Philippine Duchesne, pionnière à la frontière américaine: Oeuvres complètes (1769-1852) en 2 volumes 9782503570457, 2503570453

En 1818, Mère Rose Philippine Duchesne, de la Société du Sacré-Coeur de Jésus récemment fondée, quitte la France pour pa

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Philippine Duchesne, pionnière à la frontière américaine: Oeuvres complètes (1769-1852) en 2 volumes
 9782503570457, 2503570453

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P H I L I P P I N E D U C H E SN E

P IO N N I È R E À L A F R O N T I È R E A M É R IC A I N E (1769-1852) Œ U V R E S C OM P L È T E S

PHILIPPINE DUCHESNE PIONNIÈRE À LA FRONTIÈRE AMÉRICAINE

Œuvres Complètes tome premier (1769-1828) rassemblées et éditées par Marie-France CARREEL RSCJ et Carolyn OSIEK RSCJ

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© 2017, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2017/0095/133 ISBN 978-2-503-57045-7 (2 volumes) e-ISBN 978-2-503-57049-5 DOI 10.1484/M.STHCC-EB.5.111941 Printed on acid-free paper.

REMERCIEMENTS Notre reconnaissance s’adresse tout d’abord à Clare Pratt et Kath­leen Conan, anciennes Supérieures générales de la Société du Sacré-Cœur, qui nous ont confié la publication de l’ensemble des œuvres de sainte Philippine Duchesne. Elle se tourne aussi vers Anne Leonard, archiviste générale en 1998 ; en soulignant l’importance de ces textes dans notre spiritualité, elle a ouvert le chemin de notre recherche. Nous remercions spécialement les archivistes pour leur collaboration : Margaret Phelan, archiviste générale, Federica Palumbo et Alice Usai, Société du Sacré-Cœur, Rome ; Maryvonne Duclaux, Société du Sacré-Cœur, France ; Robert Bonfils, SJ, archives jésuites de France ; David Miros, archives jésuites, Province Centre-Sud, Saint-Louis, Missouri ; Abbé Veissier et Brigitte Tandonnet, archives de l’archidiocèse de Bordeaux ; Abbé Edmond Coffin et Frédérique Corporon, archives diocésaines de Grenoble ; Marie-Françoise Bois-Delatte, bibliothèque municipale de Grenoble ; Anne Boulenc, archives municipales de Grenoble ; Rena Schergen, archives de l’archidiocèse de Saint-Louis, Missouri ; Andrew H. Rea, bibliothèque lazariste, DePaul University, Chicago. Notre reconnaissance s’adresse également à Marc Estrangin, descendant direct d’Amélie Duchesne-de Mauduit, sœur de Philippine, si souvent sollicité au cours de la vérification de notes biographiques, et dont l’accueil au domaine familial de Grâne est toujours possible. Nous remercions aussi Henry de Pazzis de nous avoir transmis son travail de recherche sur la famille Duchesne-Perier. Cet ouvrage paraîtra au moment des anniversaires de l’arrivée des premières religieuses du Sacré-Cœur aux États-Unis. Que le directeur de l’édition, Luc Jocqué, soit remercié d’en avoir favorisé la coïncidence, de nous avoir apporté soutien et encouragement tout au long des derniers mois de préparation.

INTRODUCTION GÉNÉRALE En 1856, la Supérieure générale de la Société du Sacré-Cœur, Madeleine-Sophie Barat1, s’adressait en ces termes à Amélie Jouve2, supérieure à Grand Coteau (Louisiane) : N’oubliez pas de recueillir tout ce qui a rapport à votre tante Philippine ; je voudrais bien faire écrire sa Vie et la faire imprimer avant que le bon Dieu dispose de moi ; ce serait une immense consolation pour moi que de laisser cette édifiante vie après nous. Faites donc tout ce qui sera en notre pouvoir, ma fille, pour nous procurer ces précieux documents ; plus tard, il ne restera personne pour nous rendre ce service, il est déjà bien tard3….

Sans tarder4, Amélie Jouve se mit à l’œuvre et rédigea une notice intitulée « Vie de notre Sainte Mère Duchesne », qui ne fut d’ailleurs ni imprimée ni publiée5. Le présent ouvrage « Philippine Duchesne, pionnière à la frontière américaine. Œuvres complètes » se situe dans cet appel à la mémoire. Plusieurs écrits l’ont précédé, mais ils ont utilisé le corpus dans l’état où on le connaissait alors. En 1878, l’abbé Louis Baunard rédigea l’His1

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Madeleine-Sophie Barat (1779-1865), fondatrice et première Supérieure générale de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, a été canonisée le 24 mai 1925 par Pie XI. Pour une biographie de la Mère Barat, voir A. Cahier, Vie de la Vénérable Mère Barat, 2 tomes, Soye et Fils, Paris, 1884 ; M. Luirard, Madeleine-Sophie Barat (1779-1865), Une éducatrice au cœur du monde, au cœur de Dieu, Nouvelle Cité, Montrouge, 1999 ; Ph. Kilroy, Madeleine-Sophie Barat, Une vie 1779-1865, Cerf, Paris, 2000. Amélie Jouve (1799-1880), RSCJ, entre au noviciat en 1821, à Paris, fait ses premiers vœux en 1823 et sa profession en 1829. En 1847, elle part en Amérique, rend visite à sa tante, à Saint-Charles, avant d’aller à Saint-Vincent (Canada). Elle est nommée supérieure en 1848, visitatrice et vicaire de l’Ouest en 1855, supérieure à Grand Coteau en 1860. De retour en France en 1879, elle est vicaire à Orléans, où elle est décédée le 18 janvier 1880. Extrait d’une lettre adressée à la Mère Amélie Jouve, vicaire d’Amérique, Paris, 27 avril 1856, AGSC, C-VII 2) d Duchesne-life, Box 2, Blessed Philippine Duchesne, Personal documents. Le passage en italique a été souligné par la Mère Barat. En 1857, la Mère Jouve recueillait « des notes et des détails qui devaient servir à la publication de la vie de sa vénérable tante. » Témoignage non signé, Selan Alabama, Avril 26.C-VII 2) Duchesne-life, Box 3, Testimony to her life and virtues, given by old pupils and secular friends. Amélie Jouve, Vie de notre Sainte Mère Duchesne, C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3.

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toire de Madame Duchesne6. En 1913, des documents étaient encore inconnus ou d’attribution incertaine si l’on en juge par l’attestation de la Supérieure générale, Janet-Erskine Stuart : Je soussignée, certifie qu’il n’existe pas, à ma connaissance, aux Archives de la maison-mère, ni dans nos différentes maisons, d’écrits attribués à la Vénérable Mère Duchesne, autres que les suivants, déjà examinés en vue de sa cause : 1°) Journal attribué à la Vénérable, à Saint-Charles ; 2°) Ses lettres ; 3°) Manuscrit de la Mère Amélie Jouve sur le séjour en Amérique ; 4°) Manuscrit écrit par la Vénérable, où est relatée l’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut7.

En 1957, Sœur Louise Callan publia Philippine Duchesne, Frontier Missionary of the Sacred Heart8. Alors qu’elle préparait la rédaction de cette excellente biographie, l’accès à l’ensemble des lettres ne lui fut pas autorisé, cinquante d’entre elles étant considérées comme relevant « des archives secrètes de la maison-mère, réservées à la Supérieure générale ». Après le Concile Vatican II, les changements de mentalité et de gouvernance permirent de les consulter. En fait partie la lettre du 5 juin 1846, qui marque la levée d’un long et éprouvant silence entre Philippine Duchesne et Sophie Barat9. Déclarée vénérable le 9  décembre 1909 par Pie  X, Philippine Duchesne fut béatifiée le 12 mai 1940 par Pie XII. En 1981, en vue de sa canonisation qui eut lieu le 3 juillet 1988, Sœur Jeanne de Charry entre6

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L. Baunard, Histoire de Madame Duchesne, Religieuse de la Société du Sacré-Cœur de Jésus et Fondatrice des premières maisons de cette Société en Amérique, Poussielgue, Paris, 1878. Comme pour en souligner l’importance, l’introduction précise : « Cette histoire est le complément de celle de Mme Barat. » Le décès de Mme Rose-Euphrosine Duchesne, mère de Philippine, y est situé en 1793, non en 1797. Cette erreur de datation s’est transmise dans d’autres ouvrages ou classifications d’archives. Mount Anville, Dundrum, Dublin, le 22 juin 1913. C-VII 2) Duchesne-life, Box 3. L. Callan, Philippine Duchesne, Frontier Missionary of the Sacred Heart, Newman Press, Westminster Maryland, 1957. En 1964, une version réduite est publiée sous le même titre, traduite en plusieurs langues. J. Érulin en a réalisé la traduction française : Louise Callan, Philippine Duchesne 1769-1852. Une femme, une pionnière, une sainte, Éd. G. de Bussac, Clermont-Ferrand, 1989. Sans pouvoir en affirmer les causes, il semble que ce silence fasse suite à la suppression de l’autel dédié à saint François Régis à Saint-Ferdinand et à l’annonce de la fermeture de la maison de Saint-Charles. La manière avec laquelle la Mère Galitzine fit appliquer les décrets du Conseil général de 1839, ne fut pas appréciée par Ph. Duchesne qui exprima ainsi sa désapprobation : « Je regarde la visite de Mère Galitzine comme un fléau. Revêtue de tout pouvoir, elle agissait de manière à blesser les évêques ; le dedans et le dehors ; et les pauvres Sœurs, comme des brebis, se laissaient conduire, comme si elle eût été Supérieure générale. » Lettres 141-142 à Mère Barat.

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prit la publication, en quatre tomes, de la correspondance entre Madeleine-Sophie Barat et Philippine Duchesne10. Si le premier volume ne contient que deux lettres de Philippine, écrites en 1806, les trois autres en présentent 144, envoyées de Bordeaux et d’Amérique, de 1818 à 1852. En 2001, Chantal Paisant, spécialiste des écrits missionnaires, édita Les Années pionnières, Lettres et Journaux des premières missionnaires du Sacré-Cœur aux États-Unis (1818-1823), regroupant pour cette période les lettres de Philippine Duchesne à Sophie Barat, à sa famille et aux prêtres, ainsi que les textes des premières religieuses du Sacré-Cœur en Amérique11. Ces trois publications de Louise Callan, de Jeanne de Charry et de Chantal Paisant présentent un bon nombre d’écrits de sainte Philippine Duchesne. Néanmoins, plus des deux-tiers des documents existants n’y sont pas inclus. « Recueillir tout ce qui a rapport à Philippine » a donc été notre propos pour mieux cerner en quoi cette personnalité hors du commun est, aujourd’hui comme hier, une figure pour notre temps. La présentation chronologique des documents permet de suivre, au plus près et dans leur déroulement, les épisodes et les séquences de la vie de cette missionnaire. Une correspondance au fil d’une vie

Cette œuvre épistolaire se compose de sept chapitres. Le chapitre premier est intitulé « Avant le grand départ, 1797-1818 ». Il peut se comprendre sous forme de diptyque – appel et envoi. Il s’ouvre par l’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut, monastère où eut lieu la rencontre entre Madeleine-Sophie Barat et Philippine Duchesne12. Les lettres, le Journal de Grenoble et le Journal de Paris situent l’enracinement familial de Philippine et son réseau relationnel. Le lecteur y découvre son invincible désir d’être envoyée par-delà les frontières pour y faire connaître l’amour du Cœur de Jésus. Il peut aussi y voir l’expansion de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, nouvellement fondée, et se faire une idée du contexte politique et ecclésial de la France à cette époque. 10 11 12

J. de Charry (présentée par), Correspondance, Sainte Madeleine-Sophie Barat – Sainte Philippine Duchesne, 4 vol., Université Grégorienne, Rome, 1988-2000. Ch. Paisant, Les Années pionnières. Lettres et Journaux des premières missionnaires du Sacré-Cœur aux États-Unis (1818-1823), Cerf, Paris, 2001. Cette rencontre est évoquée avec beauté et finesse par A. Davidson, RSCJ, dans son icône La rencontre des deux saintes, Académie du Sacré-Cœur de Saint-Charles, Missouri.

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En 1818, cinq religieuses sont envoyées en Louisiane, à la demande de l’évêque, Mgr Dubourg13 : Philippine Duchesne, Octavie Berthold14, Eugénie Audé15, Catherine Lamarre16 et Marguerite Manteau17. Elles quittent Bordeaux le 19 mars pour s’embarquer sur La Rebecca, à Royan, le 22 mars 1818. Le chapitre II, « Les premières fondations, 1818-1821 », permet de suivre la traversée de l’Atlantique et la remontée du Mississippi, de voyager dans le vaste territoire de la Louisiane, d’y repérer les prin13

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Louis-Guillaume Dubourg (1766-1833), né à Cap-Français, Saint-Domingue (aujourd’hui Cap-Haïtien, Haïti), fait ses études à Bordeaux, est ordonné prêtre en 1790 à Paris. Il se réfugie ensuite en Espagne et s’embarque pour Baltimore en 1794. Nommé président du collège de Georgetown par Mgr Carroll en 1796, il fonde le collège Sainte-Marie, à Baltimore, en 1798. Il est ordonné évêque de la Louisiane en septembre 1815. De passage à Paris (1816-1817), il sollicite la Mère Barat de lui envoyer des religieuses pour l’instruction des filles indigènes. Il rentre en France en 1826, est nommé évêque de Montauban, puis archevêque de Besançon en 1833. Octavie Célestine Berthold (1787-1833), RSCJ, est née le 2 septembre 1787, à Genève (Suisse), dans une famille calviniste très cultivée. En 1809, elle part à Grenoble pour y être enseignante. Elle se convertit au catholicisme, entre à Sainte-Marie d’En-Haut en 1814. Elle termine son noviciat à Paris, fait ses premiers vœux le 5 février 1817, sa profession le 2 février 1818 avant son départ pour l’Amérique. D’abord assistante et maîtresse de classe (1818-1827), elle est ensuite supérieure de la maison de Saint-Ferdinand (1827-1829). En 1830, elle part à SaintLouis. Atteinte d’un cancer à la joue, elle est décédée le 16 septembre 1833, après huit ans de souffrances. Cf. Lettre de Philippine à Sophie Barat, 17 septembre 1833 ; lettre 1 à Eugénie Audé, fin 1833 ; Vies des Religieuses du Sacré-Cœur en Amérique, État du Missouri et de la Louisiane, C-VII 2) c Duchesne-Writings about the history of the Society, Box 1. Eugénie Audé (1795-1842), RSCJ, née le 1er janvier 1795 à Moutiers (Savoie), entre au Sacré-Cœur de Grenoble le 25 novembre 1815, prononce ses premiers vœux le 12 juin 1817 à Paris. Elle demande d’aller en Louisiane et fait sa profession le 8 février 1818, le matin même du départ. En Amérique, après avoir été à Saint-Charles (1818-1819) puis à Florissant (18191821), elle fonde en août 1821, avec Mary Layton, la maison de Grand Coteau. En 1822, les rejoignent : Xavier Murphy, venue de France ; Marguerite Manteau et Mary Ann Summers, de Florissant. En 1825, à la demande de l’abbé Delacroix, elle réalise une autre fondation à Saint-Michel. En 1834, une épidémie de choléra atteint six religieuses. Eugénie les soigne, les accompagne jusqu’à la mort, tout en faisant face aux besoins du pensionnat. Sa santé en est ébranlée. Nommée assistante générale pour l’Amérique en 1834, elle visite toutes les maisons américaines, rentre en France, et y reste pour raisons de santé. Elle fonde la maison de Marseille. En 1838, elle est envoyée comme supérieure à La Trinité-des-Monts, à Rome, où elle est décédée le 6 mars 1842. Catherine Lamarre, RSCJ coadjutrice, née en 1779, fait sa profession en 1816, à Amiens. Fin janvier 1818, elle va rejoindre Philippine Duchesne à Paris, pour faire partie de la communauté fondatrice des maisons américaines. Après Saint-Charles (1818-1819), elle est à Florissant de 1819 à 1827, puis à City House (Saint-Louis) jusqu’en 1841, où elle revient à Florissant. Elle est décédée en 1845. Marguerite Manteau, RSCJ coadjutrice, est née en 1779. Elle entre au noviciat de Poitiers le 17 octobre 1807, est envoyée à Niort le 22 juillet 1813. En février 1818, elle rejoint la Mère Duchesne à Poitiers. Après avoir été à Saint-Charles en 1818, à Florissant en 1819, elle part en 1823 à Grand Coteau, où elle reste jusqu’à sa mort en 1841.

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cipaux acteurs de l’évangélisation et les difficultés auxquelles les religieuses ont dû faire face pour s’établir en Haute-Louisiane. Leur implantation était initialement prévue à Saint-Louis, mais Mgr Dubourg les envoie à Saint-Charles, « le village le plus reculé des États-Unis, sur le Missouri qui n’est fréquenté que par ceux qui trafiquent avec les Sauvages18 ». Il ne leur confie pas l’éducation des Indiennes, mais celle des Américaines. L’année suivante, la communauté déménage à Florissant, loin de toute ville. Dans un horizon aussi rétréci, Philippine ne peut trouver de conseillers. Les communications avec la maison-mère, à Paris, sont devenues très difficiles, car Mgr Dubourg les a éloignées du Mississippi, seule voie de liaison avec la Nouvelle-Orléans, port d’embarquement pour la France. Ainsi, durant la première année, les religieuses ne reçoivent aucun courrier d’Europe. Dans ce Nouveau-Monde, le réseau relationnel de Philippine Duchesne se trouve subitement réduit à une peau de chagrin. Deux ans plus tard, la fondation de Grand Coteau, en Basse-Louisiane, sera plus favorisée par la proximité de La Nouvelle-Orléans. Deux religieuses, Eugénie Audé et Mary Layton19, première postulante entrée en août 1820, y sont envoyées en août 1821. Deux autres doivent les rejoindre, mais leur départ de France est retardé et elles n’arrivent à La Nouvelle-Orléans que le 2 février 1822. Anna Murphy20 se rend directement à Grand Coteau, tandis que Lucile Mathevon21 part à Saint-Louis avec Mgr Dubourg. Le chapitre  III, « Au sommet de l’activité, 1822-1828 », présente l’avancée des fondations en Basse-Louisiane (Saint-Michel en 1825, La Fourche en 1828) et au Missouri (Saint-Louis en 1827, Saint-Charles en 18 19

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Lettre 18 à Mère Barat, 8 octobre 1818. Mary Layton, RSCJ, née dans le Kentucky en 1802, vient avec sa famille aux Barrens, à Perryville, Missouri. Entrée au noviciat de Florissant le 19 août 1820, elle part encore novice avec Eugénie Audé fonder la maison de Grand Coteau, Louisiane, en 1821. Elle y fait ses premiers vœux le 6 juin 1822. Si elle n’est pas la première à être entrée dans la Société du Sacré-Cœur en Amérique, elle est la première à s’y être engagée. Elle a vécu ensuite à City House, SaintLouis, et en 1845, à la mission Sainte-Marie, Kansas, où elle est restée jusqu’à sa mort en 1876. Anna Xavier Murphy, RSCJ, née le 27 juillet 1793 à Cork, Irlande, proche parente de l’évêque de cette ville, entre au noviciat de Paris en mai 1820. Elle fait ses premiers vœux le 6 novembre 1821 dans le but d’aller en Amérique. Arrivée le 2 février 1822 à La Nouvelle-Orléans, elle part à Grand Coteau, y fait sa profession le 14 mai 1822. Elle y sera supérieure de 1825 jusqu’à sa mort prématurée, survenue en 1836. Lucile Mathevon (1793-1876), RSCJ, est élève au Sacré-Cœur de Grenoble où sa vocation missionnaire grandit au contact de Philippine. Entrée au noviciat en 1813, elle fait sa profession en 1818 à Sainte-Marie d’En-Haut. Partie en novembre 1821 pour l’Amérique, elle arrive à Florissant en avril 1822. En 1828, avec Mary Ann O’Connor, elle refonde la maison de Saint-Charles. En 1841, elle est supérieure de la mission des Potawatomis, transférée ensuite à Sainte-Marie, Kansas. Elle y reste jusqu’à sa mort, le 11 mars 1876.

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1828). En juin 1823, au Missouri, deux événements modifient l’environnement ecclésial. Le premier est l’arrivée à Florissant de treize Jésuites, accompagnés de trois couples d’esclaves noirs. Le second est l’installation des Sœurs de Lorette aux Barrens22. L’évêque leur confie les petits établissements destinés aux pauvres, que Philippine désirait aussi favoriser23. Le petit pensionnat des Indiennes est inauguré le 6 avril 1825, à Florissant. Une deuxième fondation en Basse-Louisiane est proposée à Saint-Michel ; Eugénie Audé devance l’accord de Philippine Duchesne, s’y estimant encouragée par la Mère Barat qui n’envoie son autorisation officielle que le 7 avril 1825, et nomme Philippine Supérieure de toutes les maisons américaines. La maison de Saint-Michel s’ouvre le 31 octobre 1825. Celle de Saint-Louis lui succède en mai 1827, grâce au don fait par un riche propriétaire, M. John Mullanphy24, avec la condition d’y recevoir vingt orphelines. L’arrivée de quatre religieuses, venues de France en septembre 1827, permet la réouverture de la maison de SaintCharles en octobre 1828. Hélène Dutour25 est envoyée à La Fourche, comme supérieure de l’établissement laissé à la Société du Sacré-Cœur par les Sœurs de Lorette. Le chapitre IV, « Nouvelle croissance et conflits, 1829-1833 », fait apparaître le développement des maisons du Missouri et de Louisiane, accompagné de nouvelles difficultés. Des tensions et des rivalités se sont installées entre les trois supérieures de Louisiane. Hélène Dutour cherche à égaler le niveau d’études des deux autres maisons, au lieu de maintenir celui d’un pensionnat pour enfants de classes moyennes comme à Saint-Charles. Sur la demande expresse de la Mère Barat, Philippine se rend à Saint-Michel, à la fin de l’année 1829, pour trouver avec les trois supérieures des solutions aux problèmes en cours, elle manque d’autorité et rien n’est réglé. Les énormes dépenses d’Hélène Dutour conduisent à 22 23 24

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Les « Sœurs de Lorette au Pied de la Croix » ont été fondées en 1812, au Kentucky, par l’Abbé Charles Nerinckx, prêtre flamand. Voir Lettre 55 à Mère Barat, 10 mai 1823. John Mullanphy (1758-1833) est né dans le comté de Fremanagh, en Irlande. En 1792, il émigre à Philadelphie avec sa femme, Elizabeth Browne, puis il part à Baltimore et à Frankfort, Kentucky, avant de venir s’installer en 1804 à Saint-Louis. Brillant homme d’affaires, il est aussi le bienfaiteur de services sociaux, y compris de l’école The City House de la Société du Sacré-Cœur (1827) et du premier hôpital de la ville, confié aux Sœurs de la Charité (1828). Son fils Bryan Mullanphy fut maire de Saint Louis en 1847. Ses filles Jane Mullanphy Chambers (1799-1891) et Anne Mullanphy Biddle (1800-1846) et leurs enfants furent proches de la Société du Sacré-Cœur, soit comme élèves, soit comme parents et bienfaiteurs. Hélène Dutour (1787-1849), RSCJ, originaire de Savoie, entre le 30 décembre 1813 au noviciat à Grenoble et fait sa profession le 29 mai 1818. Elle part en Amérique en 1827, est supérieure à La Fourche (1828-1831). Elle est décédée à Natchitoches, le 1er janvier 1849.

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la fermeture de la maison à La Fourche en 1832. Par ailleurs, des critiques sur la gouvernance de Philippine sont envoyées à la maison-mère par Eugénie Audé et par des religieuses récemment arrivées au Missouri. Mgr Rosati26 intervient alors auprès de la Mère Barat pour maintenir Philippine Duchesne dans sa fonction de supérieure des maisons américaines. L’année 1833 est marquée par le décès d’Octavie Berthold – l’une des compagnes des commencements – et par la fermeture de la maison de Sainte-Marie d’En-Haut, à Grenoble. En 1834, Eugénie Audé est nommée assistante générale des maisons du Sacré-Cœur d’Amérique. Le chapitre V, « Retour à Florissant, 1834-1839 », présente la période où Philippine est remplacée à Saint-Louis par Catherine Thiéfry27 et réside à Florissant. Régulièrement, elle écrit à Eugénie Audé, en visite en France, pour la tenir au courant de la situation des maisons américaines et elle lui demande instamment de revenir. Mais c’est Élisabeth Galitzine28 qui est envoyée en Amérique comme visitatrice chargée de faire appliquer les décrets du Chapitre général de 1839, bien controversés. Philippine demande alors de ne plus être supérieure : elle quitte Florissant pour aller à Saint-Louis. Mgr Rosati ne tarde pas à rentrer en Europe pour raisons de santé. 26

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Joseph Rosati (1789-1843), Lazariste napolitain, arrive à Baltimore avec son confrère Félix de Andreis, le 26 juillet 1816. Il fonde avec lui le séminaire Sainte-Marie des Barrens, près de Saint-Louis. En 1823, il devient évêque coadjuteur de Mgr Dubourg, alors en résidence à La Nouvelle-Orléans, et en 1826, évêque de Saint-Louis, diocèse nouvellement érigé. D’un précieux soutien pour Ph. Duchesne, il s’oppose aux vives critiques envoyées à la Mère Barat pour la destituer de sa fonction de supérieure des maisons américaines. Des raisons de santé l’obligent à quitter l’Amérique en septembre 1840. En 1841, il est nommé délégué apostolique d’Haïti. Il est décédé à Rome, en 1843, alors qu’il venait rendre compte de sa mission. Catherine Thiéfry, RSCJ, née en 1792 en Belgique, fait sa profession en 1825. Elle est supérieure à Florissant en 1830 puis maîtresse des novices à Saint-Louis en 1834. Elle part ensuite à New York (1841) puis à Sugar Creek (1842) et à Natchitoches (1848), où elle est décédée en 1867. Élisabeth Galitzine (1795-1843), RSCJ, est née le 22 février 1795, à Saint-Pétersbourg, dans une famille princière, de religion orthodoxe. Elle se convertit au catholicisme en 1815. Guidée par le P. Rozaven, SJ, elle entre en 1826 au Sacré-Cœur de Metz, fait son noviciat à Conflans, près de Paris. Elle fait ses premiers vœux le 29 décembre 1828, à la Trinité-des-Monts, à Rome, et sa profession le 2 février 1832. Rentrée en France, elle est secrétaire générale en 1833. Au Conseil général de 1839, elle est le principal auteur de décrets bien vite contestés. Élue assistante générale, chargée de visiter les maisons d’Amérique, elle y arrive le 31 août 1840, relève Philippine de sa fonction de supérieure. Elle visite les maisons, part à New York y préparer une fondation, se rend à la mission des Potawatomis. Elle déplace le noviciat de Saint-Ferdinand à McSherrystown (Pennsylvanie), projette la fondation de Saint-Jacques de l’Achigan (près de Montréal) et rentre en France le 19 avril 1842. De retour à New York comme visitatrice, le 25 juillet 1843, elle s’arrête à McSherrystown et à Saint-Louis, se rend à Saint-Michel pour y passer l’hiver. Elle meurt de la fièvre jaune, le 8 décembre 1843. Cf. Ch. Paisant, « Élisabeth Galitzine, Russe convertie, première provinciale d’Amérique des religieuses du Sacré-Cœur », in Histoires et missions chrétiennes N° 21, Éd. Karthala, Paris, mars 2012, p. 141-171.

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Le chapitre VI, « Le rêve se réalise, 1840-1842 », est comme un point d’orgue dans la vie missionnaire de Philippine Duchesne. L’appel à aller instruire les Indiennes d’Amérique, reçu en 1806, devient réalité en 1841. Soutenue par sa Supérieure générale et par les Jésuites du Missouri, Philippine gagne la mission de Sugar Creek. Toutefois sa présence y est brève : sa santé et son incapacité à apprendre la langue potawatomie l’obligent à rentrer à Saint-Charles. Le chapitre VII, « Les dernières années, 1842-1852 », couvre la dernière étape de sa vie. Vie de prière, de rencontres avec les élèves de l’école ou d’anciennes élèves, de confection de linge d’église ou d’ouvrages pour les missions indiennes. En 1846, elle intervient, sans succès, auprès de la Mère Barat pour éviter la fermeture de la maison de Florissant. Sa correspondance se raréfie. En 1847, elle reçoit la visite de sa nièce, Amélie Jouve, en route pour le Canada. Une ultime visite, l’avant-veille de sa mort, est celle d’Anna du Rousier, envoyée visiter les maisons d’Amérique du Nord, avant d’aller fonder la première école du Sacré-Cœur au Chili29. Intérêt historique

L’édition de ces lettres vise à rendre accessible la vie de sainte Philippine Duchesne à travers ses écrits. Elle permet aux Religieuses du Sacré-Cœur de Jésus d’accéder à ce trésor constitutif de leur spiritualité et d’en faciliter la traduction dans les différentes langues30. Cet héritage fait aussi partie du patrimoine de ceux et celles qui se reconnaissent de la grande famille des Religieuses du Sacré-Cœur : Anciens et anciennes élèves, Associés ou amis, collaborateurs, communautés de base. À la valeur spirituelle de ces textes se joint un intérêt historique. Cette publication s’adresse aussi, de façon privilégiée, aux historiens. 29

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Anna Pélagie du Rousier (1806-1880), RSCJ, fait sa profession religieuse le 10 juin 1831. Maîtresse générale du pensionnat de Turin puis supérieure de la maison et maîtresse des novices, elle revient à Paris en 1848 et y dirige le pensionnat de l’Hôtel Biron. En 1851, elle est nommée visitatrice des quinze maisons d’Amérique du Nord. Le 5 août 1853, elle quitte New York pour aller fonder la première maison du Sacré-Cœur de Jésus à Santiago du Chili. Voir : M. de Canecaude, La Vie voyageuse et missionnaire de la Révérende Mère Anna du Rousier, religieuse du Sacré-Cœur, 1806-1880, Beauchesne, Paris, 1932 ; M.-F. Carreel, « Plein Cap pour Santiago, avec Anna du Rousier, RSCJ, (1853) », Ch. Paisant (ss dir), La mission au féminin, Brepols, Turnhout, 2009, p. 287-342. Les 2 000 Religieuses du Sacré-Cœur, vivant dans quarante-quatre pays et cinq continents, ont cinquante-neuf langues officielles ou locales.

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Elle représente une contribution importante à l’histoire du catholicisme français au xixe siècle et à celle des commencements de l’Église américaine. Par les chercheurs, elle peut être considérée comme un « Journal de bord », si modeste soit-il, de l’implantation progressive de l’Église catholique au sein de populations déjà évangélisées par les protestants ou encore attachées aux dieux autochtones. Pour les lecteurs américains, ces documents constituent une source précieuse pour l’histoire du Missouri et de l’Église missionnaire à la frontière américaine, au cours de la première moitié du xixe siècle. Chemin faisant, ils permettent de répondre à des questions que se posent actuellement certains chercheurs, entre autres : pourquoi tant de femmes en Europe, au xixe siècle, ont-elles désiré être missionnaires, franchir continents et frontières ? Si des historiens français, tels que Claude Langlois et Élisabeth Dufourcq, ont élaboré des réponses à ce type de question, leur problématique peut s’en trouver reformulée au contact de Philippine Duchesne, vraie figure de proue. Comme le souligne Sarah A. Curtis, l’étude des femmes missionnaires n’appartenait pas, encore récemment, aux « trois grandes sources de la littérature historique : l’histoire religieuse, l’histoire coloniale et l’histoire des femmes »31. Or les lettres des missionnaires représentent une richesse d’informations qu’elles sont seules à apporter. Tel est le cas des écrits de sainte Philippine Duchesne, tant par leur nombre que par la variété de leurs destinataires. Le style épistolaire

Bien des lettres de Philippine, envoyées aux Religieuses du Sacré-Cœur, à sa famille et à ses amis, n’ont pas été conservées. D’autres se sont perdues dans les trajets postaux, ont disparu au cours de naufrages sur le Mississippi ou durant la traversée de l’Atlantique. Néanmoins, le corpus actuel, constitué de 653 lettres, de relations et de journaux, est suffisamment important pour que l’on puisse en apprécier la qualité de l’écriture et la variété du style. La fonction de la lettre y est manifeste : créer un espace de liberté spirituelle entre les personnes, par-delà les contraintes du quotidien et de l’éloignement. Ainsi, la clôture conventuelle semble levée et la proxi31

S. A. Curtis (ss dir), L’autre visage de la mission : les femmes, « À la découverte de la femme missionnaire », Histoire et Missions chrétiennes N° 16, Karthala, Paris, 2010, p. 5-18.

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mité, restaurée. Comme le note Patrick Goujon, « la correspondance nourrit le lien social autant qu’elle s’y inscrit32. » Cela apparaît dans les différents corpus de lettres : à la famille, aux religieuses, aux élèves et aux ecclésiastiques. Il en est de même dans les journaux, où certaines informations proviennent d’autres établissements du Sacré-Cœur ou de correspondants vivant à l’étranger. Le niveau de langage et sa tonalité varient selon le destinataire et l’objet de la missive, cela va de soi. Le style est plus ou moins direct, l’expression plus ou moins retenue. Les différences sont visibles entre les lettres adressées aux anciennes élèves ou à la famille, et celles qui concernent la gouvernance. Le lecteur, tel un voyageur, peut ainsi découvrir quelques aspects de la personnalité de Philippine Duchesne, au gré des changements de décor, de perspectives, d’acteurs, d’enjeux humains et ecclésiaux. Dès l’arrivée en terre américaine, l’éducatrice se laisse aller au désir de transmettre ses premières découvertes du Nouveau Monde. Les lettres envoyées aux élèves de Grenoble et de Paris offrent des descriptions inédites, tantôt panoramique, tantôt en gros plan. Celle du 3 juin 1818, très bien construite, en est un exemple. Elle leur parle d’abord de « ces Sauvages pour l’amour desquels elles ont fait tant de chemin », de sa surprise de les voir dédaignés, traités « comme des animaux » dans cette ville luxueuse de La Nouvelle-Orléans. Elle leur décrit les coutumes des esclaves et la richesse de leurs maîtres. Elle se plaît aussi à donner de la nature une description dynamique. Ainsi la qualité des observations faites à l’entrée du golfe du Mexique, à l’embouchure du Mississipi et au cours de la navigation jusqu’à Saint-Louis, permet au lecteur de se sentir transporté sur le courant, de glisser d’un paysage à l’autre, d’un décor aux visages. L’affection s’y exprime avec simplicité, au début et à la fin de la lettre, comme si le tableau qu’elle est en train de peindre s’encadre dans sa tendresse : Vos noms portés sur mon cœur et dans mon cœur me sont sans cesse présents. Je ne vous oublierai jamais, en même temps que j’atteste qu’il y a de la douceur à quitter tout pour Dieu qui s’est tout donné à nous. (…) En deux mots, je finis en vous disant que je vous ai toutes dans mon cœur, et tâche de mettre le mien dans celui de Jésus.

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P. Goujon, Prendre part à l’intransmissible, Éd. Jérôme Million, Grenoble, 2008, p. 47-61.

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Son attachement à l’égard des membres de sa famille est également sans fard et l’affection affleure dans chacune de ses lettres. À sa nièce Euphrosine Jouve33, elle ne cache pas son émotion devant un départ imminent : Ayant remis moi et les miens aux divins Cœurs de Jésus et de Marie, je ne sais ni ce que tu fais, ni où tu es ; j’espère toujours sous la main de Dieu et disposée à faire ses volontés. Je me soumets d’avance à toutes les siennes ; et néanmoins, j’ai senti que je te retenais encore. Dans mon sommeil même, il m’a semblé que tu m’appelais en me pressant, disant que je ne serais pas à temps ! J’ai semblé courir, mais me croyant proche de toi, le réveil m’a appris que j’en étais à plusieurs centaines de lieues, et j’ai renouvelé mon sacrifice34.

La vivacité de la plume reflète celle de sa pensée. Tantôt le ton est solennel : il en est ainsi dans le récit de sa vocation où l’évocation du vœu « de se consacrer à l’instruction des infidèles suivant l’obéissance » apporte une note de gravité35. Tantôt il devient dramatique : il en est ainsi dans sa relation de la traversée de l’Atlantique, où la tempête « donne le spectacle de la confusion du dernier jour, le ciel paraît se rouler rapidement derrière des montagnes d’eau et entraîner les astres36 ». Puis le ton redevient enjoué, voire taquin, dans les lettres au Père Louis Barat37, 33

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Adèle-Euphrosine (Aloysia) Jouve, RSCJ, née le 25 mars 1796, à Lyon, troisième enfant de Joseph Jouve et Euphrosine Duchesne, est pensionnaire à Sainte-Marie d’En-Haut jusqu’en 1809. Le 21 novembre 1810, elle fait vœu de virginité, arrive au postulat le 9 novembre 1814 et entre au noviciat le 24 décembre. Mais selon le désir de sa mère, elle ne prend l’habit religieux qu’à Pâques 1815. Elle prononce ses premiers vœux le 21 novembre 1816 et ses vœux perpétuels le 21 novembre 1817. Au cours de cette année 1817 se déclare une maladie mortelle qui, peu à peu, la couvre de plaies. Elle assume néanmoins avec courage et compétence les fonctions de sous-assistante, sous-maîtresse des novices, conseillère et secrétaire (août 1818-fin 1819). L’année suivante, malgré ses infirmités croissantes, elle est assistante et admonitrice, remplace la supérieure durant quatre mois. Elle est décédée le 21 janvier 1821. Des conversions eurent lieu près de sa tombe ; douze jours après son inhumation, son corps fut découvert sans corruption. Vie de Madame Euphrosine Aloysia Jouve, religieuse du Sacré-Cœur, notice rédigée par Ph. Duchesne, Archives USC, à partir de celle des Archives générales, intitulée : Vie de la Mère Aloysia Jouve, Religieuse du Sacré-Cœur, morte en odeur de sainteté le 21 janvier 1821. RSCJ, C VII 2 Aloysia Jouve. Lettre 4 à Euphrosine Jouve, 2 mars 1818. Lettre 3 à Mère Barat, janvier ou février 1818. Lettre 8 à Mère Barat, 16 mai 1818. Louis Barat (1768-1845), SJ, fut le précepteur de sa sœur Madeleine-Sophie. Diacre et régent au collège Saint-Jacques à Joigny, il rétracte son serment de fidélité à la Constitution civile du clergé, s’enfuit à Paris, est emprisonné. Libéré en janvier 1795, il est ordonné prêtre clandestinement, le 19 septembre 1795. Entré chez les Pères de la Foi en 1800, il devient supérieur du collège de Saint-Galmier, se rend ensuite à Belley, puis au collège de L’Argentière. Il donne

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enthousiaste dans celle au Père Joseph Varin lorsqu’elle rêve d’aller vers la côte nord-ouest des États-Unis, jusqu’en Corée et au Japon38. Et il atteint une profondeur inattendue lorsqu’elle saisit à quelle forme de martyre la mission l’appelle, ne pouvant « jamais atteindre ces petites Sauvagesses », objet de tous ses vœux39. Ce moment est comparable à l’intrigue d’un roman ; le tracé de la mission y prend forme : celui du grain de blé tombé en terre américaine. L’évocation de certains moments de la vie de Philippine fait appel au récit. Tout d’abord dans l’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut, relation écrite à la demande de la Mère Barat ; ensuite dans certaines lettres adressées aux anciennes élèves de Grenoble, où la missionnaire évoque les commencements puis l’avancée progressive de l’œuvre. Le Sommaire historique des fondations, envoyé en 1843 à la Mère Murphy40, ressortit à la même veine. Le changement progressif de ton épistolaire, de 1818 à 1833, dénote le passage d’une certaine légèreté et intrépidité à une gravité qui plonge parfois dans la tristesse et la défiance de soi. L’écriture porte alors la marque d’événements douloureux. C’est ainsi que la chronologie des Époques intéressantes (1818-1834)41 s’arrête à la fermeture de Sainte-Marie d’En-Haut, après laquelle Philippine avoue ne plus se sentir la capacité d’entreprendre, l’acquisition et les réparations du couvent ayant

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des retraites à Sainte-Marie d’En-Haut, à Grenoble ; c’est alors qu’il se noue d’amitié avec Philippine Duchesne. En 1807, les Pères de la Foi sont assignés à résidence dans leur diocèse. Louis exerce son ministère à Joigny, à Migennes et à Troyes où il devient supérieur du séminaire en 1811. Renvoyé pour son opposition au gallicanisme, il est en résidence surveillée de 1812 à 1814 à Bordeaux. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1814, il est préfet des études au collège-séminaire de Bordeaux. En octobre 1821, il part pour Paris où il devient docteur en théologie et professeur au scolasticat. Il est décédé le 21 juin 1845. Joseph-Désiré Varin d’Ainvelle (1769-1850), SJ, né le 7 février 1769, à Besançon, entre en 1784 au séminaire Saint-Sulpice, à Paris, le quitte en 1789 pour s’engager dans l’armée contre-révolutionnaire. En 1794, il rejoint en Hollande la Société du Sacré-Cœur, dont le fondateur, Léonor de Tournély, projette d’établir une Société de femmes. Ordonné prêtre le 12 mars 1796, à Augsbourg, le Père Varin lui succède comme supérieur, réalise en 1800, avec Madeleine-Sophie Barat, la fondation du nouvel Institut féminin, qui prendra en 1815 le nom de Société du Sacré-Cœur de Jésus. Après en avoir été le supérieur, il en rédige les Constitutions avec la Mère Barat et le Père Druilhet. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1814, il devient assistant du Père de Clorivière puis supérieur de la résidence de la rue des Postes (1818-1821 ; 1825-1829). Il ouvre le collège de Dole en 1823, revient ensuite à Paris, rue de Sèvres, où il meurt le 19 avril 1850. Voir, Ph. Kilroy, Madeleine-Sophie Barat, Une vie 1779-1865, Cerf, Paris, 2004, p. 62-84. Lettre 5 au Père Barat, 21 novembre 1818 ; lettre 9 à Mme de Rollin, 1819. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne-writings History of Society, Box 1. Cachet de la poste : St. Charles, Août 1843. Original autographe. C-VII 2) c Duchesne-writings History of Society, Box 1, Lettres intéressantes depuis 1818 jusqu’à 1836, p. 102.

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tant coûté à sa famille42. Les lettres adressées à sa cousine et amie, Mme  Savoye de Rollin43, sont d’ailleurs révélatrices de ses grandes préoccupations. C’est auprès d’elle que Philippine s’informe des événements politiques qui se déroulent en France et en Europe. Comme le note Amélie Jouve : « Rien n’altéra la sainte amitié qui unit ces deux âmes si bien faites pour s’apprécier. Dans ses moments de détresse, Mme Duchesne recourut à son amie, dont la bourse comme le cœur lui furent toujours ouverts44. » En 1846, sa souffrance éclate devant la fermeture imminente de la maison de Saint-Ferdinand, « le doux asile voué à saint Régis, La Louvesc d’Amérique ». Son insistance s’exprime sous forme de plainte : « Pardonnez-moi cette longue lettre, dit-elle à la Mère Barat ; j’ai compté sur votre bonté. Si je suis refusée, je me soumettrai ; mais je ne serai jamais consolée, la plaie est trop profonde45. » Quant aux dernières lettres à son frère Hippolyte Duchesne46 et à sa sœur Mme Jouve47, elles soulignent « la tendre amitié qui les a toujours liés48 » et la douleur de laisser sa sœur dans la solitude. En décembre 1851, quelques mois avant sa mort, Philippine Duchesne évoque l’expérience spirituelle du 4 avril 180649 : cette référence sert d’inclusion de l’ensemble des écrits. Sa vie donnée en réponse 42 43

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Lettre 30 à Mme de Rollin, 13 janvier 1834. Élisabeth-Joséphine Perier (1770-1850) épouse Jacques-Fortunat Savoye de Rollin en 1788, le suit dans ses diverses affectations de préfet, s’y distingue par sa charité et, lors du siège d’Anvers en 1814, par son courage auprès des blessés qu’elle accompagne dans les ambulances et les hôpitaux. Après la mort de son mari en 1823, elle achète les locaux de la Maison des orphelines, dirigée par Rosalie de La Grée, ceux du Bon Pasteur (d’un montant de 70 000 F) et fonde la Société des Dames de l’Œuvre de la Providence pour l’éducation des jeunes filles pauvres, à Grenoble. C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3. Notes données par la révérende Mère Aloysia Jouve, vicaire du centre, nièce de la vénérable Mère Duchesne. Lettres à Mère Barat, 5 juin 1846 et 10 septembre 1847. Antoine-Louis-Hippolyte Duchesne (1781-1854), frère de Philippine, est né le 27 février 1781, à Grenoble. Le 14 novembre 1814, il épouse Coralie Durand. Il est avocat général à la Cour d’appel de Grenoble, député de l’Isère pendant les Cent-Jours (mars à juillet 1815) et de 1835 à 1837. Appartenant au parti libéral, il demande la démission de Napoléon Ier après la défaite de Waterloo, s’oppose à la proclamation de Napoléon II, soutient les ministères de la Monarchie de Juillet (1830-1848). En 1819, à Grâne, il fait construire sur 3 900 mètres la prolongation de la digue, pour éviter les inondations qui détruisent récoltes et habitations. Une inscription est gravée sur la première pierre : « En opposant un frein à la Drôme, il a enrichi la contrée. ». Il est décédé le 9 septembre 1854, à Saint-Ismier. Charlotte-Euphrosine Duchesne (1772-1857) épouse en 1794 Jean-Joseph Jouve (1752-1834), fabricant et négociant. Ils ont onze enfants, dont quatre filles seront religieuses (trois au Sacré-Cœur) et un fils jésuite. Lettre 2 à Hippolyte Duchesne, 29 août 1852 ; Lettre 85 à Mme Jouve, 17 août 1852. Lettre 2 à Mère Brangier, 19 décembre 1851.

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à l’appel perçu quarante-cinq ans auparavant, déployée en terre américaine depuis trente-trois ans, est en train de s’achever. La diversité des destinataires de cette correspondance permet de saisir les ressorts et les fragilités de cette femme d’élite, comme les cordes d’une harpe en font résonner les différentes harmoniques. La qualité de l’écriture ne masque ni les références à la théologie de la Contre-Réforme, ni les frontières idéologiques de cette pionnière. Mais par-delà ce conditionnement culturel, son dynamisme et sa confiance invincible en l’action du Christ ressuscité offrent au lecteur un regain d’espérance. Un profil spirituel

Pour reprendre le mot de la Mère Barat, en quoi la vie de Philippine Duchesne est-elle « édifiante » ? Si édifier à travers la rencontre, c’est solliciter le désir de grandir et de se construire sur de bonnes bases, la vie ici présentée peut y contribuer. L’ensemble des écrits ne laisse pas apparaître une spiritualité qui lui serait propre. Toutefois un profil se dessine, inscrit sur l’horizon de la dévotion au Sacré-Cœur. Le récit de l’expérience spirituelle du jeudi saint 1806 ouvre l’espace de la mission future : le Nouveau Monde50. Puis il indique la source de l’invincible courage dont fit preuve Philippine : l’eau vive qui jaillit du Côté ouvert du Christ : Toute la nuit, j’ai été dans le nouveau continent, mais j’ai voyagé en bonne compagnie. D’abord, j’avais précieusement recueilli au Jardin, au Prétoire, au Calvaire, tout le sang de Jésus ; je m’étais emparée de lui au Saint Sacrement, je le serrais étroitement, et je portais partout mon trésor pour le répandre sans crainte de l’épuiser51.

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Le récit de cette vision est bien plus concis que celui du songe prophétique de Marie de l’Incarnation, mais les expressions et les images sont analogues, l’ardeur à parcourir de vastes contrées pour que le Christ y soit connu, aimé et adoré, également. Voir : Le Témoignage de Marie de l’Incarnation, Ursuline de Tours et du Québec, première partie, « Neuvième état d’oraison, I-IV », Beauchesne, Paris, 1932, p. 183-196. Marie Guyart (1599-1672), connue sous le nom de « Marie de l’Incarnation », est une Ursuline de Tours (France) et de Québec (Canada). Mariée en 1616, veuve en 1619, elle éleva son fils, puis entra chez les Ursulines de Tours. Et en 1639, avec deux autres Ursulines, elle alla fonder un monastère au Québec pour l’éducation des Amérindiennes. Elle a été canonisée le 2 avril 2014. Lettre 2 à Mère Barat, 4 avril 1806.

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Après cette vision, Philippine Duchesne dut attendre douze ans pour aller annoncer l’Amour et la Compassion du Cœur de Jésus aux jeunes Indiens qui ne le connaissaient pas encore. Elle arriva le 29 mai 1818 à La Nouvelle-Orléans, et fin août au Missouri. Bientôt, dans « ce champ, objet de tant de vœux52 », elle devint elle-même semence. Dans une lettre à son amie et cousine Joséphine, elle en fait ainsi le constat : Nous sommes le grain pourri dans la terre ; en ce moment, à peine pouvons-nous nous retourner, mais nous sommes pleines de confiance, toutes animées à la persévérance, dans l’espérance que les fruits paraîtront un jour. Il importe peu de les goûter en cette vie, pourvu que Dieu soit servi53.

La métaphore biblique du grain tombé en terre dessine un mouvement d’incarnation en terre américaine. Quant à la brève description qui l’accompagne, elle révèle les attitudes spirituelles de Philippine : un sens radical de la pauvreté, vécue dans une profonde confiance en Dieu. « Il importe peu … » Philippine ratifie ce qui lui est demandé : laisser place au réel et à l’inconnu de la fécondité à venir, dans l’abandon à la Providence. Elle vivait ainsi ce que les Constitutions lui proposaient : « S’unir aux sentiments intérieurs du Cœur de son divin époux, qui étant le maître de tous les biens du ciel et de la terre, a vécu dans le plus entier dénuement de toute chose. » S’y retrouve le sens bérullien de l’abnégation intérieure qui unit à l’anéantissement du Christ en son Incarnation54. Dès son arrivée à Saint-Louis, une rude épreuve la prépare à cette forme de consentement : Mgr Dubourg lui indique que sa mission ne concernera pas les Indiennes, comme il avait été convenu à Paris, mais les Américaines. Au Père Barat, à qui elle apprend le revirement de l’évêque, elle se confie en ces termes55 : Monseigneur nous montre sa position : celle des premières Dames Ursulines, et nous dit d’aimer maintenant notre abjection, que les fruits seront dans l’avenir. J’ai été devant lui comme un rocher qui reçoit des coups de poinçons. Je vais les yeux fermés ; la Providence ouvrira la voie, s’il lui plaît. 52 53 54

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Lettre 1 à Mère Bigeu, 30 mai 1818. Lettre 12 à Mme de Rollin, 18 février 1821. P. de Bérulle, Opuscule CXXXII, col. 1165, c 914, Éd. Migne. Cité dans le Dictionnaire de spiritualité, t. I, Beauchesne, Paris, 1933, col. 560-561 : R. Daeschler, Anéantissement, I, « L’anéantissement au sens actif ». Lettre 3 au Père Barat, 29 août 1818.

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Son abandon à l’action du Christ, dans une conscience vive des adversités, la caractérisera durant toute sa vie. Il s’exprime ainsi, à nouveau, au moment de la chute des banques et de la dévaluation de la monnaie : Quand nous sommes arrivées à Saint-Louis, l’argent y était abondant, les terres et maisons à des prix excessifs. Il a paru plus convenable de bâtir où nous sommes ; ce n’était point mon avis, mais il y a eu nécessité de suivre celui des autres et d’emprunter pour finir. (…) Ce sont là de ces événements inattendus contre lesquels la prudence humaine ne peut rien. Mais la Providence est là et nous comptons tellement sur elle que nous tiendrons fermes à notre poste ; nous sommes tellement persuadées que Dieu nous y a placées lui-même, que pas une n’exerce de repentir56.

Pour cette femme dont l’intrépidité missionnaire s’accompagnait de réelles capacités de mise en œuvre, un tel abandon nécessitait une profonde liberté intérieure, reçue de Celui qu’elle préférait en toutes choses. Le secret de sa débordante activité, de sa compassion active envers les malades, de sa bonté vis-à-vis des élèves et des novices, était en effet son union aux « dispositions intérieures du Cœur de Jésus57 ». En 1847, au cours d’une visite aux religieuses du Sacré-Cœur de Bruxelles, le Père De Smet58 brosse à nouveaux frais le profil spirituel de notre missionnaire, cinq ans avant sa mort. Céline de Groote, RSCJ, transmet ainsi son témoignage : Il nous disait que la Mère Duchesne a parcouru tous les échelons qui mènent à la sainteté, et disait n’avoir jamais vu une âme plus ardente pour Notre Seigneur, qu’à son avis, elle aurait pu rivaliser avec sainte Thérèse ; qu’il n’avait pas rencontré d’âme plus pauvre dans sa vie pri56 57 58

Lettre 12 à Mme de Rollin, 18 février 1821. L’expression « s’unir et se conformer aux dispositions intérieures du Cœur de Jésus » revient souvent dans les Constitutions de la Société du Sacré-Cœur de Jésus. Pierre-Jean De Smet (1801-1873), SJ, né en Belgique, est un célèbre missionnaire des Indiens du nord-ouest. Arrivé en Amérique en 1821, il fait son noviciat avec d’autres jeunes Jésuites venus en nombre dans le Maryland. Il part au Missouri en 1823, est ordonné prêtre en 1827 et commence bien vite ses longs voyages missionnaires. Il a tellement la confiance des Indiens qu’il est souvent leur compagnon de voyage et leur interprète, en leur faveur, auprès du gouvernement. De retour à Saint-Louis, il est économe de l’université de Saint-Louis. En 1838, il part fonder la mission des Potawatomis. Il a souvent rendu visite à Philippine et a pris soin de ses élèves indiennes.

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vée, qu’elle était l’émule de saint François d’Assise ; d’âme plus apostolique pour conquérir des âmes que saint François Xavier. Elle lui avait communiqué son zèle pour la conversion des infidèles.

Les trois comparaisons sont significatives. Selon la première, Philippine Duchesne était « une âme ardente » à la manière de sainte Thérèse d’Avila. La vision de sa vocation missionnaire en Amérique, la nuit du Jeudi saint 1806, indique en effet à quel type d’oraison le Seigneur la conviait. La référence au Cantique des cantiques, qui apparaît dans ses premiers échanges épistolaires avec Sophie Barat, le révèle à son tour : du « Bien-aimé », elle attendait tout, recevait tout, pour le lui offrir en retour. C’est pourquoi elle était vaillante comme sainte Thérèse. Sa générosité sans limite ne s’épuisait ni à l’égard des élèves, ni des scolastiques jésuites, ni des jeunes supérieures de Louisiane à qui elle envoyait des renforts au détriment des maisons du Missouri. Mme Ella M. La Motte, une ancienne élève, l’évoque de façon bien concrète : Son visage était fort et tendre. Elle avait un grand amour des petits enfants, les gardant autour d’elle autant que possible et si, à ce moment-là, elle parlait très peu et dans un très mauvais anglais, toutes les filles adoraient être avec elle. Bien que les temps fussent durs et les provisions souvent rares, elle veillait à ce que les élèves en aient le mieux possible et, chaque dimanche, elles avaient un traitement spécial. Elle amenait les filles à l’office où chacune choisissait dans le garde-manger ce qu’elle préférait. Sa délicatesse à ces occasions était énorme59.

Elle priait durant de longues heures au cours de la nuit. Plusieurs anciennes élèves de Grenoble relatent cette anecdote : voyant la Mère Duchesne en prière à la chapelle dans la même position, soir et matin, elles déposèrent après complies des petits morceaux de papier sur la traîne de son voile. Lorsqu’elles arrivèrent le lendemain matin, les morceaux de papier étaient toujours là… Le témoignage de la Mère Monzert présente l’un des fruits de ce don d’oraison : Cette vénérée Mère semblait avoir une connaissance intuitive des faits et des événements. À l’occasion de mon départ de Saint-Charles, des ordres stricts avaient été donnés de ne pas faire mention du fait à Mère 59

C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3, Testimony to her life and virtues, given by old pupils and secular friends. Témoignage de Mme Ella M. La Motte.

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Duchesne. Mais le matin de mon départ, elle vint à moi, m’embrassant avec affection comme adieu, sans dire une parole ; c’était le temps du grand silence. Des larmes remplissaient ses yeux en se dirigeant vers la chapelle60.

Au-delà de la banalité des anecdotes, se perçoit ce qui animait la vie de cette missionnaire : par la contemplation, s’unir au Christ pour faire connaître son Amour libérateur, toujours offert. Les Indiens potawatomis ne s’y sont pas trompés en la surnommant « la femme qui prie toujours ». La deuxième comparaison du Père De Smet concerne son sens de la pauvreté. Selon lui Philippine était « l’émule de saint François d’Assise ». Mme Thatcher en témoigne ainsi : Je l’ai vue travailler au jardin, décortiquer le maïs, arracher les choux, et j’ai vu que ses mains, dont la peau était coupée, saignaient à cause de ce travail acharné. Je remarquais particulièrement qu’en travaillant ainsi, elle avait une douce et placide expression sur son visage, comme si ses pensées étaient dans le Ciel.

La suite de la description est pleine de sel : « Son jupon ressemblait à un patchwork, et ses chaussures, je n’en avais jamais vu comme les siennes et je n’en verrai plus. Si une religieuse pratiquait la pauvreté, c’était bien elle61. » La joie du « poverello » accompagnait cette simplicité de vie et se communiquait au pensionnat : Je n’ai jamais vu, atteste Mme Thatcher, une école plus joyeuse et plus sainte que la sienne. Et lorsque nous avons déménagé à The City House, à Saint-Louis, nous avons été étonnées d’y trouver un esprit mondain, si différent de celui de notre heureuse maison de Florissant. 60

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C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3, Testimony to her life and virtues, given by RSCJ. Témoignage de la Mère Monzert. Marie-Rose Monzert, RSCJ, née en 1828 à Berne (Suisse), arrive à Saint-Louis MO avec sa famille en 1830. Elle entre au Sacré-Cœur de Saint-Louis en 1847, fait ses premiers vœux en 1849. Comme aspirante, à Saint-Charles, elle est chargée de prendre soin de Philippine à son retour de Sugar Creek. Elle fait sa profession religieuse en 1876, est décédée le 8 décembre 1903, à Saint-Charles. C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3, Testimony to her life and virtues, given by old pupils and secular friends. Témoignage de Ann B. Thatcher, Ferguson MO, July 18th 1892, ancienne élève de Florissant (1838-1840), née Anne Chambers et petite-fille de John Mullanphy, donateur de la propriété de Saint-Louis.

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Le témoignage de Mme M. LaMotte vient aussi le confirmer : « Elle était une noble et brillante femme, mais avec la simplicité de l’enfant que j’étais, et qui la suivait au potager dans les rangées de pommes de terre. » Depuis longtemps, Philippine désirait « rendre quelque service à Notre Seigneur et de n’être riche que de Lui62 ». Dans ses dernières années, cet élan est bien vivace et s’exprime sous la forme de petits cadeaux pour les missions indiennes : « C’est le présent d’une pauvre, dit-elle au Père De Smet, adressé aux pauvres, les vrais amis de Jésus-Christ63. » La troisième comparaison porte sur son zèle missionnaire. Pour l’apôtre des montagnes Rocheuses64, seul saint François Xavier était « plus apostolique ». Dans le récit de sa vocation, Philippine Duchesne évoque l’attrait et l’influence des missionnaires jésuites, en particulier de l’apôtre de l’Inde et du Japon : « Combien de fois ne lui ai-je pas dit, dans mon impatience : « Grand Saint, pourquoi ne m’appelez-vous pas et je vous répondrais ». Il est mon saint d’affection. » À l’arrivée des Religieuses du Sacré-Cœur à La Nouvelle-Orléans, le médecin des Ursulines leur prédit le développement rapide de la Haute-Louisiane, « convertie en peu d’années en une autre France pour le climat, la fertilité, le commerce et la civilisation65 ». Philippine se met alors à rêver d’aller plus loin, vers l’ouest, en Corée et au Japon, pour y entreprendre d’autres implantations missionnaires. Dans le même temps, elle n’hésite pas à rabrouer Sœur Catherine Lamarre qui refuse de travailler avec les esclaves des Ursulines. Elle lui rappelle qu’elles sont justement venues pour l’éducation des Noires, qui ont la même âme que la sienne, sont rachetées du même Sang de Jésus-Christ et reçues dans la même Église ; et que, si elle ne veut pas les fréquenter, elle peut rentrer en France par le vaisseau qui va lever l’ancre66. Mais une forte déception l’attend à Saint-Louis : non seulement il lui faut renoncer au projet initial d’éduquer les Indiennes mais aussi, se conformer à la loi de ségrégation raciale qui interdit l’admission de filles « de couleur » au pensionnat, à l’école et au noviciat. 62 63 64 65 66

Lettre 1 à la Mère Barat, mars 1806. Lettre 3 au Père De Smet, 29 avril 1849. P.-J. De Smet, Missions de l’Oregon et voyages dans les montagnes Rocheuses en 1845 et 1846, Poussielgue-Rusand, Paris, 1848. Lettre au Père Varin, 4 juin 1818. Lettre 10 à Mère Barat, 7 juin 1818.

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Cette forme d’exclusion a dû faire l’objet d’un rude combat spirituel, où les références familiales ont pu ressurgir ici ou là. En effet, si son éducation lui avait donné des représentations culturelles et ecclésiales de l’Ancien Régime, elle l’avait aussi dotée d’une ouverture intellectuelle et d’un sens nouveau de la justice sociale. Dans son cercle familial, elle avait fréquenté M. de Gérando67, précurseur de l’ethnologie française, qui contribua avec Camille Jordan à développer l’instruction des enfants d’ouvriers d’usine68. Quant à son père, il avait promu un projet de loi pour l’instruction publique des pauvres à l’assemblée du Tribunat. On comprend pourquoi celle dont la ferveur aurait pu « rivaliser avec sainte Thérèse, être l’émule de saint François d’Assise » et disciple de saint François Xavier, se soit offusquée devant le commerce malhonnête des marchands de peau, qualifiés de « vrais sauvages », parce qu’ils contribuaient à rendre les Indiens dépendants de l’alcool, forme subtile d’esclavage. Son indignation était vive, car c’était pour eux qu’elle était venue en Amérique. Une distance historique

Le choc culturel vécu par cette pionnière invite à une mise en perspective des contextes européen et américain, l’un et l’autre étant marqués par des courants ethnocentriques aux valeurs contrastées. Dans 67

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Joseph-Marie de Gérando (1772-1842) fait ses études chez les Oratoriens de Lyon avec les fils Jordan et Perier. Engagé dans le mouvement fédéraliste lyonnais qui combat les troupes de la Convention, il émigre en Italie en 1793. Rentré en France en 1795, il remporte le premier prix au concours de l’Institut de France, dont il sera élu membre en 1804. Auteur d’un des premiers guides d’enquête ethnographique, il pose les principes de l’observation participante des peuples primitifs, définit l’ethnologie comme science. En 1802, avec Camille Jordan et Mathieu de Montmorency, il fonde la « Société d’encouragement pour l’éducation industrielle du peuple ». Il publie le Cours Normal pour les élèves-instituteurs (1815) et un rapport sur les écoles de filles (1816). Co-fondateur de la première Caisse d’épargne (1818), il crée l’École des Chartes (1821). Promu pair de France (1837), il est l’auteur d’ouvrages célèbres, connus Outre-Atlantique : le Traité de la Bienfaisance publique (1839) résume le sens de son action philosophique et politique. Camille Jordan (1771-1821) est un cousin et ami d’enfance de Philippine. Adversaire de la Révolution, il participe à l’insurrection lyonnaise de 1793, se réfugie en Suisse, puis en Angleterre et rentre en France en 1796. Député du Rhône au Conseil des Cinq-Cents en 1797, il défend la liberté du culte et s’oppose à la déportation des prêtres. Il échappe à la déportation grâce à l’intervention de J. de Gérando, s’enfuit à Bâle, puis à Tübingen et à Weimar, où il retrouve ses amis Mounier, Goethe, Schiller, Herder. De retour en France en 1800, il fréquente Chateaubriand, les salons de Mme de Staël et de Mme Récamier. En 1805, il épouse Louise-Philippine Magnieunin (1785-1860). Il est député de l’Ain de 1816 à 1818. Il est mort à Paris le 19 mai 1821, a été inumé au cimetière du Père Lachaise.

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certaines lettres ou relations, les imaginaires s’affrontent. Les premières appréciations de Philippine Duchesne relèvent de catégories humanistes françaises. Le fait que ses opinions soient exprimées sous forme de confidence – à la supérieure générale ou à ses amis – ne les atténue pas, mais révèle plutôt l’arrière-fond culturel qui les détermine. D’après Dominique Deslandres, celui-ci est commun aux missionnaires qui « ne peuvent simplement pas croire en une meilleure façon de vivre que la leur. Elle fonde toutes leurs certitudes69 ». Dès son arrivée à La Nouvelle-Orléans, Philippine Duchesne est choquée par le racisme ambiant, étonnée « qu’on n’eût que des Noirs pour le service dans ce pays », que les Blancs refusent ce genre de travaux sous prétexte d’égalité entre hommes d’une même race. Elle demande donc d’envoyer des sœurs coadjutrices pour le jardinage et le ménage. Il en coûte à cette femme de la haute bourgeoisie grenobloise de découvrir des comportements éloignés des valeurs des familles du Sacré-Cœur de France. Si elle a pu quitter ceux et celles qu’elle aimait, s’arracher au terroir natal, à sa « montagne », traverser l’océan, elle n’a pas pour autant rompu avec son milieu d’origine, sa culture et ses références. Elle s’insurge donc contre les mœurs américaines qui vont à l’encontre des objectifs qui l’ont motivée à venir dans le Nouveau Monde. La vivacité de sa plume franchit alors les frontières de la retenue mondaine. Toutefois, de même que son père, Pierre-François Duchesne, était l’homme du seuil entre l’Ancien Régime et la modernité70, de même le système de références de Philippine relevait à la fois du passé et du présent. Comme le note Sarah A. Curtis, ses conceptions étaient « enracinées dans l’Ancien Régime aussi bien que dans la nouvelle dynamique religieuse qui avait succédé à la destruction de l’Église catholique par la Révolution71 ». Certaines difficultés de gouvernance y ont peut-être 69 70

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D. Deslandres, Croire et faire croire : Les missions françaises au xviie siècle, « Le phénomène missionnaire à l’aube des temps modernes », Fayard, Paris, 2003, p. 31-33. Pierre-François Duchesne, fils d’Antoine Duchesne et de Marie-Louise Enfantin, né à Romans le 6 octobre 1743, fait ses études de droit à Orange. Avocat au parlement de Grenoble, il épouse Rose-Euphrosine Perier le 28 septembre 1766. En 1781, il fonde la Bibliothèque publique de cette ville, en est le directeur. Estimé pour son indépendance d’esprit et la rectitude de ses plaidoiries, il est bâtonnier du parlement de Grenoble en 1788. Devant les outrances révolutionnaires, il se retire de la vie politique (1789-1797). Élu en mai 1797 député de la Drôme au Conseil des Cinq-Cents, puis secrétaire, il devient membre du Tribunat (25 décembre 1799), en est le président en juin 1800. Il est le seul, avec Carnot, à voter contre le consulat à vie demandé par Bonaparte en 1802. Revenu au barreau de Grenoble, il est élu au Sénat, mais l’Empereur refuse de le nommer. Il est décédé à Grenoble, le 29 mars 1814. S. A. Curtis, « Traverser les frontières : Philippine Duchesne et les Sœurs du Sacré-Cœur dans le Missouri des années 1820 aux années 1840 », T. Villerbu (ss dir), Missionnaires ca-

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trouvé leur cause. Si sa volonté d’adapter le plan d’études du Sacré-Cœur exprimait une accommodation à la culture américaine, sa résistance à assouplir la clôture relevait d’un attachement à une forme ancienne de vie religieuse, qui ne facilitait ni les visites ni les rapports avec les parents. Comme la plupart des catholiques de son temps, Philippine Duchesne considérait les protestants comme hérétiques. Ce préjugé risque d’étonner, voire de choquer aujourd’hui. Il provient de la théologie de la Contre-Réforme. Sa conception des souffrances et du jugement de Dieu est celle des xviie et xviiie siècles72, dont l’horizon théologique est marqué par le dolorisme, hérité de l’augustinisme et de sa doctrine du péché originel, renforcée par le jansénisme. Son interprétation des calamités survenues à Saint-Louis en 1849 (de terribles incendies suivies du choléra et de la dysenterie) en est un exemple frappant. Ils sont vus comme « des châtiments que Dieu envoie pour l’observance mal gardée de ses lois73 ». Cette façon de relire certains drames humains était alors commune en Europe74. Certaines pratiques risquent aussi d’être incomprises si elles ne sont pas resituées dans le contexte de l’époque. Ainsi le vœu à saint François Régis, fait le 16 juin 181775. Sa réalisation posait ipso facto l’obligation d’en honorer la promesse, car le sens du vœu singulier en usage était celui d’une dette religieuse. Selon Alain Boureau, le vœu médiéval commence avec saint Augustin pour qui, dès l’émission du vœu, la personne est liée. Il ne lui est plus permis d’agir autrement, elle est devenue débiteur du vœu (voti reus)76. Le Décret de Gratien (1150) y adjoint une teneur juridique :

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tholiques français aux États-Unis, 1791-1920, Histoire et missions chrétiennes N° 17, Karthala, Paris, mars 2011, p. 59. Ph. Duchesne et J. Savoye de Rollin ont été pensionnaires à Sainte-Marie d’En-Haut. De leur formation, elles ont gardé une même image de Dieu. L’auteur de la notice de Joséphine le mentionne ainsi : « Son cœur si pur et si chrétien ne put se défendre, au dernier moment, de la crainte des jugements de Dieu. » Albert du Boÿs, Notice nécrologique de Mme Savoye de Rollin, Bibliothèque municipale de Grenoble, 0. 14568. Lettre 82 à Mme Jouve, 12 septembre 1849. Ph. Boutry, P.-A. Fabre et D. Julia (ss dir), Rendre ses vœux, Les identités pèlerines dans l’Europe moderne (xvie-xviiie siècle), « Promesses, dons et mécénat. Le pèlerinage noble au Portugal entre salut et représentation, xve-xviiie siècles », École des hautes études en sciences sociales, Paris, 2000, p. 341-362. Original autographe. Blessed Philippine Duchesne, Personal documents-birth-baptism. Some letters and notes. C-VII 2) d Duchesne-Life-Box 2. Ce vœu comprend quatre obligations : faire dire une neuvaine de messes à La Louvesc lors de l’embarquement pour la Louisiane ; être employées à l’instruction des Sauvagesses selon le désir de saint Régis ; établir un autel en son honneur ; lui consacrer la maison et célébrer sa fête. Alain Boureau, Le désir dicté, Histoire du vœu religieux dans l’Occident médiéval, « Lettre 127 adressée à Armentarius et Paulina en 411 », Les Belles Lettres, Coll. Histoire, Paris, 2014,

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on se rend « débiteur d’un vœu par l’obligation qui s’ensuit ». C’est vraisemblablement à cette signification que se référait Philippine lorsqu’elle demandait de faire dire des messes à La Louvesc, de respecter le tableau de saint François Régis et l’autel érigé en son honneur à Saint-Ferdinand. La distance historique de ces conceptions et convictions implique donc d’en franchir les frontières et de découvrir deux espaces culturels peu familiers, celui des missionnaires européens du xixe siècle et celui du Nouveau Monde en train de s’établir. Les situer en dialogue avec notre propre culture permet d’aller à la rencontre de cette missionnaire qui, en 1818, est allée planter sa tente aux confins des tribus indiennes et du Congrès américain. L’ouvrage qui nous occupe est publié à l’occasion des 200 ans de l’arrivée de Philippine Duchesne et de ses compagnes en Amérique du Nord. Une occasion d’évoquer la mémoire de celle qui a été reconnue par le gouvernement de Jefferson City, en 1918, comme la première femme pionnière du Missouri77.

Carte 1. Traversée de l’Atlantique sur La Rebecca.

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p. 22-24. C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3. ‘et exaltavit humiles’ ! Hommage rendu par le Missouri à la Vénérable Mère Philippine Duchesne, le 9 avril 1918 : « Deux grandes plaques en bronze, l’une avec représentation allégorique des types, l’autre portant gravés les noms des élus, fut fixée au Mémorial Jefferson, superbe musée historique. (…) La première place fut assignée à Rose Philippine Duchesne, Religieuse du Sacré-Cœur, lorsque fut posée la question : qui sera placée à la tête de la liste de nos femmes célèbres ? Tel fut le vote unanime du comité composé de 200 membres, hommes et femmes, tous protestants à peu d’exceptions près. »

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Carte 2. Carte de la Louisiane, 1840.

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Carte 3. Premières fondations aux États-Unis.



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PARTIE CRITIQUE Le travail d’édition

Deux Religieuses du Sacré-Cœur, une de chaque pays où sainte Philippine Duchesne a vécu, ont préparé cette édition. Elles partagent une même conviction : la spiritualité des Religieuses du Sacré-Cœur est faite de « veines » et de tonalités différentes. À ce titre, il est important de faire connaître davantage la vie de cette sainte qui n’a pas hésité à franchir les frontières pour annoncer l’Évangile. Aujourd’hui, sa figure missionnaire peut faire sens dans un monde globalisé. Marie-France Carreel, docteur en Sciences de l’Éducation de l’Université Lumière Lyon 2, a donné des sessions en France et à l’étranger sur la spécificité éducative de la Société du Sacré-Cœur de Jésus. Elle a publié sa thèse et quelques articles, a contribué à la publication d’anthologies de textes missionnaires. Elle a enseigné la philosophie de l’éducation en Licence de Sciences de l’Éducation à l’Institut Catholique Saint-Jean et au Centre de Formation des Professeurs d’École de l’Enseignement Catholique de Marseille, et l’anthropologie philosophique au Séminaire interdiocésain d’Avignon. Carolyn Osiek a été pendant trente-deux ans professeur du Nouveau Testament à l’Union catholique de théologie de Chicago, puis à l’Université chrétienne du Texas, à Fort Worth. Ancienne présidente de l’Association biblique catholique en Amérique et de la Société de Littérature biblique, elle est l’auteur ou l’éditeur de dix ouvrages et de nombreux articles. Depuis sa retraite, en 2009, elle est archiviste de la province des États-Unis-Canada de la Société du Sacré-Cœur. Son contact avec sainte Philippine Duchesne a commencé dès l’âge de huit ans, à son entrée à Saint-Charles, Missouri, dans la première école fondée par la Mère Duchesne, maison où elle est décédée. Cette publication aux Éditions Brepols est le fruit de leur étroite collaboration, tout au long du processus de préparation. Marie-France Carreel, française, a établi la liste des documents et réalisé leur transcription numérique. Carolyn Osiek, américaine, s’est chargée de la préparation des chapitres et de la démarche d’édition. Ensemble, elles

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Partie critique

ont procédé à l’élaboration des notes, Marie-France Carreel ayant la responsabilité de la documentation française et Carolyn Osiek, de la documentation américaine. Le fonds d’archives

L’ensemble des écrits comprend 656 lettres, des relations dont l’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut (1801-1813), trois journaux de maison et quelques chronologies relatives aux fondations de la Société du Sacré-Cœur de Jésus ou à la vie de la Mère Duchesne78. Les lettres constituent plusieurs séries : 146 à Madeleine-Sophie Barat, Supérieure générale ; 150 aux autres religieuses du Sacré-Cœur (y compris ses trois nièces) ; 143 à sa famille ; 196 aux prêtres, dont 148 à Mgr Rosati ; 21 aux élèves et autres laïcs. Sauf une lettre en anglais, tous les documents sont écrits en français. La majorité d’entre eux se trouvent aux Archives générales de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, à Rome79 ; les autres font partie des Archives de la province USA-Canada. Les règles de transcription

Même si certaines lettres ont été dactylographiées, la plupart des documents sont manuscrits, qu’il s’agisse d’originaux ou de copies. Philippine Duchesne a parfois écrit sur un morceau d’enveloppe, un papier très fin, avec une encre pâle, préalablement dégelée. La lecture de tels manuscrits a donc été laborieuse ; il a fallu patiemment les déchiffrer. La transcription s’est faite selon les règles suivantes : reproduction intégrale des textes avec une légère modernisation de la ponctuation et des accords de grammaire pour en faciliter la lecture et la compréhension ; restitution des noms propres dont l’orthographe n’était pas fixée au xixe siècle. Lorsqu’il s’agissait d’un prêtre, le nom a été précédé de « Monsieur » en toutes lettres, sauf dans les journaux où l’abréviation 78

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Journal de la maison de Grenoble (JG) ; Journal de la maison de Paris (JP) ; Journal de la Société en Amérique (JSA), dit aussi Journal du Missouri, rédigé à Saint-Charles, Florissant et SaintLouis. Aux Archives générales se trouvent trois recueils – Cantiques, Vie des Saints et Prières – écrits par la Mère Duchesne. Ils n’ont pas été inclus dans cette édition car la plupart des textes semblent avoir été recopiés. Il en est de même pour La Vie d’Aloysia Jouve, rédigée à partir du texte de Th. Maillucheau ; son intérêt toutefois tient aux suppressions ou aux ajouts qui montrent l’indépendance d’esprit de Ph. Duchesne.

Partie critique



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« M. » a été utilisée. De même, dans la plupart des cas, le mot « Madame » en toutes lettres a été réservé aux religieuses de diverses congrégations. Les phrases et les mots soulignés dans le manuscrit ont été mis en italique, les mots ajoutés mis entre crochets. Le mot « Sacré-Cœur » était écrit sans tiret lorsqu’il s’agissait du cœur de Jésus et non d’une école. Selon les lettres, la recommandation à saint Antoine de Padoue était plus ou moins en abrégé ; nous avons respecté ces variations qui font partie intégrante du style épistolaire. Certaines notes biographiques sont succinctes ou incomplètes, car aux Archives générales de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, le Registre des vœux n’existe qu’à partir de 1820 et les Catalogues qu’à partir de 1840. De plus, les Lettres Annuelles ne relatent souvent que les derniers instants de la défunte et certains journaux de maison ont été perdus, comme c’est le cas de celui de la maison de Grenoble pour la période de 1822 à 1830. À défaut d’avoir un document officiel fiable, tel un acte de naissance ou de vœux, il a donc fallu consulter non seulement les Catalogues existants mais aussi les Lettres Annuelles et les Listes des défuntes pour vérifier la concordance des dates. Il en a été de même pour le nom des personnes. Pour chaque entrée dans l’index la note contenant la biographie est en italique et caractère gras.

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Sources et bibliographie

—, édité et annoté, « John Timon, Barrens Memoir, 1861 », Vincentian Heritage Journal, Article 4, vol. 22, fasc. 1, 2001, p. 45-105. Sales (François de), Introduction à la Vie dévote, 1604. Serre (Robert), Grâne, Histoire d’un village du Val de Drôme des origines à 1900, 2 vol., Crestois, 1992-1993. Scupoli (François, dit Laurent), Le Combat spirituel, Venise, 1589. Surin (Jean-Joseph),  SJ, Catéchisme spirituel de la perfection chrétienne, 2 vol., Paris, 1659. —, Fondements de la vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation de Jésus-Christ, Impr. Le Mercier, Paris, 1737. —, Dialogues spirituels où la perfection chrétienne est expliquée pour toutes sortes de personnes, Impr. Fr.  Seguin, nouvelle édition, Avignon, 1821. Spillemaecker (Chantal), Sainte-Marie d’En-Haut à Grenoble, quatre siècles d’histoire, Musée dauphinois, Grenoble, 2010. Webster (Anne Kathryn), RSCJ, La correspondance entre Mgr Joseph Rosati et Sainte Philippine Duchesne, traduite et annotée, Saint-Louis Université, 1950.

chapitre premier

1769-1818 Avant le grand départ

INTRODUCTION Une terre, une famille, une culture

Avant 1790, le Dauphiné correspondait aux trois départements actuels de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère, à la principauté d’Orange et à une partie du Rhône1. Au xviiie siècle, il connut une période de croissance économique dont profita la bourgeoisie : toiles de Voiron2, ganteries et draps de Romans, filatures et tissages de la soie à Vizille et dans le Rhône. La vie intellectuelle y était vivante, notamment à Grenoble, où fut ouverte une bibliothèque publique, dont certains membres, savants, philosophes, hommes politiques, sont restés célèbres3. La situation géographique de cette province et son histoire, traversée par de terribles guerres de religion, forgèrent le caractère des habitants dont la ténacité, la profondeur, la finesse et le calme sont devenus légendaires. C’est sur cette terre que Rose-Philippine Duchesne est née le 29 août 1769, à Grenoble, deuxième enfant de Pierre-François Duchesne4, avocat au Parlement de Grenoble, et de Rose-Euphrosine Perier5. Les 1

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Au xie siècle, le Dauphiné était un État, subdivision du Saint-Empire romain germanique. En 1349, il fut rattaché au Royaume de France, constituant l’apanage du fils aîné du roi de France qui prenait dès sa naissance le titre de Dauphin. En 1790, il fut divisé en départements. Jacques II Perier (1702-1782) est le père de Mme Duchesne, mère de Philippine. Consul de Grenoble, fondateur et directeur de la fabrique de toiles de Voiron, actionnaire de la Compagnie des Indes, il possédait de nombreuses terres en France, en particulier en Dauphiné et en Provence. On compte parmi eux : Déodat Gratet de Dolomieu, géologue ; Jacques Vaucanson, créateur d’automates et de machines à tisser ; Gabriel Bonnot de Mably et Étienne Bonnot de Condillac, philosophes ; Jean-Joseph Mounier et Antoine Barnave. P.-F. Duchesne a fondé cette bibliothèque publique en 1781. Armoiries de la famille Duchesne : en argent, au chêne de sinople (symbolisé par des hachures à 45° partant du haut à gauche, et de couleur héraldique verte), englanté d’or, accosté de deux étoiles de gueules en chef (émail de couleur rouge). Voir U. Chevalier, Armorial historique de Romans. Rose-Euphrosine Perier, née le 4 juin 1748, épouse en 1765 Pierre-François Duchesne (17431814). Ils ont huit enfants dont deux meurent en bas âge. Deux filles seront religieuses : Philippine dans la Société du Sacré-Cœur de Jésus et Mélanie à la Visitation de Romans.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Duchesne habitaient le même immeuble que Claude et Marie-Charlotte Perier6, au N° 4 de la Grand Rue, près de la place du Parlement et de la Collégiale Saint-André. Ces deux familles de la haute bourgeoisie financière et parlementaire prodiguèrent une éducation brillante à leurs enfants. Philippine et sa cousine Joséphine Perier furent d’abord confiées à une institutrice, Mlle Sophie, puis aux Visitandines, à Sainte-Marie d’En-Haut7. De retour en famille, elles bénéficièrent de certains cours de l’Abbé Raillanne, précepteur des fils Perier et de leur cousin Camille Jordan. Philippine étudia les langues étrangères et connut une vie mondaine. À 17 ans, elle refusa le mariage que ses parents lui proposaient et déclara sa ferme intention de devenir Visitandine. En janvier 1788, elle entra au noviciat de Sainte-Marie d’En-Haut. Une situation politique au bord du gouffre

En cette fin du xviiie siècle, la monarchie française se trouvait confrontée à une forte crise politique, économique et financière, les tentatives de réforme n’ayant pas été menées à leur terme. La détérioration des conditions de vie était mal supportée par le peuple qui s’indignait devant la persistance des privilèges. Le 21 août 1787, la province du Dauphiné fut la première à réclamer la tenue des États généraux. Le tournant décisif eut lieu en l’année 1788. Par les édits du 8 mai 1788, le Garde des Sceaux Lamoignon et le Contrôleur général des finances Loménie de Brienne réduisirent les pouvoirs des parlements provinciaux. L’opposition gagna alors tout le pays. Le Parlement du Dauphiné – ou Parlement de Grenoble – était une cour souveraine de justice qui combattait le despotisme et luttait pour la défense des libertés dauphinoises. Les magistrats grenoblois refusèrent les édits de Brienne. Devant leur résistance opiniâtre, le gouverneur les somma de quitter la ville et de se retirer dans leur maison de campagne. Le corps des avocats, dirigé par le bâtonnier Pierre-François Duchesne, sortit de la ville. Mais le tocsin sonna, les habitants arri6

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Claude Perier (1742-1801) épouse en 1767 Marie-Charlotte Pascal (1749-1821). Banquier et industriel, il devient propriétaire du château de Vizille en 1780. Il participe en 1800 à la création de la Banque de France dont il rédige les statuts, est l’un des régents. M. et Mme Claude Perier ont eu douze enfants. Ce monastère a été fondé par sainte Jeanne de Chantal le 8 avril 1618.

Introduction



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vèrent et toute la population s’insurgea contre leur départ8. Une émeute s’ensuivit ; des projectiles furent lancés depuis les toits sur les troupes du régiment de Royal-Marine. La riposte ayant provoqué la mort de deux personnes et des blessures pour d’autres, le gouverneur retira l’ordre de départ des magistrats. Ainsi prit fin la Journée des Tuiles du 7 juin 1788. À la suite de cet événement, le 21 juillet 1788, une première réunion des États généraux du Dauphiné eut lieu au château de Vizille. La deuxième se tint à Romans, le 9 septembre de la même année. Un an plus tard, prévoyant les dérives antimonarchiques et révolutionnaires du gouvernement sous la férule d’Antoine Barnave9, M. Duchesne n’autorisa pas sa fille à s’engager dans l’Ordre de la Visitation, tout en acceptant qu’elle y soit encore novice. De fait, l’Assemblée constituante ne tarda pas à décréter des mesures drastiques : 29 octobre 1789, suspension des vœux de religion ; 2 novembre, nationalisation des biens de l’Église et du clergé ; 21 décembre, il en est de même pour les domaines de la couronne royale ; 13 février 1790, prohibition des vœux monastiques ; séquestration des biens des immigrés, des confréries (à l’exception des francs-maçons) ; même règle en 1792 pour les établissements d’instruction et le 8 mars 1793, pour les écoles et collèges des villes, des paroisses et des communautés religieuses. Par mesure de prudence, les parents de Philippine la retirèrent du couvent avant que les religieuses ne soient obligées d’en sortir. En septembre 1792, la communauté de Sainte Marie d’En-Haut fut contrainte de se disperser10. Un bon nombre d’émigrés s’enfuirent en Savoie, en Suisse et en Italie. D’autres furent arrêtés et incarcérés. Dans les prisons de Grenoble, ils arrivaient par centaines. Philippine et sa cousine Joséphine se joignirent aux Dames de la Miséricorde11 pour visiter ces hommes et ces femmes dans leurs différents lieux de détention. 8 9

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À Grenoble, ville fortifiée de 20 000 habitants, avocats, procureurs, huissiers, clercs, procéduriers et écrivains publics vivaient de la présence de leur parlement. Antoine-Pierre Barnave est né à Grenoble le 22 octobre 1761. Fer de lance de la révolution radicale, il s’est opposé à Mounier (1758-1806) qui souhaitait une constitution à l’anglaise avec deux chambres et un roi disposant du droit de veto. Il fut ensuite arrêté, emprisonné d’abord à Sainte-Marie d’En-Haut, à Grenoble, puis à Paris, où il fut guillotiné le 29 novembre 1793. À la veille de la Révolution, le couvent abritait encore vingt-neuf religieuses de chœur, six sœurs converses et cinq sœurs tourières. « 1792 vit le départ des religieuses. Les objets précieux furent envoyés à la Monnaie de Lyon et les livres à la Bibliothèque de Grenoble. Le couvent fut transformé en maison de détention pour les suspects et fut vite surpeuplé, mais il se vida en 1794 à la fin de la Terreur. En 1797, il devint un dépôt de mendicité. Les bâtiments non entretenus commencèrent à se délabrer ». P. Dreyfus, Histoire du Dauphiné, Hachette, 1976, p. 278. « Confrérie instituée à Grenoble en 1633 par le Père Bernard d’Anglès, 3e supérieur des Jésuites de cette ville. Ces femmes admirables visitent les prêtres incarcérés, leur portent des remèdes,

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Retour à Sainte-Marie d’En-Haut

Après la Terreur, Philippine revint à Grâne (Drôme), dans la propriété de campagne acquise par M. Duchesne. Elle s’y trouvait en mai 1797 lorsque son père partit siéger au Conseil des Cinq-Cents, à Paris12, et lorsque sa mère y rendit son dernier soupir, le 30 juin 1797. Deux lettres de Philippine, adressées à sa sœur Amélie de Mauduit13, datent de la fin de cette même année. La première est écrite de Romans14, la seconde de Grenoble. En 1800, Philippine fit un pèlerinage à La Louvesc au tombeau de saint François Régis. Le 10 décembre 1801, grâce à l’intervention de son cousin, M. Savoye de Rollin15, et de son oncle, Claude Perier, elle obtint l’adjudication du couvent de Sainte-Marie d’En-Haut et vint s’y installer le 14 décembre16. Mme de Murinais, ancienne supérieure, la rejoignit en mars 1802, accompagnée d’autres religieuses. Mais cet essai de réouverture fut de courte durée : les anciennes Visitandines partirent en août 1802. Elles redoutaient une nouvelle expulsion, le décret d’ouverture légale du pensionnat de Sainte-Marie d’En-Haut n’étant pas encore obtenu. Arrivée de la Mère Barat

Philippine reçut alors le soutien des vicaires généraux de Grenoble, les abbés Brochier et Rivet17, chargés d’administrer le diocèse en l’ab-

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les assistent d’aumônes en un temps où les détenus souffrent de la faim dans les prisons de l’État, accompagnent jusqu’à l’échafaud ceux qui sont condamnés à mort, recueillent leur sang. » J. Pra, Revue du livre d’Anne-Marie de Franclieu, La persécution religieuse dans le département de l’Isère, III, Imprimerie Notre-Dame des Prés, Tournai, 1906, p. 422-423. Le Directoire (1795-1799) succéda à la Convention. Il fut marqué par l’opposition violente entre le parti de gauche et celui des royalistes, et par des grosses difficultés financières. Cette situation entraîna le coup d’État de Napoléon Bonaparte, qui prit le pouvoir le 9 novembre 1799 et se fit nommer Premier consul, demanda ensuite d’être Consul à vie (mai 1802). Le vote du Tribunat et du Corps législatif fut positif, mais M. Duchesne vota contre et donna sa démission motivée de président du Tribunat. Amélie Duchesne (1771-1837), sœur cadette de Philippine, s’est mariée le 24 octobre 1786 avec Joseph-Constant de Mauduit, chevalier du Plessis (1760-1850), officier d’infanterie. Cette lettre est chronologiquement le premier écrit conservé aux Archives générales de la Société du Sacré-Cœur de Jésus. Jacques-Fortunat Savoye de Rollin était alors substitut du Procureur général impérial. Voir le récit de ces évènements dans l’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut. L’abbé Rivet a été vicaire général de Grenoble et secrétaire du cardinal Caprara (1733-1810), légat du Saint-Siège. Il négocia avec les Pères de la Foi la réunion de Sainte-Marie d’En-Haut à la maison d’Amiens de la future Société du Sacré-Cœur, a été l’aumônier et le confesseur de la communauté de 1804 jusqu’à sa mort, survenue en 1826.

Introduction



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sence de leur évêque, Mgr du Lau18. En 1803, l’abbé Rivet orienta sa sœur, ancienne carmélite19, vers Sainte-Marie d’En-Haut. L’abbé Brochier rédigea un règlement pour la communauté qu’il appela « Filles de la Propagation de la Foi ». Philippine s’y engagea par vœux simples le 3 mars 1803. L’année suivante, sur la suggestion de l’abbé Rivet et par l’intermédiaire du Père Roger20, les religieuses demandèrent à se réunir à une Congrégation naissante, qui prit ensuite le nom de « Société du Sacré-Cœur de Jésus »21 et dont la première maison était à Amiens. Le Père Roger visita la communauté et y revint avec le Père Varin le 31 juillet 1804. Ils estimèrent « qu’il fallait sans retard y envoyer Mme Barat pour former une maison ». Le 13 décembre 1804, Sophie Barat arriva à Grenoble. Après une année de noviciat sous sa direction, Philippine fit sa profession perpétuelle le 21 novembre 1805. Sa vocation missionnaire ne tarda pas à se préciser. Le Jeudi saint 1806, au cours d’une nuit d’adoration au reposoir, elle comprit dans une vision qu’elle irait instruire les Indiennes du Nouveau Monde. Les documents de cette période

Ce premier chapitre, « Avant le grand départ », est composé de l­ ’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut, des journaux des maisons de Grenoble et de Paris, et de 91 lettres : 62 à sa famille, 22 aux religieuses, 18

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Henri-Charles du Lau d’Allemans (1747-1802) est ordonné évêque de Grenoble en avril 1789 par l’archevêque de Rouen. Il est ensuite retenu à Paris par son oncle Jean-Marie du Lau d’Allemans, archevêque d’Arles. Après le vote de la Constitution civile du clergé en 1790, il part en exil (Piémont puis Suisse et Autriche), administrant son diocèse par l’intermédiaire de ses vicaires généraux. Il meurt en Autriche en 1802. Marie Rivet (1768-1841), RSCJ, sœur de l’abbé Rivet et novice carmélite avant la Révolution, rejoignit Philippine Duchesne le 31 octobre 1802. Nommée supérieure de la communauté en 1803, elle demanda à faire partie de la future Société du Sacré-Cœur. En 1818, elle sera envoyée à Chambéry, y vivra jusqu’à sa mort. Pierre-Aimé Roger (1763-1839), SJ, né à Coutances (Manche), ordonné en 1788, entré dans la Société des Pères du Sacré-Cœur à Augsbourg, est revenu en France avec le Père Varin en 1800. Il fut l’un des témoins de la consécration de Sophie Barat le 21 novembre 1800, à Paris. En 1804, il résidait à Lyon avec le Père Barat. Il rejoignit la Compagnie de Jésus en 1814. Jusqu’en 1815, le nom officiel fut : « Dames de l’Instruction chrétienne ». Celui de Sacré-Cœur était prohibé, car il évoquait soit la révolte vendéenne de 1793, soit la Société du Cœur de Jésus, du Père de Clorivière, interdite en 1804 par Portalis, ministre des cultes.

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3 à la communauté de Sainte-Marie d’En-Haut, 3 à des laïcs et une aux élèves de Grenoble. L’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut relate les faits qui ont précédé l’arrivée de Mme Barat. Le Journal de la maison de Grenoble garde en mémoire les événements qui ont eu lieu depuis la fondation. Il montre comment les nouvelles circulaient d’une maison à l’autre et quel l’intérêt était pris à toute information provenant de parents ou d’amis. L’ouverture d’autres maisons (Gand ; Cuignières ; Poitiers ; Niort) ne manque pas d’être mentionnée ; il en est de même pour les événements politiques ou religieux. La longueur des descriptions indique d’ailleurs l’importance qui leur est accordée ; ainsi en est-il pour le séjour du pape à Grenoble, en chemin vers Fontainebleau22 : nombre de détails sont mentionnés, hormis la présence de Philippine à l’entrevue avec Pie VII23. La majorité des lettres de cette période sont adressées à Mme Jouve. Elles dessinent le réseau familial, en font apparaître les difficultés et les joies. L’attachement réciproque des deux sœurs est évident : Euphrosine réclame plus de courrier, Philippine s’ouvre aux peines de cette sœur tant aimée, l’encourage et l’exhorte. Les événements politiques sont aussi suggérés. En mars 1814, au moment de la contre-offensive française qui repoussa les Autrichiens à Genève24, Philippine répond ainsi à la demande de Mme Jouve de voir revenir ses filles à Lyon : J’ai songé au départ de tes enfants en même temps que d’autres nous demandent asile, et il aura lieu, s’il y a possibilité ; mais sans voiture, sans chevaux et, peut-être, portes fermées. Je ne sais si ce projet pourra s’exécuter. 22

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Le 21 novembre 1806, Napoléon ayant décrété un blocus continental envers l’Angleterre, Pie VII le refusa. La réaction de l’empereur ne se fit pas attendre : les États de l’Eglise furent réduits au patrimoine de Saint-Pierre (1806-1808) ; Rome fut occupée militairement (2 février 1808) ; les États pontificaux furent annexés à l’Empire (17 mai 1809) ; Pie VII et le cardinal Pacca furent emprisonnés à Savone (1809-1812) et Pie VII fut transféré à Fontainebleau (18121814). Voir : Notes de la Mère de Vidaud sur la Vénérée Mère Duchesne. N° 7 ; Notes données par la Révérende Mère Aloysia Jouve, vicaire du Centre, nièce de la Vénérable Mère Duchesne. C-VII 2) d Duchesne-life, Box 3. Les alliés de l’Empire avaient refusé de maintenir le blocus envers l’Angleterre, exigé par Napoléon. Le 15 décembre 1813, les armées de la coalition (Autrichiens, Prussiens, Russes, Royaume-Uni, Suède et plusieurs États allemands) attaquèrent la France. Sur le Front du Rhône (dont il s’agit dans la lettre de Philippine à sa sœur), les Autrichiens prirent Genève le 30 décembre 1813, puis occupèrent Mâcon, Annecy et Chambéry.

Introduction



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Elle paraît d’ailleurs bien informée de l’avancée des opérations militaires lyonnaises, car elle précise : Maintenant, il a paru une proclamation du général qui exhorte à se défendre et on dit que l’ennemi est près. On tâche de lui faire entendre que, sans troupes et seulement quelques gardes nationales, il est impossible de résister25.

La lettre du 18 avril 1814 indique que leur sœur, Amélie de Mauduit, a été « retenue par les neiges de Dieu et les troupes qui barraient l’autre route ». Par suite, « l’enterrement [de leur père] a été simple, vu les circonstances et l’inconvénient de sonner les cloches, ce jour-là : c’était le 29 mars. » Après l’abdication de Napoléon le 6 avril 1814, Louis XVIII, frère de Louis XVI, monta sur le trône. La dynastie des Bourbons était de retour ; c’était la Restauration26. Un an après, en octobre 1815, Philippine Duchesne fut appelée à Paris pour participer au Conseil général qui attribua le nom de Société du Sacré-Cœur de Jésus à la nouvelle Congrégation composée de cinq maisons27, et adopta ses Constitutions. Nommée secrétaire générale, Philippine le restera jusqu’à son départ pour l’Amérique. À ce titre, elle rédigea Le Journal de la maison de Paris jusqu’en décembre 1817. La précision et la concision de l’écriture font de ce texte une page d’histoire des débuts de la Société du Sacré-Cœur. Philippine y évoque tout d’abord la tentative de l’Abbé Sambucy de Saint-Estève, en l’absence de la Mère Barat, de s’arroger le pouvoir et de se situer fondateur de la première communauté religieuse, à Amiens28. Elle montre ensuite comment l’essai d’usurpation fut déjoué et souligne l’un des points majeurs de divergence, à savoir le but de l’Institut : « Le premier dessein de nos instituteurs ayant été de nous dévouer spécialement au 25

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De fait, le maréchal Augereau, chargé de défendre Lyon et de reprendre Genève, évacua la ville de Lyon au cours de la nuit du 21 au 22 mars 1814 pour ne pas encourir sa destruction. Et il se replia sur Valence. Lors des Cent-Jours, Napoléon reprit le pouvoir (20 mars-22 juin 1815), mais la défaite de Waterloo, le 18 juin, le conduisit à abdiquer le 22 juin, à Paris. Ces cinq maisons se situaient à : Amiens, Grenoble, Cuignières, Poitiers et Niort. La maison de Gand, fondée en 1808, avait quitté la Société du Sacré-Cœur en 1814, suite aux problèmes provoqués par l’Abbé de Saint-Estève. Elle demandera sa réintégration en 1832. Sur ce sujet, voir : J. de Charry, Histoire des Constitutions de la Société du Sacré-Cœur, seconde partie, Vol. I : Exposé historique, « Introduction : L’Association des Dames de l’Instruction chrétienne au 1er novembre 1815 – La question des Constitutions », Université Grégorienne, Rome, 1979, p. 52.

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Sacré-Cœur de Jésus, celles qui voulaient suivre cette première vocation devaient avoir une règle où tout portât à aimer et glorifier le Sacré-Cœur. » Puis elle décrit le déroulement du Conseil général de 1815. Après ces pages qui font mémoire de « la naissance ou plutôt de l’affermissement de notre Société qui avait toujours désiré pouvoir se glorifier d’appartenir de nom et d’effet au Sacré Cœur de Jésus », elle mentionne l’accueil fait aux Constitutions dans chacune des communautés et par l’évêque du lieu. Les nouvelles fondations sont décrites : à Beauvais, le 19 mars 1816 ; à Paris, rue des Postes, le 27 mars 1816. Cette dernière se présente comme maison-mère, lieu d’accueil, de passage et d’envoi des religieuses, dont le nombre augmente rapidement. Un noviciat général est ouvert. Octavie Berthold y arrive de Grenoble le 19 avril 1816 ; Eugénie Audé, le 15 juillet. Elles feront partie de la première communauté envoyée en Amérique, deux ans plus tard. Le 21 octobre 1816, une première allusion est faite à ce projet : Le Père Barat donne l’espoir, d’après la conversation qu’il a eue avec Mgr  Dubourg, évêque de La  Nouvelle-Orléans, que notre Société pourra s’établir dans son diocèse pour l’instruction des petites filles, œuvres d’autant plus intéressantes que toutes les ressources manquent dans ces pays abandonnés.

Le 16  mai 1817 « nous est remarquable et cher », y est-il précisé. Mgr Dubourg est venu pour la troisième fois rendre visite à la Mère Barat, « qui lui a promis six sujets pour le printemps prochain ». Une dernière mention est faite en décembre 1817 : M. Martial, vicaire général de la Louisiane, « est venu à Paris pour les affaires de la mission et traiter avec notre Mère générale du départ de la petite colonie qu’elle destine à cette contrée. » Le 8 février 1818, Philippine Duchesne, Eugénie Audé, Octavie Berthold et Catherine Lamarre quittèrent la communauté de la rue des Postes, à Paris. Elles rejoignirent Marguerite Manteau à Poitiers. Arrivées à Bordeaux, elles furent reçues chez les Dames Vincent, où elles attendirent un mois leur départ qui eut lieu le 19 mars. De Bordeaux, elles allèrent à Royan, où elles s’embarquèrent le 22 mars, à bord du voilier La Rebecca.

Philippine 1769-1852 RSCJ sainte

Omer (1838) x 1865 Jeanne Jouve (1838)

Adrienne 1811-1895 x 1833 Octave Despatys 1806-1883

Augustine 1788-1847 x 1808 Augustin Jordan 1773-1849

Adélaïde 1767-1778

Françoise 1739-1810 x 1755 Jean-Louis Tranchard

Charles 1840-1902 x 1876 Jeanne Delpin 1850-1900

Adrien 1805-1817

Henri, Alfred, Mathilde, Ludovie, Alexandre, Marie, et Hippolyte

Marie 1848-1901

Amélie 1819-1905 x 1839 Hippolyte Jouve 1802-1877

Marie 1742-1770 visitandine

Euphrosine 1772-1857 x 1794 Joseph Jouve 1752-1834

Amélie 1795-1869 x 1818 Henri Bergasse 1783-1867

Amélie 1771-1837 x 1786 Constant de Mauduit 1760-1850

Amédée 1790-1875 général

Louise 1738-1820 visitandine

Agathe 1776-1779

Henri 1834-1855

Henriette 1800-1854 x 1834 Adrien Tourret (1798)

Pierre François 1743-1814 x 1765 Rose Perier 1748-1797

Antoine 1711-1783 x 1737 Marie-Louise Enfantin 1717-1802

Adélaïde 1779-1824 x 1798 Henri Le Brument 1771-1847

Marie 1844-1896 x 1871 Aimé Favre 1838-1912

Louise 1803-1889 x 1829 Jean-Baptiste Barras 1795-1861 Léon 1834-1913 x 1869 Pauline Chollier 1846-1923

Claire 1749-1830 visitandine

FAMILLE DUCHESNE

Henri 1827-1865

Marie-Amélie 1806-1828 x 1826 Félix Gauthier (1800)

Hippolyte 1781-1854 x 1814 Coralie Durand 1798-1877

Valentine (1836) x 1862 Revillet

Octavie 1812-1893 x 1831 Placide Munaret (1805)

Mélanie 1786-1828 visitandine

Euphrosine 1796-1821 RSCJ

Joséphine 1770-1850 x 1788 Jacques Savoye de Rollin

Amélie 1797-1879 RSCJ

Camille 1819-1904 x 1840 Théodore Magimel 1799-1862

Augustin 1773-1833 x 1798 Sophie de Berckheim (1772)

Henry (1800) Jésuite

Charles 1840-1902 x 1876 Jeanne Delphin (1850)

Henriette 1826-1840

Joséphine 1804-1827 x 1823 Chrétien de Hell 1783-1864

Marine 1779-1851 x 1794 Camille Teisseire (1764)

Aloysia (1843) x 1863 Théophile Horion (1830)

Alexandre (1805) x 1840 Augustine Garchery (1821)

Joseph 1752-1834 x 1794 Euphrosine Duchesne 1772-1857

FAMILLE JOUVE

Edouard 1825-1856

Marie 1848-1901

Hippolyte 1802-1877 x 1° Antoinette Néel x 2° Amélie Bergasse

Louis 1823-1861

Henriette 1803-1881 x 1825 Achille Chaper 1795-1874

Amélie 1800-1881 x 1818 Joseph Bergasse (1788)

Charles 1797-1858 x 1831 Mathilde de La Salcette (1809)

Octavie 1820-1886 x 1857 Gonzalve Pertusier (1817)

Casimir 1777-1832 x 1805 Pauline Loyer 1788-1861

Scipion 1776-1821 x 1803 Louise de Dietrich 1774-1832

Alexandre 1774-1846 x Alexandrine Pascal 1782-1855

Claude 1742-1801 x 1767 Charlotte Pascal 1749-1821

Jacques 1703-1782 x 1741 Elisabeth Dupuy 1719-1798

FAMILLE PERIER

Constance 1807-1852 RSCJ

Alexandrine 1806-1826

Jeanne (1844) x 1865 Omer Despatys

Camille 1809-1897 x 1843 Adèle Moignon

Emmanuel 1809-1871 x 1856 Camille Bonnard 1819-1898

Alphonse 1782-1866 x 1806 Antoinette de Tournadre

Rose 1748-1797 x 1765 Pierre-François Duchesne 1743-1814

Camille 1781-1844 x 1809 Adèle de La Noraye 1767-1829

Hélène 1745-1818 Jacques 1746-1793

Joséphine Religieuse du Saint-Sacrement

Louise 1814-1897 x 1835 Charles Rolland 1801-1880

Amédée 1785-1851 x Louise de Campredon

Elisabeth 1748-1797 x 1765 Pierre Jordan 1727-1791

Eugène 1814-1887 journaliste

Joseph 1786-1868 x 1809 Aglaé de Kergonan (1790)

LETTRES

RÉCIT 1

HISTOIRE DE SAINTE MARIE D’EN-HAUT1

J’aperçois enfin sur la montagne sainte les pieds de ceux qui évangélisent et montrent les vrais biens2. Je bénis mille fois la divine Providence de m’avoir destinée à préparer la demeure où tant d’âmes viendront recueillir la parole de Dieu et en porter les fruits au loin dans le monde. Plus heureuse encore, si indigne d’entrer dans la cohorte sainte qui combat sous Jésus Christ3, j’y suis néanmoins admise par pure miséricorde, afin que je m’efforce aussi d’arracher des âmes à leur commun ennemi pour les donner à notre auguste maître. Forcée par le décret qui obligea les religieuses à reparaître dans le monde de m’y trouver encore moi-même4, je n’y attachai jamais mon cœur, il fut toujours pour moi une terre d’exil, un pays étranger et Sion, ma patrie, demeura l’objet de mes désirs et de mes projets les plus chers. Cette habitation après laquelle je soupirais était le sanctuaire de la religion et quoiqu’une inclination très douce me portât vers celle qui m’avait vue naître à la piété, et que jamais un seul instant je n’eusse été dégoûtée de ma vocation, néanmoins dès le moment qui nous dispersa, plusieurs ordres et plusieurs pays fixèrent mes pensées et furent l’objet de mes prières pour connaître les desseins de Dieu. Je changeai quelquefois de lieu et de Société mais jamais n’y fus arrêtée jusqu’à perdre de vue mes hautes espérances. 1

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Manuscrit autographe, C-VII 2) c Duchesne-writings History of Society, Box 1. Une archiviste a ajouté sur la page de garde : Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut, devenue le 13 Décembre 1804, la seconde maison de la Société (Grenoble) par la Mère Philippine Duchesne. Is 52, 7. La future Société du Sacré-Cœur dont Sainte-Marie d’En-Haut devient la seconde maison, après celle d’Amiens. Le décret du 4 août 1792 ordonna la fermeture de toutes les maisons religieuses de France. Les Visitandines quittèrent le monastère qui fut transformé en prison jusqu’en 1797 et fut ensuite un asile pour mendiants.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

J’habitai deux ans dans un village du département de la Drôme1, qui avoisine celui où repose le corps de saint François Régis2. J’avais entendu raconter bien des merveilles de ce saint à une de mes compagnes de couvent, mais un tableau le représentait avec saint François Xavier dans l’église du village, dont nous jouîmes dans les temps les plus orageux, quoique sans messe. La dévotion générale du pays envers lui réveilla la mienne et je l’invoquais très habituellement. On ne l’appelait que le saint Père dans tout le voisinage ; chaque maison était décorée de son image et possédait sa vie ; presque toutes les personnes qui s’adonnaient à la piété étaient allées à son tombeau et beaucoup même le visitaient tous les ans. Mon cœur m’y portait souvent, mais une distance de douze ou quatorze lieues était un trop grand obstacle auprès de ma famille et mon bonheur fut différé. J’eus celui, dans la même campagne, de faire connaissance avec deux anciens Jésuites que je consultai en divers temps sur ma vocation et qui m’y affermirent. L’un d’eux avait été à l’étranger confesseur de l’évêque de Grenoble, Mgr du Lau, qui lui avait dit : « Si je retourne dans mon diocèse, vous y viendrez former une maison de Jésuites. » La mort de cet homme vraiment vénérable, dans la déportation, lui a ravi ce bonheur pour le rendre confesseur de Jésus-Christ. Le temps de l’épreuve mais non de l’incertitude durait toujours pour moi, et si en en considérant la longueur, je cherchais à voir un instant si Dieu ne me destinait point à rester dans le monde, il permettait aussitôt qu’un des passages de l’évangile qui portent au détachement des parents me tombât dans les mains et ranimât mon courage. L’éloignement de mon père qui alla à Paris, et la mort de ma mère qui arriva peu après3, me donnèrent la facilité de quitter leur maison pour venir à Grenoble chercher à me lier avec des personnes qui voudraient embrasser une règle.

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3

Le 31 mai 1792, le père de Philippine acheta le château et le domaine de l’ancien seigneur Paul-César Eléonor Chabrières de la Roche, à Grâne, pour la somme de 141 200 livres. La famille s’y installa en septembre. Jean-François Régis (1597-1640), SJ, entré au noviciat en 1616, ordonné prêtre en 1630, rêvait d’aller évangéliser le Canada. Mais il fut envoyé vers les pauvres des campagnes du Velay et du Vivarais, régions dévastées par les guerres de religion. Il a été l’un des grands missionnaires jésuites. Mort le 31 décembre 1640, il fut enterré à La Louvesc où son corps est vénéré. Il a été canonisé en 1737. P.-F. Duchesne fut élu membre du Conseil des Cinq-Cents (Corps législatif) le 9 avril 1797. Il quitta Grâne en mai pour aller à Paris. Sa femme est décédée le 30 juin 1797.

Récit 1



55

Celui des deux Jésuites que j’avais connus, qui vivait encore, m’écrivit lorsqu’il le sut et me dit que j’avais fait une démarche dont Dieu me tiendrait compte. Il m’annonça en même temps le retour de la religion publique en France d’après une prédiction du vénérable Benoît Labre1 à une religieuse du Puy, lorsqu’il y avait passé pour se rendre en Italie. Dans une autre lettre, il me pressait d’aller à La Louvesc et m’engageait à le voir dans cette course, car alors il avait un asile sur la route de ce pieux pèlerinage. Je le désirais fort, car ma position était des plus embarrassantes, n’ayant trouvé personne avec qui me lier, et je saisis l’occasion d’un voyage à Romans pour aller jusqu’au tombeau de mon protecteur2. J’y fus accompagnée par un domestique de ma grand-mère, très dévot au saint auquel il devait la santé, ayant été guéri par son intercession d’une langueur qui avait fait désespérer de sa vie. C’était le trois mai, jour de la Sainte Croix 1800. J’ai su après que cela a été celui de la mort du Jésuite qui m’avait pressée de faire ce voyage, mais c’était depuis longtemps ; j’ignorais alors où il était, je n’avais obtenu que deux jours pour mon voyage, aller et retour de Romans à La Louvesc, ainsi je ne le vis point, non plus que le saint archevêque de Vienne, Monsieur d’Aviau3 qui, imitateur de la vie apostolique de l’apôtre du Velais, s’était caché près de son tombeau dans ce temps orageux. On dit qu’il y était alors. Je n’étais pas allée chercher des consolations sensibles à La Louvesc ; aussi n’y en éprouvai-je point, contre mon attente. Tout d’ailleurs y respirait la tristesse de la dévastation. On ne pouvait dire la messe dans l’église, un autel était en pièces, plusieurs figures d’anges qui soutenaient le saint étaient brisées, on aurait pris la poussière à pleines mains sur son autel. La messe se disait dans une grange très pauvre et je ne pus y communier à cause de l’affluence ; j’eus ce bonheur quand la foule fut 1 2 3

Benoît-Joseph Labre (1748-1783) a mené une vie de mendiant et de pèlerin, a réalisé plusieurs pèlerinages à Rome, où il demeura à partir de 1778. Il a été canonisé en 1881 par Léon XIII. Elle fit ce voyage au cours d’un séjour chez sa grand-mère paternelle qui habitait à Romans. Charles-François d’Aviau du Bois de Sanzay (1736-1826) fit de brillantes études chez les Jésuites, à La Flèche et au Collège royal de Poitiers. Il fut ordonné prêtre en 1760 à Angers, puis archevêque de Vienne (Isère) en janvier 1790. Lorsque le gouvernement vota la loi sur l’abolition des vœux monastiques (février 1790) et la Constitution civile du clergé (juillet suivant) Mgr d’Aviau s’y opposa et fit face aux attaques des révolutionnaires. En 1791, il fut accusé de crime de lèse-nation. Son palais épiscopal fut attaqué, les églises de son diocèse pillées ou fermées. Le décret contre les prêtres réfractaires (29 novembre 1791) l’obligea à s’exiler de 1792 à 1797. De retour en France, il fut traqué comme ennemi de la Constitution de l’An III, obligé de se cacher. Dès 1799, il travailla à réédifier les institutions détruites par la Révolution. En 1802, il fut nommé archevêque de Bordeaux. Pair de France, officier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre royal du Saint-Esprit, il vécut dans la simplicité, charitable envers tous, pauvres et riches, juifs et catholiques. Il a été déclaré bienheureux par Pie XI en 1926.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

retirée et je repartis très occupée du désir de procurer l’instruction des pauvres à l’imitation de saint Régis. Arrivée à Grenoble où il s’était conservé de très bonnes écoles pour les petites filles, je choisis des petits garçons tout à fait abandonnés et vivant comme des animaux. Je m’arrête avec complaisance à parler d’eux parce qu’ils ont été un rude exercice à ma patience et que je crois leur devoir la maison que nous possédons. Il fallut beaucoup de peine pour en rassembler 3 ou 4 ; quelques repas et la promesse de quelques vêtements les fixèrent enfin à venir une heure tous les jours. Ils attirèrent des camarades et j’eus enfin 15 ou 20 enfants de bonne volonté, mais d’une légèreté insoutenable, si bruyants qu’ils faisaient courroucer contre moi toutes les personnes de la maison. Leur empressement à me saluer dans les rues m’était aussi un supplice : j’avais l’air de connaître tous les porteurs de fumier ; ils me montraient à leurs parents dont plusieurs m’en voulaient parce que je leur défendais de travailler le dimanche. Enfin, si l’amour de saint François Régis ne m’eût soutenue, j’aurais plusieurs fois quitté mon apostolat. J’y eus cependant quelques consolations : plusieurs de ces enfants qui ignoraient le nom des trois personnes divines apprirent tout le catéchisme, leurs prières et plusieurs cantiques qu’ils répétaient à leurs parents. Ils se confessèrent tous et plusieurs firent leur première communion. Je les faisais prier pour que Dieu m’éclairât sur ma vocation, et le temps de sa miséricorde approchait. Le jour de la Pentecôte 1801, je vins me promener à Sainte-Marie où j’avais habité 2 ans comme pensionnaire et 4 ans et demi dans les épreuves du noviciat. J’étais avec des Carmélites et je ne les entretins presque que de mon amour pour cette maison et du désir d’y retourner ; m’animant dans la conversation, il me semblait déjà voir la Visitation relevée et de plus, une maison de Carmélites dans l’ancienne aumônerie. La fête de saint François Régis approchait, je sentis ranimer ma confiance en lui ; je fis avant et après des neuvaines en son honneur pour connaître le dessein de Dieu sur moi. Il se fit alors un jour, dans mon esprit : je trouvai très possible mon retour à Sainte-Marie pour un établissement religieux et je me sentis inspirée de faire en l’honneur de saint François Régis un vœu pour l’obtenir. J’en demandai la permission à mon confesseur et le conçus en ces termes : 1°) Si dans un an, je suis à Sainte-Marie d’une manière conforme à mes désirs, j’enverrai quelqu’un à La Louvesc pour y faire faire une neuvaine de messes au tombeau de saint Régis et une de prières.

Récit 1



57

2°) Je communierai tous les ans, le jour de la fête de saint François Régis, et jeûnerai la veille en son honneur, et si cela m’est impossible, je me ferai suppléer. 3°) J’établirai dans la maison un oratoire en l’honneur de saint François Régis. 4°) J’instruirai ou ferai instruire douze pauvres dans la religion. Mes affaires si bien recommandées, mon courage se rehaussa et je commençai à agir. Je consultai ou fis consulter les administrateurs du diocèse sur les moyens de se procurer Sainte-Marie. Tous trouvèrent qu’il serait heureux de pouvoir la posséder ; mais tous ne convenaient pas sur le temps et les moyens les plus propres pour réussir. L’un des grands vicaires était Monsieur Brochier, homme plein d’expérience et animé du seul esprit de Dieu. Je mettais beaucoup de prix à avoir son approbation, prévoyant dès lors que beaucoup de personnes devant blâmer notre entreprise, il était bon de s’étayer d’autorités respectables. Je ne connaissais pas Monsieur Brochier, je priai mon confesseur de le consulter. Comme il ne voulait pas qu’on achetât la maison et que c’était alors mon projet, je lui écrivis croyant le déterminer et lui détaillai tous mes motifs d’espérances et tout ce que la vivacité de mes désirs m’en faisait concevoir. Ma lettre était longue, sa réponse le fut aussi. Elle commençait par ces paroles : « Digitus dei est hic. Le doigt de Dieu est là » ; mais il persévéra à dire qu’il ne fallait pas acheter, qu’on pouvait mieux employer son argent puisque selon toute apparence, cette maison nous serait donnée un jour, mais qu’on ferait bien de travailler à l’avoir de quelque autre manière. Je tenais toujours à acheter, et je fis enfin une visite à Monsieur Brochier pour chercher à l’y faire consentir, mais son avis demeura invariable. Il ne suffisait pas d’agir d’après le consentement de mes supérieurs ; je ne pouvais négliger celui de l’ancienne supérieure de la maison sur laquelle je comptais pour former le nouvel établissement et j’allai à la campagne où elle demeurait pour connaître ses intentions1. Elle parut fort flattée de l’espoir de rentrer dans sa maison. Dans une seconde visite, elle fit, de concert avec le confesseur de la maison, une lettre pour 1

Jusqu’en août 1792, la Mère Anne-Félicité d’Auberjon de Murinais était supérieure du couvent de Sainte-Marie d’En-Haut, où se trouvaient vingt-neuf religieuses de chœur, six sœurs converses et cinq sœurs tourières. Elle y fut ensuite emprisonnée. Voir A.-M. de Franclieu, Deux martyrs en 1794, M. Revenaz et M. Guillabert. Collection La persécution en Dauphiné de 1790 à 1802, Baratier et Dardelet, Grenoble, 1886.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

M. Dubouchage qui tenait alors la place du préfet1, pour le déterminer à nous servir dans notre entreprise. Je portai moi-même cette lettre et reçus verbalement sa réponse ; elle était que le moment n’était pas encore assez favorable pour faire une semblable proposition au gouvernement et qu’il fallait attendre. Ce fut aussi l’avis de Monsieur Rey, grand vicaire, qui me dit de laisser s’écouler encore deux mois2. J’en attendis davantage parce que mon père revenant de Paris m’avait engagée à aller passer les féries avec lui ; ce que je fis. Arrivée à Romans, j’eus la consolation de passer quelques jours dans la maison de la Visitation de cette ville, qu’une de mes tantes, ancienne religieuse de cette maison, venait de louer pour y réunir ses sœurs et former un pensionnat. Nous avions formé les mêmes projets à des époques semblables ; mais elle n’avait pas besoin comme moi de contradictions et en peu de temps, sa maison fut établie et la règle en vigueur. Pendant mon séjour auprès de mon père, je lui fis part de mes projets. Je fis prier toutes les bonnes âmes de ma connaissance et m’unis à plusieurs à Romans pour une quarantaine dont le dernier jour fut celui qui me vit libre de retourner dans ma sainte retraite. Car étant de retour à Grenoble, Mme de Rollin, ma cousine et ma plus ancienne amie, engagea son mari3 à demander pour nous Sainte-Marie au préfet4 qui promit de suite de la louer à des conditions favorables, quoiqu’à l’enchère. Il convint que nous lui adresserions une pétition que je comptais porter à signer à la supérieure de la maison et à celles des religieuses qu’elle jugerait vouloir contribuer à l’établissement. La Providence permit qu’on fût longtemps à faire cette pétition, et qu’on me l’apportât ensuite faite au singulier. L’impatience que me causaient tant de retards, le besoin de secret pour éviter la foule des enchérisseurs, l’éloignement de Madame de Murinais supérieure, les murmures de plusieurs de ses religieuses qui avaient eu vent de ma visite à M. Dubouchage, me déterminèrent à signer seule pour profiter du zèle des personnes qui s’employaient pour nous. La maison me fut adjugée le 10 décembre. Le préfet parut

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Joseph Dubouchage est le grand oncle maternel de Louise de Vidaud, née le 13 février 1801, entrée au Sacré-Cœur en 1818, à Grenoble. M.  Rey, vicaire général, sera nommé par Mgr  Simon supérieur de la communauté de Sainte-Marie d’En-Haut le 20 novembre 1805. Jacques-Fortunat Savoye de Rollin était alors substitut du Procureur général impérial. Gabriel-Joseph-Xavier Ricard de Séalt, avocat à Saint-Maximin, a été préfet de l’Isère du 2 mars 1800 jusqu’à sa mort en 1802. Il fut remplacé par Joseph Fourier, polytechnicien, mathématicien, physicien et membre de l’Académie des Sciences, qui le restera jusqu’en 1815.

Récit 1



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jouir de mon contentement ; je devais donner 800 F par an et demeurer chargée des réparations qui étaient considérables. Mon premier soin au sortir de la préfecture fut d’aller remercier Dieu de ses largesses chez un pauvre malade que j’allais voir presque tous les jours et chez qui j’avais souvent invoqué saint François Régis pour lui et pour mes affaires. Il parut oublier ses maux pour ne penser qu’à la nouvelle que je lui annonçais le premier, comme à Jésus-Christ mon bon maître qu’il me représentait par ses souffrances. De là, je fus chez Madame [Cécile] Faucherand qui m’avait témoigné le plus de désir d’une réunion, mais le trouble qui parut dans toute sa personne me présagea son manque de persévérance. De chez elle, j’écrivis à la Mère de Murinais pour lui offrir une voiture, ne pensant pas qu’elle mît le moindre délai à prendre possession de sa maison ; elle me répondit fort froidement qu’elle me félicitait du succès de mon entreprise, qu’elle ne pouvait quitter son habitation sans consulter le neveu qui fournissait à son existence. J’allai encore le même jour chez tous les grands vicaires et ils me félicitèrent et me dirent que j’avais été bien inspirée. Je me renfermai ensuite chez moi pour disposer mon déménagement et éviter la rencontre des personnes mécontentes. Toutes les anciennes religieuses de la maison l’étaient ; on me trouvait téméraire d’aller habiter une maison prête à tomber, d’où l’on pouvait de nouveau être chassé. On m’accusait de n’avoir consulté personne, d’avoir tout sacrifié à mon amour propre. A-t-elle, disait-on encore, des revenus pour nourrir les religieuses à qui on a tout ôté ? Nous ne voulons pas mourir de faim ; nous avons fait vœu de pauvreté, non de mendicité ; nous ne retournerons dans nos maisons que lorsque nous pourrons y être sur le même pied qu’autrefois. Tous ces propos, prononcés avec vivacité et répétés de même, me firent juger plus qu’inutile de faire à ces dames des sollicitations dont la seule idée les offensait ; il me suffit pour le repos de ma conscience que la porte leur fut ouverte et que les supérieurs et supérieure eussent été consultés. Monsieur Rivet, que je connaissais très peu alors, vint me féliciter, porté par le seul zèle de la gloire de Dieu. Sa visite me fit un extrême plaisir parce qu’ayant connaissance du Concordat1, il m’annonçait en m’encourageant assez que je ne m’étais pas trop avancée. 1

Le 15 juillet 1801, les négociations engagées entre le gouvernement français et le Saint-Siège aboutirent au Concordat, publié le 10 avril 1802. La religion catholique fut reconnue comme celle de la majorité des Français, non celle de l’État, qui nommait cependant les évêques auxquels le pape donnait l’institution canonique (comme pour le concordat prédédent de Bologne en 1516).

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Ce fut le 14 décembre 1801 que je rentrai dans la maison du Seigneur, je ne le pus la veille, jour de la mort de sainte de Chantal, ce qui eût été une consolation pour moi. Tous mes petits enfants du catéchisme portèrent mes paquets avec un empressement incroyable malgré la pluie qui les mouilla tout le jour ; ils ne commirent pas la moindre infidélité. Une fille pauvre de douze ans que j’instruisais aussi me parut devoir être aussi ma première compagne, car Madame Faucherand m’écrivit qu’elle crachait le sang et qu’il y aurait de la charité d’attendre jusqu’à Pâques pour donner à ses sœurs le temps de se déterminer. Je lui répondis que je ne différerais pas d’une seule heure mon retour dans le saint asile après lequel j’avais tant soupiré, qu’il était temps de montrer au monde qu’il avait menti quand il avait osé dire que nous étions des victimes forcées et que nous nous plaisions avec lui. Je me hâtai donc de quitter mon appartement et arrivai à Sainte-Marie, après tous mes effets que le concierge reçut, le soir à la nuit avec un vent et une pluie considérable. Je n’étais pas aussi mouillée que mes pauvres enfants, l’eau ruisselait sur leurs habits, et ils avaient encore le visage plein de contentement, heureux indice de celui du Seigneur. Madame Faucherand, voyant ma détermination, avait pris la sienne et m’avait même devancée de quelques heures. Malgré ma joie d’avoir une compagne, j’étais un peu contrariée d’être obligée de coucher près d’elle pour la garantir de la peur. Mon ambition eût été de passer la nuit dans l’auguste sanctuaire où, depuis si longtemps, on n’entendait plus bénir le nom du Seigneur ; de l’employer tout entière à savourer ses bienfaits et à lui en rendre d’humbles actions de grâces. La maison fermait mal et j’étais sans frayeur, pensant que Dieu ayant été mon guide, il serait aussi mon gardien jusqu’à ce que j’eusse eu le temps de pourvoir prudemment à notre sûreté. Je m’en occupai bientôt et mon temps se passait ou avec des ouvriers, ou à faire la cuisine de la communauté de deux personnes, ou à balayer des parties de la maison qui ne l’avaient pas été depuis 10 ans, ou à sortir l’eau et la neige de la maison, ou à faire des châssis (travail le plus ingrat de tous parce que la colle se gelant aussitôt, ils ne tenaient point et donnaient beaucoup d’exercice à ma patience). À part ce dernier article, tout était plaisir dans cette maison ; j’éprouvais tous les contentements de sainte Thérèse balayant dans son monastère. Jamais les plaisirs du monde les plus vifs ne m’en ont autant procuré. Nous allions prier à l’église où il manquait trois fenêtres et une porte ; le froid était très vif et nous ne le sentions pas ; nous ne fûmes enrhumées ni l’une ni l’autre.

Récit 1



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Enfin la première messe se dit dans notre église, la porte extérieure étant fermée. Personne ne put nous la donner le jour de Noël ; nous allâmes l’entendre à minuit en ville, accompagnées d’une fille qui fut quelques jours avec nous et d’un ouvrier, ancien frère chartreux qui a toujours eu du zèle pour la maison. Nous nous étions fait des robes noires, elles furent bénites avant la messe ; nous les prîmes après comme un présent de Jésus naissant et j’en étais revêtue le surlendemain lorsque nous eûmes la visite de Monseigneur l’archevêque de Corinthe1 et de Mgr  Cazelli, tous deux cardinaux aujourd’hui ; ils venaient de travailler au Concordat. Mme de Rollin, qui connaissait Monseigneur de Corinthe, lui avait parlé de mon retour à Sainte-Marie et il avait eu la bonté de demander pour nous la maison à Bonaparte sans rien payer ; il n’avait pas de réponse encore et sa bienveillance ne produisit pas alors l’effet qu’il en attendait. Ce fut Monsieur Rivet qui nous procura cette honorable visite. Je crus qu’elle ferait tomber la désapprobation, mais elle augmenta au contraire et il paraissait sûr que la supérieure elle-même [Mère de Murinais] ne viendrait pas. Alors prévoyant que si j’avais des compagnes, elles seraient de différents ordres ou séculières tendant à une vie régulière, je crus qu’il était nécessaire d’avoir un règlement qu’on proposerait aux nouvelles venues. La règle de Sainte-Marie ne pouvait s’observer à la rigueur, mais on pouvait en pratiquer beaucoup de choses ; je la remis à Monsieur Brochier avec prière de nous choisir les articles à observer et ceux qui devaient être modifiés pour le moment. Il s’y prêta et composa un règlement plein de sagesse qui, sans trop donner à l’extérieur, conservait tout l’esprit de Sainte-Marie : la retraite, le dénuement, l’obéissance, la communauté en toute chose. Il voulait une supérieure élue pour un an, aussitôt que nous serions quatre ; et pour trois [ans], suivant la règle, aussitôt que nous serions douze et par conséquent plus sûres dans notre choix. Ce règlement fut signé de tous les grands vicaires excepté d’un seul, ancien père spirituel de la maison et que nous n’avions plus prié de l’être à cause de son grand âge. Un autre voulut y ajouter cet article : « Qu’on y conserverait des places dans la maison pour celles des religieuses auxquelles elle avait appartenue. » C’était le vœu de mon cœur le plus ardent et j’y décidai Monsieur Brochier. 1

Joseph Spina (1756-1828), ordonné prêtre en 1796, évêque en 1798, fut nommé en 1801 archevêque de Corinthe et cardinal, puis archevêque de Gênes en 1802. Il fit partie de la délégation chargée de négocier, en 1801, un accord entre la France et le Saint-Siège.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Ce règlement, dont j’attendais les plus heureux effets, en produisit de très mauvais. Les religieuses le blâmèrent hautement ; et surtout la communauté des biens qu’elles trouvaient impossible. On n’aurait eu aucune peine à avoir quelque chose en propriété, tandis qu’on criait au renversement de la règle parce que l’ordre du jour n’était pas le même qu’autrefois et l’élection différente. D’ailleurs, disait-on, notre supérieure existe ; pourquoi parler d’en faire une autre ? Elles ne faisaient pas réflexion qu’il ne s’agissait pas d’une supérieure pour elles qui étaient dispersées, mais pour celles qui viendraient dans la maison où il faudrait un chef. Un article du règlement répondait aussi à toutes ces objections en marquant expressément qu’aussitôt que cela deviendrait possible, tous les changements proposés pour le moment feraient place à l’entière observance. Mais on voulait se plaindre et on en trouva encore le sujet dans les deux discours que prononcèrent dans notre église, le jour de saint François de Sales, Messieurs Brochier et Rivet, le premier à la messe, le second après vêpres. Ils avaient dit l’un et l’autre que bientôt les filles de ce grand saint, retrouvant leur retraite, iraient s’y réunir avec empressement. Pourquoi, disait-on, nous faire des obligations que nous n’avons pas ? Le retour dans notre maison n’est pas possible pour le moment, et à moins d’une entière solidité dans les affaires, nous n’y rentrerons pas ; il faut que l’évêque soit en place, que le Concordat soit connu, que le gouvernement nous autorise, et que nous recevions nos traitements. La plupart ne vinrent point faire la fête avec nous, mais la célébrèrent dans un oratoire particulier et après la messe, se réunirent pour protester contre les entreprises de Madame Duchesne. Elles firent connaître cette protestation à quelques-uns des grands vicaires. J’ignorais encore ce qui se passait et je goûtai le jour de saint François de Sales les plus pures consolations. Plusieurs prêtres respectables vinrent nous donner la messe avec cette effusion de joie que produit dans les saintes âmes la vue d’une œuvre qui peut tourner à la gloire de Dieu ; la porte extérieure de l’église était fermée, mais on entrait en foule dans l’intérieur de la maison ; et notre église fut la première de Grenoble où le culte catholique parut dans sa splendeur après la Révolution. Quelques jours après, je sus qu’on me traitait d’intruse ; je le dis en plaisantant à ma compagne à laquelle s’étaient jointes une demoiselle séculière et une sœur tourière. Sa tête était mal organisée, elle avait eu autrefois de longues absences ; son retour dans la maison les lui rappela d’une manière pénible. Elle imagina qu’on la craignait et qu’elle était un obstacle au retour de ses sœurs ; qu’elles avaient sûrement de meilleures

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vues que moi, qu’elles étaient des saintes et ne pouvaient se tromper, qu’il était en effet ridicule qu’une novice fît tout à sa tête, qu’elle ne pourrait changer de supérieure ; et qu’il était bien vrai que j’étais une usurpatrice. Elle alla manifester ses peines à son ancienne supérieure qui alors chancelait pour savoir si elle reviendrait pour attirer ses filles, ou si elle resterait dehors pour céder au vœu du plus grand nombre qui craignait cette démarche. Je ne sais ce qu’elle dit à Madame Faucherand, mais son esprit de contradiction fut si habituel, son sommeil si dérangé que je ne doutai pas qu’au premier jour, sa tête ne partît et qu’elle ne se présentât peut-être à moi pour me frapper dans un accès, ce qui lui était arrivé d’autres fois envers d’autres personnes. En psalmodiant avec elle au chœur, j’apercevais de l’altération dans sa figure ; mais comptant sur celui qui m’avait conduite avec elle, je pensais qu’il ne permettrait pas que je fusse tentée au-delà de mes forces. Mes conjectures se vérifièrent, mais aussi mon espérance ne fut pas trompée ; elle perdit la raison pour un temps, mais je n’eus à souffrir que son éloignement. Se sentant malade un matin, elle me dit qu’elle avait besoin de dissipation, elle sortit et ne revint plus habiter avec moi. Je fus très sensible à cet événement, mais il le devint d’autant plus qu’il me présagea d’autres séparations. L’ennui gagna tellement la demoiselle séculière qu’elle pleurait tout le jour et n’aspirait qu’au moment où j’aurais une nouvelle compagne pour me quitter sans me laisser seule. La sœur tourière ne me dissimulait pas non plus que le courage lui manquait et qu’elle ne resterait qu’un temps. Je passais des moments bien amers dans cette perspective quoique je comptasse encore un peu sur la Mère de Murinais. Elle disait à tout le monde que je n’avais rien fait en demandant la maison que de son aveu et qu’elle tenait à la parole qu’elle m’avait donnée d’y venir ; plusieurs personnes lui disaient même que son honneur y était intéressé, sa lettre à M. Dubouchage étant connue. L’ancien confesseur de la maison était de cet avis ; il était le sien et je le choisis aussi, n’ayant pas douté que la maison se rétablissant, cela ne devint pour moi un point de la règle. Une dame séculière, poussée par quelques personnes qui craignaient le retour de la Mère de Murinais, vint un jour me presser vivement de lui écrire de ne pas venir, que je n’en serais pas fâchée, vue l’opposition que formaient à son dessein sa famille et ses filles. On me disait que j’exposais sa vie dans ce déplacement. Je tins ferme à refuser de faire cette lettre, la croyant contraire à l’intérêt de l’établissement, à l’édification, et pouvant confirmer les soupçons qu’on avait que je voulais tout maîtriser.

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Enfin elle se décida à venir la semaine de la Passion avec une jeune religieuse, qui avait mis pour condition qu’elle ne se mêlerait de rien que de soigner la santé de sa supérieure, et deux Sœurs domestiques dont l’une avait 80 ans ou à peu près, ainsi que la Mère. J’avais depuis quelques jours une nouvelle compagne, religieuse ursuline qui voulait aussi n’être que pensionnaire. La demoiselle séculière quitta dans le même temps. C’était celui d’une retraite que donna Monsieur Rivet dans notre église. Elle fut très suivie, quoique la porte extérieure de l’église fût fermée. Nous prîmes sur nous de l’ouvrir le Jeudi saint et elle l’a toujours été depuis, ainsi que celle de l’hôpital qui l’avait été avant la nôtre. J’avais un véritable plaisir d’entrer dans notre chœur plein de monde, conduisant par le bras la vénérable Mère que j’avais tant attendue : c’était un triomphe. J’augurais que son arrivée produirait un bien à l’extérieur, contenterait ma famille qui souffrait de ma solitude et de la pesante charge de la maison, édifierait le public qui jasait de l’indifférence des religieuses pour une maison de retraite tout ouverte ; et enfin, qu’un pensionnat se formerait. Je bornai là mon espérance à l’arrivée de la Mère ; cela valait mieux que mon état précédent, mais ne remplissait pas ma première attente d’un établissement religieux. Nous n’en conservâmes que l’office en commun et l’oraison ; du reste, point de silence, de pratiques religieuses, de lecture de table, de benedicite et grâces en commun, de clôture, de régularité dans l’habillement, etc. Il n’était pas même question d’y venir un jour ; et on disait qu’on ne faisait qu’essayer car on n’était pas même résolu de persévérer dans une manière de vie si commode. Ce qu’on avait avec soi l’annonçait assez : on avait laissé son ménage dehors et avait apporté ce qui aurait été suffisant pour passer un mois à la campagne. Je repassai avec amertume au fond de mon cœur tant de circonstances de mauvais augure pour l’avenir. Mais quoique cet état n’eût rien de satisfaisant, je m’affligeai encore d’une maladie de la supérieure qui semblait vérifier ce qu’on m’avait annoncé : qu’un déplacement à son âge lui serait funeste et déjà on m’attribuait sa mort. Elle guérit ; je crus que Dieu voulait m’épargner, mais il ne faisait que me préparer une plus grande affliction. Deux religieuses qui avaient quelques pensionnaires, vinrent s’offrir à demeurer avec nous ; la Mère les accueillit. Dans une conversation à laquelle j’eus part et dans laquelle j’insistais sur la nécessité de conserver quelque régularité pour le vêtement, elles me dirent que je voulais tout amener à mon sens, que je ferai ce que je voudrais, mais qu’elles ne feraient aussi que ce qu’elles voudraient. La supérieure présente ne dit un

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seul mot ; je me retirai et dis après au confesseur que j’avais bien pleuré, considérant dans quelles intentions on venait, sans pouvoir espérer que le commandement fut assez ferme pour conserver même le régime le plus doux et le plus près du désordre. Il branla la tête en me disant « que je n’avais pas assez pleuré, que je ne faisais que commencer, d’être bien sûre qu’il suffirait que je proposasse quelque chose pour qu’elle fut rejetée, de m’armer de courage ». La maison fut donc alors composée d’une supérieure qui pour attirer ses filles voulait tous les tempéraments, ou plutôt cédait à chacune ; de plusieurs religieuses faisant chacune ce qu’elles voulaient et de quelques jeunes pensionnaires. Lorsque la supérieure était entrée, je lui avais demandé quelle occupation elle m’assignait : je restai chargée des réparations, de la sacristie, de la porte et d’une pensionnaire. La Mère voulut être l’économe et faire aller avec notre ménage celui de sa sœur qui n’avait pas voulu la suivre et qui était à la campagne ; en sorte que le commun se pratiquait avec une maison étrangère et qu’on le croyait impossible entre nous. J’avais aussi dit à la supérieure qu’au premier jour, je lui rendrais compte de ce que j’avais et lui remettrais ma bourse ; mais sa maladie fit différer cette explication. Après, je la crus plus nuisible qu’utile, voyant que chacune gardant ce qu’elle avait, je ne ferais que dissiper sans procurer le bien général. J’eus même entre les mains 3 000 F qu’une personne bienfaisante voulait nous donner si l’établissement réussissait et je lui demandai de nous les prêter et lui en fis un reçu du consentement de la supérieure. Ils furent destinés aux réparations qui avaient besoin d’être poussées. Je voyais des volontés si chancelantes, souvent des procédés si froids à mon égard que je prévoyais une dissolution, non que je voulusse avoir à me reprocher de l’avoir procurée en aucune manière, mais tout y tendait. Quoique non engagée, je consultai toujours la supérieure pour les dépenses un peu majeures, quoiqu’elles retombassent sur moi. Je lui demandais permission pour sortir et pour tout ce que je croyais être du bon ordre ; mais hors de là, il n’y avait pas d’autre correspondance que celle de l’amitié qu’elle m’a toujours témoignée, quoique moindre qu’autrefois. Je lui présentais les enfants qu’on m’amenait et de son consentement, m’en attachais plusieurs par les soins plus assidus que je leur donnais afin que, s’il y avait une séparation, je pusse conserver quelque figure et n’être pas encore seule. Elle ne tarda pas à se repentir de ce consentement sur la plainte que lui firent les autres religieuses, qu’elle leur avait promis d’être chargées du pensionnat ; mais comme elle ne fit que m’en parler, sans exiger

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que je les lui remisse, je les conservai. Les religieuses me firent dire par le confesseur que si je les gardais, elles sortiraient aussitôt ; je ne m’en effrayai pas ; j’y aurais vu un bien. Alors elles ne voulurent aucune communication entre leurs enfants et les miens, ce qui faisait le plus mauvais effet. J’en prévins Monsieur Brochier qui demanda à la supérieure qu’elles fussent réunies aux récréations, et cela se pratiqua depuis après beaucoup de plaintes. On le dit à ces dames et elles sentirent elles-mêmes qu’un ordre était nécessaire dans la maison ; et elles se réunirent tant du dehors que du dedans pour composer un règlement, n’ayant jamais voulu de celui de Monsieur Brochier. Il me fut montré par la supérieure, à qui on avait bien dit de me le cacher ; je le copiai et le montrai à Messieurs Rey et Brochier comme il ne contenait que des choses très vagues qui ne donnaient pas lieu d’espérer que l’union pût subsister jamais, puisque les intérêts demeuraient séparés et qu’on ne voulait point de communauté de biens, ni de clôture, les entrées et sorties demeurant libres. Ils me conseillèrent l’un et l’autre de me mettre de côté et de ne contribuer aux dépenses qu’autant que les autres ; que peut-être il en résulterait qu’on prendrait son parti, mais qu’un meilleur ordre pourrait s’établir ensuite. Je suivis leur avis : je dis à la supérieure que ne croyant pas que l’ordre pût exister tant que chacune aurait une bourse et travaillerait pour elle, je la prévenais que je ne prendrais aucun engagement dans une association de cette sorte. Que lorsqu’on ferait un état des dépenses, j’y contribuerais pour ma part comme les autres, mais non pas plus ; que jusqu’alors je n’avais fait que des mécontentes, que je n’avais contribué à aucun bien et que je me tiendrais entièrement de côté ; qu’il fallait ou une seule bourse où toutes missent tout ce qu’elles avaient, s’abandonnant à la Providence, ou que toutes contribuassent aux réparations et autres dépenses. Je sus quelques jours après qu’on songeait au départ, mais on voulait que je l’ignorasse. Une des sœurs qui me restait attachée vint me dire ce qu’elle en avait appris ; je fus me jeter aux pieds de la Mère de Murinais pour tâcher de la retenir, mais comme je n’aurais pu, sans agir contre toutes mes lumières, faire les mêmes instances pour les deux personnes qui la sollicitaient à s’en aller, elle demeura ferme dans sa résolution. La même sœur vint encore me dire que je l’arrêterais en lui promettant d’en passer par tout ce qu’elle voudrait et de tout lui remettre. Je trouvai l’engagement trop fort. Cette remise entière m’eût été consolante entre les mains de toute personne qui eût eu la volonté de garder une règle quelconque ; mais ce que je voyais tous les jours me persuada que je

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ferais un sacrifice inutile et je n’ajoutai rien à mes sollicitations auprès de la supérieure. La fête de sainte de Chantal arriva. Je me sondai devant Dieu pour examiner si quelque passion, quelque intérêt, quelque ressentiment arrêtait en moi les démarches que je devais faire pour arrêter le scandale d’une rupture. Il me sembla pouvoir me rendre le témoignage que je me soumettrais de suite à la personne qui m’avait fait le plus de peine, pourvu qu’elle voulût l’observance de sa règle ; et je priai sainte de Chantal d’être juge entre moi et ses filles. Cette pensée m’occupa toute la grand-messe pendant laquelle je m’offris à Dieu pour sortir même de la maison si j’étais un obstacle au bien qui pourrait s’y faire, mais je savais qu’en quittant moi-même la retraite, il n’y resterait personne et je me résignai à m’y voir encore presque seule. Ce jour-là même, je sus sous le secret qu’on devait me quitter le 26, quatre jours après. Dans mon amertume, Dieu m’offrait une grande consolation. Monsieur Rivet, qui savait l’état des choses dans la maison, me fit entrevoir qu’on pourrait y attirer des Dilette ; j’eus dès le premier moment une forte inclination pour cet ordre naissant et sans mon engagement avec la nation et le désir, dans la défection générale, de prouver au monde que le joug de Jésus-Christ me plaisait malgré tant de traverses, j’aurais demandé d’aller de suite à Rome. Il est plusieurs circonstances que je trouve frappantes dans tous ces événements. Toutes les religieuses de la Visitation se réunirent dans cette maison le 2 juillet, fête de l’ordre. Je trouvai l’esprit si différent de ce que je l’avais vu autrefois ; les pensées de retour si faibles que seule et prosternée au pied du Saint Sacrement avec une amertume profonde, je lui dis que c’était donc dans la fête de la Visitation qu’il fallait renoncer à cet ordre. Le sentiment vif qui m’avait pénétrée me causa une hémorragie. Quand mon mouchoir fut baigné de sang, je ne pus rester à l’église et laissai notre Seigneur tout seul, tandis que la maison était pleine de ses épouses. Ce fut ensuite le jour de sainte de Chantal [le 12 août] que j’appris que le départ était fixé, et ce fut encore le jour de sa mort, 13 décembre, qu’on vint reprendre les ornements faits à sa canonisation pour les vendre. Le 26, jour qui devait éclairer la sortie de ma Mère et de mes sœurs, était celui de la dédicace de notre église qui fut ainsi abandonnée par celles pour qui elle fut autrefois consacrée. La veille, la Mère de Murinais me fit appeler pour me dire qu’elle me quittait le lendemain matin ; elle était calme, me parlait avec bonté, et j’ai pensé depuis que Dieu lui ôtait tout regret pour que j’agisse plus librement dans une œuvre plus grande. Je répondis à la Mère par plus

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de larmes que de paroles ; je lui témoignai l’espoir de la revoir, mais elle ne m’en laissa aucune espérance, disant qu’elle était trop âgée pour faire des entreprises, qu’il fallait être jeune et avoir mon courage. Je me retrouvai le 27 [août] en petit comité : une religieuse ursuline, ma sœur Giraud, alors grande pensionnaire qui était venue ici le jour de saint Louis de Gonzague – ce que je lui dis en entrant être de fort bon augure –, une sœur converse, mon ancienne compagne de noviciat1 qui fit venir sa sœur pour l’aider, et 6 à 8 pensionnaires. Mon abattement était grand : j’étais un sujet de scandale. On disait hautement que j’avais chassé les religieuses, que je n’avais voulu me prêter à rien et qu’il n’y aurait jamais moyen d’habiter avec moi, que Messieurs Brochier et Rivet, deux têtes exaltées, étaient les seuls à m’approuver. Ce dernier vint me voir le jour de ma plus grande affliction ; il me fit remarquer qu’à pareil jour, sainte Thérèse avait commencé sa réforme et que toute la ville se souleva alors contre elle. Je ne puis dire combien cette conversation me consola. Il écrivit aussi de suite au Père Roger que la maison était libre, s’il pouvait déterminer le Père Varin à y envoyer des sujets. Mais il fallait par une attente pénible mériter cette faveur. Dieu, en attendant, me consola beaucoup par ma réunion avec Madame Rivet qui, après avoir fait une retraite chez nous, se détermina à y venir demeurer le jour de la Toussaint. Avant Noël, nous eûmes encore Mlle Balastron2. Nous trouvant quatre déterminées à l’observance (car la religieuse ursuline voulait rester libre), nous priâmes Messieurs Brochier et Rivet de nous donner la forme d’une petite Société, puisqu’il n’y avait aucune apparence que les dames que nous espérions vinssent encore. Monsieur Rivet avait eu la bonté de s’offrir à prendre soin de la maison et je n’eus plus de rapport avec l’ancien aumônier de la maison, que je savais être destiné à desservir une grande paroisse. D’ailleurs, je lui fis entrevoir que tendant à être Dilette, ce seraient les Pères de la Foi qui dirigeraient la maison. Je crois que ces Messieurs n’étaient pas entièrement persuadés que j’aurais craint d’être supérieure et comme ils voyaient que je n’étais pas propre pour cela, ils éloignaient toutes mes propositions d’association et de liens entre nous. J’avais beau dire que nous ne pratiquerions qu’un seul acte de vertu de plus dans un nouvel ordre de choses, qu’il n’était 1

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Avant leur expulsion en 1792, les sœurs converses étaient : Marie Betoux, Thérèse Bonnoi, Colombe Chabert, Suzanne Emery, Louise-Françoise Blanc, Marianne Girard. Il s’agit donc de l’une d’elles. Marie Balastron est arrivée le 13 novembre 1802.

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pas à négliger, on ne se rendait point. Enfin, impatiente de tous ces délais, j’allai chez Monsieur Brochier et le fis convenir que nous pourrions bien avoir Madame Rivet pour supérieure et il l’approuva fort et ne me dit plus d’attendre. Ainsi, en peu de jours, Monsieur Brochier fut demandé à l’évêque pour être notre supérieur1. Il reforma son premier règlement, nous y nomma par anticipation « Les Filles de la Propagation de la Foi » ; et le 3 mars 1803, il reçut nos vœux simples de chasteté et d’obéissance au moment de la communion, après nous avoir fait une touchante exhortation. Après la messe, Madame Rivet fut nommée supérieure et j’eus l’extrême consolation de voir enfin dans cette sainte maison une forme religieuse et les pratiques en usage dans les communautés. Nous n’avions jamais cessé l’office au chœur, même n’étant que deux. Notre pensionnat s’augmenta jusqu’au nombre de 16 ou 18 et nous passâmes plusieurs mois dans cette vie uniforme et paisible. Monsieur Rivet nous obtint des indulgences plénières pour les fêtes de saint Ignace, de saint Xavier et de saint François Régis dont nous célébrâmes la fête fort solennellement et il y prêcha. Notre tranquillité fut plusieurs fois traversée par la crainte que la maison ne fût prise pour le séminaire ou pour l’hôpital de Bicêtre. De bons parents, en nous ménageant la bienveillance du préfet, ont paré ces coups et m’ont encore obtenu de ne pas payer un sol pour le loyer de la maison. Malgré que nous fussions contentes entre nous, nous aspirions toujours à un établissement plus grand où il y eût plus à faire pour Dieu. Ainsi Monsieur Rivet allant faire une retraite à Belley2, nous lui demandâmes de solliciter le Père Varin de nous admettre parmi les Dames de la Foi et de nous en donner une pour supérieure. Le Père Varin chargea Monsieur Roger de venir à Grenoble examiner les personnes et les maisons et il nous fit espérer le prompt accomplissement de nos désirs ; cependant son cœur était fermé, quelque chose le repoussait. Son impulsion décida celle du Père Varin qui écrivit à Monsieur Rivet qu’il ne pouvait encore rien déterminer sur nous. Nous fûmes aussi loin que jamais de voir réaliser nos espérances ; nous crûmes même qu’elles étaient entièrement perdues et qu’il fallait retourner à la Visitation pour agrandir notre établissement et y attirer plus d’âmes. 1 2

Mgr Claude Simon (1744-1825), né à Semur-en-Auxois, nommé évêque de Grenoble le 7 octobre 1802, succéda à Mgr du Lau d’Allemans. Belley est une ville située dans le département de l’Ain, en région Rhône-Alpes, à 80 km de Grenoble.

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Parmi les religieuses de la Visitation de Grenoble, je n’en voyais aucune qui voulût ou qui fût propre à prendre la conduite de la maison. Mes yeux et mon cœur se tournèrent facilement vers mon ancienne maîtresse de noviciat, Madame [Marie-Eugénie Latier] de Bayane, sœur du cardinal1, alors à Naples où elle s’était réfugiée dans une maison de son ordre après avoir été successivement chassée de celles de Milan et de Rome. Ses vertus avaient fait de si profondes impressions sur moi qu’elle m’était toujours présente en Notre Seigneur ; mais il fallait la déterminer au retour dans sa patrie. J’obtins de l’évêque une invitation à cet effet, mais elle ne s’y rendit pas, sous prétexte de son âge et plus encore parce que le cardinal évêque de Naples n’eût consenti à la voir partir qu’autant qu’elle serait venue dans un monastère cloîtré, ce que nous ne pouvions encore lui assurer. Refusée de ma bonne maîtresse [des novices], je sollicitai sa sœur [Marie-Eulalie] à Milan et une autre religieuse de grand mérite qui était avec elle. Leur réponse fut semblable à celle de Madame de Bayane, de Naples. Là, je n’ai pu avoir de doute, qu’ayant tout fait pour remettre cette maison aux religieuses de la Visitation, c’est Dieu lui-même qui la leur a ôtée pour en faire une autre destination. Au moment où cessait ma correspondance à Naples et à Milan, l’Esprit Saint fit entendre à Monsieur Varin qu’il est ennemi des retardements et qu’il fallait enfin conclure quelque chose avec nous ; que l’humble saint François Régis, qui s’était rendu notre protecteur, méritait bien que pour son amour, on ne dédaignât pas ce qui était petit et faible. Le Père Varin, d’après cette inspiration, nous fit savoir qu’il viendrait célébrer avec nous la fête de saint Ignace. Il arriva la veille avec Monsieur Roger. Après la messe, ils parcoururent la maison ; je me tenais derrière le Père Varin pour écouter tout ce qu’il dirait et observer s’il donnerait quelque signe de satisfaction ou d’éloignement ; mais il n’y a moyen de ne rien deviner avec ces personnes maîtresses de tous leurs mouvements et je commençais à être fort impatiente, moi qui ne le suis pas. Lorsqu’il fut à la chapelle du Sacré Cœur de Jésus, il dit : « Ah voilà qui donne du goût pour être religieuse de la Visitation. » Ce n’était pas ce qu’il me fallait. Le Père Roger ne me contenta guère non plus. Lorsque, lui demandant le but de son voyage, il répondit : « Nous sommes venus 1

Alphonse-Hubert-Guillaume duc de Latier de Bayane (1739-1818), né à Valence, fut institué cardinal par Pie VII dont il fut le légat (1808). Promu comte de l’Empire et sénateur (1813) par Napoléon, il vota néanmoins la déchéance de l’Empereur (1814), fut nommé pair de France par Louis XVIII.

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voir Monsieur Rivet », je pensai en moi-même que pour des personnes détachées, c’était venir de trop loin, et trop donner à l’amitié. Le soir au salut, le Saint-Esprit mit au cœur du Père Varin l’entière décision en notre faveur ; mais il ne nous en fit pas part. Seulement, le Père Roger m’ayant dit de me souvenir que nous avions fait ensemble la fête de saint Ignace, le Père Varin dit qu’il acceptait cet augure. Il devait partir le lendemain et il me sembla que tout le fruit de cette visite serait alors de monter encore contre nous les personnes qui m’accusaient de n’avoir jamais voulu la Visitation et d’être ainsi l’unique cause de la sortie des religieuses. Cette opinion s’était fortifiée parce qu’il transpirait depuis longtemps quelque chose de nos désirs, surtout depuis le premier voyage de Monsieur Roger. Enfin ce lendemain arriva. Madame Rivet et moi allâmes encore voir nos deux Pères après la messe. Le Père Varin me parla encore de la sainte indifférence, de la lenteur avec laquelle s’opéraient les œuvres de Dieu. Je crois que je lui répondis que l’écriture nous le représentait au contraire courant à pas de géant1 et j’ajoutai que si saint François Xavier eût été si posément et eût tant réfléchi avant d’entreprendre une bonne œuvre, il n’en aurait pas tant faites, ni parcouru tant d’espace en si peu d’années. Le Père Varin rit de mon émotion et dit que c’était vrai qu’il ne fallait plus de retard, qu’il fallait nous envoyer Madame Barat pour former une maison et cela, dans très peu de temps. Cette consolante promesse ôta enfin de dessus mon cœur cette lourde montagne de l’incertitude qui le surchargeait depuis longtemps. Cette journée fut une journée d’allégresse ; l’après-midi, je revis le Père Varin en particulier, j’en fus très consolée et le lendemain avant de partir, il nous assura de compter sur ses promesses. Il nous recommanda de prier pour la santé de notre future Mère et nous le fîmes bien souvent et de bien bon cœur. Il n’eut pas été quelques jours à Lyon que déjà je craignais que nous ne fussions oubliées. Je lui écrivis pour lui parler encore de la véhémence de mes désirs et pour qu’il ne s’en scandalisât pas, je disais que ceux-ci étaient ordinairement regardés comme un signe de vocation. Déjà il me tardait de n’avoir pas de réponse, lorsque je reçus une lettre d’une de mes tantes de Romans qui m’apprenait que par un décret de l’empereur, elle et ses compagnes étaient maîtresses de leur ancienne maison et reconnues comme institutrices visitandines. Elle me causa 1

Ps 19(18), 6. Philippine le lisait dans la Vulgate : « in sole posuit tabernaculum suum et ipse tamquam sponsus procedens de thalamo suo exultavit ut gigans ad currendam viam suam » (VUL : Ps 18, 6).

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une joie mêlée de peine. D’un côté, elle flattait mon espérance que je jouirais un jour d’un avantage semblable ; de l’autre, je sentis très bien que ce décret étant connu, il donnerait l’éveil aux religieuses que la seule crainte d’être contrariées avaient retenues jusqu’alors et que je serais exposée ou à des refus bien pénibles et bien difficiles sous beaucoup de rapports, ou à voir échouer nos projets formés le jour de saint Ignace. 15 août 1804 Monsieur Rivet, à notre prière, écrivit à Monsieur Varin qui était encore à Lyon pour savoir la conduite à tenir dans les circonstances. Il lui répondit et ensuite à moi, la lettre suivante : Monsieur Rivet a dû vous faire part de la réponse que j’ai faite à sa lettre où il m’exposait les raisons d’agir auprès du gouvernement en faveur de votre maison. Je pars demain pour Paris où j’espère recevoir bientôt les renseignements que j’ai demandés à Monsieur Rivet. Je n’ai pas besoin de vous dire si je mettrai de l’intérêt et du zèle à seconder les vues de la Providence sur votre maison. J’oublierais plutôt ma main droite que l’objet dont nous nous sommes convenu1…. Je vous écrirai quand je serai au terme de mon voyage et je vous annoncerai l’époque où pourra s’exécuter ce dont nous nous sommes convenu. J’en hâterai le moment autant qu’il dépendra de moi. Aidez-moi de vos prières dans les affaires délicates que je vais traiter. Je compte sur celles de Madame Rivet et de vos autres compagnes. Chaque jour, je vous offre avec elles au Saint sacrifice de la messe.

11 septembre 1804 Le Père Varin, arrivé à Amiens, écrivit à Madame Rivet pour lui annoncer que dans le courant d’octobre Madame Barat, notre bonne Mère, viendrait à Grenoble pour nous établir. Le temps est toujours trop long lorsqu’on désire vivement, en sorte qu’avant l’arrivée de cette lettre, je m’étais déjà plainte à notre Père de son silence. Et il me répondit : Je suis étonné que vous n’ayez pas reçu ma lettre d’Amiens ; je vous réitère l’assurance que je vous donnais que Madame Barat partira les premiers jours d’octobre pour remplir la promesse que je vous ai faite. Elle conduira avec elle deux jeunes dames de ses amies. Vous verrez 1

Ps 137, 5.

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en même temps un ecclésiastique qui, je ne crains pas de le dire, est digne de toute votre confiance. Il m’en coûtera extrêmement de le voir s’éloigner de moi, mais je serai consolé par les services qu’il rendra à votre maison et dont je ferai en sorte d’être le témoin le plus tôt qu’il me sera possible. J’ai vu avec une grande satisfaction les détails que vous me donnez sur les premières démarches que vous avez faites pour obtenir la même faveur que les Dames de Romans. Suivez le plan que vous m’exposez et donnez-moi des nouvelles de l’exécution. Lorsque le moment en sera venu, je ferai ce qui dépendra de moi pour vous seconder.

Nous avions en effet commencé les démarches pour avoir la maison. M. et Mme de Rollin, mes parents à qui je devais déjà en partie le premier succès de mon entreprise ainsi qu’à M. Perier, père de Mme de Rollin, étaient à Grenoble ; ils me promirent d’être encore mes solliciteurs ainsi que M. [Claude] Perier. Ce dernier usa de son crédit auprès du préfet de l’Isère [Joseph Fourier] pour nous obtenir de sa part, au bas de notre pétition, l’apostille la plus favorable et celle de la municipalité. L’évêque refusa d’y mettre la sienne parce qu’il ne voulait solliciter pour personne, au moment où il demandait lui-même une maison pour un séminaire, sans pouvoir l’obtenir. Cette pétition, dans laquelle nous demandions, outre la propriété de la maison, d’être constituées comme institutrices de la jeunesse soit aisée, soit pauvre, et gratuitement pour ces dernières, fut adressée à M. de Gérando à Paris qui, comme ami de bien des personnes de ma famille et avec le zèle le plus soutenu, a conduit et terminé heureusement notre affaire. M. de Rollin et mon père la recommandèrent aussi à M. Dedelay d’Agier1, sénateur et protecteur déclaré des dames [ursulines] de Romans. Il a lui-même tracé la marche que nous avions à suivre et, le premier, assuré le succès. Tandis que nous étions occupées de nos sollicitations, deux Dames de la Visitation, mais non de la même maison que j’habite, vinrent au nom de leur supérieure et de vingt de leurs compagnes me proposer d’agir en commun pour être approuvées du gouvernement et obtenir notre maison. Je fus bien affectée de cette proposition, elle me forçait 1

Claude-Pierre Dedelay d’Agier (1750-1827), écrivain et homme politique, a été maire de Romans-sur-Isère (janvier 1788-février 1790). Il vota la suppression des ordres monastiques et de tous les ordres religieux en février 1790. Député sous différents gouvernements (Constituante, Directoire, Consulat, Premier Empire et Restauration), il fut favorable au coup d’État de Bonaparte et membre du Sénat en 1800.

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à un refus bien dur pour des religieuses auxquelles j’avais appartenues, qui hors cette maison ne pouvaient guère apercevoir où elles pussent fixer leurs espérances ; et quoique celles de la maison et qui m’avaient autrefois reçue avec bonté ne parurent pas, je sentais très bien que ce refus portait sur elles et semblait payer d’ingratitude et d’injustice toutes leurs bontés pour moi. Heureuse encore de n’avoir pas à le leur prononcer, je répondis avec le ton de l’intérêt, mais sans hésiter, que nous ne pouvions agir ensemble parce qu’étant liée depuis qu’elles avaient semblé renoncer à une réunion, je ne ferais rien sans la participation des personnes qui voulaient unir leur intérêts aux nôtres et que je m’étais même mise dans leur dépendance. Cette déclaration produisit l’effet que j’avais attendu : elle renouvela tous les anciens reproches et me fit encore appeler usurpatrice. Mon cœur supporta cette peine, sentant qu’il fallait payer le bonheur auquel j’aspirais ; mais quelle fut ma douleur lorsque par une lettre du Père Varin, j’eus sujet d’appréhender qu’il oubliât ses promesses et nous laissât ainsi sans espoir et dans la situation la plus pénible à l’égard du public et des religieuses qui pensaient toutes alors à se réunir. Il avait vu les articles du décret concernant les Dames de Romans et il répugnait à plusieurs et voulait qu’on cessât les démarches. Lui ayant écrit pour le prier de considérer que dans le moment où toutes les Religieuses étaient en activité, si nous ne continuions à solliciter, il était à craindre que nous ne fussions obligées de céder même la maison à celles qui nous auraient prévenues et que, quoique par délicatesse elles n’eussent point demandé notre maison, on eût pu la leur offrir. 6 octobre 1804 Le Père Varin ne goûta pas pour lors toutes mes raisons et me répondit que « quoiqu’il sentît celles qui me faisaient désirer qu’on donnât suite aux démarches et qu’elles fussent graves, les inconvénients l’étaient aussi, et qu’en traînant en longueur on pourrait obtenir des conditions plus favorables. » En conséquence, il voulait voir la fin de notre affaire avant de décider le voyage de Madame Barat. Il ajoutait : Ne vous inquiétez pas si le voyage de votre amie est différé, je m’en occupe, et elle s’en occupe ; mais le plus grand bien me semble demander encore un peu de délai. Je lui écris aujourd’hui, je lui dis combien votre maison mérite d’intérêt. (…) Prions le Seigneur pour le parfait accomplissement de ses desseins. (…) Je vous prie de m’envoyer bientôt une

Récit 1



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lettre pour M. de Gérando par laquelle vous m’autoriserez à conférer avec lui sur les affaires que vous lui confiez.

Je ne différai pas à lui envoyer une lettre par laquelle je priais M. de Gérando de ne rien faire pour nous sans l’aveu du Père Varin, mais de tâcher de lever la répugnance qu’il montrait pour souffrir les poursuites. La lettre pour lui-même était très pressante ; mon cœur endurait, dans la crainte que tant de délais ne fussent suivis de la rupture de ses conventions avec nous et que ma position envers les religieuses de la ville ne fût toujours plus difficile. Il commençait à paraître que je n’avais cherché qu’à les éloigner et que mes engagements n’étaient que des prétextes. D’ailleurs, ne les ayant plus dissimulés ni aux parents de nos enfants, ni aux personnes qui sollicitaient pour nous, ne voyant venir personne, nous avions l’air d’en imposer pour gagner la confiance et repousser soit les religieuses, soit plusieurs personnes respectables qui demandaient asile dans notre maison. Le Père Varin y répondit le 19 octobre et persistait à vouloir des délais et me parlait en particulier de la répugnance de Madame Barat pour les mêmes articles qui lui faisaient de la peine à lui-même. Je passai alors, ainsi que Madame Rivet, un des temps de notre vie les plus pénibles. Deux ans et demi d’attente nous paraissaient déjà bien longs et nous laissaient toujours en appréhension pour l’avenir sans qu’il nous fût possible de songer à nous organiser de quelque autre manière, tant que toute espérance ne nous serait pas ôtée de trouver place dans la sainte association qui fixait nos plus ardents désirs. Enfin le temps de l’épreuve passa et voici la lettre du Père Varin, écrite le 25 octobre, qui releva notre courage. De celle-là, je n’en omettrai rien parce qu’elle me console :  Madame. Je vous ai écrit il y a quelques jours et ma lettre, parce qu’elle laissait encore quelque incertitude, du moins sur le départ de celles que vous désirez ; ma lettre, dis-je, ne vous aura pas pleinement satisfaite. J’aime tant à vous donner quelque consolation, que je ne veux pas attendre votre réponse, pour vous dire quelque chose de plus positif. Je me sens de jour en jour plus pressé de remplir votre attente. Je vois, par les dernières lettres de Madame Barat, qu’elle-même partage ma disposition malgré la répugnance que lui faisaient éprouver les articles dont je vous ai parlé. Votre persévérance et celle de vos compagnes dans le projet de réunion que nous avons arrêté m’est un gage que le bon Dieu en bénira l’exécution. Je partirai lundi prochain pour Amiens, et j’espère dans très peu de temps vous annoncer le jour du départ de

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

vos amies. Souvenez-vous que je ne vous ai pas trompée, lorsque je vous ai assurée que je prendrai vos intérêts à cœur comme si c’étaient les miens, et que votre famille me serait aussi chère que la mienne. J’ai vu aujourd’hui M. de Gérando et lui ai remis votre lettre1. J’ai différé parce qu’il était à la campagne ; voyant qu’il y faisait un plus long séjour que je ne croyais, je l’y suis allé voir. Il m’a dit que votre affaire n’avait souffert aucune difficulté, et qu’hier, elle avait obtenu un plein succès, sauf une dernière ratification qu’on doit obtenir dans huit jours. Mes réflexions à M. de Gérando arrivaient trop tard ; il n’y avait plus à reculer, puisque la cause était gagnée. Il m’a dit qu’hier il vous en avait écrit. Il m’a promis que sitôt que la ratification serait donnée, il me le ferait savoir. Du reste, je puis vous dire que si je désirais un délai pour la présentation de vos papiers, j’avais d’excellentes raisons que vous seriez dans le temps. Maintenant la chose est faite ; croyons que le bon Dieu en tirera sa gloire. Écrivez-moi. Je ne serai pas longtemps à Amiens. C’est de là que je compte vous marquer le jour du départ de vos amies. Je me recommande aux prières de toutes. Je ne vous distingue pas dans les miennes des personnes qui me touchent le plus près. Soyons non à nous, mais à Jésus-Christ. Le surlendemain, je reçus encore une lettre de notre bon père où il me disait : Vous avez dû recevoir une de mes lettres qui aura adouci l’inquiétude que vous avaient causée les précédentes. Je pars après-demain pour Amiens, et ma première parole à Madame Barat concernera son départ.

Depuis l’âge de douze ans et quelques mois que Dieu m’a favorisé de la vocation religieuse, je ne crois pas avoir passé un seul jour sans prier Dieu de l’éclairer et de m’y rendre fidèle. Je la mis d’abord sous la protection de la Sainte Vierge et le Memorare fut la prière favorite que je lui adressais sans cesse. Mes grandes obligations à saint François Régis m’avaient un peu portée à m’adresser à lui plus directement. Mais ayant vu dans ma retraite que les Carmélites de Saint-Denis, au moment de voir tomber leur maison, l’avaient vu relever par l’entrée de Madame Louise au moment où dans la dernière détresse, elles faisaient une neuvaine à la Sainte Vierge pleine de confiance en sa tendresse et en sa protection, je reconnus que j’avais un peu négligé cette mère de bonté. Je lui en demandai pardon, je la reconnus pour la première 1

Lorsqu’il rencontre le Père Varin, J.-M. de Gérando vient d’être nommé secrétaire général du ministre de l’Intérieur. Il le restera pendant dix-sept ans.

Récit 1



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dispensatrice des grâces et la priai de m’obtenir la fin de nos cruelles incertitudes. J’engageai Madame Rivet à faire commencer dans la maison une neuvaine en son honneur de jeûne, de communions et de prières et ce fut dans le cours de cette neuvaine, sur les derniers jours, que nous reçûmes l’assurance d’être enfin admises dans la Société [des Dames de la Foi] et de posséder la maison. Cette dernière nouvelle me fut aussi annoncée par M. Perier auquel M. de Gérando disait en trois lignes : « Mon bon ami, je t’écris de chez Portalis1 pour te dire à la hâte que l’affaire de Madame Duchesne a obtenu un plein et entier succès. » Mais elle ne se trouva pas vraie. Dans le changement de ministère2, il y eut un grand nombre de papiers égarés ; les nôtres furent du nombre et sans la vigilance attentive de Mme de Rollin, nous eussions longtemps été dans une agréable illusion ; mais elle me prévint qu’il fallait recommencer toutes les démarches et lui renvoyer une nouvelle pétition. Dans tout autre temps, ce revers m’eût abattue, mais les lettres du Père Varin avaient tellement contenté mon âme qu’elle sentait que le poids de son bonheur avait besoin d’être contrebalancé. J’avais d’ailleurs au fond du cœur l’espoir que la maison nous était assurée dans le Ciel. Je répondis au Père Varin avec l’expression de la reconnaissance et lui avouai que voyant tout abattu autour de moi, je n’avais pu me méfier de sa bienveillance paternelle dont ses dernières lettres m’étaient le gage le plus consolant. Il me répondit le 10 novembre et me disait : J’ai reçu, hier, votre lettre du 2. Je vous sais bien bon gré d’avoir généreusement résisté à la triste impression que pouvait vous donner ma première lettre, et d’avoir rendu justice aux sentiments dont je vous avais donné l’assurance. Je me suis empressé de communiquer votre lettre à Madame Barat. Je puis vous assurer qu’elle vous est, et à vos compagnes, tout aussi unie d’esprit et de cœur qu’aux siennes propres, elle n’y met plus aucune différence. Ses compagnes de leur côté sont déjà si bien identifiées avec vous, qu’elles semblent oublier tout ce que 1

2

Jean-Étienne Portalis (1746-1807) fut avocat au parlement d’Aix en 1765. Emprisonné sous la Terreur, libéré le 27 juillet 1794, élu député au Conseil des Anciens qu’il présida en 1796, il plaida pour la suppression des lois contre les émigrés et les prêtres réfractaires. Condamné à la déportation comme royaliste, il dut fuir en Allemagne, revint en France après le coup d’État de Bonaparte, le 18-Brumaire (9 novembre 1799). Nommé conseiller d’État en septembre 1800, il fut l’auteur principal du Code civil. Chargé de la mise en œuvre du Concordat conclu avec Pie VII en juillet 1801, il fut nommé Directeur des affaires ecclésiastiques en octobre 1801 et ministre des Cultes en juillet 1804. Il s’agit de la création du ministère des Cultes. De 1801 à 1804, il n’y avait qu’un conseiller d’État chargé des Cultes.

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l’éloignement de Madame Barat aura de pénible pour leur cœur, pour ne ressentir que la joie commune de cette union. Madame Rivet a dû recevoir hier une lettre de Madame Barat et une de moi ; le départ y était annoncé pour le 22 de ce mois, et certainement il aura lieu ce jour-là. Je verrai ensuite avec complaisance s’approcher le printemps, où je deviendrai le témoin des progrès de votre maison dans le service de Dieu. Unissez-vous spécialement le 21 de ce mois à la famille de Madame Barat. Ce jour est pour elle l’époque la plus chère, puisque c’est celle de sa naissance [à la vie religieuse]. Quelques-unes, ce jour-là, prendront aussi une nouvelle naissance1 ; ce jour sera passé dans une sainte joie que la vue du lendemain, loin de diminuer, ne fera qu’augmenter.

Voici la lettre de notre Mère Madame Barat à Madame Rivet lorsque son voyage fut décidé. C’était une réponse à celle de Madame Rivet, où elle témoignait au nom de toutes la joie que nous éprouvions de devoir bientôt être sous sa conduite : Amiens, 2 novembre 1804. Madame, j’ai reçu votre lettre du 19 septembre qui m’exprimait vos sentiments au nom de toutes vos compagnes d’une manière qui me combla de joie, en voyant des âmes si bien disposées et par conséquent propres à remplir les desseins de l’aimable Providence. Vos dispositions me font vivement regretter que le Seigneur ait jeté les yeux sur moi pour les cultiver ; tant d’autres auraient pu vous en fournir les moyens avec plus de succès que je ne le pourrais faire, et que je n’oserais espérer, si je ne me confiais entièrement en Dieu ; mais les plantes que l’on cultive dans un jardin si fertile demandent peu d’art et de soins de la part du jardinier. C’est sans doute pourquoi le Seigneur m’a choisie ainsi, pauvre, chétive, dépourvue de tout moyen humain. Voilà ce qui me remplit de consolation et qui m’assure par avance que le Seigneur vous bénira, et que vous m’obtiendrez par vos prières les grâces qui me seront nécessaires pour vous aider à accomplir ses desseins. Qu’il m’est consolant de trouver des âmes qui veulent aimer et faire aimer notre bon Dieu et [qui sont] prêtes à tout sacrifier pour sa gloire ! Que vous êtes heureuses vous-mêmes d’avoir été appelées à cette sublime vocation ! Et plus heureuses encore d’être dans la disposition de ne rien épargner pour vous en rendre dignes ! Il me tarde d’être auprès de vous et de pouvoir vous assurer de vivevoix combien est grand l’attachement et l’intérêt que je vous porte ; mes 1

Parmi elles se trouvaient Rosalie Debrosse et Catherine Maillard qui iront à Grenoble avec la Mère Barat.

Récit 1



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deux jeunes compagnes désirent aussi ardemment que moi vous exprimer ce qu’elles sentent déjà pour vous et vous remercier de l’avantage que vous leur procurez de pouvoir travailler dans plus d’un endroit à faire connaître Celui qu’elles aiment uniquement. Notre départ est fixé au 22 de ce mois ; il n’a pas été possible de le mettre plus tôt. Le changement de local ne nous a pas permis de quitter la maison avant cette époque1. Je salue affectueusement vos chères compagnes et me recommande à leurs prières, nous le faisons ici pour vous. Ne devant bientôt ne faire plus qu’un, nous devons déjà être unies dans le Seigneur.

Cette lettre de Madame Barat était renfermée dans une du Père Varin qui nous témoignait toujours la même bienveillance, et qu’il adressait à Madame Rivet. Le 27 novembre, il m’écrivit pour m’annoncer le départ de Madame Barat. L’Amie que vous attendez depuis longtemps, me dit-il, est partie avec ses deux jeunes compagnes au jour marqué, le 22 de ce mois. Elle s’est arrêtée deux jours à Paris et aujourd’hui elle est à Joigny, entre Sens et Auxerre ; elle y accordera huit jours à sa famille, et elle sera le jour de [l’Immaculée] Conception à Lyon, où elle restera trois ou quatre jours pour y voir quelques personnes qui pourront bien ensuite faire partie de votre maison. Elle doit écrire de Joigny puis de Lyon à Madame Rivet. Je m’attendais, ainsi qu’elle-même, à recevoir de vos nouvelles subséquentes à la lettre que nous vous écrivîmes, le 2 de ce mois. Je me réjouis avec vous de la prochaine arrivée de vos amies ; Dieu tirera sa gloire d’une réunion qui n’a que lui pour objet. J’éprouve déjà de la consolation à me transporter en esprit près de vous, ce que je ferai réellement dans quelques mois. Espérons tout de la bonté de Notre Seigneur, et soyons persuadés que plus nous espérerons, plus nous obtiendrons. Dilatons donc nos cœurs pour qu’il dilate ses miséricordes. Je me rendrai à Paris dans 8 ou 10 jours ; adressez-m’ y votre réponse. Vos compagnes me sont devenues bien chères en Notre Seigneur. Comptez sur mon parfait dévouement.

27 novembre Il m’avait semblé que le Père Varin m’avait promis de venir avant le printemps et je lui avais témoigné ma peine sur un retard qui en met1

Les religieuses ont déménagé de la rue Neuve à la rue de l’Oratoire, où était auparavant le collège des Pères de la Foi, installé désormais à Saint-Acheul.

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trait sans doute dans notre organisation. Il eut l’extrême bonté de me répondre là-dessus en ces termes : Je vous ai écrit ce matin et cet après-dîner, je reçois votre lettre du 19. Je ne vous répéterai pas ce que je vous ai dit sur l’arrivée de Madame Sophie Barat, partie le 22 avec ses deux jeunes compagnes ; aujourd’hui à Joigny ; le 8 décembre à Lyon et quelques jours après, avec vous. Mais j’ajoute que je n’ai pas pu vous promettre d’accompagner ces dames, puisque dans le temps, vous en sentiez aussi bien que moi l’impossibilité. Cependant si par un faux calcul, vous avez trop avancé mon arrivée, je tâcherai par un juste calcul de la rapprocher de votre compte, le plus qu’il me sera possible. Je vous l’ai dit ce matin, j’en ai le plus grand désir. Oui, je puis le dire, votre âme et celle de vos compagnes me sont bien chères, parce que j’ai vu que rien ne les empêchera d’être tout à Dieu. Je conçois votre désir de ne plus tenir, même par un fil, à la terre ; fortifiez-le de plus en plus ce désir. Mais du reste, attendez-moi, et ne me sachez pas mauvais gré, si je diffère le jour après lequel vous soupirez, pour en être moi-même le témoin. Je suis…

C’est la dernière [lettre] que j’ai reçue du Père Varin avant l’arrivée de Madame Barat au milieu de nous. Elle eut lieu le 13 décembre de cette même année 1804. Ce jour de bénédictions et à jamais mémorable pour nous était pour parler selon mon cœur : les premières vêpres d’un autre jour de grâce pour moi, celui du 14 décembre 1801, où je rentrai dans cette bénite maison pour y travailler à ma sanctification et à celle des âmes. Il est inutile de parler de la joie de cette journée ; elle dut être dans le Seigneur qui nous en procurait l’inappréciable sujet ; et c’est à lui surtout que nous en parlerons dans le sentiment d’une humble reconnaissance. La maison était alors composée des quatre personnes dont j’ai déjà parlé : de Mlle Second qui nous était unie depuis l’été de la même année ; de deux dames veuves, grandes pensionnaires restées parmi nous ; d’une religieuse Ursuline sur le même pied qu’elles, c’est-à-dire suivant à l’extérieur les mêmes exercices que nous mais sans s’engager à la dépendance et à notre règlement pour la conduite particulière ; de 20 pensionnaires1, 5 filles de service. L’autre religieuse Ursuline, mon ancienne compagne, nous avait quittées depuis deux mois. 1

Parmi elles, il y a Euphrosine Jouve, nièce de Philippine, arrivée le 3 septembre 1804.

Récit 1



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Outre nos emplois particuliers, toutes s’aidaient pour le soin des pensionnaires, excepté Mlle Second qui, avec la dame Ursuline, prenait soin des externes, des pauvres de Jésus-Christ. Depuis plus de deux ans, Monsieur Rivet conduisait le pensionnat et nous disait la messe tous les jours avec un zèle que rien ne ralentissait. Il animait nos solennités en invitant beaucoup de prêtres à s’y unir en prêchant et, deux fois, notre évêque les honora de sa présence : 1°) le jour de saint François de Sales 1803 où il officia pontificalement et 2°) celui de la Visitation 1804 où il donna la confirmation pour la seconde fois, dans notre église, à quelques pensionnaires. Le moment est arrivé auquel je puis me taire ; je dois obéir et dire avec un profond sentiment : Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur1. Domine memorabor justitiae tuae solius2. __________ Depuis est arrivé le décret de l’Empereur en notre faveur, qui assure la possession de la maison et nous constitue en maison d’éducation. Il est daté du Palais des Tuileries, 6 Pluviôse An 13 [25 janvier 1805]. 1ère 2e 3e 4e 5e 6e 7e 8e 9e

1 2

Époques Voyage à La Louvesc Promenade à Sainte-Marie dans laquelle mon âme se livra au désir et à l’espoir du retour dans cette maison Vœu à saint François Régis pour l’obtenir La maison est adjugée par un bail le J’y rentre le Sortie des Religieuses de la Visitation Formation de notre association sous le titre de celle des Filles de la Propagation de la Foi Visite du Père Varin Arrivée de Madame Barat

3 Mai 1800 Pentecôte 1801 25 Juillet 1801 10 décembre 1801 14 décembre 1801 26 août 1802 3 mars 1803 31 Juillet 1804 13 décembre 1804

Ps 88, 1. « O Seigneur, je ne m’occuperai que de ta justice », ancienne Antienne pour la communion, 16e dimanche après la Pentecôte et Ps 70, 16.

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LETTRE 1

L. 1 À MADAME DE MAUDUIT Ce 21 novembre [1797]1

Ma bonne Amie, Je suis toujours à Romans. Il ne m’est point aussi facile que je l’aurais cru de m’en sortir ; j’ai manqué plusieurs occasions pour ne pas laisser ma bonne maman seule et maintenant, je n’en trouve point2. Julie [Tranchant] est déjà bien étonnée et paraît fâchée que j’éloigne ma visite, mais je n’ai pas des ailes pour voler vers elle3. Ma bonne maman prend bien son parti sur mon départ ; elle le voit même avec plaisir ; j’ai eu une scène fort vive avec elle, à la suite de quelques représentations que je voulus lui faire et qui n’ont point réussi à la calmer, ni contre ses grangers, ni contre ses domestiques. Dans cette conversation, je n’ai gagné que mon congé qui me fut donné en termes clairs. En voyant le changement que les années ont opéré dans nos grand’mères, je ne puis m’empêcher de faire les plus tristes réflexions ; c’est leur sang qui coule dans nos veines, et déjà nous sentons toutes des étincelles de leur ardeur impatiente. Craignons que les années ne perfectionnent la ressemblance et ne nous rendent le fléau d’une maison et le tourment de notre famille. Tâchons de nous vaincre de bonne heure dans les premières attaques d’un vice qui croît avec l’âge et qui devient incorrigible ; accoutumons-nous à ne pas trop exiger des autres et à passer sous silence mille petits sujets d’inquiétude qui commen-

1

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3

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 8-9 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il est difficile de déterminer la date exacte de ces deux premières lettres, à situer toutefois entre 1797 et 1800, car la mère de Philippine est décédée le 30 juin 1797, et le pèlerinage à La Louvesc est daté du 3 mai 1800, dans l’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut. Marie-Louise Duchesne, née Enfantin le 15 avril 1717, s’est mariée le 15 janvier 1737 avec Antoine Duchesne (1711-1783). Ils eurent onze enfants, dont six sont décédés en bas âge. Leur fils Pierre-François (1743-1814) est le père de Philippine. Trois filles furent Visitandines à Romans : Marie-Louise, dite Sœur Françoise-Mélanie (1738-1820) ; Marie (1742-1770) et Claire, dite Sœur Claire-Euphrosine (1749-1830) ; Françoise (1739-1810) s’est mariée avec ­Jean-Louis Tranchant en 1755, et leur fille Marie-Julie était aussi Visitandine à Romans. Mme M.-L. Duchesne est décédée le 7 octobre 1802. Marie-Julie Tranchant, sa cousine, résidait à Saint-Marcellin où se sont réfugiées les Visitandines de Romans.

