Supra.

300. Newsan, ad loc.; les « espionnes » seraient, d'après « espions » : Dion, 28. 301. V. SusEeuinr, Rem. 1760, et Newman, ad loc. : DioponE

PLUTARQUE, pz Sicizx

des

donne

des chifires légèrement différents ; Anaxilas et ses fils régnérent sur Rhégion plus de dix-huit

ans.

302. Supra, p. 44. 303.

Susemiuez.

Rem.

1770 ; Newman,

ad loc.

DATATION

RELATIVE,

II

303

sans doute lui parvient-il à ce moment de multiples matériaux pour la Constitution de Syracuse qu’il élabore. Ταραντῖνοι. Une référence aux pêcheurs de Tarente, qui sont nombreux (IV, 4, 1291 b 23) est à rapprocher d’une anecdote de l'Histoire des Animaux (IX, 48, 631 a 8 sq.), qu' Aristote tient, directement ou non, de pêcheurs tarentins 9*, Pour Tarente, comme pour Byzance, citée dans le même texte de la Politique *5, documentation d'histoire et information d'histoire naturelle se rejoignent 99. En V, 3, 1303 a 3 sq., Tarente figure parmi les cités oà un événement imprévu a détruit l'équilibre des classes et, par conséquent, de la constitution : « À Tarente la défaite et la mort de nombreux notables sous

les coups des lapyges, peu aprés les guerres Médiques, ont provoqué le passage de la politeia à la démocratie. » Ce désastre remonte à 473 €", Aristote le date avec précision, comme les références voisines à Argos et Athènes 99, Sa citation, ici encore, se suffit à elle-même. Une allusion à la fondation de Tarente par les Partheniai lacédé-

moniens (V, 7, 1306 b 29 sq.) peut étre empruntée aussi bien à une documentation

tarentine qu'à une documentation

lacédémonienne.

Ni

la premiére hypothése, ni l'autre, n'impliquent absolument l'existence

d'une Constitution de Tarente. La dernière référence tarentine confirme cette impression. Au livre VI (5, 1320 b 9 sq.), Aristote donne en exemple la démocratie de Tarente : « Il est bien d'imiter le systéme des Tarentins. En mettant en commun avec les pauvres l'usage des biens, ils gagnent la faveur de la masse. De plus, toutes les magistratures sont doubles, les unes électives, les autres tirées au sort. Le tirage au sort permet la participation du peuple, l'élection permet une meilleure politique. » Ici encore, la précision des termes employés suggére que les auditeurs d'Aristote tiraient de ce cours leur premiére information sur ce sujet. Ainsi la Constitution de Tarente, bien attestée 99, était inachevée lorsque la Politique fut professée.

Tevedıoı. La Constitution de Ténédos, bien attestée 310. n'est pas nécessaire pour 304. Des dauphins soutiennent sur l’eau un petit dauphin mort, comme pour protéger son cadavre. Sur ces informations fournies par des gens de métier, v. M. Manquar,

Aristote naturaliste, Paris, 1932, p. 75 sq., notamment

82.

305. Supra, s. v. 306. Les dauphins de l’Hist. an. évoquent aussi l'unique fragment de la Constitution de Tarente (Rose, 1886, 590), où AnisToTE signale qu'un dauphin figurait sur des monnaies tarentines. Mais ce n'est plus une « histoire de pécheurs ». 307. H£noporz, VII, 170 ; Droponz, XI, 52 (Suseurinr, Rem. 1517, et Newman, ad loc.). P. Wuiırızumıen, Tarente des origines à la conquête romaine, Paris, 1939, p- 57 et 177, pense que la démocratie s'est établie seulement en 467.

308. Supra, p. 256, 268. 309. 310.

Supra, note 306. Rose, 1886, 593-594.

’ « Extraits

d'HÉRACLIDE

» ; Rose,

1886, 611,

22-24.

304 -

ARISTOTE

expliquer qu’en IV, 4, 1291 bateliers de Ténédos 31},

ET L’HISTOIRE

b 24 sq., soit mentionné

le nombre

de:

Τροιζήνιοι. L'expulsion des Trézéniens qui apparemment d'une documentation L'histoire de Trézéne est exploitée 18 sq.) : les femmes trop jeunes,

avaient colonisé Sybaris dépend relative à cette cité 312. d'autre part au livre VII (16, 1335 a explique Aristote, résistent moins

bien aux douleurs de l’enfantement

: « C'est, selon certains, le sens de

l'oracle rendu aux Trézéniens : beaucoup de femmes y mouraient parce qu'on les mariait trop jeunes ; cet oracle ne concernait pas les récoltes. »

Il s'agit ici de l'oracle μὴ τέμνε νέαν ἄλοκα. que nous a conservé une glose #13, Aristote emprunte-t-il cette allusion à une documentation spéciale sur Trézéne ? Le ton du texte suggére plutót que l'oracle était célèbre. La Constitution de Trezene, bien attestée 514, peut donc être sans rapport avec ces références de la Politique.

Φαρσάλιοι Une allusion du livre II (3, 1262 a 21 sq.) à la jument Dikaia-la- Juste. de Pharsale, qui engendrait des poulains à la ressemblance de leur père, figure aussi dans l'Histoire des, Animaux, VII, 6, 586 a 12 sq. : la documentation est commune. Au livre V (6, 1306 a 10 sq.), Aristote loue l'union des oligarques qui gouvernent Pharsale : « Un petit nombre d'hommes y dirigent beaucoup d'affaires, parce qu'ils entretiennent de bons rapports. » Pharsale dépendait de la Macédoine, depuis qu'en 353 Philippe avait soumis Phéres : cet éloge n'étonne pas, venant d'un ami des Macédoniens 3/5, qui a tout naturellement remarqué la stabilité de ce régime. Il s'agit d'ailleurs d'un fait contemporain, probablement connu, et qui est noté avec précision. Áu surplus, une Constitution aristotélicienne de Pharsale n'est pas attestée. Φωκεῖς. Peu après avoir indiqué les Delphes — ἐν Δελφοῖς --- 518, — ἐν Φωκεῦσιν —, les débuts cidiens, une épiclère suscita des de

Mnason,

origines de la seconde guerre sacrée, à Aristote évoque, chez les Phocidiens de la troisième guerre : « Chez les Photroubles entre le parti de Mnaséas, père

et celui d’Euthycrate,

père

d'Onomarchos

; ces troubles

furent l'origine de la guerre sacrée de Phocide. » (V, 4, 1304 a 10 sq.). Ces troubles ne sont pas attestés autrement 917. Aristote en résume 311. Sur l'arbitrage de Périandre pour les Ténédiens, v. supra, p. 285 sq. 312. Voir s. v. 313. Suseminı, Rem. 939 ; éd. d’Immiscn, Scholia et Glossae, ad loc. 314. Rose, 1886, 596-598. 315. Newman, ad loc. V. Grorz-ConEN, Hist. Gr., III, p. 270. 316. Voir s. v. 317. Sur les faits, GLotz-Conen, Hist. Gr., 111, p. 263 sq.

DATATION

RELATIVE,

II

305

l'histoire avec une précision qui souligne l'originalité de son récit. En outre, Timée rapporte que Mnason était lié d'amitié avec Aristote 318, Tous ces faits concordent pour suggérer qu'il s'agit ici d'une information nouvelle, que les auditeurs ne pouvaient recueillir facilement ailleurs. Au surplus, une étude d'ensemble sur la Phocide n'est pas attestée 319, “Χαλκιδεῖς. Au livre IV, 3, 1289 b 35 sq., Chalcis figure à côté d’Érétrie et de Magnésie du Méandre parmi les villes où l'élevage du cheval était lié à l’oligarchie, et fournissait une arme de guerre. En V, 4, 1304 a 29 sq., est évoquée la chute de Phoxos : « A Chalcis, le peuple qui, avec les notables, avait abattu le tyran Phoxos,

devint

tout de suite maître du pouvoir. » L'événement est mal connu ?%. Obscure est également la tyrannie d'Antiléon, à laquelle (V, 12, 1316 a 31 sq.) succéda une oligarchie 921, Comme pour Érétrie et Magnésie 322, le caractère allusif de ces références implique une documentation précise : plusieurs fragments laissent justement supposer qu'il exista une Constitution de Chalcis 523, Ces passages de la Politique deviennent plus clairs si nous admettons que cette Constitution était dés lors rédigée, au moins partiellement. L'hvpothése est confirmée par les deux références à la colonisation chalcidienne d'Amphipolis ??*, et par deux autres textes analogues : d'aprés

II, 12, 1274

a 23 sq., Charondas légiféra pour les cités chalci-

diennes d'Italie et de Sicile : Androdamas de Rhégion joua le méme rôle, d’après II, 12, 1274 b 23 sq., pour les Chalcidiens de Thrace. ' Ainsi, la fin du livre II, apparemment mal rattachée à son contexte 325, contient des références précises à la législation des cités chalcidiennes. Cette documentation pourrait à la rigueur provenir des Lois d’Aristote — ou de Théophraste — qui sont sans doute un travail récent 335, Mais elle coincide avec des fragments attribués à la Constitution de Chalcis, où Aristote étudiait la colonisation chalcidienne de Thrace, d’Italie et de Sicile 3°. De toute façon, liées aux Lois ou à la Constitution, les références chalcidiennes de II, 12 sont en rapport avec des 318.

Tım&e

chez Ατηένέε,

Banquet, 264 d ; Newman,

ad loc.

319. Dans le fragment Rose, 1886, 599, la leçon ἐν τῇ Φωκέων πολιτείᾳ est à juste titre corrigée en Φωχαιέων. — Comme l'information delphique d'AnisToTE, cette anecdote peut être liée avec les recherches de CALLISTHÈNE et d'AnisroTE lui-méme (Histoire de la Guerre sacrée, Catalogue pythique). 320. Phoxos a pu s'emperer du pouvoir au temps des Hippobotes (Susemiuz, Rem. 1524 ; NEWMAN, loc.). Mais sa chute aurait été suivie par l'installation d'une démocratie. Toutefois Bürcunen,

ἢ. E., III, 2, col. 2081, n'envisage aucune

solution de ce genre. 321.

V. Newman,

323.

Rosz,

322. V.s. v.

ad 1304

a 29.

1886, 601-603. Cf. « Extraits

d'H£naAcrLIDE

» : Rose,

1886,

611,

et 62-63..

324. V, 3, 1303 b 2 sq. ; 6, 1306 a 2 sq. Voir supra, p. 266

325.

Supra, p. 31,

259.

326. Supra, p. 121 sq. 327.

Ross, 1886, 603 ; cf. « Extraits d'Hénacripz

Aristote et l'histoire.

», ibid., 611, 55 et 62. 20

55

306

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

recherches qui ne sauraient étre trés anciennes : or, ce passage a ajouté à l'ensemble du livre II.

étt

Χῖοι. A l'anecdote de Thalès, qui avait monopolisé les pressoirs à olives de Milet et de Chios (I, 11, 1259 a 6 sq.), à la référence à la politique de: Athéniens envers Samos, Chios et Lesbos (III, 13, 1284 a 39 sq.) °?. à l'indication, enfin, que donne le livre V, 3, 1303 a 34 sq., de la lutte

qui opposa gens d'Antissa et exilés de Chios ???, s'ajoutent dans la Politique deux textes plus significatifs. IV, 4, 1291 b 24 : Aristote souligne l'importance de la classe de: marchands — τὸ ἐμπορικόν — à Chios comme à Égine. Isolée, la notation serait sans portée, Mais elle est éclairée par le dernier texte : V, 6, 1306 b 3 sq. : A Chios comme à Cnide, une oligarchie fut renversé: par certains de ses membres, las d'un gouvernement trop despotique : « Ce fut le cas de l’oligarchie de Cnide et de celle de Chios. » Cet événement est impossible à situer avec précision 339. Mais le vague méme de l'expression montre qu’Aristote s'en était déjà expliqué ail leurs. Pour Chios comme pour Cnide ??!, une documentation préalable est nécessaire, encore qu'une Constitution de Chios ne soit pas attestée.

᾽Ωρεῖται V.

Ἑστιαιεῖς.

A ces textes traitant de sujets historiques, il convient d’ajouter le début du chapitre 10 du livre VII (1329 a 40 — b 35), qui est consacre à l'histoire des eastes et des syssities, et qui se rattache mal au contexte. Aussi le considére-t-on souvent comme une interpolation 322, Aristote rapporte qu'il existe des castes en Égypte, instituées par Sésostris, et en Crète, œuvre de Minos. Quant aux syssities, Minos encore les aurait organisées en Créte, mais les repas publics d'Italie seraient beaucoup plus anciens : les érudits de ce pays 333 font d’Italos. roi d'CEnotrie, l'éponyme des Italiens, qui s'appelaient autrefois CEnotre:: il aurait aussi donné son nom d'Italie à la région située entre le golfe de Skyllétion et le golfe Lamétos. Cet Italos, dit Aristote, aurait tran: formé les Œnotres de pasteurs en agriculteurs, et institué, entre autres lois, les syssities. « C'est pourquoi — continue Aristote — certains de ses descendants ont encore des syssities et obéissent à certaines de se: lois. Du cóté de l'Étrurie, d'autre part, habitaient les Opiques, qui 328. V. supra, p. 288 et 297. 329. V. supra, p. 266 sq. 330.

L'article de Bürcaner,

ἢ. E., 11I, 2, col. 2296 sq., donne un résumé rapide

de l'histoire de Chios : une oligarchie tomba en 477, d'autres aprés 431, en 407, en 339. 331. V. supra, p. 282 sq. 332. V. supra, p. 49, et apparat critique de l'édition O. Immiscn, 1329 a 3:. 333. Ol λόγιοι τῶν ἐκεῖ χατοικούντων, Il s'agit vraisemblablement — entre autres — d'Antiochos de $yracuse (Susemiur, Rem. 822).

DATATION

RELATIVE,

II

307

portaient et portent encore le surnom d’Ausones ; du côté de l'Iapygie et du golfe d’Ionie, les Chones, dans ce qu’on appelle la Siritis ; ces Chones étaient eux aussi d'origine œnotre 384, C'est de là que le régime des syssities tira sa premiére origine, tandis que la division de la masse des citoyens en classes provient d'Égypte : le régne de Sésostris remonte en effet à une époque beaucoup plus reculée que celui de Minos. » Puis, aprés avoir remarqué que toutes les inventions ont dû être faites plusieurs fois, ou plutôt un nombre incalculable de fois — ἀπειράκις —, Aristote suggére que les systémes politiques ont subi cette loi générale, et conclut : « Que toutes ces dispositions soient anciennes, l'Égypte en est un témoignage. Ce peuple passe pour le plus ancien, et il a toujours eu des lois et une organisation politique. » Cette théorie de la répétition des découvertes n'est pas isolée chez Aristote, qui l'a également exprimée dans d'autres ouvrages ?955. Ce serait aussi bien un argument en faveur de ce passage, qu'une raison de le condamner : un interpolateur a pu s'inspirer de textes authentiques ; mais Aristote, professeur, pouvait et méme devait reprendre en des occasions différentes les mémes thémes d'enseignement. Existe-t-il, d'autre part, dans ce début du chapitre 10, une indication moins équivoque qui permettrait de refuser à Aristote la paternité de ces lignes ? L'antiquité proclamée des lois égyptiennes n'a rien qui étonne sous sa plume : il s'accorde ici avec Hérodote et Platon 335, comme dans les Météorologiques, où il déclare formellement : « Les Égyptiens,

que nous reconnaissons pour les plus anciens des hommes, occupent un pays qui est manifestement tout entier le produit et l’œuvre du fleuve » ; dans le même passage, Aristote fait mention également de Sésostris qui « le premier de tous les anciens rois » tenta de percer un canal entre Méditerranée et mer Rouge 5%. L'intérêt pour les origines italiennes est naturel aussi chez l’auteur de tant de constitutions de cités siciliennes ou italiennes 333, Quant aux syssities, s'il est vrai qu’Aristote leur consacra un moment son attention à l'époque du Lycée 939, son cours de Politique dut, à l'occasion, en être renouvelé. Qui plus est, comme l'a remarqué Newman 99, ce texte denote le méme intérêt pour les legislateurs, la chronologie et les « εὑρήματα », que les derniéres lignes du second livre. Or ces passages mal rattachés à leur contexte ne sont cependant pas absolument isolés dans la Politique : les « trouvailles » de Phaléas, d'Hippodamos, de Platon, de Lycurgue 334. Sur les indications qui précédent, v. Jean B£nanp, La colonisation grecque de l'Italie méridionale et de la Sicile dans l'Antiquité, 29 éd., Paris, 1957, notamment p- 443 sq., 465 sq., 476 sq.

335. Voir infra, p. 328 sq. 336.

337. 338. 339. avec le ‘Sparte, 340.

HEropore,

Il, 2, 4, etc. ; Praron,

Timée,

21

e sq.

Météorologiques, I, 14, 352 b 19 sq. (traduction J. Tmicor). V. supra, 8. v. V. supra, p. 124 sq. Ce texte du livre VII est naturellement sans rapport jugement perté au livre II, 9-11, sur l'organisation des repas en commun à en Crète et même à Carthage. Vol. I, p. 575.

308

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

et de Minos, au livre II, celles de Périandre au livre III et au livre V. des Perses au livre V encore, sont enregistrées avec un soin qui dénote le méme goût. La vérité est que la fin du livre Il et ce passage du livre VII l'expriment sous une forme plus systématique. Mais croira-t-on, de ce fait, qu'elle n'est pas aristotélicienne ? Avant de recourir à !’hypothese d'interpolations, il convient d'envisager celle d'un addendum, naturel dans un recueil de cours: examinés sans idée préconçue, les texte:

portent la marque d'un remaniement — à la fin du livre II et dans le cours du livre VII. Ces longues comparaisons confirment donc au total les résultats de: chapitres précédents : la documentation historique d’Aristote ne forme pas un bloc ; elle a été rassemblée, utilisée, progressivement.

En particulier, la Politique n'est pas fondée sur les cent cinquante huit constitutions aristotéliciennes. Fort ébranlée depuis que la Constitution d' Athénes a été retrouvée, puis identifiée et progressivement datée, cette idée doit être rejetée de facon définitive. Une confrontation des chiffres est à elle seule suggestive. Alors que

le Lycée avait compilé cent cinquante-huit constitutions, soixante-dix États seulement sont mentionnés sans ambiguïté dans la Politique #1: moins de la moitié. Des cinquante et une constitutions sûrement attestées, trente à peine correspondent à des citations de la Politique 3,

Des soixante-huit constitutions « probables » de V. Rose, quarante seulement se retrouvent dans la Politique #3. Bref, la Politique ignore vingt et une constitutions « sûres », sur cinquante et une ; vingt-huit constitutions « probables », sur soixante-huit. Quels que soient les

hasards qui ont présidé à la transmission et à la répartition de nos fragments, ces différences sont considérables. Encore seraient-elles vraisemblablement plus saisissantes, si nous possédions la liste complète des cent cinquante-huit constitutions : les rapports de 68 à 40 et de 51 à 30 sont égaux : 1, 7 ; mais le rapport de 158 à 70 est plus élevé : 2,25. Ces chiffres puisent une signification plus nette dans notre analyse des textes : la plupart des citations historiques de la Politique nous ont

semblé indépendantes des Constitutions ; il est rare en tout cas qu'elles nous aient paru impliquer une Constitution achevée. Bref,

l'expression

de

l' Éthique de

Nicomaque,

ἐκ

«àv

συνηγμένων

πολιτειῶν, signifie à coup sûr: « à l'aide des constitutions que nous avons rassemblées » ; mais ces mots doivent étre interprétés avec précaution : toutes les constitutions n'étaient assurément pas encore terminées 34, 341. Chiffre approximatif : faut-il en effet y inclure — arce

que

Charondas

Biennes ? etc.

est mentionné

? —

Lesbos,

par exemple —

ou séparément

divers

Catane cités les-

342. Athènes, Egine, Agrigente, Ambracie, Argos, Arcadie, Achéens, Géla, Delphes, Élis, Thessalie, Colophon, Corinthe, Cymé, Chypre, Cyrène, Lacédémone,

Leucade,

Locres,

Maliens,

Marseille,

Syracuse, Tarente, Ténédos, Trézène.

343. V. supra, p. 101 sq. 344. V. supra, p. 79.

Mégare,

Naxos,

Oponte,

Samos,

Sicyone,

DATATION

RELATIVE,

II

309

Parmi les vingt et une constitutions bien attestées que n'utilise pas la Politique, figurent celles des Acarnaniens, des Étoliens, des Lyciens, peut-être celle des Épirotes %, constitutions « communes », réglant l’organisation d'un xotvév. Il faut ajouter que les références de la Politique à l’Achaie, à l'Arcadie, voire à la Thessalie, ne supposent en rien une étude préalable des institutions fédérales de ces pays. Le total est donc au moins de six ou sept constitutions « communes » qu'Aristote n'avait pas rédigées et n'avait peut-étre pas entreprises, quand il professa l'essentiel de son cours de Politique. En somme, l'étude des Constitutions a dà s'étendre sur de nombreuses

années : probablement sur toute la période du Lycée. C'est ce que nous avait déjà suggéré l'analyse isolée de la Constitution d’Athènes. La Politique est contemporaine de plusieurs de ces travaux, mais antérieure à la plupart. 345.

Sur

les rapports

p- 221, n. 91.

entre Constitution des Épirotes et Molosses, v. supra,

CHAPITRE

IX

Confirmations et conclusions : Les sources et les « fichiers » d’Aristote.

Composition de la Politique. La documentation « historique » d’Aristote n’est en réalité qu’un aspect, qu'une partie, d’une documentation plus vaste. Si la notion ἀ ἱστορία est équivoque, son objet l'est également. L'intérêt d’Aristote pour l’« enquête », la « recherche », n'a pas toujours discerné entre les domaines. C’est ainsi qu’histoire et histoire naturelle se sont pour lui recoupées.

|

Il faut cependant reconnaître au préalable que ses informations de science naturelle sont réparties de tout autre façon que ses renseignements d'ordre proprement historique. Alors que dans l'Histoire des Animauz il cite surtout la faune des pays grecs et de l'Asie Mineure !, la Politique et les divers fragments historiques témoignent d'une érudition plus vaste et pour ainsi dire plus régulièrement nivelée. Ainsi la Sicile et l'Italie du Sud, sur lesquelles les travaux de science naturelle ne s'appesantissent guére, attirent au contraire l'attention de l'historien Aristote. C'est que l'information directe, le fait constaté personnellement, tiennent ici une moindre place ?. A côté de quelques souvenirs rapportés de Troade ou de Macédoine ?, la Politique présente surtout une science érudite, qui n'exige pas de l'auteur qu'il se rende sur les lieux mémes de l'événement : un livre, un rapport, se substituent au

voyage. Néanmoins, il arrive aussi que l'historien du naturaliste.

ces sources

livresques rapprochent

Le probléme que posent les sources érudites d'Aristote est immense et, dans l'état actuel des textes, il est loin de comporter des solutions satisfaisantes. Mais les sources communes à l'historien et au naturaliste,

seu] point qui importe à cette étude, sont relativement bien connues *. 1. M. ManQuaT,

Aristote naturaliste, Paris, 1932, p. 25 sq.

2. Sur les enquêtes menées naturelle, v. M. Manquar,

personnellement par AnisTOTE en matière de science

ibid., p. 49 sq.

3. Voir chapitre VIII, s. v. ᾿Αντισσαῖοι, ᾿Αταρνεύς, Μακεδόνες, Μυτιληναῖοι, V. aussi Φωκεῖς. Des préoccupations personnelles, des considérations politiques, ont

pu également influencer l'historien : v. Φαρσάλιοι.

4. Nous laisserons donc de côté, notamment, les rapports d'ARISTOTE avec ÉPRORE, Tn£orourt et TnucvpiDpr. Mal déterminés, des emprunts à ÉPHORE sont probables, dans le tableau des institutions crétoises surtout : v. F. Jaconv, Die Fragmente der Gr. Hist., 11, C, p. 32, etc., et article Ktesias de la R. E., XI, 2, col. 2067 ; supra,

312

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

Le premier nom qui se présente à l’esprit est celui de Callisthène, collaborateur de son oncle pour le Catalogue pythique, et aussi en matière d'astronomie 5. Il avait montré qu'il existait deux Sardanapale, et Arıstote semble s’être fait l’&cho de cette discussion au livre V de sa Politique δ. Il avait, le premier semble-t-il, dans ses Helléniques, étudié les guerres de Messénie ? ; et Aristote paraît avoir utilisé ses recherches, comme il s'est peut-être souvenu aussi, en professant l' Éthique de Nicomaque, du texte des Helléniques oà les Lacédémoniens cherchent à se concilier les Athéniens en évoquant la générosité passée d'Athénes envers Sparte, non celle de Sparte envers Athènes ®. De méme Callisthéne et Aristote se rencontrent lorsqu'ils traitent des chèvres de Lycie ou des tremblements de terre ?. Aussi a-t-on pu affirmer que les travaux de Callisthène ont été exploités par les Péripatéticiens, à commencer par Aristote lui-méme, et que le départ de Callisthéne pour l'Asie Mineure n'avait pas relâché les liens qui l'unissaient à l'École 19. Cette exploitation enrichissait à la fois la science historique des Péripatéticiens et leur ἱστορία en général. Ils trouvaient chez Callisthène des renseignements sur l'histoire de l'homme, et une contribution à la connaissance globale de l'univers. . À Callisthène, il convient de joindre Ctésias et Hérodote, qui tous deux apportent à Aristote des informations de toute sorte, et qu'il accueillait avec

la même

réserve

: Hérodote

est un

μυθολόγος,

écrit-il

dans

la

Génération des Animaux 11 ; et Ctésias, que la Politique range probablep. 245, n. 279 sq. Il semble également que la Politique s'inspire parfois de Tauvcypipe. cf. par exemple II, 8, 1268 ὃ 38 sq., ainsi que I, 2, 1252 ὁ 19 sq., et 9, 1257 a 24 sq, avec Tnucvpipz, I, 5 sq. ; III, 14, 1285 b 21 sq., avec TnucvpDipz, I, 13 , 1 ; Il, 15, 1286 b 20 sq., et THucvbipz, VI, 39, 2 ; V, 10, 1310 b 16 sq., avec Taucypina, I, 13,1 ; V, 10, 1312 ὃ 7 sq., et Taucyoive, I, 18, 1, etc. La Constitution d'Athènes, 18, 4, critique une « tradition commune », ὁ λεγόμενος λόγος, dont Teucvoıpe-

VI, 58, 2, est pour nous l'unique représentant. V. supra, p. 168 sq. Quant à Tn&oPOMPE, il n'est pas aür qu’ARISTOTE en ait eu connaissance. V. sur son goût du mer; veilleux, qui le rapproche d’Arıstote, F. Jaconv, Fr. Gr. H., II, B, n? 115; F, 381:

T, 20, 11 ; cf. L. PEAnson, The local historians of Attica, Philadelphie, 1942, p. 97 sq. On

peut comparer aussi,

avec

F. Jaconv,

F, 121

à Pol., V, 3, 1302

b 23 sq., etc.

(chute de la démocratie à Rhodes : les deux versions sont différentes). Plus généralement, le probléme des sources d'AnisTOTE est posé, et différemment résolu, par L. Pearson, The local historians of Attica, Philadelphie, 1942 ; F. Jacopy, Atthis, The local chronicles of ancient. Athens, Oxlord, 1949 ; C. Hıcnerr, A history of the Athenian Constitution, Oxford, 1952 ; et, beaucoup plus anciennement, J. Enpr, Die Quellen des A. in Beschreibung des Tyrannen, Wiener Studien, 24,

1902), p. 1-69.

5. Supra, p. 21, 133 sq. CALLISTHÈNE avait peut-être collaboré au Catalogue olym-

pique : supra, p. 132. 6. CALLISTHÈNE dans F. Jaconv, Fr.

Gr. Hist., II, B, 124 ; F, 34 ; et Arıstore,

Politique, V, 10, 1312 a, 1 sq. V. supra, p. 153 sq., 164, 219.

7. CarLisTHENE, Fr. Gr. Hist., F, 23; et E. N., III, 11, 1116 5 1. Cf. Pol., I1, 9, 1270 a 3 sq. ; V, 7, 1306 b 37 sq. et F. Jaconv, Commentaire, 125, p. 425.

8. CaziisrHENE, Fr. Commentaire, p. 417 sq.

Gr.

Hist, F, 8 et E. N., IV, 8, 1124

b 16. F. Jacosr,

9. CarrisTRENE, F, 41 ; et Hist. an., VIII, 28, 606 a 17 sq. ; CarrisTRENE, F, 19-21 ; et Météorologiques, 1, 6, 343 b 1 sq. ; 7, 344 b 34 aq. ; II, 8, 368 5 6 sq.; F. Jaconv, Commentaire, p. 423, 430. 10. F. Jacosv, R. E., X, s. v. Kallisthenes, col. 1676, 1705.

11.

Gen. anim., III, 5, 756 a 6.

SOURCES

ET FICHIERS

; LA

COMPOSITION

313

ment, lui aussi, parmi les μυθολογοῦντες 13, est stigmatisé dans l'Histoire des Animaux, comme un auteur indigne de foi : οὐκ ἀξιόπιστος 13. A. ce que rapporte en effet l'Histoire des Animauz, il décrit un animal nommé

martichore, à la fois lion, homme

et scorpion, dont la voix res-

semble à la flûte et à la trompette. Aristote ne croit évidemment pas à l'existence d'un tel monstre: el δεῖ πιστεῦσαι Κτησίᾳ... Ctésias encore a donné sur le liquide seminal de l'éléphant des précisions qui, dit Aristote dans l'

relevée

Histoire des Animaux,

aussi dans

la Génération

sont fausses. La méme erreur est

des Animaux !*. Enfin,

remarque

I' Histoire des Animaux, Ctésias prétend que l'Inde ne connait ni porc

sauvage ni porc domestique : οὐκ ἀξιόπιστος. La plupart des références aristotéliciennes à l'Inde — et elles sont nombreuses — peuvent, quoique moins nettement, étre aussi rapprochées des travaux de Ctésias, à qui Aristote, en dépit de ces réserves, doit certainement beaucoup !5. La Politique ne contient, il est vrai, qu'une allusion à l'Inde, qui est inspirée de Scylax 15. Mais c'est sans doute chez Ctésias qu'Aristote avait trouvé cette indication 17. En outre, Ctésias est vraisemblablement à l'origine d'un texte des Topiques, où Aristote semble faire allusion à l'équité des Indiens 18, Ici encore, des sciences diverses puisent à une méme source !?, Plus caractéristique encore est l'utilisation d'Hérodote, parce qu’Aristote recourt plus souvent à lui, dans les œuvres les plus diverses. Il est cité nommément sept fois dans le Corpus traditionnel, auquel il faut ajouter une huitième référence, tirée de la Constitution d' Athénes ®. Fréquemment aussi Aristote le reproduit et le critique sans le nommer. Ainsi, M. Manquat a pu relever une trentaine de passages dans l’Histoire des Animaur, qui attestent une lecture d’Herodote 21. A cette liste qui n'est d'ailleurs pas limitative 22, et qui concerne seulement la vie animale, il convient d'ajouter au moins un autre rapprochement, à propos des prétresses barbues des Cariens 38: joints aux Νόμιμα, où la 12. Pol., V, 10, 1312 a 1 sq. V. Newman, ad loc., et supra, n. 6. 13. Hist. anim., II, 1, 501 a 25 sq. ; III, 22, 523 a 26 sq. ; VIII, 28, 606 a 7 sq. 14. Gen. anim., 11, 2, 736 a 2 sq.

15. V. supra, p. 211, avec les ouvrages cités de W. Reese et P. CHANTRAINE.

16. Pol., VII, 14, 1332 b 23 sq. 17. P. CHANTRAINE, op. cit., p. 3. 18. Topiques, IIT, 1, 116 a 36sq. ; W. Reese, op. cit.,p. 19; P. CHANTRAINE, ibid, 19. Peut-être faut-il aussi rapprocher Hist. an., 11, T, 499 b 19 sq., et Crésias (éd. Mürrgn, Didot, p. 85 et 101), sur « l'âne de l'Inde », qui est muni d'une corne (le rhinocéros ?) ; V. M. Manqvar, Aristote naturaliste, Paris, 1932, p. 35 sq., et cf. Parties des animaux, III, 2, 663 a 18 sq.

20. Poétique, 9, 1451 Éthique d’Eudeme,

b 2 sq. ; Rhétorique, III, 9, 1409 a 27 ; 16, 1417 a 6 sq. ;

VII, 2, 1236

b 9 ; Hist. anim.,

IIL, 22, 523

a 17;

Gén.

anim.,

II, 2, 736 a 10 ; III, 5, 756 a 6 ; Const. d’Ath., 14, 4. 21. M. Manqvar,

Aristote naturaliste, Paris, 1932, p. 37 sq. Citons : 616 a8 sq. ;

et HERODoTE, III, 111 (le cannellier) ; 499 a 20 sq., et III, 103 (le chameau)

; 487 a

23 sq. ; 498 a 14 sq. ; 503 a 8 sq. ; 502 b 35 sq. ; 505 b 32 sq. ; 506 a 17 sq. ; 508 a 5 sq. ; 509 ὁ 5 sq., 516 a 24 sq. ; 558 a 14 sq. ; 589 a 22 sq. ; 599 a 30 sq.; 612 a 20 sq. ; 609 a 1 sq., et Hénoporrz, II, 68-71 (le crocodile) ; etc.

22. On y ajoutera Hist. anim., VIII, 12, 597 a 4 sq., et H£nopore, grations des grues de Scythie en Égypte). 23. Hist. anim., 111, 11, 518 a 35 sq., et H&nonore, I, 175, VIII, 104.

II, 22 (mi-

314

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Carie était étudiée, ces textes nous ont suggéré qu'il existait une documentation ancienne sur ce pays ?*. Ainsi les rapports entre l'Histoire des Animaur et l’œuvre d'Hérodote, que signalait déjà Cuvier 5, débordent le cadre de « l’histoire naturelle » et touchent à l'histoire au sens moderne du mot. Critiqué également dans la Génération des Animaux **, Hérodote est encore corrigé dans les Météorologiques Pyréné, : précise Aristote, est une montagne *? : cette indication était nécessaire au lecteur d' Hérodote qui avait confondu la montagne avec une ville #. Les développement: consacrés au sol égyptien dans les Météorologiques sont aussi inspirées d'Hérodote 39: Aristote, il est vrai, ne reproduit pas exactement la formule fameuse : « l'Égypte don du Nil » — mais il la transpose scientifiquement : « Toute la contrée n'est qu'une alluvion du Nil » ; le pays «est manifestement tout entier le produit et l’œuvre du fleuve. a Dans la Rhétorique également, à la référence célèbre au début de l'Enquête d'Hérodote 9, et à la fière réponse que selon Hérodote les Égyptiens transfuges avaient faite à Psammétique #1, il faut probablement joindre une réminiscence inexacte : « Amasis, dit-on, ne pleura pas sur son fils qu'on conduisait à la mort, mais sur son ami qui lui demandait l’aumône ®?»: Hérodote attribue la méme attitude à

Psamménite captif de Cambyse ??. C’est Amasis encore qui fournit fa première allusion que la Politique fait à Hérodote : entre gouvernants et gouvernés, écrit Aristote, se marquent des différences — « attitudes, expressions, honneurs — qui évoquent le mot d'Amasis concernant son bain de pieds » **, L’anecdote est dans Hérodote : Amasis, roturier devenu pharaon, fait confectionner une statue divine avec l’or d’un bassin où ses convives et lui-même se lavaient les pieds ; puis il exige des Égyptiens autant de respect qu'ils en témoignent à cette statue d'indigne origine ®. La briéveté du texte aristotélicien suppose une grande familiarité avec Hérodote : ὥσπερ xai " Àuaote εἶπε τὸν περὶ τοῦ ποδανιπτῆρος λόγον. Au livre II, 3, 1262 a 18 sq., Aristote rapporte que selon certains auteurs de « periodoi », certains peuples de Haute Libye pratiquent la 24. Supra, p. 119 sq. 25. Histoire des sciences naturelles, I, 1841, p. 36, cité par W. JAEGER, Aristotle!, 307, n. 1. P 26. Supra, p. 312. 27. Météorologiques, 1, 13, 350 28. H£nopnorz, Il, 33.

b 1.

29. Météor., 1,14, 351 b 28 sq. ; 352 b 20 sq., et H£nonore, II, 4-5, 10 sq. 30. “Hpoëérou Θουρίου 75* Toroping ἀπόδειξις, Rhét., III, 9, 1409 a 27. Sur le

texte authentique (où il faut en tout cas lire ἀπόδεξις) de ce préambule, v. Ph.-E. LecranD, Hérodote, Coll. des Univ. de Fr., Introduction, p. 13 sq. 31. Rhét., 111, 16, 1417 a 6 sq. ; HÉRODOTE,

I], 30.

32. Hhét., 1], 8, 1386 a 20 sq.

33. HÉRODOTE, III, 14. — D'autre part, Arısrore met dans la bouche de Périclès une métaphore semblable à celle qu’H£ropore I, 7,1365 a 32 sq. ; 111, 10, 1411 a 2 sq. ; H&ropore,

son printemps

». V. Ph.-E. Lecranp, ad loc.

34. Pol., 1, 12, 1259 b 6 sq. 35. Hénopnozrz, Il, 172.

prétait à Gélon (Rhétorique, vi,

162) : « L'année a perdu

SOURCES

ET FICHIERS

; LA COMPOSITION

315

communauté des femmes, les enfants étant répartis entre les pères d’après la ressemblance. Hérodote donne un renseignement analogue, mais attribue cet usage à des populations qui vivent au bord de la mer % : défaillance de mémoire chez Aristote ? ou source différente 57 ? De même, Aristote et Hérodote donnent sur la prise de Babylone des indications voisines, quoique un peu différentes : il fallut trois jours pour prendre la ville, selon Aristote ; Hérodote, d’ailleurs moins précis, semble admettre que ce fut l'affaire d'un jour ; tous deux rapportent pourtant que certains quartiers ignoraient la chute d'autres quartiers éloignés 95, Le « conseil de Périandre à Thrasybule » ?? provient peut-être aussi d'Hérodote — qui en faisait un conseil de Thrasybule à Périandre 9. Il se peut qu’Aristote le cite de mémoire. Le choix des magistrats « en fonction de la taille..., qui selon certains auteurs se pratique en Éthiopie », est, de facon plus probable, une alJusion à Hérodote, qui toutefois parle expressément des « rois » — non des « magistratures » ou « commandements » — ἀρχάς *!. Les magnifiques constructions de Samos, que signale Aristote, avaient suscité l'admiration d'Hérodote. Toutefois, celui-ci ne les attribue pas explicitement, comme Aristote, à Polycrate #2. Dans le même texte, Aristote remarque que la construction des Pyramides permit aux Pharaons d'occuper et d'appauvrir leurs sujets : Hérodote avait justement peint la misére des Égyptiens accablés de travail forcé par la volonté de Chéops #5. Enfin, deux indications concernant la constitution de Sparte, aux livres II et III, recoupent également des textes d'Hérodote : l'origine crétoise de ce régime, donnée pour probable dans la Politique, est aussi mentionnée dans l'Enquéte * ; le rôle militaire des rois spartiates est souligné d'autre part chez les deux écrivains 9. Mais Xénophon, Éphore, Callisthéne, Platon lui-même, avaient chacun à leur manière relevé le premier de ces faits #. Quant au second, qui était de notoriété publique, il figureit par exemple dans la République des Lacédémoniens de Xénophon *. En face de ces rapprochements, où des discordances de détail peuvent s'expliquer par une défaillance de mémoire ou bien par une contamination, il faut toutefois relever des textes où Aristote contredit franchement

Hérodote

: il rapporte par exemple que les anciens Spartiates accor-

36. H£ropore,

IV, 180 sq.

37. V. supra, p. 93, 118, avec la note 131, et p. 224. 38. AnisTorz, Politique, 111, 3, 1276 a 27 sq. ; H£noporz,

I, 191.

39. III, 13, 1284 a 26 sq. ; V, 10, 1311 a 20 sq. ; cf. supra, p. 283, s. v. Κορίνθιοι, 40. HÉnoporrz, V, 92. 41. Pol., IV, 4,1290 b 4 sq. ; H£noporz,

42. V, 11, 1313 b 24, H£noporz,

III, 20.

III, 60.

43. 1313 b 21 sq. ; H£noporr, II, 124 sq. 44. II, 10, 1271 b 20 sq. ; HÉ£noporz, I, 65. 45. 111, 14, 1285 a 4 sq. ; Héronore, VI, 56 ; IX, 33. 46. Porvsre, VI, 45. 47. Xénoruon, Rép. Lac., 15, 2.

316

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

daient volontiers le droit de cité à des étrangers # ; il donne de l'expulsion des gens de Zancle par les Samiens une version différente de celle d’Herodote *? ; il attribue à Théopompe la création de l'éphorat © : il admet que les successeurs d'Orthagoras furent ses fils, tandis qu' Hérodote pense que cette tyrannie gouverna Sicyone pendant plus de deux générations 5! ; il considère que Clisthéne accrut à Athènes la démocratie, tandis que selon Hérodote, il la créa 5? ; il rapporte que chez les Scythes on faisait circuler, dans les fêtes, une coupe où ne buvaient que ceux qui avaient tué un ennemi : Hérodote décrit un rite analogue, mais ignore cette coupe qui circule 52, Sans doute pourrait-on allonger cette liste de contradictions. Mais elles ne sauraient en aucune facon infirmer le fait qu'attestaient d'autres textes : Áristote a lu Hérodote — füt-ce pour le critiquer. La Constitution d'Athènes en donne de précieuses confirmations : ainsi elle dépeint comme Hérodote les divisions d'Athénes après l'archontat de Solon 95, la première prise du pouvoir par Pisistrate 55. son premier retour %. Il est vrai que dans cette œuvre encore, il arrive que se contredisent Ilérodote et Aristote 9. Mais ces oppositions sont bien la preuve qu’Aristote, ayant lu un auteur, ne le suivait pas aveuglément. Cet Hérodote qu'il contredit, il le cite, nommément, au quatorziéme chapitre de la Constitution : Pisistrate, dit-il, costuma en Athéna « une grande et belle femme, originaire du bourg de Paiania selon Hérodote, bouquetiere thrace habitent Collytos selon d'autres», ὡς μὲν ᾿Ηρόδοτός φησιν ἐκ τοῦ δήμου τῶν Παιανιέων, ὡς δ᾽ ἔνιοι λέγουσιν ἐκ τοῦ Κολλυτοῦ

στεφανόπωλιν Θρᾷτταν 55. La

Poétique

enfin,

reconnaissant

en

Hérodote

le type

même

de

l'loropixés 5°, souligne l'importance qu’Aristote accordait à cet « historien » — source aussi bien de ses œuvres de sciences naturelles que de ses travaux de sciences humaines. Sans donc prétendre épuiser les problèmes que posent ces sources de l'érudition aristotélicienne, nous avons pu, en les circonscrivant, confirmer

cette idée qui s’est imposée à nous progressivement, d’une documentation générale d’Aristote, aliment de ses diverses recherches, plus ou moins spécialisée et poussée dans une direction particulière selon les époques. 48.

II, 9, 1270 a 34 sq. —

Contra, Héronore,

IX,

35. Toutefois, Arisrore ra

porte là une tradition (λέγουσι, φασίν) qu'il ne prend pas à son compte (εἴτ᾽ ἐστὶν ἀληθῆ ταῦτα εἴτε un). 49. V,3,1303 a 35 sq. ; Héronore, VI, 22 sq. Voir supra, p. 275 sq., s. v. Ζαγκλαῖοι. 90. V, 11, 1313 a 25 sq., Héronore, I, 65. — Mais voir aussi PLaron, Lois, III, 692 a ; Xenornon,

Rép. Lac., 8, 3 ; supra, p. 243 sq.

51. V,12, 1315 b 12 sq. ; H£ropore, VI, 126. Voir supra, p. 297 sq., 8. v. Σικυώνιοι, 52.

VI, 4, 1319 b 21 sq. ; H£nopors,

VI, 131.

93. VII, 2, 1324 b 17 sq. ; H£noporz, IV, 66. Voir supra, p. 213. 54. Const. 55. Const. 56. Const.

d' Ath., 13, 4, et H£ropore, I, 59. d' Ath., 14,1 ; H£noporte, ibid. d' Ath., 14, 4 ; H£ropore, I, 60.

57. C. Hicnerr, A history of the Athenian Constitution, Oxford, 1952. Voir aussi supra, p. 112 sq. 58.

Const. d' Ath., et H&noporez,

tbid.

59. Poétique, 9, 1451 b 2 aq. ; cf. 23, 1459 a 2^ sq., et supra, p. 163 sq.

SOURCES

ET FICHIERS

; LA COMPOSITION

317

L'hypothèse d'un gigantesque fichier, d'ailleurs morcelable, ne serait pas inconcevable. Mais en l'absence de témoignages directs, mieux vaut admettre que les divers dossiers qu'Aristote et ses éléves ont constitués et enrichis ont été parfois utilisés à d'autres fins que leur fin première. C'est l'explication la plus simple qui puisse rendre compte de la facon dont, dans bien des cas, Aristote choisit et présente ses exemples.

Pour accomplir une enquête déterminée, il établit ou fait établir un dossier. Tel est le point que cherchera à démontrer un examen portant surtout sur la Politique, puis sur l'Histoire des Animaux. Il arrive à Aristote, dans la Politique et sans aucun doute dans d'autres œuvres, de citer ses références de mémoire : ainsi pour Hérodote; ' ainsi peut-étre lorsqu'il évoque, d'aprés des renseignements personnels, l'histoire d'Atarnée 9. Cette démarche si naturelle atténue le caractére systématique de sa méthode, qui n'en demeure pas moins sensible par endroits : ainsi les démocraties dont il évoque la chute au livre V, 5, 1304 b 25-39

sont

toutes

des États doriens : Cos, Rhodes, Héraclée

du Pont, Megare *! — Héraclée étant une colonie de Mégare *?. Rhodes, ici rapprochée de Méyare, était déjà citée avec la même ville lorsqu'Aristote étudiait, au troisième chapitre, les causes générales des révolutions 53, D'autre part, la fréquence du couple Argos-Athènes a déjà été remarquée ** : elle peut s’expliquer, il est vrai, par l'association normale de deux démocraties alliées. Mais le couple Abydos-Larissa est insolite ®. Deméme, Molosses et Lacédémoniens sont rapprochés à deux reprises, Il est vrai que la première fois Aristote joint à ce couple l'exemple macédonien. Simple association d'idées ? Mais que dire de l'exemple de Sicyone, — Sicyone dont l'histoire n'est alléguée que deux fois dans la Politique : au début de la liste des tyrannies, rangées par ordre de durée décroissante, — puis au début — cette fois encore — des tyrannies renversées δῖ. Que dire encore du groupe Syracuse-Chalcis, qui apparaît une fois dans l'ordre Syracuse-Chalcis, puis dans l'ordre Chalcis-Syracuse % ? Ces rapprochements, joints à l'extension relativement restreinte de l'information historique dans la Politique *?, montrent qu'Aristote utilisait fréquemment les mêmes éléments — les mêmes « fiches» : lorsqu'un dossier était ouvert, il y puisait à plusieurs reprises ; il le gardait ouvert prés de lui. 60. Voir p. 186 sq. 61.

Newman,

ad loc.

62. Si du moins il s'agit bien ici d'Héraclée du Pont. Voir supra, p. 277 sq., s. v. “Ἡρακλεῶται. , 63. Pol., V, 3, 1302 b 23 sq. 64.

Supra, p. 269 : V, 3, 1302

b 18 sq. ; 1303 a 6 sq. ; 4, 1304 a 20 sq.

65. Supra, p. 262 sq. : V, 6, 1305 b 29 sq. ; 1306 a 29 sq. 66. V, 10, 1310 b 39 sq. ; 11, 1313 a 24 sq. 67.

V,12,1315

b 12 sq. ; 1316 a 30 sq.

68. V, 4,1304 a 27 1q. ; 12, 1316 a 31 sq. 69. Supra, p. 308 sq.

318

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Aristote a en outre attiré lui-même l’attention de ses lecteurs sur des groupements de faits, auxquels il attachait de l'importance : il a réuni sous une méme rubrique les tyrans d’Ionie ”, sous une autre le: tyruns de Sicile, parmi lesquels il range Anaxilas de Rhégion *!. Ces exemples sont parfois classés en fonction d'un critére évident : tel est l'ordre de durée décroissante adopté au chapitre 12 du livre V ; il arrive aussi à Aristote de n'alléguer qu'un exemple à l'appui de chacun des cas qu'il envisage ?2. Parfois il suit un ordre chronologique 73 — ouun ordre alphabétique 78, mais sans s'y astreindre systématiquement **. Bref, le seul point sür est que les mémes documents semblent utilise: à des intervalles rapprochés. L'Histoire des Animaux présente un phénomène analogue, que l'on pourrait appeler « obsession par la documentation ». Sans doute est-il normal, et dépourvu de signification spéciale, qu'à propos des mémes objets — ici, des mémes animaux, — particuliérement nombreux dans un pays déterminé, les exemples proviennent surtout de ce pays. Mais il y a plus : l'étude d'animaux différents est illustrée par des exemples qui, dans des textes voisins, proviennent sans raison apparente du méme pays ; ou bien des exemples provenant de pays différents sont systéma-

tiquement réunis. L'explication n'en peut étre toujours l'association d'idées, lorsque ces textes ne sont pas exactement contigus. Restera l'hypothése d'un rapprochement de fiches. Ainsi au livre III, Aristote, traitant de la production du lait, remarque que l'Épire possède des vaches de grande taille, qui donnent un lait

abondant, — puis que l'herbe dite « médique » — la luzerne — tant le bétail #. Or, au livre VIII, étudiant cette fois l'élevage du bétail, il

a recours aux deux mémes exemples, employés consécutivement encore : élevage du bétail dit « pyrrhique », inconvénients de l'herbe « médique »?. Au cinquième livre, trois références consécutives sont empruntées à Cyréne. Les deux premiéres concernent des sujets analogues : répartition des cigales, nombreuses autour de la ville dans les plantation:

d'oliviers, absentes du plat pays dépourvu d'arbres. Mais la troisiéme référence est d'un tout autre ordre : il s'agit d'un poisson, parasite du 70. V, 10, 1310 ὃ 28 sq. 71. V, 12, 1316 a 35 sq. Un rapprochement analogue apparatt, semble-t-il, dans un fragment

d'une probable

Constitution de Rhégion

(Rose, 1886, 568:

Anaxilas a

introduit le lièvre en Sicile). Voir aussi JaMBriQuE, Vie de Pythagore, 251, avec le

commentaire

de A. DrrarTE,

Essai sur la politique pythagoricienne,

Liége-Paris,

1922, p. 209, n. 1. 72. V, 4,1303 b 20 sq. ; 6, 1305 a 40 sq. ; 12, 1316 a 30 sq. ; etc. 73. V, 4, 1303 b 17-1304 a 13 ; ct. supra, p. 273, s. v. Δελφοί, et l'article cité de

Th. Homoııe. 74. V, 6, 1306 Colophon). 75.

V, 4, 1304

b 5 (Cnide-Chios, a 20 sq. (Guerres

Κνίδος- Χίος) ; 3, 1303 b 9 sq.

Médiques

(Clazomènes-

; bataille de Mantinée en 418 ; expé-

dition de Sicile ; Phoxos à Chalcis ; Périandre à Ambracie) ; — V, 6, 1306 a 1 sq.

(Hipparinos à Syracuse ; colonisation d'Amphipolis ; Charés à Égine) ; etc. Dans ce

dernier exemple, est respecté l'ordre alphabétique inversé. Le premier exemple ne présente aucun ordre, 76. Hist. an., 111, 21, 522 δ 15 sq. ; 522 b 25 sq.

77. VIII, 7, 595 ὁ 18 eq. ; 8, 595 ὁ 29 sq.

SOURCES

ET FICHIERS

; LA

COMPOSITION

319

dauphin, qui abonde dans les eaux situées entre Cyréne et l'Égypte 75. Au livre VIII, Cyréne figure une premiére fois à cóté de la Libye, comme il est naturel ; les grenouilles coassantes ont fait récemment leur

apparition à Cyréne ; il n'y a en Libye — c'est-à-dire en Áfrique — ni sanglier, ni cerf, ni chèvre sauvage 79. Or le méme couple apparaît une page plus loin : Aristote étudie la répartition des animaux sauvages selon les continents — notamment en Libye— puis il constate qu'à Cyréne le croisement du loup et de la chienne est fécond 9.

Plus loin encore, Aristote note successivement l'existence de l'uspic de Libye, et d'un serpent du silphium — à Cyréne naturellement ?!. Ces références à la faune de Cyréne, les seules que contient le Corpus, sont donc fort groupées. Les références à la « Libye » sont également rassemblées, pour la

plupart ; le livre VIII en présente six : absence de certains animaux ; béliers cornus qui naissent avec leurs cornes ; agilité incroyable des serpents libyens, capables de poursuivre des bateaux ; abondance des lions ; répartition des animaux sauvages : présence de l'aspic 52. Au livre IX, Aristote note la fécondité de «l'oiseau de Libye » 88. Toutes les autres références à la faune africaine figurent dans les

traités de la Génération et des Parties des Animauz 84, Les références à la faune du Pont-Euxin sont souvent groupées elles aussi : au livre VI, Aristote note successivement la présence de marsouins dans ces eaux, le frai qui s'y accomplit à l'embouchure du Thermodon, et la « purge » qui rejette le fucus dans l’Hellespont ; puis il étudie la reproduction des thons dans le Pont et à Byzance, notant qu'en général les poissons de cette mer grandissent particulièrement vite 8, C'est ensuite au livre VIII seulement que les poissons du Pont fournissent de nouveaux exemples : leurs migrations et notamment celles du maquereau et du thon, sont enregistrées et expliquées 95. Le sujet traité suffit-il à rendre compte de ces derniers groupements ? Cette explication a sa valeur sans doute, mais il faut remarquer néanmoins qu'à la fin du livre IV et au livre V, Áristote a cu aussi l'occasion de s'intéresser aux poissons du Pont. Il s'est contenté alors d'une bréve notation, sur la reproduction du thon 87, N'est-ce pas qu'il n'avait pas

ouvert ses dossiers, ou ne les avait pas encore réunis complétement ? 78. V,30, 556 a 22 sq., b 2 sq., et 31, 557 a 29 sq.

79. VIII, 28, 606 a 6 sq.

80. 606 b 19 sq. ; 607 a 1 sq.

81. VIII, 29, 607 a 22 sq.

|

28, 606 a 6 sq. 18 sq., ὁ 9 sq., 14 sq. ; 19 aq. ; VIII, 29, 607 a 22 sq. 82.83. VIII, IX, 15, 616 5 5 sq. (l’autruche). 84. Doxrrz, Index Aristotelicus, s. v. Λιθύη,

sq. Cf. 85. Hist. an., V, 12, 566 ὁ 10 sq. ; 13, 567 b 16 sq. ; 568 a 5 sq. ; 17, 571 a 15

V, 10, 543 ὃ 3 sq.

