Etudes Avestiques Et Mazdeennes Vol. 7: Essai Sur La Gatha Spenta.Mainiiu [1 ed.] 9042946008, 9789042946002

Cet essai sur la troisieme et derniere Gythy polyhytique persiste dans les methodes et les convictions de mes articles d

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Etudes Avestiques Et Mazdeennes Vol. 7: Essai Sur La Gatha Spenta.Mainiiu [1 ed.]
 9042946008, 9789042946002

Table of contents :
Avant-propos
Introduction / L’unité et l’originalité initiale de la Gâthâ
Appendice : traduction de la Gâthâ
Bibliographie

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d’accepter le caractère inexpugnable de certaines difficultés et, au lieu de vouloir les résoudre à tout prix, concentrer son attention sur le mouvement des mots, considérés non plus comme prêtant leur sens général à des circonstances diverses, mais comme référant de manière continue à une donnée technique précise. Toute analyse des Gâthâs, celle-ci comme toutes les précédentes, doit assumer le postulat de l’usage qui en était fait et qui est la raison même de leur composition. Jean Kellens, titulaire de la chaire de « Langues et religions indo-iraniennes » du Collège de France, a consacré sa carrière à la philologie de l’Avesta. Il est notamment l’auteur de : Les noms-racines de l’Avesta, Ludwig Reichert Verlag, Wiesbaden, 1974 ; Le verbe avestique, Ludwig Reichert Verlag, Wiesbaden, 1984 ; Les textes vieil-avestiques, en collaboration avec Éric Pirart, 3 vol., Ludwig Reichert Verlag, Wiesbaden, 1988-1991 ; La quatrième naissance de Zarathushtra, La Librairie du xxie siècle/Seuil, Paris, 2006.

Études avestiques et mazdéennes vol. 7 Essai sur la Gâthâ spəṇtā.mainiiu Jean Kellens

collection dirigée par Pierre Briant,

persika 22

et du volume 6 de cette série sur la Gâthâ uštauuaitī. Il s’agit au départ

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mes articles du Journal Asiatique de 2013 et 2014 sur la Gâthâ ahunauuaitī

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nière Gâthâ polyhâtique persiste dans les méthodes et les convictions de

Études avestiques et mazdéennes vol. 7

Sur la matière de ce fascicule : Cet essai sur la troisième et der-

chaire d’histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre.

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Collège de France

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Études

avestiques et mazdéennes

Vol. 7

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Collection Persika n 22 Études avestiques et mazdéennes vol. 7 Essai sur la Gâthâ spǝṇtā.mainiiu

Conception graphique : Thierry Sarfis Réalisation : Franck Monnier

Peeters Bondgenotenlaan 153 3000 Leuven Belgique [email protected] www.peeters-leuven.be ISBN 978-90-429-4600-2 eISBN 978-90-429-4601-9 © Peeters, 2021 D/2021/0602/68

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Études avestiques et mazdéennes vol. 7 Essai sur la Gâthâ spəṇtā.mainiiu

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Jean Kellens

LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2021 PEETERS

Avant-propos Cet essai sur la troisième et dernière Gâthâ polyhâtique persiste dans les méthodes et les convictions de mes articles du Journal Asiatique de 2013 et 2014 sur la Gâthâ ahunauuaitī et du volume 6 de cette série sur la Gâthâ uštauuaitī. Il s’agit au départ d’accepter le caractère inexpugnable de certaines difficultés et, au lieu de vouloir les résoudre à tout prix, concentrer son attention sur le mouvement des mots, considérés non plus comme prêtant leur sens général à des circonstances diverses, mais comme référant de manière continue à une donnée technique précise. Toute analyse des Gâthâs, celle-ci comme les précédentes, doit assumer le postulat de l’usage qui en était fait et qui est la raison même de leur composition. Je parie donc pour le récitatif sacrificiel contre le roman d’un prophète que Martin Haug écrivit vers 1860 et que tous, ou presque, prirent pour de l’histoire. Je suis bien conscient que les résultats de cette analyse manquent la cible si la méthode est inadéquate et le postulat faux. J’en prends le risque parce que les faits qui semblent les justifier sont nombreux et d’apparence significative. Avec les Gâthâs, nous risquons toujours d’être soumis à l’indécision entre le hasard et le système. J’ai opté pour le système. Ce volume observe les mêmes conventions de désignation des textes que les études citées ci-dessus : Gâthâ ahunauuaitī (GA : Y28-34), Gâthâ uštauuaitī (GU : Y43-46), Gâthâ spəṇtā.mainiiu (Y47-50), Gâthâ vohuxšaϑrā (Y51), Gâthâ vahištōišti (Y53), Yasna haptaŋhāiti (YH 35.2-41). Les textes vieil-avestiques sont représentés par TVA (Kellens et Pirart 1988, 1990, 1991) et les Études avestiques et mazdéennes par EAM.

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Introduction / L’unité et l’originalité initiale de la Gâthâ spəṇtā.mainiiu L’unité de la GU présente une forte apparence d’évidence. La concaténation lexicale entre la dernière strophe d’une hāiti et la première de la suivante est impressionnante avec Y49.12 zbaiieṇtē auuaŋhō et Y50.1 auuaŋhō … zūtā, hypothétique en fonction de l’étymologie dans le cas de Y48.12 xšnūm et Y49.1 cixšnušā. Outre la connexion initiale-finale, il existe aussi entre les hāitis, comme nous le verrons, de nombreux éléments de continuité lexicale, syntaxique et thématique. La Gâthâ atteste aussi tous les thèmes ou schèmes communs à chaque Gâthâ polyhâtique. Selon la liste préalable de EAM 6 (pp. 7 à 9) : 1. le catalogue des nomspropres (Y49.8-12), 2. le « moment sacrificiel » (Y50.4-11), 3. le « catalogue psychologique » (Y48.4), 4. la « strophe de la damnation » (Y49.11), 5. l’interaction des notions de daēnā et de saōšiiaṇt, diffuse entre Y48.4 et 12, 6. l’évocation simultanée de Mazdā au vocatif et d’un Ahura anonyme au nominatif (Y48.3), 7. le rassemblement des Aməṣ̌as Spəṇtas de l’heptade récente (Y47.1), 8. la mention du nom du feu dans un même réseau lexical obscur (Y47.6), 9. la constatation finale d’un ahu devenu fraša (Y50.11), 10. la mention du nom de Zaraϑuštra à la 3e personne en dernière strophe de hāiti (Y49.12), 11. l’évocation de Mazdā à la 3e personne en première strophe de Gâthâ (Y47.1). On peut ajouter : 12. la dissertation sur le mainiiu (Y30.3-6, Y45.2, Y47), qui va de pair avec l’assemblage de la triade complète pensée-parole-action (EAM 6 : 82). La GS semble un texte pressé. Sa première hāiti est la plus courte du corpus gâthique et sa première strophe combine deux motifs essentiels : la dissertation sur le mainiiu et le rassemblement des six entités qui deviendront les Aməṣ̌as Spəṇtas récents.

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La dissertation sur le mainiiu de Y47.1 présente trois traits spécifiques : 1. Elle se prolonge sous la forme d’une récurrence initiale de strophe qui soude l’ensemble de la hāiti. mainiiuest marqué dès 2 par le démonstratif du mot répété et reste caractérisé par spəṇta-, sauf en 3, où celui-ci, par hypallage ou haplologie, qualifie Mazdā. 2. Par son extension et en comportant l’assemblage de la triade pensée-parole-action, la dissertation de Y47.1 correspond certes à celle de Y30.3-6 et de Y45.2, mais aussi, par sa situation initiale, à l’évocation inaugurale de Y28.1 et de Y43.2. Les deux moments rituels semblent coïncider. Par ailleurs ce mainiiu initial et omniprésent dans la hāiti n’apparaît plus qu’une fois dans la Gâthâ à laquelle il a donné son nom, en Y48.8. Sa carrière s’achève donc plus vite encore que dans la GU (Y45.8). 3. Il n’y a pas de contrepartie. Il est remarquable que le Mainiiu aṇgra soit absent de la hāiti et de la Gâthâ. Toutefois, la situation n’est pas celle du Yasna Haptaŋhāiti. Démons (daēuua-) et trompeurs (drəguuaṇt-) sont très actifs dans la GS. La réunion immédiate des entités du rite et des entités de l’immortalité, finale dans la GA (Y34.11), plus ou moins centrale dans la GU (Y45.10), mais l’une et l’autre dans le cadre du « moment sacrificiel », est une autre particularité de la GS. Il faut noter que les entités de l’immortalité ne sont pas plus persistantes que Mainiiu : Amərətāt est encore mentionnée seule par Y48.1 et le relais brièvement pris par les entités subalternes Utaiiūiti et Təuuīšī dans Y48.6. Ces traits particuliers sont sans doute décisifs pour la compréhension générale de la Gâthâ et la détermination de sa fonction rituelle propre. Notre analyse devra y veiller.

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1Yasna 47 1.1 Caractéristiques générales

1. Si brève soit-elle, la hāiti est clairement organisée en un diptyque dont les volets, de longueur égale (1-3 et 4-6), sont mis en opposition par l’absence de toute liaison formelle (sinon la récurrence initiale). Leurs deux premières strophes sont pareillement imprégnées d’un motif donné, 1 et 2 par la triade du comportement, 4 et 5 par la présence encombrante des drəguuaṇt. La liaison avec la dernière strophe est assurée, dans le premier volet, par la concaténation lexicale 2-3 (p)tā, dans le second, par la récurrence symétrique 4. paraōš – 6. pourūš et la similitude presque totale du premier vers de 5 et de 6. 2. Outre la dissertation sur le mainiiu et le rassemblement général des entités, la hāiti atteste encore deux motifs communs aux Gâthâs polyhâtiques : la mention d’Ahura Mazdā à la 3e personne en première strophe de Gâthâ (celle de 47.2 est sans portée puisqu’il s’agit de la teneur d’une cisti) et celle du feu, la seule de la Gâthâ, dans son réseau lexical obscur. 4 motifs sur 12 figurent donc dans le seul Y47. 3. Après le rassemblement général de 1, le noyau dur des entités se dissout progressivement. Réduit à Vohu Manah, Ārmaiti et Aṣ̌a en 2, puis à Ārmaiti et Vohu Manah en 3, il disparaît de 4 et de 5, peut-être pour ne pas se compromettre avec les drəguuaṇt. Ārmaiti et Aṣ̌a réapparaissent en 6. Le résultat est qu’il semble y avoir insistance sur Ārmaiti et mise en retrait de Xšaϑra. La triade du comportement se résorbe elle aussi après la strophe 2 : elle se réduit en 3 au nom de Vohu Manah,

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pivot qui articule la triade et la liste des entités, et š́iiaōϑana- réapparaît seul en 5. 4. Le Y47 se caractérise par la pratique massive de l’ellipse. Elle affecte le sujet de 1. dąn et de 2. vərəziiat̰, le référent du pronom ahmāi de 1 et de 3, mais surtout il est remarquable que tous les emplois de vohu- / vahišta- qui ne composent pas le nom de Vohu Manah sont absolus (2. vahištəm, 5. vahištā, 6. vaŋhāu). 1.2 Traduction commentée Y47.1



spəṇtā mainiiū, vahištācā manaŋhā hacā aṣ̌āt̰, š́iiaōϑanācā vacaŋhācā ahmāi dąn, hauruuātā amərətātā mazdā̊ xšaϑrā, ārmaitī ahurō

Je tiens pour exclu que mazdā̊ … ahurō soit le sujet singulier du verbe pluriel dąn, ce qui implique que dd’ est une proposition indépendante (TVA III). Cette analyse aide à résoudre une difficulté et en laisse subsister deux : 1. ahmāi se réfère par anticipation à mazdā̊ … ahurō. Cette interprétation est largement confirmée par les strophes parallèles qui rassemblent toutes les entités et qui, invariablement, font de Hauruuatāt et Amərətāt une offrande pour Ahura Mazdā : Y34.11 at̰ tōi ubē hauruuā̊scā, xvarəϑāi.ā



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amərətatā̊scā …, … mazdā …

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Y45.10 tə̄m nə̄ yasnāiš, ārmatōiš mimaγžō



…, mazdā̊ … ahurō xšaϑrōi hōi, hauruuātā amərətātā ahmāi stōi dąn, təuuīšī utaiiūitī

2. dąn fait une double difficulté : a. le subj. aor. est inusuel en proposition indépendante (TVA II 84-85). Il n’est pas trop audacieux, pour changer dąn en injonctif, de restaurer un hémistiche xahmāi stōi dąnx identique à Y45.10e ; b. l’ellipse du sujet reste problématique. Supposer yasna-, comme nous l’avons fait sur la base du parallélisme avec Y45.10, est une hypothèse non seulement fragile, mais qui pose aussi la question théorique de savoir jusqu’où un parallèle peut être exploité pour résoudre les sousentendus. Je m’en tiens ici à un «  ils  » qui pourrait désigner les membres du collège sacerdotal. 3. Comment comprendre une indépendante nominale réduite à un nominatif et à un instrumental ? Dissocier les membres du nom d’Ahura Mazdā pour faire de l’un le prédicat de l’autre me paraît exclu et vouloir distinguer, dans le cas des entités, entre abstraction et allégorie pourrait relever du faux problème. Je m’en tiens à une traduction littérale qui ne produit aucun sens clair. « Selon l’Avis faste et la très bonne Pensée, par un acte et une parole conforme à l’Agencement, ils lui donnent, pour qu’elles soient à lui, l’Entièreté et l’Immortalité. Voici le Maître Attentif avec le Pouvoir et la Juste-pensée. » Y47.2



ahiiā mainiiə̄uš, spə̄ništahiiā vahištəm hizuuā.uxδāiš, vaŋhə̄uš ə̄əānū manaŋhō ārmatōiš, zastōibiiā š́iiaōϑanā vərəziiat̰ ōiiā cistī, huuō ptā aṣ̌ahiiā mazdā̊

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Étant donné la contiguïté du ā final de hizuuā et du u initial de uxδāiš, la leçon hizuuā.uxδāiš doit être préférée à hizuuā̊ .uxδāiš (Humbach 1991  : II 191 et Kellens EAM 6 : 80)1. Le choix de cette leçon a d’importantes conséquences syntaxiques : 1. Nonobstant la différence de nombre, la composition ou l’asyndète, hizuuā uxδāiš et zastōibiiā š́ iiaōϑanā apparaissent comme des formules parallèles ayant pour caractéristique commune la dissociation en hendiadys de la fonction (parole, action) et de son instrument (la langue, les mains). 2. Le seul accusatif disponible comme objet de vərəziiat̰ est vahištəm. 3. L’emploi du verbe varz préverbé en ə̄əanū et comportant un génitif dans sa rection est éclairé de manière décisive par l’emploi attesté dans Y8.7 (et ses variantes de Yt 5.18 et 105)  : haxšaiia… fratəmą nmānanąmcā … aŋ́ h ā̊ daēnaiiā̊ anumataiiaēca anuxtaiiaēca anuuarštaiiaēca « Puissé-je convaincre les chefs de famille de reproduire dans leur pensée (la pensée) de la daēnā, de reproduire dans leurs mots (les mots) de la daēnā, de reproduire dans leurs actes (les actes) de la daēnā » (Kellens 2001 : 742-743 = 2016 : 125-126). Une variante synonyme sur le fond, avec substitution de la préposition (sur laquelle Delbrück 1888 : 443) au préverbe, est toutefois plausible. Cette analyse syntaxique laisse subsister deux ellipses incurables : qui « fait » et qu’est-ce qui est « très bon » ? On 1  La situation se complique d’une difficulté bien connue : la forme com-

positionnelle hizuuā du nom de la langue est anormalement dissyllabique (TVA III). Il est possible qu’il s’agisse d’une graphie secondaire didactique (rendre explicite la fonction instrumentale du premier terme) pour *hizū + uxδa-.

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peut, avec une invérifiable simplicité, reconnaître dans le « il » sujet de vərəziiat̰ un membre de l’ensemble des « ils » sujets de 1. dąn. Pour ce qui est de vahištəm, j’entrevois une solution plus audacieuse. Ne faut-il pas reconnaître dans les deux adjectifs substantifiés paouruuīm de Y28.1 mainiiə̄uš … paouruuīm spəṇtahiiā et vahištəm de Y47.2 ahiiā mainiiə̄uš spə̄ništahiiā vahištəm l’indication initiale des temps rituels de la GA et de la GS, le « début » du Mainiiu faste pour la première, son « meilleur (moment) » pour la seconde ? Ce dernier correspondrait à la double réalisation initiale de Y47.1. La GS commence à un moment culminant du processus sacrificiel. Le Mainiiu faste s’est constitué et, libre de son pendant néfaste, il soude la bonne triade et unit les entités du rite à celles de l’immortalité. Le feu aurait-il atteint sa « meilleure » croissance ? Puis vient la vache … « Il assure le meilleur moment de l’Avis très faste avec des mots de sa langue inspirés (de ceux) de la Bonne Pensée et des actes de ses mains inspirés (de ceux) de la Justepensée en fonction de cette idée : l’Attentif est le père de l’Agencement. » Y47.3



ahiiā mainiiə̄uš, tuuə̄m ahī tā spəṇtō yə̄ ahmāi gąm, rāniiō.skərəitīm hə̄m.tašat̰ at̰ hōi vāstrāi, rāmā dā̊ ārmaitīm hiiat̰ hə̄m vohū, mazdā hə̄mə.fraštā manaŋhā

En acceptant l’hypothèse de Humbach (1991 : II 192) selon laquelle tā spəṇtō est dissimilé de *ptā spəṇtō, je puis faire de cette strophe une analyse syntaxique moins contournée que celle de TVA III, mais qui n’est pas non plus exempte de difficultés. 1. Que (p)tā soit l’antécédent de yə̄ se heurte au fait que le verbe de la relative est à la 3e personne. On passe

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outre à cette difficulté depuis Lentz 1953 : 321 (voir la discussion chez Schmidt 1974 : 311–312)2. On peut faire l’hypothèse, qui vaut ce qu’elle vaut, de l’objectivation de ce qu’Ahura Mazdā a fait en tant que père. Le choix du seul autre nom disponible, mainiiə̄ u š, comme antécédent de yə̄ se heurte au caractère inusuel de la corrélation du relatif avec une forme en a- du démonstratif (TVA II 55) et prive ahmāi de tout référent plausible (à voir, par exemple, l’interprétation arbitraire de Humbach 1991 : II 192). On peut faire l’économie de la corrélation exceptionnelle at̰ … hiiat̰ en diptyque droit (TVA II 109) et accorder à at̰ la fonction de rupture syntaxique qui consiste à transformer une part de la subordonnée en indépendante (TVA II 116-117). La subordonnée en hiiat̰ est une conjonctive de temps. hōi représente gąm, comme il est normal, le génitif déterminant vāstra- étant toujours le nom de la vache. Il est tentant de faire l’hypothèse que la vache est le sujet de hə̄m … fraštā et qu’il s’agit d’une allusion à la conversation que rapporte explicitement le Y29.

L’évocation insistante de la paternité dénonce clairement la portée cosmogonique de la strophe. En tant qu’organisateur du sacrifice originel, Ahura Mazdā est le père d’Aṣ̌a et il est aussi celui du mainiiu qui se manifeste dans le feu rituel. Il a rendu forme parfaite à la vache immolée (sur taš, voir EAM 6 : 56) et, symboliquement, assuré la paix de la litière où elle repose après qu’un entretien en a établi les règles opératoires. 2  À noter toutefois que l’exemple de Y30.9 at̰cā tōi vaēm x́iiāmā yōi īm

fərəšə̄m kərənaōn ahūm a été invalidé par Kellens et Pirart : TVA III 51-52.