Lettre 2



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ceraient à nous remplir d’amertume ; sachons que la perfection ne se trouve point en cette vie et qu’il nous faudra toujours supporter des misères dans les autres. J’admire tous les jours la [servante] Rose ; dans toute son indignation, elle dit ces seules paroles : « Quella poura femme, fa compassion1. » C’est un agneau débonnaire, un trésor de patience et de paix, elle souffre de plusieurs côtés ; je l’exhorte à la patience et lui ai fait promettre de ne pas quitter la maison. Nulle autre n’y tiendrait, à moins qu’elle n’eût un intérêt caché et facile.

LETTRE 2

L. 2 À MADAME DE MAUDUIT, À CREST2 [Fin 1797 ou début 1798]3

Tu sais déjà, ma bonne amie, mon arrivée à Grenoble ; tu as dû comprendre le motif de mon voyage, et que je n’eusse jamais eu le courage de l’entreprendre seule pour un plaisir de quelques jours. Ne m’accuse point de dissimulation envers ma première amie, si en quittant le séjour que tu habites, je ne te déclarai point mes dernières intentions, subordonnées alors à mille événements, au besoin que je pourrais avoir d’être à Romans. Je ne formais aucun projet, laissant à la Providence le soin d’éclairer mes voies et de me tracer ses intentions. Bien aise encore, en quittant des sœurs bien aimées, de ne pas m’arrêter à l’idée d’une longue absence. L’accueil que m’a fait ma bonne maman, le congé indéfini qu’elle m’a donné ont été les premiers motifs qui ont pressé mon projet ; loin d’être fâchée de la réception qu’elle m’a faite, je la regarde comme un bienfait pour moi, puisqu’elle m’excuse auprès de mon papa, du reproche qu’il pourrait me faire de me refuser à le servir, lorsqu’elle le refuse elle1 2

3

« Quelle pauvre femme, elle fait compassion. » Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 4-7 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il a été ajouté : « Cette lettre porte pour suscription : À la Citoyenne Mauduit. » D’après son contenu, cette lettre est écrite après le décès de Mme Duchesne (30 juin 1797), après la retraite spirituelle de Philippine à Saint-Marcellin (non réalisée le 21 novembre), et avant le mariage d’Adélaïde (mai 1798). Elle est donc à situer entre décembre 1797 et avril 1798.

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même. D’ailleurs, trois filles qui lui restent1, toutes aussi libres que moi, deux bons domestiques, ne laissent aucune inquiétude sur la manière dont elle sera soignée. Mes désirs se sont rallumés au milieu des réflexions qui ont occupé mes temps de loisir, et venant à Saint-Marcellin, je pensais à n’en pas faire le terme de mon voyage. Dans la retraite que j’y ai faite, j’ai tâché de me dépouiller de tout désir trop empressé, de tout attachement à mes vues, de tout sentiment humain. Hélas ! Comment des sentiments humains pourraient-ils avoir part dans une résolution qui m’oblige à les vaincre, à m’élever au-dessus de la nature pour répondre à un attrait plus fort ? Dépouillée, dis-je, de moi-même, j’ai cherché à connaître les volontés suprêmes et j’ai achevé ma détermination. Peu de personnes comprennent mon langage et s’empêcheront de me blâmer. Je leur pardonne d’avance ; j’excuse leur intention comme je leur prie d’excuser les miennes si elles ne peuvent les louer. Mon père surtout, que sa religion ne peut aider, portera toujours un sentiment contre moi ; et moi, jusqu’au tombeau, la peine de l’affliger ; elle viendra troubler tous mes plaisirs et répandre de l’amertume sur mes plus douces joies. La vue de sa situation présente m’a souvent arrêtée dans la vivacité de mes désirs, mais des vues plus hautes ont toujours pris le dessus. Non, me suis-je dit, je ne dispose point des évènements qui affligent ou qui consolent, je n’ai aucun pouvoir sur le cœur pour lui apporter le calme. En m’attachant à Celui qui ordonne les évènements, qui console les cœurs, je puis faire davantage pour mon père qu’en cherchant à lui plaire par mes assiduités et une fidèle compagnie. Oui, je l’ai souvent demandé, que toute la peine de cette séparation tombât sur moi, que je la sentisse dans toute son étendue, et que le prix de son mérite fût le bonheur de ma famille, leur douce union et une paix constante. Mon papa pourrait-il se plaindre, tant que tu lui resteras ? Tu étais sa fille, te voilà presque devenue son épouse et le soutien de sa maison ; tes enfants qu’il aime comme les siens, augmentent sa famille et lui promettent de longues jouissances. Conserve-toi pour lui, pour ton mari, pour tes sœurs et tes enfants ; tu es le chef de famille, tu dois te faire un devoir de ménager ta santé et de te conserver pour eux. Modère ton travail, laisse faire aux autres ; les affaires en iront moins bien, mais tu auras plus de calme et une meilleure santé. Quel est l’intérêt temporel qu’on ne doive y sacrifier ? 1

Les deux Visitandines et Mme Françoise Tranchant.

Lettre 2



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Adélaïde, en âge de gouverner une maison, est bien en état de te seconder1 ; la chère Adélaïde me pardonnera ainsi que toi, si je vous laisse plus de peines. Mon intention ne fut jamais de vous les abandonner sans fruit. Tu me rends assez de justice pour penser qu’un motif unique m’a toujours guidée ; mon plan était formé lorsque je n’avais aucune propriété. Après même qu’un grand malheur m’en eut procuré2, je ne songeai à en jouir que pour y renoncer, me réservant, toutes seules, les espérances célestes. Je voyais d’ailleurs sans imprudence un moyen d’exister ; maintenant les choses ayant changé, et mon plan ne pouvant être le même, il me serait impossible de suivre mon désir et je ne trouverais aucune Société. Mais je désire que cette lettre porte témoignage contre moi si jamais l’intérêt nous divise et si je ne suis disposée à prendre tous les arrangements qui vous seront les plus avantageux. J’ai trouvé une compagne plus âgée que moi, libre comme moi, elle a un petit revenu qui, avec son travail, suffit pour son entretien et celui d’une jeune fille d’une grande vertu, qui depuis dix ans est à son service et que nous conserverons. Nous sommes au moment de louer un appartement ; comme il faut donner tout de suite une première paye, j’aurais besoin de quelque argent. Tu me ferais bien plaisir de me faire passer environ 300 F si tu le peux sans te gêner. Je compte écrire à mon papa pour le prier de me permettre de prendre parmi ses meubles les choses qui me seront plus nécessaires. Comme il avait le projet de vendre, cela pourra entrer dans ses arrangements ; on prendrait quelqu’un pour faire l’estimation. Si notre logement nous permet de placer le reste, cela le déchargerait d’un loyer. Ma compagne a déjà bien des choses pour un ménage. Plaide ma cause auprès de mon papa, fais-le tout de suite, je t’en prie ; que les événements ne lui fassent point appréhender la chute de notre commerce, il sera si petit qu’on ne peut courir des risques ; nous laisserons ce qui pourrait être dangereux, nous occupant d’autres bons objets. Nous vivrons dans l’obscurité, c’est notre désir, ainsi ne parle point de moi, ni de ce que je fais, notre intérêt le demande. Ma bonne maman se porte fort bien. Je t’embrasse tendrement ainsi que mes sœurs. Philippine 1 2

Adélaïde-Hélène Duchesne (1779-1824), cinquième enfant de la famille, née le 15 avril 1779, s’est mariée avec Henry Lebrument (1771-1847), négociant à Lyon, le 1er mai 1798. La mort de sa mère, survenue le 30 juin 1797.

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LETTRE 3

L. 1 À MADAME JOUVE Ce 14 février 18021

Combien tu m’as soulagée, ma bonne amie, de m’apprendre que tes enfants étaient hors d’affaire. Je reçus, il y a deux jours, une lettre de Mélanie2 qui ne me laissait presque pas d’espérance pour la vie de ton Euphrosine3. J’en étais sans cesse occupée et étais au moment de t’écrire une lettre de condoléances lorsque tu m’annonces que Dieu a écouté la voix de tes larmes et te conserve ton Euphrosine. Témoigne à ton mari combien j’ai partagé ses alarmes et maintenant son contentement. Mon empressement à vous écrire me fait différer de quelques jours ma réponse à Mélanie, car je suis si occupée qu’il ne me serait guère possible de le faire aujourd’hui ; en attendant fais-lui mes tendres compliments ainsi qu’à Mme Jordan4. Camille est-il toujours à Lyon ? As-tu reçu une boîte que j’ai envoyée à Adélaïde [Lebrument] et un petit paquet aussi pour elle, dont s’était chargée Mme Datret. Apprends-moi le sort de ces deux objets et tâche de m’envoyer au plus tôt mon fichu noir. Je suis affligée de la perte du procès de Lebrument et en peine du tien. Apprends-moi quelle en aura été l’issue. Tu es bien bonne d’entrer dans les peines inséparables d’un établissement tel que le nôtre. La plus sensible est l’opposition de quelques personnes dont je n’attendais que de la reconnaissance. J’ai bien fait parler de moi de diverses manières, mais comme je n’ai pas agi pour la gloire mondaine, je ne me suis pas déconcertée par le blâme, ni n’ai pas trouvé ma récompense dans les louanges ; je la reçois de Dieu seul et de l’indicible joie de me revoir dans sa maison. J’ai reçu de beaucoup de personnes les témoignages de l’intérêt le plus vif. L’archevêque de Corinthe [Mgr Joseph

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Copie certifiée conforme à l’original, Paris, le 18 novembre 1895. Le vicaire général : R. Bureau v. g. Cachet de l’archevêché de Paris. Autres copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 1-3 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Mélanie Duchesne (1786-1828), la plus jeune sœur de Philippine, était à Grâne. Elle sera Visitandine à Romans. Euphrosine (Aloysia) Jouve, RSCJ, fut atteinte à l’âge de cinq ans d’une maladie contagieuse dont est morte la personne qui la soignait. Sylvie Gueymar de Roquebeau (1774-1837) s’est mariée avec Alexandre-Pierre Jordan (17681824) le 26 janvier 1798.

Lettre 3



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Spina] a fait une pétition pour nous faire décharger de notre loyer ; il n’a pas eu de réponse et j’ai la prudence de ne pas hâter le premier paiement. Tu sais peut-être qu’il est venu nous voir ; ne dis rien de sa pétition. Quant aux réparations, elles sont très considérables ; mais la Providence toujours grande et généreuse a inspiré à des personnes zélées d’y contribuer et si nous nous soutenons, j’en connais plusieurs qui nous donneront. Ma confiance s’anime lorsque je réfléchis sur la charité qu’on m’a montrée et qui rappelle celle des anciens temps ; on a tort de dire qu’elle s’est refroidie parmi les fidèles, car j’en ai vu les larmes aux yeux m’offrir de l’argent avec autant d’instances que d’autres en auraient demandé dans un pressant besoin. Dieu veuille, en leur considération, bénir notre entreprise. Nous ne sommes encore que quatre1 ; mais j’attends à Pâques la Mère de Murinais et plusieurs religieuses qui ont retenu leurs chambres. Nous jouissons du jardin et tirerons parti du jardinage. L’église est charmante ; on y célèbre porte fermée. Nous y eûmes six messes le jour de saint François de Sales et deux sermons, dont l’un fait par Monsieur Brochier qui est très ardent pour nous et l’un de nos conseils temporel et spirituel2. Adieu ma bonne et tendre amie, Philippine Ma tante Lagrange est hors d’affaire3. [Au verso :] À Madame Jouve rue de la Convention 22 À Lyon

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Philippine Duchesne, Émilie Giraud, une Ursuline et une sœur converse, ancienne novice visitandine. M. Brochier était alors vicaire général du diocèse de Grenoble. Louise-Marie Léger épousa François Perier-Lagrange (1729-1805), grand-oncle de Philippine, industriel qui avait fait fortune dans le commerce de la toile de Voiron et conseiller du Roi.

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JOURNAL DE LA MAISON DE GRENOBLE DITE SAINTE-MARIE D’EN-HAUT DEPUIS SA FONDATION, LE 13 DÉCEMBRE 1804 JUSQU’AU 27 DÉCEMBRE 18131

13 Décembre 1804 L’arrivée de Madame Barat et de ses compagnes fut pour nous le commencement d’un état meilleur2 ; nous pûmes marcher à l’aveugle sous sa conduite et nous joignîmes au pur contentement de vivre sous sa dépendance celui de voir former cet édifice solide que nous espérons voir subsister à la gloire de Dieu et que nous n’avions préparé que par d’ardents désirs. Elle avait été accompagnée ici par Monsieur Roger nommé par le Père Varin pour être notre supérieur, et par Monsieur Coidy destiné pour la direction de nos consciences3. Nous avions d’abord cru que notre entrée dans cette sainte et nouvelle carrière serait marquée par une retraite, mais Monsieur Roger jugea qu’il fallait avant que nous eussions eu le temps de nous connaître et la remit après la fête des Rois. Il repartit pour Lyon après avoir nommé Madame Barat supérieure. La fête de Noël approchait, la contemplation de Jésus au berceau devait être notre naturelle occupation dans le temps où nous devions retracer en notre personne toutes les vertus de son enfance. Aussi Madame Barat nous la représentait-elle sans cesse avec toutes ses amabilités ; à chaque récréation, elle le plaçait au milieu de nous pour nous apprendre à en faire comme elle le sujet de notre prédilection ; tantôt il fallait lui offrir ce qui satisfaisait le plus une dévotion naturelle et trop sensible, tantôt ce qui nous était agréable ou commode, tantôt une attache ou une amitié trop tendre. C’était des mains de notre supérieure que Jésus recevait nos naissants sacrifices, nous les déposions devant elle afin que cet épanchement de nos âmes dans la sienne nous valût les regards du parfait modèle de la dépendance et 1

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Original autographe, 85 pages. C-VII 2) c Duchesne-writings History of Society, Box 1. Copie : A-II 1) d Box 3. Une archiviste a ajouté sur la page de garde : Document très précieux, texte original sur tous les faits de la Société. Archives de Paris. Maison-Mère. Sophie Barat est arrivée à Grenoble avec Rosalie Debrosse et Catherine Maillard. Rosalie Debrosse (1785-1854), RSCJ, née le 22 novembre 1785, prit l’habit le 8 avril 1803 à Amiens. Elle prononça ses vœux avec Catherine de Charbonnel et Marie du Terrail le 21 novembre 1804. Elle est décédée le 31 octobre 1854 à Charleville. Catherine Maillard (1784-1854), RSCJ coadjutrice, fit ses premiers vœux le 16 août 1817, à Paris, et sa profession le 21 mai 1829. En 1819, elle fut envoyée à la fondation de Lyon et en juin 1830, à Beauvais. Elle est décédée le 13 octobre 1854 à Charleville. L’abbé Coidy deviendra sous-économe du petit séminaire de L’Argentière, puis vicaire général du diocèse de Lyon.

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du dépouillement religieux. Après nous avoir excitées à porter nos présents à la crèche, elle se félicitait d’en retrouver les incommodités dans la maison, par la neige qui y entrait en plusieurs endroits et causait un froid très rude. 1805 Monsieur Roger arriva enfin pour nous mettre en retraite. Il la commença le 11 janvier, les exercices [spirituels] se firent à la chapelle du noviciat, placée précisément au-dessus du grand autel de l’église. Pendant tout ce temps, on obtint la permission d’y avoir la messe et le Saint Sacrement. Nous fûmes déchargées de toute occupation extérieure pour être plus appliquées à la réforme de l’intérieur. Nos sœurs Debrosse et Maillard furent pendant les dix jours chargées du pensionnat. La retraite se fit suivant la méthode de saint Ignace avec trois méditations par jour et une considération. Monsieur Roger nous en faisait la préparation une demi-heure avant de la commencer en parlant avec beaucoup d’onction et de force et nous laissait ensuite à nos réflexions pendant une heure. Les autres exercices étaient deux lectures, une demi-heure d’adoration au très Saint Sacrement, l’office et le chapelet. Voici l’ordre des méditations : 1er jour Les trois méditations furent sur la fin de l’homme et la considération sur les qualités et vertus que doivent avoir les servantes de Jésus-Christ. 2e jour Les deux premières méditations sur le péché, la troisième sur l’enfer, la considération sur la confession. 3e jour La première méditation sur la mort, la seconde sur le jugement, la troisième était une invitation à choisir entre le parti de Jésus-Christ et celui du Démon. La considération sur l’imitation de Jésus-Christ. 4e jour La première méditation sur la miséricorde de Dieu, la seconde sur les bienfaits de Dieu, la troisième sur la pénitence. La considération sur l’emploi du temps. 5e jour Première méditation : bienfaits de la vocation religieuse ; seconde : humilité de l’Incarnation de Jésus-Christ ; troisième : pauvreté de Jésus-Christ dans sa naissance. Considération sur la vie intérieure. 6e jour Première méditation : humilité et mortification de Jésus-Christ dans sa circoncision ; seconde : sacrifice de Jésus-Christ dans sa présentation ;

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troisième : vie cachée de Jésus-Christ. Considération sur le détachement et la vie de l’esprit. 7e jour  Première méditation des deux étendards ; seconde : examen et considération de trois malades qui désirent leur guérison, représentant les volontés différentes des pécheurs qui veulent se convertir. Troisième méditation sur les trois degrés d’humilité. Considération, examen de sa vocation. 8e jour Première méditation : vie publique de Jésus-Christ, zèle du salut des âmes ; seconde : douceur de Jésus-Christ ; troisième : institution de la sainte eucharistie. Considération, caractère du vrai zèle. 9e jour Première méditation : Jésus au Jardin des olives. [La suite a été perdue.]

Notre digne Mère avait cédé à nos instances en nous admettant au noviciat avant même le commencement de la retraite et c’était le dernier jour de l’année [1804] qui fut pour nous le premier de notre naissance à la vie que nous embrassions. Le noviciat était composé de toute notre petite Société : notre Mère en était la maîtresse, les deux jeunes compagnes qu’elle avait amenées en continuaient les exercices, ayant devancé l’époque ordinaire de prononcer les vœux pour venir à Grenoble, et nous cinq y faisions les premiers pas. 1805 Une nouvelle compagne vint s’y réunir le 21 janvier, avant-dernier jour de notre retraite. C’était notre sœur Claudine Chenevier qui venait pour aider en qualité de coadjutrice. Elle passa quelque temps dans la maison sans se trouver à tous nos exercices et les suivit bientôt après avoir fait retraite en particulier. Les premiers jours de février, nous reçûmes le décret impérial dont il a déjà été parlé dans la première partie de cette relation1, qui a été écrite postérieurement à sa réception2. Comme il m’a été ordonné de rapporter les faits que j’avais laissés, croyant devoir seulement présenter 1 2

L’Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut et le Journal de la maison de Grenoble sont donc conçus comme un seul récit, rédigé à la demande de la Mère Barat. Sainte-Marie d’En-Haut (bien national depuis 1792) avait été attribuée à Mlle Duchesne par un bail aux enchères le 10 décembre 1801. Le décret impérial du 25 janver 1805 la mit gratuitement à disposition de l’institution de jeunes filles dont il autorisait l’existence. Sainte-Marie d’En-Haut resta propriété de la ville qui la reprit en 1833.

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à notre Mère l’état de ce qui s’était passé avant son arrivée, il faut ici me répéter. Le préfet [Joseph Fourier] auquel j’allai présenter la copie du décret m’en félicita de la meilleure grâce, applaudit à nos efforts et nous promit sa continuelle bienveillance dont nous avions déjà ressenti les salutaires influences. Mgr Claude Simon L’évêque nous promit aussi la sienne. Ainsi Dieu, toujours bon et facile à servir, nous a-t-il facilité l’abandon à son service en nous offrant de si fermes appuis. Nous fîmes bientôt après de nouveaux remerciements à ce cher Maître du don qu’il nous fit de nos sœurs Piongaud1 et Deshayes2. La première était maîtresse de pension à Lyon. Ses succès dans l’éducation parurent la destiner à s’en occuper pour un plus grand nombre de sujets et Monsieur Roger, ayant connu son attrait pour la vie religieuse, lui fit entrevoir deux biens à faire en se rendant dans cette maison où elle entra le 14 février 1805, temps désagréable qui lui rendit pénibles les premiers temps de son séjour qu’elle a fini par goûter. 20 Février 1805 Madame Deshayes arriva le 20 du même mois ; elle était une des premières qui avaient formé la maison d’Amiens où elle était maîtresse générale du pensionnat et des classes pauvres. Elle ne se trouva point étrangère dans une maison où elle retrouvait la supérieure d’Amiens, deux de ses sœurs, et de nouvelles toutes prévenues en sa faveur. Elle y demeura néanmoins quelque temps sans emploi ainsi que Mlle Piongaud ; ceux de sacristine et d’infirmière avaient été donnés à notre sœur Rivet, celui de portière à ma sœur Balastron, celui de vestiaire à ma sœur Giraud qui demeura aussi chargée de la classe des petites

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Marie-Jeanne Piongaud (1772-1820), RSCJ, entrée à Sainte Marie d’En-Haut le 14 février 1805, partit en août avec Henriette Grosier pour la fondation de Belley. Elle est allée ensuite à Poitiers, où elle décédée le 19 mai 1820. Geneviève Deshayes (1767-1849), RSCJ, entrée à Amiens en octobre 1801, fut nommée assistante et maîtresse générale en novembre 1804. Le 20 février 1805, elle vint à Grenoble comme supérieure (1805-1813), alla ensuite à Cuignières puis à Beauvais comme assistante. Nommée maîtresse des novices à Paris en 1818, elle fut remplacée en octobre 1820 par la Mère Barat et revint à Amiens. Elle partit ensuite à Marmoutier, où elle est morte le 1er juillet 1849. Elle est l’auteur des Notes sur les commencements de la Société, Tours, 1845, A-II 1) a.

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pensionnaires1. Ma sœur Debrosse eut la seconde [classe] ; je fus destinée pour la première et pour faire les dépenses de la maison. Ma sœur Maillard était le plus souvent en surveillance auprès des enfants et ma sœur Second faisait la classe des pauvres, qui était tous les jours depuis 9 heures du matin jusqu’à 11 h et depuis 2 heures de l’après-midi jusqu’à 4 h. Voici quel fut pour nous l’ordre de la journée dès le commencement de notre noviciat : le lever à 5 heures, l’oraison depuis 5 heures ¼ jusqu’à 6 h ¼, l’office à 7 h ¼ suivi de la messe et du déjeuner. Les classes des pensionnaires de 9 h jusqu’à 10 h, le dîner à midi suivi de la récréation jusqu’à 1 h ½ où l’on disait vêpres et le chapelet ; à 4 heures, nos jeunes sœurs prenaient des leçons pour se former à l’éducation ; à 5 h étaient les classes des pensionnaires jusqu’à 6 h ½ ; à 7 h ¼, Matines ; à 7 h ¾, le souper suivi de la récréation ; à 9 h, la prière ; l’examen et le coucher à 10 heures moins un quart. Cet ordre a souffert des changements comme on le dira bientôt. Les mercredis et samedis, il n’y avait pas de classe pour les enfants, non plus que le dimanche. Mais le dimanche et le mercredi, toutes s’assemblaient au noviciat pour la conférence à 5 heures. Il y en avait aussi [une] deux autres jours de la semaine pour traiter ce qui regardait le pensionnat. Notre Mère alla à Lyon vers la mi-carême. Le Père Varin devait s’y trouver à l’époque du passage du pape et pour l’organisation du collège de l’Argentière que les Pères de la Foi allaient former, ayant obtenu la maison du gouvernement ainsi que l’église des Chartreux de Lyon pour y faire le service divin et donner des retraites. Il ne se rendit pas à Lyon au jour qu’il avait fixé, ce qui força notre Mère d’y séjourner plus longtemps. Elle ne revint que le lendemain de Quasimodo [dimanche après Pâques] et nous amena pour douzième compagne ma sœur Henriette Girard2, connue depuis longtemps du Père Varin qui lui avait promis 1

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Émilie Giraud (1783-1856), RSCJ, née le 11 juin 1783, arriva à Sainte-Marie d’En-Haut comme pensionnaire le 13 juin 1802. Entrée le 31 octobre suivant dans la communauté des Filles de la Foi, elle fut rejointe par Virginie Balastron le 13 novembre 1802. Émilie et Virginie font partie des premières novices admises par Sophie Barat : Virginie, le 13 décembre 1804 ; Émilie, le 1er janvier 1805. Elles firent leur profession le 21 novembre 1805. Envoyée à Poitiers en 1818, Émilie Giraud fut supérieure à Niort et plus tard à Lille, où elle est décédée le 27 août 1856. Virginie Balastron (1783-1862) est décédée le 25 mars 1862, à Marseille. Henriette Girard (1761-1828), RSCJ, originaire de Lyon, a hébergé et caché chez elle Mgr d’Aviau pendant la Terreur révolutionnaire. Première postulante entrée le 22 avril 1805 à Sainte-Marie d’En-Haut, elle fit ses vœux le 21 novembre 1805. En juillet 1806, elle accompagna Sophie Barat à la fondation de Poitiers et alla à Amiens en juin 1809. Membre du

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de la recevoir parmi ses filles. Madame Barat n’avait point quitté Lyon sans chercher à se procurer la bénédiction de notre Saint Père Pie VII. Il la lui donna pour elle et pour ses filles et bénit dans ses mains les deux maisons d’Amiens et de Grenoble. On la revit dans cette dernière ville avec un empressement qu’il est aisé d’imaginer ; il n’y entrait aucun triomphe d’amour-propre contre les personnes qui avaient dit qu’elle ne reviendrait pas et qu’elle avait lâchement abandonnée sa maison, sentant l’impossibilité de [la] soutenir. On n’avait encore pu se taire sur cette maison. Sans répéter les anciens propos qui s’étaient tenus contre les premières personnes qui l’avaient habitée et qui se répétaient encore, la honteuse jalousie, la malveillance, l’irréligion osèrent attaquer la pure vertu des personnes courageuses qui avaient quitté le sein de la tranquillité et du bonheur pour courir les hasards d’un nouvel établissement parce qu’elles y avaient entrevu la gloire de Dieu et sa volonté. On eut l’indignité de les nommer des filles pénitentes, de rendre leur foi suspecte ; on vit du mystère dans une conduite toute cachée en Dieu avec Jésus-Christ ; on en conclut qu’elle était blâmable. Beaucoup de personnes n’allèrent pas si loin, mais s’attachèrent à critiquer la fermeté qu’on mettait à empêcher les entrées inutiles, à ne vouloir que des sujets jeunes et propres à se plier à la règle, à retrancher les usages des anciens monastères qui ne pouvaient plus aller avec le temps critique où l’on est encore. Enfin, on nia leurs talents, on rit de leur jeunesse et surtout de celle de notre Mère, comme si les dons de Dieu ne se répandaient qu’à un âge et que son esprit dépendit de notre humanité. Quand je la voyais agir toujours par l’impression de Dieu qui la guidait, que je mettais en balance l’onction de sa parole avec l’aigreur des discours qui l’attaquaient, je n’avais pas de peine à démêler la passion de la vertu qui ne cherche que Dieu et m’attachant à elle, je riais des agitations de la passion qui pouvaient arrêter pour un temps l’œuvre de Dieu, mais ne sauraient la détruire. On fit de grands efforts pour nous enlever quelques-unes de nos chères compagnes, surtout Mademoiselle Girard, car à Lyon comme à Grenoble, on critiquait avec animosité notre réunion. Bientôt après l’arrivée de notre Mère, une des dames séculières nous quitta. Cette sortie renouvela encore les propos sur notre insociabilité Conseil général de 1815, elle resta à la maison-mère où elle rédigea le Journal de la maison de Paris (25 décembre 1817-27 février 1819). Elle retourna ensuite à Amiens où elle est décédée. Elle est l’auteur de notes sur les débuts de la Société : Notes de la Mère Girard sur la maison d’Amiens I ; Notes de la Mère Girard sur les fondations de Poitiers, Niort, Sainte-Pezenne, Cuignières, Beauvais, Paris, Quimper, La Ferrandière II, A-II 1) a.

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quoiqu’elle n’y eût point contribué, parlant au contraire avantageusement de la maison et ne donnant d’autre raison de son inconstance que sa mauvaise santé. Mais ils avaient toujours leur effet d’empêcher l’augmentation du pensionnat. Sans être insensible à ce retard dans l’œuvre de Dieu, on sait, quand on ne cherche que lui, le bénir de nous lier les mains lorsque c’est lui qui nous arrête et non la crainte de se fatiguer pour lui. Dieu nous dédommageait par l’abondance des grâces qu’il répandait sur notre cher petit troupeau. Mai 1805 Le 1er mai arrivèrent à Grenoble deux Pères de la Foi : le Père Lambert1 et le Père Gloriot2. Ils venaient pour la mission du Jubilé qui eut les succès les plus admirables3. Ils montèrent le même jour à Sainte-Marie où l’on aimait à voir les hommes apostoliques ; ils trouvèrent nos enfants réunies au noviciat, chantant les louanges de la Mère de Dieu, dans ce jour qui commence le mois de Marie. Ce fut une occasion pour Monsieur Lambert de les animer à une tendre dévotion envers la mère de bonté ; et ce prédicateur digne d’être distingué dans toute l’Europe prit plaisir comme son maître à se trouver parmi les enfants et à les instruire. Elles allèrent plusieurs fois l’entendre à la cathédrale ainsi que Monsieur Gloriot ; mais ils vinrent aussi plusieurs fois faire couler sur notre montagne quelques ruisseaux de leur solide et touchante éloquence. Monsieur Lambert fit un discours à la messe, le jour de la Pentecôte. Il fit celui de la première Communion de nos enfants à la fête du Sacré-Cœur de Jésus et après les avoir instruites sur la manière de bien accueillir le Seigneur Jésus, il le plaça lui-même sur leurs lèvres innocentes. Monsieur Gloriot nous montra l’après-midi la véritable dévotion au Cœur de Jésus-Christ dans toute son étendue et son excellence. Il prêcha encore le jour de la Visitation. Ce fut en cette fête que notre digne évêque, invité par les missionnaires, vint passer la journée avec nous. Après le dîner, il distribua avec bonté les prix aux enfants qui les avaient mérités ; il en couronna sept et donna les premiers rubans de mérite à celles des pensionnaires auxquelles leurs compagnes avaient adjugé le prix de la sagesse. Ce 1 2

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En 1806, l’abbé Lambert eut un rôle important dans la fondation de la maison Poitiers. Charles Gloriot (1768-1844), SJ, a été l’un des premiers compagnons du Père de Tournély dans la Société des Pères du Sacré-Cœur. Il fut présent à l’inauguration du noviciat de Poitiers, le 8 septembre 1806. Il entra dans la Compagnie de Jésus en 1814. Il est décédé le 2 février 1844, à Avignon. Le Jubilé de 1805 célébrait, en France, le retour de la liberté de religion.

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jour remarquable par l’agréable réunion des personnes auxquelles nous devions le plus, par cette première distribution des prix, le fut encore plus par le don du Saint-Esprit que les enfants de la première Communion reçurent ce jour-là dans la confirmation. Lorsque l’évêque [se] fut retiré, Monsieur Lambert au milieu des enfants leur parla de leur bonheur, les invita à n’éteindre jamais dans leurs âmes l’esprit de feu et d’amour et les quitta en les bénissant avec nous. Le dimanche suivant, ayant réuni dans notre église les jeunes gens de la congrégation, nous l’entendîmes parler contre le respect humain ; plusieurs fois encore, dans des entretiens familiers, il nous a animées ou à la pratique de la vertu ou au désir du Ciel. Sa bienveillance ne s’est pas bornée là et se préparant à quitter Grenoble, il a demandé à notre évêque de nous transporter celle qu’il leur porte et qu’ils ont méritée par leurs importants services, changeant la face d’une ville criminelle et faisant goûter la parole de Dieu à ceux qui fermaient leurs cœurs depuis des 30 et 50 années. Monsieur Lambert nous avait déjà amené l’évêque le jour de saint François Régis, notre tendre et zélé protecteur. On n’a su dans ces deux visites ce qu’il fallait le plus admirer ou de la bonté du pasteur à visiter le troupeau, ou de l’attention de Monsieur Lambert à l’y intéresser en paraissant l’être lui-même. Après la distribution des prix, nos pensionnaires reprirent leurs exercices ordinaires. Notre Mère cependant changea quelque chose à l’ordre de leur journée et mit la classe de l’après-dîner à 3 heures. Les mêmes maîtresses furent continuées. Madame Deshayes, déjà bibliothécaire, fut maîtresse générale des pauvres ; elles étaient divisées en deux classes : celle des grandes confiées à ma sœur Girard, celle des petites dont ma sœur Second continua à être maîtresse. Ma sœur Piongaud fut maîtresse d’écriture et de dessin. Ce ne fut pas pour longtemps, son départ fut bientôt résolu comme nous allons le dire, après avoir dit un mot de la dernière entrevue avec Monsieur Lambert. Il s’était occupé de nous jusqu’au dernier moment. Il nous apporta le jour de saint Ignace une permission de l’évêque d’avoir la bénédiction tous les dimanches et toutes les fêtes principales de l’église et de notre ordre. Nous avions inutilement sollicité cette grâce et nous la dûmes aux sentiments de la juste reconnaissance que l’évêque devait à Monsieur Lambert, qui ne put même l’obtenir qu’après beaucoup d’instances. Il prêcha le même jour à la messe sur le saint fondateur. Son zèle ne se borna pas là ; mais encore après la messe, il nous réunit et nous parla familièrement du plaisir qu’il avait de nous voir un contentement

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si pur et si visible qu’il éclatait au premier aperçu. Il nous exhorta à nous mettre au-dessus des jugements du monde, il nous montra les avantages de la vie commune que nous avions embrassée et nous félicita d’être folles dans le monde comme lui-même était un fou ; mais il développa en même temps cette divine folie, la folie de la croix qui nous rend autant agréables à Jésus-Christ que méprisables aux yeux du monde. Il partit le matin même pour aller dans une campagne près de Lyon se reposer des fatigues de la mission. Monsieur Gloriot partit aussi avec lui. Monsieur Varin ne tarda pas à venir combler le vide que laissait l’absence des bons missionnaires. Il arriva dans l’octave de saint Ignace et passa 4 jours à Grenoble. Il visita la maison, il examina les changements faits depuis sa dernière visite, il fut témoin de l’aimable gaieté qui règne dans nos conversations. Il ne put nous souhaiter que la continuation de notre bonheur et nous exhorter à nous en rendre dignes. Ses affaires et sa santé qui était des plus mauvaises, l’empêchèrent de nous parler autant que nous l’aurions désiré ; mais il témoigna sa satisfaction de nous voir toutes dans la voie où Dieu nous avait placées pour coopérer à son œuvre. Il parut comme un père au milieu de ses enfants et nous laissa toujours plus pénétrées de ses continuelles bontés. Août 1805 C’est depuis ce temps qu’il fut arrêté que Madame Piongaud irait à Belley dans une nouvelle maison. Elle était demandée pour établir l’ordre dans un pensionnat nombreux que les Pères de la Foi avaient conduit jusqu’alors. Depuis longtemps, Madame de Luiset, chanoinesse qui avait formé une maison d’éducation à Belley, désirait être secondée et même être remplacée par des dames de notre société. Sa demande fut enfin écoutée ; Madame Piongaud partit quelques jours après son Père pour être maîtresse générale. Madame Grosier1, qui était destinée 1

Henriette Grosier (1774-1842), RSCJ, née à Beauvais le 24 décembre 1774, secondait sa tante Mlle Devaux, à Amiens, lorsque le pensionnat devint la première maison de la future Société du Sacré-Cœur, le 15 octobre 1801. Elle fit ses premiers vœux le 21 novembre 1801, sa profession le 29 mai 1803. Au départ de la Mère Barat pour Grenoble, elle fut nommée maîtresse des novices. À l’automne 1805, elle partit fonder une maison à Belley. L’essai ayant échoué, elle alla à Poitiers où elle devint supérieure en mai 1808. De 1816 à 1818, elle remplaça la Mère Prevost, à Amiens, et réalisa en 1824 la fondation de la maison de Metz avec la Mère A. Lavauden. Assistante générale de 1815 à 1827, elle fut admonitrice de la Supérieure générale. À partir de 1832, elle fut chargée des maisons de l’ouest de la France. N’ayant pu se rendre au Conseil général de 1839, elle voulut participer à celui de 1842, mais gravement malade, elle dut s’arrêter à Paris, où elle est morte le 28 juillet.

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à être la supérieure de cette troisième maison où règne déjà l’ordre, mais surtout l’humilité, la charité, vint auparavant passer quelque temps au milieu de nous. 7 septembre 1805 Nous ne sommes pas [restées] longtemps sans être visitées par des hommes de Dieu et ce n’est pas un des moindres avantages de notre situation que d’être avec eux en société de prières et de recevoir leurs instructions. Monsieur Barat, frère de notre Mère, est venu à Grenoble ; plus étonné encore de sa haute vertu que de la profondeur de sa science, on eut un peu de peine à l’aborder ; mais la charité sait se plier et bientôt, on ne fut plus pénétré que du désir de profiter des cinq journées où il est resté ici. Ces courts moments ont été bien employés ; surtout il nous fit trois solides et touchantes exhortations : La première, sur la confiance en la volonté de Dieu qu’il tira de cette parole de la Sainte Vierge : « Qu’il me soit fait selon votre parole1. » Il nous la montra toujours aimable, soit qu’elle blesse ou qu’elle fortifie, toujours attachée à notre perfection à laquelle, pour entrer dans son intention, nous ne devons point nous lasser de travailler dans la carrière la plus rude des souffrances et des humiliations. Il montra l’amante de Jésus si avide de se conformer à son modèle qu’elle ne veut plus vivre sans le glaive perçant qui afflige l’âme et sans cette sainte mélancolie, fille de l’amour ardent qui ne goûte rien sur la terre parce qu’elle y trouve des obstacles à son union avec le Bien-aimé. Il cita ces âmes ardentes : sainte Thérèse [d’Avila] et sainte Magdeleine de Pazzi qui ne pouvaient exister sans souffrir2. Sa seconde [exhortation] fut sur le zèle du salut des âmes et pour l’exciter en nous, il nous montra le démon plus attaché, plus persévérant pour la perte des âmes que nous ne le sommes à les sauver. Réflexion terrible et bien capable de remuer une âme froide pour le salut de ses frères ; mais en nous exhortant à y travailler, il nous avertit en même temps à le faire d’abord sur nous-mêmes et en marqua la nécessité et la manière. Dans la troisième, il nous représenta la sagesse habitant au Ciel et la crainte faisant son séjour sur la terre, où nous ne pouvons que trembler 1 2

Lc 1, 38. Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1607), originaire de Florence, est une carmélite, mystique, dont la spiritualité et les écrits ont eu une forte influence en Europe. Elle a été canonisée par le pape Clément IX le 22 avril 1669.

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à la vue de nos fautes et de la justice de Dieu ; mais cette route d’appréhension étant trop rude à notre nature, il nous apprit à avancer dans le chemin du Ciel à l’aide de la piété qui nous rend fervents dans le service de Dieu. La piété ou plutôt ses exercices se diversifient suivant notre état et c’est à la science à nous montrer ceux qui sont convenables pour nous. Mais comment les embrasser, lorsqu’ils contrarient nos inclinations et nos sens, sans le don de force qui nous fait surmonter tous les obstacles qui s’opposent au salut ? Et il nous montra les effets de ce don dans tant de saints qui ont été les conquérants des âmes et qui ont fait de leurs corps des victimes toujours préparées pour l’immolation. La force peut entraîner trop loin, elle peut égarer lorsqu’on ne sait pas discerner l’esprit qui nous conduit. La science et le conseil sont donc encore nécessaires. C’est le désir de cette science qui faisait dire à saint Augustin : « Que je vous connaisse, Seigneur, et que je me connaisse. Que je vous connaisse pour vous aimer et que je me connaisse pour me haïr. Que je vous connaisse pour tendre vers vous ; que je me connaisse pour sortir de moi-même1. » Mais le conseil qui règle la science et la force appartient principalement aux conducteurs des âmes. Enfin l’intelligence nous fait comprendre qu’il n’y a de bonheur qu’en Dieu et au Ciel où il habite. Ce sixième don nous fait souhaiter le Ciel où nous nous unissons à la sagesse éternelle et où nous ne goûtons plus qu’elle. Monsieur Barat nous ayant si bien placées nous quitta la même matinée, et nous promit son souvenir devant Dieu. 23 septembre 1805 Peu de jours après son départ le 23 septembre, on fit la distribution solennelle des prix, précédée de trois jours d’exercices. La distribution se fit par Monsieur Royer, sulpicien et Directeur du séminaire de Saint-Irénée à Lyon2 ; Messieurs de La Grée curé de la Cathédrale, Rambaud aîné et Rivet y assistèrent. Le lendemain matin, Monsieur Royer eut encore la bonté de venir dire la messe à nos enfants, recevoir au pied de l’autel leurs prix et leurs couronnes qu’elles vinrent offrir à la messe3 ; et leur parler sur la cérémonie de la veille pour animer les unes à tendre à la récompense puisque Dieu la leur offrait et tâcher de 1 2 3

Cette citation ne correspond pas au texte de saint Augustin sur le Connais-toi toi-même. Elle relève plutôt de l’augustinisme. L’abbé Royer fut curé de l’église Saint-André à Grenoble, jusqu’en février 1805 où il devint directeur du Séminaire Saint-Irénée à Lyon, à la demande du Cardinal Fesch. Quand un prix ou un accessit était décerné à une élève, on lui offrait un livre et une couronne.

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modérer la joie des autres en leur apprenant à n’estimer que la gloire du Ciel et la couronne de l’immortalité. 13 novembre 1805 Après la distribution des prix, notre Mère fit sa retraite après laquelle arriva notre sœur Grosier, destinée à être première supérieure à Belley avec Sœur Félicité [Lefèvre], sa compagne1. Elles devaient l’une et l’autre rester dans notre maison jusqu’après la retraite qui commença le 13 novembre, fête précieuse pour nous puisque c’est celle d’un des plus illustres novices de la Compagnie [de Jésus], saint Stanislas Kostka2. Le Père Varin et le Père Roger étaient arrivés deux jours avant pour en donner eux-mêmes les exercices. Outre les personnes de la maison dont les noms sont déjà reportés, il s’y trouva encore Mlle de Crouzas3, Mlle [Jeannette] Rivet, Mlle Messoria4 qui toutes trois venaient pour s’unir à notre sort. La dernière a été obligée de ressortir pour un peu de temps, y étant obligée par sa mère. Les deux premières sont entrées au noviciat dès le lendemain de la retraite. Avant et depuis, y sont aussi entrées nos sœurs Marie Bonnet et Marie Borin5 qui doivent être parmi nous en qualité de coadjutrices. La retraite fut commune pour toutes les personnes de la maison, excepté notre bonne Mère, une autre pour le soin du pensionnat, les pensionnaires et les filles de service. Le Père Varin en fit l’ouverture le soir de la fête de saint Stanislas, dans la chapelle intérieure de la maison où pendant tout ce temps, on eut permission de l’évêque d’y dire la messe et d’y garder le très Saint Sacrement. Ce fut lui qui tous les jours fit la considération de quatre heures. Il y détailla la fin, l’esprit 1

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Félicité Lefèvre, novice venue d’Amiens avec Henriette Grosier en octobre 1805, était destinée à la fondation de Belley mais son obédience changea. Elle accompagna Sophie Barat à Amiens, le 23 novembre, revint avec elle à Grenoble en mai 1808, et quitta la Société du Sacré-Cœur en août 1808. Stanislas Kostka (1550-1568), novice jésuite polonais, est mort peu après avoir commencé son noviciat à Rome. Sa joie rayonnante et son esprit de service lui attiraient toutes les sympathies. Canonisé le 31 décembre 1726 par Benoît XIII, il est le patron des novices des congrégations ignaciennes, il est fêté le 13 novembre. Christine de Crouzas (1771-1828), RSCJ, originaire de Savoie, quitta Sainte-Marie d’En-Haut en août 1807 pour aller à la Visitation de Chambéry, mais revint au Sacré-Cœur le 23 juin 1809. Elle est décédée le 2 mars 1828. Caroline Messoria (1783-1838), RSCJ, entrée à Sainte-Marie d’En-Haut en novembre 1805, alla à Poitiers en août 1818. Elle partit pour Bordeaux en 1819. Elle est décédée le 27 janvier 1838. Elles ne resteront pas : Marie Bonnet retournera dans sa famille et Marie Borin ira à la Visitation de Romans.

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et les avantages de notre Société ; il parla sur le recueillement, l’esprit intérieur, la pauvreté, l’obéissance, l’éducation de la jeunesse, sur la dévotion au Sacré Cœur de Jésus et sur la manière dont il fallait se comporter pour ne pas perdre le fruit de la retraite. Les trois méditations furent données chaque jour par le Père Roger. Pendant que dans la maison, chacune cherchait à former dans son cœur une digne retraite à l’Esprit saint et l’invoquait tous les jours pour inspirer à nos bons Pères les règles que nous devions suivre, ils employaient tous les moments qui n’étaient pas consacrés à la retraite pour les rédiger en abrégé. Elles le furent en peu de jours et présentées à l’évêque par notre Mère et une de ses filles, la veille de la Présentation. Il les approuva verbalement, ne pouvant le faire encore autrement, et y donna sa bénédiction ainsi qu’à nous toutes en la personne de notre Mère. Il nous désigna en même temps pour supérieur Monsieur Rey qui avait depuis longtemps la connaissance des maisons religieuses. Le vénérable Monsieur Brochier, qu’on s’étonnera de ne pas entendre nommer ici, ne pouvait plus nous aider que de ses conseils et de ses prières, car Dieu pour couronner ses travaux, son zèle et sa fidélité l’affligea dans les organes de la vue et de l’ouïe de manière à ne pouvoir plus s’occuper pour sa gloire que de cette manière-là. 21 novembre 1805 Dieu, qui veille au bien de la maison, nous fit trouver dans Monsieur Rey des lumières et un intérêt qui nous rendent bien reconnaissantes envers sa bonté. Il voulut assister à la cérémonie de nos vœux qui se fit le soir de la fête de la Présentation dans la chapelle intérieure. Messieurs Rambaud et Rivet s’y trouvèrent aussi avec nos deux Pères. Le Père Varin fit le discours avant la cérémonie et prit pour texte ces paroles : « ce jour sera très célèbre parmi vous. » Il le compara à celui de notre baptême et de notre première communion et montra que l’état de l’enfance nous ayant empêchées de profiter des premiers ou d’en sentir l’importance, nous avions dans celui-ci le moyen de nous purifier par notre sacrifice comme dans un nouveau baptême et que Jésus-Christ allait prendre une entière possession de notre âme. La veille, il nous avait détaillé l’étendue de nos obligations par rapport aux quatre vœux que nous allions prononcer et les modifications qu’exigeait celui de pauvreté. Chacune les prononça après le discours, à genoux devant l’autel sur lequel le Saint Sacrement était exposé. Et dans les mains de notre Mère, qui était debout au côté droit de l’autel,

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elle remit la formule qu’elle venait de prononcer, signée de sa main. Cette formule comprenait les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et de se donner à l’éducation de la jeunesse. Notre Mère et les anciennes professes avaient commencé par renouveler les leurs ; c’étaient nos sœurs Grosier, Deshayes et Debrosse. Celles qui eurent le bonheur de contracter leurs premiers engagements furent, dans cet ordre, les sœurs [Marie] Rivet aînée, Duchesne, Girard, Giraud, Balastron, Second et Maillard. Nos autres sœurs restèrent novices. La retraite continua jusqu’au dimanche suivant où le Père Varin donna le matin le discours pour la conclusion de la retraite sur la reconnaissance. Son texte fut pris des paroles de Tobie à son père : « Mon père, que lui donnerons-nous pour tant de biens qu’il nous a faits ?1 » Le soir, il nous assembla toutes pour nous proposer un sacrifice qu’il nous recommanda de faire pendant le salut, sans nous l’indiquer encore. Après le salut, il nous annonça lequel il était : Madame Barat allait nous quitter pour un temps et elle nous laisserait pour la suppléer notre Mère Deshayes. Elle devait aller à Amiens pour les affaires de la Société. Son départ fut très proche et eut lieu le vendredi suivant. 11 décembre 1805 Elle eut pour compagne de voyage notre sœur Félicité qui ne fut plus destinée pour Belley où notre sœur Grosier se rendit seule peu de temps après et y arriva le 11 décembre. Le 13 du même mois, nous fîmes avec une vive reconnaissance l’anniversaire du jour heureux où notre Mère et ses deux compagnes arrivèrent dans cette maison. Nous apprîmes bientôt avec une grande consolation que le voyage de notre Mère Barat avait tout le succès que nous pouvions désirer. Elle obtint pour Belley, des supérieurs de Lyon, la même approbation que celle que nous avions eue de notre évêque et cette maison ne tarda pas à prospérer sous les soins de Madame Grosier. Elle eut dès les commencements seize filles grandement ferventes et plus de 50 pensionnaires. Mais les consolations de notre Mère furent encore plus grandes à Amiens2. Elle y retrouva ses premières compagnes avec une augmentation de ferveur et de régularité ; une maison florissante qui donnait déjà dans plusieurs villes le désir d’y en former de semblables. Le Père Varin 1 2

Tb 12, 2-3. Philippine met en note : « À l’ange qui l’avait conduit ». Philippine ignore les difficultés de la maison d’Amiens, où l’Abbé Sambucy de Saint-Estève et Mme Baudemont tentent de s’arroger le pouvoir. La Mère Barat n’y est ni désirée ni bien accueillie. Son élection comme supérieure générale s’est faite à la majorité d’une seule voix.

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et le Père Roger se trouvèrent aussi à Amiens aux environs de la fête de Noël, pour avec notre Mère Barat, revoir tous nos règlements, obtenir de l’évêque d’Amiens, Monsieur de Mandolx1, leur approbation ; et procéder à l’élection de la supérieure générale de notre Société naissante. 18 janvier 1806 Ce fut le 18 janvier 1806 que notre Mère Barat fut désignée à la pluralité des voix des plus anciennes dames, pour continuer la charge dont elle avait déjà fait les fonctions. Madame Barat est arrivée à Amiens le 14 décembre 1805, le Père Varin le 24 décembre 1805. On tint conférence générale pour réviser les règles et règlements, on fit les Constitutions. Le 18 janvier 1806, Madame Barat fut élue supérieure générale selon la teneur des Constitutions, en présence du révérend Père Varin [Supérieur] général du Révérend Père Roger, son assistant du Révérend Père de Sambucy, confesseur de la maison La secrétaire : Madame Ducis2. Furent commises par le Père Varin, pour la revue des billets des suffrages, Mesdames Ducis et Desmarquest3. Le 19 janvier 1806, les professes firent les vœux entre les mains de la nouvelle générale, Madame Barat, tel qu’il suit : 1

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Jean-François de Mandolx (1744), vicaire général à Marseille, émigra en Italie et en Allemagne pendant la Révolution. En février 1803, il fut nommé évêque de la Rochelle puis d’Amiens en 1805. En juin 1811, il assista au Concile de Paris convoqué par Napoléon, alors que Pie VII était prisonnier à Savone. Il soutint les prérogatives du pape contre les tentatives d’usurpation de l’empereur. Henriette Ducis (1774-1844), RSCJ, nièce du poète J.-F. Ducis, entra à la maison d’Amiens en 1804, prononça ses vœux le 31 juillet 1805. Lors de la crise de 1806-1814, elle prit le parti de l’abbé de Saint Estève, mais accepta les décisions du Conseil général de 1815. Secrétaire générale de 1820 à 1833, elle fut ensuite supérieure de la maison de Conflans. Pour raisons de santé, elle revint à Amiens où elle est décédée le 4 septembre 1844. Félicité Desmarquest (1780-1869), RSCJ, née le 13 août 1780, entra le 19 septembre 1804 au noviciat d’Amiens, fit ses vœux le 31 juillet 1805. En 1808, elle fut supérieure à Cuignières (Oise), maison destinée à servir de refuge en cas de persécutions, transférée à Beauvais en février 1816. Élue conseillère générale en 1815 puis assistante générale et admonitrice en 1827, elle fut en même temps maîtresse des novices et responsable des aspirantes de première année (18221830) à Paris. En août 1830, elle accompagna le noviciat à Middes (Suisse), fonda ceux de Turin, de Sainte-Rufine à Rome (1831), de Conflans (1833), de Quimper (1835). En juillet 1835, elle alla à la Trinité-des-Monts, à Rome. Revenue à Paris, elle fut supérieure de la maison de Conflans (le restera jusqu’en 1854) et responsable des probanistes (1843-1863), tout en assurant les visites de maisons. En 1863, elle fut atteinte d’une paralysie des membres inférieurs, démissionna en 1864 de sa charge d’assistante générale. Elle est décédée le 11 mars 1869.

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Moi (Prénom, Nom), humblement prosternée au pied de la très Sainte Trinité, et en présence de la très Sainte Vierge mère de Dieu, de toute la cour céleste, des apôtres saint Pierre et saint Paul, et de tous les saints, promets à Dieu tout puissant et à vous, très révérende Mère (Nom) qui me tenait la place de Dieu, et à toutes celles qui vous succéderont, pauvreté, chasteté et obéissance perpétuelle et conformément à cette obéissance, de me consacrer à l’éducation de la jeunesse selon la fin et les règles de l’Institut : le tout entendu dans le sens qu’il a été expliqué. À… (ville)… dans l’église de la maison d’Institution. Ce… (jour et mois de l’année). Explication générale sur la formule des vœux faits le 21 novembre 1805, et pour la première fois dans la maison de Grenoble : 1°) Les vœux sont perpétuels, mais c’est un article constitutionnel que la Société se réserve toujours le droit d’exclure pour des cas très graves et dans ce cas, on ferait le relevé de ses vœux. 2°) Dans les circonstances présentes, on fait les vœux avec cette intention, que si on se trouvait dans le cas ci-dessus, on laisse au confesseur ordinaire de la maison le droit de dispenser des vœux, d’après la détermination de la supérieure assistée de son conseil. Explication particulière sur les vœux : 1°) L’obéissance n’oblige point sous peine de péché mortel ni véniel, que dans le cas où la supérieure commande en vertu de l’obéissance ou que la chose est déjà mauvaise par elle-même. 2°) Dans les circonstances présentes, on fait le vœu de pauvreté de manière à conserver le droit de posséder et de faire toutes les dispositions civiles, telles qu’on les ferait dans le monde, mais on n’usera de ce droit que d’après l’avis de la supérieure. 3°) Le vœu de se consacrer à l’éducation de la jeunesse est tellement subordonné à l’obéissance, que si on était toute sa vie occupée à d’autres fonctions par cette même obéissance, on n’en aurait pas moins rempli ce vœu avec mérite par la disposition où l’on était de s’employer à l’éducation de la jeunesse. Nota pour Amiens seulement : Les vœux sont nuls et n’existent plus au moment même où l’on serait interrogée par une autorité incompétente pour ce qui concerne le for intérieur. On excepte par conséquent le pape et l’évêque du diocèse.

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On décida aussi quel serait le nom que nous devions porter et l’on choisit celui de Filles du Sacré Cœur de Jésus. Nom que le Père de Tournély, qui le premier projeta de ressusciter l’ordre des Jésuites, voulait donner à ses premiers associés, qui la plupart furent réunis aux bons Jésuites de Russie depuis leur rétablissement par le Pape. Alors le Père de Tournély, dont le Père Varin fut un des premiers disciples et maintenant le successeur dans la charge de général de la Société des missionnaires, résolut de former une Société de femmes qui portât ce nom chéri. Ses vœux, non accomplis de son vivant, l’ont été par un souhait unanime de toutes les personnes qui devaient faire choix de notre nom ; et déjà à Amiens, le cachet de la maison était le Sacré Cœur de Jésus. Nous accueillîmes la nouvelle de notre nouvelle dénomination avec grande joie et en eûmes aussi beaucoup en apprenant que la divine Providence nous préparait une nouvelle maison pour Gand1. Nous ne connûmes les détails de ce projet d’établissement qu’après le retour de notre Mère, qui n’eut lieu que le 20 mai 1806. Elle ne retrouvera plus ici Mlle Marie Borin qui s’était rendue à la Visitation de Romans, ni Marie Bonnet qui était retournée dans le monde, sa vocation n’ayant pas paru assez sûre. Mais elle y retrouva toutes ses autres filles, Mlle Messoria étant venue nous rejoindre le mercredi, sans être encore sûre de pouvoir rester avec nous. Notre Mère générale était revenue d’Amiens avec Sœur Félicité [Lefèvre] et avait pris dans sa route Mlle de Cassini2 qui, 15 jours après, partit pour se faire religieuse de la Trappe en Suisse et Mlle Gouttenoire de Montbrison qui, trois semaines après, a été forcée de repartir pour décider sa famille à son parti de retraite qui paraissait l’avoir fort irritée. 13 juin 1806 Le 13 juin, jour du Sacré Cœur de Jésus cette année, nous renouvelâmes toutes nos vœux dans la chapelle intérieure sur les 11 heures du 1 2

La fondation se réalisa en mai 1808, dans l’ancienne abbaye de Dooreseele, à Gand, alors territoire français. Cécile de Cassini (1777-1867) est la fille de J.-D. de Cassini (1748-1845), astronome, directeur de l’Observatoire de Paris, membre de l’Académie des Sciences, qui contribua à l’élaboration du système métrique et à la restructuration de la France en départements. En 1803, Cécile entre à la maison d’Amiens, en sort en 1806 pour un essai infructueux à la Trappe. En 1825 et 1826, elle accompagne les Mères Bigeu et Lavauden à Rome. En 1858, à plus de 81 ans, elle fait un nouvel essai au Sacré-Cœur. Elle est décédée en 1867 à Orléans. Elle a vraisemblablement participé à l’élaboration des problèmes de géographie astronomique, proposés aux Exercices de 1805, et dont la résolution exigeait alors une formation intellectuelle de haut niveau. Cf. M.-F. Carreel, Sophie Barat, Un projet éducatif pour aujourd’hui, Éd. Don Bosco, Paris, 2003, p. 205-206.

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matin, dans les mains de notre vénérable Mère Barat qui les renouvela la première, promettant à Dieu seul ; et nous, répétant mot à mot la formule que prononçait notre Mère Deshayes, promettions obéissance à notre Mère générale. Sa nomination à cette importante place de supérieure générale ne lui permit plus de se charger de la conduite particulière de cette maison. Ainsi, dès le surlendemain de son arrivée, elle nous désigna pour supérieure locale notre Mère Deshayes, non plus seulement comme suppléante et pour un temps. Le 16 juin fut encore un jour marquant pour cette maison. C’était la fête de saint François Régis, notre généreux patron, que nous tachâmes de célébrer de notre mieux. Le lendemain, notre Supérieure générale nous fit part de différentes lettres du Père Varin, d’Amiens, et surtout d’une de Monsieur de Sambucy1 qui conduit la maison d’Amiens et qui avait été chargé d’aller conférer avec l’évêque de Gand pour l’établissement qu’il voulait former2. Notre Mère me chargea de transcrire sa lettre. La voici : Ce 10 mai 1806 Monsieur, Je suis parti, sans rien dire à personne, le lendemain de la première communion des élèves de la maison des Dames. Et je me suis rendu d’abord à Roulers comme je vous l’avais déjà marqué. Dès la première entrevue avec le bon et très cher Leblanc3, je lui dis : « Salutem ex inimicis nostris et de manu omnium qui oderunt nos4. » Et je lui ajoutai : « Dieu veut vous faire expier tout le mal que vous avez dit et fait contre les femmes. » « C’est vrai, me dit-il, et je le pense ainsi. » Il me témoigna 1

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Louis Sambucy de Saint-Estève (1771-1847), formé au séminaire Saint-Sulpice, à Paris, avait rejoint les Pères de la Foi au collège d’Amiens. Nommé confesseur des religieuses en 1803, il voulut usurper la place de supérieur général. Une crise institutionnelle s’ensuivit, fut résolue par le bref du pape (juillet 1816), qui dénonçait la supercherie de celui qui se déguisait sous le nom de Stephanelli et cherchait à annexer la Société du Sacré-Cœur à la maison de SaintDenys, à Rome. Voir J. de Charry, Histoire des Constitutions de la Société du Sacré-Cœur, La formation de l’Institut, I, Université Grégorienne, Rome, 1979. Étienne de Fallot de Baumont de Beaupré (1750-1835), évêque de Vaison en 1786, exilé en Italie (1790-1801), fut nommé évêque de Gand (1802-1807) puis de Plaisance. Au Concile de Paris, en 1811, il fut l’un des prélats en faveur de l’empereur. Désavoué par le cardinal Pacca, il fut démis de son siège épiscopal. En 1807, Mgr Maurice de Broglie (1766-1821) lui succéda à Gand, y resta jusqu’à sa mort. Charles Leblanc (1774-1851), entré dans la Société des Pères du Sacré-Cœur en 1794, rejoint les Pères de la Foi en 1801, est supérieur de leur communauté, à Paris, pendant le séjour du P. Varin à Rome (juillet-août 1802). En 1804, à Amiens, il donne des instructions aux pensionnaires de la rue de l’Oratoire. Secondé par Mlle de Peñaranda dont il est le directeur spirituel, il fonde en 1805 le collège de Roulers, près de Gand. « Sauvés de la main de nos ennemis et de tous ceux qui nous haïssent », Lc 1, 71.

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toutes sortes d’intérêts et me proposa avec une grâce admirable de me procurer des connaissances de côté et d’autre pour l’œuvre de Dieu, car voici le fait. À son dernier voyage à Gand, Monseigneur, après l’avoir comblé de bontés, lui dit qu’il voulait avoir un pensionnat de demoiselles semblable à celui d’Amiens. Notre bon Leblanc, attrapé comme dans un filet, lui répond volontiers et se met à partir d’un éclat de rire ; mais dans la crainte que Monseigneur ne le prit pour un fou, il lui dit : « Monseigneur, je ris, parce que n’ayant jamais voulu me mêler de femmes, je m’y trouve angarié1 par votre Grandeur. Je la supplie cependant de bien vouloir permettre que je fasse venir un des nôtres pour traiter cette affaire qu’il sera plus à même de suivre que moi. » Tout fut accordé à condition que je vienne en grande hâte. D’après l’ordre de Monsieur Leblanc, je partis donc au plus tôt pour Roulers, aux frais de Madame Baudemont2, comme vous [le] pensez bien, après avoir recommandé le tout aux prières des uns et des autres, qui cependant ignoraient ce dont il pouvait être question. Sous cette sauvegarde, je suis parti plein de confiance et cela n’a pas été vain. On me dit à Roulers que Monseigneur était impatient de cette œuvre, qu’il me presserait beaucoup de la commencer tout de suite, et que je me tirerais difficilement de ce pas, malgré toutes les bonnes raisons que j’avais à opposer. Le bon Dieu a heureusement prévenu toutes les difficultés. Je me suis rendu à Bruges, le surlendemain de mon arrivée à Roulers, afin d’y voir M. Caïtan, Mlle de Peñaranda3 et une bonne cuisinière flamande qui veut se joindre à Mlle de Peñaranda et enfin je me suis embarqué sur le canal pour Gand où je suis arrivé vers les 4 ou 5 h. J’ai d’abord été rendre mes hommages à Monseigneur qui m’a retenu, logé, nourri. À peine arrivé chez lui, il a fallu m’entretenir de l’affaire principale jusqu’à 7 heures ½ du soir. Il a été très content de toutes les réponses que je lui ai faites, m’a pris en grande affection, et m’a 1 2

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L’abbé de Saint-Estève utilisait volontiers un langage recherché. Le mot « angarié », appartenant au vieux français poitevin, signifie : être embarrassé, contraint. Anne Baudemont (1764-1834), ancienne clarisse, entra dans la communauté d’Amiens avec son amie Mlle Capy, en avril 1802. Elle fut nommée supérieure en novembre 1804. Sous l’influence de l’abbé Sambucy de Saint-Estève, elle essaya d’usurper la place de supérieure générale. Envoyée à Poitiers en septembre 1814, elle y sema le trouble et dut s’en éloigner. En octobre 1815, elle rejoignit le monastère romain de Saint-Denys. Marie-Antoinette de Peñaranda (1779-1830), RSCJ, née à Bruges, élève à la maison d’Amiens, entrée au noviciat en 1806, fit ses premiers vœux le 5 février 1807. Le 26 mai 1808, elle fonda la maison de Dooreseele (Gand), mais en 1814, elle se sépara de la Société du Sacré-Cœur en raison des libertés gallicanes promues par le Conseil national de Paris (1811). En 1822, elle demanda sa réintégration, fit sa profession le 27 janvier 1823 et partit comme supérieure à Beauvais. En 1827, elle fut envoyée à la fondation de la maison de Lille, où elle est décédée en février 1830.

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comblé de bontés au point de vouloir me conduire lui-même dans ma chambre, et me porter mon flambeau malgré toutes mes instances et mes oppositions. Le lendemain, après avoir dit la messe et déjeuné à l’évêché, nous sommes de nouveau entrés en matière, et nous avons été d’accord sur tous les points. Je lui ai représenté que cette œuvre ne pouvait avoir lieu avant six mois et peut-être plus à cause de la pénurie de sujets ; il en a convenu. Je lui ai fait part de vos projets au sujet de Mlle de Peñaranda. Il a été très content et regarde comme indispensable d’avoir ici à la tête une personne qui sache le flamand. (Elle ne peut pas venir à Amiens avant un mois.) Après que tout fut convenu de part et d’autre, il me dit : « Allez avec mon secrétaire voir le riche hôpital (maison ainsi nommée à cause de son ancienne opulence). Il y a encore dedans 22 religieuses bénédictines, lui dit-on. C’est égal, répond-il. » Nous allons donc voir et visiter cette maison de la cave au grenier. Imaginez-vous un beau bâtiment carré autour d’un cloître, une charmante église avec un orgue, deux grands jardins, un canal, des parloirs isolés et des bâtiments séparés pour les classes des pauvres, etc. Nous lui rendons compte de la visite. « Cela ne suffit pas, me dit-il. Il y a à Gand un très beau couvent de carmes. Allez-y de même pour connaître les lieux. » J’obéis et je m’y rends, accompagné du secrétaire. Je vois d’abord en petit l’entrée de l’église de Saint-Thomas d’Aquin, c’est-à-dire d’abord une église en avant, une cour avant l’église et un portail semblable à celui de Saint-Thomas d’Aquin. J’entre dans l’église et je trouve la plus jolie église de Gand avec deux bas-côtés et deux autels collatéraux, un orgue. Le couvent est un des plus modernes de Gand et des mieux construits. C’est un bâtiment carré autour d’un double cloître, plus de 60 cellules et assez de logements pour 200 pensionnaires ; en outre, caves, greniers superbes, jardin immense, bâtiment au fond séparé pour les écoles, retraites, etc. Il restait une difficulté : il est occupé par 22 Carmes et peut coûter 120 000 F. Point du tout, avant de sortir de la maison, le Carme qui en était acquéreur, dit au secrétaire que la maison appartient à lui seul, qu’il en loue les appartements au profit des Pères carmes, qu’il a déjà mis dans son testament qu’il léguait ce couvent aux hospices et que, s’il pouvait trouver des personnes religieuses qui se consacrassent à l’éducation des jeunes personnes, il leur donnerait volontiers la préférence, parce qu’il avait à cœur que ce bien revînt à l’Eglise. Il demandait seulement de quoi fournir à l’existence de ses confrères. Nous avons fait part du résultat à Monseigneur qui, en bénissant la Providence, s’est chargé de négocier cette affaire, de traiter avec la ville de Gand qui désire vivement un pensionnat de dames et il espère tout du temps et de la divine Providence. Je reprends le journal de mon voyage, bien tard sans doute, mais la fête de ce jour (l’Ascension) a doublé les occupations. Monseigneur, après

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m’avoir dit qu’il allait remuer ciel et terre pour la maison des Carmes, a ajouté : « Et je vous donnerai pour les premiers frais 8 000 F. » Or il faut remarquer, m’a dit Monsieur Leblanc, que quand il promet une chose, il en donne le double. D’ailleurs, il a dit à Monsieur Leblanc qu’il trouverait pour ces dames 30 000 F contre 30 sols pour lui. En effet, Monsieur Leblanc espérait trouver des monts d’or et il a été déçu dans ses espérances ; ce qui a beaucoup diverti Monseigneur parce qu’il est bien aise, dit-il, que Monsieur Leblanc voit par expérience qu’en général on n’est pas aussi bon dans ce pays qu’il se l’était persuadé. Quelques bonnes âmes, rares toutefois, donnent à Monseigneur surtout par testament ; les autres sont comme partout ailleurs. La corruption y est fort grande, surtout à Bruges et même à Gand ; j’en ai eu quelque échantillon, et Monseigneur m’en a donné des preuves palpables. Aussi, c’est pour cela que Monseigneur attache tant de prix à l’éducation, surtout des prêtres futurs. Il y a un fond de religion dans ce pays-là, tel que, quand on le cultive, il produit des Wrints, des Peñaranda, mais combien d’autres leur ressemblent peu ! Il trouve parmi eux tant de laxisme qu’à peine s’il en peut citer un seul qui ne permette à ses pénitents d’allier avec la religion, la comédie et le bal, deux choses contre lesquelles il tonne en homme de Dieu, et pour le dire en passant, il ne veut ni maître de danse ni maître de maintien. Le point le plus délicat était celui que je vais vous exposer. Il m’a dit : « Je ne puis traiter avec Monsieur Leblanc au sujet de ces dames puisqu’il ne veut pas s’en mêler, je ne puis donc traiter qu’avec vous ; et si vous ne voulez pas m’accorder ma demande, j’aurai recours au bon Monsieur Varin. » Voici le fait : « Quand je veux, dit-il, l’établissement de ces dames, je n’en veux point d’ici, si elles ne sont pas passées par la filière d’Amiens ; et je tiens à ce que ce soit un des vôtres qui vienne les installer, afin que je sois sûr que c’est votre esprit qui y règne. D’ailleurs, je n’ai personne, dit-il, en se tournant vers son bon secrétaire, pas même vous, Monsieur Van Scanwerberge, n’est-ce pas ? N’est-il pas vrai d’ailleurs, que si ce n’est pas un de ces Messieurs, cela ne fera pas bon effet ? Monsieur Van Scanwerberge répondit que c’était vrai : il vous faudra donc venir au moins le premier mois, et tous les trois mois, comme confesseur extraordinaire, afin de voir comment tout se passe. » D’après la latitude que Monsieur Leblanc m’avait donnée, je pensais qu’en prenant une fois 15 jours du mois d’octobre ou de tout autre mois où il n’y aurait pas de fête, et aux Quatre-Temps1 où je suis suppléé par 1

Au début des quatre saisons de l’année, il y avait, au calendrier liturgique catholique, une semaine dite « des Quatre-Temps » dont le mercredi, le vendredi et le samedi étaient jours de jeûne. Elle se situait après : le 1er dimanche de Carême, la Pentecôte, la fête de la SainteCroix (14 septembre), le 3e dimanche de l’Avent. Les religieuses avaient alors un confesseur « extraordinaire », autre que celui qui leur était attitré.

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Monsieur Tranel chez les dames et où je pourrai l’être par Monsieur Leblanc au Faubourg, ce serait peut-être possible de satisfaire Monseigneur. Sans rien lui promettre, je lui laissais entrevoir la possibilité. « Au reste, me dit-il, je compte sur le bon Monsieur Varin pour obtenir tout, et quand il vous en donnera l’ordre, vous logerez chez moi. » Je lui répondis : « Monseigneur, ce n’est pas notre usage. Il convient peut-être mieux que je sois logé au séminaire ». J’avais une pensée alta mente repositum1. « Vous avez raison, me dit-il. Votre séjour au séminaire sera plus utile. D’abord, vous ferez connaissance avec tous mes 70 élèves, vous ferez choix de tous ceux que vous croirez bon pour vous et les enverrez à Monsieur Varin pour les envoyer où il voudra. 2°) Vous choisirez et formerez un confesseur pour vos dames et un secrétaire pour moi. 3°) Enfin vous communiquerez aux autres votre vivacité et votre énergie du midi. Bien, très bien. » Il m’a comblé et a écrit à Monsieur Leblanc qu’il m’aimait autant que lui. Nous nous accordons à merveille ensemble, et par égard pour lui, Monsieur Leblanc va au-devant de tout pour que je sois libre de suivre cette œuvre. Pourvu qu’il ne paie pas les voyages et que je ne signe rien à son compte ; pourvu qu’il n’ait de rapport qu’avec moi et non avec les femmes et que je sois le seul des siens employé à cela, il sera charmant et pour l’œuvre d’abord et pour moi aussi. Il m’a surpris par tous ses bons procédés.

Cette lettre de Monsieur de Sambucy ne donnait encore que des espérances pour une fondation à Gand. Notre Mère générale en reçut bientôt après une du Père Varin qui déterminait de suite celle de Poitiers ; elle avait été préparée dans une mission que les Pères Lambert et Gloriot y avaient faite. Mlle Chobelet2 avait acheté l’ancienne maison des Feuillants, l’avait fait préparer et s’y trouvait alors avec une compagne [Joséphine Bigeu], deux filles de service et deux petites pensionnaires. Elle avait encore un revenu honnête et ce qui valait, jouissait d’une excellente réputation qu’elle avait acquise par un mérite distingué.

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Virgile, Énéide 1, 26. Gabrielle Lydie Charlotte Chobelet du Bois-Boucher (1765-1832), RSCJ, est née à Soullans (Vendée) le 24 décembre 1764. En 1793, elle fut incarcérée à Poitiers. À sa sortie de prison, elle fonda avec sa sœur Reine un pensionnat de jeunes filles, aux Feuillants. En 1806, elle fut économe de cette troisième maison du Sacré-Cœur, prononça ses vœux le 21 novembre 1807. Elle est décédée aux Feuillants le 15 novembre 1832.

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10 juillet 1806 Madame Barat, devant elle-même former cet établissement, ne différa pas à préparer son départ. Il eut lieu le 10 juillet 1806. Elle choisit entre nous toutes pour l’accompagner Madame Girard, de Lyon1. Elles s’arrêtèrent l’une et l’autre deux jours à Lyon et poursuivirent heureusement leur route jusqu’à Poitiers. Elles y trouvèrent encore les deux missionnaires qui leur donnèrent les premiers temps tous les secours spirituels. Madame Barat fut bientôt présentée à l’évêque [Mgr Dominique de Pradt] qui lui fit le meilleur accueil et lui accorda tout ce qu’elle demanda pour l’établissement et voulait même, en plein conseil, avoir sa parole qu’elle se fixerait à Poitiers. Elle se refusa à cette proposition et nous écrivit après qu’elle lui avait répondu que Grenoble était sa maison. L’évêque, n’ayant pas tout ce qu’il désirait, obtint au moins qu’elle demeurerait dans sa ville durant tout l’hiver. Poitiers fut donc la quatrième maison de notre petite société. Gand et Bordeaux devaient être les cinquième et sixième. Madame Barat fit un voyage dans cette ville pour examiner le terrain et voir plusieurs jeunes personnes depuis longtemps avides de la vie religieuse. L’archevêque de Bordeaux était alors Monsieur d’Aviau, précédemment archevêque de Vienne en Dauphiné, remarquable par sa sainteté, son zèle et sa simplicité apostolique. Il désirait beaucoup une de nos maisons dans son diocèse ; mais n’y ayant pas de maison prête, notre Mère générale en réserva la fondation pour le printemps suivant et repartit comblée des bénédictions du saint évêque avec 8 demoiselles de l’âge de 18 à 36 ans qui, ne trouvant pas encore à Bordeaux ce qu’elles désiraient, allèrent à Poitiers et entrèrent de suite au noviciat2. 1 2

Henriette Girard a 44 ans. Son âge peut donc servir de « porte-respect » à la Mère Barat qui est l’objet de vives critiques, en particulier à cause de sa jeunesse. Il s’agissait de : Elisabeth Maillucheau ; Anne-Charlotte (Brigitte) Berniard ; Jeanne (Gertrude) Lamolière ; Louise Macquet Olivié ; Marie (Marinette) Guiégnet ; Angèle * ; X. (La Croix) Roger ; Perpétue Mougette. Les trois dernières sont rentrées dans leur famille pour affaires ou pour raisons de santé. Archives de France, Journal de Poitiers 1806-1808, texte présenté par M.-Th. Virnot, RSCJ. Anne-Charlotte (Brigitte) Berniard, RSCJ, entrée au noviciat en août 1806, fit sa profession le 9 juillet 1809. Jeanne (Gertrude) Lamolière, RSCJ coadjutrice, née à Saint-André de Cubzac en 1769, fit sa profession en 1809. Elle est décédée le 17 mai 1818, à Poitiers. Louise Macquet Olivié, RSCJ, née à Bordeaux, est morte le 27 février 1811. Marie (Marinette) Guiégnet, RSCJ coadjutrice, née à Bordeaux en 1782, fit sa profession en mars 1808, est décédée le 24 décembre 1808. Thérèse (Elisabeth) Maillucheau (1777-1857), RSCJ, née le 1er janvier 1777 à Saint-André de Cubzac, près de Bordeaux, avait essayé de constituer une communauté religieuse. Par l’intermédiaire du Père Enfantin, la Mère Barat reçut ces dames à Poitiers. Thérèse fit sa profession le 21 novembre 1807 et fut nommée supérieure de la communauté. En septembre 1808, elle partit à Grenoble comme maîtresse des novices et

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C’est dans ce temps, où Dieu commençait à multiplier une Société qui n’avait pour but que sa plus grande gloire, qu’il fournit à chacune la matière d’un désir de s’y dévouer d’une manière plus entière par ses prières, ses bonnes œuvres et même en payant de sa propre personne. Une demoiselle nous fit part de deux lettres écrites de Macao, port d’une île de la Chine, qui donnait des détails sur les missions du Tonkin et de Cochinchine. Cette lettre était de Monsieur Isoard, prêtre de notre diocèse et missionnaire apostolique dans ces pays-là. Il se plaignait du petit nombre d’ouvriers qui allaient dans ces terres prêtes à porter des fruits si elles étaient cultivées. Le Père Enfantin avait aussi su des détails intéressants au sujet de la Chine1. Enfin le 21 septembre, le supérieur de Saint-Irénée à Lyon écrivit au directeur de ce séminaire (M. Royer) alors à Grenoble, qu’on avait la nouvelle que l’empereur de la Chine était baptisé et que la Propagande demandait force missionnaires pour ce pays-là. Plusieurs dans la maison se disaient alors : « Ne pourrais-je pas faire aussi quelque bien en Chine ? Oh quel bonheur de tout quitter pour travailler sans intérêt humain à la gloire de Dieu ! » 22 septembre 1806 Le lendemain 22 septembre, Monseigneur l’évêque vint faire la distribution des prix ; il était accompagné de son premier grand vicaire Monsieur Bouchard, de Monsieur Rey notre supérieur, de Monsieur Royer directeur du séminaire de Saint-Irénée, de Monsieur Rambaud notre confesseur et de quatre autres ecclésiastiques. Il continua à nous montrer de l’intérêt ainsi qu’à nos élèves qui étaient alors 26. La veille, M. Royer les avait préparées à cette cérémonie par un discours familier et le lendemain, il vint dire la messe d’action de grâces, recevoir des élèves l’offrande de leurs couronnes et leur parler sur la manière de sanctifier leurs études et d’en profiter. Le 18 octobre, nous vîmes revenir auprès de nous Mlle de Cassini, ancienne novice d’Amiens qui n’avait pas persévéré. Notre Mère Barat

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maîtresse générale du pensionnat. Revenue à Poitiers en novembre 1809, elle fut envoyée à Gand (1810-1814), puis de nouveau à Grenoble comme supérieure (1814-1822), à Quimper (1822-1837), à Nantes (1838-1845) et à Bourges (1846-1850). Des problèmes de santé l’obligèrent à se reposer à La Ferrandière (Lyon) et à Marmoutier (Tours) où elle est décédée le 28 juillet 1857. Louis-Barthélémy Enfantin (1776-1854), né dans la Drôme, est un cousin éloigné de Philippine, dont la grand-mère paternelle est née M.-L. Enfantin. Entré au séminaire clandestin de Mgr d’Aviau, il fut ordonné prêtre en 1800. Père de la Foi en mission à Bordeaux, il fonda en 1806, à la demande de l’archevêque, la maison des « Dames de l’Instruction chrétienne » où se trouvaient Elisabeth (Thérèse) Maillucheau et les sept religieuses mentionnées ci-dessus.

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l’avait amenée avec elle au mois de mai pour lui donner la facilité de se rendre à la maison des dames de la Trappe, à la Reidra près Fribourg en Suisse. Sa santé n’ayant pu soutenir la rigueur de la règle de cette maison, elle vint ici se remettre pendant quelque temps pour se rendre ensuite là où le bon Dieu l’appellerait. Le jour même arriva aussi Monsieur Barat, frère de notre digne Mère, comme confesseur extraordinaire. Toutes en profitèrent pour lui faire une revue exacte de leur conscience et nombre de pensionnaires aussi. Ce fut un renouvellement dans la maison. Il ne se contenta pas des confessions, il fit tous les jours un discours presque entièrement tiré de ces paroles : « Je suis de Dieu, je suis faite pour Dieu. Il est ma fin, je dois y tendre. » Il en déduisit ces grandes vérités de la création : fin de l’homme, énormité du péché mortel et véniel, mort, jugement, enfer ; puis il en prit occasion de nous retracer nos principales obligations : obéissance, pauvreté, chasteté, amour des croix et amour de Dieu par où il termina la retraite. Toute la maison profita des discours ; huit personnes seulement firent entièrement la retraite, le grand nombre se réservant pour celle avant les vœux. Monsieur Barat repartit le 27. Pendant cette retraite entra notre sœur Magdeleine Méran pour être du second rang. Ce fut le 23 octobre. Elle a ensuite été mise au troisième1. Le 25 novembre entrèrent nos deux sœurs Espié, de Gap, cousines l’une de l’autre ; l’une pour être du second rang, la plus jeune pour être du troisième. La première est ressortie six semaines après. Le 29 du même mois entra aussi Mlle de Lestrange, sœur de l’Abbé de la Trappe, avec une fille de service ; elles ne furent dans la maison que jusqu’au 12 décembre. Le digne Abbé de la Trappe était passé ici le 1er novembre et garda sur sa sœur un silence qui fit augurer qu’il doutait qu’elle convînt. Il est encore revenu après et n’a témoigné aucune peine du renvoi de sa sœur, ne considérant en tout que la sainte volonté de Dieu. 21 novembre 1806 Notre Mère Barat avait promis que nous aurions un des missionnaires pour la retraite avant les vœux. Le Père Varin lui-même avait promis d’y être, mais n’ayant pu exécuter sa promesse, notre Mère Deshayes conduisit elle-même la retraite de toutes les personnes de la maison qui ne l’avaient pas faite avec Monsieur Barat. La rénovation des 1

Le 3e rang est, vraisemblablement, celui de « domestique donné à la maison », sans engagement religieux. Philippine y fait aussi allusion au sujet de Félicité Lefèvre, le 1er août 1808.

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vœux se fit entre ses mains, devant l’autel de la chambre des retraites où était alors le Saint Sacrement. Non seulement aucun des Pères n’est venu pour cette cérémonie, mais encore pour les confessions extraordinaires [durant] tout l’hiver et le printemps. À la fin du même mois de Novembre, Mlle Lambert, entrée comme pensionnaire depuis six mois, fut admise au nombre des prétendantes. Le  11  février 1807, Mlle  Félicité Ribau fut admise dans la maison1. Le 11 mars fut aussi reçue Mlle Maujot. Toutes commencèrent leur noviciat aux fêtes de Pâques suivantes. Ce fut la première fois que six de nos élèves firent leur première communion et que toutes la renouvelèrent après une retraite de huit jours pendant laquelle plusieurs donnèrent de touchantes consolations à leur maîtresse par l’ardeur de leurs désirs et leur ferveur. 10 mars 1807 Bientôt après, nous reçûmes la nouvelle que l’Empereur, par un décret du 10 mars 1807, approuvait notre Société tant pour la France que pour les colonies, sous le nom de Société des Dames ou sœurs de l’Instruction chrétienne. La demande lui avait été faite par Monsieur Jauffret2, évêque de Metz, au nom de Son Altesse la mère de l’Empereur et de l’évêque d’Amiens. Les maisons déjà établies se trouvent [à] : Amiens, Grenoble, Belley, Poitiers, Gand. Cette nouvelle marque de la protection de Dieu a excité notre vive reconnaissance ; nous en avons témoigné notre gratitude par des communions d’action de grâce et une neuvaine en l’honneur de saint François Régis. Dans le même temps à peu près, nous avons eu la permission d’établir dans notre église la confrérie du Sacré-Cœur de Jésus3 dont nous faisions déjà la fête solennelle et pour laquelle nous avions des indulgences. Le jour même de cette fête, qui s’est trouvée cette année le 5 juin, 1

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Félicité Ribau (1789-1823), RSCJ, entrée à Grenoble le 11 février 1807, fit sa profession le 21 novembre 1809. Le 1er mars 1816, elle partit à Poitiers. Elle fut maîtresse des études et maîtresse générale. Elle est décédée le 15 septembre 1823 à Chambéry. Gaspard-André Jauffret (1759-1823) fut séminariste à Aix-en-Provence avec Joseph Fesch, oncle de Napoléon. Vicaire général de Lyon, il administra le diocèse en l’absence du cardinal Fesch, en ambassade à Rome (1803-1804). Il fut nommé évêque de Metz en juillet 1806. Association de laïcs dont le but est de faire connaître la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et d’en vivre. Elle est érigée par l’autorité ecclésiastique. La première fut établie à Coutances en 1688, d’autres au Canada et à Rome, dès 1729. Sous l’influence de sainte Marguerite-Marie Alacoque, leur extension fut rapide ; en 1773, il en existait plus de mille. Ralenties dans leur essor pendant la Révolution française, elles reprirent vie à partir de 1801.

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toutes nos sœurs et nos élèves se sont fait inscrire sur le registre et beaucoup de personnes séculières. Le 16, jour de saint François Régis, fut célébré le mieux que nous pûmes avec toutes les solennités des grandes fêtes, une grand-messe, plusieurs basses. Le panégyrique du saint [fut] prononcé par Monsieur Lacoste, oratorien. Le 21, saint Louis de Gonzague a été fêté de la manière la plus solennelle qui se puisse entre nous1. Nous n’avons plus fait la Visitation que comme fête de seconde classe et saint Ignace a plus été célébré de cœur qu’extérieurement ; nous seules avons chômé la fête. Les élèves ont suivi l’ordre ordinaire de leur journée. 2 août 1807 Le deux août, nous reçûmes la visite du Père Enfantin, missionnaire distingué par sa vertu, son zèle et ses succès dans le ministère. Il nous laissa espérer que nous pourrions en avoir un jour dans les pays étrangers et réchauffa l’ardeur de plusieurs à s’y transporter quand l’obéissance le leur marquera. Quoiqu’il ne soit resté que 24 heures, il nous a fait deux sermons et confessé un grand nombre de sœurs. Il était accompagné de son frère qui se destine aussi aux fonctions apostoliques. 8 août 1807 Nous ne comptions pas, après cette visite, être si tôt favorisées de celle de notre Père Varin. Il nous surprit agréablement le 8 d’août, et c’est la troisième fois que saint Ignace nous l’envoie au temps de sa fête. Il mit le comble à notre joie en nous promettant d’un ton inspiré que nos soins pour les jeunes âmes ne se borneraient pas à ces pays-ci, mais que peut-être bientôt, nous nous établirions dans les colonies. Il prêcha quatre fois, deux fois aux pensionnaires sur le bonheur de servir Dieu dans la jeunesse et la manière d’y réussir, et deux fois à nous seules. La première, sur le bonheur de notre vocation : 1°) parce que notre état nous éloigne de beaucoup de dangers et nous fournit beaucoup de moyens de sanctification ; 2°) parce [que] dans le monde au contraire, on court plus de dangers et on a moins de moyens de les éviter. Il 1

Louis de Gonzague (1568-1591), SJ, quitta la cour du roi d’Espagne Philippe II pour entrer au noviciat jésuite, à Rome, en novembre 1585. Il prononça ses premiers vœux deux ans plus tard. Il est décédé le 21 juin 1591, après avoir soigné des malades atteints de la peste. Canonisé le 26 avril 1726 par Benoît XIII, il est fêté le 21 juin.

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entra ensuite dans le détail des avantages dont nous jouissons : soin et charité d’une supérieure à nous reprendre et à nous aider, exemple des sœurs, oraison, lecture, séparation des choses distrayantes, présence de Dieu, etc. Il exhorta ensuite à ne pas se tenir à son attrait particulier, à des inspirations qui nous paraissent bonnes quand elles sortiraient de l’esprit de communauté et d’obéissance. Dans le second discours, sur : « Je vous ai choisis afin que vous alliez et que vous portiez des fruits et que votre fruit demeure1 », dont les trois divisions étaient : 1°) Principe de notre vocation : l’appel de Dieu et non nos propres idées (je vous ai choisis) ; donc pour connaître sa vocation, il ne suffit pas de la goûter, d’y persévérer, il faut que les supérieurs qui tiennent la place de Dieu l’approuvent. 2°) Esprit de notre vocation (je vous ai choisis) : humilité puisque Dieu seul a pu nous la donner. Secondement, reconnaissance parce qu’il nous l’a donnée sans mérite de notre part. 3°) Fin de notre vocation (afin que vous alliez et que vous portiez des fruits) ; zèle du salut des âmes qui exige le plus entier dégagement, étant prêtes à quitter une supérieure qui nous a formées, des sœurs que nous aimons, une maison qui nous agrée pour au moindre signe de l’obéissance aller dans le lieu le plus désagréable avec des personnes inconnues. La consolation que nous apporta la visite de notre Père Varin fut troublée à la fin par le retranchement de l’adoration perpétuelle que notre Mère Barat nous avait permis d’essayer en attendant son consentement. Depuis l’hiver, nous la faisions le jour et depuis le jour de sainte Magdeleine, nous l’avions commencée la nuit. Il appuya le refus de son consentement de raisons si plausibles, particulièrement de nous tirer de l’uniformité qui doit régner entre toutes les maisons, que nous ne pûmes que louer ses intentions en nous causant un si grand sacrifice. Il vit pendant son séjour les deux dernières arrivées : Mlle Mercier, de Lyon, et Marguerite Foussala2 que nous possédions depuis le 4 août. La première n’est restée que quelques jours dans la maison et est retournée à Lyon ; la seconde est entrée au noviciat dont sortirent, dans le milieu d’octobre, Mlle Lambert qui quitta la maison pour aller dans une pension séculière et Mme de Crouzas fut placée à Chambéry dans une maison naissante de la Visitation.

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Jn 15, 16. Marguerite Foussala, RSCJ coadjutrice, resta Grenoble jusqu’au 18 septembre 1819 puis remplaça sa sœur Véronique à Chambéry.

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Novembre 1807 La sortie de l’une et de l’autre fut déterminée dans leur retraite qu’elles faisaient avec la communauté sous la conduite de Monsieur Barat qui est venu passer un mois ici, a confessé toute la maison et a donné deux retraites, l’une de dix jours pour les dames et l’autre de 9 pour les élèves au nombre de 26 ou 28. Dans l’une et dans l’autre, il faisait trois discours ou oraisons par jour. Confirmation, 3 novembre 1807 La retraite des élèves fut terminée par une communion générale avec solennité et le lendemain par la première communion d’une jeune élève que Monsieur Barat trouva si bien disposée qu’il l’admit à cette faveur qui lui fut encore accordée 6 jours après les fêtes de la Toussaint et [après] le 3 novembre, jour de la Confirmation que dix élèves reçurent de la main de Monseigneur notre évêque. Monsieur Barat, qui ne partit que l’avant-veille, les avait confessées et préparées par des instructions jusqu’au moment où il nous quitta. Dans les discours pour leur retraite, les plus frappants furent : 1°) Sur le recueillement qu’il veut qu’on se procure en veillant sur les trois puissances de l’âme, sur l’appétit et l’imagination et sur chacun de nos sens. Sans cette attention sur soi-même, il le croit impossible. 2°) Sur la chasteté. Il fit sentir l’impossibilité de conserver cette vertu sans l’humilité qui est la chasteté de l’esprit, sujet de la conférence de la veille, sans la prière et sans la fuite de tous les plaisirs où notre bon ange ne pourrait nous accompagner. 3°) Sur la Sainte Vierge qu’il dit avoir été représentée par l’Arche d’Alliance qui contenait les Tables de la loi, figure de Jésus-Christ notre législateur ; la verge d’Aaron, figure de Jésus-Christ le grand sacrificateur ; et la manne, figure de Jésus-Christ notre nourriture. Il exalta ses grandeurs, ses privilèges, ses vertus, et la montra comme le principal anneau de la chaîne qui nous unit à Jésus-Christ. Les plus frappantes considérations de la retraite des Dames furent : 1°) Celle du recueillement dont le sujet fut le même qu’à la retraite des élèves. 2°) Sur la fidélité aux règles. Il y parla fortement pour en marquer la nécessité, il dit que saint Ignace avait désespéré de les voir prati-

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quer à des femmes ; que nos frères gémissaient de nous voir à une si grande distance de leur régularité ; que s’ils lui demandaient comment ils nous avaient trouvées, il ne pourrait que répondre : Priez pour elle, vous les connaissez. Que ce n’était pas parce qu’elles étaient trop grandes que nous ne les pratiquions pas, mais parce qu’elles étaient trop petites, tandis que de vénérables vieillards, qui avaient blanchi dans le ministère, pleuraient avec amertume leurs moindres infractions et s’en accusaient avec la plus profonde humilité. Que Dieu n’avait jamais permis qu’un sujet indigne finisse ses jours dans la Société [de Jésus], qu’il y avait deux démons qui lui criaient sans cesse : sortez, sortez, qu’il finissait par demander de se retirer et qu’on n’insistait jamais pour le garder. Que saint Ignace avait dit qu’il recevait des sujets avec plaisir, mais que lorsqu’ils ne convenaient pas, il les voyait se retirer avec encore plus de plaisir. 3°) Sur la pénitence. Il en releva les avantages et dit qu’on ne parvenait jamais à la sainteté sans la mortification corporelle ; qu’il ne fallait pas y aller avec ménagement, ni craindre de donner du sang pour Jésus-Christ. Que saint Ignace n’avait prescrit dans sa règle aucune mortification corporelle, non pour qu’on s’épargnât, mais afin qu’on ne s’arrêtât jamais croyant avoir satisfait à ce que l’on devait ; qu’il fallait, en fait de pénitence, ne pas céder même aux ordres les plus austères. 4°) Sur l’obéissance. Il en releva les avantages, la montra comme la vertu fondamentale et essentielle de l’Institut, en marqua les différents degrés et s’arrêta surtout à celui de l’obéissance de jugement, disant que nous devions être dans la main de nos supérieurs comme des bâtons qu’ils peuvent employer comme ils le veulent et rejeter ensuite à volonté et sans résistance. Et que lorsque que l’on n’aurait pas obéi, Dieu lui-même vengerait les supérieurs. 5°) Dans la dernière qui fut encore sur les règles, il dit que si on n’était [pas] disposé à faire découvrir à sa supérieure son âme et toutes ses pensées, il fallait sortir ; que si on n’était [pas] disposé à quitter et à prendre toutes sortes d’emplois, il fallait sortir ; que si on n’était [pas] disposé à renoncer à savoir les choses du monde, il fallait sortir. Qu’on ne devait penser aux personnes qu’on aimait qu’au moment de la sainte communion pour prier un instant pour elles ; que si on perdait une compagne, il faudrait encore n’y penser que le lendemain après la communion ; qu’il serait malheureux d’être quatre ans dans une maison dans la crainte de s’y attacher, et qu’on ne serait au point où l’on devrait être que lorsqu’on serait mort à tout.

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Rénovation, 21 novembre 1807 Le 21 novembre, les anciennes renouvelèrent leurs vœux dans la chambre des retraites. À cette époque arrivèrent Mlles Doelle Vainade et Brunel pour être des nôtres. Quelques jours après, arriva la Mère Grosier qui revenait de Belley dont la maison allait se dissoudre. Elle amenait avec elle nos sœurs des Granges de la maison de Belley et du Terrail1 de celle d’Amiens qu’elle avait quittée pour aller seconder la Mère Grosier à Belley, et une petite pensionnaire. Elles furent suivies peu de jours après par notre sœur Piongaud qui nous avait quittées depuis plus deux ans pour aller à Belley et de nos sœurs Furnou2 et Boulard3, cette dernière coadjutrice de la même maison, et encore une pensionnaire. Plus tard vint encore Sœur Louise de la même maison, mais qui n’est restée que jusqu’au départ de notre Mère Grosier qui la reconduisit à Lyon, ne pensant pas qu’elle fut appelée parmi nous. Départ de Mère Grosier, 9 février 1808 Le départ de la Mère Grosier a eu lieu le 9 février 1808, à l’occasion du projet d’une fondation à Niort, où elle doit se rendre après avoir séjourné à Lyon pour affaires, et à Poitiers pour s’y joindre à notre Mère Barat et aux autres qui seront du même établissement. Elle a vu à Lyon ses deux dernières filles de Belley, les Sœurs Grolet et Françoise Duchêne4, cette dernière coadjutrice, qu’elle a envoyées dans cette maison où elles sont arrivées le 24 février 1808. Elles avaient appris à Lyon que les Pères [de la Foi] des maisons de Roanne, L’Argentière et Belley, dispersés par ordre du gouvernement en novembre 18075, étaient en partie placés : M.  Lambert chanoine à Bordeaux, 1

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Marie du Terrail (1771-1813), RSCJ, entrée à Amiens en octobre 1803, prononça ses vœux le 21 novembre 1804. En 1805, elle accompagna Henriette Grosier à la fondation de Belley. En novembre 1807, elle vint à Grenoble comme maîtresse générale de l’école externe. Elle est décédée le 30 novembre 1813. Antoinette-Thérèse Furnou (1781-1849), RSCJ coadjutrice, née le 12 octobre 1781, a pris l’habit le 19 novembre 1805. Elle a fait sa profession le 26 février 1816. Elle est décédée à Aix-en-Provence. Félicité Boulard (1787-1866), RSCJ coadjutrice, née le 25 octobre 1787, a pris l’habit le 14 septembre 1806. Elle a fait sa profession le 1er mai 1814. Elle est décédée à La Ferrandière (Lyon). Françoise Duchêne (1781-1851), RSCJ coadjutrice, née le 19 janvier 1781, a pris l’habit le 30 mars 1804. Elle a quitté Grenoble pour aller à Lyon, le 28 novembre 1819. Elle est décédée à Chambéry. Le succès des collèges des Pères de la Foi portait ombrage à Napoléon qui était peu favorable à un renouveau de ferveur religieuse et voulait avoir le monopole de l’éducation. Le décret de messidor (22 juin 1804) promulgua la dissolution Pères de la Foi ; son application devint effective par un ordre administratif en octobre 1807.

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M. Cabarat1 chanoine à Lyon, M. Bonard supérieur à Fourvière et les autres dans d’autres places ou cures ou vicariats. M. Roger venait de faire à Saint-Just, à Lyon, une mission très consolante. Départ de Sœur Grolet, 6 Mai 1808 Nous eûmes au commencement de mai une affliction bien sensible ; notre sœur Grolet, accomplie en toutes sortes de bonnes qualités, avec l’extérieur le plus recueilli, fut atteinte d’une indisposition dans laquelle sa raison parut altérée. Notre Mère avait su que déjà elle l’avait éprouvée ; et jugeant qu’avec une pareille infirmité elle ne put se charger de nos obligations, elle fit prévenir sa mère qu’elle allait la lui renvoyer et la fit partir sans la prévenir du terme de son voyage pour ménager sa sensibilité. C’est le 6 mai 1808 qu’elle s’est ainsi séparée de nous. Elle fut accompagnée par Sœur Benoît, novice comme elle, qui depuis longtemps devait être remise à sa famille pour raison de santé et penchant à la mélancolie. Comme dans ce voyage elle alla visiter sa famille, notre Mère prévint cette dernière de la retenir parce que ne nous étant pas propre. Elle voulait lui ôter de cette manière l’amertume de sa sortie. Malgré cette lettre, elle revint espérant faire changer cette détermination ; n’ayant pu y réussir, elle repartit deux ou trois jours après son retour dans une grande affliction. Cette épreuve fut suivie de quelques moments de consolations par la visite de deux jours que nous a faite le Père Royer, dans laquelle il nous ranima à la pratique de nos devoirs par deux exhortations. Mlle Vainade retourna aussi dans sa famille dans le courant de ce mois pour raison de santé ; aussitôt après entrèrent au noviciat ses deux compagnes, nos Sœurs Dallo et Brunel2. La dernière fut employée aux pauvres dont notre sœur du Terrail était maîtresse générale ; sous elle, le régime des classes des pauvres changea. Pour augmenter le bien dans la classe la plus intéressante de la Société, notre Mère s’est déterminée à les garder tout le jour : elles entrent à 9 h du matin et ne se retirent qu’à 6 h en été ; et pendant tout ce temps, elles sont toujours sous l’œil des maîtresses et ne courent point dehors. Elles sont divisées en quatre classes : deux de grandes et 1

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Avant d’être Père de la Foi, le P. Cabarat était chanoine et vicaire général de Tours. De 1805 à 1807, il fut recteur du collège de Roanne. Accueilli à Lyon par le cardinal Fesch, il y retrouva ses fonctions de chanoine et de vicaire général. Antoinette Brunel (1786-1816), RSCJ, née à Montbrison (Loire), est décédée le 17 décembre 1816 à Grenoble.

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deux de petites. On leur distribue comme aux pensionnaires des notes et points de mérite, des prix, des médaillons. Leur grande fête est le 19 juillet, fête de saint Vincent de Paul qu’elles ont passé tout entier dans la maison. Le jour de leur 1ère communion, tout le temps qu’elles ne sont pas à l’église, elles le passent dans la maison où les élèves décorées se font un devoir de les accueillir. Cet ordre avantageux pour les pauvres de Jésus-Christ en a attiré un plus grand nombre. Le 1er juillet, elles se trouvent près de soixante-dix. Ne pouvant se tenir dans leurs premières pièces trop resserrées, on leur en a fait arranger et bâtir deux très vastes où elles pourront être au moins 150 ; le mois d’août, elles ont été jusqu’à 100. 1er août 1808 Les premiers jours d’Août 1808, Félicité Lefèvre, venue deux fois d’Amiens, la première fois avec la Mère Grosier, la seconde avec notre Mère Barat, n’étant pas jugée propre à la vie religieuse et ne voulant pas rester sur le pied de donnée1 ou de domestique, est repartie pour se rendre auprès de sa mère. Le 8 du même mois partirent pour Poitiers nos Sœurs Piongaud, des Granges, Messoria et Xavier Boulard. Elles étaient demandées pour remplacer celles de nos sœurs de cette maison, dont notre sœur Émilie Giraud, qui étaient allées à Niort. La supérieure était la Mère Geoffroy2 et leur troisième compagne, ma sœur Bernard qui a été le noyau de cet établissement3. Elle avait formé à Niort la seule école qui y existât, tant pour les garçons que pour les filles. Elle s’occupait des filles, et une bonne sœur qu’elle s’était associée s’occupait des garçons et avec tant de succès que quelques-uns sont déjà le fondement d’un bon séminaire. Mlle Bernard, ayant de grands désirs de la vie religieuse, en fit part au grand vicaire et surtout à Messieurs Lambert et Enfantin lorsqu’ils firent la mission à Niort. Ils ne voulurent point qu’elle abandonna Niort 1 2

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En qualité de domestique appartenant à la congrégation, sans être religieuse et sans un vrai salaire. Suzanne Geoffroy (1761-1845), RSCJ, née le 1er mai 1762, près de Poitiers, entra au noviciat des Feuillants le 15 octobre 1807. Huit mois après, elle fut envoyée comme supérieure à la fondation de Niort, fit ses vœux en 1809. En 1826, elle partit à Lyon, où elle est décédée le 13 mai 1845. Henriette Bernard (1767-1830), RSCJ, est née le 15 mars 1767. Agée de 17 ans, elle fit le vœu de faire en tout ce qu’elle croyait être le plus parfait. À Niort, après la Révolution française, elle s’occupa de l’instruction d’enfants pauvres. Entrée au noviciat de Poitiers en novembre 1806, elle prononça ses vœux le 21 novembre 1807. En 1808, elle contribua à la fondation de la maison de Niort. Elle est décédée le 6 octobre 1830, à Bordeaux.

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pour toujours, où elle faisait tant de bien, mais ils lui conseillèrent de laisser le soin de son école à ses sœurs, de venir faire son noviciat à Poitiers et qu’après, elle reviendrait avec des sujets de cette maison pour former un établissement de l’Instruction chrétienne ; ainsi fut convenu avec notre Mère Barat qui s’était transportée à Niort, et bientôt mis à exécution. C’est le vendredi 1er juillet 1808 que commença cet établissement qui retraçait la pauvreté de la première habitation de Jésus sur la terre. Elles n’étaient que trois y compris notre Mère Barat, qui avait laissé Sœur Émilie encore à Poitiers, et elles n’avaient pas de lits pour toutes, ni de meubles pour garnir leur plus grande chambre. Le petit autel fut dressé dans le lieu qui avait été choisi à cet effet ; le tableau du maître-autel était une petite image du Sacré Cœur, sous la protection duquel cette pauvre maison commençait. Tout fut emprunté pour offrir le Saint Sacrifice, excepté une chasuble venue et donnée par la maison de Grenoble. Dans cet asile, tout respirait la pauvreté, mais aussi la joie, la paix, une douceur intérieure indicible. La Mère Geoffroy se leva le lendemain la 1ère pour rendre ses hommages au Sacré Cœur dont elle est la parfaite amante. Une colombe vint par la fenêtre se placer auprès d’elle ; elle ne quitta pas la maison de tout le jour, se laissa prendre et se retira le soir sans qu’on l’ait jamais revue, ce qui fut pris pour bonne augure. La fondatrice du pensionnat fut la nièce de la Mère Thérèse [Maillucheau] ; la sœur [Henriette] Bernard en joignit une à elle. Tel est encore le 1er octobre, tout le pensionnat de cette maison : il y a 72 pauvres, 3 dames, 2 prétendantes, une sœur coadjutrice et une petite portière. Pour ne pas abandonner l’œuvre des garçons, la bonne sœur ancienne compagne de la sœur Bernard la soutient dans une autre maison et la petite société naissante fournit à ses besoins. La Mère Barat fut peu de temps dans cette nouvelle fondation ; elle y appela Sœur Émilie [Giraud], fit supérieure à Poitiers la Mère Grosier et partit elle-même pour Amiens avec la Mère Thérèse. Pendant son voyage, nous possédâmes, le 10 août, le Père Enfantin qui nous fit plusieurs discours et vit en particulier la plupart des sœurs. La voiture qui avait mené nos sœurs à Poitiers nous ramena de Roanne Mlle Bonabaud qui cherchait à être des nôtres1, et deux pensionnaires dont l’une est la nièce de notre Mère Barat, qui a remplacé au pensionnat Mlle Laetitia envoyée à Poitiers ; et Mlle Bonabaud prit la place auprès des pauvres de Mlle Brunel qui était partie en même 1

La sœur Bonabaud est décédée en 1849 à Annonay.

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temps que notre sœur Piongaud pour aller rétablir sa santé dans sa famille. Ma sœur Meyran avait aussi été rendue à la sienne. C’est le 14 et le 23 septembre que Lacroix et Jean-François, deux frères de Roanne, ont été attachés à la maison, l’un comme sacristain et commissaire, l’autre comme menuisier. Depuis longtemps nous espérions revoir notre Mère Barat. Enfin, il nous fut annoncé que nous l’aurions pour quelque temps avec la Mère Thérèse qu’elle nous donnait pour maîtresse des novices. La Mère Thérèse la devança même de quelques jours avec Sœur Gabrielle que notre Mère nous amenait de Joigny pour être une de ses filles. Ce fut le 23 septembre 1808 que la Mère Thérèse Maillucheau entra dans cette maison pour y commencer sa mission. Notre Mère Barat y arriva le mardi suivant, le 24 septembre, avec ma sœur Benoit qui avait obtenu d’elle sa rentrée1. Notre joie fut entière dans cet heureux moment et nous nous proposâmes de mieux profiter que par le passé de son séjour parmi nous. 29 septembre 1808 Les prix avaient été retardés à cause d’elle ; Monseigneur vint les distribuer le vingt-neuf avec plusieurs ecclésiastiques ; ils furent plus solennels qu’à l’ordinaire et le soir, quand la cérémonie fut finie, nous nous réunîmes pour souhaiter la fête de notre Mère qui s’appelle Sophie. Depuis qu’elle est au milieu de nous, elle ne nous parle que de celui qu’elle aime uniquement et de ce qui est à sa gloire. C’est d’elle que nous avons appris l’établissement de Niort. Voici quelques détails sur celui de Cuignières [commune de Saint-Just-en Chaussée, Oise], établi à quelque distance d’Amiens dans une campagne. Il a commencé [pendant] le carême 1808 ; Madame Desmarquest en est supérieure ; il y a déjà nombre de novices ferventes, 8 pensionnaires et nombre de pauvres. La régularité, la paix, la joie y règnent avec la sainte pauvreté dont elles font leur bonheur. La maison de Poitiers a eu aussi de faibles commencements. En voici quelques mots : Mlles Chobelet et Bigeu2 avaient acheté la maison 1

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Gabrielle Benoit, RSCJ coadjutrice, née le 23 janvier 1770, est entrée le 8 septembre 1807, sortie en mai 1808, rentrée le 24 septembre. Elle a fait sa profession le 7 septembre 1816, est décédée à Poitiers en 1848. Marie Anne-Joséphine Bigeu (1779-1827), RSCJ, est née le 1er janvier 1779, à Poitiers. En 1796, elle entra dans la communauté des demoiselles Chobelet, rue des Feuillants. En 1806, Sophie Barat la reçut avec Lydie Chobelet dans la future Société du Sacré-Cœur. Joséphine fit

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des Feuillants et furent conseillées par le Père Lambert, en mission à Poitiers, d’y appeler la Mère Barat. Elle y fut en effet avec notre sœur Girard dans le courant de juillet 1806 et après y avoir séjourné quelques jours, elle alla à Bordeaux voir les sujets que le Père Enfantin lui avait préparés et qui vivaient réunis sous la conduite de la Mère Thérèse, la plus exercée aux pratiques religieuses. Notre Mère Barat revint à Poitiers avec elles, leur adjoignit plusieurs prétendantes de Poitiers et fit l’ouverture du noviciat et le commencement de l’établissement régulier, le huit septembre de la même année 1806. 24 octobre 1808 Notre digne Mère Barat avait amené avec elle la Mère Thérèse Maillucheau pour former les novices ; encore dans le monde, elle s’était formé des compagnes qu’elle instruisait à la vertu et à Poitiers, elle avait suppléé notre Mère Barat dans une absence d’un mois avec un grand succès. Depuis, elle avait été assistante et n’était donc pas neuve dans l’exercice des premières charges de cette maison ; elle eut donc celle de maîtresse des novices, qui formaient le plus grand nombre de la communauté, et de maîtresse générale du pensionnat composé toute l’année d’environ 60 élèves. Elle fut encore consultrice et admonitrice de notre Mère Deshayes. Quelque importantes que fussent ces charges, elle les porta avec aisance, aidée de Notre Seigneur auquel elle était unie par une continuelle présence, de longues oraisons souvent de 6 heures et la communion journalière. Les conférences qu’elle faisait aux novices et ses méditations de retraite aux élèves se ressentaient de cette union avec Jésus-Christ et inspiraient dans les âmes un amour tendre pour lui. Les récréations soit avec les novices, soit avec les élèves faisaient aussi ressortir sa tendre piété et sa bonté pour toutes. Elle commença son séjour ici par une retraite de 15 jours ; elle fut suivie de la première communion des élèves au nombre de huit. Elle se fit le 13 novembre 1808, fête de saint Stanislas Kostka, jour qui concourait cette année avec

sa profession le 1er novembre 1807, fut nommée maîtresse générale, maîtresse des novices et assistante (1807-1812). En décembre 1812, elle alla à Grenoble comme maîtresse des novices, devint supérieure en septembre 1813. Élue assistante générale en 1815, elle fut maîtresse des novices (1816-1818) à Paris, dans la maison louée rue de l’Arbalète, près de la rue des Postes. Elle s’occupa de la fondation de Quimper (1817), fut supérieure à Chambéry (1818-1821), puis à Bordeaux (1821-1823) et à Turin (1823-1825). Chargée des démarches auprès du Saint-Siège pour l’approbation des Constitutions, elle séjourna à Rome de 1825 à 1826. Réélue assistante générale le 6 avril 1827, elle est décédée le 19 novembre.

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la fête de la dédicace des églises. Le lendemain quatorze, Monseigneur l’évêque vint donner aux nouvelles communiantes et à quelques autres le sacrement de la Confirmation. Ces deux touchantes cérémonies furent suivies de la retraite générale pour la maison et du renouvellement des vœux pour les professes le 21, fête de la Présentation. 21 novembre 1808 Le départ de notre digne Mère générale avait précédé la première communion. Elle était venue comptant passer l’hiver ici, mais des affaires pressantes l’obligèrent à aller promptement à Amiens pendant la retraite de la 1ère communion. Le 15 décembre, Mlle de Portes1 et Mlle Balastron cadette, à quelques jours près, entrèrent dans la maison ; et le 29 janvier 1809, jour de saint François de Sales, Mlle Lavauden fut aussi reçue2, et après quelques mois, elles commencèrent leur noviciat ensemble avec une bonne fille appelée Marie Richaud, qu’on n’a pas gardée parce que son âge et sa santé mettaient obstacle à son admission. Cette dernière avait été envoyée au cours de l’Avent par le Père Enfantin qui était venu prêcher à Grenoble. Il n’y a pas eu les étonnants succès qu’il a eus ailleurs ; soit qu’une mission où les discours sont plus fréquents opère davantage ; soit que l’esprit délicat des personnes mondaines ne put s’accommoder à sa simplicité. Quelques heureuses personnes plus éclairées ont vu en lui un apôtre et s’en sont servi pour avancer dans la perfection. Il vint souvent nous visiter pendant ce temps ; tous les mercredis nous étaient consacrés ; il vit la conscience de chaque sœur et de beaucoup d’élèves. Ses principaux discours furent sur la pénitence, l’enfer, le Sacré Cœur ; du moins ce furent ceux qui ont le plus frappé. Plusieurs fois, il a paru dans ses conversations que Dieu lui faisait connaître l’état de la maison, soit en bien, soit en mal. Une fois entre autres, il dit d’un air tout enflammé : « Dieu est mécontent ; si cela ne change pas, je ne revien1

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Louise (Laure) de Portes d’Amblérien (1782-1868), RSCJ, née à Grenoble, émigra en Allemagne avec sa famille pendant la Révolution française. Entrée au noviciat de Grenoble en 1808, elle fit sa profession le 27 juin 1813. En 1819, elle succéda à C. de Charbonnel comme supérieure à La Ferrandière (Lyon) et en 1823, elle fonda la maison de Turin avec A. Lavauden. Elle fut ensuite successivement supérieure à Amiens, Autun, Marseille, Layrac et Niort. En 1862, elle partit se reposer à Montfleury (Grenoble), où elle est décédée le 22 septembre 1868. Angélique Lavauden (1787-1872), RSCJ, entrée à Sainte-Marie d’En-Haut en 1809, fit sa profession le 27 juin 1813. En 1818, elle partit à Chambéry avec Joséphine Bigeu, lui succéda comme supérieure en 1820, l’accompagna à Rome (1825-1826), puis fut supérieure dans diverses maisons. Elle est décédée le 10 janvier 1872 à Montfleury.

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drai pas ; et lorsque je l’ai promis à Dieu, il s’est un peu apaisé. » Quelques jours après, il dit : « Tout va bien. » Il repartit les premiers jours de janvier et a été faire diverses missions dans les campagnes, partout avec fruit ; mais où il a été plus abondant, c’est à Valence où il a prêché le carême. Cette ville était très peu religieuse, les églises toujours désertes ; on n’y voyait que les prêtres et deux ou trois personnes les jours ouvriers ; les dimanches, le peuple se dispensait sans peine de la messe, les personnes riches encore plus facilement ; les sacrements étaient tout à fait abandonnés. Il convenait et il était dans les desseins de Dieu que la religion brillât encore dans un lieu arrosé des sueurs de saint François Régis par celui qui s’en était déclaré le fidèle imitateur et le zélateur de son culte. Toute [la ville de] Valence est allée entendre le Père Enfantin. On remarquait que le Préfet était peut-être le seul homme qui eût été retenu par l’esprit du monde. Ce bon Père ne se reposait de ses fatigues du jour qu’en confessant des hommes bien tard dans la nuit. Dans cette ville et à Romans où il alla presque de suite faire la mission, prêchant quatre fois par jour, il a fait recevoir les sacrements à plus de 14 000 personnes, dans le nombre desquelles on comptait des pécheurs qui ne s’étaient pas confessés depuis 40 ans. On ne parlait de lui que comme d’un saint et il a démenti le proverbe « Nul n’est prophète dans son pays », car il est né tout près de Romans. Sa réputation est tellement répandue dans tous ces pays que partout, il était sollicité pour des missions et qu’il avait arrêté d’en faire en Avent, à Die et à Crest. Lorsque le 16 Juin, il se disposa à aller à La Louvesc, se trouver à une retraite et y renouveler en lui l’esprit apostolique, on annonça son arrivée en chaire comme celle du digne imitateur du [saint] patron que l’on solennisait. On dit même qu’il l’entendit et qu’il prit aussitôt la fuite. 1809 Cette année 1809, la maison étant composée de 100 personnes, dont un grand nombre faibles, il n’est pas entré une seule once de viande en carême. 14 mai 1809 Nous eûmes l’avantage de revoir ce bon père le 14 mai, encore épuisé des missions de Valence et de Romans, ne pouvant parler et ayant défense de ses supérieurs de travailler pendant quelque temps, ce qui nous priva de l’entendre et de le voir aussi souvent. Il demeura à Grenoble quelques jours.

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La santé de notre Mère Thérèse ayant donné de l’inquiétude pendant l’hiver, notre Mère fit vœu à saint François Régis que si à Pâques, nous étions délivrées de nos plus sérieuses inquiétudes sur son compte, on irait de la part de la maison faire faire à La Louvesc une neuvaine [de messes]. Jean-François, attaché à la maison, fit ce pèlerinage la semaine d’après Pâques, et Lacroix son confrère alla le jour même de la fête du saint accomplir un second vœu pour le rétablissement de notre Mère Deshayes qui avait été tout le mois de mai dans un état d’affaiblissement qui faisait tout craindre pour sa santé. Nous lui devions aussi des actions de grâce pour le rétablissement de nos enfants, bien qu’il nous ait visiblement moins protégées que par le passé. Car pendant le voyage de Jean-François, la cuisinière s’étant servi pour la soupe des élèves d’un chaudron où il y avait du vert-de-gris, elles furent empoisonnées et 15 à 16 commencèrent à vomir d’une manière effrayante ; cependant les prières et les soins eurent leurs effets. Le soir, 4 ou 5 seulement restèrent incommodées, mais l’une d’elles prit des crises de nerfs si fortes qu’on craignit pour sa raison et pour sa vie1. Le médecin qui vint à minuit [nous] rassura et après huit jours, tout fut rétabli. C’est à cette époque que la santé de notre Mère fut dérangée ; les bouillons de vipère et plus encore saint François Régis l’ont remise dans son état ordinaire. Mais la main de Dieu n’a cessé de s’appesantir sur le pensionnat jusqu’à l’hiver : des fièvres longues sans être dangereuses et mille autres indispositions ont été continuelles. Saint François Régis notre protecteur a plusieurs fois été sourd à nos demandes et nous a été plus favorable pour la maison de Poitiers. La Mère Grosier y était dans l’état le plus souffrant et même en danger ; aussitôt le vœu de notre Mère d’envoyer [quelqu’un] à La Louvesc, elle s’est trouvée mieux d’une manière qui tient du miracle. C’est pour l’accomplissement de ce dernier vœu que Jean-François a fait le troisième voyage à La Louvesc dans l’octave de la Nativité de la Sainte Vierge qui est une des principales fêtes de ce lieu de dévotion. 9 juin 1809 La première communion de dix élèves eut lieu le 22 mai, seconde fête de la Pentecôte2. 1

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Il s’agit d’Euphrosine Jouve, qui s’est servie la dernière et a mangé le fond de la casserole, où s’était accumulé le vert-de-gris. Cf. Vie de Madame Aloysia Jouve, attribuée à Ph. Duchesne, Callan Collection, Box 10, Archives Province États-Unis-Canada. Le lundi de Pentecôte.

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Et plusieurs de nos sœurs furent admises à prononcer leurs vœux, le jour de la fête du Sacré Cœur, le 9 juin. 22 juin 1809 Les prix du 22 juin ont été distribués par Messieurs Duchesne et Perier, ce dernier ayant plus que personne contribué à l’arrangement temporel de nos affaires, nous faisant donner par le gouvernement plusieurs années de loyer que nous devions et ayant travaillé à nous faire donner la maison en propriété pour l’établissement [d’éducation]. Cette faveur avait aussi été sollicitée dans le temps [à l’automne 1801] par M. et Mme de Rollin. Cette considération de reconnaissance et la qualité du préfet de Romans dans [la personne de] M. de Rollin leur ont fait accorder l’entrée de la maison, le 14 Juillet 1809, ainsi qu’à M. de Montmorency de l’illustre famille des Connétables [de Lesdiguières] que sa piété et son zèle rendaient curieux de connaître un établissement utile à la société. Ils étaient encore accompagnés de MM. Augustin et Scipion Perier. Après avoir entendu la messe, déjeuné dans la maison, l’avoir parcourue, ils allèrent voir nos élèves dans la principale classe. Elles firent des compliments préparés pour M. et Mme de Rollin et récitèrent des vers. Après beaucoup de félicitations sur le bonheur dont nous jouissons et sur la réussite de notre établissement, ces Messieurs et Mme de Rollin se retirèrent et n’ont cessé de parler avec intérêt de la maison. Notre sœur de Crouzas, sortie depuis une année et demie, était rentrée le 23 juin. Mlle Camoin, entrée dans l’année, s’était aussi retirée peu de temps après pour cause de santé. Elle avait été remplacée par Mlle Choppin1 de Villefranche, entrée le 15 Juillet ; Mlle Testour de Menis entrée le 16 Août ; Mlle Moulin2 entrée le 1er septembre et envoyée de Lyon par des Pères de notre connaissance. Mlle Boisson3, entrée le 23 septembre, était aussi de Villefranche. Depuis, on a encore reçu Mlle Pout de Grenoble le 9 octobre, Mlle Gallien aussi de Grenoble le 4 novembre. Deux coadjutrices, entrées en même temps à peu près, 1

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Clotilde Choppin (1787-1855), RSCJ coadjutrice, née le 20 novembre 1787, entra au noviciat de Grenoble, prit l’habit le 27 décembre 1809. Elle arriva le 1er mars 1816 à Niort, où elle fit sa profession le 21 juin 1816. Elle est décédée le 18 septembre 1855 à Toulouse. Marie Moulin (1781-1839), RSCJ, entrée au noviciat en 1809, à Grenoble, fit ses premiers vœux le 2 février 1816 et sa profession le 1er novembre 1820. Le 14 septembre 1830, elle arriva à Lille, où elle est décédée le 1er février 1839. Benoîte Boisson (1787-1837), RSCJ coadjutrice, entrée à Grenoble le 23 septembre 1809, sortie en août 1812 pour raisons de santé, est rentrée le 2 décembre suivant. Elle fit ses premiers vœux le 27 juin 1813. Elle est décédée le 18 août 1837 à La Ferrandière, Lyon.

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sont ressorties les premiers jours de novembre, n’ayant pas de vocation. L’une s’appelait Flavie Durand, du Pont-de-Beauvoisin, et l’autre Françoise Maurice habitant aussi à Pont-de-Beauvoisin. Marguerite, fille non admise à la Société mais reçue dans la maison depuis septembre 1802, fut aussi renvoyée à peu de jours de là, notre Mère ne voulant que des sœurs pour le service. La même raison avait fait renvoyer après Pâques l’autre fille séculière qu’on y avait conservée. 20 juillet 1809 L’événement le plus intéressant de toute l’année a été celui du séjour du pape à Grenoble qui a procuré bien des faveurs à notre maison. Pie VII alors sur la chaire de Saint Pierre dans des temps bien difficiles, ayant été enlevé de Rome dans la nuit par ordre de l’empereur de France, Napoléon, sans avoir le temps de rien emporter, ni la liberté de se faire accompagner, par un trait de la Providence et sans l’intention marquée de l’empereur que le capitaine conducteur du pape pouvait interpréter, fut conduit à Grenoble après avoir fait le voyage de Rome presque sans s’arrêter et sans voir un cardinal prisonnier comme lui et qu’on a logé séparément1. Il y arriva le 20 juillet de l’année 1809 à 4 heures du soir. Comme il devait aller loger à la préfecture, vis-à-vis de nos fenêtres de l’autre côté de l’Isère, nous pûmes apercevoir sa voiture entourée de gendarmes, sa très petite suite dans de mauvaises voitures, consistant en son camérier, le prélat Doria, un aumônier, un chirurgien, valets de chambre, cuisinier. Nous vîmes le cardinal, séparé et conduit à un autre logement. Nous eûmes dès le lendemain le bonheur de prêter un missel et des burettes pour la messe du pape. Mme de Vaulserre, toujours habitante de cette maison, put le voir de loin et obtint la permission du capitaine d’y retourner le lendemain et d’y conduire notre Mère. Elle s’y rendit en effet à l’heure de la messe, mais elle était déjà dite. Elle n’avait pas son habillement ordinaire, mais elle était vêtue en taffetas noir comme une veuve. Le pape ayant demandé nommément la permission de voir Mme de Vaulserre qui avait logé Pie VI lors de son passage à Grenoble, on crut en voyant notre Mère que c’était Mme de Vaulserre. Et le pape, par cette heureuse méprise, lui fit le plus grand accueil et lui 1

Bartolomeo Pacca (1756-1844), cardinal en 1801, secrétaire d’État (1808-1814), a été emprisonné sur ordre de Napoléon dans la forteresse de Fenestrelle (Piémont). Pie VII était alors en résidence surveillée à Savone, il fut ensuite transféré à Fontainebleau, où l’a rejoint le cardinal Pacca en 1812.

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donna plusieurs fois son anneau à baiser ainsi que ses pieds. Notre Mère cependant se désigna pour une autre en demandant au pape sa bénédiction pour sa mère spirituelle, ses sœurs et plus de 400 enfants. Alors il eut l’air de souffrir, soit par sentiment de compassion pour des personnes religieuses dans ce temps malheureux, soit qu’il craignit d’être compromis par cette visite, car ni prêtre ni religieuse n’eut l’entrée de la préfecture dans le temps qu’il y fut logé, à moins qu’il n’entra par adresse ; mais la méprise ne put avoir lieu que les premiers jours. L’évêque se trouvait absent, ayant été faire une ordination à Lyon ; il se pressa de revenir, mais ne put jamais obtenir la permission de voir le pape. On avait écrit au Cardinal Fesch pour s’informer des moyens de l’approcher. Sa réponse parut favorable, mais au moment où on croyait le Saint-Père libre, les malveillants pressèrent son départ. Pour en revenir à la visite de notre Mère Deshayes, Dieu avait tellement disposé en notre faveur le cœur du capitaine en sa faveur et en celle de Mme de Vaulserre que celle-ci, lui ayant demandé de vouloir montrer notre maison au Saint-Père lorsqu’il [se] promènerait pour la faire bénir, l’annonçant comme un pensionnat, le capitaine répondit : « Mais pourquoi ne les amèneriez-vous pas ici ? Je ne voudrais pas que les demoiselles fussent mêlées à la foule de ceux qui cherchent à voir le Saint-Père si elles pouvaient le voir dans un appartement séparé. Je me charge de les faire entrer, demain à 10 heures, elles auront une pièce séparée. » Après les remerciements qui méritaient une telle faveur, on se disposa à la visite du lendemain. Elle fut renvoyée, d’après l’avis du capitaine, à 4 heures du soir. Les élèves au nombre de soixante, vêtues de blanc, en cheveux, le voile noir sur le cou, se rendirent en ordre à la préfecture, accompagnées de notre Mère, de Mme de Vaulserre et de ma sœur Ribau. Le capitaine se trouvant sorti, on fut assez mal accueilli par les autres officiers et les personnes employées à la préfecture. Il fallut se retirer et aller dans une église attendre le retour du capitaine. Il soutint sa complaisance jusqu’au bout, faisant écarter la foule et disant tout haut : « Il n’y a que le pensionnat qui entre. » Lorsque toutes les élèves furent rangées, il fit entrer le pape qui alla à chacune d’elles, mettant sa main sur leur tête et faisant baiser son anneau1. Le capitaine lui ayant 1

D’après un document, non daté, « toutes les élèves de Sainte-Marie d’en haut, sur la tête desquelles la main de Pie VII s’était appuyée avec insistance, au nombre de 11, se firent religieuses, neuf au Sacré-Cœur : Euphrosine Jouve, Amélie Jouve, Olympie Rombau, Louise de Vidaud, Joséphine de Coriolis, Julie Dusaussoy, Olympe de Causans, Caroline Lebrument, Louise de Rambert », C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Env. 3, approbation-renseignements, Note sur les élèves de Sainte-Marie d’en haut, bénies par le pape Pie VII, et religieuses ensuite.

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demandé si le spectacle d’une jeunesse modeste ne le touchait pas, il dit avec bonté qu’il y avait du plaisir. Il les bénit paternellement ; elles se retirèrent sans que plusieurs eussent osé le regarder. Elles avaient formé le demi-cercle autour de lui à genoux. Les autres personnes de la maison qui n’avaient pas pu aller jusqu’à lui, recevaient tous les soirs sa bénédiction des fenêtres, car le pape la donnait à la foule immense qui cherchait à le voir et à faire bénir des images, croix, chapelets, etc. L’heure de sa promenade était à 6 heures du soir jusqu’à 7 ou 7 h 1/2. Pendant qu’il la faisait – c’était au Jardin de Ville – toutes les balustrades en fer étaient fermées, on ne le voyait que des fenêtres et jardins voisins ou à travers les barreaux. Malgré notre éloignement et du penchant de la Montagne1, nous le distinguions fort bien et nous l’avons remarqué regardant notre maison et semblant la marquer d’une bénédiction particulière. Sans doute que le capitaine n’avait pas oublié sa recommandation ou que la forme de notre maison indiquant une habitation religieuse, il avait eu la curiosité de s’en informer. La blanchisseuse de la préfecture étant la nôtre nous apporta un rochet du Saint-Père. Nous eûmes la consolation de raccommoder la dentelle, de la recoudre et de changer le taffetas qui doublait le bout de la manche. Nous avons gardé le vieux comme une précieuse relique, car on peut dire qu’il a touché ses liens puisqu’il n’avait pas quitté ce vêtement depuis Rome. Presque tous les jours, notre Mère envoya à l’heure de sa messe, pour les faire bénir, nos médailles d’uniforme, nos crucifix, des croix, des chapelets, des images, des fleurs. Le 31 juillet, il y en avait une pleine corbeille. Le pape les fit étendre sur une table pour tout voir. Et il sut que cela venait de nous. 2 août 1809 Ce même jour, le bruit courut qu’il allait être libre, que l’empereur n’avait point entendu qu’il fut gêné ; mais le lendemain, jour de saint Pierre aux Liens, 1er août, on sut qu’il avait été obligé de partir à 3 heures du matin, n’ayant été prévenu que quelques moments d’avance. Ses gens l’avaient été dès 9 heures du soir et malgré toute leur diligence, ils ne purent faire tous les paquets, ni emporter son linge sec qui était au blanchissage. Dans le désordre de ce départ, le pape conserva un calme parfait, parla à tous avec bonté, se loua de l’accueil qu’il avait reçu à 1

Le pensionnat de Sainte-Marie d’En-Haut est bâti sur le plateau de Chalemont, qui se trouve sur le flanc du Mont Rachais.

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Grenoble. Il a été le même dans toute sa route jusqu’à Savone où il est maintenant ; mais l’empressement a surtout éclaté à Avignon où on a crié « Vive le pape », et à Nice. À Grenoble, le dimanche surtout, la foule était immense au Jardin de Ville. On y venait de tous côtés, de Lyon, de Romans, etc. Une dame arriva ici pour le voir avec ses enfants de plus loin que Genève ; mais il se trouva parti la nuit même. La même chose arriva à l’Abbé de la Trappe que nous eûmes durant cette journée avec un de ses religieux. Le Père Enfantin et Monsieur Caillat1, de la même Société des Pères de la Foi, furent plus heureux et le virent au Jardin de Ville sans pouvoir cependant l’approcher, ni lui parler. Monsieur Caillat, s’étant trouvé avec nous au moment où l’on nous a apporté le rochet du Saint-Père, s’en revêtit dévotement et partagea notre pieux larcin. Le Père Enfantin partit la même nuit que le pape. Cette faveur de la bénédiction si réitérée du représentant de Jésus-Christ fut suivie d’une autre qui pouvait en augmenter les fruits. Monsieur Royer, directeur du séminaire de Saint-Irénée à Lyon, donna au pensionnat une retraite de quelques jours avec un zèle et une onction peu commune. Malgré tant de grâces, notre Mère peu contente du pensionnat, retarda les prix pour six semaines et il n’y a pas eu de trimestre en septembre. 21 septembre 1809 C’est dans ce mois que nous avons eu la visite du Père Barat. Il est resté dix-sept jours, confessant et faisant un discours chaque jour pour le renouvellement de l’esprit de l’Institut qu’il a trouvé affaibli, ainsi que la ferveur dans le pensionnat. Ces discours sentaient la peine qu’il en éprouvait ; il disait que la colère de Dieu planait sur la maison, que nous étions heureuses qu’elle éclatât par les afflictions et maladies qui atteignaient le pensionnat ; et engagea à un renouvellement. Nous l’espérons des prières ferventes qui ont été faites à cette intention et de l’aide spéciale du Saint-Esprit qui fut donné à 9 élèves, le deux octobre, fête des saints anges gardiens, par Monseigneur notre évêque, dans notre église. Il fut assisté dans cette cérémonie de Monsieur Rey, grand vicaire et notre supérieur. 1

Jean-Baptitse Caillat (1765-1853), SJ, né à Trévoux (Ain), ordonné prêtre, est entré en Autriche dans la Société des Pères de la Foi. Envoyé à Rome puis en France, il fut professeur au collège d’Amiens jusqu’en 1807. En 1825, il entra au noviciat jésuite, est décédé à Aix-en-Provence.

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10 Novembre 1809 Le soir même, notre Mère Thérèse commença une retraite qui finit sa mission parmi nous. Elle n’en sortit que le jour de sainte Thérèse pour recevoir le bouquet des élèves et des novices pour sa fête. Le projet de notre Mère Barat étant de la rendre à la maison de Poitiers, elle ne reprit pas ses fonctions, mais continua sa retraite jusqu’au jour de son départ, 10 novembre, et [cette retraite] fut en tout de près de six semaines ; elle les passa dans la plus grande séparation, faisant souvent 15 à 16 heures d’oraison, portant des croix très sensibles, non seulement avec patience, mais encore avec ardeur et ne se démentant point de ce qu’on lui avait souvent entendu dire : « Je m’ennuie de ne pas souffrir, que je voudrais être méprisée ! Les témoignages d’affection me sont à charge. Qui ne veut pas souffrir n’aime pas. La vie est pour moi d’une amertume extrême. Qui tranchera le fil de mes jours ? » Le renouvellement attendu suivra, on l’espère, les vœux ardents qu’elle a adressés au Ciel pour la sanctification des personnes de la maison. Monsieur Loriquet ayant été prié par notre Mère Barat de venir à Grenoble donner ses conseils pour les études et l’ordre du pensionnat1, il y passa 48 heures toutes consacrées à cette occupation. Les conférences pour les élèves furent presque continuelles, et on y arrêta le départ de plusieurs dont la conduite dérangeait leurs compagnes. Ce fut lui qui se chargea, allant à Paris, d’y conduire notre Mère Thérèse qui devait y trouver notre Mère Barat chez Madame de Gramont2. Elle partit sans voir les élèves et la plupart des sœurs dont les regrets auraient pu exciter son intérêt, mais non diminuer son courage. Depuis plusieurs jours, la vue de Dieu seul l’avait élevée au-dessus 1

2

Jean-Nicolas Loriquet (1767-1845), SJ, entré en 1801 chez les Pères de la Foi, fut professeur et préfet des études au collège d’Amiens en 1803. Il donna des cours de pédagogie aux religieuses de la future Société du Sacré-Cœur. Il est l’auteur du Plan d’Etude provisoire à l’usage de la Maison d’Amiens (1804), rédigé avant le départ de la Mère Barat pour Grenoble. Au Conseil général de 1820, il présida les séances de révision du plan d’études et du règlement des pensionnats, textes qu’il recommanda ensuite à d’autres congrégations féminines. Gabrielle Charlotte Marie-Eugénie de Gramont d’Aster née de Boisgelin (1766-1836), RSCJ, née le 17 avril 1766 en Bretagne, a été dame d’honneur de la reine Marie-Antoinette. En 1789, elle s’exila avec sa famille en Italie, puis en Angleterre où elle ouvrit en 1795 un pensionnat pour jeunes filles anglaises, après la mort de son mari. En 1802, elle se voua à Dieu par le vœu de chasteté. À son retour en France, elle loua un appartement chez les Dames de Saint-Thomas de Villeneuve, rue de Sèvres, à Paris. Elle entra au noviciat d’Amiens en 1813, après ses filles Eugénie et Antoinette, et fit ses premiers vœux le 17 avril 1814. Louis XVIII sollicita en vain son retour à la cour : elle fit sa profession le 1er mars 1816 et fut alors nommée assistante et maîtresse générale de la maison d’Amiens. En 1817, elle fonda la maison de Quimper et en 1821, celle du Mans où elle est décédée le 16 janvier 1836.

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des faiblesses humaines. Elle eut à Paris un grand sacrifice à faire, n’y voyant que deux jours notre Mère Barat qui voulait hâter son voyage ici et lui faire profiter d’une occasion convenable pour Poitiers ; elle y arriva promptement et y fut reçue avec grande joie. Les prix tant retardés furent enfin arrêtés. Les exercices commencés avant l’arrivée de Monsieur Loriquet recommencèrent et Monseigneur l’évêque vint faire la distribution des prix le 15 novembre. La rénovation des vœux n’eut pas lieu en commun à la fête de la Présentation ; elle a été différée jusqu’à l’arrivée de notre Mère Barat. Elle eut lieu le samedi deux décembre, et nous amena une jeune novice de Poitiers appelée Eulalie de Saint-André ; elle remplace ma sœur Balastron cadette, sortie depuis un mois pour le rétablissement de sa santé. 12 décembre 1809 Notre Mère Barat ne nous a pas encore entretenues en commun, ni fait de changements dans la maison ; elle a voulu tout voir avant. Aujourd’hui 12 décembre, elle s’est mise en retraite tout le jour pour offrir le premier moment de sa trente et unième [année] où elle entre actuellement. Demain 13 décembre est l’anniversaire d’un jour aussi heureux, celui où elle arriva il y a cinq ans à Grenoble, pour former l’établissement. Il ne se passa rien de marquant dans les mois de décembre et de janvier. Nous apprîmes seulement le changement de maison de notre Mère Thérèse que notre Mère Générale envoya à Gand pour aider dans une maison affligée par la perte du Père de Peñaranda, frère de la supérieure, son confident, son ami et le soutien de la maison naissante par ses leçons et exhortations. Il avait été de la maison des Pères à Roanne et tous convenaient qu’il était la vivante image de saint Louis de Gonzague. Notre Mère Thérèse a été nommée maîtresse des novices à Gand. 15 Avril 1810 Le Père Barat vint voir notre digne Mère et donner ses soins aux pensionnaires dans les premiers jours d’avril. Il les confessa toutes et donna à toutes l’absolution après qu’on les y eut disposées par des retraites qui eurent lieu tout le temps de son séjour. Le soir, il faisait à toute la maison une instruction d’une heure et demie, dont le texte fut toujours pris dans le 1er commandement et tendait à préparer 5 jeunes élèves à la première communion. Il la leur fit faire, le dimanche des Rameaux, et partit le même jour moins mécontent de la maison qu’au mois d’octobre, plein de zèle et d’inquiétude pour le salut des élèves, alors au nombre de 64.

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Notre Mère Barat destinait plusieurs de nos sœurs pour les maisons de Poitiers et de Niort. Le départ, arrêté pour le lundi de Quasimodo, fut ajourné jusqu’à sa nouvelle détermination. 12 Mai 1810 Le Père Enfantin qui nous avait visitées en octobre et janvier vint encore ici le 12 mai, dit la messe et fit le soir une exhortation forte et touchante, comme inspirée, sur l’obéissance. Il y retraça celle des soldats à un ordre de mort auquel ils ne répliquaient pas. Il y parla des peines qui suivent les chagrins qu’on cause à une supérieure, les conséquences des désobéissances, surtout dans un âge et avec des qualités qui rendent l’exemple plus contagieux. Il insista sur l’allégresse, la promptitude avec laquelle on doit obéir sans distinguer les supérieures. Il vint le lendemain, mais ne trouvant pas les choses disposées à son gré, il s’est retiré sans confesser ni exhorter de nouveau. Cependant toutes donnèrent à son discours les signes d’une douleur amère de leurs fautes. 17 mai – 21 mai Notre Sœur Gaby est morte des suites d’un catarrhe1 ; elle est la première morte de notre maison et la première de la Société qui ait été assistée à son dernier moment par notre Mère générale. Sa mort a été très édifiante. Elle a fait ses vœux, mais en secret, ne devant pas être de la Société ; elle devait être renvoyée et elle demanda à Dieu de plutôt mourir ; trois jours après, elle tomba malade. Aussi a-t-elle donné des signes continuels de joie dans sa maladie, attendant sa destruction. 8 juin 1810 Notre digne Mère Barat nous quitta le huit juin avec la promesse de revenir, mais les affaires générales qui intéressent le sort de la Société font craindre une longue absence. 16-20 La fête de saint François Régis s’est célébrée solennellement ; Monsieur la Corte a prêché le panégyrique du saint. Comme la fête s’est rencontrée avec les Quatre-Temps, on n’en a fait la solennité que le 20. 1

Ce terme générique désignait une inflammation aiguë des poumons, des muqueuses du nez ou du pharynx.

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29 Celle du Sacré Cœur s’est rencontrée le 29, fête de saint Pierre, renvoyée au dimanche. L’octave en a été aussi solennelle que celle du très Saint Sacrement. Il a été exposé tous les jours. 16 juillet Jour de saint Vincent de Paul, on a distribué les prix aux petites pauvres. 25 juillet Est entrée Mlle Berthé pour être admise au rang des coadjutrices1. Août Le trois août, notre digne Mère Barat revint de son voyage dans lequel elle a pu conférer avec Monsieur Joseph [Varin], s’étant rencontrés aux bains de Vichy. Le reste du temps, elle l’a passé en partie chez M. de Saint-Palgue à la campagne et à Lyon et a vu nombre de jeunes personnes, tant là qu’à Roanne, désireuses de la vie religieuse et qui désiraient profiter de ses avis. Le 14 et le 15 août, l’abbé de la Trappe a été à Grenoble et nous a [comme] à l’ordinaire demandé l’hospitalité. Il était déjà passé le 14 juin. 31 Juillet La fête de saint Ignace a été précédée d’une neuvaine de jeûnes et de communions et de l’adoration perpétuelle. Le jour même, le Saint Sacrement a été exposé dans notre chapelle intérieure et on l’a rapporté le soir processionnellement en traversant tous nos dortoirs et cloîtres jusqu’à l’église. Le 15 août La fête de la Sainte Vierge a été célébrée le plus solennellement possible. Les élèves ont renouvelé leur consécration publique dans l’église.

1

Marie Berthé (1786-1851), RSCJ coadjutrice, née le 1er octobre 1786, prit l’habit le 10 juillet 1810 à Grenoble. En 1816, elle partit aider à l’installation de la maison-mère, rue des Postes, à Paris. Elle fit sa profession le 6 juillet 1816. Elle est décédée le 13 janvier 1851 à Poitiers.

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Le 21 août La fête de sainte Chantal s’est célébrée dans l’église avec les mêmes cérémonies que les autres années ; c’est Monsieur Rivet qui a prêché. Le soir, il se trouva au salut le prieur des Carmes de Florence et un chartreux, tous deux chassés d’Italie dans la révolution qu’elle vient d’éprouver. Le [Père] général de ce dernier était depuis peu à Grenoble pour la même cause. 1er septembre Est arrivé Monsieur Barat qui vient comme confesseur extraordinaire et pour donner une retraite. Il a prêché dès le 1er jour sur les dispositions pour entendre la parole de Dieu et sur les différentes sortes de vanité : réputation, santé, richesse, beauté, etc. 20 septembre Les prix se sont distribués aujourd’hui par Monseigneur l’évêque accompagné de quelques ecclésiastiques. Les deux médaillons n’ont pas été mérités pour cette fois, non plus que le prix d’honneur. Monsieur Barat qui avait fait une absence est revenu de Chambéry le 29. Il s’est trouvé ici en même temps que Monsieur Loriquet qui a fait sa retraite et a revu tous les règlements du pensionnat et a fait les notes nécessaires pour la réforme de plusieurs articles. Sa retraite a concouru avec celle des élèves pendant laquelle Monsieur Barat faisait trois discours, outre l’instruction des petites élèves qu’il leur a donnée constamment tout le temps de son séjour. Hors la retraite, il y a toujours eu un discours, le soir à 6 h ½, et deux le dimanche. Outre ces instructions pour toute la maison, il nous en a fait de particulières pour l’explication des règles, l’observance des vœux et principalement le jour de la Toussaint, fête choisie pour la rénovation des vœux, précédée d’un discours sur cette sainte action. Les instructions générales ont d’abord roulé sur le péché et les peines terribles qui le puniront en l’autre vie, le tout appuyé d’exemples frappants de conversion et d’impénitence finale causée par les pêchés cachés à confesse1. Il a suivi toutes les dispositions pour la confession ; il a ensuite traité de la sainte eucharistie comme sacrifice et comme sacrement, du bonheur des saints, du purgatoire, [durant] toute l’octave des morts. Et enfin, pour nous préparer à la fête 1

L’instruction générale est une conférence adressée aux élèves, chaque semaine, sur un sujet spirituel ou moral.

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de la Présentation, il a expliqué toutes les Litanies de la Sainte Vierge. Le jour du saint Rosaire, le discours avait déjà été sur les prérogatives de Marie et sur la dévotion du rosaire. Ces différents sujets ont été développés dans plus de cent discours répétés aux petites instructions, ce qui double le nombre. Et si on ajoute les 20 environ qui nous ont été particulières, nous avons été nourries de la parole de Dieu dans plus de 120 instructions, et une partie du pensionnat dans 220. 19 novembre Ce jour a été bien douloureux pour la maison : il nous enlève pour longtemps notre Mère Barat. Elle est partie avec Madame Debrosse et Eulalie pour se rendre à Amiens et de là, à Gand ou à Poitiers. Son frère la rejoint à Lyon et part d’ici le 21, fête de la Présentation. Ma sœur Lavauden cadette est entrée au noviciat le 13 Novembre1, fête de saint Stanislas. Et Mlle Clément, de Saint-Marcellin, est entrée dans la maison le 15 Novembre. Dans le courant de décembre, plusieurs élèves ont été retirées pour divers mécontentements dont voici les principaux : les mauvaises notes des bulletins, la difficulté de voir les élèves, leur mauvais maintien, le peu d’ouvrages qu’elles font, les dépenses. Ainsi le pensionnat qui est allé à 69 s’est trouvé réduit à 58. Toutes les élèves sont allées à la messe de minuit. 1811 2 janvier 1811 Le deux, on a souhaité la fête de notre Mère qui se remettait un peu, ayant été malade depuis six semaines. 20, 1ère Communion Le 20 du même mois, fête du saint Nom de Jésus, cinq élèves ont eu le bonheur de faire leur première communion solennellement dans notre église ; et on a eu la consolation de leur en voir conserver les fruits. Le 28 mars, nous avons eu le plaisir de voir le Père Enfantin qui fait un séjour jusqu’au 22 avril. On disposait, au moment de son arrivée, 1

Adélaïde Lavauden (1789-1869), RSCJ, née le 30 septembre 1789, entra à Grenoble le 4 juin 1810, fit sa profession le 21 juin 1816. Le 28 novembre 1819, elle alla à Chambéry. Elle est décédée le 18 décembre 1869 à Montpellier.

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6 élèves pour la première communion. Il leur donna les discours de la retraite malgré une fièvre qui le tourmente depuis plusieurs mois. On a peu vu de retraite faire autant de fruits dans le pensionnat qui à la vérité se trouvait purgé de plusieurs des plus indociles et moins pieuses et diminué de près de 15. Le discours sur la passion de Jésus-Christ, qu’il prononça le Vendredi saint sur le soir, et qui dura 2 h ½ sans lasser personne, même parmi les plus jeunes enfants, fit la plus grande impression ; sur la fin, sa voix était couverte par leurs pleurs très sincères. 14 avril, 1e Communion La première Communion se fit le 14 avril, saint Jour de Pâques. Le 22, le Père Enfantin repartit pour Romans sans être guéri. Il n’a presque pas confessé, cette fois-ci. 2 mai, Confirmation Le deux mai, Monseigneur l’évêque a donné la confirmation à 16 élèves. Le 29 du même mois, ma sœur Espié, qui était ici depuis le 22 novembre 1807 et qui n’a pas fait de vœux, est sortie pour raisons de santé. Le 19 avril était rentrée ma sœur Brunel, sortie depuis près de trois ans pour cause de santé. Ma sœur Balastron cadette, encore sortie pour la santé en octobre 1809, est rentrée le 26 juin. Le 21 juin, fête du Sacré Cœur de Jésus, nous avons eu le bonheur de renouveler nos vœux. Le 3 juillet, on a fait la distribution du trimestre, renvoyée pour cette fois-ci parce qu’il n’y a eu cette année que deux distributions de trimestre, celle du 27 février et cette dernière. Le 15 août 1811 Le jour de la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge, cinq de nos élèves ont eu le bonheur de faire leur première communion. L’une d’elles était au lit fort malade d’une fièvre maligne cérébrale pour laquelle elle avait déjà reçu l’extrême-onction. Elle est morte le 17, la première de toutes nos élèves dans la maison, et fut enterrée le 18. En annonçant cette mort à notre digne Mère Barat, nous lui avons parlé d’une nouvelle demande d’établissement pour Gênes. En l’ab-

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sence de son Éminence le cardinal archevêque, le préfet et le maire ont demandé à la mère d’une de nos élèves, Mme Costa, si nous voulions toujours y aller et si c’était son intention de demander une maison au ministre. Dans la même lettre, nous lui avons envoyé copie d’une lettre venant de Mesdames [Marie-Eulalie] de Bayane et de la Playne, religieuses de la Visitation à Milan, qui nous offraient d’aller à Brescia où le Podestà s’est réservé une superbe maison pour un établissement d’éducation. Il s’en offre un troisième à Digne, département des Basses-Alpes, où une dame veut consacrer son bien et où trois demoiselles voudraient entrer. C’est Monsieur Augier, directeur du séminaire de cette ville, qui est venu exprès en faire la proposition. Notre digne Mère, en répondant, n’accepte ni ne refuse rien pour le moment ; se proposant néanmoins de faire l’une de ces trois maisons au printemps. 29 Elle nous laisse maîtresse de garder Agathe Giroud, jeune fille bergère et qu’on croit favoriser de grâces extraordinaires. Elle est entrée à la fin d’août, le 29. 21 août Le 21 août du même mois, 6 religieuses de la Trappe, venant de Bordeaux où elles étaient allées pour passer en Amérique, revenant sur leurs pas n’ayant pu sortir de France, nous ont demandé asile. Nous n’avons pu les recevoir dans le doute du sujet qui les amenait. Quelques jours après, le prieur de la maison des hommes près de Briançon a dit la messe dans notre église. Et il nous raconta que toutes leurs maisons, tant d’hommes que de femmes, ont été détruites dans tout l’empire français. La résignation de ces bons religieux est parfaite, ils ont même chanté la grand-messe, le jour de leur sortie. 3 septembre Le trois septembre, Monsieur Rambaud notre digne confesseur et ses frères, dépositaires d’un corps de saint, appartenant aux Chartreux, nous l’ont remis avec espérance de pouvoir le garder toujours. Il a été déposé dans notre chapelle intérieure ; c’est un martyr, tiré du cimetière de Calixte à Rome. Il s’appelle Alexandre.

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6 Le 6 est partie Mlle [Jeannette] Rivet pour Amiens où elle refait son noviciat. 24 Les prix n’ont pu se donner cette année le 22 septembre parce que ce jour ne pouvait convenir aux personnes qui devaient s’y trouver. Ils l’ont été le 24. C’est Monsieur Bouchard, premier grand vicaire qui, en l’absence de Monseigneur qui n’est pas de retour du concile1, a distribué les prix ; Messieurs les supérieurs du séminaire l’ont accompagné. Monsieur Bouchard a parlé aux enfants après la cérémonie, d’une manière également onctueuse et profitable. 15 octobre Le 15 est entrée une jeune fille nommée Bérard qui n’a pas convenu. À la même époque est entré au séminaire Jean Lacroix notre sacristain. Il a été remplacé par Philibert Foussala, frère de Jean-François Foussala entré le 19 septembre au service de la maison2. Les mois d’octobre, de novembre et de décembre ont été consacrés aux retraites qui se sont faites par bandes auxquelles notre Mère, dont la santé s’est trouvée plus forte, a donné les exercices. Il s’y est joint deux personnes du dehors, désireuses de connaître notre manière de vie : Mlle de Saint-Ferréol et Mlle Forest, de Chatte près de Saint-Marcellin où elle s’exerce déjà depuis longtemps à l’éducation des jeunes filles. Pendant sa retraite est venu à Grenoble le Père Enfantin. Pendant son séjour qui a été de 48 heures, il nous a visitées et promis de revenir, mais Dieu en a disposé autrement. L’évêque de Valence l’avait nommé depuis peu chanoine aux honneurs de sa cathédrale, et en cette qualité, il y a prêché. On a pris occasion alors de le dénoncer comme contrevenant à un décret qui défend aux missionnaires de prêcher, et il a été exilé à Nîmes où il s’est rendu fort joyeux de souffrir pour Jésus-Christ. Quand il reçut cet ordre, il traversa la place d’un air riant et calme, semblant désirer plus de contradictions à souffrir pour Dieu. L’évêque de Valence le redemanda et donna pour raison qu’il avait prêché comme chanoine et par son ordre. 1

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Napoléon convoqua le Concile National de Paris (juin-août 1811) dans le but de pouvoir instituer les évêques sans recourir au pape. Les prélats ont majoritairement soutenu les prérogatives de Pie VII. Avant leur dispersion en novembre 1807, ils étaient Frères au collège des Pères de la Foi, à Roanne.

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31 décembre Les fêtes de Noël ont été suivies des exercices pour le pensionnat, suivis de la distribution des prix le 31 décembre. Le froid a fait changer la destination des huit jours de [vacances du] trimestre ; on y a travaillé pour les pauvres et on s’y est réjoui à l’occasion de la fête de notre Mère. La veille et le jour-même, il y a eu des pièces et conversations édifiantes soit au pensionnat, soit au noviciat, où l’on a fait la représentation de l’âme obéissante, de la propre volonté et de la naissance de Notre Seigneur. 1812 Janvier Nous avons reçu la visite de Monseigneur notre évêque qui nous a donné toutes sortes de signes de bonté et que nous n’avions pas encore vu depuis son retour de Paris. À la même époque, nous avons encore reçu une lettre de Milan pour demander encore l’établissement de Brescia. Le podestà n’a point été rebuté du retard d’une année qu’on demande ni de la différence des langues. Pour y obvier, il compte préparer quelques sujets, garde une très belle maison environnée de jardins et offre pour les premières dépenses 14 000 F d’Italie. Ces propositions ont été envoyées à notre Mère Barat à qui il demande quelques renseignements sur notre plan d’Étude. Nous n’avions pas besoin de cela pour croire que Dieu nous protège en même temps qu’il nous éprouve. Nous avons eu de l’inquiétude sur une demande du maire de visiter notre maison ; et à Lyon, on a fait courir le bruit que nous étions détruites, ce qui s’est dit encore plus loin. Mais nous avons su que le maire n’avait aucune intention hostile, voulant seulement remplir une formalité, comme étant chargé pour la commune des bâtiments nationaux, sans pouvoir en changer la destination. 17 janvier Dès le 1er janvier, la maladie est aussi venue nous visiter. Une fièvre muqueuse a attaqué Mme de Vaulserre, notre digne amie et hôte inséparable. Huit jours après, ma sœur Clément, novice, a pris une fluxion de poitrine. Deux jours après, notre Mère a craint une fièvre catarrhale qui heureusement a été arrêtée. Le 17 janvier est sortie une élève ma-

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lade dès avant Noël, de la fièvre catarrhale dont elle est guérie, mais reste dans un état de langueur qui lui rend nécessaire un séjour dans sa famille. La maladie de ma sœur Clément s’est terminée heureusement. Mais l’élève, sortie après avoir longtemps langui, est morte chez ses parents ; on a accusé la maison et le médecin de n’avoir pas connu la maladie et on a dit que l’enfant était morte des suites des contraintes et serrements de cœur qu’elle éprouvait. On nous a aussi blâmées au sujet d’une autre élève plus âgée pour laquelle on dit qu’on n’a pas assez ménagé la santé et sa délicatesse de sentiment ; on la dit condamnée des médecins. Une autre est sortie pour des douleurs de côté qui vont en empirant ; une autre pour des humeurs dans le sang qui rendaient ses mains dégoûtantes ; une autre pour une forte coqueluche accompagnée de mal de poitrine ; une autre pour un mal dans l’os du doigt qui l’obligea à le couper. Le nombre des malades restées tout l’hiver à l’infirmerie a toujours été considérable. Ce sont des coqueluches, mauvais rhumes, douleurs, points de côté, obstructions, fièvre. Une enfant de 12 ans a été très mal d’une fluxion de poitrine ; elle est heureusement rétablie. 12 février 1812 Mais Mme de Vaulserre est morte le mercredi des Cendres, 12 février ; elle a constamment édifié jusqu’à la fin. Les vertus qui l’ont rendue plus recommandable sont un grand zèle pour le salut des âmes qui lui a fait faire des sacrifices pécuniaires considérables pour le procurer ; ce même zèle l’a portée à se charger d’une classe de 20 à 30 pauvres filles qu’elle aimait comme les siennes propres et qu’elle instruisait parfaitement, se chargeant en outre de parler aux parents de toutes nos externes, chose bien essentielle pour avancer le bien auprès d’elles. La seconde vertu qui a éclaté dans Mme de Vaulserre est l’humilité : elle s’appelait le chien de la maison, regardait les autres, même les coadjutrices, comme bien au au-dessus d’elle, prenant toujours le dernier rang et parlant à toutes avec un ton de rabaissement admirable dans une personne distinguée pour l’esprit, la naissance et l’éducation. Une partie de son mobilier est restée à la maison ; son héritière est sa sœur, Mme de Marette ; elle nous a encore laissé une somme pour une annualité de messes pour elle, ce qui nous procure le bonheur d’en avoir deux tous les jours.

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10 avril 1812 Aussitôt après sa mort, notre sœur Pout a pris sa place à l’infirmerie ; elle avait une tumeur à la lèvre qu’elle avait fait extirper pour entrer chez nous. La seconde année, la même tumeur s’est portée au nez et l’a carié fort en dedans. Un cautère et les remèdes antiscorbutiques n’ont pas empêché la même tumeur en se détournant du nez de tomber sur la poitrine. Les médecins l’ont déclarée atteinte d’une phtisie scrofuleuse et scorbutique ; le mal a cru rapidement et l’a conduite au tombeau le 10 avril. Les vertus qui l’ont distinguée sont une parfaite obéissance et régularité : on ne le voyait point faire de faute. Cette pureté de conscience lui a valu une calme résignation à la mort et une paix parfaite. 3 mai 1812 Les maladies ont continué dans le pensionnat ; les plus inquiétantes étaient des toux suffocantes et continuelles chez plusieurs sujets bien faibles. Ces pauvres enfants ont mis leur confiance en saint Alexandre dont la translation des reliques s’est faite le premier dimanche de mai, qui s’est trouvé [être] le trois [jour de la fête de la Sainte Croix] et plusieurs, depuis la cérémonie, n’ont plus été indisposées. Le corps a été placé sur le petit autel de l’église. La fête que nous avons la permission de faire est fixée au 1er dimanche de mai et, toutes les années comme celle-ci, on pourra laisser la châsse à découvert, exposée à la vénération des fidèles. Nous continuons tout le mois la neuvaine que nous avions commencée en son honneur et ne doutons pas de sa protection sur nous. 17 mai 1812 Néanmoins, notre infirmerie ne s’est pas vidée et nous y avons encore une enfant qui se rétablit d’une fluxion de poitrine ; et une autre, qui paraissait rétablie d’une fièvre double tierce qui durait depuis près de quatre mois, vient d’être attaquée de la maladie appelée danse de Saint Guy1, ses épaules sautent perpétuellement ; les bains et autres calmants n’opèrent rien pour son soulagement, elle n’a ni appétit ni som1

Il s’agit de la chorée infantile d’origine infectieuse, appelée chorée de Sydenham, du nom d’un médecin anglais du xviie siècle, Thomas Sydenham, qui en a publié le traitement. L’appellation « danse de saint Guy » daterait du ixe siècle, suite aux guérisons miraculeuses attribuées aux reliques de saint Guy, considéré ensuite comme le protecteur des épileptiques.

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meil. On a été obligé de la remettre à sa famille pour quelque temps ; elle s’est rétablie par le voyage seul. 24 mai Ces jours-ci, nous avons eu la grande consolation de revoir notre Mère Barat parmi nous, avec l’espérance de la garder longtemps. Elle venait en partie pour fournir aux établissements demandés, mais tout reste dans le silence en ce moment. 5 juin Le 5 juin, sept élèves ont fait leur première communion des mains de Monseigneur notre évêque qui en a aussi confirmé deux. Ce jour concourait avec la fête du Sacré Cœur de Jésus, jour marqué pour le renouvellement des vœux qui, à cause de cette cérémonie, a été renvoyé au jour de la fête de saint François Régis qui s’est solennisée à l’ordinaire ; et nous y avons eu de plus la consolation de voir le tableau de ce saint protecteur dans notre église, qui a été fait à cette intention dans la maison même. Le 25 se sont donnés les prix du trimestre. C’est à cette époque que nous avons appris que notre Saint-Père le pape avait été transféré fort secrètement de Savone, lieu de sa détention, au château de Fontainebleau près de Paris, où on dit qu’on lui prépare le palais archiépiscopal. Personne ne peut lui parler sans l’agrément de ceux qui l’ont en garde. 9 juillet 1812 C’est aussi à la même époque que nous avons appris l’arrestation de Monsieur de Sambucy, bienfaiteur et confesseur de la maison d’Amiens, ainsi que l’ordre de renvoyer des séminaires et collèges ses confrères qui y avaient des places. Cet ordre a forcé Monsieur Gloriot de quitter Besançon et il est depuis le 4 août à Grenoble où il avait fait la mission avec le Père Lambert. 7 août Le 6, la supérieure générale des Dames de la sagesse est venue avec sa compagne et Monsieur Bossard supérieur du séminaire visiter la maison. Elle est à Grenoble pour former à l’hôpital général un établissement de ses religieuses qui sont hospitalières ; elles sont en route et

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elle retournera à Aix-en-Provence, d’où elle est venue, quand elle les aura établies. Ses maisons d’Aix ont changé de nature depuis son séjour ici, où elle a établi sa résidence. 22 septembre 1812 Le 22 septembre, Monseigneur a fait la distribution des prix du trimestre, accompagné de Messieurs ses grands vicaires Bouchard et Chabannier et de quelques autres prêtres. 2 octobre Le 2 octobre, notre Mère Barat est allée à Besançon voir notre pieux Instituteur [le P. Varin] et conférer avec lui sur différentes affaires de la Société et notamment sur les moyens de ramener toutes les maisons à l’unité. Celle d’Amiens reçut de Monsieur de Sambucy une rédaction des Constitutions à l’observance desquelles elle attachait un grand prix et les avait mises en activité contre le vœu des autres maisons et l’approbation des personnes qui conseillent notre Mère générale qui a craint un moment une rupture ; mais tout assure le vœu de continuer à vivre sous son obéissance. Cette maison n’a pas été sans inquiétude à l’occasion du renvoi de la Société de Mlle Jeannette Rivet à Amiens et d’Amiens. Ses parents, en étant blessés, ont indisposé contre nous beaucoup de personnes et ont même fortement menacé d’une dénonciation au ministre. Après un temps de patience, notre Mère a fait prévenir nos supérieurs qui ont fait taire les plaignants et fait désister la famille de ses poursuites pour la rentrée de Mlle [Jeannette] Rivet qui n’avait pas été reçue définitivement. 13 novembre Notre Mère est rentrée le 13 novembre. Elle a trouvé le temps trop court pour préparer les novices à faire leurs vœux ; plusieurs étaient sorties depuis quelques mois, tant novices que prétendantes : Mlle Damirans le 25 août, Mlle Crémant le 7 septembre, Mlle Testout le 6 octobre, Mlle Thérèse Perier le 18 décembre, Mlle Chapuy prétendante le 8, [restée] huit jours seulement dans le mois de décembre aussi. Le 2 était rentrée ma sœur Boisson, sortie depuis le mois d’août pour sa santé. Elle se contenta de les faire renouveler aux anciennes le jour de la Présentation, et les nouvelles professes ainsi que les novices admises à

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prononcer leurs vœux ont fait la retraite huit jours avant la fête de saint Jean l’évangéliste, jour auquel s’est faite la cérémonie du renouvellement pour les anciennes et jeunes professes, et la profession pour mes Sœurs de Crouzas, Lavauden cadette, Moulin, Choppin et Chauvin[Bertille] aînée. Cette dernière ne les a prononcés que comme coadjutrice, et toutes pour un an seulement. Le même jour a été admise au noviciat Mlle Victoire Roland pour le rang des coadjutrices ; elle était dans la maison depuis le 23 juin. Nous avions eu la consolation de voir arriver le 23 décembre la Mère Bigeu maîtresse générale, maîtresse des novices et assistante à Poitiers, avec Mlle Chatain prétendante pour le rang des coadjutrices. Janvier 1813 Le 10 L’ordination de Monsieur de Janson1, qui venait de renoncer aux avantages de la fortune pour se donner à Dieu, l’avait attiré à Grenoble et nous avons eu de lui une retraite de huit jours pour tout le pensionnat, qui s’est faite avec fruits pour les élèves et pour celles de nos sœurs qui n’avaient pas été de la retraite des vœux. Elle a servi de préparation pour la confirmation de onze pensionnaires et pour la première communion d’une. Cette cérémonie s’est faite le 10 janvier. Monsieur de Janson prêcha deux fois ce jour-là et encore deux jours après avec un zèle et une onction qui ont fait pleurer son éloignement. Quelques jours après, nous avons reçu l’invitation réitérée du podestà de Brescia pour nous rendre dans sa ville y former un pensionnat auquel il destine une fort belle maison. L’objet de sa lettre était de savoir les conditions pour les appointements de chacune et pour les frais de voyage. Notre Mère a fait répondre avec ce dégagement qui doit nous caractériser. Madame Eugénie de Bayane, soutien de la Visitation en Italie et qui avait été très protégée des empereurs, a été la première entremetteuse de cette négociation et vient de mourir sans qu’elle soit rompue. 1

Charles de Forbin-Janson (1785-1844), auditeur au Conseil d’État, à Paris, renonça à une carrière administrative pour la prêtrise. Ordonné à Chambéry en 1811, il fut nommé supérieur du séminaire (1811-1812), puis vicaire à Saint-Sulpice à Paris (1812-1814). Il fut prédicateur de retraites en France (1814-1824), évêque de Nancy en 1824. Avec Jean-Baptiste Rauzan, il créa en 1814 la Congrégation des Pères de la Miséricorde, fonda en 1839 une communauté à Spring Hill, près de La Nouvelle-Orléans. En 1840, il assista au Concile de Baltimore, fut nommé vicaire général du diocèse de Montréal. Il prêcha en 1841 la première retraite du clergé au Québec. Rentré en France en 1842, il fonda l’œuvre de la Sainte-Enfance.

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24 Le 24, Mme de Lesgalier, tante d’une de nos élèves, réitère une semblable invitation pour Nîmes où elle veut faire [le] marché d’une belle maison et contribuer à l’œuvre et au succès d’un pensionnat. Même invitation, ce même jour, de Mgr d’Aviau archevêque de Bordeaux et pressé par le frère de notre Mère générale, qui y a sa résidence. 22 février Nouvelle lettre de Brescia du nouveau podestà qui veut achever l’œuvre commencée par son prédécesseur et qui le charge de tout ce qui la concernera. Il avertit en même temps que la personne chargée de conduire la petite colonie arrivera à Grenoble au cours de la semaine sainte. 4 avril Lettre de Mme de Playne, de Milan, et du podestà de Brescia qui dit qu’au moment du départ de son envoyé, le département lui a montré une loi du pays qui en interdit l’entrée à toute institutrice sans attestation des autorités de son pays et qui ne connaîtrait pas l’italien. Il demande de faire presser la réponse du préfet et du maire de Grenoble à qui l’on avait écrit de Brescia pour cet objet, dès le mois de janvier. Ces attestations ont été longues à obtenir à cause des occupations pour le militaire et l’envoi au ministre. Elles ne sont parties qu’au mois de mai ou juin. 26 mai Entrée de Mlles Chavy et Teillard1. 16 juin Célébration de la fête de saint Régis. Il y a eu exposition du Saint Sacrement, sermon, grand-messe et neuf autres. Nous l’avons chômée ; les élèves ont travaillé. 25 juin La fête du Sacré Cœur s’est faite avec les mêmes solennités ; les élèves n’ont pas travaillé. 1

Marie Teillard (1792-1816), RSCJ, née en 1792 à Rive-de-Gier (Loire), fit ses vœux avant sa mort, le 10 janvier 1816.

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27 juin Ce jour, mes sœurs de Portes et Lavauden aînée ont fait leurs vœux à perpétuité ; mes sœurs Brunel, Boisson, Forest, Berthé les ont faits pour un an ; ma sœur Fonsala les a renouvelés pour un an1 et les anciennes ont fait la rénovation accoutumée. Toute la cérémonie s’est faite dans la chapelle intérieure ; elle a été renvoyée au dimanche, au lieu du jour même de la fête, pour attendre Monsieur de Janson qui a fait les discours de retraite et celui de la rénovation. Sœur Chatain a été reçue novice. 2 juillet Ce jour, on a fait fête à l’église qui était pleine le soir au salut à cause de l’indulgence ; il y a eu trois messes basses le matin ; on a travaillé. Entrée d’Agathe Gauthier le 24 juin 1813, pour être coadjutrice2. 9 Sortie de Sœur Joséphine Dullo après six ans de séjour. Elle a été emmenée à Gap par Mlle Espié, autre novice sortie d’ici, qui a formé un pensionnat qu’elle désire unir à la Société. 13 Sortie de Jean-François qui s’est retiré dans son pays. 14 Entrée de Mlle Lucile Mathevon pour être au rang des dames de chœur. 1

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Marie Fonsala (1786-1838), RSCJ coadjutrice, entrée à Grenoble en 1807, partit à Chambéry puis à Turin. Avec A. Lavauden, elle accompagna en 1825 la Mère Bigeu à Rome. Elle est décédée à la Trinité-des-Monts, à Rome. Agathe Gauthier (1788-1870), RSCJ coadjutrice, est née le 21 septembre 1788, à Pont-de-Beauvoisin (Isère). Reçue à Grenoble le 24 juin 1813, elle entra au noviciat le 2 février 1814, partit à la fondation de Quimper, où elle fit sa profession le 15 août 1818. Elle exerça ses talents de jardinière successivement à Paris, Besançon, Annonay et Lyon, où elle est décédée le 25 mai 1870. Elle désirait ardemment aller en Amérique. Voici une petite lettre de Philippine, non datée, retrouvée dans ses affaires personnelles : « Ma bien chère Sœur Agathe, j’ai reçu votre billet, et quoiqu’il m’ait fait grand plaisir, celui de vous voir avec la Mère Lucile eût été bien plus grand. Vous auriez passé de la petite Louisiane dans la grande, mais notre commune Louisiane est le Cœur de Jésus où nous nous rencontrerons toujours si nous sommes douces et humbles. Je me rappelle tous vos travaux à Grenoble, vous en auriez bien davantage ici. C’est peut-être ce qui vous attire, mais l’obéissance fait votre tranquillité, puisqu’elle est l’expression de la volonté de Dieu. Je suis, pour la vie, toute vôtre in Corde Jesu. Signé : Philippine ». C-I, d 2, Lettres Annuelles, 1870-1871.

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26, Entrée de Mlle Butri pour être au rang des coadjutrices. 29 Entrée de Mlle Nanette pour être au rang des coadjutrices. 30 Entrée de Mlle Forest aînée pour être au rang des coadjutrices1. Sa deuxième entrée fut le 9 octobre. Août 2 Entrée de Mlle Parisot pour être au rang des dames de chœur2. 15 Ce jour de la mort de la Sainte Vierge nous a été doublement précieux, plusieurs de nos enfants ayant fait leur première communion. Ce sont : Mlle de Bondard cadette, deux sœurs Isoard, Blanc, Dusaussoy et Calhetin. C’est Monsieur Rivet notre aumônier, qui a fait la cérémonie et tous les discours. Il a encore prêché le 21, à la fête de sainte Jeanne de Chantal et la grand-messe a été chantée par Monsieur le directeur du séminaire de Lyon. Septembre 19 et 22 Le 22 s’est faite la cérémonie de la distribution générale des prix par Monseigneur l’évêque. Le 19, il était déjà venu pour donner la confirmation à celles qui avaient fait leur première communion, excepté Mlle de Bondard ; et de plus, à Mlles de Vidaud aînée et de Jonquière. 25 septembre 1813 Le 25 du même mois, notre digne Mère Barat est partie avec notre Mère Deshayes pour aller voir notre Père Varin. Après un court séjour d’environ six semaines, elles ont toutes deux repris la route de Paris, 1 2

Thérèse Forest, née en 1786, est décédée en 1815. Françoise-Jeanne Parisot (1785-1857), RSCJ, née le 2 septembre 1785, entrée au noviciat le 1er novembre 1813, fit sa profession le 29 mai 1818. Elle est décédée le 7 mars 1857 à Montpellier.

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ayant été décidé que les supérieures seraient triennales. Le 9 novembre, notre Mère Barat a écrit à la communauté qu’elle nous donnait pour supérieure notre Mère Joséphine Bigeu, professe de la maison de Poitiers, entrée dans la maison depuis le 24 décembre 1812 et déjà chargée du noviciat. Notre Mère Deshayes s’est retirée dans la maison de Cuignières où notre Mère Barat l’a accompagnée avant de revenir à Paris où elle continue à s’occuper des affaires de la Société pour déterminer plusieurs choses qui ne se sont pas encore bien fixées. 10 octobre 1813 Mlle Dutour est entrée dans la maison pour être mise au rang des dames de chœur. 1er novembre 1813 Mlle Henriette Lebrument, qui n’avait pas été assez préparée pour faire sa première communion à l’Assomption, devant être retirée, l’a faite aujourd’hui, fête de la Toussaint. 13 On a célébré à la chapelle des retraites la fête de saint Stanislas Kostka. 21 Le jour de la Présentation, ma sœur Fonsala a fait ses vœux à perpétuité. Toutes les professes les ont renouvelés et Mlles Parisot et Chavy sont entrées au noviciat ; Mlle Mathevon y était déjà. 30 Le 30, jour de saint André, nous avons perdu notre sœur Marie du Terrail, professe d’Amiens, d’une maladie d’épuisement, causée par l’extrême fatigue qu’elle se donnait depuis longtemps pour l’instruction des élèves, des pauvres et des personnes du dehors qui en avaient besoin. Sa vertu distinctive est le zèle pour le salut des âmes. Sa mort a été très édifiante. Décembre 8 Le 8, on a célébré la fête de la Conception immaculée dans la chapelle des retraites.

Lettre 4



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25 Nous avons eu trois messes à minuit et grand nombre de communiantes. 27 On a célébré à la chapelle des retraites la fête de saint Jean l’évangéliste. Le même jour, on nous a donné l’alarme au sujet de l’approche de l’armée autrichienne et bavaroise qu’on disait arrivée à Genève. Mais la nouvelle était fausse et on est encore incertain de quel côté elle tournera.

LETTRE 4

L. 2 À MADAME JOUVE [Novembre 1804]1

Je t’envoie, ma bonne Amie, le premier essai de ta fille qui a eu bien du plaisir à t’écrire. Elle se porte bien, quoique un peu enrhumée ; son devoir va bien malgré sa grande vivacité qui lui rend pénibles les temps d’application un peu longue ; je le connais au mouvement de sa petite personne. Ma tante Perier est venue la voir et l’a fait sortir dimanche2 ; ma tante Lagrange l’a aussi demandée pour jeudi, mais c’est trop rapproché. Croirais-tu, bonne amie, que la nouvelle du succès de notre pétition était fausse. Une lettre d’hier de M. de Rollin m’annonce que le résultat de toutes ses démarches est qu’elle est perdue de manière à ne pouvoir être retrouvée3 ; il faut recommencer nos poursuites comme au premier 1

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 23-24 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Une archiviste avait daté cette lettre : 1806 ou 1808. Mais Euphrosine est entrée au pensionnat de Sainte-Marie d’En-Haut le 3 septembre 1804, son premier devoir est donc antérieur à 1806. Et surtout, la perte des documents concernant l’autorisation d’ouvrir le pensionnat eut lieu fin octobre-début novembre 1804, au ministère de l’Intérieur. La lettre est donc de novembre 1804. Marie-Charlotte Pascal (1749-1821) s’est mariée en 1767 avec Claude Perier (1742-1801). Ils habitaient le même immeuble que la famille de Philippine Duchesne, au n° 4 de la GrandRue, à Grenoble. Le 25 octobre 1804, le P. Varin rencontra J. de Gérando, secrétaire général du ministère de l’Intérieur, qui l’assura « du plein succès » de la demande de Mme Duchesne. Cf. « Lettre du P. Varin, 25 octobre 1804 », Histoire de Sainte-Marie d’En-Haut. Les documents étant égarés, les démarches furent renouvelées et le décret impérial ne leur parvint que l’année suivante, daté du 6 Pluviôse An XIII (25 janvier 1805).

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

jour. J’ai bien de l’ennui de tout cela et de celui que je cause à mes bons parents. Je garde le secret inviolable sur cette disgrâce pour qu’on ne songe pas à nous prévenir ; n’en parle à personne. Adieu, bonne sœur, je me félicite d’avoir ici un gage de ta tendres­se dans lequel je puisse te retrouver. Philippine

LETTRE 5

L. 3 À MADAME JOUVE Ce 14 décembre 18041

Avec quelle joie, ma bonne amie, j’ai aperçu ton écriture dans un nombre de lettres qu’on me remit, il y a quelques jours ; la tienne m’était une preuve de ton rétablissement, j’en attendais la nouvelle avec la plus vive impatience. Je voulus, avant de l’annoncer à Euphrosine, faire l’épreuve de sa sensibilité, et je lui demandai quelle serait la chose qu’elle apprendrait avec plus de plaisir dans le monde. Elle me répondit aussitôt que ce serait la guérison de sa maman ; la rougeur et le trouble qui parurent alors sur sa figure, me furent une assurance que ce vœu partait de son cœur ; et elle ajouta qu’elle avait bien dit des chapelets pour toi. Elle ne t’écrit pas aujourd’hui, l’ordre de devoirs se trouvant dérangé par l’arrivée de trois Dames qui nous viennent d’Amiens et que Monsieur Roger a accompagnées depuis Lyon2. Il paraît que nous avons fait d’excellentes acquisitions : l’une d’elles [Mme Barat] va être notre supérieure ; elle a charmé toutes les pensionnaires par sa douceur. Je t’embrasse affectueusement, Philippine

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 29 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il s’agit de la Mère Barat, accompagnée de Rosalie Debrosse et de Catherine Maillard.

Lettre 6

LETTRE 6



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L. 4 À MADAME JOUVE Ce 22 mars 18051

Mes espérances de te voir à Lyon s’éloignent, ma bonne amie. Mon voyage n’étant pas nécessaire, ne se fera probablement pas. Il en a été jugé ainsi par celle de nos Dames qui te remettra cette lettre ; des affaires indispensables l’ont obligée de nous quitter pour une dizaine de jours et elle n’est pas allée loger chez toi, comme tu avais la bonté de l’offrir, parce qu’étant seule et peu exercée à la marche, elle eût été trop loin du centre de ses occupations. Je n’ai pas cru qu’il fallût lui donner Euphrosine pour si peu de temps, ne t’ayant fait la proposition de lui procurer le plaisir de te voir qu’autant que je l’aurais eu moi-même. Il n’est pas nécessaire de te dire combien j’eusse été sensible au plaisir de te voir dans le sein de ta chère famille, dont je ne connais encore qu’un des plus aimables rejetons ; mais tu sais, ma bonne amie, que ma vocation est un engagement aux sacrifices et aux privations de la nature et j’échange en ce moment le doux plaisir de t’embrasser contre celui de remplir mes engagements et de prouver à Dieu que son joug m’est toujours aimable, puisqu’il y a du plaisir à sacrifier à ce qu’on aime. Je n’avais point dit à Euphrosine qu’elle aurait peut-être le plaisir d’aller à Lyon ; elle t’écrit. Tu pourras en avoir plus de détails satisfaisants par Madame Barat qui doit te remettre ma lettre et qui l’aime beaucoup. Voici la lettre de ta fille à sa confusion et à la mienne. Ne m’oublie pas auprès de ton mari et de mes cousins. Tout à toi. Le bon Père Pison est mort, il y a deux jours2.

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 34-35 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. En 1791, Jean-Baptiste Pison (1725-1805), vicaire général de Grenoble, chanoine de l’église Saint-André, gouvernait le diocèse en l’absence de Mgr du Lau. La correspondance avec son évêque lui valut d’être emprisonné à Grenoble, à la Conciergerie. Exilé ensuite pendant quelques mois, il revint à Briançon le 7 mars 1793, fut de nouveau incarcéré à Grenoble, à Sainte-Marie d’En-Haut, jusqu’au 25 Messidor An II (13 juillet 1794). En tant que commissaire métropolitain, il accueillit Mgr Claude Simon, évêque nommé par Bonaparte, le 6 octobre 1802. Il est décédé le 19 mars 1805.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 7

L. 5 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 17 septembre [1805]1

Tu éprouves un grand vide, ma chère Amie, t’étant séparée d’une fille que tu aimes tendrement ; et moi, un bien grand en te perdant. Cette douce habitude de te voir pendant quelques jours me fait sentir plus vivement la peine d’être presque toujours séparée de toi. Quoique tu m’aies prévenue que tu ne pourrais peut-être pas m’écrire à ton arrivée, je serai en peine jusqu’à ce que tu m’annonces qu’elle a été heureuse. Tu auras trouvé en arrivant à Lyon la nouvelle de l’accouchement d’Adélaïde2 ; son mari vient de m’apprendre la naissance de sa cinquième fille, qu’il accepte par résignation. La tienne fait ici une de mes jouissances et me récrée au milieu des occupations les plus sérieuses ; au catéchisme, elle parle autant que moi, redresse celles qui se trompent et prévient leurs réponses. Comme une personne instruite, elle s’explique toujours avec les termes propres, et avec assurance. Elle t’embrasse bien tendrement ainsi que son père et ses frères et sœurs. Adieu, bonne sœur, dans mon éloignement, je considérerai avec plus de plaisir ton image dans ta fille et la chérirai ainsi doublement.

