Une vie de cité : Paris de sa naissance à nos jours. III, La spiritualité de la cité classique, Les origines de la cité moderne (XVIe-XVIIe siècles) [3]

Marcel Poëte (Doubs 1866–Paris 1950) is not an unknown figure. He is often considered one of the major personalities of

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French Pages 579 [586] Year 1931

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Une vie de cité : Paris de sa naissance à nos jours. III, La spiritualité de la cité classique, Les origines de la cité moderne (XVIe-XVIIe siècles) [3]

Table of contents :
1: Vers la cite classique. L'esprit qui souffle
40: L'empreinte. L'education classique.
97: A la croisee des routes ou le conflit religieux
297: La cite mystique
364: Le Jesuite dans la cite
369: La formation du pretre moderne
372: Le desaccord modern des ames
378: La religiosite de la cite monarchique. Le couvent et le monde. La Parisienne selon Dieu
381: Le couvent dans la ville
388: La geographie conventuelle de Paris
459: L'esprit montain de la cite classique

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RIGINES DE LA CITÉ MODERNE (Ye siècles

Le Louvre vu de la rive gauche, vers

;

;

AUGUSTE

82, RUE

PARIS

PICARD,

BONAPARTE, 1931

1650.

:

ÉDITEUR VI°

© UNE VIE DE CITÉ | PARIS

: SA NAISSANCE A NOS JOURS II PIRITUALITÉ DE LA CITÉ CLASSIQUE LES ORIGINES DE LA CITÉ MODERNE (XVI-XVITe .

: ÉDITIONS :

A. PICARD, 1931

PARIS :

AVERTISSEMENT

L'objet

du

présent

volume

a besoin

d’être

expliqué.

Dans l’étude d’une vie de cité, nous sommes parvenus aux temps classiques et c'est à Pesprit classique qu est consacré

ce volume. J’admire Ja hardiesse des techniciens actuels de l'urbanisme qui, dans l'application de cette science à une ville, considèrent avant tout le dehors des choses, comme si la considération des habitants, qui forment la ville, ne s’im-

posait pas au préalable. C'est à travers ceux-ci qu'il faut regarder la ville, au lieu de l’observer simplement du point de vue des pleins et des vides qu’elle découpe sur le sol. Pour comprendre une cité, 1l importe d'en connaître d’abord

la population.

Or

celle-ci est composée non seulement

de corps, mais encore d’âmes, et la cité classique est précisément un fait d'âme, autrement dit un ‘ait de culture intellectuelle et morale. Une telle cité trouve son explication dans des données immatérielles. Celles-ci ont déterminé la forme des hôtels, palais et églises, le caractère et le

tracé de lieux de promenade comme le jardin des Tuileries et le Cours-la-Reine, la majestueuse création des ChampsElysées, l'ordonnance de la place Royale ou des Vosges et celle des places des Victoires et Vendôme, ou encore fait naître, en un autre poiut de la périphérie de Paris, l'imposant ensemble des Invalides, car c’est autour de la cité

médiévale qu'a pris corps la cité classique.

vi

du

AVERTISSEMENT

Et cette dernière nous hp : les

sous les traits de la cité ées plus haut se

cents la euenre royale, notre des l'œuvre du souverain et les deux autres servent sa statue, tandis que voici, aux Invalides, une tion différente de sa gloire. Sous les auspices

Vosges est à Ad manifestaroyaux, la

science revêt au Jardin des simples, aujourd'hui Jardin

des plantes, l'aspect d’une promenade que hante le beau monde, ou s'offre, en une campagne qu’animent des roues

de carrières et des ailes de moulins à vent, dans la majesté de

l'Observatoire.

Paris

s'oriente

sur l’entrée du

Louvre,

que viendra décorer la Colonnade : c’est à l'Est, à côté de la Bastille, que s'ouvre, dans le rempart,

la première porte

triomphale et c’est dans cette même direction, sur la place actuelle de la Nation, qu'est entreprise la construction de

Parc de triomphe à la romaine, commémorant les victoires de Louis XIV — élément de décoration lié originellement auxentrées de villes. Le changement de mentalité qui s’est

opéré nous est révélé par la

simple opposition de saint

Louis, apparaissant dans l'auréole de la Sainte-Chapelle, et de Louis le Grand, déifié sur la place des Victoires. Cité monarchique, la cité classique pratique la dévotion

envers le souverain en qui s’identifie la nation qui se forme; elle subit en même temps les influences de l'esprit de Cour, dont elle tire la mondanité qui régit les relations sociales. Sa spiritualité est faite à la fois de cela, de la culture grécolatine dont la population instruite est imprégnée et d'une religiosité évoluée, si on la considère par rapport au moyen âge. Cette religiosité est le fruit de l’esprit de réforme religieuse, qui souffle depuis le xiv° siècle et qui, après avoir donné

naissance au protestantisme, a produit, par un effort

de rétablissement que marquent les luttes pour la pue

ce qu'on a appelé la Contre-Réforme. On ne saurait suivre trop attentivement

la donnée

reli-

gieuse. Celle-ci est, pour la ville, au moral, ce qu'est la donnée économique, au physique. Toutes deux sont égale-

|

AVERTISSEMENT

Be

NI

ment à la base

de l’être urbain.

Mais la première, qui, au

passer

collectif au plan

individuel.

moyen âge, emplissait l'âme, n’y occupe plus, à l’âge suivant, la même place. Son action tend de plus en plus à du plan

La

raison

ne

cesse d'accroître son empire au préjudice du sien, où l'esprit philosophique et la sentimentalité, au xvrn siècle, porteront leurs ravages et que la science, au xix° siècle,

envahira à pas de géant. Ainsi s'explique la composition de ce volume. En outre, l’étendue donnée à cette partie de l'ouvrage est justifiée par l'importance de ces matières. Nous sommes ici aux

origines de la cité moderne, qui s’est prolongée jusqu’à nos jours. L'homme de ma génération qui a reçu l’éducation

classique dans un collège religieux est à la source de son être moral. Parvenu à la vieillesse, il atteint sans peine,

par delà les lointains de l’enfance, ce fond d’horizon où se

dessinent les traits naïssants de l'âme moderne. Il éprouve quelque chose de l'émotion qu'on ressent à discerner, sur un vieux portrait de famille, sa propre image tout embrumée par les ans. De la masse flottante des souvenirs,

émergent des paysages méditerranéens, où les fables antiques mettent des coulées d’or. Ou bien, c’est la prodigieuse vision des guerres médiques, avec, au fond, le rocher dévasté de l’acropole et, au premier plan, la mer souriante de Salamine,

à moins

que ne

surgisse

aux yeux,

sur les

collines romaines et dans les dépressions qui les séparent,

la ville indomptable que menace Annibal. Ce sont des leçons

de patriotisme et d’orgueil civique. C’est la clameur retentissante de la gloire ou, magnifié, l'amour de la liberté. C'est la tragédie ou la comédie humaine, toute la gamme

des sentiments, tout le jeu des idées, en d’immortels chefsd'œuvre. C’est l’homme élevé au-dessus de soi-même, ou dans l'humilité de sa misère. La classe ou l'étude : des têtes

attentives à l'explication d’un auteur de l’antiquité grecque

ou romaine, ou penchées sur le thème ou la version, le discours latin ou le Thesaurus poeticus lingux latinæ,

VII

AVERTISSEMENT

tandis que d’autres vagabondent à la suite d'une mouche

bourdonnant dans la chaleur de l’été, ou sont tournées vers le ciel changeant que découpe la fenêtre. La prière, au

matin, dans la chapelle et, le soir, à l'étude, avec le défilé des images par quoi.s'expriment les perfections de la Vierge. La prière tout au long de la journée, depuis la bénédiction matinale à Dicu, au saut du lit, jusqu’au signe de croix après lequel se ferment les yeux, dans la paix du dortoir. Outre le chapelet des heures du jour, celui des jours de l’année, avec l’impressionnante succession des fêtes religieuses, dans la chapelle parée. C'est encore la rétraite annuelle, une semaine blanche comme pour accueillir Dieu, le conflit intérieur entre le païen, formé à l’école de l’antiquité, et le chrétien à qui s'adresse le prédicateur.

