Une histoire de la mémoire judiciaire de l’Antiquité à nos jours 9782357231061, 9782357230040

Si dans la mythologie grecque Clio est bien fille de Mémoire, une histoire de la mémoire judiciaire procède, à l’inverse

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Une histoire de la mémoire judiciaire de l’Antiquité à nos jours
 9782357231061, 9782357230040

Table of contents :
Isabelle Storez-Brancourt
Introduction
Première partie. Enregistrement : écrire et décrire
Sophie Démare-Lafont
Écriture et archivage des procès en Mésopotamie
Olivier Canteaut
Les archives du Parlement au temps des Olim
Considérations autour de fragments d’un rôle de 1287
Philippe Paschel
Le Manuale de Nicolas de Villemer
Sylvie Daubresse
Le greffe du parlement de Paris à la fin du XVIe siècle
Quelques opérations d’autocensure
Pascal Bastien
Le greffier en tant qu’exécuteur : parole rituelle et mort sans cadavre (Paris, XVIIe-XVIIIe siècles)
Camille Viennot
Du casier judiciaire aux fichiers de police : la mise en mémoire des données en matière pénale
Deuxième partie. Conservation : hommes et institutions
Alexandre Jeannin
Le greffier durant le haut Moyen Âge : quelle réalité ?
Monique Morgat-Bonnet
Brève histoire des origines médiévales du greffe du parlement de Paris
Julie Claustre
Naissance d’une mémoire judiciaire. Les débuts de la « clergie » du Châtelet de Paris (vers 1320-vers 1420)
Virginie Lemonnier-Lesage
La mémoire judiciaire à Metz à la fin du Moyen Âge : la conservation des jugements des maîtres-échevins
Isabelle Paquay
Le prince, le maire, les échevins et les clercs, acteurs de la mémoire judiciaire et urbaine
Le cas de la Haute Cour de Namur au XVe siècle
François Zanatta
Un acteur de la mémoire judiciaire urbaine : le conseiller pensionnaire dans les villes du Nord de la France (XIVe – XVIIIe siècle)
Guillaume Ratel
Le labyrinthe des greffes du parlement de Toulouse, pivot de la pratique à l’époque moderne (1550-1778)
Camille Dégez
La mémoire de la prison : les greffiers de la Conciergerie (Paris, fin du XVIe siècle-milieu du XVIIe siècle)
David Feutry
Sauver les archives, défendre le roi
La remise en ordre des registres du Parlement d’après les papiers du procureur général Joly de Fleury
Fabrice Mauclair
Greffes et greffiers des justices seigneuriales au XVIIIe siècle
Troisième partie. Exploitation et mémoires concurrentes
Hélène Ménard
Ammien Marcellin : l’historien et la « mémoire judiciaire » à la fin du IVe siècle après J.-C.
Laurent Jégou
« Qui perd gagne »
La place de l’honneur dans la mémoire judiciaire aux IXe-Xe siècles
Patrick Arabeyre
Mémoire judiciaire du parlement de Toulouse
Le projet de Corpus parlamenteum d’Étienne Aufréri (fin du XVe siècle)
Marie Houllemare
Écrire la justice hors le greffe : la mémoire judiciaire dans la ville à Paris au XVIe siècle
Olivier Caporossi
Naissance d’une mémoire judiciaire d’État
L’œuvre du juriste Francisco de Melgar et la junte royale du Bureau en 1695
Louis de Carbonnières
Les conséquences juridiques de l’erreur de plume devant le parlement de Paris sous Louis XV
Émeline Seignobos
L’éloquence : histoire muette d’une autre mémoire judiciaire, des lendemains de la Seconde Guerre mondiale à nos jours
Françoise Hildesheimer
Conclusions
Résumés
Index onomastique

Citation preview

Une histoire de la mémoire judiciaire De l’Antiquité à nos jours

Olivier Poncet et Isabelle Storez-Brancourt (dir.)

DOI : 10.4000/books.enc.1556 Éditeur : Publications de l’École nationale des chartes Année d'édition : 2009 Date de mise en ligne : 26 septembre 2018 Collection : Études et rencontres ISBN électronique : 9782357231061

http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782357230040 Nombre de pages : 418 Référence électronique PONCET, Olivier (dir.) ; STOREZ-BRANCOURT, Isabelle (dir.). Une histoire de la mémoire judiciaire : De l’Antiquité à nos jours. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Publications de l’École nationale des chartes, 2009 (généré le 03 mai 2019). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782357231061. DOI : 10.4000/books.enc.1556.

© Publications de l’École nationale des chartes, 2009 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

UNE HISTOIRE DE LA MÉMOIRE JUDICIAIRE

études réunies par OLIVIER PONCET et ISABELLE STOREZ-BRANCOURT

études et rencontres DE L’ÉCOLE DES CHARTES

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UNE HISTOIRE DE LA MÉMOIRE JUDICIAIRE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

Les textes réunis dans cet ouvrage forment les actes d’un colloque international organisé par l’Institut d’histoire du droit (UMR 718, université Panthéon-Assas-Paris II − CNRS − Archives nationales) et l’École nationale des chartes (12, 13 et 14 mars 2008)

© Copyright 2009 École nationale des chartes All rights reserved. No part of this book may be reproduced or translated in any form, by print, photoprint, microfilm, microfiche or any other means without written permission from the publisher.

ISBN 978-2-35723-004-0 ISSN 1158-6060

études et rencontres DE L’ÉCOLE DES CHARTES

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UNE HISTOIRE DE LA MÉMOIRE JUDICIAIRE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS Études réunies par Olivier Poncet et Isabelle Storez-Brancourt

PARIS ÉCOLE NATIONALE DES CHARTES 2009

Illustration de couverture : Registres du fonds du parlement de Paris, Archives nationales (détail). Cl. Isabelle Storez-Brancourt, avec l’aimable autorisation des Archives nationales. Direction scientifique : Olivier Canteaut Édition et mise en page : Guénaël Visentini

INTRODUCTION PAR

ISABELLE STOREZ-BRANCOURT

« Histoire de la mémoire judiciaire ». Audace ou témérité ? Toute la question réside dans la définition des termes. Histoire de la mémoire judiciaire n’est pas histoire du champ judiciaire, dont la sphère embrasse une infinité de matières. En un temps où la mémoire est devenue un devoir et, fréquemment, un synonyme de l’histoire, la consultation d’ouvrages lexicologiques ou encyclopédiques, pour être méthodologiquement bien ordinaire, ne s’en impose que davantage. Le classique Dictionnaire de Trévoux, au milieu du XVIIIe siècle1, consacre à ce mot, pris au féminin et au singulier2, plusieurs rubriques circonstanciées qui en évoquent successivement les différentes facettes et les subtilités. Commençons par le plus inattendu : « Mémoire » est une « divinité ancienne ». Il s’agit de la belle Mnémosyne qui eut, de son union avec Jupiter, les muses tant aimées des hommes. Clio est bien fille de Mémoire. Quand la poésie vient en renfort de la science… Plus près de notre propos, la mémoire, peut-on lire dans le même Dictionnaire, est cette « puissance, faculté par laquelle l’âme conserve l’image et le souvenir des choses qu’on a vues, ou entendues. Memoria, memoriae vis, recordandi facultas ». En ce sens, précise l’article, le mot « n’a point de pluriel ». De génération en génération, nos Larousse, Littré et Robert, petits ou grands, ne disent guère autre 1. Abrégé du Dictionnaire universel françois et latin vulgairement appellé Dictionnaire de Trévoux, contenant la signification, la définition et l’explication de tous les termes de sciences et arts, de théologie, de jurisprudence, des belles-lettres, d’histoire, de géographie, de chronologie, etc., par M. Berthelin, avocat au Parlement, 3 t., Paris, 1762, t. II, p. 837. 2. Au masculin, le substantif désigne un « écrit sommaire qu’on donne à quelqu’un pour le faire souvenir de quelque chose. Commentarium, instrumentum » (ibid., t. II, p. 838) ; au pluriel, « se dit des livres d’historiens écrits par ceux qui ont eu part aux affaires, ou qui en ont été témoins oculaires, ou qui contiennent leur vie, ou leurs principales actions : ce qui répond à ce que les Latins appellent Commentarii » (ibid.).

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ISABELLE STOREZ-BRANCOURT

chose jusqu’à nos modernes encyclopédies mises en ligne sur Internet : la mémoire, peut-on y trouver par exemple, est ainsi une « aptitude à conserver et à restituer des choses passées » et aussi un « souvenir laissé par quelqu’un ou quelque chose » ; enfin – sur le versant informatique – c’est un « dispositif permettant de stocker des informations », et le synonyme en est alors « conservation »3. Appliquée à notre domaine, le champ judiciaire, la mémoire est donc cette « faculté » et ce « dispositif » destinés à conserver le « souvenir » de la justice rendue dans le passé. Il y a bien trois éléments à distinguer dans la mémoire : le processus, le contenu et la conservation. La mémoire est donc d’abord un processus. Elle est cette fonction psychologique et individuelle, essentiellement attachée au sujet, qui lui permet « de conserver et de faire revenir à l’esprit, à la conscience, une connaissance, une trace d’un savoir, une expérience acquise antérieurement »4. Ces derniers mots renvoient de nouveau à l’abrégé du Dictionnaire de Trévoux qui rapporte la mémoire « au souvenir actuel », évoquant ainsi cette opération qui fait resurgir un passé vécu ou connu dans l’immédiateté de l’actualité. Et l’auteur de l’article s’aventure : « Descartes », peut-on lire, « prétend que les esprits animaux, qui ne sont que les parties les plus délicates du sang, excitent un mouvement sur les fibres les plus délicates du cerveau et y laissent des vestiges, qui sont le souvenir »5. Nos neuroscientifiques s’esclaffent et, depuis la mise en évidence de ce « polypeptide » – une protéine – qui, « modifié par l’influx nerveux », exerce une « dérépression »6, nous affirment avoir tout compris du processus individuel de la mémoire… Les biochimistes viennent à notre secours : cette protéine de la mémoire serait élaborée à la manière d’une bande magnétique de magnétophone. Là, nous avons tous compris. Cette incursion – il faudrait dire effraction – dans le registre de la biologie intéresse pourtant notre propos en ce que les acteurs de la justice (juges, auxiliaires de justice, parties, public), dotés de cette faculté, ont exprimé parfois, à titre privé ou public, se souvenir d’événements judiciaires auxquels ils s’étaient trouvé mêlés. Le fonctionnement propre de la mémoire individuelle, donnant lieu d’ailleurs à de multiples et récurrentes interrogations (siège, processus, fiabilité, durabilité), souvent à la suspicion (amnésie, déformation, parti pris, occultation, refoulement), interfère de façon certaine et évidente dans la construction de l’histoire. Lorsqu’il s’agit du règlement des conflits, dont les solutions conditionnent la stabilité de la communauté, on comprend l’intérêt que la société des hommes attribue aux conditions, individuelles et collectives, qui président à la formation de cette mémoire. 3. http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/memoire/ 4. http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie/memoire-2989 5. Abrégé du Dictionnaire universel…, t. II, p. 837. 6. Voir Vulgaris-médical, cité ci-dessus.

INTRODUCTION

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Car, pour engendrer Clio, Mémoire passe à l’écrit. Alors, précise le Dictionnaire de Trévoux, « la mémoire est cette partie de la rhétorique qui donne des règles pour apprendre un discours par cœur et pour le bien retenir ». Ces règles, en passant de l’oral à l’écrit, sont au cœur de la transmission du fait judiciaire. « Cet art consiste dans une certaine méthode qu’on suit… »7 : appliquée à la justice, cette méthode est une partie, et non des moindres, de la « procédure ». Aussi loin, sans doute, qu’il croise l’écrit, l’historien rencontre des « actes-mémoire » qui attestent une décision de justice, d’abord, des pièces qui en ont été les fondements, éventuellement, etc. Très vite aussi, apparaissent les signes des règles qui ont présidé à leur mise en forme. Des personnes ad hoc, un métier spécifique, se profilent : c’est celui des scribes, des notarii, des greffiers, de tous ceux qui reçoivent mission spéciale et exclusive de « noter », selon des règles précises, plus ou moins fixes, la justice qui est rendue à leurs contemporains sous leurs yeux, à portée de leurs oreilles, afin de la rendre « notoire ». C’est principalement à ces processus de la mémoire collective que les auteurs de ce volume se sont attachés. La mémoire, c’est ensuite un contenu. Mémoire « judiciaire » excluait évidemment la mémoire du droit, et toute réflexion sur les compilations, recueils et autre mémoire des lois ; plus proche encore de la réalité judiciaire, la jurisprudence, en elle-même, ne pouvait faire partie des objets de cette réflexion. Il était indispensable, sous peine d’un éclatement regrettable de la problématique, de centrer cette étude sur les instruments – matériels ou humains – de la conservation et de la perpétuation des décisions de la justice. La question de la conservation est finalement au cœur de la présente entreprise. Devant les évolutions contemporaines des technologies de l’écrit et de l’archivage, il était utile de conduire une réflexion sur les pratiques qui sont à l’origine de la « mémoire judiciaire ». Trois axes de travail ont été, au départ, proposés à l’étude : « archéologie » de la mémoire judiciaire, au sens de connaissance des anciens gisements de sources judiciaires ; découverte des « hommes de la mémoire », ce qui incluait le fonctionnement institutionnel des greffes ; enfin valeur et signification de la mémoire judiciaire, c’est-à-dire sa participation spécifique à la construction de nos modèles ou de nos références. Ce livre est le résultat d’une aventure collective, interdisciplinaire et internationale, associant historiens du droit et juristes, historiens et archivistes. L’un des points de départ fut l’intérêt porté par l’auteur de ces lignes, il y a quelques années déjà, à un modeste secrétaire-commis du greffier en chef au parlement de Paris, obscur collaborateur de la plus grande cour de justice d’Europe. Véritable fantôme du greffe au XVIIIe siècle, Jean-Gilbert Delisle – un prénom qui change tout – m’avait introduite dans un monde encore presque inexploré, celui de la mémoire judiciaire patiemment élaborée par le greffe du Palais de 7. Abrégé du Dictionnaire universel…, t. II, p. 837.

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ISABELLE STOREZ-BRANCOURT

Paris, et plus ou moins bien conservée depuis. Les écrits de Delisle se trouvent dispersés dans une collection jusque-là peu exploitée, issue de la bibliothèque de Roger François Gilbert de Voisins, greffier en chef civil, et conservée dans la série U des Archives nationales. Reliés sous le titre peu explicite de « Conseil secret du Parlement », ces papiers, loin de former l’une de ces collections de copies d’arrêts dont la magistrature du XVIIIe siècle a commandité la confection, sont en réalité d’une extrême diversité et souvent d’une grande originalité. Une analyse attentive de la série U a permis ainsi de rassembler pas moins de soixantesept volumes de teneur comparable, dont soixante seulement constituent un ensemble archivistique8. Delisle, dès les premières années du XVIIIe siècle, puis de façon de plus en plus fréquente et régulière jusqu’au milieu des années 1740, a disséminé entre des documents relevant de l’activité institutionnelle du greffe, des feuillets sur lesquels il griffonnait des nouvelles, des informations, parfois personnelles, le plus souvent d’actualité judiciaire ou politique. De l’empilement inextricable des registres de la cour, la lecture des notes minutieuses et quasi journalières9 de ce personnage mineur permit de faire émerger des logiques, des méthodes de production, de classement et de conservation qui éclairent l’état actuel des fonds judiciaires du parlement de Paris. Ce point de vue, évidemment trop individuel, devait naturellement rencontrer les préoccupations plus anciennes de Françoise Hildesheimer, conservateur en chef responsable de la série X des Archives nationales, fonds, assurément océanique, des archives de la justice rendue au parlement de Paris, du milieu du XIIIe siècle à la Révolution française. L’approche des greffes des anciennes cours de justice de France a été élargie, à l’initiative du Professeur Guillaume Leyte, directeur de l’Institut d’histoire du droit (IHD)10, à la problématique de la mémoire judiciaire en des temps et en des espaces qui, pour avoir connu précocement l’écriture, n’en ont pas pour autant conservé la mémoire des décisions de justice dans les formes que nous appliquons généralement aux greffes. Le projet dépassait alors les limites des recherches effectuées sur le parlement de Paris, depuis 1953, au sein du Centre d’étude d’histoire juridique (CEHJ, département de l’IHD) qui en est resté néanmoins le pilote. Ce thème assurait le lien scientifique entre les différentes composantes de l’Institut, en particulier avec le Centre de documentation des droits antiques. Lancé en septembre 2006, notre projet, sans aucun doute, pouvait paraître ambitieux, supposait une préparation à long terme et, d’emblée, la fédération d’un 8. Arch. nat., U 338-397. 9. Ce « journal » de Jean-Gilbert Delisle doit faire l’objet, prochainement, d’une édition : la communication qui a été présentée le 13 mars 2008, au cours de la table ronde sur les grandes cours parisiennes, Châtelet et Parlement, n’a pas été intégrée dans le présent ouvrage, en raison même de ce projet. 10. UMR 7184, université Paris II-Panthéon-Assas – CNRS – Archives nationales.

INTRODUCTION

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maximum des énergies disponibles. Ce fut le but de l’appel à communications diffusé sur Internet11 et de la formation d’un comité scientifique12. L’entreprise a donc été menée par l’IHD en partenariat avec le Centre historique des Archives nationales, section ancienne, et l’École nationale des chartes. Elle n’aurait pu aboutir sans le dévouement particulier des ingénieurs du CEHJ13. Les textes qui suivent ont d’abord été, dans leur grande majorité, prononcés puis discutés au cours de quatre demi-journées de rencontre scientifique14, qui se sont tenues à Paris les 12, 13 et 14 mars 2008, à la Faculté de droit de Paris et aux Archives nationales (Hôtel de Rohan). Que soient donc chaleureusement remerciés les hôtes d’alors, et en particulier Bruno Galland, directeur scientifique du site parisien des Archives nationales, ainsi que les présidents et animateurs des diverses séances, Jacques Berlioz, directeur de l’École nationale des chartes, Elizabeth A. R. Brown, professeur émérite à l’université de New York, Jean-Pierre Coriat, professeur et directeur de l’école doctorale d’histoire du droit de l’université Paris II-Panthéon-Assas, Claude Gauvard, de l’Institut universitaire de France, professeur à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne. Je remercie particulièrement les directeurs de l’Institut d’histoire du droit, Guillaume Leyte et Olivier Descamps, pour leurs interventions au cours de ces journées et pour la confiance qu’ils ont bien voulu m’accorder dans l’organisation de cette manifestation. Ma gratitude toute spéciale revient enfin à Olivier Poncet, professeur à l’École nationale des chartes, qui fut l’animateur de la table ronde sur les greffes des grandes cours parisiennes et un co-éditeur particulièrement efficace dans la mise en œuvre de ce volume. De l’écriture aux hommes qui tiennent la plume, de la production des actes aux lieux et aux aléas de leur conservation, de la mémoire judiciaire à son utilisation ou à son utilité, il apparaît, au fil de la relecture, que les axes initialement ébauchés se retrouvent, dans chaque participation, le plus souvent intimement 11. Voir http://calenda.revues.org/nouvelle7412.html 12. Le comité scientifique du colloque était composé de Jacques Berlioz, Elizabeth A. R. Brown, Sophie Démare-Lafont, Claude Gauvard, Françoise Hildesheimer, Guillaume Leyte, Christine Nougaret (relayée par Jean-Pierre Brunterc’h), Olivier Poncet et Isabelle Storez-Brancourt. La programmation a été fondée sur un recentrage du colloque sur la question des archives judiciaires, des greffes et de leur personnel, redirigeant vers un séminaire complémentaire tous les sujets qui touchaient au contenu même des décisions de justice et à la jurisprudence, ou bien à la problématique trop générale de la « mémoire ». Ce séminaire de l’IHD s’est tenu, sous le titre « Autour de la mémoire judiciaire », à l’université Paris II-Panthéon-Assas, de décembre 2007 à juin 2008. 13. Nous prions Monique Morgat-Bonnet de trouver ici l’expression de nos remerciements. 14. Barbara Anagnostou-Canas, trop sollicitée dans un domaine où les spécialistes sont rares désormais, a dû renoncer à nous donner le texte de sa communication : « Archives officielles et mémoire procédurale dans l’Égypte romaine » ; en revanche, les articles d’Hélène Ménard et d’Olivier Canteaut, proviennent de séances du séminaire « Autour de la mémoire judiciaire ».

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ISABELLE STOREZ-BRANCOURT

entremêlés. En revanche, trois points de vue différents émergent pour ainsi dire naturellement : celui de l’écriture des actes de la vie judiciaire, celui de la conservation des actes pour « mémoire », par les institutions productrices elles-mêmes, enfin celui de l’exploitation de cette mémoire institutionnelle pour la rédaction de l’histoire et l’apparition parfois d’une « autre » mémoire, parallèle ou concurrente, de la vie judiciaire. La première partie de cet ouvrage est donc consacrée à l’écriture de la mémoire judiciaire. Le lecteur y suivra avec tout l’intérêt qu’ils méritent ces exposés qui le conduiront de l’univers méconnu de la Mésopotamie la plus ancienne (Sophie Démare-Lafont) au labyrinthe des fichiers permettant l’enregistrement des informations en matière d’infractions pénales de la France d’aujourd’hui (Camille Viennot). Ce faisant, il traversera l’étonnant « laboratoire » dans lequel s’est écrite la toute première mémoire du parlement de Paris au XIIIe siècle (Olivier Canteaut), puis, au XIVe siècle (Philippe Paschel), il suivra les méandres de l’inquiète mise en mémoire du temps des guerres de Religion (Sylvie Daubresse) ; il écoutera enfin, stupéfait, la parole rituelle du greffier lors des exécutions de justice au XVIIIe siècle (Pascal Bastien). Objet de la deuxième partie, la conservation des actes s’incarne dans des hommes qui animent des institutions auxquels ils s’identifient le plus souvent : il ne faut pas moins que la fédération de neuf travaux patients et érudits pour en éclairer les aspects les plus curieux, du Moyen Âge à la fin du XVIIIe siècle. Après l’exposé de l’institution progressive du greffe médiéval du parlement de Paris (Monique Morgat-Bonnet), le lecteur découvrira l’univers de la « clergie » d’une juridiction tout aussi exceptionnelle en son temps, celle du Châtelet de Paris (Julie Mayade-Claustre). Dans un ensemble de textes particulièrement harmonieux, il s’octroiera les clefs des « coffres » de la conservation de la mémoire des justices urbaines de Metz (Virginie Lemonnier-Lesage), de Namur (Isabelle Paquay) et du Nord de la France (François Zanatta). En suivant l’ingénieur François de Garipuy, et médusé comme lui, il apprendra ce que furent les « sacs » et dans quelles conditions les greffiers du parlement de Toulouse, qui les manipulaient quotidiennement, s’activaient pour servir au mieux les intérêts de la justice à l’époque moderne (Guillaume Ratel). Toujours plus curieux, il fera la connaissance des greffiers de la Conciergerie de Paris à la fin du XVIe et au XVIIe siècle (Camille Dégez). Avec David Feutry et Fabrice Mauclair, enfin, il saisira les enjeux de la modernisation administrative du XVIIIe siècle à travers, d’une part, les efforts mal connus de remise en ordre des registres du parlement de Paris, d’autre part, d’une approche tout à fait nouvelle des greffes et des greffiers des justices seigneuriales de France. Une mémoire créée, conservée. Il manquait encore d’en mesurer l’usage. C’est ce à quoi s’attellent les ultimes contributions du livre. Elles sont consacrées à l’exploitation par des historiens, anciens ou modernes, de la mémoire de

INTRODUCTION

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la justice rendue, ainsi qu’à la formation, du fait même de cette exploitation parfois, d’une « autre » mémoire judiciaire, parallèle à la première, concurrente aussi de celle qui a été sécrétée par l’institution. Hélène Ménard nous présente Ammien Marcellin comme témoin de la justice de son temps et chercheur avisé d’une mémoire aujourd’hui disparue. Laurent Jégou montre l’utilisation qui peut être faite des archives que la justice des IXe-Xe siècles a laissé, pour comprendre l’enjeu majeur de la conservation de « l’honneur » qui anime juges et plaideurs à cette époque. Patrick Arabeyre retrace le projet formé par Étienne Aufréri, à la fin du XVe siècle, de constituer un Corpus parlamenteum par lequel le parlement de Toulouse, et d’autres sans doute, aurait puisé aux sources de sa jurisprudence. Marie Houllemare nous place, en quelque sorte, hors des murs du Palais pour recevoir, à travers les mémorialistes et les avocats, les échos de cette « autre » mémoire qui n’est pas toujours tendre avec l’institution, tandis que l’Espagne, trop rarement intégrée à notre champ de recherche, fournit, avec Olivier Caporossi, l’illustration d’une exploitation « intéressée » de la mémoire judiciaire dans la défense, par Francisco de Melgar, d’un privilège juridictionnel contesté ou concurrencé, au XVIIe siècle. En s’interrogeant, pour sa part, sur « l’erreur matérielle » et les conséquences de l’erreur de plume devant le parlement de Paris, au XVIIIe siècle, Louis de Carbonnières démontre la permanence jusqu’à nos jours de certaines failles de la mémoire judiciaire. Enfin Émeline Seignobos aborde la question des nouveaux moyens de mise en mémoire, en particulier l’enregistrement vidéo des procès, du moins de ceux qui sont sélectivement déclarés les plus importants : ils nous introduisent dans « l’histoire muette d’une autre mémoire judiciaire », celle de l’éloquence. À la suite de Françoise Hildesheimer, qui dans ses propos conclusifs réaffirme toute la pertinence de ces investigations pour une meilleure pesée et appréciation des archives judiciaires, souhaitons qu’elles trouvent rapidement et régulièrement des prolongements scientifiques. Il me reste enfin à remercier, au nom d’Olivier Poncet et de moi-même, l’École des chartes, en la personne de son directeur, Jacques Berlioz, et de son service des publications, Olivier Canteaut, directeur, et Guénaël Visentini, d’avoir jugé que ces beaux travaux méritaient une mise en mémoire. Isabelle STOREZ-BRANCOURT Institut d’histoire du droit (Centre d’étude d’histoire juridique), université Panthéon-Assas-Paris II – CNRS – Archives nationales

PR EMI ÈR E PART I E

ENREGISTREMENT : ÉCRIRE ET DÉCRIRE

ÉCRITURE ET ARCHIVAGE DES PROCÈS EN MÉSOPOTAMIE* PAR

SOPHIE DÉMARE-LAFONT

Dans l’énorme masse documentaire que représentent les tablettes cunéiformes, les textes juridiques sont majoritaires et, parmi eux, les textes de procès représentent un ensemble assez consistant, quoique disparate et discontinu. La manière dont ils ont été rédigés et archivés varie selon les époques et les régions mais une constante se dégage de cette grande diversité : la mise en forme du document dépend de l’usage pratique qui en sera fait. Selon que la tablette sera conservée par l’administration ou par un particulier, elle n’adopte pas le même formulaire ni les mêmes caractéristiques physiques. Il n’existe donc pas une rédaction standardisée des procès pour toute la Mésopotamie, mais des modèles différents qui dépendent en partie des habitudes d’écriture locales et en partie du contexte public ou privé de leur rédaction et de leur conservation. Les catégories de « public » et de « privé » ne sont pas toujours pertinentes pour l’histoire ancienne, particulièrement pour l’antiquité proche-orientale. L’existence d’un véritable État, indépendant de la personne de ses gouvernants, est discutable en Mésopotamie. À beaucoup d’égards, le roi agit comme le chef d’une maisonnée, dirigeant son palais comme le font les grands propriétaires fonciers sur leur domaine1. Il semble d’ailleurs que dans les méthodes qu’elle emploie, notamment pour l’archivage, l’administration royale mélange les affaires privées du roi et les affaires publiques du royaume. Ainsi que l’a souligné Dominique Charpin, lorsqu’on parle d’« archives royales » en Mésopotamie, il faut comprendre qu’il s’agit des archives du roi2. L’unité documentaire est réalisée autour de sa personne * Par convention, le sumérien est en caractères romains et l’akkadien en italique. 1. Raymond Westbrook, « International law in the Amarna age », dans Amarna diplomacy, éd. Raymond Cohen et Raymond Westbrook, Baltimore, 2000, p. 28-41, part. p. 29. 2. Dominique Charpin, « Esquisse d’une diplomatique des documents mésopotamiens », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 160, 2002, p. 487-511, part. p. 505.

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et non autour des concepts d’État ou de chose publique. On retrouve une situation semblable dans les archives des familles riches, qui sont gérées comme une institution avec des critères hiérarchiques et tout un personnel attaché à la rédaction et à la conservation des tablettes3. Il en va de même pour certains dignitaires exerçant des fonctions officielles ; le cas de Shamash-hâzir, responsable du cadastre à Larsa (dans le sud mésopotamien) à l’époque de Hammurabi (XVIIIe s. av. J.-C.), en est un bon exemple : ses archives contiennent les lettres envoyées par le roi, celles de sa propre femme, des tablettes comptables et d’autres liées à ses activités commerciales personnelles4. Parce que ces textes proviennent de fouilles clandestines, il est impossible de savoir si Shamash-hâzir rangeait séparément ce qui relevait de sa fonction publique et ce qui concernait sa vie privée. Mais le cas contemporain et assez parallèle d’un personnage important nommé Ur-Utu, Grand Lamentateur de la déesse Annunitum à Sippar (à côté de Bagdad), nous montre qu’il n’y avait pas de distinction dans l’archivage des documents5. Si donc, du point de vue du classement des sources, la frontière entre domaines « public » et « privé » est incertaine, d’autres critères d’archivage des textes existent, puisqu’il faut pouvoir identifier une tablette à coup sûr et savoir où la chercher. Lorsque le stockage se fait dans des paniers ou des casiers, ils sont munis d’étiquettes6 ; quand les documents sont rangés sur des étagères, ils sont marqués sur la tranche7 ; quand ils ont été enregistrés et reportés sur des tablettes récapitulatives, ils sont barrés en rouge8 ou sont 3. L’exemple le plus éloquent est celui des archives de la famille Egibi, qui proviennent de Babylone et couvrent cinq générations aux VIIe-Ve s. av. J.-C. Pour une présentation de ces archives, voir Cornelia Wunsch, « Neubabylonische Urkunden : die Geschäftsurkunden der Familie Egibi », dans Babylon : Focus mesopotamischer Geschichte, Wiege früher Gelehrsamkeit, Mythos in der Moderne, éd. Johannes Renger, Saarbrück, 1999 (Colloquien der Deutschen Orient Gesellschaft, 2), p. 343-364. 4. Pour la correspondance de Shamash-hâzir, voir Franz R. Kraus, Briefe aus dem Archive des Šamaš-hāzir in Paris und Oxford (Textes cunéiformes du Louvre, 7 et Oxford editions of cuneiform texts, 3), Leyde, 1968 (Altbabylonische Briefe, 4). 5. Pour l’édition de ces archives, voir Karel Van Lerberghe et Gabriela Voet, Sippar-Amnānum. The Ur-Utu archive, t. I, Gand, 1991 (Mesopotamian history and environment texts, 1). 6. Ce procédé est courant dans tout le Proche-Orient ancien à partir de la fin du IIIe millénaire. Il est massivement documenté durant l’empire d’Ur, vers 2000 av. J.-C., notamment pour les textes judiciaires comme on va le voir plus loin. 7. Tel est le cas par exemple pour le classement des archives administratives d’Isin sur l’artisanat, au XXe siècle av J.-C. Sur cette question, voir Marc van de Mieroop, Crafts in the early Isin period : a study of the Isin craft archive from the reigns of Išbi-Erra and Šū-ilišū, Louvain, 1987 (Orientalia Lovaniensia analecta, 24). Plus tard, lorsque l’araméen devient au Ier millénaire la lingua franca de tout le ProcheOrient, les scribes gravent sur la tranche des tablettes un résumé en araméen, pour faciliter les recherches et la consultation des documents. Voir à ce sujet Frederick Mario Fales, Aramaic epigraphs on clay tablets of the Neo-Assyrian period, Rome, 1986 (Studi semitici. Nuova serie, 2). 8. Pour cette pratique attestée à Mari, un royaume syrien sur l’Euphrate, au XVIIIe siècle av. J.-C., voir D. Charpin, « Une pratique administrative méconnue », dans MARI, t. 3, 1984, p. 258-259, et « Les archives du devin Asqudum dans la résidence du “chantier A” », dans MARI, t. 4, 1985, p. 453-462, part. p. 461.

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marqués d’une croix tracée avec une pointe9. Le scribe peut aussi utiliser un format spécifique de tablette pour un type particulier de document : une grande tablette à colonnes pour un récapitulatif comptable annuel ; une petite tablette pour la comptabilité quotidienne ; une tablette ronde pour l’attribution d’un lot de terre et le calcul de son rendement10. Ces éléments matériels sont essentiels car ils révèlent les catégories conceptuelles retenues par le scribe, organisées autour de la notion d’archivage : qui va garder le texte et pour en faire quoi ? Ce sont ces deux questions que l’on peut poser à la documentation judiciaire cunéiforme. On observe en effet une tendance des scribes à rédiger différemment les tablettes selon leur destination finale, soit au sein d’archives gérées par le pouvoir royal, soit au sein d’archives familiales à caractère privé. Dès lors, même si ces deux sphères se chevauchent dans les faits et ne correspondent à aucune terminologie explicite, il semble que les Mésopotamiens aient pressenti l’utilité de leur distinction en adoptant des conventions de rédaction spécifiques pour chaque domaine. Ces deux façons de rédiger un procès correspondent à deux regards différents sur une même réalité juridique et sont illustrées notamment dans deux grands ensembles documentaires qui se succèdent chronologiquement: le premier groupe date de l’empire d’Ur, qui a duré un peu moins d’un siècle au tournant des IIIe et IIe millénaires av. J.-C., et qui a conservé de nombreuses traces de l’activité des tribunaux grâce à l’archivage public des sentences (I) ; le second corpus se situe à la période suivante, appelée paléo-babylonienne (première moitié du IIe millénaire), et rassemble au contraire des procès rédigés comme des actes privés et archivés par les particuliers (II).

I. — L’ARCHIVAGE PUBLIC DES PROCÈS DANS L’EMPIRE D’UR11 On possède un peu moins de trois cents comptes rendus de procès sumériens, qui sont autant de documents officiels conservés dans des archives publiques et provenant pour la plupart de l’ancienne Girsu (actuel site de Tello, 9. C’est le procédé utilisé à Babylone à la même époque. Voir par exemple Jacob J. Finkelstein, Old Babylonian legal documents, Londres, 1968 (Cuneiform texts from Babylonian tablets in the British Museum, 48), pl. 23, n° 47. Je remercie Francis Joannès de m’avoir signalé cette référence. 10. D’habitude, les tablettes rondes sont réservées aux exercices scolaires. Pour l’usage particulier qu’en fait l’administration à Lagash, durant l’empire sumérien, vers 2000 av. J.-C., voir Giovanni Pettinato, Die runden Tafeln, Rome, 1969 (Analecta Orientalia, 45) et Kazuya Maekawa, « The agricultural texts of Ur III Lagash of the British Museum (II) », dans Acta Sumerologica, t. 4, 1982, p. 85-127, part. p. 98-101. 11. Je remercie Bertrand Lafont pour sa relecture attentive et ses commentaires pertinents. Il va de soi que les erreurs qui subsisteraient m’incombent entièrement.

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dans le sud mésopotamien), capitale de la province de Lagash12. D’autres sources, moins nombreuses, ont été retrouvées sur le site voisin d’Umma et quelques exemplaires à Ur et à Nippur. Il est frappant de constater la concentration géographique de ces textes judiciaires à Girsu, peut-être due toutefois au hasard des découvertes archéologiques. La principale caractéristique de ces textes est leur brièveté : ils contiennent les noms des parties, l’objet du litige exposé très succinctement, parfois même à travers la preuve rapportée, le jugement, le nom de l’« assesseur » (en sumérien mashkim*), celui des juges et enfin la date (voir texte n° 1). Il n’y a ni témoins ni sceaux, ce qui est typique de l’archivage « public ». Certains documents récapitulatifs réunissant plusieurs procès tranchés par le même juge, sans doute dans la même journée, sont encore plus concis (voir texte n° 2). Ils sont généralement élaborés par affinités thématiques : les dossiers de droit pénal sont séparés des procès civils, eux-mêmes répartis entre droit de la famille (mariage, filiation, succession) et droit des biens (esclaves, terres, bétail). Les aspects factuels sur les circonstances du litige ou les éléments préliminaires sont négligés, car ils sont inutiles dans la perspective de l’archivage public. La conservation de ces tablettes n’est pas destinée à garder la mémoire de la totalité du procès mais seulement de sa sentence, afin d’appliquer le principe d’autorité de la chose jugée (voir infra). L’administration de la preuve se fait souvent au moyen du serment, même en présence de preuves écrites: ainsi par exemple au texte n° 1 où le défendeur, bien qu’il puisse produire son titre de propriété, doit jurer que le prix de la maison a bien été payé. Or, le serment est prêté au temple et non pas devant les juges, ce qui signifie que les parties doivent se déplacer hors du tribunal. Le texte n’évoque pas cet aspect important de la procédure et présente le serment comme ayant déjà été effectué. La rédaction du document ne correspond donc pas au déroulement exact du procès, mais seulement à son résultat final : celui qui jure gagne l’affaire, qui est alors présentée comme « terminée ». L’en-tête de la tablette, « affaire terminée », reflète le moment de la rédaction du texte et non l’ordre dans lequel se déroulent les étapes de l’instance. Le formulaire de ces documents obéit ainsi à des considérations archivistiques : le jugement est présenté artificiellement comme un bloc, sans séparation entre les différentes étapes de la procédure. Cette mention « affaire terminée » (en sumérien di-til-la) figure dans les deux tiers des documents judiciaires. Théoriquement, donc, le procès qui est exposé 12. Pour l’édition et le commentaire de ces textes, voir Adam Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden, 2 t., Munich, 1956 (Bayerische Akademie der Wissenschaften philologisch-historische Klasse. N.F., 40). Pour une sélection de ces procès, traduits et commentés en français, voir Bertrand Lafont, « Les textes judiciaires sumériens », dans Rendre la justice en Mésopotamie. Archives judiciaires du Proche-Orient ancien (IIIe-Ier millénaires avant J.-C.), éd. Francis Joannès, Saint-Denis, 2000, p. 35-68.

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à la suite de cette suscription devrait comporter les éléments cités plus haut. Or, on constate que des actes non contentieux sont aussi désignés comme « affaires terminées ». Il s’agit de dispositions enregistrées par les juges et concernant des questions d’état des personnes ou d’état civil (mariage, affranchissement des enfants d’un esclave, adoption…). A priori, de telles mesures de droit privé n’intéressent pas les tribunaux et ne nécessitent pas l’intervention d’un juge ; peut-être voulait-on leur donner ainsi davantage de solennité13. Mais la mention di-til-la a pu aussi être apposée sur ces tablettes comme une sorte de label permettant de les classer parmi les archives publiques et éventuellement de les utiliser plus tard en justice. Malheureusement, il n’y a aucun exemple de production de tels documents dans les jugements qui ont été conservés. Cette carence est d’autant plus étonnante que l’administration utilise ses propres archives dans d’autres domaines comme la comptabilité14. Adam Falkenstein, qui a magistralement édité ces textes judiciaires dans les années 1950, y voyait l’effet conjugué d’une tendance lourde de la bureaucratie sumérienne à l’inertie et d’une opposition corporatiste d’une partie du personnel judiciaire, les « assesseurs » (mashkim)15. De fait, la mémoire du tribunal est assumée par ces personnages essentiels, dont les fonctions sont mal connues mais qui semblent s’occuper surtout de l’administration de la preuve. L’« assesseur » est toujours cité à la fin de la tablette, avant les noms des juges. Le terme même est difficile à traduire, faute d’étymologie. Il ne s’agit pas d’un métier à proprement parler, car plusieurs des individus portant ce titre exercent d’autres fonctions parallèlement. L’« assesseur » perçoit une rémunération pour ses activités, versée peut-être par la partie qui a gagné le procès. La principale utilité de cet auxiliaire de justice est de rappeler le jugement précédemment rendu dans la même affaire, afin de faire appliquer une sentence identique. Il garantit ainsi le principe d’autorité de la chose jugée (texte n° 3). C’est sans doute lui qui a accès aux archives judiciaires pour connaître la teneur du verdict déjà prononcé. Il ne produit pas le document antérieur mais établit son contenu sous serment. On peut voir dans cette pratique un effet de lobbying exercé par un groupe de privilégiés16 ou une défiance, typique de la culture juridique mésopotamienne, à l’égard du document écrit17. Mais une explication plus pragmatique peut être envisagée. 13. A. Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden…, t. I, p. 13. 14. Des extraits des livres de compte sont produits dans les rapports internes pour établir l’exactitude de certains bilans. Voir ibid., p. 73. 15. Ibid. 16. Telle est l’interprétation d’Adam Falkenstein (ibid., p. 147). 17. Sur la primauté du témoignage dans les droits cunéiformes, voir Guillaume Cardascia, « Réflexions sur le témoignage dans les droits du Proche-Orient ancien », dans Revue d’histoire du droit, t. 73, 1995, p. 549-557.

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Il faut en effet se demander comment l’« assesseur » accède aux archives judiciaires. On admet généralement que les tablettes administratives sont rangées dans des paniers munis d’une étiquette indiquant la période de temps couverte par les documents concernés, en général un an, quelque fois deux18. Sur les quelque trois cents étiquettes connues à l’heure actuelle, les deux tiers proviennent de Lagash. Elles portent des indications brèves du type « inspection », « comptes », « rations » ou encore « affaires terminées », ce qui correspond aux catégories utilisées par les temples pour leur organisation administrative interne. Sur les étiquettes de procès sont parfois ajoutés les noms des juges, celui du gouverneur et celui du grand vizir, le plus haut responsable de l’administration impériale. Aucune de ces étiquettes n’a été retrouvée in situ. Il n’est pas sûr cependant que les paniers aient été utilisés pour la conservation durable des tablettes. On sait qu’il y avait à Girsu un bâtiment spécialement affecté à l’archivage de l’abondante production écrite issue des diverses administrations de l’empire. Les textes y étaient installés par rangées de six sur des bancs, suivant manifestement un ordre chronologique19. Les paniers étiquetés ne devaient donc servir qu’au transport des tablettes vers le centre d’archivage de la province de Lagash, où les documents étaient enregistrés, classés et rangés dans le dépôt officiel20. C’est sans doute à cette occasion qu’étaient rédigées les tablettes récapitulatives, afin de réguler le flux continu d’arrivage des textes. Il est possible que les étiquettes, détachées des paniers, aient été conservées pour servir de repère sur les étagères, ce qui justifierait qu’on en ait retrouvé autant. Il était sans doute préférable que les tablettes, une fois archivées, ne soient plus déplacées. L’« assesseur » devait donc venir les consulter sur place et faisait ensuite une déposition orale au tribunal. Le recours aux services de ce témoin institutionnel serait ainsi dicté par les contraintes de l’archivage centralisé des sentences. Une autre piste de réflexion est fournie par un fait sans doute banal dans la pratique administrative sumérienne, mais pourtant fort peu attesté dans les sources : la rédaction d’un même procès en deux exemplaires (ou peut-être 18. Pour une étude de ces étiquettes, voir Nikolaus Schneider, « Die Urkundenbehälter von Ur III und ihre archivalische Systematik », dans Orientalia, t. 9, 1940, p. 1-16 ; Richard C. Nelson, Pisandub-ba texts from the Sumerian Ur III dynasty, Minnesota, 1976 ; et id., « Inventory of pisan-dub-ba texts », dans Studies in honor of Tom B. Jones, éd. Marvin A. Powell jr. et Ronald H. Sack, NeukirchenVluyn, 1979 (Alter Orient und Altes Testament, 202), p. 43-56. 19. Tom B. Jones, « Sumerian administrative documents : an essay », dans Sumerological studies in honor of Thorkild Jacobsen, éd. Stephen J. Lieberman, Chicago, 1975 (Assyriological studies, 20), p. 4161, part. p. 43-45. 20. En ce sens, Klaas R. Veenhof, « Cuneiform archives. An introduction », dans Cuneiform archives and librairies, comptes rendus de la 30e Rencontre assyriologique internationale, éd. K. R. Veenhof, Leyde, 1986 (Publications de l’Institut historique-archéologique néerlandais de Stamboul, 57), p. 136, part. p. 18.

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davantage), par des scribes distincts travaillant séparément. Le cas est documenté à propos d’une contestation de vente servile (texte n° 4) : les deux comptes rendus dressés pour ce procès21 relatent à l’évidence la même affaire mais présentent des différences formelles importantes, l’une des deux versions contenant la déclaration de la servante qui conteste son état et omettant de mentionner la présence de sa mère à l’instance. L’archivage en double n’est pas un usage administratif connu, et c’est sans doute par erreur que les deux tablettes ont été gardées. En revanche, il était sans doute courant que plusieurs scribes prennent en note un même procès de manière indépendante. On pourrait alors imaginer que l’un des exemplaires était remis à l’« assesseur » comme aidemémoire, pour simplifier la procédure de vérification. Quoi qu’il en soit, la standardisation formelle des textes de procès résulte bien d’une démarche administrative et archivistique : les scribes doivent conserver les éléments nécessaires pour que l’« assesseur » sache comment intervenir le cas échéant. Compte tenu du faible nombre de ses interventions dans la documentation néo-sumérienne, on peut se demander si la mise en place d’un tel système, assez lourd et bureaucratique, a été vraiment performante. En réalité, l’objectif était peut-être beaucoup plus ambitieux : la mise en forme standardisée des jugements et leur regroupement thématique sur des tablettes récapitulatives pourraient s’inscrire dans un processus d’unification du droit, déjà entamé avec la codification réalisée par le fondateur de l’empire sumérien, Ur-Namma (2112-2095)22. L’harmonisation des règles juridiques a été réalisée à la fois par la fonction du mashkim, artisan de la stabilité des solutions jurisprudentielles, et par la systématisation des archives sous forme de récapitulatifs autour de quelques grandes catégories juridiques.

II. — L’ARCHIVAGE PRIVÉ DES PROCÈS À L’ÉPOQUE PALÉO-BABYLONIENNE Curieusement, pour les cinq cents ans que couvre la période considérée, la Babylonie n’a livré que quelque trois cents tablettes de procès, soit un nombre à peu près équivalent à ce qu’a produit l’empire sumérien en quatre-vingts ans. Cette relative rareté des sources judiciaires est d’autant plus surprenante qu’elle se situe à l’époque du rayonnement juridique de la Babylonie, caractérisé par la 21. A. Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden…, t. I, p. 61-63, n° 37 et Edmond Sollberger, « Some legal documents of the third dynasty of Ur », dans Kramer anniversary volume. Cuneiform studies in honor of Samuel Noah Kramer, éd. Barry L. Eichler et al., Neukirchen-Vluyn, 1976 (Alter Orient und Altes Testament, 25), p. 435-450, part. p. 439-440, n° 4. 22. Pour la traduction du Code d’Ur-Namma, voir Martha Roth, Law collections from Mesopotamia and Asia Minor, Atlanta, 1997 (Society of biblical literature, 6), p. 13-22 et Claus Wilcke, « Der Kodex Urnamma (CU) : Versuch einer Rekonstruktion », dans Riches hidden in secret places, ancient Near Eastern studies in memory of Thorkild Jacobsen, éd. Tzvi Abusch, Winona Lake, 2002, p. 291-333.

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publication de trois recueils législatifs (dont le célèbre Code de Hammurabi) et par une abondante production de contrats de toutes sortes. Bien sûr, il reste certainement beaucoup de découvertes à faire dans les sites irakiens, mais cet argument n’explique pas tout. L’archivage très centralisé de la bureaucratie sumérienne contraste avec la grande dispersion des documents babyloniens. Le contexte privé de leur conservation explique peut-être leur faible nombre. De fait, à l’heure actuelle, la quasi totalité du corpus des textes de procès paléo-babyloniens émane d’archives privées et concerne surtout des litiges sur la propriété et les biens23. Parce qu’elles ne sont pas rédigées par et pour l’administration royale, les tablettes babyloniennes de procès ne sont pas aussi standardisées que celles de l’empire d’Ur. Elles ont en revanche la même tendance à la concision, qu’il s’agisse de l’exposé du litige lui-même et de ses origines ou des moyens de droit invoqués par les parties. De par leur structure, les textes de procès ressemblent aux actes de la pratique sur trois points essentiels : l’enveloppe entourant la tablette, les témoins et les sceaux. L’enveloppe commence par la mention « tablette » (dub), puis vient l’énoncé du procès avec l’objet du litige et les noms des parties, les moyens de preuve, le jugement, la clause de non-revendication, les noms des témoins, la date et les sceaux (des témoins, des parties, des juges ou des officiers publics). La tablette intérieure porte un résumé du texte de l’enveloppe et n’est pas scellée en principe. Un bon exemple de document standard est donné par le texte n° 5. Le premier mot, « tablette » (dub), indique qu’il s’agit de l’enveloppe. L’exposé des faits tient en quelques lignes et concerne une contestation à propos d’une maison dont on donne la localisation rapide par le nom de la ville où elle se trouve. Viennent ensuite les noms des parties, deux femmes nommées Manûtum (défenderesse) et Hamazirum (demanderesse), qui sont manifestement religieuses-nadîtum vouées au culte du dieu Shamash à Sippar. En troisième lieu est indiqué le mode de preuve, en l’occurrence un serment prêté dans le temple de Shamash et déféré par les juges à Manûtum. Il est de règle que le plaideur qui jure gagne le procès, et inversement celui qui refuse la prestation le perd. Ici, Manûtum obtient donc gain de cause. La clause de non-revendication qui suit est rédigée dans le style redondant habituel pour ce type de document. Elle utilise le verbe « revenir » (târum), c’està-dire « contester à nouveau », à quoi s’ajoute la phrase « Hamazirum ne renvendiquera pas », l’ensemble exprimant l’interdiction de toute contestation. C’est la partie perdante qui s’engage à ne plus élever de réclamation, en jurant par Shamash, le dieu de Sippar, Aya son épouse, Marduk le dieu de Babylone et Sûmûla-El le roi. Cet ordre des noms propres dans la prestation du serment, allant du 23. Sur les procès d’époque paléo-babylonienne, voir Eva Dombradi, Die Darstellung des Rechtsaustrags in den altbabylonischen Prozessurkunden, 2 t., Stuttgart, 1996 (Freiburger altorientalische Studien, 20).

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niveau local au niveau national, est classique dans la documentation juridique babylonienne. L’expression « jugement du temple de Shamash » ne doit pas laisser croire qu’il existe des juridictions dans les temples. L’expression se rapporte ici au serment décisoire qui a été prêté dans le temple du dieu et qui a permis de rendre le jugement. Enfin sont notés les noms des juges et des témoins ; on observera que la dernière personne citée est une femme et qu’elle est scribe, ce qui confirme que le texte émane du milieu des religieuses-nadîtum, qui vivent dans un cloître hors de la présence des hommes24. Une variante de ce schéma standard est fournie par le texte n° 6, qui a la même structure que le précédent et implique lui aussi des religieuses-nadîtum de Sippar, ou plus exactement leurs héritiers. Le procès, consécutif à une vente, intervient en effet à la deuxième génération : le fils de la venderesse agit contre la nièce (qui est sans doute aussi la fille adoptive) de l’acheteuse. Le début du texte est plus développé que le précédent : le scribe donne les tenants et aboutissants du bien contesté, comme dans les contrats de vente25. Le litige porte non pas sur la vente elle-même mais sur les dimensions du terrain vendu : le demandeur se plaint d’un empiètement sur son propre terrain. La procédure est aussi plus longuement exposée : les parties saisissent le gouverneur local et les juges, qui « examinent leur affaire ». Cette phrase fait allusion à l’examen juridique des moyens de preuve présentés par les parties, afin de savoir s’il y a matière à procès ou non. En l’occurrence, c’est la défenderesse qui produit sa tablette, c’est-à-dire son titre de propriété. L’enveloppe étant abîmée, dit le texte, les juges doivent la briser pour consulter le texte intérieur, qui établit les dimensions du bien acheté et confirme les droits de la défenderesse. Contrairement à l’usage fréquent en matière de preuve écrite, le contenu du contrat n’est pas corroboré par les dépositions des témoins présents à l’acte, d’évidence parce que l’acte a été rédigé un-demi siècle plus tôt : les témoins étaient morts ou trop âgés pour être convoqués à l’instance. La fin du document reprend la même formule que le texte n° 5 sur la non-revendication et le serment, prêté ici par le demandeur et sans doute ses ayants droit, puisque la clause est rédigée au pluriel. Il n’est pas fait mention d’un « jugement du temple de Shamash », puisqu’il n’y a pas de prestation de serment, mais on retrouve l’habituelle liste des témoins, suivie d’une date (absente du texte n° 5). La partie essentielle dans ces documents est la clause de non-revendication, qui garantit les droits de la partie gagnante. C’est elle en effet qui conserve le 24. Sur ces religieuses, attestées uniquement à l’époque paléo-babylonienne et dont le statut est très particulier, voir Rivkah Harris, « The nadītu woman », dans Studies presented to A. Leo Oppenheim, éd. Robert Biggs et John Brinkman, Chicago, 1964, p. 106-135. 25. Sur le formulaire paléo-babylonien de la vente, voir Marino San Nicolò, Die Schlussklauseln der altbabylonischen Kauf- und Tauschverträge, Munich, 1922 (Münchener Beiträge zur Papyrusforschung und antiken Rechtsgeschichte, 4).

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document comme titre de propriété ou comme titre exécutoire sur le perdant. Le lien entre mode d’archivage et rédaction du texte est ici très évident. L’interdiction de revendiquer à l’avenir fait l’objet d’un serment, mais il est d’usage également de doubler ce serment par la rédaction d’une tablette spécifique, appelée « tablette de non-revendication », donnée au vainqueur et placée avec ses archives personnelles. Ces pièces sont d’une importance cruciale car elles doivent être produites en cas de nouveau litige sur le même sujet. Les familles les conservent donc avec soin. Un document inhabituellement long en apporte une illustration26: une religieuse-nadîtum, vouée au célibat, avait adopté sa nièce, religieuse elle aussi, et lui avait transmis tous ses biens, notamment un champ, dont la propriété avait été contestée ensuite à l’adoptante par des cousines. L’adoptante avait obtenu gain de cause en justice et on lui avait remis après le procès une « tablette de non-revendication », qu’elle avait transmise à sa nièce et fille adoptive. Celleci perdit malheureusement ses archives et elle s’adressa aux juges pour faire établir une sorte de double officiel, rappelant l’historique de sa situation et ses droits sur les biens de sa tante et mère adoptive. Un passage de ce document montre que les tablettes étaient gardées à la maison, avec le reste des archives familiales (l. 51-56) : « Après qu’on lui eut fait établir une tablette de nonrevendication et que Bêlessunu (l’adoptante) mourut, Sîn-ilî (l’oncle) mit en dépôt dans la maison de son frère Ikûn-pî-Sîn la tablette successorale, les tablettes des possessions antérieures de champs et de maison que Bêlessunu avait données à Amat-Mamu (l’adoptée), fille de Sîn-ilî, ainsi que la tablette de non-revendication que ses cousines avaient dû établir ». Si Amat-Mamu avait besoin de ces documents, c’est parce qu’il ne semble pas exister de prescription pour les contestations émises par un membre de la famille à propos d’un bien du lignage. Ainsi le litige du document n° 6 est-il survenu cinquante-deux ans après la première vente27 ! Les textes de procès sont donc, comme le reste des archives juridiques privées, des documents probatoires, confectionnés pour garder une trace des déclarations des parties et des preuves rapportées, et scellés pour être opposables. Ils n’ont rien d’objectif et peuvent varier selon les intérêts que le gagnant veut protéger. Cette forte « privatisation » du formulaire des procès reflète sans doute le poids décisif des plaideurs dans le déroulement de l’ins26. Cuneiform texts from Babylonian tablets in the British Museum, t. XLVII, Londres, 1967, n° 63, pl. 39, traduit et commenté par D. Charpin, « Lettre et procès paléo-babyloniens », dans Rendre la justice en Mésopotamie…, p. 69-111, part. p. 74-76, n° 34. 27. Les archives déjà citées du Grand Lamentateur Ur-Utu contiennent des actes de propriété vieux d’environ deux cents ans. Dans un procès daté de Samsu-ditana (1625-1595), le dernier roi de la Ire dynastie de Babylone, il est fait référence à une vente intervenue cent soixante-dix ans auparavant (Yale oriental series, t. XIII, New Haven, 1972, texte n° 96, pl. XXXVIII-XXXIX).

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tance. Dans une affaire jugée à Babylone, par exemple, le demandeur se déclare insatisfait par le serment que le tribunal a déféré à son adversaire et insiste pour qu’une autre déclaration, plus détaillée, soit faite dans la ville où se situe le terrain litigieux. Un nouveau serment est prêté et le demandeur perd le procès. En dépit de ce que laisse entendre la formulation du texte, le demandeur n’a sûrement pas imposé la seconde prestation mais a fait une requête en ce sens auprès des juges, qui l’ont acceptée. La rédaction du document reflète donc le point de vue du défendeur, qui a voulu mettre l’accent sur l’incident de procédure afin de renforcer la légitimité de ses droits sur le bien contesté28. À de nombreux égards, les procès sont rédigés comme des actes de la pratique : la description de l’objet du litige est empruntée aux formules stéréotypées des contrats (voir texte n° 6) ; de même la liste des témoins est-elle caractéristique des conventions privées ; certaines clauses finales énonçant les prestations à la charge du perdant rappellent aussi le formulaire de remise de la chose dans les contrats réels29. Tout un pan du vocabulaire juridique est donc issu de la phraséologie du droit privé. La mise en forme de la sentence en est également imprégnée : le jugement se présente comme un acte de procédure et non comme un verdict. Ceci est particulièrement vrai lorsque l’affaire est tranchée par un serment, ce qui se produit souvent. La rédaction du document suggère que c’est la partie qui a prêté le serment qui décide de facto le litige car elle donne au juge le moyen de rendre sa décision (voir texte n° 5)30. Le vocabulaire technique propre aux procès est assez réduit et souvent ambivalent. Le terme dînum, par exemple, très fréquent, désigne aussi bien le procès, du point de vue des parties, que le jugement, du point de vue des juges. On y a vu une trace de l’origine arbitrale du procès babylonien, un même mot suffisant à englober les actes des témoins, des parties et des tiers31. De même a-t-on compris le serment promissoire final, écartant un futur procès sur le même litige, comme le signe d’une ineffectivité du jugement : sa force contraignante lui serait conférée par la tablette de non-revendication32. En réalité, le serment est postérieur au jugement et apparaît dès lors comme une mesure supplémentaire, une menace de représailles divines en cas de parjure33. 28. Vorderasiatische Schriftdenkmäler der staatlichen Museen zu Berlin, t. XXII, Berlin, 1983, texte n° 28, pl. XIX-XX. Pour cette interprétation, voir Raymond Westbrook, « Old Babylonian period », dans A history of ancient Near Eastern law, éd. Raymond Westbrook, 2 t., Leyde, 2003, t. I, p. 361-430, part. p. 371, n. 34. 29. E. Dombradi, Die Darstellung…, t. I, p. 109, § 149. 30. Ibid., p. 370, § 499. 31. Julius Georg Lautner, Die richterliche Entscheidung und die Streitbeendigung im altbabylonischen Prozessrechte, Leipzig, 1922 (Leipziger rechtswissenschaftliche Studien, 3), p. 44-45. 32. Ibid., p. 55-56. 33. E. Dombradi, Die Darstellung…, t. I, p. 118-120, § 169-174.

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Il reste que les approximations terminologiques34, le rôle des parties dans le cours de la procédure, et les caractéristiques formelles de ces tablettes, sont des traits typiques de la documentation juridique privée. Puisque ces textes ne sont pas des copies intégrales des jugements mais des résumés écrits au bénéfice du gagnant, on peut se demander si la prépondérance des parties reflète le déroulement réel du procès ou si elle n’est pas plutôt un effet littéraire découlant de la finalité du document, qui sert d’instrument de preuve pour son détenteur. À cet égard, la présence occasionnelle d’un « scribe des juges » supervisant la rédaction du document et la mention de témoins qualifiés eux-mêmes de « juges » (dayyânu)35, pourraient avoir une influence significative sur le formulaire utilisé et la longueur de la tablette. La maîtrise du vocabulaire juridique et du déroulement de la procédure se traduiraient ainsi par un style plus « professionnel », mais l’hypothèse devrait être vérifiée dans le reste de la documentation judiciaire d’époque paléo-babylonienne. Sophie DÉMARE-LAFONT Université Paris II-Panthéon-Assas

34. Voir le sémantisme flou du verbe nasâhum, « écarter, retrancher », qui est employé par une partie pour récuser les allégations de l’adversaire, dans la phase pré-contentieuse du procès, ou par le juge pour débouter un plaideur. Si le même terme est employé dans deux situations juridiques aussi différentes, c’est parce qu’il a la même valeur pratique. Dans les deux cas en effet, le procès s’arrête : celui qui réussit à écarter les prétentions de son opposant l’empêche d’ouvrir la procédure ; quant au juge qui déboute l’une des parties, il achève lui aussi le procès. Voir E. Dombradi, Die Darstellung…, t. I, p. 342-344, § 453-455. 35. Voir le texte de Kish édité par François Thureau-Dangin, Lettres et contrats de l’époque de la Première Dynastie babylonienne, Paris, 1910 (Textes cunéiformes du Louvre, 1), pl. LXXXV-LXXXVI, n° 157, qui signale in fine (pl. LXXXVI, l. 75), après la liste des neuf témoins dont huit juges et un officier municipal, que la tablette a été rédigée sous le contrôle notamment de Gimil-Marduk, scribe des juges (dumu é dub-ba-a ša di-ku5-meš). Je remercie Lucile Barberon pour cette référence. Voir les références complètes des textes comportant des juges parmi les témoins dans E. Dombradi, Die Darstellung…, t. II, p. 327.

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ANNEXES

Texte n° 1 Source : A. Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden…, t. II, p. 171173, n° 105 ; B. Lafont, Textes judiciaires…, p. 60, n° 21. Affaire terminée. Duga fils d’Ur-Enlil a revendiqué la maison de Kuli, fils de Ur-shul, l’incantateur. Il a déclaré: « Il n’a jamais acheté la maison auprès de mon père ». Kuli a apporté devant les juges la tablette selon laquelle Kuli avait acheté il y a 20 ans à Ur-Enlil 1 sar 2/3 de terrain (environ 40 m2) pour le prix complet de 5 sicles d’argent. Kuli a fait le serment que cet argent a (bien) été remis entre les mains d’UrEnlil et de Duga son fils. [La maison a été attribuée à Kuli]. Nom de l’assesseur (cassé). Noms des juges (cassés). Date (cassée). Texte n° 2 Source : A. Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden…, t. II, p. 348351, n° 207 ; B. Lafont, Textes judiciaires…, p. 67-68, n° 30. Affaire(s) terminée(s) (A) Nimgir-ennu, qui appartenait au forgeron Lugal-kugzu, a été attribué au forgeron Nimgir-shagkush. Nabashag et Ur-Ningishzida ont fait le serment que Lugal-kugzu avait payé 16 sicles d’argent pour son état d’esclave. L’argent provenant de Nimgir-shagkush a été attribué à Lugal-kugzu. Ur-Utu était assesseur. (B) Inanna-ka le bouvier a renoncé à une vache provenant de Ur-Dumuzi le potier. Inanna-ka (en) a fait le serment. Ur-nigar était assesseur.

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(C) Amar-shuba fils de Ur-kisal, a répudié Baba-ninam, fille d’Anbum, le chantre. Ablala en a fait le serment. Ur-nigar était assesseur. (D) Lugal-gina a renoncé à n sicles d’argent provenant d’Anbum, le chantre. Lugal-gina en a fait le serment. Ur-… était assesseur. (E) Ur-nagar et Andulgim ont fait le serment que …-la l’incantateur a donné en tant que servante Ba…a, la servante de Lu-Kinunir, à Lugal… Ur-Baba était assesseur. Ur-Lama était gouverneur Date. Texte n° 3 Source : A. Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden…, t. II, p. 222225, n° 131 ; B. Lafont, Textes judiciaires…, p. 54-55, n° 14. Affaire terminée. Kala le responsable royal des cannaies et Babamu l’assesseur ont fait le serment : - que Baba fils de Nigar-kidu avait comparu en l’an 4 du règne de Shu-Sin à propos d’un siège en buis et en bronze, inscrit sur la tablette (de succession) de Nigar-kidu le charpentier, au profit de Lu-Ningirsu l’archiviste, - et que Baba avait (alors) déclaré: « (Que je sois quitte) si j’apporte (ce) siège dans un délai de trois jours ; si je ne l’apporte pas, je payerai 1/3 de mine d’argent à Lu-igimashe, fils de Lu-Ningirsu, l’archiviste ». Et Baba le charpentier a reconnu leur déclaration comme quoi il avait juré par le nom du roi devant les juges. Baba devra (donc) payer 1/3 de mine d’argent à Lu-igimashe. Ti-emahta était assesseur ; Lu-Shara et Lu-dingira étaient juges ; Ur-Nanshe fils de Lu-Igimashe, Ra fils de Lu-Igishasha et Lugal-suluhu étaient les auxiliaires-marza présents sur place. Date. Texte n° 4 Source : A. Falkenstein, Die neusumerischen Gerichtsurkunden…, t. II, p. 61-63, n° 37 ; B. Lafont, Textes judiciaires…, p. 57-58, n° 17 ; Edmond Sollberger, « Some legal documents of the third dynasty of Ur », dans Kramer anniversary volume, éd. Barry L. Eichler et al., Neukirschen-Vluyn, 1976 (Alter Orient und Altes Testament, 25), p. 439-440, n° 4.

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Affaire terminée. Nin-zagesi, fille d’Ure-badu, a déclaré: « Mon père ne m’a pas vendue à Akalla ». [Que son père Ure-badu l’a vendue pour 3 sicles d’argent, son prix complet, à Akalla, Ala, fils d’Aradana, et Lu-Uruba, fils de Ur-nigin-gara,] en sont les témoins. Nin-zagesi a contesté les témoins. Akalla, l’acheteur, a prêté le serment. La servante a été attribué à Akalla. Ti-emahta était assesseur. Lu-Shara et Ur-Ishtaran étaient juges. Date (cassée). Affaire terminée. Ala, fils d’Aradana et Lu-Uruba, fils de Ur-nigin-gara sont témoins de ce que Akalla, fils de Sur-nigin-gara, a acheté à Ure-badu, quand il était encore en vie, Nin-zagesi, fille d’Ure-Badu, pour le prix complet de 3 sicles d’argent, sous l’autorité d’Ur-lama le gouverneur. Nin-zagesi et sa mère ont contesté les témoins. Akalla a prêté serment. La servante a été attribuée à Akalla. Ti-emahta était assesseur. Lu-Shara et Ur-Ishtarana étaient juges. Date. Texte n° 5 Cuneiform texts from Babylonian tablets in the British Museum, t. VIII, Londres, 1899, pl. 28, texte a ; Moses Schorr, Urkunden des altbabylonischen Zivil- und Prozessrechts, Leipzig, 1968 (Vorderasiatische Bibliothek, 5), p. 353-354, n° 257. Tablette concernant une maison (située) à Dûrum-eshum, appartenant à Manûtum, fille d’Abdirah. Hamazirum, fille d’Abihar, a revendiqué contre Manûtum, fille d’Abdirah, et les juges ont déféré le serment divin à Manûtum, dans le temple de Shamash et Manûtum a juré par la déesse Aya, sa maîtresse, et elle a (ainsi) écarté sa contestation. Elle ne reviendra pas (sur l’affaire) ; Hamazirum ne revendiquera pas la maison, le patrimoine successoral, les biens ni l’héritage de Manûtum, pour autant qu’il y en a, de la paille à l’or. Elle a juré par Shamash, Aya, Marduk et Sûmû-la-El. Jugement du temple de Shamash. Ilushu-bâni, fils de Tukulti-kânum ; Ishme-Addu, fils de Elâli-waqar. Par devant Idin-Ninshubur, fils d’Iluma ; Uta-mansum, fils de Sîn-iddinam ; par devant Inanna-amamu fille de Abba-tâbum, scribe.

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Texte n° 6 François Thureau-Dangin, « Notes assyriologiques XVI. Un jugement sous le règne de Samsu-iluna », dans Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale, t. 9, 1912, p. 21-24 ; Dominique Charpin, Lettres et procès…, p. 72-73, n° 32 5/6e sar 6 gin de terrain nu (= env. 35 m2), à côté de la maison de Mannatum, la religieuse-nadîtum de Shamash, fille de Yasilum, et à côté de la maison d’Ishumgâmil, ayant pour premier petit côté la grand’rue et pour second petit côté la maison d’Ishum-gâmil, que Nîsh-inîshu la religieuse-nadîtum de Shamash, fille d’Ubâriya, a achetés à Ishum-gâmil, fils d’Ishum-nâzir, pour 10 sicles d’argent en l’an 9 de Hammurabi – après que 52 ans se furent écoulés, en l’an 18 de Samsuiluna, Ibbi-Shamash, fils d’Ishum-gâmil, a réclamé ce terrain à Narâmtani, religieuse-nadîtum de Shamash, en disant : « Nîsh-inîshu, la sœur de ton père, a acheté un terrain de petite taille à mon père Ishum-gâmil, mais elle s’est emparée de beaucoup ! ». Ils sont allés trouver Sîn-ishmêshu, le gouverneur de Sippar, et les juges de Sippar. Ils ont examiné leur affaire. L’enveloppe de la tablette étant abîmée, ils en ont extrait sa tablette et, conformément à son ancienne tablette ils lui ont confirmé la propriété de 5/6e de sar 6 gin de terrain nu. Ils ne reviendront pas là-dessus. Ibbi-Shamash n’élèvera pas de réclamation contre Narâmtani au sujet de 5/6e sar 6 gin de terrain nu. Ils ont juré par Shamash, Aya, Marduk et le roi Samsu-iluna. Par devant Awîl-Eshtar, fils d’Ipiq-Annunîtum ; par devant Sîn-iddinam, fils de Sîn-hâzir ; par devant Awîl-Shamash ; par devant Marduk-nishu ; par devant Awîl-Adad, le scribe des religieuses-nadîtum de Shamash. Date.

LES ARCHIVES DU PARLEMENT AU TEMPS DES OLIM : CONSIDÉRATIONS AUTOUR DE FRAGMENTS D’UN RÔLE DE 1287* PAR

OLIVIER CANTEAUT

Les registres du Parlement, au premier rang desquels les Olim, ont été érigés dès l’époque moderne en monuments mémoriels à la gloire de l’institution parlementaire1, et le travail des archivistes et des historiens du XIXe siècle a encore conforté ce rôle2. Il est vrai que les Olim s’avèrent précoces dans le paysage archivistique de la monarchie capétienne3 : ils constituent de ce fait une source de * Les abréviations suivantes seront employées : - Delisle : Léopold Delisle, « Essai de restitution d’un volume des Olim perdu depuis le XVIe siècle et jadis connu sous le nom de Livre pelu noir, ou Livre des enquêtes de Nicolas de Chartres », dans Edgard Boutaric, Actes du parlement de Paris. Ire série : de l’an 1254 à l’an 1328, 2 t., Paris, 1863-1867 (Archives de l’Empire : inventaires et documents), t. I, appendice, p. 297-464 ; - Olim : Auguste-Arthur Beugnot, Les Olim ou registres des arrêts rendus par la cour du roi sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Louis le Hutin et de Philippe le Long, 3 t. en 4 vol., Paris, 1839-1844 (Collection des documents inédits sur l’histoire de France. 1re série : histoire politique). 1. Voir l’article de David Feutry, « Sauver les archives, défendre le roi : la remise en ordre des registres du Parlement d’après les papiers du procureur général Joly de Fleury » dans le présent volume, aux p. 250-251. 2. En témoigne la querelle historiographique qui a agité le second tiers du XIXe siècle autour du caractère authentique des Olim (voir Alphonse Grün, « Notice sur les archives du parlement de Paris », dans E. Boutaric, Actes du parlement de Paris…, t. I, p. I-CCXC, aux p. XCI-XCII, qui résume les positions antérieures d’Henri Klimrath, du comte Beugnot, de Jean-Marie Pardessus, d’Henri Lot et de Louis-Hector Chaudru de Raynal). 3. L’enregistrement chronologique des décisions royales ne débute qu’à la fin du XIIIe siècle à la Chambre des comptes et au début du XIVe siècle à la chancellerie. Sur les modalités d’apparition de l’enregistrement chronologique, voir Olivier Canteaut, « Le roi de France sait-il tenir des registres ? », dans L’art du registre à la chancellerie du roi de France (XIIIe-XVIIIe siècle), à paraître (Études et rencontres de l’École des chartes).

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OLIVIER CANTEAUT

premier ordre, qui permit aisément aux magistrats modernes de faire valoir l’antériorité de leur cour au sein des institutions monarchiques. Pourtant, jusqu’à la réforme des archives du Parlement en 1319, ces registres ne témoignent que d’une faible partie de l’activité de la cour. En effet, seuls les arrêts et jugés émis par celle-ci nous sont parvenus – encore les Olim opèrent-ils une sélection sans doute drastique parmi eux. La quasi-totalité des écrits produits par la cour lors de l’examen des causes, préalablement à la sentence définitive, a disparu. Certes, deux des Olim contiennent, aux côtés de la transcription d’arrêts et de jugés, un certain nombre de listes et de documents divers qui nous éclairent sur le travail parlementaire4 ; quelques enquêtes réalisées par des maîtres, ou encore des memoranda rédigés par les parties, permettent de compléter cette documentation5. Les rouleaux produits par le Parlement au cours du XIIIe siècle et dont maintes mentions se rencontrent dans les Olim6, ont en revanche disparu. Sans doute ont-ils été détruits lors de l’incendie du greffe du palais en 1618 ; à moins qu’ils n’aient figuré parmi les rouleaux exhumés des greffes au XVIIIe siècle par le procureur Joly de Fleury et qu’ils n’aient été perdus dans les vicissitudes que connut cette collection7. Dans tous les cas, celle-ci, qui forme aujourd’hui la série dite des « Accords du Parlement » (X1C) aux Archives nationales8, ne contient plus de document antérieur à 13209. 4. Arch. nat., X1A 3, fol. 1-94v et X1A 4, fol. 1-27v. Il s’agit avant tout de listes d’enquêtes et de procès reçus à juger (voir Paul Guilhiermoz, Enquêtes et procès : étude sur la procédure et le fonctionnement du Parlement au XIVe siècle […], Paris, 1892, p. 349-373). 5. La découverte de la plupart d’entre eux est due à Charles-Victor Langlois, qui en a édité un grand nombre (C.-V. Langlois, De monumentis ad priorem curiæ regis judiciariæ historiam pertinentibus, Paris, 1887, p. 83-105 ; id., Textes relatifs à l’histoire du Parlement depuis les origines jusqu’en 1314, Paris, 1888 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire) ; id., « Rouleaux d’arrêts de la cour du roi au XIIIe siècle », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 48, 1887, p. 177-208 et p. 535-565 et t. 50, 1889, p. 41-67). Il s’agit avant tout d’enquêtes égarées dans le supplément des layettes du Trésor des chartes, ainsi que de pièces produites par l’administration anglaise ou adressées à elle lors des procès du duc de Guyenne devant le roi et aujourd’hui conservées aux National Archives (Public Record Office). 6. Voir n. 72. 7. Sur l’action de Joly de Fleury, voir D. Feutry, « Sauver les archives… », p. 248-249. Sur le sort des rouleaux après Joly de Fleury, voir Olim, t. I, p. 995-998 et A. Grün, « Notice… », p. CCLIII. Remarquons que des pièces encore signalées par Edgard Boutaric au milieu du XIXe siècle, avant la mise en registres des rouleaux, semblent même avoir disparu depuis lors de la collection (voir notamment E. Boutaric, Actes du parlement de Paris…, t. II, n° 6558, 6583 et 6584). Au demeurant, les rouleaux recueillis au XVIIIe siècle ne contenaient manifestement guère de pièces remontant au XIIIe siècle : les collections d’extraits réalisées sous l’égide de Joly de Fleury (Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 921 à 956, copies classées dans l’ordre des cotes anciennes, et Bibl. nat. Fr., Moreau 1075 à 1086, copies classés par ordre chronologique) ne mentionnent qu’une seule pièce antérieure à 1320. Il s’agit d’un acte d’accensement de 1274, manifestement mutilé et peut-être issu du démembrement d’un sac de procès (Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 927, fol. 56 et Moreau 1075, p. 1) ; nous n’en avons pas retrouvé la trace. 8. Ce titre est largement impropre, étant donné la variété des documents que renferme la série. Pour une description sommaire, voir A. Grün, « Notice… », p. CXI-CXVI. 9. Arch. nat., X1C 1, n° 1. La série a été reclassée par ordre chronologique au XIXe siècle.

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Le volume X1C 15A, qui contient des minutes d’accords conclus durant le règne de Charles V, renferme cependant quatre fragments d’un rouleau du XIIIe siècle10, qui ont été dans un second temps réemployés pour y inscrire au verso des minutes d’accords11 ; ces quelques vestiges permettent de jeter un nouvel éclairage sur le contenu et la fonction des rouleaux du Parlement12. Sans doute ces quatre fragments ont-ils appartenu à un même rouleau comptant plusieurs peaux13 – ou à plusieurs rouleaux tenus en parallèle14 – au sein duquel ils auraient été découpés. En effet, outre de fortes similitudes d’écritures, tous offrent des indices permettant de les rapporter à une même période, le début du règne de Philippe IV15. Qui plus est, les affaires qui y sont évoquées, d’après le témoignage des registres de sentences, ont toutes trouvé leur conclusion lors des sessions postérieures à 1287 ; toutefois, face aux rebondissements de certaines causes complexes, il s’avère délicat de déterminer le terminus ad quem du rôle16. Sans nul doute, ces quatre fragments ont été rédigés lors d’un même 10. Arch. nat., X1C 15A, n° 42, 47, 53 et 103, édités en pièce justificative, p. 46-54. Les numéros d’articles cités par la suite renvoient à cette édition. 11. On trouve ainsi sur l’autre face des quatre fragments des minutes d’accord, datées respectivement du 18 mars, du 22 avril, du 20 mars et du 10 juin 1365 (Arch. nat., X1C 15A, n° 42v, 53, 47v et 103). Remarquons que le fragment n° 103 a sans doute fait l’objet d’un premier remploi, puisqu’une note a été inscrite entre deux articles primitifs par une main du XIVe siècle ; or cette note n’a aucun rapport avec l’accord porté au verso (voir p. 53, n. x). 12. C’est grâce à des notes et à une transcription conservées dans le Corpus philippicum, aujourd’hui abrité par l’Institut de recherche et d’histoire des textes, que nous avons pu prendre connaissance de ce document. À ce titre, notre dette à l’égard de l’équipe qui recueillit cette formidable masse de documentation durant plusieurs décennies est immense. 13. Des traces de couture se distinguent au bas du fragment n° 103. 14. Cette hypothèse est suggérée par la comparaison avec les rôles de présentation du XIVe siècle (voir n. 28). Au demeurant, cette solution n’est pas incompatible avec la précédente : plusieurs rouleaux ont pu être établis de façon indépendante, puis cousus ensemble dans un second temps. 15. Les différents maîtres de la cour qui y sont mentionnés sont tous actifs au début de ce règne (voir à l’index Egidius Camelini, Johannes Ducis, Johannes de Morenceis, Stephanus de Pedagio, Johannes de Puteolis, Antelmus de Warignies et Johannes de Wassognia). En outre, les termini a quo qu’il est possible d’assigner à chaque fragment coïncident étroitement : mai 1287 pour le n° 42 d’après la mention de Jean Malingre comme ancien prévôt de Saint-Quentin (voir n. 177), juin-juillet 1287 pour le n° 47 qui indique qu’Oudard de Villeneuve était alors bailli de Senlis (voir n. 219 et texte correspondant), juin 1286 pour le n° 53 d’après la mention de la femme d’Érard de Montmorency (voir n. 182 et texte correspondant) et sans doute mars-juin 1287 pour le n° 103 qui évoque l’hommage du seigneur de Saint-Bonnet (voir n. 115). 16. Un jugé relatif à l’article 20 a été rendu à la session de la Pentecôte 1287 (voir n. 101). Pourtant, le rôle renvoie cette affaire au parlement suivant. Faut-il, dans la mesure où le rôle ne saurait être antérieur à la session de la Pentecôte 1287 (voir n. 15), supposer que le jugé que nous conservons n’a pas clos le litige, ou qu’il concernait une autre affaire entre les mêmes parties que celle mentionnée à l’article 20 ? De la même manière, dans l’affaire opposant l’évêque de Clermont à l’abbaye de Saint-Allyre (art. 56), nous conservons trace de l’achèvement d’une enquête et de l’émission d’un jugé lors de la session de la Pentecôte 1287 (voir n. 119). Néanmoins, le rôle annonce la poursuite d’une enquête :

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parlement, à la Pentecôte ou à la Toussaint 128717, sans qu’il soit possible de trancher entre ces deux sessions18. Quoi qu’il en soit, tous les quatre se complètent, puisque chacun d’entre eux se rapporte à un bailliage ou à un groupe de bailliages différent : Senlis (n° 47)19, Amiens (n° 53) et Auvergne et Mâcon (n° 103), ces deux bailliages étant sans doute réunis pour l’audition de leurs causes20. Seul le fragment n° 42 semble réunir des affaires de provenances très diverses, mais celles-ci ont toutes pour point commun d’impliquer de grands barons du royaume ou des prélats21 : à ce titre, elles ont sans doute été entendues à part, lors de « jours des barons » qui s’ajoutent aux jours dévolus aux causes des bailliages22, probablement au début de la session23. Le n° 42 constituerait donc le celle-ci a-t-elle été achevée et la sentence rendue au cours d’une même session, ou le rôle mentionnet-il une enquête ultérieure dans ce procès, qui n’a été clos qu’à la Toussaint 1295 ? Des interrogations similaires peuvent être soulevées à propos des articles 12, 23 et 48. 17. Un arrêt ou un jugé a été émis au parlement de la Pentecôte 1287 dans le cadre de six affaires mentionnées dans les quatre fragments du rôle (art. 4-5, 12, 20, 23, 48 et 56). Un septième procès est également relancé durant la session de la Pentecôte 1287 (art. 58). Enfin, une autre affaire a donné lieu à un jugé lors de la session de la Toussaint 1287 (art. 16). Mais aucun de ces procès n’a été clos en 1287 et il est donc impossible de déterminer si ces sentences précèdent ou non les décisions consignées dans le rôle (voir n. 16). Si l’on écarte les renseignements fournis par les registres du Parlement, le terminus ad quem du rôle nous est fourni par l’article 52, qui mentionne la minorité du comte de Forez : or celui-ci sort de tutelle entre le 3 juin 1289 et le 12 avril 1290 (voir n. 163). 18. C’est lors de la session de la Pentecôte 1287 que le plus grand nombre d’affaires évoquées dans le rôle ont fait l’objet d’une sentence. Cependant, le détail de la chronologie de certains litiges pourrait inciter à attribuer le rôle à la session de la Toussaint 1287 (voir n. 16). La concession, dans quelques affaires, d’un jour de vue aux environs des Rameaux ou de Pâques (art. 10, 13 à 16, 40 et 52), soit près d’un an après le début du parlement de la Pentecôte 1287, mais moins de six mois après la Toussaint 1287, plaide également en faveur de cette dernière session. C’est aussi à ce parlement que les auteurs du Corpus philippicum ont rapporté le rôle, sur la foi de l’article 16. 19. Seul l’article 45 semble détoner ici, puisqu’il mentionne une cause entre les abbayes de Jouarre et de Chelles, toutes deux sensiblement éloignées du bailliage de Senlis. Sans doute l’affaire concerne-t-elle des possessions ressortissant de ce bailliage. 20. La plus ancienne ordonnance mentionnant l’ordre de convocation des bailliages lors d’un parlement, à la session de la Noël 1308, convoque en même temps les bailliages de Bourges, de Mâcon et d’Auvergne (C.-V. Langlois, Textes…, n° 125, p. 182). En revanche, à compter de 1319, les causes du bailliage de Mâcon sont réunies avec celles de la sénéchaussée de Lyon, tandis que celles d’Auvergne le sont avec les affaires des bailliages de Bourges, d’Orléans et des Montagnes d’Auvergne (Arch. nat., X1A 8844, fol. 4). 21. Certaines causes relatives à des prélats se trouvent cependant regroupées avec celles du bailliage dont ils ressortissent ordinairement, sans que l’on puisse comprendre ce qui explique cette distinction. Ainsi en est-il des affaires impliquant l’évêque de Clermont (art. 12 d’une part, art. 5658 de l’autre). Dans le cas de l’évêque de Senlis, l’une de ses causes est renvoyée parmi celles des barons (art. 37), l’autre demeurant assignée aux jours du bailliage de Senlis (art. 43). 22. De tels jours sont mentionnés par l’article 37 de notre document, ainsi que dans quatre documents, les trois premiers relatifs au roi d’Angleterre et le dernier à l’archevêque de Reims (C.-V. Langlois, « Rouleaux d’arrêts… », t. 48, p. 540 et 541 (1277-1278) ; ibid., t. 50, p. 47 (vers 1285) ; id., Textes…, n° 75, p. 102 (1279) et n° 76, p. 108 (1279)). Peut-être est-ce également à ces

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premier des quatre fragments de ce rouleau ; ceux relatifs aux bailliages d’Amiens, de Senlis et enfin de Mâcon et d’Auvergne lui feraient suite, si l’on se fie à l’ordre de convocation des bailliages tel qu’il nous est connu à compter de 130824. En dépit du regroupement des causes selon leur origine géographique, ce rouleau ne constitue pas un rôle des présentations, qui dresserait la liste des causes présentées à la cour au fil des jours attribués à chaque circonscription. En raison de la disparition des archives du greffe des présentations25, l’étape de la présentation, primordiale dans la procédure du Parlement26, a laissé très peu de traces documentaires27. Cependant, le registre des accords X1C 15A contient, sous les numéros 43 et 44, deux fragments d’un rôle des présentations28. Or si ces deux fragments, que jours que fait référence l’article 7 de l’ordonnance de réforme de 1303 ; à moins que cet article ne vise à pallier leur suppression (ibid., n° 121, p. 171). Aucune mention ultérieure n’a pu être repérée, même après 1319, lorsque les registres du greffe nous apportent des renseignements précis sur le calendrier des sessions. 23. C’est ce que l’on peut déduire des dates de renvoi mentionnées dans quelques articles : les causes des barons sont renvoyées aux environs des Rameaux (art. 10 et 13 à 16), tandis que celles du bailliage de Senlis et du bailliage d’Auvergne sont renvoyées aux octaves de Pâques (art. 40 et 52). Néanmoins, lors du parlement de l’Épiphanie 1278, les jours des barons ont été fixés après ceux des bailliages et il semble en avoir été de même lors du parlement de la Madeleine 1277 (C. V. Langlois, « Rouleaux d’arrêts… », t. 48, p. 541 et 540). 24. C.-V. Langlois, Textes…, n° 125, p. 182. Si cet ordre de convocation s’avère légèrement différent à compter de 1319 (Arch. nat., X1A 8844, fol. 4, 36v-37…), les modifications qu’il subit ne concernent pas les bailliages qui nous intéressent ici. Les auteurs du Corpus philippicum avaient déjà choisi de transcrire les quatre fragments de rôle dans cet ordre. 25. Le greffe des présentations constituait, à compter de 1361, l’un des trois greffes du Parlement médiéval aux côtés du greffe criminel et du greffe civil (Octave Morel, La Grande Chancellerie royale et l’expédition des lettres royaux de l’avènement de Philippe de Valois à la fin du XIVe siècle (1328-1400), Paris, 1900 (Mémoires et documents publiés par la Société de l’École des chartes, 3), p. j. n° 22, p. 518). Ses archives ont été très largement éliminées par le Bureau du triage des titres (A. Grün, « Notice… », p. CCLXXIX et p. VIII) : dès 1791, Armand-Gaston Camus jugeait qu’elles ne contenaient que des actes « tenant uniquement à la procédure [qui] ne méritent pas de nous occuper » (ibid., p. XXXIX). 26. Voir notamment Philippe Paschel, « La demande en justice devant le Parlement civil au XIVe siècle », dans Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis / Revue d’histoire du droit / The legal history review, t. 67, 1999, p. 75-97, aux p. 82-84 et Louis de Carbonnières, La procédure devant la chambre criminelle du parlement de Paris au XIVe siècle, Paris, 2004 (Histoire et archives), p. 160-162. Guillaume Du Breuil y consacre un chapitre entier de son style (Guillaume Du Breuil, Stilus curie Parlamenti, éd. Félix Aubert, Paris, 1909 (Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire), chap. V, p. 31-40) ; pour un commentaire de ce chapitre, voir Theodor Schwalbach, Der Civilprocess des Pariser Parlaments nach dem « Stilus » Du Breuils, Freiburg-im-Brisgau / Tübingen, 1881, p. 61-64. 27. Signalons, parmi les traces les plus anciennes, trois brèves listes de présentations des causes criminelles du parlement 1327 inscrites au milieu du registre des arrêts criminels (Arch. nat., X2A 3, fol. 95v, 106 et 109). 28. Ou plus probablement deux fragments de deux rôles de présentations, puisque, dès le milieu du XIVe siècle, il est attesté que le greffe dresse un rôle par groupe de bailliages et de sénéchaussées (P. Paschel, « La demande en justice… », p. 84, n. 94). Ces rôles des présentations servent à appeler publiquement les parties lors de leur présentation devant la Grand Chambre (P. Paschel, « La demande en justice… », p. 83-84).

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l’on peut dater du début du règne de Philippe VI29, dressent, comme ceux de 1287, une liste des causes bailliage par bailliage30, ils s’attardent sur le caractère personnel ou non de la comparution des parties devant la cour31, ainsi que sur les pouvoirs conférés aux éventuels procureurs32. En revanche, ils ne mentionnent aucune décision relative aux causes énumérées. À ce titre, ils présentent une grande similitude avec les registres des présentations ultérieurs qui nous sont parvenus33. Au contraire, le rouleau de 1287 précise brièvement, à côté du nom des parties concernées, le sort dévolu à chaque cause. Ainsi bien des parties se contentent de requérir des délais34 : elles obtiennent jour d’appensement (dies appensamenti)35 ou jour de conseil (dies consilii)36 pour préparer leur cause37, ou jour 29. Ils prennent place entre la dévolution par le roi de la Navarre à Philippe d’Évreux en avril 1328 et la confiscation du comté de Beaumont-le-Roger à Robert III d’Artois en avril 1332 (Raymond Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958 (Bibliothèque elzévirienne. Études et documents), p. 50 et p. 81). 30. Les deux fragments concernent, d’une part, le duché de Normandie, comme l’atteste le titre du n° 44, et, d’autre part, le bailliage de Touraine – dont dépend pour partie le duché de Bretagne – et les sénéchaussées de Poitou et de Limousin (n° 43 ; voir notamment lignes 19 et 21, mentionnant le bailli de Touraine et le sénéchal de Poitou), ce bailliage et ces deux sénéchaussées étant convoqués ordinairement ensemble sous Philippe VI (Arch. nat., X1A 8845, fol. 12). 31. Remarquons que la présentation par l’intermédiaire d’un procureur est alors une pratique déjà répandue. Sur ce point, voir P. Paschel, « La demande en justice… », p. 82. 32. Le dernier article du fragment n° 43 apporte également des précisions sur le retard de comparution devant le greffe d’une partie : « Prior de Fontanis, ordinis Majoris Monasterii Turonensis, personaliter, contra abbatem et conventum de Jardo, et venit in crastino presentationum bene mane quia non potuit venire die presentationum, ut asseruit per juramentum, propter occupationem equi sui qui fuit inclouatus, ut dixit ». Cet article confirme, si besoin en est, la nature de ce rôle. 33. Voir notamment l’extrait d’un registre des présentations du parlement de Toulouse du XVe siècle cité dans P. Paschel, « La demande en justice… », p. 83. Remarquons que le registre est plus disert que le rôle et qu’il précise notamment de nombreux détails au sujet des procurations émises par les parties et de questions de procédure ; cependant, cette différence n’est peut-être due qu’à une évolution des pratiques des greffiers au cours du XIVe siècle ou à des écarts d’usage entre parlement de Paris et parlement de Toulouse. 34. Les usages du Parlement en distinguent trois : la « dilacio pro consilio », la « dilacio veute » et la « dilacio pro garando », selon la terminologie de Guillaume Du Breuil qui consacre un chapitre à chacun d’eux (Guillaume Du Breuil, Stilus…, chap. X-XII, p. 63-80). Voir Stéphane Pillet, Les incidents de procédure d’après la jurisprudence du Parlement (XIIIe-XIVe siècles), thèse de doctorat, univ. Paris II, 2005, multigr., p. 456-457 – je remercie vivement Philippe Paschel de m’avoir signalé cette dernière référence –, et T. Schwalbach, Der Civilprocess…, p. 79-80. 35. Art. 4. 36. Art. 1, 5 et 39. 37. Délai d’appensement et délai de conseil sont considérés comme synonymes par Guillaume Du Breuil (Stilus…, chap. IX, 1, p. 61 ; voir également ibid., n. 2). Le Parlement semble cependant réserver le second de ces termes au délai de réflexion accordé aux héritiers lors de la reprise des errements d’un procès (S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 458 ; sur la procédure de reprise d’errements, voir n. 45). Sur l’utilisation de ces deux délais devant le Parlement, voir Guillaume Du Breuil, Stilus…, chap. X, p. 63-67 et S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 458-473.

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de vue (dies ostensionis)38 pour procéder à une visite des biens contestés39. Plus d’un tiers des causes sont maintenues en l’état par la cour40, le plus souvent sans que l’on connaisse les raisons qui expliquent ce report41. Dans quelques cas, l’une des parties ne s’est pas présentée devant la cour : celle-ci a alors soit prononcé un défaut contre la partie absente42, soit accepté les excuses de non comparution de cette dernière43. Elle a aussi pu procéder à de nouveaux ajournements à destination de parties défaillantes44 ou qui jusque-là n’avaient pas été ajournées45. Enfin, dans un quart des causes seulement, le rôle témoigne de la poursuite du procès. La cour ordonne ainsi l’envoi de commissaires pour recevoir les preuves proposées par les parties46 ou pour mener une enquête47 ; 38. Art. 6, 10, 13, 14, 15, 16, 40 et 52. 39. Guillaume Du Breuil qualifie ce délai de « dilacio pro veuta » (Stilus…, chap. IX, 1, p. 62). Il lui consacre un chapitre de son Style (Stilus…, chap. XI, p. 67-70). Voir également S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 473-489 et T. Schwalbach, Der Civilprocess…, p. 82-83. 40. Art. 8, 9, 12, 17, 22, 23, 24, 28, 29, 31, 32, 34, 36, 37, 42, 45, 47, 48, 49, 50, 62 et sans doute 53. Les articles 12 et 22 précisent cependant que, durant ce report, la cour ne restera pas inactive : dans le premier cas, elle examinera les arrêts antérieurs sur l’affaire, dans le second, elle fera recevoir les témoins par deux commissaires. L’article 23 semble de la même manière prévoir qu’une ostensio aura lieu entre-temps. Quant à l’article 17, il précise que la cour, tout en maintenant la cause en l’état, a refusé d’accorder au défendeur le bénéfice de l’exceptio ou barra spoliationis (sur cette procédure, voir S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 515-522). 41. Seuls les articles 17, 32, 45 et 50 justifient ce report, l’article 17 par l’absence d’un maître de la cour, les articles 32 et 45 par l’espoir de parvenir entre-temps à un accord, et l’article 50 par la nécessité d’accorder préalablement les articles (rubrice) des deux parties (sur cette procédure, voir P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. 11 et la définition qui en est donnée dans L. de Carbonnières, La procédure…, p. 843). Sans doute les autres causes ont-elles fait l’objet d’une continuation en l’état uniquement en raison de la surcharge de la cour et de son incapacité à examiner ces affaires à la date prévue lors de leur ajournement (S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 530). 42. Art. 25, 26 et 44. L’article 2 fait également mention d’un défaut, mais, en raison de son caractère lacunaire, il est impossible de déterminer la décision exacte qu’il rapporte. Sur la procédure du défaut au civil, voir S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 123-193 ; sur le défaut au criminel, voir L. de Carbonnières, La procédure…, p. 190-206. 43. Art. 51. Sur la procédure du contremand, voir S. Pillet, Les incidents de procédure…, p. 417-425. 44. Art. 26. 45. Art. 11 et 54. L’article 11 fait manifestement référence à la procédure de reprise d’errements, le nouvel évêque de Thérouanne Jacques de Boulogne, nommé en 1287, étant ajourné pour reprendre les errements du procès de son prédécesseur. Sur cette procédure, voir P. Paschel, « La demande en justice… », p. 85-86. 46. Art. 3, 27, 30, 35, 38, 41, 56 et 60. S’y ajoutent sans doute les articles 57 et 58, pour lesquels la décision semble identique à celle de l’article 56 (voir n. 121). 47. Art. 7, 46 et 57 à 59 — dans ce dernier cas, il s’agit pour le commissaire de parfaire une enquête antérieure. Sans doute cette distinction entre enquête et réception des preuves traduit-elle la différence entre commissaires « ad inquirendum et refferendum », qui n’ont pouvoir que d’enquêter sur les articles des parties, et commissaires « ad inquirendum et definiendum », qui ont pouvoir de juger l’enquête qu’ils effectuent (voir P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. 27-28).

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elle renouvelle des commissions antérieures48 ou réitère un ordre49 ; elle homologue un accord50. Hormis ce dernier cas, le rôle ne mentionne donc aucune sentence définitive et ne consigne ni arrêt, ni jugé ; il mêle en outre des affaires qui seront ultérieurement closes par un arrêt émis par la Grand Chambre, et d’autres qui feront l’objet d’une enquête et se concluront par un jugé de la Chambre des enquêtes51. Dans ces conditions, s’agit-il d’un rôle établi lors de l’audience, destiné à consigner les décisions procédurales qui y sont prises avant que les causes ne soient reçues à juger dans l’une des deux chambres52 ? Charles-Victor Langlois a édité en 1887 un document du règne de Philippe le Hardi53 qu’il estimait rédigé à cette fin lors de l’audience et qu’il a qualifié de « registre 48. Art. 20 et 21. Les commissions doivent être renouvelées à chaque parlement jusqu’à exécution (Guillaume Du Breuil, Stilus…, chap. XXVII bis, 31, p. 186). Sur les nombreuses causes de renouvellement des commissions, voir notamment ibid., chap. VI, 2, p. 42 ; chap. VII, 5, p. 54 ; chap. XIV, 14, p. 97-98 et chap. XXVII, 4, p. 175. 49. Art. 55. 50. Art. 43. 51. Sur la distinction entre arrêts et jugés, voir Monique Langlois, « X. Parlement de Paris », dans Guide des recherches dans les fonds judiciaires de l’Ancien Régime, Paris, 1958, p. 65-160 bis, à la p. 81. Pour autant que l’on puisse en juger, les causes mentionnées dans les articles 1, 10, 16, 20, 21, 22, 32, 41, 48, 49 et 50 semblent avoir abouti à des jugés (voir les notes correspondant à ces articles dans l’édition) ; celles citées dans les articles 4-5, 12, 15, 17, 23, 24, 29 et 54 semblent s’être conclues par des arrêts (voir les notes correspondantes dans l’édition). Trois causes ont apparemment entraîné un accord (art. 7, 39 et 56). Remarquons que les causes conclues par un jugé représentent 55 % des affaires dont nous connaissons l’issue ; or les jugés ne constituent que 40 % des sentences enregistrées au Parlement durant la décennie 1287-1296. Il est vrai que la disparition du Livre des enquêtes de Nicolas de Chartres, qui consigne les jugés de 1269 à 1299, fausse sans doute les données, sa reconstitution par Léopold Delisle et ses émules n’étant sans doute que partielle (L. Delisle, « Essai de restitution d’un volume… », p. 315-464 ; id., « Fragments inédits du registre dans lequel Nicolas de Chartres avait consigné les actes du Parlement de 1269 à 1298 », dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale et autres bibliothèques, t. 23, 2e partie, 1877, p. 113-194 ; Charles-Victor Langlois, « Nouveaux fragments du Liber inquestarum de Nicolas de Chartres (12691298) », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 46, 1885, p. 440-477 ; et Jean-Paul Trabut-Cussac, « Nouveaux fragments inédits du Liber inquestarum de Nicolas de Chartres », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 114, 1956, p. 60-75). Durant la première décennie du XIVe siècle, les jugés représentent en revanche 90 % des sentences enregistrées. Sur ces données chiffrées, voir Olivier Canteaut, Gouvernement et hommes de gouvernement sous les derniers Capétiens (1313-1328), thèse de doctorat, histoire, univ. Paris I, 2005, 3 t., multigr., t. II, p. 299-304. 52. Sur le passage obligé d’une affaire à l’audience, voir P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. 34. Voir également le déroulement de deux affaires, l’une conclue par un jugé, l’autre par un arrêt, étudiées dans Philippe Paschel, « L’élaboration des décisions du Parlement dans la deuxième moitié du XIVe siècle : de la plaidoirie à l’arrêt », dans Histoire et archives, t. 12 : Le parlement de Paris et ses archives. Actes de la journée d’étude du 22 mars 2002 organisée par le Centre d’étude d’histoire juridique (université Paris II CNRS), le Centre historique des archives nationales et l’université René Descartes-Paris V (Institut d’histoire du droit), juillet-décembre 2002, p. 27-60, aux p. 49-60. 53. Bibl. nat. Fr., lat. 9016, n° 37 ; édité dans C.-V. Langlois, De monumentis…, p. 83-86 ; réédité dans id., Textes…, n° 77, p. 87-92 et dernièrement dans Hans-Günther Schmidt, Administrative Korrespondenz

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ou feuille d’audience d’un clerc des arrêts de la cour du roi »54. Or ce document, que son dernier éditeur qualifie d’« elliptisch und problematisch »55, présente de sensibles divergences avec le rôle de 1287. Contrairement à ce dernier, il ne dresse pas une liste de causes accompagnée des décisions prises à leur sujet, dans l’ordre des jours des bailliages : il résume, de façon plus ou moins concise, le fond de quelques affaires, sans toujours citer nommément les parties en cause56, le tout selon une présentation très confuse57 et selon un classement difficile à discerner – à moins que ce ne soit par ordre chronologique58. En outre, les décisions qu’il mentionne s’avèrent parfois n’être que des propositions qu’il convient de soumettre au roi59. Le caractère peu systématique de cette liste, tant dans le relevé des noms des parties que dans celui des décisions60, prouve que son auteur ne cherchait pas à conserver la mémoire des mesures prises par la cour, mais qu’il se contentait de relever de brèves remarques, au fil des affaires présentées devant lui. Plus qu’une feuille d’audience, ce document constitue donc probablement un document de travail établi par un maître durant les séances de la cour61, peut-être en conseil62. Il s’agirait ainsi d’un der französischen Könige um 1300. Edition des “Formelbuches” BNF ms lat. 4763 : Verwaltung–GerichtsbarkeitKanzlei, Göttingen, 1997, p. 662-664. Charles-Victoir Langlois proposait de le dater entre 1273 et 1275 (Textes…, p. 87) ; Joseph Strayer a affiné cette hypothèse et retenu la date de 1273 (Joseph Reese Strayer, The administration of Normandy under saint Louis, Cambridge (Mass.), 1932, p. 13, n. 4). 54. C.-V. Langlois, Textes…, p. 87. 55. H.-G. Schmidt, Admistrative Korrespondenz…, p. 662, n. 1118. 56. Le premier article est à ce titre exemplaire : « In ballivia Caleti, de domicella que mandavit clericum in gardino ». Bien d’autres articles ne nomment pas les parties, mais se révèlent suffisamment diserts pour que la cause soit identifiable (voir, par exemple, les articles 5 et 8). 57. À compter de l’article 27, les causes sont inscrites au dos du rôle, les articles 27 à 29 étant séparés des articles 30 à 33 par un blanc important. De la même manière, au recto du rôle, des groupes d’articles sont séparés par des blancs, certes moins importants, sans que l’on puisse déterminer la cohérence des groupes ainsi formés (art. 1, art. 2 à 12, art. 13 à 21, art. 22 à 24 et art. 25 et 26). 58. Les causes ne sont regroupées que très approximativement par bailliage, pour autant que nous disposons de détails permettant de les localiser : le document débute par des causes normandes – du bailliage de Caux (art. 1), puis de Verneuil (art. 2), puis de nouveau de Caux (art. 3 et 5) et enfin de Caen (art. 8 et 9) – ; puis, à compter de l’article 10, il énumère les affaires sans aucune logique géographique, faisant ainsi se succéder les bailliages et sénéchaussées de Vermandois (art. 10), de Caux (art. 12), d’Amiens (art. 13), d’Orléans (art. 14), de Senlis (art. 15), de Caen (art. 16), d’Orléans (art. 17), de Toulouse (art. 18)… Cette absence de classement géographique apparaît très semblable à celui que l’on peut observer dans les registres d’arrêts et, comme pour ceux-ci, il résulte sans doute des rebondissements de chaque cause : alors que toutes les affaires d’un même bailliage sont introduites en même temps, les aléas que chacune connaît les amènent à être présentées au Parlement à des moments très variables. 59. A ainsi été ajoutée au troisième article la mention « Hoc non expedietur nisi per regem ». De même, les articles 9 et 19 s’achèvent par la mention « Loquatur cum rege ». Voir également les articles 25 et 26, qui commencent par cette même expression. 60. Les articles 1, 2, 13, 15, 18, 20 et 32 se contentent de décrire la cause, sans faire état de son devenir devant la cour. 61. Il pourrait à ce titre être comparé aux notes prises par le greffier durant les audiences pour lui servir d’aide-mémoire lors de la rédaction des arrêts, et qui constituent sans doute l’origine

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aide-mémoire sur les affaires en cours, qui viserait peut-être à conserver trace de solutions jurisprudentielles63. En définitive, aucun document du XIIIe siècle ne nous renseigne sur le déroulement de l’audience64. Mais les fortes divergences entre le memorandum de 1273 et le rôle de 1287 montrent au moins que ce dernier n’a pas été rédigé sur le vif et qu’il ne dresse pas la liste des décisions prises lors de l’audience : il enregistre au contraire les actes expédiés a posteriori en vertu de ces décisions65. Ce constat est conforté par une comparaison avec les Anciens Registres du greffe, dont la série débute en 131966. La composition de ces registres s’avère complexe et les modalités de leur élaboration, ainsi que leur fonction exacte, demeurent en partie obscures67. Mais l’essentiel de leur contenu réside dans de longues listes de causes, regroupées selon l’ordre de convocation des bailliages et accompagnées de la série des registres de plaidoiries du Parlement (sur cette hypothèse, voir P. Paschel, « L’élaboration… », p. 43-44). 62. La mention « deliberatum est », rédigée au passé, à l’article 17, incite à préférer cette hypothèse à celle d’une pièce établie lors de l’audience. Cette interprétation s’accorde avec le fait que le document fait état de propositions et d’avis émis lors des débats internes à la Grand Chambre, par exemple : « Audito casu, dominus de Nigella non laudat pacem » (art. 25 ) – le seigneur de Nesle étant maître de la cour en 1273 (C.-V. Langlois, Textes…, n° 66, p. 87). 63. Cette hypothèse rendrait compte du fait que l’auteur a parfois accordé davantage d’attention au fond des causes qu’aux noms des parties. En dépit du tour très elliptique de leur rédaction, certains articles présentent ainsi des décisions qui peuvent avoir un caractère exemplaire. Voir, par exemple, l’article 27 : « Senescallus Tholose faciet jus falso testi » ; voir également art. 9. 64. Charles-Victor Langlois signale l’existence de documents similaires au memorandum de 1273 (C. V. Langlois, Textes…, n° 67, p. 87, n. 1). Néanmoins, le seul document dont il fournisse la cote précise, Arch. nat., J 1034, n° 22 (facs-similés de l’École des chartes, ancien fonds, n° 61, édité dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 37, 1861, p. 440-441), n’émane manifestement pas du Parlement, comme l’attestent les derniers articles, qui concernent des sujets sans lien avec un contentieux (autorisation de marché, paiement de gages). Il s’agit plus probablement d’instructions données au sénéchal de Saintonge ou peut-être à un enquêteur-réformateur, qui proviennent des archives d’Alphonse de Poitiers versées au Trésor des chartes – je remercie Gaël Chenard pour les renseignements qu’il nous a fournis sur cette pièce. Aucun autre document qui pourrait émaner de l’audience de la Grand Chambre n’a pu être identifié dans le Supplément des layettes du Trésor des chartes – mes remerciements vont à Marie Dejoux pour son aide sur ce fonds. 65. À ce titre, son contenu n’est pas sans rappeler les rouleaux dressés, à titre privé, par les procureurs du roi d’Angleterre au Parlement pour consigner le sort des causes de leur maître (voir C.-V. Langlois, « Rouleaux d’arrêts… », t. 48, p. 540-565 et t. 50, p. 41-65, notamment n° 1, p. 540547). Or ces rôles ne sont pas établis à l’audience, mais après la session, peut-être même plusieurs années après le parlement concerné (ibid., t. 48, p. 539). 66. Arch. nat., X1A 8844. 67. Il est vrai que ces registres ont suscité très peu d’études. La description la plus précise en est donnée dans A. Grün, « Notice … », p. CXXIV-CXXXI, que complètent C.-V. Langlois, De monumentis…, p. 23 et Madeleine Dillay, « Instruments de recherche du fonds du parlement de Paris dressés au greffe de la juridiction », dans Archives et bibliothèques, t. 3, 1937-1938, p. 13-30, 82-92 et 190-199, aux p. 24-25. Pour une interprétation du contenu de ces registres, voir O. Canteaut, Gouvernement…, t. II, p. 307-308.

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d’une brève mention relative à la décision prise lors de l’audience : envoi ou renouvellement de commissaires, défaut, délai, ou encore continuation en l’état68. Seule addition par rapport à la liste de 1287 : la date de chaque article est désormais précisée. Or l’ordre chronologique approximatif des articles atteste que le volume ne dresse pas le procès-verbal des sessions de la cour, mais qu’il enregistre après coup des actes émis par le greffe sur ordre du Parlement69. Ainsi les Anciens Registres du greffe civil constituent-ils pour l’essentiel les successeurs du rôle de 128770 ; et celui-ci peut être qualifié, faute de dénomination plus précise, de « rôle du greffe »71. Doit-il être identifié avec le rôle du parlement auquel les Olim font si souvent référence ? Ceux-ci, au lieu de transcrire certains arrêts et jugés, renvoient en effet 68. Les proportions de ces différentes catégories de décisions ne semblent cependant plus identiques à celles mesurées en 1287 : les renouvellements de commissions, les continuations en l’état et, dans une moindre mesure, les nominations de commissaires, dominent largement, face aux défauts ou aux délais. 69. Il demeure toutefois impossible à nos yeux de caractériser précisément les actes analysés dans les Anciens Registres du greffe. Ainsi les titres que portent les registres à compter de 1338 se contentent d’énumérer, de façon non exhaustive, les différents types d’actes enregistrés (voir, par exemple, Arch. nat., X1A 8847, fol. 1 : « Continuaciones, commissiones, defectus et quedam alie littere »). Certes, au regard de ce dernier intitulé, l’ensemble des actes enregistrés semble relever de la catégorie des « lettres » – catégorie il est vrai bien imprécise (sur celle-ci, voir P. Paschel, « L’élaboration… », p. 27 et O. Canteaut, Gouvernement…, t. II, p. 297). Cependant, depuis 1319, est également tenu un registre de lettres et arrêts, dont le premier témoin conservé remonte à 1333 (Arch. nat., X1A 7 ; voir O. Canteaut, Gouvernement…, t. II, p. 297). Comme le confirme une comparaison de ces deux séries, et registres du greffe ne consignent pas les mêmes actes, sans qu’il soit possible de déterminer selon quelle logique est effectué ce départage. 70. Rôle et registre se sont-ils succédés ou ont-ils pu coexister, le registre n’étant qu’une mise au net du rôle ? L’analyse codicologique des registres du greffe pourrait accréditer cette dernière hypothèse. En effet, pour chaque parlement, les registres sont divisés en une dizaine de sections géographiques rédigées parallèlement ; or ce découpage ne coïncide pas avec les cahiers qui composent les différents volumes (voir, pour Arch. nat., X1A 8844, les signatures au bas des feuillets 9 à 11, 24, 33 à 35…). Faute d’être la réunion de cahiers rédigés en même temps, les registres du greffe pourraient donc être copiés d’après plusieurs rouleaux établis conjointement. En réalité, quelques feuillets blancs, parfois coupés, et des irrégularités dans la composition des volumes laissent supposer que les différentes sections des registres ont été habilement espacées et ont ainsi pu être tenues en parallèle (voir par exemple Arch. nat., X1A 8844, fol. 115-116, 211-212, 346… ; fol. 167 et 170v, fol. 202). Quant à l’hypothèse qu’un registre du greffe ait existé avant 1319, date de l’ouverture du premier volume que nous conservons, elle n’est étayée par aucun élément. Le fait que les Olim aient renfermé jusqu’en 1318 des listes de pétitions et d’articles semblables à celles que contiennent les registres du greffe à compter de 1319 (Arch. nat., X1A 3, fol. 74-94v et X1A 8844, fol. 2), tend à confirmer que ces derniers n’apparaissent qu’en 1319 ou, du moins, connaissent de substantielles modifications à cette date. 71. Le terme est employé par les auteurs du Corpus philippicum. Le rôle se limite-t-il aux affaires civiles ou mélange-t-il causes civiles et criminelles, à l’image des Olim (A. Grün, « Notice… », p. XC) ? Les fragments conservés ne concernent que des procès civils ; mais il serait imprudent d’extrapoler.

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régulièrement au « rotulus parlamenti »72. Toutefois, le contenu de ce rôle s’avère difficile à déterminer, tant les documents qui le citent sont rares. Seuls trois groupes d’extraits nous en sont parvenus : une partie du premier volume des Olim, pour les années 1255 à 1263, a été réalisée par Jean de Montluçon grâce aux rôles de session conservés par la cour73 ; Nicolas de Chartres a recopié, au début du registre X1A 2, de brefs passages relatifs au roi d’Angleterre tirés des rouleaux de la Pentecôte 1281, de la Pentecôte et de la Saint-Martin 1288, de la Pentecôte 1290 et de la Chandeleur 129174 ; enfin une cédule rapporte un extrait d’un rôle de 129075. Or le rôle de 1287 présente de fortes similitudes avec certains extraits des rôles de session qui ont été transcrits par Nicolas de Chartres76. En revanche les fragments qui nous sont parvenus ne mentionnent aucun arrêt ou jugé, alors qu’il est avéré que le rôle de session en contient des transcriptions in extenso77. Il est vrai que les arrêts et jugés ne constituent qu’une faible partie des décisions prises par le Parlement78. Cependant, ils sont édictés et expédiés au milieu des mesures procédurales les plus diverses79 ; aussi est-il surprenant que le rôle de 1287 n’en contienne 72. Ces renvois sont particulièrement fréquents dans le dernier volume des Olim. Voir l’entrée « Parlement, rouleaux » de l’index de l’édition des Olim, établi sous la direction de Jean Hilaire par le Centre d’études d’histoire juridique (2003), index disponible en ligne à l’adresse http://www.ihd.cnrs.fr/article.php3 ?id_article=70. 73. A. Grün, « Notice… », p. LXX-LXXI. Son argumentation s’appuie notamment sur la note suivante portée au verso du feuillet 90 de X1A 1 par Nicolas de Chartres, qui a achevé ce travail rétrospectif : « inferius continentur et scribuntur quedam judicia et arresta inventa in quibusdam rotulis scripta de manu magistri Johannis de Montelucio, antequam inciperet arresta ponere in quaternis originalibus inter rotulos pallamentorum de tempore ipsius magistri Johannis reservatis » (Olim, t. I, p. 440). Sur le sens de cette note, voir Henri Lot, Essai sur l’authenticité et le caractère officiel des Olim. Thèse présentée aux examens de fin d’année de l’École des chartes, 1857-1858, Paris, 1863, p. 31-34, n. 1. 74. Olim, t. II, p. 46-47. 75. C.-V. Langlois, De monumentis…, p. 86. 76. Deux articles mentionnent ainsi, à la manière du rôle de 1287, les parties en cause dans un litige et, de façon synthétique, la décision prise à leur sujet : « Rex Anglie, ad dictam diem, contra abbatem et conventum Brantolmiensem, super redevancia communis. Idem rex habet diem consilii » ; « Senescallus Petragoricensis, pro rege, contra regem Anglie. Ad audiendum jus super inquestis de Camineriis, de Aymeto, de Casteloignes et de Ribis » (Olim, t. II, p. 46 et 47). Voir également l’article du parlement de la Saint-Martin 1288, ibid., p. 47. Les autres articles cités par Nicolas de Chartres, tout en présentant une forme analytique, se révèlent plus diserts. 77. Un extrait du rôle de 1290 rapporte ainsi de façon extrêmement précise un arrêt prononcé par la cour (C.-V. Langlois, De monumentis…, p. 86) et plusieurs passages des Olim renvoyant au rôle laissent entendre que celui-ci contient des transcriptions d’arrêts in extenso (Olim, t. III, p. 61, n° 29 ; p. 65, n° 5 ; p. 109, n° 65 et 66, p. 149, n° 26…). 78. Après 1319, les registres du greffe contiennent plus d’un millier d’articles chaque année, contre quelques centaines pour les registres d’arrêts et de jugés. En 1320, on compte ainsi 1 080 articles dans les registres du greffe, mais seulement 160 jugés – les registres d’arrêts entre 1319 et 1332 ont quant à eux disparu. 79. En témoignent, pour le XIIIe siècle, les relevés réalisés par les procureurs du roi d’Angleterre (C.-V. Langlois, « Rouleaux d’arrêts… », t. 48, p. 540-565 et t. 50, p. 41-65) – il est vrai, cependant,

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aucun, alors même que, comme les registres du greffe, il enregistre sans doute les actes selon un ordre chronologique approximatif. Il est cependant possible qu’arrêts et jugés aient été rejetés à la fin du rôle : nombre d’articles des Olim renvoyant à une sentence transcrite dans le rôle précisent qu’elle se trouve « in fine rotuli hujus parlamenti »80. Des arrêts et jugés seraient donc transcrits sur un rouleau distinct, réuni dans un second temps aux différents rouleaux des jours des bailliages pour former un unique rôle de session. Les fragments du rôle de 1287 que nous conservons seraient donc tous issus du début du rôle. Autre possibilité : le rôle de session se contenterait d’enregistrer une poignée de sentences émises dans des circonstances particulières81, notamment après la clôture de la session82. Dans ces conditions, les arrêts et jugés transcrits in extenso seraient disséminés tout au long du rouleau et c’est leur rareté qui expliquerait qu’aucun d’entre eux ne figure dans les fragments du rôle de 1287. Dans l’hypothèse d’une identification de ce dernier à un rôle de session, celui-ci serait donc le fruit d’un enregistrement chronologique des actes émis par le Parlement83, et ne constituerait pas le plumitif des séances de la cour84. Quels rapports entretiendrait alors ce rôle avec les Olim ? Si le rôle de session consigne de manière systématique les sentences, il s’avèrerait être alors le lieu unique de l’enregistrement des actes de la cour85. Les Olim, dont le caractère qu’ils ne sont pas établis à l’audience, mais après la session (ibid., t. 48, p. 539). Une semblable organisation est attestée après 1319 par les registres de lettres, arrêts et jugés et ceux du greffe, qui mentionnent la date de chaque acte enregistré, puis, à compter des années 1360, par les registres des plaidoiries (voir Arch. nat., X1A 1469). 80. Olim, t. III, p. 109, n° 65 et 66. Voir également ibid., t. III, p. 61, n° 29 ; p. 187, n° 54 ; et p. 219, n° 51. A contrario, deux jugés seraient transcrits « circa medium [rotuli] » (ibid., t. III, p. 197, n° 16 et p. 504, n° 4). 81. Nombre des arrêts et jugés consignés dans le rôle aux dires des Olim sont atypiques, qu’il s’agisse de sentences d’absolution (Olim, t. III, p. 65, n° 5 ; p. 76, n° 7), d’arrêts de procédure – en particulier annulant des procédures antérieures – (ibid., t. III, p. 76, n° 8 ; p. 149, n° 26 ; p. 155, n° 33 ; p. 156, n° 38 ; p. 391-392, n° 27 ; p. 820, n° 104 ; p. 930, n° 92 ; p. 931, n° 98), ou encore de sentences émises dans des circonstances extraordinaires (ibid., t. III, p. 223, n° 56 ; p. 504, n° 4 ; p. 1296, n° 71). 82. La grande majorité des renvois des Olim au rôle se concentre à la fin des actes de chaque session. En l’absence de toute datation de ces mentions, on ne peut cependant être assuré que cette position soit directement liée à l’ordre d’expédition des actes. 83. Cet enregistrement chronologique serait cependant divisé en plusieurs ensembles distincts tenus en parallèle, correspondant aux jours des différents bailliages et, peut-être, aux arrêts et jugés. 84. C’est là l’hypothèse émise par Henri Lot (H. Lot, Essai sur l’histoire…, p. 33, n.). De son côté, Charles-Victor Langlois ne tranche pas clairement entre l’hypothèse d’un plumitif retranscrivant les décisions rendues à l’audience, et celle d’un outil d’enregistrement des actes expédiés à l’issue de l’audience (C.-V. Langlois, Textes…, p. X). Alphonse Grün, quant à lui, considère que le rôle réunit les minutes des arrêts de la cour (A. Grün, « Notice… », p. XCIX). 85. C’est là l’idée soutenue en particulier par Charles-Victor Langlois, qui considère que les rôles de session « contenaient sous forme sommaire toutes les décisions prises par la cour » (C.-V. Langlois,

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sélectif est indéniable, ne seraient dans ces conditions qu’un outil complémentaire réalisé par le notaire du Parlement, sans doute à des fins archivistiques86. Si en revanche le rôle de session se contente d’enregistrer une poignée de sentences émises dans des circonstances particulières, rôle et Olim ne contiendraient pas de textes communs – à l’exception des quelques passages du rôle qui ont été explicitement recopiés dans les Olim87. Tous deux se révèleraient alors être des outils strictement complémentaires dédiés à l’enregistrement chronologique des actes de la cour, créant ainsi un modèle que perpétueraient après 1319 leurs successeurs, les registres de lettres, arrêts et jugés et les registres du greffe. Quoi qu’il en soit, les Olim ne constituent pas le lieu unique d’enregistrement de l’activité de la cour. Jusqu’en 1319, c’est aussi dans ses rouleaux – et peut-être de façon prioritaire – que le Parlement conserve la mémoire des affaires qui lui sont soumises et des décisions qu’il prend. Pourtant ces rôles perdirent rapidement leur intérêt aux yeux de la cour et de ses greffiers. En effet, ceux-ci délaissèrent bientôt les rouleaux au profit de registres. Dès la fin du XIIIe siècle, le greffier préfère ainsi se référer aux Olim plutôt qu’aux rôles de session88 ; et en 1319, les registres du greffe et les registres de lettres et arrêts et de jugés viennent définitivement remplacer les rôles antérieurs, peutêtre sous l’influence des pratiques administratives de la chancellerie et de la Chambre des comptes, qui privilégient le registre au détriment du rouleau89. Les rôles anciens sont même laissés à l’abandon : celui de 1287 fait l’objet d’un remploi dès le règne de Charles V90 et l’ensemble de la série des rôles de session est conservée dans de si mauvaises conditions qu’aucun d’entre eux ne nous est parvenu. En retour, les Olim apparaissent désormais comme l’unique Textes…, p. X) et qu’ils sont à l’origine de tous les registres de la cour (voir le tableau de filiation des registres du Parlement proposé dans C.-V. Langlois, De monumentis…, p. 22, n. 2). La même hypothèse est émise sous une forme moins achevée dans A. Grün, « Notice… », p. CXIX. 86. Sur les préoccupations archivistiques qui animent les auteurs des Olim lors de leur sélection des arrêts et jugés, voir O. Canteaut, Gouvernement…, t. II, p. 303-305. 87. Enregistrements au rôle et dans les Olim semblent de fait s’exclure, comme en témoigne l’annulation de la transcription de deux jugés « quia scriptum est in rotulo hujus parlamenti » (Olim, t. III, n° 83, p. 1183, n. 1 et n° 84, p. 1185, n. 1). Une note au bas d’une transcription dans le registre des jugés ordonne cependant l’enregistrement de cette décision dans le rouleau de session (Olim, t. II, p. 617-618, n° 6 : « sic registratur in rotulo hujus parlamenti »). 88. A. Grün, « Notice… », p. CX et surtout L. Delisle, « Essai de restitution… », p. 311. 89. Sur la pratique de l’enregistrement dans l’administration royale, voir O. Canteaut, « Le roi de France… ». Remarquons que Geoffroi Chalop, le notaire qui renonça en 1319 à tenir les rôles de session au profit exclusif de registres, avait œuvré durant la première partie de sa carrière aux côtés du chancelier (Jean Glénisson et Jean Guerout, Registres du Trésor des chartes. Inventaire analytique, t. I : Règne de Philippe le Bel, dir. Robert Fawtier, Paris, 1958 (Archives nationales : inventaires et documents), n° 673, 1355…). 90. Voir n. 11.

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témoin des premiers temps du Parlement et comme le noyau primitif de l’ensemble des registres de la cour. Ils incarnent aujourd’hui la mémoire du Parlement. Olivier CANTEAUT École nationale des chartes

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PIÈCE JUSTIFICATIVE [1287, 25 mai-1288, 16 mai]. — S. l. Rôle énumérant des affaires soumises à la cour du roi aux jours des barons, à ceux du bailliage d’Amiens, à ceux du bailliage de Senlis et à ceux des bailliages d’Auvergne et de Mâcon. A. Arch. nat., X1C 15A, n° 42, 53v, 47 et 103v. [Dies baronum] […] [n°42] [1] […](a) [Sanct]i Benedicti Floriacensis. Dictus comes habet diem consilii91. [2] […] Templariis quod possint petere defectum istius pallamenti, nisi tunc habeant procuratorium. [3] […] pro rege pro hominibus de Catallis. Et interim per magistros Johannem de Puteolis et Johannem Ducis recipientur probationes inter eos. [4] Domina Montis Regalis contra ducissam Burgundie. Dicta domina habet diem apensamenti92. [5] Ducissa Burgundie contra dominam Montis Regalis. Ducissa habet diem consilii92. [6] Archiepiscopus Remensis contra Templum super duabus petitionibus, de quibus alias non habuit ostensionem. Idem archiepiscopus habet diem ostensionis ad Ramos Palmarum et convenient in ecclesia cathedrali(b). (a) Le début de cette ligne, ainsi que celui des deux suivantes, a été rogné. — (b) c. dans l’interligne supérieur.

91. Sans doute faut-il rapprocher cet article d’un jugé consigné dans le registre de Nicolas de Chartres pour le parlement de la Toussaint 1293 et dont une analyse est conservée : « Le comte de Bar, seigneur de Gyem, prent le tiers denier en la vente du boys de Villars appartenant a l’abbé de Sainct Benoist sur Loyre » (Delisle, n° 848). Il s’agit de la seule sentence de la fin du XIIIe siècle qui nous soit parvenue mettant l’abbaye aux prises avec un comte. 92. Cette affaire fait l’objet d’un premier arrêt au parlement de la Pentecôte 1287 (Olim, t. II, p. 262, n° 10) ; elle se conclut en juin 1293 par la renonciation à leur cause qu’effectuent Guiot, Hugues, Agnès et Béatrix, enfants de Jean de Montréal (Arch. nat., J 254, n° 17 et 19 à 21, et Olim, t. II, p. 343, n° 22). Les actes de renonciation décrivent précisément l’ensemble des étapes de la procédure, notamment la demande de jour de conseil évoquée dans le rôle.

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[7] Comes Flandrie contra prepositos et juratos Tornacenses et Malingre, quondam prepositum Sancti Quentini. Et interim per penitenciarium Ambianensem et Antelmum de Warignies, militem, inquiretur inter eos93. [8] Ballivus Ambianensis pro rege, abbas et conventus Clugniacenses, prior eorum de Wasto(c) contra comitem Bolonie. In statu. [9] Regina Sicilie contra abbatem et conventum Sancti Petri Carnotensis, racione prioratus de Berou. In statu. [10] Abbas et conventus Majoris Monasterii contra comitissam Alençonis, super quatuor petitionibus suis apud Moreias. Ipsa habet diem ostensionis ad crastinum Ramorum Palmarum, et convenient apud Moreias94. [11] Episcopus Morinensis per curiam adjornatur, contra dominam de Creseques, secundum arramenta et super aliis. [12] Episcopus Claromontensis contra cives Claromontenses. Tam super principali quam super accessoriis in statu, scilicet ad audiendum jus. Et debent omnia videri interim, judicia, arresta curie, littere et raciones partium95. [13] Constabularius Francie contra abbatem et conventum Premonstratenses. Idem constabularius habet diem ostensionis ad diem martis post Ramos Palmarum. [14] Comitissa Alençonis contra abbatem et conventum Majoris Monasterii, pro captione equorum(d). Ipsa habet diem ostensionis ad crastinum Ramorum (c) Les trois parties sont inscrites sur trois lignes différentes réunies par une accolade. — (d) e. suivi d’un blanc.

93. C’est sans doute à cette affaire que se rapporte un accord conclu entre les bourgeois de Tournai et le comte de Flandre en novembre 1289, accord homologué par le roi en mars 1290 (Frédéric De Reiffenberg, Monuments pour servir à l’histoire des provinces de Namur, de Hainaut et de Luxembourg, t. I, Bruxelles, 1844, p. 110-112). Cet accord ne fait pas mention du prévôt de SaintQuentin, mais il est probable que celui-ci ne soit intervenu dans le procès que comme représentant de la juridiction royale. Tournai dépendait en effet du bailliage de Vermandois (Henri Waquet, Le bailliage de Vermandois aux XIIIe et XIVe siècles. Étude d’histoire administrative, Paris, 1919 (Bibliothèque de l’École des hautes études. Sciences historiques et philologiques, 213), p. 12-13) et le bailli semble avoir volontiers chargé le prévôt de Saint-Quentin d’agir en son nom à Tournai (voir par exemple Armand d’Herbomez, Chartes de l’abbaye Saint-Martin de Tournai, t. II, Bruxelles, 1901, p. 422-423). 94. Cet article doit être rapproché de deux jugés transcrits dans le registre de Nicolas de Chartes, le premier rendu au parlement de la Pentecôte 1290 (C.-V. Langlois, « Nouveaux fragments… », p. 456-457), le second au parlement de la Chandeleur 1291 (« La comtesse de Bloys et d’Alençon a la garde et justice du prieuré de Mourees dependant de Marmoustier », Delisle, n° 765). 95. Trois arrêts entre les bourgeois et l’évêque de Clermont ont été rendus lors du parlement de la Pentecôte 1287, en août 1287 (Olim, t. II, p. 264-265, n° 18 à 20 et Roger Sève, « La seigneurie épiscopale de Clermont des origines à 1357 », dans Revue d’Auvergne, t. 94, 1980, p. 87-268, à la p. 202) ; ils sont complétés par un arrêt de février 1288 (Olim, t. II, p. 267, n° 4 et R. Sève, « La seigneurie… », p. 203). Il s’agit en fait d’arrêts qui découlent tous de l’interdiction prononcée par le Parlement en 1251 d’une commune à Clermont et par la saisie des biens de la ville ; le fond de cette affaire fait l’objet d’un arrêt du parlement de la Toussaint 1295 (Olim, t. II, p. 386, n° 13). Sur l’ensemble de ce conflit, voir R. Sève, « La seigneurie… », p. 199-203.

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Palmarum et durabit recredentia et fient alie recredentie si necesse fuerit, scilicet per manum comitisse, sicut fuit alias ordinatum, ita quod non fiat prejudicium etc., sicut fuit alias ordinatum96. [15] Comitissa Alençonis contra abbatem et conventum Majoris Monasterii, super novis desaisinis et aliis apud Sarmesias. Comitissa habet diem ostensionis ad diem martis post Ramos Palmarum et convenient apud Sarmesias97. [16] Comes Bolonie contra abbatem et conventum Sancti Ulmari, pro francis avibus. Comes habet diem ostensionis ad diem mercurii post Pascha et convenient apud Davre(e)98. [17] Abbas et conventus Sancti Remigii Remensis, ballivus Viromandensis pro rege(f) contra archiepiscopum Remensem, super proprietate garde monasterii Sancti Remigii. In statu propter absentiam magistri J. de Wassoignia et fuit dictum quod lis non erat contestata super barra spoliationis et quod procederetur ulterius99. [18] Prepositi et j[urati](g) […] […] [Dies baillivie Ambianensis] […] [n° 53v] [19] Galienus de comitatu Guynensi contra ballivum Ambianensem pro rege, ratione IIIIXX X librarum terre in comitatu predicto. (e) a. D. dans l’interligne supérieur. — (f) Les deux parties sont inscrites sur deux lignes différentes réunies par une accolade. — (g) La fin de la ligne a été rognée.

96. Un arrêt prononcé au parlement de la Toussaint 1291 entre la comtesse et l’abbaye de Marmoutier mentionne une plainte de l’abbaye au sujet de la prise de chevaux à Saumeray (Olim, t. II, p. 332, n° 21). Un des différends qui opposent l’abbaye et la comtesse à Morée (voir n. 94) concerne également la prise de chevaux (C.-V. Langlois, « Nouveaux fragments… », p. 456-457). 97. Sur les plaintes de Marmoutier contre la comtesse d’Alençon à propos de Saumeray, voir n. 96. 98. L’affaire se conclut par un jugé rendu au parlement de la Toussaint 1287, consigné dans le registre de Nicolas de Chartres. Le texte nous en est parvenu (L. Delisle, « Fragments inédits… », p. 178179), ainsi qu’une analyse (« Le comte de Boloigne en tout son comté et en la terre de l’abbé de Sainct Ulmer a droit de prendre et faire prendre les oyseaulx nobles et de proye et de les avoir pour certain pris », Delisle, n° 651). La cause dut cependant reprendre peu après, puisqu’un arrêt du parlement de la Toussaint 1292 renvoie le procès à la cour du comte d’Artois (Olim, t. II, p. 339, n° 11). 99. La garde de l’abbaye Saint-Remi oppose régulièrement l’abbaye à l’archevêque de Reims, ce dont témoignent plusieurs arrêts et jugés de 1259 à 1281 (Olim, t. I, p. 454-455, n° 18 ; ibid., p. 701, n° 11 ; ibid., p. 863-864, n° 29 ; Delisle, n° 440 et Pierre Varin, Archives administratives de la ville de Reims : collection de pièces inédites pouvant servir à l’histoire des institutions dans l’intérieur de la cité, t. I, 2e partie, Paris, 1839 (Collection des documents inédits sur l’histoire de France. 1re série : histoire politique), p. 982-985). L’article 17 semble se rapporter à une nouvelle résurgence de ce conflit ; il faut sans doute le rapprocher de plusieurs listes d’articles données par les parties et d’une liste de témoins datant de 1291 (ibid., p. 1060-1071). C’est peut-être cette affaire qui est conclue par un arrêt du parlement de la Toussaint 1301 (Olim, t. III, p. 80, n° 18).

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Idem Galienus, post diem ostensionis quod […](h) comes Guynensis dedit ei et vendidit dictam terram pro M libris et quod homines IIIIor bannorum terre Guynensis consenserunt in dictas donationem et venditionem et quod dominus rex, postquam emit dictum comitatum100, quittavit eumdem Galienum super hoc. [20] Inter regem ex una parte et comitem Sancti Pauli ex altera. Ad aliud parlamentum, ad eosdem auditores videlicet Gorjutum et Guillelmum de Maceriis, militem. Renovata est(i)101. [21] Inter ballivum Ambianensem pro rege ex una parte et comitem Sancti Pauli ex altera. Ad aliud pallamentum, ad eosdem auditores, videlicet Stephanum de Pedagio102 et Antelmum(j) de Warignies, milites. Renovata est commissio(k)103. [22] Matheus Egrez, Geraldus de Kerreu, Galterus de Foilloello(l) contra dominum Erardum de Monmorenci et Johannam, ejus uxorem. In statu. Et interim circa L testes producti in dicta causa et non examinati recipientur per magistrum Aubertum de Marla, canonicum Laudunensem, et Nevelonem de Voties, quia habite sunt II productiones, sicut fuit relatum curie104. [23] Domina de Longua Valle contra Henricum de Toutencourt et executores. Post ostensionem, in statu105. (h) Un ou deux mots ont été rognés en fin de ligne. — (i) R. est dans l’interligne inférieur. — (j) ms Atelmum. — (k) III IV e bonum inscrit au bout de la ligne, d’une main du XIVe siècle. — (l) Ces trois noms sont inscrits sur trois lignes différentes réunies par des traits.

100. Le comte de Guînes, Arnoul, vendit son comté au roi en février 1283 (André Du Chesne, Histoire généalogique des maisons de Guînes, d’Ardres, de Gand et de Coucy […], Paris, 1631, preuves, p. 293-295). 101. Cette affaire – ou celle invoquée à l’article 21 – trouve sans doute sa conclusion dans un jugé rendu au parlement de la Pentecôte 1287, consigné dans le registre de Nicolas de Chartres et ainsi analysé par les érudits : « Arrest donné entre le roy lors regnant et le comte de Saint Paul sur les differentz de plusieurs terres et fiefz que le roy maintenoit estre tenus de luy, ledict comte disant au contraire » et « La declaration des fiefz et hommaiges deuz au roy a Hellebeterne et a Baaillencourt prés Peronne » (Delisle, n° 627). 102. Étienne du Péage a déjà été chargé d’un arbitrage au sujet de fiefs entre les comtes d’Artois et de Saint-Pol en 1271 (a. s.) (voir n. 191 et texte correspondant). 103. Cet article, ou le précédent, renvoie sans doute à une cause relative au statut des appels du comté de Saint-Pol, cause qui a été close par un jugé de janvier 1292 (Arch. nat., J 796, n° 3) ; celuici est également consigné dans le registre de Nicolas de Chartres (Delisle, n° 791 et Arch. nat., J 792, n° 13, extrait du registre inconnu de Léopold Delisle). 104. L’affaire aboutit à un jugé rendu au parlement de la Toussaint 1298, transcrit dans le registre de Nicolas de Chartres et dont une analyse sommaire nous est parvenue : « Jehane fille de Albert de Longueval, chevalier, mariee a mons. Erard de Montmorency. Appert en l’arrest de Mathieu dict Aigret » (Delisle, n° 926). 105. Peut-être cet article est-il à mettre en relation avec un arrêt rendu au parlement de la Pentecôte 1287 et relatif au douaire de la veuve d’Aubert de Longueval (Olim, t. II, p. 262, n° 12).

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[24] Domina de Basentin contra dominam de Longavalle, super sustencione quam petit ipsa domina de Basentin et super omnibus aliis. In statu106. [25] Dominus de Liques, Balduynus de Mota, Robertus de Hames habentes diem per assignacionem. Post diem ostensionis pro rege defecerunt et ob hunc defectum ballivus Ambianensis intrabit saisinam rei petite in comitatu Guynensi. [26] Girardus de Provi, Inguerrannus de Jorni, domina de Jorni, domina de Cultura, presbiter de Bresmes, Henricus de Kalais, Johannes de Houc defecerunt contra regem et super defectibus readjornabuntur et secundum arramenta(m). [27] Domina de Basentin contra executores defuncti Johannis de Toutencourt et Agnetem, dominam de Toutencourt. Et interim ballivus et penitenciarius Ambianenses de consensu partium recipient probationes inter eos(n). [28] Vicedominus de Pinquigniaco contra decanum et capitulum Ambianenses. In statu(n). [29] (o)Baldoinus de Guynes, miles, contra ballivum Ambianensem pro domino rege. In statu107. [30] Ballivus Ambianensis pro rege contra capitulum Ambianense. Et interim per magistrum Hugonem de Batpalmis, scolasticum Attrebatensem, et Antelmum de Warignies, militem, recipientur probationes(p). [31] Johannes de Warennis, Havetus ejus frater, contra ballivum Ambianensem pro rege. In statu. [32] Major et jurati Corbeienses contra abbatem et conventum Corbeienses et econverso. In statu sub spe pacis108. […] (m) Article en deux colonnes, l’une de cinq lignes pour les parties, à raison d’une ligne par partie, l’autre de trois lignes pour la sentence, les lignes de chaque colonne étant réunies par des accolades. — (n) Article inscrit dans une colonne à droite de l’article 26. — (o) Les articles 29 à 32 sont l’œuvre d’une main différente. — (p) r. p. dans l’interligne supérieur. 106. Cette affaire est conclue par deux arrêts : l’un du parlement de la Toussaint 1295 (Olim, t. II, p. 377-378, n° 1), rendu entre la dame de Bazentin et Catherine de Longueval, qui, depuis 1293, administre la terre de Longueval au nom de son frère (ibid., p. 364-365, n° 29) et semble avoir repris les errements du procès de sa mère ; l’autre du parlement de la Toussaint 1298 (ibid., p. 424-425, n° 17). 107. Un arrêt entre Baudoin et le roi a été rendu au parlement de la Toussaint 1293 (Olim, t. II, p. 354, n° 8). Signalons également un jugé rendu au parlement de la Pentecôte 1290, dont l’analyse suivante nous est parvenue : « Le manoir de Colleuvede adjugé a mons. Bauldoyn de Guynes, filz du comte de Guynes » (Delisle, n° 726). 108. Cette affaire, entamée dès 1282 (Bibl. nat. Fr., lat. 17758, fol. 44v-46), aboutit à l’envoi de commissaires en 1290 (Bibl. nat. Fr., lat. 17758, fol. 46v) et à un jugé du parlement de la Chandeleur 1291 (Delisle, n° 784) ; elle est close par un jugé du parlement de la Toussaint 1296 (Delisle, n° 914, édité dans Augustin Thierry, Recueil des monuments inédits de l’histoire du Tiers-État. Première série : chartes, coutumes, actes municipaux, statuts des corporations d’arts et métiers des villes et communes de France. Région du nord, t. III : Contenant les pièces relatives à l’histoire municipale de la ville d’Amiens, depuis le XVIIe siècle jusqu’en 1789, et à celle des villes et villages de l’Amiénois […], Paris, 1856 (Collection des documents inédits sur l’histoire

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[Dies baillivie Silvanectensis] […] [n° 47] [33] […](q) Silvanecten. de consuetudine a collectione(r) […] in feodis comitatus Campanie. Et interim dicta relicta habebit recredentiam bonorum suorum. [34] H[eres de] Haromonte contra abbatem et conventum Vallis Serene. In statu. [35] Renoldus Blouet contra majorem et juratos Crispiaci. Et interim per Nevelonem de Voties, militem, et Stephanum de Scambio recipientur probationes inter eos. [36] Decanus et capitulum Silvanectenses, decanus et capitulum Sancti Reguli, decanus et capitulum Sancti Franbaudi(s) contra majorem et juratos Silvanectenses. In statu. [37] Episcopus Silvanectensis contra majorem et juratos Silvanectenses. Ad diem baronum in statu. [38] Dominus rex contra abbatissam et conventum Beate Marie Suessionensis. Et interim per ballivum Silvanectensem et magistrum Egidium Camelini recipientur probationes inter eos. [39] Homines de Verbria contra abbatem et conventum Compendienses. Dicti homines habent diem consilii109. [40] Prior de Ruilliaco contra homines de Ruilliaco. Dictus prior habet diem ostensionis ad crastinum octabarum Pasche et convenient apud Ruilliacum. [41] Abbas et conventus Compendienses contra majorem et juratos dicte ville, pro leprosaria. Et interim per magistrum Johannem Ducis et Stephanum de Pedagio, militem, recipientur probationes inter eos110. (q) Le début de cette ligne, ainsi que celui des deux suivantes, a été rogné. — (r) Ce mot abrégé peut également être lu collatione. — (s) Les trois parties sont inscrites sur trois lignes différentes réunies par une accolade.

de France. 1re série : histoire politique), p. 464-473). Les débats entre la ville et l’abbaye de Corbie reprennent cependant dès 1300 (ibid., p. 474-475) et les arrêts et pièces de procédure émaillent la première décennie du XIVe siècle (ibid., p. 476-477, p. 478, p. 480-488… ; Olim, t. II, p. 445-447, n° 7…). Pour un aperçu de ces querelles, voir H.-G. Schmidt, Administrative Korrespondenz…, p. 665. 109. Un accord homologué par le Parlement en décembre 1293 a clos l’affaire (Émile-Épiphanius Morel, Cartulaire de l’abbaye de Saint-Corneille de Compiègne, t. III, éd. Louis Carolus-Barré, Paris, 1977, n° 818 et 819, p. 230-233). Voir également n. 113. 110. Cette affaire s’est conclue par un jugé rendu au parlement de la Pentecôte 1290 ; celui-ci est connu par une analyse réalisée d’après le registre de Nicolas de Chartres : « L’administration temporele de la maladrye de Compiegne est aux maieur et jurés dudict lieu ; la spirituele a l’abbé de Sainct Cornile ». Un second jugé, en mars 1296, tranche un nouveau conflit entre la ville et l’abbaye autour de la nomination du maître de la léproserie (É.-É. Morel, Cartulaire…, t. III, n° 839, p. 273-274). Voir également n. 113.