LETTRE 8

L. 6 À MADAME JOUVE À CREST Ce 14 février [1806]3

Ma bonne Amie, Madame de Butet est ici chez les Dames de Mornays, mais je ne l’ai point vue ; nous passons pour recevoir peu de visites, peut-être aussi m’aimerait-elle mieux Visitandine. 1 2

3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 14 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Adélaïde Lebrument, sœur de Philippine, a cinq filles : Caroline (1799-1854), Henriette (1800-1854), Eugénie (1802-1857), Marine (1803-1861) et Delphine (1805-1833) qui vient de naître. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p.  3 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 9



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J’ai eu par notre petite Italienne des nouvelles de Madame Eulalie de Bayane1 qui a été visitée par le roi et la reine de Naples. Elle en a obtenu, outre des assurances gracieuses de protection, un beau couvent et des terres d’un assez grand produit ; elle était depuis quelques années dans la disette ainsi que sa communauté. Mlle de Saint Laurent a fait sa première communion, et Mlle de la Bareyre s’y prépare. C’est Monsieur Lacoste qui fait, deux fois la semaine, des instructions à nos élèves. Mes respects à mon père, mille choses à la joyeuse société. Tout à toi, Philippine Informe-toi, je te prie, si Duchesne [Hippolyte] a retiré ma rente et s’il l’a déposée à l’adresse que j’ai donnée2.

LETTRE 9

L. 1 À MÈRE BARAT

Vive Jésus

[mars 1806]3 Ma respectable Mère, II me tardait de vous témoigner ma joie et ma reconnaissance envers la divine bonté, lorsque j’ai reçu votre lettre. Il m’est donc permis de me livrer à la plus douce des espérances ! Vous ne m’ôtez pas l’espoir que mes vœux s’accompliront un jour, je puis tendre par mes désirs et mes 1

2 3

Eulalie de Bayane est la sœur d’Eugénie de Bayane qui fut la maîtresse des novices de Philippine à Sainte-Marie d’En-Haut. Leur frère, le cardinal Alphonse-Hubert de Latier de Bayane (1739-1818), légat de Pie VII en 1809 à Paris, fut chargé des négociations avec l’empereur, à Savone et à Fontainebleau. En 1797, Philippine avait abandonné à son frère et à ses sœurs toutes les terres reçues de l’héritage de sa mère, moyennant une rente annuelle. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cf. Sainte Madeleine-Sophie ­Barat-Sainte Philippine Duchesne, Correspondance, Texte présenté par J. de Charry, RSCJ, I, L. 10, p. 37-40.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

prières vers des contrées où je pourrai enfin rendre quelque service à Notre Seigneur et n’être riche que de Lui. Quel puissant aiguillon, pour travailler à me réformer, que la crainte de me rendre indigne de ma haute destinée ! Avec quel respect mêlé d’attendrissement entendrais-je ces délectables paroles : « Je vous envoie… parmi les loups1 », ô si vous pouviez ajouter « comme un agneau ! » Avec quels transports prendrais [-je] sa vénérable main et la porterais-je sur ma tête pour en être bénie en cette sorte : « Ab illo benediceris in cujus honore cremaberis2 ! » Je suis souvent en esprit au moment de la décision, et plus encore dans les lieux où je me promettais d’aller. Mais le croiriez-vous, si vous ne saviez qui je suis ? C’est que je ne vaux pas mieux qu’à votre départ, peut-être moins ; plus je me vois forte pour l’avenir, plus je sens ma lâcheté présente. Il y aura longtemps que je n’aurai passé le carême si pesamment, je suis plus que naturelle, tout immortifiée, toute repliée sur moi. J’ai eu une lettre de mon cousin de Bordeaux [le P. Enfantin] auquel vous aviez parlé de moi. Je ne sais si vous l’avez fait à mots couverts, mais il m’écrit comme n’étant pas au fait de ce qui me préoccupe. Je le lui ai marqué dans ma réponse que je n’ai pas tardé de faire, étant bien empressée de nouer correspondance avec lui ; d’autant plus que je m’imagine que ce sera peut-être de lui que Dieu se servira pour favoriser mon ambition unique. Cette lettre de mon cousin fut décachetée par notre bonne Mère qui la croyait pour elle3. Elle n’en comprenait pas le sujet. Je me reprochais déjà de ne pas lui avoir dit ce que j’avais conçu d’espérance depuis quelque temps, et je le lui avouai alors. Qu’il me tarde de savoir ce que vous avez à me dire à ce sujet, je me précipite à genoux en esprit pour l’entendre. J’ai eu besoin de résignation quand j’ai vu dans la lettre à elle de V4. qu’il faut encore attendre jusqu’à la fin de mai. Était-ce cela que vous nous aviez promis si solennellement ? Je n’ai pas tant de peur du bouquet d’absinthe que vous m’annoncez5, que de ces délais toujours multipliés. J’aurais bien besoin que vous me fassiez attendre le moment d’un entretien dans ce petit cabinet ; il faudra en sacrifier le premier empressement. 1 2 3 4 5

Mt 10, 16 ; Lc 10, 3. « Soyez bénis par Celui en l’honneur duquel vous allez vous consumer », Liturgie de l’encens. La Mère Deshayes, supérieure, a pu confondre le nom de « Duchesne » avec celui de « Deshayes ». Probablement le Père Varin. Dans sa lettre du 20 janvier 1806, Sophie Barat lui parle du « bouquet de myrrhe » (Ct 1, 13) qui deviendra « comme le pommier parmi les arbres de la forêt » (Ct 2, 3).

Lettre 9



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Notre Mère a dû vous dire : l’affaire de nos deux premières années de location est terminée de la manière la plus avantageuse1 ; j’y ai eu d’autant plus de plaisir qu’il me semblait que je pouvais encore mieux dire nunc dimittis, devenant tout à fait inutile au lieu de mon habitation. J’espère que vous écrirez d’ici au Jeudi Saint et que vous me ferez lever cette cruelle défense de ne jamais passer la nuit entière ? De grâce, il me faut celle-là pour parler à loisir à notre bon Maître. Si nous avions de l’argent, je serais aussi bien d’avis de ranger, tout simplement cependant, les cellules de la terrasse, cela pourrait se faire dans le courant de mai. Vos recommandations sur l’économie sont fidèlement suivies, j’y suis toute inclinée et la nécessité vient encore à l’appui de l’inclination. Que sera-ce donc quand l’obéissance qui l’emporte sur toutes deux m’en fait un devoir ? D’après bien des épreuves faites cet hiver, il m’a paru que le plus conforme à l’esprit de pauvreté, sans nuire aux convenances et aux besoins, serait de faire le pain tel que lorsque vous êtes venue ici, pour la soupe, les goûter et déjeuners, et de prendre pour les autres repas le pain chez le boulanger. Il est sûr que le pain que nous faisons blanc revient plus cher. Tel était l’ancien usage de la maison, réglé d’après l’expérience. Dans tous ces pays, on ne voit pas de maison nombreuse où il n’y ait deux [sortes de] pains ; cela sert à contenter tous les goûts et tous les estomacs, et est moins coûteux. Ce ne serait pas assez bien de n’en avoir que de commun ; nous paraîtrions prodigues si nous n’en avions que du boulanger, qui cependant, comme je l’ai déjà dit, revient moins cher que le nôtre quand nous le passons davantage. Si vous pouviez décider quelque chose à cet égard avant Pâques, nous commencerions alors ainsi que vous voudriez. Nos enfants sont assez bien. Elles vous présentent leurs humbles respects et furent bien contentes des lignes que votre dernière lettre contenait pour elles. J’espère que ma bonne Félicité [Le Fèvre] ne m’oublie point ; je me la rappelle toujours avec un vif intérêt. Mes respects, je vous prie, à Madame Baudemont et à ses filles. Je suis la vôtre, bien indigne. Ph. D. Dieu seul 1

Philippine était titulaire du bail de Sainte-Marie d’En-Haut, qui lui avait été adjugé le 10 décembre 1801 par mise aux enchères du couvent, bien national depuis l’expulsion des Visitandines en 1792. Le 26 janvier 1805 (6 pluviôse An 13), un décret impérial reconnut légalement l’institution de Sainte-Marie d’En-Haut. Grâce à une nouvelle intervention de sa famille, Philippine obtint la mise à disposition de la maison, avec dispense de payer la location des années antérieures.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 10

L. 2 À MÈRE BARAT [4 avril 1806]1

Ma bonne et respectable Mère, Quel plaisir et quel bien m’a fait votre lettre ; il la fallait pour amollir mon âme, plus insensible qu’un rocher depuis trois semaines. Elle s’est fondue comme la cire auprès du feu, en se nourrissant des aliments que vous lui présentiez ; mes yeux n’ont plus été arides, et mon cœur s’est livré à une douce joie ; il l’a savourée toute la nuit, car la lettre est arrivée avant la veillée de Jeudi Saint. Ô bénite nuit, où j’ai cru une seconde fois être exaucée ! Je le crois, ma bonne Mère, à la joie pure que je goûte, et à la ferme espérance que je conçois ; ô si c’était à la fin de l’année ! Je m’en suis presque flattée. Toute la nuit, j’ai été dans le nouveau continent, mais j’ai voyagé en bonne compagnie. D’abord, j’avais précieusement recueilli au Jardin, au Prétoire, au Calvaire tout le sang de Jésus ; je m’étais emparée de lui au Saint Sacrement, je le serrais étroitement, et je portais partout mon trésor pour le répandre sans crainte de l’épuiser. Saint François Xavier s’intéressait encore à faire fructifier cette précieuse semence, et il se tenait au pied du trône de Dieu pour demander l’ouverture de nouvelles terres à éclairer. Saint François Régis était le pilote des voyageurs, et bien d’autres saints encore, jaloux de la gloire de Dieu. Enfin tout allait au mieux ; je n’ai pu insinuer dans mon cœur aucune tristesse, même sainte, parce qu’il me semblait qu’une nouvelle application allait se faire des mérites de Jésus-Christ. Les douze heures de la nuit sont bien vite passées sans fatigue, quoique à genoux. La veille, je ne croyais pas pouvoir tenir une heure. J’avais tant à faire aussi avec tous mes sacrifices à offrir, une Mère… et quelle Mère ! des Sœurs, des parents, une montagne, et puis je me trouvais seule avec Jésus seul, avec des enfants tout noirs, tout grossiers, et j’étais plus contente au milieu de ma petite cour que tous les potentats du monde. Bonne Mère, quand vous me direz : « Ecce ego mitto te2 », je vous répondrai vite : « Vadam3 ». Il faudra bien me faire attendre le plaisir de parler de tout cela, car il y en aurait trop pour s’y livrer de 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, I, L. 12, p. 45-46. « Je t’envoie », Ex 3, 10. « J’irai », Ex 3, 13.

Lettre 11



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suite. Je n’aimerais pas qu’on vînt à chaque instant parler à sa Mère, je la voudrais toute pour moi1. Je vais tâcher de me rendre triste le reste du Vendredi saint, mais j’y ai peu de dispositions, je suis montée à l’espérance. Je suis bien respectueusement à vos pieds, votre humble et soumise fille, Phil. D. Vendredi saint. Le matin.

LETTRE 11

L. 7 À MADAME JOUVE, À LYON [1807]2

Ma bonne sœur, Mme de Vaulserre3 m’offre de mettre quelques lignes dans sa lettre pour toi ; j’en profite avec bien du plaisir. Elle te sera remise par Monsieur Roger qui nous a comblées pendant son séjour de bonté et de nourriture spirituelle. II faut bien quelques jouissances de ce genre pour se faire aux privations de la vie ; celle de l’éloignement de Mélanie est bien grande pour moi4. Elle a tant de joie d’être à Romans que les siennes sont bien adoucies. Je reçus hier une de ses lettres où elle paraît transportée ; elle aura pour compagne au noviciat Mlle Chièse. Adieu, je t’embrasse tendrement et suis tout à toi.

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Philippine désire avoir un long entretien, non interrompu par des visites intempestives. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p.  9 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Marie-Louise-Angélique de Vaulserre (1759-1812), veuve de M. de Brénier, vit à Sainte-Marie d’En-Haut en rendant bien des services, sans toutefois faire partie de la communauté. Mélanie Duchesne (1786-1828) vient d’entrer à la Visitation de Romans, sous le nom de Sœur Marie-Xavier.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 12

L. 8 À MADAME JOUVE [1807]1

Ma chère Amie, Tu dois maintenant être tranquillisée sur le compte de ton mari. J’ai été surprise bien agréablement en le voyant ; les moments que nous avons passés ensemble ont été courts ; je ne l’ai reçu qu’au salon, car depuis que Mme Lebrument est entrée2, nous sommes devenues plus sévères pour la clôture, et nous n’avons pas besoin d’en faire mystère depuis notre décret. J’aurais tiré vanité de lui montrer notre terrasse au soleil couchant, et j’espère bien qu’il serait entré dans quelque grand enthousiasme. Tes filles ont été folles de joie ; heureusement, il s’est contenu et n’a point trop vanté Euphrosine qui sent déjà assez son mérite ; mais en tout cas, elle est mieux, son caractère est plus calme, elle est plus complaisante et plus pieuse. Si cela se soutient, elle pourrait faire sa première communion à l’Assomption de la Sainte Vierge. Quant au voyage que tu désires qu’elle fasse, il n’est pas possible, on le refuse à toutes ; elle pourra être marraine de ton enfant par procuration3. Tu me marques le jour du baptême de tes filles, mais il manque encore l’année ; je te prie de nous la noter. Ton mari m’a bien offert de l’argent, mais ayant dans l’année beaucoup de choses à payer à Lyon, il nous convient mieux, si vous l’agréez, de trouver tout prêt de quoi nous acquitter. J’ai ignoré la maladie de Mélanie [Duchesne] jusqu’au moment où ton mari m’en a parlé ; Mme de Mauduit n’en paraît pas aussi inquiète. Il paraît que sa vue perd toujours ; si elle doit être aveugle, le bon Dieu lui aura fait double grâce de l’appeler à la vie religieuse. On l’aime beaucoup dans sa maison. Adieu ma bonne amie, crois à mon inviolable attache­ment.

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 10-11 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Depuis qu’Adélaïde Lebrument a rendu visite à ses filles, la règle a changé. Il s’agit du baptême de Constance Jouve (1807-1852).

Lettre 13

LETTRE 13



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L. 9 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 9 avril 1807 1

Pour remplir ton désir, ma bonne Sœur, nous te cédons Euphrosine pour 10 ou 15 jours tout au plus. J’y ai un peu de peine, car elle est la première pour laquelle on ait enfreint la règle et d’autres sauront bien s’en prévaloir ou s’en plaindre ; quelque pénible qu’elle soit pour les parents, je ne puis la changer, ni la blâmer, voyant les enfants sensiblement plus contents et plus appliqués lorsqu’ils n’ont pas dans la tête les sorties et les voyages. Celui de l’année dernière fit tort à ta fille sous le rapport de la soumission. Préviens, je te prie, les funestes effets des vanteries de son père ; je sais bien qu’elles pourraient les porter, ta fille étant très avancée et remplie d’émulation, mais que lui servirait une science vaine sans les qualités qu’on recherche le plus : la modestie, la piété, la docilité ; sous ces trois rapports, elle a beaucoup à gagner. Après t’avoir fait quelques observations, il est bien juste que je te témoigne la joie que j’ai d’une entrevue si douce pour ta fille et pour toi, et à laquelle j’ai contribué en démontrant combien tu serais contristée d’un refus. Je dois perdre ce soir la chère Adélaïde [Lebrument] ; j’ai été bien contente de la revoir et sa jolie petite famille ; on s’aperçoit qu’elle est en bonnes mains. On chante mille louanges de la petite Amélie [Jouve] ; je l’embrasse sans la connaître et te félicite d’avoir une compagne si douce et si bonne. Ta fille porte une chronologie pour l’étudier, elle pourrait aussi lire l’histoire des empereurs pour se retrouver avec ses compagnes. Tu trouveras dans ses paquets deux têtes, deux cartes de géographie et ses extraits sur l’histoire de l’Église, qui sont les derniers. Mes autres nièces se portent bien et t’offrent leurs respects. Donnemoi des nouvelles de Jordan2, témoigne-lui tout l’intérêt que je porte à sa santé. Quelque chose aussi pour Camille [Jordan] de ma part. Je t’aime tendrement, Philippine

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 12-13 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il est difficile de savoir s’il s’agit ici d’Alexandre (1768-1824) ou d’Augustin Jordan (1773-1847).

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 14

L. À MLLE JULIE PINET1 Ce 25 [1807]

Ma chère Julie, Vous avez dû recevoir ma lettre, en réponse à celle que vous m’écrivîtes à ma fête. Votre bonne maman passa ici avec tant de précipitation à son retour de Lyon qu’elle ne nous donna point le temps de répondre à votre empressement ; elle nous avait donné le regret à son premier passage d’avoir vu rompre le projet de vous ramener ici avec Adèle. Dieu l’a voulu, il faut se taire sur cette privation : je désire bien qu’Adèle fasse dignement sa première communion. Ce sera pour elle, plus encore que pour d’autres, l’époque qui la fixera dans le bien ou qui la laissera esclave de ses défauts. Priez, exhortez, pressez donc pour que cette grande action se fasse dignement, mais parlez plus par l’exemple de votre piété ; c’est la meilleure exhortation. Quant à un moyen pour avancer votre sœur pour la grammaire, vous connaissez notre méthode. Il faut ensuite l’étude constante, l’usage des copies, des dictionnaires et l’aptitude ou application ; ces deux choses ne se donnent pas. La mort de Chauvet est inquiétante, et par conséquent bien affligeante. Convenez que de tels coups prouvent l’inconstance de la fortune, du bonheur de ce monde, et forcent à jeter les yeux dans l’autre vie et à se convaincre du besoin de bien employer celle-ci. Je n’ai pas eu de détails sur la mort de Jenny. Sophie, accablée de cette perte et plus encore de celle de sa mère, est comme en stupeur ; elle a été plus d’un mois sans écrire et ensuite, l’a fait de manière à ne rien nous apprendre, sinon que pour le moment, elle reste seule chez elle avec Rosalie et que ses cadettes sont en pension à Chambéry près de leur tuteur. Rosalie est désolée. Dites à Lesbros de prier pour cette famille désolée qui lui est si chère et de servir Dieu avec ferveur. Il ne reste que les fruits de la piété pour la seconde vie. Jouve vient d’être marraine d’une petite sœur [Constance]. Sa maman a quitté la ville pour habiter les Chartreux, ce qui a dû l’occuper 1

Copie conforme à l’original qui est entre les mains de Madame Dromard (Jules), à Besançon. Signé : L. de Jalleyrangs, chanoine, chancelier de l’archevêché, Besançon, ce 22 janvier 1902. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. En note : la lettre porte le timbre de Grenoble.



Lettre 15

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beaucoup. On lui avait fait le conte que vous étiez mariée et aviez fait le voyage de Lyon. C’est une méprise sur Lambert. J’ai eu des nouvelles de Lise qui me demande des vôtres. Elle est toujours ardente en amitié. Durand se voit peu. Les Fourrat ont dû vous voir ou passer près de chez vous ; elles sont à Montpellier, mais je n’ai pas de leurs lettres. Priez pour Madame Deshayes qui est toujours souffrante ; elle vous aime bien. Ce sentiment est partagé dans toute la maison et j’en tiens ma bonne part. J’embrasse Adèle et Lesbros. Mes respects à Madame Pinet. Votre amie Philippine [Au verso :] À Mademoiselle Mademoiselle Julie Pinet Chez Madame sa mère À Veynes Hautes-Alpes

LETTRE 15

L. 10 À MADAME JOUVE [1807]1

Je te vois impatiente de savoir quand se fera la première communion des enfants. Elle a été retardée pour toutes ; j’espère qu’elle se fera maintenant avant Noël, de la Toussaint à la Conception. Euphrosine s’y prépare un peu froidement2 ; je ne pense pas cependant qu’elle ne mérite pas d’être 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 22-23 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Le 21 octobre, elle écrivait à sa mère : « La première communion (…) tant désirée est fixée à la Toussaint ou deux ou trois jours après. J’aurai le bonheur de recevoir en même temps la confirmation. » Lettres d’Euphrosine Jouve à sa maman, C VII 2 Aloysia Jouve. Après sa première communion, elle dit à son père : « J’ai eu ce bonheur le 3e dimanche de novembre, jour de la dédicace des églises. (…) J’espère que vous voudrez bien me laisser ici jusqu’au prochain grand prix. Je sens bien quel plaisir vous auriez à me revoir et moi-même, j’en aurais un infini,

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

admise ; son caractère n’est pas la tendresse ni l’épanchement des âmes sensibles ; elle pourra servir Dieu avec générosité, mais il n’y aura guère de ferveur sensible. Elle porte encore cette roideur1 dans toute sa conduite ; elle lui donne l’air fier et dédaigneux, peu prévenant, point souple. En tout, elle a besoin que la religion agisse plus pour sa réforme ; elle n’est pas telle que tu puisses espérer beaucoup de ses services ; il lui faut plus de raison et connaître davantage les peines de la vie pour savoir y compatir. Ainsi malgré que tu paraisses la désirer, je crois une année lui être encore bien nécessaire. Si tu es trop chargée par la cherté de deux pensions (et des autres frais d’entretien), reviens à ce que je t’avais demandé dans le principe : de la mettre de côté. Tu n’auras que celle d’Amélie à payer pour la fin du temps où Euphrosine nous restera. Elle ne profite pas autant au dessin qu’elle le pourrait, par turbulence et défaut de patience ; pour tout le reste, elle réussit parfaitement. Amélie est très bien, à part un peu de ténacité lorsqu’il faut reconnaître un tort. J’ai vu Augustin Jordan ; il se chargera de nouvelles expressions de mon amitié. Il faut te quitter. Philippine

LETTRE 16 Vive Jésus !

L. 11 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 19 novembre 18072

Crois, ma bonne Sœur, qu’il m’est aussi pénible qu’à toi de t’écrire brièvement et de ne pas te satisfaire entièrement sur les détails qui

1 2

mais je sens aussi que j’ai besoin de m’affermir dans les bons principes que j’ai reçus. Ainsi, j’espère que, d’après ces considérations, vous voudrez me laisser ici jusqu’à l’époque que je vous ai marquée. » 27 novembre 1807, idem. Elle écrivit ceci dans ses notes de retraite : « Seigneur, je vous remercie de la grâce que vous m’avez faite, pendant cette retraite, de me faire connaître ma vocation [religieuse] ; accordez-moi, ô Jésus, celle d’y être fidèle. Oui, mon Dieu, je ne veux appartenir qu’à vous seul et m’attacher uniquement à vous. » Elle choisit saint Louis de Gonzague comme protecteur. Vie de la Mère Aloysia Jouve, RSCJ, C VII 2 Aloysia Jouve. Mot du vieux français qui signifie : manque de souplesse, fermeté qui ne se laisse pas fléchir. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 15-17 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 16



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concernent tes filles, mais excuse-moi à raison de mes occupations. Je suis en partie chargée de 38 enfants, du gros de la dépense de soixante personnes. Il y a des jours où j’aurais assez à faire de répondre à la porte et de surveiller et revoir la correspondance de nos élèves, et cependant il faut encore s’occuper du devoir de ma classe et de mes exercices de religion. Je voudrais qu’Euphrosine me suppléât, mais il lui est aussi impossible d’écrire longuement qu’à d’autres de savoir réduire leurs idées. Elle a une manière brève et précise de s’expliquer ; c’est du bon laconisme, mais il s’y trouve peu de sentimental, quoiqu’elle soit susceptible d’aimer fortement ; mais elle n’excellera pas dans la manière de l’exprimer. Elle n’a point été confirmée ; on ne l’a pas jugée suffisamment disposée du côté de la piété et de la douceur ; cependant, je trouve qu’elle a un peu gagné. Elle a au moins la foi et je la trouve plus disposée à tout ce qu’on lui demande, et comme elle est propre à tout, rien ne l’embarrasse. Pour la politesse, il n’en faut pas parler. Tu juges qu’un renvoi de la confirmation, après avoir même reçu l’absolution, l’a fort humiliée et qu’elle ne s’est pas empressée de te le dire. Elle a prétendu qu’en lui retirant ce secours, on lui ôtait tous les moyens de résister aux tentations. Elle avance beaucoup pour l’étude et apprend en ce moment un peu de latin et d’italien (mais pas plus que je n’en sais comme tu penses) ; cependant j’espère que seule, elle sera en état de me surpasser dans le peu que j’ai appris, pourra entendre ses prières en latin et lire de l’italien facile (le parler est autre chose). Loin que tout cela lui soit pénible, elle s’y porte avec ardeur, et généralement aime l’étude. Il ne faut lui souhaiter qu’une piété plus vive, de la modestie et de la douceur ; mais c’est l’essentiel. Amélie est devenue bien négligente dans le soin de ses petites affaires, mais elle s’annonce bien pour la piété et la bonté, de même que pour l’étude. Elle a composé et écrit un règlement de piété pour elle et ses petites compagnes, mais il fallait le deviner. Toutes deux se portent bien et j’aurai l’attention que tu demandes pour les engelures. L’une et l’autre auraient grand besoin d’une robe ; autorise-moi à les faire faire. Euphrosine est en état [de les coudre], dirigée par une de nos dames qui les coupe et fait très bien. Caroline et Henriette [Lebrument] se portent très bien. Elles annoncent beaucoup l’une et l’autre, mais maintenant ce sont deux petites déterminées ; elles profitent.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

L’événement dont tu me parles doit intéresser la religion elle-même. Il aura trouvé, dans ceux qui en supportent la rigueur, la résignation la plus parfaite et, je suis sûre, même une paix profonde. Je t’embrasse tendrement ainsi que tes filles et tes nièces, Philippine Mille choses à ton mari, je lui recommande ma commission.

LETTRE 17

L. 12 À MADAME JOUVE [1807]1

Ma bonne Sœur, La femme de chambre de Mme de Vaulserre, avant son entrée ici, va à Lyon pour voir son fils que son ancienne maîtresse tient à l’Argentière. Je profite de cette occasion pour t’envoyer quelques dessins de ta fille et sa première carte de géographie dont j’ai été assez contente2. Elle promet pour l’avenir ; dis-moi ce que tu en penses, ainsi que de son résumé sur l’Iliade. Je profiterai de la liberté que tu me donnes pour faire une robe à ta fille au moment où elle en aura besoin ; ce sera bientôt. Quant à la jupe tricotée, elle la fera très bien elle-même, elle est très adroite et très habile à l’ouvrage quand elle peut s’y fixer, mais tu connais sa vivacité. Tu te plains de la brièveté de mes lettres et je sens l’impossibilité de me réformer là-dessus, ayant bien peu de moments libres. Je puis te dire en une ligne que je suis toujours plus contente de la bonne part qui m’est échue, que mes compagnes le sont aussi. Je me porte bien et vois couler rapidement le temps. 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 11-12 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. « Je m’applique à mon dessin et le maître est content de moi. Je dois vous envoyer par la première occasion quelques-unes de mes têtes. J’espère qu’elles vous feront plaisir. J’ai commencé à apprendre le latin et l’italien. J’y trouve beaucoup de goût. Je vais y mettre toute mon application afin de pouvoir faire plaisir à mes bons parents et les dédommager des peines que je leur ai données. » Grenoble, 28 novembre 1807, Lettres d’Euphrosine Jouve à sa maman, C VII 2 Aloysia Jouve.

Lettre 18

LETTRE 18



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L. 13 À MADAME JOUVE Ce 2 décembre 1807 1

Ma chère Amie, Malgré mon exactitude et ma bonne volonté, je n’ai pu avoir Amélie [Jouve] que dimanche soir. Camille et Augustine [Jordan] ne voulurent pas la livrer et notre commissionnaire, très obéissante et peu accoutumée à la résistance, vint tout tranquillement me dire : je n’ai pu l’amener. Elle fut conduite le soir par Madame Teisseire2, et ayant entendu qu’elle serait à la classe de ses cousines qui est une basse classe ; cela, joint à ton souvenir dont l’amertume avait été retenue, elle pleura beaucoup en quittant ma cousine et mes cousins. Pour la consoler, on a cherché à quelle classe elle désirait être, et d’après son goût, on l’a mise à la seconde où elle est fort contente. Henriette [Lebrument] au moins et Amélie Teisseire l’y rejoindront bientôt. Nous aurons grande attention au régime et encore plus à disposer ta fille à sa première communion. Je suis étonnée de la conduite de Mme… Comment peut-elle dire qu’elle a retiré sa fille ? Elle nous l’aurait fort bien laissée ; on ne l’a gardée que pour lui faire faire sa première communion et la faire confirmer et nous l’avons renvoyée, ne pouvant garder plus longtemps la fille d’une personne dont nous avions appris l’histoire et dont nous ne pouvions décemment recevoir l’argent. Cette enfant nous a beaucoup coûté ; nous ne pouvons que prier pour elle, il y a trop d’obstacles pour son retour. Quand nous avons découvert le secret, nous nous sommes appliquées à le garder, tant pour les autres que pour nous. Tout à toi, j’embrasse tes enfants. Philippine

1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 17-18 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Mme Hyacinthe Teisseire, née Adélaïde (dite Marine) Perier (1779-1851). Sa fille Amélie est née en 1800.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 19

L. 14 À MADAME JOUVE, À GRÂNE PAR CREST Grenoble, ce 2 mai [1808]1

J’ai différé jusqu’à aujourd’hui, ma bonne amie, l’envoi de la lettre d’Amélie pour ne pas trop grossir la précédente que tu as dû recevoir d’Euphrosine par Madame Deshayes avec les bulletins. Ma seconde raison fut que le jour même, Euphrosine eut un mouvement de fièvre, et je voulais savoir ce que cela deviendrait, avant de te l’annoncer, car nous venions d’avoir des fièvres scarlatines. Heureusement, la maladie d’Amélie n’a duré qu’un jour ; elle a eu assez de courage pour apprendre et faire un rôle dans une petite pièce jouée, le jour de ma fête ; elle s’en est bien tirée ainsi que sa sœur qui est encore toute enrouée pour avoir trop chanté. Le prix qu’Euphrosine avait reçu et son 1er accessit du ruban de mérite l’avaient trop rehaussée et elle reprenait son humeur hautaine et impétueuse ; elle a reconnu cet affaiblissement et a repris le bon train depuis 15 jours. Voilà 3 ou 4 semaines qu’elle est toujours 1ère dans sa classe, mais elle travaille peu. J’apprends avec plaisir des nouvelles de la chère Augustine [de Mauduit]2 ; ma tante Gueymar est venue me voir hier3. Nous parlâmes peu des mécontentements, je n’aurais pu la persuader ; elle est un exemple bien frappant qu’on peut être bien malheureuse avec tous les avantages de la fortune ; et que notre bonheur est plus dans notre âme que dans nos jouissances extérieures. Elle porte partout une inquiétude qui fait souffrir tous ceux qui voudraient son bonheur. J’ai répondu à Mme de Mauduit au sujet de 75 F qu’elle ne me devait point ; quand elle voudra une quittance publique, elle m’enverra le modèle.

1 2

3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 19-20 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Augustine de Mauduit du Plessis (1787-1847) s’est mariée le 4 novembre 1808 avec son cousín Augustin Jordan (1773-1849), diplomate, qui fut successivement attaché à l’ambassade de France à Vienne (1802-1811), secrétaire général de la préfecture des Bouches-du-Rhône (18111814), premier secrétaire de Mgr Cortois de Pressigny, évêque de Saint-Malo et ambassadeur de France auprès du Saint-Siège à Rome puis directeur des affaires ecclésiastiques au ministère de l’Intérieur (1819-1822). Il est le fils de Marie-Élisabeth Jordan, née Perier. Mme Gueymar, née Hélène Perier (1745-1818), fille de Jacques Perier (1703-1782) et de Marie-Élisabeth Dupuy (1719-1798), s’est mariée avec Alexandre Gueymar de Salière, avocat au Parlement du Dauphiné, magistrat et vice-président de la Cour d’appel de Grenoble.



Lettre 20

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Je t’embrasse ainsi que ta fille et offre mes respects à mon père. Philippine Duchesne Madame Thérèse [Maillucheau] te dit mille choses. Tout à toi.

LETTRE 20

L. 15 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble, ce 10 août 18081

J’ai reçu, ma bonne Sœur, ta lettre remise par Madame Teisseire et contenant la quittance de M. Rusand. J’y aurais répondu plus tôt, mais il ne m’a pas été possible. Je croyais qu’Euphrosine t’avait marqué dans sa lettre que sa première communion était différée ; elle l’est pour toutes, sans que je sache présentement quand elle se fera ; je ne puis rien t’en dire. Quant à l’autre partie de ta lettre où tu blâmes notre sévérité à l’égard des sorties, si tu prends pied pour cela de ce que je t’ai dit de ma sœur à l’égard de sa fille, cela ne doit te faire aucune impression. La jeune Amélie est une enfant parfaite ; sa piété n’a rien de compassé ni de gêné ; et autant que toi, nous sommes ennemies de la dévotion qui empêcherait de remplir les devoirs envers ses parents. Était-ce la trop grande dévotion d’Augustine qui causait son désaccord avec sa mère ? C’est au contraire depuis qu’elle en a davantage que ma sœur est plus contente. Tu n’as pas à craindre une dévotion méthodique pour ton Euphrosine ; elle est trop vive pour pouvoir être compassée et elle a le cœur trop bon pour oublier jamais ce qu’elle te doit, ni à son père. Elle gagne peu pour la dévotion, au moins extérieure, car la foi y est ; c’est pourquoi dans la lettre à son père, tu as remarqué de la ferveur. C’est peut-être son impétuosité et son caractère peu porté à la tendresse qui fait que nous n’apercevons pas de ferveur sensible. C’est toujours aussi un caractère peu flexible, et dans les altercations, elle ne cède jamais. Cependant, en tout, elle est mieux et aime fort 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 20-22 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

à rendre service ; ce qui me fait grand plaisir, imaginant qu’elle fera son bonheur de te soulager, quand elle sera auprès de toi. Amélie est bien bonne, mais montre quelquefois un peu d’humeur ; le bulletin a dû te dire le reste. Je t’embrasse tendrement ; mille choses à ton mari. Philippine Duchesne

LETTRE 21

L. 16 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble, ce 26 décembre 18081

… Euphrosine gagne beaucoup pour le caractère et la piété, mais encore peu pour les manières polies et prévenantes ; elle ne sait encore en cela que consulter son inclination et non les égards et le devoir. Elle est toujours des premières à l’étude et fort adroite pour les ouvrages, quoiqu’elle travaille peu à raison de ses devoirs et de ses maîtres. Le dessin a été un peu négligé, ces féries, par l’absence du maître et à cause de sa retraite et préparation à sa première communion. Amélie sera aussi fort adroite, mais un peu moins disposée pour les études qu’Euphrosine. Je suis toujours plus occupée ; ce qui me force d’abréger et de t’assurer brièvement, mais avec toute la tendresse possible, que je te suis toute dévouée. Philippine

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 24-25 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 22

LETTRE 22



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L. 17 À MADAME JOUVE, À LYON [1809]1

Ma chère amie, Je joins avec plaisir quelques lignes dans la lettre de ta fille, non pour te faire l’éloge de ses dispositions, tu n’en doutes pas, mais de son cœur. Il commence à se former et à sentir tout ce qu’il te doit ; tu sais qu’il manquait de sensibilité, mais c’était plutôt, je l’espère, le défaut de réflexion si ordinaire à son âge, qu’une dureté impardonnable envers de bons parents. Elle parle plus souvent d’eux avec l’expression de la reconnaissance et elle dit un jour « qu’elle passerait volontiers sa vie dans un cachot, pourvu qu’elle fût avec toi » ; mais cette amitié plus sensible ne la dégoûte pas de ce séjour ; elle paraît s’y plaire. Il en est de même d’Amélie ; cette mélancolie est une pure imagination, l’effet d’une prévention contre nous qui sommes opposées aux méthodes du monde ; ou peut-être aussi l’effet qu’inspire sa figure tendre et gracieuse. Je l’ai questionnée et fait questionner par plusieurs personnes, maîtresses et compagnes, elle a toujours répondu qu’elle était fort contente ici et qu’elle ne voudrait pas s’en aller. Je ne m’étonnerais pas cependant qu’elle eût eu la larme à l’œil en pensant à ses parents, étant très sensible. Un jour, elle vint toute en larmes me dire : « Ma tante, je désire depuis longtemps vous demander une communion pour ma sœur, car elle est bien malheureuse. » Elle n’est pas vive comme Euphrosine et [elles] s’accordent peu. Cette dernière désire toujours le dessin, mais ne l’a pas encore commencé ; j’attends la fin du mois des autres élèves. Le maître est très bon, il l’est du Lycée et de trois des meilleures pensions. C’est l’espoir que la nôtre augmentera qui le porte à nous faire des conditions favorables. Adieu bien tendrement, Philippine

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 25-26 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 23

L. 18 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 6 février [1809]1

J’ai vu avec grand peine le changement de tes projets par rapport à Euphrosine ; je désirais qu’elle passât ici jusqu’au mois de septembre, ce qui ferait à peu près l’année que tu voulais lui donner après sa première communion ; elle en a bien profité. Je crains que ces fruits de vertu ne mûrissent jamais, si elle se trouve tout de suite dans une vie plus agitée qui peut flatter sa vanité, et où elle perdra l’usage des choses qui contribuent en ce moment à réformer son humeur et à consolider sa piété. Si c’est la pension qui te rebute, tu la laisseras pour elle, ainsi que je te l’ai déjà offert. On t’a mal instruite en te disant que tu ne verrais tes filles qu’au salon ; tu aurais pu descendre chez nous, quoique les usages des entrées ne soient que pour les retraites et causes de maladie. Et lors même que tu aurais été chez ma tante, nous aurions arrangé les choses de manière à ce que tu eusses pu les voir à ta satisfaction. Que cette raison ne te rebute donc pas, je t’en prie, si tu persévères à nous faire espérer une visite. Tes filles se portent très bien. Je t’embrasse et t’écris à la hâte, sans avoir pu le faire plus tôt. Philippine

LETTRE 24

L. 19 À MADAME JOUVE, À LYON 28 mai 18092

Ma chère Maman, J’éprouve un grand contentement de voir la fin du mois arrivée, car c’est ordinairement à cette époque que j’ai le plaisir de venir m’en1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 31-32 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Philippine écrit cette courte lettre à la suite de celle d’Euphrosine. Lettre 8, Lettres d’Euphrosine Jouve à sa maman, C VII 2 Aloysia Jouve.



Lettre 24

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tretenir avec vous. Et mon cœur trouve tant de douceur dans cette jouissance qu’il me semble un instant être auprès de maman et de mon papa, entourée de mes frères et de ma sœur, les entendre et leur parler ; aussi voudrais-je que ces délicieux moments revinssent sans cesse. Je désirerais aussi avec ardeur que vous répondiez plus souvent, car vous n’ignorez pas combien vos lettres me sont chères et que ce doit être la seule consolation, séparée de même que de sa bonne maman. Ne m’oubliez pas, je vous en prie, auprès de mon bon-papa et de ma Tatau [Mme de Mauduit]. Faites-leur part du tendre respect que j’ai conservé pour eux et du désir que j’ai de les voir et de les embrasser. Pour Amélie [de Mauduit], je vous prie de lui dire de ma part que je pense toujours à elle et qu’elle m’est toujours chère par le Seigneur. J’espère qu’elle m’écrira aussitôt qu’elle pourra le faire. Toutes ces demoiselles, principalement ses compagnes de classe, désirent la voir et se rappellent à son souvenir. J’embrasse Hippolyte, Alexandre et Constance1. Mon amitié pour eux ainsi que pour mes autres frères n’est pas susceptible de changement parce qu’elle ne saurait ni être plus forte, ni diminuée. Amélie et moi, nous nous portons bien. J’ai l’honneur d’être, ma chère maman, dans les sentiments de la plus respectueuse tendresse. Votre très humble et très obéissante fille, Euphrosine Jouve [Philippine écrit à la suite de la lettre d’Euphrosine] : Je crains, ma bonne amie, que le bulletin de tes filles ne t’inquiète sur la santé d’Euphrosine. Elle est parfaite à présent. Je t’aurais prévenue plus tôt de son indisposition si je n’avais cru devoir l’examiner avant de te donner des appréhensions douloureuses. Quelques bains et quelques boissons calmantes ont suffi pour remettre cette chère Euphrosine ; elle a été mieux pour le caractère ce mois-ci ; ses études vont bien. L’ouvrage avance peu, mais là, juge bien que je ne la presse plus. Il ne faut rien qui la fatigue trop et qui pourrait causer une nouvelle irritation dans ses nerfs. Le départ d’une de ses compagnes qui avaient le ruban de 1

Hippolyte (1802-1877), Alexandre (1805-*) et Constance (1807-1852), frères et sœur d’Euphrosine Jouve.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

mérite le lui a procuré, en ayant eu le deuxième accessit à la dernière distribution. C’est un honneur fort recherché dans le pensionnat, mais qu’on ne lui envie point. Amélie est toujours très bonne, mais très peu rangée. C’est par Mme de Mauduit, dont j’ai reçu hier un billet, que j’apprends que tu retournes dans tes foyers et que ta famille est charmante. Ne te fâche pas si tes filles n’ont pas écrit à leur père dans ton absence ; c’est un peu ma faute et encore plus celle de la faute de Jouve l’aînée. Voici l’office ; je te quitte en t’embrassant. Philippine

LETTRE 25

L. 20 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble, ce 15 août 18091

J’ai reçu ta lettre, ma chère amie, et attendu le départ d’Adélaïde et une bonne occasion pour te répondre. Tu juges du plaisir de revoir ma sœur après plus de deux ans d’absence et j’ai joui de celui qu’elle avait en embrassant à son aise des enfants si chers. Elle arriva le vendredi soir, et coucha ici avec ses deux petites filles [Caroline et Henriette] ; elle a été le mardi et le mercredi à Vizille, et est repartie le jeudi après dîner. Les nouvelles qu’elle me donna d’Augustine [Jordan] étaient en même temps contrariantes et consolantes. L’essentiel est qu’elle aille bien et qu’elle se soit tirée, ainsi que son enfant, de ce moment périlleux. Je te prie de la féliciter de ma part ainsi que son mari, en leur faisant mes tendres compliments. Camille [Jordan] a eu l’attention de venir me voir hier et de me donner de vos nouvelles. Cette visite m’a été bien agréable ; il m’a confirmé ce qu’on m’a souvent dit du zèle, de la piété et des talents de son frère Noël2 et du mérite si saillant de M. Rozan ; profite bien de cet excellent 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 27-28 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Antoine-Noël Jordan (1778-1843) est prêtre.



Lettre 26

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voisinage. Je désire qu’Euphrosine sache l’apprécier et se soutenir dans le monde ; la solidité de son fond me le fait espérer, mais elle gagne peu pour la prévenance, la bonté et la politesse. J’espère que nous trouverons facilement des occasions pour la fin de septembre. Tu auras su tous les détails du séjour du Pape ici, de son voyage à Nice et de l’accueil extraordinaire qu’on lui a fait, surtout dans cette dernière ville. Cette visite involontaire du Pape a partout fait l’effet d’une mission ; il y a plus de confessions et de foi, partout où on l’a vu. Dieu a tiré le bien du mal. La longue expérience que nous avons de ses bontés nous fait espérer qu’il arrêtera les effets de sa jus­tice et qu’il ne nous punira pas jusqu’à la fin. En te remerciant de ton zèle prévoyant pour nous, nous restons tranquilles : vivant au jour le jour, nous sommes les enfants de la Providence. Il a fait croître cette maison sans moyens apparents ; s’il la détruit, il est le maître ; nous vivons en sécurité. Tes filles te donneront dans la semaine de leurs nouvelles. Je t’embrasse tendrement ; mille choses à ton mari. Philippine

LETTRE 26 Vive Jésus

L. 1 À MÈRE A. MICHEL1 Grenoble, ce 17 Août 18092

Combien j’ai été flattée, ma chère Sœur, d’être prévenue par une de vos lettres ; si j’avais suivi la pente de mon inclination, j’eusse été la première à vous témoigner ce que je ressens d’estime et de sentiments affectueux pour vous. Les liens qui nous unissent ont tant de charme qu’ils font des rapprochements et il me semble souvent que cette chère maison de Gand soit fondue dans la nôtre et que tout nous est commun. Il nous eût été bien doux de rendre réel ce transport de 1 2

Adrienne Michel, RSCJ, née le 24 juillet 1789, prit l’habit le 26 juillet 1806 et prononça ses vœux le 8 septembre 1809, à Grenoble. Elle est décédée le 7 septembre 1858. Original autographe, C-I-A, 1, G-Box-17, Vol. 102, p. 1.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

votre maison dans la nôtre, pendant le séjour de notre Saint-Père ici. Il n’a été que de douze jours ; mais quand nous calculons que nous avons été dans le lieu le plus avancé de la France où on l’ait fait arrêter, nous ne pouvons assez bénir Dieu d’une faveur si privilégiée. Il est venu une autre fois en France1, mais les circonstances actuelles rendent plus précieuses encore les bénédictions qu’il répand sur ses enfants. Notre Mère [Deshayes] et nos élèves ont été jusque dans son appartement et ont reçu toutes ses faveurs avec l’expression de la plus touchante bonté et il témoigna même que cette réunion de jeunes enfants lui était un agréable spectacle. Dieu avait tellement disposé pour nous le cœur du colonel qui le conduit, qu’il fut le plus empressé à faire entrer notre jeunesse et à écarter toutes les personnes qui cherchaient à s’y mêler pour y entrer avec elles. Vous n’avez point été oubliée dans cette précieuse circonstance et notre Mère vous comprit toutes, dans la bénédiction qu’elle reçut. Nous l’avons eue en sa personne, mais tous les soirs nous pouvions l’avoir encore de loin, car notre maison dominant le lieu de sa promenade, on l’apercevait sans peine et on le voyait en parcourir le contour pour bénir un peuple immense qu’attirait le désir de le voir et qui ne pouvait arriver jusqu’à lui, les portes de son jardin étant fermées. On a admiré en lui la constance et la plus extrême douceur. Il n’a avec lui qu’un prélat, son neveu et camérier [Doria], un aumônier, un chirurgien et quelques domestiques. Un cardinal amené avec lui a été placé séparément, et au moment du départ, on lui a fait prendre une route différente. Le pape doit être aux environs de Nice, à huit heures, et le cardinal [Bartolomeo Pacca] dans une forteresse du Piémont, Fenestrelle2. Nous avons eu l’avantage de travailler à un rochet du Saint-Père et de prêter quelque chose pour sa chapelle, qui nous est revenu. Je désirerais, ma chère Sœur, ne pas finir un entretien qui me plaît infiniment, mais nos occupations sont très multiples et aujourd’hui, pour profiter des faveurs célestes et de la bonne volonté d’un saint prêtre sulpicien, on commence une retraite pour toute la maison. Je m’y souviendrai plus particulièrement de vous.

1 2

Pour le couronnement de l’empereur Napoléon Bonaparte, à Paris, le 2 décembre 1804. Le cardinal Pacca, pro-secrétaire d’État de Pie VII, fut emprisonné dans cette forteresse, de juillet 1809 à janvier 1813.



Lettre 27

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Je suis avec les sentiments les plus tendres et constants, dans le divin Cœur de Jésus, votre humble servante. Philippine Duchesne Mes respects, je vous prie, à la respectable Mère de Peñaranda. [Au verso :] À Madame Madame Michel Maison de l’Instruction chrétienne À Gand

LETTRE 27

L. 21 À MADAME JOUVE [1809]1

Ma chère sœur, Je sais bon gré à ton mari de m’avoir donné des nouvelles de ta délivrance2 et en même temps de celle des parrains et marraines. Je croyais Augustine [Jordan] à Grâne. Euphrosine ne pourra être aux prix, renvoyés à six semaines. Je ne connais encore aucune occasion. J’espère qu’elle contribuera à ton bonheur, te soulagera dans tes travaux et payera ainsi les soins que nous avons pris d’elle et qui lui ont toujours été prodigués avec l’empressement le plus tendre. Amélie souffrira de son éloignement. Quoique son caractère soit plus doux que celui de son aînée, je doute qu’elle te soit plus utile, étant molle et peu généreuse à se surmonter. J’espère que sa première communion, quand elle la fera, lui donnera de l’énergie, et surtout la confirmation : il faut de la force pour vivre dans le monde, s’y soutenir dans le bien, surtout au temps où nous sommes, où l’on perd par l’ap1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 32-33 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il s’agit de la naissance de Camille Jouve (1809-1897). Euphrosine est revenue chez ses parents le 15 novembre 1809.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

pât des plaisirs et des jouissances du cœur et de l’esprit. Le vice a su se déguiser ; il serait plus aisé de l’éviter, s’il se montrait dans sa laideur. Je félicite Euphrosine d’être destinée à une vie laborieuse et retirée. Je t’embrasse tendrement. Mille choses à Augustine [Jordan] et à vos maris, Ph. Duchesne

LETTRE 28

L. 22 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 10 janvier 18101

J’ai reçu ta lettre, ma bien bonne amie, contenant les vœux de bonne année. J’aurais voulu les prévenir par les miens, mais la position où je suis, me met souvent dans le cas de laisser mes propres jouissances pour remplir des devoirs et des usages moins agréables, mais dans un ordre qui doit être préféré, puisqu’il touche à un intérêt commun. Je me repose d’ailleurs avec confiance sur ton cœur, bien sûre qu’il accueillera toujours les expressions du mien, l’amitié entre nous étant sans méfiance comme sans réserve. Trop impuissante pour te donner ce que je te souhaite, je le demande à Dieu et le sollicite pour tes enfants bien particulièrement, afin que la semence que nous jetons dans leurs cœurs fructifie en son temps et te prépare des consolations, justes récompenses des soins pénibles que tu leur as donnés et que tu leur donnes encore. Euphrosine a un caractère trop fort pour varier dans ses principes : elle aura peu le talent de plaire, mais il est si dangereux que je ne le lui envie pas. Si elle est fidèle à ses devoirs, c’est l’essentiel : avec moins d’agréments de sa part, tu auras plus de tranquillité. II faudra te contenter de ce dont Dieu se contente ; il n’a pas fait tous les justes aimables, cependant il les chérit et ne les change pas. Je te préviens là-dessus, craignant que tu comptes beaucoup sur les petits soins et les prévenances de ta fille. Elle n’en est pas susceptible, il faudra le lui suggérer 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 30-31 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 29



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tout doucement et ne pas mêler dans ton attente les douceurs de la vie aux espérances de l’éternité. Quand on a l’essentiel, il faut être content ; les enfants sont mis en ce monde seulement pour passer à l’autre. J’aime encore mieux Euphrosine roide et décidée, qu’Amélie trop molle et trop paresseuse ; elle ne met pas à profit ses dispositions, craignant toute violence. Euphrosine serait propre aux grandes choses ; Amélie ne fera que l’agrément de sa maison, avec des ombres, car elle a quelquefois de l’humeur. … Philippine

LETTRE 29

L. 23 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 2 décembre 18101

… J’ai reçu un éloge d’Euphrosine qui m’a été au cœur. Il est du missionnaire qui est allé à Nantua ; il a parlé très avantageusement d’elle à M. Lebrument. Si c’est son confesseur, je serai moins flattée, car la tendresse paternelle a son regard de faiblesse, et un père comme celui-là ne peut parler que du bien. J’ai plus de plaisir d’apprendre par toi que tu es contente, et que tu fais d’un succès égal l’objet de ton espérance pour notre Henry2. Je prierai Dieu qu’il bénisse ton choix, tes désirs et ton zèle pour le bien de tes enfants. J’em­brasse tes trois filles et me rappelle au souvenir de ton mari. Je t’embrasse tendrement. Philippine 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 34 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Henry Jouve, SJ, né le 11 février 1801 à Lyon, est entré au noviciat jésuite en mai 1821, après la mort de sa sœur Euphrosine (Aloysia). Il fit des études de théologie à Rome, fut ordonné prêtre le 24 février 1831. Il exerça ensuite divers ministères, changeant souvent de maison : Chambéry, Lyon, Vals près du Puy, Dôle, Avignon, Grenoble, Toulouse, Lyon, Saint-Etienne, Avignon, Marseille, Castres, restant rarement plus d’une année dans la même ville. Il est décédé à Lyon, le 25 août 1878. Il était le filleul de Philippine.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 30

L. 24 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 1er janvier [1811]1

Je n’ai pas eu de nouvelles de ton arrivée à Lyon, ma bonne amie, mais j’aime à me flatter que ton voyage a été heureux et que ton enfant surtout n’a rien souffert des fatigues de ton voyage. Tu es bien bonne de former des vœux pour moi ; un de ceux qui m’agréera le plus est que Dieu me rende utile à mes bons parents et que ta fille réponde au désir que j’ai de la voir digne de toi et le soutien de la vie laborieuse que tu es destinée à mener encore longtemps. On ne peut rien ajouter à son intelligence ; il reste que Dieu lui accorde cette bonté et souplesse qui font le bonheur de notre vie et de la société où nous nous trouvons. J’ai eu une lettre de Paris qui paraît avoir été laissée à Lyon par M. de Mauduit. J’attends avec impatience des nouvelles de son arrivée à Grâne, et plus encore celles de la manière dont il reprendra ses occupations champêtres. Cette maison qui renferme tant d’objets chers, m’est toujours présente lorsque j’y sais mes amis dans la peine, sans prévoir d’adoucissements. Adieu, bien tendrement. Philippine

LETTRE 31

L. 25 À MADAME JOUVE, À LYON Ce 24 [1811]2

Ta lettre m’a bien affligée, ma chère amie, et toutes celles qui connaissaient la chère Euphrosine, particulièrement Madame Deshayes. Elle a fait de suite commencer une neuvaine où toute la maison prie pour notre intéressante malade. J’espère beaucoup sa guérison : elle sera plus 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 38 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 59-60 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 32



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fervente encore après la maladie. Et toi, tu la devras deux fois au distributeur de tous dons : il te fait sentir en ce moment qu’il n’a fait que te prêter tes enfants et qu’ils sont à lui. Je lui demande de te fortifier dans ces moments pénibles, je les comprends d’autant plus que je partage entièrement toutes tes douleurs. Tout à toi, Philippine

LETTRE 32

L. 26 À MADAME JOUVE Grenoble, ce 22 mai [1811]1

J’attendais la lettre de ta fille, ma bonne amie, pour y joindre la mienne, mais elle l’a fait partir, sans m’en rien dire, ce qui a retardé ma réponse ; ce que j’aurais trouvé désagréable s’il eût fallu l’envoyer par la poste. Joseph Abranchand, qui s’en chargera, ne m’a pas entièrement tranquillisée sur le compte de la chère Euphrosine. Combien je partage tes inquiétudes et voudrais soulager tes peines ! Je le fais au moins devant Dieu, avec toute l’ardeur que peut donner l’intérêt le plus fort et le plus tendre. Madame Thérèse [Maillucheau] le partage et me demande des nouvelles de ta fille avec instance. Je sais que Madame Barat l’a vue, mais d’après ce que m’a dit mon cousin, elle n’est pas en état encore de sentir autre chose que ses souffrances. Au moment de te voir enlever ta fille, n’as-tu pas eu l’idée de l’offrir à Dieu, dès ce monde, puisqu’il est si peu au pouvoir des hommes de te la rendre ? Euphrosine ne m’a jamais rien dit de ses secrets, mais j’ai sujet de soupçonner qu’elle a quelque idée de retraite [de vie religieuse]. Il lui échappa un jour de dire : « L’on a parlé de la chasteté ; c’est la vertu que j’aime par-dessus les autres. » Sans rien témoigner, tu peux voir si j’ai raison d’avoir ces idées, et sonder ton courage à cet égard. Qui sait si un combat intérieur n’est pas entré dans la cause de la maladie ? Amélie est bien sans être fervente. Je suis aussi empressée que toi de la voir au terme de ses désirs ; cependant ce terme sera encore reculé de 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 45-46 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

quelques jours par les vives instances de M. de la Vallette qui a auprès de sa fille mourante à Avignon, son gendre, M. de Vidaud, qui veut être à la première communion de sa fille, et qui ne peut quitter [sa femme] de quelques jours. Témoigne à Camille [Jordan] combien j’ai partagé ses chagrins et maintenant la joie qu’il éprouve du rétablissement de ma cousine et de sa mère. Je pense que tu as déjà remercié pour moi Mme Jordan pour les soins qu’elle a donnés à notre [nom absent] qui est parfaitement bien. Amélie n’a ni coqueluche ni mal de gorge. Sa jambe va mieux, mais il faut encore qu’elle marche peu ; toutes ses humeurs se portaient là. Je te quitte très pressée. Mille choses à ton mari et à Euphrosine. Philippine

LETTRE 33

L. 2 À MÈRE A. MICHEL Pour Madame Adrienne Vive Jésus, ce 2 janvier 18121

Ma bien chère amie en Jésus-Christ, Le froid qui est au bout de mes doigts m’empêche de bien vous écrire, mais non pas de sentir que vous êtes bien aimable de m’avoir donné de vos nouvelles et de celles de ma bien chère Thérèse. Comme je n’avais pas parlé de vos lettres, communiquant librement avec mon amie, je ne savais comment vous répondre et n’aurais pu le faire sans une autorisation. Ma toute bonne maman se charge de vous faire parvenir ce petit mot de remerciement de votre cher souvenir et de souhaits pour la nouvelle année. Vous y pressentez des croix ; mais dans nos jugements, plus la moisson en sera abondante, plus nous serons favorisées. J’ai passé par l’épreuve que vous appréhendez ; j’en ai goûté toute l’amertume et Dieu veuille que je n’en aie pas perdu la récompense ! Vous serez plus généreuse si vous vous y trouvez, quoique 1

Lettre recopiée par Adrienne Michel, C-I-A, 1, G-Box-17, Vol. 102, p. 10.



Lettre 34

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je ne sache pas ce qu’il en sera. Quelle que soit la volonté de Dieu, taisons-nous sur elle et attendons en silence ce qu’il prépare. Si vous me faites encore la grâce de m’écrire, n’insistez point sur votre bien juste affection. Me croyant engagée à montrer ma lettre, il ne serait pas à propos que notre commerce parût lié par l’amante de Jésus, mais par Jésus lui seul. Cela sera plus pur et donnera une plus juste opinion de l’effet de son zèle sur votre âme. Elle répète si souvent et avec tant de goût Jésus seul, ô beau Ciel ! C’est là où nous espérons lier une amitié qui n’éprouvera aucun revers… Je suis, dans le Sacré Cœur, votre indigne sœur. Philippine

LETTRE 34

L. 3 À MÈRE A. MICHEL Pour Madame Adrienne1

Ce 30 [juillet 1812]

Ma chère sœur, Ayant servi de secrétaire à votre tendre Mère [Barat], je ne puis voir une page blanche à la suite de sa lettre et ne pas céder à la tentation de vous y témoignez ma constante union dans le cœur de notre Époux. Il ne nous défend pas un centre qui nous le rappelle ; ainsi nous pouvons bien aussi nous voir et aimer dans les cœurs si unis au sien de ces deux amantes Magdeleine et Thérèse. Je n’ai pas ajouté d’autre titre : le plus auguste, le plus noble étant celui d’épouses, aimées et amantes du Roi tout-puissant. La fête de la tendre Mère s’est passée sans appareil ; on a renvoyé la fête joyeuse à sainte Sophie, se réservant pour celle-ci les larmes de la piété, et on avait sujet d’en répandre. J’ai eu hier des nouvelles de ma Mère Thérèse [Maillucheau], je lui ai répondu aujourd’hui. Elle console sa Mère autant que je l’afflige : ne m’imitez pas, mais c’est conseil inutile. 1

Lettre recopiée par Adrienne Michel avec cette remarque : « Ces lettres [3 et 4] de Mère Duchesne sont aimables et intéressantes. » C-I-A, 1, G-Box-17, Vol. 102, p. 17.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Espérance a écrit pour la sainte Magdeleine, il y avait un souvenir pour moi ; j’y ai été moins sensible qu’aux sentiments de piété qu’elle témoigne et sur lesquels j’avais eu des inquiétudes, d’après votre dernière lettre. Rappelez-moi, je vous prie, à des Sœurs trop bonnes pour oublier la plus nécessiteuse de leurs amies. Victoire et Florence sont des noms que j’aime à retrouver dans la bouche de leur Mère ; son séjour ici me transporte à Gand et j’aime bien en parler. Il faut bien quelques perspectives agréables parmi tant d’autres qui affligent ; il faut vouloir les unes et ne se pas s’attacher aux autres. Ma Mère est moins bien portante qu’à son arrivée [le 24 mai]. Elle dort peu et ses yeux sont très fatigués, ce qui l’a obligée à se servir d’une secrétaire et ce qui diminuera leur jouissance. N’oubliez pas, ma chère et bien-aimée Sœur, la plus faible des vôtres. Philippine Si j’osais vous prier de présenter mes respects à votre respectable Mère [de Peñaranda].

LETTRE 35

L. À MADAME RUELLE Grenoble, ce 6 décembre 18121

Madame et bien chère amie, J’aurais bien préféré le plaisir de vous voir à celui de vous écrire, mais dès que la divine Providence a contrarié vos projets et ma jouissance, je suis bien aise qu’il me reste celle de correspondre par lettre avec une de nos meilleures amies, que nous voulons bien nous conserver. J’ai fait les vœux les plus ardents pour que la volonté de Dieu s’accomplisse en vous, et que vous fussiez heureuse. Il paraît par votre contentement et par les bonnes dispositions où vous êtes que j’ai été exaucée ; et je le penserai toujours, lors même qu’il vous surviendrait des peines, car quelle condi1

Copie conforme à l’original qui est entre les mains de Madame Dromard (Jules), à Besançon. Signé : L. de Jalleyrangs, chanoine, chancelier de l’archevêché, Besançon, ce 22 janvier 1902. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 35



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tion n’en renferme pas ? Et la vie se passe-t-elle sans avoir à souffrir ? C’est une nécessité de combattre ici pour régner ailleurs, d’endurer pour être de la troupe d’un chef qui n’est entré dans la gloire que par la Croix. Les vôtres vous deviendront légères avec ces pensées ; ou du moins, loin de vous étonner, elles vous donneront la confiance que Dieu en vous donnant part au calice de son Fils vous donnera part à son royaume. Vous m’avez demandé des avis et vous voyez que c’est par où je commence : c’est que je me persuade qu’une jeune dame, à qui tout a ri à l’époque de sa noce, croit que cela durera longtemps. Elle ne voit encore ni la peine d’avoir et d’élever des enfants, ni les embarras de la fortune, et je voudrais que vous ne fussiez étonnée de rien, mais disposée à voir le bonheur et les travaux dans l’ordre de Dieu, sans jamais varier à son service, sans négliger des prières réglées, l’approche fréquente des sacrements, la fuite des dissipations trop grandes. Vous avez dans la société de Mmes Gautier et Callandre de quoi satisfaire l’amitié. Je vous prie de leur témoigner la mienne et de leur dire que nous ne les oublions pas. Nous avons toujours Madame Barat qui vous fait ses compliments, ainsi que Madame Deshayes. J’ai eu des nouvelles de Mesdames Debrosse, Piongaud et Émilie [Giraud] ; cette dernière a été malade et est rétablie. Je suis sans nouvelles de Walter. Jouve et Mauduit vont bien pour la santé et la conduite. Desplagnes va revenir sur la demande qu’elle a faite à son tuteur. Nous attendons aussi Henriette et une autre nièce de Madame Barat. J’ai toujours la même classe, mais n’oublie point celles [des élèves] que j’ai vues plus anciennement. Je vous prie de les en assurer et de me croire, votre toute dévouée amie. Philippine Mes respects à votre chère maman. Mes compliments à Mlle Espié. [Au verso :] À Madame Madame Ruelle À Gap Département des Hautes-Alpes

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 36

L. 4 À MÈRE A. MICHEL Madame Adrienne1

[Fin 1812]

Ma bien chère Sœur, Ma digne Mère m’a dit que vous désiriez que je vous parlasse du moyen que j’emploie pour être logicienne et rhétoricienne. Je ne suis ni l’un ni l’autre, ces noms-là me font peur : je n’ai d’autre rhétorique que celle du cœur, ni d’autre logique que la raison que Dieu m’a donnée et dont je fais un très mauvais usage. Les préceptes me réussissent mal, je ne les retiens pas et je crois que pour les autres, je n’ai d’autres avis à donner que de lire les très bons auteurs, de fréquenter les personnes qui parlent juste et agréablement. Sans ce secours, les règles servent peu ; et sans règle, avec ce secours, on peut se bien former. C’est comme une langue que l’on apprend mieux par l’usage que dans les livres. J’ai vu des personnes qui ont fait un cours de rhétorique et qui ont un style tiré à quatre chevaux, tandis que d’autres (en particulier Mère Thérèse) sont souvent éloquentes, sans art et sans règle. C’est que le cœur leur fournit ce qu’il faut pour persuader, et la droite raison ce qu’il faut pour convaincre. Je ne sais que cela et suis même incapable de savoir autre chose. Les méthodes ne sont pas dans mon genre, je vous en fais l’aveu. La classe sonne pour me mortifier… Je me retire sans signature2.

1

2

Lettre recopiée par Adrienne Michel avec ce commentaire : « Je demandais de l’Arithmétique, peut-être un Abrégé de Rhétorique et de Logique, la Mère Duchesne me répond négativement. Aujourd’hui, les études des jeunes Dames n’ont rien à désirer sur cet article. » C-I-A, 1, G-Box-17, Vol. 102, p. 17. La lettre n’est pas datée, mais se situe entre le 30 Juillet 1812 et février 1813 (troisième et cinquième lettre). Mère Barat ajoute au bas de la lettre : « Un mot, ma fille. Mme Philippine vient de faire l’Histoire de France, une Géographie, c’est son genre, mais son antipode en sciences est précisément ce que vous lui demandez. Si nous avions des copistes, on pourrait vous faire passer cependant quelques cahiers ; la Mère de Charbonnel en a sur cet objet, faites-lui votre demande. Votre essai poétique est flatteur pour nos Mères ! »



Lettre 37

LETTRE 37

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L. 5 À MÈRE A. MICHEL Pour Mme Adrienne1

Vive Jésus

Ce 9 février [1813]

Ma bien chère Sœur, Une occasion se présente. Je n’avais pas besoin de cette circonstance pour me rappeler qu’il y avait bien longtemps que je ne vous avais écrit. Cependant les liens de notre union subsistent toujours : mêmes opinions, même prétention, même état, Mère commune, amie que nous partageons sans la diviser. Il n’en faut pas tant pour former dans le monde des rapports qu’on appelle solides. Comment donc appellerons-nous les nôtres ? Il faudra qu’ils soient éternels et saints. Ils seront saints pour mériter d’être éternels, et saints encore à cause du centre d’où ils partent, qui est le très sanctifiant et très saint Cœur de Jésus. J’espère avoir d’intéressants détails sur une de ses amantes que vous connaissez et que vous aimez. Sa nièce, qui a su combien je partageais vos sentiments et qui est retournée dans son pays, m’écrit pour la 1ère fois et me dit tout aussitôt qu’elle apprend sur les lieux bien des choses édifiantes et remarquables sur sa tante et qu’elle m’en fera part, s’occupant à les écrire. Quand j’aurai le précieux recueil, je vous en ferai part avec promesse que, si vous avez des détails intéressants sur semblables objets, j’aurai aussi part à vos remarques. Jamais je n’ai eu plus besoin d’être aidée par ces secours de l’exemple. Madame Sophie [Barat] est un peu enrhumée en ce moment. Elle a attiré auprès d’elle sa chère Madame Bigeu qui était autrefois dans l’intimité de Madame Thérèse, mais depuis son voyage dans le Nord, elle est beaucoup moins communicative, fort unie à Jésus dans l’obscurité d’un silence où elle s’enfonce avec plaisir. Le départ de Madame Bigeu la forcera, selon les apparences, à reparaître un peu, la maison ayant besoin de secours. 1

C-I-A, 1, G-Box-17, Vol. 102, p. 18, Lettre recopiée par Adrienne Michel avec ce commentaire : « Mère Duchesne m’annonçait par cette lettre le retour de Mère Thérèse à Grenoble. La Mère Bigeu avait gouverné quelque temps cette maison, après le départ de la Mère Deshayes. La Mère Thérèse remplaça cette digne Mère si précieuse à la Société naissante, et si nécessaire alors à notre digne Mère qui soutenait seule le poids de toutes les maisons. »

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Je recommande à votre piété et à votre zèle divers établissements qu’on propose et qui ont besoin d’obtenir du Ciel leur sanction. Quel bonheur pour nous de voir se propager les retraites où notre Dieu retrouve des cœurs qui le servent ! Donnez-moi, je vous prie, des nouvelles de Mlle… Je suis avec les sentiments de la plus tendre affection, votre sœur indigne. Philippine

LETTRE 38

L. 27 À MADAME JOUVE, À LYON [1813]1

Ma chère Amie, J’ai su par différentes personnes qui t’ont vue, que tu étais maigrie et paraissais enceinte ; je ne doute pas que cet état ne soit pour toi une nouvelle croix, car autant on aime les enfants que la Providence nous a envoyés, autant on craint pour ceux à venir, par l’appréhension juste et naturelle des souffrances et des embarras que donne une grosse famille. J’ai partagé sincèrement tes peines et voudrais les alléger en toutes manières, et voici quelle a été une de mes pensées : c’est de mettre mes affaires de manière à augmenter un peu mon revenu qui, dès le printemps, ferait face à la pension de Constance, si tu veux nous la donner, ou à celle d’Amélie, si tu trouves Constance trop jeune pour l’éloigner de toi. Tu sais avec quel empressement mes supérieures et moi te faisons cette offre ; nous avons pensé qu’une mère qui nourrit et gouverne un gros ménage doit trouver peu de temps pour des leçons si multipliées et toutes différentes pour les âges et les sexes. Nous sommes fâchées seulement que tes petits garçons ne puissent aussi devenir notre famille. Philippine 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 39-40 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 39

LETTRE 39



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L. 28 À MADAME JOUVE Grenoble, le 25 mai [1813]1

J’ai reçu hier une lettre et un paquet de Madame [Adélaïde] Lebrument ; mais comme il y a peu de temps qu’elle a eu de mes lettres, je préfère te consacrer mes courts moments. Il faut bien que mon cœur te témoigne sa peine sur toutes celles que tu éprouves. J’espère que Dieu qui te refuse le repos dans cette vie, te l’assure toujours davantage pour l’autre. Mme Lebrument m’a consolée en m’apprenant que tes enfants sont bons et moins pénibles. Je souhaite que celui que tu portes, qui peut-être sera le dernier, soit dans ta famille le Joseph ou le saint Bernard. Dieu bénit les familles nombreuses et quand il y fait éclater ses merveilles, c’est ordinairement par les cadets, parce que sa manière d’agir renverse la nôtre, il choisit le faible et le petit pour confondre le fort. Si tu portes un saint en ce moment, tu seras amplement dédommagée de ton surcroît de peines2. J’eus hier l’agréable surprise d’une visite de mon père. Je l’ai trouvé toujours jeune dans la figure, mais j’ai aperçu que ses jambes deviennent roides et que la descente lui est pénible, je ne puis me persuader qu’il vieillisse. Sa bonté fait désirer qu’il se survive, mais malheureusement, on n’a pas une jouissance que l’idée des séparations ou de la mort ne vienne troubler ! Je n’ai pas le temps d’écrire à tes filles ; j’ai reçu leurs lettres ; dis-leur ainsi qu’à ton mari, mille choses pour moi. Tout à toi, Philippine

1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 40-41 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Eugène (1814-1887) sera en effet son dernier enfant.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 40

L. 29 À MADAME JOUVE 24 novembre [1813]1

Ma bien chère Sœur, Je t’ai écrit par Adélaïde et n’ai point eu de ses nouvelles depuis son départ. J’espérais que tu me répondrais sur Constance que je te demandais pour remplacer Henriette. Il paraît par ton silence que ce projet ne t’agrée pas, vu l’âge de ta fille ; elle est sûrement très bien auprès de toi, et mieux que partout ailleurs, mais te voyant si surchargée d’occupations, je désirais aller à ton secours, comme une sœur toute dévouée, et voulant, s’il m’était possible, faire bien davantage. Je me doutais depuis longtemps des goûts secrets de ta fille aînée, quoiqu’elle me les eût toujours cachés. Et ce fut l’objet d’une réflexion que je te fis dans le temps de sa grande maladie, dont je te fis part, et qui [d’après] ce qu’on m’a dit, te fit beaucoup de peine. Cependant ce que je ne faisais qu’entrevoir est réel aujourd’hui. Euphrosine voudrait te quitter, non pour un époux mortel, non pour un établissement humain, mais pour se donner à Dieu à qui elle se doit avant tout. Il y a peu de temps qu’elle m’a fait connaître son attrait. Sachant qu’elle aimait Madame Deshayes, je lui appris qu’elle ne serait plus à la tête de cette maison ; cependant cela n’a pas fait varier son goût pour y rentrer. Elle n’a de combats que ceux que lui livre sa tendresse, et sa grande peine est de t’en parler. Je me charge de le faire la première, sachant que je parle à une mère tendre, mais encore plus chrétienne et accoutumée aux actes de la résignation la plus héroïque. Je ne te prêche point : je laisse plaider la grâce qui agira en même temps sur les cœurs généreux de la fille et de la mère. Si l’incertitude des temps t’effraie, tu sauras que nous mettons cette condition que nous resterions libres en cas de catastrophe. D’ailleurs, il y a d’ici-là deux (mot absent) et combien d’événements d’ici-là peuvent assurer plus de stabilité ; d’ailleurs y en a-t-il à quelque chose sous le ciel ? Pardonne à ma confiance si mon ouverture te blesse, mais accoutumée à voir Dieu comme fin unique de tout, je n’ai pas cru t’offenser en te l’offrant comme fin plus particulière d’une fille chérie. Je te quitte très pressée et t’embrasse tendrement. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 36-37 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 41

LETTRE 41



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L. 30 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble, ce 2 janvier [1814]1

Ma bien bonne Sœur, Au milieu de la douleur qui paraît dans ta lettre, j’y vois la même vertu que dans celle que tu m’écrivis lorsqu’il semblait que Dieu te demandait ta fille, d’une manière bien plus rigoureuse qu’aujourd’hui. J’admirais ton sacrifice plein de résignation, cependant je n’étais pas mère. Dieu, sans doute jaloux d’augmenter tes mérites, te l’a présenté en deux fois pour doubler aussi ta récompense. Je ne te rappellerai pas les paroles du père le plus affligé dans ses enfants, ses amis, ses biens et sa personne : « Dieu m’a tout donné, Dieu m’a tout ôté, son saint nom soit béni. Si nous recevons de lui les biens, pourquoi n’en pas recevoir les maux ? »2 S’il offrait à une tendre mère le prince le plus aimable pour l’époux de sa fille, mais qui devrait l’éloigner d’elle, oubliant la peine de sa séparation, elle ne songerait qu’à l’illustre alliance et en parlerait avec joie. Pourquoi Jésus-Christ est-il le seul à qui il soit affreux de se donner ; où est donc notre foi ? Où est donc le fruit de notre expérience ? On approuve le mariage de X. ; a-t-il fourni beaucoup d’avantages à elle, à sa famille, à la société : aura-t-elle des enfants bien aimables, bien heureux ? On a blâmé X. dans le parti qu’elle a pris : a-t-elle à en abreuver son père du contrecoup de ses peines ? Elle est contente, elle se rend utile à la société. Ta fille pourrait faire beaucoup plus qu’elle et offrir à Dieu ton holocauste dont la récompense serait des bénédictions pour elle et pour sa famille : il y en a plus d’un exemple. Tu parles de sa santé, mais elle n’est altérée que par la peine de t’en faire, et si Dieu te donnait la force d’être bien aise de lui donner ta fille, tu la verrais très bientôt en santé. Elle a eu déjà en sortant d’ici une crise de nerfs que je regardai comme l’effet du sentiment trop vif qu’elle éprouvait. Au reste, quoique je plaide pour elle, je me mets à ta place par le sentiment naturel, et je sens quel poids de douleur peut te causer un semblable projet, dans celle de tes enfants de qui tu pouvais attendre plus de secours.

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 71-74 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Jb 1, 21.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Tu peux être sûre néanmoins que ce coup part de Dieu seul. Euphrosine n’a pas une trempe d’âme à se laisser prévenir ; elle juge par elle-même. Dieu lui-même a fait sa vocation, elle l’a tenue secrète. Et si je l’ai pressentie, c’est l’effet de mes observations sur la nature de son caractère, par quelques goûts que j’apercevais en elle qui, si elle ne mettait pas obstacle aux desseins de la grâce, devaient la conduire à l’état de retraite, d’indépendance d’un mari, et de missions autour des âmes. Trouves-tu qu’elle fasse un mauvais choix de préférer Jésus-Christ à un homme ? La fortune du Ciel à celle de la terre ? Les occupations qui nous en rapprochent, de celles qui fixent à la terre ? Il n’y a rien d’humain, rien de bas dans les vues d’Euphrosine. Il n’y a eu aucune impulsion étrangère ; ses désirs sont venus de Dieu qui fait sentir qu’il gouverne les cœurs comme il veut. N’est-elle pas heureuse qu’il la trouve plus digne qu’une autre de se l’unir ou qui lui en fasse la faveur ? Loin d’être fâchée contre toi, je partage ta peine, tout en applaudissant à une vocation dont je sens le prix. J’espère qu’avec plus de calme, ton mari et toi, vous songerez que vos enfants sont à Dieu, avant d’être à vous. Vous lui auriez donné Henry, ainsi que me dit ton mari, et il veut Euphrosine. Les souverains de la terre ne prennent-ils pas vos enfants sans vous consulter ? Le mystère des souffrances nécessaires en ce monde est dur à entendre, mais il est inévitable. Je t’embrasse tendrement. Philippine

LETTRE 42 

L. 31 À MADAME JOUVE, CHEZ SON PÈRE, M. DUCHESNE, À GRENOBLE Ce 2 mars 18141

Ma chère Amie, Ce qu’on m’a rapporté de l’état de mon père me fait beaucoup de peine ; je pense qu’il faudrait cette nuit être une de nous auprès de lui. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 42 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 43



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Tu as veillé la nuit passée, Amélie [de Mauduit] est malade, il faudrait donc que ce fût moi. Je le pourrai puisque ma Mère y consent. Si tu vois donc que la nuit s’annonce mal, ou s’il doit recevoir le bon Dieu, tu m’enverras chercher avant 8 h 30, car ce soir, je n’aurai personne. Fais-moi dire si le curé est allé ce matin et ne diffère pas les secours de l’Église ; c’est notre principal devoir, ainsi que de lui dire de temps en temps un mot de Dieu. Les malades les plus pieux ont besoin de ce secours, car le mal absorbe et le démon tourne autour de sa proie. Tout à toi, Philippine

LETTRE 43

L. 32 À MADAME JOUVE 18 avril [1814]1

…Pour ne pas te faire attendre plus longtemps de nos nouvelles, je te dirai que mon frère part la semaine prochaine pour Paris et te donnera tous les détails que tu peux désirer, que ma sœur, retenue par les neiges de Dieu et les troupes qui barraient l’autre route, n’est partie qu’aujourd’hui, qu’elle s’est trouvée ainsi que moi au dernier moment de mon père ; que son agonie a été longue et pénible. Depuis plusieurs jours, il ne parlait pas, ne faisait aucune fonction animale, éprouvait des terreurs. Nous lui avons fait donner à temps l’extrême-onction et une 2e et 3e absolution, avec l’application de l’indulgence plénière. Son enterrement a été simple, vu les circonstances et l’inconvénient de sonner les cloches, ce jour-là2 ; c’était le 29 mars. J’ai l’espoir que Dieu l’a mis dans son sein. Maintenant que tout est tranquille, je te réitère la demande de Constance. Je pense que M. Durand qui doit aller voir ses filles, s’en chargerait volontiers ; c’est un bien bon homme, personne ne m’a parlé avec plus d’intérêt de la mort de mon père. 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 44-45 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Après la défaite de Leipzig (octobre 1813) eut lieu la Campagne de France. De janvier à mars 1814, les troupes des coalisés gagnèrent le Dauphiné et l’Isère, combattant celles de Napoléon.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Si tu as la générosité de joindre Euphrosine à Constance, tu auras le mérite des mères qui offraient elles-mêmes leurs enfants au Seigneur, mais je laisse à Dieu de t’inspirer à cet égard. Je t’écrirai plus longuement par mon frère.

LETTRE 44

L. 33 À MADAME JOUVE, À LYON [1814]1

Ma chère Amie, J’ai reçu ta lettre et suis fâchée que tu nous refuses Constance. Si tu retires Amélie au printemps, je crains qu’elle ne te donne encore du travail par son caractère mou et quelquefois peu souple et boudeur ; sa piété est encore faible, et il est plus difficile qu’à une autre de la lui inspirer, n’ayant point d’ouverture pour personne et se faisant sa règle qui est assez commode. II y a peu à lui dire pour l’étude à cause de sa grande facilité, mais elle ne soigne pas ses devoirs, comme tu peux en juger à son écriture et à son orthographe, pouvant beaucoup mieux faire. Elle laisserait tout pour lire, ce qui ne donne point de peine. J’ai été obligée de l’arrêter pour cela et de défendre qu’on lui donne autant de livres qu’elle en demande, ayant aperçu dans d’autres le funeste effet du goût désordonné pour la lecture. Il n’y a rien qui ôte autant l’onction de la piété. Ceci te servira de bulletin. Tout à toi, Philippine

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 43 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 45

LETTRE 45



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L. 34 À MADAME JOUVE, À LYON Ce 4 juillet [1814]1

Ma très chère Amie, J’ai reçu ta lettre et la croyais bien inutile, car en ce moment, on ne parlait que d’arrangements pacifiques. Maintenant, il a paru une proclamation du général [Augereau] qui exhorte à se défendre et on dit que l’ennemi est près2. On tâche de lui faire entendre que sans troupes et seulement quelques gardes nationales, il est impossible de résister et on croit qu’on ne serait en mesure que d’obtenir des conditions favorables. Cependant j’ai songé au départ de tes enfants en même temps que d’autres nous demandent asile, et il aura lieu, s’il y a possibilité ; mais sans voiture, sans chevaux et peut-être, portes fermées. Je ne sais si ce projet pourra s’exécuter, et avec une voiture, quelle compagnie pour des enfants ! Ton voyage serait également inutile, puisque tu ne pourrais passer. Mais sois aussi tranquille que je crois pouvoir l’être ; sous peu, tu auras de nos nouvelles ou à Lyon ou à Valence.

LETTRE 46

L. 35 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble, Novembre [1814]3

Ma chère amie, Le plaisir de voir Euphrosine ne m’a pas empêchée de sentir et partager la peine de sa séparation d’avec toi. Il faut espérer qu’elle sera à la 1 2

3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 47 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Le 6 avril 1814, Napoléon abdiqua. Le général Augereau livra une ultime bataille pour protéger Lyon de l’invasion autrichienne, mais ce fut en vain ; le 16 avril, il enjoignit ses soldats à adopter la cocarde blanche des Bourbons, dénonçant Napoléon comme un tyran. À Grenoble, les réactions furent différentes : en juin et juillet, la garnison s’opposa à la reprise en main du pouvoir royaliste, suscitant des manifestations. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 63-64 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Cette lettre est écrite quelques jours après l’entrée au postulat d’Euphrosine Jouve, le 9 novembre 1814.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

plus grande gloire de Dieu, et qu’en Maître qui paie au centuple, il te comblera de ses grâces ainsi que toute ta famille. Euphrosine a encore un peu l’air gêné, elle dit qu’elle est contente, et je crois qu’il n’est pas dans son caractère de dissimuler. On m’avait dit qu’elle avait perdu de sa sécheresse, je lui en trouve encore, surtout avec les personnes qu’elle connaît peu. Ce défaut est effacé par tant d’autres qualités que cela n’empêche pas qu’elle soit un sujet qui promet beaucoup. Sa sœur Constance a été bien contente, elle la contemple sans cesse et est encouragée à être toujours bien sage. La noce s’est faite aujourd’hui et depuis, je n’ai vu qu’un instant ton mari qui nous en a donné des nouvelles1. Je crains bien que, d’une part, Dieu n’ait pas sujet d’être content quant aux devoirs religieux. J’en ai cependant dit quelque chose par lettres pour le faire sans réplique ; j’ignore le résultat. Il faut espérer que l’avenir amènera quelque chose de mieux. Madame Bigeu te fait ses compliments ; elle a su qu’Euphrosine t’avait dit qu’elle ne voulait pas qu’elle allât à la noce ; elle a seulement trouvé que cela serait mieux, et Euphrosine n’a point été demandée. Mon frère m’avait dit, deux jours avant, au sujet de Mlle Coralie Durand, que les demoiselles ne s’invitaient pas pour des noces. Ta fille t’aura rendu compte de ses visites. Tout à toi.

LETTRE 47

L. 36 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble, ce 25 novembre 18142

Ne sois jamais en peine de mes sentiments pour toi, ma bonne amie ; quoique j’attribuasse plus ton silence à ta sensibilité qu’à la multitude de tes occupations, je n’avais garde d’en être surprise et fâchée, car en même temps que, comme religieuse, j’admirais l’œuvre de la grâce en ta fille, et celle qui t’avait donné le courage de consentir à la 1 2

Il s’agit du mariage d’Hippolyte Duchesne avec Coralie Durand, le 14 novembre 1814. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 48-51 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 47



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séparation, comme sœur et comme amie, je partageais tes amertumes, et priais Dieu de mettre lui-même l’appareil sur la plaie qu’il te faisait par un sacrifice dont la vertu pourra rejaillir sur ta famille. J’ai su que, quand Euphrosine est sortie, on a jugé qu’elle ne persévérerait pas, mais cela vient de l’air aisé que je l’avais conjurée de prendre avec nos bonnes parentes, ayant été peinée du ton de sécheresse qu’elle avait eu avec Mme de Rollin. Je l’ai fait autant pour sa réputation que pour l’honneur de la vie religieuse, tant de personnes croyant qu’on ne peut y conserver de l’ouverture et de l’affabilité pour les siens. D’ailleurs Euphrosine est bien, elle a l’air spirituel ; elle voulait dissimuler ses projets, que tout le monde savait par le soin de [Hippolyte] Duchesne et de M. Durand1. Cela a pu contribuer à faire penser ou qu’elle hésitait parce qu’elle ne voulait pas s’expliquer, ou qu’elle était trop bien pour le monde pour se donner à Dieu. Tous ces discours ne m’ont fait aucune impression ; et je trouve Euphrosine, comme je m’y attendais, ferme dans ses vues, mais sans cet empressement qui est plus l’effet du naturel que de la grâce. Quant à sa sensibilité, n’en doute nullement, elle a pu te la dissimuler par force de courage ; mais les larmes qu’elle a versées en recevant tes lettres, et qui ne pouvaient être feintes, montrent le fond de son âme pour sa bonne mère. Quant à son chant dans la voiture, je n’ai rien vu, rien su, mais il y a tant d’interprétations malignes ! Sois persuadée que ni M. Fauvet2 ni nous, n’avons fait cette vocation ; mais je la devinais depuis longtemps, comme tu as pu en juger dans la lettre que je t’écrivis lorsqu’elle guérit de sa grande maladie. Elle ne m’avait fait aucune ouverture, mais c’était l’ensemble de ses discours, de ses goûts, qui me l’avait fait juger lorsqu’elle était pensionnaire ; car Dieu donne toujours les dispositions naturelles pour les choses auxquelles il destine. Elle avait une grande force ; il en faut pour quitter de bons parents. Elle n’aimait point tout ce qui a rapport au mariage. Elle a dit plusieurs fois : « La vertu dont j’aime le plus à entendre parler, c’est la virginité. » Elle aspirait, dans les moments où elle se livrait à instruire les pauvres, à souffrir le martyre. Je donnai un jour pour devoir de s’exhorter au martyre dans un discours : elle le fit d’une manière si précise, si noble, si élevée que je vis bien qu’il y avait autre chose que de l’esprit naturel dans sa composition et que son âme n’aspirait à rien d’humain. Plus de deux ans après qu’elle fut chez toi, au fort de la persécution, elle 1 2

Vraisemblablement M. Durand, le beau-père d’Hippolyte Duchesne. M. Fauvet, missionnaire des Chartreux, à Lyon, était le confesseur d’Euphrosine Jouve.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

y souriait dans l’espoir d’avoir l’occasion de prouver sa foi. Elle m’écrivit une lettre qui me combla de consolations et après laquelle une vocation religieuse, dans un temps de paix, ne pouvait plus étonner. Si tu ne lui as pas entendu parler sur ce ton, il ne faut pas t’en étonner ; quand on porte dans le cœur des vues qui vont à se séparer d’une famille, cela n’est pas aisé à dire : le cœur en souffre et sait qu’il fera souffrir. Ôte donc de ton esprit toute pensée amère, bénis Dieu de lui avoir fait un don qui lui agrée, d’avoir toujours devant lui l’hostie d’offrande et d’action de grâces qu’il a droit d’exiger de toi. Imite en petit ce que tant de mères généreuses ont fait pour Dieu : la mère de Samuel n’avait qu’un fils, il vécut dans le temple ; Joachim et Anne n’avaient qu’une fille, elle vécut dans le temple, etc. N’aurais-tu pas le courage de revenir de la détermination de ne vouloir pour elle aucun changement de costume de longtemps ? Cela l’empêcherait d’être employée de manière à occuper son activité et de se trouver avec nous quand il faut le costume. Elle n’en sera pas plus engagée pour cela et chez nous, le temps d’épreuve est plus long qu’à la Visitation. Marque-nous ta volonté à cet égard. J’ai été contente de Caroline, ma sœur est partie ce matin ; je l’ai su par mon frère et ma belle-sœur qui sortent d’ici et paraissent fort contents. Tes filles se portent bien. Tout à toi, Philippine

LETTRE 48

L. 37 À MADAME JOUVE, À LYON Grenoble [fin décembre 1814]1

Ma chère amie, j’ai reçu la lettre et dois te féliciter de ce que, parmi bien des peines, les maux que tu avais particulièrement à redouter 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 62-63 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Euphrosine est entrée au noviciat le 25 décembre.

Lettre 49



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ont été détournés. En mère chrétienne et pleine de foi, tu témoignes à Dieu ta reconnaissance par un sacrifice dur à ton cœur, mais qui fera le bonheur de ta fille. Ce n’est pas à un homme que tu les donnes, c’est [à] Dieu et peut-on appeler perdu ce qu’on trouve toujours en lui et qu’il te rendra un jour avec des gros intérêts ? Euphrosine a senti tout ce que tu fais pour elle, et sa générosité ne l’empêche pas de faire vers toi les retours les plus tendres. Elle avait beaucoup gagné auprès de toi ; j’espère que Dieu fera la même grâce à ceux de tes enfants qui te donnent encore du chagrin. Rappelle-toi les prières de Monique et son bonheur dans Augustin. Je te souhaite un bonheur semblable, et j’apprendrai surtout avec bien de la consolation celles que te donneront mon filleul et Amélie. Constance est un sujet de grande espérance, mais moins docile qu’elle n’a été ; elle se porte bien. Je suis tout à toi. Philippine

LETTRE 49

L. 38 À MADAME JOUVE, À LYON Paris, 2 novembre 18151

Ma bonne Sœur, Par tes soins et ceux de mon cher frère, j’ai fait ma route sans inconvénients : j’ai quitté mes premiers compagnons de voyage avec transport, ceux de la voiture d’eau avec grande joie, et ceux de la voiture de terre sans regret. L’officier du Génie était ce qu’il y avait de mieux : les gens qui ont de l’éducation gardent au moins les formes. Me voici donc à Paris, j’en ai honte : combien le goût de la solitude s’allie peu avec les courses et le bruit des grandes villes ! L’âme se trouve tyrannisée. N’envie point à la chère Euphrosine le bonheur qu’elle goûte ; les plaisirs de l’esprit sont autant au-dessus des autres que le Ciel l’est de 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 60-62 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

la terre. Tu as fait plus pour elle en lui donnant ton consentement que si tu l’eusses fait reine. J’ai été délassée de mes premiers pas dans le monde par mon court séjour chez toi ; j’ai fait connaissance avec ton intéressante famille et j’ai joui un instant du plaisir de te revoir. J’ignore encore quand il se renouvellera, mais je ne voudrais pas qu’il te coûtât tant de dérangements, j’ai vu avec peine que j’en avais fait beaucoup. Je crois avoir laissé chez toi un couteau court à tire-bouchon, je te prie de me le conserver. Madame Bigeu, qui te dit bien des choses, n’a point reçu son paquet ; je prie mon neveu de vouloir encore le réclamer et de demander où nous pourrions le faire chercher. S’il n’est pas encore parti, l’adresse serait : rue de Sèvres, Maison des Dames de Saint Thomas [à Paris]. Madame Barat est mieux pour sa santé ainsi que Madame Bigeu ; Madame Deshayes, très bien. Je suis tout à toi.

Philippine

P. S. M. de Rollin est venu me voir avant ton arrivée ; mille choses à ton bon mari et à tes enfants. Tes provisions m’ont conduite jusqu’ici, et ton châle a rendu le froid impénétrable pour moi, je ne l’ai pas quitté. Puis-je le garder jusqu’au retour ? Sans lui, j’aurais souffert.

LETTRE 50

L. 39 À MADAME JOUVE, À LYON Ce 14 décembre [1815]1

Ma chère Amie, Au moment de renouveler mes engagements, et espérant le faire avec plus de tranquillité et de sûreté sous un gouvernement paisible, je veux régler mon temporel de manière à n’avoir aucune inquiétude de conscience. Il m’eût été bien doux, en renonçant tout à fait au monde, d’y laisser mes chères sœurs dans une position plus douce, mais la divine Providence, qui fait bien toute chose, voulant les détacher d’avance 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 51-54 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 50



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des biens qui ne sont que vanités, les a écartés de vous, et permet que moi-même qui ai peu de besoins, en égard cependant à ceux qui m’entourent, n’ait pu me dépouiller entièrement. J’ai seulement rangé les choses de manière à ce que, s’il nous survient de nouveaux malheurs, Constance et Joséphine pourront faire leur éducation à Sainte-Marie, jusqu’à ma mort. Et voulant donner à mon filleul une légère marque de souvenir, je vais prier mon frère de t’envoyer une lettre de change de mille francs ; il l’adressera à ton mari, sans en connaître la destination que tu auras soin de lui cacher, ainsi qu’Henry ; il serait même mieux qu’il ignorât cela pour n’en pas parler. Si, par impossible, ma tante Gueymar mourait sans tester, je ne prétendrais rien à sa succession et ma portion vous reviendrait. Il te paraît surprenant que je prévois un cas comme celui-là, mais c’est pour te dire que je renonce au pouvoir de succéder et que si selon les lois, le cas écherrait, mes trois sœurs mariées me représenteraient. J’ai reçu la lettre de change que ton mari m’a envoyée et l’argent a été compté. Je te prie de le lui dire en le remerciant de ses attentions. S’il lui reste quelque argent, nos commissions faites, il voudra bien en faire un petit paquet cacheté qu’il aurait la bonté de faire remettre aux demoiselles Fousala pour le donner à la première de nous qui passera à Lyon. Je ne sais encore si ce sera Madame Bigeu ou moi, ni si nous pourrons nous arrêter, vu les fêtes et le mauvais temps. Ce qui nous retarde et peut encore nous retarder, c’est la fondation d’une de nos maisons à Paris ; elle ne peut s’établir dans le mauvais temps, mais il faut traiter pour une maison, et ce n’est point fini. Dans tous les cas, ne m’écris point ici, avant que je t’écrive moimême. Je suis toute à toi et embrasse tes enfants. Philippine Duchesne Je me recommande aux prières de vos bons pasteurs. Quelque chose de particulier à Amélie. Si je ne te vois pas avant le jour de l’An, reçois mes compliments de Bonne Année.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 51 L. 1 AUX RELIGIEUSES DE SAINTE-MARIE D’EN-HAUT SS. C. J. et M.

Paris, ce 8 janvier [1816]1 Mes très chères Sœurs, Il me faut bien penser en commençant ma lettre, puisque je ne dois point encore vous revoir, à ces mots qui doivent commencer toutes nos lettres : « Sacratissimi Cordi Jesu et Mariae ». Tout est pour le divin Cœur et c’est encore en celui de Jésus que nous terminerons. Nous ne pouvons donc sortir du Cœur de Jésus soit en commençant, soit en finissant et si nous sommes séparées extérieurement, nous professerons toujours que nous serons unies et présentes dans le centre aimable de toutes nos affections, le divin Cœur de Jésus. J’ai reçu avec reconnaissance vos souhaits de Bonne Année et si j’ai attendu pour y répondre le départ de notre Mère, ce n’était qu’à vous que je différais d’en parler, car devant Dieu, j’y ai répondu au moment même et en faisant des vœux pour votre perfection. Je jouissais dans l’espérance que Dieu serait glorifié dans cette maison qui m’est si chère et dont j’ai souvent pris trop vivement les intérêts. Mais Dieu y veille plus et mieux que moi ; vous en êtes aussi persuadées. Ainsi, il faut vivre tranquille sous l’aile de sa Providence. Vous éprouvez un trait de sa bonté dans le retour de votre bonne Mère. Ses deux compagnes, qui ont donné des preuves si marquées de leur attachement à la Société et de leur habileté pour le pensionnat à Gand, vont être un nouveau bienfait de sa part. Ce n’est pas ma faute si notre absence a été si longue, car je m’ennuie bien de ma vie séculière ; et toutes les beautés de Saint-Sulpice n’ont pas pour moi autant de prix que le secret de nos sanctuaires et il me tarde bien que nous mettions un peu le pied dans notre berceau pour ne plus voir les rues de Paris. Notre Mère vous dira qu’il y a dans la rue [des Postes], où notre maison sera, plusieurs autres maisons religieuses, ainsi que dans celle où nous sommes maintenant. Le quartier du faubourg Saint-Germain est le quartier des établissements 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie : C-VII 2) c Duchesne-Writings about the history of the Society, Box 1, Extrait du Journal de la maison de Grenoble, depuis sa fondation en 1804 jusqu’à l’année 1830, p. 144-147.

Lettre 51

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religieux et le quartier pieux de Paris. J’y vois beaucoup de messes et de communions, mais très peu de confessions ; la veille [de la fête] des Rois allant le soir à la paroisse, je n’y ai pas vu une personne au confessionnal. Je suis bien consolée que vos santés se soient soutenues bonnes. Quant aux rhumes, il paraît qu’un bon moyen de les éviter, c’est d’aller souvent à l’air, car étant sorties ici par tous les temps, aucune de nous ne s’est enrhumée. Notre Mère Bigeu a eu cependant mal à la gorge avec la fièvre pendant quelques jours ; ensuite, cet état de faiblesse et de dégoût où nous la voyions quelquefois à Grenoble. Ce qui lui a fait me dire : « Vous voyez que mon état ne tenait pas à la maison. » Notre Mère aura bien des choses à vous dire qui vous intéresseront ; celles qui excitent le plus justement votre curiosité sont celles qui regardent nos saintes règles et en effet, rien n’est plus heureux pour nous que de pouvoir mieux connaître nos obligations et y être ensuite plus fidèles ; demandons pardon à Dieu pour le passé et faisons toutes choses nouvelles en nous. Quand vous aurez un peu savouré la douceur de ces détails, vous pourrez aussi vous occuper des sujets moins rapprochés, mais qui touchent aussi au service de Dieu. Vous saurez que son bras ne s’est point raccourci, qu’il a encore ses saints. Il y a une fille à Munster qui, depuis 7 ans, vit dans une continuelle contemplation, sans prendre d’autre nourriture que quelques gouttes de boisson1 ; elle a sur son corps l’impression des sacrés stigmates et celle de la Couronne d’épines sur la tête ; tous les vendredis, ces plaies jettent du sang en abondance. On m’a dit que les autorités, même civiles, avaient vérifié ces faits. Un des pères [jésuites] vient d’exorciser une fille possédée, près d’Amiens ; le démon l’a souvent endormie pour l’empêcher de se confesser et refusait de répondre aux interrogations ; mais ne pouvant résister aux souffrances que lui procuraient les conjurations par le Sacré Cœur de Jésus ou de l’Immaculée Conception, ou la sainte confession, il a enfin dit comment il était entré dans cette fille, qu’il était de la 7e légion, celle de Juda, et qu’il s’appelait crapuleux ; qu’il sortirait les premiers jours de Janvier. On n’a commencé à avoir pouvoir sur 1

Anna Katharina Emmerich (1774-1824), née le 8 septembre 1774 à Coesfel, près de Münster (Allemagne), est entrée en 1802 chez les Augustines de Dülmen. Mystique, elle eut des visions et des stigmates de la passion du Christ. À son chevet, le poète Clemens Bretano prit note de ces visions et les retranscrivit. Elle aurait guéri une religieuse atteinte de tuberculose aux poumons et au larynx. Elle a été béatifiée par Jean-Paul II, le 3 octobre 2004.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

lui qu’en mettant à la fille un cilice bénit ; ainsi, prenez toujours plus de dévotion au Sacré Cœur, à l’Immaculée Conception, à la sainte confession, à la pénitence. Si notre Mère veut vous faire l’histoire de Monsieur Giraud qui, l’année passée, était chef du catéchisme à Saint-Sulpice, vous apprendrez quelque chose de bien extraordinaire. Priez beaucoup pour moi, mes bonnes Sœurs, et croyez-moi toute vôtre dans le divin Cœur de Jésus. Philippine [Au verso :] Aux Mères de la Société du Sacré-Cœur de Jésus À Sainte-Marie À Grenoble

LETTRE 52

L. 1 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

26 Février [1816] [Paris à Saint-Thomas de Villeneuve]1 Ma très chère Mère, J’ai reçu votre lettre et j’ai pris une vraie part à vos peines et à celles qui vous surviendront encore avec la charge de supérieure. Mais en même temps, Dieu vous a consolée par les traits de courage et de vertu que vos chères filles ont montrés dans une circonstance pénible à leurs cœurs reconnaissants. La lettre d’Euphrosine a fait plaisir à toutes les personnes à qui je l’ai lue. La seconde cérémonie, à laquelle elle a eu plus de part, m’a aussi bien consolée.

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 53

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Je vous fais passer de petites relations que je vous prie de distribuer, de manière [à ce] qu’il reste à Sainte-Marie l’établissement de la religion en Corée et un des exposés. Je vous prie d’en donner un à Monsieur d’Hyères pour le séminaire [de Grenoble, dont il est le supérieur] et d’envoyer l’autre au séminaire de Chambéry par le moyen de Monsieur Rendu. Monsieur Rambaud et Monsieur Rivet seront peut-être bien aise de le lire. Veuillez, je vous prie, me faire donner des nouvelles de Monsieur Rambaud. Rien de nouveau pour nous et pour moi. Nous sommes à Saint-Thomas, sans savoir quand nous en partirons. Je suis toute à vous dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. Philippine Je vous prie, ma Mère, de faire garder ces vœux à Sainte-Marie et de faire dire soigneusement l’oraison à saint Régis ou de faire changer le vœu si on la retranchait. [Au verso :] À Madame Madame Thérèse À Sainte-Marie [d’En-Haut]

LETTRE 53

L. 40 À MADAME JOUVE, À LYON Paris, ce Samedi Saint 18161

Ma bonne Amie, Dans l’espérance d’avoir une occasion pour t’écrire, je le fais à la hâte aujourd’hui et pour te dire aussi que si tu avais quelques commissions pour moi, il ne tardera pas de passer quelques jeunes personnes de Grenoble, chez les demoiselles Foussala qui pourraient s’en charger. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 55 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Le laconisme d’Euphrosine lui a fait oublier que tu nous aimes trop pour ne pas accueillir les détails qui nous concernent. Je vais t’en faire quelques-uns : nous nous appelons les Dames du Sacré-Cœur ; notre costume est un voile léger sur un bonnet uni qui s’attache sous le cou, blanc pour les novices, noir pour les autres ; les robes noires à la vierge1, une pèlerine noire, une croix d’argent, un anneau d’or. Le but de notre institution est l’éducation des demoiselles, des pauvres, et de fournir des moyens pour la retraite de huit jours aux personnes du monde. Le noviciat général est à Paris, on a trois ou six mois de prétendance dans les différentes maisons, on va à Paris pour faire un noviciat de deux ans ; ensuite, on fait des vœux pour cinq ans et on est employé dans les différentes maisons ; après cinq ans, si on persévère, on fait les vœux perpétuels. La dot n’a rien de fixe et est suivant les moyens des personnes : l’abondance des unes faisant supplément pour les autres. Tu sais que j’ai pourvu pour Euphrosine et il m’eût été doux de faire davantage, mais agissant sans intérêt, nos maisons supportant plus de dépenses que d’autres maisons religieuses pour la retraite, tout est absorbé ! Je suis bien aise qu’Henry soit rétabli, mille choses pour lui et pour Amélie et ses frères, plus particulièrement encore pour ton mari. Je suis toute à toi dans le Cœur de Jésus. Philippine

1

Les capitulantes ont choisi une robe simple, à la mode entre 1815 et 1825. La robe dite ‘à la vierge’ avait une demi-guimpe. J. de Charry en fait ainsi la description : « Ce costume, tant pour les Sœurs de chœur que pour les coadjutrices, est désormais fixé : robe de laine noire, avec une pèlerine pour les unes et un châle pour les autres, coiffe blanche, voile porté en permanence, noir pour les professes et aspirantes – ou professes temporaires – blanc pour les novices. La médaille de profession est remplacée par une croix (…) qui aura un Cœur de Jésus en relief et cette inscription en abrégé : Cor unum et anima una in Corde Jesu. », Histoire des Constitutions de la Société du Sacré-Cœur, Seconde partie, Les Constitutions définitives et leur approbation par le Saint-Siège, Vol. 1 Exposé historique, Rome, 1979, p. 75.

Lettre 54

LETTRE 54

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L. 41 À MADAME JOUVE, À LYON Paris, 1er juin 18161

Ma bien chère Sœur, J’ai reçu ta lettre, non par nos demoiselles de Grenoble qui peuvent encore te fournir une occasion de m’écrire puisqu’elles ne sont pas passées, mais par une autre voie. Je crois comme toi qu’il faut peu compter sur celle de M. Rusand ; ce qui est mis chez lui éprouve bien des retards. Tu me fais plaisir de me parler de M. Dubourg ; j’en ai aussi entendu faire un grand éloge par Augustin. On avait espéré qu’il viendrait à Paris, mais les troubles survenus dans son diocèse ont peut-être retardé sa marche ; cependant on m’a dit que le gouvernement des États-Unis veut s’entendre avec le Pape et que la foi fait des progrès dans cette partie de l’Amérique ; il y a à Georgetown, dans le Maryland, un beau collège de Jésuites, une maison de la Visitation, sans doute la 1ère du Nouveau Monde. Monsieur Neale est évêque catholique de cette ville2. Dès que tu veux savoir précisément ce qui regarde le temporel des entrantes parmi nous, voici notre plan : 1°) Rien de fixe pour la dot. Elle se règle convenablement suivant les facultés des parents et l’utilité qu’on peut retirer d’un sujet, sa santé, etc. 2°) Le noviciat est de deux ans et est précédé de trois mois d’épreuves ; après ces deux ans et trois mois, on fait les premiers vœux pour cinq ans ; et après cinq ans, les vœux perpétuels : c’est la profession. Et c’est seulement alors qu’on perdra le droit de succéder et de léguer, et même cela ne sera obligatoire qu’après l’approbation du Saint-Siège, qui peut être longue à obtenir, tout se faisant à Rome avec beaucoup de maturité. Il y a déjà plusieurs parents qui ont dit qu’ils préféraient donner une dot et qu’on renonçât à tout. Mais je suppose qu’une fille se dégoûtât, il faudrait des lois dans l’État, comme autrefois, pour l’empêcher de revenir sur ses pas ; du moins, il me semble. L’arrangement que j’ai pris pour moi est pour mettre ma conscience à l’aise par rapport à la pauvreté ; je n’y étais pas obligée jusqu’à l’approbation solennelle que nous désirons sans l’espérer bientôt, beaucoup de Sociétés, même d’hommes, la sollicitant depuis longtemps et ne pouvant l’obtenir. Cela demande de longs examens ; 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 56-59 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Leonard Neale (1746-1817), SJ, fut ordonné prêtre en 1773. Il fut évêque de Baltimore (1815-1817).

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

autrefois, les princes se prêtaient à ces sollicitations, nous sommes à d’autres temps. Quand j’ai appliqué à Euphrosine les 450 F de rente viagère sur sa tête, c’était pour te dispenser d’une pension qui t’aurait trop gênée dans ces temps malheureux. Tu as jusqu’à sa profession, dans cinq ans, pour réfléchir à tes arrangements sur ses droits. D’ici là, nous aurons, j’espère, une forme plus stable. Dans les Ordres anciens, on profite encore du pouvoir qu’on avait reçu du pape et de la loi de l’État, de succéder avec le vœu de pauvreté. Notre maison est encore à sa naissance ; on se réunira pour le 21 qui sera, j’espère, le jour de notre installation solennelle et bénédiction de notre chapelle qui n’est pas finie. Nous sommes dans un quartier moins fréquenté, environné de jardins, à portée de bonne eau, dans la partie la plus élevée de Paris, près Saint Etienne-du-Mont, autrement Sainte-Geneviève. À son tombeau et dans les autres lieux de dévotion, je n’ai point manqué de prier pour toi, ton mari et tous tes enfants, surtout pour Henry, mon cher filleul, et tes trois filles qui sont les miennes par l’affection et l’intérêt. Je suis ta toute dévouée sœur, Philippine Duchesne

LETTRE 55

L. 42 À MADAME JOUVE, À LYON

SS. C. J. et Marie

Le 15 juin 18161 Ma très chère Sœur, Je profite d’une occasion pour Lyon, afin de te donner de mes nouvelles. Il y a bien longtemps que je ne t’ai écrit, ayant eu la main droite prise par des maux de doigts, dès avant le départ de mon frère et de ma belle-sœur, que je chargeai de mes commissions pour toi d’une manière verbale, ne pouvant écrire. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 56

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Il m’est doux de le faire aujourd’hui, pour te parler de mon tendre souvenir pour toi, m’informer de ta santé, de celle de ton mari, de l’état de ta famille et surtout de la piété de tes enfants qui, je pense, est la mesure de ton bonheur sur la terre. Comment vont surtout Amélie et mon filleul ? La Providence est-elle bonne pour toi comme pour nous ? Elle est toujours bonne, mais elle laisse quelquefois le pas à la justice de Dieu et c’est en ce sens que j’entends le mot de bonne. Eh bien, souffres-tu des misères du temps ou jouis-tu des attentions recherchées de la Providence ? Elle m’occupe aussi pour Mme Lebrument, pour Euphrosine, mon frère m’a dit des choses tristes par rapport à… (Le papier a été déchiré : il manque environ huit lignes) … sans que rien presse de quelques jours. Adieu, mille choses à ton mari et à ma chère Amélie. Philippine Ce 15 juin [Au Verso :] À Madame Madame Jouve Rue royale, maison Monicaule À Lyon

LETTRE 56

L. 1 À EUPHROSINE JOUVE

SS. C. J. et M.

[Juin 1816]1 Ma chère Euphrosine ou ma Sœur Aloysia, Ma lettre ne t’arrivera qu’après la fête du Sacré-Cœur ; j’ignore si tu auras eu le bonheur que tu attendais car, quand je le sollicitai pour toi 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. En juin 1816, Aloysia était novice à Sainte-Marie d’En-Haut à Grenoble.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

et à ta demande, notre Mère voulut se donner le temps d’y réfléchir et est partie sans me répondre là-dessus. Quoiqu’il en ait été, tu es sûre que la volonté de Dieu s’est faite et qu’il faut la bénir, soit qu’elle console, soit qu’elle afflige. Nous avons toutes nos épreuves en ce moment, et le Cœur de Jésus nous fait sentir ce que notre titre exige : le dévouement aux douleurs dont il a été pénétré. Ce n’a pas été sans émotion que le jour de saint François Régis, j’ai pensé que vous solennisiez sa fête sans moi. Ne manque pas de m’apprendre comment elle l’a été, et si vous lui êtes toujours bien dévotes ; vous avez bien besoin qu’il vous continue sa protection. Comme le 16 tombait un dimanche où l’on ne travaille pas, je dis qu’on ne me verrait pas du jour. En effet, je ne revins que pour dîner. J’eus d’abord 5 messes dites à saint Régis par les Pères à la Visitation. À 9 heures, j’allai à [l’église] Sainte-Geneviève dont la procession venait de sortir ; j’eus encore là 4 messes dont la dernière, haute et fort solennelle après la rentrée de la procession, et ne fut finie qu’à 1 h 30. Aussitôt le dîner, j’allai à [l’église du] Saint-Sacrement où le Père Varin prêchait, et [je] finis enfin ma journée à Sainte-Geneviève où, après tout l’office, on fit encore la procession du Saint Sacrement dans l’église où il y avait deux reposoirs ; ce qui me donna 6 bénédictions, car ici on la donne avant de poser le Saint Sacrement et en repartant, mais jamais on ne le descend, en sorte que, quand il doit être exposé, on ne l’a qu’au moment de l’exposition et en ne le fermant point après la messe, fût-elle des plus solennelles. Je te quitte pour aller faire station dans une église où le bon Dieu est bien seul et où on peut bien l’appeler, à certaines heures, le Dieu inconnu. Je suis toute à toi dans l’intime du Sacré Cœur. Philippine M. Caron a reçu la lettre de Grenoble ; il m’a donné une jolie image. Fais bien mes compliments à toutes nos sœurs et aux élèves, particulièrement à ma classe et à la tienne. Ne manque pas de faire bon accueil à Mme de Rollin qui a toutes sortes d’attentions pour nous.

Lettre 57

LETTRE 57



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L. À M. ROUSSEL1

Monsieur, J’avais eu l’intention, en vous priant de faire retirer la lettre de deux mille cinq cents francs, d’acquitter les avances que vous aviez eu la bonté de faire, et les derniers six mois pour la location de notre maison jusqu’au 1er Avril dix-huit cent dix-sept2. Madame Bigeu vous ayant fait passer de Grenoble quinze cents francs par une lettre de change pour les premiers six mois, j’ai donc l’honneur de vous renvoyer sept cent cinquante francs et vous prie de nous donner quittance pour l’année. J’ai l’honneur d’être avec reconnaissance, Monsieur, votre dévouée servante. Philippine Duchesne Ce 12 juillet [1816] [Au verso :] À Monsieur Monsieur Roussel À Paris

LETTRE 58

L. 2 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Ce 27 juillet [1816]3 Ma bonne Mère, Notre Mère Barat, qui est au moment de partir pour Amiens où elle va passer dix jours pour installer Mère Grosier supérieure, me 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Pour les documents administratifs, il était d’usage d’écrire la date et la somme en lettres. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

charge de vous faire passer deux extraits de lettres de Monsieur Soyer qui a écrit à Rome pour savoir la vérité sur la lettre de Monsieur Stephanelli. Les voici : J’ai reçu hier un bref de Sa Sainteté en réponse à la lettre que j’avais eu l’honneur de lui écrire concernant vos affaires pendant la crise. Le souverain pontife loue la démarche faite auprès de lui pour savoir la vérité. Ce bref confirme ce qu’avait dit Mgr l’évêque de Saint-Malo, et traite de mensonges ce qu’avaient publié les journaux concernant la maison de Saint-Denys de Rome. Le secrétaire de Sa Sainteté a joint une lettre particulière au bref pour m’engager à en accuser la réception et à donner des nouvelles sur l’état de vos maisons. Ce sont des pièces historiques pour votre Ordre. Si vous en voulez copie, et de ma lettre au Saint Père, je vous les enverrai. J’ai reçu un bref du pape, en réponse à ma lettre du 15 décembre (bref du 15 juin 1816). Sa Sainteté confirme ce que vous m’aviez fait l’honneur de m’écrire et ce que j’avais appris par Mgr l’évêque de Saint-Malo. Le prétendu père Stephanelli n’est qu’un imposteur. Immerito fides data est falsis et exageratis quabusdam publicarum ephemeridum relationibus, circa domum ad S. Dionisii, puellis educandis in hâc urbe1. Paroles de la réponse de Sa sainteté qui n’amuseraient pas Monsieur de Sambucy. Il n’y a encore rien de fini, même pour la maison de Saint-Denys.  Monsieur Soyer a pris soin d’instruire Poitiers et Niort de ce bref ; notre Mère fera de même à Beauvais et à Amiens. Il est juste que moi, qui avais cru à la lettre du Père Stephaneli, cependant avec méfiance et doute, vienne vous en déclarer la fausseté. Je vous prie de le dire aussi à Messieurs Rambaud et Rivet qui, tous deux, ont eu connaissance de cette intrigue contre notre Société. Les Pères Joseph [Varin] et Roger ont fait leurs vœux le jour de la fête de saint Vincent de Paul. Le premier, qui gardait une grande réserve avec nous, ne voulant pas mettre les pieds ici, est enfin venu donner l’habit à deux novices. Il a paru, dans son discours, qu’il avait 1

« C’est à tort qu’on a ajouté foi à des nouvelles fausses et exagérées concernant la maison de Saint-Denys, destinée à l’éducation des jeunes filles, dans cette ville. ». Cf. J. de Charry, Histoire des Constitutions de la Société du Sacré-Cœur, La formation de l’Institut, I, Université Gregorienne, Rome, 1979, p. 717-765.



Lettre 58

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reçu un grand accroissement de grâces en faisant son sacrifice car il était tout pénétré de l’esprit de Dieu et de l’onction du Cœur de Jésus. Il nous salua de l’autel pour la première fois sous ce beau nom et beaucoup pleuraient. Il est passé par de rudes et cruelles épreuves et sera plus disposé encore à exercer une charge dont il était déjà si digne. Si le paquet des trois voyageurs n’est pas parti, on vous prie d’y joindre une bonne pièce de serge de Mende, dans des prix de 42 à 43 sols, sans apprêt. Il ne faudrait pas l’envoyer seule, car elle se perdrait au roulage et notre Mère ne veut pas qu’on prenne l’accelérit, les frais de port étant trop considérables. J’ai écrit hier à plusieurs des élèves ; je continuerais bien aujourd’hui, mais je n’ai de temps que pour vous. Il paraît qu’on changera quelque chose pour les [mot arraché] de l’office ; je vous le marquerai en son temps ; mais ce qui est décidé, c’est qu’il faut nous envoyer les noms et l’époque de la mort de nos sœurs défuntes, avec quelques notes sur leur naissance, vie, etc., pour les mettre dans le livre commun de la Société. Il est aussi arrêté que trois jours le mois, les sœurs peuvent rester une heure de plus au lit et ces jours-là, elles sont dispensées de leur oraison du matin, sans obligation de la reprendre. Cependant notre Mère trouve bien qu’on en permette une demi-heure aux temps libres. Je suis toute à vous dans les Sacrés Cœurs de Jésus et Marie. Philippine Mes respects à M.M. Rivet et Rambaud. [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau Supérieure des Dames du Sacré-Cœur À Sainte-Marie [d’En-Haut] À Grenoble

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 59

L. 2 À EUPHROSINE JOUVE

SS. C. J. et M.

Ce 4 août [1816], jour de saint Dominique1 Pour Aloysia Ma chère Aloysia, Il me tardait bien de te féliciter de ton bonheur et j’espère que tu vas en porter la marque extérieure par le voile noir puisqu’il ne doit plus y avoir de novices dans les maisons particulières. Te voilà hors de l’enfance dans la vie spirituelle, et j’espère que tu porteras les fruits d’une âme forte et généreuse. Tu as sans doute lu la vie de saint Ignace, rien n’est plus propre à relever le courage et à faire aimer sa vocation. Monsieur Joseph [Varin] le représente bien, il avait entièrement rompu avec nous comme le saint avec Dame Roser2. Enfin, il a paru deux ou trois fois sur l’horizon, mais avec ménagement. Nous avons eu la Messe de Monsieur de Janson le 31 juillet, mais il ne voulut pas prêcher ; il a eu un succès étonnant à Nantes avec Monsieur de Rosen. Ils doivent aller à Bordeaux et ont parlé d’une invitation de Monseigneur l’évêque, pour Grenoble. Vendredi, la bénédiction a été donnée par le supérieur des Missions Étrangères [de Paris]. Il venait de recevoir une lettre de Chine dans laquelle on lui donne des détails sur le martyre du dernier évêque du pays qui y était depuis 40 ans et qu’il avait connu3. Cet homme était arrêté depuis le mois de mai 1805, mais assez libre dans sa détention, bien logé, bien vu et bien traité des mandarins qui le respectaient, toujours 1 2

3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Isabelle Roser, née dans une famille noble de Barcelone, était une amie d’Ignace de Loyola. Elle devint veuve en 1541, partit à Rome avec deux compagnes en 1543. Elle obtint du pape Paul III de se placer « sous l’obéissance » d’Ignace. Le 25 décembre 1545, les trois femmes prononcèrent leurs vœux dans la Compagnie de Jésus, à qui Isabelle légua toute sa fortune. Il s’ensuivit des rumeurs et des difficultés juridiques. Le 1er octobre 1546, les religieuses quittèrent la Compagnie. En 1547, Ignace obtint du pape d’être à jamais libre de ne pas avoir de communautés féminines sous son obéissance. Ignace aurait écrit qu’il n’y avait pas une femme au monde à qui il devait autant qu’à Isabelle, probablement à cause de son soutien financier sans faille au cours de ses années d’études, à Alcala et à Salamanque, et certainement à Paris (John Padberg, SJ). Jean-Gabriel Taurin Dufresse (1750-1815), missionnaires des MEP, évêque de Tabraca (Chine) et vicaire apostolique, fut arrêté le 18 mai 1815, conduit à Chengdu (province de Sichuan), condamné et décapité le 14 septembre 1815. Il a été béatifié le 27 mai 1900, canonisé le 1er octobre 2000. Sa fête est le 14 septembre.

Lettre 59



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conduit en chaise à porteur en allant au prétoire. Enfin, le 14 septembre 1815, il a été condamné à mort par le vice-roi de la province du Sutchuan. Il est cependant allé au supplice à pied dans un calme parfait qui excitait l’admiration des idolâtres venus en foule pour le voir décapiter. Il y avait 30 chrétiens tirés des prisons et qu’on menaça de la mort s’ils ne renonçaient à la foi. Aussitôt, ils se jetèrent tous aux pieds de leur évêque pour demander l’absolution et sa bénédiction. L’évêque leur donna l’absolution et fut aussitôt décapité. On n’exécuta pas la menace de mort pour les autres chrétiens ; mais ils furent reconduits en prison et la persécution continue. La tête du saint évêque fut exposée et au-dessous, on mit un écrit qui marquait son nom, son titre et la cause de sa mort. On fit des représentations de sa tête qui furent envoyées partout avec la même inscription. Ce bon supérieur désire que son établissement à Pondichéry soit donné aux Jésuites, qui pourraient y envoyer des prêtres de plusieurs nations qui seraient mieux vus que ceux des Missions Étrangères, tous français, les Anglais dominant dans tous ces pays. M. Lainé1, ministre [de l’Intérieur], a fait demander au Supérieur des missionnaires du Saint-Esprit des prêtres pour envoyer au Sénégal, qu’on voudrait attacher à la France par le moyen de la religion. Ce supérieur du Saint-Esprit n’ayant point de réunion formée de ses prêtres qui avaient autrefois les missions du Sénégal, de Cayenne, de la Louisiane, on voudrait encore qu’il y envoyât des Jésuites comme en son nom. Nous sommes à côté de cette ancienne maison [de la Société] du Saint-Esprit2, qui est l’École normale. Nous avons 12 novices, 3 prétendantes, plusieurs qui attendent ; en tout, 24 et 4 pensionnaires. Adieu, toute à toi, Philippine Bien des choses à toutes les enfants ; qu’elles prient pour les missions. 1

2

Joseph-Henri-Joachim (1768-1835), vicomte Lainé, fut président de la Chambre des députés (1814-1816), puis ministre de l’Intérieur (1816-1818), membre de l’Académie française et pair de France. La Société du Saint-Esprit a été fondée par Claude-François Poullart des Places, à Paris, le 28 mai 1703, pour l’évangélisation des pauvres. En 1816, le Séminaire du Saint-Esprit fut chargé de la formation du clergé des colonies françaises. En 1848, il s’unit à la Congrégation du Saint-Cœur de Marie, créée par François Libermann en 1841, à Amiens. Les membres sont connus sous le nom de Missionnaires du Saint-Esprit ou Spiritains.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 60

L. 43 À MADAME JOUVE, À LYON Paris, ce 4 août 18161

Ma chère Sœur, On m’annonce que l’abbé de la Trappe part pour Lyon, j’en profite pour t’écrire et t’annoncer la réception de tes lettres du 11 Juin et du 9 Juillet. J’y aurais répondu, mais l’arrivée de nos dames de plusieurs côtés, l’arrangement de notre maison, nos cérémonies religieuses ont pris tout mon temps. Nous sommes enfin en communauté avec le bon Dieu chez nous2. C’est Monsieur d’Astros, vicaire général, détenu longtemps par Bonaparte, et Monsieur Perreau3, l’un des aumôniers du Roi et aussi confesseur de la vérité, qui ont fait la cérémonie de la bénédiction de notre chapelle. On avait d’abord désiré y mettre un peu de pompe, mais enfin tout a été décidé pour la simplicité que je chéris, encore plus, depuis les calamités ; ainsi j’en ai été bien contente. Tu es curieuse de savoir ma place dans la maison : elle est la même qu’à Sainte-Marie. Madame Bigeu est maîtresse de notre noviciat général, et Madame de Gramont, maîtresse générale pour le pensionnat qui n’est pas encore formé, y ayant très peu d’enfants, mais il faut [de la] patience. Je sais qu’Augustin Jordan s’étonnait de cette lenteur de progrès pour notre établissement, et qu’il n’aime pas la diversité et la multiplicité des maisons religieuses. J’ai combattu de vive voix et sans succès, cette opinion et plusieurs autres qui sentent bien l’homme du monde et qui font gémir de voir les séculiers juger leurs pères dans la foi et s’employer dans les questions ecclésiastiques. Quant à nous, croit-il qu’un établissement aussi compliqué se compose et prenne faveur en trois mois ! Car nous ne datons que du 1er avril pour avoir la maison et du 1er juillet pour notre réunion. A-t-il lui-même réussi dans toutes ses entreprises à volonté ? Qu’il n’augure donc point mal pour nous : il faut jeter dans nos œuvres de profondes racines d’humilité et de patience, avant de pouvoir porter le succès sans danger. 1 2 3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 66-68 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Cette lettre est écrite lors de l’installation de la première maison du Sacré-Cœur à Paris, 40 rue des Postes. L’abbé Pierre Perreau (1766-1837) est Supérieur général de la Société du Sacré-Cœur, délégué du cardinal de Talleyrand-Périgord, archevêque de Paris.

Lettre 61



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On continue à me louer beaucoup Euphrosine ; Constance est plus souple avec Madame de Crouzas, sa maîtresse. Je suis bien fâchée que la santé d’Henry ne se remette pas, il vaut mieux qu’il languisse pour ses études que d’en être trop fatigué. Adieu, toute à toi in Corde Jesu. Philippine

LETTRE 61

L. 3 À MADAME DE MAUDUIT À CREST 8 août [1816]1

Ma bonne amie, Je profite d’une réponse à faire à M. Jouve pour te ménager moitié du port d’une lettre. Je t’avais à peine écrit que la tienne m’est arrivée ; je te répète que je m’en tiens à 10 000 F et y trouve ton avantage, puisque la rente que tu me faisais, représentait un capital de 15 000 F à 8 pour cent par an. Notre Société n’est pas dans l’usage d’aller dans la rigueur, et il est dans mon cœur de préférer les intérêts des miens à ceux qui me sont personnels ; il m’a toujours été doux de pouvoir abandonner. Nous sommes dans une position à avoir besoin pour nousmêmes ; il est étonnant que notre établissement de Paris, formé dans des temps si fâcheux, n’ait pas à en souffrir. Ce trait de la Providence et celui que j’ai vu dans l’établissement de Sainte-Marie me donnent la confiance que si tu mets bien tes intérêts dans le sein de Dieu, il prendra soin de toi. J’ai seule supporté le poids de cet établissement plusieurs années et là, où on avait mis 9 ou 10 000 F, M. Renandon, le notaire, disait : « Moi, je m’y connais, vous avez dépensé là 50 000 F, j’en suis sûr. » Combien de familles malheureuses ont ainsi existé par un miracle de bonté de la part de Dieu. Et tout en partageant et sentant la profondeur de tes peines, je voudrais que tu portasses l’héroïsme jusqu’à voir en silence diminuer ton bien, comme tant de saints l’ont 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 69-71 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

fait, et Dieu, qui ne se laisse pas vaincre en générosité, bénirait tes récoltes en tout genre. Lasse comme tu l’es d’administration, ne pourrais-tu pas y tourner Amélie1 et suivre dans le monde cet attrait de retraite dont tu me parlais dans une de tes lettres, mais surtout, ma bonne amie, souffre en silence à l’exemple de N. S. J. C. Je soupire aussi après le moment où je serai dégagée des soins temporels : l’âme perd bien là-dedans et Clément XIV a eu raison de dire « que parmi les soins terrestres, on prend un cœur terrestre ». L’état d’Adrien m’afflige2 ; voue-le à saint Régis ; celui d’Euphrosine est terrible. Combien ces pauvres cœurs de mères ont à souffrir ! J’en ai tous les sentiments pour tes enfants et suis fâchée que tu ne me dises pas si Amélie t’est de quelque consolation. Cherche-la purement dans le Cœur humble et doux de Jésus-Christ et tu la trouveras solide et durable. J’ai reçu la lettre de 600 F qui fait acompte pour les 10 000 F. Mlle de Saint-Pern, qui avait un autre nom quand tu l’as connue, veut que je la rappelle à ton souvenir. Elle est un grand exemple de détachement ; elle a pourvu la maison de Quimper et elle est parmi nous comme une humble servante, demandant d’aider à la cuisine, se contentant de tout. Elle est admirable en humilité. Adieu, ma bonne Sœur. Les propositions acceptées, tu les exécuteras en leur temps. Je suis toute à toi. Philippine

1 2

Sa fille, Amélie de Mauduit du Plessis (1795-1869), se mariera avec Henry Bergasse (1783-1867) le 10 septembre 1818. Adrien est son quatrième et dernier enfant (1805-1817).

Lettre 62

LETTRE 62



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L. 3 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Août [1816]1 Ma très chère Mère, Votre maladie m’a bien tenue en peine ; outre celle que j’éprouvais pour votre état de souffrance, je ne pouvais être indifférente au tort que votre absence cause dans une communauté où je suis toujours en esprit. J’ai bien prié pour vous, ainsi que pour les enfants de la première communion : j’ai été contente de la lettre de Marine2 et espère qu’elle persévérera dans le bien et donnera bon exemple à sa sœur. J’ai su que vous aviez eu la bonté de la demander et je me doute bien que ma sœur recevra avec reconnaissance votre proposition. Je vous en dois aussi de l’attention que vous avez eue de m’envoyer mes cahiers, des bonnets, des chemisettes. Quant aux cahiers, il me manque un fort gros de l’histoire moderne, mais s’il y a de la difficulté à le trouver, ne vous mettez plus en peine, je l’abandonne jusqu’à ce qu’il se présente de lui-même. Sur les bonnets et chemisettes, je reconnais l’attention des bonnes vestiaires et les en remercie ; mais comme elles doivent plus aimer mon âme que mon corps, je les prie d’oublier le corps pour soigner l’âme en lui laissant des privations et l’aidant de leurs prières. La Mère Bigeu vous a adressé une lettre de Rome qui a dû vous faire plaisir. Je ne sais si c’est elle, ou la sortie du noviciat pour M. Joseph [Varin], mais il est moins difficile pour se rendre aux vœux de ses filles. Outre le jour de la prise d’habit, il leur a prêché le jour de la Sainte Vierge, dit la messe et encore aujourd’hui. C’est lui qui nous procure la messe d’un de ses frères tous les jours et ils se sont arrangés pour nous en donner deux le dimanche. C’est lui qui nous a procuré un très bon confesseur d’une autre Société. Enfin, Dieu fait beaucoup de grâces en ce moment à notre réunion. Notre Mère les attire par ses prières, car elle s’est mise en retraite à Amiens. Avant d’y entrer, elle a conduit toute la communauté à la chapelle de la Sainte Vierge et la lui a confiée spécialement, ainsi qu’à la Mère Grosier qui paraît prendre fort bien dans sa nouvelle maison. Il y est entré trois prétendantes depuis un mois, et 4 ou 5 pensionnaires. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Marine Lebrument (1803-1861) est sa nièce.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Madame [de Gramont] d’Aster est bien édifiante par son humilité et Madame [Eugénie] de Gramont ici ; elle ne fait pas plus de volume que la dernière novice ; à table, prend toujours ce qu’il y a de plus grossier, s’occupe d’une lessive et du b, a, ba, des petits enfants. Comme elle gouvernait une maison nombreuse, [elle] tient beaucoup à la régularité. Enfin, c’est sans contredit un des sujets les plus distingués de la société. La Mère Desmarquest attire aussi bien des bénédictions par son humilité. L’enthousiasme dure toujours à Beauvais pour son établissement, mais elle met en avant les autres et surtout Mère Deshayes, et se croit bien indigne de la place qu’elle occupe. Cependant Monsieur de Clausel, vicaire général, qui dévisage son monde à merveille, l’appelle une excellente supérieure et va la voir presque tous les jours. Monsieur de Beauregard écrit aussi que la maison de Poitiers va supérieurement ; le sacrifice qu’on y a fait de la Mère Grosier a donné un nouvel essor au courage et fait pratiquer de solides vertus. Nous attendons le retour de la Mère [Barat] pour plusieurs prises d’habit et notamment de Mlle Fontaine, jeune personne riche et modeste, bien élevée, qui dit un généreux adieu au monde. Elle était de la paroisse dans l’île Saint-Louis ; et cette île semble être favorisée de Dieu et être comme une ville sainte au milieu d’une ville corrompue. Cependant notre prétendante y était renommée et distinguée par sa vertu ; tout le monde la regrette. Zoé est des plus comiques, on n’entend qu’elle aux récréations ; le silence est souvent écorché, mais elle est toujours contente, surtout depuis que son confesseur ne lui fait plus le catéchisme. Adieu, ma bonne Mère, priez toujours pour moi et me croyez toute à vous dans le Sacré Cœur de Jésus. Philippine Ce 18 août 1816 Mes tendres amitiés à toutes vos filles et surtout à Mesdames Victoire [Paranque] et Adrienne [Michel]. [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Supérieure des dames du Sacré-Cœur à Sainte-Marie À Grenoble

Lettre 63



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LETTRE 63 L. 2 AUX RELIGIEUSES DE SAINTE-MARIE D’EN-HAUT SS. C. J. et M.

Paris, ce 5 janvier 1817 1 Mes très chères Mères et Sœurs, Notre digne Mère générale a reçu une lettre en renfermant trois : une pour ma Mère Bigeu encore absente, une pour moi et une pour notre Mère Barat. Je me suis bien aperçue qu’elle trouvait que l’ordre était renversé pour elle ; et elle était fâchée aussi que le cachet et les différentes marques de la poste lui eussent ôté le plaisir de vous lire entièrement. Elle n’en était pas moins empressée de vous répondre, mais la charge de toute une Société, d’une maison naissante, d’un noviciat, sa santé qui souffre tantôt de ses douleurs, tantôt des maux de dents, ne lui permettent pas d’écrire toutes ses lettres, se réservant celles de confiance et d’affaires. Elle m’abandonne celle-ci dont je me charge avec grand plaisir, puisque je puis m’entretenir plus longtemps avec vous en lui obéissant. Nous avons un autre grief contre vous, c’est votre brièveté sur les détails qui peuvent nous intéresser ; on ne nous a dit que des mots en passant sur les vœux de nos deux jeunes Sœurs2 ; cependant tout intéresse dans une semblable cérémonie : l’évêque est-il venu ? Qui a prêché ? Les enfants ont-elles été touchées, etc. ? De même à la prise d’habit. Quant à moi, j’aime à dire à mes sœurs tout ce que je puis leur dire ; ainsi, j’entre en matière et commence par vous donner les nouvelles étrangères, j’en viendrai ensuite aux intérieures. La Mère Bigeu est repartie de Bordeaux, après y avoir fait sa retraite sous la conduite du Père Barat ; elle n’a pas terminé l’affaire pour laquelle elle y était allée. Dieu ne la veut pas pour le moment. Elle a trouvé la maison de Niort florissante, mais les santés y sont bien faibles, surtout celle de ma Mère Caroline [Messoria], et il y a là grande disette de prêtres. Sainte-Pezenne, maison d’orphelines, demande du secours. Poitiers aussi où le pensionnat passe 80 élèves. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Euphrosine (Aloysia) Jouve et Olympie Rombau ont prononcé leurs vœux le 21 novembre 1816 à Grenoble.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Ma Sœur Ribaud n’y est pas trop bien portante. De Poitiers, Mère Bigeu est allée à Quimper par obédience de notre Mère et à la sollicitation de l’évêque, qui a été bien malade pendant son séjour, et [Sœur Catherine] Maillard branlant dans le manche1, elle a dû en repartir et être ici dans huit jours, sauf le repentir sur sa détermination. Il y a là bien du beau et bien des obstacles, comme dans toutes les œuvres de Dieu. À Amiens, Mère Grosier qui a été très malade se rétablit un peu ; Mère Deshayes a été arrêtée pendant 21 jours pour une indisposition qui l’arrête 8 jours tous les mois ; cette fois-ci, cela a été plus grave. Elles ont là tant de besognes qu’il faut employer des novices. Pour revenir sur la Bretagne, c’est un très bon pays. Monsieur Joseph [Varin] y a voyagé dernièrement avec son père pour voir une de leurs maisons à Auray. Dans une ville où des missionnaires disaient la messe, l’église fut pleine en un instant ; les Frères, au nombre de huit, ont fait la mission à Saint-Brieuc, Messieurs Thomas et Caillat entre autres ; elle a eu un succès étonnant : 30 confesseurs ne suffisaient pas et quand on ne pouvait venir à l’église par la porte, on sautait par les fenêtres. On remarque que partout où il se fait des missions, elles ont le plus grand succès. Monsieur Legris Duval, prédicateur du roi pour le carême, a fait le plus grand effet à la cour, une de ces fêtes où il a prêché. Je l’ai entendu une fois à Saint-Thomas pour une profession et j’en fus charmée. Nous avons notre bonne part, ces temps-ci, de la parole de Dieu ; outre la retraite de près de 3 semaines, le Père a encore prêché à la prise d’habit de Mlle Harant, à la fête de la Conception [de la Vierge Marie], etc., et il commence un cours d’instructions qu’il fera aux novices toutes les semaines sur les règles [de la Société du Sacré-Cœur]. Vous sentez quel avantage, qu’on n’a pas dans un noviciat particulier. Monsieur Joseph, de retour de son voyage, nous a aussi salué par une instruction sur le saint Enfant Jésus et insista particulièrement sur cette pensée que nous devions avoir en considérant Jésus au berceau : « Voilà ma Victime » ; et nous invita d’une manière touchante à être Ses victimes. Le jour de Saint-Jean, il fit son discours sur ces paroles : « Voyez quelle charité a eu le fils de Dieu2 » et après nous avoir montré tout ce que Jésus-Christ avait fait pour nous, dans le mystère de l’Incarnation, il nous engagea de nouveau à être ses victimes et à dire en 1 2

Expression familière qui signifie : peu solide, en mauvaise santé. 1 Jn 3, 1.

Lettre 63



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toute occasion dans la paix et le recueillement : « ita pater, oui mon Père1 ». Voilà un acte de dévouement : « Oui mon père » ; voilà un acte de douceur, d’humilité, d’obéissance, à tout : « Oui mon Père ». Enfin, la dernière heure viendra, il dira : « Viens, ma bien-aimée », et l’âme répondra : « Oui mon Père ». Ce fut là le terme du discours. Enfin, le jour de l’An, il est encore venu nous saluer et nous a prêché sur ces paroles « Gloria in Excelsis », et a parlé de la grande gloire que le fils rend à son Père dans l’Incarnation, nous a invitées à nous unir à lui en tâchant de lui procurer la gloire que nous pouvons. Et sur ces autres paroles « et Paix aux hommes de bonne volonté2 », il a de nouveau insisté sur la nécessité d’être entièrement soumise aux volontés de Dieu, à l’obéissance, etc. Voilà, mes bonnes Sœurs, bien des grâces. Priez pour que toutes, et moi en particulier, nous n’en abusions pas, mais fassions en tout la volonté de Dieu. C’est dans l’union avec les Sacrés Cœurs que je suis votre indigne sœur. Philippine Madame Adrienne [Michel] voudra bien mettre au cérémonial de la messe, à l’endroit « samedi », que le 1er samedi du mois, au lieu des Litanies de la Sainte Vierge, on dira celles du Cœur de Marie. [Au verso :] Aux Mères et Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus À Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble

1 2

Mt 11, 26 ; Mc 14, 36. Lc 2, 14.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 64

L. 44 À MADAME JOUVE, À LYON Paris, ce 9 janvier [1817]1

Ma très chère Sœur, Je remercie ton mari de la commission qu’il a bien voulu faire, et toi de ton bon souvenir et des vœux que tu formes pour mon bonheur. Je le trouverai toujours dans l’accomplissement de la vo­lonté de Dieu sur moi, en sorte qu’un changement ne m’affectera point. Quand je suis venue à Paris, je n’ai ni cru, ni désiré y rester. J’aime mieux la simplicité des petites villes. Partout où je serai, j’aurai les moyens de te donner de mes nouvelles et de recevoir les tiennes, mais comme il n’y a encore rien d’assuré, j’attends de te l’annoncer plus tard. Si tu veux me faire une étrenne agréable, c’est de faire dire une messe pour moi à Fourvière. Euphrosine m’écrit qu’elle prend son 5e mois de lait d’ânesse, ce qui annonce qu’elle n’est pas libre de fatigue de poitrine. Dieu nous envoie là une grande épreuve. Plus je considère notre petite maison de Paris, qui ne peut plus nous contenir, plus je vois qu’elle y serait moins bien qu’à Grenoble. Fiat à tout. Crois, ma bonne sœur, à mon inviolable attachement. Philippine

LETTRE 65

L. 45 À MADAME JOUVE, À LYON 3 juillet 18172

Ma chère Amie, Je t’écrivis avant-hier sur les nouvelles que nous avions eues de Grenoble et d’après les principes qui me sont chers ; aujourd’hui, je vois 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 74-75 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 64-66 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.



Lettre 65

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par ta lettre que la mienne a dû t’affliger, et j’en ai de la peine. J’ai fait part de ton désir à notre Supérieure générale qui, sentant le désir de ta tendresse, aurait voulu le concilier avec nos devoirs et le désir d’Euphrosine de ne point quitter Sainte-Marie. Enfin, sa sagesse a trouvé un moyen qui conciliera tout ; elle m’a dit qu’on pouvait encore en certains cas sortir pour aller aux eaux [thermales] et que ta demande en cette circonstance entraînait bien moins d’inconvénients et se trouvait pour un cas aussi urgent. Ainsi, ma bonne sœur, elle t’accorde ta fille pour consulter, voir les médecins que tu voudras, mais quand ils auront jugé le mal et indiqué les remèdes, elle désire que tu la rendes promptement. Elle écrit aujourd’hui à Grenoble pour marquer son intention à la Mère Thérèse et décider Euphrosine. Ainsi, tu peux aller la chercher à moins que nos vœux n’aient obtenu la santé à cette chère nièce ou sœur avant ton départ. Nous intéressons le Ciel et surtout saint Régis par un vœu exprès pour le rétablissement d’une santé que nous jugeons devoir servir un jour à la gloire de Dieu. J’ai l’espérance d’être exaucée et partage en bonne part toutes tes sollicitudes maternelles. On dit les affaires de l’Église de France, terminées et signées à Rome, le 11 Juin1. M. de Pressigny est archevêque de Besançon ; le grand aumônier [le cardinal de Talleyrand-Périgord] l’est de Paris. À Dieu, toute à toi, mille choses à ton mari et à tes enfants. Philippine P. S. Madame Bigeu a été de notre établissement à Quimper. Madame Deshayes est à Beauvais dans une maison qui prospère beaucoup, où il y a près de 80 pensionnaires et 300 pauvres. Ma Mère générale qui est ici, est la seule à qui j’ai pu faire ta commission, elle partage bien tes peines, elle se faisait une fête de jouir à Grenoble de tout le bien qu’on lui disait d’Euphrosine. Adieu.

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En fait, ce concordat entre le Saint-Siège et le royaume de France n’a pas été validé. Celui de 1801 est donc resté en vigueur jusqu’à la loi de séparation des Églises et de l’État, adoptée le 9 décembre 1905.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 66

L. 4 À MADAME DE MAUDUIT, À CREST [Juillet 1817]1

Ma très chère amie, Ma dernière lettre qui t’était adressée ayant séjourné à Lyon, j’étais inquiète de ton silence, et soit pour m’ôter ma peine, soit que je pensasse que M. de Mauduit était intéressé comme toi dans la proposition que je t’avais faite, je lui écrivis directement pour avoir de vos nouvelles à tous et pour lui répéter ma proposition. Il m’a répondu que tu lui en avais parlé et qu’il consentait au remboursement des dix mille francs, mais qu’il n’avait point cette somme disponible. C’est donc à toi à décider maintenant, et je ne puis m’empêcher de croire qu’il t’est avantageux d’accepter, car, si je vivais le temps ordinaire, tu aurais bien plus à donner. Pour te faciliter encore ce paiement, voici ma dernière proposition : tu donnerais 10 000 F actuellement par lettre de change et on ne comptera pas les 6 mois échus de la rente ; ce serait toujours une facilité dont tu pourrais gratifier Amélie. Quand tu enverrais la lettre de change, je brûlerais ou mettrais en main tierce nos conventions ; tu pourrais demander à Scipion [Perier] de les garder, car c’est trop volumineux pour la poste. Quant aux observations que tu veux bien me faire, j’en sens l’utilité, mais ne m’y arrête pas. Je n’ai jamais regretté ce que j’ai mis à Sainte-Marie, et si je n’y eusse pas été, aurais-je pu être l’occasion des services qui se rendent à Adélaïde [Lebrument]2 ? Je vois plusieurs de nos dames être seules la ressource de leurs frères et sœurs pour l’éducation de leurs enfants, trop nombreux pour avoir des pensions. Quand on veut faire le bien, il faut ne pas trop compter, et Dieu paie avec usure. Je suis très persuadée qu’il ne me manquera jamais rien : la Providence est admirable et a fourni à des besoins bien plus extraordinaires dans ces années malheureuses, où on croyait mourir de faim. Et si je dois éprouver des privations, je serai bien aise de pratiquer mon vœu de pauvreté. J’espère qu’en jetant tes inquiétudes dans le sein de Dieu, il en sera de même pour toi et tes enfants ; il a fallu, parce que tu étais agréable à Dieu, que tu fusses éprouvée par des afflictions, des pertes temporelles, 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 76-78 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Pour l’éducation de ses sept filles, à Sainte-Marie d’En-Haut.

Lettre 67



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mais il ne permettra pas que les épreuves passent les forces qu’il te donne et au moment où tu te croiras plus plongée dans la douleur, il t’en relèvera pour t’établir dans la paix. Je prie beaucoup pour toi et pour les tiens. L’état d’Adrien m’affecte, tu désirais en faire un prêtre et peut-être Dieu en fera un ange ; mais non, prie le bon médecin, saint Fr. Régis, et il rétablira cet intéressant enfant. On m’écrit de Grenoble que l’état d’Euphrosine est toujours le même. Comme il faut peu compter sur la santé ! La sienne paraissait si florissante ! Plusieurs vœux ont été faits à [Notre-Dame de] Fourvière, à saint Régis pour son rétablissement ; et Dieu paraît sourd. La fondatrice de notre maison de Quimper, Mlle de Saint-Pern, cousine de Mlle du Verger, va prendre l’habit dans quelques jours ici à Paris, où elle vient d’arriver. Elle m’a beaucoup parlé de toi et d’Augustine [Jordan] ; elle est elle-même un modèle de détachement et de vertus.

LETTRE 67

L. 5 À MADAME DE MAUDUIT, À CREST Paris, ce 17 août 1817 1

Ma chère amie, … M. Enfantin nous prêcha le soir (16 Août) un sermon sur la Sainte Vierge, qui ne lui a coûté qu’une demi-heure de préparation et que je préfère à tout autre que j’ai entendu. Il a vraiment de l’éloquence naturelle et Dieu bénit son ministère ; son extérieur simple ne l’empêche pas d’être bien goûté par les personnes pieuses, quoique recherchées. Et elle donne un nouveau prix à sa vertu que la louange n’ébranle pas. Je te prie de me rappeler à mon frère, à Mlle de Mauduit et à Amélie. 2

Toute à toi, Philippine 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 39 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Note d’une archiviste : « Ce fragment est évidemment de 1817. Dans ce que le P. H. Jouve a barré, on parle de la prise d’habit de Mlle de Saint-Pern. »

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 68

L. 1 À MADAME DE ROLLIN À GRENOBLE1

SS. C. J. M. 

N° 1 Ce 29 Août 1817 Ma très chère Cousine, Je profite d’une occasion pour me rappeler à toi. Je suis aussi intéressée à t’écrire, mais je parle d’intérêt sans honte puisqu’il ne m’est pas personnel, mais regarde le service de Dieu et l’intérêt de tes semblables ; depuis ton départ2, mes désirs ne se sont point ralentis pour l’Amérique et Dieu paraît se prêter à mes vœux. J’ai vu l’évêque de la Louisiane la veille de son départ, car il doit être maintenant en Amérique. Notre Mère lui a promis six de nous, et moi du nombre, pour le printemps prochain. Nous avons donc une sacristie à préparer et le grand vicaire [Bertrand Martial], resté à Bordeaux et agent de la Mission, écrit encore à Notre Mère pour obtenir d’elle qu’elle se procure en étoffe : mousseline, toile, galon, tout ce qui peut servir au culte et frapper les yeux des Sauvages qu’on veut attirer par l’appareil des cérémonies. Tu es si sensible aux misères corporelles que je suis persuadée que tu le seras encore plus aux conversions des âmes d’où dépend la grande éternité. Tu m’avais dit un jour qu’à Grenoble, tu avais plusieurs choses qui pourraient nous être utiles ; cherche-les, ma bonne amie, ou quête-les. Dieu te bénira ; mais ne parle pas de moi en tout cela, je suis si indigne de cette œuvre intéressante, que je crains toujours qu’elle m’échappe. Le secret en tout pour moi ; mais parle en général des besoins d’un diocèse de 400 lieues, où il n’y a pas de riches. Tu as su par mon cousin que nous avons retiré [une] partie de la somme que tu as en dépôt et dont tu connais la destination. Il ne faut jamais se moquer des saints, et ceux qui ont ri du prédicateur de 8 heures seraient bien étonnés des conversions qui ont suivi ses sermons.

1

2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 1 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 1-2 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Joséphine Savoye de Rollin a quitté Paris pour rentrer à Grenoble avec son mari, député et président du Collège électoral de l’Isère (1815-1823).



Lettre 69

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Rappelle-moi, je te prie, au souvenir de M. de Rollin, de ma tante, de mes cousins et cousines, surtout de M. Teisseire que je n’oublie point. Je suis ta toute dévouée cousine dans le Cœur de Jésus. Philippine

LETTRE 69

L. 3 À MÈRE BARAT

SS. C. J et M.

[Janvier ou Février 1818]1 Ma bien digne Mère, J’ai eu souvent occasion de vous parler de ma vocation pour l’instruction des Sauvages ou idolâtres ; mais les différents traits sur lesquels j’appuyais mon espoir d’avoir Dieu pour moi étaient épars pour ainsi dire, et n’ont pas la même force qu’unis dans un seul tableau. Je me suis décidée après une communion de vous le laisser, car j’ai senti combien vous deviez avoir de crainte et d’appréhension de me confier l’œuvre importante que nous entreprenons à si grande distance de ceux qui nous ont communiqué leur esprit [les Jésuites], et de vous qui l’avez recueilli pour le répandre sur toutes vos filles. Mais si c’est Dieu qui s’est montré dans ma vocation, si c’est lui qui ouvre les moyens de l’accomplir, il y a lieu d’espérer qu’Il soutiendra son œuvre par les moyens les plus faibles, et les personnes indignes et incapables de réussir. Ma première estime pour l’état de missionnaire vient des conversations d’un bon Père Jésuite qui avait fait les missions de la Louisiane et nous contait des histoires de Sauvages. Je n’avais que huit ou dix ans, et néanmoins, j’estimais heureux les missionnaires, j’enviais leurs 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Avant de quitter Paris, Philippine avait remis cette lettre à M. l’abbé Perreau. J. de Charry, II 1, L. 83, p. 11-22. Cf. Philippine Duchesne et ses compagnes, Les Années pionnières, 1818-1823, Textes présentés par Chantal Paisant, Cerf, Paris, 2001, p. 62-68.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

fonctions sans m’étonner de leurs dangers, car je lisais en même temps la vie des martyrs qui m’intéressait vivement. Le bon Père Jésuite était confesseur extraordinaire dans la maison où j’étais pensionnaire, je m’y confessai plusieurs fois, et goûtais la manière familière et simple dont il usait et qu’il avait prise avec les Sauvages. Depuis ce temps, les noms de Propagande1, de Missions Etrangères, de prêtres qui s’y destinaient, de religieuses qui s’établissaient au loin, me faisaient tressaillir le cœur. Ce fut le désir d’exercer une sorte d’apostolat qui me fit choisir la Visitation, où on élevait la jeunesse, [de préférence] aux Carmélites que j’aimais beaucoup, quand j’entrai à dix-huit ans et demi dans l’état religieux. Ma communauté était toute remplie de l’esprit des Jésuites ; on se vantait que les Constitutions fussent tirées des leurs ; la bibliothèque était enrichie de presque tous leurs ouvrages, parce qu’au moment de la destruction2, on avait retiré dans l’aumônerie trois Jésuites qui en mourant avaient donné à la maison leur bibliothèque. Pendant deux ans entiers de mon noviciat, je n’ai lu que Rodriguez sans m’en lasser3, et pour rapporter des traits à l’assemblée d’après Vêpres, je racontais successivement la vie de presque tous les saints Jésuites. Celle de saint François Xavier fut celle qui me toucha le plus et, dans sa vie, les traits des Socotorans lui tendant les bras sur le rivage ; de ses ardeurs dans le jardin de Goa, des larmes de consolation qui l’inondaient dans les îles de Mauros4 si affreuses en elles-mêmes ; de ces cris : « Encore plus, encore plus », quand il s’agissait de travaux ; et enfin, ses invitations touchantes aux Académies de l’Europe de lui fournir des missionnaires. Combien de fois ne lui ai-je pas dit depuis, dans mon impatience : « Grand Saint, pourquoi ne m’appelez-vous pas et je vous répondrais. » Il est mon saint d’affection. Ma dévotion à saint François Régis naquit en même temps par la conversation d’une religieuse qui l’avait pour patron. J’ai souvent prié devant sa relique (c’était une de ses dents). Ses travaux étant plus obscurs, ont plus de rapport avec ceux que je pouvais entreprendre et pour son amour, j’ai instruit des pauvres. Quand la Révolution nous 1 2 3 4

La Congrégation romaine pour la propagation de la foi. La suppression de la Compagnie de Jésus eut lieu en France en 1764 et en 1773 par le pape. Traité de la perfection chrétienne d’Alphonse Rodriguez (1526-1616), Jésuite espagnol. Probablement Morotaï, île de l’archipel des Moluques, en Indonésie.

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eut chassées des couvents en 1792, je trouvai, chez mon père, des [livres d’]heures où était la prière de saint François Xavier pour la conversion des infidèles ; je l’ai depuis faite presque tous les jours depuis 24 ans, ainsi que récité les oraisons des premiers saints de la Compagnie de Jésus pour les missionnaires. Je faisais les prières devant l’autel de ces deux saints, qui se trouvait dans notre paroisse de campagne [à Grâne], où leurs noms se trouvaient ajoutés aux litanies. Le voisinage de La Louvesc multipliait dans toutes les maisons les images de saint Régis ; partout il était connu sous le nom du saint Père. Je fis en même temps connaissance avec deux anciens Jésuites ; l’un d’eux fut quelquefois mon confesseur et m’engagea au voyage de La Louvesc, qui me tira de grandes peines et que j’effectuai le jour même de la mort du pieux Jésuite qui a sûrement porté devant Dieu mes vœux pour le retour à l’état religieux. Car, pour avoir seulement quitté ma famille et être retournée à Grenoble, m’associer à des religieuses s’il était possible, il m’écrivit : « Vous avez fait une démarche dont Dieu vous tiendra compte », et il m’annonça le retour de la Religion en France, d’après la prédiction du Vénérable Benoît Labre passant en Vivarais pour aller à Rome. Ce Jésuite me l’a rapportée quatre ans avant le Concordat. Je me trouvais toujours bien de m’adresser à saint François Régis et dans l’espérance qu’il agirait pour moi, je fis un vœu en son honneur que j’étais tenue de remplir si dans un an, je me retrouvais à Sainte-Marie. Je fis en même temps quelques démarches, et tout alla si rapidement qu’en six mois, au lieu d’un an, je me trouvais à Sainte-Marie. Le Grand vicaire [l’abbé Brochier] qui gouvernait le diocèse et que je consultais dans mes démarches, répondit à ma première lettre : « Digitus Dei est hic1. » Il me soutint beaucoup dans les contradictions que j’éprouvais, ainsi qu’un saint prêtre, aumônier de l’hôpital, qui y avait établi la dévotion au Sacré Cœur et ne manquait pas chaque année d’y faire très solennellement la neuvaine à saint Xavier. Depuis mon admission à la Société, je parlais encore plus de missions étrangères, mais c’était encore dans le vague, plutôt par estime que par idée de la possibilité. Enfin, le 10 janvier 1806, faisant mon oraison dans le dortoir des élèves sur le détachement des Mages, je conçus le désir de l’imiter ; je vis tomber l’attachement trop fort que j’avais pour ma maison qui m’avait coûté bien des larmes, et je me déterminai à m’offrir pour instruire les idolâtres de la Chine ou autres pays. Je vous 1

« C’est le doigt de Dieu », Ex 8, 15.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

l’écrivis, ma digne Mère, le 27 du même mois à cette intention, et vous répondîtes : « Voilà ce que j’attendais de vous. » Je fis la même demande au Père Varin, et il me répondit : « S’il m’est permis de pénétrer dans le Cœur de Dieu, j’y vois écrit en gros caractères que vous êtes destinée à le faire honorer dans les contrées éloignées des nôtres. » J’ai encore la copie de votre lettre, mais celles du Père Varin et de Monsieur Brochier où était « Digitus Dei est hic » ont été détruites par ordre d’un de mes confesseurs. Le Père Varin vint peu après à Grenoble et me rappela ma lettre ; je lui demandai de me promettre d’être la première qui partirait pour les pays idolâtres ; il me dit : « Je vous le promets. » Je répondis : « Hé bien, mon Père, bénissez-moi pour cette œuvre » ; il le fit en étendant son bras plus que de coutume. Mes désirs s’augmentèrent quand, dans plusieurs années d’épreuves, de traverses et de fau­tes, je regardais ce parti comme un moyen nécessaire d’expiation pour moi et de sûreté de conscience ; je voulais aussi quitter des occasions de péchés et ce désir, s’unissant à celui de sauver des âmes, me faisait prier avec beaucoup d’ardeur. Deux nuits de Jeudi saint 1806 et 1808, j’ai cru être exaucée, entendant comme une personne qui parlait bas en moi, ou à côté de moi, et qui disait : « Pourquoi doutes-tu ? », et un jour de l’Assomption : « Cela sera. » Il était presque sûr qu’aux grandes fêtes et fêtes d’apôtres, ce désir s’enflammait davantage après la communion où je me trouvais tout en larmes. Je me disais : « Mais d’où cela vient ? » Je n’ai rien lu, rien dit, rien entendu qui ait pu me rappeler à ces idées ; et je voyais aussitôt que c’était la fête d’un apôtre. Quand ce désir a été le plus combattu, j’ai évité de ne rien lire qui pût l’entretenir, j’ai cherché à m’ôter tout moyen pécuniaire sur lequel je pusse fonder un espoir de réussite ; mais tout a été inutile et un jour, après la communion, je me décidai d’écrire au Père Vicaire général à Rome [le Père Jean Perelli] pour consulter le Pape et savoir si je devais suivre ou étouffer mes dé­sirs. Vous avez su le sort de ma lettre. Quand, après, je fus appelée à Paris, j’eus du chagrin en pensant que vous vouliez m’ôter tout moyen de réussir, quoiqu’en même temps, j’eusse désiré que le Pape eût décidé que je n’y devais plus penser et obtenir ainsi la tranquillité qui suit l’indifférence. Mais aussi, dans le voyage, j’eus des mo­ments de dilatation en pensant que Dieu se servirait du séjour à Paris pour lier la négociation que j’avais entrevue possible avec Mgr Dubourg. Je me résolus de faire une neuvaine de communions à la chapelle de la Sainte Vierge à Saint-Sulpice, avant de dresser mes demandes.

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Pendant cette neuvaine, je la priai avec bien de l’instance ainsi que devant son image à Saint-Thomas, à Montmartre, aux Carmes, aux Missions, tâchant de me mettre dans l’indifférence1. Mais l’équilibre se perdait aussitôt et j’en revenais à vouloir braver tout respect humain, tout blâme, toute froideur pour qu’il ne manquât rien de ma part au succès que je désirais. Quand je vis le Père Varin si opposé, dans le sentiment de ma douleur, j’entrai à Saint-Sulpice et dis à la Sainte Vierge : « Vous m’avez donc trompée, plus je vous ai priée, plus mon attrait s’est fortifié et cependant, vous voyez combien mes vœux sont combattus. » Je n’avais pas fini de parler, qu’il me fut dit au fond du cœur : « C’est, ma fille, que tu ne m’as pas priée comme il fallait. » Je compris que j’avais trop compté sur mes démarches et qu’il fallait tout remettre, pour le succès, à ma supérieure. Je fus alors plus tranquille, je lui renouvelai mes désirs et elle me promit pour l’avenir. Mais pour avoir le mérite dès le moment, je demandai au Père Varin de faire le vœu de me consacrer à l’instruction des infidèles suivant l’obéissance ; mais de ma part, de ne me refuser à rien cette œuvre ; il dit oui et je prononçai, quelques moments après, mon vœu, dans la crainte qu’il [ne] changeât d’opinion. C’est ce vœu qui m’empêche maintenant de reculer pour une charge dont je me vois incapable. Le jour de saint François Xavier, j’allai à la messe aux Missions ; ces paroles de l’épître : « Comment connaîtront-ils la vérité si personne ne les instruit, et comment seront-ils instruits si personne ne leur est envoyé ?2 » me transpercèrent l’âme ; je fus inondée de pleurs malgré moi, je ne savais comment me cacher. Pour éviter pareille chose, je pensai ne pas retourner dans cette église l’après-dîner, mais, je ne sais comment, je me trouvais fermée hors la maison, et ma pente me conduisit à côté de la relique de saint François Xavier. J’en étais la plus près, ainsi que du Saint Sacrement qu’on apporta à sa chapelle, et j’y fus vivement montée à l’espérance, ainsi que [pendant] toute sa neuvaine que je fis exactement pour connaître la volonté de Dieu.

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Durant le Chapitre général de 1815, les religieuses du Sacré-Cœur furent hébergées chez les Sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve, où la Vierge Noire de Paris, « Notre-Dame de Bonne Délivrance », est vénérée. Durant la neuvaine, Philippine est aussi allée prier dans d’autres églises, situées dans les actuels 6e, 7e, 20e arrondissements : à Saint-Pierre de Montmartre où saint Ignace et ses premiers compagnons firent leurs premiers vœux le 15 août 1534 ; à l’église des Carmes, rue Madame, où eut lieu le massacre de cent vingt prêtres, le 2 septembre 1792 ; aux Missions Etrangères de Paris, rue du Bac ; à l’église Saint-Sulpice. Rm 10, 14.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

J’ai oublié de vous faire le rapport, ma bonne Mère, d’un trait arrivé à Grenoble dans le temps où l’on travaillait à nous ôter Sainte-Marie, et où Monsieur de Janson et le Père Enfantin croyaient qu’il fallait rendre cette maison ; j’en avais le cœur bien malade. Enfin, résolue de m’en détacher, de voir détruire cet établissement si cher, et rire à mes dépens, j’allai faire ma lecture dans le Deutéronome, près du puits perdu. Je tombai sur différents passages qui me touchèrent beaucoup, mais surtout ceux-ci : « Cumque introduxerit te dominus Deus tuus in terram et dederit tibi domos plenas cunctorum opum, quas non exstruxisti, cisternas quas non fodisti, vineta et oliveta quae non plantasti… Ne… elevetur cor tuum… Et cibavit te manna in solitudine1. » Ils firent couler dans mon âme un torrent de consolation. Je m’assurai que Dieu confirmait la donation de la maison de Sainte-Marie et n’y trouvant pas l’explication d’oliveta, je l’interprétai [comme] de nouveaux dons, pleins de douceur spirituelle, dans les projets de mission qui m’occupaient. Ah ! ma chère Mère, l’oliveta s’explique pour moi par la douceur de voir s’accomplir mes vœux ; et au natu­rel par l’excellence des fruits de la Louisiane au dire de mon bon Jésuite. Il ne faut plus méditer que « ne… elevetur… cor tuum ». Dans ma haute destinée, je dis bien le « non nobis2 », en ajoutant toutefois : « Non fecit taliter omni nationi… fecit mihi magna3. » Vous savez encore qu’un jour je trouvai dans notre église de Grenoble, deux images de la Sainte Vierge (la Conception et Notre-Dame de Douleurs), extrêmement laides et sales ; me rappelant que le Père Enfantin avait dû sa conversion à en avoir conservé une semblable, je me sentis portée à les honorer pour obtenir d’aller aux pays étrangers. À peu de temps de là, j’en trouvai encore une de saint François Régis, si laide et si sale que mon premier mouvement fut de l’approcher de la lumière pour la brûler ; mais aussitôt, pleine des pensées qui m’occupaient sans cesse, saisie de tendresse pour le saint, je lui promis de conserver cette image pour l’amour de lui et de la faire honorer des Sauvages s’il m’obtenait d’aller les instruire. J’emporte cette chère image 1

2 3

« Quand le Seigneur ton Dieu t’aura fait entrer dans le pays [qu’il a juré à tes pères de te donner], pays de maisons remplies de toutes sortes de bonnes choses que tu n’y as pas mises, de citernes toutes prêtes que tu n’as pas creusées, de vignes et d’oliviers que tu n’as pas plantés », Dt 6, 10-11 ; « Ne va pas devenir orgueilleux, c’est Lui qui, dans le désert, t’a donné à manger la manne », Dt 8, 14-16. « Non pas à nous », Ps 115 (113 b). « Cela, il ne l’a fait pour aucune des nations », Ps 147, 20 ; « Il a fait pour moi de grandes choses », Lc 1, 49.

Lettre 69



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pour remplir ma promesse, je la regarde comme mon bouclier ; et le vœu que j’ai fait de lui consacrer la maison de Saint-Louis, comme ce qui fait hâter et faciliter mon bonheur. Je vous ai aussi dit que, peu de jours avant la visite de Monsieur Dubourg, je l’ai vu en songe me disant d’être tranquille ; n’y ayant point pensé la veille, j’y vis du mystère, l’attendis ce jour-là, mais il ne vint que deux ou trois jours après. Le jour de l’Ascension [15 mai 1817], mes vœux s’enflammèrent dès le matin, à ces paroles qui me saisirent en entrant dans le chœur : « Allez, enseignez les nations. » Elles me procurèrent un attendrissement presque continuel, u­ne amertume plus douce que tous les plaisirs ; je vou­lais tenter de nouvelles demandes, mais je dis : « J’ai tout épuisé, c’est à vous, mon Dieu, d’agir. » Monsieur Dubourg vint donc le lendemain, mais quel fut mon étonnement et mon plaisir quand, s’adressant aux novices, il leur dit qu’il avait été singulièrement frappé, la veille, de ces paroles : « Allez, enseignez les nations. » J’entrevis que Dieu nous avait donné les mêmes pensées pour remplir une vocation semblable. Il ne me reste plus qu’à vous dire que, portant depuis plus de quinze ans une douleur au côté, qui parfois était si incommode que j’avais pensé à un vésicatoire pour l’enlever, elle est passée subitement en apprenant que Monsieur Barat avait commencé à traiter avec Monsieur l’évêque de la Louisiane ; que j’avais communié ce jour-là pour lui et ses missionnaires, sans le connaître ; que le vœu de consacrer à saint François Régis l’établissement de la Louisiane était à peine fait que Monsieur Barat m’écrivit d’une manière pressante pour le choisir comme patron de cette maison. Que Dieu est bon, ma Mère. [Feuillet ajouté :] SS. C. J et M.

Ma bien digne Mère, Le papier qui m’a manqué m’a empêché d’ajouter que, de toutes les grâces que j’apprécie davantage, je distingue celle d’appartenir à la Société du Cœur de Jésus et de contribuer à l’étendre ; qu’il n’y a de situation au monde qui pût balancer dans mon cœur le choix qui m’y

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

a fixée ; que je sens en ce moment tout ce que je lui dois et je tâcherai d’en prendre et d’en faire goûter l’esprit et les règles. Ma consolation sera de renouveler souvent le saint engagement qui m’y lie, et de serrer ainsi les liens qui subsistent, par la bonté de Dieu, aux plus grandes distances. Il me reste encore à me justifier de mes goûts pour la Chartreuse, qui semblent contradictoires avec ceux pour les missions1 ; mais outre que je n’ai jamais songé à y aller que dans les temps où les mers semblaient fermées pour longtemps, je demandais bien plutôt le retour des Chartreux que notre installation chez eux. Dieu voulait peut-être que j’unisse mes vœux aux leurs pour cela. Il me semble qu’il m’avait donné des pressentiments dont je ne voyais pas la fin, mais qui me forçaient à demander. Depuis qu’ils sont chez eux, je n’ai jamais pu trouver dans ma mémoire, malgré tous mes efforts, que les deux premiers mots de l’oraison de saint Bruno, que j’avais dite par cœur pendant plusieurs années de suite. Aussi ne la dis-je plus. Permettez, ma bonne Mère, que je vous demande de nouveau pardon de toutes les peines que je vous ai causées. Dieu me met en voie d’expiation en me donnant la charge que vous avez portée à mon égard ; mon plus grand bonheur sera de vous former de dignes filles ; sinon, j’aime mieux mourir. Je suis avec respect, ma bonne Mère, votre très humble servante. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur À Paris

1

La Grande Chartreuse (Isère, France) est la maison-mère de l’Ordre des Chartreux fondé en 1084 par saint Bruno (1040-1101).



Lettre 70

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LETTRE 70 L. 3 AUX RELIGIEUSES DE SAINTE-MARIE D’EN-HAUT SS. C. J. et M. 

Paris, à Saint-Thomas [1818]1 Mes très chères Mères et Sœurs, En me considérant moi-même, je n’attendais aucune marque de votre souvenir, sachant bien que je ne mérite que l’oubli et que je serais même intéressée dans le sens qu’en se rappelant de moi, il est presque inévitable qu’on se rappelle tant de fautes qui ont nui à un établissement pour lequel je voudrais donner ma vie ; et qui font l’objet de mes plus amers repentirs. Mais ensuite, connaissant cette charité qui fait le lien de notre sainte Société, je ne m’étonne point de vos prévenances et je vous prie d’y ajouter le pardon de mes fautes passées et des prières pour en éviter de semblables à l’avenir. Il faut bien que vous soyez miséricordieuses comme Dieu l’est à mon égard ; il ne fait ordinairement qu’une grâce distinguée dans la vie, source de beaucoup d’autres. Cette grâce distinguée pour moi a été mon retour à Sainte-Marie et mon union avec la Société privilégiée du Sacré-Cœur ; c’était bien au-delà de ce que je pouvais espérer ! Et cependant, malgré que j’ai si peu profité de tant d’instructions sur la solide perfection, de tant de discours, d’exemples, de traits sublimes dont j’ai connu les auteurs, Dieu dans sa bonté me montre une nouvelle carrière qui entraîne toute ma reconnaissance et confond mes pensées ! Déjà beaucoup d’évêques nommés applaudissent au voyage d’Outre-Mer et y donnent de loin leur bénédiction, entre autre notre digne et pieux supérieur Monsieur d’Astros, nommé évêque d’Orange, auquel notre Mère a bien voulu me présenter ainsi qu’Octavie ma future compagne et qui nous a encouragées. Mais combien l’une et l’autre, nous avons besoin de vos prières continuelles ; une infidélité peut tarir la source des grâces et nous en commettons sans cesse. Le bonheur nous est promis, les grâces nous sont offertes, mais nous ne les avons pas encore obtenues. Que de motifs de crainte et de vigilance ! J’espère que vous ne cesserez pas de prier la Sainte Vierge et saint Régis pour cette grande affaire. J’ai bien versé de larmes 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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sur l’Amérique devant la Sainte Vierge qui a obtenu à saint François de Sales la guérison de sa tentation ; elle est maintenant à Saint-Thomas [de Villeneuve], où j’ai passé plusieurs mois. Je crois lui devoir beaucoup, ainsi qu’à celle de Montmartre. Invoquez-les spécialement, je vous prie. Combien notre zèle doit s’enflammer ; il est vrai que Dieu semble nous refuser à la Pologne ; mais on demande pour l’Espagne, la Normandie, la Lorraine, le Languedoc, etc. L’évêque nommé à Fez nous a prêché le jour de Noël et celui de Verdun, le jour de la Conception [de la Vierge Marie]. Je suis toute à vous dans le Sacré Cœur. Philippine

LETTRE 71 L. 2 À MADAME DE ROLLIN, RUE SAINT-HONORÉ  N° 352, À PARIS1 N° 2 Ce 24 [janvier] 1818 Ma bien bonne Cousine, Depuis que j’ai eu le plaisir de te voir, j’ai reçu la visite de mon cousin Augustin et de son aimable famille. Il me propose l’argent que M. de Mauduit l’avait prié de me compter, et je lui ai demandé d’être encore mon débiteur ; mais dès le lendemain, j’ai su que notre départ serait devancé et il est nécessaire que tout l’argent que nous emporterons soit à Bordeaux le 10 ou le 11 février. Je voudrais donc te prier, toi pour ce qui te reste, mon cousin Augustin et mes cousins Scipion et Casimir de me retourner ce qu’ils nous doivent par des lettres de change par Bordeaux pour la date que je t’ai marquée2. 1

2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 2 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 2-3 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Augustin, Scipion et Casimir Perier sont les frères de Joséphine Savoye de Rollin. Augustin-Charles Perier (1773-1833), ami d’enfance de Philippine, fut l’un des premiers élèves de l’École polytechnique (1794) et de l’École des Mines dont il sortit ingénieur géographe

Lettre 71



239

Mon frère m’a envoyé pour 7 000 F de billets à verser que je ne me suis pas pressée de retirer, attendant le moment du besoin, mais je voudrais bien que ces différentes sommes ne souffrissent pas de déchet par le change, ni de retard ; celles qui viennent avec moi ne portent que leur bonne volonté. L’évêque nous avertit de ne pas compter sur lui ; les frais de voyage et la nécessité de se pourvoir d’une habitation absorberont tout. Voilà ce qui force à tout recueillir ; l’argent n’est à désirer qu’autant qu’on l’emploie utilement. J’attends ta réponse pour envoyer mes billets. Tout à toi, Philippine Fais part de mes projets à Augustin, pourvu que cela n’aille pas à mes sœurs.





en 1797. Marié en mai 1798 à Louise-Henriette (dite Églantine) de Berckheim (1772-1863), il contribua à la fondation de la banque Perier, à Paris, fut conseiller général de l’Isère, chargé des affaires de son père en Dauphiné pendant l’installation de celui-ci à Paris, et par la suite président du Tribunal de Commerce de Grenoble. Représentant du département du Rhône aux Cent-Jours (1815), il fut ensuite député de l’Isère (1827-1831) et pair de France (1832). Décédé le 2 décembre 1833 au château de Frémigny, à Bourray-sur-Juine (Ile de France), il fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Antoine-Scipion Perier (1776-1821) épousa en 1802 Louise-Charlotte-Sophie de Dietrich (1774-1832). Il fonda la banque Perier, Flory et Cie avec son frère Casimir, fut régent de la Banque de France (1818-1821). Propriétaire de la fonderie de Chaillot, de filatures de coton et de laine, de deux raffineries de sucre, il fut membre du Conseil général des manufactures et du Conservatoire des Arts et Métiers. En 1819, il fut nommé au Conseil supérieur du Commerce, administrateur de la Compagnie d’Anzin et de la Compagnie royale d’Assurances, directeur de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance. Casimir-Pierre Perier (1777-1832), engagé dans l’armée d’Italie en 1798, fut adjoint à l’état-major du Génie militaire. À la mort de son père, en 1801, il quitta l’armée, devint l’un des gros actionnaires de la Compagnie des mines d’Anzin. Le 13 octobre 1805, il épousa Pauline Loyer (1788-1861). Opposant libéral à Charles X pendant la Restauration et régent de la Banque de France (1822-1832), député de la Seine (1817-1827) puis de l’Aube (1827-1832). Il fut élu président de la Chambre des députés le 6 août 1830, nommé ministre de l’Intérieur du gouvernement de Louis-Philippe, le 13 mars 1831. Il succomba à l’épidémie de choléra, le 16 mai 1832, fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise, où un tombeau-mausolée lui fut construit en 1837, surmonté de sa statue et orné de trois bas-reliefs représentant l’Éloquence, la Justice et la Force.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 72  

L. 3 À MADAME DE ROLLIN, RUE SAINT-HONORÉ, HÔTEL DE MAYENCE, PARIS1

SS. C. J. M.

[28 janvier 1818] Recommandée à St A. de Padoue Ma bien chère amie, Pour profiter de ton offre obligeante, je t’envoie tous nos billets. Il y en a un chez mes cousins Perier qui n’est pas échu, mais j’espère qu’ils voudront bien en devancer le payement, puisque nous ne prenons aucun intérêt des sommes payables depuis plusieurs mois. Je n’ai pu non plus faire une quittance de ce que mon cousin Augustin Perier doit me donner de la part de Mme de Mauduit parce que le montant de la somme m’a échappé ; je l’enverrai aussitôt que je le connaîtrai. Sur toutes ces sommes, je prie mes cousins de me donner une lettre de change de 600 F pour nous acquitter envers M. Jouve et tout le reste en lettres de change sur Bordeaux, payables le 12 ou 13 février et endossées en mon nom, si mes cousins ne pouvaient sans se gêner en donner assez pour compléter le payement. On m’a parlé d’un banquier de Paris qui s’emploie pour notre œuvre et à qui nous pourrions nous adresser en confiance. Je t’ai déjà dit qu’il était inutile de faire solliciter auprès du ministre de la Marine, outre qu’il ne reviendrait pas sur le refus qu’il a fait. Nos conventions doivent être faites avec le capitaine du vaisseau qui nous conduira et tu sens que, conventions faites, il faudrait toujours payer. Nous mangerons presque tout notre argent en route, mais Dieu qui a voulu l’œuvre la soutiendra. Mais comme il entre dans ses desseins de s’aider des protections qu’on peut avoir, je te recommande cette œuvre et te prie de t’employer pour elle tant que tu vivras. Tu auras la consolation d’aider au salut des âmes qui se perdraient si on ne leur donnait la pâture spirituelle et souvent temporelle pour les attirer. Tu feras cela moins par l’amitié qui nous lie et dont les liens me sont 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 3 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 4-6 ; Lettres dactylographiées. C C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.



Lettre 72

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bien doux, qu’en vue du sang de Jésus-Christ qui se perd souvent par le défaut de zèle à aider les entreprises qui ont pour but de lui gagner des âmes. Réponds-moi de suite si tu peux faire quelque chose pour l’ornement noir, nous n’aurons plus le temps d’attendre la teinture. Je crois t’avoir déjà priée de faire part à mes cousins, surtout à Augustin et à Camille [Jordan]1, de ce qui va s’exécuter pour moi. Mais je mets beaucoup d’intérêt à ce que mes sœurs n’en soient point prévenues avant que je leur écrive. Dis aussi à Mme Teisseire que le départ sera avancé. Si tu as une occasion pour Valence, je te prie de faire rendre à Mme de Mauduit un traité par acte public que je t’envoie, et sur lequel elle ne me doit plus rien par le moyen de ses remboursements. Adieu, ma bonne cousine, mon affection pour toi sera de tout temps et en tous lieux. Je suis dans le Sacré Cœur, Philippine Duchesne Ce 28 janvier 1818 1 lettre de change 2 de 1 500 3 de 1 000 1 de M.M. Perier 1 de la part de M. Maillucheau Ce que Aug. Perier a à M. de Mauduit, de Mme de Rollin

1

2 000 3 000 2 000 2 000 1 212,10 c. 5 000

Avec eux, dans leur enfance, Joséphine et Philippine ont partagé des études et des jeux.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 73

L. 4 À MADAME DE ROLLIN

à Madame Teisseire, chez Madame Bergasse1 pour être remise S.V.P. à Madame de Rollin, à Paris2 SS. C. J. M. 

N° 4 Lundi [fin janvier] 1818 Ma très chère amie, Mes deux courses chez le commissaire de police m’ont fait sentir plus vivement combien je t’ai d’obligation de tant de courses éloignées, en bravant continuellement le mauvais temps pour nous rendre service. Je te dois mon retour à Sainte-Marie et je sens que je te dois tout en ce moment. Je comptais que nous serions trois à nous présenter chez le commissaire, mais notre Sœur d’Amiens [Catherine Lamarre] n’arrive que jeudi ; le temps sera trop court pour avoir son passeport ici. Il faut le mettre au rang des deux de Bordeaux. On m’a dit que les consuls de Bayonne et Bordeaux délivraient continuellement des passeports pour l’Espagne ; ce sera notre ressource, si nous n’obtenons pas une faveur que je te prie d’obtenir, d’être sûre ici de leur permission pour sortir du Royaume. Je pense que s’il est nécessaire d’aller au Préfet de police, nous pourrions nous tirer d’affaire sans le secours de mes bons parents que cela peut déranger. Fais-moi dire quelque chose ce soir ou demain matin, ou même envoie-moi nos papiers. Tu pourrais charger M. Ricolet, marchand épicier, qui demeure dans la même maison que Mme Bergasse, de nous faire tenir la lettre de suite en la recommandant.

1 2

Mme Teisseire est sa cousine, née Marine Perier. Mme Bergasse est Amélie (1800-1881), fille de Mme Teisseire, qui a épousé Joseph Bergasse (1788-1861) le 20 janvier 1818 à Paris. Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 4 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 6-7 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 74



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Dis-moi si tu n’as point été incommodée du froid d’hier. J’ai eu l’inattention de ne pas m’apercevoir que tu t’étais découverte, et toi tu prends tant de précautions pour moi. Je suis toute à toi. Philippine Mille compliments à Mme Teisseire et à ses filles.

LETTRE 74

L. 5 À MADAME DE ROLLIN N° 5 Dames du Sacré-Cœur, rue des Postes N° 401

Demande de trois passeports pour trois religieuses qui se rendent de Paris à Bordeaux, où elles doivent s’embarquer pour La Nouvelle-Orléans : Mesdames Octavie Berthold âgée de 28 ans Catherine Lamarre 38 Philippine Duchesne 48 Demande pour qu’il soit délivré au Préfet de Bordeaux la permission d’accorder des passeports à des religieuses qui doivent également s’embarquer pour La Nouvelle-Orléans : Mesdames Eugénie Audé âgée de 26 ans et Marguerite Manteau de 38 Nom du vaisseau : La Rebecca.

1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 5 ; Cahier Lettres à Mme de Rollin, p. 8. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 75

L. 6 À MADAME DE ROLLIN N° 61

Rappel de la promesse d’une lettre de recommandation auprès de l’ambassadeur de France aux États-Unis pour Madame Philippine Duchesne et quatre autres religieuses de la Société du Sacré-Cœur qui, à la demande de l’Évêque de la Louisiane, vont dans son diocèse pour former une maison pour l’instruction des jeunes demoiselles et des pauvres.

LETTRE 76

L. 46 À MADAME JOUVE, À LYON Paris, ce 1er février [1818]2

Ma bien chère Sœur, Je te parle de Madame Bigeu, car l’établissement dont je t’ai parlé devant probablement avoir lieu bientôt, je ne serai pas à Paris à cette époque. J’en partirai peut-être même dans la huitaine. Bordeaux sera ma première station, et si Dieu n’y met point obstacle, la Louisiane, la dernière. J’ai eu occasion de connaître ici Mgr Dubourg qui en est évêque ; depuis longtemps je le désirais pour m’ouvrir à lui sur mes désirs d’instruire les infidèles, désirs longtemps combattus par mes supérieurs et confesseurs, mais enfin la Providence a tout ménagé pour leur accomplissement. Mgr Dubourg m’a témoigné beaucoup de bonté et nous habiterons la même ville que lui. Il était convenu que nous partirions six au mois de mai, mais le départ plus prochain d’un capitaine de vaisseau très connu, celui d’un des grands vicaires et autres missionnaires l’ont fait devancer, et sans des obstacles, je quitterai la France ce mois-ci ; mais en la quittant, j’emporterai mes affections, mes souvenirs pour mes bonnes sœurs et leurs enfants. Vous prierez pour moi, je le ferai pour vous, et au moment où je 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 6 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 8. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 83-84 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 77



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quitte tout pour travailler au salut de quelques âmes, je forme les vœux les plus ardents pour que vous vous attachiez au seul nécessaire ; dis-le surtout à Henry et à mon Amélie à qui je n’ai pas le temps d’écrire. On ne fait pas un tel déplacement et si précipité sans avoir bien à faire. Je suis et serai toujours bien à toi dans le Sacré Cœur de Jésus. Philippine Duchesne P.S. Mille tendres compliments à mon beau-frère. Toute la famille Perier est bien ; le mariage est fait. Ma bonne Mère Barat entend bien qu’après Constance, Joséphine prendra sa place à Grenoble. Les dernières nouvelles d’Euphrosine ne m’ont point contentée ; elle montre une vertu et une résignation parfaite ; elle est soignée d’affection et aux petits soins, sois en sûre ; Dieu permet qu’ils n’aient pas de succès, il ne faut voir que sa volonté.