Tout cela ne se retrouve-t-il pas déjà dans la cité clas-

sique?

Ces impondérables

servent à expliquer

Paris, corps

et âme. Le rôle de l'esprit en soi est demeuré très grand au xvur siècle : il n’est que de considérer ce qui se rat-

tache, dans la ville, à l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau. Puis, au cours du xix° siècle, Paris entre dans l’ère du

machinisme. La science multiplie ses progrès. Ses applications pratiques, de plus en plus nombreuses, suscitent de véritables transformations économiques et sociales. Les nouveaux tracés urbains, les constructions qu'on élève

apparaissent comme les effets de la technique renouvelée. Ce sont des causes matérielles qui agissent avant tout et c'est vers la ville standardisée que les découvertes scientifiques, qui tendent à rendre le monde uniforme, semblent entrainer le destin de Paris, où une commune foi religieuse a engendré la communauté d'âme de la cité médiévale, puis où, sous l’action d’une élite, l'esprit a réalisé l’harmonieuse création de la cité classique. Mais les merveilles de la

science ne sont pas moins émouvantes que la projection de la lumière classique sur le sol urbain et l’on imagine une autre sorte de beauté,

sous l'aspect d’une cité sociale à édi-

fier à la périphérie de l’ancienne cité princière.

nente des guerres Ne au La féerique par les contemporains —— de Paris

e du moyen M.

P.

âge.

EVIÈVE DE PARIS.

OU LE PARNASSE

A Forée du Peti-Pont, qui marque son point essentiel lattache au reste de Paris, l'Université étale le lacis de ses Hues étroites où les collèges, qui sont « la maison des muses, leur Hélicon et Parnasse et la forteresse de Pallas », dressent, sombres bâtisses médiévales, accompagnées de cours le fantôme du savoir antique, tout au long ‘ès ou jadis, la vigne étagée mürissait au soleil. accentuer encore les traits du an ' la haute flèche de l'église Sainte-Genepaysage, at den _ viève. Les quatre Ordres mendiants : Jacobins, Cordeliers, _ Carmes et Augustins, qui ont pris place sur cette rive, ont contribué à lui donner son aspect, si différent de celui de la rive opposée où se manifeste l’activité marchande et où règne le roi, double élément essentiel de croissance urbaine dont Jaction- directe se trouve limitée à ce côté du fleuve par le cours d’eau Ru La pauvreté, qui est leur lot, les a . empéchés de jouer le rôle des anciens établissements reliLe

Ï

sol den cité, que latrace de a de Re ne “: n Nulle partie de la ville actuelle ne leur doït son origine, alors que des quartiers sont nés des abbayes de Sainte-Geneviève

+ de Saint-Gcermain-des-Prés ou du prieuré de Saint-Martin

des-Champs. Sur la terre où fleurissent les collèges, les Ordres mendiants sont une autre floraison, qui s'accorde à la précédente. ue sous cette double forme, a mis là son / empreinte. Au sortir de la voûte re du Petit-Châtelet, la GrandeRue-Saint-Jacques, laissant, à droite, la rue de la Huchette, d’où se dégage le fumet des rôtisseries, et, à gauche, la rue de la Bücherie, qui s’allonge vers le Pavé de la place Mau bert et a donné asilé aux écoles de médecine, dessine, sur le sol montueux, la nette découpure de son ruban, paré de la - frange d’or de l'idéal : à l'Est, c’est Saint-Julien-le-Pauvre, dont une ruelle la sépare et qui semble se faire humble pour rapprocher dé la terre le rêve gothique, c'est, au coin de la. rue des Noyers, la chapelle Saint-Vves, puis, plus haut, lenclos de la commanderie de Saint-Jean-de-Latran, flanquée, au Midi, des collèges de Cambrai et de Tréguier, ce sont ensuite les collèges du Plessis et de Marmoutiers, enfin l’église Saint-Étienne-des-Grès, au coin de la rue du même nomque bordent les collèges de Lisieux, de Saint-Symphorien et de

Montaigu où des Capettes; à l'Ouest, c’est une succession

d églises ou de couvents : Saint-Séverin, les Mathurins, qu’ accompagne, dans la rue du Foin, le collège de Maitre Gervais Chrestien, Saint-Benoit, les Jacobins. C’est une pullulati d’établi ts di tion, notam«ment dans la partie la plus élevée de la Montagne-Sainte-Geneviève, où, sur le sol fangeux de ruelles haut bâties et dont les rues actuelles Laplace, Lanneau, d'Écosse et Ghartière sont une pitforesque survivance, se détachent les collèges . des Écossais et des Grassins, le long de la rue des Amandiers (aujourd'hui rue Laplace), ceux de Fortet et de la Merci,

dans la rue des Sept-Voies (aujourd’hui rue Valette), celui de

J e, au coin de cette dernière rue :e Cai.- des Die Huit et de sine 2 la

, de Prémontré, de Dain-

Boissy, d’Autun.

rue Bordelle (aujourd'hui rue Descartes) le collège de Boneourt, ayant d'atteindre la rue snte-Geneviève, que bordent, dans sa partie s de FAve-Maria et de Navarre (aujourd'hui nique). Celle-ci, passant ensuite devant le Marche, à droite, dévale vers la place Maubert, srce, qu’elle atteint, après avoir laissé, de Laon et les Carmes (à l'emplacement dece nom) En face de ces derniers, voici e Presles, est contigu, au Midi, celui de dent la. chapelle borde, encore de nos jours, la rue -Beauvaus. A quelques pas de là, en montant, les

de déerétne sont pas éloignées de la petite église Saint-

ire, pelotonnée, vec son humble cimetière, au eoin de la : es Sept-Voïes vers la rue d'Écosse, en un endroit dénommé

ont

-

:

a

|

Saint Hilure. qui se confond en partie avec le Clos-

u. Lie puits Certain s’y offre en un étroit carrefour, e coteau.… 1 =

à,

:

:

4

VERS

LA CITÉ CLASSIQUE

Au pied de la hauteur, le collège de Cornouailles met sa note bretonne dans la rue du Plâtre, tandis que le collège de Saint-Michel, au long de la rue de Bièvre, n’est pas loin des degrés par lesquels on descend au fleuve, entre les maisons qui s'entassent sur la rive et forment comme une tache de lèpre en face de la splendeur de Notre-Dame. À l'Est, le . collège des Bernardins, dont il subsiste actuellement, dans la rue de Poissy, le réfectoire, dessine, en un vaste enclos, une imposante silhouette, entre l’église “paroissiale SaintNicolas-du-Chardonnet et ces deux autres collèges par quoi la ville finit de ce côté : le Cardinal-Lemoine et les BonsEnfants. En pendant à ces derniers établissements, Le, col lège d'Arras, dans la rue du même nom, au Midi de la porte Saint-Victor, est pareillement à la limite du rempart. 2, —

LE DÉVELOPPEMENT

DE L'INDUSTRIE

DU

LIVRE.