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« Tu es le père faste de cet Avis et celui qui a taillé la vache pour le rendre plus heureux, puis tu as fait en sorte que la Juste-pensée donne la paix à la pâture de cette (vache) après que (celle-ci), ô Attentif, s’est entretenue avec la Bonne Pensée ». Y47.4



ahmāt̰ mainiiə̄uš, rārəšiieiṇtī drəguuaṇtō mazdā spəṇtāt̰, nōit̰ aϑā aṣ̌āunō (xaṣ̌auuanō) kasə̄ušcīt̰ nā, aṣ̌āunē kāϑə̄ aŋhat̰ isuuācīt̰ hąs, paraōš akō drəguuāitē

1. Pour les deux premiers vers, je maintiens l’interprétation de TVA III : le prés. rārəšiia- est intransitif et la métrique impose la correction de aṣ̌āunō en xaṣ̌auuanō (nom. plur.). 2. Par contre, l’analyse des deux derniers vers doit être reconsidérée. Ni kāϑə̄ ni les deux °cīt̰ ne sont sûrement des interrogatifs. En dépit de son étymologie incertaine et de l’anormalité évidente de sa terminaison (voir EAM 6 : 52 à propos de Y44.2), kāϑə̄ semble bien le nom. sing. d’un adjectif kāϑa- approximativement antonyme de aka-. Selon les relevés mêmes de TVA II 164166, rien n’interdit de reconnaître en °cīt̰ la particule emphatique marquant, en position enclitique d’initiale, la chaîne d’oppositions qui structure les deux volets de la proposition (kašə̄uš° : paraōš, kāϑə̄ : akō, aṣ̌āunē : drəguuāitē, isuuā° faisant office de pivot). Y aurait-il une corrélation aϑā… °cīt̰ non relevée dans TVA II ? On peut se demander si cette liste ne comporte pas un quatrième terme. En effet, comment justifier la fonction concessive ou causale (TVA II 326) de haṇt- dans ce contexte ? N’y aurait-il pas opposition entre nā et hąs, l’homme et le dieu en tant que vivant éternel (quoique

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haṇt- n’atteste jamais ce sens au singulier), le premier pauvre, le second riche ? Reste la question encombrante et, à mon avis, irrésolue : à quelle situation concrète se réfère l’opposition entre les drəguuaṇt et les aṣ̌auuan et quelle est la portée exacte du nombre qui leur est attribué et qui tous deux ici coexistent ? (Voir EAM 6 : 21). « De cet Avis faste, ô Attentif, s’écartent les trompeurs, (mais) ceux qui soutiennent l’Agencement ne font pas de même. (C’est pourquoi) l’homme, qui possède si peu, et l’existant-éternel, qui possède tant, doivent (l’un et l’autre) être amical pour celui qui soutient l’Agencement et mauvais pour le trompeur ». Y47.5



tācā spəṇtā, mainiiū mazdā ahurā aṣ̌āunē cōiš, yā zī cīcā vahištā hanarə ϑβahmāt̰, zaōšāt̰ drəguuā̊ baxšaitī ahiiā š́iiaōϑanāiš, akāt̰ ā šiiąs manaŋhō

Seule l’hypothèse d’un antécédent sous-entendu de yā et qualifié par vahištā imposait l’analyse de TVA III : princ. (a-b) + rel. (b’) et indép. (c-d’). Nous avons confié ce rôle à gaēϑā- d’après le parallèle de Y50.3, ou à gao- persistant depuis la strophe 3. La citation par Y12.1 n’y est pas favorable : ahurāi mazdāi vaŋhauuē vohumaitē vīspā vohū cinahmī aṣ̌āunē raēuuaitē xvarənaŋvhaitē yā zī cīcā vahištā yeŋ́hē gāuš yeŋ́hē aṣ̌əm yeŋ́hē raōcā̊ yeŋ́hē raōcə̄bīš rōiϑβən xvāϑrā. Y47.5 m’a inspiré l’idée improbable que yā zī cīcā vahištā se rapportait exclusivement à gāuš par-delà le relatif yeŋ́hē (EAM 2 : 133). Il me semble à présent que cette phrase est faite d’une principale suivie par la citation de la relative

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gâthique, puis d’une série de relatives nominales en yeŋ́hē clôturée par une autre citation gâthique. La première partie consiste en une rumination de vohu- (vaŋhauuē vohumaitē … vohū) qui aboutit, dans la citation, à la majoration de l’adjectif en son superlatif vahišta- et celui-ci récapitule anticipativement les biens énumérés par les relatives en yeŋ́hē : « Je crois que toutes les bonnes choses “qui sont d’entre toutes les meilleures” appartiennent à Ahura Mazdā qui est bon, doté de ce qui est bon, l’harmonieux qui détient la richesse et la force d’abondance ; la vache est à lui, l’Agencement est à lui, les lumières-célestes sont à lui, (l’idée que) “les bien-être se mêlent aux lumières célestes (Y31.7a’)”, est à lui »3. Il est donc possible que Y47.5 compose une seule phrase avec principale (a-b) + relative (b’-d’) et, pour une fois, je ne vois aucun inconvénient à poser un emploi indéterminé de vahištā comme acc. plur. nt. : « les choses les meilleures ». Comme dans Y12.1, la situation à laquelle il est fait référence devrait permettre d’identifier ce qui est entendu par là. Le sens de la relative dépend essentiellement de son verbe : baj. La correction en xbaxšaitē est exclue par la rection accusative au lieu de la génitive et l’actif baxšaitī ne peut signifier que « distribuer » (le glissement péjoratif en « abtreten » que Humbach persiste à supposer jusqu’en 2010 est purement ad hoc [Humbach & Faiss 2010: 141 et 188]).

3  On remarquera le retournement de Y45.7 mazdā ahurā aṣ̌āunē cōiš yā

zī cīcā vahištā en ahurāi mazdāi … cinahmī aṣ̌āunē … yā zī cicā vahištā analogue à celui de l’action divine de Y32.2cc’ spəṇtąm və̄ ārmaitīm varəmaidī hā nə̄ aŋhat̰ « Nous choisissons votre faste et bonne Juste-pensée ; qu’elle soit à nous ! » en l’action humaine de Y12.2 spəṇtąm ārmaitīm vaŋvhīm vərənē hā mōi astū « Je choisis la faste et bonne Juste-pensée ; qu’elle soit à moi ! ».

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ahiiā ne peut renvoyer au sujet drəguuā̊ vu qu’il n’est pas réflexif. Il représente nécessairement soit aṣ̌āunē, soit mainiiū, qui inspire la triade dont š́iiaōϑana- fait partie. Le résultat de cette analyse induit à la traduction ci-dessous et les interrogations que celle-ci suscite sont le reflet de la dernière question que nous évoquions à propos de la strophe précédente. Qui sont exactement, plus précisément au singulier, l’aṣ̌auuan et le drəguuaṇt, quelle est la scène exacte de leur affrontement et celui-ci comporte-t-il la possibilité pour l’un de tirer parti des actions de l’autre ? Mais š́iiaōϑanāiš pourrait simplement être un instrumental sociatif négatif. « C’est bien par cet Avis faste, ô Maître Attentif, que tu réserves à celui qui soutient l’Agencement ces si bonnes choses que, contrairement aux actes qu’inspire cet (Avis), le trompeur qui habite auprès de la mauvaise Pensée distribue sans ton consentement ». Y47.6



tā dā̊ spəṇtā, mainiiū mazdā ahurā āϑrā vaŋhāu, vīdāitīm rānōibiiā ārmatōiš, dəbązaŋhā aṣ̌ax́iiācā hā zī pourūš, išəṇtō vāurāitē

La hāiti s’achève par ce que j’appellerai la « formule du feu », qui correspond à celles de la GA (Y31.3 et 19), de la GU (Y43.12) et de Y51.9. Soit une version longue compose la proposition principale de la strophe (Y31.3, Y47.6 et Y51.9), soit une version brève survient en dernier vers de strophe comme donnée circonstancielle (Y31.19) ou complémentaire en proposition relative (Y43.12)4. 4  Sur le rôle ou les particularités des deux versions brèves, voir Kellens

(2014a : 275–276 et EAM 6 : 8).

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Études avestiques et mazdéennes

Y31.3



yąm dā̊ mainiiū āϑrācā, aṣ̌ācā cōiš rānōibiiā xšnūtəm hiiat̰ uruuatəm cazdōŋhuuadəbiiō, tat̰ nə̄ mazdā vīduuanōi vaōcā hizuuā ϑβahiiā ā̊ŋhō, yā juuaṇtō vīspə̄ṇg vāuraiiā

Y31.19 gūštā yə̄ maṇtā aṣ̌əm, ahūm.biš vīduuā̊ ahurā



ərəžuxδāi vacaŋhąm, xšaiiamnō hizuuō vasō ϑβā āϑrā suxrā mazdā, vaŋhāu vīdātā rąnaiiā̊

Y43.12 hiiat̰cā mōi mraōš, aṣ̌əm jasō frāxšnənē



at̰ tū mōi nōit̰, asruštā pairiiaōγžā uzirəidiiāi, parā hiiat̰ mōi ā.jimat̰ səraōšō aṣ̌ī, mązā.raiiā hacimnō yā vī aṣ̌īš, rānōibiiō sauuōi vīdāiiāt̰

Y51.9

yąm xšnūtəm rānōibiiā dā̊, ϑβā āϑrā suxrā mazdā aiiaŋhā xšustā aibī, ahuuāhū daxštəm dāuuōi rāšaiieŋ́hē drəguuaṇtəm, sauuaiiō aṣ̌auuanəm

A.

Les trois variantes de la version longue ont en commun : 1. Un sujet : Ahura Mazdā au vocatif (mazdā seul dans 31.3 et 51.9). 2. Un verbe : la 2e sing. inj. aor. dā̊ toujours située dans le 1 er hémistiche. Le synonyme approximatif ou complémentaire cōiš est adjoint en asyndète dans 31.3 et anticipé dans 47.5.

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3. Un objet : xšnūt- : xšnūtəm dans 31.35 et 51.9. Y47.6 lui substitue vīdāiti- : vīdāitīm. À noter que les dérivés de vī + dā jouent un rôle pivot dans les versions brèves : loc. sing. vīdāiti- : vīdātā dans 31.19 et verbe vīdāiiāt̰ dans 43.12. 4. Deux bénéficiaires  : invariablement le dat. duel rāna- : rānōibiiā. 5. Des instruments : le mainiiu, le feu et Aṣ̌a dans 31.3 (mainiiū āϑrācā aṣ̌ācā), le mainiiu, le feu et le soutien apporté à Aṣ̌a dans 47.6 (spəṇtā mainiiū … āϑrā … dəbązaŋhā aṣ̌ax́iiācā), le feu et le métal « qui a été fondu » dans 51.9 (āϑrā … aiiaŋhā xšustā)6. L’action combinée du feu et du mainiiu paraît donc essentielle. B.

Le contexte immédiat : 1. La présence d’un locatif est fréquente, mais ne semble pas faire système. Examinons-la de plus près : a. Le locatif ne fait défaut que dans 31.3 et l’obscurité irrémédiable de 51.9 ahuuāhū ne permet pas d’en juger. b. 31.19 vaŋhāu vīdātā est le produit de la mise en perspective circonstancielle de vīdāiti-, mais évoque aussi l’emploi elliptique ou substantifié de 47.6 vaŋhāu. Je ferai l’hypothèse que celui-ci résulte de la collision, dans le seul Y47, de l’évocation initiale du mainiiu et du discours qui lui est consacré. Le loc. vaŋhāu renverrait à vahištəm de la strophe 2 comme 30.3 pauruiiē à

5  Avec uruuata- : uruuatəm « stipulation d’alliance », qui est une pré-

occupation propre à la zone de transition entre le Y30 et le Y31 (30.11, 31.1 et 3). 6  On notera que l’hémistiche 31.19c et 51.9a’ sont identiques (ϑβā āϑrā

suxrā mazdā).

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Études avestiques et mazdéennes

28.1 paouruuīm. Et le « bon moment » du Y47 équivaudrait au « moment de la bonne vīdāiti » de 31.19. c. sauuōi « lors de l’épanouissement » de 43.12 est issu d’un contexte plus large. sauua- et, de manière plus générale, les dérivés de sū « gonfler » rôdent autour des formules du feu. Le dernier vers de 51.9 rāšaiieŋ́hē drəguuaṇtəm sauuaiiō aṣ̌auuanəm est parallèle à drəguuō.dəbiiō rašō sauuacā aṣ̌auuabiiō de 30.11, la strophe où s’amorce le motif de l’uruuata qui aboutit à 31.3. Et 48.1 atteste sauuāiš. On peut envisager que le « bon moment » et le « moment de la bonne vīdāiti » sont aussi le « moment de l’épanouissement ». 2. 31.3 et 47.6 s’achèvent pareillement sur une forme du prés. vāura-. Ce thème fait ici partie intégrante de la formule du feu et sa seule autre attestation, 28.5 anā mąϑrā mazištəm vāurōimaidī xrafstrā hizuuā est hors contexte. 3. Le fait que 47.6 substitue pourūš išəṇtō à juuaṇtō vīspə̄ṇg de 31.3 comme objet de vāura- impose de chercher à déterminer s’il existe un rapport entre le prés. désid. iša- « chercher à venir » et la formule du feu. Outre 47.6, iša- est encore attesté par 30.1 at̰ tā vaxšiiā išəṇtō … staōtācā ahurāi « je vais dire, ô vous qui cherchez à venir, les éloges pour Ahura » et 45.1 at̰ frauuaxšiiā nū gūšō.dūm nū sraōtā yaēcā asnāt̰ yaēcā dūrāt̰ išaϑā « Je vais proclamer, maintenant entendez, maintenant écoutez, ô vous qui cherchez à venir de près ou de loin »7. À la suite, 30.2 invite les išaṇt à entendre et à voir les āuuarəna résultant du discernement (sraōtā … āuuaēnatā … āuuarənā̊ 7  45.7 išā̊ṇtī et 46.9 išəṇtī sont d’analyse incertaine (EAM 6 : 87-88 et 108).

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viciϑahiiā) et 45.1 s’achève sur l’hémistiche drəguuā̊ hizuuā(.)āuuərətō8. Les deux attestations de iša- sont donc associées à un dérivé de ā + var et il est plausible qu’il s’agisse de la contrepartie nominale de vāura-. Ce matériel conduit à une triple conclusion. Le thème iša- apparaît une fois dans chaque Gâthâ polyhâtique et chacune de ses attestations est en rapport avec la notion que véhicule la racine dont dérive vāura-. Chacune aussi se situe dans le cadre du discours sur le mainiiu, en fonction introductive dans la GA et la GU, conclusive dans la GS en raison, vraisemblablement, de la compacité de l’opération en cours dans le Y47. C.

Le contexte large 1. L’opposition aṣ̌auuan- / drəguuaṇt. La formule du feu de 47.6 est l’aboutissement d’une mise en opposition systématique des qualités d’aṣ̌auuan et de drəguuaṇt. Celles-ci passent, dans la même strophe 4, du pluriel drəguuaṇtō … xaṣ̌auuanō au singulier aṣ̌āunē … drəguuāitē, lequel persiste en 5. aṣ̌āunē … drəguuā̊. Les formules parallèles de 30.11 drəguuō.dəbiiō rašō sauuācā aṣ̌ a uuabiiō et de 51.9 rāšaiieŋ́ h ē drəguuaṇtəm sauuaiiō aṣ̌auuanəm, divergentes par le nombre, sont, la première suivie, la seconde précédée, d’une variante périphrastique : 31.1 yōi uruuātāiš drujō aṣ̌ a hiiā gaēϑā̊ vīmərəṇcaitē… yōi zrazdā̊ aŋhən mazdāi ; 51.8 drəguuāitē … yə̄ aṣ̌əm dādrē.

8  āuuarənā̊ contrarie l’hypothèse de la correction de hizuuā̊(.)āuuərətō en

*hizuuā.vāuuərətō (Kellens EAM 6 : 80) ou, mieux *hizū.vāuuərətō (voir 47.2) et recommande de s’en tenir à *hizū.āuuərətō. L’hypothèse qu’au contraire, āuuarənā̊ soit une faute généralisée pour xvāuuarənā̊ serait gratuite.

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Études avestiques et mazdéennes

On relèvera aussi que 31.4 a pour premier mot aṣ̌əm et pour derniers vanaēmā drujəm, une combinaison analogue à celle de 48.1 a’ aṣ̌ā drujəm və̄nghaitī. L’opposition aṣ̌ a uuā … drəguuā̊ au singulier de 31.17, transitant par le seul pluriel draguuatō de 18, se mue en l’opposition mixte singulier / pluriel aṣ̌auuanəm … drəguuaṇtō de 31.20. L’opposition aṣ̌auuan- / drəguuaṇt- ne figure pas dans l’entourage immédiat de 43.12. On relèvera cependant les particularités des attestations les plus proches. 43.8 drəguuāitē … aṣ̌āunē est suivi en 9 d’une mention explicite du nom du feu (ϑβahmāi āϑrē) et 43.15 pourūš drəguuatō … cixšnušō … vīspə̄ṇg aṣ̌āunō évoque étrangement certains ingrédients de 31.3 (xšnūtəm … juuaṇtō vīspə̄ṇg) et de 47.6 (pourūš išəṇtō). 2. Les notions de dire, écouter, savoir sont présentes de manière insistante autour des formules du feu et des attestations indépendantes de vāura- et de iša-. a. 28.5 … mąϑrā … vāurōimaidī … hizuuā. b. 30.1 … vaxšiiā išəṇtō … vīdušē … 2. sraōtā … auuaēnatā … āuuarənā̊. c. 31.1 … marəṇtō… aguštā vacā̊ … 2. … vaēdā … 3. … vīduuanōi vaōcā hizuuā ϑβahiiā ā̊ŋhō … vāuraiiā se prolongent en frasā dans 5 et 6. d. La frasā réapparaît en 15 et 16, suivie de 17. … vīduuā̊ vīdušē mraōtū … 18. … mąϑrąscā gūštā sāsnā̊scā … 19. … gūštā … vīduuā̊ … ərəžuxδāi vacaŋhąm … hizuuō. e. Après 4 strophes (43.7-10) composant une étrange frasā surviennent 11. … xšmā.uxδāiš … mraōtā … 12. … mraōš … asruštā pairiiaōγžā … səraōšō … 13. … vōizdiiāi … vācī. 14. … mąϑrā̊ marəṇtī. 15. … tušnā.maitiš … ādarə̄.

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f. À la frasā massive du Y44 répond la récurrence initiale de Y45.1 à 6, où abonde le vocabulaire envisagé ici (on se reportera au texte reproduit dans EAM 6). g. 47.6 est suivi de 48.1. … fraōxtā … 2. vaōcā … vīduuā̊ … vistā … 3. … vaēdəmnāi … sāsnąm … sāstī … vīduuā̊ … gūzrā sə̄ṇghā̊ŋhō … h. 51.9 est précédé de 8. … vaxšiiā … vīdušē … mruiiāt̰ … mąϑrā … vīdušē mrauuaitī. Le long délai entre la déclaration aux išaṇt (30.1) et la formule du feu, puis la mise en encerclement de celle-ci (31.3-19) circonscrivent, dans la GA, un vaste espace où se succèdent en détail les phases de l’opération. Après le discours sur le mainiiu (30.3-8), la prédiction de la victoire finale (30.8-11) et l’introduction du thème de l’uruuata (30.11), propre à la GA dans ce contexte9, le processus conduit de l’inaudible à l’inaudible. Les paroles que le récitant adresse aux dieux sont murmurées pour qu’elles ne soient pas entendues des trompeurs (31.1 tā və̄ uruuātā marəṇtō aguštā vacā̊ sə̄ ṇ ghāmahī). Le but est de faire le silence, mais aussi le vide autour du feu (31.3 juuaṇtō vīspə̄ṇg vāuraiiā) pour réserver l’aire sacrificielle aux dieux invités (31.4 zəuuiia- appliqué au noyau dur des entités). Et c’est dans ou aux abords de cette aire qu’a lieu la longue frasā qui commence en 31.5 (tat̰ mōi vīcidiiāi vaōcā … vīduiiē) et s’achève en 31.17 par le transfert au récitant de la science divine (vīduuā̊ vīdušē mraōtū). Alors le phrasé inaudible du chantre se mue en l’interdiction faite aux trompeurs d’écouter les paroles réservées au bénéficiaire des révélations divines. Ainsi, après l’exclusion de tous, une alliance se constitue entre des interlocuteurs privilégiés, les 9  Le mot n’est attesté en dehors de la GA qu’en 44.15.

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dieux invités par les hommes et l’homme élu pour partager la science divine. L’aire sacrificielle où flamboie le feu a trouvé ses occupants habilités. Quelques-uns de ces schèmes se retrouvent, plus fragmentaires ou plus flous, dans les autres Gâthâs. 43.12 est suivi de murmures (14. yōi tōi mąϑrā̊ marəṇtī) et de pensée silencieuse (15. tušnā.maitiš). Après la frasā du Y44, le temps viendra, en 45.1, de la proclamation à « ceux qui cherchent à venir » et de l’exclusion du trompeur, puis le savant Ahura Mazdā (3. vīduuā̊ mazdā̊ vaōcat̰ ahurō) transmettra au récitant le pouvoir de dire à son tour « je sais » (4. vaēdā). Après l’exclusion dans le dernier vers de « beaucoup de ceux qui cherchent à venir », la demande sera faite à Ahura Mazdā de partager sa science (48.2 vaōcā mōi yā tuuə̄m vīduuā̊ ahurā), fût-ce sous la forme de « définitions secrètes » (48.3 gūzrā sə̄ṇghā̊ŋhō). Cette opération qui pivote autour de la formule du feu est plus complexe et plus trouble que je me l’étais représentée en élaborant l’hypothèse du tri rituel (1994 : 57–66). La sélection qu’elle prétend effectuer non seulement a pour préalable le silence et l’exclusion de tous, mais elle est réciproque entre les dieux et les hommes10. Les hommes choisissent les dieux à inviter et Ahura Mazdā choisit un interlocuteur privilégié, ce qui équivaut probablement à l’investiture du sacrifiant qui va mener les opérations subséquentes. Il reste deux énigmes essentielles : 1. Le critère de ce double choix est l’opposition entre les qualités d’aṣ̌auuan et de drəguuaṇt, systématique dans le contexte des formules du feu. D’où la question lancinante rappelée dans EAM 6  : 21 et ici même sous 47.4  : l’aṣ̌auuan et le drəguuaṇt sont-ils concrètement présents 10  Ce qui évite la distinction oiseuse entre juuaṇt- négatif et juua- positif

pour désigner les êtres vivants (1994 : 63).

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et sous quelle forme sur le théâtre du sacrifice ? Le cas échéant, quelle mise en scène raconte le sort réservé à l’un ou à l’autre ? 2. La question des inconnues lexicales de la formule du feu est non moins lancinante. Elle se pose avec acuité pour son objet direct (xšnūt- / vīdāiti-) et son objet indirect (rāna-). L’emploi duel de ce dernier indique qu’il désigne deux camps en présence. Le problème est que, contextuellement, il y a deux confrontations entre deux camps  : celle, irrémédiablement hostile, entre aṣ̌auuan et drəguuaṇt et celle, en train de se constituer en alliance, entre les hommes et les dieux. Le caractère positif de xšnūt- et de vīdāiti-, approximativement « bienfait » et « répartition », invite à choisir la seconde. Je me rallie donc à l’interprétation de Tremblay (2006a : 259 n. 86) qui reconnaît en rāna- un dérivé de rā « offrir généreusement »11 et explique son duel par la dissociation entre le fumet, qui figure l’âme, et la chair de l’offrande, le premier envoyé aux dieux, la seconde distribuée aux hommes. Si cette hypothèse est exacte, les išaṇt réunissent les dieux et les hommes attirés par leur part respective de festin. Un détail plaide pour que ce soit le cas. Chaque attestation du mot est précédée d’une évocation du destin de la vache, perçu sous la face négative que la formule du feu vise à corriger. 30.1 est précédé du Y29 bien connu sous le titre de « plainte de l’âme de la vache ». Y44.20 déplore que Karapans, Usijs et Kavis livrent la vache à Aēšma, la fassent pleurer et lui refusent le soin de pâture. Comme nous l’avons vu, 47.3 semble une évocation rapide de l’épisode 11  Y43.9 at̰ ā ϑβahmāi āϑrē rātąm nǝmaŋhō conforte dans une certaine

mesure cette interprétation.