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[42] Domina de Gandeluz contra abbatissam et conventum Kalenses. In statu. [43] Major et jurati de Crispeio et episcopus Belvacensis, super omnibus contentionibus motis adinvicem inter eos. Compromiserunt in episcopum Silvanectensem et Oudardum de Villa Nova, ballivum Silvanectensem, qui audient rationes parcium et inquirent veritatem super hiis que in facto consistunt et terminabunt si possint, quod si non possint commode, referent hic et ibi terminabitur ad secundum pallamentum post istud, ad dies ballivie Silvanectensis. [44] Reginaldus de Tria, miles, per ballivum contra decanum et capitulum Belvacenses, secundum omnia arramenta. Idem Reginaldus defecit. [45] Abbatissa et conventus Jotrenses pro se et hominibus suis contra abbatissam et conventum Kalenses pro se et hominibus suis. Sub(t) spe pacis in statu. [46] Ballivus Silvanectensis pro rege contra abbatem et conventum Sancte Genovefe Parisiensis, ratione domus sue de Borrenco, pro homine ibi justiciato. Et ballivus Viromandensis solus inquiret veritatem tocius facti et recredetur jurisdictio eorum et bona sua ob hoc capta111. [47] Dominus Couciaci contra abbatem et conventum Sancti Faronis Meldensis. In statu. [48] Abbas et conventus Sancti Johannis in Vineis Suessionensis et eorum prior de Sancto Vogesio contra dominum regem et econverso. In statu112. [49] Ballivus Silvanectensis pro rege contra abbatem et conventum Compendienses. In statu113. [50] Abbas et conventus Compendienses contra abbatem et conventum Compendienses. In statu, qui status erat ad concordandas rubricas super novitatibus de tempore quo fuit abbas de consilio(u)114. […] (t) Le scribe avait inscrit initialement sup. — (u) Le fragment se termine par plusieurs centimètres blancs. 111. C’est très probablement cette affaire qui est évoquée succinctement dans le registre criminel de Sainte-Geneviève ; elle y est datée des environs de 1289 (Louis Tanon, Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris […], Paris, 1883, p. 406). Je remercie pour cette référence Noémie Escher, qui a soutenu en 2009 une thèse d’archiviste paléographe portant sur le chartrier de Sainte-Geneviève. 112. Le registre de Nicolas de Chartres consignait deux jugés relatifs au prieuré de Saint-Vulgis, qui ne sont plus connus que par des analyses : le premier, rendu au parlement de la Pentecôte 1287 (« Le prieur de Sainct Vulgise de la Ferté Milon y a four et moulin a ban et usaige y designé en la forest de Rez », Delisle, n° 617), le second au parlement de la Pentecôte 1290 (« Arrest pour le prieur de Sainct Vulgise », Delisle n° 756). 113. Un « arrest pour l’abbé Sainct Cornille de Compiegne touchant leur justice es lieux designés », transcrit dans le registre de Nicolas de Chartres, a été rendu au parlement de la Pentecôte 1288 (Delisle, n° 686) ; mais il n’en reste que cette analyse imprécise et il est impossible de dire si ce jugement se rapporte à l’article 49 de notre document, aux articles 39, 41 ou 50, voire à une tout autre affaire. 114. Le texte de cet article est obscur, demandeur et défendeur y étant identiques. Sans doute l’une des deux parties est-elle en réalité le maire et les jurés de Compiègne, auquel cas cette affaire a

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[Dies bailliviarum Arvernie et Matisconensis] […] [n° 103v] [51] […](v) miles, contra abbatem et conventum Blasilie. Secundum arramenta utraque pars contramand[at]us per litteras. [52] Ballivus Arvernie pro domino rege contra tutores comitis Forensis, pro homagio domini de Sancto Boneto115. Idem ballivus habet diem ostensionis ad octabas Pasche et convenient apud Sanctum Bonetum. [53] Ballivus Masticonensis tanquam judex, Robertus de Villeta tanquam pars(w), contra Johannem de Salvaigniaco, burgensem Montis Brisonis. Et interim non debet justitiare dictus ballivus dictum Johannem pro eo quod cepisse dicitur dictum Robertum. [54] Ballivus Matisconensis contra Stephanum Balier et Petitum ejus fratrem, super defectu juris sibi facto, ut dicunt, in negocio quod habebant contra priorem de Pierresie, Johannem de Thezié, quondam prepositum Matisconensem, Embertum Perraudins, Guichardum de La Tresche, Stephanum Jardins, Guillelmum, filium Aymoneti de Sarraie, et matrem Johannete et Noiordis, Girardum Le Ferpier et Perrotum Veret. Et dicte persone adjornate sunt ad dictam diem per dictum ballivum, si sua crediderint interesse(x)116. [55] Capitulum Claromontense contra dominum Montis Ferrandi, super justicia de Croele117. Et interim per ballivum Arvernie fient ea que alias fuerunt(y) ordinata. (v) Le début de cette ligne a été rogné. — (w) Ces deux parties sont inscrites sur deux lignes différentes réunies par une accolade. — (x) Jehan Le Preu de Bazencourt a jour a Gerberroy par devant le chastelain inscrit à la fin de l’article d’une main du XIVe siècle. — (y) ms funt. trouvé son aboutissement dans un jugé rendu en juin 1291 (É.-É. Morel, Cartulaire…, t. III, n° 810, p. 207-218), enregistré dans le registre de Nicolas de Chartres (Delisle, n° 783), et complété par un second arrêt de mars 1293 (É.-É. Morel, Cartulaire…, t. III, p. 226-228, n° 816 et Olim, t. II, p. 349351, n° 38). D’autres conflits surgiront ultérieurement entre la ville et l’abbaye (voir notamment É.-É. Morel, Cartulaire…, t. III, n° 847, p. 285-286 et n° 850, p. 288-290). 115. Ce procès fait très probablement suite à la succession de Dauphine, dame de Saint-Bonnet, qui a légué sa terre à son fils aîné Robert Damas par testament en mars 1287 (Chartes du Forez antérieures au XIVe siècle, éd. Georges Guichard, Guy Courtin de Neufbourg, Édouard Perroy, Jean Dufour, Marguerite Gonon et Étienne Fournial, 24 t., Mâcon-Lyon-Paris, 1933-1980, t. VI, n° 729) et qui est morte avant le 29 juin 1287 (Samuel Guichenon, Histoire de la souveraineté de Dombes […], éd. Marie-Claude Guigue, t. II, Lyon, 1874, additions et corrections, p. V, cité dans Chartes du Forez…, t. XIII, n° 1214, p. 196-197, n. 1). Robert est attesté pour la première fois avec le titre de seigneur de Saint-Bonnet en avril 1288 (Chartes du Forez…, t. III, n° 375). 116. Un arrêt confirmant le jugement du bailli de Mâcon dans cette affaire est prononcé au parlement de la Chandeleur 1291 (Olim, t. II, p. 315, n° 13). 117. Le puy de Crouel se trouve à la limite de la justice ecclésiastique de Clermont à l’ouest et de celle des seigneurs de Montferrand à l’est : cette situation explique probablement le conflit de juridiction évoqué ici. Je remercie Emmanuel Grélois pour ce renseignement, ainsi que pour les références au fonds des archives départementales du Puy-de-Dôme et pour les très nombreux éclairages qu’il m’a aimablement apportés sur l’ensemble des affaires clermontoises signalées dans le rôle.

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[56] Abbas et conventus Sancti Yllidii Claromontensis contra episcopum Claromontensem. Et interim per magistros Johannem de Mor[enceis]118 et Johannem Dulsi recipientur probationes inter eos119. [57] Ballivus Arvernie pro domino rege contra episcopum et capitulum Claromontenses, super facto Allodie120. [58] Ballivus Arvernie pro rege contra episcopum et capitulum Claromontenses, super cursu monete(z)121. [59] Ballivus Arvernie pro rege contra capitulum Claromontense, super jurisdictione de Noanen. Et interim per ballivum perficietur inquesta. [60] Burgenses de Zebaziaco contra dominum Montis Ferrandi. Et interim per magistrum Johannem de Morenceis et ballivum Montanarum recipientur probaciones inter [eos]122. [61] Erardus de Roseamonte per ballivum Matisconensem contra ***(a’) de Blanosco, legum professorem, super contentis in litteris regis et super aliis. [62] Petrus de Tyniere, miles, contra abbatem et conventum Clugniacenses, racione prioratus de Boort in Arvernia. In statu(b’). […] (z) tellam inscrit au bout de la ligne, après un trait vertical, par une autre main, sans doute du siècle. — (a’) Nom laissé en blanc. — (b’). Le fragment se termine par un centimètre blanc, portant des traces de couture.

XIVe

118. Jean a été gardien de la régale de Clermont en 1286 (C.-V. Langlois, Inventaire…, n° 293) ; il agit encore au titre d’ancien gardien le 3 mars 1287 (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 G 171). 119. Ce litige est également mentionné dans un mémoire récapitulant l’ensemble des causes de l’évêque de Clermont pendantes au Parlement au début de l’épiscopat d’Aimar de Cros, très probablement à la session de la Pentecôte 1287 (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 G 1, n° 15A : « Item [expedienda est inquesta facta] super facto Sancti Illidii »). C’est sans doute à cette affaire que se rapporte également la note suivante, fondée sur un jugé du parlement de la Pentecôte 1287 qui se trouvait consigné dans le registre de Nicolas de Chartres : « En l’arrest de l’abbé Sainct Illide de Clermont apert que l’on faisoit garder par les lays les tenans franchise pour crimes » (Delisle, n° 644). Un accord, non daté, suivi d’une décision du parlement de la Toussaint 1295, conclut l’affaire (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 G 9, n° 27 et Olim, t. II, p. 385, n° 12). 120. Le château d’Alleuze a été acquis par l’évêque et le chapitre de Clermont en 1282. Le litige n’est pas cité dans le mémoire des causes de l’évêque pendantes au Parlement en 1287 (sur ce mémoire, voir n. 119). 121. Étonnamment, le sort de cette affaire n’est pas évoqué par le rôle. Or ce procès, dont l’origine remontait aux années 1270, après avoir été interrompu en 1285, reprit le 5 août 1287 par le lancement d’une enquête confiée à Jean de Morancez et Jean Dursin (André Bossuat, « Une enquête sur la monnaie de Clermont à la fin du XIIIe siècle », dans Bulletin philologique et historique jusqu’à 1715 du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1942-1943, p. 1-93, en particulier aux p. 18 et 73). Sans doute faut-il comprendre que Jean de Morancez et Jean Dursin/Dulsi, commissionnés à l’article 56, se sont vu confier une mission identique pour les affaires citées dans les articles 57 et 58. Ce procès était encore en cours en 1295 (A. Bossuat, « Une enquête… », p. 19). 122. Un litige relatif à la bourgeoisie de Cébazat opposait les habitants de la ville et l’évêque de Clermont au parlement à la Pentecôte 1287 (Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 G 1, n° 15A ; sur ce mémoire, voir n. 119) : cette affaire est-elle liée au conflit avec le seigneur de Montferrand évoqué dans cet article ? Il est impossible de le dire.

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INDEX Alenço (Alençon, Orne, ch.-l. dép.) comitissa Alençonis (Jeanne de Châtillon, comtesse de Blois et de Chartres, épouse de Pierre, comte d’Alençon, fils de Louis IX ; morte en janvier 1292123) : 10, 14, 15 Allodie (Alleuze, Cantal, arr. Saint-Flour, cant. Saint-Flour-Sud124) : 57 Ambianensis (Amiens, Somme, ch.-l. dép.) ballivus A. (Guillaume de Hangest l’aîné, bailli du début de 1287 à 1296125) : 8, 19, 21, 25, 27, 29, 30, 31 capitulum Ambianense : 30 decanus et capitulum Ambianenses : 28 penitenciarius A. (Jean du Bours, pénitencier de 1279 à 1293126) : 7, 27 Arvernia ballivus Arvernie (Jean de Trie, bailli de 1286 à 1296 ou 1298127) : 52, 55, 57, 58, 59 Attrebatensis (Arras, Pas-de-Calais, ch.-l. dép.) scolasticus A. (voir Hugo de Batpalmis) : 30 Balier, Petitus : 54 Balier, Stephanus : 54 Basentin (Bazentin, Somme, arr. Péronne, cant. Albert) domina de B. (Jeanne de Longueval, fille de Guillaume, seigneur de Longueval128 ; femme de Renaud de Montauban, seigneur de Bazentin129) : 24, 27 123. Le P. Anselme de Sainte-Marie, Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France […], continuée par Honoré Caille, sieur du Fourny, éd. les P. Ange de Sainte-Rosalie et Simplicien, 9 t., 3e éd., Paris, 1726-1733, t. I, p. 86. Son mari meurt en 1284 (ibid.). 124. Je remercie Emmanuel Grélois pour cette identification. 125. François Maillard, « Mouvements administratifs des baillis et des sénéchaux sous Philippe le Bel », dans Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1959, p. 407-430, aux p. 410 et 415. 126. Fasti ecclesiæ gallicanæ : répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500, t. I : Diocèse d’Amiens, dir. Pierre Desportes et Hélène Millet, Turnhout, 1996, p. 141, n° 464. 127. F. Maillard, « Mouvements administratifs… », p. 409 et p. 416 et 417. 128. Olim, t. II, p. 377. 129. François Aubert de La Chesnay-Desbois et Jacques Badier, Dictionnaire de la noblesse, 3e éd., t. XII, Paris, 1868, col. 310.

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Batpalme (Bapaume, Pas-de-Calais, arr. Arras, ch.-l. cant.) Hugo de Batpalmis (écolâtre d’Arras130 ; archidiacre d’Ostrevent en l’église d’Arras en 1303131) : 30 Bazencourt (Bazancourt, Oise, arr. Beauvais, cant. Songeons) : 54 note x Belvacensis (Beauvais, Oise, ch.-l. dép.) decanus et capitulum Belvacenses : 44 episcopus B. (Thibaud de Nanteuil, évêque de 1283 à 1301132) : 43 Berou (Brou, Eure-et-Loir, arr. Châteaudun, ch.-l. cant.) prioratus de B. (prieuré Saint-Romain133) : 9 Blanoscum (Blanot, Saône-et-Loire, arr. Mâcon, cant. Cluny) *** de Blanosco134 : 61 Blasilia (Blesle, Haute-Loire, arr. Brioude, ch.-l. cant.) conventus Blasilie (abbaye Saint-Pierre) : 51 Blouet, Renoldus : 35 Bolonia (Boulogne, Pas-de-Calais, ch.-l. arr.) comes Bolonie (Robert VI, comte de Boulogne et d’Auvergne de 1276 à 1317135) : 8, 16 Boort in Arvernia (Bort-les-Orgues, Corrèze, arr. Ussel, ch.-l. cant.) prioratus de B. in A. (prieuré Notre-Dame136) : 62 130. Il ne l’est plus en 1291 au plus tard, date de décès de son successeur (Ernest Langlois, Les registres de Nicolas IV, recueil des bulles de ce pape publiées ou analysées d’après le manuscrit original des archives du Vatican, t. II, Paris, 1905 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 2e série, 5), n° 6104). 131. Georges Digard, Maurice Faucon, Antoine Thomas et Robert Fawtier, Les registres de Boniface VIII : recueil des bulles de ce pape publiées ou analysées d’après les manuscrits originaux des archives du Vatican, t. II, Paris, 1904 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 2e série, 4), n° 5165. 132. Conrad Eubel, Hierarchia catholica medii et recentioris ævi, sive summorum pontificum, S. R. E. cardinalium ecclesiarum antistitum series, t. I : Ab anno 1198 usque ad annum 1431, Ratisbonne, 1913, p. 132. 133. Lucien Merlet, Dictionnaire topographique du département d’Eure-et-Loir, Paris, 1861, p. 32. 134. L’indication « legum professor » renvoie sans nul doute au célèbre Jean de Blanot. Pourtant celui-ci est mort depuis 1281, laissant plusieurs enfants mineurs (Gabriel Jeanton, « Les deux Jean de Blanot, juriconsultes du XIIIe siècle », dans Millénaire de Cluny. Congrès d’histoire et d’archéologie tenu à Cluny les 10, 11, 12 septembre 1910, t. II, Mâcon, 1910, p. 40-58, à la p. 55). Cette minorité explique peut-être que le scribe ait laissé l’indication du prénom en blanc ; le fils aîné de Jean, Pierre, probablement juriste comme son père, est attesté au service du roi à compter de 1289 (Joseph Vaissète et Claude de Vic, Histoire générale du Languedoc […], complétée par Auguste Molinier, Charles Robert, Paul Meyer et al., t. X, Toulouse, 1895, preuves, col. 219). 135. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. VIII, p. 56 et Étienne Baluze, Histoire généalogique de la maison d’Auvergne justifiée par chartes, titres, histoires anciennes et autres preuves authentiques, Paris, 1708, p. 110. 136. Plusieurs autres prieurés portent le nom de « Bort » : Bort-Saint-Sulpice (dom Beaunier et le P. Jean-Martial Besse, Abbayes et prieurés de l’ancienne France : recueil historique des archevêchés, évêchés, abbayes et prieurés de France, t. V : Province ecclésiastique de Bourges, Ligugé, 1912, p. 223), Saint-Jean-deBort (ibid., p. 252). Bort-les-Orgues est cependant le plus important (voir notamment Alexandre Bruel, « Visites des monastères de l’ordre de Cluny de la province d’Auvergne aux XIIIe et XIVe

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Borrencum (Boran-sur-Oise, Oise, arr. Senlis, cant. Neuilly-en-Thelle) domus de Borrenco137 : 46 Bresmes (Brêmes, Pas-de-Calais, arr. Saint-Omer, cant. Ardres) presbiter de B. : 26 Burgundia ducissa Burgundie (Béatrix de Champagne, veuve de Hugues IV de Bourgogne depuis 1272, morte en 1295138 ; mère de Hugues, seigneur de Montréal139) : 4, 5 Camelini, Egidius (clerc d’Alphonse de Poitiers à partir de 1267140 ; au service du roi, particulièrement dans le Midi, à compter de 1271141 ; « clerc de conseil » en janvier 1286142, clerc de l’Hôtel en 1287 et 1288143, maître des requêtes de langue d’oc au parlement de la Toussaint 1291144 ; évêque de Rennes de 1299 à sa mort vers1304145) : 38

Campania comitatus Campanie : 33 Carnotensis (Chartres, Eure-et-Loir, ch.-l. dép.) abbas et conventus Sancti Petri C. (abbaye Saint-Père-en-Vallée) : 9 Catallis (lieu non identifié) : 3 siècles », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 52, 1891, p. 64-117, notamment p. 77 et p. 78, n. 3) et se situe à quelques kilomètres de Tinières, d’où est originaire la partie adverse du prieuré. 137. Les génovéfains avaient des possessions à Boran-sur-Oise dès le XIIe siècle (Dietrich Lohrmann, Papsturkunden in Frankreich, t. VIII : Diözese Paris I, Göttingen, 1989 (Philologisch-historische Klasse. Dritte Folge, 174), n° 87, p. 261 ; voir également René Giard, « Étude sur l’histoire de l’abbaye de Sainte-Geneviève de Paris jusqu’à la fin du XIIIe siècle », dans Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, t. 30, 1903, p. 41-125, aux p. 87-88 et L. Tanon, Histoire des justices…, p. 405). L’abbaye possédait également un prieuré à Borest (Oise, arr. Senlis, cant. Nanteuille-Haudouin) (Jean Becquet, Abbayes et prieurés de l’ancienne France : recueil historique des archevêchés, évêchés, abbayes et prieurés de France, t. XVIII : Province ecclésiastique de Reims, diocèse actuel de Beauvais, Ligugé, 1989, p. 117) ; mais aucune forme ancienne comprenant une nasale n’est attestée pour ce nom de lieu (Émile Lambert, Dictionnaire topographique du département de l’Oise, Amiens, 1982 (Collection de la Société de linguistique picarde, 23), p. 76-77). Je remercie de nouveau Noémie Escher pour son aide sur ce point et pour l’ensemble de ces références. 138. Ernest Petit, Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, avec des documents inédits et des pièces justificatives, t. V, Dijon, 1894, p. 117. 139. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. I, p. 545-546 et E. Petit, Histoire des ducs…, t. V, p. 142. 140. Auguste Molinier, Correspondance administrative d’Alfonse de Poitiers, 2 t., Paris, 1894-1900 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), t. I, n° 259. 141. Jean Glénisson, Les enquêteurs-réformateurs de 1270 à 1328. Contribution à l’étude des commissaires royaux, thèse pour le dipl. d’archiviste paléographe, 1946, dactyl., p. 298. Il siège notamment au Parlement à Toulouse en 1289 (J. Vaissète et C. de Vic, Histoire générale du Languedoc…, t. X, preuves, col. 11). 142. C.-V. Langlois, Textes…, n° 97. 143. Élisabeth Lalou, Les comptes sur tablettes de cire de la Chambre aux deniers de Philippe III le Hardi et Philippe IV le Bel (1282-1309), Paris, 1994 (Recueil des historiens de la France. Documents financiers, 8), appendice, n° 8 et 26. 144. C.-V. Langlois, Textes…, n° 111. 145. J. Glénisson, Les enquêteurs…, p. 299.

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Claromontensis (Clermont, auj. Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme, ch.-l. dép.) abbas et conventus Sancti Yllidii C. (abbaye Saint-Allyre) : 56 capitulum Claromontense : 55, 57, 58, 59 cives Claromontenses : 12 episcopus C. (Aymar de Cros, évêque de 1286 à 1297146) : 12, 56, 57, 58 Clugniacensis (Cluny, Saône-et-Loire, arr. Mâcon, ch.-l. cant.) abbas et conventus Clugniacenses (abbaye Saint-Pierre) : 8, 62 Compendiensis (Compiègne, Oise, ch.-l. arr.) abbas et conventus Compendienses (abbaye Saint-Corneille147) : 39, 41, 49, 50 major et jurati Compendienses : 41 Corbeiensis (Corbie, Somme, arr. Amiens, ch.-l. cant.) abbas et conventus (abbaye Saints-Pierre-et-Paul et Saint-Étienne) : 32 major et jurati Corbeienses : 32 Couciacum (Coucy-le-Château-Auffrique et Coucy-la-Ville, Aisne, arr. Laon, ch.-l. cant et cant. Coucy-le-Château-Auffrique) dominus Couciaci (Enguerran IV, seigneur de Coucy de 1250 à 1311148) Creseques (Crecques, Pas-de-Calais, arr. Saint-Omer, cant. Aire, comm. Mametz)

: 47

domina de C. : 11 Crispeium, Crispiacum (Crépy, Oise, arr. Senlis, ch.-l. cant.) major et jurati de Crispeio, Crispiaci : 35, 43 Croele (Crouel, Puy-de-Dôme, arr., cant. et comm. Clermont-Ferrand149) : 55 Cultura (peut-être La Couture, Pas-de-Calais, arr. Boulogne-sur-Mer, cant. Desvres150) domina de Cultura : 26 Davre (Desvres, Pas-de-Calais, arr. Boulogne-sur-Mer, ch.-l. cant.) : 16 Ducis, Johannes (au service du roi à partir de 1285151, en particulier pour entendre des enquêtes152 ; 146. C. Eubel, Hierarchia…, t. I, p. 192. 147. Cette identification est assurée pour les articles 39 et 41, grâce aux sentences qui concluent l’affaire (voir n. 109 et 110). 148. Dominique Barthélemy, Les deux âges de la seigneurie banale : pouvoir et société dans la terre des sires de Coucy (milieu XIe-milieu XIIIe siècle), Paris, 1984 (Histoire ancienne et médiévale, 12), p. 408409. 149. Je remercie de nouveau Emmanuel Grélois pour cette identification. 150. Plusieurs fiefs de la région portent ce nom. 151. « Compotus ballivorum Franciæ de termino Omnium Sanctorum anno [millesimo ducentesimo] octogesimo quinto », dans Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XXII, éd. Natalis de Wailly et Léopold Delisle, Paris, 1865, p. 623-672, à la p. 642K. 152. Ibid. (1285) ; Robert Fawtier, Comptes royaux (1285-1314), avec le concours de François Maillard, t. II, Paris, 1954 (Recueil des historiens de la France. Documents financiers, 3), n° 20509 (1289) ; ibid., n° 20578 et 20592 (1290) ; Cartulaire de l’abbaye Saint-Père de Chartres, éd. Benjamin Guérard, t. II, Paris, 1840 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), n° 151, p. 722 (1290) ; Robert Fawtier, Comptes du Trésor (1286, 1316, 1384, 1477), dir. CharlesVictor Langlois, Paris, 1930 (Recueil des historiens de la France. Documents financiers, 2), n° 384 (1296) ; ibid., n° 404 (1296)…

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« clerc de conseil » en janvier 1286153, clerc de l’Hôtel en 1287 et 1288154, maître des requêtes de langue française au parlement de la Toussaint 1291155, clerc de la Chambre des plaids en 1296-1298156, y siège régulièrement jusqu’en 1317157 ; mort avant 1322158) : 3, 41 Johannes (auditeur et enquêteur de la cour en Auvergne en 1287159) : 56

Dulsi, Egrez, Matheus : 22 Flandria comes Flandrie (Gui de Dampierre, comte de 1251 à 1306160) : 7 Floriacensis (Fleury-sur-Loire, auj. Saint-Benoît-sur-Loire, Loiret, arr. Orléans, cant. Ouzouer-sur-Loire) [conventus] Sancti Benedicti F. (abbaye Saint-Benoît) : 1 Foilloellum (Fouilloy, Somme, arr. Amiens, cant. Corbie161) Galterus de Foilloello : 22 Forensis comes F. (Jean Ier, comte de Forez de 1278 à 1333162, mineur jusqu’en 1289-1290163) : 52 Francia constabularius Francie (Raoul de Clermont, seigneur de Nesle, connétable de 1285 à 1302164) : 13 153. C.-V. Langlois, Textes…, n° 97. 154. É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, appendice, n° 8 et 26. 155. C.-V. Langlois, Textes…, n° 111. 156. Ibid., n° 115. 157. Bibl. nat. Fr., Clairambault 754, fol. 214. 158. Jules Viard, Les journaux du Trésor de Charles IV le Bel, Paris, 1917 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), n° 1004 et 1006. 159. Voir n. 121. Il est appelé « Johannes Durssin » dans sa lettre de commission, puis « Johannes Ursini » et « Johannes Dursini » au cours de l’enquête (A. Bossuat, « Une enquête… », p. 73-74). Peut-être appartient-il à la famille clermontoise des Darci / Darsi — je remercie de nouveau Emmanuel Grélois pour cette suggestion. 160. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. II, p. 730-731. 161. « Foilloellum » est également attesté dans un compte de l’hôtel royal en 1287 et est identifié à Fouilloy par Élisabeth Lalou (É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, appendice, n° 7, p. 845 et p. 929). Aucune forme ancienne de ce type n’est cependant attestée pour Fouilloy dans les ouvrages de toponymie (voir notamment Jacques Garnier, « Dictionnaire topographique de la Somme », dans Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie, t. 21, 1867, p. 1-527 et t. 24, 1878, p. 1-527, au t. 21, p. 391-393 et Hector Josse, « Canton de Corbie », dans Dictionnaire historique et archéologique de la Picardie, t. II : Arrondissement d’Amiens, cantons de Corbie, Hornoy et Molliens-Vidame, Paris / Amiens, 1912 (Société des antiquaires de Picardie), p. 32-33). 162. Jean-Marie de La Mure, Histoire des ducs de Bourbon et des comtes de Forez […], éd. Régis de Chantelauze, t. I, Paris, 1860, p. 286 et p. 370, n. 1. 163. Jean serait né vers 1275 (J.-M. de La Mure, Histoire des ducs…, t. I, p. 284). Il est encore sous tutelle le 3 juin 1289 (Chartes du Forez…, t. VII, n° 853) et expédie des actes en son nom propre à compter du 12 avril 1290 (Alphonse Huillard-Bréholles, Titres de la maison ducale de Bourbon, t. I, Paris, 1867 (Archives de l’Empire : inventaires et documents), n° 831). 164. Son prédécesseur, Humbert de Beaujeu, meurt en septembre 1285 (É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, J 45, p. 86) ; Raoul est attesté comme connétable dès juillet 1286 (Arch. nat., K 36, n° 4). Il meurt à Courtrai en 1302 (le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. VI, p. 90).

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Galienus : 19 Gandeluz (Gandelu, Aisne, arr. Château-Thierry, cant. Neuilly-Saint-Front) domina de G. : 42 Gerberroy (Gerberoy, Oise, arr. Beauvais, cant. Songeons) : 54 note x Gorjutus, [Gaufridus] (notaire du roi de 1286 à 1291165) : 20 Guynensis, Guynes (Guînes, Pas-de-Calais, arr. Calais, ch.-l. cant.) Baldoinus de Guynes (seigneur de Sangatte, frère du comte de Guînes Arnoul III166, ou plus probablement seigneur d’Ardres, fils du comte de Guînes Arnoul III167) : 29 comes Guynensis (Arnoul III, comte de Guînes de 1248 à 1283168) : 19 comitatus Guynensis : 19, 25 Hames (sans doute Hames-Boucres, Pas-de-Calais, arr. Calais, cant. Guînes169) Robertus de H.170 : 25 Haromons (Haramont, Aisne, arr. Soissons, cant. Villers-Cotterêts) : 34 Houc (peut-être Le Houc, Pas-de-Calais, arr. Saint-Omer, cant. Saint-Omer Sud, comm. Wizernes171, ou Le Houcke, Nord, arr. Dunkerque, cant. Merville, comm. Estaires)

Johannes de H. : 26 Jardins, Stephanus : 54 Johanneta : 54 Jorni (Journy, Pas-de-Calais, arr. Saint-Omer, cant. Ardres) domina de J. : 26 Inguerannus de J. : 26 Jotrensis (Jouarre, Seine-et-Marne, arr. Meaux, cant. La Ferté-sous-Jouarre) abbatissa et conventus Jotrenses (abbaye Notre-Dame) : 45 Kalais (Calais, Pas-de-Calais, ch.-l. arr.) Henricus de K. : 26 Kalensis (Chelles, Seine-et-Marne, arr. Meaux, cant. Lagny) abbatissa et conventus Kalenses (abbaye Notre-Dame) : 42, 45 Kerreu (Querrieu, Somme, arr. Amiens, cant. Villers-Bocage) Geraldus de K.172 : 22 165. Arch. nat., JJ 57, fol. 5 et 16v. Sur la base de copies fautives, Lucien Perrichet le nomme « Geoffroy le Gorin » (Lucien Perrichet, La Grande Chancellerie de France des origines à 1328, Paris, 1912, p. 542). 166. A. Du Chesne, Histoire généalogique…, p. 169. 167. Ibid., p. 177. 168. Ibid., p. 171-175. 169. Ce toponyme est fréquent dans la région. 170. Le sceau d’un Robert de Hames est attesté en 1306 (Germain Demay, Inventaire des sceaux de l’Artois et de la Picardie […], Paris, 1875-1877, Artois, n° 337). 171. Voir Oscar Bled, Les chartes de Saint-Bertin d’après le grand cartulaire de dom Charles-Joseph Dewitte […], t. IV : 1474-1779, Saint-Omer, 1899 (Société des antiquaires de la Morinie), p. 133, n° 3716. 172. Le sceau de Gérard, seigneur de Querrieu, est attesté en 1268 (G. Demay, Inventaire des sceaux…, Picardie, n° 557).

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La Tresche (sans doute La Trêche, Saône-et-Loire, arr. Charolles, cant. Toulon-sur-Arroux, comm. Sanvignes-les-Mines173)

Guichardus de L. T. : 54 Laudunensis (Laon, Aisne, ch.-l. dép.) canonicus L. : 22 Le Ferpier, Girardus (bourgeois de Mâcon174) : 54 Le Preu, Jehan : 54 note x Liques (Licques, Pas-de-Calais, arr. Calais, cant. Guînes) dominus de L. : 25 Longavallis, Longua Vallis (Longueval, Somme, arr. Péronne, cant. Combles) domina de Longavalle, de Longua Valle (Anne de Meulan, veuve depuis 1286 d’Aubert, seigneur de Longueval175) : 23, 24 Macerie (Mézières, lieu non identifié) Guillelmus de Maceriis (chevalier du roi en 1281176) : 20 Majus Monasterium (Marmoutier, Indre-et-Loire, arr., cant. et comm. Tours) abbas et conventus Majoris Monasterii (abbaye Saint-Martin) : 10, 14, 15 Malingre (Jean Malingre, prévôt de Saint-Quentin en 1286 et 1287177) : 7 Marla (Marle, Aisne, arr. Laon, ch.-l. cant.) Aubertus de M. (chanoine de Laon de 1271 à 1295178) : 22 Masticonensis, Matisconensis (Mâcon, Sâone-et-Loire, ch.-l. dép.) ballivus M. (Guillaume de la Rivière, bailli de 1286 à 1291-1292179) : 53, 54, 61 prepositus M. (voir Johannes de Thezié) : 54 Meldensis (Meaux, Seine-et-Marne, ch.-l. arr.) abbas et conventus Sancti Faronis M. : 47 Monmorenci (Montmorency, Val-d’Oise, arr. Sarcelles, ch.-l. cant.) Erardus de M. (seigneur de Conflans180) : 22 Johanna, Erardi de M. uxor (Jeanne de Longueval, fille d’Aubert, seigneur de Longueval181, épouse d’Érard depuis juin 1286182) : 22 173. Ce toponyme est fréquent dans la région. 174. E. Boutaric, Actes du parlement de Paris…, t. I, n° 2730. 175. F. Aubert de La Chesnay-Desbois et J. Badier, Dictionnaire…, t. XII, col. 310. 176. E. Boutaric, Actes du parlement de Paris…, t. I, n° 2314. 177. A. d’Herbomez, Chartes de l’abbaye Saint-Martin…, t. II, p. 422-423 (6 novembre 1286) et Arch. mun. Saint-Quentin, liasse 93, n° 15 (16 mai 1287) ; je remercie vivement Sébastien Hamel de m’avoir fourni cette dernière référence. Jean Malingre n’était plus prévôt dès 1288 (Emmanuel Lemaire, Archives anciennes de la ville de Saint-Quentin, t. I : 1076-1328, Saint-Quentin, 1888, p. 126, n. 3). 178. Hélène Millet, Les chanoines du chapitre cathédral de Laon (1272-1412), Rome, 1982 (Collection de l’École française de Rome, 56), p. 511. 179. F. Maillard, « Mouvements administratifs… », p. 409 et 413. 180. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. III, p. 620. 181. Delisle, n° 926. 182. Aline Vallée et Jules Viard, Registres du Trésor des chartes. Inventaire analytique, t. III : Règne de Philippe de Valois, Paris, 1978-1984 (Archives nationales : inventaires et documents), n° 198.

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Mons Brisonis (Montbrison, Loire, ch.-l. arr.) : 53 Mons Ferrandi (Montferrand, Puy-de-Dôme, arr., cant. et comm. Clermont-Ferrand) dominus Montis Ferrandi (Louis II de Beaujeu, seigneur de Montferrand de 1280 à 1292183) : 55, 60 Mons Regalis (Montréal, Yonne, arr. Avallon, cant. Guillon) domina Montis Regalis (Béatrix ou Agnès de Montréal, filles de Jean de Montréal et nièces d’Anséric, seigneur de Montréal184) : 4, 5 Montane [Arvernie] ballivus Montanarum (Guillaume d’Eschilleuses, bailli de 1287 à 1299185) : 60 Moreie (Morée, Loir-et-Cher, arr. Vendôme, ch.-l. cant.) : 10 Morenceis (Morancez, Eure-et-Loir, arr. Chartres, cant. Chartres-Sud-Ouest) Johannes de M. (au service du roi de 1271 à 1288186, notamment comme enquêteur187 ; clerc de l’Hôtel en 1275, 1287 et 1288188) : 56, 60 Morinensis (Thérouanne, Pas-de-Calais, arr. Saint-Omer, cant. Aire-sur-la-Lys) episcopus M. (Jacques de Boulogne, évêque de 1286-1287 à 1301189) : 11 Mota (peut-être La Motte, Pas-de-Calais, arr. Calais, cant. Guînes, comm. Andres190) Balduynus de M. : 25 Noanen (Nohanent, Puy-de-Dôme, arr. Clermont-Ferrand, cant. Royat) : 59 *Noiors : 54 Parisiensis (Paris) abbas et conventus Sancte Genovefe P. : 46 Pedagium (Le Péage, Pas-de-Calais, arr. Arras, cant. Vitry-en-Artois, comm. Éterpigny) Stephanus de Pedagio (chargé d’un arbitrage entre le comte de Saint-Pol et le comte

183. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. VI, p. 86. 184. Arch. nat., J 254, n° 20 et 21. D’après leurs renonciations, aucune d’entre elles ne semble prédominer dans l’introduction de la cause ; en outre, aucune d’elles n’a autorité à être qualifiée de « dame de Montréal », la seigneurie de Montréal ayant échappé à leur famille depuis 1255 (E. Petit, Histoire des ducs…, t. V, p. 17). Peut-être ce terme désigne-t-il de préférence Béatrix, de fait de son veuvage (Olim, t. II, p. 345, n° 22). 185. Henri Stein, « Recherches sur quelques fonctionnaires royaux des XIIIe et XIVe siècles originaires du Gâtinais », dans Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, t. 20, 1902, p. 1-23 et 192-217 ; t. 21, 1903, p. 343-372 ; t. 32, 1914-1915, p. 192-221 ; t. 34, 1918-1919, p. 1-103 ; tiré à part, Paris, 1919, à la p. 55. 186. C.-V. Langlois, Inventaire d’anciens comptes royaux dressé par Robert Mignon sous le règne de Philippe de Valois, dir. Léopold Delisle, Paris, 1899 (Recueil des historiens de la France. Documents financiers, 1), n° 234 et 204. 187. Sur sa carrière, voir Emmanuel Grélois, Territorium civitatis. L’emprise de l’Église sur l’espace d’une cité et de ses environs : Clermont au XIIIe siècle, thèse de doctorat, histoire, univ. Paris I, 2003, 4 t., multigr., t. I, p. 158-159. 188. Bibl. nat. Fr., fr. 7855, p. 26 et É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, appendice, n° 8 et 26. 189. Oscar Bled, Regestes des évêques de Thérouanne, 500-1553, t. I : 500-1414, Saint-Omer, 1904 (Société des antiquaires de la Morinie), p. 310, n° 1905 et p. 318, n° 1967. 190. Ce toponyme est extrêmement fréquent dans la région.

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d’Artois en 1271-1272191 ; chargé d’une enquête pour la cour du roi en 1289192 ; maître des requêtes de langue française au parlement de la Toussaint 1291193) : 21, 41

Perraudins, Embertus : 54 Pierresie (Perrecy-les-Forges, Saône-et-Loire, arr. Charolles, cant. Toulon-sur-Arroux) prior de P. (prieuré Saint-Benoît) : 54 Pinquigniacum (Picquigny, Somme, arr. Amiens, ch.-l. cant.) vicedominus de Pinquigniaco (Jean, vidame d’Amiens et seigneur de Picquigny de 1249 à 1304194) : 28 Premonstratensis (Prémontré, Aisne, arr. Laon, cant. Anizy-le-Château) abbas et conventus Premonstratenses : 13 Provi (sans doute Prouvy, Nord, arr. Valenciennes, cant. Valenciennes-Sud) Girardus de P.195 : 26 Puteoli (peut-être Puiseaux, Loiret, arr. Pithiviers, ch.-l. cant.196) Johannes de Puteolis (clerc et exécuteur testamentaire d’Alphonse de Poitiers197 ; au service du roi à compter de 1274198 ; clerc de l’Hôtel en 1275, 1287 et 1288199, « clerc de conseil » en janvier 1286200 ; mort après 1300201) : 3 Remensis (Reims, Marne, ch.-l. arr.) abbas et conventus Sancti Remigii R. (abbaye Saint-Remi) : 17 archiepiscopus R. (Pierre Barbette, archevêque de 1273 à 1298202) : 6, 17 Roseamons (Rosemont, Nièvre, arr. Nevers, cant. Saint-Pierre-le-Moûtier, comm. LuthenayUxeloup)

Erardus de Roseamonte : 61 Rulliacum (Rully, Oise, arr. Senlis, cant. Pont-Sainte-Maxence) : 40 191. Jean-François Nieus, Les chartes des comtes de Saint-Pol (XIe-XIIIe siècles), Turnhout, 2008 (Atelier de recherches sur les textes médiévaux, 11), n° 329-331, p. 397-411. 192. R. Fawtier, Comptes royaux…, t. II, n° 20509. 193. C.-V. Langlois, Textes…, n° 111. 194. François-Irénée Darsy, Picquigny et ses seigneurs, vidames d’Amiens, Abbeville, 1860 ; réimpr. SaintPierre-de-Salerne, 1981, p. 36. Le terme de « vidame de Picquigny » est un raccourci impropre. Sur sa carrière au service du roi, voir J. Glénisson, Les enquêteurs…, p. 306. 195. Le sceau d’un « Girart de Provy » est attesté en 1310 au bas d’une vente à Gommecourt (Pasde-Calais, arr. Arras, cant. Pas-en-Artois) (G. Demay, Inventaire des sceaux…, Artois, n° 750). 196. Identification proposée dans A. Molinier, Correspondance administrative…, t. II, p. 719 et reprise dans É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, p. 977. Selon Gaël Chenard, c’est à tort que Pierre-François Fournier et Pascal Guébin suggèrent que Jean de Puteolis a commencé sa carrière en Normandie et en est peut-être originaire (P.-F. Fournier et P. Guébin, Enquêtes administratives…, p. XL, n. 13). Je remercie Gaël Chenard d’avoir attiré mon attention sur cette référence. 197. Voir P.-F. Fournier et P. Guébin, Enquêtes administratives…, p. XL-XLI. 198. C.-V. Langlois, Inventaire…, n° 186. 199. Bibl. nat. Fr., fr. 7855, p. 26 et É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, appendice, n° 8 et 26. 200. C.-V. Langlois, Textes…, n° 97. 201. P.-F. Fournier et P. Guébin, Enquêtes administratives…, p. XLI. 202. C. Eubel, Hierarchia…, t. I, p. 419.

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homines de Rulliaco : 40 prior de Rulliaco (prieuré Saint-Victor de Bray) : 40 Salvaigniacum (Sauvagnieu, Loire, arr. et cant. Montbrison, comm. Mornand-en-Forez ou Savigneu, Loire, arr. Montbrison, cant. Chazelles-sur-Lyon, comm. Chevrières203) Johannes de Salvaigniaco (bourgeois de Montbrison204 ; châtelain de Saint-Héand en 1265205, châtelain de Montbrison en 1278206, bailli du comté de Forez en 1291-1292207, conseiller du comte de Forez en 1294208 ; mort avant 1312209) : 53 Sanctus Bonetus (Saint-Bonnet-le-Château, Loire, arr. Montbrison, ch.-l. cant.) : 52 dominus de Sancto Boneto (Robert Dalmas210) : 52

Sanctus Franbaudus : voir Silvanectensis Sanctus Paulus (Saint-Pol-sur-Ternoise, Pas-de-Calais, arr. Arras, ch.-l. cant.) comes Sancti Pauli (Guy III de Châtillon, comte de Saint-Pol de 1248 à 1289211) : 20, 21 Sanctus Quentinus (Saint-Quentin, Aisne, ch.-l. arr.) prepositus Sancti Quentini (voir Malingre) : 7 Sanctus Regulus : voir Silvanectensis Sanctus Ulmarus (Samer, Pas-de-Calais, arr. Boulogne-sur-Mer, ch.-l. cant.) abbas et conventus Sancti Ulmari : 16 Sanctus Vogesius prior de Sancto Vogesio (prieuré Saint-Vulgis, Aisne, arr. Château-Thierry, cant. NeuillySaint-Front, comm. La Ferté-Milon) : 48 Sarmesie (Sermaise, Loir-et-Cher, arr. Blois, cant. Mer, comm. Maves212) : 15 Sarraie (sans doute La Sarra, Saône-et-Loire, arr. Autun, cant. Montcenis, comm. Saint-Berainsous-Sanvignes)

Aymonetus de S. : 54 Guillelmus de S. : 54 Scambio, Stephanus de (peut-être prieur de Notre-Dame de Vendôme en 1308213) : 35

203. Chartes du Forez…, t. V, n° 677, n. 12. 204. Jean est attesté avec la qualité de bourgeois de Montbrison de décembre 1284 (ibid., t. II, n° 240 et t. III, n° 354) à juillet 1298 (ibid., t. XXIII, n° 1676). 205. Ibid., t. XXII, n° 1454. 206. Ibid., t. V, n° 677, p. 3. 207. Ibid., t. VII, n° 870 et t. XII, n° 1196, p. 4. 208. Ibid., t. VII, n° 878, p. 8. 209. Ibid., t. XXII, n° 1460, p. 89. 210. Attesté comme seigneur de Saint-Bonnet à partir d’avril 1288 (voir n. 115). Il vend au comte de Forez le château de Saint-Bonnet en mai 1291 (A. Huillard-Bréholles, Titres…, n° 863). 211. Jean-François Nieus, Un pouvoir comtal entre Flandre et France : Saint-Pol (1000-1300), Bruxelles, 2005 (Bibliothèque du Moyen Âge, 23), p. 166-168. 212. Les religieux de Marmoutier y possèdent des biens depuis le XIIe siècle (Auguste de Trémault, Cartulaire de Marmoutier pour le Vendômois, Paris/Vendôme, 1893, n° 185, p. 263). 213. Regestum Clementis papæ V ex Vaticanis archetypis […] nunc primum editum cura et studio monachorum ordinis sancti Benedicti, t. III, Rome, 1886, n° 2476.

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Sicilia regina Sicilie (Marguerite de Bourgogne, comtesse de Tonnerre, femme de Charles Ier d’Anjou de 1272 à 1285, morte en 1308214 ; ou Marie de Hongrie, femme de Charles II d’Anjou de 1270 à 1309, morte en 1323215) : 9 Silvanectensis (Senlis, Oise, ch.-l. arr.) : 33

ballivia S. : 43 ballivus S. (voir Oudardus de Villa Nova) : 38, 43, 46, 49 decanus et capitulum Silvanectenses : 36 decanus et capitulum Sancti Franbaudi [Silvanectenses] : 36 decanus et capitulum Sancti Reguli [Silvanectenses] : 36 episcopus S. (Gautier de Chambly, évêque en 1287 et 1288216) : 37, 43 major et jurati Silvanectenses : 36, 37 Suessionensis (Soissons, Aisne, ch.-l. arr.) abbas et conventus Sancti Johannis in Vineis S. : 48 abbatissa et conventus Beate Marie S. : 38 Templarii : 2 Templum : 6 Thezié (sans doute Taizé, Saône-et-Loire, arr. Mâcon, cant. Saint-Gengoux-le-National) Johannes de T. (prévôt de Mâcon) : 54 Tornacensis (Tournai, Belgique, Hainaut, ch.-l. arr.) prepositi et jurati Tornacenses : 7 Toutencourt (Toutencourt, Somme, arr. Amiens, cant. Acheux-en-Amiénois) Agnes, domina de T. : 27 Henricus de T. : 23 Johannes de T. : 27 Tria (Trie-Château et Trie-la-Ville, Oise, arr. Beauvais, cant. Chaumont-en-Vexin) Reginaldus de T. (peut-être Renaud, seigneur du Plessis217) : 44 Tyniere (Tinières, Cantal, arr. Mauriac, cant. Champs-sur-Tarentaine-Marchal, comm. Beaulieu) Petrus de T. (seigneur de Val en 1288218) : 62 Vallis Serena (Valsery, Aisne, cant. Vic-sur-Aisne, comm. Cœuvres-et-Valsery) abbas et conventus Vallis Serene : 34 Verbria (Verberie, Oise, arr. Senlis, cant. Pont-Sainte-Maxence) homines de V. : 39 Veret, Perrotus : 54

214. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. I, p. 397. 215. Ibid., t. I, p. 399. 216. C. Eubel, Hierarchia…, t. I, p. 475. 217. Le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. VI, p. 664. 218. Voir Jean-Baptiste Bouillet, Nobiliaire d’Auvergne, t. VI, Clermont-Ferrand, 1852 ; réimpr. Paris, 1973, p. 318-319.

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Villa Nova Oudardus de V. N. (bailli de Senlis nommé entre le 12 juin et le 2 juillet 1287, jusqu’en 1292219) : 43 Villeta (Vilette, Loire, arr. Montbrison, cant. et comm. Noirétable220) Robertus de V.221 : 53 Viromandensis ballivus V. (Jean de Montigny, bailli du début de 1287 à 1289222) : 17, 46 Voties (lieu non identifié) Nevelo de V. : 22, 35 Warenne (Varennes, Somme, arr. Amiens, cant. Acheux-en-Amiénois) Havetus, frater Johannis de Warennis223 : 31 Johannes de Warennis : 31 Warignies (Wargnies-le-Grand et Wargnies-le-Petit, Nord, arr. Avesnes-sur-Helpe, cant. Le Quesnoy-Ouest, ou Wargnies, Somme, arr. Amiens, cant. Domart-en-Ponthieu) Antelmus de W. (au service du roi de 1290 à 1310, en particulier pour des enquêtes224 ; sans doute lai de la Chambre des plaids en 1296-1298225, siège au Parlement en 1301226) :

7, 21, 30 Wassognia (sans doute Vassogne, Aisne, arr. Laon, cant. Craonne) J[ohannes] de W. (clerc de l’Hôtel en 1287 et 1288227, clerc de la Chambre des plaids en 1296-1298228, siège au Parlement en 1298229 ; évêque de Tournai de 1292 à sa mort en 1300230) : 17 Wastum (Le Wast, Pas-de-Calais, arr. Boulogne-sur-Mer, cant. Desvres) prior de Wasto (prieuré Saint-Michel231) : 8 Zebaziacus (Cébazat, Puy-de-Dôme, arr. Clermont-Ferrand, cant. Gerzat)

burgenses de Zebaziaco : 60 219. F. Maillard, « Mouvements administratifs… », p. 411 et 414. 220. Sur cette identification, voir Chartes du Forez…, t. VII, n° 903, art. 157, p. 94-95, n. 1. 221. Sans doute est-ce lui qui a des dettes auprès de bourgeois de Montbrison vers 1288 (Chartes du Forez…, t. VIII, n° 906, art. 484 et n° 907, art. 85 et 103). 222. F. Maillard, « Mouvements administratifs… », p. 409-410 et 412. 223. Le Père Anselme mentionne un Hervé, seigneur de Varennes ; peut-être est-ce le même individu (le P. Anselme, Histoire généalogique…, t. VI, p. 626). 224. Bibl. nat. Fr., lat. 17758, fol. 46v (1290) ; J. Glénisson et J. Guerout, Registres du Trésor des chartes…, t. I, n° 850 et 851 (1308) ; Bibl. nat. Fr., Picardie 298, n° 79 (1310). 225. C.-V. Langlois, Textes…, n° 115 (sous le nom d’Antiaumes de Vuartines). 226. Jules Viard, Les journaux du Trésor de Philippe IV le Bel, Paris, 1940 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), n° 4877. 227. É. Lalou, Les comptes sur tablettes…, appendice, n° 8 et 26. 228. C.-V. Langlois, Textes…, n° 115. 229. Ibid., n° 117 et J. Viard, Les journaux du Trésor de Philippe IV…, n° 2515. 230. C. Eubel, Hierarchia…, t. I, p. 489. 231. Jean Becquet, Abbayes et prieurés de l’ancienne France, t. XIV : Province ecclésiastique de Cambrai. Diocèse actuel d’Arras, Ligugé, 1975, p. 501.

LE MANUALE DE NICOLAS DE VILLEMER PAR

PHILIPPE PASCHEL

En souvenir de mon grand-père, Antoine Paschel, greffier au tribunal mixte du Caire

Le greffier du Parlement civil, au XIVe siècle, est l’auteur matériel des registres sur parchemin où sont conservés les actes de cette cour : Lettres-Arrêts-Jugés, Anciens Registres du greffe et Conseil et Plaidoiries1. Si le greffier n’est que le scribe des deux premières séries, son implication est différente dans la troisième. D’abord, il n’y a pas de conseils (délibérés) retranscrits dans les registres. On n’y trouve que la décision finale, donnée généralement d’une façon sommaire, le greffier n’étant pas présent à ces séances. Quant aux Plaidoiries, le terme ne doit pas nous égarer, il s’agit en fait de Plaids, c’est-à-dire d’audiences. On y trouve non seulement l’exposé des arguments des parties, mais aussi des serments d’assurement2 ou des incidents de séance3. Ce registre est tenu personnellement par le greffier, au point que lorsqu’il s’absente, les notes prises par son clerc n’y sont 1. Pour le XIVe siècle, il s’agit des registres suivants : Arch. nat., X1A 5-48 ; X1A 1469-1478 ; X1A 4784-4785 ; X1A 8844-8849. On trouve encore pour l’extrême fin du siècle des registres de Lettres patentes (X1A 8602), d’Amendes (X1A 8853), ainsi que les registres du Parlement hors-les murs, les Grands Jours de Troyes (X1A 9182-9186). Les registres d’Accords (X1C 1-80) sont des registres factices d’actes émanant des parties en litige. 2. Par exemple, Arch. nat., X1A 1474, fol. 209A, 23 novembre 1388. 3. Comme la venue du Conseil du roi, qui clôt l’audience : « Avant que l’advocat ait pareschevé ses replications, monseigneur le chancelier et plusieurs autres du grant conseil sont venu en Parlement pour avoir advis d’aucunes besognes touchans le bien de la justice et pour ce ont tous fait vuidez qui ne sont du conseil et une autre foix l’advocat assouvira ses replications » (ibid., fol. 224v, 11 janvier 1389 n. st.).

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pas incluses, mais sont écrites sur un cahier à part4, qui constitue aujourd’hui le registre X1A 8300A, registre de papier qui a certainement dû sa survie à cette circonstance5. Sur les feuilles inutilisées de ces cahiers se trouve ce que l’on peut considérer comme le manuel du greffier – le mot Manuale figure d’ailleurs au milieu d’un feuillet en caractères majuscules6. Il manque de nombreux folios à ce registre, comme l’attestent la pagination ancienne ainsi que les filigranes du papier7. Le registre X1A 8300A comporte 162 folios. Le sommaire de son contenu est le suivant : Fol. 1-5 : plaidoiries du lundi 21 mars au mardi 5 avril 1373 (n.s). Fol. 6-10 : plaidoiries du jeudi 2 juin au mardi 21 juin 1373. Fol. 13-15 : Extractus manualis parlamenti LXXIII de expedienda per arrestum (1415 novembre au 7 août 1373). Fol. 16-17 : plaidoiries du jeudi 6 juillet après-dîner au jeudi 27 juillet 1374 après-dîner. Fol. 18-20 : Commissiones parlamenti incepti ad sanctum Martinum hyemalis anno Mo CCCo LXXIIIo et finiti quoad litigia die VIIa augusti anno MCC LXXIIIIo qua die VIIa inceperunt quinque septimane pro diligenciis ordinate. Fol. 22-25 : Facta contraria parlamenti incepti anno LXXIIIo. Fol. 28-32 : Facta contraria parlamenti LXXIII. Fol. 33 : plaidoiries du 30 juin après-dîner au 4 août 1374 après-dîner. Fol. 33 bis-34 : liste de maîtres, avec en regard les noms des parties portés sur plusieurs colonnes. Fol. 35-38 : Commissiones parlamenti incepti ad sanctum Martinum hyemalis anno M0 CCCo LXXIIIIo et finiti quoad litigia die XVIIIa augusti anno MCC LXXVo qua die XVIIIa inceperunt quinque septimane pro diligenciis ordinate. Fol. 39-41 : Commissiones distribuende parlamenti LXXIIII. Fol. 43-46 : Facta contraria parlamenti incepti LXXIIIIo. Fol. 47-48 : plaidoiries du 22 août après-dîner au mardi 28 août 1375 après-dîner. 4. Alphonse Grün, « Notices sur les archives du parlement de Paris », dans Edgard Boutaric, Actes du Parlement, t. I, 1863, p. I-CCXC, part. p. CLXVI-CLXVII. Arch. nat., X1A 1470, fol. 15v, 17 mars 1373 n. st. : « Tous les jours jusques a mardy Ve jour d’avril, je fu a Sens pour les obseques du feu precentre de Sens et les diz jours pendens, Jaquin, mon clerc, fist le registre qui est cy dessous excript en un quaier de papier » ; ibid., fol. 22v, 3 juin 1372 : « Ce jour de vendredi aprés les arres, je me parti de Paris pour aler a Sens pour le fait de l’execucion du feu precentre de Sens, mon oncle, et y demouray jusques a mercredi XXe jour de ce mois de juin que je retournay a Paris et ce pendant Jaquin, mon clerc, fist le registre qui est cy dessous escript en un quaier de paier ». 5. Dimensions du registre H = 30,5 cm ; L = 20,6 cm. 6. Arch. nat., X1A 8300A, fol. 90. 7. Il y a 68 folios filigranés. Or il y a 162 pages, ce qui devrait correspondre à 81 folios filigranés. Seules les pages sur lesquelles quelque chose était écrit ont dû être conservées. La reliure du registre ne permet pas de vérifier cette hypothèse.

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Fol. 53-54 : plaidoiries du 21 août 1375. Fol 55-57 : Commissiones parlamenti incepti ad sanctum Martinum hyemalis anno LXXIIIIo. Fol. 59 recto seul : Nomina petentium commissiones ad partes in parlamento LXXIIIIo. Fol. 61-72 : plaidoiries du 14 avril au 21 août 1476 (discontinues). Fol. 78v-75v (tête-bêche) : faits contraires du 3 janvier au 16 août, sine anno. Fol. 79 et v : Facta contraria parlamenti LXXV. Fol. 80-83 : Commissiones parlamenti incepti ad sanctum Martinum hyemalem anno Mo CCCo LXXVto et finiti die XVIa augusti LXXVIo qua die XVa inceperunt quinque septimanie pro diligenciis ordinate. Fol. 83v : Les noms des seigneurs qui furent a Troyes l’an LXXVI ; Les noms des seigneurs qui yrent a l’Eschiquier. Fol. 84-88 : Facta contraria parlamenti LXXVto. Fol. 90 : Manuale. Grands caractères, au centre en haut, comme un titre. Le quart inférieur de la feuille manque. Fol. 91-128 : plaidoiries du mardi 14 juillet au mardi 15 septembre [1377]. Fol. 129-144 : Appointemens extraordinaires faiz aprés dyner au parlement l’an LXXVI. Fol. 130v (tête-bêche) : ordre des jours des bailliages du parlement d’hiver de 1376. Biffé d’une croix. Fol. 131v en travers : plaidoiries du mardi 26 mai 1377. Fol. 145-150 : Extractus manualis litigiorum parlamenti incepti anno LXXVIto videlicet expedienda per arrestum et inqueste recepte ad judicans. Fol. 151-152v : Arrez du parlement LXXVI (liste de novembre à septembre). Fol. 153-156 : Commissiones parlamenti incepti ad sanctum Martinum hyemalis anno Mo CCCo LXXVIo et finiti quo ad litigia die XIIIIa augusti anno MCC LXXVIo qua die XIIIIa inceperunt quinque septimane pro diligenciis ordinate secundum usum et stilum curie parlamenti. Fol. 157-162 : Facta contraria parlamenti LXXVI. On trouve donc dans ce registre les notes d’audience du clerc du greffier prises en 1373 (21 mars-21 juin)8, 1374 (30 juin-4 août)9, 1375 (22-28 août)10, 1376 (19 avril-21 août)11 et 1377 (27 avril-15 septembre, dans le désordre)12, ainsi que ce qui constitue proprement le Manuale, des listes de nature diffé8. Arch. nat., X1 8300A, fol. 1-10. 9. Ibid., fol. 33 et 16-17. 10. Ibid., fol. 47-54. 11. Ibid., fol. 61-72. 12. Ibid., fol. 91-128 et 131v.

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rentes, utiles au greffier pour maintenir le fonctionnement de la juridiction : liste des arrêts expédiés du 14 novembre 1373 au 7 août 137413 et liste des arrêts par mois pour 137614, liste des juges des Grands Jours de Troyes et de l’Échiquier de Normandie pour 137615, liste des jours de bailliage du Parlement 137616. Ce sont des épaves sans continuité, mais dont le contenu peut être utile17. L’essentiel de ces listes concerne l’enquête. La procédure d’enquête, d’origine romano-canonique18, a lieu lorsque la cour ne peut pas trancher le litige à l’audience19. Le Parlement appointe alors les parties en faits contraires, c’est-à-dire leur demande la liste par articles de leurs prétentions20. Puis ces faits articulés sont accordés (concordati) par un conseiller du Parlement, procédure qui consiste en la vérification qu’ils ont bien été plaidés, seuls les faits plaidés pouvant faire l’objet de l’enquête21. Ensuite les faits sont discordés (discordati), c’est-à-dire que l’on établit la liste des faits sur lesquels les parties sont en désaccord, en éliminant ceux pour lesquels il n’y a pas de litige. Enfin des commissaires sont désignés, puis l’enquête a lieu et aboutit à une décision appelée « jugé »22. Les documents du Manuale sont les seuls qui permettent de connaître ce qui se passe entre la décision de la cour ordonnant une enquête et la désignation des commissaires. Ils comblent un vide dans la connaissance du déroulement de la procédure. 13. Ibid., fol. 13-15. Liste des noms des parties, deux noms l’un sous l’autre, à droite la date, à gauche le nom du président. 14. Ibid., fol. 151-152v. Simple liste des parties groupées sous chaque mois, pas de nom de président, ni de quantième du mois. 15. Ibid., fol. 83v. 16. Ibid., fol. 130v, tête-bêche, biffée d’une croix. 17. En les comparant aux autres registres, on pourrait sans doute se faire une idée plus précise de la durée des litiges. 18. Wieslaw Litewski, Der Römisch-kanonische Zivilprozess nach den älteren Ordines Iudiciarii, 2 t., Cracovie, 1999, t. I, p. 353-445. 19. Pour plus de détails sur la procédure d’enquête, il faut lire Paul Guilhiermoz, Enquêtes et procès, Paris, 1892, ainsi que le très impressionnant ouvrage d’Yves Mausen, Veritatis adiutor. La procédure du témoignage dans le droit savant et la pratique française (XIIe-XIVe siècles), Milan, 2006 (Pubblicazioni dell’Istituto di storia del diritto medievale e moderno, 35). 20. « [Partes] erant et sunt contrarie nec possunt sine factis expediri et idcirco facient facta sua ad finem principalem dumtaxat, super quibus inquiretur veritas et inquesta facta ad dictam curiam reportata, fiet jus » (Arch. nat., X1A 23 fol. 377v, 7 janvier 1374 n. st., litige entre Jean Champenois et Gauthier Pescheloche). 21. On trouve des listes de faits accordés dans les Anciens Registres de greffe. Par exemple dans le registre Arch. nat., X1A 8849, fol. 5 : « Articuli concordati curie traditi in Parlamento incepto anno Mo CCCo LXXIIdo ». 22. P. Paschel, « L’élaboration des décisions du Parlement dans la deuxième moitié du XIVe siècle. De la plaidoirie à l’arrêt », dans Histoire et archives, t. 12 : Le Parlement au fil de ses archives, actes de la journée d’études du 22 mars 2002 […], juillet-décembre 2002, p. 27-60.

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Dans l’ordre du déroulement de la procédure, nous avons donc la liste des parties en faits contraires pour les sessions 137323, 137424, 137525 et 137626, celle des commissaires à enquérir, avec en regard le noms des parties, pour les années 137327, 137428, 137529 et 137630, puis, inverse de la précédente, la liste des noms des parties avec en regard les noms des commissaires, pour les sessions 137331 et 137432. On peut noter que ces listes ne sont pas symétriques, elles omettent des causes et en comportent de nouvelles. Enfin la liste des parties qui demandent des commissaires pris sur les lieux du litige pour l’année 1374, une trentaine de cas33. La liste des parties en faits contraires est la plus intéressante et nécessite quelques explications, que nous donnerons pour la première des neuf pages de la liste des parties en faits contraires de la session 137334. Il s’agit d’une liste de noms comportant dans la marge gauche une mention concernant les articles des parties discordati ou concordati et dans la marge droite de nombreuses mentions biffées qui correspondent aux différents états de la procédure. Ce sont ces faits qui seront l’objet de l’enquête. Quant une affaire est transmise pour enquête, les noms des parties sont biffés d’une croix et quand tous ceux d’une page le sont, un trait vertical est tracé au milieu de la feuille. Examinons le premier acte de la page, intitulé « Entre messire Jehan de Montmorency, seigneur de Beausault, et messire Jehan Erart ». C’est un litige simple qui oppose deux parties. Chronologiquement, la première mention (marge droite) est celle de l’arrêt qui a décidé que les parties feraient leurs faits, Per arrestum XXVIa novembris [1373]35, conséquence de la décision du conseil qui l’a décidé (16 novembre 137336). Le 25 avril 1374 (marge droite), la cause est renvoyée à quinzaine (8 mai 23. Arch. nat., X1A 8300A, fol. 28-32. 24. Ibid., fol. 43-46. 25. Ibid., fol. 79 et v. 26. Ibid., fol. 157-162. 27. Ibid., fol. 18-20 et 33 bis-34. 28. Ibid., fol. 35-38 et 55-57. 29. Ibid., fol. 80-83. 30. Ibid., fol. 153-156. 31. Ibid., fol. 22-25. Cette liste porte le titre erroné de Facta contraria parlamenti incepti anno LXXIIIo. Le folio 28 porte ce même titre avec raison. 32. Ibid., fol. 39-41. 33. Ibid., fol. 59. 34. Ibid., fol. 28. Voir annexe n° 1. 35. « Per arrestum ejusdem curie dictum fuit quod dicta demanda proprietaria erat et est debite et sufficienter formata quo ad terras de Querisi et de Cameli predicatas et quod dictus Johannes Erardi congedium et expensas per eundem supra petitos non habebit, quod eciam partes ad alia per eas proposita erant et sunt hincinde admittende ipsasque admisit dicta curia et admittit, erantque et sunt contrarie nec possunt sine factis expediri et idcirco facient facta sua super quibus inquieretur veritas, et inqesta facta dicteque curie reportata, fiet jus ». (Arch. nat., X1A 23, fol. 381). 36. Arch. nat., X1A 1470, fol. 102A.

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1374), jour auquel a sans doute été décidé de continuer la cause jusqu’à la Saint-Jean, le 24 juin, pour permettre aux parties de s’accorder (mention barrée dans la marge gauche). Le 4 juillet (marge droite), un dernier délai de huit jours est accordé. Il n’est pas fait mention de l’accord des articles, mais il y a une mention non biffée Discordati (marge gauche)37. Comme on ne trouve pas trace de ce litige dans les listes des enquêtes de 1373, ni dans celles de 1374, ni dans celles des faits contraires de 1374, on peut penser que la procédure en est restée à ce stade. Voyons maintenant le cinquième litige, qui oppose Jean Le Hase de Chambly à plusieurs opposants. Les principes sont les mêmes, l’aspect un peu embrouillé du document tenant à la pluralité des parties, chacun des opposants devant faire ses faits avec le demandeur. L’arrêt ordonnant l’enquête a été rendu le 22 décembre 137338, les faits discordés, concordés, les accords, renvois sont notés pour l’ensemble des parties par des parenthèses. Chastellain et Vaucelles sont discordés avec le demandeur, mais le nom de Chastellain a été biffé (désistement ou mort) et seul Vaucelles a vu ses articles concordés avec ceux de Chambly39. Sarrebruche a fait un accord avec le demandeur, qui n’a pas dû aboutir parce que la formule est biffée et qu’il y a surséance pour lui et Vitry, sans doute pour conclure l’accord. La femme et les tuteurs des enfants de Pierre Richart, après avoir fait discorder leurs articles, ont fait un accord. Plusieurs mentions biffées indiquent les délais auxquels ont été soumis les parties. La liste des parties dont les faits ont été accordés est mise au propre et se trouve dans les Anciens Registres du greffe40, ainsi celui de Chambly et de ses adversaires41, mais les parties de la première affaire n’ayant pas accordé leurs faits ne sont pas dans la liste. Une fois les articles concordés et discordés, des commissaires sont désignés pour procéder à l’enquête : liste des commissaires à enquérir, avec en regard le nom des parties, pour l’année 137342. Cette liste a été écrite dans l’ordre des 37. Soit il manque la mention concordati, soit, ce qui est plus probable, il s’agit d’une erreur et il faudrait lire concordati. Les parties sont renvoyées au prochain parlement, alors que la suite logique des articles discordés est la désignation des commissaires à enquérir et non le renvoi à un autre parlement. 38. Après une tentative infructueuse de résoudre le litige au moyen de la remise d’un mémoire : « Per arrestum ejusdem curie dictum fuit quod dicte partes non possunt sine factis expediri et idcirco facient facta sua ad omnes fines ad quos tetenrunt [sic], dabuntur que commissarii qui super ipsis inquirent veritatem, et inquesta facta et dicte curie reportata, fiet jus. » (Arch. nat., X1A 23, fol. 374). 39. Le 31 janvier 1374 n. st., sa veuve obtient un jour de conseil dans un autre litige (Arch. nat., X1A 8849, fol. 136vB). 40. Ibid., fol. 10 : Articuli parlamenti incepti anno domini Mo CCCo LXXo IIIo. 41. Ibid. : Articuli parlamenti incepti anno domini Mo CCCo LXXo IIIo. Sixième nom de la liste : « Inter Johannem de Chambliaco, dictum Le Hase, militem, et Isabellim relictam defuncti Radulphi Richardi et alios ». 42. Arch. nat., X1A 8300A, fol. 18-20 et 33 bis-34 ; voir annexe n° 2 (transcription du fol. 18). Dans l’affaire qui nous occupe Guillaume le Bescot est désigné comme commissaire et il se joindra un prudhomme sur place (fol. 18C).

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préséances et les deux premiers présidents ne se sont finalement pas vu attribuer d’enquête. Il existe aussi la liste inverse de la précédente : liste des noms des parties avec en regard les noms des commissaires, pour l’année 137343. Cette liste n’est pas symétrique de la précédente ; elle omet des causes et en comporte de nouvelles. C’est ici que s’arrête le travail du greffier de la Grand Chambre44. Ce document nous montre le greffier au travail, notant les interventions des juges, biffant ce qui n’est plus d’actualité, rajoutant les modifications. Quand il n’y a plus d’intérêt à la liste, il la barre. Son rôle d’articulation des différentes catégories de registres ne saurait être trop souligné, le Manuale du greffier est le pivot du fonctionnement du greffe médiéval. C’est un brouillon, qui n’avait pas comme destination d’être conservé. C’est le hasard qui l’a permis, parce que dans ce registre se trouvaient aussi des notes d’audience. Ainsi on peut trouver dans le même registre, à la fois des notes d’audience – qui sont le prélude à un arrêt – et les listes susdites – qui, en permettant l’enclenchement de la procédure d’enquête, aboutissent à un jugé. L’historien possède ainsi, résumée dans un seul document, une claire vision de toute la procédure du parlement médiéval. Philippe PASCHEL Institut d’histoire du droit (Centre d’étude d’histoire juridique), université Panthéon-Assas-Paris II – CNRS – Archives nationales

43. Ibid., fol. 22-25. Cette liste porte le titre erroné de Facta contraria parlamenti incepti anno LXXIIIo. Voir annexe n° 3 (transcription du fol. 22). 44. Ce document mériterait une exploitation complète. On pourrait ainsi comparer les listes d’arrêts expédiés (fol. 13-15) avec les actes registrés ou encore essayer de suivre toutes les affaires dans lesquelles des commissaires ont été effectivement donnés, par exemple.

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ANNEXES

I. — PREMIÈRE PAGE DE LA LISTE DES PARTIES EN FAITS CONTRAIRES DE LA SESSION DE 1373 Source : Arch. nat., X1A 8300A, fol. 2845. (crux.) In nomine Domini. Amen. Facta contraria parlamenti LXXIII46. Entre messire Jehan de Montmorency, seigneur de Beausault, et messire Jehan Erart. (marge gauche, biffé) Continuati sub spe pacis usque ad festum beati Johannis Baptiste. (marge gauche, biffé) Discordati. (marge droite) A XVne. Actum XXV aprilis. (marge droite) A VIII jours pro omni dilatione de consensu procuratorum parcium. Actum IIII julii. (marge droite) Per arrestum XXVIa novembris. (au centre, en-dessous du nom des parties) Ad aliud parlamentum. Entre Ysabel de Chasteillon, dame de Vair, et Regnaudin de La Chapelle et sa femme. (marge gauche) Concordati (au-dessus de) Discordati (biffé). (marge droite) Per arrestum Xa decembris. (marge droite, biffé) Au jeudi aprés la Pentecoste. 45. Nous avons mis en note les mots biffés qui nous ont semblé être des erreurs de rédaction et non ceux qui l’ont été comme conséquence du déroulement de la procédure. Nous avons séparé par un point les noms des parties qui sont, en réalité, écrits l’un au-dessus de l’autre. Nous avons précisé la place de mentions marginales droite, en ajoutant « centre », pour celles qui sont entre les noms des parties et la vraie marge droite. 46. En caractères d’un module plus grand. Toute la page est barrée d’un trait vertical.

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(marge droite) Ad XVna junii anno LXXIIII. Entre le procureur du roi et les religieux de Chericamps et, d’autre part, Henry Dubois et Jehanne de Savieres, Fremin Pigre, Jehan Nohant. (marge gauche) Concordati. Entre les habitants de Noiron et les religieux de Cisteaux. (marge gauche) Concordati (au-dessus de) Discordati (biffé) (marge droite-centre) A jeudi pro omni dilacione IIII julii. (marge droite-centre, biffé) A VIIIe jours pro omni dilacione XX junii. (marge droite, biffé) Continuati ad XVnam. Actum XX aprilis ad jovis prius Penthecoste Entre [Jehan] Le Hase de Chambely (biffé) Et Jaque Chastellain, Gilles de Vaucelles, (marge gauche, parenthèse reliant les deux noms précédents) Discordati. (marge gauche, pour le seul Gilles) Avis concordati. Pierre Lempereur, (biffé) N. de Sarrebruche in tractatum pacis, (marge gauche biffé) Jaque Chastellain, Hennequin Lescot, Pierre Lempereur, (marge droite-centre) G. de Vitri, Hennequin Lescot47. (marge droite-centre) A vendredi. Concordati. (marge droite, au-dessus des deux noms précédents) Supersedent Vitri et Sarrebruche. (marge droite, avec des traits reliant Chambely, Vitri et Lescot) A XVne. XXVa aprilis. (marge droite, avec des traits reliant Chambely, Vitri et Lescot) Ad martem XII junii LXXIIIIo. (deux lignes biffées d’une croix) La femme et tuteurs des enfans de feu Raoul Richart ad diem jovis pro omni dilacione. Actum VIIa julii anno LXXIIIIo. (marge gauche, biffé) Discordati accordum. (marge droite, biffé) A de jeudi en VIII jour pro omini dilacione. (marge droite, biffé) Actum VI jeudi pro omnibus. (marge droite, pour les quatre affaires ci-dessus) Per arrestum XXIIa decembris et in […]48 die XVII novembris. Entre Jehan Champenois et Gauthier Pescheloche et Jehan Le Luistrat. (marge gauche) Tangit jura regis ut asseruit magister Johannes de Ravigny. (marge droite)Per arrestum VIIa januarii49. 47. Les noms G. de Vitri et Hennequin Lescot biffés d’une croix. Il y a une petite croix devant Hennequin. 48. Deux mots illisibles, le papier est déchiré sur toute la largeur de la page. 49. Suivi de LX biffé.

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(marge droite) Ad mensem50 martii51 sub spe pacis. (marge droite) Actum XX aprilis. (marge droite-centre) A VIII jovis XX junii. (centre) Ad aliud parlamentum. Entre Guignon de La Fontaine et M. Jehan Berneda. (marge gauche) Concordati. (marge droite-centre) Per judicium IIIIa februarii. (marge droite-centre) A VIII52 jours pro omni dilacione. Actum IIII julii53. (marge droite, biffé) Ad diem […]54. (marge droite) Ad dies senescalli Bellicadri. Actum II aprilis mensis anno LXXIII.

II. — PREMIÈRE PAGE DE LA LISTE DES COMMISSIONS À ENQUÉRIR POUR L’ANNÉE 1373 (RÉPARTITION PAR COMMISSAIRES) Source : Arch. nat., X1 8300A, fol. 1855. Commissiones parlamenti incepti ad sanctum Martinum hyemalem Anno domini Mo CCCo LXXIIIo et finiti quo ad litigia die VIIa augusti Anno M CCC LXXIIIIo qua die VIIa inceperunt quinque septimane pro diligenciis ordinate. Messire Arnaut de Corbie cum adjuncto. Messire Philibert Paillart cum adjuncto. Messire Guillaume Le Bescot cum adjuncto (colonne de droite) Entre Le Hase de Chambely, d’une part, et Hannequin Lescot, Guillaume de Vitry et plusieurs autres opposans, d’autre part. Entre Auge de Colongne, d’une part, et Mahieu de Rue et le bastard du Ploich, d’autre part. Messire Estienne de la Grange cum adjuncto. (colonne de droite) 50. Au-dessus d’une tâche d’encre. 51. Lecture probable. 52. Au-dessus de XV biffé. 53. Au-dessus de XX junii biffé. 54. Plusieurs mots biffés illisibles. 55. Ce texte se présente en deux colonnes : dans celle de gauche figurent les noms des commissaires, dans celle de droite ceux des parties. Pour des raisons pratiques, nous n’avons pas reproduit cette forme, nous contentant d’indiquer après les noms des commissaires les mots (colonne de droite) qui signalent les noms des parties.

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Entre les gens du clergié de Chartres et les bouchers poissonniers de Chartres. Messire Jehan Le Bescot. Messire Jehan Hardi et cuilibet cum adjuncto in causa etc. (colonne de droite) Entre les religieux de Saint Denis et les religieux de Royalmont. Entre les diz religieux de Saint Denis et le seigneur d’Atechy. Maitre Guillaume de Chaumont cum adjuncto. (colonne de droite) Entre l’evesque de Paris et Pierre Aurillet. Entre les religieux de Cisteaux et les habitans de Noiron. Messire Jehan de Hubant. Maitre Regnault de Sens (colonne de droite) Entre Hannequin Platel et autres pionniers, d’une part, et la ville de Paris, d’autre part. Entre les poissonniers d’yaue douce de Paris, d’une part, et le maire et jurez de Mantes. Entre les tresorier et chanoines de la Sainte Chapelle du Palais et monseigneur le duc d’Orléans. Maitre Girart d’Ambonay. Maitre Thomas Vaning56. (colonne de droite) Entre le procureur du roi et doyen et chapitre de Paris en toutes les causes. Entre les diz doyen et chapitre et maitre Guillaume de Lumbres. Maitre J. Ouiart. Maitre Pierre d’Orgemont. (colonne de droite) Entre le viconte de Narbonne et Jehan Arnaut et autres. Entre les religieux d’Issoire et les habitans de Sananhac. Maitre de Pontoise57. (colonne de droite) Entre Pierre du Buz et Guerart Fortut. 56. (biffé) J. Bescot, Estienne Belin cuilibet adjuncto in causa etc. 57. (biffé) Bescot le jeune, Maitre Jehan de Pontoise, Maitre Loys Paste.

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III. — PREMIÈRE PAGE DE LA LISTE DES COMMISSIONS À ENQUÉRIR POUR L’ANNÉE 1373 (RÉPARTITION PAR PARTIES)

Source : Arch. nat., X1 8300A, fol. 22. [Facta contraria parlamenti incepti anno LXXIIIo]58 Inter Agnatam dictam Morelli et Jacobum Marescalli. (marge droite) Vanin. Puivinage. Inter Ysabellum de Castellione, dominam de Baya et Reginaldum de Capella et ejus uxorem. (marge droite) Lesleu. Artois Inter procuratorem regium et religiosos de Caricampo59 et Johannem de Savieres et alios. (marge gauche) Saquespee cum adjuncto (tout à fait à droite h. biffé, au-dessus de In) Inter habitantes de Noiron et religiosos Cestercienses. (marge droite, biffé) Bracon. Tierne. (marge droite) Chaumont. (biffé) Inter dominam Johannam de Chambliaco Inter dominum Johannem de Chambliaco, dictum Le Hase et VII oponentes. (marge gauche) G. Le Bescot. Inter Johannem Champenois ac Galterum Pescheloche et Johanem Le Luistrat. (marge droite, biffé d’une croix) Lesleu, Artois (marge droite) A. Trie. De Mainville. Inter Guigonem de Fonte et magistrum Johannem Berneda. (marge droite) Bracon. Tierne Inter decanum et capitulum Laudinenses et dominum Godemardum de Fay. (marge droite) Tournay. Bucy. 58. Titre inexact, il s’agit d’une liste parties-commissaires à enquérir, inverse de la précédente. 59. Précédé de Cas biffé, Cam suscrit.

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Inter procuratorem regis et magistrum Dyonisium Johaire et magistrum G. Lathomi. (marge droite, biffé) Lespicier. Artois. Flament. (marge droite) Boschet. Mainsart. Inter procuratorem regium et religioses de Flavigniaco et Petrum Naudeti. (marge droite, biffé) Bracon. Tierne. Inter pissionarios aque dulcis Parisienses et maiorem et juratos de Medunta. (marge droite) Hubin.

LE GREFFE DU PARLEMENT DE PARIS À LA FIN DU XVIe SIÈCLE QUELQUES OPÉRATIONS D’AUTOCENSURE PAR

SYLVIE DAUBRESSE

Lorsque le chercheur pénètre plus avant dans les archives du parlement de Paris, il lui arrive parfois de constater des omissions dans la rédaction des registres qui paraissent résulter d’une opération de « censure », un mot que n’auraient pas compris les hauts magistrats parisiens de la fin du XVIe siècle dans le sens où nous l’utilisons aujourd’hui1. On peut distinguer deux types de « censure », l’une interne à l’institution, et celle qui est pratiquée sous la pression d’événements extérieurs. Une question surgit alors : cette « censure », qui revêt plusieurs formes, exprime-t-elle une volonté de contrôler la mémoire officielle du Parlement, celle écrite pour la postérité ?

I. — ENTRE SECRET JUDICIAIRE ET CIRCONSTANCES POLITIQUES Les archives du Parlement, ce sont d’abord des registres, mais le dépouillement des minutes peut réserver parfois quelques surprises. Ainsi dans les minutes se trouvent parfois des détails qui n’ont pas été transcrits dans le registre officiel en parchemin, comme le vote du 10 avril 1584 sur l’édit de l’amirauté accordée au duc de Joyeuse2 . Les détails du vote sont donnés dans les minutes, avec ajout ou non de réserves, mais ceux-ci ne figurent pas dans le registre du conseil coté X1A 16853. Pour citer un autre exemple, à la date du 30 juin 1584, dans 1.« Censure » : examen d’une doctrine, d’un écrit ou d’une activité par une autorité instituée à cet effet. 2. Arch. nat., X1A 1685, fol. 3v, 10 avril 1584. 3. Arch. nat., X1B 635 : « […] sur le [article] 76, passé […] sur le 89 (en temps de guerre) […] 56 (a la charge de l’appel auquel sera deferé) ».

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les minutes du conseil (X1B 636), au verso du feuillet, est noté le rapport de l’entrevue du premier président Achille de Harlay avec Henri III qui eut lieu quinze jours plus tôt, toujours au sujet de l’édit de l’amirauté accordé au duc de Joyeuse. Or il n’apparaît pas dans le compte rendu de la séance du même jour dans le registre du conseil4 . L’explication est sans surprise et propre au monde judiciaire : c’est son souci de conserver le secret de ses délibérations5 ainsi que des discussions officieuses avec le gouvernement royal pour l’enregistrement des édits. Un autre cas de figure se présente lors des barricades de mai 1588. Les minutes du conseil portent au verso du feuillet de la séance du 12 mai ces quelques mots inscrits d’une écriture très cursive : il y a beaucoup d’étrangers dans la ville, « ce n’est pour la garnison de la ville […], c’est pour chastier quelques larrons qui veulent piller […], c’est pour la seureté de la ville »6 . Les présidents Séguier et de Thou envoyés auprès du roi rapportent ces paroles laconiques du roi : « Que la cour ne s’estonne […], ce qu’il faisoyt estoyt pour le bien de ses subjectz ». Ce document montre que le Parlement n’a eu que des informations vagues de la part du pouvoir royal. Aucun ordre ne lui est donné, il est contraint à la passivité. Ce rapport n’a pas été transcrit dans le registre du conseil qui d’ailleurs reste muet sur les journées du 13 au 167 . De fait, les hauts magistrats parisiens n’ont-ils pas voulu occulter cette inaction mais aussi cet événement gravissime des barricades parisiennes qui marque le début de la rébellion ouverte contre Henri III ? Cette fois, les circonstances politiques ont pesé de tout leur poids. Au début du mois de janvier 1589, Paris, qui rejette celui que la ville nomme le tyran responsable de l’assassinat du duc et cardinal de Guise, se considère comme une citadelle assiégée par les forces du Mal8. Le 12 janvier 1589, le duc d’Aumale entre dans la Grand Chambre, et donne la parole à deux échevins qui demandent à la cour d’enregistrer un acte invitant à chercher nuit et jour les mesures à prendre pour la « communauté de la ville »9. L’acte, issu d’une assemblée de la ville qui s’est tenue dans la grande salle de l’évêché, est aussitôt lu, puis communiqué aux gens du roi comme il se doit. L’arrêt « censuré » du 19 janvier nous apprend que cet acte comprenait le renouvellement d’un serment d’union ainsi que l’entérinement des décisions prises pendant la dite assemblée 4. Arch. nat., X1A 1686, fol. 163, 30 juin 1584. 5. Sur les origines de ce secret, voir Jean Hilaire, « Ratio decidendi au parlement de Paris d’après les registres d’Olim (1254-1318) », dans Guiding principles of judicial decisions, t. I : Case law, éd. W. Hamilton Bryson et Serge Dauchy, Berlin, 2006, p. 25-55, part. p. 28 et 32-34. 6. Arch. nat., X1B 678. 7. Arch. nat., X1A 1709, fol. 284. 8. Nicolas Le Roux, Un régicide au nom de Dieu, l’assassinat d’Henri III (1er août 1589), Paris, 2006, p. 161. Denis Crouzet insiste sur l’atmosphère de deuil et d’union mystique (Les guerriers de Dieu : la violence au temps des troubles de religion, Seyssel, 1990, t. II, chap. XIX). 9. Arch. nat., X1A 1713, fol. 344, 12 janvier 1589.

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(dont la nomination du duc d’Aumale à la charge de gouverneur de Paris et de l’Île-de-France)10. Or, au verso de la minute d’arrêt du 12 janvier, se trouvent quelques lignes écrites de façon très cursive qui n’ont pas été transcrites sur le registre11. Elles traduisent la crise de confiance à l’égard des membres de la cour. L’échevin Nicolas Rolland décrit l’ambiance explosive dans la ville, et parle sans les nommer de ceux qui « connivent au mal »12 alors que la « barque perist ». Face à cette situation, la cour souveraine regarde sans « y entendre », et Rolland de déclarer qu’il y a deux sortes d’hommes, ceux qui ne font rien et ne disent rien, et ceux qui ne font rien du tout, paroles étranges destinées sans doute à dénoncer l’inertie du Parlement. Achille de Harlay répond placidement, que s’il y a une agression contre la ville, le Parlement, qui ne veut « conniver au mal », y « obviera » ; personnellement, le premier président ne sait rien. Le duc d’Aumale fait part d’une « opinion » selon laquelle certains veulent « abandonner le peuple », une « opinion » qui veut interdire à quiconque la sortie de la ville. Le conseiller Pierre Damours, informé par un dizainier, rapporte certains propos lancés à la porte Saint-Jacques : « Voz amez, ceulz de la justice, qui vous trahissent […] », paroles lourdes de sens13. Ces observations nous incitent à penser que le Parlement pouvait être tenté de ne pas retranscrire tout ce qui se passait et de supprimer ce qui pouvait entacher son image ou son autorité. C’est un fait important qu’il faut prendre en compte d’autant que nous ne disposons pas de mémoires de membres du Parlement pour compléter ou rectifier ce qui est écrit dans les registres. Le 28 mars 1594, après l’entrée victorieuse d’Henri IV à Paris, le Parlement enregistre la déclaration par laquelle le roi éteint et abolit toutes les choses faites dans la capitale pendant les troubles14. Le roi veut oublier et lève l’interdit qui pesait sur le parlement de Paris depuis février 1589. En effet, son prédécesseur Henri III, constatant que son Parlement entérinait les lettres patentes signées par le duc de Mayenne et le conseil général de l’Union, et devenait ainsi un instrument entre les mains des ligueurs, avait réagi en interdisant l’exercice de la justice à Paris, puis en commandant à tous les officiers de la cour de Parlement et de la Chambre des comptes de quitter Paris et de se rendre à Tours, sous peine d’être privés de leur office. Le 30 mars 1594, les membres du Parlement restés à Paris déclarent nuls les arrêts rendus au préjudice de l’autorité royale et des lois du royaume, et chargent 10. Arch. nat., X1A 9324B, fol. 9, 19 janvier 1589. Sur ce registre, voir ci-dessous. 11. Arch. nat., X1B 685. 12. « [C]onniver à » : se prêter à, se faire complice de. 13. Le conseiller Pierre Damours est membre du conseil général de l’Union. 14. Arch. nat., X1A 8641, fol. 7v-8v.

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le conseiller Guillaume Du Vair et l’avocat Pierre Pithou de « veoir et visiter les registres et liaces des arrestz deliberations et autres actes et expeditions faictes pendant les troubles afin de veoir s’il y en a aulcuns a supprimer »15. C’est une action sans précédent dans l’histoire de l’institution. Alors que les magistrats de Tours ne sont pas encore revenus à Paris, d’aucuns ont vu dans cette décision une volonté des gens du Parlement restés à Paris de faire disparaître toute trace de leur implication dans la rébellion. Mais une fois l’opération accomplie, les papiers retirés du greffe ne furent pas détruits et furent rassemblés dans un recueil dont on attribue la responsabilité à Pierre Pithou16. Que trouve-t-on dans ce recueil dit « de Pithou » ? De façon symbolique, il s’ouvre sur les événements qui eurent lieu après la fuite d’Henri III de Paris, en mai 1588, début de la guerre civile. Composé de manuscrits originaux, de copies et de textes imprimés, il contient en majorité des arrêts de nature politique, c’est-à-dire des arrêts d’enregistrement qui se présentent sous la forme de minutes sur papier, lesquelles étaient conservées au greffe du Parlement avant d’être transcrites sur registre de parchemin. Pour exemples, citons la signature de l’Union par les hauts magistrats parisiens après l’épuration du Parlement en janvier 1589, les délibérations sur l’intitulé des arrêts après la mort d’Henri III, ou bien l’arrêt de novembre 1589 qui reconnaît Charles de Bourbon comme roi sous le nom de Charles X, etc. Y figurent également des arrêts de réception de nouveaux officiers non seulement à l’intérieur du Parlement mais aussi à des offices importants exercés à Paris ou dans les juridictions inférieures. Le recueil rassemble également la correspondance active et passive du parlement de Paris. À cela s’ajoutent des pièces d’origines très variées, des documents foisonnants et inclassables qui n’entrent pas dans notre propos. Après cette « sélection », on pourrait croire que tout a bien été retiré du greffe, mais si on feuillette attentivement les registres du parlement de Paris, on s’aperçoit que cette « censure » fut loin d’être méthodique et systématique. Sans doute s’est-elle déroulée très rapidement, ce qui explique quelques oublis. L’édit du 5 août 1589, qui pardonne aux anciens ennemis de l’Union moyennant certaines obligations, suscite des interrogations sur le retour des absents au sein du Parlement : ceux qui reviendront, y compris ceux qui ont été assignés à résidence dans leur maison, pourront-ils reprendre leur fonction après en avoir fait 15. Arch. nat., X1A 1730, fol. 3, 30 mars 1594. Pithou exerce par commission l’office de procureur général du roi en attendant le retour du procureur Jacques de La Guesle qui est à Tours. Le 6 avril, la cour commet les conseillers Du Vair et Le Masuyer « pour supprimer ce qui se trouvera estre a supprimer és registres et liaces de ce qui s’est faict et passé en ladicte court pendant ces troubles contre la memoire du deffunct roy et l’honneur, obeissance et fidellité deue au roy apres regnans » (ibid., fol. 17v). Cette fois, le contenu de la mission est plus détaillé que pendant la séance du 30 mars. 16. Une édition de ce recueil est en cours de préparation.

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déclaration17 ? Cette question n’eut pas de suite, elle illustre pourtant le séisme interne de l’institution… De même, peut-on lire dans un registre du conseil, la transcription de lettres patentes du conseil de l’Union et du duc de Mayenne, du 13 août 1589, qui prient la cour souveraine de continuer ses séances en attendant la liberté et présence du « roy », qui est Charles X, cardinal de Bourbon, alors prisonnier d’Henri IV18. Il est curieux de voir cette référence à un roi éphémère qui ne fut jamais reconnu par les royaux réfugiés à Tours, vainqueurs de la guerre civile19. Si les parlementaires parisiens ont voulu faire disparaître les traces de leur implication dans la Ligue, convenons que l’objectif est manqué.

II. — LA LIGUE DANS LES REGISTRES DU PARLEMENT : QUELQUES OBSERVATIONS INATTENDUES

On remarque également que les décisions émanées du duc de Mayenne n’ont pas toutes été enlevées des archives du Parlement. Après la « censure » de 1594, subsistent des arrêts qui auraient dû disparaître. Le 18 avril 1589, le Parlement approuve les articles d’un règlement général établi par Mayenne, le 7 du même mois, concernant la saisie de biens appartenant aux tenants du parti contraire et notamment les précautions prises pour éviter les pillages, telle l’obligation d’établir procès-verbaux et inventaires et de les soumettre au conseil de l’Union20. La cour souveraine, toujours soucieuse du respect du droit, fut sans doute satisfaite de ce règlement voulu par Mayenne, qui établissait des garde-fous juridiques. Plus étonnant encore est cet arrêt du 1er avril 1591 qui enregistre des lettres patentes portant que tous ceux qui détiennent des offices et qui sont du parti contraire à l’Union ne seront plus considérés comme officiers royaux, avec défense de les reconnaître pour tels, déclarant nuls tous les jugements qu’ils pourront prononcer dans l’exercice de leur fonction21. Quinze conseillers et maîtres des Comptes sont alors proscrits ou assignés à résidence, ce qui constitue une seconde épuration du Parlement faite sous la pression des Seize22. Pourquoi 17. Arch. nat., X1A 1716, fol. 327v, 22 août 1589 : décision de faire des remontrances au duc de Mayenne à ce sujet. 18. Arch. nat., X1A 1716, fol. 262v, 13 août 1589. 19. Cet oubli a sans doute été remarqué car le 24 avril 1595, à la requête du procureur général, la cour décide que les jugements rendus à Paris en 1589 et 1590 « ne peuvent estre appelés arrests et que l’on rayera la qualité de roy donnee a Charles » (arrêt relevé dans les copies de Jean Le Nain, Arch. nat., U 2468, fol. 256). 20. Arch. nat., X1A 1715, fol. 56 et v, 18 avril 1589. 21. Arch. nat., X1A 1720, fol. 354-355, 1er avril 1591, en présence du président Brisson et de treize conseillers. La cour enregistre mais en précisant que les offices déclarés vacants seront supprimés jusqu’à la prochaine réunion des états généraux. 22. Élie Barnavi et Robert Descimon, La Sainte Ligue, le juge et la potence, l’assassinat du président Brisson (15 novembre 1591), Paris, 1985, p. 195-196.

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avoir laissé subsister cette décision ? N’a-t-elle pas valeur de témoignage de la contrainte exercée sur le Parlement par les ligueurs les plus radicaux ? Les délibérations et mentions d’enregistrement ne figurent pas seulement dans les registres du conseil. Elles peuvent se trouver dans les registres de plaidoiries, placées en début de séance et annoncées par les mots « Sur les lettres patentes… ». Cela se produit lorsque, le jour de l’enregistrement, la plume est tenue par le greffier des audiences. Il faut savoir que la répartition de l’activité de la cour et de ses arrêts entre les différents registres du conseil et des plaidoiries n’était pas liée au fond des affaires mais à la procédure : le Parlement rendait ses arrêts tantôt en conseil, tantôt à l’audience, sur plaidoiries des avocats. Il est possible que les minutes de plaidoiries aient été négligées par les censeurs de 1594 car, étrangement, un registre de plaidoiries conserve, à la date du 7 août 1589, l’enregistrement d’une exhortation aux indécis à rejoindre l’Union, quelques jours après la mort d’Henri III, et dont voici la teneur : En attendant la liberté et presence du roy [Charles X] tous princes, prelatz, officiers de la couronne, seigneurs, gentilhommes et tous autres de quelque qualité qu’ils soient sont exortees a ce joindre, reunir et rallier a la deffence de l’eglise catholicque, apostolicque et romayne, soit pour porter les armes contre les heretiques ou se retirer en leurs maisons esquelles il leur est permis d’y demeurer en jurant par les baillifz et seneschaux a des lieux de leur residence, vivre et mourir en la relligion catholicque, appostolicque et romayne, s’employer de tout leur pouvoir a la deffence et confiscation d’icelle et ne favoriser aider, assister ne secourir en quelque sorte que ce soit lesd. hereticques, leurs fauteurs et tout ainsy qu’il est plus au long contenu esd. lettres…23

Quelle profession de foi « gravée » dans le parchemin ! Plusieurs arrêts montrent que le Parlement n’est pas resté inactif dans la capitale et qu’il a tenté de freiner les ligueurs radicaux. L’arrêt du 25 septembre 1589 défend de faire aucune assemblée sans permission des magistrats. Cette interdiction est dirigée en partie contre les assemblées informelles tenues par les Seize dans des maisons particulières. S’y ajoute aussi la défense d’imprimer de petits livrets ou libelles sans permission de la cour ou du juge ordinaire. Néanmoins ces mesures laissent perplexe sur leur réelle portée. Lors du siège de Paris par les troupes d’Henri IV pendant l’été 1590, l’urgence absolue est de trouver du pain. Les registres de la compagnie montrent les efforts de la cour souveraine pour faire face à la pénurie. Ainsi voit-on les membres du Parlement exhorter les gouverneurs de l’Hôtel-Dieu à secourir le peuple de la quantité de blé qui a été trouvée dans leurs locaux. Quelques semaines plus tard, l’étau qui 23. Arch. nat., U 2207, fol. 477v-478v, 7 août 1589 : lettres patentes du duc de Mayenne, lieutenant général de l’État royal et couronne de France et du conseil général de l’Union des catholiques (Paris, 5 août, contresignées Senault).

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emprisonne la capitale affamée se desserre grâce à l’arrivée des troupes d’Alexandre Farnèse qui forcent Henri IV à lever le siège. Pendant tout le mois de septembre 1590, le Parlement, en accord avec les officiers du Châtelet, s’efforce d’établir un contrôle de l’arrivée des vivres24. Le 21 octobre 1589, le prévôt des marchands La Chapelle-Marteau se rend au Palais, en armes, et contraint les membres du Parlement à juger sur le champ un sergent nommé Le Gay, appelant d’une sentence du Châtelet qui l’avait condamné à être pendu pour raison des violences commises envers le conseiller Favier. Sous la pression des intrus, Le Gay est absous. Il n’y a nulle trace dans les archives de la cour de cet arrêt rendu sous la contrainte. Heureusement, ce fait est connu grâce au chroniqueur Pierre de L’Estoile, scrupuleux observateur parisien. Mais cet événement ne fut pas complètement éludé car, dans un registre, il est rapporté qu’un conseiller du Parlement fut l’objet de pressions pour que le prisonnier soit relâché, et que le prévôt des marchands vint au Parlement présenter ses excuses le lendemain de l’arrêt en question. La ChapelleMarteau déclara avoir été contraint à agir de la sorte pour, dit-il, éviter un « remuement » qui se préparait25. Quelques mois plus tard, en mai 1590, les procureurs du Parlement sont menacés aux portes du Palais par un peuple « en rumeur » et en armes qui n’appréciait pas de voir la cour siéger alors que les ennemis se trouvaient aux portes de la ville. La cour céda et annula l’audience de l’après-midi26. Comment résister à la pression d’un « peuple » dont l’esprit était échauffé par le siège de la ville ? Le 8 mai 1592, un conseiller du Châtelet vient se plaindre auprès du Parlement d’un cordelier qui prêche dans l’église Saint-André-des-Arts en faveur d’un « innocent » nommé Dujardin qui pourtant a été condamné et qui fait appel devant la cour souveraine27. Le conseiller parle de propos injurieux, sans doute à l’encontre du jugement auquel il a participé28. Aussitôt, à la requête du procureur général, une information est confiée aux conseillers Michon et Damours sur ces propos scandaleux mais aussi sur ceux qui distribuent dans les églises des billets et mémoires diffamatoires contre l’honneur du Parlement, « le 24. S. Daubresse, « De Paris à Tours, le Parlement “du roi” face au Parlement “de la Ligue” (15891590) », dans ead., Monique Morgat-Bonnet et Isabelle Storez-Brancourt, Le Parlement en exil ou Histoire politique et judiciaire des translations du parlement de Paris (XVe–XVIIIe siècle), Paris, 2007, p. 301536, part. 499-500. 25. Ibid., p. 492-493. 26. Arch. nat., X1A 1719, fol. 33v, 11 mai 1590. La cour est avertie de ces menaces par l’avocat du roi Jean Le Maistre. 27. Robert Descimon, « Qui étaient les Seize ? Étude sociale de deux cent vingt-cinq cadres laïcs de la ligue radicale parisienne (1584-1594) », dans Paris et Île-de-France. Mémoires, t. 34, 1983, p. 7-302, part. p. 138-139, n° 71. Il s’agit de Denis Dujardin, sergent à verge au Châtelet et marchand hôtelier. 28. Arch. nat., X1A 1724, fol. 61v-62, 8 mai 1592. La requête est faite par Antoine Ferrant, conseiller au Châtelet : « […] en quoy ne se trouvera qu’il ayt rien faict sinon tout office de bon juge ».

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tout tendant a sedition et pour emouvoir le peuple contre le Parlement et autres officiers de justice ». Il est enjoint au prévôt des marchands de réunir les colonels et les capitaines de la ville pour les exhorter à faire respecter l’ordre et la tranquillité publique, à rappeler l’obéissance due aux magistrats et de « faire en sorte que le respect et la force demeure a la justice ». Le nommé Dujardin, un des piliers des Seize, fut pendu le 30 mai29. Lors de la transcription des minutes sur les registres en parchemin, opération qui pouvait prendre plusieurs années, la vigilance fut loin d’être de mise. Au cours du printemps 1591, des bulles monitoriales confirment la bulle de Sixte Quint de 1585 excommuniant Henri de Navarre. En juin, le parlement de Châlons réagit le premier et les condamne à être lacérées. Le 8 juillet 1591, le parlement de Paris, à la requête du procureur général Louis Dorléans, rappelle que la loi fondamentale du royaume n’admet aucun hérétique pour roi et constate que l’arrêt de Châlons méprise la puissance pontificale « a laquelle Dieu, parlant a saint Pierre, a donné pouvoir de lier et condamner, en ce qui concerne de la foi et des choses spirituelles ». Le Parlement décide d’annuler l’arrêt de Châlons pour contenir « schisme, heresie, et substraction de l’obeissance » du pape, et le condamne à être lacéré et brûlé30. Comme Édouard Maugis, on trouve étrange que cet arrêt ait échappé aux censeurs chargés d’expurger les minutes lors de la censure de 159431. En revanche, les arrêts au civil rendus à Paris concernant les particuliers ont été gardés et transcrits sur parchemin. Il fallait en effet respecter l’autorité de la chose jugée et on craignait aussi une confusion judiciaire ultérieure32. Nombreux sont les enregistrements laissés dans les registres de plaidoiries qui concernent 29. Pierre de L’Estoile, Mémoires-journaux : 1574-1611, Paris, 1982, t. V, p. 169, 30 mai 1592 : « […] pour avoir tué Le Rat, marchant de Senlis, et pour tout plain d’autres meurtres et brigandages ». 30. Arch. nat., X1A 1721, fol. 202v, 8 juillet 1591. Pour la transcription de l’arrêt, voir Édouard Maugis, Histoire du parlement de Paris de l’avènement des Valois à la mort d’Henri IV, Paris, 1914, t. II, p. 76-77. 31. En revanche, les arrêts contre ceux de Tours d’août et septembre 1591 ne figurent pas dans les registres. De la même manière, il n’est pas courant de voir le Parlement décider d’écrire au pape – en l’occurrence Clément VIII – pour le féliciter de son élection. Cette lettre est suffisamment rare pour être signalée par Jean Le Nain dans ses tables, Arch. nat., U 2346, « Parlement, actions prudentes, lasches et courageuses » : « En ce que la cour voulant escrire au pape pour le gratiffier de son election, l’a faict premierement entendre au duc du Mayne pour sçavoir s’il le trouveroit bon ». Pour les détails, voir Arch. nat., X1A 1723, fol. 87, 31 décembre 1591, à la requête du procureur général. Il serait hasardeux de considérer cette action comme une preuve d’ultramontanisme. 32. Il en fut de même lors de la réunification des deux parlements de Paris et de Poitiers, après la victoire de Charles VII. Le 15 mars 1435, le roi ordonne que les sentences précédemment rendues par les juges qui « tenoient le parti du roi d’Angleterre » soient mises à exécution (Eusèbe de Laurière et al., Ordonnances des roys de France de la troisième race […], 22 t., Paris, 1723-1849, t. XIII, p. 216-229). Je remercie Axel Degoy de m’avoir communiqué cette référence.

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des nominations et des provisions d’office, sans doute par souci de préserver les droits des officiers, notamment en cas de litige pour la possession d’un office33. Grâce à la conservation de ces actes, il est possible de suivre les affaires concernant les réceptions d’officiers, des affaires qui parfois se prolongent plusieurs années après la victoire d’Henri IV et qui sont autant d’éléments méconnus de la réconciliation d’après-Ligue. Il était impossible de faire disparaître, dans les requêtes des suppliants, toute allusion à la situation de guerre civile comme dans celle de ce chanoine qui, ayant reçu une prébende dans l’église du Mans et constatant que la ville est occupée par les « ennemis », demande à en prendre possession dans l’église Notre-Dame de Paris34. Difficile aussi d’effacer les mentions de procédures faites par la « prétendue court de parlement de Tours ». Point important, les registres criminels de Tours n’ont pas subsisté, pour une raison qui reste inconnue. Cette disparition est-elle une volonté de cacher la répression ou l’œuvre de la négligence et des incendies ? Mystère. Pour le Parlement resté à Paris, il reste un seul registre criminel, un registre d’audience très lacunaire ainsi que quelques cartons de minutes. L’édit de Blois de février 1589 ordonne le transfert du Parlement à Tours. Ce texte, dont la transcription fut faite après 1594, ouvre le registre d’ordonnances coté X1A 8640. Pourquoi cette place en première page ? Le registre aurait pu commencer par les premières décisions du règne d’Henri IV. Choisir la translation comme point de départ d’un nouveau registre d’ordonnances, c’était sanctionner symboliquement la rébellion. C’était peut-être aussi une façon dissimulée d’exalter le rôle de ceux qui avaient rejoint le roi à Tours, timide revanche de ces hauts magistrats « exilés » qui ont peut-être observé avec un œil très critique « l’escamotage » opéré à la va-vite par leurs confrères parisiens.

III. — CONCLUSION Il est indéniable que le parlement de Paris a eu soin de laisser une image un tant soit peu positive de son rôle pendant les années de la Ligue. Il met en valeur son action modératrice sans néanmoins occulter la pression des ligueurs les plus radicaux. Cette opération de « censure » effectuée après la victoire d’Henri IV fut loin d’être rigoureuse et cohérente. Interne à l’institution et faite sous la contrainte d’événements extérieurs, elle s’est opérée en deux temps : la première a été réalisée à la hâte par des membres du Parlement restés à Paris avant le 33. Sur les vingt-cinq enregistrements de provisions d’office relevés par les commis de Jean Le Nain (voir Arch. nat., U 2208) d’avril 1591 à janvier 1594, seules cinq sont mentionnées dans le recueil Pithou. 34. Arch. nat., X1A 1719, fol. 2, 2 mai 1590.

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retour des magistrats qui ont siégé à Tours ; puis, dans un second temps, on peut supposer qu’une autre « censure » a pu être faite au fur et à mesure de la lente transcription sur les registres en parchemin, mais force est de constater qu’elle aussi a laissé échapper nombre de décisions du Parlement et du Conseil d’État de Mayenne, pour le plus grand bonheur de l’historien qui observe de près les événements de la Ligue à Paris. A contrario de ces exemples de censure rapidement présentés ici, il est surprenant de constater que le fameux arrêt Le Maistre du 28 juin 1593 est absent des registres du parlement de Paris, un arrêt qui a pourtant joué un rôle décisif dans la victoire d’Henri IV en déclarant « tous traités faits ou à faire pour l’établissement d’un prince ou princesse étrangers nuls et de nul effet et valeur comme faits au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales du royaume »35. Aux Archives nationales, il ne subsiste que deux brouillons, sans date, écrits de la main de Pierre Pithou, qui sont conservés dans son recueil d’actes censurés36. Sans tomber dans l’ornière du déterminisme historique, on peut s’interroger : pourquoi ne pas avoir consigné cet arrêt qui fut l’orgueil des magistrats parisiens des XVIIe et XVIIIe siècles ? Les membres du Parlement d’alors n’ont-ils pas eu conscience de son importance, même après coup ? Ils auraient pu tirer profit de la lente transcription des minutes sur les registres, mais c’était peut-être sans compter l’effet de l’oubli. En outre, reconnaissons que le temps de l’historien n’est pas celui du haut magistrat ou du greffier pressé par l’afflux des procès et le traitement des dossiers. Les commissaires « censeurs » de 1594 ont eu pour charge de faire disparaître en priorité ce qui était le plus voyant37, peu leur importait finalement l’image de 35. À la date du 28 juin 1593, rien dans les registres des différentes séries : Conseil Arch. nat., X1A 1727, Plaidoiries Arch. nat., X1A 5167, Jugés Arch. nat., X1A 261, dans les minutes du conseil, il y a une lacune entre Arch. nat., X1B 705 (mars à mai 1593) et X1B 706 (juillet à août 1593). Aucune trace non plus dans les Ordonnances enregistrées au parlement de Paris sous le règne d’Henri IV ; inventaire analytique des registres X1A 8640 à 8646, éd. Gérard Jubert, Paris, 1993. Isambert (Recueil général des anciennes lois françaises […], t. XV, éd. F.-A Isambert, Paris, 1829, p. 71) cite un manuscrit de la bibliothèque royale et non un registre du Parlement. Sur l’importance de cet arrêt, voir Michel de Waele, Les relations entre le parlement de Paris et Henri IV, Paris, 2000, p. 197-198. 36. Arch. nat., X1A 9324B, fol. 288 et 289, dont la teneur diffère légèrement avec celui édité par Isambert (voir note précédente) et par Auguste Bernard (Procès verbaux des états généraux de 1593, Paris, 1842, p. 576) qui pour sa part présente l’arrêt comme un extrait des registres du Parlement, sans indiquer de référence ou de cote précise. 37. « Vie de M. Pierre Pithou, sieur de Savoye, advocat en Parlement avec quelques escrits de luy non publiez », dans Claude Joly, Divers opuscules tirez des memoires de Me Antoine Loisel, advocat en Parlement, Paris, Jean Guignard, 1656, p. 251-436, part. p. 269 : « Il (Pithou) fit rayer et biffer des registres tout ce qui y avoit esté escrit au desadvantage de nos roys et de nos loix, fit oster et arracher plusieurs tableaux et inscriptions scandaleuses, mises dans les eglises et autres lieux publics, ensemble toutes les marques qui eussent peu rafraischir la memoire des sermens et des autres folies de la Ligue, si bien que Messieurs estans revenus de Tours, trouverent pour ce regard les choses en mesme estat, qu’elles estoient avant leur partement […]. »

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leur compagnie à l’extérieur du Palais, car il n’y eut pas de destruction des arrêts qui ont été imprimés dans les villes contrôlées par la Ligue, sans doute parce qu’elle était impossible à réaliser. Cette expurgation rapide peut s’expliquer par une forte volonté d’oubli, un désir impérieux de passer très vite à autre chose, preuve en est le sort qui fut réservé aux actes du parlement de Tours, actes qui sont restés à l’état de minutes et qui ont été oubliés pendant vingt ans après la réunification des deux parlements38. De ces rares exemples d’autocensure qui doivent inciter l’historien à la prudence, il ressort que les registres du Parlement ne livrent qu’une partie de la « vérité », celle qu’on souhaitait voir subsister. Sylvie DAUBRESSE Institut d’histoire du droit (Centre d’étude d’histoire juridique), université Panthéon-Assas-Paris II – CNRS – Archives nationales

38. Ce n’est qu’en juin 1623 que le procureur général Mathieu Molé décida de faire relier les minutes sur papier du parlement de Tours. Il n’y eut pas de transcription sur registre en parchemin (Alphonse Grün, « Notice sur les archives du parlement de Paris », dans Edgard Boutaric, Actes du parlement de Paris, Paris, 1863, t. I, p. I-CCLXXXVI, part. chap. IV, p. LI).

LE GREFFIER EN TANT QU’EXÉCUTEUR PAROLE RITUELLE ET MORT SANS CADAVRE (PARIS, XVIIe-XVIIIe SIÈCLES) PAR

PASCAL BASTIEN

Dans le greffe, à la cour ou dans la chambre de la question, le greffier créait, ordonnait et organisait la mémoire judiciaire. Parce qu’il reste sans doute l’incarnation même de la procédure écrite de la justice d’Ancien Régime, il a d’ailleurs longtemps été réduit à son rôle de scripteur. Pourtant son pouvoir de mise en mémoire est beaucoup plus complexe, beaucoup plus étendu, que la simple transcription des témoignages et des jugements à laquelle on l’a souvent confiné. En effet le greffier criminel joua un rôle de première importance dans l’organisation et l’exécution des supplices de la justice du roi. Insister sur l’importance de la parole du greffier criminel dans l’élaboration et le fonctionnement du rituel parisien de l’exécution aux XVIIe et XVIIIe siècles permet de réfléchir brièvement sur le déplacement du langage juridique de l’arrêt vers la parole rituelle du greffier.

I. — PAROLE, ÉCRITURE, LECTURE Après la sentence rendue par les magistrats du Châtelet ou de la Tournelle, le greffier produisait, tout au long de l’exécution, deux types de documents : le procès-verbal d’exécution et le testament de mort. Le premier était encadré par la parole du greffier, par ses interrogatoires et par les gestes qu’il dirigeait dans le cadre du rituel. Le second était la rédaction d’une prise de parole libre et autonome, celle du condamné qui décidait de livrer ses derniers mots sans que ceux-ci aient été suggérés par le greffier. Dispersés dans les registres criminels des séries X et Y des Archives nationales, ces documents sont généralement

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difficiles à réunir ; en ce sens les articles X2B 1330 à 1334, rassemblant des procèsverbaux de torture et d’exécution entre 1584 et 1778, n’en sont que plus précieux. Le document reproduit en annexe, qui démontre fort bien le rôle du greffier dans l’organisation du supplice, provient de ce corpus exceptionnel. À travers ces deux types de documents, le greffier se présente comme le témoin le plus sûr des exécutions publiques et le seul véritablement capable, à Paris, de transcrire la parole du condamné avant la mise à mort. Observatoires les plus directs du spectacle des supplices, ce sont, de fait, les procès-verbaux d’exécution qui m’ont permis de démasquer le travail fondamental du greffier dans l’exécution. Par delà la description du déroulement du rituel et des derniers aveux du condamné, la parole des gens de justice paraît s’inscrire parmi les outils rituels les plus importants du châtiment : sans le cri du bourreau qui appelait au silence et, surtout, sans la parole du greffier qui ordonnait et rythmait le parcours et l’exécution, le rituel n’était plus légitime et la justice du roi était alors désamorcée. Maître d’écriture au premier plan, bien sûr, c’était pourtant le greffier qui orchestrait, par sa parole et par ses gestes, les spectacles de l’exécution publique : c’est lui qui déclenchait la marche au supplice, qui faisait « avancer tous les petits enfans près de la potence », qui surveillait et préparait l’éclatante grâce royale qui devait interrompre l’exécution. Jamais ces responsabilités, me semble-t-il, n’ont été soulevées par l’historiographie1. Cette écriture des différentes paroles mises en jeu dans le rituel – paroles du condamné, du greffier et du confesseur, auxquelles on pourrait ajouter le cri du bourreau et même le chant du Salve Regina par le peuple – suppose un lien entre le greffier et l’action qu’il rapporte. Or elle suppose surtout, dans l’espace rituel de l’exercice du châtiment, un temps de la parole. Maître de l’écrit, le greffier s’inscrit aussi comme maître de toute action qui suppose le recours à la parole. Le procès pose un cadre pour nommer et mesurer le mal que doit combattre la justice du roi ; il fixe, saisit ce mal avec des mots ; la culpabilité trouve donc son vocabulaire dans le procès. Aussi l’accusé ne devient-il condamné qu’au moment où l’arrêt, le jour de l’exécution, lui est lu par le greffier. Ce n’est qu’alors que l’exécution s’amorce et que, la parole du greffier l’ayant déclenchée, elle ne peut plus être interrompue. « Cela, alors, ne se peut non plus retarder que les éclipses et les accouchemens »2. Le rituel de l’exécution n’est plus que le support d’un texte, celui du pouvoir et de la culpabilité : la parole du greffier devient ordonnatrice et tout membre de la communauté a le devoir d’entendre. L’arrêt des magistrats ne devient veredictum que lorsqu’il est lu par le greffier. C’est donc avec la parole du greffier que le condamné fait son entrée dans la chambre de la 1. J’ai déjà proposé quelques pistes de réflexion sur le greffier et le supplice dans Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Seyssel, 2006, p. 133-142. 2. Antoine Bruneau, Observations et maximes sur les matières criminelles, Paris, 1715, p. 102.

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question ou dans la chapelle de la Conciergerie. Le greffier refait une lecture à la sortie de la prison, puis, une troisième fois, au lieu où le supplice sera exécuté. Cette parole est nécessaire pour recharger un rituel interrompu (bousculade au cours du trajet, halte à l’hôtel de Ville pour la rédaction d’un testament de mort, problème d’organisation avec le charpentier de la cour, etc.). Elle est fondatrice de l’exécution, elle est son point de départ, elle est tout ce qui lui confère sa légitimité. Le bourreau, en d’autres termes, ne peut agir sans la parole du greffier ; l’arrêt n’est effectif, efficace, que lorsqu’il est prononcé. On peut ainsi penser que la figure du greffier est, pour la foule, presque aussi familière que celle du bourreau et du confesseur. Le corpus des articles X2B 1330 à X2B1334, à tout le moins, le suggère fortement. Si le droit n’existe que dans ses manifestations, et qu’il se manifeste essentiellement dans et par l’écriture3, dans l’ancien droit pénal c’est à travers la parole du greffier qu’il se réalisait. Dans la vie juridique de l’accusé, c’est le greffier qui, nécessairement, avait le dernier mot.

II. — LA MORT CIVILE : UN CORPS SANS PAROLE Pour bien comprendre cette fonction du greffier dans les rituels judiciaires, il faut sans doute rappeler qu’il existe, dans la pratique pénale, une mort sans cadavre. Dans l’ancien droit, vie juridique et vie biologique sont en effet deux réalités distinctes4. De fait les juristes ont fixé, sur les trois siècles de l’époque moderne, les principes du « corps sans sujet et sans parole », du corps vidé de sa substance civile : ils ont fixé les principes de la « mort civile ». Car le bourreau, dans les faits, ne peut rien contre un être vivant : il n’a de pouvoir, il n’a de devoir, qu’envers les condamnés, tués civilement par la lecture de leur arrêt. On aura compris que, dans ces circonstances, l’exécuteur du jugement de mort civile, c’est le lecteur de l’arrêt, et ce lecteur, c’est le greffier. On connaît généralement les caractéristiques de la mort civile grâce aux études sur les procès aux cadavres et à la mémoire des défunts5. En théorie, sous l’ancien droit, la mort éteignait le crime : le procès engagé contre un accusé surpris par la mort était interrompu, et l’affaire close. « L’ourse mesme, écrivait le juriste Pierre Ayrault, ne sévist point contre les morts, ou [ceux] qui font semblant de l’estre »6. Or cette règle souffrait trois exceptions : le rebelle à justice tué dans sa lutte contre 3. Gérard Timsit, Les noms de la loi, Paris, 1991, p. 45. 4. La mort civile a été abolie, en France, par une loi du 31 mai 1854. 5. Voir Jeffrey Merrick, « Patterns and prosecution of suicide in Eighteenth century Paris », dans Historical reflections, t. 16, 1990, p. 1-53 et, plus récemment, Paul Friedland, « Beyond deterrence : cadavers, effigies, animals and the logic of executions in premodern France », dans Historical reflections, t. 29, 2003, p. 295-317. 6. Cité par Julien Brégeault, « Procès contre les cadavres dans l’ancien droit », dans Revue historique de droit français et étranger, t. 3, 1879, p. 619-644.

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les forces de l’ordre, le criminel de lèse-majesté, qui défiait toujours le droit en multipliant les exceptions juridiques, et le suicidé. L’ordonnance criminelle de 1670 confirma la pratique et ordonna les étapes du processus judiciaire que les juges devaient entreprendre contre le cadavre et sa mémoire. Le cas qui nous occupe est évidemment différent. Il est, de fait et de droit, différents types de mort. Toutes les morts ne séparaient pas de la même manière, et les défunts que l’on pourrait qualifier de « normaux » n’étaient exclus ni de la vie de l’Église ni de la vie juridique. Le cadavre à qui l’on faisait le procès était encore un mort ordinaire ; juridiquement, il était considéré comme un sourdmuet dont le curateur était l’interprète. Mais dès qu’une condamnation capitale était prononcée contre lui, la nature, le statut de sa mort étaient changés. Il ne s’agissait plus d’une mort ordinaire mais d’une mort séparante, qui n’excluait pas seulement du monde des vivants, mais aussi d’avec la communauté des vivants et des morts7. Les deux mondes, l’Ici-bas et l’Au-delà, le proscrivaient. La mémoire, champ de paroles8, n’avait donc plus d’espace pour exister. La mémoire, on le comprend ici, était sujet de droit ; elle pouvait donc être supprimée par arrêt du Parlement. Mais puisqu’il s’agissait de la mémoire des autres, c’était par la mort civile d’un individu que la justice comptait parvenir à prescrire l’oubli. La condamnation à la mort civile, fondement de la suppression de mémoire, était une peine capitale, même si elle n’était pas nécessairement jointe à une peine de mort naturelle9. Elle supprimait le patrimoine de l’individu – elle entraînait donc nécessairement la confiscation des biens10 – et ce que l’on pourrait appeler la parole vive du justiciable : il ne pouvait plus témoigner, car infamia juris morti quodammodo aequiparatur, ni contracter aucun mariage11, ni administrer ou aliéner le moindre bien. Le mort civil perdait également sa puissance paternelle. C’était par l’exclusion du champ de la parole qu’on parvenait à supprimer la mémoire. 7. Je reprends ici la très belle analyse des effets de la proscription au Moyen Âge de Robert Jacob, « Le faisceau et les grelots. Figures du banni et du fou dans l’imaginaire médiéval », dans Droit et cultures, t. 41, 2001, p. 78. 8. Robert Jacob, « Bannissement et rite de la langue tirée au Moyen Âge. Du lien des lois et de sa rupture », dans Annales HSS, t. 55, 2000, p. 1074-1075. 9. La mort civile se déclarait par une condamnation au dernier supplice, au bannissement perpétuel hors du royaume ou par les galères à perpétuité. 10. Pascal Bastien, « La “seconde punition” : quelques remarques sur la confiscation des biens dans la Coutume de Paris au XVIIIe siècle », dans Justice et argent. Les crimes et les peines pécuniaires du XIIIe au XXIe siècle, éd. Benoît Garnot, Dijon, 2005, p. 271-279. 11. « Quand même l’Église pourroit souffrir de pareils mariages, sa tolérance ne pourroit influer sur les effets civils, qu’il faut toujours distinguer du sacrement. C’est assez que l’honneur de la femme soit à couvert, que sa conjonction soit autorisée et que ses enfans passent pour légitimes ; mais pour ce qui concerne les droits successifs et autres qui dépendent des loix civiles, elles les refusent à tout mariage qui choque leur autorité. » (François Richer, Traité de la mort civile, Paris, 1755, p. 234.)

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L’avocat parisien François Richer publiait, en 1755, le premier et seul Traité de la mort civile que l’ancien droit eût produit. Il reprit et réunit les avis des juristes qui l’avaient précédé, compila des arrêts qui avaient, depuis trois siècles, défini le cadre d’une telle condamnation, et proposa des conclusions lorsque la divergence des opinions juridiques et judiciaires engendrait une certaine confusion. « Il faut se rappeler, écrit-il, ce que c’est que la mort civile. C’est la proscription absoluë d’un citoïen ; c’est le retranchement qu’on en fait de la société civile ; c’est un membre qu’on lui arrache ; c’est l’état d’un homme sur le front duquel on imprime une infamie publique ; c’est l’état d’un citoïen avec lequel on défend tout commerce, tout engagement, toute alliance ; c’est l’état d’un homme qu’on retranche du catalogue des vivans ; enfin c’est l’état d’un homme que la société est avertie de ne point connoître pour tel, de le regarder comme étant déjà dans la classe des morts, et qu’on réduit à n’avoir ni patrie ni famille. »12 Avant la mort physique provoquée par l’exécution capitale, aboutissement ultime du processus judiciaire au pénal, la justice royale devait ainsi tuer l’existence sociale du condamné. Le bourreau devait, de fait, exécuter un homme déjà mort. Qu’il s’agisse du galérien, du banni à perpétuité ou du condamné à mort avant son supplice, ces individus avaient cessé d’exister : ils n’avaient de parole qu’une parole infâme, morte, qu’aucun serment ne pouvait plus valider. « La société regarde ceux qui se trouvent dans ce cas comme n’étant pas des êtres vivants, continuait Richer. [C]e n’est plus, à ses yeux, qu’un être sans vie, qui ne communique avec personne et avec qui personne ne communique. »13 Le criminel qui entendait de la bouche du greffier la lecture de son arrêt de mort devenait, de droit, un mort-vivant pris entre deux mondes. À la prononciation de l’arrêt le condamné n’existait plus, sinon pour l’exemple. Il ne parlait plus, sinon à son confesseur. Entre ces deux natures (un corps sans parole et une parole sans corps), entre la justice du roi et celle de Dieu, le mort pouvait cependant aider les vivants à travers le testament de mort, c’est-à-dire le testament d’un mort14. La parole du condamné s’inscrivait alors dans ce testament de mort et pouvait servir d’indices pour le règlement d’autres affaires en cours ; elle avait la force d’une rumeur, jamais celle d’un témoignage15. Indice d’outre-tombe offert à la communauté des vivants. 12. Ibid., p. 159. 13. Ibid., p. 6 et 203. 14. Marie-Yvonne Crépin, « Le chant du cygne du condamné : les testaments de mort en Bretagne au XVIIIe siècle », dans Revue historique de droit français et étranger, t. 70, 1992, p. 491-509. 15. Toute exécution capitale ne produisait pas nécessairement un testament de mort. Il ne se dressait qu’à l’hôtel de Ville, 1) par l’aveu du crime pour lequel le malheureux était condamné, 2) l’aveu d’autres crimes pour lesquels il n’avait pas été accusé, ou 3) par la délation de ses complices ou de coupables d’autres crimes. Le condamné ne signait pas son testament de mort ; un mort ne signe pas. Le greffier seul y apposait sa signature.

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La parole du greffier vainquait la parole du criminel, la bannissait du monde des vivants. « La loi a été appelée un magistrat muet, et le magistrat une loi parlante : c’est à cette loi parlante qu’il appartient seule de prononcer la condamnation du coupable »16. Cette réflexion de François Richer sur la puissance de la parole impérieuse17 est fondamentale puisqu’elle insiste avec justesse sur le lien qu’entretient la parole entre les hommes, et sur le pouvoir de rupture de ces liens qu’incarne le magistrat dans l’ancien droit. Lors de la mort civile, c’est la parole du condamné qui était étouffée par celle du greffier, « porte-parole » du magistrat. Cette parole impérieuse et puissante, avec un verbe toujours à l’indicatif présent dans le texte des arrêts, correspondait avec fidélité au droit romain archaïque qui conférait aux mots du droit le pouvoir d’agir et de « transformer la situation du destinataire »18. Le criminel devenait sacer, banni, hors-la-loi19. On doit bien comprendre que l’arrêt, ici, n’est pas destiné au bourreau, qui y trouverait l’ordre d’agir, mais au condamné, qui cesse alors d’exister et confère au bourreau, en conséquence, la possibilité d’agir. Pour le condamné la parole du greffier fut la véritable source du droit. Mais pour les spectateurs elle fut la mise à jour d’une mémoire judiciaire pour laquelle les normes devaient être actualisées. Puisant dans les pièces de l’instruction, l’arrêt criminel racontait le crime et le saisissait dans un cadre juridique. La lecture du greffier tuait juridiquement l’accusé, nous l’avons vu, mais intégrait aussi le récit dans une mémoire collective. Le récit du crime qui, à la fin du XVIIe siècle, se développa et se compliqua dans la rédaction des arrêts, eut sans doute un impact de première importance dans la formation de la mémoire judiciaire des populations20. Cette mémoire, que la parole du greffier contribua progressi16. F. Richer, Traité de la mort civile…, p. 47. 17. Sur la parole impérieuse, voir Robert Jacob, « Le droit, l’anthropologue et le microscope. Vers une nouvelle anthropologie juridique », dans Le droit sans la justice. Autour du Cap des Tempêtes de Lucien François, éd. Édouard Delruelle et Géraldine Brausch, Bruxelles/Paris, 2004, p. 41-109. 18. Annette Ruelle, « Sacrifice, énonciation et actes de langage en droit romain archaïque (“agone” ?, lege agere, cum populo agere) », dans Revue internationale des droits de l’Antiquité, t. 49, 2000, p. 218. 19. Le sentiment de l’honneur fut, on le sait, la pierre angulaire du système judiciaire français. La condamnation fut une mémoire du déshonneur et la peine, exécutée publiquement, un sceau d’infamie. Le rituel judiciaire de l’exécution fut un rituel laïc d’exclusion : il ne peut s’agir d’un sacrifice, comme une certaine historiographie l’a longtemps suggéré. Le sacrifice est un don à la divinité ; or une communauté ne se débarrasse pas de ses exclus en les offrant à Dieu. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’exécution capitale, à tout le moins dans le cas parisien, ne fut pas une pratique sacrificielle. Elle ne fut ni une vengeance de Dieu, ni un don à Dieu pour la cohésion de la communauté. Elle fut l’élimination d’un déchet social. Sur le sacer on lira, pour les réflexions les plus récentes, Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, 1998 ; Marcel Hénaff, Le prix de la vérité. Le don, l’argent, la philosophie, Paris, 2002, p. 209-268 ; et Robert Jacob, « La question romaine du sacer. Ambivalence du sacré ou construction symbolique de la sortie du droit », dans Revue historique, no 639, 2006, p. 523-588. 20. P. Bastien, L’exécution publique…, p. 17-46.

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vement à former, posait au peuple de Paris les règles de la violence légitime ; on peut penser que la persistance du miracle judiciaire reposa longtemps sur une certaine culture judiciaire que les Parisiens prirent beaucoup de temps à détacher de l’immanence de la justice divine. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, cette parole, en insistant sur la monstruosité du criminel, interdisait, en quelque sorte, le jugement du public envers une sentence dont le prononcé paraissait imposer une obéissance muette. Pour les crimes de lèse-majesté, toujours exceptionnels dans la construction du droit, une condamnation capitale prononçait une mort « rétroactive », c’està-dire qu’elle déclarait nul et non avenu tout acte administratif ou légal contracté depuis le crime : en pareil cas, la mémoire – c’est-à-dire l’existence même du sujet – était retranchée dès la faute commise (qui n’attendait donc pas la justice pour être punie). Mais pour tout autre crime, cependant, aucune peine n’était encourue ipso facto ; il fallait que le jugement fût prononcé par le dépositaire de la justice du souverain pour que le châtiment pénétrât le champ du droit. Et une fois qu’il était prononcé, rien ne pouvait le renverser, si ce n’étaient des lettres du roi scellées en forme de charte21. « La loi l’a jugé digne de mort en connoissance de cause, nous rappelle encore Richer : elle ne peut plus le connoître pour un homme vivant. S’il en était autrement, ce seroit faire dépendre de la négligence d’un bourreau, ou d’autres motifs encore plus criminels, le merum imperium, ce droit de glaive que le souverain a remis à la justice pour la punition, la proscription et la mort civile des coupables »22.

III. — FRONTIÈRES Christian Biet a déjà insisté sur les liens étroits entre le droit et la littérature et, surtout, sur les différentes et importantes relations qu’entretinrent les fictions juridiques et littéraires sous l’Ancien Régime23. La « fiction de droit » fut un concept juridique important dans la définition de la norme à l’époque moderne. Elle constituait une « extension de la norme à ce qui n’avait pas été prévu par la loi à l’origine »24, mais qui n’en restait pas moins vraie, absolue, cohérente et efficace. Elle fut, très clairement, une représentation du réel pour encadrer et éclairer le droit et l’arbitraire des magistrats. « La mort civile est une fiction, 21. Jacques Foviaux, La rémission des peines et des condamnations. Droit monarchique et droit moderne, Paris, 1970. 22. F. Richer, Traité de la mort civile…, p. 155-156. 23. Christian Biet, Droit et littérature sous l’Ancien Régime. Le jeu de la valeur et de la loi, Paris, 2002, p. 143-171. 24. Ibid., p. 146.

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écrivait François Richer au début de son Traité, par laquelle on regarde celui qui l’a encourue comme mort naturellement. Or c’est une maxime certaine, en matière de fiction, qu’elle doit tellement imiter la vérité et en prendre les apparences que la fiction disparaisse »25. La mort civile prononcée – et exécutée – par le greffier désintégrait le lien social et conduisait, à travers cette rupture de la parole, à une sortie du droit. Le mort civil fut même moins qu’un mort puisque la sépulture lui était interdite. C’était déjà un corps qui n’avait plus de place, c’était une parole de l’ailleurs qui n’avait plus de souffle (mais que le testament de mort pouvait recueillir en dernière instance). La société des hommes est celle de la parole, du lien, et il était impératif d’en faire sortir le condamné avant que la justice ne pût légitimement s’exercer sur lui et qu’elle pût laisser agir le bourreau. La parole et le mort civil qui en était privé paraissent fondamentaux, et indispensables, à la conception et à la réalisation de la justice royale à l’époque moderne. La théorie juridique rend ici possible la pratique judiciaire : la mort civile fut une exclusion du monde de la parole, la construction juridique d’un non-droit à qui la justice criminelle du roi devait une grande part de sa cohésion. C’est, me semble-t-il, à cette sortie du droit que l’exercice de la violence devient possible. C’est dans ce cadre que le greffier constitua sans doute le principal acteur, le véritable exécuteur, de la justice criminelle d’Ancien Régime. Pascal BASTIEN Université du Québec à Montréal

25. F. Richer, Traité de la mort civile…, p. 28.

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ANNEXE

Procès-verbal d’exécution d’Étienne Lamourgues 1724, 12 août. — [Paris]. Source : Minute. Archives nationales, X2B 1333, papier.

L’an 1724 le 12e aoust onze heures du matin nous, Barthélemy Robert Drouet, greffier criminel de la cour de Parlement, nous sommes transportés ez prisons de la conciergerie du Pallais où estant, avons prononcé à Estienne Lamourgues, prisonnier accusé, l’arrest qui vient d’estre contre luy rendu, qui le condamne à la roue, et l’avons interpellé de déclarer ses complices, si aucuns il a, luy ayant donné à entendre que messieurs les commissaires se transporteroient ez dites prisons pour y recevoir ses déclarations si aucunes il a à faire. A dict qu’il avoit déjà déclaré et dict la vérité, sur quoy l’avons remis ez mains de son confesseur et nous sommes retirés, et avons signés. DROUET. Et ledit jour sur les trois heures de relevée nous, greffier susdit, nous sommes transportés ez prisons de la conciergerie du Pallais pour donner les ordres nécessaires pour l’execution dudit arrest et nous ayant esté rapporté par plusieurs archers qu’ils ne croyoient pas que nous pussions faire actuellement executter l’arrest faute d’échaffaut dressé en la place de Grève, nous aurions envoyé sur le champ l’un d’eux pour s’asseurer positivement de la chose et nous en rendre compte, lequel revenu nous auroit dit qu’il n’y avoit n’y échaffaut n’y apparence d’échaffaut ce qui nous ayant étonné d’autant plus que nous en avions delivré l’ordre ce matin par écrit au charpentier de la Cour, serions monté au greffe de la cour par-devant messieurs les commissaires leur en donner avis. Et en mesme temps aurions envoyé sur le champ un exprès chez le charpentier de la cour et messieurs les commissaires nous auroient chargé de nous faire informer de la cause de ce retardement et d’une indécence pareille, et ayant envoyé a plusieurs fois differentes sçavoir si l’échaffaut estoit planté et ce qui empeschoit l’exécution de l’arrest de la cour, on nous auroit donné avis sur les sept heures de relevée que l’échaffaut venoit dans le moment d’estre planté, ce qui auroit fait que nous nous serions transporté en ladite conciergerie pour donner le surplus

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des ordres nécessaires pour l’exécution de l’arrest de mort, serions entré en la chappelle de la conciergerie du Pallais assisté de messieurs les huissiers de la cour, où nous nous sommes approché dudit Estienne Lamourgue et luy avons demandé en particulier s’il n’avoit aucune déclaration et révélation à faire à justice touchant ses complices, luy ayant donné à entendre que messieurs les commissaires descendroient en ladite chapelle recevoir ses déclarations, si aucunes il avoit à faire. Il nous avoit répondu qu’il avoit dit la vérité et n’avoit rien davantage à dire, ce dont nous aurions donné avis à messieurs les commissaires, et ensuitte les prières chantées et la bénédiction du saint sacrement donnée, avons, assisté comme dessus, fait conduire ledit Lamourgues à la porte des prisons de la conciergerie du Pallais, où nous avons prononcé en présence du peuple l’arrest de condamnation rendu contre ledit Estienne Lamourgues, le cry préalablement fait en la manière accoustumée par l’exécutteur de la haute justice, et de là ledit Lamourgues conduit en la place de Grève. Poisson, le charpentier de la cour, nous auroit esté amené et nous auroit paru rendre mauvais compte de sa conduitte, espris de vin, ce qui auroit fait que pour empescher que l’arrest n’eut aucune interruption nous aurions ordonné qu’il fut conduit à l’hostel de Ville pour après l’execution dudit arrest, estre par nous rendu compte à messieurs les commissaires de tout ce que dessus et estre par eux statué et ordonné en ce que ils jugeront bon estre, et à l’instant l’arrest derechef par nous prononcé en présence du peuple, le cry pareillement fait par l’exécutteur de la haute justice en la manière accoustumée. Avant par ledit Lamourgue de monter sur l’échaffaut, nous serions approché de luy pour sçavoir s’il n’avoit aucune déclaration à faire à justice touchant ses complices, luy ayant donné à entendre que messieurs les commissaires s’étoient exprès transporté à l’hostel de Ville pour y recevoir ses déclarations si aucunes il avoit à faire. Il nous auroit déclaré tout hault qu’il n’avoit rien davantage à dire, qu’il avoit reconnu la vérité, et à l’instant ledit Lamourgues monté sur l’échaffaut, le Salve Regina chanté, l’arrest de condamnation à la roue contre luy rendu a esté entièrement exécutté, sous la modiffication du retentum ; et ensuitte, assisté comme dessus, sommes montés à l’hotel de Ville pour rendre compte à messieurs les commissaires de ce que nous avions cru à propos de faire au sujet du charpentier de la cour et de tout ce que dessus et avons signé, fait ledit jour, mois et an. DROUET.

DU CASIER JUDICIAIRE AUX FICHIERS DE POLICE : LA MISE EN MÉMOIRE DES DONNÉES EN MATIÈRE PÉNALE PAR

CAMILLE VIENNOT

L’étude de la conservation des données en matière pénale nécessite de définir au préalable les raisons juridiques et pratiques qui imposent cette mise en mémoire. Intuitivement, il semble évident de conserver les éléments relatifs aux décisions judiciaires. Une analyse approfondie implique pourtant d’envisager les arguments qui rendent nécessaire la conservation des données relatives aux infractions pénales commises. Les premiers ont trait à la mise en œuvre de la réponse judiciaire, d’autres à la nécessité d’assurer l’efficacité des enquêtes de police. On peut tout d’abord observer une influence de la conservation de ces données sur les décisions prises par les autorités judiciaires. Ainsi, l’orientation des affaires pénales, c’est-à-dire le choix fait par le parquet de la procédure mise en œuvre pour répondre à une infraction, est influencée par cette mise en mémoire. En effet, l’un des objectifs de la politique pénale actuelle est la gradation de la réponse aux infractions consistant à accroître la sévérité de la sanction à chaque fois qu’un même individu est confronté à la justice pénale1. La procédure ainsi choisie dépend donc bien de la connaissance des faits commis antérieurement. De même, la mise en mémoire des infractions pénales antérieures a aussi une incidence sur la décision des juridictions pénales. Les règles relatives à la récidive légale2, par exemple, influent sur la peine encourue par l’auteur de l’infraction. Même si cette notion est relativement complexe3, il est dans tous les cas nécessaire de connaître à la fois la date ainsi que la qualification juridique des faits commis antérieurement afin de déterminer si un individu se trouve ou non en état de récidive. De plus, la conser1. On commencera, par exemple, par prononcer des mesures alternatives aux poursuites, comme une médiation ou un stage de sensibilisation pour un primo-délinquant, avant de citer quelqu’un à comparaître devant un tribunal correctionnel. 2. Voir les articles 132-8 et suivants du Code pénal.

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vation des données pénales revêt une importance plus grande encore depuis l’instauration par la loi du 5 mars 2007 de peines privatives de liberté a minima4, dites « peines-planchers », pour les récidivistes. On comprend donc, à travers ces différents dispositifs, que la mise en mémoire des données relatives aux réponses juridictionnelles et jugements antérieurs, notamment à travers le casier judiciaire, se révèle fondamentale. Néanmoins, la mise en mémoire des données pénales débute bien avant l’intervention de l’institution judiciaire en pratique, puisqu’elle est possible dès l’enquête des services de police et de gendarmerie. En effet, afin de faciliter la recherche des auteurs d’infractions, des fichiers informatisés dits « fichiers de police »5 se sont développés en parallèle du dispositif du casier judiciaire. Ces instruments permettent de conserver, retraiter ou rapprocher des informations6 tout en évoluant au gré des nouvelles technologies, permettant ainsi de conserver des données de plus en plus nombreuses et extrêmement variées7. Si le développement des dispositifs permettant la mise en mémoire de données en matière pénale repose donc sur des fondements juridiques et pratiques certains, ce mouvement va cependant de pair avec la naissance de critiques relatives aux risques pesant sur le respect des droits et libertés individuelles8. La création de ces fichiers pose, en effet, des questions relatives aux conditions de leur consultation ainsi qu’aux durées et modalités de conservation des renseignements qui y sont contenus. L’instauration de ces mécanismes apparaît évidemment nécessaire, mais leur mise en œuvre concrète peut parfois se révéler problématique. L’étude de la conservation des données en matière pénale implique donc l’analyse des deux principaux types de mise en mémoire : le casier judiciaire et les fichiers de police. 3. Un individu ne se trouve en état de récidive légale que lorsque certaines conditions légales sont remplies. On prend en compte la nature de la première et de la deuxième infraction pour connaître la durée pendant laquelle l’individu est susceptible de se trouver en récidive ainsi que pour déterminer l’aggravation de la peine applicable. 4. Voir les articles 132-18-1, 132-19-1, 132-20 et 132-24 du Code pénal créés par la loi n° 20071198 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs du 5 mars 2007. 5. Pour un aperçu des différents fichiers de police, voir notamment : Céline Huriel et Étienne Drouard, « Les fichiers de police », dans Gazette du Palais, 29 septembre-30 septembre 2006, p. 59 ; Virginie Gautron, « La prolifération incontrôlée des fichiers de police », dans Actualité juridique. Pénal, n° 2, 2007, p. 57-61 ; Isabelle Mandraud, « Sécurité. Des citoyens de plus en plus fichés », dans Le Monde, 6 mai 2008, p. 18. 6. Voir Pierre-Yves Marot, « Fonctions et mutations des fichiers de police », dans Actualité juridique. Pénal, n° 2, 2007, p. 61-64 ; Renaud Vedel, « Le rôle des fichiers dans l’action opérationnelle des services de sécurité intérieure », dans Actualité juridique. Pénal, n° 2, 2007, p. 64-68. 7. Des progrès techniques considérables ont, en effet, permis, entre autres, le passage de la conservation de données uniquement nominatives à des données biométriques ou génétiques. 8. Voir, par exemple, François Giquel, « La CNIL exerce-t-elle un contrôle des fichiers de police suffisant ? », dans Actualité juridique. Pénal, n° 2, 2007, p. 69-70. Voir aussi les Rapports annuels de la CNIL.