Une cité d'étude : telle est la rive gauche, où libraires, imprimeurs,: marchands de papier, relieurs voisinent avec maîtres et écoliers. Les parcheminiers demeurent fidèles à la Parcheminerie, qui, au Midi de Saint-Séverin, marque d’une ride expressive le quartier latin de nos jours. Quant aux libraires et imprimeurs, leur centre d'action est la docte rue Saint-Jacques, à laquelle ils contribuent, autant que les collèges limitrophes, à donner son caractère d’artère essentielle de l'Université. En 1571, cette rue, dans sa partie occidentale comprise entre la rue des Mathurins (rue du Sommerard) et la rue des Poirées (à la hauteur de l'église actuelle de la Sorbonne), compte huit libraires et deux imprimeurs et, dans sa partie orientale, depuis la rue des Noyers (boulevard Saint-Germain) jusqu'au college du Plessis (bâtiment septentrional du lycée Louis-le-Grand), dix libraires et quatre imprimeurs: Voici, à la même date, dans la rue Saint-Jean-de-Latran, qui séparait de la commanderie de ce nom, au Nord, les collèges de Cambrai et de Tréguier (Collège de France actuel), au Midi, quatorze libraires,

offre avec cinq imprimeurs, ns libraires de caractères et qu'à la rue des Carmes sont i deux imprimeurs, i deux relieurs et un De même, en 1571, la rue Chartière renferme deux - relieurs, un imprimeur, qui est au et un laveur de livres, et la rue du MontD ridés se voient en l'actuelle rue s de quatorze Hbraires, sur ee la

:

dd. des Amandiers, de É rue Judas, qui relie cette

e

des Carmes, “

le TEE

qui se retrouvent à l” Ouest

remet

qui de

dans la rue de la Harpe.

rapproche, dans la Cité, le Palais, qui tire du comlivres une grande part dé son activité marchande, es rues Neuve-Notre-Dame et de la Juiverie ét si. otre Dame, on aura tracé, pour le xvr° siècle, les 2lles d'une topographie commerciale à l’origine| comme pour l'Université, ont été les. écoles du

jasses où allées et d’où les cloches des Le. et des ges égrenaient sur ce Parnasse leurs notes discordantes. Ie est l'humilité de ce réseau de voies, qui se ressent du psoù les clos de vignes morcelaient le coteau, qu'un docu-

RE

pisse

F4

is

6

VERS LA CITÉ CLASSIQUE

k

ment d'archives, du xvr° siècle, qualifie de grande rue la rue des Sept-Voïes, qui n’est qu'une modeste voie locale. C’est dans le cadre du moyen âge et à des âmes médiévales que la Renaissance se révèle. Le travail des métiers intellectuels bat son plein. Le régent, dans sa chaire, fait entrevoir aux écoliers la beauté antique et si d'aucuns, distraits, laissent fuir leurs regards vers l’espace libre que découpe la fenêtre, d'autres n’ont d’yeux que pour les prestigieuses images qui surgissent à leur esprit et, loin de prêter l'oreille aux bruits familiers de la rue, écoutent le concert des voix intérieures. Le libraire, dans sa boutique, l'imprimeur, à sa presse, ne chôment pas. Mel imprimeur ou relieur est aussi libraire, Méme l'imprimerie se développe tellement qu’en 1539, elle fait naître le premieren te sans doute, des conflits sociaux causés par le machinisme, à Paris. Les maîtres Ch de livres de cette ville avaient ébé amenés, parl des des et la commerciale, à ne de plus en plus les apprentis, qu’ils ne payaient pas, au détriment des compagnons ou ouvriers, qui touchaïent un salaire. Le prix de revient du produit et, par suite, son prix de vente se trouvaient ainsi abaïssés. Le régime de Pindustrie les favorisait : limprimerie, tard venue, avait pas été coulée dans le moule médiéval de la corporation, qui réglementait la production et limitait notamment le nombre des apprentis. « Ge n’est point métier — dans le sens de corporation — que l'imprimerie et n°y fait-on aucun chefd'œuvre », est-il énoncé dans un aete, où l’on ajoute que la pratique en a toujours été franche et libre. Il ya seulement, en cet art, une « forme et manière de vivre entremise et accoutumée depuis Cent ans ». Les ouvriers, ainsi lésés et que nous savons avoir été en grand nombre, formèrent entre eux . une confrérie, sous les traits de laquelle nous apparaît l’action syndicale naissante : « par monopole et voie indirecte », ils ont décidé de ne pas travailler avec les apprentis. Ils se lient par un sérment, en exigent un des apprentis sur qui, èn

lent « hors des De ces pure SE en ville,

US

de leurs por

à

:



e»; autrement dit, ils sont. D

mes "HAT A là pu prendre autant

en outre que lesuns banquet, à l’occasion de. a sortie ou pour une autre

demandent que les compa-

prise, sans faire « aucuntric», leurs patrons, s'ils sont cause de ces ; derniers, de formes typographiques ou de | de travail. Hs | pourront, en cas d'urgence, faire terd'autres lPimpression commencée, sans s’exposer Pour cela, la besogne abandonnée. Il leur sera loi“ assorür lesdits compagnons en leurs ouvrages ne Bis le jugeront bon. Aux veilles de fêtes, les jourremplies jusqu'au bout, sans que les ouvriers pourle lendemain, jour où les maitres ne seront s d'ouvrir leursi imprimeries, sinon « pour faire quel chose préparative et légère », en vue du travail ultérieur. Il ny aura, pour les éompagnons, d’autres fêtes que _ celles prescrites par l'Église. Les maîtres leur paieront des “2e mensuels ct les nourriront comme de coutume. Ces gages et dépenses «commenceront, quand la presse commencera à besogner ebfmiront, quand ladite presse cessera ». C'est, comme on le voit, la machine qui règle la vie de ouvrier. Si un compagnon veuts’en aller, après que l’ouvrage - aura été achevé, il devra en avertir le maître huit jours

;

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L-

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MERS LA CITÉ CLASSIQUE

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À

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ue sfu que celui-ci et les camarades de travail du partent «se puissent pourvoir ». Un ouvrier de mauvaise vie, Cest-à-dire mutin, blasphémateur ou ne faisant pas son devoir, pourra étre remplacé par les soins du maître, sans que, pour cela, les autres laissent l’œuvre commencée. Les maitres, demandent qu'il leur soit interdit de se prendre, les uns aux autres, apprentis, compagnons fondeurs ei correcteurs. Pareillement les imprimeurs et libraires ne devraient pès s'approprier les marques les uns des autres, mais ch«cur : d'eux devrait avoir sa marque propre. Siles maitres impri- . meurs de livres en latin ne sont pas assez instruits pour faire les corrections nécessaires, il faut qu'ils aïent des correcteurs. suflisants. Et. comme le métier de fondeur de caractères est .connexé à celui d’imprimeur, tout ce qui précède s'appliquera aux compagnons et apprentis fondeurs, qui, en outre, seront tenus d'achever les fontes qu'ils auront commencées et travailleront, chaque jour, de cinq heures du matin à huit heures du soir au moins, temps fixé par une coutume ancienne. Telle est la ee présentée par les maîtres imprimeurs au roi, qui en a rendu la teneur exécutoire par des lettres du 31 août 1539. Mais un certain nombre d'ouvriers s ’opposent à leur publication et s’efforcent de continuer la lutte, « tenant les maîtres imprimeurs en plus grande sujétion, captivité et crainte qu'auparavant, les injuriant et menaçant tant en publie que en privé, troublant leurs maisons et familles et faisant discontinuer le train de lPimprimerie ». De nouvelles lettres royales, de la même année, prescrivent la publication et V’enregistrement des précédentes. Ces mesures complémentaires reçoivent enfin leur exécution, qui nee ne met pas fin à l’agitation. Les compagnons veulent obtenir la limitation de nombre des apprentis. Ils « ont recommencé — est-il signalé ! dans un acte de François [*, du 19 novembre 1541 — à faire d’autres plus grands monopoles, insolences et batteries », ce qui en à conduit plusieurs en prison; ils empéchent de tra=

ee

EMENTATION DE il faut cinq hommes parpresse, ils savent bien, 1e, s'ils obtiennent que les apprentis soient us ou trois, ils vendront plus cher leur propre plus fort de la besogne et « par commune intellis abandonneront leurs maîtres, pour se « faire encore

core

:

à

grandes

prières

» et

«

extorquer

»,

plus élevé, « comme ils ont fait ces jours pasde présent ». Et Le souverain de maintenir e NES LE apprentis. Ceux-

après la prononciaouvrage, pour faire quelque

aux ouvriers, de même que

pement semblableà celui qui les avait liés les uns pour résister aux maîtres. Le salaire des compafixé à 18 livres tournois par mois et ils cessèrent S par les maîtres, qui durent en conséquence les caractéristique du mouvement de la Renaisdun tel conflit qui montre, par le déveloprie du livre, l'essor intellectuel en ce » s'encadre du panorama de la MontagneSiège de l’Université, à laquelle se rat: nemprum ms. libraires et relieurs. Des arrêts, sentences »eË autres décisions dés premières années du xvir® siècle marquent quel localisation essentielle de ces gens de . métier est en l'Université et, de façon plus précise, au-dessus de Saint-Vyes, Soit en ce Clos-Bruneau ou sur ce MontSaint-Hilaire qui nous Sont apparus comme la terre d'élection de l’industrie du livre, parmi la végétation touflue des

ette : industr deu prospère, car il est question premiers temp s du xvn siècle, du « nombre