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du Y29 résonnant jusqu’aux « meilleures choses » et à leur distribution illégitime de Y47.5. On remarquera encore le premier vers de Y51.7 : yə̄ gąm tašō apascā uruuarā̊scā. « C’est par l’Avis faste et par le feu, ô Maître Attentif, que tu donnes au bon moment leur répartition aux deux générosités, grâce au support que la Juste-pensée apporte à l’Agencement. Que la (Juste-pensée) écarte donc ceux qui, nombreux, cherchent à venir ! ».

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2 Yasna 48 L’examen de la formule du feu permet d’établir et d’analyser la continuité thématique entre le Y47 et le Y48. Il faut y rajouter deux éléments de continuité formelle : la concaténation des strophes initiales de hāiti 47.1 amərətātā48.1 amərətāitī et la réapparition régulière d’une proposition indépendante commençant par hā zī en vers final ou initial de strophe (47.6d, 48.2d, 48.6a) et qui mute démonstrativement en tōi zī dans le tout dernier vers (48.12d). L’unité de la hāiti comme telle est assurée par la récurrence asymétrique de quelques mots significatifs : 1.  vaxšat̰ ‒ 6. vaxšat̰ , 3. sə̄ ṇ ghā̊ ŋhō ‒ sə̄ ṇ ghahiiā, 3. xraϑβā ‒ 4. xratāu ‒ 10. xratū, 2. aŋhə̄uš ‒ 6. aŋhə̄uš, 5. cistōiš ‒ 11. cistiš, 7. aēšəmō ‒ 12. aēšəm.mahiiā. Par ailleurs, la présence d’un ensemble métrique irrégulier au centre de la hāiti a pour effet de diviser celle-ci en trois parties fortement caractérisées et de longueur légèrement inégale : 1-4, 5-7 et 8-12. 2.1 Dans le sillage de la formule du feu (Y48.1-4)

L’ensemble est soudé par une concaténation lexicale parfois redoublée : 1. və̄ṇghaitī … fraōxtā ‒ 2. vaōcā … və̄ṇghat̰, 2. vīduuā̊ … vistā ‒ 3. vaēdəmnāi … vīduuā̊ (vistā relevant peut-être de 2vid comme vaēdəmnāi), 3. xraϑβā ‒ 4. xratāu. Y48.1



yezī adāiš, aṣ̌ā drujəm və̄ṇghaitī hiiat̰ ąsašutā, yā daibitānā fraōxtā amərətāitī, daēuuāišcā maṣ̌iiāišca at̰ tōi sauuāiš, vahməm vaxšat̰ ahurā

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La plus intraitable des difficultés, dont dépendent partiellement les autres (ellipses, surabondance des instrumentaux 12), est celle d’une structure syntaxique particulièrement complexe. L’apparence immédiate est que la corrélation yezī … at̰ 13 articule un agrégat de subordonnées (a-c’) et une principale (dd’). C’est l’agrégat de subordonnées qui est problématique. Que ad° soit corrélatif de hiiat̰ introduisant une subordonnée secondaire et °āiš l’antécédent de yā14 ne va pas de soi. La conjonctive serait réduite à un seul mot par ailleurs inidentifiable et métriquement irrégulier, ąsašutā, et il est inusuel que le relatif soit corrélatif d’un pronom enclitique (TVA II 53 et 55). Une autre solution serait que °āiš anticipe sur sauuāiš et que ąsašutā soit l’antécédent du relatif, ce qui rend le deuxième vers entièrement incompréhensible. Le fait que la strophe qui précède la formule du feu de la GA, Y31.2, mentionne « le temps-rituel des deux portions » (ratūm … aiiā̊ ąsaiiā̊) suggère une hypothèse intéressante (mais qui ne remédie pas à l’irrégularité métrique de l’hémistiche b). Les faits découlent l’un de l’autre : 1. ąsašutā a pour premier terme ąsa- « portion » et pour second terme š́ ūiti- « mise en mouvement » au locatif, 2. ąsaš́ utā est l’antécédent de yā nom. sing. fém., 3. daibitānā15, en dépit de son obscurité, exprime de quelque manière le fait d’être double et correspond par là au duel ąsaiiā̊, mais aussi à celui de rāna-, 4. le fait que ąsaš́utā est un locatif invite à 12  Un composé aṣ̌ā.druj- me paraît aujourd’hui aussi improbable qu’un

emploi de aṣ̌ā au pluriel. 13  Je rappelle que yezī signifie « puisque » et non « si » comme en récent. 14  Cette analyse de TVA III est aussi celle de Ahmadi (2015 : 161-164),

qui diverge cependant dans l’interprétation des instrumentaux. 15  L’autre attestation de daibitānā, en Y32.4, voisine elle aussi avec un

autre dérivé de š́iiu : š́iiaōmąm aipī daibitānā.

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considérer que amərətāitī lui est uni en asyndète et que la conjonctive en hiiat̰ s’étend sur les deux vers bb’ et cc’, 5. cette conjonctive constitue une proposition nominale dont Ārmaiti est le sujet comme elle est celui de və̄ṇghaitī et de vaxšat̰ (« lorsque (Ārmaiti) se trouve au moment de … »). On peut admettre avec TVA III que at̰ introductif de la principale a entraîné l’ellipse de zī exhortatif avec subj. aor. (TVA II 84 et 184). Le parallélisme suggère alors que le sujet de və̄ṇghaitī et de vaxšat̰ est le même que celui de 47.6 vāurāitē, donc Ārmaiti, et que l’instr. aṣ̌ā est une référence abrégée à dəbązaŋhā aṣ̌ax́iiācā. L’emploi de sauua- au locatif dans le contexte de la formule du feu de Y43.12 invite à considérer sauuāiš comme un instr. de temps duratif. « Puisque c’est par ces (essors) que (la Juste-pensée) vaincra la Tromperie grâce à l’Agencement lorsqu’elle se trouvera au moment de donner mouvement à l’apportionnement qui est proclamé réparti en deux (et) de gagner l’Immortalité contre les démons et leurs gens, qu’elle fasse durant ces (moments) d’essor croître le chantd’adoration pour toi, ô Maître ». Y48.2



vaōcā mōi yā, tuuə̄m vīduuā̊ ahurā parā hiiat̰ mā, yā mə̄ṇg pərəϑā jimaitī kat̰ aṣ̌auuā, mazdā və̄ṇghat̰ drəguuaṇtəm hā zī aŋhə̄uš, vaŋvhī vistā ākərəitiš

Que mə̄ṇg pərəϑā- soit la « plénitude » (TVA III) ou la « trajectoire » (de 2par « traverser ») de la lune, cette mention d’une phase du temps apporte un intéressant complément au contexte des formules du feu. Chaque attestation des Gâthâs polyhâtiques comporte une allusion au temps rituel. Y31.2, une strophe malheureusement obscure, mentionne

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explicitement le mot ratu-16 et Y43.12 se situe parā hiiat̰ mōi ā.jimat̰ səraōšō, où l’intervention du dieu dédicataire du ratu ušahina combine exactement les mêmes ingrédients que Y48.2 (conjonction parā hiiat̰, dat. sing. du pronom de la 1re personne et subj. aor. de ā + gam). « Dis-moi, ô Maître, ce dont tu es le savant ! Est-ce que celui qui soutient l’Agencement vaincra le trompeur, ô Attentif, avant que la plénitude (ou la trajectoire) de la lune vienne à moi ? Car telle est la bonne norme qu’a trouvée l’état d’existence ». Y48.3



at̰ vaēdəmnāi, vahištā sāsnanąm yąm hudā̊, sāstī aṣ̌ā ahurō spəṇtō vīduuā̊, yaēcīt̰ gūzrā sə̄ṇghā̊ŋhō ϑβāuuąs mazdā, vaŋhə̄uš xraϑβā manaŋhō

Malgré la double concaténation lexicale avec la strophe précédente, 48.3 opère une double avancée thématique. L’affrontement entre aṣ̌auuan et drəguuaṇt est provisoirement suspendu et un nouveau personnage, qui assurera la transmission de la science divine (vīduuā̊) entre en scène : l’ahura anonyme qui intervient une fois dans chaque Gâthâ polyhâtique (aussi 33.5 et 43.3). Celui-ci a en commun avec celui de 43.3 d’enseigner (sāh), d’être faste (spəṇta), pareil à toi, Mazdā (ϑβāuuąs … mazdā) et caractérisé par une transcendance de la pensée (vaŋhə̄uš xraϑβā manaŋhō). Le seul élément qui fasse défaut est le thème du chemin, prépondérant dans 33.5, et il y a deux différences relatives. xratu- est substitué à māiiā- comme propriété de la pensée et le collège sacerdotal, auquel 16  Signalons aussi qu’un peu en amont de 51.9, 51.5 mentionne ratūm

… aṣ̌iuuā̊.

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arədrō exprime l’appartenance dans 43.3, viendra peupler la troisième partie de la hāiti (7. nā spəṇtō, 8. arədrə̄ṇg, 9. saōšiiąs et 12. saōšiiaṇtō). Si l’hypothèse qu’il s’agit de Haoma comme dans 43.3 (EAM 6 : 26-27) est exacte17, le processus haomique qui éclate dans la strophe 10 s’amorce ici. «  À celui qui découvre (cette norme) est destiné l’enseignement le meilleur, celui que dispense selon l’Agencement le Maître généreux, faste, qui connaît même les définitions secrètes et pareil à toi, ô Attentif, par l’aptitude de sa Bonne Pensée ». Y48.4



yə̄ dāt̰ manō, vahiiō mazdā aš́iiascā huuō daēnąm, š́iiaōϑanācā vacaŋhācā ahiiā zaōšə̄ṇg, uštiš varənə̄ṇg hacaitē ϑβahmī xratāu, apə̄məm nanā aŋhat̰

L’avancée thématique amorcée dans la strophe précédente se poursuit sur un double plan : 1. 48.4 est le catalogue psychologique de la GS. Comme celui de 45.218, il mentionne la triade complète penséeparole-action qui, si elle ne se constitue pas en association directe avec le discours sur le mainiiu, est néanmoins reprise de 47.1. Par ailleurs, il introduit dans le débat une notion nouvelle : celle de daēnā, qu’il fait voisiner, 17  On remarquera que, dans la GA, 33.5 se situe à peu près à mi-chemin

de la strophe haomique négative 32.14 et des strophes positives 33.7. 9 et 11, où j’ai cru discerner respectivement la sonorité du pressurage, la mise en action des pierres à pressurer et la libation sur le sol (Kellens 2013 : 61-62). 18  31.11 ne mentionne que š́iiaōϑana-. La parole est absente et manah-

hors catalogue.

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comme les autres catalogues, avec celle de xratu. La différence est que les deux notions sont ici l’une au début, l’autre au cœur d’un processus qui conduit aux dernières strophes de la hāiti. 2. Du fait évident que la voix active de dāt̰ interdit de faire de manō la propriété du sujet, on ne peut éviter de lire ici l’idée que l’ahura de la strophe précédente, par hypothèse Haoma, exerce sur la pensée humaine une action ambiguë, la rendant parfois meilleure et parfois pire. Cette idée aussi nous conduit à la fin de la hāiti, voire au début de la suivante. En corollaire, je postule dans la principale qui occupe le deuxième vers l’ellipse de *dāt̰ vahehīm aš́iiehīmcā. En vertu de la concaténation 3. xraϑβā – 4. xratāu, il est probable que ϑβahmī xratāu est brachylogique pour « l’aptitude de ta Bonne Pensée à toi ». « Celui qui rend la pensée meilleure et pire, ô Attentif, rend de même l’âme-voyance par l’acte et la parole, et sa volonté s’accorde à leurs approbations et à leurs choix. C’est du point de vue de ton aptitude que leur fin sera différente ».  2.2 Réinvestir l’espace vide et se réapproprier la vache (Y48.5-7)

Les strophes centrales 5, 6 et 7 se signalent par deux caractéristiques saisissantes : 1. L’irrégularité métrique. Le schéma strophique régulier 4 x 4 + 7 devient, en tenant compte d’alternatives dictées par l’incertitude des analyses, 5 : 5 + 7, 4 + 6, 4/5 + 7, 5 + 6, 6 : 5 + 6, 4 + 7, 5 + 7, 5 + 6, 7 : 5 + 6, 4 + 7, 4 + 7, 4 + 7. 2. Le désordre des personnes grammaticales : le récitant parle à la 1re du pluriel dans les strophes 5 et 6, cernées par le singulier de 2 et de 8-9 (ce sont les seules

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premières personnes des Y47 et 48). Il invoque Ārmaiti en 5, mentionne Ahura Mazdā à la 3e personne en 6 et exhorte des interlocuteurs anonymes en 7. Le retour à la normalité est interne à la strophe 7 : la régularité métrique est rétablie dès le 2e vers et l’invocation directe du seul Ahura Mazdā clôture la strophe. Dans un cas de figure comme celui-ci, la question qui se pose est de savoir si ces deux traits abnormes dénoncent l’interpolation d’un corps étranger ou sont corrélés comme signal de quelque chose. Les interlocuteurs auraient changé. Quels nouveaux venus sont entrés en scène et pour délivrer quel message ? L’hypothèse de l’interpolation est contredite par la parfaite intégration des trois strophes à la structure de la hāiti19. Elles ont leur vers en hā zī initial (6a) et 6. utaiiūitīm … təuuīšīm renvoie en écho à 1. amərətāitī les deux entités subalternes de l’immortalité. La réapparition d’un concept fort articule les trois parties de la hāiti : 5. cistōiš prolonge 4. daēnąm20 et 11. cistiš clôture le bloc interrogatif 8-11. Nous verrons que l’écho 5. huxšaϑrā … dušə.xšaϑrā – 10. dušə.xšaϑrā a aussi son importance. Les strophes 5-7 contribuent pleinement au développement du discours de la hāiti et il faut chercher à en dégager progressivement les étapes. Y48.5



huxšaϑrā xšə̄ṇtąm, mā nə̄ dušə.xšaϑrā xšə̄ṇtā vaŋhuiiā̊ cistōiš, š́iiaōϑanāiš ārmaitē yaōždā̊ mašiiā̊, aipī ząϑəm vahištā gauuōi vərəziiātąm, tąm nə̄ xvarəϑāi fšuiiō

19  Par contre, la cohésion interne n’est assurée que par la concaténation

lexicale 5. ząϑəm – 6. ząϑōi. 20  La complémentarité des deux notions est soulignée par Kellens (2013 :

77-79), qui, toutefois, mésestime à tort son importance dans la GS.

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Les difficultés irrémédiables du 3e vers (voir TVA III) se répercutent sur le 2e. cistōiš introduit-il une formule indépendante ou détermine-t-il š́iiaōϑanāiš (comme dans Y44.10 et YH36.4)  ? Ce dernier est-il complément de xšə̄ṇtā ou de quelque chose dans le 3e vers ? Je fais le choix purement pratique de traduire comme si les deux premiers vers constituaient une seule proposition. Cette strophe marque le retour combiné au premier plan de la vache et d’Ārmaiti, qui s’étaient effacées après avoir joué un rôle important dans le Y47. La différence est que, cette fois, leur présence est intimement liée à celle de Xšaϑra, appelé par son nom (8 et 11) ou suggéré par un composé (5 et 10) ou une forme du verbe xšā (5 et 9). L’idée que le xšaϑra s’exerce sur « nous » n’est pas usuelle en vieil-avestique. On ne la retrouve éventuellement que dans YH41.2 huxšaϑrastū nə̄ nā vā nāirī vā xšaētā. Or, nə̄ n’est pas nécessairement le complément du verbe, mais peut-être le déterminant du composé21. L’emploi fait de dušə.xšaϑrā en 48.10 témoigne assez clairement du fait que le xšaϑra dont il est question ici n’est pas de nature politique, mais rituelle. Dans ce contexte, ceux qui se présentent comme « nous » se partagent en deux camps que définit leur rapport au Pouvoir. On peut faire l’hypothèse qu’ils sont membres des išəṇtō de 47.6 et font état de leur bon Pouvoir pour obtenir la faveur d’Ārmaiti et le bénéfice de la vache, concrètement la levée de leur exclusion de l’aire sacrificielle et le droit à leur part de festin. Ce qui s’amorce ici, c’est la sélection du collège sacerdotal. Et l’on peut se demander, comme nous l’avons fait pour Y30.4 à 10 (Kellens 2014a : 283-284),

21  Cette possibilité vaut pour YH41.2 « Celui d’entre nous qui a un bon

Pouvoir, qu’il soit un homme ou une femme ».

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si cette opération se traduit par une mise en scène où se confrontent le bon et le mauvais camp. «  Que ceux (d’entre nous) qui ont un bon Pouvoir l’exercent, que ceux d’entre nous qui ont un mauvais Pouvoir ne l’exercent pas, grâce aux actes qu’inspire la bonne illumination, ô Juste-pensée ! [cc’]. Que ces actes soient accomplis au bénéfice de la vache ! Ne cesse de la faire paître afin qu’elle nous nourrisse ! ». Y48.6



hā zī nə̄ hušōiϑəmā, hā nə̄ utaiiūitīm dāt̰ təuuīšīm, vaŋhə̄uš manaŋhō bərəxδē at̰ ax́iiāi aṣ̌ā mazdā̊ uruuarā̊ vaxšat̰ ahurō aŋhə̄uš, ząϑōi paouruiiehiiā

L’analyse de bərəxδē comme voc. sing. fém. de l’épithète privilégiée d’Ārmaiti bərəxδa- (aussi 34.9 et 44.7) donne plus de cohérence au système des invocations du passage (Humbach 1991 : II 200), mais n’est pas du tout sûre : le vocatif n’est pas ancré, la fonction différentielle du pronom tonique (TVA III) reste une hypothèse séduisante et l’écho hušōiϑəmā – 11. ārmaitiš … hušəitiš est impressionnant. Je reste donc fidèle à l’analyse de TVA III. La fonction exhortative de zī + subj. aor. se prolonge dans at̰ + subj. aor. (TVA II 84). Cette construction implique par sa visée future que, malgré ząϑōi, l’ahu pauruiia « premier état-d’existence » n’est pas de nature cosmogonique. Le problème se complique du fait que ahu- est faiblement attesté dans la GS (seulement 48.2, 6 et 50.11). Si l’attestation ultime est bien une variante de celle de la GA et de la GU, la première n’est pas consacrée à la complémentarité osseux/ mental. On ne voit pas clairement si l’ahu pauruiia de la GS, complètement isolé, désigne bien, comme celui de la GA, la première période de la durée diurne (Kellens 2020).

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«  Que (la Juste-pensée) nous donne un bon lieu d’habitation, qu’elle nous donne la Jouvence et la Force admirées de la Bonne Pensée ! Et que le Maître Attentif fasse croître les plantes pour la (vache) selon l’Agencement quand il engendre l’état premier ! ». Y48.7



nī aēšəmō nī.diiātąm, paitī rəməm paitī.siiōdūm yōi ā vaŋhə̄uš, manaŋhō dīdraγžō.duiiē aṣ̌ā viiąm, yehiiā hiϑāuš nā spəṇtō at̰ hōi dāmąm, ϑβahmī ā dąm ahurā

Cette strophe m’oblige à reconsidérer l’article « Huttes cosmiques en Iran » (Kellens 1989) que j’avais présenté comme un complément aux TVA avant même leur parution. Les liens, l’enveloppe et la maison qui sont mentionnés ici composent-ils vraiment l’image architecturale de la construction d’une tente ? Les deux seules attestations de dāman- sont combinées avec un dérivé de hi « lier » : ici et 46.6 drūjō … dāmąm haēϑahiiā. Il en va de même avec dąmi- dans 34.10 dąmīm… hiϑąm aṣ̌ahiiā … ā.vōiiaϑrā, qui invite à corriger haiϑīm en xhiϑąm dans 31.8 haiϑīm aṣ̌ahiiā dąmīm (TVA I 51), auquel on associera dès lors 31.7 dąmiš aṣ̌əm. Ce matériel épuise les attestations de haēϑa- et de hiϑao-. Il n’y a pas de rapport explicite entre dąmi- et hi dans 43.5, 44.4, 45.7 et 51.10. La fréquence de cet assemblage invite, d’une part, à interpréter dāman- et au moins certaines attestations de dąmi- comme des dérivés de 2dā « lier » (scr. dā : dyáti) et dissuade, d’autre part, d’accorder aux dérivés de hi un sens imagé (comme « amical », « amitié »). Dans chaque passage considéré, il y a une référence insistante et binaire à l’idée concrète de « lier ». On peut certes douter, avec Tremblay (2006b : 314), que dāman- soit le point d’attache de la corde,

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le piquet. Je n’ai fait cette hypothèse que pour expliquer la combinaison de deux racines en principe synonymes. Toute la question est que nous ne savons évidemment pas quelle technique précise est sous-jacente aux mots. En pratique, viiā- « enveloppe, couverture », qui n’est attesté que dans cette strophe22, est le seul mot qui dessine nettement l’image d’une construction architecturale. Il reste que le fait de disposer des liens participe aussi de deux motifs que développe la hāiti : 1. Aēšəma et Rəma, qui réapparaîtront en 49.4, ne sont aussi mentionnés de manière conjointe que par Y29.1, où la vache se plaint d’être liée : ā mā aēšəmō … rəmō āhišāiiā « Aēšma et Rəma me tiennent liée » (rappelons que 47.3 semble faire allusion au débat du Y29). Les liens de 48.7 apparaissent ainsi comme la contrepartie de ceux de 29.1. 2. Un processus haomique contrasté semble s’amorcer en 48.3 et se résoudre partiellement en 48.10. Or, Y11.7 récent dit clairement que Haoma lie ceux qu’il désapprouve  : ϑβāṣ̌ ə m ā gə̄ u š frāϑβərəsō taṇcištāi haōmāi draōnō mā ϑβā haōmō baṇdaiiāt̰ yaϑa mairīm baṇdaiiat̰ tūirīm fraŋrasiiānəm « Coupe vite à Haoma (qui vient de parler) si ferme(ment) sa ration de vache, de peur que Haoma ne te ligote comme il a ligoté le sauvage Tourien Fraŋrasiian ! ». Cette idée apparaît déjà dans le contexte malheureusement obscur de Y32.14, qui atteste explicitement dūraōšəm : ahiiā grə̄hmō ā.hōiϑōi nī kāuuaiiascīt̰ xratūš nī.dadat̰ … hīcā… «  Par une aspersion, Grə̄hma et les Kauuis déposent leur aptitude dans son lien… »23. 22  Il faut lui adjoindre 34.10 ā.vōiiaϑrā, vu la similitude de la chaîne

lexicale (Tremblay 2006b : 315-316). 23  Y29.1 āhišāiiā et Y32.14 ā.hōiϑōi sont les seules autres attestations

gâthiques de formes dérivées de hi.