86. VIII, 12, 597 a 15 sq. ; 13, 598 a 24 sq., 30 sq. ; 598

b ; VIII, 19, 601 ὁ

les VIII, 20, 603 a 25 sq. (rareté des mollusques dans le Pont et sq. Cf.quiencore 17fleuves s'y jettent).

87. V,10, 543 53 54:

320

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

Confirmation en est donnée par deux références à des animaux qui, eux, ne sont pas des poissons, mais vivent dans la région du Pont : avant de mentionner les migrations des poissons de l'Euxin, Aristote indique que les souris blanches du Pont dorment l'hiver dans les arbres. Plus loin, aprés avoir remarqué la rareté des mollusques dans ces eaux, il affirme aussi qu'il n'y a pas d’änes dans la région de l’Euxis, parce que les froids y sont trop rudes 9. Le rapprochement d'animaux si divers ne laisse place qu'à une conclusion : Aristote puisait à la méme source tant qu'elle était à sa disposition. Un dossier Πόντος étant ouvert, il l'utilisait. Dans un autre ordre de documentation, la Hhétorique préserite elle aussi un phénomène analogue, dont le cas d'Iphicrate est la manifestation la plus remarquable. Aristote cite onze fois l'exemple de ce fils de cordonnier, parvenu aux plus grands honneurs— alors que le reste du Corpus, y compris la Politique et la Constitution d'Athènes, ne

soufflent mot de lui. Les deux premiéres références, assez proches, sont presque identiques : Iphicrate fait l'éloge de sa propre ascension ®°. Il est remarquable que, dans ces deux textes, l'exemple d'Iphicrate soit accompagné de l'épigramme du vainqueur olympique, qui « autrefois, ayant sur les épaules le rude joug d’où pendaient les paniers », portait « le poisson d'Athènes à Tégée ». Mais ce rapprochement répété n'est peut-être qu'une asso-

ciation d'idées. Au troisième livre, Iphicrate apparait quatre fois : dans ses démélés avec Callias, au second chapitre ; puis au chapitre dix, qui évoque d'abord son hostilité envers une tréve conclue par Áthénes, puis ses rapports avec Charés ; enfin à propos de son discours contre Nausicratés, au chapitre quinze 9), La densité de ces exemples est cependant dépassée par celle que présente le second livre : Iphicrate y est d'abord pris comme exemple-type : dans une maxime, on n'exprime point «les particuliers, par exemple quelle sorte d'homme est Iphicrate » : voilà Iphicrate élevé à la méme dignité exemplaire qu'Alcibiade, Coriscos ou Socrate ?!. Puis Aristote cite, de facon presque consécutive, un extrait du discours

Contre Harmodios, une réplique brillante du Contre Aristophon, et encore un passage du Contre Harmodios 953. Enfin, une page plus loin, apparaít un nouvel exemple de l'éloquence d'Iphicrate, qui « comme on voulait astreindre aux liturgies son fils qui n'en avait pas encore l'áge, parce qu'il était grand, dit que si l'on considérait les enfants grands comme des hommes, l'on décréterait que les hommes petits sont des enfants » 933, 88. VIII, 17, 600 5 15 sq., et 19, 601 ὃ 17 sq. ; 20, 603 a 25 sq. ; 25, 605 a 22 sq. 89. Hhétorique, 1, 7, 1365 a 28 sq. ; 9, 1367 ὁ 17 sq.

90. III, 2, 1405 a 20 sq. ; 10, 1411 a 10 sq., et 1411 ὁ 2 sq. ; 15, 1416 a 10 sq.

91. II, 21, 1394 a 21 sq. Supra, p. 163 sq.

92. II, 23, 1397 b 34 sq. ; 1398 a 5 sq., 18 sq. 93. 1399 a 36 sq.

SOURCES

ET

FICHIERS

; LA

COMPOSITION

321

A ces coïfncidences troublantes que l'on rencontre à l'intérieur d'un méme ouvrage, s'ajoutent des rapprochements d'œuvre à œuvre : eux aussi s'expliquent seulement par le recours à une méme série de documents : le méme dossier servait plusieurs fois.

L'Histoire des Animaux et le traité de la Génération des Animaux empruntent une méme référence à Hérodote : il a tort de dire, remarque l'Histoire des Animaur, que le sperme des Éthiopiens est noir : la Generation des Animaux énonce la méme critique 9t, Dans ces deux ouvrages, nous avons vu que Ctésias également est bläme pour avoir aussi mal connu l'éléphant qu'Hérodote connaissait

les Éthiopiens %. Qui plus est, l'erreur d'Hérodote et celle de Ctésias sont rapportées et dénoncées ensemble dans l'Histoire comme dans la Génération des Animaux. Sans doute ce rapprochement naît-il de la similitude des sujets traités par Hérodote et par Ctésias, par l'Histoire et par la Génération. Mais il prouve aussi qu'Aristote se référait aux mémes sources, aux mémes documents. D'autres similitudes donnent une indication identique : dans l'Histoire des Animaux, Aristote relève que certains caractères peuvent se transmettre en sautant une génération : une femme blanche eut d'un négre un enfant blanc ; mais son petit-fils fut noir. La Génération des Animaux enregistre le méme fait, qui se produisit à Élis ®. L' Éthique d' Eudéme et l'Histoire des Animaux connaissent toutes deux le trochilos — cet oiseau dont parle déjà Hérodote — et qui cure les dents du crocodile 9,

La Politique et l'Histoire des Animaux mentionnent chacune la jument de Pharsale, surnommée « la Juste » 58, Ainsi s'explique sans doute l'intérét que nous avons remarqué pour « l'histoire naturelle » dans des travaux historiques : les Constitutions, et déjà les Νόμιμα, sont curieux de la flore et de la faune des pays étudiés ; sur les tyrans

de Sicile, notamment,

Aristote a réuni des réfé-

rences médicales 9%. De même les pêcheurs de Byzance et ceux de Tarente étaient présents à son esprit, quand il composait l'Histoire des Animaux, quand il rédigeait la Constitution de Tarente, quand il professait la Politique 19, L'Histoire des Animauz présente en outre des références qui ne dépareraient pas une Constitution, car elles sont d'ordre proprement his94. Hist. an., III, 22, 523 a 17 sq. ; Gén. an., II, 2, 736 a 10 sq. (cf. H£noporxz,

HI, 101). 95. Hist. an., III, 22, 523 a 26 sq. ; Gén. an., II, 2, 736 a 2 sq. Supra, p. 313. 96. Hist. an., VII, 6, 586 a 3 sq. (« en Sicile », mss), et Gén. an., 1, 18, 722 a

9 sq. — On n'a pas jugé nécessaire de relever toutes les coincidences an. et Gén. an. : elles apparaissent à la lecture des deux ouvrages. V. ἀπ. V1I, 4, 584 ὃ 7sq., et Gén. an., IV, 4,770 a 35 sq. (forte natalité en D'autre part, ARISTOTE a indiqué lui-même que les Parties des animaux

entre Hist. par ex. Hist. Egypte) ; etc. dépendaient

de l'Histoire (Part. an., 1, 1, 646 a 8 sq.). 97. Eth. Eud., VII, 2, 1236 ὃ 9 aq., et Hist. an., IX, 6, 612 a 20 sq.

(Hénoporx,

II, 68). 98. Hist. an., VII, 6, 586 a 12 sq. ; Pol., 11,8, 1262 a 21 sq. Supra, chapitre VIII, p. 304. 99. Supra, p. 102 sq. 100.

Supra, chapitre VIII, p. 272 sq., 303, s. v.

Aristote et l'histoire.

21

322

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

torique ; or elles sont rassemblées pour la plupart au livre VI : telle est l'histoire de ce mulet qui vécut jusqu'à quatre-vingts ans, à Athènes, «à l'époque de la construction du temple»; puis cette affirmation étrange que prés d’Arginuse « où mourut Alcibiade », s'élève une montagne où toutes les biches ont l'oreille fendue ; enfin, l’histoire de la mule de Syrie qui fut introduite en Phrygie « au temps de Pharnakès, père de Pharnabazos » !?!, Bref, i! semblerait qu'Aristote s'est alors davantage intéressé à l'histoire des hommes — ou qu'il a ultérieurement complété son Histoire des Animauz. Une coïncidence particulièrement remarquable vient, enfin, étayer cette hypothèse des « dossiers communs ». Elle unit la Rhétorique à la Politique. Àu livre V de la Politique est étudiée l'origine des ancienne: tyrannies : ces tyrans étaient des démagogues qui exerçaient des fonctions militaires, et qui pouvaient ainsi s'imposer ; ils gagnaient la confiance du peuple à cause de « l'hostilité qui régnait entre eux et les riches. Tel fut le cas, à Athènes, de Pisistrate, qui s'opposait aux propriétaires de la plaine ; à Mégare, de Théagéne, qui surprit les troupeaux des riches, paissant au bord de la riviére, et les massacra

; Denys

enfin s'assura la tyrannie en accusant Daphnaios et les riches » 102, Or Denys, Pisistrate, Théagéne sont encore cités, dans la Rhétorique,

à propos de la relation entre tyrannie et garde : « Denys aspire à la tvrannie, puisqu'il demande une garde du corps ; autrefois, en effet, Pisistrate, ayant ce dessein, en demandait une, et, quand il l'eut obtenue,

il devint tyran ; de méme Théagéne à Mégare » 13, Les faits allégués . différent pourtant de ceux que résumait la Politique. Aristote ne s'est donc pas copié lui-même d'une œuvre à l'autre. Mais les cadres sont identiques : ils proviennent d'une documentation commune. En affir

mant que l'orateur devait connaître l'histoire, Aristote'savait exactement ce dont il parlait 1% : lui-même professait sa Rhétorique en puisant dans une documentation historique qui alimentait aussi son cours de Politique. I] serait ambitieux et probablement vain de chercher à définir plus précisément les « dossiers » d'Aristote. L'état actuel du Corpus rendrait lentreprise aléatoire : trop de textes sont fragmentaires ; les possibilités d'interpolation, de repentirs aristotéliciens aussi, sont trop nombreuses. Mais du principe général, qui nous parait suffisamment établi, découlent des confirmations utiles en ce qui concerne la composition de la Politique. La documentation historique qu'utilise la Politique a été lentement rassemblée. Ce travail n'était méme pas achevé lorsque fut professé pour la dernière fois le cours de Politique que nous lisons aujourd'hui : enseignement et recherche allaient de pair. 101. Hist. an., VI, 24, 577 b 30 sq. ; 29, 578 b 28 sq. ; 36, 580 b 1 sq. 102. Politique, V, 5, 1305 a 22 aq. 103. Rhétorique, I, 2, 1857 b 20 14.

104.' Supra, p. A sq.

|

SOURCES

ET FICHIERS

; LA COMPOSITION

323

Mais avant de donner toute son ampleur à sa principale recherche historique — les Constitutions — Aristote trouvait dans ses dossiers la matière d’un cours de politique fondé sur l’histoire : il connaissait Hérodote et Ctésias, et sans doute bien d'autres auteurs d'histoires 106,

Il pouvait, dans ses Νόμιμα comme dans son Histoire des Animaur, unir histoire et histoire naturelle 1%, I] avait aussi, à l'Académie, tourné ses regards vers l'histoire 19. C'est pourquoi les livres VII et VIII de la Politique ainsi que la plus grande partie du livre II, nous paraissent anciens. Mais le livre II fut complété, en plusieurs fois sans doute. Les livres VII-VIII subirent aussi des remaniements, qui semblent contemporains de l'ultime addition du livre II 199, Le livre III, plus récent que l'essentiel des livres II, VII et VIII, est apparemment antérieur à ces ultimes remaniements. Tel est aussi le cas des livres « réalistes », IV à VI. Mais la documentation du livre V n'est pas homogène, et a pu être complétée très tard 199, Ces compléments correspondent aux recherches sur les Constitutions, amorcées assurément avant les livres réalistes, mais moins vite poursuivies. Aristote, en outre, dirigeait à la même époque d’autres compilations : Parties et Génération des Animaux, Rhétorique, Météorologiques

en sont le témoignage ; ces travaux lui apportaient des informations historiques, qu'il a pu utiliser dans la Politique. La date de 336, attestée au livre V de la Politique, n'est donc qu'un repère 12 : VII-VIII, II et III sont, pour l'essentiel plus anciens. Mais VII-VIII et II ont, comme V, été complétés — sans doute aprés 336. Ces conclusions confirment dans l'ensemble, tout en les nuançant, celles que W. Jaeger avait atteintes il y a prés de quarante ans et qui n'ont cessé depuis d'étre discutées. Dans cette perspective, que nous tiendrons désormais pour plus süre, il nous reste à examiner les rapports qui unissent à la composition progressive de la Politique, la conception aristotélicienne de la cité. Ce sera l'objet de notre quatriéme partie. 105. Supra, p. 312 sq. 106. Supra, p. 118 sq. 107. Supra, p. 224 sq. 108. Supra, p. 254, 306 sq.

109. Chapitre VIII, p. 255 sq.

110. Supra, p. 181.

QUATRIÈME PARTIE

LA CONCEPTION DE L'ÉTAT

CHAPITRE

X

L'histoire de la cité Aristote a retracé, surtout dans la Politique et dans ses œuvres proprement historiques, l’histoire de la Grèce ct plus généralement celle des hommes. Il n'en a cependant pas laissé une image détaillée : il ne voulait pas écrire une histoire universelle à la facon d'Éphore. Mais il a cherché à en discerner les grandes orientations, lui donnant ainsi une consistance et une netteté singulières. Il a repris et perfectionné les schémas que Platon avait élaborés dans la République, le Politique, le Timée et le Critias, les Lois surtout : comme il y a une « archéologie » de Thucydide, on a pu dire qu'il y avait une « archéologie » de Platon et une « archéologie » d’Aristote !. C'est cette archéologie aristotélicienne qu'il convient maintenant d'étudier : comme l'exige la philosophie du Stagirite, elle tend vers une « fin », qui est la formation de

l'État et la réalisation d'un équilibre constitutionnel. A. LA

FORMATION

DE

LA CITÉ.

Aristote, disions-nous, n'entend point faire ou refairel'ceuvre d' Éphore. Quoique les indications de détail ne manquent pas chez lui, qui éclairent tel ou tel point précis de l'histoire grecque ou méme barbare, elles ne constituent pas un ensemble organisé et, pour tout dire, systématique. Sa recherche des origines, inspirée sans doute de ses devanciers, mais aussi conforme à un trait général de l'esprit grec ?, a accordé aux migrations et aux installations des peuples une attention particuliére. Les fragments des Constitutions en témoignent. C'est ainsi que les Léléges apparaissaient dans les Constitutions des Étoliens, des Acarnanieus, de Leucade, de Mégare, d'Oponte 3... La Constitution des Bottiéens rapportait que les jeunes gens offerts en tribut à Minos avaient servi en Créte, 1. Voir notre Archéologie de Platon, ainsi surtout que À. J. Festucıtae, La révélation d' Hermàs Trismégiste, Il: Le dieu cosmique, Paris, 1949, p. 222, et E. BiGNONE, L'Aristotele perduto..., II, Florence, 1936, p. 341. 2. Voir A. Croıser, Hist. de la litt. gr., 11, 3° éd., p. 491 sq., 566 sq. ; L. Pearson, The local historians of Attica, Philadelphie, 1942 ; F. Jaconv, Atthis, Oxford, 1949. —

Le goût du « primitif », ἀρχαῖον, est trés marqué chez HÉRODOTE (voir par exemple

I, 173, V, 88, VII, 176, où l’&pxatov, le « primitif », est distingué du παλαιόν, de « l'ancien » ; voir aussi les emplois d'&pyatos, dans le Lexicon to Herodotus de J. E.

Poweıı ; d'une facon générale, un objet ou un fait quelconque intéressent plus H£nopoTE par leur caractère primitif que par leur caractère ancien. Aussi cherche-t-il les origines de bien des choses : I, 14, 105, 171 sq. ; II, 2, 4 ; IV, 180, etc.). Sur la

philologie d'AnisroTE, v. supra, p. 103 sq. 3. Rose, 1886, 473, 474, 546, 550, 560.

328

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

puis, par Delphes et l'Italie, gagné un jour la Thrace *. D’après la Consttution, d'ailleurs mal attestée, d'Épidaure, des loniens s'étaient joints aux Cariens qui occupaient Épidaure, au temps du retour des Héraclides 5. Les fondations des cités, généralement liées à ces migrations, ont aussi intéressé l'auteur des Constitutions : il raconte l'aventure du Phocéen Euxénos qui fonda Marseille, de Battos de Théra qui créa Cyrene, de Kios le Milésien qui installa ses compatriotes à Kios en Mysie ®. Mais ces détails, voire ces anecdotes, ne sont jamais systématiquement rassemblés. Sans doute n'était-ce pas le lieu dans des Constitution: consacrées séparément à chaque État. Toutefois, il est symptomatique que la Politique ne reprenne jamais ces développements ou — dans la mesure où elle leur est antérieure — ne les prépare jamais, en essayant de brosser un tableau général du passé de la Gréce. Est-ce ignorance ? Nullement, puisque Platon a par exemple, dans les Lois, étudié le retour des Héraclides et ses conséquences. La Politique, pour emprunter un mot au langage de l'histoire la plus moderne, nc traite pas « l'archéologie » du point de vue de l'histoire « événetnentielle » : c'est une analvse « structurale » qu'elle nous donne du passé de la Gréce. La « structure » de l'histoire humaine, pour Aristote comme pour Platon, est liée à l'évolution de l'univers. Encore Aristote apporte-t-il des précisious soigneuses à ce qui, chez Platon, n'était souvent que vue générale. La théorie est ici fondée sur une information plus complète ou, en tout cas, moins discréte.

Au principe est la théorie des cataclysmes, qui exprime peut-être le souvenir d'événements réels, mais lointains. Elle est chére au Platon du Politique, du Timée, du Critias et des Lois : famines, pestes, maladies

de toutes sortes, guerres, mais aussi tremblements de tcrre et surtout inondations, détruisent périodiquement l'humanité ; les rares survivants doivent alors recréer la civilisation disparue *. Tel est aussi le point de vue d'Aristote, dès le dialogue Sur la Philosophie, et encore lorsqu'il professe les Météorologiques. Dans le Sur la Philosophie, les proverbes sont présentés comme les « survivañces d'une antique sagesse, détruite par les terribles catastrophes qu'a subies l'humanité » 5, et ces 4. Rose, 1886, 485. 5. Rose, 1886, 491. 6. Rose, 1886, 514, 528, 549. 7. Voir notre Archéologie de Platon, p. 13 sq. 8. Rose, 1886, 13 = Wazzen, 8. Voir supra, p. 162. — On rapproche en général Méta., À (XII), 8, 1074 b 10 sq., qui est beaucoup plus vague et moins afñirmatif. AnisroTE cherche à déterminer la part de vérité que contient une opinion répandue, selon laquelle les astres sont des dieux. Séparée, dit-il, de son

revétement

poétique (forme humaine ou animale des dieux, etc.), cette opinion est valable: « Tandis que selon toute vraisemblance les divers arts et la philosophie ont été développés aussi loin que possible à plusieurs reprises et chaque fois perdus, ces opinions sont pour ainsi dire des reliques de la sagesse antique conservées jusqu'à notre temps. » Il n'est pas question ici de catastrophe universelle. De méme dans la Polique, VII, 10, 1329 5 25 sq., AnisTOTE suppose que les mêmes inventions ont pu être faites à de nombreuses reprises. Ce texte de la Politique nous a semblé récent (supra, p. 306 sq.). Rien ne s'oppose au total, de ce point de vue, à la datation récente

L'HISTOIRE

DE

LA CITÉ

329

catastrophes, avec leurs suites, sont décrites de la façon la plus platonicienne qui soit : « Il faut savoir que les hommes sont anéantis de diverses façuns : la peste, la famine, les tremblements de terre, les guerres, les maladies les plus variées, etc., mais surtout les inondations massives, comme celle du temps de Deucalion ; ce fut une forte inondation, mais non sans rescapés. Les bergers ct tous les hommes qui vivent sur les montagnes ou leurs contreforts sont sauvés, tandis que l'inondation recouvre les plaines avec leurs habitants. » Suit l'histoire de Dardanos, passant de Samothrace en Troade ; puis — comme dans les Lois de Platon — quelques vers de l’/liade, rappelant la fondation de Dardanie : « C'est l'assembleur des nuées, Zeus, qui d'abord engendra Dardanos. Celui-ci fonda Dardanie. La sainte Ilion ne s'élevait pas alors dans la plaine comme une cité, une vraie cité humaine : ses hommes habitaient encore les pentes de l’Idu aux mille sources ?. » Cette « archéologie » aristotélicienne est encore imprégnée de platonisme. Avec les Météorologiques, œuvre récente !9, les cadres généraux de la pensée restent identiques, mais le contenu et le ton changent. Les transformations

dans

l'état

de

la terre,

dit

encore

Aristote

comme

Platon, « s’accomplissent suivant un ordre et un cycle déterminés » 11. Mais il ne s’agit plus d'une hypothèse d'ensemble qui, chez Platon, liait une régularité supposée de l'histoire de l'homme à uue régularité générale du « cosmos » et, chez l'Aristote du Sur la Philosophie, impliquait des désastres à peu prés universels. L'histoire humaine dépend maintenant de modifications que la nature de la Terre explique d'abord : « L'intérieur de la Terre, comme le corps des plantes et des animaux, a sa maturité et sa vieillesse » : c'est pourquoi rivières, continents, mers, occupent

un domaine mouvant. Mais « pour les plantes et les animaux ces changements n'ont pas lieu par parties : c'est tout l'étre à la fois qui, nécessairement, arrive à maturité et dépérit. Au contraire, dans le cas de la Terre,

ce processus s'effectue par parties, sous l'influence du froid et de la chaleur, qui eux-mémes augmentent et diminuent suivant le soleil et son mouvement circulaire » !?, Ainsi, l'hypothése est ici fondée scientifiquement

: le mouvement

du

soleil, le froid et le chaud,

l'humidité

terrestre, provoquent les transformations du sol. Mais elles ne laissent plus de place aux cataclysmes totaux : « Ce processus s'effectue par parties. » Aussi Aristote n'admet-il plus, en termes précis, que le déluge survenu au temps de Deucalion ait été universel. La comparaison des Météoroqu'a proposée W. JAEGER pour ce chapitre de la Métaphysique (Aristotle*, p. 342 sq.). Cf. aussi Météoroiogiques, 1, 3, 339 b 27 sq. ; Politique, 11, 5, 1264 a 1 sq. ; Du ciel, J, 3, 270 b 19 sq. 1} s'agit d'un lieu commun. 9. PnuitoProN, in Nicow. Isagog., I, 1 ; voir A. J. Festucıkre, La révélation d'Hermés Trismégiste, II: Le dieu cosmique, p. 222 sq., 587 sq., et les Aristotelis

fragmenta selecta de W. D. Ross, Oxford, 1955, p. 76 sq. V. Iliade, XX, 215 sq. ; Lois, 11I, 681 e. : 10. Supra, p. 95., n. 60. 11. Météorologiques,

1, 14, 351

ce qui suit). 12. Ibidem, 351 a 18 sq.

a 24 sq. Traduction J. Tricor

(comme

dans tout

330

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

logiques avec le texte du Sur la Philosophie, dans la mesure du moins où Philopon nous en donne une image fidèle, est éloquente : cet ouvragr « exotérique » mentionne « des inondations massives, comme était. dit-on, celle du temps de Deucalion » ; puis il explique que seuls de: bergers y survécurent. Les Météorologiques uu contraire limitent ce déluge au moude grec, « et plus particulièrement à l’ancienne Hellade. qui est le pays de Dodone et de l'Acheloüs ». Cette catastrophe, qu’Aristote ne croit donc plus mondiale, n'a méme plus, pour lui, droit qu’à une sorte de surnom : c'est « ce qu'on appelle le déluge du temps de Deucalion », — καλούμενος !*. Le terme n'a pas de valeur scientifique.

Aristote l'entoure désormais de réserves heaucoup plus marquées. Il y a plus : Aristote considère que ces phénomènes, toujours partiels. passent en général inapercus « du fait que ce processus naturel de la Terre, pris dans sa totalité, a lieu graduellement et dans des période: de temps qui sont immenses comparées à notre propre existence... : et avant qu'on puisse conserver le souvenir de leur cours du commence ment à la fin, des nations entières meurent et périssent ». Il convient de citer entiérement l'essentiel de ce texte, si long soit-il : « De ces destructions, les plus grandes et les plus rapides se produisent dans les guerres ; d'autres sont dues à des épidémies, et d'autres enfin à des famines. Ces famines, à leur tour, agissent tantôt d'une manière soudaine, tantót petit à petit : dans ce dernier cas, la disparition de ce peuples n'attire pas l'attention, parce que certains habitants quittent la contrée, tandis que les autres continuent d'y demeurer, et cela jusqu'au moment où le sol ne peut absolument plus y nourrir personne. C'est ainsi, semble-t-il, qu'entre le premier abandon et le dernier, il s'est écoulé des temps si considérables que tout souvenir est perdu, et qu'avant méme la disparition des derniers habitants, la longueur du temps

a fait tout oublier.

C'est de la méme

façon,

doit-on

supposer,

que les nations perdent toute idée de l'époque où elles ont commencé à s'établir dans des pays qui ont changé et qui sont devenus secs, de marécageux et humides qu'ils étaient. En effet, ici aussi, le changement se fait peu à peu et durant un temps considérable, de sorte qu'on ne se souvient plus quels ont été les premiers habitants, ni quand ils sont venus, ni quel était l'état des lieux à leur arrivée » M. Aristote allégue ici l'exemple de l'Égypte: tout en reconnaissant que les Égyptiens sont « les plus anciens des hommes » 35, il considère que leur histoire la plus ancienne est entourée de mystère. « Toute la contrée n'est qu'une alluvion du Nil. Mais parce que ce n'est qu'au fur et à mesure du desséchement progressif des marais que les peuples voisins y sont venus habiter, la longueur du temps a fait perdre le souvenir des origines » 16, Ainsi le passé, comme l’aflırmait — en accord avec le sens commun — 13. 14. 15. 16.

Ibid., Ibid., Ibid,, Ibid.,

352 a 32 aq. 351 b 8 sq. 352 b 20. 351 b 30 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA CITÉ

331

Platon, se perd dans la nuit des temps. Aristote reconnaît à son tour cette vérité. Mais dans les Météorologiques, il la démontre tout autrement

que son maître. Platon considérait que les « catastrophes » anéantissaient à peu près tout le genre humain : rares étaient les rescapés (parmi lesquels le prêtre du 7'imée, fier de sa science, range toujours les É gyptiens) : l'histoire ne pouvait donc guére remonter au delà de ces cataclysmes, sinon grâce à des bribes de mythes 17, Aristote, qui n'envisage plus maintenant que des désastres partiels, continue d'admettre que l'Univers est soumis à un rythme cyclique. Mais il n'a plus recours à cette hypothèse pour expliquer l'oubli où tombe le passé des peuples :

linfinité du temps, l'éternité de l'Univers, oà les changements sont progressifs et lents 15, en rendent compte suffisamment. L'histoire est toujours accrochée au mouvement du monde ; mais une explication plus

directe, plus immédiate, intervient : elle est fondée sur une connaissance précise de ce que nous appelons aujourd'hui géographie physique. Entre le platonisme du Sur la Philosophie et la science plus positive des Météorologiques s'intercale, comme il est naturel, un passage de la

Politique, où — au second livre — Aristote s'interroge sur les origines des premiers hommes : « Selon toute vraisemblance les premiers hommes, qu'ils fussent des fils de la terre ou les survivants de quelque cataclysme, n'étaient que des hommes ordinaires, voire des sots ; c'est hien ce qu'on dit des fils de la terre » 19, Aristote n'envisage plus ici le cataclysme universel que comme une possibilité douteuse : « quelque cata-

clvsme », ἐκ φθορᾶς τινος.

Il n'y croit visiblement pas plus qu'aux

« fils de la terre » — et ceux-ci ne sont guère pour lui qu'une légende ὥσπερ xal λέγεται κατὰ τῶν γηγενῶν. À époque récente, justement, dans le traité de la Génération des Animaux, il remarque d'une part, non sans réserves, que, « si vraiment il naissait autrefois des fils de la terre, comme

le prétendent certains », il faut étudier

cette question

d'autre part il proclame que les horames existent de toute éternité ®, Cette contradiction souligne le scepticisme d'Aristote au sujet de ces « fils de la terre ». Sa réserve est cependant moins marquée dans

la Politique, où l'expression « qu'ils fussent fils de la terre », εἴτε γηγενεῖς ἦσαν, est légèrement plus affirmative que le «si vraiment il naissait autrefois des fils de la terre », εἴπερ ἐγίγνοντό ποτε, de la Génération des Animaux. D'autre part, l'hypothèse d'une « catastrophe universelle », encore envisagée ici, céderait, semble-t-il, la place à l'idée de catastrophes partielles, si Áristote avait déjà concu les théses des Météorologiques. Bref, ce texte semble moins ancien que le Sur la Philosophie, moins récent au contraire que les Météorologiques : cette constatation convient bien aux cadres chronologiques que nos chapitres précédents ont assemblés. 17. Timée, 22 c sq. ; Lois, III, 677 a sq., etc. Voir notre Archéologie de Platon, p. 13 sq. 18. Meétéorolog., I, 14, 352 b 15 sq. ; 353 a 14 sq. Cf. II, 3, 356 b 30 sq. 19. Politique, 11, 8, 1269 a 4 sq.

20.

Génération des animaux, 11, 1, 732 a 1 sq., et III, 11, 762 ὃ 28 sq.

;

332

ARISTOTE

ET L'HISTOIRB

Tels sont, selon Platon et Aristote, les rythmes de l'univers et de: organisations humaines. C'est en leur obéissant que l'homme passe de l'état primitif à la condition de civilisé, qu'il se rassemble en groupes qui. peu à peu, forment des cités, des πόλεις. Il faut encore comparer, chez Platon et chez Aristote, la description de ce chemin qui conduit à la cité. Cet examen aidera à dater et à interpréter « l'archéologie » aristotélicienne. C'est dans les Lois que Platon a retracé avec la précision la plus grande la formation de la cité. Aux considérations utopiques et abstraites de la République, qui constituait la « cité », à partir de zéro, par une addi tion de besoins et de services mutuels, il a substitué au livre III des Lou

une analyse plus historique, inspirée avant tout d'Homére ?! : les res capés du désastre se groupent d'abord par familles, sous l’autorite patriarcale des aînés ; l'installation, à ce stade, porte le nom de « maison» (οἴκησις) 23. Plus tard, « un plus grand nombre se réunissent en agglo-

mérations plus considérables, » μείζους ποιοῦντες πόλεις συνέρχονται ?*: ces « agglomérations » s'appellent ici πόλεις, mais Platon n'y voit plus. quelques lignes plus loin, qu'une « grande habitation commune », μίαν

οἰκίαν αὖ κοινὴν καὶ

μεγάλην — ou un «habitat

plus grand », τῶν

οἰκήσεων τούτων μειζόνων, qui n'est pas radicalement différent de l’habıtat primitif : la taille seule les distingue 323. Ces deux premières installations sont comme rivées aux montagnes, d’où l'humanité n'ose pas encore descendre. La seconde correspond à Dardanie, qui précède Ilion : ses habitants, comme dit Homère, hab: talent « les pentes de l'Ida aux mille sources ». Ilion au contraire appartient à la troisième étape, « forme politique... où se rencontrent toutes les espèces de régimes aussi bien que de cités, » πάντα εἴδη καὶ παθήματα

πολιτειῶν καὶ ἅμα πόλεων συμπίπτει γίγνεσθαι ?*. Il s’agit maintenant d’une cité au sens propre du terme, « une vraie cité humaine Mais les fondations précédentes portent, elles aussi, dans tion que donne l'Athénien, le méme nom de πόλεις : considéré une première cité, une seconde, une troisième

», dit Homère. la récapitula« Nous avons », ἐθεασάμεθα

πρώτην τε xal δευτέραν καὶ τρίτην πόλιν 35, Le vocabulaire politique de Platon, en la matière, manque donc de rigueur. Il ne distingue pas rigoureusement la famille, ou la réunion de familles, de la cité proprement dite. A plus forte raison, n’utilise-t-il pas ici de terme propre pour définir cette étape intermédiaire qu'est la réunion de plusieurs familles — c'est-à-dire le « village ». Or le terme existe : c'est la κώμη, qui, affirme Aristote dans la Poétique, serait selon les Doriens un mot d'origine dorienne, l'équivalent de l'attique δῆμος 2°. Cette origine peut-être dorienne n'aurait certainement 21. République, 1I, 369 b sq. ; Lois, III, notamment 679 d aq. 22. Lois, Ill, 680 d (« ménage », E. nes PLaces ; « habitat », Rosın).

23. 680 e (trad. E. Des Pıaczs). 24. 681 a. 25. 681 d sq. 26. 683 a. 27. Poétique, 3, 1448 a 29 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA CITÉ

333

pas empêché Platon d'utiliser ce mot s'il l'avait voulu (et d’ailleurs il eût pu recourir aussi à δῆμος dans cette hypothèse), car κώμη est fort bien attesté en attique et chez Platon lui-même 383, Le mot désigne parfois un « quartier » dans une ville 39, Mais il prend souvent ce sens de « village » ou de « bourgade », jusque dans les Lois : au livre I de ce dialogue, Platon définit avec précision la succession individu — maison — bourgade — cité, ἀνήρ, οἰκία, κώμη, πόλις : « Ce qui est vrai de cités à cités l'est-il moins de bourgade à bourgade ? — Nullement — ... Et pour une maison par rapport à une autre maison de la bourgade, et d'individuà individu, en est-ilencore de même ἢ — De méme. » Et plus loin : « Puisqu'un chacun parmi nous est tantót son propre vainqueur, tantôt son propre vaincu, devons-nous prétendre que dans une maison, une bourgade, une ville, les choses se passent identiquement %.. ? ». Le but du philosophe n'est certes pas ici d'analyser la formation de la cité, mais seulement de montrer que morale individuelle et morale poli-

tique se confondent. Toutefois, l'étape intermédiaire qu'est la χώμη est nettement indiquée. Pourquoi dans ces conditions est-elle absente de l’« archéologie » du livre III ? La raison en est évidente : Platon au livre III s'inspire fortement d'Homére, qui lui-même ignorela xóy ou les termes équivalents ; le poéte décrit d'une part la vie patriarcale des Cyclopes — soit le premier établissement platonicien —, d'autre part Dardanie et Ilion — c'est-à-dire le second et le troisième établissement platonicien #1. Mais d'un poéte épique, on ne saurait exiger un vocabulaire politique rigoureux ?? : il est en revanche remarquable que celui de Platon n'atteigne pas ici à plus d'exactitude. Or « l'arehéologie » d’Aristote dans le Sur la philosophie présente la méme particularité, et ceci confirme les rapprochements qu'a établis le P. Festugière 53. Non seulement la théorie des cataclysmes est passée de Platon

chez Aristote,

mais

la remontée

lente de la civilisation,

la

formation de nouvelles cités, se fait selon le méme rythme et surtout est exprimée de la méme facon chez les deux philosophes. « Les survivants, écrit en effet Philopon d’après Aristote, dépourvus de moyens de subsister, imaginaient sous l'empire de la nécessité les procédés indispensables : moudre le grain, semer, etc... Ils donnèrent à ce genre d'invention le nom de « sagesse » ; c’est celle qui découvre les façons de subvenir aux nécessités de la vie; était «sage» leur inventeur. Ils inventérent ensuite des arts, « par l'inspiration d'Athéna », comme 28. Lippeıı-Scorr..., s. v. 29. IsocnATE, Aréopagitique, 46. Cf. Praton, Lois, V, 746 d, οὐ [ὁ sens est incertain i

la cité et son territoire sont divisés en douze parties, elles-mêmes subdivisées en φρατρίας xal δήμους xal κώμας. Chez ArıSTOPHANE, Nuées, 965, κωμήτης désigne l'habitant d'un quartier urbain. 30. Lois, 1, 626 c ; 626 esq.

31. Odyssée, 9, 112 sq. (= Lois, III, 680 δ), et Iliade, XX, 216 sq. 1l, 681 e). 32. G. Grorz, La cité grecque, p. 39 sq.

33. Hermès Trismégiste, II, p. 222 sq., cf. supra, p. 329, n. 9.

(= Lois,

334

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

dit le poéte, — des arts qui ne se limitent pas aux nécessités vitales, mais qui tendent à la beauté et à l'élégance ; cette invention encore a recu le nom de « sagesse », et son auteur celui de « sage ». Ainsi dit-on « un sage charpentier a assemblé cela », « connaissant à fond la sagesse

par l'inspiration d'Athéna » : le génie de ces découvertes

en

faisait

attribuer l'invention aux dieux. Puis ils tournérent leurs regards ver: la politique — πάλιν ἀπέδλεψαν περὶ τὰ πολιτικὰ πράγματα —, ils trouverent les lois et tout cequi unitles cités — ἐξεῦρον νόμους xal πάντα τὰ συνιστῶντα τὰς πόλεις. A cela encore on donna

le nom

de sagesse.

Tel:

étaient les sept sages —- des hommes qui avaient découvert des vertu: pelitiques — πολιτικάς

τινας ἀρετὰς

εὑρόντες. »

Une quatrième « sagesse » s'y ajoute ensuite, dit Aristote, concernant les sciences de la nature, puis une cinquième et suprême « sagesse ı, celle des hommes qui connaissent les choses divines, supérieures à ce monde, immuables. Mais les trois premières étapes intéressent seules notre démonstration. Au moment en effet où se constitue la troisième sagesse, qui est « politique », la cité — πόλις— est déjà formée, ou du moins achève de se former : ces sages tournent leurs regards vers « les affaires de la πόλις », τὰ πολιτικὰ πράγματα ; leurs découvertes « unissent les cités ». τὰ συνιστῶντα

τὰς πόλεις.

Dans

ces conditions,

pour Aristote

comme

pour Platon, le nom de πόλις peut à la rigueur s'appliquer déjà à la première installation : celle que Platon illustre en évoquant la vie des Cyclopes, et à laquelle Aristote applique l'exemple de Dardanie, que Platon réserve au contraire à la seconde étape :

κτίσσε δὲ AapBavinv* ἐπεὶ οὕπω "Duoc ἱρὴ ἐν πεδίῳ πεπόλιστο, πόλις μερόπων ἀνθρώπων, ἀλλ᾽ ἔθ᾽ ὑπωρείας ᾧκουν πολυπιδάκου Ἴδης. Quoique les étapes successives ne coïncident pas chez les deux philosophes, — le but de leur analyse n’est pas le même — la ressemblance du vocabulaire est saisissante : tous deux admettent qu’une installation primitive, à peine postérieure au « cataclysme », peut recevoir le nom de πόλις. Aristote d'autre part, qui ne prévoit pas d'installation intermediaire entre cette première « cité » et la cité des sept sages, ignore le nom de κώμη, comme Platon qui le passait sous silence au troisième livre des Lois. Proche de Platon, proche aussi d’Homere qui avait déjà inspiré Platon, le Sur la Philosophie offre de l'évolution de l'humanité, une image non seulement schématique, mais qui refléte à peine les données historiques. Aristote, délibérément,

a choisi l'abstraction.

Tout change avec le premier livre de la Politique. Ce n'est pas que le philosophe ait percé en quelques années le mvstére qui entoure les origines de la cité. Mais le schéma qu'il en donne tend cette fois à serrer le réel de plus prés. Le vocabulaire qu'il emploie est beaucoup plus précis.

La premiére communauté naturelle qu'il reconnait est celle de la fa-

L'HISTOIRE

mille

DE

LA CITÉ

335

ou de la maison (οἰκία) #. De celle-ci dérive le village (κώμη),

« première communauté composée de plusieurs familles dans un dessein qui ne soit pas éphémère ». C’est une « colonie de la famille », ἀποικία οἰκίας %, et l'on dit parfois que les habitants du village sont « nourris du même luit », ὁμογάλαχτας, ou « enfants, et enfants d'enfants », παῖδάς τε καὶ παίδων παῖδας. Enfin, « la communauté parfaite issue de plusieurs villages est la cité ; on peut dire qu'avec elle est atteint le plus haut degré de l'autarcie, en ce sens que si elle se forme pour assurer la vie, elle existe pour assurer la vie bonne ». Ainsi Aristote démontre-t-il le caractére naturel de la « cité » — considérée comme une « fin », composée d'éléments qui tous sont déjà conformes à la nature. Qu'Aristote songe encore à l’« archéologie » platonicienne, la chose est évidente, et a souvent été soulignée %. L'expression παῖδάς re xal παίδων παῖδας figure presque textuellement dans les Lois % ; Aristote cite à l'appui de sa démonstration un fragment de l'Odyssée — « chaque Cyclope régit sa femme et ses enfants », θεμιστεύει δὲ ἕκαστος παίδων

78’ ἀλόχον — que Platon commente lui aussi, et pour la méme fin 89: il s'agit dans les deux textes de définir le régime politique des premières organisations humaines, et de montrer que c'est une autorité patriarcale. Mais ici apparaît une première divergence entre Aristote et Platon, d'autant plus significative que le Stagirite se souvient cette fois avec précision des écrits de son maître. Il donne à ce premier régime le nom de « royauté ». Sans doute était-ce un langage que Platon eût pu tenir ; mais ce dernier avait cherché un terme plus propre, recourant à celui de δυναστεία : « I] me semble, écrit-il, que tous placent en ce temps-là un régime d'autorité personnelle... », δοχοῦσί μοι πάντες τὴν ἐν τούτῳ τῷ χρόνῳ πολιτείαν δυναστείαν καλεῖν. Cette « autorité personnelle » est, pour Platon, juste et bienfaisante 39. Il y a là pourtant quelque abus de langage, car la « dynasteia » n'est généralement pas un régime patriarcal, monarchique, moral ; mais Platon a voulu donner à son histoire ancienne une couleur scientifique en utilisant une expression de technicien 9. Aristote, au contraire, se garde de cette erreur : il ne reproduit pas ce terme de « dynasteia », il ne le

discute méme pas ; il sait que son sens est tout autre ‘!. Le mot de « royauté » lui suffit : « C'est pourquoi les cités, à l'origine, étaient gouvernées par des rois, comme le sont encore les peuples barbares ; c'est 34. Pol., I, 2, 1252 b 9 sq. 35. Du moins, sous sa forme la plus conforme à la nature, μάλιστα

36. Voir par exemple

Newman,

37. Lois,

οὕτως

III,

681

b,

κατὰ

φύσιν.

Commentaire.

ἑκάστους

τὰς

αὑτῶν

ἂν

αἱρέσεις

εἰς τοὺς παῖδας

ἀποτυπουμένους καὶ παίδων παῖδας. — PLATON et ArısToTE se souviennent peutêtre d'Hox£ng,

Iliade, XX, 308, ou d'autres poètes ; voir Lipp.-Scorr..., s. v.

38. Odyssée, 9, 114 sq. ; PrATON, Lois, III, 680 b. 39. Lois, III, 680 ὁ. Cf. 681 d, ἀριστοκρατίαν

À καί πασῶν 40. hi.

τινὰ Ex τῶν

δυναστειῶν ποιήσαντες

τινα βασιλείαν, et 680 d sq., notamment πατρονομούμενοι καὶ βασιλείαν δικαιοτάτην βασιλευόμενοι. Voir notre Archéologie de Platon, p. 68 sq. Voir Bonıtz, Inder Aristotelicus, s. v., pour les différents emplois du mot par

ArısToTE, et Archéologie de Platon, ibid.

336

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

qu'elles étaient formées d'hommes que gouvernaient des rois ; toute famille a pour roi l’aîné ; les colonies de familles sont donc dans le méme cas, en raison de la parenté *? »: le verbe βασιλεύειν suffit à définir ce régime. Il règne, selon Aristote, sur la famille, sur le village, sur la cité prımitive #5 : le Stagirite ne distingue pas entre les régimes de ces trois étapes. Platon au contraire oppose à la « dynasteia » qui gouverne la famille, l'organisation plus large du groupe de familles : c'est une « sorte d’aristocratie ou méme de royauté », ἀριστοχρατίαν τινά... ἢ καί Tv βασιλείαν #. Enfin la troisième forme d'établissement selon Platon — ]a cité — présente des aspects infiniment variés : là « se rencontrent toutes les espèces de régimes, aussi bien que de cités, avec leurs vicis situdes », ἐν & δὴ πάντα εἴδη xal παθήματα πολιτειῶν καὶ ἅμα πόλεων συμπίπτει γίγνεσθαι “5. Rien n’est plus loin de l'unité qu'affirme Anistote ; une information historique plus complète lui a appris que le régime

primitif de la cité était encore une monarchie : διὸ καὶ τὸ πρῶτον éBzs-λεύοντο al πόλεις. ll sait que les anciennes aristocraties ne sont pas primitives. Ce détail suggère qu'entre les Lois de Platon et ce passage de la Polıtique, un délai notable s’interpose. Mais 1] y a plus. L’apparition chez Aristote du mot même de « village », κώμη, est significative : l’auteur du

Sur la Philosophie ne disposait pas d'un vocabulaire si précis. Entre le Sur la Philosophie et le livre I dela Politique, Aristote a enrichi et comme rodé son langage politique. Ce faisant, il retrouvait une tradition déjà ancienne, et que Platon, s'inspirant d'Homére en ce texte des Lois, avait préféré négliger. Car Thucydide déjà connait et définit en termes propres l'organisation du « village » : les peuples d'autrefois, dit-il, vivalent κατὰ κώμας, «par villages » #. Toutefois, Thucydide accorde aussi à cette première organisation le nom de πόλις : πόλεσιν &cetyioτοῖς καὶ κατὰ κώμας οἰκουμέναις f : cette souplesse du langage poli tique a pu favoriser assurément, chez Platon, l'oubli du nom de χώμη, sinon de la chose. L'évolution d'Aristote semble donc naturelle: à Platon, et à travers lui à Homére, il a emprunté l'idée d'une étape intermédiaire entre « famille » et « cité » ; mais il a voulu lui donner un nom

— que Platon lui-méme en d'autres circonstances avait employé, aprés Thucydide notamment. Les différentes étapes de la formation de la cité sont ainsi mieux marquées ; mais les notions utilisées deviennent de ce fait moins souples : en bátissant son archéologie, Aristote enlève à l'idée de cité un peu de la souplesse ambigué qui la caractérisait ; ce qui était 42. Pol., I, 2, 1252 b 19 sq. 43.

Newman,

ad I, 2, 1252

b 20, ne prend

pas en considération la monarchie du

village. AnisroTE cependant en tient compte, puisqu'il montre que les « colonies », ἀποικίαι, de la famille, οἰκία, sont soumises à des rois ; or le village, κώμη, est selon lui une ἀποικία οἰκίας. 44. Lois, III, 681 d. 45. Ibid. 46. Taucyoipe, I, 5, 1, cf. notamment 2, 2 ; 6,1,7; 47. Ibidem, surtout 10, 2 ; et supra, p. 270.

8,3 ; 10, 2, etc.

L’HISTOIRE

DE

LA CITÉ

337

une équivoque deviendra vite une contradiction dont il devra s'évader. Toutefois, l'évolution n'est pas achevée quand Aristote professe ce livre I de la Politique. La notion intermédiaire de « village », qu'il a nettement définie dans cette « archéologie », ne s'impose pas encore à lui complètement ; quelques lignes plus loin, il se contentera de distinguer cité et famille, πόλις et οἰκία, parce que la κώμη pouvait commodement se confondre avec le premier ou le second de ces termes, quand il s'agissait d'étudier l'essentiel # ; Aristote connaît une science du gouverne-

ment

de la « famille », — οἰκονομία — et une science

πολιτική,

du

gouvernement de la cité ; il ne croit pas utile de définir la science du

gouvernement de la xoun: πᾶσα γὰρ σύγκειται πόλις ἐξ οἰκιῶν 19. Néanmoins, dés que la notion de village peut servir le raisonnement, elle apparait de nouveau. Ainsi, pour montrer que l'échange est nécessaire, Aristote explique que les membres d'une famille n'en ont pas besoin, tandis qu'il s'impose à une communauté plus vaste : les membres d'une famille partagent tout ; à partir de l'étape suivante, les hommes disposent de biens nombreux et variés, dont l'échange est commandé par le besoin. Aristote désigne les hommes à ce stade par les mots ol κεχωρισμένοι, « les hommes qui vivent séparés » : ce ne sont plus les compagnons de table ou de huche, ὁμόκαποι et ὁμοσίπυοι, qui composaient une famille ; les familles sont maintenant séparées, et forment un village ou une cité 9 Plus précisément, au livre III, la cité est définie comme une communauté de familles et de villages, γενῶν καὶ κωμῶν κοινωνία 51. Enfin, nous avons déjà rencontré au livre II la mention de peuples disséminés en

villages, κατὰ κώμας ??. Ces deux textes des livres II et III doivent étre anciens, sans remonter

peut-être jusqu'à l'époque du Sur la Philosophie 55. En revanche, la systématisation du livre I, si différente de celle du Sur la Philosophie, pourrait étre plus récente : II et III marquent les premiers jalons d'une évolution beaucoup plus affirmée en I. Sans partager absolument l'opinion de W. Jaeger, qui voit dans le livre I une addition tardive d'Aristote, une sorte de préface écrite aprés coup 95, il est difficile d'en placer la composition trop prés du Sur la Philosophie. Cette impression est corroborée par l'intérét dont témoigne aussi ce premier livre pour le mode de vie des peuples. Il ne s'agit plus ici,

comme dans les Νόμιμα des Barbares, d'étudier des coutumes curieuses, mais de classer les genres de vie, en les expliquant.

Aristote réduit

48. Pol., I, 2, 1253 a 17 sq. ; cf. I, 3 sq., notamment 8, 1256 5 30. 49. 1, 3, 4253 b 2 sq. — CicÉnoN, qui s'est probablement inspiré du premier livre de la Politique dans son De officiis (1, 17, 54), comme l'a suggéré Newman (ad 1252 b 17), n'a pas non plus désigné nettement, d'un mot propre, l'étape du village. Il écrit seulement : « Sequuntur fratrum conjunctiones, post consobrinorum sobrinorumque, qui cum una domo jam capi non possint, in alias domos tanquam in colonias exeunt. » 50.

I, 9, 1257 a 19 sq. ; voir Newman,

51. 52. 53. δά.

ILE, 9, 1280 Voir supra, Cf. supra, p. W. JAEGER,

ad 1257 a 21.

5 40. p. 269 sq 161 sq. (Sur la philosophie) et 210. Aristotle?, p. 271 sq.

Aristote et l'histoire

22

338

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

tous les faits à un principe unique — qui est le mode de subsistance. τροφή : « Il y a de nombreux modes de subsistance, et c'est ce qui dis tingue les genres de vie des animaux et des hommes. Il est impossible en effet de vivre sans moyens de subsistance, de sorte que les variétede ces moyens entraînent des différences dans les genres de vie » *. Aristote distingue alors les genres de vie des animaux — essentiellement. vie en troupeau ou vie solitaire —, puis applique la méme analyse aux hommes : « Les moins actifs sont les bergers nomades ; car les animaux domestiques fournissent une subsistance que l'on obtient sans effort et à loisir ; les troupeaux devant se déplacer pour paître, leurs maitre: doivent bien les accompagner, sorte de cultivateurs d'un champ vivant. ὥσπερ γεωργίαν ζῶσαν γεωργοῦντες. D'autres vivent de la chasse, et de chasses diverses : pillage, péche pour tous ceux qui habitent au bord de lacs, de marais, de riviéres, d'une mer poissonneuse ; d'autres

chassent

les oiseaux ou les bétes sauvages. La plupart des hommes vivent de la terre, des produits de la culture. Il y a donc cinq genres de vie, à ne considérer du moins que les activité: productrices, et non le cas des hommes qui s'assurent leur subsistance par l'échange et le commerce de détail. Ce sont les vies des pasteurs, de: agriculteurs, des pillards, des pécheurs, des chasseurs. D'autres combinent ces activités pour vivre confortablement, en compensant les insuffisance: d'un mode de vie qui, sans cela, ne parviendrait pas à l'autarcie : ains certains sont à la fois pasteurs et pillards, d'autres agriculteurs et cha:seurs, et ainsi de suite ; les nécessités de l'existence quotidienne réglent le genre de vie » ὅδ, Telle est la vue synthétique des « genres de vie », que propose Aristote. Par une particularité de détail, elle évoque l'enseignement platonicien. Aristote en effet rattachera la guerre à la chasse 57, comme Platon l'avait fait dans le Sophiste et les Lois*?. Mais le ton d' Aristote est bien different: en face des distinctions ironiquement subtiles de Platon, qui se plait à comparer la sophistique et la pêche à la ligne 59, il élabore une classification détaillée, aussi compréhensive que possible, scientifique en un mot. Comme la répartition des animaux en carnivores, herbivores et omnivores, qu'il expose dans le méme texte, paraît un résumé de l' Histoire des Animaux, œuvre ancienne 9, tandis que leur classement en vivipares, ovipares et reproducteurs par vers, dans le méme texte également, évoque un travail récent, la Génération des Animauz *!, il est raisonnable de penser que l'ensemble du développement n'est pas ancien. 55.

56. 57. 98. 59. 60. MAN).

Pol., 1, 8, 1256 a 19 sq.

1256 a 31 sq. 1256 b 23 sq. Sophiste, 222 c ; Lois, VII, 823 b sq. (Newman). Voir dans le Sophiste, dès 219 d sq. Pol., 1, 8,1256 a 24 sq. ; Hist. an., 1, 1, 488a 14 ; VIII, 6, 595 a 13 sq. (NewSur la date de l'Histoire des animaux, voir supra, p. 80 sq.

61. Pol., I, 8, 1256 b 7 sq. ; Gén. an., II, 1, 732 a 25 sq. ; III, 2, 752 b 19 sq. ; 11, 763 a 9 sq., etc. (NEwmAx). Sur la date dela Génération des animaux, voir supra,

p- 95 sq., n. 60.

L'HISTOIRE

DE

LA

CITÉ

339

Une confirmation en est fournie par les textes qui retracent l'évolution des constitutions, et où Aristote tient un compte de plus en plus considérable du genre de vie que mènent les peuples. Alors que dans les ἹΝ ὁμιμα des Barbares et les textes apparentés de la Politique, il se plaisait à enregistrer des faits étranges ®?, il réunit maintenant les traits de mœurs, les relie entre eux, les envisage dans leur généralité et dans leur rapport avec le régime politique. B.

L’ÉVOLUTION

DES

CONSTITUTIONS.

La cité, ainsi formée à partir de familles et de villages, n’interesse pas Aristote par elle-même, mais par la constitution qui la régit. Le but du philosophe, tel qu’il est énoncé à la fin de l' Éthique de Nicomaque, est en effet de discerner les conditions de stabilité et d'instabilité des constitutions, et si possible de déterminer la constitution la meilleure. A cet effet, il doit notamment

connaître l’histoire des constitutions, et

les définir avec précision. La première de ces tâches est évidemment historique ; la seconde requiert surtout un logicien. On constate cependant que l’historien l’a emporté de plus en plus sur le logicien. Trois textes principaux étudient dans la Politique la succession des constitutions : ils figurent au livre III, au livre IV et au livre V.