+3. — L'ENSEIGNEMENT DES LECTEURS ROYAUX. ne : ee C'est en étroite connexion qu'il faut observer les phénosnènes urbains : la localisation intellectuelle propre à la Monfagne-Sainte-Geneviève, le caractère de voies eomme la rue de ce nom et la rue Saint- -Jacques «qui correspondent aux chemins d'Italie et sont en même temps bordées de collèges et de librairies ou d’imprimeries, le souflle spirituel qui se fait sentir jusqu’au faubourg Saint-Marcel, à travers lequel. la grande route d’outre-monts déroule $on ruban, l'institution des lecteurs royaux en 1530, l’intense production iypographique que révèle Le conflit des patrons et ouvriers imprimeurs ton 1520 Pagitation du quartier des études vers le milieu du xvi siècle, le mouvement de la Pléiade et l’œuvre théâtrale ; de Jodelle dans le cadre d’une telle cité, l'entrée, à l'antique, ‘de Henri EI à Paris en 1549, les manifestations d'art et la poussée d’ahsolutisme royal de ce temps, enfin l'action sociale de ferments nouveaux dans la ville des derniers Valois, . L D . la Montagne-Sainte-Geneviève LL un éclat. plus vif de cette nouveauté : des lecteurs en cette langue grecque « sans laquelle, écrit Rabelais, ©’est honte que une personne se die sçavant », en hébreu, en séiences mathématiques, choisis et payés par François [*, font un enseignement que n'a pas modelé l'Université eb qui ne s'inspire que des données scientifiques. C'est comme le point d’aube du libre examen et de la laïcité, dans un domaine où ' l’Église, depuis le moyen âge, régnait souverainement. Aussi bien les idées de la Renaissance, qu'un tel enseignement représentait, ne pouvaient-elles pas plus entrer dans le moule . médiéval que l’industrie propre à ce temps nouveau et pour

RÉATION

DES LECTEURS

ROYAUX

. En particulier, la Grèce antique rouvrait ses pensées et de sentiments sur ce vieux mont, parmi drue des églises, des couvents et des collèges domifleuve enserré par les constructions et voilé de. Date essentielle de l’évolution urbaine, si Pon songe, la semence ainsi déposée, à la future moisson, à fonts lévéra dans les âmes des hommes et s’exprimera ‘sur onomie de la ville. en 1521 François l° avait manifesté l'intention de enseigner le grec en un collège quil se proposait , à ceteftet, à l'hôtel de Nesle et où il y aurait eu une elle, pourvue de quatre chanoines et de quatre chapelains. “encadrement religieux de la culture antique qui renaît dans la note du temps. Mais ce dessein ne fut pas réalisé ans

après,

l’enseignement

de l'hébreu et des. a

du

grec

venait

constituer,

« press os

2 de latine en 1534, avec un seul on parce gue « estoit plus traictée par tous les collèges », et de médecine, en 1542. Le souverain projeon, à cet usage, d'un, collège en l'Université. 5 FM par un compte des-années 1538 et 1539, 5 les plans au maître des œuvres Pierre £ -, dit des Trois-Langues, devait s'élever Fhôtel de Nesle ou aux environs, en \ sur la nouvelle institution en avant ne le desséin, ordonnant le lieu, Tédifice. le revenu, Tordre, la manière des lecteurs, le nombre des escoliers et comme une insigne escolle pour nourrir la noblesse de France ». Ramus, qui fournit ce renseignement, ajoute qu'il a entendu le feu roi Henri II « deviser du collège de son père et dire. qu'il le feroit tout ainsi, voyre plus magnifique » et supplie Catherine de Médicis d'élever _ cet édifice. Ce dernier toutefois ne verra le jour que plus tard. _ Les lecteurs royaux durent se contenter, pour enseigner, Hi

42

VERS

LA

CITÉ

CLASSIQUE

locaux d'emprunt et, plus particulièrement, des collèges de Gambrai et de Tréguier. * Enfin, D nc de ceux-ci, Henri IV entreprit, en décembre 1609, d'édifier le Collège Royal ou ‘Gollège: de France. Trois corps de Hénin encadrant une cour et mesurant, celui du fond, destiné aux logements, 39 mètres de long sur 6"50 de large et ceux des deux ailes, affectés aux salles de cours, pareillement chacun 39 mètres de longueur Sur 7280 de largeur, s’élèveront, jusqu'à l’entablement, à une hauteur de 11"70 Ces deux derniers seront reliés, en bordure de la rue, par un mur de clôture, percé d’un portail en son milieu. L'édifice, en brique et pierre, aura deux étages, ÿ compris le rez-de-chaussée, avec, sur les murs regardant la cour et la rue, deux ordres, superposés, de pilastres accouplés, entre lesquels seront des arcades, au rez-de-chaussée et des fenêtres rectangulaires, à l'étage supérieur. Entre les lucarnes de la toiture, règnera, à hauteur d'appui, une petite muraille où, au droit de chaque pilastre, seront des piédestaux supportant des boules. Le mur de clôture de la cour, sur larue, recevra la même décoration que le rez-de-chaussée du bâtiment. L’adjudication des travaux, ainsi spécifiés, eut lieu le 5 avril 1610. La première pierre fut posée par Lejeune Louis XIIT,le28août. « Des trois costez — écrit Du Breul dans son Théâtre des antiquitez, publié en 1612 — il y en a desjà un bien advancé et disposé pour couvrir, qui est à la place i du vieil collège de Tréguier, qui a esté abbatu pour cet effet, » De cette année-là précisément, est datée une gravure de G: Chastillon, représentant le Collège Royal, tel qu'il a été conçu sous le règne précédent. Seul toutefois lun des trois bâtiments, destiné à l’enseignement, fut construit. .Maïs qu'importait le corps, quand l'âme était là, palpitante et rayonnante ? Si les lecteurs du roi n’ont point « d’auditoire qui soit à eux », ainsi que l'écrit Ramus, s'ils «se servent, par manière de prest, d’une salle ou plustost d'une rue, les uns après les autres », si leurs leçons sont « subjectes à estre importunées et détourbées par le passage des crocheteurs.

ENSEIGNEMENT

DES LECTEURS

ROYAUX

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et lavandières et autres telles fascheries », leurs paroles n’en ont pas moins une haute signification et une grande portée. Billes tombent dans un milieu où l’ardeur de vivre ne le cède qu'à l'ardeur d'apprendre. Est-ce Paris ou n'est-ce pas plutôt le centre intellectuel du monde que nous révèle, en 1520, une lettre où Agostino Giustiniani, chargé, dès 1518, par François [*, d'enseigner l’hébreu dans cette ville, fait surgir à nos yeux cet émouvant spectacle : une studieuse « qui, de tout l’univers, conflue là à l’envi »? N'est-ce rien que ces rassemblements, que l’on peut entrevoir dans le lointain des âges, devant d’humbles billets en latin, affichés dans les carrefours et lieux publics de l'Université? On y lit qu Agathias Guidacerius, professeur royal, poursuivra le lendemain, à la septième heure, au collège de Cambrai, l'explication des Psaumes et que, mardi, à la deuxième heure, l’un de ses jeunes élèves commencera à enSeigner l'alphabet hébreu et la grammaire de Moïse Rinitius, enfin que les livres nécessaires sont en vente chez Christian Wechel, à l’'Écu de Bâle. Ou bien, c’est François Vatable, protesseur royal d’hébreu, qui annonce qu'il continuera lundi, à une heure de l'après-midi, l'interprétation des Psaumes, tandis que Pierre Danès, professeur royal pour le grec, fait Savoir.que, Le même jour, à la deuxième heure, il commenera à expliquer, au collège de Cambrai, Aristote, que l’on peut sé procurer, imprimé avec le plus grand soin, chez Antoine Augereau, à l'enseigne de saint Jacques, rue SaintJacques. Woïci, d'autre part, Paul Paradis, interprète royal des lettres hébraïques, qui informe le public studieux que, lundi, à la dixième heure, il reprendra par le commencement l'étude de la grammaire de Sanche Pagnini dont il a fait déjà, peu de jours auparavant, l’objet de son enseignement; il expliquera aussi les Proverbes de Salomon, au collège des Mrois-Évêques (ou de Cambrai); les livres se trouvent en vente chez Gourmont. Et la Faculté de théologie de s’émouvoir. Elle s'élève contre ces « particuliers, simples grammairiens ou rhétoriciens, non ayans estudié en Faculté » et qui, au