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Je propose l’interprétation suivante. Le cordage de la tente qui figure la bonne aire sacrificielle et la maison d’Ahura Mazdā se substitue à l’entrave qui, en retenant la vache prisonnière, retarde le partage de l’offrande carnée (la vīdāiti de 47.6) et, anticipativement, à celle qui châtie la libation irrégulière de haoma. nā spəṇtō, dans ce contexte, désigne probablement le bon Haoma, et annonce, en tant qu’arǝdra (selon Y43.3), la liste des fonctions sacerdotales qu’égrène la dernière partie de la hāiti. hōi reprend nécessairement yehiiā (at̰ de rupture syntaxique : TVA II 116-117). « Que le Courroux s’empêtre ! Tranchez l’Entrave, vous qui fixez selon l’Agencement la couverture de la Bonne Pensée dont l’Homme faste est le noueur et dont le piquet se trouve dans ta maison, ô Maître ! ». 2.3 La mise en place du dispositif sacrificiel (Y48.8-12)

Les strophes 8 à 12 se présentent comme un bloc interrogatif (8-11) auquel la strophe conclusive 12, marquée par at̰ initial (TVA II 115-116), met fin. Les récurrences lexicales, qu’elles soient internes ou renvoient aux divisions précédentes, participent au développement thématique et doivent être envisagées dans ce cadre. Les deux composantes, la divine et l’humaine, de ceux qui ont été définis comme išaṇt s’organisent pour le sacrifice. A

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La dynamique des entités. Elle démarre dès 5 par le retour au premier plan d’Ārmaiti et elle aboutit en 11 au rassemblement du noyau dur, formant ainsi une zone balisée par l’écho 6. hušōiϑəmā 11. hušəitiš. D’emblée, Ārmaiti anime un double réseau

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de sous-entités féminines. Son interaction avec Aṣ̌i ne se traduit pas, comme dans la GA et la GU, par la présence dans la même strophe ou dans deux strophes contiguës (EAM 6 : 17-19), mais par un embrassement à distance relative, Aṣ̌i intervenant dans les strophes successives 8 et 9. Un trait propre à ce passage est la combinaison de l’association Ārmaiti-Aṣ̌i avec l’association ĀrmaitiDaēnā, elle aussi traditionnelle (loc. cit. n. 8). Daēnā introduit le processus en 4, puis laisse place à Cisti, dont le nom balise avec celui d’Ārmaiti la zone 5-11 (5. cistōiš… ārmaitē – 11. ārmaitiš … cistiš), redoublant approximativement 6. hušōiϑəmā – 11. hušəitiš. Nous avons relevé sous 48.5 une autre particularité de ce passage : le rapprochement d’Ārmaiti et de Xšaϑra, dont le nom est explicitement mentionné en 8 et 11 et reflété par un composé ou un verbe en 5, 9 et 10. Bientôt, Ārmaiti encadrera (49.2-10) la zone daēnā 49.4-9 qui abrite un nouveau et ultime rassemblement du noyau dur (49.5). Les deux entités disparaissent ensuite de la GS et Aṣ̌i réapparaît, solitaire, dans le Y50, où les deux mentions de son nom sont disposées en récurrence symétrique (3-9). B

La gradation de la dignité sacerdotale Les élus de la composante humaine des išaṇt accèdent au statut d’arədra, c’est-dire de prêtre-officiant (8), puis à la dimension sacrée de saōšiiaṇt (9). Cette qualité rebondit en conclusion de la hāiti (12), après que les mauvais prêtres karapan ont été introduits en contrepartie dans le catalogue des statuts sacerdotaux (10) et que les entités se sont réunies pour servir leurs adversaires (11). Chaque gradation a son catalyseur. Le statut d’arədra semble acquis par l’offrande-išti, qui donne accès au

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Pouvoir (xšaϑra-) et confère l’impulsion (aṣ̌i-). Cette impulsion donnant accès à la science divine (vaēdā … vīdiiāt̰) promeut l’arədra en saōšiiaṇt. Les karapan euxmêmes agissent avec un xratu qui est la contrepartie de celui des dieux (3. xraϑβā et 4. xratāu). Les entités se rassemblent sous l’égide de Cisti pour servir les saōšiiaṇt, qui se posent en adversaires du mal en appliquant l’une de ces « définitions » (sə̄ṇghahiiā) que la strophe 3 dit secrètes (gūzrā sə̄ṇghā̊ŋhō). Les conditions d’accès à l’aire sacrificielle, personnifiée par Ārmaiti et désormais imprégnée de Pouvoir, sont donc bien définies, mais elles restent une perspective sur laquelle on s’interroge, souvent au subjonctif aoriste. Et la strophe 10 rappelle que le sacrifice ne pourra suivre son cours que si l’on corrige d’abord l’effet délétère de la mauvaise offrande de haoma. Une chose pourtant est acquise : les adversaires d’Aēšma ont été désignés. Y48.8



kā tōi vaŋhə̄uš, mazdā xšaϑrahiiā ištiš kā tōi aṣ̌ōiš, ϑβax́iiā̊ maibiiō ahurā kā ϑβōi aṣ̌ā, ākā̊ arədrə̄ṇg išiiā vaŋhə̄uš mainiiə̄uš, š́iiaōϑənanąm jauuarō

aa’ : sur le rapport entre išti- et išiia-, voir Kellens 2014b : 123–124. bb’ : si la redondance d’un pronom enclitique et d’un pronom tonique est insoutenable (TVA III 27 et 132), celle du pronom au génitif et de l’adjectif possessif ne l’est pas nécessairement et pourrait viser à un effet emphatique. cc’ : ākā̊ reste une difficulté irrémédiable (TVA II 216). On notera que son emploi avec accusatif est

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propre à la GS (encore 50.2 et 4). 51.13 atteste une variante avec, apparemment, le locatif. dd’ : sur la substitution de vohu- à spəṇta- comme qualificatif de mainiiu-, voir TVA III 19. jauuaraest un mot inconnu. «  Quelle offrande-išti procure ton bon Pouvoir, ô Attentif  ? Quelle est celle qui procure ton impulsion, (l’impulsion) que tu as pour moi, ô Maître ? Quelle est (l’impulsion) que, selon l’Agencement, tu rends forte grâce à l’išti en présence des officiants-compétents ? (Car) tu es le [jauuara] des actes inspirés par le bon Avis ». Y48.9



kadā vaēdā, yezī cahiiā xšaiiaϑā mazdā aṣ̌ā, yehiiā mā āiϑiš duuaēϑā ərəš mōi ərəžūcąm, vaŋhə̄uš vafūš manaŋhō vīdiiāt̰ saōšiiąs, yaϑā hōi aṣ̌iš aŋhat̰

aa’ : je maintiens l’analyse syntaxique de TVA III puisqu’il n’y a pas d’exemple de yezī introduisant un discours indirect. cc’ : la traduction de āiϑiš duuaēϑā est, comme toute autre, purement hypothétique. dd’ : ou saōšiiąs désigne un membre particulier du collège sacerdotal ou le récitant parle de lui-même à la 3e personne. « Celui-qui-va-s’épanouir (, qui te parle,) voudrait savoir s’il y aura une impulsion pour lui » est donc une alternative plausible. Sur yaϑā « si » après certains verbes, TVA II 290. « Quand saurai-je ? Puisque vous avez pouvoir selon l’Agencement, ô Attentif, sur tout qui représente un danger qui m’effraie, que me soient dites tout droit les stances de la

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Bonne Pensée ! Celui-qui-va-s’épanouir voudrait savoir s’il y aura une impulsion pour lui ». Y48.10 kadā mazdā, mąnarōiš narō vīsəṇtē



kadā ajə̄n, mūϑrəm ahiiā madahiiā yā aṇgriiā, karapanō urūpaiieiṇtī yācā xratū, dušə.xšaϑrā dax́iiunąm

Y48.10 est, avec Y32.14, la seule strophe clairement antihaomique des Gâthâs : Y32.14 ahiiā grə̄hmō ā.hōiϑōi, nī kāuuaiiascīt̰ xratūš



nī.dadat̰ varəcā̊ hīcā fraidiuuā, hiiat̰ vīsə̄ṇtā drəguuaṇtəm auuō hiiat̰cā gāuš jaidiiāi mraōī, yə̄ dūraōšəm saōcaiiat̰ auuō

Les deux strophes ont leurs problèmes spécifiques, mais il convient de tenir compte de trois attestations communes : le xratu des antagonistes liturgiques, le verbe vis « accepter » et, sans doute dès lors, le verbe jan « frapper, tuer ».24 aa’ : il se recommande d’attribuer au verbe vis sa construction usuelle avec le nominatif, ici narō. Ceci implique que le sujet est un « ils » 24  Avec quelques nuances. Les antagonistes sont les kauui en 32.14, les

karapan en 48.10. La coexistence exceptionnelle d’un indicatif présent et d’un injonctif présent dans la flexion d’un même verbe (visəṇtā : visəṇtē) est commentée dans TVA II 72. Notons aussi que grə̄hma- et bə̄ṇduua- tout proche en 49.1 et 2, sont ce qui paraît bien être les seuls noms-propres ou sobriquets mentionnés dans le corpus gâthique (avec, peut-être, 51.12 kǝuuīna-). Rappelons encore que le thème du lien précède de peu 48.10.

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indéterminé. Une hypothèse plausible est qu’il s’agit des arədra de 8 en passe de devenir les saōšiiaṇt de 12 par la grâce de l’aṣ̌i qu’ils vont recevoir (souvenons-nous que, selon Yt17.2, Aṣ̌i est l’aurige qui conduit le xratu des saōšiiaṇt à la rencontre de la Daēnā). Et dans ce cas, la réponse attendue à cette question comme à la suivante est « non ». Si mąnari- représente scr. mamri- «  mortel  », comme nous le suspections dans TVA III, il peut s’expliquer à la lumière du vers suivant. bb’ : si ajə̄ n est une forme du verbe jan (3 e sing. imparfait du verbe simple ou 3e inj. prés. de ā + jan), il apparaît que mūϑrəm a la même fonction que gāuš dans Y32.14. On peut faire l’hypothèse que gao- « lait » et mūϑra- « urine » désignent métaphoriquement le colostrum et que jan se réfère de manière négative au pressurage qui l’extrait. Le passage du pluriel au singulier résulterait du fait qu’un seul acteur est concerné, le pressureur (en réc. hāuuanān-), et la différence est que la perspective négative est déplacée des modalités de l’action (mraōī) à son résultat (mūϑra-). Le mauvais pressurage des kauui et karapan est assimilé, dans Y32.14, à un supplice et, dans Y48.10, il ne produit qu’une ordure. On peut imaginer que le haoma ainsi traité ne ressuscite pas. Il est « mortel ». cc’ : yā a mūϑrəm pour antécédent, vu que la corrélation du relatif avec une forme adjective commune au démonstratif proche et au démonstratif simple est inusuelle (TVA II 55). dd’ : xratū est l’antécédent introduit de yācā et coordonné, via celui-ci, à aṇgriiā (TVA II 158).

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dušə.xšaϑrā est résultatif. Il identifie ceux dont la strophe 5 dénonce le « mauvais Pouvoir » avant que le noyau dur des entités se rassemble (11) pour se mettre au service des saōšiiaṇt, que la même détermination génitive (dax́iiunąm) met en opposition directe avec les mauvais pressureurs karapan (12). L’emploi pluriel de dax́iiu- semble toujours relever de l’accord de nombre (mais il n’y a pas accord dans 46.1 dax́iiǝ̄uš … sāstārō).

« Est-ce que eux, ô Attentif, acceptent d’être les gens d’un mortel ? Est-ce que lui a frappé l’urine de cette ivresse par laquelle les karapan donnent la colique avec méchanceté et une aptitude qui leur donne mauvais Pouvoir sur la nation ? ». Y48.11 kadā mazdā, aṣ̌ā mat̰ ārmaitiš



jimat̰ xšaϑrā, hušəitiš vāstrauuaitī kōi drəguuō.dəbīš, xrūrāiš rāmąm dā̊ṇtē kə̄ṇg ā vaŋhə̄uš, ā vaŋhə̄uš, jimat̰ manaŋhō cistiš

Le rassemblement du noyau dur sous l’égide de Cisti referme le processus entamé en 4 et 5. On remarquera que, comme dans Y43.16, un rapport plus précis est établi entre Ārmaiti et Xšaϑra. Il semble bien que, dans les deux cas, un certain Pouvoir soit dévolu à l’entité qui personnifie la terre : dans la strophe de la GU celui de voir le soleil (xvə̄ṇg.darəsōi) et de lui donner son élan (aṣ̌īm … daidīt̰), ici celui d’assurer l’habitat et la pâture. « Est-ce que la Juste-pensée, ô Attentif, viendra selon l’Agencement avec le Pouvoir de donner bonne halte et pâture ? Quels sont ceux qui s’empareront de la paix contre

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les trompeurs sanguinaires ? Et à qui échoira l’illumination de la Bonne Pensée ? ». Y48.12 at̰ tōi aŋhən, saōšiiaṇtō dax́iiunąm



yōi xšnūm vohū, manaŋhā hacā̊ṇtē š́iiaōϑanāiš aṣ̌ā, ϑβahiiā mazdā sə̄ṇghahiiā tōi zī dātā, hamaēstārō aēšəm.mahiiā

aa’ : on voit bien que le partage de la même détermination par le gén. plur. dax́iiunąm a pour effet de mettre en contraste les karapan de 9 et les saōšiiaṇt de la strophe conclusive. Il reste que la mention hors série concentrique d’un seul cercle d’appartenance sociale est inusuelle. Il faudra aborder ce problème à l’aide du Y49. bb’ : Humbach (1991 : II 204) partage dans une certaine mesure notre perplexité quant à la racine verbale qui est soit xšnu, soit xšnū (TVA II 233-234). La traduction proposée ici n’est qu’une hypothèse inspirée par le récent xšnūman-. cc’ : l e s s a ō š i i a ṇ t a g i s s e n t c o n f o r m é m e n t aux « définitions secrètes » (gūzrā sə̄ṇghā̊ŋhō) annoncées dans la strophe 3. dd’ : au terme d’une hāiti déroulant son chapelet d’espoirs et d’interrogations, le dernier vers proclame un accomplissement : les adversaires du monde démoniaque ont été désignés. Mais le processus haomique n’est pas achevé. « Ils seront ceux-qui-vont-s’épanouir sur la nation, ceux qui se consacrent à te mentionner en dédicace avec Bonne Pensée par les actes que tu as définis, ô Attentif, comme conformes à l’Agencement. Les voici donc désignés comme adversaires du Courroux ».

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3 Yasna 49 Du point de vue formel, la concaténation lexicale du Y48 (12. xšnūm) et du Y49 (1. cixšnušā) est une éventualité fragile comme l’étymologie du premier terme. Par contre, nous allons le voir, la continuité thématique est éclatante. Les grandes divisions du Y49 que nous avons cru pouvoir discerner dans TVA III sont bancales en ce qu’elles font la part trop belle à la paraphrase du sens immédiat. En fait, deux principes d’organisation se recoupent dans la hāiti. D’une part, trois grands motifs traditionnels se succèdent : 1. le prolongement de la critique du (ou des) drəguuaṇt et d’un certain usage du haoma (1-4), 2. une zone daēnā (4-6, puis 9), 3. le catalogue des sacrifiants (7-12). Il apparaît ainsi que le Y49 est aussi disposé en diptyque. La zone de contrepartie et la zone daēnā composent le premier volet et le catalogue des sacrifiants forme à lui seul le second. Le mot daēnā- et les dérivés de sar « unir » servent de pivots lexicaux à la combinaison des deux structures. daēnā- joue pleinement son rôle central : la concaténation 4. daēnā – 5. daēnąm relie la partie blame à la partie praise et le mot réapparaît dans la strophe 9. L’écho en rebond 3. sarə̄ - 5. sārəštā – 8. sarə̄m - 9. sarə̄m cimente, en alternance ou en concomitance avec daēnā-, l’ensemble de la hāiti. Seule la strophe 7 initiale du second volet est laissée libre. 3.1 La phase ultime de l’antagonisme (Y49.1-4) Y49.1



at̰ mā yauuā, bə̄ṇduuō pafrē mazištō yə̄ dušərəϑrīš, cixšnušā aṣ̌ā mazdā vaŋvhī ādā, gaidī mōi ā mōi arapā ahiiā vohū, aōšō vīdā manaŋhā

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aa’ : on admettra que yauuā est l’instr. sing. de yauua«  grain  » déterminé par le possessif de la 1re sing. (Kellens 1984  : 56) et que bə̄ ṇ duua- est un sobriquet formé sur la racine baṇd « lier » (Schmidt 1974 : 311). bb’ : yə̄ est un faux relatif en fonction exclamative (TVA II 62). Il n’y a aucune interprétation sûre de dušərəϑrīš (TVA II 260). cc’ : le nom de l’offrande ādā se substitue à Mazdā dans l’interpellation vocative. dd’ : ahiiā renvoie à bə̄ṇduuō. Cette strophe contient trois facteurs haomiques. « Lier » est un mauvais traitement que peut infliger Haoma (voir Y32.14 ā.hōiϑōi) et ādā- semble le terme technique de la bonne libation que l’on fait de lui (Kellens 2013 : 67–70 à propos de Y33.11). Il est aussi tentant d’établir un rapport subtil entre aōšō et Y32.12 dūraōšəm : il faut « brûler » le « difficile à brûler » quand il est mauvais. La proximité de 48.10 et la combinaison de ces éléments impliquent le sens suivant : le temps est venu de substituer la libation régulière de haoma, la bonne ādā, à l’irrégulière, assimilée à une ordure, qui lie et dévoie le xratu. L’idée qu’il y a une bonne et une mauvaise libation de haoma apparaît dans la strophe 48.4 avec l’Ahura capable de rendre la pensée meilleure et aussi pire. Mais sur quoi repose cette dualité ? Nous constatons qu’elle participe de la dynamique du texte, comme chaînon de l’antagonisme qui se constitue dans 47.4 sur la base de l’opposition drəguuaṇt / aṣ̌auuan et qui consiste à sélectionner les acteurs légitimes du sacrifice. Le moment haomique en est la phase finale, hautement dramatique, qui met fin à la compétition après la strophe 4. Il faut que l’offrande des uns échoue pour que celle des autres inaugure la phase finale du sacrifice. Et l’on peut,

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comme nous l’avons fait pour le Y32 (Kellens 2014a : 299– 300), se demander quelle mise en scène imageait ce conflit. Mais il y a autre chose. Cette strophe trouverait son sens le plus plein si elle était prononcée par Ārmaiti. C’est la terre qui fait pousser le grain et reçoit la libation. La mauvaise libation dévore le grain à la place de ses destinataires prévus et la bonne contribue à restaurer le cours régulier des choses. L’interpellation successive de Mazdā et de l’ādā y trouve une logique. Mais il faut admettre pour cela que la parole puisse être passée et reprise, sans signe lisible, à de nouveaux locuteurs et que ceux-ci puissent appartenir au monde divin. Si c’était le cas… « Le très grand Ligoteur s’emplit depuis toujours de mon grain, alors que moi, ô Attentif, je m’efforce (d’en) combler les [dušərəϑrīš] selon l’Agencement. Viens à moi, ô bonne libation, aide-moi, trouve grâce à la Bonne Pensée un moyen de le réduire en cendres ! ». Y49.2



at̰ ahiiā mā, bə̄ṇduuahiiā mānaiieitī t̰kaēšō drəguuā̊, daibitā aṣ̌āt̰ rārəšō nōit̰ spəṇtąm dōrəšt, ahmāi stōi ārmaitīm naēdā vohū, mazdā fraštā manaŋhā

aa’ : la colère du récitant envers le culte rendu par les antagonistes est aussi évoquée par Y32.1 mahmī manōi « à ma (grande) colère » (malgré Humbach & Faiss 2013 : 81–91). bb’ : la coloration négative de t̰kaēša- n’est peut-être pas intrinsèque, mais l’effet de la caractérisation par drəguuā̊, dont le reflet persiste en 3 au contact de druxš. cc’ et dd’ : Ārmaiti et Vohu Manah sont les deux entités directement concernées par l’offrande haomique :

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on attend de Haoma une activation transcendante de la pensée et sa libation donne emprise sur les pouvoirs de la terre. « La doctrine trompeuse de ce Ligoteur me met en colère, (car) elle s’écarte doublement de l’Agencement (en ce qu’) elle ne contraint pas la faste Juste-pensée à lui appartenir et ne consulte pas, ô Attentif, la Bonne Pensée ». Y49.3



at̰cā ahmāi, varənāi mazdā nidātəm aṣ̌əm sūidiiāi, t̰kaēšāi rāšaiieŋ́hē druxš tā vaŋhə̄uš, sarə̄ iziiā manaŋhō aṇtarə vīspə̄ṇg, drəguuatō haxmə̄ṇg aṇtarə.mruiiē

aa’ : le démonstratif du mot répété est déplacé du second au premier terme de la paire contrastée (TVA III). bb’ : varənāi … aṣ̌əm sūidiiāi t̰kaēšāi rāšaiieŋ́hē druxš est la variante GS de Y30.11 drəguuō.dəbiiō rašō sauuacā aṣ̌auuabiiō et de 51.9 rāšaiieŋ́hē drəguuaṇtəm sauuaiiō aṣ̌auuanəm. dd’ : ce vers est la version concentrée de Y33.4. Dans la GS comme dans la GA, la purge des défauts internes à la communauté25 même des bons sacrifiants appartient à la phase ultime de dissolution de l’antagonisme. « (Que) l’Agencement soit préposé à ce que (notre) choix fasse s’épanouir, ô Attentif, (et) la Tromperie à ce que (sa) doctrine fasse dépérir, voilà ce que j’attends de l’union avec 25  haxman-, dont c’est la seule attestation gâthique (mais YH 40.2, 3, 4),

résume peut-être l’ensemble des cercles de l’appartenance sociale.