La fin du livre V est consacrée à une critique de la République de Platon, et surtout à sa théorie des révolutions, énoncée aux livres VIII

et IX de ce dialogue 58, Platon avait posé un ordre invariable, et naturellement théorique, des constitutions : constitution idéale — timocratie à la Lacédémonienne — oligarchie — démocratie — tyrannie. Aristote n'a pas de peine à démontrer par des exemples nombreux que cette conception est insuffisante, et ne correspond pas aux faits: le passage de la démocratie à l'oligarchie est fréquent, plus fréquent méme que le passage à la monarchie ; la tyrannie céde la place à une autre tyrannie, ou à l'oligarchie, ou à Ja démocratie,

ou

encore à

l'aristocratie ; l'oli-

garchie devient directement tyrannie. C'est donc au nom de l'histoire qu'Aristote condamne, et sans appel, le cycle platonicien des révolutions. Mais son argumentation reste au niveau des faits bruts qui contredisent les affirmations de Platon. Si Aristote n'éprouve pas le besoin de répondre à une théorie par une théorie, c'est qu'il connait la richesse et comme l'effervescence d'une histoire relativement récente pour lui — elle est méme en partie contemporaine —, qui ne se laisse pas mettre en formules, si subtiles que soient les formules, si réservé et souriant que soit leur auteur. Deux autres textes, du livre III et du livre IV, sont pourtant plus hardis et plus suggestifs : s'attaquant à une histoire plus ancienne, moins connue, Aristote élabore une reconstitution. Ou plutót, à quelques 62. Supra, p. 117 sq., 214 sq. 63. Politique, V, 12, 1316 a 1 sq. Sur le classement des constitutions, v. J. DE Rowirtv,

Le classement des constitutions..., R. E. G., 72 (1959), p. 81-99.

340

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

pages d'intervalle, il bátit deux constructions — qui ne sont pas jumelles. Au livre III, comparant les avantages de l'aristocratie et de la royaute. Aristote remarque qu'une aristocratie idéale l'emporterait en principe sur une royauté idéale, — à condition du moins que l'on püt réunir un groupe assez nombreux de gens de bien. « Cette difficulté, ajoute-t-il. fut sans doute cause qu'autrefois prévalait la royauté : il était rare eu effet de trouver assez d'hommes d'une vertu éminente, d'autant plu: que les villes étaient petites. En outre, les rois devaient leur pouvoir aux bienfaits qu'ils accomplissaient, conformément au devoir d'un homme de bien. Mais lorsque le nombre des gens vertueux vint à se multiplier, on ne supporta plus le pouvoir royal ; on chercha un régime d'intérét commun, et la politeia s'installa. Les progrès de l’immoralité. le trafic des fonds communs, furent selon la vraisemblance à l'origine des oligarchies : l'argent était à l'honneur. De ces régimes, on passa d'abord à des tyrannies, puis des tyrannies à la démocratie. Car à force de réduire le nombre des gouvernants, par passion du lucre, on avait renforcé la masse populaire, qui passa à l'attaque : et les démocratie: naquirent. De nos jours, d'ailleurs, avec l'accroissement encore plu: considérable qu'ont pris les cités, on ne saurait probablement méme plu: juger facile que s'instaure une constitution différente de la démocratie »**. À ce schéma, Aristote en substitue un autre au livre IV, lorsqu'il étudie les droits que doivent recevoir dans une « politeia » les citoyen: aptes au service militaire et possesseurs de leur armement : « La premiére constitution qui succéda en Gréce aux royautés accordait le droit de cité aux soldats — aux cavaliers primitivement ; la force et la superiorité militaires revenaient alors aux cavaliers, car l'infanterie lourde est inefficace sans la tactique ; une expérience et une organisation de cet ordre n'existaient pas dans l'antiquité, de sorte que la force dépendait de la cavalerie. Avec l'extension des cités et la force croissante des hoplites, le droit de cité fut élargi. C'est pourquoi on appelait autrefois « démocraties » les régimes que nous appelons « politeiai ». Il ne faut pas s'étonner si les anciennes constitutions étaient oligarchiques et monarchiques. Avec une population réduite, la classe moyenne n'était pas importante ; sa faiblesse numérique et la faiblesse encore plus marquée de son organisation entrainaient sa soumission au pouvoir » 9. Les deux textes présentent un point commun : à l'origine, ils placent la royauté — comme le passage du livre I où Aristote reconstitue l'évolution de l'oix(a à la κώμη, puis à la πόλις : « Les cités, à l'origine. étaient gouvernées par des rois, comme le sont encore les peuples bar bares : c'est qu'elles étaient formées d'hommes que gouvernaient des rois ; toute famille a pour roi l'ainé ; les colonies des familles sont donc dans le méme cas, en raison de la parenté %.... » Tels nous imaginons les 64. III, 15, 1286 5 8 sq. 65. IV, 13, 1297 b 16 sq. 66. I, 2, 1252 5 19 sq. Cf. supra, p. 335 sq.

L’HISTOIRE

DE

LA CITÉ

.

341

dieux, telles Aristote imagine les populations primitives : « Si tous affirment que les dieux ont un roi, c’est que tous en ont encore un eux-mêmes, ou en ont eu primitivement. » Comme nous l'avons vu , de Ἰ᾽ οἰκία à la πόλις, Aristote ne conçoit guère de rupture.

Mais une fois abolie la royauté, les deux textes ne présentent pas de la même façon la succession des régimes. Au livre III, la monarchie est remplacée par une politeia, puis par une oligarchie ; ensuite naissent la tyrannie et la démocratie. Selon le livre IV, au contraire, la constitution

qui succède à la royauté est oligarchique : « Il ne faut pas s'étonner si les anciennes constitutions étaient oligarchiques ou monarchiques », ἦσαν δὲ al ἀρχαῖαι πολιτεῖαι εὐλόγως ὀλιγαρχικαὶ xal BaatAtxal. Puis l'extension des villes, le développement de l'infanterie entraînent l’elargissement du droit de cité ; alors naît la politeia, qui ne diffère pas en nature de l’oligarchie précédente : c’est un régime où les soldats sont citoyens. Là s'arréte le schéma du livre IV. Mais si les facteurs qui transforment l’oligarchie en politeia sont vraiment décisifs, l’assouplissement du régime doit normalement se poursuivre, vers la démocratie ou vers cette couvulsion de la démocratie qui a nom tyrannie. Quoi qu'il en soit, l’ordre royauté-— oligarchie— politeia est assurément plus proche de la vérité historique que la séquence royauté — politeia — oligarchie. Le vocabulaire d'Aristote et le principe d’explication qu'il adopte au livre IV montrent encore chez lui le progrès de la préoccupation historique. Il utilise en effet au livre III un vocabulaire précis, mais dépourvu de nuances. C'est celui d'un homme qui vient — aprés Platon — de classer les constitutions en catégories distinctes et qui s'en tient à cette classification : royauté, politeia, oligarchie, tyrannie, démocratie, se succédent,

nettement

tranchées,

comme

les silhouettes

dont

l'ombre

se découpe sur le mur de la caverne qu'a imaginée Platon. Ce sont les piéces d'un mécanisme, et ce mécanisme fonctionne à la perfection. Le livre IV manifeste moins d'assurance, et sans doute plus de science. La constitution qui succède à la royauté ne reçoit d'abord pas de nom ; elle est « une constitution », πολιτεία, au sens général du mot: xal 9 πρώτη δὲ πολιτεία ἐν τοῖς “Ἕλλησιν ἐγένετο μετὰ τὰς βασιλείας ἐκ τῶν πολεμούντων, ἡ μὲν ἐξ ἀρχῆς ἐκ τῶν

ἱππέων ... Cette constitution ancienne

est, Aristote le précisera plus loin, oligarchique : ἧσαν δὲ αἱ ἀρχαῖαι πολιτεῖαι εὐλόγως ὀλιγαρχικαὶ καὶ βασιλικαὶ ... Toutefois, le terme même qui apporte cette précision --- ὀλιγαρχικαί — est moins catégorique que le substantif correspondant, τὰς ὀλιγαρχίας, utilisé au livre III. Aristote se contente maintenant de définir le caractère général de la constitution : il ne la recouvre plus d'une étiquette. Qui plus est, cette « politeia-constitution » devient peu à peu — sous sa plume comme dans les faits— une « politeia-république» : αὐξανομένων δὲ τῶν πόλεων xal τῶν ἐν τοῖς ὅπλοις ἰσχυσάντων μᾶλλον, πλείους μετεῖχον τῆς πολι67. Supra, ibidem.

342

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

τείας. Διόπερ ἃς νῦν καλοῦμεν πολιτείας, ol πρότερον ἐκάλουν Br, aoxzzτίας. L'équivoque du mot « politeia » permet d'exprimer le progrès insersible de la cité, de l'infanterie — et du peuple. Mais Aristote ne veut pas prolonger cette équivoque. C'est pourquoi il précise qu’« on appelait autrefois démocraties les régimes que nou: appelons « politeiai ». Et là encore, il manifeste un souci scrupuleux de comprendre le passé, d'échapper aux pièges du langage. Bref, Aristote a ici un sentiment de la perspective historique, qui suppose une connaissance précise de l’histoire constitutionnelle. La méme conclusion ressort de la façon dont il explique l'évolution des régimes. Dans les deux textes, il tient grand compte de l'extension des cités, qui commande les révolutions : ἄλλως τε xal τότε μικρὰς οἰκοῦντας πόλεις dit-il au livre III; puis ἐπεὶ δὲ συνέδαινε γέἔγνεσθχ: πολλοὺς ὁμοίους πρὸς ἀρετήν... et enfin, ἐπεὶ δὲ καὶ μείζους εἶναι auudsGnxe τὰς πόλεις. De méme, au livre IV, αὐξανομένων δὲ τῶν πόλεων. ou

δι’ ὀλιγανθρωπίαν γὰρ οὐκ εἶχον πολὺ τὸ μέσον. Ainsi, dans l’un et l’autre texte il rattache l’évolution historique aux conditions matérielles, — et cela encore lorsqu'il écrit, par exemple.

au livre III: ἐχρηματίζοντο ἀπὸ τῶν κοινῶν. Son histoire repose sur une base concrète. Mais au livre III, les considérations morales tiennent

aussi une place importante : la « vertu » des rois explique la royauté : la politeia est née parce queles hommes vertueux étaient assez nombreux. Les honneurs rendus à la richesse — et non à la vertu — engendrèrent les oligarchies. Enfin, la passion du lucre — δι᾽ αἰσχροκέρδειαν — a finalement favorisé l'installation des démocraties. Voilà qui évoque encore le Platon de la République, ou d'une façon générale toute phr losophie politique moralisante. Mais ce trait disparait complétement du texte du livre IV, où l'évolution politique est mise en parallèle avec l’evolution du système militaire, et où toute l'explication se réduit à de: rapports de force : τὴν γὰρ ἰσχὺν καὶ τὴν ὑπεροχὴν £v τοῖς ἱππεῦσιν 5 πόλεμος εἶχεν... ἐν τοῖς ἱππεῦσιν εἶναι τὴν ἰσχύν... τῶν ἐν τοῖς ὅπλοις ἰσχυσάντων μᾶλλον... ὀλίγοι τε ὄντες τὸ πλῆθος καὶ κατὰ τὴν σύνταξιν μᾶλλον ὑπέμενον τὸ ἄρχεσθαι. Ces constatations contribuent à élargir la distance qui sépare le livre III des livres réalistes, et à confirmer que le livre III pourrait reproduire en partie des idées plus anciennes, qu’Arıstote avait exposées dans le Sur la Royauté 8, Avec le texte du livre IV, l'explication devient beaucoup plus solide, plus nuancée, plus scrupuleuse ; le schéma n'est méme pas complet, comme si Aristote avait compris la difficulté de réduire l'évolution historique à une succession invariable d'étapes. Toutefois, la réduction à l'unité est du moins entreprise. Au dernier chapitre du livre V, enfin, Aristote ne retient méme plus de ses tentatives

précédentes ce qu'elles pouvaient apporter de certain : il se laisse griser par l'éparpillement de l'histoire, heureux de pulvériser ainsi plus complétement la dialectique de Socrate. 68. Supra, p. 158 sq.

L’HISTOIRE

La même façon

DE

LA CITÉ

343

évolution apparaît, comme 1] fallait s’y attendre, dans la

dont Aristote considère, non plus la succession des constitutions,

mais chacune d’entre elles : il les définit avec précision, s’efforce d’en assimiler l'histoire, mais sa tentative aboutit à des résultats si nuancés, que le caractère particulier de chaque constitution en est souvent effacé. Au départ sont les six constitutions traditionnelles du livre III, dont trois sont « justes », ὀρθαί : royauté, aristocratie, politeia, et trois sont

des « déviations », rapex6@oets : tyrannie, oligarchie, démocratie 59 : la royauté est une monarchie dont le chef recherche le bien commun, la tyrannie une monarchie orientée vers l'intérêt du monarque ; l'aristocratie est un régime de minorité où les meilleurs gouvernent,ou qui vise — ce qui revient au même — au bien de l’État, tandis que l’oligarchie est un régime de minorité qui poursuit l’avantage des riches ; la « politeia » est un régime de masse orienté lui aussi vers le bien commun, la démocratie un régime analogue, mais qui tend seulement à assurer le bien des classes déshéritées ”. Telle est la définition classique — καλεῖν 8’ εἰώθαμεν — qu'Aristote pose d'abord, mais dont il ne se contente pas. Car si les pauvres sont en minorité mais détiennent le pouvoir, le régime sera cependant dit « démocratique » ; il méritera au contraire le nom d’« oligarchie » si les riches qui gouvernent forment la majorité ?! : le critère fondamental sera donc social, et non numérique. Cette première rectification des définitions habituelles relève néanmoins de la pure théorie. C’est une hypothèse qu’Aristote ne veut pas laisser de côté : el γὰρ εἶεν ol πλείους ὄντες εὔποροι κύριοι τῆς πόλεως ..., ὁμοίως δὲ πάλιν κἂν εἴ που συμδαίνοι τοὺς ἀπόρους ἐλάττους μὲν εἶναι: τῶν εὐπόρων, κρείττους δ᾽ ὄντας κυρίους εἶναι τῆς πολιτείας ... 73, Le .

philosophe n’a pas d’exemple à citer à l’appui de son hypothèse, qui est une abstraction, indépendante de la réalité pratique : τῷ δὲ περὶ ἑκάστην μέθοδον φιλοσοφοῦντι καὶ μὴ μόνον ἀπούλέποντι πρὸς τὸ πράττειν οἰκεῖόν ἐστι τὸ μὴ παρορᾶν μηδέ τι καταλείπειν 78, La prise en considération de l’histoire constitutionnelle apportera à ce schéma des transformations autrement profondes. Cette histoire entre alors en ligne ?*, compte tenu des variations du langage : selon les époques, selon les tendances politiques aussi, le nom de chaque régime a pu être modifié, lié qu'il est à un jugement porté sur ce régime. Le régime que le philosophe analyse depuis les origines est aussi, 69. Sur cette classification, voir le résumé donné au chapitre I, p. 32 sq. Pour la notion de « déviation », supra, p. 248 sq. 70. Politique, 11I, 7, 1279 a 32 sq. 71. III, 8, cf. IV, 4, 1290 a 30 sq. 72. III, 8, 1279 b 20 sq. 73. 1279 b 12 sq. 74. La perspective historique n'est assurément pas un point de vue qu'AnrsTOTE ignorait auparavant. Mais c'est à partir de la fin du livre III qu'il a recours systématiquement à cette information. Voir à ce sujet Louis BouncrEv, Observation et expérience chez Aristote, Paris, 1955, p. 96 sq.

344

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

comme il fallait s'y attendre, le plus ancien : c'est la royauté, qui avait en outre fait l'objet du Sur la Royauté ?*. Aristote définit soigneusement la royauté des temps héroïques et l'antique aisymnétie. Il recourt méme à un exemple ancien pour mieux expliquer la royauté à la lacédémonienne : le roi lacédémonien n'a pas droit de vie ou de mort, si ce n'est dans des circonstances exceptionnelles : « C'était le cas, dans les temps anciens— ἐπὶ τῶν ἀρχαίων --- pendant les expéditions militaires, en vertu de la loi du plus fort. Homére l'atteste : Agamemnon admettait les critiques dans les assemblées, mais au combat il avait le droit de vie et de mort. 1] dit en tout cas : « Celui que j'apercevrai... à l'écart du combat, celui-là aura peine à trouver le moyen d'échapper aux chiens, aux oiseaux » 75, Plus précis encore est le recours au passé pour reconstituer le régime de l'aisymnétie et celui de la royauté des temps héroïques. Car ce sont des systémes qui n'existent déjà plus au temps d'Aristote. L'aisymnétie, dit-il, est une forme de monarchie, « qui existait chez les anciens Grecs»

— ἐν τοῖς ἀρχαίοις “Ἕλλησιν —, e’est une « tyrannie élective >», — αἱρετὴ τυραννίς —, non héréditaire, conférée à vie ou pour un temps limité ou à une fin précise. Aristote cite l'exemple fameux de Pittacos, et conclut que ce régime était un mélange de tyrannie et de royauté, τυραννικαί, βασιλικαί ?. Quant à la royauté des temps héroïques, αἱ κατὰ τοὺς ἡρωικοὺς χρόνους βασιλεῖαι, elle comportait des pouvoirs militaires et religieux. Elle échoit primitivement au bienfaiteur d’un peuple, au fondateur d’un Etat, à un conquérant : διὰ γὰρ τὸ τοὺς πρώτους γενέσθαι τοῦ πλήθους εὐεργέτας κατὰ τέχνας ἣ πόλεμον, ἢ διὰ τὸ συναγαγεῖν À

. πορίσαι χώραν ... 78, Mais elle a évolué : « Ces rois, dit Aristote, à époque ancienne — ἐπὶ τῶν ἀρχαίων χρόνων — exerçaient une autorité sans faille sur la ville, son territoire, et les affaires extérieures. Puis les rois abandonnérent certaines de ces prérogatives, la masse s'en appropria certaines autres, si bien qu'en général les rois ne gardérent que la direction des sacrifices, et que là où subsistait une royauté digne de ce nom, elle était limitée au commandement des expéditions au delà des frontières » ?9, Enfin, l'évolution générale des royautés est fortement marquée au livre V : la royauté est un régime durable, mais qu'on ne voit plus se créer de nos jours, dit le philosophe : où γίγνονται δ᾽ ἔτι βασιλεῖαι νῦν. Il n'y a plus assez de différences entre un chef et ses subordonnés pour que le pouvoir monarchique ne soit pas discuté. S'il s'établit, c'est par la force, et ce régime monarchique n'est pas royal 9. Ainsi, depuis les origines où la royauté est partout, jusqu'à l'époque 79. Voir supra, p. 33 sq., 158 sq. 76.

lliade,

11, 391 sq. ; Politique, III, 14, 1285 a 9 sq.

77. 1285 a 30 sq. 78. 1285 b 6sq. ; cf. V, 10, 1310 5 31 sq., et 111, 15, 1286 5 10 sq.

79. 111, 14, 1285 5 13 sq. 80. V, 10, 1312 b 38 sq.

L'HISTOIRE contemporaine,

DE

LA

CITÉ

345

où elle se raréfie, Aristote a pris une vue d'ensemble

de ce régime, enrichie de nombreux exemples. Il en est de méme pour

la tyrannie, déviation de la royauté. En effet, le pouvoir des aisymnétes — ce régime que connaissaient « les anciens Grecs » — est déjà une tyrannie — issue il est vrai d'un libre choix, αἱρετὴ τυραννίς. Aristote qui, au livre III, rattache encore l'aasymnétie à la royauté, la range au livre IV parmi les tyrannies : xal τὸ παλαιὸν Ev τοῖς ἀρχαίοις "Ἕλλησιν ἐγίγνοντό τινες μόναρχοι τὸν τρόπον

τοῦτον,

οὖς

ἐκάλουν

αἰσυμνήτας #1. Le livre V complète

cette

notation isolée en distinguant nettement les « anciennes tyrannies » et

l’époque contemporaine : « Dans les temps anciens — ἐπὶ τῶν ἀρχαίων — lorsque le même homme devenait chef du parti populaire et général, une tyrannie s'installait, La grande majorité des anciens tyrans — τῶν ἀρχαίων τυράννων — est formée d'anciens chefs du parti populaire. Si cela se produisait alors et ne se produit plus, c'est que les chefs militaires devenaient alors chefs du peuple, l'art oratoire n'existant pas encore. Avec les progrès de la rhétorique, les bons orateurs se mettent à la téte du peuple, mais leur ignorance de l'art militaire les empéche de conspirer » 82, À cette raison s'en ajoutent deux autres : « Les tyrannies étaient plus nombreuses autrefois que maintenant, pour la raison aussi que certaines personnes détenaient des charges considérables... En outre, les villes n'étaient pas grandes ; le peuple vivait aux champs, absorbé par ses occupations, et ses chefs, s'ils possédaient des capacités militaires, pouvaient viser à la tyrannie. Ils agissaient ainsi lorsqu'ils avaient la confiance du peuple, et cette confiance venait de leur hostilité envers les riches » 88, Ainsi les tyrannies naissent en général de la démagogie, et de ce fait Aristote peut distinguer une époque moderne, défavorable à ce régime, et une époque ancienne où il florissait : « Le peuple supportait les an-

ciennes tyrannies », τὰς ἀρχαίας τυραννίδας ὑπέμενον — parce qu'elles étaient relativement modérées **, Mais il remonte encore plus loin : « Certaines tyrannies se sont établies de cette facon (par la démagogie) alors que les cités avaient déjà pris de l'importance. Mais les tyrannies antérieures étaient celles de rois qui transgressaient leurs pouvoirs héréditaires et recherchaient une autorité plus despotique ; ou bien de citoyens investis de charges souveraines (à époque ancienne — τὸ ἀρχαῖον — les peuples conféraient pour une longue durée les fonctions de « démiurges » et de « théores ») ; ou bien de ces magistrats uniques qu'on désignait dans les oligarchies pour occuper les plus hautes fonctions » $, Telle est, souligne Aristote, la leçon de l'histoire : φανερὸν ἐκ

τῶν ouubebnxötwv. 81. IV, 10, 1295 a 12 sq. 82. V, 5, 1305 a 7 sq. 83. 1305 a 15 sq. 84. VI, 4,131 sb 17 sq. (« A condition qu’on n'empêche pas le peuple de travailler

et qu'on ne le dépouille pas >). 85. V, 10, 1310 b 14 sq.

346

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Enfin, il oppose à la modération qu'il reconnaît, semble-t-il, chez certains tyrans d'autrefois, les excès de tyrans contemporains : « Er ce qui concerne les plaisirs corporels, il faut tenir la conduite opposee à celle que tiennent certains tyrans modernes — τοὐναντίον ποιεῖν 7 νῦν τινες τῶν τυράννων ποιοῦσιν. Non contents de se livrer dés l'aube aux voluptés de la table, pendant des jours, sans interruption, ils veulent qu'on les voie se conduire de cette sorte, afin que leur bonheur et leur félicité provoquent l'admiration » 85, Sur l'aristocratie et la politeia, qui forment avec la royauté les troi: constitutions justes, Áristote est moins explicite, parce que moins bien informé. C'est que l'aristocratie est un régime, dans son essence, théorique ; et la politeia n'est pas répandue. Fondée sur la vertu, l'aristocratie devrait en effet se réduire à un ideal.

C'est le seul régime où l'homme de bien et le bon citoyen coincident complètement, parce que le pouvoir y appartient à ceux dont la vertu 2

une valeur absolue : τὴν ἐκ τῶν ἀρίστων ἁπλῶς κατ᾽ ἀοετὴν πολιτείαν. Cette condition n’est pleinement tution — qui par définition est tote connait des constitutions appelle aristocraties » — et qu'il où le choix des magistratures est

réalisée que dans la meilleure constiextérieure à l'histoire. Toutefois, An:aristocratiques — que parfois « l'on rattache à l'aristocratie. Ce sont celle: fonction, non seulement de la richesse.

mais de la vertu : μὴ μόνον πλουτίνδην, ἀλλ᾽ ἀριστίνδην. Telle est la constitution carthaginoise fondée sur la richesse, la vertu et l'intérét populaire — πλοῦτόν xal ἀρετὴν xal δῆμον ; telle est encore la cons titution lacédémonienne, qui tient compte de ces deux derniers facteurs : telles sont enfin les politeiai à tendance oligarchique. Bref, Aristote donne au nom d'aristocratie un contenu qui certes n'est pas absolument nouveau, puisque le philosophe recourt au langage courant — maïs qui constitue pourtant une innovation par rapport aux définition: théoriques du troisième livre. Là, le mot d'aristocratie semblait unr voqüe. En recherchant des exemples précis, en étudiant l'histoire de: aristocraties, Aristote a dà se résoudre à l'équivoque. Mais cette équivoque lui pése : il juge inutile de retracer et méme d'esquisser l'histoire de l'aristocratie — ce régime qui n'est qu'un nom ®. De la politeia, le philosophe reconnait plus nettement, et méme san: ambages, qu'elle est rare : « Comme elle ne s'instaure pas souvent, elle échappe à ceux qui veulent énumérer les formes constitutionnelles » **. Ce mélange d'oligarchie et de démocratie 9 existait cependant, note-t-il. 86. V, 11, 1314 b 28 sq. 87. IV, 7, 1293 ὃ 3. 88.

IV, 7, et V, 7, où sont étudiées les causes des révolutions dans les aristocraties :

l'équivoque du vocabulaire y éclate ; a l'aristocratie » de Lacédémone y est évidemment une oligarchie. Au début de IV, 8, AnisTOTE note d'autre part que ces aristocraties, comme la politeia, ne sont pas à proprement parler des « déviations », rapexGacetc, mais dévient par rapport à la meilleure constitution. L'embarras de l'expression trahit l'hésitation de la pensée : ARISTOTE n'a pas d'exemples à citer. V. supra, p. 70 54. 89. Politique, IV, 7, 1293 a 40 sq. Cf. 11, 1296 a 22 sq. 90. 8, 1293 b 33 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA

CITÉ

347

à date ancienne, sous le nom de « démocratie » : c'est le régime où les hoplites détiennent le gouvernement 91, Mais les dissensions intérieures des cités n'en favorisent pas l'établissement, et la politique extérieure des grands États lui est généralement hostile 9%, Telle est la brève histoire de la « politeia », dont les cadres ne sont pas élargis quand Aristote analyse les causes des révolutions, au septiéme chapitre du livre V. Du moins la « politeia » occupe-t-elle une place importante dans l'évolution des cités, telle qu'il l'imagine : elle succède à une oligarchie ὃ ou à la royauté % ; dans cette dernière hypothèse, la politeia, fondée sur la vertu, est assurément aristocratique : ἐπεὶ δὲ συνέδαινε ylyveσθαι πολλοὺς ὁμοίους πρὸς ἀρετήν, οὐκέτι ὑπέμενον (scil τὴν" τῶν βασιλέων ἀρχήν), ἀλλ᾽ ἐζήτουν κοινόν τι καὶ πολιτείαν καθίστασαν. Mais jamais le terme précis d’aristocratie ne figure dans ces schémas aristotéliciens de l'évolution des cités : l'information historique, concrète, n'autorisait pas le philosophe à appeler « aristocraties » ces régimes que les historiens modernes, usant d'un langage différent, appellent les aristocraties primitives. L'oligarchie et la démocratie, « déviations » respectives de l'aristocratie et de la politeia, tiennent une place beaucoup plus grande dans la science historique d’Aristote, comme la réalité des faits le commandait ; ces deux constitutions étaient en effet de loin les plus nombreuses : al πλεῖσται πολιτεῖαι al μὲν δημοχρατικαί εἶσιν, al δ᾽ ὀλιγαρχικαὶ …

Μάλιστα

δύο γίνονται πολιτεῖαι,

δῆμος καὶ ὀλιγαρχία 95. Aristote ex-

plique cette prédominance par la faiblesse de la classe moyenne ou bien — ce qui revient au même ® — par la présence dans les États de riches ou de pauvres plus nombreux que les citoyens nobles et vertueux. Des influences extérieures peuvent également jouer *'. Aristote, comme le remarque Newman %, considère que l'oligarchie convenait surtout à l'état ancien des cités : la faiblesse de la classe moyenne, l'importance de la cavalerie favorisaient le gouvernement d'une riche minorité, qui remplaca le pouvoir des rois ou d'une minorité

vertueuse 39. Au contraire, du temps d’Aristote, l'oligarchie est affaiblie par le luxe oü vivent les familles de la classe dirigeante, tandis que les citoyens sans fortune, accoutumés à une existence austére, deviennent à la fois désireux et capables de renverser l'ordre établi 1%, Cet ordre leur est fonciérement hostile, puisque dans certaines oligarchies contemporaines — νῦν μὲν γὰρ ἐν ἐνίαις --- le parti au pouvoir jure de traiter le peuple avec malveillance et aussi mal que possible, commettant ainsi 91. 13, 1297 b 22 sq. 92. 11, 1296 a 22 sq. 93. 13, 1297 b 16 sq. 94. III, 15, 1286 b 11 sq. 95. IV, 11, 1296 a 22 sq. ; V, 1, 1301

8q. ; 4, 1291

5 39 sq. Cf. IV, 1, 1289 a 8 sq. ; 3, 1290 a 13

b 11 sq.

96. Contra, Newman, ad locum. 97. IV, 11, 1296 a 32 sq. ; V, 7, 1307 b 19 sq. Cf. 10, 1312 a 39 sq. 98. Newman, vol. IV, p. xxvii sq.

99. III, 15, 1286 ὃ 11 sq. ; IV, 13, 1297 b 16 sq. Cf. VI, 7, 1321 a 8 sq. 100. V, 9, 1310 a 22 sq.

348

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

la pire maladresse !!, Et partout où le peuple fournit en masse des marins et de l'infanterie légére, l'oligarchie est pratiquement condamnée en cas de lutte civile, car de telles conditions, qui n'existaient pas à date ancienne, conviennent admirablement à une démocratie : νῦν μὲν οὖν,

ὅπου

τοιοῦτον πολὺ

πλῆθος

ἔστιν,

ὅταν διαστῶσι, πολλάκις ἀγωνέ-

ζονται χεῖρον (ol εὔποροι) 12. Enfin, les oligarques contemporains ne savent plus faire les dépenses somptuaires — repas publics, statues, constructions — qui conserveraient au régime l'appui de la foule : ἀλλὰ τοῦτο νῦν ol περὶ τὰς ὀλιγαρχίας où ποιοῦνται, ἀλλὰ τοὐναντίον *

τὰ λήμματα γὰρ ζητοῦσιν οὐχ ἧττον 3) τὴν τιμὴν 193, Du moins dans les anciennes oligarchies, la richesse était-elle objet d'honneur, ἔντιμον ἐποίησαν τὸν πλοῦτον 194, Aussi les oligarchies qui se maintiennent sontelles relativement modérées : τὰς ὀλιγαρχίας ὑπομένουσιν ἐάν τις αὐτοὺς

(scil. τοὺς πολλοὺς)

ἐργάζεσθαι

μὴ κωλύῃ

μηδ᾽ ἀφαιρῆται

μηδέν 5.

Bref, Aristote ne se fie guère, en général, à leur stabilité. Il voit au contraire dans la démocratie un régime qui, au terme lui aussi d’une longue évolution, devrait se généraliser et dans une certaine mesure se consolider 1%, Les premières démocraties, où les hoplites prenaient un pouvoir détenu jusque là par les cavaliers, ne méritent pas leur nom : ce sont des « politeiai » 17, En réalité, la démocratie a succédé,

semble-t-il, à ce régime de la politeia, ou bien à des tyrannies 308, Le plus ancien type de démocratie est aussi le meilleur : c'est celle d'un peuple d'agriculteurs ou de bergers. (Ἔστι δὲ xal ἀρχαιοτάτη πασῶν αὕτη 19). Là, les citoyens préférent leurs occupations quotidiennes aux réunions d'une assemblée, à condition de disposer de droits raisonnables : élection — en

partie

censitaire — des

magistrats,

contrôle

de

leurs

comptes,

pouvoir judiciaire 11%. A l'installation d'un tel régime contribuent des lois qui, « dans l'antiquité », étaient répandues — τῶν παρὰ πολλοῖς κειμένων τὸ ἀρχαῖον --- et qui limitent le droit de vente et d'achat de la terre : « Il était même interdit, à époque ancienne — τό γε ἀρχαῖον — dans de nombreux États, de vendre les lots primitifs » et « à l'heure actuelle », νῦν δέ, une loi comme celle d'Aphytis peut redresser ces situations compromises 111, La démocratie évolue en effet vers des formes de plus en plus radicales.

La démocratie extrême, quatrième ou cinquième forme de ce régime !!?, en est la derniére en date, tout comme la démocratie la plus modérée 101. 102. 103. 104. 105.

1310 a 8 sq. V1,7, 1321 a 13 sq. 1321 a 40 sq. 111, 15, 1286 b 15 sq. VI, 4, 1318 5 18 sq.

106.

Voir Newman,

107.

IV, 13, 1297 b 22 sq.

108.

III, 15, 1286 b 16 sq. ; IV, 13, ibidem. Cf. supra, p. 341.

volume

IV, p. xxxvi sq.

109. VI, 4, 1318 5 7 sq. 110. 1318 b 9 sq. . 111. 1319 a 6 sq. Sur la loi d'Aphytis, qui établit le cens de facon à donner les droits civiques aux pauvres eux-mémes, voir supra, p. 272. 112. Voir supra, p. 38 sq.

L’HISTOIRE

DE

LA CITÉ

349

était la plus ancienne : Aristote tient le plus grand compte de l'évolu-

tion

historique.

Τέταρτον

δὲ

εἶδος

χρόνοις ἐν ταῖς πόλεσι γεγενημένη volonté des masses qui, grâce aux démocraties « modernes » risquent d’engendrer une tyrannie 11, Mais

δημοχρατίας

jj

τελευταία

τοῖς

113. La loi cède ici le pouvoir à la μισθοί, règnent sur l'assemblée. Ces moins que les anciennes démocraties elles sont instables et agitées par la

démagogie 115. Toutefois,

la démocratie,

de l'avis d’Aristote,

est un mal

presque

inévitable. Elle est liée en effet à l'extension des cités : ἐπεὶ δὲ καὶ μείζους

εἶναι

πολιτείαν

συμβέδηκε

ἑτέραν παρὰ

τὰς

πόλεις,

δημοχρατίαν

ἴσως

οὐδὲ

ῥάδιον

ἔτι

115. Cette

fatalité

γίγνεσθαι

historique

a

d’ailleurs son bon côté puisque les grandes villes, où la classe moyenne est nombreuse, sont moins souvent troublées par les révolutions. De ce fait, la démocratie l'emporte sur l’oligarchie par la sécurité et la durée : la classe moyenne s’y trouve en plus grand nombre, elle y jouit de plus grands avantages 117. De plus une oligarchie connaît deux sortes de dissensions : celles qui opposent les oligarques entre eux, et celles qui les opposent tous au peuple. En démocratie, au contraire, les oligarques sont les seuls ennemis ; les troubles entre deux factions du peuple n'existent pratiquement pas !!?, Bref, la démocratie l'emporte, et ce n'est pas vraiment un mal, si l'on sait la diriger comme il convient. Les vœux, d'ailleurs résignés, d'Aristote coincident avec l'évolution historique.

Tel est le panorama historique de la vie constitutionnelle qu'Aristote offre à ses élèves. Ces perspectives déjà vastes peuvent être encore élargies, si l’on considère les textes où le philosophe a résumé, plus généralement, l’évolution des cités, depuis leurs origines en tant que cités. Mais il faut avouer que l’aspect constitutionnel de l’évolution l’a surtout intéressé : c'est ce qu'exigeait l'objet de son étude. Ainsi, il tient grand compte, comme nous l'avons vu, des conditions matérielles de l'existence, mais c'est pour mieux comprendre la formation et la vie des constitutions. Il recourt, comme avant lui Thucydide ou Platon, à l'histoire comparée,

trouvant dans les coutumes

des bar-

bares un reflet de celles des anciens Grecs 119, I] a le sentiment d'une ' époque « contemporaine », distincte des temps anciens ; c'est une époque

de trouble, de faible moralité : ἤδη δὲ καὶ τοῖς ἐν ταῖς πόλεσιν ἔθος καθέστηκε μηδὲ βούλεσθαι τὸ ἴσον, ἀλλ᾽ À ἄρχειν ζητεῖν ἢ κρατουμένους ὑπομένειν 12. Platon dans sa République, Xénophon à la fin des Hellé-

113. IV, 6, 1292 5 41 sq. 114. V, 5, 1305 a 7 sq. Voir supra, p. 345. 115.

Voir par exemple

116.

III, 15, 1286 b 20 sq.

117. IV, 11, 1296 a 118. V, 1, 1302 a 8 119. I, 2, 1252 b 19 Lois, III, 680 b. 120. IV, 11, 1296 a

V, 5 ; V, 9, 1310 a 2 sq., etc.

.

7 sq. ; V, 1, 1302 a 13 sq. sq. sq. ; II, 8, 1268 5 39 sq. Cf. Tuucvbipr, 40 sq.

I, 5 sq. ; Praron,

350

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

niques, Demosthene dans ses Harangues partagent ce pessimisme. Mais alors que le philosophe, l'historien et l'orateur croient ou feignent de croire que l'áge d'or est derriére eux, Aristote ne sacrifie pas à ce culte du passé et des grands ancétres : il remarque que les anciens Grecs étaient des primitifs !?!, et s’il juge Solon, Clisthéne ou Lycurgue avec faveur ou du moins avec scrupule, il ne va pas jusqu'à mettre leurs lois audessus de tout et à les citer en modéle, comme l'avaient fait par exemple Isocrate ou Xénophon 122, La distinction entre le « passé » et le « présent » est donc chez lui assez subjective, et variable. L'époque « moderne » est celle des grandes cités, d’une civilisation plus raflinée, où la rhétorique s'est développée 1325, où les activités intellectuelles fleurissent. Dans cette évolution, les guerres Médiques marquent un repère, mais qui n’est même pas net : « Nos ancétres, à qui la richesse donnait du loisir et plus de goût pour l'épanouissement

de leurs capacités, s'intéressaient à tous les savoirs, dés avant

les guerres Médiques, et après elles, enorgueillis de leurs exploits » : ἔτι τε πρότερον καὶ μετὰ τὰ Μηδικὰ φρονηματισθέντες ἐκ τῶν ἔργων !**. De même, le contenu du mot ἀρχαῖος est souvent vague. Il désigne au livre III les temps héroïques et ceux qui ont suivi 128 ; au livre V, sans doute l'aristocratie des Gamores 1%, et les « anciennes » tyrannies!?, Comme le remarque Newman, la Constitution d'Athénes distingue, des ἀρχαῖοι,

Nicias,

Thucydide

fils

de

Mélésias

et Théraméne

:

ceux-là

sans doute sont des « modernes » 1% — comme paraît l'étre aussi dans la Politique Denys, que nous appelons l'Ancien !?*, Mais Denys le Jeune, nous l'avons vu, est simplement situé par un νῦν 1%. Bref, Aristote, qui attache en principe la plus grosse importance à la chronologie 151, ne s'est pas soucié de marquer avec précision les grandes étapes de l'histoire grecque. Peut-étre lui était-il impossible de parvenir à une exactitude suffisante. Mais qu'il ne l'ait pas méme tenté est symptomatique : il s'intéressait beaucoup plus à la façon dont évoluaient les constitutions, qu'au mouvement général de l'histoire grecque. C'est Dicéarque qui 121. Voir surtout 1I, 8, 1268 b 39 sq. : ἁπλοῦς, ... εὐήθη πάμπαν, ... τοὺς τυχόντα, καὶ τοὺς ἀνοήτους. Sur le refus du « romantisme » par ARISTOTE, cf. W. Die Staatslehre des Aristoteles..., Leipzig, 1870-1875.

ONckENG

122. Voir par exemple Politique, Il, 9 et 12, à côté de l'Aréopagitique d'IsocRATE et de la République des Lacédémoniens de X £NoPuon. 123. 124.

V, 5, 1305 a 10 sq. VIII, 6, 1341 a 29 sq. Cf. cependant

V, 3, 1303 a 5, et 4, 1303

b 33,

plus

précis ; mais il s'agit d'événements de portée réduite. 125.

1286

III, 14, 1285

b 4 sq., et 13 sq. ; voir NEWMAN,

ad locum. ; cl. 1285

a 30,

b 37 sq.

126.

V, 4,1303

5 20. Voir supra, p. 300.

128.

Newman,

ad 1305 a 7 ; Const.

427. V, 5,1305 a 7 sq. ; 12, 1316 a 36.

d' Ath., 28, 5.

129. Pol., IL, 15, 1286 ὁ 37 sq. : καθάπερ ol re ἀρχαῖοι τὰς φυλαχὰς ἐδίδοσαν ... καὶ Διονυσίῳ τις κτλ. . 130. V, 10, 1312 b 10 sq. Voir supra, p. 201 sq. 131. II, 12, 1274 a 30 sq. Il a donné dans la Physique une définition précise de divers adverbes de temps (νῦν, ποτέ, ἤδη, πάλαι, etc. Physique, IV, 13. CI.

IV, 11).

L'HISTOIRE

écrira

DE

LA CITÉ

351

une Histoire de la Civilisation grecque, Bloc “Ἑλλάδος 133, Le

dessein de son maítre est plus limité : reconnaitre les constitutions, les étudier, les définir, les classer, pour tirer de là des conclusions utiles à l'homme d'État. Or à mesure que sa tâche progresse, Aristote est obligé de modifier des résultats qu'il croyait acquis. Son classement des constitutions est en perpétuelle évolution. Et à force de les distinguer, il finit paradoxalement par montrer qu'elles se confondent. C. L'uniTÉ

DES

CONSTITUTIONS.

L'information historique modifie en effet peu à peu la classification des constitutions. L'analyse de la royauté en fournit le premier exemple. Aux quatre types qu'Aristote distingue d'abord au livre III — stratégie à vie à la lacédémonienne, royauté barbare, aisymnétie, royauté des temps hérolques — s'ajoute, comme nous l'avons vu, de façon brusque, un cinquième type, la monarchie absolue, παμθασιλεία, dont la définition n'est pas immédiatement nette, cependant que la nature de la stratégie à vie suscite quelques hésitations chez le philosophe 133. Même si l'on admet que les incertitudes et les précisions tardives tiennent au caractére didactique du texte, il n'empêche que le classement des royautés se trouve, en cours d'exposé, profondément modifié. Rien ne faisait d'abord prévoir l'apparition d'un cinquième type. Après avoir analysé les quatre premières formes, Aristote avait conclu : «Ce sont là les types de royauté», βασιλείας μὲν οὖν εἴδη ταῦτα ; 1] avait résumé son analyse, d’une façon qui n'était pas du reste absolument rigoureuse 1% ; il avait souligné encore plus fortement sa conclusion : « Les types de royauté se distinguent donc comme je viens de le dire », αὖται μὲν οὖν τοῦτον τὸν τρόπον διαφέρουσιν ἀλλήλων. Et voici qu'intervient le cinquième type, πέμπτον

8' el8oc βασιλείας. Il n'entre pas däns le cadre construit au préalable, car il se rattache plus à l'économique qu'à la donne à un seul homme le pouvoir absolu facon d'un peuple ou d'une cité réglant ses rattache à l'économique, τεταγμένη κατὰ l'économique est une sorte de royauté sur la

politique : « Cette royauté — πάντων κύριος —, à la affaires communes ; elle se τὴν olxovouxnv. Comme famille, la royauté absolue

— ἡ παμδασιλεία — est l'« économie » — οἰκονομία — d'une cité, d'un peuple, ou de plusieurs » 135, Le cas n'avait pas été prévu. Aristote avait certes envisagé l'hypothése d'un roi qui n'aurait pas à se conformer à la loi, car à lui seul il serait

la loi: αὐτοὶ γάρ εἰσι νόμος. 155, Mais ce roi-là différerait énormément 132. F. WzrnnLi, Die Schule des Ar., I: Dikaiarchos, Bâle, 1944, fragments 47:66 66 , avec le commentaire.

133. 134. 135. 136.

Supra, Supra, III, 14, III, 13,

p. 33 sq. ibid. 1285 b 28 sq. 1284 a 12 sq.

352

de

ARISTOTE

ses sujets

par

la vertu,

ET

L'HISTOIRE

il serait

comme

un

dieu

au

milieu des

hommes 1% : c'est un monarque de rêve. Il existait en revanche au moins un autre monarque, qui n'appartenait pas au monde de la fiction, et qui agissait toujours — en principe du moins — à son gré ; c'est le Grand Roi, type méme du monarque κατὰ τὴν αὑτοῦ βούλησιν πάντα πράτzovrog ; de ce passage d’Aristote, Newman a judicieusement rapproché

une indication d’Herodote : τῷ

βασιλεύοντι Πεῤσέων

ἐξεῖναι ποιέειν

τὸ ἂν βούληται 1.383. Or dans les définitions qui précédent, Aristote avait purement et simplement passé sous silence la monarchie perse, dont il a seulement mentionné la politique extérieure, dans un passage d'objet different 159, C'est qu'il était en droit d'hésiter: n'a-t-il pas d'autre part, au livre VII, placé sur le méme plan Scythes, Perses, Thraces et Celtes, rapprochés dans le méme passage des Macédoniens et des Ibéres 148, La plupart de ces peuples sont soumis à une royauté du type qu’Aristote appelle barbare, c'est-à-dire voisine de la tyrannie, mais légitime et héréditaire 1*1, Entre un régime où la loi autorise le despotisme et un autre où le despotisme naît de ce que la volonté du maître fait la loi, la différence est mince, la confusion possible. Qui plus est, Aristote n'a pas toujours considéré que le système perse füt une vraie royauté ; c'est une tyrannie, au contraire, à en croire le livre V : là, le pouvoir du Grand Roi est mis sur le méme plan que celui de Périandre de Corinthe ; ses méthodes hypocrites ou brutales sont présentées comme un moyen de «sauver les tyrannies » ; Aristote affirme méme catégoriquement que « tous les procédés analogues, perses et barbares, favorisent la tyrannie » — ὅσα τοιαῦτα Περσικὰ καὶ βάρθαρα rupavuxé ἐστιν 142. Dans l’Éthique de Nicomaque, rapprochant la royauté — βασιλεία — de l'autorité paternelle, il montre aussi que cette autorité est, chez les Perses, faussée, ἡμαρτημένη, parce qu'elle est tyrannique, τυραννική : « Les pères y traitent leurs fils en esclaves » M3, C'est aussi que les peuples d'Asie sont naturellement aptes à l'esclavage 1. On voit alors ce qu'est la παμβδασιλεία du livre III : und contrepartie vertueuse et théorique de la tyrannie 15. En l'étudiant, Aristote songe évidemment à la monarchie perse, comme l'a noté Newman. Mais il ne cite jamais cet exemple, qui serait impropre, ou pour mieux dire, im137. 1284 a 3 sq. ; cf. 17, 1288 a 1 sq., 24 sq. Supra, p. 184 sq. 138.

Pol., III, 16, 1287 a 1 ; H£ropore,

Ill, 31 (c'est la loi fondamentale

qu'al-

léguent les juges royaux pour autoriser Cambyse à épouser sa sœur). 139.

111, 13, 1284

b 1 sq. : les rois de Perse maintiennent dans une stricte obéis-

sance Mèdes, Babyloniens et en général tous les peuples qui pourraient s'enorgueillir d'avoir autrefois exercé l'empire. 140. VII, 2, 1324 b 9 sq. 141. III, 14, 1285 a 16 sq. 142. V, 11, 1313 a 34 sq. ; 1313 5 9 sq. 143. Eth. Nic., VIII, 12, 1160 b 27 sq. 144. Pol., Ill, 14, 1285 a 19 sq. ; VII, 7, 1327 b 23 sq. ; cf. I, 2, 1252 ὁ 5 8q., etc. 145. IV, 10, 1295 a 17 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA CITÉ

353

pur. Il procède par abstraction, à partir d'un exemple historique capital, qu'il ne sait dans quelle catégorie classer. Aussi sa classification, artificielle, céde-t-elle sous la pression de la

réalité.

La

παμδασιλεία,

d'abord, conquiert la fin du livre III, au

détriment des autres formes de royauté. Il suffit d'examiner, affirme Aristote, la « stratégie perpétuelle » à la lacédémonienne et la royauté absolue : ce sont deux formes extrémes ; les autres n'en sont que des variétés intermédiaires, τῶν ἄλλων αἱ πολλαὶ μεταξὺ τούτων M5. Puis la « stratégie perpétuelle » est elle aussi éliminée : « Car une telle institution peut exister dans tous les régimes » 1 ; ce n’est donc pas une forme constitutionnelle. Reste la παμθασιλεία, examinée dans l'abstrait, sans un exemple, aux chapitres 16 et 17 : on la conférera, dit finalement Aristote, à un individu ou à une famille de vertu suréminente ; c'est retrouver sous une autre forme le θεὸς ἐν ἀνθρώποις. Puis ce retour en arriére, qu'imposaient peut-étre et la nécessité de réfuter des théories comme celles du Politique de Platon et le souci de répondre aux aspirations d'un Alexandre, est complètement oublié. Le livre IV, sanstransition, tire vers la tyrannie les monarchies barbares et l'aisymnétie 1€. I] définit surtout la troisième et principale forme de tyrannie — ἥπερ μάλιστ᾽ εἶναι δοκεῖ τυραννίς --- symétrique en quelque sorte de la royauté absolue — ἀντίστροφος οὖσατῇ παμθασιλείᾳ: « Une monarchie qui gouverne, sans rendre de comptes, des sujets égaux ou supérieurs au tyran, en vue de l'intérêt du pouvoir, non de l'intérêt des sujets. Aussi est-ce un pouvoir imposé » 19, Finalement, le livre V ne tient plus aucun compte des distinctions que le livre III avait laborieusement marquées. La βασιλεία, en bloc, y est rapprochée de l’aristocratie, et la τυραννίς de l’oligarchie et de la democratie 19, Les rois des temps héroiques — avec Codros — y sont mélés aux rois des Perses, de Macédoine, de Lacédémone et des Molosses !5! :

tous fournissent également des exemples d'installation au pouvoir. Dans les exemples de conspiration, les Pisistratides et Périandre d'Ambracie cótoient Philippe II de Macédoine, Amyntas le Petit, Évagoras de Chypre, Archélaos 15? : royautés et tyrannies se rejoignent. On pourrait multiplier ces exemples, car l'information d'Aristote est ici trés riche. Mais jamais on ne rencontrera un cas de παμδασιλεία. Qui plus est, Aristote semble renoncer à la division dichotomique royauté /tyrannie : une

catégorie

intermédiaire,

mal

définie,

les « monarchies », apparait

soudain 153, La classification est en constante évolution.

De la méme facon, l'observation des faits balaie à partir du livre IV 146. 147. 148. 149. 150. 151. 152. 153.

ILI, 15, 1286 a IV, 10, 1295 a V, 10, 1310 b 1311 a 1313 a

1285 5 35. 4 ; cf. 16, 1287 a 3 sq. 1295 a 7 sq. 17 sq. 1310 b 2 sq., 31 sq. 36 sq. 36 sq. 3 sq. Supra, p. 43.

Aristote et L'histoire

23

354

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

le schéma des constitutions posé au livre III 15% ; ni l'aristocratie ni la royauté ne sont plus des types idéaux. La déviation ne se conçoit plus que par rapport à « un ou deux régimes bien organisés » : Aristote n'est méme plus sûr de leur nombre : δυοῖν ἢ μιᾶς οὔσης τῆς καλῶς συνεστης κυίας. Et l'on comprend son hésitation, quand il précise quels sont ces régimes : « une harmonie bien équilibrée » et «la meilleure constitution » !55, Celle-ci étant théorique, reste le type de « l'harmonie bien équilibrée », τῆς εὖ xexpauévnc ἁρμονίας, beaucoup plus proche de la réalité. Il y a plus : tout en refusant de grouper les constitutions par rapport aux régimes prédominants que sont l'oligarchie et la démocratie, Aristote se laisse influencer par la vigueur de ces constitutions, et range les constitutions déviées en oligarchiques et en démocratiques : ἀληθέστερον δὲ καὶ βέλτιον ὡς ἡμεῖς διείλομεν,

συνεστηκυίας,

δυοῖν À μιᾶς οὔσης τῆς καλῶς

τὰς ἄλλας εἶναι παρεχδάσεις,

τὰς μὲν τῆς εὖ χεκραμένης

ἁρμονίας, τὰς δὲ τῆς ἀρίστης πολιτείας, ὀλιγαρχικὰς μὲν τὰς συντονωτέρας καὶ

δεσποτικωτέρας,

τὰς

δ᾽ ἀνειμένας καὶ μαλακὰς δημοτικάς ᾿58,

Ces notions mêmes de démocratie et d’oligarchie sont creusées davantage par le philosophe. Il doit distinguer, pour rendre compte des faits, quatre ou cinq formes d’oligarchie et de démocratie : cinq democraties en IV, 4, mais quatre types seulement en IV, 6. Comme

nous

l'avons noté dès la première lecture !?, c'est une démocratie toute théorique qui disparaît, celle où régnerait une égalité politique absolue : là, les pauvres ne l’emportent pas sur les riches, aucune des deux classes n’est souverains ; elles sont à égalité. Mais Aristote ne reconnaît là

qu'une forme abstraite, ἣ λεγομένη μάλιστα κατὰ τὸ ἴσον. Aussi l'élimine-t-il au chapitre 6, où l'effort de l'historien se marque encore par cette indication, que la quatrième et dernière forme de démocratie est aussi la plus récente 158. Le livre VI exprime la même attitude : quatre types de démocratie, dont la première est elle aussi la plus ancienne 1?. Comme pour les royautés, Aristote s'intéresse essentiellement aux deux types extrêmes : ce qui concerne les intermédiaires lui paraît aller de soi 190, La classification des oligarchies est plus stable: quatre types au livre VI (6-7) comme à deux reprises au livre IV (5 et 6). Cette division, cette fois, ne respecte pas un ordre historique, mais logique. Elle va de l'oligarchie la plus modérée à la forme la plus extréme. C'est sans doute, comme l'a supposé G. Glotz, parce qu’Aristote a d'abord examiné le cas des démocraties, et prend pour point de départ l'oligarchie qui en est la 154. H.

von

AnxiM,

Zur

Entstehungsgeschichte

der

aristotelischen

Politik,

S. A. W. W., 200, 1 (1924), p. 20. Voir notre résumé, p. 38 sq., et le schéma très clair de M. Preror, Politique d’Arısrote, Paris, 1950, p. 129, note 1.

155.

IV, 3, 1290 a 24 sq.

156.