VERS LA CITÉ. CLASSIQUE risque de corrompre la foi, traitent en public de la Sainte Écriture. Le Parlement est saisi, en janvier 1534, de l’en-\ seignement dont témoignent ces affiches et qui échappe à Pautonité traditionnelle de la Faculté de théologie. . Ces cours, mdépendants, sont par surcroît gratuits. Ramus, doyen des professeurs du roi, se montre, en 1567, indigné quun de ceux-ci: ait eu l'audace d'exiger de chacun de ses élèves un teston. Certes, « il y a eu jusqu'icy, au collège du roy, de grandes povretez. Nous avons ‘attendu un an, deux ans, trois ans, quatre ans, sans recevoir aucun gage: Jamais toutesiois ne se trouva lecteur du roy qui print jamais un seul denier des escoliers, pour la lecture royalle ». Joignons que « les plus doctes personnages de l'Europe » ont été appelés à donner cet enseignement. Et nous ne nous étonnerons pas de voir, en ce temps où le soufile de la Renaissance vivifie la Montagne-Sainte-Geneviève, une foule studieuse se presser au pied des chaires royales. C’est Ramus lui-même qui, parlant de sa lecon d'ouverture en 1551, signale qu'il y eut une telle presse d'auditeurs que plusieurs d’entre eux, à demi asphyxiés, durent être emportés hors de la salle. L’auditoire était, selon lui, de deux mille personnes, et c’est ce même nombre d’écoliers qu'il nous indique pour la première lecon d’un de ses collègues qui expliquait Aristote, mais qui, mauvais professeur, ne se trouva plus ensuite en présence que de treize pauvres galoches. Quelle que soit l’exagération du chiffre, on n’entrevoit pas moins une assistance nombreuse à ces cours nouveaux que pénètre notamment grecque

renaissante,

cette

culture

qui

permet

de

4

la eulture

remonter à la source ayant fécondé le génie latin. Voici la chaire de philosophie, occupée par un homme qui énseigne la philosophie en grec. Que vaut, en face de celui-ci, tel intrigant qui se pousse à cette hauteur et dont Ramus dit, en 1567, qu'il « avoit leu, par l’espace de vingt-deux ans,.… la philosophie en latin et avoit je ne sai quelle routinerie de collège, sans aucune littérature grecque »? Parmi ces maisons grimpantes, qui surplombent d'étroites

ne

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Dune,

DES ESPRITS PAiLeS et où

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ses le bonillonnement de Dubois dit Sylvius,

au collège de

devenu

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le De

urne, des horizons nouveaux se Navarre abrite, durant peu de mois, songeuse de Ronsard que nous retrouvons en 1544, KR, dans la maison de faubourg où Lazare de . &étte « lumière françoyse », enferme ses délassed'humaniste raffiné. En cette maison, sise « sur les entre les portes de Sainet-Victor et Saïnet-Marcel », rue actuelle du Cardinal-Lemoine, du côté de la rue Victor ou des Boulangers, Je jeune poëte vient s'initier aux leltres grecques et développer. sa culture latine ! de Jean Dorat, que Lazare de Baïf à choisi pour être Précepteur de son fils Jean-Antoine. Et c’est, durant cinq Does Sous ce maître admirable qui est tout grec et tout : l'émerveillement de la découverte dans un monde d'idées Frs l'enchantemént causé par la révélation de la: uté grecque, une de ces aventures d'âme comme il en venait alors au long de la Montagne-Sainte-Geneviève dt mt les effets sur lés hommes et sur la ville n’ont pas été ndres que ceux des lomtainés pérégrinations ayant ouvert,

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VERS LA CITÉ CLASSIQUE

dans le même temps, à l’activité humaine de nouvelles voies et de nouvelles terres. Ces « richesses » que renferme le Prométhée d'Eschyle, au dire de Ronsard qui vient d'en. entendre la lecture « de plain vol » par Dorat et, enthousiasmé, reproche à son maître de ne pas le lui avoir fait connaître plus tôt, ou telles autres, tirées pareïllement d’auteurs de l'antiquité grecque, ont-elles exercé moins d'action sur l’évolution urbaine que celles provenant des mines d’or et d'argent du Nouveau Monde ? Ainsi Ronsard suce, comme il dit, « le laict savoureus » de Dorat qu'en fidèle disciple, il suit, en compagnie de JeanAntoine de Baïf, quand le maitre passe de la maison de Lazare, mort en 1547, au collège de Coqueret dont il devient le principal. En ce dernier lieu, les jeunes gens demeurent et Bail évoquera plus tard ce temps : \ « Quand c'est que, mangeant sous Dorat d'un même En même chambre nous veillions, toi tout le soir, Et moi, devançant l'aube, dès le grand matin ».

pain,

Quoi de plus expressif qu'un tel tableau, en ce coin montueux de Paris où, dans l'humble collège qui, entre deux boyaux de rues, se fond dans la nuit ou se détache sur la grisaille du matin, Ronsard, formant son génie à l’école ‘de l'antiquité, auditeur de Turnèbe en même temps qu'élève de Dorat et habitué, par son séjour à la Cour, à veiller tard, étudie jusqu’à deux heures après minuit, puis, avant de se coucher, réveille Baïf qui le remplace auprès de la chandelle et penche à son tour sa tête studieuse sur les textes anciens, source d’une vie nouvelle? i Dans ce modeste collège en façade sur la rue Chartière et dont la cour, par derrière, s'étend vers la rue d'Écosse, il Y a un monde enclos, les grandes ombres que Dorat, « réveil de la science morte », fait surgir des auteurs grecs et dont il peuple l'imagination ardente des écoliers, « amoncelés » au pied de sa chaire, il y a, selon le langage de Ronsard, des âmes qui courent au-devant de cette révélation des temps

confondus. IBauteur d’un éloge funèbre. brülant alors du désir des lettres lèvres du maitre et buvant avidene sil voulait étancher une soifinex1 qui exhibe comme enseigne, sur une tête de saint Jean, se presse, pour où des lettrés du dehors voisivivant sous le même toit que dernier serasdevent, en 1559, lec-

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us

:

4

?

unebelle journée d'été pet Dorat, roue et aussi des armes, car les 5 et sans bruit, à travers les rues cn a gagné la sortie de Paris toute proche, puis = Eubourg et atteint bientôt la campagne où

sule

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son cours sinueux. L'on se hâte, pendant

estencore dans les bras de son espoux », afin eur du soleil et lon agrémente d’espiégleries s Files prés que voilent les vapeurs

:

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42

branche d'un saule Ja peau d’un coq ». L'enchantement de heure ea 2 aux sut Cependant, on s'avance. Vel s’en va, comme Silène, 5 sur un âne. Les papillons, dans la lumière, mettent le æ deleur vol et Ronsard, qui en poursuit un, bute contre cp de vigne et s'étale « bedaine sus la plaine ». On a chepar la prairie où la grisaille des saules ponctue de teintes 1 bord des «eaux jazardes» et voici que la vallée se