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I. — LE CASIER JUDICIAIRE, UNE MÉMOIRE EN EXTENSION Inspiré des sommiers judiciaires9 et proposé en 1848 par Bonneville de Marsangy, le casier judiciaire était, à l’origine, fondé sur la centralisation des antécédents judiciaires au greffe du tribunal du lieu de naissance. Progressivement, les casiers locaux furent remplacés par le casier national informatisé qui se trouve aujourd’hui à Nantes10. Nous étudierons successivement le contenu, les destinataires et les mécanismes d’effacement du casier judiciaire11. Les informations susceptibles d’être inscrites au casier judiciaire sont nombreuses puisqu’il comprend notamment12 les condamnations pénales pour crimes, délits et contraventions, les mesures éducatives, sanctions éducatives et peines applicables aux mineurs, les compositions pénales13 mais aussi certaines décisions disciplinaires14 prononçant la liquidation judiciaire ou la faillite personnelle ou le retrait de l’autorité parentale, les arrêtés d’expulsion pris à l’encontre des étrangers et certaines décisions des juridictions étrangères15. Le contenu du casier judiciaire est donc extrêmement varié et n’est pas limité aux seules condamnations pénales puisqu’il contient des décisions de nature administrative ou disciplinaire ainsi que des mesures qui ne constituent pas des peines au sens strict. L’évolution du contenu du casier judiciaire est ainsi marquée par un élargissement de son champ d’application à des mesures qui présentent soit un caractère non pénal soit un niveau de gravité inférieur aux peines. L’extension de la mémoire judiciaire à travers le casier est aussi perceptible quant aux données contenues et quant à ses destinataires. Ces deux 9. Les sommiers judiciaires correspondent au registre général des condamnations prévu par les articles 600 et 602 du code d’instruction criminelle de 1808 et comprenant l’ensemble des condamnations prononcées en France. Tenus par la préfecture de police, ils étaient initialement composés de registres puis de fiches cartonnées classées par ordre alphabétique. C’est de ce système que s’est inspiré Bonneville de Marsangy pour créer le casier judiciaire. Pour plus de détails, voir Jean-Marc Berlière, « Sommiers judiciaires », dans Histoire et dictionnaire de la police du Moyen Âge à nos jours, dir. Michel Aubouin, Arnaud Teyssier et Jean Tulard, Paris, 2005, p. 870. 10. Pour une approche historique de la création du casier judiciaire, voir André Giacopelli, Répertoire pénal Dalloz, article « Casier judiciaire », février 2003, 20 p. 11. Les dispositions relatives au casier judiciaire figurent aux articles 768 à 781 du Code de procédure pénale. 12. Voir l’article 768 du Code de procédure pénale pour plus de détail. 13. La composition pénale est une alternative aux poursuites. Elle permet le prononcé de différentes sanctions (amende de composition, remise d’un permis, stage, etc.) à l’encontre d’une personne qui reconnaît avoir commis une infraction punie d’une peine d’amende ou d’une peine privative de liberté inférieure ou égale à cinq ans. 14. Il s’agit des décisions prononcées par l’autorité judiciaire ou administrative lorsqu’elles entraînent ou édictent des incapacités. 15. Il s’agit des décisions qui ont été communiquées aux autorités françaises en raison d’un accord ou d’une convention internationale ou qui ont été exécutées en France.

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éléments sont en effet intimement liés puisqu’il existe trois catégories de bulletins du casier auxquelles correspondent en fait trois catégories de destinataires et trois degrés différents de mise en mémoire. Le bulletin numéro 1 ou « B1 » est destiné aux seules autorités judiciaires et comporte l’intégralité des fiches du casier. Deux ajouts importants à ce bulletin ont été effectués par la loi du 9 septembre 200216 : les mesures et sanctions éducatives prononcées à l’encontre des mineurs (sanctions pénales d’une gravité inférieure aux peines susceptibles d’être prononcées par une juridiction de jugement)17 et les compositions pénales (pourtant classées dans les alternatives aux poursuites pénales, auparavant non inscrites au casier). En ajoutant désormais ces renseignements au bulletin numéro 1, ces mesures semblent avoir perdu un peu de leur spécificité et leur caractère répressif s’est trouvé considérablement renforcé. Le bulletin numéro 2 ou « B2 » est un relevé partiel des fiches puisque les sanctions pénales considérées comme les moins graves en sont exclues18. Ainsi, les condamnations en matière de contravention, prononcées avec dispense de peine ou relatives à certains délits en matière de concurrence et pratiques commerciales prohibées, par exemple, n’y sont pas mentionnées. Le bulletin numéro 2 ne peut être délivré qu’aux administrations et autorités énumérées par la loi et le règlement. On dénombre aujourd’hui un nombre important de destinataires du bulletin numéro 219 16. Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice ; circulaire d’application des dispositions du décret n° 2005-267 du 30 mai 2005 et du 25 octobre 2005. 17. Les mesures éducatives et des sanctions éducatives sont prévues par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Elles sont décidées à la suite de la commission d’une infraction, mais sont moins lourdes que les peines et visent aussi la protection du mineur. Il s’agit, par exemple, d’une admonestation, d’une remise aux parents ou aux services de l’assistance à l’enfance, d’un placement dans un établissement d’éducation, de formation ou dans un institut médical, d’une mesure d’activité de jour, etc. 18. L’article 775 du Code de procédure pénale précise que les mentions relatives aux décisions suivantes sont exclues : les décisions prononçant des mesures éducatives, sanctions éducatives et peines à l’encontre des mineurs, les condamnations dont la mention au bulletin numéro 2 a été expressément exclue par une juridiction, les condamnations prononcées pour des contraventions de police, les condamnations assorties du bénéfice du sursis (avec ou sans mise à l’épreuve) lorsqu’elles sont considérées comme non avenues (sauf si le suivi socio-judiciaire ou la peine d’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs ont été prononcés), les condamnations ayant fait l’objet d’une réhabilitation, les dispositions prononçant la déchéance de l’autorité parentale, les arrêtés d’expulsion abrogés ou rapportés, les condamnations à des peines alternatives à l’emprisonnement (jour-amende, stage de citoyenneté, interdictions et déchéances, etc.) à l’expiration d’un certain délai prévu selon la mesure, les condamnations assorties d’une dispense de peine ou d’un ajournement du prononcé de la peine, les condamnations prononcées par des juridictions étrangères, les compositions pénales, les condamnations prononcées pour certains délits relatifs à la concurrence et aux pratiques commerciales prohibées. 19. Selon l’article 776 du Code de procédure pénale, le bulletin numéro 2 peut être délivré aux préfets et aux administrations publiques de l’État pour motif d’emplois publics, distinctions hono-

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permettant ainsi sa consultation dans des situations variables comme l’accès à un emploi public, l’obtention d’une distinction honorifique, une demande d’agrément en vue d’adoption, d’autorisation de port d’arme ou d’un titre de séjour, etc. Le bulletin numéro 3 ou « B3 », enfin, a un champ encore plus restreint. Il n’est délivré qu’à son titulaire grâce à une demande d’obtention d’un extrait de casier judiciaire, document qu’il pourra ensuite délivrer aux différentes personnes susceptibles de le lui demander. Le bulletin numéro 3 ne porte mention que des sanctions les plus graves comme les peines privatives de liberté supérieures à deux ans (ou d’une durée inférieure si le tribunal l’a estimé nécessaire), les interdictions, déchéances ou incapacités (mais seulement pendant la durée d’exécution de ces mesures) et, enfin, les interdictions de pratiquer une activité en contact avec les mineurs. Pour chacun des bulletins, les informations contenues et les destinataires du casier judiciaire sont donc expressément énumérés par la loi. La communication des données qu’il contient est différenciée selon la légitimité des destinataires à obtenir certaines informations. Aussi est-il logique que les autorités judiciaires aient une vision complète des fiches du casier à travers le bulletin numéro 1. Cette « échelle légale », classant les différentes catégories de destinataires, vise ainsi à protéger le citoyen contre un accès trop large ou indu à certaines informations mais on observe en parallèle une tendance à l’accroissement du nombre de personnes et de situations susceptibles d’entraîner une telle consultation, principalement à travers le bulletin numéro 2. Comme les dispositions relatives aux informations contenues ou aux destinataires du casier, l’évolution des mécanismes d’effacement de ces données tend à accroître son champ d’application. En effet, la mise en mémoire par le casier judiciaire n’a pas été conçue comme éternelle et on a reconnu au condamné, sous différentes formes, un « droit à l’oubli »20. Les mentions du casier disparifiques, marchés publics, poursuites disciplinaires, ouverture d’une école privée, demandes d’agrément, aux autorités militaires ainsi qu’aux autorités publiques compétentes en cas de contestation en matière électorale, aux administrations et personnes morales dont la liste sera déterminée par décret en Conseil d’État ainsi qu’aux administrations ou organismes chargés du contrôle de l’exercice de certaines activités professionnelles ou sociales, aux présidents des tribunaux de commerce en cas de procédures de faillite et de règlement judiciaire, aux présidents de conseils généraux saisis d’une demande d’agrément en vue d’adoption et à certains dirigeants d’organismes à destination des mineurs dans le cadre d’un recrutement. Cette liste est largement complétée par celle de l’article R79 du même Code, déterminée par décret qui permet la communication du bulletin numéro 2 à certaines autorités publiques qui accordent des autorisations ou habilitations dans des domaines extrêmement divers : police des étrangers, anciens combattants, représentations professionnelles, détention d’armes, gardiennage, surveillance, transport de fonds, bourse, concurrence, etc. 20. Sylvie Grunvald, « Casier judiciaire et effacement des sanctions : quelle mémoire pour la justice pénale ? », dans Actualité juridique. Pénal, n° 10, 2007, p. 416-419.

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raissent, en effet, automatiquement, ou sur demande de l’intéressé, à certaines conditions précisées par la loi21. Analysons ces mécanismes d’effacement qui ont, d’ailleurs, connu des évolutions importantes. La réhabilitation peut être judiciaire22, c’est-à-dire faire suite à une décision de justice, ou bien être légale23. Cette dernière entraîne l’effacement des peines de façon automatique quand deux conditions sont réunies : il faut que la peine (inférieure à dix ans d’emprisonnement) ait été exécutée ou soit prescrite et qu’un certain délai, qui varie entre 3 à 10 ans selon la gravité de la sanction24, se soit écoulé sans que l’individu ait été à nouveau condamné. La réhabilitation judiciaire permet au condamné de demander à la chambre de l’instruction, après l’écoulement de délais un peu plus courts25, sa réhabilitation mais celle-ci doit alors lui être accordée par la juridiction puisqu’elle n’est pas automatique. Lorsque la réhabilitation est acquise, la condamnation était jusque récemment complètement effacée du casier mais un changement important est intervenu sur ce point par la loi du 5 mars 200726 : depuis lors, les condamnations demeurent inscrites au bulletin numéro 1 du casier27. La réhabilitation, judiciaire ou légale, n’entraîne donc plus d’effacement total du casier judiciaire28, sauf si une juridiction a expressément ordonné cette suppression. Une loi plus ancienne, dite Perben II, du 9 mars 200429, avait aussi modifié, dans le sens d’une conservation plus longue, les dispositions relatives aux mineurs. En effet, ces mécanismes qui prévoyaient, dans certains cas, 21. L’article 769 alinéa 2 du Code de procédure pénale dispose que les fiches relatives à des condamnations effacées par une amnistie ou réformées à la suite d’une décision de rectification du casier judiciaire sont effacées du casier. Il y est ajouté ensuite que les fiches relatives à des condamnations prononcées depuis plus de quarante ans (sauf pour des faits imprescriptibles) sont aussi effacées. 22. Voir les articles 782 à 799 du Code de procédure pénale. 23. Voir les articles 133-12 à 133-17 du Code pénal. 24. Voir l’article 133-13 du Code pénal qui dispose que la réhabilitation légale est acquise de plein droit, si aucune condamnation nouvelle n’a été subie, après un délai de : trois ans pour les peines d’amende, jours-amendes et contrainte judiciaire ; cinq ans pour les condamnations à un emprisonnement d’une durée inférieure à un an et les autres peines que de l’emprisonnement ferme ; dix ans pour les condamnations inférieures à dix ans d’emprisonnement. 25. Voir l’article 786 du Code de procédure pénale qui précise que la demande de réhabilitation ne peut être formée qu’après un délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle, de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle et d’un an pour les condamnés à une peine contraventionnelle. 26. Loi n° 2007-1198 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs du 5 mars 2007. 27. Voir les modifications apportées à l’article 769 alinéa 2 par cette loi qui supprime « les condamnations effacées par la réhabilitation légale ou judiciaire » de cette disposition prévoyant le retrait de certaines fiches du casier. 28. Ce qui permet principalement l’application des règles de la récidive légale dans les cas où l’auteur a été réhabilité. 29. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

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l’effacement automatique de certaines sanctions pénales à l’âge à la majorité ont été supprimés pour s’aligner sur le droit commun30. Le recours à l’amnistie, enfin, a aussi évolué dans un sens restrictif. En effet, depuis les années 1980, le nombre d’infractions exclues de l’amnistie consécutive à l’élection présidentielle31 s’est progressivement accru32 jusqu’à sa suppression, en 200733. Qu’il s’agisse de la réhabilitation, des dispositions relatives aux mineurs, ou de l’amnistie, nous assistons, ces dernières années, à une limitation des dispositifs d’effacement du casier du fait de l’évolution de la politique criminelle. De manière générale, l’étude des différentes dispositions relatives au casier judiciaire et de leurs évolutions récentes est donc marquée par un accroissement significatif de la mémoire de l’institution judiciaire à travers l’accroissement des données qui y sont inscrites, l’extension des éventuels destinataires des informations qui y sont contenues et enfin, par l’affaiblissement des principaux mécanismes d’effacement de ces données. Ce dispositif voit donc son champ s’étendre avec, cependant, une garantie évidente : l’inscription d’une mention au casier n’est possible que pour les infractions ayant fait l’objet d’une décision d’une autorité judiciaire (ou administrative dans de certains cas). Or, ce n’est pas nécessairement le cas d’autres systèmes de conservation de données en matière pénale.

II. — LES FICHIERS DE POLICE, UNE MÉMOIRE DEVENUE INCONTOURNABLE Un autre type de mise en mémoire des informations en matière pénale est venue récemment compléter le dispositif du casier34. Regroupés sous l’appellation de « fichiers de police », il s’agit de systèmes de données informatisés appartenant aux ministères de l’Intérieur et de la Défense. Ces fichiers sont extrêmement variés35 et nous nous limiterons ici aux principaux. 30. Avant cette loi les peines d’amende et d’emprisonnement d’une durée inférieure à deux mois ainsi que les mesures et sanctions pénales spécifiques aux mineurs étaient effacées à la majorité et les peines prononcées avec sursis ou assorties d’un travail d’intérêt général prononcées à l’encontre des mineurs étaient effacées lorsque le délai d’épreuve était écoulé. Voir l’ancien article 769-2 du Code de procédure pénale, abrogé par la loi du 9 mars 2004. 31. Il s’agit de la forme d’amnistie la plus connue mais non la seule. Pour une présentation des différentes manifestations possibles de l’amnistie, voir Jean Danet, Sylvie Grundvald, Martine Herzog-Evans et Yvon Le Gall, Prescription, amnistie et grâce en France, rapport de recherche GIP Mission Droit et justice, 2006. 32. Fréderic Desportes et Francis Le Gunehec, Droit pénal général, 14e éd., Paris, 2007, p. 1001-1002. 33. Luc Bronner, « L’Élysée confirme l’absence d’amnistie routière », dans Le Monde, 25 mai 2007, p. 8. 34. On pourrait même se demander, à l’instar de la CNIL, s’il ne s’agit pas plutôt de « casiers judiciaires parallèles ». Voir CNIL, 26e rapport d’activité, 2005, p. 93-94. 35. Pour un panorama de ces fichiers voir les références citées en n. 5 ainsi que le « Rapport de l’Observatoire national de la délinquance », dans Alain Bauer, Fichiers de police et de gendarmerie : comment améliorer leur contrôle et leur gestion ?, Paris, 2006.

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Les deux fichiers de police les plus connus sont le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées) pour la police judiciaire et son homologue, pour la gendarmerie, le JUDEX (système JUdiciaire de Documentation et d’EXploitation). Ces deux fichiers, qui devraient prochainement fusionner36, comprennent des éléments relatifs aux enquêtes ouvertes par les services de police et de gendarmerie concernant à la fois des « personnes mises en cause » dans une enquête et des personnes condamnées dans une affaire pénale. Or ces deux notions sont différentes en substance : celle de « personne mise en cause » se rapporte à des individus qui n’ont pas nécessairement été reconnus coupables d’une infraction par un tribunal mais à l’encontre desquelles il a existé, au cours d’une enquête, des indices de participation à une infraction. En conséquence, l’inscription dans les fichiers STIC et JUDEX comporte un danger potentiel : celui de stigmatiser ou, du moins, d’orienter l’opinion d’un enquêteur à l’égard des individus fichés alors même que ces personnes auront pu être relaxées ou acquittées par une juridiction, ou n’avoir jamais été poursuivies. En principe, cette situation ne devrait pas se produire car les textes prévoient des mécanismes de mise à jour des fichiers de police. Cependant, ces dispositions se révèlent souvent largement théoriques car l’effacement des informations contenues dans le STIC ou le JUDEX suppose une demande expresse du procureur de la République37. Ce type de fichage implique donc un risque important, en pratique, celui de laisser planer le doute quant à la culpabilité d’un individu. En outre, les données conservées ne sont pas seulement relatives aux mis en cause : ces deux fichiers comprennent aussi des informations relatives aux victimes d’infraction, ce qui, au regard de la durée de conservation relativement longue des données, peut paraître surprenant. En effet, le champ ratione temporis des fichiers STIC et JUDEX est tout aussi large que son champ ratione personae dans la mesure où les informations sont, en règle générale, conservées quinze ans en ce qui concerne les victimes et vingt ans (et jusqu’à quarante ans pour certaines infractions) pour les mis en cause. Enfin, l’accroissement considé36. Le STIC et le JUDEX devraient fusionner pour constituer le fichier ARIANE (Application de Rapprochements d’Identification et d’ANalyse pour les Enquêteurs) conformément à ce qui était envisagé par la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. 37. Voir l’article 21 III de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui dispose que « le traitement des informations nominatives est opéré sous le contrôle du procureur de la République compétent qui peut demander qu’elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire. La rectification pour requalification judiciaire est de droit lorsque la personne concernée la demande. En cas de décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien pour des raisons liées à la finalité du fichier, auquel cas elle fait l’objet d’une mention. Les décisions de non-lieu et, lorsqu’elles sont motivées par une insuffisance de charges, de classement sans suite font l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données personnelles ».

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rable, depuis leur création38, des catégories de personnes susceptibles de les consulter contribue à une extension importante de la mise en mémoire des données à travers ces deux fichiers. Depuis ces dernières années, le STIC peut en effet être interrogé par des autorités administratives39 dans des circonstances extrêmement diverses comme, par exemple, l’habilitation d’une personne à exercer des missions de sécurité ou de défense, en cas de demandes d’acquisition de la nationalité française, de délivrance de titre de séjour, en cas de promotion dans les ordres nationaux, etc. L’extension récente de la consultation du STIC au profit de ces autorités a été fortement contestée en raison des risques d’erreur qu’elle induit. Certaines personnes se sont ainsi vues refuser un emploi ou ont été licenciées en raison de leur signalement dans le fichier STIC alors que les informations contenues étaient erronées ou conservées bien plus longtemps que prévu40. Du fait du nombre important de personnes susceptibles d’avoir accès à ces fichiers (soit près de 100 000 personnes en décembre 2008 pour le STIC41) et fichées (5,5 millions de personnes mises en causes, 28 millions de victimes42), le STIC devient donc de facto un instrument incontournable de la mise en mémoire des données en matière pénale et ce, malgré un taux d’erreur relevé par la CNIL très important43 et certaines dérives régulièrement soulignées. Le FNAEG (Fichier NAtional des Empreintes Génétiques) a été constitué44, à l’origine, pour conserver les empreintes génétiques des délinquants 38. Bien qu’il existât depuis plusieurs années, le STIC a été légalisé par le décret n° 2001-583 du 5 juin 2001 portant création du système de traitement des infractions constatées. 39. Dispositif prévu par les lois n° 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne, et n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure. Sur la consultation par les autorités administratives de ces fichiers, voir Alain Bauer et Christophe Soullez, « Fichiers de police et de gendarmerie utilisés à des fins administratives : un meilleur contrôle pour une plus grande efficacité », dans Actualité juridique. Pénal, n° 2, 2007, p. 70-73. 40. Voir les nombreux exemples cités dans CNIL, 26e rapport d’activité, 2005, p. 93 ou CNIL, 28e rapport d’activité, 2007, p. 37. 41. Voir le site internet de la CNIL : http://www.cnil.fr/index.php ?id=1813 [Consulté le 1er juillet 2008]. 42. Chiffres issus du site internet de la CNIL http://www.cnil.fr/dossiers/police-justice/lesgrands-fichiers/article/34/stic-systeme-de-traitement-des-infractions-constatees/ [consulté le 1er septembre 2009] : « En décembre 2008, le STIC recensait : 36 500 000 de procédures, 37 911 000 infractions, 5 552 313 individus mis en cause, 28 329 276 victimes, 10 millions d’objets ». 43. Voir le « Bilan des 2 458 vérifications effectuées dans les fichiers STIC et JUDEX pour les demandes clôturées en 2007 » dans CNIL, 28e rapport d’activité, 2007, p. 36. Les derniers chiffres parus sont plus alarmants puisque, selon la CNIL, « Lors de ses investigations en 2008 dans le fichier STIC, la CNIL a constaté que pour les mis en cause : 17 % des fiches étaient exactes, 66 % ont été modifiées et 17 % supprimées ». Voir http://www.cnil.fr/dossiers/police-justice/les-grands-fichiers/article/34/sticsysteme-de-traitement-des-infractions-constatees/ [consulté le 1er septembre 2009]. 44. Création par la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Ce fichier est régi par les articles 706-54 à 706-56-1 du Code de procédure pénale.

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sexuels. Il comprend lui aussi des informations relatives aux personnes mises en cause dans une enquête pour lesquelles la conservation des données est de vingt ans et aux personnes condamnées pour lesquelles la durée de conservation est portée à quarante ans. Une des évolutions marquantes de ce fichier consiste en son extension au cours de ces dernières années. Le fichage au FNAEG a, en effet, été étendu d’abord à d’autres infractions considérées comme graves, puis à la plupart des délits45. Le fichage est donc devenu possible pour des infractions qui peuvent paraître mineures comme, par exemple, un vol à l’étalage ou une bagarre entre mineurs. La mise en mémoire des données génétiques peut alors être décidée par les autorités judiciaires mais aussi policières46 et est obligatoire dans la mesure où le refus de prélèvement d’ADN est un délit47. Du fait des extensions récentes de son champ d’application, le FNAEG est ainsi passé d’environ 4 000 personnes fichées en 2003 à un peu plus de 800 000 en 200848. La méthode consistant à étendre un mécanisme applicable aux délinquants sexuels à d’autres infractions a aussi été utilisée pour le FIJAIS (FIchier Judiciaire national automatisé des Auteurs d’Infractions Sexuelles et violentes). Créé en 200449, le FIJAIS avait comme finalité initiale de prévenir le renouvellement des infractions sexuelles mais son champ d’application a aussi été largement accru à d’autres infractions graves50. Contrairement aux autres fichiers, l’inscription au FIJAIS découle nécessairement d’une décision juridictionnelle et, en conséquence, seule l’identité de personnes condamnées peut être inscrite dans ce fichier. Le FIJAIS présente aussi une spécificité du fait des obligations qui pèsent 45. Le champ d’application du FNAEG a été modifié par les lois n° 2001-1160 du 15 novembre 2001, n° 2003-239 du 18 mars 2003, n° 2004-204 du 9 mars 2004, n° 2005-1550 du 12 décembre 2005. Pour une liste exhaustive des infractions rendant possible le fichage au FNAEG, voir l’article 706-55 du Code de procédure pénale. Cette inscription est désormais possible pour de nombreuses infractions contre les personnes (violences volontaires, menaces, trafics de stupéfiants, proxénétisme, exploitation de la mendicité, etc.) ou les biens (vols, escroqueries, extorsions, détériorations, recels, blanchiments, etc.) qui dépassent largement le champ des infractions sexuelles. 46. Article 706-54 du Code de procédure pénale. 47. Délit prévu à l’article 706-56 II puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Les peines encourues sont d’ailleurs accrues dans certaines circonstances particulières. 48. Chiffre disponible sur le site internet de la CNIL : http://www.cnil.fr/dossiers/policejustice/les-grands-fichiers/article/34/fnaeg-fichier-national-des-empreintes-genetiques/ [consulté le 1er septembre 2009]. 49. Le FIJAIS a été créé par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 et modifié par la loi n° 20051549 du 12 décembre 2005. Ce fichier est régi pas les articles 706-53-1 à 706-53-12 du Code de procédure pénale. 50. Les infractions qui peuvent entraîner une inscription au FIJAIS sont celles mentionnées à l’article 706-47 du Code de procédure pénale. Il s’agit d’infractions commises à l’égard de mineurs (meurtre ou assassinat accompagné de viol ou tortures, agressions et atteintes sexuelles, proxénétisme, recours à la prostitution d’un mineur), mais aussi indifféremment (meurtre ou assassinat commis avec tortures, torture ou actes de barbarie, meurtre ou assassinat commis en état de récidive légale).

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sur les personnes fichées. Ces dernières doivent, en effet, justifier de leur présence et de leur adresse à intervalles réguliers51 auprès des services de police ou de gendarmerie, le non respect de ces obligations constituant un délit52. De nombreux autres types de fichiers existent en matière pénale. Outre le FNAEG évoqué ci-dessus, d’autres fichiers ont aussi trait à des données biométriques comme le FAED (Fichier Automatisé des Empreintes Digitales) qui recense les traces non identifiées laissés sur les lieux d’une infraction ainsi que l’identité des personnes condamnées et mises en cause. En 2008, il comportait plus de 3 millions d’identités53. D’autres fichiers répertorient des objets ou personnes. C’est le cas du SIS (Système d’Information Schengen) qui comprend des données relatives à des personnes ou objets sous surveillance ou recherchées dans l’espace Schengen. Ce fichier a donc une visée internationale contrairement au FPR qui est le Fichier national de Personnes Recherchées par les autorités judiciaires, militaires ou administratives, ou encore au fichier des véhicules volés. Certains fichiers, enfin, ont des objectifs très spécifiques comme les fichiers des Renseignements généraux54 qui servent, selon la CNIL, « à informer le gouvernement sur les personnes jouant un rôle significatif en matière politique, religieuse, philosophique, économique et sociale »55. Deux millions et demi de personnes y sont inscrites. Afin d’être complet, il faudrait aussi étudier, en plus de ces fichiers de police proprement dits, les fichiers « tiers » qui sont tenus par certains organismes publics ou privés et consultables par les autorités policières et judiciaires. On peut citer, par exemple, les fichiers relatifs aux données financières des personnes comme le FICOBA (FIchier national des COmptes Bancaires et Assimilés) tenu par la direction générale des Impôts, les fichiers de connexion aux réseaux de communication traités par les opérateurs téléphoniques et les fournisseurs d’accès Internet ou les fichiers de passagers de transports aériens, ferroviaires et maritimes, etc. Du fait de l’étendue des informations ainsi accessibles, une certaine proportionnalité entre les modalités de leur consultation et le respect des droits et libertés doit aussi être recherché. 51. Les personnes concernées doivent se présenter à des intervalles de temps variables – entre une fois par mois et une fois par an – en fonction de l’infraction commise et de leur dangerosité. 52. Voir l’article 706-53-5 du code de procédure pénale qui prévoit que ne pas respecter ces obligations est un délit puni de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. 53. Voir le site internet de la CNIL : http://www.cnil.fr/dossiers/police-justice/les-grandsfichiers/article/34/fichier-automatise-des-empreintes-digitales/ [consulté le 1er septembre 2009] : « Au 1er octobre 2008, le FAED comptait : 2 998 523 individus enregistrés et 171 801 traces non identifiées ». 54. La création d’une direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, fusion de la Direction de la surveillance du territoire et des renseignements généraux), en juillet 2008, a entraîné la création de nouveaux fichiers dont le fichier EDVIGE (Exploitation Documentaire et Valorisation de l’Information Générale) dans lequel seront transférées certaines données du fichier évoqué ici. 55. Voir le site internet de la CNIL : http://www.cnil.fr/index.php ?id=1995.

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Le mouvement de création et de développement de ces mécanismes de mise en mémoire est donc aujourd’hui en pleine croissance56. Au regard de la multiplicité des fichiers, de l’extension considérable de leurs destinataires et de l’accroissement de leurs finalités, certains auteurs se demandent même si nous n’assistons pas en pratique à l’apparition d’une « mémoire policière supplantant totalement la mémoire du casier judiciaire »57. En tout état de cause, il est certain que ces fichiers jouent un rôle croissant dans la mise en mémoire des données, notamment en matière pénale, alors qu’ils présentent parfois des taux d’erreurs importants ou une mise à jour déficiente58. Les pouvoirs publics semblent d’ailleurs avoir pris conscience de certaines de ces défaillances et l’idée de renforcer leur la mise à jour et d’interconnecter ces fichiers avec le casier judiciaire afin d’assurer une plus grande exactitude des faits mentionnés semblent se développer59.

III. — CONCLUSION L’étude croisée du casier judiciaire et des différents fichiers révèle un mouvement général vers l’extension de la mémoire judiciaire et policière dans quatre directions. Premièrement, on assiste à un accroissement du nombre des personnes susceptibles d’être concernées par ces inscriptions : la principale difficulté réside dans le risque réel d’érosion de la distinction entre implication dans l’infraction et culpabilité judiciairement établie. Ensuite, on observe un élargis56. Plusieurs fichiers ont ainsi été mis en place et débattus cette dernière année dans des domaines divers. Voir, par exemple, les discussions relatives à la création du fichier ELOI (relatif aux étrangers en situation irrégulière) qui a été créé en juillet 2006, annulé par le Conseil d’État en mars 2007 (Bertrand Bissuel, « Le Conseil d’État annule l’arrêté du ministre de l’Intérieur créant le fichier ELOI », dans Le Monde, 14 mars 2007, p. 10) et créé à nouveau en décembre 2007 (Sylvia Zappi, « Création d’un fichier informatisé des étrangers en situation irrégulière », dans Le Monde, 30 décembre 2007, p. 8), relatives aux données personnelles susceptibles d’être incluses dans le fichier « Base élèves » (« Le fichier “base élèves” sans données personnelles », brève dans Le Monde, 14 juin 2008, p. 11) ou les débats quant à la création du fichier EDVIGE, remplaçant le fichier des renseignements généraux, étendu aux mineurs (Anne Chemin, « Fichier Edvige : les points inquiétants pour les libertés », dans Le Monde, 7 septembre 2008, p. 10). 57. Jean Danet, « Le droit pénal et la procédure pénale sous le paradigme de l’insécurité », dans Archives de politique criminelle, t. 25, 2003, p. 37-69. Cité par V. Gautron, « La prolifération incontrôlée… », p. 60. 58. Voir le rapport de l’Observatoire national de la délinquance (A. Bauer, Fichiers de police et de gendarmerie… ) qui souligne les problèmes relatifs à la mise à jour des données, aux difficultés d’accès pour les citoyens et à la nécessité d’instaurer des voies de recours, aux dangers de leur utilisation dans les enquêtes administratives. 59. Voir la circulaire de la DACG n° 2006-21 du 26 décembre 2006 présentant les dispositions du décret n° 2001-583 du 5 juillet 2001 modifié, portant création du système de traitement des infractions constatées (STIC) et du décret n° 2006-1411 du 20 novembre 2006, portant création du système judiciaire de documentation et d’exploitation dénommé JUDEX.

DU CASIER JUDICIAIRE AUX FICHIERS DE POLICE

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sement progressif du champ d’application de ces mécanismes de mise en mémoire notamment par des élargissements des infractions susceptibles d’entraîner une inscription. De ce fait, les finalités présidant à la création de certains dispositifs (comme la lutte contre la délinquance sexuelle, par exemple) semblent dans certains cas quelque peu dévoyées. Troisièmement, le nombre de destinataires de ces mécanismes s’accroît de manière très nette, ce qui entraîne des interrogations quant à la protection des citoyens, quant à l’accès à des données les concernant. Enfin, la mise en mémoire des données pénales est marquée par un allongement important des délais de conservation de ces informations. Au regard du rôle grandissant de ces dispositifs, la pertinence des questionnements et recherches menées sur la mémoire de l’institution judiciaire est évidente. Plus encore, on peut espérer que se développe d’avantage cette réflexion à l’avenir : en effet, si de nombreux éléments justifient la mise en mémoire des données en matière pénale, comme la nécessité de connaître le passé pénal d’un délinquant ou l’objectif d’assurer une plus grande efficacité des enquêtes, force est de constater que ces dispositifs permettent, entre autres, de favoriser l’avènement d’une société de surveillance et de gestion des risques60. Dans ce contexte, l’oubli est sans cesse opposé à la justice, assimilé à l’impunité ou dénigré. Mais n’est-ce-pas là une vision un peu restrictive de l’oubli61 ? Camille VIENNOT Centre de droit pénal et de criminologie, université Paris X-Nanterre

60. On peut en effet considérer que la question de la mémoire de l’institution policière et judiciaire n’est pas isolée et illustre bien les questions qui se posent au droit pénal contemporain. On retrouve, en effet, ici des problématiques qui ne sont pas spécifiques au casier, ou aux fichiers, comme l’opposition entre impératifs de sécurité et protection des libertés, le ciblage de certaines infractions comme les infractions sexuelles, la nécessité d’une traçabilité des délinquants (bracelet électronique), etc. 61. Voir le rôle de cette notion dans l’instauration de différents dispositifs de clémence, J. Danet et al., Prescription, amnistie et grâce en France…

DEUX I ÈME PART I E

CONSERVATION : HOMMES ET INSTITUTIONS

LE GREFFIER DURANT LE HAUT MOYEN ÂGE : QUELLE RÉALITÉ ? PAR

ALEXANDRE JEANNIN

« Le notariat franc a-t-il existé ? » s’interrogeait, il y a près d’un demi-siècle, Dierk Pieter Blok et notre titre lui fait en quelque sorte écho1. À l’évidence, le destin du greffe et celui du notariat durant le premier Moyen Âge sont liés. La disparition progressive des institutions romaines a pour conséquence l’irrégularité des fonctions et la confusion de la terminologie. Ces pertes de repères rendent l’étude des professionnels de l’écrit du Ve au IXe siècle peu aisée. Le manque de sources et leur complexité ont empêché une enquête d’ampleur de l’activité du greffe pour le haut Moyen Âge, comme le regrettait déjà Jean Gaudemet pour le notariat2. La confusion des attributions du greffier, du notaire, du scribe et du copiste dans les mains d’une seule et même personne, qualifiée par commodité de « professionnel de l’écrit », est admise par tous3. Il 1. Dierk Pieter Blok, « Le notariat franc a-t-il existé ? », dans Revue du Nord, t. 42, n° 166, 1960, p. 320-321. Ce résumé d’une communication reprend certains points de sa thèse : id., E oudste particulier oorkonden van het kloster Werden : een diplomatische studie […], Assen, 1960 (Van Gorcum’s historical library, 61). 2. Jean Gaudemet, Les naissances du droit, Paris, 1997, p. 225-286. Les études sur l’histoire du notariat évitent soigneusement la période du haut Moyen Âge, passant sans transition du notariat antique à la renaissance du droit romain et l’apparition d’un nouveau notariat méridional. Pour la situation du notariat à la fin du Bas Empire, voir Hans Carel Teitler, Notarii and exceptores. An inquiry into role and signifiance of shorthand writers in the imperial and ecclesiastical bureaucracy of the Roman Empire (from early principate to c. 450 A. D.), Amsterdam, 1985. Pour l’apparition du « notariat public » méridional aux XIe-XIIe siècles, voir Marie-Louise Carlin, La pénétration du droit romain dans les actes de la pratique provençale, Paris, 1967. 3. En réalité seul un ouvrage semble vouloir, par son titre, exposer uniquement l’évolution du notariat et de sa pratique, de l’époque romaine jusqu’au Moyen Âge : Ole Fenger, Notarius publicus, le notaire au Moyen Âge latin, Aarhus, 2001. Malheureusement ce travail pâtit de problèmes de traduction et reste lacunaire. Il faut lui préférer des travaux qui s’intéressent plus généra-

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s’agit néanmoins d’un long processus, qui n’est pas uniforme et pour lequel il faut tenir compte des particularismes locaux. C’est ce processus qui nous intéresse : l’adaptation d’un personnel attaché aux fonctions de greffier face à la survie ou à la disparition de certaines institutions romaines. Les terminologies de « greffier » et de « notaire » doivent être reprises afin d’éviter toute inexactitude. Le terme de « notaire », tel que nous l’entendons traditionnellement, est à distinguer du notarius romain. Au sens moderne, le notaire est une personne qualifiée qui peut authentifier des actes grâce à ses qualités de persona publica. Il s’agit en droit romain du tabellio, et non du notarius4. Ce dernier ne désigne à l’origine que le scribe qui maîtrise l’écriture rapide par notae5. Quant au greffier, c’est un personnage obscur, ignoré par les textes du premier Moyen Âge. En réalité, le terme même de greffier n’existe pas : le risque d’anachronisme apparaît ici évident6. Et pourtant, si l’existence d’un corps de greffiers peut difficilement être établie, l’activité d’authentification et de conservation des actes judiciaires existe bien durant tout ce premier Moyen Âge. Auprès de la chancellerie royale, les lement à l’ensemble des professionnels de l’écrit. Hormis les manuels classiques de diplomatique, notamment Arthur Giry, Manuel de diplomatique, Paris, 1925, et Alain de Boüard, Manuel de diplomatique française et pontificale, 2 t., Paris, 1948, des études, certes datées, demeurent très utiles pour qui souhaite étudier les praticiens durant le haut Moyen Âge : en premier lieu, les travaux de Robert-Henri Bautier, « L’authentification des actes privés dans la France médiévale. Notariat public et juridiction gracieuse » [1989], dans id., Chartes, sceaux et chancellerie. Études de diplomatique et de sigillographie médiévale, 2 t., Paris, 1990 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 34), t. I, p. 269-340 ; id., « Caractères spécifiques des chartes médiévales », dans id., Chartes, sceaux…, t. I, p. 167-182 ; id., L’exercice de la justice publique dans l’empire carolingien, thèse inédite de l’École des chartes, résumée dans Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion 1943 […], Paris, 1943, p. 9-18. Il faut mentionner également les très récents travaux de Benoît-Michel Tock : Scribes, souscripteurs et témoins dans les actes privés en France (VIIe-début XIIe siècle), Turnhout, 2005 (Collection ARTEM, 9), et « L’acte privé en France, VIIe siècle-milieu du Xe siècle », dans Mélange de l’École française de Rome : Moyen Âge, t. 111, 1999, p. 499-537. Il ne faut pas non plus omettre la bibliographie allemande et particulièrement Harry Bresslau, Handbuch der Urkundenlehre für Deutschland und Italien, t. I et II, 1re partie, 3e éd., Berlin, 1958 ; t. II, 2e partie par Hans Walter Klewitz, 2e éd., Berlin, 1958 ; Register par Hans Schulze, Berlin, 1960. Du même auteur, mais plus spécifiquement sur les rédacteurs d’actes : id., « Urkundenbeweis und Urkundenschreiber im älteren deutschen Recht », dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. 26, 1886, p. 1-66. 4. Pour une définition et une description des attributions en droit romain postclassique des tabelliones : Max Kaser, Das römische Privatrecht, t. II : Die nachklassischen Entwicklungen, Munich, 1975, p. 78-82. Sur la distinction puis la progressive confusion entre tabularii et tabelliones, voir Ivo Pfaff, Tabellio und tabularius. Ein Beitrag zur Lehre von der Römische Urkundenpersonen, Vienne, 1905 ; Giuseppe-Ignazio Luzzato, « Tabularius », dans Novissimo digesto italiano, t. XVIII, Turin, 1971, p. 1021. 5. Les formules impériales s’inscrivent dans la continuité de cette pratique : le compilateur de ces modèles d’actes carolingiens les a toutes transcrites en notes tironiennes. Voir Karl Zeumer, Formulae Merowingici et Karolini aevi, dans Monumenta Germanie historica, LL. 5 (Leges), Hanovre, 1886, p. 285-328. 6. Les premières apparitions de greffarius, grefferius, graffarius datent de la fin du XIVe et surtout du XVe siècle. Charles Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis […], t. III, p. 548 et 564.

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témoignages et même les sources ne manquent pas7. Il n’en n’est pas de même pour les juridictions non royales8. La principale source à notre disposition pour approcher ces praticiens sont les formulaires mérovingiens et carolingiens, la plupart édités par Karl Zeumer9. Ces recueils d’actes dépersonnalisés à destination des jeunes professionnels de l’écrit proposent une grande diversité de modèles10. Certains formulaires reproduisent des modèles d’actes liés à l’activité judiciaire municipale, comtale ou épiscopale. Il s’agit principalement des formulaires les plus anciens et de ceux réputés pour leur romanité apparente11. Le recueil de Sens, longtemps considéré de « droit salique »12, est une exception notable. 7. Les fameuses épîtres rimées de Sens opposant les évêques Frodebert et Importun entre 665 et 666 constituent probablement le témoignage le plus évident de l’existence d’une mémoire judiciaire pour cette époque. Cette correspondance de lettres d’insultes entre les deux évêques a été, selon l’hypothèse de Walstra, l’éditeur de la collection, conservée le temps de la procédure aux archives royales, à Saint-Denis, comme litis expositio. La pérennité de cette correspondance ne sera par la suite due qu’à son intégration dans un recueil de formules dites de Sens. L’existence de ces épîtres démontre qu’un personnel est effectivement attaché au service du greffe auprès de la cour. Il s’agissait pour ce litige entre les deux évêques, d’une procédure devant le roi. Voir Les cinq épîtres rimées dans l’Appendice des formules de Sens : codex Parisianus latinus 4627, fol. 27v-29v : la querelle des évêques Frodebert et Importun (an 665-666), éd. Gerardus Joannes Josephus Walstra, Leyde, 1962. 8. Voir l’étude des actes de nature judiciaire de l’époque mérovingienne par Werner Bergmann, « Untersuchungen zu den Gerichtsurkunden der Merowingerzeit », dans Archiv für Diplomatik, t. 22, 1976, p. 1-186, part. p. 106-118. Ces travaux, très denses sur la procédure judiciaire, évitent malheureusement la question des praticiens attachés à l’activité de greffier. Voir néanmoins son article sur la survivance du tabellionat antique dans les formules d’Angers : id. « Fortleben des antiken Notariats im Frühmittelalter », dans Tradition und Gegenwart. Festschrift zum 175 jährigen Bestehen eines badischen Notarstandes, éd. Peter-Johannes Schuler, Karlsruhe, 1981, p. 23-35. 9. Karl Zeumer, Formulae…. Depuis les travaux de Karl Zeumer, les formulaires mérovingiens et carolingiens paraissent susciter un renouveau d’intérêt : par exemple Alice Rio, « Freedom and unfreedom in early medieval Francia : the evidence of the legal formulae », dans Past and present, t. 193, n° 1, novembre 2006, p. 7-40. Pour une présentation juridique et diplomatique de l’ensemble de cette source : Alexandre Jeannin, Formules et formulaires. Marculf et les praticiens du droit au premier Moyen Âge (Ve-Xe siècle), thèse, univ. Jean-Moulin-Lyon III, 2007. Les cartulaires et même les libri traditionum ne sont, par leur destination, que de très peu d’utilité. Une étude systématique des vies de saints pourrait donner quelques résultats. Ce travail immense de recensement mérite à lui seul une étude à part entière. 10. L’index de l’édition des Monumenta Germanie historica témoigne de cette diversité : K. Zeumer, Formulae…, p. IX-XX. 11. Le formulaire d’Angers, contemporain de Grégoire de Tours à la fin du VIe siècle, est le plus ancien. Les formules d’Auvergne, de Bourges, mais également celles de Tours témoignent de l’attachement de l’Aquitaine à une certaine forme de romanité. Sur ce point, Alexandre Jeannin, Formules et formulaires…, notamment p. 46-123 et pour le formulaire de Tours p. 180-221. 12. Karl Zeumer emploie traditionnellement cette expression « de droit salique » dans tous ses travaux. Toute l’historiographie française du XIXe siècle conserve cette habitude. Il est encore possible de retrouver cette formule dans des travaux récents, alors qu’elle est réductrice voire trompeuse : elle présuppose un dualisme simpliste entre romanité et germanité d’une pratique ou d’un document. Pourtant de tels recueils de formules témoignent de la complexité des rapports qu’ont les praticiens avec le droit dit « vulgaire » et celui dit « germanique ».

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Ces preuves sont bien fragmentaires. L’étude du personnel attaché au greffe, de leurs attributions, notamment celle de la tenue de la mémoire judiciaire, pourrait paraître présomptueuse. Les actes judiciaires n’ont effectivement pas fait l’objet de la même politique de conservation que certains actes privés. Il faut rester modeste et se contenter d’un état des lieux de nos connaissances sur l’activité liée au greffe durant le premier Moyen Âge. Une présentation de l’évolution de la terminologie permet d’approcher les divers personnels attachés au greffe. Ces quelques éléments que présentent les sources sont parfois contradictoires. Ils peuvent être mis en lumière par l’étude de l’activité du praticien au sein des diverses institutions judiciaires.

I. — À LA RECHERCHE DU PERSONNEL DU GREFFE… Le cancellarius mentionné dans la loi ripuaire mérite d’être analysé tant pour sa spécificité que pour l’anachronisme dont il a fait l’objet. C’est néanmoins par le dernier état du droit romain post-classique, c’est-à-dire avec l’exceptor, qu’il faut essayer de reprendre les différentes terminologies qui s’entremêlent durant le premier Moyen Âge.

1. Le cancellarius ripuaire : un « greffier » imaginaire ? La loi ripuaire offre un témoignage unique pour l’ensemble des sources juridiques du haut Moyen Âge. C’est la seule à mentionner une certaine forme d’organisation des praticiens du droit antérieure à la réforme carolingienne. Elle concerne, en outre, spécifiquement le greffier13. 13. Le cancellarius ripuaire a été tout d’abord étudié en 1886 par Harry Bresslau, « Urkundenbeweis… », p. 1-66 (voir aussi id., Handbuch der Urkundenlehre für Deutschland und Italien, t. I, Leipzig, 1912, p. 591 et suiv.). Ce travail a longtemps dominé la recherche. Une abondante bibliographie allemande, essentiellement du début du siècle, traite de la question : Rudolph Sohm, Fränkische Reichs- und Gerichtsverfassung, Weimar, 1871 ; Richard Heuberger, « Fränkisches Pfalzgrafenzeugnis und Gerichtsschreibertum », dans Mitteilungen des Instituts für Österreichischen Geschichte, t. 41, 1926, p. 46-69, aux p. 56 et suiv. ; Henrich Brunner, « Das Gerichtszeugnis und die fränkische Königsurkunde », dans Festgaben für August Wilhelm Heffter, Berlin, 1873, p. 133-172, part. p. 145 et suiv. Alain de Boüard ne fait que résumer le travail de Harry Bresslau : A. de Boüard, Manuel de diplomatique…, t. II : L’acte privé, p. 129). Voir aussi Karl August Eckhardt, Germanisches Recht, t. II, Berlin 1967, et ses notes dans son édition de la loi ripuaire : Lex Ribuaria, éd. K. A. Eckhardt, Hanovre, 1966 (Monumenta Germanie historica. Leges, I, t. 3/2), 2e éd., p. 267, n. 4-5 ; Hermann Conrad, Deutsche Rechtsgeschichte, t. I, Karlsruhe, 1962. En dernier lieu les dernières réflexions d’Ingrid Heidrich (« Titulatur und Urkunden der arnulfingischen Hausmeier », dans Archiv für Diplomatik, t. 11-12, 1965-1966, p. 71-279, part. p. 207-212) ont été reprises, d’une part, par Peter Classen (« Fortleben und Wandel spätrömischen Urkundenwesens im frühen Mittelalter », dans Recht und Schrift im Mittelalter, Sigmaringen, 1977 (Vorträge und Forschungen hrsg. vom Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte, 23), p. 13-54, part. chapitre IX, p. 45-46), d’autre part, par Werner Bergmann (« Fortleben des antiken Notariats… », p. 23).

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Le terme employé dans la loi ripuaire est celui de cancellarius14, dénomination peu courante dans les sources antérieures à 75015. Le chancelier ripuaire soulève une première difficulté car il recouvre deux réalités apparemment bien différentes. Le cancellarius est tout d’abord appréhendé par la loi ripuaire comme un juge16. Mais la seconde définition du cancellarius ripuaire nous intéresse beaucoup plus, car il s’agit du rédacteur qui doit justifier, en cas de contestation, l’authenticité des actes qu’il a souscrit17. Ce cancellarius ne peut agir que dans un cadre judiciaire : il s’agit ici d’un scribe public attaché au tribunal. Cette double fonction du cancellarius ripuaire, à la fois juge et rédacteur de tribunal, s’explique par les différentes couches de textes qui constituent la loi18. Il faut très certainement les dissocier. Les interrogations portent essentiellement sur sa seconde fonction de cancellarius-greffier. C’est là que se développe dans l’historiographie l’idée d’un greffier germanique, d’un Gerichtsschreiber. Il sera longtemps admis, sur la base de ce seul texte issu d’une loi pseudobarbare, que ces scribes ripuaires sont à l’origine d’un corps notarial franc officiellement établi19. La présentation du notariat franc par Alain de Boüard résume parfaitement cette position : 14. Le cancellarius signifie à l’origine celui qui ferme, au sens matériel du terme, un acte. Il s’agit donc simplement d’un rédacteur d’acte. Voir « Kanzlei », « Kanzler », « Chancelier », « Chancellerie » dans Lexicon des Mittelalters, 8 t., Munich/Zurich, 1980-1997. Si le chancelier est mentionné dès le IVe siècle, le terme de cancellaria, chancellerie, n’est employé qu’à partir du XIIe siècle. Voir « Cancellarius » et « Cancellaria » dans Jan Frederik Niermeyer, Mediæ latinitatis lexicon minus, Leiden, 1954, p. 125. 15. Benoît-Michel Tock, Scribes, souscripteurs…, p. 286-295. Pour les formules, il faut attendre des recueils bien postérieurs pour trouver une utilisation du terme cancellarius : les formules de Reichenau aux VIIIe-IXe siècles (Aug. B. 21, 34, 37, 44) et à Trèves au Xe siècle, une formule dite extravagante (Extr. I, 25). 16. Hoc autem consensus et consilio seu paterna tradicione et legis consuetudinem super omnia iubemus, ut nullus optimatis, maior domus, domesticus, comes, gravio, cancellarius vel quibuslibet gradibus sublimitas in provintia Ribuaria in iudicio resedens munera ad iudicio pervertendo non recipiat, voir Lex Ribuaria…, 91, p. 267. Déjà Rudholf Buchner, puis Ingrid Heidrich, ont remarqué que ce titre est inspiré de la Prima Constitutio 5 de la loi des Burgondes (R. Buchner, Textkritische Untersuchungen zur Lex Ribuaria, Leipzig, 1940 ; I. Heidrich, « Titulatur und Urkunden… », p. 208). Il ne semble faire aucun doute que le jugecancellarius de la loi ripuaire provienne de la première des lois barbares rédigée en 501-502.. Voir, en dernier lieu, l’état de la recherche exposé par Alain Dubreucq à propos de la romanité et de l’influence de la loi des Burgondes (A. Dubreucq, « La vigne et la viticulture dans la loi des Burgondes », dans Annales de Bourgogne, t. 73 : Vins, vignes et vignerons en Bourgogne du Moyen Âge à l’époque contemporaine, 2001, p. 39-55). 17. Et si quis in posterum hoc refragare vel falsare voluerit, a testibus convincatur, aut cancellarius cum sacramentum interpositionem cum simili numero, quorum roborata est, etuniare studeat, voir Lex Ribuaria…, 59 (62), 2. 18. I. Heidrich, « Titulatur und Urkunden… », p. 208. 19. H. Bresslau, « Urkundenbeweis… », p. 36.

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[…] le domaine franc connut une institution de scribes publics […]. Ils procèdent des greffiers20 des tribunaux ripuaires, cancellarii in iudicio sedentes, qui écrivaient et les jugements et les actes de particuliers conclus au mâl. L’institution prospérait depuis près de deux siècles quand la législation carolingienne tenta de lui donner un nouvel essor21.

Cette systématisation – Behördenschematismus – qui développe l’image d’un comte ayant obligatoirement dans son service un cancellarius ou un amanuensis titularisé, est maintenant critiquée22. Cette organisation, rêvée, ne peut pas exister aux VIIIe et IXe siècles et se rapproche beaucoup plus de l’organisation romaine du Ve siècle et, surtout, de réalités administratives occidentales du XIXe siècle. Peter Classen et Werner Bergmann restent pourtant persuadés que l’existence d’un tel personnel révèle une organisation juridique spécifiquement franque23. Ce Gerichtsschreiber de type germanique ne serait donc absolument pas comparable au tabellio antique. Il ne peut s’agir, selon ces deux auteurs, que d’une personne sachant lire et écrire qui aide l’assemblée du tribunal dans son travail24. Du droit romain postclassique, il est donc conservé le principe de la nécessité de l’écrit, mais non l’ancienne organisation notariale. Face à tant d’interrogations, il faut limiter la portée du témoignage de la loi ripuaire qui ne peut pas être étendue avec certitude à l’ensemble des royaumes francs. Il est impossible de déterminer la véritable portée d’une telle disposition. En outre ce « greffe germanique » ne dévoile pas clairement son organisation, ni dans la loi salique, ni dans la loi ripuaire, ni dans aucun acte de la pratique austrasienne. Le greffier germanique est finalement un mirage. Il faut procéder avec méthode et partir du dernier état de l’organisation des institutions romaines postclassiques, au Ve siècle.

2. De l’exceptor au tabellio Au sein des institutions municipales postclassiques, les fonctions liées au greffe appartiennent à l’exceptor. Il est prévu dans le Code Théodosien que toute 20. L’emploi de cette terminologie démontre que l’auteur raisonne sur un système d’organisation judiciaire totalement anachronique pour la période considérée. 21. A. de Boüard, Manuel de diplomatique…, p. 129. 22. I. Heidrich, « Titulatur und Urkunden… », p. 208 ; P. Classen, « Fortleben und Wandel… », p. 46. 23. P. Classen, « Fortleben und Wandel… », p. 45 : « Es kann Zweifel bestehen, daß wir hier eine in der Substanz fränkische Rechtsordnung vor uns haben ». 24. W. Bergmann, « Fortleben des antiken Notariats… », p. 23 : « Man wird im fränkischen Gerichtsschreiber weder einen Notar erkennen noch sein Amt aus dem antiken Notariat herleiten können. Er ist vielmehr wie in den fränkischen Rechten als Schreibkundiger zu sehen, der die Gerichtsversammlung in der Ausübung ihres Amtes unterstützte ».

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insinuation d’un acte dans les registres municipaux devait être effectuée en présence de trois curiales, à l’exception du magistrat et de l’exceptor25. Sa présence est donc nécessaire à la validité de tout enregistrement au même titre que celle du defensor et des trois curiales. Il s’agit d’un fonctionnaire public, scribe du tribunal26. Par ses attributions de contrôle et d’authentification, mais également de conservation des archives municipales, l’exceptor peut être considéré comme un véritable greffier. Contrairement au pseudo-greffier germanique, son existence est prouvée dans les actes de la pratique, notamment pour le VIe siècle en Italie, grâce aux papyri de Ravenne27. La reprise des dispositions du Code Théodosien dans le Bréviaire d’Alaric28 laisse penser qu’il y a une continuité de l’institution, mais les premières approximations terminologiques apparaissent déjà avec les praticiens postclassiques. Le premier témoignage est une interpretatio du Code Théodosien où il n’est plus question d’exceptor mais de tabellio vero, qui amanuensis nunc vel cancellarius dicitur29. La confusion des termes est donc contemporaine, voire antérieure, à l’effritement des institutions municipales30. La tournure est remarquable et correspond bien à l’esprit des rédacteurs des interpretationes. Comme la dénomination d’exceptor de l’époque de la promulgation du Code Théodosien ne correspond plus à la réalité, il a semblé nécessaire de préciser les équivalences. Si le terme d’exceptor ne survit pas à la chute de l’Empire, tous les praticiens, du scribe du tribunal au notaire, ne se confondent pas uniformément. Les formules mérovingiennes et carolingiennes réservent sur 25. Theodosiani Libri cum constitutionibus Sirmondianis et leges Novellae, éd. T. Mommsen et P. Meyer, Berlin, 1905 : Cth. 12, 1, 151, Municipalia gesta non aliter fieri volumus quam trium curialum praesentia, excepto magistratu et exceptore publico, semperque hic numerus in eadem actorum testificatione servetur. Ce dernier terme désigne le scribe du tribunal. À propos de l’insinuation apud acta, voir Jean-Philippe Levy, « L’insinuation apud acta des actes privés dans le droit de la preuve au Bas Empire », dans Mélanges Fritz Sturm, dir. Jean-François Gerkens, Hansjörg Peter, Peter TrenkHinterberger et al., Lausanne/Liège, 1999, p. 311-326. 26. Voir Charles Lecrivain, « Notarii », dans Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, t. IV, p. 106. Le qualificatif d’exceptor apparaît au Bas Empire à la place de notarius. Il concurrence celui de notarius pour désigner les fonctionnaires publics. L’exceptor se trouve aussi au service du clergé. 27. Voir par exemple le papyrus P. 8 (17 juillet 564) (= Marini 80), dans Jan-Olof Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri Italiens aus der Zeit 445-700, 3 t., Stockholm, 1954-1982 (Acta Instituti Romani regni Sueciae, ser. in-4°, 19), t. II, p. 235-246, part. p. 238 et 240. 28. Bréviaire, Cth. 12, 1, 8 (= Cth. 12, 1, 151). 29. Bréviaire, Cth. 9, 15, 1, 1 (Cth. 9, 19, 1, 1), interpr. : Si quis curialis voluntatem morientis aut quodlibet publicum documentum scripserit, et de falsitate accusatur, seposita primitus dignitate, si necesse fuerit, subdatur examini : qui si convincitur, a curia non expelletur, sed curiae dignitate privabitur, id est ut honoratus esse non possit. Tabellio vero, qui amanuensis nunc vel cancellarius dicitur, etiamsi ad curiae pervenerit dignitatem, si de falsitate accusatus fuerit aut convictus, subdatur examini, ut per ipsum, per quem confecta est, scripturae veritas approbetur. 30. À propos de l’évolution des institutions municipales et de son personnel, voir Roland Ganghoffer, L’évolution des institutions municipales en Occident et en Orient au Bas Empire, Paris, 1963 (Bibliothèque d’histoire du droit et du droit romain, 9).

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ce point de nombreuses contradictions. Le scribe du tribunal est mentionné presque exclusivement dans le cadre de la curie municipale, dont la survie est également sujette à caution. Les formules confirment les approximations terminologiques des interpretationes mais laissent entrevoir des spécificités régionales. Il y a tout d’abord le terme de notarius, qui reste exceptionnel : dans deux formules, de Bourges et d’Auvergne, il est fait appel au cours d’une procédure devant la curie à « un des notaires » présents31. Cela signifie-t-il pour autant qu’il existe dans ces deux régions un corps constitué et organisé de notarii, ou plutôt d’exceptores aux VI-VIIe siècles, voire au VIIIe ? La forte romanité et la survie de l’enseignement du droit en Aquitaine, particulièrement en Auvergne, peuvent le laisser supposer32. Terme beaucoup plus courant, l’amanuensis reprend aussi à l’exceptor les attributions de scribe attaché à la curie, notamment à Angers et à Tours33. Il est le responsable de la tenue des registres34. L’amanuensis auvergnat pose plus de difficultés. Il agit dans le cadre d’une procédure d’apennis ou de renouvellement des actes perdus, procédure méconnue de son prédécesseur, l’exceptor. La formule ne parle pas d’un simple scribe mais de regalis vel manuensis. S’agit-il d’un copiste du roi, d’une sorte d’officier civil35 ? Ce serait dans ce cas une spécificité auver31. Ces deux formules utilisent la curieuse tournure unus ex notarius dans le cadre d’une procédure d’insinuation d’un acte aux gesta municipalia. Le notarius est évoqué dans ces deux textes pour la lecture publique de l’acte, préalable semble-t-il nécessaire à l’inscription aux registres municipaux. Ces deux modèles d’actes, d’Auvergne (Arv. 2 b, du milieu du VIIIe siècle) et de Bourges (Bit. 15 c, circa 800-814), présentent par ailleurs de grandes similitudes. V. Karl Zeumer, Formulae…, respectivement p. 29 et p. 176. 32. Christian Lauranson-Rosaz, « Theodosyanus nos instruit codex… Permanence et continuité du droit romain et de la romanité en Auvergne et dans le Midi de la Gaule durant le haut Moyen Âge », dans Cahiers du Centre d’histoire médiévale, t. 3 : Traditio iuris. Permanence et/ou discontinuité du droit romain durant le haut Moyen Âge, éd. Alain Dubreucq et Christian Lauranson-Rosaz, actes du colloque international organisé les 9 et 10 octobre 2003 à l’université Jean-Moulin-Lyon III, 2005, p. 15-32. 33. La lecture préalable à haut voix de l’acte à insinuer et l’inscription dans les registres municipaux sont similaires dans les deux recueils, tourangeau et angevin : voir notamment le defensor civitatis et la curie tourangelle qui proclament dans la formule Tur. 3 (milieu du VIIIe siècle) : Codices publici te patefaciant, et ille amanuensis hanc donationem accipiat vel recitetur […] Gesta, cum a nobis fuerit subscripta et a venerabile viro illo amanuense edita, tibi tradatur ex more, ut facilius, quod superius insertum est, diuturno tempore maneat inconvulsa. Voir Karl Zeumer, Formulae…, p. 136-137. Voir également Tur. Add. 5 (VIIIe-IXe siècles), p. 161. La formule d’Angers, And. 1 a (514-515), parmi les plus anciennes, a la particularité de dénommer le praticien illi diaconus et amanuensis. Voir Karl Zeumer, Formulae…, p. 4. 34. Il est probable que l’exceptor se soit confondu avec l’amanuensis. Voir Michel Rouche, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes (418-781), naissance d’une région, Paris, 1979, p. 262, n. 94 et p. 263, n. 102. 35. Il s’agit de l’hypothèse de K. Zeumer, Formulae…, p. 28, n. 6. Le texte est assez confus et peut laisser le champ à de nombreuses interprétations : Arv. 1 a : Eorum ad hostio sancto illo castro Claremunte per triduum habendi vel custodivimus seu in mercato puplico in quo ordo curie duxerunt aut regalis vel manuensis vestri aut personarum ipsius castri ut cum hanc contestatiuncula seu plancturia iuxta legum consuetudinem in presentia vestra relata fuerit vestris subscriptionibus.

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gnate : c’est le seul praticien mérovingien de tous les recueils de formules qui bénéficie de cette qualification royale. Cette hypothèse confirmerait une survivance plus forte du caractère public des praticiens du droit en Auvergne, contrairement aux autres régions de la Gaule. Reste enfin le tabellio, cité dans l’interpretatio comme un autre synonyme d’exceptor. En droit romain les attributions du tabellio se limitent à l’authentification d’actes que nous pourrions qualifier de droit privé. Or l’amanuensis des formules d’Auvergne, comme celui des formules d’Anjou et de Tours, établit des documents publics dans le cadre de la curie. Pouvons-nous pourtant admettre qu’une même personne, désignée amanuensis, soit à la fois tabellio et scribe attaché au greffe municipal ? Les formulaires semblent bien confirmer que rien ne s’oppose à ce que l’amanuensis des derniers temps postclassiques – quelle que soit son appellation – revête en Gaule franque cette double fonction publique, de l’exceptor, et privée, du tabellio. La fonction liée au greffe semble n’être, dans ces conditions, qu’une attribution parmi d’autres du professionnel de l’écrit. Cela peut avoir des conséquences sur l’activité du greffe.

II. — LES ATTRIBUTIONS DU PERSONNEL DU GREFFE DURANT LE HAUT MOYEN ÂGE Les attributions principales d’un scribe attaché au greffe demeurent, classiquement, l’authentification des actes juriditionnels et leur conservation. Néanmoins l’importance de chacune de ces attributions peut différer selon les instances concernées et les spécificités régionales. Le scribe attaché aux anciennes institutions municipales, tout autant que celui des instances judiciaires d’Angers et de Sens, reste toutefois dans la continuité de la pratique romaine postclassique.

1. L’activité liée au greffe au sein des institutions municipales survivantes Les instances municipales demeurent pour cette période un témoin privilégié de l’activité du greffe et de son personnel. La survie de la curie municipale est attestée dans certaines régions jusqu’au VIIIe siècle36. Les 36. La preuve la plus tardive qui soulève le moins de contestation est la donation d’Ansoald de Poitiers à l’abbaye de Noirmoutier établie en 677-678 (édition par Jules Tardif, « Les chartes mérovingiennes de Noirmoutier », dans Revue d’histoire du droit, t. 22, 1898, p. 783-788). La donation pour le monastère de Prüm faite en 804 à Angers fait référence aux institutions municipales mais mérite beaucoup de réserves (édition par Heinrich Beyer, Urkundenbuch zur Geschichte der mittelrheinischen Territorien, réimpr. Aalen, 1974, n° 41-42, p. 46 et suiv.). À propos de la survie de la curie municipale durant le haut Moyen Âge, voir Alexandre Jeannin, Formules et formulaires…, p. 323 et suiv.

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instances et le personnel ont évolué, changé probalement de nature. L’entourage épiscopal s’est approprié les compétences de la curie37. Néanmoins la procédure semble demeurer la même : le praticien attaché au greffe conserve toujours une place prépondérante dans la procédure dite de l’insinuation apud acta, dont le domaine est bien plus considérable que les procédures pénales ou civiles. Les actes administratifs et de droit privé passent ordinairement par cette forme judiciaire, véritablement très importante au Bas Empire. La place de l’écrit est ici parfaitement mise en évidence par l’activité du scribe. Le praticien faisant office de greffier établit des gesta, c’est-à-dire des procès-verbaux des audiences publiques tenues par le juge, en l’occurrence le defensor civitatis38. Ce dernier, outre les débats judiciaires des minores causae, doit faire insérer dans les archives municipales, par le greffier, les actes privés à la demande des particuliers. Quatre formules de Bourges, dépendantes les unes des autres, présentent un bel exemple carolingien, le dernier avant la disparition effective de la curie dans les sources39. Il s’agit de l’insinuation aux archives publiques d’une donation. Cette dernière est reproduite40, ainsi que la procuration qui l’accompagne41. La troisième formule est le procès-verbal d’audience42. Comme dans tous les gesta qui nous sont parvenus, la cérémonie de l’insinuation est décrite. Chaque acteur de la procédure est mentionné, notamment le greffier qui se met lui-même en scène lorsqu’il rédige le procès-verbal. Les formules de gesta permettent de déterminer une répartition des rôles entre les membres de l’officium. Les formules de Bourges ne parlent plus d’exceptor ou de tabellio. C’est le diacre qui est présent aux cotés du défensor, ce dernier étant devenu probablement un subordonné de l’évêque. Un nouveau personnage intervient : l’acte qui doit être inscrit aux archives est lu in publico par le profensor ou 37. À propos des rapports entretenus par le personnel de la curie municipale et l’entourage épiscopal, voir l’exemple de la manumissio in ecclesia : A. Jeannin, « La manumissio in ecclesia : une procédure romano-chrétienne à l’épreuve de la pratique du haut Moyen Âge », dans Revue juridique d’Auvergne, t. 1 : 1res Journées clermontoises d’histoire du droit. Identité, marginalité ou solidarités, 12-13 juin 2003, 2005, p. 149-162. 38. J.-P. Levy (« L’insinuation apud acta… ») remarque que l’insinuation apud acta n’est pas analogue à l’actuel enregistrement au greffe. Là encore il s’agirait d’un anachronisme parce qu’au Bas Empire, il y a une confusion entre les matières administrative et judiciaire. 39. De manière surprenante pour des formules, une datation claire du début de l’année 805 est conservée par un des modèles (datation selon Karl Zeumer, « Über die älteren fränkischen Formelsammlungen », dans Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, t. 6, 1881, p. 9-115, ici p. 82, n. 1). Bit. 15 c : In nomine Domini. Quod fecit mensus ille dies tantus, in anno tricesimo quarto regnante domno nostro Carolo rege, et ex co, Christo propitio, sumpsit imperium, 5. anno incoante. Il s’agirait du témoignage le plus tardif en faveur de la survie effective de la curie municipale en Occident. Il faut se garder néanmoins, par la nature même de la source, d’être aussi catégorique. 40. Bit. 15 a [sans titre]. 41. Bit. 15 b Mandatum. 42. Bit. 15 c : Gesta cum rescriptio.

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professor43. Il est ensuite souscrit par l’ensemble de la curie et par le defensor. Ce n’est qu’ensuite que le diacre, faisant office de greffier, insère la donation, la procuration et le procès-verbal dans les registres municipaux. Finalement, un dernier texte est proposé par le compilateur de formules, permettant au procurateur d’attester de la validité de la procédure au mandant. Ce dernier texte est pratiquement unique pour les sources du haut Moyen Âge mais également du Bas Empire44. Ces quatre formules de Bourges présentent tout le travail du greffe. Les archives et l’écrit conservent encore leur place durant le haut Moyen Âge. La dernière phrase prononcée par le procurateur dans la formule de gesta s’adressant aux membres de la curie est caractéristique de ses attentes : Bit. 15 c : Nihil aliud peto magnitudine vestra, nisi ut ipsa epistola vel mandatum una cum gesta, quomodo vestris subscriptionibus roboratum fuerit, mihi ex morae tradatur, qualiter diuturno temporae maneat inconvulsum45.

Le responsable des gesta détient tout à la fois la mémoire judiciaire et la mémoire d’archives privées, ces dernières étant omniprésentes dans les formules. Le procureur devant les instances berruyères attend non seulement une fonction probatoire de cette insinuation mais également une conservation de qualité et pérenne dans des archives publiques. Les héritiers de la curie assurent cette pérennité. Des formules d’apennis, rédigées par le greffier, proposent une procédure de renouvellement d’actes perdus très spécifique qui témoigne du souci de conservation et de rétablissement des archives privées46. D’autres juridictions ne semblent pas être préoccupées de la même manière par les archives judiciaires.

2. Le professionnel de l’écrit des instances judiciaires d’Angers et de Sens Le témoignage fragmentaire des sources ne permet d’apporter que des éléments épars de réflexion sur le scribe attaché aux institutions d’Angers et de 43. Professor (Bit. 15 c) ou profensor (Bit. 7) se retrouvent également dans les formules de Sens (Sen. 39, Sen. Ap. 1c). Il ne s’agit pas d’un simple scribe, tel que le laisse supposer J. F. Niermeyer (Mediæ latinitatis lexicon minus…, p. 859). Ce terme est finalement des plus explicites : il ne s’agit pas pour ce praticien de rédiger l’acte mais simplement de le « proférer » publiquement. Il peut très bien s’agir d’un des notaires présents (Bit. 15 c : unus ex notarius) qui rempli cet office pour l’occasion. 44. Bit. 15 d : Rescripto. 45. Voir la formule identique employée dans Tur. 3 (milieu du VIIIe siècle). Karl Zeumer, Formulae…, p. 137. Voir supra, n. 33. 46. Voir l’article ancien mais encore riche d’enseignements de K. Zeumer, « Über den Ersatz verlorener Urkunden im fränkischen Reiche », dans Zeitschrift der Savigny Stiftung, Germanistische Abteilung, t. 1, 1880, p. 89-123. En dernier lieu, Christian Lauranson-Rosaz et Alexandre Jeannin, « La résolution des litiges en justice durant le haut Moyen Âge : l’exemple de l’apennis à travers les formules, notamment celles d’Auvergne et d’Angers », dans Le règlement des conflits au Moyen Âge, XXXIe Congrès de la SHMES (Angers, juin 2000), Paris, 2001, p. 21-33.

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Sens. À l’évidence son activité se modifie. La pratique du serment dans la résolution des litiges prédomine. Les formules d’Angers proposent des procédures se déroulant en deux temps47. Le judex rend un jugement provisoire prescrivant à l’une des parties une prestation de serment à une date déterminée dans un lieu saint. C’est au greffier d’aller, seul, vérifier la validité de la prestation de serment et d’établir l’acte définitif de jugement. Ici le greffier paraît être le délégué du juge, dépassant en cela le rôle d’un simple scribe attaché au greffe48. L’établissement de securitates est une autre facette importante de l’activité du greffier49. Il ne s’agit pas d’enregistrer des notices judiciaires aux archives du tribunal mais bien de délivrer un acte à chacune des parties incluant tout à la fois le jugement et l’acceptation par le demandeur et par le défendeur de la résolution du litige. Cet acte est délivré au moment du jugement. Rien n’indique l’enregistrement de ce jugement aux archives du tribunal. La conservation des actes ne semble plus être la préoccupation principale : nous sommes loin de la curie municipale. Ces formules témoignent d’une activité du greffier beaucoup plus tournée vers les attentes immédiates des parties : le praticien assure une fonction de publicité de l’acte judiciaire, par une lecture publique puis par la délivrance de securitates aux parties. Cette tendance semble se confirmer par la pratique de la judiciarisation des actes privés. À Sens, le « greffier » a la liberté d’établir des actes privés dans le cadre de l’instance judicaire50. Ces actes prennent la forme de notices établies par le praticien et directement destinées aux parties respectives. Le tribunal accorde sa force probatoire et assure la publicité des actes établis. Mais là encore plus rien n’atteste un quelconque enregistrement dans des archives publiques de l’acte 47. Par exemple And. 10 a, 11 a, 24, 30, 50 a. Sur ces « jugements sur le thème de la preuve », selon l’expression d’Olivier Guillot, voir son article : « La justice dans le royaume franc à l’époque mérovingienne », dans La giustizia nell’alto Medioevo (secoli V-VIII), Spolète, 1995 (Settimane di studio del C.I.S.A.M., 42), t. II, p. 653-735, part. p. 697 et suiv. ; réimpr. dans O. Guillot, Arcana imperii. Recueil d’articles, Limoges, 2003 (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique, 10), p. 33-94. 48. Il faut néanmoins se garder d’aller plus loin. Le praticien du haut Moyen Âge marque ici définitivement sa différence avec le greffier. 49. Voir W. Bergmann, « Untersuchungen zu den Gerichtsurkunden… », p. 114. 50. Sen. 7, 8, 9. K. Zeumer, Formulae…, p. 188-189. Sen. 8 : Tradituria de venditione. Notitia, qualiter et quibus presentibus veniens homo alicus nomen ille, missus inluster vir ille, super fluvio illo, in loco que dicitur illo, ad illo manso vel illa terra, quem ille homo minibus illo ante os dies ad casa sancto illo paginse per cartam cessionis [adfirmavit], partibus ipso illo per illo ostio vel anaticula de ipsa casa, per herba vel terra ipso manso, vel quicquid ad ipso manso aspicet, sicut in ipsa cessione est insertum, ad parte illa ecclesia visus fuit tradidisset atque consignasset. Id sunt, quis presentibus. Sen. 9 : Noticia de servo. Noticia, qualiter et quibus presentibus veniens homo alicus nomine ille in pago illo, in loco que dicitur ille, seo in mercado vel in quacumque loco, ante bonis hominibus, qui subter firmaverunt, datum suum pretium ad homine negotiante solidus tantus, servo suo nomen illo visus est comparasset. Et ipse negotiens ipso servo superius nominato per manibus partibus ipsius lue visus est tradidisset, non fraudo sed in publico, ut, quicquid exinde ad die presente facere volueris, liberam et firmissimam in omnibus habeas potestatem faciendi. Id sunt.

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ainsi judiciarisé. Le praticien se contente de donner directement aux personnes l’acte en double. Sa fonction de conservation des archives ne semble plus être la priorité, au moins pour ce type d’actes. Il est remarquable de constater que les attributions du praticien de Sens sont pratiquement similaires à celles du tabellio postclassique. Outre une activité traditionnellement attachée au greffe, pour chacun d’entre eux il est possible d’établir des actes privés. L’obligation de rester dans le cadre judiciaire pour effectuer cette activité différencie le praticien des formules de Sens du tabellio romain. Cette exigence supplémentaire n’est finalement qu’une évolution régionale du statut du tabellio romain. Le praticien sénonnais demeure dans la continuité de la pratique romaine. L’étude des actes de la pratique et particulièrement des formules permet de revenir au cancellarius de la loi ripuaire et de lui donner une nouvelle dimension. Si l’hypothèse d’une origine germanique de ce praticien est de plus en plus contestée, le cancellarius ripuaire rappelle étrangement le scribe bourguignon qui établit lui aussi des actes privés au sein du tribunal. Il est bien difficile d’expliquer de tels points communs entre des praticiens fort éloignés. Il faut néanmoins mentionner l’influence de la loi des Burgondes, dont la romanité est depuis longtemps avérée, dans la loi ripuaire. La pratique bourguignonne, et particulièrement de Sens, aurait-elle eu également un rôle dans la rédaction de la loi ripuaire ? Il ne s’agit évidemment que d’une hypothèse. Il demeure néanmoins une certitude : le praticien des formules de Sens et celui mentionné par son homologue de la loi ripuaire sont, malgré les apparences contraires, les héritiers directs du tabellio postclassique. Alexandre JEANNIN Université de Rouen

BRÈVE HISTOIRE DES ORIGINES MÉDIÉVALES DU GREFFE DU PARLEMENT DE PARIS PAR

MONIQUE MORGAT-BONNET

Les plus anciennes archives constituées sont nées des progrès institutionnels de la monarchie capétienne dans les années 11901, puis les conquêtes de Philippe Auguste après 1204 suscitent le besoin d’inventaires et de registres. Les premières collections du gouvernement capétien sont instituées après 1194 par un chambellan royal chargé essentiellement de recueillir les chartes adressées à la chancellerie ; puis la nécessité d’enregistrer les actes se fait jour et l’année 1204 voit l’apparition des registres de la chancellerie qui conservent un nombre important d’actes du roi. John Baldwin estime que l’année 1194 est cruciale pour le développement des archives royales car elle marque le début d’une politique de conservation délibérée2. Le règne de Philippe Auguste semble donc décisif dans ce domaine par la mise en place d’archives permanentes, mais manifeste cependant un retard par rapport à l’Angleterre qui, elle, possède des archives centralisées depuis la deuxième décennie du XIIe siècle3. À partir de 1204, les scribes commencent à rassembler les pièces originales et à les copier sur des registres, aisément consultables et transportables, registres conservés ultérieurement au Trésor des chartes. Ce fonds, outil primordial de fonctionnement d’un gouvernement et d’administration d’un domaine en 1. Dès 1156, la chancellerie royale a conservé des lettres qui lui étaient adressées, quatre cents pièces environ, adressées à Louis VII, et versées ultérieurement au Trésor des chartes : voir John Baldwin, Philippe Auguste, Paris, 1991, p. 513. 2. Voir ibid., p. 496-532. 3. Sur la conservation des actes de la chancellerie royale au Trésor des chartes, voir : Olivier Guyotjeannin et Yann Potin, « La fabrique de la perpétuité. Le Trésor des chartes et les archives du royaume (XIIIe-XIXe siècle) », dans Revue de synthèse, 5e série, t. 125, 2004, p. 15-44 ; Yann Potin, « La mise en archives du Trésor des chartes (XIIIe-XIXe siècle) », dans École nationale des chartes, Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion 2007 […], Paris, 2007, p. 173-182.

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expansion, est installé, après 1254, par Louis IX, dans une sacristie attenante à la Sainte-Chapelle. En 1436, elle est qualifiée de « chambre des chartes de la SainteChapelle » dans une ordonnance de Charles VII4. « Si les archives existent bien, aucune trace ne subsiste d’un personnel ni d’un travail vraiment spécialisés »5. La situation évolue avec le règne de Philippe le Bel. Cette collection est organisée et systématisée au début du XIVe siècle quand Pierre d’Étampes, clerc du roi, est chargé en 1307 de la garde mais aussi du classement et de l’inventaire des lettres, chartes et privilèges. Il en fera le premier inventaire complet, le Trésor devenant ainsi le noyau des archives royales. Le relais est assuré à partir de 1370 par le garde du Trésor de Charles V, Gérard de Montaigu, qui réorganise entièrement le dépôt, l’objet de l’entreprise étant « une défense et illustration de la gloire royale »6. Quant aux archives judiciaires, la monarchie capétienne hérite, avec la conquête de la Normandie, de la tradition anglo-normande, puisque l’Échiquier et les autres cours enregistrent leurs jugements depuis le règne de Richard Ier, le premier rôle judiciaire datant de 12077. Ces rôles constituent les seuls documents publics des rois de France jusqu’à la constitution des Olim. La conservation systématique de la mémoire judiciaire date de Jean de Montluçon ainsi que le mentionne une note de sa main dans le premier Olim. Avant 1254, nous disposons de peu de renseignements, voire d’aucun, sur l’organisation du greffe du Parlement, mais, à cette date qui est celle du retour de la croisade de saint Louis, le roi marque son profond attachement à la justice en convoquant le Parlement plus souvent, lequel devient bientôt sédentaire. Le roi justicier promeut aussi une procédure de preuve par l’enquête, qui se substitue de plus en plus à la procédure orale. Les appels à la cour du roi, d’abord limités au domaine royal, se multiplient et, dès la fin du règne, sont interjetés de tout le royaume8. Les pièces écrites s’accumulent ainsi que le nombre des décisions, rendant nécessaire d’en garder une mémoire pour faire preuve et pour pouvoir s’y référer. Les décisions et les enquêtes du Parlement sont écrites sur des 4. Eusèbe de Laurière et al., Ordonnances des roys de France de la troisième race […], 22 t., Paris, 17231849 (désormais ORF), t. XIII, p. 218. 5. Olivier Guyotjeannin, « Les méthodes de travail des archivistes du roi de France (XIIIe-début XVIe siècle) », dans Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde, t. 42, 1996, p. 295373, part. p. 295. 6. O. Guyotjeannin, « Un archiviste du XIVe siècle entre érudition et service du prince : les “notabilia” de Gérard de Montaigu », dans Histoires d’archives. Recueil d’articles offert à Lucie Favier, Paris, 1997, p. 299-316, part. p. 301. 7. Le recueil de l’Échiquier normand subsiste dans des copies portant le titre de Judicia in scacariis Normannie : voir J. Baldwin, Philippe Auguste…, p. 527. 8. Voir Jean Hilaire, « Ratio decidendi au parlement de Paris d’après les registres d’Olim (12541348) », dans Ratio decidendi. Guiding principles of judicial decisions, t. I : Case law, éd. W. Hamilton Bryson et Serge Dauchy, Berlin, 2006 (Comparative studies in continental and Anglo-American legal history, 25/1), p. 25-32.

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parchemins réunis en rouleaux peu commodes à ranger et à consulter. Au Parlement, la conservation existe donc avant 1254 sur rouleaux de parchemin, étape essentielle, mais qui doit trouver son aboutissement lors de l’étape ultérieure qui consiste à copier les actes officiels dans des registres, évolution similaire à celle de la chancellerie royale. Il revient à Jean de Montluçon, premier greffier connu, d’avoir eu l’initiative de recopier le contenu des originaux sur des cahiers, lesquels seront reliés ensemble ultérieurement de façon à constituer des volumes. Il commence ce travail par les arrêts rendus à partir de 1263, puis remonte le cours de la justice jusqu’en 1254 en donnant un résumé de ces décisions antérieures conservées sur rouleaux. Il sépare les arrêts rendus après enquête de ceux rendus sur plaidoiries. Nous constatons une volonté et un effort concomitants de la part de la chancellerie royale et du Parlement de conserver et d’archiver leurs actes administratifs et judiciaires, bases de la monarchie qui se met en place. Notons aussi l’absence de frontière entre les deux dépôts, certains greffiers du Parlement travaillant pour les deux chancelleries comme Nicolas de Chartres ou encore Pierre de Bourges qui, de 1299 à 1307, effectue plusieurs travaux pour le fonds de la Sainte-Chapelle avant de céder la place à son successeur à la chancellerie, Pierre d’Étampes9. Au Parlement, les premiers cahiers reliés par les greffiers successifs Jean de Montluçon, Nicolas de Chartres et Pierre de Bourges sont appelés « Livres » ; Livre des Enquêtes regroupant les arrêts rendus après enquête et Livre des Arrêts pour les arrêts rendus sur plaidoiries. Ils constituaient sept volumes à l’origine, dont quatre seulement ont subsisté couvrant la période 1254-1319. Ces quatre premiers registres du Parlement furent appelés plus tard Olim, en référence à ce terme par lequel débute l’un des registres. Envisageons l’histoire de l’homme de plume et d’écritoire à travers l’étude des ordonnances royales et de la jurisprudence du Parlement, qui nous révèlent l’évolution de sa titulature, de clerc des arrêts au titre de greffier, et qui le font bénéficier d’un statut juridique, lequel lui confère une position enviable à la cour.

I. — DU CLERC DES ARRÊTS AU GREFFIER En ce qui concerne la chancellerie royale, Philippe le Bel confie la garde (custodia) de ses lettres, chartes et privilèges à son clerc, Pierre d’Étampes10, puis la fonction exercée détermine la titulature qui devient en 1342 « garde du Tresor 9. J. Baldwin, Philippe Auguste…, p. 25. 10. O. Guyotjeannin, « Super omnes thesauros rerum temporalium : les fonctions du Trésor des chartes du roi de France (XIVe-XVe siècles) », dans Écrit et pouvoir dans les chancelleries médiévales : espace français, espace anglais, éd. Kouky Fianu et DeLloyd J. Guth, Louvain-la-Neuve, 1997 (Textes et études du Moyen Âge, 6), p. 109-131, part. p. 112.

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de noz privileges » puis, en 1350, « garde des livres et registres touchans nous et nostre domaine en nostre Tresor a Paris ». En 1379, le roi Charles V gratifie son archiviste Gérard de Montaigu du titre de « trésorier de nos privilèges, chartes et registres » et de la qualité de secrétaire du roi. En 1410, le titre devient trésorier et garde des chartes du roi ; en 1415, garde du Trésor de nos chartes11. Les termes de « garde » et de « trésor » sont omniprésents. Qu’en est-il au greffe du Parlement ? Les premières ordonnances des rois capétiens adoptent une dénomination évolutive qui se calque sur les fonctions exercées, sans souci de vraie titulature. Ce n’est qu’en 1361, à la faveur de l’importante législation des rois Valois, que le terme de greffier se fixe, tout en étant réservé à ceux qui servent au Parlement.

1. Les ordonnances des rois capétiens Les ordonnances générales sur le Parlement débutent sous Philippe le Hardi qui promulgue une importante ordonnance à Paris le 7 janvier 127812. Elle concerne l’instruction des procès mais elle est surtout connue par ses dispositions sur les avocats. Ses articles 3 et 4 règlent la présentation des parties que les « clercs des arrêts » nommeront et que les huissiers appelleront à entrer dans la chambre des plaids sur commandement des maîtres. L’article 7 mentionne à nouveau les clercs des arrêts qui interviennent dans la nomination des auditeurs des enquêtes. Il précise que les faits proposés par une partie et niés par l’autre seront mis par écrit : remarquons l’application des ordonnances de saint Louis relatives à la mise en place de la procédure d’enquête comme moyen de preuve et les progrès corollaires de l’écrit dans la procédure. L’article 25 opère une distinction fondamentale et fondatrice pour le futur greffe : en la chambre des plaids, il doit toujours y avoir un clerc pour faire les lettres de sang et un autre clerc pour les autres, donc un greffier chargé des affaires criminelles et un greffier en charge des procès civils. Cependant, il arriva par la suite, qu’à titre exceptionnel, en cas de maladie du greffier civil, comme en 1427 et 1437, le greffier criminel soit commis à le remplacer pour une courte durée13. L’ordonnance sur les tabellions et notaires14 de Philippe le Bel, en 1304, emploie le termes de « notaires des cours » et met en place un dépôt obligatoire 11. Ibid., p. 114. 12. ORF, t. XI, p. 354. 13. Arch. nat., U 2256, fol. 59. 14. Selon Adolphe Chéruel (Dictionnaire historique des institutions de la France, Paris, 1880, 1re partie, p. 506), la distinction entre le notaire et le tabellion vient du fait que les notaires écrivent les minutes des actes et des contrats, alors que les tabellions les gardent et en délivrent des grosses. Ils leur confèrent l’authenticité par l’apposition du sceau de la juridiction ; les offices de notaires et de garde-notes tabellions seront réunis par l’édit de mai 1597 d’Henri IV. Voir Marcel Baudot, « Les archives notariales en France : histoire et statut actuel », dans Gazette des archives, n° 40, 1963, p. 5-15, à la p. 8.

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d’archives des juridictions, véritable ancêtre du greffe15. En effet, elle distingue les archives propres des notaires, des archives des cours, lesquelles doivent rester la propriété de celles-ci. En pratique, ces mesures mettent en place le greffe avant la lettre, les notaires étant chargés de rédiger et de centraliser les pièces originales. Philippe V le Long, le 17 novembre 1318, met en place un greffe spécial pour les Requêtes du Palais, mais sans que le terme lui-même soit employé. Ses titulaires sont appelés « notaires du roi employés au Parlement pour les Requêtes »16. Trois ou quatre notaires sont tenus de servir aux Requêtes sans faillir et sans aller à la Chambre ; ils doivent faire le serment de ne pas faire d’autres lettres tant qu’ils auront celles des Requêtes à faire. Ils les rapporteront écrites au matin, à leurs maîtres des requêtes, qui les corrigeront et les signeront. Puis, elles seront apportées au chancelier pour être scellées. En revanche, le greffier de la Chambre des enquêtes est celui de la Grand Chambre. Ce roi prend une autre ordonnance fondatrice en 132017. Le terme de « greffe » y apparaît pour la première fois : en effet, celui qui tient le greffe du Parlement sera tenu tous les samedis de bailler à la Chambre des comptes toutes les condamnations et amendes pécuniaires sans rien en retenir ni assigner autre part. Le greffier se voit donc confier un rôle de consignation des sommes d’argent taxées par la cour, fonction qu’il assumera jusqu’au XVIIe siècle. Une partie de l’ordonnance est consacrée spécialement à la Chambre des enquêtes. Son article 3 apporte une précision pittoresque quant à la séparation stricte qui doit s’opérer entre les procès criminels, lesquels touchent au sang, et les causes civiles ; en effet, les enquêtes doivent être séparées en trois huches, ou coffres, à savoir les enquêtes à juger dans une huche, celles déjà jugées dans une autre, et enfin les enquêtes de sang dans une troisième. Les enquêtes en matière criminelle doivent être séparées matériellement des autres, cette injonction venant compléter l’interdiction faite aux clercs de connaître des affaires de sang. L’article 4 évoque à nouveau le « clerc du greffe ». Le terme de « greffe » est employé avant celui de greffier.

2. Les ordonnances des rois Valois Une ordonnance de Philippe VI de Valois du 8 avril 1342 désigne encore les greffiers sous les termes de « notaires du roi » en précisant qu’il y en a trois : l’un affecté aux causes civiles, l’autre aux causes criminelles et le dernier aux présentations18. Ils étaient choisis en effet parmi les nombreux notaires que le roi 15. ORF, t. I, p. 416. 16. Ibid., p. 675. 17. Ibid., p. 727. 18. Ibid., t. II, p. 173.

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attachait au Parlement. Mais, en 1345, une autre ordonnance de ce même roi, laquelle sera souvent reprise par ses successeurs, innove et désigne les notaires affectés au Parlement sous le nom de « registreurs »19. En 1361, un règlement de Jean II le Bon sur les gages du parlement de Paris y ajoute un synonyme emprunté au grec : grefferium20. Il y est question de tres registratores seu grefferii Parlamenti qui seront payés de leurs gages avec les gens du Parlement, c’est-à-dire au moyen de l’assignation sur la recette des amendes de la cour. Le « graphier » du Parlement est né. Charles V promulgue huit ordonnances importantes sur le Parlement. Dans un règlement de 1364, on rencontre le terme de greffier : « Et incontinent que lesdiz articles vous seront baillez descordez, faites les signer par lesditz greffiers, ou par aucuns de nos autres notaires, se mestier est […] ». Les dispositions sur les avocats, qui doivent plaider le plus brièvement possible et gratuitement pour les pauvres, évoquent l’ordonnance de Philippe le Hardi. Quant à l’article 13, il confirme l’existence d’un greffe séparé pour les Requêtes du Palais puisque les gens des Requêtes doivent veiller à ce que le greffier et les sergents ne prennent point des salaires excessifs, ce qui pourrait être préjudiciable aux plaideurs21. Le 28 janvier 1372, des lettres décident que les trois clercs et notaires du roi qui exercent leur office au Parlement prendront leurs gages et leurs manteaux22 sur les amendes et autres produits de justice. L’ordonnance utilise également le terme de « registreurs » (registratoribus) en distinguant les causes civiles, criminelles et les présentations23. Au début du XVe siècle, le Parlement essaie de faire reconnaître le titre de greffier comme l’apanage exclusif de ceux servant à la cour suprême. En 1405, le premier président Henri de Marle s’aperçoit, alors qu’il prononce un arrêt, qu’une des parties, qui est notaire du roi et clerc au Trésor, se dit dans ses lettres « graphier du Tresor ». Outré de cette prétention, Henri de Marle rappelle que la cour de Parlement est souveraine cour du royaume et que ses officiers ont prééminence et autorité singulière sur tous les autres. En conséquence, nul ne peut se faire appeler « graphier », « sinon le graphier de ceans », et le président défend à tout un chacun de prendre dorénavant ce titre, et, pour faire bonne mesure, interdit aussi aux sergents des autres chambres ou cours de justice de se faire appeler huissiers « hors les huissiers de ceans » 24. La cour, jalouse de sa supériorité et de celle de ses officiers, veut leur réserver leur titulature comme un privilège attaché à leur fonction. 19. Ibid., p. 223, article 14 : « Et pour ce au Conseil ne demourassent que li seigneur et li registreur de la cour… ». 20. Ibid., t. III, p. 482. 21. Ibid., t. IV, p. 506-509. 22. Voir infra p. 147. 23. ORF, t. V, p. 579. 24. Arch. nat., X1A 1478, fol. 239v.

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Il est d’ailleurs permis de s’interroger sur cette admonestation assortie d’une défense générale pour l’avenir prononcée par le premier président, ce qui témoigne d’un véritable pouvoir réglementaire détenu par ce haut magistrat. Mais cette interdiction était difficile à faire respecter comme en témoigne une plaidoirie de 1434 au Parlement anglo-bourguignon à Paris. Le procureur du roi critique en effet le Conseil de Rouen mis en place par le régent Bedford pour la Normandie : « ils appellent greffier leur scribe contre les ordonnances royales »25. Le procureur du roi conteste la compétence de cette juridiction, en même temps que le titre qu’elle ose donner à son scribe. Le procureur du roi proclame que le Parlement est la seule cour souveraine ; son greffier est assimilé au personnel parlementaire, ce titre lui est réservé. De même, le 30 mars 1443 un avocat plaide « qu’il n’y a de greffier qu’au Parlement et que dans les autres cours, ils s’appellent notaires et tabellions »26. La défense prononcée autrefois par Henri de Marle était toujours vivace. La législation royale sous Charles VI et Charles VII adopte définitivement le titre de greffier tout en lui accolant celui de notaire, témoin des origines de la fonction, ainsi que de l’obligation d’être pourvu d’un office de notaire du roi avant de pouvoir prétendre à être greffier. En 1412, par exemple, des lettres de Charles VI évoquent les gens du Parlement, dont « nos amez et feaulx les greffiers et notaires de nostredicte court »27. Qu’en est-il des actes de la pratique ? Jean de Montluçon est appelé « clerc du roi » dans une enquête des Olim en 1263 avant de devenir « clerc des arrêts » en 128728. Cette similitude de vocabulaire avec l’ordonnance de 1278 laisse supposer que les conseillers du Parlement étaient certainement consultés par le roi lors de l’édiction de normes concernant la justice, ou même que le Parlement en était l’inspirateur, voire l’auteur. Puis, lorsque Pierre de Bourges succède à Nicolas de Chartres, le registre le mentionne comme celui qui tient l’office des arrêts (officium arrestorum)29. En 1401, Jean de Cessières est qualifié de « notaire du roi notre sire et graphier criminel de Parlement »30. Les lettres du Parlement en exil à Poitiers qui confient des commissions d’enquête aux greffiers qualifient Jean de Blois de « clerc et notaire du roi, greffier du Parlement »31 et Jean d’Asnières de « clerc, notaire du roi et greffier criminel »32. Cette titulature très complète renvoie au clerc des arrêts 25. Arch. nat., X1A 4797, fol. 153, acte D (5 avril 1434). Je remercie Axel Degoy de m’avoir indiqué cette référence. 26. Arch. nat., U 2256, fol. 19. 27. ORF, t. X, p. 11. 28. Les Olim, ou Registres des arrêts rendus par la cour du roi sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel, de Louis le Hutin et de Philippe le long, éd. Auguste-Arthur Beugnot, 3 t. en 4 vol., Paris, 1839-1848, t. II, p. 274, n° XXVIII : clericis arrestorum. 29. Voir Arch. nat., U 2256, fol. 62v. 30. Arch. nat., X1A 1478, fol. 24v. 31. Arch. nat., X1A 9195, fol. 208, acte B (17 août 1424).

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des débuts du Parlement, tout en rappelant que le greffier est avant tout un notaire du roi. Cependant, le terme de registrator subsiste parfois comme synonyme de « greffier » : dans un arrêt de 1402 opposant Pierre de L’Esclat, maître des requêtes de l’Hôtel, à Gilles de Grigny, avocat au Parlement, Pierre de L’Esclat accuse le greffier des présentations d’avoir omis d’enregistrer sa présentation en le qualifiant de registratore presentacionum33. Le greffier criminel, lui aussi, est appelé « registreur » en 140334 et, en 1416, le greffier des présentations, Nicolas de Lespoisse, est qualifié de registrator dans un registre du Conseil35. Il arrive que ce même terme soit aussi employé au Parlement transféré à Poitiers de 1418 à 143636.

II. LE STATUT DU GREFFIER DU PARLEMENT Fruit de la législation royale et de la jurisprudence du Parlement, le statut juridique du greffier sera envisagé successivement sous l’angle de son recrutement, de ses obligations, de ses privilèges et de sa rémunération.

1. Recrutement Il existe des notaires à la chancellerie royale, au Conseil du roi, au Châtelet. En 1270, saint Louis crée pour Paris soixante notaires. Depuis le XIIIe siècle, les lois du roi ordonnaient que des notaires, désignés par le roi, devaient assister aux séances du Parlement et prendre des notes37. En 1302, le roi prescrit qu’il y ait à la chambre du Parlement des notaires en nombre suffisant selon les besoins estimés par les présidents38. Il existe une liste des notaires délégués par le roi auprès du Parlement ; Pierre de Bourges, par exemple, fut le premier sur cette liste. Cependant, l’institution de cette charge de greffier n’empêche pas d’autres notaires de travailler à la Grand Chambre et d’assister le greffier dans son travail quotidien ; ils sont quatre en 1413 qui « servent le roy au Parlement pour l’aide et subside du graphier »39. Le chancelier leur 32. Ibid., fol. 216, acte B (24 nov. 1424). 33. Arch. nat., X1A 50, fol. 80 (9 décembre 1402). Je remercie Axel Degoy de m’avoir communiqué cette référence. 34. Arch. nat., U 2256, fol. 129v. 35. Arch. nat., X1A 1480, fol. 51, acte B (27 mars 1416). 36. Arch. nat., X1A 9190, fol. 241v, acte B. 37. À Rome, le notaire est celui qui prend des notes. Selon A. Chéruel, Dictionnaire historique…, 2e partie, p. 869, leur nom vient du latin notae (notes, titres, écritures ou chiffres), car autrefois, à Rome, ils écrivaient les actes en abrégé. 38. ORF, t. XII, p. 353. 39. Il sont toujours au nombre de quatre en 1484 : voir Alphonse Grün, « Notice sur les archives du parlement de Paris », dans Edgard Boutaric, Actes du parlement de Paris. Première série : de l’an 1254 à l’an 1328, t. I : 1254-1299, Paris, 1863, p. CCXLIV.

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ordonne de faire leur travail, sinon il en « pourvoira d’autres », mise au pas significative d’un certain relâchement40. Le greffier civil est le greffier en chef du Parlement, il a la qualité de clerc jusqu’en 1492. Mais, en vertu du principe bien connu selon lequel Ecclesia abhorret a sanguine, un greffier « lay » est nommé dès le XIIIe siècle pour suivre les procès criminels dont les audiences, excluant les conseillers clercs, se tiennent dans une Tournelle séparée. Le greffier est du corps du Parlement. Son statut n’est pas différent de celui des autres membres du palais et la cour lui applique les règles observées pour son propre recrutement. Les greffiers sont, dans un premier temps, présentés par le Parlement au roi qui les nomme, puis, par la suite, élus au scrutin par la cour qui choisit ses auxiliaires comme ses conseillers. Les deux chambres assemblées, la Grand Chambre et la Chambre des enquêtes, en présence du chancelier, élisent deux ou trois personnes à l’office vacant, puis le roi choisit l’élu parmi elles. Ce système de l’élection est mis en place par la législation des Marmousets au début du règne personnel de Charles VI, lequel est empreint d’un grand mouvement de réforme de l’État41. Des lettres patentes de ce roi mentionnent en effet cette procédure de l’élection à propos de la nomination de Nicolas de Baye : le roi, constatant la longue vacance de l’office, demande à son chancelier de se rendre à la cour où sont assemblés les présidents, les conseillers et plusieurs membres du Grand Conseil, qui élisent N. de Baye pour tenir l’office. Après cette élection et délibération du conseil, le roi ordonne et retient N. de Baye comme protonotaire et greffier civil du Parlement42. Le greffier est un personnage considérable ; il peut être conseiller après l’exercice de sa charge, comme Pierre de Bourges, Nicolas de Villemer ou Jean Chéneteau. En novembre 1416, Nicolas de Baye résigne ses fonctions de greffier et demande à terminer sa carrière comme conseiller ; Clément de Fauquembergue abandonne alors son office de conseiller pour lui succéder comme greffier, ainsi que le fera après lui Pierre de Cerisay. C’est une charge prestigieuse, plus lucrative que celle d’un conseiller et non moins honorifique43. Mais, condition sine qua non, le greffier doit, au préalable, posséder la qualité de notaire-secrétaire du roi. En 1483, la cour arrête qu’on ne peut être greffier ou secrétaire de la cour sans être au préalable secrétaire du roi44 ; en 1543, le greffier des présentations Simon Hennequin n’étant pas secrétaire du roi est dispensé d’exercer ses fonctions pendant un an, temps durant lequel « il fera 40. Arch. nat., X1A 1479, fol. 276v (13 nov. 1413) et Arch. nat., U 2256, fol. 96v. 41. Voir Françoise Autrand, Charles VI, Paris, 1986, p. 208. 42. Arch. nat., X1A 1478, fol. 37 (14 janvier 1401). 43. Journal de Clément de Fauquembergue, greffier du parlement de Paris, 1417-1435, éd. Alexandre Tuetey, Paris, 1903-1915, t. I, p. IV. 44. Arch. nat., U 2256, fol. 5.

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ses diligences pour l’être »45. en 1547, le greffier des présentations n’étant pas secrétaire du roi, et en ayant été dispensé, les secrétaires du roi ne voulurent pas le recevoir à signer les expéditions : la cour dut commettre le greffier civil pour les signer46. Un arrêt de 1420 est révélateur de cette assimilation du greffier au reste du personnel du Parlement : les habitants d’Aizenay47 sont condamnés à une amende de 60 livres parisis pour inobediencia et irreverencia envers un arrêt précédent de la cour, mais aussi pour avoir méprisé le roi et sa cour, ainsi que le greffier qui avait été calomnié et outragé48. Injurier le greffier, c’est offenser le Parlement dans son ensemble. Cet arrêt est comme un écho de l’ordonnance prise par Philippe V en 1318 qui prévenait « que ceulx qui tiendront le parlement ne souffrent pas eulx vitupérer par oultrageuses parolles des advocats, procureurs, ne des parties. Car l’honneur du roy de qui ils présentent la personne en tenant ledit parlement ne le doit mye souffrir »49. Pierre de Miraulmont, faisant l’éloge du Parlement au XVIe siècle, cite cet article de l’ordonnance, preuve de l’autorité de la législation royale et de son caractère fondateur puisqu’elle sert de référence au cours des siècles, preuve aussi que le Parlement représente toujours le roi à l’époque moderne et reste le garant de son honneur50. Nous avons vu que, dès 1278, les causes criminelles sont séparées strictement des affaires civiles et que le greffier civil, en sa qualité de clerc, est bien distinct du greffier criminel qui, lui, est un laïc. Les clercs du greffier civil sont aussi des hommes d’Église. Une anecdote ayant pour cadre le Parlement qui siégea sous domination anglaise à Paris de 1420 à 1436, témoigne de l’acuité de cette séparation. Trois greffiers y étaient normalement en fonctions, mais, à la suite du décès de Pierre de La Rose, greffier des présentations, et du départ inopiné de Clément de Fauquembergue pour Cambrai en octobre 1435, il ne reste plus en charge du greffe que le greffier criminel, Jean de L’Épine, qui est alors commis à l’exercice du greffe civil par Charles VII. En conséquence, le 8 novembre 1435, la cour décide que c’est le clerc principal du greffier qui « registrera » les conseils et plaidoiries et que le greffier criminel signera51. Ce dernier prend possession de la charge, mais les deux clercs de Fauquembergue requièrent alors décharge des registres et procès du greffe civil, et déclarent, en leur qualité de gens d’Église, ne plus vouloir y rester tant que le greffier criminel en a l’administration. Malgré les efforts de Jean de L’Épine pour 45. Arch. nat., U 2256, fol. 137. 46. Arch. nat., U 2256, fol. 5 et v et 140v. 47. Vendée, cant. Le Poirée-sur-Vie. 48. Arch. nat., X1A 9190, fol. 126v (2 octobre 1420). 49. ORF, t. I, p. 676. 50. Pierre de Miraulmont, Mémoires […] sur l’origine et institution des cours souveraines et autres juridictions subalternes, encloses dans l’ancien palais royal de Paris, Paris, Abel L’Angelier, 1584, p. 23. 51. Arch. nat., U 2256, fol. 59.

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les retenir, les deux clercs ne se laissent pas fléchir, un homme d’Église ne pouvant assister un greffier laïque en charge des lettres et arrêts « de sang »52. Les clercs demandent à la cour qu’elle désigne deux conseillers, qu’ils instruiront de « l’état de la Tournelle civile », afin qu’eux-mêmes en soient déchargés, ce que fait la cour53. En présence des deux commissaires désignés par la cour, le procès-verbal de la remise des papiers du greffe à Jean de L’Épine est dressé le 27 décembre 1435.

2. Obligations Les recommandations et prescriptions concernant les greffiers émaillent les ordonnances sur la justice. Des ordonnances de 1318 et 1320 de Philippe V réglementent la fonction : les notaires du roi employés au Parlement pour les Requêtes ne peuvent exercer aucune autre profession tant qu’ils ont des lettres à rédiger, ce qui leur crée une obligation d’assiduité. Durant le parlement, ni les maîtres ni les notaires ne pourront sortir de Paris sans autorisation spéciale de la cour. Cette obligation de résidence est confirmée en 1521 : la cour ordonne qu’ils seront tenus de résider et qu’ils ne devront pas s’absenter sans congé, ce dont ils doivent faire serment à leur réception54. Le greffier a l’obligation de résider à la cour, ce qui ne devait pas être respecté puisque l’ordonnance de Montils-lès-Tours réitère cette prescription55. Collecteur des amendes de la cour, on se rappelle qu’il doit remettre tous les samedis à la Chambre des comptes le produit des condamnations sans rien en retenir. Cette disposition est confirmée en 1499 par Louis XII : ils ne doivent prendre aucun salaire pour les deniers consignés entre leurs mains56. Le greffier civil est aussi le dépositaire des sommes et objets précieux consignés par les plaideurs, avant que soit institué un receveur des consignations au XVIIe siècle57. L’ordonnance de 1342 prescrit que, pour les greffiers en exercice, le Parlement doit s’assurer de leur capacité en latin et en français58 ; pour l’avenir, ils seront examinés par le chancelier. Ils ne peuvent déroger à une certaine dignité, laquelle leur interdit d’être bouchers ou barbiers sous peine de privation d’office59. Surtout, ils doivent garder le secret de la cour. Dès 1302, une ordonnance de Philippe le Bel dispose que les notaires siégeant à la Grand Chambre doivent jurer qu’ils tiendront et garderont le secret de la cour, puis en 1304 le 52. Journal de Clément de Fauquembergue…, t. I, p. XXIV. 53. Arch. nat., U 2256, fol. 64v. 54. Ibid., fol 21v. 55. ORF, t. XIV, p. 284-313. 56. Arch. nat., U 2256, fol. 21. 57. Ibid., fol. 76. 58. ORF, t. II, p. 173. 59. ORF, t. I, p. 416.

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roi précise que les notaires des cours entendent et examinent les témoins et recueillent leurs dépositions qu’ils doivent tenir secrètes. Cette obligation s’étend à leurs clercs : en 1441, la cour les fait jurer qu’ils ne révèleront les procès de la cour à personne60, avant que l’ordonnance de Montils-lès-Tours les menace d’être bannis de la vicomté de Paris s’ils se rendent coupables de révéler les secrets de la cour61. Le Parlement a toujours eu le soin de garder ses pièces secrètes ainsi que ses délibérations ; c’est ainsi qu’en 1453 il va jusqu’à défendre aux clercs de passer par la Grand Chambre les jours de conseil62. En 1401, sur ordre de la cour, Nicolas de Baye fait faire dans son greffe un « comptoir » muni de serrures et de ferrures pour « mettre et garder les livres et registres du secret de ladite cour »63. Au Parlement transféré à Poitiers en 1418 après la prise de Paris par les Bourguignons, une ordonnance de la cour, qui reprend mot pour mot l’ordonnance de Philippe VI de 1345, insiste sur le secret des délibérations et le serment fait par chacun de n’en rien révéler : « il ne loist a nul quel qu’il soit dire ne reciter de quelle opinion les seigneurs ont esté, car en ce faisant il enfraindroit son serment qu’il a faict de garder et non reveler les secrets de la cour »64. L’ordonnance de Montilslès-Tours menace de privation de gages ou d’office tous ceux, dont les notaires et greffiers, qui enfreindraient l’obligation du secret. Les huissiers de la cour sont aussi concernés par cette obligation : ils ne doivent pas venir au conseil mais « parlent de loing » et, s’ils doivent y venir, que ce soit le moins possible, afin que l’on ne puisse les soupçonner de « révéler le conseil »65. Les greffiers sont obligés d’entretenir leurs clercs en leurs maisons, de les rémunérer et en particulier de « leur bailler bon et compétant salaire, en manière qu’ils ne prennent ne exigent aucune chose des parties, sinon ce qui leur est permis par l’ordonnance ». Si d’aventure le greffier refusait de payer ses clercs, la cour les paiera sur l’émolument du greffier. Ils sont tenus d’avoir un nombre suffisant de clercs savants et expérimentés de sorte que les parties soient promptement « dépeschées ». Le greffier civil aura trois ou quatre clercs, le greffier criminel, deux, le greffier des présentations, un, chargés de « minuter » les arrêts et décrets et d’apporter les plaidoyers à la Grand Chambre et à la Tournelle ; d’autres clercs seront chargés de grossoyer et faire les registres66. Le greffier des présentations est chargé de recevoir les cédules des 60. Arch. nat., U 2256, fol. 26v. 61. ORF, t. XIV, p. 284-313, art. 110. 62. Arch. nat., U 2256, fol. 26v. 63. Arch. nat., KK 336, fol. 62. 64. Arch. nat., U 2224, fol. 1-8v. 65. Voir les ordonnances de la cour du Parlement éditées dans Le grand coutumier de France, éd. Édouard Laboulaye et Rodolphe Dareste, Paris, 1869, p. 24-29. 66. Ibid., p. 19.

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présentations et de fixer en conséquence les rôles, c’est-à-dire l’ordre dans lequel doivent venir les affaires67. En 1540, le roi érige en titre d’office les clercs des greffes des parlements et autres juridictions du royaume et, pour le parlement de Paris, il ordonne qu’il y en ait quinze au greffe civil, sept au criminel et six à celui des présentations, ce qui donne une idée de l’accroissement du contentieux mais aussi des besoins financiers du roi qui vend les offices qu’il crée. Il règle leurs gages et leur donne droit de committimus68 aux Requêtes du Palais69. En 1599, il existe seize offices de clerc au greffe civil écrivant à la peau70 : en dépit de la résistance du Parlement à l’égard de ces pratiques, le roi multiplie les créations d’offices moyennant finance. Le Parlement a toujours défendu à ses greffiers, ou à leurs clercs, d’emporter les pièces de procédure hors du greffe, chez eux71. Cette interdiction n’étant pas respectée, ce qui était cause de pertes irréparables, une décision du Parlement prise au Conseil du 3 août 1596 fait défense aux clercs des greffes, tant civil que criminel, d’emporter registres ou minutes72 en leurs maisons73. La même défense est réitérée en 1603 par la cour, démontrant par là que les mauvaises habitudes perduraient74. Quand le clerc écrit une lettre, il doit la faire collationner par un de ses compagnons, les mots « collation est faicte » devant être écrits de la main de celui qui a collationné et non de celui qui l’a écrite. De la sorte, si une faute était trouvée dans la lettre, on pouvait procéder par amendes arbitraires contre les clercs, punition corporelle ou autre, ainsi que la cour en décidait75.

3. Privilèges et prérogatives Philippe le Bel se réserve à lui et à ses successeurs le droit exclusif de créer des notaires, voulant en empêcher l’institution par les seigneurs. Nous avons vu que le titre de greffier est un privilège réservé à ceux du Parlement, de la volonté même de la cour qui manifeste ainsi son caractère souverain et la prééminence de ses officiers. Le greffier civil, greffier en chef, jouit des privilèges du Parlement 67. Ordonnance de 1342 : ORF, t. II, p. 173. 68. Privilège de juridiction en vertu duquel son titulaire a la faculté de porter en première instance toutes les affaires civiles le concernant devant les Requêtes de l’Hôtel ou les Requêtes du Palais du parlement de Paris. 69. Arch. nat., U 2256, fol. 28. 70. Ibid., fol. 41. 71. Alphonse Grün cite dans ce sens une ordonnance de 1490 (« Notice… », p. LIII). 72. La minute, du latin médiéval minuta, prenait la forme d’une note écrite à traits menus. Elle désigne l’original d’un acte authentique. 73. Arch. nat., U 2256, fol. 40v. 74. A. Grün, « Notice… », p. LIII. 75. Le grand coutumier de France…, p. 26.

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dont il fait partie intégrante : il marche à sa tête avec la robe rouge et l’épitoge. Il dispose d’un local, la Tournelle civile76 ; au XVIe siècle, il lui est attribué une seconde Tournelle. En 1479, la cour ordonne que les greffiers puissent disposer d’une clé de la grande salle du palais pour venir les jours de fête mettre leurs procès en ordre, ce qu’ils ne peuvent faire les autres jours, à cause de « la presse »77. Mais est-ce bien là un privilège ? Les greffiers qui ont la qualité de clerc jouissent des mêmes privilèges que les conseillers clercs : en effet, ils peuvent percevoir les fruits de leur prébende, bien qu’ils ne résident pas78. Étant du corps de la cour, cette qualité les exempte, à l’instar des gens du Parlement, de l’imposition du « crû » ou « creu » de leurs héritages, c’est-à-dire des fruits provenant des terres leur appartenant, revenus qu’ils peuvent vendre sans être tenus de payer les aides79. En 1398, ils sont aussi exemptés de la taille pour le secours de la chrétienté et, en 1404, Charles VI les décharge, avec tous les gens du Parlement, de l’aide imposée pour résister aux Anglais, car ils sont continuellement occupés pour « le bien public du royaume et au gouvernement et exercice de la justice capitale et souveraine »80. En 1411, Charles VI les dispense d’aller servir le roi en personne à cause de leurs fiefs81 et, en 1412, ce roi les exempte aussi du service militaire de l’arrière-ban qu’il a l’intention d’assembler82, puis, en 1414, du dixième levé sur le clergé de France pour la conservation, garde et défense de la Couronne83. Cette politique d’exemption est poursuivie par Charles VII qui défend de les faire contribuer à l’aide levée en Poitou, octroyée au roi par les trois états du royaume. À ces privilèges d’ordre militaire et fiscal accordés au greffier, le roi ajoute une garantie quant à sa rétribution.

4. Gages et salaires Le greffier étant titulaire d’un office de notaire du roi, il en a les gages, pris sur l’émolument du sceau, et les bourses ordinaires, attachés à cette charge. Mais la fonction de greffier comporte d’autres émoluments, ce qui la rend fort lucrative. Jean II le Bon en 1361 édicte un règlement sur les gages du parlement de Paris où il est décidé que les trois greffiers seront payés de leurs gages avec les 76. Nicolas de Baye fit faire de nombreux travaux et aménagements dans sa Tournelle (tablette, loquets, plancher…). 77. Arch. nat., U 2256, fol. 20v. 78. Arrêt du 26 mai 1365 : Arch. nat., U 2256, fol. 18v. 79. ORF, t. VIII, p. 184 (14 mars 1398 n. st.). 80. Ibid., t. IX, p. 4 (26 mai 1404). 81. Arch. nat., U 2256, fol. 19. 82. ORF, t. X, p. 11 (3 mai 1412). 83. Ibid., p. 218 (25 août 1414).

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gens du Parlement, le moyen de paiement prévu étant l’assignation sur la recette des amendes de la cour84. En 1372, Charles V décide que les trois clercs et notaires du roi qui servent au Parlement prendront leurs gages et leurs manteaux sur les amendes et autres produits de justice85. Les greffiers, comme les membres du Parlement, participent en effet aux gratifications octroyées aux gens de l’Hôtel du roi. Ils reçoivent, lors des grandes fêtes de l’année, des « robes », c’est-à-dire un habillement complet fait de costumes et de manteaux. Cette distribution peut aussi prendre la forme d’une libéralité en argent « pour manteaux »86. D’autres rétributions s’y ajoutent, les bourses ordinaires, prélevées aussi sur l’émolument du sceau. Des lettres patentes de Charles VI, datées du 24 décembre 1400, décident que les trois éléments que constituent les gages, bourses et manteaux, seront indéfectiblement attachés à l’office de greffier. En effet, à la mort du greffier Jean Willequin, les gages, manteaux et bourses avaient été « separez et divisez » de l’office, si bien que personne ne voulait lui succéder sans gages, « attendu les grans charges peines et travaulx continuelz et le nombre de clers qu’il convient avoir et tenir pour ceste cause ». Après élection et nomination par le roi en Grand Conseil de Nicolas de Baye, le souverain ordonne que, jusqu’à ce qu’il soit pourvu de ses gages ordinaires, il soit pris « en notre tresor certaine pension et gaiges extraordinaires ». Le roi, voulant que cette « separation et division » des gages et de l’office, faite « contre raison », ne puisse se reproduire, ordonne après délibération du Conseil, « de notre certaine science et propre mouvement », que les premiers gages, manteaux et bourses qui seront vacants pour cause de mort ou autrement seront perpétuellement unis, annexés et ajoutés à l’office de greffier civil et prescrit que Nicolas de Baye en soit le premier bénéficiaire. Ces mêmes lettres royaux le mettent en « possession et saisine » des premiers gages, manteaux et bourses disponibles afin qu’il en use et jouisse pleinement et paisiblement87. L’acte suivant du registre du Conseil nous apprend que lors du décès de Jean Berraut, clerc, notaire et secrétaire du roi, ses gages furent attribués à Nicolas de Baye par décision royale le 24 juin 140188. La même année, le greffier criminel, probablement envieux de cette situation privilégiée faite au greffier civil, prétend que l’office de secrétaire du roi, uni à l’office de greffier civil, est aussi uni au sien ! Il est cependant débouté de cette prétention par des lettres en septembre 140189. Le roi précise aussi qu’à l’avenir les gages ne devront plus jamais être séparés de l’office, mais si cela avait lieu malgré tout, par « inadvertance ou importunite de requerans », le roi décide 84. Ibid., t. III, p. 482. 85. Ibid., t. V, p. 580. 86. Au 1er mai, les parlementaires recevaient, en plus des manteaux, des chapeaux de roses. 87. Arch. nat., X1A 1478, fol. 37. 88. Ibid., fol. 37v. 89. Arch. nat., U 2256, fol. 129.

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par avance que ce serait nul et de nul effet et demande au Parlement de veiller à ce qu’il n’y soit pas obéi. Il tente ainsi de se prémunir de sa propre faiblesse à l’égard des réclamations et sollicitations multiples dont il est l’objet. Charles VI demande que cette « ordonnance, grâce et volonté » soit publiée et enregistrée par le Parlement ainsi que par la chancellerie royale afin que nul ne l’ignore90. De plus, les particuliers versent au greffier un salaire payé à la ligne d’écriture pour la rédaction des expéditions d’arrêts ou d’autres cédules. De Philippe le Bel91 à Charles VII, des ordonnances répétées leur enjoignent de prendre des salaires modérés92, jusqu’à ce que l’ordonnance de Montils-lès-Tours tance sévèrement les greffiers qui ont pris et exigé des parties or et argent pour expédier les arrêts. Le roi, voulant préserver ses sujets de frais déraisonnables et régler les greffiers « au train et ordre ancien », ordonne qu’ils n’exigent rien des parties pour délivrer les jugements de la cour, ainsi qu’ils le faisaient en 1418, cette injonction étant assortie d’une menace de privation d’office. De plus, les présidents et conseillers sont chargés de s’informer des anciennes observances et usages en cette matière, de les mettre par écrit et de les faire observer strictement. La réglementation royale va dans le sens d’une tarification stricte de ces droits perçus pour tout acte effectué par le greffier ou ses clercs, droits qu’ils sont enclins à fixer sans cesse à la hausse. L’ordonnance sur la justice de Charles VIII réglemente à nouveau les salaires avec précision, les clercs, par exemple, ne pouvant exiger que deux sols et six deniers tournois par feuillet écrit par leurs soins ; quant aux expéditions, le greffier et ses clercs ne doivent en principe percevoir aucun salaire « si ce n’est par honnesteté pour le vin du clerc qui les aurait escriptz », et il est aussi autorisé à prendre quatre sols par peau93. Son statut confère ainsi au greffier nombre d’avantages, tout comme son office des arrêts fait de lui un personnage d’importance au Parlement. Homme de plume, mais aussi garde-registre, le greffier du Parlement engrange assidûment la mémoire judiciaire du royaume. Il la répartit entre divers instruments de travail et documents officiels qui s’articulent entre eux, dans une logique parfois floue. Il conviendrait encore d’étudier les moyens et les instruments qu’utilise le greffier pour constituer et conserver ses archives, ainsi que la valeur juridique de ces documents. Les supports matériels des écritures des premiers greffiers se révèlent à la lecture des Olim, mais les termes employés de « registre de la cour », « rouleau du Parlement » ou « Livre » nécessitent analyses et interprétations. De la même 90. Arch. nat., X1A 1478, fol. 37. 91. ORF, t. I, p. 364 (accipiant salarium moderatum[…]). 92. Un règlement de 1364 dit que les gens des Requêtes veilleront à ce que le greffier et les sergents ne prennent point de salaires excessifs : ibid., t. IV, p. 506. 93. Ibid., t. XX, p. 386-413 (juillet 1493).

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façon, il serait nécessaire de s’interroger sur la nature juridique et donc la force probante de ces archives qui sont, ne l’oublions pas, des sources judiciaires. À cet égard, les termes de plumitif, minute, grosse, transcription doivent éveiller notre attention : est-on en présence d’un original ou d’une copie ? Cette étude ne pouvant trouver sa place dans le cadre restreint d’un article, il conviendra de lui consacrer une enquête et une publication ultérieures. Défiant nos faibles moyens et notre sagacité à y trouver des portes d’entrée, la forteresse des archives de la cour de Parlement nous domine du haut de ses cinq siècles et demi de jurisprudence94. Cette mémoire judiciaire du royaume et de l’État de droit qui se construit nous renvoie aux tout premiers greffiers transcrivant, depuis leur Tournelle, de leur écriture menue, les premiers Olim, et à leur effort méritoire pour organiser le désordre du greffe primitif. Monique MORGAT-BONNET Institut d’histoire du droit (Centre d’étude d’histoire juridique), université Panthéon-Assas-Paris II – CNRS – Archives nationales

94. Elle se compose d’environ 10 500 registres renfermant plus de cinq millions d’actes.

NAISSANCE D’UNE MÉMOIRE JUDICIAIRE LES DÉBUTS DE LA « CLERGIE » DU CHÂTELET DE PARIS (VERS 1320-VERS 1420) PAR

JULIE CLAUSTRE

La mémoire judiciaire et institutionnelle du Paris médiéval s’offre principalement aux historiens sous la forme de registres, relevant de deux types bien distingués depuis longtemps1. Le premier type est le support de la mémoire d’une justice considérée comme un droit seigneurial. Il regroupe ce que l’on peut appeler les « registres-cartulaires », qui assemblent des résumés d’affaires judiciaires, non pour garder la mémoire des délinquants, délits, procédures et peines, mais afin de justifier l’exercice d’une juridiction en certains lieux ou sur certains sujets. Il s’illustre par les registres conservés les plus anciens, ceux des XIIIe et XIVe siècles, notamment ceux faits aux abbayes de Sainte-Geneviève et de Saint-Germain des Prés2. Le second type, celui des registres d’exploits et d’audiences, regroupe la grande masse des registres de justices du XVe siècle, même si les plus anciens conservés dans cette catégorie sont les trois registres du XIVe siècle issus de la juridiction de Saint-Martin-des-Champs3. Ils recueillent l’ensemble des affaires traitées par un tribunal ou une juridiction au cours d’une période donnée et reflètent donc la totalité de son activité, en général sans 1. Paul Viollet (« Registres judiciaires de quelques établissements religieux du Parisis du XIIIe au XIVe siècle », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 34, 1873, p. 321-322) opposait ainsi deux classes de registres, les « résumés judiciaires » et les « registres tenus au jour le jour ». 2. Louis Tanon, Histoire des justices des anciennes églises et communautés monastiques de Paris, Paris, 1883, p. 347 et suiv. et p. 413 et suiv. ; Bronislav Geremek, Les marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1976, p. 67-68. 3. Arch. nat., LL 1395, LL 1396 et S* 1336. Ce dernier a été publié : Registre criminel de la justice de Saint-Martin-des-Champs à Paris au XIVe siècle, éd. Louis Tanon, Paris, 1877.

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séparer les cas civils des cas criminels et dans l’ordre chronologique des audiences et des « exploits » de ses agents. La mémoire judiciaire développée par les justices ordinaires parisiennes est donc bifide, mémoire seigneuriale et mémoire administrative. On souhaite ici retracer brièvement la naissance de la mémoire judiciaire de la principale juridiction royale de la capitale, celle du prévôt royal tenant le siège du Châtelet, et la situer dans ce cadre général. Pour ce faire, les très lacunaires archives du Châtelet ne peuvent constituer le seul appui de la démonstration4. Au-delà des destructions et dispersions plus tardives, l’histoire parisienne des XIVe et XVe siècles est en partie responsable des lacunes des archives de la prévôté royale. Les prisons du Châtelet, qu’elles aient abrité ennemis ou complices des émeutiers parisiens, et les papiers de la cour furent un objectif récurrent de ceuxci. Ainsi, les archives de l’institution furent-elles épisodiquement détruites, notamment le 1er mars 1382 par les Maillotins venus, d’après le Religieux de Saint-Denis, libérer les complices des « criminels » qu’aurait comptés la « multitude aveugle »5. En revanche, l’attention constante portée par les conseillers royaux à la tenue de cette juridiction a suscité une abondante documentation législative et réglementaire qui permet d’en cerner, mieux que pour les juridictions seigneuriales, certains traits saillants. On peut ainsi tenter de suivre l’histoire de la « clergie » et des greffes du Châtelet entre les années 1320 et 1420. En effet, la principale cour de justice ordinaire de Paris ne semble pas avoir développé une mémoire propre avant 1320. Un siècle plus tard, la préparation de l’ordonnance de réforme du Châtelet de mai 1425, commencée sous l’égide d’une commission de conseillers royaux nommés par le Parlement en 1423 et du 4. Elles comptent actuellement pour la période antérieure à 1500, outre les onze « livres de couleur » et le premier volume des « bannières » (Arch. nat., Y 1 à Y 7), qui sont des compilations de textes à portée réglementaire, un registre d’écrous incomplet (Arch. nat., Y 5266), un papier criminel (Arch. nat., Y 10531), treize registres de sentences civiles (Arch. nat., Y 5220 à Y 5232). Des copies modernes déposées aux Archives de la préfecture de police ont sauvegardé partiellement cinq autres « livres de couleur ». Enfin, un fragment du registre d’écrous de 1412 a été également retrouvé : voir « Fragments d’un registre d’écrous du Châtelet de Paris, 1412 », dans Claude Gauvard, Mary et Richard Rouse et Alfred Soman, « Le Châtelet de Paris au début du XVe siècle d’après les fragments d’un registre d’écrous de 1412 », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 157, 1999, p 565-606, aux p. 593-606. Nous nous permettons de renvoyer à Julie Claustre, Dans les geôles du roi. L’emprisonnement pour dette à Paris à la fin du Moyen Âge, Paris, 2007 (Histoire ancienne et médiévale, 95), p. 51-79. Pour un tableau général de ces archives, voir Henri Gerbaud et Michèle Bimbenet-Privat, Châtelet de Paris. Répertoire numérique de la série Y, I. Les chambres (Y 1 à 10718 et 18603 à 18800), Paris, 1993, p. 14-15. 5. Chronique du religieux de Saint-Denys, éd. et trad. Louis Bellaguet, introd. Bernard Guenée, Paris, 1994, t. I, p. 140-141. La Chronographia regum francorum, éd. Henri Moranvillé, Paris, 18911897, t. III, p. 25 est plus précise : procès, papiers et registres du Châtelet sont détruits. Voir Léon Mirot, Les insurrections urbaines au début du règne de Charles VI (1380-1383). Leurs causes, leurs conséquences, Paris, 1905, p. 135.

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procureur du roi Jean Le Roy6, a suscité un effort de mémorisation sans précédent, puisqu’elle semble être à l’origine d’une large partie du livre appelé Doulx-Sire, du nom du clerc de la prévôté qui y compila une série de textes relatifs aux offices du Châtelet et au style du tribunal7. De surcroît, ce livre nous a transmis nombre des textes qui réglementent « l’office de la clergie ». Principal agent de la mémoire de cette institution, le clerc de la prévôté ou clerc civil, institué en 1321, reçoit pour mission la mise en registre, mais aussi, et surtout, la garde de ces registres8. Il développe au fil de ces décennies une véritable mémoire procédurale, sans équivalent dans la documentation judiciaire parisienne de la même période. L’histoire de l’office de clergie au Châtelet révèle ainsi les enjeux sociaux de l’enregistrement qui, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’institution, concourent à modeler la forme et le contenu des papiers du greffier, c’est-à-dire des archives judiciaires. En 1320, à suivre un mémoire rédigé sur le fonctionnement de la justice royale du prévôt de Paris, celui-ci n’a pas organisé la conservation au Châtelet des « registres de bannis, de delivrances de prisonniers pour cas de crime, d’amendes, d’élargissements des prisonniers ». Un enregistrement est pratiqué, mais les prévôts successifs ne font pas conserver les registres ainsi tenus. Au contraire, à leur sortie de charge, ils emportent avec eux les registres tenus sous leur responsabilité, de sorte que leurs successeurs ne peuvent rien connaître de leurs sentences. Le prévôt a alors un clerc, qui est aidé d’autres clercs. Au second auditoire du Châtelet, les auditeurs, qui jugent des litiges les moins graves, ont des lieutenants, en particulier lombards9, qui ne font pas autre chose avec leurs propres registres10. Cette « remembrance » met ainsi en cause la perte de la mémoire judiciaire de la prévôté royale, regrettant une solution de continuité dans la répression et une déperdition 6. Journal de Clément de Fauquembergue, greffier du parlement de Paris, 1417-1435, éd. Alexandre Tuetey, Paris, 1903-1915, t. II, p. 109-110. 7. Arch. nat., Y 1. 8. On laissera ici de côté le détail de l’histoire de l’enregistrement à la geôle et de ses enjeux, pour lui consacrer ailleurs un développement spécifique. 9. Ces lieutenants « lombards » intervenaient selon toute vraisemblance dans les litiges impliquant des Transalpins (Siennois, Lucquois, Florentins…), nombreux et actifs dans le commerce et la finance à Paris depuis le milieu du XIIIe siècle. 10. « Remembrance pour le prouffit du roy et l’utilité publicque sur l’estat du Chastellet de Paris et du Parloir aux Bourgeois », Arch. nat., Y1, fol. 109v-110 ; Eusèbe de Laurière et al., Ordonnances des roys de France de la troisième race […], 22 t., Paris, 1723-1849, t. I, p. 743 : Premierement, ou Chastellet ne seront trouvés registres de bannis, ne de anciennes delivrances de prisonniers, qui pour cas de crime ont esté detenus ou temps passé, ne des amendes, ne des recreances des prisonniers, car les prevosts qui pour le temps ont esté, chacuns en droit soy, en apporte ses registres, dont li roys a perdu mout de amendes, et mout de fais sont demeures impunis. Et parce que les prevosts, quant ils viennent nouviaus, ne pueent riens sçavoir des faits de leurs devanciers, vont mout de bannis parmi la ville, et mout d’autres meffais demeurent

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d’amendes. Selon les conseillers royaux réunis à Pontoise, le problème qui se pose dans cette juridiction est donc moins l’enregistrement que la « garde », soit la conservation, des procès et des exploits. Ils recommandent en conséquence la nomination, à côté du clerc nommé par le prévôt, déjà cité par l’ordonnance de 130211, d’un « clerc de par le roy estably, non commensal, ne affin au prevost, qui eust et retinst copie des registres et de toutes delivrances, et amandes de devant les auditeurs faites, et par devers le prevost », donc d’un clerc nommé par le roi pour copier les registres et conserver les copies des registres, spécifiquement les registres des prisonniers et les registres des amendes prononcées tant par les auditeurs que par le prévôt. Les conseillers royaux de 1320, en proposant ce remède, désignent aussi la cause du défaut. L’absence de continuité de la justice serait liée à la proximité du clerc du prévôt par rapport à ce prévôt. Le clerc du prévôt est considéré comme un « commensal, affin » du prévôt, qui fait partie de sa « retenue ». Une ordonnance de 1313 avait bien prescrit que prévôt et auditeurs choisiraient et prendraient leurs propres clercs12. Quand le prévôt change, l’homme de la mémoire prévôtale change donc aussi. Les conseillers royaux de 1320 suggèrent ainsi que la mémoire de l’institution trouve ses conditions de possibilité dans sa structure sociale et plus exactement dans le statut social du greffier. Il n’y a alors de clerc que du prévôt et en l’absence de clerc de l’institution prévôtale, autonome du prévôt, aucune clergie stable n’est organisée, aucune mémoire de l’institution ne semble possible. impunis, et sont mout d’amandes recelees, et d’autres grands prises de faux monneers et d’autres cas occultes. Pourquoi il seroit mestier que ou Chastelet eust ung clerc de par le roy estably, non commensal, ne affin au prevost, qui eust et receust coppie des registres, et de toutes delivrances, et amandes de devant les auditeurs faites, et par devers le prevost. Soit demandé a tous ceux que l’en pourra trouver vifs, et aus hoirs de ceuls qui sont mors, coppie de tous leurs registres. […] Item il [le prévôt] a ung clerc qui en a pluseurs dessoubz lui et prenent si grans salaires et demeurent les causes a jugier quant il leur plaist et tant comme il leur plaist et obeist l’en auttant a eulx comme au prevost et font moult de extorcions qui pourront tout bien estre sceues quand l’en vouldra et que ly prevostz est parcommis de leurs prises dont c’est contre droit et ou grant dommaige des subgiez. Item li auditeurs ont plusieurs lieutenans lombards, et estranges personnes, qui delivrent, et scellent de leurs signes par rues, et en leurs hostiex, et tiennent leurs plais, dont grans inconveniens, et de leurs registres font il ainsy, comme dit est des prevost. 11. Arch. nat., Y 1, fol. 127v ; Ordonnances des roys…, t. I, p. 353, art. 15 : « Item le prevost a escripre les besongnes appartenans a son pur office n’ara que ung clerc lequel ne pourra faire nulle delivrance des personnes tenues, ains sera fait ce par le prevost se il est en la ville ou par son lieutenant quant il n’y sera. » 12. Les clercs ayant obtenu des lettres de provision du roi voient celles-ci annulées et le clerc du prévôt de Paris alors en fonction, Jean Payens, est suspendu en raison des « extorsions » qu’il commettait. Archives anciennes de la chambre des notaires de Paris, site R. 372, 52, cart. 2, liasse n° 1, 1er mai 1313, Ordonnances des roys…, t. I, p. 517, art. 2 et 4.

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Une ordonnance de février 1321 sur le scelleur du Châtelet semble tenter de suivre ces recommandations. Un clerc du roi est alors créé, à côté des deux clercs désormais reconnus au prévôt pour faire ses « registres, commissions et secretes besongnes »13. Ce clerc du roi est institué pour contrôler, avec le scelleur et sous la responsabilité de celui-ci, les officiers du Châtelet (notaires, examinateurs, clercs du prévôt), pour prélever sur eux les droits du roi sur leurs écritures (le quart) et les « examinations » des témoins (le tiers), pour les reverser ensuite au trésor royal14, enfin pour enregistrer les causes qui nécessitent l’examen de témoins15. Les auditeurs ne peuvent plus faire appel à leurs clercs, mais ils doivent recourir aux notaires, eux-mêmes placés sous le regard du scelleur et du clerc du roi. Le clerc du roi est gagé deux sous six deniers par jour et, s’il est notaire, il peut exercer encore comme tel16. La « clergie » du Châtelet est ainsi réorganisée. Un office royal gagé et en principe autonome du prévôt est créé, mais la garde des registres n’est pas encore placée sous son autorité. L’ordonnance de 1321 est donc en retrait par rapport aux recommandations précédentes puisqu’elle n’attribue pas au clerc du roi la copie et la garde de tous les registres judiciaires, mais le simple enregistrement des causes nécessitant l’audition de témoins et qu’elle fait de lui un contrôleur des droits prélevés par le roi sur les écritures faites par les officiers du Châtelet (notaires, clercs du prévôt et examinateurs). Les clercs du prévôt, dont le nombre est limité à deux, ont encore une parfaite latitude pour la tenue et la conservation de leurs papiers, à l’exception de l’enregistrement 13. Arch. nat., Y 1, fol. 111 ; Ordonnances des roys…, t. I, p. 739, art. 7 et 8 : « Item nostre prevost de Paris qui est a present prendra et qui sera pour le temps avenir aura tant seulement deux clercs pour faire ses registres et ses commissions et secretes besongnes et ces deux clercs paieront semblement le quart de ce qu’ilz auront de leur escripture qui vendra audit seel, et se mestier a de plus de clers pour faire son office il prendra desdiz notaires de ceulz qui mieulz lui plairont et non autres. Item les deux auditeurs dudit Chastellet auront nulz clercs et feront faires dores en avant toutes leurs besongnes par la main desdiz notaires. » 14 Arch. nat., Y 1, fol. 111, Ordonnances des roys…, t. I, p. 740, art. 15 : « Item nous avons pour nous ung clerc qui demourra continuellement ou Chastellet et sera avec ledit seelleur et retenra le quart desdites escriptures et les tiers desdites examinations dessus dites et l’apportera a nostre tresor chascun vendredi ou samedi pour la sepmaine passee. Et pour ce que l’en n’y puisse faire fraude ne barat il escripra en parchemin ou en papier la somme que chascun notaire et clerc prendra de chascune lettre selon l’introducion qui baillee lui sera en nostre chambre des comptes. ». 15. Ibid., art. 11 : « Item les prevost et les auditeurs dudit Chastellet feront enregister par nostre dit clerc cy apres declairé toutes les causes desquelles il convient a oir tesmoings ausdiz examinateurs, et ne pourront lesdiz examinateurs et notaires encommencier leur enqueste devant que ledit clerc ait enregistré par devers lui les noms des parties et la cause meue entre eulx et par devant qui, c’est assavoir ou pardevant le prevost ou aucun des auditeurs dudit Chastellet. » 16. Ibid., art. 15 : « Aura ledit clerc II s. VI d. pour gaiges par jour et pourra faire lectres de Chastellet comme ung autre notaire quant il aura temps, en telle maniere toutesvoies que son office n’en soit delayé a faire et qu’il paie le quart de son gaing d’escripture comme ung autre notaire. Et au chief de la comptera de ce qu’il aura receu et paié des escriptures et examinacions dessudsdites pardevant noz gens des comptes. »

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des causes nécessitant l’ouverture d’une enquête qui est remis entre les mains du clerc du roi. Cette ordonnance vise donc à améliorer la perception des droits royaux, plus qu’à constituer une véritable mémoire judiciaire. Plus exactement, le problème de la déperdition des droits de justice est traité par l’institution d’agents de contrôle financier, le scelleur et le clerc du roi17, et non par la création d’un greffe et d’un archivage centraux. En revanche, cette même ordonnance de 1321 prescrit de faire cesser un autre enregistrement qui avait été mis en place peu auparavant. Ses termes ne permettent guère de préciser sur quoi portait cet enregistrement, mais il est vraisemblable qu’il se soit agi d’un enregistrement assez large des sentences, excédant le seul enregistrement des cas concernant des personnes détenues, puisqu’il est question tant de « lettres » que de délivrances. Il n’est pas inintéressant de noter que les arguments pour mettre fin à cette expérience sont, d’une part, l’encombrement du tribunal qui en résulte et, d’autre part, la crainte d’un enregistrement défectueux des « états et conditions » des justiciables18. La rapidité de l’expédition des causes et la fiabilité de leur enregistrement sont donc invoquées pour contrecarrer un archivage souhaité quelques mois auparavant par les conseillers royaux dans le but de créer une mémoire judiciaire au service de la continuité de la répression. Si la mise en œuvre d’une mémoire judiciaire est pratiquement réduite par l’ordonnance de 1321 à son expression comptable, c’est aussi du fait de la méfiance qu’elle suscite parmi les justiciables. Plusieurs décennies plus tard, le clerc du roi institué en 1321, désormais appelé clerc de la prévôté, ce qui manifeste bien que son office est au service de l’institution et non d’un homme, a développé son office conformément aux vœux des conseillers de 1320, mais la mémoire institutionnelle des affaires criminelles peine toujours à s’imposer. Les « estats du Chastellet » transmis par un manuscrit de la compilation coutumière de Jacques d’Ableiges recensent trois offices de clercs au Châtelet vers 139019. Le troisième cité est appelé le « greffier » et il reçoit les rapports des sergents sur leurs ajournements, les fait enregistrer, fait crier les défauts, « rabat » 17. Ibid., art. 15, cité n. 13. 18. Ibid., art. 3 : « Et pour ce que aucuns se sont doluz du registre que nous avons commandé a faire oudit Chastellet a certain temps et pour certaine cause en disant que moult estoient delayé a delivrer pour ce que leurs lectres ne povoient nulement si briefment estre enregistrees selon la multitude qui y feust veue et en doubtant que parmy ledit registre leurs estas et condicions ne feussent plus manifestez et congneuz, nous avons voulu et otroié que doresenavant l’en cesse de faire icellui registre ». 19. Bibl. nat. Fr., fr. 10816, fol. 2 : Item encores y a il I clerc que l’en dit de la prevosté de Paris lequel en a plusieurs autres soubz lui qui sont tabellions et pevent (sic) faire commissions rapports et autres deppendences du fait de sa chambre et de lui. Et lequel clerc de la prevosté a la garde de tous les

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les présents, fait enregistrer les cas des personnes ajournées et présentes, donne les comparuit aux parties appelées à comparaître. Plus important est le rôle des deux autres. Le « clerc de la prévôté » est d’abord aidé de « tabellions » pour rédiger tous les jugements, ordonnances et appointements en cas civil. D’après les treize registres de sentences civiles qui nous sont parvenus pour les années 1395-1455, un registre devait être tenu chaque année sous l’autorité du clerc de la prévôté. Il transcrit brièvement les sentences, appointements, causes et ordonnances, prononcés soit à « l’auditoire haut et ordinaire » du prévôt ou de son lieutenant, soit à l’auditoire bas des auditeurs. Cette transcription est faite d’après les notes d’audience des clercs qui assistent le clerc civil de la prévôté20. Celui-ci a également en principe la garde de tous les procès, c’est-à-dire la conservation des registres civils, dont les treize registres précités, et des papiers criminels. À côté du clerc de la prévôté, ne subsiste plus qu’un seul « clerc du prévôt », d’après les « estats ». Cet homme, que l’on appelle désormais également clerc criminel, est censé présider à toutes les écritures, à tous les actes et appointements relatifs aux prisonniers et aux criminels. Parmi ces documents, un premier ensemble est constitué par les papiers émis par le clerc de la geôle. Pour la période retenue pour cet article, seul un fragment de registre d’écrous de 1412 nous est parvenu21. Mais la « garde » en était suffisamment bien organisée pour qu’en 1462, le procureur du roi au Châtelet fût en mesure d’exhiber à la demande du Parlement et de la communauté des orfèvres seize volumes de la série, dans lesquels figuraient des arrestations réalisées à la demande des maîtres du métier et dont le plus proces, et par lui sont portez et rapportez pour jugier et rediger par escript tous les jugemens ordonnances et appointemens faiz judiciairement en cas civilz. Item il y a encores I autre clerc que l’en dit le clerc du prevost de Paris, lequel fait toutes les escriptures actes appoinctemens des cas des prisonniers et crimineulx. Et avec ce y a ung aultre que l’en dit le greffier lequel siet de costé l’auditoire d’en hault que tient de present maistre Dreux d’Ars, et est commis a recevoir les rappors des sergens des adiournemens que ilz font a trois briefs jours pour fait de corps et en paine de bannissement, et aussi adiournemens faiz en cas de injures et villenies, et en cas personelz, et tous iceulx enregistrer, de faire crier en deffault les personnes adiournees par ung sergent ad ce ordonné haultement et en plaine audience, de rabatre les presens. Et s’aucuns se comparent qui soient adiournez a trois jours comme dit est, il les peut et doit faire mectre en prison oultre le guichet, et faire enregistrer son cas pour quoy il est appellez, ad ce que le juge, c’est assavoir le prevost en congnoisse et en face bonne raison et justice. Item il est tenus se il en est requis de bailler comparuit aux personnes qui doubtent qu’ilz n’aient esté appellez au greffe depuis qu’il a faicte son audience, et tant comme les auditeurs sient il ne s’en doit partir. 20. Ils sont au nombre de quatre autour du clerc de la prévôté Pierre de Fresnes, en 1406 d’après le clerc criminel Pierre Le Guiant, dans sa plaidoirie du jeudi 15 juillet 1406 au procès l’opposant aux notaires du Châtelet (Arch. nat., X 1A 4787, fol. 388v, éd. Gustave Fagniez, « Fragment d’un répertoire de jurisprudence parisienne au XVe siècle », dans Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, t. 17, 1890, n° 95, p. 45-47). 21. Voir n. 4.