LETTRE 77

L. 6 À MADAME DE MAUDUIT, À CREST [Février 1818]1 

Ma très chère amie, J’ai reçu de mon cousin Augustin [Perier] la somme de 1 514 F dont je t’envoie la quittance. J’ai remis à Mme de Rollin le traité qui était entre nous, elle te le fera passer à la première occasion2. Je la vois assez souvent ; la noce est faite et tout le monde est content. Je vois aussi Mme Teisseire qui est la bonté en personne3. J’ai confié à ces deux bonnes cousines le projet dont je viens aussi te faire part. Depuis longtemps, un attrait bien prononcé et bien 1 2 3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 78-80 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Les conventions financières mentionnées dans la lettre 173, p. 242 à Mme de Mauduit, juillet 1817. Mme Teisseire, née Adélaïde-Hélène (dite Marine) Perier (1779-1851), s’est mariée en 1794 avec Camille Hyacinthe Teisseire (1764-1842), industriel et homme politique.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

fort m’attirait à l’instruction des infidèles ; je songeais même à aller en Chine, mais cela est impraticable puisque les femmes n’y peuvent point paraître. Dieu a eu égard à mes vœux et m’a fait trouver plus près et à moins de frais le bonheur que j’attendais. J’ai vu à Paris l’évêque de la Louisiane et c’est dans son diocèse que j’irai travailler à l’instruction des Sauvages et former avec des compagnes une maison de notre Société. Le départ était fixé au mois de mai, mais celui de différents missionnaires, la commodité d’un vaisseau connu et d’un bon capitaine ont déterminé de partir ce mois-ci. Je quitte Paris dimanche ; nous ne serons que cinq de cet embarquement, mais au mois de septembre, il y en aura un autre. J’espère que tu me donneras de tes nouvelles. Je te demande un envoi de graines de toutes sortes dans celles que tu as, avec les étiquettes et le temps de la semence. La terre est si fertile dans l’endroit que nous habiterons qu’un bœuf est totalement caché dans l’herbe des prairies. Si tu pouvais faire ce petit envoi par le roulage, tu l’adresserais à M. Caseaux chez M. Johnston, façade des Chartreux à Bordeaux, pour l’évêque de la Louisiane ; en dedans du paquet, une lettre qui indiquerait que c’est pour moi. Crois, ma bien aimée Sœur, que je te serai toujours unie ; toi, tes filles, ton mari, ton fils1, seront l’objet continuel de mes vœux. Dis à Amélie [de Mauduit] de se rappeler sa première ferveur et de ne point oublier l’unique nécessaire. Adieu ma tendre sœur, fais dire une messe à saint Régis. Philippine

1

Amédée de Mauduit du Plessis (1790-1875) sera général, commandant du département de l’Ain, officier de la Légion d’honneur et chevalier de Saint-Louis. Son frère Adrien est décédé à l’âge de 12 ans en 1817.

Lettre 78

LETTRE 78

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L. 4 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M. 

[Paris, 4 février 1818. Sur le point de partir pour la Louisiane]1 Ma bonne Mère, J’ai reçu votre lettre avec reconnaissance du zèle que vous avez mis à embarquer nos effets et de l’intérêt constant que vous me témoignez ; au fond, votre plus grande joie est, comme juste sans doute, d’être contente de voir porter la dévotion au Sacré Cœur au-delà des mers. Elle a fait des merveilles en Chine ; priez pour qu’il en soit ainsi en Louisiane. Dieu se montre évidemment ; chacune maintenant me félicite et bénit l’entreprise ; beaucoup disent : « J’envie votre sort. » Il est vraiment à désirer ; Octavie gagne bien au départ puisqu’il lui procure de faire ses derniers vœux, un an après les 1ers ; Eugénie Audé sera peut-être encore plus favorisée ; elle est arrivée ce soir, quoique chacun croyait impossible qu’elle pût être ici dimanche. Il semble que Dieu l’a fait voler. Elle a laissé tout le monde faible et souffrant à Quimper ; elles demandent du secours. Dans votre dernière [lettre], vous me dites de remettre 50 F à notre Mère sur les 400 que vous avez donnés de trop pour le 10e, mais vous vous trompez, il y manquait même 60 F2. Les nouvelles maisons ne pouvant encore fournir le 10e, les dépenses auxquelles ils s’appliquent surpassent la somme où il monte. L’établissement que nous allons essayer coûtera gros à cette maison, mais tout le monde y prend intérêt ; il a ravivé Mère Bigeu qui est mieux ou du moins le paraît, car elle ne dit rien de sa santé. Notre Mère a été fort souffrante, ne dormait pas. Je ne sais si Octavie a prié, mais la nuit qui a précédé la profession, notre Mère a dormi d’un seul trait, a pu se lever et être à la cérémonie faite par le Père Varin. Mère Grosier est allée reprendre la supériorité à Poitiers, elle a emmené Mère Brigitte qui avait accompagné la Mère de Charbonnel 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Cahier Y, Lettres de la Mère Duchesne, p. 1-4. Le dixième est la somme prise sur les pensions des élèves, que chaque maison envoie à la maison-mère.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

que voilà à sa place d’économe générale. Je lui ai rendu mes comptes1. Ayant permission d’aller demain à Montmartre avec Octavie, nous passerons aux Missions pour entendre la messe à l’autel de saint Xavier. On n’a remis pour Mère de Crouzas que 540 F au lieu de 600. M. Jouve m’ayant dit avoir payé le dernier semestre, je lui ai fait payer notre dette ; il doit à sa fille 450 F par an, au 1er janvier et 1er juillet. Si vous avez déjà envoyé… (Il manque la dernière page).

LETTRE 79

L. 3 À EUPHROSINE JOUVE

SS. C. J. et M.

[Février 1818]2 Je quitte Paris, ma bonne Aloysia, et bientôt la France ; nous nous reverrons, je l’espère, au moins au ciel, si sur la terre nous n’obtenons pas cette consolation. Offre tes souffrances pour nous et nous prierons pour toi. Nous avons fait aujourd’hui avec Octavie [Berthold] un pèlerinage pour obtenir de nouveaux protecteurs. Nous avons visité la Sainte Vierge de Saint-Sulpice et celle de Saint-François de Sales. Nous avons été à l’église des Missions Étrangères entendre une messe à l’autel de saint Xavier et avons communié de la main de l’évêque de la Chine. De là, nous avons été à Montmartre. Notre Mère est mieux. J’apprends que tu es souffrante ; que tes maux soient ta prière pour moi et pour nos abandonnées [les Indiennes]. J’offrirai pour toi les vœux éloquents des pauvres. Envie mon bonheur et goûte le tien. Dieu veut nous séparer, il nous réunira dans son Cœur. Adieu, chère et bonne sœur. Philippine 1 2

En l’absence de la Mère de Charbonnel, Philippine avait assumé la charge d’économe générale. Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 80

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Mille choses aux Mères, Sœurs et élèves. J’ai annoncé mon départ à mes sœurs et à mon frère. [Au verso :] Pour Euphrosine Jouve Sainte-Marie d’En-Haut

LETTRE 80  

L. 4 À MÈRE BARAT (LETTRE D’OCTAVIE BERTHOLD, SUIVIE DE CELLE DE PHILIPPINE) 13 février 18183

La mission de la Louisiane, parmi tous les miracles qu’elle a opérés, en a fait un des plus frappants : c’est que ma digne Mère Duchesne nous donne sa bénédiction, et nous embrasse quand nous voulons. Elle a même trop soin de nous ; mais nous, nous pensons que c’est aussi de notre charge, ma Sœur Eugénie et moi, de veiller sur sa santé. Ayez la bonté, ma bonne Mère, de lui dire de nous obéir sur ce point ; elle fera tant, qu’elle se nuira tout à fait le tempérament. Son désir croît tous les jours. Nous nous divertissons ensemble d’avance, si on nous chassait de la Louisiane comme des coureuses, et si on nous renvoyait en France comme des paquets de linge sale qu’on jette au fond du vaisseau. Nous rions de tout, si bien que, quoiqu’il nous arrivât de fâcheux4, rien ne nous surprendrait. Du 14 février Me voici à la fin de mon papier ; mais il faut que je vous parle de notre sainte Sœur Marguerite qui me charge de vous présenter [mot

3 4

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Copie : Cahier Y, C-VII 2) c Writings, List-Varia, Box 9, Lettres de la Mère Duchesne, p. 4-8. Cf. Antoine Boissieu, SJ, Saint Evangile de Jésus-Christ, expliqué en Méditations pour chaque jour de l’année, ch. 2. : « Ainsi quoiqu’il m’arrive de plus fâcheux, en quelque état que vous me vouliez, je veux dire partout comme David, in Domino confido, je me confie entièrement au Seigneur », Lib. Jacquenod et Rusand, Lyon, 1786, p. 210.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

déchiré] et sa reconnaissance pour la mission que vous lui avez permise. Elle est avec nous depuis Poitiers où nous l’avons trouvée. Nous sommes allées nous présenter à l’archevêque de Bordeaux [Mgr d’Aviau], nous avons été introduites par Monsieur Boyer1, supérieur de cette maison, qui nous regardait toutes trois, mais surtout ma Sœur Eugénie et moi d’une manière extraordinaire. Après avoir bien examiné notre air pendant un petit quart d’heure, il a dit à Monseigneur l’archevêque : « J’ai beau scruté au fond de ces âmes, je n’y aperçois qu’un calme inaltérable. » « Et de la joie », a repris notre Mère. Il nous a parlé avec une extrême bonté, et Monseigneur nous a bénies avec un air paternel. Le Père Barat est venu nous confesser ce matin, il est bien bon, je n’attendais rien moins que cela du digne frère de celle qui occupe si souvent mon cœur. Recevez, ma digne Mère, et mes regrets et ma reconnaissance, et croyez-moi toujours votre enfant. Octavie Je vous demande bien pardon de vous avoir si mal écrit la première partie de ma lettre, mais j’avais si froid que je ne pouvais tenir ma plume. [Au verso, cette lettre de Ph. Duchesne :] Ma bien bonne Mère, J’ai le cœur moins malade qu’hier. Le bon Père [Barat] est venu nous voir et nous nous sommes confessées, toutes cinq ; j’en avais bien besoin. Comme le départ n’aura lieu qu’entre le 20 ou le 25, nous allons faire sous sa conduite une petite retraite. Notre voyage sera plus long et plus coûteux qu’on ne l’avait cru d’abord. Il eût été impossible pour des femmes par la route qu’a suivie Monseigneur ; il a beaucoup souffert et est passé par des chemins connus des animaux seuls, outre 4 000 F de dépenses par tête. 1

L’abbé Joseph Boyer (1762-1819), né à Rodez, accompagna en 1781 Mgr Jérôme-Marie Champion de Cicé, nommé à archevêque de Bordeaux. Il fut en 1789 directeur du Séminaire Saint-Raphaël, refusa le serment à la Constitution civile du clergé. En 1791, il fonda la communauté des « Dames Vincent » ou « Sœurs de Notre-Dame », dont il est resté le supérieur. Après le départ en exil de Mgr de Cicé, il devint administrateur du diocèse (1794-1802), puis vicaire général de Mgr d’Aviau.



Lettre 81

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Nous avons vu hier Monseigneur, de Bordeaux, et Monsieur Boyer qui nous a fait le meilleur accueil et veut venir nous voir. Monsieur Vincent1 qui se trouva avec lui, pour je ne sais quelle raison, ne voulait pas nous voir logées chez Madame Vincent. M. Dubourg m’attend (le frère de l’évêque). Je suis à vos pieds. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes n° 40 À Paris

LETTRE 81 L. AUX PENSIONNAIRES DE SAINTE-MARIE D’EN-HAUT SS. C. J. et M.

Bordeaux, ce 15 février 18182 À Mlles du pensionnat de Sainte-Marie d’en-Haut Mes bien bonnes amies et chères enfants, Dans ce moment où je quitte tout, presque aussi réellement que si j’allais mourir, puisqu’il est presque sûr que je ne vous reverrai plus sur cette terre, ainsi que tant de Mères, Sœurs, parents et amies, je me crois autorisée à demander beaucoup à Dieu, avec la même confiance que saint Pierre lorsqu’il disait à Jésus-Christ : « Nous avons tout quitté pour vous, quelle sera notre récompense ? » Ah ! Cette récompense que je 1 2

Il s’agit vraisemblablement de l’abbé Pierre Vincent, né à Bordeaux le 16 décembre 1779. Nommé curé de Saint-Laurent (du Médoc) le 10 mars 1817, il y resta jusqu’à sa mort en 1850. Original autographe et copie, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Autre copie : C-VII 2) c Writings, Duchesne-Varia, Box 9, Lettres de la Mère Duchesne, Cahier Y, p. 12-16.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

sollicite auprès de lui, c’est la grande, l’ineffable consolation d’apprendre que vous êtes toutes ferventes dans son amour, qu’il vous fait opérer de bonnes œuvres et que par là, vous tendez à cette piété solide dont l’heureux terme sera la jouissance de Dieu en ce monde par la grâce, et en l’autre dans l’état de la gloire. Oui, à travers l’immense espace qui va bientôt nous séparer, mon cœur vous cherchera encore et formera des vœux pour votre bonheur. Si je puis y contribuer en faisant prier pour vous l’intéressante jeunesse qui deviendra le troupeau de Jésus-Christ, je ne négligerai pas un moyen si fort selon mon cœur. Quand je me verrai au milieu d’une troupe d’âmes simples et innocentes, je dirai : « Prions pour ces enfants que j’ai quittés et qui ont mis par leur cher souvenir tant de prix à mon sacrifice ; prions pour vos premières bienfaitrices, elles ne vous connaissaient pas et déjà, elles priaient pour votre conversion et contribuaient à la procurer par les dons qu’elles vous destinaient. Rien de grossier ou d’humain n’a souillé leur offrande : elles ignoraient que des maîtresses et amies les distribueraient, les reconnaîtraient. Elles ont tout fait pour Dieu, pour le salut de vos âmes. » Combien alors seront-elles excitées à prier pour vous ! J’espère vous donner les détails de notre établissement dans le Nouveau Monde, si Dieu n’y met d’obstacle. J’aurais dû partir aujourd’hui avec mes quatre compagnes, mais il y a quelques jours de délai. Il me donne le temps de vous écrire et de vous engager à continuer à mettre de côté les objets qui peuvent être des récompenses et des moyens d’attirer les petites Sauvagesses que nous instruirons. J’espère les voir dans deux ou trois mois ; notre voyage par La Nouvelle-Orléans sera bien plus long que par Baltimore, mais moins dangereux. Nous remonterons le Mississippi sur des bateaux à vapeur qui sont faits comme de petits vaisseaux avec des chambres, où il se trouve des lits ; nous y serons vingt ou vingt-cinq jours. Ces bateaux sont poussés par la vapeur du feu. Dans l’incertitude où nous sommes du succès et des suites de notre voyage, priez beaucoup pour nous. Je suis dans le Sacré Cœur votre toute dévouée, Philippine Duchesne

Lettre 82

LETTRE 82



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L. 5 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

[Bordeaux, vers le 15 Février 1818]1 Ma très bonne Mère, J’ai été touchée de la sensibilité de vos dernières lettres et sans l’être moins des miséricordes de Dieu sur moi, il me tarde d’entrer dans le vaisseau qui me conduira au terme de mes désirs. Je puis partir tous les jours, comme aussi il peut encore y avoir du retard, cela tient au temps. Je laisse en France bien des objets chéris ; j’y tiendrai toujours par les liens les plus forts ; ils sembleront se resserrer encore quand par un bienfait que je dois à la Société, j’aurai la douceur de contribuer à l’étendre dans les terres nouvelles et d’y voir fleurir la dévotion de notre Cœur. Vous souhaitiez pour vous le même sort ; Dieu vous emploie utilement où vous êtes et moi qui ne pouvais rien faire ici, il essaie de me faire faire quelque chose ailleurs, comme ces sujets qu’on change de maison pour en tirer parti par différentes épreuves. Demandez que je ne sois pas toujours infidèle. Mes compagnes soutiennent leur courage et font bien des envieux, jusqu’à Monsieur Boyer grand vicaire ; il dit qu’il voudrait partir, s’il était plus jeune. Il nous témoigne beaucoup de bonté, ainsi que Monseigneur [d’Aviau] que nous avons été voir et qui nous a rendu sa visite ; aujourd’hui encore, nous avons eu sa messe qu’il a dite pour nous. Les Pères [jésuites], cela va de source ; Monsieur Debrosse2 veut bien se charger de recevoir et faire passer nos lettres quand il y aura manœuvre des vaisseaux. Vous pourrez donc lui en envoyer, surtout par occasion, mais ne donnez cette adresse à personne, par crainte d’imprudence ou d’indiscrétion. Les deux malles, la petite caisse et plants de vigne sont arrivés ; le port est de 170 F environ. Veuillez, je vous prie, en envoyant le tableau par le roulage, ne pas employer l’adresse que je vous avais donnée, mais celle-ci : à Mme Fournier chez Mme Caseaux, 1 2

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Robert Debrosse (1768-1848), SJ, est né le 23 mars 1768, à Châtel-Chéhéry (Ardennes). Emprisonné sous la Terreur révolutionnaire, il fut ordonné prêtre à Liège en 1798. Affilié aux Pères de la Foi, proches des Jésuites supprimés en France, il fut en 1803 supérieur du collège de Belley où était élève Lamartine. Il entra dans la Compagnie de Jésus en 1814, fut supérieur à Bordeaux, puis successivement à Sainte-Anne d’Auray, Billom, Paray-le-Monial et Laval. Il est l’oncle de Rosalie Debrosse, RSCJ. Il est décédé à Laval le 18 février 1848.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

rue de l’église, près de Saint-surin, N° 7. Monsieur Debrosse est trop loin du port, mais les petits paquets pourraient aussi lui être envoyés par occasion. Son adresse est au Petit séminaire. J’espérais avoir encore une lettre de M. Rambaud à qui j’ai écrit de Paris ; je l’ai attendue en vain. Je vous prie de le lui dire en me recommandant à ses prières. Je suis pénétrée de reconnaissance de toutes celles que vous faites faire pour moi ; vous aurez tout le mérite de notre mission et nous, tout le péril à l’âme et au corps. M. Marange a eu la bonté de vouloir nous donner du vin pour la route, je vous dois bien cette attention. Après plusieurs jours d’attente, j’ai enfin embrassé aujourd’hui Mme Marange et Mlle Émeline ; elles sont d’une bonté parfaite ; je n’ai jamais eu plus de sensible accueil. Élisa ne pouvant venir m’écrit une lettre charmante et on va nous charger de confitures et de pommes, fruit le plus utile pour guérir de la soif. À tant d’attentions et faites d’un tel cœur, j’ai bien reconnu celui de ma Mère Thérèse. Nous devons nous revoir. Je suis avec un profond respect, ma bonne Mère, votre ancienne fille et toujours sœur et amie. Philippine

LETTRE 83 

L. 7 À MESDAMES BERGASSE, TEISSEIRE ET DE ROLLIN PLACE SAINT-SULPICE, PARIS1

SS. C. J. M. 

[17 février] 1818 Mes très chères cousines, II m’aurait été bien doux, arrivant à Bordeaux, de vous entretenir dès les premiers moments, de vous témoigner mon inviolable attachement et toute ma reconnaissance. Elle a dû augmenter dans ces derniers temps, s’il est possible, par tant de courses faites pour moi, tant de services importants, tant de tendres sollicitudes. Toutes les miennes se reportent 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 7 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 9-11 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 83



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sur ce que je laisse de cher en France ; elles sont mises de côté pour moi, intimement convaincue que n’ayant eu que le désir de répondre à la vocation de Dieu et me livrant à sa Providence, les traverses et les épreuves ne pourront surmonter le secours que j’attends d’elle. Déjà notre voyage jusqu’ici a été heureux. Le vaisseau n’étant pas prêt, nous faisons quelques jours de retraite. Je ne suis encore sortie que pour aller chez l’archevêque et chez la sœur de mon futur évêque qui a fait six fois le voyage que nous entreprenons, et qui, connaissant parfaitement tout ce qui est nécessaire et étant pleine de zèle pour la mission de son frère, s’était chargée de faire faire nos lits, et dirige conjointement avec son frère notre embarquement. J’ai appris d’eux que les piastres sont maintenant fort chères, étant très recherchées pour le commerce de l’Inde ; ils n’en prendront que peu pour nous, et feront convertir nos lettres de change en autres papiers sur Baltimore et La Nouvelle-Orléans. Ils m’ont confirmé que la navigation sur le Mississipi devient tous les jours plus facile ; il y a toujours en marche onze bateaux à vapeur, presque aussi grands et aussi commodes qu’un vaisseau. Ils ont prévenu les Ursulines de La Nouvelle-Orléans de notre arrivée, et c’est là où nous logerons ou chez les parents de notre évêque. Les lettres pour le Consul de France nous seront bien nécessaires pour retirer promptement nos effets des douanes si nous repartons promptement, et pour une protection bien nécessaire dans ces pays, si éloignées que nous serons de tout appui. Je viens de recevoir les deux nouvelles lettres de recommandation pour l’Ambassadeur et le Consul et j’ai de suite mis de côté la première à l’Ambassadeur dans la crainte d’une méprise. À cette dernière attention de Madame de Rollin, je ne sais qu’ajouter. Déjà, elle devait vivre toujours dans le souvenir de ma gratitude ; je ne fais que lui dire qu’en accumulant ses bonnes œuvres, elle accumule pour elle un trésor inépuisable de pures jouissances en cette vie et de mérites de la charité pour l’autre. Les lettres de mes sœurs sont un poids pour mon cœur que je prie Dieu d’alléger, comme je le prie d’adoucir leur existence. Mais la croix est pour tous, et les seuls heureux sont ceux qui savent la porter. Rappelez-moi, je vous prie, à tous mes bons parents et surtout à mes chères Amélie [de Mauduit] et Henriette [Lebrument]. Le vaisseau quitte Bordeaux mardi pour aller jusqu’à Pauillac, mais je ne sais quel jour nous le monterons, cela ne peut tarder.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Je suis, avec l’affection la plus vive et la plus étroite, toute à vous. Philippine Duchesne 17 Février [1818] Mes compagnes vous offrent leurs profonds respects. Ne me rappelant pas l’adresse de Mme de Rollin, je prie Mme Bergasse de pardonner ma licence.

LETTRE 84

L. 7 À MADAME DE MAUDUIT, À CREST Bordeaux, ce 18 février 18181

Ma bien chère Sœur, L’évêque de la Louisiane, à qui tu recommandes ta lettre, est dans son diocèse et moi encore à Bordeaux où le vaisseau qui doit nous transporter ne part que dans quelques jours. Je connaissais assez ton cœur pour présumer que mon départ te ferait de la peine, mais aussi j’étais tellement convaincue de ton courage, de ta foi et de la justice que tu rendrais aux motifs qui m’animent et qui ont vaincu toutes les oppositions de mes supérieurs, que je jugeais d’avance que ma résolution n’altérerait point cette tendre union qui a fait la douceur de ma vie et qui donne maintenant du prix à mon sacrifice. Non, ce n’est rien de s’exposer à des périls quand on compare ce détachement à celui d’une tendre et sainte amitié ; mais non, elle subsistera, se fortifiera et s’alimentera par les privations, et Dieu tout libéral nous fera des grâces qui en seront le prix infini. Mes vœux t’accompagneront toujours et si Dieu bénit mes efforts, toi et ta famille, [vous] aurez grande part à l’œuvre de notre touchante mission. Dieu m’y attire par un long attrait et me l’accorde après bien des vœux. Il y a une conduite de la Providence si admirable dans la manière de leur accomplissement que toutes les saintes âmes y voient le doigt de Dieu. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 87-90 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 84



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Monseigneur de la Louisiane m’a témoigné un intérêt de père, et je me suis trouvée à l’aise avec lui comme si je l’eusse connu toute ma vie ; il a jugé plus convenable de nous préparer les voies et nous a promis de prendre nos intérêts comme les siens. Nous partirons cinq avec son grand vicaire et un autre ecclésiastique et un neveu de notre évêque qui connaît La Nouvelle-Orléans où nous allons d’abord, et avec qui nous pourrons continuer l’étude de l’anglais qui nous est nécessaire, quoique nous devions toujours parler français. Nous sommes logées ici chez de ferventes religieuses réunies en communauté et nous espérons aller aussi chez des Ursulines à La Nouvelle-Orléans ; le même vaisseau qui leur conduisit l’année passée neuf religieuses est celui qui nous conduit ; elles firent la traversée en 35 jours et eurent presque tous les jours la messe. Il doit encore en partir au mois de septembre avec des nôtres, si nous avons besoin d’être recrutées. Dans tous les cas, ne songe plus à la commission des graines : il m’est arrivé de Grenoble tout ce que je puis désirer. Mesdames de Rollin, Perier et Teisseire, ainsi qu’Augustin [Perier] et Camille [Jordan] m’ont donné toutes sortes de témoignages d’affection. Ils m’ont procuré des lettres de recommandation pour les consuls de France et l’ambassadeur auprès des États-Unis, dont nous allons dépendre. Ce sont le grand vicaire [M. Martial], le frère et la sœur de notre évêque [Mgr Dubourg] qui prennent toute la peine de notre embarquement ; nous profitons de notre temps pour une retraite, le jour du départ n’est pas assuré et ne peut l’être à cause des vents, mais j’écrirai au dernier moment à Mme Jouve qui, comme toi, m’a écrit la lettre la plus affectueuse. Les premiers missionnaires romains sont morts, trois ou quatre, victimes de leur zèle pendant la maladie contagieuse. Nous aurons dans le lieu même de notre habitation, et peut-être pour confesseur, un saint Lazariste romain, nommé Monsieur de Andreis1, il sera à la tête du séminaire et par conséquent, fixe à son poste. Le voyage nous est bien facilité pour remonter le Mississipi, par l’invention des bateaux à vapeur qui sont poussés par la vapeur d’un feu continuel et qui offrent le même espace et les mêmes commodités qu’un vaisseau. 1

Félix de Andreis, CM, né en 1778 à Demonte, dans le Piémont, a été ordonné prêtre en 1801. Il fut professeur de théologie à Rome, à Monte-Citorio. Parti de Bordeaux pour la Louisiane le 13 juin 1816, avec les P. Acquaroni, Carretti, Ferrari et Rosati, il fonda avec ce dernier le Séminaire Sainte-Marie des Barrens. Maître des novices, premier provincial lazariste en Amérique, il fut aussi vicaire général de Mgr Dubourg. En décembre 1819, il vint donner une retraite spirituelle aux religieuses, à la ferme. Il est décédé à Saint-Louis en 1820.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Je te remercie de la messe à saint Régis, rien ne pouvait me faire plus de plaisir. Adieu donc, ma bonne sœur, notre amitié est trop forte pour qu’une distance de chemin l’affaiblisse ; j’aimerai toujours tendrement et ma bonne sœur, et son mari, et sa sœur, et ses enfants. Rappelle-moi à eux tous et fais prier pour moi ; je le ferai constamment pour toi dans le Cœur libéral de Jésus-Christ. Philippine J’ai été voir l’archevêque de Bordeaux ; je devrais être sainte en fréquentant tant des saints.

LETTRE 85

L. 5 À MÈRE BARAT

SS. C. J et M.

À ma digne Mère Barat [Bordeaux] ce 18 février 18181 Ma bien bonne Mère, Nous sommes en retraite ; je n’ai vu personne de l’embarquement, et je ne sais pas plus le jour fixé de notre départ que dans ma dernière lettre ; ayez toujours la bonté de nous écrire de suite, j’ai l’espoir de recevoir votre lettre. Vous avez dû en avoir plusieurs de moi, et Mère Bigeu une. Réponse, je vous prie, au sujet des externes, si on pourra en admettre2, et permission de l’office des morts tous les six mois. J’ai enfin reçu votre lettre, ainsi que mes Sœurs. Combien nous vous avons l’obligation de ces précieuses marques de votre soin maternel, ainsi que du souvenir de Mère Bigeu pour chacune. J’ai remis sa lettre à Monsieur Barat, nous le voyons presque tous les jours. Il nous confesse 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 87, p. 35-40. Cf. Ch. Paisant, p. 80-84. L’admission d’élèves externes dans les pensionnats était alors refusée. Cette règle fut ensuite abrogée.

Lettre 85



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alternativement, mais ne nous fait point de discours. Il dit que le soir il est exténué, tant ses occupations sont multiples. Cependant il fait deux discours cette semaine à des espèces de Carmélites fort ferventes qui viennent de s’établir près de chez lui, et à qui Monsieur Wrints donne la retraite. J’ai été frappée de l’air exténué de ce bon père (M. Wrints), c’est un squelette surmonté d’une tête échauffée de manière à craindre un mal au nez grave ; du moins il m’a paru. Monsieur Jennesseaux n’a fait que passer et est reparti pour Forcalquier1. J’ai été chez Mme Fournier, sœur de Mgr Dubourg, qui nous avait arrêté un logement, une servante, et une personne pour nous fournir la nourriture ; tout cela près de la Réunion où elle voulait au moins nous mener2 ; en vérité je m’en suis défendue par la raison de la retraite. Elle s’est aussi occupée de nos lits, et parle maintenant des douceurs, c’est-à-dire des choses à emporter pour les besoins du corps, en fait de nourriture. Quant au vin, M. Marange a la bonté de s’en occuper3. Monsieur Boyer nous a fait hier une longue visite, nous témoigne beaucoup d’intérêt et nous annonce de grandes consolations. Il doit me donner des reliques. Je ne sais si c’est lui qui serait le plus opposé à la réunion4 ; je soupçonnerais plutôt Madame Vincent qui tient à ses usages, je crois, plus jésuites que nous ; à la mère, sœur, frère, nièce sur le sort desquels elle aurait pu concevoir des inquiétudes, si le gouvernement eût changé. Il est impossible d’avoir plus d’attentions et de charité qu’elle en montre pour nous, ainsi que ses Sœurs, dont nous sommes fort édifiées. Mais tout ce bonheur qui m’environne n’est ni vous ni mes Sœurs, et quoique Dieu soutienne ma force et même l’ardeur de mes désirs, cependant je me suis trouvée, arrivant ici, dans un état d’angoisse, de dureté, de noirceur qui me firent insister, entrant dans l’église de Saint-André, sur ces paroles : « O bona Crux, diu desiderata et jam concupiscenti animae praeparata5. » Mes Sœurs ont eu aussi leur moment de faiblesse que j’entrevoyais et supportais au double, tout en apercevant bien des misères qui rendent plus étonnant le choix plein de bonté que Dieu a fait de nous. 1

2 3 4 5

Nicolas Jennesseaux (1769-1842), SJ, ancien Père de la Foi, fut recteur du collège d’Amiens. Entré en 1814 dans la Compagnie de Jésus, il fut recteur du petit séminaire de Forcalquier (Basses Alpes, aujourd’hui Alpes de Haute-Provence). La « Réunion au Sacré-Cœur de Jésus » est une maison religieuse de Bordeaux, à ne pas confondre avec les « Dames Vincent », qui reçoivent Philippine et ses compagnes. Parent de la Mère Thérèse Maillucheau, il habitait à Saint-André de Cubzac, au nord de Bordeaux. Il s’agit ici de l’union des Dames Vincent à la Société du Sacré-Cœur, réalisée le 20 juillet 1825. « Ô bonne croix, comme je t’ai attendue. Enfin, te voilà offerte au désir de mon cœur », Ancienne litanie de la fête de saint André, 30 novembre ; 2des Vêpres, Antienne du Magnificat.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Votre frère donne un bon coup pour jeter dans l’état de perfection les âmes qui résistent. Je crains toujours l’amour-propre et l’inconséquence d’Octavie. À peine étions-nous à deux rues du lieu où nous venions de tout quitter, quand les plus grandes pensées devaient nous absorber, qu’elle a sorti de sa poche son cahier d’anglais, pour l’étaler devant moi et ces Messieurs ; je l’ai fait refermer ; alors il a coulé quelques larmes. Je ferai plus de fond sur Eugénie, mais elle n’a pas encore ce qui conviendrait à l’œuvre ; elle m’a lu avec grand contentement une relation qu’elle vous écrivait sur notre voyage, pleine de puérilités, badineries, railleries. Je lui ai demandé si c’était le genre de nos Pères ; que vous aviez désapprouvé celle d’Olympie1, etc. Elle a d’elle-même refait sa lettre, mais elle ne me l’a pas lue. Il avait été convenu que nous ne ferions, pendant la retraite, de récréations que le soir. Catherine s’est senti besoin de parler le matin et a établi la récréation avec une et puis deux, et il s’y est dit des choses répréhensibles ; mais elle l’a tellement senti qu’elle est venue me les répéter. J’ai dit que, quand on aurait besoin de parler le matin, on viendrait avec moi à la récréation. Je crains que Marguerite n’ait jamais eu d’épreuves et qu’on l’ait trop vantée. Mais tous ces défauts sont moins grands que les miens sur lesquels je voudrais pouvoir vous rassurer, pour vous ôter les sollicitudes. Mais comment ferais-je ? Octavie disait que nous étions trop bien reçues partout, que nous n’avions pas de croix. Elle a été plus effrayée des moustiques qui nous assaillirent sur la rivière que de tout le reste. Je voudrais bien écrire à nos si bons Pères Joseph [Varin] et Monsieur Perreau. Mille respects en attendant. Mes précautions pour n’avoir pas de lettres de ma famille ont été inutiles ; l’amitié est industrieuse, il me fallait cette petite croix de plus. Je n’ai pas encore écrit à Mme de Rollin, j’en suis en peine, mais votre frère n’ayant pas jugé que je dusse aller chez le préfet, je ne sais comment lui dire que je n’ai pas fait usage de ses lettres2 ; plus tard, j’arrangerai mieux cela. Il faut lui dire que j’attends la fin de ma retraite et l’époque du départ. Pour l’instruction des voyageuses, il faut se persuader de plus en plus qu’il faut faire ses affaires par soi-même ; j’arrivai trop tard à la 1 2

Olympie Rombau (1797-1874), RSCJ, accompagna la Mère Bigeu à la fondation de Quimper en 1817. Philippine fait probablement allusion au style du Journal de voyage d’Olympie. Une fois encore, J. Savoye de Rollin use de ses relations pour faciliter les projets de Philippine. Depuis 1815, son mari est député de l’Isère, après avoir été de 1805 à 1814 préfet de l’Eure, de la Seine-Inférieure, des Deux-Nèthes, actuelle province d’Anvers (Belgique).

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diligence pour faire échapper au pesage tous les petits paquets qui étaient dans le fiacre qui arriva avant moi, tout était porté avec avidité sur l’impériale [la partie haute de la diligence], même le panier des provisions, que j’eus bien peine à ré-avoir ; comment s’assurer de la justesse du poids ? Je m’attendais à payer pour le ballot et la caisse 80 F ; on ne nous a fait grâce sur le tout que de 50 kilos, et nous avons payé, outre nos places, plus de 200 F1, à raison de 11 sols par livre. Voilà de quoi dégoûter des ports par la diligence ; toutes les réclamations ont été inutiles, on a saisi la feuille de Paris. Outre l’inconvénient du prix, il y a celui des distances ; on descend avant la Garonne, et tout ce qu’on ne peut porter avec soi est porté sur une charrette au bureau qui est très loin. On ne délivre que plusieurs heures après. Nous nous rendîmes à pied chez Madame Vincent qui avait envoyé une Sœur. Nous aurions souffert du froid sur le port et craignions la pluie pour attendre un fiacre. Je ne perdais pas de vue nos deux porteurs qui, malgré nous, ont sauté dans le bateau et ont laissé leurs cordes pour ne pas perdre nos paquets ; j’en avais grande méfiance. Enfin tout est arrivé, même les malles de Grenoble. Je vais m’informer du roulage de Paris, n’en sachant encore rien. Nous n’avons mangé qu’une fois à table d’hôte ; les regards affreux sur Octavie et les sourires malins m’en ont ôté la fantaisie, et une mauvaise soupe à quatre nous coûta 15 F. À l’autre coucher, une soupe et une omelette nous coûtèrent 12 F, après qu’on nous en eût demandé 15, et de fort mauvaise grâce. Quand nous ne nous sommes pas couchées, nous avons préféré du café au lait, qui nous a parfaitement soutenues et servi de dîner avec quelques petites choses du panier ; nous soupâmes ainsi fort bien à Barbezieux pour 6 F, cinq personnes et puis l’étrenne ; nous n’eûmes aucune peine à attendre le lendemain jusqu’à midi. Notre panier est arrivé plein à Bordeaux, tant il avait été bien garni ; il est vrai qu’à Poitiers, on l’avait augmenté. Nous nous portons toutes bien. Cependant notre Père Barat fait manger Octavie le matin et il en prend très grand soin. Votre seconde lettre [du 13 février 1818] vient de nous être remise et nous comble de joie. Je suis à vos pieds, pour toute la vie, votre soumise fille. Philippine 1

Cette somme paraît exorbitante, car le salaire d’un ouvrier allait de 1 à 5 F par jour. Pour payer de tels frais, Philippine a dû recourir à sa famille.

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LETTRE 86

L. 6 À MÈRE BARAT

SS. C. J et M.

[Bordeaux] 20 février 18181 Ma bien bonne et digne Mère, Je viens de recevoir le paquet de lettres de recommandation et écris de suite à Madame de Rollin. Comme je la connais et savais bien qu’elle ne m’oublierait pas, je les attendais pour lui écrire, elle a bien des droits à mon souvenir. Nous trouvons ici dans Mme Fournier une dame aussi zélée et aussi active qu’elle ; ayant fait six fois le voyage que nous entreprenons, elle est au fait de tout ; je lui trouve seulement trop de précautions, ma pente serait de n’avoir que celle de saint François Xavier dont j’envie la pauvreté, et de remettre nos santés à saint François Régis. Mais vous voulez ne pas négliger l’emploi des moyens humains ; ils seront tous ménagés, et je suis bien sûre de faire la volonté de Dieu en vous obéissant et en suivant les avis de votre frère, notre bon Père, à qui je soumets tout et il entre dans tous les détails (même du sucre). J’ai ri avec lui de la liste des douceurs de Mme Fournier ; elle vous viendra par occasion avec d’autres, afin de tranquilliser votre sollicitude maternelle. J’ai bien plus besoin de l’être sur votre santé, dont vous ne me dites rien en particulier. C’est toujours un baume d’avoir de vos lettres, elles vont former le second volume de mon recueil et me seront encore bien plus nécessaires à l’énorme distance qui va nous séparer. Nous sommes toutes fermes ; cependant Dieu a commencé les épreuves. La retraite a bien peine à aller ; je suis dure comme le fer, j’ai la tête pleine et bandée. On ne peut pas se faire une idée de l’embarras d’un tel voyage, cela ne finit pas. Nos ballots partis le samedi de la Quinquagésime [31 janvier] ne sont point arrivés. On écrit à M. Menglar. Madame Vincent a pour nous les attentions les plus soutenues, néanmoins nous sentons que nous sommes une charge et un embarras, ce qui augmente le désir de partir. Elle compte sur la Providence, tout en disant que personne ne lui donne rien, que le pain, cette année, lui a coûté 3 000 F de plus et les élèves, rendu 3 000 F de moins. J’admire 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 88, p. 42-44. Cf. Ch. Paisant, p. 84-85.



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sa vertu et celle de ses filles ; elle a six novices et quatre postulantes de bonne tournure, dont une seule domestique [sœur converse]. L’adoration de la nuit se fait par sept, qui couchent dans une même chambre près de la tribune où est celle qui est en station, et qui par conséquent ne peut avoir peur et n’a qu’un pas à faire pour éveiller [la suivante] ; on se relève d’heure en heure. La vie est sobre ; des truffes rondes presque à tous les repas, et du poisson de mer avec du riz, des pois ; mais les santés sont bonnes, excepté celle de Madame Vincent qui tousse et ne se soigne pas. J’ai déjà fait un grand pas vers le changement de nourriture, n’ayant jamais mangé [de] poisson de mer. Je suis à vos pieds, ma bonne Mère, votre indigne fille. Philippine Mes compagnes se portent bien, Octavie seule a ses maux d’estomac et ne jeûne pas. Je prie nos Mères et ses Sœurs de recevoir nos biens affectueux souvenirs en Notre-Seigneur. [Au verso :] À Madame Madame Barat Rue des Postes n° 40 À Paris

LETTRE 87

L. 7 À MÈRE BARAT

SS. C. J et M. 

[Bordeaux, le 28 février 1818]1 Ma très digne Mère, Je viens de recevoir votre quatrième lettre, qui en renfermait plusieurs de Grenoble. Cette bonté qui vous porte à m’écrire à chaque 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Bordeaux, 28 février 1818. J. de Charry, II 1, L. 89, p. 45-49. Cf. Ch. Paisant, p. 86-88.

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occasion me fait bien voir votre cœur qui voit combien le mien a besoin de cette consolation. Il cherche souvent à voir comment tout est autour de vous et cherche à voir vos peines pour les partager. Je m’aperçois combien j’aurais eu besoin de plus d’instruction de votre part. Je me trouve en incertitude pour les communions. Monsieur Barat leur dit : « Faites ce qu’on vous dira » ; et la plupart s’attendent à la faire presque tous les jours. Eugénie en particulier ; cela n’a pas fait un pli pour la neuvaine après ses vœux, qu’elle a eue exactement ; mais à présent, mais à l’avenir, il me semble qu’il faut une limite ; c’est celle qui se tient le plus à l’écart ; le reste va franchement et simplement. La voyant la plus propre à être dans les premières charges, je suis fâchée de lui voir une grande disposition à l’indépendance. Sans que j’en dise rien à votre frère, il me dit lui-même : « Tenez celle-là, il faut de la fermeté en même temps qu’il faut être mère. » Octavie est mieux, à l’âme et au corps ; son Père [Louis Barat] a pris soin de l’une et de l’autre, et m’a fait acheter du vin antiscorbutique pour la route. Les deux autres vont bien pour l’âme, gauchement au matériel ; la Mère Geoffroy n’a point dit que Marguerite avait eu un mal assez désagréable. Catherine a un cautère. La première sent mauvais, ce qui pourrait être fâcheux pour les enfants. Le neveu de Monsieur Dubourg est venu me proposer de monter sur le vaisseau jeudi, où il quitte Bordeaux. J’ai attendu pour répondre d’avoir consulté Messieurs Barat et Martial1, car s’il devait être plusieurs jours à Pauillac où il s’arrête2, il vaudrait mieux le joindre dans une barque. Dans tous les cas, vous aurez une lettre, ce jour-là, qui vous instruira du résultat. Tous nos effets de Paris et de Grenoble sont arrivés, mais les prix sont énormes ; notre compagnon de voyage [X. Evremond-Harissart]3 a payé pour ses effets 300 F à la diligence ou au roulage pour une malle et trois caisses. Je ne sais pas le juste [prix] pour nous, mais je m’attends à 900 F n’ayant pas vu les lettres de voiture qui sont encore chez M. Caseaux. Il faudra, d’autres fois, faire ses affaires par soi-même et 1

2 3

Bertrand Martial, né à Bordeaux en 1770, accompagna les cinq religieuses, de Bordeaux à La Nouvelle-Orléans, où il exerça son ministère sacerdotal durant plusieurs années. Il fut vicaire général de Mgr Dubourg, voyagea avec lui jusqu’à Saint-Louis, fut ensuite aumônier des Ursulines, à La Nouvelle-Orléans, où il est décédé en 1832. Pauillac est situé sur la rive gauche de l’estuaire de la Gironde, mais les religieuses iront rejoindre le bateau à Royan, port situé sur la rive droite. Xavier Evremond-Harissart, SJ, né à Paris le 15 mai 1792, s’est fait appeler Xavier Evremond. Ordonné par Mgr Dubourg dans le Missouri, il entra chez les Jésuites en 1831, à Bardstown, Kentucky. Il fut professeur d’astronomie et de géographie et eut divers autres ministères. Rentré en France en 1844, il est décédé le 13 avril 1859 à Paris.

Lettre 87



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mettre son prix. De Grenoble à Paris, le roulage accéléré est de 15 F pour cent ; et celui-ci a coûté 25 pour cent, la différence est énorme. Il faudrait peut-être aussi prendre à l’avenir le plus qu’il se pourrait dans la ville de l’embarquement. Il est fâcheux qu’on n’ait pu le faire au Havre, comme Mme de Rollin le conseillait. Monsieur Debrosse me dit qu’à l’avenir, il veut faire toutes nos emplettes de livres, c’est-à-dire en être le commissionnaire ; le jour où nous partirons, il fera dire les messes pour nous ; il nous a prêté Jean-François pour bien des emplettes : malles pour la chambre, parapluie, réveil, etc., nos lits composés d’un matelas, oreiller, deux couvertures, une moustiquaire coûtant 144 F chaque. Si nous restons ici longtemps, ce sera toujours de nouvelles idées de dépense, j’en suis lasse et en n’ai plus d’envie de partir, d’autant plus qu’à mesure que nous affaiblissons notre bourse, nous sommes plus à charge à Madame Vincent. Elle disait encore hier qu’elle vivait au jour le jour. Nous sommes dans le bien-être, mais ce n’est pas cela qu’il faut chercher. Elle, ses Sœurs, Monsieur Boyer nous comblent de bontés. Le saint archevêque [Mgr d’Aviau], à 82 ans, n’a pas dédaigné de nous rendre notre visite ; je l’ai manqué, étant à ce moment à la Préfecture, de l’avis de Monsieur Martial, pour plusieurs demandes. Je ne trouvai pas le préfet, je lui ai écrit en toute assurance sur l’empressement qu’il a montré de nous être utile d’après les recommandations de Mme de Drel et autres ; je ne sais si c’est à elle que nous devons les 150 F que nous a remis Monsieur Debrosse. J’adresse mes remerciements à elle ou aux demoiselles de La Myre ; c’est ce que je soupçonne. La tante de Mlle de Saluce veut venir nous voir demain. Nos places sur le vaisseau coûteront 900 F par tête. Les provisions de bouche seront de bonne qualité, il y a des volailles vivantes, du lait qu’un secret a appris à conserver naturel, etc. M. Marange a offert une barrique de vin, votre frère l’envoya à Monsieur Martial qui lui prouva qu’il le fallait en caisse ; je ne l’ai pas vu cependant. Mme Maillucheau et Mlle Émeline devaient venir aujourd’hui ; le mauvais temps les aura arrêtées. La Propagande remplace les missionnaires morts de Monsieur Dubourg, et une personne riche donne une grosse somme pour leur voyage. Il n’y a qu’une voix pour faire l’éloge de Monsieur Dubourg et de ses prêtres. Monsieur Barat a fait le plus grand cas de Monsieur Martial et d’un jeune homme ecclésiastique qu’il veut lui donner ; l’embarras est l’argent pour le voyage ; je vois qu’il en manque à notre compagnon de Paris et Monsieur Martial ne peut se faire payer, ses écoliers quittent parce qu’il s’en va. Je l’ai trouvé bien changé, et il m’a

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avoué qu’il souffrait beaucoup. Malgré tant d’embarras, je vous prie de ne rien nous envoyer du tout avant que je vous l’aie demandé ; c’est convenu avec votre frère ; je désire voir avant comment tout se démêlera ; pour l’intermédiaire, on pourrait avoir les Pères de Washington que j’apprends être la même ville que Georgetown ; une seule rivière fait la différence ou séparation. Je suis toujours avec Madame Vincent comme avec une sœur, mais toujours persuadée qu’elle ne désire point la réunion. Elle m’a parlé de ses souffrances avec la Mère Julie1, a répété plusieurs fois qu’elle était tracassière, leur avait ôté une règle sans leur en donner, qu’elle avait bien pleuré lorsqu’elle leur ôta l’adoration, etc. Il paraît qu’elle n’a pas goûté Maillard2. « J’en avais une comme cela, je l’ai renvoyée après douze ans », a-t-elle dit. J’ai répondu qu’elle était bien mieux. Elle a aussi dit que l’archevêque ne voulait point qu’on dépendît d’une maison d’autre diocèse. Mille choses à toutes nos Sœurs. Je suis à vos pieds. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes n° 40 À Paris

1

2

Sainte Julie Billiart (1751-1816) est la fondatrice des Sœurs de Notre-Dame de Namur. À la demande des Dames Vincent qui désiraient se réunir à sa congrégation, elle se rendit à Bordeaux en 1807, mais à la suite d’une mésentente, les Dames Vincent reprirent leur autonomie en 1811. Catherine Maillard aurait fait un essai dans la communauté des Dames Vincent, avant d’entrer au Sacré-Cœur.

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Lettre 88

LETTRE 88

L. 47 À MADAME JOUVE, À LYON Bordeaux, 1er mars 18181

Ma très bonne Sœur, Mon départ ayant été retardé, j’ai reçu ta lettre à Bordeaux, d’où nous partirons peut-être demain si le temps le permet. J’étais bien persuadée de tes sentiments pour moi, et l’idée du sacrifice de si bonnes sœurs est entrée pour beaucoup dans le sacrifice général que je fais à Dieu pour remplir ses desseins. S’il daigne l’agréer et bénir nos travaux, j’oserai lui demander en retour les plus abondantes bénédictions pour toi et ta famille à qui je demeure intimement unie ; et j’entretiendrai nos liens en te donnant de nos nouvelles. J’ai déjà écrit à Mme de Mauduit et te prie de faire passer cette lettre à Mme Lebrument. Nous sommes cinq partantes, toutes de notre Société, dont nous allons établir une maison dans le diocèse de Mgr Dubourg, à SaintLouis ou Louisbourg dans la Haute-Louisiane. Nous passerons à La Nouvelle-Orléans où nous devons loger chez des Dames Ursulines depuis longtemps établies. Ici, nous sommes dans une communauté bien édifiante. J’ai été une fois en visite chez l’archevêque et une autre fois à sa messe qu’il dit pour nous dans sa chapelle. J’espère que tant de saints qui prient pour nous, nous obtiendront de le devenir un jour. C’est le seul prix que j’attends de tant de séparations que Dieu seul peut compenser. Adieu, la plus chère des sœurs. Je ne t’oublierai jamais. Philippine Tout me confirme que nous aurons un des plus saints évêques, qu’on compare à saint François de Sales ; ses louanges sont répétées dans toutes les bouches. Ne m’oublie pas auprès de mon beau-frère et de tes enfants.

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 90-91 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

LETTRE 89

L. 6 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Ce 2 mars [1818]1 Ma bonne Mère, J’ai encore eu le temps de recevoir votre lettre, le même jour que je vous ai écrit en vous annonçant que j’avais vu Mme  Marange et Mlle  Émeline, dans la lettre qui contenait des cantiques. Voici aujourd’hui ma dernière de France. Le vaisseau est descendu aujourd’hui à Pauillac où nous irons le monter dans deux jours. Monsieur Martial grand vicaire sera le seul prêtre de l’embarquement et s’il est malade, ne se portant pas déjà trop bien, nous serons privées de la sainte messe. Mais comment m’en abattrai-je puisque vous nous prodiguez tant de vœux et de secours qui excitent toute ma reconnaissance ? Mon cœur ne s’en déchargera jamais. Quant à l’espoir de vous revoir, j’y compte peu. Vous faites le bien en France, et si Aloysia [Euphrosine Jouve] doit le faire ailleurs, il faudra bien vous quitter. Peut-être Dieu attend-il d’avance ce sacrifice pour la retirer de sa langueur, s’employer à sa gloire et vous dédommager par d’autres conquêtes ; car elle a vraiment été une des vôtres les plus marquées. Combien je vous remercie de vos soins pour elle et de votre charité pour les Lebrument ; ma sœur en est dans l’admiration et ne voit que la charité chrétienne qui puisse faire ce que l’amitié seule éviterait. J’ai encore vu ce matin votre bonne sœur et votre aimable nièce ; il faut avoir patience, mais j’espère que Dieu qui la travaille, se l’attachera un jour. Je pars comblée de leurs bontés, pénétrée des vôtres que le cœur de Jésus seul peut reconnaître. Le tableau que vous envoyez à Paris pourra partir par un autre vaisseau qui ne tardera pas plus d’un mois. Mille choses de ma part à toutes mes sœurs et enfants. Philippine

1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Cahier Y, Lettres de la Mère Duchesne, p. 38-40.

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Lettre 90

[Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau Supérieure à Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble

LETTRE 90

L. 4 À EUPHROSINE JOUVE Pour Aloysia

Bordeaux, [2 Mars] 18181

Ma bonne Sœur, Ayant remis moi et les miens aux divins Cœurs de Jésus et de Marie, je ne sais ni ce que tu fais, ni où tu es ; j’espère toujours sous la main de Dieu et disposée à faire ses volontés. Je me soumets d’avance à toutes les siennes ; et néanmoins j’ai senti que je te retenais encore. Dans mon sommeil même, il m’a semblé que tu m’appelais en me pressant, disant que je ne serais pas à temps ! J’ai semblé courir, mais me croyant proche de toi, le réveil m’a appris que j’en étais à plusieurs centaines de lieues, et j’ai renouvelé mon sacrifice. La même chose à peu près s’est passée par rapport à mes tantes de Romans ; fais m’en savoir des nouvelles et donne-leur des miennes. J’ai oublié de dire à Mère Thérèse que les frais de transport sont si énormes qu’ils vaudraient souvent plus que ce qu’on pourrait nous envoyer ; et je m’attends à ce que, faute de grosses sommes qu’il faudrait pour les retirer, cela pourrait se perdre. Je la prie donc de ne rien expédier pour nous avant de nouvelles lettres que j’écrirai, plus instruites de nos affaires. Rappelle-moi à tes chers parents, à Constance, aux Lebrument. Fais ajouter le nom de mes nièces à l’adresse de ma lettre pour le pensionnat, et qui viendra de Paris. Tout à toi dans l’intime de Jésus.

1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Lettre insérée dans celle adressée à la Mère Thérèse Maillucheau.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Prie Mme de Mauduit de faire acquitter pour moi une neuvaine de messes à La Louvesc, que je dois par obligation de vœu. Si mon frère retire ma rente, il peut en avoir besoin pour une commission que je donne à M. Jouve. Je vous prie donc de savoir ce qu’il faut ajouter à la lettre de change des Dames de La Nouvelle-Orléans. Quand tu verras mon frère, ma belle-sœur, la famille Teisseire, ne m’oublie pas auprès d’eux. Mille choses à mes sœurs. Si elles n’ont pas reçu mes lettres, copie le journal pour ta maman. Toutes 4 se portent bien et sont contentes. Je suis toute à vous dans le Sacré Cœur. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Maillucheau Supérieure à Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble France Départ. de l’Isère

LETTRE 91 

L. 8 À MADAME DE ROLLIN RUE SAINT-HONORÉ, À PARIS1

SS. C. J. M.

5 Mars [1818] Ma bonne Cousine, Le retard de notre embarquement me donne encore la douce consolation de t’exprimer ma reconnaissance. 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 8 ; Cahier Lettres à Mme de Rollin, p. 11-13 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 91



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Je t’ai déjà écrit une lettre commune avec Mme Teisseire et j’espère qu’elle te sera parvenue. Je n’avais point encore été chez le préfet, je n’ai pu le rencontrer ainsi que M. Rubichon et Mesdames leurs épouses ; mais ils ont l’un et l’autre témoigné le désir de nous obliger d’après les bonnes recommandations que tu m’avais procurées. Les parents que notre évêque a ici se sont chargés de toutes nos affaires qui sont bien compliquées, cela ne finit pas. Le grand vicaire qui nous conduit a du mérite à nous accompagner, cela augmente bien ses soucis. Cela servira à ma perfection car je souffre quand je vois que je cause de la peine ; il n’y a que ma bonne cousine qui a le talent d’ôter tout le poids de la reconnaissance, et de n’en laisser que la douceur. M.  le Préfet nous donne une lettre pour le consul de La  Nouvelle-Orléans, et m’a écrit une lettre pleine de bonté. Si en allant au vaisseau, je puis monter chez M. Rubichon, je lui ferai mes remerciements pour sa bonne volonté, que nous n’avons pas eu besoin de mettre à l’épreuve sauf pour être payées. Tout nous promet un heureux voyage : une multitude de vœux s’élèvent au Ciel pour nous ; le saint archevêque de Bordeaux a même dit la messe pour nous. Je pars donc tranquille sur les événements, s’ils viennent à être malheureux, Dieu les voudrait pour un autre bien que nous envisagerons dans sa volonté qu’il faut bénir en tout. Adieu donc, ma bonne cousine, reçois l’expression vive et tendre de mon éternel dévouement. Philippine Duchesne Mille affectueux souvenirs pour Mmes Teisseire, Perier, leurs aimables filles et mes cousins. Mes regrets à ma tante. Je ne pars pas aujourd’hui, les vents contraires arrêtent.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

JOURNAL 2 

JOURNAL POUR LA MAISON DES DAMES DU SACRÉ-CŒUR DE PARIS Septembre 18151

Les orages et les dernières persécutions du règne de Bonaparte, la révolution extraordinaire arrivée avant la fin de la première année du règne de Louis XVIII en France, avaient empêché de mettre fin à l’œuvre de notre Société. Il était besoin d’une réunion momentanée pour régler bien des points d’observance qui différaient considérablement dans les diverses maisons. Depuis la séparation de [la maison de] Gand qui avait prétendu s’uniformiser davantage à l’esprit des Jésuites, il ne restait que cinq maisons de notre Société : 1°) Amiens où l’on observait exactement la règle qu’avait rédigée Monsieur de Sambucy ; 2°) Grenoble, la seconde maison ; 3°) Poitiers ; 4°) Niort ; 5°) Cuignières. Dans ces quatre maisons, on n’avait de commun avec Amiens que ce qui s’était pratiqué dès le commencement de la Société ; et on avait refusé d’adopter les règlements de Monsieur de Sambucy jusqu’à une réunion qui représentât la Société tout entière et qui choisirait ou rejetterait ce qui paraîtrait devoir l’être en Notre Seigneur. Cependant ces retards donnaient de l’inquiétude à plusieurs, et M. de Sambucy qui était bien aise qu’on se fixât à son travail, chercha à le faire approuver du Saint-Siège. Il était alors à Rome et secrétaire de Mgr de Pressigny2, évêque de Saint-Malo et ambassadeur de France auprès de Sa Sainteté. Il chercha de plus à établir à Rome même une maison qui suivrait cette règle et obtint pour la former le local de SaintDenys appartenant aux Français. Il sollicita pour Mesdames Copina et de Sambucy, religieuses de la maison d’Amiens, les permissions nécessaires pour être déliées de l’obéissance à notre Mère Barat, quitter leur maison et venir dans celle de Saint-Denys s’unir à des religieuses de différents ordres sous le nom d’Ursulines réunies. La permission du pape pour l’établissement de cette maison à Rome fut prise trop légèrement pour une de ces approbations qui constituent un ordre religieux. En sorte que, d’après une lettre du Père Stephanelli du Collège romain, et tout dévoué à M. de Sambucy, qu’il écrivit à notre Mère générale et dont il fut envoyé copie à toutes les maisons, on se trou1 2

Archives de la Société du Sacré-Cœur, Province de France, B 06 115 I. Gabriel Cortois de Pressigny (1745-1823), né à Dijon, fut évêque de Saint-Malo (1786-1801). Nommé archevêque de Besançon en 1817, il le resta jusqu’à sa mort, le 2 mai 1823.

Journal 2



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va divisé d’opinion. Les unes, blâmant la conduite de Monsieur de Sambucy qui rejetait notre Supérieure générale pour en établir une à Rome, voulaient lui rester unies, même en supposant la vérité de l’approbation des règles de M. de Sambucy. D’autres, la plupart sorties d’Amiens et formées à l’amour et à la pratique de ses règles, par M. de Sambucy leur confesseur et Madame Copina leur maîtresse des novices, ne voulaient d’autres lois que les siennes et croyaient voir le pape de leur côté. Comme de part et d’autre, on ne voulait qu’aller au plus grand bien et chercher la gloire de Dieu, Il n’a pas permis qu’on fut longtemps dans l’erreur. Notre Mère générale, en réponse à la lettre et aux menaces de Monsieur Stephanelli si on ne s’uniformait à la maison de Rome, demanda qu’on lui fît connaître et la bulle et le rescrit et la règle approuvée. Monsieur Soyer, vicaire général de Poitiers et supérieur de notre maison dans cette ville, fit la même chose. De plusieurs côtés et par différentes voies, on fit encore la même demande. Pendant qu’on attendait leur effet, notre Mère générale, qui était malade depuis cinq mois à Amiens d’où elle avait vu partir à son insu Mesdames Copina et de Sambucy, se rendit à Cuignières et de là à Paris pour se concerter avec le Père Varin notre instituteur. La Mère Bigeu supérieure de Grenoble s’y rendit en même temps pour s’instruire de l’état de nos affaires, elle partit de Grenoble le 20 septembre. Il fut alors convenu qu’on ne mettrait plus de retard à cette réunion tant désirée et qu’on l’opérerait de suite en faisant venir à Paris les supérieures de chaque maison avec une professe. Toutes se trouvèrent rendues le 1er novembre, jour de la Toussaint. On ne tarda pas à savoir que la maison de Rome, commencée le 9 d’Octobre, n’était point regardée comme chef-lieu d’un ordre approuvé, mais un simple établissement qui n’avait d’autres faveurs du pape que celles qu’accordent les évêques aux communautés qui se forment dans leur diocèse. On fut éclairé à cet égard : 1°) Par le silence qu’on a opposé à la demande du décret d’approbation. 2°) Par le rapport de différentes personnes venues de Rome. 3°) Par les lettres écrites de Rome au supérieur de Poitiers et à d’autres. 4°) Par une réponse de Monsieur Stephanelli lui-même à une lettre écrite de Grenoble, dont copie fut aussi envoyée dans toutes les maisons et où, au lieu de pouvoir satisfaire sur l’approbation des règles, on ne parle que d’un rescrit pour l’ouverture de la maison et d’un indult du Saint-Père pour les religieuses d’autres ordres qui voudraient entrer dans la nouvelle maison de Rome.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

Les Mères réunies ici virent avec les personnes qu’elles consultèrent : 1°) Que le pape n’avait point approuvé les règles de Monsieur de Sambucy et encore moins exigé que toutes les maisons de notre Société l’embrassent. 2°) Que le premier dessein de nos instituteurs ayant été de nous dévouer spécialement au Sacré-Cœur de Jésus, celles qui voulaient suivre cette première vocation devaient avoir une règle où tout portât à aimer et glorifier le Sacré Cœur. 3°) Outre que ce point essentiel manquait au règlement de Monsieur de Sambucy, il avait encore changé le premier plan du gouvernement que nous avions vu pratiquer. Les Constitutions qui devaient nous être données venaient d’être terminées par le zèle et les soins du Père Varin. Avant de commencer la lecture à notre assemblée, elle fut réunie dans l’oratoire du Père de Clorivière, jésuite1. Il y fit à toutes un discours sur les avantages de la dévotion dont nous allions faire une profession spéciale. Ce fut comme la première séance du Conseil général ou assemblée des dix dames venues des cinq maisons de la Société. Elle se tint le [date non écrite]. Dans les assemblées suivantes, le Père Varin vint lui-même, accompagné du Père Dollet, faire la lecture des Constitutions et des règles. On fit en même temps les remarques que l’expérience de chacune rendait nécessaires et il s’ensuivit plusieurs corrections, changements, ou additions. Le tout forma une collection composée : 1°) Du plan général de l’Institut. 2°) Des Constitutions. 3°) Des règles de celles qui, avec la supérieure générale, forment le gouvernement de la Société. 4°) Des autres règles particulières. 5°) Des règles communes. 6°) Des règles de modestie. 7°) De la lettre de saint Ignace sur l’obéissance, telle qu’il l’avait écrite, mais traduite. 1

Pierre-Joseph Picot de Clorivière (1735-1820), SJ, entra dans la Compagnie de Jésus en 1756. Lorsque les Jésuites furent expulsés de France (1764), il partit à Liège, fut ordonné prêtre en 1763. Après un séjour en Angleterre, il revint en Belgique pour la formation de jeunes Jésuites en exil, puis rentra en France comme prêtre séculier. En 1790, il fonda la Société du Cœur de Jésus (ou Prêtres du Cœur de Jésus) et la Société du Cœur de Marie (ou Filles du Cœur de Marie), religieux vivant dans le monde. Il fut emprisonné de 1804 à 1809, prépara ensuite le rétablissement de la Compagnie de Jésus en France, dont il fut officiellement chargé en 1814. Il fut nommé supérieur et maître des novices jusqu’en 1816, où il demanda d’être déchargé de ses fonctions pour raisons de santé. Il est décédé à Montrouge.

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8°) Du cérémonial. 9°) D’une consécration au Sacré Cœur de Jésus propre à la Société. 10°) De différents arrêtés de l’assemblée sur le costume, la nourriture, la manière de s’appeler, de faire les lettres, de les sceller, de marquer le linge, les trousseaux, etc. Lorsque tout fut convenu, on prit jour pour l’élection de celles qui doivent former le conseil de notre Mère Barat Supérieure générale et pour la rénovation des vœux. On les fit précéder d’une neuvaine au Sacré Cœur de Jésus et à la Sainte Vierge, dans la chapelle des Dames de Saint-Thomas de Villeneuve et devant la statue miraculeuse de la Sainte Vierge, tirée de l’église de Notre-Dame des Grès, qui obtint à saint François de Sales le calme et la paix après sa furieuse tentation de désespoir. Le Sacré Cœur de Jésus a aussi un autel dans cette chapelle. Ces objets de notre plus chère dévotion et la circonstance de notre réunion et de nos assemblées dans la maison de ces dames doivent nous empêcher de les oublier jamais. 15 décembre 1815 L’élection des assistantes générales et des autres dames, membres du conseil, se fit le jour même de l’octave de la [fête de l’Immaculée] Conception, 15 décembre, en présence de Monsieur l’abbé Perreau, secrétaire du Grand aumônier de France qui avait bien voulu accepter la charge de notre Supérieur général, et qui le substituait en sa place. Après l’invocation du Saint-Esprit par le Veni Creator, on procéda aux élections par voie de scrutin secret et les trois assistantes générales furent : la première, la Mère Bigeu supérieure de Grenoble ; la seconde, la Mère de Charbonnel assistante de Poitiers1 ; la troisième, la Mère Grosier supérieure de Poitiers. On fit de la même manière l’élection des trois autres membres du Conseil général et on élut dans cet ordre : la Mère Desmarquest supérieure de Beauvais ; la Mère Geoffroy supérieure de Niort ; la Mère Eugénie de Gramont assistante d’Amiens2. 1

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Catherine-Émilie de Charbonnel (1774-1854), RSCJ, entrée dans la maison d’Amiens le 15 novembre 1803, prononça ses vœux le 21 novembre 1804 et remplaça Sophie Barat dans l’enseignement des hautes classes. En 1810, elle partit à Poitiers comme directrice des études. De 1815 jusqu’à sa mort, elle exerça les charges d’assistante générale et d’économe générale. Selon le Journal de Paris, Philippine la seconda de 1816 à 1818 : « Mère Barat voyant que l’absence de Mère Duchesne ferait un grand vide dans la maison, a fait venir de Poitiers Mme de Charbonnel, supérieure de Poitiers, pour prendre son emploi d’économe générale, que Mme Duchesne exerçait en son absence. » (JP, 1818, rédigé par Henriette Girard). Eugénie de Gramont (1788-1846), RSCJ, née le 17 septembre 1788, entrée le 1er novembre 1806 au noviciat à Amiens, prononça ses vœux le 21 octobre 1807. Elle fut assistante de la

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Le soir du même jour, notre Mère générale fit la conférence sur le renouvellement des vœux qui devait se faire le lendemain ; on s’accusa, on se pardonna et on se disposa par le recueillement à la consécration du lendemain. Elle fut faite dans la petite chapelle des Dames Récollettes de la rue de Grenelle, qui se prêtèrent avec empressement à nous la laisser libre pour notre cérémonie1. 16 décembre Le 16 décembre 1815 fut donc l’époque de notre naissance ou plutôt de l’affermissement de notre Société qui avait toujours désiré pouvoir se glorifier d’appartenir de nom et d’effet au Sacré Cœur de Jésus. Monsieur Perreau célébra la messe dans cet oratoire, fit une touchante exhortation analogue à la cérémonie et chacune, un cierge à la main, fit sa rénovation avant la communion. Cette journée se passa dans une sainte allégresse. 17 décembre 1815 Le lendemain 17 décembre, on fit les autres élections qu’exigent les Constitutions pour aider la Supérieure générale dans le gouvernement ou travailler auprès d’elle. La Mère Bigeu déjà 1ère assistante fut admonitrice générale ; la Mère de Charbonnel deuxième assistante fut économe générale ; la Mère Duchesne fut secrétaire générale. Une des choses qui avait le plus occupé l’assemblée était la formation du noviciat général et le choix d’une maison à Paris pour l’y réunir. On arrêta en simple location celle qui avait autrefois appartenue aux Dames de Saint-Michel qui sont maintenant dans celle de la Visitation, rue Saint-Jacques2. Cette maison, située rue des postes n°40, n’offre pas

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Mère Baudemont, puis maîtresse des novices. Élue conseillère générale en 1815, elle fut ensuite maîtresse générale du pensionnat de Paris jusqu’en 1830, où elle accompagna les pensionnaires à Montet (Suisse). Au retour, elle fut supérieure de l’Hôtel Biron (1831-1846), s’opposa aux décisions du Conseil général de 1839. Elle est décédée le 19 décembre 1846, à Paris. Les religieuses de la règle de Sainte-Claire, connues sous le nom de Récollettes, s’établirent à Paris en 1637. Les Sœurs du Bon Pasteur, dites de Saint-Michel, tiennent ce nom d’une célèbre statue de saint Michel située dans leur chapelle. Depuis 1724, elles habitaient au Clos des Poteries (poteries gallo-romaines de la Montagne Sainte-Geneviève), mais le couvent fut fermé en 1792. Elles s’installèrent rue Saint-Jacques en 1806.

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un local assez vaste, mais il est nécessaire dans des temps aussi malheureux de ne pas trop s’avancer en dépenses. Tous les objets qui avaient attiré l’attention de l’assemblée étant terminés, notre Mère générale permit aux supérieures de se retirer dans leur maison. Les Mères Grosier et de Charbonnel de Poitiers, les Mères Geoffroy et [Émilie] Giraud de Niort, partirent le mardi 19 décembre. Aussitôt qu’elles furent arrivées, la Mère Grosier fit prier Monsieur Soyer leur supérieur, qui un moment avait été dans les opinions de Monsieur de Sambucy, de venir la voir et faire donner l’approbation du conseil épiscopal à nos règles. Il en parut d’abord très satisfait ainsi que l’est Monsieur de Beauregard confesseur de la communauté. Toute la maison était dans la joie ; mais l’approbation du conseil épiscopal, loin de l’augmenter, est venu la troubler par ses restrictions et observations sur : les pouvoirs du Supérieur général ; les vœux de la Supérieure générale ; sur le dépouillement des biens à la profession ; sur l’admission des prêtres étrangers, ce qui semblait exclure de tout rapport avec la maison les Pères qui nous ont établies. Niort se trouvant dans le même diocèse est au même niveau pour l’établissement des règlements. 20 décembre 1815 Le 20 décembre, la Mère Desmarquest supérieure de Cuignières partit pour s’y rendre avec la Mère Deshayes. La maison trop resserrée va être laissée aux Sœurs du Tiers-Ordre de la Trappe, et nos Dames prennent possession à Beauvais de la maison du petit séminaire qui a été transportée ailleurs. Elles y vont à l’invitation des autorités ecclésiastiques et séculières. Le maire se charge de la location de leur maison, qui est de 2 400 F, et des réparations. 8 janvier 1816 La Mère Bigeu partit aussi pour Grenoble le 8 janvier et y conduisit deux de nos Mères venues de Gand, lors de la séparation de cette communauté de notre Société. L’une, la Mère Victoire Paranque y avait été assistante et maîtresse générale ; la seconde, la Mère Adrienne Michel y avait été maîtresse des études. Leur arrivée chez nos sœurs de Grenoble y a répandu le bonheur à la lecture des saintes règles qui y ont été accueillies avec transport.

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16 janvier 1816 Notre Mère Barat, voulant aller à Amiens consommer l’œuvre de notre réunion sous la même règle, y fut précédée le mardi 16 janvier par la Mère de Gramont et sa sœur. 20 janvier Le 20 qui était le samedi, elle partit elle-même avec notre Sœur de la Croix et s’arrêta un jour à Beauvais. Elle portait à Amiens, avec le volume des Constitutions et de nos règles, l’acte par lequel tous les membres de l’assemblée de notre Société les acceptaient et promettaient de les observer à moins que notre Saint-Père le pape n’en ordonnât autrement. Toutes ont signé cet acte à l’assemblée du Conseil général, et voici les noms de celles qui l’ont composé : Notre Mère Barat Supérieure générale. La Mère Bigeu supérieure de Grenoble, 1e assistante générale. La Mère de Charbonnel assistante de Poitiers, 2e assistante générale. La Mère Grosier supérieure de Poitiers, 3e assistante générale. La Mère Desmarquest supérieure de Cuignières, 4e conseillère. La Mère Geoffroy supérieure de Niort, 5e conseillère. La Mère de Gramont assistante d’Amiens, 6e conseillère. La Mère Giraud maîtresse du pensionnat de Niort. La Mère Deshayes ancienne supérieure de Grenoble. La Mère Girard professe d’Amiens. La Mère Duchesne assistante de Grenoble. 2 février La maison de Grenoble a été la première à voir nos saintes règles en vigueur, ayant trouvé dans son évêque [Mgr Simon] la meilleure volonté pour y donner son approbation. Il est venu lui-même, le 2 février fête de la Purification, recevoir les premiers vœux qui se soient faits publiquement dans notre Société. Il a fait le discours propre à la cérémonie en louant beaucoup la dévotion dont nous faisons notre principale fin, et qui a pour terme l’amour et la gloire du Sacré Cœur de Jésus. Dans cette heureuse journée, dix-sept se sont vouées à Jésus-Christ, les unes pour cinq ans, les autres pour toujours. Celles qui étaient déjà professes ont renouvelé leurs vœux dans les mains de leur évêque ; et toutes dès ce moment ont porté le nouveau costume.

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15 février Le 15 du même mois, quatre novices qui l’étaient depuis plus d’une année sans avoir porté le voile qui n’était pas adopté, en ont été couvertes et quatre postulantes ont pris le même jour l’habit et le voile, de la manière indiquée dans le cérémonial. 15 février Les nouvelles d’Amiens ne sont pas moins heureuses. L’évêque de cette ville [Mgr de Mandolx] a donné la plus entière approbation à nos règles et Constitutions par un mandement qu’il veut être mis à leur suite pour y donner toute la force que peut y ajouter l’autorité épiscopale. Dès le 12, notre Mère générale est allée lui porter la soumission de toutes ses filles à son mandement et il en témoigna une grande joie. 19 février 1816 C’est le dix-neuf février que Monsieur d’Astros1, celui des vicaires généraux de Paris auquel le Père Varin et la Mère Barat avaient fait la 1ère demande d’admettre notre Société à Paris, a bien voulu se charger des démarches auprès de l’autorité civile et remettre notre supplique au préfet pour la lui faire agréer et remplir les autres formalités auprès de M. [André-Joseph] Jourdan2, ministre chargé de ces sortes d’affaires. Monsieur de La Myre3, autre vicaire général, a bien voulu aussi promettre et sa protection et ses services pour notre établissement à Paris. Dans le même temps, M. de Gramont4 travaille à nous faire choisir l’établissement destiné à l’éducation des filles des Chevaliers de SaintLouis5. Notre Mère générale et nos Mères et Sœurs de Gramont ont 1 2

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Mgr Paul d’Astros (1772-1851), supérieur de la maison de Paris, fut nommé évêque de SaintFlour (1819) puis de Bayonne (1820), archevêque de Toulouse (1830) et cardinal (1850). André-Joseph Jourdan, né à Aubagne, milita pour la liberté des cultes lorsqu’il fut député des Bouches-du-Rhône au Conseil des Cinq-Cents en 1795. Promis à la déportation, il s’enfuit en Espagne. Conseiller d’État en 1815, il fut nommé administrateur des cultes avec les attributions de l’ancien ministre des cultes. Mgr Claude de La Myre Mory (1765-1830) était l’oncle de Cécile de Cassini. Il fut vicaire général de Paris, évêque de Troyes en 1817, puis en 1820 évêque du Mans où il favorisa la création d’une maison du Sacré-Cœur (1821). Vraisemblablement, le colonel Antoine de Gramont d’Aster (1787-1825), ultra-royaliste. Il reçut la croix de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis en 1817. Cet Ordre était une Institution du Mérite militaire, réservé aux officiers de carrière, catholiques, ayant servi pendant plus de dix ans et s’étant distingués par le courage et le mérite. Il fut supprimé par un arrêté de la Convention le 15 octobre 1793. Louis XVIII le rétablit le 28 septembre 1814.

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répondu aux premières propositions, qui seront peut-être plutôt acceptées par différentes personnes qui sollicitent la préférence. Mars Ces propositions ayant été plus expliquées, notre Mère générale et son Conseil ont reconnu que l’Œuvre des filles de Saint-Louis ne pouvait nous convenir ; d’abord parce qu’elle deviendrait une charge que la maison ne pourrait supporter, les pensions étant à trop bas prix ; en second lieu, parce qu’on se réserverait une surveillance sur la tenue de notre établissement qui pourrait entraver notre marche. 1er mars 1816 Nous avons eu la nouvelle que le premier vendredi de mars, fête des cinq plaies de Notre Seigneur, la touchante cérémonie des vœux s’est faite en même temps à Amiens et à Poitiers, ainsi que le changement de costume. Monsieur Fournier grand vicaire et supérieur de nos sœurs d’Amiens a fait le discours et la cérémonie ; et Monsieur Soyer, à Poitiers. Ce jour-là même y arrivèrent nos Sœurs Ribau et Choppin, destinées la première pour Poitiers et la seconde pour Niort, où elle s’est rendue de suite. Elles étaient venues de Grenoble avec notre Mère Bigeu et séjournèrent à Paris le dimanche de la quinquagésime et les deux jours suivants1. Le retour de la Mère Bigeu avait été pressé afin qu’elle vît aux réparations de notre maison, qui se trouvant en retard et n’allant pas sans difficultés, ont aussi nécessité une apparition de notre Mère générale qui vint d’Amiens et resta à Paris depuis le 11 jusqu’au 15, où elle partit pour Beauvais où l’on devait faire l’installation de notre établissement dans cette ville le jour de saint Joseph, ainsi que la cérémonie des vœux et le changement de costume. Notre Mère Bigeu l’y accompagna, la Mère de Gramont s’y rendit d’Amiens, d’où étaient déjà venues à Beauvais nos Sœurs de la Croix, Dainval2 et Marie coadjutrice. Notre sœur Désirée Girard prononça ses 1ers vœux3, que toutes les autres renouvelèrent. Monsieur de Clausel, grand vicaire de Monsieur l’évêque 1 2

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Le dimanche qui précède le mercredi des cendres et qui est le cinquantième jour avant Pâques. Aimée d’Ainval (1788-1857), RSCJ, née à Montvivier, est entrée au Sacré-Cœur en 1812, à Amiens. Elle a fait sa profession le 19 septembre 1816 à Beauvais. Elle fut secrétaire de la Mère Henriette Coppens, assistante générale à la maison-mère à Paris. (Voir Lettre 643). Désirée Girard (1792-1853), RSCJ, née le 18 janvier 1792, entrée au noviciat le 31 juin 1811, fit sa profession le 25 mai 1818. Elle est décédée le 9 septembre 1853, à Jette Saint-Pierre (Belgique).

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d’Amiens pour Beauvais1, fit le discours et la cérémonie où assistèrent les premières dames de la ville, le maire et sa femme qui portent un intérêt particulier à cette maison. Depuis ce jour, le maire ajoute à ce qu’il a déjà fait pour cet établissement de ne plus lui donner la maison en payant de loyer, mais il l’achète au nom de la ville pour la laisser en propriété à nos Sœurs. De Beauvais, notre Mère générale est repartie avec la Mère de Gramont pour Amiens et la Mère Bigeu est arrivée ici le 28 et est descendue rue des Postes. 27 mars 1816 Car la veille 27 mars, on avait commencé à mettre le pied dans notre nouvelle maison et déménagé l’appartement chez les Dames de Saint-Thomas. La Mère Duchesne avec nos Sœurs Maillard et Berthé y vinrent coucher le même jour. Le local n’a point permis d’y avoir le Saint Sacrement, en sorte que la Mère Bigeu et elles ont été chercher les secours spirituels dans les églises voisines et particulièrement dans celle des Dames de la Visitation, rue des Postes, et des Dames de Saint-Thomas, à l’Enfant-Jésus, autrefois maison des orphelines. 11 avril 1816 Le nombre de quatre ne s’est accru que le Jeudi saint par l’entrée de Mlle Marie-Frédérique Ledo Thévenin qui désire entrer dans la Société du Sacré-Cœur2 ; elle est de Besançon et a passé une partie de sa vie au Portugal. 15 avril C’est le jour où nous pouvons prendre possession de toute la maison, ce qui facilitera la réunion des sœurs qui doivent entrer dans l’établissement.

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Supprimé au concordat de 1801, le diocèse de Beauvais ne sera établi qu’en 1823. En 1815, le dicèse d’Amiens couvrait les départements de la Somme et de l’Oise. Il y avait donc un vicaire général par département. Frédérique Thévenin (1784-1860), RSCJ, a travaillé au Portugal. Elle est la première postulante du noviciat de Paris, est entrée le 16 avril 1816, peu avant l’arrivée d’Octavie Berthold, novice venant de Grenoble. Elle prit l’habit religieux le 25 juillet 1816, fit sa profession le 6 juin 1823, est allée à Autun, puis à Besançon. Elle est décédée à Marseille.

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19 Le vendredi 19 arrivèrent de Grenoble nos Sœurs Parisot, qui a fait les vœux de cinq ans, et Octavie Berthold novice. La dernière est restée à Paris pour finir son noviciat ; quant à ma sœur Parisot, elle est partie le lundi suivant pour Beauvais où elle devenait bien nécessaire par l’accroissement du pensionnat et de l’école des pauvres qui va à 200 enfants. 29 avril 1816 Le 29 avril, notre Mère générale arriva d’Amiens et de Beauvais. Elle voulait partir deux jours après pour visiter les maisons de Poitiers et de Niort, mais elle a été retenue par une indisposition. 3 mai 1816 Elle nous apprit à son arrivée que la sainte cérémonie des vœux et du changement de costume devait avoir lieu à Niort le trois mai, jour de l’invention de la Sainte Croix, le premier vendredi du mois, et le second anniversaire de la rentrée du Roi. Quelques jours après, nous avons en effet appris par la Mère Geoffroy que depuis ce jour, elles étaient, elle et ses filles, unies de costume à la Société. 9 Le neuf a été le jour de l’arrivée de Sœur Magdeleine Raison1, une des plus anciennes coadjutrices de la Société. 13 Notre Mère se trouvant mieux est partie avec la Mère Bigeu pour Poitiers et Niort. Le surlendemain, Sœur Magdeleine Raison a accompagné ses nièces à Beauvais et y est restée en l’absence de notre Mère pour aider les Sœurs de cette maison de Beauvais que le Seigneur bénit en leur envoyant abondance de travail ; le pensionnat y augmente, les écoles externes sont très nombreuses et on y ajoute à ces deux occupations si intéressantes des instructions, le dimanche, pour la classe du peuple ; il y en a trois : pour les personnes âgées, les jeunes filles et les enfants ; le local peut à peine suffire pour contenir les personnes qui s’y rendent. 1

Magdeleine Raison, RSCJ coadjutrice, est décédée le 3 mars 1837, à Paris.

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19 Les nouvelles données par notre Mère Bigeu annoncent la joie avec laquelle notre Mère générale a été reçue à Poitiers et son parfait accord avec Monsieur Soyer supérieur de la maison et vicaire général. 24 Les lettres suivantes ont appris une légère indisposition de notre Mère générale et son départ pour Niort. Juin Tout le mois de Juin a été employé par elle à visiter cette maison, à aller à Bordeaux où il y avait espoir d’en former une par la réunion de la maison de Mlle Vincent à notre Société. Cette maison de Mlle Vincent suit à peu près les mêmes règles que nous et va au même but qui est l’instruction des jeunes personnes. De Bordeaux, revenue à Poitiers, notre Mère y a encore été retenue par une indisposition qui l’a empêchée d’être à Paris le 21 juin, fête de saint Louis de Gonzague qui concourt cette année avec celle du Sacré Cœur de Jésus, jour où il eût été bien doux de faire l’installation de la maison du noviciat. Tout d’ailleurs était été prêt pour ce jour-là ; mais Dieu n’a pas permis qu’on eût cette jouissance. Notre Mère générale, pendant les derniers moments de son séjour à Poitiers, y a placé supérieure la Mère de Charbonnel, qui avait été nommée économe générale dans l’assemblée du Conseil. Elle destine la Mère Grosier qui gouvernait la maison de Poitiers, à être supérieure de celle d’Amiens qui, depuis le départ de notre Mère Barat, n’avait pas eu de supérieure nommée, la Mère de Gramont assistante en faisant la fonction. 30 juin 1816 Ce changement fait et notre Mère rétablie, il n’y a plus eu d’obstacle à son retour et elle est arrivée à Paris avec les Mères Bigeu et Grosier le 30 juin. Elle y a trouvé notre chapelle finie et la maison [rue des Postes] en état de recevoir les novices et les pensionnaires.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

4 juillet Mlle Aglaé Fontaine sera la première prétendante qui y sera reçue1, elle a été formée par le Père Ronsin, chargé de la congrégation des jeunes gens, et qui exerce souvent son ministère chez les Dames de la Congrégation Notre-Dame, où cette demoiselle était retirée depuis quelque temps pour s’éclairer sur sa vocation dans une retraite. Elle est entrée le 4 juillet. 15 juillet 1816 Notre Mère, depuis son arrivée, s’est occupée de la bénédiction de la chapelle. Après quelques retards, elle s’est enfin faite le 15 juillet ; on avait d’abord désiré de l’appareil dans cette cérémonie ; mais ensuite, Monsieur Perreau et notre Mère générale ont déterminé de la faire tout simplement. Monsieur d’Astros grand vicaire a fait cette bénédiction, assisté de Monsieur Perreau et de Monsieur Coulon ; Messieurs d’Astros et Perreau ont dit la messe. Nous avons toutes communié à la première et n’étions encore que neuf, y compris trois Sœurs et deux prétendantes, Mlles Aglaé Fontaine et Frédérique Thévenin, réunies à nous depuis le Jeudi saint de cette année, chacune dans le costume du degré où elle était, et c’est le premier jour où il se soit porté dans la maison de Paris. Nous avions aussi costumé en blanc deux jeunes enfants, le fondement du pensionnat. Elles sont filles d’émigrés, nées au Canada et formées à la langue et aux usages des Anglais. Il y avait en outre à cette consécration de notre chapelle cinq ou six dames pieuses qui se rendirent aussi le soir pour le salut qui fut solennel. Nous y fûmes plus nombreuses par l’arrivée de plusieurs de nos sœurs de Grenoble : la Mère de Portes, nommée sous maîtresse des novices ; les Sœurs Hippolyte Lavaudan2, Roustaing et [Eugénie] Audé, novices pour le chœur ; [Marie] Chabert novice coadjutrice3, Catherine Berne et Geneviève Bonjour, prétendantes coadjutrices. 1

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Aglaé Fontaine (1791-1854), RSCJ, née le 31 janvier 1791, est entrée au noviciat le 6 septembre 1816. Elle fit sa profession le 18 janvier 1819, partit à La Ferrandière (Lyon). Elle fut supérieure à Autun (1831-1846) et à Bourges (1846-1854). En repos à La Neuville-les-Amiens, elle est décédée le 20 avril 1854. Hippolyte Lavaudan (1792-1867), RSCJ, née le 8 août 1792, est entrée au noviciat le 15 février 1816. Elle a fait sa profession le 21 novembre 1821, est décédée à Rome le 2 avril 1867. Marie Chabert (1796-1817), RSCJ, née à Grenoble, fit ses vœux le 18 juillet 1817. Elle est décédée le 31 octobre 1817, à Paris.

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16 juillet Le lendemain, la Mère Eugénie de Gramont arriva aussi d’Amiens avec quatre novices pour le chœur : mes Sœurs Laloux1, Gillot2, Hinart, [Adèle] Lefebvre ; et Mlle Chevalier, prétendante pour le chœur. Les deux premiers jours ont été employés à s’établir et à se reconnaître. Il n’y a eu de règles que la messe et l’office qu’on a récité dès le jour de la consécration de la chapelle où le très Saint Sacrement nous est resté. 19 juillet Et c’est le 19 que les emplois ont été déterminés et la règle mise en vigueur. Ce jour, fête de saint Vincent de Paul, est la naissance de notre noviciat général. 25 juillet Le vingt-cinq, nos Sœurs Antoinette Chevalier et Thévenin ont pris le saint habit ; il leur a été donné par le Père Varin qui n’avait presque pas encore paru parmi nous. Il a fait un discours fort touchant sur les devoirs religieux et le bonheur d’être spécialement dévouée au Sacré Cœur. 2 juillet Départ de notre Mère pour Amiens. 31 juillet Nous avons fait aussi solennellement qu’il nous a été possible la fête de saint Ignace de Loyola, mais sans sermon. Monsieur de Janson, connu par son détachement du monde, sa piété et ses succès dans les missions, nous a dit la messe de communauté. Il s’est uni depuis plusieurs années avec M. Rauzan célèbre missionnaire et nombre d’autres prêtres, pour donner des missions. Il a obtenu du Roi le Mont-Valérien, où M. de Lestrange, abbé de la Trappe, avait déjà commencé à rétablir les stations du calvaire qui se continuent maintenant. 1 2

Aldegonde-Julie Laloux est décédée au cours de son noviciat, à l’âge de 26 ans, le 3 mai 1815, à Amiens. Angélique Gillot (1793-1824), RSCJ, entrée à Amiens, fit son noviciat et sa profession à Paris. Elle alla à Beauvais, comme enseignante, surveillante et maîtresse de santé. Partie ensuite à Niort, elle est décédée le 3 février 1824.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

1er août Le 1er août sera à jamais remarquable pour cette maison et toute la Société. C’est la date de la lettre de Monsieur Perreau à notre Mère générale pour lui faire part de la lettre de Monsieur Soyer, vicaire général de Poitiers, contenant copie du bref de Sa Sainteté, adressé aux vicaires généraux de Poitiers, le siège [épiscopal étant] vacant, pour répondre aux demandes qui lui avaient été faites touchant ses intentions pour notre Société, ignorant comment il fallait juger la lettre du Père Stephanelli qui voulait nous obliger à nous unir à la maison de Saint-Denis de Rome. Le pape loue les vicaires généraux de leur soumission au SaintSiège, déclare qu’il n’a eu nulle intention de nous lier à la maison de Saint-Denys, qui n’a pas d’approbation solennelle ; qu’enfin le contenu de la lettre du Père Stephanelli est faux et ne mérite aucune confiance. Le Cardinal chargé de l’expédition du bref demande en outre des indications sur le nombre et la qualité de nos établissements. Copie du même bref a été envoyée par le Cardinal Fontana à Madame de Montjoie, supérieure de la Visitation, qui avait été priée de lui écrire pour prendre des informations sur le même sujet. Notre Mère a adressé à chaque maison copie de ce bref, qui a répandu partout la joie et la reconnaissance envers Dieu qui cimente ainsi notre union. 4 août Quelques jours après, la Mère Virginie Balastron professe de Grenoble et Sœur Joséphine Meneyroux1 novice de 19 mois sont arrivées dans cette maison. La première pour aider dans les emplois de la communauté et la seconde pour continuer son noviciat. 15 août Le jour de l’Assomption, fête très chère à la Société par la consécration à Marie qu’elle renouvelle ce jour-là, nous avons eu plusieurs messes ; celle de la communauté s’est dite par le Père Varin qui, après son action de grâces, nous a fait un touchant discours sur la Sainte 1

Rosalie (Joséphine) Meneyroux, entrée à Sainte-Marie d’En-Haut le 21 novembre 1814, arriva à Paris le 4 août 1816, revint à Grenoble pour raisons de santé le 7 janvier 1817. De retour au noviciat de Paris le 21 décembre 1817, elle fit ses premiers vœux en 1820 et alla se reposer chez son père. En 1821, avec l’accord et le soutien du Père L. Barat, elle s’embarqua à Bordeaux, arriva à La Nouvelle-Orléans le 24 décembre 1821, et à Grand Coteau en février 1822. Mgr Dubourg et Eugénie Audé furent choqués par son comportement. Trois mois après, elle rentra en France et quitta la Société du Sacré-Cœur.

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Vierge ; celui de l’après-dîner a été fait par un missionnaire de Monsieur Rauzan. Les derniers jours du mois, nous avons eu la consolation de voir arriver notre Mère générale qui avait été à Amiens pour installer supérieure la Mère Grosier, auparavant supérieure à Poitiers et professe d’Amiens. Au retour, elle s’est arrêtée à Beauvais et a été absente près d’un mois. Elle avait projeté d’aller de suite à Grenoble, la seule de ses maisons qu’elle n’eût pas visitée depuis la réunion des Mères à Paris, mais ce voyage a été différé. 31 août Le dernier d’Août, notre Mère a reçu deux postulantes : Mlle Pauline Pain1, de Roanne en Lyonnais, et Florence en service à Paris. La 1ère est destinée pour le chœur et la 2de pour les offices domestiques. Une troisième prétendante domestique est Marie Beureau, aussi de Roanne. 8 septembre Toutes les fêtes de la Sainte Vierge doivent nous être chères ; celle de la Nativité a été célébrée avec dévotion et cette dévotion a été bien excitée par le Père de Grivel2, profès en Russie et maintenant recteur. Il témoigne à notre Société une bienveillance particulière ; il est imité en cela par le Père Fontaine, ancien profès, et qui a passé le temps de la Révolution en Angleterre où il nous a appris qu’il existait, dans une espèce de désert, un beau collège de Jésuites. Ces deux bons Pères ont plusieurs fois vu et annoncé la parole de Dieu à la communauté. 6 septembre. Deux jours avant le 6 du mois, qui s’est trouvé le premier vendredi, nos Sœurs Aglaé Fontaine, Geneviève Bonjour, Catherine Berne ont pris le voile, et ma sœur Angélique [Marie] Berthé a prononcé ses derniers vœux dans le rang de sœur coadjutrice. C’est le Père Ronsin qui a fait la cérémonie et prononcé le discours. 1

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Pauline Pain, née à Paris en 1798, vécut chez son grand-père à Roanne. Très jeune, elle fit vœu de virginité. Entrée au noviciat le 20 octobre 1816, elle fut employée à l’infirmerie, est décédée le 27 octobre 1817, suite à une épidémie. Fidèle de Grivel (1769-1842), SJ, entré dans la Société des Pères du Sacré-Cœur en 1794, rejoignit la Compagnie de Jésus en 1803, en Russie. Après l’expulsion des Jésuites de Saint-Pétersbourg en 1815, il partit en Angleterre, et en 1831, aux États-Unis, pour y être supérieur et maître des novices. Il est décédé à Georgetown (Maryland) où il était professeur au collège. Il est l’auteur du Breve ragguaglio dei principi e progressi della Sociétà del Cuore di Gesù.

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17 septembre Le 17 est entrée comme postulante pour le chœur Mlle Élisabeth Kerulvay, de Lorient en Bretagne, et institutrice dans une maison particulière par suite de renversements de fortune. 10 octobre Le noviciat s’est encore augmenté le 10 octobre de deux de novices pour le chœur : Mlle Kerulvay et Pauline Pain. C’est le Père Grivel qui a fait le discours et la cérémonie. La veille, Mlle Harent1, de Lyon, âgée de 44 ans, est entrée comme postulante. 18 Est entrée comme postulante Mlle Mechet, native de Paris. Dans le même temps est partie pour Poitiers notre sœur Magdeleine Raison, professe d’Amiens, au rang de sœur domestique. 21 Le vingt et un du même mois, est partie pour Bordeaux notre Mère Bigeu, accompagnée de Sœur Maillard ; l’objet de son voyage est de traiter de la réunion d’une maison religieuse à notre Société. Cette maison, gouvernée par Madame Vincent, suit comme nous la règle de saint Ignace. La même lettre qui a décidé ce voyage et qui est écrite par le Père Barat, donne l’espoir d’après une conversation qu’il a eue avec Mgr Dubourg, évêque de La Nouvelle-Orléans, que notre Société pourra s’établir dans son diocèse pour l’instruction des petites filles, œuvres d’autant plus intéressantes que toutes les ressources manquent dans ces pays abandonnés. 1er novembre Le jour de la Toussaint est arrivée notre sœur Chatain, domestique de Grenoble, et dont la santé demandait un changement d’air. 12 Et le douze, Mlle Sophie d’Aster pour le postulat. 1

Cécile Harent, RSCJ, a fait ses premiers vœux en 1818, le jour de la fête de l’Ascension. Elle fut assistante à Chambéry et supérieure à Autun, où elle est décédée le 7 avril 1826.

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13 Ce jour est remarquable par la visite du Prince de Léon, duc de Rohan, qui montre beaucoup d’intérêt pour notre Société et pour celles des Jésuites et qui a reçu de notre Saint-Père le pape des marques de sa prédilection. Il possède une précieuse relique de saint Stanislas Kostka et, sur la demande de notre Mère générale, il a bien voulu la lui donner. Ce même jour 13, fête de saint Stanislas Kostka patron du noviciat, a commencé la retraite générale des novices, des postulantes et de quelques professes. C’est le Père Roger qui en a fait l’ouverture et continuera les exercices et la dirigera entièrement. 21 La retraite a été interrompue pour donner un peu de relâche aux novices, et faire place à la touchante cérémonie de la profession de notre sœur Antoinette de Gramont1, arrivée exprès d’Amiens pour faire sa consécration à Paris dans la maison-mère. C’est Monsieur l’abbé d’Astros, vicaire général et supérieur de la maison, qui a prononcé le discours et fait la cérémonie. Il a été assisté par Monsieur l’abbé Perreau, notre digne conseiller et protecteur, et par Monsieur l’abbé Gaston de Sambucy2, confesseur de la nouvelle épouse de Jésus-Christ. Après la messe, notre supérieur a vu pour la 1ère fois tout le noviciat et l’a porté à une tendre dévotion à Marie, le don le plus cher que nous a laissé Jésus-Christ, faisant remarquer qu’il n’avait rien possédé sans nous en faire part. Nous exhortant à faire de cette pensée le sujet habituel de nos méditations. 22 La retraite a été reprise le lendemain pour continuer sur les mystères de Jésus-Christ jusqu’au 1er dimanche de l’Avent. En même temps que les novices la fait ici, leur maîtresse la Mère Bigeu entreprend la sienne à Bordeaux. L’objet de sa mission n’a pas été 1

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Antoinette de Gramont (1789-1844), RSCJ, entrée au noviciat en 1811, fit sa profession le 21 novembre 1816, à Paris. En 1829, elle partit au Mans comme maîtresse générale, assista sa mère au moment de sa mort, la remplaça comme supérieure. Gravement malade en novembre 1842, elle retourna à Paris en janvier 1843. Elle est morte en avril 1844. Gaston de Sambucy, ancien séminariste de Saint-Sulpice, était chargé du « Grand Catéchisme des filles ». Arrêté pendant la Révolution, libéré après la chute de Robespierre, il fut nommé maître de cérémonie de la chapelle impériale par le Cardinal Fesch, puis il fut vicaire général du diocèse de Paris jusqu’en 1830.

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remplie, par l’opposition qu’y met le grand vicaire [M. Boyer] supérieur de la maison de Madame Vincent ; elle et ses filles en sont désolées, et espèrent qu’un temps plus heureux rendra possible l’union qu’elles désirent avec nous. Monsieur l’évêque de Quimper écrit dans le même temps à la Mère de Gramont pour lui demander un établissement pour sa ville épiscopale. 3 décembre La fête de saint François Xavier s’est célébrée ici suivant le cérémonial et a terminé toute la retraite dont les fruits sont sensibles. Le même jour, Mlle Harent a pris le saint habit de la religion ; elle a reçu le voile des mains du Père Roger qui a fait le discours pour cette cérémonie, et le soir le panégyrique du saint. 8 La fête de l’Immaculée Conception a été très solennelle. C’est encore le Père Roger qui a prêché, adressant toujours la parole aux élèves du pensionnat qui, suivant le règlement, ont fait ce jour-là leur première consécration à la Sainte Vierge, ce qui a dû être imité dans toutes nos maisons. 9 Le lendemain, notre Mère Antonia de Gramont est repartie pour Amiens, où elle est la première maîtresse. 13 Le 13, nous avons fait mémoire du jour où notre Mère générale a commencé la maison de Grenoble, seconde de la Société. 14 On a jeûné le 14, veille de la fête du saint Cœur de Marie. 15 C’est la première année où, suivant le cérémonial, on a célébré solennellement la fête du saint Cœur de Marie, le dimanche dans l’octave de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge. Il y a eu exposition du Saint Sacrement et sermon, le soir, du Père Roger.

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18 Des lettres de la Mère Bigeu, de Poitiers et de Tours, annoncent que Mgr de Quimper continue ses poursuites pour un établissement de notre Société, qu’il lui écrit là-dessus de la manière la plus pressante et qu’elle est en route pour se rendre à Quimper. 25 La messe de minuit et les messes solennelles du jour ont été dites par notre Père Varin et les autres jours par le Père Dollet, notre aumônier par zèle jusqu’à ce que nous en ayons un. Il n’y a pas eu de sermon ce jour-là, mais il avait comme été fait d’avance par le Père Varin car, voyant la communauté pour la bénir au retour de son voyage, il l’a entretenue de Jésus enfant, nous invitant à le considérer déjà comme notre victime et à nous faire victime avec lui et pour lui. 27 Le jour de saint Jean, il a prêché sur ces paroles : « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son fils »1, et en a tiré ces deux pensées de l’amour de Dieu pour nous et de l’obligation du retour pour nous. 1er janvier 1817 Le premier de l’année, il nous a encore favorisé d’une visite et d’un entretien familier sur le mystère du jour et nous y a montré Jésus-Christ, victime d’humilité et de souffrances, et a insisté sur ces paroles qu’il veut que nous disions toujours : « Ita pater, oui mon père » ; et s’est écrié : « Heureuse l’âme qui s’établira dans ce grand Oui ! » Après avoir détaillé les occasions de sacrifice, où elle répond toujours « Oui mon Dieu ! », il finit par dire : « à l’heure dernière, Dieu dira à cette âme : viens ma fille ; et elle répondra encore : Oui mon Dieu !… » Le 11 janvier, nous avons revu notre Mère Bigeu, de retour de son voyage avec Sœur Maillard, après avoir été successivement à Poitiers, Niort et Bordeaux ; de Bordeaux à Niort, Poitiers et Quimper et a quitté cette dernière ville comblée des intentions de son évêque et vivement sollicitée qu’un de nos établissements s’y fasse au plus tôt. Mlle  de Saint-Pern nous offre un beau local qui lui a coûté plus de 100 000 F, les meubles qui se trouveront dans la maison. Il y a une église, de belles 1

Jn 3, 16.

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cloches, des bois, vergers et jardins potagers clos de murs. Elle désire elle-même se consacrer à Dieu et embrasser notre institut1. Notre Mère générale s’est aussitôt occupée à remplir les vues de ce zélé et bon évêque en faisant venir des sujets de différentes maisons. Elle venait, le 7, de renvoyer à Grenoble deux des novices, l’une à raison de sa santé : c’est Sœur Joséphine Meneyroux, arrivée ici le 4 août ; et l’autre est Sœur Catherine Berne du rang des sœurs converses, arrivée avec les autres novices au mois de Juillet. 14 Le 14, la maison de Paris a été honorée de la visite de Monseigneur l’évêque de la Louisiane, qui est venu continuer à traiter avec notre Mère générale du projet d’établissement dans son vaste diocèse. Il en avait déjà parlé à Bordeaux à la Mère Bigeu et il désirerait avoir six sujets pour le mois de Mai. Il attend sa réponse au retour de la Belgique où il va solliciter des secours pour l’œuvre des missions de son diocèse. Notre Mère générale, après avoir pris conseil, paraît vouloir éloigner le départ jusqu’après 18 mois ou 2 ans. 1er Février Entrée de Mme Scolastique Compas, sortie d’une maison de Bénédictines où elle n’était point définitivement engagée, et par l’entremise de Monsieur l’abbé d’Astros, vicaire général et notre supérieur, qu’il l’a offerte à notre Mère générale. 2 février La fête de la Purification tombant ce dimanche de la Septuagésime, on a seulement fait ce jour-là la bénédiction des cierges ; le reste de l’Office a été remis au lendemain. 5 Le jour des saints martyrs japonais, 5 février, a été bien solennel pour nous par la cérémonie des premiers vœux de nos sœurs Angélique Gillot et Octavie Berthold ; c’est Monsieur Vaclet qui a fait la cérémonie et un discours fort touchant ; il a été assisté par Monsieur Dollet. 1

Anne Marie de Saint-Pern (1768-1819), RSCJ, née le 31 janvier 1768, à Quimperlé, arriva au postulat à l’âge de 49 ans, le 15 août 1817, à Paris. Gravement malade, elle partit à Quimper, fit sa profession le 8 septembre 1818, est décédée le 6 janvier 1819.

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8 Départ de notre Mère générale pour Amiens où sa présence est devenue nécessaire par l’état de santé et de souffrances continuelles de la Mère Grosier, supérieure de cette maison, pour laquelle le médecin demande un changement d’air. 15 Arrivée de Grenoble de la Mère Victoire Paranque et des Sœurs Olympie Rombau, dame de chœur des premiers vœux, et Agathe Gérard coadjutrice des premiers vœux. Toutes trois destinées pour la fondation de Quimper. 22 Retour de notre Mère générale avec Mère Grosier, les Sœurs Séraphine Avignon et Celinié, novices de chœur de Beauvais, Mlle Adèle Lefebvre1 postulante d’Amiens et Mlle Zoé Dehilly pour le pensionnat. 23 1er dimanche de carême, nous avons eu une solide et touchante explication de l’Évangile par le père Dollet qui l’a déjà fait plusieurs dimanches et nous fait espérer la continuation, les dimanches de l’année. 24 Départ de ma sœur Angélique Gillot, la même qui a fait ses vœux, le cinq ; elle va dans notre maison de Beauvais s’employer aux écoles des pauvres qui sont très nombreuses, y ayant plus de trois cents enfants. Mars 4 Départ de la petite colonie qui va fonder une de nos maisons à Quimper ; elle est dirigée par la Mère Joséphine Bigeu première assistante [générale], que notre Mère cède à cette maison naissante pour l’établir, y destinant une autre supérieure [la Mère de Gramont d’Aster]. Les mères et sœurs partantes avec la Mère Bigeu sont : la Mère Victoire 1

Adèle Lefebvre (1792-1867), RSCJ, née le 14 février 1792, entra au noviciat le 16 juillet 1815, à Amiens, fit sa profession le 19 mars 1822. Elle a vécu les dix dernières années de sa vie à Saint-Ferréol, où elle est décédée le 3 septembre 1867.

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Paranque, Sœur Olympie Rombau des premiers vœux, Sœurs Eugénie Audé et Séraphine Avignon novices de chœur, Thérèse Pelletier professe coadjutrice, et Sœur Agathe Giroud coadjutrice des premiers vœux. Neuvaine à saint François Xavier. 6 Entrée de Mlle Joséphine Rosé qui a été quelques années chez les Sœurs de la Charité et est reçue dans la Société comme coadjutrice. 8 Arrivée de Poitiers de la Mère Prévost que notre Mère générale fait passer dans la maison d’Amiens. Elle a eu pour compagne de voyage Mlle Thérèse Dusaussoy1 qui vient d’essayer sa vocation. Même jour, première distribution des prix dans notre maison de Paris, le pensionnat étant composé de 18 élèves. Il n’y a eu personne du dehors ; les exercices ont eu le matin de 9 h à 11 h 30 et l’après-midi de 2 à 4 h ; les prix, le soir à 6 h. Mlles de Préfontaine et Genny de Labeau ont eu les deux rubans de mérite et le prix de bonne conduite ex aequo. Il n’y en a eu qu’un sur toutes les classes à cause du petit nombre d’enfants ; mais le prix d’application s’est donné dans chaque classe. 12 Dernier jour de la neuvaine de saint François Xavier, apôtre des Indes. Ce même jour, Mlle Aline Lefebvre, entrée le 22 février et qui avait fait son postulat à Amiens, a pris le voile blanc comme novice de chœur. C’est le Père Fontaine, Jésuite des anciens vœux, qui a fait les discours et la cérémonie. 13 Départ pour Amiens de la Mère Grosier dans un meilleur état de santé. Elle y est accompagnée de la Mère Prevost2 qui doit être son assistante et de Mlle Dusaussoy. 1 2

Thérèse Dusaussoy (1799-1823), RSCJ, est l’une des nièces de la Mère Barat. Elle est décédée à Chambéry, après avoir fait sa profession, le 1er juin 1823. Marie-Élisabeth Prevost (1784-1871), RSCJ, née le 26 mai 1784 à Montfort, suivit son père, fonctionnaire colonial, à Saint-Domingue en 1789. De retour en France en 1794, elle entra au noviciat le 31 mai 1808, à Amiens. Le 3 mai 1809, encore novice, la Mère Baudemont l’envoya supérieure de la maison des Sœurs de Notre-Dame, dont la fondatrice Mère Julie Billiart

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26 Arrivée d’Amiens de la Mère de Gramont d’Aster, destinée à être supérieure à Quimper. Elle doit séjourner à Paris pour y terminer quelques affaires. Sa compagne de voyage, la Mère Lemeré1, est destinée pour Poitiers où elle doit remplacer la Mère Prévost dans la charge de maîtresse de santé. 31 Son départ a eu lieu le 31 mars. Elle conduit avec elle, pour aider au pensionnat, notre sœur Élisabeth Kerulvay, novice de chœur. Avril 1 Le 1er avril, le pensionnat se trouve composé de 22 élèves. 2 Le 2, Jeudi saint, notre Mère générale a servi à table au réfectoire avec la Mère de Gramont d’Aster. L’après-midi, elle a lavé les pieds à 12 novices, la cérémonie s’est faite noviciat où on avait dressé un petit autel ; c’est notre Mère qui a lu l’Évangile. Les offices du jeudi, vendredi et samedi saints se sont faits suivant le cérémonial ; les dames et les élèves se sont succédées pour l’adoration de la nuit, le Jeudi saint. Nous n’avons point eu de Passion. 6 La fête de Pâques a été du plus grand solennel. Notre Mère avait réservé, pour la récréation de ce jour, la lecture du journal de voyage de nos Sœurs de Quimper qui ont été reçues dans cette ville avec un empressement général, surtout de l’évêque et de ses grands vicaires. Elles ont aussi été visitées par le préfet.

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avait été expulsée par l’abbé Sambucy de Saint-Estève. Elle y resta quatre ans jusqu’au retour de la Mère Julie. Elle fit ses premiers vœux le 5 février 1811, sa profession le 20 avril 1813. En 1814, elle alla à Cuignières, puis à Poitiers. Revenue à Amiens en 1817, comme assistante, elle fut nommée supérieure en 1819. Élue conseillère générale en 1820, elle réalisa la réunion à la Société du Sacré-Cœur de l’établissement d’Annonay, puis de celui de la Providence de Charleville (1831). Provinciale du Midi en 1839, assistante générale et vicaire du Nord en 1851, elle fut supérieure de la maison de la rue de Varenne, à Paris (1854-1869). Elle est décédée le 29 décembre 1871, à Chambéry. Henriette (Marie) Lemeré, RSCJ, née en 1781, est décédée le 5 (ou le 7) mai 1821.

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8 Sortie de Mlle Joséphine Rosé qui n’a pas été jugée propre à la Société. 18 Arrivée de Poitiers de nos sœurs Magdeleine Raison et Louise Blet, coadjutrices. 28 Départ pour Amiens de ma sœur Magdeleine Raison. Mai 13 Prise d’habit de notre sœur Scholastique Compas. C’est Monsieur d’Astros, notre digne supérieur, qui a fait la cérémonie et le discours ; le même jour, il a examiné pour les vœux notre Sœur Adèle Lefebvre, et Mlle Adélaïde de Préfontaine pour son entrée au noviciat1. 13 Le même jour est entrée comme postulante pour le chœur Mlle Cousin. 16 Le seize Mai nous est remarquable et cher par la troisième visite de Mgr Dubourg, évêque de la Louisiane, qui continue à vouloir accepter un de nos établissements dans son diocèse pour lequel il part très prochainement. Notre Mère générale lui a promis six sujets pour le printemps prochain. Le noviciat et le pensionnat lui ont été présentés et il les a bénis. Il a adressé aux novices quelques mots sur la beauté de leur vocation. 27 Départ pour Quimper de la Mère de Gramont d’Aster, destinée à en être la supérieure. Elle conduit avec elle notre Sœur Scholastique Hi1

Adélaïde de Préfontaine, RSCJ, partit encore novice à la fondation de Quimper en 1818. Elle y resta jusqu’à sa mort, le 12 avril 1853.

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nard novice de chœur1 pour être une des maîtresses et la Sœur Louise Blet novice coadjutrice. Les nouvelles que notre Mère a reçues de cette fondation de Quimper sont de plus en plus consolantes par la régularité et la paix qui y règnent, et par les soins paternels de son digne évêque. Juin 5 Célébration de la fête Dieu que nous avons chômée comme avant le Concordat et il y a eu grand-messe, vêpres et salut solennel ; l’exposition du très Saint Sacrement a lieu pendant tout l’octave par permission spéciale de Monsieur d’Astros, notre supérieur. 8 Célébration de la Fête-Dieu dans les paroisses. La procession de saint Médard a passé dans notre rue et le très Saint Sacrement a été placé à notre reposoir ; après la bénédiction, chaque élève s’est avancée et le curé a posé sur leur tête l’ostensoir où était Notre Seigneur. 13 Fête la plus solennelle pour nous ; c’est celle du Sacré Cœur de Jésus ; le Père Varin a dit la messe de communauté, après avoir donné le voile à notre Sœur Adélaïde de Préfontaine ; dans le discours qu’il lui a adressé, il a tiré de son texte : « Ne pleurez pas sur moi, mais plutôt sur vous-mêmes2 » ; une instruction touchante, tant sur son propre bonheur que sur les dangers que pourraient courir ses compagnes. Au moment de la communion, il a fait un autre discours pour la rénovation des vœux, où il a développé le sens et l’étendue de l’obligation des paroles de son texte : « Seigneur, dans la simplicité de mon cœur plein de joie, je vous ai offert toutes choses3. » Les renouvelantes ont été : Notre Mère générale, les Mères de Gramont, Girard, de Portes, Balastron, Duchesne, pour les grands vœux des dames ; Sœur Berthé pour ceux des professes coadjutrices ; mes Sœurs Berthold et Laloux pour ceux de cinq ans ; Sœur Chatain, les mêmes comme coadjutrice. La fête a été précédée 1

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Marie Scholastique Hinard, RSCJ, née en 1798, fut confiée aux Ursulines de Beauvais à l’âge de 3 ans. Elle fut ensuite pensionnaire à Cuignières et à Amiens, où elle commença son noviciat, le termina à Paris. Elle partit ensuite à la fondation de Quimper, comme maîtresse de classe. Elle est morte prénaturément le 18 septembre 1819. Lc 23, 28. 1 Ch 29, 17.

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de trois jours de retraite pour les renouvelantes ; le Père Varin a prêché le 1er jour ; le Père de Clorivière, le 2d. 15 Commencement de la retraite pour le pensionnat par le Père Druilhet qui depuis ce moment s’est aussi chargé de les confesser, le Père de Grivel recteur des Pères Jésuites n’ayant pu en continuer la conduite. Cette retraite empêchait l’exposition du Saint Sacrement pendant l’Octave du Sacré Cœur, permise quoiqu’avec peine par Monsieur d’Astros. Elle n’a eu lieu, les lundi, mardi, mercredi et jeudi, qu’à la messe et au salut du soir. Juin 1817 20 Le vendredi octave du Sacré Cœur, l’exposition a duré toute la journée ; ainsi que le 21, fête de Saint Louis de Gonzague, jour qui a terminé la retraite du pensionnat. Les élèves ont communié avant la communauté. Le Père Druilhet leur a parlé avant la messe sur ces paroles du cantique : « Mon Bien-aimé est descendu dans son jardin, etc.1 » Il l’a encore fait avant et après la Sainte communion, et le soir sur les vertus de leur saint patron. Juillet 6 Visite des Pères Varin, Roger, Gloriot, Ronsin et Druilhet qui, ayant reçu ordre de leur Général de cesser les communications avec nous, à cause de certaines calomnies parties de Rome, par une lettre où on supposait qu’ils manquaient en cela aux Constitutions des Jésuites, quoiqu’ils rendissent les mêmes services à d’autres communautés, sont venus pour la dernière fois nous procurer ces secours qui ont fait notre consolation et notre richesse depuis notre établissement. Le Père Roger a fait un discours et le Père Druilhet a encore dit la messe ; dès le lendemain, nous avons été réduites à la messe de Monsieur Tuite, prêtre anglais qui ne peut même pas venir le dimanche, où il faudra chercher d’autres ressources… Mais plus de sermon des Pères, ni d’explication de l’Évangile le dimanche. 1

Ct 4, 16.

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La veille était arrivée d’Amiens la Mère Grosier, dont la santé était toujours en souffrance. Elle va prendre les eaux de La Roche près de Châtellerault, elle est accompagnée de Sœur Rosalie Cardon1. 7 Départ pour Beauvais de ma Sœur Catherine Laloux2, sœur des premiers vœux, qui va s’y consacrer à l’instruction suivant l’obéissance. 13 Départ de Mère Grosier et de Sœur Rosalie pour les Eaux de La Roche-Posay. 15 Anniversaire de la bénédiction de la chapelle de la formation de la maison de Paris. 21 Séjour de quelques jours dans la maison de Mme Louise Naudet, ancienne dame d’honneur de l’archiduchesse [Marie-Anne, sœur de l’empereur d’Autriche], une des premières pierres de la 1ère Société des filles dévouées au Sacré Cœur, appelées Dilette, et qui n’a pas subsisté. L’archiduchesse étant morte, Madame Louise n’a pu faire subsister un établissement à Londres et va à Vérone en Italie, où sa sœur Madame Léopoldine, aussi ancienne dame d’honneur de l’archiduchesse, a formé un établissement. 22 Célébration de la fête de sainte Magdeleine, patronne de notre Mère générale. La veille, les élèves distinguées sont venues la prier de se rendre dans la prairie où elles l’ont complimentée ; les novices et les anciennes ne l’ont fait qu’après souper. On a paré l’autel comme aux plus grandes fêtes, mais il n’y a pas eu d’exposition du très Saint Sacrement. Après le salut du soir, donné par Monsieur Perreau, il a distribué aux élèves les prix du trimestre. 1 2

Rosalie Cardon (1786-1838), RSCJ coadjutrice, est entrée le 15 octobre 1808 à Amiens, où elle fit ses vœux et fut infirmière. Elle est décédée le 21 octobre 1838. Catherine Laloux, RSCJ, fit sa profession à l’âge de 34 ans. Elle est décédée le 5 avril 1820 à Poitiers.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

29 Arrivée de Quimper de la Mère Bigeu qui a laissé l’établissement de cette ville en bon train et a amené la fondatrice, Mlle de Saint-Pern, qui postule pour le noviciat ainsi que Mlle Prudence Defois et Adélaïde Josse, venues de Laval. 31 Célébration de la fête de Saint Ignace au plus grand solennel quoiqu’on n’ait pas chanté la grand-messe ; celle de communauté a été dite par Monsieur Perreau, qui y a fait un discours touchant sur saint Ignace. M. Eugène de Montmorency avec deux milords anglais y ont assisté et communié. M. l’abbé de Retz a dit la seconde messe. Août 15 Célébration de la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge ; une élève a fait sa 1ère communion qui est la 1ère dans la maison de Paris. Cette heureuse enfant est Mlle Elisa de Montarby, fille du gouverneur de la Martinique où elle doit aller en automne. C’est Monsieur Perreau qui a fait les discours pour la première communion et célébré la Sainte messe. Le soir, il a encore fait le discours avant la rénovation des vœux et la consécration à la Sainte Vierge par les élèves et toute la maison. 16 Le lendemain, son zèle et sa charité se sont encore montrés. Il a bien voulu faire la cérémonie et le discours pour la prise d’habit de Mlles de Saint-Pern et Cousin1 qui sont toutes deux novices pour le chœur ; et recevoir les 1ers vœux de nos sœurs Adèle Lefebvre pour le chœur et Catherine Maillard pour le rang des sœurs coadjutrices. Le Saint Sacrement a été exposé toute la journée et le soir, Monsieur Enfantin missionnaire a fait un discours sur la Sainte Vierge, qui nous avait manqué la veille et qui a été bien goûté. Il y fit aussi entrer des félicitations et instructions pour les quatre nouvelles fiancées et épouses de Jésus-Christ. 1

Victoire Cousin, RSCJ, née le 20 octobre 1810, entra au noviciat le 30 octobre 1842 à Avignon. Elle fit sa profession le 26 octobre 1853. Longtemps infirmière, elle est décédée le 19 octobre 1859, à la maison Saint-Joseph à Marseille.

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20 Départ pour Amiens de notre Mère générale, de la Mère de Gramont avec trois élèves et de deux demoiselles [Armande et Olympe] de Causans. 28 Retour des Eaux de la Mère Grosier avec Sœur Rosalie Cardon. Septembre 8 Le jour de la fête de la Nativité de la Vierge Marie, on a fait faire sa 1ère communion à la seconde des demoiselles de Montarby, à cause de son prochain départ pour un pays sans ressources pour le spirituel. Sa sœur l’a renouvelée et le lendemain, elles ont été confirmées chez les dames de la Congrégation1. 18 Retour de notre Mère générale d’Amiens et de Beauvais. Ce même jour, Monsieur l’abbé Perreau a bien voulu se charger de faire faire la confession extraordinaire des Quatre temps. Depuis le 21 juillet où il a commencé à nous donner sa messe tous les jours, il n’a cessé de prouver, par ses nombreux sacrifices, son abondante et touchante charité pour nous. Il a quitté ses affaires importantes, son logement, ses moments de repos pour nous prodiguer les secours de la religion. Il nous dit la messe tous les jours, fait le dimanche l’explication de l’Évangile, se prête à toutes nos cérémonies, reçoit au saint tribunal et promet même de devenir le confesseur de la communauté, à la place de Monsieur l’abbé Bourgeois. 21 Commencement de la maladie de Mlle Caroline de Monsaulerin, qui est jugée la même que celle de Mlle Pauline de Choqueuse, qui dure depuis le 27 août avec des accidents graves, mais sans danger. 1

Il est vraisemblable que ce soit la Congrégation Notre-Dame, fondée en 1597 par Pierre Fourier et Alix Le Clerc, et connue sous le nom de Chanoinesses de Saint-Augustin. Ce nom de « Dames de la Congrégation » était aussi attribué aux religieuses de la Congrégation de la Très Sainte Vierge, fondée à Marseille au xviie, sous la direction de Pères jésuites.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

28 La maladie de Mlle de Monsaulerin se tourne en fièvre maligne. Octobre 4 Une parotide ayant achevé de donner à sa maladie un caractère mortel, elle a aujourd’hui rendu à Dieu sa belle âme, munie de tous les sacrements. Depuis plusieurs jours, un délire continuel ne laissait pas l’espoir de pouvoir la confesser. Le Père Druilhet, son confesseur, voulut néanmoins la voir et contre toute espérance humaine, sa raison reparut pour s’occuper des choses divines ; non seulement elle put se confesser avec toute la présence d’esprit nécessaire mais encore, se préparant à sa 1ère communion, elle souhaita la faire dans son lit et reçut Notre Seigneur avec les dispositions les plus consolantes, dans la douleur qu’on éprouvait d’être au moment de la perdre. Sa maladie a été si édifiante qu’on n’a pas aperçu en elle l’ombre de l’imperfection ; docile, patiente, reconnaissante, fervente dans les moments lucides ; il n’y a que l’espoir bien fondé qu’elle est heureuse pour l’éternité qui puisse dédommager de sa perte. Elle n’avait que 11 ans. 4 Même jour, arrivée de Madame Giraud, d’Amiens, sœur des 1ers vœux et dame de chœur. 8 Arrivée de la Mère Eugénie de Gramont, d’Amiens. 4 En même temps que Dieu nous a affligées par la première mort dans cette maison, il nous a préparé de grandes consolations : le retour des secours spirituels de la part de nos Pères [jésuites]. La lettre qui leur avait interdit de nous les donner avait été plus d’une année à venir de Russie et celle qui calme notre peine est venue en très peu de temps, ce qui nous a paru un trait bien marqué de l’aimable Providence à notre égard. Le Père Druilhet a porté la 1ère annonce de cette bonne nouvelle ; et notre Père Varin, que nous n’avions point vu depuis le 6 juillet, est venu la confirmer.

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8 Entrée de Mlle Cécile Camille1, postulante pour le chœur. Commencement des maladies de Mlles de Rosac et de Couronnel, pensionnaires, et de Sœur Lefebvre, novice. 10 Commencement de celle de Mlles de Rouvroy l’aînée et pensionnaire, qui a la fièvre et un fort point de côté, et de celle de Sœur Chabert qui annonce une fluxion de poitrine. 12 Commencement de la maladie bilieuse de Sœur Marie, novice coadjutrice. 13 Arrivée d’Amiens de Sœur Marthe Vaillant2, coadjutrice formée. 14 Commencement de la maladie de Mlle Desmier, nièce de Mlle de Saint-Pern, et de Mlle Pulchérie de la Myre ; la 1ère est une fluxion de poitrine et fièvre bilieuse, la 2e est aussi une fièvre bilieuse. 15 Commencement de la maladie de Sœur Pauline Pain novice de chœur qui, aide infirmière, a gagné la maladie qui a conduit au tombeau Mlle de Monsaulerin.

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Cécile Camille (1789-1827), RSCJ, née aux Tuileries, à Paris, fut éduquée par Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI. Maîtresse du pensionnat de la rue de Varenne, à Paris, chargée de la congrégation mariale, elle fut envoyée à Bordeaux en 1823, pour remplacer comme supérieure la Mère Bigeu. Elle est morte le 4 octobre 1827. Marthe Vaillant, RSCJ coadjutrice, née le 1er janvier 1784, entra à Amiens en 1802, prit l’habit le 25 décembre 1805. Elle fit sa profession le 21 novembre 1809 et partit à la fondation de Gand. De retour à Amiens en 1814, elle alla à Paris en 1817 puis à Besançon, et en 1827, à La Ferrandière (Lyon) où elle est décédée le 26 novembre 1860.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

21 Commencement de la fièvre bilieuse Mlle  Anaïs Dupont et de la dysenterie de Mlle Cécile Camille et de la fièvre plus bénigne de Mlle de Saint-Pern. 22 Départ de notre sœur Aline Lefebvre novice, les médecins craignent beaucoup pour sa poitrine. Notre Mère la rend à sa famille, au moins pour un temps. 23 Mort de Mlle Cécile de Couronnel, presque sous les yeux d’une tendre mère, qui est venue la servir. Elle a ainsi que Mlle de Monsaulerin failli expirer sous les yeux de son père qui a suivi toute sa maladie, ce qui a rendu le spectacle des derniers moments plus douloureux pour nous par la compassion de l’état de ses malheureux parents. La maladie de Mlle de Couronnel a été compliquée d’une fluxion de poitrine et d’une fièvre bilieuse ; celle de Mlle de Rosac a pris un caractère de malignité et dès les premiers jours, ses parents l’ont retirée. Sa mort, qui a suivi de près, a été aussi affligeante qu’édifiante, ainsi que celle de ses deux compagnes, Mlles de Monsaulerin et de Couronnel. Voici la lettre, qu’à l’occasion de ces deux morts, ont écrit nos élèves aux pensionnaires des autres maisons : Chères compagnes, En vous annonçant la perte que nous venions de faire de Mlle Caroline de Monsaulerin, nous étions bien éloignées de prévoir que le Seigneur dût nous visiter encore et que sous peu de jours, nous eussions à répandre de nouvelles larmes. Cependant ce n’est que trop vrai, deux jeunes compagnes viennent de nous être enlevées coup sur coup : Mlle Cécile de Couronnel et Mlle Marie de Rosac. Nous devons vous l’avouer : quelque soumises que nous soyons à la volonté de Dieu, cette double perte nous a déchiré l’âme, toutes deux nous étaient extrêmement chères ; toutes deux réunissaient les qualités les plus attachante : la piété, la douceur et l’amabilité. Il semblait que, formées sous les yeux mêmes du Seigneur à une vertu également tendre et solide, elles dussent un jour en porter avec éclat la bonne odeur au milieu d’un monde auquel les destinait leur naissance. Le Seigneur en a ordonné autrement ; que son saint nom soit béni ! Il s’est hâté de les

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retirer pour hâter leur bonheur sans doute ; mais cette faveur qu’il leur a faite nous coûtera longtemps bien des pleurs. Cependant la religion en tempère singulièrement l’amertume, car toutes les deux, dans leur douloureuse maladie, ont reçu du Seigneur les grâces les plus extraordinaires. Mlle de Couronnel, âgée de 11 ans et demi, n’avait pas fait sa 1ère communion ; elle l’a faite avec des sentiments de foi et de piété qui ont tiré les larmes de tous les yeux. Le jour même de sa mort, elle a reçu l’extrême-onction et le saint scapulaire. Elle le pressait tendrement sur son cœur, et l’une de ses dernières paroles a été : « Ah ! Qu’il est doux le nom de Marie ! » Mlle Rosac, âgée de 13 ans et demi, a demandé elle-même les derniers sacrements, dès les premiers jours de sa maladie ; et elle les a reçus avec la ferveur la plus édifiante. Depuis, elle a prodigieusement souffert, jamais elle n’a poussé une plainte. Son crucifix, qu’elle avait sans cesse sur les lèvres, l’a aidée à tout supporter. Les noms de Jésus et de Marie ont eu son dernier sourire ; et peu après les avoir prononcés, elle s’est endormie dans le Seigneur. Nous sommes assurées, chères compagnes, que ces touchants détails satisferont votre piété et resserreront plus étroitement encore les liens qui nous unissent. Mlles Caroline, Cécile et Marie était vos compagnes, comme elles ont été les nôtres. Nous les recommandons à vos plus ferventes prières, quoique nous ayons la conviction intime que ces trois âmes angéliques sont maintenant avec le Seigneur, et le prient ardemment pour des compagnes bien affligées, pour qui le souvenir de leurs vertus est, tout à la fois, un sujet de consolations et de douleurs. Nous sommes, etc.

Octobre 24 La maladie et la mort ne quittent point notre maison. Le 24, notre Sœur novice Pauline Pain a été administrée. Elle a fait ses vœux pour six mois en présence de notre Mère générale et de la Mère Bigeu, sa maîtresse des novices. Ce jour même est entrée au postulat Mlle Caroline Botaffel, destinée pour le chœur. 26 Arrivée de Grenoble de Sœur Véronique Pellat, novice coadjutrice.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

27 Arrivée d’Amiens de Sœur Magdeleine Raison, coadjutrice formée, que notre Mère générale a fait venir pour le service des malades ; et en particulier de Mlle de la Myre que sa fièvre putride a forcé de séparer pour éviter la communication. 27 Commencement de la maladie de Mlle Luce Morange. Et mort de notre Sœur Pauline Pain, novice. 30 Arrivée de Poitiers de la Mère Bernard, de Sœur Rosalie Bouchère sœur coadjutrice formée, et d’Augustine Balin, postulante coadjutrice et cuisinière. Commencement de la maladie de Mlle Benjamine de la Coste. 31 Mort de notre Sœur Marie Chabert, qui a été administrée le 18 du même mois et a fait ses vœux en présence de la communauté ; elle encore depuis reçu le Saint viatique et a constamment édifié dans sa maladie et à sa mort. On peut en voir quelques détails ainsi que ceux concernant ma Sœur Pain au livre des Vies des Sœurs. Même jour, commencement de la maladie de la Mère Bigeu, maîtresse du noviciat, et qui depuis longtemps faisait craindre pour sa santé, ce qui ne l’a pas empêché de veiller et servir les malades, ce qui n’a pas peu contribué à sa maladie. Novembre 1er Enterrement de ma Sœur Chabert avant la messe de communauté, qui a été dite par Monseigneur l’évêque de Londres1, qui nous la donne tous les jours pendant son séjour à Paris. 1

William Poynter (1762-1827), né à Londres, fut ordonné prêtre à Douai en 1786, consacré évêque et nommé vicaire apostolique de la région de Londres en 1812. Au cours de ses études de théologie, il resta de nombreuses années en France, parlant couramment le français. Il s’engagea dans la politique ecclésiale (juridiction et contrôle épiscopal) entre les Églises françaises et anglaises.

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2 Départ de la Mère Bernard pour Poitiers. 8 Commencement de la maladie de Sœur Célinie Thouvelot, novice pour le chœur, âgée de moins de 16 ans. 9 Commencement de celle de Mlle  Clara de Tourmonde, qui fait craindre une fièvre putride ; et crainte sur l’état de Mlle Luce Morange qui tombe d’une fièvre simple en une fièvre putride. 14 Réception des derniers sacrements par ma Sœur Célinie Thouvelot, en danger de mort par une fluxion de poitrine et fièvre putride. 21 Rénovation des vœux en présence de Monseigneur l’évêque de Londres, qui a fait le discours analogue à la cérémonie ; il a été court, pieux et touchant. Le soir, c’est le Père Varin qui a fait le sermon. Monsieur Soyer, grand vicaire de Poitiers, confesseur du pensionnat et supérieur de la maison du Sacré-Cœur de cette ville, nommé par le pape à l’évêché de Luçon, vient ordinairement tous les dimanches pour dire la messe à 9 heures. Et Monsieur de Beauregard, quelquefois. On a donné l’extrême onction à Mlle Luce Morange, en très grand danger de mort par sa fièvre putride. Le danger continue pour Sœur Célinie. La maladie de la Mère Bigeu ne présente pas le même danger. Par la permission particulière de M. l’abbé d’Astros, notre Supérieur (maintenant nommé à l’évêché de Bayeux), elle a pu communier souvent dans son lit ; soit de bon matin, soit à minuit, et des mains de M. Perreau dont la charité semble croître de jour en jour pour nous, étant tout livré à nos besoins spirituels.

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CHAPITRE PREMIER : 1769-1818 – AVANT LE GRAND DÉPART

29 Entrée de Mlle Olympe de Causans1, postulante pour le chœur. C’est une élève de la maison de Grenoble et elle appartient à une famille distinguée et respectable par la piété qui y règne. Décembre 8 Célébration de la fête de la Conception. Mgr de Londres a dit la messe le matin ; et M. de Villèle, nommé à l’évêché de Verdun, a prêché le soir sur la Sainte Vierge et fait faire aux élèves leur acte de consécration. La Mère Bigeu, en convalescence de sa fièvre bilieuse, a été à la messe. Les deux autres malades, Sœur Célinie et Mlle Luce Morange, toutes deux administrées, sont mieux. 16 Célébration de la fête du sacré Cœur de Marie. On a jeûné la veille, la messe de communauté a été dite par Monseigneur de Londres, la 2de à l’ordinaire par M. Perreau et la troisième, qui a été chantée, par M. Soyer. Le soir, c’est le Père Varin qui a prêché d’une manière touchante. Dans ce mois, nous avons eu plusieurs fois la visite de M. Martial, grand vicaire de la Louisiane et l’agent général de son évêque en France. Il est venu à Paris pour les affaires de la mission et traiter avec notre Mère générale du départ de la petite colonie qu’elle destine à cette contrée. 21 Entrée de ma sœur Joséphine Meneyroux, novice de Grenoble. (À cette date se termine la rédaction du Journal par Mère Duchesne)

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Olympe de Causans (1796-1867), RSCJ, née le 17 mars 1796, en Allemagne, entra au noviciat le 24 février 1818, fit sa profession le 15 octobre 1823. Elle est décédée le 12 avril 1867 à Niort.

chapitre ii

1818-1821 Les premières fondations

INTRODUCTION Arrivée à La Nouvelle-Orléans

Depuis l’enfance, Philippine Duchesne rêvait d’être missionnaire en Chine ou chez les Sauvages des Amériques pour y apporter l’Évangile. Deux ans après son entrée dans la Société du Sacré-Cœur en 1804, l’appel se fit plus insistant. Maintenant, ce rêve allait se réaliser dans une situation quelque peu différente de celle qu’elle avait imaginée. Après de longues années d’espoir et de préparation, le départ de Paris se fit plus tôt que prévu, le 8 février 1818, et non après Pâques comme cela avait été prévu, car le Père Martial et d’autres prêtres partaient plus tôt et elles avaient intérêt de voyager avec eux. Mais une fois à Bordeaux, il y eut encore un long temps d’attente et c’est seulement le 19 mars que l’on put s’embarquer sur La Rebecca. Le voyage dura plus de deux mois et fut parfois éprouvant. Arrivés le 11 mai dans la région des Caraïbes, les voyageurs durent encore patienter plus de deux semaines avant d’atteindre La Nouvelle-Orléans, où ils débarquèrent au milieu de la nuit du 29 mai, jour de la fête du Sacré-Cœur. La ville avait été fondée par les Français en 1718, le long du fleuve Mississippi, à plus de 150 kilomètres en amont du golfe du Mexique. Elle est vite devenue un port de commerce important, avec le Mexique et les Caraïbes au sud, et le reste de la « Louisiane » au nord, le long du Mississippi et d’une bonne partie du Missouri, qui deviendra tout le centre des États-Unis. En 1722, un cyclone détruisit la plupart des habitations, et la ville fut reconstruite sur le modèle du quadrillé qu’on trouve encore aujourd’hui dans le quartier français. En 1788, un énorme incendie dévasta à nouveau de nombreux édifices, si bien qu’à l’arrivée des religieuses du Sacré-Cœur en 1818, une grande partie de la ville était relativement nouvelle, y compris la cathédrale Saint-Louis. En 1763, la Louisiane et La Nouvelle-Orléans ont été cédées aux Espagnols qui les ont gouvernées pendant quarante ans. Au début de 1803, le territoire fut rendu aux Français, puis rapidement vendu aux États-Unis, en avril de la même année, par Napoléon qui avait besoin d’argent. Les envoyés américains, venus négocier en France l’achat de

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

La Nouvelle-Orléans, furent étonnés de se voir offrir la Louisiane tout entière. Les États-Unis ont acheté le territoire de la Louisiane pour quinze millions de dollars, environ trois cents l’acre, et ont ainsi doublé la taille du pays. La Nouvelle-Orléans est devenue rapidement l’une des villes les plus riches des États-Unis, grâce au commerce aussi bien avec le sud qu’avec le nord. L’un des objets de ce commerce était le marché des esclaves, et il y en avait un nombre considérable dans la ville, mais il y avait aussi toute une population de Noirs libres, de l’époque de l’occupation espagnole. Au moment de la guerre de 1812, l’armée anglaise lutta contre les États-Unis pour s’emparer de la ville, mais n’y réussit jamais. À La Nouvelle-Orléans, Philippine et ses compagnes reçurent un accueil plus que généreux de la part des Ursulines, arrivées depuis près d’un siècle, en 1727, et qui ont pourvu à tous leurs besoins. Philippine s’attendait à trouver un mot de Mgr Dubourg, mais il n’y avait rien. C’est à La Nouvelle-Orléans qu’elle aperçut pour la première fois des Amérindiens et découvrit aussi l’esclavage, se demandant comment cela était possible (lettre du 30 mai 1818, lendemain de son arrivée). Quelques jours plus tard cependant, elle remarqua les Noirs et s’intéressa à eux (lettre du 3 juin 1818 aux pensionnaires de France). Au bout d’une dizaine de jours, elle se demanda comment toucher les différentes races (lettre du 7 juin 1818). Elle fut déçue par l’état de l’Église dans cette ville portuaire prospère. Idéaliste, elle s’était attendue à ne rencontrer que des saints. Elle entendit des sermons à la théologie douteuse, donnés par un prêtre qui, selon elle, n’aurait jamais été accepté en France. La cathédrale était sous l’influence du père capucin Antoine de Sedella1, vénéré comme un saint par beaucoup et vilipendé par d’autres, très aimé par ses paroissiens et refusant de céder la cathédrale ou même d’accepter l’autorité de Mgr Dubourg et de son vicaire, le P. Louis Sibourd. Au cours de ce séjour à La Nouvelle-Orléans, elle rencontra aussi John Mullanphy, riche marchand de Saint-Louis, qui deviendra, plus tard, un grand bienfaiteur. Les Ursulines les pressèrent de rester à La Nouvelle-Orléans plutôt que d’aller au Nord. Seule la promesse faite à Paris d’aller là où l’évêque 1

Antoine de Sedella (1748-1829), OFM Cap., arrivé le premier en Louisiane comme agent de l’Inquisition en 1779, est retourné en Espagne en 1783, restant en possession de la cathédrale de La Nouvelle-Orléans de 1795 jusqu’à sa mort. Vénéré comme un saint par un bon nombre de ses paroissiens, il est à l’origine de leur prévention et oppositions contre l’autorité épiscopale de Mgr Dubourg. Les commentaires de Philippine à son sujet expriment cette ambiguïté.

Introduction



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les désirait, comme l’avait prévu la Mère Barat en bénissant l’entreprise, décida Philippine à aller jusqu’à Saint-Louis. Après six semaines à La Nouvelle-Orléans, où elles ont pu refaire leurs forces et envoyer des nouvelles intéressantes en France, elles ont entrepris un long voyage de six semaines à bord du bateau à vapeur Franklin, remontant le Mississipi jusqu’à Saint-Louis. Philippine, avec ses grands dons d’observation, notait ce qu’elle voyait ou ce qu’on lui racontait, à l’intention des élèves et amis de France dont elle savait qu’ils apprécieraient ces détails. Les informations reçues n’étaient pas toujours fiables ; toutefois, ces lettres et récits avaient de quoi fasciner ses lecteurs français. Au Nord, à Saint-Louis

Les bateaux à vapeur sur le Mississipi ne fonctionnaient que depuis 1811, et le voyage était encore périlleux. La ville de Saint-Louis, qu’elles atteignirent le 22 août, avait été fondée en 1764 par les trappeurs Pierre Laclède et Auguste Chouteau, à un point stratégique du Mississippi, au confluent du Missouri. La ville est vite devenue un centre important de commerce de fourrures avec le nord et l’ouest. En 1770, appartenant à la « Louisiane », elle est passée brièvement à l’Espagne, mais elle fut rendue à la France, puis vendue immédiatement aux États-Unis par l’Acte de 1803. Ensuite, comme point de départ de l’expédition Lewis et Clark, en mai 1804, la ville est devenue célèbre ; expédition ordonnée par le président Thomas Jefferson pour explorer les nouveaux ÉtatsUnis et chercher une voie d’eau conduisant à la côte du Pacifique. Les explorateurs passèrent une dernière nuit à Saint-Charles, puis ils se lancèrent à la recherche des sources du Missouri. Descendant le fleuve Colombia, ils atteignirent la côte du Pacifique en novembre 1805 et ne retournèrent à Saint-Louis qu’en septembre 1806, près de deux ans et demi plus tard, accueillis comme des héros. Meriwether Lewis est mort en 1809, mais William Clark devint gouverneur du Territoire du Missouri de 1813 à 1820, avec résidence à Saint-Louis, où il est mort en 1838, après avoir été superintendant des Affaires indiennes de 1822 à sa mort. À Saint-Louis, les religieuses ont été accueillies dans un premier temps par la famille Pratte2. Bernard Pratte et Pierre Chouteau étaient 2

Le général Bernard A. Pratte (1771-1836) a fait fortune dans le commerce des fourrures et a épousé en 1794 Émilie Sauveur Labbadie (1777-1841). En tant qu’officier du Territoire de Louisiane, il a combattu l’Angleterre en 1812. M. et Mme Pratte ont eu sept enfants. Leur deuxième fils, ayant le même prénom que son père, a été le quatrième maire de Saint-Louis

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

parmi les habitants les plus riches de la ville. Ils étaient les principaux agents du florissant commerce de fourrure sur le Missouri. Philippine a écrit que Mme Pratte était connue dans toute la ville. La maison Pratte, à l’angle de la rue Principale et de la rue du Marché, était une maison coloniale en bois, typiquement française, avec deux étages, une galerie et une cuisine indépendante à l’arrière. L’année précédant l’arrivée des religieuses, M. Pratte avait rénové la maison et ajouté un autre bâtiment de deux étages en briques pour abriter ses marchandises sèches et diverses provisions3. Il est probable que Philippine ait rencontré le gouverneur William Clark lorsqu’elle logea chez Bernard Pratte, durant l’été 1818, même si elle n’a rien écrit à ce sujet. Plus tard, en 1822, elle sera marraine au baptême de sa belle-fille (lettre 190). À Saint-Charles

Dans l’esprit de la Mère Barat, les Sœurs devaient s’établir à SaintLouis et c’est ce qu’elle souhaitait. Mgr Dubourg, dans l’impossibilité de trouver dans la ville une maison convenable, les envoya à SaintCharles, petit village au bord du Missouri à une trentaine de kilomètres à l’ouest. La localité avait été fondée par Louis Blanchette en 1769 pour le commerce de la fourrure, sous le nom de « Les Petites Côtes » car elle s’adossait à de petites collines au bord de la rivière. Elle fut sous contrôle espagnol de 1762 à 1800, prenant alors le nom de Saint-Charles-Borromée, et fit partie de la vente de la Louisiane en 1803. Ce fut en mai 1804 le vrai point de départ de l’expédition Lewis et Clark, qui allait remonter le Missouri. William Clark est arrivé à Saint-Charles le 14 mai, avec un groupe d’hommes important. Plusieurs fois, les jours suivants, ils prirent leur repas à la maison des Duquette, à Saint-Charles, maison qui serait plus tard donnée aux religieuses. Meriwhether Lewis, le second de l’expédition Clark, arriva le soir du 20 mai. Le lendemain, les deux hommes dînèrent chez les Duquette avant de s’embarquer pour leur voyage historique l’après-midi du 21 mai 1804. Quatorze ans plus tard, le 7 septembre 1818, les religieuses arrivèrent à Saint-Charles. La semaine suivante, le 14 septembre 1818, elles ouvrirent la première école externe du Sacré-Cœur dans le Nouveau

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(1844-1846). Parmi leurs cinq filles, Émilie et Thérèse ont été les premières pensionnaires de l’école de Saint-Charles en 1818. Callan, Philippine Duchesne, 256 ; cf. « Earliest Picture of St. Louis », in Glimpses of the Past (Missouri Historical Society, 1941) 8.7-9.

Introduction



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Monde, et le 3 octobre, l’internat. Deux des trois pensionnaires, Émilie et Thérèse Pratte, étaient les filles de Bernard Pratte, leur hôte à SaintLouis. La troisième était leur cousine, Pélagie Chouteau. Quand Philippine et ses compagnes arrivèrent à Saint-Louis au mois d’août, la population était presque entièrement française et catholique, mais les protestants américains de l’est commençaient à immigrer. Déjà à ce moment-là, Philippine écrivait à ses sœurs que le Missouri était sur le point de devenir un État de l’Union, ce qui se fit trois ans plus tard, au terme de négociations qui ont duré de 1819 à 1821. Les tensions commençaient à se faire sentir entre États esclavagistes et États libres, tensions qui exploseront plus tard dans la Guerre de Sécession (1861-1865). En 1821, le Missouri fut admis dans l’Union comme État où l’esclavage était légal, pour faire l’équilibre avec le Maine, admis en même temps comme État libre. Si bien qu’au lieu de vivre dans une colonie française comme c’était le cas auparavant, ou dans un Territoire américain plus récemment, Philippine et ses compagnes, très peu de temps après leur arrivée, se sont retrouvées aux États-Unis, ce à quoi elles ne s’attendaient pas. Rien ne prouve que Philippine ou quelqu’une de ses premières compagnes soit devenue citoyenne américaine. Elles sont sans doute restées citoyennes françaises. L’État du Missouri s’étant constitué en 1821, Saint-Charles est devenu la première capitale de ce nouvel État de 1821 à 1826, mais les religieuses n’y étaient plus à ce moment-là. Une population considérable de souche française est restée dans ce territoire devenu américain, la plupart ayant une longue histoire dans le commerce de la fourrure et ayant donc d’excellentes relations avec les tribus indiennes environnantes. À mesure qu’augmentait le nombre de colons américains avançant rapidement vers l’ouest, dans ce territoire immense et nouveau qui s’étendait à l’ouest et au nord, la population française plus ancienne s’est trouvée peu à peu en position de minorité, tout en réussissant à s’assurer une influence politique. Dans les années 1830, l’anglais était devenu la langue dominante de la région, et les Français qui étaient là depuis plus longtemps devenaient le centre de « romanité », à l’Ouest4. Le sentiment d’isolement des religieuses était aigu. Le courrier mettait beaucoup de temps à arriver et parfois se perdait. Pendant des mois, la communication avec le monde qu’elles avaient quitté fut rare. Philippine n’avait pas voulu être supérieure du groupe, mais c’était la plus âgée 4

J. Gitlin, The Bourgeois Frontier : French Towns, French Traders & American Expansion, Yale University Press, New Haven/London, 2010, p. 147-153.

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et le choix s’imposait. Elle n’avait pas l’expérience du gouvernement d’une communauté, n’ayant été que maîtresse générale du pensionnat de Grenoble et secrétaire générale à la maison mère. Elle avait un don d’observation extraordinaire et du talent pour écrire, mais ne savait pas diriger spirituellement les religieuses à sa charge. Elle était souvent assez critique, manquant de compréhension pour le stress suscité par ces situations nouvelles. Elle était critique aussi vis-à-vis d’un certain nombre d’Américains qu’elle rencontrait, estimant qu’ils étaient paresseux, épris de luxe et d’indépendance. Changer de vie à la frontière américaine

Dès le début, il était nécessaire que les missionnaires changent et ajustent certaines de leurs idées. Elles se trouvaient dans une culture où les normes du statut social de l’Ancien Régime n’existaient pas, où les personnes libres se considéraient comme égales ; même si, ironiquement, existait aussi l’esclavage, la plus grande des inégalités sociales. Les religieuses n’étaient pas habituées à la pratique de l’esclavage, mais il était partout, et elles ont dû l’accepter. Dès ses premières années en Amérique, Philippine souleva la question de l’admission des Noires à la vie religieuse, et celle de la création d’un nouvel ordre religieux pour elles. Ces idées étaient irréalisables : les enfants noires ne pouvaient pas être acceptées au pensionnat ou à l’externat, mais elles reçurent une formation religieuse de base, chaque fois que cela fut possible. Dès 1819, Mgr  Dubourg dit aux religieuses que l’existence de deux catégories de sœurs, les religieuses de chœur et les sœurs coadjutrices, de plus avec un habit différent, ne pouvait se concevoir en Amérique. Philippine tenait à cette différence, qui était normale en France, compte-tenu de la hiérarchie sociale traditionnelle. Au cours de la première année à Saint-Charles, Catherine Lamarre essaya de faire supprimer cette distinction de rang, voulant enseigner (lettre 124). Cependant en 1821, Philippine écrivit à Mère Barat que l’évêque avait cessé ses objections (lettre 163). La première postulante qui persévéra, Mary Layton, fut une sœur coadjutrice. Les religieuses ont dû aussi adapter leur conception de la clôture, qu’il était tout simplement impossible de maintenir ; tout ce qu’elles pouvaient faire, c’était de rester à la maison, objet de curiosité pour de nombreux visiteurs, derrière quelques planches qui faisaient office de clôture.

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L’habitude d’avoir des élèves externes payantes commençait à se développer en France. Dès leur arrivée en Amérique, les religieuses en firent usage (lettre 119). Beaucoup de parents, qui voulaient cette éducation pour leurs filles et pouvaient se permettre de payer, ne voulaient pas les isoler presque toute l’année à l’internat. Les parents des pensionnaires firent également pression pour pouvoir visiter davantage leurs filles, pression à laquelle Philippine résistait. Dans ses lettres, elle se plaint souvent de l’effet négatif du contact avec les familles et des visites au pensionnat. L’idéal pour former le caractère était l’ambiance seule du couvent. Dès le début, les religieuses ont toutes compris à quel point il était important d’apprendre l’anglais dans ce pays qui ne faisait plus partie du système colonial français et devenait très vite américain. Octavie Berthold, disait-on, parlait couramment le latin, l’italien et l’anglais. Les autres ont étudié l’anglais avant de partir et en cours de route. Eugénie le possédait assez bien, mais Philippine dit dans une lettre que les Américains trouvent son accent difficile à comprendre. Pour Philippine, peu douée pour les langues, ce fut toute sa vie une épreuve. Elle a fini par lire et comprendre l’anglais, mais n’a jamais cru pouvoir le parler couramment, même si elle a dû le parler en bien des occasions. Fidèle à l’esprit de la Contre-Réforme européenne, ce petit groupe de religieuses considérait que les Églises protestantes, très nombreuses en Amérique, étaient hérétiques, mais elles accueillaient des filles protestantes dans leurs écoles, espérant bien sûr les convertir. Elles sentaient une forte concurrence de la part des missionnaires protestants, qui avaient souvent plus de succès. Bien qu’imprégnées d’une spiritualité de l’amour grâce à la dévotion au Sacré-Cœur, à laquelle elles étaient formées, elles conservaient des attitudes issues du plus pur jansénisme. L’empressement de Philippine pour la confession sacramentelle, alors qu’elle n’avait pratiquement guère l’occasion de pécher, nous paraît étrange. En réalité, la confession était l’occasion d’une direction spirituelle personnelle, grandement nécessaire pour ces femmes projetées en terre étrangère. Pourtant, la crainte continuelle de ne pas répondre à la grâce était profondément ressentie, entretenant chez Philippine et d’autres un profond doute d’elles-mêmes. Dans l’Église catholique du xixe siècle, les prêtres étaient considérés comme des experts religieux, à cause de leur formation au séminaire et de leur ordination. De plus, l’autorité ecclésiastique en place donnait à certains clercs la position et le titre de supérieur des maisons religieuses. Bien que des femmes expertes en direction spirituelle, telles

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que Sophie Barat, pouvaient l’exercer, il était décidé de façon autoritaire de la confier aux prêtres qui n’acceptaient pas toujours de prendre soin des religieuses dans leur pastorale. Ensuite, la nécessité d’avoir parfois comme conseiller spirituel son confesseur, avec lequel il fallait négocier les affaires, était bien gênante. Florissant

Les religieuses auraient voulu commencer avec une maison à SaintLouis, plus accessible à de futures élèves, mais le marché du logement était tel qu’il n’y avait pas de maison disponible à des prix abordables ; c’est pourquoi la première fondation se fit à Saint-Charles, sur la rive ouest du Missouri. Mgr  Dubourg, courageux et audacieux, n’était pas un gestionnaire réaliste, et il prit des décisions arbitraires, non sans effet sur les conditions de vie des sœurs. Un an seulement après leur installation à Saint-Charles, il leur trouva un nouveau terrain à Saint-Ferdinand, près de Fleurissant, sur la rive est du Missouri, plus près de Saint-Louis. Fleurissant, le nom primitif, devint Florissant en anglais. C’était un petit village où les Français se sont installés vers la fin des années 1700. Sous l’occupation espagnole, il prit le nom de Saint-Ferdinand. Il y avait là une église catholique depuis 1790. Les religieuses n’ont pas eu d’autre choix que de quitter Saint-Charles en septembre 1819, avant la rentrée des classes, mais il fallut attendre encore trois mois avant que la maison qui leur était destinée soit achevée. Le déménagement eut lieu dans le froid et la neige à la veille de Noël. En 1820, le pensionnat comptait dix-sept filles, qui ont envoyé une lettre à la Mère Barat, en France, pour lui souhaiter une bonne fête. La même année, un noviciat s’ouvrit à Florissant, qui s’est mis presque immédiatement à prospérer : en 1821, il y avait six novices, dont trois faisaient partie des dix-sept élèves qui avaient écrit à la Mère Barat l’année précédente : les deux sœurs Hamilton et Émilie Saint-Cyr. Lorsque les religieuses quittèrent Saint-Charles en septembre 1819, au bout d’un an seulement, les habitants étaient désolés. Au début, il fut question d’y laisser Eugénie, Catherine et une postulante, Mary Mullen, pour continuer l’externat, mais le projet fut abandonné. En 1822, un médecin de Saint-Charles dont les filles étaient à Florissant offrit de construire une maison pour les sœurs. En 1825, les Jésuites

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construisirent leur église, espérant que les religieuses reviendraient, ce qu’elles firent en 1828. Au cours de ces années et par la suite, les lettres de Philippine à la Mère Barat mentionnent fréquemment la possibilité d’une fondation à La Nouvelle-Orléans, où l’influence catholique française était encore forte. Cela ne se fera qu’en 1867, bien après la mort de la Mère Duchesne. En 1821 cependant, trois ans seulement après leur arrivée dans le Missouri, elles reviennent en Louisiane, dans une petite ville au bord du Mississippi, appelée Grand Coteau ou Opelousas, où une veuve, Mme Smith, leur offre un terrain et une maison. Il fallait pour cela diviser en deux le petit groupe de cinq qui avait traversé ensemble l’Océan, même si de nouvelles vocations américaines commençaient à arriver et si la France annonçait d’autres missionnaires. Mgr Dubourg insista pour que les fondatrices de la nouvelle communauté aillent en Louisiane sans attendre l’arrivée de Lucile Mathevon et d’Anna Xavier Murphy, qui avaient déjà quitté la France. C’est ainsi que le 5 août 1821, Mère Eugénie Audé et la novice Mary Layton prirent le bateau à vapeur pour aller fonder en Louisiane la deuxième communauté et la deuxième école du Sacré-Cœur en Amérique. Lorsque les deux religieuses de France finirent par arriver, elles se séparèrent : Xavier Murphy alla à Opelousas, où elle devint supérieure après le départ d’Eugénie pour une autre fondation à Saint-Michel, quatre ans plus tard ; Lucile Mathevon partit à Saint-Louis où elle était destinée. En 1828, elle ira à SaintCharles pour la réouverture, et sera plus tard supérieure du groupe de pionnières envoyées à la mission indienne de Sugar Creek, en 1841. À cause de de la fermeture de toutes les maisons du Sacré-Cœur en France, durant une brève période au début du xxe siècle, la maison de Grand Coteau, commencée en 1821, est la plus ancienne maison de la Société du Sacré-Cœur qui, dans le monde entier, ait eu une existence continue.

LETTRES

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L. 1 À MÈRE VINCENT

SS. C. J. et M.

[Mai 1818] Pour Madame Vincent1 Ma bien bonne Mère, Nous approchons du terme de notre voyage. On me fait espérer que nous allons rencontrer un vaisseau pour la France ; j’en profite pour vous témoigner ma reconnaissance pour tant de bontés et mes regrets sur notre séparation. J’ai souvent cherché à vous retrouver dans le divin centre qui nous réunit malgré la distance des lieux ; et je vous y ai vue bien plus avant que moi qui ai si peu les vertus qui y donnent entrée. Monsieur Barat vous fera lire notre journal ; ainsi je ne vous dis rien du voyage. Une de nos plus agréables récréations a été de nous rappeler celles que nous avons faites ensemble, d’y raconter vos bontés, les vertus qui parent votre saint asile et de désirer les porter dans le nôtre ; nous ne le voyons point encore, nous sommes encore sur la mer ; et après la mer, un second voyage s’offre, presque aussi long que le 1er. Monsieur Martial ayant écrit à Mme Fournier, nous attendons pour lui écrire nous-mêmes notre arrivée à La Nouvelle-Orléans, où nous recevrons j’espère des nouvelles de notre saint évêque, son cher frère. Monsieur Martial s’est aussi chargé du journal pour elle et il ne nous appartenait pas de rien dire après lui ; le nôtre est pour nos maisons. Mille choses de ma part et de celles de mes sœurs à vos chères filles ; nos respects au respectable Monsieur Boyer. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Cahier Y, Lettres de la Mère Duchesne, p. 50-53.

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Je suis à vous auprès du Sacré-Cœur. [sans signature] S’il se présentait une occasion d’offrir nos respects à Monseigneur de Bordeaux, nous serions bien contentes de lui faire parvenir l’expression de notre reconnaissance. De même à Mme Fournier et à M. Louis Dubourg. Nous sommes depuis un instant sur les eaux du Mississippi qui se jette dans la mer, mais à 10 lieues de l’embouchure ; l’eau en est douce et se distingue merveilleusement de celle de la mer au point de leurs jonctions1. [Au verso :] À Madame Madame Vincent Demeurant rue Lalande N° 46 vis-vis de l’École de Médecine À Bordeaux

LETTRE 93

L. 8 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[A] Auprès de La Havane, dans l’île de Cuba, que nous côtoyons dans le canal entre cette île et le grand banc de Bahama, à 180 lieues de La Nouvelle-Orléans, ce 16 mai 18182. (Lisez bas, je vous prie) Ma bien digne Mère, L’année passée, à ces heures-ci et à pareil jour, nous reçûmes à Paris la dernière visite de Monseigneur de la Louisiane et vous donnâtes 1 2

Cette lettre a donc été écrite entre le 25 mai, premier jour où La Rebecca vogue sur les eaux du Mississippi dans le golfe du Mexique, et le 29 mai, jour de leur arrivée à La Nouvelle-Orléans. Sur l’original, le bas des pages 3 et 4 a été coupé ; la lettre a été reconstituée par J. de Charry à partir de trois sources manuscrites : [A] Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2 ; [B] et [C] Copies partielles : C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Lettres de la Haute-Louisiane 1818-1823, I, p. 5-7. J. de Charry, II 1, L. 92, p. 56-66. Cf. Ch. Paisant, p. 108-113.

Lettre 93



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votre consentement à notre établissement dans le Nouveau-Monde. Quelque contente que je fusse alors, je ne pensais pas que l’anniversaire devait nous mettre si près du premier terme de notre voyage, car qu’estce que 180 lieues comparées à plus de 2 200, en bonne ou mauvaise route, que nous avons parcourues depuis Royan ? Un officier, qu’un défaut dans son passeport avait retenu, vint nous y joindre la nuit sur une barque, et nous dit qu’on rapportait qu’il y avait des troubles à Paris et à Bordeaux. L’idée que vous en souffriez, ainsi que tant de personnes chères, est la plus forte peine que j’aie emportée ; car si nous avions déjà péri dans l’eau, une seule branche aurait péri, et branche jusqu’à présent inutile ; mais si le tronc de l’arbre était attaqué ! Combien nous attendons avec impatience une de vos lettres. Nous vivons dans l’espérance d’en trouver à La Nouvelle-Orléans ; car si le vaisseau qui devait partir après nous a fait plus promptement sa route, je ne désespère point qu’il y ait porté des lettres. J’avais bien recommandé qu’elles nous fussent envoyées. Mais sûrement une de celles que je vous écrivis de Bordeaux est perdue. Je vous y disais que j’aurais le temps d’y avoir réponse. Et ce temps a été plus qu’écoulé avant le départ. Nous approchons du terme en assez bonne santé. La saison a permis de passer le long de Cuba, route qu’on ne suit pas ordinairement à cause des courants, et qui nous abrège de 400 lieues. La route ordinaire est entre la Martinique et la Guadeloupe. Après avoir évité ce détour, les calmes que nous éprouvions sous le tropique ont fait penser à passer entre Saint-Domingue et Porto Rico ou de remonter pour descendre par le canal de Bahama, entre la Floride et la partie du grand banc de ce nom, près des États-Unis. Nous avons été 52 jours à ne voir que ciel et eau ; c’est le 11 mai seulement que nous avons aperçu la terre de loin ; c’est Caycos, 1ère des Lucayes, aux Anglais, et avons passé entre elle et Marignane. Nous avons, un moment, passé sur le banc de sable de Bahama ; les jours suivants, dans un endroit qui est recouvert d’assez d’eau pour porter le bâtiment. Ce fut une joie générale en voyant cette île des Lucayes, tant la terre a d’attrait par-dessus la mer. Cette mer est si terrible, dans certains moments, que j’ai pensé vous écrire pour vous prier de n’envoyer personne, avant d’avoir de nos nouvelles plus précises, et l’assurance que tant de sacrifices auront un but utile. Je regretterais bien l’occasion de M. Velay et [des] religieuses Ursulines au mois de septembre, mais, tout bien compté, vous ne pourrez avoir de nos nouvelles de Saint-Louis et calculer nos besoins avec sûreté qu’au mois d’octobre, au plus tôt. Ainsi, si vous nous destinez du

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secours, je ne l’espère qu’au printemps prochain1 ; et je serai la première à vous prier de n’employer à notre œuvre que des personnes solides, sans présomption, et en qui vous verrez la vocation de Dieu marquée, plutôt que les désirs qui ne s’expriment qu’en paroles. Nous avons eu mauvais temps les trois premières semaines. Catherine était toute déroutée ; j’ai craint un affaiblissement de tête par la frayeur, elle en a donné plusieurs signes et répétait souvent qu’elle avait bien dit au Père Sellier, à Mère Prevost2 et même à vous, qu’elle ne se sentait pas le courage d’aller si loin. Je lui ai répondu que j’étais sûre que vous ne l’auriez pas choisie si elle ne l’eût bien voulu et même demandé ; sur cela elle s’est repliée sur ce qu’elle avait bien demandé la Martinique parce qu’elle croyait que c’était près, mais toujours répugné à la Louisiane. Pendant les mauvais temps, elle faisait de la nuit, le jour, et du jour, la nuit. Enfin, je lui dis un jour que si elle voulait se lever, elle viendrait partager mon lit ; elle prit le parti de rester. Elle est mieux à présent, elle dit que sur terre, cela ira à merveille ; et ne voudrait pas retourner en arrière. Je sais et j’ai compris que ceux qui vont où nous allons ne racontent que le beau pour ne décourager personne, et c’est encore la demande de Monsieur M[artial]. Mais moi, qui vous dois la vérité tout entière, je ne vous cacherai rien, ni des dangers de la mer, ni de ma propre faiblesse. C’est véritablement un spectacle affreux qu’une mer orageuse. Son bruit, joint à celui des vents, efface celui du tonnerre et d’une forte canonnade, en affligeant l’oreille. Il faut y joindre celui du mouvement du vaisseau, dans les gros temps. Le cri des matelots, pour s’encourager au travail, a quelque chose de lugubre, mais leur silence l’est encore plus, ainsi que celui du capitaine, qui se promène pensif. Quand on voit le vaisseau, dans sa violente agitation, donner le spectacle de la confusion du dernier jour, le ciel paraît se rouler rapidement derrière des montagnes d’eau et entraîner les astres. Ces eaux de la mer, presque noirâtres dans la tempête, ouvrent et referment sans cesse leurs abîmes sans fond connu. Des vagues viennent à tout moment couvrir le pont et s’échappent par de nouveaux roulements. Deux fois, elles ont forcé nos petites fenêtres et couvert des lits pendant la nuit. Les mâts qui plient, les voiles qu’on resserre ou se déchirent, le gouvernail qu’on abandonne pour ne pas trop fatiguer le vaisseau, tout cela n’est pas riant quand on ne voit pas Dieu dans l’orage. 1 2

Les premiers renforts n’arriveront qu’en 1822. Marie-Élisabeth Prevost (1584-1871), RSCJ, était supérieure de la maison du Sacré-Cœur d’Amiens où résidait Catherine Lamarre. Louis Sellier (1784-1854), SJ, était préfet des études et père spirituel au petit séminaire de Saint-Acheul, près d’Amiens.

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[B] L’odeur qui règne dans le vaisseau est une autre épreuve. Le renfermé, le goudron, les pipes, le fond de cale surtout provoquent un mal de cœur qu’on n’évite qu’en prenant l’air sur le pont, où il n’est pas toujours possible d’aller dans les mauvais temps, le soir quand les hommes se couchent, le matin quand ils se lèvent, au gros soleil. [C] À certains jours, nous avons été les seules, avec une dame, à ne pas coucher sur le pont. [B] Et, outre cela, nous sommes condamnées à ne sortir de nos trous que tard, à cause des toilettes qui se font à la chambre commune. [A] Mais si j’ai vu avec peine que plusieurs ne résisteraient pas à la peur, j’ai pensé, avec plus de peine encore, qu’un grand nombre, vous surtout, ma Mère, Mère Bigeu et autres, ne pourriez soutenir l’air renfermé des cabanes, la dureté et la petitesse du lit, le bruit continuel, outre celui de la manœuvre qui a souvent lieu la nuit. On y parle aussi haut que le jour. On vient manger et boire dans la chambre commune, où deux de nous sont couchées, et sur laquelle donne la cabane des trois autres. La maladie de mer est une véritable maladie. Outre qu’elle éprouve comme quatre ou cinq vomitifs pris de suite, elle affecte la tête autant que l’estomac. On n’est capable de rien ; les pensées sont toutes courtes, à peine de petites aspirations peuvent tirer une affection froide du cœur. Je ne savais que l’Ita Pater1, ou : « J’ai tout quitté pour vous, ô mon Dieu. » Et dans cet état, si on demande l’eau, elle arrive souvent cinq ou six heures après, du thé de même. Quand on ne peut prendre que du bouillon, celui qu’on apporte est du bouillon de choux, chargé de graisse, et souvent fait avec de la viande passée. C’est une erreur de croire qu’il faut manger pendant ce mal ; j’ai été plusieurs jours à ne prendre qu’un ou deux bouillons dans les vingt-quatre heures, encore ne le soutenant que couchée ; et après, je me suis bien portée. Eugénie et Marguerite, soit plus courageuses ou mieux disposées, ont été moins prises. Cependant, deux ou trois jours, nous l’avons été à tel point que, ne pouvant nous servir les unes les autres, il a fallu que le maître d’hôtel nous rendît des services humiliants. Et lui ou le petit du capitaine venait ouvrir notre rideau pour nous passer le thé ou les bouillons. Quant à Monsieur M[artial], nous ne le voyions point alors, il a été très fatigué aussi. [C] Son estomac ne fit aucune fonction pendant quinze jours. Je l’ai guéri à force de sel de Glauber2 dans un remède. 1 2

« Oui, Père », Mt 11, 26. Remède portant le nom du pharmacien, Jean-Rodophe Glauber (1604-1668), qui a découvert les propriétés curatives du sulfate neutre de sodium.

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Pendant notre maladie régnaient les grands roulis ; on tombait à chaque pas. Le capitaine ou un autre nous donnait le bras pour aller au commun et nous attendait à la porte. Si on se servait d’un vase, le roulis le renversait à terre ou bien sur nous en l’emportant, et l’on risquait de briser ce précieux ustensile. Nous avons, ma bonne Mère, laissé derrière nous La Havane et peut-être verrons-nous La Nouvelle-Orléans avant la fin de la semaine. Il nous [tarde] de visiter à notre aise le Bien-aimé, et mon cœur battait en apercevant les clochers de La Havane dont les églises sont superbes, dit-on ! Quand reverrons-nous ces saints temples ? Dieu, cependant, a bien voulu que nous ayons la messe environ trois fois par semaine, ainsi que la communion, excepté du Mercredi saint à la Quasimodo1, où le mauvais temps et la maladie nous ont privées de tout. Dieu m’avait ôté le souvenir de tout ce qui pouvait me faire désirer la fin de la navigation et tout espoir de succès et, dans les longues nuits de tempête et d’insomnie, dans le silence où Dieu paraissait sourd à toutes nos prières, je me suis souvent demandé si je devais me repentir d’avoir exposé des vies si précieuses à la Société, tant de ressources peut-être plus utiles ailleurs, pour avoir trop poursuivi notre projet d’émigration ; mais jamais ce sentiment n’a pu pénétrer dans mon cœur. La paix était amère, mais c’était toujours la paix2. La volonté de Dieu avait été marquée par votre consentement, ma digne Mère ; nous étions aidées de bien des ferventes prières ; sans autre inquiétude que de ne pouvoir me confesser, car Monsieur Martial, aussi malade mais moins en peine de l’issue de la maladie, lorsque je lui demandai s’il nous laisserait mourir sans absolution, répondit : « À la fin de la semaine. » Je me rappelai alors les Pères Perreau, Joseph [Varin] et Louis [Barat], toujours prêts à entendre, dans des besoins moins grands. À Bordeaux, on avait conseillé au capitaine de ne pas se charger de prêtres et de religieuses, ce qui perdrait sûrement son vaisseau. « J’ai éprouvé, répondit-il, qu’ils ne portent pas malheur. » Au bout de trois semaines de contrariétés, l’on dit un jour, à table, au capitaine : « Si demain, le temps ne change pas, il faudra tirer au sort qui porte malheur. Dans d’autres navigations, nous déshabillions et fouettions les mousses, cela amenait le beau temps. » Nous priâmes beaucoup et le surlendemain, au bout de vingt-et-un jours, le capitaine me dit : « Nous sommes sauvés ! Nous voici dans les belles mers, sous l’influence des 1 2

Premier dimanche après Pâques. « Voici que mon amertume se change en bien-être » Is 38, 17.

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vents alizés, près du tropique, que nous avons passé et repassé sept ou huit fois. » Nous nous sommes trouvées dans la zone torride avec nos seuls habits d’hiver, ne pouvant déballer nos effets qui étaient dans la cale. Pour toute navigation, il faudra se souvenir qu’en partant, même en décembre, on peut avoir besoin d’habits d’été. Il faut le bon air de la mer pour faire le contrepoids de tant de maux. Octavie avait quitté sa flanelle et ne ressentit le rhumatisme qu’à l’approche des terres. Qu’il fallait nous observer, au milieu de tant de religions et d’opinions diverses ! Combien de discours impies, de railleries, et les chants du « Ça ira ! » « Aux armes, citoyens !1». Néanmoins, les bienséances ont été gardées, nos exercices [religieux] suivis. Mais, par défaut de lieu pour dire la messe à nous seules, Monsieur Martial en était avare. Il a le talent d’être bien avec tout le monde, son caractère est fort gai. Dieu abat tout orgueil pendant ce voyage. Je l’en bénis. J’y ai trouvé remède contre les sept péchés capitaux. Oh qu’il est bon de ne voir que Dieu, et qu’il cache ses dons ! Je les attends toujours et, après ceux que j’espère, le martyre qui y mettra le comble. Mon âme se dilate à cette pensée et j’embrasse d’avance cet heureux sort !… Rien de moins sûr que notre établissement à Saint-Louis. Mgr Flaget2, évêque de Bardstown au Kentucky, connaissant mieux cette ville que Mgr Dubourg, lui conseille de choisir plutôt Sainte-Geneviève, habitée par des Irlandais qui offrent de lui bâtir sa cathédrale. Les bateaux à vapeur ne vont pas jusqu’à Saint-Louis ; il nous restera 50 lieues par terre, et le froid est tel, en hiver, que la terre gèle à six pouces de profondeur et toutes les petites plantes périssent. Si vous voulez des détails sur les États-Unis, vous en trouverez beaucoup de vrais dans un ouvrage intitulé : Voyage dans les deux Louisianes [en 1801-1803], par M. Perrin du Lac. Depuis, la Louisiane est passée aux États-Unis et a beaucoup gagné. Philippine Duchesne 1

2

Refrain de La Marseillaise composée en avril 1792 par l’officier du Génie C. J. Rouger de Lisle, chantée par les fédérés marseillais à leur entrée dans Paris en août 1792. En 1795, elle est décrétée chant national par la Convention, interdite de 1815 à 1870, rétablie officiellement comme hymne national en 1879. Benoît Flaget (1763-1850), SS, né en Auvergne, se joint aux Sulpiciens en 1783, est ordonné prêtre en 1787. Il arrive à Baltimore en 1792. Devenu en 1808 le premier évêque de Bardstown, Kentucky, il transfère en 1839 le centre diocésain à Louisville. Il voyage beaucoup pour son travail pastoral et passe quatre ans en Europe pour recruter des missionnaires (1835-1839). Réputé pour sa sainteté et son efficacité pastorale, il est décédé au Kentucky en 1850.

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L. 1 À MÈRE BIGEU

SS. C. J. et M.

De la Nouvelle-Orléans, ce 30 mai 18181 Ma bien bonne Mère, Nous voici depuis deux heures du matin à La Nouvelle-Orléans. Hier, nous renouvelâmes nos saints engagements dans le bâtiment, en union avec vous et toutes nos amies ; et le Cœur de notre bon Maître s’est disputé avec celui de sa Mère pour combler nos vœux, après la sainte cérémonie. C’est le jour du Sacré Cœur, à 8 h du soir, que j’ai mis le pied sur la terre que je n’avais pas touchée depuis le Jeudi saint, et que je baisai respectueusement à la faveur des ténèbres ce champ, objet de tant de vœux dont la vivacité se réveillait en approchant. Les Dames Ursulines, dont le favorable accueil nous confond, prévenues de notre arrivée, nous envoyèrent des voitures à 7 lieues de distance, où le vaisseau était arrêté, faute de vent. Nous marchâmes en train de poste, et arrivâmes à deux heures du matin, samedi, dernier du mois de Marie, que je dis aussi s’être disputée avec son fils pour nous favoriser. Pour ne pas troubler l’ordre du couvent, nous entrâmes avec notre digne conducteur [M. Martial] et ses deux compagnons, chez leurs amis qui nous attendaient et dont l’un est grand vicaire de Monseigneur. J’eus là trois épines que j’avais pressenties la veille au milieu du contentement que notre modeste fête avait jeté dans mon cœur. 1°) Point de nouvelles directes de Monseigneur pour nous. 2°) Point de collège, ni de pensionnat dans la ville épiscopale qui est toujours SaintLouis, et où la cathédrale était déjà, quand il écrivait, à 10 pieds au-dessus de terre. Où serons-nous ? Je ne le sais pas : on s’en occupe, mais à 12 milles et le collège à 30 milles. 3°) Le grand vicaire loua beaucoup la méthode Lancaster2, blâma les Frères de s’y refuser, et en augura qu’ils ne réussiraient pas, les protestants ayant par-là l’avantage. Que nous sera-t-il demandé par rapport à cela ? Comment se décider ? Quand 1

2

Copies : C-VII  2)  c Duchesne to RSCJ and Children, Box  4 ; C-III  1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 161-168. Cf. Ch. Paisant, p. 116-121. Du nom de son auteur, Joseph Lancaster (1778-1838), quaker anglais, cette méthode pédagogique, qui était populaire au xixe siècle, utilisait comme tuteurs les élèves les plus âgés ou les meilleurs pour enseigner aux plus jeunes ou aux plus faibles, de préférence à l’instruction centralisée d’un professeur.

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avoir la réponse ? J’eus un moment d’écrasement et aurais porté mes pensées sur La Havane si la destination n’eût été fixée par l’obéissance ; et voici ce qui m’y fit penser. Nous avons rencontré un vaisseau dont le capitaine demanda de prendre un passager de cette ville pour La Nouvelle-Orléans ; il était français, basque d’origine et depuis 12 ans dans les îles ; la piété le lia à Monsieur Martial ; il en apprit le sujet de notre voyage et vint un matin avec bonté me donner un rouleau de gourdes, en tout 212 F, disant qu’il était bien aise de contribuer à notre établissement, ajoutant avec cette simplicité qui met à l’aise : « Si vous ne réussissez pas à Saint-Louis, et que vous ayez des projets sur La Havane, je vous donnerai tous les renseignements que vous pourrez désirer. » En partant, il nous a aussi laissé sa provision de papier et de plumes. La Havane est ville espagnole, ornée de superbes églises ; il y a déjà plusieurs couvents, entre autres un d’Ursulines espagnoles, parties de La Nouvelle-Orléans dans ses moments de crise. La ville a 80 000 âmes. Les mœurs sont dépravées par suite de mauvais prêtres que l’Espagne y a vomis. L’île a beaucoup de Nègres et de Sauvages. Dans l’avenir, on peut espérer un établissement intéressant, mais celui-là, le nôtre et tant d’autres qui peuvent se former à d’énormes distances, m’ont fait penser de prier : 1°) Notre Mère de faire changer l’article du noviciat unique ; mais plutôt d’imiter nos Pères qui en avaient aux grandes distances. Je sais que cela nous est permis ; mais il est si doux de voir l’identité entre ce qu’on lit dans la règle, et ce que l’on pratique. 2°) J’ai eu la même pensée par rapport aux postulantes pour les récréations. 3°) Pour l’entrée des bienfaiteurs qui est plus restreinte que pour les personnes les plus indifférentes. 4°) Pardonnez encore une pensée ; c’est qu’il n’y a rien de fixe aucune part, pour les accusations et pénitences. Peuvent-elles se faire devant l’assistante quand la supérieure est absente ? 5°) Mais le plus grand embarras, c’est la clôture ; je n’ai pas été une heure avec nos saintes Dames qu’elles m’ont dit : « Vous le verrez, à de si grandes distances, on ne peut faire de même qu’en France. » Elles ont parlé en particulier pour la clôture ; leurs Nègres et Négresses grands et petits sont dans la clôture, et quelle clôture ! Un enfant la sauterait : quelques planches !… Je n’ai pas vu une seule pierre tout le long du Mississippi.

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6°) Les Nègres sont des esclaves, elles en ont près de 32. Cela se peut-il ? La loi civile qui les rend libres ne s’observe que dans une petite partie des États-Unis, surtout à New York. J’ai déjà embrassé de ces petites Négresses de ces dames, de 1 mois, un an, 3 ans. Celle-ci se vendrait plus de 2 000 F et son père jusqu’à 12 000 F. Nous n’avons pas encore vu de Sauvages, quoiqu’il y en ait beaucoup dans la ville et qui se familiarisent volontiers. Voyez, ma bonne Mère, combien ces questions sont importantes. Vous les exposer, c’est les exposer à notre Mère pour qui cette lettre est commune ; mais il m’a été doux de mettre votre nom au-dessus, comme témoignage de mon souvenir et de ma reconnaissance pour tant de zèle pour nous. La décision prise après l’avis de notre Père Varin et de M. Perreau, je vous prie de me l’envoyer par leurs amis de Georgetown, à qui je donnerai mon adresse quand je la saurai. Je ne m’attendais pas à cette épreuve. Mgr Dubourg a-t-il craint que nous lui fussions à charge ? A-t-il craint la répétition des calomnies atroces contre lui et ses filles d’ici, semblables à celles contre saint François de Sales ? Veut-il en divisant ses établissements, diviser ses secours et multiplier les lumières de la foi, n’ayant dans un espace de 500 lieues que douze prêtres ? La fièvre jaune n’est point ici comme on l’a craint. Le médecin a fait la visite de notre vaisseau à 7 lieues de la ville. Croiriez-vous, ma bonne Mère, que j’ai été si ingrate d’oublier que d’après le vœu à saint Régis que notre Mère m’avait permis, nous devions au moment de l’embarquement faire faire une neuvaine de messes à saint Régis ? J’écris à Mme  de  Mauduit pour la prier de la faire faire ; si elle se charge des frais, elle vous l’écrira, sinon, je vous prie de lui faire compter le montant par M. de Rollin ou autre. Priez bien pour nous, ma bonne Mère, non seulement à cause du voile sombre qui couvre la suite de nos démarches, qu’à cause de tant de pertes spirituelles ; nous avons compté 36 communions, 48 messes, 24 expositions, 60 bénédictions, 24 sermons ; et ces Pères Joseph, Louis, Perreau, ces tendres Mères. J’attends avec impatience la bénédiction du Saint-Père. Il a écrit luimême à la supérieure de cette maison, à Montpellier. Elle lui écrivit à l’insu de son confesseur et de son évêque pour décider son émigration. La réponse fut prompte et favorable, et Mgr Fournier lui dit qu’il était unique qu’un pape eût répondu à une lettre d’un particulier sans l’avis de son évêque. Cette maison si hospitalière est composée de plusieurs Créoles dont l’une est la fille d’un des 1ers habitants de cette ville, née vers… Deux sont venues du Pont-Saint-Esprit, il y a 32 ans, et j’ai eu le plaisir de

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leur répéter ce que j’avais retenu alors de leur voyage ; leur troisième compagne est morte ; 8 sont venues de Montpelier avec la supérieure, il y a 8 ans, par Philadelphie et Baltimore. Dans cette dernière ville, elles furent découragées ; un saint chevalier leur raconta qu’une sœur converse avait prédit que les bords du Mississippi verraient un jour beaucoup de maisons religieuses, cela les remonta. Les autres sont celles choisies par Mgr Dubourg. La nôtre sera la seconde à 500 lieues plus haut, et quand en méritera-t-elle le nom ? Monsieur Martial est tout plein de bonté ; il a beaucoup de rapports avec M. de La Grée de Grenoble, toujours un mouvement pour égayer. Ma lettre à notre Mère est partie avec celle de mes Sœurs par un vaisseau qui nous a croisés dans le Mississippi. Je lui témoignai ma peine de ne point avoir de ses nouvelles, surtout depuis qu’on avait dit qu’il y avait des troubles en France. Je lui racontai notre voyage, ainsi qu’Octavie. Mauvais temps trois semaines, beau temps après, mais retard causé par des calmes. Nous avons seulement mis 15 jours de La Havane à ici, qui n’en est éloignée que de 180 lieues, mais notre vaisseau est encore le plus heureux ; un autre, parti avant nous, a mis 78 jours jusqu’à La Havane, et un autre qui avait seulement le quart de notre route, 35 jours. Combien il est nécessaire pour ces translations, de personnes fort silencieuses, mortifiées, et qui aient du jugement. Les Américains ne sont pas courtisans et n’aiment pas les délicatesses. Ils sont pour la civilisation au point des Français et ne les aiment point, dédaignent leurs usages, leur langue, nient leur habileté dans certaines sciences ou arts. On les dit les hommes les plus industrieux du monde, et les plus capables de civiliser l’Amérique septentrionale. La secte des méthodistes, qui a ses missionnaires, s’étend beaucoup et fait sentir pour les catholiques la nécessité d’une marche semblable pour l’instruction des catholiques, au lieu d’un curé stable à de trop grandes distances (pensée du partisan de Lancaster). Les Dames Ursulines sont ici l’appui de la religion. Outre nous cinq, elles ont maintenant l’ordinaire de 6 ecclésiastiques et nourrissent et logent ordinairement les deux qui résident, qui n’ont rien. On n’a pas là de revenus affectés aux ecclésiastiques. Si on se cotise dans un pays, on leur fait la loi et l’on blâme leurs courses apostoliques. Les cotons, toiles, étoffes noires et le pain sont ici à bon compte, ainsi que la faïence, mais la nourriture et le logement sont très chers : 1 poule, 5 F ; 2 poulets, 5 F ; une chambre par mois, 100 F ; une visite de médecin, 10 F ; journée à l’auberge, 10 F ; journée d’ouvrier, 10 ou 15 F ; les porte-faix gagnent jusqu’à 20 et 30 F par jour.