Ibidem, cf. 4,1291

b 11 sq. ; 11, 1296 a 22 sq. ; V, 1, 1301

5 38 sq. L'expres-

sion ὡς ἡμεῖς διείλομεν renvoie peut-être à IV, 2, 1289 a 38 sq. (Newman). 157. Supra, p. 38 aq. 158. IV, 6, 1292 b 41 sq. 159. VI, 4, 1318 b 6 sq. 160. VI, 4, 1919 a 38 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA

CITÉ

355

plus proche 141, Aussi la classification des oligarchies est-elle comme la contrepartie de celle des démocraties, ce qu'Aristote souligne à plusieurs reprises, l’oligarchie extrême — ou « dynastie » — correspondant — ἀντίστροφος --- à la démocratie extrême, et aussi à la tyrannie 192 ; le rapport entre démocratie et oligarchie est tel, qu'une fois connus les moyens d'établir la première, la façon d'instaurer la seconde sera naturellement claire : xal πρῶτον περὶ δημοκρατίας εἴπωμεν᾽ ἅμα γὰρ καὶ περὶ τῆς ἀντικειμένης πολιτείας φανερόν “ αὕτη δ᾽ ἐστὶν ἣν καλοῦσί τινες ὀλιγαρχίαν 163, Aussi l'analyse des oligarchies au livre VI suit-elle de trés prés celle des démocraties : il suffit de recourir à des principes opposés, et à chaque démocratie répondra une oligarchie. Aristote définit surtout les deux types extrémes : d'abord l'oligarchie modérée, sœur de la démocratie également modérée et de la « politeia », avec des cens variables et habilement réglés, qui se maintiendra assez facilement ; inversement, l’oligarchie la plus étroite, sœur de la démocratie la plus avancée, est aussi la plus difficile à conserver !#, Restent l'aristocratie et la politeia. L'aristocratie porte un nom ambigu, puisqu'il désigne d'abord la meilleure constitution, dont Aristote

a traité avant

le livre

IV : Περὶ

μὲν

ἀριστοκρατίας

καὶ

βασιλείας

εἴρηται. Τὸ γὰρ περὶ τῆς ἀρίστης πολιτείας θεωρῆσαι ταὐτὸ καὶ περὶ τούτων ἐστὶν εἰπεῖν τῶν ὀνομάτων 155. Mais le philosophe paraît s'aviser soudain que d’autres constitutions, où ne règne cependant pas l’absolue vertu, portent ce nom sans le mériter pleinement : « On les appellé

aristocraties », καλοῦνται ἀριστοχρατίαι 156. Il lui faut donc en distin: guer de trois sortes — à la carthaginoise, fondées sur la richesse, la vertu et l'intérét du peuple — à la lacédémonienne, fondées sur la vertu et l'intérét du peuple, mélange de démocratie et de vertu — et enfin les politeiai à tendance oligarchique #7, Le nom d'aristocratie prend ainsi une extension plus grande ; il ne correspond plus seulement à une constitution idéale ; l'information d'Aristote a imposé cet élargissement. La « politeia » connait le méme sort. Constitution typique et idéale au livre III, elle est en effet présentée d'abord au livre IV comme une organisation rare, et presque théorique !9, Mais elle est trés voisine de l'aristocratie réelle 1, et d'autre part elle penche vers la démocratie, selon le langage courant 170, C'est en réalité une démocratie de type ancien ??!, un mélange de démocratie et d’oligarchie 172 que l'on peut 161. G. Grorz, La cité grecque, p. 80. 162.

IV, 5, 1292

5 7 sq. ; 6, 1293 a 32 sq. ; VI, 6, 1320 b 29 sq.

163. VI, 1, 1317 a 16 sq. Cf. 6, 1320 b 18 sq. 164. VI, 6. 165. 1V, 2,1289 a 30 sq. Sur l'interprétation de ce passage, voir supra, chapitre II, notamment p. 63, 70 sq. Cf. IV, 7, 1293 b 1 sq. 166. 1293 b 9 ; cf. 8, 1293 b 34 sq. ; 9, 1294 b 41. 167. 7, 1293 b 14 sq. 168. 1293 a 40 sq. ; cf. supra, p. 346 sq. 169. 8, 1294 a 25 sq. 170. 1293 b 34 sq. 171. 13, 1297 b 24 sq. 172. 8, 1293 5 33 sq.

356

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

réaliser de trois façons : en unissant les principes opposés de l'oligarchie et de la démocratie, ou bien en établissant une moyenne entre eux, ou encore en appliquant une partie seulement de ces principes 178, Le procédé est assurément fort abstrait, mais il résume un nombre considérable

de cas possibles. L'exemple que donne immédiatement Aristote est significatif : c'est celui de la constitution de Lacédémone, dont on ne sait si elle est démocratie ou oligarchie. C'est donc qu'elle réalise heureusement le mélange nécessaire : « Le critére d'un bon mélange entre démocratie et oligarchie, cest de pouvoir appeler démocratie et oligarchie la méme consti-

tution » 174, Cependant,

au livre V, Lacédémone

fournit des exemples

de cons-

titution aristocratique, et non de politeia, — tout comme au livre IV déjà elle était rangée parmi les aristocraties de fait !5, — C'est bien à une aristocratie qu’Aristote rapporte l'affaire des Parthéniai, les manœuvres de Pausanias l’Ancien et de Lysandre, la conspiration de Cinadon !”®, Et s’il rapproche ensuite, comme il est naturel, politeia et aristocratie, c'est sans emprunter à Lacédémone aucune référence de politeia !7, Tous ces faits indiquent que la classification du livre IV n'était pas définitive. Plus généralement encore, les subdivisions des aristocraties, des politeiai, des démocraties et des oligarchies, telles qu'elles sont délimitées aux livres IV et VI, ne jouent pas au livre V un rôle plus important que les subdivisions des monarchies. Aristote n'oublie certes pas qu'une politeia, par exemple, ou une aristocratie, peut pencher vers la démocratie ou l'oligarchie : c'est ce qui s'est produit à Thourioi ou à Locres Épizéphyrienne 178, Mais ces distinctions ne forment pas l'ossature de son exposé ; elles n'apparaissent qu'occasionnellement. Une fois de plus, l'information déborde des cadres où le philosophe a voulu la faire entrer. Mais il ne cherche nullement à les imposer, et, devant ces nécessités nouvelles, adopte un ordre nouveau. Comme le naturaliste qui définit et classe les animaux, il avait voulu définir et ranger tous les types de constitutions, en réduisant chacun à son principe essentiel. Il a marqué lui-méme avec force cette analogie entre le travail du naturaliste et celui du philosophe politique : «Si nous voulions classer les espéces animales, nous définirions d'abord les organes indispensables à tout animal ; par exemple, certains organes sensoriels, ceux qui procurent et reçoivent la nourriture — comme la bouche et le ventre —, puis les organes de locomotion de chaque espéce. Cela une fois déterminé exactement, il faut tenir compte des différences dans ces organes — par exemple, la diversité des espéces de bouche, 173. 174. 175. 176. 177. 178.

9, 1294 a 35 sq. 1294 b 14 sq. Voir supra. V, 7, 1306 b 22 sq. (ἐν δὲ ταῖς ἀριστοχρατίαις ...). 1307 a 5 sq. 1307 a 20 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA

CITÉ

357

de ventre, d'organes sensoriels, et aussi d'organes de locomotion. nombre

des combinaisons

Du

entre ces formes différentes, résultera néces-

sairement une pluralité des espèces animales. Car il est impossible qu’un méme animal ait différents types de bouche, ni non plus d'oreilles. De sorte qu’une fois les variétés déterminées, tous leurs assemblages possibles feront des espèces animales, et il y a juste autant d'espèces animales que de combinaisons des organes essentiels. Il en est de même pour les constitutions en question. Car les États ne comprennent pas une seule partie, mais plusieurs » 179. C'est pourquoi il a distingué de nombreux types de constitutions, et particuliérement des variétés de démocratie et d'oligarchie !9, Mais, comme un naturaliste que de nouvelles observations contraindraient sans cesse à réviser sa doctrine, le philosophe s'est heurté à des faits qui l’embarrassaient : entre tyrannie et royauté, aristocratie et politeia, démocratie et politeia, par exemple, des recoupements et des chevauchements se produisaient ; nous avons vu l'exemple des aisymnétes osciller entre la tyrannie et la royauté, celui de Lacédémone entre l'aristocratie et la politeia. Car Lacédémone était le type méme de la constitution difficile à classer 181, Il n'est pas étonnant dans ces conditions que Carthage passe tantót pour une aristocratie, tantôt pour une démocratie 13, La volonté de distinguer aboutit donc, par l'évolution du Jugement, au résultat contraire de celui qu'Aristote recherchait : la classification devient confuse. La méthode du naturaliste se trouve en échec lorsqu'elle doit s'appliquer au monde politique, parce que l'évolution de ce nouvel objet est plus subtile encore que celle du monde animal. Aristote veut suivre d'aussi prés que possible les transformations des constitutions qui, souligne-t-il, se produisent souvent peu à peu 18. Il lui faut à cette fin distinguer les moindres détails. Bref, pour rendre compte du réel — de l'historique —, il subdivise à l'infini. Et de ces subdivisions nait pourtant une impression d'unité : ses constitutions se ressemblent. Cela est vrai en fait pour les constitutions modérées ; Aristote souhaite que cela devienne également vrai pour les constitutions extrêmes. C'est que le naturaliste se double ici d'un moraliste politique. Si le naturaliste divise, le moraliste recherche l'unité : il veut que les constitutions soient aussi stables que possible, qu'une constitution aussi bonne que possible régne sur le plus grand nombre de cités qu'il est possible. Il se pose, pour reprendre les termes d'Aristote lui-même, le probléme de la χοινοτάτη πολιτεία, et celui — qui en est voisin — de l'équilibre de toutes les constitutions. Or rien n'est plus éloigné de la classification d'histoire naturelle. D'une 179.

façon

1V, 4, 1290

un peu extérieure, d'abord, les cadres de l'exposé arisb 25 sq. Voir Newman,

ad loc., et L. Bourcey,

Observation et

expérience chez Aristote, Paris, 1955, p. 97 sq. 180. 181. 182. 183.

IV, 1, 1289 a 7 sq. ; II, 6, 1265 ὁ 33 sq. IV, 7, 1293 b 14 sq. V,3,1303 a 20 sq. ;

2, 1289 ; IV, 9, ; V, 12, 6, 1306

ὁ 13 sq. ; 4, 1291 ὁ 15 sq. ; etc. 1294 b 19 sq. 1316 b 5 sq. Voir supra, p. 253. b 13 sq. ; 7, 1307 a 40 sq. ; 8, 1307 ὁ 30 sq. ; etc.

358

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

totélicien favorisent cette impression qu'il existe une unité des constitutions envisagées. Si la classification est subtile et complexe, elle est aussi variable, tandis que des éléments communs,

inversement,

se re-

trouvent dans les différentes analyses du livre V ; des causes identiques de révolutions agissent sous tous les régimes, et avant tout une certaine conception de l'égalité : « Ceux qui bénéficient d'une égalité partielle croient étre absolument égaux ; ceux qui jouissent d'une inégalité partielle prétendent à une inégalité totale » 184, C'est pourquoi, comme le remarque immédiatement Aristote, la démocratie et l'oligarchie prévalent : les particularités qu'elles exigent sont les plus répandues. Donc, partant d'un principe d'ordre général, Áristote peut retrouver ce fait que deux types de constitutions seulement sont les plus courants, et poser ainsi une premiére unification. Il peut ensuite, dans trois chapitres de généralités (2-4) montrer quels sont, dans toutes les révolutions, les motifs psychologiques, les buts poursuivis, les occasions. Les éléments que dégage son analyse reparaissent souvent dans les chapitres suivants, qui étudient les révolutions selon les constitutions : κέρδος, τιμή, ὕθδρις, φόδος, dnrepoyh, καταφρόνησις, etc. Comme les « remèdes » aux révolutions consisteront en général (chapitres 8 sq.) à éviter ces causes de troubles 185, l'unité extérieure de l'exposé s'en trouve encore renforcée, et de ce fait tous les régimes présentent des analogies. Car les mémes causes produisent les mémes effets 185, Mais cela est superficiel. Il est plus significatif de constater quelles hésitations suscitent certaines catégories qu'a distinguées Aristote, et oü l'on serait fort en peine de ranger avec certitude telle ou telle constitution pourtant bien connue. W. Oncken avait déjà noté que la démocratie où l'emporte la classe moyenne, dont Aristote se fait l'apologiste,

ressemble fort à une oligarchie. Comme l'a dit aprés lui G. Glotz, « l'oligarchie mitigée confine à la démocratie mitigée, et il est impossible de dire avec précision où finit l'une et où commence l'autre » #7, Ne ressemblent-elles pas également à la politeia, avec leur simplicité primitive, leur cens variable, leur équilibre 18 ? Et les bons agriculteurs ou les bons pasteurs de la meilleure démocratie, ne pratiquent-ils pas une vertu digne de l'aristocratie — ou en tout cas, comme le dit lui-méme Aristote, une indifférence politique qui évoque l'oligarchie ou la tyrannie archaïque 189 ? Les anciens Grecs, dit Aristote, donnaient le nom de 184. V, 1, 1301 b 37 sq. 185. V, 8, 1307 b 27 sq. : « Il est évident que si nous connaissons les causes qui provoquent la ruine des constitutions, nous connaissons aussi celles qui en assurent e salut ; les causes contraires créent des effets contraires, et la ruine et le salut sont des contraires, »

9. 80. Météorologiques, IV, 6,383 a 7 sq. ; cf.383 δ16;7, 384 δ8 ; Pol., V, 8, 1307 ὁ sq., etc. 187. W. Oncken, Die Staatslehre des Aristoteles, II, p. 234 sq. ; G. Grorz, La cité grecque, p. 91. 88. Cf. VI, 6, 1320 b 22 : αὔτη δ᾽ ἐστὶν à σύνεγγυς τῇ καλουμένῃ πολιτείᾳ.

189. VI, 4, 1318

5 17 sq.

k

Tren

serm

i

L’HISTOIRE

DE

LA CITÉ

359

démocratie à ce qui est politeia 19 : nous serions souvent tentés, nous aussi,

d'appeler indifféremment

politeia, ou oligarchie, ou démocratie,

voire aristocratie, ce qu' Aristote décore d'un nom précis. Ainsi, le livre VI enseigne que le troisième type d'oligarchie — celle qui précède l'oligarchie extrême — convient à un pays où les hoplites constituent une classe importante : « Car le service d'hoplites convient plutót aux riches qu'aux pauvres » 191, Mais cette oligarchie d'hoplites diffère-t-elle beaucoup d'une politeia, caractérisée précisément par le pouvoir des soldats ou des anciens soldats 192 ? Devant des cas de ce genre !9?, on comprend bien les scrupules et les discussions de ceux qui cherchaient à définir, par exemple, la constitution spartiate. Áristote avait ses critères ; mais ils ne s'imposent pas toujours. Il les jugeait luiméme insuffisants, lorsqu'il remarquait que le nom d'une constitution ne correspond pas toujours à son contenu réel : « Il ne faut pas oublier que souvent une constitution qui légalement n'est pas démocratique, fonctionne démocratiquement sous l'effet des coutumes et du genre de vie ; et inversement, de la méme facon, il y a des États où la consti-

tution tend légalement vers la démocratie, mais fonctionne plutót en oligarchie sous l'empire du genre de vie et des coutumes. Cela se produit surtout aprés les révolutions. Le changement n'est pas instantané. Les vainqueurs se contentent d'abord d'avantages limités sur le parti adverse,

et les lois antérieures

subsistent,

tandis

que les

révolutionnaires détiennent le pouvoir » !94, Dans ces conditions, l'emploi d'un vocabulaire aussi précis que possible produit également un effet paradoxal. Autour de l'aristocratie naît une équivoque dont H. von Arnım a montré toute la complexité !95, Des mots techniques qualifient les divers régimes et en marquent la nuance avec une subtilité qui embarrasse plus souvent qu'elle n'éclaire. Une constitution « aristocratique », « oligarchique », « démocratique », n'est pas forcément une aristocratie ni une oligarchie ni une démocratie 1%. Une aristocratie peut être oligarchique, et démocratique une politeia 1%, L'aristocratie se réduit méme à une sorte d’oligarchie 1%, L'oligarchie elle-même peut être plus ou moins « politique », c'est-à-dire proche de la politeia 1% ; et la démocratie également confine parfois à la politeia 20, Sans doute Aristote décrit-il aussi des constitutions qui s'opposent diamétralement : la démocratie extrême, l'oligarchie la plus étroite, la 190. IV, 13, 1297 b 24 sq. 191. VI, 7, 1321 a 12 sq. 192. IV, 13, 1297 b 12 sq. 193.

Cf. encore

IV, 11, 1295

a 33 sq., etc.

194. IV, 5, 1292 ὃ 11 sq. 195. Supra, p. 67 sq. 196. Comme elles le sont apparemment en III, 17, 1288 a 21 sq. 197. VI, 1, 1317 a 2 sq. ; cf. V, 7, 1307 a 15 sq. 198.

V, 7,1306 b 24 sq. ; cf. IV, 3, 1290 a 16 sq.

199. IV, 14, 1298 a 35 sq. ; V, 6, 1305 b 10. 200. VI, 6, 1320 b 19 aq.

360

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

tyrannie la plus rude — ces régimes qu'il appelle τελευταῖοι, ou xópto:, ou ἔσχατοι. Mais tout l'effort du moraliste politique tend précisément à réduire ces oppositions, pour définir et imposer une constitution qui soit « la plus accessible à tous », κοινοτάτη. Et cet effort n'est naturellement pas sans conséquences sur la description qu'il donne des régimes existants ?01, L'un des buts qu’Aristote assigne en effet à sa recherche, au début du livre IV, est de définir une constitution qui convienne le mieux à toutes

les cités

: τὴν

μάλιστα

πάσαις

ταῖς

πόλεσιν

ἁρμόττουσαν,

τὴν

ῥάω καὶ κοινοτέραν ἁπάσαις 9?. Cette tâche n'est d'abord que la dernière de son programme : il convient au préalable selon lui de connaître la meilleure constitution en général, puis la meilleure constitution pour une cité donnée, puis encore la meilleure constitution par rapport à un principe donné. Tel est le plan envisagé au premier chapitre. Mais la xotvotépa πολιτεία n'est pas longue à conquérir une place plus importante ; dés le second chapitre, elle vient aprés la meilleure constitution et, sans se confondre toujours avec celle qui est préférable en dehors de la meilleure, elle en est fort proche : τίς κοινοτάτη καὶ τίς αἱρετωτάτη

μετὰ

τὴν

ἀρίστην

πολιτείαν 393, Aristote

envisage

méme

une autre

catégorie, voisine encore de celles-ci : une aristocratie également accessible à la plupart des cités, el τις ἄλλη τετύχηκεν ἀριστοκρατικὴ xal συνεστῶσα καλῶς,

ἀλλὰ ταῖς πλείσταις ἁρμόττουσα πόλεσι. Son souci

d'une « constitution commune » est si grand, qu'il finit par l'emporter sur le désir de distinguer entre constitutions et entre cités pour savoir quelle constitution convient à chaque cité. La constitution la plus « commune » n'est autre en effet, pour commencer, que la politeia, qui est un mélange #4, Les régimes que l'on appelle aristocratiques et que l'on próne parfois comme « communs » sont au-dessus du niveau des cités, en général, — ou bien ne sont guére que des politeiai 95, Si l'on assigne aux citoyens une vertu qui ne soit pas trop abrupte, si l'on n'exige pas d'eux une éducation qui suppose des qualités et des ressources rares, bref si l'on veut « une existence que la plupart des hommes puissent partager et un régime que la plupart des cités soient capables de s'appliquer », on fondera sa morale, comme il est juste, sur une moyenne, et on donnera le pouvoir à la classe moyenne. Puisque cette classe se trouve être la plus stable, la plus raisonnable, la meilleure, elle maintiendra l’État. Toujours une cité comprend

trois classes : riches, pauvres,

classe moyenne.

Un régime

fondé sur

201. De la même façon, sa théorie de la μεσότης retentit sur l'idée qu'il se fait de l'histoire d'Athènes. Voir notamment B. Keır, Die Solonische Verfassung in Aristoteles Ver[assungsgeschichte Athens, Berlin, 1892, p. 223 sq. ; G. Matuıeu, Essai sur la méthode..., Paris, 1915 ; L. PEARSON, The local historians of Attica, Philadelphie, 1942, p. 83 sq.

202. IV, 1, 1288 b 203. IV, 2, 1289 b 204. IV, 8, 1293 ὁ 205. IV, 11, 1295 comme

34 14 33 a

sq. sq. sq. ; 9, 1294 a 30 sq. 31 sq. AnisToTE refuse systématiquement

xoıvh une « aristocratie » à la lacédémonienne

1265 b 29 sq. ; IV, 9, 1294 b 18 sq.).

de

considérer

(IV, 1, 1288 b 40 aq. ; cf. 11, 6,

L'HISTOIRE

DE

LA

CITÉ

361

cette dernière s'établira donc, plus aisément que tout autre, dans n'importe quelle cité 2%,

La théorie aristotélicienne rejoint ici une longue tradition qui, depuis Solon,

célébrait en Gréce, ou du moins à Athénes,

la classe moyenne,

celle des petits propriétaires et des hoplites #7. Mais ce mouvement, comme le note Aristote, ne triomphait que rarement, soit que la classe moyenne füt peu nombreuse, soit que les passions des extrémes l'emportassent en général, soit que les hasards de la guerre n'eussent pas favorisé la politeia 2%. Si bien qu'Aristote passe lui aussi du plan historique au plan politique, de la constatation au vœu et méme à la volonté. Il a peu

d'exemples à citer de cette constitution, dont il veut pourtant démontrer qu'elle est la plus accessible à tous. Il va du moins donner à son lecteur les moyens de s’en approcher le plus possible, méme si le nom officiel du régime considéré n'est pas celui de politeia. Comme la politeia se définit avant tout par l'influence prépondérante d'une catégorie sociale, tout régime pourra tenir grand compte de cette catégorie, et ainsi imiter l'équilibre remarquable de la politeia. Mais alors des régimes en principe divers se ressembleront, car ils reposeront sur une méme structure sociale : la recherche de l'équilibre aboutit à les rendre uniformes. Cette particularité est sensible dés ce chapitre où Aristote fait de la politeia Ja « plus accessible » de toutes les constitutions. Il montre que les oppositions tranchées des classes engendrent «la démocratie extréme, ou l'oligarchie pure, ou la tyrannie » 2°, suggérant déjà par là qu'une démocratie ou une oligarchie modérées incluent au contraire la classe moyenne, et par là se rapprochent de la « κοινοτάτη πολιτεία ». La suite de l'analyse en donne confirmation : « Les grands États connaissent moins de troubles, ... parce que la classe moyenne y est nombreuse. » Or Aristote a constaté ailleurs que l'accroissement des cités, qui avait d'abord favorisé la politeia 210%, imposait presque, à partir d'une certaine limite, l'installation de démocraties 311, Plus nettement encore, il remarque que si les démocraties sont plus stables que les oligarchies, cela tient au róle qu'y joue la classe moyenne : « Elle est plus nombreuse et a plus de part aux honneurs dans les démocraties que dans les oligarchies » 212, Enfin il classe désormais les oligarchies et les démocraties par rapport à la politeia, c'est-à-dire selon le róle qu'y joue la classe moyenne 213, Aussi,

lorsqu'ayant

examiné,

à la

fin du

livre

IV,

les différentes

structures qui conviennent aux différentes constitutions, puis dans la 206.

IV, 11.

207.

Voir par exemple

208. 209. 210. 211. 212. 213.

IV, 11, 1296 a 22 sq. 1296 a 1 sq. IV, 13, 1297 ὁ 22 sq. III, 15, 1286 b 20 sq. IV, 11, 1296 a 15 sq. 1296 b 3 sq.

G. MarniEv,

Les

p. 140 sq., à propos de la πάτριος πολιτεία.

idées politiques d’Isocrate,

Paris, 1925,

362

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

première partie du livre V, les causes des révolutions, il en arrive à enseigner la façon d'éviter ces révolutions, il conseille au total de rap procher les constitutions envisagées d’un même idéal, qui est celui de la politeia. Si la constitution est déjà bien équilibrée, il faut éviter toute illégalité, jusque et surtout sous les formes les plus anodines, qui sont les plus insidieuses ?!*, On ne doit jamais ruser avec les masses ?". Les gouvernants d'une oligarchie ou d'une aristocratie traiteront avec modération les habitants dépourvus de droits politiques, s’adjoindront méme les meilleurs d'entre eux, ne les priveront pas des honneurs auxquels ils pourront prétendre. Entre eux, les oligarques se conduiront en vrais démocrates,

surtout s'ils sont nombreux 216.

Pour

éviter

une

révolution issue d'un déséquilibre social, on pourra méler riches et pauvres, ou renforcer la classe intermédiaire 317. I] faut surtout empècher les magistrats de prévariquer, et agir en ce domaine de facon que le régime soit à la fois aristocratique et démocratique : démocratique par l'accés de tous à tous les emplois, aristocratique parce que la masse acceptera d'étre pratiquement exclue de magistratures qui ne rapportent rien 218, Les riches seront ménagés dans les démocraties, et dans les oligarchies les pauvres, bien traités, s'enrichiront et occuperont les emplois rémunérés 219, Certes, Aristote indique en méme temps des procédés qui permettront de sauvegarder le caractére propre à chaque constitution. Mais il faut avouer que ce caractére ne sera plus marqué que dans la forme, si vraiment, dans les oligarchies et les démocraties, qui sont les régimes de beaucoup les plus répandus, le législateur a obéi au précepte fondamental du Stagirite : « Il faut que le législateur fasse toujours participer la classe moyenne à la constitution. S'il établit des lois oligarchiques, il doit songer à gagner la classe moyenne ; si ce sont des lois démocratiques, il faut leur obtenir l'appui de cette classe » 2%. Qui plus est, si les démocrates d’Aristote ou ses oligarques l'en croient, ils se comporteront exactement comme s'ils appartenaient à la classe moyenne. Celle-ci comprend

des individus aussi égaux que possible, désintéressés, paisibles ?*! : pour éviter les révolutions, oligarques et démocrates devraient, selon le livre V, montrer les mémes qualités. La meilleure démocratie et la meilleure oligarchie du livre VI en sont un autre témoignage : laboureurs et pasteurs de la meilleure démocratie sont des gens honnêtes, absorbes par leur travail, qui ne convoitent pas le bien d'autrui ?*? ; ils laisseront les magistratures aux notables ??3, En oligarchie, une partie du peuple 214. 215. 216. 217. 218. 219. 220. 221. 222. 223.

V, 8, 1307 b 30 sq. 1307 b 40 sq. 1308 a 3 aq. 1308 b 24 sq. 1308 b 31 sq. 1309 a 14 sq. IV, 12, 1296 b 34 sq. IV, 11, 1295 b 25 sq. VI, 4, 1318 b 9 sq. 1318 ὃ 32 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA CITÉ

363

accédera peu à peu au pouvoir, grâce à un cens soigneusement réglé 324, Même dans une démocratie ou une oligarchie extrêmes, on devra éviter les excès de ces mesures faussement démocratiques ou oligarchiques qui provoquent réactions et révolutions ?% : le luxe et les brutalités des oligarques, les convoitises et les violences de la foule, faussent une constitution ; ainsi un nez peut rester beau s'il est légèrement crochu ou camus ; mais s'il le devient davantage, il s'enlaidit et finalement n'aura méme plus l'air d'un nez. Aussi oligarques ou démocrates devront-ils respecter la mesure et l'équilibre de leur constitution, τὸ u£cov 2%. Cette mesure, c'est celle qu'introduit justement dans un régime l'influence de la classe moyenne —- ol μέσοι. Tout, dans l'esprit d'Aristote, tend vers un équilibre identique ou analogue. Allant encore plus loin, le philosophe souhaite que les monarchies — qui

ne

sont

peut-étre

méme

pas

exactement

des

« constitutions » —

réalisent ce méme idéal constitutionnel. On sauvegarde une royauté, dit-il, en la rendant plus modérée : « Moins les rois ont de pouvoir, plus le système doit durer » 22. Mais ces rois sans pouvoir sont-ils encore des rois ? Aristote lui-méme n'en est pas convaincu, qui cite, avec l'exemple des Molosses, celui de Lacédémone : Lacédémone, dont le régime est si difficile à cataloguer, et oà la royauté — Aristote l'a dit précisément — se réduit à une « stratégie à vie », possible sous tous les régimes : τὸ μὲν οὖν περὶ τῆς τοιαύτης στρατηγίας ἐπισκοπεῖν νόμων ἔχει μᾶλλον εἶδος A πολιτείας ἐν ἁπάσαις γὰρ ἐνδέχεται γίγνεσθαι τοῦτο ταῖς πολιτείαις. Il existe même une magistrature analogue à Épidamne et ἃ Oponte 338, Quant aux tyrannies, elles peuvent se maintenir par la terreur et la ruse, en se faisant toujours plus tyranniques. Mais il est plus sûr de rendre la tyrannie royale, τῆς τυραννίδος σωτηρία ποιεῖν αὐτὴν βασιλιxwrepav 22°. Sans doute le tyran conservera-t-il soigneusement la supériorité de force qui assure son pouvoir, et dans son rôle « royal » jouera-t-il en partie la comédie : ὑποκρινόμενον τὸν βασιλικὸν καλῶς 22, Mais ce machiavélisme profitera à coup sûr à ses sujets : ıl ne distribuera pas les fonds publics à des femmes, des étrangers, des artistes... ; il rendra des comptes. Son abord sera majestueux, sa conduite irréprochable, ou s’il cède à quelque tentation, ce sera en secret. Il honorera comme il convient le mérite, ne prendra jamais officiellement la responsabilité d'un châtiment — qu'il voudra toujours mesuré. Il s'assurera l'appui et des riches et des pauvres, ou du moins de la classe la plus puissante : « Ainsi son pouvoir sera nécessairement plus noble et plus enviable : il gouvernera des hommes meilleurs, libres de toute humiliation ; il n'inspirera pas une haine et une crainte continuelles. Son pou224. 225. 226. 227.

VI, 6, 1320 b 22 sq. V, 9, 1309 b 18 sq. ; 1310 a 19 sq. ; VI, 5, 1320 a 2 sq. 1309 b 19. V, 11, 1313 a 18 sq.

228.

III, 15, 1286 a 2 sq. ; cf. 16, 1287 a 3 sq.

229. 230.

V, 11, 1314 a 34 sq. 1314 a 40.

364

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

voir en sera aussi plus durable. En outre, son caractére sera noblement disposé à la vertu, du moins sera-t-il à moitié bon, ou à moitié méchant,

mais non point méchant » ??!, Ce tyran qui fréquente les notable: et cultive la faveur de la masse, qui recherche dans la vie la mesure et non

l'excès — τὰς μετριότητας τοῦ βίου διώκειν,

μὴ τὰς ὑπερδολάς 7? —

ne réalise-t-il pas, sous un autre nom, ce que doivent aussi réaliser la démocratie modérée, ou l'oligarchie modérée, ou la politeia 533 ? Ainsi s'affrontent dans la Politique aristotélicienne deux tendances contraires

: distinction et fusion, classification et unité, recherche

du

particulier et recherche de la moyenne. Le naturaliste et le moraliste — peut-être aussi la science et le préjugé — coexistent, sans poursuivre le méme but ?*4, Sans doute le naturaliste ne s'avoue-t-il jamais vaincu. Tout en réduisant la tyrannie à une royauté, Aristote explique que le tyran doit cependant sauvegarder le principe de son régime, qui est un pouvoir absolu et arbitraire ?® ; mais de ce pouvoir, il ne se servira pratiquement pas. Chaque constitution, dit encore le philosophe, a son esprit, son ἦθος. qui doit commander une certaine forme de justice, une certaine forme d'éducation 2%, Mais il faut reconnaitre que dans le fonctionnement équilibré de la constitution, ces formes manqueront de netteté et d'onginalité. Bref, la classification, dont le but primitif est d'éviter l'abstrac-

tion et de tenir compte de la vérité historique, se réduit peu à peu à un cadre théorique. Ce qui est concret, c'est la recherche de la xov? πολιτεία, et l'unification progressive des régimes. Le nom de la constitution ne sera qu'une étiquette, si vraiment la plus importante partie de la population veut éviter toute révolution, ou si méme, comme le souhaiterait Aristote, l'unanimité de la population forme ce vœu °*. Les structures sociales, d'aprés lesquelles Aristote en arrive à classer les régimes, finiront par étre identiques. Comme d'ailleurs les villes se développent, cette unification dans la démocratie se produira presque fatalement 353, 231. 1315 b 4 sq. 232. 1315 b 2 sq. 233. M. KErszw (The philosophy of Aristotle and the Hellenic-Macedonian policy, International journal of Ethics, 48, 1937-1938, p. 1-64) néglige cette tendance à la fusion des constitutions, en soulignant au contraire l'opposition entre monarchie et

démocratie chez AnisTOTE. Voir sur ce point les réserves de Ph. Meran, Isocrates Aristotle and

Alexander the Great,

/listoría, 3 (1954), p. 80, n. 1.

234. Les classements du naturaliste — en en rien à cette recherche du χοινός — du plus dans la Politique. La zoologie comparée, qui n'a pas beaucoup tenté ARISTOTE, et il n'y a sions de M. MaxqUar,

genres, en espéces — ne correspondent petit commun multiple — qui s'exerce pourrait amorcer un effort de ce type, guère brillé. Voir à ce sujet les conclu-

Aristote naturaliste, Paris, 1932, p. 113 sq. Le souci des syn-

thèses et des vues générales, dont L. BouncEv a montré l'importance dans la biologie aristotélicienne (Observation et expérience chez Aristote, Paris, 1955, p. 122 sq.) tend à

fonder une classification naturelle, et non à dépasser une telle classification. Le contraire eût d'ailleurs été antiscientifique. Mais la Politique est du domaine de l'action. 235. V, 11, 1314 a 36 sq. 236. V, 9, 1309 a 36 sq. ; 1310 a 12 sq. 237. IV, 9, 1294 b 34 sq. ; 12, 1296 ὁ 15 sq. ; 13, 1297 b 2 sq. ; V, 9, 1309,5,16 4. (voir NEwsan,

238.

ad loc.), etc.

I11, 15, 1286 5 20 sq.

L'HISTOIRE

DE

LA

CITÉ

365

Enfin, les rapports entre les cités tendent à la méme fin. Aristote considére en effet qu'en général des cités voisines s'influencent et que la plus forte impose sa constitution. A ce principe, il est vrai, il admet des exceptions. Mais elles sont trés rares : « Ce qui sauve une constitution... c'est quelquefois — ἐνίοτε — le voisinage » d'une constitution opposée : car la crainte que provoque ce voisinage maintient l'ordre et la discipline 23%. Mais une action si salutaire a un caractére exceptionnel. Le plus souvent, on voit au contraire les idéologies s'imposer et s'étendre. « Toutes les constitutions sont renversées... de l'extérieur, lorsqu'une constitution opposée existe dans le voisinage, ou au loin mais avec de la puissance. C'est ce qui se produisait sous l'hégémonie des Athéniens ou des Lacédémoniens. Partout les Athéniens mettaient fin aux oligarchies, et les Lacédémoniens aux démocraties » #0, Ailleurs, Aristote note que les tyrannies pátissent de la présence d'une constitution contraire plus forte qu'elles — et il précise : « Les Lacédémoniens ont abattu en général les tyrannies, et les Syracusains aussi au temps où ils étaient bien gouvernés » #1, Ailleurs encore, il a montré plus généralement que les grandes puissances ont essayé d'instaurer en Grèce leur régime, c'est-à-dire démocratie ou oligarchie #2, Ainsi se produisent des regroupements — fort opposés aux subdivisions ingénieuses de la classification aristotélicienne. Ainsi encore la recherche de la κοινὴ πολιτεία est à la fois la plus utile et la plus proche du réel : en se ressemblant, les constitutions cesseront d'étre soumises à un facteur révolutionnaire important. Ces tendances si contradictoires dans la politique aristotélicienne contribuent à expliquer les contradictions et les incohérences du texte : parti pour soumettre l'histoire à des distinctions fines, Aristote trouvait peu à peu en elle la vanité des subdivisions et la nécessité d'unir. Cette découverte n'a pu se faire en peu de temps. Les contradictions de la documentation nous ont effectivement prouvé, aux chapitres VII et VIII, que les livres IV à VI de la Politique avaient été lentement élaborés. La notion de politeia s'est elle aussi transformée peu à peu. La

κοινὴ πολιτεία a fini par l'emporter, d'une victoire il est vrai incomplète. Or la création d'une constitution et sa stabilité sont apparemment le but où tend l'histoire de la cité. Reste à examiner ce qu'implique, quant aux rapports entre les cités, le triomphe relatif de la χοινοτάτη πολιτεία — et si Aristote, qui s'efforce de se maintenir dans le cadre de la cité, ne l'a pas d'une façon ou d'une autre dépassé. 239. V, 240. V, CYDiDE, I, 241. V, 242. IV,

8, 1308 a 24 sq. 7, 1307 b 19 sq. Cf. Isocrate, Panégyrique, 16, et, avec 19, et III, 82 ; X&nopuon, Helléniques, III, 4, 7. 10, 1312 5 7 sq. j 11, 1296 a 32 sq.

NEWMAN,

Tnu-

CHAPITRE

XI

Cité et peuple : au delà de la cité L'État aristotelicien, aboutissement d'une évolution famille, porte le nom de πόλις. Mais le mot avait besoin C'est en la mettant au point qu'Áristote, peut-être d'abord, a souligné les contradictions que comportait cité, et l'élargissement qu'elle subit au 1v? siècle. A.

LA DÉFINITION

qui d’une sans cette

part de la définition. le vouloir notion de

DE LA CITÉ.

La « politique » étant l'art de gouverner une « polis » et la méthode aristotélicienne consistant à partir d'éléments simples et connus pour analyser et comprendre les composés moins bien connus !, Aristote s'est efforcé de définir la « polis ». L'entreprise méritait d'étre tentée, car cette notion est équivoque. Le mot désigne d'abord la ville haute, fortifiée, par opposition à la ville

basse,

ἄστυ.

Tel

est le cas

dans

certains

textes

homériques,

qui

distinguent soigneusement πόλις et ἄστυ ?. Mais déjà, comme l'a écrit Gustave Glotz, le terme est « fluide » ? : il désigne aussi les bourgades soumises au chef-lieu, puisque Homére ne connaít pas ou ne veut pas

connaître le mot κώμη *. En outre, la ville basse est elle aussi fortifiée 5. Le mot ἄστυ finit par s'appliquer à l'agglomération principale, opposée à la campagne qui l'entoure 5, et le nom de πόλις u s’est enfin étendu, — selon l'expression de G. Glotz —, à tout le pays qui obéissait à l'autorité du méme chef ». Toutefois, l'évolution n'est pas encore achevée à l'époque homérique : Homère emploie πόλις dans le sens de ville, non dans celui d'État?. La « polis » s'est ainsi élargie, englobant le territoire que l'on appelle, 1. Politique, I, 1. 2. Iliade, VI, 256 sq. ; Odyssée, 14, 472 sq., etc. Voir G. Grorz, La cité grecque, 2° éd., Paris, 1953, P. 12 sq., ainsi que R. GnovsseT, Les premiéres civilisations (Peuples et civilisations, I), 2° éd., Paris, 1950, p. 200, et F. Οπαρούτηιεῃ, ibid., p. 428 sq. — Outre ces ouvrages, signalons dès maintenant, pour l'ensemble de ce chapitre, l'intérêt de Busorr-Swonopa,

Gr. Staatsk.

Polıs als historisch-geographisches Problem

; E. Kinsren, Die griechische

des Mittelmeerraumes,

Bonn,

1956 ; et

Ed. Wıır, Doriens et Ioniens, Publ. Fac. Lettres dele Strasbourg, 1956.

3. La cité grecque, p. 14 sq. ; cf. 39 sq. 4. Voir supra,p. 333 sq. 5. Iliade, VIII, 519, etc. 6. Odyssée, 6, 296, etc. 7. T. A. SINCLAIR, Histoire de la pensée politique grecque, (traduction française), Paris, 1953, p. 20. — G. Grorz, néanmoins, soutenait le point de vue opposé,

368

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

d’un mot également ambigu, δῆμος ®. Puis, au milieu des invasions, la « polis » correspond souvent à des fortifications. Mais la « polis » spartiate, réunion de quatre villages, n’est pas fortifiée ?. En outre, de simples bourgades, en Laconie, portent ce nom, qui désigne aussi les « cités » de l'Attique antérieures au synoecisme 1. « Polis » s'applique donc à un territoire de taille variable et, le cas échéant, à sa population. Philochore distinguait bien ἄστυ et πόλις, en soulignant l'ambiguité de ce dernier mot : « Le premier terme désigne une installation, l'autre s'applique aussi aux citoyens !!. » Mais ces définitions avaient un caractére abstrait, qui ne se retrouvait sans doute pas dans le langage courant et échappait, en tout cas, aux meilleurs écrivains. Au livre VI de sa Guerre du Péloponnése, Thucydide marque d'abord la différence en écrivant : « Quand la totalité des forces (athéniennes) eut abordé à la pointe d'Iapygie, à Tarente, ailleurs encore, selon les facilités de chacun, ils poursuivirent leur route le long des cótes d'Italie — les villesleur fermant leurs marchés et leurs portes», τῶν μὲν πόλεων ob δεχομένων αὐτοὺς ἀγορᾷ οὐδὲ ἄστει 13... Mais l'historien ajoute qu’une fois ἃ Rhégion, « les hommes établirent leur camp

en dehors

de la ville, dans le sanctuaire

d’Artémis,

où on leur

ouvrait, en outre, un marché » ; c’est que l’acces de la ville leur était, ici encore, refusé : ἔξω τῆς πόλεως, ὡς αὐτοὺς ἔσω οὐχ ἐδέχοντο 13. Ainsi πόλις est employé ici pour exprimer l’idée que traduisait ἄστυ quelques lignes plus haut. Au chapitre suivant, la « polis » — «en ville », ἐν τῇ πόλει — est opposée aux « forts disséminés dans le pays >», τὰ περιπόλια τὰ ἐν τῇ χώρᾳ. Un peu plus loin, la « polis » de Messène représente évidemment une « agglomération urbaine », distinguée encore d'un marché extra-urbain : « On lui répondit (à Alcibiade) qu'on ne

pourrait les accueillir dans la ville — πόλει --- mais qu'on leur ouvrirait un marché au dehors !*. » Le mot désigne encore la ville méme d'Athénes, avec son « Théséion urbain », ἐν Θησείῳ τῷ ἐν πόλει,, au chapitre 61 !5. Ces exemples suffisent à montrer comment Thucydide, qui ne saurait passer pour un esprit confus, confond néanmoins πόλις et ἄστυ. Qu'une telle équivoque était courante et somme toute naturelle, un texte des Helléniques de Xénophon le prouve, sanus qu'il soit nécessaire de pousser l'enquéte au delà 15, L'historien rapporte qu'en 387, le Spar8. Le nom de δῆμος désigne un territoire, ou une population. G. Grorz, La cité..., p. 14; T. A. SiNctAI, Histoire de la pensée politique grecque, traduction francaise, p. 21. 9. Tnucvpipz, 1, 10, 2 ; X£noruon, Helléniques, VII, 5, 10 ; etc. 10. Voir notamment G. Grorz, La cité..., p. 27 sq. ; Tnucvpipz,

II, 15

; Piv-

TARQUE, Thésée, 24. — Nous avons vu au chapitre précédent comment Pıaron confondait πόλις et κώμη, aprés Ἡομὲπε. Il est remarquable d'ailleurs que le terme de κωμόπολις — « gros bourg » qui ne mérite pas le nom de cité — ne soit pas attesté avant SrRABON, XII, 2, 6 (C 537), etc. 11. Puirocnonz, dans F. Jaconv, Fr. Gr. Hist., Ille, 328, F 2 a. 12. Tnucvpipz, VI, 44, 2.

13. VI, 44, 3. 14. VI, 50, 1. 15. VI, 61, 2. 16.

Voir en outre, par exemple, LippELL-Scorr..., Dictionnaire, 8. v. πόλις.

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

369

tiate Téleutias réussit un coup de main sur le Pirée : « Il s'était dit que les Athéniens devaient veiller moins soigneusement aux vaisseaux qui étaient dans le port, depuis la mort de Gorgopas !? ; et si méme il y

avait des triéres à l'ancre, il y aurait moins de danger, à son avis, à aborder vingt triéres en station à Athènes, que dix ailleurs » 8: « à

Athènes », ᾿Αθήνησιν. Ainsi que l'a noté J. Hatzfeld, « du point de vue du Spartiate Téleutias, le Pirée n'est qu'une dépendance d'Athénes » 19, Mais comme l'ajoute le méme auteur, « quand la garnison d'Athénes arrivera à la rescousse, le Pirée sera nommément désigné et distingué de la ville (ἄστυ) » : « Téleutias — écrit Xénophon — avait déjà fait son coup, quand les Áthéniens, en hâte, les uns, alertés dans leurs maisons, en sortent et s'informent de la cause de ces cris, les autres, qui

étaient dehors, y rentrent pour prendre leurs armes, les autres enfin s'élancent vers la Ville («à ἄστυ) pour y porter la nouvelle. Toute la garnison d'Athénes alors arriva à la rescousse, hoplites et cavaliers, comme si le Pirée était déjà pris » 9, Athènes est πόλις ou ἄστυ ; le Pirée ne fait pas partie de l'&ccu, mais de la πόλις. Une cause supplémentaire de confusion résidait dans l'évolution historique, qui faisait accéder au rang de « polis » ce qui n'était auparavant qu'une petite agglomération, ou réunissait en une « polis » — avec le plus souvent un centre urbain — des communautés dispersées. Inversement, des « dioecismes », voire des destructions de villes n'étaient pas rares ®!. Les prétentions des peuples qui prenaient ou recevaient le titre de « polis » sans en avoir le droit, avaient aussi leur importance. Isocrate remarque que les périéques spartiates « sont installés dans des localités nombreuses mais de faible importance ; on les désigne comme des habitants de « poleis », mais leur puissance ne vaut pas celle des démes de chez nous » 22, Thucydide ne cache pas son sourire lorsqu'il mentionne la « bourgade » (κώμη) des Hyéens de Locride, appelée pompeusement « Polis » : s'il ne confond pas lui-méme les deux termes, du moins les Hyéens ne les distinguaient-ils apparemment pas 33, Le langage prétait en effet d'autant plus à confusion, que d'autres, mots désignaient des agglomérations de citoyens, qui tantót méritaient le nom de « polis », tantôt en étaient indignes. Τὸ χωρίον, « l'emplace-: ment », s'applique à diverses sortes de lieux 33, et notamment à un 17. L'harmoste Gorgopas avait été tué à Égine quelques mois auparavant ; les Athéniens avaient beaucoup souffert de ses opérations de « commandos » (Helléniques, V, 1, 5 sq.). 18. Helléniques, V, 1, 20. 19. Édition des Helléniques, Coll. des Univ. de Fr., ad locum. 20. Helléniques, V, 1, 22. 21. Citons l'autonomie accordée à trois bourgades de Chalcidique en 421 (GrorzCouen, Hist. Gr., II, p. 655), le synoecisme de l'Élide en 472 (ibidem, II, les avatars des Ärcadiens (ibid., III, p. 104, 152 sq.), les malheurs des

(ibid., III, p. 295 sq.), etc. Voir G.

p. 123 sq.), Phocidiens

Grorz, La cité grecque, et Swosopa,

Suppl. IV, article κώμη, notamment col. 960 sq.

R. E.,

22. Isocrare, Panathénaïque, 179. 23. Taucroipe, IIl, 101. Voir L. Lerart, les Locriens de l'Ouest, II, Paris, 1952,

. 115 sq. P 24. Voir BaıLıy Aristote et l'bistoire

et Lipp.-Scorr...,

s. v. 24

370

ARISTOTE

ET

L’HISTOIRE

« territoire », une région ?5, ou un lieu habité 35, qui ne sont pas des « poleis ». Mais le χωρίον peut aussi être une place forte — et celle-ci est souvent une « polis » 27. Enfin, dans l'Anabase et dans les Helléniques d'Oxyrhynchos l'équivalence entre les deux termes πόλις et χωρέον est nettement attestée 2. Τὸ πόλισμα, « les constructions de la cité », désigne souvent une ville. Hérodote écrit par exemple qu’à époque ancienne, Athènes était le seul πόλισμα notable des Ioniens d'Europe ; il met sur le méme plan les douze πόλιες des loniens d'Asie 2%. D'autre part, il rapporte que Déiokès contraignit les Mèdes à bâtir un πόλισμα unique. Ce n’était pourtant, en réalité, qu’une résidence royale fortifiée, un τεῖχος que Déiokès avait élevé pour sa propre sûreté autour de sa propre οἰκία : le peuple réside hors des sept enceintes, « et c’est dans la dernière que se trouvent le palais et les trésors » 9, Avant d’être rassemblés autour de cette forteresse, « les Médes vivaient disséminés dans des bourgs », χατοικὴ μένων τῶν Μήδων κατὰ κώμας ?!. Or ces κῶμαι et le nouveau πόλισμα sont apparemment tous désignés par le méme nom de πολίσματα lorsqu' Hérodote écrit : « Déiokés... contraignit les Médes à bâtir un πόλισμα unique et à consacrer à cette ville leurs soins en se désintéressant des autres agglomérations », τοὺς Μήδους ἠνάγκασε ὃν πόλισμα ποιήσασθαι xal τοῦτο περιστέλλοντας τῶν ἄλλων ἧσσον ἐπιμέλεσθαι 33. Quelle que soit la valeur particulière du mot ἄλλος, 1] est sûr que, même

si τῶν ἄλλων ne

représente pas exactement des πολίσματα — qui auparavant étaient appelés κῶμαι seulement —, du moins ces χῶμαι, ces « autres agglomerations », sont maintenant placées sur le même plan que le πόλισμα. Un πόλισμα peut donc être soit κώμη soit πόλις 38: cette notion, elle aussi, est fluide. Le mot μητρόπολις s'applique en principe à une πόλις, une « ville » qui est « mére », c'est-à-dire fondatrice ou capitale. C'est ainsi qu'Artabane, chez Hérodote, appelle Athènes la « métropole » des Ioniens #, et que les Mossynéques de l'Anabase donnent ce nom de « métropole » à une agglomération peu éloignée de Cérasonte et qui effectivement est une « polis » 55. Cependant, la « métropole » des Driles, peuple voisin de Trapézonte, n'est qu'un fort, χωρίον, auquel Xénophon ne daigne pas 25. Pruranque,

Nicias, 10, d'après TuéopnrasTe

26. Tuucvpipz,

I, 100, 3.

(= fragment 138 WiwwEn).

27. PrATON, Gorgias, 455 b (Dairrv) ; Lvsias, C. Ergoclós, 7 (Lipp.-Scorr traduit par « town » ces deux exemples). — XÉNopuon, Anabase, V, 2, 3 sq. : ce χωρίον n'est qu'un fort, non une cité. Cf. V, 5, 23, etc. 28. Anabase, V, 4, 30 sq. Ces πόλεις ne sont d'ailleurs

que

des « bourgades »

(trad. P. Masqueray). Helléniques d'Oxyrh., édition GRENFELL-Hunr, (τῆς πόλεως... τὸ χωρίον). Voir aussi XI, 3, et XII, 3. 29. H£noporsz, 1, 143. Voir aussi les dictionnaires déjà cités. 30. I, 98 sq. 31. 1, 96. 32. 1, 98. 33. Cf. XEnopnon,

Anabase,

VII, 8, 21

: κώμη

XIII, 5, 11

est distingué ici de πόλισμα.

De

méme chez H£noporz, I, 178, πόλισμα et πόλις s'appliquent tous deux à Babylone. 34. 35.

Heropote, VII, 51. Anabase, V, 5, 24 ; cf. 15.

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

371

accorder le titre de « polis » 35, Strabon parlera même d’une μητρόπολις; située en Cappadoce, qui n'était qu'une κωμόπολις 57. En outre, ce n'est pas une ville, mais tout un pays, la Doride, qui recevait traditionnellement l'appellation de « métropole » des Doriens #. Bref le composé μητρόπολις a la méme souplesse que le composant πόλις. Quel est donc le critére qui permet de reconnaitre, dans une agglomération d'hommes, une cité ? Les doutes d'Isocrate, le sourire de Thucydide, indiquent qu'il n'existait pas de critére irréfutable. Sans doute, la profondeur et la vivacité du sentiment patriotique, que G. Glotz a évoqué dans une page admirable, suffisaient-elles au « citoyen » pour qu'il sentît vivre sa « cité », sans qu'en fût claire la notion : « Du jour où l'éphébe majeur prête le serment civique, il doit à la cité toutes ses pensées et tout son sang. Ce n'est pas à une abstraction qu'il se consacre corps et áme, mais à quelque chose de concret qu'il voit tous les jours de ses yeux. ... Une ville, une seule, et quelquefois infime, et c'est pour cela qu'Hector court au-devant de la mort, que le Spartiate considére comme le couronnement de la « vertu » de « tomber au premier rang », que les combattants de Salamine s'élancent à l'abordage au son du péan, et que Socrate boit la ciguë par respect de la loi » ??. Mais il existe aussi un patriotisme grec, qui suscite les plus grands sacrifices : il suffit de lire Hérodote pour en constater la force. D'ailleurs, définir la cité par un sentiment est une conception plus moderne qu'antique, plus proche de Renan que de Socrate ou d’Aristote. La cité, c'est aussi un prytanée et un conseil, « un groupement politique, économique et militaire, qui a pour centre un autel » 9. Mais cette définition, qui peut s'appliquer à des ensembles plus grands, n'aurait pas satisfait un Socrate ou un Aristote. Socrate, il est vrai, — et Platon non plus — ne s'était pas posé le probléme : il l'avait vécu, et avait bu la cigué. Aristote, venu plus tard, en pleine crise de la cité, au moment oü des ensembles plus vastes s'esquissent ou méme s'installent de toutes parts, éprouve au contraire le besoin de clarifier cette notion fondamentale de la cité, de mettre un terme à la confusion qui l'entoure, d'autant plus que, météque, il n'avait pas toujours vécu dans le cadre de la cité. Il perçoit mieux la difficulté parce qu'il l'aborde de l'extérieur. Son premier soin est de déterminer la raison d'étre et le but de la « polis ». Celle-ci est conforme à la nature, parce qu'elle constitue apparemment une fin, le terme de l'évolution qu'accomplissent les installations humaines. Elle doit, de ce fait, atteindre sa propre fin, qui est de permettre à l'homme de vivre, et de bien vivre. Elle est le premier ensemble humain qui « suffise » à atteindre ce but, qui se suffise à lui-méme, 36. 37. 38.

V,2,3 sq. Strason, XII, 2, 6 (C 537). H£noporz, VIII, 31 ; Taucyoipe,

I, 107,2; etc. ; cf. Lipnp.-Scorr et Bairrv,

qui répartissent diversement des références en partie identiques. 39. La cité grecque, p. 35 sq. 40. Grorz-ConzNw, Hist. Grecque, I, p. 126. Cf. F. CnaPouTuier, dans Premières civilisations, 2° éd., 1950, p. 427 sq., ainsi que les p. 431 sq., consacrées à « l'unité nationale ».