: Ne 4

48

|

VERS LA CITÉ CLASSIQUE

_ creuse «entre deux tertres bossus » et qu'apparaît un double. arc, à demi ruiné, reste de l’aquedue romain, € qui emmure le murmure de deux ruisselets moussus ». C’est Arcueil ou plutôt quélque site antique, familier aux dryades, aux païades, aux satyres et aux faunes « front-cornus ». Là, un gai repas sur l'herbe met, sur ce fon@ divin, sa note réaliste, puis, dans le jour déclinant, la voix de Dorat s'élève, célébrant, en une ode latine improvisée, la fontaine d’Arcueil et _ces lieux qui baignent dans la lumière d’or de la mythologie grecque. On se rapproche pour écouter ce « chant si doulx », qui ravit Ronsard et le transporte loin du monde, là où sont -les âmes de Pindare et d'Horace. Que ne peut-on arrêter le soir qui tombe? Mais il faut rentrer, « demy-soulez de pla sir » et, dans la lumière de plus en plus voilée du couchant qui s’efface, on se hâte vers Paris, avec la secrète tristesse que laisse dans l’âme un beau jour écoulé. Ainsi le souffle .d’humanisme, venu de la Montagne-SainteGeneviève, passe sur cette partie de la banlieue parisienne où Binet, le biographe et ami de Ronsard, nous montre ee poëte, quand il est à Paris, allant se réjouir avec ses amis ou composer en paix ses vers, soit à Meudon, où les bois. mettent leur tache sombre au-dessus du ruban d’argent de la Seine, soit à Vanves ou à Saint-Cloud, soit encore à Gentilly ou à Arcueil, dans un paysage que la Bièvre et les fontaines, chères aux Muses, emplissent de fraicheur. Le paganisme et l'italianisme s'expriment dans la Grotte de Meudon, comme les divinités des eaux parent de leurs formes exquises. la fontaine des Innocents. Notre poëte se plait à évoquer l'antique vie des champs sur ces collines des bords du fleuve, d’où l’on découvre au loin Paris, « la grande ville ». A Arcueil, voici de nouveau la Brigade, en 1553 : elle y célèbre, aux jours licencieux du carnaval, le succès que vient de remporter Jodelle par sa tragédie de Cléopätre. Quoi de plus. approprié à une telle fête qu'un bouc qu'au moment où va commencer le repas, la joyeuse bande offre à Jodelle, cou) ronné de lierre? L’animal, qu'a enfourché Ronsard, s’avance,

19

e, la barbe peinte, parmi aussi des vers que l’on

j

vices qui foisonent dans promener, tels Dorat et

criant sous ta fenêtre, t’emMuse et que, le soir, quelque

> qu'on porte à la voirie

endu Sur une civière. ou à celle de Gentilly que le Nicolas Ellain invite, en l'un de ses sonnets 1561, ses amis à se rendre « pour refraichir solstice æstival ». À son Saint-Marceau — comme gnant uns: endroit où il habite — il convie Grévin ‘avec Ronsard, Belleau et le savant gantois Uytenhove, ‘échapper à l’ardente canicule, Là, du moins, le matin 2

20

VERS LA CITÉ CLASSIQUE

souffle le zéphyr, puis, de ce lieu, on peut gagner Gentilly, pour y diner près de la fontaine; de retour, le soir, on soupera « dessoubz quelque verdure ». Surtout, on aura du vin frais. Là, il sera aisé à Grévin d’ « arboriser » et Ronéard pourra commodément « charpenter son navire ». \ Le montueux faubourg Saint-Marcel, « qui Hopote en salubrité sur la ville », est également chanté à propos de la maison que Dorat, devenu propriétaire, habite hors de la porte Saint-Victor, à l'enseigne de la Fontaine et qui est «hospitalière aux Muses ainsi qu'à ceux qui les aiment et propre à recevoir les élèves du maître demeurant à Paris ». Là, fréquentent notamment Ronsard, Antoine de Baïf, Remi Belleau, JacquesAuguste de Thou. En ces parages, entre la porte SaintVictor et La porte Saint-Marceau, sur le fossé, à l’Image Notre-Dame, séjourna, en 1584, l'humaniste allemand Melissus. La maison qu'il occupait était voisine de celle d’Antoine de Baïf, à l’enseigne du Chapeau Rouge, attenante elle-même à deux corps d'hôtel, à l'enseigne de l’Ange, contigus, d'autre part, à la rue Neuve-des-Boulangers et acquis par ce poëte, ayec cour au milieu, puits mitoyen et deux jardins derrière. Melissus célèbre la demeure de Baïf, consacrée à la poésie, le verger que Ronsard a rempli du bruit de ses vers, ces lieux où Dorat, le père des poëtes, a fait résonner sa lyre. Îl y a, en ces faubourgs Saint- Victor et Satan el comme un prolongement de la vie de l’esprit au delà du rempart enfermant la cité des études. Ce an le marque encore, ce sont les librairies et imprimeries qu'on y trouve, surtout dans le second de ces faubourgs, qui l’emporte de beaucoup, à cet égard, sur les autres. De fait, le cœur de Penseignement est dans la région que traversent ces voies essentielles: la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, qui correspond au grand. chemin de Lyon et d'Italie, et la rue Saint-Jacques, qui mène aussi au delà des Alpes. en même temps qu'aux châteaux royaux de la Loire et en Espagne. La place Maubert, où aboutit la: première de ces. voies et que

LE GERME DU CLASSICISME lande, bordée par la vieille église Saint-Julien-lerelie à la rue Saint-Jacques, est le carrefour par de l'Université, un lieu de rencontre, de marché plice. Là, a été brûlé vif, le 3 août 1546, l'humanne Dolet, aceusé d'athéisme. En ce point, concourants de vie qui viennent battre le pied de la du bûcher. À a:



LE

GERME

DU

CLASSICISME.

stations pour le ni passionné qui de travers les souvenirs de la cité passée. L'une

£

sans ee doute, le collège de Coqueret où Dorat,

RE > — comme ue Scaliger — a formé jeunes ‘hommes en qui s’est incarnée la Pléiade nr Vu î Lie et de Baïf,

pour Arnoul lAngelier, ni lier de la grand'sale du nn

bou-

. Il s'y discéerne comme un grecs et latins « nous ont est que de les et lumière

ÆHorice

dans la

Fueillete, . main nocturne et

greez et latins ». Que

ce dernier

Jeux Floraux de Toulouse ou au Puy es poésies françaises, telles que rondeaux,

Sr chants royaux, chansons et compose, en vulgaire, des épigrammes à limitation de Martial, des s à l'exemple d'Ovide, de Tibulle et de Properce, des

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22

VERS

LA CITÉ CLASSIQUE

odes «‘incongnues encor’ de la muse françoyse », des églogues à la manière de Théocrite et de Virgile. Les meilleurs auteurs latins ne sont-ils pas ceux qui ont imité de plus près les Grecs? Que l’auteur français, dès lors, s'efforce de rendre aussi exactement que possible « la phrase et manière de parler latine; en tant que la propriété de l’une et l’autre langue le voudra permettre ». Qu'il traite pareillement le modèle grec et ainsi se répandront sur notre langue « les fleurs et fruictz de ces riches cornes. d’abundance greque et latine ». Et voilà marqués, d’un trait précis, Le destin de notre littérature classique et de l’art qui y correspond ainsi que l'étape de la cité classique, dans l’évolution urbaine. ‘De telles idées, qu’on peut rapprocher de celles qu'exprimait Cicéron, lorsqu'il défendait sa langue maternelle contre le grec envahissant, étaient dans l'air. Déjà Dolet, en 1540, quoiqu'il n’eût cessé de faire « profession totalle de la langue latine »,:avait « célébré » sa langue maternelle, suivant l'exemple des Grecs et des Romains dont les écrits n’élaient pas en un idiome étranger. Il observait que, de même qu'il avait fallu plusieurs auteurs pour « réduire la langue grecque et latine en art », ce ne serait que peu à peu, « par le moyen et travail des gens doctes », que la langue française atteindrait le degré de perfection des précédentes et cesserait de passer pour barbare aux yeux des étrangers. Et le livre où ces idées sont énoncéesa eu, antérieurement à l’année 1549, cinq éditions. Semblablement, Ronsard avait, en composant ses premières odes, vers 1543, mis en pratique le précepte formulé plus tard par Joachim du Bellay, mais auparavant et dès 1545 par Jacques Peletier. En 1550, Guillaume des Autelz, allant plus loin encore dans la voie ainsi. tracée, rejette en principe limitation d'autrui; il demande seulement au poëte français d'être « parfaitement familier aux bonnes lettres et aux bons auteurs ». La Defence, toutefois, occupe une place prééminente : elle est en soi un manifeste et d'autant plus marquant qu'il a été suivi des œuvres retentissantes de la Pléiade.