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Cependant je compte peu sur les pensionnaires ; celles d’ici toutes bien tournées, intelligentes et non déplacées à Paris, sont presque toutes des îles et habitations, et sont mises uniquement pour la 1ère Communion, pour 3 mois, 6 mois, un an, presque jamais deux. Comment réussir en si peu de temps à les former pour la vertu, l’instruction et s’en tirer ? Elles ne donnent ici que 900 F ; c’est 300 F à Paris, mais ces Dames sont riches et Dieu le permet ainsi pour le bien de la religion ; les prêtres n’y ont rien que par elles, et cette seule bonne œuvre leur coûte par an 15 000 F. Un aumônier, outre le logement et la nourriture, leur a pris 50 gourdes par mois, ou 3 000 F par an. Ce n’était pas M. Perreau, ni M. Rambaud, bien sûr. L’Évangile, ce dimanche 31 mai, et l’épître d’aujourd’hui m’ont un peu remis le cœur ; et j’ai eu la 1ère bénédiction, depuis le vendredi de la Passion. Dieu a permis que dans un moment de franchise, j’aie marqué à la supérieure une certaine opposition contre le prêtre qui louait la méthode Lancaster, etc. Elle m’a dit que mon ouverture lui facilitait de me faire la sienne ; elle lui conteste son titre de grand vicaire, et m’a raconté bien des choses qui annoncent qu’il tient peu à la mission, et a des opinions peu conformes à celle de l’évêque. L’opinion est si généralement en faveur de celui-ci, qu’il faut espérer. Dieu est si bon ; néanmoins, il ne défend pas à certaines prévoyances, et dans la crainte que ses préparatifs pour nous n’absorbent les 10 000 F qu’il a dû recevoir, je songe à éviter d’autres frais, et avoir de quoi mettre à la bouche. Un jardin et des vaches nous suffiront. Je voudrais donc une sœur jardinière et avec elle un domestique de Monsieur Martial que l’évêque voulait amener et qu’il a laissé comme trop familier ; mais il m’a témoigné son désir. C’est un brave homme, de bonne santé, il fait le pain, le jardin, la menuiserie, serait capable d’accompagner nos sœurs en route. M. Vincent et Monsieur Barat le connaissent et pourraient lui présenter cette bonne œuvre peu lucrative. Il a de quoi avancer son voyage, et ses gages 3 à 400 F. Le consul de France, qui est venu nous voir avant que je lui aie présenté les lettres de recommandation, m’a confirmé qu’on est mieux pour la religion et les mœurs sous les capitaines américains, et assure que les vaisseaux du roi ne portent jamais de femmes ; qu’il y a un règlement à cet égard. Ce consul est l’homme du monde le plus honnête, religieux, obligeant. Tout en disant que ses pouvoirs sont peu de choses, il m’offre que nous lui adressions toutes nos lettres. C’est M. Guillemin, Consul général de France à La Nouvelle-Orléans.



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Monsieur Martial nous a donné les prémices de son apostolat dans le Nouveau Monde, en faisant faire la 1ère Communion à 40 jeunes gens de couleur. Le papier finit trop tôt. Obtenez mille bénédictions pour nous de notre Mère et de nos Pères. Mille choses à nos Mères et Sœurs. Celles d’ici écrivent et le consul fera partir.

LETTRE 95 L. 8 À MADAME DE MAUDUIT, À CREST (DRÔME) Nouvelle-Orléans, 2 Juin 18181 Mes très chères sœurs et mon frère, Je me doute bien que l’amitié qui nous unit aura pu vous donner quelque inquiétude sur le sort de mon voyage, inquiétude peut-être augmentée par la prolongation de notre navigation ; mais me voici à terre, et dans une ville où la langue et les usages font croire être en France, et la maison qui nous a reçues représente les nôtres. Dans aucune, nous n’aurions reçu plus de témoignages d’affection et d’attentions multipliées ; le vaisseau se trouvant arrêté à six lieues plus bas que la ville par le défaut du vent, les Dames Ursulines, à qui nous étions recommandées par notre évêque, nous ont envoyé chercher dans une voiture qui ne leur a pas moins coûté que cinquante écus ; encore ontelles trouvé que c’était peu de chose. Arrivées chez elles, nous avons trouvé avec l’exemple touchant de toutes les vertus hospitalières, les soins les plus universels : médecin pour prévenir les effets de changement de température, bains, boissons rafraîchissantes, nourriture la mieux choisie, linge de toute espèce, le nôtre enlevé et blanchi le même jour par les Négresses. Des mères ne pourraient faire plus pour des enfants ; elles parlent même de nous donner plusieurs choses pour continuer notre voyage qui sera de 4 ou 500 lieues encore en remontant le Mississippi sur des vaisseaux à vapeur, invention admirable qui fait faire en 20 jours un voyage que les gens du pays faisaient, il y a deux ans, en six mois seulement. Il y a maintenant quarante de ces bateaux dans une continuelle activité, le 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 92-95 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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commerce sur le Mississippi devenant tous les jours plus important et la Haute-Louisiane, où nous allons, faisant tous les jours des progrès vers la civilisation. L’église de notre évêque est presque achevée et notre maison se prépare ainsi que le collège ; c’est celui qui doit le diriger qui nous a accompagnées dans le voyage, et qui, en arrivant, trouve plusieurs enfants empressés à le suivre et les parents encore plus contents de les faire élever chrétiennement. Combien les maisons d’éducation auraient besoin de se multiplier dans ces pays-ci ! On voit des jeunes personnes de 18 ans qui n’ont appris qu’à manger et à courir, même parmi les plus riches habitants ; on a si peu appris à prier qu’on ne sait ni faire le signe de la croix, ni se mettre à genoux, ni les principaux de nos mystères. Combien sont préférables nos fortunes à ces fortunes colossales qui replient l’âme sur le seul matériel ! Tout est ici proportionné à l’abondance de l’argent pour les prix ; les Dames Ursulines, en nous logeant, nous donnent plus de cinquante francs par jour que nous aurions à dépenser si nous payions notre séjour en attendant le bateau de SaintLouis. Quand on voit tant de fertiles pays incultes, on est étonné que tant de gens, qui se disputent en France quelques pieds de terre, ne viennent pas sur les bords du Mississippi pour y recueillir en peu de temps le fruit de leurs travaux. Je prie mon frère de ne pas négliger de retirer une rente qui est entièrement due pour 1817. J’avertis Mélanie [Visitandine à Romans] que j’ai écrit en arrivant à la supérieure de Georgetown pour me recommander à ses prières ; j’ai trouvé ici une de ses pensionnaires qui, voyant ma croix qui lui rappelait la sienne, a eu un grand mouvement de sensibilité. Je lui avais demandé quelques petits objets de sacristie, mais je me rétracte, vu l’énormité des ports que peut-être nous ne pourrions pas supporter ; elle voudra bien dire à mes tantes, à mes cousines, à sa digne Mère, combien je compte sur leurs prières. Un marchand de La Havane, Français d’origine, et qui nous a rejoints près de Cuba, s’est tellement intéressé à notre œuvre que, de son propre mouvement, il nous a remis de la manière la plus modeste plus de 200 F voulant, disait-il, y coopérer. J’aurais voulu écrire aux deux Amélie [de Mauduit et Jouve], à mon filleul [Henry Jouve], et aux aînées Lebrument [Caroline et Henriette], mais j’ai tant à écrire, mon départ peut être si prochain, que je les prie

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de lire dans mon cœur, et s’ils veulent des détails, qu’ils demandent notre journal à Constance [Jouve]. Je ne désespère point de voir un jour quelques neveux ou nièces dans ce pays, soit comme nous pour y sauver des âmes, soit pour en quelques années se procurer de quoi vivre toute leur vie. Je suis de cœur en Notre Seigneur toute à vous et aux vôtres, Philippine Je prie Mme de Mauduit de faire acquitter neuf messes pour moi à La Louvesc ; Mme Barat lui fera rendre, à moins qu’elle ne veuille m’en faire présent, et alors elle peut le lui faire dire.

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L. 7 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Nouvelle-Orléans, 3 juin [1818]1 Ma bien bonne Mère, Je vous ai écrit de Bordeaux et à Aloysia aussi. J’ignore le sort de mes lettres, mais j’emportais avec moi le souvenir affectueux d’une mère et d’une amie que je ne puis oublier, plus amie encore au moment de notre éloignement, où vous vous êtes tant prêtée à tout ce qui pouvait avancer notre mission. Nous en sommes encore à plus de 400 lieues. Notre maison s’arrange et l’église de Monseigneur se bâtit. En attendant, nous goûtons le bonheur d’un bon exemple de la parfaite charité chez les Dames Ursulines qui portent les soins pour nous à l’égal des mères les plus tendres et loin de nous trouver à charge, comme en effet nous le sommes, ne parlent que de la peine de nous quitter. Je n’entre dans aucun détail sur notre voyage, pensant bien que notre digne Mère vous aura fait part de deux lettres déjà parties et du journal qui y était joint. S’il ne vous est pas parvenu, nous lui en renverrons 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Cahier Y, Lettres de la Mère Duchesne, p. 53-57.

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un double avec la suite jusqu’à notre arrivée à La Nouvelle-Orléans. J’écris aussi une lettre aux élèves, jointe à un petit panier de Sauvage pour vous. Je vous prie de ne m’oublier auprès de personne. Si Monseigneur vous parle de moi, offrez-lui mes bien humbles respects. Je les offre aussi à Messieurs Rivet et Rambaud, dont les bontés me sont présentes comme quand j’en voyais de plus près les effets. Je compte beaucoup sur leurs prières et sur celle de Monsieur d’Hyères ; nous aurions bien besoin dans ce diocèse de quelques ouvriers de sa façon, de ses enfants. Nous comptons, en septembre, sur Monsieur Velai, mais si cela ne se sait pas, n’en dites rien. Je voudrais dire un mot à chacune de mes sœurs en particulier ; le temps et la distance ne le permettent pas, mais je n’oublie personne devant Dieu et nomme ici en particulier mes Mères Rivet et Second, mes premières compagnes, les mères Lavaudan, Adrienne [Michel], Morelin, Fournon, J. de Coriolis, de Rambery, Rombau, mes anciennes filles, Foussala, Boisson, Françoise, mes compagnes d’emploi ; enfin toutes, ainsi que les élèves et les pauvres. Dites à ces dernières que j’assistais dimanche à l’instruction des Dames Ursulines ; il y avait près de 300 personnes de toutes couleurs et de toutes figures, surtout quelques bonnes vieilles Négresses qui auraient bien voulu que nous restions avec leurs mères dans la foi. Il y eut, le même jour, dans leur église une première Communion de 40 Nègres, Créoles, Mulâtres, etc. Quand en verrons-nous autant dans la nôtre ? Ce couvent d’Ursulines, aussi ancien que la ville, a été bâti en maison régulière aux frais de Louis  XV. Les premières dames périrent presque de misère, vivaient plus dans les marécages que sur la terre. Maintenant, elles sont riches, soutiennent presque que seules la religion dans la ville et nous ne pouvons rendre ce qu’elles font pour nous. Adieu, ma bonne Mère. Octavie et Eugénie vous offrent leurs respects.

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L. AUX PENSIONNATS DE PARIS ET DE GRENOBLE

SS. C. J. M.

Nouvelle-Orléans, 3 juin 18181 Mes bien chères amies, Vos noms portés sur mon cœur et dans mon cœur me sont sans cesse présents ; j’ajoute à cette satisfaction celle de vous l’exprimer. Je ne sais quand vous parviendra cette lettre, mais quelque tard qu’elle arrive, elle vous dira toujours que je ne vous oublierai jamais, en même temps que j’atteste qu’il y a de la douceur à quitter tout pour Dieu qui s’est tout donné à nous. J’ai déjà vu ces Sauvages pour l’amour desquels nous avons fait tant de chemin ; il y en a beaucoup qui viennent vendre des petits paniers dont vous verrez quelques-uns, ou des mûres qu’ils cueillent dans les bois. L’adresse avec laquelle ils font leurs petits ouvrages et la méfiance avec laquelle ils traitent en vendant, prouvent qu’ils sont capables de réfléchir et par conséquent de parvenir un jour à la connaissance de Dieu, si l’on prenait soin d’en faire des hommes, pour après en faire des chrétiens. Mais dans cette ville plus corrompue par le luxe et la magnificence qu’aucune ville de France, on s’accoutume à les dédaigner comme des animaux, ils n’ont jamais que des rebuts, aussi sont-ils plus méchants que ceux que nous trouverons dans la Haute-Louisiane. Ils sont cruels, vindicatifs et repoussent tout ce qu’on leur dit de la religion ; lors même qu’ils entendent le français, ils répondent : « Pas moi cela, moi Sauvage. » Ceux qui viennent à la porte des Dames Ursulines les appellent les femmes du Grand Esprit. Ceux que j’ai vus sont absolument couverts comme on représente Notre Seigneur au moment de l’Ecce homo, mais le manteau qui les couvre est bien plus bizarre. L’un d’eux, qui vint passer sa tête à la porte de l’église dimanche, avait l’air d’un diable qui veut mettre sa tête à la porte du paradis ; il se sauva ensuite comme un voleur. Le même jour, j’allai dans les salles où les Dames Ursulines faisaient l’instruction à plus de 300 personnes créoles, noirâtres, négresses ; il y 1

Copies : C-VII  2)  c Duchesne to RSCJ and Children, Box  4 ; C-III  1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part B, Lettres de personnes variées, 1818-1828, p. 32-39 ; C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5, Lettres à Mme de Rollin N° 9, Cahier, p. 13-21. Cf. Ch. Paisant, p. 127-131.

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en a qui vivent comme des saintes. L’une d’elles vint à moi toute joyeuse, les deux mains jointes, pour savoir si je resterais ici ; elle nous dévorait des yeux et fut toute contristée quand nous lui dîmes que nous allions plus loin. Mais à côté de quelques bonnes, combien d’ignorantes qui n’aiment que les parures quand elles peuvent s’en procurer à New York, à Philadelphie où il n’y a pas d’esclaves ; elles vont souvent durant la semaine, nu-pieds, et le dimanche avec des robes et des chapeaux de taffetas rose ou bleu, sans doute pour relever le noir de leur figure. Ici, plusieurs portent des robes de tulle, ou tout au moins d’un blanc éclatant. Les esclaves, n’ayant pas de quoi contenter leur vanité, attendent que leurs maîtres s’absentent puis vont au bal couverts de leurs habits ; les blanchisseuses font de même des robes qu’on laisserait chez elles le dimanche. Ah ! Priez bien pour tant d’ignorants et de pécheurs ; les ouvriers manquent pour les instruire. Quand un Sauvage peut s’expliquer et s’excuser, il dit : « A présent, personne ne nous instruit plus. » Ils sont par troupes autour d’un feu qui leur est aussi agréable en été qu’en hiver ; ils se couchent autour. Les Nègres aussi ne se couchent jamais sans se chauffer en toute saison. La condition de ces esclaves n’est pas toujours malheureuse : ils ont pour eux deux ou trois heures dans la journée qu’ils emploient à cultiver un peu de terre qu’on leur donne, qui s’appelle désert, ou ils vont travailler ailleurs et gagnent autant en peu de temps que ceux qui travaillent tout le jour en France. Le pape a aussi permis qu’ils travaillent le dimanche. Ils ont chacun leur petite maison dont la réunion forme le camp ; ils sont tous vêtus. J’ai vu le long du Mississippi des habitations où il y en avait jusqu’à 100. Leur maître pour cela seul était riche de plus d’un million, puisque chaque esclave vaut plus de 10 000 F. À Cuba, qui s’appelle ici la Grande Cube, il y a des habitations de plus de 400 Nègres. On a dans ce pays des particuliers qui recueillent pour 250 000 F de sucre par an. En sont-ils heureux ? J’aime bien mieux instruire une Sauvagesse et manger comme elle, que de me voir dans une si grande abondance avec la responsabilité de tant de personnes, pour le salut desquelles on est si indifférent qu’on les laisse sans instruction, sans pratiques religieuses. Je tâcherai de joindre à ma lettre le plan du vaisseau sur lequel nous sommes venues ; après l’avoir vu, je vous prie de l’envoyer à Mlles de Vidaud et de Jonquière à Grenoble, à qui j’avais promis d’écrire. La Seine que vous connaissez à Paris, le Rhône si beau et si rapide, la Loire si belle à Tours, la Garonne enfin, ne l’emportent aucune sur le Mississippi. La largeur d’une cinquième branche à son entrée est égale à

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celles de la Loire lorsqu’elles sont réunies [à la Gironde]. Son entrée est affreuse : du Golfe du Mexique, on passe dans ce qu’on appelle les eaux blanches (qui réellement sont vertes) et là, on commence à pouvoir trouver le fond de la mer à plusieurs lieues de l’embouchure du fleuve. Ses eaux sont portées sur celles de la mer sans s’y mêler ni à droite ni à gauche, et le vaisseau, en les fendant, laisse voir sur le derrière une trace de celles de la mer qu’il a découvertes. La lutte entre la mer et le fleuve est sensible à son embouchure ; la mer pour le repousser a accumulé des sables qui, maintenus par les bords et les rochers dont on voit la pointe, forment un banc. La rivière a très peu de fond et ne laisse que la quantité d’eau suffisante pour porter le bâtiment qui, dans un espace très étroit, est environné d’écueils et de troncs énormes d’arbres qui flottent et bordent la terre. Le capitaine, en ce moment, est dans la plus grande action, le meilleur matelot est au gouvernail ; un autre, la sonde à la main, la jette perpétuellement et chante le nombre de brasses qu’il trouve ; le pilote côtier est au-devant du vaisseau avec la longue vue pour observer le juste milieu entre deux objets qu’il a observés et qui doivent fixer le point important. Les autres matelots et tous les passagers gardent un morne silence et ne commencent à parler que quand le capitaine a dit : « Nous voilà dans le fleuve. » Il n’y a pas de marée comme dans la Gironde ; pour remonter, il faut être poussé par le vent favorable, ce qui arrête souvent. Ainsi 32 lieues sont bien longues à faire ; nous n’avons été ni bien favorisées, ni bien retardées. Après les horreurs de l’entrée, nous avons joui des beautés qui se sont offertes : des bois taillis du plus beau vert forment un long et agréable rideau qui n’est interrompu par aucune dévastation, le fleuve étant si paisible que le seul limon le contient sans aucune digue, mais par de petites cabanes et de grandes habitations où se voient des orangers, des grenadiers, myrtes, lauriers roses et blancs en pleine terre, des champs pleins de tabac, maïs, coton, cannes à sucre, parmi lesquels paissent des troupeaux de vaches ou autres animaux, dont le lait doit être sucré. Quand on en achète du vaisseau, le paysan y joint un morceau de canne à sucre. À moitié de la distance de La Nouvelle-Orléans, les bois ne sont plus des bois taillis seulement, ce sont des arbres de haute futaie : le chêne vert, le sycomore, l’arbre à piquants, de hauts peupliers et saules ; à fleur d’eau sont d’énormes lataniers dont les feuilles sont très larges, et forment réunies en tige un grand éventail ; ces feuilles font des balais, blanchissent les plus jolis chapeaux de paille, et servent encore aux

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Sauvages à faire leurs paniers. Ils les peignent avec différents simples pour former les façons que vous verrez. Les Sauvages mexicains sont naturellement peintres et font sur les coquillages de très jolies choses. Pour finir ce que j’ai à vous dire des bords du Mississippi, la partie qui avoisine La Nouvelle-Orléans est dépouillée de ces arbres qu’une bonne culture ne remplace pas. Les terres marécageuses sont peu propres à une bonne végétation. La vigne périt et se dessèche, les cerises, les groseilles n’y viennent pas, les meilleures prunes sont comme nos plus mauvaises, les pêches dégénèrent, les légumes sont très chers, les figues et les oranges viennent bien, mais cet hiver extrêmement froid pour ce pays a fait périr beaucoup d’oranges et dans les meilleures années, elles ne valent pas celles de Cuba. On nous en a données sur la route, bien supérieures à celles de France, avec des ananas et des bananes. Cuba l’emporte aussi pour le tabac et les cannes à sucre, qui ne peuvent assez mûrir pour avoir toute leur douceur ; nous le mangeons brut ici, le raffiné vient de France et est aussi cher. La mer est grise dans les tempêtes, couleur d’ardoise dans un meilleur temps, et d’un beau bleu mêlé de rayons violets dans un beau soleil. Il n’est souvent guère plus brillant que la lune quand il paraît en se couchant entrer dans l’eau ; d’autres fois, il forme une fournaise ardente. Son lever et son coucher sont bien plus beaux sur terre où l’horizon est aussi plus vaste. On ne voit sur mer qu’à 3 lieues et elles paraissent comme la distance de notre maison au Val-de-Grâce, à cause de l’uniformité. Je n’ai pas vu de baleines ni même de requins ou chiens de mer, quoique plusieurs aient mordu à l’hameçon, mais nous avons rencontré plusieurs troupes de souffleurs, très gros poissons, et on a pris 2 marsouins ou cochons de mer aussi gros, et des daurades qui ont les couleurs de l’arc-en-ciel, une morue, une grosse tortue qui, au lieu des pattes de celles de terre, avait 4 fortes nageoires, des poissons volants, des crocodiles dans le Mississippi qui ont la forme du lézard et une couleur grise ; beaucoup de serpents, des polypes d’eau et poissons à coquille par millions, il y en avait mille sur un tronc de cèdre, trouvé dans la mer, et venu des côtes de la Virginie et de la Caroline. Les maringouins qui nous ont atteints à l’entrée du fleuve se sont plus fait sentir que voir, ils ressemblent beaucoup aux cousins venimeux de France. Le seul oiseau du pays qui chante s’appelle le moqueur ; il y a aussi des papes, des cardinaux, des évêques. Le pape est plus facile à nourrir que le cardinal ; nous avons vu aussi des pélicans et des hérons. Dans la maison des Dames Ursulines qui ont la bonté de nous loger, il y a près de 60 pensionnaires, 20 orphelines et des externes. Elles sont

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toutes blanches, excepté celles de l’instruction du dimanche ; nous aurons au contraire plus de filles de couleur. Je vous recommande notre mission et j’ai déjà reconnu l’effet de vos prières. Le tout est de bien finir. Le pays où nous allons gagner des âmes envoie beaucoup dans cette ville, qui a chargé plus de 500 vaisseaux cette année, sans que 300 puissent enlever ce qui reste en coton, sucre, tabac, farine. En deux mots, je finis en vous disant que je vous ai toutes dans mon cœur, et tâche de mettre le mien dans celui de Jésus. Philippine Particularités de ce pays1 On nous a parlé d’une plante de Cuba qui s’attache comme le lierre aux palissades et qui fait enfler la main dès qu’on l’approche. On y trouve aussi une puce qui s’introduit sous la peau, y pond ses œufs et y forme une petite plaie. Ici il arrive souvent, lorsqu’on va se promener, qu’il s’attache aux jambes des petites bêtes rouges, grosses comme la pointe d’une aiguille, qui causent une démangeaison fort importune avec inflammation ; le moyen de les détacher est de se laver avec du savon. Les fourmis sont si abondantes qu’on est obligé de prendre les plus grandes précautions contre elles ; elles tapissent les murs quelquefois et viennent jusque dans les lits où elles piquent. Les maringouins sont comme nos cousins, la divine Providence ménage les souffrances et ne les envoie que le soir ou le matin quand la chaleur est moins forte, ils attaquent moins les habitants du pays, n’incommodent pas quand on marche, ni depuis décembre jusqu’à mai. Cette année, il y en a peu. La Nouvelle-Orléans est [bâtie] sur la vase, la terre n’est qu’à une certaine profondeur ; quelque peu qu’on creuse, on a de l’eau abondamment, mais mauvaise ; on boit celle du fleuve qui n’est pas limpide mais saine, peu de personnes y mélangent du vin à cause de la cherté. Le Mississippi est si profond que quelque soin qu’on ait pris pour en mesurer la profondeur vis-à-vis de la ville, il a été impossible de la connaître comme celle de la pleine mer. Les bois ici résistent tellement à l’eau que des fondations de bois, faites depuis 80 ans, ont été trouvées 1

Copie : C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part B : Lettres de personnes variées 1818-1828, p. 41-45. Les quatre articles (Particularités de ce pays ; Traits édifiants ; Note sur la Haute-Louisiane ; Notice sur la Louisiane et vie édifiante de Mlle Isabelle) ne sont pas datés et ne font pas partie de la lettre 97. Vraisemblablement, ils ont été écrits à l’arrivée en Amérique et envoyés aux élèves. C’est pourquoi ils sont situés après cette lettre.

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presque intactes. On couvre les maisons de plateaux de bois, taillés comme des ardoises et avec la même pente. On mange quantité de mûres apportées par les Sauvages, on les assaisonne comme les fraises, on mange peu de salade car l’huile est rare et chère, on se dispense de l’abstinence du samedi. Les vaches ne pourraient subsister ici fermées1, on les abandonne le jour et elles vont dans les bois, leurs veaux qu’on retient les ramènent, on ne les trait qu’une fois par jour et leur lait fait peu de beurre ; celui de Saint-Louis est très supérieur. Les bois à droite et à gauche du Mississippi ont dans certaines parties 90 lieues de profondeur, on craint de se perdre dans les marais qui les coupent ; plus à l’occident de ces bois sont des contrées très riches. Les serpents sont si communs à La Martinique que dans un champ de sucre, il y en eut une année une si grande quantité que les Nègres ne pouvaient faire un pas pour ôter les mauvaises herbes, ce qui est nécessaire. Le propriétaire, voyant qu’il fallait sacrifier la récolte, fit mettre le feu ; les serpents sentant la chaleur allèrent tous au centre en s’y amoncelant à la hauteur d’une maison. Il faut dire que les maisons de ce pays sont basses à cause des vents, on les couvre souvent en plate-forme de briques et les entoure de galeries. Il n’y a pas d’animaux venimeux à Cuba, les vipères ne nuisent pas, les scorpions causent un mal léger, la fièvre jaune se guérit facilement en la prenant à temps. Traits édifiants 1°. Nous voyons tous les jours des enfants de couleur venir de 2 à 3 heures de suite à l’église, et le soir, n’en étant pas las, entourer les marches de l’autel, les baiser à plusieurs reprises, s’inclinant pour faire amende honorable2. 2°. Une bonne Mulâtresse a tant de foi, qu’étant repasseuse, elle ne prend pas d’argent pour repasser le linge d’église (elle demande des couvents de Mulâtresses). 3°. Une autre va faire 400 lieues pour offrir ses services à Monseigneur et cela à ses frais. 4°. On vient d’enterrer Mlle Marie, grand modèle de charité. Elle était femme de chambre d’un riche habitant de Saint-Dominique, qui avait 250 000 F de revenus et perdit tout en un jour à la révolte des 1 2

Enfermées dans un pré avec clôture. Cet acte de réparation était fait après la bénédiction, en dédommagement des outrages commis envers le Cœur de Jésus.

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Nègres, arrivée à La Nouvelle-Orléans. Marie fit vivre sa maîtresse et ses 2 enfants de son travail, raccommodant de la dentelle et des bas. Dieu bénit son travail, elle fut bientôt en état d’acheter une Négresse qui lui a donné des enfants et en gagnant par leur travail, elle s’est vue en état de soigner sa maîtresse pendant une maladie dégoûtante et infecte qui a duré 18 mois et pendant laquelle elle lui a pourri 6 matelas. Elle poussait sa charité jusqu’à coucher près d’elle pendant que son infection empêchait sa propre enfant de la visiter et elle l’a bien pleurée à sa mort. Après sa maîtresse, elle a fermé les yeux à son fils qui n’avait que des défauts pour la payer de ses services. Enfin, pour couronner ses mérites, elle a reçu, soigné et fermé les yeux à 2 missionnaires morts de la fièvre jaune et qui étaient des saints. Elle-même a beaucoup souffert et a donné en mourant la liberté à ses Négresses. 5°. Les Acadiens catholiques, chassés de l’Acadie quand les Anglais l’ont prise, se sont réfugiés ici et forment un bon quartier dans la ville, conservant leurs bons principes. 6°. On est fort humain ici : on se dispute un enfant trouvé et on le traite comme son propre enfant. Une femme, dont la maison fut brûlée, a trouvé de suite dans une quête 50 000 F, mais malheureusement on n’aurait pas si bien donné pour une église ou œuvre religieuse. 7°. Plusieurs bonnes Négresses qui auraient pu gagner 25 F par nuit et leur nourriture, pendant la maladie de l’année passée, ont exposé leur vie en veillant gratuitement chez les Ursulines. Tout le carême, elles se privent de tabac. 8°. Une d’elle, nommé Catherine, et sa fille Lucette étaient du nombre. Catherine passe sa vie à prier, à servir les malades et à ensevelir les morts. Elle était de Saint-Dominique et a été convertie par Monseigneur. Pour avoir eu une légère impatience, elle se prive de son café qui est fort nécessaire ici. Ayant connu Dieu un peu tard, elle dit comme saint Augustin : « Que je vous ai aimé tard, ô mon Dieu ! » Ayant entendu dire que Dieu aime les courtes prières, elle disait : « Moi pas capable de quitter mon prière, moi faut prier long, prière en pile, quand triste prière console-moi, moi pas savoir souffrir, eh bien ! moi promis pas déjeuner. » Elle a retiré et entretenu 5 ans un vieil aveugle, et a encore chez elle sur son travail, outre sa famille, quatre enfants trouvés. [Par Mme Duchesne]

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Note sur la Haute-Louisiane1 Saint-Louis rive Élévation du pôle au Population : 136 fadroite du Mississippi 39e degré de latitude milles. Un presbytère de 4 arpents2. Fleurissant3 15 milles au nord36 familles ouest de Saint-Louis Sainte-Geneviève 60 milles au sud144 familles. Un bon rive droite ouest presbytère et 144 arpents de terre. Les Barrens 81 milles, sud-ouest 80 familles. Beaucoup de protestants qui tracassent les catholiques. Le climat est extrêmement froid en hiver, ce n’est pas sans peine qu’on peut y dire la messe et il faut bien des précautions. Il arrive souvent que les assistants soient obligés de battre du pied contre terre pour ne pas geler. Le sol est d’une fertilité incroyable mais il manque de cultures, à cause du petit nombre d’habitants. Ce dernier augmente à vue d’œil et la transmigration de familles qui arrivent d’Europe, surtout d’Allemagne et d’Irlande, est continuelle, de sorte qu’en peu d’années, ce pays va devenir très florissant. La religion jouit de toute sa liberté, chacun suit la sienne comme il veut. Les prêtres catholiques y sont respectés, peut-être plus qu’en France, et ce sont les hérétiques même qui vont volontiers les entendre prêcher. Il y a bien plus à souffrir, pour l’exercice du ministère, qu’en Europe. Mais le terrain y est moins ingrat, parce qu’on a moins abusé des grâces. Les pauvres gens sont dociles mais ils manquent d’instruction ; ils n’ont jamais ici que de mauvais prêtres, – le rebut de l’Europe –, qui détruisent par leurs mauvais exemples le bien que peuvent opérer leurs prédications. On ne peut espérer travailler de si tôt et d’une manière efficace à la conversion des Sauvages. Il n’y aura de facilité que quand il se sera 1 2 3

Copie : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 31-32. J. de Charry, II 1, p. xxi-xxii. Cf. Ch. Paisant, p. 131-132. Ancienne unité de longueur valant de 58 à 71 m selon les régions. Par extension, l’arpent carré (l’acre) est devenu une mesure de surface qui valait, selon les régions, de 35 à 51 ares. Fleurissant est le terme français de Florissant que Philippine utilisera ensuite.

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opéré une heureuse révolution dans la religion des Blancs, qui appartiennent à plusieurs sectes et dont les catholiques n’en ont guère que le nom… Les Sauvages savent que, par rapport à la religion, il règne parmi les Blancs une grande diversité de sentiments et ils répondent aux missionnaires qui les abordent, que quand les Blancs se seront accordés entre eux dans la même foi, leur tour viendra de l’adopter aussi… Du reste, ils approchent des bourgades avec une grande sécurité et liberté et parlent avec plaisir aux missionnaires. Ils viennent à cheval dans ce pays, vendre leur gibier et acheter des munitions. Ils sont à demi-nus, avec des pendants d’oreilles en argent et au nez, avec leur visage coloré tantôt de rouge, tantôt de bleu, etc. Les guerres entre eux sont très ordinaires et ils se tuent en quantité, sans crainte ni regrets pour ceux qui survivent. Il leur est resté, par tradition, quelques traits informes du christianisme, que les pères ont communiqués aux enfants, depuis les Jésuites qui y ont jeté les premières semences. Quoique fiers et intraitables, ils ont une grande propension pour les prêtres, qu’ils appellent robes noires en leur langue, et Dieu se nomme chez eux Le Maître de la vie. Beaucoup d’entre eux, qui font encore le signe de la croix, le font de la main gauche, parce qu’ils disent que la gauche est plus proche du cœur. Notice sur la Louisiane et vie édifiante de Mlle Isabelle1 La Louisiane fut donnée à l’Espagne à la fin du dernier siècle, environ 1782. Elle avait été découverte au commencement du même siècle. Les Jésuites s’y introduisirent bientôt et le pays n’était pas encore stabilisé qu’ils y appelèrent les Dames Ursulines pour instruire les jeunes filles et prendre soin du premier hôpital bâti à côté de leur maison. Mais l’établissement commencé par la souffrance prospéra par la dévotion à la Sainte Vierge. Une dame avait apporté sa statue de France, elle l’avait trouvée dans un galetas, la nettoya avec respect et promis à sa bonne Mère qu’elle la ferait honorer en Amérique. Cette petite statue subsiste encore, elle est placée honorablement, sous verre, au-dessus de la place de la supérieure dans le chœur. Louis XV fit bâtir le couvent, il y a 30 ans, et lui coûta tant qu’il disait : « Ces religieuses doivent être mieux logées que moi. » C’est qu’il fut trompé. Tout ce qui venait de France sur les vaisseaux du roi pour les religieuses arrivait franc d’entrée et port ; les gouverneurs les protégeaient. 1

Copie : C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 18181823, p. 38-40. Cf. Ch. Paisant, p. 132-134.

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Sous les Espagnols, le roi payait leur aumônier et pensionnait huit religieuses, et les lois permettaient qu’une fille convertie, dont la religion eût été en danger chez ses parents, pût se soustraire à leur obéissance. Isabelle en voulut profiter et voici en abrégé son histoire. Elle était de Natchez et née de parents protestants. Ils lui donnèrent une bonne éducation selon le monde et elle avait beaucoup d’agréments extérieurs. À 17 ans, ils l’envoyèrent à La Nouvelle-Orléans pour apprendre le français, ils y avaient des connaissances. Mais la jeune personne, passant devant le couvent des Dames Ursulines, sentit un attrait invincible pour y entrer, le sollicita et après beaucoup de difficultés, on consentit à son désir parce qu’elle disait qu’elle apprendrait là le français comme chez des particuliers. Dès le premier jour, elle fut tout yeux et tout oreilles aux instructions sur la religion, mais elle n’y entendait rien. Enfin, Dieu agissant en elle d’une manière merveilleuse, au bout de huit jours, elle se dit en état de les suivre et en les écoutant, elle répandit beaucoup de larmes. La maîtresse d’instruction la prit à part et lui en demanda le sujet : « Ah ! Ma bonne maman, dit-elle, j’ai vécu comme une bête, je ne connaissais pas mon Sauveur Jésus-Christ, ni sa sainte Mère, à quoi me servait tout le reste ? » L’amour de Jésus-Christ et celui de Marie possédaient tout son cœur. Sans respect humain, elle allait supplier les plus petites pensionnaires de l’aider à s’instruire et s’en occupait continuellement. Après deux mois, elle demanda le saint baptême. La maîtresse l’interrogea sur son instruction, trouva qu’elle n’avait pas perdu un mot de tout ce qu’on lui avait appris, et quant à ses dispositions, prête à mourir, à tout souffrir plutôt que de violer les promesses de son baptême. Il fut solennel et elle y eut pour parrain et marraine le gouverneur et la gouvernante espagnols. Il parut clairement qu’elle avait reçu la plénitude de la grâce ; elle croissait chaque jour en perfection, son oraison devint sublime. C’est un acte simple d’anéantissement devant la haute majesté de Dieu ; elle y fondait en larmes et croyait encore que c’était imperfection chez elle de ne pas multiplier ses pensées. Une mère qui perd un enfant a moins de douleurs qu’elle n’en porta à sa première confession, quand on lui disait que ses fautes n’étaient pas graves. « Ah ! répondait-elle, si elles ne le sont pas pour la matière, elles le sont pour l’ingratitude. » La pureté de son âme étonnait son confesseur et on la disposait à sa première communion. Quand ses parents apprirent son changement et son désir d’être religieuse, ils vinrent la chercher. On voulait faire valoir les lois d’Espagne, mais l’évêque décida qu’il fallait



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qu’elle rentrât dans le sein de sa famille. Il la confirma avant son départ et elle fit sa première communion. Le père consentit, mais il ne voulut pas que ce fut dans l’intérieur du couvent ; ce fut dans l’église extérieure. Elle n’eut permission de rentrer que pour recueillir ses hardes. Mais trouvant l’image de la Sainte Vierge, elle se prosterna devant elle, disant en sanglotant : « Mère Sainte ! Quel a été mon orgueil et ma témérité, je prétendais être l’épouse de votre divin Fils, le méritais-je ? Oh ! Soutenez-moi, tendre Mère, dans mes combats. » Elle se relevait pour essayer de faire ses paquets, mais trouvant d’autres images de la Sainte Vierge, à chacune elle renouvelait ses protestations, ses prières et ses sanglots. Il n’y avait pas une personne dans la maison qui ne pleurât avec elle, tant on l’aimait et tant on craignait qu’elle ne fût persécutée. Elle le fut en effet, ce qui n’empêcha pas que pendant sept ans, elle ne persévéra dans sa vocation. Après ce terme, tout lui fit désespérer de pouvoir la remplir, mais soit avant cette époque, soit depuis jusqu’à sa mort qui ne fut pas éloignée, elle persévéra toujours dans la foi, la piété et les actions de zèle, instruisant les ignorants et baptisant tous les enfants, Sauvages, Nègres et autres qui étaient en danger de mort. Ainsi, elle en a mis un grand nombre au Ciel qui l’y ont devancée. Fin.

LETTRE 98

L. AU PÈRE VARIN

SS. C. J. et M.

[4 juin 1818]1 Mon très bon Père, Nous voici presque au terme de notre voyage, car quatre à cinq cents lieues sont peu de chose quand on en a fait des milliers ; et une navigation sur une douce et belle rivière est un agrément, quand on a vu la mer et ses orages. Le Mississippi n’a de redoutable que son entrée

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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et sera bientôt aussi fréquenté que nos rivières de France, tant le commerce fait de progrès sur ses bords. Le médecin de la maison où nous sommes, trop prévenu peut-être, nous a représenté La Nouvelle-Orléans comme devant bientôt égaler Bordeaux, Saint-Louis, être comparé à La Nouvelle-Orléans ; et toute la Haute-Louisiane, convertie en peu d’années en une autre France pour le climat, la fertilité, le commerce et la civilisation. Tant de progrès, en peu de temps, ont aussi fait courir mes pensées à la suite de mon cœur ; elles ont été me placer jusque dans la côte du Nord-Ouest, et enfin au-delà de la mer du Sud, en Corée ou au Japon, pour y gagner le martyre. C’est ainsi que l’ambition en ce monde n’a jamais de terme ; mais je puis vous assurer que la mienne aura là sa fin et, qu’après le martyre, je ne voudrai plus rien. Je me permets seulement, avant le temps de ce bonheur qui peut être encore éloigné, de former d’autres vœux concernant notre mission et le plus important pour elle et pour nous serait sûrement de voir ici de vos enfants. Oh ! Si vous vous employiez à en faire venir ! Combien j’ai eu l’âme serrée, m’attendant à ne trouver ici que des saints, de voir presque en premier un prêtre (non même celui qui a frisé le schisme, mais un autre) tenir des opinions qui touchent à l’erreur, n’avoir aucun attrait pour l’auguste nom qui nous honore tant et faire de la peine à une maison à qui la religion doit son soutien après Dieu, dans cette ville. La méthode de Lancaster, qui est en vogue dans le pays, lui plaît beaucoup. Je ne sais encore ce qu’on nous proposera à cet égard ; j’en ai parlé à notre Mère dans deux lettres pour qu’elle vous en parle, ainsi que de plusieurs autres articles dont les plus importants sont l’admission de personnes de couleur parmi nous et nos enfants ; cela nous avilirait beaucoup, mais que je chérirais cet avilissement ! La hauteur et les distinctions sont aussi communes ici qu’ailleurs, les noms seuls sont changés et les richesses sont l’idole substituée aux titres. Je vois de plus en plus, à mesure que j’approche, combien notre œuvre est difficile et combien les moyens sont faibles pour la mettre en état d’aller. Mais Dieu est là, sa volonté s’est manifestée ; et loin de voir croître la sécheresse de cœur qui m’a travaillée à Bordeaux et dans le vaisseau, je sens de nouveau que mon âme se dilate dans l’espérance. J’en suis plus coupable de n’être pas meilleure pour reconnaître tant de grâces répandues sur nous. Aidez-moi de vos prières et recommandez-moi, je vous prie, à celles de tous vos enfants ; j’attends la même faveur des Pères Roger et Druilhet auxquels j’offre un respectueux souvenir.

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Lettre 99

Je suis avec respect, mon bon Père, votre indigne fille. Philippine Duchesne Ce 4 juin 1818 [Au verso :] À Madame Madame Girard1 Rue des Postes, N° 40 Pour Monsieur Joseph À Paris

LETTRE 99

L. 1 À MÈRE E. DE GRAMONT

SS. C. J. et M.

Ce 1er vendredi, juin [1818], Nouvelle-Orléans2 Ma bien bonne Mère, Je vous ai écrit de Bordeaux. J’ignore le sort de mes lettres, n’y ayant pas eu de réponse, et le temps passé dans cette ville a été suffisant pour nous procurer cette consolation. Je vis dans l’attente de celle que nous procurera la réponse de notre digne Mère ; avec quels yeux et de quel cœur nous la dévorerons ! Nous sommes soutenues dans son absence et dans la vôtre par la vue du grand mérite qui peut être attaché à nos sacrifices, et par les traits de la Providence qui nous découvre les bontés de Dieu à notre égard : nous avons été reçues chez les Dames Ursulines avec une grande charité et bienfaisance. Mais une de ces dames, parente à M. de Sambucy, à Mme Sabatier, à Mme Philippine de Sainte-Marie, a été étonnée et même fâchée que ces dames ne lui aient pas donné signe de vie à notre occasion. Nous avons dit qu’elles ignoraient notre départ, mais elle a répondu que vous connaissiez ses rapports et les 1 2

Mère Girard, secrétaire générale de la Société du Sacré-Cœur, faisait suivre le courrier. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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aviez entretenus avec ses nièces ou cousines. Veuillez faire réparer cet oubli, je vous prie. Elle s’appelle Madame Saint-Joseph, est assistante, a l’air d’une sainte et nous comble d’attentions, ainsi que la supérieure. Elles ont témoigné le désir que nous passions l’été chez elles afin de donner à notre maison le temps de s’achever ; et ne sont retenues de nous presser davantage qu’à cause des maladies du mois d’août, presque tous les étrangers payant le tribut. On dit que j’en serai exempte, ayant eu une forte ébullition jointe aux piqûres des maringouins, qui m’a mise dans le feu et, persuadée que j’avais la gale, j’en ai été très confuse, me trouvant surtout chez ces dames. Elles ont poussé la charité jusqu’à témoigner du plaisir, disant que j’étais sauvée et qu’il valait bien mieux être malade chez elles où rien ne nous manquerait. Enfin, elles me touchaient la main, m’offraient du tabac pour me montrer qu’elles n’avaient point de crainte. Ce qu’il y a de maringouins n’est rien en comparaison des autres années où, au coucher du soleil, ils sont par millions sur les têtes et entrent jusque dans la bouche ; on ne peut le soir faire autre chose que s’éventer ou se tenir sous son moustiquaire. La chaleur est aussi très modérée cette année, d’autant plus étonnant qu’il n’y a pas de pluie. On n’a ici à présent aucun fruit pour se rafraîchir. Les pensionnaires et la communauté ont tous les matins le café au lait et le beurre, et même les Négresses de la cuisine ; on a encore du lait à dîner ou à goûter. Mère Girard rirait bien de me voir, tous les matins, prendre non pas un peu de café sans sucre à la dérobée, mais une grande tasse de café au lait sucrée comme du sirop, etc. Voyant que je ne voulais pas déjeuner, la supérieure me l’a fait ordonner par le médecin qui dit qu’il le faut absolument ici et plutôt ne pas souper ; et ainsi fais-je. Toutes mes sœurs se portent bien, à part les boutons. Combien notre pauvre Mère en souffrirait. Il n’y a pas de maringouins vers Saint-Louis ; le lait y est aussi plus sain et délicieux ; les fruits plus abondants, surtout les pommes ; mais ce qui vaut bien mieux : nous y trouverons plus de bonté, de piété, d’innocence. On y parle plus anglais que français, aussi continuons-nous de l’étudier avec une postulante, pensionnaire de la Visitation à Georgetown où il y a déjà 38 religieuses. Nous n’avons pas la gloire de porter aux États-Unis la dévotion au Sacré Cœur, ayant vu un livre imprimé dans cette ville, plein de prières au Sacré Cœur ; il y en a ici un beau tableau peint à Rome.



Lettre 100

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Je vous prie instamment de me donner des détails sur ma Mère et les enfants. Je suis toute à vous in Corde Jesu. Philippine Cette ville est peu religieuse et corrompue ; mais j’espère que l’aumône y attirera des bénédictions : on se dispute un orphelin, un enfant trouvé, et on l’élève comme ses propres enfants. [Au verso :] À Madame Madame de Gramont Rue des Postes N° 40 À Paris

LETTRE 100

L. 10 À MÈRE BARAT1

SS. C. J. et M.

Nouvelle-Orléans, ce 7 juin 18182 Ma bien chère Mère, Plus le temps s’écoule depuis que Dieu m’a séparée de vous, plus je désire vivement de vos nouvelles, de celles de nos Pères, Mères et Sœurs. Dans l’incertitude [de savoir] si vous avez reçu les nôtres, du milieu de mai, étant près de Cuba, et d’ici par une lettre à ma Mère Bigeu que j’ai envoyée par Georgetown, je reviens un peu sur ce que je vous ai dit dans ces deux lettres, étant l’ordinaire de se répéter quand on écrit par la voie de la mer. M. le Consul de France a promis de faire partir nos lettres par un vaisseau qui fera voile pour le Havre dans peu 1

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Dans la présente édition, la lettre 9 à Mère Barat est absente volontairement, car c’est un récit de la traversée de l’Atlantique écrit par Eugénie Audé et non par Philippine Duchesne. Jeanne de Charry l’a toutefois intégrée dans sa collection (lettre 93), en reconnaissant que cette lettre n’a pas été rédigée par Philippine. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 94, p. 77-85. Cf. Ch. Paisant, p. 137-142.

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de jours. Celles pour Bordeaux attendront La Rebecca, qui part à la fin du mois. Je vous ai marqué le sombre du commencement de notre navigation ; le beau temps qui a suivi a réparé nos santés, et enfin la joie de l’arrivée, quand tout offrait à nos yeux l’objet de tant de vœux. Catherine, qui s’est montrée la plus faible, a aussi été la plus contente de voir la terre ; je vous prie de demander à la Mère Prevost ce que c’est que ce larmoiement qui me fait craindre la fistule lacrymale. Marguerite, calme, obéissante, humble, goûte le bonheur de sa vocation ; mais je crains que la surdité qu’elle a apportée de France [ne] l’empêche d’être aussi utile. Octavie a fait plusieurs traits d’inexpérience, qui ont donné lieu à des propos contre elle, à la vérité par une langue bien méprisable ; sa santé, parfaite au milieu de la navigation, a été éprouvée à l’approche de la terre, par ses palpitations et par l’obscurcissement de sa vue, venant, dit-elle, de nuages qui la voilent et qui sont l’effet du sang ; elle les avait éprouvés dès Grenoble. Eugénie est la seule capable d’ouvrages fins ; les deux Sœurs usent de lunettes. Cette bonne fille a bien crû [grandi] en solide ferveur, l’échauffement du régime de la mer lui a procuré deux fois les hémorroïdes et elle a eu aussi de l’enflure au pied. C’est dissipé maintenant. Seulement voyez, je vous prie, s’il y a quelque chose à faire. Je ne sais si, avant que je ferme ma lettre, nous apprendrons quelque chose de Saint-Louis. L’évêque n’écrit point, ce qui n’est pas consolant. J’ai seulement vu un riche particulier de ce pays-là, qui nous a dit que le collège et le pensionnat de demoiselles sont attendus avec grande impatience ; que le collège serait à Saint-Louis et le pensionnat à trois lieues, dans un village appelé Florissant ou Saint-Ferdinand, le plus beau pays de la nature par sa salubrité et sa fertilité. Il ne paraît pas qu’il y ait de maison en état. On dit qu’on les construit vite, mais très peu solides. Il n’est pas question de pierres ; comme ici, tout se fait en briques et en bois. Dans cette maison, toutes les divisions des cellules et des appartements, la couverture même des toits sont en planches. Je n’en ai jamais vu de si belles. Nous sommes toujours mieux traitées dans cette maison ; on voudrait même nous retenir plus longtemps, sans la crainte des maladies. Ces Dames nous ont fait acheter différentes choses ; elles ont voulu payer en disant que nous nous arrangerions. Nous sommes toujours sûres d’avoir en présent une pièce d’étoffe de 50 F. La supérieure m’a dit aujourd’hui que sa maison serait notre entrepôt et que, quand il nous viendrait des compagnes, il fallait qu’elles choisissent une saison qui leur permît de se reposer plus longtemps chez elles ; elles veulent aussi faire nos commissions pour Saint-Louis.

Lettre 100



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J’espère qu’avec le temps, nous aurons dans ce pays bien d’autres établissements, mais il serait bien essentiel de former des Anglaises et des Espagnoles. À Saint-Louis, on est plus anglais que français pour la langue et les usages. Ici, l’anglais est aussi connu que le français ; presque toutes les élèves parlent les deux langues, et beaucoup de parents l’anglais seul. On ne peut rien voir de mieux tourné et d’une figure plus aimable que ces Créoles. Celles des habitations [grands domaines ruraux] sont souvent négligées, mais chez les Américains des villes, l’éducation est très soignée. J’ai vu une petite fille de dix ans aujourd’hui, dont l’éducation doit être finie à douze et, pour l’occuper assez suivant ses moyens, on lui fait apprendre le latin. Son frère, à douze ans, parle les deux langues, les écrit, le latin aussi, et étudie le grec. Il ira avec nous à Saint-Louis. Sa mère, vraie mère Macchabée1, ayant toute facilité de l’instruire ici suivant le monde, préfère l’envoyer à 400 lieues pour être plus sûre de la piété des maîtres. Monsieur Martial s’en charge. Il a déjà trois écoliers, et ses messes à 5 F. Il regrette l’homme dont j’ai parlé à Mère Bigeu, menuisier, jardinier, boulanger, à qui j’avais promis de l’attirer dans ce pays. Il nous aimera peut-être mieux que lui, ayant sur le cœur qu’il l’ait laissé. Il nous conviendrait beaucoup. Madame Vincent le connaît et Monsieur Barat. Le même marchand [M. Mullanphy] qui vient de Saint-Louis part pour Philadelphie, où il va prendre quatre de ses filles qu’il conduira en France pour les mettre deux ans en pension. Elles ont toutes été ici et l’aînée, qui a plus de vingt ans, voudrait être religieuse. Il ne veut point la laisser à ces Dames et dit qu’il faut avant qu’elle passe ses deux années en France. Je lui ai parlé de la Maison de Poitiers, sans rien fixer. Il a paru assez content de cette découverte. La Mère Grosier ferait bien de ne pas les refuser si on les lui conduit. Ce sont de bons sujets et si riches que le père, dans son testament, leur fixe 10 000 F de rente pour qu’elles n’aient rien à demander à un tuteur en cas de sa mort. On vient aussi de me parler de deux autres sœurs qui vont également en France. Les Ursulines, établies à La Havane depuis peu, vont fonder à Porto Rico2. C’est avec les Espagnols qu’il est facile de s’établir. Ces Dames de La Havane ont eu de l’évêque 125 000 F ; d’une quête en deux jours, 30 000 F ; de la dot d’un sujet, 300 000 F. Je crois que nous trouverons tout ce qui est nécessaire pour vêtements. Les étoffes noires y sont communes et pas plus chères, le coton 1 2

La mère des sept frères ayant subi le martyre, II Maccabées, 7. Les Ursulines, résidant à La Nouvelle-Orléans depuis 1727, ont réalisé la fondation à La Havane en 1803. Porto Rico et Cuba étaient alors colonies espagnoles.

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de même et les toiles quelquefois ; ces Dames ont fait de bons marchés dans des moments d’abondance. Mais la prise de Pensacola par les Américains sur les Espagnols, à la suite d’une guerre contre les Sauvages voisins, a tout fait hausser subitement1. N’oubliez pas, ma bonne Mère, le règlement du pensionnat, le plan d’études, l’astronomie, un atlas, les bréviaires, la formule [des] vœux définie, le Sommaire [des] Constitutions, les vers de la géographie, [le] poème [de la] Religion, Esther. Réponse : 1°) Pour l’admission des personnes de couleur au pensionnat et dans la Société ; comme les blanches ne voudraient pas être avec elles, alors séparation, puisque nous avons fait vœu de nous appliquer à leur instruction. 2°) On ne peut se cloîtrer qu’en planches et buissons. Si on a des terres, comment les veiller ? 3°) J’ai demandé si on ne mettra pas, dans une rédaction, que les postulantes feront récréation commune ; comment les connaître ? et aux grandes distances des noviciats. Que les bienfaiteurs ne soient pas si restreints pour les entrées. Qu’il y ait un mode pour les accusations et conférences. 4°) Qu’on n’admette qu’avec d’extrêmes précautions, pour le service, des Nègres esclaves ; ils sont trop suspects sur les articles importants. Cependant Dieu a les siens partout. 5°) Si vous nous envoyez une Sœur jardinière, c’est inutile de la charger de paquets coûteux. L’essentiel est : 1.– bas – la semelle pourrait se changer – et gants de peau, pour éviter les piqûres des maringouins ; 2.– une moustiquaire, petite ; 3.– qu’elle sache faire les souliers de silence ; 4.– qu’elle ait des vêtements très légers pour la partie du voyage où l’on atteint le tropique et le fleuve ; des manches de chemise longues ; 5.– qu’elle ait des tablettes de bouillon ou du consommé en bouteilles, qui s’achète 3 F à Bordeaux, pour se faire des bouillons avec de l’eau chaude quand on est malade ; 6.– une cafetière qui, par le moyen d’une lampe, puisse assez chauffer l’eau pour faire une infusion ; des pastilles de menthe, du sirop de vinaigre, quelques citrons, du vinaigre ; on a bien besoin de se rafraîchir. J’avais ri des provisions qu’on nous faisait faire, et rien n’était de trop. Une seringue est bien nécessaire aussi : il y a des personnes qui n’iraient jamais [à la selle]. 1

Au cours de ces années, les Américains ont envahi le territoire espagnol des Florides dont Pensacola était la ville la plus à l’ouest. En 1821, les États-Unis ont acheté la Floride à l’Espagne.

Lettre 100



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Je m’informe souvent si rien n’arrive de France ; ce sont toujours des « non » cruels. Combien nos cœurs ont besoin de vos nouvelles ! Nous attendons chaque jour le bateau de Saint-Louis ; mais [une] partie de nos effets est encore sous les scellés, dans le vaisseau. Les Sœurs y allèrent avant-hier faire enlever nos lits, etc. La charrette de ces Dames, cinq Nègres (qui travaillaient autant qu’un) les accompagnaient. Lorsqu’elles parurent, ce fut joie universelle dans le bâtiment. Tous les matelots leur firent leurs empressements. Le cuisinier, avec ses trois côtes enfoncées après trente ans de service de guerre, se précipitait pour les faire asseoir, enfin c’était à qui les recevrait mieux. Le petit du capitaine se jeta sur Catherine, qui l’avait pansé souvent, et avait les larmes aux yeux, et Carlin, son joli petit chien, plus aimable encore que celui de Tobie1, entreprit toutes ses danses, tous ses saluts pour leur faire fête. Le capitaine n’était pas là, mais il a dit qu’il n’avait jamais été plus content de ses passagers. Pour ménager les expressions, je ne lui ai pas dit que je ne l’oublierais pas, mais que je me souviendrais toujours de La Rebecca. Il a paru sensible à cela. Nos Dames [Ursulines] s’inquiètent beaucoup de notre voyage. S’il dépendait d’elles, nous irions à peu de frais. Je ne serais pas étonnée qu’elles voulussent y contribuer. Je suis vraiment en peine, ne pouvant compter sur les 10 000 F passés par Philadelphie, puisqu’ils ont peutêtre déjà leur application, et des dettes après, si l’on a acheté ou bâti. Je ne serais pas étonnée des coups de la Providence. L’argent de France, qu’on amasserait avec peine, est comme rien ici. Si jamais vous y faites des fondations, il faudrait qu’il y ait fondateur temporel, sinon vous vous ruineriez. Les Dames Ursulines m’ont dit qu’un voyage de huit Dames venues de France, il y a huit ans (il est vrai qu’elles séjournèrent cinq mois à Baltimore), leur a coûté 21 000 F ; il ne reste que quatre sujets de ces huit. Celles de l’année dernière, passées avant nous, avec leur pension pendant le séjour à Bordeaux : 15 000 F. On obtient quelquefois, sur le vaisseau, de se nourrir soi-même, c’est bien moins cher. C’est ainsi qu’a fait M. de Marseuil. Les hommes de bas état obtiennent aussi quelquefois un service sur le vaisseau et passent gratuitement, n’étant pas de la table, de la chambre. Témoignant mon étonnement qu’on n’eût que des Noirs pour le service dans ce pays, tandis que tant de gens meurent de faim en France, on me répondit que, malgré les vices des Nègres, on les préférait. Les Blancs se gâtent ici pour le travail et par l’égalité. Avec ce mot : « Nous avons la 1

Tb 11, 9.

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même peau que vous », ils acquièrent le droit d’être tous des messieurs. Voici un exemple bien étonnant et qui m’a affectée : ces Dames, pour nous obliger en tout, ont voulu que tout notre linge fût lavé à leurs frais et par leurs Négresses. Je destinais seulement la savonnade à Catherine, qui lavait dans la même cabane. Après plusieurs difficultés, elle vint me dire que cela lui déplaisait d’être avec ces Négresses et qu’ici les Blanches n’allaient pas avec elles. Je lui répondis qu’elles avaient la même âme qu’elle, qu’elles étaient rachetées du même Sang, reçues dans la même Église ; que, si elle ne voulait pas les fréquenter, il fallait profiter du vaisseau qui allait repartir, puisque nous étions venues pour les Noirs. Sa déraison était si grande que ce ne fut que le soir qu’elle se remit dans l’équilibre. Je crains que cette abondance, dont nous sommes environnées ici, ne détruise l’esprit de pauvreté dans celles qui la chérissent moins. J’apprends que nous pourrions être encore longtemps ici ; Monsieur Martial est d’abord à la campagne pour quinze jours. Je donne à [M. Jouve] à Lyon une commission pour nos charitables religieuses dont la bonté nous confond ; elles attendent un prêtre et trois religieuses qui doivent partir en septembre. Si vous pouviez les charger d’un bas d’aube brodé et joli, j’en serais bien reconnaissante, elles n’en ont pas. Ma digne Mère, le papier finit. Il part un autre vaisseau dans un mois. Il vous répétera que je suis votre indigne, mais bien soumise fille. Philippine

LETTRE 101

À UNE PROFESSE DE PARIS Nouvelle-Orléans, 8 juin 18181

Ma très chère Mère, Je suis prévenue un peu tard du départ de notre vaisseau. Déjà depuis longtemps, je voulais me rapprocher de votre bon souvenir, et me voilà bien mortifiée d’être obligée d’abréger. Mais ma bonne Mère, 1

Copie : Lettres intéressantes concernant la Société des Dames du Sacré-Cœur de Jésus, depuis 1816, p. 68. A-II 2) g Box 2.

Lettre 102



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vous qui ne voyez que par le Cœur indulgent de Jésus, vous me passerez et la brièveté et la promptitude en écrivant, qui me feront oublier d’écrire ce que je n’oublie pas de sentir : les liens bien doux, bien forts qui m’unissent à toutes mes Mères et Sœurs. Je crains que les grandes affaires de mes premières Mères n’empêchent qu’elles me rappellent à toutes leurs enfants. Veuillez les suppléer et me recommander à nos bons Pères, au Père Perreau, à votre chère sœur, à ma mère Desportes pour la sacristie qui paraît n’avoir pas souffert, à ma mère Balastron pour son vestiaire entièrement sauvé des accidents d’un si long voyage, à mes Sœurs Giraud, Lefevre, Harant, Eugénie, Aglaé, Zoé, Berthé, Geneviève, Marthe, Madeleine, Véronique, Rosalie, etc. Enfin, le temps me manque, suppléez les noms. Oui, mon cœur les rassemble tous. J’ai vu des Sauvages bien touchantes par leur air malheureux, le corps presque nu et 18 rangs de perles à leur cou, leurs cheveux épars, impossible de se faire entendre ; mais j’espère pour l’avenir. Adieu ma bonne Mère, in Corde Jesu, Philippine, votre sœur

LETTRE 102

L. 1 AU PÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[21 juin 1818] Fête de Saint-Louis de Gonzague1 Mon très cher Père, Je vous ai déjà écrit, mais j’ignore le sort de ma lettre. Il me sera bien doux d’y avoir réponse. J’étais encore sur mer quand je vous écrivis, sur le Mississippi quand la lettre partit, et maintenant depuis trois semaines, chez les Dames Ursulines à La Nouvelle-Orléans, sans savoir quand nous en repartirons2. 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Copies, C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane, II, 1823-1830, p. 168170 ; C-VII 2) c Writings, List-Varia, Box 9, Cahier Y, Lettres de la Mère Duchesne, p. 78-93. À son arrivée à La Nouvelle-Orléans, elle ne trouve aucune précision concernant la date et le lieu où les attend Mgr Dubourg.

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Le commencement et la grande partie de notre voyage, j’ai éprouvé cette sécheresse qui m’avait déjà été pénible à Bordeaux. Mon âme s’est dilatée à l’approche de cette terre tant désirée, mais c’était pour être capable de porter le poids d’une épreuve bien faite ; ce fut d’entendre en arrivant un prêtre dont on nous avait fait de grands éloges parler des affaires de ce diocèse, de l’enseignement, etc., d’une manière qui m’étonna très fort, m’imaginant ne trouver que des saints. Il a presque tout à fait levé le masque dans un sermon que j’ai entendu, et après lequel quelqu’un eut le courage de lui dire : « Si vous eussiez prêché ainsi en Italie, vous auriez été interdit, en descendant de chaire. » Bref, il a vu qu’il déplaisait surtout aux religieuses et il est parti, les laissant cependant dans un grand dénuement, Monsieur Sibourd1 venant de partir pour Philadelphie où il est allé [se] faire extirper un polype dans le nez, mal très grave ; il paraît perdu pour la mission. L’excellent Monsieur Moni a quitté sa paroisse à 8 lieues où il est fort chéri pour prêter secours à cette ville2, mais son peu d’usage de la langue française empêche [une] partie du bien qu’il pourrait faire. Il m’a bien parlé de vous et aime fort la Société ; il espérait que vous viendriez. Oh ! Quelle moisson vous trouveriez ! Et combien les moissonneurs sont rares ! La paroisse ici fait pitié ; les partisans du Père Antoine [Antonio de Sedella] lui ont acheté une mitre et la lui ont portée, disant qu’ils le voulaient pour évêque ; heureusement, il a répondu qu’on ne faisait pas ainsi les évêques. Ils donnent quelques signes de dépendance, tout juste pour empêcher le schisme. Il est très aimé, très charitable, très facile, très pénitent, avec un extérieur de sainteté qui accrédite son ministère. Au nord, tout va, dit-on, lentement mais solidement au bien. Les protestants quittent le prêche pour aller tous les dimanches entendre le saint pasteur qui prêche en anglais ; ils l’aiment autant que les catholiques. Généralement, on nous flatte sur notre sort à venir. Je vois bien des entraves, mais je les vois avec grande paix ; je n’en ai jamais eu davantage quoique sans consolation. J’ai quitté les spirituelles et les humaines sans me promettre aucun succès ; je vois mon impuissance pour la conduite des âmes. Je crains d’arrêter le bien, et cependant je ne puis me repentir ; il me semble toujours que Dieu veut cette œuvre. Il paraît que nous ne 1 2

Bien que le manuscrit porte le nom de Sibona ou Sibono, il s’agit vraisemblablement de Louis Sibourd, vicaire général à La Nouvelle Orléans jusqu’en 1826. Louis Léopold Moni, OSB, était curé à Destrehan, Louisiane, mais faisait fonction de vicaire général à La Nouvelle-Orléans en l’absence du P. Sibourd.



Lettre 103

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serons pas à Saint-Louis ; plusieurs nous voudraient ici et notamment les charitables Dames qui nous comblent de soins ; elles voudraient aussi arrêter Monsieur Martial et je le voudrais pour elles, leurs intérêts m’étant bien chers. Il n’entend cela que d’une oreille et se secouerait volontiers des religieuses. Nous ne savons point à qui nous appartiendrons. Dieu est là ; mes sœurs vont bien, surtout depuis la clôture nécessaire à Octavie ; Catherine parle trop. Elles vous en diront davantage ; nous sommes toutes dans l’épreuve. Combien nous désirons être à notre règle ! Je vous envoie le paquet pour notre Mère, pour que vous vouliez bien le lui envoyer par occasion ou par la diligence et distribuer les lettres, après que vous aurez examiné les intéressants ouvrages des Sauvages et vu la note qui est jointe. Je suis avec un profond respect votre indigne fille. Philippine [Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat Au petit séminaire À Bordeaux

LETTRE 103

L. 11 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Nouvelle-Orléans, 22 juin [1818]1 Ma bien Digne Mère, Notre capitaine repart plus promptement qu’il n’avait annoncé ; je profite de sa bonne volonté pour vous envoyer des ouvrages de Sauvages, qui, je pense, vous seront aussi précieux qu’ils m’ont été chers. La note jointe en donne l’explication. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 95, p. 86-92. Cf. Ch. Paisant, p. 144-147.

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Je vous ai écrit près de Cuba, en arrivant ici à ma Mère Bigeu par Georgetown, depuis par la voie du consul qui a remis son paquet à un capitaine de vaisseau allant au Havre. Ma lettre en contenait plusieurs, pour Pères, Mères et Sœurs, enfants ; enfin, voici ma quatrième. J’ai radoté dans toutes, ou plutôt, je me suis plusieurs fois contredite, parlant souvent des événements et des opinions différentes ; d’ailleurs le cœur se sent de ses sacrifices dont le prix, caché sous le voile de la foi et de l’espérance, est souvent dérobé ; mais l’amour, même dans la détresse, dit fortement : « Mon Dieu, laetus obtuli omnia1. » Je l’ai bien senti au moment où le médecin me déclara, d’un air sinistre, que j’avais le scorbut, me faisant des questions qui annonçaient son étonnement que le médecin qui visite sur le fleuve ne m’eût pas observée. D’autres me dirent : pourquoi j’avais quitté la France ? Octavie vint tout haut me dire au réfectoire : « Ma bonne Mère, ne vous inquiétez pas, je vous prie. » J’étais loin d’être troublée, mais j’étais sérieuse par la vue que Dieu ne voulait plus autre chose ; qu’Eugénie pouvait conduire la barque, qu’elle en irait mieux, que, plus heureuse que Moïse, j’étais entrée dans la terre promise, y avais introduit la colonie qui devait guerroyer pour le Sacré Cœur, et que, plus que lui, j’avais quitté, car il avait laissé la captivité et moi une autre terre promise. Je vous assure que la mort avait pour moi tous les attraits, car j’ai bien sujet de craindre de gâter l’œuvre de notre établissement. Mais Dieu n’a fait que me montrer ses charmes ; après un traitement de quelques jours, mes jambes, très enflées, enflammées et tachetées, se sont rétablies dans un état à peu près ordinaire. Je crois que le docteur s’y est trompé ; sur mer, je n’ai eu ni barbouillures aux mains, auxquelles j’étais si sujette, ni mal aux gencives ; ce n’est qu’à terre que j’ai pris des bosses et taches que j’attribue beaucoup plus aux piqûres d’insectes. Mes dents et gencives n’étaient pas belles en France ; il m’a cependant jugée par elles. Enfin me voici au courant. Catherine a eu quelque chose de semblable et, sans lui nommer ce mal, je lui ai fait partager le traitement. Octavie a eu ses douleurs et palpitations, mais pas de nuages sur la vue. Eugénie dort et mange peu ; Marguerite peu réglée. Je ne saurais vous marquer quelle bonté touchante la supérieure des Ursulines m’a témoignée dans cette circonstance. Cela ne peut s’exprimer ; nous sommes l’objet continuel de ses attentions et de celles de ses filles. Après nous avoir soignées dans nos dégoûtantes indispositions, elle veut encore contribuer aux frais de notre voyage ; déjà elle parle 1

I Ch 29, 17 : « C’est dans la droiture de mon cœur que j’ai offert volontairement tout cela. »

Lettre 103



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de 500 F, qu’elle appelle l’obole de la veuve. J’ai eu scrupule d’accepter, pensant qu’elle nous croyait plus en détresse, j’ai agi avec la plus grande franchise, lui ai parlé des 10 000 F envoyés par Philadelphie, en lui témoignant cependant ma crainte qu’en arrivant, on eût déjà tout dépensé. Elle l’a partagée, a voulu que j’écrivisse à l’évêque, a approuvé ma lettre et ne veut pas que je parle de ces 10 000 F à ses filles, pour ne pas diminuer leur intérêt, car tout passe ici au Chapitre. Nous ne perdrons jamais avec ces Dames ; ainsi veuillez bien, je vous prie, remettre à M. Jouve l’appoint nécessaire pour une commission qu’elles ont donnée à Lyon. Octavie et Eugénie leur plaisent beaucoup ; elles voudraient nous retenir au moins dans la ville et nous y promettent de grands succès. Elles nous aideraient avec un désintéressement admirable et voient cependant, comme nous, qu’il est plus de la gloire de Dieu d’aller à Saint-Louis des Illinois. Tandis qu’elles veulent contribuer à notre œuvre, tout est chez elles dans la simplicité la plus grande : l’église comme un appartement, les murailles nues comme dans leur chœur, des bancs de bois aux parloirs, une grande gêne pour le logement de leurs élèves, etc. La vocation de la supérieure, qui était sans attrait, a été décidée par le Pape lui-même. Elle vint ici il y a huit ans, quand ce pays passant aux États-Unis, seize Espagnoles quittèrent cette maison pour aller chez leur nation à La Havane. Elle avait avec elle sept compagnes ; dix sont venues l’année passée. Elles en désirent encore, surtout des religieuses formées, de leur Ordre, et font tous les frais de voyage. On voit là des saintes qui depuis trente ans font les classes, et ont sauvé bien des âmes. Le bon marchand de La Havane est venu nous visiter ; il nous y verrait avec plaisir, sans rien promettre. Les Dames Ursulines, qui connaissent les Espagnols, disent qu’il ne faudrait pas aller là. Je vous dis toujours que cette île est un paradis terrestre, que les Espagnols contribuent volontiers et largement aux établissements religieux ; que l’île, quoique plus au midi, a une température plus saine et moins chaude que La Nouvelle-Orléans, qu’il n’y a pas d’insectes venimeux, qu’on remédie facilement à la fièvre jaune en s’y prenant à temps et qu’elle attaque beaucoup moins les femmes. L’embarras serait la langue, il faudrait qu’une au moins parlât parfaitement l’espagnol. Notre anglais est bien difficile ; Octavie, la plus avancée, n’est pas en état de converser avec des parents, la plupart américains à Saint-Louis. Il ne faut pas du médiocre pour les Américaines ; elles peuvent être poussées loin, rien en Europe n’est au-dessus. Les Créoles, qui forment ici le plus grand nombre, sont plus molles, plus légères, plus portées au

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

plaisir ; on les marie à douze et quinze ans ; à seize, c’est trop tard. Une d’elles, après un mois de leçons de musique, a été en état de composer. Elles sont comme les arbres qui croissent subitement et périssent promptement. Leur extérieur est charmant, jamais rien d’irrégulier dans leur figure et leur taille. Je vous prie de ne pas oublier notre neuvaine à La Louvesc, que j’ai prié ma sœur, Mme de Mauduit, de faire faire ; c’est un oubli en partant de France, et l’acquit de notre vœu1. Hier nous avons fêté ici saint Louis de Gonzague, patron du noviciat, et qui le sera du petit séminaire. M. Martial a prêché ; il prend très bien ici, sa santé est bonne. Je vous ai écrit que M. le Consul de France permet qu’on lui adresse nos lettres qui arriveront gratuitement ; et il fera partir les nôtres ; il recevrait aussi les petits paquets. Quant aux gros qu’il faudrait emmagasiner, les Dames Ursulines nous en éviteraient les frais et veulent aussi loger toutes les passagères. Les objets d’école comme livres, instruments, étant déclarés exactement et adressés pour la maison d’Éducation de Saint-Louis, ne paieraient pas de frais de douane, qui sont si forts ici qu’une année a fourni 40 millions au gouvernement. Le commerce devient très important. Nous ne savons pas encore notre compte ; ce qu’il y a de sûr, c’est que tout est ici, dans le couvent, en bon état (excepté le vin à moitié répandu). Par la protection du consul, rien n’a été ouvert aux douanes, on s’est contenté de la déclaration ; il est important que nos emballages goudronnés ne souffrent point avant notre seconde navigation. On dit qu’elle est sans danger, que le capitaine, déjà prévenu, est un parfait honnête homme. Ces steamboats sont soumis à des règlements sévères ; les femmes sont entièrement séparées des hommes ; ainsi, pendant tout ce temps, ni messes, ni communions, ni confessions. Nous ignorons l’époque précise du départ ; rien de direct de Monseigneur. Des voyageurs disent qu’on nous attend avec impatience, que rien ne nous manquera, que nous aurons un plein succès. Il nous faudrait une Anglaise, il s’en offre une, mais ce serait Sœur Benoît pour la santé2. Déjà Catherine lui ressemble trop pour cela, et à d’autres pour trop parler. 1 2

Le vœu fait à saint François Régis pour obtenir son départ. Claudine Maujot, dite Benoît (1774-1839), RSCJ, est reçue comme novice de chœur à Grenoble, le 28 décembre 1818. À sa demande, elle est devenue novice coadjutrice en juillet 1819. Elle a été supérieure de l’école de Sainte-Pezenne, près de Niort, jusqu’en 1824. En 1825, elle est allée à La Ferrandière comme assistante. Son départ pour l’Amérique a été déconseillé par Philippine, cf. lettre du 27 décembre 1825. Elle est décédée le 1er août 1839 à Bordeaux.



Lettre 103

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Le prêtre que nous avons le plus vu ici est un bénédictin de Florence, qui a voulu être jésuite et les aime beaucoup. Il nous regardait comme sœurs et filles, et nous le goûtons, malgré la difficulté pour la langue ; ç’a été un plaisir pour lui d’être entendu en italien par Octavie et Eugénie ; il appartient aux premières familles de Florence. Celui dont les opinions m’ont épouvantée à mon arrivée est parti et dévoilé, il a fait mal ici1. On tâche de le réparer. Pour revenir à La Havane, nos Dames Ursulines m’ont dit que les Espagnols goûtent peu la dévotion au Sacré Cœur ; que quand elles étaient à l’Espagne, le roi payait leur aumônier et pensionnait huit religieuses ; que sous Louis XV, qui a fait bâtir le couvent, tout objet venu de France leur arrivait franc de port. Ce sont les Jésuites qui ont procuré leur établissement, et le premier que j’ai connu moi-même a procuré les recrues qui l’ont soutenu. Le détail des épreuves de cette maison et des traits de Providence qui l’ont soutenue sont frappants pour moi ; il y a un trait de [la] sainte Vierge semblable à celui de mon image de saint François Régis. Par les lettres de mes Sœurs, vous pourrez voir qu’elles sont éprouvées ; heureusement, on les occupe ; Octavie est très bien avec les personnes de son état ; Eugénie presque irréprochable, ainsi que Marguerite. Toutes vivent dans la juste impatience d’avoir des nouvelles de nos bonnes Mères, Pères, Sœurs et enfants. Ce long silence ne vous est point attribué, mais à la longue marche des vaisseaux qui tous, cette année, sont retardés. Pendant que nous offrons à Dieu cette privation de vos chères nouvelles, de vos avis, de vos ordres, c’est encore une consolation de vous exprimer que mes Sœurs prient beaucoup pour vous. Je suis à vos pieds. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes n° 40 À Paris 1

C’est probablement l’un des assistants du Père Antoine (Antonio de Sedella), capucin espagnol, soutenu par les « trustees ». Il s’opposait à Mgr Dubourg et voulait rester curé de la cathédrale.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Note sur ce que contient la corbeille, le portefeuille, etc.1 1°. Les grands et petits paniers sont l’ouvrage de Sauvages. 2°. Le petit vase est la moitié d’une noix de coco, fruit de La Havane. Ce fruit, revêtu de sa double écorce dont je joins un morceau, est très lourd, et cependant les branches du bel arbre qui le porte, qui sont très minces et très souples, en portent 4 ou 5 à chaque bout. Cette espèce de gobelet fermé dans sa 2e écorce renferme une chair très blanche du goût de la noisette, dans le milieu est une eau rafraîchissante qui se boit et dont on se lave la figure pour embellir le teint. 3°. Des noix de ce pays-ci, assez rares, mais bonnes comme celles de France et portées sur un arbre semblable à nos noyers. 4°. Un morceau de l’écorce de l’arbre à dentelle, qui se dédouble, en forme de morceaux de dentelle que nous y joignons. On en fait d’assez grands et d’assez beaux pour des jabots, des chemises, et qui se lavent. 5°. Il y a deux feuilles de latanier, grosse plante dont nous avons déjà parlé. 6°. La petite herbe fine est une plante parasite comme le lierre qui s’attache à tous les vieux arbres. Ceux des bords du Mississippi en sont tellement couverts qu’il semble qu’on y a suspendu des longues toisons. Cette herbe mûre est mise en tas, se pourrit et en dépouillant la 1ère partie, laisse un crin très semblable à celui des cheveux et dont on fait des matelas ; ceux de l’hiver ici sont en coton, la laine étant trop chère. 7°. La plante longue sert comme d’éponge pour laver les tables et la vaisselle. Elle vient facilement ; la graine est dans les trous et multiplie beaucoup. 8°. Le petit fruit en forme de courges à bouteille vient de même, et si gros, qu’on peut en former des baquets en les creusant.

1

Copie : C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part B : Lettres de personnes variées 1818-1828, p. 39-40.

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L. 2 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 22 juin 1818, N-Orléans1 Pour M. Barat MON TRÈS BON PÈRE, Ne vous offensez pas de mon gros papier : il coûte 25 sols la main. Je vous adresse un paquet d’ouvrages de Sauvages, non pour contenter votre avarice mais pour mortifier votre inclination, ne vous laissant que la vue de ces objets charmants, en vous priant d’envoyer le tout à Paris par la diligence, s’il manque d’occasion. Ma lettre pour notre Mère a besoin d’arriver. Veuillez n’être pas assez mortifié pour ne point tout observer soigneusement et laisser les lettres à votre adresse dans le portefeuille sauvage. Je vous prie de distribuer les autres, de tout faire repaqueter par Jean F., déjà exercé à nous rendre service, et de mettre l’adresse pour Paris. L’explication de nos pauvres présents est dans la grande feuille qui couvre le paquet. Je suis avec respect, mon bon Père, votre bien indigne servante. Philippine Mme Fournier m’annonce le tableau, mais Le Gustave ne sera pas déchargé avant le départ de La Rebecca ; ainsi je ne puis vous en donner des nouvelles. [Ajouté au verso de la lettre :] Mon bien bon Père, J’avais déjà fermé mes deux lettres quand le capitaine du Gustave nous a apporté les deux vôtres et celles qui y étaient jointes. Mon 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to various Eccles., Box  8. Copie, C-VII 2) c Writings, List-Varia, Box 9, Cahier Y, Lettres de la Mère Duchesne, p. 93-96.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

1er mouvement a été d’aller remercier notre bon Maître et lui renouveler mon offrande. Mme Fournier est la meilleure voie pour connaître les occasions, étant si intéressée à la mission ; elle a dépensé pour nous 12,6 F que je prie M. Debrosse d’acquitter et de compter à notre Mère. Si on envoie des livres, veuillez prier Mme Fournier de faire gouvernance sous l’emballage. Sœur Nativité sera connue ici avec plaisir1. Nous sommes bien reconnaissantes des messes de nos Pères et avons communié pour eux. Monsieur Martial me dit hier qu’il reste ici pour quelque temps ; la raison est trop longue à détailler mais est urgente. Dieu bénit ses sacrifices, il se porte bien et attire tout à lui. Veuillez examiner nos pauvres présents à notre Mère, faire partir le tout et distribuer les lettres qui ne sont pas pour Paris. Je suis avec un profond respect, Philippine Les lettres pour Bordeaux sont dans le portefeuille sauvage. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Louis Barat À l’école secondaire Ancien dépôt de mendicité À Bordeaux

1

Jeanne le Royer (1731-1798), dite Sœur de la Nativité, née à Beaulot en Bretagne, France. Entrée à l’âge de 21 ans au couvent des Clarisses-Urbanistes de Fougères, elle eut des visions, rédigées sous sa dictée peu avant sa mort. Cf. Vie et Révélations de la Sœur Nativité, Édition Beaucé, Paris, 1817.

Lettre 105

LETTRE 105



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L. 12 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

24 juin [1818] Nouvelle-Orléans1 Ma bien digne Mère, Dieu qui aime à consoler les siens a permis le retard de départ de La Rebecca pour me donner le temps de recevoir les vôtres, celles de Mère Bigeu, et de votre frère, que Le Gustave a apportées ; n’étant pas déchargé, nous n’avons pas notre tableau mais Mme Fournier m’annonce qu’il a été pris par le capitaine2. Je ne vous répète point ce que contient ma première lettre ; la vôtre a été portée au pied de l’autel avant de la lire ; il fallait bien remercier Dieu de cette grande faveur ; les cœurs de toutes ont été attendris, cela se comprend bien ! La Supérieure des Dames Ursulines, en nous remettant ce trésor de votre souvenir, nous a dit, d’une grâce parfaite, de faire mention d’elle auprès de vous, qu’elle désire bien vous connaître ; c’est une bien grande âme. Elle veut loger toutes les passagères qui, pour se rendre utiles, pourraient montrer à faire les fleurs, apporter un marteau de plomb (elles ont les moules), enseigner à raccommoder la dentelle, le petit point de tapisserie, les différents tricots et points. Il y a ici des sujets distingués et elles ont l’humilité d’applaudir beaucoup à Eugénie et Octavie qui plaisent beaucoup ; toutes deux vont bien ; il a été utile à la première de moins communier ; je crois que le confesseur de Quimper la distinguait trop. Elle a fait, dans les commencements, quelques fautes grossières de suffisance, que j’ai relevées. Elle en a bien profité et elle sera votre consolation, elle est irréprochable. Je crains seulement l’impression de cette haute spiritualité où on a voulu la placer : elle paraît mépriser toute onction (comme si celles qui inondaient saint Xavier, sainte Thérèse, étaient des imperfections), sentir la croix et ne pas l’appréhender. Je vois qu’elle en viendrait à croire qu’il n’y a de perfection que dans la gêne et l’ennui. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 96, p. 95-97. Cf. Ch. Paisant, p. 148-149. Le tableau du Sacré Cœur que Mère Bigeu devait expédier.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Catherine fera toujours des écarts ; elle parut fâchée, hier, de sa faute que j’ai dite à Mère Bigeu pour vous communiquer ; ma lettre pour vous était pleine et fermée. Je vous prie de décacheter celle de Mère Bigeu si elle n’est pas à Paris ; et c’est dans la même intention que je vous ai adressé la lettre pour elle dès notre arrivée ici. Si je lui parle des affaires qui vous regardent directement, c’est que j’ai vu votre confiance en elle, et que je sais que votre grande humilité vous porte toujours à consulter. Pardonnez-moi ma lettre de Bordeaux1, comme d’autres fautes que vous avez supportées avec tant de patience, il m’était naturel d’exprimer des craintes sur ma charge et je suis toujours plus persuadée que je n’ai rien pour la conduite des âmes, mais Dieu fait par lui-même et mes Sœurs sont contentes ; elles vous le diront. Monsieur Martial restera ici plus longtemps que nous. Depuis ma lettre finie, chacun me dit des choses riantes sur notre sort à SaintLouis et ici, si nous nous y établissions. Madame Rivet ne serait pas trop âgée, il est venu des dames de 52 ans ; mais il faut de la fermeté, surtout sur mer, et savoir attendre la mort. Croyez, mon incomparable Mère, au profond respect de votre trop coupable fille, qui est à vos pieds, bien humblement. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure des Dames du Sacré-Cœur de Jésus À Paris

1

Cette lettre n’a pas été conservée.

Lettre 106

LETTRE 106

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L. 13 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Nouvelle-Orléans1 Commencée le 9 juillet 1818 Ma bien Digne Mère, Voici la cinquième fois que je vous écris depuis notre arrivée et je calcule avec peine que peut-être nous serons longtemps sans avoir de réponse. J’ai eu vos lettres bien anciennes par Le Gustavus, qui m’en a aussi apporté deux de votre bon frère, et notre tableau du Sacré Cœur. Madame Fournier y ayant joint sous l’emballage un petit paquet pour Monseigneur, sans facture, nous ne pouvons, pour cela, le retirer de la douane. Le gouvernement, à Washington, a fait des lois si sévères pour les entrées qu’un seul objet, non énoncé dans la facture et trouvé dans une balle, emporte confiscation du tout au profit des régisseurs. Ils retiennent en ce moment une pièce de drap pour une boîte de 15 sols qui s’y trouvait jointe et non accusée. Une dame a ses effets retenus ici, pour quelques poupées dont on n’avait pas présenté facture, etc. Ces lois sont nouvelles, mais exactement suivies, et je vous prie d’en donner connaissance toutes les fois qu’il pourrait nous être fait quelque envoi. Que tous les objets de natures différentes soient exprimés, par exemple : boîte marquée (telle adresse) contenant aiguilles à coudre, soie à broder, galon d’or de telle valeur, etc., ballot marqué contenant étoffe pour ornements, tel prix, fournitures pour différents ouvrages, etc. Les choses déjà portées sur soi ne paient pas de droit, mais il faut toujours désigner pour qu’on laisse passer, par exemple : vieux linges et habits de femme. Les objets pour écoles ne paient pas d’entrées ; ainsi dans un envoi de livres pour études et même autres : fournitures d’ouvrages, cartes, sphère, etc., en mettant : pour la Maison d’instruction de Saint-Louis, on ne prendrait pas les droits, et par conséquent on n’ouvrirait rien. Cependant il ne faudrait pas pour cela introduire des choses qui prissent droit, car si on venait à ouvrir, tout serait confisqué. Quelques-uns des collecteurs feraient des faveurs, d’autres aux yeux 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 98, p. 100-109. Cf. Ch. Paisant, p. 152-158.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

[pénétrants] d’Argus sont inexorables. Je leur ai fait passer la lettre de Mme Fournier pour qu’ils voient que nous sommes fort innocentes du paquet joint à notre tableau qui, d’ailleurs, étant de la dévotion, ne les tentera pas beaucoup. Nous espérons l’obtenir pour dimanche, jour fixé pour notre départ d’ici ; ce devait être demain, mais nos effets seuls sont déjà sur le steamboat de Saint-Louis ; nous n’avons rien déballé, tout est arrivé en bon état, nous avons usé seulement des effets des sacs de nuit. Chaque semaine, ces Dames ont fait blanchir notre linge, et nous avons acheté des robes de coton noir, légères, avec un seul fil blanc (le médecin et ces Dames ont exigé cette mesure), les Sœurs [coadjutrices] en ont de coton violet presque noir. Nous avons gardé notre costume complet sur le vaisseau et personne ne l’y a trouvé mauvais ; au contraire, on a dit qu’il était bien choisi et n’ayant rien qui puisse choquer le monde. Les Dames Ursulines, même celles venues depuis trente ans, avaient voyagé en séculières ; et il faudra l’être à peu près sur le steamboat, ne faire aucun exercice commun, ni messes, ni confessions, etc. Monsieur Martial est retenu ici pour des raisons importantes, notre compagnon de chez Monsieur Liotard vient avec nous ; nous prendrons à quelque distance un prêtre si scrupuleux que nous sommes déjà prévenues de ne pas l’aborder ; voyageant dernièrement sur un bateau qui coulait à fond, il ne s’apercevait pas de la frayeur et du désordre général, parce qu’il disait son office ; on fut obligé de le faire entrer dans une chaudière qui le soutint sur l’eau. Un prêtre ayant fait 7 lieues pour se confesser, s’en retourna comme il était venu, parce que ce prêtre disait son office et qu’il ne put pas se détourner. Monsieur Martial voudrait bien venir de suite à Saint-Louis et se fait précéder par ses effets qu’il n’a confiés qu’à nous ; il commence à ne pas nous trouver une si forte endosse (j’en suis presque fâchée), mes Pères de France ne peuvent s’oublier. Je lui ai demandé de vous écrire un mot, je ne sais s’il l’a fait, mais il ne goûta pas ma demande, disant qu’il n’avait pas de plaintes à faire et que, quant aux éloges, on verrait qu’ils avaient été sollicités. Il m’a reprise de ce que je vous ai dit de Catherine et lui disant que nous devions vous rendre compte de tout, il a répondu : « Oui, à la bonne heure, quand vous auriez pu joindre le bien avec le mal ; ce n’est pas à ces distances qu’on donne des impressions défavorables qui ne peuvent s’effacer. » Je vous rapporte ceci, pour que vous retranchiez de mes expressions ce que vous savez qui tient à la rigueur de mon caractère.

Lettre 106



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Il se montre très paternel et ne nous a point lâchées pour les confessions ; je me suis permis trois ou quatre échappées1, car il y a ici un prêtre italien, bon comme mon Père Perreau, pieux, aimant la Société, dont l’âme est grande et noble comme sa naissance, qu’Eugénie dit des plus illustres à Florence. Il s’intéresse bien à nous et je lui attribue partie des 1 500 F que nous allons recevoir en partant pour les frais incalculables de notre voyage. C’est la digne supérieure de cette maison qui les fournira et qui dit modestement qu’elle n’y est que pour 500 F, mais combien d’autres choses de toute espèce à y ajouter : médecin, faïence, douze douzaines seulement d’assiettes, remèdes, étoffe, cierges, blanchissage, nourriture au prix des élèves, feraient bien, avec les 1 500 F d’argent, 3 000 F à compter pour bienfaits à notre établissement ; et ce serait bien plus si nous calculions les prix des auberges, médecin en ville, etc. Quand je nomme le médecin, n’en prenez pas d’inquiétude ; il est vrai qu’il a cru un instant que j’avais le scorbut, mais il s’est trompé : je me porte mieux que je ne me suis portée depuis un an, c’est-à-dire parfaitement. Je brave le soleil, l’humidité, les nourritures épicées et salées en usage dans ce pays, où on dit qu’il faut donner du ton à l’estomac, trop relâché par la chaleur humide. Marguerite a un peu les hémorroïdes ; le médecin croit qu’il est utile pour elle qu’elles s’établissent et veut les provoquer ; Eugénie les a en ce moment pour la troisième fois depuis la France et il est d’avis au contraire pour elle de les arrêter par des bains froids, etc. Octavie est bien ; ses douleurs et battements se font moins sentir ; elle a des boutons causés par la chaleur et a été purgée ; Catherine aussi ; c’est celle qui résistera peut-être le moins au climat, parce qu’entre mal réel et mal imaginaire, il y en aura toujours ; ses frayeurs ne sont pas présentes, mais pour l’avenir : le vent, le steamboat qui échoue, le feu qui peut prendre, la contagion, tout cela forme des calculs qui empêchent de dormir ; la cuisine échauffe et fait mal aux yeux ; les occupations actives causent l’enflure aux jambes. Ma Mère Prevost aurait rendu service d’avertir de tout cela, vous m’auriez donné [Marie] Berthé2 et il est important d’avoir quelqu’un pour les bas offices, pour éviter les Négresses qui ne font presque rien. Mais pourquoi penserais-je à l’avenir avec sollicitude, puisque, au moment d’agir, la Providence se montre toujours pour nous et pour la 1 2

Confession à un autre prêtre que le confesseur habituel. Marie Berthé a aidé Philippine dans l’installation de la maison généralice, rue des Postes, à Paris, en 1815 et 1816.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

mission ? Aucun des vaisseaux occupés pour elle n’a éprouvé d’accident depuis cent ans, tandis qu’ils sont si fréquents. Le Paterson parti peu après nous, s’est perdu près des Iles du Vent ou Antilles ; heureusement que les passagers et partie de la cargaison ont été sauvés, mais on ignore les détails. La Rebecca, malgré les mauvais temps, le feu, la rencontre d’un corsaire fort redoutable, n’a rien éprouvé lorsque nous y étions et, en ressortant du fleuve, elle a été pillée par les pirates ; ils ont pris 40 000 F à un passager. J’ignore le sort de nos lettres en grande quantité et d’un paquet contenant de petits ouvrages de Sauvages que j’envoyais à votre bon frère pour vous. Dans l’incertitude si vous avez mes demandes, je vous renouvelle ici celles du règlement du pensionnat, plan d’études, astronomie, poème de la Religion, géographie de Gathis, compliments, nos bréviaires, vers [de] géographie, atlas, rubans [de] mérite rouges, petits globes et petites sphères. Il vient souvent ici des vaisseaux du Havre et si Mme de Rollin vous donnait là une adresse pour faire partir ou recevoir, il y aurait plus d’avantage que de faire passer par Bordeaux. Je ne sais comment nous ferons avec le plan d’études de France ; comment y suivre les mêmes classes avec des enfants dont les unes, à seize ans, ne savent ni lire ni prier Dieu, d’autres qui à huit ans, connaissent parfaitement leurs deux langues ? La lecture est ici une grande occupation ; les unes pour l’anglais qui devient toujours plus étendu, le français avec les langages mêlés d’espagnol, de créole, de nègre ; ce sont cinq langues dans un pensionnat. Malgré tant de difficultés, je suis bien occupée d’un établissement à La Nouvelle-Orléans. Les Dames Ursulines, par un désintéressement rare, ont le plus pressé pour cela et ne nous auraient pas laissé souffrir [d’attendre]. Elles insistaient surtout à cause du retard de l’arrivée du steamboat, le silence de Monseigneur, l’impossibilité de fournir au reste de notre voyage, craignant que les 10 000 F envoyés ne se trouvassent employés sans qu’on sût pour qui. Enfin, par les besoins de la ville et la chute de la pension la plus nombreuse. Elles ajoutaient que bien des personnes dans la ville disaient qu’il fallait nous retenir. J’ai opposé à ces sollicitations : 1°)  notre mission qui était pour Saint-Louis ; 2°) l’air ; 3°) notre vocation pour les Sauvages ; 4°) notre insuffisance pour commencer dans une grande ville. Elles répondaient : 1°) qu’il y avait comme impossibilité de commencer à Saint-Louis en ce moment, que rien n’y était prêt, et 2°) que le voyage était dangereux dans les chaleurs ; 3°) qu’il ne manquait ici ni de Sauvages, ni de Nègres

Lettre 106



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et de Mulâtres ; 4°) que plusieurs travaillaient à l’éducation avec moins de moyens et faisaient très bien leurs affaires ; qu’il ne fallait pas nous offrir, mais nous laisser demander ; qu’il y avait un fonds prêt pour un établissement ; qu’il n’y avait pas assez d’églises ici ; que nous procurerions qu’il s’en bâtit une de plus ; qu’on nous la bâtirait dans un faubourg où l’air est sain, loin d’elles à la vérité, mais, puisque nous gardions chacune la clôture, c’était assez égal ; que nous nous arrangerions bien pour avoir des pensionnaires ; que lorsque les leurs diminueraient, elles n’en auraient pas de la peine, elles augmenteraient le nombre des externes ; 5°) qu’il nous était indispensable d’avoir ici une maison qui deviendrait le centre de toutes celles que nous pouvions avoir en Amérique ; que le noviciat y serait mieux dans ce centre, dans une ville où tout abonde, où tout aboutit des quatre parties du monde ; que si le climat froid de Saint-Louis ne convenait pas à certaines, on les ferait venir ici et de même, d’ici à Saint-Louis au besoin ; 6°) enfin, elles faisaient entendre qu’elles nous voyaient avec plaisir et celles qui surviendraient, mais qu’il pouvait arriver que cela ne se pût plus, etc. J’ai senti la force de ces raisons. J’ai toujours opposé la volonté de Dieu marquée pour Saint-Louis. Monsieur Martial y a joint la sienne, ne nous demande aucun compte de ce qu’il a payé pour emballages, frets sur le vaisseau. Et enfin le steamboat de Saint-Louis a paru. Il n’était chargé d’aucune lettre pour Monsieur Martial ou pour nous, mais Monseigneur nous recommande de nouveau à ces Dames, dit qu’il nous a arrêté une maison avec jardin et verger, où nous pourrons, en arrivant, entrer en fonctions ; que nous sommes attendues avec impatience. Je m’interromps pour vous annoncer que nous avons entre les mains le tableau du Sacré-Cœur. Ainsi nous partons. Toutes les pensées pour La Nouvelle-Orléans qui avaient déjà chassé celles de La Havane, ont disparu, et nous voyons la volonté de Dieu. Mais je suis si touchée de la force des raisons qui font désirer un établissement ici de notre Société, que je le sollicite auprès de vous pour le printemps prochain1 ; et j’en dirai un mot à Monseigneur et au consul de France, si je puis le voir avant de quitter cette ville. Je vous transmettrai leurs réponses et espère que vous n’objecterez pas la rareté des sujets. Dès que rien n’avance en France, il faut bien travailler ailleurs et contenter tant de vœux pour ces pays. Je suis si heureuse d’y être venue que de nouveaux sacrifices pour nous y étendre me seront 1

Cette fondation à La Nouvelle-Orléans ne se réalisera qu’en 1887.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

doux. Fallût-il de nouveau voir les horreurs de la mer, traverser les bois les moins fréquentés, il me semble y être prête. Ma seule jalousie est de voir Monsieur Martial, à son arrivée, trouver de la besogne au-delà de ses forces et nous, dans la nullité. Les religieuses, dans ce pays, doivent être dans une grande retenue, peu paraître, ou elles scandaliseraient les Américains, très réservés et peu indulgents pour notre sexe. On dit même qu’il serait difficile d’être à La Nouvelle-Orléans sans grille, mais je ne le pense pas. Elle est corrompue par l’affluence d’étrangers. Nous y avons vu monter vingt vaisseaux en deux jours. Elle s’augmente considérablement, mais qu’il y a de bien à faire ! Tous ces petits Mulâtres, Nègres, Créoles, même Blancs, suivent Monsieur Martial comme des moutons. Il a trois nombreux catéchismes tous les jours. Les filles seraient de même, si on les attirait. Je reviens donc sur ma demande pour un établissement ici. Madame Rivet n’est-elle pas toujours de bonne volonté ? À son âge, on s’acclimate mieux. Mère Thévenin a demandé de venir. Le régime d’ici lui est propre et sa douceur, son air d’éducation, sa facilité pour les langues seraient bien utiles. On n’a pas besoin de grande science ; peut-être plus à Saint-Louis, pour les Américains, moins légers que les Créoles. Vous pourriez songer à Eugénie pour une supériorité ; vous n’auriez, je crois, rien à craindre ; elle est mûre, elle fait tout avec sagesse et en la présence de Dieu. La difficulté serait qu’elle serait trop jeune pour la grande ville ; et si on laisse Octavie au Nord, comme il paraît nécessaire pour l’anglais qu’elle entend mieux, pour les études, et plus encore pour son tempérament et le caractère des habitants, moins corrompus qu’ici et toujours prêts à mal parler et mal interpréter, je ne pense pas qu’elle ait jamais l’expérience nécessaire pour être à la tête, et même être trop présentée au dehors ; son bon caractère et son humilité peuvent alors aider à lui mettre au-dessus une plus jeune. Nous aurions bien besoin d’un bon domestique et d’une ou deux Sœurs comme Agathe [Gauthier]1. Pardonnez, ma bonne et respectable Mère, toutes les fautes de ma lettre. J’ai été sans cesse détournée par les apprêts de notre départ et je n’ai ni le temps, ni le papier pour recommencer (la provision de papier fin est épuisée, c’est-à-dire celui du voyage, l’autre est sous les emballages indéfaisables ; celui-ci est de deux sols la feuille). Ces Dames [Ursulines] sont aussi tout occupées de nous fournir de tout ; l’une d’elles nous a nettoyé la bouche comme un dentiste, l’autre 1

Son ardent désir d’aller en Amérique ne s’est jamais réalisé.

Lettre 107



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nous apporte cinquante livres [de] café et sucre, la Supérieure le sac de 15 000. Tout cela ne m’a pas distraite de vous et mon grand plaisir était de vous l’écrire, mais méritait bien quelques regards de complaisance et plus encore de reconnaissance pour les personnes charitables qui nous traitent si bien. Malgré les distractions d’un départ, de l’incertitude des événements, des châtiments que j’ai sujet d’appréhender, je me vois sur le passé, je sens combien je vous l’ai rendu pénible et je suis maintenant à vos genoux pour avoir mon pardon. Votre indigne fille, Philippine Duchesne

LETTRE 107

L. 3 AU P. BARAT

SS. C. J. et M. 

Samedi 11 juillet [1818]1 Mon bon Père, Voici enfin le départ pour Saint-Louis arrivé ; je vous écris la nuit, ne l’ayant pu le jour pour embarquer tous nos effets. Nous quitterons demain cette ville, après la messe, et la sainte maison qui nous a reçues. Monsieur Martial, qui a le pied dans la paroisse et que les marguilliers voudraient faire le curé de la ville après la mort du Père Antoine2, ne peut la quitter pour profiter de cette bienveillance et la faire retourner à une entière union. Il y a encore du chemin à faire et plusieurs appellent Monsieur Dubourg l’évêque des Illinois. Monsieur Martial a tous les jours trois catéchismes nombreux de jeunes gens simples, droits et fervents, dont une troupe voudrait déjà 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Copies, C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane, II, 1823-1830, p. 175176 ; C-VII 2) c Writings, List-Varia, Box 9, Archives de Quadrille, Bordeaux, Recueil de lettres de La Nouvelle-Orléans, de Saint-Louis et de Saint-Charles (Mères Duchesne et Audé), p. 10-12. C’est une anticipation car la mort du P. Antoine n’a eu lieu qu’en 1829.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

être des Frères dans un collège. Ainsi, si son ancien domestique ne venait pas ici par zèle, que ses conditions fussent onéreuses, je ne perds pas l’espérance de nous pourvoir dans ces pays. Monsieur Moni est en marché d’un Nègre de Baltimore, instruit au collège, qui est une perfection. Le Gustavus nous a rendu notre tableau et vos précieuses lettres. Que vous êtes paternel et sentez les besoins de vos filles quand vous leur promettez de profiter de toutes les occasions pour leur écrire ! Vous êtes le seul qui ait donné des détails intéressants sur notre patrie et je les ai communiqués à nos prêtres. La lettre de Grenoble m’a aussi bien intéressée sur vos nièces et le Père de Vidaud. J’ai chargé La Rébecca, depuis 15 jours, d’un paquet à votre adresse pour Paris et de plusieurs lettres pour Monsieur Debrosse, vous, Mme Donthée, Mme et Mlle Marange et pour nos maisons. Peut-être, tout est perdu car nous savons que ce vaisseau a été pillé au sortir de la rivière. Je vous prie de remercier Monsieur Debrosse des messes qu’il a fait dire pour nous ; nous avons toutes communié pour vous ; mais quel échange ? Continuez vos soins charitables ; on court plus d’un danger en voyageant et en s’établissant si loin. Monseigneur ne nous a point écrit, mais nous recommande aux Dames Ursulines et leur dit qu’il nous a arrêté une maison avec jardin et verger, qu’on nous attend avec impatience1. Il me tarde d’être à l’œuvre et je jalouse Monsieur Martial qui a déjà tant de besogne. Il voudrait bien être de suite à son collège, mais un plus grand bien le retient et il se prépare des sujets. Combien je conçois d’espérance sur l’heureuse Louisiane ; peut-être bientôt y aurons-nous plusieurs établissements et je les sollicite déjà auprès de notre Mère. On voulait nous retenir ici ; et il serait bien avantageux d’y avoir un pied-à-terre et un pensionnat. Les religieuses nous ont surtout pressées et ne pouvant nous garder dans la ville, elles nous comblent de bienfaits. Nous avons été logées, nourries, guéries, blanchies à leurs frais et en partant, outre beaucoup de dons en nature, elles nous procurent 500 F de belles piastres avec une charité qu’on ne peut rendre. Il nous fallait ce trait de la Providence, 1

Mgr Dubourg lui a écrit le 28 juin 1818, mais la lettre ne lui est pas encore parvenue. Les promesses, faites en France, sont loin d’y être confirmées : « Mille difficultés peuvent s’élever, votre établissement peut éprouver des lenteurs. Aux privations physiques peuvent se joindre des privations plus sensibles encore, celles des secours spirituels en quelques circonstances ; attendez-vous à tout. » Copie, C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane, p. 3-4.



Lettre 108

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car un voyage comme le nôtre est tout à fait ruineux. Le papier, la nuit qui s’avance, m’obligent de finir. Mes sœurs vont bien et vous offrent leurs respects. Philippine [Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat Au petit séminaire À Bordeaux

LETTRE 108

L. 1 À MÈRE DE CHARBONNEL Nouvelle Orléans, 18181

[Fragments d’une lettre] (…) Dans ces États-Unis aussi étendus que l’Europe, il n’y a que 9 millions d’habitants. Ces États ont donné aux réfugiés français la permission de bâtir 4 villes et celles qui sont construites depuis longtemps gagnent tous les jours sous les Américains, peuple, dit-on, le plus industrieux. Ils ont tellement mis en valeur les bords du Mississippi que le tabac, coton, etc., qui formaient 18 000 mesures il y a 4 ou 5 ans, en ont donné 36 000 l’année passée et 50 000 cette année. Quand on n’a fait que pour 50 000 F de sucre par an, on n’est pas content. Le pain est plus beau ici qu’à Paris et pas cher proportionnellement. Au reste, certaines étoffes, dont je vous envoie les échantillons, sont peu chères et de cette sorte, la façon des habits peut être plus chère que son étoffe. On a demandé à Monsieur Martial 50 F de façon d’une anglaise dont l’étoffe valait 18 ou 20 F ; nous l’avons fait nous-mêmes et heureusement réussi2… 1 2

Copie : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part B : Lettres de personnes variées 1818-1828, p. 55-56. Elles lui ont confectionné un manteau.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Je vous prie de nous envoyer un homme et une sœur, bons travailleurs. (…) Les Nègres sont plein de vices et paresseux, un bon travailleur de France fera 4 fois autant d’ouvrages qu’eux et sera plus sûr. Un Nègre déclaré en vente, voleur, ivrogne, coureur de nuit, parce qu’il était maçon, a été vendu 10 500 F. Les Dames Ursulines avaient donné la liberté à plusieurs, elles omirent une formalité dans leur acte, ils en profitèrent pour faire un procès, exigeant des gages. Elles faillirent perdre 50 000 F qu’ils demandaient. Voilà à quoi on s’expose avec eux (…) Je suis dans le Sacré Cœur, Philippine Il y a ici 8 Négresses à la cuisine, 2 filles feraient autant chez nous. Je crois que 2 hommes ne seraient pas trop.

LETTRE 109

L. 14 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Louis, ce 22 août 18181 Ma digne et respectable Mère, Nous avons fait près de 3 000 lieues en nous éloignant de vous, et toujours je m’en rapproche davantage par le désir de me conformer à vos intentions et de suivre vos vues. Mais, à ces grandes distances, on ne peut quelquefois que gémir en voyant des choses se succéder, entraîner, et ne laisser aucun moyen d’attendre vos lumières. Voici notre troisième station depuis Paris ; Bordeaux, Nouvelle-Orléans ne laissaient d’autres peines que le retard de notre bonheur ; Saint-Louis où nous le fixions n’est qu’un troisième campement, dans une maison bien respectable, où nous faisons connaissance avec nos premières pensionnaires, et d’où nous partirons, dans huit jours, pour nous rendre à Saint-Charles, où notre établissement commencera dans 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 101, p. 134-139. Cf. Ch. Paisant, p. 173-176.

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une maison louée. Monseigneur doit nous y conduire, il y restera un peu pour nous y installer lui-même. Il a eu la bonté de nous confesser aujourd’hui et, en nous témoignant son regret de ne pas nous garder à Saint-Louis où il n’y a pas seulement une chambre à louer, il nous a fait entrevoir de grands avantages à Saint-Charles, qu’il croit devoir devenir une des plus importantes [villes] du nord de l’Amérique. Elle est sur le Missouri dont les bords s’habitent tous les jours et qui va donner son nom à un nouvel État de la République Fédérative1. Il n’y a pas de jour où il ne passe quatre ou cinq familles avec leurs bagages, qui vont s’établir dans des terres qui augmentent dans une progression étonnante. Et si on exécute le projet d’établir un canal qui ouvre, par l’Ohio et le Mississippi, une communication par eau avec New York, nos communications avec la France deviendraient plus promptes que par la Nouvelle-Orléans. Nous en sommes parties sur le steamboat Franklin, le 12 juillet, et sommes seulement arrivées aujourd’hui 22 [août], c’est-à-dire le bâtiment ; mais j’en descendis hier 21, le soir, ne nous trouvant qu’à la distance d’un mille, avec Octavie. Le capitaine nous accompagna chez Monseigneur qui nous reçut avec bonté et nous conduisit lui-même dans le logement que ses soins paternels nous avaient procuré. Il nous donnera un prêtre qui connaît beaucoup votre frère, Monsieur Barat, et même on croit qu’il a été chez les Pères. Il s’appelle Monsieur [Benoît] Richard2. Monseigneur nous promet de venir souvent à Saint-Charles et dit qu’il y va dans une matinée. Malgré que Sainte-Geneviève soit un peu plus loin, je lui ai proposé de nous y mettre. Quand le steamboat s’y est arrêté, le curé, naturel du pays, mais élevé au Canada chez les Sulpiciens, vint pour nous voir et amena une voiture pour nous conduire chez lui pour la messe et le déjeuner. Le capitaine ne lui en laissa pas le temps ; il fut très fâché, nous dit qu’il avait demandé à Monseigneur de nous mettre dans sa paroisse, qu’il aimait les religieuses, qu’il avait été élevé par leurs soins au Canada, qu’il y avait plus de quarante demoiselles qui couraient au steamboat dans le désir de nous voir, si elles le savaient là, etc. Cette visite nous consola, nous croyions entendre un Père et un apôtre, il en remplit toutes les pénibles fonctions, pouvant s’étendre dans sa paroisse 1 2

Cet État fut érigé en 1821. Benoît Richard, OSB, arrivé en Louisiane en 1817, a exercé son ministère à Saint-Louis et Saint-Charles, avant de devenir l’aumônier des Ursulines à La Nouvelle-Orléans. Il est décédé en 1833 durant l’épidémie de choléra.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

à deux cents lieues, et étant seul. Il nous dit que les Sauvages de cette partie se rappelaient encore des Jésuites, voyaient les prêtres avec plaisir, faisaient baptiser leurs enfants, bénir la croix qu’ils portaient, mais que néanmoins, il faisait peu parmi eux, ainsi que parmi les Nègres. Comment ferait-on dans une si grande misère de prêtres, pendant que les États répandent partout des maîtres protestants qui ont même les catholiques et qui sont payés et se soutiennent ainsi, même chez les Sauvages ? À Nouvelle-Madrid, village sur notre route et presque tout français, plus de 150 personnes n’ont pas eu les cérémonies du baptême, se marient seulement civilement et sans avoir fait de première communion, et vont au temple des méthodistes, entendre, disent-ils, la morale. À Kaskaskia, autre village qui a une grande église, le curé d’une autre paroisse y vient seulement tous les quinze jours, est vieux, ne peut instruire. Les catholiques n’ont aucun moyen d’instruction et vont à l’école protestante, n’apprennent que la lecture anglaise. Ce pays deviendra de plus en plus anglais pour la langue, et protestant (s’il n’y a plus de secours) pour la religion, car il se peuple des habitants des villes de la côte orientale : de Suisses, d’Allemands, etc. Monseigneur dit qu’il faut attendre pour un établissement à La Nouvelle-Orléans, que les Ursulines y sont déjà en horreur, que la ville est en danger de perdre la foi (si le bien que fait Monsieur Martial ne se soutient pas). Quant à Sainte-Geneviève, il dit qu’elle perd tous les jours, le Mississippi rongeant son territoire, qu’elle est sans commerce et sans espérance d’en avoir, tandis que le Missouri devient de plus en plus une riche contrée. En effet, vous verrez, par le journal qui partira par La Nouvelle-Orléans, que depuis le Natchez, à 100 lieues au-dessus de La Nouvelle-Orléans, il n’y a jusqu’à l’Ohio, assez près de Sainte-Geneviève, sur la gauche, que des bois habités de Sauvages et, sur la droite, des bois encore, coupés par quelques misérables habitations ; sans aucune pierre pour bâtir sur aucune rive, ni homme pour disposer les bois. En approchant de l’Ohio, on voit à gauche commencer le Kentucky et à droite, plusieurs villages. La scène change entièrement, ce n’est plus cet uniforme rideau vert de bois, souvent impénétrables, mais des rochers, des collines agréables, plus de maisons, de troupeaux, de cultures. À Kaskaskia, environné de Sauvages, nous en avons vus de catholiques, qui travaillent, habitent le village, vont à l’église que nous visitâmes. Le chef des Illinois et les princesses vinrent au bord de la rivière pour voir le steamboat qu’on n’avait pas encore vu dans la rivière

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du nom du village, que nous remontâmes pour décharger les marchandises. Le chef et les princesses étaient à cheval, vêtus d’habits brodés, avec des hommes de leur suite et tous, vus de loin, n’avaient rien de ridicule, mais plutôt présentaient un aspect imposant et intéressant. Le journal vous marquera plus de choses. Il ne nous reste qu’à vous prier d’être tranquille sur nous. Vous n’avez pas pensé que n’ayons rien à supporter, et l’exemple de notre saint évêque, qui pouvait briller à Paris et qui a choisi la pauvreté et les travaux laborieux, est bien fait pour nous encourager. Avant de quitter le bâtiment et d’entrer sur la terre que nous devons habiter, j’ai relu les paroles du Deutéronome qui m’avaient autrefois fait impression et j’ai remarqué celles-ci : « Audi, Israël ; tu transgredieris hodie Jordanem… Ne dicas in corde tuo… propter justitiam meam introduxit me dominus in terram, hanc possidendam… Observa et cave, nequando obliviscaris domini Dei tui et negligas mandata ejus atque judicia et caeremonias quas ego praecipio tibi hodie1». Telle est notre résolution à toutes : que Dieu la bénisse. Je persiste à trouver dans ma Sœur Eugénie plus de qualités pour les emplois qui donnent du rapport au dehors, et j’avais la pensée de vous demander de la faire assistante à la place d’Octavie, mais ensuite je crains de nuire au cœur de l’une par une élévation secrète, et à l’autre par abattement. Cependant celle-ci a été fort gaie dans notre dernier voyage, plaît et nous est utile, ayant mieux profité dans l’anglais, mais elle ne le sait pas encore pour nos besoins et Monseigneur va nous donner une protestante convertie de Philadelphie, qui a la vocation et parle anglais. Veuillez, je vous prie, songer à nous pour des Sœurs [coadjutrices] ; les Négresses d’ici sont comme à la Nouvelle-Orléans et les Blancs sont tous égaux. Catherine a toujours l’idée d’enseigner et ne sait rien du tout. Je n’ai plus sa place. Je me jette à vos pieds avec mes Sœurs, pour être bénies de notre tendre Mère. Philippine

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« Ecoute, Israël… Tu passeras aujourd’hui le Jourdain… Ne dis pas en ton cœur : ‘C’est parce que je suis juste que le Seigneur m’a fait prendre possession de ce pays’… Garde toi d’oublier le Seigneur ton Dieu en ne gardant pas ses commandements, ses coutumes et ses lois que je te donne aujourd’hui .» Dt 4, 1 et 6, 4 ; Jos 1, 11 ; Dt 9, 4 et 8, 11.

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Je ne sais comment nous ferons pour les études, avec l’anglais et tant d’autres difficultés. Mes respects, je vous prie, à nos Pères, Mères, Sœurs. Nous espérions trouver des lettres de vous ici ; nous avons été bien trompées. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes n° 40 À Paris

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L. 4 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Louis du Missouri, le 29 août 18181 Mon très bon Père, Dieu nous prive des nouvelles de France et le sacrifice en est grand ; depuis la lettre donnée au Gustavus, nous n’en avons point vue. J’espérais en trouver à Saint-Louis, le Père Debrosse ayant promis de nous en envoyer par Georgetown. Dans la crainte que l’ignorance de notre adresse ne les ait retenues, j’ai écrit au Père recteur, mais on s’est trompé pour l’adresse ; on va rectifier l’erreur qui retardera les envois. S’il en avait à faire, je lui donne mon adresse. Je vous ai marqué, en quittant La Nouvelle-Orléans, que Monsieur Martial y restait pour le bien de la religion, s’il peut s’y faire. Nous avons eu pour compagnon de voyage Monsieur Richard qui vous connaît et qui va être curé de Saint-Charles du Missouri, où nous allons habiter dans une petite maison louée. Monseigneur qui vous voudrait bien ici, a assez de peine à faire bâtir son église pour remplacer celle de bois toute dégradée où se fait le culte maintenant. Il n’a pu rien faire pour nous et il nous montre par son exemple comment nous devons être 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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dans ces pays ; son palais épiscopal ressemble à nos moindres fermes ; il réunit plusieurs prêtres malades qui avec lui, quatre ou cinq, ont fait leur dortoir, réfectoire et chambre d’étude, d’une très petite chambre. Ils sont mieux à présent, mais toujours mal logés. Le séminaire se bâtit à 60 milles d’ici, dans une congrégation d’Américains qui présentent le tableau de la primitive église. Il ne leur a fallu que six semaines pour élever une église par le conseil d’un bon trappiste, qui les a instruits et ressemble par ses succès au Père Enfantin. Il en a les manières ouvertes et simples ; il nous voulait à Saint-Ferdinand ou Fleurissant, sa paroisse ; mais son village très beau n’est pas encore assez habité ni assez bien. Le curé de Sainte-Geneviève, qui est natif de cette ville et prêtre canadien, d’un zèle admirable, est venu nous voir dans le steamboat et nous témoigna le même désir de nous avoir, et l’empressement des jeunes filles de son pays. La circonstance de notre éloignement de Saint-Louis me fit remarquer à Monseigneur que nous serions peut-être mieux à Sainte-Geneviève, à cause du mérite du curé, du voisinage du séminaire, du naturel des habitants. Il eut des raisons à opposer, puis il nous dit : « Eh bien, vous irez aussi à Sainte-Geneviève. » Kaskaskia, où nous sommes descendues et qui depuis quelques mois est chef-lieu de l’État des Illinois, est aussi totalement dépourvu. On envoie les enfants aux écoles américaines où ils n’apprennent pas un mot de religion, ni la lecture française ; alors ils ne savent et n’entendent presque que des protestants et parmi les méthodistes, il y a beaucoup de missionnaires. Depuis que je suis sur les lieux, je vois l’impossibilité d’un établissement en grand ; tout au plus pouvons-nous être comme à Cuignières ou Sainte-Pezenne1 ; en se distribuant dans toutes ces petites villes à mesure qu’on augmentera, on fera mille fois plus de bien qu’en une seule grosse maison. Le noviciat pourrait être à Sainte-Geneviève, en attendant mieux. Car, à moins d’un coup de la Providence, rien ne nous ramènera à Saint-Louis. Les enfants seules nous désirent, elles quitteraient tous les parents qui les gâtent pour venir avec nous ; mais eux ne sentent pas le prix de l’éducation chrétienne. Et tandis que même les esclaves donnent dans un luxe outré, qu’on bâtit des salles de spectacles et de bals, des temples, etc., pas un particulier, même les triples mil1

La maison de Cuignières est une petite fondation réalisée en 1808 par la communauté d’Amiens, dans un village de l’Oise situé près de Saint-Just en Chaussée ; l’établissement fut transféré à Beauvais en 1814. Sainte-Pezenne est une petite annexe de la maison du ­Sacré-Cœur de Niort.

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lionnaires ne donneraient un sol à une maison d’instruction. L’anglais est devenu indispensable et nous y mordons bien difficilement, il est un obstacle invincible au plan de nos maisons ; ici, la lecture et toutes sortes d’instructions se feront en deux langues et la lecture prendra la grande partie des classes. Mal logées, peu nombreuses, sans clôture, comment la garder ? Je vais écrire à notre Mère ; ma situation est bien difficile. Les Sauvages à moitié civilisés offriraient une riche moisson mais il faudrait des Pères pour les amener. Je n’ai fait qu’en voir sur ma route, ce qui augmente mon intérêt pour eux, mais ne puis me faire entendre. Rien n’est commencé, rien même ne peut être conçu pour nos maisons. Monseigneur nous montre sa position : celle des premières Dames Ursulines, et nous dit d’aimer maintenant notre abjection, que les fruits seront dans l’avenir. J’ai été devant lui comme un rocher qui reçoit des coups de poinçons. Je vais les yeux fermés ; la Providence ouvrira la voie, s’il lui plaît. On dit la Chine convertie. Cela est-il vrai ? Je prie Mme Fournier de lire notre journal ainsi qu’elle [le] désire et de vous le remettre ensuite pour le faire parvenir à Paris par occasion, car le papier est trop gros pour la poste, tant nos paquets fermés ne nous laissent rien. Il faut faire de tels voyages pour trouver à vaincre la délicatesse et à pratiquer la pauvreté. Les lettres, l’extrait du voyage, le journal ne peuvent aller par la poste, mais il importe pour les livres d’en avoir bientôt avec quelques dorures. À La Nouvelle-Orléans, ici et à Saint-Charles, on ne boit que l’eau du Mississippi et du Missouri, plus sale ou autant que celle de la Seine. Mes sœurs sont courageuses et plus ferventes que moi. Elles voient la Croix et l’embrassent. Dites, je vous prie, à notre Mère votre avis sur le plan d’étude, la clôture, la multiplication des établissements ; en se divisant seulement, on peut faire quelque chose. Les distances sont trop grandes, le zèle trop petit, pour qu’on vienne au-delà du Missouri. Mes respects aux Pères Debrosse, Wrints et à Madame Vincent et à ses filles. Je suis à vos pieds votre fille. Philippine

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31 août : Au moment de notre départ pour Saint-Charles, on veut nous retenir à Saint-Louis ou à Fleurissant, à 3 ou 4 lieues. Je demande des livres anglais et français, qui auront besoin de votre choix : ils sont très pressés. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat Au petit séminaire, École secondaire À Bordeaux

LETTRE 111

L. 8 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Saint-Louis du Missouri, 29 août 18181 Recommandé à St Antoine de Padoue Ma très bonne Mère, Je vous ai écrit de La Nouvelle-Orléans où j’avais reçu le tableau, et il est ici avec moi, sans que j’aie pu le voir car, devant encore aller par terre et par eau à Saint-Charles sur le Missouri, à 12 lieues d’ici, il ne convenait pas de le déballer, non plus que les malles. Retenez vos nouveaux bienfaits, car n’étant à Saint-Charles que dans une maison louée, très petite et les chemins difficiles, il pourrait arriver que le port des objets l’emportât sur eux et ne pût être payé, car nous voici au centre de la pauvreté. D’ailleurs, il y a ici beaucoup de choses nécessaires à la vie et en fait de vêtements, excepté les souliers qui sont à 15 F, on trouve le vêtement au prix de France ainsi que le linge. Il n’y aurait que des soies, perles, chenilles, paillettes, bagues, boucles, etc., de petit volume, qui parviendraient par La Nouvelle-Orléans, en mettant l’adresse pour le pensionnat de filles à Saint-Charles sur Missouri.

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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On pourrait ainsi éviter les droits d’entrée, privilège pour les maisons d’éducation. Combien Dieu m’éprouve de me priver des nouvelles de la chère maison de Grenoble ! Il m’éprouve aussi en nous éloignant de Monseigneur, du centre de la lumière. On ne trouve ici aucune maison approchante des nôtres. Il faudrait des millions pour les bâtir et il y a grande apparence que nous sèmerons dans les larmes. Heureux notre sort s’il procure à d’autres de recueillir dans la joie et de voir les enfants de nos prières les environner avec empressement ! J’ai vu des Sauvages de toutes espèces ; ils bordent le Mississippi, sont presque tous vêtus, bons, et quelques-uns moitié civilisés, parlant français ou anglais. Plusieurs conservent le souvenir de [mot déchiré], donnent leur bénédiction en entrant dans une maison, font baptiser leurs enfants, bénir des croix qu’ils portent ; disent aux méthodistes qui veulent les instruire : « Qu’es-tu toi ? Tu as une femme ; les robes noires n’en ont point. Va-t’en. » Je ne puis écrire à Aloysia [Jouve], mais elle ne doute pas de mon intérêt. Je lui souhaite d’aller en Chine ; on l’a dit convertie et elle est assez jeune pour apprendre la langue. Combien peut faire une âme zélée ! Les évêques de Boston et du Kentucky font des fruits étonnants, même parmi les Sauvages. Mais quelle pauvreté de vie ! Quelles courses, quels dangers ! On parle ici d’un voyage de 300 lieues comme en France, de 30. Recommandez-moi à Messieurs Rivet, Rambaud, d’Hyères et à toutes vos filles, mes chères sœurs. Je n’oublie pas les enfants. Je suis avec un profond sentiment, dans le Cœur de Jésus, ma bonne Mère, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau À Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble Isère

Lettre 112

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L. À MADAME FOURNIER

SS. C. J. et M1.

[Saint-Louis, 29 août 1818] C’est maintenant que je suis auprès de notre saint pasteur, que je dois vous témoigner ma reconnaissance pour des soins que vous vous êtes donnée pour me procurer ce bonheur. Je lui ai bien parlé de vous et il est facile de s’apercevoir combien votre souvenir lui plaît. Il dit un jour à la personne qui nous loge, en montrant votre portrait : « Voilà une personne que je voudrais bien vous présenter. » Sa santé est bonne quoiqu’il souffre des nerfs, de la chaleur plus considérable cette année à Saint-Louis et de ses courses à cheval. Il souffre encore plus de la santé de ses missionnaires. Monsieur de Andreis s’accable de travail et d’austérité ; il est faible et souvent au moment de prêcher, il fait signe qu’il ne peut parler ; alors Monseigneur, avec sa facilité ordinaire, parle à sa place, soit en anglais, soit en français. Dans une de ces circonstances, il a fait une paraphrase du Pater où il s’est surpassé. Monsieur Garti est mourant de la poitrine. MM. Niel2 et Evremond ont la fièvre, mais la portent hors du lit. Monseigneur ne nous garde pas à Saint-Louis, ville qui depuis deux ans prend un tel accroissement qu’il n’y a pas une chambre à louer et que les familles qui viennent s’y établir sont obligées de s’avancer sur le Missouri qui nous verra sur les bords, à Saint-Charles, à 12 lieues d’ici. Il nous en coûte bien de nous éloigner de Monseigneur : il nous a dit, les 1ers jours, de ne pas l’épargner ; et nous, attirées par ces avances, n’avons pas attendu huit jours pour la confession, alors il m’a dit de prendre bien garde d’abuser du temps des prêtres.

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Copie, C-VII 2) c Writings, List-Varia, Box 9, Archives de Quadrille, Bordeaux, Recueil de lettres de La Nouvelle-Orléans, de Saint-Louis et de Saint-Charles (Mères Duchesne et E. Audé), p. 30-32. Francis Niel est parti de Bordeaux avec Mgr Dubourg, le 17 juin 1817. Arrivé le 5 janvier 1818 à Saint-Louis, il a été le premier prêtre ordonné par Mgr Dubourg, le 19 mars 1818. Il a été curé de la cathédrale et premier recteur du Collège de Saint Louis (1819-1823). Envoyé par Mgr Dubourg en Europe pour recueillir des fonds et recruter des prêtres, il partit en France en 1825 et ne revint jamais. À Paris, il rendit visite à la Mère Barat et l’encouragea à établir rapidement une maison à Saint Louis. Cf. Lettre de M. S. Barat à Philippine, le 16 juin 1826.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Ses affaires sont immenses, sa correspondance interminable et les visites continuelles. Il reçoit tout le monde avec l’affabilité que vous connaissez. La pratique des sacrements, qui était oubliée, commence à prendre et la vénération que Monseigneur entraîne est universelle. Son église sera à son usage cet hiver ; les bas-côtés sont laissés pour le moment. Monsieur de Andreis a ici la réputation d’un saint ; on regarde comme merveilleux qu’il puisse déjà prêcher en anglais, il le fait avec moins d’agrément que Monseigneur, mais il a une force d’expression et une onction qui attirent beaucoup à ses sermons et font oublier son accent. N’osant manquer à ma promesse, je vous envoie le Journal de la Nouvelle-Orléans à Saint-Louis. Je vous prie de ne pas le garder ni le copier ; de le remettre de suite à Monsieur Barat au Petit Séminaire ou, s’il était absent, à Madame Barat rue des postes N° 40 à Paris, notre Supérieure, pour qui mes sœurs l’ont fait sans double copie. Elle l’attend avec impatience. Je vous prie d’offrir mes respects à Monsieur Boyer et à Madame Vincent à qui j’ai écrit plusieurs fois. Mes sœurs qui se portent toutes bien vous offrent leurs respects, ainsi que moi avec elles à M. Louis Dubourg. Monseigneur va venir passer quelques jours avec nous à SaintCharles où il installe Monsieur Richard, curé et notre aumônier. Je suis avec respect, Madame, votre dévouée servante. Philippine Duchesne Saint-Louis, 29 août 1818 P. S. Depuis ma lettre écrite, je viens d’apprendre que nous n’irons peutêtre pas à Saint-Charles et serons plus près de Monseigneur.

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L. 48 À MADAME JOUVE, À LYON Saint-Louis, 29 Août 18181

Mes très chères sœurs, J’écris aujourd’hui à Mme de Rollin par Washington. N’ayant pas le moyen d’écrire par-là plus d’une lettre, je profite du retour du steamboat qui nous a conduites ici pour vous donner de mes nouvelles. Notre navigation, depuis La Nouvelle-Orléans jusqu’ici, a duré 40 jours et a été heureuse ; nous repartons après-demain pour Saint-Charles sur le Missouri, qui sera notre demeure pour le moment. Ce pays va être créé en État qui entrera dans la confédération des États-Unis dont il n’est maintenant que territoire. Saint-Louis sera cheflieu et augmente tous les jours en population ; on bâtit partout et on ne trouve pas de logement : ils sont plus chers qu’à Paris et les comestibles aussi. Le luxe est étrange ; il pénètre même chez quelques Sauvages à demi-civilisés. Depuis l’arrivée de Monseigneur, la religion se ranime et s’est créée dans le Kentucky, par le zèle apostolique de Mgr Flaget qui en est l’évêque ; avant lui, les habitants n’avaient aucune religion ; il a fait bâtir plusieurs églises, j’en ai vues beaucoup en bois seulement. Il me tarde d’avoir des nouvelles de France qui me marquent l’état de vos santés ; la mienne est bonne, celle de notre saint évêque surmonte ses travaux. Si vous désirez quelques détails sur mon voyage, ma nièce à Grenoble pourra vous extraire notre journal qui parviendra plus tard, passant par Paris. Croyez, mes chères sœurs, que mes vœux au Ciel vous comprennent toujours, et que jamais mon cœur n’a plus été occupé de votre bonheur. Toute à vous dans le Cœur de notre bon Maître. J’embrasse tous vos enfants, Philippine Duchesne

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 95-97 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 114

L. 15 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Louis, ce 31 août 18181 Ma bien digne Mère, Il est bien pénible de n’avoir point de vos nouvelles et d’être si éloignée des facilités de correspondre, quand on a tant besoin d’être guidée. Arrivée ici le 24, je m’empressai de vous écrire par Georgetown, et depuis à Mme de Rollin sous l’enveloppe du consul français à Wash­ ington. Malgré ces lettres et les cinq précédentes, depuis La Havane, j’ai tant de choses à vous dire que le sentiment faisant place aux affaires et détails de voyage, mes lettres sont d’un sec rebutant, et encore, devrais-je parler plus court pour dire plus de choses. Si vous avez reçu ma dernière lettre de la Nouvelle-Orléans du 11 juillet et celle d’ici de la fin d’août, vous aurez vu que notre route sur le Mississippi a été de quarante jours, heureux pour nous toutes, car presque tous les passagers ayant été malades, et plusieurs gravement, par la chaleur, nous n’avons eu que des misères. Monseigneur, qui a un palais dont l’extérieur est comme une petite grange de France, dont l’église est en bois et toute percée, qui en fait bâtir une aux frais des habitants de Saint-Louis, qui s’en trouvent assez chargés, n’a pu que nous louer une maison à Saint-Charles, autre petite ville à douze lieues. Le bon accueil que nous fait en passant le saint curé de Sainte-Geneviève, l’empressement des jeunes personnes de cette ville, m’engagèrent à le prier de nous mettre plutôt auprès de lui. Monseigneur y opposa plusieurs raisons que je vous ai dites, mais y fit espérer un second établissement plus tard, n’étant pas de l’avis de celui de La Nouvelle-Orléans. J’ai rejeté Florissant, il faudrait y bâtir. Le pays est beau, mais pas assez bien habité. SaintLouis paraissait inabordable. Depuis deux ans, cette ville prend un tel accroissement que ce qui s’y vendait 20 F en terre, en vaut 100 ; qu’un particulier a refusé sur son terrain 120 F du pied de terre ; qu’un clos qui offrait moins d’avantages pour nous, avec la maison, que celle de Paris, ne serait pas donné à 50 000 F. Monseigneur a loué 2 000 F quatre misérables chambres pour le commencement de son 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 8 décembre 1818. J. de Charry, II 1, L. 102, p. 140-149. Cf. Ch. Paisant, p. 185-190.

Lettre 114



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collège [à Saint-Louis] et, n’étant pas encore occupées, il nous les a offertes, et un terrain pour y bâtir. Mais une maison moindre que Cuignières coûterait au moins 36 000 F et il faudrait, en attendant, payer un loyer. M.  Pratte, frère du curé de Sainte-Geneviève, qui nous loge et nourrit pendant toutes nos recherches, n’a jamais voulu retenir une voiture pour Saint-Charles et voulait acheter ici, 40 000 F, une maison de la grandeur de celle qu’on bâtirait à 36 000 F, pour nous la louer. Je l’ai vue, elle est bien située, toute neuve, mais aurait besoin d’arrangements qu’on ne peut faire que chez soi. Je lui ai proposé de nous céder le marché, après avoir pris l’avis de Monseigneur dont le terrain [à Saint-Louis] ne suffirait pas pour les jardins. Et la maison à acheter a l’espace suffisant et on prendrait des termes1. J’ai vu que nous agirions sans témérité. Sur l’argent que Monseigneur a reçu, il peut rester 7 000 F. Je compte un peu, pour avoir de l’argent sans intérêt, sur les charitables Dames Ursulines, et je suis fondée à l’espérer, et même sur le bon marchand de La Havane, à qui je vais écrire. Et M. Pratte, qui va successivement nous donner ses cinq filles, fera peut-être aussi des avances. Je l’ai appelé notre père temporel et il mérite ce titre. Il a un magasin très fourni, où les prix sont modérés et il nous fera des crédits tant que nous voudrons. Sa femme est la personne la plus estimable de la ville ; elle a cinq petites filles, gâtées à l’excès, et qui nous aiment au point de vouloir toutes quitter leurs parents pour venir au couvent. Quand nous sortons, elles s’inquiètent que nous nous en allions, et Céleste surtout, au moins quatre ou cinq fois le jour, à temps et à contretemps, sollicite ses parents qui voudraient attendre pour elle. Ces cinq enfants intéressants ont les plus heureuses dispositions, des voix charmantes. Elles tiennent à toute la ville, c’est une fourmillée de petites cousines, toutes de tournure aimable, qui sont venues nous voir et voudraient nous suivre. L’une d’elles n’a pas dormi de joie le jour de notre arrivée. J’attribue à l’inspiration de leurs bons anges cet empressement. Les petites de couleur sont la même chose, elles ont comme la bouche ouverte pour nous regarder, et Madame Octavie en ayant placé une près d’elle à l’église, les autres disaient : « Tu es bien heureuse ! ». Vous sentez que cette jeunesse est très attachante, ainsi que les Sauvages qu’on voit souvent ; joint à la présence de Monseigneur, à l’intention 1

Des dates fixes pour des versements partiels jusqu’à la totalité du paiement.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

que vous avez eue que nous fussions ici, nous aimons mieux attendre pour être gênées ici que pour être encore plus mal ailleurs. Il ne faut pas se faire l’idée d’un grand établissement ici ; de bien des années, nous ne pouvons être que des Cuignières, tout au plus. Les maisons ressemblent aux pavillons de nos vignes ou aux maisons de nos faubourgs. Ce sera un motif pour se diviser en plusieurs et pour étendre le bien. Si les habitants de Sainte-Geneviève et de Kaskaskia voulaient préparer et donner le logement, ce serait, je pense, les deux premiers endroits à choisir : le premier, à cause du voisinage du séminaire qui va se former à quelques lieues, dans une congrégation américaine modelée sur la primitive Église1 ; le second est chef-lieu de l’État des Illinois2, joint aux États-Unis sous ce titre. Il y a des Français et catholiques, sans autre école que l’américaine, protestante. L’église est grande et on pourrait bâtir à côté. Je ne puis me détacher de La Nouvelle-Orléans et de la pensée qu’on y ferait grand bien. (Lisez bas). Il ne serait pas impossible que Monsieur Martial n’y fût évêque un jour et nos bonnes amies de cette ville [les Ursulines] qui, dans quelques années, auront un paiement de 300 000 F, feraient quelque chose pour nous, au risque d’avoir moins d’enfants ; elles le prévoient et n’en sont pas moins généreuses. Je ne sais si elles connaissent jusqu’à quel point leur éducation déplaît, ayant conservé les anciennes pénitences (tout ceci pour vous seule, je vous prie). Voilà que je m’étends bien loin sans avoir le pied posé ; mais les désirs ne se règlent pas quand on voit tant de besoins. Les Illinois, moitié civilisés, avoisinent Kaskaskia ; ils ont quitté les bords de la rivière de leur nom, repoussés par d’autres nations ; plusieurs parlent français, d’autres anglais. Monseigneur dit que cette langue est aussi nécessaire que le pain, qu’à cinquante ans on ne peut plus l’apprendre. Calculez là-dessus. Mais les Sœurs coadjutrices peuvent s’en passer et si vous n’avez pas songé à nous en envoyer quelques-unes, ne nous oubliez pas, surtout pour le jardin. Les journées sont à 10 F. Les Blancs ne veulent pas servir, ni les Nègres libres. La main-d’œuvre est si chère, avec tant de maisons qui se bâtissent et de terres neuves à cultiver, qu’ils gagnent tout ce qu’ils veulent. ([Lisez] Bas). Les esclaves disent que le malheur de leur condition leur tient lieu de tout. Dans la maison où nous sommes, deux Négresses ont famille sans être 1 2

Il s’agit probablement des « trustees », corporations propriétaires des biens ecclésiastiques, qui formaient une structure de base de l’Église catholique aux États-Unis. L’Illinois est devenu un État appartenant aux États-Unis en 1818.

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mariées, la troisième est voleuse déclarée ; quand on la convainc de prendre 50 F, elle dit qu’elle croyait que ce n’était que 15. Leurs enfants voudraient aussi nous suivre et seraient bonnes, sans leurs mères. M. Pratte vient de me faire appeler ; il travaille pour la maison et le nombre des pensionnaires en entrant. Les parents mettent eux-mêmes la pension à 225 gourdes qui font 1 125 F chez nous, y compris le blanchissage. Si je ne puis savoir le résultat de ses recherches avant le départ de notre steamboat pour [La] Nouvelle-Orléans, je vous l’écrirai par une des cités de l’est, et peut-être cette seconde lettre vous parviendra avant celle-ci. Monseigneur n’est point éloigné des écoles à la Lancaster ; il est fâché que les Frères ne se soient pas emparés de la méthode et dit qu’il ne la proscrirait pas même à présent ici. Sa bonté ne l’empêche pas d’être très ferme ; il m’a déjà connue et dit mon fait. Eugénie et Octavie lui plaisent beaucoup et à tous les parents ; il m’a reprise de ce que j’aimais mieux Eugénie ; je ne m’étais pas aperçue de cela, mais lui ai dit, comme à vous, que je lui trouvais plus d’aplomb. Cependant je n’ai pas été contente de deux choses, quoiqu’elle n’y tienne pas : 1°) qu’elle ait proposé à Monseigneur d’être mise seule dans une maison tout anglaise, pour être forcée de parler l’anglais, sans rien m’en dire ; 2°) que maintenant à Saint-Louis, suivant vos intentions, et regardant Saint-Charles comme le sépulcre de ce petit rejeton de la Société, elle fait des observations minutieuses pour que tout se fasse comme en France (c’est impossible), il faut calculer là-dessus ; heureuses seulement de nous en rapprocher le plus possible. Nous serons obligées de ne pas avoir tous les lits comme vous, pour les ôter le jour, faute de place, etc. ; la clôture bien différente ; jusqu’à ce que nous ayons bien de l’argent. Voici comment il nous en pourra venir : le père de quatre à cinq demoiselles dont je vous ai déjà parlé et qui doit mettre ses filles à Poitiers suivant l’avis des Dames Ursulines qui ont commencé leur éducation, a son aînée qui veut être religieuse ; il s’y est opposé, mais a fini par dire à Monseigneur : « Eh bien, quand elle aura été en France, si elle persiste, je lui donnerai une belle terre à Florissant et elle y fera un couvent. » Cet homme, appelé M. Mullanphy, est riche de 9 millions en piastres et en terres, étant maître de presque tout le village de Florissant. C’est alors qu’on pourra y avoir une maison grande, sûre et commode ; et le père serait flatté, comme maître du pays, d’y avoir un bon établissement. Sa fille est un grand sujet. Les évêques des villes de l’est, où elle a été, y avaient toute confiance pour les bonnes œuvres. Monseigneur, qui la conseille, sans savoir ce que nous avions dit au père à La Nouvelle-­

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Orléans, lui a écrit aussi de demander d’aller à Poitiers et de s’y unir à notre Société. Prévenez la Mère Grosier au besoin. Le père ne la laissera pas aller plus loin. Il est bien important de la lier fortement à notre œuvre, autrement il en pourrait résulter, dans la suite, une rupture, ayant, à ce qu’on dit, tout ce qu’il faut pour le gouvernement. Vous vous assurez d’elle et il me serait bien doux de la voir au-dessus de moi, ou toute autre de votre choix1. Il y a ici Mme Perdroville et ses deux filles, toutes séduisantes par leurs talents, qui cherchent à monter une pension. M. Perdroville a été de la suite de Bonaparte. Monsieur Pratte, quoique lié avec lui, préfère nous donner ses deux aînées de suite, et fera la planche. Il rentre en ce moment, ayant été chez Monseigneur avec plusieurs pères de famille ; il les a retournés lui-même pour Florissant2, disant qu’au lieu de 4 000 F pour cette maison de Saint-Louis, il en faudrait 8 000 pour la mettre au point de loger 25 enfants (Monseigneur dit que nous en aurons de protestantes et qui le resteront). Où que nous soyons, il ne paraît pas douteux au moins que SaintCharles est de côté et que nous aurons bientôt un nombre d’enfants, mais d’enfants riches qui tiennent aux talents. Il y a un maître de piano, sans piano ; ce serait donc pour nous une chose de première nécessité et dont les fonds nous rentreront bientôt. Entre les autres choses nécessaires : six chandeliers d’église et la croix ; deux sceaux pour le pensionnat et pour nous ; une grande croix d’uniforme et une petite en cas de perte accidentelle ; rubans de mérite, rouges pour [la] quatrième classe, un médaillon, des exemples d’écriture anglaise, la seule enseignée ici ; fournitures de fleurs, cordonnets et moules pour bourses, soie, chenille, or, argent, paillettes, brillants pour broder, avec le prix de tout ; dessins de broderie, aiguilles de toutes espèces. En adressant : Maison d’institution, à Saint-Louis, on pourrait éviter les droits. Mais la facture est indispensable pour éviter confiscation ou stagnation. Quant aux livres de classe, je ne sais que vous dire, ni comment nous pourrons faire. Il faut tout dans les deux langues et je pense qu’à Bordeaux, comme le croit aussi le Père Barat, les livres anglais sont plus communs et à meilleur compte qu’à Paris.

1 2

Ce projet ne s’est jamais réalisé et il ne semble pas que Mlle Mullanphy ait persévéré dans la Société. M. Pratte ne pense plus à un pensionnat à Saint-Louis mais à Florissant.

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1) Les grammaires doivent être plus anglaises et françaises que françaises et anglaises, l’anglais étant plus commun. 2) La géographie seulement anglaise, à cause des États-Unis qu’il faut très détaillés. S’ils ne le sont pas, ainsi que sur un grand atlas, il faudrait se pourvoir à Philadelphie, à des prix excessifs. On m’a parlé de 125 F pour une grammaire des deux langues, en deux volumes. 3) Les abrégés d’histoire ; peut-être trouverait-on un abrégé général anglais pour celles de cette langue ; l’histoire des États-Unis, dans les deux langues. 4) Les cahiers de mythologie et un petit abrégé anglais. 5) Je ne voudrais pas l’arithmétique de M.  Loriquet1, c’est trop confus, d’ailleurs on ne compte pas ici de la même manière. Nous ferons des cahiers suivant les monnaies et mesures. Je crois vous avoir demandé une de ses astronomies, poème de la Religion, règlement du pensionnat. Le plan d’études sera bien changé à cause de l’anglais. Tous ces objets sont pressants, n’ayant pas de livres ici ; et le peu très cher, 10 ou 12 F le volume. Je vous les demande avec confiance, pensant aux 4 000 F qui restent à Mère Geoffroy, sur lesquels j’ai reçu 400 F des Dames Ursulines, pour leurs aubes qu’il faudrait rembourser à M. Jouve. Octavie a acquis de la maturité dans tant de différentes situations. Elle a été notre interprète dans le steamboat, tout étant [en] anglais. Eugénie a un peu repris de suffisance ; sous prétexte d’anciens conseils reçus, elle se dispense des pratiques comme actes avant les fêtes, etc., que d’autres font ; elle croit n’être pas susceptible de l’oraison ordinaire, de certaines règles de conduite. Veuillez voir sa lettre à Mme Bigeu et, d’après ce qu’elle y dit, régler vos conseils pour elle et pour moi ; elle aime tant la foi qu’elle semble la mettre avant la charité qui dilate et fait la ferveur. Les deux Sœurs sont bien ; nos santés bonnes. En tout, il y a dans mes quatre Sœurs, de la bonne volonté, l’amour de leur vocation et du zèle. Je vous prie de me pardonner mes longueurs et d’être mon interprète auprès de mes Pères, Mères et Sœurs. Qu’il nous tarde d’avoir de vos nouvelles !

1

Nicolas Loriquet, SJ, a rédigé en 1804 le premier plan d’études des maisons du Sacré-Cœur. Il est également l’auteur de nombreux manuels scolaires, dont l’usage était alors imposé dans toutes les maisons de la Société du Sacré-Cœur.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Le journal que j’ai fait faire à Eugénie est réglé1, vous parviendra par Monsieur votre frère, notre commun Père. À vos pieds, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Henriette Girard Pour remettre à Madame Sophie Rue des Postes n° 40 chez M. Roussel À Paris

LETTRE 115

L. 2 À MÈRE [BIGEU]

SS. C. J. et M.

Saint-Louis, 2 septembre 18182 Ma bien bonne Mère, Me voilà sur cette terre tant désirée, je bois les eaux du Mississippi, mais je ne fais que voir ceux pour l’amour desquels nous avons embrassé deux pénibles et dangereuses navigations. Je bénis Dieu de m’avoir caché les obstacles que nous trouvons ; plutôt, je le bénis de les avoir entrevus et d’avoir voulu les surmonter. Je dois être plus que jamais excitée à la poursuite. Ce n’est plus un attrait dont je pouvais me défier, c’est la vue du pressant besoin qui m’excite, c’est la disposition des enfants qui s’attachent à nous comme invinciblement et nous apportent des pommes pendant la messe en se serrant près de nous pour témoigner leur empressement. C’est l’exemple des saints pasteurs de ce pays que le zèle transporte, surtout l’évêque du Canada, d’un Mgr Cheverus évêque 1 2

Le port est payé. Copie : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 86-88. Cf. Ch. Paisant, p. 191-192. Le nom de la destinataire n’est pas indiqué, mais d’après le contenu et le style de cette lettre, c’est certainement Mère Bigeu.

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de Boston, d’un Mgr Flaget couchant dans une house de Sauvages, si percée que les cochons y entrent par les trous, desservant plusieurs paroisses, donnant jusqu’à sa dernière chemise, n’ayant pas deux sous pour payer le passage d’une rivière, changeant la face du Kentucky où on ne connaissait aucune religion, il y a 10 ans, ayant déjà formé plusieurs maisons religieuses, dont une de filles si pénitentes qu’en hiver elles vont pieds nus dans la neige couper le bois à la forêt et le portent sur leurs épaules. [C’est l’exemple] de Monseigneur enfin, se faisant tout à tous, souffrant avec magnanimité, travaillant sans relâche, sans autre ressource que celles qu’il a tirées de France ou de peu de personnes ; rien de cette ville. C’est un pari dans un sens, mais non pas pour les établissements. On nous attendait, on se plaignait du peu de ressource pour l’éducation, maintenant tout est refroidi. Je n’en suis pas moins ferme, ni moins espérante ; je tente les moyens humains qui sont en mon pouvoir. Monseigneur a bien ses peines, mais qu’il est grand parmi elles. Il ne faudrait pas s’aller dolenter. Voyant plusieurs choses qui ont changé depuis ma lettre à notre Mère, je vous prie de lui faire lire celle-ci, et pour la même raison, je l’adresse à Monsieur Barat. Nous sommes encore chez les autres et avec tous les égards de la charité, chez M. Pratte à Saint-Louis. Ce sera notre adresse où que nous nous fixions. Il paraît que ce sera Florissant. Monseigneur nous y donne une terre nue, mais qui a de la valeur dans ce pays. Il faudra bâtir en bois. Vous savez qu’il n’avait rien promis, et je me garderais bien d’augmenter ses soucis. Il me fait pitié, ses prêtres malades, les impies, etc. Il nous a donné un Sacré Cœur sur la poitrine d’un Sauveur, en petit, peint à Rome, un saint Louis de Gonzague, un reliquaire qui a 300 reliques authentiques. Il dit : « C’est pour vous consoler. » Il dit pouvoir venir nous voir tous les 15 jours, je n’y compte pas, seulement tous les mois, c’est impossible hors de Saint-Louis, d’où tout concourt à nous repousser. Outre toutes mes demandes à notre Mère, je vous prie d’y ajouter celle de plusieurs dictionnaires anglais, un français, un ballot de papier à la cloche, il y en a ici à 50 F la main ; les grammaires anglaises de Peylepton, une de Cobbes ; des sabots ou galoches de Bordeaux, c’est pressé pour l’hiver, il n’y en a point ici, les souliers sont à 15 F ; dans les boues, quelle dépense ! Je vous prie de nous faire avoir de ces toutes petites sphères, ou globes, pour l’idée, c’est un joujou, [et des] moules de bourse.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 116

L. 16 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles sur le Missouri, ce 12 septembre 18181 Recommandé à St Antoine de Padoue Ma bien respectable Mère, Après avoir été promenées en idées et successivement à Saint-Louis, Sainte-Geneviève, Florissant et Saint-Charles, c’est ce dernier endroit qui l’a emporté, pour nous mettre en Amérique au point comme le plus éloigné de vous, à cause des détours et stations à faire pour y arriver. Monseigneur, dont les vues s’étendent loin, considère ce lieu comme très important, étant le plus fort établissement sur le Missouri, à trois milles de sa jonction avec le Mississippi (qui est moins fort que lui à ce point-là) et dont les bords s’habitent tous les jours par les émigrations des Américains de l’orient, peuple très ambulant, et par l’espoir que Saint-Charles sera un grand entrepôt de commerce entre les États-Unis et la Chine ; car le Haut-Missouri a une rivière qui se jette dans l’Océan Pacifique, à un point où la traversée par mer pour aller en Asie n’est que de quinze jours2. En attendant, tout est ici extrêmement rare et cher ; on ne trouve pas d’ouvriers à 10 F par jour ; nous louons une maison, mais trop petite et trop chère. La commune veut donner à l’évêque, pour nous, un terrain de 180 pieds de face et 300 de profondeur ; mais deux presbytériens ont refusé leur signature et c’est une question si cela arrête la donation. Monseigneur consultera et alors on bâtirait sur ce sol, plus au centre et plus près de l’église dont le pasteur sera aussi le nôtre ; il dira deux messes le dimanche3. Si nous ne prenons pas à Saint-Charles, nous 1 2

3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 1er juin 1819. J. de Charry, II 1, L. 103, p. 152-156. Cf. Ch. Paisant, p. 195-197. Par l’achat de la Louisiane à la France en 1803, les États-Unis ont acquis l’ensemble du territoire drainé par le Missouri. Une expédition, ordonnée par le Président Jefferson et dirigée par Meriwether Lewis and William Clark, explora alors les sources du Missouri et la voie vers le Pacifique par le fleuve Columbia, de mai 1804 à septembre 1806. Elle revint ensuite à Saint-Louis. La ville de Saint-Charles, située sur le Missouri, était bien placée pour participer à ce projet de création d’une route commerciale. En raison de la clôture demandée alors à la Société du Sacré-Cœur, les religieuses ne peuvent aller à la paroisse. Le curé vient donc célébrer la messe dans leur chapelle, le dimanche.

Lettre 116



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avons également un grand terrain à Florissant ; quant à Saint-Louis, je n’y vois point de séjour. Monseigneur y a assez de peines. Il nous a surtout comblées d’attentions dans le voyage à Saint-Charles, accompagnant notre voiture à cheval, nous aidant à entrer et sortir de la barque sur la rivière, nous conduisant jusqu’à notre logis où nous avons eu ses fréquentes visites. Il repart aujourd’hui et [je] ne sais quand nous le reverrons ; il m’a parlé de vous écrire et n’a pas eu le temps de lire nos Constitutions ; mais il nous a dit de les suivre et que nous aurions une bonne pénitence si nous y manquions sans nécessité. Il n’y a pas de difficulté pour le costume, mais la clôture n’est pas plus exacte qu’à Cuignières et Sainte-Pezenne. Nous avons une très petite chapelle, dans une chambre, et espérons ouvrir l’école des pauvres après-demain. Nous n’avons que deux ou trois pensionnaires d’assurées et point de Sauvagesses ; celles de ce côté-ci sont moins bien disposées que les Canadiennes, bonnes catholiques ; cependant la moisson se prépare. Une compagnie est établie à Saint-Louis pour le commerce du Missouri avec les Sauvages de ses bords ; ils s’affectionnent aux Blancs, redescendent la rivière, et nous avons rencontré toute une troupe qui allait faire alliance avec les représentants des États à Saint-Louis. Ils nous suivirent jusqu’à la rivière, touchèrent les mains des Sœurs et ne nous perdirent de vue qu’à l’autre bord. Monseigneur destine aux missions du Missouri des prêtres qui vont lui arriver de Rome, le Saint-Père mettant bien de l’intérêt à ce pays, qu’on n’appelle plus Haute-Louisiane, mais territoire du Missouri et bientôt État1. Ceux qui ont passé sur l’eau avec nos bagages et qui les ont portés ensuite en charrette à la maison n’ont pas voulu un sou, disant que nous représentions Notre Seigneur Jésus-Christ. Les protestants, dont Monseigneur veut que nous ne refusions pas les filles, disent que, quand on fait son éducation chez nous, on n’en peut plus sortir. Monseigneur nous excite par son exemple, il dit que nous sommes le grain de sénevé ; que les plus grands biens se préparent. Il a été fort content de notre sacristie et il l’est encore plus d’Eugénie et d’Octavie ; les voyant rire en rangeant notre pauvre maison, il disait : « Voyez ces jeunes personnes qui auraient pu briller ailleurs et qui sont si gaies dans leur position. Oh ! c’est superbe, c’est superbe ; quant à nous, nous sommes de vieux pécheurs. » Il m’a ajouté une autre fois : « Elles sont toutes bien disposées et plusieurs vont à grands pas. » Il avait eu peur 1

Il le devient en 1821.

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que nous fissions perdre du temps aux prêtres mais, en dernier lieu, il a été le premier à parler de confession. Je vous ai écrit de Saint-Louis. Il m’est bien dur de n’avoir point de lettres ; il faut calculer six mois pour qu’elles arrivent ici, trois ou quatre pour que les miennes aillent à vous. Je vous demandais des livres anglais ; ici le prospectus, les journaux, tous les comptes, toutes les adresses sont anglaises. Monseigneur nous donne une postulante américaine. Octavie le fera en attendant1. Tous nos effets étaient intacts, excepté le coin d’un ballot non empaillé, qui s’est pourri. Je suis en peine de votre santé et de celles de Mesdames Bigeu, de Gramont [Eugénie], de Charbonnel. Il faut être à ces distances pour sentir combien sont forts les liens d’estime, de reconnaissance, d’amour qui nous lient à la meilleure des Mères ; mes respects à nos bons Pères. Nous avons bien besoin d’une jardinière, ayant un immense jardin et les journées à 10 ou 12 F. Je suis à vos pieds. Philippine Mes Sœurs se portent bien ; j’ai encore mal au doigt, mon écriture l’atteste. [Au verso :] À Madame Madame Barat, rue des Postes n° 40, chez Monsieur Roussel À Paris France

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L’enseignement en anglais.

Lettre 117

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L. 17 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles du Missouri, ce 8 octobre 18181 Recommandé à St Antoine de Padoue Ma vénérable Mère, Après avoir langui et soupiré pour les nouvelles de notre chère Société, il en est enfin arrivé trois paquets à la fois, deux sous l’enveloppe du Père Barat et une sous celle de Madame Girard2 ; sans doute ils sont arrivés successivement à La Nouvelle-Orléans, mais le même steamboat les a apportés à Saint-Louis où ils ont encore attendu l’occasion de nos trois premières pensionnaires3, qui sont arrivées avec ces chères nouvelles de France, samedi passé : la Sainte Vierge, à tant d’autres faveurs, voulant encore ajouter celle de voir fonder notre premier pensionnat dans le Nouveau Monde et recevoir la copie des lettres de Rome4, en ce jour qui lui est consacré. Nous l’invoquons ici sous le titre de NotreDame du Prompt Secours, l’ayant promis aux bonnes Dames Ursulines. Que de douces larmes ont coulé de nos yeux en voyant le Souverain Pontife [Pie VII] ajouter son autorité, sa bénédiction favorable, à tant d’autres signes de la volonté de Dieu sur notre mission ! Demain, nous en chanterons le Te Deum et on dira une messe d’actions de grâces. Combien aussi nous nous sommes réjouies de l’espoir de deux nouvelles fondations, du bon état des pensionnats et écoles, de votre voyage à La Louvesc, de la conversion de la dame anglaise, des vœux de nos Sœurs, de l’augmentation du local à Paris5, de la retraite, des nouvelles de toutes, de la mort même de nos chères Sœurs, si précieuse devant Dieu. Je répondrai par La Nouvelle-Orléans, ainsi que mes Sœurs, à toutes les lettres. Il faut que celle-ci soit moins volumineuse, elle partira par Washington et c’est aussi là que j’ai envoyé mes dernières lettres, écrites de Saint-Louis et de Saint-Charles en y arrivant. Vous y aurez vu com1 2 3 4 5

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 17 janvier 1819. J. de Charry, II 1, L. 104, p. 157-164. Cf. Ch. Paisant, p. 199-203. Henriette Girard était alors secrétaire générale et résidait à Paris. Émilie et Thérèse Pratte, ainsi que Pélagie Chouteau, leur cousine. La copie des lettres des cardinaux Litta et Fontana, envoyées à l’Abbé Perreau, concernant l’approbation par Pie VII du départ de Philippine et ses compagnes en Amérique. La Société du Sacré-Cœur loue la maison de la rue de l’Arbalète, attenante à celle de la rue des Postes.

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ment la Providence nous a conduites dans le village (ville ici) le plus reculé des États-Unis, sur le Missouri qui n’est fréquenté que par ceux qui trafiquent avec les Sauvages ; nous en sommes fort près, et cependant je n’ai point encore vu de petites Sauvagesses depuis un mois que nous sommes établies. Seulement une Métisse nous est promise pour domestique ou postulante selon ses qualités ; il n’y a pas pour cette race l’horreur qu’on a dans les États-Unis pour les Nègres et Mulâtres. Monseigneur a déclaré qu’on n’en admettrait point dans la pension et école gratuite, et a assigné un jour à part pour les personnes de couleur, disant que nous n’aurions point de Blancs si on les admettait ; et nous fit à cette occasion une histoire arrivée à lui-même, au collège de Baltimore, qui prouve qu’on ne peut vaincre dans ces pays le préjugé contre les gens de couleur1 ; il consulta là-dessus son archevêque [Mgr Carroll], qui lui répondit que ce préjugé devait être conservé comme la dernière sauvegarde des mœurs dans ces pays-ci. Je vous envoie l’approbation de Monseigneur, telle qu’il a pu la faire sans lire les Constitutions, n’en ayant pas le temps2. Il est maintenant aux Barrens ou Bois-Brûlé, près Sainte-Geneviève, où il fonde son séminaire bâti aux frais d’une congrégation ou réunion d’Américains venus du Kentucky, instruits par Mgr Flaget et les Trappistes, et qui sont, dans cet immense diocèse, la primitive Église de Jérusalem ou celle des Guaranis au Paraguay3. Nous sommes à Saint-Charles dans un tout autre pays ; il tourne un peu au bien, mais il y a quelques années, on aurait cru y voir les Bacchanales des païens : des filles à moitié nues, la bouteille de whisky à la main, tenant un homme de l’autre, courant la nuit et le jour sans travailler, dansant tous les jours de l’année. Maintenant, il y a plus de dehors honnêtes, mais une ignorance égale à celle des Sauvages. Dans notre école gratuite composée de 22 (autant que 100 en France à cause du peu de population), on ne savait pas ce que c’était que l’enfer, Notre Seigneur Jésus-Christ, sa naissance, sa mort ; vous les voyez toutes la 1 2

3

Mgr Dubourg a été supérieur du Collège de Baltimore, avant d’être nommé vicaire apostolique de la Louisiane. Son archevêque était Mgr Carroll, ancien Jésuite. Les établissements de la Société du Sacré-Cœur étaient alors diocésains, ils le resteront jusqu’à l’approbation des Constitutions par Léon XII en 1826. La maison de Saint-Charles dépend donc, en 1818, de Mgr Dubourg. À partir de 1609, les Jésuites organisèrent, au Paraguay, une entreprise d’évangélisation et de promotion humaine en faveur des Indiens Guaranis. Ce sont les célèbres « réductions » où l’on cherchait à imiter l’idéal de l’Église primitive. Elles disparurent après la suppression de la Compagnie de Jésus en Espagne et dans tous les territoires espagnols (1768). Les Trappistes, sous la conduite de Dom Augustin de Lestrange, se sont établis aux États-Unis en 1801.

Lettre 117

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bouche ouverte. Je suis obligée de leur dire à tout moment : « C’est très vrai au moins. » À part deux, elles en sont toutes aux lettres. Parmi les payantes, il y en a de tout aussi ignorantes ; et quand nous nous plaignons de n’avoir pas encore de Sauvages, Monseigneur me dit : « Vous en avez de véritables et auprès desquelles le bien sera plus durable et plus étendu, par l’influence des riches sur les pauvres. » Avec l’ignorance, il faut vaincre le luxe : nous avons des pensionnaires qui ont plus de robes que de chemises et mouchoirs et des robes brodées, de levantine de couleur, avec des garnitures et manches de tulle et de blonde1, etc. Celles qui viennent à l’école gratuite sont, le dimanche, comme les pensionnaires de Paris et dédaignent les souliers noirs. Il faut qu’ils soient roses, bleus, jaunes ou verts ; le reste à l’avenant ; mais, avec cela, on se mouche avec les doigts ; il a fallu exiger un mouchoir, qui est un torchon. Nous sommes logées bien incommodément ; il faudra quitter au bout de l’année de location, qui est près de 2 000 F pour sept petites pièces en mauvais état, un grand jardin, verger et bois, tout en friche, les bras manquant pour la culture. Nous aurions bien besoin d’un jardinier français ; notre boulanger et menuisier le sont. Ne pouvant trouver de plus grande maison, il faut bâtir. Il y a, dans le pays, plus d’Américains qui parlent anglais que de Créoles ou Français de notre langue ; mais comme les deux langues s’entendent à peu près et qu’on y accoutume les enfants, Madame Octavie pourra suffire pour la partie anglaise, pour le moment où nous n’avons que des ignorantes. Monseigneur n’en juge pas trop ainsi. L’ayant fait lire, ainsi qu’Eugénie, il portait à six mois le moment où elle pourrait se lancer. Elle doit s’être laissée intimider devant lui. Elle plaît à tout le monde et, quand nous paraissons à trois, les yeux sont tous sur elle, surtout quand elle parle, même l’anglais. C’est le souverain mérite auprès des Américains, qui dédaignent tout ce qui n’est pas eux. Et, comme ils sont fort peu courtisans, je vois qu’il n’y aura point d’inconvénient à ce qu’elle les prévienne pour le bien du pensionnat. Il semble qu’il s’est fait une métamorphose pour elle dans le steamboat ; elle a maintenant de la tenue et tout ce qu’il faut ici pour une maîtresse générale ; elle l’est, ainsi que secrétaire, maîtresse de classe, si vous le trouvez bon ; avec ce que vous lui avez donné, sa régularité est entière. Ma Sœur Eugénie est aussi bien bonne ; elle est maîtresse générale de l’école gratuite, sous-économe, vestiaire. Marguerite, sous-infirmière, cuisinière, vertueuse, mais si lente à tout que cela ne pourra durer ; cela 1

La levantine est un tissu de soie, léger ; la blonde est une dentelle au fuseau.

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pourrait même prendre sur sa vertu, tant elle est embarrassée. Catherine aurait mieux fait là [la suite est barrée, illisible], elle est exacte à ses emplois de sous-vestiaire, portière, réfectorière de notre petit ménage. Nos effets sont arrivés en bon état. Monseigneur a été content de tout ce qui concerne la chapelle. La Sainte Vierge est sur le tabernacle et touche le plancher de notre très petite chapelle, grande comme le sanctuaire de Paris. Mais tout est dévot dans ce petit réduit. Il y a un tableau du Sacré Cœur avec plus de cinquante figures, il est de Rome ; un Sauveur venu aussi de Rome, ouvrant son Cœur, une naissance et une adoration des Mages, ravissantes, un reliquaire contenant Sainte Croix, épine, éponge, crèche, foin de Notre Seigneur, reliques de toute la famille de Jésus-Christ, de tous les apôtres, papes, docteurs de l’Église, etc., des reliques de saint Ignace et de saint Régis, plus que vous n’en avez, des images fort dévotes, et enfin celle de saint Régis trouvée dans les ordures de l’église de Grenoble, et que je lui avais promis de faire honorer s’il me conduisait en Amérique ; elle a été sur le tabernacle, le jour où elle a été encadrée et la messe du saint a été dite. Tous les cahiers venus de Grenoble renferment, grâce à Madame Adrienne1, en fait de poésies, tout ce qui est nécessaire en français ; il nous en faudrait d’anglaises, et vers de la géographie en français2 ; des graines d’arbres et légumes, des exemples d’écriture anglaise. Nous aurions bien besoin d’un sujet anglais, ou qui le possédât et sût la tapisserie au petit point, broder au crochet, dessiner sur dentelle, le piano. Je vous en ai déjà demandé un et suis enhardie par la bonté avec laquelle vous nous dites de tout vous dire. Le temps, le papier ne me laissent que de vous dire l’obéissance de vos filles, de me rappeler aux Pères, Mères et Sœurs, et d’être à vos pieds. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat, rue des Postes n° 40, chez Monsieur Roussel À Paris France 1 2

Adrienne Michel, RSCJ, est maîtresse générale et maîtresse des études à Grenoble depuis 1815. Dans sa lettre du 9 novembre à Mère Barat, Philippine parle également d’une géographie et de « vers de la main de Mère Balastron ».

Lettre 118

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L. 18 À MÈRE BARAT Ce 8 octobre 18181

Ma bien bonne Mère, Comme je finissais ma lettre, nous avons reçu la visite d’un Sulpicien, français de nation et venu du Canada ; il est depuis 23 ans, curé au Detroit, lieu le plus considérable du territoire Michigan, ayant environ 1 500 âmes, tant Français qu’Américains, catholiques et protestants ; il a réuni, depuis douze ans, cinq jeunes filles auxquelles il a fait faire la première communion et qu’il a toujours conduites. La plus âgée a maintenant trente ans et est supérieure d’après l’élection de ses Sœurs, faite en présence de Mgr Flaget, évêque du Kentucky, qui l’a confirmée. Ce bon ecclésiastique, appelé Monsieur [Gabriel] Richard2, Jésuite de cœur, zélé missionnaire dans toute l’étendue du terme, leur a fait lire plus de dix fois Rodriguez, leur a donné un règlement et elles ont fait des vœux momentanés. Mgr Flaget a voulu qu’avant de se lier à jamais, elles fissent un noviciat sous une supérieure qui connaît la vie religieuse et il voulait envoyer de ses propres religieuses, les unes Sœurs de la Charité avec des modifications3, et les autres pénitentes, comme à la Trappe. L’argent ayant manqué pour ce long voyage, il n’y a rien de fait, et Monsieur Richard et ses filles, qui sont canadiennes, répugnent beaucoup à une réunion avec des Américains ; elles voudraient être formées par une Française et Monsieur Richard nous a fait la demande d’une supérieure. J’ai répondu que cela n’était pas possible pour le moment et qu’il fallait d’ailleurs votre consentement. Je lui ai promis de vous écrire. Le Detroit est à la température du Canada, on s’y chauffe en septembre, le pays est pauvre ; il y aura peu de pensionnaires et à environ 450 F ; même peu d’externes payantes, mais les vivres à bon compte et beaucoup d’âmes abandonnées.

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 105, p. 164-167. Cf. Ch. Paisant, p. 203-204. Gabriel Richard (1767-1832), PSS, né à Saintes (France), est l’apôtre du Michigan. Curé de Detroit où il mourra en 1832, il désirait y fonder une maison du Sacré-Cœur, ce qui ne se réalisera qu’en 1851. Cette congrégation des Sœurs de la Charité de Nazareth, Kentucky, a été fondée en 1812 par Mère Catherine Spalding (1793-1858).

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Le voyage, d’un mois pour le moins, peut se faire : 1°) en remontant la rivière des Illinois tout entière, en faisant trois lieues sur terre pour joindre une autre rivière qui tombe dans le Michigan, qu’on traverserait en vaisseau dans toute sa longueur ; on se trouve à Michilimackinac et on entreprend une autre navigation sur le lac Huron de la rivière des Illinois jusqu’au Detroit. Il y a une route par terre, connue des seuls Sauvages. Elle serait de quinze jours, en couchant toujours dans les bois, à l’air du temps. 2°) L’autre manière de voyager est en descendant le Mississippi jusqu’à l’Ohio ; là on remonterait jusqu’à Louisville, d’où on va par terre au Detroit. On croit qu’il y aura là un évêque bientôt1, peut-être Monsieur Nerinckx2, flamand, ou un prêtre russe. Il y a déjà un nouvel évêque à Cincinnati, de l’État de l’Ohio, qui probablement administrera à la place de Mgr Flaget dans le Michigan, et il amène de Rome des Dominicains. [sans finale, ni signature]

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L. 19 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Recommandé à St Antoine de Padoue 9 novembre 18183 Ma très digne Mère, Dans ce coin reculé du monde, avec les barrières du Missouri et du Mississippi, je ne sais encore si vous avez reçu une seule de nos lettres, mais j’ai eu l’indicible consolation d’en recevoir plusieurs de vous, de Madame Bigeu, de notre Père Barat, écrite avant d’avoir eu de nos nou1 2

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Edouard Fenwick, OP, né en 1768 dans le Maryland, a été le premier évêque de Cincinnati, diocèse érigé en 1821. Il est décédé en 1832, après avoir soigné les malades du choléra. Charles Nerinckx, né en Belgique en 1761, est ordonné prêtre en 1785, dans le diocèse de Malines. Il a été en mission au Kentucky de 1804 à 1824, a fondé en 1812, à Loreto, la congrégation des « Amies de Marie au pied de la Croix », dites Sœurs de Lorette. Il est décédé à Sainte-Geneviève, Missouri, le 12 août 1824. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Colonies – Bordeaux. J. de Charry, II 1, L. 106, p. 167-174. Cf. Ch. Paisant, p. 211-215.

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velles. Cependant votre bon frère savait que La Rebecca était arrivée à La Nouvelle-Orléans ; à moins donc qu’un vaisseau ne soit arrivé avant l’autre à Bordeaux, en faisant plus prompte route, nos premières lettres, parties dès le moment où nous n’étions qu’à l’embouchure du fleuve, auraient dû vous être rendues. Peut-être Dieu l’a permis ainsi pour que vous ne lisiez pas quelques phrases qui auraient pu vous inquiéter et, comme tout est variable en ce monde, le sujet en est changé. Ma seconde lettre est à Mère Bigeu, partie par Washington ; la troisième, de La Nouvelle-Orléans, par le consul de France ; la quatrième par le retour de La Rebecca, la cinquième encore par le consul, en quittant la Nouvelle-Orléans ; la sixième, arrivant à Saint-Louis, par Washington ; la septième par le retour du steamboat, par La Nouvelle-Orléans ; la huitième à l’arrivée à Saint-Charles, par Washington ; la neuvième aussi, ou par Philadelphie. Voici une dixième. Je ne puis répéter tout ce que j’ai dit, dans tant de situations différentes, ou dit et dédit. Ce qui vous intéresse le plus est notre état actuel ; il est tel que nous avons pu le désirer, couvert d’épines, de difficultés, adouci par l’onction de la grâce et allégé par la toute bonne Providence, dont la main ne nous abandonne point et qui se fait apercevoir à tous moments. Ce qui m’a le plus consolée sont les lettres des cardinaux, la bénédiction de Notre Saint-Père, les deux fondations projetées en France1, le noviciat résidant à Paris, malgré l’augmentation du pensionnat, votre voyage à La Louvesc et à mon cher Sainte-Marie. Cette bienveillance paternelle de votre cher frère, qui nous suit à si grande distance, nous est aussi un gage de celle de notre Époux. Nous avons eu du mécompte en ouvrant nos paquets : pas de papier plus fin que celui-ci, point de Nouet2, des Souffrances de pareil3, de Bourdaloue que le Carême et la retraite4, point de catéchisme de Constance ou de Charency, peu de choses sur l’état religieux ; mais en récompense, un cahier de brouillons de thèmes grecs, une géographie, et les vers de la main et orthographe de Mère Balastron et dont même nous faisons usage. 1 2

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En 1819 eurent lieu la fondation à La Ferrandière, à Villeurbanne, près de Lyon, et la réunion à la Société du Sacré-Cœur de l’orphelinat de Mme de Lalanne à Bordeaux. Jacques Nouet (1605-1684), SJ, L’homme d’oraison, ses méditations et entretiens pour tous les jours de l’année, 1re éd., Paris, 1674. À Saint-Charles, la Bibliothèque française possède Les Méditations en 10 tomes et L’homme d’oraison en 8 tomes. Bouquet de myrrhe, ou considération sur les plaies de Jésus-Christ, traduction de l’ouvrage du P. Vincent Caraffa, général de la Compagnie de Jésus, 1ère édition, Paris, 1643. Louis Bourdaloue (1632-1704), SJ, Sermons d’Avent et de Carême.

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Entre tout ce qui nous serait nécessaire et que je vous avais déjà demandé, le plus utile sera ce qui nous aidera à vivre, les âmes ayant en ce monde l’assujettissement au corps ; ainsi un jardinier ou ouvrier et une commissionnaire nous seraient indispensables, mais attachés à nous par religion, autrement nous en serions pour nos frais, car tout Blanc ici, se croyant égal à l’autre, marche de pair avec son maître et ne veut plus servir. Tous les domestiques français, venus dans ces pays, ont oublié bienfaits, reconnaissance, et ont entrepris la vie indépendante ou paresseuse ; il faut des esclaves pour trouver à être servi ; ici, il y a très peu de Nègres et ils ne valent rien pour nous. On ne peut avoir des journées, même à 10 F par jour ; notre jardin et verger sont en friche, on ne pouvait même y passer ; nous regardons les pommes de terre, les choux, comme vous les mets recherchés. Point de marché : il faut attendre une livre de beurre et des œufs comme une fortune et, malgré notre désir, il a fallu profiter de la permission de faire gras tous les samedis de l’année. Dans ce temps, qui est celui de la chasse, on peut trouver du daim et des oies mais, au printemps et en été, il n’y a de ressources que les viandes et poissons salés. Beaucoup de vaches, presque sans lait : la nôtre ne fournit presque que pour les trois pensionnaires et Madame Octavie qui mange avec elles ; si on l’achète, on a peine à en trouver à 12 sous la bouteille, en hiver à 25. Et avec toutes ces salaisons, nous manquons d’eau, le puits de la maison est tari ; il faut la faire venir du Missouri, à 12 sous par voyage de deux petits seaux. Tant de difficultés me faisaient songer à bâtir ailleurs qu’ici. Mais les habitants se sont réunis, ont nommé une commission avec un président, qui prennent toutes les signatures des habitants pour aller tailler des pièces de bois au communal et élever la carcasse et la couverture de notre maison que nous n’aurions plus qu’à garnir en mortier et diviser intérieurement. Ils ne lui donnent que 36 pieds de long sur 25 de large, et cela passe pour grand ici, où il n’y a que des cabanes en bois, enduites de boue qui se détache à plaisir et laisse des jours partout. Marguerite couche dans la cuisine, moi à la classe externe, mes autres Sœurs parmi les élèves, qui ne pourront être plus de dix ; elles ne sont encore que trois ; les autres sont annoncées. Nous avons en outre six externes à 15 F par mois, et 24 gratuites dans une classe séparée, qu’il faut bien se garder d’appeler pauvres, cela blesserait les parents et les empêcherait de venir. Nous voyons par expérience, comme la foi nous l’apprend, que ceux qui se perdent, se perdent par leur faute. Ces Sauvages, qui conservent de la considération pour les prêtres, pourquoi ne vont-ils pas à eux

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pour s’instruire, comme ils y vont par troupes pour demander du whisky pour s’enivrer, malgré l’état de fureur où ils savent qu’ils entreront après l’avoir bu ? Nous nous faisions la douce idée d’instruire des Sauvagesses dociles, innocentes, mais la paresse et l’ivrognerie atteignent les femmes comme les hommes et il faudrait des Pères fixés parmi eux pour les rendre hommes avant de pouvoir réussir à les faire bons chrétiens. Tout le succès du petit nombre de prêtres est d’en ramener quelques-uns et de soutenir ceux qui sont déjà chrétiens. Nous n’avons encore eu de rapport qu’avec des Métis, nés de Sauvages et de Blancs ; il y en a beaucoup à Saint-Charles. Je n’en suis pas moins persuadée que Dieu a eu ses desseins en nous amenant ici. Déjà le Sacré-Cœur brille dans plusieurs églises, car j’ai ressuscité mes talents en peinture et en fleurs ; plusieurs tabernacles sont ornés de nos mains. À Saint-Charles, personne ne savait répondre Amen à l’église ; maintenant nos externes chantent à la bénédiction et ont déjà appris des cantiques du Père Barat, surtout un au Sacré Cœur. Elles sont pleines d’émulation et de facilité. Monsieur Richard, curé et notre aumônier, était ravi le jour de la Toussaint, qui termina pour elles une retraite de trois jours. C’est un prêtre qui a été à Belley, a beaucoup de Monsieur d’Hyères, sans ses effets aussi extraordinaires1 ; il n’est point scrupuleux comme on disait2. C’est ce qu’il nous fallait, n’ayant pas nos Pères [jésuites]. Les curés voisins nous protègent bien. Celui de Florissant [M-J. Dunand], trappiste, en nous voulant, excite l’ardeur des habitants de Saint-Charles à bâtir pour nous retenir. Nous ne pouvons rester où nous sommes et il faudra bien de l’argent pour achever ce qu’on nous laisse à faire de la maison. J’ai déjà assez de peine à faire aller le ménage sur trois pensions, avec des prix exorbitants ; il faut vivre au jour le jour et ménager même l’eau pour boire, mais il y a de la consolation dans ce dénuement et cette dépendance journalière d’un secours visible de la Providence. J’en ai aussi à me voir décroître pour le corps et pour l’âme ; cela rapetisse devant Dieu et présage la fin. Je vois avec plaisir qu’Octavie et Eugénie prennent mieux que moi et je les aide seulement. Octavie tient les demoiselles ; Eugénie l’aide auprès des externes. Dieu bénit leurs travaux. Octavie a gagné pour tout depuis le départ de La Nouvelle-Orléans ; elle est exacte, fervente, et se forme au gouvernement des enfants. Eugénie tiendrait plus à ses 1 2

Il ressemble à M. d’Hyères, directeur du séminaire de Grenoble. Il a connu le P. Barat à Belley. Voir l’anecdote du naufrage dans la lettre du 9 juillet 1818.

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idées et serait plus heureuse si elle voyait que les Jésuites missionnaires, dans leurs congrégations1, avaient autant et plus de mérite que ceux qui étaient dans des collèges bien établis. On désole Monseigneur quand on lui parle de ce qu’on avait en France. Il dit : « Avez-vous cru la trouver ? Il faut l’oublier, vous ne serez jamais aussi mal que j’ai été ! ». Notre costume, notre ordre de journée, nos exercices sont absolument gardés. Il n’y a que les classes qui ont un ordre différent ; la plupart des enfants ne connaissant pas les lettres, les unes lisant anglais, les autres français, et les journalières forçant à avancer celles de l’après-dîner en s’en allant à 4 heures. Marguerite se forme à la cuisine et aux occupations extérieures. Catherine la seconde mal, par infirmité ou désir d’être autre chose ; je voudrais que vous lui en ôtassiez tout espoir. Elle n’a rien de ce qui faut pour instruire ici ; les enfants ne peuvent la souffrir. Nous faisons tant d’amis avec nos peintures et fleurs qu’il nous faudrait bien du carmin et rose végétal, papier vert, aiguilles, épingles, fil, feuilles de canon de messe – à Grenoble, c’est à rien ; ainsi que deux cingules2, une serpette, un réchaud. Nous faisons la cuisine sans crémaillère, potager, réchaud, broche, mortier, etc., etc., un soufflet pour toute la maison ; un gril coûte de 10 à 25 F ; un poêle en fonte nous coûte plus de 200 F et c’est un marché doré ; mais point de scie pour couper le bois, ni d’homme pour le faire. Si les vocations qui s’annoncent s’affermissent, il faudra un noviciat à part. J’ai la pensée qu’à la fin de cette année, la maison de SaintCharles étant bâtie et installée, les deux jeunes Dames ayant là le succès et la confiance, je pourrais mettre le noviciat à Florissant. Le curé de Sainte-Geneviève, prêtre distingué, nous prépare de bons sujets. Il s’en trouvera aussi à l’école gratuite. Je mettrais maintenant Octavie au-dessus d’Eugénie. Je crains pour celle-ci la confiance à ses idées. Cependant, si elle était supérieure, elle verrait qu’on ne peut tout ce qu’on veut. Plus de place [sur la feuille], je vous baise les mains et les pieds. [sans signature]

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Dans les associations de fidèles qu’ils animaient. Du latin cingulus (ceinturon), la cingule est le cordon ou la bande de tissu que le prêtre célébrant se met autour de la taille sur l’aube et sous la chasuble, à l’image des cordes avec lesquelles le Christ a été garrotté au jardin des Oliviers.