372

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

qui puisse prétendre à l'autarcie. La famille, le village, subviennent à certains besoins naturels. Mais d'autres nécessités, matérielles et surtout morales, dépassent les possibilités de ces communautés étroites : elles exigent que l'homme vive en citoyen, πολέτης, dans une ville, πόλις #1.

On appellera donc « cité » l'ensemble qui possède tous les moyens nécessaires à la réalisation de cette communauté, dans des conditions matérielles favorables. Aristote a longuement étudié ces moyens au quatrième livre de la Pólitique. Ce sont les trois pouvoirs, deliberatif, exécutif et judiciaire **. I] en a, à l'occasion,

fonctionnement V

et

VI.

montré le mode

de

et les faiblesses, avec la façon d'y parer, aux livres

Or l'ensemble

de

ces pouvoirs,

qui

caractérisent

la πόλις,

forme une πολιτεία, une constitution. C'est la constitution qui définit l'État. Cette formule, qui ressort naturellement de la conception aristotélicienne de la Politique, a été énoncée par le philosophe lui-méme, dés le livre III, lorsqu'il cherchait à élucider un probléme qui se posait souvent dans les périodes révolutionnaires : un changement de constitution délie-t-il une cité de ses engagements antérieurs ? Tous les gouvernements neufs n'ont pas la sagesse des Athéniens rendant « en commun aux Lacédémoniens l'argent que les Trente leur avaient emprunté pour la guerre » 53. Aristote considère que le meilleur moyen de résoudre ce probléme est de se demander « quand il faut dire qu'une cité reste identique à elle-même, ou perd son identité pour devenir différente » #. La façon la plus simple, selon Aristote, d'examiner cette question est de considérer l'aspect naturel des choses : « le territoire et la population ». « On peut en effet diviser un territoire et sa population, une partie des habitants résidant ici, l'autre résidant là. La difficulté, dans ce cas,

ne peut étre appelée sérieuse. L'ambiguité du mot « polis » facilite sans doute la solution de cette question » (1276 a 20-24). Cette « ambiguïté » — πολλαχῶς γὰρ τῆς πόλεως λεγομένης — est celle que nous avons déjà rencontrée : la « polis » est un lieu, occupé par des hommes ; elle est aussi l'État que forment ces hommes 55. Mais il faut avouer que la bréve remarque d'Aristote est elle aussi équivoque, et que

la solution,

si facile selon

lui

— ἐστί πως

εὐμάρεια

τῆς τοιαύτης

ζητήσεως — peut prêter à discussion. Dira-t-on qu'un sens dépend de l'autre, et que, si le territoire est divisé, l'État aussi est divisé, et dis-

paraît # ? La cité n'existe en effet qu'à la condition d'une certaine unité territoriale. « Son principe ne sera pas réalisé, si ses habitants n'occupent pas un territoire commun et unique », οὐκ ἔσται μέντοι 41. Politique, I, 2, 1252 b 15 sq. ; 4, 1253 b 23 sq. ; III, 9, 1280 5 29 sq. ; VII, 4, 1326 b 2 sq. ; etc. 42. IV, 1^ sq. 43. Const. d' Ath., 40, 3; cf. GLorz-Couen, Hist. Gr., IL, p. 62 sq., et Politique,

Ill, 3, 1276 a 8 sq. 44. Pol., 111, 3, 1276 a 17-19. 49. Voir PHILOCUORE, supra, 46. Racknam, note ad loc.

n. 11.

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

373

τοῦτο μὴ τὸν αὐτὸν καὶ ἕνα κατοικούντων τόπον, écrit Aristote *'. Mais cette affirmation ne va pas sans nuances. que les installations soient séparées, si des rapports de peuvent normalement s'établir. Quand le territoire est s’il n'y a pas cité, ce n'est pas la répartition de l'habitat cause,

mais

la

facon

dont

les

habitants

conçoivent

par ailleurs Car il admet communauté ainsi peuplé, qui en est la

leurs

rapports.

Οὐδ’ εἴ τινες οἰκοῖεν χωρὶς μέν, μὴ μέντοι τοσοῦτον ἄποθεν ὥστε μὴ κοινωνεῖν @... Un territoire morcelé se prête mal, à vrai dire, ἃ l'établissement d'une « polis ». Mais l’obstacle n’est pas décisif. Aristote remarque au livre V que les Clazoméniens s'opposent aux gens de Chytros, les Colophoniens aux gens de Notion, et même les habitants de l’&arv athénien aux gens du Pirée, parce que la topographie de ces États n'est pas favorable à l'unité de la « polis » ; toutefois, il considère évidemment Clazomènes, Colophon, Athènes comme des « poleis »... Σ τασιάζουσι

δὲ ἐνίοτε

al πόλεις

καὶ

διὰ τοὺς τόπους,

ὅταν μὴ εὐφυῶς

ἔχῃ À χώρα πρὸς τὸ μίαν εἶναι πόλιν 45. Dès le livre III, il a posé le même principe : οὐδ᾽ οὕτω πω πόλις. Διὰ τίνα δή ποτ᾽ αἰτίαν ; où γὰρ

δὴ διὰ τὸ μὴ σύνεγγυς τῆς κοινωνίας 99. Bref, s'il entendait, en 1276 a 23 sq., que la division de l'habitat entraîne le rupture de la cité, on comprendrait mal qu'il ne précisát pas aussitôt comment il faut concevoir cette division et qu'il ne fit pas au moins une réserve : un dioecisme qui laisse subsister une « communauté » suffisante, ne brise pas l'État. Faut-il donc interpréter en sens opposé, comme on le fait d'ordinaire, ce passage contesté 5!, et comprendre que la « polis »-territoire aura naturellement été transformée ou abolie, mais que la « polis »-État, ensemble de citoyens, restera une et identique ? Sans doute se rapprochera-t-on ainsi de la vérité. Mais on négligera encore, quoique par une erreur inverse de la précédente, le texte relatif à la « communauté » : si la « polis »-territoire est divisée au point que la « communauté » entre les citoyens soit impraticable, alors la « polis » n'existera plus ; le principe el τινες οἰκοῖεν χωρὶς μέν, μὴ μέντοι τοσοῦτον ἄποθεν ὥστε

μὴ κοινωνεῖν ne sera plus respecté. La solution de ce petit problème sera, à vrai dire, facilitée — εὐμάρεια τῆς τοιαύτης ζητήσεως — si l’on remarque qu’Aristote voit dans le mot

« polis », non pas deux notions juxtaposées, mais davantage : non pas διχῶς

τῆς πόλεως

λεγομένης,

mais πολλαχῶς.

En réalité, le terme a au

moins trois sens : agglomération urbaine (citadelle, et plus largement, citadelle et ἄστυ réunis), — territoire, — enfin population formant un 47. 111, 9, 1280 5 35 sq. 48. 1280 b 17 sq. Cf. Susemiuz, Remarque 554. — Cf. aussi III, 1, 1260 b 39 sq. 49. V, 3, 1303 b 7 sq. 50. 111, 9, 1280 b 23 sq.— AnisTOTE se conforme au langage courant. Ainsi HÉnopors, I, 151, rapporte qu'il existait une πόλις éolienne dans « ce qu'on appelle les Cent Iles », — dans un archipel. 51. Newman, BARKER, et sans doute Suseminr, Remarques 459-460, qui n'est pas explicite.

374

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

État sur ce territoire, Etat 53, Répartir la population de l'agglomération sur le territoire qui dépendait déjà de ce centre urbain, ce n'est pas rompre la « communauté ». Mais briser le territoire, le démembrer, l'écarteler, c'est aussi supprimer les rapports communautaires entre ses habitants, c'est abolir l'État qu'ils formaient. Telle est la réponse que donne Aristote pour définir rapidement l'unité de lieu, notion importante pour lui : la suite de sa démonstration suppose que l'auditeur a compris ce qu'était cette unité 53, Et sans doute, un habitué du Lycée pouvait-il plus vite qu'un moderne tirer toutes les conséquences de ce πολλαχῶς. Outre que les intellectuels grecs devaient à Prodicos le goût des distinctions entre synonymes 5*, Aristote avait professé et écrit un περὶ τῶν ποσαχῶς λεγομένων 55, que l'on identifie avec le livre V de la Métaphysique: celui-ci est en effet « une sorte de lexique philosophique » #, où l'analyse du vocabulaire atteint une précision et une subtilité extrémes, et qui atteste en tout cas combien ce genre d'exercice était pratiqué au Lycée. ,

L'unité de lieu, indispensable à la cité, ne suffit donc pas, au total, à

la définir, puisque cette unité est susceptible de variations. L'unité de population n'est pas non plus un critére suffisant. Méme si le peuple qui occupe un certain lieu reste le méme par le sang, la succession des générations entraîne un renouvellement constant des habitants : « Faudra-t-il dire alors que la ville reste identique..., comme on dit qu'un fleuve est identique, qu'une fontaine est identique, quoique sans cesse de l'eau vienne s'ajouter et de l'eau s'écoule ? ou faudra-t-il dire que l'unité de sang permet à la population de demeurer identique, tandis que la ville peut changer % ? » Une cité, « polis », ne peut donc se définir par des critéres purement matériels. Réunissons Mégare et Corinthe dans une méme enceinte, elles ne formeront pas pour autant une seule cité, ni non plus le Péloponnése, qu'il serait pourtant possible d'entourer d'un mur continu, ni Babylone méme, dont l'étendue convient plutót à un « ethnos » qu'à une « polis » 55, C'est que la cité n'a pas pour fin des biens matériels, qui lui sont d'ailleurs en partie indispensables. Aussi une alliance défensive, un traité de commerce, ne suffisent-ils pas à créer des concitoyens ?*. «Sans quoi les Étrusques et les Carthaginois, et tous les peuples qu'unissent des conventions, seraient comme les citoyens d'une seule 52. Les prémisses de cette solution sont posées par E. Barker, qui remarque que πόλις peut être « city or place », ou bien « political community ». — On rapprochera le sens de πολλαχῶς λέγεσθαι dans les Parties des animaux,

II, 2, 648 a 36 ;

649 b 5 sq. ; les Météorologiques, IV, 3, 380 b 4 ; la Métaphysique, I' (IV), 2, 1003 a 33, etc. Voir Bonıtz, Index Aristotelicus, 8. v. πολλαχῶς.

53. III, 3, 1276 a 25, 34. 94. Protagoras, 337 a sq. 55.

Catalogue de DiocENE

LAËRcE,

36 ; Catalogue de l’Anonyme,

37.

56. J. Tricor, traduction de la Métaphysique, Paris, 1948. Cf. W. JagGEs, Aristotle*, p. 203. 57. 111, 3, 1276 a 35 sq. 98. 1276 a 26 sq. ; 9, 1280 5 13 sq. ; cf. II, 6, 1265 a 13 sq.

59. IIT, 9, 1280 a 25 sq. ; cf. 1280 5 17 sq.

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

375

cité » ®. L'épigamie non plus ne produirait pas ce résultat à elle seule 51, Συζῆν n'est pas εὖ ζῆν. Il ne reste alors qu’un élément de permanence, qui définit la cité. Et c'est sa constitution : « Du moment que la cité est une communauté, une communauté de citoyens partageant une constitution, tout changement spécifique qui altère la constitution paraît entraîner inévitablement une rupture dans l'identité de la cité. De la même façon, nous disons qu’un chœur tantôt comique tantôt tragique n’est pas le même, quoique les membres en soient souvent les mêmes. Cela est vrai aussi pour toute autre communauté et tout composé, qui changent si la composition subit un changement spécifique. Par exemple, nous disons qu'une harmonie formée des mêmes notes est différente selon que le mode est Dorien ou Phrygien. Dans ces conditions, il est évident que le critère essentiel à considérer pour l'identité de l'État (πόλις) est la constitution (πολιτεία). On peut en revanche donner le méme nom ou un nom différent à un État, qu'il soit peuplé des mémes habitants ou d'individus totalement différents » ®2. C'est que la constitution est la source et la garantie de cette φιλία, cette « amitié » qui unit une cité. Un citoyen doit se préoccuper de la valeur morale et du progrés moral de tout autre citoyen, puisque la communauté politique tend naturellement au bien 58, L'organisation de la cité idéale, aux livres VII et VIII, répond

à cette nécessité ; et

dans la pratique Aristote écrit que «la constitution est comme la vie de la cité » 4, à γὰρ πολιτεία βίος τίς ἐστι πόλεως, de même qu'Isocrate proclamait que la constitution est l'âme — ψυχὴ — de la cité 5. Vertu et vice des citoyens et de la constitution se mesurent d'aprés les mémes principes, et c'est justement ce qui fait la valeur de la constitution « moyenne », image de la vertu, équilibre comme elle %. La « politeia », comme la « polis » qu'elle organise, doit aider à bien vivre. « Polis » et « politeia » sont donc, comme l'étymologie le faisait prévoir, deux termes correspondants. C'est à partir du moment où un ensemble politique peut recevoir une « politeia », c'est-à-dire une organisation qui confére la véritable « autarcie », qu'il mérite le nom de « polis ». Aussi Aristote n'a-t-il méme pas prononcé le mot πολιτεία lorsqu'il retraçait l'organisation de la famille, οἰκία, et du village, κώμη, dont le développement et l'union formeront une πόλις. ll a admis seulement qu'à ces deux premiers stades prévalait une organisation monarchique δ΄. 60. 61. 62. 63.

1280 1280 111, LII,

a ὁ 3, 9,

36-38. 15 sq. 1276 b 1 sq. 1280 b 1 sq., 35 sq.

64.

IV, 11, 1295 a 40 sq.

65. Isocrare, Aréopagitique, 14 ; Panathénalque, 138. Sros£g (X LIII,140) attribue à DÉMosTHENE une formule analogue : « Les lois sont l’äme de la cité. » G. MaTurEU (éd. de l'Aréopagitique, Coll. des Univ. de Fr.) note que A. Derarte (Essai sur la politique pythagoricienne, Liège-Paris, 1922, p. 172) a trouvé une formule analogue chez

OxeıLos

(Srosée,

I, 13, 2). Cf. aussi

PLurarque,

De

unius

dom..., I, 4, 826 c : « La constitution est la vie du peuple, δήμου βίος ». 66. IV, 11, 1295 a 34 sq. ; cf. supra, p. 360 sq. 67.

I, 2, 1252

b 12 sq. ; cf. supra, p. 335 sq.

in Re

publica

376

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Or la monarchie est justement un systéme équivoque, qui n'a pas sans réserves le rang de a politeia » *.

Enfin, si l'on sort du cadre de la « polis », si l'on prend en considération un peuple, « ethnos », où sont juxtaposés des cités aussi bien que des villages, Aristote affirme au livre VII, par une litote expressive, que le cadre de la « politeia » deviendra lui aussi trop étroit : « Une cité composée de membres trop peu nombreux ne se suffit pas à elle-méme ; or la cité doit se suffire. Mais une cité composée de membres trop nombreux se suffit seulement dans le domaine des nécessités matérielles. Elle ressemble à un peuple, non à une cité. Car il n'est pas facile qu'y existe une constitution 9? » — ὥσπερ ἔθνος, ἀλλ᾽ où πόλις ᾿ πολιτείαν γὰρ οὐ ῥάδιον ὑπάρχειν. « 1] n'est pas facile », où ῥάδιον, n'est évidem-

ment qu'une facon adoucie de s'exprimer. Aristote l'a employée, dans un sens non équivoque, au treizième hvre de la Métaphysique, d'un probléme insoluble, il écrit : où ῥάδιον λῦσαι, el μὴ λέγειν τὸ ἀδύνατον— ce que J. Tricot traduit élégamment bléme n'est pas facile à résoudre ; pour mieux dire, il est méme ment insoluble » ©: où féôtov est synonyme d’&Süvarov.

Aristote commente

son

πολιτείαν



ῥάδιον

où traitant ῥάδιον δεῖ « Le procomplèteD'ailleurs,

ὑπάρχειν en montrant

l'impossibilité d'une πολιτεία pour un ensemble politique trop vaste : « Qui pourra être le général d'une foule nombreuse à l'excés, qui pourra en étre le héraut sans posséder une voix de Stentor ?! ? ». La « politeia » définit donc en principe la « polis ». Mais nous touchons ici au probléme que posent les dimensions de la « cité » aristotélicienne, probléme essentiel, qu'il convient d'examiner en détail. B. Les DIMENSIONS DE LA πόλις : πόλις ET ἔθνος. Aristote a catégoriquement affirmé, à plusieurs reprises, qu'une « polis » ne devait pas dépasser certaines limites de territoire et de population. Selon lui, cette nécessité s'impose à une cité idéale, et dans la pratique un État qui ne s'y conforme pas ne mérite pas le nom de « polis ». Parmi les critiques qu’Aristote adresse à la cité platonicienne des Lois, figure justement l'excés de population : cinq mille citoyens en état de porter les armes — cinq mille quarante, dit plus précisément Platon — occuperont, avec leur famille et leurs serviteurs, un « terri68. Supra, 69.

p. 43.

VII, 4, Tao6

b 2 sq. Ed. Wiz,

Doriens et Ioniens, Publ. Fac. Lettres de Stras-

bourg, 1956, p. 72, n. 2, restreint la portée de ce texte, qui selon lui ne concernerait 8 les « ethnè » grecs ; mais le sens paraît plus large. 70. Métaphysique, M (XIII), 9, 1085 a 29 sq. 71.

Pol., V11, 4,1326 b 5sq. —

Newman suppose que le mot πολιτεία est employé

ici dans un sens restreint, exclusif de « royauté ». Cette interprétation puisque la royauté ne figure pas toujours parmi les « constitutions » Mais le roi est d'ordinaire, lui aussi, général de son armée. Il semble bien condamne ici les ensembles trop vastes à n'avoir pas de « constitution nom » (« a true constitution », BARkEAR).

est possible, d'AnisTOTE. qu'AnisTOTE digne de ce

AU

DELA

DE

LA

CITÉ

377

toire semblable à celui de Babylone ou tout autre territoire aux dimensions énormes » 73. Or à Babylone, qui a plutôt les limites d'un peuple — « ethnos » — que d'une cité — « polis » —, on prétend que deux jours aprés la chute de la ville, certains quartiers n'avaient pas encore conscience de l'événement ??. Une cité digne de ce nom, remarque encore Aristote dans l’Éthique de Nicomaque, a sans doute plus de dix citoyens, mais elle ne saurait en compter cent mille 76, Un bateau qui n'atteint pas une coudée de long ne mérite pas le nom de bateau ; mais il ne le mérite pas davantage s’il mesure prés de quatre cents mètres — deux stades. Un État, comme toute chose, a sa juste mesure : ἔστι τι καὶ πόλεως μέτρον, ὥσπερ xal τῶν ἄλλων πάντων, ζῴων φυτῶν ὀργάνων 75. Aussi Aristote soumet-il à une critique serrée la notion de « grande

cité », ποία μεγάλη καὶ μικρὰ πόλις. En admettant en effet qu'une cité doive, pour être heureuse, être grande, il faut encore définir la vraie « grandeur » : la plus grande ville ne sera-t-elle pas celle qui peut le mieux réaliser « l’œuvre propre de la cité » ? Ce ne sera pas forcément la plus peuplée, puisque « Hippocrate passera normalement pour plus grand — comme médecin, non comme homme — qu’un individu de taille supérieure » %. A ne considérer que le chiffre de la population, il sera au moins nécessaire de distinguer entre les éléments qui la composent, et dont les uns sont qualifiés, tandis que d'autres ne devraient pas entrer en ligne de compte : « Un État qui met en ligne une foule de travailleurs manuels et une infanterie lourde peu nombreuse, ne saurait être un grand État » 7, Un État trop peuplé est d’ailleurs la proie du désordre 78, La meilleure facon d'y remédier étant que les citoyens se connaissent, pour que toutes les décisions importantes soient prises en pleine clarté, la population devra étre à la fois assez nombreuse pour parvenir à l'autarcie, assez peu nombreuse pour qu'un homme puisse

la connaître tout entière : ἣ μεγίστη τοῦ πλήθους ὑπερθδολὴ πρὸς αὐτάρxetav ζωῆς εὐσύνοπτος 75. La cité sera pour ainsi dire familiale, et étroite ; la « philia » s'établira aisément dans ce cadre restreint. Le territoire ne sera donc pas trés vaste. Il répondra aux mêmes nécessités que le chiffre de la population : autarcie et juste mesure ; il portera les productions les plus variées, pour assurer aux habitants une existence satisfaisante, libérale et raisonnable, mais sans excès ; il sera à la fois facile à défendre et difficile à attaquer ; bref, il sera εὐσύνοπτος 9. Nul ne risquera de le confondre avec le territoire d'un « ethnos » ou d'une ligue. 72. 73.

11, 6, 1265 a 14 sq. PraToN, Lois, V, 737 e sq., etc. 111, 3, 1276 a 28 sq. Peut-être est-ce un souvenir imprécis

191 (prise de Babylone par Cyrus) ; cf. supra, p. 315.

74; Éth. de Nicomaque, IX, 10, 1170 b 30 sq. 75.

Pol., VII, 4, 1326 a 35 sq.

76. 77. 78. 79. 80.

1326 1326 1326 1326 VII,

a 8 sq. a 22 sq. Cf II, 2, 1261 a 24 sq. et supra, p. 269 (ligues). a 26 sq. b 23 sq. 5.

d'HÉRODOTE,

I,

378

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Tels sont les principes qu’Aristote a affirmés avec la plus nde netteté, aux livres II, III et VII de sa Politique, ainsi que dans l'Éthique de Nicomaque: une cité ne doit pas dépasser une certaine dimension (Politique, II, III, VII; Éthique de Nicomaque) ; c'est qu'elle n'est ni une alliance, ni un « ethnos » (Politique, IT, III, VII) : son but est

d'aider non seulement à vivre, mais à bien vivre (ibidem). Mais ces principes ne suffisent pas à expliquer et à résumer l'enser gnement politique d'Aristote. Des éléments hétérogénes apparaissent dans la Politique, qui correspondent à un point de vue beaucoup plus compréhensif. En fait, les cités contemporaines étaient loin de se conformer au canon de ces dimensions qu’Aristote voulait imposer à sa cité idéale. « Les États qui passent pour bien gouvernés, dit-il, ne se laissent jamais aller à la surpopulation » #!. Outre que cette affirmation est téméraire si elle vise Carthage *?2, et qu'à propos de Sparte le livre II signale plus justement les dangers de «l'oliganthropie 83 », le caractère théorique du texte est évident, du fait que les Etats moins ordonnés méritent néanmoins d'étre pris en considération. C'est ce qu'admettaient, peutétre avec quelque excés, «la plupart des gens », croyant d'aprés leur propre expérience qu'une cité heureuse était nécessairement vaste 9. C'est ce qu'accepte Aristote lui-même dés le livre III de la Politique, où il enregistre, comme un fait irréductible, l'extension des cités : ἐπεὶ δὲ

xai μείζους εἶναι συμδέθηκε τὰς πόλεις... 9. Jamais dans les livres réalistes il ne critiquera ni ne jugera excessive l'extension des cités. Et s'il signale en passant que les territoires de Clazoménes, de Colophon et méme d'Athénes ne contribuent pas à l'unité de ces cités — ὅταν μὴ εὐφυῶς ἔχῃ À χώρα πρὸς τὸ μίαν εἶναι πόλιν ---, c'est non seulement sans refuser à ces États le nom de πόλεις, mais sans proposer non plus de « remède » à un mal qu'il juge en l'occurrence inévitable 85, La surpopulation est considérée au livre VI comme un facteur positif, dont il faut tenir compte dans l’organisation et la répartition des emplois et des magistratures ®. Il est vrai qu'elle caractérise la démocratie extrême, mais celle-ci peut aussi être réfrénée et équilibrée ®. Puis, d’une façon générale, l'extension des Etats, qui a poussé à l'établissement de démocraties, en favorise aussi le maintien : τὰς μὲν οὖν δημοχρατίας ὅλως f$ πολυανθρωπία σῴζει 99. Les grandes cités, et particulièrement les démocraties, ne connaissent-elles pas une stabilité plus grande, puisque la 81. 82.

VII, 4, 1326 a 27 sq. St. Gseıı, Histoire ancienne

de l'Afrique

du Nord,

11, 3° &d.,

Paris,

1928,

p- 84 sq. Voir aussi supra, p. 274. 83. 84.

II, 9, 1270 a 29 sq. VII, 4, 1326 a 8 sq. —

Newman

renvoie à PraTon, Lois, V, 742 d, qui

prend aussi à cette opinion répandue. 85.

III, 15, 1286

b 20 sq.

86. V, 3,1303 b 7 sq. Voir supra, p. 373. 87. 88. 89.

VI, 8, 1321 b 23 sq. VI, 5, notamment 1320 a 17 sq. VI, 6, 1321 a 1 sq.

s'en

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

379

classe moyenne y est nombreuse ® ? Aussi les cités sont, en fait, souvent plus vastes que l'autarcie ne l’exigerait ; Aristote le reconnait, et dans une certaine mesure, il l'approuve. Il considérera même au livre V] que la division du territoire présente de sérieux avantages, pour une « démocratie honnête ou une politeia » 91. Sur un territoire étendu, comme celui par exemple des cités achéennes, ou même divisé par un bras de mer ??, la masse des habitants demeurera aux champs ; elle devra s'y installer comme dans des colo-

nies, ἐπὶ τῶν ἀγρῶν ποιεῖσθαι τὰς ἀποικίας. Aussi ne fréquentera-t-elle guère l’assemblée. Cette démocratie tranquille sera délivrée de la tyrannie des foules oisives qui badaudent sur l’agora et dans toute l’agglomération, prêtes à tenir séance 35, Si l’on songe que cette démocratie modérée — ou cette politeia — est le modèle que propose Aristote, la moyenne équilibrée qu'il juge «la plus accessible », χοινοτάτη, à la plupart des cités %, on voit que l’État aristotélicien n'est pas si restreint qu'il pouvait paraître ; presque toute cité aura, à ce compte, intérêt à ce que son agglomération principale et son territoire ne soient pas trop concentrés : τὴν χώραν πολὺ τῆς πόλεως ἀπηρτῆσθαι. C'est que, dés le livre III encore, sa théorie de l'unité topographique de la cité est hésitanté. Cette incertitude l'améne méme, au livre III et de plus en plus dans les livres réalistes, à considérer des ensembles « politiques » qui ne sont pas des « poleis ». L'unité de lieu, a-t-il affirmé, sans suffire à créer la cité, est une condition indispensable. Aussi doit-il préciser cette notion d'unité : qu'est-ce que la κοινωνία τόπου, que le τὸν αὐτὸν xal Eva κατοικούντων τόπον 95 ? Il y aura unité « géographique », méme si les résidences sont séparées, à condition que la distance n'empéche pas les rapports de communauté ; εἴ τινες οἰκοῖεν χωρὶς μέν, μὴ μέντοι τοσοῦτον ἄποθεν ὥστε μὴ xotwoνεῖν... 9. Une telle « communauté » n’est évidemment pas celle des habitants de Babylone, qui s’ignorent les uns les autres, ni des Étrusques et des Carthaginois, unis seulement par des rapports commerciaux, par des conventions juridiques, par une alliance %. Il faut que les membres de la communauté tendent vers le bien, et se prétent à cet effet un mutuel appui. Or cette nécessité n'implique pas que le « lieu » de la cité soit trés restreint, qu'il ne présente pas des agglomérations diverses. Il suffit que chaque habitant ne considére pas son habitation « comme une cité ». Car méme dans une seule agglomération, une telle attitude suffirait à rompre le lien politique : el γὰρ καὶ συνέλθοιεν οὕτω

χοινωνοῦντες,

ἕκαστος

μέντοι

χρῷτο

τῇ ἰδίᾳ οἰκία ὥσπερ πόλει... 99.

90. IV, 11, 1296 a 9 sq. 91. VI, 4, 1319 a 32 sq. 92. Newman, ad loc.

93. 1319 a 24 sq. 94, Supra, p. 360 sq. 95. III, 2, 1276 ai19 sq. ; 9, 1280 ὁ 13 sq. Cf. supra, p. 372 sq. 96. III, 9, 1280 b 17-18. 97. 1280 a 36 sq. 98. 1280 b 25 sq.

880

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

De facon caractéristique, Aristote définit quelques lignes plus loin la « polis » comme une « communauté de familles et de villages », 5 γενῶν καὶ κωμῶν κοινωνία ζωῆς τελείας xal αὐτάρκους (χάριν) 99. Or ce support géographique de la « polis », la γενῶν καὶ κωμῶν κοινωνία, existe aussi dans des ensembles autrement vastes : un « ethnos » n’est souvent qu’une communauté de familles et de villages. De fait, l'attitude d'Aristote à l'égard du niveau politique que pouvait atteindre un « ethnos » a étrangement varié. Il emploie le mot « ethnos », dans la Politique, à plusieurs reprises pour exprimer la notion raciale de peuple, indépendamment de toute définition politique, ou bien pour désigner en général des ensembles humains qui ne sont pas organisés en « poleis » : barbares, Grecs primitifs X9, Cette opposition de l’« ethnos » à la « polis », ou du moins cette distinction entre les deux termes, est déjà significative : Aristote s'efforce de ne pas les confondre, — et cependant il voit la nécessité de les prendre tous deux en considération. Mais d'autres textes sont plus caractéristiques, où Aristote étudie précisément l'organisation politique de l’« ethnos » par rapport à la cité. Le premier, que nous avons déjà rencontré, figure au livre II : Aristote oppose à la cité, « polis », qui est un tout organisé, formée de parties différenciées, un ensemble tel que l'«ethnos », composé d'éléments semblables : cette opposition ne vaut pas seulement lorsqu'un peuple est disséminé, mais lorsqu'il est organisé « à l'arcadienne », οἷον ’Apκάδες 101,

Ainsi l'existence d'un κοινόν ne donne pas valeur de « polis » à un « ethnos ». Aristote ignore même ce terme de χοινόν ; il recourt à une périphrase et à une comparaison : « à l’arcadienne ». Le texte du livre VII où Aristote refuse pratiquement le rang de « politeia » à l’organisation d’un peuple, part de la même opinion : πολιτείαν où ῥάδιον ὑπάρχειν 202. Un peuple n'atteindra pas la même « autarcie » qu'une cité ; il se suffira seulement à lui-même « pour le nécessaire » ; il aidera ses membres à vivre, non à bien vivre. Bref, un « ethnos » n'est pas une « polis ». L'exemple de Babylone, aux livres II et III encore, illustre cette idée 103,

L'insistance dont fait preuve Aristote pour distinguer les deux termes ' est remarquable. Elle n'a pas de précédent, et elle s'accompagne bizarrement dans la Politique d'un rapprochement entre « ethnos » et « polis », qui aboutit à une confusion. 99. 1280 b 40 sq. 100. Politique, 1, 2, III, 13, 1284 a 38 ; V, VII, 17, 1336 a 6, 11 ; BERNAYS a proposé, ne s'impose pas. Cf.

: 1252 b 20 ; 9, 1257 a25 ; II, 5, 1263 a 5 ; III, 3, 1276 a 33 ; 10, 1310 ὃ 35 ; VII, 2, 1324 5 10, 19; VII, 7, 1327 b 23 sq.; VIII, 4, 1338 ὃ 17 sq. en II, 5, 1264 a 2 la correction ἔθνεσιν pour ἕτεσιν, qui J. Vauen, Gesammelte Philolog. Schriften, Leipzig-Berlin,

1911, t. I, p. 288 sq. 101. II, 2, 1261 a 27 sq. ; cf. chapitre VIII, p. 269 sq., s. v. 102. VII, 4, 1326 5 5 ; supra, p. 376. 103. II, 6, 1265 a 13 sq. ; III, 3, 1276 a 27 sq.

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

381

Dans ce même livre III, Aristote étudie simultanément la monarchie établie sur un peuple et sur une cité. Le fait était que les « peuples » — « ethné » — connaissaient, beaucoup plus que les cités, un régime monarchique, et Aristote s'inspirait de la réalité historique. Aussi le voit-on, à propos de la royauté absolue, παμδασιλεία, mettre exactement

sur le méme plan « ethnos » et « polis » : « La royauté absolue est celle d'un seul chef, maître de toutes choses, comme chaque peuple ou chaque cité est maître de ses affaires communes, ὥσπερ ἕκαστον ἔθνος καὶ πόλις ἑχάστη τῶν κοινῶν 1%, La distinction, par ailleurs essentielle, entre les « affaires » dont peut s'occuper une « polis » d'une part, un « ethnos » de l'autre, a disparu : le degré d'autarcie de ces deux communautés parait, en principe au moins, analogue. Et Aristote précise sa pensée en soulignant encore l'analogie : « Cette royauté est de l'ordre de l'économique. L'économique est une sorte de royauté sur la famille: la royauté absolue est l'économie d'une cité, d'un peuple, ou de plusieurs », $ παμθασιλεία πόλεως

καὶ ἔθνους

ἑνὸς à πλειόνων οἰκονομία.

L'importance qu'il attribue ici aux « peuples » est telle, qu'il ne se contente pas d'enregistrer des faits les concernant. Le probléme qu'il a posé est celui de la valeur de la royauté : convient-il ou non de rechercher ce régime ? Or la question est envisagée aussi bien pour des peuples que pour des cités : « Il faut examiner si la royauté permet le bon gouvernement d'une cité ou d'une région », axentéov δὲ πότερον συμφέρει τῇ μελλούσῃ καλῶς οἰκήσεσθαι καὶ πόλει xal χώρᾳ 1%. Que l'on admette ici que la χώρα est « un territoire occupé par des villages » ou, plus précisément, comme le préfère Newman, « un territoire occupé par un

« ethnos » ou des « ethnè » 1%, il est certain qu'à cóté de la « polis », Aristote prend en considération une organisation plus vaste et plus souple. Et dans l'hypothèse où la royauté ne serait pas la meilleure solution, il se demande si une autre constitution en général, ou une constitution variant selon les cas particuliers, donnerait des résultats plus favorables : c'est toujours pour les mêmes ensembles politiques qu'il se

pose cette question, πόλει xal χώρᾳ. Il est vrai que dans les résumés qu'il donne ensuite de son étude, il

ne mentionne plus ἔθνος ou χώρα 197 : περὶ μὲν οὖν Baarhelac,… πότερον οὐ συμφέρει ταῖς πόλεσιν À συμφέρει,... διωρίσθω τὸν τρόπον τοῦτον. Et ailleurs : περὶ μὲν οὖν βασιλείας διωρίσαμεν ἐν τοῖς πρώτοις λόγοις,...

πότερον ἀσύμφορος À συμφέρει ταῖς πόλεσιν !®. La πόλις paraît ici le seul centre d'intérêt. Sans doute cette contradiction est-elle due à l'influence du Sur la Royauté, qu'Aristote avait composé pour Alexandre 1%, et qui de ce 104.

III, 14, 1285

b 29 sq.

105. 1284 b 37 sq. 106. 107. 108.

Newman, ad 1284 b 38. Newman, ibid. 111, 17, 1288 a 30 sq. ; IV, 10, 1295 a 4 sq.

Cf.

aussi

II, 9, 1271

a 18 sq.

qui renvoie à plus tard (livre IH) un développement sur les avantages de la royauté « pour les cités », ταῖς πόλεσιν. 109. Supra, p. 157 sq.

382

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

fait devait se préoccuper, autant que des « poleis », des « ethné » : les Macédoniens sont un « ethnos » ; mais le Stagirite s'est efforcé d'adapter ce développement plus ancien à une politique de la « polis » ; il n'y est qu'imparfaitement parvenu. Toutefois cette explication ne saurait suffire. Car méme en réduisant, dans ce texte probablement emprunté. la part de l'« ethnos », Aristote ne l'a pas annulée. Alors méme qu'il avait enseigné d'un cóté que le « peuple » ne pouvait étre assimilé à la « cité », il acceptait par ailleurs de les réunir. Il les a méme rapprochés au livre VII, lorsqu'il a affirmé que «un bon législateur doit examiner comment une cité, une race d'hommes et toute autre communauté pourront participer à une vie bonne et au bonheur qui est à leur portée », ... πόλιν xal γένος ἀνθρώπων καὶ πᾶσαν ἄλλην

κοινωνίαν 119, Ainsi, dans le livre méme où il veut édifier une « polis » aussi bonne que possible, Aristote ne se laisse pas arréter par cet horizon de Ja cité. Et un peu plus loin, quand il étudie les rapports de l'État idéal avec la mer, il prend

en considération le cas, non seulement

de

cités, mais de « territoires », qui possédent des mouillages et des ports bien situés, xal νῦν ὁρῶμεν πολλαῖς ὑπάρχοντα xal χώραις xal πόλεσιν ἐπίνεια καὶ λιμένας

εὐφυῶς

κείμενα πρὸς

τὴν πόλιν 111,

ll est vrai que le législateur, νομοθέτης, dont le rôle est ainsi défini. ne créera pas forcément une constitution : Aristote a lui-mérme, au livre II, établi cette distinction !!2, Il est vrai aussi que les textes du livre III traitent seulement de la royauté, c'est-à-dire d'une organisation à laquelle Aristote n'a pas toujours donné le nom de constitution 113. L'intérêt pour l’« ethnos » serait néanmoins, méme dans ces conditions. surprenant, d'autant plus qu'au livre III, la royauté est bel et bien rangée parmi les constitutions. Mais il y a plus.

D'une part, au livre V, la documentation qui concerne les « ethnè » est mélée aux exemples tirés de l'histoire des cités, sans qu'Aristote, hormis une seule fois, juge nécessaire de les distinguer ; encore est-ce pour mettre les faits sur le méme plan : « Les rois ont obtenu leur titre pour services rendus, ou parce qu'ils pouvaient rendre des services, à leur cité ou à leur peuple », τὰς πόλεις ἣ τὰ ἔθνη 115. Suivent les exemples de Codros, de Cyrus, des rois de Lacédémone, de Macédoine et des Molosses. Il est vrai que dans cette partie précisément de la Politique, les monarchies ne sont pas constamment rangées parmi les constitutions 115, Mais une attention dirigée si continüment vers les peuples aussi bien que sur les cités est significative : les Molosses sont mentionnés encore un peu plus loin, de la méme façon que les Lacédémoniens 1. 110.

VII, 2, 1325 a 7 sq.

111. VII, 6, 1327 a 32 sq. 112. II, 12. 113. Supra, p. 43. 114. 115.

V, 10, 1310 b 34 sq. V, 10, 1310 b 1 sq. ; 12, 1315

12, 1315 ὁ 11 sq. 116. V, 11, 1313 a 23 sq.

ὁ 40 sq. ; en face

de

10, 1312

a 39

sq., et

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

383

Les Macédoniens, les Thraces, et jusqu'à l'empire du Grand Roi fournissent de nombreux exemples 117, D'autre part et surtout, en plein livre VII, peu après le texte où il refuse pratiquement une « politeia » à un « ethnos », Áristote écrit que « la race grecque, τὸ τῶν ‘EAAnvov Yévoc,... est capable de commander

au genre humain, à condition de n'avoir qu'une constitution, μιᾶς «τυγχάνον πολιτείας ». Le « génos » est évidemment un ensemble plus large que l’« ethnos » : Aristote précise ensuite combien sont différents les « ethné » des Grecs 118. On ne saurait donc imaginer renversement plus complet. D'autres textes d'Aristote fournissent des indications complémentaires. Ce sont d'abord les constitutions « communes », fédérales, que notre chapitre VIII a déjà signalées. Deux d'entre elles, celles des Arcadiens et des Thessaliens, sont expressément appelées « communes » par des sources anciennes : ἐν τῇ κοινῇ ᾿Αρκάδων πολιτείᾳ, ἐν τῇ κοινῇ Θετταλῶν πολιτείᾳ 119, D'autres ne peuvent guère être autre chose que « communes » : ce sont par exemple celles des Étoliens, des Acarnaniens, des Achéens, des Lyciens, peut-être celle des Epirotes 1%, Or il nous a paru que l'auteur de la Politique n'avait pas eu besoin de les utiliser, ne les avait sans doute pas encore étudiées. Enfin il a semblé presque également probable que la Constitution des Maliens, bien attestée 131, elle aussi constitution « commune », n'est pas à l'origine de l'unique référence aux Maliens que présente la Politique. Ces probabilités sont renforcées par le jugement que porte Aristote au livre II de la Politique sur le xowóv des Arcadiens. Ce passage du livre II est assurément antérieur à l'entreprise des xotval πολιτεῖαι. Antérieur aussi doit être le passage du livre VII où la « politeia » est refusée à un « ethnos ». Mais le texte où une « politeia » est envisagée pour tous les Grecs doit étre beaucoup plus récent. Cette premiére esquisse de chronologie tire quelque confirmation de la Rhétorique et de l' Éthique de Nicomaque. « Ethnos » et « polis » y sont mis sur le méme plan. La Rhétorique définit la noblesse « pour un peuple et pour une cité », ἔθνει μὲν xal πόλει, dans un texte d'autant plus remarquable que ces deux termes sont repris ensuite par un seul — qui est « polis » : « La noblesse est pour un peuple et une cité l'origine autochtone ou ancienne, l'illustration des premiers chefs, leur descendance nombreuse et illustre en tout ce que l'on ambitionne, pour un parti-

culier — ἰδίᾳ δέ —, la noblesse est celle de l'extraction par les hommes ou les femmes, —

ὥσπερ

la légitimité des deux cótés et, comme

ἐπὶ nölews —, la notoriété

des

premiers

pour une cité

ancétres

en

vertu,

richesse ou autre avantage estimé, et l'illustration de nombreux membres 117. V, 10, 1311 5, 1312 a, passim. 11, 1313 a 37 sq. Cf. aussi (les Pyramides d'Égypte). 118. VII, 7, 1327 b 29 sq.

1313

b 21

119. 120.

Rose, 1886, 483 et 497. Pour tout ceci, voir chap. VIII, s. v., et p. 309. Rose, 473, 474 sq., 495, ainsi que p. 308, 313 et 339.

121.

Ibidem, 553 sq.

sq.

384

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

de la famille, hommes, femmes, jeunes gens, vieillards » 122. La symétrie des deux conceptions — noblesse pour un peuple ou une cité, noblesse pour un particulier — souligne l'asymétrie de l'expression. Ailleurs, la Rhétorique note que « ceux dont des ancêtres, des parents,

des intimes, la nation ou la cité — ἢ τὸ ἔθνος ἣ ἡ πόλις --- sont tenus en

honneur

sont

enclins

à

l'émulation

concernant

ces

choses » 113,

cependant que l' Éthique de Nicomaque compare d'abord le bien de l'individu avec celui de la « polis », puis — comme si l'expression était synonyme — avec celui d'un « ethnos » et d'une « polis » : « Même si le bien de l'individu s'identifie avec celui de J’Etat — πόλις, — ἡ parait bien plus important et plus conforme aux fins véritables de prendre en mains et de sauvegarder le bien de l'État — τὸ τῆς πόλεως. Le bien est certes désirable quand il intéresse un individu pris à part ; mais son caractére est plus beau et plus divin quand il s'applique à un peuple et à des États entiers » 1%. Enfin, dans la Rhétorique, peuples et cités sont confondus lorsqu'Aristote affirme la nécessité pour le législateur de comprendre, gráce aux « relations de voyage », « les lois des divers peuples », τοὺς τῶν ἐθνῶν νόμους 1%. Ces alternances de confusion et de distinction entre les deux termes ne peuvent s'expliquer que par l'histoire de leurs rapports. Il convient d'en indiquer l'essentiel. Rien n'est plus facile à distinguer, en principe, qu'un « peuple », uni par les liens du sang, et une « cité », réalité politique. Mais si le mot de « polis » est fluide, celui d'« ethnos » ne l'est pas moins. Tantôt il exprime une entité purement raciale — et son sens alors est clair; tantôt l’« ethnos », réparti ou non en cités et en villages, se trouve sou-

mis à un méme pouvoir politique, monarchique le plus souvent à

l'ori-

gine, ou bien résultant d'une union fédérale : l’« ethnos » peut posséder une « sympoliteia », constituer un « koinon ». Les points de contact et les causes de confusion avec le concept de « polis » se multiplient alors. Il faut ajouter que les « peuples » maintiennent des traditions que leur division en « cités » aurait pu rompre : ce sont des « ethné » qui sont représentés à l'amphictyonie pyléodelphique, alors méme qu'une « polis » prépondérante assure l'essentiel de la représentation. La distinction est assurément bien faite à époque ancienne, lorsqu'un « ethnos » et une « polis » correspondent à des réalités différentes. Dans son Contre Ctésiphon, Eschine a cité le texte de l'imprécation qui fut proférée et gravée au lendemain de la première Guerre Sacrée : εἴ «w

τάδε, φησί, παραθαίνοι à πόλις ἢ ἰδιώτης 1) ἔθνος, ἐναγής, φησίν, ἔστω... 1%. 122. Rhétorique, I, 5, 1360 ὃ 31 sq. 123. II, 11, 1388 ὁ 8 sq. 124. 125.

Éthique de Nicomaque, I, 1, 1094 b 8 sq., trad. J. Vorzquin. Rhétorique, 1, 4, 1360 a 33 sq. Cf. aussi II, 6, 1384 a 11 sq. ; E. N., VIII, 1,

1155 a 19 sq. — Relevons pour mémoire Météorologiques, I, 13, 350 a 34, où ἔθνος désigne des peuples barbares ; 14, 351 5 11 sq., où le mot a une signification purement raciale, ainsi que dans le traité De la longévité, 465 a 9 sq. 126.

Escuine,

Contre Ctésiphon, 110.

AU DELÀ

DE LA CITÉ

385

L’« ethnos » est ici une « peuplade » 177, qui peut être divisée en « poleis », comme l’atteste encore Eschine, dans son discours Sur l' Ambassade 138, Mais, puisque d’une part on peut considérer dans une cité la race de ses habitants — donc l’« ethnos » —, et que d'autre part l’« ethnos » peut former une unité politique, cette distinction n’est pas respectée régulierement dans bon nombre de textes littéraires ou épigraphiques. Hérodote définit mal l’« ethnos ». C’est pour lui tantôt une subdivision du « génos », tantôt au contraire un ensemble de « génè ». Ainsi l’« ethnos » des Médes, comme celui des Scythes, groupe plusieurs

γένεα 129. Mais cet « ethnos » scythe porte aussi le nom de « génos » 1%, et comprend des ἔθνεα 131, Les Athéniens sont un « ethnos » hellénique qui fait partie du « génos » ionien, les Lacédémoniens un « ethnos » pélasgique à rattacher au « génos » dorien !?2, Il y a d'ailleurs plusieurs ἔθνεα pélasgiques et helléniques 138, L'ensemble des Grecs constitue tantôt un « génos » — τὸ ᾿Ελληνικὸν γένος — réparti en ἔθνεα, tantôt un « ethnos » 1%, Et le « génos » dorien n’est plus au livre VIII que l'un des sept ἔθνεα qui occupent le Péloponnése 18, Dans cette incertitude, le rapport de l’« ethnos » à la « polis » ne sera pas plus stable ; mais Hérodote s'intéresse à l'ethnographie plutôt qu'à la politique : c'est ainsi qu'il prend en considération, dans les textes déjà cités, l’« ethnos » d'Attique ou de Lacédémone. En outre, il n'a pas à envisager de vastes cités, ni des χοινὰ de peuples. Parfois donc il réunit et tantót il sépare peuples et villes. Mais la confusion est d'ordre racial, non politique. Il distingue sans hésitation, dans les peuples du Péloponnése, les cités qu'ils ont formées 1%, Il rapporte que Xerxés s'est vanté de ne plus rencontrer de résistance ni dans une « polis » ni dans un « ethnos » 157, En revanche, il énumére ainsi les ἔθνεα qui ont peuplé Chypre : Salamine et Athénes, Arcadie, Kythnos, Phénicie, Éthiopie 1%, Le critère ethnographique a pour lui tant d'importance, qu'il peut parler, ici et ailleurs, d'un «ethnos » d'Athénes 139, C'est assurément

mêler πόλεις et ἔθνεα qu'écrire une phrase comme : τούτων δὲ τοσάδε ἔθνεά ἐστι ol μὲν ἀπὸ Σαλαμῖνος xal ᾿Αθηνέων, ol δὲ ἀπὸ ᾿Αρκαδίης..., ot δὲ ἀπὸ Αἰθιοπίης. C'est toutefois insister sur l'aspect ethnique de réalités 127. Traduction V. MarrTin-G. pe Bupé, 128. 129.

Sur l'ambassade, 115 sq. Ἠέπονοτε, I, 101 ; IV, 6, 46.

130. IV, 46. 131. IV, 17, etc. 132. I, 56. Le texte est confus. Voir l’annotation et l'apparat critique de Ph. E. LEGRAND à I, 56 et 58, ainsi que le commentaire de How et Weııs. La difficulté de l'interprétation montre bien l'incertitude de la pensée, 133. I, 57 sq. 134. I, 60 et 143. 135. L 56, et VIII, 73. — Il serait Poweıı, Lexicon to Herodotus.

facile

de

multiplier

ces exemples.

Cf. J. E.

136. VIII, 73. 137. VII, 8, l. 42 sq. 138. VII, 90. 139.

I, 56 sq. ; IV, 99.

Aristote et l'histoire

|

25

386

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

politiques : ce n'est pas encore confondre deux réalités politiques 1€. Avec Thucydide est franchie une étape dans les rapports entre les deux termes : la confusion se fait plus fréquents, elle est plus significative. Thucydide accorde à la notion raciale d'« ethnos » une valeur d'autant plus grande, que la guerre du Péloponnése apparaissait, dans une large mesure,

comme

le combat

des

Ioniens

contre

les

Doriens 1*!,

Aussi,

lorsqu'il veut montrer que, dans l'expédition de Sicile, ce ne sont juste-

ment pas des considérations

de race (κατὰ Euyyévetav),

ni d'ailleurs

de justice, qui ont présidé à la formation des deux coalitions, mais « le hasard de la situation faite à chacun (des peuples) par l'intérét ou la contrainte » 143, il énumére les diverses cités en les classant par appartenance ethnique et souligne les affinités ou les oppositions : Ioniens contre Doriens 348, Éoliens contre Eoliens 144, Doriens contre Doriens 5... Et i] conclut son premier catalogue par: τοσάδε μὲν μετὰ ᾿Αθηναίων ἔθνη ἐστράτευον 345. De méme, c'est en adoptant le point de vue ethnique qu'il a retracé l'histoire de la colonisation de la Sicile: τοσάδε ἔθνη ἔσχε τὰ ξύμπαντα... τοσαῦτα ἔθνη Ἑλλήνων καὶ βαρδάρων Σικελίαν ᾧκει 1*. Cette colonisation est avant tout un peuplement. Thucydide indique avec précision l’appartenance des cités qui y participent 1%, Ailleurs encore, il montre Nicias passant en revue « les contin-

gents de chaque nation », κατά τε ἔθνη ἐπιπαριὼν ἕκαστα 1*9, ailleurs il distingue πόλεις, ἔθνη, ἄστη !99.

Mais ces distinctions sont trompeuses. Les « ethné » que Nicias va haranguer sont autant et plus des « poleis » que des « ethné ». Ce sont, à l'aile droite, les Argiens et les Mantinéens ; au centre, les Athéniens ;

sur l'autre aile, le reste des alliés, Crétois, Rhodiens, « sujets d'empire » 181, etc. Ce sont là des « cités », et que Thucydide envisage bien comme telles : « Chez les Argiens et les sujets d'empire, (les hommes allaient combattre).. pour revoir eux-mémes, aprés la victoire, une patrie qui était à eux. Quant au reste des alliés, sujets d'empire, ce qui 140.

En VII, 212, les Grecs sont présentés comme

χατὰ

ἔθνεα xexoauruévot

aux

Thermopyles. Ph. E. LEGRAND traduit « groupés par cités ». Mais l'interprétation la plus naturelle est « groupés par nations » (cf. par ex. traduction H. BEncurN). 141. Grorz-ConzN, Hist. Gr., 11, p. 607, avec les nuances exprimées p. 605. Voir

par exemple Tuucvbpipe, VI, 6. 142. VII, 57, 1. 143. VII, 57,2 et 4 ; 58, 3. 144. VII, 57, 5. 145.

VII, 57, 6, 7, 9.

146. VII, 57, 11. Le catalogue des forces syracusaines s'achève seulement au début de VII, 59 par xal al μὲν ἑκατέρων ἐπιχουρίαι τοσαίδε ξυνελέγησαν. Les

147. 148. 149. 150. 151.

VI, 2 ; VI, 6, 1. VI, 2 sq. VI, 67, 3. 1, 122, 2. VL, 43 - 67,1 ; 68, 2. Cf. VII, 57.

AU leur

donnait

du

cœur,

DELÀ

c'était...

DE

LA CITÉ

aussi,

387

accessoirement,

l'espoir

qu'en

s’associant à l'asservissement des autres, ils allègeraient leur propre servitude » 152, Comment d'ailleurs l'expression xat’ ἔθνη aurait-elle une signification ethnique précise, lorsque les Árgiens doriens sont à l'aile droite, d'autres Doriens à l'aile gauche ; lorsque les Athéniens ioniens sont au centre, et à l'aile gauche d'autres Ioniens ἢ Quant au texte où les Corinthiens appellent à l'union tous les habitants du Péloponnèse, « tous ensemble, et peuple par peuple, et chaque ville pour sa part », il marque un glissement de sens encore plus complet:

πρὸς

ξύμπαντάς

δυνατώτεροι"

μιᾷ γνώμῃ

ὥστε,

τε

ἡμᾶς

᾿Αθηναῖοι

ἱκανοί,

xal

κατὰ

πόλιν ἔτι

εἰ μὴ καὶ ἁθρόοι καὶ κατὰ ἔθνη καὶ ἕκαστον ἄστυ

ἀμυνούμεθα

αὐτούς,

δίχα

γε

ὄντας ἡμᾶς

ἀπόνως

χειρώ-

σονται 153, I] est naturel d'admettre avec A. Croiset, que « καὶ, devant

ἁθρόοι, est en corrélation avec le second xal, placé devant ἔθνη » 154. Ainsi, πρὸς ξύμπαντάς τε ἡμᾶς est repris par ἁθρόοι — et κατὰ πόλιν par κατὰ ἔθνη xa! ἕκαστον ἄστυ 155, Non sans doute que les deux termes ἔθνη et ἄστυ soient, comme l'admet A. Croiset, presque synonymes, ni que le troisième καὶ n'ait pas la valeur des deux autres. Un ἔθνος, une

πόλις

groupent

des

agglomérations,

ἄστη,

ou

comprennent

une

agglomération principale, ἄστυ. Les Corinthiens veulent mobiliser toutes les ressources jusque dans les moindres agglomérations. Aussi

précisent-ils ἕκαστον ἄστυ.