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ancien remontait à 133222. La garde des papiers de la geôle avait donc été mise en œuvre, semble-t-il, dans la chambre du clerc de la prévôté23. Quant aux papiers propres du clerc criminel et de ses clercs24, qui auraient dû être gardés par le clerc de la prévôté, rien ne nous en est parvenu, à l’exception du recueil de procès rédigé par le clerc criminel Aleaume Cachemarée25. Un procès opposant au Parlement de 1406 le clerc criminel et les notaires rappelle, par la voix du procureur du roi, comment devait se passer alors l’écriture des auditions de prisonniers par le prévôt26. Il appelait à ses côtés « son clerc », pour écrire et enregistrer les confessions des prisonniers. Un « manuel », attesté27, mais dont aucun exemplaire n’a été conservé, semble avoir recueilli le résumé de celles-ci et des libérations des prisonniers. Si le traitement de l’affaire se révélait être « ordinaire », il appelait le clerc de la prévôté pour rédiger le procès ou l’appointement concerné. Aleaume Cachemarée, clerc criminel entre 1389 et 1392, ne fit que compiler certains de ces procès, à l’écriture desquels il avait présidé. Claude Gauvard a suggéré que son recueil de procès criminels était destiné à promouvoir la répression du vol, la procédure extraordinaire et la peine de mort dans le cadre de la réforme de la justice royale voulue par les Marmousets28. Ce recueil partage donc le caractère factice et la fonction apolo22. Arch. nat., K 1033, n° 441, fol. 7-10. Gustave Fagniez (Études sur l’industrie et la classe industrielle à Paris au XIIIe et au XIVe siècles, Paris, 1877, pièce n° XVIII, p. 309-314) a édité les fol. 7-9. 23. Cette chambre était appelée, du temps du clerc civil Jean Doulx-Sire, la « tournelle » du Châtelet ; Archives anciennes de la chambre des notaires de Paris, site R. 372, 52, cart. 2, liasse 6, rapports d’un huissier du Parlement datés des 17 janvier et 5 avril 1429. 24. Ils sont au nombre de huit d’après le procureur du roi, dans sa plaidoirie du jeudi 15 juillet 1406 au procès opposant le clerc criminel Pierre Le Guiant aux notaires du Châtelet (Arch. nat., X 1A 4787, fol. 388v, éd. G. Fagniez, « Fragment d’un répertoire… »). 25. Arch. nat., Y 10531 ; Registre criminel du Châtelet de Paris du 6 septembre 1389 au 18 mai 1392, éd. Henri Duplès-Agier, Paris, 1861-1864. 26. Si l’affaire se révélait non ordinaire et requérait la rédaction d’une lettre à sceller, un notaire devait être en principe appelé pour ce faire. Voici comment se déroulaient les audiences des cas criminels d’après le procureur du roi en juillet 1406, dans sa plaidoirie aux côtés des notaires du Châtelet contre le clerc criminel Pierre Le Guiant : « Le procureur du roy dit que ou Chastellet n’a que un clerc qui s’appelle clerc de la prevosté et, se le prevost voloit parler sur les carreaus a aucun prisonnier, il appelloit son clerc et, s’il y avoit chose qui vausist proceder ordinarie, estoit appellé le clerc de la prevosté et, s’il y avoit aucune chose sur quoy faulsist avoir lettre hors l’ordinaire, le prevost appelloit un notaire » (Arch. nat., X1A 4787, fol. 387v ; G. Fagniez, « Fragment d’un répertoire de jurisprudence…, p. 46, n° 95). 27. Arch. nat., Y 1, fol. 1v, copie de deux ordonnances prévôtales sur les sergents du 12 juillet et du 1er août 1376 : « […] comme ce est escript sur le manuel criminel de Chastellet de ce jour. » ; ibid., fol. 41v, copie de l’accord en Parlement passé entre le clerc criminel Pierre Le Guiant et le clerc civil Pierre de Fresnes le 29 avril 1407, art. III : « Ycellui clerc criminel enregistrera en son manuel la delivrance et expedicion dudit prisonnier et en baillera l’escroe et en prendra le prouffit pertinent. » 28. Claude Gauvard, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, Paris, 1991, t. I, p. 33-35.

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gétique des registres-cartulaires et il développe une mémoire procédurale très sélective, orientée par une réforme pénale. Des procès criminels ordinaires qui peuvent être écrits par le clerc de la prévôté, des accords en cas criminels passés devant les notaires29, il ne retient rien. Il montre en revanche que le clerc criminel conservait de fait pendant quelques dizaines de mois ses papiers. Il n’empêche qu’à suivre les « estats », c’est le clerc de la prévôté, grâce à qui l’on a conservé treize registres civils, qui aurait dû conserver copie de l’ensemble des papiers criminels. On peut donc se demander si les « secrets du prévôt »30 et la méfiance des justiciables envers un enregistrement tronqué des causes n’ont pas durablement écarté de l’office du clerc de la prévôté la garde de la grande masse des écritures criminelles. Le principal témoin de la mémoire judiciaire du Châtelet, si difficile à mettre en œuvre, est donc constitué des treize registres civils datés de 1395 à 145531. L’un des meilleurs instruments de la mémorisation judiciaire y est l’annotation marginale du feuillet, le remplissage de son étroite colonne de gauche. La présence, la fréquence, la précision, la qualité des mentions marginales signalent non seulement le soin apporté par le rédacteur, mais une préoccupation administrative supplémentaire. La lecture et la consultation du registre par les officiers du Châtelet eux-mêmes sont rendues plus aisées par la présence de mentions marginales suffisamment détaillées, qui font du registre une mémoire active pour les officiers de la prévôté. Dans les lambeaux de la série des causes civiles qui nous sont parvenus32, la qualité de la tenue des marges est instable. On constate une amélioration continue de la tenue de ces marges entre 1395 à 1407, puis entre 1427 et 1454. Les mentions marginales ont deux objets principaux : les paiements des actes judiciaires par les parties, mentions qui se retrouvent dans tous les registres, et la nature des causes enregistrées. Cette deuxième catégorie de mention marginale ajoute à la mémoire comptable des revenus afférents à l’office de clerc une mémoire véritablement procédurale des audiences. 29. J. Mayade-Claustre, « “Bateures, navreures et occision” : le prévôt de Paris face à la violence vers 1400 », dans La violence et le judiciaire. Discours, perceptions, pratiques, éd. Antoine Follain et al., Rennes, 2008, p. 47-60. 30. Les « secretz du prevost » peuvent être confiés par lui à qui il le souhaite d’après la définition de « l’office de la clergie » au temps de Philippe Bégot (Arch. nat., Y 1, fol. 40 ; Études de diplomatique sur les actes des notaires du Châtelet de Paris, éd. Alain de Boüard, Paris, 1910, p. 150, pièce justificative VI). Sur l’importance du secret des actes des cours souveraines, voir Françoise Hildesheimer, « Exemplaire Parlement […] Le fonds du parlement de Paris aux Archives nationales », dans Fabrique des archives, fabrique de l’histoire. Revue de synthèse, 5e série, t. 125, 2004 p. 44-81, aux p. 49-51. Le prévôt se verrait donc reconnaître le même droit au secret que la cour du Parlement. 31. Arch. nat., Y 5220-5232. 32. Treize registres sur la soixantaine qui a dû être écrite, puisqu’un registre semble avoir été tenu chaque année ; voir Olivier Martin, « Sentences civiles du Châtelet de Paris (1395-1505) », dans Nouvelle revue historique de droit français et étranger, t. 37, 1913, p. 758-804.

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Dans les premiers registres, les mentions marginales ne portent que sur un nombre limité de causes. Cette liste s’allonge au fil des registres, sans atteindre toutefois l’exhaustivité. Le fragment du registre de l’année 1406 qui nous est parvenu témoigne d’une première tentative pour systématiser le contenu des marges et la tenue des registres de causes civiles33. Sur ses six premiers feuillets, à l’exception du recto du quatrième feuillet, tous les paragraphes — chacun correspondant à une cause — sont assortis d’une mention marginale qui désigne la cause : amendement désert, congé de parfaire, acte, « condempnacion » (pour les condamnations de débiteurs à payer), renonciation à opposition, sentence hypothèque, ordonnance, « délivrance », congé de vendre, renvoi, etc. Cet étiquetage systématique des causes procède de la construction d’une typologie juridique, le clerc civil tentant d’établir une liste exhaustive de désignations des causes. Puis, dans la suite du registre et dans les deux registres suivants, les marges sont à nouveau réduites au minimum, seules quelques causes étant étiquetées34. En 1414, le fragment de registre porte un étiquetage partiel35. L’étiquetage systématique des causes se retrouve dans les quatre registres qui s’échelonnent entre 1427 et 145436. Les désignations y sont enrichies, devenant de plus en plus précises, constituant une typologie plus fine : condamnation, renonciation de métier, renvoi aux requêtes, abandonnement, renonciation à succession, main tenue, main levée, assignation, ordonnance, renonciation de propriété, amende, décharge, consentement, sentence personnelle et hypothèque, etc. Deux phases décisives d’amélioration se dessinent ainsi : 1395-1407, soit au cours du mandat du clerc civil Pierre de Fresnes, et 1427-1454, qui coïncide avec les mandats du clerc civil puis lieutenant civil Jean Doulx-Sire37. On relève donc sur les registres civils qui nous sont parvenus un effort, discontinu, de création d’une mémoire judiciaire qui ne se limite pas à la mémoire comptable des droits d’écriture et de scel prélevés en particulier par le clerc civil, mais qui vise une mémoire procédurale et jurisprudentielle exhaustive, utile non seulement au clerc de la prévôté et au scelleur, mais aussi aux magistrats du Châtelet. Que Jean Doulx-Sire, clerc de la prévôté ayant présidé à cette tâche ainsi qu’à la compilation des textes relatifs au style du Châtelet38, soit devenu un 33. Arch. nat., Y 5225. 34. Arch. nat., Y 5226-5227. 35. Arch. nat., Y 5228. 36. Arch. nat., Y 5229-5232. 37. Cette deuxième phase brillante de la série des causes civiles tient peut-être aussi à la continuité assurée par le lieutenant civil Jean de Longueil, en place à partir de 1431, qui ne suivit pas le prévôt Simon Morhier dans son exil en 1436 et que l’on retrouve lieutenant civil en 1461. Doulx-Sire était clerc civil de la prévôté en février 1423 et lieutenant civil de la prévôté en juin 1454 ; voir Journal de Clément de Fauquembergue…, t. II, p. 86 (1423) ; Arch. nat., Y 5232, fol. 46v (19 juin 1454). 38. Arch. nat., Y 1.

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temps le lieutenant civil, c’est-à-dire le juge en charge de présider l’auditoire haut et ordinaire du prévôt, ne saurait donc surprendre. Le clerc et archiviste est devenu aussi spécialiste de jurisprudence et magistrat. Plus largement, l’avènement d’une véritable mémoire procédurale au sein des deux clergies du Châtelet, criminelle et civile, sous deux formes, sélective ou exhaustive, coïncide avec le premier travail de rédaction de la coutume parisienne par l’ancien examinateur et avocat à la prévôté Jacques d’Ableiges en 1385-138839 et à certaines de ses réécritures tenant compte de la jurisprudence du Châtelet au début du XVe siècle40. L’activation d’une mémoire procédurale au Châtelet s’est ainsi appuyée sur la mise en ordre d’un style et d’une coutume propres. Julie CLAUSTRE LAMOP-UMR 8589, université Paris I-Panthéon-Sorbonne

39. Pierre Petot et Pierre Timbal, « Jacques d’Ableiges », dans Histoire littéraire de la France, t. XL, Paris, 1974, p. 283-332. Le manuscrit le plus ancien de la compilation connue sous le nom de Grand Coutumier de France n’est pas antérieur à 1393 ; voir Bibl. nat. Fr., fr. 10816. 40. En particulier au « stile et coustume de la viconté et prevosté de Paris » dont le texte semble dater de 1405 environ ; voir Bibl. nat. Fr., fr. 18419.

LA MÉMOIRE JUDICIAIRE À METZ À LA FIN DU MOYEN ÂGE : LA CONSERVATION DES JUGEMENTS DES MAÎTRES-ÉCHEVINS PAR

VIRGINIE LEMONNIER-LESAGE

L’étude de la conservation des jugements des maîtres-échevins de Metz à la fin du Moyen Âge, c’est-à-dire à l’apogée de la République messine, avant qu’elle ne passe sous protectorat français à partir de 1552, requiert une plongée en profondeur dans les institutions messines médiévales, puisque le mode de conservation de ces jugements, si particulier au magistrat messin, n’a semble-til pas fait l’objet de textes réglementaires de la monarchie française pour imposer ou justifier le changement et, ce faisant, évoquer pour mieux la combattre, l’organisation passée. Metz, capitale de l’Austrasie, puis de la Lotharingie, est cité impériale à l’époque carolignienne et devient au XIIe siècle une république puissante. À l’occasion de la querelle des investitures, le riche pouvoir épiscopal, qui avait supplanté l’autorité des comtes carolingiens, cède à son tour le pas. À la faveur du renouveau économique et d’une situation géographique favorable au commerce, le patriciat marchand prend ainsi la tête de la cité messine. Près de cent vingt grandes familles vont se regrouper en cinq paraiges, à l’origine, pour assurer la sécurité de leurs membres et, peu à peu, pour prendre le pouvoir dans la cité. Le corps des bourgeois parvient en outre à imposer un sixième paraige, celui du Commun1. Trois maires, seuls titulaires du droit de ban, administrent 1. Auguste Prost, Les institutions judiciaires dans la cité de Metz, Paris-Nancy, 1893, p. 6 : « Étaient au nombre de cinq d’abord et ligués de bonne heure pour la conquête du pouvoir dans la vieille cité, les paraiges s’étaient graduellement substitués à l’ancienne communauté urbaine dans la jouissance de ce que celle-ci en possédait, ils avaient même assez étrangement absorbé à la longue ce corps de la communauté, en le réduisant à la condition de sixième paraiges […] ; les cinq premiers paraiges

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chacun un ressort qui comprend une partie de la ville et un certain nombre de villages qui s’étendent au-delà des murailles2. Le premier magistrat est le maîtreéchevin assisté du conseil des échevins. Le conseil de la cité qui se distingue du précédent – appelé au XVe siècle Grand Conseil – est à cette époque exclusivement aristocratique et règle toutes sortes d’affaires de la cité. Les comtes jurés, élément démocratique, anciens officiers élus dans les paroisses parmi le peuple, le représentent dans l’administration de la ville. Ils sont en partie absorbés par le tribunal des Treize, choisis parmi les six paraiges, qui apparaît au XIIIe siècle. La cité compte enfin également plusieurs septeries ou commissions des sept, sorte de « ministères » (de la Guerre, du Trésor, de la Monnaie, de l’Hôpital, etc.), des prud’hommes qui contrôlent la justice ordinaire, des wardours, garants de la paix, et des pardezours, rapporteurs en justice. La justice à Metz est assurée par plusieurs organes. Le plus ancien est le corps des échevins qui se rattache aux institutions carolingiennes. À cette époque, les échevins délibéraient sous l’autorité d’un des leurs, qui prononçait le jugement : le primus scabinus ou primus scabineus, au Xe siècle, que l’on appela par la suite maître-échevin. La compétence des échevins est essentiellement civile. Le tribunal des Treize, quant à lui, a une double compétence, civile et criminelle ; il partage cette dernière avec les comtes-jurés. Ce sont ces Treize et les comtesjurés3 des paroisses que l’on appelle à Metz « la justice »4. Le maître-échevin et les échevins ne peuvent exercer la justice qu’en plaid banni, c’est-à-dire sous l’autorité du ban délivré par l’un des trois maires, seuls officiers en possession de ce pouvoir de ban5. Les Treize jugent sans appel au criminel et à charge d’appel devant le maître-échevin au civil, pour les causes portaient les noms de Porte-Moselle, de Jurue, de Saint-Martin, de Portsallis et d’Outre-Seille ; le sixième, ancienne communauté urbaine, était dit le Commun. Toutes les fonctions publiques de gouvernement, de justice et d’administration étaient finalement entre leurs mains […] ». 2. Les trois mairies sont la mairie de Porte Muzelle, de Port-Sailly et d’Outre-Seille. 3. A. Prost, Les institutions judiciaires…, p. 6-7 : « [L’]office très ancien [des comtes-jurés est] réduit d’ailleurs à un rôle secondaire et laissé dans ces termes à la classe populaire, jusqu’à la fin, en possession du droit de fournir plus ou moins librement ces comtes par voie d’élections dans les paroisses. » 4. Auguste Prost, « Notice sur le maître-échevinat à Metz », dans Mémoire de l’Académie de Metz, 1852-1853, p. 131-172, part. p. 150. 5. La procédure est décrite dans l’ordonnance des maiours. Le texte authentique a été perdu, mais l’ordonnance a été reconstituée par Auguste Prost à partir de différents manuscrits : A. Prost, « L’ordonnance des maiours, étude sur les institutions judiciaires à Metz du XIIIe au XVIIe siècle », dans Nouvelle revue d’histoire du droit, 1878, p. 189-246 et 283-346. Le passage qui concerne le maîtreéchevin est tiré du manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France (Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 18905, fol. 63-68) : « Ly maire doit faire son plait, quant il vient devant le maistre eschevin, et doit dire : “Maistre eschevin sire, ditte moy le droit don plait monseignour”. Et il [le maîtreéchevin] dit : “Mettés y le ban”. Et le maire dit : “Et il le fesset” ». Le maire demande alors aux parties si elles souhaitent “ouïr droit”. Si c’est le cas, il dit au maître-échevin : “Sire, je le met en votre jugement” et il se retire ».

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personnelles ou réelles. Ils sont expressément chargés à Metz « de la police sociale, armés d’une double juridiction comprenant la justice criminelle avec le concours des comtes jurés, et, dans les cas les plus ordinaires et les plus fréquents, de la justice civile que pour cette part ils exerçaient concurremment avec les échevins »6. Les Treize prétendent être exclusivement compétents en matière criminelle, mais le maître-échevin réclame lui aussi la possibilité d’intervenir en la matière, ce qui entraîne des conflits entre les deux corps7. L’exécution de tous les jugements, ceux des échevins, du maître-échevin comme des leurs, appartient aux Treize. Le maître-échevin a une compétence judiciaire qu’il tient certainement d’une délégation de pouvoir de l’empereur, en qualité de vicaire de ce dernier8 : il rend donc une justice souveraine et l’on ne peut faire appel de ses sentences9. À partir de 1534, les Messins possèdent un procureur attitré près de la chambre d’Empire, sans pour autant reconnaître l’appel auprès de cette institution10. Ce n’est qu’à partir de 1548 que le maître-échevin acceptera l’idée d’un appel à Spire pour les causes civiles supérieures à 1 000 florins d’or11. L’institution du maître-échevin est connue par une charte de l’évêque de Metz, Bertram, donnée en 1180 (n. s.)12. Cette charte revient en quelques mots sur la situation antérieure du maître-échevin, pour expliquer les modifications apportées en cette fin du XIIe siècle. Auparavant, le maître-échevin était élu par le clergé et le peuple réunis, sans limitation de durée, et choisi au sein de la population non servile13. Bertram s’inquiète des troubles occasionnés par l’élection et, peut-être plus encore, de la dérive à laquelle ne manque pas de conduire un pouvoir prolongé entre les mêmes mains. Le maître-échevin sera désormais élu par six dignitaires ecclésiastiques : le princier de la cathédrale et les cinq abbés 6. A. Prost, Les institutions judiciaires…, p. 9. 7. Ibid. 8. C’est l’hypothèse émise par A. Prost, Les institutions judiciaires…, p. 16. 9. Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 6732, fol. 42, orig., cité par Gaston Zeller, La réunion de Metz à la France, 1552-1648, 2 t., Paris, 1926 (Publications de la Faculté des lettres de l’université de Strasbourg, 35), t. I, p. 236, n. 1 : « […] duquel me eschevin, comme lieutenant du sieur empereur, il n’est loisible ausd. particuliers appeler, et ce par privilèges obtenus par lad. cité et toujours reconfermez des empereurs prédécesseurs dud. sieur empereur, nre sire et de Sad. Maj. ». L’appel à la « chambre impériale » – à Spire, depuis 1527 ; elle a d’abord été installée à Francfort, puis à Worms ; elle est transférée à Wetzlar en 1693, puis dissoute en 1806 –, n’apparaît que dans les années qui précèdent immédiatement l’occupation française. 10. G. Zeller, La réunion de Metz…, t. I, p. 237, n. 5 ; l’allusion à la désignation par le maîtreéchevin d’un procureur à Spire dès 1528. 11. Ibid., p. 239. 12. Imprimée dans Martin Meurisse, Histoire des évesques de l’église de Metz, Metz, 1634, p. 429. 13. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 139 : « À la fin du douzième siècle, le maîtreéchevin pouvait, suivant les termes de la charte de Bertram, appartenir à une classe quelconque des habitants de la ville et des faubourgs, à la seule exclusion de ceux qui étaient de condition servile ».

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des abbayes bénédictines de Metz et de Gorze14. Et surtout, la charge sera annuelle. Dans les faits, le maître-échevin tient la première place dans la cité messine. Si, avant le XIIIe siècle, il était vraisemblablement soumis à l’autorité de l’empereur puis à celle des évêques, c’est, nous dit Auguste Prost, « contre ces forces, hostiles du reste entre elles, que la cité lutta pour conquérir son indépendance, s’appuyant selon l’occasion sur l’une ou l’autre, afin de les combattre toutes deux avec plus d’avantages »15. Dans le courant du XIIIe siècle, l’aristocratie devait s’émanciper de l’empereur ou des évêques et substituer son autorité à la leur, à l’égard du maître-échevin16. Dès le début du XIVe siècle, les paraiges s’arrogent le privilège d’occuper tous les offices de la ville, y compris celui du maître-échevinat. Chacun des six paraiges, à tour de rôle, fournit, pour un an, le maître-échevin17. C’est l’aristocratie messine qui détient alors la souveraineté : « Le maître-échevin, magistrat annuel, pouvait passer pour en être son chef, mais il était loin d’être son maître »18. Il n’en tient pas moins une place prépondérante que rappellent les coutumes de Metz19 dans leur titre premier (« De la puissance du magistrat de la cité de Metz ») : « La puissance du magistrat qui represente l’aucthorité de la republique ne se peult bonnement definir, limiter ny comprehender soubz certaines regles ains est comme infuse, meslée et esparse par toutes les parties de la republique, cité et pays, en ce que s’estend l’exercice de sa charge, et ne se peult telle puissance restraindre a certain chapitre et particulier en ceste œuvre […] ». Le maîtreéchevin, pour remplir sa mission, doit avoir « le comble et perfection de l’authorité publique »20. Un atour de 1257 permet au maître-échevin de porter le titre de sire ou seigneur toute sa vie21. Juridiquement, le maître-échevin reste le représentant de l’empereur ; il s’intitule « vicaire-né de l’Empire » ou « vicaire et lieutenant de l’Empire »22. Par ces 14. Les abbés sont ceux de Gorze, de Saint-Arnoult, de Saint-Clément, de Saint-Symphorien et de Saint-Vincent. 15. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 137. 16. Ibid. : « À la tutelle de l’évêque avait succédé pour lui [le maître-échevin] celle des paraiges, corps politiques dans lesquels étaient distribuées les familles privilégiées ». 17. Henri Klipffel, Metz, cité épiscopale et impériale, du dixième au seizième siècle : un épisode de l’histoire du régime municipal dans les villes romanes de l’Empire germanique, Bruxelles, 1867, p. 141 : « Un atour de 1300 […] statua que le maître-échevin serait à l’avenir exclusivement choisi parmi les familles privilégiées dans l’ordre suivant des paraiges : Outre-Seille, Commun, Saint-Martin, Jurue, Portsailli, PorteMuzelle. L’élection avait lieu le 21 mars, jour de la Saint-Benoît et commencement de l’année messine, dans le moutier de Saint-Pierre, et la grande cloche de la Mutte l’annonçait à la population ». 18. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 138. 19. Arch. mun. Metz, FF 300, coutume manuscrite de Metz (ms), 1602. 20. Ibid., titre premier. 21. Jean-François Huguenin, Les chroniques de Metz, Metz, 1838, p. 32. 22. G. Zeller, La réunion de Metz…, t. I, p. 209.

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expressions, le maître-échevin rappelle son indépendance vis-à-vis de l’évêché ; la cité a reçu une délégation de pouvoir de l’empereur et relève donc immédiatement de l’Empire, sans soumission à l’évêque. Pour autant, l’empereur n’a de droit à Metz que lorsqu’il séjourne dans la ville. À cette occasion les Messins lui prêtent serment, mais seulement après que l’empereur a confirmé les privilèges de la cité. Pendant son séjour au sein de la cité, l’empereur a seul le droit de justice ; la justice se rend en son nom. Le prestige du maître-échevin est à son comble aux XIIIe et XIVe siècles. La naissance d’un enfant mâle à Metz est alors saluée par le vœu formulé par sa famille qu’il devienne un jour « maître-échevin de Metz ou, à tout le moins, roy de France »23. Auguste Prost estime, en revanche, que le maître-échevin est discrédité dans le milieu du XVe siècle24 : « À la fin du quinzième siècle, il y avait probablement plus d’honneur que de profit à exercer cette charge éminente »25. Rien dans la façon de rendre ou de conserver les jugements ne laisse pourtant entrevoir ce déclin. Lors de la mise en place du protectorat français, en 1552, les paraiges disparaissent. Le maître-échevin est à nouveau désigné au sein du corps entier des bourgeois de la ville. La nomination du maître-échevin se fait par les bourgeois, au sein des paroisses, et le résultat du scrutin est transmis au gouverneur royal qui nomme le magistrat. Pendant la première année d’occupation, les Français ne modifient pas l’organisation de la justice, non plus qu’ils n’interviennent dans la désignation des magistrats. En cette première année, le seul officier royal possédant des attributions judiciaires est le prévôt des maréchaux26, avec une compétence exclusivement militaire27. Ce n’est qu’en mai 1554 qu’un président royal apparaît, qui se maintiendra jusqu’à la création du parlement de Metz en 1633. Le tribunal du président est parfois appelé « siège présidial » sans pouvoir être confondu avec l’institution du même nom, créée en 1552 dans le royaume 23. François Bonnardot, « Documents pour servir à l’histoire du droit coutumier à Metz aux XIIIe et XIVe siècles », dans Nouvelle revue d’histoire du droit, 1885, p. 206-232 et 335-367. 24. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 140. Henri Klipffel (Metz, cité épiscopale…, p. 140) fait remonter le déclin du maître-échevin – prématurément, nous semble-t-il —, au XIIIe siècle : « […] avec le XIIIe siècle, une période nouvelle s’ouvre pour le maître-échevin ; s’il continue à figurer à la tête de l’État, c’est avec une autorité beaucoup moins réelle qu’apparente, et qui va toujours s’affaiblissant ». 25. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 143. 26. Le premier prévôt, indigne de sa charge, fut emprisonné et Charles de Marillac, présent à Metz, reprit les fonctions : il s’adresse en ces termes au connétable de Montmorency : « Pour ne perdre de temps, j’ay advisé de dresser quelque mémoires sur le faict de ceste ville touchant la justice et deniers communs, afin qu’à mon tour je vous rende compte du tout et relève d’aultant de poyne celuy qui viendra après pour exercer et reigler lad. justice, comme il est très requis et nécessaire que le roy mecte la main et use de son aucthorité pour les causes que j’espère vous déduire amplement. » (Bibl. nat. fr., fr. 3100, fol. 43, copie, Marillac au connétable, Metz, 22 juillet 1553, cité par G. Zeller, La réunion de Metz…, t. II, p. 146, n. 3). 27. G. Zeller, La réunion de Metz…, t. II, p. 145.

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de France. Le président n’a alors qu’une juridiction amiable. En l’absence du président, c’est le maître-échevin qui tient les audiences à sa place, coutume qui se perpétue jusqu’à l’installation du Parlement. Un arrêt du Conseil du roi du 21 octobre 1621 rappelle le caractère intangible des privilèges de juridiction du maître-échevin mais, dans le même temps, le roi se réserve d’ordonner comme bon lui semble sur toutes les requêtes qui pourraient lui être présentées28. Rapidement, « certains justiciables, sous prétexte d’arbitrage, portent leurs procès devant le tribunal du président royal, de préférence à ceux de la cité, jugés partiaux »29. « On ne voulait pas heurter l’opinion des dirigeants de la cité toujours passionnément attachés à leurs privilèges. Mais les particuliers, les justiciables, ne se résignaient pas à subir la juridiction de tribunaux dont la réputation devenait d’année en année plus détestable »30. À partir de 1620, la théorie des cas royaux est introduite à Metz et le président intervient d’office dans certaines causes – en dehors, sa juridiction reste amiable et rien ne peut se faire sans le consentement des parties. La juridiction du maîtreéchevin est maintenue jusqu’en 1641, date à laquelle la mise en place des bailliages lui fait perdre toutes ses fonctions judiciaires. Si la charte de Bertram met l’accent sur le rôle judiciaire du maître-échevin, elle fait également mention d’un rôle administratif. Et parce qu’il a plusieurs rôles à remplir au sein de la cité, le maître-échevin peut rendre trois types de décisions dont chacune, semble-t-il, appelle un mode de conservation différent. Indépendamment de son pouvoir judiciaire, le maître-échevin a une compétence administrative, législative et politique qu’il a gagnée sur la souveraineté impériale ou épiscopale. Il rend, à cette occasion, des décisions qui ressemblent fort aux arrêts de règlement des parlements. Ces ordonnances prennent souvent le nom d’atours ou de portefuers31. Le nom du maître-échevin figure dans la suscription de ces décisions. Un « atours de la ville, jugiez et establis par lou signer Hue Gros, maistre eschevin », confirmé par l’évêque en 1215, affirme que seul le maître-échevin « dit pour droit »32. Il détient un pouvoir règlementaire et, pour l’exercer, il rend des jugements. Toutefois, dès la fin du XIIIe siècle, le nom du maître-échevin figure aux côtés du nom des Treize et des comtes 28. Cité ibid., p. 189. 29. Ibid., p. 155. 30. Ibid., p. 191. 31. Pierre Mendel, Les atours de la ville de Metz : étude sur la législation municipale de Metz au Moyen Âge, Metz, 1932, p. 72-73 : « Le portefuer, plus récent que l’atour, était une ordonnance élaborée dans une forme moins solennelle. Ils furent d’abord édictés par le maître-échevin et par les Treize qui portaient fuers la décision prise par eux en conseil, après délibération suivie d’accord […]. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, les portefuers tendent de plus en plus à se substituer aux atours. Vers 1500, les portefuers ont pris le titre d’ordonnances du Conseil […] ». 32. Ibid., p. 423.

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jurés33, rejoints rapidement, dès le début du XIVe siècle, par les paraiges et même par la communauté toute entière34 ; tous apparaissent dans la suscription, tous prennent la décision et tous scellent l’acte35. Cet acte est ensuite « mis en l’arche ». La cité de Metz possédait son arche commune, à la cathédrale. Il est question dès 1208 d’une arca juratorum, sans doute « l’arche au grand moûtier » dont la première mention remonte au règne de Thiébaut Ier, duc de Lorraine (12131220)36. Un ancien inventaire de l’arche au grand moûtier, datant de la première moitié du XVe siècle, dont le manuscrit original était conservé par la bibliothèque de Metz, a brûlé en 1944 ; par chance, nous en conservons une copie à la Bibliothèque nationale de France37. La garde de l’arche de la cathédrale était assurée par les magistrats de la cité. Le maître-échevin et deux des Treize conservaient chacun une clef de l’arche où les lettres de bourgeoisie et les atours étaient déposés. C’est également dans cette arche, parfois qualifiée de « volte a grant moustier », que sont déposés les contrats privés passés devant les amans38. Au XVe siècle, et peut-être même au milieu du XIVe siècle, le mode de conservation des règlements change. En 1482, le clerc des Treize enregistre régulièrement les portefuers du Conseil dans un registre spécial, le Livre aux rouges estelles, ainsi dénommé parce qu’il était relié en cuir rouge39. Pierre Mendel évoque une pratique plus ancienne qui remonterait peut-être à la fin de la première moitié du XIVe siècle40. Un portefuer de 1344 porte en effet la mention : « Cest escripture est escripte on papier “Les Trezes” couveir de roge estelles » ; mais il pourrait s’agir d’une addition postérieure. Paul Ferry, dans son Observatoire séculaire, indiquait, en s’appuyant sur le recueil d’un sieur de La Hière, que le portefuer du 28 novembre 1460 portait : « On livre aux rouges estallez par 33. Par exemple, Arch. mun. Metz, BB 124, pièce n° 1. 34. Par exemple, Arch. mun. Metz, BB 124, pièce n° 6. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 154 : « Le maître-échevin représentant l’État stipulait au nom de la cité dans tous les actes publics concernant ses intérêts civils et politiques. Il semble, du reste, agir ordinairement dans ce cas, conjointement avec les Treize ou avec d’autres officiers ». 35. Pour Auguste Prost ( « Notice sur le maître-échevinat… », p. 155-156), le pouvoir du maîtreéchevin, réel à l’origine, n’est plus rapidement qu’une fiction : « La mention du nom du maître-échevin en tête des actes législatifs est certainement la marque d’une part réelle prise par lui, au moins dans l’origine, à leur confection. Plus tard il n’est peut-être plus permis d’y voir qu’une fiction admise par respect pour les traditions, et on peut douter qu’on ait laissé alors au maîtreéchevin autre chose que l’apparence des droits dont il avait pu jouir précédemment à cet égard […]. Le rôle du maître échevin, premier magistrat de la cité, semble […] réduit alors à la promulgation d’actes auxquels il se borne à prêter l’autorité de son nom ». 36. P. Mendel, Les atours de la ville de Metz…, p. 50. 37. Bibl. mun. Metz, ms 921 ; Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 18905. 38 Les amans sont des officiers publics chargés de rédiger et de conserver les actes passés par des particuliers : voir A. Prost, « Les institutions judiciaires… », p. 137-146. 39. H. Klipffel, Metz, cité épiscopale…, p. 139. 40. P. Mendel, Les atours de la ville de Metz…, p. 73, n. 10.

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Gillet le Bel, clerc des Treize, l’an et jour dessus ». L’enregistrement des portefuers semble avoir eu lieu, au moins ponctuellement, dès 1460. Les registres étaient conservés aux archives de la cité. Le précieux inventaire du XVe siècle fournit quelques renseignements à ce sujet : les actes étaient conservés dans des armoires comprenant un certain nombre de « laies » ou layettes. Il y avait en outre quelques « huges » ou coffres. Les armoires étaient rangées suivant un ordre alphabétique. Chacune d’elles renfermait une dizaine de « laies » qui étaient numérotés. Les « laies » VI à XV, LVI et LVIII contenaient la plupart des atours. Il y a donc bien, pour les atours et portefuers, constitution d’archives publiques. Il faut ici évoquer d’autres décisions, pareillement conservées, prises elles aussi par le maître-échevin, les Treize, les comtes jurés, les paraiges et la communauté toute entière : les forjugements ou forbannissements. La cité a été troublée par l’un de ses membres qui se trouve alors banni. Les lettres de bannissement sont déposées dans l’arche commune, puis enregistrées. Nous les retrouvons en nombre dans l’inventaire du XVe siècle. Nous conservons aux archives municipales de Metz un registre de bannissements41. Nous y trouvons des lettres de bannissement ou de « grace et miséricorde » intégralement copiées mais surtout des mentions plus brèves indiquant le nom du banni, la durée42 et l’étendue du bannissement43, la peine encourue en cas de non exécution de la décision44 et, parfois, la raison du bannissement45. Un acte, qui confirme qu’on ne peut rappeler un banni si ce n’est de l’accord du maître-échevin, des Treize et des paraiges, évoque la double conservation : « Ensi comme les pappiers et escriptures de lourdit bannissement, que sur ce en sont faites, plus a plain le contient pour cause et occasion de la rebellions [sic] et entreprinses dou gouvernement de notre dite cité qu’ils ont heu entreprins et retenus entre yaulx qui est plus a plain desclairiez et specifiez en chacunes lettres dou forjugement que faites en sont, gissent en larche a grant moustier »46. 41. Arch. mun. Metz, FF 202. Plus exactement, si l’on se réfère à la foliotation, il s’agit d’un cahier qui faisait partie d’un ensemble plus conséquent. Walter Prevenier (« Les sources de la pratique judiciaire en Flandre du XIIe au XVe siècle et leur mise en œuvre par les historiens », dans Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, éd. Claude Gauvard, Jacques Chiffoleau et Andrea Zorzi, Rome, 2007 (Collection de l’École française de Rome, 385), p. 105-123, à la p. 115) rencontre ce même type de registres des bannissements tenus par les échevins de Gand. 42. Le plus souvent soixante-et-un ans et un jour. 43. Les deux cas les plus souvent rencontrés sont le bannissement de la cité et de l’évêché de Metz et de dix lieues en tous sens ; ou le bannissement « jusques oultre la mer d’Angleterre ». 44. Le plus souvent « si justice en estoit saysie, on lez monnoit noier ». 45. Rébellion, tumulte, larcin… 46. Arch. mun. Metz, FF 202. Une lettre de « grace et miséricorde » revient sur les peines prononcées « si comme il appert par lettres authentiques sor ceu faites gisans en l’arche commune de notre dite cité ».

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Le deuxième type de décision rendue par le maître-échevin relève, lui, de son pouvoir juridictionnel, mais il s’agit de l’exercice d’une juridiction gracieuse. Le maître-échevin pouvait « passer sauveté », c’est-à-dire établir un acte authentique qui venait constater, et donc garantir, les intérêts des parties qui s’adressaient à lui. Les chroniques de Metz rapportent la procédure47. Les parties apportent au maître-échevin « leur sauvetez gitées », c’est-à-dire leur mise par écrit, et « lez parties s’en mestent en droit ». Le maire, qui doit bannir le plaid, dit alors : « Maistre eschevin, sire, je le mets en votre jugement ». Les parties se retirent et, à huis clos, le maître-échevin sollicite l’avis de chacun des échevins qui forment son conseil. S’ils sont d’accord, l’un d’eux communique les conclusions aux parties ; les observations des parties sont transmises aux échevins. Après quoi, les parties sont « huchées », c’est-à-dire mandées solennellement. Là, intervient un personnage important, puisque les parties doivent se présenter avec un aman pour « prendre le crant des dites sauvetés », c’est-à-dire recevoir l’acte authentique portant garantie. L’aman demande confirmation au maître-échevin : « Maistre eschevin, sire, le diste vous ainsi pour droit ? » ; le maître-échevin répond oui et les sauvetés sont passées. Cette procédure générale s’applique en particulier aux mises sous tutelle, ou mise en mainbournie, des enfants. La même procédure est suivie pour la mise hors mainbournie, procédure dont le maîtreéchevin a la compétence exclusive. En fait il s’agit ici de la passation d’un acte authentique. Cette juridiction gracieuse entraîne bien un jugement. Les Bénédictins, qui ont écrit l’histoire de Metz au XVIIIe, siècle font allusion à « un greffier des sauvetés » 48, qui enregistre le jugement, et à une chambre des sauvetés qui a existé jusqu’à la mise en place du bailliage. Les archives municipales de Metz conservent plusieurs de ses registres dont le plus ancien date de 1574. Ce registre comporte des règlements de tutelle, mais aussi des jugements concernant les servitudes de passage, des problèmes d’acquêts, des convocations aux plaids. Certains actes se terminent par la mention « untel, amans de telle amandellerie, ait le pareille en son arche » ; la présence de l’aman laisse supposer un possible dépôt dans l’arche du moûtier. Une fois encore, même si l’apparition du greffier, laissant supposer des registres, est tardive, la présence de l’aman et la nature de l’acte permet d’imaginer un dépôt, sinon dans l’arche commune, au moins dans celle de l’amandellerie et, par conséquent, une conservation publique de ce type de décision. La conservation des jugements contentieux est tout autre. Primitivement toute la procédure était orale. Pour rappeler un jugement précédent on faisait un « record des juges » ; les juges qui l’avaient rendu venaient en témoigner. Il 47. J.-F. Huguenin, Les chroniques…, p. 18 ; A. Prost, Les institutions judiciaires…, p. 34. 48. Histoire de Metz par des religieux bénédictins […], Metz, 1769-1790, t. II, p. 343.

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semble qu’il y ait eu parfois rédaction des jugements lorsque ceux-ci étaient particulièrement importants49. La mise par écrit des jugements devient habituelle à la fin du XIIIe siècle. Pour autant, l’acte n’était pas enregistré à la chancellerie de la ville. Nous n’observons pas, à Metz, ce que connaît très tôt le parlement de Paris : la transcription du jugement dans un registre tenu par un greffier50 alors que, nous l’avons vu, le clerc des Treize enregistre les atours. On ne délivrait pas non plus le jugement aux parties comme on pouvait le faire pour les sauvetés. Les juges conservaient des exemplaires du jugement chez eux, dans des sachets, pour pouvoir en témoigner si besoin était51. L’un des sachets contenait les arguments des parties, les conclusions et le jugement cousu à la suite, ce que les actes appellent « démonnement et jugement daier ». Cela aurait pu correspondre au registre du parlement de Paris intitulé « conseil et plaidoiries réunis »52. Considérés comme papiers de famille, les jugements se transmettent héréditairement, ab intestat ou par testament. Jean-Jacques Salverda de Grave, Eduard Maurits Meijers et Jean Schneider ont ainsi pu suivre les sachets de Simon le Gronnais « échus par succession à la fin du XIVe siècle à Isabelle Baudoche, pour passer au XVe siècle à Arnould (II) Baudoche, Poincignon Baudoche et finalement Claude Baudoche »53. Lorsque le maître-échevin a besoin de connaître un jugement, le détenteur du sachet en donne témoignage et en délivre une copie. Ainsi trouve-t-on 49. Jean-Jacques Salverda de Grave, Eduard Maurits Meijers et Jean Schneider, Le droit coutumier de la ville de Metz au Moyen Âge, t. I : Jugements du maître-échevin de Metz au XIVe siècle, Haarlem, 1951 (Rechtschistorisch Instituut Leiden, II-11), Introduction, p. IX-XV, part. p. X. 50. Bernadette Auzary-Schmaltz et Serge Dauchy, « Le parlement de Paris », dans Case law in the making. The techniques and methods of judicial records and law reports, dir. Alain Wijffels, Berlin, 1997 (Comparative studies in continental and Anglo-American legal history, 17), t. I, p. 212-213 : « L’ordonnance de mars 1344 prescrivait que le conseiller qui rapportait sur la cause devait, dans les six jours suivant la mise en délibéré de l’affaire au conseil, rédiger lui-même la minute et en donner lecture à la Chambre. Après y avoir éventuellement apporté les corrections nécessaires, la minute est remise au greffier qu’il a transcrit dans les registres. 51. Ibid., p. 217 : « L’étymologique du terme « registre » indique une première voie pour aborder la question de la finalité. Parmi les définitions proposées par Du Cange (Glossarium mediae et infimae latinitatis [Paris, 1840-1857], t. VII, v° Registrum), la plus convaincante paraît être celle de Papias : « Registrum : liber qui rerum gestarum memoriam continet […]. ». Toutes les juridictions permanentes au Moyen Âge semblent s’être préoccupées très tôt de conserver dans un plumitif le compte rendu des audiences pour garder le souvenir de ce qui avait été fait et décidé, avec pour objectif le souci de pouvoir en fournir la preuve ». 52. Ibid., p. 213 : « À partir de 1364, apparaît une autre série appelée “conseil et plaidoiries réunis”. Cette deuxième série fait l’objet d’une transcription dans des registres distincts à partir de 1395. Le principal intérêt de ces registres du Conseil est de conserver une brève transcription en français de la délibération des conseillers statuant en dehors de l’audience, transcription qui servira de base aux conseiller rapporteur chargé de mettre en forme la rédaction protocolaire de la décision ». 53. J.-J. Salverda de Grave, E. M. Meijers et J. Schneider, Le droit coutumier…, t. I, Introduction, p. XI, n. 3.

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plusieurs mentions dans le « recueil Fauquignon »54 : « Ly sire Perin Reguillon ait les demonnement et le jugement daier, Nemery Reguillon filz Perin Reguillon lait tesmoigniet doudit saichet »55 ; « Ly sire Nemery Baudoche ait icel parchamin pour eschevinage et lait tesmoigniet aultrez foix Gillet Bataille qui ait lez saichet doudit seigneur Nemery »56. Au besoin, les échevins recherchent dans les sachets de leurs collègues. C’est ce que laisse supposer la mention suivante : « Segneur Nicol François ait t[émoigné] qu’il en ait trouvei ung jugement on saichat Jehan Groignat eschevin »57. Il faut noter également qu’à partir de la seconde moitié du XVe siècle, les justices des villages messins conservent les jugements qui les concernent : « La justice du ban Saint-Martin a Vantoult le tesmoingnent qu’ilz l’on en lour saichet de lour eschevignaige »58. Il y a peut-être là une forme de conservation publique. Au XVe siècle apparaissent les listes de sachets qui permettent de retrouver rapidement les jugements59. Il s’agit en fait de la liste des détenteurs : « Cy aprés sont escriptz ceulx qui ont les sachez des eschevignaiges et des treseries »60. Nous trouvons aux archives départementales de la Moselle, deux listes de noms : « Ce sont ceulx qui ont les saichet de l’eschaivignaige et trezerie depuez l’an 1342 »61. Ces deux listes sont presque identiques. L’une des listes est toutefois incomplète. Il manque les deux derniers noms qui figurent sur l’autre liste et l’antépénultième nom est cancellé (ou plus exactement chargé d’encre) ; suit le mot « pardu ». Il est possible que cette première liste soit un brouillon ; le verso laisse apparaître des essais de plume et le dessin d’un blason. Nous retrouvons les mêmes jeux de plume sur les listes conservés à la Bibliothèque nationale de France62. L’une des listes de Metz porte, en bas du document, une mention qui semble être un compte : 90 l., 10 meceins, 10 deniers. Pourquoi cette somme qui, par ailleurs, est très importante ? Est-ce que les échevins qui gardent les jugements en sachets délivrent au besoin des copies aux parties qui en paient le coût ? L’échevinage perçoit-il une taxe lorsqu’un échevin est appelé à témoigner ? Ce montant serait une somme ? Nous trouvons d’autres mentions chiffrées dans la liste de la Bibliothèque nationale63 : 54. Arch. mun. Metz, FF 196. 55. Ibid., fol. 3. 56. Ibid., fol. 5. Voir également pour d’autres exemples, ibid., fol. 4v et 5v. 57. J.-J. Salverda de Grave, E. M. Meijers et J. Schneider, Le droit coutumier…, t. I, p. 92, n° 206. 58. E. M. Meijers, Le droit coutumier…, t. III : Jugements du maître-échevin de Metz aux XVe et XVIe siècles, Haarlem, 1967, p. 149, n° 1705. 59. Peu de listes ont été conservées : Arch. dép. Moselle, 4 E 360 et Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 22721, fol. 35-39. 60. J.-J. Salverda de Grave, E.-M. Meijers et J. Schneider, Le droit coutumier…, t. I, Introduction, p. XI, n. 4. 61. Arch. dép. Moselle, 4 E 360. 62. Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 22721, fol. 36v et 37. 63. Ibid., fol. 35v.

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Les sachetz que seigneur Nicole Remiat a. Du sachet du temps seigneur Burthe Faixin par Les sachetz du temps seigneur Gérard Papperel Les sachetz du temps seigneur Pierre Renguillon [Etc.]

LVII LX LXI

Que signifient ces chiffres ? Le nombre de jugements par sachet ? D’éventuelles taxes perçues ? Dans ces listes, les noms sont groupés par 6, 4, 3, 11, 2, 4, 3, 11, 6… L’espacement entre les noms semble important puisque le nom de Colignon Morel, ajouté à la fin d’un groupe de noms, est cancellé pour prendre place au début du groupe suivant64. Une marque à la fin de certains noms mentionne-t-elle le détenteur des sachets des Treize ? Ces listes étaient tenues à jour. Ainsi peut-on lire sur une liste : « Seigneur Jehan Papperel ait les parchemins des treseries Jehan de Laudrémont ». Un premier ajout interlinéaire mentionne la trahison de Laudrémont à l’égard de la cité messine et sa condamnation à mort. Un second ajout indique : « Depuis la mort seigneur Jehan Papperel, sa feme donait le sachet dudit Jehan de Laudrémont à François de H ( ?) »65. À la suite de la mention « Les eschevignaiges et les treseries que Philippin Dex tesmoigne », on trouve la phrase : « Je ne sceit de quel treserie que cest, il n’en fait nulle mention »66. Dans ces sachets, ce sont les jugements complets que l’on trouve, éventuellement avec les « démonnements », c’est-à-dire les arguments de chacune des parties. Selon Henri Klipffel, « chaque échevin avait son sachet pour les pièces des procès qui lui étaient confiés et dans sa maison une arche où se déposaient, avec les sentences de l’échevinat, celles des Treize et même les contrats entre particuliers longtemps encore après l’établissement des amans »67. Cet auteur est le seul à faire mention d’un dépôt des jugements du maître-échevin dans l’arche commune68. Il ne peut s’agir, nous l’avons vu, que des décisions réglementaires. Si les magistrats messins n’ont pas constitué de registres de leurs jugements, ils en ont conservé la mémoire en compilant, pour les besoins de la pratique judiciaire69, des extraits de jugements : « les jugements au brief »70. Ces extraits 64. Arch. dép. Moselle, 4 E 360, fol. 2. 65. Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 22721, fol. 35. 66. Ibid., fol. 39v. 67. H. Klipffel, Metz, cité épiscopale…, p. 152. 68. Ibid., p. 146 : « Ses jugements et ceux des échevins sont scellés par les paraiges et mis en l’arche de la cathédrale ». Cet auteur évoque aussi (ibid., p. 189) la possibilité de déposer les jugements du maître-échevin dans l’arche d’un aman. Il est vrai que certains jugements font mention de ce dépôt mais certainement lorsque l’aman fait partie du conseil du maître-échevin au moment où celui-ci rend son jugement. 69. Claude Gauvard, « Droit et pratiques judiciaires dans les villes du nord du royaume de France à la fin du Moyen Âge », dans Pratiques sociales et politiques judiciaires…, p. 33-79, part. p. 52 : « Le cartulaire urbain se lit comme un condensé du droit urbain parce qu’il est un outil de travail pour des

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ne contiennent que le nom des parties et le dispositif de la sentence, le « dit pour droit », parfois quelques mots sur les exposés des parties. Il semble qu’au départ ces extraits soient l’œuvre d’un échevin à propos des jugements qu’il conserve auxquels il ajoute ceux qui se rapportent à une affaire semblable71. Ils peuvent être regroupés sur une feuille volante. Par exemple, à l’occasion d’un jugement rendu en 1378, largement développé, trois extraits plus courts lui sont adjoints, sans respect de l’ordre chronologique (1354, 1338 et 1368)72. Au verso de ce feuillet, seul le jugement de 1378 est rappelé. Ces extraits sont ensuite réunis en recueil plus ou moins volumineux, qui constitue comme une documentation personnelle73. Nous conservons, aux archives municipales de Metz, un petit cahier de huit folios qui reprend quelques jugements rendus entre 1317 et 132174. L’écriture est du XVIe siècle. Pour chaque affaire, la règle de droit est dégagée, puis vient le nom des parties et enfin le « dit pour droit » du maîtreéchevin. Dans la marge, on trouve la mention du point de droit soulevé : « Droictures » ou « Bastard » ou, plus souvent, la mention d’une localité : « Gorze », « Champigneulle » ou « Condez sur Metz ». L’information manque parfois à l’auteur et il inscrit en marge « Nota pour chercher » ou « Nota ». Les mêmes archives conservent un autre recueil, plus volumineux et plus composite75. Il contient des jugements complets ou des rapports établis par les Treize, mais aussi deux collections de « jugements au brief ». La première collection (fol. 51-74) qui comprend 116 jugements offre la même configuration que le petit cahier évoqué plus haut : en marge on retrouve la mention de la matière évoquée (« devise », c’est-à-dire testament, « succession »…) — et parfois plusieurs jugements sont regroupés sous la rubrique — ou la mention d’un nom échevins qui ne sont pas des juristes et qui se sont formés par l’expérience, sur le tas en quelque sorte. Ces hommes de pouvoir y puisent une continuité que ne leur permet pas toujours leur charge, qui se réduit souvent à une année ». 70. La même démarche s’observe en Flandre : W. Prevenier, « Les sources… », p. 113, n. 46 : « Dans certaines villes, comme Alost, les échevins ont élaboré des recueils de sentences de la cour communale qui ne donnent qu’une sélection d’arrêts “utiles” ». 71. J.-J. Salverda de Grave, E.-M. Meijers et J. Schneider, Le droit coutumier…, t. I, Introduction, p. XI. 72. Arch. dép. Moselle, H 1674. 73. Un parallèle peut être fait avec les recueils d’arrêts que se constituent les juristes au Moyen Âge. Voir B. Auzary-Schmaltz, « Les recueils d’arrêts privés au Moyen Âge », dans Case law…, t. I, p. 225-236, part. p. 227: « En entreprenant cette collecte de données, chacun des auteurs n’avait d’autre dessein que celui de se constituer une documentation personnelle […]. L’intérêt spéculatif que ces différentes entreprises attestent se double pour Jean Le Coq d’une nécessité professionnelle évidente : recueillir des décisions rendues par la juridiction devant laquelle on plaide permet de se constituer une base documentaire fiable, constamment enrichie donc remise à jour en permanence, et de disposer ainsi d’informations introuvables ailleurs ». 74. Bibl. mun. Metz, FF 46 bis, liasse 8. 75. Arch. mun. Metz, FF 196.

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de lieu. La seconde collection (fol. 116-127) relate, sous une forme narrative, une quarantaine de jugements. Les développement sont plus longs, les lettrines soignées, parfois enluminées76. Si ces recueils permettent aux praticiens qui les ont constitués de connaître la règle applicable, ou la jurisprudence, pour témoigner de cette règle en justice il faudrait vraisemblablement avoir recours au jugement qui l’établit ; aussi ces recueils de « jugements au brief » ne manquent-ils pas de rappeler le nom de l’échevin qui le conserve. Certaines mentions permettent de « suivre » le jugement qui change de gardien au gré des successions. Ainsi, il est fait mention d’un jugement pour lequel « li sire Arnoult Badoche, chevalier, ait un tel parchamin de l’eschaivignaige seigneur Arnoult Badoche, chevalier son père que fuit, de part dame Ysaibel Badoche sa mère dont il est mainbour »77. Les jugements conservés par Arnoult Badoche l’aîné étaient considérés comme des papiers privés et à ce titre compris dans sa succession mobilière échue à son épouse. Si aujourd’hui Arnoult Badoche fils en est détenteur, c’est en qualité d’exécuteur testamentaire de sa mère. C’est à ce même titre qu’il se trouve en possession des jugements de Simon le Gronnais ; Ysabel a non seulement hérité des jugements de son mari mais également de ceux de Simon : « Li sire Arnoult Badoche [sic], chevalier, ait un tel parchamin de part dame Ysaibel Badoche sa mère dont il est mainbour. Et ladite dame Ysaibel l’ait heut de part le seigneur Arnoult Badoche, chevalier, son marit, et de part le seigneur Symon le Gronaix pour eschevinage »78. Certaines mentions permettent de voir se succéder trois générations de Baudoche : Nicole, Arnoult père et fils79. Autre exemple d’un recueil perdu dont nous avons la mention dans les Observations séculaires de Paul Ferry : « En cestuit livre sont plusieurs mises, tenours et jugemens, rendus par les maistres eschevins de Mets ( ?) de plusieurs maniers de querelles et procés, commençeans a l’an mil IIIC jusques à l’an mil et IIIIC et sont icelles mises, tenours et jugemens assortis et mis a point l’un aprés l’autre de chacune annee par ley. Lequel livre je, Philippe Dex, chevaliers, fils de feu messire Jaicques Dex, chevalier, cui Dieu perdoint, aix fait faire et escrire en l’an 76. Par exemple, Arch. mun. Metz, FF 196, fol. 152 : le « J » de jugement figure un poisson. 77. Arch. mun. Metz, FF 196, fol. 56v. En l’espèce le mainbour est l’exécuteur testamentaire. Pour une formulation voisine : ibid., fol. 52 : « Li sire Arnoult Baudoche, chevalier, ait un tel parchamin pour eschevinage. Et li sire Arnoult Baudoche, chevalier, son fils, l’ait a present de part dame Ysaibel Badoche sa mere dont il est mainbour ». 78. Arch. mun. Metz, FF 196, fol. 61 ; voir également ibid : « Li sire Symon le Gronaix ait un tel parchamin et li sire Arnoult Badoche, chevalier, l’ait a present de part dame Ysaibel Badoche sa mere dont il est mainbour. » 79. Arch. mun. Metz, FF 196, fol. 56 : « Li sire Arnoult Baudoche, chevalier, ait un tel parchamin pour eschevinage de part dame Ysaibel Badoche sa mere dont il est le mainbour de l’eschavignaige seigneur Nicolle Badoche l’anney ou seigneur Arnoult Badoche, chevalier, ou seigneur Symon le Gronaix. »

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mil IIIIC et LXXI. Et y ay fait mettre et escrire toutes les mises, tenours et jugemens qui sont venus a ma cognoissance des annees devant dites »80. Le recueil de Chaverson, édité81, est un recueil semblable. L’incipit indique : « Ci aprés sont escripz plussieurs jugemen au brief ». Les jugements y sont repris par ordre chronologique et l’auteur a pris la peine de constituer une table des matières. Il y a également un titre dans la marge pour chaque jugement, servant à un index systématique qui se trouve dans le volume. Les résumés « ont emprunté à l’exposé des parties les faits concluants qui ne sont pas mentionnés dans les jugements mêmes »82. Les archives municipales de Metz conservent aussi une pièce isolée83. Il s’agit d’un parchemin qui a été utilisé comme reliure (est-ce une réutilisation comme c’est souvent le cas ou est-ce la couverture d’époque de documents qui ne nous sont pas parvenus ?). On trouve sur ce parchemin la mention suivante : « Ces jugement appartiennent a Jehan Bra(n)cquiez laisné a p(rese)nt maistre eschevin de la cité Mets ( ?) pour ceste an(n)ee 1562 ». La date est remarquable. Cela fait alors déjà dix ans que la ville de Metz est rattachée à la France. Le maître-échevin continue de se constituer des archives. Mais il faut noter également que, vraisemblablement, les jugements ne sont plus remis aux échevins pour qu’ils les conservent dans des sachets, mais conservés tous ensemble par le maître-échevin lui-même. Malheureusement, ces jugements ne nous sont pas parvenus et nous ne pouvons savoir s’il s’agissait d’un recueil du type de celui de Chaverson, une compilation de jugements au brief ou plus strictement les jugements rendus par le maître-échevin Brancquier dans l’exercice de sa charge, une sorte de mise en registre privé. Une autre pièce isolée des archives municipales de Metz permet d’entrevoir une évolution84. Il s’agit d’un premier folio détaché d’un registre. Il porte la mention suivante : « Registre des sentence rendue par seigneur Jean Houar […] maistre eschevin depuis le XIeme jour du mois de septembre 1577 jusques au [blanc] jour de [blanc] 1578 » ; un peu plus loin figure cette autre mention : « Le sieur Jean Houar maistre eschevin en ceste annee mil cincq cent septante sept ». Il n’est plus question de jugements qui appartiennent au maître-échevin, mais de jugements rendus par le maître échevin. Cette pièce est certainement à rapprocher des registres que l’on trouve à partir de 1525. À partir de cette date effectivement, des registres sont tenus pour ces jugements contentieux. Il faut pourtant noter que tous les jugements ne sont pas 80. Cité par J.-J. Salverda de Grave, E.-M. Meijers et J. Schneider, Le droit coutumier…, t. I, Introduction, p. XII. 81. Édité dans ibid., t. I et t. III. 82. Ibid., t. I, Introduction, p. XV. 83. Arch. mun. Metz, FF 46 bis, liasse 7. 84. Arch. mun. Metz, FF 46 ter.

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encore enregistrés. Il semble que seuls les jugements intervenus en appel des décisions des Treize fassent l’objet d’une consignation dans ces registres. Pourquoi ces registres à partir de cette date ? Et pourquoi pour ces seuls jugements ? Il faut noter que nous ne conservons pas de registres antérieurs à cette date mais que la première page du premier registre conservé ne fait aucune mention de cette nouveauté. Les premiers folios de ce registre ont, semble-t-il, été réunis tardivement, dans un ordre chronologique qui n’était d’ailleurs pas toujours le bon. Ainsi se succèdent des jugements de 1525, 1526, à nouveau 1525, puis 1535, jugements parfois incomplets. Ce regroupement artificiel persiste, avec de grosses lacunes, jusqu’en 1553. L’annonce de l’année 1553 est matérialisée par une calligraphie différente, plus grosse, marquant très clairement le début de la nouvelle année85. D’autres registres précédents auraient-ils été perdus ? Dès la fin du XVe siècle, des chevaliers brigands sévissent, faisant régner l’insécurité sur les routes, n’hésitant pas à assiéger la ville86. En 1525, les thèses de Luther qui se répandent à Metz occasionnent des émeutes87. L’inventaire des archives de la ville établi au XVIIe siècle fait mention de « plusieurs vieux inventaires faits es années que la ville de Metz avoit mis à la garde des chastelains les portes de la ville en l’année 1521 »88. La sécurité d’un registre au sein d’un greffe est-elle plus facile à assurer que celle d’un parchemin mis en sachet conservé par un individu isolé ? Mais alors pourquoi ne pas enregistrer tous les jugements ? Ne faut-il pas voir dans cet enregistrement des jugements rendus en appel des décisions des Treize le signe de l’opposition de ces derniers et du maître-échevin et la marque d’une sorte de méfiance des Treize ? Auguste Prost fait état des tensions qui existent alors entre les deux corps89. Peut-être est-ce une multiplication des appels qui oblige à tenir des registres, permettant de ne pas solliciter 85. Arch. mun. Metz, FF 1 : « Registre des sentences des appellations relevées et décidés pardevant monseigneur le maistre eschevin de la cité impérialle de Metz et son conseil, pour l’an mil cinq cent cinquante trois ». 86. René Bour, Histoire de Metz, Metz, 1979, p. 95 : « Les aventures des chevaliers brigands qui détroussaient, emprisonnaient et rançonnaient les marchands osant braver l’insécurité des routes, amenèrent les magistrats messins à interdire la fréquentation des foires de Francfort. En 1522, les Messins se plaignirent à l’empereur des méfaits de ses détrousseurs ». 87. R. Bour, Histoire de Metz…, p. 96 : « En 1525, la nouvelle religion groupait déjà 500 adeptes et eut ses premiers martyrs. Le moine augustin Jean Châtelain de Tournay, venu prêcher le luthéranisme à Metz, en 1524, fut attiré dans un guet-apens par le clergé messin et condamné à être brûlé par la justice temporelle de Vic (janvier 1525). Son exécution provoqua une grave émeute ». 88. Bibl. mun. Metz, ms 922 [172], Inventaire des titres de la ville de Metz, fol. 177v. 89. A. Prost, « Notice sur le maître-échevinat… », p. 150 : « En 1523 un discord s’étant élevé entre le Grand Conseil et le maître-échevin, un huchement public fut fait, disant que celui-ci “se vint excuser et purger du cas, ou sinon justice y procèderoit”. Le maître-échevin se soumit, obtint pardon des Treize et vint, dit la chronique, “en la chambre devant heux les remercier de la graice quy luy avoient faict” ». 90. C’est, semble-t-il, en raison, en partie, de la multiplication des appels que les registres sont mis

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trop souvent l’intervention de ceux qui gardent la mémoire des précédents dans leurs sachets90. Beaucoup de questions demeurent sans réponse. Pourquoi, les jugements contentieux sont-ils conservés privativement ? Peutêtre faut-il voir là une manifestation de la toute puissance du maître-échevin qui garde ainsi le contrôle des jugements. C’est également l’hypothèse émise par Walter Prevenier pour expliquer l’absence de registre des jugements des échevins des villes de Flandre91. Il semble que le maître-échevin ait parfois intérêt à « cacher » ses jugements. Les critiques de partialité des juges messins motivent les appels portés par les citadins devant la chambre impériale de Spire ou, plus tard, devant le président royal92. Le projet de rattachement de Metz à la Lorraine prévoyait de gager les magistrats messins « affin que les pauvres bourgeois ne soyent plus hors de raison exactionnés car l’argent aveugle les juges »93. Un mémoire reproduit dans les Chroniques de Metz de Huguenin prévoit expressément de ne laisser aucune trace lorsque le jugement a pour objet l’honneur du maître échevin94. Une autre hypothèse peut être envisagée. Les jugements n’ont pas vocation à être connus de la population. Un certain secret les entoure comme il entoure les délibérations du conseil du maître-échevin. D’ailleurs, lors du premier débat avec son conseil, avant de rendre son jugement, le maître-échevin nouvellement élu doit faire jurer ses pairs « et doit dire ainsy : “Mettez la main sur le jurator, que vous entendez et jurez Dieu, vostre Createur, par les sainctes remembrences de Dieu, et sur les sainctes Evangiles et sur vostre part de paradis, que vous tenrez mon conseil secret en quelque lieu où que ce soit […]” »95. C’est le même secret en place au parlement de Paris. Voir B. Auzary-Schmaltz et S. Dauchy, « Le parlement de Paris… », p. 217 : « On constate un accroissement du nombre des causes jugées au Parlement à cause du développement de l’appel et du fait de l’élaboration de la théorie des cas royaux. En sorte que le record de cour, par lequel on sollicite la mémoire des juges pour qu’ils se remémorent les termes des décisions rendues, n’est plus un moyen suffisant et adéquat pour assurer le bon fonctionnement de la justice ». 91. W. Prevenier, « Les sources… », p. 107 : « J’ai […] le sentiment que la carence suggère de la part des échevins une volonté politique. Les échevins ont sans doute emporté les registres à la maison, ou même délibérément détruit ces documents. L’absence d’enregistrement des décisions judiciaires donne aux juges urbains une liberté totale pour prononcer des jugements à la tête du client. » 92. On relève la même démarche dans les villes de Flandre : ibid., p. 113 : « Les grandes villes de Flandre, et particulièrement les élites bourgeoises de ces villes, se sont farouchement opposées à cette pratique d’appel. » 93. Bibl. nat. Fr., nouv. acq. fr. 6732, fol. 83v. 94. J.-F. Huguenin, Les chroniques de Metz…, p. 19 : « Quant ung desmonnement est debattu pour l’honneur du maistre eschevin ; il ne doit jamais asseoir nul jugement, quoy qu’on luy die, si les eschevins ou eschevin seul ne soit deslaichié ; car ce luy seroit grant deshonneur aultrement ». 95. Ibid. 96. On observe la même restriction de communication pour les cartulaires des villes du Nord :

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qui entoure les registres du Châtelet de Paris. Ils représentent une documentation interne qui n’a pas vocation à être consultée par d’autres que les magistrats eux-mêmes lorsqu’ils ont besoin de se référer à un précédent96. Les échevins qui reçoivent le jugement le gardent dans un sachet de leurs archives privées. Il y a peut-être là la manifestation de l’obligation « de garder le secrez de la cour »97. Ce qui se traduit à Paris par la limitation de la consultation des registres du Parlement, prendrait, à Metz, une telle proportion que l’on n’envisagerait pas même de constituer des archives publiques. Pourtant nous savons que la cité de Metz connaît l’enregistrement. Certains documents font allusion au « greffe de la justice »98. Le magistrat messin tient, par exemple, registre « des plaintes ou clameurs »99 ; il tient également registre des bannissements100. Par ailleurs, nous l’avons vu, la cité de Metz s’est constituée des archives pour les documents qui ont vocation à être connus de tous. Pour autant, longtemps la conservation des jugements contentieux du maître-échevin, du moins celle des jugements qu’il rend en premier et dernier ressort, reste privée. Virginie LEMONNIER-LESAGE Université Nancy II

voir C. Gauvard, « Droit et pratiques judiciaires… », p. 53 : « Son contenu est à usage interne ; il se manipule entre soi, dans le milieu clos des échevins ». 97. B. Auzary-Schmaltz, « Les recueils d’arrêts privés… », p. 227 : « On sait que les collections d’archives que la cour s’est constituée, à peu près à partir du milieu du XIIIe siècle, semblent bien avoir été destinées à un usage strictement interne. L’obligation “de garder le secrez de la cour” est de ne pas divulguer l’opinion personnelle de chacun des conseillers qui pèsent sur les juges interdit toute publicité des registres ». 98. Arch. dép. Moselle, G 510/9 : le maître-échevin refuse de relever l’appel de Claude d’Emvillers, « le lendemain […], il fut permis d’executer ladite sentence comme appert par ladite permission escripte de la main de Jan Praillon lors greffier de la justice ». 99. Arch. mun. Metz, FF 198 : le premier cahier date de 1444. 100. Arch. mun. Metz, FF 202/1, années 1406-1465.

LE PRINCE, LE MAIRE, LES ÉCHEVINS ET LES CLERCS, ACTEURS DE LA MÉMOIRE JUDICIAIRE ET URBAINE LE CAS DE LA HAUTE COUR DE NAMUR AU XVe SIÈCLE* PAR

ISABELLE PAQUAY

À la fin du Moyen Âge, la Haute Cour de Namur1, composée d’un maire et de six ou sept échevins2, est une cour de justice de tout premier plan pour la ville et sa franchise3, à l’exception des enclaves constituées par les édifices religieux. Elle y détient la juridiction directe4 au nom de son seigneur, le comte de Namur puis le duc de Bourgogne5 : elle juge, selon certaines modalités6, les * Arch. État Namur : Archives de l’État à Namur ; Arch. gén. du Royaume : Archives générales du Royaume à Bruxelles ; GH : Grand Hôpital de Namur ; HCN : Haute Cour de Namur ; VN : Ville de Namur. 1. Pour une approche complète des différents rôles de la Haute Cour ou échevinage de Namur, nous renvoyons à notre thèse (Isabelle Paquay, Gouverner la ville au bas Moyen Âge. Les élites dirigeantes de la ville de Namur au XVe siècle, Turnhout, 2009 (Studies in European urban history, 16)). 2. Philippe le Bon réforme l’échevinage namurois en 1464 : il ajoute un siège d’échevin et rend la fonction d’échevin annuelle alors qu’elle était attribuée à vie jusque-là. 3. Namur compte 7 à 8 000 habitants en 1429. 4. Cet organe judiciaire exerce aussi la fonction de cours d’appel pour toute une série de cours subalternes (Alphonse de Moreau d’Andoy, « L’organisation judiciaire du comté de Namur », dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. 54, 1967, p. 167-225, aux p. 187 et suiv., ainsi que la fonction de chef de sens apte à donner des conseils et des rencharges à ces mêmes cours inférieures (Philippe Godding, Conseils et rencharges de la Haute Cour de Namur (1440-1488), Bruxelles, 1992 (Coutumes de Namur et de Philippeville, 5), p. 7-25). 5. En 1421, à la suite de ses difficultés financières et familiales, Jean III, dernier comte de Namur, décide de vendre son comté à titre viager à Philippe le Bon. Celui-ci entre en possession du petit comté en 1429, année du décès de son prédécesseur (Henri Douxchamps, « La vente du comté de Namur à Philippe le Bon (16 janvier 1421) », dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. 65, 1987, p. 119-176). Il s’agit de la première acquisition territoriale du règne de Philippe le Bon.

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bourgeois qui s’y sont rendus coupables de bagarres, de coups de couteaux, de viols, d’injures, d’entorses à la réglementation économique, ainsi que les manants qui y ont causé du tort à un bourgeois ou à un étranger. Le comte de Namur est aussi détenteur du domaine direct au sein de la ville et de sa banlieue. Sa cour d’échevins doit par conséquent y faire respecter ses prérogatives et les droits des détenteurs de biens immeubles. En d’autres termes, elle y supervise et y règle toutes les transactions de biens et les contestations qu’elles peuvent entraîner entre les parties ou leurs héritiers. La Haute Cour de justice est un tribunal seigneurial7 dès l’origine et jusqu’au XVe siècle. Elle acquiert au cours du temps un caractère proprement urbain8. Au bas Moyen Âge, ses membres assurent, en plus de la justice, la gestion quotidienne de la ville en réglementant, en prescrivant, en surveillant et en finançant. Cette vaste sphère de compétences judiciaires, législatives et financières suppose la production et la conservation d’une masse imposante de documents et l’emploi d’un ou plusieurs clercs capables de les prendre en charge. Il s’agit ici d’éclairer le plus précisément possible cette fonction et les hommes qui l’ont exercée. L’écrit et le clerc ont fait leur entrée à la Haute Cour ou échevinage de Namur selon des modalités et à un moment donnés. Il convient de les préciser afin de mieux comprendre la façon dont le travail d’écriture s’organise au sein de cette institution judiciaire et urbaine. Deux hypothèses sont envisageables : soit deux offices de clergie cohabitent, l’un chargé de la mémoire judiciaire, l’autre de la mémoire urbaine, législative et financière ; soit une seule chancellerie s’est développée, au sein de laquelle les clercs se sont organisés et spécialisés au fil du temps selon une hiérarchie spécifique et collaborent pour remplir les multiples tâches qui leur incombent. Une fois l’organisation du travail et de la mémoire judiciaire mise à jour, le rôle exact joué par les clercs dans la production, la conservation et la transmission de cette même mémoire pourra être précisé.

6. Elle applique notamment une tarification différente selon le statut juridique du coupable et favorable aux bourgeois habitant intra muros. 7. Les origines de la Haute Cour sont insaisissables, mais nous avons émis l’hypothèse, indices à l’appui, qu’il s’agit d’un tribunal seigneurial, constitué d’hommes auxquels le seigneur a cédé le domaine direct sur certaines parcelles du sol urbain (I. Paquay, Gouverner la ville…, p. 39-40). 8. Ce caractère urbain est perceptible dès les premières mentions textuelles de la Haute Cour : par exemple, en 1216, les « villicus, scabini, jurati et ceteri burgenses de Namuco » agissent au nom de la communauté urbaine en reconnaissant que la ville doit une certaine somme d’argent à Gilles de Berlaimont (Jean Borgnet et Stanislas Bormans, Cartulaire de la commune de Namur, 7 t., Namur, 1871-1924 (Documents inédits relatifs à l’histoire de la province de Namur, 4), t. II, p. 19-20 (1216)).

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I. — L’INTRODUCTION DE L’ÉCRIT À LA HAUTE COUR OU ÉCHEVINAGE DE NAMUR Le moment où l’écrit a été introduit dans l’échevinage namurois est difficile à cerner avec précision. L’examen des grands ensembles judiciaires9 et comptables10, dont on ne connaît pas la date de création, permet uniquement de constater que d’autres registres ont existé avant le début du XVe siècle, voire avant le dernier quart du XIVe siècle. Des registres aux transports et œuvres de loi, plus spécifiquement des « papiers aux embrevures » et des « registres aux minutes » tenus dans le cadre de l’exercice de la justice gracieuse et contentieuse, ont très certainement été produits avant 1411, date du premier exemplaire de la série conservé à ce jour. Plusieurs indices tendent à le prouver. Les répertoires coutumiers de 1440 et 148311 reproduisent un grand nombre d’actes de la Haute Cour datant du XIVe siècle. Leurs auteurs ont obligatoirement eu recours pour leur confection à des registres ou à des actes du XIVe siècle. Le plus ancien document reproduit dans ces registres date de 134912. D’autres documents produits par la Haute Cour sont antérieurs au XVe siècle : une partie du premier registre aux transports13, quelques actes sur parchemin 9. Registres aux embrevures : Arch. État Namur, HCN 6 (1411-1412) ; 7 (1418-1413) ; 8 (1418-1423) ; 9 (1423-1427) ; 10 (1428-1431) ; 12 (1438-1440) ; 13 (1441-1445) ; 14 (1445-1450) ; 15 (1450-1452) ; 16 (1455-1456) ; 17 (1450-1459) ; 18 (1459-1462) ; 19 (1463-1465) ; 20 (1465-1466) ; 21 (1468-1469) ; 22 (1469-1470) ; 23 (1471-1476) ; 24 (1476-1481) ; 25 (1481-1484) ; registres aux minutes : Arch. État Namur, HCN 10 (1429-1437) ; 11 (1419-1448) ; 12 (1447-1455) ; 16 (1418-1456) ; 17 (1457-1459) ; 18 (1460-1464) ; 19 (1463-1470) ; 22 (1462-1468) ; 220 (1433-1497). Les actes juridiques, les jugements et les divers documents qu’ils contiennent s’y suivent plus ou moins dans l’ordre chronologique, souvent rompu brutalement, parfois au beau milieu d’un texte qui se termine quelques folios plus loin. Ces registres ont très vraisemblablement été constitués au XVIIIe siècle à partir de liasses reliées les unes avec les autres selon une chronologie approximative. Ils sont eux-mêmes reliés aux registres aux embrevures correspondant grosso modo aux mêmes intervalles chronologiques. De nombreuses pertes sont sans doute à déplorer. L’inventaire du fonds de la Haute Cour intitule le n° 220 « Liasses aux transports et œuvres de loi (1433-1497) » : il s’agit clairement d’un registre constitué de liasses qui contiennent des actes des années 1433 à 1497. Le clerc a produit d’autres liasses, conservées tel quel encore aujourd’hui, telles les liasses aux testaments qui comprennent la copie des instruments que des particuliers sont venus faire enregistrer par le maire et les échevins (Arch. État Namur, HCN 398 (1475-1545) : « Ce jour d’huy d’avril l’an mil VC XIX m’at mis en main Jehan Honoré ce present testament disant estre sa derniere volonté en presence de […] comme temoins a ce huchiéz et appelléz »). Le registre n° 391 (1509-1515) dit « aux testaments » semble lui aussi être constitué de différentes liasses. 10. Arch. État Namur, VN 953-975 (1362-1501). 11. Coutumes de Namur et de Philippeville, éd. Joseph Grandgagnage, 2 t., Bruxelles, 1869-1870 (Recueils des anciennes coutumes de la Belgique. Coutumes de Namur et de Philippeville, 1), t. II, Répertoire de 1440, p. 5 et suiv. ; t. II, Répertoire de 1483, p. 133 et suiv. 12. Dans le répertoire de 1440 (n° 124 ; sentence pour un homme qui « a fossié sur le chemin du seigneur »). 13. Arch. État Namur, HCN 6 (première partie) (1392-1412).

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disséminés ici et là, deux registres aux sentences criminelles14. Enfin, la variété des types de documents reliés au premier registre aux transports15 traduit une longue expérience d’écriture : une liste de faits mandés, une autre d’homicides et de pèlerinages judiciaires, une troisième d’arrêts effectués par les sergents, enfin des « papiers servant aux bans et arrests ». La justice civile et pénale est une source de revenus pour le prince, comme l’attestent les comptes de profits du maire namurois16. Cette série débute avec l’avènement de Philippe le Bon à la tête du comté en 1429, comme la plupart des comptes de profits namurois, à l’exception d’un compte de la Haute Cour du Feix17 et d’un autre du Souverain Bailliage18. Aucun compte de ce type n’a apparemment été tenu précédemment. Le compte urbain de 1362-136419 n’est pas le premier à avoir été confectionné pour enregistrer les dépenses et les recettes de la ville. Il contient la date de la reddition du précédent compte, non conservé, qui a eu lieu le 27 février 136220. Le clerc chargé de lever les revenus urbains et d’en rendre compte au maire et aux échevins de la ville, apparaît pour la première fois dans les documents d’archives en 135721. Au contraire des grandes séries, les actes sur parchemin issus de la Haute Cour de Namur et d’autres actes urbains fournissent un début de réponse. La première mention de cette cour date de 115422. Les échevins qui la composent sont cités pour la première fois en 121323. Le plus ancien acte urbain date de 121624, le premier acte de juridiction gracieuse de 129125. Ces jalons, certes tributaires des aléas de la conservation documentaire, reflètent en partie les débuts du recours à l’écrit par l’échevinage namurois. Entre 1213 et 1291, les échevins sont cités à plusieurs reprises en tant que témoins de transactions. Ces mentions rappellent le temps où celles-ci se faisaient oralement en présence de témoins, 14. Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383) et HCN 1325 (1383-1389). 15. Arch. État Namur, HCN 6 (deuxième partie) (1411-1412). 16. Arch. gén. du Royaume, Chambre des comptes, n° 15495-15546 (1429-1500). 17. Il date de 1417 (Arch. gén. du royaume, Chambre des comptes, n° 51250) et 1418 (Arch. gén. du Royaume, Chambre des comptes, n° 51251). 18. Il date de 1418 (Arch. gén. du Royaume, Chambre des comptes, n° 51251). 19. Arch. État Namur, VN 953. 20. Arch. État Namur, VN 953, fol. 21 : « ensi que doivent lidis maistres por che compte LXVI petits florins X gros et demy, et on leur devoit poor les comptes fais devant cestuy, qui furent fais le XXVIIe jour dou mois de fevrier l’an mil IIIC LXII, signeis de le main maistre Jean Sabuleto, clerc de le ville ». 21. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 40-42 (30 mai 1357). 22. Léopold Genicot, L’économie rurale namuroise au bas Moyen Âge, t. III : Les hommes. Le commun, Louvain-la-Neuve/Bruxelles, 1982 (UCL. Recueil de travaux d’histoire et de philologie. Série 6, 25), p. 373-378. 23. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. I, p. 8 ([1213]). 24. Ibid., t. II, p. 19-20 ([1216]). 25. Ibid., t. I, p. 93-94 (4 octobre 1291).

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parmi lesquels figuraient les échevins, gardiens de la coutume, dont la parole importe beaucoup. En 1291, les échevins s’expriment pour la première fois en tant que véritables officiers publics, détenteurs de la juridiction gracieuse et contentieuse. Leur écrit confère désormais sa valeur juridique au contrat. L’échevinage namurois est probablement passé progressivement de l’oral à l’écrit dans le cadre de l’exercice de la justice gracieuse et contentieuse entre 1213 et 1291. Maire et échevins produisent d’autres documents avant 1291. Le premier, rédigé en latin et auquel est attaché le sceau de la ville, date de 1216. D’autres documents de ce type suivent tout au long du XIIIe siècle. Leur existence permet de supposer que des actes de juridiction gracieuse et contentieuse proprement dits ont été produits eux aussi avant 1291. De toute évidence et malgré le peu de témoins disponibles, l’écrit prend son essor dans l’échevinage namurois dans le courant du XIIIe siècle. Cet envol correspond à l’essor démographique, certes modéré, mais non négligeable de la ville, lié à une croissante complexité de ses fonctions politiques, sociales et économiques. Celles-ci ont nécessité la création d’un instrument administratif apte à consigner les multiples transactions juridiques des habitants26. Dans un tel contexte, l’échevinage namurois est de plus en plus sollicité pour délivrer des preuves écrites et régler des litiges, systématisant petit à petit le recours à l’écrit.

II. — L’APPARITION D’UN CLERC URBAIN OU D’UNE CHANCELLERIE URBAINE Le recours à l’écrit par l’échevinage namurois n’implique pas la création simultanée d’une chancellerie organisée, soit « un regroupement de personnes qui travaillent à l’élaboration, ou du moins à la validation des actes ». Il peut exister un certain laps de temps entre « la fondation d’une ville et la création explicite d’un secrétariat urbain, ce qui n’empêche pas les citadins de rédiger des chartes »27. La première mention textuelle d’un clerc au service de la ville date seulement de 1357. Le comte Guillaume Ier cède alors la gestion des chantiers de fortification à la ville alors qu’il apporte plusieurs modifications à la loi de Namur. Il cède notamment à la ville des terrains situés à proximité de la nouvelle enceinte en cours de construction. Il autorise l’échevinage à céder une partie de ces terrains aux Namurois, expropriés du fait des travaux de fortifications, et à louer ou donner l’autre partie contre un cens annuel. En d’autres termes, l’échevinage se voit confier par le comte la gestion du patri26. Walter Prevenier, « La production et la conservation des actes urbains dans l’Europe médiévale », dans La diplomatique urbaine en Europe au Moyen Âge, éd. W. Prevenier et Thérèse De Hemptinne, Louvain/Apeldoom, 2000 (Studies in urban, social, economic and political history of the medieval and modern Low Countries, 9), p. 559-570, à la p. 562. 27. Ibid., p. 536.

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moine foncier nécessaire aux travaux à entreprendre aux enceintes. Il doit agir selon la volonté de la communauté urbaine28, sorte d’instance de décision. Les revenus, gérés par le clerc de la ville, doivent impérativement servir au financement de l’enceinte. Le clerc, dit « de nostreditte ville », est chargé par le comte de « lever, recevoir et rendre compte d’an en an au maire et aux echevins, des deniers, rentes et revenues qui en naistroient, faire des profits des fermeteis et autres necessiteis dele ditte ville »29. L’échevinage et le clerc agissent sous le contrôle financier des officiers du prince30. Dès lors, qui a rédigé les documents du XIIIe siècle ? L’échevinage peut avoir fait appel, lorsqu’il en a eu besoin, à des clercs publics, ecclésiastiques ou laïcs, ou à des centres de rédaction existants, avant de disposer de son ou de ses propres clercs au siècle suivant31. Le comte32 a des ecclésiastiques à son service pour sa propre production écrite33. Les chapitres Saint-Aubain et Notre-Dame disposent d’écoles capitulaires dès le XIIIe siècle34 qui ont pu fournir des clercs au comte et à la ville. Les bourgeois d’autres villes font très souvent appel à des 28. Emmanuel Bodart, Société et espaces urbains au bas Moyen Âge et au début des Temps modernes. Géomorphologie et sociotopographie de Namur du XIIIe au XVIe siècle, thèse, univ. catholique de Louvain, 2007, p. 64-65. 29. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 41 (30 mai 1357). 30. Michel de Waha, « De la collaboration à la confrontation : enceintes urbaines et châteaux princiers dans les villes des anciens Pays-Bas », dans Le château et la ville. Conjonction, opposition, juxtaposition (XIe-XVIIIe siècle), éd. Gilles Bliek, Philippe Contamine, Nicolas Faucherre et Jean Mesqui, Paris, 2002, p. 175-176 : comme dans d’autres villes des anciens Pays-Bas, « ce contrôle de conformité financière se borne à vérifier si les coûts repris dans les comptes sont exacts. Il ne vise pas l’opportunité des travaux, leur qualité ou leur prix ». 31. Voir Marcel Hoebeke, « Iets over middeleeuwse scribenten inzonderheid te Oudenaarde », dans Handelingen Koninklijke Zuidnederlandse Maatschappij voor taal- en letterkunde en geschiedenis, t. 14, 1960, p. 167-184 ; Mieke Leroy, « Les débuts de la production d’actes urbains en Flandre au XIIIe siècle », dans La diplomatique urbaine…, p. 267-279, à la p. 279. 32. D’après Edmond Reusens, « Les chancelleries inférieures en Belgique depuis leur origine jusqu’au commencement du XIIIe siècle », dans Analectes pour service à l’histoire ecclésiastique de Belgique, t. 26, 1896, p. 146-148 ; Actes des comtes de Namur de la première race (946-1196), éd. Félix Rousseau, Bruxelles, 1937 (Académie royale de Belgique. Commission royale d’Histoire. Recueil des actes des princes belges, 1), p. CXXXVII ; Jean Bovesse, « Le personnel administratif du comté de Namur au bas Moyen Âge. Aperçu général », dans Revue de l’université de Bruxelles, t. 22, 1970, p. 432-456, aux p. 442-443 : la chancellerie comtale est en place à la fin du XIIe siècle. D’après ces auteurs, elle est composée de clercs et de notaires, souvent choisis parmi les chapelains du comte ou parmi les dignitaires des chapitres Saint-Pierre-au-Château et Saint-Aubain. Ils n’appuient leurs propos sur aucune preuve tangible. 33. Par exemple, « J. de Courtrai, li capellains » en 1343 (J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 4 (27 décembre 1343)) : le comte Guillaume II accorde deux gages à Pierret de Trompères. 34. Ferdinand Courtoy, « Les écoles capitulaires (XIIIe-XVIe siècles) », dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. 45, 1950, p. 277-310. L’échevinage namurois ouvre une école latine à la suggestion du pouvoir central en 1545 (ibid., p. 300).

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scribes issus d’institutions ecclésiastiques situées dans leur cité35. Rien ne permet d’affirmer ou d’infirmer une telle interférence entre les clercs urbains et les institutions religieuses namuroises. Nous pouvons juste remarquer, qu’alors que des clercs ecclésiastiques se rencontrent au sein des chancelleries d’Anvers et de Bruxelles aux XIVe et XVe siècles36, les premiers clercs de la ville de Namur connus et leurs successeurs sont tous laïcs37. Les premiers d’entre eux sont étroitement liés à la chancellerie comtale. Jean Sabuleto est le premier clerc de la ville à sortir progressivement de l’ombre en 1362-136438 en tant qu’auteur du compte urbain de cette même année. Peut-être est-ce lui que le comte a chargé en 1357 de la gestion financière de la ville. Il exerce la fonction jusqu’en 139039. Il apparaît ailleurs : en 1381, son nom figure sur une ordonnance de l’échevinage qui modifie les statuts du métier des fèvres40 ; en 1386, il figure parmi les témoins du testament de Robert de Namur, oncle des comtes Guillaume II et Jean III. Il y est cité comme « feable clerck » de Robert de Namur, « clers puble, notaires par l’auctoriteit apostolike et imperial »41. La même année, il signe un autre document en tant que « maistre Jean Sabuleto, clerc » du comte de Namur, en « tesmoingnage des queilles chouses […] »42. Son titre de maître traduit une solide expérience des techniques comptables et administratives43. Il les met au service de plusieurs employeurs : le comte, son entourage et la ville. Il rédige leurs actes et leur comptabilité et les assiste en tant que témoin. Son successeur, Henri Luquet de Viesville, fait de même : clerc du comte avec certitude en 138944, 35. W. Prevenier (« La production et la conservation des actes urbains… », p. 563-564) cite l’exemple des bourgeois de Haarlem, de Ratisbonne, de Péronne. Il précise que « la Flandre semble avoir suivi le modèle de l’interférence avec les milieux ecclésiastiques, plutôt que le modèle italien des notaires ». 36. Anne-Marie Bonenfant-Feytmans, « Note sur l’organisation de la secrétairie de la ville de Bruxelles au XIVe siècle », dans Le Moyen Âge, t. 55, 1949, p. 21-39 et Jacques Paquet, « La collaboration du clergé à l’administration des villes de Bruxelles et d’Anvers aux XIVe et XVe siècles », dans Le Moyen Âge, t. 56, 1950, p. 357-372. 37. Voir infra. 38. Le nom de Jean Sabuleto est cité au dernier folio non numéroté du compte Arch. État Namur, VN 953 (1362/1364-1390). 39. Arch. État Namur, VN 953 (1384-1385), fol. 26 ; (1385-1386), fol. 23 ; (1389-1390), fol. 4. 40. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 121 (13 juillet 1381). 41. J. Borgnet, « Analectes namurois. Testament et codicille de Robert de Namur, 1367 et 1386 », dans Annales de la Société archéologique de Namur, t. 9, 1865-1866, p. 92-120, aux p. 92 et 106. 42. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 156 (6 mai 1386) : il s’agit d’une sentence prononcée par l’évêque de Liège au sujet du différend qui oppose les Namurois aux habitants du bailliage de Condroz. 43. F. Blockmans, « Le contrôle par le prince des comptes urbains en Flandre et en Brabant au Moyen Âge », dans Finances et comptabilités urbaines du XIIIe au XVIe siècle, actes du colloque international de Blankenberge, 6-9 septembre 1962, Bruxelles, 1964, p. 287-343, à la p. 314. 44. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 183 (21 février 1389).

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139245 et 140546, il est aussi clerc de la ville de 1393 à 141147. Il épouse en secondes noces Marguerite, veuve de Jean de Volon, dit Pallefrial, chambellan du comte de Namur48. Sa fille Marie, qu’il a eue de sa première épouse, Marie de Séron, épouse Louis, fils naturel de Robert de Namur49. Louis assure la fonction de clerc de la ville de 1412 à 142450. Jean Louis, son fils, prend la relève de 1425 à 143551. Nous ne les avons jamais rencontrés au service du comte52. Alors que le comté de Namur passe aux mains de Philippe le Bon en 1429, la cour et la chancellerie des comtes particuliers disparaissent. La rupture est nette pour la chancellerie urbaine : de nouveaux hommes y font leur apparition. L’emploi simultané d’un même individu par le comte et la ville53, ainsi que les liens de parenté et de mariage qui unissent certains clercs de la ville à la cour comtale, éclairent peut-être la situation des rédacteurs urbains d’avant 1357. Les clercs de la chancellerie comtale, spécialement les laïcs, ont peut-être été appelés à la rescousse pour rédiger les actes urbains quels qu’ils soient. Lorsque le travail d’écriture s’est organisé en ville, le choix s’est automatiquement porté en premier lieu sur ces clercs expérimentés qui permettent au comte de garder un œil sur les finances de sa capitale par l’intermédiaire de ces hommes dont il connaît bien les compétences. En 1357, comme cela a été dit, il définit le rôle du clerc en matière 45. Ibid., p. 192 (30 novembre 1392). 46. Ibid., p. 266 (23 août 1405). 47. Arch. État Namur, VN 953 (1392-1393), fol. 16 ; (1393-1394), fol. 9v ; VN 954 (1399-1400), fol 9v ; (1406-1407), fol. 4 ; (1407-1408), fol. 31 ; (1408-1409), fol. 82v ; (1409-1410), fol. 45v ; VN 955 (1410-1411), fol. 14v. 48. Arch. État Namur, HCN 7 (1413-1418), fol. 24-25 (14 février 1414). 49. Arch. État Namur, GH 2 (24 janvier 1409). 50. Arch. État Namur, VN 955 (1411-1412), fol. 37 ; (1412-1413), fol. 25 ; (1413-1414), fol. 22 ; (1416-1417), fol. 22v ; (1417-1418), fol. 32 ; VN 956 (1418-1419), fol. 36 ; VN 955-956 (1419-1420 et 1423-1424), derniers folios non numérotés. 51. Arch. État Namur, VN 956-957 (1424-1425 à 1426-1427), derniers folios non numérotés ; VN 957 (1427-1428 et 1428-1429), fol. 28v et fol. 614v ; (1429-1430), fol. 49 ; (1430-1431), fol. 15 ; VN 958 (1432-1433, 1433-1434 et 1434-1435), fol. 16v et fol. 23. 52. D’autres individus exercent cette fonction : Laurent de Nyel en 1403 et en 1411 (J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 252 (30 septembre 1403) : Guillaume II prolonge pour six ans l’autorisation qu’il a accordée à la ville pour lever certains impôts destinés au financement des fortifications urbaines ; ibid., p. 290 (22 août 1411) : Guillaume II précise comment les habitants de Namur doivent désormais acquitter leur taxe de bourgeoisie) ; un certain P. du Terne (ibid., p. 348 (29 août 1419) : il signe l’acte par lequel Jean III cède à Philippe de Fumalle le winage du pont de Meuse) ; Wauthier Clichet (ibid., p. 380 (1er novembre 1423) : il signe l’acte de destitution de l’échevin Jean des Commognes et de nomination de Colart de Molin). Laurent, fils de Wauthier Clichet, est clerc-commis du clerc de la ville de Namur, Jean de Fleurus dit Taillefer. Ils sont probablement apparentés à Jean Clichet, lui aussi clerc du comte en 1423 (J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 385 (13 novembre 1423) : Jean III règle l’achat et la vente des marchandises en gros à Jambes). 53. Certains travaillent très certainement pour d’autres institutions.

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de gestion financière ; par la suite, il participe à la nomination des receveurs urbains qui succèdent au clerc. Celui-ci reste tout au long du XVe siècle responsable des finances : chaque année, il rédige le restat et signe les comptes annuels.

III. — L’ORGANISATION DE L’OFFICE DE CLERGIE AU XVe SIÈCLE En 1362-1364, Jean Sabuleto est chargé de toutes les écritures de la ville, notamment de la transcription et de la signature des comptes urbains. Il est aussi percepteur des fertés54 et trésorier urbain. Quatre maîtres des ouvrages s’occupent des travaux publics55. Rapidement dépassé par l’ampleur de la tâche, le clerc est petit à petit remplacé ou épaulé par d’autres fonctionnaires urbains qui prennent en charge l’une ou l’autre de ces activités. La gestion des finances et la chancellerie urbaine dans son ensemble prennent forme progressivement. En 1383, le comte Guillaume Ier permet à la ville de disposer chaque année de deux ou plusieurs fonctionnaires des finances. Il suit l’avis de la ville pour laquelle « ce seroit grand profit et utiliteit de mieux penser as cens, rentes et revenues hiretaubles appartenans à icelle que on n’a fait du tamps passeit ». En 1384, la ville nomme six élus qui s’attellent à la gestion des recettes et des dépenses urbaines. En 1392, la fonction revient à un élu comtal et à deux élus urbains. Onze ans plus tard, l’organisation financière est arrêtée définitivement : « deux bons preudomez, assavoir unck bourgoy nient de mestier et unck bourgoy de mestier », exercent la charge de receveurs urbains jusqu’à la fin du XVe siècle56. En 1385, Jean Sabuleto a toujours en charge la rédaction de toutes les écritures de la ville et de la signature des comptes urbains57. L’année suivante, le registre précise, qu’en plus des écritures, il doit visenter, sommer et signer les comptes et leur double58. Deux ans plus tard, il doit aussi en faire le restat59. Mais les comptes sont désormais rédigés en double exemplaire par Massart le Trechier, dont le titre de

54. C’est-à-dire les impôts destinés exclusivement au financement des travaux de fortification. 55. Arch. État Namur, VN 953 (1385-1386), fol. 1. 56. Le premier est toujours choisi par l’échevinage, le souverain bailli, les membres du Conseil comtal et les Bonnes Gens de la ville, le second par les métiers. Toutes ces informations à propos des receveurs urbains namurois sont tirées de Mireille Liénard, « La gestion des finances de la ville de Namur (1362-1477) : rouages humains et politique urbaine », dans Finances publiques et finances privées au bas Moyen Âge, éd. Marc Boone et Walter Prevenier, Louvain, 1996 (Studies in urban social economic and political history of the medieval and modern Low Countries, 4), p. 131-162. 57. Arch. État Namur, VN 953 (1384-1385), fol. 27. 58. Arch. État Namur, VN 953 (1385-1386), fol. 24v. 59. Arch. État Namur, VN 953 (1387-1388), fol. 26. « Le restat est le dernier poste des dépenses jusqu’en 1468. Il rassemble tous les frais déboursés entre l’audition publique et la signature du compte. Il est additionné à la balance et pris en charge par les élus qui en sont normalement remboursés l’année suivante » (M. Liénard, « La gestion des finances… », p. 338).

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clerc des élus est précisé en 138860. Ce nouveau clerc s’occupe aussi de l’écriture d’autres documents comptables telles des quittances, des listes et des lettres qui peuvent servir de base pour l’élaboration des registres de comptabilité61. Il convoque les élus lors de la mise au point de ces derniers62. Il exerce aussi la fonction de caissier des receveurs : il paye les ouvriers et les matières premières63, les créditeurs de la ville, les cens que celle-ci doit au comte sur des biens fonciers, il poursuit les débiteurs de la ville64… Il contrôle parfois les chantiers et les travaux publics65. Un troisième clerc fait son apparition à la fin du XIVe siècle. Henri Canone est cité pour la première fois en 1407 comme clerc-commis de Henri Luquet de Viesville66. Il assure la lieutenance de ce clerc de la ville et, avant lui, de Jean Sabuleto, en matière financière. Il fournit les gants au maire et aux échevins de la ville, visite, somme et signe les comptes, en fait le « restat, pour et au nom du clerc sermenté »67. Noël de Fleurus, clerc-commis de Jean Louis, le remplace aussi pour la gestion de la caisse du maire et des échevins, ainsi que pour la tenue des registres de justice. Cette fonction de clerc-commis disparaît en 144068. Cette double aide venue au secours du clerc de la ville pour les écritures financières est parfois insuffisante. Le clerc des élus engage alors des assistants, comme ce fut le cas en 1409 et à plusieurs reprises entre 1485 et 1498. En 1409, les « grandes awes » de la Sambre envahissent la ville. Elles endommagent le pont de Sambre, emportent des moulins, remplissent violemment les fossés, détruisent les murs, les portes et les tours de l’enceinte, s’engouffrent dans la ville en charriant des pierres et des objets de toutes sortes. Dès le retrait de l’eau, la ville s’emploie jour et nuit à ôter les décombres, à dégager, nettoyer et repaver les rues, à mettre les pièces d’artillerie et les munitions au sec, à refermer les 60. Arch. État Namur, VN 953 (1387-1388), fol. 15v. 61. En 1386, Massart le Trechier rédige notamment des documents relatifs au prêt imposé par la ville à deux cents bourgeois, d’autres à propos des travaux publics, des mandements à l’intention du changeur urbain (Arch. État Namur, VN 953 (1385-1386), fol. 25) ; en 1388, il est chargé de l’écriture des documents nécessaires à l’organisation de la corvée des fossés (Arch. État Namur, VN 953 (1387-1388), fol. 18). Ses successeurs à ce poste rédigent les documents qui concernent le guet (par exemple, Noël de Fleurus en 1408 (Arch. État Namur, VN 954 (1407-1408), fol. 42) ou Mathieu le Blond en 1441 (Arch. État Namur, VN 959 (1440-1441), fol. 37)). 62. Arch. État Namur, VN 953 (1384-1385), fol. 26v : « Pour frais fais par Masar le Trechier en apelant les sies esleus plusieurs fois, en faisant et engant et somant ces presens comptes, de jour et de nuit […] ». 63. Par exemple, Massart le Trechier en 1393 (Arch. État Namur, VN 953 (1392-1393), fol. 18v). 64. Massart le Trechier agit de la sorte en 1390 (Arch. État Namur, VN 953 (1389-1390), fol. 31). 65. Le même en 1393 (Arch. État Namur, VN 953 (1392-1393), fol. 17v). 66. Arch. État Namur, VN 954 (1406-1407), fol. 35v. 67. Par exemple, en 1393 (Arch. État Namur, VN 953 (1392-1393), fol. 10). 68. Arch. État Namur, VN 958 (1439-1440). 69. M. Liénard, Les finances de la ville de Namur aux XIVe et XVe siècles (1362/1364-1477), thèse de doctorat, univ. catholique de Louvain, 2000, p. 298-299.

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digues, à curer les fossés, à reconstruire les murs et les tours, à conforter le pont de Sambre… Ces réparations engloutissent la totalité des ressources humaines et financières de la ville de l’exercice comptable de 1408-1409. Les travaux se prolongent au moins jusqu’en 141469. Cette catastrophe naturelle engendre un surcroît de travail d’écriture pour le clerc des élus Jean de Villers qui doit aussi se rendre sur le terrain70. Il s’entoure de quatre assistants en 140971. L’année suivante, il engage six assistants et quatre sergents pour l’écriture de la taille et des guets72. Entre 1485 et 1498, Mathieu le Blond se fait assister par plusieurs autres clercs, vu la longueur inhabituelle des comptes auxquels il doit faire face73. Au XVe siècle, le clerc de la ville a donc à sa charge toutes les écritures qui ne relèvent pas de la gestion quotidienne des finances urbaines, hormis la signature du compte et la rédaction du restat, qu’il délègue très souvent à son lieutenant et dont il est débarrassé en 1464. Les titres qu’il porte traduisent bien sa charge : il est dit « clerc sermenté de la ville74, clerc secretaire de la ville »75, « clerc de la court »76, « clerc de messeigneurs les maieur et eschevins de Namur »77, « clerc des maieur et eschevins de Namur parvenu à l’office de clergie de l’eschevinage »78. Comme l’attestent les mentions de son nom ici et là, il élabore les actes urbains qui engagent l’ensemble de la ville, les ordonnances et les édits de métiers et tous les documents issus de l’exercice de la justice par la Haute Cour, soit les registres « aux minutes » et « aux embrevures », les registres aux sentences civiles, pénales et criminelles, les comptes de profits de justice du maire79. Il gère aussi 70. Il participe à la grande corvée des fossés organisée en 1411 durant quatre-vingt quatre jours : « Item rendut a Jehan de Viller, clerc, et Jean Dyerpen, sergant de Namur, pour chacun XLIII journees qu’ils ont roijet les fosseis, commenchant le dimence devant le Saint Jehan et finant le nuit Notre Dame en my aoust aprés ensivant […], pour LVII jours qu’ils ont royet les fosseis entre le nuyt Notre Dame en my aoust et le samedi aprés le Toussaint VIIe jour de novembre […]. » (Arch. État Namur, VN 955 (1410-1411), fol. 14v et fol. 33v). 71. Arch. État Namur, VN 954 (1408-1409), fol. 92v. 72. Arch. État Namur, VN 954 (1409-1410), fol. 54v. 73. Arch. État Namur, VN 969 (1484-1485) et VN 974 (1497-1498) : il s’agit de Haquinet, Philippart, et Jean Loysset, « clercs de Loyset » (Louis Lodevoet, « clerc des maieur et eschevins »), Jean Boullen clerc, Jean d’Erpent et un certain Julien, « clerc d’eschevinage ». 74. Par exemple, Jean Sabuleto, Henri Luquet de Viesville et Jean Taillefer en 1438 (Arch. État Namur, HCN 11, fol. 74 (1)). 75. Jean Taillefer en 1438 (Arch. État Namur, HCN 11, fol. 74 (6)). 76. Le même en 1461 (J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. III, p. 8487 (19 mai 1461)). 77. Le même en 1464 (Arch. gén. du Royaume, Chambre des comptes, n° 39868 (1463-1464), fol. 51v-52). 78. Louis Lodevoet en 1484 (Arch. État Namur, VN 969 (1482-1483), fol. 43). 79. Aucun registre de ce type ne livre le nom de son ou de ses rédacteurs, mais il nous semble logique d’attribuer leur tenue au clerc de la ville et à ses assistants. En 1441, Jean Taillefer est chargé par Colart d’Outremont, receveur du comté, d’aller à Lille devant la Chambre des comptes pour « rendre compte de la mairie de Namur ». En 1460, le maire l’envoie comme son procureur spécial

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la caisse du maire et des échevins80, bien séparée de la caisse des élus prise en charge par leur propre clerc. Il effectue de nombreux prêts aux échevins, aux sergents, à tout autre membre du personnel urbain ou à des particuliers, en puisant dans cette caisse. Il s’agit d’avances que le clerc leur fait pour des dépenses réalisées dans l’exercice de leur fonction et qui doivent être remboursées, le plus souvent à la Saint-André suivante. Il octroie ces prêts dans les règles de l’art en en précisant toujours la date, le lieu et les témoins81. à Lille, pour y remettre quatre comptes de la mairie de Namur (Arch. gén. du Royaume, Chambre des comptes, 2e série (Acquits de Lille), n°1934, 15 août 1460). Jean et ses assistants participent certainement à la rédaction de ces comptes de profits de justice que le clerc doit ensuite faire contrôler à Lille (Arch. État Namur, HCN 3, fol. 1 (1er mars 1441)). 80. Plusieurs mentions notées ici et là par le clerc dans les registres de la Haute Cour l’attestent. En voici quelques exemples : « Rechupt par Taillefer le XVe jour de decembre venant des eschevins de Floreffe […] XXVII aidants. Item de Loren Dawaing de Bowigne […] 24 aidants […] Item que Taillefer avoit receu paravant venant de Baudechon Baude, sergent, pour une saisine […] X heaumes ». En note marginale : « Paiet a messeigneurs et parant quicte » (Arch. État Namur, HCN 18, fol. 453) ; « Soit memore que je, Taillefer dessus nommé, ay, a la requeste de Jehan de Fumalle, eschevin de Namur, rendu et remis en sa main les XIV ridres en or que j’avoit en devers moy, venant de la main Jacques du Pont, pour le fait de Colignon de Sorines, le Xe jour de septembre l’an LVI, et pour iceux rendre a l’enseignement de justice […]. Tout compté et rabattu par monseigneur le mayeur et Taillefer, demoura en reste ledit mayeur envers ledit Taillefer XVII florins de Rin et XVIII aidans […]. Icellui compte fait le VIIe jour de mars l’an mil IIIIC LVII, presents ledit Taillefer et Lorchon Clichet son clerc. » (Arch. État Namur, HCN 17, fol. 141v) ; « Tout compte rabattut entre le dessus dit Jacquemart le Torier et Taillefer, de toutes parties et de toutez choses quelconquez, tellement qu’ilh sont demouréz quittes l’un envers l’autre. Fait ce compte le XIe jour de septembre mil IIIIC et cinquante et ung. Ainsi les parties cy dessus royés et quittes cy » (Arch. État Namur, HCN 13, fol. 149). 81. En voici quelques exemples : en 1443, Jean Taillefer prête à l’échevin Guillaume de Fumalle 13 oboles de Rhin (Arch. État Namur, HCN 13, fol. 438v (19 mai 1446)) ; en 1446, 6 ridders d’or à Thierry Bonnant, père de l’élu du même nom (Arch. État Namur, HCN 14, page de garde (19 mai 1446)) ; en 1450, l’échevin Jacquemin du Pont lui doit 22 florins de mailles de Hollande (Arch. État Namur, HCN 15, fol. 54v (23 octobre 1450)) ; « Memore que Taillefer a presté a Lauren son clerc le samedi XVe jour de novembre anno LX, et que Maroiette vint querire en le chambre dez clerc en cabaret, 1 florin condit maille de Hollande » (Arch. État Namur, HCN 18, fol. 138v (15 novembre 1460)). Il ne s’agit pas du seul prêt que Jean Taillefer accorde à son aide, Laurent Clichet : celui-ci note « Memore que Taillefer m’a presté le nuyt de Noel entrant l’an LXI, parmy xi aidans, qu’il m’avoit envoié par Maroiette alors que je faisois mes comptes de l’ospital » (Arch. État Namur, HCN 18, fol. 343v). Autres exemples : « Memore que Taillefer, en le presence de sa femme, a presté a Henrion du Sache, marit de le nourice qui nourist l’enfan dudit Taillefer, le XVIIe jour doctobre l’an LXXII IV clinckarts […]. Item encore presté le nuyt de le grande Pasque audit Henrion meisme, en le maison dudit Taillefer, en la presence de la femme dudit Taillefer et Catherine, sa parente, ung demi noble d’or henricus. » (Arch. État Namur, HCN, 23, fol. 268v (17 octobre 1472)). Cette caisse est parfois gérée par le lieutenant du clerc de la ville, par exemple Noël de Fleurus, clerc de Jean Louis, qui lui a dévolu l’exercice de ses fonctions (Arch. État Namur, HCN 6, fol. 101 : « Massart Colle doit a my, Noel de Fleurus, de compte fait entre li et my le merquedi devant le Tossain l’an mil IIIIC et X, rabatut et tot descomptes jusquez a ce jour VII oboles et VI heaumes. Item me doit ledit Massart pour ces comptes finans a Noel l’an mil IIIIC et XI V obolez […]. Sur ce ay rechu, ensi qu’appert en un biiet ou les parties sont declarees VII oboles XL heaumes et demi […] »).

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La tâche qui lui incombe est considérable pour un seul homme82. Il ne peut tout écrire et emploie lui aussi le clerc-commis83 et des assistants dont on trouve la trace au détour d’une page, sur le dos d’une couverture, sur une page de garde ou dans quelques notes prises au vol par l’un ou l’autre de ces clercs de l’ombre. Il signe manuellement un jugement, une ordonnance ou précise qu’il était présent au moment d’une sentence ou d’une publication84. Il confie à un assistant la rédaction d’une partie d’un registre85 ou la confection des actes sur parchemin86 ou des lettres de quittances à destination de particuliers87. Finalement, le nombre exact de clercs qui travaillent au sein de l’office de clergie namurois au XVe siècle est incertain. Il varie selon la quantité et la difficulté du travail à accomplir. Seuls deux postes sont fixes : celui de clerc de la 82. Les documents cités ici sont ceux dont on conserve des exemplaires aujourd’hui. On sait que d’autres documents, non conservés, ont été produits par l’office de clergie. Par exemple les « livres aux consaulx » dont Louis Lodevoet, qui les a utilisés pour l’élaboration de son répertoire coutumier, et Jean de Fleurus dit Taillefer, auteur de l’un d’entre eux, révèlent l’existence ici et là (Louis Lodevoet : « Je trewe selon les papiers de divers consaulx fais par Taillefer » (Coutumes de Namur et de Philippeville…, t. II, Répertoire de 1483, p. 267 (n° 181)) ; « Si en parle le livre des consaulx Taillefer » (ibid., p. 285 (n° 206)) ; Jean Taillefer signale dans la marge des registres aux embrevures face à l’un ou l’autre conseil qu’il vient d’y noter qu’il doit aussi l’enregistrer dans « son papier servant aux conseils » (Arch. État Namur, HCN 18, fol. 47v). 83. Noël de Fleurus, auquel le clerc de la ville Jean Louis a dévolu l’exercice de ses fonctions, a pris en charge la tenue des registres aux embrevures des années 1399-1412 : « Papier aux embreviures Noel de Fleurus, de l’office de Cabarech, clerc, commenchant au premier jour de janvier mil IIIIC et XI » (Arch. État Namur, HCN 6, fol. 99 et fol. 102). Il gère aussi la caisse du maire et des échevins (Arch. État Namur, HCN 6, fol. 101 : « Massart Colle doit a my, Noel de Fleurus, de compte fait entre li et my le merquedi devant le Tossain l’an mil IIIIC et X, rabatut et tot descomptés jusquez a ce jour 7 oboles et 6 heaumes. Item me doit ledit Massart pour ces comptes finans a Noel l’an mil IIIIC et XI 5 obolez […]. Sur ce ay rechu, ensi qu’appert en un biiet ou les parties sont declarees 7 oboles 40 heaumes et demi […] »). 84. J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. III, p. 79-82 (15 septembre 1457) : les échevins prononcent une sentence à propos de l’emploi d’un valet qui exerce le métier de maçon, en présence de Jean Taillefer (« moy present, Taillefer »). Il assiste aussi à la sentence que la cour prononce le 19 mai 1461 à propos du caractère inaliénable d’un atelier de monnaie (J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. III, p. 84-87 (19 mai 1461) : « moy present, Taillefer, clerc de la court »). Il est présent lorsque les villes de Namur et de Bouvignes acceptent de prêter au duc de Bourgogne la somme de trois cents écus d’or de rente dont il a besoin pour faire la guerre (ibid., p. 181-183 (22 juillet 1472) : « moy present, Taillefer, clerc sermenté de Namur »). Hugues Raingart assiste à la publication d’un édit échevinal contre les femmes de mauvaise vie, les blasphémateurs, les joueurs… (ibid., p. 244-249 (17 mars 1490) : « moy present, Hugues Raingart »). 85. Par exemple, Arch. État Namur, HCN 14, fol. 299v-300. 86. En 1446, « les lettres de toutes les minutes contenues et enregistrees en ce registre ont esté fourmees et escriptes en pargemien par Lauren Clichet, clerque a Taillefer, secretaire de messeigneurs les mayeur et eschevins de la Haute Court de Namur » (Arch. État Namur, HCN 11, fol. 74 (6)). 87. Arch. État Namur, HCN 12, fol. 337, 394, 434 et 434v : par une note personnelle, Jean Taillefer confie ce type de travail à son clerc, Laurent Clichet.

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ville et celui de clerc des élus, le premier à partir de la moitié du XIVe siècle, le second depuis le dernier quart du même siècle. Tous deux font appel à d’autres clercs subalternes qui leur viennent en aide au coup par coup pour l’accomplissement de leurs nombreuses tâches. Le clerc de la ville joue le rôle de supérieur hiérarchique de la chancellerie urbaine. Il supervise tout, y compris la comptabilité urbaine, du moins jusqu’en 1464. Sous les ducs de Bourgogne, il accompagne certaines délégations à Bruges, à Bruxelles ou à Lille aux côtés d’autres fonctionnaires urbains de première importance88. Le maire choisit parfois ce clerc89 ou son commis90 comme lieutenants pour le remplacer à la tête de l’échevinage. Il sait qu’il peut compter sur ces hommes en place durablement. Le clerc de la ville est nommé à vie par le maire et les échevins91. Il offre chaque année douze paires de gants et de la cire pour éclairer le Cabaret92. Son collègue des finances est lui aussi désigné jusqu’à son décès93 par les membres de l’échev88. Par exemple, Arch. État Namur, VN 961 (1451-1452), fol. 52v-53v. 89. C’est le cas de Jean Taillefer de Fleurus, lieutenant des maires namurois Jacquemin du Pont, Jean de Forville, Simon de Fumalle et Thierry Bonnant à de très nombreuses reprises (par exemple en 1438 : « L’an et le jour dessus escript, par devant Jehan Baduelle, Guillaume de Fumalle et Jehan de Jandrain, eschevins, commist et consitua Jauques du Pont, maieur et eschevin, Taillefer de Flerux, clerq, son lieutenant, pour accepter ce qui s’enssuit » (Arch. État Namur, HCN 12, fol. 1-2v ; 2 novembre 1438)). 90. Henri Canone, clerc-commis de Jean Sabuleto et de Henri Luquet de Viesville, est lieutenant du maire en 1385 (Arch. État Namur, VN 953, fol. 27), entre 1401 et 1406 et en 1409 (Arch. État Namur, HCN 6, 10, 12-12v, 16, 17v, 20, 37v). Il exerce aussi la fonction d’échevin en 1390 (Arch. État Namur, VN 953, fol. 30v) et celle de juré en 1386 (Arch. État Namur, VN 953, fol. 34v), en 1388 (Arch. État Namur, VN 953, fol. 18v), en 1393-1394 (Arch. État Namur, VN 953, fol. 10v11), en 1407-1408 (Arch. État Namur, VN 955, fol. 33). Noël de Fleurus est commis de Henri Luquet, de Louis, bâtard de Namur, de Jean Louis et de Jean Taillefer ; son fils, est lieutenant du maire entre 1409 et 1415 (Arch. État Namur, HCN 6, fol. 42-42v, 49, 52, 58v, 65, 69), en 1417-1418 (Arch. État Namur, HCN 7, fol. 105v, 202v, 376, 384, 406v, 442, 516), 1421-1422 (Arch. État Namur, HCN 8, fol. 223v, 266v), entre 1424 et 1428 (Arch. État Namur, HCN 9, fol. 43v, 88v, 155v, 188v, 190v)… Il est aussi juré (Arch. État Namur, HCN 11, fol. 11 ; 28 mars 1420). 91. Dans son répertoire coutumier, Louis Lodevoet, clerc de la ville, rappelle qu’il a « esté en l’office aprés le trespas de Taillefer son predecesseur » (Coutumes de Namur et de Philippeville…, t. II, Répertoire de 1483, p. 386). 92. En 1442, Jean Taillefer offre douze paires de gants au maire, aux échevins et aux jurés pour Pâques (Arch. État Namur, HCN 13, fol. 144). La ville partage la dépense en en remboursant une partie au clerc de la ville, ce qui apparaît chaque année dans sa comptabilité. Par exemple, en 1385 : « A Henri Canone, a cause et por le wans de maieur, eschevins, jureis et por le chire que on at en cabaret, por et au nom do clerc sermenteit deli dicte ville […] 10 escus moiens ». Cet exemple prouve que la caisse du clerc de la ville et celle du clerc des élus sont parfaitement séparées. 93. Mathieu le Blond exerce la fonction de clerc des élus durant plus de cinquante ans (1441-1499), jusqu’à l’âge de quatre-vingt ans. Alors qu’il est devenu aveugle, le maire, les échevins et les élus le remplacent par Jean Boullen qui l’assiste depuis une douzaine d’années : « A tous ceulx qui ces presentes lettres verront et orront, maieur et eschevins de la ville de Namur, comme Mahieu le Blond, clerc et bourgois de Namur, eagié de IIIIXX ans et plus, ait servuy ledite ville de Namur bien et leallement en estat et office de clerc des esleuz d’icelle ville, l’espace de L ans et plus, et que Jean

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inage et par les élus. Tous deux doivent leur prêter serment. Comme la plupart des fonctionnaires urbains, ils sont payés le plus souvent à la tâche par ceux pour lesquels ils ont œuvré, en respect du principe de la séparation de la caisse du maire et des échevins de celle de la ville94. Ils désignent eux-mêmes leurs lieutenants-clercs qui leur prêtent serment95. Ils choisissent de même leurs assistants qu’ils rémunèrent à leur guise96 après avoir trouvé un accord sur la tâche à accomplir par le subalterne et le salaire à recevoir pour ce travail97. Ils vont parfois jusqu’à les loger dans leur propre maison98. Tout ce petit monde se consacre à sa tâche au sein de la chambre des clercs en Cabaret99. du Flonne dit Rollant et Jean Bissetia, adpresent esleuz de ladicte ville, que icellui Mahieu […] devant etre remplacé vu son grand age, sa faiblesse et sa cecité, remettent l’office de clergie a un autre clerc, homme ydoine, Jean Boullen, lequel passa 12 ans a servir icelle ville sous la conduite dudit Mahieu oudit office de clergie […]. Confirmons et establissons oudit office pour icellui office exercer et destenir aux gaiges, prouffis et emolumens y appartenans, en requerant le serment de lui en tel cas accoustumé » (Arch. État Namur, HCN 32 (1497-1499), fol. 460 ; 9 décembre 1499). Jean Boullen est confirmé dans sa charge lors du décès de Mathieu le Blond (Arch. État Namur, HCN 32 (1497-1499), fol. 558v ; 12 novembre 1501). 94. Le clerc de la ville est payé par les élus lorsqu’il signe les comptes urbains (par exemple Arch. État Namur, VN 959 (1442-1443), fol. 39 : « Pour ses droits de signer ce present compte et le semblable, 10 moutons ») ; par le maire « pour son sollaire de faire et escripre les embrievures de ce present compte et icelllui doubler, et pour toutes aultres escriptures touchant et servant a ladite justice de Namur » (Arch. gén. du royaume, Chambre des comptes n° 15531 (1454-1455), fol. 25v). Le clerc des élus Mathieu le Blond est rémunéré par les élus pour faire la liste des guetteurs et des corvéables pour l’entretien des fossés urbains, « en quoi faisant ledit Mahieu at eu trés grant paine toute ladite annee et plus que les aultres » (Arch. État Namur, VN (1464-1465), fol. 140). 95. Noël de Fleurus prête serment comme lieutenant du clerc Louis, bâtard de Namur, le 2 mars 1412 (Arch. État Namur, HCN 210). 96. Jean Taillefer rémunère régulièrement Laurent Clichet au tarif d’un clinkart par mois et de deux clinckarts pour sa robe : « Rechupt par moy, Lorchon Clichet, clerc a Taillefer, sur ce qui m’est deu pour mon sollaire […] chacun mois ung clincart. Pour le premier mois commenchant au jour Saint Jean Baptiste l’an LIIII XXIIII aidans. Item encore rechu sur le robe II clincart IV aidans. Reste de ceste annee finie au jour Saint Jean Baptiste l’an LIIII XXIIII aidans. Laquelle reste […] j’ay rechupt et me tiens pour contens. » (Arch. État Namur, HCN 15, fol. 451). 97. En 1442, Jean Taillefer et Mathieu le Blond traitent leur collaboration de la manière suivante : « Le IXe jour d’avril mil IIIIC XLII fut fait marchié entre Taillefer, clerc d’eschevins de Namur d’une part, et Mahieu le Blond, clerc, d’autre part. C’est assavoir que ledit Mahieu doit escripre et besongner pour le service dudit Taillefer pour le pris de ung clincar par moi […] et aveuc ce doit avoir ledit Mahieu les coppiez et autres tellez et samblablez partie […]. Presens ad ce maistre Jehan le Clerc et Piret de Lonoy, le sergent de Namur […]. Le VIIe jour d’aoust mil IIIIC XLII fut fait de nouvel marchiet entre Taillefer d’une part et Mahieu le Blond, clercq d’autre part. C’est assavoir que quant ledit Mahieu avoit besoingniet et escript lettrez et aultrez chosez servans audit Taillefer adcause de son office de clergie, icelli Taillefer doit et est tenus de solleireier et paier ledit Mahieu bien et raisonnablement selon le deserte et labeur qu’il ly aurat fait, assavoir de chacune lettre quellez quelles soient. » (Arch. État Namur, HCN 13, fol. 144v). 98. « Memore que Janin dit Gherlot, clerc, vient demourer delez Taillefer » (Arch. État Namur, HCN 13, fol. 438v ; 13 mai 1444) ; « Je, Laurent Clichet, fils de Wauthier Clichet, confesse que de

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IV. — LE CLERC DE LA VILLE ET SES ASSISTANTS, GARDIENS DE LA MÉMOIRE JUDICIAIRE ET JURIDIQUE DE LA HAUTE COUR DE NAMUR100 1. Le clerc, gardien de la mémoire judiciaire : les sentences civiles, pénales, criminelles et contentieuses Le clerc conserve avant toute chose la trace des décisions prises par la Haute Cour en cas de litiges. En d’autres termes, il garde la mémoire des jugements prononcés par cette même institution en cas de contentieux ou en cas de délits. Il le fait de deux manières : sous la forme de « procès-verbaux » tenus au jour le jour ; ou sous celle dans laquelle la sentence a été prononcée par le maire et les échevins, au sein de la cour pour les parties concernées ou sur le perron pour un plus large public lorsqu’il s’agit d’une sentence civile, pénale ou criminelle. Les registres dits « aux sentences criminelles »101, ceux dits « aux faits mandés, homicides et pelerinages judiciaires »102 et ceux dits « aux informations, sentences criminelles et amendes »103 font partie d’une seule et même série, contrairement à ce qu’indiquent ces titres et les numéros que leur ont attribués les archivistes du XIXe siècle. En effet, leur contenu est pratiquement identique. Ils sont tous tenus dans l’ordre chronologique des affaires entendues et traitées par le maire et les échevins. Le clerc les y note jour après jour sous une forme résumée. Les registres dits « aux transports et œuvres de loi », soit « les papiers du clerc de l’eschevinage de Namur, concernant les embriesvures de son office de tout ce en quoi ledit Taillefer estoit tenus a moy et qu’il le povoit devoir de tout temps que j’ay demouré delez lui et jusques au jour Saint Jean Baptiste l’an mil IIIIC et cinquante, ledit Taillefer m’a si bien payet et que je me tiens content de lui, pour solt et bien payet. Et en quitte bonnement et lealment ledit Taillefer et tous aultres, tesmoing mon seing manuel cy mis le XXIIIIe jour de jung l’an mil IIIIC et cinquante dessusdit. L Clichet » (Arch. État Namur, HCN 15, fol. 90v ; 24 juin 1450). 99. Cette pièce réservée à tous les clercs est située sous la « cambrette » du maire et des échevins au Cabaret, la maison de ville (Arch. État Namur, HCN 18, fol. 138v ; 15 novembre 1460). 100. Plusieurs types de documents issus de l’exercice de la justice par la Haute Cour de Namur sont conservés à ce jour. Certains sont assez déroutants de prime abord, du fait de leur faible nombre, de leur contenu, mais surtout du fait de leur classification et de leur appellation au sein du fonds de la Haute Cour de Namur, dues aux archivistes de la fin du XIXe siècle. Le fait que des feuilles volantes ou des registres de nature différente aient été reliés ensemble, probablement au XVIIIe siècle, amplifie la confusion. Nous avons tenté de démêler cet écheveau et de mettre en évidence la façon dont le clerc de la ville et ses assistants conservent la mémoire judiciaire au quotidien. 101. Arch. État Namur, HCN 1323 (1363-1383) et 1325 (1383-1389) : ils ne comportent aucun titre car le début des registres manque. 102. Arch. État Namur, HCN 6 (1399-1412) : le début du registre manque ; HCN 1331 (14161424) : « Papiers des explois, cas et advenuez en l’office de le mairie de Namur ». 103. Arch. État Namur, HCN 1326 (1463-1470) : « Papiers contenant les enquestes, informations, amendes, fourfaitures, et plusieurs autres cas escheus en l’office de le mairie de Namur ».

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clergie »104, conservés en plus grand nombre, sont élaborés de la même manière pour la justice gracieuse et contentieuse. Les jugements échevinaux, parfois précédés du compte rendu d’une enquête ou d’une audition de témoins, le tout sous forme abrégée, se rencontrent dans tous ces registres parmi une panoplie de comparutions, d’auditions, de plaintes, de rapports… Le clerc organise davantage ses livres vers la fin du XVe siècle : le registre du début du XVIe siècle, intitulé par le clerc « Registre des sentences et jugemens rendus par messeigneurs les mayeur et eshevins de Namur », tenu « par Charles Marcq et Jehan Jacquart, commis de Jehan Hanerlan, greffier de la ville de Namur »105, ne contient que les comptes rendus des jugements civils et contentieux. Auparavant notés dans les registres « aux embrevures », ils s’en détachent pour plus de lisibilité. Rien ne permet d’affirmer qu’il en va de même des sentences pénales et criminelles. On ne dispose jusque-là d’aucune sentence telle que les juges l’ont prononcée au Cabaret, leur lieu de réunion sur la place Saint-Remy, ou au perron. De tels textes, d’origine orale, existent. Ceux qui concernent des matières civiles et contentieuses sont notés dans les registres dits « aux minutes ». On rencontre des sentences pénales et criminelles à quelques reprises dans la série des registres « aux sentences criminelles »106. Le clerc devait très certainement tenir des registres réservés exclusivement à leur enregistrement mot pour mot. Un unique indice permet de le supposer : dans les marges des plus anciens registres « aux sentences » cités ci-dessus, le clerc note en face des compte rendu d’auditions et de jugements, « mis en noveal papier »107. Il s’agit vraisemblablement d’un nouveau type de registre dans lequel le clerc retranscrit le texte des sentences rendues par la Haute Cour et dont on n’a conservé aucun exemplaire108. Des copies de ces textes sont délivrées aux parties, uniquement lorsque le maire et les échevins l’exigent auprès du clerc109. Des Namurois se 104. Arch. État Namur, HCN 6-30 (1411-1500). 105. Arch. État Namur, HCN 1285 (1516-1526). 106. Un cri au perron (Arch. État Namur, HCN 6 (1399-1412), fol. 51v) : « Oiiés, oiiés, que on vous fait asavoir de par nostre trés redobteit seingneur monseingneur le conte, se mayeur et ses eskevins de Namur et tot par jugement que, pour les meffaits et demerites que Goffinon, fil Colaur Terroie, at fait, cognut et confesseit pardevant lez dis eskevins, qui ce sauvent et wardent, assavoir sont cas de larchin […] avoic ce le banist hors do paiis de le conteit de Namur […]. Et fut cesti cry au perron a Saint Remy le penultime jour d’octobre l’an mil IIIIC et XI ». 107. Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 33. Au folio 34v : « mis au papier » ; au folio 61v : « mis […] ». 108. Ce n’est pas le seul cas de documents judiciaires dont on soupçonne l’existence sans en posséder d’exemplaire aujourd’hui. Ce sont les registres reprenant les cris au perron, mentionnés au détour d’une page : « Il est registré au papier a ce servans […] registré comme dessus » (cris au perron du 14 octobre 1439 et de novembre 1439 (Arch. État Namur, HCN 10, fol. 185v)). Ce sont aussi les livres aux consaulx. 109. Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 87v : « Et fut commandé a maistre Jehan Sabuleto, clerc delle ville, de donner auz dis Jehan et Libert copie dudit jugement ». D’après

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présentent devant les juges avec de tels documents en mains110. Aucun n’est parvenu jusqu’à nous.

2. Le clerc, gardien de la mémoire juridique : la justice gracieuse et les transactions immobilières Les registres aux embrevures contiennent quantité de transactions immobilières transcrites sous forme condensée. Le clerc y note dans l’ordre chronologique un rappel des ventes de maisons et de divers biens immeubles, des accensements, des constitutions de rentes, etc., réglées quotidiennement par le maire et les échevins namurois. Plusieurs indices tendent à prouver que des actes consignés sur parchemin et scellés ne sont pas systématiquement délivrés aux parties. Très peu d’actes sur parchemin produits par l’échevinage namurois ont été conservés. Certes, il est plus facile d’égarer un document individuel qu’un registre conservé dans le coffre échevinal. Mais à y regarder de plus près, la majeure partie des actes juridiques dont nous disposons concernent des institutions ecclésiastiques ou hospitalières de la ville111. Les autres112 sont destinés113 dans la plupart des cas à des marchands, des individus proches de l’échevinage, des fonctionnaires urbains subalternes, des ecclésiastiques, des étrangers. Tous sont soucieux de la conservation de leurs archives personnelles. Les frais d’écriture ajoutés aux droits échevinaux ne leur posent aucun problème. Ces frais font d’ailleurs l’objet de notes succinctes de la part du clerc au début ou à la fin de l’un ou l’autre registre « aux embrevures ». Ces notes sont destinées à lui rappeler qu’il a donné une ou plusieurs lettres à un individu appartenant le plus souvent à l’une des catéPhilippe Godding (La jurisprudence, Turnhout, 1973 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 6), p. 24), la délivrance de jugements aux parties n’est pas systématique, même à la fin du Moyen Âge : « Par après, dans la plupart des juridictions, l’expédition du jugement sera faite d’après minute, généralement mise en forme et complétée par un protocole initial et final ». Il semble que ce soit déjà le cas à Namur au XVe siècle. 110. Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 108 : « Le IIIIe jour apportarent […] le fait de Jehan de Fauz […] ensi qu’il astoit item en un biet de papier que apportarent liquil s’ensuit de mot a mot : nous leurs trés chiers et améz seigneurs les maieur et eschevins de Namur, font assavoir […] ». 111. Ces actes sont conservés dans les chartriers de ces institutions. 112. Il s’agit d’une trentaine d’actes conservés au sein du fonds de la Haute Cour (Arch. État Namur, HCN 1). Ils s’étalent de 1265 à 1454. Comment expliquer leur conservation alors qu’ils concernent des particuliers ? Le clerc ne les leur a-t-il pas rendus, comme il le note parfois à la fin de l’un ou l’autre registre ? Par exemple, « ledit Taillefer a rendut audit Collart une lettre faisant mention du transport d’une maison a lui faite par […] » (Arch. État Namur, HCN 14). 113. Le clerc note systématiquement au dos de l’acte le nom de la personne à laquelle il est destiné. Par exemple, « lettre Antoine l’apotikaire a cause d’une maille que chappitre a sur la maison seant au marchié […] soit faite diligence » (Arch. État Namur, HCN 1, 1383).

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gories citées ci-dessus ou à une institution. Ils doivent lui payer ses droits d’écriture en retour114. Ces petites notes comptables, sorte d’aide-mémoire rapidement griffonnés sur les pages vides d’un registre, n’ont rien de systématique et traduisent le fait que seuls quelques-uns demandent l’expédition de leurs actes par le clerc et ses commis. Les notes marginales des registres « aux minutes » vont dans ce sens : le clerc se rappelle, pour certaines affaires, qu’il doit établir une ou deux « lettres semblables sur ceste minute »115, ce qui prouve que ces registres ne contiennent pas la copie d’actes effectuée avant que ceux-ci ne soient délivrés aux parties. Tous les autres particuliers se contentent des textes tels qu’ils figurent dans ces mêmes registres. On y retrouve, aux côtés des jugements contentieux, tous les actes juridiques passés devant la cour dans leur intégralité, tels qu’ils figurent parfois sur les actes sur parchemin. Ces registres, ou peut-être vaut-il mieux parler de liasses116, sont pleins de ratures et d’ajouts qui traduisent leur caractère préparatoire de brouillon. Ils jouent le rôle de minute-original : pour nombre d’actes juridiques, ils constituent la seule version officielle de l’acte qui ait jamais existé. Le clerc en prend grand soin et devient le gardien de la mémoire juridique de 114. Au début du registre 14 de la Haute Cour : « Memoire que Taillefer a rendut a Etienne Lamistant les lettres cy aprés dites le second jour de janvier l’an XLVII, soit deux lettres touchant les V clinckarts d’or et demi de cens que ledit Etienne a acquis a Jehan Blondel a Vellenes […]. Item que Taillefer a rendut a Martin de Sorines et que Etienne Lamistant dist qu’il paieroit pour ledit Martin audit Taillefer deux lettres […] ». À la fin du même registre : « Soit memoire que Taillefer a rendu a Henrion […] une lettre seeleez de maieur et eschevins de Namur d’une saisine, III vieux gros. Item le copie de convenanche de mariage et approbation de convenances de mariage de Gillechon de Lintre a Marie Canone, sa femme, VI vieux gros […] Item a esté rendut a Jehan Larballestrier, frère dudit Henrion, une lettre d’accense faite a Jean Blondel et a Enrart Bissetiau IIII vieux gros ». 115. Par exemple dans Arch. État Namur, HCN 11 (1419-1448) : « soient sur ceste minutte fourmees deux lettres semblables » (fol. 25) ; « deux lettres semblables » (fol. 51) ; « une singuliere lettre » (fol. 97) ; « il faut en faire deux lettres semblables » (fol. 101), etc. 116. Voir supra, n. 9. Les actes juridiques, les jugements et les divers documents qu’ils contiennent s’y suivent plus ou moins dans l’ordre chronologique, souvent rompu brutalement, parfois au beau milieu d’un texte qui se termine quelques folios plus loin. Ces registres ont très vraisemblablement été constitués au XVIIIe siècle à partir de liasses reliées les unes avec les autres selon une chronologie approximative. Ils sont eux-mêmes reliés aux registres « aux embrevures » correspondant grosso modo aux mêmes intervalles chronologiques. De nombreuses pertes sont sans doute à déplorer. L’inventaire du fond de la Haute Cour intitule le n° 220 « Liasses aux transports et œuvres de loi (1433-1497) » : il s’agit clairement d’un registre constitué de liasses qui contiennent des actes des années 1433 à 1497. Le clerc a produit d’autres liasses, conservées telles qu’elles encore aujourd’hui, telles les liasses aux testaments qui comprennent la copie des instruments que des particuliers sont venus faire enregistrer par le maire et les échevins (Arch. État Namur, HCN 398 (1475-1545) : « Ce jour d’huy d’avril l’an mil VC XIX m’at mis en main Jehan Honoré ce present testament disant estre sa derniere volonté en presence de […] comme temoins a ce huchiéz et appelléz »). Le registre n°391 (1509-1515) dit « aux testaments » semble lui aussi être constitué de différentes liasses.

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l’échevinage et de ceux qui se sont présentés devant lui, qui peuvent lui en réclamer des expéditions à tout moment117.

3. Le clerc, gardien de la jurisprudence : les recueils personnels Pour rendre la justice dans quelque domaine que ce soit, le maire et les échevins namurois doivent mettre en œuvre la procédure et la règle coutumière applicables à une affaire précise. Ils puisent dans leur mémoire, dans le savoir118 ou dans les registres de leurs prédécesseurs conservés par le clerc119. Les décisions judiciaires du passé sont sans aucun doute le meilleur moyen de connaître la coutume lorsqu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une rédaction officielle. Le clerc semble avoir conscience du rôle qu’il peut jouer pour la mémoire et la transmission de la coutume en mettant au point des recueils faciles d’utilisation. Ces ouvrages évitent à ceux qui veulent prendre connaissance d’une règle de devoir passer d’innombrables papiers en revue. Le répertoire coutumier de 1440, d’auteur inconnu120, comprend quelques textes antérieurs à cette date, d’autres produits entre 1440 et 1451, la plupart émanant de la Haute Cour du Feix. Celui de 1483121 provient avec certitude de Louis Lodevoet, clerc de la Haute Cour de Namur et de celle du Feix. Il contient pour un tiers des actes du XIVe siècle, pour les deux autres tiers des actes du siècle suivant, la majorité issus de l’activité du maire et des échevins namurois. Ces deux recueils n’ont rien d’officiel, comme l’écrit Lodevoet qui signale avoir pris la plume « soit pour apprendre mes enfants ou autres en quels mains le 117. Nous rejoignons ici le constat de Walter Prevenier à propos de la primauté du registre sur l’acte écrit. Le premier prend le pas sur le second dans certaines régions des anciens Pays-Bas bourguignons dans le courant de la seconde moitié du XIIIe siècle. Les échevins commencent alors à tenir des registres dans lesquels ils consignent l’acte dans sa totalité ou sous forme abrégée. Une autre formule se développe ailleurs, notamment à la frontière entre la Flandre et le Hainaut : le chirographe, soit deux ou trois exemplaires identiques et parallèles d’un acte, destinés aux deux parties et à l’échevinage (W. Prevenier, « La conservation de la mémoire par l’enregistrement dans les chancelleries princières et dans les villes des anciens Pays-Bas du Moyen Âge », dans Forschungen zur Reichs-, Papst- und Landesgeschichte, Stuttgart, 1998, p. 551-564). 118. En 1364, lorsqu’ils doivent établir un record pour définir l’étendue de la franchise namuroise, ils précisent qu’ils agissent « sorlon chu qu’avoient tous jours out dire et avoient apris à leurs devantrains esquevins et autres plusieurs bonnes gens anchiens delle ville, pays et contey de Namur » (J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 70-76 (mai 1364)). Cette transmission d’une génération d’échevins à l’autre a certainement lieu aussi pour l’exercice de la justice. 119. Les receveurs urbains agissent de la sorte pour l’établissement de leur propre comptabilité : « Memoire que Taillefer a presteit a Thierion Bonnant, esleu de la ville de Namur, un compte de l’annee precedente pour faire sur les siens pour ung an fini l’an XLV, Jehan de Pontillace et Jehan Darimont, alors esleux de ladite ville » (Arch. État Namur, HCN 14). Un tel recours aux services du clerc doit survenir aussi pour l’exercice de la justice. 120. Coutumes de Namur et de Philippeville…, t. II, Répertoire de 1440, p. X. 121. Ibid., t. II, Répertoire de 1483, p. 135.

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present repertoire se poura trower cy aprés »122. Il le rédige à des fins personnelles comme aide-mémoire, à des fins didactiques comme manuel de formation juridique ou peut-être pour l’usage des membres des deux Hautes Cours. Il fait plusieurs fois référence aux registres qu’il a eus sous les yeux, dont certains existent encore aujourd’hui et dans lesquels il a puisé certains passages. Ainsi, il déclare avoir retenu « toutes causes et questions […] desquelles il a veu user en l’une des cours et l’autre, ensemble ceulx qu’il a trouve par escript d’anchienneté »123. Ailleurs, « je trewe, selon loy anchiennement usee en le comté de Namur »124 ou encore « autrefois extrait hors des papiers et registres authentiques d’icelle cour par Jean Taillefer »125… Peutêtre parfois retranscrit-il une affaire à laquelle il a lui-même assisté, comme le laisse supposer ces deux extraits : « J’ai esté depuis un petit temps la ou l’on s’en est devisé a requeste des parties »126, « j’en ay oy en la Haute Court de Namur »127. Des cas jugés, repris dans les archives des deux Hautes Cours128, retranscrits mot pour mot129, résumés130 ou réduits à un énoncé clair et précis131, s’y suivent sans aucun ordre. Une règle apparaît au travers de ces cas concrets, issus de la pratique. Louis Lodevoet précise s’être attaché « aux causes et questions, soyent de droit et de coustume dont l’on est tenu de user pour entretenir les anchiennes coutumes, auxquelles tous gens de bien, coutumiers et autres, aymans droit et raison, se doivent et sont tenus de eulx encliner et ensuir, selon que droit et bonne justice le ensignera »132.

4. De l’oralité à l’écrit ou le clerc, gardien de la parole judiciaire et juridique Le clerc de la ville rend compte, dans les nombreux registres qu’il tient, de débats oraux et de décisions qui ont été prononcées oralement par le maire et les échevins devant les parties et en sa présence. Prenons le cas d’un jugement prononcé « sur le plait et question qui estoit pardevant mayeur et eschevins de 122. Ibid., t. II, p. 137. Les clercs namurois ne sont pas les seuls à s’être attelés à la tâche. Leurs contemporains bourguignons ont eux aussi produits de tels registres coutumiers dont le contenu est fort semblable (voir Thierry Dutour, Une société de l’honneur. Les notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen Âge, Paris, 1998 (Études d’histoire médiévale, 2), p. 95). 123. Coutumes de Namur et de Philippeville…, t. II, Répertoire de 1440, p. XI. 124. Ibid., t. II, p. 137 (n° 1). 125. Ibid., t. II, p. 146 (n° 11). 126. Ibid., t. II, p. 140 (n° 5). 127. Ibid., t. II, p. 141 (n° 6). 128. On y rencontre aussi quelques sentences rendues par le Souverain Bailliage. 129. Ibid., t. II, Répertoire de 1440, p. 85 (n° 71). 130. Ibid., t. II, Répertoire de 1483, p. 254 (n° 166). 131. Ibid., t. II, p. 280 (n° 200). 132. Ibid., t. II, p. 133.