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[P.S. à la première page :] Des graines de légumes, de fruits, et surtout de buissons pour nous clôturer. Au verso :] À Monsieur Monsieur Louis Barat À l’école secondaire Ancien dépôt de mendicité À Bordeaux

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L. AUX RELIGIEUSES ET AUX ÉLÈVES

SS. C. J. et M.

(ce 20 novembre 1818) de Saint-Charles du Missouri1 Recommandé à St Antoine de Padoue À mes Mères, Sœurs et élèves de la Société du Sacré-Cœur, Nos souhaits de bonne année vous arriveront tardivement, mais le Cœur de Jésus qui réunit les temps comme les distances vous les rendra toujours agréables, surtout lorsque nous lui dirons que nous voulons être toutes à Lui en union avec vous. Nous ne savons pas encore si vous avez reçu aucune de nos lettres ; nous avons eu le bonheur d’en avoir plusieurs des vôtres, contenant entre autres la copie de celle des Cardinaux Litta et Fontana, qui nous ont comblées de consolations et dont j’ai déjà accusé la réception à notre Mère par Washington. Notre Père Barat nous a donné des preuves bien chères de son intérêt pour nous en nous écrivant exactement. J’ai déjà cinq de ses lettres ; la dernière est peu consolante par rapport au désir que nous aurions de le voir dans ce pays-ci. Monseigneur, en le 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copies : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane, 1818-1822, p. 24-28 ; C-VII 2) c Writings, Duchesne-Varia, Box 9, Archives de Quadrille, Bordeaux, Recueil de lettres de La Nouvelle-Orléans, de Saint-Louis et de Saint-Charles (Mères Duchesne et E. Audé), p. 32-39. Cf. Ch. Paisant, p. 215-218.

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regrettant beaucoup, n’ose engager personne à venir dans ces pays, vu les épreuves auxquelles on est soumis par le changement des mœurs, des climats, et la disette de beaucoup de choses. Mais la Providence qui regarde ces pays avec miséricorde a inspiré la pensée au supérieur de Georgetown, d’acheter des terres dans le Haut-Missouri ; elles sont très recherchées, et il passe tous les jours ici des familles américaines, surtout du Kentucky, qui vont former des établissements à Boonslick où il y a de bonnes mines de sel et il se bâtit, pas loin de là, la ville de Franklin, où les Pères mettront leur collège et de là, par petites habitations, s’étendront à 200 lieues plus loin qu’ici dans des terres où la foi n’a pas été connue. Il faut une Société pour une si grande entreprise ; ce sera la troisième en hommes qui arroseront de leurs sueurs le vaste diocèse ; les Lazaristes ont commencé leur séminaire au Barrens ou Bois brûlé, pays le plus fervent de ces contrées. Les jeunes ecclésiastiques de Monsieur Liotard commencent leur collège à Saint-Louis. On continue à croire que ces pays vont devenir considérables et que le Missouri va former cet hiver un nouvel État dont Saint-Louis sera le chef-lieu, comme La Nouvelle-Orléans l’est de l’État qui conserve seul le nom de Louisiane. À la gauche du Mississippi, on trouve l’État du Mississippi, chef-lieu Le Natchez ; celui du Tennessee, du Kentucky, chef-lieu Bardstown ; celui des Illinois, chef-lieu Kaskaskia, autrefois ville plus considérable qui avait une église en pierre, chose rare ici, et une maison de Jésuites. Quand ils furent détruits, les Sauvages du pays apprenant le départ du dernier [Jésuite] se jetèrent dans leurs canots, le poursuivirent et le ramenèrent de force, disant qu’il voulait leur père et le gardèrent au milieu d’eux. Il n’y avait de sûreté, quand on passait chez eux, que quand on avait la robe noire, et plusieurs séculiers ont été obligés de la prendre pour voyager sûrement dans les environs de Kaskaskia. Cette ville fut presque ruinée par un débordement du Mississippi ; les eaux ne s’arrêtèrent que quand un saint prêtre, qui y était, alla processionnellement au-devant des eaux, planta une croix et dit : « Tu n’avanceras pas au-delà. » Cet amour des Sauvages pour les robes noires (les prêtres) est général dans tous ces pays et même chez les Sioux, nation très barbare. Le prêtre qui les avoisine le plus vient souvent ici et m’a dit qu’ils lui fourniraient toute sa viande s’il voulait l’accepter, mais il ne veut rien tenir d’eux pour éviter la demande de whisky, liqueur de maïs, qui les met en un tel état qu’un Sauvage ivre, ici à Saint-Charles, tenait son enfant d’une main et son sabre de l’autre pour le fendre en deux ; on le poussa rudement pour saisir l’enfant qui a été baptisé. Ces malheureux

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donnent tout pour cette liqueur et vont quelquefois en troupe chez ce prêtre, à minuit même, pour lui en demander. Mais il se garde bien d’en avoir une goutte. Dans cet état de choses, il faudrait bien se garder de les apprivoiser avec nous. La Providence a ses moments. Voici la conversion de l’un d’eux, bien frappante : il était bien malade et s’entretenant avec lui-même, il disait : « J’ai été voir l’auteur de la vie (il avait déjà été fort malade, une autre fois) et il m’a dit : « Retourne, il n’est pas temps. » Mais à présent, j’irai à l’auteur de la vie. » François, iroquois chrétien qui était là, lui dit : « L’auteur de la vie t’a sans doute renvoyé pour te faire jeter de l’eau sur la tête. » Le Sauvage sioux dit : « Mais je crois bien que c’est pour cela qu’il m’a dit : retourne. » François répartit : « Veux-tu que j’aille chercher la robe noire qui te versera l’eau ? » Le Sioux : « Va vite car cela presse. » Le bon prêtre ne tarda pas d’arriver, fut content des réponses du mourant, le baptisa et il mourut de suite. Il l’enterra solennellement et baptisa son fils aussi fort malade. Cet heureux événement s’est passé près de nous. Le prêtre est Monsieur Aquaroni, Lazariste romain, un de nos zélés amis. Un autre, qui est trappiste, nous a raconté des traits semblables de l’amour des Sauvages pour lui. Il est toujours en course, en rencontre souvent et n’en éprouve rien de fâcheux. Étant allé à La Prairie du Chien, ainsi appelée parce que les Sauvages n’y ont que des cabanes de peau de daim, ambulantes et traînées par des chiens, toutes les femmes sortaient de ces cabanes, lui apportaient leurs enfants pour qu’il les touchât ; hommes et femmes coururent à sa messe, mais il ne put rien faire chez eux à cause de leurs différentes langues. Une loi sévère parmi eux est que la femme doit garder son mari quand il est ivre, sous peine de mort exécutée par le chef ou d’une amende considérable. Le mari garde aussi sa femme quand il lui laisse le plaisir de s’enivrer. Les femmes sont de véritables esclaves ; si le ménage marche, la femme aura trois enfants sur le dos et le Sauvage marche librement avec son arme. S’il tue un ours, un daim, il le laisse en place et au cas où il est trop lourd, le divise ; il va à la cabane, indique à sa femme où elle trouvera la bête et elle n’a pas de repos avant que tout ne soit à la cabane ; fût-il 10 heures du soir, il faut marcher. Nous n’avons pas à l’école de Sauvagesse proprement dite, mais des Métisses nées de Sauvages et de Blancs. Une est à notre service et sera peut-être un jour religieuse. Son père, par avarice, l’a mariée ou vendue à 12 ans ; elle n’a jamais voulu aller avec son mari, s’est toujours tenue retirée, parle très peu, est douce, pieuse et parle de se donner à Dieu.

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J’envoie un portefeuille et des souliers de Sauvages qui vous montreront leur industrie. Ils donnent des noms d’animaux à ceux qui vont chez eux ; ils appellent le curé de Sainte-Geneviève « le fils de poisson blanc » ; ils l’accueillirent un jour et, voyant derrière lui Monseigneur, ils demandèrent qui était celui-là. C’est, dit le curé, le père des Robes noires. Aussitôt, toute la troupe s’approcha et le salua, même en étant ivre. Il s’établit un grand commerce sur le Missouri avec les Sioux et autres nations. Les marchands de Saint-Louis, qui remontent la rivière dans des barges (bateaux) souffrent autant que des missionnaires ; souvent, ils n’ont rien à manger et ce voyage est de onze mois. Les catholiques canadiens sont ménagés par le gouvernement anglais qui est intéressé à conserver la population du pays. Ils ont de belles églises ; l’or brille à toutes les voûtes ; 5 communautés religieuses ; près de 500 prêtres tandis que dans cet énorme diocèse, il y en a peut-être 20 à 24. Un Iroquois canadien avait été à Florissant près Saint-Louis et mourut ensuite dans son pays dans un temps où on ne pouvait pas voyager. Son père, avec son arme, creusa du bois, le mit dedans et l’attacha à un arbre. Le printemps suivant, on lui dit que l’enfant criait : « Allons à Fleurissant ! » Son père l’y a porté de 600 lieues et a donné 200 F au curé pour la sépulture catholique. Dans une église, près des Sioux, l’autel était orné de figures de Vénus et Bacchus découpées ; maintenant le Cœur de Jésus brille sur la porte du tabernacle. [sans finale, ni signature]

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L. 5 AU P. BARAT Saint-Charles du Missouri, 21 novembre [1818]1

Mon très bon Père, Je vous mets ici une feuille pour nos chères Mères et Sœurs, que je n’ai pas le temps de continuer, car Monseigneur part aujourd’hui 1

Copie. C-VII 2) c Philippine’s writings (varia) Box 9, Archives de Quadrille, Bordeaux : Recueil de lettres de La Nouvelle-Orléans et de Saint-Louis, 1818-1819, p. 39-41. Cf. Ch. Paisant, p. 218-

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et nous demande nos dépêches pour les remettre au steamboat, qui cependant sera peut-être longtemps à repartir, ne pouvant remonter dès avant l’embouchure de l’Ohio à cause des basses-eaux. Nous attendons avec impatience la caisse que vous nous annoncez et les lettres qui, j’espère, l’accompagneront. Celles que vous avez déjà écrites nous comblent de reconnaissance. Pour ne pas me répéter, je vous prie de lire la feuille pour mes Mères et mes Sœurs. Monseigneur est ici depuis 18 jours pour l’affaire de notre établissement. Les habitants veulent nous fournir des bois, mais le terrain qu’on nous offre laisse des inquiétudes sur la solidité de sa donation. La commune le croit à elle ; d’autres disent qu’elle est terre du Congrès qui pourrait l’adjuger à d’autres ; il ne le donnerait pas à une communauté ! Je penche cependant à rester à Saint-Charles pour ne pas manger sur le chemin et en voiture tout ce qui nous reste, pour n’être pas mieux qu’ici à Fleurissant. Nous avons bien profité du séjour de Monseigneur. Il a fait la distribution des prix, et il y a tellement pris goût qu’il veut revenir après Pâques les donner encore et examiner les progrès, ainsi qu’à la fin de l’année. Il nous a toutes confessées et va nous faire renouveler nos vœux. Les glaces ou débordements du Missouri nous privent de le voir tout l’hiver. En nous parlant aujourd’hui en commun, il nous a dit qu’il mettrait le plus grand soin à ce que la règle fût exactement suivie sans altération, et qu’il regardait notre arrivée dans son diocèse comme un grand bienfait de Dieu, qui promettait les plus grands fruits. Je sens toutes les épines du gouvernement et de la situation où nous sommes. Cependant j’ai la paix et suis disposée à perdre l’espoir du martyre de sang trop glorieux, pour gagner celui des peines, contradictions, humiliations. Je vous envoie notre prospectus, changé depuis que Monseigneur l’avait arrêté avec nous. Une phrase m’a fait beaucoup de peine ; vous la verrez, Monseigneur s’explique en disant que l’Église défend de baptiser une enfant d’un infidèle sans la permission des parents, excepté en danger de mort. Il faut vous quitter, mon digne Père. Qu’il serait doux de vous revoir ! Nous chantons et apprenons vos cantiques ; Monseigneur les a beaucoup goûtés. Mes respects à MM. Debrosse, Wrints, Mme Vincent et à sa chère famille. Je suis dans le Sacré Cœur votre fille. Philippine Duchesne 219.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 122

L. 9 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Saint-Charles, ce 16 décembre 1818 Recommandé à St Antoine de Padoue1 Ma bien bonne Mère, Il n’y a que quelques jours que j’ai envoyé à La Nouvelle-Orléans des lettres de moi et de mes sœurs pour notre commune Mère à Paris. Elles ont été remises pour le consul de France, par qui elles ont dû parvenir. Maintenant, le frère d’une de nos élèves allant à Philadelphie, je profite de sa bonne volonté pour vous écrire par cette voie qui sera plus courte. Cependant j’ai été bien heureuse : votre lettre, celles de nos mères et des élèves, en date du 6 juillet, et parties de France en même temps qu’une du Père Barat, en date du 31 août, nous sont parvenues. C’est moins de trois mois et demi. Vous n’aviez pas encore de mes lettres mais, de Bordeaux, on m’annonçait l’arrivée de toutes celles écrites à La Nouvelle-Orléans ; ce qui me fait penser que vous avez dû aussi recevoir les autres en leur temps. Toutes ces nouvelles de France nous comblent de joie et allègent les peines de l’absence. Je vous remercie du journal d’Aloysia et surtout des détails sur les deux nouvelles fondations. Dieu est bien bon de faire croître cette plante de la Société. Vous voyez que la Louisiane ne vous a fait aucun tort ; nous n’étions bonnes que pour les pays à demi-barbares. Je ne sais quel nom donner à celui où nous sommes, habité par un mélange d’Américains émigrés de l’Est, de Créoles d’origine canadienne et française, d’Allemands, d’Irlandais, de Flamands, de Français et enfin de Métis, nés de Blancs et de Sauvages qui réunissent les maux moraux des deux espèces. Quant aux Sauvages purs, nous n’en voyons point ; depuis l’extension des Américains de l’Est et leurs guerres avec les Sauvages, ils se tiennent plus éloignés ; et il faudra des Jésuites pour nous les amener comme à Marie de l’Incarnation. Nous les attirerions plus sûrement avec de la liqueur qu’avec nos sermons. Ils donnent tout pour en avoir ; mais en conscience, on ne peut leur en offrir, vu l’état de fureur où elle les met et qui rend leur approche fort dangereuse. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 122



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Dieu permet que certaines lueurs de religion procurent de loin en loin des conversions, mais c’est rare. L’abrutissement est général et la diversité des langues, l’énorme distance du pays, les difficultés des routes rendent encore tout rapprochement impossible pour le moment. Dieu, qui nous voulait ici, a permis que nous vissions des Sauvages, mais il met à leur place des personnes qui ont les mêmes besoins et dont l’instruction peut procurer de plus grands biens en nous offrant des sujets. Nous voyons déjà naître bien des vocations et celles des Sauvagesses seraient nulles ; leur paresse, leur vie libre, ennemie de toute gêne, leur difficulté pour acquérir un certain degré d’instruction, ne donnent qu’un espoir bien éloigné d’en avoir parmi nous. Dans la classe externe, nous avons plusieurs Métisses et Mulâtresses ; les autres sont Créoles ou Américaines. À l’école externe ou gratuite, elles parlent toutes français ; à l’autre, français et anglais. Nous venons de recevoir notre première postulante, Mlle Mary Mullen, qui a été élevée dans deux communautés, à Baltimore et au Kentucky. Elle n’entend que l’anglais et je désespère de le parler et de le bien entendre ; lire et comprendre ce qu’on lit, l’écrire même est peu, c’est la prononciation qui est rebutante. Mère Octavie y vient assez bien, Eugénie plus mal. Je vous prie de faire passer cette lettre à ma Mère Barat. (Deux lignes ont été supprimées) Je vous remercie de vos offres. Rien n’est à refuser dans un pays si dépourvu, surtout quand, étant établies en communauté et pensionnat, on ne peut vivre en pauvres. Nous avons eu le bonheur de manquer de pain et d’eau. Je m’étais attendue à la première privation mais n’imaginais pas qu’au bord du Missouri, nous puissions, en voyant couler ses abondantes eaux, en manquer nous-mêmes ; mais ne pouvant l’y aller prendre, personne ne voulait nous en apporter réellement. Marguerite est revenue aujourd’hui, rapportant de deux sources un seau à moitié plein et de la glace dans l’autre. Le Missouri est presque tout gelé ; il fait si froid que l’eau gèle à côté du feu, de même que le linge qu’on met devant pour sécher ; ni portes ni fenêtres ne ferment et personne dans le pays ne sait faire un chauffe-pied ; on ne l’aurait pas à moins de 25 ou 30 F ; un petit poêle nous revient à 250 F. Nous avons du bois trop gros, personne pour le refendre ; point de scie pour nous aider à le couper. La paresse est le vice du pays ; ce sont les mœurs (mot déchiré en décachetant la lettre) ; on ne travaille que pour le besoin du moment et on a trop (mot déchiré) pour paraître mercenaire. Aussi, on ne trouve pour nourriture que maïs, porc et pommes de terre ; ni œufs, ni beurre, ni huile, ni fruits, ni légumes.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Voici donc, ma bonne Mère, ce qui nous serait plus utile, et toujours moins cher qu’ici : des graines de fruits et légumes de toutes espèces, et des graines pour élever des buissons pour clôture ; les outils qu’avait Jean-François, mis en caisse, un petit poêle de tôle et les tuyaux en feuilles pour tenir moins de place ; quelques livres d’anglais sur la vie religieuse, l’histoire sainte, etc. On trouve les livres à Bordeaux ; et pour éviter les ports, si vous n’avez plus les outils, il vaudrait mieux charger Jean-François d’acheter et de tout emballer à Bordeaux. Une caisse de vin pour la messe serait encore bien précieuse pour nous ; et de l’huile d’olive ; il n’y a aussi aucune huile maigre et celle d’ours est détestable aux gens, mais si vous pouviez nous en procurer pour qu’elle ne se répandît pas (la ligne a été coupée). Je ne sais comment nous nous tirerons du carême : poisson sans huile et sans beurre, pas un œuf jusqu’au beau temps. Nous sommes contentes dans cette disette. Il n’est pas une chose apportée de France ou de la Nouvelle-Orléans qui ne nous ait été de la plus grande utilité. Je ne sais trop comment j’écris ; c’est la pleine nuit et demain, je ne serai plus à temps. Je ne puis répondre à tant d’aimables lettres que j’ai reçues. Veuillez me suppléer, surtout auprès de la Mère Bigeu, qui a dû avoir plusieurs de mes lettres ; cependant j’en soupçonne de perdues par Washington car, demandant l’adresse du supérieur du collège des Pères Jésuites, on m’en a donné une autre qui était fausse. Fiat. Mes sœurs se portent assez bien ; j’en ai parlé plus en détail à notre Mère. Je suis sans contredit la plus mauvaise ; Octavie et Eugénie sont bien vertueuses. In Corde Jesu, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau À Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble France Département de l’Isère

Lettre 123

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L. 9 À MADAME DE ROLLIN, RUE DES VIEUX JÉSUITES, GRENOBLE

SS. C. J. et M.

18191 Ma bien bonne cousine, Parvenue au terme de notre voyage, je m’attendais bien que ta tendre amitié m’y suivrait, elle m’y est aussi précieuse que lorsque j’en goûtais toutes les douceurs quand tout nous rapprochait dans notre enfance, et jamais je n’oublierai ma première et plus intime amie. Nous sommes toutes contentes parce que nous avons trouvé la croix que nous cherchions, mais comme il n’y a de vraies croix que lorsqu’il n’y a pas de choix, Dieu nous a préparé des épreuves auxquelles nous ne nous attendions pas : nous croyions trouver des ignorantes dans l’innocence et nous rencontrons des enfants dont les pères sont livrés à l’ivrognerie et à la paresse et les mères à l’amour de la parure et des danses, indifférents à ce que leurs enfants en sachent plus qu’eux. Mais les enfants s’attachent invinciblement à nous, ce sont eux qui sollicitent pour venir à l’école et qui pleurent pour l’obtenir. Nous ne pouvons les former au travail ; elles n’ont aucune matière : une poignée de coton à tricoter coûte 5 F, les dés, fil, aiguilles à de hauts prix ; et lorsque nous aurions du logement pour les retirer de tout danger, nous sommes hors d’état de leur fournir de l’occupation, ici où tout est pauvre, chacun faisant sa chemise, sa robe, même ses souliers, et il faut parler de tout cela presque au singulier, tant on est dépourvu. Nous avons un loyer de près de 2 000 F dans la seule maison qu’on ait pu trouver libre, ce pays s’habitant nouvellement n’est point bâti. Les frais de voyage ayant été énormes, il nous reste 5 000 F pour bâtir une petite maison qui en coûtera 15 000, sans un premier étage, tout étant si cher, surtout la main-d’œuvre. L’évêque nous donne le sol pour le jardin et la maison, avec une cabane pour les externes. L’opinion nous est bien favorable à Saint-Louis, nous allons nous en rapprocher en quittant cette location. 1

Copies of Letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 9 ; Cahier Lettres à Mme de Rollin, p. 18-21 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Puisque que tu me dis de te confier mes peines, voilà celles qui me pèsent sans me décourager, car l’opinion nous devenant toujours plus favorable à Saint-Louis, nous y aurons assez d’élèves pour rendre ce que l’on nous prêterait ; vois si tu peux nous procurer quelque chose que je rendrai le plus tôt possible. J’ai donné à Madame Barat l’adresse d’un banquier de Philadelphie qui a son correspondant à Saint-Charles, qui nous rend mille services ; cette voie serait la plus courte et la plus sûre. L’hiver a été doux pour ce climat ; néanmoins, il y a eu dans toute cette petite ville disette de pain, il a fallu nous en passer quelque temps et souffrir aussi la disette d’eau qui manque dans notre local ; il fallait aller au Missouri en chercher. Mais aucun Blanc ne veut servir ici et nous ne sommes pas assez riches pour acheter des esclaves ; nous soignons nous-mêmes notre vache, nos poules, bêchons le jardin, allons à l’eau quand il y a une source près de notre habitation, sinon il faut la payer. Ne crois pas que tout cela nous coûte ; ce qui me coûte, c’est de ne pouvoir jamais atteindre ces petites Sauvagesses, objets de tous mes vœux, mais il faut les prendre dès 4 ou 5 ans pour prévenir les vices qui, passé cet âge, les abrutissent totalement : les pères et les mères sont tous passionnés pour les liqueurs, ils donnent tout pour une bouteille de kirsch. Si un pensionnat nous forme un revenu, nous nous en ferons donner dès le bas âge par les parents ; on ne pourra les instruire qu’en s’en chargeant entièrement et les logeant. Croirais-tu que dans la classe créole de toutes nations, il y a proportionnellement plus de luxe et de corruption qu’à Paris ? Je te remercie des détails sur ta famille et la mienne ; exprime mes sentiments à tous, surtout à ma tante, ton mari, M. et Mme Perier, à mon frère et à ma belle-sœur. J’ai envoyé à mon frère, en partant de Paris, mon certificat de vie pour retirer ma rente toute due de 1817, et je viens maintenant de lui en faire passer un nouveau pour retirer celle de 1818. Je ne sais si on l’acceptera ; d’ici à un an, j’en serai informée ; demande à mon frère s’il a reçu ces deux pièces en l’assurant de ma tendre affection. Tu sais combien je te suis dévouée, ma bonne cousine. Tout ici me rappelle tes bienfaits, notre chapelle surtout en est toute parée. Toute à toi en Notre Seigneur Jésus-Christ, Philippine Duchesne

Lettre 124

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L. 20 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles (Missouri territory) 25 janvier 18191 Recom. à St. Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Ma dernière lettre est de la fin de novembre ou commencement de décembre. Je crains qu’elle ne vous ait donné quelque inquiétude sur notre situation et sur l’état de mon cœur qui, grâce à Dieu, est content dans les épreuves, et il lui faut même peu de générosité, car la bonté de Dieu et sa Providence se montrent partout. Car d’abord, les dispositions de Monseigneur à notre égard sont bien favorables, comme vous en jugerez par la copie de deux de ses lettres. Voilà ma Sœur Catherine bien déroutée ; quelque étonnante qu’ait été sa proposition à Monseigneur, elle ne m’a pas surprise2 ; il y a plus de dérèglement dans son imagination que de mauvaise volonté dans son cœur ; elle veut être apôtre, et s’appuie pour son instruction sur l’opinion de M. de la Marche3 et, pour la vérité de son inspiration, sur le Père Sellier, enfin sur votre promesse, pour la destination à l’éducation. Pour apaiser cette fièvre de désir, elle a une Mulâtresse esclave à instruire, et fait encore dire la lettre du catéchisme en faisant la surveillance de l’étude à une ou plusieurs qui, ne sachant lire, ne peuvent étudier qu’à force de répétitions de la part d’une maîtresse ; enfin, elle fait chanter une demoiselle qu’on veut former à le faire dans une paroisse voisine. Tout cela ne la contentait pas ; cependant, le jour de l’an, elle a fait de bonnes résolutions et, Marguerite étant en retraite, elle la remplace de bonne grâce en ce moment. Mais, comme on ne peut répondre des effets de sa santé sur sa tête, et que je lui vois une ténacité pour tout ce qui a été mis à son usage, je vous prie de me marquer, le plus promptement possible, si vous ne l’avez déjà fait : 1°) Si vous approuveriez qu’elle fît un établissement seule, en tenant à la Société ; je crains quelque écart qui lui nuise. 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 108, p. 185-193. Cf. Ch. Paisant, p. 224-228. Elle s’est proposée comme maîtresse de classe ou directrice d’un externat à Saint-Louis. M. de la Marche a été l’aumônier de la communauté de Cuignières. Il était, avant la Révolution française, celui des Carmélites de Compiègne.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

2°) Quelle prétention elle aurait sur ce que nous avons apporté de France. 3°) Quel rapport il faudrait avoir avec elle. Dieu me préserve d’être jamais témoin d’une séparation de ce genre, mais comme sa lettre et celle d’Eugénie vous prouveront qu’elle y a songé, j’ai besoin d’être guidée. Ses rapports avec Marguerite ont nui à celle-ci ; à la suite de conversations dont j’ai été instruite, elle ne cessait de se lamenter de ses embarras et son refrain était, au sujet de la cuisine : « Il faut y être pour le savoir. » Eugénie a été au moment de prendre sa place et j’ai cherché sérieusement à la prendre moi-même, si les regards des enfants, une réputation de lésinerie ou de pauvreté, si enfin la nécessité d’aider Octavie ne m’eussent arrêtée. Elle sait si mal prendre son temps qu’un seul trait vous le prouvera. Elle vint un jour à table à midi, voile baissé. Je lui demandai pourquoi il était ainsi, elle me répondit qu’elle n’avait pas eu le temps de le relever depuis la messe (à 7 h). Cela s’appellera ce que vous voudrez. Mais il est sûr que le temps très radouci, l’eau qu’on nous porte en charrette, le pain qui ne nous manque plus et qui est fait par un boulanger de Paris, le bois qui est abondamment sous sa main, la viande qui n’a pas manqué rendent notre situation plutôt aisée que pénible et ce serait être bien ingrate de s’en plaindre. J’espère même pouvoir nous suffire au maigre du carême ; j’ai pu avoir du beurre et des œufs. Mais il est bon de s’instruire par l’expérience et de savoir qui nous est propre. Ces bonnes Sœurs seront bientôt hors de service. Marguerite, par lenteur, gaucherie, manque d’y voir. Catherine, par défaut de santé car, à tout ouvrage, elle peut opposer ou rhumatisme, ou faiblesse de reins, ou poitrine, ou estomac, ou yeux. C’est aussi pourquoi elle dit qu’elle n’est pas propre aux travaux des coadjutrices. Cependant je la crains aux enfants et bientôt devant les postulantes, par certains gestes et propos qui décèlent le cœur : repousser à table avec chagrin ce qui lui déplaît, en parlant du chant, dire : « Je n’ai que cela dans le monde. » Mère Octavie souffre de ses palpitations et quelquefois de sa poitrine par trop d’exercice car, à des enfants qui ne peuvent étudier seules, il faut toujours parler. Cependant elle est très gaie et son âme s’est dilatée au point que, loin de craindre la sainte communion, elle la désire et la fait plus fréquente, et la mérite par sa fidélité ; les enfants la chérissent et tous ceux qui la voient. Il en est de même de ma Sœur Eugénie ; tous ses nuages se sont dissipés. Par la lettre de Monseigneur, vous voyez qu’il tient à Florissant et ayant interdit au prêtre qui mettait en train la souscription pour nous bâtir ici [le P. Dunand], d’y venir aussi souvent. Je vois que tout se passera

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en promesse si les habitants ne sont stimulés et personne ne le fera que celui-là, par zèle pour nous et par la connaissance qu’il a des habitants. Voici les pensées que je vous soumets à cet égard : de bâtir ici, avec ce que nous pourrons recueillir des matériaux promis, une toute petite maison pour y conserver l’instruction à des externes, les unes payantes et fournissant l’entretien des trois personnes consacrées à l’œuvre, les autres gratuites. Ce pays, de longtemps, ne fournira de pensionnaires ; on est trop pauvre et trop paresseux pour ne pas l’être jusqu’au renouvellement de la génération. L’actuelle est presque toute métisse, sang mêlé de Sauvages qui ne font jamais rien que goûter l’indépendance. À cette œuvre seraient attachées pour un temps Mère Eugénie, Marguerite et une postulante américaine [Mary Mullen] pour celles de cette langue. C’est [une] personne qui est trop peu maniérée pour les pensionnaires qui s’en moquent. Quand on aurait pu former une maîtresse pour les externes payantes, on retirerait Eugénie et Marguerite resterait à la tête. Mère Geoffroy l’avait destinée pour Sainte-Pezenne, qui vaut notre ville, et elle, qui n’est pas propre à agir, le sera à instruire et porter à Dieu. Le plus important, pour votre famille de ces pays, serait une supérieure ou maîtresse des novices qui possédât bien l’anglais ; autrement, il sera difficile de former des sujets et ils ne recevront en détail qu’une formation étrangère. Mère Octavie, la plus avancée, souvent n’entend pas ; et, pour des élèves religieuses, est trop sensible au plaisir d’être aimée. À mon âge, dit Monseigneur, on n’apprend jamais bien l’anglais. Je hasarde quelques phrases à notre postulante, je l’écris, mais je ne la comprends pas lorsqu’elle parle et Mère Octavie, pas toujours. J’irai donc à Florissant avec Octavie, qui a tout l’amour des pensionnaires et plus de talents qu’Eugénie ; car nos enfants étant de Saint-Louis, tous les parents voudront les rapprocher. D’ailleurs, étant celle qui connaît le mieux les deux langues réunies, elle est aussi le plus en état de les enseigner, soit aux Françaises qui apprennent l’anglais, soit aux Américaines qui apprennent le français. Le même pourra se dire d’elle par rapport aux novices ; je le vois sur notre postulante, sujet très médiocre et sur laquelle on ne pourra se prononcer que quand on s’entendra mieux. Lire, écrire et parler sont moins difficiles que d’entendre cette langue anglaise. Il faudra, à en juger par ce que nous voyons, être content à bon marché. L’habitude de la négligence, de la paresse, de l’ignorance, de la vie des sens, rend notre saint état difficile à être conçu ; telle qui paraîtra un ange à son confesseur, ne saura rien faire ni souffrir, garder le coin du feu, prendre le café, le thé, tout laisser en désordre plutôt que d’agir ; voilà le caractère qu’il faut surmonter. Nous aurions plus

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

d’espoir dans les élèves pensionnaires de caractère français ; l’une vous appelle sa Mère et votre digne frère son Père ; une autre ne respire que pour saint François Xavier et, ce qui est étonnant, avant d’avoir connu sa vie ; une autre, à la prière, va toujours se presser contre le tableau de saint François Régis, etc. Le trousseau des Américaines peut se juger par celui de la première : deux mauvaises chemises, deux petits draps, deux mauvais mouchoirs, une paire de bas, des souliers. Un bas s’étant perdu, plutôt que de le chercher, elle vint à la messe, un jour très froid, avec un seul bas. Nous l’avons un peu activée, mais elle n’est pas connue sur le fond de sa vocation. Autant ici les pères et mères sont répugnants par la paresse, l’ivrognerie, l’amour des bals, qui ne manquent pas toutes les semaines et sont donnés par des gens qui manquent de tout, autant il y a d’espoir dans les enfants, elles nous aiment par inclination. Une protestante voulant se convertir, ne veut pas d’autres marraines que nous ; deux Négresses esclaves et intelligentes sont venues d’elles-mêmes se faire instruire. Vous auriez été touchée de toutes leurs manières, de leur admiration devant la Sainte Vierge à la chapelle ; elles ne savaient pas même le Pater, ni dans quelle religion elles étaient nées, ni si elles étaient baptisées. Elles n’entendaient que l’anglais. Ne vous étonnez pas, ma bonne et zélée Mère, si nous voulons nous mettre en deux et même en quatre pour conserver le bien commencé ici, et en aller faire un plus grand près de Saint-Louis, centre de l’État qui va être formé dans le Missouri (celui des Illinois est séparé de nous par le grand fleuve). Nous y serons plus près de la source des secours, dans le vœu de notre évêque, et rapprochées de Monsieur Martial qu’on dit remonter maintenant le Mississippi avec les écoliers de La Nouvelle-Orléans qu’il amène à l’académie que Monseigneur forme à Saint-Louis, et dont Monsieur Martial sera le chef. Nous ne pouvons attendre votre réponse pour commencer la maison, ici ou à Florissant, mais nous le pourrons pour notre destination particulière au 1er septembre ; encore faudra-t-il être bien servies par la navigation. J’espère que Monsieur Martial nous apportera la caisse que votre bon frère nous a annoncée ; il nous tarde de l’avoir, surtout à cause des lettres. Nous avons eu un paquet de Quimper, contenant quatorze lettres des pensionnaires à Eugénie, qu’à peine elle a lues, et cependant je crains de nous trouver des comptes énormes à Saint-Louis, que nous ne puissions acquitter1. Si vous vouliez bien que les lettres qui peuvent 1

Le prix du port est à la charge du destinataire.

Lettre 125



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attendre fussent mises dans des caisses qui peuvent nous venir de temps en temps ; il n’est pas rare ici qu’une lettre coûte 15 F et pour nous en procurer 60, nous avons vendu de nos hardes neuves ; cependant elles nous sont bien nécessaires, tant pour nous que pour nos postulantes déshabillées. Ma dernière lettre est partie par Philadelphie, celle-ci prendra la même route ; et si vous voulez y envoyer la réponse, voici la répétition d’une adresse sûre : Messers J. et G. COLLIER, St Charles, Missouri territory. To the care of Messers FASSILL et LANGSTROTH. South-West corner of Market and Second Street. PHILADELPHIA. Un vaisseau de France allant à Philadelphie met tout au plus un mois et un second nous amènera votre réponse. [sans finale ni signature]

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L. 21 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles, Missouri Territory, ce 15 février 18191 Rec. St Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Il n’y a que peu de jours que je viens de recevoir de La Nouvelle-­ Orléans une lettre datée de quatre mois de Monsieur Martial qui va monter à Saint-Louis, et une de Monseigneur écrite depuis six mois2 ; mais elle peint si bien ce qu’on peut se promettre dans ce pays-ci, que j’ai pensé qu’elle vous intéresserait. La seconde toute récente concerne notre transport à Florissant3. Il a fallu voir un hiver ici, et encore un 1 2

3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 109, p. 193-202. Cf. Ch. Paisant, p. 228-233. « Quand vous serez ici, vous verrez que, dans toute la Haute-Louisiane, je n’aurais pu trouver une situation plus convenable pour les commencements. (…) Il faut défricher avant de cultiver », 28 juin 1818, C-VII 2) c Duchesne to various Eccles., Box 8. Lettre du 29 janvier 1819 : « J’approuve entièrement votre plan de diviser votre établissement et de ne laisser à Saint-Charles qu’une école d’externes, sous la conduite de Mère Eugénie, de votre bonne Sœur et de Mlle Mullen. Votre pensionnat sera beaucoup mieux, sous tous les rapports, à Florissant. » Idem.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

hiver des plus doux, pour sentir que, pour le moment, nous ne ferions qu’y végéter sans y faire un bien qui peut s’offrir ailleurs. Mais il en coûterait d’abandonner tant d’enfants intéressantes et dont plusieurs seront au Cœur de Jésus, et il me paraît nécessaire de laisser pour le moment ma Sœur Eugénie. Dans peu, Marguerite, qui sera avec elle, suffira pour gouverner cette école externe, avec de jeunes personnes pour l’aider. Il se parle de plusieurs et, en attendant, la postulante actuelle [Mary Mullen], qui se forme, suffira bien pour l’anglais et pour interpréter, elle a encore six mois pour s’accoutumer au français dont l’étude la développe. Mère Eugénie est chérie de son école. Elle vient de faire sa retraite et elle a été reçue avec des larmes de joie, qui ont fait couler les siennes ; et depuis qu’on dit que peut-être nous nous en irons, plusieurs des grandes disent : « J’aurai bientôt fait mon paquet aussi » ; et les plus jeunes sollicitent qu’on les emmène, disant qu’elles l’ont demandé au Cœur de Jésus. Si nous n’étions pas si à court, il y aurait un grand bien à faire de se charger de plusieurs, mais que faire sans logement et sans provisions ! Nous ne pouvons rester dans cette maison où une chambre, comme le salon de Paris, et six cabinets coûtent par an près de 2 000 F. Monseigneur s’était bien trompé, croyant que nous pourrions loger 25 pensionnaires : pas même 10, en défaisant les lits tous les jours le matin. Le pays au-dessus du Missouri ne pouvant fournir aucune pensionnaire payante, on ne peut faire ici qu’une école externe et avec peu de monde ; on n’y vivrait pas. L’orgueil cache la misère, mais nous voyons ces pauvres enfants affamées, venant souvent nu-pieds par de fortes gelées, sans autre vêtement qu’une robe de toile très claire, sans rien dessous. Vous voyez, ma bonne Mère, que forcées de renoncer à un pensionnat ici, il était douloureux de n’y laisser aucun secours pour des enfants dont on peut tirer bon parti. En quatre mois, plusieurs ont appris à lire, écrire, tout le petit catéchisme, nombre de cantiques, les prières de la bénédiction, elles y font tous les frais ; le prêtre, avant, n’avait personne qui dît : Amen. J’espère que vous approuverez ce que Monseigneur désire bien fort. Le 14, hier, a été une heureuse journée. Monsieur Portier1, jeune prêtre, venu avec nous de La Nouvelle-Orléans, nous fait demander 1

Michel Portier (1795-1859), né à Montbrison (France), ordonné prêtre par Mgr Dubourg en 1818, a accompagné Ph. Duchesne et ses sœurs de La Nouvelle-Orléans à Saint-Louis, en juillet-août 1818. Il a exercé son ministère dans le Missouri jusqu’en 1825 puis il fut nommé vicaire apostolique des Florides et de l’Alabama. En 1829, il fut le premier évêque du diocèse de La Mobile, y resta jusqu’à sa mort.

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place pour plusieurs pensionnaires et annonce sa mission à La Nouvelle-Madrid, petit village, foyer de tremblements de terre qui se font sentir jusqu’ici, et où nul prêtre n’est allé depuis vingt ans. Monsieur Delacroix1, autre jeune prêtre flamand, notre confesseur extraordinaire, vient du Haut-Missouri, pays qui n’avait jamais vu de prêtre. Il y a là deux établissements : l’un à la Côte Sans Dessein2, qu’il a consacré à saint Paul apôtre et où il y a 22 familles ; l’autre à Boonslick ou Franklin, qu’il a voué à saint François de Sales. Il y a donné une mission ; tous les catholiques en ont bien profité et les protestants sont venus l’entendre. Plusieurs promettent de laisser apprendre le catéchisme à leurs enfants. Un catéchiste a été nommé. Monsieur Delacroix nous a confirmé ce que nous avait dit Monseigneur, [à savoir] que les Pères [Jésuites] de Georgetown vont acheter là des terres et y travailleront à la Gloire de Dieu. Le champ est immense, mais la population rare et pauvre ; j’y porterais mes vœux si l’anglais n’était la seule langue qu’on y puisse parler. Je reviens au 14, où j’ai reçu quatre lettres : une de M. Petry, consul de France à Washington, qui m’offre ses services pour faire passer mes lettres, et j’en profite aujourd’hui. Sa lettre est des plus polies, mais de trois mois de date. De Grenoble, journal de cinq ; de la Mère Bigeu, de quatre mois. Tout était joie en les lisant. Il semble que ces chères lettres, en nous liant à la Société entière, nous lient aussi davantage entre nous, nous rappelant la grâce que Dieu nous a faite dans la Société de son Cœur. Mère Bigeu ne me donne aucun détail et me parle des lettres antérieures que je n’ai point reçues, mais que j’espère. Je me flatte qu’il y en a de vous dans le paquet ; vous ne nous laisseriez pas sans cette consolation. Mon Père Perreau montre qu’il est toujours père, je suis bien toujours sa fille, car je ne trouve par qui le remplacer et ne l’espère pas. Cette solitude du cœur, qui ne trouve rien sur terre qui lui réponde, force à se jeter dans le Cœur de Jésus. Remerciez ce bon Père de sa lettre3, qui a près de six mois de date, de la joie qu’il nous procure par 1

2 3

Charles Delacroix (1792-1869), né en Belgique, ordonné prêtre en France, est arrivé le 4 septembre 1817 à Annapolis, avec Mgr Dubourg, et à Saint-Louis en janvier 1818. Nommé économe, il logea à la ferme, la quitta pour la laisser aux sœurs, car leur maison n’était pas achevée. Mgr Dubourg le désigna ensuite curé de Florissant. Ses voyages vers les missions indiennes lui altérèrent la santé et en juin 1823, il descendit en Louisiane, à Saint-Michel, y construisit une église. En 1824, il proposa aux religieuses du Sacré-Cœur de s’y établir, ce qu’elles réalisèrent en 1825. Il est retourné définitivement en Europe en 1839. La Côte Sans Dessein était alors un village commercial en expansion, situé le long de la rive nord du Missouri, en face de la rivière Osage, à environ 12 milles de Jefferson City. L’abbé Perreau répond aux questions de Philippine concernant : un établissement à la campagne, l’indépendance temporelle, l’admission de personnes de couleur au pensionnat et au

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cette troisième bénédiction du Saint-Père et par l’espoir du Bref pour la confrérie du Sacré-Cœur, qui nous sera bien précieux. L’admission des personnes de couleur n’est pas praticable pour le pensionnat, c’est décidé par Monseigneur et il s’appuie sur l’évêque de Baltimore [Mgr Carroll] qui lui avait dit que ce dédain pour elles était un préjugé ; mais un préjugé qu’on devait conserver comme la dernière sauvegarde des mœurs. Dans ces pays, les Sauvages marchent de pair avec les Blancs quand leur sang n’est pas mêlé, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait les prendre à quatre ou cinq ans, pour que les petites filles ne fussent pas déjà abruties, et puis il faudrait loger et nourrir, quel bien à faire ! Et point de moyens. Quant à la clôture, dans tout le pays depuis 500 lieues, il n’y a pas un seul mur, on fait des barrières en bois qui garantissent mieux des animaux que des hommes ; toute notre clôture est de rester chez nous, mais on y entre tant qu’on veut et on se fait des entrées sans nous. Il faudra être chez soi pour se régulariser ; dans cette maison, il est impossible. Malgré que nous habitions un pays presque inculte, nous n’y avons pas un pouce de terre ; elles sont toutes ou communales ou au Congrès qui n’a rien statué de définitif ; on ne peut donc bâtir avec assurance que sur des fonds acquis de particuliers et ils sont chers. Nous n’avons donc pas besoin des personnes que Monsieur Perreau a en vue. Je ne sais point s’il n’y en a pas déjà à Florissant, car ce sont des Flamands qui vont cultiver des terres qu’y a acquises Monseigneur1, et dont il nous donnera une portion pour maison et jardin, seulement pour le pensionnat. Si nos Sœurs nous voient environnées de Sauvagesses, elles se trompent bien. Je n’en ai vu que de vieilles qui font leur première communion à 50 ou 60 ans, quand l’âge des passions est passé. Mais, en revanche, je fais des métiers nouveaux, ainsi que Mesdames Octavie et Eugénie : nous bûchons le jardin, portons le fumier, menons boire la vache, nettoyons sa petite étable, la seule du pays où tous les animaux errent à l’aventure ; et c’est avec autant de joie que si nous instruisions, puisque Dieu le veut ainsi et que notre disette et la délicatesse des

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noviciat, les vœux de religion, la clôture, la division en deux maisons. Sur ce dernier point, son avis est contraire à celui de Mgr Dubourg : « Je crois que vous devez tenir singulièrement à deux choses, même à l’égard de Monseigneur : 1°) à avoir tous les jours, au moins le matin, un ecclésiastique dans votre établissement ; 2°) à ne pas former à présent deux maisons, comme il paraît qu’on le désirerait, d’après votre correspondance. (…) Il vaut mieux ne point faire d’abord tout le bien qui se présente, quand on s’expose par-là à le finir mal, et pour soi, et peut-être pour les autres. » C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettre du 29 août 1818, Cahier N° 92, p. 17-24. Mgr Dubourg a fait appel à la Société des Frères cultivateurs.

Lettre 125

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habitants empêchent de trouver des domestiques. Catherine a le rhumatisme dans la tête ; Marguerite est si étrangère pour l’extérieur qu’elle est toute déroutée. Elle fait bien à l’école, et ce serait sa place si nous pouvions avoir une cuisinière. Je vous en parle dans ma dernière du 25 janvier, qui contient aussi deux lettres de Monseigneur. Les lettres de Sœur Marie de l’Incarnation peuvent donner une idée de notre pays, peuplé, il y a quarante ans seulement, par des Canadiens ; aussi les premiers habitants parlent tous français. Le ministère a peu de succès et il coûte bien des peines. Un prêtre, ne pouvant vivre dans une de ces paroisses, où il y a bal trois fois la semaine et où on le laissait mourir de faim dans une pauvre cabane, s’est retiré dans une autre paroisse, cet hiver, chez le principal habitant qui a deux lits : un pour père et mère, un pour le prêtre ; tous les enfants couchent sur des peaux à terre. Ce prêtre était donc dans une des chambres, sans feu, sans croisée, des planches brutes bouchant les fenêtres, ayant les cris des enfants le jour et la nuit, obligé d’être au feu de la cuisine, ne pouvant rien faire par un froid qui gelait le vin, et avec mal aux yeux. Par-dessus cela, n’ayant aucune des consolations du ministère, personne à sa messe les jours ouvriers et douze ou quinze le dimanche, etc. Mgr Flaget, évêque du Kentucky, fit plusieurs centaines de lieues pour se trouver à une conférence entre les Américains et les Sauvages, pour faire agréer à ceux-ci de recevoir les robes noires (les prêtres). Un ministre protestant, l’un des députés, traversa ses vues et Mgr Flaget gagna seulement une forte maladie, dans une cabane où il n’avait personne pour le servir. Le ciel a été très beau depuis notre arrivée, mais il y a souvent, m’at-on dit, des vents furieux et de forts tonnerres, il y a de légers tremblements de terre. Le pays n’étant pas constitué et étant facile de se dérober, il y a beaucoup de voies défaites, des incendies volontaires, empoisonnements, surtout par les esclaves, cependant peu nombreux. On met aussi le feu aux bois et aux prairies quand l’herbe est haute et sèche. Une nuit, les Américains de Saint-Charles ont veillé pour l’empêcher d’entrer dans le village, car il s’étend en tourbillons. En automne, nous en voyons de tous côtés et [dans] la forêt vis-à-vis de nous, à l’autre bord du Missouri. La monnaie est un autre inconvénient, l’or et l’argent, qui regorgent à La Nouvelle-Orléans, manquent ici ; on paie en papier de banques des États particuliers ou de particuliers même, et les billets crèvent sans cesse dans les mains. On croit s’être acquitté et ceux qu’on a payés reviennent dire : « Ce billet n’était pas bon ». Il faudrait tous les jours avoir une nouvelle liste des bonnes banques.

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Le sol est bon, mais laissé presque inculte par la paresse. Les habitants, partie Métis sortis de Sauvages, participent à leur haine pour le travail et à leur amour pour la boisson ; dans certains villages ou presque dans tous, dans chaque maison, il y a des ivrognes. Les filles sont folles de la danse ; bal toutes les semaines : l’une est reine, parée aux frais de son roi, ouvre le bal, embrasse les assistants ; les autres, qui n’ont souvent ni pain ni linge, ont au moins des robes de mousseline garnies, etc. C’est une fureur qui ne se corrigera que dans la génération future. Il faudrait des saintes pour travailler dans des cœurs peu préparés. Il m’est d’autant plus douloureux de ne l’être pas, que je vois que les deux Sœurs [Catherine et Marguerite] perdent au lieu de gagner, j’en suis la cause. Quant à Octavie et à Eugénie, elles vont grandement à la perfection et le peu de bien qui se fait, c’est par elles. Vous aurez là deux supérieures et, si vous ne pouvez me remplacer par une anglaise, Octavie pourra suppléer. Nous aurons bientôt plus d’Américaines que de Créoles parlant français. Quel bien ferai-je sans l’usage facile de l’anglais ? Je l’éprouve avec notre postulante et, pour son bien et celui des autres, je me verrais avec plaisir aux derniers emplois de la maison ; d’ailleurs vous me connaissez : on me craint et il faut une supérieure agréée de tous. Monsieur Perreau, qui n’oublie rien de ce qui peut m’intéresser, me donne des nouvelles de nos Pères. Veuillez me rappeler aux prières de tous, et surtout du Père Varin. Je crois que si vous et eux étiez ici, vous jugeriez, comme Monseigneur et nous, qu’il faut ici une SaintePezenne et qu’un pensionnat ne pourrait subsister. Si Eugénie était ôtée du premier coup, ses enfants abandonneraient tout. Ecoutez-moi, ma digne Mère. Je suis à vos pieds votre soumise fille. Philippine Je prie les Mères de Gramont, de Charbonnel, Giraud, Balastron, et toutes celles qui vous environnent, Sœurs et enfants, de prier pour nous. Je vous prie de vouloir bien faire mettre une enveloppe à la lettre cijointe d’un Français sans nouvelles depuis deux ans ; il faudrait lever la bande que j’ai mise, l’enveloppe étant trop grosse.

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L. 2 À MADAME VINCENT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles du Missouri, ce 2 mars [1819]1 Ma bien bonne Mère, Il me tardait bien d’avoir de vos nouvelles, le steamboat qui m’apporte les lettres tant désirées ne devant peut-être pas séjourner à SaintLouis et personne ne pouvant me l’assurer, je vous réponds à la hâte pour ne pas manquer son départ et satisfaire notre empressement. Je sacrifie celui de répondre à votre aimable Aloysia et à Sœur Dosithée. Je félicite bien sincèrement la première du bonheur qu’elle a obtenu, et vous toutes, de cette si bonne retraite donnée par vos deux Pères et qui nous rendrait si honteuses auprès de vous, n’étant que des dissipées voyageuses et maintenant moins apôtres que fermières. Que nous aurions besoin de vos sœurs ouvrières pour faire fermer nos portes et nos fenêtres, mais bien plus pour nous animer par leur ferveur. Nous parlons souvent du Sacré-Cœur de Bordeaux2, de tant de bontés, de soins, de charité, exercés à notre égard. Si l’aumône enrichit, vous devriez être dans une grande abondance. J’apprends avec peine que votre santé est tout à fait délabrée, que vous toussez continuellement ; nous prions pour votre rétablissement si utile à votre œuvre. Nous ne savons pas encore comment nous serons ; nous avons passé des moments bien pénibles en arrivant, ne sachant presque quel parti prendre. Tout commence un peu à s’éclaircir, mais nous entrons dans une année bien difficile, ayant à bâtir avec très peu de fonds dans un pays de peu de ressources. Cependant nous sommes toutes contentes, persuadées que Dieu a voulu l’œuvre et qu’il la soutiendra. Nous trouverons ici tout pour le vêtement, mais les fournitures d’ouvrage, livres, objets d’église, de classe ne se trouveront pas. Si vous pouviez nous envoyer de bons exemples d’écriture anglaise, ils nous seraient bien nécessaires. Mais ce qui le sera encore plus, ce sont vos prières que je vous prie de nous accorder sans relâche. Veuillez présenter nos affectueux res1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Leur communauté avait pris ce nom, ce qui pouvait induire des confusions, car elle ne faisait pas encore partie de la Société du Sacré-Cœur.

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pects à Mme Fournier. Notre saint évêque a bien des travaux, des succès dans l’avenir, car le sol est ingrat, mais tout se prépare pour un bien général. Il prend volontiers la peine qui apportera des consolations à ses successeurs. Il se porte assez bien. Monsieur Boyer voudra bien recevoir nos profonds hommages et vous, ma chère et bien digne Mère, nos vœux ardents pour vous et vos filles dans le Cœur de Jésus. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Vincent Supérieure des dames du Sacré-Cœur Rue Lalande

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L. 22 À MÈRE BARAT Saint-Charles, Missouri Territory, 5 [mars] 18191 Rec. à St Antoine

Ma bien digne Mère, Je ne crains pas le reproche du silence, mais plutôt celui de l’indiscrétion. Je compte vous avoir écrit environ douze ou quatorze fois, et je calcule pouvoir vous écrire régulièrement tous les mois, ou par La Nouvelle-Orléans ou par quelqu’une des villes de l’Est, par l’occasion de quelques voyages de personnes de connaissance, car 6 ou 700 lieues ne comptent rien à faire dans ces pays, c’est comme 50 ou 100 en France, quoiqu’on coure bien plus de dangers. Le steamboat Franklin, dans lequel nous sommes montées ici, au voyage suivant, a été retenu trois mois sur les sables au quart de sa route et, s’étant dégagé et continuant sa route, il a été percé par un de ces troncs d’arbres qui barrent la navigation du Mississippi et il s’est rempli d’eau. Personne n’a péri, mais 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 110, p. 217-223. Cf. Ch. Paisant, p. 237-240.

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toutes les marchandises sont au fond de l’eau, jusqu’aux basses eaux. Pourquoi cet accident n’est-il pas arrivé pendant que nous y étions ? Nouveau trait de la Providence sur nous et de sa volonté sur notre séjour ici ! Bien plus, on disait qu’il portait des effets pour nous, mais je viens d’apprendre que, contre toute apparence, ils ont été confiés au Washington qui a fait heureusement sa route de La Nouvelle-Orléans à Saint-Louis, en trente jours. Nous attendons avec impatience la caisse que notre Père Barat nous annonce et vos lettres en retard, car une dernière de la Mère Bigeu en suppose d’autres écrites avant, et qui seront les premières depuis que vous avez eu de nos nouvelles de La Nouvelle-Orléans. Nos bienfaitrices de cette ville [les Ursulines], par leur silence, semblaient nous avoir oubliées ; une de leurs lettres m’apprend tout le contraire. Elles ont remis, port payé, au même steamboat, quatre chaudières pour nous, du savon, du bleu, des cierges, une caisse de raisins secs, une dite morue, de la part d’une pensionnaire, un baril de cassonade (sucre brut), et plusieurs autres caisses dont j’ignore le contenu ; les lettres y étaient jointes. La seule cassonade est un objet considérable : celle d’érable se vend 25 sols, 14 onces de France, et est très laide ; l’autre, dans les gelées, a failli monter à 5 F la livre. Il nous en faut beaucoup, car on ne peut donner à déjeuner ici, le plus souvent, aux élèves, que du café ; il n’y avait rien d’autre. La Providence est admirable pour nous : ne sachant un jour comment payer boulanger, blanchissage, salé, etc., nous commençâmes une neuvaine à la divine Providence et à Notre-Dame du Prompt-Secours ; le lendemain, Monsieur Richard, notre curé et confesseur, nous dit qu’il voulait absolument nous payer sa pension, ayant reçu quelque chose de son traitement. Il la fixa, malgré mes résistances, à 600 F pour l’année et donna de suite 350 F qui nous mirent au large. Nous résolûmes de continuer tous les jours les Litanies de la Providence et nous avons aussitôt eu la nouvelle des présents charitables des Dames Ursulines, à qui cependant nous demandons encore un emprunt de 1 500 F, de l’avis de Monseigneur, qui assure qu’elles s’y prêteront (comme s’il était sûr de leur réponse). Sans doute, il connaît leurs dispositions pour favoriser notre bâtisse. De plus, les habitants de Saint-Charles s’animent pour notre maison d’ici ; ils ont déjà transporté sur la place de grosses pièces de bois de quarante pieds de long, qui seront celles de la maison ; elle dominera le Missouri comme Sainte-Marie l’Isère, et la vue serait aussi belle si le pays était aussi cultivé.

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La lettre que je vous ai écrite, ma bien bonne Mère, par M. Petry, consul de France à Washington, et une précédente, vous font part de notre plan de division entre Florissant et Saint-Charles, et vous le soumettent ; j’y ai joint, dans ces deux dernières, quatre copies de lettres de Monseigneur nous concernant et approuvant ce que je vous propose. Depuis, il nous a donné rendez-vous à Florissant. J’y fus, le lundi gras, avec Mère Octavie ; il y arriva une heure après nous, chez le curé. Il nous montra la place qu’il nous donnait et le plan d’une maison, dont on n’exécutera que le tiers cette année, de 36 pieds de long sur 32 de large. Elle est sur une bonne terre, entre un ruisseau qui ne tarit point et une petite rivière où l’eau manque en été. Cette maison sera de brique et coûtera 15 000 F. Or nous n’avons plus que 5 800, tout au plus, entre les mains, notre loyer et voyages payés. En outre, nous aurons bien 3 ou 400 F à payer pour finir la maison de Saint-Charles que les habitants ont seulement promis d’élever et de couvrir. Elle sera en grosses pièces de bois couchées les unes sur les autres, ce qui formera comme des murailles, et couverte de bois. Monseigneur me dit vous avoir écrit pour vous demander de l’argent ; mais je lui dis que je n’en espérais pas de ce côté-là, sachant toutes vos charges ; que nous pourrions demander à des parents des années de pension d’avance, c’est là toute ma ressource humaine. Mais je ne doute pas de la Providence, ni de ses volontés pour la propagation de notre œuvre dans ces pays. Monseigneur ajouta que l’opinion, à Saint-Louis, se tournait bien en notre faveur, mais qu’on n’y était pas riche. Il s’informa fort en détail de toute notre maison, me dit que Sœur Catherine avait mal pris sa réponse, et la tient pour une tête mal réglée. Tout en disant cela, il m’ajouta : « Si vous étiez plus, j’en aurais besoin de deux pour une école externe à Saint-Louis. » Ma Sœur Eugénie, dont tous les nuages sont dissipés et qui va au plus parfait, prendra toutes les formes qu’on voudra lui donner. Elle me semble dans un état d’oraison de quiétude, et qui la gêne pour les actes particuliers, comme de faire tant d’actes de vertus en un jour. Comment, je vous prie, faut-il se conduire à son égard ? Mère Octavie est aussi bien fervente et prend de l’aplomb ; ses enfants l’aiment beaucoup et elle les suivra avec plaisir à Florissant, sans envier l’indépendance où serait ma Sœur Eugénie. Marguerite est toujours hors de son élément, étant à l’extérieur. Catherine va mieux, mais sa conduite suit l’état de sa santé, peu faite à une vie comme la nôtre, qui a ses fatigues. Les prêtres en ont bien plus ; j’en connais un qui a eu deux charrettes de neige pendant une nuit dans sa chambre par les ouvertures du plan-



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cher. Il en arrive à peu près autant aux Frères qui cultivent la terre de Monseigneur. Leur petite maison nous restera et, en l’arrangeant, on y fera l’école externe au bout du jardin. Toutes les lettres de France nous donnent bien des jouissances. Nous avons pu vous suivre dans tous vos voyages, et les progrès de la Société font notre bonheur. En lisant ces chères nouvelles, il nous semble être en France. [Elle] nous semblera bien plus rapprochée quand un canal, partant de l’État de New York et faisant communication avec l’Ohio, pourra nous donner de vos nouvelles d’un mois et demi de date. Dans un ou deux ans, on croit que ce canal sera achevé. Un autre trait de la Providence, depuis notre neuvaine, est d’avoir pu acheter une seconde vache qui, par son lait, nous rendra son prix dans un mois et demi et nous facilite entièrement le maigre pour tout le carême. Les pensionnaires seules font gras quatre jours, comme dans tous les États-Unis. Ces vaches, qu’on disait devoir devenir enragées si nous les retenions chez nous, s’y sont bien faites et nous suivent partout comme deux gros chiens ; elles tentent même d’entrer après nous dans la maison. Veuillez, je vous prie, me dire, si dans notre situation, c’est aller contre notre esprit de recevoir des externes quelques présents en œufs, viande, etc., et de recevoir un paiement de celles qui veulent bien le donner, se contentant d’être à la classe gratuite pour 5 F par mois. Plusieurs ne viendraient pas sans payer ; cela par une sorte de gloire. Pourra-t-on vendre du profit du jardin pour s’aider de tout ? Je vous prie de me recommander aux prières de nos Pères et de songer à me remplacer. Je crois rêver quand on m’appelle supérieure et je sens, toujours plus, que j’arrête le bien. Je suis, avec un profond dévouement, ma bien respectable Mère, votre toute indigne fille. Philippine Duchesne Je viens de recevoir vos lettres que je croyais perdues ; je tâcherai d’être ce que vous désirez, ma tendre Mère ; combien je voudrais vous soulager. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes N° 40 À Paris

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L. 6 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles, Missouri territory, 15 mars 18191 Rec. à St Antoine de Padoue Mon très cher Père, Il y a peu de jours que je vous ai écrit, mais courtement, ayant laissé la lettre à ma Mère ouverte, afin que vous en preniez lecture et évitiez les répétitions. Aujourd’hui, c’est tout le contraire ; j’écris à mon Père une lettre dont il voudra faire part à ma Mère. Comme nous sommes dans un temps d’épreuve, Dieu a permis que tout ce que je lui ai dit de notre situation se trouve changé ; et pour être logées, nous n’avons de ressources que dans la bonne volonté des habitants de Saint-Charles, qui montrent du zèle pour nous élever la carcasse d’une maison. On me dit qu’ils se ralentiront et au lieu qu’elle soit élevée dans un mois, elle pourrait ne pas l’être à l’automne ; Dieu le sait, abandon à ses soins. Quant à Fleurissant, tout est retardé pour trois raisons : 1°)  les Dames religieuses de La Nouvelle-Orléans ont eu un mauvais procès et empruntent pour le soutenir ; elles ne peuvent rien faire pour nous, ni celles de La Havane ; 2°) vous et notre Mère me parlez de disette de sujets et d’argent ; 3°) ayant vu le devis d’un entrepreneur pour Fleurissant, je n’y ai vu que juiverie, dépenses excessives qui iraient à notre ruine. Aussitôt instruite, j’écrivis à Monseigneur, refusant l’assistance de l’entrepreneur et lui marquant que toutes nos ressources étaient dans ce qui lui restait à nous. Je lui citai notre administration de Grenoble sans entrepreneur, plusieurs traits frappants de leur voracité et la destruction de tant de maisons pour cause de dettes. Sa réponse fut qu’il avait bien réfléchi et que ne pouvant nous assister, il fallait arrêter l’entreprise de Fleurissant, mais de lui écrire en conséquence comme la chose venant de moi ; je n’ai pas tardé à le faire et voilà où nous en sommes. Les habitants d’ici s’assemblent encore aujourd’hui pour nos travaux ; et c’est ici sans contredit qu’on nous témoigne plus de zèle. Le pensionnat ira lentement à cause de la traverse du Missouri, mais patience. Une autre raison, la 4e, est bien forte : c’est le peu de secours 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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que nous pouvons attendre de nos deux sœurs ; Catherine [Lamarre], égarée jusqu’à s’être proposée à Monseigneur pour un établissement de Saint-Louis, se fondant sur Sainte-Pezenne où une converse était supérieure ; aussi, sans qu’elle s’en doute, fais-je sonner bien haut la destination de Mère Benoît qui a mis cette maison au rang de celle de la Société. L’autre [Marguerite Manteau], hors de son élément à l’extérieur, est toute déroutée et nullement tirée de son empressement pour sa retraite ; quand elle ne peut s’inquiéter sur ses occupations, elle va s’occuper si nous faisons les nôtres. Ô qu’il est avantageux de n’avoir pas été vanté ! Mesdames Octavie et Audé ont un dévouement entier ; disette, occupations, régime étranger, rien ne les rebute et les privations sont leur bonheur. Il y a toujours plus à attendre d’une classe moins basse ; on s’y met plus volontiers à tout. Ainsi, j’ai quelques regrets d’avoir dans ma dernière [lettre] trouvé Mère Lucile peu propre au pays ; il y aurait assez de françaises pour l’occuper. Par un trait de la Providence dont je ne vois pas encore le ressort, la jeune personne, qui nous suivait toujours à l’église de Saint-Louis et nous y apportait des pommes, a depuis ce temps perdu sa mère à Noël et son frère s’est noyé en voulant aider à retirer le [steamboat] Franklin. Monseigneur nous l’a envoyée pour servir et nous l’avons reçue sans savoir que c’était cette enfant que l’instinct nous attachait si fort. Elle sait lire, écrire, parle les deux langues ; en ce sens, elle nous sera plus utile que la première postulante [Mlle Mullen] qui était sans vocation et très molle ; celle-ci est intelligente et nous allons la former pour les pauvres. J’avais, mon bon Père, écrit mes lettres avant de visiter à fond la caisse que vous vous êtes donné la peine de nous envoyer. Rien ne nous y a été si précieux que votre ouvrage, c’est vous retrouver que [de] le lire ; c’est servir le Cœur de Jésus-Christ que d’en pratiquer et savourer la doctrine. J’ai été fâchée de nous y trouver, indirectement même, parce qu’il est encore bien douteux que nous méritions ici d’y servir à la gloire de Dieu. On se porte partout ; on fait un grand pas en avant et puis mille petits en arrière qui remettent au même point ou plus bas, je l’éprouve malheureusement. Je n’ai connu nos bienfaitrices que [celles] de Quimper et de Niort pour les joujoux, chapelets, etc. Mère Eugénie a remercié à Quimper ; je vous prie de le faire pour nous, à Niort. Le R. Père Debrosse a eu la bonté de me répondre et de me dire que nous ne lui devions rien, je vous prie de le remercier. Il faut bien nous borner cette année, l’essentiel est d’être chez nous ; vous ne pourriez

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

croire combien il y a d’inconvénients pour l’ordre et la régularité où nous sommes : rien ne ferme, on pourrait être prise à tout moment par les étrangers. Dans les lettres qui sont parties, j’ai répondu à Madame Vincent, mais je ne suis jamais lasse de lui témoigner notre union avec elle dans le Cœur de Jésus. Malgré vos craintes, j’espère que sa maison prospérera et la vôtre, encore plus utile, aussi. Julie [Bazire] et sa compagne m’ont parlé de leur entrée au noviciat [à Sainte-Marie d’En-Haut] ; jugez si je suis contente de voir successivement des élèves si chères se donner à Dieu ; la plus grande conversion serait celle de Mlle Pernety dont la lettre est parfaite. Nous en avons ici qui vous appellent leur père ; les histoires d’Europe les amusent autant, que celles d’Amérique, les enfants de France. Quant au domestique dont je vous parlais, Monseigneur qui le connaît bien n’est pas d’avis de son voyage. On me propose un jeune ménage de Grenoble pour notre service ; il serait bien utile mais les dépenses !… Mais les épreuves du climat pour des gens sans vocation !… Mais l’isolement de ses connaissances ; à combien de choses on s’expose ! À Florissant, nous aurons le secours des Frères cultivateurs dans la terre de Monseigneur. La situation de notre saint évêque est une longue épreuve ; la santé de plusieurs de ses prêtres chancelle : Monsieur de Andreis, en ce moment, est en danger, il est le bras droit de son pasteur ; même Monsieur Martial ne pourrait le remplacer, n’entendant pas l’anglais et ne pouvant régir le séminaire confié aux Lazaristes. Quand on voit de près ses épreuves, ses embarras, etc., on voudrait se fondre pour travailler avec lui sans intérêt à la Gloire de celui qui lui donne tant de générosité. On dit cependant qu’il y a du mieux à La Nouvelle-Orléans, que tout va à la réunion. La supérieure des Dames Ursulines m’a parlé avec sensibilité de votre lettre et de celle de notre Mère ; elle a fait un bon effet. Elle regrette toujours que nous ne soyons pas dans sa ville ou auprès, refusant tous les jours des élèves qu’elle nous enverrait, mais elle n’ose insister, Monseigneur ayant témoigné son mécontentement qu’on eût songé à nous retenir sans sa participation. Elle regrette qu’à une si grande distance, elle ne puisse nous faire part de leur aisance en mille petites choses qui nous manquent ici. Elle ne peut retirer sa boîte de broderie de la douane, n’ayant pas la facture que Mme Jouve, de Lyon, aura mise au-dedans.

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J’ai cru utile, mon bon Père, de vous écrire de suite parce que si ma Mère s’inquiétait de nous voir en deux endroits, vous la rassureriez. Mais cela ne pourra beaucoup tarder, vu nos obligations envers SaintCharles et la nécessité d’un pensionnat nombreux pour nourrir le noviciat et les orphelines, notre unique espérance pour le service, n’ayant point d’esclaves et n’ayant point de Blancs qui servent. Ce sera une question ici : si on pourra parler de sœurs converses pour les travaux ; à La Nouvelle-Orléans, la nuance est imperceptible, il y n’a que l’Office de différence ; deux costumes vont rebuter. Déjà Catherine voudrait le nôtre, sans oser le prononcer. Cela perce de tous côtés, pauvre égarée ! Elle a de bons moments qui me font croire que ses défauts sont plus dans sa tête mal organisée que dans son cœur. Cela prouve qu’il faut pour ces pays des corps sains qui résistent aux attaques que le tempérament éprouve, et un âge peu avancé. Quelle différence entre les quatre [religieuses] pour le courage, le dévouement, le goût de la pauvreté et des humiliations ! J’ai cru avoir perdu ma santé ; elle s’est renouvelée, je ne souffre de rien. J’aurais cependant bien besoin d’expier car, dans cette transposition, la mesure des consolations l’emporte sur les peines. Quelle joie ! Voir le Saint-Père louer notre voyage, et marquer de ce seul trait la volonté de Dieu, m’ôta cette peine cruelle que sous prétexte de suivre un attrait, je ne faisais que ma volonté ; les règles et la lettre de saint Ignace apprenant qu’on n’obéit pas quand on tâche d’amener les supérieurs à son désir. Aussi ma prière n’est qu’une effusion de reconnaissance pour la connaissance de cette, tant désirée, volonté de Dieu qui paraîtra encore mieux dans la suite, lorsque le Sacré-Cœur et ses filles étendront le règne de Jésus-Christ dans ces nouvelles terres. Je suis avec respect votre fille, Philippine Duchesne 15 mars 1819 Le bon Dieu nous afflige : voilà notre première pensionnaire, ruban de mérite, dangereusement malade. Elle est l’aînée de la dame [Mme Pratte] qui nous a si bien accueillies à Saint-Louis ; si elle meurt comme je le crains bien, ce sera, selon les vues humaines, un grand coup contre nous ; mais Dieu peut tout.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Je crois toujours qu’il y a quelques lettres perdues, n’ayant pas eu de réponse à certaines demandes sur la santé de mes Sœurs. Mère Octavie et Catherine sont souvent souffrantes. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat Au petit séminaire À Bordeaux France

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L. À MLLE CONSTANCE JOUVE1

SS. C. J. et M.

Mars 18192 Ma très chère nièce, Je te réponds un peu tard, mais je ne t’en aime pas moins. À de si grandes distances, il faut que les rapports se fassent le plus souvent dans le divin cœur de Jésus. Combien tu dois l’aimer maintenant qu’il t’a témoigné tout son amour en te faisant la grâce de t’admettre à la 1ère communion. Conserves-en toujours les fruits afin de n’en être pas ingrate. Donne de mes nouvelles à tes chers parents. J’ai appris que ton bon papa a rempli une commission que je lui avais donnée pour les Dames de La Nouvelle-Orléans, mais elles craignent ne pouvoir retirer la boîte des douanes, n’ayant pas la facture nécessaire pour l’en retirer. Il fau1

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Constance Jouve (1807-1852), RSCJ, petite sœur d’Euphrosine et d’Amélie, entre au noviciat de Paris en 1829, y prend l’habit le 22 août. La révolution française de 1830 oblige la Mère Barat à déplacer le noviciat à Middes, en Suisse. De là, Constance est envoyée à la maison de Turin où elle fait ses premiers vœux le 22 août 1831, sa profession perpétuelle le 30 octobre 1836. Après avoir été maîtresse générale à Turin, elle est supérieure à Pignerol puis à Chambéry, où elle cumule les fonctions de supérieure et de maîtresse générale. Atteinte d’une maladie pulmonaire en septembre 1851, elle reçoit les visites du vicaire général et de l’archevêque, Mgr Alexis Billiet, tant elle est estimée. Mère Prevost vient également la voir en mai 1852. Elle meurt le 15 juin 1852. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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drait, si elle n’est pas déjà partie, l’envoyer à leur adresse. Ce sont des Dames Ursulines ; il ne peut pas y avoir de méprise. J’ai envoyé mon certificat de vie dans une lettre à mon frère à Grenoble. J’espère qu’il l’aura reçu. S’il retire ma rente sur l’état des deux dernières années 1817 et 1818, cela servira à payer la commission des Dames religieuses à M. Jouve, ou tant d’autres choses que je ne cesse de demander. Ces dames m’avaient fait donner un fort acompte que j’ai dépensé. Dis à mes frères et mes sœurs que je me porte bien, que je ne les oublie point, que mon intérêt pour eux ne s’affaiblit point. Je vais avoir bien de l’occupation pour nous loger. On commence à nous bâtir et nos moyens sont bien faibles. Adieu, ma toute bonne. Je t’aime tendrement dans le Sacré Cœur de Jésus. Philippine J’embrasse mes nièces, tes compagnes. Fais mes compliments particuliers à Amélie de Mauduit, Amélie Jouve et les 4 Lebrument aînées.

LETTRE 130

L. 3 À MÈRE BIGEU

SS. C. J. et M.

Saint-Charles, 25 avril 18191 Recommandé à St Antoine de Padoue Ma bien bonne Mère, Je vous ai écrit ainsi qu’à notre digne Mère générale le 8 mars, le 12 au Père Barat, en le priant de communiquer ma lettre à notre Mère générale à qui j’ai encore écrit le 12 avril environ, envoyant une lettre par la poste à Monsieur Martial qui est encore pendant un an au moins 1

Copie : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 131-135. Cf. Ch. Paisant, p. 245-248.

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à La Nouvelle-Orléans, tant il y a opéré de bien pour la réunion des esprits à l’obéissance due à leur pasteur. J’étais pressée de faire partir ma lettre, me trouvant dans un état d’anxiété par rapport à notre établissement. Dans chacune de mes lettres, j’ai dit quelque chose de contradictoire et après avoir marqué au Père que nous restions toutes à Saint-Charles, j’ai marqué à ma Mère que Monseigneur s’opposait à cet établissement et nous transportait toutes à Fleurissant, dans une maison qui n’est pas bâtie, qu’on commence à nos frais ; et comme nous n’avions pas ce qu’il faut, on empruntera. Mes observations sur l’appréhension des dettes, de dépenses exagérées, d’entreprendre, n’ont pu vaincre Monseigneur. Il trouve que je manque de confiance et pour nous ôter tout embarras, il se charge de tout disposer lui-même. Quand je pense qu’il faudra tout rendre par des pensions douteuses puisque, nous ayant tant annoncé de pensionnaires, nous restons avec quatre par le départ d’une malade, je suis effrayée, mais quand je dis qu’on ne peut beaucoup mettre de côté sur des pensions, on me répond : « Cependant, vous vivez avec tant et je crains que cela ne soit toujours mesuré. » J’ai répondu que nous avions des avances, un trousseau fait, point de maladie, point de mobilier acheté. La Providence, j’espère, ou modérera les dépenses ou m’ôtera cette appréhension que beaucoup annoncent leurs filles et ne les mettront pas. On est ici très riche en paroles et resserré en effet… Qui nous aurait dit de trouver sur les bords sauvages du Missouri un Paris pour le luxe, la mollesse, la paresse, la corruption et l’ignorance qui ne sent pas même qu’il en coûte d’apprendre et d’enseigner ? Les injustes jugements sur une dame qui avait une école à Saint-Louis me font voir ce que nous pouvons attendre de l’opinion et de la gratitude ; mais tout pour Dieu ! Heureuse de travailler à l’ombre de la croix nue. En quittant plus de 50 enfants de différentes classes à Saint-Charles, j’éprouverai les regrets qu’eut saint François Xavier en laissant les Socotoriens qui lui tendaient les bras1. Ce pays, premier séjour qui nous a ­reçues, nous sera toujours cher et ce qui me fait désirer des compagnes de France, c’est d’y en pouvoir destiner pour continuer le bien commencé ; et qui est déjà si sensible que plusieurs familles sont consternées de notre départ et le curé [M. Richard] surtout qui me disait : « Si vous restez, tout ce que j’aurai sera à vous. » Mais Monseigneur, qui n’a pas été d’avis que nous fussions à Saint-Louis, y voudrait maintenant une école externe des nôtres, dirigée par deux, ce qui l’opposera au retour à Saint-Charles. Vous rappelez-vous qu’il vous eût dit devant moi 1

Les habitants de Socotra, petit archipel de l’Océan Indien.

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qu’il nous fallait 30 000 F en arrivant ici ? Je lui ai dit que ma Mère ne pouvait faire plus de sacrifices pour nous ; et que si nous ne pouvions nous soutenir ici, elle nous rappellerait certainement. J’en serais fâchée et lui aussi ; mais j’ai voulu lui marquer par là qu’il fallait tellement mesurer les frais de notre maison [pour] que nous puissions balancer ici recettes et dépenses dans quelques années. J’avais envoyé, en deux lettres à notre Mère, une adresse d’un marchand de Philadelphie qui a son correspondant à Saint-Charles ; homme fort obligeant ; je ne sais si la lettre qu’il a fait partir par cette ville est parvenue, mais il est sûr que ce serait une voie très commode, car tout ce qui ira à La Nouvelle-Orléans est adressé directement par son frère à Monseigneur et il y a déjà eu des méprises. D’ailleurs, comme il entre dans tous les détails, il sera bien aise de savoir par le menu tout ce qui nous arrivera de France. Cependant n’ayant pas éprouvé la voie de Philadelphie, quoiqu’elle doive être sûre, je ne puis m’empêcher de voir que presque tout ce qui vient à Saint-Louis se tire de la Nouvelle-Orléans et qu’il s’établit tous les jours plus de rapports entre ces deux villes. Dieu vous inspirera la direction à prendre, toujours sous la protection de saint Antoine de Padoue : tout ce qui lui est recommandé parvient. Ce monsieur nous obligera toujours même à Saint-Charles, mais il serait plus utile pour les lettres ; et les paquets : mieux par la Nouvelle-Orléans. Monseigneur a fait une retraite ici et s’est répandu en effusion d’intérêt pour nous et nos travaux. Il admire nos Constitutions. Nous avons eu en deux fois des alarmes pour le feu ; la première à une cheminée, sans suite ; la seconde, dans la chapelle le Jeudi saint. Tout ce qui ornait l’autel et la chapelle a été consumé, le plancher touchant le toit brûlait déjà. La sainte hostie s’est trouvée intacte sur la patène tombée sur l’autel, sous la pale calcinée. On ne peut se faire l’idée d’un moment comme celui-là. Dieu nous a accordé sa Providence en permettant qu’il eût plu la veille ; l’eau d’un canot à notre portée nous donna moyens d’y jeter tout ce qui était enflammé et d’abattre la flamme qui remplissait la chapelle, qu’avec un peu de travail, notre chapelle était bien en état le jour de Pâques, les ornements étaient loin du feu. Le bruit de notre déplacement empêchera les pensionnaires de venir ici. Il faudra selon les apparences nous soutenir avec quatre jusqu’à l’automne. Dites donc bien à celles qui viendront de s’attendre à la pauvreté, non en projet, non en désirs peu éprouvés, mais en effet. Pendant que nous avions notre malade [Mlle Pratte], il a été impossible de trouver ou viande de volaille pour du bouillon ; sa maman en a envoyé de 5 ou 6 lieues. Dans ce temps-ci, on n’a que du cochon salé, la paresse

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empêche de cultiver et d’élever des volailles. Mais la pauvreté du logement est bien autre chose : n’être jamais seule ici ni jour, ni nuit, ni en santé, ni en maladie. Voilà à quoi il faut s’attendre à Florissant comme ici. Notre médecin a vu dans une seule maison 32 malades, n’ayant que du salé et du maïs pour nourriture et pour remèdes. Nous qui voulons la pauvreté, nous n’en sommes pas là. Un jour, que j’avais tiré un veau par la queue en même temps qu’Eugénie par le cou, pour le séparer de sa mère et lui faire faire quelques pas, je pensai après que j’étais une supérieure plus digne de cet office que du gouvernement. Ah ! Si Dieu écoutait les vœux que je forme pour le bien de notre mission ici ! Servez-le je vous prie en demandant quelqu’un à ma place. Nous avons eu ici l’hiver au printemps. Il a tué une génisse à nous de froid, fait mourir les graines au jardin qui nous rend peu et a souvent couvert notre pauvre vache, qui ne veut point être fermée, d’une robe de glace avec laquelle elle venait le matin nous offrir son lait et demander sa nourriture. Nos deux vaches méritent mention : l’une d’elles a été baiser les mains de Monseigneur, souvent les nôtres. Nous avons bien de la peine à ne pas les voir entrer jusqu’au milieu de nos chambres pour avoir quelque chose. Elles nous ont facilité le carême et maintenant suppléent à la viande. […]

LETTRE 131

L. À MONSIEUR JOUVE

SS. C. J. et M.

St Charles Missouri Territory, 25 avril [1819] Mon cher frère, Je viens d’apprendre par les Dames Ursulines de la Nouvelle-Orléans qu’elles ont reçu la caisse des objets que vous leur avez envoyés et dont elles sont bien contentes. J’ai prié nos Mères de France de vous remettre le montant des frais sur un argent qui devait m’être envoyé. Si cela n’était pas encore acquitté, je vous prie de le rappeler à Madame Thérèse [Maillucheau] à Grenoble, car j’ai reçu et dépensé ici la plus grande partie du montant de ce compte, promettant aux Dames Ursulines qui nous firent cette avance, que je ferai payer en France.

Lettre 132

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Ces Dames m’annoncent par la poste qu’elles m’envoient par occasion des lettres de France et en particulier, celles qui étaient à mon adresse dans la caisse. Je pense qu’il y en a de ma sœur et je vous prie de lui en témoigner ma satisfaction. Nous avons déjà nombre d’enfants ; mais n’ayant pas de maison convenable à Saint-Charles, nous le quitterons pour nous rapprocher de Saint-Louis, dans une place où les parents auront moins de peine à mettre leurs enfants, la traverse du Missouri étant souvent très difficile. Un mal de doigt m’empêche de continuer. Croyez à mon inviolable attachement et témoignez-le à ma sœur et à vos enfants. Je suis avec amitié, Philippine À Monsieur Monsieur Jouve Rue Royale Maison Monicaule À Lyon1

LETTRE 132

L. 23 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Charles du Missouri, ce 29 juillet 18192 Ma bien digne Mère, D’après les recommandations que vous m’avez faites, j’ai commencé à numéroter mes lettres. La N° 1 a été à Monsieur Barat3. Nous n’avons 1

2 3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 101-102 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Cette lettre est adressée à son beaufrère, J.-J. Jouve. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 114, p. 233-240. Cf. Ch. Paisant, p. 248-252. Cette lettre au P. Barat est peut-être celle du 20 avril 1819, dont parle la Mère Barat le 27 septembre 1819.

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jamais été si longtemps sans écrire et sans recevoir de lettres de France. La dernière était de Sophie Lacroix et ne me disait que ce que d’autres lettres plus anciennes m’avaient appris de vos voyages. Ce qui a causé notre retard, c’est celui des steamboats que nous attendions toujours et que les eaux basses arrêtaient. D’ailleurs, à notre distance de Saint-Louis, il se passe bien des occasions que nous ignorons. Nous nous plaignons entre nous de cet état de privations, non pour exercer des regrets, mais pour entretenir le bois de notre sacrifice et le renouveler. Le capitaine qui nous a amenées de France vient, dit-on, d’arriver à Saint-Louis ; c’est ce qui nous fait écrire et nous fait espérer des lettres des Dames de La Nouvelle-Orléans, qui en contiendront des vôtres, notre plus chère attente. J’ai reçu une seconde lettre de M. Petry, consul de France à Wash­ ington, qui en contenait une de Mme de Rollin, une de Mme Jouve et d’Aloysia ; il paraît, par ces lettres, que toutes celles envoyées ici par Rouen sont perdues. Ma sœur me parle des leurs du mois de septembre. On me dit que les élèves de Paris nous ont écrit, mais nous n’avons rien vu d’elles, ni de Mère de Gramont, ni de plusieurs à qui nous avions écrit à notre débarquement. Ce que nous savons de vous, de plus récent, est du mois de janvier. Mère Giraud nous parlait d’un établissement à Lyon et à Nîmes. Depuis ce temps, le bon Dieu nous favorise de sa croix. La plus grande, et sans doute la plus pesante, est le peu de succès de nos travaux. Si une sainte les dirigeait, tout irait mieux, ce qui me rend la charge plus pesante. Je vois tous les jours que je n’ai pas ce qu’il faut pour la remplir. Ma sœur Octavie croît en ferveur et en régularité. Sa santé lui donne souvent sujet de souffrir. Depuis six ou huit mois, elle a été soignée trois fois et néanmoins souffre toujours de ses palpitations, que les douleurs de rhumatismes surpassent en ce moment et les maux d’estomac. D’après le jugement de M. Laënnec, à Paris, et du docteur d’ici, on ne peut attendre pour elle de parfait soulagement. Elle continue sa classe, mais je trouve que, malgré ses talents, elle ne la tient pas bien, qu’on n’y profite pas ; et une élève disait hier : « Nous nous y amusons tant que nous voulons. » Ce n’est pas un petit inconvénient parmi les enfants que la facilité de plusieurs à juger les maîtresses et à en parler ; un jour, elles ont mis Sœur Catherine au dernier rang pour la vertu, parce que, disaient-elles, « elle n’est pas obéissante ; elle nous dit que nous raisonnons et elle le fait plus que nous à M. D. [Mère Duchesne]. » Cela vous montre leur esprit,

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qui est mauvais. Les enfants ici commandent ou s’égalisent à leurs parents. Quand on leur a cité la docilité des françaises, elles répondent : « Nous ne sommes pas françaises » ; elles sucent l’indépendance avec le lait ; quand elles obéissent, elles trouvent toujours [quelqu’un] qui se moque d’elles : « Tu obéis comme une Négresse, etc. » On en prépare à la première Communion. Mère Octavie menaça une d’être retranchée ; « Je m’en fricasse », dit-elle. Nous aurons à peine pu faire faire six ou huit premières Communions avant d’aller à Florissant. Elles sont pour le jour de l’Assomption. La corruption surpasse l’indocilité ; les riches ont dans leurs maisons des Négresses avec des enfants sans mariage ; elles voient tout cela et ne sortent pas de leurs bras toute l’enfance, les accolent continuellement, mangent ce qu’elles ont mâché, enfin prennent dans l’attitude et les manières tout ce qui tient à la mollesse. Le luxe est à l’excès et l’amour de la danse ; dans chaque bal, il y a une reine, parée du pied à la tête par son ami ; là, on a des souliers de drap d’argent de 40 F ; on se couronne de fleurs, non la tête, mais la gorge, on est fardé aux trois couleurs ; on a des robes de tulle ou de blonde qui découvrent toutes les formes. Il nous semblait que nos enfants goûtaient ce que nous leur disions contre ces excès ; mais une, notre ruban de mérite, que nous croyions un ange, est sortie pour cause de maladie, paraissant ne désirer que le Ciel, et un séjour de deux mois à Saint-Louis lui a ôté sa docilité, sa piété, sa délicatesse : « Je paie assez pour être bien servie », dit-elle un jour. Il a fallu un tel changement pour donner de l’expérience à Mère Octavie et lui prouver qu’il faut fonder les enfants en principes religieux et que toute dévotion sensible n’est pas solide. C’était sa chère fille spirituelle. Une autre avait dans son trousseau un ouvrage : belle reliure, superbe impression et gravures ; à l’ouverture, je vis : Sacrifice à Vénus, avec l’estampe qui montrait toute l’indignité du sacrifice ; ce livre était donné par la mère et tiré de la bibliothèque du père qui n’en a que de semblables (la Sainte Vierge sauvera celle-là). Tandis qu’on ne trouve à Saint-Louis ni un seul livre de piété à acheter, ni les fournitures d’ouvrages, on y trouve tous les ouvrages de Rousseau et Voltaire et tous les objets de luxe que pourrait fournir Paris en colifichets, plumes, fleurs, tulle, et cela pas seulement pour les riches, mais pour celles qui viennent pieds nus à notre école, même en hiver. Mère Eugénie a aussi des déboires à son école externe. Sa santé a repris, mais, après Pâques, elle avait cet air épuisé qu’a souvent ma

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Mère Bigeu. Elle se soutient dans sa ferveur et son dévouement par une continuelle mortification et présence de Dieu. Sœur Marguerite ne gagne pas. Les occupations extérieures l’ont toute déroutée et cela a été si fort qu’il a fallu l’ôter de la cuisine où elle faisait des fautes continuelles dans son embarras. Nous y avons mis une orpheline de quinze ans, américaine, qui s’en tire mieux pour l’ordre, plus mal pour l’économie ; mais il fallait sacrifier pour le bien d’une âme. Ce que je craignais le plus, c’était le feu. Il a pris à la cheminée le troisième jour qu’elle était dans l’emploi, ce qui l’a rendue plus prudente. C’est la troisième alarme pour le feu depuis cet hiver. Je vous ai parlé des deux autres dans ma dernière lettre. Le Jeudi saint surtout, presque tout a brûlé dans notre chapelle. La sainte hostie se retrouva sur l’autel, hors du calice ; le tabernacle ne fut qu’endommagé. Je vous ai tout dit de Catherine en vous rapportant les propos des enfants. Sa santé la fait beaucoup souffrir, surtout à la tête, ce qui lui fait refuser la cuisine ; elle se sauvera, mais je crains bien qu’elle ne soit toujours imparfaite. Ayant deux Sœurs qui ne peuvent suffire à la cuisine et au blanchissage (que nous payons à une Négresse), étant si peu de monde, je mets en doute qu’un plus grand nombre de Sœurs converses de France nous fussent bien utiles ; elles se gâteront avant d’arriver, à moins d’une très haute vertu. Jamais les deux jeunes Dames ne se plaignent de rien ; les deux autres sont bien plus difficiles à contenter, surtout Catherine. Je vois d’après cela que nos progrès seront lents dans cette terre ; il sera impossible de prononcer deux rangs ; tout veut être égal ; il y en aura par le fait, à cause de la différence de talents, d’éducation et d’emploi qu’on donnera ; mais dire à quelqu’un, en la recevant : « C’est pour servir », pas même une Sauvagesse n’accepterait. Plusieurs Américaines s’informent de nous ; elles devraient être Sœurs ; mais elles s’informent déjà si on ne fait pas la cuisine par semaine, chacune à son tour. Il faudrait votre présence et votre prudence pour démêler tout cela ; mais, n’espérant pas vous voir ici, je me jette sur une petite image de Notre-Dame du Bon Conseil, avec une prière faite pour ma situation. La maison de Florissant s’élève ; on dit que nous pourrons l’habiter le 1er septembre. Monseigneur sera de retour du Bois-Brûlé à cette époque ; il y est retenu par son séminaire. On m’a dit que Monsieur Martial l’avait joint. Je me confie en la Providence pour les dettes que me laissera cette maison et pour le transport. Un jour, je suis restée presque avec rien, les banques des billets que j’avais étant toutes tom-

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bées à la fois. Cependant on ne paie que de cette monnaie. Dieu sera notre ressource. Je suis toujours persuadée qu’Il nous veut ici et c’est ma consolation unique de voir que toutes les cinq le sont comme moi, même celle qui m’a mise en doute sur sa vocation [Catherine Lamarre]. Si nous sentons, dans quelques instants, les épines qui nous percent de toutes parts, nous savons que nous sommes vos filles, que nous avons des Pères, des Mères, des Sœurs et des enfants qui prient pour nous, et notre courage ne peut s’abattre. Il y a bien peu d’espoir pour les Sauvages. Dans le temps de Marie de l’Incarnation, les Jésuites, répandus partout, recueillaient des enfants, adoucissaient les parents, interprétaient leurs langages si variés et les réduisaient en art par des dictionnaires et livres qu’ils composaient. Ces travaux surpassent ce que peuvent faire des missionnaires détachés et quand on est ici, on le conçoit bien. Je n’en ai pas moins le désir de me sacrifier pour ces pauvres âmes, si Dieu en ouvre la voie. Je suis avec un profond respect, ma digne et tendre Mère, votre indigne fille. Philippine Duchesne

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L. 24 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 4 Saint-Charles du Missouri, 28 août 18191 Rec. à St. Antoine de Padoue Ma très chère et bien digne Mère, Nous calculons toutes avec peine que nous ne savons rien de France depuis le mois de janvier ; à cette époque, je n’ai même eu de vous que cinq ou six lignes, dans une lettre de Mère Girard, qui m’annonçait le 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 115, p. 240-247. Cf. Ch. Paisant, p. 255-258.

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départ de la Mère de Charbonnel pour Lyon et l’état dangereux de trois de nos Sœurs, Mesdames de Saint-Pern1, Mourat, d’Amiens, et Victoire [Ollier novice coadjutrice] de Beauvais ; mais nous ne savons point si le bon Dieu a disposé d’elles. J’ai moi-même été depuis avril jusqu’en juillet, sans écrire, faute d’occasions. En avril, je mis le n° 1 à une lettre au Père Barat ; le 29 juillet, je vous ai écrit sous le n° 2, et au mois d’août, à Mère Bigeu sous le n° 3. Je me suis donné la consolation de relire vos lettres et les autres, reçues de France ; je m’en suis sentie consolée et animée ; je ne dis pas liée, car le lien était déjà si étroit qu’il ne pouvait se serrer davantage ; aussi ai-je eu bien du plaisir quand Monseigneur a dit un jour : « Oh ! C’est bien de la race », en parlant de nous. Cependant, ma bonne Mère, je sens qu’il y aura toujours des différences à cause des différentes nations et climats ; l’été a été ici aussi accablant que l’année passée, à La Nouvelle-Orléans. Je ne crois pas qu’il soit possible de fermer toutes les fenêtres la nuit dans un dortoir de 20 enfants comme nous l’aurons à Florissant. Les enfants ne veulent pas supporter des rideaux fermés : ici, les lits se placent devant porte, fenêtre, cheminée, sans faire attention aux courants d’air ; ici, tout le monde couche porte et fenêtre ouvertes, dans les grandes chaleurs. De même à La Martinique, on m’a dit qu’il n’y a pas de croisées aux fenêtres. Nous allons donner les prix et, par la difficulté de les assigner en repassant toute l’année, vous verriez combien les classes sont difficiles à tenir ici. Des élèves qui arrivent pour trois mois et qui ne savent pas lire, les maîtresses s’épuisent à leur apprendre la lettre du catéchisme ou autre chose, et avancent peu ; d’autres lisent l’anglais plutôt que le français ; d’autres les deux langues ; d’autres le français seulement ; il en est de même pour la grammaire, géographie, arithmétique. On ne peut faire acheter des livres ; à plusieurs, ni plumes, ni papier ; ni tenir d’ouvrage ; il manque dé, ciseaux, aiguilles, fil. « Il n’y en a point chez maman, on n’en trouve point, dit-on ! » Nous avons externes cinq filles de protestants, sœurs ou cousines ; entre toutes, elles ont un seul catéchisme du diocèse pour tout livre d’étude ; nous avons enfin donné un second catéchisme et, pour livre de piété, quelques-uns de ceux donnés 1

Marie de Saint-Pern (1768-1819) est la donatrice de la maison de Quimper. Henriette Mourat (1787-1819), RSCJ, a fait ses premiers vœux à Amiens, est décédée à Poitiers, peu après sa profession. Victoire Ollier, novice coadjutrice, est décédée à Beauvais le 4 février 1819.

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par les élèves de Grenoble. Ceux d’études, donnés aussi à Grenoble, et qui sont tout notre trésor, servent dans toutes les classes en les prêtant ; mais on les a déjà bien gâtés. Si quelques parents de bonne volonté voulaient fournir des livres, on n’en trouve point. Et nous avons su, du professeur d’anglais que Monseigneur a mis dans sa petite académie, à Saint-Louis, que, dans tous les États-Unis, il n’avait pu se procurer ce qui lui est nécessaire. Mère Octavie a profité du passage de ce professeur pour lui faire juger qui, de ses petites Américaines, méritait le prix pour la lecture de l’anglais ; elle a aussi lu et parlé elle-même devant lui et il a dit que, sans compliment, elle lisait et prononçait bien ; ce qui m’a fait grand plaisir, car à qui confier l’enseignement de l’anglais, si elle ne l’eût pu ? Notre postulante américaine [Mlle Mullen] est déjà mariée, d’autres ont reculé et je n’entrevois rien de sûr que dans quelques élèves, trop jeunes encore et toutes de langue française. Cet anglais fait extrêmement ressortir Mère Octavie, on ne parle que d’elle, l’orgueil national faisant mépriser tout ce qui ne le connaît pas ; et, dans le fait, cela devient ici de première nécessité. Cependant Monseigneur ne juge pas Mère Octavie en état d’écrire l’anglais et souvent elle n’entend point les Américains naturels, quand ils prononcent trop rapidement. Vous voyez que Dieu ne nous donne pas le don des langues. Peutêtre Dieu veut que les missionnaires femmes se nourrissent d’abjection plutôt que de succès ; j’y songe quand je vois des ecclésiastiques de Monseigneur avoir, au bout de quelques mois, été en état de prêcher en anglais. Je désespère de le parler, Mère Eugénie est bien reculée ; mais elle aura assez à faire pour celles de langue française, elle est vénérée dans sa classe. La première Communion s’est faite le jour de l’Assomption ; elle a suivi ses enfants à la paroisse et j’ai cru en cela suivre votre intention ; il n’y aurait eu, sans cette surveillance, ni ordre ni piété. Quand elle est revenue avec sa troupe, dix ou douze, on disait en la voyant : « La voilà, cette bonne vierge. » Comme vos réponses sont longues à venir, que c’est dans sa classe d’externes gratuites que se préparent les premières vocations, que les enfants ont une parfaite confiance en elle, j’ai pensé que, si nous avons des novices, elle sera la meilleure pour les former. D’ailleurs, il y a des personnes nées pour commander, à qui Dieu donne la facilité pour cela ; elle l’aurait. Comme je vous le disais autrefois de Mme Émilie Mial, je ne crains qu’une chose : c’est que, dans cet emploi, elle ne se trouve souvent contrariée et qu’elle ne procure aussi quelques ennuis à d’autres.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Vous savez que les grandes vertus ont toujours leur ombre. À SaintLouis, où les idées sont aussi charnelles qu’à La Nouvelle-Orléans, on la faisait renoncer à son état pour épouser un jeune prêtre qu’on y a envoyé et qui, dit-on, est allé à Rome se faire ôter la prêtrise. Moi, j’étais une veuve, qui avait laissé ses enfants à La Nouvelle-Orléans. Cela a couru toute la ville. C’est la première Communion qui a commencé à nous faire croire que bien des enfants sont susceptibles d’une grande vertu ; une même, renvoyée et reprise par son vieux grand-papa, s’est jetée à ses pieds et les lui a baisés ; une autre a porté huit seaux d’eau, tout de suite, devant des personnes qu’elle pensait se moquer d’elle, car ici les grandes filles rougissent de porter un seau d’eau ; on fait faire cela aux petits garçons ou petites filles. C’est le Saint-Esprit qui leur a dicté de faire ces deux actes-là ; d’après notre recommandation d’en faire tous les jours cinq dont, de temps en temps, on leur demande compte. Il y en a qui vont trop loin. Il m’a semblé que M. Jouve ne pouvait nullement être en peine de son paiement pour les autres ; il doit, toutes les années, à Aloysia, pendant toute sa vie, 450 F ; il pouvait les retenir. J’ai fait fond sur les 4 000 F que Niort nous doit pour toutes les commissions que je vous ai données ; je sens votre position et n’attends rien autre ; Dieu nous aidera. Cette maison de Florissant ira bien à 30 000 F ; nous en avons 5 000 environ, le reste se prendra peu à peu sur les pensions. En voilà 2 000 employés pour une location où nous sommes bien mal pour les enfants. Je ne pense pas que nous allions à Florissant avant octobre. Monseigneur ne me répond point ; je sais qu’il a été trompé au Bois-Brûlé, pour son séminaire, et y a eu toutes les croix. Il désire deux de nous pour une école à Saint-Louis1. Nous promettons à Saint-Charles d’y revenir en faire une externe et cependant, comment vous demander des sujets, n’ayant pas pour payer leur voyage ? Si Dieu vous inspire pour cela, veuillez, je vous prie, les donner un peu jeunes. Catherine n’est bonne qu’à former des projets ; maintenant, elle voudrait rester à Saint-Charles pour y faire l’école, à ce qu’il paraît. Marguerite a donné un fort coup de collier en commençant. Maintenant, elle est toute entreprise, toute endormie, elle fait peu.

1

La fondation à Saint-Louis aura lieu en 1827 et le retour à Saint-Charles en 1828. En 1819, la communauté entière déménage à Florissant.



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Je suis avec respect, en baisant vos pieds, ma digne Mère, votre indigne fille. Philippine Duchesne Mes respects à mes Pères et Mères. M. Perreau surtout. Souvenir pour toutes. [Au verso :] À Madame Madame Barat Rue des Postes n° 40 À Paris

LETTRE 134 L. 10 À MESSIEURS PERIER ET MADAME DE ROLLIN Rue Neuve du Luxembourg, Paris SS. C. J. et M.

Saint-Charles, Missouri Territori, ce 29 août 18191 Ma bien bonne Cousine, II y a aujourd’hui une année que je t’écrivis de Saint-Louis après notre arrivée2. J’ai reçu de toi la réponse à cette lettre par M. Petry, consul à Washington, qui y a joint une des siennes des plus obligeantes. Je n’ai pu te donner des détails particuliers, ayant fait un journal de tout notre voyage que Madame Barat se sera fait un plaisir de te faire lire si tu l’as demandé. Depuis cette époque notre situation, quoique chancelante, présente peu de variations ; nous avons eu très peu de pensionnaires, SaintCharles étant trop pauvre pour en fournir et tout le nord du Missouri. 1

2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 10 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 21-24 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Nous n’avons pas cette lettre.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Et comme cette rivière nous sépare de Saint-Louis et est terrible dans les grandes crues, vents et gelées, les mères en font un obstacle invincible pour envoyer leurs enfants en pension. On fait bâtir à Fleurissant, plus près de Saint-Louis, une maison pour nous que nous paierons peu à peu, et nous abandonnons Saint-Charles le mois prochain, avec le regret de quitter un endroit plus populeux, des enfants bien disposés, des externes, et une situation bien plus avantageuse que celle de Fleurissant, et qui sera importante un jour, le commerce sur le Missouri avec les Sauvages ou nouveaux établissements américains à Boonslick, Franklin, etc., dans le Haut-Missouri s’accroissant chaque jour ; et le gouvernement pour le favoriser vient de faire remonter des troupes et des canons sur des steamboats, qui ne s’étaient encore jamais vus sur le Missouri. À Saint-Charles, il s’est peut-être bâti 20 maisons depuis que nous y sommes. Les habitants nous y ont adjugé un terrain, mais pour qu’il soit bien assuré, il faut une donation du Congrès et je prie M. Petry de la solliciter. Il n’y a rien de plus difficile dans ce pays sauvage que d’avoir des terres ; tout appartient au Congrès, rien n’est réglé ; et il pourrait arriver, si on ne se pourvoyait de sa permission, qu’on se trouvât débusqué par d’autres qui auraient pris les devants auprès du Gouvernement. M. Wallein aura vu qu’il n’est pas facile d’avoir des terres à SaintLouis et qu’elles sont extrêmement chères. On m’a dit qu’il y était peu resté, et qu’invité par des amis qui en avaient trouvé d’autres, il était probablement sur quelques rives de l’Ohio ; sans doute il vous aura écrit, mais il est très loin d’ici. Nous sommes sans nouvelles de France depuis ta lettre du 1er décembre et une de janvier de Paris ; jamais si long silence. Il m’a fait craindre des mouvements politiques qui ont pu troubler ma patrie et nuire à mes parents et amis. Je prie Dieu pour eux, c’est à Lui que j’ai tout sacrifié, et sa Providence ne manque point. Tu as bien connu mon cœur, ma bonne amie, quand tu m’instruis de tout ce qui regarde tant de personnes si chères. J’ambitionne pour mon frère d’autres biens que ceux de la fortune, quoique je sois persuadée qu’en bon frère, il aidera M. Lebrument pour la succession de ma tante Gueymar. Je suis bien touchée de la mort de M. Pascal, surtout à cause de l’impression que cela a pu faire sur ma tante1, ta bonne maman, chef 1

Alexandre-Charles Pascal (1751-1818) est le frère de Mme Claude Perier, née Marie-Charlotte Pascal (1749-1821), mère de Joséphine. Il a été conseiller du roi et chevalier de la Légion d’honneur.

Lettre 134



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unique maintenant de toute notre famille. La santé de Camille [Jordan] me fait bien de la peine, témoigne-lui tout mon intérêt. Tu sais aussi tout ce que je dois de reconnaissance à M. de Rollin, à M. Teisseire ; ainsi ne m’oublie point auprès d’eux et de mes sœurs. M. Lebrument me parle dans une lettre de celles qu’elles m’ont écrites par Le Havre, mais je ne les ai pas reçues ; la voie la plus courte, la plus sûre est par Bordeaux et La Nouvelle-Orléans, les vaisseaux et les steamboats étant dans un continuel mouvement de Bordeaux à La Nouvelle-Orléans et, de cette ville, à Saint-Louis qui s’augmente et où il faut désormais adresser nos lettres Poste-restante. On les fera prendre pour les envoyer à Fleurissant, dans les terres où il n’y a pas de poste. On m’a parlé d’un steamboat qui est allé de New York à La Nouvelle-Orléans par mer, avec ses fourneaux et ses roues en dix jours ; il a quitté ses mâts à La Nouvelle-Orléans et a remonté le Mississippi sans mâts comme les autres steamboats ; c’est le premier exemple d’un pareil trajet, comme aussi des mêmes bâtiments sur le Missouri ; nous y avons vu les quatre premiers. J’ai envoyé, en partant de France, mon certificat de vie à mon frère et depuis encore un, daté de Saint-Charles ; je pourrais en envoyer un 3ème par la prochaine occasion pour La Nouvelle-Orléans, car il faut la révision du consul. Quant à la rente de M. Lebrument, il est convenu qu’elle est appliquée à la pension d’une de ses filles à Sainte-Marie ; dès que Madame Barat t’aura remis la promesse, tu peux la lui rendre. J’ai aujourd’hui 50 ans, ma bonne amie, cet âge me fait sentir ma faiblesse pour l’entreprise où je suis employée, mais n’a point refroidi le sentiment tendre qui me lie à toi, à Augustin, à Camille, depuis tant d’années. Vous avez été mes premiers amis dans le monde et, en le quittant, le sentiment de l’amitié a vécu parmi cette mort. Je te remercie de ton tendre intérêt, ta lettre a touché la partie sensible de mon cœur. Mes compagnes sont très aimées ici et y font le bien ; elles se rappellent à toi. Tu as su notre accident du feu du Jeudi saint, où nous avions étalé tous tes dons à notre chapelle ; ta générosité nous donne le moyen d’en avoir encore de ta main le jour de Pâques ; bien des choses encore, dans ce lieu saint, m’y rappellent Joséphine et sa tendre et empressée sollicitude. Le difficile est de nous loger ; Monseigneur l’évêque fait bâtir, mais à nos frais. Où trouver 30 000 F n’en ayant plus que 5 ? Je ne saurai le résultat exact que quand nous entrerons ; je le redoute sans me méfier de la Providence ; j’ai saisi, comme une voie qu’elle m’offrait, la proposition d’une de tes lettres jointe à la lettre de M. Dumolard, de t’exposer notre situation. Je t’ai demandé un petit emprunt pour nous aider, mais

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

s’il ne t’est pas possible, n’en compte pas moins sur ma reconnaissance, mon constant souvenir devant Dieu et mon éternelle amitié. Toute à toi dans le Cœur de Jésus, Philippine Mes compliments et respects à ma tante et sa famille.

LETTRE 135

L. 7 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

Florissant, ce 17 septembre 1819 N° 51 Mon bien bon Père. Vous prouvez bien que nous sommes toujours vos filles, car vos soins ne diminuent pas et semblent au contraire redoubler en notre faveur. Vos lettres à Mesdames Octavie et Eugénie leur ont fait le plus grand bien et les affermissent dans la perfection où elles sont bien déterminées de marcher ; bien loin que les difficultés les effraient, elles n’ont jamais été plus contentes que lorsqu’elles ont eu à en souffrir. Nous avons reçu dans le carême une caisse venant de vous et où se sont trouvées les lunettes de la dame qui nous offre ses bontés. Si elle était encore bien disposée pour nous, rien ne nous serait plus utile que des livres anglais pour le pensionnat. Présentez-lui toujours, je vous prie, nos remerciements pour ses offres obligeantes. Cette caisse contenait l’ouvrage de Sœur Nativité, votre précieux recueil et des objets de dévotion. Une seconde caisse vient de nous être envoyée de Monseigneur, plus longue et remplie des mêmes objets. Je ne sais qui nous enrichit tant. Notre bonne Mère ne nous parle que de la gêne de toutes les maisons, ce qui m’a bien fait regretter d’avoir tant fait de demandes dans tant de 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Philippine numérote ses lettres, car certaines ont été perdues.

Lettre 135



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lettres qui ont dû vous accabler. Je fondais ma hardiesse sur 4 000 F que la maison de Niort nous devait ; mais maintenant 600 F ont été remis à Lyon pour les Dames de La Nouvelle-Orléans, 1 000 F me sont annoncés de cette ville pour paiement du port des deux ballots N° 1 et N° 2 contenant un piano, des chandeliers, des soieries et fournitures de fleurs. Ces ballots doivent être bientôt rendus ici et sont aux soins de M. Dubourg, frère de Monseigneur. Mais en annonçant ces deux caisses ou ballots, il ne dit rien de deux autres, que vous annoncez devoir aussi partir dans un billet du 18 avril joint à une lettre de notre Mère, qui contiendront sans doute le papier venant de Poitiers et les livres dont me parle notre digne Mère. J’espère que tant d’objets ne sont pas à sa charge et qu’elle aura pris sur l’argent de Niort. La rareté de l’argent se fait aussi sentir dans les États-Unis. Une foule de banques ne font pas leur paiement et font perdre tous ceux qui ont de leurs billets, monnaie courante du pays. Il est rare que parmi des papiers, nous recevions quelques gourdes ou piastres. Je sais que Monseigneur, par disette d’argent, voulait faire arrêter le travail de notre maison ; cependant il s’avance et nous y serons dans un mois, moyennant qu’on ne plâtrera qu’au printemps. Nous avons eu le bonheur de la visite de Monseigneur, hier ; il veut encore trois des nôtres et nous traite bien en filles : nous sommes chez lui dans une petite maison d’où nous découvrons Florissant, entourée de bois, de vergers et de terres cultivées où nous prenons ce qui nous manque. Monseigneur a été charmé d’apprendre l’établissement d’une petite maison des nôtres à Bordeaux1 et fait grand cas de la dame [de Lalanne] qui se voue à la Société2. 1

2

Le P. L. Barat avait écrit à Philippine le 28 avril 1819 : « Vous allez avoir une petite maison à Bordeaux. Ce sera au moins un pied à terre. Monseigneur vient d’écrire à Madame Sophie pour l’engager à venir dans son diocèse. La Maison de la Providence, semblable à celle de Niort, vient de s’offrir à la Société du Sacré-Cœur ; c’est l’établissement de Mme Lalanne qui se présente elle-même pour être reçue. Mgr votre évêque doit connaître cette maison. » Lettres du P. Barat à Mère Duchesne, C-VII 2) c Box 8. Catherine-Suzanne-Félicité Dudevant (1756-1835), née le 10 avril 1756 à Bordeaux, se marie en 1776 avec M. de Lalanne. En 1784, elle fonde l’orphelinat « La Providence ». En 1789, M. et Mme de Lalanne s’exilent en Espagne, à Madrid puis à Saragosse. En 1803, M. de Lalanne rentre en France ; Félicité le rejoint en 1812 et reprend la direction de l’orphelinat. Devenue veuve en 1815, elle se consacre à Dieu en 1816. En 1818, elle fait un séjour aux Feuillants, à Poitiers, et demande de s’adjoindre à la Société du Sacré-Cœur ; son établissement compte alors une cinquantaine d’orphelines et quatre ou cinq maîtresses. La réponse négative de la Mère Barat suscite l’intervention de Mgr d’Aviau le 25 avril 1819. Le 13 mai, Mère Barat accepte. Le 13 juillet, les Mères Geoffroy et Messoria arrivent à Bordeaux pour réaliser l’union. Le 6 (ou 7) août 1819, Mme de Lalanne fait sa profession devant la mère Geoffroy qui l’installe comme supérieure de la maison du Sablonat, où elle est restée jusqu’à sa mort le 29 janvier

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J’ai été fâchée qu’un petit détail d’une gêne d’un moment vous ait fait, et à nos Pères et Mères, de la peine sur nous. Je vous assure que ces moments sont de véritables délices et qu’on craint d’y trouver de l’orgueil. La divine Providence ne se fait pas longtemps attendre et malgré la peine d’entrer dans notre maison avec des dettes, peut-être 20 000 F – on ne le dit point encore –, je ne doute point que nous ne nous retrouvions en peu de temps, ayant pu vivre à Saint-Charles avec si peu d’enfants, sans faire la moindre dette. Je tâcherai d’avoir mon certificat de vie pour l’envoyer avec ces lettres ; je vous serais obligée de l’envoyer à Sainte-Marie pour le faire remettre à mon frère pour retirer une petite rente sur l’État. C’est probablement Monsieur Martial qui portera ces lettres à La Nouvelle-Orléans. Il y retourne avec peine ; cependant l’étonnant changement qu’il y a procuré par sa piété industrieuse et son zèle doive l’attacher à ce champ si longtemps ingrat et qui offre maintenant des espérances, mais pas au point que Monseigneur pût encore s’y présenter ; cela réveillerait d’anciennes jalousies et préventions. Monseigneur est très fatigué des voyages, probablement, il va avoir Monsieur Rosati pour coadjuteur, comme Monsieur Flaget à Mgr David. Monsieur de Andreis a trop peu de santé pour les voyages et Monsieur Martial a renoncé à apprendre l’anglais nécessaire pour un évêque. On parle d’en établir un au Detroit, ce qui déchargera Mgr Flaget, et un à Cincinnati. Parmi tant de saints ministres, je n’en trouve pas (la suite de la phrase a été coupée). Je sens que mon âme est seule, mais j’ai trop peu de sentiment pour en être affligée. Je ne sais pas quel est mon état ; je suis infidèle et je ne tremble pas ; je suis haute et impatiente et je ne goûte que la douceur de Jésus ; je me plie rarement et n’ai pas de sentiment plus fort que celui des prévenances de Dieu envers moi. Monsieur Richard ne m’a pas flattée ; je lui ai cette obligation mais je sens, avec lui comme avec notre pasteur, que le respect ne fait pas cette confiance qui repose le cœur ; le mien est comme suspendu et ne peut avoir un mouvement vif que vers celui de Jésus, celui de Marie, de saint François Régis. 1835. Le 19 décembre 1819, Mère Barat écrit à Mère de Lalanne : « Je verrai avec la plus grande satisfaction un pensionnat près de vos orphelines, alors notre œuvre tout entière se trouvera à Bordeaux, et avec l’aide du Sacré-Cœur, vous aurez triomphé de bien des obstacles. » Le Sacré-Cœur à Bordeaux. I. La Providence de Mme de Lalanne, Archives de la province de France. B10, 115 I.



Lettre 136

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Je vous prie de distribuer nos lettres et d’assurer les R. Pères Debrosse et autres, qui sont peut-être auprès de vous, de notre profonde vénération, en demandant leurs prières. Il est nuit et je barbouille. Il me reste à vous remercier de la part de Monseigneur pour [l’œuvre de] Sœur Nativité qu’il avait prise avant de savoir qu’elle fut pour lui. On ne pourrait rien lui cacher, ses yeux percent tout : l’extérieur et l’intérieur, le spirituel et le temporel. Je suis à vos pieds dans le Sacré Cœur, votre indigne fille. Ph. Duchesne

LETTRE 136

L. 10 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Florissant, ce 26 septembre 1819 Recommandé à St Antoine de Padoue1 Ma bien bonne Mère, Je ne suis plus à Saint-Charles depuis le commencement de ce mois, terme de notre location, que nous n’avions pas envie de renouveler, étant trop chère. Le curé de Saint-Charles nous avait proposé son presbytère en attendant que la maison qu’on bâtit à Florissant fût prête. Mais Monseigneur, qui vint à Saint-Charles sur les entrefaites, n’approuva pas ce projet de déplacement et voulut que nous nous transportassions de suite à Florissant, non dans notre propre maison, mais dans une petite à lui. C’est là où nous sommes maintenant pour un mois encore, après lequel on espère que nous entrerons dans le bâtiment neuf qui est en briques. C’est dans cette visite de Monseigneur que j’ai appris par Monsieur Martial, notre conducteur dans le voyage en mer, qu’il était arrivé à La Nouvelle-Orléans une grande caisse contenant un piano et un ballot 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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de soieries et matières pour les fleurs ; ces deux objets doivent nous être promptement expédiés. Je n’ai pas été en peine de savoir d’où nous venaient ces objets de tant de valeur. Je sais qu’en ce qui concerne notre mission, aucune maison n’est plus zélée et plus généreuse que la maison de Grenoble et cela m’a été confirmé par notre digne Mère, qui m’apprend que le piano est en partie un don de votre part avec tout ce qui concerne les fleurs et broderies. Nous vous en faisons nos sincères remerciements, ou plutôt le Cœur si généreux et si riche de Jésus vous récompensera. J’ai répondu à vos différentes lettres, toutes pleines d’offres de services ; et j’ai honte de vous avoir fait tant de demandes, dont plusieurs sont inutiles, telle que celle d’huile d’olive qui peut éprouver différents accidents, s’altérer, coûter un argent qui est maintenant tout absorbé par notre bâtisse qui nous laissera encore une grande dette. Oui, ma bonne Mère, je retire toutes les demandes que je vous ai faites de différentes fournitures. À présent que notre situation dans ce pays neuf se débrouille, qu’il communique tous les jours davantage avec Philadelphie et La Nouvelle-Orléans, je vois que nous aurons tout le nécessaire à la vie et pour les premiers besoins du pensionnat ; quant aux agréments, aisance, ce n’est pas ce que nous cherchons et j’espère que Dieu ne nous en chargera jamais. Il est bien plus heureux pour nous de lui offrir quelques privations. Il n’y a que deux choses nécessaires pour accompagner le piano et avancer les enfants dans l’écriture, ce sont : 1° Des exemples d’écriture anglaise dont vous aviez plusieurs gros cahiers au rebut dans la maison de Grenoble, et qui serait seuls en usage ici ; 2° De la musique notée pour le piano. Je vous ai accusé la réception des différents journaux d’Aloysia jusqu’en septembre 1818 et exprimé l’intérêt qu’ils ont pour nous. J’aurais voulu quelques mots dans vos lettres touchant Messieurs Rambaud et Rivet, dont je désire apprendre des nouvelles. Présentez-leur mes respects ainsi qu’à Monsieur d’Hyères. Je ne crois pas pouvoir écrire cette fois-ci à plusieurs de nos sœurs et élèves de votre famille ; nous ne sommes ici que campées et sans cesse dérangées, car une seule pièce forme salon, porterie, classe, dortoir, réfectoire, infirmerie d’élèves au nombre de neuf ; l’autre, qui est un galetas, est cuisine et communauté. Tous les lits sont à terre, la nuit, se relèvent le matin. Dans cette vaste maison, j’ai reçu une lettre adressée au Château de l’Évêque.

Lettre 136



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Si vous recevez vous seule, ma bonne Mère, l’expression de mes sentiments pour tant d’objets chéris, veuillez les leur communiquer. Aloysia sait ce que je suis pour elle et combien je désire que ses sœurs suivent son exemple, surtout ma petite Constance [Jouve], qu’il me semble encore voir se promener gravement dans le jardin d’en bas, habillée en religieuse et qui, si souvent, a désiré l’être. Mes Sœurs de Coriolis, de Rambery, Dusaussoy, L. de Vidaud connaissent mes vœux ardents pour leur perfection. Je n’en fais pas moins pour ma Sœur Dumoulin que j’ai bien connue chez M.  et Mme Bernard ; je la prie de me rappeler à leur souvenir par l’entremise de la bonne Manette. Si je ne nomme pas toutes nos sœurs, c’est défaut de temps et de papier. Je supprime même les détails nous concernant, je les transmettrai seulement à la maison-mère, dans une espèce de journal, et notre digne Mère vous en fera part, ne doutant point que cette sainte union qui nous concentre dans le Cœur de Jésus, ne soit le sujet d’une sainte et charitable curiosité pour ce qui nous concerne. C’est dans l’aimable Cœur que je suis votre ancienne amie et fille, Philippine Je prie mes nièces de faire donner de mes nouvelles à mes sœurs. Je leur ai écrit au mois de juillet dernier. Nos santés se soutiennent et le courage ne s’abat pas. Toutes mes Sœurs vous offrent leur respect. [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau À Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 137 SS. C. J. et M.

L. 25 À MÈRE BARAT Florissant, ce 27 septembre 18191 N° 5 Rec. à Saint Antoine de Padoue

Ma bien digne Mère, Il m’a été dur d’avoir été pour vous un sujet d’inquiétude, mais il m’est bien doux de m’entendre dire : « Je voudrais avoir de vos lettres tous les mois. » Je n’avais pas encore cette aimable invitation quand j’ai été, depuis avril jusqu’en juillet, sans écrire ; mais, outre la fin de juillet, j’ai encore écrit le 20 août, n° 3, et le 28 août, n° 4, par la voie du consul de Washington. Monsieur Martial, qui est venu nous voir à Saint-Charles, venant de La Nouvelle-Orléans, nous a appris l’arrivée dans cette ville du piano et du ballot soierie, avec la facture du contenu et plus de 1 000 F pour les frais. Nous attendons prochainement l’arrivée de ces deux ballots, n° 1 et 2. Avec quelle avidité nous accueillons tout ce qui nous vient de la France notre berceau, de la Société notre centre, de notre Mère qui nous tient la place de Jésus-Christ. Les Dames de La Nouvelle-Orléans ont reçu, il y a longtemps, l’objet des commissions de M. Jouve et en ont été très contentes ; elles m’en ont témoigné leur reconnaissance en tenant compte du prix. Ces 600 F, joints au 1 000 reçus à La Nouvelle-Orléans, réduisent à 2 400 ce qui reste à la maison de Niort, et à moins encore si le Père Barat a rempli les commissions de livres et ferrures que je lui avais données. Je voudrais en retarder quelques-unes : non que tout ne fût utile, mais parce que je vois que plusieurs objets peuvent se procurer ici et que l’essentiel pour nous, en ce moment, est de l’argent. Monseigneur s’épuise pour son séminaire des Barrens et son collège de Saint-Louis, sans parler de la cathédrale ; notre maison l’accable d’embarras et il sera urgent de nous acquitter. Sans cette raison qui m’oppresse quand je le vois, je vous prierais de garder l’argent de Niort, voyant combien il vous serait utile et aimant mieux avoir des peines que de vous en savoir, que je partage bien. Donc, dans le besoin de cet argent, j’avais envoyé en 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 116, p. 248-253. Cf. Ch. Paisant, p. 272-275.

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France l’adresse du correspondant, à Philadelphie, d’un marchand de Saint-Charles qui nous veut beaucoup de bien. Je sais que ce correspondant a fait partir ma lettre au mois de mai1. Je ne sais si elle vous sera parvenue ; j’ai répété cette adresse dans une autre lettre, et la voici pour la troisième fois : Messers J. et G. Collier, Saint-Charles, Missouri territory. To the care of messers Fassil and Langstroth, South West corner of market and second street, Philadelphia. Je ne sais encore la dette que nous contractons par notre bâtisse. Monseigneur a été au moment de la faire arrêter, faute d’argent ; le curé de Florissant [Marie-Joseph Dunand] a pris sur lui de faire presser les travaux, de faire même élever un étage de plus, donnant aux briquetiers un fonds de terre en paiement et épuisant son dernier sou. Il met un empressement extraordinaire à nous avoir dans sa paroisse, nous appelle déjà ses filles, et voici que Monseigneur nous défend de nous adresser à lui pour la direction, ni nous, ni les élèves. Cela va me mettre dans une position difficile, car Monseigneur ne veut pas qu’il sache que c’est sur son ordre que nous le refusons pour confesseur. Il nous a désigné un jeune prêtre flamand [M. Delacroix] qui confesse en quatre langues et qui demeurera à Florissant, dans une petite maison à Monseigneur, plus près de nous que celle-ci. Il faudra le nourrir, comme Monsieur Richard, [ce] qui est une vraie perte pour nous. Entendant bien la vie religieuse et l’esprit de notre Père2, il nous regrette aussi beaucoup. Monseigneur, malgré les soucis que nous lui causons, veut encore trois de nous et veut tant vous accabler de lettres que vous soyez forcée de les lui accorder ; je lui ai laissé peu d’espérance, d’après vos lettres. Je ne sais s’il voit maintenant que nous aurions été beaucoup mieux à Saint-Louis : nous serons ici accablées des parents, avec train de voitures. Comment, à cette distance de 4 ou 5 lieues, fixer les heures et jours de visites ? Il faudra calculer ses affaires à temps, etc. L’embarras du médecin en est un grand, celui de Saint-Charles était bon et plus habile chirurgien que ceux que j’ai vus à Paris, qui ne pouvaient saigner Mère Octavie, qui l’a été par celui-ci ; il s’était attaché à notre maison, quoique protestant. Celui d’ici est ivrogne. Il y en a vingt-quatre à Saint-Louis qui, la plupart, ne se déplacent que pour 50 F ; il faut qu’ils gagnent pour subsister tant dans une si petite ville. 1 2

Lettre 130, du 25 avril 1819, adressée à Mère Bigeu. Probablement le P. de Tournély que le P. Dunand a pu connaître, car les Pères du Sacré-Cœur étaient en contact avec les Trappistes de la Valsainte, en Suisse.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

J’ai été d’autant plus touchée de votre don du piano qu’il est pris sur votre nécessaire. Oh ma bonne Mère ! Croyez que nous n’avons de souffrances que quand nous apprenons que vous en avez ; votre lettre du 18 avril me laisse dans l’inquiétude sur vos embarras pécuniaires et sur l’excès de travail qui retombe sur vous. Nous invoquons, pour vous et pour nous, la divine Providence en qui j’ai toujours plus de dévotion ; elle s’est souvent montrée pour nous. Mère de Marbeuf voudra bien agréer nos humbles remerciements, ainsi que Mlle de Cassini et une autre demoiselle [Mlle de Saint-Marc] que vous nommez après elle et dont je n’ai pu lire le nom. Combien notre petit établissement a déjà de bienfaiteurs et bienfaitrices ! Si vous nous faites le don de Julie [Bazire]1, l’anglais est la chose la plus nécessaire à lui faire apprendre ; mais c’est peu de prendre des leçons, il faut parler, parler sans cesse ; ni Eugénie ni moi ne pouvons encore l’entendre, et Octavie, malgré sa facilité, son assurance, son étude constante, ne peut souvent ni entendre certains Américains, ni s’en faire entendre. Il se fait, je crois, un miracle pour les prêtres ; plusieurs, après quelques mois, ont été en état d’exercer le ministère dans cette langue ; mais Monseigneur les place quelque temps chez des Américains où ils n’entendent que l’anglais absolument et sont forcés de s’y mettre. L’espagnol est inutile dans cette partie, pour le moment. Il y a dans ces contrées beaucoup d’Irlandais, quelques Flamands et Allemands. Les Créoles français et les Américains naturels deviennent les plus nombreux, passant continuellement de l’Est à l’Ouest. Je joins une lettre de Cuba [de Sœur Sainte-Monique Ramos, supérieure de la Maison des Ursulines à Cuba], en réponse à une demande d’argent que j’y avais faite, pour s’aider, comme on dit, afin de l’être ; mais les richesses qu’on m’avait grossies pour la maison des Ursulines, ne sont rien, comme vous voyez. Vous me dites peu pour mon âme, mais ce peu opérerait beaucoup, si j’étais fidèle. Je ne demande que cette grâce à Dieu, car les consola1

Julie Bazire, RSCJ, née le 15 août 1806 en France, entrée au noviciat le 12 août 1825, a fait ses premiers vœux en 1827. Arrivée à Saint-Louis en 1829, elle a fait sa profession le 8 mai 1830. Elle a été supérieure à La Fourche en 1831 puis à Saint-Michel et à Grand Coteau, en 1837. Rentrée en France en 1843, elle serait allée à la fondation de la maison de Lemberg, alors en territoire autrichien, d’après la lettre de Philippine à la mère Gonzague Boilvin, 18 octobre 1843. Elle est revenue en Amérique de 1847 à 1850, est sortie de la Société du Sacré-Cœur à une date incertaine. Le 28 août 1851, elle écrit à Mgr Blanc, évêque de La Nouvelle-Orléans, lui exprimant son désir de revenir en Louisiane comme religieuse du Sacré-Cœur (Archives de l’Université de Notre-Dame, photocopie transmise aux Archives de la province États-Unis-Canada). Elle est décédée en France le 22 février 1883.

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Lettre 138

tions sont perdues. Mon cœur cherche à s’appuyer et ne trouve que Dieu seul ; dans cette pente qu’il a à se soulager, je jetais les yeux sur Mgr Flaget, évêque de Bardstown au Kentucky ; mais il devait venir et, maintenant, il n’y a plus d’apparence. J’ai pensé à Monsieur de Andreis, provincial des Lazaristes, mais il est si souvent malade et doit s’éloigner qu’il faudra rester avec Dieu seul, mon âme n’ayant [pu] se livrer depuis la France. Ce sont deux saints que je vous ai nommés là, d’une réputation universelle et dont Dieu bénit le ministère. Mes Sœurs ont été ravies de vos lettres et de celles de votre bon frère, dont les avis sont le soutien, avec les vôtres, de toutes cinq ; il a écrit une lettre d’or, à mon avis, à Sœur Eugénie, qui me l’a montrée, et d’or aussi à Mère Octavie, dans un autre sens : contre les pensées de l’une et contre les penchants de l’autre. Elles sont toutes deux estimées de leur évêque et de leur Mère. Marguerite va bien. L’occasion part pour Saint Louis. Je suis à vos pieds, ma Révérende Mère, votre indigne fille. Philippine [Au verso :] À Notre digne Mère Barat

LETTRE 138

L. 3 À MADAME VINCENT

SS. C. J. et M.

Florissant, ce 27 septembre [1819]1 Ma bien bonne Mère, J’ai appris par Monseigneur, et ensuite par une lettre du Père Barat, la perte que vous aviez faite en la personne de Monsieur Boyer dans lequel nous voyions un digne ministre de Jésus-Christ, le père et protecteur particulier de votre établissement et notre bienfaiteur. Dans le 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. En note, d’une autre écriture : « Essentielle N° 5 ».

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

temps heureux pour nous de notre séjour chez vous, il nous accueillait, il nous encourageait, il priait pour nous ; nous nous sentions liées à lui par la reconnaissance et nous l’exprimerons aux pieds de Notre Seigneur en priant aussi pour lui, mais j’espère qu’il est déjà dans le lieu d’où il peut attirer de plus abondantes grâces sur vous et sur nous. Puissent-elles être des grâces qui nous réunissent dans une même Société, comme nous le sommes à vous par l’estime, l’attachement et la gratitude. Mon Père Barat nous marque que le moment de la Providence n’est pas venu pour cela, que votre saint archevêque s’oppose à la réunion. C’est une nouvelle épreuve, mais j’espère qu’avant notre mort, elle s’opérera. Quel bonheur si elle nous procurait l’avantage d’avoir ici quelqu’une de ces âmes formées par vos soins, si humbles, si dociles, si régulières et par-là si unies au divin Cœur de Jésus et si propres à son œuvre. Nous nous entretenons souvent de vous, et toujours avec avantage pour nos âmes. Les santés sont bonnes ou plutôt sur leur courant, car vous savez que Mère Octavie et ma Sœur Catherine n’en ont pas beaucoup. Comment va la vôtre, ma bonne Mère ? Elle était bien souffrante quand nous étions chez vous, et depuis encore, et celle de votre chère maîtresse des novices, de sa seconde et de tant d’autres qui ont tous les droits au plus cher souvenir ? Nous ne sommes plus à Saint-Charles, nous avons repassé le Missouri pour nous rapprocher de Saint-Louis, à Florissant, petit village où les terres sont très fertiles. Nous ne sommes encore qu’en campement sur la paroisse, notre maison n’étant pas finie de bâtir ; comme elle est en briques, on pourra l’habiter de suite. Nous sommes en attendant dans une maison de deux pièces à Monseigneur. Nous avons là 9 pensionnaires et en aurons sûrement vingt en entrant dans la grande maison qui aura 10 ou douze pièces, grandes et petites ; c’est beaucoup pour le pays. Et vous voyez qu’on ne pourra y avoir un fort pensionnat, ce que demanderait la disette d’écoles catholiques, car les protestantes ne manquent pas, elles sont tenues dans les moindres réunions de maisons, le plus souvent par des ministres qui s’établissent jusque chez les Sauvages. Priez pour nous, ma bien bonne Mère, priez pour tant d’âmes qui périssent. Vous ferez plus dans vos ferventes oraisons, que nous dans nos minces efforts. Je suis avec un profond respect, ma digne Mère, votre humble servante. Philippine Duchesne

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Lettre 139

Amitiés et respects de toutes mes Sœurs pour toutes vos chères et saintes filles. [Au verso :] À Madame Madame Vincent Supérieure des dames du Sacré-Cœur À Bordeaux

LETTRE 139

L. 26 À MÈRE BARAT Journal de la petite maison de Florissant du Sacré-Cœur du Missouri [28 septembre 1819]1

Cette petite colonie n’a rien éprouvé de saillant depuis l’événement du feu à la chapelle jusqu’à la distribution des prix, qui a suivi l’action bien plus importante de la première Communion de quelques enfants. Le jour de l’Assomption, elles ont eu ce bonheur et j’en ai parlé à notre Mère générale dans une lettre qui a suivi de près [le 28 août 1819], et partie par Washington. Nous attendions impatiemment l’arrivée de Monseigneur, des Barrens, pour fixer notre campement jusqu’à ce que la maison fût finie à Florissant. Il arriva à Saint-Charles les derniers jours d’août, après avoir célébré magnifiquement la Saint-Louis dans son église. Il était accompagné de Monsieur Martial et de Monsieur Delacroix. Il vint le soir et voulait repartir le lendemain ; il parla de suite de nos affaires et fixa notre demeure dans sa ferme, jusqu’à la fin de notre bâtisse. Les pensionnaires l’engagèrent à leur distribuer les prix et ce fut le lendemain à 9 heures du matin. Il commença par les externes gratuites auxquelles on fit devant lui des questions sur le catéchisme et l’histoire 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Copies : C-III USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane, 1818-1822, p. 46-49, ; A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société, p. 192-195. J. de Charry, II 1, L. 117, p. 255-261. Cf. Ch. Paisant, p. 267-270.

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sainte. Elles sortirent après la distribution et les externes payantes, jointes aux pensionnaires, récitèrent différentes pièces de vers et des fables que j’avais en feuille de l’abbé Reyre, Jésuite1. Monseigneur les trouva parfaites pour l’instruction des jeunes personnes ; plusieurs furent très bien récitées et Mlle Odile de Lassus eut le prix de sagesse et le ruban de mérite. Monseigneur partit avant-midi, à cheval, témoignant de la satisfaction de cette petite fête. Dès le jour, nous commençâmes nos paquets et le 3 septembre, nos effets furent portés au Missouri sur des charrettes et là embarqués sur deux barques qui descendirent par eau jusque vis-à-vis de Fleurissant où on les mit à l’autre bord sur le sable2. Ils furent gardés par Mme Eugénie qui resta là, à l’ardeur du soleil, étant aussi venue par eau avec Sœur Catherine et trois pensionnaires. Le curé de Florissant [l’abbé Dunand] fit venir des charrettes servant à notre bâtisse et Monsieur Delacroix fit venir celles de la ferme de Monseigneur. Il y eut ce jour-là 17 voyages ; et ce n’est pas à dire que nous fussions bien riches, car une charrette à un cheval ne mène pas plus de trois personnes, et d’effets à proportion. Ce premier embarquement fut suivi de celui de Mme Octavie, avec deux grandes pensionnaires dans la calèche du parent d’une enfant. Je devais fermer la marche le soir avec les vaches, les veaux, les poules et Sœur Marguerite. Mais nos vaches furent si révoltées de se trouver attachées et de marcher à la chaleur qu’il fallut attendre le lendemain de grand matin, où le reste de nos effets chargea encore trois charrettes. Nous y avions mis force choux pour apaiser les vaches qui firent grand train au commencement ; et ensuite, domptées par la corde, la fatigue, elles se décidèrent à suivre avec leurs veaux. J’étais partagée, sur ma charrette, entre le soin de mes reliquaires et celui des poules ; enfin nous passâmes le Missouri visà-vis Florissant, dans une barque. À la sortie, Marguerite, avec une tendresse de mère, rangea ses poules en ligne et leur donna à boire et à manger ; je fis la même chose aux vaches avec mes choux et Monsieur Delacroix, ayant paru à cheval, guida notre route et faisait galoper son cheval chaque fois que nos vaches, enfin déliées, voulaient courir les bois. 1 2

Joseph Reyre (1735-1812), SJ, est l’auteur d’ouvrages pédagogiques, tels que : Mentor des enfants. Maximes, traits d’histoire, fables en vers, 1e éd. 1809, Paris, Audot. Florissant est à 30 km à l’est de Saint-Charles, sur le bord opposé du Missouri, et à 15 km de Saint-Louis.

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J’arrivai le soir à la petite maison, où j’appris avec peine que Monsieur Delacroix, qui demeurait là comme économe de Monseigneur, l’avait quittée pour se mettre dans une cabane ouverte comme une cage d’oiseaux. C’est là qu’il a eu la fièvre plusieurs jours et nous n’avons pu même faire passer une chaise par le trou de la cabane, qui fait porte et fenêtre. Monseigneur, informé de son état, a ordonné de bâtir une maison de bois pour lui faire une chambre et faire une chapelle. Cette maison, avec peu d’ouvriers, a été faite et parfaite en huit jours. Monsieur Delacroix a été à couvert, le Saint Sacrement a été laissé dans la chapelle et nous avons été établies suivant nos vœux, car qui a Jésus a tout. Les gens de la ferme ont pris la fièvre et, ne pouvant se servir, Sœur Marguerite a fait leur cuisine. Mme Eugénie avait six vaches à tirer [traire], soir et matin, deux à nous et quatre à la ferme. Cela a peu duré pour faire place à une autre épreuve : Mme Octavie et deux pensionnaires ont pris aussi la fièvre. Comme il n’y a qu’une chambre pour les élèves et une pour nous, nous croyions que toutes y passeraient, mais la bonne Providence était là et, aujourd’hui, 28 septembre, tout se porte bien. Monseigneur est venu avant-hier ; il nous donne pour aumônier Monsieur Delacroix qui a été alternativement son secrétaire et son économe ; il l’appelle son ange. C’est un jeune prêtre flamand, du nombre de ceux qui étaient au séminaire de Gand lorsque Bonaparte les renvoya à l’armée ; aussi est-il fort bon cavalier et, dans ses pénibles missions, il traverse fort bien les plus redoutables rivières, sur son cheval, à la nage. Il a été le premier prêtre vu dans plusieurs contrées du Haut-Missouri. Il logera à Florissant, dans une petite maison à Monseigneur, sur le même terrain que la nôtre, qui doit aussi être le pied-à-terre de Monseigneur, quand il viendra dans ses possessions. Monseigneur venait de Saint-Charles quand il nous a vues. Il nous a parlé des regrets que notre départ y causait et des larmes qui s’y versaient encore. C’est principalement Mme Eugénie qui les y cause. Les enfants l’aimaient beaucoup, il se fit sur le rivage les adieux de saint Paul [aux anciens d’Ephèse]1. J’avais cru déjouer ces pauvres enfants en faisant partir Mme Eugénie [la] première, mais elles avaient l’éveil, coururent aux barques dont on ne pouvait les renvoyer, ainsi que plusieurs mères qui nous auraient bien laissé de leurs enfants,

1

Ac 20, 17-38 décrit comment les chrétiens d’Ephèse ont accompagné Paul jusqu’au bateau qui le conduisait à Jérusalem, pleurant de ne plus jamais le revoir.

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malgré l’orgueil du pays qui s’y refuse, pour nous servir, mais il était impossible. J’eus tous les déboires en fermant la marche ; il fallut déclarer à notre maîtresse de maison [Mme Duquette] que nous ne pouvions la payer se suite ; elle fut honnête, mais froide et je vais tâcher de consacrer, pour boucher cette dette, la pension d’une enfant. Nous aurions bien tort de nous plaindre, la divine Providence s’étant si bien montrée pour nous. Un petit sac de riz de 20 ou 25 livres nous a fait toute l’année, en en mangeant souvent ; nous n’avons point acheté de café et peu de cassonade ; les pommes de Saint-Charles, mûres l’année passée en octobre, l’ont été cette année au commencement d’août et nous ont été d’une épargne considérable de légumes et de pain, sans jamais faire mal. Nous nagions dans l’abondance et nous avons vendu pour la valeur de deux mois de pain. Ici, nous retrouvons la même abondance en fruits et légumes ; nous avons salé un petit taureau et avons du pain de Florissant avec de la farine à crédit pour six mois. Les débris du bois ayant servi à la confection des briques nous chaufferont les premiers temps de l’hiver. Trente poules, dont plusieurs font des œufs tout l’hiver, nous attendent à notre arrivée. Enfin, les fréquentes visites de Monseigneur, de ses missionnaires, la stabilité dans l’endroit de Monsieur Delacroix et du curé [le P. Dunand] qui donne tout ce qu’il a en avance à nos ouvriers, tout nous montre que nous serions ingrates et injustes de nous méfier de la divine Providence pour le spirituel et pour le temporel. Je suis bien ennemie des provisions ; celle de poissons, l’année passée, a été en partie gâtée. Les élèves n’en voulant pas, nous en fîmes un enterrement, un jour de grand matin ; les chiens détruisirent notre ouvrage, fouillèrent la terre, dispersèrent de gros quartiers de poisson pourri autour de la maison, dans le chemin. Et les passants, voyant que cela venait de nous, disaient que nous allions avoir des maladies, faisant manger des pourritures aux élèves.

Lettre 140

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L. 27 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Florissant, 10 octobre 1819]1 Ma très digne Mère, Je profite du retour de Monsieur Martial à La Nouvelle-Orléans pour vous donner de nos nouvelles et vous annoncer notre départ de Saint-Charles pour nous rendre à Florissant. Monseigneur nous y a recueillies dans une habitation à lui, jusqu’à ce que notre maison soit logeable, ce qui ne sera qu’au mois de décembre. Ce mois, déjà si mémorable et si cher, puisqu’il m’a comme miraculeusement reportée dans cette heureuse solitude où vous m’avez adoptée et où je vous vis avec transport pour la première fois [le 13 décembre 1804], où nous avons célébré saint François Xavier, objet de votre amour comme du mien, va me devenir de nouveau intéressant, en y commençant la première maison de la Société dans le Nouveau Monde. Monseigneur ajoutera à notre bonheur en nous y faisant donner une retraite bientôt après, qui nous ranimera pour le travail qui va s’augmenter, puisque, à cette époque, plusieurs enfants nous sont offertes, que la petitesse du local ne permet pas de prendre maintenant. Monseigneur a eu la bonté de nous visiter quelquefois et voit les élèves qui se préparent, les besoins de Saint-Charles, dont les pauvres enfants pleurent toujours Mère Eugénie. Il désire que vous envoyiez une recrue d’au moins trois sujets ; ils ne seront pas de trop pour une seule maison et j’en désire bien deux pour Saint-Charles, si vous ne persistez pas à refuser votre consentement à un si petit établissement, pour des externes seulement ou orphelines comme à Bordeaux2. Vous sentez combien l’arrivée de nos Sœurs nous serait consolante et nécessaire. J’envie bien votre chère Julie [Bazire], mais l’anglais est la seule langue qu’elle ait besoin de parler ici, avec le français. Nos bienfaitrices de La Nouvelle-Orléans nous ont promis d’accueillir toutes nos Sœurs, et elles tiendront leur parole. Nous communierons le 15, pour notre chère Mère Thérèse [Maillucheau] et pour votre nièce [Thérèse Dusaussoy]. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 119, p. 265-268. Cf. Ch. Paisant, p. 275-276. L’orphelinat de Mme de Lalanne a été réuni à la Société du Sacré-Cœur le 13 juillet 1819.

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Daignez agréer les vœux continuels que nous faisons pour vous et que nous renouvelons aujourd’hui, en union avec toutes vos familles pour la nouvelle année. Puissions-nous, en nous égalant à elles en tendresse et en respect pour vous, n’être pas bien en arrière en mérites devant Dieu ! Je suis, avec respect, dans le Sacré Cœur, ma bien digne Mère, votre pauvre et indigne fille. Philippine Duchesne Florissant, ce 10 octobre 1819 Mes Sœurs sont au même état que lorsque j’ai écrit ma dernière lettre. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes n° 40 À Paris

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L. 28 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 6 Recommandé à saint Antoine de Padoue [15] novembre 18191 Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit le 28 septembre, ainsi qu’à plusieurs de nos Mères et Sœurs. Ces lettres ont dû éprouver beaucoup de retard, ayant été 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Colonies par Bordeaux, 20* 1820. Arrivée le 20 mars 1820. J. de Charry, II 1, L. 120, p. 268-275. Cf. Ch. Paisant, p. 282-285.

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remises à Monsieur Martial à son départ de Saint-Louis, mais le steamboat qui le portait a échoué plusieurs fois d’ici à Sainte-Geneviève et, quoique à flots maintenant, il ne poursuivra sa route qu’au printemps, le fleuve n’ayant pas assez d’eau. Il en résulte que nous pourrons attendre longtemps le piano et deux autres ballots dont nous avons su l’arrivée à La Nouvelle-Orléans, à moins qu’on ne les ait remis à L’Henriette, steamboat plus léger et qui fait plus facilement sa course. Ces lettres du 28 septembre devaient être sous le n° 5, et je crois avoir oublié de le mettre1. Les dernières nouvelles que nous avons reçues de France sont du mois d’avril, soit la vôtre, soit celles de votre bon frère et de Mère Bigeu. Nous sommes donc dans une grande impatience de lire celles qui sont dans les ballots annoncés, ou venues plus récemment ; ce sont nos uniques plaisirs de nous entretenir de vous. Nous espérions être dans la maison qu’on bâtit, au commencement de novembre, mais ce sera beaucoup si nous y sommes le 1er janvier. Nous demeurons, en attendant, dans la ferme de Monseigneur qui a fait un acte enregistré pour la donation du terrain où est la maison. Cette donation ne peut être faite à la communauté, la loi ne la reconnaissant pas, mais à une seule [religieuse] qui va faire son testament en faveur d’une autre et ainsi réciproquement. Je ne sais encore si le terrain de Saint-Charles nous restera, ayant quitté le pays, car il avait été donné sous la condition d’un établissement qui n’a pas lieu. Personne ne nous y a regrettées comme le bon et bienfaisant Monsieur Richard, curé de l’endroit et notre confesseur ; il semble désespérer de venir à bout de sa jeunesse sans une école catholique, et a toujours été malade depuis. Une de ses visites m’a navrée. Ma bonne Mère, un saint et judicieux prêtre de La Nouvelle-Orléans ayant offert quelques jeunes gens de couleur, sachant des métiers utiles, aux Messieurs de Saint-Lazare pour être comme un tiers ordre agrégé au grand, nous a fait faire par Monseigneur une proposition semblable au sujet de quelques filles de couleur, désireuses de la vie religieuse. Il me semble que la qualité de sœurs commissionnaires peut leur convenir parfaitement et, avec ce titre, elles pourraient rendre des services aussi importants que les sœurs converses qu’il sera difficile d’avoir parmi les Blanches, tout étant égal ici ; et nos deux bonnes Sœurs vieillissant beaucoup, forcée de remettre pour quelque temps Sœur Marguerite à la cuisine pour donner à notre orpheline américaine le temps de se préparer à sa première Communion, elle y est 1

Sa lettre du 28 septembre porte bien le n° 5.

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aussi entreprise et inquiète que par le passé. Il est bien sûr qu’elle a peu de commodités, mais qui en a ? Quant à l’autre Sœur [Catherine Lamarre], sa tête travaille constamment ; quand elle ne peut se plaindre des choses, elle dit : « Vous avez pensé cela de moi » ; elle a menacé de coups de tête et de se plaindre à Monseigneur, s’il était à sa portée. Il a su cela et il a dit : « Qu’elle vienne, elle a un mauvais esprit. » Je ne vois que la patience à ce mal et espère peu la guérison, mais que tout se passera en menaces. C’est le mauvais exemple qui est le plus fâcheux ; étant tellement rapprochées, tout se saisit et le mal plus que le bien. Le reste de ma petite famille émigrée tend de toutes ses forces à la perfection ; ce sont elles qui contribueront le plus à l’œuvre et qui la verront prospérer. Je ne le mérite pas et conserve tous les défauts qui vous ont fait gémir. Je crains bien d’arrêter les grâces de Dieu : point de postulante ni de logement pour en avoir ; nous sommes peut-être les seules de la Société qui ayons fêté saint Stanislas [Kostka] gratuitement. Cependant il nous est offert une recrue de personnes de plus de 60 ans, qui sont encore en France. Vous voyez que l’espérance est éloignée, et voici ce que c’est : Monseigneur a connu à Montpellier deux demoiselles âgées, mais pleines de talents et de vertus ; elles ont fait les vœux de religion et même celui de se consacrer à la mission de la Louisiane. Retenues dans le monde par une mère de 80 ans, elles n’attendent que sa mort pour accomplir leur vœu, ayant d’abord penché pour les Ursulines ; maintenant, c’est pour nous. J’ai répondu à Monseigneur qu’il fallait qu’elles vous écrivissent et allassent, en attendant le départ, si vous le jugiez ainsi, dans une de nos maisons pour s’essayer ; il assure qu’elles ont l’esprit d’enfance et une vertu peu commune ; elles s’appellent Mlles Roi. Si nous avons des filles de couleur et quelques orphelines, ce sera assez pour le service. Quant à un homme, un des domestiques flamands que Monseigneur a conduits ici, s’est offert pour s’attacher à notre maison et il convient sous tous les rapports ; il vivra avec Monsieur Delacroix, prêtre flamand auquel Monseigneur nous confie. Monseigneur se plaint de n’avoir pas votre réponse à sa lettre et veut vous écrire à nouveau pour vous demander des sujets ; il a en tête plusieurs établissements, et notamment à Sainte-Geneviève. Mais SaintCharles offre mille ressources de plus et croît, tandis que Sainte-Geneviève, perdue dans les terres et sur un mauvais sol, perd tous les jours. On [assure] que le projet de Monseigneur serait de confier [mots arrachés] des filles de tout état, dans son diocèse, à notre Société ; cela supposerait une multitude de petites divisions ; on pourrait, si vous

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le trouviez bon, former comme un tiers ordre des Filles du Cœur de Marie1, qui serait pour les petites écoles. Si vous jugez à propos, vous enverriez leurs règles. Au reste, Monseigneur doit envoyer un prêtre en France, qui vous verra pour l’accroissement de notre œuvre. Si quelque chose ne va pas bien, évitez, je vous prie, d’en parler ou laisser parler à Mme Fournier, sœur de Monseigneur, qui s’inquiète beaucoup sur ce qui le regarde. Il m’a reproché une fois ce que j’écrivais en France. Nous venons d’emprunter du riche M. Mullanphy 10 000 F pour finir la maison ; ses trois filles, dont je vous avais parlé pour Poitiers, sont à Lyon. J’espère que vous permettrez qu’on vous adresse à Paris, de Flandre, de la toile pour notre aumônier, afin que vous vouliez l’envoyer pour lui à Bordeaux, pour l’envoyer ici ; c’est Monsieur Delacroix et il en a besoin ! Notre consolation dans ces bois, c’est que nos pensionnaires vont bien mieux qu’à Saint-Charles. Plusieurs montrent la vocation, mais il faut être bien prudentes, à cause de leurs richesses et de leur famille. L’ordre du jour est comme à Grenoble, le costume amarante, bordé de velours noir ; il a fallu expliquer que nous ne voulions ni plumes, ni fleurs, ni tulle et dentelles en garniture. Une chose bien gênante ici, c’est le scandale que prennent les Américains, surtout protestants, du moindre jeu ou course, le dimanche. J’en ai parlé à Monseigneur et il juge qu’il faut céder à l’opinion du pays, ayant éprouvé la même chose au collège de Baltimore. Monseigneur a un tel désir que nous soyons plus de Dames [enseignantes] que, si le peu d’argent qui restait à Niort n’était pas employé ou envoyé, le mieux serait de le garder pour les voyages. Quant au trousseau, on trouve de tout ici pour notre costume, à un prix modéré ; nous n’avons que du crêpe pour voile. Mère Eugénie a eu sa croix perdue, elle a heureusement été retrouvée ; la bague de Marguerite est cassée. Je désirerais bien, s’il vient quelqu’un, quelques paires de sabots pour en donner l’idée ici ; on est toujours dans l’eau, après les bestiaux sans écurie ; la cuisine séparée, à cause du feu. Les feux de prairies et forêts ont fait grand ravage cette année ; nous les avons vus de près. Voilà bien du matériel, ma bonne Mère, mais mon cœur est avec vous et les deux Sociétés dans le Cœur de Jésus. Quand je pense que 1

Philippine conçoit cette congrégation sur le modèle des Filles du Cœur de Marie, institut fondé en 1790 par le P. de Clorivière (1735-1820), SJ, et Mlle Adélaïde de Cicé (1749-1818), avec l’aide du P. Varin.

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je leur appartiens, mon âme se dilate, s’ouvre aux larmes de reconnaissance et ne voit plus que bonheur dans les privations. Dieu pourrait-il me faire d’autres faveurs ? Il n’y a plus que le martyre de sa part à me donner. Mais de la mienne, oh ! douleur ! Que j’ai mal correspondu ! Je suis à vos pieds in Corde Jesu. Philippine Vous savez ce que mon cœur dit à nos Pères, Mères, Sœurs et enfants ; celles de votre frère et de vous ici s’impatientent de n’avoir pas de vos réponses. [Au verso :] À Madame Madame Barat Rue des Postes, maison Roussel, n° 40 À Paris

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L. 29 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 7 [Florissant], ce 1er décembre 18191 Rec. à St Ant. de Padoue Ma digne et respectable fondatrice, Je vous ai écrit au départ de Monsieur Martial, et mes compagnes aussi ; je sais qu’il a été beaucoup retardé dans sa route et je m’attends que nos lettres, qui devaient être sous le n° 5 qui a été oublié, aient aussi éprouvé bien des longueurs ; elles dataient du 28 septembre. J’ai tâché de m’y répéter dans une lettre que je vous ai écrite le 15 novembre, n° 6, et qui aura mis un mois pour aller à La Nouvelle-Orléans. Il me 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 18 avril 1820. J. de Charry, II 1, L. 121, p. 276-286. Cf. Ch. Paisant, p. 286-290.

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semblait que j’y avais épuisé tous les sujets à vous entretenir, mais je sens qu’avec vous, ils sont inépuisables et que le cœur, autant que la nécessité des affaires, les feront naître toujours. J’ai pris ici mon certificat de vie pour la fin de cette année, mais l’absence du gouverneur et sous-gouverneur de Saint-Louis, dont le visa est nécessaire, le fait rester là. J’ai eu plus de peine encore à avoir tous les effets partis de France au mois d’avril et, depuis, arrêtés aux douanes à La Nouvelle-Orléans. On vient d’écrire qu’il était nécessaire d’envoyer mon serment, fait en présence d’un juge, pour attester qu’ils nous ont été annoncés, pour pouvoir les retirer. Cette formalité n’est pas ordinairement nécessaire et j’ai pensé que, peut-être, on veut nous épargner les droits pour motif d’utilité publique. Je n’ai pu rencontrer le juge, mais d’ailleurs les glaces et les basses eaux nous empêcheront de rien recevoir avant le printemps ; c’est triste, surtout à cause des lettres que votre bon frère y a renfermées. Le 21 novembre, nous avons eu la consolation de nous unir à vous ; notre grand-papa1 est venu passer avec nous toute la fête et nous y a entretenues en commun et en particulier. Mais je n’en ai rapporté aucune suavité ; je lui trouvai un air mécontent sur tout2, ce que je n’avais pas encore vu pour le général, car pour moi personnellement, dès mon arrivée, j’ai eu l’idée que son premier coup d’œil avait été peu favorable. J’ai eu la même pensée pour ceux qui l’ont suivi et c’était ce qu’il me fallait dans un lieu où tant de désirs m’ont transportée et où je me serais trop délicieusement complue dans la bienveillance de mon père. Le Dieu seul et Ita Pater ont un nouveau goût dans cette situation où je sens que la divine Providence ne m’abandonne point ; il me semble en être investie et la toucher de mon cœur et de mes mains. Grand-papa dit vous avoir écrit pour vous faire quelques demandes, en exceptant les Sœurs coadjutrices, dont il ne veut point, disant que ce système ne vaut rien pour le pays. Tout ce que je lui ai dit du plan de l’église, de la Société mère, n’a rien valu et il m’a cité votre grand-père sachant se plier à tous les usages. Il veut donc uniforme unique, une seule chose, que la santé seule règle les occupations pénibles, où il faudra

1 2

Philippine utilise ce pseudonyme pour parler de l’évêque, lorsqu’elle traite de sujets délicats. Ce mécontentement est probablement causé par le refus des religieuses de faire quelques changements à leurs Constitutions et par leur désir de fonder une seconde maison à Sainte-Geneviève plutôt qu’à Saint-Charles.

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même que la tête [la supérieure] s’applique ; il consent cependant que les deux Sœurs Catherine et Marguerite restent telles. Comme la conversation s’anima aussi avec Audé, que nous nous sentions [mots déchirés] très peu maîtresses pour la bâtisse, que nous l’avions peu été pour le choix de notre [mot déchiré] habitation, je lui dis que, chez nous, quand le grand-père [l’évêque] avait donné la permission de s’établir, il laissait le choix du lieu. Il nous avait écrasées jusque-là d’un poids d’autorité. Il s’arrêta et nous a quittées, mécontent. Je n’ai su comment guérir la plaie, étant exposée à résister encore, à moins que vous ne me conseilliez d’en passer par tout, mais le ferez-vous ? Avec un esprit créateur, qui a ses plans, on peut aller loin. D’ailleurs, si on voit de trop près au temporel, nos dépenses iront trop loin ; il faut que nous le dirigions, aussitôt que nous serons chez nous. L’argent est très rare ici, les plus riches propriétaires n’en ont pas dans ce moment. La stagnation du commerce en Europe étend ici son influence et plusieurs banques tombées donnent un embarras incalculable pour les paiements. J’ai été avec 500 F en billets pour payer notre loyer, on n’a pas voulu les recevoir. J’ai vu là notre premier Raphaël1 [M. Richard], il est d’avis que je tienne ferme. Nous avons emprunté 20 000 F, mais ne savons pas s’ils suffisent pour finir la maison, outre nos dettes inconnues avec le conducteur de l’ouvrage. Le terrain que nous habiterons m’a été donné par acte public par mon grand-père ; il comprendra verger et jardin à former – le terrain est uni – et j’ai fait de suite mon testament en faveur de mes deux amies [Audé et Berthold]2. J’oubliai, à ce moment, que je m’étais ôté la faculté de recevoir et de donner ; je vous en avais parlé, ainsi qu’à Monsieur Perreau. On m’en a remontré la nécessité, dans ce pays, et l’exemple de nos amis [jésuites] à Georgetown. Qu’en pensez-vous, et Monsieur Perreau ? Soit cela, soit le reste, depuis le 21, je n’ai pas eu un moment de paix. Pour en revenir à l’institut, je vois un parti moyen, c’est d’avoir des filles de couleur coadjutrices ; mais outre qu’il ne s’en présente que de loin, que leur vocation a besoin d’être percée [discernée] longtemps, combien de pauvres filles inhabiles au premier rang feraient merveille au second, si leurs idées se réformaient quelque temps en fréquentant 1 2

Un guide à la manière de l’ange Raphaël pour le jeune Tobie : Tb 5, 12. « Mgr Dubourg a fait faire le testament aux Mères Duchesne, Berthold et Audé au sujet de sa donation du terrain à Saint Ferdinand, que nous nous donnons l’une à l’autre, en cas de mort, par le testament.» JSA, 28 novembre 1819.

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leur future demeure et y recevant l’instruction ? Pour faire un rapprochement, j’imaginais de mettre : même forme de robe, bonnet rond à plis plats, sans croix et sans manteau, jusqu’après les sept ans ; qu’assez formée, on se rangerait peut-être à l’ordre reçu ; je dis peut-être, car que ne peut pas un orgueil soutenu par le sentiment général et par l’autorité qui, sans l’approuver, ne le combattra pas, parce qu’il a fallu, pour gagner les cœurs, prendre l’esprit du pays. Dans ma dernière lettre, je vous faisais l’éloge de Mlles Roi, de Montpellier, filles de 60 ans, qui ont fait vœu de venir ici et que j’ai fait engager à vous écrire ; elles sont du plus grand mérite. Je vous renouvelle la prière qu’il ne revienne rien à la sœur de mon grand-papa [Mme Fournier] de ce que j’écris. À cette distance, on peut changer les mots et les sens ; j’ai reçu un reproche qui me fait sentir que cette précaution est nécessaire. Nous avons un bon Prussien pour nos travaux, d’autant meilleur que ne sachant plus ni prussien, ni flamand, ni anglais, ni français, il ne peut dire que le plus nécessaire. Le flamand est encore la langue qu’il parle le mieux. Nos santés sont bonnes. La divine Providence adoucit tellement le temps que nous ne souffrons, ni nous ni nos enfants, de l’incommodité du logement [mot déchiré], de rhume, quoique la moitié n’ait que le toit pour plancher. Je n’ai pas [mot déchiré] la nuit. On dit toujours que nous entrerons, ce mois, dans la maison. Plusieurs de nos enfants désirent être de la confrérie du Sacré-[Cœur]. C’est un nouveau plaisir d’être inscrite à Paris. Veuillez le faire savoir. 10 décembre Ma lettre, commencée le 1er, a été interrompue faute d’occasion, besoin d’y voir plus clair sur le sujet de ma lettre, et par une retraite qui n’est pas encore finie. L’absence de notre Ananie1 l’a fait avancer. Elle ne devait avoir lieu qu’après notre fixation, mais grand-papa ne voulant pas pour nous la direction du pasteur du lieu [le P. Dunand], il nous a envoyé le chef des enfants du patron de nos écoles [M. de Andreis]. C’est un saint, un puits de science ; ses discours solides, profonds, dans l’esprit de nos amis [jésuites] qu’il aime beaucoup. Sur mon vœu, il m’a donné l’exemple des Augustins qui, quoique religieux dans la rigueur, reçoivent et testent pour s’assurer leurs pos1

Il s’agit du P. Delacroix en mission à la Gasconade. Ananie est un guide de saint Paul, Ac 9, 10-19.

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sessions ici. Sur ma situation avec grand-papa, il m’a dit qu’elle était délicate, que c’était la sienne ; qu’il y avait à Rome une Congrégation de cardinaux pour les Réguliers1, afin de juger ces sortes de questions, étant exposés à perdre leur esprit, leurs formes primitives, s’ils se pliaient à tous les désirs des pasteurs. C’est assez pour vous faire comprendre que j’ai besoin d’une réponse ; la voie la plus sûre et la plus prompte serait par M. Petry, consul général de France à Washington à qui j’envoie celle-ci. Sœur Marguerite s’embrouillant toujours plus dans l’extérieur et la petite Américaine n’ayant point de tête, je suis toujours dans l’embarras pour la cuisine. Des filles de couleur sont proposées, de La Nouvelle-Orléans, mais Monseigneur a écrit qu’elles attendent, qu’il vous avait écrit. Je vois avec peine l’égalité, obstacle à beaucoup de vocations, même avec un seul rang, car le mérite, etc. … mettra toujours une différence et l’amour-propre trouve toujours des sujets de plaintes : telles voudront être maîtresses, qui ne sauront rien. Et si les maîtresses de classe font aussi les travaux, où sera leur temps ? Quelle propreté sur leur personne ? Et si elles ne les font pas, voilà une distinction. Tout bien pesé, il vaut mieux peut-être rester ce que nous sommes et s’exposer à ne pas se recruter beaucoup, nous étendre moins ici et le faire plus tard, dans des pays où l’esprit de subordination donne moins de prise aux réflexions de l’amour-propre. Quand la supérieure fait la cuisine à son tour, plusieurs voudront aussi être supérieures à leur tour. Cependant, je n’ai d’autre désir que votre volonté. Mille respects aux Pères Joseph [Varin] et Perreau, qui sûrement voudront bien conseiller votre réponse, ainsi que nos chères Mères [assistantes générales]. Je suis, avec un profond respect, ma digne bienfaitrice, votre humble servante in Corde Jesu. Philippine Duchesne 16 décembre 1819 1

La Congrégation pour les affaires des évêques et des réguliers, instituée en 1600 par Clément VIII, est devenue, après diverses transformations, la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique. Cf. Jean-Paul II, Constitution Pastor bonus, 28 juin 1988.



Lettre 143

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P. S. Je viens de recevoir votre lettre. Je n’ai pas remis celle de Catherine qui a été saignée hier et est tranquille à ce moment. Mères Lucile [Mathevon] et Dutour1 ne sont pas propres pour ici : il faut plus d’extérieur et de talents, et surtout apprendre l’anglais. [Au verso :] À Madame Madame Barat Rue des Postes n° 40 chez Monsieur Roussel À Paris

LETTRE 143

L. AU P. PROVENCHERE [Rapport de trois transactions financières]2

N° 6

Madame Philippine Duchesne à P. Provenchère 1819 Nov. 23 Déc. 15 1820 Janv. 27

Record de la vente par Mgr. L. G. Dubourg. Payé à M. Gamble Hypothèque et obligation à M. J. Mullanphy

$ 1-50

Record de l’hypothèque ci-dessus, payée à M. Gamble

$ 2-25

Reçu le montant du compte ci-dessus par Mgr L. G. Dubourg Saint-Louis, Février 4th 1820 P. Provenchere 1 2

$ 5

$ 8-75

Elles seront cependant envoyées en Amérique : Lucile Mathevon en 1821 ; Hélène Dutour en 1827. Original autographe. Series XII, C Callan Box 7 packet 2, Letters to lay people. Philippine Duchesne à P. Provenchere, 1819-1820. Rapports de transactions financières et reçus, signés par P. Provenchere. Archives Province États-Unis-Canada.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 144

L. 8 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

MON BON PÈRE,

Rec. à St Antoine de Padoue 1820 – Commencement1

J’ai écrit [la lettre] N° 7 à votre sœur, ma digne Mère, le 16 septembre. Ma lettre mise à la poste a dû partir par Philadelphie. Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit à vous-même ; je m’en dédommage en parlant souvent de vous et me rappelant vos avis. Nous disons souvent que nous ne vous retrouverons jamais mais vous nous avez souvent dit : Dieu seul nécessite de fuir la consolation. Il est bien vrai que dans les rapports avec vous, il y avait autre chose de plus solide que la consolation, mais Dieu a fait cette séparation, cette privation ; c’est assez pour s’y résigner. Il a en même temps mis dans les hommes de Dieu qui nous entourent un zèle, un intérêt que nous ne méritons pas ; et tous nous assurent que nous ne manquerons pas de secours et j’ai tout lieu de croire que Monseigneur, ne voulant pas pour nous la direction du pasteur de Florissant, a attaché à notre maison un prêtre très propice à notre œuvre ; outre la nourriture, il nous dit de lui donner 1 000 F, somme difficile à trouver dans notre situation, car sur une maison qui coûtera 30 000 F, il n’en resterait que 7 500 de ce que nous avions apporté de France. Le bon Monsieur Richard, qui se meurt de regrets de notre éloignement de sa paroisse, loin de demander, nous donnait tout ce qu’il pouvait et aurait continué mais il n’a pu être ici, n’ayant pas appris l’anglais malgré beaucoup d’étude. L’anglais est aussi bien important à Saint-Charles et partout dans ce diocèse, mais c’est une langue bien difficile ; je ne le parle pas, ni ne l’entend. Mère Eugénie le bégaie et Mère Octavie, malgré sa facilité, le parle mal et sera toujours hors d’état de l’enseigner, de l’avis de Monseigneur, à cause de l’extrême difficulté de la prononciation et de l’extrême délicatesse d’oreille de ceux qui parlent l’anglais. Cependant tous les parents exigent cette étude et nous n’avons personne à nous en état d’y veiller. Mère Octavie s’aide d’une pensionnaire américaine que je vous prie de demander à Dieu pour nous, s’il lui plaît. Sa trempe d’âme, ses

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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dispositions en feraient un sujet distingué et bien nécessaire pour la partie de l’anglais. Les novices sont encore à venir et le point de leur entrée est maintenant le plus difficile pour nous : j’en ai parlé à ma Mère dans ma dernière lettre. Monseigneur a dû lui-même demander qu’il n’y ait ici qu’un seul rang, qu’un seul costume ; par conséquent, point de sœurs [coadjutrices]. Nous avons marqué notre avis là-dessus, terminant par dire que nous nous en tiendrions à ce que notre Mère décidera pour nous, mais je crains que ce soulagement ne suffise pas à l’amour-propre. Si on ne peut se plaindre d’une diversité de rangs, de costume, on le fera sur des occupations que les talents et le mérite seul peuvent faire donner. Plus je pense à cela, plus je vois l’extrême difficulté de tout accorder, car comment reformerons-nous une opinion de nation, soutenue par la pente de notre nature ? Cependant on laisserait Sœurs Marguerite et Catherine ce qu’elles sont. La dernière a reçu une lettre de notre Mère qui la peine, sans changer son inclination qui lui sera toujours un tourment ; elle dit qu’on a mal pris sa lettre et que sans doute on a écrit contre elle. Je crois qu’elle veut rester fidèle ; Dieu l’aide par les circonstances : Monseigneur ne l’écoute plus sur cela et il n’a ni la volonté ni l’argent pour l’aider dans une entreprise d’établissement. Ses fonds étant épuisés, il nous a fait emprunter 10 000 F pour notre bâtisse, qui ne suffiront pas pour la finir, mais nous sommes à couvert ; nous irons pied à pied pour finir. Nous sommes entrées dans notre maison le 24 décembre, par un grand froid qui a toujours continué et rend cet hiver plus rigoureux que tout ce qu’on a passé depuis longtemps, depuis plus de vingt ans. Nos santés se soutiennent, mais les enfants annoncées ne sont pas venues, et c’est un autre problème de savoir comment nous ferons face à nos dépenses. J’attends tous les jours les 3 000 F de Niort. Il faudra que cela me vienne directement. Monseigneur nous a donné, par acte publié, le terrain où nous sommes qui formera : jardin, verger, cour. Nous avons un très bon homme attaché à la maison, qui est [payé] à rien pour le pays avec 620 F et nourri, etc. Toutes les banques des États viennent de tomber ; ce qui met tout le pays dans une crise qu’on n’a pas encore vue ; il n’y a que les billets de la banque du Missouri qui passent. Nous n’avons pas reçu le piano et autres ballots ou caisses, rien ne remonte le Mississippi qui est entièrement pris [par le gel]. Il n’y a plus certaines provisions à Saint-Louis ; le sucre est sans prix. L’entrée s’est faite à la nouvelle cathédrale, le dimanche après la fête des Rois, quoique bien loin d’être finie. Cependant il est bien étonnant

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que Monseigneur ait pu faire tant de choses en deux ans. Il compte 40 prêtres dans son diocèse ; on dit que le Canada en a plus de deux cents, avec six communautés de femmes bien établies. Nous persévérons toutes dans l’espérance que nous le serons un jour ; mais maintenant les ténèbres, pour y voir, sont bien profondes. Nous avons l’expérience qu’on peut allier le bonheur à beaucoup de peine ; nous sommes contentes de notre destination, n’avons aucun repentir et sommes même disposées à demeurer en paix au milieu des mauvais succès. La pauvreté ne nous coûte point quand elle ne fait que retrancher pour nous ; ce sont les dettes qui piquent le cœur, mais une pauvreté abjecte, dépendante, rebutée, étant celle de Notre Seigneur, nous l’embrassons comme venant du Cœur de Jésus et ce que je vous exprime est l’unique sentiment de vos filles de la Louisiane, qui se disent toutes vos humbles filles in Corde Jesu. Ce 2 [janvier 1820] Ph. Duchesne Dites à notre bonne Mère de n’avoir aucune sollicitude sur nous. Le saint Monsieur Richard dit que nous réussirons. Je crois plus cet homme de Dieu que les mondains qui disent le contraire. Nous sommes gaies ; nos 16 enfants sont bonnes. Mille respects à Monsieur Debrosse et à Madame Vincent. Quel sacrifice que toutes ces lettres aux douanes de La Nouvelle-Orléans ! Mes respects à mes Pères et Mères en leur donnant de nos nouvelles. Monseigneur va descendre dans la Basse-Louisiane pour plusieurs mois. Les élèves qui vous ont écrit attendent leur réponse. L’une d’elle, Mlle Émile qui a 16 ou 17 ans, qui n’avait là que de mauvais livres, qui croyait toutes les religions égales, entrant chez nous, a été tellement changée par sa dévotion prise subitement pour la Sainte Vierge que, promise en mariage depuis plusieurs années, elle a dit à son prétendu de ne plus compter sur elle et qu’il n’en fût pas fâché parce qu’elle ne prendrait personne d’autre, voulant être religieuse. Sa mère a dit qu’elle mourrait de souffrance. Elle lui a répondu : « Vous serez bienheureuse car heureux ceux qui souffrent. » Elle est maintenant à Saint-Louis au fort des combats pour qu’on n’accuse pas Monseigneur de la pousser au parti qu’elle prend. Elle ne le voit plus et se soutient d’elle-même. Monsieur de Andreis est son confesseur et ne lui sera pas opposé. Il nous a donné une retraite et ne cesse de dire combien il a été heureux



Lettre 145

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dans notre solitude. Ce culte de Dieu dans les bois sauvages le ravissait ; on ne peut pas imaginer, dit-il, l’intérêt qu’il prendra pour nous. Ma chère Sœur Julie [Bazire] a, dit-on, l’envie de venir ici. Combien je la désire ! Il lui sera plus utile de se rendre forte pour la musique et le dessin qu’à l’anglais. Monsieur de Andreis ne peut prendre la prononciation, pour l’avoir étudiée à Rome. Je suis à vos pieds, votre toute indigne fille. Philippine [Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat, prêtre Au petit séminaire À Bordeaux France

LETTRE 145

L. AU PÈRE DEBROSSE

SS. C. J. et M.

Recommandée aux saints anges, ce 29 février 18201 Mon très cher Père, Je vous dois bien des remerciements : d’abord pour avoir répondu à ma première lettre et enfin pour avoir bien voulu nous tenir quitte des frais de tant de sortes, faits pour nous. Le bon Dieu, qui vous donne cette charité pour nous, voudra bien vous en tenir compte : elle nous est d’autant plus nécessaire que nous entrons dans une maison qui coûte quatre fois plus que nous n’avions pour la bâtir ; ce quadruple se paiera petit à petit sur les pensions, avec intérêt. Mais il reste beaucoup à faire encore pour nous clore et établir un jardin et verger. Les journées2 nous mettent toujours à sec et nous arrêterions toute dépense s’il était possible de n’être pas fermé [par une clôture], mais notre sûreté et 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. La rémunération des ouvriers.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

commodité le demandent autant que la régularité et on ne peut même différer ; n’ayant pas de contrevents, toute personne pourrait entrer la nuit dans notre maison en soulevant les châssis à coulis. C’est moins étrange dans ce pays où l’on couche la porte ouverte. Je ne souhaite pour le moment aucun envoi de France à cause de l’impossibilité de payer les ports. M. de Vidaud parle d’un envoi de vin ; quelque utile qu’il fût, comme on peut trouver du vin ici suffisamment pour la messe, s’il donnait une commission à Bordeaux, je vous prie de l’arrêter ; ou ce qui serait mieux, s’il ne demande point de compte, de nous réserver la même valeur en espèces. Cela pourrait aider au voyage d’une ou deux de nos sœurs, que notre Père Louis [Barat] ne croit pas pouvoir venir autrement que prises et enlevées comme Habacuc1. Mon frère m’offrant de l’argent pour revenir en France, je vais lui écrire que j’aimerais mieux qu’il me procurât par son argent une compagne en payant sa traversée. Si cette ressource me manque, j’ai espoir en Monsieur Inglesi, fils d’un ambassadeur de Rome, qui s’est donné aux missions de la Louisiane2 ; il sera prêtre à Pâques et partira aussitôt pour les aider de toute manière en allant en Europe. Il veut voir notre Mère, il nous porte un intérêt particulier et a dit qu’il lèverait la difficulté pécuniaire pour l’envoi des sujets. Il vient de nous faire dire de nous préparer à chanter sa première messe, à la deuxième fête de Pâques ; il nous prêchera et prendra nos commissions pour la France. L’esprit de Dieu dira à Ma mère ce qui nous convient ; quant aux talents, l’étude de l’anglais pour une française n’est presque rien, c’est l’oreille plus que les yeux qu’il faut accoutumer à cette langue. Le Père Barat me parle de faire imprimer le « Pensez-y bien », mais il l’est déjà ; nous pouvons l’avoir des villes de l’Est ainsi que L’Imitation, Le Combat spirituel, L’In1 2

Dn 14, 33-39, le prophète Habacuc est saisi par les cheveux par un ange qui le transporte, de Judée à Babylone, pour nourrir Daniel dans la fosse aux lions. Angelo Inglesi se présentait comme un comte romain qui désirait être prêtre en pays de mission. Il fit une forte impression à Saint-Louis, en 1819, fut ordonné hâtivement par Mgr Dubourg en mars 1820, entreprit de nombreux voyages en divers pays, recrutant des missionnaires et recueillant des fonds. À Paris, il rencontra la Mère Barat. À Rome, en 1821, il contribua à la création de la Société pour la Propagation de la Foi lorsqu’une grave affaire de mœurs, dans laquelle il était impliqué, l’obligea à partir précipitamment. De retour en Amérique, il se joignit au parti schismatique d’Hogan, à Philadelphie : sous la forte pression des administrateurs des biens de l’Église catholique, Guillaume Hogan, prêtre de l’église de Sainte-Marie, à Philadelphie, s’est opposé à son évêque. Mgr Henri Conwell l’a chassé de sa cathédrale, a exhorté ses fidèles à lui désobéir. Mgr Maréchal, évêque de Baltimore, fut mandaté par le pape pour y rétablir la paix. Le bref du 24 août 1823 rappela en vain la soumission du prêtre à son évêque. A. Inglesi est décédé des suites de la fièvre jaune, le 13 juin 1825, à Saint-Domingue. « L’affaire Inglesi » fut l’une des causes du départ de Mgr Dubourg en 1826.

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troduction à la Vie dévote, L’Âme élevée à Dieu et d’excellents et onctueux catéchismes ; le tout en anglais fort pur. Ce sont les livres classiques qui manquent ; une élève nous traduit plusieurs cahiers en anglais qui sera bientôt l’unique langue du pays ; en attendant, les créoles françaises jouissent de vos précieux recueils, mais c’est un petit nombre. La chute de beaucoup de banques met le monde à l’étroit et c’est un des plus forts coups nuisibles à notre établissement. Je suis avec respect, mon Révérend Père, dans les Sacrés Cœurs de Jésus et Marie, en union avec les saints anges, votre humble servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand ou Fleurissant, ce 1er mars 1820 Voulez-vous savoir combien le piano leur coûta de port jusqu’à Florissant, rien que pour avoir remonté le Mississippi par le steamboat ? 4 sols par livre. Monseigneur avait fait venir de Paris des arbres pour les transporter à Saint-Louis. J’ai bien vite écrit de New Orléans qu’on les plantât dans ce pays-là, en attendant qu’on ne fût pas obligé de mettre des arbres dans un bateau pour en payer le poids à 4 sols par livre. M. Inglesi ne pourra retourner en Amérique que le printemps prochain ; vous aurez le temps de choisir vos sujets, ou en trouverez-vous pour votre établissement projeté à Bordeaux ? D’ailleurs, où est la maison ? On vous dit la Providence : c’est là se moquer du monde. Ce serait merveilleux pour Florissant, mais pour Bordeaux, il serait ridicule d’y penser1. [Au verso :] À Monsieur Madame Barat Monsieur Debrosse Supérieur du petit séminaire À Bordeaux

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Le P. Robert Debrosse était alors recteur du collège jésuite à Bordeaux.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 146 

L. AUX JEUNES RELIGIEUSES DE LA MAISON DE GRENOBLE1

SS. C. J. et M.

À mes chères Sœurs Aloysia, Louise de Rambert2, Joséphine de Coriolis3, Louise de Vidaud4, Julie Dusaussoy5. 1er mars [1820]6 1e feuille Je viens de recevoir, mes bien chères Sœurs, par un steamboat, longtemps arrêté dans les glaces du Mississippi, un petit paquet de lettres en date, les unes de février 1819, les autres d’avril et de mai, même année, ce qui m’a procuré double lettre de mes Sœurs Aloysia et Louise de Vidaud. Le steamboat faisant un court séjour et voulant profiter de son retour, je me vois dans l’impossibilité de multiplier les 1

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Cette lettre est adressée aux jeunes religieuses de Sainte-Marie d’En-Haut, que Philippine a eues comme élèves. À Euphrosine (Aloysia) Jouve est confiée la charge de sous-maîtresse des novices. Louise de Rambert est entrée au noviciat, à Grenoble, a fait ses premiers vœux le jour de la fête du Sacré Cœur, en juin 1819. Joséphine de Coriolis (1799-1859), RSCJ, entrée au noviciat le 21 décembre 1817, a fait ses premiers vœux le 21 décembre 1819 à Grenoble, et sa profession le 11 décembre 1825 à Paris. Elle a été longtemps supérieure de La Trinité-des-Monts, a permis à la jeune postulante Pauline Perdrau de peindre, en 1844, la fresque de ‘Mater Admirabilis’ dans l’un des cloîtres, y a élevé une chapelle où beaucoup de conversions et de guérisons ont eu lieu, et a propagé le culte de cette image miraculeuse de la Vierge Marie dans le monde entier. Elle a hébergé, de 1845 à 1848, la mère Makrena Mieczyslawska, abbesse basilienne de Minsk dont Philippine parle dans sa lettre à Amélie Jouve le 30 août 1848. Pendant les troubles révolutionnaires de 1849, à Rome, la Mère de Coriolis a agi avec sagesse et courage, a accueilli la mère de Limminghe et la communauté de La Villa Lante. En 1850, de retour à Paris, elle a été maîtresse générale à l’Hôtel Biron. Elle a ensuite ré-ouvert la maison de Parme où elle est décédée le 11 mars 1859. Elle est l’auteur de l’Histoire de la Société du Sacré-Cœur, A-II 2)-b) General History of the Society. Louise de Vidaud (1801-1879), RSCJ, née le 13 février 1801, a été pensionnaire à Sainte-Marie d’En-Haut, avec sa sœur Zoé. Entrée au noviciat en 1818, elle a fait ses derniers vœux le 11 décembre 1825. Elle est décédée à Orléans. Julie Dusaussoy (1800-1842), RSCJ, est l’une des quatre nièces de la Mère Barat, qui ont été religieuses du Sacré-Cœur. Novice, elle est partie à Lyon le 28 novembre 1819. Le 2 avril 1830, elle a accompagné la mère Angélique Lavaudan à Avignon. Elle est décédée à Conflans, le 21 octobre 1842. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copies, C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane, Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane, 1818-1822, p. 53-61 ; Part B : Lettres de personnes variées, 1818-1828, p. 123-133 ; A-II 2) g, Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 216-222. Cf. Ch. Paisant, p. 295-301.