Mais leur appel serait également affaibli

s’ils répétaient simplement xar& πόλιν : certains ἔθνη sont divisés en plusieurs πόλεις ; d’autres au contraire sont centrés autour d’une πόλις dominante ; dire χατὰ πόλιν, c'est oublier ces groupements de πόλεις

que sont des ἔθνη. Mais dire κατὰ ἔθνη, c'est élargir aux dimensions de l'Éüvoc les πόλεις qui

effectivement

dirigent

leur ἔθνος,

telle

Lacé-

démone. Comme pour souligner cette équivalence, les Corinthiens reprennent un peu plus loin le seul terme de πόλις: ὃ καὶ λόγῳ ἐνδοιασθῆναι

αἰσχρὸν τῇ Πελοποννήσῳ καὶ πόλεις τοσάσδε ὑπὸ μιᾶς κακοπαθεῖν. Aussi ne faut-il pas s'étonner que Thucydide accorde le nom de « polis » à des ensembles qui, à des yeux modernes, passeraient plutôt pour des « ethné ». Lorsqu'il a montré que la Grèce, à époque ancienne, est répartie en « peuples », il rapporte qu’ensuite « Hellen et ses fils devinrent puissants en Phtiotide ; on se mit à les réclamer dans les autres cités — ἐς τὰς ἄλλας nöieıg — pour se faire aider » 5, Et plus loin : « Ceux qui reçurent successivement le nom d'Hellénes, d'abord cité par cité, κατὰ πόλεις, quand les gens se comprenaient, et plus tard de façon 152. VI, 69, 3. 153. I, 122, 2. 154.

Voir

la traduction

de

Mme

J.

pe

Rourrrv,

citée

ci-dessus.

A.

CnoirsET

155.

De méme, 1,3, 2: TnucvDipx oppose « l'ensemble » de la Grèce — ξύμπασα—

réfute l'interprétation de CLassen (καὶ ἁθρόοι : « vel universi », ἔθνη et ἄστυ n'étant que le développement de ἀθρόοι). qui ne portait pas encore de nom, aux différents peuples — κατὰ ἔθνη — qui pouvaient au contraire avoir une appellation précise.

156. 1, 3, 2.

388

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

générale, n'accomplirent rien ensemble avant la Guerre de Troie » #. Il semble bien que les premières de ces « cités » — ἐς τὰς ἄλλας πόλεις — et peut-être aussi les secondes — κατὰ πόλεις — , ne sont pas différentes des « ethnè » qui occupaient le territoire de la future Grèce. Le peuple de Phthiotide, en tout cas, est mis sur le même plan que des « poleis ». Mais ce qui donne plus de consistance à cette interprétation, c'est que dans un texte voisin, que nous avons déjà rencontré, Thucydide décrit l'installation des anciens Grecs, en des termes dont l'équivoque méme est significative : « Tombant sur des πόλεις sans remparts, qui vivaient par bourgades, ils exerçaient la rapine » : προσπίπτοντες πόλεσιν ἀτειχίστοις καὶ κατὰ κώμας οἰκουμέναις ἥρπαζον 15. L'expression rappelle celle que Thucydide emploie pour expliquer les migrations : ἄδηλον ὃν ὁπότε τις ἐπελθών, καὶ ἀτειχίστων ἅμα ὄντων, ἄλλος ἀφαιρήσεται 189, Dans un cas comme dans l'autre, il s’agit d'installations très primitives. La première nommée est sans doute moins ancienne que l’autre. Mais cette dernière reçoit, elle aussi, au moins indirectement,

le nom de « polis » : οὔτε μεγέθει πόλεων ἴσχυον, dit Thucydide de ces occupants à peine installés, qui émigraient facilement. La « polis » n'est jamais ici qu'une agglomération infime, et dans le premier de ces textes, elle peut étre aussi l'ensemble de ces agglomérations — une « peuplade » 19— un « ethnos », envisagé au point de vue de son organisation et de son installation. Xénophon, grand voyageur, et curieux des choses barbares, distingue naturellement de la « polis » l’« ethnos », au sens racial ou méme au sens politique. Mais aussi il est monarchiste, admirateur d'un régime idéalisé qui aurait quelque chose de perse ; il a le sens des grands ensembles politiques 19. Aussi met-il souvent sur le méme plan « polis »et « ethnos » et les confond-il parfois. La distinction apparait par exemple dans l'Anabase lorsque l'étatmajor des Grecs a été anéanti, et que les mercenaires se sentent abandonnés, isolés, « entourés d'une multitude de peuples et de cités ennemies », κύκλῳ δὲ αὐτοῖς πάντῃ πολλὰ καὶ ἔθνη καὶ πόλεις πολέμμαι ἦσαν 153. Plus tard, en Arménie, l'expédition traverse le territoire d'un « ethnos » 163, qui est réparti dans des villages, κῶμαι 15: il n'y a point là de « poleis ». A Cunaxa, les troupes du Grand Roi étaient naturellement, selon l'habitude des Barbares, rangées par « nations » : πάντες

δ᾽ οὗτοι κατὰ ἔθνη iv πλαισίῳ πλήρει ἀνθρώπων ἕκαστον τὸ ἔθνος ἐπο‚pebero 1%, Il est dit dans les Helléniques que le Grand 157. 158.

1, 3, 4. 1, 5, 1, cf. 1, 7 ; 1, 10, 2 ; et supra, p. 386.

159.

1, 2,2.

160.

Voir A. CnoisET,

ad loc., et la traduction

de M=®

J, pe

peuples sans remparts. » 161. J. Luccıonı, Les idées politiques et sociales de Xénophon, ment p. 211, note 55, à propos de l'attitude de Xénophon en face 162.

Roi règne sur

Anabase,

111, 1, 2.

163. IV, 5, 28. 164. IV, 5, 22 aq. 165. I, 8, 9.

Rouxirrv

: « Des

p. 201 sq., notamdes « nations ».

AU DELÀ

DE LA CITÉ

389

des « ethnè » 1% — et dans la Cyropédie qu’au lendemain de la mort de Cyrus, « des villes et des nations firent défection » 7, L’« ethnos » est ici un ensemble proprement ethnique, ou bien politique, mais plus vaste

que la cité 18, Toutefois, la cité et le peuple peuvent occuper la même place dans l'esprit de Xénophon. C'est peut-être déjà le cas dans le texte de l'Anabase 1*?, qui décrit le désarroi des Grecs privés de leurs chefs — si ἔθνη n'a pas là un sens proprement ethnique. Le doute, en tout cas, n'est pas possible, dans un passage relatif au Thébain Coeratadas, sorte de condottiere qui parcourait le monde à la recherche de commandements, et qui «s'offrait spontanément si quelque cité — « polis » —, quelque nation — « ethnos » — avait besoin d'un stratége » !?, « Ethnos » et « polis » sont à la fois distingués et rapprochés. Le rapprochement va jusqu'à la confusion dans les propos fameux, et fort vraisemblables, que Polydamas de Pharsale préte à Jason de Phéres, au sixième livre des Helléniques 1, En 374, Jason, fier de sa puissance, essaie de gagner Polydamas, pour s'assurer l'appui des forces de Pharsale ; il espère ainsi dominer la Thessalie, avoir l'hégémonie en Grèce, s'emparer de la Macédoine, et méme soumettre le Grand Roi. Il construit ces beaux projets en considérant d'abord les différentes villes — « poleis » — dont il peut disposer, et celles qu'il risque de rencontrer sur son chemin. Ce point de vue est naturel, puisque les « ethné » de Thessalie sont répartis en « poleis », et que les puissances susceptibles d'entraver l'impérialisme de Jason sont également des « poleis ». « Je pourrais — dit-il —, Polydamas, soumettre, méme si elle me résistait, votre ville — τὴν ὑμετέραν πόλιν... J'ai pour moi l'alliance de la plupart et des principales des villes de Thessalie — τὰς πλείστας xal μεγίστας πόλεις... De l'étranger me viennent des mercenaires... contre lesquels aucune cité, je crois — οὐδεμία πόλις —, ne pourrait facilement se mesurer... Les armées nationales (des autres cités) — τὰ ἐκ τῶν πόλεων στρατεύματα — comprennent des gens déjà avancés en âge, d'autres qui n'ont pas encore leur plein développement ; pour les exercices physiques, en outre, rares sont, dans chaque cité, ceux qui les pratiquent — ἐν ἑκάστῃ πόλει --- ; tandis que chez moi personne ne sert dans mes mercenaires, qui n'ait la méme endurance que moi » ??, L'ambitieux tyran de Phéres — qui justement joignait « à une grande force physique le goût de l'effort » 178 — préfère persuader les gens de Pharsale plutôt 166. Helléniques, IV, 167. Cyropédie, VIII, 168. Cf. Anabase, 11, Cyropédie, I, 5, 3 ; 1V, 2, 1802, s. v. ἔθνος.

1, 41. 8, 2. 5, 13 ; V, 5, 5. Helléniques, IV, 1, 2. Économique, IV, 5. 1. Etc. Voir F. W. Srunz, Lericon Xenophonteum, LE, Leipzig,

169. Supra, note 162. 170. Anabase, VII, 1, 33. 171. Helléniques, VI, 1, 2 sq. Voir VI, 4, 28 sq.,et Grotz-Conen, . 136.

F 172. Helléniques, VI, 1, 5. 173.

V1, 1, 6.

Jlist.

Gr., III,

390

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

‘que de les contraindre 175, Car il a besoin d'eux : « C'est pour nous, n'estce pas ? l'évidence qu'avec pendent de vous — τῶν ἐξ de peine à devenir suzerain d'abord réunir toutes les « l'unité du pays. À quelle fin ? « Je pense, il n'est pas de nation à qui εἶναι

ἔθνος

ὁποίῳ

Av

l'appoint de Pharsale et ὑμῶν ἠρτημένων πόλεων de toute la Thessalie » 175, poleis » de Thessalie sous

des villes qui dé— je n'aurais pas Ainsi Jason veut son autorité, faire

dit-il, que si quelqu'un sait s'occuper d'eux, les Thessaliens accepteraicnt d'obéir », οὐκ

ἀξιώσαιεν

ὑπήκοοι

εἶναι

Θετταλοί

1%,

Le

mot

«ethnos» est peut-être amené ici par une sorte de symétrie avec l’« ethnos » thessalien, unifié, que dirigera Jason. En outre, Jason pense d’abord aux peuples voisins, tels que les Perrhèbes, les Magnètes, les Maliens, qu'il asservira effectivement : « L'étendue même de la plaine thessalienne fait que tous les peuples qui l'entourent sont à ses ordres

— πάντα τὰ κύχλῳ ἔθνη --- lorsqu'un suzerain — ταγός — est maître ici » 17 ; il a déjà sous ses ordres les Maraques et les Dolopes ; Alkétas était son lieutenant en Épire 178, Mais il ne s'agit plus ici d'« ethné» pris en tant qu'unités raciales : ce sont bien des unités politiques. La suite du texte le confirme : les Béotiens, les Lacédémoniens, les Athéniens, la Macédoine, l'Empire du Grand Roi, dont Jason pense faire ses alliés ou ses sujets, sont justement des ensembles politiques. Jason ne considére pas leur origine, mais leur organisation et leur force. Or ce sont là de ces « ethné » à qui, tout au moins, les Thessaliens « ne sauraient accepter d'obéir ». Qui plus est, dans cette énumération, Jason met sur le même plan des unités diverses : les Béotiens, qui seront ses alliés, forment une confédération ; les Lacédémoniens — dont il saura bien débarrasser les Béo-

tiens — sont une « polis ». Cité aussi cette Athénes, dont il méprise l'alliance, et qu'il compte surpasser sur mer 179, Mais la Macédoine — ἔχοντες μέν γε Μακεδονίαν... 19 — est un royaume, et royaume aussi, le plus vaste de tous, ce riche empire continental du Grand Roi, dont Jason se flatte de faire son vassal plus facilement encore qu'il soumettra la Grèce 181, L’ambitieux tyran ne distingue plus « poleis » et « ethné » : il ne voit en eux que des amis ou des adversaires, des alliés dociles ou de futurs sujets. Seul ce point de vue compte pour lui, et

le reste n'est sans doute que littérature d'autonomiste, — de vaincu. On ne s'étonnera pas que l'auteur des Helléniques d'Oxyrhynchos, et probablement aussi Ephore, donnent à « ethnos » un sens politique qui en fait l'équivalent d'une « polis » élargie. Les textes d'Ephore sont à vrai dire discutables, car ils nous sont connus par l'intermédiaire de

474. 175. 176. 177. 178. 179. 180. 181.

VI, 1, 7. V1,1, 8. VI, 1, 9. Ibidem, et VI, 1, 12, 19. VI,1, 7, 12, 19. VI, 1, 10 sq. VI, 1, 11. VI, 1, 12.

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

391

Strabon. Ephore, donc, selon Strabon, « déclare que la Béotie est plus favorisée que les « ethnè » voisins » 182, Strabon, assurément, ne donne pas ici à ce mot le sens de « races », puisqu'il distingue lui-même un peu plus loin des « tribus », ἔθνη, et des φῦλα, « races » 183, L’« ethnos » est pour lui le territoire occupé par un peuple. De ces « territoires » voisins fait partie évidemment la « polis» des Athéniens. Le texte résumé d’Ephore ne laisse pas de doute à ce sujet, puisque l'historien montrait notamment la supériorité de position des Béotiens, qui avaient un accès direct à trois mers, par le Golfe de Corinthe, par le Nord et par le Sud de l'Euripe : à ces « trois mers » Athènes ne pouvait en opposer que deux... Ephore montrait aussi que ces conditions auraient pu favoriser une hégémonie béotienne durable, si les Thébains n'avaient pas négligé « la culture et les relations humaines ». Le parallèle avec Athènes s'impose ici 19%, Mais il n'est pas sûr que cet emploi d'« ethnos » doive être attribué à Ephore lui-même. C'est peut-être à son contemporain Théopompe qu'il faut attribuer ces Helléniques d'Oxyrhynchos 1%, qui apportent tant de précisions sur la première confédération béotienne, et où l'on voit justement l’a ethnos » des Thessaliens jouir, exactement comme une « polis », d'une « politeia ». C'est le terme méme d'« ethnos » qui sert à désigner l'en-

semble politique : τὸ

μὲν οὖν ἔθνος ὅλον οὕτως

ἐπολιτεύετο 1%, Cet

emploi du mot révèle, comme l'a noté Marcello Gigante 1, « une sensibilité politique particulière » chez cet auteur, — qui souligne de ce fait méme les similitudes des notions de « polis » et d'« ethnos ». Ce rapprochement est d'autant plus net, que cette constitution de l'« ethnos » béotien ressemble étrangement à la « constitution pour l'avenir » qui, selon Aristote, fut rédigée en 411 9. Un « peuple » et une «cite» peuvent étre régis par la méme « politeia ». L'enquéte chez les orateurs aboutit à des résultats inégaux, mais souvent significatifs. Lysias, par exemple, qui ne s'intéresse guére aux probléme de politique internationale s'ils ne concernent directement les causes qu'il plaide, apporte peu d'éléments à l'histoire des mots « ethnos » et « polis ». Tout au plus emploie-t-il « ethnos », dans l'Oraison funèbre qu'il convient

peut-être de lui attribuer 159, au sens proprement ethnique de « race»: les Amazones qui marchent sur Athènes sont souveraines de nombreux « ethné », et accompagnées des « ethné » les plus belliqueux ; de méme 182.

Strason,

IX, 2, 2, C 400.

183. Ibidem, C 401. 184. Cf. Tnucvpipz, II, 36 sq. ; IsocnaTE, Panégyrique, etc. 185. Voirἢ. Laqueur, R. E., V, A, 2, col. 2193 sq., s. v. Theopompos ; la question n'est pas tranchée ; voir notamment À. W. Gouue, Who was Kratippos ?, Class. Quart., 48 (1954), p. 53-55. 186.

Ed. GrenreLL-Hunt,

XI, 4.

188.

Const. d'Athènes, 30. Cf. THUCYDIDE,

187. M. GicaNTE, Lo Storico di Ossirinco, La Parola del Passato, {ΠῚ (1948), p. 241. V, 38 ; VIII, 93; G. Maruieu, Essai

sur la méthode, p. 83 sq., et introd. à l'éd. de la Constitution (Coll. des Univ. de Fr.), p. vu sq. ; M. GicawTE, Parola del Passato, 111 (1948), p. 239 sq.

189. Voir édition GErner-Bızos, Coll. des Univ. de Fr., t. I, p. 42 sq.

392

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

l'orateur déclare qu'il serait trop long d'énumérer tous les « εἰ πὸ » qui composaient l'armée de Xerxès 19), Isocrate au contraire a consacré sa vie presque entière à l'idée de l'unité grecque. Il n'a malheureusement employé qu'en de rares occasions le mot méme d'« ethnos » : tantôt il lui donne son sens purement ethnique !?!, mais tantót aussi il lui attribue une valeur ou le place dans un contexte plus suggestifs. II remarque dans le Panegyrique que les Thraces, vaincus par les Athéniens, « se retirérent si loin que, sur les terres qui

nous séparent d'eux, bien des peuples, beaucoup de races et de grands États se sont établis»: ἔθνη πολλὰ καὶ γένη παντοδαπὰ καὶ πόλεις μεγάλας 192, Le voisinage des trois termes, « génos » purement racial, « polis » politique et « ethnos » équivoque, marque bien l'ambiguité de cette dernière notion. Dans le Panégyrique encore, Isocrate regrette que les Grecs n'aient pas devancé les Barbares dans les Guerres Médiques et attaqué rapidement l'Asie : ils auraient pu ainsi « avec toutes les forces grecques soumettre successivement chacun des peuples », ἐν μέρει τῶν

ἐθνῶν ἕκαστον χειροῦσθαι 193. Le sens du mot est ici assurément racial, comme chez Lysias ou ailleurs chez Isocrate. Mais les « ethné » sont en méme temps considérés sous l'angle de la résistance qu'ils pouvaient opposer successivement, et par conséquent de l'unité politique ou du moins administrative qu'ils constituent. Tel est encore le sens du mot dans deux passages du Philippe, où Isocrate évoque, soit l'appui que certains « ethné » pouvaient préter au Grand Roi ou à Philippe dans la région de Chypre, de la Phénicie, de la Cilicie, soit méme les royautés des «εἰ πὸ » — τοὺς βασιλέας τῶν ἐθνῶν — qu'Héraclés avait abattues 1% Enfin, dans un passage fort éloquent du Philippe, Isocrate félicite le roi de Macédoine, d'avoir « soumis des peuples plus nombreux que les villes prises par aucun autre», ἔθνη τοσαῦτα τυγχάνεις κατεστραμμένος͵ ὅσας οὐδεὶς πώποτε τῶν ἄλλων πόλεις εἴλε 1%, La comparaison est, de toute évidence, oratoire, et l’aflirmation est fort exagérée : à en croire Isocrate lui-même, Timothée avait pris au moins vingtquatre villes, accomplissant ainsi un exploit exceptionnel 1%. Mais dans l'emphase méme, l'équivalence des termes apparaît : l’« ethnos » est une unité politique, — comme la cité, mais plus vaste qu'elle. D'autre part, Isocrate emploie, beaucoup plus volontiers que le mot ἔθνος, celui de χώρα, territoire, — pour désigner notamment le « territoire » d'une cité, distingué de l'agglomération urbaine 1”, ou au contrajre tout un ensemble territorial, qui peut étre peuplé d'un « ethnos », qui peut aussi être l'équivalent d'une « polis ». 190.

Oraison funèbre, 5, 27.

196.

Sur l'échange, 107-113.

191. Panégyrique, 24. 192. Ibid., 70. 193. Ibid., 164. - 194. Philippe, 102, 112. 195. Ibid., 142.

Escnixe,

Sur

l'ambassade,

69,

parle

de

quinze villes que Timothée avait acquises à la confédération athénienne. 197.

Plataique, 46 ; Archidamos,

66 ; etc. Ce sens est banal.

soixante-

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

393

Les poètes avaient donné l’exemple de cette confusion. Strabon, qui l'avait remarquée, en a relevé quelques témoignages : « Stésichore appelle « polis » le territoire du nom de Pise, ... Euripide dans son Jon écrit : « L'Eubée est une « polis » voisine d'Athènes » et dans son Rhadamanthe : « Ceux qui occupent la terre d'Eubée, « polis » limitrophe... » Sophocle écrit dans les Mysiens : « L'ensemble du pays, étranger, s'appelle Asie, mais la « polis » des Mysiens a pour nom Mysie » 1%, Aussi caractéristique est, chez Sophocle encore, la discussion qui oppose Thésée à Créon dans l'Œdipe à Colone : Thésée et Créon emploient l'un et l'autre soit le mot πόλις, soit les mots χθών ou χώρα, pour désigner le « pays » d'Athénes. Thésée interdit à Créon, qui est « entré dans une cité — πόλιν — où l'on pratique la justice », de sortir du «territoire » — χώρας --- avant d'avoir libéré Antigone et Isméne !??, Il appelle Thèbes χθών et πόλις 99. Créon emploie le méme langage ??!, D'une façon analogue, Isocrate rappelle dans l'Archidamos que Cresphonte était fondateur de la πόλις de Messéne, et maître de la χώρα. -Mais lorsque les enfants de Cresphonte implorent l'appui de Sparte, Isocrate ne sépare plus les deux termes : « Ils lui demandaient de venger

Je mort, et nous offraient leur territoire » 93, τὴν χώραν διδόντες ἡμῖν. Cette χώρα, peuplée de tout le peuple Messénien, comprend la πόλις. De même, Archidamos dira plus loin que les Spartiates ont consulté l'oracle de Delphes sur le meilleur moyen de « s'emparer de la ville des Messé-

niens » — ὅτῳ

τρόπῳ

τάχιστ᾽

Av κρατήσαιμεν

τῆς πόλεως —. Et il

continuera : « Manifestement, nous avons reçu le pays de ses maîtres — χώραν — .., puis nous avons occupé le territoire — αὐτὴν --- par la conquête : c'est la méthode selon laquelle la plupart des États — al πλεῖσται τῶν πόλεων — ont été constitués à cette époque » 993, Ainsi la « polis » s'élargit aux dimensions d'un territoire vaste, peuplé de tout un « ethnos ». Toutefois, Isocrate n'a pas analysé cet élargissement de la notion de « cité ». Son panhellénisme exige en effet la juxtaposition des cités, non leur fusion ; leur union, non leur unité.

Cette conception s'accommode parfaitement des limites traditionnelles de la « polis » 2%, Démosthéne n'a naturellement pu aller plus loin qu'Isocrate sur cette voie : tout en voulant l'unité des Grecs contre le barbare, il se place lui aussi dans le cadre de la cité 2%. Mais il est également un bon témoin de l'incertitude qui régne dans le vocabulaire politique de son temps. Ses distinctions

entre πόλις,

ἔθνος,

χώρα,

sont

souvent

peu

tranchées.

Le mot « ethnos » a sans doute chez lui sa valeur raciale lorsqu'il 198. SrnABoN, VIII, 3, 31, C 356. 199. Œdipe à Colone, 909 et 913. 200. Ibidem, 924, 926, 929. Zu. Ibidem, 939, 948, 949. Cf. encore 917, 934. 202.

Archidamos,

22-23.

203. Ibidem, 31-32. Cf. aussi 87-88. 204. Voir le bilan, en somme négatif en ce domaine, qu'établit le livre de G. MaTHIEU, Les idées politiques d'Isocrate, Paris, 1925. 205. G. Marniev, Démosthéne, Paris, 1948.

394

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

s’ecrie dans la 3° Philippique: « Je passe sous silence aussi les Phocidiens,

un peuple — « ethnos » — si nombreux,

anéanti » 2%, Mais

une

signification politique n'est pas exclue, si l'on songe que les Phocidiens — qui d'ailleurs ne possédaient plus de villes — avaient formé une unité politique, et surtout si l'on tient compte de la phrase que Démosthéne prononce immédiatement aprés celle-là : ᾿Αλλὰ Θετταλία, πῶς ἔχει ;

οὐχὶ τὰς πολιτείας xal τὰς πόλεις

αὐτῶν

παρήρηται,

καὶ τετραρχίας

κατέστησεν, ἵνα μὴ μόνον κατὰ πόλεις, ἀλλὰ καὶ xat! ἔθνη δουλεύωσιν. Démosthène fait allusion ici au regroupement des décarchies thessaliennes, que Philippe imposa en 342 9", Ces « ethné » sont bien des divisions politiques, et M. Croiset a rendu élégamment cette nuance en traduisant le mot par « région » : « Mais la Thessalie, en quel état estelle ? n’a-t-il pas dépouillé ses villes de leurs constitutions, pour établir des tétrarchies, dans le dessein d’asservir non des cités isolées, mais des régions entières 98 ? » C'est à peu près dans le même esprit que Démosthène remarque des la Ire Philippique : « Pydna, Potidée, Méthone, c'était nous qui les possédions autrefois ; toute cette région nous appartenait ; beaucoup des peuples qui sont maintenant avec lui étaient encore autonomes et indépendants, et ces peuples préféraient notre amitié à la sienne » 9?, Πολλὰ τῶν μετ᾽ ἐκείνου νῦν ὄντων ἐθνῶν αὐτονομούμενα xal ἐλεύθερ᾽ ὑπῆρχεν. C'est bien d'organisation politique qu'il s'agit, et les « ethné » sont sur le méme plan que les cités — Pydna, Potidée, Méthone. Enfin, dans le grand discours Sur la couronne, le sens ethnique et le sens politique sont assurément tous deux présents, lorsque l'orateur déplore les malheurs dont la tyrannie de Philippe et d'Alexandre a frappé Grecs et Barbares, « non seulement individuellement, mais en cités et nations entières, » μὴ μόνον κατ᾽ ἄνδρα, ἀλλὰ xal πόλεις ὅλαι

xai ἔθνη 310 L’emploi du mot χώρα, dans un dernier texte de Démosthène, confirme cette interprétation. Il entreprend, dans le premier plaidoyer Contre Aristogiton, l'éloge de la Légalité, l'Eunomie, « qui sauve toutes les cités et tous les pays », A πάσας καὶ πόλεις καὶ χώρας σῴζει 311. Χώρα n'a pas ici le simple sens de « territoire » que le mot reçoit, par exemple,

dans le discours Sur l'ambassade, lorsque Démosthène reproche aux Athéniens d'avoir laissé détruire une sécurité appuyée sur « de grands alliés et un vaste territoire », xal πόλεσιν μεγάλαις συμμάχων ἀνδρῶν καὶ χώρᾳ πολλῇ 212. Il s'agit bien, dans le Contre Aristogiton, d'unités politiques : distinctes, sans doute, mais du même ordre. La χώρα est considérée comme peuplée, — d’un « ethnos » sans doute, — et comme 206. 3e Philippique, 26. 207. Grorz-ConEN, Hist. Gr., III, p. 302 sq. 208. 209. 210. 131, et

Collection des Universités de France. 1re Philippique, 4. Sur la couronne, 270-271. — Nous laissons de côté deux exemples, C. Midias, C. Aristocrate, 146, où ἔθνος désigne une « classe » de la cité.

211. Contre Aristogiton, I, 11. 212.

Sur l'ambassade,

84.

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

395

organisée : elle peut aspirer à l'Eunomie. Bref, le cadre politique, ici, est singulièrement élargi — dans un discours qui, effectivement, dut être prononcé vers 324 ?13,

.

Ainsi Démosthéne rapproche πόλις, ἔθνος, χώρα. Mais il a l'esprit trop lucide pour les confondre complétement. Le hasard veut en revanche que

l'adversaire

l’occasion l'exige, aussi rapproché « a confondus. Non qu'il ne les méme plan. C'est

acharné

de

Démosthéne,

Eschine,

habile à

user,

si

d'équivoques parées d'une clarté spécieuse, ait lui ethnos » et « polis ». A bon escient peut-être, il les distingue parfois, tout en les mettant souvent sur le lui qui, dans le Contre Ctésiphon, nous a rapporté la

malédiction déjà citée, qu'avaient prononcée les Amphictyons au lendemain de la première Guerre Sacrée : el τις τάδε, φησί, napabalvor Ἢ πόλις à ἰδιώτης À ἔθνος 214... Les Amphictyons avaient envisagé l'« ethnos » comme une pluralité de cités, puisque d’après le discours Sur l'ambassade, ils s’engageaient notamment « à ne détruire aucune ville de la ligue amphictyonique » — μηδεμίαν πόλιν τῶν ᾿Αμφικτυονίδων ἀνάστατον ποιήσειν — et à combattre quiconque violerait ces prescriptions,

« à renverser

ses villes»,

τὰς

πόλεις

ἀναστήσειν.

Eschine,

qui cite complaisamment ces textes, ne s’étonne pourtant pas qu’en 339 le héraut ait proclamé : « L'État qui ne se présentera pas sera exclu du temple...» — ἥτις δ᾽ ἄν μὴ παρῇ πόλις... L'« ethnos » n'est plus mentionné comme tel 215. Et qu'Eschine cite ici un texte authentique ou le reconstitue approximativement, la lacune est d'une égale importance. Il y a plus. Au roi Philippe, durant la seconde ambassade, Eschine avait jugé opportun de rappeler l'histoire du sanctuaire. Cet épisode est connu par un texte fameux du discours Sur l'ambassade, qui fournit aux historiens modernes une contribution importante, mais d'interprétation difficile ; l'état du texte n'est d'ailleurs pas bon. Quels que soient pourtant les compléments qu'on y apporte et l'interprétation qui doit prévaloir 216, ces quelques lignes sont un bel exemple de la confusion entre « ethnos » et « polis ». Eschine s'écrie qu'il ne faut pas « regarder d'un œil indifférent la ruine des cités béotiennes — τὰς ἐν Βοιωτοῖς πόλεις ---. N'étaient-elles pas, comme cités amphictyoniques, comprises dans le serment » 217 ? Mais il faut ici lire le texte méme :

Ἦριθμησάμην ἔθνη δώδεκα τὰ μετέχοντα τοῦ ἱεροῦ, Θετταλούς, Βοιωτούς, οὐ Θηδαίους μόνους, Δωριέας, Ἴωνας, Περραιδούς, Μάγνητας, « Δόλοπας >, Λοκρούς, Οἰταίους, Φθιώτας, Μαλιέας, Φωκέας. Καὶ τούτων ἔδειξα ἕκαστον ἔθνος ἰσόψηφον γιγνόμενον, τὸ μέγιστον τῷ ἐλα213. 214. 215. 216.

G. Marmieu, éd. des Plaidoyers politiques, Coll. des Univ. de Fr., IV, p. 132. Supra, p. 38^ ; Contre Ctésiphon, 110. Sur l'ambassade, 115; Contre Ctésiphon, 122. Supra, p. 385. Voir notamment R. FLACELIÈRE, La représentation de Sparte à l'amphictionie

delphique, Mélanges Radet,

Bordeaux- Paris, 1940 (R. E. A., 42), p. 142-156; G. Daux,

Communication à l'Association des Études grecques, 1956, ot Remarques composition du conseil amphictionique, B. C. H., 81, 1 (1957), q. 95 sq. 217. Sur l'ambassade, 116.

sur la

396

χίστῳ,

ARISTOTE

τὸν

ἥκοντα

ἐκ Δωρίου

ET L’HISTOIRE

xal Kurivlou ἴσον δυνάμενον Λακεδαι-

μονίοις, δύο γὰρ ψήφους ἕκαστον φέρει ἔθνος, πάλιν ἐκ τῶν ᾿Ιώνων τὸν Ἔρετριᾷ καὶ Πριηνέα τοῖς ᾿Αθηναίοις, καὶ τοὺς ἄλλους κατὰ ταὐτά.

Eschine énumére donc d’abord les douze peuples de l'amphictyonie, puis envisage le rôle que jouent dans l'amphictyonie les cités que ces peuples comprennent. Il s'agit pour lui de démontrer que dans chaque peuple, les cités sont sur un pied d'égalité. Il sera ainsi reconnu que les cités béotiennes valent bien Thèbes — οὐ Θηθαίους μόνους — et qu'elles ont droit à un secours. 'l'el est son argument, qu'il soutient avec vigueur. Car à ne considérer du moins que ce schéma historique, Eschine aurait

raison : Érétrie ou Priéne sont ici indubitablement sur le même plan qu'Athénes, Dorion ou Kytinion sur le méme plan que Lacédémone. Mais le raisonnement, si juste qu'il soit dans l'ensemble, a dans le détail moins de rigueur que de force. « Chaque peuple — ἕκαστον ÉBvos — a un droit de vote égal : ἰσόψηφον ». L'expression s'applique-t-elle aux douze ἔθνη qui viennent d’être énumérés ? si nous l'admettons, les mots qui suivent — τὸ μέγιστον τῷ ἐλαχίστῳ, le peuple le plus puissant a le méme droit que le plus faible — sortent singuliérement du sujet. Car Eschine veut démontrer l'égalité des cités composantes, et non des peuples composés. Dans cette hypothèse, la parenthèse — δύο γὰρ Ψήφους ἕκαστον φέρει ἔθνος --- est une précision, utile certes, mais mal placée. Ne cherchons pas cependant à Eschine une querelle de style ; il reste que dans cette interprétation, l'expression τὸν ἥχοντα ἐκ Δωρίου xrA..., qui joue exactement la méme fonction grammaticale que les mots précédents (ἕκαστον EBvoc..., τὸ μέγιστον τῷ ἐλαχίστῳ) représente une réalité très différente : les « poleis » composantes, et non plus l'« ethnos » qu'elles forment. La suite des idées ne saurait passer pour satisfaisante, d'autant moins que τὸ μέγιστον devrait logiquement annoncer les « Lacédémoniens », et τῷ ἐλαχίστῳ « Dorion et Kytinion ». Faut-il alors admettre que &xaorov ἔθνος et les mots qui s'v rapportent représentent bien en réalité les composantes des douze ἔθνη déjà

énumérés ? Dans la parenthèse δύο γὰρ ψήφους ἕκαστον φέρει ἔθνος, le terme ἔθνος reprendrait en revanche, évidemment, sa valeur primitive, désignant les douze peuples. Une variation aussi brusqué et aussi nette du sens de « ethnos » serait surprenante. Mais tout sc passe en réalité comme si, dans le feu de sa démonstration, Eschine confondait les termes. Cela n'est possible que parce que les notions d'« ethnos » et de « polis » ne sont pas pour lui fondamentalement distinctes. Qu'il appelle Dorion, Kytinion, Lacédémone, Érétrie, Priéne, Athénes, des « ethné » — ou bien qu'il passe insensiblement de l'« ethnos » à la « polis », puis de nouveau à l'« ethnos », il est pour nous le témoin précieux d'une équivoque du langage politique contemporain. A une époque un peu plus ancienne, et. avec un vocabulaire qu'en principe le souci de la vérité aiguise et précise davantage, Platon n'échappe pas non plus entièrement à ces confusions. Alors que dans

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

397

les Lois il appelle « polis » ce qui n'est qu'une installation très primitive, une « habitation », à la rigueur un village ???, il rêve en revanche d'une « cité » qui, comme le remarque Aristote, a la taille babylonienne d'un « ethnos » 215, Dans la République, il semble bien considérer que les peuples de Thrace ou de Scythie, de Phénicie ou d'Égypte, constituent

non des « ethné », mais des « poleis » : « Il serait ridicule de prétendre que le caractère emporté qu'on voit dans les États (ἐν ταῖς πόλεσιν) réputés pour leur violence, comme ceux des Thraces, des Scythes et en général des peuples du Nord, ou la passion de la science, qu'on peut dire propre à notre pays (τὸν παρ᾽ ἡμῖν... τόπον), ou l'avidité du gain, qu'on peut regarder comme la marque particuliére des Phéniciens et des habitants de l'Égypte, n'aient point passé de l'individu dans l'État » 2%, L'expression ἐν ταῖς πόλεσιν ne convient bien, au sens strict, qu'à ce que Platon appelle ὁ rap’ ἡμῖν τόπος. Cependant, il ne prévoit pas ici de catégorie politique spéciale pour les peuples barbares, du Nord ou

du Midi. Sans doute Platon distingue-t-il à l'occasion «poleis» et «ethné ». Mais il leur accorde en général une importance semblable. C'est ainsi que Thrasymaque vante la sagesse et la valeur des hommes qui, capables d'une injustice achevée, « sont assez puissants pour mettre sous leur joug cités et nations », πόλεις τε xal ἔθνη *?! ; et l'Athénien des Lois évoque la barbarie des Perses, qui anéantissent des cités et des peuples amis, ἀναστάτους μὲν πόλεις, ἀνάστατα δὲ ἔθνη φίλια 222. Ici l'« ethnos » peut désigner, soit un ensemble de cités, plus large par conséquent qu’une cité prise isolément, soit aussi un ensemble politique qui n’est pas divisé en États — et cet ensemble est alors lui-même l'équivalent d'un État. Deux autres textes, de la République et des Lois, soulignent encore l'imprécision de ce vocabulaire. Socrate affirme dans la République que son État idéal « sera heureux et comblera de biens la nation qui l'aura vu naître », αὐτήν (scil. πόλιν τε xal πολιτείαν) τε εὐδαιμονήσειν καὶ τὸ ἔθνος iv ᾧ dv ἐγγένηται πλεῖστα ὀνήσειν 325, Les deux termes sont donc distingués. Mais il faut prendre garde que l’« ethnos » n'est considéré ici que du point de vue proprement ethnique, ou racial. Platon en effet ne s’est pas intéressé, dans la République, aux divers « ethné » qui constituent le « genos » hellénique. Son attention s'est portée surtout, hors de la « polis » idéale, sur les rapports que cette cité parfaite entretiendrait avec l'ensemble du monde grec. Ce sont des rapports d'amitié : « Ne seront-ils pas amis des Grecs, ne sentiront-ils pas leur parenté avec la Gréce, et n'en partageront-ils pas la religion ?... s'ils ont un différend avec les Grecs, ne le considéreront-ils pas comme

une discorde, puisqu'il sera entre parents, sans lui donner le nom de 218. Lois, III, 680 d sq. ; 683 a. Supra, p. 332 sq. et Archéologie de Platon, ad loc. 219.

Politique, II, 6, 1265 a 13 sq. ; III, 3, 1276 a 27 sq., supra, p. 376 sq.

220. République, IV, 435 e aq. 221. Ibidem, 1, 348 d. 222. Lois, III, 697 d. 223. République, VII, 541 a.

398

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

guerre ?... Ils verront en eux des amis à corriger, non des ennemis... Grecs, ils ne ravageront pas la Grèce 2"... » C'est contre les Barbares seulement que les Grecs devront faire une véritable guerre. Ainsi Platon s'efforce de faire sentir et de consolider l'unité morale de la Grèce : des divisions de la Grèce en « ethné », il n'est pas question. Aussi serait-il étrange que l’« ethnos » auquel la cité idéale vaudra tant de biens füt autre chose qu'une unité de sang. En outre, l'État de la République, sans dépasser des limites raisonnables, est de dimensions assez souples : « Tant que l'agrandissement, dit Socrate, ne compromettra pas l'unité de l'État, qu'on l'agrandisse, mais pas au delà ». Et comme Adimante remarque que cette « prescription... n'a peut-étre pas beaucoup d'importance », Socrate l'approuve chaleureusement 23. Une fois constituée, la cité ne devra sans doute, autant que possible, ni s'agrandir ni diminuer 2%, Mais il est probable qu'au départ, elle pourra dépasser les bornes d'une cité étroite et absorber la population la plus jeune de l'«ethnos » où elle se formera. Platon remarque justement que, pour débuter, les gouvernants philosophes devront tenir à l'écart la population adulte ou méme adolescente de leur « polis », et se consacrer à l'éducation des enfants qui n'ont pas atteint dix ans 2°: ce tri initial exige évidemment un nombre d'enfants considérable, pour que la cité ne soit pas ultérieurement dépeuplée. Il faudra que l’« ethnos » — unité raciale — contribue par ses enfants à peupler la nouvelle « polis » 333 | Si l’« ethnos » peut être ici absorbé par la « polis », un texte des Lois montre en revanche combien Platon détache à regret la cité du peuple qui la forme. Après avoir énuméré au livre III des Lois les trois sortes d'installations humaines successives auxquelles il donne généreusement le méme nom de « polis » 229, il évoque le retour des Héraclides et l'invasion dorienne, en écrivant : « Et maintenant

voici une quatriéme

cité,

ou si vous voulez un peuple..., νῦν δὲ δὴ τετάρτη τις ἡμῖν αὕτη πόλις, εἰ δὲ βούλεσθε, ἔθνος... » Ce « peuple » sera ensuite divisé en trois a cités », qui sont Lacédémone, Argos et Messène 2%, Mais leur ensemble primitif méritait aux yeux de Platon le nom de « polis », et ce n'est qu'à regret qu'il l'appelle « ethnos » : « $i vous voulez... » L'expression semble le signe d'une discussion. La différence entre « ethnos » et « polis » était probablement l'objet de controverses à l'Académie — et il ne faut pas s'étonner alors qu’Aristote y attache tant d'importance, si méme ce n'est pas à lui que Platon fait, en maitre un peu condescendant, cette concession de langage. 224. 225.

Ibidem, V, 470 esq. Cf. déjà 469 b aq. Ibidem, IV, 423 b sq.

226.

Ibidem, V, 460 a.

227. 228.

Ibidem, VII, 540 e sq. Dans les Lois, IV, 707 e sq., PLATON pèse justement les avantages et les in-

convénients d'une colonisation effectuée par des peuples d'origine diverse ou de méme origine. 229. III, 680 d sq. ; 683 a. Cf. supra, p. 332 sq., et Archéologiede Platon, ad locum. 230. III, 683 d sq. Archéologie de Platon, p. 88 sq.

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

399

Mais dans l'écrit plus naturel et plus spontané qu'est la Lettre VII, Platon donne à « polis » une valeur qu’Aristote au contraire réserverait à l'« ethnos » : il conseille aux parents et amis de Dion de faire « que la Sicile ne soit pas assujettie à des despotes, pas plus que toute autre ville », μὴ δουλοῦσθαι Σικελίαν ὑπ᾽ ἀνθρώποις δεσπόταις, μηδὲ ἄλλην

πόλιν 331, La valeur adversative particulière de ἄλλος ne saurait suffire à expliquer cette expression remarquable. Car Platon méme lettre, en des termes analogues, l'empire de Celui-ci, « qui avait acquis en Sicile un grand nombre tantes dévastées par les Barbares.., ne fut pas capable, relevées, d'y constituer des gouvernements sûrs » ?3? : sembler toute la Sicile en une seule cité », εἰς μίαν

a décrit dans la Denys l'Ancien. de villes imporaprés les avoir ıl préféra « rasπόλιν ἁθροίσας

πᾶσαν Σικελίαν ??*, A Denys le Jeune, Platon conseilla au contraire de former l'État fédéral que son père n'avait pas su organiser 2%, Mais la ula πόλις de Denys l'Ancien dépassait en tout cas le cadre de la Syracuse d’où le tyran était parti. Tout en transportant à Syracuse une partie des populations, il avait colonisé d'autres points de l'ile, oà il installait des vétérans, des Grecs d'Italie, des Messéniens de Naupacte 23, L’« archonte de Sicile », sans enlever aux villes toute leur autonomie, gouverne l'ile comme il commandait à Syracuse : la « polis unique » de Platon n'est pas la « cité » de Syracuse oü l'on regroupe des habitants d'autres « poleis » ; elle est toute la partie de la Sicile qui échappe aux Carthaginois : plus qu'une « polis », c'est un « ethnos », ou méme plusieurs « ethné ». Ces sondages dans l'histoire des mots « ethnos » et « polis », distingués ou confondus à époque classique, d'aprés des textes littéraires, laissent assez prévoir l'évolution ultérieure du rapport qui unit les deux termes: la distinction subsiste, parce qu'« ethnos » garde sa valeur raciale ; mais l'équivalence s'accentue. On continuera par exemple à séparer l'histoire des « peuples » et celle des « cités », mais Polybe souligne l'intérét politique du genre qui rapporte « les actions des peuples, des cités et des princes », περὶ τὰς πράξεις τῶν ἐθνῶν xal πόλεων xal δυναστῶν 2%, Il met en valeur le rôle politique que jouent et les cités et les peuples, πόλεις, ἐθνικαὶ συστάσεις 2%. Il ne fait pas de différence entre « politeia » d'un peuple et celle d'une cité 333, La seule raison qui l'empêche de voir dans le Péloponnèse une « polis » unique est celle qu’Aristote au contraire jugeait secondaire : le Péloponnèse n’est pas entouré d’une enceinte commune 2°, Et il compare à l'« ethnos » des Achéens ainsi qu'à celui des Arcadiens l’« ethnos » des Laconiens, dans un contexte 231. Lettre VII, 232. 331 e. 233. 332 c.

334

c.

234. 332 e sq. 235. 236. 237. 238. 239.

GrLorz-Conkw, Hist. Gr., III, p. 392. Porvnaz, IX, 1, 4. XX1V,1,3 ; XXX, 10, 6. IV, 20, 7, etc. 11, 37. 11 ; cf. Politique, III, 3, 1276 a 24 sq.

400

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

politique : τό re γὰρ τῶν ᾿Αρκάδων ἔθνος, ὁμοίως δὲ καὶ τὸ τῶν Axxeνων, πλήθει μὲν ἀνδρῶν καὶ χώρας, οὐδὲ παρὰ μικρὸν ὑπερέχει. Après avoir montré que ces deux « peuples » l’emportent aussi par la valeur mil taire, Polybe conclut que la supériorité des Achéens provient d'une organisation démocratique 2%. S'il emploie l'expression τὸ τῶν Λακώνων ἔθνος, c'est donc bien au sens où l'on eût attendu plutôt oi Λάκωνες. ou

ol Λακεδαιμόνιοι,

ou plus précisément encore ἣ τῶν

Λακεδαιμονίων

πόλις.

Environ deux siècles plus tard, Plutarque écrira τὰ μαχιμώτατα

τῶν

ἐθνῶν ἐρωτικώτατα, en donnant comme exemple de ces « ethnè » les Lacédémoniens, entre les Béotiens et les Crétois #1 S'il se peut qu'ia « ethnos » ait une acception plutôt raciale, la couleur politique du mot est en revanche fortement marquée dans un passage de la Vie de Pélopidas, où l’on voit les Thébains exploiter leur victoire de Leuctres et envahir le Péloponnèse : τῶν ἐθνῶν τὰ πλεῖστα προσήγοντο Auxedarμονίων

ἀποστήσαντες,

Ἦλιν,

"Apyoc, ᾿Αρκαδίαν

σύμπασαν,

αὐτῆς

τῆς

Λακωνικῆς τὰ πλεῖστα #2. Les Arcadiens sont effectivement un « ethnos », «la plus grande partie de la Laconie » ne forme pas un ensemble cohérent, mais Elis, mais Argos, sont des « poleis ». Plutarque ne juge pas necessaire de faire la distinction 393, À ces indications fournies par des textes littéraires s'ajoutent les données de l'épigraphie. M. G. Daux et M. L. Lerat en ont mis en lumière l'intérét pour la connaissance de l'amphictyonie pyléo-delphique. Ainsi, dans une loi amphictyonique de 380, dans un décret amphictyonique de 339 ou 337, qui institue les trésoriers, et encore dans un décret de 184, les deux termes de « polis » et d'« ethnos » sont soit Juxtaposés et associés, soit employés l'un pour l'autre #{, Sans doute peuton introduire quelque cohérence dans cette confusion : si une « polis» semble se substituer à un « ethnos », ce peut étre parce que « au sein de l'« ethnos », c'est toujours une « polis » qui, suivant un roulement établi, envoie l'hiéromnémon et le trésorier » 2% ; ce peut être aussi pour éviter d'engager, dans certains cas, un « peuple » entier, alors que seule une « cité » est en cause ***, Mais il peut arriver aussi que les deux termes soient pris « dans le même sens et pour ne pas employer l'expression complete » #7, en tout cas mis sur le méme plan 2%, 240. 241.

Porvnz, II, 38. PLurARQUE, Eroticos,

242. Pélopidas, 24.

17, 761

c.

243. Plus tard encore, ZErt1Us AnisTiIDE louera l'organisation romaine, qui donne la méme constitution à un γένος tout entier, comme si c'était une seule « polis » (A Rome, 63 sq.). 244. Syllogé 145 (loi de 380) ; F D III, 5, 47 (décret de 339 ou 337) ; Syllogé 613

(décret de 184). 245.

L. Lerat, Les Locriens de l'Ouest, Paris, 1952, II, p. 56, n. 4.

246. G. Daux, Revue archéologique, V (1935), p. 214. 247. Ibidem, p. 213.

248. Voir aussi d'autres textes cités par G. Daux, Delphes au II® et au I** siècle, Paris, 1936, p. 282 n. 3, 293 n. 1, 357.

AU

DEIÀ

DE

LA CITÉ

401

Il est surtout remarquable que les « ethné » et les « poleis » jouent un rôle analogue dans un organisme qu'Aristote n'a pas pu ignorer, la ligue de Corinthe. Les cités n'y entrent pas toutes individuellement; certaines sont groupées 24°. Dans le texte bien connu du renouvellement de la ligue en 302, par le Poliorcète, « peuples » et « cités » sont sur le même plan #2, Cette confusion de langage s'explique à la fois par l'évolution naturelle ou pour ainsi dire l’usure de la langue, et par les circonstances. A mesure que des ensembles plus vastes que la cité se constituent et jouent

dans la vie internationale un rôle jusque-là dévolu surtout aux « poleis », l'équivoque progresse forcément. Il est normal qu'elle soit plus carac-

térisée au iv? siècle qu'au v, chez un Eschine que chez un Thucydide. I} est normal encore que Polybe ou Plutarque la remarquent à peine. Elle est liée à l'élargissement de la cité, et un Áristote devait la dénoncer dans la mesure où il a réagi contre cet élargissement.

Elle est favorisée enfin par la confusion, elle aussi facilement explicable, entre un « ethnos » et un « koinon ». Là oà un historien moderne, armé de notions juridiques fines, peut entreprendre de distinguer un « ethnos » ethnique et un « ethnos » groupé en un « koinon » politique, les Grecs d'époque classique, et méme ceux de temps plus récents, ne séparaient pas toujours les choses, peut-étre parce qu'en fait il n'était pas toujours possible de les distinguer. Les deux notions de « koinon » et d'« ethnos » pouvaient étre équivalentes, comme en témoignent des inscriptions #1, La transformation d'une unité purement ethnique en unité politique s'est en effet accomplie lentement. Il arrive qu'un « peuple » constitue une communauté, un « koinon » — sans posséder pour autant une «constitution » d'ensemble, une « sympoliteia » 292, Ainsi le « koinon » des Acarnaniens est attesté — sans constitution commune — dés 389; les Étoliens forment dés la guerre du Péloponnése une unité militaire et diplomatique qui n'implique cependant pas davantage l'existence d'une « sympoliteia ». En revanche, l'« ethnos » des Phocidiens, celui des Béotiens, ont pu former trés tót de véritables Etats 353, Il faut ajouter à cela que le mot συμμαχία, parfois équivalent de « koinon », est également équivoque. Les ligues ne sont pas toujours une « confédération d'États », c'est-à-dire un ensemble où les membres du conseil, représentant les États, sont plénipotentiaires. Encore une « confédération d'États » est-elle moins unie qu'un « État

fédéral » qui, lui, possède une « constitution commune » #4, 249. GLorz-Conen, Hist. Gr., III, p. 372. 250. S. E. G., 1925, I, 75 (1G, IV, 15, 68). Voir aussi M. Derouanv, Aristote, Études sur la Politique, Paris, 1932, p. 537, note ; GLorz-Rousseı, Hist. Gr., IV,

2, p. 339 ; T. A. SincLain, Histoire de la pensée politique grecque, trad. fse., Paris, 1953, p. 279 sq. 251. Citées par KonNEMANN, dans ἢ. E., suppl. IV, col. 919, a. v. κοινόν. C'est le cas pour les Lyciens, les Achéens, les Étoliens. 252. Scawaun dans ἢ. E., IV, A, 1, col. 1174, s. v. συμπολιτεία, 253. Ibidem, col., 1195, 1200, 1213, 1215. Voir X£NoprnoN, Helléniques, IV, 6,4 ; Tnucvpipz, 111, 94 sq. On trouvera d'autres exemples dans l'article de Scuwaun.

254. Voir A. AvMaARD, Les assemblées de la confédération achaïenne, Aristote et l'histoire

Bibliothèque 26

402

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

Aristote, qui ne peut certes pas distinguer nettement entre un « Staatenbund » et un « Bundesstaat » 55, mais qui voit avant lui et autour de lui se former puis se défaire des ligues, s'unifier ou se briser des « peuples », tente de mettre un certain ordre dans les notions de politique et veut surtout définir clairement l'État. Il n'imagine pas d'abord qu'un État digne de ce nom puisse être autre chose qu'une « polis », — telle que Platon aussi l'envisageait. Mais Platon se laissait aller à élargir la « polis », de facon telle qu'elle risquait de perdre son unité et sa raison d'étre : le concept en devenait contradictoire. Contre cette tendance, qui est celle de son temps, qui est méme le résultat naturel de l'évolution des hommes et de leur langage, Aristote réagit nettement : au livre II, au livre III, au livre VII de la Politique, et dans l'Éthique de Nicomaque, il affirme qu'une « polis » n'est pas un « ethnos », qu'un « ethnos » ne saurait posséder une véritable « politeia », qu'une « polis » trop vaste ne saurait vivre, qu'une organisation « à l'arcadienne » n'est pas comparable à une cité : elle n'a méme pas de nom, elle n'est pas un concept clair. Et cependant le livre III accorde une réelle attention à la royauté de l’« ethnos », le livre V met sur le méme plan « ethnè » et « poleis », le livre VII envisage une constitution une pour la Gréce entiére. Qui plus est, aprés avoir exposé dans ce livre VII combien le territoire de la « polis » et sa population devaient ne Jamais dépasser certaines limites, Aristote se résume en écrivant : περὶ μὲν οὖν χώρας xal λιμένων καὶ πόλεων... L'État idéal peut-il donc grouper plusieurs « poleis » ? Le texte est aussi sür que possible ; des corrections ont certes été proposées, mais aucune ne s'appuie sur une particularité d'un manuscrit : les sources sont unanimes, πόλεων est l'unique leçon 2%. Tel est le début du développement où Aristote envisage une μία πολιτεία pour la Grèce. Comment concilier ces affirmations contradictoires ?

La clef de la difficulté est assurément dans le mot et la notion de « poliτοῖα », puisque c'est par la « constitution » qu’Aristote, au livre III, définit l'unité de la cité. Un premier indice provient des κοιναὶ πολιτεῖαι. Elles sont sûrement postérieures au livre II, puisque dans ce livre l'idée ne vient méme pas à Aristote d'appeler ainsi l'organisation arcadienne, et puisqu'elles apparaissent à peine, ou n'apparaissent pas, au livre V, qui pourtant accorde beaucoup d'intérét au régime des « ethné ». Or le livre V est récent. En second lieu, nous savons qu’Aristote a hésité quand il s'agissait, non seulement de classer les constitutions, mais de ranger chaque type des Universités du Midi, 21 (1938), notamment p. 52 sq. La ligue péloponnésienne, au v? siècle, n'est pas encore une « confédération d'États

» ; les deux ligues maritimes

d'Athènes n'ont peut-être pas non plus droit à ce nom. En revanche, il s'applique

à la ligue de Corinthe. 255. Ces concepts de « confédération » et d'« État fédéral » ont été évidemment

précisés à l'époque où se formait l'unité allemande (Staatenbund, Bundesstaat),— sans parler d'événements plus récents et plus actuels. On peut aussi évoquer à ce sujet la constitution des États-Unis d'Amérique, et la crise de la guerre de Sécession.