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Namur133, entre les maistres et gouverneurs du mestier des parmentiers de ladicte ville de Namur, pour et au nom dudit mestier, d’une part, et les femmes cousturierres demourant en icelle ville de Namur, d’autre part »134. La cause du différend est rappelée rapidement par le clerc : « a cause et occoison de ce que lesdis maistres dudit mestier des parmentiers disoient et maintenoient » que les couturières ne peuvent apprendre aux jeunes filles à coudre des ouvrages neufs, ce qui va à l’encontre de leurs chartes. « Contre quoy lesdites couturieres proposoient du contraire, en disant qu’elles le povoient bien faire […] requerant a la justice que leur droit leur fust en ce gardé ». Les maîtres du métier des parmentiers « maintenoient touiours qu’elles ne pouvoient ce faire selon le teneur de leurs dites chartes ». Le maire et les échevins rendent ensuite leur jugement135 et se rallient à l’avis des parmentiers : « et sur ce, a le semonsse de Jaque du Pont, mayeur, fut dit et jugié par […] eschevins136, veu et consideré le contenu desdites chartes […]. Le clerc précise à la fin du texte que ce cas fut « jugiet le XVIe jour de mai l’an mil IIIIC XLIIII ». La structure suivie pour ces « procès-verbaux » est toujours la même, à quelques nuances près, pour toutes les matières judiciaires. Dans les cas de justice pénale et criminelle, il ajoute la peine subie par le coupable137. Il insiste parfois sur le fait qu’il a assisté aux débats et aux jugements en débutant son texte par « veu le proces pendant » ou en le terminant par « moy present […] clerc de la court ». Témoin privilégié, il doit garder la mémoire de ce qui a été dit par les parties et par les juges. Il couche leurs paroles sur le papier, ainsi que celles de beaucoup d’autres : les témoins auditionnés par la cour138 qui disent, sur leur serment, avoir vu, avoir entendu139 ; ceux qui viennent témoigner de leur propre 133. Les clerc recourent à d’autres phrases introductives : « Veu le procés pendant entre » ; « Veu le differend et question estant » ; « Sur le differend et question estant » ; « Sur ce que » ; « Sur ce que procés estoi esmeu par » ; « Sur le differend, procés et question meus et pendant » ; etc. 134. Arch. État Namur, HCN 16, fol. 110v. 135. Le clerc ajoute parfois que le jugement est prononcé après « meure et bonne deliberacion ». 136. Les expressions qui introduisent le résumé du jugement peuvent varier d’une affaire à l’autre : « A esté dit et declairié pour droit, par loy et par jugement, par semonsse du mayeur et par lesdis eschevins que » ; « Fut ainsi dit, sentenchiet et prononchiet par droit, par loy et jugement que » ; « A esté dit par jugement » ; « A esté dit par jugement d’une sieult et accord que » ; « Messeigneurs ont dit par jugement, sentence diffinitive et pour droit » ; « A le semonche dudit maieur jugarent et sentencharent tout d’une siete et acort que » ; « Liquilz maieur et eschevins sur ce somons jugarent par droit, par loy et par jugement d’une siete et accord que » ; etc. 137. En voici quelques exemples : « et eut copeit sa tieste » (Arch. État Namur, HCN 1324 (13631383), fol. 104) ; « et eut copeit sa tieste », « la teste coppee et aprés son corps mis en quatre », « lesquels du commandement monseigneur ont esté mis avec la tieste en quatre liens au dehors de la ville » (Arch. État Namur, HCN 1331 (1416-1424), fol. 14v) ; « et en aprés ledit Jehennin fut noyez en Meuse ce dit jour ale nuyt » (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 107) ; etc. 138. L’audition est appelée « enqueste » ou « information ». 139. Par exemple le 24 décembre 1366, le maire et les échevins écoutent les témoins des troubles survenus dans la halle des blés : « C’est li enqueste de remour delle halle delle blé de Namur […].

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volonté de faits suspects auxquels ils ont assisté, « bonne verité » ainsi « ouiwe » par le maire et les échevins140 ; ceux qui confessent un délit141 ; ceux qui « mandent un fait »142 ; les fonctionnaires urbains qui viennent faire entendre leur rapport à la cour ; les pères qui viennent « jeter hors de leur mambournie » leur fils ou leur fille ; ceux qui s’accordent sur la vente d’une maison ou d’une rente ; ceux qui assistent à l’approbation d’un contrat de mariage ou d’un testament… Tous voient leurs paroles résumées et consignées dans les registres dont il est question ici. Ces derniers sont empreints, page après page, de l’oralité des débats judiciaires.

5. De la justice aux chiffres ou le clerc, gardien de la comptabilité judiciaire et juridique La plupart des comptes de profits de justice produits par les officiers de justice des principautés des Pays-bas bourguignons apparaissent généralement dès le XIVe siècle, lors de leur entrée au sein de l’ensemble bourguignon. Celle-ci est souvent synonyme de rationalisation de la tenue de tels registres143, notamment du fait de leur vérification annuelle par la chambre des comptes de Lille. Ce constat peut être émis pour les registres du maire namurois qui débutent en 1429, au moment où Philippe le Bon devient comte de Namur. On retrouve toutefois la trace d’une comptabilité sommaire dans les plus anciens registres « aux sentences », datant de la fin du XIVe siècle. De nombreuses affaires consignées par Francar Hudar, qui tient les loches, dit sur seriment qu’il vit que un fèvres, demorant deleis le maison Marchant, le prist en le halle de le bleit par la chapiron, et che jour la meisme, Lambert Colignette le prist par le gueule et le vout ferir d’une daghe. Pirechons Brabant, sergans de Namur, dist qu’il vist et oijt un grant remour en le halle de le bleit de plusieurs persones […] ». Dans ce cas, une confrontation entre les témoins et les fauteurs de troubles est organisée par la cour : « Furent adjourneis et mandeis par devant monseigneur suffisamment pour voir et oijr nommeir les tesmoins qui tesmogneis avoient par dessus sur eauz et pour diere et alligier contre, se diere y voloient et pour oijr determiner sa volonté, a ce certain jour, auquel nulz d’eauz ne vient qui alencontre desist riens. » Les coupables entendent alors la sentence : ils sont bannis du comté (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 55v et J. Borgnet et S. Bormans, Cartulaire de la commune de Namur…, t. II, p. 78-80, n. 1 (1366)). 140. « Bonne verité ouiwe par Gobin Davin, maieur et eschevin, Jehan du Pont et Pierart Yerpens, eschevins, que Giloteal de Flawenne, li retondeurs, dist qu’il vit Henon Henrart et deux autres qu’il recognoist battre et ferir Henon Sapotte et devens le maison Pirechon Saset meisme […] mis en le warde des eschevins » (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 23v). 141. « Cognut Jehennin, fils Jaket le machon, qu’il avoit getté une poignie de mortier aprés Thouart et autres compagnons […]. » (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 24). 142. Le « XIIIe jour de may par devant Jehan Sabuleto, maieur establit de par Gobin Davin, maieur et eschevin […] mandaient par monseigneur Baudewijn, vesti de Godinnes, et Jehan Audrumont, le fait et quassure Remacle, filh Jehan le Petit de Daules […] ». 143. Christian Keeremans, Étude sur les circonscriptions judiciaires et administratives du Brabant et les officiers placés à leur tête par les ducs antérieurement à l’avènement de la Maison de Bourgogne (1406), Bruxelles, 1949 (Académie royale de Belgique. Classe des lettres et des sciences morales et politiques. Mémoires. Collection in-8°, 44-2), p. 288 : il émet ce constat pour les registres brabançons à partir de 1404, date à laquelle le Brabant est placé sous l’autorité d’Antoine de Bourgogne.

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le clerc y sont barrées d’une croix dans une encre différente de celle du texte et accompagnées en marge de notes qui stipulent qu’un paiement a été effectué au maire144. Une fois l’amende encaissée, le clerc barre l’affaire correspondante. Nous pouvons émettre une première hypothèse : le tout est reporté systématiquement dans des comptes plus ou moins élaborés, aujourd’hui disparus145. Les registres de justice leur auraient servi de base de plus en plus organisée, puisque chaque affaire y est bientôt précédée d’un titre qui permet d’identifier rapidement un fait mandé, un pèlerinage judiciaire, un coup de couteau… Le clerc a agi de cette façon lorsqu’il a mis au point un registre qui récapitule les amendes non payées au maire entre 1410 et 1440, qu’il a reprises « hors de plusieurs papiers audit office de le mairie »146. Il y barre à nouveau les amendes lorsqu’elles ont été « accordees », soit acquittées. Les comptes de profits de justice contiennent souvent des amendes des années précédentes en attente d’être payées. Une seconde hypothèse est plus plausible : les registres « aux sentences » contiennent un embryon de comptabilité, sorte d’aide-mémoire qui s’en détache progressivement pour former de véritables comptes en 1429. Une première rubrique comptable apparaît dans ces mêmes registres à propos des amendes perçues lors de la foire d’Herbatte147. Une première esquisse de compte se dégage du reste des registres à partir de 1388 et reprend l’ensemble « des esplois delle mairie » pour l’année148. Ils annoncent peut-être les « comptes des explois de mairye de Namur faiz et renduz par saige et noble homme […] pour ce temps mayeur dudit Namur ». Le plus ancien registre « aux droits eschevinaux de la Haute Cour de Namur » date des années 1542-1544149. Aucun indice n’a été découvert concernant la tenue de ce type de registre avant le XVIe siècle. Les « vestures », les « ventes au 144. En voici deux exemples. À propos d’un « desdit » d’échevins : « Payet les autres chinquante moutons aussy a Philippart de Branchon, maieur, et en sont ledit Jehennin et Massart quitte de clam, de calenge et de le dite somme ausy » (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 27) ; à propos de Jehennin, fils de Jaket le maçon, qui a reconnu avoir jeté du mortier sur d’autres ouvriers : « Lidis Jehennin est obligié et abandonné de payer l’amende si avant, que li eschevins dirat que meffait arat par jugement, accordeit et paiet a Massart Colle, maieur » (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 24). 145. À partir de 1429, les comptes de profits de justice sont établis en double exemplaire. Seuls ceux vérifiés par la Chambre des comptes ont été conservés. Ceux de la ville ont irrémédiablement disparu. À l’instar de leurs prédécesseurs du XIVe siècle ? 146. Arch. État Namur, HCN 1326 (1410-1440), fol. 206 : « Papier des amendes et voyages deuls a monseigneur le conte de Namur, en l’office de le mairie de Namur, donant explois hors de plusieurs papiers audit office […] ». 147. « Les esplois de le fieste herbattes l’an de grace […] de vies amendes et de nouvelles » (Arch. État Namur, HCN 1324 (1363-1383), fol. 97) ; « Cesti les papiers des explois delle mairie depuis vigile Saint Jehan Baptiste, l’an de grace mil IIIC IIIIX et VIII, du temps Michart de Warisoul qui fist serment delle dite mairie cely iour le seconde fois (Arch. État Namur, HCN 1325 (1383-1389), fol. 23). 148. Arch. État Namur, HCN 1325 (1383-1389), fol. 23. 149. Arch. État Namur, HCN 506 (1542-1544).

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staple », les « conseils », les « fautes », les « commissions », etc. sont pourtant réalisés devant la cour moyennant monnaie sonnante et trébuchante depuis longtemps. Une partie revient au maire et aux échevins, l’autre au seigneur selon un tarif bien établi. L’auteur du répertoire de 1440 y a retranscrit la liste des droits perçus par le maire et les échevins de la Haute Cour de Namur150. Louis Lodevoet mentionne dans le sien les « gaiges, droits, prerogatives, libertés, proufits et emolumens accoustumés et a iceluy office appartenant ». Il précise que ce tarif est d’application depuis « cent ans cy devant »151.

V. — CONCLUSION : L’ABSENCE DE MÉMOIRE JUDICIAIRE, SYMPTÔME DE PRATIQUES DU POUVOIR URBAIN

L’absence de mémoire judiciaire pour la Haute Cour de Namur avant la fin du XIVe voire le début du XVe siècle peut surprendre. Alors que le rôle judiciaire de l’institution est attesté depuis 1154, le clerc de la ville fait son apparition tardivement en plein XIVe siècle. Les premiers registres de justice conservés datent ensuite de 1363152, 1411153 ou 1429154. Certains écrits judiciaires ont été élaborés avant la création de la fonction de clerc, en particulier des actes sur parchemin qui gardent la mémoire de transactions patrimoniales et commerciales. L’absence d’autres documents judiciaires entre le XIIIe et le milieu du XIVe siècle ne peut s’expliquer par des disparitions accidentelles : de tels écrits n’ont pas existé ou n’ont pas été conservés, peut-être du fait de la volonté politique des échevins namurois. L’hypothèse a été émise pour Gand où la situation est quasi identique155 : entre 1100 et 1300, « la caste politique ne produit des documents de portée juridique que pour les secteurs jugés utiles pour cette élite même156. Elle évite par contre de rédiger (et de conserver) des écrits à risque, aptes à révéler les malversations 150. Par exemple : « Item, une obligation, aux echevins, X hiames, a maire X hiames […]. Item, tous jugements principaulx et diffenitive montent XVIII hiames et en commun, et toutes accessoires montent IX hiames et tout commun » (Coutumes de Namur et de Philippeville…, t. II, Répertoire de 1440, p. 86, n° 124). 151. Ibid., p. 361 et p. 371-372. 152. La série des registres aux sentences criminelles. 153. La série des registres aux transports et œuvres de loi. 154. La série des comptes de profits de justice du maire. 155. W. Prevenier, « Les sources de la pratique judiciaire en Flandre du XIIe au XVe siècle et leur mise en œuvre par les historiens », dans Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge, éd. Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi, Rome, 2007 (Collection de l’École française de Rome, 385), p. 107-111. 156. Elle conserve donc les privilèges ou les droits accordés par le prince. À Namur, il s’agit d’octrois princiers pour la levée des impôts dont les plus anciens datent de 1210 (Arch. État Namur, VN 22) et de 1293 (Arch. État Namur, VN 24), de droits de tonlieu datant de 1299 (Arch. État Namur, VN 265), etc.

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du régime »157. Il s’agit pour les hommes en charge de la ville d’éviter de conserver la justification de sentences partiales ou la trace de fraudes. Les écrits « dangereux » pour cette élite dirigeante sont donc les registres de justice qui contiennent le détail des sentences et les comptabilités accompagnées de pièces justificatives. Seule une pression extérieure, exercée par le prince et dans une moindre mesure, par la communauté urbaine, met fin à cette pratique du pouvoir. En 1357, le comte Guillaume Ier crée la fonction de clerc, chargé dès l’origine de la gestion des finances et de la tenue de la comptabilité urbaine. Ses officiers surveillent et contrôlent les recettes et les dépenses aux côtés de la communauté urbaine, rassemblée lors des auditions et des signatures des comptes à la fin de l’année comptable. La mémoire judiciaire et administrative de la ville s’organise dans la foulée : des institutions financières et une chancellerie urbaine voient progressivement le jour, hiérarchisées et spécialisées. En 1429, le duc Philippe le Bon intègre les finances urbaines et judiciaires namuroises dans son organisation financière centralisée. Le maire et les échevins ne peuvent désormais plus se contenter de quelques notes comptables griffonnées dans la marge d’un registre de justice. Leur gestion des revenus et des dépenses dans leur ensemble est désormais contrôlée par la chambre des comptes de Lille158. La pratique du pouvoir, « hostile » à une certaine forme de mémoire judiciaire et urbaine, ne peut qu’être supposée à Namur avant le XVe siècle. Ce que l’on sait de la façon dont la ville est dirigée par ces hommes et leurs familles au XVe siècle permet d’imaginer ce qu’elle a pu être en l’absence de mise par écrit systématique. Ces riches marchands, désignés à vie pour occuper les sièges de la Haute Cour, confondent allègrement intérêts publics et privés159. Un seul rappel à l’ordre a été rencontré : en 1465, une ordonnance publiée en présence des commissaires ducaux et des échevins au perron de la ville redéfinit, apparemment à la suite de quelques abus160, le tarif que le maire et les échevins doivent appliquer dans l’exercice de la justice161. Isabelle PAQUAY Université de Namur 157. W. Prevenier, « Les sources de la pratique judiciaire… », p. 109. 158. La question du contrôle de la perception des droits échevinaux reste en suspens. 159. I. Paquay, Gouverner la ville…, p. 266-267. 160. Arch. État Namur, VN 31 (1465-1519). À propos du montant exigé lors du relief d’un héritage, quelle que soit l’importance de celui-ci : « C’est a entendre d’autre tant de masures, autre tant de vestures qui sambloit chose estre excessive et non raisonnable ». 161. Sur cette ordonnance et sur la production des écrits de gestion urbaine en général, voir I. Paquay, « Réglementer et juger. Les écrits de gestion des échevinages urbains (Pays-Bas méridionaux, XVe siècle). Première approche à partir du cas namurois », à paraître dans les actes du colloque international organisé à Namur du 8 au 9 mai 2008, Décrire, inventorier enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge. Formes, fonctions et usages des écrits de gestion (Matériaux pour l’histoire publiés par l’École des chartes).

UN ACTEUR DE LA MÉMOIRE JUDICIAIRE URBAINE : LE CONSEILLER PENSIONNAIRE DANS LES VILLES DU NORD DE LA FRANCE (XIVe – XVIIIe SIÈCLE) PAR

FRANÇOIS ZANATTA

Du XIVe au XVIIIe siècle, à côté des magistrats, les principaux acteurs de la mémoire urbaine appartiennent au monde des clercs. Dans les villes du nord de la France, sous l’Ancien Régime, émerge au milieu des clercs une figure peu connue, celle du conseiller pensionnaire1 : celui-ci participe, par ses fonctions, à la mémoire judiciaire échevinale. Afin d’apprécier la place respective des différents officiers municipaux au sein de l’institution judiciaire échevinale, rappelons les particularités de la justice urbaine. La ville est, juridiquement, une enclave dans le plat pays. Elle l’est surtout par les dérogations dont elle bénéficie par rapport aux institutions de droit commun. En ce sens, la ville se singularise par une juridiction propre aux hommes libres : ceux-ci échappent au cadre ordinaire de l’ancien pagus, et, plus tard, du bailliage2. L’échevinage, en effet, est avant tout une juridiction3 : sa vocation est de juger4. 1. Cette étude présente les fonctions des conseillers pensionnaires relatives à la conservation de la mémoire judiciaire urbaine ; ces tâches n’épuisent pas la fonction de cet officier municipal. Pour une étude complète des missions attribuées aux conseillers pensionnaires des anciens Pays-Bas, voir François Zanatta, Un juriste au service de la ville : le conseiller pensionnaire dans le nord de la France (XIVe–XVIIIe siècle), thèse de doctorat, univ. Lille II, 2008, 2 t. 2. Raymond Monier, Les institutions judiciaires des villes de Flandre des origines à la rédaction des coutumes, Lille, 1924. 3. Joseph Balon, « Le droit des obligations. Une étape de l’évolution des institutions judiciaires du comté de Namur. La compétence des jurés et des hommes de loi », dans Anciens pays et assemblées d’états, t. XIV, 1957, p. 3-35, part. p. 17 et suiv. 4. Robert-Henri Bautier, « Le scabinat carolingien à l’échevinage communal. Le problème de l’origine des échevinages médiévaux », dans Les chartes et le mouvement communal. Colloque régional organisé en commémoration du neuvième centenaire de la commune de Saint-Quentin, Saint-Quentin, 1982, p. 59-81, aux p. 65, 68 et 74.

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Les échevins sont des juges avant d’être des gouvernants. Une procédure – un « style » – leur est propre. Ce privilège juridictionnel donne vraiment un relief particulier à la communauté des bourgeois. Les magistrats qui composent l’échevinage sont donc des juges : ils rendent un judicium. C’est leur manière de prendre une décision : il y a des jugements contentieux aussi bien que gracieux. Remarquons qu’en matière réglementaire, la décision échevinale est prise selon les mêmes modalités que celles d’un jugement. Tant que la procédure est orale, la sentence n’est pas écrite. Le jugement est toujours prononcé publiquement par le collège échevinal, dans la « halle »5, et particulièrement dans la « salle », accessible à tous6. Prononcée publiquement, la sentence peut ainsi être connue par la suite en recourant au témoignage des magistrats présents, ou des officiers qui les assistaient, voire de toute personne présente lors du prononcé. Chacun en témoignerait s’il en était requis7. La pratique judiciaire évolue cependant et la procédure écrite s’impose progressivement car l’absence d’écrits présente en effet des difficultés. C’est ce que rappelle Charles V dans une lettre qu’il adresse à la ville de Lille, en 1368 : « Il est avenu que les aucuns des diz eschevins sont aléz de vie a trespassement et les autres en leurs marchandises et ailleurs, et aussi les diz eschevins sont renouveléz d’an en an, et ne pevent estre eschevins que un an, suiant qui, par ce, ne pevent savoir justement les plaidoiries que leurs devanciers eschevins ont eu et oy par devanlt eux, dont plusieurs inconveniens se pourroient ensuir. »8 L’obligation de rédaction, qui s’ensuit, ne concerne pas ici encore la sentence, mais seulement les pièces des parties au procès : l’écrit est envisagé avant tout comme un aide mémoire. Or l’écrit a pour conséquence le développement des offices de clergie. Toutefois, le progrès de la procédure écrite n’est pas la seule explication de l’accroissement du nombre des clercs de ville. L’écrit se développe aussi en raison des autres compétences échevinales qui expliquent l’établissement des « registres aux bourgeois », des registres comptables, des « registres aux délibérations », des « registres mémoriaux », etc. Ainsi, une mention d’un clericus scabinorum apparaît dès 1207 à Douai9. Dans cette même 5. La halle est le bâtiment qui abrite les institutions municipales. Pour un exemple à Lille, voir Jules Houdoy, La halle échevinale de la ville de Lille (1235-1664). Notice historique, comptes et documents inédits concernant l’ancienne Maison-Commune, avec planches, Paris/Lille, 1870. 6. En opposition à la « chambre du conseil », dite encore « chambre du secret ». 7. Jean-Luc Lefebvre, Prud’hommes, serment curial et record de cour. La gestion locale des actes publics de Liège à l’Artois au bas Moyen Âge, Paris, 2006, p. 131-138. 8. Le texte est édité dans R. Monier, « Histoire de la procédure civile à Lille du XIIIe siècle à la fin du XVe siècle », dans Contribution à l’étude des institutions de la ville et châtellenie de Lille au Moyen Âge, Lille, 1939 (Mémoires de la Société d’histoire du droit des pays flamands, picards et wallons, 3), p. 5-37, à la p. 39. 9. Georges Espinas, La vie urbaine de Douai au Moyen Âge, 4 t., Paris, 1913, t. I, p. 857.

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ville, le nombre des clercs est ensuite porté à deux au cours du XIIIe siècle et enfin trois au siècle suivant. Leur nombre se stabilise à deux au XVe siècle10. D’une manière générale, le clerc est le préposé à l’écrit. Il est le scribe. Il devient plus tard le greffier, celui qui est chargé d’enregistrer les sentences judiciaires, d’en délivrer les copies et de veiller à leur conservation. Le clerc est donc, selon l’expression consacrée, celui qui doit « soigner les registres »11. Les clercs de ville ne sont pas toujours des scribes anonymes. Certains accèdent, en effet, à la notoriété par leur labeur. Ainsi, à Lille, Jean Roisin12 compose le coutumier de l’échevinage à la fin du XIIIe siècle : c’est le très célèbre Livre Roisin13. Toutefois, si la tradition municipale donne son nom à l’ouvrage, on ignore dans quelle mesure ce clerc a participé à la conception, au-delà de la simple rédaction. À la même époque, à Saint-Omer, les clercs composent également un registre aux bans et, au XIVe siècle, un cartulaire municipal14. La tâche du clerc de ville, en tant que « greffier », est difficile à déterminer avec précision dans les villes du Nord. Si le nom des clercs est connu, ainsi que le montant de leurs gages et leur statut à partir du XVe siècle, il n’est pas aisé, en revanche, d’établir avec précision la procédure d’enregistrement. D’une part, les registres de sentences sont mal conservés. D’autre part, les registres qui l’ont été offrent parfois un aspect désordonné : il n’est pas rare de consulter des ouvrages factices, composés de feuilles cousues entre elles. Faut-il considérer ces documents comme des minutes ? De surcroît, aucun seing manuel n’apparaît. Même si l’on sait peu de choses, la mémoire judiciaire écrite est principalement l’œuvre des clercs de ville15, ces scribes qui deviennent les greffiers16. Ainsi fonctionnent les chancelleries urbaines17. Un acteur complémentaire 10. Ibid. 11. Ibid. 12. Sur l’office de Jean Roisin, voir notamment Auguste Richebé, « Compte de recettes et dépenses de la ville (1301-1302) », dans Annales du Comité flamand de France, t. 21, 1893, p. 393-484. 13. Pour une étude détaillée et l’édition scientifique de ce texte, voir R. Monier, Le Livre Roisin. Coutumier lillois de la fin du XIIIe siècle, publié avec une introduction et un glossaire, Lille, 1932 (Documents et travaux publiés par la Sciété d’histoire du droit des pays flamands, picards et wallons, 2). Consulter aussi Paul Collinet, « Les dates de rédaction du Livre Roisin et du coutumier de l’échevinage de Lille qu’il renferme », dans Mélanges Henri Pirenne, Bruxelles, 1926, p. 63-66. 14. Albert Pagart d’Hermansart, Les greffiers de l’échevinage de Saint-Omer, Saint-Omer, 1901, p. 30. 15. Françoise Autrand, Éric Bournazel et Pierre Riché, Histoire de la fonction publique en France, t. I : Des origines au XVe siècle, Paris, 1993, p. 429 et suiv. 16. Pour un exemple dans les possessions bourguignonnes des ducs de Bourgogne, voir Pierre Bodineau, « Les gens de loi au service de la commune de Dijon à la fin du Moyen Âge », dans Bulletin philologique et historique (jusque 1610), 1979, p. 37-50. 17. Robert Jacob, « Sur la formation des justices villageoises au XIIe siècle dans la France du Nord », dans Les structures du pouvoir dans les communautés rurales en Belgique et dans les pays limitrophes (XIIeXIXe siècle), 13e colloque international, Spa, 3-5 septembre 1986, Bruxelles, 1988, p. 97-117. Voir, à titre d’exemple, le clerc assistant les échevins de Hesdin dès le XIIe siècle, ibid., p. 106, n. 38.

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apparaît néanmoins dans les grandes villes drapières septentrionales. Issu du monde des clercs, cet officier s’en dégage progressivement, tout en en conservant quelques caractères : il s’agit du conseiller pensionnaire. Pour mesurer le rôle de cet officier dans la mémoire judiciaire, il est nécessaire d’analyser sa distinction progressive de l’office de clergie, et de présenter ensuite succinctement ses fonctions judiciaires.

I. — LE CONSEILLER PENSIONNAIRE, « UN MAÎTRE CLERC » L’expression « maître clerc », parfois attribuée au conseiller pensionnaire, rappelle que le groupe des clercs de ville n’est pas complètement homogène. Si le conseiller pensionnaire a plusieurs points communs avec les scribes, la spécialisation permet de mieux distinguer les officiers municipaux à la fin du Moyen Âge.

1. Conseillers pensionnaires et clercs au service de la juridiction municipale Les clercs « ordinaires » de ville cohabitent, à partir du XIVe siècle, avec un nouvel officier dont l’attribut de conseiller permet de le distinguer dans les sources municipales. Si, dans les dépouillements effectués, il apparaît que le conseiller de ville a des tâches autres que judiciaires – elles sont nombreuses –, il faut pourtant remarquer sa présence continue dans la procédure judiciaire. À ce titre, le conseiller de ville participe à la même tâche que les clercs. Deux points, en effet, leur sont communs : le travail des écritures et le conseil dans la délibération judiciaire. Il est remarquable de constater qu’aux XIVe et XVe siècles, clercs et conseillers participent tous à la rédaction des écrits en matière judiciaire. Les écritures des conseillers font l’objet d’une rémunération18, répertoriée dans les comptes. On voit également les conseillers rédiger des actes qui relèvent de la juridiction gracieuse des échevins : en 1398, Thomas Du Clerc, conseiller de Douai, rédige par exemple des lettres scellées19. Toujours au XIVe siècle, le conseiller de Valenciennes, Nicole de Dury, reçoit également son salaire pour l’écriture de plusieurs lettres scellées20. Il est difficile de connaître leur participation à l’écriture des sentences à l’élaboration desquelles, en revanche, ils apportent leur concours. 18. À titre d’exemple, voir le tableau des tarifs rémunérant le travail des clercs lillois au XVe siècle dans R. Monier, « Histoire de la procédure civile à Lille… », p. 29. Pour des exemples d’émoluments versés au titre des écritures faites par le pensionnaire, voir Arch. mun. Lille, 15420, fol. 24v : « S’ilz font quelque escriture pour la ville, ilz en doibvent estre récompensez ». Voir aussi Arch. mun. Lille, 16192, fol. 77, 16233, fol. 234, et 16256, fol. 144. 19. G. Espinas, La vie urbaine de Douai…, t. I, p. 535. 20. Henri Caffiaux, Nicole de Dury, maître-clerc de la ville de Valenciennes (1361-1373). Sa vie officielle. Épisodes valenciennois dans lesquels il a joué un rôle, Valenciennes, 1866, p. 99, pièce justificative T.

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Les sources municipales montrent qu’entre le XIVe et le XVe siècle, les villes ont modernisé leur personnel. C’est ainsi qu’elles ont érigé un nouvel office de clercconseiller21. Celui-ci, comme son nom l’indique, doit davantage aider les échevins dans leur prise de décision : on lui demande une plus grande assistance. Cet officier, en effet, ne fait pas que prêter sa plume : il prête aussi toute son intelligence au collège échevinal. Le conseil qu’il fournit ne se limite pas aux procès traités par les échevins, mais, au-delà, il embrasse toute la vie juridique, politique, constitutionnelle et diplomatique de la ville. En matière judiciaire, le conseiller est invité par les échevins à participer aux délibérés : c’est dans le cadre du huis clos que le pensionnaire donne son conseil. C’est alors le seul officier présent auprès des magistrats qui délibèrent. Il a voix consultative22. Sa présence pallie les difficultés nées de l’annualité des fonctions échevinales. Face à des échevins qui se succèdent tous les ans, obligés, de surcroît, d’attendre deux années pour pouvoir à nouveau être élu, l’officier est garant de la stabilité. En ce sens, il apparaît comme celui qui transmet la pratique judiciaire aux échevins successifs. Il n’est pas rare, de plus, que le conseiller exerce ses fonctions pendant plusieurs décennies. Si le conseiller participe aux écritures des clercs ordinaires, ces derniers peuvent aussi conseiller les échevins s’ils en sont requis. En fait, les magistrats ont le droit de solliciter le conseil de toute personne idoine : leurs officiers, bien sûr, mais aussi des magistrats d’autres villes ou encore des avocats. Bien entendu, par commodité, bourgeois et officiers sont le plus souvent sollicités. Ainsi, l’officier chargé de maintenir une trace écrite du jugement n’est pas totalement exclu de la formation de ce jugement. Ces deux exemples, écritures et conseil, sont les deux facettes de la mémoire judiciaire : l’écrit est nécessaire à la maintenir, mais on a besoin, quand même, d’un intermédiaire pour en raviver la mémoire. La participation commune des conseillers et des clercs à la procédure judiciaire, aux XIVe et XVe siècles, indiquent aussi que la spécialisation des tâches n’a pas encore été complètement effective. Tous les « officiers permanents », selon l’expression municipale, participent au même service. D’ailleurs, le serment de fonction qu’ils prêtent est, sur le fond, identique. À quoi s’engagent-ils, eux dont les titulatures sont si distinctes ? À être droit et loyal ; à conseiller la ville « à leur sens et pouvoir » ; à garder le secret du conseil. C’est le substrat de tout engagement dans une fonction publique. Cette similitude est remarquable dans le recueil de serments inséré dans le Livre Roisin, à Lille23, comme dans le Livre aux serments de la ville 21. Pour un essai de synthèse sur l’ensemble du royaume de France, voir Albert Rigaudière, « L’essor des conseillers juridiques des villes dans la France du bas Moyen Âge », dans id., Gouverner la ville au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 215-251. 22. F. Zanatta, Un juriste au service de la ville…, p. 420-422. 23. R. Monier, Le Livre Roisin…, p. 120, § 188.

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d’Arras, composé au XIVe siècle24. Ces serments expriment l’idée d’une participation générale des auxiliaires des échevins à leur mission judiciaire. Tous concourent à la mémoire judiciaire, en sus des magistrats. Néanmoins, la tendance à la spécialisation finit par s’imposer : le conseiller se démarque de plus en plus des clercs, chacun se voyant attribuer des tâches précises.

2. La spécialisation des acteurs de la mémoire judiciaire Le phénomène remonte au milieu du XVe siècle. D’une part, l’ensemble des grandes villes des comtés d’Artois, de Flandre et du Hainaut, se dotent de conseillers pensionnaires. L’office est généralisé. L’officier reçoit sa titulature définitive : après avoir été appelé « clerc conseiller », « avocat conseiller », « clerc souverain », « maître clerc » et tout simplement « conseiller », il se voit appliquer l’expression « conseiller pensionnaire »25. De même, dans les territoires flamingants, on en trouve la traduction littérale raad pensionaris. D’autre part, on relève pour cette époque la publication de règlements précisant les tâches des clercs et surtout les tarifs auxquels on les astreint. Ainsi, à Lille, en 1455, un acte échevinal précise les « appointements touchant les clercs »26. Chaque clerc reçoit une compétence. Le second clerc compile, par exemple, les pièces des parties et en délivre les copies. De plus, les clercs ont des compétences dans le déroulement du procès : ils tiennent le « rolle des présentations des causes » ainsi que les registres des plaidoiries et des enquêtes27. C’est d’ailleurs à la fin du XVe siècle qu’apparaît le terme « greffier » dans les sources : ainsi à Douai et à Valenciennes ; il faut attendre la première moitié du XVIe siècle à Lille et à Saint-Omer28. Finalement, le XVIe siècle cristallise les différences entre les clercs et les conseillers. En effet, c’est à cette époque que se met en place, par l’usage, un cursus honorum municipal29. Désormais, de nombreux conseillers pensionnaires sont élus parmi les anciens greffiers. L’office de greffier, par la connaissance de la pratique judiciaire, devient une formation commune à de nombreux pensionnaires. À l’époque de l’humanisme juridique, les rôles semblent répartis : les clercs héritent des écritures dans leur ensemble, laissant aux conseillers pensionnaires d’autres clefs de la mémoire judiciaire. 24. Adolphe Guesnon, « Le Livre aux serments », dans id., Inventaire chronologique des chartes de la ville d’Arras, Arras, 1863, p. 507-520. 25. F. Zanatta, Un juriste au service de la ville…, p. 340-342. 26. R. Monier, Le Livre Roisin…, p. 48. 27. R. Monier, « Histoire de la procédure civile à Lille… », p. 27. 28. Arch. mun. Lille, 16237, fol. 51v° (compte municipal, 1500-1501) ; A. Pagart d’Hermansart, Les greffiers…, p. 11. 29. F. Zanatta, Un juriste au service de la ville…, p. 367 et suiv. L’expression est déjà employée par John Bartier, Légistes et gens de finances au XVe siècle. Les conseillers des ducs de Bourgogne Philippe le Bon et Charles le Téméraire, Bruxelles, 1955 (Académie de Belgique. Mémoires de la classes des Lettres, série 2, 50-2), p. 68.

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II. — LE CONSEILLER PENSIONNAIRE, ACTEUR D’UNE MÉMOIRE VIVANTE Si les greffiers obtiennent l’exclusivité de l’enregistrement et des expéditions, les conseillers pensionnaires développent d’autres compétences, toujours dans la perspective d’aider au mieux les échevins dans leurs délibérations. Pour ce faire, ils interviennent de deux manières : en s’occupant des archives et en élaborant des recueils de jurisprudence.

1. Le conseiller pensionnaire et les archives judiciaires La fréquentation des archives par le conseiller pensionnaire est un passage obligé de sa formation : c’est par la connaissance des pratiques judiciaires qu’il complète sa formation juridique souvent universitaire. La question de l’archivage des sentences fait l’objet de l’attention des échevins. Il ne semble pas, toutefois, que la conservation des registres de sentences soit autant encadrée que celle des lettres scellées ou ceux des titres de la ville. Les coffres sont réservés aux lettres, tandis que le rangement des registres s’effectue tout simplement dans les armoires de la « halle ». Or seule l’ouverture du coffre aux titres requiert la présence de plusieurs échevins30, notamment en raison de la pluralité des clefs31. Les registres, quant à eux, sont rangés là où l’on peut. C’est du moins l’impression que nous donne l’inventaire dressé en 1792 des cartons, registres et pièces reposant en la halle échevinale de Lille32. Les registres sont dispersés dans les bâtiments. On en trouve dans les bureaux, certes, mais aussi dans la tour, dans les cabinets et dans la bibliothèque. Mais c’est dans la trésorerie que sont entreposés les titres ainsi que les mesures étalon, et non les sentences. La consultation des archives est une nécessité pour le conseiller des échevins. Un conseiller pensionnaire de Valenciennes fait, par exemple, des recherches sur les duels judiciaires au XIVe siècle33. Par l’exercice de leur fonction, les conseillers pensionnaires se constituent également une documentation personnelle, composée, la plupart du temps, de pièces originales. Ainsi Jean Cretin, conseiller pensionnaire de Valenciennes, quitte la ville et se retire des affaires publiques. Il s’installe à Tournai en emportant avec lui une grande quantité d’actes judiciaires. Son successeur vient 30. Le dépôt d’un acte dans le coffre en modifie en effet la valeur : J.-L. Lefebvre, Prud’hommes, serment curial…, p. 131-138. 31. Le serment du conseiller pensionnaire précise ainsi en 1574 que l’officier ne peut détenir la clef du cabinet des échevins où reposent de nombreux actes municipaux (Arch. mun. Douai, BB 3, fol. 16). 32. Arch. mun. Lille, 14786. 33. H. Caffiaux, « Nicole de Dury… », p. 101.

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les récupérer en personne auprès de sa veuve34. Au XVIe siècle, un conseiller pensionnaire d’Arras, promu au Grand Conseil de Malines, emporte avec lui plusieurs lettres scellées : il s’en était servi pour les procès qu’il défendait. Cette fois-ci, l’ancien conseiller prend lui-même l’initiative de rendre les pièces35. En 1596, à Douai, l’inventaire après décès du conseiller pensionnaire Nicolas de Le Lys fait apparaître que l’officier conservait une multitude de pièces, des sacs de procédure, des copies – mentionnées comme telles – ou non de procès entiers. Il y en a tant qu’un clerc écrit sur l’inventaire : « Conviendront bien deux jours pour les visiter »36. Dans un autre inventaire après décès des papiers d’un conseiller pensionnaire lillois, Hermenegilde Carpentier, établi en 1725, les pièces de procédure prédominent toujours37. Quelle est la raison de la présence de tant de pièces de procédure chez les officiers en charge ou sortis de charge ? Un élément de réponse peut être apporté, qui apparaît dans un document de la ville d’Huy, petite ville sise sur la Meuse, entre Namur et Liège. Un règlement, tardif – du XVIIe siècle – rappelle en effet que le greffier doit laisser les « vieux registres » à la « halle », mais précise qu’il peut emporter chez lui ceux qui sont encore en usage, à charge pour lui de les rendre à la fin de son office38. L’habitude d’emporter les pièces originales pour le service de la ville est donc acceptée. Dans l’organisation des archives, le conseiller pensionnaire n’intervient pas seul : il participe à la réorganisation des archives lorsqu’il y est sollicité39. Ainsi, en 1368, à Valenciennes, le conseiller pensionnaire doit ranger les lettres scellées des échevins décédés40. Il en améliore par la même occasion les conditions de conservation41. Quand, en 1589, les magistrats lillois décident de déplacer les archives pour les placer dans une salle voûtée, mieux protégée contre le feu, ce n’est pas le greffier qui surveille le transfert, mais le conseiller pensionnaire et le procureur42. Parfois le conseiller pensionnaire met de l’ordre de sa propre initiative. C’est ainsi le cas du conseiller Jean Cocquiau, à la fin du XVIe siècle, à Valenciennes43. En voulant composer un ouvrage sur les « antiquitéz de Valenciennes », l’officier procède à un examen complet des archives municipales. Il visite les pièces 34. Ibid. 35. Arch. mun. Arras, II 2, 2 octobre 1562. 36. Arch. mun. Douai, BB 53, pièce n° 1. 37. Arch. mun. Lille, AG 106, dossier n° 20, pièce n° 3. 38. Fernand Discry, Archives et institutions hutoises de l’Ancien Régime, Heule, 1965, p. 3 et suiv. 39. Ainsi à Douai, au milieu du XVIe siècle, le conseiller pensionnaire travaille avec le greffier criminel au classement des archives de la ville (voir Arch. mun. Douai, CC 269, comptes de la ville de Douai, 1550-1551, fol. 230). 40. H. Caffiaux, « Nicole de Dury… », p. 173. 41. Ibid., p. 174. 42. Arch. mun. Lille, 278, fol. 150. 43. Bibl. mun. Valenciennes, ms 677-678 (ancien ms 534).

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une à une et décrit, dans son préambule, ce qu’il trouve44. Il ouvre les armoires et les bancs qui se trouvent dans la maison échevinale. Il inspecte le « greffe d’en-bas » et la « massarderie » – le bureau du trésorier. Il ouvre les sacs, où il trouve des contrats du XIIIe et du XIVe siècle. Enfin, il se rend à la « chambre du jugement », où il compte « infinis papiers bons, mauvais, entiers, pourris » tels que des « fardes de procédure », des « registres des plaidoiéz », des « registres criminelz ». Il garde aussi certaines liasses pour « le public ». Après avoir collationné ce qu’il cherchait, il visite à nouveau d’autres pièces, notamment la chambre du jugement, pour trouver des procès relatifs à l’« abattis de maison ». Il mentionne à cette occasion plusieurs registres de sentences, tenus par le « clerc de justice ». L’ensemble de ces notes et recueils forment un ouvrage appelé aujourd’hui le Livre Cocquiau, achevé en 1589. Il faut enfin mentionner pour le XVIIe siècle l’excellent travail de Charles de Wignacourt, premier conseiller pensionnaire de la ville d’Arras. En 1608, il rédige, en effet, un manuel à l’usage des échevins45 où il rappelle notamment les règles à appliquer pour la conservation des registres. Il mentionne, entre autres, la nécessité de constituer des recueils factices de sentences, car les « minutes et filaces où elles sont enfillées se peuvent perdre ou soustraire au préjudice de la ville et des particuliers ou leurs héritiers » 46. Tous ces exemples montrent la proximité du conseiller pensionnaire avec les sources. Aussi est-il amené à en tirer les extraits nécessaires à sa tâche de conseiller, origine des recueils de jurisprudence.

2. Les recueils de jurisprudence L’usage d’élaborer des recueils de jugements municipaux – l’équivalent des « recueils d’arrêts » des cours supérieures – est tardif dans les anciens Pays-Bas. Les mentions en ce sens n’apparaissent qu’au XVIIIe siècle. Nous les citons pour mémoire. Nous n’avons, en effet, pu les consulter. Il y a d’abord le Répertoire Ringuier, de 177047 : il apparaît à plusieurs reprises dans les sources municipales. Toutefois les recherches effectuées dans les différents fonds n’ont pas permis de le localiser. Il y a également plusieurs références à des recueils de notes de jurisprudence prises par les conseillers pensionnaires. Là aussi, les recherches sont pour l’instant restées infructueuses. Nous les mentionnons toutefois en raison 44. Bibl. mun. Valenciennes, ms 678, fol. 5-11v. 45. Charles de Wignacourt, Observations sur l’échevinage d’Arras, Arras, 1864. 46. Ibid., p. 81. 47. Arch. mun. Lille, AG 107, dossier n° 10, pièce n° 1, liste des ouvrages remis par le conseiller pensionnaire Pierre-Ignace Ringuier aux échevins de Lille ; ibid., pièce n° 2, copie de la préface du recueil des sentences échevinales. Pour une analyse du Répertoire Ringuier, voir F. Zanatta, Un juriste au service de la ville…, p. 493 et suiv.

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de l’intérêt de la démarche qui s’exprime à travers ces quelques mentions : en effet, les recueils d’arrêts recueillant des sentences échevinales sont très rares par rapport aux nombreux ouvrages relatifs aux cours souveraines. S’il est encore difficile de parler d’une véritable « chancellerie municipale » en œuvre dans les villes septentrionales, l’existence d’une structure stable et compétente assistant les échevins en matière judiciaire s’impose comme une évidence. C’est ainsi qu’à Valenciennes le groupe des « clercs » – le conseiller pensionnaire, le procureur et les greffiers – forme un « bureau héréditaire ». De plus, l’analyse des fonctions judiciaires du conseiller pensionnaire montre comment la spécialisation de cet officier aboutit à en faire le connaisseur particulier de la jurisprudence urbaine. En tant que tel, le conseiller pensionnaire apparaît dès le XVe siècle comme un personnage influent dans les délibérations échevinales. Il est en quelque sorte le légiste municipal. François ZANATTA Université Lille II

LE LABYRINTHE DES GREFFES DU PARLEMENT DE TOULOUSE, PIVOT DE LA PRATIQUE À L’ÉPOQUE MODERNE (1550-1778)* PAR

GUILLAUME RATEL

Si la naissance de l’absolutisme d’Ancien Régime fut « dramatique » selon l’expression d’Yves-Marie Bercé1, on pourrait dire en jouant sur les mots que le Parlement fut une des scènes où se sont déroulés des actes essentiels de la maturation et de la mort de cet absolutisme. Pour être plus juste, il faudrait dire que ce sont, non les parlements, mais plutôt leurs salles d’audience, et plus particulièrement les salles d’audience des Grand Chambres de Paris et de province qui ont été les scènes où se sont joués des épisodes majeurs de l’histoire politique de la France moderne : procès de grands (par exemple, Montmorency à Toulouse en 1632), assemblées générales des débuts de la Fronde, lits de justice et séances royales (déclarations de régence, enregistrements forcés d’édits et d’ordonnances, séance dite de « flagellation » du 3 mars 1766), débats sur les remontrances faites au roi (en particulier contre les édits fiscaux de la seconde moitié du XVIIIe siècle), causes célèbres (affaire Calas, encore à Toulouse en 1762), appel à la convocation des États Généraux en 1788 (et par la suite refus du vote par tête). L’historiographie a amplement décrit et analysé ces épisodes fameux, et ce faisant a consacré a posteriori les efforts parlementaires qui visaient précisément à faire de la Grand Chambre et de sa salle d’audience la façade publique de leur institution et de leur corps. Pour peu que l’on cherche à contourner cette auto-représentation parlemen* Les recherches pour cette communication ont pu être menées à bien grâce à une bourse (International Dissertation Research Fellowship) généreusement octroyée par le Social Science Research Council (New York, États-Unis). 1. Yves-Marie Bercé, La naissance dramatique de l’absolutisme, 1598-1661, Paris, 1992 (Nouvelle histoire de la France moderne, 3).

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taire centrée sur la Grand Chambre, on découvre que, comme dans tout théâtre, s’étendent derrière la scène de la Grande Salle d’audience les ramifications labyrinthiques de coulisses où s’opérait au quotidien une préparation, certes moins spectaculaire, mais sans laquelle les drames politiques et judiciaires de l’Ancien Régime n’auraient pu se jouer. La présente contribution s’attardera plus particulièrement sur le cœur de ces coulisses du Parlement : les greffes, où ceux que l’on peut appeler les « manutentionnaires de la justice » (greffiers, clercs, secrétaires, garde-sacs, commis) façonnaient, aiguillaient, contrôlaient et finalement archivaient les matériaux essentiels de la pratique judiciaire, et plus particulièrement les sac-àprocès. En un sens, cette étude porte sur une face cachée de la mémoire judiciaire, sur la mémoire procédurale, pour reprendre l’expression employée par Barbara Anagnostou-Canas dans son étude de l’Égypte romaine, mémoire pratique et à péremption rapide, par opposition à la mémoire de la sentence qui se conçoit elle dans le long terme dès son origine. En s’attachant à ce type particulier de mémoire judiciaire, il s’agit d’aborder une autre dimension des greffes, qui, pour ce présent propos, deviennent lieu de contrôle plus que de production de l’écrit. Cette présentation des greffes, doublée d’une analyse de leur organisation, de leur fonctionnement, de leur rôle dans la procédure, et de la liaison particulière qu’ils assuraient entre magistrats et praticiens, se fonde sur une étude de cas, celui des greffes du parlement de Toulouse de la seconde moitié du XVIe siècle jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Ce choix s’explique par les fonds exceptionnels de cette cour souveraine qui comprennent, bien entendu, la grande série des fameux sacs-à-procès toulousains qui constituent autant de témoignages du fonctionnement pratique et quotidien de ces greffes, mais aussi d’autres sources plus ponctuelles et originales. Il sera fait usage en particulier de la Vérification et rapport de l’état actuel du Palais où siège le parlement de Toulouse de l’ingénieur François de Garipuy, document de 1778, long de 113 folios qui livre une description détaillée de l’espace des greffes toulousains, de leur organisation et de leur connexion physique et institutionnelle au reste du Palais et du Parlement à la veille de la Révolution2. Ce rapport, commandé par les états de Languedoc en vue d’une réfection du Palais dont l’ingénieur semblait déjà savoir qu’elle n’aurait jamais lieu, constitue un excellent point de départ pour cette présentation des greffes. Tout d’abord, la description de Garipuy traduit une stupéfaction de l’ingénieur découvrant le chaos des greffes qui n’est pas sans rappeler le désarroi du chercheur consultant pour la première fois l’inventaire des fonds parlementaires. Par-delà ce parallèle, 2. Arch. dép. Haute-Garonne, C 2254 (cité infra F. Garipuy, Vérification…). Plans : Arch. dép. Haute-Garonne, 2 Mi 615. Ces documents ont été abondamment utilisés par Maurice Prin et Jean Rocacher dans Le château Narbonnais : le parlement et le Palais de justice de Toulouse, Toulouse, 1991.

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Garipuy produit surtout un plan détaillé et une description méticuleuse des divers greffes de la cour, de leur mobilier et accessoires, de l’état lamentable de cet ensemble littéralement vermoulu, et par dessus tout, d’un incroyable désordre. Ce rapport est donc précieux en ce qu’il ouvre une fenêtre unique sur une organisation pratique, matérielle et spatiale des greffes que je m’attacherai à restituer dans un premier temps, tout en situant le complexe greffier sur le plan du Palais que l’ingénieur nous a livré. (pl. 1) À lire le rapport de Garipuy, les deux caractéristiques principales, non pas seulement des greffes mais du palais toulousain dans son ensemble, sont leur vétusté et leur incommodité. Avant de pénétrer dans les « coulisses » du parlement de Toulouse, il convient donc de noter que la « scène » elle-même était dans un état peu reluisant. Plancher défectueux, gouttières, murs « lézardés » et « attaqué[s] par le salpêtre », bancs, lambris et tapisseries « tous pourris », la description que donne Garipuy de la Grande Salle d’audience du parlement de Toulouse3 est bien loin de ce que l’on pourrait attendre de ce lieu privilégié des représentations du « Sénat » toulousain4. Le caractère labyrinthique des greffes est aussi un trait général du complexe architectural dans son ensemble. En effet, il ressort du rapport de l’ingénieur que ce palais se définit bien comme un « lieu coupé de plusieurs chemins, embarrassé de beaucoup de détours, et duquel il est presque impossible de trouver l’issue »5. La perplexité de l’ingénieur est souvent patente, par exemple, lorsqu’il s’étonne de l’emplacement de la salle d’audience de la Tournelle, à cause de la distance et du chemin tortueux qui la sépare du bureau de la Tournelle où la même chambre tenait ses délibérations : L’éloignement de cette salle d’audience dont les entrées sont totalement masquées par des boutiques et où l’on ne peut parvenir de la chambre ordinaire ou bureau de la Tournelle qu’en parcourant un assez long espace à découvert, ou en montant et descendant plusieurs mauvais escaliers qui se communiquent par des dégagements tantôt au rez-de-chaussée, tantôt au premier étage, la rend très incommode pour le service, et expose les juges à prendre mal dans le passage et communication de l’un à l’autre6.

Si vétusté et incommodité dominent l’ensemble, la perplexité de l’ingénieur tourne à la stupéfaction lorsqu’il entre finalement dans les greffes. Découvrant le « haut greffe » criminel, Garipuy note tout d’abord l’état lamentable des lieux. L’ingénieur nous laisse à penser que les sachets de procédure étaient moins en 3. F. Garipuy, Vérification…, fol. 3-6. 4. Jacques Krynen, « Senatores Tolosani. La signification d’une métaphore », dans L’humanisme à Toulouse (1480-1596), actes du colloque international de Toulouse, mai 2004, éd. Nathalie Dauvois, Paris, 2006 (Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, 54), p. 43-57. 5. Définition du mot « labyrinthe », dans Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition, Paris, 1694, t. I, p. 622. 6. F. Garipuy, Vérification…, fol. 28-29.

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sécurité dans un greffe que dans l’étude d’un magistrat, comme dans le cas des maîtres-échevins de Metz décrit par Virginie Lemonnier-Lesage7 : [L]es papiers dudit greffe sont suspendus et accrochés à des râteliers en bois le long des murs, et à d’autres râteliers disposés par files parallèles dans l’intérieur de laditte pièce depuis le carrelement jusques au plancher. Ces râteliers ont été si chargés de papiers que partie des bois vieux et vermoulus n’ayant peu [sic] soutenir le poids des liasses ont rompu ou se sont réduits en poudre, et les papiers sont tombés à terre. D’un autre côté les rats ont dévoré les sacs de toile ou leurs attaches de ficèle, en sorte que le carrèlement en est tout couvert, et qu’on ne peut y marcher sans les fouler aux pieds. Cette pièce est éclairée par trois ouvertures de fenêtres du côté nord, par où passent les vents, la pluie et toute sorte de mauvais temps à défaut des croisées ce qui a pourri et perdu une grand partie de papiers8.

Cet état ruineux n’engendrait pas seulement un apparent chaos de papier qui venait accentuer encore l’enchevêtrement d’une architecture déjà tortueuse et étroite, il exposait aussi les greffes et les papiers qu’ils renfermaient à un nombre de dangers immédiats. Décrivant le greffe civil où étaient conservés les plus anciens registres de la cour toulousaine, Garipuy note que « la voute qui couvre cette pièce » « menaçait » « d’une chute prochaine »9. Dans le « greffe de la peau » (ainsi nommé car c’était là que l’on grossoyait les arrêts, à l’origine sur parchemin [pl. 1, n. 62]), une pièce bourrée de papiers et de parchemins entre un sol et un plafond tous deux en bois, « la cheminée en maçonnerie […] [n’a] pas de canon percé […] en sorte qu’on est obligé de se chauffer dans ledit greffe avec du charbon dans des terrines de terre ou de cuivre, ce qui est très dangereux pour le feu »10. La disposition des greffes, leur éclatement en des endroits parfois distants, faisait que la circulation des papiers, des registres, des sacs était apparemment plus entravée et plus tortueuse encore que celle des juges. Cependant, malgré les dangers, malgré le chaos de papiers, sacs, registres, râteliers, tablettes, et autre mobilier vermoulu, malgré la distance et les chemins tortueux qui séparaient les greffes des salles d’audience et des bureaux, ces greffes fonctionnaient. Et c’est Garipuy lui-même qui, en dépit de son ignorance des usages parlementaires et d’une logique propre des greffes sur laquelle on reviendra, nous suggère que la pratique greffière était le fil d’Ariane qui permettait ce fonctionnement : Le greffe de cette chambre [de la Tournelle] en est trop éloigné et hors de portée de son service, ainsi qu’on peut le voir sur le plan. Il y a un espace de terrain si considérable à parcourir qu’il est difficile de le découvrir si on ne le connaît par usage et pratique11. (pl. 2) 7. Voir dans ce volume, p. 163-180. 8. F. Garipuy, Vérification…, fol. 50-51. 9. Ibid., fol. 13. 10. Ibid., fol. 23. 11. Ibid., fol. 29 ; c’est moi qui souligne.

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Même diagnostic dans le greffe civil où Garipuy note : Le greffe et les pièces qui lui sont jointes sont si incommodes et si peu suffisantes que tous les papiers, procédures, et pièces de conviction des criminels sont entassées les unes sur les autres, sur des rayons et tablettes le long des murs, et à terre sur le carrèlement, de manière qu’on peut à peine y marcher, et il faut toute la pratique et l’expérience des greffiers pour pouvoir retrouver les pièces qu’ils ont besoin pour le travail courant. Car pour les affaires d’une date un peu reculée, il n’est presque pas possible d’y revenir12.

En fait, lorsqu’une affaire en cours l’exigeait, le personnel des greffes réussissait plutôt bien à retrouver les sacs, documents et registres anciens. Lorsqu’en 1555, « plusieurs sacs, procès et pièces déposés [au] greffe [civil] » disparurent, il ne semble être venu à l’esprit de personne au Parlement que ces documents aient pu être dévorés par les rats ou tout simplement perdus dans le chaos des greffes. Dans son arrêt du 13 mars, la cour soupçonne le vol et commet deux conseillers « pour enquérir des malversations et larrecins commis sur l’égarement desdits sacs ». Et il semble d’ailleurs que le soupçon se soit porté sur l’un des leurs puisque le même arrêt décide que « dorénavant [les conseillers] se signeront au registre qui sur ce sera faict des procès qui leur seront distribués et à ces fins led. greffier sera tenu le faire faire porter à leurs maisons et en les rendant en seront déchargés et leur seings coupez »13. Quoi qu’il en soit de cette affaire, les mentions de perte de sacs sont extrêmement rares et l’étonnement de Garipuy, face à l’apparent chaos des greffes, résultait très probablement de son manque de familiarité avec une pratique quotidienne qui faisait que ces lieux fonctionnaient, sans pour autant être fonctionnels dans l’esprit de l’ingénieur. En effet, son manque de familiarité avec la pratique judiciaire se conjuguait à son idéal préconçu des greffes, celui d’un espace rationnalisé où les documents de la cour – ses « monuments » – ne seraient pas seulement rangés mais conservés avec une certaine révérence. Cet idéal résultait en partie de la conception particulière que Garipuy semblait se faire de la nature des documents conservés aux greffes, une conception qui apparaît lorsqu’il exprime son inquiétude quant à la solidité des lieux qu’il visite. Il écrit : Ce comble qui sert pareillement de dépôt et qui présente ainsi que les planchers inférieurs l’état le plus vieux et le plus ruineux, fait qu’il y a de quoi être justement alarmé et inquiet, d’une part par la crainte de voir crouler quelque jour cette partie du bâtiment qui devrait être la plus solide et qui l’est si peu, de l’autre de voir des pièces d’une si grande importance pour tant des citoyens, totalement perdues et sans espoir de pouvoir les remettre dans un bon ordre14. 12. Ibid., fol. 49-50 ; c’est moi qui souligne. 13. Arch. dép. Haute-Garonne, B 1905, fol. 143. 14. Ibid., fol. 63.

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Ce « comble » était le point le plus haut du Palais, au sommet de la « tour de l’aigle », aussi connue sous le nom de « tour des archives », car c’était là que se trouvait la plus grande partie des documents du parlement de Toulouse. Ce que Garipuy considérait comme des « pièces d’une si grande importance pour tant de citoyens » étaient en fait les sacs-à-procès qui avaient été laissés aux greffes après la conclusion des affaires civiles. La raison pour laquelle la cour les conservait était directement liée à la procédure : La Roche-Flavin rapporte, en effet, une mercuriale de 1585 enjoignant que « les arrêts ne seraient prononcés, que les sacs sur lesquels ils sont intervenus, ne soient par le rapporteur remis au greffe »15. Il s’agissait là d’une innovation qui visait à mettre un terme aux abus que n’avait apparemment pas réussi à faire disparaître l’utilisation d’un registre d’entrées et sorties des sacs, instituée trente ans plus tôt par l’arrêt de règlement qui fit suite à l’affaire de sacs égarés évoquée plus haut. Une fois l’arrêt prononcé, les parties étaient libres de les récupérer par le biais de leur procureur, mais les dizaines de milliers — plus de 80 000 — de sacs-à-procès conservés aujourd’hui aux archives départementales de la HauteGaronne attestent du fait que dans de très nombreux cas les parties avaient pensé que ces pièces n’étaient pas d’une « si grande importance », comme le croyait Garipuy, pour justifier de demander à leur procureur d’aller les récupérer au greffe, surtout s’il fallait payer le praticien pour ce service. Il était bien compris qu’après un temps ces sacs ne seraient jamais réclamés dans une très grande majorité des cas, ce qu’indiquent bien les arrêts que signalent La Roche-Flavin par lesquels la cour « relaxait » les procureurs « des sacs à eux demandés après longues années »16. Pour le plus grand malheur des archivistes – mais le plus grand bonheur des historiens – les greffiers n’allèrent cependant pas jusqu’à activement détruire ces sacs ; la loi le leur interdisait ; mais on peut douter qu’à l’inverse de Garipuy, ils aient vu d’un mauvais œil le temps, les rats, et les intempéries faire leur office. Si le bon sens et la loi conjugués dictaient donc que l’on repousse les sacs des procès jugés dans les combles de la tour et qu’on laisse au temps qui passe le soin d’opérer les destructions nécessaires, la procédure exigeait, en revanche, que l’on portât la plus grande attention aux sacs des affaires en cours. Ces sacs des procès civils en cours étaient conservés dans les étages inférieurs de cette même tour, c’est-à-dire dans le grand greffe civil qui, comme le note Garipuy, était « sans contredit le plus pratiqué de tout le palais »17. De fait, il est étonnant de voir que Garipuy ait noté cette activité sans sembler se rendre compte, par ailleurs, de la centralité physique de cette tour dans l’espace du Palais. Peut-être tout à son 15. Bernard de La Roche-Flavin, Treze livres des parlements de France, Bordeaux, 1617, p. 525. 16. Ibid., p. 141. 17. F. Garipuy, Vérification…, fol. 56.

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idée que l’ensemble salle d’audience/bureau/greffe formait un tout logique qui, dans son idéal d’organisation architecturale, aurait dû constituer pour chaque chambre autant d’unités physiques au sein du Palais, l’ingénieur ne semble pas avoir vu que cette tour des archives, au centre du Palais, s’élevait comme un axe visible autour duquel s’organisaient la grande majorité des itinéraires judiciaires. Loin du caractère complètement irrationnel de l’organisation des greffes tel qu’il ressort de la description de Garipuy, cette centralité physique des greffes en tant que lieu semble en adéquation avec le rôle de pivot que jouaient les greffes en tant qu’institution dans la procédure judicaire. Cette idée du rôle central des greffes dans la procédure judiciaire ne surprendra pas les spécialistes de la justice d’Ancien Régime, mais il n’est pas sans intérêt de tenter de préciser ce rôle en mettant l’accent sur les opérations de contrôle, plutôt que de production, de l’écrit. L’étymologie du mot greffier – celui qui tient le stylet – indique comme une évidence sur laquelle il n’est pas besoin de s’attarder très longtemps ici, qu’à l’origine, et par la suite en dépit du développement de l’imprimé, la fonction première du personnel attaché aux greffes était de produire de l’écrit « à la main ». Depuis la tenue du rôle de la cour au greffe des présentations jusqu’à la délivrance d’extraits d’arrêts au greffe de la peau, les greffiers et leurs clercs produisaient un nombre important de pièces écrites qui jalonnaient tout procès de son début à sa fin. Mais si j’ai appelé plus haut ce personnel, les greffiers, clercs, secrétaires, gardes-sacs des « manutentionnaires » de la justice, ça n’est pas tant parce que leurs mains produisaient de l’écrit en tenant la plume, mais plutôt parce que ces mêmes mains manipulaient et surtout contrôlaient le paratexte de documents produits en d’autres lieux. Attardons-nous un peu sur cette matérialité, ou plutôt sur le contrôle qu’exerçaient les greffiers sur cette matérialisation de la justice qui prenait place dans les greffes. Je voudrais suggérer que ce contrôle était tout à fait essentiel, non seulement pour le suivi de la procédure judiciaire observée au Parlement, mais aussi pour ce que l’on peut appeler de façon plus générale le « processus » judiciaire. Même si, comme on vient de le noter, les greffes modernes avaient retenu leur fonction originelle de lieux de production de l’écrit, dès la première moitié du XVIe siècle l’essentiel de l’écriture des documents qui composaient un procès prenait place en d’autres lieux : dans les études d’avocats, de procureurs, de notaires. Alors que les greffiers et leurs clercs produisaient eux-mêmes certains des documents d’un procès – par exemple les interrogatoires, les récollements de témoins, les transcriptions de plaidoiries – leur rôle, semble-t-il plus important du point de vue du processus judiciaire, était de composer, d’arranger et de manipuler le paratexte qui manifestait physiquement la maturation d’un procès. Ce paratexte pouvait être lui-même du texte — nous le verrons dans un instant à travers l’exemple des étiquettes appelées « évangiles » que l’on cousait sur les sacs-à-procès — mais aussi du matériel non-textuel, de la toile, de la ficelle, du

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papier. L’importance de ce rôle de création et de manipulation du paratexte est illustrée au mieux par les opérations de production et de contrôle de cette unité judiciaire élémentaire qu’était le sac (pl. 3). Sous la supervision des greffiers, les clercs avaient à charge de rassembler tous les matériaux du procès et de les transformer en une unité simple sur laquelle les pratiques judiciaires des conseillers pouvaient ensuite agir. En un sens, toutes les étapes de la procédure judiciaire qui précédaient la distribution du procès à un rapporteur, visaient à opérer la métamorphose d’un ensemble de sujets et d’objets – les témoins, les plaideurs, les crimes et délits qu’ils avaient commis ou dont ils avaient été victimes, les circonstances de ces crimes, les émotions, les craintes et les espoirs que l’affaire suscitait – en un objet judiciaire, c’est-à-dire en un objet que les juges pouvaient identifier et évaluer dans le langage et la pratique du droit. Ce processus prenait place dans les greffes où les productions étaient inspectées, inventoriées et mises dans un sac. Les sacs ainsi produits aux greffes transformaient les conflits en unités matérielles judiciaires susceptibles d’être traitées dans les autres lieux du Palais, les salles d’audience et surtout les bureaux des Enquêtes. Cette transformation était donc un premier pas essentiel vers la compréhension légale d’une affaire et manifestait matériellement la volonté d’établir une maîtrise judiciaire des conflits dès le début du procès. Cette matérialisation du conflit et son contrôle s’exprimaient au mieux physiquement par l’« évangile », ce morceau de parchemin qui, cousu sur le sac, attestait de cette transformation en résumant à l’extrême le procès à un nombre réduit d’objets, rappelant en cela les enveloppes de tablettes mésopotamiennes étudiées par Sophie Démare-Lafont18 : identité des plaideurs, de leurs procureurs, date de réception du procès, identification de la chambre où le procès serait jugé, nom du rapporteur, et, ajoutées plus tard les dates de l’arrêt et de sa prononciation (pl. 4). L’« évangile » avait aussi une fonction plus pratique, car en répertoriant ces données, il fonctionnait comme une aide visuelle qui permettait au personnel des greffes de gérer dans l’espace réduit des greffes la masse impressionnante des sacs. Mais l’« évangile » n’était pas le seul élément utilisé pour aiguiller les sacs dans l’espace des greffes : l’inventaire des pièces que rédigeaient les procureurs des parties était un autre élément crucial, car il permettait aux greffiers d’établir un contrôle sur la circulation des sacs à l’intérieur et à l’extérieur du Palais (pl. 5). Cette circulation était essentielle pour la procédure puisqu’elle était tout entière guidée par le principe du contradictoire qui exigeait que les procureurs de chaque partie se communiquent leurs productions pour pouvoir y répliquer, dupliquer, tripliquer avec de nouvelles productions. L’inventaire permettait donc aux greffiers de s’assurer que ce 18. Voir dans ce volume, p. 15-30.

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« jeu de ping-pong »19, pour reprendre l’expression utilisée par Bruno Latour décrivant ce principe encore en vigueur aujourd’hui au Conseil d’État, se déroulait dans les règles. Avec ce document en main les clercs pouvaient tenir un état des entrées et sorties des productions du sac. À chacun de ces mouvements, le sac s’enflait de nouvelles productions, et le rôle des greffiers était de veiller à cet engraissement, à cette maturation du sac qui, lorsqu’elle atteignait son terme, signifiait la fin de la circulation des productions et débutait la circulation du sac mûr. Les greffiers étaient aussi responsables de cette nouvelle circulation et de son contrôle : ils vérifiaient la feuille de distribution qui, signée par un président de chambre, autorisait un rapporteur spécifiquement nommé à sortir le sac des greffes pour le disséquer et l’examiner dans le secret de son étude. Plus tard, comme je l’ai déjà signalé, le retour des sacs au greffe, après que le procès avait été rapporté, était une condition préalable de la prononciation d’un arrêt, et une fois encore les greffiers contrôlaient cette dernière étape. Pour finir, revenons brièvement à la question des greffes en tant qu’espace et faire justice à l’ingénieur François Garipuy que je ne voudrais pas sembler dénigrer pour son apparente ignorance de la pratique judiciaire. Il a été suggéré plus haut que les greffes et en particulier le « grand greffe civil gardesacs », parce que c’était là que passaient incessamment les productions et les sacs des affaires en cours, étaient peut-être bien davantage que la Grande Salle d’audience au centre des activités judiciaires du parlement de Toulouse. Mais peut-on reprocher à l’ingénieur de n’avoir pas vu ce point, d’avoir ignoré que les sacs, en fait, ne naviguaient presque jamais directement des greffes vers les bureaux, d’avoir pris pour des monuments de la cour ce qui n’était, en fait, que le simple matériau d’un travail à court terme ? Je ne le crois pas. En réalité, par plus d’un trait l’ingénieur nous ressemble à nous, chercheurs, qui ne sommes pas non plus et ne seront jamais des greffiers du Parlement. N’avons-nous pas, nous aussi, une tendance à une certaine obsession du document d’archives, une tendance à imaginer que là où il y a document il y a nécessairement mémoire, une tendance à imaginer que ces pièces sont « de si grande importance » ? Je pose cette question pour en soulever une autre quant à la nature documentaire de ces sacs-à-procès du Parlement. J’ai commencé en distinguant la mémoire procédurale à court terme de la mémoire de la sentence ou de l’arrêt, elle mémoire à long terme. En fait, ces deux types de mémoire s’opposent encore plus peut-être en ce que la mémoire de la sentence se conçoit comme telle, comme une mémoire, dès sa conception, et c’est même là une des fonctions principales de sa production. Les sacs-à-procès, quant à eux, sont certes documents d’archives, et un 19. Bruno Latour, La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, 2002, p. 92.

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document extrêmement riche et d’un grand intérêt pour le chercheur, mais peut-on encore parler de mémoire judiciaire lorsque la pièce en question, parce qu’elle n’est qu’un document de travail, est conçue dès le départ comme vouée à l’oubli à plus ou moins court terme ? Guillaume RATEL Université Cornell (New York)

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Pl. 1: Plan du rez-de-chaussée du Palais du parlement de Toulouse (1778. Arch. dép. Haute-Garonne, 2 Mi 615) 6 : Salle d’audience de la Grand Chambre 31 : Bureau de la Tournelle 49 : Greffe criminel 62 : Greffe de la peau 63 : Tour de l’aigle (ou « tour des archives ») 66 : Greffe des présentations 72 : Salle d’audience de la Tournelle 184 : Greffe des auditions La numérotation est celle utilisée par François de Garipuy.

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Pl. 2: le trajet tortueux des papiers (Arch. dép. Haute-Garonne, 2 Mi 615) Du greffe de la Tournelle (49) à la salle d’audience de la Tourelle (72), il fallait passer par pas moins de quatre cours en plein air (39, 35, 76, 3). La numérotation est celle utilisée par François de Garipuy sur son plan.

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Pl. 3 : Les deux sacs-à-procès de deux parties adverses et leurs productions (1608) (Arch. dép. Haute Garonne, 2B 44 et 44 bis)

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Pl. 4 : L’évangile, carte du procès. (Arch. dép. Haute Garonne, 2B 2583) La disposition standardisée de l’évangile permet d’identifier rapidement les données du procès: la chambre où l’affaire devait être jugée (1 : ici « in arrestis » indique qu’il s’agissait de la Grand Chambre), le nom des parties dont les productions étaient contenues dans le sac (2 : ici Catherine Garrigues ; François, Charles, Nicolas et Marguerite Campaigne, « mère et fils [sic.] » ), le nom de la partie adverse (3 : ici Jeanne Tissette veuve de Pierre Campaigne), la date où le procès fut rapporté devant la Cour (4 : ici le 4 mars 1684), la date de l’arrêt rendu (5 : meme date dans ce cas), le nom du rapporteur (6 : ici M. de Caulet et M. de Vedelli qui avait repris le procès à sa suite), le nom du procureur de la partie (7 : ici Fajou) et le nom du procureur de la partie adverse (8 : ici Bossat).

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Pl. 5 : l’inventaire, carte des productions. (Arch. dép. Haute-Garonne, 2B 787) À gauche, un inventaire des productions contenues dans un sac-à-procès de 1666. Chaque document est brièvement décrit et se voit assigner une cote (A, B, C, D, etc., lettres éclaircies sur la photo).

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Pl. 5 : l’inventaire, carte des productions. (Arch. dép. Haute-Garonne, 2B 787) Sur la droite, le témoignage de Jeannette Roussignole dans ce procès, coté B au dos.

LA MÉMOIRE DE LA PRISON : LES GREFFIERS DE LA CONCIERGERIE (PARIS, FIN DU XVIe SIÈCLE-MILIEU DU XVIIe SIÈCLE) PAR

CAMILLE DÉGEZ

À l’origine des registres d’écrous – source majeure pour l’histoire de l’institution carcérale – les greffiers de la prison, ou de la « geôle », sont pourtant restés longtemps à l’écart de la recherche. Ils semblent avoir été éclipsés dans les préoccupations des historiens tant par les magistrats que par leur propre production écrite, matériau particulièrement riche pour l’histoire criminelle. Dans le cadre d’une étude portant sur la prison de la Conciergerie aux XVIe et XVIIe siècles1, j’ai été confrontée aux archives laissées par deux catégories de greffiers : les greffiers criminels de la Tournelle (archives criminelles du parlement de Paris) et les greffiers successifs de la Conciergerie (registres d’écrous)2. Si les uns et les autres ont contribué de façon complémentaire à la constitution de la mémoire de la Conciergerie, seuls les seconds avaient part au fonctionnement de la prison. C’est pourquoi il était utile de leur consacrer une étude exclusive, en s’interrogeant successivement sur leur place dans la société, dans la prison et enfin dans l’histoire de la Conciergerie. 1. « Un univers carcéral (XVIe-XVIIe siècles) : la prison de la Conciergerie et sa société », thèse pour le diplôme d’archiviste paléographe, résumée dans École nationale des chartes, Positions des thèses soutenues par la promotion de 2005 […], Paris, 2005, p. 57-65. La Conciergerie du Palais accueillait au XVIIe siècle les prisonniers du parlement de Paris, mais aussi ceux de plusieurs autres juridictions : Bailliage du Palais, Cour des aides, élection de Paris, Petite Chancellerie, Trésor, les trois juridictions qui forment ensemble le siège général de la Table de Marbre (Eaux-et-Forêts, Connétablie, Maréchaussée et Amirauté de France), etc. 2. Cent trente-trois registres d’écrous (1564-1792) conservés aux Archives de la préfecture de police de Paris (APP), installées dans le commissariat de police du Ve arrondissement. On y trouve aussi les registres des autres prisons parisiennes de l’époque moderne.

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I. — APPROCHE SOCIOLOGIQUE DES GREFFIERS DE LA CONCIERGERIE Grâce aux minutes des ordonnances de paiement du Parlement, aux liasses d’instruction criminelle et aux archives notariales, on connaît le nom de trois greffiers qui se sont succédé à la Conciergerie pendant la période étudiée. Le premier, Pierre Gignard, est attesté pour les années 1616-16243, ensuite vient Claude Gaultier, en exercice de 1625 à 16384. Vers la fin de sa vie, à soixante-huit ans, ce dernier est parfois malade et « indisposé », en sorte qu’il se fait remplacer ces jours-là par son fils Mathieu, lequel prend sa suite à partir de 1638 pour une période indéterminée. Le greffier de la Conciergerie bénéficie au XVIIe siècle d’une position assez recherchée. Depuis 1577, en effet, les greffiers de la geôle jouissent du statut d’officiers grâce à un édit du roi Henri III. Comme souvent, la réalité a précédé le législateur : la fonction de « greffier de la geôle » existait déjà auparavant, différenciée ou non du celle de concierge ou geôlier selon l’importance de la prison. La nouveauté est que les greffiers sont érigés « en titre d’office formez et hereditaires », afin, dit l’édit, de « remedier aux grands abus qui se commettent à l’endroit de nos pauvres sujets, qui sont quelquefois arresté prisonniers sans sçavoir le sujet »5 et, plus vraisemblablement, en cette période de troubles, pour renflouer les caisses de la Couronne par la vente de nouveaux offices. Détenteurs d’un office héréditaire, les greffiers de la geôle peuvent donc le vendre, l’engager ou le transmettre à un héritier sans consentement du roi ni lettres de provision. Si l’on n’a pas retrouvé la trace d’un acte de vente ou d’acquisition de cet office pour la période concernée, on dispose de l’acte de démission de Claude Gaultier au profit de son fils Mathieu, alors avocat au Parlement. Passée devant notaire en novembre 1638, cette « démission » est présentée comme devant recevoir l’agrément du Parlement6, un arrêt de 1663 mentionne en outre l’existence d’un acte de réception7. On sait enfin qu’une partie de la rémunération du greffier de la Conciergerie était constituée de soixante livres parisis de gages payés par le receveur général des amendes du Parlement, somme identique à celle perçue par le greffier criminel de la 3. Arch. nat., X2B 1439, ordonnances de paiement au greffier de la Conciergerie du Palais, 16161624. 4. Ibid., 1625-1634 ; X2B 1208, 29-30 mai 1638 (« affaire écrou ») ; Arch. nat., Min. centr., VIII, 644, 13 janvier 1636 ; ibid., XVI, 78, 22 mai 1637 ; ibid., XVI, 82, 9 novembre 1638. 5. Edit du roy, portant création d’un greffier en chacune conciergerie, prison et geolle, en toutes les juridictions de ce royaume, 28 novembre 1577, Paris, G. Targa, s. d. (Bibl. nat. Fr., F-23610 (383)). 6. Arch. nat., Min. centr., LXVI, 82, 9 novembre 1638. 7. Arrest de la cour de Parlement, portant reglement general des droicts qui seront payez aux geolliers, guichetiers et greffiers des geolles de la Conciergerie du Palais, Grand et Petit Chastelet, et autres prisons subalternes. 6 juillet 1663, Paris, Veuve P. Rocolet et D. Foucault, 1663 (Bibl. nat. Fr., F-23669 (856)).

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Tournelle, par le chirurgien juré de la cour et par le chapelain pour leurs interventions dans la prison8. Le greffier de la Conciergerie diffère donc, par son statut, d’un certain nombre de greffiers et du concierge, dont la charge est affermée. Ses liens hiérarchiques avec les magistrats du Parlement ainsi que sa légitimité et le prestige de sa fonction s’en trouvent naturellement renforcés. On peut ainsi poser l’hypothèse de relations d’égal à égal entre le concierge et le greffier de la Conciergerie, ou en tout cas d’un rapport de subordination moins affirmé qu’entre le concierge et « ses » guichetiers, considérés et rémunérés comme des serviteurs. Deux actes, retrouvés dans les archives du Minutier central des notaires de Paris, permettent de reconstituer en partie l’environnement social et familial et le niveau de fortune du greffier Claude Gaultier. Il s’agit, d’une part, de l’inventaire après décès de son épouse avec laquelle Claude Gaultier était marié sous le régime de la communauté9 et, d’autre part, d’un compromis passé entre Claude Gaultier, son fils aîné Mathieu et les autres héritiers de la communauté à l’occasion d’un conflit dans le partage de la succession10. Selon la « stratification sociale » proposée par Roland Mousnier à partir de l’analyse d’échantillons du Minutier central11, les greffiers appartiennent au groupe du personnel de la justice de niveau inférieur, de même que les avocats (hors cours souveraines), les procureurs, les secrétaires de la chambre du roi et les huissiers (quatrième strate). Le groupe immédiatement supérieur est constitué des officiers et « hommes de loi en voie d’ascension sociale » – notamment l’échelon inférieur des membres des cours souveraines et les avocats qui exercent auprès de celles-ci (troisième strate) – tandis que la strate inférieure regroupe les dirigeants d’entreprise et le niveau supérieur du commerce (cinquième strate). L’hypothèse formulée par R. Mousnier pour les greffiers permet-elle d’éclairer la position sociale du greffier de la geôle ? L’étude de l’entourage familial de Claude Gaultier fournit de premiers indices. L’inventaire nous apprend, en effet, que son frère Charles est titulaire d’une charge de contrôleur provincial (troisième strate), tandis que, par le compromis, on connaît la situation de ses enfants : le fils aîné Mathieu est avocat au parlement de Paris, avant de remplacer son père comme greffier de la Conciergerie à partir de 1638 ; le fils cadet, Martin, est maître ès arts à l’université de Paris ; Marie est mariée à Jean Petit, bourgeois de Paris. Deux interprétations sont possibles : ou bien la position sociale du greffier de la geôle est plus élevée que celle de la moyenne des greffiers, probablement en raison de ses liens avec le parlement de 8. Arch. nat., X2B 1439. 9. Arch. nat., Min. centr., VIII, 644, 13 janvier 1636. 10. Arch. nat., Min. centr., LXVI, 78, 22 mai 1637. 11. Roland Mousnier, La stratification sociale à Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’échantillon de 1634, 1635, 1636, Paris, 1976.

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Paris ; ou bien elle est vecteur d’ascension sociale pour les descendants des greffiers, qui peuvent prétendre à des fonctions relevant de la troisième strate. Parmi les relations économiques de Claude Gaultier, relativement peu nombreuses au regard de l’inventaire, figurent son frère Charles et le concierge Nicolas Dumont12, respectivement ses créanciers pour les sommes de 4 000 livres et 12 000 livres. La solidarité économique, évidente au sein du milieu familial, existe donc aussi, à l’instar des confréries de métier, entre les différentes personnes qui travaillent à la Conciergerie ; on sait, par ailleurs, que le concierge prête à ses guichetiers13. En dépit de ses liens privilégiés avec le Parlement, le greffier de la geôle se conduit comme un membre à part entière du personnel de la prison. Tout aussi significatives sont les indications fournies par l’inventaire après décès de l’épouse de Claude Gaultier sur la fortune et sur le style de vie de son mari. Plusieurs éléments témoignent d’une certaine aisance dans le niveau de vie du greffier de la geôle. Ainsi la maison qu’il possède rue Beaurepaire14, achetée en 1621 à un secrétaire ordinaire de la chambre du roi pour la somme de 5 040 livres, consiste en deux chambres et leur garde-robe, plusieurs pièces spécialisées (une cuisine, une salle équipée d’instruments de musique) et des dépendances. C’est là une demeure qui a peu à envier au corps d’hôtel avec cour, jardin et dépendances, que le concierge Martin Regnoust15 acquiert en 1603 afin d’y passer ses vieux jours16. C’est aussi beaucoup plus que ce à quoi peut prétendre le plus fortuné des guichetiers, Hugues Le Moeur, qui est locataire d’une simple maison comprenant deux chambres, un « bouge » servant de cuisine et une cour17. La possession d’instruments de musique (un clavecin, une épinette), de quelques tableaux et tapisseries rattachent Claude Gaultier aux catégories relativement aisées de la société. L’absence de livres, en revanche, peut paraître surprenante chez un homme de l’écrit, quand le concierge Nicolas Dumont possède à la fois des ouvrages de dévotion et des ouvrages profanes18. Il est intéressant d’étudier la part respective, dans la fortune du ménage Gaultier, des terres, des rentes, des créances, de l’argent monnayé et des objets 12. À la tête de la Conciergerie de 1627 à 1642. 13. Arch. nat., Min. centr., VIII, 644 : inventaire après décès de Pierre Hardy, 8 avril 1636. Le concierge Barthélemy Dumont prête au guichetier Pierre Hardy. 14. Partie de l’actuelle rue Grenéta, entre les rues Saint-Martin et Saint-Denis, dans les IIe et IIIe arrondissements. 15. À la tête de la Conciergerie de 1599 à 1608. 16. Arch. nat., Min. centr., VIII, 562, 17 décembre 1603, échange entre Jean Peschant, conseiller aumônier et prédicateur du roi, possesseur d’une maison rue du Cygne derrière l’abbaye de SaintVictor, et Martin Regnoust, qui lui promet trois rentes. Le concierge en exercice a sa demeure dans les bâtiments de la Conciergerie, en raison de son obligation de résidence. 17. Arch. nat., Min. centr., VIII, 622, 3 juillet 1626, inventaire après décès de Hugues Le Moeur. 18. Arch. nat., Min. centr., LXVI, 157, 11 février 1642, inventaire après décès de Nicolas Dumont.

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précieux (bijoux et argenterie). Claude Gaultier se démarque, en effet, du concierge puisqu’il possède peu d’armes, trois fois moins d’objets précieux, pas d’argent monnayé ni de rentes. Il détient quelques créances, d’une valeur de 1 120 livres, et a donné plusieurs bijoux et pierres précieuses à ses créanciers pour garantir ses emprunts, mais cela ne semble pas suffisant pour contrebalancer 16 000 livres de dettes. À l’inverse, la fortune du concierge est constituée essentiellement de créances (près de 25 000 livres pour Barthélemy Dumont) ; la plupart des débiteurs sont d’anciens prisonniers qui doivent rembourser leurs frais de geôlage, c’est-à-dire d’hébergement dans la prison, sans que l’on puisse dire avec certitude dans quelle mesure ces créances sont réellement exigibles. Toutefois un élément manque à l’inventaire après décès de l’épouse Gaultier, qui aurait sans doute permis de pondérer ce constat : on n’a retrouvé aucune trace d’un acte d’achat de l’office de greffier par son mari, et donc de sa valeur. Les analyses ci-dessus témoignent de la position du greffier de la geôle dans la société, position comparable à celle des autres auxiliaires de justice, sinon plus élevée en raison de la proximité du Parlement. Au sein de la prison, la situation du greffier est quelque peu paradoxale. Ainsi, tout en relevant du Parlement par son office, il dépend du concierge pour l’exercice quotidien de ses fonctions. De plus, alors que son niveau de vie est comparable à celui du concierge, il jouit d’une fortune apparemment moins importante, signe que sa fonction n’est pas aussi avantageuse financièrement.

II. — LE MÉTIER DE GREFFIER DE LA CONCIERGERIE Une telle dualité tient à la nature même des fonctions du greffier de la Conciergerie. Ses activités, qui relèvent à la fois des travaux d’écriture propres au métier de greffier et de la mission de gestion et de surveillance des prisonniers, contribuent à faire de lui un rouage essentiel du fonctionnement de la prison. L’observation de la tenue des registres d’écrous, la lecture de certaines informations judiciaires et des textes réglementaires donnent un aperçu de la pratique du métier de greffier de la Conciergerie. Celle-ci est connue principalement sous l’angle des dérives, régulièrement citées dans les arrêts du Parlement qui rappellent les greffiers à leurs obligations. Le métier de greffier de la Conciergerie se définit en premier lieu par des activités d’écriture, c’est-à-dire par la tenue et la conservation des registres de la prison dans le greffe, mais aussi par la production de divers actes, originaux ou copies, en lien avec le fonctionnement de la prison. Les textes règlementaires insistent particulièrement sur le registre d’écrous, seule production du greffier de la Conciergerie conservée dans les archives,

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dont la tenue est rendue obligatoire à partir du XVe siècle19 et rigoureusement encadrée. Il s’agit du registre des emprisonnements, qui contient les informations sur le prisonnier nécessaires à la justice et à la bonne gestion de la prison : identité, motif de l’arrestation, date d’arrivée, identité de celui qui l’a conduit, nom de la prison d’où il a été transféré (s’il est appelant), enfin date et contenu de l’arrêt, qui décide du sort de l’intéressé, et paiement des amendes de justice. Outre les registres d’écrous, on a connaissance de registres qui recensent les biens apportés par les prisonniers20 dans la prison, les prisonniers nourris « au pain du roi », enfin les sommes consignées entre les mains du greffier par les créanciers pour l’alimentation de leur débiteur emprisonné21. Les greffiers conservent également, sous forme de liasses, diverses pièces justificatives du parcours judiciaire et carcéral du prisonnier, dont on trouve mention dans les registres d’écrous : procès-verbaux de transfert d’une prison à l’autre, consentement des créanciers devant notaires à l’« élargissement » (la libération) de leur débiteur, quittances du receveur des amendes du Parlement, requêtes demandant l’élargissement, arrêts d’élargissement… Une autre fonction du greffier de la Conciergerie est de produire diverses « expéditions » à la demande et contre rémunération, à la manière d’un notaire. Il peut s’agir d’extraits délivrés aux prisonniers à partir du registre, de quittances pour les créanciers qui remettent de l’argent pour l’alimentation de leur débiteur, d’actes d’enregistrement d’une saisie, d’une opposition (à la libération d’un prisonnier), d’une élection ou d’une révocation de domicile et enfin de divers certificats attestant du décès d’un prisonnier, de la cessation de paiement des aliments de prisonniers, du nombre de prisonniers pour la commande au boulanger fournisseur22. Là encore, la production de ces différents actes est strictement encadrée par les arrêts du Parlement, selon un tarif immuable tout au long de l’époque moderne. Le greffier perçoit, en effet, pour chaque acte, des frais de greffe aussi appelés « droits » ou « indemnités » de la part des parties qui font procéder à l’emprisonnement, s’il s’agit d’une inscription au registre d’écrou, ou de la part du demandeur pour les « expéditions »23. Ces revenus viennent compléter les gages annuels versés par le Parlement. 19. Recueil général des anciennes lois françaises [...], éd. François-André Isambert et al., 29 t., Paris, 1821-1833, t. VIII, p. 698-728. 20. Ordonnance de Saint-Germain-en-Laye, tit. XIII, art. 7, dans Recueil général des anciennes lois..., t. XVIII, p. 371-423. 21. Arrest de la Cour des aydes qui fait défenses aux greffiers, concierges et geoliers des prisons de son ressort, de retenir aucunes choses sur les sommes qui leur seront consignées pour les alimens des prisonniers, 20 décembre 1707, Paris, « Veuve » Saugrain et P. Prault, 1707 (Bibl. nat. Fr., F-23696 (969)). 22. Arch. nat., X2B 1439, 8 octobre 1618, ordonnance de paiement à Jean Quineau, boulanger. 23. Arch. nat., X2B 1208, 29 mai 1638, interrogatoire du concierge Nicolas Dumont.

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Enfin dans le but d’accroître ses revenus, il arrive que le greffier serve d’intermédiaire aux prisonniers en monnayant divers travaux d’écriture pour l’avancement de leur procès ou même de leurs affaires. Le greffier de la Conciergerie est également partie prenante dans les activités de gestion et de surveillance de la prison. La tenue du registre d’écrous fait de lui le garant de la transparence de l’administration carcérale auprès du Parlement, dont il alimente le fonctionnement en communiquant au greffe criminel, dans un délai de vingt-quatre heures, les extraits d’écrous des nouveaux arrivants à juger24. L’écrou est ensuite présenté au juge lors de l’interrogatoire du prisonnier, afin de prouver son identité et de servir à son procès, ou encore à la suite d’une évasion25. En outre le concierge ou le greffier les présentent lors des visites de la prison par des membres du Parlement, qui peuvent ainsi s’assurer que les prisonniers ne sont pas retenus injustement au-delà de l’accomplissement de leur peine, ou du paiement des « consignations et deposts qui se font pour la liberté des prisonniers », dont le greffier de la geôle est le receveur26. Au-delà de ce rôle d’intermédiaire entre la prison et le Parlement, le greffier est un rouage essentiel de la bonne gestion de la prison, donnant au personnel une connaissance exacte du nombre, de la qualité des prisonniers et du motif de leur emprisonnement. La tenue du registre d’écrous vise notamment à empêcher chez les gardiens âpres au gain des dérives telles que les libérations abusives ou les incarcérations illégales. Elle favorise aussi la transparence de l’administration carcérale envers des prisonniers que le greffier est tenu d’informer du motif de leur emprisonnement, en leur livrant copie de leur écrou27, mais aussi du règlement et du tarif en vigueur dans la prison, affichés dans le greffe comme à l’entrée et dans les cours de la prison28. Les autres registres ont également une finalité pratique : ainsi, le registre des prisonniers nourris au pain du roi permet de gérer et de planifier l’approvisionnement chez le boulanger fournisseur. Le greffier est impliqué directement dans la surveillance des prisonniers. L’emplacement même de son poste de travail y contribue : petite pièce située à l’entrée de la Conciergerie, le greffe est la première pièce de la prison où pénètre le prisonnier. Pendant la rédaction de l’écrou, qui constitue l’inscription administrative dans les effectifs de la prison, dès lors que le conducteur du prisonnier a signé le registre et payé les droits de greffe29, c’est le greffier qui est responsable 24. Ordonnance criminelle de 1670, tit. XIII, art. 15. 25. Arch. nat., X2B 1188, 16 octobre 1625, information. 26. Arrêt de la cour de Parlement, en forme de reglement general pour les deniers consignez et deposez ès mains des geoliers et greffiers des prisons, qui doivent estre remis aux Consignations, 24 février 1696. S.l.n.d. (Bibl. nat. Fr., F-23671 (360)). 27. Edit du roy…, 28 novembre 1577. 28. Arrest de la cour de Parlement…, 6 juillet 1663. 29. Ibid.

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de la personne du prisonnier, enregistre ses effets personnels et l’argent trouvé en sa possession. La responsabilité du greffier prend fin quand le prisonnier est mis entre les mains du concierge30. On peut toutefois imaginer qu’en cas de crise grave, rixe ou évasion, le greffier puisse être appelé en renfort des gardiens peu nombreux (entre six et neuf pour deux cents à trois cents prisonniers), comme c’est le cas pour un autre membre du personnel de la prison, le chapelain, en 162531. La pratique du métier de greffier de la geôle est connue principalement sous l’angle des dérives régulièrement citées dans les arrêts du Parlement qui rappellent les greffiers à leurs obligations. Est-ce à dire que ces derniers sont peu respectueux de la réglementation ? Officiellement, en effet, c’est pour remédier aux abus commis à l’encontre des prisonniers que l’office de greffier de la geôle a été créé en 1577. En réalité, comme souvent à l’époque, les fonctions ne sont rappelées qu’en réponse à des abus constatés. Il peut s’agir de négligence dans la tenue des registres. Ainsi, en 1638, le greffier de la Conciergerie est accusé, conjointement avec le concierge, d’avoir fait conduire un prisonnier devant le Parlement sans l’avoir écroué et d’avoir inscrit un écrou sur une feuille volante en laissant un blanc dans le registre32 afin de le reporter ultérieurement, ce qui lui est formellement interdit33. De telles pratiques sont susceptibles de perturber le bon fonctionnement de la prison, de faciliter les emprisonnements arbitraires ou les évasions. Elles sont pourtant courantes, et les greffiers qui s’y abandonnent, particulièrement suspects aux yeux du Parlement34. L’absence du greffe pendant les horaires prévus pour le service peut aussi être source de dysfonctionnement. Ainsi, en 1630, un prisonnier indique qu’« il n’avoit besoing de penser à son evasion parce que lad. somme de huict cent l[ivres] eust esté consignée le jour d’hier, si le greffier eust esté au greffe35 » ; l’absence du greffier paraît avoir retardé la libération du prisonnier. C’est pour un motif semblable, « à ce que par leur absence l’expedition des prisonniers ne soit retardée », que le greffier est tenu de résider « dans l’enclos du Palais » ou « proche desdites prisons »36. Les mêmes arrêts rappellent l’obligation pour le greffier d’exercer en personne, et non par l’intermédiaire d’un commis ou un clerc, « ce qui pourroit avoir des suites d’une tres-fascheuse consequence, parce que délivrant ainsi des 30. Arch. nat., X2B 1208, 31 mai 1638, interrogatoire de Claude Gaultier. 31. Arch. nat., X2B 1188, 17 octobre 1625, information. 32. Arch. nat., X2B 1208, 31 mai 1638, interrogatoire de Claude Gaultier. 33. Recueil général des anciennes lois…, t. XVIII, p. 394. 34. Arrest de la cour de Parlement…, 6 juillet 1663. 35. Arch. nat., X2B 1194, 29 août 1630, interrogatoire de Pierre Anget. 36. Arrêt de la cour de Parlement…, 6 juillet 1663 ; Arrêt de la cour de Parlement portant reglement general pour les prisons, droits et fonctions des greffiers des geolles, geolliers,et guichetiers desdites prisons, avec le tarif des droits attribuez ausdits geolliers, 18 juin 1717, Paris, Vve F. Muguet, H. Muguet et L. D. de La Tour, 1717 (Bibl. nat. fr., F-23672 (171)).

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escrouës de personnes qui n’ont jamais esté prisonniers, ils donneroient lieu à des faussetez signalées, dont on pourroit se servir et prouver des alibis, et justifier des coupables ». C’est pourquoi sur la fin de sa vie Claude Gaultier, qui se fait remplacer par son fils Mathieu, est inquiété par les magistrats37. Parfois les dérives vont bien au-delà de la négligence. Quand le greffier exige des « droits » en argent plus élevés que ceux prévus par le tarif, ou pour des « vacations » non prévues (enregistrement des jugements d’élargissement, consignations d’argent38, certificat de cessation de paiement par le créancier de la nourriture de son débiteur39), qu’il retient de l’argent sur les sommes prévues pour la nourriture ou la libération des prisonniers40, il s’agit véritablement de concussion. Sans aller aussi loin, il arrive que le greffier fasse la grève du zèle en différant la libération d’un prisonnier faute de paiement de ses droits41. Pour éviter semblables pratiques, le greffier est tenu d’inscrire dans un registre les sommes perçues pour ses droits. Tout un arsenal de répression est prévu, avec des peines qui vont de l’amende « arbitraire »42 aux galères43, en passant par l’interdiction d’exercer la charge de greffier44. La répétition régulière des obligations et des peines est sans conteste le signe que ces abus perdurent tout au long de la période, sans que l’on sache avec quelle sévérité ils ont réellement été réprimés.

III. — LA PLACE DES GREFFIERS DE LA CONCIERGERIE DANS LA MÉMOIRE DE LA PRISON

Auteurs des registres d’écrous, unique série conservée dans les archives pénitentiaires de la Conciergerie, on peut considérer que les greffiers sont des acteurs essentiels dans la constitution de la mémoire de la prison, mémoire immédiate ou mémoire « active » servant au bon fonctionnement de la prison, mais aussi mémoire reconstituée par les historiens. C’est ce deuxième aspect que l’on évoquera ci-dessous. 37. Arch. nat., X2B 1208, 31 mai 1638, interrogatoire de Claude Gaultier. 38. Arrêt de la cour de Parlement portant reglement general pour les prisons, droits et fonctions des greffiers des geolles, geolliers, et guichetiers, 11 février 1690, Paris, G. Desprez, 1690 (Bibl. nat. Fr., F-23671 (153)). 39. Déclaration du roi concernant les alimens des prisonniers, 19 janvier 1680 (Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 1287, fol. 4). 40. Arrêt de la cour de Parlement…, 18 juin 1717. 41. Ibid. 42. Arrêt du Parlement interdisant aux greffiers des prisons de Paris de prendre des droits plus élevés que ceux portés par les arrêts de la Cour, 30 août 1659, Paris, P. Rocolet, 1660 (Bibl. nat. Fr., F-5005 (69)). 43. Recueil général des anciennes lois…, t. XVIII, p. 371-423. 44. Arrêt de la cour de Parlement…, 30 août 1659 et 6 juillet 1663.

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Les érudits du XIXe siècle avaient déjà perçu l’utilité des registres d’écrous pour l’histoire de la prison et de la criminalité locale45 ; souvent d’ailleurs c’était la seule source disponible et aisément identifiable. Dès 1909, Frédéric Lachèvre a fait office de précurseur en donnant à l’écrou la première place du dossier de procédure lorsqu’il a étudié le procès de Théophile de Viau46. Les historiens plus récents ont porté leur attention sur les écrous de prisonniers célèbres (Ravaillac, Damiens) ou d’une catégorie de prisonniers (les protestants47, les voleurs48). Ce n’est que récemment qu’on a pris conscience de toute la potentialité des registres d’écrous, avec le développement du traitement informatique et statistique des données. Les écrous permettent, en effet, de constituer des séries de fiches et des bases de données aux interrogations très nombreuses : nom, profession, situation matrimoniale pour les femmes, demeure, instance subalterne, peine prononcée par le premier juge, crime reproché, jugement prononcé par la cour souveraine, date de l’arrêt. Les écrous se prêtent aussi à des dépouillements rapides concentrés sur un nombre de données plus réduit : par délit, par région géographique, par peine… Cette méthode, Alfred Soman l’a appliquée avec succès aux registres de la Conciergerie pour mener à bien ses études sur la justice criminelle, sur l’appel au parlement de Paris, sur la sorcellerie, l’infanticide ou sur la bestialité49. Michèle Bimbenet-Privat souligne, elle aussi, les virtualités nombreuses offertes par l’étude des registres d’écrous dans le domaine de l’histoire judiciaire et sociale50. Ceux-ci permettent, en effet, de vérifier la bonne conservation des archives de la juridiction, d’étudier le personnel de la justice (le geôlier, les sergents qui amènent les prisonniers, remplissent et signent les registres), non pas la procédure dans son entier mais les cautions (identité des cautions et sommes réclamées par la justice), la population du quartier qui relève de la juridiction et la criminalité. De l’étude de la criminalité, il est facile de passer à celle de la répression et des conditions de 45. André Joubert, Les prisons du roi au Château Gontier aux XVIIe et XVIIIe siècles, d’après des documents inédits, Mamers, 1888. Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890. 46. Frédéric Lachèvre, Le libertinage devant le parlement de Paris. Le procès du poète Théophile de Viau (11 juillet 1623-1er septembre 1625), publication intégrale des pièces inédites des Archives nationales, 2 t., Paris, 1909. 47. Henri Bordier, transcription des écrous relatifs aux Réformés, repérés dans les registres AB 1 à 4, Paris, Bibl. de la Société de l’histoire du protestantisme français, ms 390 ; Jacqueline Boucher, « Les incarcérations à la Conciergerie du Palais pour fait de religion, 1567-1570 », dans Les Réformes : enracinement socio-culturel, 25e colloque international d’études humanistes, Tours, 1er-13 juillet 1982, éd. Robert Sauzet et Bernard Chevalier, Paris, 1985, p. 308-319. 48. Anne-Marie Voutyras, Les voleurs écroués à la Conciergerie en 1779 d’après les registres d’écrous de la Conciergerie (APP), mémoire de DEA d’histoire du droit, univ. Paris II, 1984. 49. Alfred Soman, Sorcellerie et justice criminelle : le parlement de Paris (XVIe-XVIIIe siècle), Aldershort/Brookfield, 1992 (Collected studies series, 368). 50. Michèle Bimbenet-Privat, Écrous de la justice de Saint-Germain-des-Prés au XVIe siècle : inventaire analytique des registres Z2 3393, 3318, 3394, 3395 (années 1537 à 1579), Paris, 1996.

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détention : à partir des fiches de prisonniers, on peut faire porter l’enquête sur la durée de l’emprisonnement, la bonne santé des prisonniers51, la composition de la population carcérale ou le pourcentage de fugitifs52. Dans le cas de la Conciergerie, étant donné leur taux de conservation quasi exhaustif, la seule étude des registres d’écrous peut servir à constituer un fichier des prisonniers écroués pendant une période donnée, en vue d’analyser leurs conditions de détention. Dans le cadre de ma thèse d’École des chartes, deux sondages ont ainsi été réalisés, pour les années 1618 (registre AB 23) et 1632 (AB 30). Le choix de ces dates n’est pas anodin, car il s’agit de deux périodes de « crise » pour la Conciergerie : l’incendie de 1618 a causé un certain nombre de transferts et d’évasions, tandis que la peste a sévi entre 1630 et 1634. Utilisés en complément des écrits des greffiers de la Tournelle (pièces de l’instruction criminelle), les registres d’écrous permettent aussi de reconstituer des dossiers d’enquête complets. Les dépouillements des registres d’écrous ont donc complété la lecture des archives criminelles du parlement de Paris, afin de retrouver l’état civil et le parcours carcéral de chaque prisonnier mentionné dans les instructions. Au-delà de la transcription d’aventures individuelles, ces récits d’évasions, de bagarres de prisonniers, ou d’abus commis par les gardiens rendent possible la reconstitution de l’univers carcéral de la Conciergerie au XVIIe siècle. Ainsi la recherche historique revêt-elle a posteriori les pratiques des greffiers de la geôle d’une dimension mémorielle nouvelle, que sans doute ils n’avaient pas anticipée. Camille DÉGEZ Conservateur des bibliothèques, ministère de la Culture et de la Communication

51. Les écrous indiquent les transferts de prisonniers malades à l’Hôtel-Dieu et les décès en prison. 52. Nicole Castan, Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, 1980 (Science, 6).

SAUVER LES ARCHIVES, DÉFENDRE LE ROI LA REMISE EN ORDRE DES REGISTRES DU PARLEMENT D’APRÈS LES PAPIERS DU PROCUREUR GÉNÉRAL JOLY DE FLEURY PAR

DAVID FEUTRY

« Aujourd’hui les minutes et les registres de nos anciens parlements sont passés à l’état de documents historiques, et leurs greffes sont devenus des archives […]. Il y a peu d’années, on admirait encore, dans le Palais de Paris, au-dessus de la grande salle des Pas Perdus, les vastes berceaux boisés et les belles archives du Parlement établis par un illustre magistrat, le procureur général Guillaume-François Joly de Fleury1 ». Ce rappel mêlé de fierté et de déception de la part d’un juriste et historien spécialiste des parlements comme le comte Henri de Bastard d’Estang, au XIXe siècle, souligne toute l’originalité du XVIIIe siècle au sujet des greffes, des greffiers et de la mémoire judiciaire : l’attribution définitive du contrôle, du classement et de la conservation des registres aux hommes du procureur général, à la place des membres des greffes civil et criminel. Par l’organisation du transport des registres des vieilles tours insalubres vers les nouveaux locaux situés au-dessus de la Grande Salle du Palais, entre 1729 et 1733, le procureur général, homme du roi par excellence, prit un ascendant irréversible sur les greffiers dans le contrôle de la mémoire du Parlement. Il convient donc de se demander comment s’est effectué ce passage de témoin qui ne provoqua aucun émoi parmi les membres du greffe, alors que le chef du parquet concentrait en ses mains désormais tous les supports mémoriels de la monarchie par la garde des registres du Trésor des chartes et de ceux du parlement de Paris, devenant ainsi le « premier archiviste de France2 ». 1. Henri de Bastard d’Estang, Histoire des parlements. Essai historique sur leurs usages, leur organisation et leur autorité, Paris, 1857, p. 340-341. 2. David Feutry, « Mémoire du roi, mémoire du droit. Le procureur général Guillaume-François Joly de Fleury et le transport des registres du parlement de Paris, 1729-1733 », dans Histoire et archives, t. 20, 2007, p. 19-40.

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I. — LE PROCUREUR GÉNÉRAL, « PREMIER ARCHIVISTE DE FRANCE » Le relatif effacement des greffiers fut d’abord un puissant appel d’air. Il est remarquable de signaler que dans la liste des quarante-cinq greffiers et commisgreffiers de 1790 donnée par Alphonse Grün dans sa préface des Actes du parlement de Paris3, aucun n’avait réellement en charge la rédaction ou la conservation des minutes et des registres. Déjà à la fin du XVIIe siècle, cette organisation fractionnée était la règle. On connaît cette situation par un mémoire de la famille de l’ancien greffier Ysabeau, qui réclamait l’argent prétendument avancé pour la confection des registres4. À cette époque, le greffier en chef Du Tillet était assisté d’un commis pour la communication des minutes et registres. En 1690, ce commis, M. Demonceau, payé aux communications, obtint du président Achille III de Harlay, en récompense de ses services, que sa commission fût érigée en office pour la somme « symbolique » de 6 000 livres car cela « étoit la récompense de ses services, et de l’ordre qu’il avoit mis dans les minutes du Parlement qui avant lui étoient dans un dérangement total »5. C’est donc de manière totalement incidente, hors de toute attribution, mais seulement au zèle d’un commis que tenait le bon ordre des registres et c’est d’ailleurs lui qui était chargé de la confection des registres. Le procureur général bénéficia ensuite de la confusion des attributions à la fin du règne de Louis XIV. Cette situation claire devient rapidement plus complexe avec la multiplication des créations d’offices à la fin du règne du Grand Roi et les suppressions sous la Régence, au point que l’on ne savait plus réellement, même chez les officiers du greffe qui avaient racheté telle ou telle charge, si elles subsistaient encore. Un exemple illustre cette préoccupante confusion : un édit d’août 1713 avait créé les offices de greffiers et conservateurs des minutes dans tous les tribunaux et juridictions du royaume, avec faculté aux pourvus d’offices de commis à la communication (office créé en 1690) de les acquérir, mais un autre édit d’août 1716 supprima de nombreux offices dont ceux créés en 1713, sans tenir compte de l’arrêt du Conseil d’août 1715 qui avait réuni toutes ces charges en une seule. L’attitude passive des greffiers s’expliquait aussi par les rémunérations de leurs activités. L’édit de septembre 1716 simplifiait les attributions en instaurant un unique office de protonotaire et greffier en chef civil en faveur de Dongois, et en rappelant toutes les anciennes prérogatives du greffier en chef, notamment la confection et la conservation des registres. Le roi lui versait alors directement 3. Alphonse Grün, « Notice sur les archives du parlement de Paris », dans Edgard Boutaric, Actes du parlement de Paris. Première série : de l’an 1254 à l’an 1328, t. I : 1254-1299, Paris, 1863, p I-CCXC. 4. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 370, dossier 4202, fol. 1-91. 5. Ibid., fol. 10.

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3 600 livres par an pour cette opération6. Or, cette somme était dérisoire rapportée aux bénéfices que le greffier tirait des communications faites aux parties, principale raison du prix important de l’office de greffier en chef7. Il n’avait que peu de raisons de se soucier de l’état de conservation des registres ou des minutes anciennes, car elle faisait l’objet de bien peu de demandes de la part des parties. Dans leur conception du travail à effectuer, ils étaient les conservateurs des archives des affaires en cours et pas des affaires classées, qui rapportaient bien moins. La rédaction des registres n’était alors qu’une activité de formation pour les jeunes commis. Elle était reléguée à un rang tout à fait subalterne, sauf si elle était prise en charge par un commis zélé. Le nouveau contrôle des archives par le procureur général enlevait donc aux greffiers une charge pesante. L’argent du Trésor pour cette tâche était toujours versé au greffier civil en chef qui le reversait aux commis en charge de la rédaction des registres (semble-t-il, comme l’explique le mémoire de la famille Ysabeau), mais c’est au procureur général que revenait le rôle de coordonner la rédaction avec les commis du greffe. Par ces attributions et son contrôle du Trésor des chartes et des registres du Parlement, le procureur général unifiait ainsi sous sa direction les sources mêmes des droits du roi et de la loi en général. Cette gestion concentrée permettait une plus grande efficacité dans la défense des droits du roi, unifiant aussi cette mémoire judiciaire. La meilleure preuve est d’ailleurs son travail parallèle sur les registres du Trésor des chartes et les accords du Parlement8. D’ailleurs, les membres du Parlement ne s’y trompaient pas et considéraient le procureur général comme le dépositaire d’une mémoire unifiée que l’on pourrait qualifier sans anachronisme de « publique ». En 1738, Joly de Fleury avait demandé à Maupeou de chercher une pièce ancienne qu’il pensait être dans le cabinet d’un grand érudit et bibliophile, l’abbé Mallet. On lui répondit qu’on ferait chercher cette pièce, sans doute une charte « que vous croyés mériter d’être conservée dans les archives publiques »9. Le procureur général était donc devenu après le transport des registres du Parlement un véritable conservateur des archives du royaume et le garant d’une mémoire unique et commune, la mémoire du roi, de la loi et du droit. 6. Pour la confection des registres, le roi avait accordé sur le Trésor 3 600 livres. En 1717, un arrêt du Conseil porta cette somme à 6 000 livres puis à 8 000 livres en 1756 ; voir Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2126, fol. 28. 7. Ibid., en 1767, par exemple, le greffier touchait 8 000 livres pour la rédaction de plus de 80 registres civils, soit 100 livres par registre. Sachant qu’un registre se composait souvent d’au moins cinq cents folios, soit 1 000 pages, chaque page rapportait au rédacteur 2 sous, alors que les parties devaient débourser au minimum quelques livres pour obtenir un acte au greffe, quelle que fût sa longueur. 8. Ces accords sont aujourd’hui classés dans la sous-série X1C. 9. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 250, dossier 2482, fol. 50-52.

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II. — SAUVER LES ARCHIVES, DÉFENDRE LE ROI L’état catastrophique des registres du Parlement au XVIIIe siècle avait poussé le procureur général à agir car la disparition des registres était une perte définitive d’une mémoire du royaume avant tout à l’origine des droits du roi. Cette situation résultait de trois facteurs principaux. L’inadéquation des lieux de conservation, tout d’abord, avait incité le procureur général à alerter le roi : les tours médiévales n’étaient pas entretenues et loin d’être prévues pour accueillir l’augmentation exponentielle du nombre de registres que connut le XVIIIe siècle. Le Parlement civil produisait, en effet, quarante registres par an en 1717 et plus de quatre-vingts dans les années 1760. Joly de Fleury notait que « les registres criminels sont dans un lieu qui fait horreur, [où] il n’y a pas quatre toises de long sur deux de large, on n’y voit pas clair, l’eau pluviale y entre souvent, il y en a la moitié qui sont presque pourris »10. Les registres civils, davantage à l’abri, connaissaient quant à eux une situation peu enviable dans une des tours : Les registres civils sont dans une tour où la sûreté est entière, mais le nombre des registres est si grand qu’il y en a actuellement trois et quatre rangées les unes devant les autres, il n’y a point d’escalier, il faut monter à une échelle pour tirer les registres dont on a besoin à chaque instant. On peut juger de la difficulté qu’il y a dans cette posture à tirer un registre qui est quelquefois dans la rangée joignante au mur, ce qui oblige de tirer ceux des rangées antérieures. Lorsqu’il faut chercher sur un même objet dix registres de différentes années et de différents siècles, il est aisé de concevoir l’embarras et le retardement que cause cette opération. Outre cela, tout étant plein depuis longtemps, il a fallu placer les nouveaux registres en piles de trente et quarante sur le plancher, qui est si rempli qu’il ne reste que des sentiers pour passer11.

Ensuite, le procureur général, grand bibliophile, avait été choqué par l’incurie de membres du Parlement, tant magistrats que greffiers, envers les registres. Ceux-ci ne les percevaient pas comme des preuves judiciaires ou des outils de travail au service des droits du roi. Joly de Fleury déplorait que les veuves des secrétaires vendissent les minutes de dernière importance à la beurrière comme papier d’emballage12 ! Les greffiers n’étaient pas non plus exempts de tout reproche : le procureur général avait été obligé de dissimuler la vente des papiers du greffe par le greffier lui-même à cause du manque de place 10. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 133, dossier 1229, fol. 10. 11. Ibid., fol. 9-10. 12. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2195, fol. 84 : « Les minutes qui demeurent chez MM. les conseillers après leur mort aussi bien que les procèz quand les parties négligent de les retirer sont autant d’abus qui causent des embarras énormes dans les familles. Les veuves des secrétaires les vendent à la beurrière, et l’on perd souvent des titres et des minutes de la dernière importance ».

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« parce que la connoissance que le public en auroit eu, auroit fait plus de tort que la chose en elle-même »13. Enfin, ce changement d’échelle dans la production d’archives engendrait aussi un retard dans la mise en registre des minutes : en 1727, les registres s’arrêtaient à l’année 1717, ce qui supposait pour la recherche d’un acte qui n’était pas encore mis en registre un dépouillement interminable dans les montagnes de minutes du greffe. L’activité du procureur général, défenseur des droits du roi, garant du respect de la loi, nécessitait un recours constant aux décisions antérieures de la cour : pour remporter un procès, la meilleure preuve était de trouver un précédent judiciaire dans les archives. Ce désordre perturbait aussi fortement l’activité du parquet dont l’efficacité reposait justement sur la rapidité. Il s’agissait souvent de retrouver dans les plus brefs délais une affaire qui avait fait jurisprudence comme il l’expliquait lui-même au contrôleur général : Souvent on sait qu’un arrêt a été rendu, on sait le nom de la partie, mais on ignore la datte. Quand on sauroit la datte de l’année, quelle ressource au civil de feuilleter quarante registres qui ont chacun peut-être mille pages, et quel secours peut-on avoir quand on est en peine de la datte pendant plusieurs années ? En 1724, le procureur général du roi suivoit un procèz pour le roi sur une question qu’il sceut avoir été jugée en faveur du roi il y avoit 12 ou 15 ans : il fut un an sans le trouver. Heureusement un procureur, qui avoit rendu toutes les pièces à sa partie, trouva dans la poussière de son étude un résidu où la datte de l’arrêt se trouva inscrite. Le procureur général du roi le leva, l’affaire réussit14.

La disparition de ces registres constituait un étiolement inacceptable de la mémoire judiciaire, ce fut donc d’abord au nom de la défense des droits du roi que Joly de Fleury prit en charge le sauvetage des archives du Parlement entre 1729 et 1733 : les registres furent transportés au-dessus de la Grande Salle du Parlement, rangés, classés et le procureur général fut chargé des « ouvrages du greffe », c’est-à-dire de la reconstitution des registres manquants, de leur remise en ordre et de leur inventaire15. Ce transport consacrait donc son rôle dans la mise en ordre, la conservation et même la reconstitution de la mémoire judiciaire.

III. — DÉFENDRE LES ARCHIVES POUR SAUVER LE ROI Le procureur général avait sauvé les archives pour défendre les droits du roi et était devenu durant les années 1740 le responsable d’une mémoire royale 13. Ibid., fol. 85. 14. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 133, dossier 1229, fol. 13. 15. Ibid. Le dossier 1229 contient toutes les étapes de ce transport. On trouve aussi une copie du procès-verbal du transport des registres faite par Delisle aux Archives nationales, Arch. nat., U 1030.

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unifiée dont il contrôlait les sources. Malheureusement, les luttes politiques eurent pour conséquence la confiscation progressive des registres au profit des magistrats. Une nouvelle tâche attendait le procureur général : désormais, il fallait défendre les archives pour sauver le roi. Le but n’est pas ici de retracer l’histoire des conflits entre Parlement et monarchie mais simplement de signaler que l’une des bases de cette contestation fut le réservoir des registres du Parlement. Déjà utilisés pour défendre les intérêts des parlementaires contre les ducs et pairs, les registres (et notamment les Olim) furent aussi instrumentalisés dans cette lutte face au pouvoir royal. Le paradoxe du service rendu au roi par le procureur général était qu’en sauvant les archives du Parlement, en les classant et en donnant naissance aux premiers inventaires, il en avait permis un accès direct et facilité aux magistrats du Parlement. Dès les années 1750, nombre de parlementaires firent copier des registres, particulièrement les Olim, ou compiler des extraits à partir de la table de Le Nain. En s’appropriant cette mémoire judiciaire et en faisant de l’argument juridique une arme contre la monarchie, les parlementaires privaient le Conseil du roi d’un réservoir de réponses et de recours. Les registres du Parlement devenaient moins un arsenal juridique qu’une source de preuves historiques (par les Olim notamment) de l’antériorité des organes de conseil sur la monarchie : ils étayaient ainsi pleinement la thèse « germaniste » faisant du roi le descendant d’un chef de guerre élu par les siens, au détriment de la thèse « romaniste » qui prônait l’antériorité du roi sur toutes les institutions16. Posséder les registres, c’était donc posséder une mémoire et écrire l’Histoire à son profit. Cette appropriation était même physique puisque le pouvoir royal ne pouvait plus avoir accès aux registres du Parlement : Jacob-Nicolas Moreau, dans les années 1760, avait été obligé de soudoyer un greffier pour se faire prêter les Olim et en recopier les parties utiles au gouvernement17. Le procureur général, acteur principal de cette mise en valeur des registres, avait finalement été débordé par les parlementaires, qui monopolisaient ce qui devaient être à l’origine un moyen de défendre les droits du roi. Par ces luttes, la mémoire judiciaire, un temps unifiée, volait en éclats. Des mémoires parallèles et concurrentes se mettaient en place dans le but de défendre les intérêts de chacun. Pour comprendre comment se fit cette fragmentation, il faut signaler ce que l’on entendait précisément par « mémoire judiciaire » jusqu’ici. Les registres du Parlement étaient la base de trois mémoires 16. Diego Venturino, « Les déboires d’une historiographie toute monarchique. Le romanisme aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Historiographie de la France et mémoire du royaume au XVIIIe siècle, éd. Marc Fumaroli et Chantal Grell, Paris, 2006 (Bibliothèque d’histoire moderne et contemporaine, 18), p. 89-167. 17. Jacob-Nicolas Moreau, Mes souvenirs, éd. C. Hermelin, Paris, 1898-1902, t. I, p. 130-131.

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complémentaires : une mémoire juridique, simple recueil des arrêts et de la jurisprudence toujours en évolution alimentant deux mémoires parallèles mais jusque-là non concurrentes : la mémoire parlementaire (les décisions importantes sur les préséances des parlementaires dans les cérémonies officielles, des arrêts en faveur du Parlement face à d’autres institutions) et la mémoire royale (les décisions en faveur du roi arrêtées dans des conflits avec les particuliers, les grandes décisions prises lors des lits de justice qui rappelaient son autorité). Le contrôle du procureur général sur ces registres et sur ceux du Trésor des chartes assurait une prééminence de la mémoire royale mais figeait aussi les autres mémoires dans la mesure où il était le garant des lois et du droit. Lors des luttes entre monarchie et Parlement, les registres ont continué d’être une mémoire juridique, une sorte de grand livre du droit et de la jurisprudence, mais ils sont surtout devenus le support de la mémoire parlementaire et une sorte de mémoire antimonarchique. En réaction, la monarchie ne disposait plus que du Trésor des chartes, source trop insuffisante et trop peu convaincante (les actes étaient surtout de l’époque médiévale et les versements furent très épisodiques à l’époque moderne). Elle fut obligée de se constituer une nouvelle mémoire, fabriquée de toute pièce mais évidemment très sélective et en partie anti-parlementaire, comme le résume Keith Baker : « Le gouvernement devait mobiliser à l’avance les arguments juridiques et les ressources idéologiques, former un plan d’action général, étayé en tous points par des lois qu’il serait impossible aux magistrats de présenter sous un faux jour »18. C’est ainsi qu’il faut comprendre la création du Cabinet des chartes, confié à Moreau en 1762. Dès lors, la constitution de cette mémoire ne passait plus du tout par les greffiers (du moins officiellement) mais par les cercles érudits ou les mauristes, qui ne réussissaient que très partiellement à gommer un demi-siècle de mépris de la monarchie pour ses archives. Cette inertie avait permis aux magistrats de s’emparer des symboles centraux de l’autorité monarchique. En s’appropriant le droit et l’histoire et en se constituant une mémoire, les parlementaires avaient pris un avantage définitif puisque désormais « toute action menée pour réaffirmer le pouvoir royal serait interprétée comme un recours à l’arbitraire et au pouvoir despotique »19. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les sources de la mémoire judiciaire échappèrent donc à leurs traditionnels gardiens. Les greffiers, acteurs centraux de cette mémoire judiciaire, cédèrent ce rôle de gardien de la mémoire écrite au procureur général qui ne réussit pas à conserver cette mémoire unifiée et n’eut plus aucune prise sur la conservation des registres. Officiellement, la bataille 18. Keith Baker, Au tribunal de l’opinion. Essai sur l’imaginaire politique au p. 93. 19. Ibid., p. 92.

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idéologique se faisait désormais sans eux, isolés entre les parlementaires et les érudits au service du roi. Dans la réalité, des luttes d’influences passionnées s’engageaient pour s’attacher les services de ces anciens gardiens du droit, promus munitionnaires d’une cause politique. David FEUTRY Université Paris-Sorbonne Paris IV

GREFFES ET GREFFIERS DES JUSTICES SEIGNEURIALES AU XVIIIe SIÈCLE PAR

FABRICE MAUCLAIR

Jusqu’au tout début de la Révolution, les justices seigneuriales formaient un rouage important de l’armature judiciaire du royaume de France. Présentes en très grand nombre dans les villes et surtout dans les villages – il en existait plusieurs dizaines de milliers à la fin de l’Ancien Régime1 –, elles étaient même essentielles : les justiciables avaient, de fait, bien plus souvent affaire à elles qu’aux cours royales. Pourtant, les tribunaux seigneuriaux ont assez peu attiré l’attention des chercheurs. Comment expliquer un tel paradoxe ? La réponse est à chercher en partie dans l’état actuel des fonds des justices seigneuriales. L’examen attentif des répertoires et des inventaires réalisés par les services des achives départementales2 permet en effet de faire trois principaux constats concernant ces fonds. Premièrement, les archives provenant des justices seigneuriales sont extrêmement dispersées. En effet, si ces dernières sont conservées très massivement en série B, on peut également en trouver en série G et H (pour les seigneuries ecclésiastiques), en série E (parmi les papiers de famille, les fonds des notaires ou les dépôts des communes) ou encore en série J (documents entrés par voie extraordinaire). Deuxième constat : en série B, les fonds issus de l’activité des justices seigneuriales occupent une place réduite par rapport à ceux des justices royales. Par exemple, dans l’Eure, l’un des rares départements à avoir mené à terme le clas1. À la suite des recherches menées par Raoul Aubin sur l’organisation judiciaire en France à la veille de la Révolution (L’organisation judiciaire d’après les cahiers de 1789, Paris, 1928), les historiens citent souvent le chiffre de 60 ou 80 000 justices seigneuriales en 1789. 2. Nous laissons volontairement de côté les fonds des justices seigneuriales conservés dans la sous-série Z2 des Archives nationales.

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sement de cette série, les archives des justices seigneuriales forment en volume moins de 20 % du fonds judiciaire ancien (avec 79,5 mètres linéaires (m.l.) contre 373,2 m.l. pour les justices royales) ; la même proportion peut être observée dans plusieurs autres départements : Calvados (165 m.l. pour les justices seigneuriales contre 1 076 m.l. pour les justices royales), Charente (39 m.l. contre 162,6 m.l.), Creuse (18 m.l. contre 119,8 m.l.), Dordogne (92 m.l. contre 286 m.l.), etc. Ainsi, s’il existe des départements dans lesquels l’avantage en faveur des justices royales est moins prononcé (Côte-d’Or, Finistère, Var…), en règle générale, les fonds des justices seigneuriales occupent une place quantitativement secondaire dans les dépôts d’archives départementaux, ou en tout cas largement inférieure à ce que l’on pourrait s’attendre à trouver venant d’institutions ayant eu un tel volume d’activité. De fait, parmi tous les fonds qui composent aujourd’hui la série B des différents dépôts départementaux, les fonds judiciaires issus de l’activité des justices dites « subalternes » sont sans doute ceux qui ont subi les plus lourdes pertes3. Troisième constat : les archives laissées par les justices seigneuriales remontent rarement au-delà de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Ainsi, aux archives départementales de l’Ain, de l’Eure et de l’Oise, pour ne prendre que ces trois exemples, moins de 15 % des justices seigneuriales classées possèdent des documents datant d’avant 1650. De même, dans les départements cités (ainsi que dans ceux du Rhône et de l’Indre-et-Loire) plus de la moitié des fonds des justices seigneuriales couvrent uniquement le XVIIIe siècle. De fait, dans la majorité des départements, les fonds des justices seigneuriales n’ont de réelle cohérence qu’à partir de l’extrême fin de l’Ancien Régime. Ainsi, dans presque tous les dépôts départementaux, les fonds des justices seigneuriales sont plus dispersés, moins volumineux et moins anciens que ceux des justices royales, trois éléments qui suffisent à eux seuls à expliquer pourquoi les chercheurs ont souvent privilégié les fonds des cours royales. Le troisième élément observé intrigue particulièrement et amène une interrogation : pourquoi les archives des tribunaux seigneuriaux remontent-elles rarement au-delà des années 1700 ? Cette question nous oblige à nous tourner du côté des hommes chargés au XVIIIe siècle de la mémoire judiciaire dans les justices seigneuriales : les greffiers. Qui sont-ils ? Dans quelles conditions conservent-ils les documents dont ils ont la charge ? Quel sérieux mettent-ils dans l’exercice de leur fonction ? Il s’agit donc dans les pages qui suivent de réfléchir au contour socioprofessionnel et au travail quotidien des greffiers seigneuriaux au cours du siècle des Lumières. Mais au-delà des aspects humains et pratiques, il conviendra également 3. Ainsi, en Dordogne, sur plus de 300 justices seigneuriales avérées, seules 170 ont laissé des traces aux archives départementales ; le même constat peut-être fait dans l’Eure, l’Ain ou encore dans le Lyonnais.

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de s’intéresser aux questions de droit qui entourent la constitution et la conservation des archives des justices seigneuriales à la fin de l’Ancien Régime. Nous verrons ainsi qu’en observant le lien étroit existant entre la mémoire judiciaire et le droit avant la Révolution, il est possible de découvrir un aspect mal connu de la construction de l’État moderne. Abordant une question délicate, rarement traitée et reposant sur des sources extrêmement dispersées et souvent difficiles d’accès, nous n’avons pas la prétention d’apporter des réponses définitives mais seulement de présenter quelques pistes de réflexion tirées notamment de notre observation approfondie des fonds d’une grande justice seigneuriale : le duché-pairie de La Vallière4.

I. — LES GREFFIERS DES JUSTICES SEIGNEURIALES Les greffiers sont des personnages clés au sein de tous les tribunaux. Sous l’Ancien Régime, leurs attributions sont très larges. Ce sont d’abord des « scribes dont le principal emploi est d’écrire les ordonnances, appointements et jugements qui sont prononcés par les juges et de les expédier et délivrer aux parties ». Étant à la fois au service de la cour et des justiciables, ils doivent donc, de manière générale, rédiger tous les actes nécessaires à l’administration de la justice civile et criminelle. Mais leur tâche ne s’arrête pas là puisqu’ils sont aussi les « dépositaires des registres et des expéditions de justice5 ». Les greffiers de l’époque moderne sont donc à la fois des secrétaires et des archivistes (« la plume et la mémoire » des tribunaux), et, à ce titre, ils ont une responsabilité énorme dans la manière dont les fonds judiciaires anciens ont été constitués et sont parvenus jusqu’à nous. Bien qu’exerçant des fonctions similaires, les greffiers seigneuriaux avaient un prestige moindre que leurs homologues des tribunaux royaux6. Par ailleurs, ils avaient souvent, comme du reste l’ensemble du personnel des justices seigneuriales, très mauvaise réputation ; on leur reprochait notamment leur ignorance et leur manque de professionnalisme. Ces critiques sont en grande partie infondées pour la fin de l’Ancien Régime. Il est facile de le démontrer en décrivant le mode de recrutement et l’appartenance socioprofessionnelle des greffiers seigneuriaux. 4. Cette importante seigneurie est située aux marges des trois provinces (Touraine, Anjou et Maine) formant la généralité de Tours. Fabrice Mauclair, La justice au village. Justice seigneuriale et société rurale dans le duché-pairie de La Vallière (1667-1790), Rennes, 2008. 5. Claude-Joseph Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique […], 2 t. Paris, 1769, t. I, p. 657. 6. Dans la première capitation de 1695, divisée en 22 classes d’imposition, les greffiers des duchés et pairies apparaissent à la 16e place (imposée à 30 livres) et les autres greffiers des justices seigneuriales à la 20e classe (imposée à 3 livres), tandis que les greffiers en chef des bailliages et sénéchaussées apparaissent à la 11e classe (imposée à 100 livres).

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1. Comment et à quelles conditions devient-on greffier d’une justice seigneuriale ? Alors que dans les justices royales les greffiers sont propriétaires de leurs offices (ce qui assurait certainement une plus grande pérennité des greffes), la situation est beaucoup plus compliquée dans les justices seigneuriales. À la fin de l’Ancien Régime, il existe deux voies principales pour devenir « greffier en chef » d’une justice seigneuriale, selon le statut juridique attaché au greffe. Lorsque le greffe est la propriété pleine et entière du seigneur, le greffier ordinaire peut être nommé suivant une procédure classique qui commence par l’obtention de lettres de provision. Mais, bien souvent, ces lettres ne sont même pas nécessaires ; un bail à ferme conclu avec le seigneur ou avec son fermier général suffit généralement pour entrer en possession d’un greffe seigneurial7. Autre situation, lorsque le seigneur a abandonné la propriété du greffe à un ou plusieurs tiers (à la suite d’un engagement), la nomination du greffier lui échappe totalement. Dans ce cas, le greffier n’est autre que le détenteur du greffe ou toute autre personne choisie par lui. Dans tous les cas (bail ou engagement), le nouvel entrant est généralement tenu de se faire recevoir officiellement et de prêter serment « au cas requis » devant les autres officiers du siège, avant de commencer l’exercice de sa charge8. L’affermage est sans nul doute la voie la plus courante à la fin de l’Ancien Régime pour devenir greffier d’une justice seigneuriale. Que nous disent les baux de ferme des greffes seigneuriaux ? D’abord, que les sommes en jeu varient énormément suivant la taille des seigneuries. La prise de possession d’un greffe d’une justice seigneuriale peut certes se faire contre le versement de sommes relativement modiques, soit quelques dizaines de livres chaque année ; ainsi, dans le Montargois, il en coûte seulement 6 livres par an pour obtenir le greffe de la seigneurie de Chantoiseaux (en 1749), 15 livres pour celui du marquisat de Bellegarde (en 1754), 35 livres pour ceux des seigneuries de la Cour-Marigny et Moulinet (en 1732)9. Dès que l’on atteint le stade des moyennes ou des grandes justices seigneuriales, de loin les plus nombreuses au XVIIIe siècle, le preneur du greffe est contraint de verser plusieurs centaines de livres par an : par exemple, 400 livres en 1776 pour le greffe de Luynes (en 7. Dans quelques cas très rares, il peut arriver que les greffiers soient pourvus gratuitement. 8. Les seigneurs ne pouvaient commettre comme greffier que des personnes approuvées en justice. 9. Frédéric Pige, Les seigneuries du Montargois au XVIIIe siècle : vie économique et rapports sociaux. Les enseignements de la pratique notariale, thèse, univ. Tours, 2007, p. 213. Dans la Marche, Pierre Villard a également trouvé de nombreux exemples de baux de ferme inférieurs à 100 livres (Recherches sur les institutions judiciaires de l’Ancien Régime. Les justices seigneuriales de la Marche, Paris, 1969, p. 143). 10. Arch. dép. Indre-et-Loire, 3 E 21, 20, bail à ferme du 23 juillet 1776.

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Touraine)10, 350 livres en 1724 et en 1776 pour les greffes des abbayes de Rellec et de Saint-Georges (en Bretagne)11. Par contre, les sommes exigées atteignent plus rarement plusieurs milliers de livres12. L’évolution des baux de ferme au cours du XVIIIe siècle est intéressante à observer. Prenons l’exemple de Château-la-Vallière, en Anjou, principal siège de la justice seigneuriale du duché-pairie de La Vallière. En 1696, le bail annuel du greffe est de 550 livres. Il n’est plus que de 400 livres en 1725 et de 225 livres à la veille de la Révolution13. La diminution est donc très nette ; elle s’explique par la baisse de l’activité judiciaire du siège au cours de la période. Lorsque le greffe seigneurial a été laissé à un engagiste, les opérations de vente peuvent porter sur des sommes d’argent importantes. À SaintChristophe, autre cour seigneuriale du duché-pairie de La Vallière, située en Touraine, le greffe est vendu 4 200 livres en 1687, 3 000 livres en 1730, 1742 et 1762, et 4 000 livres en 1783 ; à Marçon, siège annexe de la justice seigneuriale précédente, situé dans le Maine, le greffe a quant à lui une valeur de 2 200 livres vers 173814. De la même manière, en Bretagne, les offices de greffiers sont souvent obtenus contre le versement de fortes sommes d’argent : 295 livres en 1752 pour la moitié de l’office de greffier de La Maillardière, 2000 livres en 1777 pour la totalité de l’office de greffier civil et criminel du marquisat de Goulaine ou encore 3 240 livres en 1779 pour celui de greffier des baronnies de Gué-au-Voyer et La Sénéchallière15. Même s’il est possible de rencontrer des situations extrêmement contrastées (le monde des justices seigneuriales est d’une infinie variété), il est évident que les sommes exigées pour exercer un greffe seigneurial sont rarement à la portée du premier venu. Le plus souvent, les preneurs des greffes des justices seigneuriales devaient avoir une bonne assise financière. Cela suppose donc qu’ils appartenaient à un milieu social plutôt favorisé. C’est ce que nous allons vérifier maintenant.

2. Qui sont les greffiers des justices seigneuriales ? D’un point de vue strictement professionnel, les greffiers en chef et les commis greffiers des justices seigneuriales sont le plus souvent des hommes de 11. André Giffard, Les justices seigneuriales en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles (1661-1791), 1re éd. 1902, Brionne, 1979, p. 92. 12. Nous n’avons trouvé dans la bibliographie qu’un seul exemple : 1 450 livres en 1753 pour le greffe des régaires de Quimper : A. Giffard, Les justices seigneuriales en Bretagne…, p. 91-92. 13. F. Mauclair, La justice au village…, p. 65. Autre évolution similaire, dans la Marche, Pierre Villard cite le cas du greffe de la cour sénéchale du Dognon qui est passé de 170 livres en 1641 à 50 livres en 1775 (Recherches sur les institutions judiciaires…, p. 143). 14. F. Mauclair, La justice au village…, p. 66-68. 15. Jean Meyer, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, 2 t., Paris, 1966, t. II, p. 1226-1227.

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lois versés dans la « pratique » et appartenant à la basoche rurale16. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, dans les deux principaux sièges du duché-pairie de La Vallière, un seul greffier parmi les treize en poste au cours du XVIIIe siècle n’appartient pas à ce milieu17 ; tous les autres sont soit notaires (le plus souvent seigneuriaux), soit huissiers royaux18. Le cumul des charges (beaucoup de greffiers seigneuriaux sont également notaires et/ou procureurs postulants) est une pratique habituelle chez les greffiers seigneuriaux. Christian Lauranson-Rosaz a pu effectuer une mesure exacte de ce phénomène dans les justices seigneuriales du Forez. Dans cette province, 61 individus se partagent 83 charges de greffier (22 offices sont donc en cumul) ; 39 greffiers seigneuriaux n’ont qu’une charge de greffier, 11 ont deux charges (royales et seigneuriales), 5 en ont trois, 2 en ont quatre19. Ces chiffres, s’ils confirment la pratique du cumul des charges, montrent, comme précédemment, que les greffiers seigneuriaux sont par ailleurs assez nombreux à occuper en même temps des offices royaux et seigneuriaux. D’un point de vue social si, à l’échelle du pays, les greffiers seigneuriaux occupent une place médiocre dans la société française (ils n’appartiennent qu’à la 16e et 20e classe de la capitation de 1695), à l’échelle locale, ils se situent le plus souvent dans la frange supérieure de la population. Ainsi, dans les bourgs et les villages, où sont situées la grande majorité des justices seigneuriales, les greffiers seigneuriaux appartiennent le plus souvent au groupe des petits notables. C’est, par exemple, ce que nous avons pu observer dans le duché-pairie de La Vallière en étudiant les rôles de taille et les actes notariés (contrats de mariage, inventaires après décès, partages…) impliquant des greffiers20. Si le manque d’études générales ne permet pas d’aller plus loin, il paraît certain que les greffiers seigneuriaux du XVIIIe siècle ne correspondent quasiment en rien au sombre tableau dressé par Charles Loyseau en 1603 dans son livre consacré aux « justices de village ». En fait, les greffiers seigneuriaux du siècle des Lumières sont dans leur grande majorité des professionnels locaux du droit, des 16. À côté des praticiens recrutés sur place, on peut également trouver parmi les greffiers seigneuriaux, à l’image de ce qui a été observé dans la Marche, de « petits exploitants ou artisans, habitant les bourgs et sachant les rudiments de la procédure » (P. Villard, Recherches sur les institutions judiciaires…, p. 162). 17. Jean-Charles Dufillon, greffier à Saint-Christophe de 1765 à 1782, est « maître en chirurgie ». 18. En plus de ces charges, certains sont également avocats procureurs au sein de la justice ducale, greffiers ou procureurs fiscaux dans d’autres justices seigneuriales. 19. Christian Lauranson-Rosaz, « Les justices seigneuriales du Forez à la fin de l’Ancien Régime », dans Études d’histoire, Centre de recherches historiques de l’université de Saint-Étienne, 1988-1989, p. 37-78, à la p. 47. L’auteur précise que les greffiers « cumulent des charges dans des sièges très proches de leur habitation, étant recrutés souvent sur place » (ibid., p. 48). 20. Fabrice Mauclair, « Des gens de justice à la campagne : étude sociale du personnel des tribunaux seigneuriaux du duché-pairie de La Vallière (1667-1790) », dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 116, 2009, no 2, p. 81-103.

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« praticiens », qui par bien des aspects semblent peu différents de leurs homologues des tribunaux royaux. De fait, au XVIIIe siècle, la professionnalisation des greffiers seigneuriaux est bien réelle21. Examinons maintenant dans quelles conditions ces derniers conservaient leurs archives.

II. — LE FONCTIONNEMENT DES GREFFES DANS LES JUSTICES SEIGNEURIALES

À la fin de l’Ancien Régime, le greffe est « le bureau public où l’on expédie les actes de justice et où se gardent ces mêmes actes et aussi les registres qui s’en font, et où l’on a recours quand on en veut avoir des expéditions22 ». Un tel lieu, essentiel au bon déroulement de la vie judiciaire, existait normalement dans tous les tribunaux, y compris dans ceux des seigneurs. Ainsi, depuis le XVIe siècle, ces derniers avaient l’obligation de doter chacune de leurs justices d’« auditoire, greffe et prisons saines et sûres » (ordonnance d’Orléans de 1560, article 55). Cette obligation est rappelée à plusieurs reprises notamment par l’arrêt du parlement de Paris du 31 janvier 1662 qui enjoint d’établir dans chaque juridiction du ressort « un lieu certain et commode pour l’exercice du greffe dans lequel seront réservés et demeureront tous les registres, toutes les minutes de jugements et sentences, procès-verbaux, enquêtes, informations et tous autres actes judiciaires »23.

1. L’organisation matérielle des greffes seigneuriaux En dépit d’injonctions répétées de la part du pouvoir royal, rares sont au siècle les justices seigneuriales qui disposent d’un greffe tel qu’il a été défini précédemment, c’est-à-dire d’un lieu clairement identifié destiné à la fois à conserver les actes judiciaires et à accueillir le public aux différentes étapes de son parcours judiciaire24. Le plus souvent, les formalités du greffe (présentations, expéditions…) sont effectuées à l’intérieur même de l’auditoire ou, bien plus encore, dans la maison particulière du greffier. De la même manière, les archives de la justice seigneuriale sont généralement déposées au XVIIIe

21. Il est malheureusement difficile de dire, en l’état actuel des recherches sur les justices seigneuriales, de quand date cette professionnalisation. Nous avons cependant tendance à penser que les greffiers seigneuriaux sont pour la plupart des professionnels du droit depuis au moins le XVIe siècle. 22. C.-J. Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique…, t. I, p. 656. 23. Jean Bailly, L’histoire du greffier, Paris, 1987, p. 48. 24. Dans le Lyonnais, certains châteaux – Ampuis, Châtillon… – sont pourvus par leurs seigneurs de belles salles de justice, avec un greffe et des archives, qui n’avaient rien à envier aux petites justices royales. Annie Charnay, Justices seigneuriales du Lyonnais (1529-1791). Sous-série 2 B : répertoire numérique détaillé, Lyon, 1990, p. 12.

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domicile du titulaire du greffe et non dans un espace uniquement destiné à cet usage25. Ainsi, dans la grande majorité des cas, les archives des justices seigneuriales n’étaient pas conservées dans un lieu fixe. À chaque changement de titulaire du greffe, elles devaient donc être déplacées et suivre le nouveau greffier dans son domicile personnel ; cette opération donnait parfois lieu à la rédaction d’un procèsverbal décrivant le nombre et la nature exacts des pièces transférées. On imagine facilement tous les inconvénients qui devaient découler d’une telle pratique (pertes et détériorations en tous genres). Par ailleurs, une fois déposées, elles étaient à la merci d’un accident domestique (un incendie, par exemple) et de la négligence d’un greffier peu consciencieux. Le travail accompli par plusieurs greffiers successifs pouvait ainsi être anéanti par la faute ou le manque de sérieux d’un seul. Les risques encourus par les papiers des greffes seigneuriaux, entreposés dans de telles conditions, doivent toutefois être relativisés. En effet, appartenant dans leur grande majorité au monde des notaires, des huissiers ou des procureurs, les greffiers avaient a priori les capacités requises pour s’occuper convenablement des actes qui leur étaient confiés ; il était d’ailleurs dans leur intérêt de bien les conserver. De plus, il pouvait arriver que les greffiers seigneuriaux disposent à l’intérieur de leur domicile d’une pièce particulière (une « étude » ou un « cabinet ») pour accueillir leurs clients et entreposer les papiers du greffe. Les archives des justices seigneuriales n’étaient donc pas forcément en danger en n’étant pas conservées dans des dépôts publics.

2. Un service de qualité ? Même si les situations sont très différentes d’une justice à l’autre, les historiens jugent parfois sévèrement le travail accompli par les greffiers seigneuriaux au vu des documents qu’ils ont laissés. Ainsi, dans le Forez, C. Lauranson-Rosaz observe qu’« en général, le service du greffe n’est pas toujours excellent » et que « seules quelques grandes justices ont des archives bien tenues »26. Pour Pierre Villard, les greffiers de la Marche ont comme principal défaut « de ne pas avoir assuré régulièrement le service du greffe dont ils étaient pourvus », peut-être parce qu’ils manquaient « plus de conscience professionnelle que de la capacité, d’ailleurs peu élevée, qui était exigée d’eux ». L’auteur nuance cependant son jugement en précisant que « le service du greffe était ou non satisfaisant » suivant la surveillance exercée par les juges et les procureurs d’office. Par ailleurs, « si l’impression est médiocre », il ajoute « que les greffes des sénéchaussées royales 25. Cette pratique apparaît particulièrement bien lorsque des inventaires des pièces du greffe sont dressés à l’occasion des changements de greffiers, pour servir de bordereaux de versement ou de prises en charge, lors de décès de greffiers ou encore à l’époque révolutionnaire. 26. C. Lauranson-Rosaz, « Les justices seigneuriales… », p. 49.

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sont fréquemment à peine mieux placés, tant pour le classement des pièces, que pour la tenue des registres »27. D’autres historiens ont un jugement plus favorable à l’égard du travail fourni par les greffiers seigneuriaux. Ainsi, en Haute-Auvergne, le greffier « apparaît consciencieux, appliqué » ; il « n’est point négligent comme en Bretagne ou dans la Marche, mais au contraire il se révèle sérieux »28. Une chose est en tout cas certaine : en parcourant les archives des justices seigneuriales depuis la seconde moitié du XVIIe siècle jusqu’à la Révolution, il apparaît que le travail des greffiers seigneuriaux gagne progressivement en qualité. Ainsi, la lecture des documents devient plus aisée (du fait d’une meilleure graphie) et l’aspect général des fonds s’améliore au cours de cette période. Autant de progrès qui traduisent sans aucun doute une plus grande capacité professionnelle acquise par les greffiers seigneuriaux tout au long du XVIIIe siècle29.