LE

GERME DÜ | CHASSICISME

(228

nie d’avoir le premier, onde les Mines France et mis dans leur bouche le langage franus lui, « à terre se traînoit sans ordre

dit Ii-même en 1578, Latin. Ces deux langues

K nôtre: il est impossible, s Peletier en 545, de bien parler cette der_ de l'écrire correctement, si on ne connaît pas les ntes ou au moins le latin. Révenant sur ce sujet en un Discours qui a été À publié en 1587, Ronsard conseille done d'apprendre le grec et le latin, voire l'italien et l'espagnol, puis, quand on les saura parfaitement, de composer en français, car c’est un crime. « d'abandonner le langage de son pays, vivant et florissant, pour vouloir déterrer je ne Sçay quelle cendre des anciens ». . Comment un « latineur », qui a appris à l’école, à coups de _ verges, la langue que les grands auteurs de l’antiquité parlaient naturellement à leurs valets, nourrices et chambrières, peut-il avoir la prétention d'être lu? Ce qu'il dit ne parait . « que le cry d’une oye, au prix du chant de ces vieils cygnes ». On n’a pas plus le désir de lire ses écrits que de sentir un bouquet fané. Sans l'usage qu’en fait l'Église, il y a longtemps que le latin se serait évanoui, « comme toutes choses humaines ont leurs cours ». On ne harangue plus les empereurs niles sénateurs romains et une telle langue ne sert qu’à « nous truchemanter en Allemaigne, Poloigne, Angle-

* VERS

LA CITÉ CLASSIQUE

. ». Ainsi Ronsard s’est de plus en plus affranchi, avec son siècle, du joug de l'antiquité. L'évolution de la ville a accompagné Le des esprits, de l’art et de la langue, suivant le principe excellemment dégagé par Joachim du Bellay, quand il écrit que Dieu « a donné pour loy inviolable à toute chose créée de ne durer perpétuellement, mais passer sans fin d'un état en l’autre, étant la fin et corruption de l’un le commencement et génération de l'autre ». À l’âge où règne l’humanisme succèdent celui où se marque une réaction contre le fétichisme de l’antiquité et où les anciens sont pillés au bénéfice des modernes, puis celui où l’œuvre précédente s’épure, où léquilibre s'établit entre notre génie-national et les apports gréco-latins et où tout se fond däns l’harmonie du classicisme. Les deux premiers âges partagent. à peu près également le xvi° siècle et le troisième s'ouvre avec le siècle suivant. ' Aux temps de Louis XII et de François I‘, l’âme de ceux qu'éclaire la Renaïssance se colore du reflet de lantiquité, de même que l'édifice, dans la ville, se pare à la mode italoantique: comme l'Italie à été le lieu de la révélation, l'inflüence de ce pays s’ajoute à celle qu'exercent, du fond des siècles écoulés, la Grèce et Rome. Paris commence alors à revêtir les traits propres à la cité gréco-romaine du monarque ou à la cité italienne du prince, précisément au moment où se dessine la formation nationale. Au cadre médiéval qu'est celui de l’ancienne demeure des rois : l'hôtel Saint-Paul où VPhôtel des Tournelles, s'oppose le rayonnement naissant du Louvre des Valois. La gloire, suivant la donnée de l’antiquité, la gloire, «seule échelle par les degrez de laquele les mortelz;, d’un pié léger, montent au ciel et se font compaignons des dieux » — comme dit magnifiquement Joachim du Bellay — s’'introduit. parmi les sentiments qui font agir les hommes eb va ainsi marquer de son empreinte la capitale roÿale; en attendant que nous en saisissions les effets dans le Paris de la Révolution et de l’ Rs et jusque dans celui de nos jours. ;

2

le milieu du xvr° siècle, un cent se. . pour iler les éléments étrangers, en même temps que la qui lutte, pour son existence, contre la Maison d’Auprend de ‘plus en plus conscience d'elle-même. Un: re combattive, comme la Defence de Joachim du est significatif. Non seulement la langue française, par les néo-latins, est remise en honneur et s'ouvre nétration des formes gréco-latines, maïs encore l'art, S'orne la ville, tend à s'élever de Fimitation à Pipspira_du modèle antique.’ La fontaine des Innocents de Goujon, qui s'offre aux Parisiens en 1549, et Les quatre emièrs livres des Odes de Ronsard; qui ont vu le jour en mvier 1550, sont étroitement apparentés et il n’est pas malaisé de discerner des traits de l'architecture classique lans certains décors de la rue, pour l’entrée solennelle de : : Henri II à Paris, en juin 1549. Les naïades du sculpteur ne’ sont-elles pas, sous le voile grec, de belles dames de ce temps, telles qu’on en voit passer, avec la parure de là mythologie, dans les vers du poëte? Le « vulgaire », comme dit Joachim du Bellay en. parlant de notre langue, pas plus que le gothique finissant, ne pouvait exprimer/la pen sée moderne. Il lui fallait comme une transfusion de sang, sous la forme des apports gréco-latins, base de la culture propre à l’êre nouvelle et qui se manifeste à la fois dans’ l'art en général ou appliqué à la ville et ht. le Rae : même de cette dernière. Au mouvement dirigé contre oies courant du latin comme langue Httéraire, vient s'ajouter, dans la seconde moitié du xvi* siècle, une autre action défensive française, visant l'influence italienne qui n’a fait que croître dans notre pays et notamment à Paris : modes, civilité, art, jardins de palais ou de châteaux, théâtre, éducation de la noblesse, fortifications urbaines, industries de luxe, commerce de l’argent, diffusion du crédit témoignent de cette pénétration grandissante; la langue italienne est apprise par la classe cultivée ou élevée. Henri Estienne, dans sa Precellence du, ; j

VERS LA CITÉ

CLASSIQUE

langage françois, en 1579, marque que ce dernier doit l’emporter sur le précédent qu'il ne classe qu’au second rang, immédiatement avant l'espagnol. Ces données contribuent à expliquer Paris, qui bénéficie du nouveau rôle littéraire attribuéà la langue française. N'est-ce point au « langage de Paris » qu'est, suivant Henri Estienne, assignée la première place parmi ceux des diverses cités du royaume? Paris s’achemine vers sa destinée, qui est d’être le centre, à tous égards, de l’unité française alors en formation. L’ère moderne s'annonce. Joachim du Bellay observe que, si le temps employé à l'étude des langues grecque et latine l'était à celle des sciences, celles-ci progresseraient comme dans l'antiquité et le siècle verrait naître des Platon et des Aristote. Mais, au lieu de cela, on consume sa jeunesse « en ce vain exercice »; bien plus, celle-ci écoulée et comme si l'on regrettait d'être parvenu à l’âge d'homme, on redevient enfant et, pendant vingt ou trente ans, on ne fait autre chose qu’apprendre à parler grec, latin ou hébreu. Et cet auteur ajoute que ces langues sont haïssables, si l'affection qu’on leur porte empêche de procurer à la nôtre « la fleur et le fruiet des bonnes lettres », car on a plus « besoïing du vif intellect de l'esprit que du son des paroles mortes ». Que n'a-f-on traduit jadis en français les préceptes des arts libéraux? — remarque, de son côté, Antoine Foclin, en 1555. On pourrait maintenant parvenir aisément « à la parfaite connoissance des choses », alors qu’on ne saurait y prétendre, la meilleure part de la vie étant employée à l'étude des langues étrangères. « Nous aurions maintenant, en notre république, des Socrates et Platons en divinité de tout sçavoir, des Aristotes et Zénons en subtilité d’esprit et asseurance de bon. jugement, des Démosthènes et Cicérons en éloquence. » El ne faut pas dire — reprend Joachim du Bellay — que lespr it des modernes est inférieur à celui des anciens. Certes l'architecture, l’art de la navigation et les autres inventions qu'on doit à ces derniers sont admirables, mais pas telles pourtant, si l’on considère la nécessité, mère des arts, qu'il