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la Bonne Pensée (et) je bannis de la communauté tous les trompeurs ». Y49.4



yōi duš.xraϑβā, aēšəməm varədən rāməmcā xvāiš hizubīš, fšuiiasū afšuiiaṇtō yaēšąm nōit̰, huuarəštāiš vąs dužuuarəštā tōi daēuuə̄ṇg dąn, yā drəguuatō daēnā

Tout en mettant un terme au développement antagonique, cette strophe fait office de transition. Le mauvais xratu de 48.10 réapparaît avec duš.xraϑβā et Aēšma, en compagnie de Rəma, prolonge sa présence depuis 48.7 et 12. En même temps, elle inaugure la zone daēnā en lui fournissant le terme négatif de l’opposition qui lui est constitutive : d’ yā drəguuatō daēnā contre 6 dd’ tąm daēnąm yā xšmāuuatō ahurā. Par ailleurs, la strophe comporte son message propre et essentiel. Elle appelle à corriger le deuxième volet du mauvais sacrifice. Maintenant que la bonne libation de haoma a eu lieu, il faut se préoccuper de la bonne offrande carnée, la vīdāiti de Y47.6. La suite de la hāiti, voire de la Gâthâ, va s’en charger en développant progressivement le cursus adéquat. En prélude, 49.4 évoque une dernière fois les mauvaises pratiques envers la vache en reflétant, après 47.3 et 48.7, la narration explicite du Y29. Il ne faut pas « accroître » les deux lieurs de 29.1, mais se comporter comme le « pâtre » pour qui Mazdā a donné forme à la vache (29.6 at̰ zī ϑβā fšuiiaṇtaēcā ϑβōrəštā tatašā). On peut déjà se demander en quoi consiste concrètement le fait d’« accroître par sa langue » Aēšma et Rəma (prolonger indûment le temps d’immobilité entre l’immolation et la crémation ?). Mais l’énigme essentielle de la strophe réside dans le dernier vers, avec la rection exercée par le verbe dąn. Quel rapport syntaxique unit l’acc. daēuuə̄ ṇ g à la

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relative yā drəguuatō daēnā ? On peut à juste titre douter que la Daēnā puisse être identifiée à une divinité ou à une abstraction rituelle (quoique cela normalise la syntaxe : TVA II 252), mais aucune traduction ultérieure n’est exempte de subterfuges ou de bizarreries : 1. “Those produce Daēuuas, a religious view which is that of the deceitful one” (Humbach 1991 : II 180). 2. “The ineffectual imbeciles make the vision-soul of the follower of druj (the way to) the daēuuas” (Ahmadi 2015 : 59 n. 4). 3. „Diejenigen, welche einen schlechten xratu haben …, sie erschaffen (?) die Daēuuas – < das ist > die daēnā des Trughaften“ (König 2018 : 82). Si yā drəguuatō daēnā ne tient pas lieu de second accusatif (TVA III), daēnā est nécessairement un antécédent introduit et on ne voit pas quelle autre fonction que celle du datif il aurait pu exercer dans la principale. Il en résulte : « ils donnent les daēuua à la daēnā qui est (ou devient) celle du trompeur ». Faut-il comprendre que la détermination génitive implique la nuance « épouse de » et que la daēnā de Y49.4 devient l’épouse du trompeur comme celle de Y45.11 saōšiiaṇtō … daēnā devient celle du saōšiiaṇt (EAM 6 : 93-94) ? La traduction proposée ici n’implique aucune interprétation. « Ceux de mauvaise aptitude qui accroissent par leur langue le Courroux et l’Entrave, ces non éleveurs parmi les éleveurs dont les mauvais actes ne prévalent pas contre les bons, donnent les démons à l’âme-voyance, qui devient (ainsi) celle du trompeur. »

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3.2 L’organisation progressive de l’équipe sacrificielle (Y49.5-12) Y49.5



at̰ huuō mazdā, īžācā āzūitišcā yə̄ daēnąm, vohū sārəštā manaŋhā ārmatōiš, kascīt̰ aṣ̌ā huzə̄ṇtuš tāišcā vīspāiš, ϑβahmi xšaϑrōi ahurā

Je maintiens l’analyse syntaxique globale de TVA III, à quelques détails près. Ainsi, cc’ : il n’est pas exclu que aṣ̌ā soit complément de l’adjectif huzə̄ṇtuš (TVA II 5), et dd’ : tāišcā vīspāiš soit réfère aux entités déjà nommées, soit désigne l’ensemble des candidats à une fonction sacrificielle26. Le noyau dur des entités se réunit une dernière fois pour légitimer la daēnā de ceux qui vont entreprendre la cérémonie enfin libérée des antagonistes. Le premier vers laisse entendre que la phase initiale comporte les offrandes īžā et āzūiti. À noter qu’un lien particulièrement étroit est établi avec Ārmaiti, la terre-aire sacrificielle : un huzə̄ṇtu doit se substituer aux pourūš išəṇtō de 47.6. À ce stade toutefois, le xšaϑra reste, comme dans Y43.13 et 14, la propriété exclusive d’Ahura Mazdā. « Celui-là, ô Attentif, est la libation-de-lait et la libationde-beurre en personne, qui qu’il soit, pourvu qu’en bon parent de la Juste-pensée selon l’Agencement, il ait uni son âme-voyance à la Bonne Pensée. C’est avec eux tous qu’il se trouve au moment où s’exerce ton Pouvoir, ô Maître. »

26   Un instrumental sociatif négatif renvoyant à 4. duš.xraϑβā n’est

pas non plus exclu. Ceci est un cas exemplaire de la difficulté à identifier ceux que les Gâthâs désignent par un pronom indéfini.

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Y49.6



frō vā̊ fraēšiiā, mazdā aṣ̌əmcā mrūitē yā və̄ xratə̄uš, xšmākahiiā ā.manaŋhā ərəš vīcidiiāi, yaϑā ī srāuuaiiaēmā tąm daēnąm, yā xšmāuuatō ahurā

Comme TVA III en a fait le constat, une accumulation progressive de difficultés rend toute traduction de cette strophe aléatoire. aa’ : mazdā aṣ̌əmcā est le seul exemple de formule vāyav indraś ca en dehors de la GA et du Y51. bb’ : 1. La redondance d’un génitif pronominal (və̄) et d’un adjectif possessif paraît insupportable, mais pourrait avoir une fonction emphatique (voir Y48.8). Celle-ci aurait pour fin de mettre en valeur la double opposition de və̄ xratə̄uš xšmākahiiā … tąm daēnąm yā xšmāuuatō avec 4. duš.xraϑβā … yā drəguuatō daēnā. 2. ā.manaŋhā est une inconnue lexicale. Le scr. ā́manas- suggère « amitié », le récent ā.manaŋha« fougue » (TVA II 218). Et s’agit-il d’un instr. sing. ou d’un acc. plur. nt. ? cc’ : 1. Quelle case syntaxique occupe ərəš vīcidiiāi : asyndète infinitive avec mrūitē ou infinif de but dépendant de mrūitē ou, en antéposition, de srāuuaiiaēmā ? De surcroît, vī+ci n’admet que deux rections conformes à son sens, dont aucune n’apparaît ici : soit deux accusatifs coordonnés, soit un génitif duel. 2. Le pronom enclitique ī est soit acc. plur. nt. soit instr. sing. 3. srāuuaiiaēmā est le seul exemple d’optatif présent en conjonctive (TVA II 91). dd’ : 1. tąm daēnąm paraît s’imposer comme objet de srāuuaiiaēmā.

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2. Sur l’interprétation de xšmāuuaṇt- comme « votre fidèle », voir EAM 6 : 49-50.

J’adopterai, à titre gratuit, les solutions suivantes : 1. quel que soit son sens, ā.manaŋhā est un instrumental dépendant de mrūitē et yā un faux relatif participant à l’emphase de la redondance possessive (TVA II 62). 2. La conjonctive yaϑā ī srāuuaiiaēmā est introduite par mrūitē. 3. ī est un acc. plur. nt. représentant l’objet interne de srāuuaiiaēmā, donc *srauuah-. 4. ərəš vīcidiiāi est infinitif de but dépendant de srāuuaiiaēmā. 5. Il y a ellipse du premier objet de vīcidiiāi, qui ne peut être que yā drəguuatō daēnā de 4. « Je vous presse de dire, ô Attentif et Agencement, avec toute l’amitié de votre aptitude, comment nous pouvons faire entendre les (sonorités) pour que vous fassiez d’emblée, ô Maître, la différence entre l’âme-voyance (du trompeur et celle) de votre adorateur ». Y49.7



tat̰cā vohū, mazdā sraōtū manaŋhā sraōtū aṣ̌ā, gūšahuuā tū ahurā kə̄ airiiamā, kə̄ xvaētuš dātāiš aŋhat̰ yə̄ vərəzə̄nāi, vaŋvhīm dāt̰ frasastīm

Cette strophe qui ne présente aucune difficulté grammaticale particulière traite de manière passablement énigmatique deux motifs conceptuels qui se manifestent dans chaque Gâthâ polyhâtique.

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1. La liste des cercles concentriques de l’appartenance sociale27. Celle-ci exerce la même fonction de transition que celle de la GU (45.11, 46.1, 4 et 5) entre la phase antagonique et le catalogue des noms-propres (EAM 6  : 95-98). Par contre, celle de la GA embrasse le lourd développement antagonique centré sur le Y32 antidévique (31.16, 18 et 32.1, puis 33.3,4) et est sans rapport avec le catalogue des noms propres, qui occupe le Y28. L’évocation de la GS a cependant elle aussi ses traits propres. La liste n’est jamais complète. Le cercle le plus large est disjoint et sert à composer l’opposition entre 48.10 dušə.xšaϑrā dax́iiunąm et 48.12 saōšiiaṇtąm dax́ i iunąm. On notera que la liste réduite de 49.7 correspond aux termes épars du Y53 et à celle de YH40.4 aϑā xvaētūš aϑā vərəzə̄nā aϑā haxəmą (il semble que haxman- soit le substitut haptahâtique de airiiaman-). On peut se demander si dax́iiu- n’est pas mentionné seul dans le Y48 pour définir une fonction de principe, celle des saōšiiaṇt, et si la réduction de la liste par 49.7 n’est pas en liaison directe avec celle du personnel du catalogue. 2. L’appel à l’attention auditive des dieux, qui, semble-t-il, met fin au temps du murmure et du silence. Celui-ci est très bref, mais s’intègre à une structure plus complexe : introduit par 6. srāuuaiiaēmā, l’écho sraōtū que 9 renvoie à 7 embrasse l’expression de la demande qui servira à clôturer le catalogue des noms-propres, lequel équivaut

27  Elle est absente du Y51 et le Y53 en éparpille trois termes : 4. xvaētu-,

8. vīs- et 54.1 airiiaman-, mais on notera la gradation.

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au reste de la hāiti (8. yāsā – 12. yāsąs)28. Mais cette brièveté abrite aussi un fait intrigant : la scission de l’appel en un impératif à la 2e sing. classiquement adressé à Ahura Mazdā (gūšahuuā tū mazdā), et un autre à la 3e sing. sans destinataire déclaré (sraōtū … sraōtū). Un nouveau personnage, encore sans fonction et sans nom, entre en scène. Peut-être était-il déjà sous-jacent au passage du plur. vīsəṇtē au sing. ajə̄n dans 48.10, mais, plus sûrement, le développement du Y49 conduit à l’identifier. « Qu’il entende bien cela, ô Attentif, avec Bonne Pensée ! Qu’il l’entende bien selon l’Agencement ! Et toi, écoute, ô Maître ! Quelle sera la tribu, quelle sera la famille qui, grâce à (l’observation des) règles, donnera au clan la bonne qualification ? » Y49.8



fərašaōštrāi, uruuāzištąm aṣ̌ahiiā dā̊ sarə̄m tat̰ ϑβā, mazdā yāsā ahurā maibiiācā yąm, vaŋhāu ϑβahmī ā xšaϑrōi yauuōi vīspāi, fraēštā̊ŋhō aŋhāmā

Sur la structure syntaxique de cette strophe, voir TVA III. Avec elle commence le catalogue des noms propres, qui occupe le reste de la hāiti. Comme celui de la GA, il se présente comme relevant du genre yāna « demande » avec le même écho de clôture (28.1 yāsā – 8. yāsā – 9. yānāiš 28  Aucun des trois termes récurrents de la vaste zone qui va de 31.18 à

33.7 n’est attesté dans la GS : aēnah-, jiiātu-, srauuah- (quoique peut-être représenté par ī dans 49.6). Ajoutons-y l’absence du dieu Sraoša, qui personnifie la puissance du srauuah. La GU, dont les appels à l’écoute divine se dissolvent dans le vaste système des interrogatoires (EAM 6 : 42 et 87), n’ignore que srauuah-.

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et 49.8 yāsā – 12. yāsąs). On remarquera l’ampleur du parallélisme entre les strophes consacrées à Fərašaoštra : 28.8 yāsā… fərašaōštrāi maibiiācā … vīspāi yauuē – 49.8 fərašaōštrāi … yāsā … maibiiācā yauuōi vīspāi. L’analyse de fraēšta- comme équivalent du scr. préṣṭha« ami très cher » que Humbach (1991 : II 211) a voulu réhabiliter ne me paraît pas préférable à celle du verbal en -ta- de fra + 2iš. Certes, l’argument du parallélisme avec 32.1 ϑβōi dūtā̊ŋhō aŋhāmā est effectivement annulé, car dūta- signifie « du même foyer » et non « messager » (op. cit. 77), mais la récurrence lexicale avec 6. fraēšiiā est impressionnante. Elle tient sa séduction littéraire du passage de la visée active à la passive : celui qui incite en 6 fait partie de ceux qui sont incités en 8. « Fais en sorte que, pour Fərašaoštra et pour moi, la plus plaisante union avec l’Agencement soit celle que l’on obtient quand s’exerce ton bon Pouvoir – je te demande cela, ô Maître Attentif – (afin que), pour toute la durée, (lui et moi) soyons ceux que tu animes ! » Y49.9



sraōtū sāsnā̊, fšə̄ŋ́hiiō suiiē taštō nōit̰ ərəš.vacā̊, sarə̄m didąs drəguuātā hiiat̰ daēnā̊, vahištē yūjə̄n mīždē aṣ̌ā.yuxtā, yāhī də̄jāmāspā

Chaque moitié de la strophe a ses problèmes spécifiques. 1. Ceux de la première moitié sont de deux types qui se confortent mutuellement : les inconnues lexicales et la présence à la 3e sing. de deux intervenants anonymes. On peut, sans trop de remords, accepter l’hypothèse de Klingenschmitt sur didąs (voir TVA II 259), mais fšə̄ŋ́hiia- (aussi 31.10) est un cas désespéré. Son obscurité contamine taštō «  façonné  », dont la portée précise

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nous échappe s’il est appliqué à un participant au rite. Il est évidemment tentant de considérer que sraōtū a le même sujet en 7 et en 9, mais si les formes verbales sont identiques, les objets ne le sont pas. L’interlocuteur indéterminé de 7 est prié d’écouter ce que vont dire Mazdā et Aṣ̌a, celui que désigne fšə̄ŋ́hiia- des sāsnā « enseignements », un mot qui n’est plus apparu depuis 48.3. J’inclinerais à comprendre que ərəš.vacā̊ est le sujet sous-entendu de 7, qui a recueilli la réponse divine (raison pour laquelle il est devenu ərəš.vacah-) et les transmet à présent sous forme de sāsnā à un nouvel acteur défini comme fšə̄ŋ́hiia. Il y a transfert du devoir d’écouter : celui qui devait écouter en 7 doit être écouté en 9. 2. L’interprétation de la conjonctive en hiiat̰ qui occupe les deux derniers vers a pour obstacle le double modèle rectionnel de yuj « atteler ». Soit quelqu’un (nom.) attache au véhicule (acc.) un attelage (instr.), soit quelqu’un (nom.) attache un attelage (acc.) à un véhicule (loc.). Or, il y a deux nominatifs potentiels : daēnā̊ et də̄jāmāspā, deux accusatifs : daēnā̊ et, s’il se rapporte à un mot neutre sous-entendu, aṣ̌ā.yuxtā, et deux locatifs : vahištē … mīždē et yāhī, éventuellement qualifié par aṣ̌ā.yuxti-. Il semble donc que ce soit le second modèle qui s’applique (que də̄ j āmāspā et aṣ̌ ā .yuxtā, celui-ci qualifiant éventuellement celui-là, soient des instrumentaux est assez improbable). Je dresserai donc, sans illusion, le schéma suivant : a. də̄jāmāspā est le nom. plur. sujet de yujə̄n.29 daēnā- ne semble employé au pluriel que par accord du nombre ou, rarement, en contexte cosmogonique (33.13, 45.2 et 46.6). 29  On notera, quoique cela ne soit pas rédhibitoire, que le vocatif ne

serait pas ancré.

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b. il s’ensuit que daēnā̊ est l’accusatif pluriel métaphoriquement assimilé à un attelage. c. yāhī, résultativement qualifié par aṣ̌ā.yuxti-, est le locatif singulier figurant le véhicule, tandis que vahištē … mīždē est un locatif libre exerçant la même fonction que dans la flexion de zā « laisser derrière soi »30. « Que le [fšəŋ́hiia] taillé pour (qu’ait lieu) l’essor entende les leçons, (car) celui qui parle droit n’enseigne pas l’union avec le trompeur maintenant que les (fils de) Də̄jāmāspa ont attelé leur âme-voyance à leur demande (ainsi) attelée selon l’Agencement pour (s’en aller gagner) la meilleure récompense. » Y49.10 tat̰cā mazdā, ϑβahmī ā dąm nipā̊ŋ́hē



manō vohū, urunascā aṣ̌āunąm nəmascā yā, ārmaitiš īžācā mązā.xšaϑrā, vazdaŋhā auuə̄mīrā

La «  strophe de la damnation  » est, avec certaines variations, le complément convenu du catalogue des nomspropres (Kellens 2014a : 261-262). Elle est ici précédée d’une strophe qui évoque le sort de l’âme des aṣ̌auuan, si bien que 10 et 11 composent un diptyque contrasté « salut et damnation ». Les deux volets sont reliés par la concaténation lexicale 10. dąm – 11. dəmānē, que leur détermination respective met en opposition (10. mazdā ϑβahmī – 11. drūjō). L’aṣ̌auuan qui accède au salut est évidemment celui que la première strophe du secteur positif, 49.5, nous a présenté. 5 et 10 ont deux éléments en commun : la libation īžā-, qui, 30  yāh- est un acte de parole spécifiquement accompli dans le contexte

du catalogue des noms-propres et signifiant soit « demande », soit « interpellation » (Kellens 2014a : 271–272 et EAM 6 : 114-115).