256. VII, 6, 1527 b 16 sq.

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

403

d'organisation parmi les constitutions. Il a même considéré qu'une structure politique pouvait ne mériter que dans une certaine mesure le nom de constitution. La tyrannie, dit-il, « est de toutes les constitu-

tions celle qui en possède le moins le caractère » 27, et la démocratie extrême, où les lois ne gouvernent pas, où le caprice du peuple s'impose par le moyen de décrets, encourt aussi le reproche de n'étre pas une véritable constitution 358, Bref, pour Aristote, la notion de « politeia » est souple. Il peut l'envisager comme un fait ou comme une valeur, comme une organisation « digne de ce nom » — ou une organisation quelconque. La définition méme qu'il en donne est compréhensive. Elle peut inclure des types d'organisation trés différents. La constitution repose en principe sur des lois *5? — mais la royauté idéale serait une constitution parfaite, où le roi lui-même ferait la loi, serait la loi 99, En pratique, la constitution sera donc une organisation, πόλεως τάξις τῶν τε ἄλλων ἀρχῶν xal μάλιστα τῆς κυρίας πάντων. Cette a magistrature suprême » qu’organise la constitution porte le nom de πολίτευμα — c'est-à-dire de « corps civique », qui effectivement détient l'essentiel du pouvoir. On peut dire que le πολίτευμα est la constitution, πολίτευμα 8* ἐστὶν ἡ πολιτεία #1, A cette définition fondée sur les faits s'unit au livre III comme au livre VII une exigence morale. Pour n'étre pas une « déviation », pour

être « juste », ὀρθή, une telle organisation doit fonctionner dans l'intérêt des citoyens ; elle doit assurer leur progrès vers le bien #2, Aristote, au total, a donc réagi contre une définition insuffisante et à son avis trop vague de la « polis » ; mais la notion qu'il lui a substituée peut, dans les faits, étre aussi souple, et n'est précisée que dans la mesure où le philosophe s'attache à une valeur morale elle-même précise. Le jour où cette valeur fut relativement négligée, le jour où le philosophe vit dans les constitutions non plus tant des moyens de réaliser un certain bien, que des phénomènes scientifiques, qu'il est curieux et instructif d'observer et de classer, ce jour-là sa définition de la cité fut dépassée. Il se garda bien de la remplacer, et donna égal accés dans la réflexion politique aux exemples tirés des «cités» et des « peuples ». Après avoir réagi contre l'histoire, il lui cédait. L'objectivité le lui imposait, puisqu'elle n'était plus freinée par une exigence de valeur morale: s'il étudiait les moyens de maintenir un régime aussi perverti que la tyrannie, tous les ensembles politiques pouvaient l'intéresser. Ce fut alors qu'il entreprit d'enseigner les lecons dont nos livres « réalistes » de la Politique,

IV, V et VI, sont issus. Alors égale-

ment, il rangea parmi les « constitutions » ces χοιναὶ 257. IV, 8, 1293 5 27 sq. 258. IV, 4, 1292 a 30 sq. 259. Ibidem. 260. III, 13, 1284 a 3 sq., et III, 16-17.

261. III, 6, 1278 b 8 aq. 262.

III, 6, 9; VII, 4, etc.

πολιτεῖαι,

dont

604

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

plusieurs firent partie de la collection des constitutions. Alors encore, il reprit et compléta son enseignement sur la cité idéale, qui forme nos livres VII et VIII. Cette évolution ne va naturellement pas sans des hésitations, dont le livre III surtout porte la trace : Aristote y donne une définition étroite de la « polis », tout en s'intéressant aux «a ethné » ; mais, s'il met à peu prés sur le méme plan ces réalités politiques, il les distingue assez précisément, et il ne s'intéresse aux « peuples » que dans le cadre de la monarchie. C'est encore le cas au livre V, où cependant les analogies sont déjà plus nombreuses entre peuple et cité. Enfin, les κοιναὶ πολιτεῖαι et le chapitre 79 du livre VII suppriment toute distinction : un « État » peut désormais comprendre plusieurs « poleis » — tandis que dans l'Éthique de Nicomaque encore, il était limité. Ainsi, une évolution dont l'origine apparaît en II et en VII, nous conduit, par une transition qui correspond à notre livre III, puis à IVVI, jusqu'à un terme marqué par la collection des constitutions et encore par notre livre VII : l'évolution de l'idée d'État chez Aristote suit exactement le schéma que nous avons retrouvé dans la composition de la Politique aristotélicienne. À mesure qu'il étudiait l'histoire, Áristote en assimilait la lecon.

Ce n'est pas, assurément, que la recherche historique ait été l'unique agent de cette évolution. D'autres facteurs ont pu intervenir et, au premier chef, les événements contemporains. Ce sont méme eux qui peut-étre ont guidé la recherche historique d'Aristote vers l'étude d'ensembles plus vastes que la « polis » traditionnelle. Il n'empéche pourtant que le parallélisme des deux ordres de faits, études historiques et conception de l'État, nous permet aujourd'hui de reconstituer avec quelque certitude le mouvement de la pensée aristotélicienne. Le Stagirite a d’abord réagi contre ce qu'il croyait une erreur ; il a voulu mettre de l'ordre dans une confusion ; il a cru que l'organisation d'un « ethnos » était tout juste bonne pour des barbares : les Nó tp. x ne sont-ils pas une de ses premiéres collections ? Puis il a cédé au réel, senti que la défim-

tion étroite de la cité était verbale, contemplé d'autres horizons. Reste maintenant à étudier de plus prés aristotélicienne de l'État.

C.

L'ÉrAT

RÉALISTE

: AUTARCIE

cette ultime

conception

ET SOLIDARITÉ.

La « politeia » unique du livre VII, 7, celle qui devrait régir tous les Grecs, a un but non équivoque : conquérir l'empire du monde : δυνάμενον ἄρχειν πάντων, μιᾶς τυγχάνον πολιτείας. Aristote a cependant adressé aux Spartiates et aux Crétois, au livre II et au livre VII, le même reproche que leur faisait Platon : leur constitution ne vise qu’à la vertu guerrière, alors que la guerre, loin de constituer un but, n'est qu'un

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

405

moyen #3, La fin doit être le bonheur, qui est de « bien vivre ». En admettant même que la vie active — πρακτικός ---- soit identique à ce bonheur, la cité peut, tout autant que l'individu, exercer une activité qui ne soit pas externe : la pensée pure est la plus haute activité de l'individu, et un État isolé, dont l'activité serait purement

intérieure,

pour-

rait aussi parvenir au bonheur 2%. Quoi de plus contraire au πάντων ἄρχειν ἢ En pratique, cependant, Aristote reconnaît au livre VII que cet isolement est utopique. La cité aura des voisins, c’est pourquoi son territoire doit faciliter la défense et les contre-attaques ; il doit aussi permettre importations et exportations, qui peuvent être indispensables 2%. La proximité de la mer, l'installation de ports à bonne distance de l'agglomération principale, répondront aux mémes nécessités. Une force militaire

terrestre

et

navale

intimidera

certains

voisins,

en

soutiendra

d'autres 2, La cité idéale ne cherchera même pas à se retirer dans quelque splendide isolement : « Elle ménera une vie d'hégémonie et, pour

ainsi dire, de citoyen » — ἡγεμονικὸν

καὶ πολιτικὸν

ζήσεται

βίον #7,

Sa mission sera « d'abord de préserver ses propres citoyens de l'esclavage, ensuite de leur faire rechercher l'hégémonie pour le bien de leurs sujets, et non pour régner en maîtres sur tous, enfin de commander en maîtres ceux qui méritent d’être esclaves » #8. Telle est probablement une des lecons qu’Aristote avait retenues de son séjour auprès d'Hermias ?*?, Mais elle n'est pas conforme à la formule du chapitre 7 — « commander à tous » —, qui suppose une conception plus réaliste et plus brutale de la vie internationale. Τῆς ὠφελείας ἕνεκα τῶν ἀρχομένων, ἀλλὰ

μὴ

πάντων

δεσποτείας,

écrit

au

contraire

ici Aristote,

en

des

termes qui soulignent cette opposition. Cette domination universelle serait-elle cependant justifiée ? S'établirait-elle seulement sur des hommes « qui méritent » de la subir? I] est bien vrai qu'au livre I Aristote semble un moment identifier esclaves et non-Grecs ??, Mais peut-être s'agit-il là seulement d'un point de vue répandu, qu'il adopte provisoirement *?*, 1] montre en tout cas que la distinction entre un homme fait pour l'esclavage et un homme 263. Politique, II, 9, 1271

b 1 sq. ; VII, 2, 1324 b 5 sq. ; 14, 1333

b 5 sq.; etc.

PLaron, Lois, I, 625 c sq., etc. 264. VII, 3, 1325 b 14 sq. ; cf. 2, 1325 a 1 sq.

265. VII, 5, 1326 b 39 sq. 266.

VII, 6, 1327 a 18 sq., 40 sq.

267. 1327 b 5. AnisTOTE énonce ce principe sous la forme d'une proposition subordonnée conditionnelle à l'indicatif futur : ei μὲν yàp... Cotta... Cette expression a un caractère aflırmatif marqué. 268. VIE, 14, 1333 b 40 sq. 269. Supra, p. 15 sq., 186 sq. 270. 1, 2, 1252 b 5 sq. 271. Cf. I, 6, 1255 a 28 sq., où AntsTOTE montre qu'en général on réserve le nom d's esclaves » aux « barbares » : « Ce faisant, on cherche seulement à déterminer ce

qui est esclave par nature. » Et encore : « Les Grecs se considérent comme nobles non seulement dans leur patrie, mais partout, tandis qu'un barbare ne pourrait être noble que chez lui. » ArisTOTE analyse ici, sans les prendre à son compte, des idées et des expressions courantes,

406

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

apte à commander n'est pas évidente ?'?, Et surtout, dans ce texte méme du livre VII, il distingue entre Barbares d'Asie, dépourvus de cœur, race d'esclaves,

et Barbares d'Europe, êtres énergiques, hommes

libres. Une idée analogue est exprimée au troisième livre 5375, Il semble donc sûr qu'Aristote ne considérait pas l'ensemble des peuples nongrecs comme des esclaves en puissance. Son évocation de l'empire universel n'en recoit que plus de force. Car cette domination n'accomplirait pas une finalité naturelle. Il faut ajouter que lorsqu'au livre III Aristote comparait les tempéraments des Grecs et des divers Barbares, il n'avait pas songé à cette union des Grecs et à cette puissance qu'elle pourrait détenir. Il s'était contenté d'énoncer un principe général d'ethnologie, qui n'était pas nouveau ?*, Au livre VII, la comparaison n'est pas seulement plus développée. Elle a une orientation politique précise, vers l'Empire 335. Au livre II, en revanche, Aristote a évoqué une autre ἀρχή. ll a affirmé que la position de la Crète a favorisé l'hégémonie maritime de Minos, qui soumit ou colonisa les iles, puis entreprit l'expédition de Sicile où il devait laisser la vie. Aristote constate « l'aptitude naturelle et la bonne

situation de l'ile en vue de la domination

de la Grèce »,

δοκεῖ δ᾽ ἧ νῆσος xal πρὸς τὴν ἀρχὴν τὴν ᾿Ἑλληνυκὴν πεφυχέναι

xal

κεῖσθαι καλῶς ©, Le philosophe approuve-t-il donc Minos d'avoir conquis l'empire de la mer et exercé un pouvoir cruel, à Athénes notamment ? Cette domination lui paraît-elle « naturelle — πεφυκέναι xal κεῖσθαι καλῶς, — alors

tois et des Lacédémoniens d'une appréciation

qu'il a condamné

ailleurs le goût des Cré-

pour la guerre ? Cette antinomie, doublée

contradictoire

sur

la

position de la Créte, trouve,

comme nous l'avons vu, sa solution dans la composition de la Politique: ce passage impérialiste résulte d'une addition d'Aristote, au méme titre que l'histoire des syssities qui complète le VII? livre 2°. Aussi est-ce

une raison de plus pour considérer que l'épyh πάντων du livre VII est, elle aussi, une addition.

Cet intérét pour l'« empire » apparait aussi dans le conseil qu'Aristote— peut-étre dans le Sur les colonies, à époque récente — avait donné à Alexandre : se comporter avec les Grecs comme un chef, avec les Barbares comme un maitre. Mais ces lignes, dont l'attribution au 272. I, 5-6.

273. ΠῚ, 14, 1285 a 19 sq.

274. Supra, p. 226. 275. Si d'ailleurs ce texte du livre III est, comme son contexte, inspiré du Sur la royauté, on voit qu'au temps du préceptorat AR1ISTOTE ne conseillait pas à Alexandre un impérialisme sans limites. 276. 11, 10,1271 b 32sq. Nous comprenons à ᾿Ελληνικὴ ἀρχή, avec la majorité des interprètes, comme «la domination exercée sur la Grèce », Toutefois, Racknam traduit « under Greek rule ». Mais cf. Taucynive,

I, 128, 3 (τῆς “EAAnvueñe ἀρχῆς),

VI, 90, 3 (τοῦ ξύμπαντος ᾿Ελληνικοῦ ἄρξειν) ; DÉMOSTHÈNE, Couronne, 63 (τὴν τῶν “Ἑλλήνων ἀρχήν), 293, etc. ; IsocrATE, Évagoras, 54 ; Échange, 234, etc. 277.

Supra, p. 245,306 sq. Voir au contraire H.Keısen,

Aristote and the Hellenic-

Macedonian policy, Intern. journ. of Ethics, 48 (1937-1938), p. 60, pour qui ce passage

impérialiste est ancien.

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

407

Sur les colonies n'est pas absolument certaine 2”, constituent moins une exhortation à prendre l’&pxn, qu'une leçon sur la facon de s'en servir. Que cette lecon ne doive méme pas étre appliquée à la lettre, l'expression, par son exagération, le suggére : « traiter les Barbares comme des animaux

ou des plantes » — τοῖς

δὲ ὡς ζῴοις À φυτοῖς

tpoapepóuevog —

est un conseil qui ne peut étre sincére, chez le fidéle ami d'Hermias. Il faut faire ici la part de la littérature chez Aristote — et peut-étre aussi chez Plutarque ou ses sources, qui nous ont conservé ce texte. La formule ne pourrait à la rigueur concerner que les sujets du Grand Roi, considérés comme des ennemis. En ce sens elle devrait être récente, peut-étre liée à la tentative de fusion entreprise par Alexandre — et elle confirmerait que le souci de l’&px chez Aristote n'est pas ancien. Beaucoup plus solide est le témoignage de la Constitution d'Athénes qui était probablement encore sur le métier dans les toutes derniéres années d'Aristote, et probablement aussi fut rédigée peu à peu pendant la période du Lycée ; elle appartient en tout cas sürement à cette fin de la carriére aristotélicienne *??. Les analyses de G. Mathieu ont montré comment Aristote, ou les disciples qu'il guidait, avaient ici utilisé et parfois mêlé plusieurs sources ?9, Or entre les différents jugements que ces diverses sources avaient portés sur l'impérialisme athénien du v? siécle, Áristote a établi une certaine unité. Dans la récapitulation qui termine la partie historique, et qui a certainement subi des remaniements ??!, il remarque qu'aprés l'affaiblissement de l'Aréopage, « la ville commit le plus de fautes, sous l'influence des démagogues, à cause de la maîtrise de la mer », διὰ τὴν τῆς θαλάττης ἀρχὴν 333, La conjonction de la démagogie et de l'ápy*, lui paraît donc néfaste. Mais cette « domination » est-elle condamnable en elle-même, si du moins le gouvernement résiste aux démagogues ? Aristote retrace justement d'une façon très favorable les origines de l'empire athénien, au temps où l'Aréopage avait la prépondérance, « bien que déclinant peu à peu » 288, Au lendemain des guerres Médiques, affirme-t-il,

« les Athéniens

furent

bien gouvernés ; car dans cette période ils furent bien préparés à la guerre et respectés des Grecs, et ils reçurent la maîtrise de la mer — τὴν τῆς

θαλάττης ἡγεμονίαν --- malgré les Lacédémoniens » 4, ᾿Επολιτεύθησαν ᾿Αθηναῖοι καλῶς. Aristote fait ainsi l’éloge d'Aristide, qui organisa la confédération, « fixa pour les États alliés les premiers tributs... et s'engagea par serment envers les loniens à avoir mêmes amis et mêmes ennemis qu'eux » #, Puis Aristide conseille aux Atheniens une poli278. Supra, p. 155. 279. Supra, p. 115 sq. 280.

: 281.

G. MarniEU,

Essai sur la méthode...,

Paris, 1915.

Supra, p. 107 sq.

282.

Const.

d' Ath., 41, 2 (traduction MArnıeu-HaussouLLier,

283.

25, 1 ; cf. 23 et les jugements

turellement IsocnATE, Sur la paix. . 259. P 284. 23, 2. 285. 23, 5.

᾿

différents

énoncés

dans

modifiée). Cf. nala Politique,

supra,

408

.ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

tique plus énergique, pour qu'ils utilisent et maintiennent fermement leur hégémonie ; et « les Athéniens se laissérent persuader, prirent en mains l'empire et agirent plus despotiquement à l'égard de leurs alliés... » %, λαθόντες τὴν ἀρχὴν τοῖς τε συμμάχοις δεσποτικωτέρως ἐχρῶντο. On attendait,

après

ce δεσποτικωτέρως,

un bläme

caractérisé.

Il n’en est

rien : le contexte montre au contraire que « les tributs, les taxes et les alliés » subviennent heureusement aux besoins des Athéniens #7. L'Aréopage conserve encore de l'autorité, le régime est apparemment satisfaisant. Plus tard seulement, l'Aréopage une fois dépossédé, « la passion des démagogues entraîna un relâchement dans les mœurs politiques » 28, et la démocratie évolua vers le pire. Mais l’&pxn n'est pas la responsable de cet avilissement : elle n'en est que l'occasion, ou le moyen. Il est donc certain qu’Aristote vieillissant n'éprouvait pas pour l'impérialisme l'horreur que cette tendance lui avait inspirée autrefois, ou qu'elle avait suscitée chez Platon. L'ápy3 Ἑλληνική, l'&pyetv πάντων, la μία πολιτεία qui permettrait d'atteindre ce but, s'intégrent naturellement dans ces idées des derniéres années. Une comparaison entre le texte impériaiiste du livre VII — δυνάμενον ἄρχειν πάντων μιᾶς τυγχάνον πολιτείας — et les Lois de Platon, illustre cette évolution. Platon a en effet évoqué, dans sou « archéologie », l'efficacité militaire d'une organisation commune aux cités grecques — en l'occurrence, les cités doriennes. A Argos, rapporte-t-il, comme à Messéne et à Lacédémone, s'étaient installées primitivement trois monarchies sœurs : les peuples et les rois étaient liés par des souvenirs communs et par les liens du sang ; l'organisation des pouvoirs dans les trois États était parallèle ; enfin des serments unissaient, dans chaque cité et entre elles, gouvernants et gouvernés, « les uns s'engageunt à ne pas imposer plus violemment leur autorité avec le progrés du temps et de la race ; les autres, sous la garantie des magistrats, à ne jamais renverser eux-mémes la royauté ni souffrir que d'autres le tentent ; mais les rois secourraient, en cas d'injustice, les rois et les peuples, et les peuples, en cas d'injustice, les peuples et les rois » #°. Cette organisation, affirme encore

Platon,

devait apporter la sécurité à la Grèce, et

méme lui valoir l'empire du monde. Le danger assyrien pouvait étre écarté, alors qu'il paraissait encore redoutable au lendemain de la seconde prise de Troie *9, Les Doriens auraient pu conserver leur liberté,

« commander

à qui ils voudraient,

et... satisfaire, chez tous les

hommes universellement, Grecs ou Barbares, leurs propres désirs et ceux de leurs descendants » 291. « Si le plan primitif s'était réalisé et avait fait l'union, c’eüt été, militairement, une force irrésistible » 2%. 286. 24, 2. Anrıstote fait ici une exception pour Chios, Lesbos et Samos. Cf.

chapitre VIII, s. v., p. 288 sq.

287. 24, 3.

288. 26, 1 sq. 289.

Lois,

290. 291. 292.

685 b sq. 687 a sq. 686 b.

1,

68%

a sq.

; 686

a.

AU DELIA DE LA CITÉ

409

L’analogie de ces idées avec la μία πολιτεία d’Aristote est remarquable. Mais des différences apparaissent immédiatement, qui montrent qu’Aristote a dépassé son maitre, et ne s'est pas contenté ici d'adapter son enseignement. En premier lieu, l'unité militaire que célébre Platon ne forme pas une unité politique complète, μία πολιτεία. Les constitutions de Lacédémone,

d’Argos,

de Messène,

étaient selon lui identiques, — mais

dis-

tinctes. En appliquant au récit de Platon la formule d'Aristote, on dirait que le Péloponnése ἐτύγχανε τῆς αὐτῆς πολιτείας, et non μιᾶς. Du reste Platon se garde bien de qualifier de « politeia » cette organisation d'ensemble. Il n'emploie que des termes vagues : « Ces dispositions ne devaient pas assurer une protection suffisante au seul Péloponnése, mais encore à tous les Grecs » — τὴν κατασχευὴν ταύτην 292. « L'organisation unique répartie entre trois cités, de l'armée de cette époque... » ,Àh

τοῦ

στρατοπέδου

τοῦ

τότε

διανεμηθεῖσα

εἰς

τρεῖς

πόλεις

κατα-

σκευὴ μία... 3%. Platon dit encore ταῦτα, τὸ στρατόπεδον τοῦτο, τηλιχκοῦτον xal τοιοῦτον σύστημα, τοῦτον τὸν στόλον, εἰ συνέστησαν... ?95, Il présente les rois des cités comme des chefs militaires et des organisateurs, non comme les gouvernants d'une unité politique 2%. I] montre

que cette « organisation » était un « plan », — διάνοια, τὰ νοηθέντα 297 — que les hommes n'ont pas su réaliser harmonieusement. Nulle part, en somme, il n'a recours à une notion politique précise. Eussent-ils même atteint le but qu'ils se proposaient et ainsi asservi l'humanité à leurs désirs, que les Doriens, selon Platon, auraient en fait échoué : car assouvir ses passions n'est pas se conformer à la justice et obtenir un bien véritable. La sagesse et l'intelligence doivent au contraire guider nos souhaits. L'impérialisme n'est pas plus louable dans l'État, que la volonté effrénée de puissance chez l'individu 2%, À ces notions, qu'évoque d'assez prés la limitation du droit de guerre qu'Aristote inscrit par ailleurs dans son livre VII 399, s'oppose évidemment le bref et catégorique δυνάμενον ἄρχειν πάντων du chapitre 7. Au σύστημα ou à la κατασκευὴ de Platon s'oppose aussi le précis μιᾶς

τυγχάνον πολιτείας d'Aristote. Le σύστημα, la κατασκευή sont des expressions analogues à l’olov ᾿Αρκάδες du livre Il. Aristote a maintenant élargi sa notion de « politeia », en méme temps qu'il prend en considération l'impérialisme le plus radical. Isocrate lui-méme n'a pas été si loin : jamais il n'a envisagé de façon aussi expresse l'unité constitutionnelle de la Grèce. Aristote sort maintenant du cadre traditionnel de la cité et pose le probléme du pouvoir politique en des termes que 293. 685 b. 294.

685 d.

295. 685 d ; 686 b, d ; 687 a. 296. 685 d sq. 297. 686 b ; 692 c. 298. 687 ὁ sq. Cf. P. Rousseı, Platon et l'idée panhellénique (Séance annuclle des Cinq Académies du 25 octobre 1941), Paris, 1941, p. 16 sq., et notre Archéologie de Platon, p. 50 sq. 299. Supra, p. 401 sq.

410

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

des moralistes comme Isocrate et Platon ne pouvaient accepter. Il considére le « grand pouvoir ». — comme disaient, honteux ou arrogants, Gorgias et Polos, Calliclés et Thrasymaque, — dans la perspective méme qu'avait spontanément choisie, un siécle avant lui, Hérodote. Celui-ci écrivait en effet : « Les Thraces forment le peuple le plus nombreux du monde, du moins après les Indiens ; s'ils obéissaient à un seul

chef et étaient animés du méme esprit, ce peuple serait invincible et de beaucoup le plus puissant de tous à mon avis », el δὲ ὑπ᾽ ἑνὸς ἄρχοιτο N ppovéor κατὰ τωὐτό, ἄμαχόν τ᾽ ἂν εἴη xal πολλῷ κράτιστον πάντων ἐθνέων κατὰ γνώμην τὴν ἐμὴν 9. A ce jugement du « père de l’histoire », une aflirmation comparable d’Aristote fait écho, alors que s’achève une période de l’histoire grecque, alors que finit un monde. Aristote demeure attaché à la « polis ». Mais une « politeia » convient aussi à des ensembles plus vastes, dont la puissance est indispensable pour faire face aux nécessités de l'existence : Aristote pouvait-il en effet admettre que la « symmachie » restát une union temporaire, quand les événements militaires. contemporains bouleversaient la vie des cités ? « Quel est l'événement étrange et imprévu qui ne se soit produit de nos jours ? — s'écrie Eschine dans le Contre Ctésiphon, en 330 — Nous n'avons pas vécu d'une vie d'hommes : nous

sommes

nés

pour

l'émerveillement

de

la

postérité » *! —

εἰς

παραδοξολογίαν τοῖς μεθ᾽ ἡμᾶς ἐσομένοις ἔφυμεν. Cet « émerveillement s, dont Aristote a justement dit en d’autres termes --- διὰ τὸ θαυμάζειν — qu'il suscita les premières spéculations philosophiques %?, a dà conduire le Stagirite à enrichir aussi sa pensée politique, à l’adapter, à l’élargir. Comme il admettait les κοιναὶ πολιτεῖαι dans sa collection, il les a introduites dans son analyse politique. Aussi est-il naturel que les cités « réelles » des livres IV-VI ne vivent guère qu'une vie politique intérieure. Elles n'ont pratiquement pas de politique étrangère. Sans doute en possèdent-elles les organes. Le pouvoir délibératif décide de la paix et de la guerre, de la conclusion et de la rupture des alliances 9?, La cité a non seulement des soldats, mais des généraux et des remparts ®%. La structure militaire de l'État est méme un facteur important dans le choix du régime politique 95. Aristote admet aussi que ce choix peut impliquer celui d'une politique étrangère, puisque les constitutions tendent à s'opposer, à se détruire, à s'absorber 3%, Toutefois, il n'y a là aucun principe véritable de politique étrangère, comparable à ceux qu'énonce Platon au livre V de sa République, ou Aristote lui-même au livre VII de la Politique Y", Quand la cité 300.

Hénonporz, V, 3. Cf. H£eropore, IX,2 : l'unité morale des Grecs les rendrait

difficiles à vaincre. 301. Contre Ctésiphon, 132. 302. Métaphysique, A (I), 2, 982 b 12 sq. Supra, p. 177. 303. Pol, IV, 14, 1298 a 3 sq., 19 sq. 304, 1V, 4,1291 a 25 sq. ; 15, 1299 a 21 sq. ; 1300 510 sq. ; VI, 8, 1322 a 33 sq. 305. VI, 7, 1321 a 5 sq. ; cf. IV, 3, 1289 b 33 sq. 306. Supra, p. 351 sq. 307. Supra, p. 404 sq.

AU

DELÀ

DE

LA

CITÉ

411

fera-t-elle la guerre ou la paix ? Si le livre VII doit guider l’homme politique, alors il lui faudra, au temps d’Aristote, mener sa cité contre ceux qui « méritent l'esclavage » : une συμμαχία solide — une μία πολιτεία — sera l'instrument indispensable de cette politique. Et pour préserver la constitution de sa cité, il lui faudra la régulariser et comme la conformer à un idéal de juste milieu, qui finalement supprimera entre les États les guerres idéologiques. Pourquoi les États exerceraient-ils l'un envers l'autre une politique étrangére, si tous jouissent des bien-

faits apaisants de la χοινοτάτη πολιτεία ἢ L'autarcie n'est donc, en fait, jamais totale. Aristote admet ce défaut jusque dans le principe. Certes, « l'autarcie est une fin et un idéal » 99,

3$.9'

αὐιάρκεια xal

τέλος

xal

βέλτιστον.

Mais la cité ne parvient à

l’« autarcie complète » que « pour ainsi dire », πάσης ἔχουσα πέρας τῆς αὐταρκείας ὡς ἔπος εἰπεῖν 99. La cité idéale, elle aussi, si son créateur veut la tirer hors du domaine du réve, doit accepter des échanges, et mener une sorte de vie de société ?!9, A plus forte raison les cités réelles ne sauraient-elles se suffire à elles-mémes. Et leur premiére caractéristique, de ce point de vue, est qu'elles ne sauraient plus, raisonnablement, faire la guerre seules : Aristote prend en considération, aux livres IV à VI, des guerres antérieures ?!1, jamais il n'envisage une guerre nouvelle, destinée par exemple à consolider un régime 513. Si le tyran, par nature, est belliqueux et doit cultiver la vertu militaire pour maintenir son pouvoir ?!3, c'est à des expéditions extérieures à la Grèce que songe Aristote : l'exemple de Denys l'Ancien est présent à son esprit, avec les guerres menées contre Carthage ?!*, Jamais il ne conseille à une cité grecque d'entrer en lice contre une autre cité grecque. Dans le désordre où, selon lui, se trouvait la Grèce, la guerre n'est pas une solution : « Les hommes se sont habitués à renoncer à l'égalité, ils veulent commander, ou se résignent à la sujétion » 315, L'égalité est bien préférable, celle de la κοινοτάτη πολιτεία des cités, qui supprimera toutes les rivalités belliqueuses entre elles, et ouvrira le chemin à la κοινὴ πολιτεία, --à la μία πολιτεία du livre VII. Aussi comprend-on qu’Aristote déplore l'erreur des hommes qui ont détenu l'hégémonie, et qui n'ont pas su la mettre à profit pour installer partout une constitution « moyenne ». "Er δὲ xal τῶν ἐν ἡγεμονίᾳ γενομένων

τῆς

᾿Ελλάδος

πρὸς

τὴν παρ᾽

αὑτοῖς ἑκάτεροι πολιτείαν ἀπο-

δλέποντες, οἱ μὲν δημοκρατίας ἐν ταῖς πόλεσι καθίστασαν ol δ᾽ ὀλιγαρ-

308. Politique, I, 2, 1253 a1. 309. 1252 b 28 sq. Sur le sens de

ὡς

ἔπος

εἰπεῖν,

voir

1.

Hussert,

Syntaxe

grecque, 2° éd., Paris, 1954, p. 127.

310. Supra, p. 405. 311.

IV, 3, 1289 b 36 sq. ; V, 5, 1305 a 7 sq. ; etc.

313.

V, 11, 1313 b 28 sq. ; 1314 b 21 sq.

312. On ne s'étonnera pas, en revanche, qu'il n'envisage pas le problème des alliances, puisque, dans la perspective de la cité étroite, une alliance ne constitue pas un ensemble « politique ». 314.

Newman,

ad loc., qui mentionne

lléraclée du Pont. 315. IV, 11, 1296 a 40-b 2.

aussi

Nicoclés

à Chypre

et Timothée

à

412

χίας,

ARISTOTE

où πρὸς

τὸ

τῶν

ET

πόλεων

L'HISTOIRE

συμφέρον

σκοποῦντες

ἀλλὰ

πρὸς

τὸ

σφέτερον αὐτῶν. Ὥστε διὰ ταύτας τὰς αἰτίας 3) μηδέποτε τὴν μέσην γίνεσθαι πολιτείαν 7) ὀλιγάκις καὶ παρ᾽ ὀλίγοις " εἷς γὰρ ἀνὴρ συνεπείσθη μόνος τῶν πρότερον ἐφ᾽ ἡγεμονίᾳ γενομένων ταύτην ἀποδοῦναι τὴν τάξιν, ἤδη

δὲ καὶ τοῖς ἐν ταῖς πόλεσιν ἔθος χαθέστηχε

μηδὲ

βούλεσθα:

τὸ ἴσον, ἀλλ᾽ ἢ ἄρχειν ζητεῖν ἢ κρατουμένους ὑπομένειν 316, Ce texte allusif a suscité les interprétations les plus diverses : quel est cet εἴς ἀνήρ, cette personnalité unique, dont le rôle aurait pu être si important en Grèce ? Une vingtaine de noms ont été avancés : Thésée, Lycurgue,

Théopompe,

Pittacos,

Périclès, Théramène,

Lysandre,

patros,

et,

Timoleon...,

tout

Solon,

Clisthène,

Gélon,

Phaléas,

Pausanias, Philippe, Alexandre, récemment,

Hermias

Anti-

d’Atarnee...

2%".

Entre tant de candidats pourvus de titres si considérables, le choix est assurément difficile. Du moins peut-on d'abord circonscrire ces difficultés. La principale entoure le sens de τῶν πρότερον ἐφ᾽ ἡγεμονίᾳ yevoμένων 95: s'agit-il d'hégémonie à l'intérieur d'une cité, ou d'hégémonie internationale ?!? ? Les deux opinions ont eu leurs champions, mais la suite des idées ne laisse guére de place que pour la seconde : les États, dit Aristote, qui ont eu l'hégémonie en Grèce — «àv ἐν ἡγεμονίᾳ γενομένων τῆς ᾿Ελλάδος --- étaient en général des démocraties ou des oligarchies —

Lacédémone,

Athènes, Thèbes ; dans leur propre intérêt,

elles imposaient partout ce qu'un moderne appellerait leur propre idéologie ; d’où la rareté de la politeia. De fait, un seul « hegemon » a soutenu cette forme de constitution. Le résultat est que toutes les cités considérent l'inégalité comme naturelle. Dans ce raisonnement serré, le premier et le dernier terme sont importants, parce qu'ils donnent la clé de l'ensemble. Les deux termes intermédiaires — rareté de la politeia et róle de la « personnalité unique » — sont au contraire dans un rapport équivoque. A l'idée que la politeia est exceptionnelle peuvent en effet s’enchatner comme une explication (γάρ) soit l'idée qu'un « hégémon » de plusieurs cités a été seul à favoriser cette politeia — c'est notre interprétation —, soit presque aussi bien une idée différente — à savoir que, de fait, (y&p) un seul chef d'État a voulu installer chez lui la politeia. Mais cette ambiguité est levée par la signification convergente du premier et du dernier maillon du raisonnement. 316. 1296 a 32-b 2. 317. Recensement établi par P. Anprews, Aristotle, Politics, IV, 11, 1296 a 38-40, Class. Rev., 66 (N. S., 2) (1952), p. 141-144, qui propose l'identification avec Jlermias, et qui a omis le nom de Philippe. Cf. aussi M. EFOURNY, Études sur la Politique, Paris, 1932, p. 534 (v. sur Philippe, W. Oncxen, Die Staatslehre des Ar., II, p. 261 sq.). Pt 8. Jowerr condamne ἐφ᾽ ἡγεμονίᾳ γενομένων. Cela ne résout pas toutes les difficultés, 319. Newman ne choisit pas, et remarque que Bonıtz (Inder Aristotelicus, s. v. ἡγεμονία) ainsi que SusEwinr semblent pencher pour la première interprétation ; c'est aussi le cas de J. Manras et O. Gicow. P. Anprews adopte résolument cette première solution. Au contraire, W. Oncken,

ker adoptent la seconde,

M. Deroveny,

ἢ. Racknam,

E. Bag-

AU

DELA

DE

LA

CITÉ

413

Le premier pose évidemment le problème sur le plan international : τῶν Ev ἡγεμονίᾳ γενομένων τῆς Ελλάδος — et le dernier est du méme

ordre : καὶ τοῖς ἐν ταῖς πόλεσιν ἔθος καθέστηκε

μηδὲ

βούλεσθαι τὸ

ἴσον. L'expression οἱ ἐν ταῖς πόλεσιν s'applique aux habitants des cités qui n'ont pas l'hégémonie. Cette valeur n'est pas exceptionnelle 395 et Aristote vient d'ailleurs de dire que les maîtres de la Grèce imposaient démocratie ou oligarchie dans les cités qui dépendaient d'eux, ἐν ταῖς πόλεσι. L'adverbe xal souligne nettement cette distinction entre

cités dominantes. et cités dominées,

leaders

et satellites,

ol

ἐν

ἡγεμονίᾳ γενόμενοι et al πόλεις. Le texte concerne donc d'un bout à l'autre l'hégémonie internationale, comme à vrai dire il fallait s'y

attendre puisque ce sens du mot ἡγεμονία est courant ??1, Dans ces conditions, les noms de Phaléas, de Pittacos, d'Hermias, ne sauraient étre retenus, ni non plus ceux d'hommes qui, méme dans des cités importantes, n'ont pas eux-mémes détenu une véritable hégémonie sur la Grèce : Thésée, Solon, Clisthéne, Lycurgue, Théoporpe... Il faut sans doute, dans cette perspective, éliminer aussi Théraméne, qui ne fut pas « hégémon » personnellement, lui non plus. Il est vrai que de son temps Athènes prétendait encore à l'hégémonie. Mais avec cette

interprétation de τῶν

ἐφ᾽ ἡγεμονίᾳ γενομένων --- tout un peuple—

εἴς μόνος devient abusif ; Solon ou Lycurgue ou Théraméne pourraient indifféremment étre en cause ; il ne s'agirait donc plus d'une « personnalité unique ». Le mot πρότερον permet de restreindre davantage un champ encore vaste en écartant Ántipatros et Alexandre. Car l'expression ol πρότερον par laquelle Aristote désigne ses « devanciers » et notamment Platon 322, ne saurait convenir ni au Jeune roi qui mourut à peine un an avant Aristote, ni au régent qui survécut de trois ans au philosophe 328,

En revanche, le sens de συνεπείσθη et celui d’éxoSoüvar

sont dis-

cutables : le premier terme peut marquer le résultat d'une discussion 39, ou tout simplement d'un effort personnel de réflexion 3?5, Quant à ἀποδοῦναι, ce mot implique peut-être l'idée d'une restauration ??$, mais aussi bien celle d'une création 327 ou d'une concession ?55, Faut-il renoncer à dissiper davantage le mystére de la « personnalité unique » ? Aucune certitude, à vrai dire, ne sera jamais atteinte en ce domaine, si elle n'est appuyée sur des documents nouveaux. Mais 320. Newman à 1296 a 40. 321. Dictionnaire de Lipp.-ScorT..., 8. v.

322. Pol. IV, 2, 1289 5 5 (= Praron, Politique, 303 a sq.).

Cf.

DÉMOsTHÈNE,

Sur la couronne, 317. Etc. 323. Grorz-Roussez, Hist. Gr., IV, 1, p. 181 sq. ; 2, p. 291. 324. P. Anvrews. Cf. V, 7, 1307 b 15 ; VI, 3, 1318 ὁ 3. 325. Voir Newman, ad loc., rapprochant Du ciel, II, 1, 284 a 2. Références à ces deux sens dans le Dictionnaire de Lipp.-Scorr... 326. WErrpowN, Concreve. Cf. Const. d' Ath., 11, 2, avec Kaiser et WiLAMOWITZ

(éd. de la Const.*, Berlin, 1898). 327.

Susemistr.

328. Newman. P. ANpREgwsinterpréte le préverbe ἀπὸ - par rapport à ouvereloßn: « He yielded to persuasion and conceded this constitution. »

414

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

des vraisemblances existent déjà. W. Oncken a depuis longtemps remarqué, suivi notamment par M. Defourny ?*?, combien les vœux du Stagirite coincident avec les principes qui auraient dü guider la ligue de Corinthe. Sans doute n'étaient-ce que des principes ; les faits ne s'y conformérent pas souvent. En théorie du moins, la ligue devait apporter à la Grèce unité, tranquillité, stabilité diplomatique et constitutionnelle. Les conventions stipulaient notamment qu'aucune cité n'essaierait d'imposer son régime à une autre cité, qu'aucune non plus ne tenterait chez elle une expérience révolutionnaire ; ni affranchissement des esclaves, ni abolition des dettes, ni partage des terres, ni mesures violentes d'aucune sorte n'étaient admis. Les constitutions devaient assurer la liberté des citoyens, les tyrannies seraient abolies. Tel était l'idéal de Corinthe *9, On aurait grand peine à le distinguer de la constitution « moyenne », équilibrée, accessible à tous, qu'appréciait tant Aristote. La

hgue

de

Corinthe

est,

dans

une

large

mesure,

conservatrice.

Or

comme Oncken le notait ?3!, assurer la prédominance de la classe moyenne, c'est donner le pouvoir aux possédants. De là à conclure que la « personnalité unique » d'Aristote était Philippe de Macédoine, il n’y aurait qu'un pas. W. Oncken, puis M. Defourny, l'ont franchi hardiment, en dépit d'objections qui nous conduiront plutót à suspendre notre jugement. Car en fait, Philippe n'a jamais installé de « constitution moyenne » 333, Le traité de Corinthe, tout en consacrant les mémes principes que la Politique aristotélicienne, ne les a pas appliqués. Et c'est bien ce que reconnaît, en toute hypothèse, le texte aristotélicien : dans toutes les cités, « les hommes se sont habitués à renoncer à l'égalité, ils veulent commander, ou se résignent à la sujé-

tion ». Faut-il croire que le συνεπείσθη

ταύτην

ἀποδοῦναι

τὴν τάξιν

s'applique aux principes que Philippe, « convaincu », aurait sur la fin de sa vie décidé d'appliquer — sans en avoir le temps ? La chose est vraisemblable. Elle n'est pas démontrée. Mais peu importe cette incertitude, dans la mesure où est assurée la parenté, qui est essentielle, de la politique aristotélicienne et des principes de Corinthe. Ce rapprochement montre combien Aristote était attentif aux faits de son temps, et combien il les a compris. Les principes de Corinthe établissent la « constitution la plus commune à toutes les cités », condition indispensable et presque suffisante de la création d'une «unité constitutionnelle », μία πολιτεία. Cette constitution unique devait permettre aux Grecs, conformément à la « nature », d'assurer la protection et l'expansion de la Gréce, de réduire en esclavage « ceux qui le méritaient ». Aristote, en la matière, ne pense pas autrement qu’Isocrate. Il est méme le seul des philosophes politiques de son temps qui 329. W. Oncken, Die Staatslehre..., II, p. 267 sq. ; M. Derounnv, Aristote, Études sur la Politique, Paris, 1932, p. 534 sq. Voir aussi H. Keısen, Intern. journal

of Ethics, 48 (1937-1938), p. 58 sq. 330. Voir les références données avec Alexandre. 331. W. Oncxen, I. c., p. 272. 332. Voir Suseminz, Rem. 1303,

supra, p. 401 ; cf. (DÉxosTBENz),

Sur le traité

AU

DELÀ

DE

LA CITÉ

415

offre à la Grèce la perspective d’une « constitution unique » : il est celui qui a vu le plus loin, et qui a serré le réel de plus près, puisqu'il s’est trouvé à l’unisson avec le plus réaliste des souverains. Alexandre devait dépasser et son père et son maître : la fusion des races contredit la politique aristotélicienne. Bien que selon le philosophe un Barbare puisse valoir un Grec — n'a-t-il pas aimé et célébré Hermias ? —, bien qu'il reconnaisse la possibilité d'une amitié entre le maitre et l'esclave ?33, sa politique demeure toujours celle de la Grèce. Alexandre

au

contraire,

hégémon

des

Grecs

et roi des

Macédoniens,

succéda au Grand Roi et concut des projets gigantesques. La prudence d'Aristote doit-elle en être condamnée ἢ S'il avait survécu plus longtemps à son élève, il aurait trouvé dans l'histoire des diadoques quelques solides arguments en faveur d'une politique moins ambitieuse, — la sienne. Loin de croire que le monde püt former un seul État, Aristote ne l'a méme pas souhaité. Rien dans la politique aristotélicienne ne préfigure le cosmopolitisme des Stolciens. Aristote a seulement voulu expliquer, justifier, consolider la cité, parce qu'elle était la seule réalité « politique » qui lui semblát bonne. Ce faisant, il s'apercut que la cité n'était pas une « fin » absolue, et que le « vaisseau de l'État » cher à Platon devait naviguer sur des mers plus ouvertes — plus houleuses aussi — que par le passé. Cette réalité s'est imposée à lui. Il a commencé à en tirer les conséquences. Mais il ne lui fut pas donné d'aller jusqu'au bout. Platon, en quatre-vingts ans d'existence, avait pu méditer sur les déceptions de sa jeunesse, tenter des expériences nouvelles, donner à son ultime pensée politique une forme presque achevée. Isocrate mourut presque centenaire, aprés avoir vu triompher à Chéronée l'homme en qui il plaçait, peut-être à tort, son espérance. Aristote est mort, un jour de 322, alors que les convulsions les plus violentes bouleversaient le monde grec. Tout

finissait, mais tout commençait.

Parti de la πόλις, le philo-

sophe reconnaissait déjà l'importance de l'Éüvoc. Il avait soixante-deux

ans. 333. E. N., VIII, 13, 1161 b 5 sq.

CONCLUSION Au terme de cette étude, la science historique d’Aristote n’apparait donc ni négligeable, ni même incertaine. Ses qualités d'historien méritent de l'estime, sinon de l’admiration. Il est vrai que son information laisse parfois à désirer, que sa sagacité a pu être prise en défaut. Le récit qu'il donne des événements de 411 ou de 404 et 403 dans la Constitution d' Athénes, ou le cas qu'il v fait de la « constitution de Dracon » ne sont sans doute pas les plus belles manifestations de son esprit critique. Et sa háte à juger les législateurs de Lacédémone,

de Créte ou de Carthage,

au second livre de la Politique, fait

regretter qu'il n'explique pas plutót comment se sont formées ces institutions qu'il discute. Défaut plus grave encore : l'histoire aristotélicienne manque de dégagements et d'horizon. Non seulement les Constitutions étaient, par définition, des monographies, mais Aristote n'a pas cherché assez à les intégrer dans une fresque de l'histoire du monde ou seulement du monde grec. Tout au plus en a-t-il esquissé des schémas partiels. À l'intérieur méme des Constitutions et surtout de la Politique les contrastes et les contradictions aboutissent à boucher les perspectives et à briser les lignes de l'évolution. Si Aristote est un historien, du moins l’histoire n'est-elle assurément pas à ses yeux une « œuvre d'orateur ».

Ces particularités, ou ces faiblesses, n'empéchent en tout cas point, comme les faits le montrent, qu’Aristote soit une source où puisent largement les modernes. Mais ses défauts sont aussi compensés par des qualités majeures, dont ils découlent parfois au point que l'ensemble a droit à des éloges plus qu'à un bláme. Les incohérences d'Aristote ne sont pas toujours des négligences ; elles peuvent naítre de ses scrupules inlassables, de sa recherche sans cesse renouvelée, de son désir d'accumuler les informations les plus variées, dans tous les domaines du savoir. L'historien Aristote n'a pas pas légué à la postérité une œuvre polie et aussi achevée que possible. Ses « enquétes » sont coupées d'hési-

tations et comme bourrelées de remords, qui sont la marque la plus claire d'un travail vraiment scientifique. Mais il ne suffit pas d'admirer pieusement cet effort regrettant qu'il manque de souplesse et d'élégance. peuvent être interprétés. Les imperfections de l’œuvre tote traduisent le mouvement méme de sa pensée.

prolongé, tout en Car les signes en historique d'ArisEn présence des

diflicultés que le monde traversait à son époque, il a résisté à la tentation de fermer les yeux et de se voiler la face. Il a voulu comprendre ces dangers et y parer. Sa recherche a duré de longues années, d'autant plus nombreuses qu'il n'était pas l'homme d'un seul intérét, l'auteur d'un Aristoteet l'histoire 27

418

ARISTOTE

ET

L'HISTOIRE

seul livre. Elle ne fut exempte ni de tátonnements ni d'erreurs, — erreurs fécondes, puisqu'elles ont guidé le philosophe vers la vérité et qu'elles nous aident aujourd'hui à reconnaitre le chemin qu'il avait jadis parcouru. On a parfois reproché à Aristote une « systématisation prématurée », qui l'aurait rendu incapable de comprendre l'évolution du monde, et surtout du monde grec !. La critique est mal fondée. Esprit assurément dogmatique, Aristote s'est efforcé d'adapter toujours à la réalité les vues systématiques qu'il avait dà déjà élaborer ; en histoire du moins, 1l a constamment recherché des faits nouveaux, susceptibles à l'occa-

sion de modifier ou d'altérer son systéme. Il n'a pas reculé devant le réel.

Il a tenté de l'assimiler, d'en tirer la lecon la plus substantielle.

Rien n'est plus loin qu’Aristote du fameux « Aristoteles dixit » d'une scolastique figée. : Le premier, il a travaillé méthodiquement à donner aux termes principaux de la théorie politique un sens précis. Certains de ces mots ne recouvraient que des notions équivoques : il a contribué peu à peu à les clanfier. Sans doute n'a-t-il pas évité tous les piéges du langage, au

point de confondre parfois le mot et la chose, le concept et la réalité. Mais c'est une erreur dont il se dégage dés qu'il l’apergoit. Et cet effort l'a conduit, par un lent cheminement, de la « polis » à l’« ethnos », de la cité classique à l'État fédéral. Des incertitudes demeurent, il est vrai, autour de sa conception de la

vie politique, sur la façon dont il l’e forgée et dont peut-être il a voulu la mettre en pratique. Ses rapports avec les maîtres de la Macédoine sont mal élucidés. Du moins est-il assuré qu’Aristote ne fut pas un simple agent de Philippe, d'Alexandre, d'Antipatros, et qu'inversement et surtout — car le premier point méritait à peine d’être marqué — il pouvait approuver les projets d'union des Grecs que Philippe a pubhquement soutenus. Le rôle exact qu’Aristote a joué est beaucoup moins sür. Mais 1l subsiste précisément dans sa biographie assez de zones obscures, il y a surtout dans ses idées politiques assez de souplesse, pour que ne soit pas a priori suspect un document nouveau, qui un jour viendrait attester qu'Áristote a su étendre son activité au delà de ses recherches et de son enseignement. Antipatros en tout cas a apprécié sa pensée politique. Indépendamment des documents forcément contestables et d'ailleurs rares qui relatent l'amitié du régent pour le philosophe, le régime imposé à Athénes aprés la guerre lamiaque prouve que la « constitution moyenne » ne passait pas aux yeux d’Antipatros pour une vue de l'esprit ?. Ne faut-il 1. L. Rosın, Aristote, Paris, 1944. Jugements analogues chez Ch. Tsuror, Études sur Aristote, II, p. 115 sq. ; E. Barker, The political thought of Plato and Aristoile, New-York, Londres, 1906, chapitre V ; G. Marmieu, Les idées politiques d' Isocrate, Paris, 1925, p. 187, etc. Voir le jugement plus mesuré de E. Sazin, Platon und die Gr. Utopie, Munich et Leipzig, 1921, p. 180, et surtout les ouvrages cités de

W. Oncken, M, Derovany ; J. Bipzz, A la recherche des épaves de l' Aristote perdu, Bruxelles, 1943, etc.

2. Voir introduction, p. 21, avec la note 75.

CONCLUSION

419

pas dès lors admettre que le philosophe avait pu aussi exercer quelque influence sur les rois dont Antipatros fut le serviteur fidèle ? Ces détails, qui sont de l’ordre de l’anecdote, seraient plus précis si nous connaissions de façon également plus précise les idées politiques d’Aristote. Une œuvre mutilée, remaniée, inachevée, impose de laisser beaucoup à l'approximation. Mais ces insuffisances, qui parfois se compensent elles-mêmes et aident à mieux comprendre l’auteur, ont encore une signification plus profonde. Si la doctrine politique d’Aristote est contradictoire, s’il a hésité, réfléchi, vingt fois sur le métier remis son ouvrage, c'est sans doute par scrupule de savant. Mais c'est aussi parce que sa pensée reflète un monde en pleine transformation. ll a senti que l'heure n'était pas venue de conclure un cours, de refermer son enseignement en un système définitif. I] a voulu concevoir une politique aussi ouverte qu'il était possible. Et cette incertitude scrupuleuse et accueillante lui a permis d'entrevoir, mieux que ses prédécesseurs, mieux que beaucoup de ses successeurs, quelle serait à long terme l'évolution du monde. Tout en dressant le bilan d'une époque achevée et d'une organi-

sation qui déclinait, il a su étre en avance sur son temps, à un point presque incroyable. On a pu soutenir en effet que jusqu'à l'époque d'Auguste la notion de cité était restée le fondement des systémes politiques non monarchiques ?. Elle a du moins conservé, dans les années qui suivirent 322, une telle importance, que les successeurs d’Aristote, autant qu'on sache, n'ont guére dirigé leurs regards vers les perspectives nouvelles que leur maítre avait ouvertes. Théophraste a écrit un Sur la royauté, Dicéarque un Tripolitikos * ; aucun ne s'est intéressé spécialement à la parenté de l’« ethnos » et de la « polis », aucun n'a, semble-t-il, tenté à ce point d'élargir le cadre de la cité antique. La raison en est peut-étre que la pensée politique d'Aristote n'était pas, à ce sujet, encore assez arrétée ni formulée avec assez de netteté, pour exercer une influence sensible. Il n'a pas franchi le seuil de ce monde nouveau où la cité cessait d’être « eusynoptos », où la « constitution » définissait aussi bien de grands groupements politiques que des villes isolées. Il n'a pas dit comment il concevait l'organisation du « peuple », son rapport avec les « cités ». Staatenbund ? Bundesstaat ? Mais faut-il pour autant négliger ces intuitions exceptionnelles, et ne retenir de son ceuvre que le bilan du passé ? Le caractére général des vues d’Aristote, à la date où il les a formées, n'est pas une faiblesse. Qui saurait dire, en ce jour de 1960 où je relis ces lignes, si l'Europe sera demain — sera un jour — une « fédération » ou une « confédération » ? Et ne voyons-nous pas, dans une autre partie du monde, se 3. M. HaumonD, City-State and World State in Gr. and Rom. political theory until Augustus, Cambridge, Massach., 1951. — T. A. SincLair. Histoire de la pensée polilique grecque, trad. fse, Paris, 1953, montre que du moins le concept de cité ne disparut pas soudain. 4. TnÉoPnHRAsTE, frag. Wimmer, 125 sq.; Dicéanque, frag. F. Weunrr (Die Schule des Ar., 1, Bâle, 1944), 1 et 67 aq. Voir aussi les articles Dikaiarchos de MAnT1IN1,

R. E., V, 1, et Theophrastos de Ὁ. REGENBOGEN, R. E., Suppl. VII.

420

heurter ces concepts

ARISTOTE

ET L'HISTOIRE

rigides — « fédération » ou « confédération », et

encore « assimilation », « intégration », « autonomie », « indépendance »,

— alors qu'aucun d'entre eux ne suffit à exprimer toutes les réalités dont vivent les hommes ? Sans doute ces analogies historiques sont-elles toujours discutables et parfois trompeuses. Mais les limites de l'espnt humain ne changent guére. Áristote, à la vérité, a vu aussi juste qu'il était possible. Il a compris d’où était partie l'histoire de la Grèce, et où elle pouvait aller. Il a eu la prudence toutefois de ne pas conclure son histoire. Et cela aussi est d'un historien.