III. — LES PAPIERS DES GREFFES SEIGNEURIAUX AU XVIIIe SIÈCLE Les quelques évolutions entrevues jusque-là ne suffisent pas à expliquer à elles seules la meilleure conservation des archives des justices seigneuriales, à partir de la fin du XVIIe siècle. D’autres explications sont à rechercher du côté du droit et de la jurisprudence.

1. Un nouveau statut juridique pour les archives des greffes seigneuriaux à la fin de l’Ancien Régime ? Avant le XVIIe siècle, il semble que les archives judiciaires (qu’elles soient produites par les tribunaux royaux ou seigneuriaux) ne faisaient pas l’objet de beaucoup de soins de la part des greffiers et qu’elles se transmettaient difficilement d’un titulaire à l’autre. Ainsi, dans un édit de mars 1580, Henri III constatait « qu’arrivant mutation du greffier titulaire, les registres se trouvaient souvent soustraits, perdus, égarés et rompus, lacérés ou dérangés, même tombaient entre les mains des veuves, héritiers et autres qui les négligeaient sans y faire fidèle garde »30. Très longtemps, les greffiers (comme du reste les notaires) ont en effet considéré les papiers produits par eux comme des biens privés, venant enrichir leur patrimoine personnel. De fait, lors des changements de titulaire, des difficultés surgissaient parfois au sujet de la transmission des papiers 27. P. Villard, Recherches sur les institutions judiciaires…, p. 183-184. 28. Viviane Genot, Justices seigneuriales de Haute-Auvergne au XVIIIe siècle, 1695-1791, thèse, univ. Toulouse I, 2004, p. 154. 29. Cette évolution est sans doute à relier avec la professionnalisation accrue des praticiens à la même époque. 30. Cité par J. Bailly, L’histoire du greffier…, p. 41.

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du greffe ; certains greffiers avaient ainsi bien du mal à récupérer les archives des exercices précédents31. Les papiers du greffe représentaient en effet un enjeu financier important : en les conservant, la veuve ou les héritiers du greffier sortant pouvaient continuer à délivrer des expéditions et ainsi percevoir les émoluments attachés à cette capacité. Il faut finalement attendre le règne de Louis XIV pour voir se dessiner en France la notion d’archives publiques. Ainsi, toute une série de textes royaux tentent d’imposer l’idée que les papiers judiciaires doivent être intégralement transmis au nouveau titulaire du greffe et être ainsi facilement accessibles au public32. Plusieurs édits et arrêts de parlement rappellent ainsi l’obligation pour les veuves et les héritiers de faire déposer dans les greffes les documents qu’ils avaient conservés : arrêts du Conseil du roi des 21 avril 1670 et 20 décembre 1692, arrêts du parlement de Bretagne des 6 octobre 1696 et 24 novembre 1710, édit de décembre 1699, etc. De la même manière, le Conseil du roi et les parlements rappellent à plusieurs reprises que les fermiers ou les contrôleurs des greffes ont l’obligation de rendre les minutes au greffe trois mois après l’expiration de chaque année : arrêts du 31 janvier 1662, 20 avril 1670, 20 décembre 1692, 18 novembre 1727, 25 avril 1758. Enfin, par l’édit d’août 1716, valable dans toutes les juridictions, « les greffiers et greffiers en chef sont clairement désignés pour assurer le droit de garde et la conservation des minutes »33. Cette législation, destinée à l’origine en priorité aux tribunaux royaux, semble avoir eu un réel impact sur les greffes des justices seigneuriales au cours du XVIIIe siècle. On peut en tout cas en mesurer les effets concrets dans le duché-pairie de La Vallière. En 1743, Antoine Plancher met un terme à sa fonction de greffier dans la justice seigneuriale de Château-la-Vallière après quarante-quatre ans d’activité. Mais ce dernier n’a pas l’intention de laisser au nouveau titulaire du greffe les papiers produits au cours de sa charge, affirmant « que tous les registres et minuttes du greffe luy apartiennent suivant l’usage du siège, que tous les enciens greffiers en ont toujours disposé et leurs héritiers les ont encore actuellem[en]t en leur possession et lors de son entrée dans la jouissance desd[its] greffes l’on ne luy a point donné des papiers des greffiers sortant ». 31. De telles difficultés s’observent à la fin du XVIIe siècle et au milieu du siècle suivant dans le duché-pairie de La Vallière ainsi que dans le comté de Laval au milieu du XVIIIe siècle. F. Mauclair, La justice au village…, p. 69-70 ; Frédérique Pitou, La robe et la plume. René Pichot de la Graverie, avocat et magistrat à Laval au XVIIIe siècle, Rennes, 2003, p. 278-279. 32. Notons qu’à la même époque, un tournant décisif se produit également au sujet de la conservation des archives ministérielles ; ces dernières doivent désormais être transmises au nouveau titulaire de la charge. Pour une mise en perspective de cette étape importante de l’histoire des archives publiques, voir Robert-Henri Bautier, « La phase cruciale de l’histoire des archives : la constitution des dépôts d’archives et la naissance de l’archivistique (XVIe-début du XIXe siècle) », dans Archivum, t. 18, 1968, p. 139-149. 33. J. Bailly, L’histoire du greffier…, p. 47-48.

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Le procureur fiscal réplique alors en se référant aux déclarations du roi et arrêts du Parlement qui ordonnent « que touttes les minutes concernant les greffes seront remises au dépost publique [sic] à la fin de chaque bail des greffiers en exercice », ajoutant que cela doit être fait « tant pour le bien publique [sic] que pour les inthérests de Monseigneur de ce duché ». Face à de tels arguments juridiques, le greffier sortant doit obtempérer et se résoudre à abandonner ses archives, ce qui, dit-il, « luy cause une perte considérable pour les expéditions qu’il aurait délivré »34. Plus aucun litige de ce genre ne se produisit par la suite à Château-la-Vallière. De fait, les archives du siège ducal du duché-pairie de La Vallière sont aujourd’hui parfaitement conservées pour la période allant de 1696 (date d’entrée en fonction du greffier récalcitrant) à la Révolution. La transformation en archives publiques de papiers regardés auparavant comme des biens propres s’est ainsi totalement imposée à partir de cette date dans ce tribunal. Nous supposons que ce changement majeur s’est produit dans un grand nombre de justices seigneuriales à partir de la fin du XVIIe siècle. Par ailleurs, cette évolution pourrait être à mettre en relation avec une implication nouvelle des seigneurs dans la question des archives.

2. Un intérêt nouveau de la part des seigneurs pour les greffes et les archives seigneuriales ? Dans le prolongement des initiatives prises par le pouvoir royal, visant à faire émerger la notion d’archives judiciaires publiques, les seigneurs ont, semble-t-il, porté au cours du XVIIIe siècle un intérêt nouveau aux archives seigneuriales et, en particulier, à celles produites par leurs tribunaux ; cette évolution s’intègre dans ce que les historiens ont coutume d’appeler la « réaction seigneuriale ». D’après Annie Charnay, « les seigneurs se sont personnellement souciés de la conservation de leurs archives lorsqu’ils ont ressenti la nécessité d’un recours aux documents établissant la preuve de leurs droits, pour la rénovation des terriers »35. Certains seigneurs, désireux d’avoir leurs titres à disposition, ont ainsi cherché à rassembler leurs archives. C’est le cas, par exemple, dans une localité du Lyonnais (Châtillon) en 1734. Cette année-là, le seigneur de Pramiral assiste en personne à l’inventaire réalisé au domicile du notaire et greffier de sa baronnie. Après la description des papiers trouvés dans « l’étude » de ce dernier, le procureur fiscal obtient qu’ils soient déposés dans les archives du seigneur, « tant pour l’intérêt public que pour celui du seigneur »36. D’autres seigneurs (généralement les plus puissants) ont aussi tenté au cours du XVIIIe siècle d’améliorer les conditions matérielles de conservation des archives 34. Arch. dép. Indre-et-Loire, 7 B 1, procès-verbal du 26 juillet 1743. 35. A. Charnay, Justices seigneuriales du Lyonnais…, p. 13. 36. Ibid.

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judiciaires, conscients de l’inconvénient que pouvait représenter, pour les justiciables et pour eux-mêmes, l’absence d’un véritable greffe dans leurs justices. Ainsi, dans le comté de Laval, très grande justice seigneuriale appartenant à la famille de La Trémoïlle, d’importants travaux sont accomplis au milieu du siècle dans le Palais. À compter de 1749, ce dernier comporte « une très belle salle d’audience et un des plus beaux greffes qu’on puisse trouver »37. De la même manière, lorsque, à la veille de la Révolution, la dame du duché-pairie de La Vallière décide de faire construire un palais de justice entièrement neuf à Château-la-Vallière, elle n’oublie pas de prévoir dans le nouveau bâtiment un « logement » pour le greffier, composé d’une « chambre » et de deux « cabinets »38. Il semble que de telles initiatives, visant à assurer une meilleure conservation des archives seigneuriales, se soient multipliées au cours du XVIIIe siècle de la part de seigneurs soucieux de défendre à la fois leurs intérêts et ceux du public.

IV. — CONCLUSION Après la suppression des justices seigneuriales, leurs papiers devaient être mis sous scellés avant d’être déposés dans les greffes des tribunaux qui avaient pris normalement leur suite (principalement les tribunaux de district). Dans les faits, les fonds des justices seigneuriales saisis après 1790 ont rejoint aussi bien les tribunaux installés dans les chefs-lieux des départements (après la suppression des tribunaux de district en l’an IV) que les justices de paix ou les mairies. Là, les archives des anciens tribunaux seigneuriaux ont souvent été laissées à l’abandon. Ainsi, les papiers des petites justices du Beaujolais déposés au greffe du tribunal de Villefranche étaient « entassés pêle-mêle, sans aucun ordre, les 9/10e au moins à terre, dans une salle basse, humide et sombre »39. Outre les dégâts dus à l’humidité ou, plus rarement, aux incendies, ces papiers ont pu être victimes en ces lieux de tris fondés sur des critères utilitaires. Ainsi, Anne Zink pense que si les archives des justices seigneuriales des Landes ne remontent pratiquement pas en deçà de 1700, c’est parce que « les justices de paix qui ont hérité des papiers des justices subalternes n’avaient aucun intérêt particulier à conserver des documents attestant de l’activité de juridictions disparues ; elles n’ont gardé 37. Précisons qu’avant ces travaux, le greffe était simplement une maison louée par le greffier (à proximité du Palais) « dans laquelle étaient entreposées les archives du bail en cours. En revanche, les “anciens papiers” étaient déposés avec les minutes et protocoles des notaires dans une salle du vieux château dans un tel état de désordre et de confusion qu’on ne pouvait y avoir recours pour en tirer les actes dont on avait besoin » (F. Pitou, La robe et la plume…, p. 277-278). 38. F. Mauclair, La justice au village…, p. 51. 39. Cité par A. Charnay, Justices seigneuriales du Beaujolais (1406-1790). Sous-série 4B : répertoire numérique, Lyon, 1997, p. 11.

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que ce qui pouvait encore être utile aux justiciables »40. De fait, au début de la Révolution, certains documents issus de l’activité des justices seigneuriales ont fait l’objet de destructions massives ou plus ciblées41. Théoriquement, en vertu de l’article 1er de la loi du 5 brumaire an V (26 octobre 1796), les archives des justices seigneuriales auraient dû être versées rapidement aux archives départementales, ainsi que tous les titres et papiers « dépendant des dépôts appartenant à la République » (suivant le principe de la nationalisation des archives). En réalité, ce n’est que très tardivement, le plus souvent à partir de la fin du XIXe siècle et jusque dans les années 1920, qu’elles ont fait leur entrée dans les archives départementales. Ainsi, lorsque le 9 octobre 1926, le Garde des sceaux rend obligatoire le versement aux archives départementales des documents judiciaires de plus de cent ans, c’est déjà chose faite (du moins pour ceux de l’Ancien Régime) dans la plupart des départements42. Sans nier l’influence des conditions dans lesquelles les archives issues des tribunaux des seigneurs ont été conservées après la Révolution, il apparaît que leur état actuel doit plus à ce qui s’est passé avant 1789 qu’après. Ainsi, le fait que les archives des tribunaux seigneuriaux remontent rarement au-delà du XVIIIe siècle semble être dû à plusieurs évolutions antérieures à la Révolution, comme la professionnalisation accrue des greffiers seigneuriaux ou encore des progrès matériels dans l’organisation des greffes. Surtout, il semble bien que ce soit la législation royale des XVIIe-XVIIIe siècles qui ait contribué à faire évoluer les choses. En effet, en favorisant la constitution des dépôts publics, l’État a contribué à modifier le statut juridique des documents issus des greffes et à en faire de véritables « papiers publics ». Cette évolution est sans doute pour beaucoup dans la meilleure conservation des papiers judiciaires à la fin de l’Ancien Régime. Si la notion de propriété publique appliquée aux actes de justice a touché assez tôt les greffes royaux (sans doute dès la fin du XVIIe siècle), il semble que 40. Anne Zink, « Réflexions sur les justices seigneuriales au XVIIIe siècle », dans Les justices de village. Administration et justices locales de la fin du Moyen Âge à la Révolution, actes du colloque d’Angers (26-27 octobre 2001), Rennes, 2002, p. 341-354, à la p. 342. 41. Des pièces gênantes, tels que les titres féodaux, ont ainsi été éliminées au cours de l’été 1789 ou lors des années 1793-94, à la suite des lois votées par la Convention. Voir Albert Soboul, « De la pratique des terriers au brûlement des titres féodaux (1789-1793) », dans Annales historiques de la Révolution française, t. 176, 1964, p. 149-158. 42. Depuis cette période, d’autres fonds de justices seigneuriales, qui étaient restés mêlés aux archives des justices de paix, des notaires, des mairies ou des particuliers (lorsque les archives des justices seigneuriales n’avaient pas de successeur désigné, elles ont pu rester entre les mains de particuliers et être jointes à des archives seigneuriales), sont encore venus compléter la série B des archives départementales. En effet, tous les fonds des justices seigneuriales n’ont pas été touchés par les saisies révolutionnaires ; il est d’ailleurs possible que certains d’entre eux soient encore à l’heure actuelle dans des fonds privés.

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le phénomène ait affecté les justices seigneuriales avec un peu de retard (à partir de la première moitié du XVIIIe siècle). Dans cette évolution juridique majeure, il semble que le pouvoir royal ait trouvé des alliés de poids en la personne des seigneurs et de leurs officiers. Ainsi, par leurs différentes initiatives, ces derniers ont peu à peu réussi à imposer l’idée que les archives des greffes seigneuriaux devaient être accessibles au plus grand nombre et non plus laissées au bon vouloir des greffiers ou de leurs héritiers. L’histoire des greffes et des greffiers fournit, en somme, une nouvelle illustration de l’intégration réussie des justices seigneuriales dans l’appareil judiciaire d’État à la fin de l’Ancien Régime. À travers la question des archives, on s’aperçoit, en effet, que les justices des seigneurs du XVIIIe siècle ressemblaient de plus en plus aux tribunaux du roi et qu’elles pouvaient être très utiles pour assurer la diffusion des lois du roi partout dans le royaume. Plus généralement, et de manière assez inattendue, c’est finalement une partie de l’histoire de la construction de l’État moderne qu’il est possible de mettre en évidence à travers l’étude de la mémoire judiciaire des tribunaux seigneuriaux. Fabrice MAUCLAIR Université François-Rabelais-Tours

T ROI S I ÈME PART I E

EXPLOITATION ET MÉMOIRES CONCURRENTES

AMMIEN MARCELLIN : L’HISTORIEN ET LA « MÉMOIRE JUDICIAIRE » À LA FIN DU IVe SIÈCLE APRÈS J.-C. PAR

HÉLÈNE MÉNARD

La définition et l’appréciation de l’utilisation des archives dans le monde antique constituent des thèmes qui ont fait l’objet d’une production scientifique importante ces vingt dernières années1. Le principal – mais non le seul – apport réside dans la série de tables rondes consacrées à la Mémoire perdue, sous l’égide de Claude Nicolet2. Un article de Claudia Moatti, paru en 2003, fait la synthèse des contributions en la matière3. La principale difficulté à laquelle se heurte l’historien de l’Antiquité lorsqu’il entend s’intéresser à la mémoire judiciaire est qu’il existe peu d’archives directement transmises de la période romaine. On peut certes recourir aux papyri qui abondent en Égypte romaine et Barbara Anagnostou-Canas en a démontré l’intérêt4. Quelques documents épigraphiques nous font également connaître 1. On peut citer, entre autres travaux, Stella Georgoudi, « Manière d’archivage et archives des cités », dans Les savoirs de l’écriture en Grèce ancienne, dir. Marcel Detienne, Lille, 1988, p. 221-247 ; Christophe Pébarthe, Cité, démocratie et écriture. Histoire de l’alphabétisation d’Athènes à l’époque classique, Paris, 2006 (Culture et cité, 3), part. p. 20-22 et p. 315-342. 2. La mémoire perdue. À la recherche des archives oubliées, publiques et privées de la Rome antique, éd. Claude Nicolet et Ségolène Demougin, Paris, 1994 (Histoire ancienne et médiévale, 30) ; La mémoire perdue. Recherches sur l’administration romaine, Rome, 1998 (Collection de l’École française de Rome, 243) ; La mémoire perdue. III. Recherches sur l’administration romaine : le cas des archives judiciaires pénales, dans Mélanges de l’École française de Rome-Antiquité, t. 112-2, 2000, p. 647-779. 3. Claudia Moatti, « Les archives romaines », dans L’uso dei documenti nella storiografia antica, éd. Anna Maria Biraschi, Paolo Desideri, Sergio Roda et Giuseppe Zecchini, Naples, 2003, p. 29-43. 4. Barbara Anagnostou-Canas, Juge et sentence dans l’Égypte romaine, Paris, 1991 ; ead., « La documentation judiciaire pénale dans l’Égypte romaine », dans Mélanges de l’École française de Rome-Antiquité, t. 112-2, 2000, p. 753-779.

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procédures, débats ou sanctions5. Néanmoins, l’essentiel de notre information résulte d’éléments indirects, qui permettent d’avoir connaissance des procédures et de quelques procès. Indirects dans le sens où il ne s’agit pas de documents originaux mais, au mieux, de copies retravaillées, le plus souvent de passages réécrits et réélaborés de façon à leur donner un tour littéraire. Il en est ainsi pour la plupart des Actes des martyrs, dont la définition comme actes authentiques, procès-verbaux d’audience, et à ce titre documents judiciaires, est contestée. L’interprétation contraire en fait les développements chrétiens d’un genre mineur, qualifié de « littérature de procès »6. Quelques discours prononcés lors des procès et que l’on a jugés utile de mettre par écrit et de conserver, de Lysias à Cicéron et à Apulée (Apologie ou Pro se de magia, au IIe siècle de notre ère) restent des témoignages indispensables de l’activité judiciaire antique. Parallèlement à l’intérêt renouvelé pour les archives, la réflexion historique s’est portée sur la place de la justice et des procès dans la mémoire collective, notamment en histoire contemporaine7. Les spécialistes de l’Antiquité se sont finalement concentrés sur l’amnistie et l’oubli. Ainsi Nicole Loraux a travaillé sur les rapports entre la justice et la mémoire, à travers les mesures d’amnistie qui sont prises après la guerre civile de 404 avant notre ère : il est alors enjoint « de ne pas rappeler les malheurs » et, par la suite, il est interdit d’intenter un procès pour ces faits prescrits8. Pour l’époque romaine, une équipe du Centre GustaveGlotz (UMR 8585) analyse les mesures de condamnation de mémoire ou l’abolitio memoriae, ce « vide visible9 », qui rappelle la sanction plus qu’il ne cherche à anéantir la mémoire du condamné. Cette idée est parfaitement illustrée par l’analyse de Charles Hedrick sur le cas de Nicomaque Flavien l’Ancien, qui se suicide après la défaite de l’usurpateur païen Eugène, en 394. Sa mémoire est alors abolie. Son fils, Virius Nicomachus Flavianus le Jeune, préfet du prétoire 5. Les plus connus sont les lois de Tarente (Philippe Moreau, « L’organisation du procès pénal républicain », dans Mélanges de l’École française de Rome-Antiquité, t. 112-2, 2000, p. 711-712) ; le sénatus-consulte de Cn. Pison Père, daté de 20 ap. J.-C. (Werner Eck, Antonio Caballos et Fernando Fernández, Das senatus consultum de Cn. Pisone Patre, Munich, 1996 (Vestigia, 48)) ou encore l’inscription bilingue du temple de Dmeir en Syrie, portant à notre connaissance le procès-verbal des débats tenus à Antioche devant l’empereur Caracalla, le 27 mai 216 (Pierre Roussel et Fernand De Visscher, « Les inscriptions du temple de Dmeir », dans Syria, 1942-1943, p. 194-200). 6. Silvia Ronchey, « Les procès-verbaux des martyres chrétiens dans les acta martyrum et leur fortune », dans Mélanges de l’École française de Rome-Antiquité, t. 112-2, 2000, p. 723-752. 7. Par exemple Annette Wieviorka, « Justice, histoire et mémoire. De Nuremberg à Jérusalem », dans Droit et société, t. 38, 1998, p. 59-67 ; Denis Salas et Jean-Paul Jean, Barbie, Touvier, Papon : des procès pour la mémoire, Paris, 2002 (Mémoires, 83). 8. Nicole Loraux, La cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, Paris, 1995, p. 243 et plus généralement les chapitres X et XI. 9. Jean-Pierre Martin, Introduction du dossier « Condamnations et damnations : approches des modalités de réécriture de l’histoire », dans Cahiers du Centre Glotz, t. 14, 2003, p. 227-299.

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de Valentinien III, obtient sa réhabilitation, commémorée par une inscription, en 43110. Autre exemple : l’abolitio memoriae dont ont été victimes le comte d’Afrique et usurpateur Héraclien et le notaire Marcellinus. La mention de leurs noms dans des actes officiels tels que les constitutions impériales et, bien sûr, dans les sources littéraires historiques, pose un certain nombre de problèmes, notamment d’ordre juridique. L’absence relative d’archives judiciaires à proprement parler oblige l’historien de l’Antiquité à se tourner vers les sources les plus classiques : les sources littéraires, notamment historiques. Parmi les historiens de l’Antiquité, Ammien Marcellin, continuant le modèle tacitéen, accorde une place majeure dans son œuvre à la justice et aux récits de procès. Outre les enquêtes et les procès évoqués par l’historien (voir tableau 1), Ammien Marcellin fait quelques digressions sur la justice, notamment impériale. Ainsi, il reprend un discours de Constance II sur la justice et l’équité (XXI, XIII 11). Pour les empereurs suivants, il fait une sorte de bilan de leur pratique en matière de justice : Julien (XXII, X), Valentinien Ier (XXX, VIII, 3) et Valens (XXXI, XIV, 2-3 et 5-6). En effet, les pratiques judiciaires doivent être le reflet du bon gouvernement d’un empereur et elles n’intéressent l’auteur que de ce point de vue. Ammien Marcellin se définit lui-même, dans les derniers mots de son œuvre historique, comme miles quondam et Graecus : « ancien soldat et Grec », un Grec qui présente la particularité d’écrire en latin11. Il naît à Antioche vers 332. Il entreprend une carrière militaire ; il est en particulier protector domesticus (garde du corps) sous l’empereur Constance II ; il sert ensuite, notamment lors des campagnes d’Orient, l’empereur Julien qu’il érige en modèle. Après la mort de Julien en 363, il quitte l’armée. Il se retire définitivement à Rome, sans doute après 375 ; il écrit alors son œuvre historique : les Histoires ou Res gestae, en trente et un livres, qui portent sur la période allant de l’avènement de Nerva en 96, à la mort de Valens lors de la bataille d’Andrinople, en 378. Les livres conservés – les livres I à XIII ont disparu – auraient été rédigés entre 384 et 398. Les empereurs sont désormais chrétiens – sauf Julien dit l’Apostat –, d’où l’appellation fréquente d’« empire chrétien ». La gestion de l’Empire se caractérise par le poids croissant de l’État. Rome perd son statut de capitale impériale au profit d’autres villes occidentales, notamment Milan. Elle n’en reste pas moins le siège symbolique de la puissance romaine, le conservatoire des institutions les plus anciennes, comme le Sénat. À l’occasion du récit des grands procès de Rome, sous Valentinien Ier, Ammien Marcellin expose certains aspects de sa méthode : 10. Corpus inscriptionum latinarum, VI, 1783 ; Charles W. Hedrick, History and silence. Purge and rehabilitation of memory in Late Antiquity, Austin, 2000 (passim). 11. Ammien Marcellin, Res gestae, XXXI, XVI, 9.

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Et bien que je présume que peut-être il se trouvera des lecteurs pour relever au prix d’une recherche minutieuse et proclamer bruyamment que ceci s’est passé avant, et non pas cela, ou que j’ai laissé de côté ce dont ils avaient été témoins, voici ce qu’il faut leur accorder en tout et pour tout : il ne vaut pas la peine de raconter tous les événements qui eurent pour acteurs des personnes de la plus basse classe et, s’il fallait le faire, les actes judiciaires même tirés des documents authentiques déposés dans les archives publiques n’auraient pas non plus suffi, alors que tant de maux fermentaient, qu’un dérèglement inouï mêlait sans frein le haut et le bas de la société ; car il apparaissait clairement que l’on avait à craindre non pas la justice, mais la suspension de la justice12.

L’historien opère en effet un choix dans les informations qu’il donne. Ainsi dans son œuvre, certains désordres sont l’objet d’un récit circonstancié, alors que d’autres sont juste mentionnés. Après la mort de Junius Bassus, son remplaçant, le vicaire Artémius, connaît des difficultés, mais l’on n’en saura pas plus, car « son administration eut à supporter des séditions violentes, mais ne présenta rien de mémorable et qui mérite d’être rapporté »13. Il a également pour critère narratif les exigences d’un récit historique, qui ne sélectionne que les faits notables, c’est-à-dire en rapport avec les puissants ou qui ont des conséquences importantes. De plus le souci de l’exactitude chronologique est absent des écrits d’Ammien Marcellin : l’essentiel du récit n’est pas là14. Une lecture superficielle de l’extrait pourrait laisser penser qu’Ammien Marcellin n’accorde pas d’importance à la consultation et à l’utilisation des archives. Plus qu’un rejet des archives judiciaires comme sources de l’historien, il pense ne pas trouver dans ces documents les éléments lui permettant d’établir les faits. Bref, ces documents ne lui auraient pas apporté les informations nécessaires. Il ne faut donc pas considérer ce passage comme dénigrant la valeur des archives judiciaires, bien au contraire15. Guy Sabbah, auteur de l’étude de référence sur la méthode historique d’Ammien Marcellin, conclut : « Pour qu’il puisse déplorer aussi explicitement les lacunes et les falsifications de la documentation judiciaire, il faut bien qu’il se soit appliqué normalement à la recherche et à la critique de pièces d’archives16 ». Néanmoins la propension d’Ammien Marcellin à recourir systématiquement aux archives 12. Ibid., XXVIII, I, 15. La traduction est celle de l’édition Paris, Belles-Lettres, 1968. 13. Ibid., XVII, XI, 5. 14. Guy Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin. Recherches sur la construction du discours historique dans les Res gestae, Paris, 1978, p. 48. 15. Ibid., p. 131-132 et 135. 16. Ibid., p. 135. Il est suivi en cela par Marie-Anne Marié, « Deux sanglants épisodes de l’accession au pouvoir d’une nouvelle classe politique : les grands procès de Rome et d’Antioche chez Ammien Marcellin, Res Gestae XVIII, 1 ; XXIX, 1 et 2 », dans De Tertullien aux Mozarabes. Mélanges offerts à Jacques Fontaine, t. I : Antiquité tardive et christianisme ancien (IIIe-VIe siècle), Paris, 1992, p. 352.

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est contestée par d’autres historiens, comme François Paschoud, qui ne voit en l’historien nul « fouilleur d’archives »17. Son œuvre montre qu’il a dû utiliser des archives, d’ordre administratif ou judiciaire. Le passage concernant l’arrestation de Pierre Valvomérès (XV, VII, 4-5) est un indice de l’existence de fiches de renseignement sur les perturbateurs et de l’utilisation de ces données par l’historien. L’épisode se situe dans la notice consacrée à la Préfecture urbaine de Leontius à Rome, charge que ce dernier exerce du 10 novembre 356, jusqu’au retour de son prédécesseur Orfitus, dès le 28 avril 357, sous le règne de Constance II18. Le préfet de la Ville […] reconnut un homme qui se distinguait par sa grande taille et sa chevelure rousse, et il lui demanda s’il était bien Pierre Valvomérès, comme il l’avait entendu appeler. L’homme ayant répondu sur un ton insolent que c’était bien lui, le préfet qui le connaissait de longue date pour un meneur séditieux donna l’ordre, malgré les protestations multipliées, de lui lier les mains derrière le dos et de le suspendre pour le fouetter. Quand on le vit soulevé en l’air et implorant en vain l’assistance de ses camarades, la foule, qui un instant auparavant s’entassait, se dispersa à travers les différents quartiers de la ville et s’évanouit si bien que le plus acharné des fauteurs de troubles eut les flancs labourés par le fouet, comme dans le secret du cachot, et fut expulsé en Picénum. Là, ayant, par la suite, osé attenter à la pudeur d’une jeune fille de bonne famille, par jugement du gouverneur Patruinus, il fut condamné à la peine capitale19.

Léontius semble utiliser à bon escient les renseignements fournis par ses services. La connaissance que le préfet a du meneur peut s’expliquer par une confrontation directe entre les deux hommes, peut-être au cours d’un procès, mais dans des circonstances qui ne nous sont pas connues. Cela peut tout aussi bien s’expliquer par la réputation du meneur, ou encore par le biais de fiches de police, qui auraient été conservées dans les archives de la Préfecture. G. Sabbah pense que cette description de Pierre Valvomèrès, un des rares meneurs de sédition dont on connaisse le nom, prendrait en effet sa source « dans une pièce jointe au rapport du préfet, le “signalement” énumérant les nom, surnom, signes particuliers, antécédents d’un individu “fiché” (notatus). Les services préfectoraux auraient ultérieurement complété et mis à jour cette pièce, par l’indication de la condamnation à mort qui, plusieurs années plus tard, mit fin à la carrière du personnage […]. L’éclat de l’imagination visuelle d’Ammien ne ressort que davantage, si elle a procédé en fait à partir de documents de ce type, banals et 17. François Paschoud, « Valentinien travesti, ou : De la malignité d’Ammien », dans Cognitio gestorum. The historiographic art of Ammianus Marcellinus, éd. Jan Den Boeft, Daniel De Hengst et Hans C. Teitler, Amsterdam, 1992, p. 83 et n. 70. 18. André Chastagnol, Les Fastes de la préfecture urbaine de Rome au Bas Empire, Paris, 1962 (Études prosopographiques, 2), n° 60, p. 147-149. 19. Ammien Marcellin, Res gestae, XV, VII, 4-5.

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figés, déposés en abondance dans les scrinia du Secretarium Tellurense [c’est-à-dire les bureaux de la préfecture urbaine] »20. Un certain nombre de renseignements étaient en effet collectés au sujet de catégories ou d’individus susceptibles de fomenter des troubles, quelle qu’en soit la nature. On sait qu’il existait des listes policières, appelées matricules, qui répertoriaient ces individus considérés comme dangereux, au moins potentiellement. Tertullien, au début du IIIe siècle de notre ère, s’élève ainsi contre l’inscription des chrétiens sur ces matricules : « Je ne sais s’il faut s’affliger ou avoir honte, quand, sur les registres des beneficiarii et des curiosi, parmi les boutiquiers, les bouchers, les voleurs aux bains, les joueurs et les proxénètes, sont inscrits les chrétiens, comme également soumis aux taxes21 ». La surveillance des famosi et des notati est attestée au moins à Rome durant toute l’Antiquité tardive ; les notati appartiennent au monde de la criminalité ; les famosi sont « ceux que leur métier faisait considérer comme infâmes » (le monde de la prostitution, du spectacle, en particulier)22. La mention du procès-verbal de l’interrogatoire et de la condamnation de Taurus, préfet du prétoire de Constance II et consul au moment de son procès, sans doute pour crime de majesté, constitue un autre exemple de l’utilisation d’archives par l’historien. Ammien Marcellin en cite les formules initiales : Et la lecture des actes de la procédure le concernant ne manquait pas de susciter une grande horreur, puisque le protocole public commençait ainsi : « Sous le consulat de Taurus et de Florentius, quand Taurus fut introduit par les huissiers… »23.

Si l’historien n’utilise pas plus souvent dans son œuvre ce type d’extrait, ce n’est pas par désintérêt pour la source archivée. Ici, la citation est rendue obligatoire par la démonstration : il s’agit de souligner l’irrégularité et l’iniquité de la procédure. Ces archives, Ammien Marcellin pouvait les consulter en différents endroits : auprès de la Préfecture urbaine mais aussi dans les bureaux palatins. André 20. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 183-184 ; id., « Aspects de la démonstration historique chez Ammien Marcellin », dans Pallas, t. 69 : Demonstrare. Voir et faire voir : formes de la démonstration à Rome, 2005, p. 390-391 ; José Ramon Aja Sanchez, « Los prefectos urbanos de Constancio II y el comportamiento vindicativo de la plebe romano en Amiano Marcelino », dans Studi historica. Historía antigua, t. 13-14, 1995-1996, p. 379-399, part. p. 386. 21. Tertullien, De fuga in persecutione, XIII, 5. Tönnes Kleberg, Hôtels, restaurants et cabarets dans l’Antiquité romaine, Uppsala, 1957 (Biblioteca Ekmania universitatis regiae Upsaliensis, 61), p. 82-83. Voir également Claudia Moatti, « Le contrôle des gens de passage à Rome aux trois premiers siècles de notre ère », dans Gens de passage en Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et d’identification, éd. Claudia Moatti et Wolfgang Kaiser, Paris, 2007, p. 84 et n. 45, p. 104. 22. A. Chastagnol, La préfecture urbaine à Rome sous le Bas Empire, Paris, 1960 (Publications de la faculté des lettres et sciences humaines d’Alger, 34), p. 267. 23. XXII, III, 4 ; G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 136-137, n. 96.

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Chastagnol, dans son étude majeure sur la Préfecture urbaine au Bas Empire, a établi que les archives préfectorales se trouvaient dans les scrinia ou bureaux du Secretarium Tellurense, qui se situait dans le quartier dit « des Carènes », touchant les collines de l’Oppius et du Fagutal, dans l’actuelle zone de Saint-Pierre-auxLiens. Dans le même bâtiment se trouvaient les tribunaux. Les gesta judiciaires, les dossiers des procès, les copies des acta senatus et populi, les édits préfectoraux et les relationes, les constitutions impériales adressées au préfet et au vicaire auraient été déposés là. Les préfets devaient faire des relationes ou rapports à l’empereur. On a conservé en particulier 49 relationes de Symmaque, lors de sa préfecture urbaine, de juillet 384 à janvier 38524. Il s’agit de documents administratifs, qui sont une synthèse des informations mises à la disposition de l’empereur, pour qu’il puisse prendre une décision sur le sujet soumis. Les relationes devaient être accompagnées de pièces justificatives25. Par ailleurs, un certain nombre de documents, notamment les édits préfectoraux et les constitutions impériales, étaient affichés dans le péristyle adossé aux scrinia26. Tout un personnel était affecté à l’archivage. Le commentariensis avait trois fonctions essentielles : la direction des prisons publiques, l’organisation des procès et la garde des archives judiciaires. Néanmoins le fonctionnaire spécialisé dans la mise en forme des pièces du procès et leur archivage est l’instrumentarius, assisté de scribes, appelés les chartularii. Les instrumenta, que ce soient ceux tirés de la torture ou les gesta des procès, étaient sous la garde de l’instrumentarius, qui en supervisait la rédaction et pouvait également autoriser la copie d’actes judiciaires27. Concernant les bureaux palatins, il est assez vraisemblable qu’un personnage ait joué un rôle particulier dans l’élaboration des Res gestae d’Ammien. Il s’agit de Flavius Eupraxius, avec lequel l’historien semble avoir été lié28. En 367, Eupraxius est magister memoriae. À ce titre, il a en charge l’un des trois bureaux palatins, celui qui était plus particulièrement chargé des réponses aux suppliques29. En août 367, il est nommé quaestor sacri palatii, charge qu’il conserve jusqu’en 371. Il est alors le porte-parole de l’empereur ; il doit rédiger un certain nombre d’actes, les diffuser et les conserver. Il reçoit aussi les suppliques adressées à l’empereur30. Puis fin 373 ou début 374, il devient préfet de la ville. Ammien n’évoque pas cette dernière charge, sans doute pour ne pas souligner son rôle dans les procès de Rome. Symmaque en parle dans l’une de ses rela24. Symmaque, Correspondance, X. 25. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 146-147. 26. A. Chastagnol, La préfecture urbaine…, p. 244-248. 27. Ibid., p. 235-237. 28. A. Chastagnol, Les Fastes de la Préfecture…, n° 74, p. 190-191. 29. Roland Delmaire, Les institutions du Bas Empire romain de Constantin à Justinien. Les institutions civiles palatines, Paris, 1995, p. 69. 30. Ibid., p. 59-61.

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tiones ; il fait d’ailleurs allusion au préfet dans ses fonctions de juge31. Eupraxius a pu, sinon rapporter un certain nombre de faits à Ammien Marcellin, au moins lui indiquer les documents à consulter32. L’historien fournit par ailleurs un nombre important de renseignements sur le fonctionnement de la justice. La connaissance qu’a Ammien Marcellin du droit et de la procédure est réelle. Une indication donnée au début de la longue digression consacrée aux avocats orientaux, laisserait entendre qu’à un moment donné, il avait pu être avocat ou envisagé de l’être : « Je présenterai donc un rapide tableau de son indignité, que, vivant en ces régions, j’ai connue d’expérience (expertus), avant de revenir au cours fixé de mon entreprise »33. Le vocabulaire qu’il utilise recoupe celui des constitutions impériales, comme Laurent Angliviel de La Beaumelle l’a montré à propos de la torture : que ce soient les termes génériques – quaestio, tormenta –, le vocabulaire désignant les instruments de torture (le chevalet (eculeus) et les cordes (fidicula), les fouets plombés, ou encore les effets obtenus par la torture, avec force verbes du type de lacerare, latera sulcare (labourer les flancs), dilaniare (déchirer, mettre en pièces), torquere (tordre) ou encore des verbes avec le préfixe ex- : excruciare (torturer), excarnificare (déchirer de coups, mettre à la torture), eviscerare (déchirer en éventrant, éviscerer)…34. Seule originalité, si l’on peut dire, d’Ammien, par rapport aux codes : la mention des onglets, instruments de torture avec un croc recourbé pour déchirer les chairs (uncus, unguis). Il utilise également d’autres termes techniques, en particulier instructio et documentum, dans leurs acceptions judiciaires. En XXVIII, I, 15, instructio peut être traduit par « dossier d’instruction » ; on trouve le terme dans ce sens technique en particulier dans le Code Théodosien (I, 12, 3 ; II, 18, 1 ; XI, 30, 11) ainsi que dans une relation de Symmaque (XXIII, 14-15)35. Quant à documentum, il prend un sens judiciaire, celui de preuve apportée dans un procès par un accusateur, un juge ou un témoin36. Il met aussi en scène le personnel intervenant dans les procédures. Dans la description du procès tenu à Antioche par le maître de la cavalerie Ursicinus, Ammien Marcellin mentionne les notarii, c’est-à-dire des sténographes qui ont pour charge essentielle de prendre en note les procès tenus en dehors de la présence impériale, afin d’en faire un rapport37. Ammien Marcellin fait allusion à l’acquit31. Symmaque, Rel. 32, 1 : clarissimo atque emendatissimo uiro Eupraxio urbanis tribunalibus praesidente […] 32. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 231 et suiv. 33. Ammien Marcellin, Res gestae, XXX, IV, 4. 34. Laurent Angliviel de La Beaumelle, « La torture dans les Res gestae d’Ammien Marcellin », dans Institutions, société et vie politique dans l’empire romain au IVe s. ap. J.-C., Rome, 1992 (Collection de l’École française de Rome, 159), p. 91-113, aux p. 106-107, notamment n. 90 à 92. 35. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 153, n. 82. 36. Ibid., p. 382-384. 37. R. Delmaire, Les institutions du Bas Empire…, p. 49, n. 5, et p. 52.

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tement du notaire Pentadius, lors de la purge qui suivit la mort de Constance II ; il souligne que Pentadius prit des notes lors du procès de Gallus, frère de Julien. Il put sans doute prouver qu’il n’avait fait que son métier de sténographe38. Quant aux avocats, l’historien fait une longue digression sur leur cupidité39. Le passage le plus intéressant se situe lorsque Ammien rapporte un échange vif entre le césar Julien et l’avocat et rhéteur Delphidius, au sujet de l’innocence ou de la culpabilité d’un ancien gouverneur de province. L’avocat, exaspéré par les dénégations de l’accusé, s’écrie : « Qui enfin, très fortuné César, pourra jamais être coupable, s’il suffit de nier ? » ; Julien rétorque alors : « Qui enfin pourra être innocent, si le succès est assuré à l’accusation ? »40. Un dossier est particulièrement révélateur de la méthode d’Ammien Marcellin et de son utilisation des archives administratives et judiciaires. Il s’agit des troubles mettant aux prises les chrétiens de Rome dans la seconde moitié du IVe siècle41. Or nous disposons d’une source complémentaire, qui relate les mêmes faits et transmet le texte de certaines mesures impériales : la Collectio Avellana. La Collectio Avellana est une source finalement méconnue et pourtant très riche. Ce recueil, qui porte le nom du monastère où les manuscrits ont été trouvés, le monastère italien di Fonte Avellana, s’inscrit dans un grand mouvement de production de collections canoniques, du pontificat de Gélase I (492-496) à celui d’Hormisda (514-523), ce que l’on appelle la « renaissance gélasienne ». La Collectio Avellana se présente comme complémentaire de la Collectio Dionysiana, du nom de son auteur, Denys le Petit, composée d’un Liber canonum et d’un Liber decretalium. Elle regroupe 244 textes, composés de 368 à 553, de natures assez diverses : des lettres écrites au pontife romain, mais aussi des actes des synodes africains sur la question pélagienne ou encore des mesures impériales. Ainsi les lettres 1 à 40 présentent deux schismes : le schisme d’Ursinus, dans les années 360-370 et le schisme d’Eulalius, au début du Ve siècle. Concernant le schisme d’Ursinus, le recueil comporte la requête des ursiniens adressée à Valentinien Ier, fin 36842 ; huit lettres de l’empereur au préfet de la Ville ou au vicaire de Rome, entre 367 et 371/2 : trois lettres sont adressées à Vettius Agorius Praetextatus 43, trois à Olybrius et au vicaire Aginatius 44, enfin 38. Ammien Marcellin, Res gestae, XXII, III, 5 ; sur Pentadius, voir Hans Carel Teitler, Notarii and exceptores. An inquiry in role and significance of shorthand writers in the imperial and ecclesiastical bureaucracy of the Roman empire (from the Early Principate to c. 450 A.D.), Amsterdam, 1985, p. 159-160. 39. Ammien Marcellin, Res gestae, XXX, IV. 40. Ibid., XVIII, I, 1-4. 41. Voir tableau 2. 42. Collectio Avellana, I. On l’appelle aussi les Gesta inter Liberium et Felicem episcopos. 43. Collectio Avellana, V (avant le 15 septembre 367) ; VI (entre le 16 novembre 367 et le 12 janvier 368) ; VII (12 janvier 368). 44. Collectio Avellana, VIII, IX et X (fin 368). 45. Collectio Avellana, XI et XII. Il faut y ajouter une constitution, également adressée à Ampelius :

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deux à Ampelius et au vicaire Maximinus 45. Le premier texte de la Collectio Avellana est de nature différente puisqu’il s’agit d’une requête envoyée à l’empereur par les partisans d’Ursinus, vers la fin de l’année 368. Le récit des affrontements entre partisans de Damase et partisans d’Ursinus s’intègre, dans l’œuvre d’Ammien Marcellin, aux notices qu’il consacre aux préfets de la Ville. Il s’agit d’un schisme qui touche l’Église de Rome à la mort de l’évêque Libère, le 24 septembre 366. Deux évêques sont en effet consacrés : Ursinus, à la basilique de Jules, et Damase, au Latran. Ammien Marcellin a pu se servir des documents préfectoraux, mais aussi de ce qui nous a été transmis grâce à la Collectio Avellana : la requête des ursiniens adressée à Valentinien Ier, fin 368, appelée également les Gesta inter Liberium et Felicem episcopos. Son récit peut en effet être mis en parallèle avec celui des partisans d’Ursinus, beaucoup plus développé et de nature polémique. Les deux passages qu’il consacre à ce schisme sont assez courts : Enfin Damase était sorti vainqueur de l’affrontement grâce aux efforts du parti qui l’appuyait. Il est établi que dans la basilique de Sicininus, où la communauté chrétienne a un lieu d’assemblée, on trouva en un seul jour les cadavres de 137 morts, et que la plèbe, longtemps rendue sauvage, fut difficile à radoucir par la suite46.

L’appellation de basilica Sicinini – ou basilique de Sicininus – provient très vraisemblablement des archives officielles47. La basilique de Sicininus est indiquée dans la Collectio Avellana VI : cette mesure des empereurs Valentinien, Valens et Gratien, datée entre le 16 novembre 367 et le 12 janvier 368, enjoint au préfet de la Ville Prétextat de faire restituer à Damase la basilique de Sicininus. Or le terme de basilique de Sicininus n’est pas utilisé dans les Gesta : les ursiniens mentionnent les basiliques de Jules et de Libère, ainsi que la catacombe de SainteAgnès, comme lieux de conflit. Il est donc possible que la basilique de Sicininus représente une dénomination d’ordre topographique ; elle était située sur l’Esquilin. Il pourrait alors s’agir de la basilique dite de Libère, construite sous l’épiscopat de ce dernier, vers 363. Cette basilique est souvent identifiée à SainteMarie-Majeure mais aucune trace archéologique n’en a pour l’instant fourni de preuve suffisante48. L’église bâtie sous l’épiscopat de Libère se trouvait plus vraiCode Justinien, I, XXVIII, 2. 46. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVII, III, 11-13 (trad. revue de M.-A. Marié, Paris, 1984). 47. Charles Pietri, Roma christiana. Recherches sur l’Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie, de Miltiade à Sixte III, 311-440 ap. J.-C., Rome, 1976 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 224), t. I, p. 410, n. 1 ; p. 412, n. 2 ; p. 26. 48. Victor Saxer, Sainte-Marie-Majeure. Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (VeXIIIe siècle), Rome, 2001 (Collection de l’École française de Rome, 283), p. 26-29. 49. Giuseppe De Spirito, « La basilique Sainte-Marie-Majeure », dans Rome, de Constantin à

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semblablement à l’emplacement de l’actuelle Sainte-Bibienne49. Toujours est-il que, préférant une dénomination topographique neutre, utilisée dans les archives officielles, Ammien Marcellin ne reprend pas le terme utilisé par les chrétiens partisans d’Ursinus. Autre élément montrant son utilisation des archives : le nombre de morts lors des troubles entre partisans de Damase et partisans d’Ursinus. Ammien Marcellin donne le chiffre de 137 morts en une journée, lors de l’attaque de la basilique de Sicininus (ou donc, de Libère) par les partisans de Damase50. Il est plus que vraisemblable que l’historien a utilisé les rapports préfectoraux51. Il est aussi assez évident qu’Ammien Marcellin a bénéficié du récit fait par l’un des préfets de la Ville les plus impliqués dans le règlement de ce conflit, Prétextat : Grâce à son prestige et à la rectitude de décisions équitables, le tumulte que soulevèrent les querelles des chrétiens fut apaisé et Ursinus banni ; on jouit alors d’une profonde tranquillité, qui répondait entièrement au vœu des habitants de Rome, et la gloire de l’illustre grandissait, à la suite de ses nombreuses et utiles mesures52.

Prétextat semble avoir, d’après Ammien Marcellin, la part la plus importante dans le retour au calme : son charisme y a sans doute été pour beaucoup. On peut sans doute regretter le caractère très synthétique de la présentation par l’historien du règlement du conflit – un règlement par ailleurs temporaire… Les pièces de la Collectio Avellana permettent d’en savoir plus. Les désordres n’avaient sans doute pas cessé, mais avaient pris la forme de manifestations orales : les voces (« voix ») réclamant le retour d’Ursinus ont été transmises à l’empereur, qui ordonne le retour de l’exilé53. Mais les ursiniens se rendent de nouveau coupables de troubles à l’ordre public, en occupant la basilique de Libère. Damase a alors envoyé un defensor ecclesiae à la cour pour réclamer la restitution de ce lieu de culte54. Le 16 novembre 367, Ursinus est expulsé pour la deuxième fois, sur ordre de l’empereur55. Prétextat semble avoir pris l’initiative d’exiler également, Charlemagne, Dossiers d’archéologie, n° 255, juillet-août 2000, p. 89-90 ; id., « Basilica Liberii », dans Lexicon topographicum Urbis Romae, dir. Eva Margareta Steinby, t. I, Rome, 1993, p. 181. 50. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVII, III, 12. 51. C. Pietri, Roma christiana…, p. 410 ; G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 183. 52. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVII, IX, 9. 53. Collectio Avellana, I, 8-10 ; Collectio Avellana, V. 54. Collectio Avellana, VI, 2. C. Pietri, « Damase, évêque de Rome », dans Saecularia Damasiana, atti del convegno internazionale per il XVI centenario della morte di papa Damaso I, Cité du Vatican, 1986 (Studi di antichità christiana, 39), p. 29-58, part. p. 38. C’est par ailleurs la première attestation d’un defensor ecclesiae, laïc chargé de la défense des intérêts de l’Église devant les tribunaux : C. Pietri, Roma christiana…, p. 677-678 ; Françoise Monfrin, « Damase », dans Dictionnaire historique de la papauté, dir. Philippe Levillain, Paris, 1994, p. 537. 55. Collectio Avellana, I, 11 ; Collectio Avellana, VI, 1 ; Ammien Marcellin, Res gestae, XXVII, IX, 9. 56. Collectio Avellana, VII, 2

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vraisemblablement à la fin de l’année (en tout cas avant le 12 janvier 368, date de la lettre de Valentinien confirmant ces mesures), les complices (socii) d’Ursinus56. Surtout le conflit continue après la préfecture de Prétextat, comme le confirment diverses prescriptions impériales. Mais Ammien n’en fait plus mention par la suite. Néanmoins le témoignage direct de Prétextat n’est attesté par l’historien qu’au sujet du séjour de Julien à Constantinople. Le recours aux souvenirs de ce grand seigneur païen reste cependant plus que probable pour sa préfecture urbaine57. Car Ammien Marcellin utilise d’autres sources que les archives. La mémoire individuelle et la mémoire collective jouent ainsi un rôle dans la constitution d’une mémoire judiciaire. Dans son article consacré aux archives judicaires d’époque républicaine, Dario Mantovani insiste sur le rôle de l’oralité dans la constitution d’une mémoire judicaire, en s’appuyant sur un passage de Cicéron. Ce dernier connaît, trois siècles après la condamnation de Marcus Vitruvius Vaccus (329 av. J.-C.) et la consécration du sol de sa maison sur le Palatin, la raison du nom Vacci prata58. La mémoire des procès passe donc par une transmission orale, et non seulement textuelle. Il en est de même pour Ammien Marcellin, qui puise sa connaissance des procès dans sa propre mémoire ou celle de ses contemporains : Mais comme nous avons vu conduire bien des gens au supplice après les peines de torture et que la confusion brouille tout, comme il arrive dans les affaires ténébreuses, nous présenterons dans les grandes lignes et assez rapidement ce que nous sommes capables de retrouver, parce que la mémoire la plus intime de ce qui s’est passé nous échappe59.

Ce passage concerne les procès de 371-372, qui ont lieu à Antioche. Les commentateurs s’accordent majoritairement à penser qu’Ammien Marcellin se trouvait lors de ces procès dans la capitale syrienne60. La mémoire directe de l’historien est également mise à contribution dans la notice qu’il consacre à la préfecture urbaine d’Apronianus ; il prend comme preuve du dérèglement de la justice l’exemple d’un sénateur, dont il tait le nom ; il est accusé d’avoir fait instruire en sciences occultes l’un de ses esclaves par un certain Hilarinus, lequel a été condamné par Apronianus à la peine capitale. Ce sénateur corrompt alors le préfet de la Ville et, d’après Ammien, achète son acquittement. L’historien conclut ainsi : 57. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…, p. 231. 58. Dario Mantovani, « Aspetti documentali del processo criminale nella repubblica. Le tabulae publicae », dans Mélanges de l’École française de Rome-Antiquité, t. 112-2, 2000, p. 651-691. 59. Ammien Marcellin, Res gestae, XXIX, I, 24. 60. John Matthews, « The origin of Ammianus », dans Classical quarterly, t. 44, 1994, p. 252-269, part. p. 256. 61. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVI, I, 3-5.

AMMIEN MARCELLIN : L’HISTORIEN ET LA MÉMOIRE JUDICIAIRE

281

Ce même homme, acquitté de la manière que l’on sait, aurait dû rougir d’être en vie après une telle faute, et cependant il ne s’est pas appliqué à effacer cette tache, mais, comme si parmi une foule de gens déshonorés lui seul était exempt de tout manquement, il monte un cheval brillamment harnaché, caracole sur le pavé, et maintenant encore se fait suivre de toute une armée de petits esclaves, ambitionnant d’être avidement contemplé pour une particularité inédite61.

Il fait aussi appel à la mémoire même de ses auditeurs, une mémoire partagée avec l’historien. C’est le cas pour le récit des procès de Rome : Ammien exprime son appréhension à traiter de ce sujet : Et bien qu’une crainte légitime, pour une foule de considérations diverses, pût me retenir de faire un minutieux récit de cette série sanglante d’événements, cependant, confiant dans la moralité de l’époque actuelle, j’exposerai les faits de manière sélective, dans la mesure où ils méritent d’être rappelés, et je n’éprouverai nulle répugnance à expliquer brièvement les craintes que m’a inspirées cet épisode du temps passé62.

Suit le rappel, pour le moins topique (l’anecdote était un exemple scolaire…), de la condamnation du tragédien athénien Phrynicos, pour avoir évoqué sur scène la prise de Milet. Il faut néanmoins avoir conscience que, lorsque l’historien rend public ce livre, les personnes mises en cause dans ces grands procès sont encore vivantes et influentes. L’inscription de procès dans la mémoire collective est également présente à travers le culte rendu par les chrétiens aux Innocents de Milan, culte mentionné par l’historien. Le passage est tout à fait révélateur de cette mémoire des procès ; la dévotion populaire honore ainsi des victimes d’une justice présentée comme aveugle : Quoi qu’il en soit, à ce moment, tandis qu’on exécutait aussi des individus de basse condition, on remarqua surtout la mort de Dioclès, ancien comte des largesses en Illyrie, que l’empereur ordonna de livrer aux flammes pour des délits sans gravité, et aussi celle de Diodore, ancien agent de la police d’État (agens in rebus), et de trois appariteurs de la vice-préfecture d’Italie, exécutés de façon affreuse, parce que le comte s’était plaint à l’empereur que Diodore eût invoqué le secours des lois contre lui, selon la procédure civile, et que les subordonnés (officiales) obéissant à l’ordre du juge eussent osé, au moment où il partait en mission, lui enjoindre de répondre à la citation, comme l’y obligeait la loi. Encore maintenant les chrétiens honorent à Milan la mémoire de ces malheureux et appellent le lieu de leur sépulture les Innocents63.

puis : 62. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVIII, I, 2. G. Sabbah, La méthode d’Ammien Marcellin…., p. 102, n. 188, et p. 109. 63. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVII, VII, 5 ; Henri-Irénée Marrou, « Ammien Marcellin et

282

HÉLÈNE MÉNARD

Eupraxius, qui était alors questeur, intervint en disant : « Fais preuve de plus de modération, ô le plus pieux des princes ; car ceux dont tu ordonnes la mort comme s’ils étaient coupables, la religion chrétienne les honore comme des martyrs, c’est-à-dire des gens agréables à la divinité »64.

Cette affaire s’est sans doute déroulée au moment du séjour de Valentinien Ier à Milan, en 364-365. D’après la présentation d’Ammien Marcellin, ces officiales sont exécutés pour avoir rempli leur fonction, d’où le sentiment d’une condamnation inique. Le culte qui leur est rendu par la communauté chrétienne de Milan les érige quasiment en martyrs. On trouve encore dans la nef de la basilique San Stefano Maggiore un monument dénommé « pierre des Innocents » et qui serait en fait la cuve d’un sarcophage65. Ammien Marcellin, en tant qu’historien, opère un choix dans les faits qu’il rapporte, en s’appuyant à la fois sur des archives judiciaires ou administratives, et sur la mémoire des procès – sa mémoire propre ou celle de ses contemporains. Ces éléments lui permettent de souligner l’excellence des décisions permettant de maintenir l’ordre : c’est le cas pour les préfets de la Ville, qu’il s’agisse de Léontius et de Pierre Valvomérès, avec l’utilisation du fichage des perturbateurs notoires, ou encore de Prétextat, qui apaise les tensions entre chrétiens à Rome. Ce dernier reçoit un certain nombre de mesures impériales lui permettant de réintégrer ou d’expulser les perturbateurs, mesures essentiellement connues par la Collectio Avellana. Mais Ammien Marcellin utilise également ces archives et cette mémoire pour renforcer sa description négative des règnes du césar Gallus et de Constance II, de Valentinien et de Valens. C’est alors le juge, en l’occurrence l’empereur ou ses fonctionnaires, qui deviennent des perturbateurs du bon ordre, en ne respectant pas la procédure légale, en rendant des sentences iniques et arbitraires. La mémoire judiciaire devient alors conflictuelle : entre des archives judiciaires considérées comme tronquées et faussées, au point que l’historien ne peut y trouver appui, d’une part, et la mémoire des contemporains, d’autre part. C’est clairement ce qu’exprime l’extrait par lequel nous avons commencé66. Hélène MÉNARD CERCAM, université Paul-Valéry-Montpellier III les Innocents de Milan », dans Recherches de science religieuse, t. 40 : Mélanges Jules Lebreton, t. II, 19511952, p. 179-190. 64. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVII, VII, 6. 65. François Paschoud (« Valentinien travesti… », p. 78) fait de ce passage un exemple du travestissement de la réalité par Ammien Marcellin, qui cherche avant tout à montrer la saevitia de Valentinien Ier, en passant sous silence certaines données, en particulier les chefs d’inculpation contre ces « Innocents de Milan ». 66. Ammien Marcellin, Res gestae, XXVIII, I, 15.

AMMIEN MARCELLIN : L’HISTORIEN ET LA MÉMOIRE JUDICIAIRE

283

ANNEXES

TABLEAU 1 : Principaux procès et exécutions mentionnés dans les Res gestae Ammien Marcellin, Res Gestae

Dates

Autorités concernées

Contenu

XIV, I, 2-4 Antioche

353-354

Gallus

Procès, accusations de « prétendre à l’Empire ou de pratiquer des arts sacrilèges » ; exécution de Clematius, noble d’Alexandrie ; condamnations à mort, confiscation des biens et bannissements.

XIV, V

Automne Constance II 353

Supplice des partisans de l’usurpateur Magnence ; en particulier, torture et exil du comte Gerontius, partisan de Magnence.

XIV, VII, 2 Antioche

Été 354

Gallus

Condamnation à mort des principaux membres du sénat d’Antioche.

XIV, VII, 78

354

Gallus

Mise en accusation de Serenianus ; acquitté.

Antioche

354

Gallus

Après la mise à mort du questeur Montius par les soldats, accusation de complicité contre le gouverneur Apollinaris (affaire d’un manteau royal tissé à Tyr).

XIV, IX, 3- Antioche 9

354

Gallus ; Procès contre Epigone et Eusèbe pour Ursicin, maître complot ; affaire du manteau royal ; exil de cavalerie puis exécution d’Apollinaris et de son fils.

XV, II

355

Constance

XV, III, 4-6

355

XIV, VII, 14-21

XV, III, 711 XV, VI

Lieu

Arles

Sirmium ; 355 Milan 355

Accusations de haute trahison contre Ursicin, Julien et le chambellan Gorgonius, mais qui n’aboutissent pas. Paul « la Chaîne » et Mercure « comte des Songes », maîtres en art de calomnier et de porter de fausses accusations. Affaire d’un propos de table tenu en Illyrie ; condamnations. Torture et exécution des amis et complices de Silvanus.

284

XV, VII, 4-5

HÉLÈNE MÉNARD

Rome

355

XV, VII, 6-10 Rome

355

XVIII, I, 1-4

Arrestation et condamnation de Valvomérès.

Exil de l’évêque de Rome, Libère. Julien

XVIII, III, 1-5

Procès de Numerius, gouverneur de Narbonnaise, accusé de vol.

Hiver 358- Constance II Exécution de Barbation, commandant 359 de l’infanterie, et de son épouse Assyria, pour crime de lèse-majesté, à la suite d’un prodige (essaim d’abeilles à son domicile) et d’une lettre de sa femme.

XIX, XII, 1- Scythopolis 358-359 18 XXI, XII, 19- Aquilée 20 XXII, 3

Léontius, préfet de la Ville

Paul la Chaîne

361

Chalcédoine 362

Accusations de lèse-majesté. Jugement des chefs de la résistance d’Aquilée contre Julien.

Tribunal militaire

Condamnation de dignitaires ayant servi Constance II.

XXII, IX, 16- Antioche 17

362

Julien

Agitation lors d’un procès que l’empereur préside.

XXII, XI, 1-2 Antioche

362

Julien

Exécution de divers responsables.

XXII, XI, 3- Alexandrie 11

Fin 361

Julien

Émeute qui aboutit au lynchage de l’évêque d’Alexandrie, Georges ; Julien prend un édit pour condamner ces faits et menacer les auteurs du supplice suprême, en cas de récidive.

XXXI, III

363

Apronianus, Nombreux procès durant la préfecture Préfet de la d’Apronianus. Ville

Rome

XXVI, IX, 9- Phrygie 10

Printemps Valens 366

XXVI, X, 614 XXVII, VII, 3

Exécutions de l’usurpateur Procope et de ceux qui l’ont livré. Répression, à la suite de l’usurpation de Procope.

367

Valentinien

Retour d’exil et restitution du patrimoine d’Orfitus, grâce au préfet du prétoire Vulcacius Rufinus.

AMMIEN MARCELLIN : L’HISTORIEN ET LA MÉMOIRE JUDICIAIRE

X X V II,

367

V a le n tin ie n

V II, 5

285

E x é c u tio n s d e D io c lè s , a n c ie n c o m te d e s L a rg e s s e s e n Illy rie , d e D io d o re , a g e n s in re b u s e t d e tro is a p p a rite u rs d e la v ic e -p ré fe c tu re d ’Ita lie (le s « S a in ts In n o c e n ts » d e M ila n ).

X X V II,

367

V II, 6 -7

V a le n tin ie n ,

In te rv e n tio n d ’E u p ra x iu s c o n tre u n e

E u p ra x iu s ;

e x é c u tio n ; d e m ê m e p o u r F lo re n tiu s .

F lo re n tiu s X X V II,

R om e

3 6 7 -3 6 8

IX , 8

P ré te x ta t, p ré - B a n n is s e m e n t d ’U rs in u s e t re to u r à la fe t d e la V ille

tra n q u illité .

X X V III, I

R om e

3 6 8 -3 7 5 /6

M a x im in

G ra n d s p ro c è s d e R o m e .

X X V III,

T rip o lita in e

3 6 3 -3 7 7

V a le n tin ie n

E n q u ê te s s u r l’a d m in is tra tio n d u

VI

c o m te R o m a n u s , à la s u ite d e s p la in te s d e s h a b ita n ts d e T rip o lita in e e t d e s a tta q u e s d e s A u s tu ria n i à L e p c is e t à O ea.

X X IX , I,

A n tio c h e

3 7 1 -3 7 2

V a le n s

5 -II X X IX , III

P ro c è s à la s u ite d ’u n c o m p lo t c o n tre V a le n s .

O c c id e n t

V a le n tin ie n

M u ltip le s e x e m p le s d e la c ru a u té d e l ’ e m p e r e u r.

X X IX , V

A friq u e

372

R é v o lte d e F irm u s e n ra is o n d e fa u s s e s a c c u s a tio n s p o rté e s c o n tre lu i p a r le c o m te R o m a n u s .

X X X , II,

373

E n q u ê te d e M a x im in u s s u r R e m ig iu s

11 -1 2 X X X , V, 11 -1 2

(c o m p lic e d e R o m a n u s ) q u i s e s u ic id e . C a rn u n tu m

375

V a le n tin ie n

A c c u s a tio n s d e m a g ie e t d e lè s e -m a je s té c o n tre le n o ta ire F a u s tin u s , q u i e s t e x é c u té .

286

HÉLÈNE MÉNARD

TABLEAU 2 : Récapitulatif des troubles entre chrétiens à Rome, d’après les sources 2 4 s e p te m b re 3 6 6

M o rt d e L ib è re à R o m e .

À partir de févr. /oct. Viventius, préfet de la Ville.

A m m ie n , X X V II,

1 er o c to b re 3 6 6

É le c tio n d e D a m a s e e t d ’U rs in u s .

III, 11 -1 3

P e n d a n t tro is jo u rs , a tta q u e d e la b a s iliq u e d e

Coll. Av. ,

I

Coll. Av. ,

V

Coll. Av. ,

I, 1 0

J u le s p a r le s p a rtis a n s d e D a m a s e . V iv e n tiu s s e re tire d a n s u n fa u b o u rg . P ris e p a r le s p a rtis a n s d e D a m a s e d e la b a s iliq u e d u L a tra n (1 3 7 m o rts e n u n jo u r). D a m a s e , c o n s a c ré p a r l’é v ê q u e d ’O s tie , e s t re c o n n u p a r le p ré fe t d e la V ille e t le p ré fe t d e l’A n n o n e . D ’o ù d e s m e s u re s c o n tre le s u rs in ie n s : U rs in u s , A m e n tiu s , L u p u s s o n t e x il é s . A r r e s t a t i o n d e s e p t p r ê t r e s p a r l ’ officium, m a is ils s o n t d é liv ré s e t c o n d u its à la b a s iliq u e d e L ib è re . 2 6 o c to b re 3 6 6

A s s a u t d e la b a s iliq u e d e L ib è re p a r le s p a rtis a n s d e D a m a s e (1 6 0 m o rts , n o m b re u x b le s s é s ).

Entre mai et août 367 Prétextat, préfet de la Ville. a v a n t le 1 5 s e p te m b re

V a le n tin ie n a u to ris e U rs in u s e t le s d ia c re s e x i-

367

lé s à re v e n ir à R o m e .

1 5 s e p te m b re

R e to u r d ’U rs in u s à R o m e . N o u v e a u x d é s o rd re s (o c c u p a tio n d e la b a s iliq u e d e L ib è re ), d o n t P ré te x ta t re n d c o m p te à V a le n tin ie n . L e p ré fe t c a lm e le s e s p rits .

A m m ie n , X V II, IX , 9

1 6 n o v e m b re 3 6 7

U rs in u s q u itte R o m e s u r o rd re d e V a le n tin ie n .

(n o v e m b re 3 6 7 )

P ré te x ta t b a n n it, d e R o m e e t d e s e n v iro n s , d e s

Coll. Av. ,

I, 11

Coll. Av. ,

VI

p rê tre s u rs in ie n s . V a le n tin ie n o rd o n n e à P ré te x ta t d e re n d re à D a m a s e la b a s iliq u e d e S ic in in u s .

AMMIEN MARCELLIN : L’HISTORIEN ET LA MÉMOIRE JUDICIAIRE

1 2 ja n v ie r 3 6 8

L’e m p e re u r m a in tie n t U rs in u s e n e x il, m a is a u -

Coll. Av. ,

V II

Coll. Av. ,

I, 1 2

Coll. Av. ,

V III e t IX

Coll. Av. ,

X

287

to ris e le s a u tre s e x ilé s à ré s id e r o ù ils v e u le n t, s a u f R o m e , o ù le s ré u n io n s u rs in ie n n e s s o n t in te rd ite s .

Avant octobre 368

Olybrius, préfet de la Ville. L e s u rs in ie n s s ’e m p a re n t d e S a in te -A g n è s . A tta q u e d e s p a rtis a n s d e D a m a s e .

F in 3 6 8

L ’ e m p e r e u r, a v e r t i p a r l e v i c a i r e A g i n a t i u s , i n te rd it to u t ra s s e m b le m e n t d a n s u n ra y o n d e 2 0 m ille s a u to u r d e R o m e . A r r e s t a t i o n s a p p r o u v é e s p a r l ’ e m p e r e u r.

Entre août 370 et Ampelius, préfet de la Ville. janvier 371 371

H u it u rs in ie n s c o n d a m n é s à ré s id e n c e fo rc é e e n G a u le ; d ’a u tre s s o n t b a n n is d e R o m e . A c c u s a tio n s d ’Is a a c c o n tre D a m a s e .

A v a n t ju in 3 7 1

A p rè s l’e n q u ê te , c o n fié e à M a x im in u s , l’e m p e -

Coll. Av.

re u r a c q u itte l’é v ê q u e

S y n o d a le d e 3 7 8 , 8 -9

U rs in u s e t s e s h u it p a rtis a n s e x ilé s e n G a u le

Coll. Av. ,

X III, 9 ;

X I e t X II

p e u v e n t s é jo u rn e r o ù ils v e u le n t, s a u f R o m e e t d a n s le s ré g io n s s u b u rb ic a ire s .

6 d é c e m b re 3 7 1

R e to u r d e s b a n n is (a p p a rte n a n t a u p e u p le , a in s i

CJ,

I, 2 8 , 2

q u e d e s m e m b r e s d e l ’ officium) a u t o r i s é .

F in 3 7 5

G ra tie n o rd o n n e a u v ic a ire S im p lic iu s le b a n n is s e m e n t a u - d e là d u 1 0 0 e m ille d e s p r ê tr e s u r s in ie n s in s tig a te u rs d e tro u b le s .

Coll. Av. ,

X III, 3

« QUI PERD GAGNE »

LA PLACE DE L’HONNEUR DANS LA MÉMOIRE JUDICIAIRE AUX IXe-Xe SIÈCLES PAR

LAURENT JÉGOU

Je serais Philoctète : magnifique et puant, cet infirme a donné son arc sans condition, mais souterrainement, on peut être sûr qu’il attend sa récompense. Jean-Paul Sartre, Les mots

Les actes judiciaires du haut Moyen Âge constituent une documentation de première importance pour appréhender l’histoire des structures judiciaires et le processus de règlement des conflits. Leur intérêt ne se limite pas à l’analyse des causes ou des procédures ; ils offrent l’opportunité de saisir le fonctionnement du jeu judiciaire, à travers l’analyse des stratégies employées par les litigants, leurs comportements, mais aussi les discours façonnés à l’occasion du conflit1. Il peut sembler opportun de s’interroger sur la mémoire des conflits, 1. Sur les actes judiciaires, voir Karl Heidecker, « Communication by written texts in court cases. Some charter evidence (ca 800-ca 1100) », dans New approaches to medieval communication, éd. Marco Mostert, Turnhout, 1999, p. 101-126 ; id., « Emploi de l’écrit dans les actes judiciaires. Trois sondages en profondeur : Bourgogne, Souabe et Franconie (VIIIe-début XIIe siècle) », dans Les actes comme expression du pouvoir au haut Moyen Âge, éd. Marie-José Gasse-Grandjean et Benoît-Michel Tock, Turnhout, 2003 (Artem, 5), p. 125-138 ; Laurent Morelle, « Les chartes dans la gestion des conflits (France du Nord, XIe-début XIIe siècle) », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 155 : Pratiques de l’écrit documentaire au XIe siècle, éd. Olivier Guyotjeannin, Laurent Morelle et Michel Parisse, 1997, p. 267-298, ainsi que les remarques sur les actes de la pratique judiciaire italienne dans François Bougard, La justice dans le royaume d’Italie de la fin du VIIIe au début du XIe siècle, Rome, 1995 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 291), p. 109-113 et p. 119-137.

290

LAURENT JÉGOU

plus précisément sur la manière dont les règlements judiciaires furent enregistrés, conservés et transmis, et à quelle fin ils le furent. Dans cette perspective, j’ai choisi d’aborder le problème de la mémoire judiciaire aux IXeXe siècles dans une optique qui n’est pas juridique, diplomatique ou archivistique, mais plutôt sociale et anthropologique, sans pour autant faire abstraction des autres champs d’investigation possibles. La nature mémorielle des actes diplomatiques et des recueils d’actes (cartulaires, libri traditionum, collections d’actes) a été soulignée par de nombreuses et importantes études au cours des dernières décennies, études qui se sont focalisées sur le rôle des innombrables actes de donations dans la transmission de la memoria des bienfaiteurs. Leur principal apport est d’avoir démontré qu’au-delà des exigences administratives et gestionnaires, l’enregistrement et la conservation de ces documents visaient à consolider et raviver les liens tissés par les institutions ecclésiastiques et les élites laïques, à transmettre et entretenir la mémoire des donateurs2. Un exemple permet de prendre la mesure de la dimension mémorielle assignée à ces recueils d’actes : celui du liber traditionum de l’église de Freising, en Bavière occidentale. Au début du IXe siècle, le diacre Cozroh a collationné, à la demande de l’évêque Hitto, les archives que conservait son église. Dans le prologue, l’auteur insiste sur l’importance de préserver la memoria des donateurs de l’église Sainte-Marie de Freising « afin que demeure la mémoire de ceux qui ont enrichi cette maison de leurs propriétés, et que leurs héritiers s’en souviennent à perpétuité »3. La vocation mémorielle du travail du copiste est indéniable, même si elle ne doit pas être considérée comme l’unique ou la principale préoccupation de l’auteur et de son commanditaire4. 2. Philippe Jobert, La notion de donation. Convergences, 630-750, Paris, 1977 (Publications de l’université de Dijon, 49) ; Barbara H. Rosenwein, Rhinoceros bound : the abbey of Cluny in the Tenth Century, Philadelphie, 1982 ; ead., To be the neighbour of Saint Peter : the social meaning of Cluny’s property. 909-1049, Ithaca/Londres, 1989 ; Stephen D. White, Custom, kinship and gifts to saints : the Laudatio parentum in Western France, 1050-1150, Chapel Hill, 1988 ; Michael McLaughlin, Consorting with saints : prayer for the dead in early medieval France, Ithaca/Londres, 1994 ; Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patrimoine et mémoire au haut Moyen Âge, éd. François Bougard, Christina La Rocca et Régine Le Jan, Rome, 2005 (Collection de l’École française de Rome, 351). Pour une présentation de la place occupée par la memoria dans la société du haut Moyen Âge et les interprétations qu’en ont données les historiens, voir Michel Lauwers, « Memoria. À propos d’un objet d’histoire en Allemagne », dans Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, éd. Jean-Claude Schmitt et Otto-Gerhard Oexle, Paris, 2002, p. 105-126. 3. […] ut perpetuum permaneret eorum memoria, qui hanc domum suis rebus ditaverunt et hereditaverunt. (Die Traditionen des Hochstifts Freising, t. I : 744-926, éd. Theodor Bitterauf, Munich, 1905, p. 1). Sur la collection de Freising, voir en dernier lieu Warren Brown, Unjust seizure. Conflict, interest and authority in an early medieval society, Ithaca/Londres, 2001. 4. Un débat divise les historiens à propos de la fonction assignée aux libri traditionum et aux cartulaires. Certains défendent la fonction commémorative et mémorielle de ces recueils (Patrick J. Geary, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire, Paris, 1996, p. 150-161 ; id., « Entre gestion

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Les actes judiciaires ne représentent qu’une faible part des actes diplomatiques. Ces documents n’ont pas été examinés avec la même acuité ni avec les mêmes approches que les actes de donation. Pourtant, les actes judiciaires ont joué un rôle notable dans la préservation de la mémoire des institutions qui les ont conservés. Ainsi, le même liber traditionum de Freising compilé par Cozroh, qui comprend surtout des notices de donations ou d’échanges, est aussi la source altimédiévale qui contient le plus grand nombre d’actes judiciaires : pas moins d’une centaine de notices concernent les conflits. Il faut y ajouter, pour les IXe-Xe siècles, les notices insérées dans les autres libri traditionum bavarois de Ratisbonne, Passau ou Mondsee5, les actes recopiés dans les cartulaires, les jugements émis par des souverains carolingiens, les chartes épiscopales… On dispose ainsi d’un corpus d’environ 450 actes judiciaires de diverses natures (chartes, notices, formules, jugements) et de diverses origines s’étalant de la fin du VIIIe à la fin du Xe siècle6. Ces documents ne représentent qu’une partie des règlements judiciaires ou extrajudiciaires, ce qui pose la question de la sélection qui était faite entre les affaires considérées comme dignes d’être mises par écrit et les autres, qui nous sont inconnues. et gesta », dans Les cartulaires, éd. Olivier Guyotjeannin, Laurent Morelle et Michel Parisse, Paris, 1993, p. 13-26 ; Rosamond McKitterick, History and memory in the carolingian world, Cambridge, 2004, p. 156-185). Pour d’autres, la fonction mémorielle ne constitue qu’une seconde ou troisième vocation (Heinrich Fichtenau, Das Urkundenwesen in Österreich vom 8. bis zum früheren 13. Jahrhundert, Cologne, 1971, p. 83). Pour Stefan Molitor, le recueil de Cozroh servait autant à conserver la mémoire des bienfaiteurs de son église, à dresser une histoire sacrée de l’église de Freising qu’à offrir un outil consultable en cas de conflit (Stefan Molitor, « Das Traditionsbuch : zur Forschungsgeschichte einer Quellengatung und zu einem Beispiel aus Südwestdeutschland », dans Archiv für Diplomatik, t. 36, 1990, p. 61-92) ; Joachim Jahn penche davantage pour une utilisation liturgique des Libri traditionum, établissant le parallèle avec les livres de confraternité (J. Jahn, « Virgil, Arbeo und Cozroh : Verfassungsgeschichtliche Beobachtungen an bairischen Quellen des 8. und 9. Jahrhunderts », dans Mitteilungen der Gesellschaft für Salzburger Landeskunde, t. 130, 1990, p. 201-291). Enfin, Laurent Morelle ou Georges Declercq affirment que la fonction mémorielle passait après la fonction juridico-administrative : les chartes étaient des « contrats à durée indéterminée », dont il fallait garder la trace tant qu’ils restaient valides (L. Morelle, « Les chartes… », p. 170 ; id., « Histoire et archives autour de l’an mil : une nouvelle mutation ? », dans Histoire et archives, t. 3, 1998, p. 119-141 ; G. Declercq, « Originals and cartularies : the organization of archival memory (ninth-eleventh centuries) », dans Charters…, p. 155). 5. Die Traditionen des Hochstifts Freising… ; Die Traditionen des Hochstifts Regensburg und des Klosters Sancti Emmeram, éd. Josef Widemann, Munich, 1943 (Quellen und Erörterungen zur bayerischen Geschichte, 8) ; Die Traditionen des Hochstifts Passau, éd. Max Heuwieser, Munich, 1930 (Quellen und Erörterungen zur bayerischen Geschichte, 6) ; Die älteste Traditionsbuch des Klosters Mondsee, éd. Gebhard Rath et Erich Reiter, Linz, 1989 (Forschungen zur Geschichte Oberösterreichs, 16). 6. Un inventaire des actes judiciaires publiés a été dressé sous forme de régestes à la fin du XIXe siècle : Rudolf Hübner, « Gerichtsurkunden der fränkischen Zeit. Erste Abteilung : die Gerichtsurkunden aus Deutschland und Frankreich bis zum Jahre 1000 », dans Zeitschrift der SavignyStiftung für Rechtsgeschichte. Germanistische Abteilung, t. 12, 1891, p. 1-118. Cette recension était un travail préliminaire à une édition destinée à figurer dans la collection des Monumenta Germaniae historica, qui n’a jamais vu le jour.

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Pourquoi les institutions ecclésiastiques ont-elles enregistré en si grand nombre ces actes judiciaires, les ont-elles recopiés et les ont-elles conservés si longtemps ? Partant, quelle mémoire des conflits les scribes et leurs commanditaires ont-ils façonnée et transmise ? Un élément de réponse se trouve dans le souci qu’ont manifesté les acteurs des conflits de ménager l’honneur du perdant. En effet, on observe dans les comptes rendus de plaids judiciaires ou de transactions extrajudiciaires une des règles fondamentales de l’ordre social tel que l’a défini le sociologue américain Erwin Goffman : le « maintien de la face ». Dans ces règlements, il s’agissait pour le perdant de sauver la face, et pour le scribe de garder sauf l’honneur du vaincu7. L’honneur, omniprésent dans la société du haut Moyen Âge, est un élément de compréhension des pratiques sociales8. Il peut prendre, aux IXe-Xe siècles, plusieurs significations. L’honor désigne avant tout les charges publiques exercées par un grand, les propriétés qu’il détient, dont découle le rang qu’il occupe, autant d’éléments qui témoignent de la position qu’il occupe dans la société et qu’il lui incombe de défendre. La notion d’honneur repose également sur des critères moraux : la renommée, la réputation, le prestige. Il s’agit donc à la fois d’une valeur sociale et d’un sentiment9. Les historiens reconnaissent l’omniprésence de l’honneur dans la société médiévale, qui peut être définie comme une société de l’honneur. Toutefois, leurs travaux portent principalement sur la question de l’honneur blessé et son corollaire, le système vindicatoire10. La place de l’honneur dans le processus judiciaire est plus large : elle s’observe dans la cause même des conflits ou dans les modes de règlement11. Les réflexions 7. « On peut définir le terme de face comme étant la valeur sociale positive qu’une personne revendique effectivement à travers la ligne d’action que les autres supposent qu’elle a adoptée au cours d’un contact particulier » : Erwin Goffman, Les rites d’interaction (1967), Paris, 1974, p. 9. 8. P. Bourdieu, Le sens de l’honneur (1962), dans id., Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de trois études d’ethnologie kabyle, Paris, 1972, rééd. 2000 (Points Essais, 405), p. 19-60 ; Robert Jamous, Honneur et baraka. Les structures sociales traditionnelles dans le Rif, Paris-Cambridge, 1981 ; Julian Pitt-Rivers, Anthropologie de l’honneur : la mésaventure de Sichem, Paris, 1983. 9. Jan Frederik Niermeyer, « Honor », dans id., Mediæ latinitatis lexicon minus, Leyde, 1984, p. 495. 10. Verletzte Ehre. Ehrkonflikte in Gesellschaften des Mittelalters und der Frühen Neuzeit, éd. Klaus Schreiner et Gerd Schwerthoff, Cologne, 1995 ; Régine Le Jan, « Justice royale et pratiques sociales dans le royaume franc au IXe siècle », dans La giustizia nell’alto medioevo (secoli IX-XI), Spolète, 1997 (Settimane di studi sur l’alto medioevo, 44), p 61-73 ; Dominique Barthélemy, « La vengeance, le jugement et le compromis », dans Le règlement des conflits au Moyen Âge. XXXIe Congrès de la SHMESP, Paris, 2001, p. 11-20 ; La vengeance, 400-1200, éd. Dominique Barthélemy, François Bougard et Régine Le Jan, Rome, 2006 (Collection de l’École Française de Rome, 357) ; Claude Gauvard, « L’honneur blessé dans la société médiévale », dans La vengeance, éd. Roger Verdier, Paris, 2004 (Autrement, 228), p. 160-169. 11. Ainsi que le montrent les différents rituels d’humiliation, qui visaient à restaurer et célébrer l’honneur de celui que se présentait dans la position du pénitent : Mayke De Jong, « Power and humility in carolingian society. The public penitance of Louis the Pious », dans Early medieval Europe, t. 1-1, 1992, p. 29-52 ; Gerd Althoff, « Das Privileg der deditio. Formen gütlicher Konfliktbeendigung

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proposées ici se situent ailleurs, en aval du règlement, et portent sur les procédés rhétoriques employés par les scribes pour préserver, exalter et parfois diffamer l’honneur du perdant.

I. — L’HONNEUR ENGAGÉ : LA CONFRONTATION JUDICIAIRE Le recours au tribunal ne constitue pas, loin s’en faut, le seul moyen de régler un conflit. Les modes de résolution extrajudiciaires avaient la préférence des populations, dans la mesure où ils étaient adaptés aux réalités sociales du haut Moyen Âge. Les litigants y trouvaient l’occasion de résoudre leur querelle dans la concorde, par la voie de la négociation et du compromis. Dans ces conditions, le recours au plaid public ne représentait qu’une option parmi d’autres, et généralement le recours ultime, lorsque tous les autres moyens de résolution avaient échoué. Le choix de la confrontation judiciaire n’était donc pas insignifiant : en acceptant de soumettre leur conflit devant un tribunal, les parties engageaient leur réputation, leur honneur. Les comptes rendus de règlements judiciaires présentés dans les actes judiciaires expriment cette compétition pour l’honneur que représentait le recours au juge. Il en est ainsi de cette notice judiciaire conservée dans le cartulaire de l’église d’Autun, datée du 5 septembre 91712. L’acte relate les étapes du règlement qui mit fin à la querelle qui opposait l’évêque Gales (Walo) d’Autun (893-919) au noble Cadilon. Le conflit fut réglé devant la cour du duc de Bourgogne et comte d’Autun Richard le Justicier (877921), assisté de ses fils Raoul, Hugues et Boson et de plusieurs échevins (scabini), cour qui se tenait alors dans la villa de Pouilly-sur-Saône (Pulliacus). Le scribe rapporte qu’Abbon, avoué de l’évêque, se présenta devant le plaid et réclama des biens appartenant au chapitre Saint-Nazaire, situés à Tillenay et Chenôves, qu’occupait illégitimement Cadilon. La villa de Tillenay, près d’Auxonne, sur les bords de Saône, échappait au contrôle direct des évêques du fait de son éloignement de la cité épiscopale. Dès lors, elle constituait une possession convoitée, ainsi qu’en témoignent les multiples actes de restitution de ce domaine enrein der mittelalterlichen Adelsgesellschaft », dans id., Spielregeln der Politik. Kommunikation in Frieden und Fehde, Darmstadt, 1997, p. 99-125 ; Jean-Marie Moeglin, « Pénitence publique et amende honorable au Moyen Âge », dans Revue historique, t. 298, 1997, p. 225-269. 12. Cartulaire de l’église d’Autun, éd. Anatole de Charmasse, Paris/Autun, 1865, n° 22, p. 35-36. La date de 901, donnée par l’éditeur du cartulaire, ne peut être retenue. L’indiction comme l’année de règne (indictione IV, anno XIX) indiquent toutes deux l’année 917, soit la quatrième année de la 40e indiction et la 19e année du règne de Charles le Simple. D’autre part, lors d’un plaid réuni à Courtenot le 21 janvier 901, seul figure auprès de Richard le Justicier son fils aîné Raoul ; Hugues et Boson étaient vraisemblablement trop jeunes pour souscrire l’acte juridique (Maurice Chaume, Les origines du duché de Bourgogne, t. I, Dijon, 1925, p. 385). Il est peu probable qu’il en ait été différemment neuf mois plus tard…

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gistrés dans le cartulaire : en 860, Charles le Chauve prononça la restitution à l’église d’Autun, par un précepte13 ; la villa fut de nouveau accaparée par les agents royaux en 892, date à laquelle le roi Eudes la rendit aux chanoines de Saint-Nazaire14 ; en 918, c’est le propre frère de l’évêque, le comte de Chalon Manassès Ier (888-918), qui rétrocéda la terre de Tillenay15. En 917, devant les experts judiciaires du tribunal ducal, l’avoué accusa Cadilon ; ce dernier souhaita immédiatement contredire ces affirmations, affirmant son bon droit et promettant, pour le prouver, d’apporter des témoins. Devant les affirmations contradictoires des deux parties, les juges ajournèrent le procès et accordèrent aux litigants trois jours pour réunir des témoins capables de soutenir leur cause. Comme souvent, ce délai fut mis à profit non pour rassembler des soutiens, mais pour négocier un règlement amiable. En effet, au terme fixé, Cadilon, « acceptant le conseil de ses amis », vint en présence de l’illustre duc de Bourgogne et restitua les biens litigieux dans la main de l’évêque, en présence de nombreux témoins16. L’acte ne présente guère d’originalité : la cause examinée, le mode de résolution, le discours diplomatique sont caractéristiques des actes judiciaires des IXe-Xe siècles. Toutefois, il exprime admirablement le défi que constituait la confrontation judiciaire. L’enjeu, en terme d’honneur, était considérable, et se trouvait aggravé par le caractère public du règlement. Du fait de cette publicité, les parties mettaient en jeu non seulement l’objet du litige, mais aussi leur réputation, qui se trouverait ternie en cas de défaite. En présentant leur cause devant les juges, les litigants engageaient leur honneur. Toutefois, il serait impropre de parler, pour ce type d’affaire, de querelle d’honneur, laquelle répond à un type de conflits bien précis, impliquant la probité, la fidélité et la foi d’un individu. Cela concerne les cas d’adultère, de trahison ou d’hérésie, qui étaient réglés par l’ordalie unilatérale (ordalie de l’eau chaude, du fer rouge, de l’eau froide, de l’eucharistie) ou bilatérale (duel judiciaire)17, et par laquelle les individus mis en cause devaient se purger de l’accusation. Les conflits fonciers, eux, comme celui de Tillenay et Chenôves, s’ils ne peuvent être considérés comme des querelles d’honneur, portaient néanmoins sur ce qui représentait, au haut Moyen Âge, un des fondements de l’honneur : la terre, tout particulièrement les terres accordées en donation pieuse, 13. Cartulaire…, n° 15 (860), p. 24-25. 14. Cartulaire…, n° 25 (892), p. 39-40. 15. Cartulaire…, n° 23 (918), p. 36-38. 16. Jam dictus autem Cadilo, accepto amicorum consilio, die statuta, ante presentiam illustrium comitum veniens, res supradictas reddidit quas memoratus princeps suscipiens, in manum jam dicti episcopi et praefati sui advocati in conspectum omnium reddidit eosque reinvestivit… (Cartulaire…, n° 22, p. 35). 17. Sur les différentes ordalies en vigueur et leur recours en justice, voir Dominique Barthélemy, « Diversité des ordalies médiévales », dans Revue historique, t. 280, 1988, p. 3-25.

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biens patrimoniaux sur lesquels les héritiers des donateurs prétendaient continuer à détenir des droits18. Tout comme les autres plaids, celui de Pouilly se conforme aux principes énoncés par les anthropologues : le « mentis » (« tu mens »)19. L’accusation du plaignant (mallavit) mettait en doute l’honneur du défendeur, qui ne pouvait la laisser sans réponse. Il importait alors de répondre à l’affront (respondit), réfuter la calomnie20. Cette rivalité entre les parties n’est pas seulement présentée à travers les verbes employés ou par l’usage de connecteurs (jam, cum, ubi, ergo) destinés à illustrer les échanges qui jalonnaient cette compétition. Cette rivalité s’exprime aussi dans la décision prise par chacune des parties de présenter des témoins, chacun cherchant par ce moyen à s’imposer dans le rapport de force. Ce fut d’ailleurs la rivalité opposant les protagonistes qui, en 917, poussa les juges à ajourner les débats21. Bien qu’un antagonisme ait opposé Cadilon à l’évêque et bien que le laïc ait accaparé des biens de l’évêché, l’auteur de la notice de 917 n’accable pas Cadilon. Il loue même, dans la seconde partie du dispositif, la mansuétude de celui qui, acceptant le conseil de ses proches, s’est présenté devant le duc et a remis le bien litigieux dans les mains de son rival. En acceptant de négocier, il sauvait la face et échappait à l’affront de voir son usurpation découverte publiquement. Pour appréhender ce type de stratégies rhétoriques déployées par les scribes et leurs commanditaires, et qu’expriment un certain nombre d’actes judiciaires, il importe de se pencher sur le travail des notaires. Les actes judiciaires ne doivent pas être considérés comme de simples procès-verbaux. Le scribe n’était pas l’équivalent médiéval du sténographe, chargé de coucher par écrit la moindre parole prononcée lors d’un procès. La mission du notarius, du cancellarius, n’était pas un simple travail de transcription du terme : c’était un travail de création, ne serait-ce que parce qu’il devait rendre compte, en latin, de débats qui avaient eu lieu en langue vernaculaire22. Un aperçu de la manière dont étaient composés les actes nous est fourni par 18. Annette Weiner, Inalienable possession. The paradox of keeping-while-giving, Berkeley, 1992. 19. J. Pitt-Rivers, « L’honneur, image de soi ou don de soi : un idéal équivoque », dans La maladie de l’honneur, éd. Marie Gautheron, Paris, 1991 (Autrement. Série Morales, 3), p. 20-36, part. p. 24. 20. Dominique Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme de l’an mil au XIVe siècle, Paris, 1993, p. 660-661. 21. Cum ergo ita invicem contenderent, indicatum est illis ut, statuta die, ad hoc ut promiserant adimplendum, datis triduo induciis, suos testes paratos haberent, quod et factum est (Cartulaire…, n° 22, p. 35). 22. Sur le processus de mise par écrit des actes judiciaires, voir Rosamond McKitterick, The Carolingians and the written word, Cambridge, 1989, p. 90-98 ; Wendy Davies et Paul Fouracre, « The role of writing in the resolution and recording of disputes », dans The settlement of disputes in Early Medieval Europe, éd. Wendy Davies et Paul Fouracre, Cambridge, 1986, p. 207-213 ; Karl Heidecker, « Communication… » ; id., « Emploi de l’écrit… ». N’ont pas pu être consultés les ouvrages suivants : Strategies of writing : studies on text and trust in the Middle Ages, éd. Petra Schulte, Marco Mostert et Irene van Renswoude, Turnhout, 2008 (Utrecht studies in Medieval literacy, 13) ; Medieval

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la collection des chartes de l’abbaye de Saint-Gall, dont la grande particularité est d’avoir été conservée sous forme d’originaux, ce qui représente un ensemble exceptionnel de 839 chartes datant d’avant 920. Outre ces actes originaux, un certain nombre de brouillons ont également été conservés, ces notes qui servaient au notaire à rédiger l’acte définitif23. Au cours de l’audience, il notait au verso du parchemin, dans les coins inférieurs, les renseignements essentiels à l’enregistrement de l’action juridique : la composition du tribunal, les noms des parties, des témoins, l’objet du conflit, les conditions du règlement… Ce n’est qu’ensuite, à partir de ces notes succinctes, qu’était écrite la version définitive, parée des attributs diplomatiques en usage. Ainsi, entre la fin de l’audience et la rédaction de l’acte, il se passait un certain laps de temps, au cours duquel le scribe rédigeait, construisait, échafaudait le compte rendu de l’audience, qui était ensuite présenté aux parties en présence pour obtenir leur validation. C’est un véritable processus de création qui accompagnait la composition de l’acte judiciaire, qui s’observe notamment dans l’habileté déployée par certains scribes pour ménager l’honneur du perdant.

II. — L’HONNEUR PRÉSERVÉ : LA RHÉTORIQUE AU SERVICE DU PERDANT Les notices de plaid bavaroises du IXe siècle se révèlent d’un grand intérêt pour comprendre les pratiques judiciaires en action ou les stratégies discursives adoptées par les scribes. À Freising, Passau, Ratisbonne et Mondsee, les notaires ont adopté, pour la rédaction des notices de plaid, le style franc introduit par l’archevêque Arn de Salzbourg, représentant de l’autorité impériale carolingienne en Bavière au cours des années 791-811. Ces notices, souvent courtes, se caractérisent par le laconisme des informations fournies : sont renseignés la composition du plaid, l’objet de la plainte, l’exposition des preuves, l’aveu du perdant et la restitution du bien litigieux, la liste des témoins, plus rarement le nom du scribe et la date24. En dépit de leur concision, ces actes représentent un matériau documentaire de première importance pour analyser les pratiques de l’écrit judiciaire et la place accordée à l’honneur dans la « communauté judiciaire » bavaroise25. L’illustration peut en être faite à partir de l’analyse d’un acte émanant du liber traditionum de Freising, daté du 21 juillet 80726. La notice enregistre une donation legal process : physical, spoken and written performance in the Middle Ages, éd. Marco Mostert et Paul Barnwell, Turnhout, 2009 (Utrecht studies in Medieval literacy, 19). 23. Les chartes de Saint-Gall ont fait l’objet d’une reproduction en fac-similé : Chartae latinae antiquiores : facsimile-edition of the Latin charters, 2e série : Ninth Century ; CI : Switzerland ; IV : Sankt Gallen, éd. Peter Erhart, Bernhard Zeller et Karl Heidecker, Dietikon/Zürich, 2008. 24. W. Brown, Unjust…, p. 108-112. 25. L’expression « communauté judiciaire » est empruntée à Jürgen Weitzel, Dinggenossenschaft und Recht. Untersuchungen zum Rechtsverständnis im fränkisch-deutsch Mittelalter, Cologne/Vienne, 1985. 26. Die Traditionen des Hochstifts Freising…, n° 259 (807), p. 232. Sur cet acte, W. Brown, Unjust…, p. 130.

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foncière réalisée par un dénommé Hermperht, qui céda à Sainte-Marie de Freising une partie de son héritage, une forêt située non loin de Cella, au sudest du diocèse27. L’auteur de la notice, Tagaperht, évoque alors les conditions qui ont motivé cette donation28. Hermperht avait volé à l’église de Freising un cheval et deux vaches, ce qui a occasionné la convocation du tribunal épiscopal. S’il mentionne le vol, le scribe n’émet aucun reproche, n’exprime aucun jugement de valeur. Au contraire, il s’attache à dédouaner le coupable, en attribuant le forfait à la tentation diabolique. Il enregistre ensuite la sage décision du défendeur d’accepter la médiation de ses amis, qui lui ont conseillé de rendre les biens, puis la « spontanéité » de son geste de restitution de l’objet litigieux dans les mains de l’évêque Atto. L’acte ne s’arrête pas là ; Hermperht est allé plus loin que la seule restitution : non seulement il a rendu le bétail qu’il avait soustrait à l’église de Freising, mais il a accompagné son geste d’une donation prise sur son héritage. Dès lors, il est présenté dans l’acte non comme un voleur, mais comme un homme de bon sens et surtout comme un pieux donateur de l’église, ce qui lui conférait désormais une place éminente dans la communauté spirituelle de Freising. C’est cette nouvelle position au sein de la familia ecclésiastique qui explique l’orientation donnée au compte rendu du litige. Le scribe a délibérément minoré les méfaits causés par Hermperht à l’église de Freising, de manière à préserver l’honneur du perdant. Les enjeux d’une telle stratégie sont multiples. Ils tiennent avant tout à la volonté, commune aux deux parties, de retisser le lien social que le conflit avait rompu. Pour assurer cette consolidation, il était fondamental qu’Hermperht sauve la face. Derrière cela se dissimule un autre enjeu, de nature économique : c’est sans doute l’attitude conciliante de l’évêque à son égard qui explique que le spoliateur ait accepté de restituer les pièces de bétail qu’il avait accaparées29. Si l’évêque souhaitait que le défendeur reconnût ses torts et restituât l’objet du conflit, il ne fallait pas l’accabler, l’écraser. Il convenait de laisser ouverte la voie de la réconciliation, donner l’occasion au coupable de « sauver la face ». Dans le cas contraire, le perdant pouvait préférer à la honte d’une restitution humiliante la prolongation du conflit. Une fois que le plaignant avait obtenu satisfaction, seul le souvenir de l’action importait. En découle une certaine frustration pour l’historien, qui se trouve 27. Auj. Bayrischzell. 28. Hoc autem pretermittere non audemus, propter quid hanc traditionem fecit (Die Traditionen des Hochstifts Freising…, n° 259, p. 232). 29. Sur les relations entre les ecclésiastiques et leurs « ennemis », voir B. H. Rosenwein, To be the neighbour… ; ead., Thomas Head et Susan Farmer, « Monks and their enemies : a comparative approach », dans Speculum, t. 66, 1991, p. 764-796 ; Eliana Magnani Soares-Christen, Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe-début XIIe siècle, Münster, 1999 (Vita regularis, 10). Ces travaux soulignent les relations étroites entretenues par les moines, les évêques ou les chanoines avec les élites locales, y compris à l’occasion des conflits qui les opposaient. En effet, ces litiges donnaient l’occasion de revigorer les relations sociales.

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confronté à des actes judiciaires qui, bien souvent, éludent le déroulement du conflit et les tensions qui l’ont suscité pour ne conserver que l’action juridique proprement dite. Il en est ainsi des werpitiones du Xe siècle, ces actes de restitution où ne figure que l’évocation de la rétrocession du bien litigieux à son propriétaire30. Quelle que soit la profusion de détails apportée par les actes, il est patent que les acteurs du jeu judiciaire (plaignant, défendeur, juge, témoins…) étaient soucieux du souvenir que laisseraient le conflit et son règlement dans la mémoire collective.

III. — L’HONNEUR EXALTÉ : L’INTERPRÉTATION RELIGIEUSE DES RÈGLEMENTS JUDICIAIRES

Parmi les stratégies rhétoriques déployées dans les actes judiciaires, la plus fréquemment observée consiste à présenter la rétrocession d’un bien usurpé comme une donation pieuse. Il ne fait aucun doute que de nombreux actes de donation sont en réalité des restitutions effectuées à l’issue d’un plaid dont le scribe a gommé le caractère litigieux. De même, de nombreux préceptes royaux furent émis à l’issue d’une décision judiciaire sans qu’on connaisse avec précision les conditions qui ont concouru à la largesse royale31. La difficulté consiste alors à identifier dans ces actes de donation les éléments permettant de reconnaître un règlement judiciaire. Pour étayer ma démonstration, je m’appuierai sur une charte épiscopale du Xe siècle, émanant de l’évêque Adalbéron de Metz, par laquelle l’évêque accorde aux moines de Saint-Arnoul des terres qu’il détenait en Chaumontois. En l’absence de datation, il est impossible de savoir avec certitude si l’auteur est Adalbéron Ier (929-962) ou Adalbéron II (984-1005), ce qui placerait la rédaction de l’acte soit après 942, soit vers 99032. Les deux prélats ont tous deux participé à la réforme de l’abbaye Saint-Arnoul de Metz, qui eut lieu à partir de 942 dans le contexte de la réforme monastique lotharingienne. La charte est conservée en original33 ; elle a été recopiée au XIIIe dans le Petit Cartulaire de l’abbaye SaintArnoul de Metz, qui nous est parvenu à travers un manuscrit conservé à Metz34 30. La situation s’observe également en Italie. À partir du Xe siècle, la procédure et les débats judiciaires ne sont plus mentionnés dans les actes : seule est conservée la décision prise par le tribunal (F. Bougard, La justice…, p. 319-326). 31. Philippe Depreux, « L’absence de jugement datant du règne de Louis le Pieux. L’expression d’un mode de gouvernement reposant plus systématiquement sur le recours aux missi ? », dans Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 108-1, 2001, p. 7-20. 32. La datation proposée est celle de Michel Parisse dans Le souvenir des Carolingiens à Metz au Moyen Âge. Le Petit Cartulaire de Saint-Arnoul, éd. Michèle Gaillard et al., Paris, 2006 (Textes et documents d’histoire médiévale, 6), p. 215. 33. Arch. dép. Moselle, H 6-11. 34. Bibl. mun. Metz, ms 814. L’édition partielle qu’en a donné Georg Waitz dans les Monumenta Germaniae historica ne contient pas les chartes (Historia s. Arnulfi Mettensis, éd. G. Waitz, Hanovre, 1879 (Monumenta Germanie historica. Scriptores, 24), p. 257-549).

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et un second, conservé à l’abbaye de Clervaux (Grand-Duché de Luxembourg), lequel a fait l’objet d’une édition récente35. Le cartulaire jouit d’une structure originale, qui le distingue des cartulaires « traditionnels ». Il contient des textes hagiographiques, des récits historiques, des chartes, des diplômes, des notices, des épitaphes, qui répondaient à une construction logique : l’auteur a souhaité relater en trois parties distinctes le temps des origines du monastère jusqu’à saint Arnoul (mort vers 640), puis les relations de l’abbaye avec les Pippinides et enfin l’époque de la réforme, présentée comme une « refondation ». La charte d’Adalbéron de Metz prend place dans cette troisième partie. L’ensemble a été rédigé à la fin du XIIIe siècle, mais l’auteur, l’abbé Guillaume de Vry (1287-1307), s’est servi d’un premier dossier, dont fait partie notre charte, qui avait été rassemblé à la fin du XIe siècle. À ce moment, l’abbé était Walon, fidèle de l’empereur Henri IV, alors que le siège de Metz était occupé par l’évêque grégorien Hermann. L’abbé, en rassemblant ce matériau documentaire, poursuivait plusieurs objectifs. Il cherchait à glorifier le passé de Saint-Arnoul et démontrer la place éminente de l’abbaye, dont la réputation surpassait celle de l’abbaye Saint-Clément, protégée par l’évêque Hermann. Il entendait également rappeler les relations privilégiées qui existaient entre les évêques de Metz et les abbés de Saint-Arnoul à l’époque de la réforme monastique du Xe siècle. Dans ce cadre, la charte d’Adalbéron donnait une image exemplaire des liens étroits unissant le monastère à l’église épiscopale. Par cet acte, l’évêque restitue à l’abbaye de Saint-Arnoul des biens situés dans le Chaumontois, que les moines sont venus lui réclamer humblement, en lui présentant une charte alléguant leur cause. L’évêque a alors rapidement consulté ses fidèles et a décidé sans hésitation de restituer ce bien. Dans cet acte, il n’est fait aucunement mention d’une action judiciaire. Pourtant, la procédure décrite est clairement celle du plaid épiscopal tel qu’il fonctionne à partir du milieu du Xe siècle : l’évêque est entouré de ses fidèles ; les plaignants se présentent à la cour, font part de leur revendication ; sont ensuite présentées les preuves des parties, en l’occurrence une charte de donation qui prouve la propriété des moines ; enfin a lieu la werpitio, la restitution rituelle. La conjonction de ces éléments prouve que c’est devant le plaid épiscopal qu’a été décidée la restitution des propriétés à l’abbaye. On ne peut qu’admirer le travail du scribe, qui n’a pas forgé un faux, mais a gommé tout ce qui pouvait évoquer une confrontation judiciaire, laquelle pourrait remettre en question ou du moins dénaturer le soutien des évêques de Metz à la prospérité du monastère. Il fait preuve d’un certain talent littéraire, donnant à la restitution d’un bien que l’évêque occupait illégitimement l’appa35. Le souvenir…, p. 150-153. La charte est reproduite une seconde fois dans le cartulaire. Distrait, le copiste a reproduit au fol. 45v le début de l’acte déjà copié au fol. 44, avant de se rendre compte de sa méprise au bout de quelques lignes.

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rence d’une donation pieuse. L’intention n’incombe pas seulement au scribe : l’exaltation de l’honneur épiscopal tient tout autant à l’habileté de l’évêque Adalbéron qu’à celle du notarius qui officiait à son service. En effet, l’évêque a mis en scène la restitution des propriétés du Chaumontois de manière à exalter son autorité. La restitution n’eut pas lieu à l’issue du plaid, mais quelque temps plus tard, en un moment et un lieu solennels, sur le tombeau même d’Arnoul, le jour de la fête de la translation du saint36. L’évêque a fait de la werpitio un acte religieux, qui transcendait sa piété, ce qu’exprime également le préambule qui attribue à l’évêque la mission, confiée par Dieu, de protéger les lieux sacrés37. Ces stratégies discursives s’éclairent à la lumière de l’honneur et de la mémoire judiciaire. L’acte ainsi construit donnait l’occasion d’assurer la fama de l’usurpateur, le drapait dans la posture du pieux donateur. À ce titre, le souvenir de l’évêque Adalbéron et de son geste serait commémoré par les moines de Saint-Arnoul, associant en une même démarche les notions de mémoire – entendue comme la préservation du souvenir – et de memoria, la commémoration spirituelle. Ce type d’actes, destinés à préserver l’honneur du perdant en présentant la restitution d’un bien usurpé comme une donation pieuse, se rencontre fréquemment dans les sources. Plus rares sont les actes judiciaires qui rendent compte de la démarche inverse, l’auteur de l’acte s’étant volontairement attaché à ternir la réputation d’un adversaire.

IV. — L’HONNEUR DIFFAMÉ Vers 806-811, un conflit opposa l’église de Freising à un laïc nommé Salomon, à propos de propriétés situées à Frauenvils et à Elsenbach. L’affaire fit l’objet d’une notice judiciaire détaillée, qui fut ensuite recopiée par Cozroh dans le liber traditionum de Freising38. L’acte détonne avec les autres documents judiciaires conservés dans cette collection, qui s’attachent pour l’essentiel à préserver l’honneur des rivaux de l’évêque. L’acte, émis sous l’épiscopat d’Atto, ne contient aucun élément de datation, pas plus qu’il ne donne le nom du scribe. Pour ces raisons, il ne peut être daté plus précisément que des années 806-81139. 36. […] fidelium nostrorum consultu atque consensu, eidem sanctissimo pontifici nostroque patrono beato Arnulfo incunctanter decrevimus restituenda, atque in ipsa eadem festivitate translationis eius, in qua ei donata fuerat, venerabile ipsius adeuntes sepulchrum, sub omni integritate redidimus… (Le souvenir…, p. 150-152). 37. Si circa nobis comissa loca instanter solliciti de statu ac melioratione eorum procurare non desistimus, maximum procul dubio nobis a summo Deo, id est summo pater familias, cuius dispensatores esse debemus, substantie fructum confidimus proventurum (Le souvenir…, p. 150). 38. Die Traditionen des Hochstifts Freising…, n° 247 (ca 806-811), p. 223-224. Sur cette affaire, voir W. Brown, Unjust…, p. 96-97. 39. Ellanperht est cité comme juge ; dans les autres actes, il n’apparaît comme judex qu’à partir de 806 ; le terminus ante quem ne peut être fixé plus précisément qu’à la mort de l’évêque Atto, en 811.

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La notice est divisée en deux parties distinctes. La première rappelle la donation faite par un prêtre nommé Arperht en l’honneur de Sainte-Marie de Freising, effectuée plusieurs années auparavant, en 79240. Le religieux avait fait don de toutes les propriétés qu’il détenait à Frauenvils et Elsenbach « afin que le jour venu, il soit accepté près du Seigneur pour la vie éternelle »41. Il obtint ensuite que ses biens lui soient remis en précaire, au profit de ses neveux, les prêtres Jacob et Simon. Le champ lexical employé dans cette première partie de l’acte est celui de la caritas, qui est exprimée à travers des expressions comme divina ammonitione, conpuctus, humiliter… Dans une seconde partie, plus étoffée, vient l’évocation de la confiscation faite par Salomon. L’onomastique laisse penser que l’accusé appartenait au même groupe familial qu’Arperht, dont les neveux portaient eux aussi des noms tirés de l’Ancien Testament. C’est vraisemblablement à titre d’héritage que Salomon a revendiqué les propriétés données par son parent à l’église de Freising. Après la mort d’Arperht, Salomon affirma que le prêtre lui avait fait don de ses biens, avant qu’il ne les donnât à Sainte-Marie. Il réitéra ses prétentions devant le tribunal des missi dominici, saisi par l’évêque de Freising, et maintint sa position après que l’enquête confiée au juge Ellanperht et que les serments prêtés par onze cojureurs eurent confirmé la propriété de l’église épiscopale. La tonalité et le champ lexical adoptés contrastent nettement avec ceux employés dans la première partie de la notice. Le scribe souligne sans aucun ménagement les torts de Salomon, lequel est affublé du superlatif contentiosissimus – qu’on pourrait traduire par « très querelleur ». L’expression, empruntée à saint Augustin, ne se retrouve pas, à ma connaissance, dans d’autres actes judiciaires42. Elle témoigne du bon niveau intellectuel acquis par le scribe, mais démontre aussi sa volonté de ne pas épargner l’accusé. Lorsqu’on compare cette notice avec les trois actes précédemment étudiés, on s’étonne que le notaire insiste tant sur le délit commis par Salomon. De plus, les nombreux autres cas de contestation d’héritage qu’enregistre le liber traditionum de Freising (pas moins de vingt-cinq pour les années 783-835) ne présentent jamais les conflits avec une telle acrimonie43. L’hostilité du scribe s’explique par l’attitude de Salomon lui-même qui, plutôt que de suivre la voie de la sagesse, a persisté dans son obstination, allant jusqu’à obliger les missi dominici chargés d’examiner l’affaire à solliciter la prestation du serment. Or, d’autres notices bavaroises démontrent le recours circonspect qui 40. Die Traditionen des Hochstifts Freising…, n° 152 (7 février 792), p. 154. 41. […] ut aliquanto veniam apud pio domino in aeterna vita mereatur accipere (Die Traditionen des Hochstifts Freising…, n° 247, p. 223). 42. Wilfrid Parsons, A study of the vocabulary of the letters of saint Augustine, Washington, 1923 (Patristic studies, 3), p. 136. 43. Sur l’importance des contestations d’héritage dans le liber traditionum de Freising, W. Brown, Unjust…

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était fait du serment judiciaire dans l’économie de la preuve : les juges n’usaient de ce mode de preuve qu’en dernier recours, afin de minimiser les risques de parjure44. Par ailleurs, la notice ne fait aucunement mention d’un règlement amiable, d’un aveu de culpabilité ou d’une quelconque restitution de la part de Salomon, alors même que le tribunal l’avait reconnu coupable. L’accusé a, selon toute vraisemblance, refusé de reconnaître le jugement, s’attirant la réprobation de l’évêque de Freising. Ce dernier a alors souhaité répondre à cet outrage en diffamant publiquement son adversaire. Il a également souhaité conserver et transmettre la mémoire de cet affront en exposant l’affaire et en dressant le portrait funeste de son adversaire. De même qu’on conservait la mémoire des bienfaiteurs, on entendait enregistrer le souvenir des spoliateurs, dans une perspective eschatologique. C’est le cas de l’église de Freising avec Salomon, mais aussi d’autres institutions ecclésiastiques. Ainsi, au Xe siècle, Gottschalk, moine de l’abbaye bavaroise de Benediktbeuern composa un rotulus historicus, sur lequel il souhaitait écrire l’histoire de son monastère45. Au dos du rotulus, l’auteur a consigné une liste des défenseurs et destructeurs de l’abbaye, parmi lesquels figurent des « ennemis » tels que les avoués ou l’évêque Nitker de Freising, qualifié de destructor libertatis coenobii sancti Benedicti46. Gottschalk entendait commémorer les bienfaiteurs du monastère et conserver la mémoire des malfaiteurs, pour qu’un jour justice soit faite47. De même, un recueil de textes scripturaires et patristiques de la première moitié du Xe siècle, conservé à Cambrai, contient la liste des comtes de Hainaut, spoliateurs de l’église, dont l’auteur du manuscrit entendait conserver la mémoire48.

V. — CONCLUSION Les clercs, par leur contrôle de l’écrit judiciaire, par leurs compétences littéraires, étaient, au haut Moyen Âge, les artisans et les gardiens de la mémoire judiciaire. Dès lors qu’un adversaire était venu à résipiscence, ils avaient à cœur d’enregistrer les décisions nées du conflit en évitant d’attenter à l’honneur du perdant. Toutefois, il ne faut pas voir cette préservation de l’honneur comme une démarche unilatérale : l’action des scribes et de leurs commanditaires était le 44. Le cas s’observe dans plusieurs notices bavaroises : Die Traditionen des Hochstifts Freising…, n° 255 (807), p. 229 ; n° 626a (837), p. 533-535 ; Die Traditionen des Hochstifts Passau…, n° 13 (785-793), p. 12-13. 45. Chronicon Benedictoburanum, éd. Wilhelm Wattenbach, Hanovre, 1851 (Monumenta Germanie historica. Scriptores, 9), p. 210-238. 46. Ibid., p. 221. Les individus nommés sont identifiés dans Wilhelm Störmer, Früher Adel : Studien zur politischen Führungsschicht im fränkischdeutschen Reich vom 8. bis 11. Jahrhundert, Stuttgart, 1973, p. 452-454. 47. P. J. Geary, Mémoire…, p. 173-176. 48. Haec sunt nomina malefactorum qui ecclesias misere cum comite Rainero succenderunt… (Bibl. mun. Cambrai, ms 327, fol. 193).

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fruit de tractations, au cours desquelles étaient négociés le règlement du conflit, les conditions de la restitution, mais aussi la manière dont la mémoire du conflit serait transmise. En effet, ce qui était en jeu dans la mémoire judiciaire des IXeXe siècles, c’est la teneur des relations qui liaient le perdant et l’institution ecclésiastique. Ainsi, de spoliateur dans le conflit, le perdant devenait partenaire dans le règlement judiciaire, puis bienfaiteur à l’occasion de la restitution. Au terme de ce travail, il importe de reposer la question initiale qui a guidé notre démarche : pourquoi avoir enregistré et conservé si longtemps ces actes judiciaires ? La valeur juridique et administrative de ces documents est primordiale : avant toute chose, on couchait par écrit des restitutions, des reconnaissances de propriétés, des revendications. Elle ne doit cependant pas occulter les pratiques sociales qui transparaissent dans ces documents, qui enregistraient aussi des liens sociaux. Dans la mémoire de l’institution, ce qui comptait, ce n’est pas seulement le conflit qui avait éclaté, ni la manière dont on l’avait résolu, ni même la victoire ; ce qui comptait, c’était sa résolution et les nouvelles relations qui en découlaient. La sauvegarde de ces liens sociaux passait par la préservation de l’honneur de celui qui avait accepté, de bon gré ou contraint, le règlement judiciaire, quand d’autres persistaient dans leurs injustes revendications. Il va de soi que la préservation de l’honneur n’explique pas tous les comportements en justice et que les notices judiciaires ne contiennent pas toutes des éléments permettant d’aborder la place de l’honneur dans le conflit. Toutefois, les quelques actes qui ont servi à notre démonstration attestent que derrière la grammaire diplomatique employée par les scribes se dissimulent des stratégies discursives destinées à transmettre une mémoire judiciaire propre à la préservation de l’honneur du perdant. Ce procédé, s’il guide pour des raisons évidentes l’enregistrement de la mémoire judiciaire, n’est toutefois pas spécifique à ce domaine. Quiconque s’est déjà livré au délicat exercice de rendre compte d’une réunion houleuse a pu en faire l’expérience, et a pu apprécier la nécessité qu’il y a de se prémunir de toute intention déshonorante… Laurent JÉGOU Université Paris I-Panthéon-Sorbonne

MÉMOIRE JUDICIAIRE DU PARLEMENT DE TOULOUSE

LE PROJET DE CORPUS PARLAMENTEUM D’ÉTIENNE AUFRÉRI (FIN DU XVe SIÈCLE) PAR

PATRICK ARABEYRE

Paul Ourliac nous l’a enseigné dans un article qui remonte à 1970, et les travaux de Jean-Louis Gazzaniga et de certains autres à sa suite, l’histoire intellectuelle du milieu universitaire et parlementaire toulousain du XVe siècle est marquée par « une prédilection évidente pour l’étude des rapports des deux justices »1. Mais sans doute a-t-on prêté une attention moins grande à la matière civile qu’à l’ecclésiastique, minorant ainsi les œuvres de procédure (ou qui se rattachent à ce domaine) émanant du même milieu. La lecture des travaux de Jacques Poumarède nous a fait ainsi connaître le Style de Gabriel Cayron et la suite des arrêtistes toulousains pour les XVIe et XVIIe siècles2, mais qu’en est-il des ancêtres de cette lignée ? 1. Paul Ourliac, « Le parlement de Toulouse et les affaires de l’Église au milieu du XVe siècle », dans Mélanges Pierre Tisset, Montpellier, 1970, p. 339-358 (réimpr. dans Études d’histoire du droit médiéval, t. I, Paris, 1979, p. 507-528) ; voir aussi Jean-Louis Gazzaniga, L’Église du Midi à la fin du règne de Charles VII (1444-1461) d’après la jurisprudence du parlement de Toulouse, Paris, 1976 ; id., L’Église de France à la fin du Moyen Âge. Pouvoirs et institutions, Goldbach, 1995 ; Patrick Arabeyre, Les idées politiques à Toulouse à la veille de la Réforme. Recherches autour de l’œuvre de Guillaume Benoît (1455-1516), Toulouse, 2003 (Études d’histoire du droit et des idées politiques, 7) ; id., « Les deux justices. Les deux pouvoirs. La production doctrinale des juristes méridionaux sur les rapports entre justice ecclésiastique et justice royale, de Bernard de Rosier à Guillaume Benoît (deuxième moitié du XVe siècle) », dans Les justices d’Église dans le Midi (XIe-XVe siècle), Toulouse, 2007 (Cahiers de Fanjeaux, 42), p. 373-397. 2. Jacques Poumarède, « Les arrêtistes toulousains », dans Les parlements de province : pouvoirs, justice et société du XVe au XVIIIe siècle, éd. J. Poumarède et J. Thomas, Toulouse, 1996, p. 369-391 ; id., « Les arrestographes toulousains », dans Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence, XVIe-XVIIIe siècle, éd. Serge Dauchy et Véronique Demars-Sion, Lille, 2005, p. 69-89.

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Nous nous concentrerons ici sur l’ensemble qui, autour de l’œuvre de Guillaume Du Breuil, a été, depuis Paul Guilhiermoz et Félix Aubert3, considéré comme la manifestation la plus évidente de cet intérêt second mais à l’évidence pas secondaire, le ms lat. 4644 de la Bibliothèque nationale de France (Bibl. nat. Fr.) et l’édition, dès 1513, de la majorité des pièces qui le composent par les soins de Celse-Hugues Descousu, édition reprise ultérieurement par Charles Du Moulin. Le nom qui est associé à cet ensemble est celui d’Étienne Aufréri (ca 1458-1511), dont J.-L. Gazzaniga a mis en exergue, à de multiples reprises, l’action et l’œuvre. Déjà commentateur de la jurisprudence de l’officialité toulousaine, il est l’auteur dominant de la littérature procédurale en ce premier demi-siècle d’existence de la cour languedocienne ressuscitée, même s’il ne faut pas dissimuler plus avant que l’adéquation entre l’homme et les œuvres dont nous allons parler ne dissipe pas toutes les obscurités. Nous essaierons d’aider, et si possible, d’ajouter à la compréhension de ce corpus parlamenteum dont P. Guilhiermoz avait eu l’intuition et F. Aubert la définition. En un mot, nous voudrions aujourd’hui visiter à nouveau un « monument » (au sens à la fois de « document » et de « mémoire »), aujourd’hui quelque peu oublié, en dépit de certains travaux récents4. Une visite succincte, que nous songeons à étendre ultérieurement, en fera apercevoir les pièces principales. F. Aubert le premier, Henri Gilles et J.-L. Gazzaniga à sa suite5, ont donc estimé, de manière convaincante, que le président Aufréri était l’auteur de la majorité des textes ici examinés, aujourd’hui seuls vestiges de la plus ancienne mémoire judiciaire du parlement de Toulouse. Mais de qui s’agit-il ? Étienne Aufréri6 était surtout un canoniste, official, professeur et aussi « parlementaire », né vers 1458 à Poitiers et mort le 10 septembre 1511 à Toulouse. Docteur en droit canonique puis en droit civil, il est reçu official de l’archevêque de Toulouse 3. Paul Guilhiermoz, Enquêtes et procès, étude sur la procédure et le fonctionnement du Parlement au XIVe siècle, suivi du Style de la chambre des enquêtes, du Style des commissaires du Parlement et de plusieurs autres textes et documents, Paris, 1892, p. XXV-XXVII et p. 174-175 (manuscrits H et I) ; Guillaume Du Breuil, Stilus curie Parlamenti, éd. Félix Aubert, Paris, 1909, p. XXXI-XXXII (manuscrit O), p. LVI-LXV (éditions C.-H. Descousu et C. Du Moulin) ; F. Aubert, « Les sources de la procédure au Parlement au XIVe siècle : IV. Un commentateur de G. Du Breuil. Étienne Aufréri et son Corpus Parlamenteum », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 77, 1916, p. 218-226. 4. Ainsi le gros article de J.-L. Gazzaniga sur le « Traité des arrêts » : « Jurisprudence du parlement de Toulouse au xve siècle, étude d’une collection d’arrêts », dans Annales de l’université des sciences sociales de Toulouse, t. 19, 1971, p. 297-409 (rééd. dans J.-L. Gazzaniga, L’Église de France à la fin du Moyen Âge…, p. 103*-210*). 5. F. Aubert, « Les sources de la procédure au Parlement… » ; Paul Ourliac et Henri Gilles, La période post-classique (1378-1500). La problématique de l’époque, les sources, Paris, 1971 (Histoire du droit et des institutions de l’Église en Occident, XIII/1), p. 129-130 ; J.-L. Gazzaniga, « Jurisprudence du parlement de Toulouse… ». 6. Nous nous permettons de renvoyer, pour plus de détails et de références bibliographiques, à notre notice du Dictionnaire historique des juristes français (XIIe-XXe siècle), éd. Patrick Arabeyre, JeanLouis Halpérin et Jacques Krynen, Paris, 2007, p. 24-25.

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Pierre Du Lion en 1483. Mais dès 1486, il obtient une chaire de droit canonique à l’université de Toulouse, où il termine, la même année, la repetitio de la Clémentine Ut clericorum, qui était certainement son principium. Il est ensuite reçu, en 1488, en l’office de conseiller clerc au parlement de Toulouse, où il est souvent nommé rapporteur ou commissaire, chargé de l’enquête ou de l’exécution d’arrêts, presque toujours en matière ecclésiastique. Il exerce la charge de président des Enquêtes à partir de 1504 et conserve cet office jusqu’à sa mort. L’édition annotée des Decisiones capelle Tholosane de Jean Corsier (fin XIVe siècle) est l’œuvre d’Aufréri qui a connu la diffusion la plus large : la première édition paraît dès 1503 et l’on en compte plus d’une vingtaine jusqu’au début du XVIIe siècle. Mais l’œuvre ayant le plus contribué à sa renommée, ne serait-ce que parce qu’elle est passée, du moins partiellement, dans les Tractatus universi juris de la fin du XVIe siècle, est la Repetitio Clementine prime Ut clericorum, de officio et potestate judicis ordinarii, terminée le 28 novembre 1486 et publiée pour la première fois en 1512. S’agissant de cette importante production en matière canonique, ajoutons d’ores et déjà deux observations nouvelles : 1) on ne la connaît peut-être pas en son entier ; ainsi le très curieux ms lat. 4770 de la Bibl. nat. Fr. qui reprend, intégrées dans de larges extraits du dictionnaire d’Albéric de Rosate, des décisions empruntées aux Decisiones tholosane7 ; 2) à cette éventuelle exception (le ms lat. 4770), aucun manuscrit n’a été conservé de l’œuvre canonique, à la différence de l’œuvre « civile »8. Nous en arrivons au corpus déterminé par nos prédécesseurs autour du Stilus de Guillaume Du Breuil, qui se retrouve dans un seul manuscrit du commencement du XVIe siècle (ms lat. 4644 de la Bibl. nat. Fr.), dans les cinq éditions procurées par Celse-Hugues Descousu9, d’abord à Lyon puis à Paris avec le concours de Galliot Du Pré à partir de 1525 (1513 ; 1513-1516 ; 1525 ; 1530 ; 1542) et dans les éditions de Charles Du Moulin, toutes semblables à la première, datée de 155110. Nous ajoutons que les quelques connaisseurs de la première édition imprimée (édition très rare de Lyon, aux frais de Simon Vincent, 1513) ont travaillé sur l’exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon11, mais qu’ils 7. Déjà signalé par P. Ourliac dans « Le parlement de Toulouse et les affaires de l’Église… », éd. 1979, p. 522 n. 77. 8. Les trois manuscrits connus des Decisiones (ms 377, fol. 110-154, de la bibliothèque municipale de Toulouse ; ms lat. 3353, fol. 133-194, de la Bibl. nat. Fr. ; ms 1649 de la Bibliothèque SainteGeneviève), auquel nous en ajoutons un quatrième, à notre connaissance jamais signalé, le ms lat. 4662 de la Bibl. nat. Fr., ne contiennent pas les additions d’Étienne Aufréri. 9. Sur ce juriste chalonnais, voir la notice de Michel Petitjean dans Dictionnaire historique des juristes français…, p. 248. 10. 1551, 1558 ; dernière édition dans Charles Du Moulin, Opera omnia, t. II, Paris, 1681, p. 403-689. 11. Lyon, bibliothèque municipale, 126.613.

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semblent tous avoir ignoré celui de la bibliothèque municipale de Grenoble12, le seul autre exemplaire conservé en France, le seul surtout à présenter intact le premier feuillet du Stylus et deux feuillets manquants des Ordinationes regie. Une présentation sommaire du ms lat. 464413 de la Bibl. nat. Fr. s’impose donc ici ; on y trouve : 1) Les Instructiones abbreviate ad habendum noticiam stili curie parlamenti et [de] modo procedendi in eadem (fol. 1-10v) ; reproduites dans les différentes éditions (éd. 1513, tertia pars ; éd. C. Du Moulin, secunda pars/1), elles présentent la version latine d’un texte du XVe siècle sur lequel Aufréri n’a pas travaillé14. 2) Le Stilus curie parlamenti [avec les « apostilles et les additions » (1513) d’Étienne Aufréri] (fol. 18-145), reproduit dans les différentes éditions (éd. 1513, prima pars ; éd. C. Du Moulin, prima pars). 3) Un traité intitulé De forma arrestorum (fol. 146-194) ; reproduit dans les différentes éditions (éd. 1513, quinta pars ; éd. C. Du Moulin, sexta pars/1), c’est le fragment d’un texte du XIVe siècle, remanié par Aufréri. 4) Un texte sans titre appelé « Style des commissaires » par Guilhiermoz (fol. 194-222v) ; reproduit dans les différentes éditions (éd. 1513, sexta pars ; éd. C. Du Moulin, secunda pars/3), c’est aussi un texte du XIVe siècle, qu’Aufréri s’est réapproprié. 5) Le Stilus requestarum palacii (fol. 224-250) ; reproduit dans les différentes éditions (éd. 1513, secunda pars ; mais à partir de l’édition Descousu de 1525 et jusque chez Du Moulin, secunda pars/2, dans une version sensiblement différente), c’est, comme pour les Instructiones abbreviate, la version latine d’un texte de la seconde moitié du XVe siècle sur lequel Aufréri n’a pas travaillé15. 12. Grenoble, bibliothèque municipale, F 11181. 13. Il n’y a rien de notable, pour l’heure, à ajouter à la description matérielle donnée par P. Guilhiermoz et F. Aubert (début du XVIe siècle, copiste méridional), sinon, peut-être, ce distique au premier feuillet : « Il est baptisé en le fleuve Jourdain / Qui n’a procés ou sa femme putain » ! Voir aussi la conclusion du présent article. 14. P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. 174 avait déjà relevé qu’il existait une version française de ces Instructiones abbreviate, imprimée au commencement du XVIe siècle dans une plaquette contenant plusieurs autres textes ayant trait à la procédure au parlement de Paris et intitulée Le stille de Parlement…, Paris, Guillaume Nyverd, s. d. Robert Feenstra a identifié un manuscrit de la version française avec des variantes sensibles, à savoir le ms fr. 4515 de la Bibl. nat. Fr. (p. 117) ; après Michel Reulos, il estime que certains éléments de datation « font penser au milieu du XVe siècle » : « La source du titre des droits royaux de la Somme rural de Boutillier », dans Revue du Nord, 1958, p 235-245 (rééd. dans Robert Feenstra, Fata iuris Romani. Études d’histoire du droit, Leyde, 1974, p. 97-105). Ajoutons probablement le ms fr. 1937 (XVe siècle). 15. Félix Aubert, « Les requêtes du Palais (XIIIe–XVIe siècle). Style des requêtes du Palais au XVe siècle », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 69, 1908, p. 581-642, a édité ce style d’après le ms lat. 4644 (p. 605-642). Il en existe une traduction contemporaine contenue dans le ms fr. 5277 de la Bibl. nat. Fr. (c’est ce manuscrit qui comprend aussi la traduction française du Stilus de Du Breuil

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Manquent à l’appel deux textes, seulement représentés dans l’édition princeps de 1513 : 1) Recueil d’arrêts = éd. 1513, quarta pars ; éd. C. Du Moulin, sexta et septima pars ; 2) Recueil d’ordonnances = éd. 1513, septima pars ; éd. C. Du Moulin, tertia pars. Une dernière observation liminaire est ici indispensable : Descousu donne à penser, dans son adresse au lecteur de 1513, qu’il a utilisé deux manuscrits pour son édition16, mais, selon ce que nous avons pu observer, le ms lat. 4644 n’est pas l’un d’eux dans la mesure où, comme nous l’allons voir, les leçons sont différentes, en particulier concernant les additions au Stilus, plus complètes dans le manuscrit. Visitons maintenant les pièces du dossier, lesquelles s’emboîtent parfois aussi mal ou aussi étrangement que celles du Manuscrit trouvé à Saragosse.

I. — PIÈCES DÉJÀ VISITÉES 1. De modo conficiendi processus commissariorum et De forma arrestorum (en manuscrit et en édition imprimée) Nous ne nous attarderons pas lontemps sur ces deux pièces dont P. Guilhiermoz et F. Aubert paraissent avoir dit l’essentiel. - Le Style des commissaires (sans titre dans le manuscrit ; appelé De modo conficiendi processus commissariorum dans l’édition princeps), que Guilhiermoz17 rapporte à l’autorité de Pierre Dreue, vers 1336-1337, n’a été retouché que sur des points de détail : l’introduction du nom de la ville de Toulouse dans le modèle de procès-verbal, et un changement de date : 1336 remplacée par 149718. - Le De forma arrestorum n’est, comme l’a montré Guilhiermoz19, qu’un remaniement, mais assez profond du chapitre VIII et dernier du Style de la éditée par Henri Lot : Style du parlement de Paris, Paris, 1877). Après P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. 174, F. Aubert signale en outre deux traductions françaises imprimées, l’une dans le Guidon des praticiens, recueil d’ordonnances royales imprimé par Galliot Du Pré à Paris en 1515 (plutôt d’après le ms lat. 4644), l’autre dans la plaquette susmentionnée (plutôt d’après l’édition de 1525). 16. Avis non daté de l’éditeur au lecteur (fol. + IIIIv). 17. P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. XXV-XXVII et p. 174-175 ; édition p. 235-264. 18. C’est la date adoptée pour ces remaniements par Guilhiermoz, qui s’interroge à ce propos sur celle de 1495 pour la glose, date donnée, il est vrai, sans fondement apparent, par Theodor Schwalbach, Der Civilprocess des Pariser Parlaments, Freiburg/Tübingen, 1881, p. 4. Pour être précis, seule l’édition de 1513 donne la date de « mil quatre cens nonante sept » (sexta pars, fol. I) ; le ms lat. 4644 porte « mil quatre cens quatre vingz sept », avec une rature, semble-t-il, entre « vingz » et « sept » (fol. 194). 19. P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. XXV-XXVII et p. 174-175 ; édition p. 214-234.

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chambre des enquêtes (même origine) sur la manière de rédiger les jugés. Guilhiermoz ne l’a pas édité dans cette version mais en a signalé les grandes variantes en introduction ; il concluait de leur rapprochement que l’intention du remanieur était d’opérer en vue de l’harmonie entre les usages et les besoins du parlement de Toulouse. Tout cela milite bien évidemment en faveur de l’attribution à Aufréri, mais peut-être doit-on préciser aussi que les remaniements ne poursuivent pas seulement l’objectif supposé, à savoir se référer à la pratique de la cour de parlement, mais visent peut-être surtout à développer des cas non abordés par le texte primitif. L’objectif est donc ici autant « savant » que « local », même s’il pourrait exister un lien avec la matière fournie par le Recueil des arrêts20. 2. Le Recueil des arrêts (en édition imprimée seulement) Dans un gros article publié en 1971, J.-L. Gazzaniga en a fait une étude très poussée, sur laquelle nous ne reviendrons pas. Il s’agit, dans son noyau primitif, d’une courte collection de soixante-quinze arrêts du parlement de Toulouse, dont les affaires correspondantes s’échelonnent entre 1444 et 1499 ou plus exactement entre 1444 et 1472 et un arrêt de 149921. J.-L. Gazzaniga concluait de leur examen attentif que ce pouvait être une collection rassemblée par un conseiller du parlement plus âgé, mais mise en forme par Aufréri, dont la paternité, du moins secondaire, s’imposait par les citations multiples qu’en a faites un autre conseiller, son contemporain Guillaume Benoît (1455-1516), dans sa Repetitio sur la décrétale Raynutius, de testamentis (1492-1493 avec additions jusqu’en 1515 ; 1re éd. 1523), citations qu’il rapporte toutes clairement à l’autorité d’Aufréri (Tractatus arrestorum). Les éditions de Descousu assortissent ce recueil d’une collection d’arrêts du parlement de Paris et aussi de notes que nous pensons devoir attribuer à l’éditeur. Ce recueil fait incontestablement d’Aufréri le premier arrêtiste toulousain.

20. Dans la collection d’arrêts dont il est question plus loin, deux arrêts seulement concernent l’appel : J.-L. Gazzaniga, « Jurisprudence du parlement de Toulouse… », p. 309 (rééd. dans id., L’Église de France à la fin du Moyen Âge…, p. 115*), mais d’autres emprunts restent peut-être à retrouver, l’anonymisation des arrêts cités dans les remaniements d’Aufréri rendant la vérification délicate. 21. La collection imprimée dans l’édition du Stilus de 1513 comprend en réalité 278 arrêts, mais seuls les arrêts 204 à 278 sont des arrêts du parlement de Toulouse proprement dit, les autres sont des arrêts du parlement de Paris et quelques-uns des arrêts du premier parlement tenu à Toulouse à la fin du XIIIe siècle ; Du Moulin est le premier à avoir rassemblé les seuls arrêts toulousains en un tout séparé (sexta pars) : J.-L. Gazzaniga, « Jurisprudence du parlement de Toulouse… », p. 301305 (rééd. dans id., L’Église de France à la fin du Moyen Âge…, p. 107*-111*).

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II. — PIÈCES À EXPLORER 1. Les Ordinationes regie (en édition imprimée seulement) Ici, nous commencerons par l’autre pièce manquante dans le manuscrit, faisant ainsi le lien avec le Recueil des arrêts, pièce sur laquelle nous avons cru devoir porter une attention particulière22. Le Recueil des ordonnances royales est peut-être « l’ouvrage le plus original » d’Aufréri, selon l’expression d’H. Gilles23. De même que le Recueil des arrêts, l’ouvrage ne figure pas en manuscrit. Il a donc été publié, pour la première fois, à Lyon en 1513 par Descousu. Du Moulin, en l’éditant, y a apporté d’importantes modifications. La preuve irréfutable de ce qu’Aufréri est bien l’auteur de ce recueil est administrée de la même manière que l’a fait J.-L. Gazzaniga pour le recueil d’arrêts dont nous avons déjà parlé ; cette preuve est la référence explicite à l’ouvrage qu’en fait, à de multiples reprises, Guillaume Benoît, collègue d’Aufréri au parlement de Toulouse. Or Benoît est sans doute d’autant plus attaché aux textes législatifs qu’il dispose de sources particulièrement prolixes, dont la nôtre. Il semble en effet qu’il ait puisé à deux types de sources : une collection officielle (perdue ?) du Parlement (liber ordinationum regiarum cameræ inquestarum Parlamenti) et un recueil privé. Et cette deuxième source explicite ne peut être que le « Recueil des ordonnances » (Tractatus ordinationum regiarum) d’Aufréri. Un fait établi est que Benoît renvoie à la collection imprimée par Descousu24, car il en cite précisément les têtes de chapitre. Par voie de conséquence, les emprunts du conseiller permettent d’attribuer avec certitude l’œuvre à Aufréri, dont le nom est explicitement cité dans la Repetitio alors qu’il ne l’était pas dans l’édition Descousu25. La situation chronologique ne contredit pas ce qui vient d’être dit, aucune ordonnance utilisée n’étant postérieure à l’ordonnance sur la justice de juillet 1493 et, pour une référence, aux « lettres concernant les notaires, huis22. Ce recueil a déjà fait l’objet d’une communication, non encore publiée : « Les Ordinationes regie d’Étienne Aufréri (1458-1511) : un recueil toulousain d’ordonnances royales (1513) », dans Codifications et compilations juridiques, Actes des IIe journées clermontoises d’histoire du droit, Clermont-Ferrand, 16-18 juin 2004. Une étude poussée en sera présentée prochainement dans la Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis. 23. P. Ourliac et H. Gilles, La période post-classique…, p. 130, n. 284. Et cela, comme nous nous attacherons à le démontrer ailleurs, parce qu’il s’agit sans doute du plus ancien recueil méthodique, comme le soulignaient déjà les auteurs du XVIIIe siècle (Ordonnances des rois de France, Encyclopédie). 24. Contrairement à ce que pensait J.-L. Gazzaniga pour le « Traité des arrêts » : « Jurisprudence du parlement de Toulouse… », p. 298 (rééd. dans id., L’Église de France à la fin du Moyen Âge…, p. 104*). 25. Pour plus de détail concernant l’utilisation du « droit des ordonnances » par Guillaume Benoît, voir P. Arabeyre, Les idées politiques à Toulouse…, p. 181-184.

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siers et sergents, et la réduction de leur nombre » de décembre 1493 (titre 59, fragment 16). Les articles des différentes ordonnances utilisées se trouvent regroupés par matières, formant ainsi 62 chapitres et surtout près de 700 articles (699 exactement), qui correspondent à autant de « fragments » d’ordonnances, si l’on veut bien d’une comparaison avec les compilations savantes, comparaison qui, on le verra, est loin d’être déplacée. On remonte au temps de saint Louis (avec l’ordonnance de réformation de 1254, citée pour 37 articles), puis on emprunte aux ordonnances de Philippe le Hardi, Philippe le Bel, Louis le Hutin, Philippe le Long, Philippe de Valois, Jean le Bon, Charles V, Charles VI, Charles VII, Louis XI et enfin Charles VIII. En vérité, un nombre limité de textes a été mis à contribution, environ quatre-vingts. Ces textes ne sont pas tous des « ordonnances » royales, même au sens général que l’on donne à ce terme dans le vocabulaire administratif de l’ancienne France (actes d’intérêt général émanés du souverain), car l’on y rencontre aussi, mais très minoritairement, des arrêts des parlements de Paris et de Toulouse ainsi que quelques actes pontificaux. Parmi ces textes, les grandes ordonnances dites de réformation (1254 ; 1302/3) ou de justice (Montils-lès-Tours, avril 1454 ; Moulins, décembre 1490 ; Paris, juillet 1493) fournissent une bonne moitié des références. Il apparaît aussi qu’un nombre limité de matières ont été renseignées : c’est le domaine de la justice qui est privilégié, mais les grandes ordonnances dites de réformation n’étaient-elles pas au premier chef des ordonnances de « justice », au sens large, concernant à la fois des questions d’administration judiciaire, de juridiction et de procédure ? Enfin, les ordonnances touchant les affaires languedociennes ont la faveur de l’auteur. Quant au travail opéré sur les textes par Aufréri, le premier est le découpage, article par article, et la distribution, au mieux subtile, au pire complètement artificielle, qui en résulte. En outre, afin d’aller à l’essentiel, nombre d’articles sont découpés de manière à mettre en avant directement le dispositif. Le second travail, et qui frappe le lecteur dès l’abord, est qu’un certain nombre de fragments, qui sont pourtant tirés d’ordonnances en français, ont été systématiquement latinisés, et cela à commencer par certains textes du XIVe siècle. Il faut dire que là est le reproche principal adressé par Du Moulin au recueil d’Aufréri, lequel Du Moulin n’a guère d’indulgence, comme à son habitude, pour l’œuvre du président aux Enquêtes. Ainsi, dans son édition, Du Moulin ne présente plus que 377 textes en 50 titres26. Mais de nombreuses interpolations lui ont échappé et de trop nombreuses erreurs de date subsistent. La raison en 26. Dont 15 seulement sont des ajouts de sa part et parmi eux, 13 sont des fragments de capitulaires carolingiens, formant le 50e titre.

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est que Du Moulin a continué de prendre largement pour base les éditions de Descousu, en dépit des violentes critiques qu’il leur adresse27. Pour en revenir à la « purge » des textes, il est vrai que Descousu déjà, dans l’édition de 1542 au moins, avait éliminé 162 articles, pour la plupart des articles latinisés des ordonnances de 1454, 1490 et 1493, ainsi que des textes concernant trop exclusivement le Languedoc28. Le recueil avait donc déjà été ramené, avant l’intervention de Du Moulin, à 537 articles. L’édition de 1513 est une édition fautive à bien des égards. Nombreuses en effet sont les erreurs dans les textes eux-mêmes – ce sont celles-là surtout que Du Moulin se serait évertué à corriger – et, plus nombreuses encore, sont les fausses références, qui compliquent très souvent le travail d’identification des ordonnances. Toutefois, elle est indubitablement celle qui demeure la plus proche de la version originale d’Aufréri. Le recueil d’Étienne Aufréri, dépourvu de titre véritable, mis sous presse à la hâte par Descousu, tapi à l’ombre des éditions du Stilus de Guillaume Du Breuil, est demeuré, pour toutes ces raisons, un ouvrage peu connu, complètement ignoré de ceux, au demeurant fort rares, qui se sont intéressés à l’histoire des premières compilations d’ordonnances royales. C’est pourtant un recueil original, bien davantage que ne le laisse supposer Du Moulin, qui, en le rééditant, s’en est quelque peu attribué les qualités ; un recueil supérieur par sa richesse aux recueils (notamment en français) contemporains ; un recueil enfin qui révèle en filigrane une conception de la loi toute savante : il adopte en effet le plan des Décrétales29. Une étude approfondie, sur les textes eux-mêmes comme sur la réception de l’ouvrage en dévoilera, à coup sûr, les autres qualités, qui dépassent le seul intérêt méridional. 2. Les additions au Stilus de Guillaume Du Breuil (en manuscrit et en édition imprimée) L’intérêt des méridionaux pour le Stilus de Guillaume Du Breuil ne se marque pas seulement avec les additions du président Aufréri : c’est ainsi que, comme l’avait 27. Pour un jugement global sur les travaux d’édition de Du Moulin, voir Jean-Louis Thireau, Charles Du Moulin (1500-1566) : étude sur les sources, la méthode, les idées politiques et économiques d’un juriste de la Renaissance, Genève, 1980 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, 176), p. 156 et n. 269. 28. Comme les vingt-quatre articles de l’ordonnance de 1490 sur le petit scel de Montpellier formant le 14e titre du recueil d’Aufréri. 29. Le découpage par livres n’existe pas, mais l’ordre des titres suit effectivement celui des Décrétales : les titres 1 à 22 se retrouvent dans ceux du livre I : législation, juridiction et hiérarchie ecclésiastique (ici, hiérarchie judiciaire) ; les titres 23 à 38 se retrouvent dans ceux du livre II : procédure canonique (ici, procédure civile) ; les titres 39 à 49 se retrouvent dans ceux du livre III : clergé séculier et régulier (ici, officiers) ; les titres 50 à 62 se retrouvent dans ceux du livre V : procédure criminelle et peines (canoniques).