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mis à part Y51.1 et YH38.2, n’est mentionnée que dans la GS (49.5, 10 et 50.8), et l’interaction des deux entités Ārmaiti et Xšaϑra. Mais la situation a évolué : 1. la daēnā s’efface au bénéfice de l’uruuan, qu’elle a conduit au but avec la Bonne Pensée à qui elle s’était unie. 2. le nəmah se substitue à l’āzūiti. La progression vers le « moment sacrificiel » s’accélère avec cette évocation de l’offrande carnée. 3. le nəmah a pour effet que le Xšaϑra, de propriété personnelle d’Ahura Mazdā (5. ϑβahmī), devient transmissible (10. mązā +). Ce qui permet au poète de transférer subtilement ϑβahmī à dąm. Sur les deux derniers mots, voir respectivement TVA II 300 et 205. « Voici ce que tu abrites dans ta maison, ô Attentif : la Bonne Pensée, l’âme de ceux qui soutiennent l’Agencement et l’hommage qui, accompagné de la Juste-pensée et de la libation-de-lait, confère le Pouvoir et, charmeur, vous attire ici-bas. » Y49.11 at̰ dušə.xšaϑrə̄ṇg, duš.š́iiaōϑanə̄ṇg



dužuuacaŋhō duždaēnə̄ṇg, dužmanaŋhō drəguuatō akāiš xvarəϑāiš, paitī uruuąnō paitiieiṇtī drūjō dəmānē, haiϑiiā aŋhən astaiiō

La longue série épithétique qui occupe les deux premiers vers est savamment composée. Commençant par la caractérisation (dušə.xšaϑra-) qui préoccupe en écho de 5 à 10 le Y48, elle aboutit à la catégorie générale de drəguuaṇt et celui-ci est directement précédé de termes (duždaēnə̄ṇg dužmanaŋhō) qui restituent en négatif le processus par lequel

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la Daēnā de 49.5, via la Bonne Pensée (5 et 10), conduit au salut (en 10) l’âme des aṣ̌auuan. Il me paraît que akāiš xvarəϑāiš se trouve en opposition avec nəmas° : aux drəguuaṇt la mauvaise nourriture au lieu de la part humaine de l’offrande carnée (le second rāna- de Y47.6). Toute difficulté sémantique disparaît quand on a reconnu en haiϑiia-, dérivé du part. prés. haṇt- du verbe ah « être », l’expression de l’aspect duratif de l’existence (Kellens 2013 : 82 n. 33). Cette analyse est confirmée par 46.11 yauuōi vīspāi drūjō dǝmānē astaiiō. « Mais aux trompeurs au mauvais Pouvoir, aux mauvais actes, aux mauvaises paroles, à la mauvaise âme-voyance, à la mauvaise pensée, leur âme vient faire tribut de mauvaises nourritures. Qu’ils soient, dans la maison de la Tromperie, des hôtes permanents ! » Y49.12 kat̰ tōi aṣ̌ā, zbaiieṇtē auuaŋhō



zaraϑuštrāi, kat̰ tōi vohū manaŋhā yə̄ və̄ staōtāiš, mazdā frīnāi ahurā auuat̰ yāsąs, hiiat̰ və̄ īštā vahištəm

Aucun rapport syntaxique régulier ne peut être établi entre kat̰ et auuaŋhō. « What (kind) of help » de Humbach (1991 : II 182) est un pur subterfuge. On peut légitimement se demander si auuaŋhō n’est pas une faute d’anticipation sur 50.1 pour xauuaŋ́hē, vu la haute fréquence de hū avec ávase en védique. Le sujet de la nominale est alors indéterminé : « Quoi de toi, pour Zaraϑuštra … quoi de toi pour moi qui … ?, comme l’est celui que suppose d’ (auuat̰…) hiiat̰ və̄ īštā vahištəm. Il se peut qu’il s’agisse de xšaϑra-, qui ne serait pas tu en fonction de la pratique de l’ellipse, mais évoqué en sous-entendu dans le contexte de l’offrande-išti, où il est

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usuel qu’il apparaisse (aussi 46.16, 51.2 et, plus près, 48.8). Il est plus vraisemblable que auuat̰ reprenne auuaŋhō. La mention du nom de Zaraϑuštra, comme celle du mainiiu dans Y47.1, relève de deux emplois traditionnels : l’inclusion dans le catalogue des noms-propres et l’apparition en dernière strophe de hāiti (ainsi 33.13 et 43.16). Mais il y a deux différences avec la GA et la GU : il ne figure pas au début, mais à la fin du catalogue, dont il est même séparé par les strophes du salut et de la damnation, et il n’est pas seul dans la dernière strophe. Ces deux particularités sont ancrées dans la structure même du Y49. 1. Le catalogue de la GS est caractérisé par la réduction aux seuls Fərašaoštra et Də̄jāmāspa et l’introduction immédiate par la liste des cercles sociaux, elle-même réduite. On peut légitimement comprendre que les strophes 8 et 9 sont la réponse à la question posée par les deux derniers vers de 7 : kə̄ airiiamā kə̄ xvaētuš … yə̄ vərəzə̄nāi …dāt̰ frasastīm. Il y aurait une logique à ce que Fərašaoštra corresponde à vərəzə̄nāi, dont il partage le cas, en tant que chef du clan que les autres Gâthâs appellent Huuō.guua, et que la famille qui va agir est celle que composent Də̄jāmāspa et ses fils. Qu’en est-il de l’airiiaman  ? Aucun passage gâthique n’associe explicitement Zaraϑuštra à quelque cercle social que ce soit. On remarquera seulement, sans en tirer de conclusion ferme, que le Y53 le conduit inéluctablement du xvaētu de 4 à l’airiiaman de 54.1. Et qu’en est-il du dax́iiu, que 7 ne mentionne pas ? Autre hypothèse : « je » n’en aurait-il pas revendiqué la représentation à la fin du Y48 ? 2. Depuis la strophe 5, deux interlocuteurs humains, l’un de première, l’autre de troisième personne, se partagent la scène en une évolution tortueuse. 5 : « il » (huuō), dont le texte dit qu’il est « n’importe qui » (kascīt̰), incarne les

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vertus religieuses ; 6 : « il » et « je » (fraēšiiā) se fondent en « nous » (srāuuaiiaēmā) ; 7 : « je » se manifeste par l’énoncé de deux impératifs dont l’un (sraōtū) est adressé à un « il » inidentifié, l’autre (gūšahuuā) à Ahura Mazdā ; 8 : « je » (yāsā … maibiiācā) s’associe en « nous » (aŋhāmā) à un « il » nommé Fərəšaoštra (fərašaōštrāi) ; 9 : « je » se manifeste par un impératif (sraōtū) et deux « il » se bousculent, l’un défini comme fšə̄ŋ́hiia, l’autre comme ərəš.vacah ; 12 : après la strophe du salut et celle de la damnation, Zaraϑuštra (zaraϑuštrāi) est le « il » dûment nommé qui cohabite avec « je » (yə̄ frīnāi). Au lecteur d’aujourd’hui que nous sommes, la situation paraît passablement embrouillée, à mon avis parce que le discours fait trop de détours et de spirales au travers d’une péripétie que le texte ne décrit pas. J’ai fait, sans illusion, les choix suivants : Zaraϑuštra est le sujet sous-entendu de 7. sraōtū, qui, après avoir laissé la place à Fərašaoštra, réapparaît sous l’appellation ərəš.vacah en 9, avant d’être nommé en 12 (ce qui laisse intacte l’énigme de 8. fšə̄ŋ́hiiō). La question rémanente est de savoir si ce n’est pas lui qui, en tant que ərəš.vacah, a prononcé à titre de sāsnā les strophes 10 et 11. En tout cas, il semble sûr que, dans le Y50, Zaraϑuštra et « je » se passeront alternativement la parole. Il faut, pour finir, signaler un autre détail remarquable du secteur « je/il ». Le Y49 accomplit de 5. kascīt̰ à 12. zaraϑuštrāi le même trajet que la GU tout entière de 43.1 kahmāicīt̰ à 46.16 mōi … zaraϑuštrāi. La différence est que, cette fois, le pronom indéfini aboutit à « Zaraϑuštra et moi ». « Que peux-tu selon l’Agencement pour Zaraϑuštra qui (t’) appelle à l’aide ? Que peux-tu par la Bonne Pensée pour moi qui vais vous propitier par des éloges, ô Maître Attentif, en demandant cette (aide-là précisément), la meilleure, qui réside dans l’offrande-išti ? ».

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4 Yasna 50 La continuité formelle et thématique entre les hāitis 49 et 50 est la plus évidente de tout le corpus gâthique. À la double concaténation lexicale entre 49.12 zbaiieṇtē auuaŋhō et 50.1 auuaŋhō … zūtā il faut joindre la succession plus lâche 49.10 urunas° - 11. uruuąnō - 50.1 uruuā. Sur le fond, 49.12 livre discrètement et programmatiquement la clé de la structure du Y50. 1. Les types de parole respectivement attribués aux deux protagonistes de 49.12, zbaiieṇtē auuaŋhō pour Zaraϑuštra, frīnāi staōtāiš pour « je », resurgissent, le premier dès 50.1 auuaŋhō … zūtā, le second dans 50.4 yazāi stauuas. 2. Mais il y a une différence  : les deux discours sont maintenant tenus à la 1re sing. (50.1 isē – 4. yazāi), de sorte que les renvois successifs à 49.12 apparaissent comme un changement de la prise de parole. Zaraϑuštra prononcerait les trois premières strophes, « je » les trois suivantes. 3. La strophe 6 rend (presque) explicitement la parole à Zaraϑuštra. 4. L’introduction systématique de chaque strophe par une 1re sing. subj. fait des strophes 7 à 12 un bloc unitaire par lequel Zaraϑuštra conclut la Gâthâ. Comme beaucoup de hāiti, le Y50 est un diptyque. La strophe ombilicale 6 articule ses deux volets en procédant au relais définitif de la parole et en rétablissant ainsi, en

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quelque sorte, l’équilibre fatalement imparfait des moitiés d’un ensemble impair31. 4.1 Zaraϑuštra s’approprie la vache et la transmet (Y50.1-3)

La vache est présente dans chaque strophe, mais chaque fois sous un autre nom, successivement pasu- (1), gao- (2) et gaēϑā- (3)32. Il est vraisemblable que cette gradation fait d’elle l’unité triviale du troupeau, puis la victime sacrificielle, enfin la représentante idéale de ceux que, grâce au rite, elle protège et nourrit. On notera, une fois de plus, la fréquence des parallèles avec le Y29 : 1. auuaŋhō – 29.9 auuō, 1. mōi uruuā … kə̄ mə̄.nā ϑrātā vistō aniiō … ϑβat̰cā – 29.1 nōit̰ vastā xšmat̰ aniiō et 8. aēm mōi idā vistō, 1. zūtā – 29.3 zauuə̄ṇg, 2. ərəžəjīš … pourušū – 29.5 ərəžəjiiōi … drəguuasū pairī, 3. aōjaŋhā … - 29.10 aōgō. Y50.1



kat̰ mōi uruuā, isē cahiiā auuaŋhō kə̄ mōi pasə̄uš, kə̄ mə̄.nā ϑrātā vistō aniiō aṣ̌āt, ϑβat̰cā mazdā ahurā azdā zūtā, vahištāat̰cā manaŋhō

Sur le système de la double interrogation (ici kat̰ … cahiiā), voir TVA III.

31  Le Y50 est la seule hāiti hendécastrophique de la GS. Curieusement,

les trois précédentes semblent correspondre à une structure dodécastrophique (6 + 12 + 12). 32  pasu- est rare en vieil-avestique – les deux autres attestations sont

celles du dvandva pasu vīra (31.15, 45.9) – et c’est la seule attestation vieil-avestique de gaēϑā- au singulier.

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« De quelle aide mon âme dispose-t-elle ? Quel autre protecteur de mon bétail et de moi-même ai-je trouvé avec certitude au moment où j’implore (cette aide), sinon l’Agencement, toi, ô Maître Attentif, et la très Bonne Pensée ? » Y50.2



kaϑā mazdā, rāniiō.skərəitīm gąm išasōit̰ yə̄ hīm ahmāi, vāstrauuaitīm stōi usiiāt̰ ərəžəjīš aṣ̌ā, pourušū huuarə̄ pišiiasū ākāstə̄ṇg mā, nišąsiiā dāϑə̄m dāhuuā

aa’ : sur l’optatif en proposition interrogative et dans la relative qui en dépend, voir TVA II 89 et 90. cc’ : le vers accumule les incertitudes sémantiques. pišiiasū est hors d’atteinte et, en raison de l’irrégularité métrique (1 syllabe au lieu de 2), on ne peut être sûr que huuarə̄ est le nom du soleil. On peut aussi se demander (et la question vaut pour 29.5) ce que veut dire exactement ərəžəjī« qui vit tout droit » + locatif quand on ne croit pas que l’infléchissement vers un sens moral aille de soi. dd’ : il y a deux énigmes lexicales : nišąsiiā est désespéré et sur ākāh, voir 48.8. Soit tə̄ṇg anticipe sur 4. ākā̊ arədrə̄ṇg (TVA III), soit il représente pourušū … pišiiasū. Il est plausible que dāϑa- renvoie à 48.12 dātā et à 49.7 dātāiš33. Il rappellerait ainsi la désignation acquise, puis présenterait la situation actuelle comme la réponse à la question kə̄ xvaētuš dātāiš aŋhat̰ yə̄ vərəzə̄nāi vaŋvhīm dāt̰ frasastīm.

33  La GS n’atteste pas les notions complémentaires ratu- : ərəϑβa-.

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Quoiqu’il en soit, il semble clair que Zaraϑuštra introduit dans son discours, à la 3e sing., un intervenant sacrificiel qui aspire à la possession de la vache sacrifiée et de la litière où elle repose. « Comment pourra-t-il, ô Attentif, obtenir la vache qui rend plus heureux, lui qui voudrait qu’elle soit à lui avec sa pâture et qui vit tout droit selon l’Agencement parmi les nombreux [huuarə̄ pišiiasū] ? En face d’eux, [nišąsiiā], reconnais-moi comme celui qui observe tes règles. » Y50.3



at̰cīt̰ ahmāi, mazdā aṣ̌ā aŋhaitī yąm hōi xšaϑrā, vohucā cōišt (xcōiš) manaŋhā yə̄ nā aṣ̌ōiš, aōjaŋhā varədaiiaētā yąm nazdištąm, gaēϑąm drəguuā̊ baxšaitī

La structure syntaxique de la strophe est assez claire. aa’ est la proposition principale, la corrélation ahmāi… yə̄ introduit la relative cc’ et le sujet de aŋhaitī est gaēϑąm, antécédent introduit des relatives bb’ et dd’. Chaque vers a cependant son problème propre. aa’ : la fonction interrogative de at̰cīt̰ (TVA II 165) me paraît insuffisamment fondée. bb’ : la correction arbitraire de cōišt en xcōiš n’est pas dépourvue d’arguments : absence d’un sujet de 3e personne et d’ancrage du voc. mazdā, redondance abnorme du pronom hōi et conformité avec la strophe parallèle 47.5. cc’ : l’objet de varədaiiaētā n’est pas exprimé et ce n’est pas nécessairement gaēϑā-. Sur cet usage de l’optatif présent en relative, voir TVA II 89-90. dd’ : la question conceptuelle fondamentale de la strophe est crûment mise en lumière : que signifie son évidente référence à 47.5 ?

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La référence au Y47 commence par l’évocation dans la strophe 2 de la « vache qui rend plus heureux » (gąm rāniiō.skərəitīm) mentionnée dans 47.3. Elle se poursuit à présent, en passant à 47.5 avec l’attribution de cette vache (cōiš) à un homme déterminé et éclate dans le dernier vers avec yąm… drəguuā̊ baxšaitī. Quel développement explique ce renvoi ? La « vache qui rend plus heureux  » est l’œuvre cosmogonique d’Ahura Mazdā (47.3 tuuə̄m ahī tō spəṇtō yə̄ ahmāi gąm rāniiō.skərəitīm hə̄ m.tašat̰ ) , mais il peut la confier aux hommes s’ils professent le mainiiu faste et soutiennent Aṣ̌a (47.5 tācā spəṇtā mainiiū… aṣ̌āunē cōiš yā zī cīcā vahištā). Zaraϑuštra est l’agent légitime, le dāϑa, qui, de 50.1 à 3, procède de manière pratique et décisive à cette transmission. Mais un autre facteur est à présent dévoilé. Le bénéficiaire n’est plus l’aṣ̌auuan (générique ou spécifique ?) de 47.5, mais un opérateur spécialisé dont le rôle est défini par yə̄ nā aṣ̌ōiš aōjaŋhā varədaiiaētā. Cette proposition n’a de sens que si l’objet de varədaiiaētā est connu. Il est improbable que ce soit gaēϑā- qui, lorsqu’il est question de son accroissement, est toujours régi par frād : 33.11 (frādat̰.gaēϑa-), 43.6, 44.10 et 20, 46.12 (gaēϑā.frād-) et 1334. Par ailleurs, vard et son dérivé nominal vərəda- sont toujours attestés en contexte igné, comme souvent aōjah- et aōjōŋhuuaṇt. Sur l’emploi en sousentendu de 28.3 yaēibiiō xšaϑrəmcā… varədaitī ārmaitiš et de 29.10 aēibiiō aōgō dātā … xšaϑrəmcā, voir 2014a : 276. Le cas de 31.4 maibiiō xšaϑrəm aōjōŋhuuat̰ yehiiā vərədā 34  Il convient toutefois de signaler une étrange particularité de cette aire

sémantique. 33.11 mis à part, gaēϑā̊ frād est une exclusivité de la GU qui, par ailleurs, n’atteste ni vaxš, ni vard, hormis les dérivés nominaux 46.3 vərəzda- et 46.16 varədəman- (EAM 6 : 32). Reste l’énigmatique 49.4.

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vanaēmā drujəm, qui suit immédiatement la « formule du feu » de 31.3, et de 34.4 ātrə̄m… aōjōŋhuuaṇtəm est explicite (Kellens 2014a : 287). Si l’hypothèse que ātrə̄m est l’objet sous-entendu de varədaiiaētā est exacte, le vers 50.3 cc’ est l’expression exemplaire d’une circonstance où l’on ne dit pas les choses ou les gens que l’on montre. Sur le fond, il révèle la fonction exacte du transfert de la vache. Ahura Mazdā la réserve à un homme précis que 47.3 masque du pronom ahmāi et que 47.5 avait sommairement défini comme aṣ̌auuan. La voici clairement livrée, par l’intermédiaire de Zaraϑuštra, au sacrifiant spécialisé qui va procéder à la vīdāiti que 47.6 appelait de ses vœux. La substitution de nazdištąm à hanarə ϑβahmāt̰ zaōšāt̰ de 47.5 rappelle l’une des raisons qui ont justifié l’évacuation de l’aire sacrificielle : le trompeur procède au partage illégitime de l’offrande carnée si elle est proche de lui. Nous sommes ainsi ramenés au début d’un long processus, pour le corriger. La première phase de réappropriation de la vache est la revendication émise dans la zone chaotique 48.5-735 par un « nous » dont un membre s’engage pour tous les autres dans la gradation des dignités sacerdotales, de 8. arədra- à 9 et 12 saōšiiaṇt-. La réapparition d’Aṣ̌i dans 50.3 et 9 signifie que le sacrifiant dispose à présent de cette « impulsion » qu’il espérait recevoir dans 48.8 et 9 (et par la même occasion, nous apprend que celui qui en bénéficie est membre de ceux que 48.9 et 12 désignent comme saōšiiaṇt). La deuxième phase commence en 49.5, après l’épisode haomique qui met fin à l’antagonisme. Le collège sacerdotal désigné par le catalogue des noms-propres et légitimé dans une zone daēnā est en mesure de faire de la vache un nəmah. Deux intervenants privilégiés, dont l’un est 35  Peut-on imaginer que ce passage accompagnait de son rythme heurté

la mise en scène tumultueuse de l’antagonisme ?

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nommé Zaraϑuštra, se partageront la tâche. Et celui qui va maintenant prendre la parole annonce d’emblée ce qu’il fait : yazāi. « Que selon l’Agencement soit à lui qui peut faire grandir (celui-ci) par l’autorité de son impulsion, ô Attentif, l’êtrevivant que tu lui attribues par Pouvoir et Bonne-Pensée et que le trompeur (, lui,) partage s’il est proche ! ». 4.2 Quelqu’un va prendre la route (Y50.4-6)

Trois traits caractérisent ce passage36 : 1. La déclaration immédiate yazāi stauuas, en même temps qu’elle signale en renvoyant à staōtāiš… frīnāi que la parole est reprise par celui qui a prononcé 49.12, amorce la concentration du vocabulaire rituel qui compose ce que j’ai appelé le « moment sacrificiel » (2013 : 58). Il prendra fin dans la strophe 10. 2. Avec la strophe 4 commence aussi le thème du chemin et du voyage qui persiste jusque dans la strophe 7 : 4. paiϑī, 5. ārōi, 6. raiϑīm … razə̄ṇg, 7. yaōjā. Ce motif assure ainsi la liaison entre la section 4-6, qu’il imprègne tout entière, et la section 7-11, où il se prolonge en mouvements de moindre ampleur (8. pairijasāi et 9. paitī… aiienī). 3. Dans ce chant à deux voix, celui qui parle introduit vite dans son discours, sous la forme d’un « il » anonyme, celui qui va parler. Zaraϑuštra l’a fait dès la strophe 2, celui-ci dès 4cc’.

36  On y trouve une seule référence au Y29, mais importante : 5. auuaŋhā

– 29.9 zastauuat̰ auuō.

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Y50.4



at̰ vā̊ yazāi, stauuas mazdā ahurā hadā aṣ̌ā, vahištācā manaŋhā xšaϑrācā yā, īšō stā̊ŋhat̰ ā paiϑī ākā̊ arədrə̄ṇg, dəmānē garō səraōšānē

aa’ : l’introduction par la particule at̰ n’est pas incompatible avec un changement d’interlocuteur comme le posait TVA II 115-116 (Kellens 2014a : 270). bb’ : les attestations de la préposition hadā ne sont pas assez significatives (TVA II 4) pour imposer une construction qui dissocie l’instrumental sociatif hadā aṣ̌ā des instrumentaux de moyens coordonnés vahištācā manaŋhā xšaϑrācā. La coordination de trois instrumentaux prépositionnés ne peut être exclue. Le relatif n’est probablement pas accordé avec le plus rapproché, mais a xšaϑrā pour antécédent spécifique. cc’ : nous avons traduit stā̊ ŋhat̰ ā par un indicatif présent parce que la fonction modale du subj. aor. en proposition relative est évanescente (TVA II 86-87). La consécution implicite ne peut toutefois être exclue. dd’ : je maintiens, faute de mieux, l’interprétation de TVA III. « Je veux vous sacrifier en vous louant, ô Maître Attentif, ainsi qu’à l’Agencement, à la très Bonne Pensée et au Pouvoir grâce auquel, en face des officiants-compétents dans la maison de bienvenue, il emprunte le chemin de la vigueur en faveur de celui qui veut avoir audience ».