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lettres. Et qui m’empêche, sous une même feuille, de remercier ma chère Aloysia de ses journaux intéressants, de féliciter mes Sœurs Louise de Vidaud et Julie Dusaussoy de leur généreuse résolution et de leur bonheur qui est aussi le mien, m’estimant heureuse d’avoir de nouveaux liens avec elles ! Enfin, je vous dois à toutes réunies l’accomplissement d’une promesse. Vous souvient-il que quelquefois, nous entretenant ensemble lorsqu’on lisait les Lettres édifiantes et laissant échapper l’expression de mes vœux pour les pays sauvages, vous me fîtes promettre que si j’y allais jamais, je vous en enverrais des relations ? C’est le temps de les faire, mais je ne pourrai les rendre bien intéressantes : ce pays qui semble sorti depuis peu de la barbarie, n’en offre plus ni les faits singuliers pour nous, ni non plus les curiosités qu’offre un pays lointain mais civilisé. L’État de la Basse-Louisiane, ayant pour capitale New Orléans, n’a que cette ville considérable ; beaucoup de terres, quoique bonnes, sont incultes, mais il se forme de tous côtés des établissements : il y a des Français, des Espagnols et des Américains. Ce dernier nom est celui qu’on donne aux sujets des États-Unis, naturels civilisés ou descendants des Anglais. L’air autour de La Nouvelle-Orléans est malsain ; plus haut, il devient meilleur. La Haute-Louisiane, ayant pour cheflieu Saint-Louis, n’est encore qu’un « Territoire » c’est-à-dire une terre dépendante des États, mais qui ne prend pas part au gouvernement. Le pays est sain en grande partie, excepté dans les endroits où il y a des eaux stagnantes ; cependant il y a souvent, et notamment cette année, des maladies contagieuses. Les longs voyages sur eau, dans les chaleurs et la disette, causent beaucoup de maladies aux voyageurs qui en arrivant les communiquent. La passion des voyages est très grande et nuit beaucoup à la jeunesse. Ceux qui vont pour le commerce à Philadelphie en rapportent toutes sortes d’objets de luxe, tellement que des pauvres ici en ont souvent plus que nos élèves de France les plus aisées. L’habitant de la campagne, après avoir mangé son salé et pain de maïs, lavé son linge, fait la cuisine, prend pour sortir son chapeau à fleurs et rubans, ses souliers de couleur, son parasol, sa robe brodée, etc. Ceux qui remontent le Missouri et Mississippi, à 5 ou 600 lieues pour le commerce des peaux, etc. avec les Sauvages, en rapportent les mœurs libres, la passion du gain, la férocité. Hier un homme entrant ici chez son voisin qui liait des balais, celui-ci lui dit : « Ne réussis-je pas bien ? » ; l’autre répond : « Tu ne saurais pas tuer un homme. »

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

En remontant le Missouri, la chasse procure de la nourriture, mais dans les établissements écartés dans la direction des sources du Mississippi, la faim atteint tellement les voyageurs qu’ils se mangent les uns les autres ; et on m’a dit que nous avions dans notre village de ces mangeurs de chair humaine, non sauvages, mais de nations civilisées peut-être français. Voici comment la chose se passe : le chef de l’entreprise engage des hommes à tant [d’argent] pour le voyage ; les uns devancent, les autres vont sur divers points à la recherche des objets de leur commerce. Les neiges ou autres accidents empêchent qu’ils se rejoignent à un point fixé. Alors, si la neige empêche de recueillir une mousse de rochers dont ils se nourrissent, ils conviennent de tirer au sort qui servira de nourriture aux autres. On se place en rond, le sort se jette, un fusil est prêt pour tirer sur celui sur qui il tombe. Les autres en font leur pâture. Quand ils ne sont que deux, le plus fort tue le plus faible. Voilà à quoi on s’expose pour un peu d’argent. Et que fait-on pour sauver des âmes ?… J’ai appris que dans ces pays on trouve une terre qui a toutes les propriétés du savon et sert aux mêmes usages. Les Sauvages en lavent et adoucissent leurs peaux qu’ils donnent pour de la poudre, des colliers, des couvertures, des liqueurs. L’ivrognerie est un vice général ici pour les Sauvages et les civilisés. La danse est un autre écueil qui va à la passion la plus violente. Chaque particulier fait ici son savon avec de l’eau qui a séjourné sur des cendres et filtré à travers pendant quelques jours. On fait bouillir cela avec toutes sortes de vieilles graisses, couennes, huiles gâtées, os ; on fait bouillir plusieurs jours. Le dépôt est un savon roux, mais fort bon. Chacun fait aussi ses chandelles et on les brûle à l’église où elles coulent moins que la cire jaune que l’on trouve facilement mais qui n’est pas épurée. Les bois entre Saint-Charles et Florissant sont pleins d’arbres dont on extrait du sucre qui se vend comme l’autre. C’est principalement l’érable qui le fournit. Il y a aussi beaucoup de miel, des noyers sauvages dont la noix ne peut servir, la coque étant trop dure, des souches de raisins sauvages dont on peut faire un vin passable, mais il est souvent impossible d’y atteindre, les souches filant à des hauteurs inaccessibles autour des grands arbres. Il en est de même des fruits du plaqueminier qui est plus agréable que notre nèfle et se mange aussi dans un état de mollesse. Il en est de même aussi de l’assemine, fruit de la forme d’un concombre avec la chair de la figue. Vous avez vu le fruit appelé pacane, qui est la noix de ce pays et en a le goût, mais on n’en fait point d’huile.

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Il n’y a ici que celle d’ours qui est une graisse peu coulante et souvent rare. Nous passerons notre carême sans poisson, ni huile, ni vinaigre et cela facilement. Le vinaigre se fait ici avec de l’eau de pluie dans laquelle on met une certaine quantité de whisky, liqueur faite avec le maïs et du sucre. On expose le tout au soleil. La race des chevaux est très jolie. Il y en a plus que d’hommes et ils ne font pas la moindre course sans être à cheval. La porte de l’église, le dimanche, ressemble à une foire à chevaux ; les femmes n’y vont qu’assises avec leurs enfants au bras. Les vaches errent partout sans être renfermées ; leurs veaux qu’on garde les font revenir soir et matin, mais quelle peine pour éloigner le veau quand on veut traire la vache ! Tantôt il ne cède pas à une force d’homme, tantôt il prend son élan avec violence et entraîne la personne qui le retient. Les bœufs et chevaux se rendent au logis où on les attire par du sel de maïs, etc., mais souvent on les perd ; alors, il faut courir les bois pour les chercher. Les bœufs accoutumés à leur liberté sont quelquefois difficiles à lier pour le travail ; alors, pour s’épargner du temps et de la peine, on les laisse liés ensemble des mois entiers, la nuit et le jour. Le chevreuil est à mon avis le plus joli animal du pays. Sa tête est des plus jolies et il est si tendre qu’aussitôt qu’on l’approche, il s’avance pour vous baiser. Il a toute la douceur de l’agneau et s’apprivoise facilement. Quant aux plantes et graines, le plus commun est le maïs dont on fait le pain de cette manière : on délaie la farine dans de l’eau chaude à une certaine épaisseur et on la jette dans un four de campagne qu’on a engraissé et on met du feu dessus et dessous. Nous en mangeons souvent et les Américains le préfèrent au froment qui vient bien ici, ainsi que les haricots, les citrouilles, les melons français et d’eau et autres jardinages. Les pommes de terre sont très en usage, il y en a de blanches, de rouges, de jaunes, de bleues ou violettes et enfin de douces qui ont tout à fait le goût de la châtaigne qui n’est pas comme ici, mais cette espèce ne se conserve pas. On ne connaît pas la lentille. Le riz vient de la Basse-Louisiane et est cher. Les bois, outre les fruits déjà nommés, fournissent beaucoup de mûres qu’on mange avec du sucre, comme les fraises qui y croissent aussi, ainsi qu’un petit fruit qui a un peu de la forme et du goût du citron et qui en porte le nom. On trouve partout une herbe appelée belle dame qui s’accommode comme les épinards et en a le goût. Le maïs se mange en épis tendre et cuit à l’eau ou vieux, lessivé pour en ôter l’écorce et cuit avec de la viande, et de beaucoup d’autres manières. On le donne en tisane très fréquemment, c’est la farine délayée dans de l’eau, cela s’appelle gruau

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et se prend les jours de purgation ; il supplée les bouillons d’herbes. En cataplasme avec de la moutarde dessus, il fait l’effet de nos emplâtres de moutarde et même de vésicatoire. Le mercure entre beaucoup ici dans les remèdes. Je vous ai écrit que nous avons quitté Saint-Charles les premiers jours de septembre. Nous avons passé jusqu’au 24 décembre dans l’habitation de Monseigneur au milieu de nos beaux bois. Nous y avons eu la visite de M. Inglesi, fils d’un ambassadeur romain ; il était encore enfant, à la suite du pape au sacre de Bonaparte ; depuis l’invasion de Rome, il a beaucoup voyagé et enfin, du Canada, est venu se rendre à la mission. Il sera fait prêtre à Pâques, viendra nous dire la messe, prêcher, et ensuite partira pour l’Europe pour avancer les affaires de la mission et peut-être les nôtres auprès de notre Mère pour l’envoi de sujets. Une autre visite non moins intéressante a été celle de Monsieur de Andreis, provincial des Lazaristes. Monseigneur nous dit de chanter devant lui le beau cantique du Nom de Marie, du Père Barat. Madame Octavie et les élèves obéirent, mais le bon saint manqua nous donner le spectacle de saint Jean de la Croix en extase aux chants des Carmélites : il rougit, pâlit, trembla, se serra sur sa chaise, s’y laissa tomber et enfin pleura. Il nous a ensuite donné une retraite. Il a tellement goûté la solitude de ces bois, qu’il ne cesse de dire qu’il a passé dans ce temps ses plus beaux jours en Amérique et il qu’il ne les oubliera jamais. Les cantiques de Sion, chantés dans cette terre étrangère, le ravissaient. Il s’était déjà plu, le long de l’Ohio, à faire éclater les noms de Jésus et de Marie, là où ils n’avaient jamais été ouïs. [2e feuille] Nous avons en ce moment notre plus riche élève aux prises avec sa famille pour se faire religieuse ; elle n’avait jamais lu que de mauvais livres avant de venir, mais la Sainte Vierge, pour qui son cœur s’est pris, lui a obtenu le don de la foi qu’elle n’avait pas, le mépris du monde, le détachement, la vocation religieuse et surtout un tel amour pour la Sainte Vierge que, quand un autre en parle, elle s’en étonne avec une certaine peine comme si l’on prenait sur les droits d’une fille unique ; elle a pour elle l’amour de jalousie. Plusieurs de ses compagnes annoncent le même attrait, mais il faut peu compter sur la persévérance et beaucoup plus sur la persécution qui pourrait en naître. Nous avons quitté l’habitation de Monseigneur par un grand froid. Le curé [P. Dunand] de Saint-Ferdinand (ou Florissant) m’écrivit que

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la terre sainte nous serait ouverte la semaine avant Noël. Je m’y rendis moi-même avec une jeune orpheline américaine qui nous sert d’interprète, tous les ouvriers parlant anglais. En arrivant au village, j’entendis sonner la messe et allai d’abord à l’église. Les paroles du prêtre m’annonçant la fête de saint Thomas apôtre, mon âme se sentit dilatée par la joie de mettre pied dans notre établissement un tel jour. Lui, saints François Xavier et Régis furent tour à tour les objets qui m’attachèrent particulièrement pour supplier Jésus et Marie qu’il fût à la gloire de leurs Cœurs. Le 23, Madame Octavie, Sœur Catherine, six des grandes pensionnaires vinrent à pied me trouver, enveloppées dans des couvertures de laine, leurs bas sur leurs souliers pour ne pas glisser sur la glace. Un waggon de nos effets les suivait, je profitai de son retour à l’habitation pour y aller faire les derniers paquets et emballer la chapelle. Le soir du même jour, le reste du pensionnat partit en charrette escorté de Monsieur Delacroix, à cheval. Le lendemain 24, Madame Eugénie, Marguerite et moi entendîmes la dernière messe dans notre petit Bethléem. Jamais chapelle ne l’a mieux représenté ; le bon Dieu y a été sans fenêtre pendant plusieurs jours, avec de si gros trous au plancher de dessus que de grosses pommes en sont tombées et ont pourri derrière le tabernacle. Elle était souvent semée de haricots et de maïs qui tombaient par les fentes ! Quant au-dessous, on n’avait point de peine à enlever les balayures parce qu’à chaque planche il y avait un trou assez grand pour les laisser passer à mesure. C’est cependant là où Monseigneur, Monsieur de Andreis, prédicateur du sacré collège, et nous toutes, avons souvent été pleins de consolations. Nous eûmes une peine extrême à emballer cette chapelle tant le froid nous ôtait le mouvement. Enfin elle fut chargée et presque tout ce qui nous restait. Marguerite devait venir avec une petite charrette ; je partis à pied avec Madame Eugénie pour conduire avec amitié notre dernière vache, car on n’avait jamais pu la lier et elle n’avait point de veau pour l’attirer. Je remplis mon tablier de maïs pour me faire suivre, mais elle préféra sa liberté, courut dans la neige et les broussailles du bois que nous traversions, nous étant souvent enfoncées dans la neige pour la suivre, ayant accroché nos voiles et nos habits. Le temps devenant plus mauvais, nous la laissâmes retourner à l’habitation, poursuivant vers Florissant où la trace seule des cochons nous guidait sur la neige. Nous étions tellement fagotées que nous fîmes peur à tout un troupeau de ces animaux presque sauvages. J’avais dans mes poches et

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mon sac, mon argent et mes papiers ; mais tout à coup, les attaches se rompent, tout tombe et s’enfonce dans la neige avec ma montre. Madame Eugénie vient m’aider, mais le vent ayant porté de la neige sur mes gants, ils étaient gelés sur ma main ; n’ayant pas dans les doigts la force de rien porter, il fallut tout mettre dans un mouchoir sale et porter sous le bras mon sac et mes poches. Arrivées à Florissant, on était déjà en peine de nous, la charrette que nous comptions suivre nous ayant bien devancées parce que nous avions perdu la bonne route. L’endroit destiné à la chapelle fut aussitôt vidé du bois qu’il contenait ; des draps firent la cloison du fond, la gelée ne permettant pas de la faire. L’autel se dressa dans la soirée et la veillée fut employée à le garnir et à se confesser. À minuit, Monsieur Delacroix dit la messe, toute la maison y assista excepté deux petites pensionnaires ; les ouvriers y vinrent aussi et y communièrent, étant tous pieux. Le lendemain 26, Monseigneur arriva, prêcha à la messe de la paroisse pour exhorter les habitants à contribuer pour la maison des externes, deux assemblées se tinrent à cet effet après la messe et avant Vêpres. Il dîna chez le curé et ne vint chez nous que le soir, accompagné de M. Inglesi, de Monsieur Delacroix notre confesseur, et du curé. Les élèves étaient toutes en uniforme amarante, bordé de velours noir. Elles lui demandèrent avec nous sa bénédiction, puis se rangeant en demi-cercle dans le salon, lui chantèrent des couplets de reconnaissance faits par Madame Octavie ; suivit un couplet pour le Père Marie-­ Joseph Dunand, trappiste, curé du lieu, qui a conduit tout l’ouvrage de notre maison, pourvu à l’argent quand il manquait, fait l’achat de sept chevaux pour les charrois qu’il ne trouvait pas à faire faire, logeant les conducteurs et faisant lui-même leur cuisine, passant les journées à suivre nos ouvriers et à 10 ou 11 heures du soir, allant faire la visite pour le feu, balayant les places, brûlant les broussailles, etc. C’est encore lui qui va faire la maison d’externes, les habitants ayant reculé ou fait des propositions non acceptables. Ce bon père, avant d’être trappiste, a été dans les armées de la Révolution, déserta, entra à la Trappe. Il a été de tous les voyages, en Russie, du Père Augustin [de Lestrange] et a été son procureur général, a fait bâtir la maison des religieuses en Suisse puis celle des hommes au Kentucky, qui est brûlée. Les maladies ayant anéanti leur second établissement près Kaskaskia aux Illinois, il est resté seul dans ce pays à missionner. Il a fait nombre de conversions, été dans les parties les plus reculées du diocèse, a eu à se défendre des feux des prairies dans ses voyages, des tigres, des serpents à sonnettes et a vu le tonnerre à

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ses côtés. Sa plus grande croix est de n’avoir pas détruit les vices. Son zèle lui a fait bien des ennemis et il dit qu’il n’a de consolations que depuis que nous sommes ici. Cependant nous lui donnons toujours de la peine ; quand l’argent manque pour payer un ouvrier, il avance. En voilà assez pour que vous priiez pour lui. Pour en revenir au séjour de Monseigneur, le jour de la saint Jean [27 décembre], il fit faire la première Communion à deux de nos enfants, bénit la maison et repartit. En passant par la classe, il vit les restes du déjeuner sur un banc, notre seule table ayant été pour lui, encore les pieds faillirent-ils tomber. Nous avons revu notre digne évêque le 1er mars ; il veut bien nous laisser tranquilles sur les avances qu’il a faites et a dit que nous les rendrions sans trop nous inquiéter. Il nous a appris que Monsieur Martial avait commencé son collège au Baton Rouge, jolie petite ville de l’État du Mississippi à 37 lieues de La Nouvelle-Orléans sur l’autre rive. Le Natchez en est le chef-lieu ; c’est une Sodome, mais il y a fait le même bien qu’à La Nouvelle-Orléans, animant le peu de catholiques à demander la visite de leur évêque. Monseigneur se rend à leur invitation et au retour visitera son 4e collège, formé le dernier sur une terre de 400 acres, donnée par une riche veuve qui fait aussi bâtir la maison : c’est un don à la mission de 200 000 F, et tout nouvellement. Les quatre collèges nés depuis cette année sont : 1°) celui du Barrens qui est en même temps séminaire, conduit par M. Rosati, Lazariste italien ; 2°) celui de Saint-Louis, conduit par M. Niel, de la maison de M. Liotard à Paris ; 3°) de M. Martial au Baton Rouge ; 4°) celui des Opelousas (si j’ai bien retenu le nom) conduit par M. Brassac. Voilà, mes chères Sœurs, ce qui me vient sur ce pays. Excusez le désordre de la relation, elle a été souvent interrompue. Et demandez à Dieu que nous ayons le bonheur de le faire aimer et de l’aimer nousmêmes d’un amour effectif et généreux. Je suis dans le Sacré Cœur, votre sœur, Ph. Duchesne

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LETTRE 147

L. 30 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 10 Ce 3 mars 18201 Recommandé à St. Ant. de Padoue Pour ma digne Mère Barat MA BIEN BONNE MÈRE, Je vous ai écrit le 25 janvier et depuis, à votre cher frère. Ces deux mots sont pour trois objets. Le premier pour vous annoncer que nous connaissons le prix de notre maison. C’est 30 000 F, dont 10 sont payés par ce que nous avions ou par des pensions ; 10 le sont en emprunt pour deux ans à 10 pour cent ; et 10 sont des avances de Monseigneur, pour lesquelles il ne veut même pas de billet [attestant avoir emprunté], ne voulant point, en cas de mort, que nous soyons inquiétées là-dessus. Il m’a dit, avec une grande bonté : « Vous le rendrez quand vous pourrez. » Il nous permet en outre de cultiver pour nous, cette année, un terrain à lui, tenant au nôtre. Il veut aussi nous décharger du traitement d’un aumônier, en plaçant Monsieur Delacroix ailleurs, ne voyant plus d’inconvénient à ce que nous soyons aux soins du Père Marie-Joseph [Dunand], qui a montré une grande vertu au moment où il a vu que notre confiance allait ailleurs, qui a un grand zèle pour nous et dont le talent nous est nécessaire pour finir nos bâtisses, car rien n’est plâtré, point de contrevent, d’escalier pour le grenier, point de clocher, ce qui laisse une ouverture au toit qui nous inonde. Le tout fini portera la maison à 35 000 F. Nous regrettons Monsieur Delacroix ; c’est un ange de paix. Monseigneur était hier ici, nous témoigne toujours beaucoup d’intérêt. Il nous a lu votre lettre où vous vous plaigniez que nous ne soyons pas à Saint-Louis ; il croit toujours que cette place ne convient pas pour la principale maison dans ce pays, disant que les parents n’auraient pas mis leurs enfants pensionnaires alors, mais externes, ou les ­auraient visitées ou fait sortir continuellement pour des danses, etc. Pour le noviciat, la vie y est très chère. Mais il désire que nous y ayons une maison d’externes, pour le peuple et les petits enfants trop jeunes pour être pensionnaires. Vous sentez que ce projet et notre seule maison existante demandent le secours de deux sujets au moins, et capables 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 121, p. 297-299. Cf. Ch. Paisant, p. 302-303. La lettre du 25 janvier, à laquelle Philippine fait allusion, a été perdue.

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(comme il dit) de conserver l’esprit et d’être un jour supérieures. Je calcule avec plaisir que les trois ans sont commencés. Il serait important que nous eussions des Américaines pour l’anglais qui devient général, et que celles qui viendront soient assez jeunes pour l’apprendre. J’en désespère presque pour moi. Monseigneur trouva hier, pour la première fois, que Mesdames Octavie et Eugénie lisaient bien. Que tous vos sacrifices et l’emploi de l’argent de Niort soient donc pour nous recruter. Quant aux caisses et ballots, il faut attendre que nous puissions en payer le port. Les premiers ne sont point arrivés. Mes respects à nos Pères ; je demande leurs prières et celles de toutes nos Mères et Sœurs. Je suis à vos pieds, ma digne et bonne Mère. Philippine Duchesne Nous avons seize élèves. La chute des banques en a arrêté plusieurs. [Au verso :] À Monsieur Ou à Madame Barat À Bordeaux ou à Paris

LETTRE 148

L. 9 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

[20 mars 1820] Rec. à St Antoine de Padoue1 Mon très bon Père, Monsieur Inglesi, qui veut bien se charger de nos commissions pour la France, est un des grands dons que Dieu ait fait à cette mission2. Né 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Copie, C-III USA Foundation, Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II, 1823-1830, p. 184-186. En note, d’une autre écriture : « Cet ecclésiastique a donné plus tard dans le schisme ; ne pas en parler. »

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à Rome d’une famille distinguée, connaissant presque toute l’Europe, il s’est voué à d’humbles ministères dans ce pays et voyage pour les intérêts de cette église de la Louisiane. Il a été fait prêtre hier, jour de saint Joseph, et vint le soir pour nous dire aujourd’hui sa première messe qui est chantée par nos Sœurs et les élèves ; deux prêtres sont venus pour l’assister et nous aurons 5 prêtres à la fois dans notre chapelle. Réunion qui ne s’est jamais vue à Florissant. Monsieur Inglesi nous porte un intérêt particulier ; au retour de Rome, il ira à Paris et verra notre Mère pour nos intérêts. Il doit être coadjuteur de Monseigneur et résidera à La Nouvelle-Orléans. Nous avons reçu avant-hier les caisses envoyées de France, en avril et en septembre. Voici la totalité de ce que nous avons reçu en plusieurs temps : 1° une caisse de joujoux et livres où étaient les lunettes de Madame X. ; 2° une caisse plus longue, en partie remplie de votre précieux recueil ; 3° une petite caisse contenant fournitures pour fleurs ; 4° la grande caisse du piano ; 5° celle des chandeliers et graines ; 6° celle des livres d’Amiens, joujoux, étoffe, ferrure ; 7° celle des papiers ; 8° celle des globes. Ces deux dernières, par méprise, ont été laissées chez Monseigneur. Il recommande qu’on ne nous envoie rien d’inutile, à cause de la cherté des ports ; en effet celui de ces six caisses coûtera, dit-on, de La Nouvelle-Orléans à ici, 80 gourdes ou 400 F que nous n’avons pas. Heureusement, un des intéressés dans le steamboat attendra Monseigneur pour arranger cela. Il nous attend lui-même pour bien davantage. Comptant sur la bonne Providence qui ne nous délaisse point, nous n’avons eu que le sentiment de joie en voyant tant de choses qui nous rappellent la charité de nos Pères, Mères et Sœurs de France, qui ne nous laissent pas le temps de désirer ni de manquer. Monsieur Inglesi, voyant son départ devancé par le retard de celui de Monseigneur et l’occasion d’un steamboat, ne nous laisse pas le temps de répondre à toutes nos lettres ; je suis en particulier fâchée de ne pouvoir répondre à Mère Émilie [Giraud], ma première et bien chère fille, mais elle n’en comptera pas moins sur mon souvenir. Le dernier steamboat était déjà chargé d’un paquet de nos lettres, mais qui ne répondent pas à toutes celles qui nous sont parvenues :

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1°) de Madame Vincent dans un rouleau de modèles d’écritures et de cantiques ; 2°) dans un paquet, rendu à Saint-Charles par la poste, que Monsieur Richard m’a renvoyé et que vous disiez, dans votre lettre, avoir remis à Monsieur Asselin ; 3°) dans une caisse auprès du plan d’étude. Nous avions répondu aux paquets sous toile cirée par un paquet semblable. Monsieur Martial m’a tenu compte des 1 000 F que vous avez payés pour lui, mais on n’a pas de nouvelles des autres 1 000 F que vous m’annonciez dans votre dernière lettre. Les frais de douane sont montés pour les six caisses à 500, mais fussent-ils plus chers, ils nous étaient bien agréables venant de vous et de nos Mères et renfermant de véritables richesses pour notre situation qui n’a rien de pénible même à la faible nature, que les dettes. [Quelques lignes ont été coupées] Ajoutez à vos bontés en me donnant des avis particuliers. Je nuis aux âmes, loin d’y servir, et sans penser pour moi à une délicieuse tranquillité, je dois désirer être remplacée. Je suis fâchée de n’avoir pas le temps d’écrire à Mesdames Vincent et Agathe pour les remercier. Je vous prie de le faire pour moi, en leur offrant mon affectueux souvenir dans le Cœur de Jésus. Nos enfants qui vous ont écrit brûlent d’avoir une réponse à leur lettre. Je suis, mon bon Père, avec un profond respect, votre humble servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 20 Mars 1820 Dans la dernière lettre du 3 mars, il y en avait pour les R. P. Debrosse, Wrink et Mme de Lalanne, notre bonne et généreuse sœur. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Louis Barat, prêtre Au petit séminaire À Bordeaux France

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L. 31 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Florissant, 20 mars 18201 Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit, il n’y a que 17 jours, N° 10, mais l’occasion de Monsieur Inglesi, futur coadjuteur de Monseigneur, qui voyage pour les affaires de son église, était trop engageante pour la laisser échapper. Monsieur Inglesi, après son voyage de Rome, reviendra par le Nord et veut vous voir pour vous faire une demande de sujets pour cette mission, si ses désirs, ceux de Monseigneur et les nôtres sont remplis, et si la réunion du Conseil [général] produit un effort en faveur de notre mission. Nous avons reçu six caisses ou ballots : 1°) piano en bien bon état ; 2°) chandeliers en bon état, ainsi que la caisse, livres d’Amiens et autres, qui fait la 3ème ; 4°) la petite caisse de fournitures de fleurs ; 5°) un ballot de papier ; 6°) une caisse de globes dont l’un est cassé. Cela a été une grande joie en déballant tout cela dont rien n’est inutile, et plusieurs choses indispensables. Cependant je crois prudent, vu l’état de nos dettes, que je joins ici, et de l’énormité des ports sur le Mississippi, de suspendre tout autre envoi. On m’a cité une chaire qui a coûté 30 F de port ; nos caisses iront à 400 F ; les droits ont été de 500 F. Les 1ers mille francs ont fait face aux droits ; le reste ayant été dépensé, nous devons le port au parent d’une élève qui veut bien attendre. Monseigneur nous témoigne une grande bonté. Le terrain destiné à notre jardin n’étant pas préparé, nous le ferons cette année sur le sien, en embrassant de gros pommiers dont nous jouirons. La classe externe s’élève par souscription et par le zèle actif du curé. Elle pourra s’ouvrir dans un mois. Une postulante, veuve américaine que nous retardons, pourra être employée pour celles de sa nation. Parlez-moi de votre santé si chère. Je n’ai que le temps d’être à vos pieds pour être bénie au nom du Sacré Cœur. Je joins ici l’état abrégé des dépenses ; un plan de la maison tiré à la hâte et qui montre le terrain trop petit. Il est suffisant pour le jardin, verger et cour. 1

Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute Louisiane II, 1823-1830, p. 183-184. Cf. Ch. Paisant, p. 308-309. Le 20 mars 1820, Philippine a aussi écrit au P. Barat.

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Veuillez, ma bonne Mère, m’acquitter de tous les remerciements que nous devons pour tant de bienfaits. Nous aimons à en voir la source dans votre cœur après celui de Jésus. Philippine

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L. 49 À MME JOUVE, À LYON Ce 27 Mars 18201

Mes bien chers frères et sœurs, Dans un envoi qui nous a été fait et qui a éprouvé des retards, j’ai trouvé deux lettres de vous, jointes à un superbe présent qui va égaler notre humble chapelle aux églises de France quand nous produirons notre bel ornement. C’est le second que je reçois de vous, et il me sera bien cher, puisqu’il m’est un gage que vous n’oubliez pas une sœur qui, elle-même, s’occupe souvent devant Dieu de votre bonheur pour le solliciter par ses faibles prières. Tous les détails que vous me donnez de la famille et particulièrement de vos enfants m’intéressent beaucoup. Euphrosine me tient déjà au courant et je savais par elle que la santé d’Amélie n’était pas aussi bonne que je l’avais vue. Dieu a ses desseins en la faisant souffrir, il la dégoûtera du monde. Je ne vous parle pas de ma situation pour ne pas trop me répéter. Nous sommes depuis le 14 septembre dans la maison qui est la première à nous dans les États-Unis ; nous devons beaucoup pour la bâtisse ; la moitié de cette dette s’acquittera avec notre digne évêque qui a procuré les avances pour quand et comment nous pourrons payer ; 10 000 autres francs sont dus à un particulier de ce pays avec intérêt. Ma bonne sœur, tu me demandes ce qui me ferait plaisir. J’ai peu de désirs, me confiant beaucoup à la Providence ; néanmoins, notre état de dettes exigeant que nous ne nous accordions que l’indispensable, je ne pourrai faire notre bel ornement sans un galon. Mais choisis-le des 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 101-102 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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plus simples ; il me serait impossible d’en trouver dans tous les ÉtatsUnis ; un peu de fil à coudre et de soie verte nous seraient aussi bien nécessaires avec un court Abrégé de l’histoire ancienne et romaine, car je monte notre maison comme celles de France. Nous aurons pensionnat et école externe. Rappelle-moi aux souvenirs de mes frères et sœurs ; ce que tu me dis de Mme Lebrument me console beaucoup. Je suis votre toute affectionnée sœur in Corde Jesu, Philippine Duchesne

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L. 9 À MADAME DE MAUDUIT 27 Mars 18201

Ma bien chère Sœur, Je viens de recevoir une de tes lettres, bien propre à flatter un cœur si sensible à la tendresse. La mienne pour toi souffre de te voir si isolée. J’ai appris par plusieurs lettres le mariage et la grossesse de ta chère Amélie, le départ d’Augustine et ta profonde solitude ; puisses-tu y trouver le calme du cœur, ce soulagement de l’âme qui constitue le bonheur, souvent au milieu des souffrances. Je prie saint François Régis, notre ami commun, de te donner par ses prières toutes les consolations que mon cœur te désire. Je suis charmée que tu m’offres (mot manquant) auprès de lui et te prie de me faire dire une messe à son tombeau. Rappelle-moi au souvenir de mes tantes de Romans et de Mélanie ; je compte beaucoup sur leurs prières pour devenir sainte ; fais mes compliments à M. de Mauduit et à tes deux bonnes filles, surtout à Amélie qui est plus à portée de toi et que j’aime tant ; recommande-lui de ma part la fréquentation des sacrements chaque mois, la dévotion au Cœur de Jésus et à sa sainte Mère.

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p 01-102 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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J’ai une occasion pressée, peu de temps et plusieurs lettres à faire. Je te quitte, sûre de ton indulgence et de ton amitié. Toute à toi in Corde Jesu, Philippine

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L. AUX NOVICES DE NOTRE MAISON DE PARIS

SS. C. J. M

Fleurissant, le 28 mars 18201 Mes bien chères Sœurs, Comblées de bienfaits de nos maisons de France, à l’arrivée de L’Etna qui nous apportait 6 caisses ou ballots formant deux envois de Bordeaux à différentes époques, nous ne savions à quels sentiments nous livrer : la reconnaissance, l’intérêt qu’inspire l’union, le choix des détails, tout concourait à nous faire passer la plus heureuse journée. Nous avons lu vos lettres en plusieurs récréations ; pour ma part, j’en ai eu à cette époque une quarantaine ; mais une avait deux ans de date, et d’autres 18 mois, les plus récentes étaient de novembre 1819, n’était point dans les ballots, mais remises à un missionnaire qui est resté à La Nouvelle-Orléans et les a envoyées par la poste. Les autres se sont trouvées mêlées dans tous les objets divers, à la suite de visites de la douane. Si jamais on en envoie ainsi, il faudrait les attacher en paquet, car je crains bien qu’il y en ait de perdues, surtout celles de nos Père Joseph et Perreau, que notre Mère semblait m’avoir annoncées, et dont la privation m’est un grand sacrifice. Vous, mes bonnes Sœurs, qui vivez sous leur douce influence, mettez à profit cet heureux temps. Un jour peut-être, nourries d’un lait étranger2, vous regretterez celui de votre enfance spirituelle et vous seriez en danger de maigrir pour l’âme, si dès maintenant, votre constitution dans la vie spirituelle n’était pas bien affermie. Dites quelquefois à 1 2

Copie, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 223-224. 1 P 2, 2 ; 1 Co 3, 2 ; He 5, 12.

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ces saints Pères que les filles éloignées ont bien besoin de leurs conseils et de leurs prières. Nous vous félicitons d’être enfin réunies dans une maison, berceau de la société, puisque c’est là où vous naissez pour elle ; et d’y être sous les soins d’une si bonne nourrice [la Mère Deshayes]. Rappelez-moi à son souvenir, et ne croyez pas qu’elle manque de talents parce que je suis sortie très imparfaite de sa conduite. La faute est à moi seule, et j’attends de vos charités de prier pour continuer sa mission sur moi. La plupart de vous, mes chères Sœurs, ont exprimé des désirs de venir dans nos cantons, et les déclarent à moi, comme si je pouvais en aider l’accomplissement ; mais c’est l’affaire de notre Mère générale et de son conseil. Il faut toute sa sagesse et l’esprit de Dieu qui l’anime pour une telle décision. Quand je vois des personnes qui ont été tout zèle pour venir dans ces pays, et maintenant au point de retourner dans leur patrie, je crois qu’il faut beaucoup nourrir un tel projet. Il y faut du détachement, de la mortification, de l’humilité, du désir de souffrir qui puisse soutenir dans les moments d’épreuve. Quant à moi qui m’étonne de la bonté de Dieu à mon égard, qui a donné selon mes désirs et non selon mes vertus, je ne puis faire autre chose que d’exposer à notre Mère les besoins de notre mission. Je remercie Madame de Clausel de la nouvelle que Dieu l’a choisie pour son épouse1. Combien ce cher noviciat fait notre espérance en faisant celle de la Société. Priez, mes Sœurs, perfectionnez-vous, et si vous êtes des Berchmans2, nous nous confondrons devant vous, n’ayant pas la moindre de ses vertus dans une vocation sublime. Je suis du fond de mon cœur dans celui de Jésus, votre toute dévouée sœur, Philippine

1

2

Henriette de Clausel (1800-1852), RSCJ, née le 28 décembre 1800, a pris l’habit au noviciat de Paris le 28 août 1820, a fait sa profession le 7 décembre 1831. L’une de ses premières tâches a été de s’occuper de l’éducation de la princesse du Brésil, Isabel, fille de Pedro II et héritière du trône. Après être restée plusieurs années à Paris, elle est allée à Niort où elle est décédée le 2 février 1852. Saint Jean Berchmans est né en 1599 dans le Brabant, Belgique. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1616, il a fait ses premiers vœux en 1618. Excellent étudiant en théologie, il a achevé ses études à Rome, où il est mort en 1621, à l’âge de vingt-deux ans. En 1866, la guérison du curé de Mary Wilson, à Grand Coteau, Louisiane, fut le miracle accepté pour sa canonisation qui eut lieu en 1888.

Lettre 153



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Nous avons eu dans une semaine deux 1ères messes des deux prêtres ordonnés le jour de saint Joseph. Ces messes ont été chantées avec diacre et sous-diacre. Le Cœur de Jésus s’est plu à faire sentir sa douceur dans notre chapelle, où ces saints prêtres ont dit avoir éprouvé ce qui jamais ne s’était passé en eux, qu’ils étaient hors d’eux, que notre maison était un vrai paradis, que ces voies de l’innocence (en parlant de nos enfants) les ravissaient, qu’ils seraient trop heureux s’ils venaient souvent.

LETTRE 153

L. 32 À MÈRE BARAT [8 mai 1820]1

Ma bien digne Mère, Outre les services inappréciables que nous avons reçus du R. P. ­Marie-Joseph Dunand, religieux de la Trappe, auquel nous devons d’avoir conduit et fait hâter les travaux de notre bâtisse, et d’y avoir contribué de ses sueurs et des fonds qu’il a avancés, nous lui devons encore mille francs qu’il a payés pour nous en différents objets utiles, sous promesse de les faire compter, en France, au Père Abbé de Lestrange ou à lui-même, se disposant à y retourner. Je vous prie donc de garder, sur l’argent que doit encore à notre établissement celui de Niort, pour nous acquitter envers ce digne bienfaiteur. Il ajoute à toutes ses bontés, la crainte de nous mettre en peine en nous donnant un terrain précis pour le payer, mais son désir, et le mien, est que ce soit aussitôt que la Mère Geoffroy le pourra ; c’est une dette sacrée pour nous. J’écris à notre Père Barat pour le même objet car si, comme vous l’avez fait deux fois, vous nous faisiez compter 1 000 F, je craindrais que vous ne pussiez fournir à ce paiement qui nous intéresse plus qu’aucun. Je suis avec un profond respect, ma digne Mère, votre très humble fille et servante indigne. Philippine Duchesne 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 127, p. 305-308. Cf. Ch. Paisant, p. 311-312.

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Saint-Ferdinand, ce 8 mai 1820 P. S. : Je comptais que cette lettre soit renfermée dans celle du R. P. Dunand, mais il me l’a renvoyée avec les siennes pour les faire partir moi-même. J’ajoute donc ces mots pour vous réitérer mes sentiments tendres et respectueux et vous faire de nouveau la demande de deux sujets essentiels, un pour supérieure à la tête de tout, l’autre converse à la tête de la cuisine livrée maintenant à des enfants, avec de graves inconvénients pour leur conscience et nos intérêts. Si le Bon Dieu vous inspire et vous facilite une émigration plus nombreuse, elle comblera tous nos vœux et sera grandement utile. Si vous voyez Monsieur Inglesi ou le Père Dunand, je ne doute du plaisir que vous aurez d’apprendre, de témoins oculaires, où nous sommes. Je me suis aventurée en vous annonçant Monsieur Inglesi comme le futur coadjuteur de Monseigneur, ce qui n’est pas. Je vous prie d’offrir mes respects aux Pères Perreau, Varin, Roger et à toutes mes Mères et Sœurs. Je suis à vos pieds, votre indigne fille. Philippine Mes Sœurs se portent bien, c’est-à-dire comme en France, ce qui est beaucoup. Mme Eugénie a cependant, de temps en temps, une fièvre qui m’inquiète et qu’elle ne soigne pas. Dieu paraît aussi l’éprouver en la tenant dans un état de crainte. Elle fuit autant la communion qu’elle la désirait, il y a un ou deux ans. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue des Postes n° 40 chez À Paris

Lettre 154

LETTRE 154



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L. 10 AU P. BARAT

SS. C. J. et M

[8 mai 1820] Rec. à St Antoine de Padoue1 Mon très cher Père, Je vous ai écrit ainsi qu’à ma digne Mère au mois de mars par Monsieur Inglesi, romain de naissance et prêtre de la Louisiane qui voyage pour les intérêts de la mission et pour les nôtres qu’il a fort à cœur. Il doit voir notre Mère et a voulu avoir une lettre pour elle ; je le lui ai annoncé ainsi qu’à vous comme le futur coadjuteur de Monseigneur, mais il m’a démenti depuis et a paru étonné qu’on eût cette pensée, à cause de sa jeunesse. Vous verrez peut-être cette année un autre prêtre de ce pays [Joseph-Marie Dunand], religieux de la Trappe, et c’est lui qui est principalement l’occasion de ma lettre, car nous lui devons 1 000 F qu’il consent recevoir en France, ce qui nous convenait fort, étant toujours à court d’argent ici, et sachant que la chère et bonne Mère Geoffroy a encore quelque chose pour la Louisiane. Je vous prie de la prévenir ainsi que notre Mère de garder 1 000 F pour nous acquitter envers ce bon père, qui désire qu’on compte ses 1 000 F à son Père, Dom Augustin de Lestrange, ou à lui à son arrivée, l’hiver prochain. Si par impossible, vous aviez 1 000 F de disponible pour nous, je vous prie de les garder pour l’acquis de cette dette sacrée, à moins qu’il ne restât assez de nos fonds pour y faire face. Je n’ose l’attendre et alors il arriverait que ce bon Père ne serait pas payé parce que tout ce qui passera par Mgr Dubourg servira à nous acquitter envers Monseigneur, qui espère toujours les 15 000 F qu’il a demandés. Je n’ai pas entretenu cette pensée flatteuse. Le Père à qui nous devons ces 1 000 F est le même qui a conduit les travaux de notre maison qui a été arrosée de ses sueurs, le témoin de ses veilles pour nous ; et que nous n’habiterions pas encore s’il n’avait procuré des avances d’argent qui auraient manqué sans lui. Comme tout zèle actif trouve des oppositions, après avoir travaillé quinze ans dans cette mission, et longtemps presque seul, il cède à des accusations, 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Copie, C-III USA Foundation, Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II, 1823-1830, p. 189-190.

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des plaintes formées contre lui, et il est remplacé dans cette paroisse. Le prétexte apparent a été le désir qu’il avait de rentrer dans son couvent. Nous avons eu là un moment difficile à passer ; nous devions beaucoup à ce Père et cependant une autre direction nous convenait mieux. De chaque côté, on voulait nous faire parler et nous ne pouvions aller ni contre la reconnaissance, ni contre le bien de notre maison. Nous avons laissé agir l’autorité, recommandant la chose à Dieu : il eût été bien odieux de dire un mot qui pût tendre à l’éloignement de celui qui a tout sacrifié pour nous avoir dans sa paroisse. Nous avons maintenant 20 pensionnaires, la plupart bonnes. Nous cherchons à nous clore sans y réussir car, dans ces pays, les clôtures ainsi faites (petit dessin à l’appui) s’escaladent comme des échelles. Nous ne sommes pas assez riches pour avoir des planches comme les Dames de La Nouvelle-Orléans ; de pierres, et il n’y en a pas. Réitérez à notre Mère la demande de sujets ; voilà trois postulantes américaines sorties, n’ayant ni vocation ni aucun talent ; les vocations sont rares ici. Il faudrait pour notre bien une bonne supérieure et une bonne fille de cuisine. La santé ou les talents de nos sœurs se refusant à ce dernier emploi, il est livré à des enfants un peu suspectes ; des raisons de conscience ont forcé à un changement à cause des rapports, là, entre deux sœurs. La surveillance de ces trois orphelines est plus pénible que celles des vingt et une pensionnaires. Je crois que Monseigneur commence à sentir que nous ne pouvons nous passer de Sœurs [coadjutrices]. Il dit dernièrement à Mère Eugénie qu’elle avait les mains trop noires et que, quand elle faisait des emplois salissants, il fallait mettre des gants. Je crois que son bon jugement lui ferait surtout approuver un changement de supérieure et il n’est personne qui en souffrirait. Je n’aurai jamais la confiance ni au-dedans ni au-dehors ; elle est toute à mes deux compagnes qui en usent bien. Sœur Catherine a eu de notre Mère la vraie médecine qu’il lui fallait, elle est bien depuis ; celle de Niort, moins bien, peu active, empressée, inquiète, etc. Je suis le témoin inutile, heureuse de pouvoir partager les travaux difficiles. Je voudrais y être toute réservée et en serais consolée. Il fallait pour mourir après de si vifs désirs, voir les succès entravés, languir et enfin, moi-même, sentir que je les arrête. Heureuse encore que, n’ayant aucun appui sur la terre autour de moi, je n’y puisse éprouver des consolations trop douces pour une vie mourante en Jésus-Christ, qui est celle que je désire, sans la préparer par une ferveur. Je vous prie de renouveler à toutes nos Mères nos grands remerciements pour les dons de chacune. Elles auraient joui de nos jouissances

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Lettre 155

en ouvrant ces caisses contenant tant de preuves de leur tendre sollicitude pour nous. Mes respects au R. Père Debrosse, à Madame Vincent, à Mme Fournier à qui il ne faut dire que ce qui peut lui être agréable. Je suis avec un profond respect, mon bon Père, votre humble servante et fille. Ce 8 mai 1820 Philippine Duchesne [Au verso :] À Monsieur Barat Au petit séminaire À Bordeaux

LETTRE 155 L. 1 AUX MÈRES BIGEU, DE LALANNE ET MESSORIA SS. C. J. et M.

Rec. à St Ant. de Padoue1 Ce 8 mai 1820 Ma chère Mère, Les dernières nouvelles que nous avons eues de France venaient de votre maison, dans un petit paquet où se trouvaient une paire de bas et l’intéressante relation de votre établissement, écrite par la Mère Messoria. Combien il nous est précieux de tenir à une maison où Dieu est si bien servi et où il déploie son aimable Providence ; il nous en fait aussi sentir les bienfaits continuels. Invoquez-la pour nous, non dans la crainte qu’elle nous manque, mais dans la juste appréhension de ne pas répondre à ses faveurs. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Lettre adressée à Mesdames Bigeu, Lalanne et Messoria, classée dans la série à Mme de Lalanne, à cause de l’adresse portant son nom. Copie : C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute Louisiane II, 1823-1830, p. 191-192.

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Veuillez rappeler toutes mes Sœurs à la ferveur des prières de vos filles. Elles ont le bonheur d’être plus missionnaires que nous, qui ne faisons rien pour Dieu que nous résigner à faire peu. Je suis avec respect, ma digne Mère, votre humble servante, Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, le 8 mai 1820 P. S. : Ma chère Mère, L’occasion que je croyais plus pressée ayant manqué, j’ajoute quelques mots pour mes Mères de Bordeaux, de Lalanne et Messoria, car vous avez dû me trouver bien brève, ne vous disant rien de notre situation. Quand nous calculons qu’il n’y a pas deux ans que nous avons abordé ce pays-ci, nous ne pouvons nous empêcher d’admirer la divine Providence car, après quelques retards et de légères privations, elle nous a cependant mises chez nous, conservées en bonne santé, établies de manière à espérer pouvoir payer les dettes contractées pour la bâtisse, pourvues de secours spirituels, même souvent en abondance. Cela n’est-il pas admirable ? Combien l’est davantage l’œuvre de Monseigneur ; en moins de deux ans, il voit sa cathédrale bâtie, son séminaire bâti et en exercice, trois ou quatre collèges répandus dans son immense diocèse dont toutes les parties sont, au moins, visitées par les prêtres. Là où le peu de population n’en demande pas un en résidence, nous avons des pensionnaires bien disposées. Dites donc avec nous que Dieu est bon ! [Sur le 2e feuillet :]

À Madame Messoria

Ma bonne Mère, Je vous dois des remerciements pour votre intéressante relation. Vous êtes heureuse de travailler à une si belle œuvre que celle de soulager, former et instruire tant de jeunes enfants. Vous êtes bien éloignée



Lettre 156

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de nos premières Mères, mais avec l’Ita Pater de notre Père Joseph, on consent à tout et on est heureuse, quoi qu’il arrive. L’occasion ne me laisse pas le temps de répondre à ma Mère Geoffroy. Je vous prie de lui exprimer mes regrets et mon dévouement. Je suis avec un cœur tout vôtre, votre servante. Philippine Duchesne votre sœur in Corde Jesu Saint-Ferdinand, ce 8 mai. Je vous prie de faire mettre à la poste les deux lettres pour M. Don Augustin de la Trappe et M. Dunand. Les autres, celle à notre Mère générale exceptée, peuvent attendre une occasion. [Au verso :] À Madame Madame de Lalanne Supérieure de la maison de la Providence Rue Mercière N° 9 À Bordeaux France

LETTRE 156

L. 11 À MADAME DE ROLLIN, À GRENOBLE

SS. C. J. et M.

Ce 27 Août 18201 Ma bien bonne Cousine, Il y a bien longtemps que je ne t’ai écrit, mais j’ai su que tu avais l’attention de passer quelquefois rue des Postes, où tu pourras toujours avoir de mes nouvelles les plus récentes et par-là, contenter ton bon 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 11 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 24-29 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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cœur si fidèle à ta vieille amie. On dit quelquefois que les vieux cœurs s’endurcissent ou voient s’émousser la pointe du sentiment ; mais par expérience, je pourrais bien assurer le contraire : les noms de Joséphine, de Marine, d’Augustin, de Camille me feront toujours éprouver un sentiment pur et tendre d’amitié et de reconnaissance. Maintenant que les personnes que ces noms me retracent ne sont plus pour moi les instruments presque immédiats de la Divine Providence, elle use d’autres ressources pour me témoigner sa faveur. Nous avons quitté Saint-Charles du Missouri le mois de septembre dernier ; parmi beaucoup de traits comiques dans notre transmigration, nous avons été bien sensibles aux larmes des enfants que nous avons quittées sans leur voir aucune ressource pour l’instruction. La maison de Florissant ou Saint-Ferdinand n’étant pas prête, alors nous avons campé dans une habitation jusqu’à la veille de Noël où nous nous sommes trouvées chez nous, c’est-à-dire dans la maison bâtie pour nous et que nous devons en partie, ayant emprunté pour la rendre logeable. Je ne doute point que la divine Providence, qui nous a conduites ici parmi tant de dangers et de difficultés, n’achève son œuvre par des moyens insensibles qui semblent dérober ses ressorts, mais qui ne la laissent pas moins admirable aux yeux des personnes qui la suivent dans ses routes de bonté. Nous avons vingt pensionnaires des plus remarquables par l’ancienneté des familles et leur influence dans le pays, où nous sommes bien mieux vues que nous ne le méritons. Les protestants comme les catholiques voient notre établissement avec plaisir. La chute de presque toutes les banques, la stagnation du commerce ont arrêté beaucoup de pensionnaires, l’argent est extrêmement rare. La santé de Mesdames Octavie et Eugénie ne comportant pas de fortes occupations, nous avons presque de quoi nous occuper. Madame Eugénie est menacée de consomption, c’est la plus grande croix que j’ai à porter dans ce pays. La perte d’un tel sujet porterait un grand coup à notre œuvre. Le bâtiment pour les externes n’étant point fait, nous n’en recevons pas encore. J’ai à te remercier de tous les détails que tu m’as donnés sur nos familles, le souvenir de M. de Rollin me flatte beaucoup, ainsi que celui de tous tes bons parents. Veuille me rappeler à eux et donner de mes nouvelles à mes sœurs. Mme Jouve m’ayant demandé ce qui me ferait plaisir, je lui ai répondu que m’ayant donné de l’étoffe pour une chasuble, on ne trouve point dans ce pays de galon pour les garnir. Je voudrais aussi des cartons pour le canon de la messe tous collés, avec deux ou trois cingules et un peu de frange or mi-fin. Tous ces objets ne peuvent se trouver ici, mais pour nos vêtements, nous ne manquons

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de rien avec de l’argent, le commerce apportant tout le nécessaire et à des prix très modérés. Le Missouri est devenu cette année un des États fédératifs de la République. Saint-Louis est chef-lieu pour dix ans, et le père de nos premières pensionnaires y aura la plus grande influence, il nous est très attaché. On s’occupe des lois de cet État ; le point le plus discuté et le plus combattu est l’admission de l’esclavage. Il paraît que ceux qui ont des esclaves les garderont à perpétuité ainsi que leurs enfants qui leur appartiennent, mais qu’on ne pourra pas en faire la traite avec les Africains. Nous n’en voulons point et ne pouvons aussi en acheter, et cependant on ne sait comment faire faire le service, surtout ne sortant pas. Personne ne se loue à titre de domestique, tout veut être de pair ; jusqu’à présent, nous avons eu de jeunes orphelines qu’on peut se faire assurer par un juge jusqu’à 21 ans. Crois à mon inviolable attachement. Toute à toi in Corde Jesu, Philippine

LETTRE 157

L. 33 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 29 août 18201 Rec. à St Ant. de Padoue Ma bien digne Mère, Les dernières nouvelles que nous avons reçues de France sont de vous, pour moi et Mère Eugénie, en date du 29 février 1820, n° 4 ou 5. Cette lettre reçue avec les transports ordinaires m’a cependant laissée un peu triste, voyant que vous n’aviez rien d’arrêté pour nous envoyer du secours. La Divine Providence, après nous avoir flattées de cet espoir et de celui de voir prochainement parmi nous un très bon sujet américain, a confondu toutes nos pensées, au moment où je voyais tomber sensiblement les Mères Octavie et Eugénie et par conséquent l’œuvre entière. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 130, p. 315-321. Cf. Ch. Paisant, p. 317-320.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Il faut peu compter sur les vocations d’ici ; la légèreté d’une partie des sujets, l’insolence des autres, l’éloignement des parents pour notre genre de vie, l’obstacle de la langue et des gens de couleur, tout semble nous resserrer à notre petit nombre. Je me réduirais volontiers dans notre étroite sphère si je ne pensais mettre obstacle à notre agrandissement ; mes deux petites Mères y seraient plus propres ou tout autre que vous enverriez. Mais, malgré mon inclination pour Mère Lucile [Mathevon], je doute qu’elle soit bien vue de Monseigneur qui tient à l’extérieur, aux talents, voyant qu’il en faut ici plus qu’ailleurs parce que généralement l’extérieur agréable se trouve ici, et que, quant à la science, moins on en a, plus on croit la trouver infuse et universelle dans les personnes qui enseignent. Si Sœur Joséphine Meneyroux avait calmé sa tête, elle pourrait plus facilement remplacer Mère Eugénie en cas de maladie ou autres. Dans mes deux dernières lettres, je vous ai parlé du changement de sa santé, altérée par le peu de soin qu’elle y a donné et par plusieurs imprudences. La plus capitale est toute récente. Elle s’était persuadée que c’était l’abondance du sang qui lui causait de l’irritation. Ayant donc eu une saignée très forte, elle ne lui a pas suffi ; une heure ou deux après, elle s’est enfoncée dans un champ de maïs, a débandé sa plaie et laissé couler le sang à plaisir, ce qui l’a fait tomber à plusieurs reprises. Un peu revenue, elle s’est traînée jusqu’à la maison et est tombée sur le seuil toute blanche comme un linge devant moi, qui ignorais ce trait de délire et à qui elle l’a caché plusieurs jours. Je vous assure que le jugement des médecins, joint à son peu de docilité pour ce qui regarde son corps, me tient bien en peine. Je vous ai déjà dit qu’elle avait été dans une disposition d’âme très souffrante. Je ne puis démêler si tout est épreuve, mais il est sûr qu’elle a montré quelques travers d’esprit, ce qui m’afflige par rapport à ce qu’elle serait capable de devenir pour la Société par son dévouement pour elle et sa capacité. Dieu bénit sensiblement sa conduite auprès des enfants, elle les tient mieux qu’Octavie. Je n’ai de tranquillité que quand je pense que Dieu a voulu notre œuvre et il l’achèvera ; mais les difficultés sont grandes. Mère Octavie a eu [mot barré, rendu illisible] dont elle est remise ; elle est comme à Paris pour sa santé. Sœur Catherine comme à Amiens et Sœur Marguerite tombe beaucoup, il lui faudrait la tranquillité parfaite et comment la lui laisser, étant si peu et moi maintenant la seule forte ? Aussi les commencements de Paris et de Grenoble ne sont rien au prix de ceux-ci : il n’y a jamais de repos. Au moins, à Paris et à Grenoble, on était des pauvres modestes, ici, il faudrait être des pauvres magnifiques. Je me suis trouvée, ce mois-ci, avec 6 sous ½ en bourse, outre les dettes,

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et tous les jours, outre nos tables, une pour les prêtres, de trois ou quatre. Monseigneur a passé lui-même dix jours avec nous ; jamais il nous a témoigné tant de bonté, il s’inquiète beaucoup sur la santé de Mesdames Octavie et Eugénie et voulait que cette dernière fît au dehors des promenades à cheval, mais comme heureusement sa toux a cessé, je lui ai fait entendre que les nerfs plus que les poumons y avaient contribué. Il voudrait toujours une école externe à Saint-Louis, malgré qu’il attende de ses religieuses de l’Est pour le petit hôpital qui s’y établit. Il veut aussi en mettre dans la Basse-Louisiane où une dame, à 60 lieues de La Nouvelle-Orléans, a déjà fondé le collège de Monsieur Brassac et bâtit un couvent qu’elle dotera1. Monseigneur, après avoir parlé de son projet, dit que, si vous étiez moins difficile, il s’adresserait à vous, mais l’endroit ne convient nullement pour nous. C’est une campagne où l’on n’aurait point de pensionnaires et peu d’externes. Je regrette toujours que nous n’ayons pas un pied à La Nouvelle-Orléans. Cependant les Dames Ursulines vont la quitter ; on a coupé leur terrain par une rue, ce qui les met dans un passage ; outre cela, les maladies de chaque année, le voisinage de l’hôpital etc., tout cela les a portées à faire, à deux milles de la ville, une superbe acquisition où elles vont bâtir leur couvent. Monsieur Martial qui était dans leur maison, à cette habitation, est bien contrarié de ce projet, qui a maintenant l’assentiment de Monseigneur depuis qu’il sait que c’est le vœu de toutes ces Dames, qu’elles lui donnent leur église et entretiendront le prêtre qui la desservira. Elles vendront chèrement le reste. C’est là [que] j’aurais voulu un pied-àterre pour communiquer avec vous. Voyez si vous êtes à temps de le leur proposer et de fournir à cette œuvre. Quant à nous, nous avons été refusées pour un emprunt, ayant emprunté elles-mêmes pour leur énorme acquisition. Elles ont toujours bien des attentions pour nous. Nous venons de recevoir une seconde barrique de cassonade et une caisse de faïences. Le tout nous est de la plus grande utilité. Elles ont promis du riz.

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Il s’agit de la fondation à Grand Coteau, à 10 km au sud-ouest des Opelousas, à 240 km environ de La Nouvelle-Orléans. Venue du Maryland en 1803, la famille Smith possédait un immense domaine, y cultivait des terres et élevait du bétail. Après la mort subite de son mari en 1819, Mme Smith voulut achever les projets de son cher défunt : terminer la construction de l’église de M. Brassac et fonder deux maisons d’éducation, l’une pour les garçons, l’autre pour les filles. La fondation de l’école des filles sera réalisée dès l’année suivante par la Société du Sacré-Cœur. Celle des garçons, commencée par les Jésuites en 1838, sera fermée en 1922 ; l’académie Berchmans de la Société du Sacré-Cœur, ouverte en 2006, en a repris la mission. À leur arrivée à Grand Coteau, les religieuses apprirent que Mme Smith, devenue veuve, avait l’intention de vivre avec elles. Utilisant son charme, Eugénie Audé réussit à la convaincre que c’était impossible.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

On m’a dit que Monseigneur, dans sa dilection pour nous, voulait agrandir notre terrain et y établir une petite ferme. Je suis presque insensible à cette donation, parce qu’elle nous engagera plus que jamais à de fréquentes visites, sur l’idée que Monseigneur fournit à leurs frais ; cela cause bien des dépenses d’argent, de temps et surtout de régularité. Je n’en suis consolée que parce que ces pauvres prêtres trouvent un peu de repos et de bon air à Florissant, où ils ne peuvent être traités que chez nous, ce qui me fait remplir cette partie de ma vocation, quand je disais : « Je ne ferais que la cuisine des prêtres que je serais contente. » L’article important de votre lettre était quant aux externes. Il était déjà convenu avec Monseigneur que nous n’en introduirions plus dans la maison et que, n’y ayant ici ni pauvres ni distinction de rang, les élèves payantes et non payantes formeraient une seule classe d’externes. Si les santés se rétablissent et que nous avons du secours, nous pourrons l’ouvrir à l’entrée de l’hiver. L’argent, très rare, arrête beaucoup de pensionnaires. Je n’ai aucun désir de grand succès, je vois tout plus tranquillement qu’autrefois, même ce qui est la suite de mes défauts et de mon incapacité pour ce que j’ai à faire. C’est un moyen de se nourrir d’abjection et de nullité. Veillez, ma bonne Mère, non à mon contentement, mais au bien d’une maison qui est l’œuvre de Dieu, on n’en peut douter. Mes respects à mes Pères Varin et Perreau (ils sont bien silencieux). Je n’oublie ni Pères, ni Mères, ni Sœurs, tout est vu et senti dans le Cœur de Jésus. Je suis à vos pieds, Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Hôtel de Biron Rue de Varenne À Paris



Lettre 158

LETTRE 158 

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L. 1 À MÈRE DESHAYES, MAÎTRESSE DES NOVICES À PARIS

SS. C. J. et M.

Ce 29 août 1820 Rec. à St Antoine de Padoue1 Ma bien bonne Mère et mes chères Sœurs, Je voudrais souvent me trouver au milieu de vous pour profiter de vos saintes récréations ; je suis sûre que j’y gagnerais beaucoup ; je voudrais bien ne faire qu’écouter, mais vous me diriez : « C’est à vous qui avez passé la mer à nous faire des histoires. » Je me suis beaucoup rouillée pour cela, et sans manquer de complaisance, je pourrais souvent me taire. En attendant que nous nous revoyions, ce qui sera, j’espère, au Ciel, j’ai recueilli quelques traits pour obtenir quelques prières en retour. Celui qui me plaît le plus, c’est la députation des Osages, nation sauvage, à Mgr Dubourg. Le chef est venu à Saint-Louis lui demander d’aller chez eux ; il s’y rendra le mois prochain avec des commerçants du Missouri qui ont promis d’aider de toutes manières à faire respecter son caractère parmi ce peuple, à peu près comme tous les marchands portugais à l’égard de saint François Xavier. Les anabaptistes cherchent à prendre les devants. Leur chef a fait partir pour ce pays une douzaine de ses suppôts ; mais j’espère qu’ils n’auront aucun succès. Monseigneur donna à ce chef un crucifix qu’il reçut avec respect et alla après dans un magasin de Saint-Louis. Celui qui le tenait, voulant savoir s’il faisait compte du crucifix, lui offrit en échange une belle selle, de la liqueur et enfin beaucoup d’argent. Le Sauvage refusa tout en disant que, jamais, il ne se déferait de ce que lui avait donné celui qui parle à l’auteur de la vie. Monsieur de Andreis, chef des Lazaristes, qui est un saint, a dit d’un ton prophétique : « Il est aussi sûr que j’irai chez les Osages qu’il est sûr que je me coucherai ce soir. » Je vous apprendrai le succès de ce

1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Autres copies : A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 228-232 ; C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane, 1818-1822, p. 63-69 ; Copie partielle : Part B : Lettres de personnes variées, 1818-1828, p. 134-137. Cf. Ch. Paisant, p. 320-325.

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voyage de Monseigneur qui désire beaucoup voir établir les Jésuites de Georgetown à Franklin ou Boonslick dans le Haut-Missouri. Nous avons eu hier à souper les deux chefs du séminaire de Saint-­ Lazare au Bois brûlé ou Barrens ; ils sont en même temps curés de la paroisse qui est la primitive Église de la paroisse ; il y a tous les dimanches plus de 60 communions et le samedi une vingtaine, et souvent plus d’hommes que de femmes. Il n’y a pas 8 personnes dans cette paroisse, qui ne communient tous les mois ; on n’y voit ni danses ni cabarets, ce qu’on ne peut trouver ailleurs. Si on y trouve un manteau, un habit, etc., cela est pendu à un arbre près de l’église pour que le propriétaire, en le cherchant, le voit plus facilement et souvent la chose a été un mois suspendue sans qu’aucun autre y ait touché. J’ai eu des détails de Monseigneur lui-même sur la fondation des Dames de la Charité, de M. X. près de Baltimore1. Il dirigeait à New York une veuve qui avait trois demoiselles et pas de fortune ; elle lui parlait des inspirations fréquentes qu’elle avait après la communion pour un établissement d’éducation chrétienne et suivit Monseigneur à Baltimore dans l’espoir d’y réussir. Un jour, elle vint lui dire : « Vous vous refusez à cet établissement faute de moyens, mais après la communion, il m’a été dit que M. X. donnerait 30 000 F pour cette œuvre. Il faut les lui demander. » C’était le jour même où elle disait avoir eu cette inspiration et, à peine avait-elle achevé de parler, que le monsieur qu’elle avait nommé entra et offrit 30 000 F pour un établissement d’éducation. Monseigneur ne voulut les accepter qu’après un terme assez long qui expira sans que le monsieur eût de repentir. On commença les bâtiments du couvent qui contient maintenant 50 religieuses ou novices et 60 pensionnaires. Elles ont pris les règles des Sœurs de la Charité avec un costume approchant du nôtre. Un monsieur, qui les a vues depuis peu, m’a dit qu’il y a là des dames très capables, la fondatrice vit toujours avec une ou deux de ses filles, elle met de côté tous les ans une somme assez forte qui l’aide maintenant à augmenter ses bâtiments. Elles ont formé des établissements à Philadelphie, New York et au Kentucky où elles ont encore éprouvé des changements. La maison 1

Elizabeth Ann Bayley Seton (1774-1821), SC, d’une famille épiscopalienne importante de New York, se marie à l’âge de 19 ans. Elle donne naissance à cinq enfants avant la mort de son mari en 1803. En 1805, elle se convertit au catholicisme et sous l’influence de L.-G. Dubourg, alors prêtre à Baltimore et président du Collège Sainte-Marie, elle fonde en 1809 les Sœurs de Charité, première Congrégation féminine américaine qui a établi des écoles et des hôpitaux. En 1828, ses sœurs fondent le premier hôpital à Saint-Louis. Canonisée en 1975, Elizabeth Ann Bayley Seton est la première sainte née en Amérique.

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de New York chancelle beaucoup, ainsi que l’existence de l’évêque, la division étant entre les catholiques irlandais et autres. Dans ces diocèses et celui de Boston, il y a très peu de prêtres. Mgr Dubourg est le plus riche en sujets ; il aura bientôt dix prêtres lazaristes et plusieurs Frères qui défrichent leurs terres. Une Société de frères ouvriers de Milan les a recrutés. Il y a plus de quarante prêtres dans ce diocèse, et au Canada, plus de 200 ; et cinq ou six couvents bien établis, un bon séminaire. Le gouvernement anglais y protège notre sainte religion ; le gouverneur et la troupe vont aux processions. Un ministre méthodiste, et de bonne foi, voulut aller convertir les catholiques du Canada et pensa que le mieux serait de commencer à gagner le séminaire. Il y commença sa mission et fut lui-même converti à notre sainte religion qu’il ignorait tout à fait. On compte plus de 90 sectes dans ces États-Unis ; il y en a où on ne se marie pas ; d’autres où l’on tourne dans les réunions jusqu’à ce qu’on tombe en crise et alors le ministre va écouter les paroles inspirées qu’on débite. Il s’en allait former une des plus dangereuses ; un prêtre mécontent de l’archevêque de Baltimore écrivit à un autre prêtre flamand, mécontent de la Cour de Rome, d’aller se faire sacrer évêque par celui d’Utrecht (janséniste), qu’il passerait ensuite aux États-Unis où il lui préparait un parti dont il serait le chef, sous le titre de : Évêque de l’Église catholique et indépendante. Le prêtre flamand a eu horreur du complot, a dévoilé la correspondance, que l’archevêque de Baltimore a rendue publique. Monsieur Anduze, qui va être prêtre de la Mission à Noël, m’a beaucoup parlé du Père Barat et dit avoir été 18 mois à son école à Bordeaux. Il a de grands talents et sert dans le collège de Saint-Louis. Il y a à Baltimore un saint chevalier qui, pour couper court avec le monde où il paraissait avec beaucoup d’agréments, s’est arraché luimême les dents pour se défigurer. Au Kentucky, il y a eu tant de préventions contre les catholiques qu’on a demandé aux prêtres de montrer leurs pieds pour voir s’il n’y avait pas de cornes comme on en met aux diables en peinture ; on les confondait avec eux. Il y a, au Kentucky, trois ou quatre couvents de Sœurs de la Charité et de trappistes. Dans une de ces maisons, on était réduit à la dernière pauvreté, on n’avait pas de quoi manger. Et un jour que les Sœurs, selon leur coutume, étaient allées pieds nus pour couper du bois dans la forêt, un beau chevreuil se présenta à elles, se laissa prendre ; on le tua et il fournit ainsi de la viande pour assez longtemps.

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Mgr Flaget, évêque du Kentucky, a perdu trois de ses missionnaires qui sont repassés en Europe ; l’un d’eux est l’instituteur de ces filles pénitentes, et passe pour un saint. Une riche veuve de la Basse-Louisiane y a fondé un collège à 60 lieues de la Nouvelle-Orléans et bâtit maintenant un couvent qui sera probablement occupé par les Sœurs de la Charité ; il sera dans une campagne où on aura peu d’enfants. Nous en avons quatre de la Prairie du Chien où on ne se rend d’ici qu’en un mois ; c’est le point américain où se rendent le plus de chefs sauvages. Quand ils viennent traiter chez le gouverneur des États, ils tapissent toute la salle de l’assemblée avec des peaux de loutre, de castor, etc. Le plus habile fait le discours qui commence toujours de la même manière, en disant : « Que l’auteur de la vie a tout créé et a fait la terre pour tous les hommes qui doivent tous y avoir part. » La conclusion est de demander de la liqueur, de la poudre à tirer, du pain. Les ouvrages en fer sont ici de la dernière finesse, des « ferrures anglaises » comme on dit en France ; les poêles de fonte ont beaucoup d’ornements et sont très chers. Les faïences sont peintes avec une grande variété et délicatesse ; les Indiennes en font souvent un cours d’histoire sainte ou représentent une soirée d’hiver, les attributs de la franc-maçonnerie, les exploits de Bonaparte. Nous avons son portrait sur un mouchoir ; sur un autre est tout le calendrier ; sur un autre, tous les signes du zodiaque ; le tout avec les explications imprimées sur la toile. Le jour de sainte Madeleine, nous avons célébré la fête de notre Mère ; les élèves ont joué le dernier acte de la pièce de la Louisiane, qui a été répété après les prix à la demande de Monseigneur. Le séjour qu’il a fait à Florissant et son départ prochain pour les Osages nous ont engagées à avancer nos prix. La rentrée se fera le 1er septembre ; plusieurs élèves devant aussi sortir, nous aurions été trop réduites à une distribution tardive. Le jour de sainte Madeleine, Mère Octavie ajouta à la pièce les vers suivants qu’elle me fit réciter : Si quelques douces larmes ont bordé nos paupières, À l’heureux souvenir de nos plus tendres Mères, Ah ! Ne croyez jamais que de lâches regrets Dans nos cœurs attendris puissent avoir d’accès. Non ; voyez-les toujours brûlant des mêmes flammes, Et de ce même zèle qui dévorait nos âmes.

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De cette œuvre divine, quoique indignes instruments, De la chère Société, nous sommes les enfants. Vous souvient-il encore, ô notre digne Mère ? Sous l’aile de Régis notre ange tutélaire, Du jour où nous laissâmes nos rivages chéris, Sans reporter sur eux des regards attendris. Nos cœurs étaient déjà sur la plage lointaine, Qui devait succéder aux rives de la Seine. La droite du Seigneur détourna les dangers. L’Étoile de la Mer guida les nautoniers. Et le vaisseau glissant sur l’élément liquide Semblait respecter la main du divin guide. De son petit troupeau, Régis a pris le soin, Sur la terre désirée, nous arrivons enfin. Quel fut notre transport ! Votre cœur, ô ma Mère ! Bénissait notre Dieu du voyage prospère. « C’est donc ici, Seigneur, dites-vous avec amour, Que vous me prépariez un fortuné séjour. C’est vers ce sol aride, où dès ma tendre enfance Par des vœux empressés, nuit et jour, je m’élance. Vous entendiez, mon Dieu, le désir de mon cœur, Et dans ce seul désir, je trouvais mon bonheur. Combien de fois alors dans un pieux délire, N’ai-je pas cru toucher la palme du martyre. Non, ce n’est point un songe, c’est la réalité, Toujours l’esprit divin dicta la vérité. Pour le glorieux martyre, où je croyais atteindre, J’en trouve un plus caché, mais qu’on ne peut dépeindre. Dans ces forêts sauvages, je n’y vois que beautés, Car le bois de la Croix s’y voit de tous côtés. Ô précieuse Croix, compagne de ma vie ! Qu’à tes pieds, de mes pleurs je sois toujours nourrie ! » Tel est votre désir. Ah ! C’est le nôtre aussi, Puisque le chef aux membres est tendrement uni. _____________



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Approchez mes enfants, venez en ce beau jour Une autre Madeleine mérite votre amour, Au cœur de notre Dieu. C’est dans ce centre unique, Que l’Amérique est France, et la France, Amérique. Couplet : Quoique j’aie toujours souvenance Des chers objets de notre France, J’en souffrirai avec plaisir L’absence, Si je glorifie en ce lieu Mon Dieu.

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L. 1 À MÈRE DESMARQUEST, SUPÉRIEURE DE LA MAISON DE BEAUVAIS Florissant, 26 septembre 18201

Une lettre de notre digne Mère m’annonce l’envoi d’un piano à l’achat duquel vous avez bien voulu contribuer. Nous venons toutes vous en remercier et vous dire que cet instrument, en apparence un objet frivole, contribuera indirectement à la gloire de Dieu en attirant à une instruction chrétienne par l’appât d’un art d’agrément, pour bien des personnes qui dédaigneraient nos soins si elles ne regardaient que le spirituel. Il faut venir dans ces pays pour voir dans les enfants tous les malheureux effets des trois concupiscences au naturel. Nous comptions trouver de l’innocence et nous n’apercevons que des défauts sans voile qui les déguise. Mais en même temps qu’on ignore ce que c’est qu’éducation, Dieu permet qu’on commence à en sentir le prix et on ne désespère point de pouvoir greffer l’olivier franc sur le sauvage. Les enfants ont ici généralement de la mémoire et de l’intelligence ; et la grâce, ici comme ailleurs, en choisit qu’elle favorise. Celles que nous avons 1

Copie : A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes concernant la Société des Dames du Sacré-Cœur de Jésus depuis 1816 N° 1, p. 195 ; C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane II, p. 203-205.

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laissées à Saint-Charles soupirent pour la plupart pour être avec nous ; mais pour toutes, le moment est éloigné par l’effet de préventions, de l’âge et autres obstacles que Dieu permet pour épreuve réciproque. J’espère que ma mère Deshayes voudra bien recevoir ici mon respect et ma reconnaissance. Je recommande bien nos travaux à ses prières et à celles de M. de la Marche et de toutes mes Sœurs que je connais et que je ne connais pas, mais que le Sacré Cœur de Jésus renferme avec moi dans un même amour pour la Société. Je suis en Lui votre dévouée, Philippine

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L. 34 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 16 [30 octobre 1820]1 Rec. à Saint Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Jamais je n’avais eu plus besoin de vos lettres et jamais elles ne s’étaient tant fait attendre. Enfin, voici le paquet confié à M. de Menou qui nous console par vos lettres, celles de notre cher Père Varin, celles de mes sœurs et l’espoir qu’il en arrivera. Mes précédentes lettres, qui ont dû vous inquiéter sur la santé de mes Mères Octavie et Eugénie, vous font sentir le besoin d’une recrue et celle-ci vous le prouvera de même. Après que ces généreuses malades ont été délivrées de toutes leurs saignées vésicatoires, j’ai moi-même fait une maladie qui, avec la convalescence, aura duré deux mois. J’y ai reçu le saint viatique et n’avais jamais été si près de voir Dieu. Après avoir eu tant de fois des désirs brûlants d’être avec Lui, au moment où je pouvais l’espérer, je n’ai senti que le vide de mes œuvres, l’exactitude des jugements de Dieu et la dureté de mon cœur. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 18 mars 1821. J. de Charry, II 1, L. 131, p. 322-336. Cf. Ch. Paisant, p. 325-332.

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Ma maladie a été des érésipèles qui ont parcouru tout mon corps et ont été accompagnés de fièvre qui, après sa disparition, a été réduite à une fièvre bilieuse. Comme ma tête était fort prise, Monseigneur, qui a eu la bonté de venir avec son médecin, me fit mettre de suite trois vésicatoires et deux sinapismes. Depuis ce moment, je n’ai plus eu de délire, ni n’ai plus pris de mercure qui entre beaucoup dans la médecine américaine et dont j’ai senti les mauvais effets : maux de bouche, salivation continuelle, faiblesse de jambes et de tête, à tel point que pendant longtemps, elle travaillait toujours sur cette idée que j’étais deux personnes : s’il en était morte une, disais-je, il en serait toujours resté une. Et je la cherchais. Avant de finir pour moi, il faut bien que je vous fasse admirer la Providence. Un jeune médecin américain m’a traitée avec la tendresse d’un fils pour sa mère, trouvant en moi de la ressemblance avec la sienne, est venu jusqu’à quatre fois dans une matinée et ne veut rien pour ses visites. À peine reprenais-je mes forces que Mère Octavie s’est laissé tomber avec ses beaux souliers de velours noir, venus de France et très lisses au-dessous. Elle s’est cassé un os de la jambe et la voilà pour trente ou quarante jours au lit ; elle n’en est qu’au septième et la fièvre d’hier a été avec délire. Elle est mieux aujourd’hui, mais déjà bien lasse de sa position couchée. Avant de finir l’article des maladies, je vous prie de nous avoir le sentiment de M. Laënnec sur le mercure1. On le regarde ici comme le meilleur fébrifuge, comme nécessaire contre la fièvre jaune, mais on l’emploie presque pour tous les maux. J’en ai été si malade que je dis à Monseigneur que le remède était pire que le mal et ferais mes conventions à l’avenir avec nos docteurs qu’ils n’en useraient jamais pour nous. Il trouvait que c’était bien. Monseigneur, tout le diocèse, et nous en particulier, avons fait une grande perte dans la personne de Monsieur de Andreis, provincial des Lazaristes, premier vicaire général, grand en sainteté et en talents pour le ministère, avec une science prodigieuse. Une fièvre putride l’a enlevé comme je commençais à être mieux. Tout Saint-Louis, même les protestants, les juifs ont suivi son corps et regretté sa perte. On compte déjà plusieurs miracles de lui. Nous avons hérité de son Imitation [de Jésus-Christ] et d’autres précieux reliquaires qu’il portait toujours sur lui. Monsieur Richard, notre premier confesseur, le remplace comme sainteté et comme grand vicaire, mais il n’a pu apprendre l’anglais et 1

Le célèbre docteur R. Laënnec (1781-1826) avait soigné Octavie à Paris.

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n’a pas tant de science. Je suis toujours bien aise que le Missouri ne soit plus entre nous et lui1 ; il nous sera utile pour des retraites et nous aime beaucoup. Monsieur Rosati se trouve maintenant le premier des Lazaristes. Il nous a envoyé des Barrens une postulante [Mary Layton] et proposé une autre. C’est bien la meilleure que nous ayons encore eue, mais elle ne peut être que sœur [coadjutrice], c’est convenu avec Monseigneur. L’autre aura de l’éducation. Mais quelle difficulté pour faire entendre la vie religieuse à des personnes d’une langue différente, qui n’en ont point d’idée, avec des usages tout différents pour la nourriture, le vêtement. Ces postulantes arrivent sans rien en pension ou en trousseau : un drap, deux paires de bas, deux chemises, un mouchoir, avec huit ou dix robes légères comme la gaze, voilà l’ordinaire. Nous dissipons peu à peu nos trousseaux à les aider. Si cela ne fait pas notre profit quand elles se retirent, nous avons toujours eu le mérite de la charité. Il faut être Providence comme Dieu l’est pour nous. Nous vivons, mais toujours avec notre dernier sou. L’argent devient tous les jours plus rare, on retire les enfants ou on ne paie pas… vous savez la peine des dettes. Vous avez dû recevoir une lettre ou deux pour prier la maison de Niort d’acquitter, auprès du Père Abbé de la Trappe, 1 000 F qu’un de ses religieux nous a avancés ici, particulièrement en une jument, charrette etc., qui nous sont de la plus grande nécessité. Il y a eu une telle sécheresse que notre puits et deux ruisseaux qui nous entourent et nous avaient inondées, sont à sec. Nous envoyons chercher en charrette l’eau, pour boire et pour la cuisine, et ce n’est qu’à une lieue d’ici qu’on a pu trouver à laver pour les élèves et payé bien cher. Si j’avais les derniers 1 000 F de Niort, je m’acquitterais auprès du marchand qui nous a reçues ; nous avons toujours pris sur les pensions de ses filles, mais il est tellement en avance (1 500 F) qu’il faut nécessairement finir une fois le compte ; ensuite, sans bâtisse, nous irons de niveau avec les pensions de ses filles. Nos enfants sont très bonnes, au nombre de 20 environ. Quelques parents très bons aussi, d’autres peu exacts pour les paiements. Mon frère voulant me donner la somme de 6 ou 700 livres, je l’ai chargé de les payer aussi au Père Abbé par M. Rusand, mais c’est indépendant des autres 1 000 F. Les certificats de vie que je lui envoyais m’ont été rendus de La Nouvelle-Orléans, comme non légalisés. De1

M. Richard avait été curé de Saint-Charles, il est maintenant à Saint-Louis. Le Missouri ne le sépare donc plus de Florissant.

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puis, je n’ai pu en obtenir d’autres, notre juge de paix a été bien malade, puis moi, et il est mort sans être remplacé : tout est entravé dans un si petit endroit, ne sortant pas surtout. J’ai fait part à mes deux Mères de votre peine que nous ne soyons pas à Saint-Louis, mais nous sommes toutes trois d’avis que Florissant vaut mieux : il y fait moins chaud en été, il y a moins de maladies, il n’y a pas de maringouins, les visites y sont plus rares, surtout depuis que nous avons déclaré nettement qu’il fallait que les parents eussent des maisons pour y manger, que plutôt nous renoncerions au pensionnat, devenant comme une auberge dans de continuelles distractions. Tout s’est arrangé pour notre tranquillité. Nous n’offrons rien qu’à Monseigneur et aux prêtres qui viennent toujours manger chez nous et logent à la cure. À Saint-Louis, on saurait tout ce qui se fait chez nous et nous serions la fable de la ville. Pour un mal de doigt, on ferait sortir les enfants qui s’accoutumeraient moins. Les visites saintes pourraient même avoir leur inconvénient. Cependant Monseigneur tend à voir à Saint-Louis une école externe de notre Société, mais je lui fais tourner toutes ses vues vers La Nouvelle-Orléans, lui remontrant la pauvreté de ce pays, la disette d’écoliers même externes, l’impossibilité de pouvoir soutenir un noviciat qu’un établissement dans une ville pourrait aider. Monsieur Martial a déjà dans la Basse-Louisiane 40 enfants bien choisis et ici, au collège, 18 qui donnent bien du souci. Monseigneur, qui va faire sa visite dans tout son diocèse et qui va tenter sa réception à La Nouvelle-Orléans1, est entré dans toutes mes idées pour La Nouvelle-Orléans, mais vous sentez qu’il vous faudrait un sacrifice de sujets. Si vous avez vu Monsieur Inglesi, il vous aura entretenu de nos intérêts. Il ne faut pas compter ici sur des maisons nombreuses, de bien des années ; quand on aurait des terres, il faudrait y bâtir, c’est impossible ; les faire cultiver, les frais emporteraient toute la récolte. Les moindres journées sont à 5 F et le blé à 50 ou 60 sols le boisseau ; le maïs à 25 ou 30 sols, les pommes de terre à 50 sols. Le boisseau est double du quartaut de Grenoble2. Nous ne pouvons donc soutenir notre Société, dans ce pays, sans les pensions et il y en aura toujours peu ici, par le peu de population, d’argent et la multiplicité des 1

2

Après l’expulsion de deux prêtres schismatiques à La Nouvelle-Orléans, M.M. Martial, Moni et Portier préparent la venue de Mgr Dubourg qui y résidera en 1823, quand les divisions seront surmontées. Ce terme, du patois bourguignon, désigne un petit tonneau de 57 litres, soit le quart d’une barrique de vin.

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religions : on en compte plus de 40 dans les États-Unis. Si nous sommes placées pour avoir des externes, il faudra bien entretenir des maîtresses. Quant aux Sauvagesses, le moment de Dieu n’est pas venu, il faudra que les Jésuites nous précèdent. Monseigneur les demande, mais il ne les a pas. Nous allons nous défaire de cette fille de Sauvagesse que nous avons. Elle n’a intelligence que pour le mal, est paresseuse, stupide. En une année et demie, elle ne connaît pas les lettres, ne sait pas sa prière ni son catéchisme. À l’église, elle ne sait que déchirer du papier ou se jeter sur nos queues [traînes aux manteaux de chœur]1 quand nous passons. C’est une manière d’animal, nous n’en ferons rien. Un autre établissement tout prêt, pour lequel je croyais que Monseigneur ferait venir des religieuses, est aux Opelousas. Une dame riche [Mme Smith] qui y a bâti une église, un petit collège, fait les fonds pour un couvent de filles dont elle paierait le voyage et auxquelles elle s’unirait. En cas qu’elle ne conviendrait pas, Monseigneur se chargerait de le lui dire. Dans ce dernier temps, il s’est beaucoup épanché avec nous. Il a dit que personne ne nous aimait tant que lui. Il a demandé si je vous avais parlé de cette dame, qu’il nous aimerait mieux là que toutes autres, que c’est à la vérité une campagne, mais un quartier riche par la récolte du sucre. Ces trois établissements : ici, La Nouvelle-Orléans, les Opelousas tiendraient la Louisiane en longueur. Puisse le bon Dieu nous donner les moyens d’y pourvoir pour sa gloire. Sœur Lucile [Mathevon] peut être supérieure d’une maison, Sœur Eugénie d’une autre ; quant à moi, vous me placerez où vous voudrez, tout autre désir est éteint en moi que celui de faire la Volonté de Dieu. Et ma maladie m’a établie encore plus dans l’indifférence. Monseigneur m’a ordonné de me soigner et je le fais simplement. C’est aujourd’hui ma première lettre, je fais quatre repas, reste au lit jusqu’à 7 h, etc. Mère Eugénie m’a servie avec un zèle, un soin, une attention qu’on ne peut dépeindre et, en s’oubliant, elle a retrouvé la pleine santé. Mais, dès que j’ai été mieux, qu’elle n’a plus réglé elle-même la maison, Mère Octavie étant d’un caractère à laisser faire, la pâleur, les tristesses, les boutades ont recommencé. Tantôt j’ai lu une lettre qu’elle vous écrivait et en suis fâchée, tantôt elle connaît que je suis mécontente, etc. Elle a un mérite distingué, mais elle est faite pour gouverner seule. Trop jeune pour La Nouvelle-Orléans, elle ferait parfaitement pour les Opelousas. Elle me ferait le plus grand vide, surtout pour le travail des élèves, mais 1

Elles seront supprimées en 1836.

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je dois vous mettre tout sous les yeux. Ce fut la tempête, le premier jour où j’ai voulu aller à la messe. Mère Octavie la craint, les Sœurs ne l’aiment guère, et elle en a souffert par leurs mauvaises manières. À toutes nos misères se joint la vieillesse de ma sœur Marguerite qui s’affaiblit, surtout depuis une fièvre de quelques jours. Sœur Catherine se soutient mieux, elle est mieux aussi depuis votre lettre et le changement de Monseigneur pour elle. Combien vous avez réjoui vos pauvres filles, ma digne Mère, par l’espoir de voir trois nouvelles Sœurs. Envoyez-les donc bien vite. La maison d’école est finie, moyennant 1 000 F qu’on a empruntés et que nous rembourserons avec le temps. Les habitants n’ont pas tenu leurs promesses. Nous pourrions ouvrir l’école avec une seule [religieuse] de plus, car la distance des maisons ne permettra pas d’avoir les enfants plus que quelques heures en une fois. Elles n’ont jamais d’ouvrage, ni fil, dé, aiguille, etc., en sorte que les prières et leçons dites, le catéchisme fait, il vaut mieux les renvoyer, tant elles deviennent remuantes et parleuses. Nous avons surtout bien besoin de l’Irlandaise [Anna Murphy, dite Xavier]. Cependant si elle ne sait que l’irlandais, ce n’est pas l’anglais. Nous avons dans ce pays beaucoup d’Irlandais que les Américains, qui parlent anglais, n’entendent pas. Vous pouvez vous faire une idée de la délicatesse de leur oreille et de la difficulté de la prononciation. Nous n’avons que Mère Octavie pour cet enseignement et elle est encore loin de ce qu’il faudrait. Mère Eugénie commence à entendre et à parler ; c’est elle qui forme la postulante [Mary Layton]. Elle est vraiment propre pour cette direction et sait se conserver le respect. La plupart des élèves, malgré la bonté de Mère Octavie, donnent leur confiance à la première et Dieu bénit ses soins. Je pense que Dieu permet tout le travail de son imagination qui la rend souvent sombre et désagréable, pour l’éprouver et lui donner l’expérience des différents états d’une âme. Sa petite classe profite sous ses soins. J’avais peine à commencer une lettre, et me voici à la huitième page, sans fatigue, et avec le désir de prolonger encore. Mais ce que mes forces me permettraient, le temps me l’enlève. Notre maison de briques avait des trous, il a fallu, avant les grands froids, plâtrer comme on dit ici, mais comme on dit en France crépir les murs de plusieurs pièces, ne pouvant finir partout. Mère Octavie, au lit, me laisse partie de sa classe avec la mienne et le lit m’abrège bien ma journée. Ainsi, il faut finir et même me priver de répondre à plusieurs lettres. Mes Sœurs et vos

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enfants si bonnes excuseront une convalescente. Ma Mère Deshayes a une lettre de moi qui se croise avec la sienne. Je suis persuadée que notre maison ne se finira pas sans avoir coûté 50 000 F. Profitant de la bonté que vous avez eue de nous dire de vous demander nos besoins, je vais au plus pressé, qui est ce qui pourra former nos jeunes personnes. Nous avons eu : Emplois, l’Imitation, Pensez-y bien, Combat spirituel, Vie dévote, bon Catéchisme, L’âme élevée à Dieu, Le Catéchisme historique1, mais pas une bonne Histoire Sainte ou Abrégé de l’Ancien et du Nouveau Testament. On n’en trouve point. Il y a un seul exemplaire de Rodriguez ou Perfection chrétienne au Séminaire, mais ils ne s’en déferont point. Voilà donc deux livres de première nécessité. Nous avons en livres de piété français tout le nécessaire, même plusieurs en double ; mais pas pour les élèves. Pas d’histoire ancienne et romaine ou d’Amérique. Les vieilles histoires saintes données par les élèves [de France] et les vieux catéchismes historiques sont tout usés. Les nôtres ont besoin qu’on leur prête de tout, autrement elles n’auraient rien pour étudier, souvent ni plumes ni papier. Vous apprendrez avec plaisir que Monsieur Delacroix, prêtre flamand, notre confesseur, convient parfaitement. Il est pieux, zélé, s’intéresse à l’œuvre, a la candeur d’un enfant. Enfin c’est un homme de paix. Il parle anglais et français, ce qui est bien utile pour les Américaines auxquelles il fait l’instruction toutes les semaines. Depuis qu’il est curé de la paroisse, nous n’avons que la nourriture à lui donner et même nous sommes déchargées de ce qui avait été demandé en argent. Il donne sa messe deux fois la semaine à la paroisse et nous l’avons cinq jours. Ce sera tous les jours quand on aura rebâti l’église de la paroisse sur un terrain à Monseigneur, touchant la maison. Notre chapelle deviendra, comme à Grenoble, un chœur qui aura vue dans le sanctuaire et nous profiterons de tous les exercices, ce qui peut être nécessaire dans les moments de disette de prêtres. Je regrettais bien de mourir avant d’avoir fait élever dans ce pays un oratoire au Sacré Cœur. Je pensais faire dans l’église, vis-à-vis de notre chœur, une chapelle à son honneur. J’en ai parlé à Monseigneur qui a décidé que l’église de Florissant serait dédiée au Sacré Cœur, que saint 1

Les saints Emplois de la journée d’une bonne religieuse, 1688 ; l’Imitation de Jésus-Christ de Thomas A Kempis (XVe) ; le Pensez-y bien, petit ouvrage sur les fins dernières, Besançon, 1726 ; Le Combat spirituel de Laurent Scupoli, 1549 ; L’Introduction à la Vie dévote de Saint François de Sales, 1604 ; le Traité de la perfection chrétienne du P. Alphonse Rodriguez, SJ, 1609.

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Ferdinand ne serait que second patron de l’église, que la chapelle de la Sainte Vierge serait vis-à-vis de notre chœur et celle de saint François Régis, que je demandais aussi, dans un angle de notre chœur. À l’opposé, nous ferons un lieu convenable pour toutes nos belles reliques : il y en a déjà quatre de la Sainte Croix et deux des Saintes épines, etc. Nous serons là bien dévotement et ce sera notre faute si nous ne sommes pas ferventes. La mort de nos chères Sœurs Laloux et de Sylguy1 nous ont bien affligées et rendra plus difficile le secours que nous vous demandons ; mais vous ferez un effort pour votre pauvre Louisiane qui a beau tendre les bras et ne peut atteindre ni Pères, ni Mères, ni Sœurs. Quand j’ai été malade, on disait déjà à Saint-Louis : « Que va devenir cet établissement ? » Si Mère Octavie manquait, il faudrait renoncer aux Américaines. Recevez, ma bonne Mère, l’expression bien sentie de mon profond respect et de mon éternel dévouement. Votre indigne fille, Philippine Duchesne Ce 30 octobre 1820 [Au verso :] À Madame Madame Barat Rue des Postes n° 40 À Paris

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Catherine (Marie-Joséphine) Laloux, RSCJ, décédée à 36 ans le 5 avril 1820, à Beauvais, après deux ans de profession. Victoire de Sylguy, RSCJ, entrée à Paris, décédée à l’âge de 23 ans, le 2 avril 1820, à Quimper.



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L. 11 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Rec. à St Antoine de Padoue Ce 30 novembre 18201 Ma bien chère Mère, J’ai écrit une longue lettre à notre Mère, au mois d’octobre, et depuis au départ de Monseigneur pour La Nouvelle-Orléans. Je n’ai pu satisfaire le désir de mon cœur en m’entretenant intimement avec vous, d’abord par la faiblesse de la maladie et ensuite à cause du redoublement d’occupations, tant de choses étant restées arriérées par ma maladie et la fracture de jambe de Mère Octavie qui a été trente jours au lit. D’ailleurs, je sais que de Paris, on vous fait passer tous les détails qui peuvent vous intéresser. Je ne les répète pas, me confiant à saint Antoine pour l’arrivée des lettres. Seulement, pour vous tirer d’inquiétude, j’ajouterai que toutes nos santés étant maintenant dans leur état ordinaire, excepté Mère Eugénie qui, quoique mieux qu’au printemps, n’est pas encore bien ; mais elle l’a toujours été et il est bien difficile de la soigner. Nous allons essayer de commencer l’école des externes. On nous avait promis de bâtir la maison aux frais du village, mais elle n’a été que commencée et nous y serons bien pour 1 500 F. Mais c’est une dépense faite avec plaisir ; nous avons trouvé à emprunter cette somme. Nous avons renouvelé nos vœux le 21, et eûmes la consolation d’être toutes à la cérémonie. Mère Octavie fut hors du lit, juste pour la solennité. Le lendemain, jour de sainte Cécile, nos élèves qui ont des dispositions naturelles pour le chant chantèrent en musique la sainte messe, et fort bien. Nous avions aussi laissé l’autel paré de la veille et profitâmes de la solennité pour donner plus d’apparat à la première prise d’habit, faite dans la haute Louisiane depuis le commencement du monde ; et d’y voir une victime du Sacré Cœur de plus. Cette heureuse personne est Mary Layton ; elle est de la paroisse qu’on peut regarder ici comme la primitive Église. Elle a 21 ans et est reçue comme coadjutrice. Nous sommes dans le vide des consolations que procure l’abondance des secours. Monseigneur, qui vient ordinairement nous voir 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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assez souvent, est absent pour tout l’hiver pour la visite de son diocèse. Monsieur de Andreis, supérieur des Lazaristes, est mort en saint comme il avait vécu ; et Monsieur Richard, notre premier confesseur que nous voyions se rapprocher en venant à Saint-Louis, a été destiné pour confesseur des Ursulines. Si nous retournons à La Nouvelle-­ Orléans, nous aurons bien du bonheur de l’y retrouver et c’est un autre saint, fait pour nous. Notre curé est maintenant en mission dans le Haut-Mississippi ; il n’y a encore que lui qui y soit allé. Pendant son absence, il faudra faire une nouvelle connaissance qui nous prépare une postulante. Je vous prie de faire dire à mon frère que mes certificats partent pour Washington (c’est là qu’ils doivent être visés) et de donner de mes nouvelles à mes sœurs. Par une dernière lettre de Sœur Joséphine [de Coriolis], il paraissait qu’Aloysia était plus malade. Il faut l’imiter dans sa résignation, mais il m’en coûte bien, je la voudrais ici ; je ne m’y ferai jamais entendre, je suis trop âgée. Mère Octavie est la plus avancée pour l’anglais et Mère Eugénie assez pour servir de maîtresse à notre postulante et faire l’instruction [religieuse] aux Américaines qui n’entendent pas le français, dont je me charge ; et c’est encore le plus grand nombre, mais il diminue et l’autre augmentera. Priez Dieu qu’il nous envoie des sujets ici, car si nous les attendons de France, les dangers et frais de voyage, la difficulté de s’acclimater, nous laisseraient toujours en bien petit nombre. Je me rappelle bien affectueusement à toutes mes Mères et Sœurs. Celles d’ici se joignent à moi. Mes respects à Messieurs Rambaud, Dumolard, Rivet et d’Hyères, plus encore à Monseigneur si vous le voyez. Je demande des prières, car nous en avons grand besoin. Je prie mes nièces de me recommander aux Dames de la Visitation de Romans. Un souvenir fort tendre pour Aloysia et la chère Louise [de Vidaud]. Je suis tout à vous in Corde Jesu, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau Supérieure à Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble

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LETTRE 162 L. 2 AUX ÉLÈVES DE SAINTE-MARIE D’EN-HAUT1 [1820] NOTES SUR QUELQUES NATIONS DU NORD DE L’AMÉRIQUE, PRINCIPALEMENT SUR LES ALGONQUINS Ces peuples se disent Enfants du Ciel et nous appellent Enfants de la Terre. Voici la fable inventée sur leur origine. Celui qu’ils reconnaissent pour Dieu fit ceux d’outremer (nous) enfants de la terre et leurs pères enfants du Ciel ; et voici comment ils sont tombés sur la terre : « Un jeune homme et une jeune fille voulaient se marier et s’étant un peu éloignés de leurs parents sans les consulter et marchant sur le Ciel qui est de verre et dont quelques endroits sont moins épais, il arriva qu’arrivant sur un endroit faible, le Ciel se perça et ils tombèrent tous deux sur la terre. Ne voyant plus de moyens d’y remonter, ils se marièrent et d’eux sont sortis ces peuples sauvages. Mais un de leurs prophètes leur a annoncé que, quand des hommes à barbe viendraient dans leur pays, ils deviendraient leurs serviteurs. » Ces hommes à barbe ont été les Européens. Ils n’en ont point euxmêmes et sont continuellement à s’arracher les cheveux, les hommes n’en conservant qu’une petite touffe sur la tête parce qu’à la guerre, un haut fait est d’apporter la chevelure d’un humain qu’on lui arrache ; n’ayant qu’une petite touffe, on souffre moins quand on l’enlève, car la chair doit tenir aux cheveux. Les femmes les conservent et les divisent de manière à former une raie sur la tête, qu’elles peignent en rouge ainsi que leurs joues, leurs sourcils et leurs paupières. Elles n’ont pour vêtements qu’une jupe qui ne va pas jusqu’aux genoux et une chemise d’homme arrêtée par une boucle ; comme la plus grande immodestie est d’avoir des jambes nues, elles portent des guêtres rouges ; elles aiment les bracelets, les boucles d’oreilles et de nez. Les hommes ne portent qu’une ceinture et, dans les bois, un grand pantalon, mais comme ce n’est pas convenable de venir au village en pantalon, ils le mettent sur le bras pour y entrer, comme les hommes ici leurs chapeaux. Leurs vêtements sont des peintures d’oiseaux et d’animaux sur le corps, et quand ils vont à l’église ou sont en cérémonie, la couverture de leurs lits les enveloppe entièrement. Ils n’ont ordinairement qu’un nom 1

C-VII 2-c) Duchesne-writings History of Society, Box 1.

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de baptême et se donnent aussi des noms d’animaux ; si quelqu’un court bien c’est le lièvre, si un autre chasse bien c’est le loup, ainsi du reste. La langue des Algonquins est douce, agréable ; mais il leur manque des mots, par exemple ils ne peuvent dire : Il y a trois personnes en Dieu, mais expriment ainsi le mystère de la Trinité : Ils sont trois en un. La vie de ces Sauvages est fort semblable à celle des animaux. Les Français leur ont bâti plusieurs villages, mais jamais ils ne réparent les maisons ; si l’escalier, le toit tombent, si le plancher se perce, ils ne font aucune réparation ; ils n’entretiennent pas même la propreté. Chez le Roi même, les ordures des enfants sont comme celles des chiens dans tous les coins de la maison ; ils n’y demeurent que trois mois et sont, les autres neuf mois, à courir et chasser dans les bois. C’est depuis août jusqu’en mai qu’ils chassent. On compte, dans ces pays, 400 000 catholiques tant Sauvages qu’Européens, 30 000 protestants, Anglais la plupart. Quand ils disent aux Sauvages qu’il n’y a que trois sacrements, ils répondent : « Voyez donc l’Anglais, il ne sait pas sa religion ; le Français nous a dit qu’il y en a sept. L’évêque, le maître de l’Église, l’assure. Que l’Anglais vienne nous dire le contraire, nous le maltraiterons. » Mais les Anglais, loin de contrarier les prêtres, se font un honneur de les bien traiter et favoriser en tout. Ils les estiment plus que leurs ministres ; les Sulpiciens ont un séminaire à Montréal ; et de l’autre côté de leur église est une communauté de religieuses. Il y en a de six sortes au Canada1 : 1°) des Ursulines de Marie de l’Incarnation ; 2°) des Carmélites ; 3°) des Religieuses hospitalières de Saint-Augustin2 ; 4°) des Sœurs de la Charité ; 5°) des religieuses de Notre-Dame de Pierre Fourier3 et de celles de Notre-Dame de Mme de Lestonnac ou Jésuitesses4. Mais 1

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En France, le Concile de Trente et la Contre-Réforme ont été à l’origine d’un grand mouvement missionnaire. En 1625, les Jésuites s’installent au Canada, appellent des congrégations religieuses féminines pour l’éducation des jeunes filles et le soin des malades. En 1639, les Augustines hospitalières de la Miséricorde, de Dieppe (France), fondent l’Hôtel-Dieu de Québec, premier hôpital en Amérique. Catherine Simon de Longpré (1632-1668), du nom de religion « Marie-Catherine de Saint-Augustin », les rejoint en 1647. Elle est considérée comme co-fondatrice de l’Église canadienne. En 1597, Alix Le Clerc (1576-1622) fonde avec saint Pierre Fourier (1565-1640) la Congrégation Notre-Dame (Chanoinesses de Saint-Augustin) en Lorraine (France) pour l’éducation des jeunes filles. Pierre Fourier, formé à l’université jésuite de Pont-à-Mousson, rédige le plan d’études selon la méthode d’enseignement jésuite. Le P. Nicolas Loriquet, SJ, s’en inspirera pour écrire, en 1804, celui la Société du Sacré-Cœur de Jésus. Cf. M.-F. Carreel, Sophie Barat, Un Projet éducatif pour aujourd’hui, Paris, Éd. Don Bosco, 2003, p. 80 sq. Jeanne de Lestonnac (1556-1640), née à Bordeaux d’un père catholique et d’une mère calviniste, nièce du philosophe Montaigne, épouse Gaston de Montferrant, baron de Landiras.

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les Sauvagesses ne peuvent prendre d’inclination pour la vie religieuse et ne restent pas vierges. Dans une communauté, on en reçut une dès le bas âge et elle fit ses vœux ; quand elle les eut fait et qu’elle eut acquis une certaine force, son sang qui bouillonnait dans ses veines lui rendait insupportable la vie tranquille : on ne pouvait la contenir surtout au printemps. On fut obligé de la mettre dans une île de la rivière, où elle courait tout le jour comme un lièvre, s’occupant à tuer tous les rats, les mulots, etc., qu’elle pouvait rencontrer. Les habits de religieuse la fatiguant, elle s’avisa un jour, avant de venir à l’oraison, de les couper jusqu’au-dessus du genou et vint ainsi à l’église ; la supérieure ne pouvait pas lui faire comprendre qu’elle n’était pas bien et depuis ce tempslà n’a plus voulu recevoir de Sauvagesse dont il semble que la nature est de courir les bois comme font leurs pères depuis 2 000 ans. Quand il y fait très froid, ils font avec des branches d’arbres de grandes cabanes ouvertes au milieu du toit pour laisser passer la fumée du feu qui est au milieu de la cabane ; la terre en est couverte de branches de pins, sapins, etc., sur lesquelles ils se couchent tous ; mais comme le froid vient d’un côté et le feu de l’autre, ils se retournent comme un rôti à la broche et en ont tellement l’habitude, qu’ils tournent même en dormant. Tant qu’ils ont à manger, ils ne font rien ; quand ils n’ont rien, ils vont à la chasse, tuent un ours, etc., mais ne l’apportent pas. Ce sont les femmes qui vont chercher l’animal avec leurs enfants sur un traîneau, le dépècent et le font cuire. La nourriture des plus petits enfants, c’est le lait de leur mère ; ensuite, elles leur font sucer la seconde écorce des arbres, puis ils mangent de la viande. Ils ne connaissent pas le pain ; dans les grands besoins, ils font un peu de pâte cuite et en mangent gros comme une noix pour se soutenir. Voici la vie d’un Sauvage dès sa naissance : ils viennent au monde sans causer presque de mal à leur mère, elle ne s’alite point. En voici un trait : le missionnaire descendait la rivière sur la petite barque avec un Sauvage et sa femme, il disait son bréviaire. Tout à coup, le Sauvage dit au Père : « Arrêtons-nous un petit moment » ; ils descendirent, le Père continua son bréviaire et après une demi-heure, tous trois rentrent dans la barque. Quelques moments après, le Père entend crier un enfant, il dit : « Mais je n’avais point vu d’enfant. » Le Sauvage lui apprit alors qu’au moment où ils étaient descendus, sa femme avait eu un enDevenue veuve, elle éduque ses cinq enfants et en 1607, elle fonde la Compagnie de MarieNotre-Dame pour l’éducation des jeunes filles ; son projet éducatif s’inspire du Ratio studiorum jésuite. Elle a été canonisée en 1949.

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fant. Elle l’avait plié comme un petit chat dans un coin de sa couverture et continua à voyager. Arrivée au village, elle sort tous ses paquets de la barque, s’aide à la mettre à terre et va à l’église dire au prêtre : « Voilà mon enfant, baptise-le. » Ces pauvres femmes aiment beaucoup leurs enfants et quand elles les font baptiser, le prêtre ne peut leur faire un plus grand plaisir que de leur dire qu’ils sont jolis, et encore plus, s’il les embrasse. Mais comme ils sont plus sales qu’un chien qui s’est vautré dans la fange, c’est très dégoûtant. Un missionnaire baisait seulement l’œil de l’enfant, sa mère s’aperçut de cette répugnance et cracha sur la figure de l’enfant pour le débarbouiller. Les enfants courent les bois avec leurs parents aussitôt qu’ils le peuvent, on les porte s’ils ne peuvent marcher ; mais après les trois mois de séjour au village, tout part dans une barque faite d’écorces d’arbre et fort légère. Il y entre : le père, la mère, les enfants, le chien, le chat, un peu de farine. S’il meurt quelqu’un de la bande pendant les 9 mois, on le met au plus haut d’un arbre pour qu’il ne soit pas mangé des bêtes ; en revenant, on le renferme dans du bois, le charge sur la barque ; on s’assoit et mange dessus et on le porte à l’église en disant : « Voilà un tel qui est mort », le prêtre l’enterre. S’il est trop corrompu au retour, on l’enterre et ce n’est que l’année suivante qu’on prend des ossements. Quand une fille a 14 ou 15 ans, la mère, sans qu’elle le sache, dit au père : « Notre fille est en âge de se marier. À qui la donnerons-nous ? Il y a un tel qui a un garçon, il faut lui offrir notre fille. » Le père du garçon consent ; on mène les deux jeunes gens à l’église et ils se marient, sans s’être souvent vus. Une fois, on annonce à la grand-messe le mariage de Mathias avec Catherine ; mais malheureusement, il se trouva un autre Mathias au village ; les autres lui dirent : « Tu te maries demain. – Je n’en sais rien. – Mais on t’a nommé. » À tout hasard, ce Mathias va à l’église, et il se trouva à genoux devant le prêtre 2 Mathias et une seule Catherine. Le prêtre est embarrassé ; on va aux informations et on dit à un des Mathias de se retirer. Il s’en alla aussi tranquillement qu’il était venu. Ces Algonquins apprennent à lire ou à écrire en huit ou dix jours ; mais ne lisent jamais couramment, mais par syllabes, n’ayant pas assez d’émulation pour se perfectionner. Les femmes ont des voix superbes et apprennent coup sur coup nos airs les plus difficiles et à plusieurs parties ; elles ont beaucoup à chanter car toutes les prières et le catéchisme sont en cantiques. Quand elles chantent, elles ne laissent, à la couverture qui les enveloppe, qu’une petite ouverture pour la bouche.

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Les Algonquins, ainsi que les Illinois, sont très doux. Les Iroquois sont méchants et, par les guerres, réduits à quelques centaines. Le plus grand défaut de ces peuples est la passion de boire, surtout du rhum ; quand ils sont ivres, ils se portent à tous les excès. Le Roi va aussi nu, ou avec une couverture, et vit aussi simplement que les autres. Voici le détail d’un repas de noces pour un prince. On mit dans de grandes chaudières des bœufs, des moutons, des cochons, de la farine, etc. Quand tout fut cuit, on porta les chaudières dans une salle immense ; tous les conviés en foule autour des chaudières, le Roi, les princes, un missionnaire au fond de la salle. On fit un discours sur la tempérance ; on dit au prêtre de bénir les viandes pour qu’elles ne fassent pas mal et chacun tire son morceau : les chiens, les enfants, les femmes et les hommes. Le repas dura depuis 9 h jusqu’à 13 h ; les pauvres enfants ne pouvaient plus marcher et un missionnaire fut bien étonné en se retirant de les voir tous couchés à terre, les mères leur frottant le ventre pour avancer la digestion. Un jour, le missionnaire alla chez le Roi et trouva la Reine qui faisait des crêpes (des massepains). Comme il voulait faire sa cour, il dit au Roi : « La Reine fait très bien les crêpes. » Le Roi, enorgueilli de ce compliment, répondit : « Je vous en ferai manger. » En effet, les missionnaires étant trois à table avec un Anglais, on vient frapper à la porte et comme on refusait d’ouvrir, le Roi s’annonce. Alors, on le reçoit avec honneur et, lui, ouvre sa couverture et tire, de dessous ses bras sales et nus, trois crêpes qu’il jette sur la table en disant : « Tiens, mange. » Le missionnaire avait plutôt envie de vomir que de manger ; cependant pour ne pas déplaire au Roi, il tire la crêpe du milieu qui n’avait pas touché la chair, la coupe en quatre et chacun mange son morceau. Le Roi boit un verre de vin et se retire avec sa suite qu’il avait laissée à la porte. Trois Anglais voulant voir la Reine, le missionnaire offre de les lui présenter. Elle répond : « Cela me déplaît, cependant qu’ils viennent. » Elle s’assoit sur son lit, toute renfermée dans sa couverture ; les Anglais disent au missionnaire de lui faire des questions, elle répond : « Ils sont bien curieux » et ensuite, elle les fait sortir de suite parce qu’elle avait vu que l’un d’eux, en regardant sa femme d’honneur, avait un air peu décent car, dans cette nation, les femmes ont beaucoup de pudeur. On y est aussi fort détaché de la vie ; les malades sont mis à la porte et quand ils voient cette annonce qu’ils vont au Ciel, ceux qui ont plus de foi s’en réjouissent et disent aux prêtres : « On va me mettre dehors, j’irai bientôt vers l’auteur de la vie. Je suis bien content. » On les met dans une cabane de branches avec un trou à côté de la natte sur laquelle on les couche

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pour faire leurs nécessités et on les traîne sur le trou à chaque fois ; on recouvre d’un morceau d’écorce. Le missionnaire, pour confesser le moribond, se couche tout de son long et quelquefois entre dans le trou. Quand il porte le bon Dieu dans ces pauvres cabanes, il se fait précéder d’une Sœur qu’il approprie un peu et il porte toute sa petite chapelle dans une boîte qui a la forme d’un secrétaire et où tout se trouve. Les Sauvages ne veulent point aller à l’hôpital et se jettent au bas du lit si on les y couche. On ne pleure pas les morts. Un père dit à l’autre : « Ton garçon va mourir ; dis-lui de dire bonjour au mien ; il est en paradis car il était bien brave. » Quand ils se confessent, il faut que le prêtre s’arme de patience pour écouter tout ce qu’ils ont fait pendant les 9 mois d’absence : « Je suis parti tel jour ; le soleil était de ce côté ; j’ai mis ma barque sur l’eau ; et dedans, ma femme, mes enfants, mon chien, mes provisions. » La femme dit : « Mon mari a bu du rhum, il était bien saoul, etc. » Mais en même temps qu’il faut perdre du temps à écouter leur histoire, on est consolé de leur innocence ; souvent, dans cette confession de neuf mois, le prêtre ne trouve pas un seul péché véniel. Il dit à la femme : « T’es-tu impatientée quand ton mari était saoul ? – Comment l’aurais-je fait, j’aurais déplu à l’auteur de la vie que je venais de recevoir et que je gardais en mettant la main sur mon cœur. – T’es-tu fâchée quand tu n’avais pas à manger ? – L’auteur de la vie est bien resté sans manger pendant 40 jours ; le plus que je suis restée, c’est six jours ; je n’ai pas tant souffert que lui. » C’est ainsi du reste souvent : de pauvres femmes sans nourriture chantent tout le jour leurs cantiques et font chanter leurs enfants pour oublier la faim qui les dévore. Voici leur manière de prier à l’église pendant les trois mois de séjour au village : Ils conversent avec tous les saints dont ils voient les tableaux dans l’église. Ces tableaux sont beaux et multipliés pour les instruire par les yeux. À l’enfant Jésus : « Que tu es beau et que tu es bon d’avoir quitté le Ciel pour venir avec nous. » À Jésus souffrant : « Il a bien dû t’en coûter quand on t’a préféré Barabbas ; tu ne disais rien et moi, l’autre jour, je me suis fâchée pour une injure. Ah ! Ces coquins d’outrance, comme ils t’ont traité ! Que ne venais-tu chez tes Algonquins, ils t’auraient bien défendu. » À la Sainte Vierge : « Tu es bien heureuse d’avoir été mère de l’auteur de la vie ; moi, je l’aurais bien voulu aussi. Qu’avais-tu fais pour cela ? Rien, mais l’auteur de la vie t’a choisie parce qu’il l’a voulu. » Dans une célèbre procession qui se fait le jour de l’Assomption, on porte processionnellement une belle statue d’argent de la Sainte Vierge.

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Un des princes, qui devait la porter, voulut se faire bien beau ; il acheta un habit galonné, d’un Anglais, de beaux bas de soie et fut ainsi paré à la procession porter la Sainte Vierge, il ne lui manquait que des culottes sur sa chemise. Quand ils reviennent de la chasse, ils apportent des peaux qu’ils vendent cher, du sucre, etc. Ils tiennent leur argent à côté d’eux dans une écorce. Les paysans qui savent qu’ils en ont arrivent avec de la nourriture et présentent un gigot, une assiette de fraises. Le Sauvage prend et jette au vendeur une piastre qui vaut 5 $ ; celui-ci profite de la simplicité du Sauvage, lui dit : « Il n’y a pas assez. » Le Sauvage, là, n’est pas content ! Il jette une autre piastre et a bientôt épuisé sa bourse. Quand il n’a plus rien, il va demander à manger ailleurs. Il y a des missionnaires à 1 200 lieues plus loin que Montréal, il y en a au Mont des Roches à plus de 400 lieues, dans un endroit affreux. Et ce qui prouve que la foi aura bientôt été prêchée partout, c’est que chez les peuples les plus reculés du Nord, on a trouvé un de leurs chefs portant, pour ornement de cou, la patène d’un calice enlevée à un missionnaire qu’on avait tué. _________ Monsieur Flaget, sulpicien, évêque du Kentucky, a fait [en 1819] la dédicace de son église-cathédrale et les autorités du lieu, dépendantes des États-Unis, ont assisté à la cérémonie. L’évêque de Georgetown a chez lui des Sulpiciens et des Visitandines. On a appris tout nouvellement le martyre du dernier évêque français en Chine1 ; c’est une perte irréparable. [Sur l’enveloppe, numérotée N° 29:] À Mesdemoiselles du Pensionnat de Sainte-Marie

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Jean François-Régis Clet (1748-1820), CM, martyr, né à Grenoble, a été emprisonné, torturé, exécuté le 18 février 1820 à Ou-Tchang-Fou, en Chine. Il a été canonisé le 1er octobre 2000.

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L. 35 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 20 Saint-Ferdinand, ce 18 février 18211 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, J’ai été longtemps privée de vos nouvelles, les glaces du Mississippi ayant retenu les steamboats pendant l’hiver. Enfin il vient d’en arriver un à la faveur du dégel, qui m’a apporté plusieurs paquets de lettres dont plusieurs avaient 19 mois de date, d’autres étaient d’avril, mai, et enfin du mois d’août. Il y a plus d’un mois, j’en ai eu une du mois de septembre du Père Barat, notre cher protecteur2. Il m’envoyait le triplicata du billet de 571 gourdes [ou 5 710 F] que je me suis empressée de donner à compte à celui à qui nous devons 10 000 F et qui, dit-on, s’appuyant sur l’hypothèque et sur l’extrême difficulté d’avoir de l’argent pour des personnes comme nous, a des vues sur notre maison. J’aime mieux rejeter cette pensée comme déshonorante pour lui et injurieuse à la bonté de Dieu dont la Providence est marquée sur nous à mille traits. Notre Père [Mgr Dubourg] ne met plus de difficulté aux deux rangs et la première reçue est coadjutrice [Mary Layton]. Sur trois postulantes, il y en aura encore une si elle persévère. Demain se pose la première pierre de l’église de Monseigneur tenant à notre maison, et où se fera le service de la paroisse. Elle sera sous l’invocation du Sacré Cœur et aura sur le frontispice cette inscription : et erit Cor meum ibi. Elle sera aussi consacrée à saint Ferdinand, patron de la paroisse, et à saint Régis, le nôtre. Nous ne pouvons pas contribuer à cette bâtisse, ayant des dettes, elle s’élève par souscription et appartiendra à Monseigneur qui la laissera à nos soins3. Notre pasteur est plein de confiance pour le succès. 1 2

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 133, p. 339-349. Cf. Ch. Paisant, p. 340-343. Le P. Barat avait annoncé l’envoi de cette somme le 15 mai 1820, espérant qu’elle arriverait avant l’hiver. Philippine ne la reçut que le 1er mars 1821 : « Lettres de France et envoi de 5 710 F que nous remettons à M. Mullanphy, acompte de notre dette [de 10 000 F].» JSA. « Quoique paroisse, l’église appartiendra à l’évêque [et non aux trustees], étant bâtie sur sa propriété. » JSA, 19 février 1821.

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La maison externe est finie à nos frais et payée. Quand tout a été prêt, personne n’y est venu sous prétexte des mauvais chemins et du froid. Cela ira au printemps. D’ici là, j’espère que nous aurons deux novices en état de faire une classe américaine. Mère Octavie fait celle du pensionnat, mais il est tellement impossible à une Française de bien prononcer l’anglais que pour faire lire, elle se fait aider d’une grande pensionnaire anglaise et que souvent les Américaines ne l’entendent pas par défaut de prononciation. Néanmoins, elle est le Phénix de notre bande ; c’est d’elle dont on parle, c’est elle qu’on demande, c’est elle qui plaît à tous et qu’il conviendrait de voir à la tête, si sa grande bonté ne lui rendait presque impossible une conduite ferme. D’ailleurs, ce pays est celui des soupçons. Elle a pris tant de grâce dans la figure, elle en met tant dans ses expressions que je crains que, sans y contribuer, elle ne plaise trop à certaines personnes : jeune médecin, surtout non marié, jeune confesseur ; tous deux de figure intéressante. Cela me fait beaucoup désirer ma Sœur Lucile, en cas que je vienne à manquer. Cette bonne Mère Octavie est souvent souffrante au cœur ; vous savez qu’elle y a mal1 ; si elle manquait, notre établissement aurait un coup mortel. Cependant elle se rend de plus en plus digne de son Époux : sa douceur, sa soumission et son exactitude ne se démentent jamais. (Un trait la concerne). Il vint un jour un protestant offrir des almanachs. Elle ouvrit, fit le marché et lui parla d’une telle grâce qu’il s’en alla aussitôt dans un magasin et dit : « J’ai vu la plus jolie religieuse que le Créateur ait mise sur sa terre ; il faut que sa religion soit la bonne, car elle a l’air si content ! Elle a cependant quitté le monde à la fleur de son âge. » Mère Eugénie a eu une année très pénible pour elle et pour celles qui l’entouraient. Une retraite, où Dieu s’est fait sentir à son cœur, a dissipé les nuages d’ombres qui l’oppressaient et la rendaient insupportable à elle-même. Je suis de plus en plus persuadée que cette épreuve était préparée de Dieu même, pour la disposer de plus en plus à la conduite des autres. Elle y a un talent particulier et attire beaucoup la confiance sans aucune mollesse. Elle prend de l’expérience et, si la retraite a rempli son cœur d’onction et de paix, la vie de sainte Thérèse, dont elle a fait l’extrait en anglais, l’a éclairée sur quelques points où je craignais un peu d’illusion. Le souvenir de la Société est pour elle le rayon de miel à la bouche et elle est foncièrement humble, aimant être reprise et se portant vers tout ce qui est bas et pauvre. 1

À Paris, Octavie Berthold avait consulté le Dr R. Laënnec, inventeur du stéthoscope et du diagnostic médical par auscultation.

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Les Sœurs sont mieux pour la paix. Sœur Marguerite tombe beaucoup, s’embrouille dans l’extérieur, elle est contente en Amérique. Sœur Catherine aussi, vous avez appliqué le vrai remède ; elle se rend très utile, surtout pour laver et repasser. Les pensionnaires l’aiment, elle les surveille. Je suis toujours la plus mauvaise et le plus grand obstacle au bien. Je ne mérite ni n’obtiendrai la confiance des arrivantes [les postulantes] qui la donnent naturellement à mes deux compagnes. Combien je désire rentrer dans l’état d’inférieure ! Il me semble être disposée à obéir à qui que ce soit. Je n’aurais de peine qu’à laisser le souci du temporel, qui est grand encore. Nos Mères s’y forment comme naturellement, ne pouvant moimême parler anglais. Mère Octavie n’est point embarrassée pour parler aux médecins, aux ouvriers, marchands. Mère Eugénie, assez pour l’usage des enfants et pour conduire notre novice qui persévère en toute humilité, se plaignant seulement de n’être pas assez reprise. On ne peut se faire une idée de ce qu’elle souffre à tirer les vaches dans la boue, la neige, la glace, souvent la pluie sur le corps ; on a un froid qui ôte tout mouvement. Un jour, il a fallu couper le lait comme le sucre avec un couteau et un marteau. Cependant l’hiver a été bien moins rigoureux que l’année passée. La lettre du Père Barat m’annonce que vous êtes à l’Hôtel Biron et que l’assemblée se tient1. J’attends avec impatience les détails de cette intéressante réunion et le résultat des décisions qui doivent régler notre conduite. Quant à l’Irlandaise [Anna Murphy], j’ai été charmée de sa lettre et, sous le rapport de l’anglais, elle sera bien utile. Mais il faut lui faire un tableau naturel de notre situation : gêne pour tout, surtout pour le logement, ne sachant même où poser notre ouvrage, notre écritoire, point de table à soi, nourriture souvent dégoûtante et peu diversifiée, froid rigoureux, chaleur accablante, point de printemps. Dieu seul et le désir de sa gloire : il n’y a que cela. Après une neuvaine faite à cette intention, il s’est décidé trois vocations dans le pensionnat : de jeunes personnes de 16 à 18 ans, deux Américaines [Mary Ann Summers et Eulalie Hamilton] et une Française [Émilie SaintCyr] 2. Cette dernière a son consentement, il ne manque que celui de 1

2

Le Conseil général se déroula du 15 août au 13 octobre 1820. Convoqué officiellement pour la révision du Plan d’études, d’autres questions urgentes y furent abordées : demandes de fondation et achat de l’Hôtel Biron. Émilie (Joséphine) Saint-Cyr (1806-1883), RSCJ, née à Saint-Louis, élève de Mère Duchesne à Florissant, entre au noviciat en 1821. Elle est la seconde postulante, après Mary Layton, qui persévère. Elle prend l’habit le 19 mars 1821, prononce ses premiers vœux le 16 juillet 1822 et part le lendemain avec Philippine à Grand Coteau, où elle fait sa profession en 1831. Elle a été assistante et supérieure dans plusieurs maisons, dont Saint-Charles, où elle fut envoyée par Élisabeth Galitzine et y resta durant la majeure partie de la vie inactive de Philippine.

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Monseigneur1 qui est à La Nouvelle-Orléans. La seconde ne l’a pas encore2. La troisième est orpheline, le tuteur ne met pas d’obstacle, elle a seize ans, fait seule la cuisine avec une aisance étonnante, s’entend à tout et serait très propre aux études si ce n’était avantageux pour son âme de rester un peu dans l’abaissement3. Elle a tant de mémoire qu’elle aura bientôt appris le nécessaire si vous permettez qu’elle monte au premier rang. La famille dont elle sort ne permettrait pas de la mettre maîtresse ici, mais sans difficulté dans une autre maison. Elle parle bien les deux langues, écrit et les lit avec une intelligence à laquelle on ne peut rien ajouter. Si la prise d’habit a lieu le jour de saint Joseph, comme j’espère, elles profiteront du steamboat pour vous écrire et moi aussi, ainsi qu’à mes précieuses Mères Bigeu, de Gramont, Grosier, à votre chère Julie [Bazire] qui aime tant la Louisiane et au Père Barat. Dites-lui qu’il a une lettre de moi, N° 19, par New York, en janvier. La caisse-livres, dont il est en peine, est arrivée en très bon état avec ses précieux cantiques. Que n’en fait-il aussi en anglais pour les pauvres Américaines qui ont bien leurs privations avec nous ! J’ai reçu la réponse de notre Père Joseph [Varin], sans espérer le voir jamais. Cette phrase de sa lettre : « Va par[tir] pour conduire ces bonnes filles », nous a fait illusion un moment. Je croyais le posséder. Mon Père Perreau m’a tout à fait oubliée, je vous prie de lui en marquer ma peine et de solliciter pour moi un mot de lui. Voilà l’argent de Niort tout en Amérique, je crains que le Père Abbé [Dom Augustin de Lestrange] ne soit à votre poursuite. Son religieux [le P. Dunand], plein de bonté pour nous, n’a fait que rire de ce que j’avais donné à notre principal créancier [M. Mullanphy] ce que j’avais

1 2

3

Les deux religieuses étaient unies par une affection réciproque, mais Philippine a toujours pensé qu’Émilie n’avait pas les talents nécessaires pour gouverner une maison. Vu la situation particulière de la mission américaine, le consentement de l’évêque du lieu était requis pour l’admission au postulat. Eulalie (Régis) Hamilton (1805-1888), RSCJ, née à Sainte-Geneviève, Missouri, d’une famille d’origine anglaise et irlandaise, établie dans le Maryland et le Kentucky, est l’une des premières pensionnaires de Florissant. Elle entre au noviciat en 1821, à l’âge de 16 ans. Elle est maîtresse générale à City House en 1835, et assistante. Supérieure à Saint-Charles en 1841, à Saint-Jacques au Canada en 1847, puis à Eden Hall et à Detroit, elle revient à Saint-Charles sur la demande instante de Philippine en novembre 1851. Envoyée à Chicago en 1865, elle y reste jusqu’à sa mort. Mary Ann Summers (1804-1826), RSCJ, est née le 28 décembre 1804 à Baltimore, Maryland, d’une famille irlandaise. Après avoir déménagé à Saint-Louis, ses parents meurent, laissant quatre orphelins. Mary Ann, l’aînée, est envoyée par Mgr Dubourg au pensionnat de SaintCharles pour aider aux travaux domestiques. M. Hubert Guyon, son tuteur, lui permet de prendre l’habit à l’âge de 16 ans, le 19 mars 1821. Admise comme coadjutrice, elle devient religieuse de chœur dès ses premiers vœux faits à Saint-Ferdinand en 1823, avant d’être envoyée à Grand Coteau où elle meurt prématurément le 20 mai 1826.

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promis de compter en France à son nom. Je ne sais comment nous le paierons. Ne connaissant point la dame [Mme de la Grandville] qui donne 200 F, je vous prie de lui faire agréer nos humbles remerciements. Et à vous, ma digne Mère, que dirons-nous pour reconnaître tous vos soins ? Aimer bien le Cœur de Jésus et être en Lui vos plus humbles filles. Je suis à vos pieds, votre tout indigne Philippine Duchesne Ce que je vous ai dit du confesseur [M.  Delacroix] n’est que par rapport aux malins, car c’est un ange et un ange de paix et de sim­ plicité. Mes ­ souvenirs, outre mes Mères déjà nommées, à mes Mères [Gabrielle-Charlotte] de Gramont, Deshayes, Joséphine [Bigeu], Eugénie [de Gramont], et à tout le noviciat. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure Générale des Dames de la Société du Sacré-Cœur de Jésus À PARIS

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L. 12 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, Missouri Territori, ce 18 février 18211 Rec. à St Ant. de Padoue Ma bien chère Cousine, Il y a bien longtemps que je n’ai pas reçu de tes nouvelles, mais j’ai bien su que tu t’occupais de moi et ma Mère [Barat] me marque dans 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 12 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 32-37 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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un envoi qu’elle me fait, que tu y es pour 500 F. J’ai bien reconnu là ton cœur et ton zèle pour les bonnes œuvres. Car quoique la nôtre soit bien peu de chose et que nous soyons des servantes inutiles, cependant Dieu qui voit l’intention récompensera la pureté de tes vues et te donnera le centuple promis. Il ne défend pas que j’y ajoute un nouveau sentiment de reconnaissance pour tant d’attentions et de générosité de ta part. Lorsque je passe en détail notre petite sacristie, je dis avec plaisir à mes Sœurs : « Voilà qui vient de Mme de Rollin », et je n’ai pas sitôt fini. Tout ce que tu nous as donné est d’autant plus précieux que je ne puis plus rien demander de France, par l’appréhension de ne pouvoir payer le port. Si un jour, comme je l’espère et l’attends, nous nous divisons en deux maisons dont l’une serait à La Nouvelle-Orléans, les frais seraient diminués de plus de moitié. Nous sommes le grain pourri dans la terre ; en ce moment, à peine pouvons-nous nous retourner, mais nous sommes pleines de confiance, toutes animées à la persévérance dans l’espérance que les fruits paraîtront un jour. Il importe peu de les goûter en cette vie, pourvu que Dieu soit servi. Il a permis que, quand nous sommes arrivées à Saint-Louis, l’argent y était abondant, les terres et maisons à des prix excessifs. Il a paru plus convenable de bâtir où nous sommes ; ce n’était point mon avis, mais il y a eu nécessité de suivre celui des autres et d’emprunter pour finir. Et maintenant que la chute de toutes les banques a fait disparaître les billets qui étaient presque la seule monnaie courante ici, nous aurions à Saint-Louis des terres et maisons pour rien, tandis qu’il nous faut rendre l’emprunt dans un moment où l’argent vaut dix fois plus. Ce sont là de ces événements inattendus contre lesquels la prudence humaine ne peut rien. Mais la Providence est là et nous comptons tellement sur elle que nous tiendrons fermes à notre poste ; nous sommes tellement persuadées que Dieu nous y a placées lui-même, que pas une n’exerce de repentir. Les enfants qui ne sont pas nés d’un sang-mêlé avec celui des Sauvages ou des Nègres sont généralement dociles et faciles à conduire et aussi intelligentes qu’en France. Quant à celles de sang-mêlé, il y a peu à faire avec elles, tant la pente au mal est grande, et si nous en recevions dans le pensionnat, les blanches se retireraient, mais nous n’avons pas la peine de le refuser, elles ne se présentent pas. Je crains bien, ma bonne cousine, que tu n’aies eu beaucoup de chagrin depuis que nous nous sommes quittées ; on m’a dit que ma tante Perier était bien malade et je n’ai point appris le mieux, son âge

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me fait tout craindre1. Je connais cette peine et je puis toujours t’en supposer d’autres, car elles abondent dans cette pénible vie ; heureuses celles qui, comme toi, jettent souvent la vue sur la grande éternité où leurs vertus leur donnent l’assurance d’y retrouver pour toujours leurs amis vertueux comme elles. Il m’est bien doux de porter dans mon sein cette douce espérance que je reverrai ma chère Joséphine dans le lieu où il n’y a ni larmes ni douleurs. Présente mes souvenirs à M. de Rollin, à M. Teisseire et à mes cousins et cousines. Dis à Mme Lebrument que j’ai reçu sa lettre qui avait près d’une année de date ; pour éviter ces longueurs, je prends aujourd’hui la voie de New York qui est la plus courte pour les lettres, en les affranchissant jusqu’au port de mer. Je te prie de savoir si mon frère a bien voulu remettre chez M. Rusand le montant d’une somme qu’il m’a offerte et que je l’ai prié de rendre en France au correspondant d’un prêtre qui me l’a avancée ici. Renouvelle-lui mes remerciements, ainsi que de la peine qu’il prend pour mes certificats s’il les a reçus. J’aurais bien voulu que tu eusses vu à Paris un prêtre de ce diocèse, appartenant aux plus grandes familles de Rome, qui s’est trouvé à la suite du pape au couronnement de Bonaparte et qu’un généreux dévouement attache à cette pénible mission. Il voyage pour des intérêts et ses propres affaires. Il ne veut point revenir sans conduire ou procurer le voyage de quelqu’une de nos Dames, et je pense qu’il pressera notre établissement à La Nouvelle-Orléans, comme il s’est trouvé à la bénédiction de notre maison où il a voulu dire sa première messe. Tu aurais cru nous voir en l’entendant. Adieu, ma bonne cousine, je prends la liberté de joindre ici une lettre pour ma Mère, ne sachant plus son adresse. Je suis toute à toi dans le divin Cœur de Jésus, Philippine Duchesne

1

Marie-Charlotte Perier, tante de Philippine et mère de Joséphine, est morte le 31 juillet 1821.

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L. 11 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

N° 21 Recommandé à St Antoine de Padoue, ce 7 mars 18211 Mon cher Père, Avec quel plaisir vos dernières lettres nous ont-elles appris que vous étiez encore à Bordeaux et ainsi vous pouviez encore être le père de notre petite colonie ; non, personne, à part notre digne Mère, n’a pour elle plus de support, d’indulgence et de bonté. Je suis si confuse des peines qu’on prend pour nous et de tout ce que nous coûtons, que cela serait capable de me faire repentir de mes poursuites pour venir ici, si je n’étais pas toujours persuadée que c’est la volonté de Dieu que nous y soyons. Je me tranquillise aussi en pensant que le Sacré Cœur pour qui vous avez l’intention de travailler, en nous aidant de toutes manières, est un grand rémunérateur. Je ne sais s’il faut s’affliger ou se réjouir du départ de nos Pères de la Russie ; si quelques-uns de ceux de Sibérie voulaient trouver même climat et mêmes travaux une partie de l’année, ils pourraient venir dans nos contrées. Il faut des âmes de cette trempe pour s’y soutenir, et en allant chez les Sauvages, on pourrait encore y espérer le martyre soit de leur part, soit peut-être plus sûrement encore des hommes déréglés qui commercent avec eux. On voit là la pluralité des femmes, la fraude, etc. Voici plusieurs de vos lettres dans lesquelles vous me parlez de M. Le Torneur2 ; il est toujours à Fleurissant, mais nous ne le voyons point. Il ne m’a point donné signe de vie, même après la lettre que je lui ai remise qui était dans la vôtre. Il a cru sa femme morte et disait qu’il envoyait chercher ses enfants. Depuis, il a dit qu’il allait la rejoindre. Il cherche à vendre ses possessions, même avec perte, mais cela lui sera très difficile, vu la rareté extrême de l’argent. Tout est à rien : on n’entend 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Mar 10. Copie, C-III USA Foundation, Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I, 1818-1823, p. 207-210. Il est le capitaine de La Rebecca, bateau qui a transporté les premières religieuses du Sacré-­ Cœur en Amérique. Dans ses récits de voyage, Philippine souligne sa bonté et sa sollicitude. On ne sait pas pourquoi il est à Florissant.

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parler que d’aucans pour paiement de dettes1, et d’exécution de justice en toute rigueur ; de pauvres malheureux voient se fondre le travail de toute leur vie pour l’acquis d’une dette légère : une paire de bœufs compte 3 $ gourdes, c’est 15 F chez nous ; 18 000 arpents de terre payés avec 100 $ gourdes, c’est 500 F. Dans une situation semblable, on n’est pas à l’aise avec des dettes ; nous en avons encore pour 15 000 F, dont 10 000 avec hypothèque sur notre maison, ce dont le créancier s’est vanté. La Providence ne permettra pas qu’il en profite, elle s’est trop montrée pour nous ; mais s’il agissait avec nous comme avec ses autres débiteurs, notre maison ne trouvant point d’acheteur, elle pourrait à l’enchère lui valoir tout juste notre dette, ayant coûtée près de 40 000 F. Cette situation est bien différente de celle de Grenoble où nous n’avons jamais eu un sou de dettes de montant. Mais il est juste qu’ayant plus péché, je fasse plus de pénitence et que le bonheur d’établir ici une maison au Sacré Cœur s’achète par quelques soucis. J’ai eu un moment l’espoir que les 571 gourdes venues par New York étaient un don de la Providence, tout nouveau. Quand j’ai vu que c’était presque tout ce que j’avais compté pour payer le Père de la Trappe et Monsieur Petit Clair2, j’ai été fort déconcertée, ayant déjà remis le billet à notre principal créancier qui a l’hypothèque : je ne savais comment porter mon antienne aux autres. Heureusement, le bon religieux de la Trappe qui nous aime sincèrement, m’a dit : « J’aime mieux que vous me deviez à moi qu’à l’autre ; je ne vous poursuivrai jamais » et il a fait convertir le billet de Monsieur Petit Clair en un autre sans intérêt, et sans exiger qu’il soit payable en France. Je vous prie donc que, si cela n’est pas déjà fait, de ne rien donner à la famille de Monsieur Petit Clair. J’aimerais mieux, si vous avez quelque chose pour nous, le réserver pour le Père de la Trappe qui va retourner au printemps et par qui vous aurez de nos nouvelles dans le plus grand détail. Il a fait bâtir la maison et nous dit tous les jours la messe depuis que Monseigneur a nommé un autre curé. Vous demandez des nouvelles de Mlle Émilie Chouteau : elle est ressortie pour la troisième fois, sans peine, voulant, disait-elle, sortir de l’état d’incertitude et obtenir le consentement de sa famille. Elle ne l’aura de longtemps et, d’ici là, il est fort à craindre qu’elle ne cède parmi tant de partis qui se présentent pour elle et tant de tentations 1 2

Philippine écrit « aucans », essayant d’utiliser le mot anglais « auctions » (ventes aux enchères). Un boulanger de Florissant, rentré en France. Cf. Lettre à M.-S. Barat, 15 août 1821.

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de tendresse et de plaisirs. Mlle Émilie Pratte a cédé encore plus facilement, elle est sur le point de se marier, mais fort chrétiennement ; ses parents en sont fous et elle mérite des éloges. Mlle de Lassus, aussi sortie, a refusé trois mariages mais elle cédera un jour, ainsi qu’une Américaine, sujet supérieur, qui aurait été l’Aloysia d’Amérique sans sa sortie précipitée et son retour dans une famille pieuse mais seule catholique du pays, sans prêtre, sans aucun secours religieux. Monsieur Richard a prédit qu’elle reviendrait : je le souhaite. En attendant, sa sœur bien aimable, mais moins capable, postule et n’a pas encore de consentement. Nous aurons deux prises d’habit le 19. J’ai écrit cela à ma Mère, le mois passé, par New York. Elle m’apprend, et vous aussi, l’agonie de ma chère Aloysia ; mais quand on est ici, après avoir passé la mer, on n’a plus d’amis à revoir que dans le Ciel ; c’est là où je les vois tous, quoique je devienne de plus en plus matérielle. J’étais dans un [mot déchiré] naturel de servante ; il faut bien autre chose pour conduire les âmes, mais Dieu fait par lui-même : mes deux jeunes Mères sont de plus en plus parfaites et goûtent tant leur pauvreté et leur abjection qu’elles souffriraient grandement de se trouver dans le bien-être. Telle doit être la disposition de celles que nous attendons : se proposer la souffrance, et Dieu seul pour soutien. Il faut toujours revenir à ce malheureux argent et j’oublie de vous dire que j’ai maintenant reçu : 1°) 1 000 F de Niort ; 2°) 1 000 autres francs ; et en troisième lieu, votre billet de 571 gourdes, qui complète les 4 000 F de Niort, plus un don de différentes personnes que notre Mère me nomme. J’ai aussi reçu en très bon état la caisse [de] livres provenant des épargnes de Mère de Gramont de Quimper. Si vous avez encore les 400 livres que vous me nommez, gardez tout pour nos dettes. Quant aux livres, nous avons déjà des doubles ; j’en ai désigné quelques-uns de nécessaires à notre Mère, si Grenoble veut nous faire le don de chronologies, catéchismes historiques sans vers, de beaux de la géographie et des livres où soit l’Office de la Sainte Vierge. C’est tout le plus pressé pour les enfants. Du reste, cette année difficile doit être, pour tout, année de privation. Par le premier steamboat, je vous donnerai le détail de notre bibliothèque afin que vous sachiez ce que nous avons. Je suis avec une vive reconnaissance dans le Sacré Cœur, votre humble fille et indigne servante. Philippine

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Mes respects à M. Debrosse, à Mmes Vincent, de Lalanne. Nos Mères et Sœurs vont assez bien pour la santé et moi, plus vigoureuse que jamais, avec peu de dents. Mes quatre sœurs vous demandent votre bénédiction. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat Au petit séminaire À Bordeaux En France By way of New York

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L. 1 À M. ROSATI

SS. C. J. et M.1

[Ce 21 mars 1821] Monsieur, Je trouve une occasion précieuse de me rappeler à votre souvenir et de me recommander à vos prières avec toutes mes sœurs et nos enfants. L’une d’elles, Mademoiselle Hamilton, a un ardent désir de se donner à Dieu dans notre maison ; elle tremble qu’on vienne la chercher avant qu’elle ait la réponse à trois lettres où elle demande à sa maman son consentement pour se faire religieuse. Nous savons que les lettres se perdent souvent d’ici à Fredonia2 ; c’est peut-être la cause du silence de (mot déchiré) Mme Hamilton ; et nous avons espéré que, par votre entremise, cet (mot déchiré) lui parviendrait et obtiendrait une réponse. Votre zèle pour le salut et la perfection des âmes nous a encouragées à vous adresser cette lettre qui a pour objet la gloire de Dieu. Nous sommes aussi bien empressées de vous témoigner notre profond respect et combien nous formons de vœux pour votre saint établissement. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1821 Mars 21, Mme Duchesne, Florissant. » Ville de l’État de New York, en bordure du Lac Érié.



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Je suis avec un profond respect, Monsieur, votre très humble et dévouée servante. Philippine Duchesne sup. r. S. C. Ce 21 mars 1821 [Au verso :] Reverend M. Rosati Priest in the Seminary Barrens

LETTRE 167 

L. À SŒUR LOUISE DE VIDAUD ET SES COMPAGNES DE NOVICIAT

SS. C. J. et M.

Recommandé à St Ant. de Padoue 10 avril 18211 Ma bien chère sœur Louise et vos heureuses compagnes, Je me rappelle qu’étant encore à Grenoble et me transportant en désir dans les pays dont nous lisions l’histoire dans Les Lettres édifiantes, je disais aux aimables enfants qui composaient ma classe, que si jamais Dieu me faisait la grâce d’y aller aussi pour l’instruction des pauvres ignorants, je ne manquerais pas de leur écrire ce que je saurais de curieux ou d’intéressant. J’ai déjà rempli une partie de ma promesse par les différents journaux qui sont partis d’ici et par des lettres aux novices de Paris et de Grenoble, où se trouvait le plus grand nombre de celles auxquelles j’avais fait mes promesses. Maintenant que la divine Providence les a 1

Original autographe, CVII-2) Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box  4. Copies, A-II 2) g, Box 2, Lettres intéressantes de la Société, p. 243-249. C-III USA Foundation Haute Louisiane, Box 1, Lettres de la Louisiane, 1818-1822, Part A, p. 77-83 ; Lettres de personnes variées, 1818-1828, Part B, p. 141-149 ; Lettres de la Haute-Louisiane II, 1818-1823, p. 210-217 b. Cf. Ch. Paisant, p. 348-352.

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presque toutes séparées pour la gloire de son divin Cœur, j’ai un secret plaisir de trouver à la source de la Société, ma chère et bien-aimée Louise qui, dans ses songes, pendant qu’elle était au troisième cours à Grenoble, se disputait avec moi pour aller la première au martyre et sentait déjà le bonheur de suivre l’Agneau partout où Il va. Son saint papa fut content de lui voir ces saintes pensées qui présageaient sa vocation. J’ai la ferme espérance qu’elle y a persévéré et que maintenant, le triple lien des vœux l’a unie à notre divin Sauveur. Je retrouverais ici nos enfants de France et verrais dans notre pensionnat la facilité des unes et la piété des autres, si elles avaient le temps de s’affermir dans leurs principes et de s’instruire à fond ; mais soit la disette de l’argent qui rend le poids d’une pension trop fort, soit l’usage de marier très jeune les demoiselles, soit la légèreté du naturel des enfants, tout cela donne prise à l’ennemi de tout bien. On n’ose faire la conversion d’une jeune personne, instruite que l’on est par tant d’apostasies. Une jeune fille, touchée par les instructions d’un saint prêtre, se fait baptiser, communie, est confirmée. Rentrée dans sa famille, gagnée par des parents, des amis, sollicitée par des ministres [protestants], seule pour lutter contre l’erreur, elle se laisse gagner, elle apostasie et rentre dans une de ces sectes qui abondent dans ces contrées où souvent une catholique se trouve sans prêtre et sans secours. Le mariage est souvent un autre écueil ; cependant c’est aussi quelquefois le seul moment qui fixe dans le bien une convertie. Il n’y a point ici de ces maisons de retraite pour l’innocence exposée et où la foi trouve un moyen d’éviter la séduction. Il faudrait, quand on convertit, être sûr des parents ou leur ôter la victime qu’on cherche à débaucher à Jésus-Christ et le pays n’offre aucune ressource pour cela : point de grands bâtiments et point d’argent pour doter un établissement, et point d’ouvrage pour fournir par un travail honnête à la subsistance. Nous avons parmi nos élèves une jeune protestante, charmante, docile, appliquée, aimant beaucoup aller à l’église, cherchant à imiter ses compagnes en faisant le signe de la croix, etc. Eh bien, si elle se rendait catholique, les parents ne le voulant pas, on est comme sûr qu’elle retournerait à sa première religion. Le seul bien à faire est de la bien instruire ; alors, à l’époque d’un mariage, d’un âge qui la rend maîtresse d’elle-même, elle peut suivre la religion qu’elle a goûtée ou même faire son choix au moment de la mort ; mais que d’apostasies font trembler ! Nous avons eu sous les yeux de jeunes personnes qui paraissaient même ferventes ; l’une d’elles, par pénitence, avait écrit tout le catéchisme au clair de la lune ; elle a fini par tout abandonner, se marier devant le juge sans confession, ainsi qu’une de nos externes

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de Saint-Charles que nous jugions la plus pieuse de toutes. Cela fait trembler. Deux autres externes ont été envoyées dans un canton tout protestant pour les forcer d’abandonner notre sainte religion, qui était celle de leur mère qui les avait engagées, en mourant, d’y être fidèles. Outre cette multitude de religions qu’on fait monter à plus de 40, il y a le danger imminent de parures et des bals. Partout, l’on danse avec fureur ; dans la chaleur de la danse, on s’est marié en prenant pour témoins les danseuses. Voilà toute la religion. Il y a eu des bals à SaintLouis, dont une des règles était que les demoiselles ne pourraient y être conduites par leurs pères ou leurs frères. Il y a un village dans lequel sont réunis ceux d’une religion où l’on ne peut se marier. Le dimanche, les hommes et les femmes se rendent au temple, par bandes séparées d’hommes et de femmes. Quand tout le monde est placé, la prédication commence ; alors commencent aussi des mouvements convulsifs : tout tourne dans le temple, les femmes font le parapluie avec leurs jupes et quand, à force de tourner, elles tombent, se trouvent mal ainsi que les hommes, le ministre va prêter l’oreille aux paroles qui se prononcent dans cette pamoison et qu’on recueille comme des oracles du Saint Esprit. C’est bien autre chose dans un certain campement, dans la campagne, près des villes de l’Est. Ce sont tout à fait des accès de furie et les spectateurs eux-mêmes éprouvent un trouble inexplicable. Je le sais de témoins oculaires. Un fanatique d’une autre religion s’était imaginé qu’il ne fallait point travailler et que Dieu pourvoirait aux besoins de sa famille. En attendant, la femme et les enfants mouraient de faim. Enfin, il s’imagina de dire à sa femme, pour calmer ses craintes, de mettre des pierres dans un four et qu’elles deviendraient du pain. Son espérance fut trompée, mais il ne fut pas désabusé. Un autre s’imagina que Dieu l’enlèverait au Ciel, mais pour aider son assomption, il se fit attacher au dos de grandes ailes et monta ainsi sur le toit de sa maison, en disant à sa femme de lui crier : « Monte, monte » ; mais tout fut inutile, il resta sur la terre. Un autre trait de fanatisme est bien plus tragique. Un homme veuf prit pour soigner ses six enfants une fille méthodiste qui passait pour être très vertueuse ; elle mangeait peu, gardait la retraite, avait toujours la Bible à la main. Enfin, son imagination s’égara tellement qu’elle vint à penser que ces six enfants seraient en danger de se perdre quand elle leur manquerait et, pour éviter ce malheur, elle les tua tous les six, et se tua ensuite après eux.

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Les duels sont aussi fort fréquents et, tout près d’ici, il s’en préparait un public, et chaque champion allait chercher ses amis pour appuyer son parti. Le curé, pieux Lazariste, en étant averti, se transporte sur le champ de bataille pour essayer de réconcilier les deux ennemis. Il en trouve un trop endurci pour l’écouter ; il attend l’autre qui le connaissait et l’aimait et qui, en le voyant, fut ému. Le pasteur profite de cela pour le gagner et il allait y réussir quand l’autre comme un démon veut toujours se battre. Alors le pasteur désolé se jette à ses genoux pour le supplier de songer à son âme qu’il exposait si visiblement. Tout étant inutile, saisi de douleur, il reste évanoui. Ce fut là le moment de la grâce : les ennemis consentirent à se séparer. Mais le père du moins méchant en est mécontent et dit que ce prêtre devait se mêler de dire la messe et non pas des affaires des autres. C’est toujours ainsi dans ce pays : les pères sont plus mauvais que les enfants. Le même Lazariste fait l’école et, sur le fonds de la Providence, il garde quelques jeunes gens chez lui qu’il nourrit et forme avec soin. L’un d’eux, très pieux, voulait entrer dans l’état ecclésiastique. Sa mère arrive furieuse, l’emmène et lui dit : « J’aimerais mieux te voir mort à mes pieds que de te voir prêtre. » Le même encore, prêchant à une noce sur l’unité du lien du mariage et sur son indissolubilité, un vieillard malheureux dit tout haut : « Eh bien, moi, j’ai eu trente femmes. » Le sang mêlé avec celui des Sauvages et des Nègres forme une race bien difficile à conduire à la vertu. Nous avons été obligées de renvoyer une enfant de cette trempe, n’en pouvant rien faire. Elle était douillette, paresseuse, violente, gourmande ; à l’église, elle ne faisait que déchirer du papier, dont elle se pourvoyait en cachette, ou nos livres. Enfin, un jour, elle dit à ses compagnes que j’avais le diable pour mari et que je le caressais beaucoup. Tout ce que vous avez lu dans Les Lettres édifiantes de la cruauté de nos Sauvages subsiste encore aujourd’hui dans le Haut-Mississippi et le Haut-Missouri. Dans le temps de la guerre qu’ils faisaient aux États-Unis, il y en a qui ont brûlé des hommes blancs, leurs prisonniers, à petit feu et forçaient leurs femmes ou leurs frères à manger leurs chairs sanglantes et rôties dont ils se repaissaient. Encore à présent, sans même être sauvages, on a vu des hommes couper le sein des femmes, le griller et le manger. Retirons-nous de ces horreurs pour parler de nos espérances. Nos enfants sont aisées à conduire et beaucoup portées à la piété. L’une d’elles, qui n’a que 10 ou 11 ans, entendant un cantique à saint Louis de Gonzague, disait : « Ô Madame, ce que j’aime le mieux, c’est quand

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on dit qu’il a choisi l’épine pour s’attacher à la Croix. » Sur un autre, en l’honneur du nom de Jésus : « Ô que j’aime ces mots : il est doux comme le miel. » Elle passe souvent une récréation, tournée contre l’image de saint Louis de Gonzague, chantant des cantiques. Il y a entre les enfants émulation pour les saints et leur affection est toujours bien motivée. Deux sont transportées d’amour pour saint François Xavier et quand il arrive une compagne, elles s’en emparent pour lui faire aimer leur saint en lui racontant ses vertus. Un jour, par méprise, la petite classe se trouva seule, aussitôt, elle se range en silence et étudie de son mieux, sans dire mot. Mère Eugénie arrive et leur demande ce qu’elles font, qu’il est encore récréation. « Eh ! Madame, dirent-elles, est-ce mal fait de nous être mises à l’étude ? » Plusieurs fois, à ma classe, on a regardé dans son livre en récitant, mais avant la fin, on est allé à genoux s’accuser tout haut et cela de son propre mouvement. La plus grande, hier, avait mal parlé de ses compagnes et fut reprise ; le soir, de son propre mouvement, on voit cette grande fille se mettre à genoux au milieu du réfectoire, devant ses compagnes, demander pardon. Il y en a qui ont demandé récréation tout le jour, mais c’était pour faire la retraite et passer son temps à la chapelle. Plusieurs des élèves sorties ont porté la vocation dans le monde, mais je ne crois pas qu’elles puissent vaincre la répugnance extrême de leurs parents, ni lutter toujours contre la séduction des plaisirs, des flatteries, des sottes plaisanteries et des fréquentes propositions de mariage. Nous en avons aussi plusieurs dans le pensionnat, qui soupirent après notre saint état, mais si elles ne gardaient encore le silence, on les retirerait de suite. Nous avons eu, le jour de saint Joseph, la prise d’habit d’une pensionnaire de 15 ans et d’une orpheline à notre service, de 16 ans. Les pensionnaires étaient charmées et l’une d’elles dit en sortant, qu’en voyant s’embrasser les deux novices, il lui avait semblé voir s’embrasser la justice et la paix. Le lendemain, 5 ou 6 des plus jeunes élèves écrivirent à leurs parents pour leur demander de prendre notre saint habit. Nous arrêtâmes ces lettres, mais elles étaient comiques à lire ; de l’une surtout qui exhortait son papa à entrer dans la Société de Jésus. Cette pauvre enfant et sa sœur nous inquiètent beaucoup. On va venir les chercher dans un mois pour aller à La Prairie du Chien, éloignée de 400 lieues d’un prêtre. Un seul y est allé ; une fois, on voulut le jeter à la rivière ; on se raccommoda ensuite et on lui demanda que pour couronner ses travaux dans le pays, il permît un bal. Voilà la demeure de ces pauvres enfants, sans mère, dans la maison où l’on reçoit la garnison

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et les chefs des Sauvages d’alentour, n’ayant pour conductrice qu’une fille de Sauvagesse et un père insouciant. Je lui ai proposé de diminuer la pension, il s’en est offensé. L’une de ses filles est très ardente pour le plaisir ; priez bien pour elles deux. Outre la prise d’habit, nous avons eu deux pieuses cérémonies : La 1ère, le 19 février : j’ai posé avec notre pasteur la première pierre de l’église qui sera contiguë à notre maison et dédiée au Sacré Cœur sous l’invocation de saint Régis. Elle se bâtira par souscription. La seconde a été le 25 mars, fête de l’Annonciation, où 5 enfants ont fait leur première communion. Nous avions proposé d’ouvrir l’école au commencement de l’hiver ; le froid, les mauvais chemins, l’insouciance des parents ont arrêté jusqu’à présent l’ouverture des classes externes. Elles n’ont commencé que le 2 avril. Voilà ma réponse aux deux lettres de ma bien chère sœur Louise de Vidaud. Son sacrifice me comble de consolation. J’en aurai encore beaucoup, si j’apprends que Mme de Chabannes, sa sœur, se soutient dans la piété. Je suis dans le Sacré Cœur votre dévouée servante. Philippine Mes respects à votre bonne maîtresse, mon ancienne Mère.

LETTRE 168

L. 5 À EUPHROSINE ET AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. et M.

Ce 11 avril [1821]1 Ma chère Aloysia et ma bien aimée Amélie, Le Père Barat en m’écrivant m’apprend que vous êtes l’une fixée dans son lit et l’autre au postulat ; que l’une doit s’exercer à la patience et l’autre 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Une archiviste a daté cette lettre de 1821. Si la datation est juste, Philippine ne sait pas qu’Euphrosine (Aloysia) est décédée le 21 janvier 1821.



Lettre 168

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lutter encore contre la tendresse de ses parents ; mais courage, l’une et l’autre ! Que peut craindre dans la maladie celle qui a tout quitté pour Dieu ? Et que peut trouver Amélie qui lui vaille dans le monde le divin époux qui l’engage à se donner à lui ? Je ne pouvais avoir une plus douce satisfaction que d’apprendre que ma bonne Amélie et ma chère Caroline [Lebrument], dont j’ai toujours bien augurée, veulent tout quitter pour le Cœur de Jésus. Il les dédommagera amplement de leurs sacrifices ; elles trouveront le centuple dans cette vie pour elles-mêmes, et Dieu a coutume de bénir les familles qui lui donnent les prémices dont il est jaloux. Qu’il m’est doux en pensant à cette maison si chère, qui a été trois fois mon berceau, de voir que Dieu si bon y attire peu à peu mes chères nièces et élèves. Vous êtes une pépinière qui, transplantée, étendra son ombre au loin. Nous avons trois novices, trois postulantes, 20 pensionnaires, 10 externes. Nous trouvons, après nos classes, le temps de travailler au jardin, ramasser du bois, nous aider aux lessives, étant obligées de blanchir les élèves. Ayant brûlé une partie de mes cahiers à Paris et n’ayant presque rien en anglais pour la classe, il nous a beaucoup fallu rédiger en français, n’ayant que de l’incomplet ou inutile dans de vieux cahiers ; et extraire de l’anglais. J’ai pour ma part extrait toute la Bible, sur une très bonne Bible catholique qu’on nous avait prêtée, n’en trouvant aucune abrégée qui ne soit altérée en anglais. Mère Eugénie a extrait de l’anglais la vie de sainte Thérèse ; et saint François-Xavier va encore me tomber1. Nous ne savons que donner à lire à notre novice, qui ne sait que l’anglais. Avec le temps et du travail, nous aurons l’essentiel. Les Pères Jésuites de Georgetown et les Sulpiciens de Baltimore ont déjà, par souscription, multiplié plusieurs livres de piété en anglais, et nous les achetons. Toute à vous dans le Cœur de Jésus, Philippine J’écris par la même occasion à mes sœurs. [Au verso :] À Madame Madame Maillucheau Supérieure de la maison de Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble 1

Expression familière qui signifie: sa traduction va encore être à ma charge.

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LETTRE 169

L. 12 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

11 avril 1821 Recommandé à St Antoine de Padoue1 Ma bien chère Mère, Il y a longtemps que je n’ai pas reçu de vos lettres directement, mais notre Père Barat y supplée ; étant instruit des occasions, il ne les néglige pas pour nous écrire. Il m’a appris votre voyage à Paris, l’achat de l’Hôtel Biron, l’état désolant de ma chère Aloysia [Jouve] et la vocation et entrée de sa sœur [Amélie]. Tout cela était intéressant et a produit des sentiments bien divers dans mon âme, qui se réunissent tous dans la sainte volonté de Dieu. Nous avons toujours un champ bien étroit, mais le peu de personnes que nous servons n’auraient personne sans nous, et n’auraient jamais bien connu leur religion et le cœur aimable de Jésus. Aussi sommesnous fermes dans la persévérance ; aucune ne se repend d’être ici et [chacune] désire y mourir. Loin de nous lasser de notre état de médiocrité, nous l’aimons et serions mal dans le bien-être. Nous rions de nos viles occupations, comme d’autres dans leurs fêtes, et la mélancolie ne nous rendra pas malades. Je vous prie de le dire au respectable Monsieur Rambaud, mon bon Père, qui m’apprend que Monseigneur [Claude Simon] de Grenoble et Monsieur Bouchard ont daigné se rappeler de nous. Je vous prie de leur en témoigner ma reconnaissance et de dire à Monseigneur que son nom m’est souvent à la bouche. Dieu nous console par trois jeunes novices bien disposées et par l’espoir prochain d’y joindre deux Américaines [Mathilde et Eulalie Hamilton] qui seules suffiront pour soutenir notre œuvre quand Dieu nous appellera à lui. C’est chez elles que Monseigneur a envoyé plusieurs prêtres afin que, n’entendant que l’anglais, ils s’accoutument à le parler. L’aînée qui, en très peu de temps, a appris le français avec nous, est capable de nous traduire en sa langue beaucoup d’ouvrages pieux et de classe, qui manquent totalement pour celles de sa nation. Jamais une Française ne peut devenir capable d’écrire l’anglais bien correctement. 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 170



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Par les lettres de mes Mères et Sœurs Furnon, Chauvin, Bonabaud, je vois le bien immense qui se fait dans vos classes et qui doit vous combler de consolation. L’occasion pressant et ayant déjà manqué deux steamboats, je ne puis leur témoigner en particulier combien nous sommes toutes sensibles à leur souvenir. Leurs lettres ne sont arrivées qu’hier. Mère Octavie est le Phénix de la bande, elle plaît beaucoup ; on est si surpris de voir une personne liée [à Jésus-Christ] contente et heureuse ; ce qu’elle sait si bien exprimer, que nombre de protestants ont déjà dit, que c’était une preuve que notre religion était la meilleure. Elle est chérie dans le pensionnat ; elle et Mère Eugénie saluent dans le Cœur de Jésus toutes leurs sœurs et leur berceau chéri et vous offrent leurs tendres respects. Je suis dans le Sacré Cœur votre soumise servante. Philippine Duchesne J’ai su la mort de M. d’Hyères.

LETTRE 170

L. 36 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Florissant 12 avril 18211 Ma bien digne Mère, J’apprends aujourd’hui, par une lettre de notre bon Père Barat, que vous êtes décidément à l’Hôtel Biron et que nos Pères vous remplacent au n° 40 [rue des Postes]2. Je suis bien contente que cette maison, qui a été celle de Notre Seigneur, soit toujours consacrée à son Divin Cœur. Je suis aussi bien consolée que votre vrai Père [Varin] conduise encore 1

2

Copies, C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute Louisiane I, 1818-1823, p. 222-224 ; C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 3. J. de Charry, II 1, L. 135, p. 354-358. Cf. Ch. Paisant, p. 358-360. Depuis 1814, les Jésuites occupaient l’hôtel de Juigné, également rue des Postes. En 1818, le P. Varin fut nommé supérieur des Jésuites de Paris.

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votre petit troupeau qui doit tant influer dans le monde, un jour. Je n’entends plus parler de notre Père Perreau, tout me prouve qu’il ne cherche qu’à se cacher. Je suis bien fâchée qu’il m’oublie, voilà plusieurs lettres sans réponses. J’aime cependant bien à m’appeler encore sa fille ! J’ai eu, en trois ans, une lettre de lui et une de notre Père Joseph. Mais dites-leur bien que ce silence, en m’affligeant, me rappelle celui que je garde dans le Cœur de Jésus, où l’on s’entretient sans rien dire, et que c’est là où je leur ferai entendre mon souvenir et ma reconnaissance. Les lettres de votre bon frère sont les plus récentes de toutes, une était de septembre et la dernière du 31 octobre ; elle a cependant plus de six mois. Il ne nous dit rien du résultat de l’assemblée, sinon votre déménagement ; ni rien non plus du départ de quelques Sœurs1 ; cela est affligeant. Si vous entrez dans le projet d’un établissement à La Nouvelle-Orléans que désirent Monseigneur et Monsieur Inglesi, qui le protègera, cela sera indispensable. Vous savez que Mère Octavie, examinée par M. Laënnec, a une maladie de cœur dont les symptômes augmentent, ce qui peut l’enlever très promptement ; cependant aussi elle peut vivre encore longtemps ; cette maladie, qui frappe comme la foudre, ne peut être suivie dans ses progrès. Elle est très aimée dans ce pays, au-dedans et au-dehors, et elle s’y plaît beaucoup. Dans ce pays de tolérance, on compte pour rien d’être d’une religion ou d’une autre. Il y en a qui ont changé jusqu’à vingt fois. Mère Eugénie devient de plus en plus propre au gouvernement. Elle a de la finesse pour juger, de la prudence pour ne rien précipiter, beaucoup de zèle et de fermeté ; elle est agréable dans son extérieur et son expression. Elle sait assez l’anglais pour conduire des Américaines et leur faire l’instruction religieuse ; mais la classe américaine est réservée à Mère Octavie qui s’en tire bien, quoiqu’elle fasse encore bien des fautes, en parlant et en écrivant, comme le lui dit franchement notre médecin. Marguerite est toujours bien bonne, mais faible. Catherine est vestiaire des enfants, surveillante, lave et repasse. Marguerite l’aide en ce dernier article et à la dépense et aux externes en très petit nombre. Les lettres par New York arrivent plus promptement par la poste que celle que j’ai reçue par cette voie qui m’a apporté, la première, les 570 gourdes qui ont été appliquées à payer une partie de nos dettes. Je vous ai répondu par New York dans une lettre à Mme de Rollin. Je la 1

Le départ de Lucile Mathevon et d’Anna Murphy pour la Louisiane.

Lettre 171



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remerciais selon votre avis, et vous encore plus, en vous priant de le faire pour nous à Mme de la Grandville. Nous avons reçu les Vies de nos Sœurs mortes jusqu’à Mme de Sylguy. J’attends celle d’Aloysia et apprends avec consolation que sa sœur Amélie est au postulat et que Caroline [Lebrument, sa cousine], qui a déjà éprouvé vos bontés au pensionnat, les éprouvera peut-être au noviciat. Si M. Mullanphy vous porte lui-même ma lettre, je vous prie de lui faire accueil, mais en toute simplicité, la gardant lui-même en toute rigueur. Vous ne diriez pas que c’est l’homme le plus puissant du pays, qui pourrait acheter tout Saint-Louis, et un des plus habiles calculateurs. Il va chercher ses filles en France et voir son fils à Paris. Il nous a prêté à 10 %, pour finir notre maison, 10 000 F et a en acompte votre envoi de 3 000 diminués du change. J’ai eu hier une nouvelle agréable : la meilleure de nos enfants [Eulalie Hamilton], qui est américaine, obtient le consentement de sa mère pour prendre le voile ; elle est de suite en état d’être maîtresse. Sa sœur aînée [Mathilde] balance et a des talents distingués pour nous. Monsieur Rosati, supérieur des Lazaristes, la poussera beaucoup. Je suis avec respect, ma bien digne Mère, votre indigne fille. Philippine Duchesne

LETTRE 171

L. 50 À MADAME JOUVE, À LYON Avril 1821 Saint-Ferdinand, État du Missouri, par Saint-Louis1

Mes très chères sœurs, Un monsieur de notre pays, allant en France reprendre plusieurs de ses demoiselles qui y ont été faire leur éducation, me fournit une bonne 1

Copie certifiée conforme à l’original, Paris, le 18 novembre 1895. Le vicaire général : R. Bureau v. g. Cachet de l’archevêché de Paris. Autres copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 104-107 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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occasion pour vous écrire, et entretenir ainsi ce tendre lien de l’amitié qui nous unit et que la distance ne fait que serrer dans mon cœur ; car s’il doit se spiritualiser pour durer dans l’éternité entière, il n’en est pas moins consacré par la nature et la religion. Et si je me suis éloignée de vous pour cette vie, j’ai la ferme espérance que nous n’en serons que plus près dans le Ciel, et que notre réunion n’en sera que plus délectable ; ce que je dis pour vous, je le répète à mes beaux-frères et à ceux de vos enfants que j’ai connus et dont plusieurs ont été à mes soins. Ce sera pour moi la nouvelle la plus consolante si j’apprends qu’Amélie, Mme Bergasse, Amélie Jouve, les quatre aînées Lebrument [Caroline, Henriette, Eugénie et Marine] ont entièrement embrassé le parti de la vertu et sont de dignes et fidèles filles de l’église, dans la pureté de la foi, comme dans l’observance des commandements1. J’ai écrit à mon frère par la poste, le 1er de ce mois, pour le prier de remettre à l’abbé de la Trappe par M. Rusand une somme qu’il m’a promise et que je dois au dit abbé, l’ayant reçue d’un de ses religieux. Il me tarde d’apprendre que je suis acquittée. Les dames de La Nouvelle-Orléans, religieuses Ursulines, ne s’étaient pas acquittées de suite avec M. Jouve, ayant compris que je m’arrangerais avec lui. Je leur ai écrit que je n’avais rien à lui compter et de bien vouloir le payer, ce qui doit être fait par l’entremise de Mme Fournier de Bordeaux, sœur de Mgr notre évêque, qui est en ce moment en Basse-Louisiane. Les ennemis de la religion lui en avait fermé l’entrée jusqu’à présent, mais le moment de la miséricorde de Dieu sur ce pays étant arrivé, il a tenté sa visite et a été reçu partout avec un empressement extraordinaire ; il nous écrit d’une paroisse où il aura plus de 700 confirmations. Les Dames Ursulines nous continuent leur généreux intérêt ; elles nous entretiennent à peu près de sucre, de morue, de riz et de faïence, sans compter bien d’autres choses qu’elles nous envoient le port payé. Elles nous verraient avec plaisir à La Nouvelle-Orléans, et j’espère bien que nous y aurons une colonie dans peu d’années. Monseigneur le désire aussi ; l’argent est la seule difficulté. On y traînait les piastres en charrette lorsque nous y avons passé, et maintenant les plus riches en manquent. J’espère que ma sœur Mélanie, religieuse à Romans, ne cessera de m’aider de ses prières comme le faisait notre respectable tante dont 1

Mme Bergasse est sa nièce, Amélie de Mauduit, qui s’est mariée avec Henri Bergasse en 1818.

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j’ai appris la sainte mort1, ainsi que la charge imposée à ma tante Euphrosine [Claire-Julie Duchesne]. Je la conjure de me recommander à sa sainte communauté, aux bonnes œuvres auxquelles je désire bien participer. J’ai vu avec peine que plusieurs artistes français, qui croyaient faire fortune dans ces pays, ont été obligés de repartir avec moins d’argent qu’en arrivant. La famille de M. de Perdroville, autrefois attachée à Bonaparte, n’a pu y exister et est repartie. J’ai su depuis qu’elle s’est arrêtée dans la Basse-Louisiane, où la dame qui avait eu une bonne éducation, forte en piano, fait l’éducation de jeunes demoiselles, moyennant un traitement qui fera vivre ses enfants. Adieu, mes chères sœurs, priez pour moi et faites prier vos enfants. Je suis dans le Cœur de Jésus votre fidèle amie, Philippine Duchesne

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L. 2 À M. ROSATI

SS. C. J. et M.2

[Saint-Ferdinand, ce 20 mai 1821] Monsieur, Je vous dois et à Monsieur Potini de la reconnaissance3, car en décidant la vocation de Mademoiselle Hamilton et en lui facilitant le sacrifice de quitter sa famille, vous n’avez pas seulement travaillé pour la gloire de Dieu et l’avantage de son âme, mais encore pour celui de notre établissement qui n’avait que des soutiens fragiles ou usés ; et que Dieu se plaît à renouveler en attirant au service de son divin Cœur plusieurs jeunes personnes, dont aucune ne nous attache autant que vos deux 1 2 3

Marie-Louise Duchesne (Sœur Françoise-Mélanie) est décédée en 1820 à la Visitation de Romans. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1821 Mai 20, Mme Duchesne, Florissant. » Antoine Potini, CM, né en 1799, à Velletri, Italie, arriva en Amérique en 1818 et a été ordonné prêtre en 1820, aux Barrens.

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jeunes paroissiennes. Ces deux sœurs d’un caractère fort différent sont néanmoins, toutes deux, fort propres à l’œuvre de notre institut. Mademoiselle Mary Layton, depuis longtemps notre sœur, se distingue par son humilité et sa douceur. Elle a le saint habit depuis le 22 novembre et ma sœur Eulalie Hamilton depuis le premier vendredi de ce mois ; sa sœur a à attendre encore quelques semaines. Il nous serait bien doux d’avoir une maison près de vous et sous vos soins, mais le temps n’est pas encore arrivé. Il est nécessaire que nos jeunes plantes se fortifient à l’ombre de notre sainte retraite et dans d’humbles exercices. Telle est la règle inviolable de notre Société. Monsieur Ferrari, que nous avons eu le bonheur de posséder en l’absence de Monsieur Delacroix, a donné la retraite à nos enfants1. Bientôt, nous ne pourrons plus compter tous les biens que nous a déjà procurés votre sainte Société [la congrégation de la Mission]. La nôtre, toute faible, se recommande à vous et vous demande la continuation de votre intérêt. Je suis avec un profond respect, Monsieur, votre bien indigne et dévouée servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 20 mai 1821 [Au verso :] À Monsieur Monsieur Rosati Supérieur du Séminaire Aux Barrens

1

André Ferrari, CM, né en 1792 à Porto Maurizio, près de Gênes, Italie, est arrivé en Amérique en 1816 avec les P. de Andreis, Rosati et Acquaroni, recrutés par Mgr Dubourg. Après avoir exercé son ministère à Vincennes, A. Ferrari arriva à Saint-Louis en 1820. Il accompagna Eugénie Audé en Louisiane en 1821, est décédé de la fièvre jaune le 2 novembre 1822 à La Nouvelle-Orléans. Estimé de tous pour sa générosité et sa joie de vivre, il fut le second Lazariste à mourir dans le Nouveau Monde, après le P. de Andreis. Cf. John E. Rybolt, CM, A Life of Andrew Ferrari, CM, Vincentian Heritage Journal 7.1, 1986, p. 27-66.



Lettre 173

LETTRE 173

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L. 37 À MÈRE BARAT Florissant, [6] mai 18211

Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir une lettre de votre bon frère qui m’annonce la fin du Conseil et l’envoi de 360 F ; ils sont, sans doute, à La Nouvelle-Orléans. On ne parle point de Sœurs pour nous, fiat. Lettre d’une postulante de la Louisiane à la Mère Barat Ma révérende Mère, C’est avec une joie inexprimable que je viens vous informer de l’heureuse destinée de ma sœur et de la mienne, puisque Dieu, sans avoir égard aux mérites de l’une et de l’autre, nous a tirées du milieu des vains plaisirs d’un monde corrompu, pour nous placer dans le saint asile que son Cœur sacré a préparé pour nous. Ô notre digne mère, comment pourrons-nous reconnaître la générosité de ces Mères zélées qui, sacrifiant tout ce qu’elles avaient le plus cher au monde, sont venues chercher la brebis égarée dans les solitaires déserts de la Louisiane ? Nous n’avons d’autre compensation à leur offrir que d’essayer d’adoucir leur laborieuse entreprise, en nous efforçant de nous rendre dignes nous-mêmes du céleste Époux qui nous a choisies. Daignez nous honorer de vos salutaires instructions sur ce point si important. Ma sœur a pris le voile blanc avant moi [le 4 mai], quoiqu’elle soit plus jeune. Car, après avoir passé une année dans la maison comme pensionnaire, ayant cédé à l’importunité de mes parents, et étant retournée dans ma famille, ma prise de voile a été fort retardée. Cependant notre respectable Mère Duchesne a promis d’abréger le temps, autant qu’il serait possible. Car je ne soupire après rien autre chose aussi ardemment comme le jour heureux où je me verrai revêtue moimême de l’habit du Seigneur. Nous attendons avec la plus grande impatience l’arrivée de trois dames de France, qui seront un sujet de vraie gratification à notre petite communauté. 1

Copies, C-III 1 : USA Foundation Haute Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute Louisiane I, 1818-1823, p. 225-227 ; C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 3. J. de Charry, II 1, L. 136, p. 359-362. Cf. Ch. Paisant, p. 360-362.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Nous nous recommandons à vos prières les plus ferventes, notre digne Mère, et à celle de la communauté. Demandez que nous puissions devenir de dignes membres de la Société, et particulièrement moi, qui suis la plus indigne de toutes. Nous avons, Madame, l’honneur d’être, dans les Cœurs sacrés de Jésus et de Marie, vos soumises et obéissantes servantes. Mathilde Hamilton Eulalie Régis Hamilton [Sur le même feuillet :] Ma bien digne Mère, Cette lettre est écrite par les deux sujets que je regarde comme les fondements de la Société dans la nation américaine. La cadette a pris le voile le premier vendredi de mai. Vous n’avez aucune novice d’un extérieur plus distingué, avec le plus aimable caractère ; elle a pris le nom de Régis. L’aînée, entrée seulement depuis quatre jours, prendra celui de Xavier dont elle a le caractère ; elle réunit tout ce qui pourra faire une bonne supérieure. C’est une âme forte. Elle possède bien les deux langues et est instruite. Une lettre, reçue aujourd’hui d’un prêtre de La Nouvelle-Orléans, m’annonce que nous avons trois Dames en route1. À cette lecture, la joie a éclaté sur tous les visages, mais je suppose de vos lettres en retard. Celle qui m’apprenait la mort de Monsieur Dusaussoy2 l’a été beaucoup, ce qui a été cause que je n’ai témoigné encore ni à vous, ni au reste de cette chère famille, ce que nous en avons ressenti. Rien de direct ne m’a appris votre translation à l’Hôtel Biron et le résultat du Conseil. On m’annonce qu’il y a pour nous, à La Nouvelle-Orléans, environ 313 livres. L’argent est toujours plus rare ici, cependant nous avons encore vingt pensionnaires, mais ne sommes pas exactement payées. Je suis avec un profond respect, ma bien digne et précieuse Mère, votre très humble et soumise fille. Philippine Duchesne 1 2

Elles ne seront que deux et s’embarqueront seulement en novembre 1821. Il s’agit d’Étienne-Prudent Dusaussoy, marié à Marie-Louise Barat, sœur aînée de la Mère Barat.

Lettre 174

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L. 4 À MÈRE BIGEU

SS. C. J. et M.1

[Ce 23 juin 1821]2 Ma bien digne Mère, Il s’est passé bien des choses depuis que je ne vous ai pas écrit ou que j’ai reçu votre lettre. J’y vois votre bonté de suivre chaque maison pour vous arrêter, dans toutes, à ce qui peut intéresser cette petite branche de la Société, jetée dans la Louisiane, qui tout en bénissant Dieu d’y être transportée, se tourne souvent vers le tronc qui l’a produite et cherche toujours à en tirer la nourriture qui l’entretient. Il vous intéresse, ce petit rameau, puisqu’il se compose presque tout de vos anciennes filles et que les bonnes mères s’attachent à celles qui ont plus coûté à leur sollicitude. Je sais là-dessus tout ce que je dois à mes Mères et puissé-je ne jamais l’oublier ! Je profite, pour vous écrire, du retour en France d’un boulanger de Bordeaux. C’est celui-là même qui nous a prêté et à qui je priais de rendre par sa famille 1 000 F de Niort, avant qu’ils fussent embarqués. Maintenant, il n’y a rien à lui donner ; nous remboursons à Monseigneur qui se charge de notre dette envers lui et l’acquittera. Cet homme nous a prêté sans intérêt et d’une manière si agréable, qu’il emporte notre reconnaissance et mérite toute estime. J’écris en même temps par New York à notre Mère Barat pour lui donner les détails du consentement que Monseigneur nous a demandé pour laisser nos sœurs arrivantes dans la Basse Louisiane, où une dame veuve offre une maison, des terres, des Nègres, de l’argent pour un établissement religieux et consacré à l’éducation. Bien loin de coûter, il aidera à payer nos dettes. Et la réception de cinq novices, l’attente d’autant de postulantes facilitent une division qui étendra le règne du Sacré Cœur. Il paraît que ma Sœur Eugénie est la plus propre à régir cet établissement, pouvant parler anglais et français, ayant des manières agréables et un attachement à sa vocation, auquel on ne peut rien ajouter. Madame Octavie craint fort les pays chauds et se porte mieux dans le froid. D’ailleurs, depuis Paris jusqu’ici, j’ai eu à craindre pour elle les 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. À cette époque, la Mère Bigeu part à Bordeaux ouvrir un pensionnat dans la maison de Mme de Lalanne. Elle est accompagnée de la Mère Néline Bruyer de Warvillers (1792-1841), RSCJ, originaire de Saint-Domingue, ancienne élève d’Amiens, novice à Paris en 1819, envoyée comme maîtresse générale du nouvel établissement à Bordeaux, où elle est décédée.