LE GERME

DU CLASSICISME

27

faille inclure en elles tout ce que la nature est capable * d’enfanter. Et notre auteur cite, à l'appui de ce qu'il avance, l'artillerie et l’imprimerie, sans parler de tant d’autres inventions qui ne remontent pas à l'antiquité. Pareillement, l'humaniste Budé écrit que les siècles récents ont produit des choses inouïes, auxquelles l’antiquité, malgré toute son ingéniosité, n’a jamais songé et telles que la poudre à canon et L'art d'i imprimerie. Le progrès par la science, ce progrès qui servira à jalonner, à partir de la seconde moitié du xvin* siècle, l’évolution urbaïne, s'offre iei comme un horizon que Von commence à découvrir et qui, au fur et à mesure qu'on avance, s’élargit jusqu'à embrasser l'immensité sans fin. L'invention qui tue, comme l'artillerie, due à une «suggestion diabolicque », agit au même titre que celle qui vivifie, comme l'imprimerie, née d’une« inspiration divine ». L'œuvre de mort est aussi, à sa manière, une œuvre de vie. Ea Montagne-Sainte-Geneviève s’est révélée à nous la nourrice qui à allaité Ronsard, suivant sa propre expression, du lait du savoir, de même que tant d’autres jeunes esprits. Nous retrouvons ce poëte, lors des divers séjours qu'il a faits à Paris au cours des dix dernières années de sa vie, au collège de Boncourt, qu'il appelait le Parnasse de cette cité et où l’attiraient son amitié pour le principal, Jean Galland, ainsi que « le bel air » qu’on y respirait. Situé tout en haut de la Montagne, aux confins de la ville, ce collège s’étendait au. bord oriental d'une vieille et étroite voie, la rue Bordelle (rue Descartes), qui descendait depuis la porte du rempart jusqu'à un puits arrondissant sa marÿelle en face du collège de Navarre (École Polytechnique). Son emplacement correspond, de nos jours, à peu.près au coin Sud-Est des rues Descartes et Clovis. Ses bâtiments encadraient une cour, plantée d'arbres et étaient accompagnés, sur le derrière, d’un jardin. Là, avait eu lieu, en 1553, devant un public choisi et nombreux, la représentation de la Cléopätre, pièce par laquelle Jodelle avait, « d’une voix hardie, renouvellé la tragédie », à la satisfaction notamment de Lambin, heureux

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VERS LA CITÉ CLASSIQUE

:

-d’apprendre que notre langue, tenue pour barbare et pauvre par les autres nations, était capable, tout comme l'italien, exprimer le charme de la poésie antique. Là, Ronsard coule des heures paisibles, en là déférente. compagnie des maîtres et des écoliers et recommande, en parlant de la langue française, de ne pas faire d'une damoiselle une servante et de ne pas laisser perdre les vieux termes, à l'encontre des marauds qui jugent inélégant tout ce qui n’est point écorché du latin et de l'italien et aiment mieux dire collauder, contemner, blasonner que louer, : mespriser, blasmer. Le tournant du classicisme se dessine. La copie du. modèle, par quoi se‘ manifeste l’ardeur. passion née des débuts, doit faire place aux effets d’une vision réflé-: chie qui ne retient que les traits expressifs de l'âme. Précisément, dans le même temps, des édifices, comme l’hôtel. dit de Lamoïignon et le palais abbatial de Saiñt-Germain-des-. Prés, mettent sur Paris les premières lignes de l’art classique. Dans la ville, qu'agite le conflit religieux où triomphera: l'unité française, Ronsard, finissant ses jours, répand en son cher collège, à travers la cour ombragée ou parmi la verdure du Fr dont le rempart formesle fond, la semence de Vavenir. Tout proche, à l'Ouest, lé gothique, sous laspect de. l'abbaye de Sainte-Geneviève que flanque la nouvelle église. Saint-Étienne-du-Mont en construction, jette, avant de s’éteindre, des rayons de gloire. ! : Presque vis-à-vis du collège de Boncourt, de ns côté dela vieille enceinte de Philippe Auguste, la maison de Baïf) demeure accueillante. ü s’y réunit l'académie de poésie et. de ane qu’a fondée, en. 1570, le maître du logis et qui, pour n'avoir eu qu'une existence éphémère, ne marque ‘pas moins le début, à Paris, d’une forme de groupement intellectuel associée, par son nom, au souvenir de l’enseignement de: Platon à Athènes et destinée à une brillante fortune. Pareillement, toujours en relation avec la Pléiade, s'offre à: nous, à Paris, pour la première fois, l’une des. expressions. les “pis or ot de la _vie de société issue . _ la:

L'ÉTUDIANT

DÉCOUVRE

PARIS

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nce : le salon littéraire. La maison de Jean de Morel, e — nous apprend un contemporain — comme l'édifice des Muses, et dont l'emplacement reste à préciser avec ude, prélude, à cet égard, au destin assigné au futur de Rambouillet. Le maître du lieu, jadis élève d'Érasme, d'étroites attaches avec la cour royale. Sa première femme, Antoinette de Loynes, leurs trois filles, Camille, Lucrèce et Diane, ont semblablement reçu la forte culture de ce temps. -L’aînée de ces dernières surtout est un prodige de savoir, «une des perles de nostre aage », écrira l’Estoile, qui relate . que Morel mourut, en 1581, âgé de soixante-quatorze ans et “qu'une heure avant sa mort, il discourait en latin, sur la résur,rection, avec un conseiller au Parlement, son parent. Les huma. nistes sont particulièrement les hôtes de ce logis, que fréquentent aussi Ronsard et Joachim du Bellay. Et les hommages des lettrés montent vers cette noble famille. Morel joue le rôle d'Apollon, sa femme est une autre Pallas et Camille la dixième Muse. Nicolas Ellain chante, en ses Sonnets (1561), «ce grand nepveu d’Atlas », sa « Deloine» et leurs filles, dignes des noms qu’elles ont reçus. 6. —

AU PAYS LATIN.

Mille teintes nuancent le tableau qu'offre la rive gauche où, sur le. fond que forme le lacis des rués, dans la houle des constructions et qu’anime la population proprement parisienne, se détache la-bigarrure d’un monde étranger. Écou* tons les recommandations que fait — dans les Contes et discours d'Eutrapel de Noël du Fail, publication posthume de 1585 — ün maître à ses écoliers: « Vous estes à Paris, lieu estrange (c’est-à-dire étranger), où il vous faut traiter et gouverner sagement... Vous avez affaire à un bon peuple et qui vous aime, mais gardez sur tout ne à le. tromper, en céste . honneste familiarité où il vous reçoit ». Nouveau venu, l’éco-. lier chemine à travers les rues, avec le pédagogue à quises parents Vont confié, plus ébahi que ne le furent Tityre, dans

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VERS

LA

CITÉ

CLASSIQUE

: Virgile, ou Pâris Alexandre, « faisans leurs premières issues de leurs bordes et cases champestres ». Tout lui est un sujet d’étonnement. Voici — lui signale le pédant qui l'accompagne — les grosses cloches de Notre-Dame, dans les deux grosses tours de cette église et la vénérable statue de Maître Pierre de Gugnières, petite et laide figure à un bout du chœur et dont il faut avoir vu la grimace, si l’on ne veut pas passer pour ignorer les curiosités de Paris. Ici, est « cest horrible mange-chair : le cimetière Sainct-Innocent », dâns les cloitres duquel les chercheurs de l’eau philosophale se promenent, au dire dece « fesse-cul », comme des bandes d'étourneaux, dans l’escorte des trépassés, parmi les secrétaires à l'usage des chambrieres, tout au long de la danse Macabré, où les attire la figuration d’un lion rouge et d’un serpent vert, due à Nicolas Flamel. Voilà Montaigu, où jadis notre maitre Tempeste, dit ce pédant, « tonna si topiquement ». L’écolier chemine. Il contemple le monde des enseignes, suspendues dans les rues et s'entend qualifier de Jean le Veau ou de Martin le Sot, par les passants ou les gens qui se tiennent aux portes ou aux fenêtres des maisons. Mais son initiation à la vie de Paris se fait vite. Il hante ces lieux dhonneur : la place Maubert, les Halles, la Grève, la Pierreau-Laitet ses «docteurs complantatifs »: il court les bateleurs, les assemblées dès enfants perdus et matois et devient ainsi.