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Y50.5



ārōi zī xšmā, mazdā aṣ̌ā ahurā hiiat̰ yūšmākāi, mąϑrānē vaōrāzaϑā aibī.dərəštā, āuuīšiiā auuaŋhā zastāištā, yā nā̊ xvāϑrē dāiiāt̰

aa’ : ārōi renvoie à aṣ̌ōiš de 3cc’ yə̄ nā aṣ̌ōiš aōjaŋhā varədaiiaētā. Il s’agit donc d’une 1re, et non d’une 3 e sing. ind. parf. M. (sans sujet exprimé). Il apparaît clairement qu’il s’agit de l’interlocuteur de 1re personne comme, dans la strophe précédente, yazāi, tandis que yūšmākāi mąϑrānē désigne l’interlocuteur de 3e personne comme, dans la strophe suivante yə̄ mąϑrā vācəm baraitī. nā̊ les réunit. bb’ : vaōrāzaϑā est source de deux incertitudes syntaxiques. Se construit-il avec acc. et dat. ou avec instr. et dat. (TV II 313 et III 45) ? Dans le premier cas, hiiat̰ est pronom relatif et auuaŋhā, qui appartient à la principale, est son antécédent. Dans le second, c’est une conjonction de subordination et le vers cc’ appartient à sa proposition. J’opte pour cette dernière solution parce que l’aide apportée au mąϑrān correspond directement à celle de 49.12 zbaiieṇtē auuaŋhō et de 50.1 kat̰ mōi uruuā isē cahiiā auuaŋhō. vaōrāzaϑā est aussi le seul subjonctif parfait avestique (TVA II 88) et le récent n’en atteste que trois autres (Kellens 1984 : 419–421). Sa fonction est donc indiscernable, d’autant plus que le rapport entre indicatif parfait dans la principale et subjonctif parfait dans la subordonnée échappe à la logique. dd’ : le parallélisme avec 29.9 zastauuat̰ auuō révèle que l’aide est fournie par les flammes du feu assimilées aux mains de la divinité. Voir aussi

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mon commentaire sur 28.9 āiiaptā… yāiš rapaṇtō daidīt̰ xvāϑrē (2014a : 276) et le nombre de termes communs avec 34.4 ātrəm … asištīm … rapaṇtē ciϑrā.auuaŋhəm … daibišaiiaṇtē zastāištāiš dərəštā.aēnaŋhəm. dāiiāt̰ exprime la consécution implicite. « J’ai été mis en mouvement par vous selon l’Agencement, ô Maître Attentif, dès que vous avez régalé le confident-devos-formules d’une aide visible, manifeste, lancée de vos mains, qui lui permet de nous installer dans le bien-être ». Y50.6



yə̄ mąϑrā, vācəm mazdā baraitī uruuaϑō aṣ̌ā, nəmaŋhā zaraϑuštrō dātā xratə̄uš, hizuuō raiϑīm stōi mahiiā rāzə̄ṇg, vohū sāhit̰ manaŋhā

Il est plausible que les deux premiers vers constituent une relative secondaire dépendant de la conjonctive en hiiat̰ de 5 b-c’ (TVA III) : la répétition de l’antécédent en ciseaux (mąϑrānē … yə̄ mąϑrā) est un symptôme d’enjambement strophique (TVA II 60). L’indépendante de c-d’ donne à identifier deux inconnus : le sujet et l’objet de sāhīt̰. Celui que désigne dātā xratə̄uš hizuuō n’est pas nécessairement Mazdā, mentionné à la 2e personne dans la proposition précédente. Je propose d’y reconnaître le feu, dont la présence dans le passage est supposée par 5. auuaŋhā zastāištā. On passerait ainsi de la métaphore qui fait des flammes les mains des dieux à celle qui en fait leur langue, comme la GA le fait de 29.9 zastauuat̰ auuō à 31.3 dā̊ … āϑrācā … vaōcā hizuuā (Kellens 2014a : 286–287). Dans le contexte du voyage, le feu est aussi celui qui, par sa fumée, montre le chemin. Quant à

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l’objet sous-entendu de sāhīt̰, il me semble que la logique la plus élémentaire permet de l’identifier. Il est normal que l’aptitude de la langue soit transmise à celui qui parle, donc au mąϑrān. Dans mon article de 2014 (2014a : 270), j’ai commenté cette strophe de la manière suivante : « Un interlocuteur de 1re singulier (mahiiā) constate que Zaraϑuštra prend la parole (vācəm … baraitī) en qualité de mąϑrān et bénit son art oratoire (xratə̄uš hizuuō) en recourant à la métaphore de l’aurige (raiϑīm), immédiatement transférée dans la 1re sing. qui ouvre la strophe suivante (at̰ və̄ yaōjā). Qu’est-ce que ceci, sinon un relais de la charge de récitation, un bāj gâthique ? ». « Zaraϑuštra, ce collègue qui connaît (vos) formules, ô Attentif, prend la parole en hommage selon l’Agencement. Que le dispensateur de l’aptitude de la langue lui enseigne selon la Bonne Pensée à être l’aurige de mon parcours ! » Le motif du chemin rituel est, comme dans la GA, dédoublé. Le chemin parcouru dans 30.9 est une métaphore appliquée à la portée, non seulement de la récitation, mais de l’ensemble des rumeurs du sacrifice (2014a : 297-299) : at̰ asištā yaōjaṇtē ā hušitōiš vaŋhə̄uš manaŋhō mazdā̊ aṣ̌ax́iiācā yōi zazəṇtī vaŋhāu srauuahī « les très rapides (coursiers) qui gagneront la course à la bonne rumeur vont être attelés pour aller jusqu’à la bonne habitation de la Bonne Pensée, de l’Attentif et de l’Agencement ». Et la GA se termine sur le voyage décisif (34.12-14) de la Daēnā et des saōšiiaṇt vers la récompense finale (mīžda-). Dans la GS, c’est l’inverse. Le voyage vers la récompense est le cadre même de la strophe du catalogue des nomspropres consacrés à Də̄jāmāspa (49.9) ; celui de la parole rituelle est intégré au « moment sacrificiel » de 50.4 à 7.

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Les éléments constitutifs de cette image que j’ai décrits dans 2013 : 73-77 n’apparaissent donc que dans 49.9 : c’est la Daēnā qui prend la route, en tant qu’attelage et, si le titre de saōšiiaṇt n’est plus mentionné depuis 48.12, il est sous-entendu par l’appartenance des protagonistes aux cercles sociaux (une association explicite dans la GU, sur laquelle voir EAM 6 : 131-132). Rançon de la brièveté, les notions de cisti- et de xratu- sont la première lointaine (48.11), la seconde étrangère au contexte (49.6). Le char dont, finalement, Zaraϑuštra sera l’aurige convoie le chantd’adoration (vahma-) qui permettra aux dieux de l’emporter (sur les démons et vers l’offrande ?). Le passage a au moins en commun avec 30.9 l’emploi du verbe zā « gagner la course » et une référence fugitive aux rumeurs sacrificielles avec 4. səraōšānē. 4.3 Zaraϑuštra assume le « moment sacrificiel » (Y50.7-11)

raiϑīm … mahiiā rāzə̄ṇg définit clairement la nature du discours par lequel Zaraϑuštra conclut la Gâthâ. Les deux interlocuteurs qui ont successivement pris la parole vont à présent se partager complémentairement la tâche. L’un va dire, l’autre faire et celui qui dit dira ce que fait l’autre en l’assumant dans la 1re sing. subj. qui introduit chaque strophe. Y50.7



at̰ və̄ yaōjā, zəuuīštiiə̄ṇg auruuatō jaiiāiš pərəϑūš, vahmahiiā yūšmākahiiā mazdā aṣ̌ā, ugrə̄ṇg vohū manaŋhā yāiš azāϑā, mahmāi x́iiātā auuaŋ́hē

Dans cette strophe de transition, Zaraϑuštra ne parle pas encore au nom d’un autre, mais annonce ce qu’il va faire en tant qu’aurige de la parole. Le dernier hémistiche, mahmāi

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x́iiātā auuaŋ́hē, en renvoyant à 49.12 et à 50.1, 5, fonctionne comme le signal que c’est bien lui qui a repris la parole. Je maintiens l’analyse de TVA III, en précisant que jaiiāiš est pluriel par accord de nombre avec auruuatō. On peut envisager entre yaōjā et azāϑā un rapport de consécution implicite et, entre azāϑā et x́iiātā, de causalité implicite. « Je vais atteler pour vous selon l’Agencement et avec Bonne Pensée, ô Attentif, les très rapides coursiers de votre chant-d’adoration, puissants et perforants dans leur envie de victoire, afin que, grâce à eux, vous gagniez la course pour autant que vous me veniez en aide. » Y50.8



mat̰ vā̊ padāiš, yā frasrūtā īžaiiā̊ pairijasāi, mazdā ustānazastō at̰ vā̊ aṣ̌ā, arədrax́iiācā nəmaŋhā at̰ vā̊ vaŋhə̄uš, manaŋhō hunarətātā

Trois mots méritent de retenir l’attention : 1. ustānazastō : le Y50 fait, de 5. auuaŋhā zastāištā à 8. ustānazastō … nəmaŋhā, le chemin inverse de 28.1 nəmaŋhā ustānazastō … à 29.9 zastauuat̰ auuō entre les mains du récitant et celles du feu - comme si le sacrifiant de la GS se retrouvait pour finir dans la situation initiale de celui de la GA. Il est à noter qu’il est plus évident dans 50.8 que dans 28.1 qu’il n’y a pas de lien syntaxique effectif entre ustānazastō et nəmaŋhā. Le tout est affaire de juxtaposition. Vu son emploi dans la succession des propositions, nəmaŋhā doit être mis sur le même pied que padāiš et hunarətātā (la coordination avec aṣ̌ā n’exclut pas une autre fonction de l’instrumental). 2. arədrax́iiā° : le sacrifiant est défini par son statut de prêtre en fonction sacrificielle.

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3. hunarətātā : je prends hunar(ta)tāt- pour un dérivé au sens primaire de la racine nərət : scr. nr̥t « danser ». La danse, en tant que mouvement, s’harmonise parfaitement avec padāiš et pairijasāi. La «  danse de la Bonne Pensée » serait-elle la transe haomique ? « Je veux venir vous servir les mains tendues, ô Attentif, en faisant les pas si réputés de la libation-de-lait, venir aussi vous servir selon l’Agencement en vous rendant l’hommage que doit un officiant compétent, venir encore vous servir en dansant la danse de la Bonne Pensée ». Y50.9



tāiš vā̊ yasnāiš, paitī stauuas aiieni mazdā aṣ̌ā, vaŋhə̄uš š́iiaōϑanāiš manaŋhō yadā aṣ̌ōiš, max́iiā̊ vasə̄ xšaiiā at̰ hudānaōš, išaiiąs gərəzdā x́iiə̄m

L’analyse faite dans TVA III des deux derniers vers comporte deux hypothèses douteuses. La première, à laquelle on peut renoncer sereinement, est celle de l’enjambement strophique articulé par la corrélation 9. yad° … at̰ … 10. at̰ … La seconde voit en yadā l’univerbation de hiiat̰ et du préverbe ā de xšā. yadā n’est effectivement attesté qu’en gâthique, rarement (encore 30.8, 31.4, 16) et avec une fonction indécise, mais il est supposé par le récent yaδōit̰. D’autre part, nous aurions ici le seul exemple de préverbation de xšā par ā. Le choix entre hiiat̰ + ā et yadā est indifférent, car il n’affecte en rien les difficultés de ces derniers vers. xšaiiā trisyllabique est soit 1 re sing. subj. prés. A. (*xšaiiā̃), soit 1re sing. opt. prés. M. (*xšaiiaiiā). Quoique statistiquement faible, le fait que xšā soit toujours moyen

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quand il est associé à vasō37 invite à choisir la seconde solution. Celle-ci nous laisse devant une question insoluble (mais le subjonctif n’arrangerait rien)  : que peut bien exprimer le rapport entre l’optatif présent dans la conjonctive et l’optatif présent dans la principale (TVA II 83, 91-92 et 109) ? La traduction ci-dessous est à cet égard purement formelle. gərəzdā est le loc. sing. de gərəzdi- = scr. gŕ̥ddhi- < *gr̥dh+ ti – « avidité » (Humbach 1991 : II 219, qui affadit le sens). Il y a un rapport évident entre l’avidité, voire la gloutonnerie, et le dégoulinement sur le socle du feu. «  Je veux en vous louant vous faire offrande selon l’Agencement, ô Attentif, des sacrifices et des actes de Bonne Pensée. Quand je disposerai à volonté de mon impulsion, puissé-je me trouver, dispensant la vigueur, au moment d’avidité du dégoulinant ». Y50.10 at̰ yā varəšā, yācā pairī.āiš š́iiaōϑanā



yācā vohū, cašmąm arəjat̰ manaŋhā raōcā̊ xvə̄ṇg, asnąm uxšā aēuruš xšmākāi aṣ̌ā, vahmāi mazdā ahurā

Comme il n’y a pas d’enjambement strophique, le verbe « être » virtuel de la proposition principale nominale doit être compris comme un simple indicatif. uxšā asnąm aēuruš participe de l’imagerie qui, dans la GU, fait des saōšiiaṇt les « taureaux des jours » (46.3) et des entités de l’immortalité deux vaches qu’ils ont fécondées (46.19). Voir EAM 6 : 119.

37  Dans 43.1 vasə̄ xšaiiąs, il n’y a pas de lien syntaxique direct entre les

deux mots (EAM 6 : 14).

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« Les actes que je vais accomplir, ceux que tu as désirés et les lumières du soleil que le taureau des jours mérite de recevoir en son œil quand il éjacule, tout cela est destiné à votre chant-d’adoration, ô Maître Attentif ». Y50.11 at̰ staōtā, aōjāi mazdā aŋhācā



yauuat̰ aṣ̌ā, tauuācā isāicā dātā aŋhə̄uš, arədat̰ vohū manaŋhā haiϑiiā varəštąm, hiiat̰ vasnā fərašō.təməm

Comme dans TVA III, je considère varəštąm comme le verbe (3e sing. imp. aor. M., mais sur sa rection, voir ci-dessous) et arədat̰ comme l’adverbe qui lui est associé. Le parallélisme entre la strophe finale de chaque Gâthâ est évident, mais étrangement modelé : 34.15 xšmākā xšaϑrā … fərašə̄m vasnā haiϑiiə̄m dā̊ ahūm 46.19 aṣ̌ ā t̰ haiϑīm hacā varəšaitī … hiiat̰ vasnā fərašō.təməm … parāhūm Les observations suivantes s’imposent : 1. Le parallélisme repose fondamentalement sur trois mots identiques en assemblage syntaxiquement cohérent : fəraša(təma)-, haiϑiia- et vasna- (sur celui-ci, Kellens 2013 : 82). 2. Ces trois mots occupent le dernier hémistiche dans la GA et le dernier vers dans la GS, mais les deux premiers vers dans la GU. Il n’y a strictement aucun rapport syntaxique entre eux et le reste de la strophe. 3. Chaque strophe comporte cependant deux autres similitudes lexicales irrégulièrement traitées  : a. la présence de ahu-, soit ahūm dans la GA, aŋhə̄uš dans la GS, via le composé parāhūm dans la GU. Seul le premier entre dans la configuration syntaxique des trois mots de base. b. dā de la GA (dā̊) et varz de la GU (varəšaitī) et de la GS (varəštąm), approximativement synonymes dans

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le cadre de certaines constructions syntaxiques, sont les verbes régissant les trois mots de base. 4. On observera accessoirement que chaque strophe introduit dans le procès une entité différente : Xšaϑra dans la GA, Aṣ̌a dans la GU, Vohu Manah dans la GS. Comme je l’ai noté dans EAM 6 : 119, la différence essentielle entre la GA et les autres Gâthâs est que les qualités haiϑiia- et vasnā fəraša(təma)- sont transférées de ahu- à l’objet et à l’instrument internes de varz, *š́iiaōϑana-. Mais dans cette différence même s’en insinue une autre : si dā̊ et varəštąm ont bien, l’un à la 2e sing., l’autre à la 3e, Ahura Mazdā comme sujet, varəšaitī ne semble pas avoir un acteur divin. Dans Y50.11, arədat̰ (= scr. ŕ̥dhak) semble référer à la dissociation d’un acte haiϑiia et d’un acte fərašō.təma, le premier, à l’instrumental, étant la condition du second. Je suis persuadé que ce système complexe de similitudes malléables et de parallélismes à certains moments déviés est une œuvre volontaire. Il administre par là-même la preuve que nous saisissons mal les ressorts de la poésie gâthique, tant ses procédés stylistiques que la situation qui motivait leur usage. «  Je veux me déclarer votre louangeur, ô Attentif, et l’être autant que je le puis et en suis capable selon l’Agencement, (en déclarant :) « Que le fondateur de l’étatd’existence accomplisse avec Bonne Pensée, grâce à l’acte durable, l’(autre) acte qui est si parfait sous l’effet de la lumière-aurorale ! » Pour la clarté du propos, voici la liste, légèrement adaptée de celle de 2013 : 57-58, des mots du vocabulaire rituel attestés dans la GS :

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48. 49. 50.

1 : 8 : 1 : 5 : 10 : 12 : 4 : 6 : 7 : 8 : 9 : 10 : 11 :

vahmaīštiādāīžā- et āzūitiīžā- et nəmahīšti-, staōta(īš-), yazāi stauuas nəmahvahmaīžā- et nəmahyasnāiš stauuas vahmastaōtar-

Le «  moment sacrificiel  » accède à son intensité maximale entre 50.4 et 11, mais il est aussi le produit d’un long développement. Le premier mouvement est cerné par la répétition de īšti- (48.8 īštōiš – 49.12 īštā) et scandé par une succession de libations diverses : de haoma (49.1 ādā-), de lait (īžā- 49.5 et 10), de beurre (49.5 āzūiti-)38. La libation de haoma et celle de lait tiennent leur importance particulière, la première de son rôle primordial dans la dissolution de l’antagonisme au bénéfice de l’union (Y49.3, 5, 8, 9 sar) avec les forces positives, la seconde en troquant son association à l’āzūiti (49.5) contre celle au nəmah (49.10), qui introduit au moment crucial de l’offrande carnée. Cette dernière trouve son expression dans un dérivé de yaz combiné, comme souvent dans la GA (EAM 6 : 87), à un 38  īš- (50.4) est trop rarement et trop localement attesté (encore 28.7

et 9, peut-être 29.9 en composé) pour servir à l’analyse (2014a : 263). On remarquera aussi que le début de la phase des libations, en 48.8, coïncide avec le début de la frasā, l’apparition d’Aṣ̌i et la sortie de mainiiu.

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dérivé de stu (50.4 yazāi stauuas – 9 yasnāiš stauuas). L’un de ces dérivés l’annonce (49.12 staōtāiš), un autre la prolonge (50.11 staōtā). Deux remarques s’imposent encore sur les extrémités de la hāiti39. D’une part, les strophes initiales 1 à 3 sont vides de vocabulaire rituel, mais massivement occupées par la vache. D’autre part, š́ iiaōϑana- n’est mentionné que dans les trois dernières strophes (la dernière en sous-entendu). On peut soupçonner qu’il se réfère à l’acte décisif de l’offrande carnée, comme dans 34.1 (2013 : 59 n. 7), pour désigner à la fin l’acte ultime qui dispensera la récompense divine. Alors que la GA privilégie le yasna et la GU le vahma, la GS leur accorde une importance égale, mais en usant de procédés stylistiques distincts. Le vahma cerne le « moment sacrificiel » par l’écho de clôture 48.1 vahməm (lointainement anticipé) - 50.10 vahmāi avec le rebond de 50.7 vahmahiiā, tandis que yaz combiné à stu et en alternance avec nəmahmarque le moment culminant de l’offrande carnée. Le «  moment sacrificiel  » présente deux autres particularités difficiles à cerner. À partir de 50.4, l’ancrage du voc. (ahurā) mazdā est toujours pluriel et, à partir de 6, les seules entités mentionnées sont Aṣ̌a et Vohu Manah, présents dans chaque strophe. Il est possible que 4. hadā, en accentuant le caractère sociatif de l’instrumental, personnifie ces abstractions et en fasse les bénéficiaires associés du sacrifice.

39  La zone centrale est ponctuée par la répétition de nəmah- (50.6 et 8),

la dernière en coordination avec īžā- comme dans 49.10.

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Conclusion Le cours de la GS, qui a été décrit sous 50.3, est d’une linéarité limpide. Il conduit de l’évacuation de l’aire sacrificielle motivée par le conflit antagonique à la constitution progressive d’un collège sacerdotal habilité dont émergent pour finir deux protagonistes qui procèdent à l’acte culminant du moment sacrificiel, l’offrande de chair. La logique qui régit les étapes successives est plus transparente que dans les autres Gâthâs, en partie comme effet d’une concision économe de ces développements rhétoriques où parfois se dissout notre capacité d’analyse. Mais aussi cette logique ne peut être véritablement déchiffrée que dans le cadre d’une interprétation des particularités de la Gâthâ (et avouons d’emblée que nous n’avons pas les moyens d’y arriver de manière exhaustive). A Traits particuliers de la GS par rapport aux autres Gâthâs

1 La cosmogonie n’est que parcimonieusement évoquée, seulement par 47.3, et les rares attestations de ahu- (48.2, 6 et 50.11) ne permettent pas de distinguer à quel cycle du temps se réfère l’ahu pauruiia de 48.6. 2 De 47.1 à 48.1, personne ne revendique la responsabilité de parler. La 1re personne, présente dès la strophe initiale dans la GA et dans la GU, ne se manifeste que dans 48.2, qui anticipe sur la frasā de 48.8-1240. Après celle-ci, elle gardera

40   Le «  nous  » (nə̄ ) intermédiaire de 48.5-6, dont les membres se

différencient par la qualité de leur xšaϑra, est le germe de la sélection des sacrifiants, à laquelle il offre un critère. kascīt̰, lui aussi indéterminé, mais exclusivement positif, le relaiera en 49.5.