BIBLIOGRAPHIE La liste qui suit ne comprend que des ouvrages que nous avons utilisés effectivement. Encore en avons-nous rayé tous les livres de caractère général dont l'intérêt est évident pour cette étude. Tel est le cas des histoires de la

philosophie comme celle d’E. BRÉRIER, des histoires de la littérature grecque comme celles d’A. et M. Croiset ou de Carisr-Scamin-SrA&Lin, d'histoires de l'Antiquité aussi connues que celles de G. Grorz ou de J. Beroca, que la Cambridge Ancient History ou les Premières Civilisations dites de HALPHEN

et SacNac. Tels encore, les fragments des historiens grecs publiés par MULLER ou par F. Jacosy. Nous n'avons pas reproduit non plus les références à de nombreux articles historiques de la Real Encyclopaedie, allégués surtout

au chapitre VIII et auxquels tout chercheur peut se reporter spontanément. On ne s'étonnera pas davantage de ne pas rencontrer ici le Dictionnaire des Antiquités de DAnEMBERG-SAGLIO-PorriEn-LaravE, le Dictionnaire de LipDELL-SCOTT-STUART Jones et MACKENZIE, et quelques autres. I. Textes

D'ARISTOTE.

Nous avons noté (p. 11, n. 14) quelques moyens commodes

de s’initier à

la bibliographie de la Politique. Plus généralement, en ce qui concerne l'ensemble du Corpus, on pourra encore utiliser la Bibliographie d' Aristote de

M. Scuwas (Paris, 1896), et l'on trouvera une mise au point récente dans le livre de L. BouncEv, Observation et expérience chez Aristote, Paris, 1955.

Citons cependant l'Aristote dit de Berlin, Aristotelis opera omnia, 5 vol., Berlin, 1831-1870 (la Politique, de BEkxEn, est dans le vol. II, l’Inder aristotelicus d'H. Bonıtz dans le vol. V). Trois éditions remarquables de la Politique méritent une place à part. Ce sont, dans l'ordre alphabétique, celle de O. Immiscæ (Leipzig, 1909 et 1929, Teubner), celle de W. L. NEwMAN (avec un commentaire pénétrant, 4 vol., Oxford, 1887-1902), et le travail plus ancien de F. Susgxiur (2 vol., Leipzig, 1879, avec traduction et notes ; c'est la deuxiéme des éditions de SusEuinL). Indiquons encore, dans l'ordre alphabétique : — Pour la Politique, la traduction de E. Barker (Oxford, 1946 ; édition abrégée en 1948) ; l'édition avec traduction de J. Bartu£Lemy SAiNT-HirAIRE (Paris, 1837, 1848, 1874) ; l'édition partielle de Broucarton (I, III et VII = IV, Oxford-Londres, 1876) ; l'édition de R. Concreve (Londres, 1855, 1874) ; celle de J. R. T. Eaton (Oxford, 1855) ; la traduction de O. Gicon (Zurich, 1955) ; celle de B. JowerT (Oxford, 1885, 1905, et en 1921 dans la publication par J. A. Smirnet W. D. Ross de The works oj A. translated into English, X,1); l'édition avec traduction de J. Manis et M. Arauso, Madrid, 1951 ; l'adaptation de M. PréLor (Paris, 1950) ; l'édition avec traduction de H. Rack nam (Londres et New-York, 1923, 1944, dans la Loeb Class. Libr.) ; la traduction de E. Rozres (Leipzig, 1912, 1922, 1943) ; l'édition de W. D. Ross (Oxford, 1957, dans la Scriptorum Classicorum Bibliotheca) ; l'édition. vénérable de ScHNE1DER (Francfort, 1809) ; celle de F. SusemiaL et ἢ. D. Hicks, partielle,

422

ARISTOTE

ET L’HISTOIRE

avec notes (I-IILet VII-VIII, Londres, 1894) ; la traduction de J. E. C. Werrpon (Londres, 1883, 1888), — Pour la Constitution d' Athénes : la traduction de K. vox Fnrrz et E Kar» (New-York, 1950) ; l'édition avec traduction de B. HaussourriEn et G. Maraieu (Paris, Coll. des Univ. de France, 1922, 4e éd. 1952) ; celle de

Kaiser et Wıramowrırz (1891, 3e éd. 1898) ; les éditions ou traductions de F. Kenyon (Londres, 1891, 1892, 1903, et Oxford, 1920, dans The works of Aristotle translated..., X, 3) ; les éditions de Sawpvs (Londres, 1893, 1912) ; l'édition avec traduction de A. Tovar (Madrid, 1948). — Citons aussi diverses éditions, traductions et commentaires : de la Poétique par I. BvwarER (Oxford, 1909), A. Gupeman (Berlin-Leipzig, 1934), J. Hırpy (Paris, Coll. des Univ. de Fr., 1932), D. S. Mancoriourn (Londres,

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Louvain

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Les Fragments utilisés sont surtout ceux de V. Rose dans l’édition Teubner

(Leipzig, 1886), de R. Waızen (Florence, 1934) et de W. D. Ross (Scriptorum Classicorum Bibliotheca, Oxford, 1955). II. AUTRES

AUTEURS

ANCIENS.

Parmi les ouvrages allégués le plus fréquemment figurent surtout : ARRIEN, L'Inde (P. CHANTRAINE).

DémosraÈène, Harangues (M. Croıser) et Plaidoyers politiques (ITI et IV, G. Maruieu).

Escnine, Discours (V. Martin et G. De Bunt). HERronDoTE, Histoires (Ph. E. LEGRAND). IsocnaATE, Discours (11 et III, G. Marureu et E. Br£monp). (Toutes éditions de la Coll. des Univ. de Fr.). IsocraTE, Philippe et Lettres (G. MATRiEv, Paris, 1924).

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INDEX

DES

PASSAGES A.

Alexandre

ou

PRINCIPAUX

ARISTOTE,

Sur les colonies : 49,

154 sq., 406 sq. Rose, p. 408 : 154. De l'âme : 71.

I, 1, 402 Ὁ 9 sq. : 32. 4, 408b 24sq. ; 5, 411 Ὁ 5 54. : 76. 11:53. 1er* Analytiques : 127. 2mes Analytiques :

II, 11, 94 b 1 : 274. II, 13, 97 b 18 : 163. Banquet ou Sur l'ivresse : 162. Rose, 101, 103 : 162.

Catalogues de vainqueurs aux Jeux 1 89 sq.

— Olympiques : 131 sq. — Pythiques : 133 sq., 273, 312. Rose, 615-617 : 133. Rose, 615: 136.

305,

Rose, 616-617 : 134.

Du ciel : 95, 127. I, 3, 270 b 19 sq. : 329. II, 1, 284 a 2 : 413. Sur les colonies, v. Alezandre.

Constitutions : 89 sq., 97 sq., 141, 222 sq., 308 sq., 323, 327 sq. Colophon : Rose, 515 : 283. Acarnaniens : Rose, 474 : 309, 327, Corcyre : Rose, 512 : 200, 383. Acheens : Rose, p. 258 et 308 : Corinthe : Rose, 816-517 : 284. 100, 309, 383. Crète : Rose, 518, 519 ; 611, 14-15 : 102, 245. Agrigente : Rose, 476 ; 611, 69 : 265. Cymé : Rose, 524-525 ; 611, 36 sq. : 285. Ambracie : Rose, 477 : 265. Aphytis : Rose, 611, 72 sq. : Cyrène : Rose, 528-531 : 287. Rose, 528 : 102, 267, 272. 328. Arcadiens : Rose, 483 : 271, 309, Rose, 529 : 103. 383. Argos : Rose, 480 : 268. . Rose, 531 : 102. Rose, 481 : 103, 268, Cythére : Rosz, 521 : 102 sq. Delphes : Rose, 487 ; 611, 52: 298. 102, 273. Bottiéens : Rose, 485 : 328. Égine : Ross, 472 : 264. Carthage : Rose, 600 : 100, 102. Éléens : Rose, 492, 493 : 277. Chalcis : Rose, 601-603 : 305. Rose, 801 : 103. Rose, 603 : 266, 274,

Épidaure Épirows

: Rose, 491 : 120, 328. -: Rose, 494 : 221, 223,

Érétrie ? Étoliens

: Rose, 611, 40 : 274. : Rose, 473 : 309, 327,

Géla

: Rose,

305. Rose, 611, 55 : 305. Rose, 611, 62-63 : 266,

309, 383.

305. Chypre

: Rose, 526-527 : 286.

Cnide

: Ross, p. 324 : 282,

383. 273.

486:

102 sq.,

432

INDEX

DES

PASSAGES

Himère

: Rose, 510 : 103.

Ithaque

: Rose, 504-509 : 102. Rose,

Phoceens

| Rhegion

504 ; 611, 45,

64, 70 sq. : 223. : Rose, p. 258 : 100.

Kios

PRINCIPAUX

Rhodes

Rose, 514 : 328.

Lacédémone : Rose, 532-545:235:q.

| Samos Samothrace

Rose, 538 : 244.

Sicyone ' Soles

Rose, 611, 10 : 240, 243. Rose, 611, 12 : 244. Rose, 611,55sgq.: 241.

Leucade

: Rose, 546 : 288, 327.

Locres

: Rose,

547-548

Sybaris Syracuse

; 611,

60 sq. : 289.

Lyciens Magnètes

: Rose, p. 258 et 339 : ?

100, 309, 383. : Rose, 611, 50

Tarente sq.: | Tégée

289. Maliens

: Rose,

| 553-554 : 290, | Ténédos

383. Marseille

: Rose, 549 : 291, 328.

Mégare

: Rose, 550 : 102, 292, | Ténos 327. Thébes

Milet Naxos

: Rose, 556-557 : 292. | Thessalie : Rose, 558-559 : 294. Rose, 558 : 270. : Rose, 560-564 : 295,

Oponte

327. Orchomène

: Rose, 565 : 98. Rose, 566 : 103.

Paros

: Rose, p. 258 : 100 sq.

Pelléne

Pacx, 114 : 101. : Rose, 567 : 102 sq.

: Rose, 569

; 611, 65 :

296. : Rose, 570-578 ; 611,

30 sq. : 297.

Rose, 533 : 242, Rose, 534 : 243. Rose, 536 : 242, 244. Rose, 544 : 238.

: Rose, 599 : 305. : Rose, 568 : 102, 295, 318. Rose, 611, 55 : 295.

Rose, 570 : 103. : Rosz, 579 : 103. : Rose, 580 : 103, 276. : Pack, 1660 : 101. Rose, 582 : 102. : Rose, 583-584 : 299. : 302 sq. Rose, 585 : 102 sq. Rose, 586 : 103, 299. Rose, 587 : 102 sq. Rose, 588: 102 sq., 301. : Rose, 590 : 241, 303. : Rose, 591 : 103, 271. Rosz, 592 : 271. : Rose, 593, 594 ; 611, 22 sq. : 303. Rose, 594 : 103. : Rose, 595 : 103. : Rose, 501-502 : 279, : 309, 383.

Rose, p. 258 : 100.

Rose, 495-500 : 279. Rose, 495 : 102. Rose, 497 : 383. Pack, 1660 : 101. : Rose, 596-598 : 304. Trézène Rose, 596-597 : 102g. Rose, fragments divers à rattacher aux Constitutions : 21, 98 sq.

Constitution d'Athènes : 41, 65, 79, 87, 97 sq., 104 sq., 122 sq., 125, 255 sq. 14, 3 sq. : 112. 2 : 110. Ἴ,1 οἱ 4: 125. 14, 4 : 313, 316. 2,1 : 115. 8, 1 et 4 : 126, 255. 15, 1 sq. : 112. 8,1 :106,1085q.,115. 9,1 : 126, 15, 2 sq. : 113 sq., 274, 3, 2 : 256. 9, 3 : 127. 3, 2-4 : 107. 10, 1 : 126. 294. 16, 8 : 258. 3,5 : 104. 11, 2 : 413. 17,1 : 112. 3,6 : 115. 12 : 126. 18,4 : 168, 312. 4 : 106 sq., 255, 260, 13, 1 : 113. 19 : 255. 4, 1 : 106, 109, 115. 13, 4 : 316. 21,4 : 258. 5 : 107, 110, 126. 14 sq. : 255, 260, 21, 6 : 256, 6,3 : 127. 14, 1 : 316.

INDEX

23 : 407. 23,1 : 259. 23, 2 et 5 : 407.

DES

PASSAGES

PRINCIPAUX

30-31 : 69. 30 : 391. 33, 1 : 275.

433

46, 1 : 104, 105, 111. 51, 3 : 194. 54, 7 : 104.

24, 2 et 3 : 256, 408.

33, 1 sq. : 69.

61, 7 : 104 sq., 163,

25,1 : 407.

40, 3 : 372.

62, 2 : 104.

26, 1 : 256, 408.

41, 2 : 106 sq., 110,

Fragments

28, 5 : 350. 29-31: 99. 29, 5 : 69.

185, 407. 42, 2 sq. : 190. 42, 4 : 191.

384 et 385 : 109, 443 : 163.

Correspondance : 159 sq. Rose, LVI, p.411sq.: 159. | Rose, 658 ? : 155. Rose, 655, 657 : 22, 121. | Rose, 663 sq. : 21.

Rose,

381,

Rose, 667 : 22. | Rose, 669 ? : 18.

Didascalies : 89, 120, 132, 137 sq. Rose, 618-630 : 137.

Dikaiomata : 89, 101, 127 sq., 222. Rose, 612-614 : 127sq.

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Περὶ δικαιοσύνης : v. Sur la justice. Περὶ δικαίων : 149. Économique : 160. I, 6, 1344 b 31 sq. : 199. | I, 6, 1345b 1 sq.: 199. | II, 2, 1349 a 3 : 262, I, 6, 1344 b 34 sq. : 198. | IT, 2, 1347 a 25 : 266. Sur l'éducation : 148.

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Rose, 95 : 162.

| Rose, 97 : 161.

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Éthiques : 66. Éthique d' Eudéme : 53, 65 sq., 77. I IH VII | 1, 1214 a 2 : 168. 1, 1229 b 28 : 118, 212. | 2, 1236 b 9 sq. : 313, 321. 5, 1216 a 16 sq. : 153. 9, 1241 b 27 sq. : 249. Éthique de Nicomaque ; 53, 65 sq., 77, 127, 141, 230.

I "1,1094b 8 sq. : 384. 3, 1095 b 19 sq. : 154. 4, 1096b 30 : 154. 7, 1098 b 7 sq. : 82. Aristote et l'histoire.

13, 1102 a 9 sq. : 152. | 5, 1113 a 7 sq. : 140. 13, 1102 a 10 sq. : 229. | 6, 1113 a 29 : 146. 10, 1115 b 28 : 118, 212. IH 11, 1116 b 1 : 312. 5, 1112 a 20 sq. : 154. | 11, 11174 2658q.: 267,298, 28

434

INDEX

DES

PASSAGES

PRINCIPAUX

IX 6, 1148 b 21 sq. : 212. 6, 1148 b 24, 1149 a 13 : 6, 1167 a 30 sq. : 293 265. 10, 1170 b 30 sq. : 377 8, 1150 b 14 : 214.

IV 8, 1124 b 16 : 312. 14, 1128 a 31 : 146. v 10, 1134 b 8 sq. : 30. 10, 1135 a 9 sq. : 127.

1, 2, 12, 12,

VI 13, 1144 b 21 : 203.

VIII 1155 a 19 sq. : 383. 1155 a 34 : 166. 1160 a : 39. 1160 a 31 sq. : 249.

12, 1160 a 34 sq. : 72.

12, 1160 b 27 sq. : 952. 12, 1161a3 : 72.

VII 1, 1145 a 20 : 185.

13, 1161 b 5 sq. : 415.

X

5, 10, 10, 10, 10, 10,

1176 a 18 : 146. 1181 a 125q. : 123. 1181 b2, 5 :168. 1181 b 854. : 124, 1181 b7 : 116. 1181 b 13 sq. : 48, 51, 60, 63, 66. 10, 1181 b 18 : 79, 308.

Eudéme : 161.

Rose,

37; Wazzen,

1:

161.

Extraits de la République et des Lois : 146 sq.

Rosz, 180-181 : 147.

Fragments Rose divers : 13 sq., 18, 140. Génération des Animaux :

I 18, 722 a 9 sq. : 277, 321. u 1, 732 a 1 sq. : 331. 1, 732 a 25 sq. : 338. 2, 736 a 2 sq. : 211, 313,

321.

103, 319. 2, 736 a 10 sq.: 313, 321. 7, 746 a 34 : 211. 7, 746 b 7 sq. : 142. 8, 748 a 25 : 212.

In 2, 752 b 19 sq. : 338.

5, 756 a 6 : 312 sq. 8, 757 b 35 : 90, 95. 11, 762 b 28 sq, : 331. 11, 76329

sq, : 338.

11, 763 a 31 : 296. IV 4, 770 a 35 sq. : 321.

De Generatione et Corruptione : 95. Grande Morale : 53, 66, 77 sq.

Gryllos : 148. Rose, 68-69 ;

Waızen,

p.100 : 148.

Histoire des Animauz : 80sq., 323. I \ 8, 502 b 503 a 8 1, 487 a 23 sq. : 313. 32 86. ; 1, 488 a 14 : 338. 17, 508 17, 496 b 26 : 294. II 1, 498 20 sq. 1, 499 25 sq.

35 sq. ; 10, 17, 520b 1 : 288. sq. ; 15, 505 b 21, 622 b 15 sq., 25 sq. : 318. 506 a 17 sq. ; 22,523 a 17sq.: 313, 321. a 5 sq. : 315.

III a 14 sq. ; 499 a : 313. b 19 sq. ; 501a : 211, 313.

1, 509b 5 sq. ; 7,516 a 24 sq. : 313. 11, 518 a 35 sq. : 120,

313.

22, 523 a 26 sq.: 211, 313, 321.

IV 2, 525 b 5 ; 3, 527 b 12: 278, .

INDEX

V 10, 543b 3 sq. : 319. 15, 547 a 6, 548 a 14: 120. 19, 551 b 15 sq. : 287. 19, 552 b 10 : 286. 30, 556 a 22 sq. ; 556 b 2sq. ; 31, 557 a 29 sq. : 287, 319. 33, 558 a 14 sq. : 313.

DES

PASSAGES

435

PRINCIPAUX

VII 4, 584 b 7 sq. ; 6, 586a 3 sq. : 321.

6, 586 a 12 sq. : 321. VIII 2, 589 a 22 sq. : 313.

304,

28, 606 a 7 sq. : 313. 28, 606 a 8 : 211. 28, 606 a 17 sq. : 312. 28, 606 a 18 sq. : 319.

28, 606 b 4 : 212. 28, 606 b 9 sq., 14 sq. 19 sq. : 319. 28, 607 a 1 sq. : 319.

28, 607 a 4 : 211. 7, 595b 18sq. ; 8,595b 29, 607 a 16 : 119. 29, 607 a 22 sq. : 319. 29 sq. : 318. VI 29, 607 a 23 : 103. 12, 597 a 4 : 313. 29, 607 a 34 : 211. 12, 597 a 15 sq. : 319. 2, 559 b 2 sq. : 299. 3, 562 a 23 : 48. 12, 597b 27 : 211. IX 12, 566 b 10 sq. ; 13, 13, 598 a 24 sq., 30 sq., 1, 609 d*1 sq. : 313, 567 b 16 sq. ; 568 a 598 b : 319. 1, 610a 19 : 211. 5 sq. : 319. 13, 598 b 10 sq., : 273. 14, 599 a 3 : 273. 6, 612 a 20 sq. : 313, 15, 569 ἃ 14 sq. : 282. 15, 599 a 30 sq. : 313. 321. 17, 571 a 15 sq. : 319. 13, 616 a 8 sq. : 313. 17, 600 b 15 sq. : 320. 17, 571417 :273. 22, 576 b 25 sq. : 295. 19, 601 b 17 sq. : 319 sq. 15, 616 b 5 sq. : 319. 24, 577 b 30 sq. : 322. 20, 603 a 25 sq. : 319 54. 19, 617 a 14 : 271. 48, 631 a 8 sq. : 303. 29, 578 b 28 sq.: 163, 25, 605 a 22 sq. : 320. 28, 605 b 26 sq. : 292. 48, 631 a 10 sq. : 120. 322. 28, 606 a 6 sq. : 319. 36, 580 b 1 sq. : 322. 6, 595 a 13 sq. : 338.

Hypomnèmata historiques : 118, 130, 144, 222 sq., 254, 263 sq., 273, 289. Rose, 631-636 : 130. | Rose, 631 : 289. Sur la justice : 65, 149 sq. Rose, 82-90 : 150. Lois : v. Nomoi.

De la longévité :

465 a 9 sq. : 384. Métaphysique : 55, 65. A (I), 2, 982 b 12 sq. : 177, 410. 2, 983a 3 : 178. α (ID), 1, 993 b 11 : 178. B (III), 4, 1000 a 19 sq. :

T (IV), 2, 1003 a 33: A (XII), 8, 1074 b 10 sq.: 328. 374, M (XIII), 9, 1085 a A (V): 374. K (XD), 1, 1059 b 25 sq. : 29 sq. : 376. 174.

178. Météorologiques I 3, 339b 27 sq. 6, 343b 1 sq. : 7, 344 b 34 sq.

: 95, 127. : 329. 312. : 312.

13, 13, 13, 13,

350 a 13 350 a 25 350 a 34 350 b 1 :

sq. : 93. : 211. : 384. 314.

13, 13, 13, 14,

350b 2 : 212. 351 a3 : 271. 351 a 8 sq. : 200. 351 a 18 sq. : 329.

436 14, 14, 14, 14,

INDEX

351 351 351 351

14, 351

a a b b

22 sq. 24 sq. 8 sq. : 11 sq.

: 200. : 329. 330. : 384.

b 28 sq.:

200,

314. 14, 351 b 30 sq. : 330. 14, 352 a 8 sq. : 200, 268.

14, 14, 14, 14, 14,

352 352 352 352 352

a 22 a 32 a-b b 15 b 19

sq. : sq. : : 202. sq. : sq. :

200. 330. 331. 307.

DES

14, 352 314, 14, 353 14, 353 14, 353

1, 3, 3, 5, 5, 8,

PASSAGES

PRINCIPAUX

b 20 sq. : 200, 330. a 1 sq. : 200. a 14 sq. : 331. a 20 sq. : 200.

II

354 a 21 : 153, 356 b 30 sq. : 331. 357b 15, 17 : 202. 362 b 12 sq. : 93. 362 b 21, 28 : 211. 367 a 1 : 205, 209,

8, 368 b 6 sq. : 312. 8, 369 a 2 sq. : 200. HI 1, 371a 30 : 202. IV

3, 380b4 : 374. 6, 383a 75q., 383b 16 : 358. 7, 384b 3 : 358. 10, 388 b 6 : 271.

Du monde : 90.

4, 395b 16, 39820 : 90. Sur la noblesse : 148 sq. Rose, 91-94 : 148. Nomima des Barbares: 89, 100 sq., 116 sq., 153, 224 sq., 227 sq., 229, 281,

323, 337 sq., 404. Rose, p. 258 : 89, 117.

Rose, 608 : 117, 153. Rosz, 611, 58 : 214. Rose, 609 : 117 sq. Dıpyme, IV, 14 : 116. Rose, 604 : 116 sq. Rose, 605 : 116 sq., 119. | Rose, 610 : 117 sq., 212. | Papyrus Manarrv, IX,

Rose, 606 : 117 sq., 153.

Rose, 611, 43, 44, 48:|

29:118.

117.

Rose, 607 : 116 sq.

Nomoi (ou Lois) : 33, 121 sq., 222, 259.

Nomoi divers : 124 sq. Nomoi des Syssities : 124 sq. Sur l'orateur : 148.

Parties des Animauz : 81, 103, 319.

2, 648 a 36, 649 b 5 sq. : 374.

I

3, 643b 6 : 211. 4, 644 a 29 sq. : 32.

III

II

2, 663 a 18 sq. : 313. 2, 663 a 19, 23 : 211.

1, 646 a 8 sq. : 321.

10, 673 a 17 : 120, IV

2, 677a 2 : 294. 8, 684 a 7 sq. : 278,

Peplos : 144.

Rose, 637-644 : 144. Sur la philosophie : 161 sq.

Rose 6 ; Wauzer,

6.

Rose, 12; Wazzer, | Rose, 13 ; Warzrn, 13. Rose,34 ; Waızer 162, 328. 6. Rose, 42 ; WALzER,

Rose,

7.

23 : 162.

Rose, 3; WArzrn, 3:161. Rose, 4; Warzrem, 4. 7 ; Wauzer,

8:

INDEX

DES

PASSAGES

437

PRINCIPAUX

Physique : 56, 95.

IV, 11 οἱ 13 : 350.

| VII : 53.

Poèmes

Rose, 674-675 : 15. Sur les poetes : 161. Cf. p. 141, n. 336. Rose, 70, 71, 72, 75: 132.

Rose, 71, 161.

72,

74, 76 : Rose, 75 : 293,

Poétique : 55 sq., 9.

1, 3, 3, 3, 4, 5, 6,

1447 a 28 - b 23 : 176. 1448 a 29 sq. : 332. 1448 a 31 sq. : 291. 1448 a 35 sq. : 270. 1449a 30 sq. : 138. 1449 a 37 - b 5 : 138. 1449 b 24 sq. : 174.

9, 1451 a 37 - b 11: 163 sq.

21, 23, 23, 23, 23, 23, 23,

1457 b 684 : 200. 1459 a 17-22 : 170. 1459 a 20 sq. : 174. 1459 a 21 : 90, 172sq. 1459 a 22 sq. : 169sq. 1459a 24 sq. : 316. 1459 a 27 sq. : 170.

9, 1451 b 1 : 90. 9, 1451 b 2 sq. : 313, 316. 9, 1451 b 3 : 90. 9, 1451 b 6 : 90. 9:83 9, 1451 b 29 sq. : 173. La Politique : ordre des livres : 57 sq., 65 sq., 75 sq., 78 sq., 210, 322 sq., 337. I : 28 sq., 52, 337. 8, 1256 a 19 sq., 24 sq., 2, 1261 a 27 sq. : 171, 31 sq. : 338. . 380. 1:367. 8, 1256 b 7 sq., 23 sq. : 3, 1262 a 18 sq.: 93, 1, 1252a 7 sq. : 52. 338. 118, 314. 2, 1252 b 5 sq. : 352, 8, 1256 b 30 : 337. 3, 1262 a 19 sq. : 224. 405. 9, 1257 a 19 sq., 21: 3, 1262 a 21 sq. : 304, 2, 1252 b 9 sq. : 335. 337. 321. 2, 1252 b 12 sq. : 375. 9, 1257 a 24 sq. : 312. 5, 1263 a 5 : 380. 2, 1252 b 15 sq. : 372. 9, 1257 a 25 : 380. 5, 1263 a 35 sq. : 238. 2, 1252b 17 : 337. 9, 1257b 1 sq. : 193. 5, 1263 b 40 sq. : 229, 2, 1252 b 19 sq. : 140, 9, 1257 b 7 sq. : 43. 237. 312, 336, 340, 349, 11, 1258 b 39 sq. : 94. 5, 1264 a 1 sq. : 329. 2, 1252 b 20 : 312, 380. 11, 1259 a 6 sq.: 292, 5, 12642 : 380. 2, 1252 b 27 sq. : 32. 306. 5, 1264a 10 sq. : 238. 2, 1252 b 28 sq. : 411. 11, 1259 a 7 sq., 18 sq.: 6, 1265 à 5 : 183. 2, 1253a1 : 411. 94. 6, 1265 a 8 sq. : 124. 2, 1253 a 17 sq. : 337. 11, 1259 a 23 sq. : 299, 6, 1265 a 13 sq. : 374, 3 sq. : 337. 302. 380, 397. 3, 1253 b 1 sq. : 52. 11, 1259 a 34 sq. : 192. 6, 1265a 14 sq. : 377. 3, 1253 b 2 sq. : 337. 12, 1259 b 6 sq. : 314. 6, 1265a 17 sq. : 73. 4, 1253 b 23 sq. : 372. 13, 1260 a 5 sq. : 77. 6, 1265 a 18 sq.: 69 4-7 : 48, 82. 13, 1260 b 23 sq. : 30. 186. 5, 1254 a 20 sq. : 48. 5, 1254 a 34 sq. : 77. 6, 1265 a 32 sq. : 233. II : 30 sq., 48, 52, 5, 1254 b 16 : 171. 6, 1265 a 38 sq. : 156. 186 sq. 5-6 : 406. 6, 1265 b 1 sq. : 202. 6, 1255 a 4 sq. : 82. 6, 1265 b 12 sq. : 283. 1, 1260 b 28 sq. : 31. 6, 1255 4 25 sq. : 193. 6, 1265 b 26 sq. : 249. 1, 1260 b 30sq. : 30, 233. 6, 1255 a 28 sq. : 405. 6, 1265 b 29 sq.: 74 1, 1260 b 37 sq. : 58. 6, 1255 a 32 sq. : 149. 360. 1, 1260 b 39 sq. : 373. 7, 1255 b 16 sq. : 48. 2, 1261 a 24sq.:269sq., 6, 1265 b 33 sq.: 32 1, 1255 b 22 sq. : 299. 371. 239, 357.

438

INDEX

DES

PASSAGES

PRINCIPAUX

6, 1265 b 35 sq. : 235 54. 6, 1266 a 7 : 249.

9, 1270 b 12: 78, 192, 203,

7 8q. : 109.

9, 1270 b 16 sq. : 248.

7, 1266 b 14 sq. : 257. 7, 1266 b 19 sq., 21 sq. : 288. 7, 1267 a 19 sq., 29 sq. : 186. 7, 1267 a 31 sq. : 120, 186, 272. . 7, 1267 b 16 sq. : 259, 261. 7, 1267 b 18 : 276.

9, 9, 9, 9, 9, 9, 9, 9, 9,

8 : 292.

9, 1271 a 37 sq. : 239 54. 9, 1271 a 41 sq. : 51. 9, 1271 b 1 sq. : 405. 9-11 : 307.

8, 1268 a 6 sq. : 256 54. 8, 1268b 38 sq. : 312. 8, 1268 b 39 sq. : 140, 349 sq. 8, 1269 a 1 sq. : 285. 8, 1269 a 4 sq. : 331. 9 : 231 sq., 251, 350. 9, 1269 a 29 sq. : 229, 248. 9, 1269 a 34 - 1271 b 16 sq. : 232 54. 9, 1269 a 36 sq. : 279. 9, 1269 a 40 sq. : 186, 239. 9, 1269 b 3 sq. : 267,269. 9, 1269 b 4 : 292. 9, 1269 b 5 sq. : 272. 9, 1269 b 20 : 242.

9, 1269 b 26 sq. : 212, 224. 9, 1269b 32 : 203. 9, 1269 b 37 sq. : 238. 9, 1270 a 1 sq. : 239,267, 269. 9, 1270 a 3 : 292, 312. 9, 1270 a 4,7 : 242. 9, 1270 a 18 : 238. 9, 1270 4 19 sq. : 244. 9, 1270 a 29 sq. : 378. 9, 1270 a 33 sq. : 238. 9, 1270 a 34 sq. : 316. 9, 1270b 1 : 242, 9, 1270 b 6 : 238. 9, 1270 b 7 sq. : 203, 236. 9, 1270 b 11 : 204 sq., 207.

1270 b 28 sq. : 2365sq. 1270 b 39 : 236. 1270 b 40 sq. : 76. 1271 a 9 sq. : 237. 1271 a 18 sq. : 381. 1271 a 25 sq. : 204. 1271 a 26 sq. : 124. 1271 a 27 : 204. 1271 a 32 sq. : 248.

9, 1271 a 35 sq. : 204.

10 : 244 sq.

10, 1271 b 20 sq. : 229, 315. 10, 1271 b 24 sq. : 239, 242 sq.

10, 10, 10, 10,

1271 b 30 sq. : 245. 1271 b 32 sq. : 406. 1271 b 35 sq. : 295. 1271 b 40 - 1272 a 12: 246. 10, 1271 b 40 - 12725 23: 245 sq. 10, 1272 a 1, 2 sq. : 204. 10, 1272 a 12 sq. : 124, 204, 233. 10,1272 a 41 sq, b 17 sq. : 209.

10, 1272 b 20 sq. : 205, 208 sq., 245.

11 : 214, 11, 1272 233. 11, 1272 11, 1272 11, 1272

246 sq. b 24 sq. : 229, b 30 sq. : 252. b 32 : 253. b 33 - 1273 b 24:

246 sq.

11, 1272 b 38 sq, : 233. 11, 1272 b 41 : 236. 11, 1273 a 19 sq. : 237, 251. 11, 1273 a 21, 31 : 249. 11, 1273 b 18 sq. : 156, 247, 253.

11, 1273 b 24 sq. : 233.

12: 31, 94, 126, 305, 350, 382. 12, 1273 b 32 sq. : 243. 12, 1273 b 35 sq. : 126, 257. 12, 1273 b 41 : 126. 12, 1274 a 2 sq. : 258. 12, 1274 a 3 : 126. 12, 1274 a 7 sq. : 257. 12, 1274 a 11 : 126. 12, 1274 a 12 sq. : 259. 12, 1274 a 15 sq. : 126, 255, 258, 12, 1274 a 22 sq. : 289. 12, 1274 a 23 sq. : 305. 12, 1274 a 25 sq. : 242. 12, 1274 a 30 sq. : 350. 12, 1274 a 31 sq. : 283. 12, 1274 a 36, b 3 : 210. 12, 1274 b 15 sq. : 108, 255, 257, 260. 12, 1274 b 18 sq. : 108, 293, 12, 1274b 23 sq. : 305. III : 32 sq., 52. 1, 1275 a 22 sq. : 183. 1, 1275 b 1 sq. : 250. 1, 1275 b 5 sq. : 183. 1, 1275 b8sq.: 229,251. 1, 1275 b 9 sq. : 237. 1, 1275 b 16 sq. : 58. 2, 1275 b 26 sq. : 263. 2, 1275 b 35 sq. : 287. 2, 1275 b 36 sq. : 258. 3, 1276 a 8 sq., 17 sq. : 372. 3, 1276 a 19 sq.: 34, 379. 3, 1276 a 24 sq. : 399. 3, 1276 a 25, 26 sq.: 374. 3, 1276 a 27 sq. : 315, 380, 397. 3, 1276 a 28 sq. : 377. 3, 1276a 32 sq. : 34. 3, 1276 a 33 : 380. 3, 1276 a 34, 35 sq.: 374. 3, 1276b 1 sq. : 375. 4 : 49,

INDEX

4-5 : 40.

5, 1277b 5, 1277 b 5, 1278 a 196. 6 : 403.

PASSAGES

439

PRINCIPAUX

1284 a 8 sq. : 17, 184. 33 sq. : 49. 1284 a 10 : 184 sq. 1284a 12 sq. : 351. 33 sq. : 69. 1284 a 26 sq. : 284, 39 : 258. 292, 315. 21 sq., 25 sq. : 13, 1284 a 38 : 380. 13, 1284 a 39 sq. : 256, 297, 306. 8 sq. : 403. 13, 1284 a 40 : 288.

4, 1276 b 30 sq. : 34. 4, 1277 a

DES

13, 13, 13, 13,

6, 1278b 13, 1284 a 41 sq. : 198, 6, 1278 b 17 sq. : 48. 6, 1278 b 30 sq. : 49. 222. 6, 1279 a 19, 20 sq. : 13, 1284 b 1 sq. : 352. 250. 13, 1284b 25 sq. : 70.

15, 1286 b 3 sq. : 40. 15, 1286 b 8 sq. : 34, 78, 340 sq.

15, 1286 b 10 sq. : 344. 15, 1286 b 11 sq. : 347. 15, 1286 b 15 sq., 16 sq. : 348. 15, 1286 b 20 sq. : 312, 349, 361, 364, 378. 15, 1286 b 35 sq. : 299. 15, 1286 b 37 sq. : 350. 16, 1287

a 1 sq.

352. 16, 1287 a 3 sq.: 363.

: 33,

353, 14 sq. : 158, 183. 7, 1279 a 32 sq. : 343, 14, 1284 b 35 sq. : 71. 7, 1279 a 34 sq. : 40, 14, 1284 b 37, 38 sq.: 16, 1287 a 4 sq. : 261. 67. 16, 1287 a 6 sq. : 294. 381. 16, 1287 a 8 : 289. 7, 1279 b 4 : 250. 14, 1285 a 3 sq. : 236. 16-17 : 403. 7, 1279 b 5 : 40. 14, 1285 ἃ 4 sq. : 315. 17, 1288 a 1 sq. : 352. 8 : 343. 14, 1285a 7 sq. : 237. 8, 1279 b 12 sq. : 184, 14, 1285 a 9 sq.: 140, 17, 1288 a 8 sq. : 72 sq. 17, 1288 a 9, 15 sq. : 343. 344. 184. 8, 1279 b 20 sq. : 343. 14, 1285 a 16 sq. : 352. 9 : 403. 17, 1288 a 21 sq. : 359. 14, 1285 a 19 sq. : 226, 17, 1288 a 24 sq. : 352. 9, 1280 a 16 : 209. 352, 406. 9, 1280 a 25 sq. : 374. 17, 1288 a 30 sq. : 381. 14, 1285 a 27 : 40. 9, 1280 a 35 sq. : 223. 14, 1285 a 30.sq. : 286, 17-18 : 71. 9, 1280 a 36 sq. : 153, 18 : 72 sq. 344, 350. 229, 254, 375, 379. 14, 1285 a 34 sq., 39: 18, 1288 a 37 sq. : 40. 18, 1288 b 2 sq. : 35, 57, 9, 1280 b 1 sq. : 375. 293. — 9, 1280 b 13 sq. : 283, 14, 1285 61 sq. b 2 sq. : 40. 291, 374, 379. 14, 1285 b 4 sq. : 350. 9, 1280 b 15 sq. : 375. 14, 1285 b 6 sq.: 315, IV : 35 sq., 48 (IV9, 1280 b 17 sq. : 373, 344. VI), 52, 62 sq., 374, 379. 14, 1285 b 13 sq. : 344, 183 (IV-VT). 9, 1280 b 23 sq. : 373. 350. 9, 1280 b 25 sq. : 379. 1, 1288 b 21 sq. : 151. 14, 1285 b 21 sq. : 140, 9, 1280 b 29 sq. : 372. 1, 1288 b 34 sq. : 360. 312. 9, 1280 b 35 sq. : 373, 14, 1285 b 26 sq.: 40, 1, 1288 b 40 sq. : 236, 375. 360. 237. 9, 1280 b 40 sq. : 337, 14, 1285 b 28 sq. : 351. 1, 1289 a 7 sq. : 357. 1, 1289 a 8 sq. : 347. 380. 14, 1285 b 29 sq. : 381. 1, 1289 a 11 sq. : 122, 11, 1281 b 31 sq. : 258. 14-15 : 33 sq. 11, 1281 b 32 sq. : 126, 14-17 : 40. 1, 1289 a 16 : 209. 255. 15, 1285 b 35 sq. : 237, 2 sq. : 109. 2, 1289 a 28 : 250. 12, 1282 b 24 : 209. 353. 15, 1286 a 2 sq.: 122, 2, 1289 a 30 sq. : 36sq., 12, 1283 a 14 sq. : 38. 13, 1283 a 37 : 148. 58, 70 sq., 355. 363. 2, 1289 a 38 sq. : 354. 13, 1284 a 2 sq. : 71. 15, 1286a 4 : 353. 13, 1284a 3 sq. : 70, 352, 15, 1286 a 5 sq. : 158. 2, 1289 a 41 sq. : 71. 2, 1289 b 2 sq. : 183. 403, 15, 1286 a 12 sq. : 223. 6-8 : 48.

440

INDEX

2,1289 413, 2, 1289 2, 1289 360. 2, 1289 2, 1289 8, 1289 3, 1289 3, 1289 305. 3, 1289

b 5 sq.:

202,

b 13 sq. : 357. b 14 sq.: 73, b 20 sq. : b 24 sq. : b 27 sq. : b 33 sq. : b 35 sq.

45, 59. 42. 48. 410. : 274,

b 36 sq. : 411.

3, 1289 b 39 sq. : 289. 3, 1290 a 1 sq. : 37, 58.

3, 3, 3, 3,

1290 a 13 sq. : 347, 1290 a 16 sq. : 359. 1290 a 24 sq. : 72, 354 1290 a 25 : 250,

DES

PASSAGES

PRINCIPAUX

7, 1293 b 9 : 355, 7, 1293 b 14 sq. : 229, 253, 355, 357. 7, 1293 b 16 sq. : 236. T-8 : 72. 8 : 346.

8, 1293 b 27 sq. : 403. 8, 1293 b 33 sq. : 346, 355, 360. 8, 1293 b 34 sq. : 355. 8, 1294 a 21 : 149. 8, 1294 a 25 sq. : 355. 9, 1294 a 30 sq. : 360.

9, 1294 a 35 sq. : 356. 9, 1294 b 13 sq.: 99, 110. 9, 1294 b 14 sq. : 82, 234, 356.

236,

4 : 45.

9, 1294 b 18 sq. :

4, 1290 a 30 sq. : 343. 4, 1290 b 4 sq. : 315. 4, 1290 b 11 sq. : 267, 347.

239, 260. 9, 1294 b 19 sq. : 235, 257. 9, 1294 b 29 sq. : 236. 9, 1294 b 33 sq. : 237.

4, 1290 b 15 sq. : 282 sq. 4, 1290b 21 sq. : 48.

4, 1290 b 25 sq. : 357. 4, 1291 a 25 sq. : 410.

72, 355. 7, 1293 b 3 : 346.

340 sq., 347.

13, 1297 b 22 sq. : 347 sq., 361. 13, 1297 b 24 sq. : 355, 359. 13, 1297 b 32 sq. : 58 14 sq. : 372. 14, 129738 : 48. 14, 1298 a 3 sq. : 410. 14, 1298 a 7 sq. : 58.

14, 1298a 11 sq. : 292. 14, 1298 a 19 sq. : 410. 14, 1298 a 31 sq. : 182.

9, 1294 b 34 sq. : 364.

14, 1298 a 35 sq. : 359.

9, 1294 b 38 sq. : 235. 9, 1294 b 41 : 355. 10, 1295 a 4 sq. : 381.

14, 1298 b 14 sq. : 182. 14-16 : 44.

4, 1291 b 11 sq. : 354. 4, 1291b 14 sq. : 48. 10, 1295 a 7 sq. : 353. 4, 1291 b 15 sq. : 44, 10, 1295 a 12 sq. : 345. 357. 10, 1295 a 17 sq. : 352 94. 4, 1291 b 22 sq. : 272. 11 : 361. 4, 1291 b 23 sq. : 257, 11, 1295 a 25 sq. : 58. 303. | 11, 1295 a 31 sq. : 360. 4, 1291 b 24 sq. : 264 ,|11, 1295 a 33 sq. : 359. 304, 306. 11, 1295 a 34 sq., 40 sq. : 4, 1292 a 5 sq. : 182. 375. 4, 1292 a 30 sq. : 403. 11, 1295b 13 sq. : 50. 5, 1292 b 7 sq. : 355. 11, 1295b 25 sq. : 362. 5, 1292 b 11 sq. : 359. 11, 1296 a 1 sq. : 44, 361. 6 : 45 sq. 11, 1296 a 9 sq. : 379. 6, 1292 b 25 sq. : 44. 11, 1296 a 15 sq. : 361. 6, 1292 b 41 sq. : 349, 11, 1296 a 18 sq. : 257. 354. 11, 1296 a 22 sq. : 346 sq., 6, 1293 a 32 sq. : 355. 354, 361. 7 : 346. 11, 1296 a 32 sq. : 240, 7, 1293 a 40 sq. : 346, 347, 365, 411 sq. 355, 11, 1296 a 36 sq. : 12. 7, 1293 b 1 sq. : 37, 40,

11, 1296 b 2 sq. : 58. 11, 1296 b 3 sq. : 361. 12, 1296b 15 sq. : 12, 1296 b 26 sq. : 12, 1296b 34 sq. : 362. 13, 1297 a 14 sq. : 41. 13, 1297 b 2 sq. : 364. 13, 1297 b 12 sq.: 78, 359. 13, 1297 b 14 sq. : 290. 13, 1297 b 16 sq.: 34,

15 : 46.

15, 1299 a 14 sq.: 33, 194. 15, 1299 a 21 sq. : 410.

15, 1299 a 23 : 194. 15, 1299 a 28 sq. : 195. 15, 1300 a 15 sq. : 291. 15, 1300

a 17 sq. : 196,

291. | 15, 1300b 10 sq. : 410. 16, 1300 b 28 sq. : 2 V :41:q., 52, 62. 1, 1301 b3 : 149.

1, 1301 b 19 : 240 sq. 1, 1, 1, 1,

1301 1301 1301 1301

b b b b

21 37 38 39

sq. sq. sq. sq.

: : : :

261. 353. 354. 347,

1, 1302 a 8 sq., 13 sq. :

11, 1296 a 38 sq. : 15.

349. 3, 1302 b 18 sq. : 257,

11, 1296 a 40 sq. : 349, 411 sq.

3, 1302 b 21 sq. : 295

268 sq., 317.

INDEX

3, 1302 b 23 sq.: 317. 3, 1302 b 27 sq.: 279, 296. 3, 1302 b 30 sq. : 291. 3, 1302 b 31 sq. : 299. 3, 1303 a 3 sq. : 303. 3, 1303 a 5 : 350, 3, 1303 a 6 sq. : 268 sq., 317. 3, 1303 a 8 sq. : 256. 3, 1303 a 13 sq. : 277. 3, 1303 a 18 sq. : 218, 275. 3, 1303 a 20 sq. : 357. 3, 1303 a 23 sq. : 265. 3, 1303 a 25 sq. : 34. 3, 1303 a 28 sq. : 298.

3, 1303 a 31 sq. : 280. 3, 1303 a 33 sq. : 272. 3, 1303 a 34 sq. : 266,

306. 3, 1303 a 35 sq. : 276 297, 316. 3, 1303 a 36 sq. : 267. 3, 1303 a 38 sq. : 299.

3, 1303 b 2sq.: 266, 305. 3, 1303 b 7 sq.: 199, 282, 373, 378. 3, 1303 b 9 sq. : 318. 3, 1303 b 10 sq. : 200, 257, 283. 4, 1303 b 17 - 1304 a 13: 318. 4, 1303 b 19 sq. : 202, 300. 4, 1303 b 20 sq. : 318

350. 4, 1303 4, 1303 4, 1303 4, 1303 4, 1304 293.

DES

4, 4, 5 5,

PASSAGES

1304 a 29 84. : 305. 1304 a 31 sq. : 265. : 349. 1304 b 25 sq. : 285,

317. 5, 1304 b 27 sq. : 296. 5, 1304 b 31 sq. : 277. 5, 1304 b 34 sq. : 291. 5, 1304 b 39 sq. : 285. 5, 1305 a 7 sq.: 202, 345, 349 sq., 411. 5, 1305 a 10 sq. : 350. 5, 1305 a 15 sq. : 292,

345. 5, 1305 a 22 sq. : 322. 5, 1305 a 23 sq. : 256, 294. 5, 1305 a 24 sq. : 292.

5, 1305 a 26 sq. : 202, 300 sq.

28 sq. : 82. 32 sq. : 275, 33 : 218, 350. 37 sq. : 273. a 4 sq. : 187

6, 1305 a 37 sq. : 293, 6, 1305 a 40 sq. : 318. 6, 1305 b 1 sq. : 277, 281. 6, 1305 b 2 sq. : 290. 6, 1305 b 10 : 291, 359. 6, 1305 b 12 sq. :: 282. 6, 1305 b 18 sq. : 274. 6, 1305 b 25 sq. : 257. 6, 1305 b 28 sq. : 262 54. 6, 1305 b 29 sq. : 317. 6, 1305 b 33 sq. : 277. 6, 1305 b 39 : 90.

6, 1306 a 1 sq.: 300, 302, 318. 6, 1306 a 2 sq. : 266, 305.

4, 1304 a 10 sq. : 304.

6, 1306 6, 1306 276. 6, 1306 6, 1306 6, 1306 317.

4, 1304a 13 sq. : 261. 4, 1304 a 20 sq.: 259sq.,

6, 1306 a 35 sq. : 274. 6, 1306 a 36 sq. : 273 sq.

317 sq. 4, 1304 a 25 sq. : 208 sq.

4, 1304 a 27 sq. : 300, 302, 317.

6, 1306 b 13 sq. : 357. 7 : 346.

7, 1306 b 22 sq. : 356. 7, 1306 b 24 sq.: 40, 359. 7, 1306 b 29 sq.: 234 sq., 241, 303. 7, 1306 b 31 sq., 34 sq. : 240. 7, 1306 b 37 sq. : 239, 292, 312. 7, 1307 a 1 sq. : 240. 7, 1307 a 2 sq. : 229. 7, 1307 a 556. : 252 sq., 356. 7, 7, 7, 7,

1307 a 10 sq. : 40. 1307a 15 sq. : 359. 1307 a 20 sq. : 356. 1307 a 27 sq.: 42

280.

6, 1306 a 4 sq. : 264.

b Ὁ b b

441

PRINCIPAUX

a 6 sq. : 267. a 15 sq. : 237, a 21 sq. : 284. a 26 sq. : 262. a 29 sq. : 263,

6, 1306 b 3 sq. : 282, 306. 6, 1306 b 5 : 318.

| 6, 1306b 10 : 128.

7, 1307 a 34 sq. : 238. T, 1307 a 36 sq. : 289.

7, 1307 a 40 sq. : 357. T, 1307 b 6 sq. : 42, 280. 7, 1307 b 15 : 413, 7, 1307 b 19 sq. : 347, 365. 7, 1307b 20 sq. : 240. 8, 1307 b 27 sq., 29 sq. :

358. 8, 1307 b 30 sq. : 357, 362. 8, 1307 b 40 sq. : 362. 8, 1308 a 3 sq. : 362.

8, 1308 a 24 sq. : 365. 8, 1308 b 24 sq., 31 sq. : 362. 8, 1309 a 2 sq. : 40. 8, 1309 a 14 sq. : 302.

9, 1309 a 36 sq. : 364. 9, 1309 b 14 sq. : 121, 123. 9, 1309b 16 sq. : 364. 9, 1309

b 18,

19 sq. :

363. 9, 1310 a 2 sq. : 349.

9, 1310 a 4 : 182. 9, 1310 a 8 sq. : 348. 9, 1310 a 12 sq.: 50, 364. 9, 1310 a 19 sq. : 365.

442

INDEX

9, 1310 a 22 sq. : 347. 10 : 214 sq. 10, 1310 b 1 sq. : 382.

10, 10, 10, 10, 10,

1310 b 2 sq. : 71, 353. 1310b 14 sq. : 345. 1310b 16 sq. : 312. 1310 b 26 sq. : 268. 1310 b 28 sq. : 264, 281,318. 10, 1310 b 29 : 283, 288. 10, 1310 b 30 sq. : 258, 301. 10, 1310 b 31 sq. : 344,

353. 10, 1310 b 34 sq. : 214, 282, 10, 1310 b 35 : 380. 10, 1310 b 36 sq.: 256 sq., 353. 10, 1310 b 37 sq. : 220. 10, 1310 b 38 : 239. 10, 1310b 39 sq. : 17, 317. 10, 1310 b, fin : 71. 10, 1311 a 20 sq. : 284, 292, 315. 10, 1311 a 36 sq. : 258, 353. 10, 1311 a 39 sq. : 265. 10, 1311 b 1 sq. : 17, 71, 155, 181, 215, 286. 10, 1311 b 3 sq. : 215. 10, 1311 b 4 sq. : 286. 10, 1311 b 8 sq. : 216 sq. 10, 1311 b 13 sq. : 215 sq. 10, 1311 b 17 sq. : 263. 10, 1311 b 20 sq. : 215, 217.

10, 1311 b 26 sq. : 187, 293. 10, 1311 b 30 sq. : 215. 10, 1311 b 31 sq. : 216. 10, 1311 b 37 sq. : 215, 218. 10, 1311 b, 1312 a : 383. 10, 1312 a 1 sq. : 83, 154, 164, 215, 219, 312 sq. 10, 1312 a 4 sq. : 301. 10, 1312 a 12 sq. : 215, 220.

10, 1312 a 14 sq. : 215, 218.

DES

PASSAGES

PRINCIPAUX

10, 1312 a 16 sq. : 215, 220. 10, 1312 a 33 sq. : 301. 10, 1312

a 39 sq. : 347,

382. 10, 1312 b 5 sq. : 182. 10, 1312 b 6 sq.: 71, 301 sq.

10, 1312 b 7 sq.: 240, 312, 365. 10, 1312 b 9 sq. : 301 sq. 10, 1312b 10 sq. : 350. 10, 1312b 16sq. : 201 sq. 10, 1312 b 25 : 128. 10, 1312 b 29 sq. : 255,

258. 10, 1312 b 38 sq. : 344. 10, 1313 a 3 sq. : 71, 353. 10-11 : 185. 11 : 221 sq. 11, 1313 a 18 sq. : 363. 11, 1313 a 20 sq. : 71.

11, 1313 a 23 sq. : 242,

382. 11, 1313 a 24 sq. : 214, 221, 317. 11, 1313 a 25 sq. : 234, 316. 11, 1313 a 26 sq. : 243. 11, 1313 a 34 sq. : 283, 352. 11, 1313 a 36 sq. : 198. 11, 1313 a 37 sq. : 187, 198, 221 sq., 383. 11, 1313 a 40 sq. : 222.

11, 1313 a 41 : 190, 198. 11, 1313b 6 sq. : 222. 11, 1313 b 9 sq. : 221 sq., 352. 11, 1313b 11 sq. : 222. 11, 1313b 12 sq. : 302. 11, 1313b 18 sq. : 283.

11, 1313 b 21 sq. : 221, 315, 383,

11, 1313 b 23 sq. : 258. 11, 1313 b 24 sq. : 297, 3415. ᾿ 11, 1313b 25 sq. : 302. 11, 1313 b 28 sq. : 411. 11, 1313 b 32 : 111. 11, 1314 a 5 : 142.

11, 11, 11, 11, 11, 11,

1314 a 12 : 122. 1314 a 34 sq. : 363. 1314a 36 sq. : 364. 1314 a 40 : 363. 1314b 21 sq. : 411. 1314 b 28 sq. : 346.

11, 1315 b 2 sq., 4 sq.:

364. 12 : 83, 260, 284. 12, 1315 b 12 sq. 316 sq. 12, 1315 b 15 sq. : 12, 1315 b 21 sq. : 12, 1315 b 22 sq. : 12, 1315 b 29 sq. 255. 12, 1315 b 34 sq. :

: 297, 382. 258. 284. : 112, 302.

12, 1315 b 40 sq. : 382.

12, 1316 a 1 sq. : 339. 12, 1316a 14 sq. : 147. 12, 1316 a 17 sq. : 236. 12, 1316 a 20 sq. : 34. 12, 1316 a 29 sq. : 253, 297. 12, 1316 a 30 sq. : 317