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déjà relevé F. Aubert30, la première édition imprimée du Stilus a vu le jour à Toulouse31, et c’est aussi à Toulouse qu’est née la première « glose » du Stilus. Pourtant, elle est en fin de compte l’œuvre d’Aufréri la moins connue32. Elle demanderait une étude très attentive, tant la tradition en est embrouillée. Le ms lat. 4644 semble en donner la version la meilleure et la plus complète si on la compare à celle donnée par les éditions successives, mais il ne comporte pas le nom de l’auteur. Seule l’édition de 1513 commence à l’attribuer explicitement à Aufréri. Mais la lecture du manuscrit lui-même fait difficulté. Les additions d’Aufréri – il ne s’agit pas à proprement parler de gloses, car elles ne sont pas accrochées aux mots du texte, elles en suivent chaque paragraphe – ne doivent pas être confondues avec le texte du Stilus, ce qui n’est pas toujours aisé. La consultation de l’édition de F. Aubert fait à ce propos surgir certains doutes. Sur la foi des leçons des autres manuscrits, Aubert a en effet repêché des variantes portées dans le ms lat. 4644 (ms O) dans les additions, mais comme celles-ci correspondent le plus souvent à des allégations savantes, on touche ici à une des incertitudes que procure cette édition critique33. Aubert l’avouait lui-même dans 30. F. Aubert, dans Guillaume Du Breuil, Stilus curie Parlamenti…, p. LI. 31. Guillermus de Brolio, Stilus curie parlamenti, Toulouse, Henri Mayer, ca 1485 (Christian Péligry, Catalogues régionaux des incunables des bibliothèques publiques de France, t. III : Bibliothèques de la région MidiPyrénées, Bordeaux, 1982, p. 90). 32. Ce désintérêt accompagne celui dont ont souffert les études sur le Stilus lui-même, comme l’a indiqué Philippe Paschel, « Les sources du Stilus curie Parlamenti de Guillaume Du Breuil », dans Revue historique de droit français et étranger, 1999, p. 311-326, aux p. 311-313 (bibliographie à laquelle on doit ajouter l’excellente notice de Paul Fournier dans l’Histoire littéraire de la France, t. 37/1, Paris, 1936, p. 120-146). Depuis cette date (1999) a été menée l’étude de Sophie Peralba, Autour du Stilus de Guillaume Dubreuil (vers 1331). Études des caractères du droit processuel au Parlement, Clermont-Ferrand, 2005 (et « La réception de la procédure romano-canonique d’après le Stilus Curie Parlamenti de l’avocat Guillaume Dubreuil, vers 1331 », dans Proceedings of the eleventh international congress of medieval canon law (Catania, 2000), éd. Manlio Bellomo et Orazio Condorelli, Cité du Vatican, 2006, p. 625647). Voir aussi la notice de Jacques Krynen dans le Dictionnaire historique des juristes français…, p. 263-264 et l’article de Nicole Pons, « Honneur et profit. Le recueil d’un juriste parisien au milieu du XVe siècle », dans Revue historique, t. 310/1, 2008, p. 3-32 (étude d’ensemble du ms lat. 4641B de la Bibl. nat. Fr., dont la première partie, de nature juridique, s’ouvre sur le Stilus). 33. Rappelons ici que F. Aubert avait recensé vingt-cinq manuscrits (vingt-quatre dans son édition de 1909, plus un autre, le ms fr. 18674, signalé plus tard : F. Aubert, « Un manuscrit oublié du Stilus curie parlamenti », dans Revue historique de droit français et étranger, 1910, p. 397-398). Il avait aussi indiqué (« Les sources de la procédure au Parlement … », p. 218), d’après Paul Collinet (« Deux nouveaux manuscrits du Coutumier de Champagne », dans Revue historique de droit français et étranger, 1910, p. 670-671), deux manuscrits conservés à la Bibliothèque royale de Stockholm : George Stephens, Förteckning öfver de förnämsta brittiska och fransyska handskrifterna uti kongl. Bibliotheket i Stockholm, Stockholm, 1847, n° XI, p. 79-80 (fin du XIVe siècle) et n° XXIX, p. 104 (fol. 1-38, 2e moitié du XVe siècle) ; sur le premier, voir Auguste Geffroy, Notices et extraits des manuscrits concernant l’histoire ou la littérature de la France qui sont conservés dans les bibliothèques ou archives de Suède, Danemark et Norwège, Paris, 1855, p. 97 ; sur le second, Paulette Portejoie, L’Ancien Coutumier de Champagne (XIIIe siècle), Poitiers, 1956, p. 104-105 (manuscrit G). Il en existerait au moins deux autres : un manuscrit signalé

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l’introduction : « Quant aux autres variantes, qui intéressaient le fond même du Stilus, je les ai toutes soigneusement reproduites (sauf quelques renvois sans intérêt au droit romain et au droit canonique) »34. Dès lors, faute d’avoir consulté tous les manuscrits du Stilus, nous nous trouvons dans l’incapacité actuelle de déterminer le degré de la tonalité « savante » de la version du ms O, et corrélativement l’apport précis en ce domaine d’Aufréri35. L’édition de Descousu de 1513 est, nous l’avons déjà remarqué à propos du recueil d’ordonnances, très fautive et, de surcroît, dans le cas qui nous occupe, pas complète de toutes les additions d’Aufréri ou de leur étendue manuscrite. Ajoutons que les mentions les plus récentes ont toutes été écartées, et il faut se convaincre que le manuscrit de base n’était à l’évidence pas le même. Les éditions postérieures de Descousu embrouillent davantage la question en apportant de nouvelles additions, à l’évidence de la plume de l’éditeur, qui renvoie, par exemple, à ses propres apostilles à Jacques Rebuffi. Ne parlons pas de l’édition de Du Moulin, qui ajoute de nouvelles additions, ce qu’on ne peut lui reprocher, mais, ce qui est plus embarassant, fait un tri dans la double couche des additions de ses prédécesseurs tout en en amalgamant le résultat, composant ainsi de nouvelles additions, dont l’origine est, du coup, presque indémêlable. Dernière confusion, Du Moulin accroche les additions aux mots du texte du Stilus et les présente à part, à la fin de son édition. Pourtant, il ne saurait avoir utilisé une autre source que la dernière édition de Descousu, dont il reproduit toutes les erreurs. Un seul exemple : une allégation à Jason de Mayno (auteur récent, mort en 1519, et à ce titre intéressant pour la datation) est en réalité, selon le manuscrit, une allégation à Jean d’Anagni ; la confusion traîne ainsi dans toutes les éditions imprimées36. par P. Ourliac (« Manuscrits juridiques français en Italie », dans Revue historique de droit français et étranger, 1937, p. 692-697), le ms Turin, Bibl. nat. univ., E-III-22 (679), fol. 95-135 (deuxième moitié du XVe siècle) ; le ms Graz, Universitätsbibliothek, 357, fol. 1-34 (deuxième moitié du XVe siècle), à notre connaissance jamais mentionné à ce jour. 34. F. Aubert, dans Guillaume Du Breuil, Stilus curie Parlamenti…, p. LXIX. 35. Ces considérations ne sont pas sans enjeu : on a cru découvrir, avec André Castaldo, que la procédure au Parlement « demeure… essentiellement coutumière au Moyen Âge » (« Pouvoir royal, droit savant et droit commun coutumier dans la France du Moyen Âge. À propos de vues nouvelles. I », dans Droits, t. 46, 2007, p. 117-158, à la p. 141) ; mais peut-être est-il plus sage de se ranger ici à l’autorité de Jean-Marie Carbasse : « Les maîtres du Parlement ont beau ne jamais citer les sources romaines ou canoniques, ils les connaissaient en réalité parfaitement et ils appliquent pour l’essentiel la procédure savante, alors même qu’ils s’en écartent sur certains points. Tout comme celle des juristes qui exerçaient dans les juridictions locales, leur culture juridique était bel et bien fondée sur l’utrumque jus » (« Préface », dans Yves Mausen, Veritatis adiutor. La procédure du témoignage dans le droit savant et la pratique française (XIIe–XIVe siècles), Milan, 2006, p. XVI). 36. Ms lat. 4644, fol. 94 (Jo. de Anna.) ; éd. 1513, prima pars, fol. XXIXv (Jo. de Mayno). Au total, F. Aubert, dans l’introduction à son édition, semble se faire l’interprète du peu de cas que Du Moulin fait du travail d’Aufréri, qu’il reproduit néanmoins, quand il évoque la « glose pédante et inutile » du Stilus (p. XIII).

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Sur le fond, évidemment, les références proprement toulousaines existent, mais là ne nous semble pas l’apport dominant de ces additions. C’est un travail d’explicitation, un commentaire savant et un témoignage des opinions de l’auteur, par exemple sur le duel37 ou sur la composition du Parlement38. Il est d’ailleurs fort remarquable de relever que Descousu et les éditeurs lyonnais successifs ont si peu considéré le travail d’Aufréri comme l’élaboration indirecte d’un style proprement toulousain qu’ils ont adjoint au texte de Du Breuil, au moins depuis l’édition de 1525 et, jusqu’en 1542, un opuscule (dont n’a pas voulu Du Moulin), intitulé Stilus parlamenti Tholosani39. C’est un texte très bref, qui est en vérité un extrait de l’ordo judiciarius de Jean Bély, édité dans le même esprit par A. Viala en annexe de sa thèse sur le parlement de Toulouse40, faute sans doute d’avoir trouvé un texte plus explicite sur le style du Parlement au XVe et au début du XVIe siècle.

III. — CONCLUSIONS Au total, à quel ensemble a-t-on affaire ? À cinq textes fondamentaux pour la procédure au parlement de Paris, remaniés ou annotés par le président aux Enquêtes du parlement de Toulouse Étienne Aufréri41 ; et, peut-être, à un « manuscrit rédigé sous [sa] surveillance »42. Sur la datation de l’ensemble, on peut formuler les observation suivantes. Certes, l’édition de 1513 porte comme date la plus récente celle de 1497 (Style des commissaires), comme l’avait relevé Guilhermoz43. Mais si l’on se reporte au 37. Ms lat. 4644, fol. 93v-94v ; éd. 1513, prima pars, fol. XXIXv-XXX : l’opinion originale d’Aufréri avait déjà été soulignée par F. Aubert, « Les sources de la procédure au Parlement… », p. 223 : « Il faut aussi féliciter Aufréri de son énergique réprobation du duel judiciaire, qu’il déclare contraire au droit de l’Église et illicite ; le pratiquer, c’est, dit-il, tenter Dieu et commettre un péché mortel ». 38. Ms lat. 4644, fol. 70v-71 ; éd. 1513, prima pars, fol. XX-XXv : Aufréri est ici l’un de ceux parmi les auteurs contemporains (Guymier, Gaguin, Benoît, Montaigne) à arguer de l’effectif idéal de cent membres pour le Parlement, à l’image du Sénat antique (voir P. Arabeyre, « Aux racines de l’absolutisme : Grand Conseil et Parlement à la fin du Moyen Âge, d’après le Tractatus celebris de auctoritate sacri magni concilii du toulousain Jean Montaigne (1512) », dans Cahiers de recherches médiévales, t. 7 : Droits et pouvoirs, éd. Gérard Giordanengo, 2000, p. 189-210). Il y réaffirme aussi une opinion déjà exprimée dans une addition aux Decisiones capelle Tholosane, à savoir que les maîtres du Parlement peuvent faire les lois (P. Arabeyre, Les idées politiques à Toulouse…, p. 437-441). 39. Éd. Paris, 1525, fol. LXXVI-LXXVIIv ; éd. Paris, 1530, fol. XCVIIIv-XCIXv ; éd. Paris, 1542, fol. LX–LXI. 40. André Viala, Le parlement de Toulouse et l’administration royale laïque (1420-1525 environ), Albi, 1953, t. II, p. 467-471. Sur Jean Bély, voir le Dictionnaire historique des juristes français…, p. 63-64 (P. Arabeyre). 41. S’agissant du Style des requêtes, il est aussi à noter (comme l’avait fait F. Aubert, « Les requêtes du Palais… », p. 601), l’usage, à maintes reprises, de la première personne. 42. F. Aubert, « Les sources de la procédure au Parlement… », p. 223. 43. P. Guilhiermoz, Enquêtes et procès…, p. XXVII. Dans les additions au Stilus, on relève, comme références récentes, les mentions de l’ordonnance de 1479 sur la proposition d’erreur (ms lat. 4644, fol. 71 ; éd. 1513, fol. XXv : false MCCCCXC) et celle d’un arrêt du Grand Conseil de 1481 (ms lat. 4644, fol. 96 ; éd. 1513, fol. XIVv).

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manuscrit, des dates plus récentes encore se rencontrent dans les additions au Stilus : l’ordonnance sur la justice de mars 1499 est citée trois fois (fol. 117 : article 59 ; fol. 123 : article 26 ; fol. 130 : article 13) et un arrêt du parlement de Toulouse de septembre 1509 est cité au fol. 9744. S’agissant de l’attribution définitive à Aufréri, elle s’impose pour les multiples raisons déjà invoquées, auxquelles s’ajoutent de nombreuses interventions de l’auteur à la première personne dans les additions au Stilus45 ainsi que la présence d’allégations des Decisiones46 et au moins d’une à la Repetitio sur la Clémentine Ut clericorum47. Achevons avec quelques réflexions sur la nature profonde de l’ensemble. 1) On dispose, avec lui, d’une production toulousaine moins connue mais sans doute pas moins originale que la production juridico-ecclésiastique. 2) Au premier abord, l’ensemble apparaît bien comme un corpus décalqué de la littérature disponible pour le parlement de Paris, selon des procédés divers : - reprise pure et simple (style des commissaires) ; - adaptation (style des enquêtes : souvenons-nous qu’Aufréri a été président des Enquêtes au parlement de Toulouse) ; - adaptation et davantage encore commentaire (style de Du Breuil) ; - création : recueil des arrêts et surtout recueil des ordonnances, la pièce vraiment nouvelle, qui ne semble pas avoir d’équivalent dans le matériau disponible parisien. 3) Mais la question demeure de savoir si la démarque d’avec un corpus parisien était vraiment le but recherché. Le travail de recueil (ordonnances) comme de commentaire (additions au Stilus) se révèle plus savant que localiste. C’est une caractéristique du travail d’Aufréri déjà sensible dans ses annotations sur les Decisiones de Jean Corsier ; et également dans son De recusatione, truffé d’arguments étayés parfois par la jurisprudence, mais toujours, et surtout, par les droits savants48. Et ce travail est en particulier marqué de l’importance nouvelle 44. On peut aussi relever une allusion à Felino Sandei († 1503) (fol. 94v) et à une œuvre de Jean de Boyssoné, l’Ancien, l’oncle de l’humaniste (fol. 135 : vide […] dominum Jo. de Boyssoné, regentem in universitate Tholozana in repetitione sua subtili quam fecit super l. Si fratris C. de jure delib. [Cod., 6, 30, 3]), qui ne devrait pas remonter au-delà des premières années du XVIe siècle (sur ce professeur, voir H. Gilles, « La succession des chaires à la Faculté de droit de Toulouse au XVIe siècle », dans Université de Toulouse et enseignement du droit (XIIIe- XVIe siècles), Toulouse/Paris, 1992, p. 250-252). 45. Ainsi : et plures judices majores vidi condemnari (fol. 117) ; intelligo […] et ita observatur in curia (fol. 117v) ; vidi puniri in curiam (fol. 130) ; vidi (fol. 132v), seule mention signalée par F. Aubert, dans Guillaume Du Breuil, Stilus curie Parlamenti…, p. XXXII, n. 3 et 8. 46. Ms lat. 4644, fol. 31v ; éd. 1513, fol. Vv ; ms lat. 4644, fol. 95 ; éd. 1513, fol. XXv (scripsi). 47. Ms lat. 4644, fol. 140 : Aufrere disputavit ; mais ego disputavi dans l’éd. 1513. 48. C’est l’opinion de Boris Bernabé dans sa thèse sur la récusation des juges, à paraître à la L.G.D.J. (Bibliothèque de droit privé) : La récusation des juges. Étude médiévale, moderne et contemporaine (univ. Toulouse I, 2005).

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PATRICK ARABEYRE

des sources législatives (ordonnances). C’est bien là aussi, parmi d’autres, le signe d’une autre conception de l’exercice de la justice qui se fait jour, où les ordonnances rejoignent la doctrine sinon l’officialisent. Significativement donc, il n’était pas concevable de composer au début du XVIe siècle un corpus parlamenteum à l’usage du parlement de Toulouse comme un pur décalque de la littérature parisienne des siècles passés. La construction d’une mémoire sur une autre mémoire est forcément une reconstruction de la mémoire. Patrick ARABEYRE École nationale des chartes

ÉCRIRE LA JUSTICE HORS LE GREFFE : LA MÉMOIRE JUDICIAIRE DANS LA VILLE À PARIS AU XVIe SIÈCLE PAR

MARIE HOULLEMARE

Confiée à un spécialiste de l’écrit, le greffier, la mémoire judiciaire est construite et conservée dans les archives institutionnelles. Au parlement de Paris, au XVIe siècle, le greffier civil, Jean Du Tillet, non content de conserver simplement une trace écrite de l’activité parlementaire, met son fonds d’archives au service de l’histoire de la monarchie et devient ainsi l’artisan d’une mémoire officielle de l’État, largement inspirée de celle de sa principale institution judiciaire1. Cependant, si ces documents constituent l’essentiel de la mémoire judiciaire, celle-ci existe aussi sous une forme non officielle, conservée par tous les acteurs individuels en contact direct ou indirect avec la justice. Pour le parlement de Paris, cette double tradition est d’autant plus importante que cette cour de justice est la plus renommée du royaume, de par la taille de son ressort et l’ampleur de ses attributions civiles et criminelles. Elle est aussi une institution politique chargée d’enregistrer les ordonnances royales, ce qui la place sous le regard du public qui commente ses décisions. Ainsi Michel de L’Hospital affirme-t-il dans un discours du 5 juillet 1560 que « le mot n’y est sitost dict qu’il ne soit porté en la salle du pallais et n’y a jour 1. Elizabeth Brown, « Jean du Tillet et les Archives de France », dans Histoire et archives, t. 2, 1997, p. 29-63 ; Jean Du Tillet, La chronique des rois de France, depuis Pharamond jusques au roi Henri second du nom, selon la computation des ans, jusques en l’an mil cinq cent quarante et neuf, Paris, 1549 ; id., Brèves narrations des actes et faits mémorables, advenus depuis Pharamond, premier roi des Français, tant en France, Espagne, Angleterre que Normandie, selon l’ordre et supputation des temps, distinctement continuées, jusques à l’an mil cinq cent cinquante et six, Rouen, 1556 ; id., Les memoires et recherches de Jean du Tillet greffier de la cour de parlement de Paris, contenans plusieurs choses memorables pour l’intelligence de l’estat des affaires de France, Rouen, 1578 ; id., Recueil des roys de France, leurs couronnes et maison, ensemble le rang des grands de France, Paris, 1580.

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qu’il ne soit publié par deux cens lectres missives, quelquefoys hors le royaume »2. Étudier les formes de la mémoire non officielle du Parlement permet ainsi d’envisager les échos civiques de son activité, significatifs car le Palais de justice est un lieu sur lequel le regard de la ville se concentre. L’ambassadeur vénitien Girolamo Lippomano écrit en 1577 : Dans l’île de la cité se trouve le Palais de justice, qui est en même temps la Bourse de Paris. On y voit, le matin et le soir, un nombre incroyable d’huissiers, d’avocats, de plaideurs, d’agents d’affaires, de marchands, de banquiers. Dans la grande salle et dans les galeries on admire les statues en marbre de tous les rois et de tous les princes royaux ; dans les corridors, qui sont couverts, il y a une immense quantité de boutiques, à peu près comme dans la Mercanzia de Venise, et l’on y rencontre toujours une foule de cavaliers et de dames, le roi et la cour même : les uns y viennent pour leur amusement, les autres pour leurs affaires : le Palais est comme l’entremetteur des amants3.

Cette affluence renforce l’audience de la justice et les magistrats ont conscience de l’importance des commentaires de la population pour le respect de leurs décisions, en l’absence de force de police. L’information judiciaire est diffusée dans la capitale par trois groupes d’acteurs : les magistrats, les avocats, le public, qui obéissent chacun à des motivations différentes et qui utilisent des supports différents (parole, manuscrit, imprimé). Plusieurs cas doivent être distingués, selon qu’il s’agit d’une mémoire judiciaire privée ou publique, mais aussi d’une mémoire voulue par l’institution ou diffusée malgré elle. Pour rendre compte de cette variété, examinons trois formes de sortie du greffe de la mémoire parlementaire. La première, privée, est effectuée par les juristes qui l’inscrivent dans leurs archives personnelles. La deuxième, publique, se fait par le biais de la rumeur urbaine et est attestée dans les mémoires des contemporains. La troisième, elle aussi publique, relève de l’action des praticiens, qui font imprimer des documents variés liés à des affaires judiciaires.

I. — DES ARCHIVES PRIVÉES : UNE MÉMOIRE FAMILIALE ET PROFESSIONNELLE, À USAGE INTERNE

Le premier aspect à considérer est la mémoire des praticiens, avocats comme magistrats, qui recueillent une trace des affaires auxquelles ils sont mêlés ou dont ils sont témoins. 2. Loris Pétris, La plume et la tribune : Michel de L’Hospital et ses discours (1559-1562), Genève, 2002 (Travaux d’humanisme et Renaissance, 360), p. 366. 3. Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France au XVIe siècle, Paris, 1838, t. II, p. 597-599.

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1. Les notes d’audience Le greffier, semble-t-il, est seul autorisé à tenir la plume pendant l’audience, mais les praticiens du droit constituent des cahiers de notes, dont certains sont parvenus jusqu’à nous, surtout à partir de la fin du XVIe siècle. Leur fréquence est confirmée par les préceptes des juristes, qui invitent les plus jeunes d’entre eux à se constituer un corpus d’affaires, parfois transmis de père en fils, en l’absence de recueils de jurisprudence ou en raison de leur faible nombre. Après leur réception comme avocats, tous les juristes complètent leur formation théorique par une période d’initiation au métier. Achille de Harlay explique lors de la séance de rentrée de Pâques 1588 que « les loix s’apprennent aux estudes et se digerent aux Palais »4. Cela se fait à la fois par le travail chez un procureur, qui permet d’apprendre à rédiger un acte officiel, et par la fréquentation des audiences du Palais, qui enseigne, dit La Roche-Flavin, « la vraye science du droict »5. L’avocat vient assister aux plaidoiries, avec le titre d’avocat « escoutant » ou stagiaire. Antoine Séguier, futur avocat du roi, observe les plaidoiries au Parlement de juin 1573 à janvier 1575, soit pendant vingt mois environ6. Cette initiation permet de découvrir tant l’art de la plaidoirie que le droit réellement utilisé dans les tribunaux. La mise par écrit des arguments utilisés par les avocats plaidants donne alors lieu à la rédaction de recueil d’arrêts, comme chez celui de Louis Dorléans7. C’est une base de réflexion pour toute la suite de la carrière, à la fois réservoir d’arguments à réutiliser et outil pour s’entraîner à la construction d’un plaidoyer, explique La Roche-Flavin8. De tels cahiers ont pu être transmis de père en fils : par exemple, Nicolas Chippard poursuit l’œuvre paternelle en rédigeant à son tour un tel cahier tout au long de sa carrière, entre 1585 et 1612, notant parfois en marge des références de droit correspondantes9. 4. Bibl. nat. Fr., fr. 4937, fol. 66. Il reprend une citation, classique, de Balde. De même, Étienne Pasquier, dans une lettre à son fils, Théodore, lui conseille de venir écouter les audiences pour apprendre à « digérer les lois » (É. Pasquier, Lettres familières, éd. Dorothy Thickett, Genève, 1974 (Textes littéraires français, 203), p. 158). 5. Bernard de La Roche-Flavin, Treize livres des parlements de France, es quels est amplement traité de leur origine et institution, et des présidents, conseillers, gens du roi, greffiers, secrétaires, huissiers et autres officiers, Genève, 1621, p. 385-386. 6. Bibl. nat. Fr., fr. 19776, fol. 1 : « Recueyl sommayre des choses notables prattiquees en la court de parlement. Anthoyne Seguyer, advocat en la court, a commencé a le receuyllir en l’an de grace 1573, au moys de juyn » et fol. 15 v, datée de janvier 1575 (transcription d’un plaidoyer de Séguier). 7. Bibl. nat. Fr., fr. 10194 (1577). 8. B. de La Roche-Flavin, Treize livres…, p. 296. 9. Bibl. de la Sorbonne, ms 307. Il note des arrêts pour les années 1585-1588, puis continue son carnet après avoir commencé à plaider, en 1588. Voir aussi Bibl. nat. Fr., Dupuy 747 ou Bibl. nat. Fr., fr. 530.

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La première mémoire judiciaire construite hors du greffe est donc à usage professionnel et participe de la gestation d’une mémoire collective de la jurisprudence, qui reste à usage interne.

2. Une mémoire politique, entre archives officielles et privées des magistrats Ce travail d’appropriation des décisions judiciaires se double de la réutilisation par les praticiens des textes produits par l’institution. En effet, les archives privées des magistrats sont enrichies par la consultation des archives du Parlement. Il est fréquent que les gens de Parlement, travaillant à domicile dans leur cabinet de travail, empruntent les registres de l’institution, dont la circulation semble difficile à contrôler. En 1568, Jean Du Tillet le jeune se plaint à la cour que « les registres sont trop maniés d’un chacun pour en pourvoir son père et luy en respondre »10. Il remarque que son père n’a jamais réussi à obtenir qu’un clerc soit chargé de surveiller les archives ou que les registres consultés soient enchaînés aux tables, comme dans une bibliothèque. Les registres sont aussi communiqués aux avocats et parfois même à des personnages extérieurs au monde judiciaire, tel l’évêque de Soissons, qui vient le 11 octobre 1544 demander communication des traités enregistrés avec les rois d’Angleterre11. Cette circulation s’accompagne parfois même de celle des dossiers en cours d’instruction. En 1551, lors d’une mercuriale, l’avocat du roi Pierre Séguier est obligé de rappeler que « les papiers du roy ne doivent estre communiquez aux parties »12. De plus, la distinction entre archives publiques et privées n’est pas clairement établie au XVIe siècle : la saisie des papiers des chanceliers, chez Duprat à son décès, puis chez Poyet lors de son arrestation en 1542, est bien connue. On sait moins que se pratique la mise sous scellés de documents trouvés chez les magistrats à leur mort : un inventaire des papiers « concernant le domaine du roi » est effectué le 9 janvier 1590 au domicile de Jacques de La Guesle, procureur du roi13. De même, est établie une liste des documents issus du Trésor des Chartes que le président Brisson conservait chez lui avant son arrestation14. Le maniement des archives officielles et leur emprunt permet aux magistrats d’enrichir leurs archives personnelles, ce qui donne lieu, au XVIIe siècle surtout, à la constitution de grandes collections d’extraits, telle celle du conseiller Jean Le Nain, aujourd’hui conservée aux Archives nationales et à la bibliothèque de 10. E. Brown, « Jean du Tillet… », p. 55. Voir aussi Donald R. Kelley, « Jean du Tillet, archivist and antiquary », dans The journal of modern history, t. 38-4, 1996, p. 337-354. 11. Alphonse Grün, « Notice sur les archives du parlement de Paris », dans Actes du parlement de Paris, éd. Edgard Boutaric, t. I, Paris, 1863, p. I-CCXC, part. p. L. 12. Bibl. nat. Fr., Cinq-Cents de Colbert 216, fol. 32, 20 mars 1551. 13. Ibid., fol. 45, 9 janvier 1590. 14. Ibid., fol. 25, janvier 1592.

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l’Assemblée nationale, mais aussi les collections Séguier ou Harlay entrées à la Révolution à la Bibliothèque nationale de France. Composées de recueils thématiques et chronologiques, qui sont des dossiers de travail, elles constituent une mémoire sélective et orientée des procédures menées au Parlement15. En partie rédigés par des érudits historiographes, ces recueils réunissent souvent des textes politiques, comme les remontrances. Pourtant, bien que cette pratique soit apparue au XVe siècle, beaucoup de recueils de remontrances s’ouvrent à la date de 1539 (a. s.), à l’occasion de la présentation d’un édit sur les monnaies16. Absente du registre du conseil, cette remontrance constitue une étape importante de l’histoire politique du parlement, puisqu’elle entraîna une refonte totale de l’édit17. À la fois dossiers professionnels et mise en scène historique, de tels recueils célèbrent la combativité parlementaire face au roi. Cette conscience accrue du passé de l’institution se double progressivement d’une attention croissante à l’actualité parlementaire. En effet, à partir du début du XVIIe siècle, sont aussi conservés des chroniques et journaux portant sur la cour souveraine parisienne, qui ne procèdent plus d’un tri à partir des archives, mais d’une écriture directe de l’événement parlementaire18. Cette première forme de mémoire extérieure aux archives, aux accents tant politiques que juridiques, constitue un prolongement toléré et nécessaire de la mémoire officielle. On peut la qualifier d’interne, dans la mesure où elle est le plus souvent réservée aux gens de justice, bien que l’on trouve des « pièces curieuses » issues du parlement dans d’autres collections, comme celle des Minimes19. Il est cependant remarquable que les remontrances soient, à cette époque, très rarement imprimées, ce qui indique qu’elles relèvent de la mémoire collective des juristes, ou plus particulièrement des magistrats, associée à la fois à l’affirmation identitaire de la noblesse de robe et à l’histoire de l’État monarchique20. 15. Hélène Fernandez, Les procès du cardinal de Richelieu. Droit, grâce et politique sous Louis le Juste, thèse de doctorat, univ. Vincennes-Saint-Denis-Paris VIII, 2005, p. 12-24. 16. Par exemple, Bibl. nat. Fr., fr. 2703 ; ibid., fr. 7551 ; ibid., fr. 10939 : remontrances 1539-1627 ; ibid., fr. 10940-10942 ; ibid., fr. 18317 ; ibid., Dupuy 722. 17. Arch. nat., X1A 1544, fol. 275, 8 avril 1540. 18. Liste indicative de journaux : Bibl. nat. Fr., fr. 4378-4379, Registres de la cour du parlement de Paris, des choses les plus considérables arrivées. 17 janvier 1622-4 octobre 1627 ; ibid., fr. 4388, Recueil de ce qui s’est passé de plus notable en la cour de Parlement 1632-1637 par « Mr. Ben., cons. en la cour » ; ibid., fr. 14033, Registre de ce qui s’est passé au Parlement, par Jean Le Coq, sieur de Corbeville, conseiller au Parlement. Juillet 1625-mai 1631 ; ibid., fr. 18319-18320, Remarques de M. le président [Nicolas] de Bellièvre sur ce qui s’est passé au Parlement. 1607-1627 ; ibid., fr. 18415, Mémoires, discours, correspondance et papiers de Nicolas de Bellièvre, procureur général et président à mortier au parlement, 1601-1648 ; Bibl. Institut de France, ms 98, fol. 359 : Journal du parlement de Paris depuis l’an 1632 à l’année 1637 par un des messieurs du même Parlement ; Bibl. Sénat, ms 787, Journal du Parlement. 1632-1652 ; Jean Le Boindre, Débats du parlement de Paris pendant la minorité de Louis XIV, 2 t., Paris, 1997-2002. 19. H. Fernandez, Les procès du cardinal de Richelieu…, p. 22-24. 20. Par exemple Procès verbal des remontrances faites en la cour de Parlement au mois de mars 1517, s. l., mars 1518.

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II. LA RUMEUR URBAINE : UNE MÉMOIRE PUBLIQUE DES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA JUSTICE

La mémoire non officielle de l’activité parlementaire est aussi diffusée par la rumeur urbaine. Un large public se charge de répandre les informations judiciaires, qui sont, à en croire Étienne Pasquier, les plus commentées dans la capitale : Les nouvelles naissent dedans nostre Palais, avecque la pratique, et […] elles prennent leur naissance, augmentation, progrés et definement, selon le croist ou descroist d’icelle21.

À travers les journaux et mémoires d’époque, il est possible d’approcher la manière dont les contemporains s’approprient la mémoire judiciaire.

1. L’exécution judiciaire Le plus souvent, c’est l’exécution judiciaire qui retient l’attention, surtout lorsqu’elle est inhabituelle, comme l’a mis en évidence Pascal Bastien pour le XVIIIe siècle. En effet, comme le constate l’ambassadeur Lippomano présent à Paris en 1577, l’exécution judiciaire est très fréquente et par conséquent banale : On voit cependant tous les jours dans une partie de la ville ou dans l’autre justicier des gens dont la plupart sont pendus. Les absents sont exécutés en effigie : la dépense et les cérémonies sont les mêmes que si le coupable était là. La garde à cheval accompagne le mannequin et le prêtre marche à côté. Ces formalités, ce me semble, sont tant soit peu barbares22.

Ce qui intéresse Lippomano est le rituel, étrange pour lui, de l’exécution par effigie. Le plus souvent, c’est cependant moins le déroulement ou la mise en scène de l’exécution que le crime et sa signification qui sont évoqués dans les mémoires des Parisiens23. Pour appréhender le décalage entre les centres d’intérêts des contemporains et la réalité de l’exécution, on peut s’appuyer sur les chiffres donnés par Robert Muchembled dans une récente étude sur les crimes jugés au parlement de Paris entre 1575 et 1604, et les comparer aux notations du plus célèbre mémorialiste parisien de l’époque, Pierre de L’Estoile, issu d’une 21. É. Pasquier, Lettres, Amsterdam, 1723, col. 175. Pierre de L’Estoile critique les Mémoires de France sous Charles IX, ouvrage dont il dit « qu’il semble avoir été basti sur le bruit des nouvelles du Palais, qui font souvent morts ceux qui vivent et se portent bien » (P. de L’Estoile, Mémoires-journaux, Paris, 1875-1899, t. I, p. 31, novembre 1574). 22. Relations des ambassadeurs vénitiens…, t. II, p. 613-615. 23. En 1587, L’Estoile mentionne une pendaison qui ne suffit pas à tuer le condamné (P. de L’Estoile, Mémoires-journaux…, t. III, p. 46). 24. Robert Muchembled, « Fils de Caïn, enfants de Médée. Homicide et infanticide devant le parlement de Paris (1575-1604) », dans Annales, Histoire, Sciences Sociales, 2007, p. 1063-1096.

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famille de robe et audiencier à la chancellerie24. Entre 1574 et 1598, il relève 143 exécutions capitales, alors que le Parlement rend 1 659 arrêts de mort pour les années 1575-1599 : environ 8 % des exécutions capitales parisiennes de cette période sont commentées dans les journaux de L’Estoile25. Crimes jugés par Exécutions capitales le parlement de Proportion mentionnés par Pierre Proportion Paris (1574-1604)a de L’Estoile (1574-1598) Contre les biens Contre les personnes Contre les mœurs Contre la religion Contre le pouvoir royal ou la justice Total

4 523

40,26 %

36

25,5 %

4 281

38,11 %

38

26,6%

1 229

10,94 %

7

4,9 %

853

7,59 %

11

7,7 %

347

3,08 %

51

35,6 %

11 233

100 %

143

100 %

Tableau 1 : Affaires criminelles parisiennes dans le dernier quart du XVIe siècle a. D’après Robert Muchembled, « Fils de Caïn… », p. 1063-1096.

D’après R. Muchembled, neuf affaires jugées au Parlement sur dix – dont il faut rappeler qu’elles ne donnent pas forcément lieu à une condamnation à mort – concernent les crimes dirigés contre les biens, les personnes ou les mœurs. En revanche, elles ne constituent qu’un peu plus de la moitié des exécutions remarquées par L’Estoile, soit quatre-vingt une affaires sur 143. Dans cet ensemble, ce dernier porte un intérêt particulier aux assassinats de maîtres par leurs serviteurs, qui suscitent apparemment ses inquiétudes. Il évoque aussi à plusieurs reprises des infanticides. Ainsi note-t-il en juillet 1598 : Le mercredi premier de ce mois, une fille fust pendue et estranglée au bout du pont S. Michel, à Paris, pour avoir jetté dans les privés ung enfant qu’elle avoit fait. Elle se disoit de la Religion, mais c’estoit de celle des putains26.

La description, le plus souvent, s’accompagne en effet d’une qualification morale du crime. Certains lui paraissent particulièrement atroces, comme celui d’une religieuse assassinant deux de ses consœurs, en 1584, pour une simple 25. Ibid., p. 1078. 26. P. de L’Estoile, Mémoires-journaux…, t. VI, p. 125.

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offense27. Ses préoccupations sociales évoluent avec le temps. Par exemple, en 1598, très sensible à la répression des « voleurs de nuit », il se félicite de l’exécution de onze d’entre eux28. Les exécutions pour motif religieux n’occupent pas la première place chez lui, alors que d’autres témoins en font une priorité. C’est le cas dans les « mémoires » du curé ligueur Jean de La Fosse, qui mentionne en 1563 un tailleur de pierre, pendu puis brûlé pour avoir, dit-il, « pensé derrober le symbole de ma paroisse de Saint-Barthélemy »29. L’attention que ce dernier porte aux affaires judiciaires, qui s’explique en grande partie par le milieu auquel il appartient, s’inscrit dans une réflexion sur la décadence religieuse et morale du pays et plus particulièrement des officiers royaux. La même année, il évoque la décapitation de Guillaume de La Chesnaye, ancien conseiller du Parlement30, « partie pour haerésie, partie pour plusieurs faits quy ne furent recité au dictum pour l’indignité d’iceulx »31. Cette exécution donne lieu à une interprétation divergente chez François Grin, religieux de Saint-Victor, qui lui donne des causes politiques : Le mercredi 13e juillet 1569, fut décapité, en ladicte place de Grève, noble homme Maître de La Chenaye, autrefois conseiller de la court de Parlement, abbé de deux ou trois abbayes, et ce pour plusieurs cas énormes par luy perpetrez, et qu’il avoit donné ayde et confort aux rebelles de France32.

Pour lui, le procès est celui d’un agent du roi qui a trahi la monarchie. De même, l’attention de Pierre de L’Estoile est surtout tournée vers les crimes politiques, nettement surreprésentés puisqu’ils constituent un tiers de ses références à des exécutions, mais seulement 3,08 % des procès en appel selon R. Muchembled. Les exécutions de coupables de lèse-majesté s’accompagnent rarement de commentaires, à l’inverse des procès trouvés abusifs par L’Estoile. Le 7 juillet 1575, il rapporte l’exécution du capitaine La Vigerie, pour avoir dit du mal des Italiens et commente : [Un] inique jugement, lequel fut trouvé estrange de beaucoup d’honnestes hommes et scandaliza fort le peuple, comme si l’on eust voulu establir en France une domination estrangere pour l’asservir et tirannizer, au préjudice des lois du roiaume33.

27. Ibid., t. II, p. 200. 28. Ibid., t. VI, p. 137. 29. Jehan de La Fosse, Les « mémoires » d’un curé de Paris (1557-1590) au temps des guerres de Religion, éd Marc Venard., Genève, 2004 (Travaux d’humanisme et Renaissance, 393), p. 56. 30. Conseiller-clerc au parlement de Paris, reçu en 1554, La Chesnaye se démet en 1564 31. Jehan de La Fosse, Les « mémoires »…, p. 85. 32. Journal de François Grin, religieux de Saint-Victor de Paris (1554-1570), Paris, 1894, p. 50-51. 33. P. de L’Estoile, Mémoires-journaux…, t. I, p. 69.

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Le témoignage de l’Estoile est particulièrement intéressant quand ce dernier évoque des crimes restés impunis. Indigné, il en mentionne vingt-huit entre 1574 et 1598, se faisant ainsi le promoteur d’une mémoire de l’échec judiciaire que les archives ne permettent pas d’envisager. Il se plaint notamment que « ainsi se desmeloient, en ce temps, les procès et differends, sans autre formalité de justice, par la connivence et lâcheté du roy et du magistrat »34. De même, il espère, devant un double assassinat dont l’auteur est connu mais non condamné, que « Dieu le garde (comme il mérite) à une punition et justice exemplaire »35. L’écart entre la mémoire judiciaire archivée et sa réception par le public s’explique donc par la part d’interprétation des contemporains. Pour L’Estoile, écrire l’événement judiciaire procède de l’accumulation d’indices révélateurs de l’ampleur de la corruption de l’État et de la société toute entière.

2. Révéler les secrets de l’institution À côté du spectacle public de l’exécution, les mémorialistes évoquent aussi les secrets de l’institution. Ainsi L’Estoile mentionne-t-il parfois le contenu des délibérations des magistrats, alors même que ceux-ci prêtent serment de ne pas les révéler. Évoquant la séance du 31 janvier 1595 concernant l’« édit de pacification de l’an 1577 », il ne se contente pas d’affirmer que « la contrariété des opinions y fut grande ». Bien informé, il détaille les principales opinions et leur répartition, indiquant que, sur 112 magistrats présents, 59 sont pour l’édit et 53 contre36. Alors que les archives du Parlement ne gardent mémoire que de la décision rendue, afin de protéger l’institution de toute critique et de maintenir la fiction d’une unité de tous ses membres, un tel témoignage indique que des magistrats eux-mêmes font connaître leurs désaccords internes à l’extérieur de la cour souveraine. Le souvenir de délibérations houleuses, mis par écrit par des contemporains bien informés, sert donc de contre-point à la mémoire officielle, nécessairement muette sur un tel sujet. En donnant des indications précieuses, qui attestent d’une connaissance précise des débats politiques, le mémorialiste valorise son propre travail d’écriture. Les ressorts de la décision parlementaire intéressent aussi le curé de Provins, Claude Haton, qui est particulièrement sensible aux pressions exercées sur les magistrats, aux inimitiés ou alliances, ainsi qu’aux démarches entreprises officieusement par les parties auprès des juges. En 1577, il évoque le cas d’un homme, emprisonné à la Conciergerie dans l’attente de son procès. L’oncle de sa femme, « homme de credit audit Paris ou à la court et suitte du roy », l’apprenant, fait avancer rapidement l’affaire : 34. P. de L’Estoile, Registre-journal du règne de Henri III, Genève, 1997, t. III (Textes littéraires français, 487), p. 27. 35. Ibid., p. 69. 36. P. de L’Estoile, Mémoires-journaux…, t. VI, p. 12.

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Fut son procès mis entre les mains d’un conseiller nommé Monsieur Spiphame qui, pour la faveur qu’il portoit au parent dudit Mouton à cause de sa femme et de quelques aultres qui s’en meslerent, en peu de jours receut et feit recevoir ledit Mouton par messieurs de laditte court en procès ordinaire pour se justiffier, et fut tiré hors des prisons et mis en liberté pour solliciter son affaire37.

De même, quand un avocat de Provins est en procès avec des magistrats de la ville pour avoir falsifié un rapport, il se heurte à leurs alliances parisiennes, aux « faveurs de leurs amys dudit parlement » dit le texte, qui lui valent d’être lui aussi emprisonné à la Conciergerie38. Surtout, ses adversaires, grâce à leurs appuis, se vantent d’avoir emporté une condamnation exemplaire, alors même que l’arrêt n’est pas encore rendu : N’avoient honte de dire qu’il estoit au danger d’estre pendu, ou pour le moings d’estre foyté par la ville, de faire amande honorable et d’avoir le poin coupé, et de ce s’en tenoient bien assurés39.

La mention des jeux d’influence sur les magistrats est totalement discordante avec le témoignage des archives parlementaires, qui donnent à voir une justice idéale, à travers l’ordre réglé de la procédure. Ainsi la mémoire judiciaire transmise par les mémorialistes apparaît-elle comme le support à une critique de la justice, révélatrice des faiblesses de l’État et de la corruption de la société dans une époque troublée. Cette seconde forme de mémoire judiciaire extra-institutionnelle, modelée par la rumeur, est largement antinomique de la mémoire officielle. Elle rend visibles les dysfonctionnements du système judiciaire et politique, que ce soit en rappelant l’impunité de certains criminels, la gravité des crimes, les divisions entre magistrats ou les pressions qui s’exercent sur eux.

III. — LES IMPRIMÉS D’AVOCATS : UNE MÉMOIRE CRITIQUE DE L’ACTIVITÉ JUDICIAIRE

À côté de ces diverses formes manuscrites de mémoire judiciaire, pendant les guerres de Religion, se développe l’édition de plaidoyers et de discours d’ouverture, sous forme de pièces isolées ou de recueils. Les orateurs du Parlement deviennent alors producteurs de textes et non plus seulement de discours40. Certains avocats se chargent d’une diffusion élargie de leur parole par l’im37. Claude Haton, Mémoires, t. III : Années 1573-1577, éd. Laurent Bourquin et al., Paris, 2005 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Série in-8°, 33), p. 460. 38. Ibid., p. 240-241. 39. Ibid. 40. Voir De la publication, entre Renaissance et Lumières, dir. Christian Jouhaud et Alain Viala, Paris, 2002.

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pression de factums et de recueils de plaidoyers. Par ce moyen, les étapes orales de la procédure judiciaire s’affranchissent du cadre strict du Parlement pour constituer ainsi une autre mémoire, elle aussi critique, de la justice.

1. Les factums Le premier ensemble de documents imprimés est formé par les factums, qui sont des mémoires judiciaires exposant les arguments de l’avocat dans une affaire. Au contraire des documents tirés des archives de l’institution, ils émanent des avocats et concernent des procès qui ne sont pas encore jugés, constituant ainsi une mémoire concurrente à celle de l’institution. Leur impression, hors des circuits commerciaux de l’imprimerie, garantit à leur auteur une certaine autonomie de parole. Selon Loisel, l’avocat La Vergne a été le premier à faire imprimer ses factums, pendant les guerres de Religion41. Ce type d’écrits constitue un champ éditorial naissant, qui démultiplie l’audience des débats parlementaires. D’abord lus par les magistrats ou par d’autres praticiens qui s’informent ainsi sur les modes d’argumentation de leurs confrères, les factums prolongent un procès en cours hors du prétoire et assurent la publicité d’une affaire que les magistrats voudraient garder secrète. Au début des années 1580, un procès oppose Jean Poisle, conseiller au Parlement, à l’un de ses collègues, René Le Rouillier, qui l’accuse de corruption. La réputation d’un magistrat engageant celle de tous les autres, le scandale plane sur toute l’institution parlementaire et les prédicateurs s’emparent de l’occasion pour critiquer la justice royale42. L’affaire connaît un grand écho, en partie grâce aux factums, assez célèbres pour être mentionnés par La Croix Du Maine dans sa Bibliothèque françoise43. De tels écrits sont le seul moyen pour les particuliers de connaître la teneur exacte des charges pesant sur un accusé : en cas de scandale, les audiences se tiennent à huis-clos et les chefs exacts d’accusation ne sont pas divulgués. De même, les débats internes au corps des magistrats ne sont jamais rendus publics. L’imprimé permet au contraire d’exposer sur la place publique le détail des accusations portées contre Jean Poisle : abus de pouvoir dans l’instruction d’un procès, faux et falsifications de pièces de procédure, vols des biens d’accusés et violence44. Mais cela offre aussi à l’accusé un droit de réponse : Jean Poisle, dans son propre factum, accuse 41. Antoine Loisel, Pasquier ou dialogue des avocats du parlement de Paris, Paris, 1844, p. 109. 42. Élie Barnavi et Robert Descimon, La Sainte Ligue, le juge et la potence : l’assassinat du président Brisson, 15 novembre 1591, Paris, 1985, p. 166-167. 43. Les bibliothèques françoises de La Croix du Maine et de Du Verdier, sieur de Vauprivas, éd. Jean-Antoine Rigoley de Juvigny, Paris, 1772, p. 371 et 576. 44. Advertissement et discours des chefs d’accusation et points principaux du proces criminel fait à maistre Jean Poisle, conseiller en la cour de Parlement. A la requeste de maistre René le Rouillier…, s.l., 1582.

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Le Rouillier de calomnie et, surtout, lui reproche d’avoir employé l’imprimé comme moyen de faire campagne contre lui : Ledit accusateur et ses adherans ne se sont pas contentez de la dite accusation, mais l’ont publiee et divulguee par tout, et tellement imprimee aux oreilles du roy, roynes, princes, princesses et dame de ceste cour45.

Ces factums, en dévoilant au public les défaillances de l’institution parlementaire, relèvent d’une logique pamphlétaire de mise en accusation du système judiciaire lui-même. En 1582, un arrêt est rendu contre Poisle, par lequel il est condamné à faire amende honorable, n’a plus le droit de tenir un office royal et est banni pour cinq ans. Cette décision est très mal perçue du public, selon Pierre de L’Estoile, parce qu’elle apparaît comme une demi-mesure46. La diffusion des factums, en donnant au public les mêmes informations qu’aux juges, lui a permis de se faire sa propre opinion sur l’affaire et de critiquer les choix de la cour. La confrontation de ce type de documents est une modalité essentielle de leur lecture, comme en témoigne le mémorialiste parisien, qui, lisant en 1610 les pièces imprimées dans une affaire de rapt, conclut : On m’a donné le contrefactum du sieur de Vicquemare, lequel est bien fait et vault mieux que le sien. Qui n’oit, en cela, qu’une partie, n’oit rien47.

L’impression de factums, en élargissant l’audience des procès, introduit une dimension nouvelle à la mémoire judiciaire, dont la conservation et la diffusion passent au service de causes privées. Les factums s’inscrivent donc dans une logique de dévoilement des secrets de l’institution, qui n’est plus seule à orchestrer la publicité de ses délibérations et de ses décisions. C’est d’autant plus remarquable que les magistrats, pour la plupart, préfèrent garder privée la mémoire de leur activité. Ainsi Antoine Séguier, avocat du roi 1587 à 1597, puis président du Parlement jusqu’à sa mort en 1624, refuse-t-il de publier ses harangues, comme il l’explique dans son testament, dans lequel il précise « ne permettre ny souffrir qu’il soit mis aucune chose en lumiere de moy, mesmes les œuvres du Parlement que j’ay faict estant advocat du roy »48. De fait, les remontrances adressées au roi sont très rarement imprimées49. À l’inverse, l’impression des discours judiciaires, de plus en plus fréquente à partir des guerres de Religion, permet de diffuser plus largement cette mémoire. Communiquée par les avocats, elle participe de l’éducation politique du public, à qui elle permet de se faire juge des causes plaidées au Parlement et, par conséquent, de l’action des magistrats. 45. M. Jean Poille conseiller en Parlement…, s.l.n.d. 46. P. de L’Estoile, Mémoires-journaux…, t. II, p. 66-67. 47. Ibid., t. X, p. 198. 48. Bibl. nat. Fr., fr. 23060, fol. 300 bis v. 49. Sylvie Daubresse, Le parlement de Paris ou la voix de la raison (1559-1589), Genève, 2005 (Travaux d’humanisme et Renaissance, 398), p. 28.

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2. Les recueils d’arrêts L’impression des décisions judiciaires répond, elle aussi, à une démarche « publicitaire », dans un premier temps assumée par les gens de Parlement. La cour souveraine, en effet, est le premier promoteur de sa mémoire, à travers l’impression d’arrêts, placardés dans la ville et relayant visuellement son autorité. Son édition élargit l’impact d’une décision afin d’en faciliter l’application. C’est le cas pour des arrêts de règlement, de portée générale, comme cet Arrest de la cour de parlement, portant defenses d’exercer usures, rendu en 1565, qui précise : Sera le present arrest leu et publié à son de trompe et cry public par ceste ville de Paris et fauxbourgs d’icelle, és lieux et carrefours accoustumez à y faire cris et publications, à ce qu’aucun n’en puisse pretendre cause d’ignorance50.

C’est à partir du milieu du XVIe siècle que les décisions de la cour souveraine sont éditées en recueils51. Sous Henri II, sont publiés des recueils nationaux, par Jean de Luc en latin (1553) et Jean Papon en français (1556), ainsi que des recueils thématiques, par Philippe Chrestien en matière civile (1558) et Nicolas Theveneau sur les contrats (1559)52. Le premier recueil d’arrêts uniquement consacré au parlement de Paris, ouvrage posthume du président Gilles Le Maistre, date de 1566 : c’est le seul disponible avant celui de Barnabé Le Vest (1612)53. À l’inverse, les plaidoyers sont rapidement mis en recueils. Le premier est publié en 1568 par Pierre Ayrault54. Celui de Simon Marion paraît en 1593 et est réédité dès l’année suivante ; le troisième, celui d’Anne Robert, paraît en latin en 159655. La publication des discours de rentrée relève du genre des harangues, très nombreuses à être publiées pendant les guerres de Religion. Celles de Jacques Faye d’Espeisses, qui forment le premier recueil, publié à La Rochelle en 1591, connaissent plusieurs rééditions, augmentées des discours de Guy Du Faur de Pibrac, jusqu’à la fin du siècle56. 50. Arrest de la cour de parlement, portant defenses d’exercer usures, Paris, 1565. 51. Guy Pape, Commentaria et apparatus super statuto Delphinato, Valence, 1496 (rééd. Lyon, 1515, 1533, Francfort, 1574). 52. Placitorum summae apud Gallos curiae libri II, per Iohannem Lucium, Paris, 1553 ; Recueil d’arrestz notables des cours souveraines de France, par M. Jehan Papon, Lyon, 1556 ; Philippe Chrestien, Plusieurs arrestz notables donnez ès souveraines cours de parlemens et sièges presidiaulx de ce royaulme sur la décision des matières civilles les plus fréquentes et ordinaires, Lyon, 1558 ; Nicolas Theveneau, Traité de la nature de tous contrats[…], avec un recueil de plusieurs arrêts donnés ès cours souveraines et parlemens de France, etc., Poitiers, 1559. 53. Décisions notables de feu Messire Gilles Le Maistre, Paris, 1566. 54. P. Ayrault, XXI pledoiers faicts en la cour deparlement de Paris et arrestz sur ce intervenuz, Paris, 1568, rééd. sous le titre Extraicts d’aucuns pledoyers et arrests faicts et donnez en la cour de parlement de Paris, Paris, 1571, rééd. 1576. 55. Plaidoyez de M. Simon Marion, avec les arrêts donnés sur iceux, Paris, 1593 ; Annaei Roberti Aurelii, rerum judicatarum libri IV, ad. illustriss. et ornatiss. D. Achillem Harleum principem senatus Franciae, Cologne, 1596. 56. Jacques Faye d’Espeisses, Recueil des remonstrances faites en la cour de parlement de Paris aux ouvertures des plaidoiries, La Rochelle, 1591, rééd. augmentée 1592, 1594, 1598, 1600, 1604.

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Le développement de ce champ éditorial juridique répond à un double objectif : fixer un droit national et promouvoir une éloquence française. Les recueils de plaidoyers, qui fournissent aussi des textes d’arrêts, s’apparentent ainsi à des ouvrages de jurisprudence tels les recueils d’arrêts proprement dits. Adressés à des professionnels de la justice, ils visent à rendre accessibles des décisions rendues. En 1596 par exemple, Anne Robert met à la disposition des praticiens les arrêts du parlement de Paris dans soixante-et-onze affaires récentes (de 1571 à 1595). Très précis, ces instruments de travail constituent des témoignages directs sur l’activité parlementaire, prolongeant les recueils manuscrits tenus par les avocats au début de leur carrière. Ils offrent l’avantage de fixer un cadre commun de jurisprudence aux praticiens, tout en rendant hommage à la cour souveraine comme principal promoteur d’un droit français. Jean Papon évoque la « grand’autorité des arrestz d’icelles courts, et notamment de celle de Paris, que l’on allegue et tient pour loy certaine »57. En permettant une meilleure diffusion et utilisation de la mémoire judiciaire, ces recueils participent aussi d’un dévoilement des secrets de l’institution. Ce n’est pas un hasard si l’auteur du premier recueil de plaidoyers, Pierre Ayrault, est très critique à l’égard du secret judiciaire. En 1576, il écrit : [Les Anciens] ont tenu pour constant que tout ce qui se faisait en public, à la vue et en la présence de tout le monde, se faisait avec plus de majesté, plus de sincérité et plus d’exemple. Plus de majesté : car en privé, à plus forte raison en secret, le magistrat perd une grande partie de sa qualité ; il est privé, en privé […]. Plus de sincérité : car on y craint plus de faillir et, s’il y a trop de témoins, pour débattre la foi de ce qui y aura été fait et passé. Plus d’exemple : car il y a plus de discipline et de terreur58.

Selon lui, la publicité constitue une garantie de protection des justiciables et son recueil de plaidoyers est une mise en œuvre de cette conception. En présentant ensemble un plaidoyer et l’arrêt, l’auteur suggère que les juges ont suivi la logique de l’avocat. Il fournit ainsi au lecteur une interprétation de la décision, qui rompt le secret judiciaire. Les magistrats n’ont pas à motiver leurs décisions et ne sont donc pas tenus par leur jurisprudence. Or, en rendant publique la jurisprudence du Parlement, ces recueils créent une mémoire publique des arrêts rendus, qui rend visibles leurs éventuelles contradictions et participe ainsi de la systématisation du droit français. Paradoxalement, ces ouvrages qui renforcent la puissance de la cour de justice en diffusant son autorité, la contraignent en retour à plus de cohérence dans ses décisions, en la 57. Nouvelle et cinquieme edition du recueil d’arrests notables des cours souveraines de France, par Jean Papon conseiller du Roy et son lieutenant general au bailliage de Forests, Lyon, 1569. 58. Cité par Jean-Marie Carbasse, « Secret et justice, les fondements historiques du secret de l’instruction », dans Clés pour le siècle, Paris, 2002, p. 1266.

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plaçant sous le regard d’un public averti. L’édition est ainsi utilisée par les avocats afin de tenter d’instaurer une forme de contrôle du public sur les juges, en révélant les secrets et les contradictions de la cour souveraine. Le greffier apparaît comme le dépositaire naturel de la mémoire judiciaire, chargé d’en écrire une version officielle. Cependant, le souvenir des procédures peut aussi être conservé hors de l’institution. Dans le cas du parlement de Paris, se constituent ainsi des mémoires parallèles. Celle des magistrats, à usage privé et professionnel, participe de la célébration de l’institution, de ses combats politiques et de son rôle de soutien essentiel de la monarchie. Celle des mémorialistes, elle aussi à usage privé, mais certainement indicative de la perception urbaine de l’institution, est plus critique et met l’accent sur les crimes atroces ou les ratés judiciaires afin de témoigner en une période troublée de l’ampleur des désordres de la société. Enfin, la publication des décisions judiciaires, ou plus encore des plaidoyers et factums, en empêchant la cour souveraine de protéger le secret de ses procédures, constitue donc une forme de pression publique sur la justice, mais aussi un formidable outil d’éducation politique. Loin de dénigrer l’importance de la consultation des archives, cette contribution vise simplement à souligner l’intérêt de leur mise en perspective avec des sources non institutionnelles. La lecture des archives, en effet, ne saurait en rien épuiser la question de la mémoire judiciaire, dont la connaissance ne peut être mieux approchée que par la confrontation de mises par écrit divergentes, voire contraires, mais fondamentalement complémentaires. Marie HOULLEMARE Université de Picardie-Jules-Verne

NAISSANCE D’UNE MÉMOIRE JUDICIAIRE D’ÉTAT

L’ŒUVRE DU JURISTE FRANCISCO DE MELGAR ET LA JUNTE ROYALE DU BUREAU EN 1695 PAR

OLIVIER CAPOROSSI

En 1695, le licencié Francisco de Melgar fait éditer chez Diego Martínez Abad, à Madrid, un mémoire extrajudiciaire qu’il intitule Por el señor mayordomo mayor, y bureo de el rey nuestro señor, sobre la jurisdicción civil y criminal que tiene en los domésticos y sirvientes de la Casa Real. Le discours ainsi constitué fait écho autant aux mécanismes de la pratique judiciaire et extrajudiciaire d’une société de cour, qu’à l’utilisation des différentes archives du tribunal dans la proposition faite au roi d’une légitimitation de la junte du Bureau. Le travail du juriste Francisco de Melgar dépend donc d’une série de savoirs diversifiés mis au service de la revendication corporatiste des majordomes du roi. Ces derniers cherchent à asseoir leur autorité sur l’ensemble des courtisans du palais contre des justices concurrentes, qu’elles soient palatines comme la chapelle royale ou les gardes royales, courtisanes comme les conseils et les alcades de cour, ou encore qu’elles appartiennent à la villa comme le corregidor et les échevins. Ils essaient de constituer autour de leur juridiction une véritable identité palatine, dont la proximité géographique et symbolique avec le monarque serait susceptible de situer leur prestige, et les logiques d’influence qui en dépendent, au cœur de la monarchie et de sa justice distributive. À chaque contestation de son statut, le Bureau doit défendre ses prérogatives par la production d’un mémoire capable de soutenir une offensive juridictionnelle contre les autres tribunaux de Madrid. La junte royale du Bureau, légitimée par l’étiquette bourguignonne qu’avait imposée Charles Quint à la cour d’Espagne1, était devenue un enjeu majeur 1. Olivier Caporossi, « Las etiquetas de corte de Carlos V y el planteamiento de una nueva institución, la junta del Bureo », dans Carlos V. Européismo y universalidad, coord. Juan Carlos Elorza, Juan Luis Castellano et Francisco Sánchez-Montes, Grenade, 2001, t. II, p. 95-106.

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pour l’aristocratie castillane, en quête d’une reconnaissance de son patronage social par la monarchie, et pour Philippe IV (1621-1665), soucieux d’exercer une nouvelle police dans sa capitale, Madrid. L’exercice de la police à Madrid, pendant tout le XVIIe siècle, laisse à la junte du Bureau un héritage, fait de nombreux conflits juridictionnels avec les autres justices royales et de la crise financière des Habsbourgs qui n’en finissent pas de réformer leurs étiquettes ; elle pose le problème de la place de l’espace palatin dans celui de la cour et de la ville, auxquels il se superpose et avec lesquels parfois, il se confond2. La junte du Bureau ne se résume pas seulement à un territoire en construction. Elle incarne aussi un tribunal supérieur propre à l’ensemble des valets de la Maison du roi, que l’histoire a placé en concurrence avec celui de la chapelle royale et d’autres autorités, comme les capitaines des trois gardes royales (la Garde espagnole, les Archers, la Compagnie tudesque ou allemande). C’est donc dans la rencontre conflictuelle de trois mondes (le palais, la cour et la ville) que se joue la nouvelle réformation de la cour, ordonnée par un Charles II (1665-1700) malade. Dans ce contexte, les conflits de compétence entre les conseils et les autorités du Palais royal acquièrent une signification politique qui dramatise le système judiciaire de la cour d’Espagne. Situées au cœur de ces luttes d’influence, les charges palatines sont d’une importance cruciale pour obtenir l’oreille du roi3. Le parti autrichien peut ainsi compter sur le confesseur du roi, Pedro Matilla, et sur le nouveau capitaine de la compagnie allemande, le prince Georges de Hesse-Darmstadt, cousin de la reine. Ce dernier se trouve ainsi placé sous la juridiction de la junte du Bureau, dont il peut contester l’autorité grâce à ses liens privilégiés avec la reine, très écoutée de Charles II. Un parent de l’archevêque de Tolède assume lui les fonctions de Grand Majordome et préside la junte du Bureau. C’est Cristobal Portocarrero de Guzmán y Luna (1638-1704), quatrième comte de Montijo, qui siège aussi au Conseil d’État4. Depuis 1691, les charges de patriarche des Indes, grand aumônier et de grand chapelain sont entre les mains d’un neveu de l’archevêque de Tolède, Pedro Portocarrero5. Une réforme du palais est donc nécessaire afin de renouveler le personnel palatin. Elle 2. Olivier Caporossi, « La police à Madrid au XVIIe siècle : conflits de juridiction dans une société de cour », dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 50-1, 2003, p. 744-762. 3. Le personnel de la cour représente 10 % de la population madrilène (estimée alors à 130 000 habitants) en 1625. Vers 1650, le palais emploie 1 270 personnes pour la Maison du roi, 475 pour celle de la reine et 442 pour la maison de Castille. À ces chiffres, il faut ajouter la maisonnée de chacun d’eux pour évaluer la population bénéficiant des juridictions palatines. El impacto de la corte en Castilla. Madrid y su territorio en la época moderna, dir. José Miguel López García, Madrid, 1998, p. 183. 4. Feliciano Barrios, El consejo de Estado de la monarquía española 1521-1812, Madrid, 1984, p. 406. 5. Carmen Sanz Ayán, « Estudio preliminar », dans Pedro Portocarrero y Guzmán, Teatro monárquico de España, Madrid, 1999, p. XXVI.

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doit offrir à chaque clan la possibilité de placer un de leurs partisans aux postes clés de la chambre du roi et de la reine et donner une légitimité à cette « révolution de palais » par la réorganisation de son système judiciaire. Charles II réunit une junte de ministres accusée par Francisco de Melgar de vouloir priver la junte du Bureau des pouvoirs de juridiction qui lui ont été délégués par le monarque6. Cette junte est composée par deux conseillers royaux, deux autres du Conseil de guerre, l’assesseur du Bureau et un des majordomes du roi7. Le grand majordome du roi, qui préside la junte du Bureau, réagit en conséquence et charge Francisco de Melgar, riche de son expérience d’avocat des conseils royaux qui le conduit parfois à assumer la fonction d’assesseur, de rédiger un mémoire pour défendre les prérogatives de ce tribunal, dont la dernière réformation, inspirée par la reine-mère, est pourtant assez récente (1687).

I. — LA RECHERCHE D’UNE LÉGITIMITÉ : L’HISTOIRE DU GRAND-MAÎTRE DE LA MAISON ROYALE Dès le début de son discours, le licencié Francisco de Melgar situe la légitimité de la juridiction civile et pénale de la junte royale du Bureau dans le giron de la dignitas la plus prestigieuse du palais : le grand majordome. À de multiples reprises, l’auteur s’acharne à démontrer la nécessité de cette fonction au sein du système monarchique. La réalité du passé historique de la mayordomia mayor n’est pas inscrite dans la continuité temporelle, ni déterminée par rapport à un événement fondateur. Chaque exemple historique est d’abord considéré isolément sur le mode de l’exemplum. Il appartient au récit d’unir les exemples historiques entre eux, autour d’une même thématique : le champ sémantique de la mayodormía doit attester la prééminence des fonctions de son mandataire. Par son extrême diversité, le récit historique est porteur d’une sagesse universelle dont l’auteur, en s’appropriant le statut d’historien, fait l’offrande à Charles II8. À en croire Francisco de Melgar, dans l’empire romain, le Grand Majordome est le maître des offices, si apprécié du césar que ce dernier le qualifiait de frère. C’est le roi d’Aragon qui, le premier, lui donne le titre de Grand Majordome. Mais sa présence est aussi attestée dans le comté de Catalogne, sous le titre de grand 6. Francisco de Melgar, Por el señor Mayordomo Mayor, y Bureo de el rey nuestro señor, sobre la jurisdicción civil y criminal que tiene en los domesticos, y sirvientes de la Casa Real, Madrid, Diego Martinez Abad, 1695, Archivo general de Palacio, Real Capilla, caja 6753, ex. 5, fol. 34. 7. Ibid., fol. 5. 8. Francisco de Melgar participe de la philosophie de l’histoire comme le chroniqueur de Philippe III avait pu l’expliciter en 1611 : « Los que la saben parece que han vivido muchos siglos, visto todas las regiones, halládose en todos los públicos consejos y pressentes a todo lo acaecido, notándolo y juzgándolo con cuidado » (Luis Cabrera de Cordoba, De historia para entenderla y escribirla, Madrid, 1948, p. 40-41).

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sénéchal. C’est ainsi que Pierre III d’Aragon donne le titre de grand-sénéchal à l’infant Don Martin, en 1373, avec une juridiction particulière sur ses gens d’armes et le qualificatif de « connétable »9. Cette allusion n’est pas innocente. L’auteur doit, un peu plus loin dans son discours, confirmer la juridiction suprême de la junte du Bureau et du Grand Majordome sur les trois gardes royales. Le roi Pierre III aurait aussi proclamé que les tenants de cette charge devaient appartenir à la noblesse d’épée et être désignés parmi « les seigneurs, et chevaliers de sang royal »10. La justification de l’emprise des grands lignages de l’aristocratie et des grands sur la mayordomía mayor et la Maison du roi, devient celle d’une tradition historique, attestée jusqu’au règne d’Alphonse IV, par les écrits des chroniqueurs Miguel Ferrer et Juan de Madariaga, dont une partie du douzième chapitre sur le Sénat est introduite dans le récit et marquée par une écriture cursive11. En effet, tous les membres de la grandeza prétendent descendre d’une des branches cadettes des diverses familles princières de Castille, d’Aragon et de Navarre. Leur emprise politique s’est même renforcée au sein du gouvernement de la monarchie, depuis le coup de force de Jean Joseph d’Autriche en 1676. Le sort des monarchies française, aragonaise, et portugaise est d’autant plus important, que les Habsbourgs entretiennent des liens de parenté avec les familles royales citées. La maison d’Autriche se prétend l’héritière des maisons de Castille mais aussi d’Aragon et de Portugal. La réunion du Portugal (15801668) repose sur les liens de Charles Quint et de Philippe II avec les Aviz, dont la maison descend mythiquement du roi Dionis. La monarchie portugaise des Bragance – qui est d’ailleurs ignorée – demeure une usurpation pour les Habsbourgs qui n’ont accepté leur défaite qu’après une longue guerre (16401668). Pas plus que le Portugal contemporain de la fin du XVIIe siècle, la France de Louis XIV n’est mentionnée. Les allusions les plus contemporaines font seulement référence au dernier Valois assassiné en 1589, dont Philippe II avait cru pouvoir récupérer la couronne, à son profit ou à celui d’un parent, grâce à son mariage avec la fille d’Henri II, Isabelle de France. Les Bourbons, installés sur le trône par un prince hérétique et relaps, Henri IV, sont absents du récit sur la maison royale de France. Ils apparaissent en creux comme des usurpateurs. Leur oubli, dans le contexte politique de l’Espagne de 1695, n’est pas innocent. Charles II fait rédiger un testament qui préfère, comme héritier, un prince allemand à Louis XIV. L’auteur du mémoire laisse ainsi à penser que le Grand Majordome, commanditaire de l’ouvrage sur sa juridiction, penche encore en faveur du parti autrichien. 9. F. de Melgar, Por el señor Mayordomo Mayor…, fol. 7. 10. « los señores y cavalleros de sangre real », ibid. 11. Ibid., fol. 8.

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Francisco de Melgar introduit ensuite le cas castillan. C’est à Alphonse le Sage (1252-1284) et aux Sept Parties que le juriste se réfère dans un premier temps avant de revenir sur les exemples des Rois Catholiques et de Philippe II12. Les personnages historiques, appelés à témoigner de la validité des affirmations de l’auteur, sont désormais trop proches de ce dernier pour que leur politique palatine ne soit attestée que par des chroniqueurs. Apparaissent alors des référents normatifs (cédules royales, ordonnances, étiquettes) qui finissent par supplanter les citations de chroniques et de traités politiques. La chronologie des événements est généralement bien soulignée mais le récit de Francisco de Melgar ne s’appuie pas pour autant, sur une périodisation. L’idée d’un progrès de la fonction du grand maître au sein des grandes monarchies de l’histoire n’est pas exprimée par l’auteur. Néanmoins, le récit des exempla est fondé sur des chroniques précises. Il est essentiel qu’ils acquièrent ainsi la propriété de faits historiques, formant une véritable galerie de portraits des rois et des grands majordomes. Le résultat ressemble à une généalogie de la mayordomía mayor13. Cette rhétorique ne se laisse pas enfermer dans les nombreuses notes qui interviennent dans l’ensemble du discours comme une série de digressions appuyant d’autres témoignages, d’autres preuves de la justesse des prétentions du Bureau : cédules royales, privilèges, étiquettes, coutumes notamment… Les notes ne soutiennent pas directement le compte rendu des actions exemplaires invoquées14. Elles interrompent souvent le récit au profit de l’accumulation d’un savoir bibliographique, chargé d’établir une vérité historique15. Elles peuvent en effet contenir jusqu’à huit ou dix titres d’ouvrages, souvent abrégés, qui permettent d’adhérer au jugement de Francisco de Melgar sur la vérité des opinions émises par les auteurs cités. Il pense ainsi que les autorités auxquelles il se réfère sont suffisantes pour prouver la justesse de son propos. Sa plume « offre ce qui est nécessaire pour soigner la curiosité avec les auteurs qui sont mis à la marge » écrit-il16. La dignité de la mayordomía mayor rend Francisco de Melgar « modeste » et le place dans une situation de subordination, vis-à-vis de son sujet. 12. Ibid., fol. 12. La version des Partidas qui fait autorité et qu’utilise Francisco de Melgar est celle commandée au juriste Gregorio López par Charles Quint. Achevée en 1555, l’édition de Gregorio López vaut autant par le texte lui-même que les commentaires en latin et ses gloses. Jerry R. Craddock, « The legislative works of Alfonso el Sabio », dans Emperor of culture : Alfonso X the Learned of Castile and his Thirteenth-Century Renaissance, éd. Robert I. Burns, 1990, p. 182-197, à la p. 192. 13. Philippe Ariès, Le temps de l’Histoire, Paris, 1986 (1re éd. 1954), p. 168. 14. Anthony Grafton, Les origines tragiques de l’érudition, Paris, 1998, p. 121. 15. Marie Dominique Couzinet, « La bibliographie de l’histoire dans la Methodus de Bodin », dans Cahiers V. L. Saulnier, t. 19, 2002, p. 49-61. 16. « [O]frece lo suficiente al cuydado de la curiosidad con los Autores que van puestos al margen », voir F. de Melgar, Por el señor Mayordomo Mayor…, fol. 11.

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Francisco de Melgar apprécie tout particulièrement les chroniqueurs d’histoire ecclésiastique, urbaine et monarchique17. C’est pourquoi nous retrouvons Gaspar Escolano dont la Decada primera de la historia de la insigne y coronada ciudad y reyno de Valencia, publiée en 1610 et 1611, certifie le rôle de Grand Majordome dans la maison d’Aragon. Le traité du moine de la chartreuse de Portaceli, Juan de Madariaga, intitulé Del senado y de su principe, édité à Valence en 1617, a une fonction identique dans le discours. Dans ce traité, l’auteur évoque l’organisation palatine, dont il a une expérience directe puisqu’il fut nommé en 1586 au poste de valet dans la maison de l’impératrice Marie d’Autriche (1581-1603)18. La dernière autorité en la matière est représentée par Jeronimo de Blancas y Tomas, auquel on doit un Aragonensium rerum commentarii (édité à Saragosse en 1588) et un traité sur le mode de procédure des cortes d’Aragon (1587)19. D’autres références sont plus politiques et dénotent le triomphe du courant tacitiste dans la pensée politique et juridique espagnole du XVIIe siècle. C’est ainsi le cas de l’historien Zurita, grand connaisseur des œuvres de Tacite20. La référence au « Livre des princes » de Juste Lipse (qui semble bien être le Monita et exempla politica, libri duo qui virtutes et vitia principum spectant imprimé à Anvers en 1595, 1597 et 1604) clôture le paragraphe sur la juridiction des valets de la maison royale qui résiderait dans la dignité du grand majordome. Toute juridiction est d’abord attachée à la dignitas de l’office auquel appartient la présidence d’un tribunal supérieur. C’est là l’un des principaux fondements du pouvoir de juridiction. Le roi se trouve, d’après l’interprétation du texte de Juste Lipse cité en note par Francisco de Melgar, dans l’obligation de le reconnaître et en conséquence de le déléguer à son Grand Majordome. Mais l’influence du tacitisme déborde la simple référence à Juste Lipse pour s’étendre à l’ensemble du discours. L’autorité du Prince est liée à un fatum politicum voulu par la puissance divine, qui soumet l’histoire des monarchies à des cycles de croissance et de décroissance21. La seule manière de fonder la sagesse du prince réside alors dans les exempla historiques, dont le livre de Francisco de Melgar est particulièrement riche. Ils sont seuls capables de délivrer un enseignement sur cet ordre de la providence et de proposer une anticipation de l’avenir. Charles II, animé par la vertu de justice sur laquelle repose sa couronne, ne peut donc que reconnaître 17. Richard L. Kagan, « Clio and the crown : writing history in Habsburg Spain », dans Spain, Europe and the Atlantic world. Essays in honour of John H. Elliott, éd. Richard L. Kagan et Geoffrey Parker, Cambridge, 1995, p. 73-99. 18. José Simón Díaz, « Los escritores-criados en la época de los Austrias », dans Revista de la universidad Complutense, 1981, p. 169-177, à la p. 172. 19. Francisco Tomás y Valiente, Manual de historia del derecho español, Madrid, 1997 (1re éd. 1979), p. 319. 20. Ibid., p. 135. 21. Jacqueline Lagrée, Juste Lipse. La restauration du stoïcisme, Paris, 1994, p. 81.

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le droit de son Grand Majordome à juger pénalement et civilement tous les valets de sa maison, parce que cette juridiction est l’un des piliers de l’ordre palatin dans toutes les grandes monarchies de l’humanité. L’histoire est plus qu’un simple récit événementiel, elle apprend au Prince à écarter l’injustice de son action et de son royaume22. Elle fait la vertu politique du Prince, non à partir de principes intemporels, mais à partir du fait historique lui-même. Le troisième groupe d’autorités est constitué par les spécialistes de la justice. Nous y retrouvons des juristes (Pedro González de Salcedo y Butron, Juan Bautista de Larrea, Sebastian de Covarrubias), deux théologiens (Luis de Molina et le père Francisco Suares) et des Anciens (Cicéron et Sénèque). Pedro González de Salcedo y Butron, alcade de cour de 1660 à 1672, puis procureur du Conseil de Castille avant d’en devenir membre en 167323, est l’auteur de nombreux traités de pratique judiciaire en latin et en castillan. Il fait donc autorité, ainsi que Juan Bautista Larrea, procureur du Conseil de Castille avant de l’intégrer comme membre24, dont le succès des Allegationes fiscales (1642 et 1645) ne se dément pas jusqu’à la fin du XVIIe siècle25. Du premier traité de Pedro Gonzalez de Salcedo y Butrón, Francisco de Melgar en fait le témoignage indiscutable de l’existence d’un tribunal du Grand Majordome, séparé des autres cours de justice auprès d’Alphonse le Sage, introducteur du droit commun en Espagne26. Les ouvrages ne sont pas toujours sélectionnés en fonction de leur thème principal, mais parfois des faits annexes qu’ils peuvent rapporter. Le Theatrum honoris, véritable dissertation juridique, sert à de multiples reprises à fonder la dignité supérieure — notamment aux Grands d’Espagne — du Grand Majordome, manifeste par la place qu’il occupe juste derrière le roi, essentiellement lors des cérémonies religieuses de la cour aussi bien à l’extérieur du palais qu’à l’intérieur de la chapelle royale27. Quant au De lege politica, il appuie l’argumentation de l’auteur en faveur des étiquettes et du serment fait par tous les laquais du roi mais se trouve rétrogradé à l’avant-dernier rang des autorités citées28. Juan Bautista de Larrea réunit dans ses Allegationes une série de considérations sur la fonction législatrice de la monarchie et le rapport à la loi que doivent entre22. Alfonso Capitán Díaz, Historia de la educación en España. De los origenes al reglamento general de instrucción pública (1821), Madrid, 1991, t. I, p. 571. 23. María Angela López Gómez, « Los fiscales del consejo real », dans Hidalguia, 1990, t. 218, p. 224. 24. Janine Fayard, Los ministros del Consejo real de Castilla (1621-1788). Informes biográficos, Madrid, 1982, p. 25-26. 25. Paola Volpini, « Las Allegationes fiscales (1642-1645) de Juan Bautista Larrea », dans Revista de historia moderna, t. 15, 1996, p. 465-502. 26. F. de Melgar, Por el señor Mayordomo Mayor…, fol. 12. 27. Ibid., fol. 14 et 15, n. 58 et 60. 28. Ibid., fol. 15, n. 61.

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tenir ses sujets. La septième allégation de Juan Bautista de Larrea permet, par exemple, à Francisco de Melgar de confirmer l’origine du pouvoir de juridiction suprême et universel du Prince dans le droit commun29. Le roi doit protéger ses magistrats, enseigne Juan Bautista Larrea. Au paragraphe suivant, Francisco de Melgar lie la juridiction du Grand Majordome au droit commun, la dotant ainsi d’une légitimité analogue, bien qu’elle demeure inférieure, à celle du Prince. Instrumentalisant la philosophie du juriste Larrea, il montre que le Prince doit confirmer les privilèges du Grand Majordome. Les livres d’allégations sont très appréciés par les juristes du XVIIe siècle. C’est pourquoi dans l’apparat des notes du discours, Francisco de Melgar se réfère à d’autres ouvrages d’allégations, comme celui de Juan Gutiérrez, édité en 1607 à Valladolid30. Sa culture juridique est plus ample encore, puisqu’elle intègre la littérature des livres de pratique judiciaire du royaume d’Aragon. Rappelons le nom de Miguel Ferrer et celui de son Methodus sive Ordo procedendi judiciarius (1554)31. Quand il faut justifier les procédures civiles et pénales du Bureau, les œuvres des criminalistes sont des plus utiles. Au premier rang desquels le De re criminali, sive controversiarum usu frequentium in causis criminalibus, cum earum decissionibus tam in Aula Hispana Suprema criminum, quan in Summo Senatu Novi Orbis (1676) du Valencien Lorenzo Matheu y Sanz, ancien alcade de cour, devenu membre du Conseil des Indes et du Conseil d’Aragon. De ces nombreux exemples, nous ne saurions que déduire l’importance de la littérature des practicas sur l’exercice judiciaire et l’ensemble de la littérature juridique. Cette pratique discursive des autorités n’empêche pas le débat. Francisco de Melgar reprend la définition que donne Sebastian de Covarrubias dans son Tesoro de la lengua castellana o española (1611) de la junte du Bureau pour la contester, pour la déconstruire et pour en démontrer toute la fausseté. L’assimilation du Bureau à une simple junte de majordomes par Sebastian de Covarrubias est une erreur de compréhension, dans la mesure où elle oublie le Grand Majordome, le prestige de son tribunal (le juzgado) et l’origine française du mot Bureo. L’étymologie joue un grand rôle. Les autorités citées n’offrent donc pas toujours une véracité supplémentaire aux arguments de Francisco de Melgar ; elles sont parfois invitées à participer au caractère polémique de l’œuvre. Un autre groupe d’autorités est constitué par les glossateurs et commentateurs du droit romain et du droit royal. Les plus anciens comme Pietro Baldo de Ubaldis (1327-1400) et Bartolo de Sassoferrato (1313-1357) représentent les 29. Ibid., fol. 19. 30. Il s’agit des Allegationes X in variis causis ouvrage édité par le fils de l’auteur. Mais Juan Gutiérrez présente un autre intérêt : son Tractatus de juramento confirmatorio de 1597, très pratique pour expliquer le fonctionnement procédurier des grands tribunaux. F. Tomás y Valiente, Manual de historia del derecho español…, p. 314-315. 31. Ibid., p. 319.

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références obligées de tout discours juridique en quête de crédibilité32. Á ceuxci s’ajoutent les gloses de Gregorio López, de Juan Gutiérrez et de Juan Matienzo, pour l’essentiel33. De nouvelles références permettent d’assimiler la philosophie d’un Cicéron, d’un Sénèque aux prétentions du Grand Majordome. Le choix effectué par Francisco de Melgar est des plus classiques. Les deux auteurs romains sont traditionnellement récupérés aussi bien par la littérature politique que juridique. Il n’est pas jusqu’aux allégations judiciaires qui n’en usent. De plus, l’œuvre de Sénèque connaît un certain succès dans la deuxième partie du XVIIe siècle34. La juridiction du Grand Majordome et de la junte du Bureau n’exprime pas seulement la revendication corporatiste des serviteurs du Palais royal : elle réalise le dessein de justice des Habsbourgs que leur a assigné la Providence. Elle incarne une politique de la morale chrétienne, qui voit dans le stoïcisme son reflet, et situe les privilèges du Grand Majordome dans l’espace de la grâce royale. D’où l’utilité d’un Sénèque et d’un Cicéron, associés à Tacite, dont Juste Lipse a été le traducteur et le vulgarisateur, pour assimiler le pouvoir de juridiction et la libéralité du monarque. À côté des Anciens, Francisco de Melgar a placé les théologiens de la justice. Il n’oublie pas d’y ajouter le nom de Cassiodore, car les Institutiones divinarum et saecularium litterarium constituent l’une des sources les plus importantes de la culture médiévale et moderne35. Néanmoins, ce sont les héritiers de l’école salmantine qui ont ses honneurs : Luis de Molina et Francisco de Suárez. Le premier est connu pour un De justitia et jure, dont la publication des cinq volumes s’étend de 1593 à 165936. Quant au De legibus du jésuite Francisco de Suárez, il permet de situer la juridiction du Bureau dans la difficile dialectique de la coutume et de la loi sur laquelle nous reviendrons. L’usage de notes se référant à Luis de Molina est identique. L’auteur ne se contente d’ailleurs pas du texte de Molina. Il se sert aussi bien des additions aux écrits du célèbre théologien de la justice. La glose, ne l’oublions pas, vaut, depuis la Renaissance, la lettre du texte lui-même. 32. Javier Barrientos Grandon, « El derecho común ante la real audiencia de Chile en un alegato del siglo XVIII », dans Revista chilena de historia del derecho, t. 15, 1989, p. 111. 33. Salustianos de Dios, « La doctrina sobre el poder del príncipe en el doctor Juan Gutiérrez », dans Revista de estudios, t. 39, 1997, p. 133-183. 34. Antonio Alvárez-Ossorio Alvariño, « El favor real : liberalidad del príncipe y jerarquía de la república (1665-1700) », dans Repubblica e virtù. Pensiero politico e monarchia cattolica fra XVI e XVII secolo, éd. Chiara Continisio et Cesare Mozzarelli, Rome, 1995 (Biblioteca del Cinquecento, 67), p. 397399. 35. Michel Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, 1995, p. 181. 36. Juan Belda Plans, La escuela de Salamanca y la renovación de la teología en el siglo XVI, Madrid, 2000, p. 852.

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De cette dissertation sur la dignitas du Grand Majordome, il ressort que le droit de la junte du Bureau « est tout entier le produit de l’histoire » à laquelle il serait vain de s’opposer37.

II. — LE TÉMOIGNAGE DES PROCÈS : PALAIS ROYAL.

UNE MÉMOIRE JUDICIAIRE DU

Francisco de Melgar a sélectionné un certain nombre de procès capables de témoigner du bien-fondé des prétentions de son tribunal. Mentionner ces procès revient à justifier la procédure appliquée par la junte du Bureau. Toutes les affaires choisies relèvent du conflit de juridiction et sont présentées au lecteur par Francisco de Melgar comme de véritables exempla. Les tribunaux concurrents, suspectés d’entraver l’action de justice de la junte du Bureau, dépendent du Conseil de Castille. C’est ce dernier, qui est visé par le procédé de Francisco de Melgar. En 1599, Juan de Frutos demande à l’alcade de cour Francisco Arias Maldonado que le remboursement des dettes soit pris sur les biens de l’ancien chanteur de la chapelle royale, Estevan Enriquez. Mais la veuve du musicien, Luzia Santillana, dépose un recours devant la junte du Bureau qui, en accord avec son assesseur, Diego López de Ayala, accepte la cause. Le récit s’arrête là. Le lecteur ne connaît pas la réaction de l’alcade de cour. En fait, ce qui importe à l’auteur dans cet exemple, est l’accord de l’assesseur. Il montre, non seulement que la procédure a été respectée, mais prive, aussi, le Conseil de Castille de toute critique. Les assesseurs de la junte du Bureau appartiennent en effet à ce dernier. Tous les procès ne supportent cependant pas un conflit de compétence. En 1627, après le dépôt d’une plainte de Juan de Loaysa, patron des œuvres pieuses fondées par Maria de Ribadeneyra, contre l’intendant de la maison royale, Juan Duran, accusé d’abus dans la gestion de ces œuvres pieuses et des chapelles correspondantes, la junte du Bureau condamne l’accusé, sur l’avis de l’assesseur – dont Francisco de Melgar se plaît à rappeler le nom (le comte de Castrillo, Garcia de Haro) et la fonction qu’il assuma par la suite, celle de président du Conseil de Castille. Les procédures civiles et pénales de la junte du Bureau seraient donc parfaitement légales et justes. En conséquence, toute critique du Conseil de Castille à cet endroit, ne saurait être qu’inexacte et mal intentionnée. Le résumé de l’affaire de 1625 est, lui, plus riche en informations sur la procédure. Deux tailleurs attachés au service de l’écurie de la reine (caballeriza) – Andres et Francisco de Cordova – disputent à Ana de Valmaseda, l’usufruit de leurs offices devant la chambre des juges de cour. Informée, la junte du 37. George Huppert, L’idée de l’histoire parfaite, Paris, 1973, p. 159.

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Bureau demande à recevoir le greffier Bartolome Gallo, avant de réclamer l’affaire, qu’elle obtient et conserve jusqu’à sa conclusion. C’est une défaite pour la juridiction des juges de l’Hôtel et de la Cour. Trois années plus tard, le tribunal palatin met indirectement en échec le lieutenant du corregidor de Madrid, Alonso Pantoja, qui prétendait arbitrer un litige entre les recouvreurs de l’alcabala et les deux chapeliers du roi, Diego Hernández et Gaspar Ruiz, accusés de ne pas acquitter l’impôt38. Un recours est déposé devant la junte du Bureau, qui déclare que cette affaire revient au seul Conseil des finances. L’intervention du corregidor semble discréditée et l’agressivité juridictionnelle de la junte du Bureau rejetée. Les majordomes du roi se réunissent pour rendre la justice, et non pas pour étendre leur juridiction. L’exemple de 1628 prouverait leurs intentions désintéressées, puisqu’ils reconnaissent le droit du Conseil des finances sur ce procès. Mais ils prennent soin de ne pas confondre ce désintéressement avec la négation de leur autorité vis-à-vis du corregidor, juge de première instance. Il s’agit de montrer que la juridiction de la junte du Bureau n’est limitée que par ses égaux, à savoir un tribunal suprême, comme le Conseil des finances. La junte du Bureau se place ainsi au même rang que les plus grands tribunaux de la cour et de la monarchie. En 1648, les laquais de la Maison du roi déposent un recours devant la commission des Millions afin de ne pas payer les sises (sisas)39. Le procureur de cette junte leur répond qu’une telle demande ne peut être jugée que par le Bureau dont ils dépendent « comme sujets de la juridiction de ce tribunal »40. C’est donc ce dernier qui statue favorablement sur l’exemption fiscale des laquais de la maison royale, en se ralliant à l’avis de l’assesseur Bartolome Morquecho. L’important ici n’est pas de remarquer la victoire des majordomes sur la 38. L’alcabala est une taxe sur les transactions représentant 10 % de leur montant. En est exclu le commerce du pain cuit, des grains, des chevaux, des mules, de la monnaie, des armes et des livres. Mais il peut être réduit de moitié dans les villes. Au milieu de la décennie 1690, le Conseil de Castille et le Conseil des finances se lancent dans une politique plus agressive contre les fraudeurs de cet impôt et se disputent cette activité. D’où l’intérêt du procès choisi. José Ignacio Fortea Pérez, Monarquía y cortes en la corona de Castilla. Las ciudades ante la política fiscal de Felipe II, Salamanque, 1990. Anne Dubet, « Finances et réformes financières dans la monarchie espagnole, mi-XVIe-début XVIIIe siècle », dans Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, t. 3-4, 2000, p. 56-83, à la p. 63. Juan A. Sánchez Belén, La política fiscal en Castilla durante el reinado de Carlos II, Madrid, 1996. 39. La commission des Millions fonctionne depuis 1611 et gère le recouvrement des millions concédés par les cortes à la monarchie. Elle est incorporée au Conseil des finances depuis 1658. L’une de ses tâches est d’organiser le recouvrement des sisas, c’est-à-dire des taxes sur la consommation, comme celles des quatre espèces (le vin, le vinaigre, l’huile et les viandes). Beatriz Cárceles de Gea, Reforma y fraude fiscal en el reinado de Carlos II. La Sala de Millones (1658-1700), Madrid, 1995, p. 139 ; José Ignacio Andres Ucendo, La fiscalidad en Castilla en el siglo XVII : los servicios de millones, 16011700, Bilbao, 1999, p. 33-41 et p. 115. 40. « [C]omo subditos de la jurisdiccion de este Tribunal », voir F. de Melgar, Por el señor Mayordomo Mayor…, fol. 49.

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commission des Millions, mais d’insister sur la reconnaissance de leur juridiction sur les valets du roi par un tribunal extérieur au Palais royal. Francisco de Melgar rappelle le mémoire des administrateurs des rentes du vin remis par le gouverneur du Conseil de Castille, Francisco Ramos del Manzano, au Grand Majordome, à propos de la fraude et de la contrebande de certains muletiers, afin qu’ils soient châtiés (ce qui arriva). L’auteur conclut de ce récit à une reconnaissance de la juridiction ordinaire du Grand Majordome sur la domesticité palatine par le Conseil de Castille – c’est-à-dire ce même conseil qui la conteste alors en 1695. En matière criminelle, cette reconnaissance s’étend aux alcades de cour qui, en 1647, renoncent à procéder contre l’aide du fourrier, Marcos de Encillas, soupçonné du meurtre de sa femme, en faveur de la junte du Bureau. En réalité, les juges de l’Hôtel et de la cour déposent un recours devant le Conseil de Castille qui les soutient dans ce conflit de compétence. Le 10 mai 1647, la junte du Bureau se décide à consulter Philippe IV, qui désavoue le Conseil de Castille. Francisco de Melgar prend bien soin, à ce moment du récit, de conclure qu’ainsi l’accusé fut condamné aux peines qu’il méritait. Le Conseil de Castille apparaît donc comme celui qui, par son offensive juridictionnelle, empêche les criminels d’être châtiés. Pour Francisco de Melgar, le choix des délinquants est aussi important que celui du délit. Quand il évoque les conflits de compétence impliquant des actes de fraude fiscale, ceux-ci ne concernent pas les soldats des gardes royales. Or, une lecture attentive des procès de la junte du Bureau, montre qu’au XVIIe siècle, ils représentent une part importante des fraudeurs poursuivis par le corregidor et les alcades de cour41. Cette résistance est l’un des soucis majeurs de ces derniers, car elle peut aller jusqu’au meurtre et à la rébellion42. Et dans ces cas-là, le roi ne s’est pas toujours montré favorable à la justice du Grand Majordome. Mais l’auteur ne se contente pas de raviver le souvenir du temps de Philippe III et de Philippe IV auprès de Charles II. Il se réfère aussi à une série de procès et de décisions prises par ce dernier. Ainsi, en 1670, les alcades de 41. De nombreux militaires profitent de leur statut pour refuser de payer les sisas sur leur seconde activité de marchands, taverniers, tenanciers de jeux ; Olivier Caporossi, « Quelle juridiction pour la fraude fiscale des Madrilènes du XVIIe siècle ? », dans LIAME. Bulletin du Centre d’histoire moderne et contemporaine de l’Europe méditerranéenne et de ses périphéries, t. 8 : L’argent dans la ville. France, Espagne, Italie. XVIIe-XVIIIe siècles, dir. François-Xavier Emmanuelli, 2001, p. 23-47. 42. C’est ce qu’affirme Juan Alonso Elezarraga en 1704. Les exemples ne manquent pas. Ainsi, à la porte de Tolède, en 1669, des soldats de la Garde allemande s’emparent des livres des sisas gardés par les soldats de la commission des Millions qui sont blessés ; voir Archivo histórico nacional, Consejos, libro 1173, fol. 142-161 ; Ynventario de consultas del consejo y reales decretos sobre materias de los soldados de las guardias, Archivo histórico nacional, Consejos, libro 2837. D’autres exemples dans Beatriz Cárceles de Gea, Fraude y desobediencia fiscal en la corona de Castilla 1621-1700, Valladolid, 2000, p. 306-327.

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cour refusent de rendre les pièces du procès intenté contre l’intendant du roi, Juan de Caro Montenegro, responsable d’une agression sur la personne d’un laquais de la duchesse de Bejar au milieu de la Plaza mayor. Le roi, consulté, exige du président du Conseil de Castille ; qu’il ordonne aux alcades de cour de remettre tous les actes de la procédure à l’assesseur du Bureau, Garcia de Porres. Une partie du décret promulgué le 14 septembre 1670 fonde le récit de Francisco de Melgar. Il est nécessaire de rappeler à Charles II ses propres paroles. La date de l’agression peut renseigner sur la mémoire de Francisco de Melgar et de l’institution, tout en offrant au lecteur une précision édifiante. Mais la liste des exemples ne s’arrête pas là. En 1661, les juges de cour procèdent pénalement contre le laquais de l’albalestrerie royale, Francisco de Alcarria. Ils doivent cependant remettre le prisonnier à la junte du Bureau parce que le prévenu a déclaré devoir être jugé par le tribunal palatin. Ils ne se résolvent pourtant pas à cette défaite et en informent le Conseil de Castille qui, le 18 août 1664, interroge le roi à ce propos. Celui-ci répond que toutes les causes entreprises par les alcades de cour à l’encontre de Francisco de Alcarria doivent, selon le principe de l’accumulation, être transmises à l’assesseur de la junte du Bureau43. Francisco de Melgar connaît pourtant très bien les affaires auxquelles il se réfère, puisque les archives de la junte du Bureau détiennent les actes des procès correspondants. Il en est de même pour les sentences prononcées par la junte. Francisco de Melgar évoque, ensuite, le procès des veneurs du roi, Gabriel de Solares et Juan Francisco Sañudo, et du comptable de la maison royale de Castille, Fernando de Soto, intenté par les juges de cour en 1674, sous l’inculpation de rixes. Les deux premiers déclinent leur appartenance au palais et en informent le Grand Majordome, le duc d’Alburquerque, qui demande à l’assesseur Garcia de Medrano d’examiner le recours. Le greffier de la chambre du crime des alcades est invité à venir exposer le cas devant la junte. Absent pour maladie, il délègue cette tâche au rapporteur des juges de cour, le licencié Juan del Villar. C’est à la suite de cet entretien que les majordomes du roi demandent la restitution de l’affaire à leur junte, ce qu’exécute le tribunal des alcades. En 1676, c’est au tour des laquais de la cuisine du roi accusés de s’être battus en public et à l’extérieur du Palais royal, de tomber dans la tourmente judiciaire. Le Grand Majordome d’alors, le marquis de Castelnovo, les fait arrêter puis incarcérer dans la prison de cour. L’assesseur de la junte du Bureau prend le dossier en main et, à la suite des actes judiciaires examinés, se prononce pour l’élargissement des inculpés. La junte du Bureau suit son avis et distribue les ordres nécessaires à l’exécution ; mais le directeur de la prison déclare qu’il ne peut les laisser sortir, dans la mesure où les alcades de cour ont intenté à leur encontre une procédure pénale parallèle, pour 43. L’accumulation permet au tribunal compétent de juger l’ensemble des crimes commis par un délinquant, y compris ceux perpétrés en dehors de son territoire juridictionnel initial.

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les mêmes faits. La junte proteste contre cette altération de la coutume et le style du tribunal, faisant ainsi céder les juges de cour. Les exempla judiciaires du discours de Francisco de Melgar montrent la force de l’argument « procès » qui relève d’une stratégie globale d’usage des archives de l’officine du greffier du Bureau. C’est l’ensemble des papiers conservés depuis le règne de Charles Quint « concernant la justification de cette juridiction », qui est mobilisé par Francisco de Melgar, parce qu’il « allègue une coutume pour fonder en elle son droit »44.

III. — CONCLUSION : UNE CONCURRENCE DE MÉMOIRES Le discours de Francisco de Melgar nous explique comment la société d’Ancien Régime combine des principes politiques (la dignité, le territoire, la personnalité, le consentement) au concept de « juridiction » pour construire l’identité des commensaux du roi et la constituer comme un corps judiciaire. L’enjeu juridictionnel du Palais royal à la cour d’Espagne est identitaire plus que juridique. Francisco de Melgar cherche à authentifier la vérité du pouvoir judiciaire de la junte du Bureau et, dans ce dessein, s’empare d’objets porteurs d’un savoir particulier, qui sont aussi des sujets de connaissance ; l’exemplum historique ou judiciaire représenté pour l’essentiel par des chroniques et des procès, l’habitus du litige de la société de cour que manifestent les différentes modalités de la coutume, les normes juridiques constituées par les étiquettes et les cédules royales. Les chroniques citées servent à établir des événements politiques de la vie de cour. L’auteur instrumentalise les procès de la junte du Bureau pour établir des événements judiciaires et en déduire une réflexion globale sur le fait judiciaire de la mayordomía mayor. Le roi-juge doit se prononcer, à partir de ces deux sources du savoir, pour réformer le système palatin. Ce sont des juges, parmi les plus éminents du royaume, les majordomes, qui ont commandé son discours au juriste Francisco de Melgar, discours porteur d’un savoir et des preuves de la pratique juridictionnelle de la junte du Bureau, afin de l’offrir humblement à Charles II, pour accomplir leur devoir de conseil. La démarche de l’auteur répond aux canons humanistes de la rhétorique d’Aristote et de Quintilien45. Les critiques du Conseil de Castille sont explicitées puis réfutées les unes après les autres. Cette réfutation repose sur la comparaison entre des documents de nature diverse. De nombreux textes normatifs sont introduits dans le discours afin d’en disséquer le sens, mot par mot. C’est le cas du décret de 1672 sur les appels des soldats de la garde, ou encore, le texte des 44. « [C]oncerniente à la justificacion desta jurisdiccion », « alega una costumbre para fundar en ella su derecho », voir F. de Melgar, Por el señor Mayordomo Mayor…, fol. 54. 45. Carlo Ginzburg, Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, Paris, 2003 (1re éd. 2000), p. 62.

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étiquettes sur les prérogatives du Grand Majordome. L’argumentation de Francisco de Melgar se met en place lentement, après des répétitions didactiques. Ses conclusions doivent être vérifiées à la lumière de preuves variées : les chroniques, la législation, les étiquettes, les procès et, si cela ne suffisait pas, la coutume. C’est la confrontation des critiques du Conseil de Castille et des prétentions de la junte du Bureau aux sources documentaires les plus variées possibles qui doivent établir les preuves du pouvoir juridictionnel de Grand Majordome. Le contenu de chaque document peut être discuté et réfuté à la lumière d’un autre document, jugé plus crédible par sa lecture. C’est ainsi que la définition de la junte du Bureau, donnée par Sebastian de Covarrubias, dans son dictionnaire de 1611, est réfutée par le texte des étiquettes. Un de ses sujets et objets de connaissance est donc représentée par la loi du roi. Peu d’exemples sont cependant cités : les lois de 1507 et 1512, les décrets de 1671 et 1687. Néanmoins, le thème du statut de la loi donne au discours sa tension interne. Il est là au détour de chaque procès cité, de chaque exemplum historique, de chaque extrait des étiquettes, de chaque sentence d’une autorité (les théologiens, les historiens, les jurisconsultes). C’est que la junte du Bureau ne prétend pas se résumer à un strict organe judiciaire. La justice dépasse le droit royal. La junte du Bureau tient à se positionner comme l’organe majeur du gouvernement de la Maison du roi, au cœur de la cour et de la ville, au centre des territoires de la monarchie des Habsbourgs. Francisco de Melgar veut convaincre Charles II qu’on ne peut imposer une loi aux valets de son palais et, avec cet objectif, se propose de révéler la nature non juridique du pouvoir juridictionnel du Grand Majordome. Il montre comment l’expérience multiséculaire de ce dernier lui permet de disposer, à la fin du XVIIe siècle, de moyens humains et culturels capables d’établir des tactiques pour atteindre l’objectif d’un bon gouvernement de l’univers palatin. Ces moyens humains, ce sont d’abord les hommes qui incarnent au quotidien la junte du Bureau : les majordomes du roi, le greffier, le trésorier, l’assesseur, le procureur. La junte dispose ainsi d’un premier capital culturel (la présence active de juristes formés dans les meilleures universités) qu’elle mobilise pour asseoir son autorité sur tous les valets du roi. Ce sont eux qui s’attachent à donner forme aux stratégies juridictionnelles, en fonction d’objectifs précis et limités. Un deuxième type de capital culturel est incarné par la double dignité des majordomes de la junte. Ils joignent en effet au prestige de leur charge, la noblesse de leur lignée, la grandeur de leur nom. La fonction, vieille d’une longue expérience décrite à travers les nombreux exemples historiques de toutes les monarchies, ne peut incomber qu’à des personnages, vieux d’une aussi longue histoire, celle des exploits de leur lignée. Francisco de Melgar ne se contente pas de la raconter. Il montre comment ce type de capital culturel est particulièrement légitimant pour une juridiction. Légitimité et efficacité, voilà ce qu’apportent les

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capitaux culturels de la junte du Bureau. Cette dernière fonctionne donc à partir d’instruments de gouvernement, de tactiques plus que de lois, dont nous avons vu le caractère prescriptif, limité par l’argumentaire de la coutume46. La sagesse du roi législateur est d’attendre l’assentiment de ses sujets, afin qu’ils adoptent ses lois et les respectent comme leurs coutumes. Cette appropriation de la norme juridique par la communauté est aussi le modèle de gouvernement de la junte royale. La mayordomía mayor s’est construite à partir d’une expérience multiséculaire, dans la confiance du monarque. Cette confiance s’est développée donc avec le temps. La patience apparaît ainsi comme la vertu principale du gouvernement de la maison royale47. L’œuvre de Francisco de Melgar permet alors de faire ressurgir la légitimité juridictionnelle du Grand Majordome de la reine, une réactualisation de l’ordre du discours sur la juridiction, afin que les majordomes demeurent les principaux détenteurs de la philosophie de la loi et du droit qui les expriment. L’auteur des Noticias y apuntamientos sobre la juridiccion del señor Mayordomo Mayor y Bureo de la Real Cassa de la reyna nuestra señora écrit donc en guise d’avertissement : Les lois des empereurs inhibent les laquais de la juridiction ordinaire. Tout cela apparaît dans cet office dans un discours qu’écrivit Don Francisco Melgar, avocat des conseils royaux, en 1695, pour la défense de la juridiction civile et criminelle du seigneur Grand Majordome et du Bureau, comme apparaissent aussi en lui beaucoup d’autres exemples et raisons d’où vient l’autorité absolue sur les valets, et pour la reconnaissance de ses causes civiles, et criminelles seulement au seigneur Grand Majordome et au Bureau48.

Olivier CAPOROSSI Université de Pau et des pays de l’Adour

46. Sur cette opposition entre loi et gouvernement, voir Michel Foucault, Dits et écrits. II, Paris, 2001, p. 646. 47. Ibid., p. 647. 48. « Las leyes de los emperadores ynhiben a los criados de la jurisdiccion ordinaria. Todo lo qual parece en estte oficio en un papel que escrivio Don Francisco Melgar, abogado de los Reales Consejos, en el año de 1695 en defensa de la jurisdiccion civil y criminal del señor Mayordomo mayor y Bureo, como tambien parezen en él otros muchos exemplares y razones por donde se da la authoridad absoluta sobre los criados, y para el reconocimiento de sus causas civiles, y criminales solo al señor Mayordomo mayor y Bureo », Noticias y apuntamientos sobre la jurisdiccion del señor Mayordomo Mayor y Bureo de la Real Cassa de la reyna nuestra señora, Archivo general del Palacio, Fundo jurídico, caja 58-B, ex. 3, fol. 1.

LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE L’ERREUR DE PLUME DEVANT LE PARLEMENT DE PARIS SOUS LOUIS XV PAR

LOUIS DE CARBONNIÈRES

La procédure d’Ancien Régime a mauvaise presse chez certains juristes et chez la plupart des hommes politiques contemporains. Lors de son intervention à la tribune de l’Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, Robert Badinter s’exprimait en ces termes sur la procédure de l’ancien droit : Et je ne parle pas seulement de l’erreur judiciaire absolue, quand après une exécution, il se révèle, comme cela peut encore arriver, que le condamné était innocent… Je parle aussi de l’incertitude et de la contradiction des décisions rendues qui font que les mêmes accusés, condamnés à mort une première fois, dont la condamnation est cassée pour vice de forme, sont de nouveau jugés et, bien qu’il s’agisse des mêmes faits, échappent, cette fois-ci, à la mort, comme si, en justice, la vie d’un homme se jouait au hasard d’une erreur de plume de greffier1.

Pour obtenir l’abolition de la peine de mort en 1981, le garde des sceaux a éprouvé le besoin de stigmatiser l’ancienne procédure et a avancé l’idée que l’erreur de plume pouvait y entraîner la condamnation d’un accusé. L’histoire apprend que les erreurs de plume sont une constante des régimes judiciaires en général, comme sous la Terreur. Lors du procès inique mené contre les magistrats du parlement de Toulouse, le conseiller Perès n’était pas compris dans l’acte d’accusation mais fut arrêté avec les autres, condamné et exécuté, l’un des arguments de Fouquier-Tinville étant que la protestation en avait été faite tardivement2. Il est également possible de songer à la si médiatique affaire d’Outreau, où deux homonymes (père et fils) furent arrêtés, impliqués et condamnés dans une procédure qui ne visait a priori que l’un 1. R. Badinter, Contre la peine de mort. Écrits 1970-2006, Paris, 2006, p. 225-226. 2. Germain Sicard, « Le procès des parlementaires toulousains devant le tribunal révolutionnaire », dans Les parlements de province, pouvoirs, justice et société du XVe au XVIIIe siècle, Toulouse, 1996, p. 557-597, part. p. 592.

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d’entre eux. Si la justice de la République peut, malgré ses principes, commettre de tels excès, que devait-il en être sous un Ancien Régime dont la procédure est d’ordinaire incomprise et vouée aux gémonies par un public ignorant ? Les propos du garde des Sceaux se teintent d’une ironie amère au vu des scandales retentissants qui affectent la justice depuis quelques mois au sujet d’erreurs de plume que nul n’a su déceler en temps utiles au Palais. On ne fera que mentionner le médiatique procès Montès, pour détailler le cas le plus récent dans le dossier de meurtre concernant l’affaire Tiphaine Beaugrand, aujourd’hui jugée par la cour d’assises de l’Orne. L’ordonnance de renvoi comprend un accusé qui a pourtant bénéficié d’un non-lieu en 2006 ! Il est donc jugé pour meurtre. Les propos du président Locu sont pour le moins surprenants : « Il s’agit là d’une difficulté juridique à résoudre », a-t-il déclaré aux journalistes (Ouest France, 21 janvier 2009, p. 6), dont la faute revient « à un copié collé utilisé par un fan d’informatique » – sans doute le greffier, sur qui il est toujours facile de rejeter l’inattention du magistrat. La rectification paraît au président inenvisageable car « il n’y a pas de jurisprudence sur un problème aussi important que la mise en accusation » : il faut donc le juger avec les autres et « c’est une solution plus conforme au Code de procédure pénale et à la jurisprudence de la Cour de cassation… et digne de Fouquier-Tinville ». Si le jury ne se trompe pas, les annales judiciaires françaises rapporteront comment une cour d’assises a acquitté un accusé ayant bénéficié d’un non-lieu dans le même dossier. Faut-il accuser la procédure pénale d’être lacunaire, ou aurait-on laissé passer les délais d’une action rectificative ? Il semble bien cependant que la cour de cassation admette que l’inadvertance ou l’inattention du juge puissent constituer une erreur matérielle, d’autant que la jurisprudence tend à reconnaître comme erreur l’erreur involontaire qui trahit l’intention du juge. Certes, comme le note Natalie Fricéro, il est alors difficile de tracer une frontière entre une erreur intellectuelle involontaire et l’erreur intellectuelle volontaire qui affecte la substance du jugement3 ? Les juges du XVIIIe siècle ne sont pas si raffinés ; ils se montrent plus pragmatiques. L’erreur de plume ne semble pas constituer pour eux une obsession, pas plus pour les magistrats que pour le parquet du parlement de Paris, même si l’erreur, la proposition d’erreur4, la révision, l’erreur de compte font l’objet de vedettes dans les dictionnaires juridiques de l’Ancien Régime. Si l’erreur du juge passionne aujourd’hui5, l’intérêt des praticiens du XVIIIe siècle se porte sur 3. Natalie Fricero, « Rectification des erreurs et omissions matérielles », dans Droit et pratique de la procédure civile, droit interne, droit communautaire [Dalloz Actions], dir. Serge Guinchard, Paris, 2009, p. 968 et suiv. 4. Celle-ci disparaît dans l’ordonnance de 1667 ; voir Serge Dauchy, Les voies de recours extraordinaires : proposition d’erreur et requête civile, de l’ordonnance de saint Louis jusqu’à l’ordonnance de 1667, Paris, 1988 (Travaux et recherches de l’université de droit, économie et de sciences sociales de Paris. Sciences historiques, 26). 5. Catherine Puigelier, « Le juge entre erreur et illusion », dans L’erreur, dir. Jean Foyer, François Terré et C. Puigelier, Paris, 2007, p. 245-288.

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la conservation des pièces « dont on ne peut trop veiller à la sûreté » car elles sont « aussi importantes pour l’ordre public et pour la fortune des justiciables »6, voire des effets déposés au greffe pour lesquels « un dépost doit estre gardé pendant toutte l’éternité parce qu’il n’y a aucun laps de temps qui puisse empêcher de le redemander »7, ainsi que sur la responsabilité du greffier ne mettant pas tout en œuvre pour assurer la sécurité des pièces dont il a la garde8. De même, une grande attention est portée aux greffiers, dont la formation semble laisser à désirer si l’on en croit un mémoire manuscrit de 1740 sur les greffes du royaume, « ouvrage d’un inspecteur des greffes et droits réservés présentement chargé de la correspondance générale de ces matières »9. L’auteur avance dans l’avant-propos : Je n’ay pu voir sans étonnement que des petits bourgeois ou quelques foibles praticiens dans les villes et des païsans dans la campagne, étans les régisseurs forcés de ces droits, on se soit pas mis en peine de leur donner des instructions claires, précises et proportionnées à leur capacité […]. J’ay donc entrepris de les instruire […] et j’ay tâché de rendre ces commis capables de régir parfaitement la matière des greffes, de mettre les greffiers en état de connoistre plus particulièrement les droits de leurs greffes et ceux qui appartiennent à Sa Majesté, d’aprendre aux juges, à ces mêmes greffiers, aux procureurs, aux huissiers, même aux parties leurs obligations. J’ay fait en sorte de leur rendre l’étude de ces matières et la connoissance de leurs devoirs si faciles qu’avec un médiocre bon sens, ils seront en état de satisfaire à tout ce que l’on peut exiger d’eux10.

Tout au long des trois cent soixante-quinze folios du manuscrit, il insiste sur le contrôle et la vérification des actes, mais n’évoque en rien les sanctions en cas d’erreur. De leur côté, si les papiers des procureurs généraux Joly de Fleury insistent longuement sur les greffiers, leur âge, sur la rédaction des actes, le déplacement des minutes11, ils sont tout aussi muets sur cette question. Seul le greffier peut rédiger les actes, comme l’indique une formule d’une réponse du parquet à l’interrogation d’un juge de province : « Le corps de l’acte 6. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2418, fol. 312, en date du 30 mai 1761, extrait des registres du Parlement ordonnant le transfert des minutes des greffes. 7. Ibid., fol. 203, du 7 septembre 1749, de Boullenois, refusant au lieutenant criminel du Châtelet de Paris de faire estimer et vendre les vieux effets non réclamés au greffe du Châtelet de Paris. 8. Arch. dép. Nord, 8 B1 859. Je remercie particulièrement M. Jeannin pour m’avoir communiqué les deux références issues des archives départementales du Nord, qu’il a rencontrées dans le cadre d’un dépouillement analytique et systématique des fonds du parlement de Flandre, mené par le Centre d’histoire judiciaire (UMR 8025, univ. Lille II-CNRS). 9. Bibl. Arsenal, ms 2632, Mémoire sur les greffes du royaume, 375 folios écrits recto verso. Il est daté du 10 août 1740, mais il fut remis un peu après, car il y est fait mention d’un arrêt de 1741 dont la date fut laissée en blanc pour être complétée. 10. Ibid., fol. 1. 11. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2418, passim.

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et la signature de l’acte ne sont qu’un seul et même acte ; celui qui n’a pas droit de signer l’acte, n’a pas droit de l’écrire »12. On ne saurait comparer les greffiers à des notaires car, déclare la même réponse, « s’il est vray encore que les notaires n’écrivent pas eux mesme les minuttes de leurs actes et qu’ils les font écrire par leurs clercs, mais ce sont des actes volontaires, les actes de greffe sont au contraire des actes judiciaires qui exigent beaucoup plus de rigueur »13. D’ailleurs dès 1627, un édit crée les contrôleurs des greffes dans toutes les juridictions du royaume, lesquels doivent contrôler toute expédition, à peine de trois cents livres d’amende et d’absence de force juridique des actes non contrôlés produits en justice14. Ce greffier n’a aucune initiative. Comme l’indique un questionnaire conservé dans le fonds Joly de Fleury : « Le greffier n’est fait que pour écrire sous la dictée du juge, c’est là où se bornent toutes ses fonctions »15. Il doit cependant vérifier que le contrôle a été effectué aux termes de l’arrêt du 28 octobre 169816 et ne peut expédier d’acte sous peine d’amende aux termes de l’édit d’octobre 1705, confirmé par arrêt du 24 février 171917. Le répertoire de jurisprudence de JosephNicolas Guyot rappelle cette obligation de respecter à la lettre la décision prononcée, à peine de faux18. Ainsi, le greffier qui ajoute un commentaire personnel consistant en une protestation écrite sous sa signature au bas d’une copie de procès-verbal, se voit exposé à une action car « un acte de justice doit sortir tout nuement de ses mains sans rien y ajouter ni avant ni après »19. On comprend tout aussi aisément qu’un greffier, reprenant ses fonctions après plusieurs mois passés dans les prisons du Châtelet pour une accusation de faux, se refuse à prendre en charge les minutes dressées pendant son absence, ce qui reviendrait à endosser la responsabilité d’actes qu’il n’aurait ni rédigés ni vérifiés20. Comme l’exprime l’article « Jugement » du Répertoire de Guyot, la prononciation ou la délibération forme le jugement, « la rédaction n’en est que la preuve »21. 12. Ibid., fol. 220. 13. Ibid. 14. Bibl. Arsenal, ms 2632. 15. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2418, fol. 207. 16. Bibl. Arsenal, ms 2305, Traité sur le contrôle des actes, fol. 20v. 17. Ibid., fol. 52. 18. Joseph-Nicolas Guyot, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence…, 64 t., Paris, 1775-1786, t. 28, p. 345-369, « Greffe » : « Les greffiers doivent écrire les jugements comme ils ont été prononcés et il leur est défendu d’en rien supprimer ou ajouter, à peine de faux, selon un arrêt du parlement de Paris de 1682 ». 19. Arch. dép. Nord, 8 B1 1026. En l’espèce, Jérôme de Wailly, greffier de la gouvernance de la ville de Douai, est poursuivi parce que son commis a écrit sous la signature d’un procès-verbal devant être délivré aux parties : « J’ai signé sans préjudice […] de me pourvoir et particulièrement contre le jurisconsulte Leclerq qui m’en veut ». 20. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2418, fol. 280, supplique du procureur du roi aux gens du Parlement sur le sieur Corbeil, greffier à Corbeil, 1759. 21. J.-N. Guyot, Répertoire universel…, t. XXIII, p. 316-333, « Jugement ».

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Ces soins, ces procédures de contrôle évitent-t-elles l’erreur, celle qui « consiste à croire vrai ce qui est faux ou faux ce qui est vrai »22 ? Toujours estil que les affaires semblent rares sous l’Ancien Régime et que le lecteur des actes anciens ne peut aligner autant de jurisprudence que celle qui figure à la suite de l’article 462 du Nouveau Code de procédure pénale ou dans le Dalloz Actions23. Cependant quelques affaires peuvent être retrouvées grâce aux papiers de l’avocat général Gilbert de Voisins : l’une concerne un usage de procédure fautif, une autre une erreur matérielle dans la qualification des parties ; la dernière, un acte fautif dans le cadre d’une affaire criminelle.

I. — L’ERREUR MATÉRIELLE DANS LES AFFAIRES CIVILES La première affaire intéressant notre sujet est portée devant le parlement de Paris en 1730. Cette affaire civile, issue du présidial de Tours, est doublée d’une question de procédure. En l’espèce, la cour doit se pencher sur un usage particulier de greffe. L’usage tourangeau veut que l’on signifie de part et d’autre le projet de sentence appelé « qualités », lequel est ensuite enregistré. Une des parties constate une différence entre ce qui fut prononcé et inscrit au plumitif d’audience d’une part, et ce qui fut enregistré comme étant la décision d’autre part. Or selon une des parties, ce plumitif « n’est qu’une espèce de brouillon que le greffier écrit sommairement et codifie en notes »24. La partie qui était satisfaite du projet signifié forme aussitôt opposition et demande l’enregistrement du projet qui la satisfaisait. Malgré l’opposition et la persistance de la partie opposante, les juges du présidial passent outre et expédient la décision. Puis ils ordonnent un rapport et rendent un jugement réformant la première décision. Se succèdent donc un premier jugement enregistré et expédié malgré une opposition, et un deuxième jugement qui vient le réformer. La partie opposante interjette appel de ce nouveau jugement. Les tâtonnements des juges tourangeaux suscitent la perplexité de l’avocat général au Parlement. Il l’exprime ainsi dans son plaidoyer : « Il faut bien que les juges aient reconnu que la première décision avait sa forme, mais si cela est, ils n’ont pu ni dû y toucher ». Il ne voit qu’une solution, infirmer la deuxième sentence, la déclarer nulle et permettre la voie d’appel à la partie intimée contre la première décision. Si le Parlement ne choisit pas cette solution, il s’expose à de nombreuses complications sur le fond, notamment parce qu’on aboutirait à une division des faits, trop complexe et hors du présent sujet pour pouvoir être évoquée. La question est d’autant plus étonnante que nul ne conteste que la 22. Jacques Ghestin, La notion d’erreur dans le droit positif actuel, Paris, 1962, p. 2. 23. N. Fricero, « Rectification des erreurs et omissions matérielles… », p. 968 et suiv. 24. Arch. nat., U 847.

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première décision expédiée ne soit conforme au registre et aucune partie ne s’inscrit en faux. Comme le conclut l’avocat général « il reste donc à savoir ce qui est à préférer, ou de la règle austère, indépendante de l’usage, ou de ce qui résulte évidemment entre les parties d’un usage abusif »25. En effet, selon l’article 5 du titre « De la forme de procéder aux jugements et des prononciations » de l’ordonnance civile de 1667, celui qui aura présidé verra à l’issue de l’audience ou le même jour ce que le greffier aura rédigé, signera le plumitif et paraphera chaque sentence, jugement ou arrêt. Une fois la sentence d’audience arrêtée par celui qui a présidé et expédiée, il n’y a plus que la voie de droit et le rapport de sentence ne peut avoir lieu sans violer l’ordonnance. Cet article impose même que les sentences d’audience soient mises au propre dans un registre, paraphé et signé par le juge et que la cour ne se contente absolument pas de feuilles volantes car « cette 1re rédaction n’est pas la vraie minute de la sentence »26. On voit donc combien les juges tourangeaux sont ici fautifs : pour couvrir une erreur de plume conduisant à un projet de sentence, dont les parties pouvaient chacune se prévaloir, contradictoire avec la décision registrée, ils ont violé la lettre et l’esprit de l’ordonnance de 1667. L’avocat général conclut avec sagesse que, quel que soit le parti qu’adopte le Parlement, il faut réformer le mauvais usage de Tours. Il faut aussi enjoindre aux officiers des bailliage et présidial de Tours de se conformer exactement à l’article 5 de l’ordonnance de 1667, de faire lire, publier et registrer cet arrêt en la juridiction. La cour suit cet avis et juge conformément aux conclusions le 8 août 1730. Pourtant, la question était claire depuis longtemps : l’édit de mars 1673, qui crée des greffiers pour le ressort du parlement de Paris, porte qu’ils seront obligés de tenir des registres plumitifs où ils écriront les noms et qualités des parties et les noms de leurs procureurs. Ces plumitifs seront arrêtés à la sortie des séances par celui qui aura présidé au pied de chacun des jugements, ce qu’on appelle à Paris « arrester la feuille ». En outre, par arrêt du conseil du 21 juin 1695, ces registres plumitifs doivent être tenus sur papier timbré. Donc l’usage tourangeau aurait dû disparaître depuis longtemps, mais ces obligations n’étaient pas respectées parce qu’aucune peine n’avait été prévue en cas de contravention27. Sous le règne de Louis XIII, de tels abus se pratiquaient au sein même du Châtelet de Paris, obligeant le prévôt de Paris à réagir contre l’usage permettant aux greffiers de délivrer aux parties les sentences sans qu’elles aient été signées28. Voire, elles étaient parfois exécutées sans cette signature29 ! Le problème réside déjà dans l’absence de sanction : aucune peine n’était prévue en 25. Ibid. 26. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2418, fol. 207. 27. Bibl. Arsenal, ms 2632, fol. 238. Le manuscrit porte qu’un mémoire en ce sens a été présenté au Conseil du roi, mais que ce dernier n’a pas encore statué. 28. Bibl. nat. Fr., fr. 21600, fol. 165 et 167, lettres du prévôt de Paris du 21 janvier 1636. 29. Ibid.

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cas d’infraction. Le prévôt de Paris ne pouvait que reprendre des lettres du 25 juin 1614, édictant une peine de nullité contre la décision et cent livres d’amendes pour les officiers qui instrumenteraient de telles décisions30. Il ne pouvait qu’imputer la défaillance du greffier à celui qui exécuterait de manière inconsidérée la décision fautive. La jurisprudence du Conseil privé du roi se heurtait à la même difficulté et en était réduite au même expédient31. L’affaire Dugueny est presque contemporaine. Ce dossier présente de multiples rebondissements, dont le scandale fut relayé jusque dans les gazettes de Hollande32 et concerne les membres de la famille Hardouin-Mansart. Après un premier mariage houleux avec la fille du financier Samuel Bernard, le comte de Sagonne, fils de l’architecte, épouse sa vieille maîtresse Madeleine Dugueny33. Au gré de multiples actions judiciaires croisées dues à la vie aventureuse de la femme Dugueny34, madame Mansart et son gendre, Lebas de Montargis, profitent d’une demande de provision de Madeleine Dugueny à l’encontre de sa belle-mère où elle se déclare « épouse non commune en biens du sieur de Sagonne ». La procédure suit son cours. Devant le parlement de Paris, Madeleine Dugueny est opposante aux qualités qui lui furent attribuées dans un arrêt de la cour du Parlement en date du 18 août 1729 où elle figure comme « Guillemette Dugueny, se disante Madelaine, femme séparée de biens du sieur de Sagonne », et en demande la réformation en « Madelaine Dugueny, femme non commune en biens du sieur de Sagonne et autorizée à la poursuitte de ses droits ». Comme l’exprime son avocat, il s’agit simplement de réformer les qualités d’un arrêt expédié au hasard avec des qualités vicieuses et insoutenables, ce qui est une voie ouverte à quiconque a droit de se plaindre de l’erreur ou de l’affectation des qualités d’un arrêt35. Or elle a procédé sous le nom de Madeleine Dugueny. Comme en fait de qualité, la possession décide si l’état n’est pas attaqué, en l’espèce on ne saurait trouver de possession plus longue ou plus constante. Pour la partie adverse, les arrêts ne sauraient être rédigés avec les qualités que s’attribuent les parties, car « il suffiroit de s’attribuer [les] qualitéz les plus fausses et les plus préjudiciables à sa partie pour la forcer à les admettre. Absurdité » 36. 30. Ibid, fol. 172. 31. Ibid, fol. 175. 32. Mémoire pour dame Magdelaine Dugueni, épouse séparée quant aux biens de messire Jacques HardouinMansart, comte de Sagonne, déffenderesse, contre dame Anne Bodin, veuve de messire Jules Hardouin-Mansart, demanderesse, Paris, Jean Lamesle, 1734, p. 11-13. 33. Voir Philippe Cachau, Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne, le dernier des Mansart (1711-1778), thèse, univ. Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2004, 3 t. 34. Voir les nombreux factums, Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 308, 1804, 2016, 2287 ; Clairambault 869 ; Dossiers bleus 348, Hardouin. La cote 76 de l’inventaire d’Anne Bodin, veuve Mansart, mentionne, en 1738, 302 pièces inventoriées pour le procès avec Madeleine Dugueny ; voir P. Cachau, Jacques-Hardouin Mansart de Sagonne…, p. 116, n° 4. 35. Arch. nat., U 847, conclusions de l’affaire Dugueny, fol. 9v. 36. Ibid., fol. 11.

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L’enjeu est moins mineur qu’il n’y paraît au premier abord, en raison des précautions que prennent les textes en matière de qualités dans les décisions de justice. En effet, comme l’indiquent plusieurs fois les papiers contemporains du procureur général Joly de Fleury, le registre comporte « la datte du jour des sentences, des noms des parties et de leurs procureurs et du prononcé. Lorsque le greffier délivre la sentence, il doit y insérer les qualités des parties et les conclusions des demandes qui lui sont fournies par les procureurs des parties ou l’un d’eux. C’est la disposition de l’arrêt de règlement de la cour du 3 septembre 1667 »37. Pour sa part, l’édit du 23 mars 1673 pour la création des offices de greffier au parlement de Paris et dans les cours supérieures et inférieures de son ressort oblige à un contrôle rigoureux des qualités à peine de réparation des dommages commis par les greffiers38. L’article V de la déclaration en forme de règlement concernant l’ancien et le nouveau Châtelet, vérifiée en Parlement le 17 mars 1679, mentionne la procédure à suivre en matière de signification des qualités39 ; cet article est tellement important que l’article 15 le comprend dans la liste des articles dont le roi veut qu’ils « soient ponctuellement gardé et observé : faisons très expresses inhibitions et deffences à tous les officiers desdits sièges du Chastelet d’y contrevenir directement ny indirectement », à peine de cent livres d’amende la première fois, le double à la deuxième, deux cents livres et interdiction de six mois pour la suite40. Ces contraventions contribuaient évidemment à la « grande négligence » stigmatisée par le préambule. L’article 12 de l’édit de 1699 sur la délivrance des jugements réitère les précautions à prendre en matière de qualités dans les décisions judiciaires41. Comme 37. Bibl. nat. Fr., Joly de Fleury 2418, fol. 207. La règle est rappelée au fol. 227, dans une lettre du procureur général au lieutenant général de Saumur en date du 5 mai 1753, ce dernier se plaignant du non-respect de ces règles par son greffier. 38. Bibl. nat. Fr., fr. 21 600, fol. 114 : « Tous les commis tant de l’audiance que de la chambre du Conseil seront obligéz de tenir des registres et des plumitifs sur lesquels ils écriront les noms et qualitéz des parties, les noms des procureurs […] dont le plumitif sera arresté à la sortie des séances par celuy qui y aura présidé au pied de chacun des jugements et s’il y a des gloses, apostils ou ratures, elles seront paraphées et approuvées par celuy qui aura présidé, à peine de faux des sentences et jugemens et seront les procureurs tenus d’arrester les qualitéz des parties, les faire signifier et mettre es mains de celuy qui aura tenu le plumitif dans vingt-quatre heures de l’arresté pour sur icelles estre la sentence ou jugement dressé et signé dans les vingt-quatre heures ensuivant, à peine de demeurer responsables en leurs noms des dommages, intérests et dépens des parties ». 39. Ibid., fol. 218 : « Et en cas d’empeschement ou difficulté sur les qualitéz et que les procureurs ne puissent les régler entr’eux, ils en passeront par l’avis d’un de leurs anciens, au plus tard dans le jour de la signification, et iceluy passé, les qualitéz seront réglées le lendemain au parquet […] et ledit règlement des qualitéz sera paraphé gratuitement par nostre advocat […] ; si les procureurs ne peuvent convenir des qualitéz dans le jour de la prononciation, elle comprendra ces termes, “sans que les parties puissent nuire ny préjudicier” ». 40. Ibid. 41. Bibl. Arsenal, ms 2632, fol. 158v : les décisions ne peuvent être délivrées que sur des « qualités signiffiées » et en papier timbré, à peine de cinq cents livres d’amende.

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ces qualités sont données par les parties, l’arrêt porte habituellement la formule presque conjuratoire « sans que les qualités puissent nuire ni préjudicier ». Pourtant, le procureur général Gilbert de Voisins commence son plaidoyer en indiquant que « jamais peut-être une difficulté sur la rédaction des qualitéz d’un arrêt n’a été portée plus loin entre des parties » et que l’on est en face d’un « différend d’un genre extraordinaire et nouveau », qui ne saurait se décider « aisément par les loix ordinaires de la procédure »42. La qualité des parties comme l’ampleur du dossier ne sont certainement pas étrangères à l’intérêt prudent de l’avocat général. Surtout, les conséquences juridiques de l’erreur matérielle pourraient bouleverser à la fois l’état des personnes et emporter des conséquences pénales, ce qui explique la pugnacité de Madeleine Dugueny. Ses parties adverses ont, avec brio, compris que cet incident de procédure, a priori mineur, pouvait décider de l’ensemble des procédures engagées au fond. Il s’agit de faire douter de l’identité de Madeleine Dugueny pour, entre autres, faire tomber le mariage avec le comte de Sagonne, ou au moins imputer des faits d’usurpation d’identité et de supposition de part43. De fait, les preuves apportées, extraits baptistaires, pièces de procédure, procédures criminelles anciennes à l’encontre de la femme Dugueny et autres montrent la plus grande confusion, à laquelle elle répond par factum. L’avocat général tente de se retrouver dans ce maquis de pièces contraires. Il est à remarquer qu’il insiste sur les décisions de justice, notamment des Requêtes du Palais en s’arrêtant aux qualités prises par les parties, mais aussi à la manière dont la femme Dugueny est appelée dans le dispositif. Il ne manque pas de relever que certaines de ces décisions ont négligé la formule « sans que les qualités puissent nuire ni préjudicier ». Faut-il en induire que les qualités, qui y sont prises de manière erronée, à la faveur d’une erreur, peuvent alors préjudicier ? D’une multitude de faits indiquant pour le moins une vie déréglée, l’avocat général Gilbert de Voisins relève que la question des qualités fait la principale question44, dans ce qui constitue un des plus longs plaidoyers conservés qu’il eut à prononcer. La question est délicate, car il y a théoriquement une différence énorme entre une question sur l’état et le nom d’une personne qui « est toujours une question majeure et principale par son importance, qui ne sçauroit être trop débatue, trop aprofondie et qui exige une détermination solemnelle » et « un règlement des qualitéz d’une sentence ou d’un arrêt [qui] est ordinairement une question sommaire qui demande une promte décizion et qui par cette raison 42. Arch. nat., U 847. 43. Il est malheureusement hors de propos d’entrer dans le détail de ces détails ici : voir la thèse de P. Cachau (Jacques-Hardouin Mansart de Sagonne…) qui débrouille l’écheveau judiciaire à partir des factums. 44. Arch. nat., U 847, conclusions de l’affaire Dugueny, fol. 12.

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même est susceptible de tempéraments »45. En l’espèce la question immédiate est bien celle des qualités intervenue dans plusieurs arrêts du Parlement. De manière liminaire, Gilbert de Voisins pose la question de la validité de ces arrêts, peut-être pris sur des qualités erronées : « Le dispositif des arrêts contradictoires est inviolable parce qu’il est formé par les suffrages et par les déterminations des juges sur l’explication réciproque des moiens des parties. Mais à l’égard des qualitéz qui s’expédient sans connaissance de cause de la part des juges, il n’est pas impossible de les réformer lorsqu’il y a lieu »46. L’avocat général signifierait-il que l’autorité de la chose jugée ne vaut que pour les éléments relevant de la compétence du juge et couvrirait les erreurs matérielles que l’on pourrait relever dans le dispositif ? La demanderesse est d’autant plus fondée d’y revenir qu’elle a signifié des qualités différentes de celles sur lesquelles l’arrêt a été expédié, ceci même en l’absence d’opposition. Il ne saurait y avoir de fin de non-recevoir fondée sur l’absence d’intérêt à agir car la partie demanderesse soutient que ces qualités peuvent avoir des conséquences sur sa défense ultérieure et, indique l’avocat général, ce que nous « sçavons, c’est que souvent une qualité accordée ou contestée à une partie fournit de puissants arguments en sa faveur ou contre elle sur le mérite du fonds »47. La partie adverse a tout autant intérêt à agir car cela pourra lui fournir des arguments pour attaquer le mariage de la demanderesse. Encore faut-il justement décider de cet incident des qualités ! Tout en faisant bien attention à ne pas dépasser l’objet de la question posée au juge : « Par quelle voie faudra-t-il donc décider l’incident de qualitéz qui se présente ; ce ne sera pas non plus par une ample discution de la question d’état comme si vous aviez à y prononcer sur une action intentée expressément au sujet. N’oublions pas que la demande principalle a pour objet de faire réformer les qualitéz d’un ou plusieurs arrêts, que c’est une question sommaire qui n’admet point un long circuit d’instructions ni de délais ; quels sont en ce cas l’usage et la règle ? Les qualitéz des jugements se déterminent par l’état actuel, et lorsque se trouve quelque doute légitime ou qu’on peut prévoir des conséquences dangereuses, on ajoute le correctif ordinaire que les qualitéz ne pouront nuire ny préjudicier »48. Pour l’avocat général, la demanderesse n’a jamais cessé de prendre comme nom Madeleine Dugueny et non celui de Guillemette. Il est tout aussi sûr qu’elle s’est plusieurs fois présentée dans des actes, publiquement ou encore dans des procédures criminelles, comme femme de Jean Maury. Or Jean Maury a épousé une Guillemette Maury ; est-ce Guillemette qui a pris ces actes ou est-ce 45. Ibid., fol. 13v. 46. Ibid., fol. 13v-14. 47. Ibid., fol. 14. 48. Ibid., fol. 14v.

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Madeleine se faisant passer pour Guillemette pour cacher la honte sociale d’enfants illégitimes ? Qu’y a-t-il de certain ? Cette femme s’est présentée comme Madeleine Dugueny mais a aussi pris la qualité de femme Maury, même si elle s’en est défendue en prétendant que Guillemette, femme Maury, était sa sœur, puis qu’elle avait changé son prénom. Comme les différentes actions n’ont pas abouti, la demanderesse est restée en possession du nom de Dugueny et de la qualité de fille jusqu’à son mariage avec le sieur de Sagonne, même si ces qualités n’ont jamais acquis une entière certitude. Et depuis son mariage avec le sieur de Sagonne, comme ce mariage n’a pas été attaqué, « il est impossible de luy refuser cette qualité »49. Dans toutes ces tergiversations de qualités de Madeleine Dugueny, « quelle confusion et quel cahos dans l’involution de tous ces faits et jamais les avantures d’une vie déréglée ont-elles formé un tissu plus extraordinaire et plus monstrueux ? »50, toutes choses qui laissent entrevoir des faits criminels. Soit elle est la femme Maury et elle a changé son état et celui de ses enfants, soit elle a mis ses propres enfants sous le nom de son beau-frère et de sa sœur, ce qui constitue une supposition de part. En effet, la liaison avec le comte de Sagonne fut officialisée par un mariage en 1726, un factum en faveur de Madeleine Dugueny indiquant pudiquement : « Tout Paris a sçu que ce mariage a été contracté de l’aveu de madame Mansart, il a été même regardé comme nécessaire tant par rapport aux différentes créances que la dame de Sagonne avoit contre son mary, que par rapport aux anciennes liaisons qui avoient été entr’eux ; en sorte que ce mariage a été tout à la fois l’ouvrage et d’une simpatie qu’ils avoient apportés l’un pour l’autre en naissant et de la prudence et nécessité de mettre quelqu’arrangement dans les affaires du sieur de Sagonne »51. Gilbert de Voisins conclut que la demanderesse soit reçue dans son opposition pour tous les arrêts où elle serait dénommée sous la qualité à laquelle elle s’oppose, et que ces arrêts soient réformés, surtout sans omettre la formule « sans néanmoins que les qualitéz puissent nuire ny préjudicier ». En outre, l’avocat général demande qu’il soit fait information des suppositions et déguisements de noms, de qualités et de personnes pouvant avoir été commis par la demanderesse. La cour suit ses conclusions par arrêt du 21 juillet 1730. Comme il l’a indiqué, « il s’agit d’une matière où la vérité prévaut en tout temps lorsqu’elle est constante », et en ce cas c’est la mémoire judiciaire qui a permis de constater cette constance. Un arrêt du 10 avril 1731 ordonne l’exécution de l’arrêt du 21 juillet précédent, ainsi que l’ouverture d’une procédure pour faux. Madeleine Dugueny se défend au fond en accusant la malignité de ses parties adverses et explique l’usurpation de la qualité de « femme » par l’aspect 49. Ibid., fol. 16v. 50. Ibid., fol. 17. 51. Mémoire pour dame Magdelaine Dugueni…, p. 3.

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déshonorant qu’aurait eu la qualité de « fille » pour une personne enceinte, incarcérée et accusée de banqueroute52. Elle se défend aussi en avançant que les procédures antérieures (à Orléans53 notamment) l’en ont blanchie et qu’en vertu de l’autorité de la chose jugée, on ne peut revenir sur ces points. Et quand bien même, Jean Maury étant mort en 1718, elle pouvait se remarier en 1726 avec le comte de Sagonne54 : peu importe alors pour la validité du mariage qu’elle soit veuve ou fille et le ministère public n’a plus d’intérêt à agir. En outre, les enfants ne sauraient succéder comme étant adultérins, nés pendant le mariage de leur père avec la première comtesse et ne sauraient être légitimés sous le poêle. Il faut donc, déclare son factum, s’en tenir à sa longue possession. Et elle conteste le contrat de mariage et l’acte de célébration de mariage de Jean Maury et Guillemette Dugueny en s’appuyant sur la signature qui diffère de la sienne notamment par un « h », dans Dhugueni, qu’elle n’a jamais écrit ainsi, argument qui dut peu impressionner les juges en raison de l’absence de fixation orthographique stricte des patronymes. La cour poursuit les investigations et tente de débrouiller l’écheveau notamment en demandant une analyse graphologique pour s’assurer de l’authenticité de l’identité de Madeleine Dugueny55. Il ne saurait être question de suivre les nombreuses aventures judiciaires de celle-ci. Il suffit de mentionner que le mariage avec le comte de Sagonne subsista. L’état civil des enfants nés de la liaison coupable alors que la première comtesse de Sagonne était encore en vie ne fut pas modifié : Jacques, le bâtard à l’état civil incertain à qui des lettres de légitimation furent constamment refusées, devint un architecte du roi56. Lors de la pose de la première pierre de la cathédrale de Versailles, dont il avait obtenu la commande, un mémorialiste qualifie sa mère de « fille de débauche »57, alors que cette dernière attribue l’ensemble des procédures à l’action malveillante du beau-frère du comte, qui a surpris le consentement de madame Mansart Mère, alors affaiblie d’esprit58. Le dossier de l’identité, lancé par une erreur matérielle, prend fin avec la mort de la veuve Mansart en 1738 et celle de Lebas de Montargis en 1741 ; Madeleine Dugueny leur survit jusqu’en 175359. 52. À nos seigneurs du parlement en la Grand Chambre, [requêtes de Madeleine Dugueni…], Paris, Jean Lamesle, 1733, p. 3-4. 53. Ibid., p. 31. 54. Ibid., p. 14-16. 55. Mémoire pour dame Magdelaine Dugueni…, p. 16, arrêts des 27 juillet 1730, 10 avril 1731, 13 février 1733, 14 avril et 23 avril 1734. 56. P. Cachau, Jacques-Hardouin Mansart de Sagonne… 57. Ibid., p. 23. 58. Mémoire pour dame Magdelaine Dugueni…, p. 11-13. 59. P. Cachau, Jacques-Hardouin Mansart de Sagonne…, p. 99 et 116.