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la parole, mais entrera dans un rapport compliqué avec la 3e personne à partir de 49.5 (commentaire sous 49.12). 3 Comme dans la GU, la liste des cercles de l’appartenance sociale (49.7) introduit au catalogue des noms-propres, mais le cercle le plus large (dax́iiu-) en est disjoint et associé à la liste des dignités sacerdotales (48.10, 12). 4 Le catalogue des noms-propres, lui aussi réduit, ne mentionne que Fərašaoštra et Də̄jāmāspa (49.8-9), qui figurent, avec quelques variations, en fin de liste dans la GA, la GU et le Y51. 5 Comme celui de la GA, le catalogue des noms-propres se présente comme une « demande ». L’écho de clôture 8. yāsā – 12. yāsąs joue aussi un rôle de transition entre les deux mots qui imprègnent respectivement les deux dernières hāitis. 8 yāsā a pour objet sar- « union » et 12. yāsąs survient dans le contexte de l’« aide » (auuah-), peut-être son objet sousentendu. Or, ces deux mots sont particulièrement fréquents dans la GS. sar « unir » et son nom-racine sar- (49.3, 5, 8, 9) ne sont encore attestés que par 44.17, 53.3 et YH 35.8, auuah- (49.12, 50.1, 5, 7) que par 29.9, en double exemplaire par 32.14 (qu’il s’agisse de la strophe anti haomique laisse rêveur) et, sur 34.4, voir ci-dessous. On peut penser que l’union est le facteur définitif par lequel Haoma change la pensée du sacrifiant en Bonne Pensée (assez clairement 49.3). Le cas de auuah est plus délicat. Quelle peut bien être la différence entre cette notion qui représente l’attente ultime des sacrifiants et les dérivés de rap, si fréquents dans le yāna du Y28 (1, 2, 3, 6) ? 34.4 rapaṇtē ciϑrā.auuaŋhəm les réunit de manière apparemment synonyme, mais il semble toutefois que auuah- soit l’aide apportée au sacrifiant par

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le feu et les dérivés de rap l’aide apportée au feu par le sacrifiant41. 6 Le moment sacrificiel de la GS veille à l’équilibre entre le yasna et le vahma. Les raisons de ce souci nous échappent dans la mesure où nous ignorons en quel acte rituel concret consiste le vahma. Il apparaît toutefois qu’il n’exclut pas l’offrande carnée qu’implique le yasna (voir 34.4 pairī.gaēϑē … vahmē, Cantera 2013 : 113 n. 44) et qui est l’aboutissement du rite de la GS . Le processus complexe et parfois contrarié qui finalement livre la vache aux mains du sacrifiant légitime (50.3) et accroît le feu jusqu’à le faire un dévoreur de chair (50.9) en raconte les étapes successives. 7 Chaque Gâthâ polyhâtique attribue un seul titre de fonction à un seul personnage. La GA (33.6) fait de Zaraϑuštra le zaōtar (ou du zaōtar Zaraϑuštra)42, la GS 50.5-6) en fait le mąϑrān (ou vice-versa). Dans la GU (46.14) le titre de kauui échoit à Vīštāspa, absent de la GS. Il semble que l’attribution du titre correspond à celle d’un type de parole. Dans la GS, le mąϑrān Zaraϑuštra va effectivement prendre la parole ; dans la GS, le kauui Vīštāspa se trouve au moment de prononcer le yāh43 ; 33.6, moins clair, est néanmoins suivi d’un bloc impératif impressionnant (33.7-13).

41   Il est possible que rap et vard (voir sous 50.3) désignent deux

manipulations successives visant au développement du feu. 42  En dernier lieu, Kellens 2018 : 185–193. 43  Le verbe de son discours, zbaiiā, a peut-être la même fonction pour

l’équipe sacrificielle que 31.4 zəuuīm pour les dieux : l’invitation à venir sur l’aire sacrificielle.

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B Traits particuliers par inversion

1 Le rassemblement des six futurs Aməṣ̌as spəṇtas a lieu dans la strophe initiale (47.1), alors que, dans les autres Gâthâs, il paraît l’un des aboutissements du moment sacrificiel (34.11, 45.10), lequel est final dans la GA. 2 La « bonne halte » (48.6 hušōiϑəmā et 11. hušəitiš) à laquelle aspire le récitant ne correspondrait-elle pas au « dételage » (33.5 auuaŋhāna-) auquel met fin le moment sacrificiel de la GA ? 3 Le voyage final de la Daēnā associée aux saōšiiaṇt vers la récompense suprême (mīžda) est, dans la GA, un autre aboutissement du moment sacrificiel (34.12-14), dans la GU, un long processus qui va de l’union entre la Daēnā et les saōšiiaṇt (45.11 – 46.7) à la conquête du mīžda (46.19) en transitant par le catalogue des noms-propres. Dans la GS, ce type de voyage constitue la substance même de la strophe du catalogue des noms-propres consacrée aux Də̄jāmāspa (49.9), tandis que la Daēnā, les saōšiiaṇt et le mīžda ne jouent aucun rôle dans le voyage de Zaraϑuštra, qui figure le moment sacrificiel (50.4-7 ou 9). 4 Le processus qui, dans la GA, substitue aux mains tendues du chantre les mains du feu (28.1 ustānazastō et 29.5 ustānāiš zastāiš – 29.9 zastauuat̰ auuō) est inversé de 50.5 auuaŋhā zastāištā à 50.8 ustānazastō. 5 Le titre de mąϑrān finalement décerné à Zaraϑuštra (50.5-6) rappelle que mąϑra- est attesté dans les deux strophes (28.5, 7) qui cernent celle que le catalogue des noms-propres de la GA consacre à Zaraϑuštra. Si cet embrassement était une manière de le désigner comme mąϑrān en taisant le mot (un seul titre par Gâthâ !), il faudrait en conclure que le cours de la GA comportait la promotion du mąϑrān initial (28.6) en zaōtar final (33.6).

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C Un étrange parallélisme

Dans l’introduction au Y50 de TVA III (p. 271), nous avons souligné le parallélisme entre la dernière strophe de la GS et la dernière période du YH (nonobstant la fidélité des deux textes à leur prédilection pour le singulier ou le pluriel) : 50.11 at̰ və̄ staōtā aōjāi mazdā aŋhācā – 41.5 ϑβōi staōtarascā mąϑranascā ahuramazdā aōgəmadaēcā usmahicā visāmadaēcā. Nous n’avons toutefois été sensibles qu’aux faits les plus stricts : la fonction de staōtar et la série verbale variant sur le verbe « être ». Mais il est remarquable aussi que le YH associe exactement les deux titres, mąϑrān et staōtar, qui définissent le statut respectif des deux protagonistes du Y50, et il y a quelque chose de plus trouble. Le YH adjoint à sa dernière phrase originale une citation partielle et syntaxiquement libre de 40.1 (puis de 40.2 à titre de 41.6) : hiiat̰ mīždəm mauuaiϑīm fradadāϑā daēnābiiō mazdā ahurā « (hiiat̰) la récompense digne de moi que tu as instaurée pour les âmes-voyance, ô Maître Attentif ». C’est mentionner les deux notions qui font défaut au voyage final du staōtar et du mąϑrān Zaraϑuštra : daēnā- et mīžda-. Chaque Gâthâ organise de manière différente les mêmes modules liturgiques. Cette variation peut répondre à plusieurs raisons, mais les indices les plus clairs parlent pour une différence de temps rituel. Il m’a paru, dans mes articles de 2013 et 2014, que tout le processus de la GA tendait vers l’illumination aurorale et le lever du soleil. Ce serait le rite central et décisif dont la GU serait la phase préliminaire (EAM 6 : 128-138), donc ancrée au cœur de la nuit. Qu’en est-il de la GS ? Sans attester le mot ratu-, il arrive à la GS de révéler de manière explicite sa situation dans le temps. La cérémonie doit commencer à un moment culminant du cycle diurne (47.2 vahištəm et 6. vaŋhāu) et non au début comme la GA

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(28.1 paouruuīm). Il doit prendre fin avant que paraisse la lune (48.2), quand les sacrifiants sont encore éblouis par le soleil (50.10). Plusieurs particularités de la GS concourent à suggérer que l’aurore, voire la phase ascendante du jour, n’est pas son temps rituel : l’absence de Sraoša, l’évanescence de la cosmogonie, symboliquement assimilée à la naissance du jour, la non-participation de la Daēnā, figuration de l’aurore, au voyage final, la réduction des cercles de l’appartenance sociale, associés à la propagation de la lumière (EAM 6 : 102). Il en va de même de l’inversion de certains modules. Le titre mąϑrān ramène Zaraϑuštra à sa fonction initiale du Y28. Le temps du zaōtar est passé et aussi celui des mains secourables du feu, qui ne viennent plus relayer celles que tend le chantre, mais les laissent à leur imploration. Le rassemblement général des entités, qui a lieu dès la strophe initiale, et le mīžda, absent de l’opération finale, n’apparaissent pas comme la finalité du sacrifice, mais un acquis qu’il faut préserver jusqu’à ce que tout recommence. On ajoutera que seule la dernière strophe de la GA réserve à l’ahu les qualités haiϑiia- et fraša-, que la GU et la GS appliquent à l’acte qui permettra qu’ils lui soient transférés. En bref, mon impression est que la GA est le récitatif du sacrifice auroral/matinal essentiel, la GU celui d’un sacrifice nocturne/préauroral de préparation, la GS celui d’un sacrifice vespéral de conservation qui permettra de traverser indemne l’obscurité nocturne.

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Appendice : traduction de la Gâthâ spǝṇtā.mainiiu Yasna 47 1 Selon l’Avis faste et la très bonne Pensée, par un acte et une parole conforme à l’Agencement, ils lui donnent, pour qu’elles soient à lui, l’Entièreté et l’Immortalité. Voici le Maître Attentif avec le Pouvoir et la Juste-pensée. 2 Il assure le meilleur moment de l’Avis très faste avec des mots de sa langue inspirés (de ceux) de la Bonne Pensée et des actes de ses mains inspirés (de ceux) de la Justepensée en fonction de cette idée : l’Attentif est le père de l’Agencement. 3 Tu es le père faste de cet Avis et celui qui a taillé la vache pour le rendre plus heureux, puis tu as fait en sorte que la Juste-pensée donne la paix à la pâture de cette (vache) après que (celle-ci), ô Attentif, se soit entretenue avec la Bonne Pensée. 4 De cet Avis faste, ô Attentif, s’écartent les trompeurs, (mais) ceux qui soutiennent l’Agencement ne font pas de même. (C’est pourquoi) l’homme, qui possède si peu, et l’existantéternel, qui possède tant, doivent (l’un et l’autre) être amical pour celui qui soutient l’Agencement et mauvais pour le trompeur. 5 C’est bien par cet Avis faste, ô Maître Attentif, que tu réserves à celui qui soutient l’Agencement ces si bonnes choses que, contrairement aux actes qu’inspire cet (Avis), le trompeur qui habite auprès de la mauvaise Pensée distribue sans ton consentement. 6 C’est par l’Avis faste et par le feu, ô Maître Attentif, que tu donnes au bon moment leur répartition aux deux générosités, grâce au support que la Juste-pensée apporte à

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l’Agencement. Que la (Juste-pensée) écarte donc ceux qui, nombreux, cherchent à venir ! Yasna 48

1 Puisque c’est par ces (essors) que (la Juste-pensée) vaincra la Tromperie grâce à l’Agencement lorsqu’elle se trouvera au moment de donner mouvement à l’apportionnement qui est proclamé réparti en deux (et) de gagner l’Immortalité contre les démons et leurs gens, qu’elle fasse durant ces (moments) d’essor croître le chant-d’adoration pour toi, ô Maître. 2 Dis-moi, ô Maître, ce dont tu es le savant ! Est-ce que celui qui soutient l’Agencement vaincra le trompeur, ô Attentif, avant que la plénitude (ou la trajectoire) de la lune vienne à moi ? Car telle est la bonne norme qu’a trouvée l’état d’existence. 3 À celui qui découvre (cette norme) est destiné l’enseignement le meilleur, celui que dispense selon l’Agencement le Maître généreux, faste, qui connaît même les définitions secrètes et pareil à toi, ô Attentif, par l’aptitude de sa Bonne Pensée. 4 Celui qui rend la pensée meilleure et pire, ô Attentif, rend de même l’âme-voyance par l’acte et la parole, et sa volonté s’accorde à leurs approbations et à leurs choix. C’est du point de vue de ton aptitude que leur fin sera différente. 5 Que ceux (d’entre nous) qui ont un bon Pouvoir l’exercent, que ceux d’entre nous qui ont un mauvais Pouvoir ne l’exercent pas, grâce aux actes qu’inspire la bonne illumination, ô Juste-pensée ! [cc’]. Que ces actes soient accomplis au bénéfice de la vache ! Ne cesse de la faire paître afin qu’elle nous nourrisse ! 6 Que (la Juste-pensée) nous donne un bon lieu d’habitation, qu’elle nous donne la Jouvence et la Force admirées de la Bonne Pensée ! Et que le Maître Attentif fasse croître les plantes pour la (vache) selon l’Agencement quand il engendre l’état premier !

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7 Que le Courroux s’empêtre ! Tranchez l’Entrave, vous qui fixez selon l’Agencement la couverture de la Bonne Pensée dont l’Homme faste est le noueur et dont le piquet se trouve dans ta maison, ô Maître ! 8 Quelle offrande-išti procure ton bon Pouvoir, ô Attentif ? Quelle est celle qui procure ton impulsion, (l’impulsion) que tu as pour moi, ô Maître ? Quelle est (l’impulsion) que, selon l’Agencement, tu rends forte grâce à l’išti en présence des officiants-compétents ? (Car) tu es le [jauuara] des actes inspirés par le bon Avis. 9 Quand saurai-je  ? Puisque vous avez pouvoir selon l’Agencement, ô Attentif, sur tout qui représente un danger qui m’effraie, que me soient dites tout droit les stances de la Bonne Pensée ! Celui-qui-va-s’épanouir voudrait savoir s’il y aura une impulsion pour lui. 10 Est-ce que eux, ô Attentif, acceptent d’être les gens d’un mortel ? Est-ce que lui a frappé l’urine de cette ivresse par laquelle les karapan donnent la colique avec méchanceté et une aptitude qui leur donne mauvais Pouvoir sur la nation ? ». 11 Est-ce que la Juste-pensée, ô Attentif, viendra selon l’Agencement avec le Pouvoir de donner bonne halte et pâture ? Quels sont ceux qui s’empareront de la paix contre les trompeurs sanguinaires ? Et à qui échoira l’illumination de la Bonne Pensée ? 12 Ils seront ceux-qui-vont-s’épanouir sur la nation, ceux qui se consacrent à te mentionner en dédicace avec Bonne Pensée par les actes que tu as définis, ô Attentif, comme conformes à l’Agencement. Les voici donc désignés comme adversaires du Courroux.

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Yasna 49 1 Le très grand Ligoteur s’emplit depuis toujours de mon grain, alors que moi, ô Attentif, je m’efforce (d’en) combler les [dušərəϑrīš] selon l’Agencement. Viens à moi, ô bonne libation, aide-moi, trouve grâce à la Bonne Pensée un moyen de le réduire en cendres ! 2 La doctrine trompeuse de ce Ligoteur me met en colère, (car) elle s’écarte doublement de l’Agencement (en ce qu’) elle ne contraint pas la faste Juste-pensée à lui appartenir et ne consulte pas, ô Attentif, la Bonne Pensée. 3 (Que) l’Agencement soit préposé à ce que (notre) choix fasse s’épanouir, ô Attentif, (et) la Tromperie à ce que (sa) doctrine fasse dépérir, voilà ce que j’attends de l’union avec la Bonne Pensée (et) je bannis de la communauté tous les trompeurs. 4 Ceux de mauvaise aptitude qui accroissent par leur langue le Courroux et l’Entrave, ces non éleveurs parmi les éleveurs dont les mauvais actes ne prévalent pas contre les bons, donnent les démons à l’âme-voyance, qui devient (ainsi) celle du trompeur. 5 Celui-là, ô Attentif, est la libation-de-lait et la libation-debeurre en personne, qui qu’il soit, pourvu qu’en bon parent de la Juste-pensée selon l’Agencement, il ait uni son âmevoyance à la Bonne Pensée. C’est avec eux tous qu’il se trouve au moment où s’exerce ton Pouvoir, ô Maître. 6 Je vous presse de dire, ô Attentif et Agencement, avec toute l’amitié de votre aptitude, comment nous pouvons faire entendre les (sonorités) pour que vous fassiez d’emblée, ô Maître, la différence entre l’âme-voyance (du trompeur et celle) de votre adorateur. 7 Qu’il entende bien cela, ô Attentif, avec Bonne Pensée ! Qu’il l’entende bien selon l’Agencement ! Et toi, écoute, ô Maître ! Quelle sera la tribu, quelle sera la famille qui, grâce à (l’observation des) règles, donnera au clan la bonne qualification ?

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8 Fais en sorte que, pour Fərašaoštra et pour moi, la plus plaisante union avec l’Agencement soit celle que l’on obtient quand s’exerce ton bon Pouvoir – je te demande cela, ô Maître Attentif – (afin que), pour toute la durée, (lui et moi) soyons ceux que tu animes !  9 Que le [fšəŋ́hiia] taillé pour (qu’ait lieu) l’essor entende les leçons, (car) celui qui parle droit n’enseigne pas l’union avec le trompeur maintenant que les (fils de) Də̄jāmāspa ont attelé leur âme-voyance à leur demande (ainsi) attelée selon l’Agencement pour (s’en aller gagner) la meilleure récompense. 10 Voici ce que tu abrites dans ta maison, ô Attentif : la Bonne Pensée, l’âme de ceux qui soutiennent l’Agencement et l’hommage qui, accompagné de la Juste-pensée et de la libation-de-lait, confère le Pouvoir et, charmeur, vous attire ici-bas. 11 Mais aux trompeurs au mauvais Pouvoir, aux mauvais actes, aux mauvaises paroles, à la mauvaise âme-voyance, à la mauvaise pensée, leur âme vient faire tribut de mauvaises nourritures. Qu’ils soient, dans la maison de la Tromperie, des hôtes permanents ! 12 Que peux-tu selon l’Agencement pour Zaraϑuštra qui (t’) appelle à l’aide ? Que peux-tu par la Bonne Pensée pour moi qui vais vous propitier par des éloges, ô Maître Attentif, en demandant cette (aide-là précisément), la meilleure, qui réside dans l’offrande-išti ? Yasna 50

1 De quelle aide mon âme dispose-t-elle ? Quel autre protecteur de mon bétail et de moi-même ai-je trouvé avec certitude au moment où j’implore (cette aide), sinon l’Agencement, toi, ô Maître Attentif, et la très Bonne Pensée ? 2 Comment pourra-t-il, ô Attentif, obtenir la vache qui rend plus heureux, lui qui voudrait qu’elle soit à lui avec sa pâture

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et qui vit tout droit selon l’Agencement parmi les nombreux [huuarə̄ pišiiasū] ? En face d’eux, [nišąsiiā], reconnais-moi comme celui qui observe tes règles. Que selon l’Agencement soit à lui qui peut faire grandir (celui-ci) par l’autorité de son impulsion, ô Attentif, l’êtrevivant que tu lui attribues par Pouvoir et Bonne-Pensée et que le trompeur (, lui,) partage s’il est proche ! Je veux vous sacrifier en vous louant, ô Maître Attentif, ainsi qu’à l’Agencement, à la très Bonne Pensée et au Pouvoir grâce auquel, en face des officiants-compétents dans la maison de bienvenue, il emprunte le chemin de la vigueur en faveur de celui qui veut avoir audience. J’ai été mis en mouvement par vous selon l’Agencement, ô Maître Attentif, dès que vous avez régalé le confident-devos-formules d’une aide visible, manifeste, lancée de vos mains, qui lui permet de nous installer dans le bien-être. Zaraϑuštra, ce collègue qui connaît (vos) formules, ô Attentif, prend la parole en hommage selon l’Agencement. Que le dispensateur de l’aptitude de la langue lui enseigne selon la Bonne Pensée à être l’aurige de mon parcours !  Je vais atteler pour vous selon l’Agencement et avec Bonne Pensée, ô Attentif, les très rapides coursiers de votre chantd’adoration, puissants et perforants dans leur envie de victoire, afin que, grâce à eux, vous gagniez la course pour autant que vous me veniez en aide. Je veux venir vous servir les mains tendues, ô Attentif, en faisant les pas si réputés de la libation-de-lait, venir aussi vous servir selon l’Agencement en vous rendant l’hommage que doit un officiant compétent, venir encore vous servir en dansant la danse de la Bonne Pensée. Je veux en vous louant vous faire offrande selon l’Agencement, ô Attentif, des sacrifices et des actes de Bonne Pensée. Quand je disposerai à volonté de mon impulsion,

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puissé-je me trouver, dispensant la vigueur, au moment d’avidité du dégoulinant. 10 Les actes que je vais accomplir, ceux que tu as désirés et les lumières du soleil que le taureau des jours mérite de recevoir en son œil quand il éjacule, tout cela est destiné à votre chant-d’adoration, ô Maître Attentif. 11 Je veux me déclarer votre louangeur, ô Attentif, et l’être autant que je le puis et en suis capable selon l’Agencement, (en déclarant :) « Que le fondateur de l’étatd’existence accomplisse avec Bonne Pensée, grâce à l’acte durable, l’(autre) acte qui est si parfait sous l’effet de la lumière-aurorale ! 

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Avant-propos (p. 7) Introduction / L’unité et l’originalité initiale de la Gâthâ spəṇtā.mainiiu (p. 9)

1 Yasna 47 (p. 11) 1.1 Caractéristiques générales (p. 11) 1.2 Traduction commentée (p. 12)

2 Yasna 48 (p. 31) 2.1 Dans le sillage de la formule du feu (Y48.1-4) (p. 31) 2.2 Réinvestir l’espace vide et se réapproprier la vache (Y48.5-7) (p. 36) 2.3 La mise en place du dispositif sacrificiel (Y48.8-12) (p. 42)

3 Yasna 49

(p. 51)

3.1 La phase ultime de l’antagonisme (Y49.1-4) (p. 51) 3.2 L’organisation progressive de l’équipe sacrificielle (Y49.5-12) (p. 57)

4 Yasna 50 (p. 69) 4.1 Zaraϑuštra s’approprie la vache et la transmet (Y50.1-3) (p. 70) 4.2 Quelqu’un va prendre la route (Y50.4-6) (p. 75) 4.3 Zaraϑuštra assume le « moment sacrificiel » (Y50.7-11) (p. 80) Conclusion (p. 89) A Traits particuliers de la GS par rapport aux autres Gâthâs (p. 89) B Traits particuliers par inversion (p. 92) C Un étrange parallélisme (p. 93) Appendice traduction de la Gâthâ spǝṇtā.mainiiu (p. 95) Bibliographie (p. 103)

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