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II. — L’ERREUR MATÉRIELLE DANS LA PROCÉDURE CRIMINELLE Cette exigence constante de la forme se retrouve naturellement dans le cadre des procédures criminelles qui mettent en jeu l’honneur et la vie de l’inculpé. La procédure, les formes doivent être d’autant plus respectées. Une seule affaire peut être repérée dans les papiers Gilbert de Voisins conservés dans la série U des Archives nationales. L’affaire Barbevin est exemplaire sur ce point et l’avocat général indique dans son plaidoyer qu’il est « surtout nécessaire de bien prendre ici l’état de la procédure »60. Jean Barbevin est impliqué dans une affaire criminelle de faux billets à ordre instruite par le lieutenant criminel du Châtelet de Paris. Quand la procédure est commencée contre le suspect principal, rien n’incrimine encore Barbevin. Le commissaire au Châtelet croit le reconnaître en la personne d’un individu sortant de la maison au moment précis où lui-même entre pour effectuer une perquisition chez ce suspect principal. Pendant celle-ci, l’épouse du suspect remet au commissaire qui diligente la procédure un billet portant le nom de la femme de Barbevin. Barbevin est alors ajourné pour être ouï puis, avant signification de l’ajournement, est décrété de prise de corps. Il en interjette appel. Pour l’avocat général Gilbert de Voisins, deux points cristallisent cette question du décret de prise de corps : l’assignation pour être ouï et l’écrit signé du nom de la femme qui fait le fondement du décret de prise de corps. Le premier point, à savoir si l’on pouvait décréter de prise de corps sans nouvelles charges alors qu’un ajournement pour être ouï était en cours, n’entre pas dans le cadre de l’erreur de plume61. En revanche, le deuxième point, celui du décret de prise de corps, mérite ici une analyse. Ce décret fut motivé par le lieutenant criminel par le seul écrit du nom de la femme ; en effet, le fait d’avoir cru voir sortir Barbevin ne saurait constituer une charge et ne fut d’ailleurs pas visé dans le décret. La question est que le lieutenant criminel s’est trompé et a fondé le décret sur le fait que le billet était de la main de Barbevin alors qu’il était de son épouse. Même si le dossier n’en parle pas, une erreur aussi grossière est peut être due au fait qu’en cas d’urgence, le décret de prise de corps peut, au Châtelet, être délivré sous la signature d’un commis au greffe et non par le greffier en chef, au terme de l’article 3 de la déclaration du 17 mars 167962, mais sous la responsabilité seule du signataire. Cette erreur a entraîné, dit l’avocat général, une « erreur de 60. Arch. nat., U 845, affaire Barberin. 61. Voir L. de Carbonnières, « La vision de la procédure de Pierre Gilbert de Voisins, avocat général au Parlement », dans Procéder. Pas d’action, pas de droit ou pas de droit, pas d’action, éd. Jacqueline Hoareau-Dodineau, Guillaume Métairie et Pascal Texier, Limoges, 2006 (Cahiers d’anthropologie juridique, 13), p. 185-199, aux p. 192-193. 62. Bibl. nat. Fr., fr. 21 600, fol. 220v.

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grande suite »63, qui a même motivé les conclusions du procureur du roi au Châtelet. Ainsi, « chose pêche par le fondement et par le principe, de là décret tombe absolument »64. En un tel cas, en effet, la doctrine considère que la procédure a été infectée65, c’est d’ailleurs le terme employé par Jousse pour la nullité du décret66. La situation est alors délicate : motivé sur erreur, le décret est infecté et peut-on dans ce cas garder en prison un accusé sans mandat régulier du juge ? Une partie de la doctrine, comme Serpillon, propose de renvoyer l’accusé en état d’ajournement personnel67. Certes, le procès en sera ralenti, les preuves peuvent dépérir, mais le droit l’exige et c’est la solution préconisée par l’avocat général. En outre, pour lui, il ne saurait être question de justifier a posteriori le décret fautif. Pour une grande partie de la doctrine, la nullité du décret est relative, en ce sens que la survenance de nouveaux indices peut justifier a posteriori une arrestation qui n’aurait pas dû avoir lieu. Ainsi Serpillon avance qu’« il n’est pas question d’examiner si un prisonnier a été constitué dans les règles, il s’agit de savoir s’il est coupable »68. Faut-il dans ce dossier, comme dit l’avocat général « forcer par ce qu’est survenu depuis »69. En effet, par la suite, Barbevin a varié dans ses dépositions sur la manière dont il a obtenu le billet, les scellés mis par autorité de justice sur une armoire furent brisés par le fils Barbevin qui emporta les documents qui s’y trouvaient… Bref autant d’éléments pouvant justifier l’adage male captus, bene detentus. Gilbert de Voisins se démarque de la doctrine. Il déclare : « Au milieu de tout cela, défaut originaire subsiste dans le décret »70. L’erreur sur le signataire du billet ne saurait être couverte par des actes commis ultérieurement par le suspect. Cette position de l’avocat se comprend, car les greffiers avaient parfois tendance à considérer que les décrets de prise de corps ne devaient pas être contrôlés71. Cependant, la rigueur de Gilbert n’est pas suivie par la cour qui confirme le décret fautif et déclare que ce dont est appel sortira son plein effet et que 63. Arch. nat., U 845. 64. Ibid. 65. Antoine Astaing, Droits et garanties de l’accusé dans le procès criminel d’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècle). Audace et pusillanimité dans la doctrine pénale française, Aix-en-Provence, 1999, p. 153. 66. Daniel Jousse, Traité de la justice criminelle, 4 t., Paris, 1771, t. I, partie 2, l. 1 et t. II, chap. 2, n° 35-37. 67. François Serpillon, Code criminel ou commentaire sur l’ordonnance criminelle de 1670 […], Paris, 1767, p. 492. 68. Ibid., p. 497. 69. Arch. nat., U 845. 70. Ibid. 71. Bibl. Arsenal, ms 2632, fol. 241. Les greffiers ayant prétendu que les décrets de prise de corps ne devaient pas être contrôlés, l’intendant de Dijon, par ordonnance du 12 août 1716, statua qu’ils seraient soumis au contrôle huit jours après avoir été mis à exécution.

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Barbevin paiera une amende et les dépens72. Or il est rarissime que le parlement de Paris ne suive pas Gilbert dans ses conclusions. Faudrait-il en conclure qu’il fait preuve d’un formalisme hors de propos en matière d’erreur matérielle et ses conséquences, d’autant que Gilbert ne varie aucunement sa position dans d’autres affaires semblables73 ? Dans une autre affaire, ne concernant pas l’erreur matérielle mais où un faux a été décelé dans une affaire civile de succession, Gilbert défend l’idée que c’est justement le décret qui détermine le commencement de la procédure criminelle. D’où l’importance de savoir quand on peut décréter. Il ajoute : « Quand commence criminel ? Nul doute dès qu’on peut décréter. Peut-on décréter sur simple rapport ? Ordonnance équivoque. Usage de ne décréter que lorsqu’il y a information »74. Gilbert a raison. L’article 10 de l’ordonnance de 1670 mentionne que les décrets doivent être rendus sur conclusions. Et Gilbert note dans sa « Paraphrase » de l’ordonnance de 1670 : « Ne faut-il pas toujours des conclusions dès qu’il y a information ? Ouy je pense »75. Quod erat demonstrandum. Si la procédure criminelle commence quand on peut décréter et qu’on peut décréter quand il y a information et que cette information nécessite des conclusions, si ces conclusions sont fautives, en raison d’une erreur, comme c’est le cas dans l’affaire Barbevin, le vice originaire ne saurait être couvert. L’erreur matérielle originaire vicie, infecte toute la procédure ultérieure qu’elle fondait. Le Parlement choisit de résoudre cette question de manière pragmatique sans prendre en compte la rigueur juridique, soucieuse des droits de l’accusé et du respect des formes, exprimée avec constance par l’un des meilleurs avocats généraux du XVIIIe siècle. Dans ces trois dossiers issus de l’activité du parlement de Paris, la responsabilité du greffier ne semble pas avoir été envisagée, à moins que les dossiers aient été disjoints, ce qui n’est pas à exclure. Elle apparaît uniquement dans les textes : sont prévues à la fois une responsabilité personnelle envers les parties ayant subi un dommage et une amende76. Il en va autrement au XIXe siècle, comme l’indique l’article greffe de l’Encyclopédie Labori, article rédigé par le greffier Girodon, greffier à la Cour de cassation. Il écrit que « les greffiers sont responsables, tant en matière criminelle qu’en matière civile, des nullités de procédure qui leur sont imputables ». En matière criminelle, l’article 415 du Code d’instruction permet à la Cour de cassation de décider que les frais de la nouvelle procédure seront à la charge du greffier ou du juge instructeur responsable de l’annulation. La faute du greffier doit être très grave selon l’article 415, et les arrêts, rares, ne manquent 72. Arch. nat., X2A 674, arrêt du 23 février 1729 (registre non paginé). 73. Arch. nat., U 846, affaire Galland. 74. Arch. nat., U 845, affaire Bérulle. 75. Arch. nat., U 876. 76. Voir supra p. 354.

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pas de le préciser. Elle peut constituer en « une omission purement matérielle et provenir d’une erreur de plume », mais Girodon ne cite aucun texte ou aucune jurisprudence pour appuyer son assertion : serait-ce l’opinion doctrinale d’un praticien de haut niveau ? Cette responsabilité paraît plus rare au civil car il est peu de cas où le greffier pouvait provoquer une nullité77, cependant de nombreux textes prononçaient une amende contre le greffier qui omettait une formalité, abstraction faite de tout préjudice78. Dans les différents dossiers du XVIIIe siècle, l’expression même d’« erreur de plume » ou d’erreur matérielle n’apparaît pas. La notion ne semble intéresser ni la doctrine ni la jurisprudence par elle-même. Cette dernière se focalise sur les conséquences possibles sur la procédure. Le XVIIIe siècle n’envisage pas non plus la pratique libérale de la décision rectificative actuelle, si commode et si déresponsabilisante. Le parlement de Paris n’ose pas non plus la pratique contemporaine et si particulière du rabat d’arrêt, dont les conditions sont si drastiques et qui eut du mal à s’imposer79. Il est d’ailleurs très révélateur pour l’historien s’intéressant au respect des formes et des procédures de constater que certaines cours d’appel estiment désormais pouvoir s’approprier ce remède prétorien exorbitant et rare de la Cour de cassation quitte à le banaliser et négliger un peu plus le respect de la forme. Mais peuton en accuser des magistrats débordés par la masse de travail insupportable que fait peser sur eux la Chancellerie ? Louis de Carbonnières Université Lille II Institut d’histoire du droit (Centre d’étude d’histoire juridique), université Panthéon-Assas-Paris II – CNRS – Archives nationales

77. C’était alors l’article 1382 du Code civil qui s’appliquait. 78. Code de procédure civile : articles 71, 77, 112, 164, 369, 372, 378, 448, 450, 474, 600, 601, etc. 79. C. Puigelier, « Le juge entre erreur… », p. 257.

L’ÉLOQUENCE HISTOIRE MUETTE D’UNE AUTRE MÉMOIRE JUDICIAIRE, DES LENDEMAINS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE À NOS JOURS* PAR

ÉMELINE SEIGNOBOS

Ce dont vous proposez, dans votre bienveillance, de combler la cité m’illumine de joie. Je bénis de tout cœur la persuasion ; son regard inspirait mes lèvres et ma langue lorsque je me heurtais à ces refus sauvages. Vainqueur est Zeus, patron des causes bien plaidées. Ce qui triomphe ici, c’est l’émulation entre nous des bienfaits jusqu’à la fin des temps. Eschyle, Les Euménides1

Verba volant, scripta manent : l’adage devient obstacle incontournable pour qui cherche à retracer l’histoire de la parole judiciaire. Les voix qui se sont élevées et qui s’élèvent encore quotidiennement dans les tribunaux français semblent ainsi appelées à disparaître, vouées à l’oubli, aussitôt leur discours achevé. Après un tel constat pour le moins désolé, s’attacher à l’éloquence2 judiciaire, tenter d’en déceler les mouvements et les mutations, relève de la gageure, faute de corpus cohérent et pertinent. Une telle entreprise se révèle d’autant * Que soient ici vivement remerciés pour leurs lectures et remarques pertinentes Madame le professeur Françoise Boursin, Mireille Sautereau et Jean-Pierre Bat. 1. Eschyle, Les Euménides, v. 969 sq. (traduction de Victor-Henri Debidour, Les tragiques grecs. Eschyle, Sophocle, Euripide. Théâtre complet, Paris, 1990). 2. Nous considérons l’« éloquence » comme la faculté de bien parler, l’aptitude à prononcer un discours persuasif, convaincant, propre à émouvoir, et donc à emporter l’adhésion de l’auditoire.

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plus périlleuse quand il est question des plaidoiries et des réquisitoires mis en scène dans les cours d’assises, dont l’oralité des débats constitue l’un des piliers3. De ce qui a été dit, construit, discuté autour du crime le plus grave dont ait eu à pâtir notre société, de ce qui a abouti à un « verdict », prononcé au nom du peuple français par ses représentants, des non-professionnels4, il ne reste presque rien, quelques échos tout au plus, lointains et approximatifs. La parole judiciaire serait alors condamnée à demeurer, pour reprendre les mots du bâtonnier Jacques Charpentier, cette « fusée dans la nuit », préservée de la décadence et des résurrections traîtresses5, mais condamnée au silence, refoulée aux portes de la postérité. Et pourtant, malgré ces difficultés immédiates et évidentes, il apparaît possible de poser les termes d’une histoire de la rhétorique judiciaire. Cette histoire, qualifiée de « muette », trouve, en effet, des moyens d’expression qui interdisent le renoncement. Il existe bien des sources, qu’il s’agira évidemment de critiquer et d’exploiter dans ce sens : des sources écrites – et l’on prendra la juste mesure de ce hiatus entre l’oral et l’écrit –, de nouvelles sources, audiovisuelles, donnant à voir, à entendre, une parole vivante. À travers ces sources, au statut certes inégal, se dessine alors une autre mémoire judiciaire : l’élaboration d’une parole convaincante et persuasive, la recherche de la vérité (ou des vérités), la réparation par les mots, constituent des étapes fondamentales d’une mémoire judiciaire commune, communément admise, d’une mémoire judiciaire sereine.

I. — L’ÉLOQUENCE JUDICIAIRE RETRANSCRITE, UN NON-SENS ? Chaque orateur a ses habitudes, et les avocats et les magistrats du Parquet ne sont, bien entendu, pas tenus de rédiger leur discours, dont ils ne gardent souvent, 3. La procédure suivie par la cour d’assises est publique, orale et contradictoire. 4. Juridiction unique dans le système judiciaire français, la cour d’assises juge les crimes de droit commun, autrement dit les faits les plus graves que la société et l’État peuvent reprocher à l’un de ses membres. Aujourd’hui, elle se compose, en première instance, d’un collège de neuf jurés non professionnels tirés au sort sur les listes électorales et des trois membres de la cour. Née avec l’idéal démocratique des années qui ont suivi 1789, la cour d’assises, en dépossédant les professionnels du jugement exclusif des crimes, apparaît comme l’émanation de la démocratie la plus immédiate. Longtemps souveraine, elle rend un arrêt, non motivé, condamnant ou acquittant à la seule justification de l’intime conviction. La nature d’un procès d’assises conditionne les paroles qui y seront prononcées : défense, accusation et, le cas échéant, partie civile doivent convaincre autant que persuader l’auditoire au moyen de discours fondés sur le rationnel et sur le sensible. La triple ambition cicéronienne de la rhétorique, contenue dans les trois infinitifs docere, placere, movere, prend ainsi toute sa dimension… 5. Jacques Charpentier, Remarques sur la parole, Paris, 1944, p. 102 : « La parole, elle, à peine a-telle retenti qu’elle meurt. On ne l’entendra plus jamais. Elle ne connaîtra ni la décadence, ni les résurrections traîtresses. C’est une fusée dans la nuit. »

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une fois qu’ils ont été prononcés, que quelques notes. En ce qui concerne les plaidoiries et les réquisitoires, le principe de l’oralité des débats laisse l’histoire de la justice criminelle pauvre en archives. Les sources dont nous disposons sont le fruit du hasard, de la volonté d’un éditeur, du zèle d’un avocat, de la ligne éditoriale d’une revue juridique. Après avoir amplement fleuri, la publication et la retranscription des plaidoiries et réquisitoires ont ainsi connu une véritable désaffection. Le bâtonnier Fernand Payen déplorait déjà, en 1939, cet état de fait : « Les recueils de plaidoiries pourtant se meurent : ils sont morts. […] La plaidoirie en soi, la plaidoirie œuvre dialectique et littéraire, n’intéresse plus6. » Entre le XVIIe et le XIXe siècle, les plaidoiries et autres discours prononcés dans les juridictions ont été publiés, sous forme de brochures, de recueils et d’anthologies. Les « Annales du barreau français » ou la « Collection des chefs-d’œuvre de l’éloquence judicaire en France », dans le premier tiers du XIXe siècle, dénotent un goût réel pour le discours judiciaire7. Sous la IIIe République, cette République des avocats8, des revues spécialisées consacrent en quelque sorte ce « genre » revendiqué littéraire. Ces périodiques se font en tout cas le reflet d’un véritable âge d’or d’un barreau tout-puissant, traversé par des velléités littéraires. Les universitaires et surtout les avocats, devenus écrivains, s’évertuent, dans ce climat politique et social extrêmement propice, à réhabiliter la plaidoirie et à se désoler de cette trop longue désaffection9. De telles revendications, en cette fin du XIXe siècle, alors que la classe de rhétorique est moribonde, et que l’on a déjà plus ou moins tordu le cou à l’éloquence10, aboutiront à ce que l’on appellera la « querelle de l’éloquence judiciaire11 ». 6. Fernand Payen, Le barreau et la langue française, Paris, 1939, p. 284 et 286. 7. Laurence Gratiot, Caroline Mécary, Stephen Bensimon, Benoît Frydman et Guy Haarcher, Art et techniques de la plaidoirie, Paris, 2003, p. 272. 8. Gilles Le Béguec, La République des avocats, Paris, 2003. Pouvoir politique, gloire institutionnelle et sociale : le barreau libéral semble alors connaître une véritable consécration, tandis que les Immortels accueillent à bras ouverts ses plus brillants représentants. Sur l’histoire des avocats, se référer, bien entendu, à la magistrale étude de Lucien Karpik, Les avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe siècle, Paris, 1995. 9. L’avant-propos de l’avocat Jacques Munier-Jolain dans son ouvrage Les époques de l’éloquence judiciaire en France, publié en 1888, constitue plus qu’une demande de reconnaissance publique du talent oratoire des avocats : il est véritablement une tentative de coup d’État littéraire. Ce texte est résumé et commenté par Anne Vibert, « Préceptes et pratiques de l’éloquence judiciaire (XIXeXXe siècle) », dans L’éloquence judiciaire. Préceptes et pratiques. Grandes plaidoiries passées et contemporaines, éd. Anne Vibert, Paris, 2003, p. 108 et suiv. 10. « Prends l’éloquence et tors-lui son cou ! ». L’« Art poétique » de Verlaine paraît dans Jadis et naguère en 1884. Hugo avait déjà en 1853 déclaré dans Les châtiments : « Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! » (« Réponse à un acte d’accusation »). Sur cette « éclipse de la rhétorique en France », voir Antoine Compagnon, « La rhétorique à la fin du XIXe siècle (1875-1900) », dans Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne, 1450-1950, éd. Marc Fumaroli, Paris, 1999, p. 1215-1250. 11. Les prétentions littéraires d’un genre oratoire, toléré quand il demeure affaire de spécialistes dans les revues juridiques et objet de curiosités éditoriales et historiques par le biais des antho-

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La Revue des causes célèbres politiques et criminelles, dont la parution a débuté en 1918 et a cessé deux ans plus tard, rassemble les débats des grandes affaires contemporaines, traite de l’actualité judiciaire et s’attache à rendre compte de grands procès antérieurs : on y lit la retranscription du procès de Raoul Villain en 1919, assassin de Jean Jaurès ou encore le procès et l’acquittement d’Henriette Caillaux, qui avait tiré, en 1914, sur le directeur du Figaro, Gaston Calmette. Le but avoué de ce périodique réside dans la constitution, en cette période trouble d’après-guerre, d’archives judiciaires destinées à la postérité. Derrière cette volonté avouée, la coloration partisane et politique est patente, et les commentaires relatifs à l’issue des débats sont légion12. Néanmoins, cette revue apparaît comme un document précieux dans la reproduction, plutôt fidèle, de l’éloquence du temps. La Revue des grands procès contemporains (Recueil d’éloquence judiciaire donnant, tous les deux mois, le texte intégral des principaux plaidoyers et réquisitoires) connut une durée de publication beaucoup plus longue. Née elle aussi sous la IIIe République, elle s’acheva au début de la Seconde Guerre mondiale, avec une brève interruption pendant la Grande Guerre. Les nombreux tomes de cette série, la variété des affaires et la diversité des orateurs représentés font de ces volumes des documents, sous-exploités, tout à fait pertinents dans l’optique d’une reproduction – plus ou moins – proche des morceaux oratoires judiciaires. Autre source, plus récente, la « Collection de grands procès contemporains », initialement dirigée par le célèbre avocat Maurice Garçon (qui a lui-même publié un certain nombre de ses plaidoiries13) et éditée chez Albin Michel, rassemble les comptes rendus in extenso des audiences des grands procès des cinquante dernières années. Nous y trouvons, entre autres, les titres suivants, qui seront par la suite réédités14 : L’affaire Girard, L’affaire Bernardy de Sigoyer, Le procès du maréchal Pétain, Le procès Laval, Le procès de Charles Maurras, Les procès de la radio, Les procès de la collaboration, Le procès Kravchenko, Le procès de l’attentat du Petit-Clamart et, publiés plus logies, se trouvent ainsi combattues. Le champion de cette lutte sera Ferdinand Brunetière, avec son article traitant justement de l’ouvrage de Jacques Munier-Jolain : « Sur l’éloquence judiciaire », dans Revue des deux mondes, t. 87, mai-juin 1888, p. 215-225. 12. « Il ne fallait pas que les documents de ces grandes causes aillent s’enfouir dans des cartons poudreux du greffe, où nulle main ne viendrait jamais les compulser. La justice criminelle civile ou militaire n’a d’ailleurs pas l’habitude de conserver de véritables procès-verbaux de ses audiences. Tout se passe en discussions verbales, qui ne trouvent dans le pays qu’un écho affaibli, tronqué dans les journaux quotidiens. […] Dans 10 ans, dans 50 ans, dans 100 ans, le juriste, le politique, l’historien, le philosophe, n’aurait pu se faire une idée exacte et complète de la lutte terrible, qui aurait pu être mortelle, engagée contre la France noblement combattante par de mauvais Français devenus, pour peu ou beaucoup d’or, les agents de l’ennemi. » (Revue des causes célèbres criminelles et politiques, t. 33-34, 4 mai 1919, p. 319). 13. Sur l’œuvre « littéraire » de Maurice Garçon, nous signalons la thèse de Nadine Georget, soutenue à l’université Michel de Montaigne - Bordeaux III le 5 avril 2006, Maurice Garçon : un écrivain au prétoire. 14. Titres qui furent parfois réédités chez d’autres éditeurs.

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récemment, Le procès de l’église de scientologie, Le procès d’un réseau islamiste, Le procès de Maurice Papon. L’étude de ces différents titres depuis les ouvrages volumineux des années 1950 jusqu’à leurs successeurs récents ne manque pas de mettre en évidence une évolution dans les attentes et les exigences du lectorat de la parole judiciaire. Ce catalogue rapide n’est certes pas exhaustif, puisqu’il ne prend pas en compte les archives personnelles de certains orateurs ou les publications isolées. Il tend toutefois à montrer une baisse notable des publications et des revues reproduisant des plaidoiries et réquisitoires15 et ce depuis une cinquantaine d’années, période qui justement nous intéresse. À notre connaissance, aucun périodique actuel ne pratique un tel travail de retranscription. Quelques publications récentes sont toutefois à signaler. Grandes plaidoiries et grands procès du XVe au XXe siècle, publié en 200416, présente sous la forme d’une anthologie les plaidoiries que le temps et l’éphémère de l’oralité ont épargnées17. Si elles ont le mérite d’exister, ces publications, ponctuelles, tronquées, filles d’un temps désormais révolu, n’apparaissent guère satisfaisantes pour notre propos. Elles donnent à lire des discours réécrits et soumis aux exigences éditoriales, qui en effacent immanquablement et consciencieusement l’oralité essentielle. Conservé dans sa totalité aux Archives nationales, le fonds Bluet18 renferme, sous la forme de quatre-vingt-six cartons19, les archives du cabinet privé de sténographie René Bluet, fondé à Paris pendant la Première Guerre mondiale, et dont l’activité a pris fin dans les années 196020. Le cabinet Bluet, qui n’était pas le seul sur la place parisienne, sténographiait les débats des tribunaux et des cours de justice et vendait ensuite les comptes rendus dactylographiés des audiences. On y trouvera donc la retranscription fidèle des débats de grands procès venus devant les tribunaux militaires, les cours de justice et cours d’assises. D’autant plus précieux qu’ils sont dans certains cas uniques, ces fascicules contiennent les plaidoiries et les réquisitoires complets de quelques grandes affaires criminelles jugées devant une cour d’assises entre 1918 et 1966. Ainsi, 15. La bibliographie établie par Anne Vibert (L’éloquence judiciaire. Préceptes…, p. 125-130) recense les anthologies, revues, les plaidoiries et de réquisitoires édités ainsi que les ouvrages historiques, critiques ou pédagogiques concernant l’éloquence judiciaire, publiés entre 1806 et 1999. Le déséquilibre est patent, et le XIXe siècle et la première moitié du XXe occupent une proportion écrasante dans cette recension. 16. Sous la direction de Nicolas Corato et en partenariat avec l’Ordre des avocats de Paris. 17. Il est néanmoins regrettable que cet ouvrage ne précise pas les sources exactes qui ont nourri son élaboration. 18. Porté à notre connaissance par l’archiviste de l’Ordre des avocats de Paris, Yves Ozanam, que nous remercions. 19. Archives nationales. Répertoire numérique par Chantal Tourtier-Bonazzi, Sandrine Bula et Michel Guillot (1978-1991). 334 AP 1-86. 20. Les premiers textes datent de 1918 (procès de Louis Malvy devant la Haute Cour de justice) et les derniers cartons renferment l’affaire Ben Barka jugée par la cour d’assises de la Seine en 1966.

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sous la cote 334 AP 65, nous avons accès aux débats inhérents à l’affaire du docteur Petiot (cour d’assises de la Seine, 18 mars-4 avril 1946)21. Les débats des affaires Gorguloff, Stavisky, Girard, Ben Barka ainsi que Weidmann22 sont également en grande partie retranscrits. L’intérêt de ce fonds tient bien évidemment à la reproduction objective et à la restitution totale (ou presque) des débats de procès, dont certains ont joui d’une publicité exceptionnelle. La lecture et l’analyse de ces sources permettent de prendre la mesure de l’éloquence judiciaire et de son évolution sur une cinquantaine d’années, et ce dans des conditions idéales. Ces sources, dans la diversité de leurs présentations et de leurs formes, ne sauraient être exploitées sans quelques réflexions préliminaires. La distinction fondamentale entre l’écrit et l’oral amène nécessairement à une critique sévère des sources écrites reproduisant l’oral, avec, en filigrane, une suspicion quant à la sincérité du discours écrit ou réécrit. L’improvisation, la parole inspirée et immédiate, le moment opportun (le καιρός grec), la gestuelle et autres effets de manche deviendraient donc lettre morte en accédant à l’écrit, et la reproduction écrite du discours ne serait qu’une imitation artificielle, voire artificieuse23. Dans le cas qui nous occupe ici, la sténographie semble seule garante d’une reproduction fidèle de la parole effectivement prononcée dans le prétoire. Les autres sources revêtent un statut plus ambigu et complexe. Recueils de plaidoiries et revues compilant sous forme d’anthologie les meilleurs morceaux oratoires, outre qu’ils résultent d’un choix arbitraire par nature, présentent des « textes », remaniés, débarrassés des scories de l’oral, parfois réécrits, souvent tronqués et fragmentés. Nous entrons, avec ces objets intermédiaires se situant entre l’oralité (caractéristique du discours composé pour un auditoire) et l’écriture (caractéristique du texte destiné à la lecture silencieuse en général), dans le domaine de ce que Roland Barthes a appelé la « scription24 ». 21. Nous disposons, dans leur intégralité, du réquisitoire de l’avocat général Dupin et des plaidoiries de Mes Véron et Floriot, ainsi que de la déposition de quelques témoins. Dans le même carton sont restitués les débats des deux autres procès ayant mis en cause le même Petiot, devant la 9e chambre de la cour d’appel de Paris (1930) et le tribunal correctionnel de Joigny (1933). 22. Pour le dossier Weidmann, nous ne disposons que de la plaidoirie de Me Moro-Giafferri, conservée aux Archives nationales dans un carton ayant fait l’objet d’un don plus tardif et renfermant d’autres plaidoiries du même avocat (334 AP 80). 23. Et l’orateur de devenir ce « roi détrôné, sans cortège, sans éclat, dépouillé de ses splendeurs fragiles, seul avec le vain bruit de sa renommée, et quelques pâles écrits qui sont les témoins impuissants de son génie ». (Edmond Rousse, préface à Gustave Chaix d’Est-Ange, Discours et plaidoyers [1862], p. XLVI, cité par Jean Starobinski, « La chaire, la tribune, le barreau », dans Les lieux de mémoire, dir. Pierre Nora, t. III : La Nation, Paris, 1986, p. 425-485, part. p. 472). 24. Roland Barthes, « De la parole à l’écriture », dans La Quinzaine littéraire (1-15 mars 1974), réimpr. dans Le grain de la voix. Entretiens 1962-1980, Paris, 1999, p. 9-13.

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Ouvrir les portes de l’éternité aux « paroles ailées » en les nettoyant de leurs dernières traces d’oralité s’apparente plus à « la toilette du mort » – toujours selon Roland Barthes25 – qu’à la simple retranscription. L’hybridité d’une telle production est patente : on lit, silencieusement, des textes qui se réclament de l’oral, mais qui sont dépouillés de ses marques. De la persuasion, on glisse doucement vers l’agrément26. L’efficacité d’une parole persuasive et le jeu de l’orateur laissent alors la place au plaisir d’un texte aux subtiles et précieuses périodes et au travail de l’écrivain fécond. Que devient la plaidoirie (ou le réquisitoire) loin de sa cause, sortie du prétoire, figée dans l’écrit ? Elle nierait sa condition première, celle de l’éphémère, de l’instant, de la spontanéité, pour se réclamer de la religion de l’écrit, celle qui consacre la production à la postérité ? Elle s’affranchirait de l’actio (ou ὑπόκρισις), de la memoria (ou μνήμη), et tronquerait ainsi la rhétorique classique de deux de ses parties27 ? Elle échapperait au contrôle immédiat de son auteur qui ne peut la suivre ni la défendre dans sa diffusion28. Les concessions qu’exige cette mutation de la parole judiciaire déna25. Ibid., p. 9 : « Nous parlons, on nous enregistre, des secrétaires diligentes écoutent nos propos, les épurent, les transcrivent, les ponctuent, en tirent un premier script que l’on nous soumet pour que nous le nettoyions de nouveau avant de le livrer à la publication, au livre, à l’éternité. N’est-ce pas la “toilette du mort” que nous venons de suivre ? Notre parole, nous l’embaumons, telle une momie, pour la faire éternelle. Car il faut bien durer un peu plus que sa voix ; il faut bien, par la comédie de l’écriture, s’inscrire quelque part ». 26. La Revue des grands procès contemporains opère, dans les paragraphes liminaires, ce type d’amalgame. L’ἀγών judiciaire laisse fréquemment la place au « traitement littéraire » de la cause. On citera (tome I, 1883, p. 76) : « Il [le procès sur les lettres de Benjamin Constant à Madame de Récamier en 1883] ne soulève pas de sérieuses questions et ne nécessite pas de délicates discussions juridiques : un simple point de fait a été débattu et ce ne sont pas les circonstances de la cause qui suffiraient à la rendre intéressante. Mais les plaidoiries des avocats valent mieux que le procès : elles l’ont transformé et agrandi : sans négliger les détails utiles elles sont entrées en des développements littéraires que l’on voudra lire ». 27. Le démantèlement de la rhétorique classique a été souligné de manière plus générale. Pierre Kuentz (« Le “rhétorique” ou la mise à l’écart », dans Communications, t. 16, 1970, p. 143-157, part. p. 145) constate en ce mouvement : « Le démantèlement aurait opéré d’abord sur les éléments les plus “matériels” du système. On expliquerait la disparition de la pronuntatio par la naissance du livre. D’un ars dicendi, centré sur la parole vive de l’orateur qui avait à se faire entendre dans les grandes assemblées judiciaires et politiques, en passant par les artes dictaminis, expression d’une civilisation de l’écrit qui n’est pas encore en possession du livre, on en viendrait à un ars scribendi, correspondant à l’extension de l’imprimerie et à l’effacement de la parole politique qui était liée à une pratique de la démocratie directe. On expliquerait dans le même contexte la perte de la memoria, relayée par d’autres instances, dans ce processus d’extériorisation de la mémoire […]. » 28. Ainsi Socrate (Platon, Phèdre, 275e) explique-t-il qu’« une fois écrit, le discours roule partout et passe indifféremment dans les mains des connaisseurs et dans celles des profanes, et il ne sait pas distinguer à qui il faut, à qui il ne faut pas parler. S’il se voit méprisé ou injurié injustement, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n’est pas capable de repousser une attaque et de se défendre lui-même ».

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turent immanquablement ses fonctions et posent les jalons d’une nouvelle pratique : plaider comme un livre29. Faire le chemin inverse, tenter de revenir à l’oralité première, est une tâche impossible, titanesque, absurde surtout30. Il faudra admettre, comme pour un plaidoyer cicéronien, ce caractère artificiel du discours écrit comme appartenant pleinement à l’idéal oratoire du temps. Il faudra aussi prendre en compte les dessins d’audience, seuls témoins figurés et visuels, pour nourrir son imagination et se représenter l’orateur en action. Si l’étude des plaidoiries et réquisitoires retranscrits, écrits, appelle tant de concessions, on peut aisément imaginer ce que les moyens audiovisuels actuels sont susceptibles d’apporter dans cette quête de l’oralité.

II. — AUDIOVISUEL ET JUSTICE : L’AVÈNEMENT D’UNE MÉMOIRE VIVANTE DE L’ÉLOQUENCE

L’interdiction actuelle de photographier, de filmer ou d’enregistrer un procès31 en France est issue de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. L’article 39 a ainsi été complété par la loi du 6 décembre 1954, qui fut reprise dans les articles 308 et 309 du Code de procédure pénale. Cette loi du 6 décembre 1954 avait été votée au lendemain du procès Dominici qui avait vu tous les excès médiatiques perturber la sérénité des débats. Le cinquième alinéa de l’article stipule donc : « Pendant le cours des débats et à l’intérieur des salles d’audience des tribunaux administratifs ou judiciaires, l’emploi de tout appareil d’enregistrement sonore, caméra de télévision ou de cinéma, est interdit. Sauf autorisation donnée à titre exceptionnel par le garde des sceaux, ministre de la Justice, la même interdiction est applicable à l’emploi des appareils photographiques ». 29. Nous paraphrasons ici le titre de l’ouvrage de Françoise Waquet, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir (XVIe-XXe siècle), Paris, 2003, part. p. 279 et suiv. 30. C’est en ces termes que Nicolas Corato conclut sa « recherche des paroles perdues » ; voir Grandes plaidoiries et grands procès du XVe au XXe siècle, Paris, 2004, p. 7 : « Et d’ailleurs, comment aurait-on pu intervenir au bout d’une chaîne interminable : l’avocat et ses notes de plaidoirie, le journaliste à l’audience reprenant les mots de l’avocat, le journal ou l’éditeur d’un recueil reprenant la transcription du journaliste ? La tâche n’était pas simplement démesurée, elle était absurde ». 31. Cette interdiction n’est pas universelle. Pour ne citer que l’exemple le plus connu, Court TV aux États-Unis, chaîne créée en 1991 sur le câble et disponible aujourd’hui à une audience beaucoup plus large, retransmet généralement en direct les procès d’un certain nombre d’États américains. Le lancement récent de la chaîne thématique Planète Justice, fin 2007, sur le satellite, montre un intérêt croissant en France dans ce domaine. Néanmoins, cette chaîne se nourrit de reportages et documentaires pour la plupart anglo-saxons.

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Conscient que ce cadre législatif restrictif32 était une entrave à la constitution d’archives judiciaires « parlantes »33, « vives » et que la connaissance d’une société passe par l’étude de son système et de son histoire judiciaires, Robert Badinter, alors garde des Sceaux, fait voter la loi du 11 juillet 198534, visant à créer une mémoire, une trace audiovisuelle de la justice. Les caméras sont donc autorisées à entrer dans le prétoire et à capter les images qui deviendront archives audiovisuelles de la justice. L’enregistrement soumis à un certain nombre d’autorisations et d’avis35 répond à des critères « historiques », avec tout le flou que comporte cette expression. Il ne s’attache à aucun type de procès en particulier. Il doit être réalisé dans des conditions36 ne portant atteinte ni à la sérénité des débats, ni au libre exercice du droit de la défense, l’enregistrement par exemple doit être effectué à partir de plan fixe. L’article 8 de cette même loi prévoyait initialement que « pendant les vingt ans qui suivent la clôture du procès, la consultation intégrale ou partielle de l’enregistrement audiovisuel ou sonore peut être autorisée conjointement, lorsque la demande est présentée à des fins historiques ou scientifiques, par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, et par le ministre chargé de la Culture ». Passé ce délai, la consultation est libre, mais la diffusion intégrale ou partielle encore subordonnée à une demande d’autorisation motivée. Après cinquante ans, la consultation et la diffusion sont libres. Cette loi a principalement été invoquée pour l’enregistrement des procès de complicité de crime contre l’humanité. Les archives audiovisuelles de la justice 32. Nous renvoyons ici aux travaux de Christian Delage, notamment La vérité par l’image. De Nuremberg au procès Milosevic, Paris, 2006, p. 233 et suiv. 33. Guy Pineau et Camille Mouriès, « Plaidoyer pour des archives ordinaires », entretien avec Robert Badinter, dans Dossier de l’audiovisuel. La justice saisie par la télévision, Paris, 2003, p. 21-23. 34. Voir Mireille Delmas-Marty, « Justice télévisée ou médias justiciers », dans Mettre l’homme au cœur de la justice. Hommage à André Braunschweig, Paris, 1997, p. 151-183 ; Andrée Chauleur, « La constitution d’archives audiovisuelles de la justice : législation et premiers enregistrements 1985-1995 », dans ibid., p. 185-216 ; André Braunschweig, « L’enregistrement et la diffusion télévisée des débats judiciaires », dans Le droit criminel face aux technologies nouvelles de la communication, actes du VIIIe congrès de l’Association française de droit pénal, Paris, 1986, p. 163-179 ; A. Braunschweig, « Procès en images, images en procès. L’évolution de la législation », dans Procès pénal et droits de l’homme, vers une conscience européenne, Paris, 1992, p. 227-231. 35. « La décision prévue par l’article 2 est prise soit d’office, soit à la requête d’une des parties ou de ses représentants, ou du ministère public. Sauf urgence, toute requête est présentée, à peine d’irrecevabilité, au plus tard huit jours avant la date fixée pour l’audience dont l’enregistrement est demandé. Avant toute décision, l’autorité compétente recueille les observations des parties ou de leurs représentants, du président de l’audience dont l’enregistrement est envisagé et du ministère public, ainsi que l’avis de la commission consultative des archives audiovisuelles de la justice ; elle fixe le délai dans lequel les observations doivent être présentées et l’avis doit être fourni » (art. 3 de la loi no 85-699 du 11 juillet 1985, consolidée au 24 février 2004). 36. L’enregistrement doit être effectué à partir de points fixes.

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renferment donc l’intégralité des débats qui se sont tenus devant les cours d’assises du Rhône (mai-juillet 1987) pour Klaus Barbie, des Yvelines (mars-avril 1994) pour Paul Touvier, de la Gironde (octobre 1997-avril 1998) pour Maurice Papon37. Et l’on se souvient des polémiques et la bataille de procédure qui ont accompagné la première diffusion des extraits de ces images par la chaîne thématique Histoire en 2000 et 2002. De tels documents, exhaustifs dans la reproduction des discours prononcés et ajoutant les images animées, rassemblent des conditions idéales inédites dans le catalogue de ces sources. Par ailleurs, l’interdiction légale souffre de nouvelles exceptions, qui ne se cantonnent pas à la seule nécessité d’établir des archives audiovisuelles de la justice. Ainsi Daniel Karlin et Remi Lainé ont-ils pu réaliser Justice en France, diffusé sur la Cinq en 199138. La diffusion sur France 5 le 14 mars 2004 du documentaire de Joëlle et Michèle Loncol, L’Appel aux assises39, marque une étape supplémentaire dans une cohabitation de plus en plus proche des médias et de la justice, en permettant pour la première fois en France que des images d’un procès en appel, appel possible pour la cour d’assises depuis 2000, soient soumises au public. Encore de l’ordre de l’exception, le cycle de Christophe Nick intitulé Chroniques de la violence ordinaire comporte, dans deux de ses épisodes diffusés sur France 2 début 2005, des scènes prises pendant des audiences correctionnelles40. On citera, plus récemment, le documentaire présenté par France 3 en octobre 200741 ou encore le reportage, dans le cadre de l’émission Zone interdite sur M6, en novembre 200742. Tous deux, en première partie de soirée, montrent un procès en assises, sur un thème on ne peut plus romanesque : le crime passionnel. Ce ne sont là que des exemples. De plus en plus d’émissions d’investigation et d’information à la télévision française contiennent des séquences tournées dans les prétoires. Et cette tendance à la captation de l’image vive de la justice en marche se confirme même sur grand écran. Le documentaire de Raymond 37. Citons en outre le procès de l’explosion de l’usine AZF, qui s’est ouvert le 23 février 2009 à Toulouse. 38. Documentaire diffusé en plusieurs épisodes sur la Cinq en 1991, avec l’autorisation du garde des Sceaux et des principaux magistrats. 39. Documentaire diffusé sur France 5 le 14 mars 2004 à la suite de nombreuses péripéties juridiques. Voir Hélène Marzolf, « Faites entrer la télé ! », dans Télérama, no 2826, 10 mars 2004, p. 87. 40. Ce cycle, diffusé par France 2 au début de l’année 2005, contient quatre documentaires : Enfants en déroute, Les mauvais garçons, Le business des chéquiers volés, Au tribunal des enfants (réalisation : Pierre Bourgeois, David Carr-Brown et Patricia Bodet). Les deux derniers ont bénéficié d’autorisations exceptionnelles, notamment dans le cas du procès à huis clos impliquant des mineurs. 41. Le Procès d’une jalousie mortelle, réalisé par Jean-Charles Doria, est diffusé sur France 3 le 22 octobre 2007. 42. Crime passionnel : au cœur d’un procès d’assises est diffusé sur M6 le 18 novembre 2007.

L’ÉLOQUENCE : HISTOIRE D’UNE AUTRE MÉMOIRE JUDICIAIRE

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Depardon, 10e Chambre, instants d’audience, sorti en salle le 2 juin 2004, paraît symptomatique de ce désir d’information, tant de la part de l’appareil judiciaire, qui a accepté la présence de caméras dans la chambre correctionnelle, que de la part du public, qui pénètre ainsi dans le palais de justice de Paris. Ces pistes de réflexion, même si toutes ne concernent pas directement la cour d’assises, amorcent un nouveau genre de traitement de la justice et de sa parole. Sur les écrans de télévision, ou plus significatif encore, dans les salles de cinéma, le procès, derrière le masque du documentaire, se donne à voir dans toutes ses formes et accepte, pour ce faire, de contraindre sa durée et son déroulement aux exigences et aux choix des réalisateurs. Pédagogie, mais aussi volonté d’une information complète exprimée par les médias eux-mêmes, incohérence évidente entre une pratique avérée et une loi prohibitive, ont ainsi amené les gardes des Sceaux successifs à se pencher sur une éventuelle entrée de l’image judiciaire réelle dans les médias. La dernière commission réunie par Dominique Perben alors ministre de la Justice, la commission Linden, a conclu à une possible réforme de la loi, si elle s’entoure d’un certain nombre de précautions légales et éthiques, notamment sur les modalités de captation et de diffusion. Si ce rapport43 n’a pas été suivi de projets législatifs, il demeure toutefois une interrogation de plus en plus pressante quant au bien-fondé d’une interdiction absolue, du moins dans les textes, interdiction considérée régulièrement comme obsolète. Là encore, nous nous heurtons à un statut ambigu de la source : le documentaire n’est pas un document d’archives revendiqué et fabriqué en ce sens, et la source « première » judiciaire tend à se confondre avec un traitement médiatique. L’auditoire s’efface peu à peu au profit de l’audience. Et l’on se trouve face à une autre forme de réécriture qui n’a rien à envier aux libertés éditoriales44.

III. — L’ÉLOQUENCE JUDICIAIRE AU CŒUR DE LA CITÉ : POUR UNE AUTRE MÉMOIRE JUDICIAIRE

Il est évident que les procès de crime contre l’humanité, qui ont bénéficié de la loi Badinter, reposent essentiellement sur cette notion de « mémoire », mémoire qu’ils sollicitent autant qu’ils fabriquent. Cette incursion vertigineuse du passé dans le prétoire, d’un « passé qui ne passe pas45 », laisse la justice inquiète de sa fonction, pétrie d’interrogations sur son aptitude à construire une mémoire 43. Rendu public le 22 février 2005. 44. Les plaidoiries et les réquisitoires filmés dans ces documentaires sont, pour la plupart, coupés au montage, ne laissant qu’une trace tronquée des discours, avec cependant toutes les apparences d’une reproduction fidèle. 45. Nous faisons référence aux ouvrages de Jean-Noël Jeanneney, Le passé dans le prétoire, Paris, 1998 et d’Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, 1996.

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apaisante, définitive, à trouver les mots et les discours à la mesure des attentes d’une nation encore en convalescence. Néanmoins, il apparaît que c’est aussi à travers la justice que nous dirons « ordinaire », celle qui réunit quotidiennement dans les cours nos concitoyens, que se crée une mémoire judicaire commune. En s’attachant aux plaidoiries et aux réquisitoires, il est possible de mettre au jour quelques pistes de recherche, signant ainsi la rencontre féconde, pour reprendre l’image de Laurent Pernot, de Clio et Calliope46. Depuis un certain nombre d’années, il est vrai, la rhétorique, prise dans son acception large, nourrit différents courants de recherche, notamment historiques47. L’analyse des modes de production du discours judiciaire entre pleinement dans cette dynamique. Il ne s’agit pas, pas seulement, de dresser un catalogue des figures sollicitées, et de limiter l’analyse à ce que Gérard Genette a appelé la « rhétorique restreinte48 ». Il s’agira aussi, et surtout, d’établir un état des lieux des arguments, des lieux communs (ou τόποι), que les orateurs convoquent dans leur discours et qu’ils estiment efficaces pour emporter l’adhésion de l’auditoire. La cour d’assises, en se débarrassant du droit et de la doctrine, s’avère le laboratoire de ce qu’une société, à un moment donné de son histoire, admet a priori pour communément et raisonnablement vrai. Et les discours qui clôturent ces audiences se font l’écho, jusque dans leur structure, de cette exigence absolue de la cité : trouver une vérité judiciaire unanimement satisfaisante pour laver la souillure du crime. Guide ou béquille de l’intime conviction, la rhétorique constitue, encore aujourd’hui, sinon la condition, du moins un élément fondamental d’une bonne justice, telle qu’elle est appréhendée par ses contemporains. Cathartique autant qu’agonistique, cette parole participe pleinement du rituel judiciaire, rituel essentiel pour l’œuvre de justice49. Et comme pour attester de sa place hégémonique, elle ne semble pas, ou pas encore, avoir succombé au sacre de la preuve expertale, ni même abdiqué devant les vérités scientifiques. 46. Sur cette image réunissant la muse inspiratrice des historiens et la muse de la rhétorique, voir Laurent Pernot, « Clio et Calliope », dans Hypothèses, 2002, p. 281-287. 47. Pour une synthèse sur cette réflexion, se référer à l’article d’Antony Hostein, « Histoire et rhétorique. Rappels historiographiques et états des lieux », dans ibid., p. 221-234. 48. Gérard Genette, « La rhétorique restreinte », dans Communications, t. 16, 1970, p. 158-171. 49. Les travaux d’Antoine Garapon sont, en ce sens, fondamentaux. Voir, entre autres, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, 2001, p. 146-147 : « L’exclusion de la parole prophétique, de la référence à une transcendance a pour corollaire que tout peut être discuté. Voilà le sens de la justice qui heurte parfois l’opinion publique, qui aimerait voir la sanction suivre immédiatement la faute, sans autre forme de procès. Le rôle de l’avocat devient alors tout naturellement de faire naître le doute, non seulement sur les faits, mais aussi un doute philosophique sur le sens de la justice et de la peine. Le jugement apaisera ce doute, mais jamais complètement : c’est la rançon de notre liberté démocratique. Le caractère agonistique du débat judiciaire – et au-delà de notre société tout entière – oblige à supporter un doute sur la justice du verdict. »

L’ÉLOQUENCE : HISTOIRE D’UNE AUTRE MÉMOIRE JUDICIAIRE

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Une histoire de l’éloquence judiciaire n’est donc pas impossible. Elle sollicite certes un lourd arsenal théorique et autant de précautions, que d’aucuns diraient oratoires ; elle est parfois écrasée par la personnalité d’un plaideur ; elle souffre d’importantes carences documentaires ; elle s’appuie sur des sources au statut inégal. Pourtant, il nous apparaît opportun d’insister sur les possibilités offertes aujourd’hui par les moyens audiovisuels. Des lendemains de la seconde guerre mondiale à nos jours, la donne technique a considérablement changé, et la constitution d’archives audiovisuelles de la justice, avec les précautions que l’on est en droit d’attendre dans un tel domaine, s’en trouverait nécessairement facilitée. Reste, pour l’heure, à tracer une histoire balbutiante, non plus muette, qui peut se révéler riche d’enseignements, alimentant largement une autre mémoire judiciaire : celle des mots et des discours, des structures rhétoriques et des arguments, qu’une société a éprouvés pour défendre, accuser, mais aussi expliquer ou comprendre, pour surveiller, punir, peut-être pardonner, pour finalement juger. Émeline SEIGNOBOS CELSA, université Paris-Sorbonne Paris IV

CONCLUSIONS PAR

FRANÇOISE HILDESHEIMER

La tâche la plus certaine et la plus légère pour celui à qui revient la charge problématique de clore quatre denses demi-journées d’un colloque portant sur un espace géographique qui ne correspond à rien moins qu’à l’Empire romain dans son extension majeure, envisagé depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, c’est d’adresser des remerciements, tant aux organisateurs qu’aux communicants et participants. Chacun pour son domaine d’étude, ils ont joué le jeu de la démonstration de la pertinence du thème de la « mémoire judiciaire » et de sa déclinaison à partir des sources qui nous l’ont conservée, des hommes qui les ont suscitées et produites, et des organismes qui en ont constitué le cadre plus ou moins strict. Ayant souscrit à cette agréable obligation de reconnaissance, je vais m’essayer, non pas à reprendre en le mutilant ce qui a été dit par chacun, mais à tenter de mettre brièvement en lumière la dynamique de ces denses journées, telle que je peux, en cette fin de colloque, la ressentir. Le démarrage mésopotamien du parcours a mis l’accent sur « l’affaire » et la pratique matérielle, posant que la mise en forme dépend de l’usage, qu’il y va, avec l’archivage, de la garantie de l’autorité et du respect de la chose jugée. Cette notion de preuve et de précédent, constitutive des archives, que l’on retrouve dans les pratiques des bibliothèques de l’Égypte romaine et ses fragiles papyrus qui intègrent un usage que l’on pourrait qualifier de fonctionnel de la copie, s’accompagne d’une distinction public/privé dont on aurait pu penser qu’elle allait servir de fil conducteur au colloque. Mais elle s’est rapidement révélée dépassée par les différents temps d’une pratique qui l’ignorera durablement pour ne la retrouver qu’au XVIIIe siècle et la placer alors et jusqu’à aujourd’hui au premier plan de ses préoccupations réglementaires. En plongeant dans notre Moyen Âge on voit, plus ou moins bien, se mettre en place des pratiques d’écritures qui font que, peu à peu, l’historien se trouve confronté à une documentation de plus en plus proliférante. À l’époque

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moderne, celle-ci se mue en un océan documentaire dans lequel, avant eux, les praticiens du droit ont souvent tenté de se tracer des chemins, aboutissant à la production de sources et de mémoires annexes ou parallèles, avec ce paradoxe majeur qu’il s’agit par là d’accéder à une publicité dont la lumière servirait de voie d’accès à un monde dominé par le secret. Au fil de notre cheminement et de l’étude institutionnelle de la justice et de ses pratiques, ainsi que des institutions d’archivage, se dégage très logiquement le greffe, lieu de travail d’écriture et de création documentaire qui prend place dans ce qui constitue désormais l’un des fils d’Ariane de l’archivage : la procédure. Le greffe et la diversité de ses pratiques se situent donc au cœur de nos débats, avec ce point – ou plutôt ce « pavé d’orgue » – qu’a constitué la table ronde centrée sur ce « monument de mémoire » qu’est le parlement de Paris, avec le contrepoint du Châtelet et des juridictions seigneuriales urbaines. On y voit s’opérer, dès la fin du Moyen Âge, l’entrée dans la modernité avec un « basculement » au XVIIIe siècle où se réintroduit, au profit du service du roi, la notion de conservation publique. Certes, on peut déplorer – ou simplement constater – d’inévitables manques. Pointons notamment deux absences, celle, parmi les thèmes traités, des officialités ou celle, parmi les participants, des praticiens, dont le point de vue rétrospectif serait pourtant fort précieux. On peut tout aussi bien discerner des ouvertures vers d’autres pistes de recherche, et en voir une, parmi d’autres, dans une esquisse de parallèle avec l’acte privé suggéré par la constatation de la judiciarisation de ce dernier, la pratique de la minute, l’existence de notaires-greffiers… À l’heure du bilan, c’est un lieu commun de dire qu’un colloque est toujours tout à la fois trop, trop peu et pas assez ! Griffeur de parchemin ou de papier, le greffier fut au cœur de ces journées avec la variété de ses fonctions et pratiques, origine et objet d’une histoire encore à écrire où les sources les plus massives ne sont pas forcément les plus évocatrices : un travail d’écriture, mais aussi de conception documentaire et de création parfois orientée, d’un travail procédural à court terme à un archivage mémoriel à long terme, avec des aspects financiers, jurisprudentiels ou de conseil, pouvant même aller jusqu’à la prise de parole. L’histoire se fait avec les documents ; faisons donc l’histoire de ceux qui faisaient les documents. Elle imposera à l’historien d’abord un nécessaire et bienvenu estompement des divisions entre les disciplines historiques – et le présent colloque espère avoir montré la voie qui unit histoire et histoire du droit – pour opérer un retour aux fondamentaux, c’est-à-dire aux textes, pour dépasser les approches qui en ont été faites et qui relèvent trop souvent de la perplexité rationnelle a posteriori telle que l’exprimait au XVIIIe siècle l’ingénieur Garipuy pénétrant dans le greffe du parlement de Toulouse. Le secret de surcroît plombe les archives judiciaires et les condamne trop souvent à un hermétique non-dit. Ces incommodités ont pourtant leur logique

CONCLUSIONS

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– dérangeante pour nous –, et une clef d’accès s’en trouve dans la procédure dont les greffes nous ont conservé la complexe traduction documentaire. La restituer, c’est d’abord mieux connaître ceux qui en furent auteurs, sujets et objets ; c’est, surtout et au-delà, se donner les moyens d’un plus juste accès à l’océan des sources judiciaires : c’est dépasser la surface – facilement accessible, mais souvent trompeuse – des arrêtistes sur laquelle s’ébattent des chercheurs condamnés à ne chercher que ce qui est déjà trouvé, pouvoir plonger à la découverte de la complexe réalité des affaires. Autrement dit, la conclusion de ce colloque s’écrit en termes non de fin, mais de suite à donner à un programme de recherche que nous sommes tous désormais invités à poursuivre. Françoise HILDESHEIMER Archives nationales – université Paris I-Panthéon-Sorbonne

RÉSUMÉS

Écriture et archivage des procès en Mésopotamie, par Sophie DÉMARE-LAFONT La mise par écrit d’un procès en Mésopotamie obéit à des critères différents selon que la tablette est destinée à un archivage public ou privé. L’archivage public est illustré par l’abondant corpus des procès néo-sumériens (fin du troisième millénaire av. J.-C.) et se caractérise par l’absence de sceau et la rédaction minimaliste et standardisée des textes, particulièrement ceux qui récapitulent plusieurs affaires. L’archivage privé est typique des sources de la période suivante, dite paléo-babylonienne (première moitié du deuxième millénaire av. J.-C.) : c’est alors la partie gagnante qui conserve la tablette munie du sceau de son adversaire ; les clauses présentent des variantes plus fréquentes et insistent sur les modalités d’administration de la preuve. Ces deux catégories d’archives ont en commun de rassembler une documentation souvent elliptique, qui ne reproduit pas toutes les étapes de l’instance et omet généralement de développer les aspects factuels d’un litige. Recoupements et déductions permettent de restituer les règles de procédure conduisant au jugement. Les archives du Parlement au temps des Olim : considérations autour de fragments d’un rôle du greffe du parlement de la Pentecôte 1287, par Olivier CANTEAUT La série des Accords du Parlement conserve, sous la cote X1C 15A, n° 42, 47, 53 et 103, quatre fragments de rouleau. Ceux-ci, édités en pièce justificative, énumèrent sommairement les décisions – avant tout procédurales – prises lors de divers procès. Ce rôle fragmentaire remonte au parlement de la Pentecôte ou de la Toussaint 1287, mais sa nature reste obscure. Il n’a pas été rédigé lors de la présentation des affaires ni à l’audience : la comparaison avec d’autres épaves documentaires du Parlement en témoigne. Il offre en revanche des similitudes nettes avec les Anciens Registres du greffe, tenus à partir de 1319 : il s’avère leur

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RÉSUMÉS

précurseur et peut être qualifié de « rôle du greffe ». Est-il identique aux rôles de session, aujourd’hui disparus, auxquels les Olim font souvent référence ? Il est impossible de l’affirmer. Mais il est certain que le Parlement procédait à l’enregistrement, plus ou moins sommaire, de nombre de décisions dont les Olim ne portent pas trace. Le Manuale de Nicolas de Villemer, par Philippe PASCHEL Dans une juridiction, le greffier joue principalement un rôle de mise en mémoire des activités juridictionnelles de la cour à laquelle il appartient, ce qui se voit au parlement de Paris dans les registres d’Arrêt-Jugés-Lettres. L’intervention personnelle du greffier du Parlement est plus forte dans les registres de Conseil et Plaidoiries, mais elle reste à la mesure de son rôle de conservation. Ainsi, dans les registres de Conseil, on ne trouve pas les délibérés de la cour, puisque le greffier n’y assiste pas, mais uniquement la décision. Le travail du greffier apparaît dans les mentions marginales qui, renvoyant aux autres registres, lui permet de d’organiser l’ensemble des actes. Les hasards du temps ont permis la conservation aux Archives nationales du registre actuellement coté X1A 8300A, registre de papier qui contient, entre autres, des plaidoiries recueillies par le clerc du greffier absent. Ce registre est en réalité le seul exemplaire d’un Manuale de greffier du Parlement médiéval. On y trouve de nombreux documents de son travail propre, qui nous permettent particulièrement de savoir ce qui se passe entre la décision de la cour ordonnant une enquête et la désignation des commissaires. Ce registre comble ainsi un vide dans la connaissance du déroulement de la procédure. Le greffe du parlement de Paris à la fin du XVIe siècle : quelques opérations d’autocensure, par Sylvie DAUBRESSE La lecture approfondie des archives du parlement de Paris peut réserver parfois quelques surprises et il arrive à l’historien de constater des omissions, des manques. Sont-ils le résultat d’une opération de «censure » effectuée par les membres de la cour souveraine ? C’est un mot anachronique, que n’auraient pas compris les hauts magistrats parisiens de la fin du XVIe siècle. Il est toutefois possible de distinguer deux types de « censure » : la première est interne à l’institution qui a des raisons d’ordre professionnel, la seconde, plus rare, résulte de facteurs extérieurs au Parlement. Cette étude est surtout l’occasion de pré-

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senter un exemple exceptionnel de suppression sélective post-événementielle, qui eut lieu juste après l’entrée victorieuse d’Henri IV dans Paris en 1594. À n’en pas douter, cette « autocensure » exprime une volonté du Parlement de contrôler sa mémoire officielle, celle écrite pour la postérité. Elle rend le parcours plus sinueux encore à celui qui veut suivre l’activité judiciaire et politique du parlement de Paris. Le greffier en tant qu’exécuteur : parole rituelle et mort sans cadavre (Paris, XVIIe-XVIIIe siècle), par Pascal BASTIEN Le greffier criminel sous l’Ancien Régime a longtemps été réduit à son rôle de scripteur. Responsable de la mise en écriture et de l’organisation des papiers de la cour, le greffier et ses commis constituèrent les principaux dépositaires de la mémoire judiciaire d’Ancien Régime. Pourtant, quand on regarde de plus près le déroulement de la justice criminelle, et plus précisément de la justice pénale ? (les juristes ne verront pas la nuance), s’il est à coup sûr un maître d’écriture, le greffier fut aussi un maître de paroles. En examinant les procès-verbaux des exécutions publiques parisiennes aux XVIIe et XVIIIe siècles, le greffier se révèle, grâce à ses différentes prises de parole, le principal acteur des rituels judiciaires d’Ancien Régime. Cette contribution propose une analyse des fonctions oratoires et rituelles du greffier criminel, dans le cadre restreint de la peine capitale. Du casier judiciaire aux fichiers de police : la mise en mémoire des données en matière pénale, par Camille VIENNOT L’étude de la conservation des données en matière pénale suppose l’analyse des deux types de mise en mémoire. Le casier judiciaire, d’une part, se révèle être un dispositif en extension du fait de l’accroissement des données qui y sont inscrites, de la multiplication de ses destinataires ainsi que du fait de l’affaiblissement des principaux mécanismes d’effacement. Les fichiers de police, d’autre part, complètent la mémoire du casier judiciaire quant aux données pénales et deviennent incontournables. Le champ et les délais de conservation des informations importants, les finalités nombreuses et les destinataires multiples des principaux fichiers seront abordés ainsi que les risques que sont susceptibles d’engendrer ces outils. À travers l’analyse de ces deux mécanismes, l’extension caractéristique de la mémoire policière et judiciaire, opposée à toute forme d’oubli, sera soulignée.

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Le greffier durant le haut Moyen Âge, quelle réalité ?, par Alexandre JEANNIN L’existence ou non du greffier durant le haut Moyen Âge est directement liée à la question de la disparition des structures judiciaires postclassiques. Le terme même de « greffier » semble être un véritable anachronisme pour le haut Moyen Âge. L’historiographie démontre déjà l’extrême réticence à parler de « notaire » voire de « pratique notariale » pour cette période. Il faut bien distinguer les attributions du greffier de ceux du notaire, même s’il s’agit généralement des mêmes individus qui exercent ces fonctions selon les besoins. Plus encore que pour les notaires les sources témoignant de l’existence d’un greffe sont rarissimes. La Loi ripuaire est le texte traditionnellement cité en faveur de l’effectivité du Gerichtsschreiber mais cette interprétation est actuellement très contestée et ce texte est trop marginal pour en tirer des conclusions sur le greffe en Europe occidentale. Un état des lieux paraîtrait opportun sur une question jusqu’alors grandement délaissée par un manque de sources mais également en raison de la complexité des rapports qu’entretiennent les professionnels de l’écrit avec les fonctions de greffe et de notaire. Les lois pseudo-barbares et surtout les formulaires parmi les plus anciens peuvent apporter quelques enseignements sur une fonction de greffier méconnue pour le haut Moyen Âge. Brève histoire des origines médiévales du greffe du parlement de Paris, par Monique MORGAT-BONNET Les progrès institutionnels de la monarchie capétienne nécessitent la conservation puis l’enregistrement des actes royaux par la chancellerie, le règne de Philippe Auguste s’avérant décisif pour la constitution du Trésor des chartes. Celui de saint Louis l’est tout autant s’agissant de la conservation de la mémoire judiciaire de la cour suprême, le Parlement. Son premier greffier connu, Jean de Montluçon, confectionne les premiers registres dits Olim, en transcrivant les arrêts du Parlement rendus depuis 1254. Le corps des notaires du roi fournit au Parlement ses hommes de plume, dont la titulature évolue au fil des ordonnances, des rois Capétiens aux rois Valois : de « clercs des arrêts » (1278), à « clerc de greffe (1320), puis « registreur » (1345) pour en arriver à « greffier » (1361), titre que la cour entend réserver à son seul greffier. Fruit de la législation royale et de la jurisprudence, le statut du greffier en fait un personnage d’importance. Dès 1278, le greffe civil est séparé du greffe criminel ; le greffier civil est le greffier en chef du Parlement et a préséance sur les gens du roi. Le greffier est du corps du Parlement et, à ce titre, son recrutement obéit aux règles établies pour les conseillers. Il lui est fait une obligation

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d’assiduité, de résidence, de secret, tandis que ses prérogatives et privilèges, ainsi que sa rétribution par des gages, bourses, gratifications et salaires payés par les particuliers, lui confèrent une charge lucrative et honorifique. Naissance d’une mémoire judiciaire : les débuts de la « clergie » du Châtelet de Paris (vers 1320-vers 1420), par Julie CLAUSTRE Les débuts de la clergie de la prévôté de Paris entre les années 1320 et les années 1420 sont analysés à partir des documents réglementaires et des registres judiciaires de l’institution parvenus jusqu’à nous. La principale cour royale de justice de la capitale ne développe pas de mémoire judiciaire avant 1321, date de l’institution du clerc du roi au Châtelet, aussi appelé clerc de la prévôté, à côté du clerc du prévôt. Ce clerc de la prévôté a pour mission la tenue et la garde des registres du tribunal, en dépit de certaines réticences des justiciables et de la jalousie du clerc du prévôt sur les écritures criminelles. Il développe au fil des décennies une véritable mémoire procédurale, puisque la mise en registre s’accompagne de la constitution d’une typologie juridique fine des causes traitées par le tribunal, au moment où le style de la cour et la coutume parisienne sont l’objet de l’attention des juristes parisiens. La mémoire judiciaire à Metz à la fin du Moyen Âge : la conservation des jugements des maîtres-échevins, par Virginie LEMONNIER-LESAGE À Metz, « petite république oligarchique » (Gaston Zeller), la justice est rendue par le premier magistrat de la cité, le maître échevin, assisté des échevins ou du tribunal des Treize. Si à l’origine la procédure est orale, dès la fin du XIIIe siècle, on prend l’habitude de rédiger les jugements. La décision ne fait pas l’objet d’un enregistrement public et le juge conserve dans ses archives privées l’acte ainsi délivré, ce qui lui permettait essentiellement de pouvoir témoigner du jugement s’il en était sollicité par la suite, éventuellement d’en délivrer une copie. Conservées dans un « sachet », les décisions rendues par ce magistrat étaient transmises à ses héritiers avec les autres papiers de famille. La nécessité de garder une trace de la mémoire judiciaire poussait malgré tout les magistrats à constituer des outils de recherche pour faciliter les investigations lorsque la décision devait être rappelée. Des listes de « sachets » ont été établies, ce qui rendait plus aisée la recherche d’un jugement dans telle ou telle famille de magistrats. Des recueils d’extraits ont également été composés par les

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magistrats détenteurs des jugements, puis des compilations ont été élaborées. Autant de techniques qui ont permis de conserver la mémoire de la décision de justice, indépendamment de tout enregistrement public. Pourtant le système d’archives publiques n’est pas inconnu de la cité messine. En effet, à côté des décisions rendues pour trancher un litige qui oppose deux parties, le magistrat messin rend également des jugements que l’on pourrait qualifier d’ « arrêts de règlement » qui constituent autant d’archives publiques organisées et rangées dans des layettes et des armoires. Le prince, le maire, les échevins et les clercs, acteurs de la mémoire judiciaire et urbaine. Le cas de la Haute Cour de Namur au XVe siècle, par Isabelle PAQUAY La découverte du recours à l’écrit par la Haute Cour ou échevinage de Namur dans le courant du XIIIe siècle et celle de l’apparition d’un clerc de la ville en 1357, ainsi que la mise en exergue de la façon dont la chancellerie urbaine s’est progressivement constituée ont permis de comprendre davantage le rôle joué par le prince, le maire, les échevins et surtout par les clercs dans l’élaboration progressive d’une véritable mémoire judiciaire et urbaine. Au XVe siècle, la chancellerie namuroise se compose de deux postes fixes, entourés d’un nombre incertain d’assistants. Le clerc de la ville supervise tout, y compris la comptabilité urbaine jusqu’en 1464, tandis que le clerc des élus depuis le dernier quart du XIVe siècle est en charge des écritures financières de la ville. L’examen des registres et des documents produits par le clerc de la ville et ses assistants démontrent qu’ils sont les gardiens de la mémoire judiciaire et juridique de la Haute Cour (registres aux sentences criminelles, registres aux transports et œuvres de loi, registres aux embrevures, actes sur parchemin...), mais aussi de sa jurisprudence (recueils personnels), de la parole judiciaire et juridique qui est prononcée devant elle et consignée par écrit, de la comptabilité judiciaire et juridique (comptes de profits de justice). Alors que le rôle judiciaire de l’échevinage namurois est attesté par les textes depuis 1154, le clerc de la ville apparaît tardivement (1357), tout comme les premiers registres conservés à ce jour (1363, 1411 ou 1429). Les élites dirigeantes d’avant le milieu du XIVe siècle sont hostiles à une certaine forme de mémoire judiciaire et urbaine. Selon toute hypothèse, les échevins ont jusquelà évité soigneusement de conserver la trace de fraudes ou de sentences partiales. Seule la pression du prince, comte de Namur puis duc de Bourgogne, et dans une moindre mesure celle de la communauté urbaine, les obligent à tenir des registres de plus en plus élaborés et spécialisés dont ils doivent rendre compte aux instances supérieures.

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Un acteur de la mémoire judiciaire urbaine : le conseiller pensionnaire dans les villes du Nord de la France (XIVe-XVIIIe siècle), par François ZANATTA Doués d’une compétence juridictionnelle d’envergure, les collèges échevinaux des villes du Nord de la France rendent la justice en matière civile et criminelle. Les magistrats municipaux sont assistés par une administration mise en place autour des scribes, afin de permettre la poursuite de l’instruction des procès malgré le renouvellement des juges scabinaux. À partir du XIVe siècle, la procédure écrite est généralisée à l’ensemble des plaids judiciaires et les offices municipaux de justice se multiplient : un nouvel officier apparaît, issu du monde des clercs, mais avec des compétences juridiques supplémentaires, le conseiller pensionnaire. La principale mission assignée au pensionnaire est d’être présent lors des délibérés pour y donner un avis. Toujours gradué à partir du XVe siècle, le pensionnaire exerce auprès des magistrats, comme officier subalterne, un rôle de conseiller de premier ordre. Nommé à vie, il forme avec les clercs et les procureurs un bureau permanent, chargé de conserver les registres judiciaires et de faire connaître aux échevins la jurisprudence municipale. En raison de ses fonctions, il peut être considéré au sein des corps de ville comme le principal acteur de la mémoire judiciaire urbaine. La surveillance des archives, leur organisation, leur inventaire voire leur déplacement relèvent de la direction du pensionnaire. Matériellement, le conseiller est donc le premier archiviste stable des communes. De plus, à partir du XVIe siècle, pour faciliter la connaissance d’une jurisprudence qui s’accroît, le pensionnaire élabore les premiers répertoires de jurisprudence municipale, pour leur usage personnel. Enfin, ce juriste pointe les articles qui ne sont plus appliqués par les juges ou mentionne le sens dans lequel la jurisprudence les interprète. Le labyrinthe des greffes du parlement de Toulouse, pivot de la pratique à l’époque moderne (1550-1778), par Guillaume RATEL L’historiographie des cours souveraines a consacré a posteriori les efforts parlementaires qui visaient justement à faire de la Grand Chambre et de sa salle d’audience la façade publique de leur institution et de leur corps. Mais c’était bien dans les greffes que les « manutentionnaires de la justice » (greffiers, clercs, secrétaires, garde-sacs, commis) façonnaient, aiguillaient, contrôlaient et finalement archivaient les matériaux essentiels de la pratique judiciaire. Le cas des greffes du parlement de Toulouse de la seconde moitié du XVIe siècle jusqu’à la fin de l’Ancien Régime est éclairé par la grande série des fameux

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sacs-à-procès toulousains qui constituent autant de témoignages du fonctionnement pratique et quotidien de ces greffes, par des sources normatives auxquels s’ajoutent des sources plus ponctuelles comme la Vérification et rapport de l’état actuel du Palais où siège le parlement de Toulouse de l’ingénieur François de Garipuy (1778) qui nous livre une description détaillée de l’espace des greffes toulousains, de leur organisation et de leur connexion physique et institutionnelle au reste du Palais et du Parlement à la veille de la Révolution. L’analyse permet en conclusion de rejeter l’idée du caractère accessoire ou auxiliaire des greffes et d’affirmer au contraire que les usages des greffes constituaient un élément central et non périphérique de la pratique judiciaire. Les greffes étaient le lieu où s’exerçait le contrôle parlementaire sur un processus fondamental : celui de la transformation des conflits, des émotions, des stratégies des plaideurs en cette unité matérielle et judiciaire de base, le sac-à-procès, sans laquelle ne pouvaient s’opérer en aval les pratiques judiciaires des conseillers (interroger, enquêter, rapporter, délibérer, arrêter). La mémoire de la prison : les greffiers de la Conciergerie (Paris, fin XVIe siècle-mi-XVIIe siècle), par Camille DÉGEZ Le greffier de la Conciergerie est à la fois acteur du fonctionnement de la prison et auteur d’une source essentielle, les registres d’écrous. Par son statut d’officier, son environnement familial et social et son niveau de fortune, il semble bénéficier d’une situation à part au sein du personnel de la Conciergerie. Son métier, principalement connu sous l’angle des dérives, est pourtant indispensable au bon fonctionnement de la prison. Ses activités d’écriture, de même nature que celles de la plupart des greffiers, participent de la mission de gestion et de surveillance des prisonniers impartie au concierge et aux guichetiers. L’étude des registres d’écrous permet d’analyser les conditions de détention, mais aussi, en complément des écrits des greffiers de la Tournelle, d’élaborer des « récits judiciaires » qui rendent possible la reconstitution de l’univers carcéral de la Conciergerie au XVIIe siècle. Sauver les archives, défendre le roi : la remise en ordre des registres du Parlement d’après les papiers du procureur général Joly de Fleury, par David FEUTRY Par le sauvetage des registres du Parlement entre 1729 et 1733, le procureur général Guillaume-François Joly de Fleury avait définitivement pris l’ascendant sur

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les greffiers dans la gestion des archives de la cour parisienne. Déjà gardien du Trésor des chartes, il devenait le défenseur incontesté des droits du roi. Catalogue de preuves juridiques, véritable mémoire du droit et de la jurisprudence d’Ancien Régime, les registres constituaient aussi un témoignage politique précieux sur le rôle et l’ancienneté du Parlement. Dans les luttes violentes entre robe et couronne, les réflexions sur l’essence et l’origine de la monarchie firent des archives du Parlement un gage de légitimité tout autant qu’un moyen de contrôler et de (re)faire l’Histoire. Greffes et greffiers des justices seigneuriales au XVIIIe siècle, par Fabrice MAUCLAIR Pourquoi les fonds des justices seigneuriales remontent-ils rarement au-delà des années 1700 ? La réponse est d’abord recherchée en étudiant les greffiers en place dans les cours seigneuriales au XVIIIe siècle (les conditions de leur recrutement, leur appartenance sociale, leurs compétences professionnelles), ainsi que l’organisation matérielle des greffes. Sont ensuite examinés les éléments de droit qui ont pu être à l’origine d’une meilleure conservation des archives seigneuriales au temps des Lumières. Ainsi, sous l’influence d’une législation royale, qui vise à favoriser la constitution de dépôts d’archives et à faire émerger la notion de « papiers publics », les seigneurs et leurs agents ont, semble-t-il, peu à peu réussi au cours du XVIIIe siècle à imposer l’idée que les archives des tribunaux seigneuriaux devaient être accessibles au plus grand nombre (et non plus laissées au bon vouloir des greffiers ou de leurs héritiers) et conservées dans de bonnes conditions. Ammien Marcellin : l’historien et la « mémoire judiciaire » à la fin du IVe siècle après J.-C. par Hélène MÉNARD L’historien de l’Antiquité est obligé, pour explorer le champ de la mémoire judiciaire, de se tourner vers les sources les plus classiques : les sources littéraires, notamment historiques. Les archives judiciaires nous ont en effet rarement été transmises directement. Parmi les historiens de l’Antiquité, Ammien Marcellin, continuant le modèle tacitéen, accorde une place majeure dans son œuvre à la justice et aux récits de procès. Ce faisant, il utilise à la fois des archives judiciaires ou administratives, et la mémoire des procès – sa mémoire propre ou celle de ses contemporains –, afin d’évaluer la capacité des représentants du pouvoir, voire de l’empereur lui-même, à assurer la justice, l’une des principales vertus du bon gouvernant à la fin du IVe siècle après J.-C.

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« Qui perd gagne ». La place de l’honneur dans la mémoire judiciaire aux IXe-Xe siècles, par Laurent JÉGOU La portée historique des actes judiciaires conservés dans les libri traditionum ou les cartulaires ne se réduit pas à leur fonction juridique et administrative. Depuis une vingtaine d’années, les historiens du haut Moyen Âge cherchent à mettre en avant les objectifs mémoriels qui motivèrent la rédaction et la conservation de ces actes. Dans cette perspective, il convient de s’interroger sur les stratégies judiciaires et discursives qui furent déployées par les acteurs des règlements judiciaires, et parmi eux les hommes d’Église. Certains actes démontrent, de la part des scribes et de leurs commanditaires, une volonté de construire un récit propre à préserver, voire exalter l’honneur de leur adversaire ; d’autres, au contraire, avaient pour vocation la diffamation d’un rival insoumis. Ces pratiques discursives ont forgé une mémoire judiciaire propre à célébrer le souvenir des relations sociales et spirituelles qui avaient été nouées à l’occasion du règlement. Mémoire judiciaire du parlement de Toulouse : le projet de Corpus parlamenteum d’Étienne Aufréri (fin du XVe siècle) Par Patrick ARABEYRE Félix Aubert, dans un célèbre article sur les sources de la procédure au Parlement au XIVe siècle (BÉC, 1916), avait présenté les multiples œuvres de droit civil (additions au Stilus de Guillaume Du Breuil, traités de procédure, recueils d’arrêts et d’ordonnances) du premier président aux Enquêtes au parlement de Toulouse Étienne Aufréri (v. 1458-1511) comme le projet qu’il aurait conçu de réunir, à l’extrême fin du XVe siècle, un ample Corpus parlamenteum. L’examen conjoint du ms lat. 4644 de la Bibliothèque nationale de France et de la première édition de cet ensemble (Lyon, 1513) conduit à visiter à nouveau ce « monument » quelque peu oublié. Le recueil apparaît comme un corpus décalqué de la littérature disponible pour le parlement de Paris, selon des procédés divers : reprise, adaptation, commentaire, création. Mais, au-delà du projet localiste, ce premier support de la mémoire judiciaire du parlement de Toulouse se révèle aussi le fruit d’une conception toute savante.

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Écrire la justice hors le greffe : la mémoire judiciaire dans la ville, à Paris, au XVIe siècle, par Marie HOULLEMARE Il existe une mémoire non officielle de la justice, conservée par tous les acteurs individuels en contact avec elle. Elle prend une forme familiale et professionnelle, dans les archives privées des gens de justice (notes d’audience, copies d’extraits d’archives parlementaires), ce qui constitue un prolongement toléré, voire nécessaire, de la mémoire officielle du Parlement. La mémoire judiciaire urbaine relève aussi de la rumeur, connue à travers les mémoires des contemporains évoquant exécutions judiciaires ou secret des délibérations offrant ainsi un contrepoint à l’unité de façade affirmée par les archives de l’institution. Enfin, certains avocats se chargent d’une diffusion imprimée et élargie par l’impression de factums et de recueils de plaidoyers, s’affranchissant du cadre de parole organisé et réglé par le Parlement pour constituer une autre mémoire, elle aussi critique, de la justice. Naissance d’une mémoire judiciaire d’État : l’œuvre du juriste Francisco de Melgar et la junte royale du Bureau en 1695, par Olivier CAPOROSSI À la fin du XVIIe siècle, la junte royale du Bureau se trouve au cœur du système juridictionnel de la cour d’Espagne et des intrigues de palais qui entourent le roi Charles II malade. L’avocat des conseils du roi, Francisco de Melgar, révèle dans un mémoire judiciaire de 1695 les différents fondements d’une des plus éminentes juridictions supérieures de l’Ancien Régime : la dignitas du Grand Majordome, les étiquettes de Bourgogne, l’expérience des procédures pénales et civiles, et la coutume. L’analyse des conditions de construction de ce discours nous permet de comprendre la notion de juridiction des juristes castillans. Elle interroge aussi le rôle de la constitution d’une littérature extra-judiciaire dans les mécanismes de prise de décision de la monarchie espagnole et de la société de cour madrilène. Enfin, elle montre les rapports conflictuels entre l’espace palatin, la cour d’Espagne et la ville de Madrid. Les conséquences juridiques de l’erreur de plume devant le parlement de Paris sous Louis XV, par Louis DE CARBONNIÈRES L’erreur de plume est une constante des sociétés judiciaires, quels que soient les moyens technologiques en vigueur. Les raffinements de l’informatique ne

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permettent pas de les éviter, comme en témoignent les affaires Montès ou Beaugrand. Les leçons apportées par la plus prestigieuse juridiction de l’Ancien Régime, le parlement de Paris, en deviennent intéressantes à plus d’un titre. Certes, les affaires sont rares mais peuvent être restituées par les papiers de l’avocat général Gilbert de Voisins. Dans ses réquisitions, au civil ou au pénal, ce dernier rappelle la rigueur des règles. Il n’hésite pas à faire condamner les usages fautifs mais ancrés dans la pratique des cours inférieures. Au civil, l’affaire la plus emblématique est l’affaire Dugueny, célèbre par un scandale social qui suscita l’attention des gazettes européennes sans que celles-ci soupçonnent les conséquences juridiques d’une erreur sur le nom des parties. Au pénal, il martèle l’importance de la forme, car une forme fautive peut engendrer des conséquences graves pour l’inculpé. L’éloquence : histoire muette d’une autre mémoire judiciaire, des lendemains de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, par Émeline SEIGNOBOS Prisonniers de l’oralité, arrimés à l’instant, les morceaux oratoires qui animent les débats judiciaires français semblent, une fois prononcés, définitivement réduits au (plongés dans le) silence. Les quelques sources écrites, héritières d’un autre temps, ne laissent au lecteur qu’un corps vidé de son souffle vital, à autopsier froidement. Au-delà de ce constat, il s’agira d’abord de dépasser ce hiatus essentiel entre oral et écrit afin d’amorcer une possible exploitation historique et rhétorique de ces sources. Dans de telles conditions, le dispositif audiovisuel, sous-tendu par la loi du 11 juillet 1985, donne à voir et à entendre une mémoire vive, vivante, de la parole judiciaire, débarrassée du spectre de l’écrit et de ses lourdes précautions théoriques. Bien plus qu’une affaire de mots, derrière les stéréotypes romanesques et autres effets de manche, l’éloquence, celle qui sollicite l’âme autant que la conscience des contemporains, se révèle alors un acte fondateur de la mémoire judiciaire.

INDEX ONOMASTIQUE

Les références renvoient aux numéros de page ; l’ajout de « n » (ex. « 120n ») après le chiffre indique que la référence se trouve dans les notes de bas de page ; l’indication « et n » après le chiffre (ex. « 120 et n ») signifie que la référence se trouve à la fois dans le corps du texte et dans les notes de bas de page. Les noms de personnes sont faits au prénom de l’individu pour les personnages nés ou actifs durant la période médiévale et au patronyme pour les autres, quoique imparfait, ce choix vise à respecter au mieux les habitudes des historiens médiévistes et modernistes. Les références en italique se rapportent à des noms géographiques ; leur localisation exacte n’est en principe pas autrement précisée, sauf lorsqu’il peut y avoir ambiguïté. Le texte de la pièce justificative des pages 46 à 55, qui fait l’objet d’un index particulier (p. 55-66), n’a pas été ici indexé. O. Poncet

A. Trie, 78. Abba-tâbum, 29. Abbon, avoué de l’évêque d’Autun, 293. Abdirah, 29. Abihar, 29. Ablala, 28. Adalbéron Ier, évêque de Metz, 298-300. Adalbéron II, évêque de Metz, 298. Afrique, 285 ; comte, voir Héraclien. Aginatius, vicaire, 277, 287. Agnès de Montréal, 46n. Agnès Morel, 78. Aimar de Cros, 54n. Ain (département), 254 et n. Aizenay, 142. Akalla, 29.

Ala, fils d’Aradena, 29. Alaric (Bréviaire), 125. Albéric de Rosate, 307. Albin-Michel (éditeur), 370. Albuquerque (duc), 347. Alcarria (Francisco de), 347. Aleaume Cachemarée, 158. Alençon (comtesse), 47n, 48n. Alexandrie, 283, 284 ; évêque, voir Georges. Alleuze (château), 54n. Alost, 175n. Alphonse IV, roi d’Aragon, 338. Alphonse le Sage, roi de Castille, 339. Alphonse de Poitiers, 40n. Amar-shuba, 28. Amat-Mamu, 24.

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Amentius, 286. Amiens (bailliage), 34, 35, 39n. Ammien Marcellin, 271-281, 282 et n. Ampelius, 278 et n, 287. Ampuis, 259n. Anagnostou-Canas (Barbara), 218, 269. Anbum, 28. Andrinople, 271. Andulgium, 28. Angers, 126, 127, 129 ; formules, 121n, 130. Angleterre, 133 ; roi, 34n, 40n, 42n, 88n. Angliviel de La Beaumelle (Laurent), 276. Anjou, 255n, 257 ; formules, 127. Annupitum, déesse, 16. Ansoald de Poitiers, 127n. Antioche, 276, 280, 283, 284, 285 ; sénat, 283. Antoine de Bourgogne, 203n. Antoine l’Apotikaire, 198n. Anvers, 187 et n. Apollinaris, gouverneur, 283. Apronianus, 280, 284. Apulée, 270. Aquilée, 284. Aquitaine, 121n, 126. Aradana, 29. Aragon, Conseil, 342 ; cortes, 340 ; famille royale, 338, 340 ; roi, 337, voir Alphonse IV, Pierre III ; royaume, 342. Arias Maldonado (Francisco), 344. Aristote, 348. Arles, 283. Arn, archevêque de Salzbourg, 296. Arnaud de Corbie, 76. Arnoul (saint), 299, 300. Arnoul de Guînes, 49n, 50n. Arnould Baudoche, 176 et n. Arnould II Baudoche, 172, 176 et n. Arperht, prêtre du diocèse de Freising, 301. Arras, 212, 214, 215. Artémius, vicaire romain, 272. Artois (comte), 48n, 49n ; comté, 212. Artois, avocat au parlement de Paris, 78, 79.

Assyria, femme de Barbation, 284. Attichy (seigneur), 77. Atto, évêque de Freising, 297, 300 et n. Aubert (Félix), 306, 308n, 309 et n, 314 et n, 315n. Aubert de Longueval, 49n. Aubin (Raoul), 253. Auge de Cologne, 76. Aumale (duc), voir Lorraine (Charles de). Austrasie, 163. Austuriani, 285. Autriche (maison), 338. Autun, 293 ; chapitre Saint-Nazaire, 293, 294 ; comte, voir Richard le Justicier ; évêque, voir Gales. Auvergne, bailliage, 126 et n, 127 ; formules, 121n, 126, 127. Auvergne (Montagnes d’) (bailliage), 34n. Auxonne, 293. Aviz (famille), 338. Awîl-Adad, 30. Awîl-Eshtar, fils d’Ipiq-Annunîtum, 30. Awîl-shamash, 30. Aya, déesse, 22, 29, 30. Ayrault (Pierre), 331, 332. Baba, fils de Nigar-kidu, 28. Babamu, 28. Baba-ninam, 28. Babylone, 16n, 17, 22, 24n, 25. Babylonie, 21. Badinter (Robert), 351, 375, 377. Bagdad, 16. Baker (Keith), 251. Balde, voir Pietro Baldo de Ubaldis. Baldwin (John), 133. Bar (comte), 46n. Barbation, commandant de l’infanterie, 284. Barbevin (Jean), 363-365. Barbie (Klaus), 376. Barthes (Roland), 373. Bartolo de Sassoferrato, 342. Bastard d’Estang (Henri de), 245. Bastien (Pascal), 324.

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Baudechon Baude, 192. Baudoin de Guînes, 50n. Bavière, 290. Bayencourt, 49n. Bazentin (dame), 50n. Béatrix de Montréal, 46n, 62n. Beaucaire (sénéchal), 76. Beaugrand (Tiphaine), 352. Beaujolais, 264. Beaumont-le-Roger (comté), 36n. Beausault (seigneur), voir Jean de Montmorency. Bedford, voir Jean de Lancastre. Bejar (duchesse), 347. Bêlessunu, 24. Bellegarde (marquisat), 256. Bély (Jean), 316 et n. Ben Barka (Mehdi), 371, 372. Benediktbeuern (Bavière, abbaye), 302. Bercé (Yves-Marie), 217. Bergmann (Werner), 124. Bernabé (Boris), 317n. Bernard (Auguste), 90n. Bernard (Samuel), 357. Bernard de Rosier, 305n. Bernardy de Sigoyer (Alain), 370. Bertram, évêque de Metz, 165 et n, 168. Beugnot (Auguste-Arthur), 31n. Biet (Christian), 99. Bimbenet-Privat (Michèle), 242. Blancas y Tomas (Jerónimo de), 340. Blois, comtesse, 47n ; édit, 89. Blok (Dierk Pieter), 119. Bluet (René), 371. Bonneville de Marsangy (Arnould), 105 et n. Boran-sur-Oise, 57n. Borest, 57n. Bort-les-Orgues, 56n. Bort-Saint-Sulpice, 56n. Boschet, 79. Boson, fils de Richard le Justicie, 293 et n. Bossat, 230. Boüard (Alain de), 118n, 119. Boullenois, 353n.

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Boulogne (comte), 48n. Bourbon (Charles de) cardinal, 84, 85 et n, 86. Bourbon (famille), 338. Bourges, 126n ; bailliage, 34n ; formules, 121n, 126, 128, 129. Bourgogne (duc), 181, 193n, 194, 209n, 294 ; voir Philippe le Bon, Richard le Justicier. Boutaric (Edgard), 32n. Bouvines, 193n. Boyssoné (Jean de) l’Ancien, 317n. Brabant, 203n. Bracon, 78, 79. Bragance (famille), 338. Brantôme (abbaye), 42n. Bresslau (Harry), 118n. Bretagne, 257, 261 ; duché, 36n ; parlement, 262. Brisson (Barnabé), 85n, 322. Bruges, 194. Brunetière (Ferdinand), 370n. Bruxelles, 187 et n, 194. Buchner (Rudolf), 123n. Bucy, 78. Burgondes (loi), 123n, 131. Burthe Faixin, 174. Cabarech, clerc aux écritures à Namur, 193n. Cadilon, noble, 293-295. Caen (bailliage), 39n. Caillaux (Henriette), 370. Calas (Jean), 217. Calliope, muse, 378. Calmette (Gaston), 370. Calvados (département), 254. Cambrai, 141, 302. Campaigne (Charles), 230. Campaigne (François), 230. Campaigne (Marguerite), 230. Campaigne (Nicolas), 230. Campaigne (Pierre), 230. Camus (Armand-Gaston), 35n. Caracalla, empereur, 270n.

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Carbasse (Jean-Marie), 315. Carnuntum, 285. Caro Montenegro (Juan de), 347. Carpentier (Hermenegilde), 214. Cassiodore, 343. Castaldo (André), 315n. Castelnovo (marquis), 347. Castille, Conseil, 341, 344, 345n, 346-349 ; famille royale, 336n, 338, 347 ; roi, voir Alphonse le Sage. Castrillo (comte), voir Haro (Garcia de). Catalogne (comté), 337. Catherine de Longueval, 50n. Catherine, parente de Jean de Fleurus dit Taillefer, 192n. Caulet (M. de), 230. Caux (bailliage), 39n. Cayron (Gabriel), 305. Cébazat, 54n. Cella (Bavière), 297. Cercamps (abbaye), 75, 78. Chalcédoine, 284. Châlons (parlement), 88. Chalon-sur-Saône (comte), voir Manassès Ier. Champigneulles, 175. Chantoiseaux (seigneurie), 256. Charente (département), 254. Charles le Chauve, empereur, 294. Charles le Simple, empereur, 293n. Charles Quint, empereur, 335, 338, 339n, 348. Charles II, roi d’Espagne, 336-338, 340, 346-349. Charles V, roi de France, 33, 134, 136, 138, 147, 208, 312. Charles VI, roi de France, 139, 141, 146148, 312. Charles VII, roi de France, 88n, 134, 139, 142, 146, 148, 312. Charles VIII, roi de France, 148, 312. Charles X, voir Bourbon (Charles de). Charles Marcq, 197. Charnay (Annie), 263. Charpentier (Jacques), 368.

Charpin (Dominique), 15. Chartres (clergé), 77. Chastagnol (André), 275. Château-La-Vallière, 257, 262-264. Châtillon, 259n, 263. Chaudru de Raynal (Louis-Hector), 31n. Chaumont, 78. Chaumontois, 298-300. Chaverson (recueil), 177. Chelles (abbaye), 34n. Chenard (Gaël), 63n. Chenôves, 293, 294. Chéruel (Adolphe), 136n. Chippard (Nicolas), 321. Chrestien (Philippe), 331. Cicéron, 270, 280, 341, 343. Cîteaux (abbaye), 75, 77, 78. Classen (Peter), 124. Claude Baudoche, 172. Claude d’Emvillers, 180n. Clematius, noble d’Alexandrie, 283. Clément VIII, pape, 88n. Clément de Fauquembergue, 141, 142. Clermont, auj. Clermont-Ferrand, 47n, 53n, 54n ; chapitre, 54n ; évêque, 33n, 34n, 47n, 54n, voir Aimar de Cros. Clervaux (abbaye), 299. Clio, muse, 5, 7, 378. Cn. Pison Père, 270n. Cocquiau (Jean), 214. Colart d’Outremont, 191n. Colart de Molin, 188n. Colaur Terroie, 197n, 198n. Colevede, 50n. Colignon de Sorines, 192n. Colignon Morel, 174. Compiègne, 52n ; abbaye Saint-Corneille, 51n, 52n ; maladrerie, 51n. Condé-sur-Moselle, auj. Custines, 175. Condroz (bailliage), 187n. Constance II, empereur, 271, 273, 274, 277, 282-284. Constant (Benjamin), 373n. Constantinople, 280. Corato (Nicolas), 371, 374n.

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Corbeil, 354n. Corbeil, greffier à Corbeil, 354n. Corbie, 51n ; abbaye, 51n. Cordova (Andres de), 344. Cordova (Francisco de), 344. Côte-d’Or, 254. Cour-Marigny (La) (seigneurie), 256. Courtrai, 59n. Covarrubias (Sebastian de), 341, 342, 349. Cozroh, diacre, 290, 291 et n, 300. Creuse (département), 254. Crouel (puy de), 53n. Crouzet (Denis), 82n. Damase, 278, 279, 286, 287. Damiens (Robert François), 242. Damours (Pierre), 83 et n, 87. Daules, 203n. Dauphine de Saint-Bonnet, 53n. Declercq (Georges), 291n. Delage (Christian), 375n. Delisle (Jean-Gilbert), 7, 8 et n, 249n. Delisle (Léopold), 38n. Delphidius, avocat, 277. Démare-Lafont (Sophie), 224. Demonceau, commis du greffe civil du parlement de Paris, 246. Denis Johaire, 79. Denys le Petit, 277. Depardon (Raymond), 377. Descartes (René), 6. Descousu (Celse-Hugues), 306-311, 313, 315, 316. Dijon (intendant), 364n. Dioclès, comte des largesses en Illyrie, 281, 285. Diodore, agent de la police d’État, 281, 285. Dionis, roi, 338. Dmeir (Syrie), 270n. Dognon (Le) (cour sénéchale), 257n. Dominici (Gaston), 374. Dongois (Nicolas), 246. Dordogne (département), 254 et n.

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Doria (Jean-Charles), 376n. Dorléans (Louis), 88, 321. Douai, 208, 210, 212, 214 ; gouvernance, 354n. Dreux d’Ars, 157n. Drouet (Barthélemy Robert), 101, 102. Dubreucq (Alain), 123 et n. Du Faur (Guy) seigneur de Pibrac, 331. Dufillon (Jean-Charles), 258n. Duga, fils d’Ur-Enlil, 27. Dugueny (Madeleine), 357, 359-362. Dujardin (Denis), 87 et n, 88. Dumont (Barthélemy), 236, 237. Dumont (Nicolas), 236. Du Moulin (Charles), 306-309, 310n, 311, 312, 313 et n, 315 et n, 316. Dupin, avocat général, 372n. Duprat (Antoine), 322. Du Pré (Galliot), 307, 309n. Duran (Juan), 344. Dûrum-eshum (Mésopotamie), 29. Du Tillet (Jean), 319. Du Tillet (Jean), le Jeune, 322. Du Tillet, greffier au parlement de Paris à la fin du xviie siècle, 246. Du Vair (Guillaume), 84 et n. Egibi (famille), 16n. Égypte, 218, 269. Elâli-waqar, 29. Elezarraga (Juan Alonso), 346n. Ellanperht, 300n, 301. Elsenbach (Allemagne), 300, 301. Encillas (Marcos de), 346. Enriquez (Estevan), 344. Épigone, 283. Érard de Montmorency, 49n. Érart Bissetiau, 199n. Eschyle, 367. Escolano (Gaspar), 340. Espagne, 338, 341 ; cour, 335, 336, 348 ; Grands, 341 ; roi, voir Charles II, Philippe III, Philippe IV. Espeisses (seigneur), voir Faye (Jacques). Étienne Aufréri, 305, 306, 308, 310 et n,

402

INDEX

311, 312, 313 et n, 314, 315, 316 et n, 317. Étienne Belin, 77n. Étienne de La Grange, 76. Étienne du Péage, 49n. Étienne Lamistant, 199n. Eudes, roi de France, 293. Eugène, usurpateur de l’Empire, 270. Eulalius, 277. Euphrate, 16n. Eupraxius, 282, 285. Eure (département), 254 et n. Europe, 7. Eusèbe, 283. Fagniez (Gustave), 158n. Fajou, 230. Falkenstein (Adam), 19 et n. Farnèse (Alexandre), 87. Fauquignon (recueil), 173. Faustinus, notaire, 285. Favier (Nicolas), 87. Faye (Jacques) sieur d’Espeisses, 331. Feenstra (Robert), 308n. Feix (Le) (Haute Cour), 184, 200. Ferrant (Antoine), 87n. Ferrer (Miguel), 338, 342. Ferry (Paul), 169, 176. Ferté-Milon (La) (prieuré Saint-Vulgis), 52n. Finistère, 254. Firmus, 285. Flament, 79. Flandre, 179, 187n, 200n ; comte, 47n ; comté, 212. Flavigny (abbaye), 79. Flavius Eupraxius, 275. Floreffe, 192n. Florentius, 274, 285. Floriot (René), 372n. Fontaines (prieur), 36n. Fonte Avellana (monastère), 277. Forez, 258, 260 ; comte, 34N, 64n, voir Jean Ier. Fouilloy, 59n. Fouquier-Tinville (Antoine Quentin Fouquier de Tinville dit), 351, 352.

Fournier (Pierre-François), 63n. Francar Hudar, 203n. France (roi), voir Charles V, Charles VI, Charles VII, Charles VIII, Charles X, Eudes, Henri II, Henri III, Henri IV, Jean II, Louis IX, Louis X, Louis XI, Louis XII, Louis XIII, Louis XIV, Philippe Auguste, Philippe III, Philippe IV, Philippe V, Philippe VI. Francfort-sur-le-Main, 165n ; foires, 178n. Frauenvils (Allemagne), 300, 301. Freising, 290, 291 et n, 296, 297, 300, 301 ; église Sainte-Marie, 290, 297, 301 ; évêque, 302, voir Atto, Hitto, Nitker. Fremin Pigre, 75. Fricéro (Natalie), 352. Frodebert, évêque de Sens, 121n. Frutos (Juan de), 344. G. Lathomi, 79. Gaguin (Robert), 316n. Gales (ou Walo) évêque d’Autun, 293. Gallo (Bartolome), 345. Gallus, frère de l’empereur Julien, 277, 282, 283. Gand, 205. Garapon (Antoine), 378n. Garçon (Maurice), 370 et n. Garipuy (François de), 218-223, 225, 382. Gaudemet (Jean), 119. Gaule, 127, 287. Gaultier (Charles), 235, 236. Gaultier (Claude), 234-237, 241. Gaultier (Marie), 235. Gaultier (Martin), 235. Gaultier (Mathieu), 234, 235, 241. Gauthier Pescheloche, 70n, 75, 78. Gauvard (Claude), 158. Gazzaniga (Jean-Louis), 305, 306, 310, 311 et n. Gélase Ier, pape, 277. Geoffroi Chalop, 44n. Geoffroy le Gorin, 60n. Georges, évêque d’Alexandrie, 284. Gérard de Montaigu, 134, 136.

INDEX

Gérard de Querrieu, 60n. Gérard Papperel, 174. Gerontius, comte, 283. Gherlot, voir Janin. Gignard (Pierre), 234. Gilbert de Voisins (Pierre), 355, 359-361, 363-365. Gilbert de Voisins (Roger François), 8. Gillechon de Lintre, 199n. Gilles Bataille, 173. Gilles de Berlaimont, 182n. Gilles de Grigny, 140. Gilles de Vaucelles, 72, 75. Gilles le Bel, 170. Gilles (Henri), 306, 311. Giloteal de Flawenne, 203n. Gimil-Marduk, 26n. Girard (Henri), 370, 372. Girart d’Ambonay, 77. Girart de Prouy, 63n. Girodon, greffier de la Cour de cassation, 365, 366. Gironde (cour d’assises), 376. Girsu (Mésopotamie, auj. Tello), 17, 20. Gobin Davin, 203n. Godding (Philippe), 197n. Godermard de Fay, 78. Goffinon Terroie, 197n. Goffman (Erwin), 292. González de Salcedo y Butron (Pedro), 292. Gorgonius, chambellan, 283. Gorguloff (Paul), 372. Gorze, 175 ; abbaye, 166 et n ; abbé, 166n. Gottschalk, moine de l’abbaye de Benediktbeuern, 302. Goulaine (marquisat), 257. Gratien, empereur, 278, 287. Grégoire de Tours, 121n. Grenoble (bibliothèque municipale), 308. Grin (François), 326. Grün (Alphonse), 43n, 246. Gué-au-Voyer (baronnie), 257. Guébin (Pascal), 63n. Guérart Fortut, 77.

403

Guignon de La Fontaine, 76, 78. Guilhiermoz (Paul), 306, 308n, 309 et n. Guillaume Ier, comte de Namur, 185, 189, 206. Guillaume II, comte de Namur, 186n, 187, 188n. Guillaume Benoît, 305n, 310, 311 et n, 316n. Guillaume de Chaumont, 77. Guillaume de Fumalle, 192n, 194n. Guillaume de Lumbres, 77. Guillaume de Vitry, 72, 75, 76. Guillaume de Vry, 299. Guillaume Du Breuil, 36n, 37n, 306, 307, 308n, 313, 316, 317. Guillaume le Bescot, 72n, 76, 78. Guînes (comte), voir Arnoul de Guînes, Baudoin de Guînes. Guiot de Montréal, 46n. Guise (duc), voir Lorraine (Henri de). Gutiérrez (Juan), 342 et n, 343. Guyenne (duc), 32n. Guymier (Cosme), 316n. Guyot (Joseph-Nicolas), 354. Gyem (seigneur), 46n. Haarlem, 187n. Habsbourg (famille), 336, 338, 343, 349. Hainaut, 200n ; comte, 302 ; comté, 212. Hamazirum, fille d’Abihar, 22, 29. Hammurabi, 16, 30 ; code, 22. Haquinet, clerc de Jean Loysset, 191n. Hardouin-Mansart (famille), 357. Hardy (Pierre), 236n. Harlay (Achille de), 82, 83, 321. Harlay (Achille III de), 246. Harlay (collection), 323. Haro (Garcia de) comte de Castrillo, 344. Haton (Claude), 327. Haute-Garonne (archives départementales), 222. Hedrick (Charles), 270. Heidrich (Ingrid), 123n. Hellebeterne, 49n. Hennequin Lescot, 75, 76.

404

INDEX

Hennequin Platel, 77. Hennequin (Simon), 141. Henon Henrart, 203n. Henon Sapotte, 203n. Henri IV, empereur, 299. Henri II, roi de France, 331, 338. Henri III, roi de France, 82-84, 86, 234, 261. Henri IV, roi de France, 83, 85-87, 89, 90, 338 ; roi de Navarre, 88, 136n . Henri Canone, 190, 194n. Henri de Marle, 138, 139. Henri du Sache, 192n. Henri Dubois, 75. Henri Larballestrier, 199n. Henri Luquet de Viesville, 187, 190, 191n, 194n. Héraclien, comte d’Afrique et usurpateur de l’Empire, 271. Hermann, évêque de Metz, 299. Hermperht, 297. Hernández (Diego), 345. Hervé de Varennes, 66n. Hesdin, 209n. Hesse-Darmstadt (Georges de), 336. Hière (La) (sieur de), 169. Hilaire (Jean), 42n. Hilarinus, 280. Hitto, évêque de Freising, 290. Hollande, 192n, 357. Hormisda, pape, 277. Hubin, 79. Hue Gros, 168. Hugo (Victor), 369n. Huguenin (Jean-François), 179. Hugues, fils de Richard le Justicier, 293 et n. Hugues de Montréal, 46n. Hugues Raingart, 193n. Humbert de Beaujeu, 59n. Huy, 214. Ibbi-shamash, 30. Idin-Ninshubur, fils d’Uluma, 29. Ikûn-pî-Sîn, 24. Île-de-France (gouverneur), voir Lorraine (Charles) duc d’Aumale.

Illyrie, 281, 283. Iluma, 29. Ilushu-bâni, fils de Tukulti-kânum, 29. Importun, évêque de Sens, 121n. Inanna-amamu, fille de Abba-tâbum, 29. Inanna-ka, 27. Indes (Conseil), 342. Indre-et-Loire, 254. Ipiq-Annunîtum, 30. Isaac, 287. Isabelle, veuve de Raoul Richart, 72n. Isabelle Baudoche, 172, 176 et n. Isabelle de Châtillon, dame du Vair, 74, 78. Isabelle de France, 338. Isambert (François-André), 90n. Ishme-addu, fils de Elâli-waqar, 29. Ishum-gâmil, 30. Ishum-nâzir, 30. Isin (Mésopotamie), 16n. Issoire (abbaye), 77. Italie, 298n ; vice-préfecture, 281, 285. J. de Courtrai, 186n. J. Ouiart, 77. Jacob, prêtre du diocèse de Freising, 301. Jacquemart le Torier, 192n. Jacquemin du Pont, 192n, 194n, 202. Jacques Chastellain, 72, 75. Jacques d’Ableiges, 156, 161. Jacques de Boulogne, 37n. Jacques Dex, 176. Jacques le Maçon, 204n. Jacques le Maréchal, 78. Jacquin, clerc de Nicolas de Villemer, 68n. Jahn (Joachim), 291n. Jambes, 188n. Janin, dit Gherlot, 195n. Janin, fils de Jacques le Maçon, 203n, 204n. Jaurès (Jean), 370. Jean II le Bon, roi de France, 138, 146, 312. Jean Ier comte de Forez, 59n. Jean III, comte de Namur, 181n, 187, 188n. Jean Andrumont, 203n.

INDEX

Jean Arnaut, 77. Jean Baduelle, 194n. Jean Berneda, 76, 78. Jean Berraut, 147. Jean Bissetia, 195n. Jean Blondel, 199n. Jean Boullen, 191n, 194n, 195n. Jean Bracquiez, 177. Jean Champenois, 70n, 75, 78. Jean Chéneteau, 141. Jean Clichet, 188n. Jean Corsier, 307, 317. Jean Cretin, 213. Jean d’Anagni, 315. Jean d’Asnières, 139. Jean d’Erpent, 191n. Jean Darimont, 200n. Jean de Blanot, 56n. Jean de Blois, 139. Jean de Cessières, 139. Jean de Fauz, 198n. Jean de Fleurus dit Taillefer, 188n, 191n, 192n, 193n, 194n, 195n, 198n, 199n, 200n, 201. Jean de Forville, 194n. Jean de Fumalle, 192. Jean de Hubant, 77. Jean de Jandrain, 194n. Jean de L’Épine, 142, 143. Jean de Lancastre, duc de Bedford, 139. Jean de Laudrémont, 174. Jean de Longueil, 160n. Jean de Montluçon, 42, 134, 135, 139. Jean de Montmorency, seigneur de Beausault, 71, 74. Jean de Montréal, 46n. Jean de Morancez, 54n. Jean de Pontillace, 200n. Jean de Pontoise, 77 et n. Jean de Puteolis, 63n. Jean de Ravigny, 75. Jean de Savières, 78. Jean de Savigny, 64n. Jean de Villers, 191 et n. Jean de Volon, dit Pallefrial, 188.

405

Jean des Commognes, 188n. Jean Doulx-Sire, 153, 158n, 160 et n. Jean du Flonne dit Rollant, 194n. Jean du Pont, 203n. Jean Dursin, 54n, 59n. Jean Dyerpen, 191n. Jean Érart, 71 et n, 74. Jean Groignat, 173. Jean Hanerlan, 197. Jean Hardy, 77. Jean Honoré, 183n. Jean Houar, 177. Jean Jacquart, 197. Jean Joseph d’Autriche, 338. Jean Larballestrier, 199n. Jean Le Bescot, 77 et n. Jean Le Clerc, 195n. Jean Le Coq, 175n. Jean Le Hase de Chambly, 72 et n, 75, 76, 78. Jean Le Luistrat, 75, 78. Jean le Petit, 203n. Jean Le Roy, 153. Jean Louis de Namur, 188, 190, 192n, 193n, 194n. Jean Loysset, 191n. Jean Malingre, 61n. Jean Nohant, 75. Jean Papperel, 174. Jean Payens, 154n. Jean Praillon, 180n. Jean Roisin, 209 et n. Jean Sabuleto, 187 et n, 189, 190, 191n, 194n, 203n. Jean Willequin, 147. Jeanne de Longueval, 49n. Jeanne de Savières, 75. Joigny (tribunal correctionnel), 372n. Joly de Fleury (collection), 354. Joly de Fleury (famille), 353. Joly de Fleury (Guillaume-François), 32 et n, 245, 247-249, 358. Jouarre (abbaye), 34n. Jourdain, 308. Jousse (Daniel), 364.

406

INDEX

Joyeuse (Anne de), 81. Julien, empereur, 271, 277, 280, 283, 284. Julien, clerc d’échevinage de Namur, 191n. Junius Bassus, vicaire romain, 272. Jupiter, 5. Kala, 28. Karlin (Daniel), 376. Klimrath (Henri), 31n. Klipffel (Henri), 174. Kravchenko (Victor), 370. Kuentz (Pierre) ; 373n. Kuli, fils de Ur-Ushul, 27. La Chapelle-Marteau, voir Marteau. La Chesnaye (Guillaume de), 326 et n. Lachèvre (Frédéric), 242. La Croix Du Maine (François Grudé, sieur de), 329. La Fosse (Jean de), 326. Lagash (province), 18, 20. La Guesle (Jacques de), 84n, 322. Lainé (Remi), 376. Lalou (Élisabeth), 59n. Lambert Colignette, 203n. Lamourgue (Étienne), 101, 102. Landes, 264. Langlois (Charles-Victor), 32n, 38, 40n, 43n. Languedoc, 313 ; états provinciaux, 218. Laon (chapitre), 78. La Roche-Flavin (Bernard), 222, 321. Larrea (Juan Bautista de), 341, 342. Larsa (Mésopotamie), 16. Latour (Bruno), 225. La Trémoïlle (famille), 264. Lauranson-Rosaz (Christian), 258, 260. Laurent Clichet, 188n, 192n, 193n, 195n. Laurent de Nyel, 188n. Laval (comté), 262n, 264. Laval (Pierre), 370. La Vergne, avocat au parlement de Paris, 329. La Vigerie, capitaine, 326. Lebas de Montargis, gendre de Madame Mansart, 362.

Leclerq, jurisconsulte, 354n. Le Gay, sergent au Châtelet, 87. Le Lys (Nicolas de), 214. Le Maistre (Gilles), 331. Le Maistre (Jean), 87n, 90. Le Masuyer (Philibert), 84n. Le Moeur (Hugues), 236. Lemonnier-Lesage (Virginie), 220. Le Nain (Jean), 85n, 88n, 89n, 322. Léontius, préfet de la Ville, 273, 282, 284. Lepcis, 285. Le Rat, marchand de Senlis, 88n. Le Rouillier (René), 329, 330. Lesleu, 78. Lespicier, 79. L’Estoile (Pierre de), 87, 324-327, 330. Le Vest (Barnabé), 331. L’Hospital (Michel de), 319. Libère, évêque de Rome, 278, 279, 284, 286. Liège, 214 ; évêque, 187n. Lille, 191n, 192n, 194, 208, 209, 211, 212, 215n ; chambre des comptes, 191n, 203, 206 ; halle échevinale, 213. Limousin (sénéchaussée), 36n. Linden (Élisabeth), 377. Lippomano (Girolamo), 319, 324. Lipse (Juste), 340, 343. Loaysa (Juan de), 344. Locu (Hervé), 352. Loisel (Antoine), 329. Loncol (Joëlle), 376. Loncol (Michèle), 376. Longueval, 50n. López (Gregorio), 339n, 343. López de Ayala (Diego), 344. Loraux (Nicole), 270. Lorraine (Charles de), cardinal de Guise, 82. Lorraine (Charles de), duc d’Aumale, 82, 83. Lorraine (Charles de), duc de Mayenne, 83, 85 et n, 86n, 88n, 90. Lorraine (Henri de), duc de Guise, 82. Lorraine, 179 ; duc, voir Thiébaut Ier.

INDEX

Lot (Henri), 31n, 43n. Lotharingie, 163. Louis VII, roi de France, 133n. Louis IX, roi de France, 134, 140, 312. Louis X le Hutin, roi de France, 312. Louis XI, roi de France, 312. Louis XII, roi de France, 143. Louis XIII, roi de France, 356. Louis XIV, roi de France, 262, 338. Louis, bâtard de Namur, 195n. Louis de Namur, 188, 194n. Louis Lodevoet, 191n, 193n, 194n, 200, 201, 205. Louis Paste, 77n. Loyseau (Charles), 258. Luc (Jean de), 331. Lu-dingira, 28. Lugal-gina, 28. Lugal-kugzu, 27. Lugal-suluhu, 28. Lu-igimashe, 28. Lu-Igishasha, 28. Lu-kinunir, 28. Lu-Ningirsu, 28. Lupus, 286. Lu-Shara, 28, 29. Luther (Martin), 178. Lu-Uruba, 29. Luxembourg (Grand-Duché), 299. Luynes (greffe), 256. Lyon, 307 ; bibliothèque municipale, 307 ; sénéchaussée, 34n. Lyonnais, 254n, 259n, 263. Lysias, 270. Mâcon, bailli, 53n ; bailliage, 34 et n, 35. Madariaga (Juan de), 338, 340. Madrid, 335, 33§, 345 ; Plaza mayor, 347 ; porte de Tolède, 346n. Magnence, usurpateur de l’Empire, 283. Mahieu de Rue, 76. Maillardière (La), 257. Maine, 255n, 257. Mainsart, 79. Mainville (de), 78.

407

Malines (Grand Conseil), 214. Mallet (abbé), 247. Malvy (Louis), 371. Manassès Ier, comte de Chalon, 294. Mannatum, 30. Mans (Le), 89. Mansart (Madame), 357, 361, 362. Mantes, 77, 79. Mantovani (Dario), 280. Manûtum, fille d’Abdirah, 22, 29. Marcellinus, notaire, 271. Marchant, 203n. Marche (La), 256n, 257n, 260, 261. Marçon, 257. Marcus Vitruvius Vaccus, 280. Marduk, dieu, 22, 29, 30. Marduk-nishu, 30. Marguerite, veuve de Jean de Volon, 188. Mari (Mésopotamie), 16n. Marie Canone, 199n. Marie d’Autriche, impératrice, 340. Marie de Séron, 188. Marie de Volon, 188. Marillac (Charles de), 166n. Marion (Simon), 331. Marmousets (les), 141, 158. Marmoutier (abbaye), 36n, 47n, 48n, 64n. Marteau (Michel) seigneur de La Chapelle, 87. Martin (Don), infant d’Aragon, 338. Martin de Sorines, 199n. Martínez Abad (Diego), 335. Massart Colle, 192n, 193n, 204n. Massart le Tréchier, 189, 190n. Matheu y Sanz (Lorenzo), 342. Mathieu dit Aigret, 49n. Mathieu le Blond, 190n, 191, 194n, 195n. Matienzo (Juan), 343. Matilla (Pedro), 336. Maugis (Édouard), 88. Maupeou (René Nicolas), 247. Maurras (Charles), 370. Maury (Guillemette), 360, 361. Maury (Jean), 360, 361, 362. Maximinus, 278, 285, 287.

408

INDEX

Mayenne (duc), voir Lorraine (Charles de). Mayno (Jason de), 315. Medrano (Garcia de), 347. Medunta, voir Mantes. Meijers (Eduard Maurits), 172. Melgar (Francisco de), 335, 337 et n, 339 et n, 340-344, 346-349, 350 et n. Mendel (Pierre), 169. Mercure, « comte des Songes », 283. Mésopotamie, 15. Metz, 163-166, 167 et n, 168, 169, 170 et n, 171-173, 176, 177, 178 et n, 179, 180, 220, 298, 299 ; abbaye, 166 ; abbaye Saint-Arnoult, 166n, 298300 ; abbaye Saint-Clément, 166n, 299 ; abbaye Saint-Symphorien, 166n ; abbaye Saint-Vincent, 166n ; archives municipales, 175, 177 ; coutumes, 166 ; évêché, 170n ; évêque, 299, voir Adalbéron Ier, Adalbéron II, Bertram, Hermann ; paraige d’Outre-Seille, 164n, 166n ; paraige de Commun, 164n, 166n ; paraige de Jurue, 164n, 166n ; paraige de Porte-Muzelle, 164n, 166n ; paraige de Port-Sailly, 164n, 166n ; paraige de Saint-Martin, 164n, 166n. Meuse, 214. Michart de Warisoul, 204n. Michon (Pierre), 87. Milan, 271, 281, 282 et n, 283, 285 ; basilique San Stefano Maggiore, 282. Milet, 281. Miraulmont (Pierre de), 142. Mnémosyne, 5. Moatti (Claude), 269. Molé (Mathieu), 91n. Molina (Luis de), 341, 343. Molitor (Stefan), 291n. Mondsee, 291, 296. Montaigne (Michel Eyquem, seigneur de), 316n. Montargois, 256. Montbrison, 64n, 66n. Montès (Jorge), 352.

Montferrand (seigneur), 53n, 54n. Montijo (comte), voir Portocarrero de Guzmán y Luna (Cristobal). Montil-lès-Tours (ordonnance), 143, 144, 312. Montius, questeur, 283. Montmorency (Anne de), 167n. Montmorency (Henri II de), 217. Montpellier, 313n. Montréal (France, dép. Yonne, seigneurie), 62n. Moreau (Jacob-Nicolas), 250, 251. Morée (prieuré), 47n, 48n. Morelle (Laurent), 291n. Moro-Giafferi (Vincent de), 372n. Morquecho (Bartolome), 345. Moselle (archives départementales), 173. Moulinet (seigneurie), 256. Moulins (ordonnance), 312. Mousnier (Roland), 235. Mouton, 328. Muchembled (Robert), 324, 326. Munier-Jolain (Jacques), 369n, 370n. N. de Sarrebruche, 72, 75. Nabashag, 27. Namur, 181, 185, 187, 188, 191 et n, 192n, 193, 194n, 195n, 196n, 197, 199n, 200n, 202 et n, 203n, 204 et n, 205n, 206, 214 ; chapitre Notre-Dame, 186 ; chapitre Saint-Aubain, 186 et n ; chapitre Saint-Pierre-au-Château, 186 et n ; comte, voir Guillaume Ier, Guillaume II, Jean III, Philippe le Bon ; comté, 188, 197n, 200n, 201 ; Haute Cour, 181 et n, 183, 184, 192n, 193n, 196 et n, 197, 200, 201, 204206 ; place Saint-Remy, 197 ; pont de Meuse, 188n ; pont de Sambre, 190. Nantes, 105. Narâmtani, 30. Narbonnaise (gouverneur), voir Numérius. Narbonne (vicomte), 77. Navarre, 36n ; famille royale, 338 ; roi, voir Henri IV, Philippe d’Évreux.

INDEX

Nemery Baudoche, 173. Nemery Reguillon, 173. Nerva, empereur, 271. Nesle (seigneur), 40n. Nick (Christophe), 376. Nicolas de Baye, 141, 144, 146, 147. Nicolas de Chartres, 38n, 42 et n, 46n, 47n, 48n, 49n, 51n, 52n, 53n, 54n, 135, 139. Nicolas de Lespoisse, 140. Nicolas de Villemer, 141. Nicole Baudoche, 176 et n. Nicole de Dury, 210. Nicole François, 173. Nicole Remiat, 174. Nicolet (Claude), 269. Nicomaque Flavien l’Ancien, 270. Nigar-kidu, 28. Nimgir-ennu, 27. Nimgir-shagkush, 27. Nin-zagesi, fille d’Ure-badu, 29. Nippur, 18. Nîsh-inîshu, 30. Nitker, évêque de Freising, 302. Noël de Fleurus, 190 et n, 192n, 193n, 194n, 195n. Noirmoutier (abbaye), 127n. Noiron, 75, 77 78. Normandie, 63n, 134, 139 ; duché, 36n ; Échiquier, 70. Numerius, gouverneur de Narbonnaise, 284. Oea, 285. Oise (département), 254. Olybrius, 277, 287. Orfitus, préfet de la Ville, 273, 284. Orléans, 362 ; bailliage, 34n, 39n ; duc, 77 ; ordonnance, 259. Orne (cour d’assises), 352. Ostie (évêque), 286. Oudard de Villeneuve, 33n. Ourliac (Paul), 305, 315n. Outreau, 351. P. du Terne, 188n.

409

Pallefrial, voir Jean de Volon. Pantoja (Alonso), 345. Papon (Jean), 331, 332. Papon (Maurice), 376. Pardessus (Jean-Marie), 31n. Paris, 68n, 77, 79, 82-84, 85n, 86, 89, 90, 94, 136, 140, 143, 144, 152, 180, 233, 307, 324, 327, 328, 331, 332, 356, 371 ; abbaye Saint-Germain-desPrés, 151 ; abbaye Saint-Victor, 236n, 326 ; abbaye Sainte-Geneviève, 52n, 151 ; Archives nationales, 90, 93, 322, 363, 371, 372n ; Bibliothèque nationale de France, 169, 173, 306, 323 ; Bourse, 320 ; chapitre Notre-Dame, 77 ; Châtelet, 8n, 87n, 93, 140, 152, 153, 154n, 155 et n, 156 et n, 158n, 159, 161, 180, 353n, 356, 358, 363, 364, 382 ; Conciergerie, 95, 101, 102, 233 et n, 234 et n, 235, 236 et n, 237, 239-243, 327 ; cour d’appel, 372n ; cathédrale Notre-Dame, 89 ; église Saint-André-des-Arts, 87 ; évêque, 77 ; Hôtel-Dieu, 86, 243n ; ordonnance, 312 ; parlement, passim ; paroisse Saint-Barthélemy, 326 ; place de Grève, 101, 102, 326 ; pont Saint-Michel, 325 ; porte SaintJacques, 83 ; préfecture de police, 233n ; prévôt, 154n, 155n, 157n, 357 ; prévôté, 156n, 161n ; prieuré de Saint-Martin-des-Champs, 151 ; rue Beaurepaire, 236 ; rue du Cygne, 236n ; rue Grenéta, 236n ; rue SaintDenis, 236n ; rue Saint-Martin, 236n ; Sainte-Chapelle, 134 ; université, 235 ; vicomté, 144, 161n. Parisse (Michel), 298n. Paschoud (François), 273, 282n. Pasquier (Étienne), 321n. Pasquier (Théodore), 321n. Passau, 291, 296. Patruinus, gouverneur, 273. Paul « la Chaîne », 283, 284. Payen (Fernand), 369.

410

INDEX

Pays-Bas, 186n, 200n, 203, 206, 215. Pentadius, notaire, 277. Perben (Dominique), 377. Perès (Jean-François), 351. Périgord (sénéchal), 42n. Pernot (Laurent), 378. Péronne, 49n, 187n. Perrichet (Lucien), 60n. Peschant (Jean), 236n. Petiot (Marcel), 372 et n. Petit (Jean), 235. Petit-Clamart (Le), 370. Philibert Paillart, 76. Philippart de Branchon, 204n. Philippart, clerc de Jean Loysset, 191n. Philippe II, roi d’Espagne, 338, 339. Philippe III, roi d’Espagne, 337n, 346. Philippe IV, roi d’Espagne, 336, 346. Philippe Auguste, roi de France, 133. Philippe III le Hardi, roi de France, 38, 136, 138, 312. Philippe IV le Bel, roi de France, 33, 134, 135, 143, 145, 148, 312. Philippe V le Long, roi de France, 137, 142, 143, 312. Philippe VI, roi de France, 36 et n, 137, 144, 312. Philippe le Bon, duc de Bourgogne, 181n, 184, 188, 203, 206. Philippe Bégot, 159n. Philippe d’Évreux, roi de Navarre, 36n. Philippe de Fumalle, 188n. Philippe Dex, 174, 176. Philoctète, 289. Phrygie, 284. Phrynicos, tragédien, 281. Picénum, 273. Picquigny (vidame), 63n. Pierre III, roi d’Aragon, 338. Pierre Aurillet, 77. Pierre d’Étampes, 134, 135. Pierre d’Orgemont, 77. Pierre de Blanot, 56n. Pierre de Bourges, 135, 139-141. Pierre de Cerisay, 141.

Pierre de Fresnes, 157n, 158n, 160. Pierre de L’Esclat, 140. Pierre de La Rose, 142. Pierre de Trompères, 186n. Pierre Dreue, 309. Pierre du Buz, 77. Pierre Du Lion, 307. Pierre Le Guiant, 157n, 158n. Pierre Lempereur, 75. Pierre Naudet, 79. Pierre Reguillon, 173, 174. Pierre Richart, 72. Pierre Valvomérès, préfet de la Ville, 273, 282, 284. Pierre Yerpens, 203n. Pierrechon Brabant, 203n. Pierrechon Saset, 203n. Pietro Baldo de Ubaldis, dit Balde, 321n, 342. Piret de Lonoy, 195n. Pithou (Pierre), 84, 90 et n. Plancher (Antoine), 262. Ploich (Le) (bâtard), 76. Poincignon Baudoche, 172. Poisle (Jean), 329, 330. Poisson, charpentier du parlement de Paris, 102. Poitiers, 139, 140, 144, 306 ; parlement, 88n. Poitou, 146 ; sénéchal, 36n ; sénéchaussée, 36n. Pontoise, 154. Porres (Garcia de), 347. Portaceli (chartreuse), 340. Portocarrero (Pedro), 336. Portocarrero de Guzmán y Luna (Cristobal), 336. Portugal (famille), 338. Pouilly-sur-Saône, 293, 295. Poumarède (Jacques), 305. Poyet (Guillaume), 322. Pramiral (seigneurie), 263. Prétextat, préfet de la Ville, 278-280, 285, 286. Prévenier (Walter), 170n, 179, 187n, 200n.

INDEX

Proche-Orient, 16n, 19n. Procope, usurpateur de l’Empire, 284. Prost (Auguste), 164n, 166, 167, 169n, 178. Provins, 328 ; curé, voir Haton (Claude). Prüm (abbaye), 127n. Puivinage, 78. Puy-de-Dôme (archives départementales), 53n. Querrieu (seigneur), voir Gérard de Querrieu. Quimper (régaires), 257n. Quintilien, 348. Ra, fils de Lu-Igishasha, 28. Ramos del Manzano (Francisco), 346. Raoul, fils de Richard le Justicier, 293 et n. Raoul de Clermont, 59n. Raoul Richart, 72n, 75. Ratisbonne, 187n, 291, 296. Ravaillac (François), 242. Ravenne, 125. Rebuffi (Jacques), 315. Récamier (Juliette), 373n. Regnaudin de La Chapelle, 74, 78. Regnoust (Martin), 236 et n. Reichenau (formules), 123n. Reims, abbaye Saint-Remi, 48n ; archevêque, 34n, 48n. Religieux de Saint-Denis, 152. Rellec (abbaye), 257. Remacle le Petit, 203n. Remigius, 285. Renaud de Sens, 77. Retz (forêt), 52n. Reulos (Michel), 308n. Rhône, cour d’assises, 376 ; département, 254. Ribadeneyra (Maria de), 344. Richard Ier, roi d’Angleterre, 134. Richard le Justicier, duc de Bourgogne et comte d’Autun, 293 et n. Richer (François), 97, 98, 100. Ringuier (Pierre-Ignace), 215. Robert III d’Artois, 36n.

411

Robert Damas, 53n. Robert de Hames, 60n. Robert de Namur, 187. Robert (Anne), 331, 332. Rochelle (La), 331. Rolland (Nicolas), 83. Rollant, voir Jean de Flonne. Romanus, comte, 285. Rome, 140n, 271, 273, 274, 277-279, 281, 282, 284, 285, 287 ; basilique de Jules, 278 ; basilique de Libère, 286 ; basilique de Sicinus, 278, 279, 286 ; basilique Sainte-Marie-Majeure, 278 ; catacombe de Sainte-Agnès, 278 ; église Sainte-Agnès, 287 ; église Sainte-Bibienne, 279 ; église SaintPierre-aux-Liens, 275 ; Esquilin, 278 ; évêque, voir Libère ; Fagutal, 275 ; Latran, 278, 286 ; Oppius, 275 ; Palatin, 280. Rouen (Conseil), 139. Roussignole (Jeannette), 232. Royaumont (abbaye), 77. Ruiz (Gaspar), 345. Sabbah (Guy), 272, 273. Sagonne (comte), 357, 361, 362. Sagonne (comtesse), 362. Saint-Allyre (abbaye), 33n. Saint-Benoît-sur-Loire (abbaye), 46n. Saint-Bonnet, château, 64n ; seigneur, 53n, 64n. Saint-Christophe (cour seigneuriale), 257, 258n. Saint-Denis (abbaye), 77, 121n. Saint-Gall (abbaye), 296 et n. Saint-Georges (abbaye), 257. Saint-Illide (prieuré), 54n. Saint-Jean-de-Bort, 56n. Saint-Omer, 209, 212. Saint-Pol (comte), 49n. Saint-Quentin (prévôt), 47n. Saint-Ulmer (abbaye), voir Samer. Salomon, laïc du diocèse de Freising, 300, 301, 302.

412

INDEX

Salverda de Grave (Jean-Jacques), 172. Salzbourg (archevêque), voir Arn. Sambre, 190. Samer (abbaye), 48n. Samsu-ditana, 24n. Samsu-iluna, 30. Sandei (Felino), 317n. Santillana (Luzia), 344. Sañudo (Juan Francisco), 347. Saône, 293. Saquespée, 78. Saragosse, 309, 340. Sartre (Jean-Paul), 289. Sauvagnat-Sainte-Marie, 77. Savoye (sieur), voir Pithou (Pierre). Schneider (Jean), 172. Scythopolis, 284. Séguier (Antoine), 82, 321, 330. Séguier (collection), 323. Séguier (Pierre), avocat du roi au parlement de Paris, 322. Seine (cour d’assises), 372. Sénéchallière (La) (baronnie), 257. Sénèque, 341, 343. Senlis, 88n ; bailli, 33n ; bailliage, 34 et n, 35, 39n ; évêque 34n. Sens, 68n, 121n, 131 ; évêque, voir Frodebert, Importun ; formules, 121n, 130, 131. Serenianus, 283. Serpillon (François), 364. Shamash (dieu), 22, 23, 29, 30. Shamash-hâzir, 16 et n. Shu-sin, 28. Silvanus, 283. Simon, prêtre du diocèse de Freising, 301. Simon de Fumalle, 194n. Simon le Gronnais, 172, 176 et n. Simon Morhier, 160n. Simplicius, vicaire, 287. Sîn-hâzir, 30. Sîn-iddinam, fils de Sîn-hâzir, 29, 30. Sîn-ilî, 24. Sîn-ishmêshu, 30.

Sippar (Mésopotamie), 16, 22, 23, 30 ; gouverneur, 30. Sirmium, 283. Sixte Quint, pape, 88. Socrate, 373n. Soissons (évêque), 322. Solares (Gabriel de), 347. Soman (Alfred), 242. Soto (Fernando de), 347. Spifame, 328. Spire, 165n. Stavisky (Alexandre), 372. Stockholm (bibliothèque royale), 314n. Strayer (Joseph), 39n. Suares (Francisco), 341. Suárez (Francisco de), 343. Sûmû-la-El, 22, 29. Sur-nigin-gara, 29. Symmaque, 275, 276. Syrie, 270n. Tacite, 340, 343. Tagaperht, 297. Tarente (lois), 270n. Taurus, préfet du prétoire, 274. Tello (Irak), 17. Tertullien, 274. Théodosien (Code), 124, 125, 276. Thérouanne (évêque), 37n, voir Jacques de Boulogne. Theveneau (Nicolas), 331. Thiébaut Ier, duc de Lorraine, 169. Thierry Bonnant, 192n, 194n, 200n. Thomas Du Clerc, 210. Thomas Vaning, 77. Thou (Jacques-Auguste de), 82. Thouart, 203n. Ti-emahta, 28, 29. Tierne, 78, 79. Tillenay, 293, 294. Tinières, 57n. Tissette (Jeanne), 230. Tolède (archevêque), 336, voir Portocarrero (Pedro). Toulouse, 217, 309, 314, 376n ; archevêque,

INDEX

306 ; sénéchaussée, 39n ; parlement, 36n, 57n, 218, 219, 222, 306, 307, 310 et n, 311, 312, 317, 318, 351, 382 ; sénéchal, 40n ; université, 307. Touraine, 255n, 257 ; bailli, 36n ; bailliage, 36n. Tournai, 47n, 257. Tours, 36n, 83, 84 et n, 85, 88n, 90 et n, 126 ; bailliage, 356 ; formules, 121n, 127 ; généralité, 255n ; parlement, 89, 91n ; présidial, 355, 356. Touvier (Paul), 376. Trèves (formules), 123n. Trévoux (dictionnaire), 5-7. Tripolitaine, 285. Troyes, 69 ; Grands Jours, 70. Tukulti-kânum, 29. Tyr, 283. Ubâriya, 30. Ur (empire), 16n, 17, 18, 22. Ur-baba, 28. Ur-Dumuzi, 27. Ur-Enlil, 27. Ur-Ishtaran, 29. Ur-kisal, 28. Ur-lama, 29. Ur-Namma, 21 ; Code, 21n. Ur-Nanshe, 28. Ur-nigar, 27, 28. Ur-nigin-gara, 29. Ur-Ningishzida, 29. Ur-Ushul, 27. Ur-Utu, 16, 24n, 27. Ure-badu, 29. Ursicinus, maître de la cavalerie, 276. Ursinus, usurpateur de l’Empire, 277279, 283, 285-287. Uta-mansum, fils de Sîn-iddinam, 29. Vair (dame), voir Isabelle de Châtillon. Valence (Espagne), 340. Valenciennes, 210, 212-214, 216. Valens, empereur, 271, 278, 282, 284, 285.

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Valentinien Ier, empereur, 271, 277, 278, 280, 282 et n, 284-286. Valentinien III, empereur, 271. Valladolid, 342. Vallière (La) (duché-pairie), 255, 257, 258, 262 et n, 264. Valmaseda (Ana de), 344. Valois (famille royale), 136-138. Vanin, 78. Vantoux (ban Saint-Martin), 173. Var (département), 254. Varennes (sieur), voir Hervé de Varennes. Vedelli (M. de), 230. Vellenes, 199n. Venise (Mercanzia), 320. Verlaine (Paul), 369n. Vermandois (bailliage), 39n, 47n. Verneuil (bailliage), 39n. Véron, avocat, 372n. Vettius Agorius Praetextatus, 277. Viala (André), 316. Viau (Théophile de), 242. Vibert (Anne), 371. Vicquemare (sieur de), 330. Vic-sur-Seille, 178n. Villain (Raoul), 370. Villar (Juan de), 347. Villard (Pierre), 256n, 257n, 260. Villars (bois), 46n. Villefranche-sur-Saône, 264. Vincent (Simon), 307. Viollet (Paul), 151. Virius Nicomaque Flavianus le Jeune, 270. Viventius, préfet de la Ville, 286. Vulcacius Rufinus, préfet du prétoire, 284. Wailly (Jérôme de), 354 et n. Waitz (Georg), 298n. Walo, voir Gales. Walon, abbé de Saint-Arnoul de Metz, 299. Walstra (Gerardus Joannes Josephus), 119n. Wauthier Clichet, 188n, 195n. Weidmann (Eugen), 372 et n.

414

INDEX

Wetzlar, 165n. Wignacourt (Charles de), 215. Worms, 165n. Yasilum, 30. Ysabeau, greffier civil du parlement de Paris, 246. Yvelines (cour d’assises), 376. Zeumer (Karl), 121 et n. Zink (Anne), 264. Zurita (Jerónimo), 340.

TABLE DES MATIÈRES

Introduction par ISABELLE STOREZ-BRANCOURT...................................................

5

PREMIÈRE PARTIE ENREGISTREMENT : ÉCRIRE ET DÉCRIRE

Écriture et archivage des procès en Mésopotamie par SOPHIE DÉMARE-LAFONT..........................................................

15

Les archives du Parlement au temps des Olim : considérations autour de fragments d’un rôle de 1287 par OLIVIER CANTEAUT..................................................................

31

Le Manuale de Nicolas de Villemer par PHILIPPE PASCHEL....................................................................

67

Le greffe du parlement de Paris à la fin du XVIe siècle : quelques opérations d’autocensure par SYLVIE DAUBRESSE...................................................................

81

Le greffier en tant qu’exécuteur : parole rituelle et mort sans cadavre (Paris, XVIIeXVIIIe siècle) par PASCAL BASTIEN.......................................................................

93

416

TABLE DES MATIÈRES

Du casier judiciaire aux fichiers de police : la mise en mémoire des données en matière pénale par CAMILLE VIENNOT................................................................... 103

DEUXIÈME PARTIE CONSERVATION : HOMMES ET INSTITUTIONS

Le greffier durant le haut Moyen Âge : quelle réalité ? par ALEXANDRE JEANNIN............................................................... 117 Brève histoire des origines médiévales du greffe du parlement de Paris par MONIQUE MORGAT-BONNET..................................................... 133 Naissance d’une mémoire judiciaire : les débuts de la « clergie » du Châtelet de Paris (vers 1320-vers 1420) par JULIE CLAUSTRE....................................................................... 151 La mémoire judiciaire à Metz à la fin du Moyen Âge : la conservation des jugements des maîtres-échevins par VIRGINIE LEMONNIER-LESAGE.................................................. 163 Le prince, le maire, les échevins et les clercs, acteurs de la mémoire judiciaire et urbaine. Le cas de la Haute Cour de Namur au XVe siècle par ISABELLE PAQUAY..................................................................... 181 Un acteur de la mémoire judiciaire urbaine : le conseiller pensionnaire dans les villes du Nord de la France (XIVe–XVIIIe siècle) par FRANÇOIS ZANATTA.................................................................. 207 Le labyrinthe des greffes du parlement de Toulouse, pivot de la pratique à l’époque moderne (1550-1778) par GUILLAUME RATEL................................................................... 217 La mémoire de la prison: les greffiers de la Conciergerie (Paris, fin XVIe siècle-mi XVIIe siècle) par CAMILLE DÉGEZ...................................................................... 233

TABLE DES MATIÈRES

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Sauver les archives, défendre le roi : la remise en ordre des registres du Parlement d’après les papiers du procureur général Joly de Fleury par DAVID FEUTRY......................................................................... 245 Greffes et greffiers des justices seigneuriales au XVIIIe siècle par FABRICE MAUCLAIR................................................................... 253

TROISIÈME PARTIE EXPLOITATION ET MÉMOIRES CONCURRENTES

Ammien Marcellin : l’historien et la « mémoire judiciaire » à la fin du IVe siècle après J.-C. par HÉLÈNE MÉNARD.................................................................... 263 « Qui perd gagne ». La place de l’honneur dans la mémoire judiciaire aux IXe-Xe siècles par LAURENT JÉGOU....................................................................... 283 Mémoire judiciaire du parlement de Toulouse : le projet de Corpus parlamenteum d’Étienne Aufréri (fin du XVe siècle) par PATRICK ARABEYRE.................................................................. 299 Écrire la justice hors le greffe : la mémoire judiciaire dans la ville, à Paris, au XVIe siècle par MARIE HOULLEMARE................................................................ 313 Naissance d’une mémoire judiciaire d’État : l’œuvre du juriste Francisco de Melgar et la junte royale du Bureau en 1695 par OLIVIER CAPOROSSI.................................................................. 329 Les conséquences juridiques de l’erreur de plume devant le parlement de Paris sous Louis XV par LOUIS DE CARBONNIÈRES.......................................................... 345 L’éloquence : histoire muette d’une autre mémoire judiciaire, des lendemains de la Seconde Guerre mondiale à nos jours par ÉMELINE SEIGNOBOS................................................................ 361 Conclusions par FRANÇOISE HILDESHEIMER........................................................ 375

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉS...........................................................................................

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INDEX ONOMASTIQUE.........................................................................

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IMPRESSION, BROCHAGE

42540 ST-JUST-LA-PENDUE DÉCEMBRE 2009 DÉPÔT LÉGAL 2009 N° 200912.0040

IMPRIMÉ EN FRANCE

Si dans la mythologie grecque Clio est bien fille de Mémoire, une histoire de la mémoire judiciaire procède, à l’inverse, de la mémoire à son histoire, de l’Antiquité à nos jours. Associant archivistes, historiens, historiens du droit et juristes, ce volume met l’accent sur les questions d’enregistrement et de mémoire directement induites par l’activité des juges et des tribunaux. De l’écriture aux hommes qui tiennent la plume, de la production des actes aux lieux et aux aléas de leur conservation, de la mémoire judiciaire à ses usages ou à son utilité, trois points de vue convergents sont ainsi privilégiés pour explorer une question aux fortes implications contemporaines : la mise par écrit des actes de la vie judiciaire, la conservation pour « mémoire » des actes, enfin l’exploitation de cette mémoire institutionnelle pour l’écriture de l’histoire et l’apparition éventuelle d’autres formes, parallèles ou concurrentes, de mémoire de la vie judiciaire.

Sommaire : ISABELLE STOREZ-BRANCOURT, Introduction. — SOPHIE DÉMARE-LAFONT, Écriture et archivage des procès en Mésopotamie. — OLIVIER CANTEAUT, Les archives du Parlement au temps des Olim : considérations autour de fragments d’un rôle de 1287. — PHILIPPE PASCHEL, Le Manuale de Nicolas de Villemer. — SYLVIE DAUBRESSE, Le greffe du parlement de Paris à la fin du XVIe siècle : quelques opérations d’autocensure. — PASCAL BASTIEN, Le greffier en tant qu’exécuteur : parole rituelle et mort sans cadavre (Paris, XVIIe-XVIIIe siècle). — CAMILLE VIENNOT, Du casier judiciaire aux fichiers de police : la mise en mémoire des données en matière pénale. — ALEXANDRE JEANNIN, Le greffier durant le haut Moyen Âge : quelle réalité ? — MONIQUE MORGAT-BONNET, Brève histoire des origines médiévales du greffe du parlement de Paris. — JULIE CLAUSTRE, Naissance d’une mémoire judiciaire : les débuts de la « clergie » du Châtelet de Paris (vers 1320-vers 1420). — VIRGINIE LEMONNIER-LESAGE, La mémoire judiciaire à Metz à la fin du Moyen Âge : la conservation des jugements des maîtres-échevins. — ISABELLE PAQUAY, Le prince, le maire, les échevins et les clercs, acteurs de la mémoire judiciaire et urbaine. Le cas de la Haute Cour de Namur au XVe siècle. — FRANÇOIS ZANATTA, Un acteur de la mémoire judiciaire urbaine : le conseiller pensionnaire dans les villes du Nord de la France (XIVe–XVIIIe siècle). — GUILLAUME RATEL, Le labyrinthe des greffes du parlement de Toulouse, pivot de la pratique à l’époque moderne (1550-1778). — CAMILLE DÉGEZ, La mémoire de la prison: les greffiers de la Conciergerie (Paris, fin XVIe siècle-mi XVIIe siècle). — DAVID FEUTRY, Sauver les archives, défendre le roi : la remise en ordre des registres du Parlement d’après les papiers du procureur général Joly de Fleury. — FABRICE MAUCLAIR, Greffes et greffiers des justices seigneuriales au XVIIIe siècle. — HÉLÈNE MÉNARD, Ammien Marcellin : l’historien et la « mémoire judiciaire » à la fin du IVe siècle après J.-C. — LAURENT JÉGOU, « Qui perd gagne ». La place de l’honneur dans la mémoire judiciaire aux IXe-Xe siècles. — PATRICK ARABEYRE, Mémoire judiciaire du parlement de Toulouse : le projet de Corpus parlamenteum d’Étienne Aufréri (fin du XVe siècle). — MARIE HOULLEMARE, Écrire la justice hors le greffe : la mémoire judiciaire dans la ville, à Paris, au XVIe siècle. — OLIVIER CAPOROSSI, Naissance d’une mémoire judiciaire d’État : l’œuvre du juriste Francisco de Melgar et la junte royale du Bureau en 1695. — LOUIS DE CARBONNIÈRES, Les conséquences juridiques de l’erreur de plume devant le parlement de Paris sous Louis XV. — ÉMELINE SEIGNOBOS, L’éloquence : histoire muette d’une autre mémoire judiciaire, des lendemains de la Seconde Guerre mondiale à nos jours. — FRANÇOISE HILDESHEIMER, Conclusions..

ISBN 978-2-35723-004-0 Prix France 28 €