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voyages ; des vers que je joindrai à ce paquet en prouveront la raison. Elle est d’ailleurs un modèle de régularité, de douceur et de bonté, mais elle attire trop les amitiés sensibles. Notre dernière prise d’habit, que Monseigneur a faite lui-même, a été d’une élève sortie et rentrée, qui tient du caractère d’Aloysia [Jouve] et qui a pris le nom de Xavier [Hamilton] ; sa sœur, qui s’appelle R ­ égis, est un ange de douceur et d’innocence, avec un air très distingué. Toutes deux entendent les deux langues et font l’espérance de cette maison. Il fallait cette consolation pour la perte d’Aloysia. Combien, ma bonne Mère, je suis préoccupée de votre santé, mais je l’ai vue deux fois si fortement ébranlée, qu’en même temps que je plains vos souffrances, je compte sur le retour de vos forces si utiles à la gloire de Dieu. Je suis, avec respect, votre indigne enfant in Corde Jesu. Philippine Ce 23 juin 1821 [Au verso :] À Madame Madame Bigeu Assistante générale De la Société du Sacré-Cœur

LETTRE 175

L. 13 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Rec. à St Antoine de Padoue Saint-Ferdinand, État du Missouri1 Ce 23 juin 1821 Ma bien chère Mère, J’ai reçu l’abrégé de la vie et des vertus de notre chère Aloysia. La lecture en était touchante et ce n’était pas sans beaucoup de larmes 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 175

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que je voyais cette carrière si bien remplie en très peu de temps ; tandis que la mienne, déjà bien longue, n’offre pas de vertus réelles qui puissent compter pour cette éternité où je touche de si près. Quelle est vraie cette sentence : « Nous nous portons partout nous-mêmes. » On est imparfait au-delà des mers comme on l’était dans son pays ; Marthe se donne du mouvement à bonne intention, et c’est Marie, l’âme humble, solitaire, recueillie qui mérite l’approbation de Jésus1. Mais il est bien difficile de changer de caractère et, si Dieu me laisse encore sur terre, il me semble que je pourrai encore mettre un pied dans l’Amérique méridionale ; ou à Lima, sous la protection de sainte Rose, ma patronne ; ou à Carthagène, sous celle du père Claver2. Nous allons peut-être nous en rapprocher par un établissement à 400 lieues plus au Midi, Monseigneur ayant le projet d’y arrêter les sœurs qui nous sont promises : cinq novices et plusieurs postulantes, et le goût de la vie religieuse qui prend dans le pays, nous faisant augurer les moyens de nous multiplier. Mais revenons à Aloysia, c’est quand elle était sur son lit de mort qu’une de nos élèves [Mathilde Halmilton], qui paraissait avoir oublié sa vocation pour trouver le bonheur auprès d’une mère et d’une grandmère vraiment sainte, a été réveillée de son assoupissement par les peines qui sont la suite de la tiédeur et de l’infidélité à la grâce ; peu de mois ont suffi pour lui montrer le vide du monde. Elle l’a quitté généreusement pour marcher sur les pas de saint Xavier dont elle a pris le nom. C’est Monseigneur qui lui a donné le voile, le jour de saint Régis. Sa sœur [Eulalie Halmilton] a pris l’habit le premier vendredi de mai ; son humilité, sa douceur lui rendent chers les exemples de saint Régis et elle porte son nom. L’église paroissiale qu’on bâtit sera consacrée au Sacré Cœur, sous l’invocation de saint Régis et de saint Ferdinand, patron du village. Vous voyez que je me confie toujours à la protection de saint Régis et voudrais en toute occasion lui donner des témoignages de mon dévouement. Le jour de sa fête, Monseigneur a dit la messe, deux autres prêtres des messes basses et un quatrième, la grand-messe que 1 2

Lc 10, 38-42. Pierre Claver, SJ, est né le 26 juin 1580 en Catalogne, Espagne. Il est entré au noviciat jésuite en 1600, a fait ses études de philosophie à Palma de Majorque où se trouvait Alphonse Rodriguez. Envoyé en 1610 à Carthagène des Indes, Nouvelle Grenade (Colombie actuelle), il se dévoua pendant quarante ans auprès des esclaves noirs arrivés dans les cales des navires, où ils étaient entassés dans des conditions inhumaines. Il fut canonisé en 1888, et déclaré « défenseur des droits de l’homme » en 1985. Il est le saint patron de la Colombie.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

les élèves ont chantée en musique accompagnée de deux prêtres musiciens. Nous avons l’espoir d’un beau tableau qui représente notre patron mourant. Il est très beau et sera un nouveau don de Monseigneur. Je dis à saint Régis qu’il doit se piquer d’émulation et ne pas me laisser si méchante, tandis que saint Louis de Gonzague, par son intercession, a rendu Aloysia si bonne. Dieu vous l’a donnée un moment pour vous consoler de n’avoir rien fait de moi et après Dieu et son patron, elle vous doit tout. C’est vous qui avez abaissé la hauteur de son caractère et tourné son orgueil vers la noble ambition d’être sainte. Puisse la Mère de Lacroix et Sœur de Coriolis vous dédommager du vide que vous laisse Aloysia. Elles ont tout ce qu’il faut pour cela. J’espérais avoir par vous-même les détails de cette mort précieuse. Je pense encore qu’ils sont remis à nos voyageuses, mais si elles font station dans le Midi, je les attendrai longtemps. Tout ce que vous nous avez envoyé nous a été très utile, mais je ne demande rien pour n’être pas importune. D’ailleurs, les ports sont énormes ; cependant comme certaines choses ne se trouvent pas dans toute l’Amérique, si sans vous gêner, vous pouviez les envoyer franches de port jusqu’à Bordeaux, nous fournirions le reste. Ce serait une paire de galoches, une de patins pour modèles pour nous afin d’en donner connaissance ; quelques objets de sacristie comme galons, franges, cingulons, livre de chants romains pour la messe ; les livres de classe que vos élèves voudraient nous donner pour l’école externe où il faut tout fournir, personne n’ayant un sou ; une paire de burettes, un missel Romain, les canons de la messe ; quatre petites souches d’église ; Les Entretiens de Saint François de Sales, deux livres manuscrits Recueils des Instructions de Sainte Jeanne de Chantal, quelques livres du Père Surin, Guilloré, Lallemand ; La grande Vie de Saint Régis ; Les Exercices de Saint Ignace ; un cahier d’écriture anglaise, vous en avez qui ne servaient pas ; quelques disciplines. J’ai appris avec consolation la vocation d’Amélie Jouve et de Caroline [Lebrument] ; je leur en ai déjà marqué mon contentement et je prie pour leur persévérance ; qu’elles prient aussi pour moi dans cette maison si favorisée de mon patron. Je vous prie de faire dire à ma sœur à Romans, que je lui ai répondu il y a quelques mois. Je me recommande à sa sainte communauté qui m’a envoyé une affiliation. Mes respects à Monseigneur de Grenoble, à Messieurs Bouchaud, Rivet, Dumolard et à mon bon Père Rambaud que je n’oublierai jamais. J’ai eu ici une de ses précieuses lettres.



Lettre 176

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Que chacune de mes sœurs trouve ici l’expression de mon tendre dévouement dans le Cœur de Jésus en qui je suis toute vôtre, Philippine J’ai appris la mort de Monsieur d’Hyères. [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau À Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble Dépt. de l’Isère

LETTRE 176

L. 38 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 24 Rec. à St Antoine de Padoue [24 juin 1821]1 Ma bien digne Mère, J’ai reçu vos lettres renfermant la Vie d’Aloysia2, et celles de ses cousines. Je m’attendais à cette perte et elle ne m’a été sensible que par le retour qu’elle m’a fait faire sur moi-même. Cette vie si courte, si bien remplie, me fait davantage sentir l’inutilité de la mienne et l’abus de tant de grâces qui me trouvent encore tout imparfaite et immortifiée. Plus je les repasse, plus elles m’étonnent et me font trembler. Entre toutes, je distingue bien celle d’appartenir à la Société chérie. Je lui ai procuré Aloysia, puissent ses mérites couvrir mes fautes et m’obtenir de Dieu la réparation du passé ! 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. La date manque, mais la lettre suivante (15 août 1821) l’indique. Cachet de la poste : St. Louis MO Juin 30, 1821. Par Le Havre. Cf. J. de Charry, II 1, L. 138, p. 366-371 ; Ch. Paisant, p. 365-368. Vie d’Euphrosine-Aloysia Jouve, dame professe de la Société du Sacré-Cœur, par Th. Maillucheau. RSCJ, C VII 2 Aloysia Jouve.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Après ces lettres, j’ai reçu un petit paquet de plus ancienne date, contenant le livre de notre bon Père, la relation de la visite de deux augustes princesses1, à l’Hôtel Biron, et celle de Quimper sur l’abjuration d’une protestante [Apolline Douduit]. Ces différents paquets m’annoncent le choix fait pour nous de trois de nos Sœurs, à la tête desquelles semble être ma Mère Lucile. Cette nouvelle nous a comblées de joie, et Monseigneur, qui est arrivé de La Nouvelle-Orléans après l’Ascension et qui dit avoir des lettres plus récentes que les nôtres, c’est-à-dire du milieu de février, nous parle de quatre Sœurs en voyage, d’une postulante à La Nouvelle-Orléans et de M. l’Abbé Dusaussoy2. Le grand éloge que lui en a fait Monsieur Anduze3 le détermine à le retenir à La Nouvelle-Orléans pour les besoins de cette ville. Et il a aussi des vues sur nos Sœurs que je vais vous détailler. Mme Smith, veuve riche, à soixante lieues de la Nouvelle-Orléans, dans un quartier appelé Grand-Coteau, où elle a fondé une paroisse et fait bâtir une église, veut procurer à cette partie de la Louisiane un établissement pour l’éducation et elle a fait une donation à Monseigneur d’une terre de 4 000 arpents, partie bois, partie terres à maïs et coton. Pour l’y destiner, on bâtit là une maison plus grande que la nôtre. Elle offre de faire la dépense de plusieurs religieuses pendant un an, de leur donner une famille de Nègres pour le service, de meubler la maison et de payer toute la dépense du voyage depuis Paris. Monseigneur a déployé l’avantage de cette fondation qui pourra faire répéter dans la Basse-Louisiane le bien qu’on essaie ici, sans y être exposé aux froids de l’hiver et aux maladies de la Nouvelle-Orléans, ce qui force les parents ou de garder leurs enfants ou de les retirer chaque année en été. Cette partie de la Louisiane étant riche, fournira plus d’élèves qu’ici. Monseigneur me proposait d’aller voir Mme Smith, mais considérant 1°) les dépenses d’un long voyage ; 2°) que Mères Octavie et Eugé1 2

3

Deux belles filles du comte d’Artois, futur Charles X : Marie-Thérèse de Bourbon, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, et Marie-Caroline de Bourbon-Sicile. Louis Dusaussoy (1794-1873) est le fils aîné d’Étienne Dusaussoy et de Marie-Louise Barat, sœur de Madeleine-Sophie Barat. Il fut le premier novice non prêtre, admis le 20 septembre 1814 dans la Compagnie de Jésus qu’il quitta en 1822, après avoir été ordonné. En 1825, il partit pour l’Amérique, mais revint en France en 1829. Son instabilité le conduisit en Italie, en Belgique, en Angleterre et au Chili. Aumônier de la maison du Sacré-Cœur de New York en 1856, il partit l’année suivante à Kientzheim (France) où il resta plus de dix ans. Il est décédé à Lille. Aristide Anduze, CM, ancien élève du P. Barat à Bordeaux, est arrivé en Amérique en 1818. Ordonné prêtre en 1821, il a été professeur au collège de Saint-Louis. Il exerça ensuite son ministère en Louisiane et rentra en France en 1844.

Lettre 176



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nie ne peuvent pas aller sans [supérieure] intermédiaire ; 3°) que Mère Eugénie, par son extérieur, sa vertu, ses manières insinuantes, la facilité qu’elle a de se faire entendre en anglais pourrait procurer un plus grand bien, je l’ai proposée à Monseigneur pour se charger de l’établissement, quitte à revenir ici suivant vos ordres, ou celles qui viennent de France, que Monseigneur n’a pas voulu laisser à La Nouvelle-Orléans en cas qu’elles arrivassent. Il avait donné ordre, avant son départ, de les envoyer à la campagne chez une de ses nièces qui devait les embarquer, suivant ce que je déciderais sur leur compte à Florissant. Nos avis réunis sont pour un second établissement : 1) parce que la Basse-Louisiane est nécessaire pour faire exister la Haute ; 2) à cause de la douceur du climat, pour certains tempéraments ; 3) parce que la somme du voyage remboursée nous met tout de suite en état d’acquitter notre dette la plus difficile, ne voyant aucun jour pour nous en libérer sans un secours étranger, devant encore en tout 15 000 F ; 4) parce qu’ayant reçu cinq bonnes novices, nous resterons en nombre suffisant et pourrons recevoir trois postulantes qui s’offrent, ce qui serait impossible si nos Sœurs étaient arrivées [à Florissant], plusieurs couchant au galetas, ce qui serait intenable en hiver. Il faudra tous les soirs, sans plus de monde, faire son lit à la classe, réfectoire, etc. Deux établissements, loin de nous obérer, nous liquident en partie. Nous pourrons doubler le nombre des nouvelles Épouses, des élèves et des pauvres, étendre la dévotion du Sacré Cœur et multiplier ses autels. Voilà des motifs bien déterminants. Il n’est pas indifférent de faire voyager des religieuses pour retourner ensuite à une autre destination qui m’a paru être dans vos intentions. Ainsi, j’ai écrit à mes Sœurs de suivre la route tracée par Monseigneur, leur promettant Mère Eugénie qui, j’espère, nous détachera Mère Lucile, nécessaire ici par son âge, si je manquais. Si vous écrivez à ces bonnes Sœurs, il serait bon, ne connaissant pas leur adresse, d’envoyer les lettres à Mgr Dubourg, Sainte-Colombe, à La Nouvelle-Orléans, qui la sait mieux que moi. Mme Smith, en quittant Monseigneur, s’est jetée à ses pieds lui demandant ce qu’elle pourrait faire de plus pour la religion. Il lui a insinué de fixer un revenu pour l’entretien de quatre prêtres, espérant, d’après les promesses du Père de Grivel, avoir douze Jésuites, en mettre quatre près de Mme Smith, quatre dans le Haut-Missouri, et quatre ailleurs, tant pour les missions que pour un collège. Il a demandé notre très cher Père Barat pour chef de la mission et s’est adressé au Pape. Si ce n’est qu’un beau songe, il est au moins bien doux de s’en nourrir. Mère Eugénie pleure de joie en se le représentant, elle ira avec courage à sa

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

destination quand on aura la nouvelle de l’arrivée de nos Sœurs et Dieu l’a faite pour le commandement. La postulante annoncée est Mme Girard, sœur d’une de vos filles, qui parle anglais et français et est grande musicienne1. Ce climat-ci la rebute entièrement ainsi qu’une autre. Je suis bien peinée de l’ennui que je vous ai donné par tant de demandes d’argent, mais elles portaient toutes sur les fonds qui restaient à Niort, ignorant qu’ils étaient en route pour nous. J’ai depuis avancé le paiement du boulanger et avais remis un acompte au Père de la Trappe2, ignorant encore si mon frère a payé suivant son offre. Combien les paquets dont nos Sœurs sont chargées sont attendus avec impatience. Nous espérons beaucoup de lettres. Nous écrivons en ce moment par une occasion. Je suis à vos pieds, ma bien bonne et digne Mère, votre indigne fille et servante. Mes respects à nos Pères, à nos Mères et à toutes vos filles chéries du Sacré Cœur. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Maison du Sacré-Cœur, Hôtel de Biron Rue de Grenelle, faubourg St. Germain À Paris France By way of New-York

1 2

La sœur de Mère H. Girard n’est pas restée dans la Société. Le Père M.-J. Dunand quittera Florissant le 4 novembre 1821, pour rentrer en France.

Lettre 177

LETTRE 177



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L. 3 À M. ROSATI

SS. C. J. et M.1

[Saint-Ferdinand, ce 27 juin 1821] Monsieur et Révérend Père, J’ai reçu votre lettre et c’est avec beaucoup de consolations que je vois que la divine Providence me ménage des rapports avec vous et nous donne pour sœurs des personnes que vous avez formées ; ce que je regarde comme de très bon augure pour notre Société. Le Père Prieur a répondu depuis longtemps pour l’acceptation de Mlle Mannivy dont j’ai reçu les meilleurs témoignages du P. Prieur luimême et de Monsieur Delacroix. Monsieur le juge Moore a aussi écrit pour sa fille, mais sa lettre avait un mois de retard quand elle est parvenue et le Père n’a pu lui répondre avant son départ pour Saint-Charles, où il aura reçu réponse verbalement aujourd’hui, par le P. Prieur qui passe à Saint-Charles pour aller au Portage, dimanche, à l’invitation de Monsieur Acquaroni2. Mais le consentement du père étant donné d’avance, ces deux demoiselles pourraient partir ensemble, si cela leur convient, apportant seulement leur trousseau, leur lit, c’est-à-dire le matelas, soit de laine, soit de plumes, et les couvertures, des souliers et ce qu’il faut pour s’habiller en noir en cas de prise d’habit. Je sais qu’elles ne peuvent apporter de l’argent. Mais le plus essentiel et ce qu’elles ont déjà appris de vous, c’est l’esprit de renoncement, car il en faut encore plus ici qu’en Europe. Deux points difficiles chez nous, c’est le changement de maison qui peut arriver et l’indifférence totale pour les emplois, car il est à présumer que ces demoiselles ne sont pas propres à l’éducation, ce qui les mettrait dans une sorte d’infériorité très difficile à porter dans ce pays. Je vous prie de les y disposer et d’ajouter à votre zèle pour notre établissement de me marquer vos pensées par rapport à la capacité de ces demoiselles et aux dispositions qu’elles pourraient avoir pour acquérir ce qu’elles n’ont 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1821, June 27, Mme Duchesne, Florissant. » Jean-Baptiste Acquaroni, CM, né à Porto Maurizio, près de Gênes, Italie, est arrivé avec les P. de Andreis, Rosati, Carretti et Ferrari à Baltimore en 1816. Il exerça son ministère dans la région de Saint-Louis, de 1818 à 1822, puis à La Nouvelle-Orléans où il tomba malade. Il est retourné en Italie en 1824.

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pas encore ; de même sur les vues des parents en les laissant venir. Nous ne voulons blesser personne, ni admettre comme maîtresse [de classe] des personnes qui pourraient ôter la confiance des parents délicats. Nous devons de tous côtés à la Société de la Mission. Monsieur Ferrari nous a donné une retraite qui nous a rappelé celle de Monsieur de Andreis, dont la mémoire ne se perdra jamais parmi nous. Mesdemoiselles Hamilton ont toutes deux été revêtues du saint habit. La cadette par Monsieur Ferrari, le 1er vendredi de mai, le lendemain de l’arrivée de sa sœur ; et celle-ci le jour de la fête de saint Régis notre patron, par Monseigneur lui-même. Toutes deux sont fort contentes ici et nous en espérons beaucoup. Ma sœur Mary Layton est aussi bien vertueuse. Je suis avec respect, Monsieur et Révérend Père, votre bien humble et obéissante servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 27 juin 1821 [Au verso :] À Monsieur Monsieur Rosati Supérieur De la Mission et du Séminaire Aux Barrens

LETTRE 178

L. 13 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 29 juin 18211 Rec. à St Antoine Ma bien bonne amie, À l’arrivée d’une de nos sœurs de France, j’ai reçu un souvenir de toi qui m’est bien précieux ; on me dit qu’il contient des cheveux d’Aloysia ; 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 13 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 36-37. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 179



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mais à quelques cheveux blonds qui sont d’elles, s’en trouvent aussi de très noirs qui, j’espère, sont de toi. On ne peut rendre de culte aux vivants et j’espère bien que tu en seras du nombre tant que je serai dans cette terre de passage ; mais si Dieu en disposait autrement, qu’il me destinât à être un vieux chêne qui vit parmi les orages qui détruisent les plus jeunes et les plus riches plantes, il me serait bien doux de vénérer par un même culte les restes de deux parentes et amies qui, par une voie différente, se sont réunies au point central de tout bonheur et de toute affection pure dans le Cœur de Jésus. Aloysia se sera sanctifiée dans l’obscurité et par la souffrance, et ma première amie, en traversant sur un grand théâtre des difficultés pour la vertu qui ne l’ont point abattue. L’une aura édifié la solitude, l’autre aurait forcé le monde à rendre hommage à la religion qui, sous des dehors aimables, aurait fait des conquêtes. Voilà ce qui me fait tant apprécier le souvenir, mais j’espère que témoin de tes vertus, Dieu ne me destinera pas à te survivre pour les vénérer. Mes souvenirs à Mmes Teisseire, Perier, Bergasse, à leurs maris, mais surtout à M. de Rollin, mon bienfaiteur. Tout à toi dans le Cœur de Jésus, Philippine

LETTRE 179

L. 39 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 25 Recommandé à St Ant. de Padoue, ce 15 août 1821, fête de l’Assomption1 Ma bien digne Mère, Nous avions cru, par différentes lettres, que nos chères Sœurs avaient dû partir au mois de mars pour se rendre auprès de nous. Cependant 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : St. Louis MO, Aug. 17 ; Paris, 31 octobre 1821, par New York et Le Havre. J. de Charry, II 1, L. 139, p. 376-382. Cf. Ch. Paisant, p. 377-380.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

une lettre de Bordeaux, écrite à Monseigneur le 1er mai, ne parle d’aucun embarquement concernant la mission, ce qui nous a fait bien de la peine. Et Monseigneur lui-même ne sait qu’en penser. Il désirait d’autant plus de nos Sœurs qu’il songeait à un second établissement aux Opelousas, ainsi que je vous l’ai détaillé dans mes lettres du 24 juin, N° 24. Je crains que cette nouvelle maison et le consentement que j’y ai donné ne vous fassent de la peine, mais je vous répète les raisons bien fortes qui m’y ont déterminée : 1°) La petitesse de notre maison qui ne permettrait plus de recevoir ni pensionnaires ni novices. 2°) Le remboursement du voyage de nos Sœurs par la fondatrice qui nous aidera pour nos dettes qui montent encore à 13 000 F. 3°) Les avantages de cette fondation qui ne se trouveront pas, en cent ans, dans un pays comme celui-ci. La fondatrice [Mme Smith], riche veuve, protestante convertie, donnant une maison, des terres, une famille de Nègres et l’entretien pour un an du ménage des religieuses demandées ; outre cela, les meubles. 4°) Monseigneur, attendant de nos Pères [jésuites], se propose d’en fixer quelques-uns dans ce quartier. 5°) Mère Eugénie s’est sentie singulièrement portée à cette œuvre où je l’ai jugée plus propre que moi car elle peut entendre l’anglais et s’expliquer dans cette langue. Elle est propre au gouvernement intérieur et extérieur, s’entend à tout et peut faire face à tous les besoins d’une maison. Sa santé d’ailleurs dépérissait visiblement et a besoin d’un climat plus chaud pour sa poitrine. Il est vrai qu’on a ici des chaleurs accablantes, mais on y passe subitement à des froids rigoureux, contre lesquels on avait une peine extrême de la faire se précautionner. Nous avons cru la perdre l’année passée ; son âme était encore plus affectée que son corps. Son bien-être a été de courte durée, un mal d’yeux considérable et très opiniâtre, avec des alternatives de toux, de fièvre, me faisaient craindre un dépérissement. Dieu a semblé manifester sa volonté en la rendant très disposée à prendre la conduite d’une maison, quoique son humilité dût en souffrir. Il avait donc d’abord été dit qu’elle ne partirait qu’à la nouvelle de l’arrivée de nos Sœurs, mais l’incertitude de ce moment lui a fait se demander à elle-même si on abandonnerait pour cela les offres avantageuses de Mme Smith et s’il ne serait pas mieux qu’elle se rendît auprès d’elle afin de disposer toutes choses et que nos Sœurs arrivant, on pût se mettre de suite à la règle. Je fus d’abord étonnée de ces réflexions et eus l’air de ne point les écouter, mais elles me firent impression. Monseigneur les a fort goûtées et la veille de saint Ignace, il fut conclu que

Lettre 179



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Mère Eugénie partirait d’ici avec notre première novice, Sœur Mary Layton, le dimanche suivant [5 août], par un steamboat [Le Rapide]qui doit porter à La Nouvelle-Orléans le pieux et grave Lazariste [M. Ferrari] qui nous a donné une retraite, et plusieurs élèves du collège de Monseigneur, confiés à une très bonne Négresse envoyée par leur famille et qui a promis d’être aux petits soins pour Eugénie. Je ne lui ai donné que 500 F pour le voyage et le nécessaire pour la chapelle et le vêtement, pensant qu’elle se fournira de ce qui vient de France. En fait de livres, elle a eu tous nos doubles exemplaires, les Constitutions et les cahiers et livres de classe, un de chaque. Elle les fera copier, comme nous y occupons ici nos novices et nos élèves. Monseigneur a ajouté des livres, ornements et chandeliers et quatre superbes tableaux. Personne n’a perdu plus que moi à ce départ. Ma Mère Eugénie était un bras droit et, par elle, j’étais sûre de tout savoir. Son caractère s’alliait mieux au mien qu’à celui de Mère Octavie qu’elle trouvait faible, et il n’y avait pas entre elles une étroite union, non plus qu’avec les Sœurs. Elle était souvent sèche avec elles, ce qui lui a attiré des mots piquants qui ont fait souvent son chagrin, soit qu’elle se reprochât d’y avoir contribué, soit qu’elle vît qu’elle était une occasion de faute. Je crois cependant pouvoir vous assurer que le désir pur d’étendre nos saintes lois et notre aimable dévotion du Sacré Cœur a transformé et soutenu son courage. Elle a beaucoup intéressé Monseigneur ; il lui aurait donné toute sa maison, s’il eût pu. Il a écrit au curé du lieu et à la fondatrice la lettre la plus flatteuse pour notre Société et pour elle en particulier, voulant qu’on ne s’ingère en rien dans le gouvernement et l’administration de la maison, disant qu’il en use ainsi et que c’est le mieux. Monseigneur s’étant chargé de notre dette envers M. Petit-Clair, boulanger, qui est reparti pour la France, nous n’avons rien à lui compter en France, n’ayant plus que deux créanciers : Monseigneur et M. Mullanphy que vous avez dû voir à Paris où son fils est en pension. La santé de Mère Octavie se soutient avec des alternatives. Elle plaît généralement. Sœur Marguerite perd sa force, elle est principalement chargée de l’école externe où elles sont 24 Françaises. Le bien est encore là à sa naissance. Sœur Catherine fait les surveillances et repasse. Elle a encore fait quelque écart considérable, mais sa santé y contribue, les humeurs étant souvent à la tête. Mère Eugénie n’en a pas voulu et elle ne lui eût pas servi. Nous avons toujours 22 pensionnaires. Je ne sais si la chute de la banque du Missouri, la seule dont les billets passassent ici, et que j’apprends aujourd’hui, va faire peut-être un changement pour le pensionnat.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

Les quatre novices restantes sont bien bonnes, surtout les Américaines, et entre elles, Sœur Régis [Eulalie Hamilton], un vrai ange de candeur, de douceur et de dévouement. Elle est la plus propre à remplacer Mère Eugénie pour le travail et la dépense, mais comme elle aussi, elle mange trop peu et ne se ménage point. Les novices s’instruisent dans Rodriguez, le catéchisme de Constance et l’Histoire sainte. Comme il n’y en a point d’abrégé orthodoxe1, j’ai extrait sur le texte anglais d’une grande Bible catholique. Cet extrait de copie est étudié de mémoire. J’ai traduit et extrait de l’anglais l’histoire de l’Amérique et l’histoire romaine, et fait un abrégé d’histoire ancienne. Tout cela a servi pour les résumés de classe, ayant des éducations si brèves, et plus aucune grammaire [française] de Lhomond2, j’en ai aussi fait un extrait qui s’apprend sur la copie de chacune. Il a fallu, de même, refaire pour le pays les cahiers d’arithmétique et de géographie qui se mettent en anglais. J’espère que vous ne blâmerez pas cette marche nécessitée par la pénurie de livres, et très peu d’enfants pourraient les acheter, personne n’a de l’argent. Monseigneur et Monsieur Inglesi espèrent toujours avoir le Père Barat et nous baignons dans cette espérance, car je pense qu’il serait placé à Saint Louis. Quand je suis arrivée ici, je croyais n’avoir plus d’ambition, mais je m’en sens dévorée jusqu’au Pérou. Ces désirs sont cependant plus tranquilles que ceux de France qui vous ont tant importunée. Mère Octavie vient d’écrire par La Nouvelle-Orléans. Nous nous recommandons à nos Pères et à nos Mères et sommes vos filles les plus attachées in Corde Jesu. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat, Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur Rue de Grenelle, faubourg Saint-Germain À Paris France By way of New-York 1 2

Il n’y a que des livres protestants sur l’Écriture sainte. Les jeunes religieuses et les élèves n’ont pas accès à la Bible entière, mais à des extraits ou à des résumés. Charles-François Lhomond (1724-1794), prêtre, grammairien et latiniste français.

Lettre 180

LETTRE 180



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L. 40 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

N° 26 Rec. à St Antoine de Padoue Ce 24 septembre 18211 Ma bien digne et bonne Mère, Cette lettre va vous être remise par le R. Père Marie-Joseph Dunand, religieux de la Trappe qui, après avoir travaillé avec un grand zèle à la vigne du Seigneur dans ce pays encore sauvage, avec beaucoup de fatigues et de dangers, établi deux maisons de son Ordre, l’une au Kentucky, l’autre aux Illinois, où le feu, les maladies et autres calamités ont tout anéanti, va maintenant reprendre avec joie la vie monastique de son Ordre qu’il a cependant pratiquée autant que possible dans son état de missionnaire. Ce bon Père est un de nos principaux bienfaiteurs, ayant pris des peines infinies pour faire bâtir notre maison et nous ayant rendu tous les services qu’il lui a été possible. L’église de Monseigneur, qui tient à notre maison et avance beaucoup, doit servir de paroisse et nous serons moins exposées à manquer la messe dans la disette des prêtres. Plusieurs nouvelles de France nous laissent espérer de voir ici notre bon Père, votre digne frère, ce qui nous cause une extrême joie. Mère Eugénie, dont nous n’avons point encore de nouvelles, vit aussi dans l’espérance de partager notre bonheur en ayant dans son quartier de nos bons Pères. Je suis avec un profond respect votre bien indigne fille, mon unique Mère. Philippine Duchesne

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 1, L. 142, p. 389-391. Cf. Ch. Paisant, p. 403-404.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 181

L. 41 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M. N° 27

Saint-Ferdinand, État du Missouri, près Saint Louis Ce 7 octobre 18211 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien digne et très chère Mère, Je vous ai écrit il y a peu de jours, ainsi qu’à quelques-unes de nos Sœurs, par le retour en Europe du religieux de Dom Augustin [de Lestrange] qui nous a rendu de grands services et qui nous avait prêté l’argent, que vous et mon frère avez eu la bonté de rembourser suivant les intentions du Père Abbé. Comme mon frère, dans une de ses lettres, me dit qu’il a remis 600 F au lieu de 750 que je devais, j’en ai fait l’appoint avant le départ de ce bon Père et il est convenu que, lors même que mon frère aurait remis plus de 600 F, il n’a rien à restituer. J’aurais voulu de toute manière faciliter son départ, 1°) par le désir et le besoin qu’il avait de retourner dans son arche ; 2°) parce qu’il était ici un sujet de division, ayant eu des démêlés avec Monseigneur et plusieurs autres, ce qui faisait un mauvais effet. Nous n’avons eu en notre particulier qu’à nous louer de lui. Je vous prie de lui parler de notre gratitude ; mais si, comme on le lui fait dire, il doit revenir dans deux ans, il serait bon d’insinuer au Père Abbé que cela n’irait pas au bien de la religion pour ce diocèse, que Monseigneur ne lui donnerait pas ses pouvoirs. Tout ceci en secret, et il serait trop amer pour lui qu’il sût que je vous l’ai dit, car il importe qu’il ne s’en doute pas. Il ne savait trop s’il irait d’abord en Angleterre, en sorte que nos lettres, qu’il a, peuvent éprouver des retards et ont été écrites en conséquence. Elles ne renferment rien d’urgent. Je m’étais réservé de vous écrire par New York, voie plus courte ordinairement, surtout en hiver, où les steamboats ne peuvent venir ici. La chose qui importe le plus, c’est d’aider Mère Eugénie aux Opelousas, non d’argent, mais de sujets. Plusieurs de mes lettres vous ont appris son départ, les raisons qui l’ont déterminée, les avantages qu’offre un établissement dans la Basse-Louisiane pour soutenir ceux de la Haute. Quand elle est partie, nous croyions déjà nos Sœurs à La Nouvelle-­ 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Oct. 9 ; Paris, 21 décembre 1821. J. de Charry, II 1, L. 144, p. 394-404. Cf. Ch. Paisant, p. 404-409.

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Orléans, que Monseigneur disait au nombre de quatre et qui auraient pu se diviser entre elle et nous. Votre lettre du mois de mars m’apprend un délai jusqu’en septembre1, ce qui sera un grand mécompte pour cette bonne Eugénie. Si au moins le retard venait du désir d’attendre le Père Barat qu’on nous fait espérer, je me consolerais, mais le délai est long ! Notre maison va avec nos quatre novices restantes, la plus ancienne étant [Mary Layton], la compagne de Mère Eugénie qui l’avait formée. Elle est américaine et commençait à parler français. Cette langue est plus usitée aux Opelousas. Le pensionnat ne peut que diminuer ici, la banque du Missouri étant tombée après celle des autres États et l’argent étant si rare que les plus gros propriétaires n’en ont point, le commerce se faisant par échange. On désire la création de nouvelles banques notes [billets de banque] sur la valeur de la 36e partie des terres incultes que le Congrès a donné à cet État. Jusqu’à ce qu’elles paraissent, nous recevrons peu de chose de personne et comme les créanciers peuvent les refuser, sans un coup de la Providence, nous ne pouvons payer nos dettes à terme, qui est le mois de décembre 1821. Les moyens de Providence sur lesquels je compte sont : le premier, l’arrivée de nos Sœurs qui, allant aux Opelousas, recevront le remboursement de leur voyage qu’il était convenu que Mère Eugénie nous donnerait. Le second est l’intention de celui à qui nous devons [M. Mullanphy] de donner un fonds pour quelques orphelines, et Monseigneur doit l’engager à nous le donner ici au lieu de le faire à Saint-Louis. Le troisième serait s’il voulait, de notre dette, former la dot d’une petite parente à lui qui veut être religieuse, mais cela est très douteux. Cette enfant est irlandaise, elle est depuis un an chez nous, entend le français et ne cesse de solliciter pour prendre le voile2. Monseigneur est d’avis de la recevoir. Elle est forte et nous l’avons un peu mise à tout. Les quatre novices d’ici vont bien. Ma Sœur Xavier [Mathilde Hamilton], la plus propre aux classes et gouvernement, est cependant inférieure pour la tête à ce que je vous avais dit. Elle a des abstractions singulières, elle lit tous les jours le martyrologe et ne sait jamais ni le quantième3 ni le saint du jour. Cependant elle apprend par cœur facilement et traduit bien dans les deux langues, ce qui est utile pour mettre 1 2

3

Les Sœurs ne partiront qu’en novembre 1821. Mary Frances Mullanphy, parente de M. Mullanphy, née en Irlande en 1804, est entrée à Florissant en 1821, a fait ses premiers vœux en 1825 à Grand Coteau. Elle est allée ensuite à Saint-Michel où elle a quitté la Société du Sacré-Cœur en 1831. Chiffre désignant chaque jour du mois.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

en anglais nos cahiers français, ce que Mère Octavie, avec sa facilité, n’est pas en état de faire, tant l’anglais est difficile aux étrangers. Ma Sœur Régis [Eulalie Hamilton] est plus propre à l’extérieur et remplace Mère Eugénie à la dépense. Elle fait une classe, enseigne l’écriture aux externes. Elle n’a pas ce coup d’œil pénétrant de sa sœur mais elle fait tout tranquillement et exactement. La grâce, en elle, ne trouve aucun obstacle et coule doucement dans son âme comme une eau pure dans une terre bien préparée. Son extérieur est noble et fort séduisant, par cet accord de régularité, de candeur et d’innocence. Elle parle français, mais ne pourrait le traduire exactement. Sœur Mary Ann [Summers] fait la cuisine et conserve dans ce pénible emploi une grande douceur. Elle est extrêmement intelligente, mais sans facilités pour l’étude, contre ce que j’avais d’abord cru. Sœur Joséphine [Emilie Saint-Cyr], qui a seulement 15 ans, a peu de capacités mais beaucoup de dévouement. Quoique novice de chœur, elle tire les vaches, fait le pain et a une classe externe. Nous avions compté pour remplacer Sœur Mary [Layton], compagne de Mère Eugénie, sur deux postulantes de son pays [des Barrens], mais l’une d’elles est déjà sortie disant elle-même qu’elle n’avait pas la vocation, et l’autre s’est cassé le bras. Voyant la nécessité de former nous-mêmes nos futures Sœurs, nous allons prendre une sœur de Sœur Mary Ann, orpheline, qu’elle formera à la cuisine. Nous prendrons toujours des postulantes, supposé même que le pensionnat diminuât, car ayant déjà plusieurs pensions en marchandises ou denrées, nous pourrons vivre. La disette d’argent a mis les denrées très bas : le maïs à 25 sous le boisseau, la viande à 2 sous et demi ou 3 sous, le savon à 8 sous. Vous avez su que Monseigneur avait voulu diviser son diocèse. Il est revenu de ce projet. Ni lui, ni ses prêtres ne pourraient vivre sans le secours de la Basse-Louisiane et c’est aussi la Basse-Louisiane qui, nous prêtant la main, aidera la Haute. Monseigneur songe sérieusement à nous placer à La Nouvelle-Orléans. Quand Monsieur Inglesi, qui est son coadjuteur, y sera de retour, il y aurait deux places qui ont chacune leur avantage. Celle qui me plairait le plus, c’est celle où il y a une maison, car on se ruine en bâtissant. Mère Girard aura probablement quitté La Nouvelle-Orléans dans ce temps-là. Son confesseur écrit à Monseigneur qu’elle est décidée à aller trouver Mère Eugénie. J’ai eu une lettre de cette bonne Mère à son débarquement et le curé du lieu a annoncé à Monseigneur son arrivée à sa destination. Elle vous a écrit et vous en savez plus que moi sur ce qui la regarde.

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Le supérieur du séminaire des Barrens [M. Rosati] désire quelqu’une de nous pour sa paroisse. La maison se bâtirait aux frais des habitants qui ont tout pour cela. Il donnerait tout le blé nécessaire pour les religieuses, fournirait l’aumônier et le médecin. Les Sœurs ne retireraient là que des pensions en denrées car, là, il n’y a pas d’argent. Mais l’établissement qui irait le plus directement au but de notre mission, c’est au Portage des Sioux, paroisse la plus au Nord jusqu’aux lacs, excepté le Canada, et qui n’a aucune borne à l’Occident jusqu’à l’Asie1. Il y a là un homme apostolique, curé de trois paroisses, maître d’école, de chant, cultivateur, père des pauvres et vivant comme eux. Son village est le lieu où s’arrêtent toutes les barques de Sauvages qui descendent le Mississippi et où s’arrêtent aussi toutes les barques des marchands qui vont dans ces terres immenses à la recherche des pelleteries. Dans leurs différents postes, éloignés des années entières de leurs femmes, ils s’en choisissent momentanément parmi les Sauvagesses et, ne sachant que faire des enfants qui naissent de ces criminelles alliances, ils les abandonnent à leurs mères, et ces enfants nés de pères baptisés s’élèvent comme des brutes avec leurs mères. Cependant, comme beaucoup de ces voyageurs sont riches, il n’y a pas de doute que, s’ils savaient où poser leurs enfants, ils leur donneraient de l’éducation. Or c’est un projet du bon curé. Il va bâtir une maison, y formera une ferme qu’il laissera à l’établissement de sa maison d’orphelines ou métisses et il pense, avec raison, que les vivres étant souvent à rien dans ce pays, on s’approvisionne en salant des viandes, etc. Les Sauvages des environs ne tuent souvent les chevreuils que pour avoir la peau et, sans souci pour l’avenir, ils abandonnent la chair ou la vendent pour rien. C’est là le plus utile des établissements à faire et le plus facile. Il est aussi le plus semblable à celui de Marie de l’Incarnation et le plus conforme aux vues qui nous ont attirées ici. Je n’aurais d’autres désirs que d’y consacrer ma vie, si Dieu le veut ainsi. Si la Providence fait ce que je vous dis ci-dessus pour nous faire payer nos dettes, nous pour1

Sur proposition de Mgr Dubourg, en 1818, les Lazaristes ont établi leur séminaire aux Barrens, à environ 80 milles au sud de Saint-Louis. Portage des Sioux est à 10 milles environ au nord de Saint-Charles, sur la rive sud du Mississippi. Il a été créé par les Français comme avant-poste contre les colons espagnols et américains. Situé sur l’étroite bande de terre entre le Missouri et le Mississippi, juste avant leur confluent, il est ainsi nommé parce qu’il était le terrain que franchissaient les Indiens pour aller d’un fleuve à l’autre en portant leurs pirogues, gagnant ainsi environ 25 milles de navigation. Acquis par les États-Unis dans l’achat de la Louisiane en 1803, il fut le siège, en 1815, d’un accord important entre les États-Unis et plusieurs tribus indiennes locales, par lequel les Indiens ont cédé toutes leurs terres au nord du confluent et furent contraints d’aller s’installer plus à l’Ouest.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

rions dès cette année, aider cet établissement auquel Sœur Marguerite serait très propre ; ses forces diminuant, on ne peut que l’employer à des occupations tranquilles, et celle-ci serait conforme à ses goûts et non au-dessus de sa capacité. Vous ne m’avez jamais rien dit du projet de ces petits établissements disséminés. Telle était la méthode des Jésuites dans ces pays : étendre l’instruction en se divisant. Monseigneur voudrait notre seule Société dans son diocèse et il est trop pauvre pour entretenir de fortes maisons : une petite ici, une autre là, vivront avec quelques terres ou rentes et peuvent, pour les habits, recevoir du pensionnat. Quand on est logé, qu’on mange, il faut peu pour se vêtir. Je crois nécessaire de vous représenter cela pour le bien de la religion et le salut de bien des âmes. Monseigneur, dans ses deux dernières visites, ne nous a jamais tant fait de démonstrations d’intérêt et il nous a dit qu’il ne voulait pas que notre dette envers lui nous causât aucune privation ou inquiétude, il n’en a point voulu de reconnaissance et me fait seulement noter l’état qui en reste depuis plusieurs acomptes. Il va de nouveau dans la Basse-Louisiane et dans la Floride qui est aussi à lui. Il est d’avis de faire faire les vœux de 5 ans aux novices, après la première année de noviciat, et permet de les faire examiner par qui nous voulons de ses prêtres. Plusieurs de nos élèves persévèrent dans leur vocation ; mais Mlle Chouteau, surtout, a de grands obstacles. Les filles étant libres ici à 18 ans, pourquoi ne pourrait-on leur donner l’habit à 11 ou 12 ans, nous en aurions bientôt de cet âge dont nous tirerions parti et qui sont aussi formées pour le corps et l’âme qu’en France à 14 ans. J’ai reçu la formule d’un vœu, écrite par Mère Ducis, sans que dans votre lettre il y ait rien d’encourageant pour le faire. Cela valait une négative et m’a effrayée1. Je sens qu’avec mon caractère et les circonstances embarrassantes où je puis me trouver, j’aurais besoin pour me soutenir d’un appui comme votre frère. Je l’attends donc pour cela, en cas que ce soit votre avis ; d’ailleurs, mon noviciat est encore à faire pour cet engagement. Toute votre famille de Florissant s’unit à sa Mère pour offrir les vœux [de Nouvel An] les plus ardents pour votre prospérité, celle de

1

On ne sait rien de ce vœu. Henriette Ducis a été nommé secrétaire générale au Conseil général de 1820.



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toute la Société, de nos Pères, particulièrement de mes Pères Varin et Perreau. Je suis à vos pieds votre plus indigne fille, mais bien dévouée dans le Sacré Cœur de Jésus. Philippine Duchesne Pensant à l’obligation de faire profiter mes filles en toutes manières, j’ai quelquefois pensé que j’étais coupable de ne pas les exciter davantage aux saintes pratiques de la pénitence ; mais quand je vois ces enfants de 15 ou 16 ans pétrir, traire les vaches, faire le dortoir et la cuisine, n’avoir tout au plus qu’une récréation, à cause de la classe externe, je crains de les détruire en les accablant. Il me semble que les macérations seront pour le temps où le travail sera plus divisé et où elles auront une constitution plus assurée. En vous parlant du Portage des Sioux, j’ai omis de vous dire qu’on peut d’ici y aller et revenir dans un jour, mais il y a le Missouri à traverser. Faites prier pour une élève dont le père, protestant méthodiste, est venu la chercher pour la faire baptiser dans sa religion. J’ai dit que ces sorties étaient contraires à nos règlements, que si elle sortait, elle ne rentrerait pas, que nous ne forcions point à embrasser notre religion. Il y a dans ce pays beaucoup de conversions suivies d’apostasies et l’enfant n’assure pas qu’elle eût le courage de se soutenir dans notre religion contre la volonté de ses parents. Cependant elle le voudrait et aime bien la Sainte Vierge. Un chef de Sauvages, en traitant avec le Congrès, a demandé une robe noire [un prêtre] de la religion des Français pour les instruire. [Au verso :] À Madame Madame Barat, Supérieure de la Maison du Sacré-Cœur, Hôtel Biron Faubourg Saint-Germain À PARIS, en France By way of New-York Colonies par Le Havre

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

LETTRE 182

L. 4 À M. ROSATI

SS. C. J. et M.1

[Ce 28 octobre 1821] Monsieur et Révérend Père, À la joie que j’ai éprouvée en apprenant que vous étiez assez bien pour pouvoir voyager, s’est jointe la peine de ne pas vous revoir de dix mois. J’espère que vous n’oublierez pas notre demande pour une retraite, l’année prochaine ; celle que nous a donnée Monsieur de Andreis nous rend bien avides d’un temps aussi heureux. Une lettre de celle de nos sœurs qui est allée aux Opelousas m’apprend que Monsieur Ferrari est rétabli de sa fièvre et qu’il est plein de charité pour elle. Ce secours lui a été bien nécessaire dans les épreuves qu’elle a eues en si peu de temps. Nos deux compagnes ont été malades et j’en serais encore fort inquiète si je ne savais que tous les établissements les plus solides se sont fondés sur les souffrances et les privations. Vous l’avez éprouvé pour le vôtre qui est maintenant toute l’espérance de ce diocèse et l’objet continuel de nos vœux pour sa prospérité. J’écris à Monseigneur, mais je vous prie de lui exprimer de vive voix quelle est l’ardeur de nos prières pour la prospérité de son voyage. Si Monsieur Richard était encore avec lui, je vous prie aussi de lui offrir nos respects et de lui dire franchement que j’ai bien parlé de ses projets à notre Mère, mais que je ne crois pas du tout qu’elle puisse y consentir à cause des difficultés des communications. D’ailleurs, pour une si petite ville, le nombre de ses filles est bien suffisant pour instruire les enfants qui, en bien d’autres endroits, n’ont personne. Je suis avec respect, Monsieur et Révérend Père, votre très humble et soumise servante. Philippine Duchesne Ce 28 octobre 1821 Mme Octavie vous offre ses respects. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1821 Oct. 28, Mme Duchesne, Florissant. »



Lettre 183

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[Au verso :] À Monsieur Monsieur Rosati Supérieur du séminaire des Barrens À Saint-Louis

LETTRE 183

L. 42 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 17 décembre 18211 Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir votre lettre du 4 juin dernier. Elle me rappelle qu’au moment où je me trouve, mes Sœurs de France et surtout de Paris vont vous exprimer leurs vœux de bonne année. Il m’est bien doux de m’unir à elles, quoique de loin, et toutes mes filles forment les mêmes vœux que moi, pour vous d’abord, ma tendre Mère, pour toutes celles qu’elles ont eues en particulier pour Mères et pour nos chers Pères que nous espérions voir bientôt ici. Et voilà que votre frère nous en ôte presque l’espérance par la nécessité de pourvoir aux établissements d’Allemagne et de Sicile. Il n’est personne de nous en France qui lui soit plus attaché que la petite colonie ; il lui semble qu’elle n’aurait plus de privations si elle était aidée au spirituel par le digne Père. Ma Sœur Xavier dit qu’elle mourrait de joie si elle voyait son Père Varin. Toutes les enfants n’appellent votre frère que leur Père ; et elles en parlent comme si elles l’avaient pratiqué longtemps, tant nous aimons à les en entretenir. Monseigneur est dans la Basse-Louisiane et doit voir Mère Eugénie, ce qui est nécessaire pour régler les conventions avec Mme Smith, fondatrice de la Maison des Opelousas. Je ne vous rappelle pas les motifs qui ont déterminé cet établissement, ils sont répétés dans plusieurs de mes lettres, ni les détails qui le concernent, vous les avez reçus directement de Mère Eugénie. Monsieur Ferrari, Lazariste, qui a été son 1

Copie, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 318-321. J. de Charry, II 2, L. 149, p. 33-39. Cf. Ch. Paisant, p. 410-413.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

compagnon de voyage, me dit qu’il l’a laissée bien portante et me parle avantageusement de l’air, du climat et de la maison qu’elle habite. Elle doit avoir en ce moment trois postulantes et dix pensionnaires. N’ayant aucune dépense à faire, elle a déjà chargé un missionnaire de La Nouvelle-Orléans de nous faire compter 1 500 F pour l’acquit de nos dettes. On dit notre créancier mort en France où il avait dû vous porter de nos lettres1. J’aimerais encore mieux avoir à traiter avec lui seul qu’avec des successeurs qui font tout en rigueur. Nous lui devons encore plus de 7 000 F, dix pour cent, et j’avais l’espoir qu’ayant promis à Monseigneur 1 500 F par an pour l’entretien de deux orphelines, il nous en ferait l’application, et qu’ainsi nous nous acquitterions sans nous en apercevoir. Cet espoir n’est pas perdu, puisqu’il n’est pas sûr qu’il soit mort et ses enfants ont de la piété. Dites cela à votre bon frère qui veut bien s’y intéresser pour nous. Quant aux 6 500 F qu’il nous reste devoir à Monseigneur, ils sont sans intérêt ; il ne veut pas que nous nous en inquiétions du tout ; il nous a fait un nouveau don de terre, qui est tout ce que notre homme peut cultiver. C’est un Flamand, ressemblant au Frère Fonsala pour la piété, l’industrie et même pour la figure2. Il est marié. Nous lui avons bâti une petite maison tenant à l’école, pour être secourues en cas de malheur et nous lui donnons 1 000 F par an avec son bois, sans aucun frais de nourriture ou de maladie. Notre Irlandais de l’année passée était à peu près aux mêmes conditions, il nous a regrettées, mais le Flamand valait mieux pour nous. Nous avons réduit notre pension à cause de la rareté de l’argent ; elle est maintenant à 700 F. Ainsi vous voyez, ma bonne Mère, que notre position n’est pas à plaindre. Les pensionnaires, malgré la disette extrême d’argent, sont toujours au nombre de vingt et fournissent ainsi à l’entretien du noviciat, duquel nous n’aurons jamais rien. Mais l’essentiel est qu’il augmente. Nous avons donné l’habit, le jour de saint Stanislas [Kostka], à une Irlandaise [Mary Mullanphy], notre sixième novice, et j’en espère autant l’année prochaine. Mère Octavie gagne tous les jours, sous tous les rapports ; sa ferveur est celle des meilleures novices et elle prend de l’expérience dans les rapports avec le dehors et avec les enfants, et pour le temporel. J’espérais beaucoup de l’arrivée de Mère Lucile, mais ce sont toujours 1 2

M. Mullanphy n’est pas mort ; il sera en février à New York où il postera une lettre pour Mère Duchesne. Il s’agit peut-être du frère de Sœur Marie Fonssala, entrée à Grenoble en 1807.

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des retards. Je suis bien fâchée du projet de venir par la Martinique. Un séjour dans cette île peut lui être bien funeste pour la santé ; d’ailleurs, il faudrait une seconde traversée dans le golfe du Mexique où les naufrages sont bien plus fréquents qu’en haute mer. On gagne très peu d’argent et on s’expose à perdre les sujets. Les voies les plus courtes et les plus sûres sont par New York, Baltimore ou La Nouvelle-Orléans ; cette dernière est encore à préférer, parce que le séjour n’y coûterait rien. Je compte peu sur les promesses du ministre et les retards troublent nos établissements. Je suis bien consolée de tous les détails sur Aloysia, sur la retraite de son frère et de sa sœur [Amélie] et de ma nièce Caroline [Lebrument]1. Dites-leur, je vous prie, que je suis très occupée d’eux devant Dieu. L’état de la Mère Bigeu nous afflige toutes2. Je vous prie de le lui témoigner vivement. Dans ma dernière lettre, je vous avais parlé d’une proposition d’établissement pour le Detroit de Michigan, à deux mois de chemin d’ici. Monseigneur n’a pas été content que j’aie même fait une réponse si vague. Il prend pour nous un amour jaloux et m’a dit de ne pas oublier Saint-Charles que nous avions tant aimé et où il allait faire placer un bien bon prêtre, faire rebâtir l’église en son terrain, et il voudrait que nous eussions une simple école tout auprès. Cette place est chef-lieu de l’État du Missouri, pour cinq ans, et peut-être pour toujours3. Le siège du gouvernement y attire bien du monde et il n’y a nulle ressource pour l’instruction. Notre église a été bénie le 21 novembre, avec beaucoup de pompe. Notre chapelle fait chœur, comme à Sainte-Marie. Le prêtre dit la messe à notre heure, les jours ordinaires. Le dimanche, il en dit deux : une pour nous à huit heures, et la grand-messe à onze heures. Il prêche en français avant la messe et en anglais après. Les chantres et chanteuses de l’église font un chœur et nous l’autre, soit à la messe, soit aux vêpres. Cette église, en briques, est fort jolie. C’est la première dévouée au Sacré Cœur, peut-être dans tout le Nouveau Monde. Vis-à-vis de notre chœur est une chapelle à la Sainte Vierge, qui a un beau tableau, et dans notre chœur est l’autel que j’ai voué à saint François Régis et où l’on dit la messe lorsque le froid fait geler le vin dans le calice. Je vous 1 2

3

Henri Jouve est entré au noviciat jésuite ; Amélie et Caroline au Sacré-Cœur. Depuis le Conseil général de 1820, Joséphine Bigeu est malade. Néanmoins, en décembre 1821, elle part pour Bordeaux où elle réalise le transfert de l’orphelinat de Mme de Lalanne et l’ouverture d’un pensionnat au Sablonat. La capitale du Missouri est devenue Jefferson City.

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CHAPITRE II : 1818-1821 – LES PREMIÈRES FONDATIONS

assure que ces trois objets de notre tendre dévotion, le Sacré Cœur, Marie et François Régis, étant réunis sous nos yeux, comblent l’âme de consolation. Nous avons plus d’externes qu’à Saint-Charles. Ma Sœur Catherine se forme pour le chant. Je crois que tout l’argent annoncé par votre bon frère est arrivé. Monseigneur me parle de 300 F en déduction de notre dette. La supérieure [des Ursulines] de la Nouvelle-Orléans m’ayant parlé d’une somme à peu près semblable, je crois que c’était la même, ne sachant pas que M. Gary eût quelque chose pour nous. C’est pourquoi je n’en ai pas fait mention. Le Père Barat voudrait une réponse à cet égard. Il a d’ailleurs employé pour nous en livres une somme venant de la Mère de Gramont. Si nos Sœurs ne sont pas parties, comme cela pourrait bien être après tant de retards, serait-il possible qu’elles nous apportassent un graduel romain1, du galon pour une écharpe et ornement, et du papier fin avec le catéchisme de Charency. On l’a donné à Mère Eugénie, mais il nous manque pour le français. En anglais, nous en avons d’excellents. Étant sans livres de classe, nous suppléons par des cahiers. Je pensai proposer au Detroit d’y former une Visitation en y envoyant des livres, comme à Georgetown. Je suis dans le Sacré Cœur, et toute respectueuse et soumise, votre fille indigne. Philippine Duchesne

1

À cette époque, les normes liturgiques relevaient de chaque diocèse, mais les religieuses du Sacré-Cœur avaient choisi celles de Rome. De même, l’office des religieuses de chœur était celui du bréviaire romain.

chapitre iii

1822-1828 En pleine action

INTRODUCTION Seconde et troisième fondations et premier voyage en Louisiane

À son départ de France en 1818, Philippine avait été nommée supérieure et, en raison de la distance, avait reçu certains pouvoirs sur les futures fondations, que n’avaient normalement pas les supérieures. Trois ans seulement après leur arrivée, s’étant d’abord établies à SaintCharles où elles ne s’attendaient pas à être, puis déplacées au bout d’un an à Florissant sur demande expresse de Mgr Dubourg, elles furent séparées en deux groupes, de nouveau à la demande instante de l’évêque, pour aller fonder une autre communauté, très loin, dans la Basse-Louisiane rurale, où Madame Smith offrait sa maison et sa propriété aux Opelousas (Grand Coteau). Pendant ce temps, un nouveau contingent de deux missionnaires arrivait de France : Lucile Mathevon et Anna Xavier Murphy, Irlandaise. Mais elles n’étaient pas encore là lorsqu’Eugénie et Mary Layton, une novice, prirent le vapeur au mois d’août 1821, en direction du sud, vers Grand Coteau. Philippine aurait voulu attendre l’arrivée des deux sœurs de France avant d’entreprendre la nouvelle fondation, mais Mgr Dubourg n’était pas de cet avis. Les Mères Mathevon et Murphy quittèrent la France en septembre 1821, et arrivèrent à La Nouvelle-Orléans le 2 février 1822 (Lettre 189). Xavier Murphy partit directement pour les Opelousas, tandis que Lucile Mathevon rejoignait Philippine et les autres sœurs au Missouri. Elles étaient sept venues d’Europe, mais il y avait maintenant des vocations du Nouveau Monde. La première fut Mary Mullen qui était entrée et sortie à Saint-Charles, puis il y eut, à Florissant, Mary Layton en 1820, Émilie Saint-Cyr et les sœurs Hamilton en 1821, bientôt suivies par d’autres. La nouvelle fondation de Louisiane connut des débuts difficiles. Les sœurs découvrirent, entre autres choses, que leur bienfaitrice, la veuve Smith, avait l’intention de se garder un espace de vie dans le couvent, jusqu’à ce que Mgr Dubourg la fasse changer d’avis. La fondation, sous la conduite de Mère Eugénie Audé, avec son charme et son savoir-faire, se mit à prospérer rapidement et bientôt, il y eut aussi des vocations. Dès l’année suivante, en 1822, Philippine décida d’entreprendre le long

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voyage sur le Mississippi pour visiter la nouvelle maison de Louisiane. Elle prit avec elle les deux nouvelles vocations destinées à y rester : Émilie Saint-Cyr, qui venait de faire ses premiers vœux à Florissant et Mary Mullanphy, novice1. Les accompagnait aussi Thérèse Pratte, une élève de Florissant, fille de la famille Pratte chez qui les premières religieuses avaient logé à leur arrivée à Saint-Louis. Elle avait tellement envie de revoir sa chère Mère Eugénie et de revenir ensuite à Saint-Louis avec la Mère Duchesne. Le voyage par bateau à vapeur était encore nouveau et très dangereux. Il y avait toujours le risque d’incendie ou d’explosion à bord ; il fallait brûler de grandes quantités de bois pour alimenter la chaudière dont la vapeur faisait tourner les roues à aubes. Il y avait toujours les dangers extérieurs : possibilité de toucher le fond ou de heurter des débris flottants. À l’arrivée des religieuses en 1818, la remontée du Mississippi de La Nouvelle-Orléans à Saint-Louis avait pris six semaines. Cette fois, quatre ans plus tard, il suffisait de dix-sept jours pour descendre le cours du Mississippi dans le sens du courant et non à contre-courant, mais quand on débarquait à Plaquemine, en Louisiane, il restait un voyage pénible à travers les bayous avant d’arriver à Grand Coteau. Philippine raconte cette histoire éprouvante dans la lettre 196. La visite elle-même se passa sans incident. Les voyageuses arrivèrent le 7 août. Une des pensionnaires de l’école de Grand Coteau était Mary Ann Hardey, qui lut en français le mot de bienvenue à la noble visiteuse. Plus tard, devenue Mère Aloysia Hardey, elle entreprendra les fondations à l’est des États Unis, au Canada et à Cuba, et deviendra en 1872 la première assistante générale américaine à la maison-mère, à Paris2.

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Parente éloignée de John Mullanphy, à ne pas confondre avec sa fille du même nom qui fut plus tard élève à Florissant, cf. Lettre 250. Elle quitta la Société en 1831 (Lettre 385). Mary Ann (Aloysia) Hardey (1809-1886), RSCJ, est née le 8 décembre 1809 à Piscataway, Maryland. Sa famille étant arrivée en Louisiane lorsqu’elle était enfant, elle commença ses études à Grand Coteau au début de l’année 1822. Lors de la visite de Philippine en 1822, elle fit le discours de bienvenue des élèves. Entrée au noviciat le 29 septembre 1825, à Grand Coteau, elle prit l’habit le mois suivant, le 22 octobre, pour aller fonder avec Eugénie Audé, dès le lendemain, la maison de Saint-Michel, où elle fit ses premiers vœux le 15 mars 1827. Elle devint maîtresse générale deux mois plus tard, après la mort de Xavier Hamilton, fit sa profession le 19 juillet 1833, à l’âge de 23 ans, pour devenir supérieure à Saint-Michel. Puis elle fut supérieure vicaire (1844-1872), chargée des fondations de New York et de Cuba, assistante générale de la Mère Joséphine Goetz (1872-1886). Décédée à Paris, elle a été enterrée à Conflans. Au moment de la dissolution des maisons françaises, en 1905, son corps revint à Kenwood, New York, maison qu’elle avait fondée en 1852.

Introduction



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Le retour à Saint-Louis fut catastrophique : Philippine et Thérèse Pratte, l’élève qui l’accompagnait, partirent le 3 septembre pour aller rejoindre à La Nouvelle-Orléans le vapeur Hecla qui remontait le Mississippi en direction du Nord. On leur avait assuré qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de fièvre jaune à La Nouvelle-Orléans. Quand elles y arrivèrent, la terrible maladie avait éclaté. Philippine attrapa la maladie avant de monter sur le vapeur. Le second jour, trois personnes moururent sur le bateau, y compris le capitaine et son second. Philippine et Thérèse durent débarquer à Natchez, où l’on avait peur de laisser entrer ceux qui étaient malades ; les causes de la fièvre jaune n’étaient pas encore connues et l’on redoutait la contagion. Philippine et Thérèse finirent par être accueillies dans une famille du lieu. C’est seulement après presque trois mois de leur départ, début septembre, de Grand Coteau, qu’elles rentrèrent chez elles à Saint-Louis, à bord du vapeur Cincinnati. Philippine reprit sa vie à Florissant avec la petite communauté, un nombre grandissant de novices et une ferme qui, en 1823, comptait sept vaches et soixante poules. Durant toutes ces années, il fut plus d’une fois question d’une fondation à La Nouvelle-Orléans, mais la réponse fut négative, une première fois en juillet 1823, puis en février 1824. Par contre, en 1825, Eugénie Audé fit une fondation à Saint-Michel, plus près de la ville, sur les bords du Mississippi. Lorsqu’Eugénie partit pour Saint-Michel, Grand Coteau fut confié entre les mains de Mère Xavier Murphy. Les deux maisons se développèrent et prospérèrent. Eugénie avait toujours beaucoup de succès là où elle était, et elle commença à prendre une certaine indépendance vis-à-vis de l’autorité de Philippine, qui avait l’habitude de se comparer défavorablement. Les Mères Audé et Barat pensèrent un moment envoyer Philippine dans une des maisons de Louisiane qui marchaient si bien, mais Philippine s’y opposa formellement : Florissant était pauvre et elle l’aimait ainsi. Si l’école de Florissant n’a jamais prospéré comme celles de Louisiane, elle allait toutefois moins mal que Philippine le disait parfois. La vie à Florissant : les Jésuites et l’école indienne

Un attrait supplémentaire à Florissant était la présence des Jésuites. En 1823, Mgr Dubourg avait réussi à les faire venir dans son diocèse. Avec l’appui du gouvernement américain pour les missions indiennes et l’approbation personnelle du président Monroe pour ce projet, il es-

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pérait créer au Missouri une école pour les Américains autochtones et un séminaire pour la formation de futurs missionnaires. En vue de cela, l’évêque leur offrit une belle parcelle de terrain dont il était propriétaire. Les premiers Jésuites arrivèrent au Maryland en mai 1823 : deux prêtres, trois frères ; sept jeunes novices belges, et trois jeunes couples d’esclaves, tous sous la direction du Père Charles Félix Van Quickenborne. Parmi ces novices arrivés en 1821 pour se former à la mission américaine, il y avait Pierre J. Verhaegen, le futur prêtre qui insistera en 1841 pour que Philippine fasse partie du petit groupe missionnaire qui ira à Sugar Creek et qui allait l’enterrer à Saint-Charles en 1852, et Pierre-Jean De Smet, le célèbre missionnaire de l’Ouest. Philippine et les autres sœurs de la communauté étaient ravies de l’arrivée soudaine des Jésuites et du soutien spirituel dont elles étaient habituées en France, même si Philippine et le Père Van Quickenborne, au caractère irascible bien connu, s’affrontaient régulièrement. Elle lui fut indéfectiblement loyale et ne cessa de répéter que sa direction spirituelle était pour son bien. Rétrospectivement, on peut dire qu’il abusait parfois de son autorité sacramentelle. C’est lui qui, une année, probablement en juin 1825, en raison d’un désaccord entre eux, lui refusa l’absolution, si bien qu’elle ne put renouveler ses vœux le jour de la fête du Sacré-Cœur. Comme elle ne pouvait être présente à la messe et ne pas renouveler publiquement ses vœux, elle fit l’unique chose qui pouvait éviter un scandale : elle fit semblant d’être malade et resta toute la journée au lit. Une autre fois, Anna Shannon se rappelle avoir vu Philippine s’approcher pour communier et être renvoyée par le Père Van Quickenborne sans autre explication3. En plus du pensionnat et de l’école gratuite, elles commencèrent en 1825, à Florissant, une petite école pour les filles indiennes, en même temps que les Jésuites en ouvraient une pour les garçons. C’était enfin une petite réalisation du projet de Philippine, à son départ pour l’Amérique. Il ne faut pas s’étonner si l’essai ne dura que deux ans : les petites Indiennes, loin de leurs familles, ne désiraient pas être là, assises de longs moments à la manière européenne, et elles s’enfuyaient souvent. À Saint-Louis, il y eut des pensionnaires, des externes et un orphelinat ; il fallait que chaque groupe soit séparé pour l’instruction et la vie courante. Il est difficile de s’imaginer comment cela a pu se réaliser avec si peu de sœurs et d’espace. 3

Témoignages d’Aloysia Jouve et d’Anna Shannon ; cf. Callan, PD, p. 421, 452.

Introduction



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Pendant ces années, Philippine fut souvent choisie comme marraine pour les enfants baptisés à la paroisse. Les noms de Philippine et d’Octavie Berthold figurent dans les registres baptismaux de Saint-Ferdinand en 1822, 1824 et 1825. Marie Rose Radford, filleule de Philippine, baptisée le 5 avril 1822, était en fait la belle-fille du Général William Clark, qui avait épousé sa mère, Harriet Kennerly Radford, après la mort de sa première femme. En 1825, Octavie Berthold fut aussi marraine de Peter et Stanislas, deux jeunes Indiens de la nation Iowa, âgés d’environ dix et treize ans. Les deux religieuses furent aussi marraines de deux petites filles âgées de deux et quatre ans : Philippine les décrit comme « premières pierres » de l’orphelinat de Florissant (Lettre 190 à Sophie, 16 avril 1822). Quatrième fondation : City House à Saint-Louis

En 1825, Philippine semble préoccupée par l’idée de la mort et prend des dispositions pour son entourage, au cas où elle viendrait à mourir, peut-être parce que la médecine était primitive et qu’on mourait beaucoup autour d’elle. Au lieu de mourir, elle allait quitter Florissant en 1827 pour entreprendre une quatrième fondation, et cette fois enfin, à SaintLouis. Ne réussissant pas à trouver de propriété, elle finit par s’adresser directement à John Mullanphy, qu’elle avait rencontré pour la première fois à La Nouvelle-Orléans en 1818. Cet immigrant irlandais avait bien réussi, c’était un des hommes les plus riches de la ville, qui s’occupait d’œuvres sociales pour les nécessiteux. Philippine lui demanda carrément de lui donner une propriété, et il offrit un vaste terrain avec une maison, au sud de la ville. La population de la ville avait beaucoup augmenté et allait encore tripler au cours de la prochaine décennie. Une des conditions posées par Mullanphy, pour faire ce don à la Société du Sacré Cœur, était d’accueillir jusqu’à l’âge de 18 ans vingt orphelines ou enfants pauvres, âgées de 4 à 8 ans, choisies par lui ou ses filles. L’accord stipulait également que lui-même ou ses héritiers donneraient dix dollars par orpheline à son entrée, et cinq dollars les années suivantes, une somme qui, même à cette époque-là, était insuffisante4. 4

Au moment de sa mort en 1833, Mullanphy attribua cependant dans son testament cent dollars par an à l’évêque du lieu, destinés à l’orphelinat, et pour chaque « diplômée » de l’orphelinat qui se mariait, « dont la conduite était bonne et méritante… la somme de cent dollars au moins, et plus si la situation du fonds le permettait, selon les mérites respectifs de celles ayant droit à une donation de ce fonds ». Testament publié de John Mullanphy, Archives RSCJ.

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John Mullanphy, toujours attentif aux pauvres de la ville, installa aussi, l’année suivante, le premier hôpital de Saint-Louis, confié aux Sœurs de la Charité. La nouvelle école de City House ouvrit le 17 septembre 18275. Philippine et John Mullanphy n’ont probablement pas eu beaucoup de contact avant 1827, même s’ils s’étaient rencontrés auparavant à La Nouvelle-Orléans. La maison de campagne de Mullanphy, qu’il aimait beaucoup, se trouvait à Florissant, non loin de Saint-Ferdinand, où Philippine a vécu de 1819 à 1827. En 1817, deux ans avant l’arrivée des religieuses à Florissant, il donna cette maison à sa fille Jane, au moment de son mariage avec Charles Chambers, et ils y habitèrent dès 1820. Bien qu’il ne reste pas de preuve de leurs relations au cours de ces premières années, Jane Mullanphy Chambers sera aussi bienfaitrice du couvent de Saint-Louis et, après la mort de son père, elle supervisera les admissions à l’orphelinat. Mgr Dubourg rencontrait de plus en plus de problèmes et d’oppositions, tant à Saint-Louis qu’à La Nouvelle-Orléans. C’était un grand initiateur, mais un piètre administrateur. Il est intéressant de constater que la fondation à Saint-Louis ne se soit faite qu’après son départ, car dès le début, il s’était opposé à la présence des religieuses dans la ville, arguant que le pensionnat – toujours une question de finances – ne pouvait s’y développer et qu’il valait mieux le mettre à une certaine distance. Enfin, Mgr Dubourg en eut assez de la vie aux frontières. Il rendit visite une dernière fois, à Saint-Louis, en 1826 et partit pour la France, où il démissionna de son siège épiscopal. Il n’avait rien dit avant de partir, si bien que la nouvelle fut une surprise pour tout le monde6. Personne ne fut plus surpris que Joseph Rosati, prêtre lazariste (SaintVincent de Paul) italien, recruté par Mgr Dubourg, déjà nommé en 1823 évêque coadjuteur de tout le diocèse, allant du Missouri à la Louisiane. Cependant avant sa consécration, le diocèse avait été divisé, il devint donc le premier évêque de Saint-Louis en mars 1827, tout en restant administrateur apostolique du nouveau diocèse de La Nouvelle-­ 5

6

Les fillettes accueillies à l’orphelinat n’étaient pas toujours sans parents, mais les parents n’avaient pas de quoi les élever. Le travail de l’orphelinat de City House continua après la mort de John Mullanphy en 1833. Il fut administré par sa fille, Jane Mullanphy Chambers. Ses notes manuscrites pour l’admission des petites filles dans le besoin sont conservées aux archives RSCJ de Saint-Louis. L’orphelinat continuera jusqu’en 1947, après le départ de l’école en 1893 dans un lieu plus à l’ouest. L’école de City House pour filles et garçons dura jusqu’en 1968, date de sa fermeture. Mgr Dubourg devint ensuite évêque de Montauban, puis fut nommé à Besançon, où il est mort peu de temps après, en 1833.

Introduction



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Orléans, jusqu’à la nomination d’un évêque en 1829, Mgr Leo Raymond De Neckere. Mgr Rosati resta évêque de Saint-Louis aussi longtemps que Philippine occupa le poste de supérieure. Ils étaient en relation étroite et Philippine eut souvent recours à lui. Il reste cent-quarantehuit lettres qui lui ont été adressées. Retour à Saint Charles. Nouvelle expansion

Dans les années qui suivirent l’abandon de la première maison à Saint-Charles, en 1819, il y eut de fréquentes négociations avec les habitants qui désiraient voir revenir les religieuses (Cf. par exemple Lettre 190 de 1822), et avec les Jésuites qui construisaient une église en pierre sur la propriété. Vers 1825, Philippine exprime souvent un accueil favorable à cette idée dans ses lettres à Sophie. Le curé était alors le terrible Père Van Quickenborne. En 1828, Lucile Mathevon et Mary Ann O’Connor rouvrirent une communauté à Saint-Charles et l’école reprit, le 10 octobre, dans la même cabane en rondins que dix ans plus tôt. Elle restera leur école et leur résidence jusqu’à la construction d’un nouveau bâtiment en 1835. La vieille cabane en rondins finit par être démolie en 1858. Entre temps, une nouvelle maison fut ouverte en 1828 à La Fourche, en Louisiane, à l’ouest de La Nouvelle-Orléans, par Hélène Dutour, qui était arrivée de France l’année précédente. Un petit groupe de Filles de la Sainte Croix (Sœurs de Lorette), anglophones, y avait une école qui souffrait de se trouver dans cette région francophone. Après de longues négociations entre Mgr Rosati, Philippine et la Mère Barat, l’école fut confiée aux religieuses du Sacré-Cœur, francophones, et la communauté des Sœurs de Lorette se dispersa, avec la possibilité d’entrer dans la Société du Sacré-Cœur, ce que plusieurs ont fait. La fondation de la Fourche n’a jamais bien marché, en grande partie parce que la Mère Dutour voulait absolument le même niveau d’études que dans les deux autres maisons de Louisiane, mais les besoins de la population et la proximité de Grand Coteau rendaient la chose difficile. La maison finit par fermer en 1832, avec de lourdes dettes qui durent être épongées par les autres maisons de Louisiane et les contributions d’amis. La Société du Sacré-Cœur a connu une croissance étonnante dans son nouveau foyer américain : dix ans après son arrivée, il y avait six maisons en Amérique, trois au sud et trois au Missouri, avec vingt-

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sept religieuses, dont onze seulement venaient d’Europe, et vingt-cinq novices américaines. En dépit de cette expansion remarquable, Philippine continuait à penser qu’elle faisait obstacle au succès de l’œuvre et demandait sans cesse d’être relevée de sa charge de supérieure. Cela n’arrivera que douze ans plus tard.

LETTRES

LETTRE 184

L. 5 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 6 janvier 1822] Monsieur et Révérend Père, J’ai été bien sensible aux souvenirs qui me sont venus de votre part. Nous n’avons pas manqué de prier pour votre rétablissement et à l’époque de la nouvelle année, j’ai redoublé mes vœux pour vous et pour votre séminaire, espoir de la religion dans ce diocèse. Je calcule avec peine que nous ne pourrons vous voir qu’aux vacances ; ce qui me fait regretter que votre établissement soit si loin du nôtre. Je m’aperçois toujours davantage que je suis bien au-dessous de ma charge et que, pour la porter, j’aurais eu souvent besoin de vos conseils. Tout ne peut se dire par lettre. Des deux colombes que vous vîtes avec plaisir revêtues de nos saints vêtements, la plus âgée est dans un état de tentation qui passe mes connaissances et qui me faisait craindre pour sa vocation. Cependant elle était ferme puisqu’elle n’a pas été tentée de répondre aux invitations d’un frère. Je ne vois personne autour de moi dont la décision ne me laissât aucun retour de crainte et je vois de plus en plus combien j’ai perdu, en perdant Monsieur de Andreis. Monsieur Ferrari et Monsieur Borgna m’ont fait l’honneur de m’écrire et ont, l’un et l’autre, mille soins pour nos chères sœurs de la Basse-Louisiane. Je forme les mêmes regrets pour elles par rapport à l’éloignement de personnes éclairées sur les devoirs religieux. Cette science ne se prend pas toute dans les livres ; l’expérience et la pratique 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1822 Janvier 6, Mme Duchesne, Florissant. »

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sont encore bien nécessaires… Madame Eugénie en sent le besoin ; je la recommande à vos prières. Son sacrifice a été généreux et cependant je crains qu’elle y succombe. La demoiselle du Fort Vincennes n’a point paru. Je n’en suis pas très fâchée ; l’exemple de Mlle Moore et de son amie nous prouve toujours davantage que les plus sûres vocations se formeront parmi nos élèves soit externes ou pensionnaires. Ainsi, je vous prie de ne la point engager à venir si elle est encore dans l’indécision. Je suis avec un profond respect dans les sacrés Cœurs de Jésus et Marie, mon Révérend Père, votre soumise et indigne servante. Philippine Duchesne Ce 6 janvier 1822 Mes sœurs vous offrent leurs respects. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Rosati Supérieur du séminaire Barrens À Saint-Louis

LETTRE 185

L. 12 AU P. BARAT

SS. C. J. et M.

Rec. à St Antoine, ce 18 février 18221 Mon bien bon Père, M’étant flattée du bonheur de vous voir en Amérique et que le moment en était prochain, je pensais déjà que mes lettres ne vous trouveraient plus en France et qu’il fallait les supprimer. Les vôtres, où vous 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : Bordeaux, 10 Juillet 1822.

Lettre 185

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me parlez des besoins des États qui ont admis nos bons Pères, et même de la rareté des sujets pour former un établissement à Aix, m’ont ôté mes espérances et ont découragé plusieurs personnes qui, lassées du travail pénible et peu fructueux, comptaient se joindre à vous et en espéraient plus de succès. Quant à nous, nous voyons bien que cette privation nous réduira à mordre le pain sec toute notre vie. Je ne vais point cherchant les consolations, que je mérite si peu ; mais que je sens mon insuffisance pour l’œuvre où je suis attachée, surtout pour édifier et pour faire avancer mon troupeau. Qu’il eût été rassurant de pouvoir n’agir que par votre impulsion et de voir ces pauvres âmes se refaire auprès de vous de leur langueur ! Que j’ai besoin de dire fiat là-dessus ! C’est bien autre chose que les privations temporelles ; vous avez trop de compassion sur cet article-là. J’ai craint qu’elle vous eût porté à la communiquer à notre tendre Mère. Aussi, en lui envoyant l’état de nos dépenses, je lui prouve que cette année nous avons diminué notre dette ; et qu’en faisant ainsi chaque année, nous nous acquitterons. Nous avons diminué la pension à cause de la rareté de l’argent et [toutefois] notre pensionnat n’est pas moindre ; il s’y élève quelques vocations qui, avec le temps, propageront l’instruction et même le culte. Je ne doute pas que la multiplication de nos établissements ne soit le plus sûr moyen d’étendre la religion dans ces pays ingrats. Que voulez-vous que fasse un prêtre dans des pays où il ne trouve ni logement ni vêtements ni nourriture ? Une vertu médiocre ne résiste pas à l’épreuve et une défection de plusieurs prêtres ne le prouve que trop. La plupart envieraient d’être attachés à nos maisons et dans le fait sans inquiétude pour le temporel, ils pourraient plus aisément vaquer au spirituel. Nous avons eu plusieurs fois le bonheur de donner du linge à ces ouvriers pauvres pour Jésus-Christ, et presque toute la toile d’Amiens y est passée, ainsi qu’une partie de nos mouchoirs. Je ne désire être plus à l’aise que pour étendre la bonne œuvre ; on nous offre plusieurs enfants gratis que nous sommes obligées de refuser. Cependant j’ai promis pour deux orphelines presbytériennes de 5 à 6 ans, que l’on nous donnera jusqu’à 18 ans, époque de leur liberté ; avec promesse, par écrit, de les laisser faire catholiques et même religieuses, si elles le veulent. Un autre protecteur a aussi dit qu’il voulait nous donner sa fille (c’est l’usage ici de donner ses enfants par acte devant un juge) et qu’il voyait que c’était le mieux pour elle qu’elle soit catholique. Plusieurs des pensionnaires protestantes ont la permission aussi de leurs parents d’être baptisées.

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Mais priez bien pour une enfant charmante, d’une figure et douceur céleste, qui sollicite la même faveur avec doute de l’obtenir : pour trancher plus vite, elle demande tout de suite d’être comme nous. La réponse doit venir de 400 lieues. Elle a été comme un rocher quand ses parents sont partis, voulut paraître devant eux avec un crucifix pendu au cou. La mère lui demanda : « T’oblige-t-on à porter cela ? Non, maman ; mais c’est moi qui le veux. » Le soir, on l’entend dire son chapelet ou s’entretenir avec son crucifix, elle n’est jamais lasse de prières. Une vieille grand-maman qui l’idolâtre, la combla de présents avant de quitter le pays, pleurait et faisait pleurer ceux qui la voyaient ; après, elle fit entrer son grand Nègre qui donnant à sa figure toute l’expression de la tendresse et portant la main sur son cœur, lui faisait ses adieux les larmes aux yeux. L’enfant resta ferme et éprouva même de la joie quand la porte se ferma et qu’elle put dire : « Je reste. » Elle voulait alors faire sa déclaration, mais la crainte qu’on l’enlevât de suite pour la conduire dans un pays sans ressources pour la religion, nous porta à l’engager d’attendre après le départ. Si les parents refusent, verriez-vous d’obstacle à la baptiser secrètement ? On dit ici que c’est contre les lois de l’Église, qu’il faut la permission des parents à cause du danger d’apostasie ; telle est la volonté de Monseigneur. L’église dédiée au Sacré Cœur, tenant à notre maison, est presque finie. On y dit la messe depuis le 20 septembre. Tous les dimanches, le prêtre dit deux messes : une le matin pour nous et une à 11 heures avec prône français, ayant le credo en anglais après la messe. C’est toujours une grand-messe qu’on chante en plein chant ; nous faisons un chœur, les personnes du dehors un autre. Outre cela, il y a des cantiques français avant la messe et en anglais, à l’élévation et communion ; les chanteuses chantent ceux-ci en partie avec deux messieurs américains et musiciens qui se placent près de notre chœur, derrière une toile. C’est tout à fait solennel ; tout ne fait qu’une heure ; en été, on terminera à midi et Mère Octavie se distingue pour la musique, Sœur Catherine pour le plein chant et forme les novices et externes qui sont près de quarante. La paroisse va bien ; presque tous les hommes se sont confessés. Il y a une novice qui aurait bien besoin de vous voir ; c’était mon espérance et j’en ai bien rabattu. Son état est-il simple tentation ? Est-il opposition à toute dépendance et mortification ? Ce discernement est difficile ; priez bien pour qu’elle sorte victorieuse du combat dans sa vocation, comme l’autre aimable enfant pour sa vocation. 18 février 1822

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Lettre 186

Je n’ai point reçu la boîte de M. Jouve de Lyon, que vous me disiez que je devais avoir, mais j’ai eu des lettres qui y ont été renfermées. À qui avaitelle été adressée, je vous prie ? J’ai grand besoin de ce qu’elle contenait. Monseigneur a vu Mère Eugénie aux Opelousas ; cela m’a un peu ôté de mes inquiétudes sur son compte ; le retard de nos sœurs a bien dérouté pour cet établissement. J’en ai expliqué les raisons à notre Mère et suis encore sans réponse. Veuillez lui offrir mes respects et soumission ; j’attends la fonte des glaces et un steamboat pour écrire à l’aise, mais je n’ai pu tenir au désir de vous offrir mes respects et mes souhaits dans le Cœur de Jésus en qui je suis votre petite servante. Philippine Mes respects au R. P. Debrosse et à nos sœurs. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Louis Barat rue de Sèvres N° 35 Paris

LETTRE 186

L. 43 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M

Rec. à St Antoine de Padoue Ce 28 février 18221 N° 29 Ma bien digne Mère, J’ai répondu à la lettre dans laquelle vous me parliez du voyage de nos Sœurs, au commencement de cette année, sur un vaisseau du Roi, faveur 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Au verso, le P. Barat a écrit : « J’ai lu cette lettre, sur l’invitation de Mme Philippine, dans une autre que j’ai reçue dans le même paquet. » J. de Charry, II 2, L. 152, p. 52-59. Cf. Ch. Paisant, p. 424-426.

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que j’apprécie peu, comme je vous l’ai dit, à cause de l’inconvénient grave de passer à la Martinique, pays malsain, et de s’enfiler dans un labyrinthe d’îles où les naufrages sont fréquents. J’ai cependant une vive impatience de l’arrivée de ces chères Sœurs, étant fort en peine de la solitude d’Eugénie1. Je compte peu sur Mère Girard2. Heureusement, Monseigneur y a été et sa présence était nécessaire pour régler bien des choses, particulièrement la donation de Mme Smith. Tout est fini sur cet article et Monseigneur écrit que cette dame et notre bonne Eugénie sont parfaitement ensemble3, elle a eu déjà le bonheur de faire connaître Jésus-Christ à une ignorante et de la faire baptiser, bonheur que nous attendons aussi, mais qui souffre des délais pour attendre le consentement des parents ! Je viens de faire une nouvelle copie de nos Constitutions et, en examinant bien, je n’y ai pas vu un mot sur l’élection ou la nomination du Supérieur général4, ce qui peut faire l’objet d’une question à l’émission des vœux. Si vous le trouviez bon, on ferait faire les premiers aux novices qui ont plus d’un an de noviciat, sans attendre la fin des deux ans, pour leur donner plus d’autorité dans les classes et plus de consistance devant les étrangers où bientôt je paraîtrai peu, la moitié du pensionnat étant presque maintenant américaine et je suis convaincue que Mère Octavie elle-même n’est pas toujours bien comprise. Je crois toutes ces vocations bonnes. Il se présente plusieurs jeunes personnes, mais toutes de la classe pauvre, qui ne seraient bonnes que pour former les externes quand nous nous multiplierons. Tout cela arrive nu [sans trousseau et sans dot] et cette maison déjà endettée ne pourrait trop se charger. Les postulantes riches n’obtiennent rien de leurs parents. Cependant, malgré la diversité des croyances et des opinions, Dieu, aidant notre impuissance, tourne en faveur de la maison l’opinion des protestants les plus instruits et les plus marquants du pays. L’un nous envoie, en un jour, trois de ses nièces ; un autre, amenant sa fille, dit qu’il veut qu’elle soit bonne catholique ; un autre dit qu’il n’a jamais contribué à une souscription avec autant de plaisir que pour l’église de 1 2 3

4

Eugénie Audé et Mary Layton, arrivées fin août chez Mme Smith, resteront seules jusque fin décembre. Mme Girard et Constance Frouard arrivent en décembre, mais elles ne resteront pas. Mme Smith veut se réserver deux pièces du couvent, mais Mgr Dubourg la convainc de se faire bâtir, non loin de là, une petite maison et de donner la propriété de Grand Coteau (maison et moitié des terres) à la Société du Sacré-Cœur, à condition d’y maintenir une maison d’éducation. L’autre moitié des terres est donnée à l’évêque pour un séminaire. Jusqu’alors, la fonction de Supérieur général était assumée par le grand aumônier de la Cour de France, ce qui posait des problèmes dans d’autres pays. En 1826, avec l’approbation des Constitutions par le Saint-Siège, la charge relèvera d’un cardinal protecteur, résidant à Rome.

Lettre 186

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Florissant, que cet établissement était le meilleur qu’il connût. Un autre avait voulu nous enlever une de nos orphelines et a dit après qu’il avait manqué de réflexion, en a amené une autre et proposé une troisième. Rien ne m’intéresse, parmi les Américaines, comme Mlle Sara Benton. Elle attend le consentement pour son baptême et son admission parmi nous ; il est bien douteux qu’elle l’obtienne, elle est toute jeune1. Notre Père Barat m’a marqué qu’une de celles qui devaient venir se meurt de langueur et que Mère Bardot2 ne viendra pas. Je ne le regrette pas sous le rapport de ses maladies singulières que ma sœur Catherine a racontées. Il faut dans ce pays des têtes bien assises à cause de l’épreuve du climat. Il y a pour cela des exemples marquants. Je pense, ma bonne Mère, qu’à raison de l’énorme distance, des frais inutiles, je suis dispensée d’écrire aux supérieures de chaque maison comme les Constitutions l’insinuent3, mais ou je me répéterais, ou je ne dirais que des riens. Vous êtes le centre universel de toutes les affaires comme de toutes les affections et je pense qu’en parvenant à mes Mères et Sœurs par votre organe, les témoignages que je leur en donnerai seront plus agréables. L’ordre du dimanche et celui du noviciat est dérangé : le dimanche à cause de la messe de 11 heures et vêpres à 3, le noviciat parce que toutes les novices ont un emploi et qu’il est difficile de les réunir aux heures marquées. Le règlement général qui nous a été envoyé n’est point celui qui était suivi à Paris ou à Grenoble, pour l’ordre du jour ; il contient aussi des choses qui ont été abolies dans le premier Conseil général [de 1815] ; cependant je le laisse sans y toucher, espérant recevoir les arrêtés du second Conseil [de 1820] d’après lesquels on pourra le corriger. Nous avons toujours cinq novices, 26 pensionnaires à 140 piastres par an ou 700 F, mais tout le monde dit qu’il n’y aura plus d’argent dans deux mois, alors nous hausserons pour le papier avec lequel on ne peut payer ses dettes et, dès maintenant, plusieurs ne paient qu’en marchandises et plusieurs avec rabais. 1

2 3

Mgr Dubourg s’oppose à ce que l’on baptise « la jeune B. » sans le consentement de ses parents, car « ce serait contre toutes les règles de l’Église ». En recevant le baptême des mains d’un ministre protestant, dit-il à Philippine, le 11 octobre 1821, « elle n’en recevra pas moins la grâce et le caractère d’enfant de Dieu de son Église, si son cœur est bien disposé. C’est ce que vous pouvez lui expliquer. » Lettres de Monseigneur Dubourg, évêque de la Louisiane, intéressant l’établissement des Dames du Sacré-Cœur dans son diocèse, C-VII 2) c Duchesne to various Eccles., Box 8. Adèle Bardot (1781-1828), RSCJ, amie d’enfance de Sophie Barat, professe à Amiens en 1805. Article 325 des Constitutions de 1815 : « C’est encore dans cette même vue (l’union) que l’on désire des rapports fréquents des supérieures locales entre elles. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

L’école externe est gratuite, à part quelques œufs ou poulets, ce qui donne la consolation de dire qu’on paie. Nous avons à notre service un homme dans le genre de Frère Fonsala ; il a sa femme, une petite maison que nous avons bâtie ; nous n’avons qu’à le payer. J’espère que ma Mère Bigeu est rétablie. Je lui écrirais si je ne craignais de manquer ce steamboat. Je vous prie de lui offrir mes respects, ainsi qu’à nos Pères, à Mère [Eugénie] de Gramont et à toutes nos Mères. Je suis, dans le Cœur de Jésus, avec une profonde vénération, ma bien digne Mère, votre bien indigne fille. Philippine Duchesne Nos Sœurs vous offrent tous leurs respects les plus tendres. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne Faubourg Saint-Germain À Paris

LETTRE 187

L. 44 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Rec. à St Antoine de Padoue Ce 6 mars 18221 N° 30 Ma bien digne Mère, Je viens de vous écrire, le 18 février, par le premier steamboat qui soit parti depuis l’hiver. Il était inutile que je le fasse par quelqu’une 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Mars 8 ; Paris, 13 mai 1822. J. de Charry, II 2, L. 153, p. 60-65. Cf. Ch. Paisant, p. 432-435.

Lettre 187



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des villes de l’Est où la navigation ne commence à être possible qu’en avril. Je prends cette voie, car ma lettre arrivera justement à New York à l’époque où le port se dégage. Ma lettre vous parviendra plus tôt par là. Mais je crois toujours que les vôtres m’arriveront mieux par La Nouvelle-Orléans d’où les occasions sont fréquentes, ce qui évite les ports. D’ailleurs, je ne me suis pas aperçue qu’aucune se soit égarée. Il a fallu que M. Mullanphy soit arrivé à New York avant les glaces, car je reçois votre lettre, timbrée de cette ville par la poste, où sûrement il l’aura mise, ne pouvant lui-même se mettre en route. On dit cependant que depuis l’arrivée de Monseigneur, les routes, alors impraticables pour des femmes, sont beaucoup meilleures à présent. Je suis bien fâchée que vous ne lui ayez pas confié nos Sœurs1. Il est à craindre que leur passage devienne aussi coûteux et plus dangereux, bien plus désagréable sur un vaisseau français que sur les américains qui sont plus réservés ; les dames Mullanphy sont du premier mérite. Il vous tarde d’apprendre l’effet qu’a produit votre lettre sur notre cœur. Je ne sais pas s’ils pouvaient augmenter en reconnaissance, surtout le mien qui vous doit tout, mais je sais que nous voilà libres du plus lourd fardeau et qu’il est bien doux d’être soulagée par sa Mère. Une de mes dernières a déjà dû vous tranquilliser par l’espoir d’être aidée de Mère Eugénie2 et Monseigneur nous ayant dit de n’être pas en peine pour le payer. Cependant, forcé par la disette d’argent, il m’écrit pour me dire de compter, si je puis, 1 000 F à son économe qui, tout de suite, demande lui-même 1 500 F, ce qui était justement ce que Mère Eugénie avait déjà laissé pour nous à La Nouvelle-Orléans, ce qu’on a su. Ainsi, je m’attends à d’autres demandes. Elles sont justes, car il a bien peine à soutenir le séminaire [des Barrens] et les prêtres de la Haute-Louisiane. Les voyages sont très coûteux. Il était, le 26 décembre aux Opelousas, le 27 janvier à La Nouvelle-Orléans et est maintenant dans la Floride3, où on ne reconnaît pas encore son autorité. Il a beaucoup de terres, mais j’apprécie peu cette richesse pour ceux qui ne peuvent travailler eux-mêmes ou qui n’ont pas des foules d’esclaves qu’alors on fait marcher avec des fouets. Pour nous, la culture, comme je l’expérimente, coûte plus que ne valent les récoltes, sans cesse dévastées par les troupeaux errants du pays. J’en excepte un verger-jar1 2 3

La Mère Barat préférait attendre un vaisseau du roi qui accordait al gratuité du voyage, mais elle dut choisir un bateau privé pour avoir un accompagnement sûr. Mme Smith devait rembourser le voyage des missionnaires. Après avoir été colonie espagnole jusqu’en 1819, la Floride a été incorporée aux États-Unis, mais elle n’est devenue État qu’en 1845.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

din, etc., et les terres qui nous dominent ; ainsi l’intention de Mme de la Grandville1 pourra être remplie pour nous délivrer d’un voisin incommode qui nous menace de tuer nos vaches quand on chasse ses cochons de nos enclos. Je trouve plus de 6 400 F reçus depuis notre arrivée ici : mars 1820 1°) 1 000 F reçus par M. Martial, dont 1 000 F il a payé fret et droits avril 1820 2°) 1 000 F reçus par Monseigneur en 1 000 F déduction de notre dette déc. 1820 3°) 3 000 F par lettre de change (ré3 000 F duits à 2 855 par le change) juin 1821 4°) 1 000 F remis pour nous à l’abbé 1 000 F de la Trappe à une époque 5°) à l’abbé de la Trappe 313 F inconnue à une autre 6°) à l’abbé de la Trappe 360 F 6 673 F Il y a encore, outre cela, deux dons de la Mère de Gramont, de Quimper, dont l’un employé en livres, mais il est difficile à cette distance de vous dire rien de plus précis sur ces petites sommes. On me dit : « Vous avez reçu à La Nouvelle-Orléans ; cela y reste en attendant une occasion. » Ou : « Monseigneur a arrêté pour payer pour lui ou pour nous quelques commissions » ; ou on en a le détail à plusieurs mois de distance. On ne sait plus comment rapprocher tout cela, mais je crois que tout ce qui a été annoncé de France est arrivé. Nous allons redoubler de dévotion pour saint Antoine de Padoue. Je lui avais promis, au mois d’août, que si, au 1er janvier, nous étions libres de dettes, nous prendrions une pensionnaire gratuite, et voilà votre lettre du mois de septembre qui nous ôte notre plus forte épine. Ce qui reste ne nous mettra pas dans l’embarras que j’appréhendais ; ainsi je désire remplir ce vœu, seulement je voudrais savoir s’il peut suffire d’appliquer notre charité à une enfant qui est déjà dans la maison et que nous aurions sans cela gardée par motif de religion. Nous attendons quatre pensionnaires qui compléteront les 30 que nous pouvons avoir seulement, notre chœur séparé de l’église par une balustrade ne pouvant contenir plus de monde, non plus que le dortoir, la classe et le réfectoire. 1

Ses dons avaient été faits pour acquérir des terres.

Lettre 187



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Ainsi, ma bonne Mère, voilà l’établissement des Opelousas fortifié et ne vous étonnez pas que dans cette neuvaine à saint François Xavier, dont le grand cœur embrassait tout le monde, je vous demande encore de songer à d’autres colonies. C’était l’objet de ma dernière lettre où j’ai encore oublié de vous dire qu’on ne peut être nombreuses au même endroit ; comme on ne peut faire ici des ouvrages d’agrément ou pour le dehors, on ne saurait comment occuper les novices dont la plupart ne sont du tout propres aux études, mais il ne manquera pas de sujets pour de petites écoles. J’ai la douleur de recevoir la réponse du père de Sara Benton qui lui refuse d’être catholique. Je crains qu’on ne vienne la chercher et elle craint elle-même de ne pouvoir se soutenir seule. Elle ignore cette douloureuse nouvelle. Que je suis fâchée qu’on ne puisse la baptiser sans le consentement des supérieurs ! Répondez-moi l’avis des Pères sur cette question. Elle veut être religieuse et est instruite. Je vous prie de dire à votre frère que nous avons ici de très bons catéchismes anglais et que Monsieur Anduze a écrit au collège de Georgetown pour Rodriguez anglais1 et autres bons livres ; mais il s’est perdu la petite caisse, que Mme Jouve m’envoie, de galons, fil, soie. Je désirerais savoir à qui Mme Fournier, sœur de Monseigneur, l’a adressée et sa marque. J’ai deux ornements blancs que je ne puis faire, et toutes les fêtes, même le Sacré Cœur, sont en blanc ici. Un des deux était déjà donné par Mme Jouve. Je me réjouis bien du nouvel établissement au Mans et des grâces accordées au tombeau d’Aloysia dans cette maison si chère2. La lettre de la nouvelle Aloysia m’a fait beaucoup de plaisir. Voyez à vos pieds, ma digne Mère, toute votre pauvre famille. Vous ne parlez point de nos novices. La plus parfaite, Sœur Régis, sollicite beaucoup pour faire ses vœux au bout de l’année, au mois de mai. Réponse à son désir, je vous prie. Nous nous portons assez bien. Je suis, dans le Sacré Cœur, avec une profonde vénération, ma digne Mère, votre bien indigne fille. Philippine 1

2

Le Traité de la Perfection chrétienne du P. Alphonse Rodriguez (1526-1616), SJ, était alors l’ouvrage de base de la formation des novices. M. Anduze, lazariste, professeur au collège de Saint-Louis et ami des religieuses de Florissant, se le procure en anglais auprès des Jésuites de Georgetown. Après la mort d’Euphrosine (Aloysia) Jouve, des miracles attribués à son intercession se sont multipliés sur son tombeau, à Sainte-Marie d’En-Haut. Sa sœur Amélie a repris son nom de religion, pratique que le Conseil général de 1826 supprimera.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Mes respects à nos Pères, Mères et Sœurs. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur, rue de Varenne Faubourg Saint-Germain À Paris en France By way of New-York

LETTRE 188

L. 6 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 8 mars [1822]] Monsieur et Révérend Père, J’ai reçu votre réponse à mes deux lettres. Je vous remercie de la promesse que vous nous faites pour le temps des vacances et j’en connais tout le prix, ainsi que toutes mes sœurs. Vous avez été bien bon de me répondre parmi tant d’affaires et avec votre bras malade. Monsieur Cellini2 nous a appris l’heureuse nouvelle que vous étiez tout à fait rétabli. Voilà une nouvelle connaissance de votre Société de la Mission. Celle de Monsieur Dahmen nous intéresse bien et nous vous prions de ne pas le retenir en l’absence de Monsieur Delacroix qui part deux jours après Pâques. L’état pénible de la personne dont je vous ai parlé a continué ; elle s’est confessée à Monsieur Cellini. J’attends plus de paix pour elle après cette 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1822 Mars 8, Mme Duchesne, Florissant. » François Cellini (1781-1849), médecin à l’hôpital Santo Spirito de Rome, arrivé en 1819 à Saint-Louis, entre au noviciat lazariste des Barrens. Il pratique la médecine pendant quelques années, est aumônier de la maison de Grand Coteau, de septembre à novembre 1822. Mais suite au conflit avec Mgr Dubourg, concernant la donation de Mme Smith pour un collège, il est remplacé par Léo De Neckere. En 1825, il va à Rome, quitte la Congrégation de la Mission, mais revient au Missouri en 1826, après le départ de Mgr Dubourg. Il est décédé en 1849 à Saint-Louis.

Lettre 189



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bonne entrevue qui ne m’empêche pas de regretter un des vôtres [M. de Andreis]. Elle est à ce point de tentation de penser mal de notre divin Sauveur, de ses ministres, etc. Je vous prie de faire pour elle dans vos prières ce que l’éloignement ne vous permet pas de faire par un entretien. Je suis avec respect dans le Sacré Cœur, mon Révérend Père, votre très dévouée servante. Philippine Duchesne, sup. Ce 8 mars [1822]

LETTRE 189

L. 13 AU PÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Rec. à St Antoine de Padoue1 Ce 1er avril 1822 Mon bien bon Père, Vous avez déjà vu par une précédente lettre et par celle que j’ai écrite à ma Mère que je crois avoir reçu tout l’argent annoncé par vos lettres ; celle du 9 septembre ne m’assurait rien du départ de nos sœurs et les voilà arrivées heureusement sur les ailes de la Providence toujours bonne pour nous. Il est encore à remarquer qu’elles sont arrivées le 2 février, fête de la Sainte Vierge. Monseigneur a été le premier à m’en donner la nouvelle ; il a dû faire partir Mère Xavier [Murphy] pour les Opelousas et nous conduira lui-même Mère Lucile [Mathevon] qui m’a aussi écrit, mais sa lettre qui détaillait son voyage ne m’apprenait rien de nos Pères et de nos Mères de France. J’en ai conclu que, par le peu d’habitude d’écrire, elle ne savait pas choisir ce qui intéresse le plus dans une lettre ; sans doute, est-elle chargée de quelques-unes pour moi, elle ne m’en dit mot. J’en ai de l’ennui ainsi que du détour que vont faire aux Opelousas les arrêtés des conseils, le sommaire des Constitutions, etc., 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : Bordeaux, Août 1822.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

que nous attendions avec tant d’impatience ; le tout étant dans la malle de Mère Xavier. Mère Joséphine Meyneroux est aussi arrivée à La Nouvelle-Orléans, la veille de Noël. Cette nouvelle m’a bien étonnée ainsi que Mère Eugénie, chez qui elle est déjà. On ne sait ni le motif de son voyage ni qui l’envoie, et il y a tant de diffusion et de détours dans ses lettres que j’y vois presque clairement qu’elle vient contre la volonté de notre Mère qui d’ailleurs m’avait écrit qu’elle cherchait à s’en défaire. Elle demande tout de suite à faire ses grands vœux et dit que c’est vous qui l’envoyez, que vous avez dû m’écrire à ce sujet. Si cela est, la lettre est perdue, car je n’ai pas eu un mot de France sur ce départ. Je vous remercie du cantique sur Aloysia1. Que tout ce que j’apprends d’elle me fait de confusion : je suis bien loin de pouvoir faire le même vœu qu’elle2. Dieu m’a ôté mon admonitrice, Mère Eugénie, mais il m’en a procuré une autre dans la novice à qui vous écrivez, qui s’acquitte de ce devoir mieux que si elle en était chargée, et à ma grande confusion. On croit qu’elle m’aime et elle ne m’estime pas même. Les combats qu’elle éprouve sur cela et par des tentations contre la foi et l’aimable vertu lui ôtent toute la suavité du joug du Seigneur. Dieu fera un grand miracle s’il fait cesser la tempête dans son cœur ; son naturel la portera longtemps à juger ses juges, mais elle ne communique pas ses travers ; on les aperçoit peu même. Ainsi, j’espère qu’elle persévèrera. Ce sont de ces naturels faits pour commander et à qui l’obéissance coûte. Elle nous est nécessaire pour l’anglais, fait la classe 1

2

La reconnaissance à Aloysia Jouve. Complainte de Jésus (et autres chants religieux en vers). À Grenoble, chez Baratier, Imprimeur de l’Évêché, Grand’rue, 1821. Bibliothèques municipales de Grenoble, V. 1733. « Mère Aloysia parut si pure, si innocente aux yeux des personnes qui la dirigeaient, qu’on lui permit de faire le beau vœu que sainte Thérèse n’avait prononcé qu’en tremblant, c’est-à-dire d’accomplir dans ses actions ce qu’elle croirait être le plus parfait. Cet engagement était d’autant plus sublime que cette Mère se trouvait dans la position la plus accablante pour la nature, exposée aux tentations qu’occasionnent les grandes douleurs. (…) Elle disait quelquefois à sa Mère : ‘Le vœu que j’ai fait est bien puissant ; en me rapprochant de Notre Seigneur, il me facilite singulièrement la vertu. Je n’aurais jamais cru qu’il fut si facile et si doux de l’accomplir.’ » Archives Province États-Unis-Canada, Manuscrit de Philippine Duchesne, Vie de Mère Euphrosine Aloysia Jouve, religieuse du Sacré-Cœur, Vol. 2, p. 61-63. D’après le Dictionnaire de spiritualité, t. XII, Beauchesne, Paris, 1984, col. 230-233 : « le vœu du plus parfait engage à faire ce qu’on juge être meilleur, plus agréable à Dieu dans la situation présente concrète. (…) L’acte plus parfait ici et maintenant est celui que l’Esprit saint inspire à la liberté de l’homme. Plus on est uni à Dieu par la grâce, par la charité, plus on est apte à discerner comment accomplir un tel vœu. Le but visé est de progresser par un dépouillement complet de l’amour-propre vers une liberté croissante d’aimer et un don aussi total que possible. »

Lettre 189



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et l’instruction dans les deux langues comme si elle y était employée depuis dix ans1. Je vous ai remercié plusieurs fois de votre précieux recueil, je l’ai reçu en son temps. Il est lu avec empressement de toutes vos enfants. Il faut se réjouir du bien des autres, mais vous ne m’empêcherez pas de m’affliger de ce que nous n’avons point de Jésuites ; ils seraient bien nécessaires. L’âme est bien seule ici. Veuillez, je vous prie, faire donner des nouvelles à notre Mère générale à qui j’ai écrit pour lui témoigner ma reconnaissance des 6 000 F payés à notre créancier. Il était, il y a quelques jours, à la jonction de l’Ohio, on l’attend tous les jours. Le concours de la semaine Sainte, d’une retraite de première Communion, de la préparation au baptême de plusieurs élèves protestantes, tout cela absorbe. Mlle Sara Benton, l’enfant de mon cœur, se nourrit de larmes : elle veut être catholique et religieuse ; ses parents s’y opposent. Pour tempérer sa douleur, nous l’avons reçue « fille de Marie ». Priez bien pour elle : elle réunit tous les avantages. J’ai vu hier Mlle Émilie ; elle ne parle de rien ; j’ai vu que son cœur était troublé, mais elle manque de force. Outre le pensionnat, nous avons huit enfants pauvres, dont cinq sont entièrement à notre charge. J’ai promis pour une neuvième ; nous ferions de cette manière bien des catholiques si nous pouvions augmenter ce nombre. Priez pour le succès. Je suis dans les divins Cœurs, mon bon Père, votre indigne fille. Philippine Mes tendres souvenirs à mes Mères et Sœurs du Sacré-Cœur.

[Au verso :] À Monsieur Monsieur Barat rue de Sèvres N° 35 Paris

1

Les novices de Florissant étaient alors Mary Ann Layton, Émilie Saint-Cyr, Xavier et Régis Hamilton. En 1827, à Saint-Michel, Xavier Hamilton meurt à l’âge de 24 ans . Philippine mentionne, dans sa notice, les rudes combats qu’elle a traversés au noviciat et souligne son don pour l’enseignement.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 190

L. 45 À MÈRE BARAT Florissant, 16 avril 18221

Ma bien digne Mère, Hier, 15 avril, nous avons eu le bonheur de voir notre bien aimée et tant attendue Mère Lucile ; elle a été accueillie comme nous à La Nouvelle-Orléans et à Saint-Louis. M. Pratte l’a accompagnée ici, avec sa fille aînée [Émilie], notre première pensionnaire. Il y a peu de jours que nous reçûmes la visite de notre médecin de Saint-Charles, protestant. Il nous proposait d’ouvrir une souscription pour nous bâtir une maison, s’offrant d’y contribuer plus que personne, disant qu’il avait plusieurs nièces, protestantes comme lui, qu’il nous confierait et qui se feraient catholiques ; qu’elles ne pouvaient venir à Florissant, à cause de la tendresse de leur mère. Il voulait obtenir, de suite, notre consentement, que j’ai suspendu, mais je n’ai pas prononcé le non, voyant tant de conversions qui se préparent là. Toute la classe haute et instruite apprécie par-dessus tout la religion catholique et, si les parents ne l’embrassent pas, ils en viendront bientôt tous à permettre à leurs enfants de l’être. Nous voulions faire baptiser plusieurs de nos élèves le Samedi saint2 ; mais, pour que les parents puissent assister à la cérémonie, nous avons attendu jusqu’à la seconde fête de Pâques3. Nous avions orné les fonts baptismaux, nos élèves étaient en costume. J’ai eu pour filleule la belle-fille de M. Clark, gouverneur et général, homme le plus considéré de Saint-Louis. Mère Octavie a été marraine de Mlle Marthe Marie Madeleine, fille d’un médecin. Nous avons encore été marraines de deux orphelines dont nous étions chargées à condition de les faire catholiques. Elles sont le fondement de notre petit établissement d’orphelines, à l’école externe où elles sont déjà. Outre ces quatre enfants, il 1 2

3

Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 207-208. J. de Charry, II 2, L. 164bis, p. 121-126. Cf. Ch. Paisant, p. 467-469. C’est dans la nuit pascale, célébrée alors le matin du samedi saint, que se faisaient les cérémonies de baptême. La première communion, que Philippine évoque aussi, se faisait le jeudi saint. Le lundi de Pâques, 8 avril 1822. L’usage était alors de baptiser ‘sous condition’ les protestants. D’après le code canonique de 1917, le parrain ou la marraine de baptême ne devait être « ni profès, ni novice d’aucune religion », sauf permission du Supérieur ecclésiastique. Tel est probablement le cas ici.

Lettre 190



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y en avait cinq autres, dont quatre petites filles de l’école externe et un petit garçon qui n’avait pas de bas pour la cérémonie. Nous avons habillé et régalé les pauvres, pour mieux graver dans leurs esprits grossiers ce jour de bénédictions. Cette consolante cérémonie se renouvellera souvent, je l’espère. Ma chère Sara Benton et sa compagne, Caroline Hamilton, ont pleuré tout le jour de n’avoir pas le même bonheur. La première mourra de désir et de douleur, si elle ne l’obtient pas1. Il est bien dur de ne pouvoir aller en avant. Cinq autres pensionnaires protestantes n’aspirent qu’au même avantage, elles disent que l’exercice qui leur plaît le plus, c’est l’instruction [religieuse]. Elles n’avaient jamais entendu parler du jugement, elles demeurent stupéfaites quand on en parle et disent qu’elles ne comprennent pas qu’on puisse y croire et offenser Dieu. Il a y eu aussi, ces jours-ci, trois hommes baptisés dans notre église du Sacré-Cœur. Dieu y fait déjà de grandes grâces. Il y a eu douze premières communions le Jeudi saint, et il y en aura davantage le jour de l’Assomption. Notre confesseur [M. Delacroix] part demain pour la mission des Osages2 qui n’ont pas voulu de ministres presbytériens, à cause de leur habit court et de leurs femmes. Un Lazariste [François-Xavier Dahmen] sera le remplaçant ici. Cette Société nous veut beaucoup de bien. C’est dans la neuvaine de saint Joseph que notre établissement d’orphelines a commencé. L’école externe suffit pour le moment pour les loger. Les restes des pensionnaires les vêtiront et la nourriture est peu de chose. Nous avons du lait à plein seau, la viande à 2 sous 1/2, et nous leur faisons du pain avec du maïs. M. Mullanphy ayant destiné une somme pour un établissement de ce genre, nous espérons nous la faire appliquer et augmenter le bâtiment de l’école, qui est en bois. Je pleure quelquefois de joie en voyant plus de cent personnes qui, d’une manière ou d’une autre, apprennent ici, par notre moyen, à aimer Jésus. Je ne sais que faire pour en louer Dieu. 1 2

Elle sera baptisée et fera sa première communion dans la nuit du 23 mai, mais sera bientôt reprise par sa famille. Cette tribu prend son nom du fleuve Osage. Les Indiens y sont environ 5 800, répartis en trois bandes : Grands Osages, Petits Osages, Arkansas. Leur village principal, de 4 200 habitants, est situé dans le comté du Vernon, Missouri, à la jonction des rivières Marmiton et Little Osage, à 80 milles au sud de Kansas City. Ils ont été évangélisés par le P. Marquette en 1674. M. Delacroix y fait des missions périodiques. De retour le 23 mai, il y repart le 9 août et revient malade le 17 septembre 1822.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Mère Eugénie aura plus de succès, la voilà sur pied. Elle est contente d’avoir porté toute seule les peines du commencement. Dieu bénit visiblement tout ce qu’elle fait, il y a même du merveilleux. Elle me manque bien ici. Je suis, … etc. Philippine

LETTRE 191

L. 14 À MÈRE MAILLUCHEAU

SS. C. J. et M.

Rec. à St Ant. de Padoue Ce 16 avril 18221 Ma bien et respectable Mère, J’aime mieux vous écrire peu que pas du tout. Ma sœur Lucile [Mathevon] est arrivée hier ; je n’ai que la nuit pour lire mes chères lettres et répondre aux plus pressées ; le steamboat repartant de suite, il faut achever avant le jour. Ce silence de la nuit prête aux sentiments du cœur. Le mien est toujours ému en pensant à ma Mère Thérèse, à nos doux entretiens, au rocher, à Morgane, au saint Père, etc. Ces murs, dont la vue m’attendrissait de reconnaissance, me deviennent bien plus chers maintenant qu’ils contiennent la dépouille mortelle, non d’une nièce, d’une élève chérie, mais d’une épouse du Sacré Cœur qu’il s’est unie par la souffrance et dont il glorifie l’humble fidélité2. Je vous remercie d’avoir préparé les détails de sa précieuse vie et de veiller à ce qu’ils me parviennent. Faites prier pour moi sur cette tombe, que nous avons visitée ensemble sans prévoir qu’un jour, elle serait un sanctuaire. Envoyez-moi de ses reliques et de celles de Monsieur d’Hyères. Je vous prie d’offrir mes respects à Monseigneur, à Monsieur Bouchard, à Messieurs Rivet et Rambaud. Toutes mes bonnes et anciennes 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Euphrosine Jouve, dite Aloysia, est décédée le 21 janvier 1821.



Lettre 192

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sœurs me sont présentes, mais je ne puis toutes les nommer. Je vous prie aussi, mes Mères de Lacroix, Balastron et Second de recevoir en particulier mes tendres souvenirs et de les offrir à leurs chères Sœurs et aux miennes. Je vous recommande nos enfants sans religion encore, qui désirent toutes le baptême. Cinq l’ont reçu, la 2e fête de Pâques. Les parents s’opposent pour les autres, mais bien des grâces nous sont préparées ; il semble que bien des cœurs ne cherchent qu’à s’ouvrir à la grâce. Prions pour qu’elle leur soit communiquée. Je suis dans le Cœur de Jésus et de Marie toute vôtre, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Thérèse Maillucheau Supérieure des dames religieuses du Sacré-Cœur À Sainte-Marie À Grenoble Isère

LETTRE 192

L. 46 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, 24 juin 18221 N° 32 Ma bien digne Mère, Je profite de la belle saison pour envoyer cette lettre par New York, espérant qu’elle vous arrivera plus promptement, mais ne prenez pas la même voie car les lettres que le Père Barat nous avait fait passer par le Père Recteur de Washington ont été plus de huit mois à nous parvenir, par la raison que, de ce côté, la navigation est interrompue dès les premiers 1

Copie, A-II 2 g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 331-333. J. de Charry, II 2, L. 157, p. 76-80. Cf. Ch. Paisant, p. 473-475.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

froids, au lieu qu’on parvient toujours à La Nouvelle-Orléans. Il me tardait bien de vous écrire ; j’ai différé pour attendre le retour de Monseigneur1. Mais c’est trop attendre et, si à son arrivée, j’ai plusieurs choses d’intéressant à vous marquer, j’aurai de nouveau la consolation de vous écrire. Il va sûrement proposer un établissement pour Saint-Charles, ainsi que je vous l’ai marqué, ou pour La Nouvelle-Orléans. Les habitants de Saint-Charles nous désirent, même les protestants, on aura là une école nombreuse externe car, pour des pensionnaires, l’argent ayant disparu, il y en aura très peu ici et point-là2. Nous aurons bien peine à tenir nos vingt enfants jusqu’aux vacances (mois d’août) et nous n’attendons plus d’enfants que de deux ou trois négociants du Missouri et de quelques arpenteurs ou autres employés du Congrès ; ceux-là seuls pourront payer. Mais, à mesure que l’argent est rare, les denrées sont à bon compte, ainsi nous vivrons, ainsi que nos novices et six orphelines à notre charge. Il en sera de même à Saint-Charles, si on a là maison bâtie, et on a par-là le seul avantage que nous ayons prétendu en venant ici, qui est d’étendre l’instruction et d’aider à l’entretien d’un prêtre, dont aucun, dans la Haute-Louisiane, ne peut vivre du revenu de sa paroisse. Si vous approuvez ce plan, je voudrais bien que vous décidassiez qui, de Mère Lucile ou de Mère Octavie, serait là à la tête. Mère Lucile s’entend mieux à toute la conduite d’une maison, mais elle ne sait pas l’anglais et il y aurait de l’inconvénient à [la] mettre trop en rapport avec les parents de nos novices américaines. […] Mère Lucile a gagné tous les cœurs dans la maison et aux externes. Chacun admire son dévouement et ses autres vertus, surtout Mère Octavie […] Quant à Sœur Catherine, son zèle ne peut se contenir dans un village ; elle a toujours en tête ou Saint-Louis ou La Nouvelle-Orléans […] La novice dont je vous avais parlé est mieux, les autres vont bien. Nous en avons une nouvelle, coadjutrice, née à Sainte-Geneviève, appelée Judith Labruyère3 ; elle a pris avec l’habit le nom de Sœur Ignace, le jour de la fête du Sacré Cœur. 1 2 3

Il est alors en Basse-Louisiane et en Floride et ne sera de retour à Saint-Louis qu’en juillet. Très peu de pensionnaires à Florissant et aucune à Saint-Charles. Judith (Ignace) Labruyère (1801-1831), RSCJ coadjutrice, née le 1er  Janvier 1801 à Sainte-­ Geneviève, Missouri, arrivée le 31 décembre 1821 à Saint-Ferdinand, est entrée au noviciat le 14 juin 1822, a fait ses premiers vœux le 25 juin 1824. Envoyée à la fondation de Saint-Michel (Louisiane) en 1825, elle a fait sa profession en 1830, lors de la visite de Philippine. Elle est décédée l’année suivante. Voir sa notice, C-VII 2) c Duchesne-Writings about the history of the Society, Box 1, Vies des religieuses du Sacré-Cœur en Amérique. Voir au chapitre IV notice 1.

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Nous avons eu deux mois de bénédiction ; l’enfant si intéressante dont je vous ai parlé [Sara Benton], qui voulait être catholique et des nôtres, a soutenu de violents assauts et toujours des refus. Malgré cela, il a été de l’avis de plusieurs prêtres de la baptiser et de lui faire faire sa première Communion, ce qui a eu lieu le 23 mai à minuit. Elle est l’exemple du pensionnat et elle est vraiment prévenue de la grâce ; nous attendons tous les jours qu’on l’enlève ; elle est bien ferme. Il y a encore deux autres baptêmes de protestantes et plusieurs qui le désirent vivement. Mlle Émilie Chouteau1, dont vous avait parlé Monsieur Inglesi, reprend sa vocation ; mais point de consentement de ses parents, non plus que d’autres. SaintLouis est comme Malacca, du temps de saint Xavier, c’est tout dire. Vous êtes effrayée, ma digne Mère, de la proposition d’un nouvel établissement, mais pensez que c’est le seul moyen de nous soutenir, parce que là nous pourrons recevoir plus de sujets, ayant plus de moyens de les nourrir et loger. Vous voyez qu’en un an, Mère Eugénie va se trouver aussi avancée que nous, qui existons depuis quatre ans. Il en sera de même à Saint-Charles, le tout est d’avoir l’esprit de sacrifice. Si on établit des prêtres aux Osages, on voudrait aussi deux sœurs pour l’instruction ; mais là, mort de la nature entière. Il faudrait aller contre toute prudence, cependant je serai bien aise de m’y dévouer, si vous le jugez à propos, dans le temps. La Mère Lucile m’a dit que votre vue s’affaiblissait beaucoup, j’en ai été bien touchée dans la crainte de pouvoir moins correspondre avec vous ; vous devez avoir de la peine souvent à me lire, mais nous n’avons pas tout à souhait pour écrire bien. Pendant que notre confesseur a été aux Osages, qui l’ont bien reçu et lui ont promis des terres, nous avons eu à Saint-Ferdinand un Lazariste [M. Dahmen] qui, quoique ayant fait la guerre cinq ans avec Bonaparte, a tout l’extérieur, la vertu et jusqu’à la voix de Monsieur Rambaud, le cadet. Il paraît destiné pour Saint-Charles. Monseigneur nous a envoyé deux beaux tableaux, l’un pour Mère Octavie, représentant la vision de saint François pour la Portioncule, l’autre pour moi, de saint Régis mourant soutenu par un ange, voyant Jésus et Marie qui l’attendent ; il est extrêmement touchant. Nous l’avons placé sur son autel, dans notre chœur, à la place de celui de saint Michel. 1

Émilie Chouteau (1802-1843), une des premières élèves du Sacré-Cœur à Florissant, est la fille d’Auguste Chouteau, co-fondateur de la ville de Saint-Louis, et de Marie-Thérèse Cerré. Ses parents refusèrent son projet de vie religieuse. En 1825, elle épousa le Major Thomas Floyd Smith de l’armée américaine.

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Nous aurions besoin d’une bannière de la Sainte Vierge ; nous avons porté notre statue, déjà bien gâtée, à la procession du Saint-Sacrement qui s’est faite dans notre clos ; tout s’est bien passé, même de la part des protestants qui y sont venus. Nous voudrions que, l’année prochaine, nos bannières ne soient pas si mesquines ; c’étaient des images de papier au milieu d’un morceau d’étoffe. Le jour de la fête du Sacré Cœur, nous avons de nouveau fait la procession et avons eu plusieurs messes, dont une avec diacre et sous-diacre. Pour ne pas trop grossir cette lettre, je me jette à vos pieds pour être bénie de ma Mère, étant dans le Sacré Cœur son indigne fille. Philippine Mes respects à notre Père Joseph [Varin], Perreau et Louis, votre bon frère. On me dit que nous n’aurons pas de ses lettres pendant sa grande retraite.

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L. 10 À MADAME DE MAUDUIT, À GRÂNE PRÈS LORIOL (DRÔME) Saint-Ferdinand, 29 juin 18221

J’ai su, ma bonne amie, que tu avais été malade, et depuis personne ne m’a parlé de toi. Je viens donc m’informer moi-même de tout ce qui te touche ; il me semble que des liens particuliers m’unissent à toi, c’est sans doute notre commun amour pour saint Régis ; je te prie de faire une neuvaine pour moi dans l’église de Grâne où il a commencé à me faire sentir sa protection. Nous avons maintenant deux établissements en Amérique, à 400 lieues l’un de l’autre ; et il s’en prépare plusieurs dont je te prie de recommander le succès à saint Régis. Ce n’est qu’en les multipliant que nous pourrons remplir notre but : le pays est trop pauvre et la population trop rare pour former ici de grands établissements. Il est doux de travailler dans l’obscurité et cela convient à notre petitesse. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 107-108 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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Je te prie de me rappeler à tes filles, surtout à Amélie ; dis-moi si sa piété se soutient, combien elle a d’enfants ? Comment va ton mari ? Comment soutiens-tu ta solitude ? Combien je te désire cette abondance de consolations qui se trouvent dans le Cœur de Jésus et qui dédommagent des privations les plus amères à la nature ! Je suis souvent occupée de ma bonne sœur, et je ne cesse de lui souhaiter tout le bonheur qu’elle mérite et que son âme sensible préparait aux autres suivant son pouvoir. Je suis dans le Cœur de Jésus, ton amie Philippine

LETTRE 194 L. À MÈRE D’OLIVIER, [À LA FERRANDIÈRE, LYON]1 Juillet 18222 Il y a longtemps que j’avais le désir de vous écrire, ayant appris de plusieurs personnes avec combien de joie et de zèle vous vous employez 1

2

Marie d’Olivier, née à Nîmes en 1778, entre au noviciat à Amiens, en juillet 1804, fait ses vœux en 1806. Elle se situe rapidement comme leadership en développant une conception de l’éducation des femmes qui comprend, non seulement, les pensionnats pour les filles de classes dirigeantes, mais aussi pour la classe moyenne émergente, ainsi que des écoles gratuites pour les pauvres, des centres de formation d’enseignants et des programmes de formation continue. Elle suggère que la Société du Sacré-Cœur s’engage, non seulement, dans l’ensemble de ces projets, mais aussi, publie un journal qui aiderait les jeunes femmes dans leur vie, à la sortie de l’école. Madeleine-Sophie Barat était favorable à ses idées, très en avance sur son temps, mais elle n’avait pas les ressources nécessaires pour les mener à bien. Dans une lettre à Madeleine-Sophie, le 7 avril 1841, Marie se compare à Philippine Duchesne, comme pionnière en territoire inconnu. Elle était alors supérieure de la maison de Beauvais, mais son désaccord avec les décisions du Conseil général de 1839 et son refus de se séparer d’une des écoles des pauvres, que la Mère Barat voulait supprimer (1840-1841), la conduisirent à quitter la Société du Sacré-Cœur en 1842 ou 1843 et à rentrer dans sa famille. Cependant elle continua à se considérer religieuse du Sacré-Cœur jusqu’à sa mort, en 1868. Elle écrivit de courtes Méditations spirituelles et des ouvrages, dont certains ont été plusieurs fois réédités au XIXe siècle : Lettres aux jeunes dames du monde, Correspondance de Marie, Correspondance de Sophie, Dialogues des vivants au XIXe siècle, Les Trois Paulines, Le Nouveau Robinson, Nouvelles et Légendes pour l’éducation des jeunes personnes, l’Imagination ou Charlotte de Drelincourt, Librairie de l’Œuvre des agrégations, Paris. Cf. Ph. Kilroy, The Society of the Sacred Heart in Nineteenth-Century France, 1800-1865, Cork, 2012, Cork University Press, p. 87-132. Copies : C-VII  2)  c Duchesne to RSCJ and Children, Box  4 ; C-III  1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane 1818-1822, p. 110-113 ; Part B : Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 298-302.

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à notre mission. Entre plusieurs choses qui me sont venues de France, soit dans une boîte remise à M. Mullanphy, soit par Madame Lucile [Mathevon], je n’ai pas pu bien distinguer ce qui m’était envoyé de votre part. J’aurais eu un vrai plaisir de le connaître spécialement, quoique j’apprécie beaucoup la modestie avec laquelle vous offrez vos présents. C’est bien le cas de ne pas vous lasser, car si Dieu nous fait la grâce de multiplier nos travaux et nos établissements, n’allant que dans des lieux dépourvus de tout, il faudra partout le secours de la charité. Il n’y a presque plus d’argent dans ce pays ; les billets sont sans valeur, et quand ils en auraient, on ne trouve point dans les États-Unis des objets pour le culte divin ; nous avons déjà bien de la peine à garnir nos trois autels : deux à l’église, celui du Sacré Cœur et celui de la Sainte Vierge, et un dans notre chapelle au chœur, celui de saint François Régis que nous devons lui élever par obligation d’un vœu fait pour obtenir notre transport en Amérique. Quand j’ai mis au maître-autel du Sacré Cœur la croix et les chandeliers donnés par Madame de Marbeuf, il ne nous reste plus rien qui vaille pour les autres, et cependant les grandes fêtes, nous avons le Saint Sacrement exposé dans notre chœur, la quantité de personnes de différentes religions qui se trouvent souvent à l’office de l’église, ne permettant pas de l’exposer, pour éviter les irrévérences. Monseigneur ne le permet pas ; c’est ce qui me fait désirer une seconde garniture de chandeliers de bois doré pour l’autel du Saint-Sacrement, avec des vases de fer blanc peint, ou tout au moins une main de papier doré pour recouvrir nos vases de bois brut et nos cartons remplis de cendres pour y mettre nos fleurs en papier. La grande dentelle que, sans doute, vous avez envoyée dans la petite boîte, a rendu le plus grand service le jour de la Fête-Dieu ; elle fait à double le tour du dais, sous lequel était le Saint-Sacrement à la procession, qui avant était de coton blanc devenu roux de vieillesse et marbré par l’eau des gouttières et les piqûres de mouches. Quatre bouquets de roses, plantés aux quatre coins, remplaçaient les plumes d’oie ou de coq qu’on y mettait, ce qui l’a fait trouver bien élégant ; il était porté par un Américain et un Français. Nous étions les plus près du Saint Sacrement. Quatre des plus grandes novices portaient l’arc de triomphe où nous avions mis notre Sainte Vierge ornée de toutes les autres dentelles et rubans de la petite boîte ; deux rubans de mérite tenaient les premiers rubans et conduisaient le chant avec nos Sœurs. Les externes étaient de la bannière de saint Louis de Gonzague et les pensionnaires de celle du Sacré Cœur. Les femmes, qui nous devançaient, portaient celle de la Sainte Vierge ; et les hommes et les jeunes gens, qui étaient à la tête,

Lettre 194

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portaient la Croix et la bannière de saint Ferdinand et de saint Régis, composée de deux images de papier, représentant chacune un de ces saints et appliquée sur du taffetas. La procession a fait le tour de notre champ semé d’avoine, qui était bien verte et qu’on a coupée aux contours qu’on suivait, ce qui faisait le plus agréable tapis vert. Le reposoir était dans la partie la plus élevée du champ. Cette procession s’est faite avec respect, même de la part des protestants qui y étaient en grand nombre. On goûte beaucoup ici ce genre d’exercice de dévotion et il me tarde bien que nous ayons pour le faire une bannière de la Sainte Vierge, moins laide, et une de saint Régis notre patron et une de sainte Sophie. Si quelqu’une de vos compagnes sait peindre, elle ne saurait mieux employer ses talents. J’ai barbouillé autrefois, mais je n’ai fait que couvrir quelques immodesties d’Italie. J’ai mis un fichu à sainte Agathe, un linge à l’Enfant Jésus, un nuage sur le corps d’un ange. J’ai même, d’une religieuse qu’on m’avait donnée et qui avait une figure mâle, fait un saint Ignace en chasuble, mais ce défaut de couleur et d’habileté m’empêche d’essayer une figure. Les Osages ont promis de recevoir les prêtres qui iraient chez eux ; c’est une nation sauvage qui donne le ton à plusieurs autres. Un prêtre doit bientôt y commencer l’établissement ; il n’a pu y rester longtemps la première fois, parce que le temps de la chasse arrivait ; il fut accompagné de traiteurs français et de plusieurs Métis pour servir d’interprète et pour l’aider à manger, car ce serait chez ces peuples manquer de civilité de rien laisser ; et il eut à faire face à 30 dîners qui lui furent offerts dans la même journée. Pour s’en tirer, il touchait à quelque chose et ensuite, le faisait passer aux Métis qui mangent comme des bœufs, ainsi que les Sauvages qui, n’ayant pas plus de prévoyance, sont souvent plusieurs jours sans manger. Le jour où il dit la messe, il baptisa des milliers d’enfants ; les Français étaient placés d’un côté et les chefs des Sauvages de l’autre. Pendant l’instruction, les ministres presbytériens qui sont allés là chargés d’aumône pour la conversion des infidèles, écoutaient aussi : il serait bien intéressant de prendre les devants. Ils n’ont pas pu prendre beaucoup de crédit parce qu’ils ont des femmes ; d’ailleurs les Sauvages de ces pays-ci aiment mieux les Français et ce qui vient d’eux, que les Américains, c’est ainsi qu’on nomme ceux des États-Unis. On rapporte d’un Sauvage qu’il disait à l’un d’eux : « On nous a dit que le grand-père (le roi) d’Espagne avait donné les terres au grand-père (le roi) de France : alors les arbres de la forêt sont tombés et il y eut un grand feu et des danses. Mais, ensuite, on nous a dit que le grand-père de France avait donné ces terres

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

à toi l’Américain, et alors les arbres ne sont plus tombés et il n’y a plus eu de feu ni de danses, mais seulement des charbons (grand deuil). » Pendant la messe de notre prêtre, on avait donné 2 cochons et un chevreuil à 6 Sauvages pour apprêter à manger ; ils ont trouvé la cérémonie trop longue et ont tout mangé entre eux. Ce qui montre la patience de ces nations, c’est que les chefs ne s’en sont point fâchés, ils ont seulement dit : « Il fallait qu’ils eussent bien faim. » Ils étaient venus 40 au grand galop au-devant du prêtre pour avoir l’honneur de lui baiser la main les premiers et ils sont retournés de même au village pour avoir l’autre honneur d’annoncer les premiers son arrivée. Dans le conseil qu’ils ont tenus pour savoir s’ils admettraient le prêtre, ils lui ont répondu : « Nous sommes bien aise de t’avoir ; nous sommes fâchés de ne t’avoir pas vu plus tôt ; viens et tu diras vrai, ce qui signifie : tu obtiendras ce que tu demanderas. » Les marchands s’établissent au centre de la nation ; on y bâtira une église, deux prêtres c’est trop loin pour être (mot absent). On leur a dit que les dames noires pourraient instruire leurs filles et je ne doute pas que quelques-unes de nous y aillent un jour. Je recommande instamment à vos prières plusieurs de nos élèves de familles protestantes. Quatre ont déjà reçu le baptême catholique, mais deux l’ont reçu en secret et la plus ferme a fait sa première Communion à minuit. Plusieurs autres désirent être catholiques. Nous avons aussi plusieurs élèves dans le monde, qui soupirent après leur admission [au noviciat]. Notre Société consiste en 5 professes, 6 novices, une postulante, 25 pensionnaires, 50 externes. Il y a au nombre des externes 10 enfants, dont 5 sont orphelines et entièrement à notre charge. Les 5 autres étant dans une habitation éloignée restent toujours dans l’école ; 3 y couchent et on leur porte à manger. Ainsi nous comprenons trois sortes de bonnes œuvres. Le chant de l’église est aussi presque tout à notre charge et nous avons la consolation d’employer tout ce que nous avons de voix pour le bon Dieu. Demandez-lui que nos cœurs soient semblables à celui de Jésus. Je suis en Lui toute vôtre, Philippine Duchesne, Nos respects aux dames de Lyon et Grenoble, surtout aux aspirantes.

Lettre 195

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L. 47 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Florissant, 19 juillet 18221 Ma bien digne Mère, Monseigneur est arrivé depuis quelques jours, il m’a appris le départ de Mère Joséphine Meneyroux pour la France, celui d’une sœur coadjutrice de La Nouvelle-Orléans, l’émission des [derniers] vœux de Mère Xavier Murphy, la difficulté qu’elle a à s’habituer et enfin le besoin urgent de soulager Mère Eugénie. Tout cela joint à un profond silence de sa part, qui ne lui est point ordinaire, et qui m’a fait soupçonner quelques infidélités dans les commissionnaires, me décide à accompagner les deux jeunes Sœurs que je lui destinais, l’une du chœur [Émilie Saint-Cyr, dite Joséphine] qui a fait aujourd’hui ses premiers vœux, en considération de ce grand voyage et de son courage à décider elle-même ses parents à ne plus la voir. La seconde, novice coadjutrice [Mary Mullanphy], pour faire la cuisine que Mère Eugénie fait encore. Mère Lucile, qui est à tout, facilite ce voyage que Monseigneur a décidé promptement pour profiter du départ de quatre prêtres par le même steamboat, qui pourra, en remontant, me ramener avant les grands froids. Monseigneur, qui a donné les prix aux Opelousas, dit que les enfants y font des progrès étonnants. On a dit, à Saint-Louis, que le pensionnat d’ici avait perdu depuis le départ de Mère Eugénie. Cela n’est pas. Nous avons eu aujourd’hui première Communion et Confirmation, outre la cérémonie des premiers vœux de ma sœur Joséphine SaintCyr, qui a fait répandre bien des larmes. Monseigneur lui a fait un beau discours. Il est d’avis de faire faire les vœux aux autres novices qui ont passé la première année. Elles le désirent vivement et je vous réitère la demande, pour leur donner plus de poids dans le pensionnat où elles sont continuellement. Toutes nos protestantes désirent être catholiques. L’intéressante Sara Benton2 a été arrachée par sa grandmère en furie, c’était une pitié de la voir ; elle sera vivement persécutée 1 2

Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 209-210. J. de Charry, II 2, L. 158, p. 83-84. Cf. Ch. Paisant, p. 483-484. Elle était la nièce de Thomas Hart Benton, sénateur du Missouri. En 1830, elle épousa le capitaine Brant.

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et en grand danger de perdre la grâce du baptême et de la première communion. Mlle Émilie Chouteau, qui a maintenant dix-huit ans, me fit dire secrètement de la faire prévenir du moment de mon passage à Saint-Louis ; elle a peut-être le dessein de me suivre. J’écris la nuit de mon départ. Monseigneur nous conduit, au point du jour, dans la voiture qui l’a amené. Je suis, dans le Sacré Cœur de Jésus, ma digne Mère, votre soumise fille. Philippine Duchesne

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L. 48 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Plaquemine], ce 8 septembre 18221 Rec. à St Antoine de Padoue N° 40 Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit par la voie de New York avant mon départ de Saint-Ferdinand, pour vous annoncer que je partais pour les Opelousas et dans mon voyage sur le fleuve, en envoyant à la Mère de Bordeaux [Mme de Lalanne] un paquet de lettres oubliées à Saint-Louis, je lui réitérais la même nouvelle. J’avais désiré ce voyage dès le moment où j’avais su Mère Eugénie malade ; je l’avais perdue de vue depuis que je savais nos Sœurs de France arrivées et le pensionnat en train et sous la conduite d’un excellent prêtre [M. Jeanjean]. Mais au retour de Monseigneur, j’ai vu de nouveau qu’il était nécessaire et qu’il fallait du soulagement à cette maison. Elle était alors sans prêtre, des ennemis du curé [M. Brassac] 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Une copie précise que la lettre a été écrite à Plaquemine, où Philippine Duchesne passe cinq jours à l’auberge, après sa visite de Grand Coteau : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 303-308. J. de Charry, II 2, L. 160, p. 89-96. Cf. Ch. Paisant, p. 504-509.

Lettre 196



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l’ont éloigné pour toujours. Monseigneur retirait l’aumônier du couvent, mais d’une manière si impérative qu’il lui ôtait ses pouvoirs s’il prolongeait au-delà du jour fixé pour le moment de son départ1. Mère Joséphine [Meneyroux] était partie, Mère Xavier [Murphy] peu accoutumée, Mère Girard encore moins, il fallait donc du secours. Deux jeunes novices de bonne volonté s’aideront pour l’extérieur, et l’une d’elles peut être maîtresse2. La maison pourra aller si le pensionnat ne va pas au-delà de trente, ce qui, je pense, ne sera jamais. Ce pays, dont on ne peut se faire une idée qu’en le voyant, n’offre qu’une population de vingt mille âmes, en quatre petites villes qui seules fourniront au pensionnat, le voyage étant trop difficile hors d’un centre entre des bois marécageux et une quantité de bayous, de baies dont deux ouvrent par eau l’entrée dans cette espèce de bassin ; mais l’un n’est navigable qu’au printemps, l’autre est celui où j’ai voyagé. Nous partîmes de Saint-Louis, le 20 juillet, par un steamboat. Une ancienne pensionnaire [Thérèse Pratte], qui a sa confiance en Mère Eugénie, obtint de ses parents de lui faire une visite à leurs frais : ainsi, nous voyageâmes quatre, avec trois prêtres qui ne nous ont procuré aucun secours en route. Le 21, dimanche, nous comptions avoir la messe à Sainte-Geneviève, mais le capitaine voulant charger du plomb à Herculaneum, nous y passâmes jusqu’au soir. Dieu nous dédommagea par la rencontre de deux petites filles du pays qui nous suivaient pas à pas sur le bord avec leur chien : le père vint, bientôt après, nous demander si nous étions catholiques romains. Sur notre réponse et l’engagement où nous lui dîmes qu’il était de faire baptiser ses enfants, l’aînée l’ayant été, il le voulut bien aussi pour la cadette, trop petite pour pouvoir être instruite. Nous appelâmes un des prêtres et le baptême se fit au grand contentement des parents. La pensionnaire fut marraine et le prêtre promit dans le cours de ses missions de visiter cette place : il y a très peu de catholiques. Le 22 [fête de sainte Marie-Madeleine], nous arrêtâmes à Sainte-Geneviève ; nous y eûmes la messe et nous y eûmes la consolation d’y offrir notre communion en union de celles qui se font par toutes nos Sœurs pour notre commune et bien chère Mère. Jusqu’au 28, nous n’avons eu qu’à offrir à Dieu l’incommodité de la chaleur causée par la saison, le voisinage des chaudières et autres 1 2

M. Hercule Brassac fait ses adieux aux religieuses de Grand Coteau, le 18 juin 1822, et arrive à Florissant avec Mgr Dubourg, le 15 juillet 1822. Emilie Saint-Cyr, dite Joséphine, fait ses premiers vœux le 19 juillet, veille du départ. La novice coadjutrice, Mary Mullanphy, ne restera pas dans la Société du Sacré-Cœur.

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dispositions du steamboat ; nous étions toutes couvertes de feux et de piqûres de maringouins. Le soir, la récréation se prenait sur la galerie et elle se passait à chanter des cantiques avec accompagnement de Monsieur Desmoulins, prêtre, qui a une belle voix qui le distinguait même à Saint-Sulpice. Il nous a quittées au Bâton-Rouge, sur la rive gauche du Mississippi, où il est nommé curé. Le 28, dimanche, nous espérions arriver au Natchez à temps pour la messe, mais elle était à l’élévation et, le prêtre ne gardant pas la réserve quand il s’absente, nous avons été privées de la communion. Nous dînâmes chez le curé, Monsieur Maenhaut, jeune prêtre flamand dont la santé était bien affaiblie, plus, je crois, par les peines du cœur que par les travaux du corps : il a là peu de catholiques. L’église en bois s’élève humblement au milieu des beaux temples protestants : il y en a de cinq croyances différentes. On entrait en foule dans celui des presbytériens et nous allions l’y suivre quand nous fûmes averties de la méprise et allâmes, avec le cœur bien serré, être témoins de la solitude qui environnait l’église catholique. Monsieur Maenhaut nous dit qu’il regrettait bien d’avoir laissé passer Mère Eugénie et il n’y a pas de doute qu’un établissement là n’eût été mieux placé, dans une ville assez considérable, riche, sur un grand fleuve où le mouvement est continuel, que dans le trou des Opelousas où on ne pourra rien faire que dans un cercle très rétréci ; mais nous avons été mal renseignées et Dieu l’a permis pour récompenser la foi de Madame Smith et pour le salut des enfants qui y sont tellement idolâtrés qu’on n’aurait pas eu le courage de les envoyer hors du pays. Il y aura peu d’externes et on ne peut y faire de noviciat à cause du difficile abord en toutes saisons [et] de la difficulté de s’y approvisionner : il faut le faire au printemps, par le moyen de barques qui ne peuvent venir en d’autres temps, et à si grands frais que le port d’une armoire, peu grande, a coûté, de La Nouvelle-Orléans jusque-là, 120 F. Chaque chaise, 5 F de port, etc. Le 29, nous quittâmes le fleuve pour attendre dans une auberge, à Plaquemine, le moment d’aller rejoindre le steamboat du bayou. Comme il était en réparation, nous demeurâmes sept jours en station, à 20 F par jour, outre 60 pour faire trois lieues jusqu’au steamboat. Il fallut encore là donner 35 F par tête pour y passer vingt-quatre heures. Nous espérions toucher la terre, mais l’eau qui baissait l’ayant laissée si molle que les bœufs ne pouvaient s’en tirer, on fut d’avis de nous mettre, nous et nos effets, dans une petite barque qui a coûté 50 F, pour faire 4 lieues sur un autre petit bayou qui, disait-on, nous mettrait sur une terre sèche.

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Le capitaine étant de cet avis, je crus devoir faire ce que disaient les gens du pays et nous rembarquâmes. Les rameurs furent bientôt fatigués et, du petit bayou, on entra dans un troisième, dont on se fera une idée quand on sait ce que la fable dit des fleuves qui entourent le Tartare : l’eau devenait noirâtre et fétide, elle baignait à perte de vue des bois de l’aspect le plus triste, dont le pied n’est qu’un ou deux mois de l’année hors de l’eau. La tête n’a qu’un petit feuillage sombre, presque caché par de grandes barbes grises qui pendent de tous côtés de ces vieux arbres. (Cette barbe, plante parasite, pourrie et battue, laisse un crin dont on fait les matelas du pays). Plus nous avancions, plus les arbres se resserraient, sans cependant qu’on vît la terre ni même l’apparence. Le jour avançait ; nous n’avions pour huit personnes qu’un petit morceau de pain. Je dis au conducteur : « Je crois que vous avez perdu la route et qu’il serait prudent de retourner à un endroit où il y eût une terre quelconque. » Il dit que c’était impossible et, à son air embarrassé, je me confirmai dans l’idée que nous étions perdus dans un marais. Au même moment, nous entendîmes des cris. Il dit : « Voilà qu’on nous avertit à bord qu’on nous attend. » Je lui répondis : « Faites attention que les cris viennent d’un tout autre côté. » Au même instant, nous voyons s’avancer rapidement derrière nous un canot plein de Sauvages, Nègres, Blancs la plupart, nus jusqu’à la ceinture, défigurés, épouvantables, criant, sifflant, comme on nous les représente allant à une victoire assurée. Tous nos hommes pâlirent et pas un n’eût été en état de résister. Je dis aux trois jeunes personnes déjà effrayées, quoiqu’elles ne pensassent pas à tant de danger que moi, qu’il n’y avait qu’à prier Dieu et se mettre sous la protection de la Sainte Vierge. Je lui vouai promptement une neuvaine de messes et déjà le canot nous avait atteints. Ces Sauvages nous regardèrent comme pétrifiés et nous passèrent après s’être arrêtés quelque temps à côté de nous. Ils fixèrent des bouteilles d’eau qu’ils pouvaient prendre pour du vin dont ils sont si fous. Ils n’avaient rien à manger et cependant ils se retirèrent sans rien demander. Je crus qu’ils nous outrepassaient pour aller nous attendre à un endroit plus favorable, et je m’occupais en mon particulier de la recommandation de l’âme, recommandant seulement à mes compagnes la prière et la patience. Voyant les conducteurs émus par la lassitude, je craignais qu’une plainte [ne] les irritât. Enfin, au moment où je me persuadais de plus en plus que nous étions dans un marais, la terre s’est tout à coup découverte, nous y avons vu la charrette à quatre bœufs qui nous y attendait. C’était une résurrection, je n’étais pas prête pour mourir.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je n’oublierai jamais ces noms : Flambeau, Rousseau, Gaillard, ToutBlanc, qui étaient répétés à chaque minute dans ces bois où il fallait continuellement les encourager dans les mauvais pas. Ils nous ont conduites le soir dans une auberge où, peu de jours après, on a volé tous les voyageurs. Nous y avons été bien et nous sommes reparties à deux heures du matin pour la maison du Sacré-Cœur où nous sommes arrivées à neuf heures du matin [le 7 août]. Monsieur Rossi, le curé d’une autre paroisse des Opelousas en sortait et a continué d’y dire la messe deux fois la semaine tout le temps de mon séjour, celui que Monseigneur destine à Mère Eugénie [M. Cellini], n’étant point arrivé. Je suis sans nouvelles de France et de Saint-Louis. Les lettres font ordinairement six semaines pour venir jusqu’ici. J’ai prié Mère Octavie de me garder celles qui m’arriveraient, ne comptant pas qu’elles pussent me rencontrer aux Opelousas. Mère Eugénie m’a frappée par son air défait, ainsi que sa première compagne [Mary Layton] qui a été malade pendant que j’étais là. Mère Eugénie a paru mieux, mais ses yeux sont souvent malades. Mère Xavier a une petite fièvre qui vient, je crois, des nerfs. Mère Girard serait renversée par un souffle. Il n’y aura là de santé que mes deux novices et Sœur Carmélite1, fille du pays et qui est d’un grand secours. Lui trouvant toutes les qualités nécessaires, j’ai engagé Mère Eugénie à la mettre [religieuse] du chœur. J’ai été charmée des progrès des élèves. Monseigneur et les parents en sont également surpris. Elles sont 17 et bientôt plus de 20. Je suis repartie le 2 septembre, en charrette à deux chevaux. Celui de Mère Eugénie qui ressemble à ceux de l’Apocalypse, ne voulait pas avancer. Enfin, les deux se sont abattus dans un bourbier. Nous les tirions, inutilement, la pensionnaire et moi ; enfin le Nègre s’est fait cheval et a sorti la charrette après que nous l’ayons déchargée. Nous avons repris les bœufs pour les grandes boues et ensuite le steamboat du bayou et, en quatrième, une voiture pour rejoindre l’auberge de Plaquemine. Depuis cinq jours, nous attendons inutilement le passage de quelque steamboat. S’il monte, nous irons de suite à Saint-Louis. S’il descend, nous irons à La Nouvelle-Orléans attendre le départ de 1

Carmélite Landry (1792-1852), RSCJ, ancienne sœur converse chez les Ursulines, est entrée à Grand Coteau comme religieuse de chœur. Née en 1792 à La Fourche, Louisiane, elle est la première femme native de la Louisiane à entrer dans la Société du Sacré-Cœur, le 30 avril 1822. Le 30 août suivant, elle reçoit l’habit religieux des mains de Philippine qui vient d’arriver dans le Sud, fait sa profession le 10 septembre 1825, à Grand Coteau, où elle reste toute sa vie comme assistante, admonitrice et maîtresse générale des orphelines.



Lettre 197

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quelque autre steamboat. Le fleuve étant très bas, on dit qu’ils auront peine à aller jusqu’à Saint-Louis. Fin, le 8 septembre 1822. Mes tendres respects à mes Pères, Mères et bonnes Sœurs. [Sans finale, sans signature, sans timbre de la poste]

LETTRE 197

L. 2 À MÈRE DE LALANNE

À la supérieure des Dames religieuses du Sacré-Cœur, à Bordeaux SS. C. J. M.

Nouvelle-Orléans, ce 11 septembre 18221 Rec. à St Ant. de Pad. Ma très chère Mère, Me trouvant plus près de vous et ayant souvent bien des difficultés pour faire partir mes lettres de Saint-Louis, je m’empresse de m’entretenir un moment avec vous et je vous prie d’envoyer les lettres ci-jointes ; celle pour Chambéry est un remerciement pour le contenu de deux caisses qui ont été remises à un jeune missionnaire et qui ont été trois mois dans les douanes, faute de la facture. J’ai aussi reçu une lettre de notre Mère Barat qui annonce l’envoi de la vie de Mère Aloysia. Je ne l’ai point reçue, mais j’espère qu’elle sera allée en droiture à Saint-Louis ou à Saint-Ferdinand, où j’avais dit de ne me rien renvoyer, comptant être plus tôt de retour. J’ai descendu le Mississippi pour conduire deux novices à Mère Eugénie et la voir. J’ai été bien consolée de voir une maison de plus au Sacré Cœur et à saint Régis, formée en si peu de temps et où les enfants profitent beaucoup ; elles doivent être plus de vingt. 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Autres copies : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 308-309 ; A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 344. À la même date, Philippine a écrit à Mère Bigeu.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je repars aujourd’hui avec un steamboat qui remonte le fleuve. C’est un voyage long et coûteux, mais il était nécessaire et la divine Providence ne manque point au nécessaire ; vous l’éprouvez chaque jour. Tous les détails sur votre maison nous ont bien intéressées, il nous reste à savoir si votre pensionnat s’augmente. Nous travaillons un petit champ mais nous l’aimons, sachant que Dieu ne demande pas les grandes œuvres mais un cœur qui ne veut rien se réserver. Je suis avec un profond respect dans les Sacrés Cœurs, ma bonne Mère, votre dévouée servante. Philippine Duchesne

LETTRE 198

L. À MÈRE DEBROSSE

SS. C. J. et M.

Nouvelle-Orléans, 11 septembre 1822 Rec. à St Antoine1 Ma bien bonne Mère, J’ai reçu votre lettre à La Nouvelle-Orléans, le 9 de ce mois. J’ai été forcée de descendre jusqu’ici au retour des Opelousas où j’avais été conduire à Mère Eugénie deux novices pour l’empêcher de se tuer à force de travail. Je n’avais pas d’autre ressource pour remonter le fleuve que de venir ici chercher un bâtiment qui allait jusqu’à Saint-Louis. Notre nouvelle maison des Opelousas m’a charmée. Elle est de la grandeur de celle de Florissant ; la chapelle est jolie et dévote, la sacristie bien montée en vases sacrés par la générosité de plusieurs prêtres. Le pensionnat est de 17 enfants auxquels devaient se joindre, sous peu de jours, cinq ou six autres compagnes. Dieu bénit visiblement cette maison que, en un an, je trouve toute montée et sans dettes ; mais plus 1

Copies : C-VII  2)  c Duchesne to RSCJ and Children, Box  4 ; C-III  1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Part A : Lettres de la Louisiane 1818-1822, p. 120-121 ; Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 322-324. En note, en haut de la copie : « Cette lettre est adressée à Mme Debrosse, elle l’a reçue le 09. 02. 1823 ». J. de Charry, II 2, L. 161, p. 99-101.



Lettre 198

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encore par les progrès étonnants qu’ont faits les enfants dans la piété et les études. Il y en a une surtout qui n’avait jamais entendu parler de Dieu, qui jurait et fumait comme un homme, ne se plaisant qu’avec les Nègres, qui est maintenant bien instruite de la religion, a été baptisée, confirmée, a fait sa première communion avec la piété la plus tendre, en est déjà à faire l’oraison tous les jours. Elle ne savait ni lire ni écrire ; elle lit l’anglais, le français, et écrit assez couramment, etc. Les parents sont tout contents et ce pensionnat donne envie d’en avoir un pareil, ici. Plusieurs prêtres pressent pour cela et deux, les plus en état de nous aider, me parlèrent hier d’un grand terrain qu’un homme riche donnerait à l’extrémité d’un des faubourgs pour y bâtir une maison d’éducation, d’une maison qu’il prêterait gratuitement en attendant pour deux ou trois ans. Enfin, il se chargerait de trouver de l’argent sans intérêt ou à un intérêt très bas pour élever la bâtisse. Je vais partir dans peu d’heures. J’ai fermé cette lettre pour notre Mère, n’ayant ni place ni temps pour rien y ajouter. Je vous prie de lui faire part de cette lettre pour vous, qui lui montrera de plus en plus les bontés du Seigneur sur nous. Je vous prie de recommander vos sœurs de la Louisiane à ma chère Mère Grosier et à toute la communauté ; nous aimons bien parler de nos sœurs de France et l’océan qui nous sépare semble ne mettre entre nous aucune distance ; les cœurs semblent la franchir rapidement pour s’unir à vous et participer à vos mérites. Nous faisons bien peu ici, mais nous espérons y préparer un avenir qui présentera plus de fruits. Mes sœurs de Saint-Ferdinand auront, de France, des nouvelles plus récentes que moi qui, en courant le monde, ne peut recevoir de lettres qui ne me trouveraient pas si on me les envoyait. Je remonte avec une de nos grandes pensionnaires, qui avait obtenu de venir voir sa mère Eugénie et qui serait volontiers restée avec elle si elle eût eu la permission de ses parents. Il y en a une autre qui dit qu’elle vendra tous ses biens pour aller la trouver, mais elle a père et mère et est fille unique. Je suis dans les Sacrés Cœurs, ma bonne Mère, toute vôtre. Philippine

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 199

L. 51 À MADAME JOUVE, À LYON Ce 17 Septembre 18221

Ma chère sœur, J’ai reçu ta lettre et celle de mon beau-frère qu’on aura sans doute retirées à la douane de la boîte que tu as la bonté de m’envoyer, et que je n’ai point reçue encore. Je suis bien reconnaissante de ces cadeaux si utiles pour nous, que tu m’envoies et qui, j’espère, me parviendront à la première occasion, ta lettre étant venue par la poste. Déjà, je connaissais les détails consolants sur la chère Aloysia, sa sœur et mon bon filleul. Je t’appellerai une mère heureuse, puisque ce que ton cœur souffre dans la séparation de tes enfants ne peut balancer les douces consolations de donner des saints à la religion et des protecteurs devant Dieu à toute la famille. J’écris à ma bonne Mère, à Paris, de te marquer l’emploi de la rente, ne pouvant en disposer moi-même ; mais il faut toujours que tu retiennes les 150 F qui te sont dus par les Dames de La Nouvelle-Orléans et que j’ai reçus d’elles. Je voudrais t’écrire plus longuement, mais un mal aux yeux me gêne beaucoup et les glaces arrêtent tous les steamboats dans cette saison. J’insinue cette petite feuille dans une lettre qui ira par terre à New York. Mille amitiés à mes sœurs dont j’ai appris les nouvelles détaillées par toi et par Mme de Rollin, avec bien du plaisir. Nous avons commencé un second établissement dans la Basse-Louisiane où une dame a donné la maison et des terres ; c’est à 3 ou 400 lieues d’ici ; c’est comme 90 lieues en France, tant les longs voyages sont communs ici. Je suis toute à toi ; mes compliments à mon beau-frère, Philippine Duchesne

1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 103-104 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) Duchesne, Letters to her family and other lay people, Box 5.

Lettre 200

LETTRE 200

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L. 14 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 20 septembre 18221 Ma bien bonne Cousine, Je t’envoie la note que tu me demandes pour faire appuyer la pétition qui m’intéresse si vivement. Si M. de Rollin et Camille Jordan2 veulent bien l’appuyer, et que l’intérêt personnel que j’y mets puisse leur y donner quelque intérêt, parle-leur de mon extrême désir pour le succès dont je dois prendre ma part, et que si le peu que nous avons se dépense dans le voyage, nous aurons bien plus de difficultés pour travailler à secourir des malheureux et à exister nous-mêmes. Je sais que ce nom de malheureux agit puissamment sur eux. Enfin, je n’ai rien à te dire de plus, tes vues pour le bien sont plus étendues que les miennes et rien ne te manque pour travailler et réussir, en fait de bonnes œuvres. Si celle-ci n’a point de succès, c’est que Dieu ne le voudra pas. Je suis toute à toi, Philippine Note : Madame Rollin est priée de vouloir bien faire recommander la pétition de Monsieur l’abbé Martial, grand vicaire de l’évêque de la Louisiane, auprès du ministre de la Marine. Il y sollicite la même faveur accordée à son évêque et à ses premiers ecclésiastiques, pour quatre autres ecclésiastiques et six religieuses, reste de ceux qui doivent encore se rendre à la Louisiane pour s’y destiner aux œuvres de charité. Cette faveur a été d’être transportés gratuitement dans un des ports des États-Unis avec leurs effets, ayant été pris sur un des vaisseaux du Roi, à Royan, au bas de la Garonne. 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 14 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 37-38. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Camille Jordan est mort le 19 mai 1821, à Paris. À la date de sa lettre, Philippine ignore encore son décès.

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LETTRE 201

L. 49 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 30 octobre 1822, sur le steamboat Cincinnati1 Rec. à St Antoine de Padoue N° 34 Ma bien bonne Mère, Il vous paraîtra bien étonnant que, vous ayant écrit au commencement de septembre de La Nouvelle-Orléans et étant sur mon départ de cette ville, je ne sois pas encore rendue à Saint-Louis ; mais Dieu me punit de mes quelques fautes, en me laissant si longtemps errer le monde sans secours spirituels. On m’avait assuré qu’il n’était pas question de la fièvre jaune cette année à La Nouvelle-Orléans, j’allais donc confidemment prendre asile chez les Dames de Sainte-Ursule, mais la pensionnaire qui était avec moi ayant été indisposée, et moi-même ayant pris la fièvre la veille du départ, je les vis très effrayées que nous fussions attaquées de cette redoutable maladie qui ne s’attaque qu’à ceux qui ne sont pas acclimatés. Le médecin, le supérieur, etc. furent d’avis que nous partions pour l’éviter. Je le désirais moi-même, quoique je ne me sentisse pas en état d’entreprendre un voyage de 400 lieues dans des pays déserts, à 300 lieues de Saint-Louis. J’aurais bien voulu avoir déjà là un hospice du Sacré-Cœur. La place qu’on offre est hors d’atteinte de cette fièvre jaune, qui ne se fait sentir qu’au centre de la ville. Mais Dieu ne fait que préparer cet établissement que je désire fort comme un lien avec vous et les Opelousas. On avait préparé une voiture et je me rendis au steamboat avec une sorte d’horreur. J’y repris la fièvre plus forte et, le second jour de notre route, en vingt-quatre heures, nous eûmes trois morts dans le bâtiment : le capitaine, son suppléant et un passager. Un jeune homme, envoyé de France, de l’hôpital de Lyon, faisait route avec nous. Le même jour, il se trouva si mal qu’il prit terre dans un village où on me dit qu’il est mort ; il y avait là, heureusement, un prêtre. Des fièvres graves continuant dans le steamboat où je souffrais de toute manière, voyant là les 1

Copies, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 3 ; C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5, Cahier : Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 108-112. J. de Charry, II 2, L. 163, p. 105-112. Cf. Ch. Paisant, p. 526-529.

Lettre 201



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hommes mourir comme les bêtes, sans secours humain ni divin, sans même cette tendre compassion qui allège les maux, entendant chanter, à côté des corps morts, des chants de joie, je crus qu’il était de la prudence de m’arrêter au Natchez, à 100 lieues de La Nouvelle-Orléans. C’est la dernière ville ou village avant Saint-Louis. Mais arrivées là, nous apprîmes que nous ne pouvions y entrer, parce que nous venions de La Nouvelle-Orléans et qu’on craignait que nous n’apportassions la fièvre jaune. Nous descendîmes au bord opposé et restâmes sur le sable, attendant qu’un passager nous trouvât un asile. Nous fûmes refusées dans plusieurs maisons, enfin un veuf qui avait perdu sa femme depuis trois semaines, nous reçut et nous donna son lit qui avait encore toute l’odeur des remèdes et autres suites de la maladie, n’ayant point été blanchi. J’étais au moment de mon accès, mais je me tenais aussi droite que je le pouvais pour le cacher ; j’y ai en partie réussi pendant quatre jours, car on ne parlait que l’anglais et je restais couchée tant que je pouvais, me traitant moi-même, et Dieu y donna sa bénédiction car, depuis ce temps-là, les accès [de fièvre] se sont éloignés et, depuis huit jours, je suis très bien. J’écrivis au curé de Natchez [M. Maenhaut] pour le voir et trouver un asile où il y eût des femmes. Il était malade lui-même, cependant il vint, le cinquième jour, et nous fit recevoir dans une maison très opulente, du même bord du fleuve, où nous avons eu, pour le corps, tout ce qui peut le reposer et le soulager. La dame, appelée Mme Davis, était catholique, d’origine espagnole et parlait parfaitement l’anglais, l’espagnol et le français ; il n’y a pas jusqu’aux promenades en voiture et à cheval qui ne nous aient été offertes. Le curé m’avait promis de venir pour me confesser, mais je l’attendis encore plus de huit jours, parce qu’il ne s’était pas trouvé un liard pour traverser la rivière. Je fis effort, le dimanche, pour pouvoir entrer dans la ville à cause de la messe. Les docteurs s’assemblèrent sur notre demande et celle de plusieurs personnes, et leur réponse fut négative. Elle ne contribua pas peu à me redonner la fièvre. Jamais je ne m’étais senti un si grand besoin de la messe et des sacrements. La mort, vue de si près, en était la cause. Ma fièvre fut un bon prétexte pour ne pas paraître au dîner où plusieurs officiers du Natchez s’étaient rendus. On leur avait dit qu’il y avait dans cette maison une religieuse, surtout une supérieure ; ils voulaient savoir quel animal c’était. Ils ne cessèrent de demander à la pensionnaire si je ne paraîtrais au moins après le dîner, comment j’étais vêtue, etc. Un surtout, qui parlait français, disait qu’il aurait beaucoup

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de plaisir de converser avec moi. Ce qui me fut répété le soir par la maîtresse de la maison, à qui je dis que j’étais charmée d’avoir eu une raison de garder ma chambre. Le surlendemain, le curé put venir et me confessa avec charité, mais c’est le seul secours que j’aie eu depuis La Nouvelle-Orléans : ni messe, ni communion, ni autre confession, avec dix à douze jours de jeûne, le plus rigoureux que j’aie peut-être fait en ma vie, même pendant la Révolution. Au reste, au milieu de ces dures privations, je vois sans cesse le bras de la Providence étendu sur nous. Nous venons de rencontrer ce steamboat l’Hekla1 que nous avions quitté ; il ne peut plus aller, les bouilloires ayant crevé. La vapeur a tué deux hommes, brûlé plusieurs en partie, et treize hommes sont morts de la fièvre. Il ne se peut avoir une situation plus triste que celle des trois hommes qui sont là à le garder, dans un endroit presque sans ressources. Il n’y a pas de doute que nous n’eussions été aussi au nombre des morts. Ce steamboat [Le Cincinnati] a eu aussi un mort que j’ai vu plusieurs fois pendant sa maladie. J’espère que le Bon Dieu lui aura fait grâce, il n’avait été d’aucune religion, par conséquent, pas baptisé. J’ai appris, au Natchez, qu’il y avait eu beaucoup de maladies à Saint-Louis, que Monseigneur avait été atteint et avait perdu un de ses meilleurs curés [l’abbé Pratte], celui même dont je vous avais dit qu’on aurait pu lui donner Sœur Catherine pour une école. Je n’ai rien su de Saint-Ferdinand. La longueur de mon voyage et les entraves que j’ai eues ont empêché les lettres de me parvenir, ce qui me rend très impatiente d’arriver. J’avais écrit à Mère Octavie que probablement je serais obligée de revenir pour l’hiver aux Opelousas, mais aucun steamboat n’était descendu pendant notre séjour au Natchez ; et celui-ci montant, j’ai vu la volonté de Dieu marquée par cette circonstance. Je suis seulement fâchée de l’avoir fait espérer à Mère Eugénie qui aura une douleur très vive… Je ne sais comment une de ses lettres m’est parvenue au Natchez où elle m’apprend qu’elle a la fièvre avec trois ou quatre de nos Sœurs. Cela me peine, d’autant plus que je m’éloigne. Mais les fièvres de ce canton-là ne sont pas dangereuses et je compte sur la divine Providence. Mère Eugénie a un si grand attrait pour La Nouvelle-Orléans qu’elle m’en parlait sans cesse et que j’ai été obligée de lui dire de ne point s’avancer ni promettre, car c’est avec elle qu’on correspond. Ce sont plusieurs prêtres qui feraient avoir de l’argent sans intérêt, etc. Je ne puis 1

Nom d’un volcan du sud de l’Irlande.

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m’empêcher de voir que cet établissement est possible et qu’il deviendra très avantageux pour soutenir ceux du Nord. Notre confesseur est aux Osages. Je ne sais que penser d’une telle mission, à si grande distance, avec si peu de prêtres et sans l’appui d’un gouvernement. Les Jésuites l’avaient toujours, cet appui ! Dans mon voyage, j’ai lu celui de M. de La Pérouse qui tout en parlant en philosophe, laisse entrevoir tout le bien qui se fait en Californie1. Il y a deux établissements catholiques : l’un établi par les Jésuites, de 12 à 15 paroisses, ayant chacune 600 ou 800 Indiens catholiques. Ces paroisses ont toutes des noms de saints de la dévotion de la Compagnie. L’autre régie par les Franciscains, qui ont aussi leurs saints patrons et qui ont dû prendre encore la place des Jésuites et dire à M. de La Pérouse que le Roi d’Espagne donnait à chacun d’eux 1 000 F par an et, qu’outre cela, il y avait des ordres pour maintenir leur autorité sur leurs paroisses et empêcher les enfants catholiques de retourner à leurs pères idolâtres… Chaque paroisse est là comme une communauté : prière commune à l’église, matin et soir, travail commun, cuisine commune. Plus j’ai été consolée de voir ces détails, plus je vois l’impossibilité de ne rien faire d’approchant, à moins que le Congrès ne choisisse la religion catholique à cause de ses cérémonies, ce qui a déjà été proposé pour tâcher de civiliser les Indiens enclavés dans les États. [suite :] SS. C. J. M.

St Antoine

Ma bien digne Mère, Je comptais ne finir cette lettre qu’à Saint-Ferdinand, mais la lenteur de notre marche me faisait désirer de la fermer afin que si, par bonheur, je pouvais trouver une occasion, avant mon arrivée, elle se trouvât toujours prête. Je fais ma retraite dans le steamboat. Tout le monde y parle anglais et ceux qui entendent un peu le français ne l’y parlent point, en sorte que, me voyant seule avec Dieu, j’en profite, car je prévois qu’à mon arrivée, après une si longue absence, il me serait difficile de faire la re1

Jean-François de Galaup (1741-1788), comte de la Pérouse. Chargé par Louis XVI d’un voyage de découverte, il quitta Brest avec deux frégates, le 1er août 1785, longea la côte nord-ouest de l’Amérique avant de traverser le Pacifique, de côtoyer la Sibérie et les Philippines, d’atteindre l’Australie. Ses journaux de bord ont été publiés.

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traite. Je n’ai pas d’autres livres qu’une Bible trouvée dans le steamboat et mon petit livre d’office. Pour les méditations, je tâche de me rappeler saint Ignace ou Bourdaloue. La personne qui habite la même cabine que moi ne vient que pour coucher. J’ai reçu à La Nouvelle-Orléans la lettre où vous me parlez de Monsieur Inglesi, et qu’il faut attendre vingt et un ans pour les derniers vœux, quoiqu’on soit libre à dix-huit ans. Je vous prie de me rappeler à nos Pères, à toutes nos Mères et Sœurs surtout à Mère de Gramont et à mes nièces1. Je suis à vos pieds votre toute indigne fille. Philippine Duchesne J’ai appris en route que Mère Eugénie [Audé] et plusieurs de ses filles avaient la fièvre. Mère Xavier [Murphy] a déployé sa charité.

LETTRE 202

L. 50 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Florissant], 1er décembre 18222 Ma bien digne Mère, Je ne veux pas oublier le meilleur des Pères, pas seulement en apparence. Dites-lui donc, je vous prie, que je ne lui écris pas pour deux raisons : la première, parce qu’on m’a dit qu’il faisait sa dernière probation et ne pouvait avoir aucune correspondance ; la seconde c’est qu’il est si près de vous, ce bon frère Barat, que je ne doute pas que vous ne le teniez au courant de notre petite mission. Nous n’avons pas reçu de nouvelles de l’arrivée de Monsieur Inglesi. Il est toujours avantageux de savoir de vous la conduite à tenir si nous le revoyons. 1 2

Amélie Jouve et Caroline Lebrument sont au noviciat de Paris. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 329-333. J. de Charry, II 2, L. 164, p. 113-119. Cf. Ch. Paisant, p. 536-539.

Lettre 202

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Ma dernière lettre pour vous, écrite sur Le Cincinnati, était déjà fermée quand le steamboat échoua sur un banc de sable, au milieu du fleuve, presque à 100 lieues de Saint-Louis, près de la Nouvelle-Madrid. Je cherchai à finir la route par terre et cela était très possible, mais ici, il faut que les vieux plient devant les jeunes. La pensionnaire qui était avec moi ne voulait pas venir de cette manière ; on s’intéressa à elle, on la fortifia dans des craintes imaginaires, on chercha à me tromper, et moi, ne pouvant la laisser sans blesser ma conscience, ni faire une route difficile sans l’aide de personne, je restai en stagnation jusqu’à ce que la Divine Providence inspirât à une dame française, de la Nouvelle-Madrid [Mme Mc Kay]1, de nous inviter à nous rendre chez elle, où nous nous rendîmes en canot, y passâmes cinq jours, et les eaux du fleuve ayant crû et ayant relevé le steamboat, nous y retournâmes aussi en canot, avec deux demoiselles qui devaient faire leur première communion à Saint-Louis. La première, âgée de 20 ans, savait bien se friser, chanter et danser, mais point du tout le signe de la croix, le Pater, l’Ave, ni ce que c’était que messe et communion. La seconde, âgée de 14 ans, et qui va venir chez nous, se croyait instruite, sans savoir ce que c’était que première communion. Ni l’une ni l’autre ne se sont jamais confessées. Je leur ai fait le catéchisme et après beaucoup d’application de ma part, on me répondit que Notre-Seigneur, la veille de sa mort, changea le pain et le vin en pierre. J’ai vu tant de misères dans mon voyage, par rapport à l’instruction, dans tant de petits villages, qui depuis quatre ans se sont formés sur le bord du Mississippi, que je sens plus que jamais la nécessité de maîtresses disséminées peu à peu dans les plus gros endroits, où il y aurait un prêtre : comme Nouvelle-Madrid, où il y a 60 ou 80 familles catholiques, dont les enfants, un excepté, n’apprennent que le catéchisme méthodiste, parce que l’instruction n’est donnée que par des méthodistes. Mère Eugénie dit m’avoir envoyé la lettre où vous défendez ces petits établissements. Je ne l’ai pas reçue. Ce n’est pas qu’on pût les faire à présent, mais on pourrait former des maîtresses. Les réponses de France étant si longues à venir, je vous prie de trouver bon que nous travaillions à former des enfants de l’école externe qui seront ensuite capables d’être Sœurs d’une autre Société, ne pouvant convenir à la nôtre, étant toutes de la basse classe. Je ne puis vous dire là-dessus l’avis de Monseigneur, l’ayant trouvé absent. Il est à Baltimore depuis 1

JSA, 11 novembre 1822 ; SFA, 20 juillet 1822. Mais Louise Callan la nomme McCoy (p. 769 n. 57) ; elle appartenait à une famille distinguée de La Nouvelle Madrid.

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deux mois. Je l’ignorais, n’ayant aucune nouvelle de mes Sœurs, ni de lui, depuis mon départ, à cause des stations inconnues de mon voyage, qui s’est enfin terminé heureusement la veille de saint André, pendant la neuvaine de saint Xavier. J’ai trouvé tout le monde en bonne santé, mais presque toutes avaient été malades, et plusieurs dangereusement, ainsi que des enfants et trois prêtres à la fois dans la sacristie, et ensuite celui qui est revenu des Osages, presque mourant. Tous sont rétablis et la mission n’est que préparée aux Osages. Jamais il n’y avait eu tant de maladies à Florissant. Cela a été général dans les États-Unis. On n’avait jamais eu la fièvre jaune à Louisville, elle y a emporté beaucoup de monde. Ne soyez donc surprise, ma digne Mère, si j’insiste encore pour l’établissement près de La Nouvelle-Orléans ; outre qu’on dit que la fièvre jaune n’atteint pas ce quartier-là, c’est qu’il me semble qu’on peut bien la braver pour sauver des âmes, tandis que le directeur de la Comédie va en France chercher des acteurs pour les perdre. Car le spectacle ôte toute pente à la piété dans ce pays-là. Monsieur Martial lui attribue l’endurcissement de la jeunesse. J’ai oublié de vous prier de ne point prendre des personnes au Sacré-Cœur, comme vous dites, par égard pour nous. Ce que vous avez fait pour Mlles Mullanphy, ne nous a apporté aucune grâce du père. Quant à mes parents, je ne sollicite rien qui puisse vous gêner. On m’a dit, dans la Basse-Louisiane, qu’il y était parvenu d’Europe une relation, exagérée en beau, sur cette mission. On croit que Monsieur Inglesi, n’ayant pu la faire imprimer à Rome, l’a fait imprimer à Turin. Elle fait rire ou gémir les personnes qui voient de près ; nous y sommes couchées [mentionnées] ; et dans les notes qu’on a mises en marge ici, on a écrit, à notre article, sur le bien que nous faisons : Plût à Dieu que cela fût vrai. Le mieux serait de brûler ces relations exagérées. Monseigneur a voulu les retirer, mais il en est parvenu qui ont couru. J’ai aujourd’hui des nouvelles de Mère Eugénie, qui m’apprennent que les santés sont rétablies chez elle et qu’elles ont enfin un prêtre. C’est Monsieur Cellini, noble romain, avec qui j’étais descendue, qui est bon, très pieux, d’une grande force, bon médecin ayant permission du Pape d’exercer son art. Son âge est déjà avancé et il s’entend très bien aux affaires temporelles. Il parle italien, français et anglais. Je vous répète qu’il y a un prêtre qui a tant envie de voir une maison du Sacré-Cœur à La Nouvelle-Orléans, qu’il me remettrait pour cela la somme de 3 500 F, qu’on rendrait sans intérêt, quand on voudrait. Un terrain est donné pour cela et une maison prêtée. Mère Lucile fera

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beaucoup de bien aux Opelousas et alors, on peut disposer de Mère Eugénie qui a de plus qu’elle, l’extérieur, l’usage du monde, la facilité de parler l’anglais : choses tout à fait nécessaires à La Nouvelle-Orléans. Je puis lui donner d’ici, pour maîtresse d’anglais, ma Sœur Xavier Hamilton, car on ne peut ôter de la maison les deux chefs à la fois. Un autre prêtre m’a dit qu’on trouverait de l’argent sans intérêt et le bon Père Richard dit qu’il amasse pour nous, afin de mourir au Sacré-Cœur. Malgré ma répugnance pour les Nègres, nous serons peut-être obligées de venir à en prendre. Un homme seul a besoin qu’on le soigne, qu’on le nourrisse, l’homme marié ne songe qu’à ses enfants et à gagner pour eux. Celui que nous avons attendait une augmentation, quoiqu’il ait en argent de France, 1 100 F, une petite maison, un jardin, des vaches à lui qu’il soigne sur le temps qu’il nous doit ; et en outre, quand sa femme est indisposée, il faut toujours prêter une de nos orphelines pour faire le ménage. Mère Eugénie avait rencontré un ivrogne, d’autres sont trop fins pour servir, d’autres ne s’acclimatent pas. C’est une misère. Le jeune homme venu de Lyon, qui a été à Issy avec M. Babad, est mort, ayant pris la fièvre jaune sur le steamboat où nous étions. Mère Octavie a bien conduit la barque. On m’a rapporté que Monseigneur a dit qu’il aurait son logement au presbytère, qu’on mangerait dans une des sacristies et qu’ainsi nous n’aurions point de distractions dans la maison. J’ai perdu, dans mon voyage, cent vingt messes, une par jour, quatrevingts communions, vingt confessions environ et presque toutes les bénédictions de quatre mois. Il me semble que tant de sacrifices ne seront pas perdus et produiront dans la suite plusieurs établissements, surtout au Natchez et à La Nouvelle-Madrid, qui s’augmente malgré le tremblement de terre de 1811, qui a détruit des forêts et ouvert des fentes d’où il sort encore des exhalations sulfureuses. C’est à vos pieds, ma digne Mère, que j’offre mes vœux pour vous au Cœur de Jésus, afin qu’il bénisse l’année où nous entrons, vous conserve, vous soutienne sous le fardeau que vous portez et qu’il ne permette pas que je l’augmente par mes défauts. Je suis en Lui, ma digne Mère, votre indigne fille. Philippine

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LETTRE 203

L. 7 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[1er décembre 1822] Mon Révérend Père, Après un voyage long et pénible, je m’étais vue au moment de jouir d’une douce consolation, celle de visiter le séminaire si je revenais par terre de La Nouvelle Madrid, près de laquelle notre steamboat avait échoué. Je n’ai pu suivre ce plan auquel j’étais fort attachée, car ayant vu au plus près l’état malheureux pour l’âme et pour le corps des malades des embarcations, qu’on laisse à bord quand ils sont très malades, et la déplorable ignorance des enfants qui vont partout se faire instruire sous des maîtres hérétiques, je pensais à former, parmi nos élèves externes ou autres personnes, un noviciat de sœurs qu’on pourrait par la suite distribuer dans les villages où il y aurait un prêtre et, au moins de distance en distance, où il y aurait un asile pour les mourants et une école catholique. Je n’ai pu exprimer ce vœu à Monseigneur qui est absent. Je vous l’expose avec le désir de commencer le plus tôt possible, pensant que vous tenez sa place et qu’il ne peut qu’être content quand vous l’aurez approuvé. Il me semble que pour consolider cette œuvre, il faudrait l’entreprendre sous la protection et sous la règle de saint Vincent de Paul pour les Sœurs de la Charité qui font tant de bien en France et dont la règle permet des divisions dans chaque paroisse, outre les grands hôpitaux. Je crois qu’il en existe dans toutes les paroisses de Paris. Si vous les acceptiez sous votre obéissance en prenant les mesures que vous jugerez nécessaires, il me semble voir dans l’avenir l’œuvre à sa perfection. Je prévois deux objections de votre part, même trois. La 1ère : l’absence de Monseigneur. Je réponds que le temps presse, que les âmes se perdent et qu’on peut lui écrire. La 2ème : pourquoi nous ne ferions, de notre Société, ces divisions dans les paroisses2 ? Je réponds que Mon1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1822 Dec. 1, Mme Duchesne, Florissant. » Ph. Duchesne envisage la formation d’institutrices, comme cela se réalisera en 1839, à Pignerol, dans le Piémont.

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Lettre 203

seigneur le désirait, mais que notre Mère générale s’y opposerait, notre règle ne se prêtant pas au manque de clôture, et pour d’autres raisons. La 3ème objection : pourquoi j’ai l’idée d’un noviciat de sœurs près de nous qui professons une autre règle ? Je réponds que ces sœurs, n’ayant personne pour être supérieure, ont besoin d’être formées à la vie religieuse par celles qui la connaissent jusqu’à ce qu’on trouve parmi elles un sujet pour gouverner. Étant aussi la plupart tirées de nos écoles, elles sont trop jeunes pour être livrées à elles-mêmes et elles se formeraient pour faire l’école dans notre école-même. Je vous prie, mon Révérend Père, de recommander cette œuvre à Dieu ; je l’ai déjà fait dans ma route, journellement, et me sens de plus en plus portée à m’efforcer d’aider un pareil établissement ; sinon d’argent, ayant encore des dettes, au moins en partageant le nécessaire, procurant un petit local, etc. Je suis dans le Sacré Cœur, mon Révérend Père, votre dévouée et bien humble servante. Philippine Duchesne Rec. à St Antoine de Padoue J’ai appris la bonne nouvelle pour nous de l’arrivée de M. Cellini aux Opelousas, et du rétablissement de M. Borgna. Il était bien portant quand je l’ai vu à La Nouvelle-Orléans avec M. Ferrari. [Au verso :] Reverend Rosati Supérieur du séminaire Aux Barrens

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 204

L. 51 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Florissant], ce 4 janvier 18231 Recommandé à St Antoine de Padoue N° 35 Ma bien digne Mère, L’époque où nous nous trouvons renouvelle en mon cœur tous les sentiments les plus vifs de reconnaissance envers Dieu et envers vous, en me rappelant cette fameuse retraite dans laquelle vous m’admîtes dans la chère Société. Trop attachée alors à la sainte montagne [de Sainte-Marie d’En-Haut], je ne prévoyais pas de me retrouver un jour si éloignée de vous qui me captiviez par des liens si aimables. Dieu, qui me voulait ici, m’a fait rompre ces chaînes que j’aimais tant et j’ai lieu d’admirer le pouvoir de sa grâce qui me rend heureuse et contente dans l’éloignement de tout ce que j’aime le plus et sans aucun succès qui puisse faire oublier mes sacrifices. Après ce long voyage, pendant lequel j’ai cru plusieurs fois mourir hors la maison du Sacré-Cœur, et dont je vous ai parlé dans mes lettres n° 33, de La Nouvelle-Orléans, et 34, en arrivant ici il y a un mois, au doux plaisir de retrouver mes Sœurs et la pratique de nos saintes règles s’est jointe l’amertume d’apprendre que toutes nos élèves sorties se livrent aux plaisirs du monde et oublient Dieu. Il est vrai que les dangers sont grands à Saint-Louis, mais c’est un nouveau sujet de douleur, puisque nous pouvons tout appréhender pour celles qui nous restent. Je regarde Saint-Louis comme Malacca au temps de saint Xavier : à un moment de zèle ou d’effervescence a succédé la plus grande indifférence pour la religion, suite du délire des plaisirs. Nos enfants sont entraînées au bal, au spectacle, aux prêches [protestants], ont dans les mains de mauvais livres, vivent l’oisiveté, etc. Et déjà, plusieurs vocations ont succombé devant tant de dangers et je prévois qu’ici, comme au temps de Jésus-Christ, les pauvres seront choisis de préférence pour travailler à son œuvre. Depuis mon arrivée, j’en ai admis deux 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, le 15 mai 1823. Par Le Havre. J. de Charry, II 2, L. 165, p. 153-158. Cf. Ch. Paisant, p. 549-552.

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dont l’une avait, pour tout bien, deux chemises, une paire de bas, deux robes, etc., le reste à l’avenant, sans lit, sans peignes, sans même des ciseaux. J’ai l’espérance qu’elles se formeront car, pour tout, les besoins sont grands. J’ai vu à La Nouvelle-Madrid des filles de 20 ans qui ne savaient pas faire le signe de la croix et ignoraient les premiers éléments de la religion. Le pensionnat s’est réduit à 18 élèves qui étaient à un point d’insubordination étrange. On appelait les Maîtresses : Diable, etc., on disait : Je ne veux pas travailler ou étudier ou garder le silence. C’étaient là des fautes de tous les jours. Quoiqu’on pense nous faire une grâce en nous donnant une enfant, j’ai menacé et même renvoyé une des plus insolentes. L’absence de confesseur ordinaire et le séjour de deux ou trois autres prêtres à la fois, dont l’un a fait une maladie de 50 jours et fort grave, les fièvres qui ont atteint toutes nos Sœurs, tout cela a bien troublé la régularité […]1. La dissipation, les raisonnements, voilà les plaies que j’ai trouvées à l’intérieur. Cependant on m’avait dit en arrivant que tout allait très bien. Priez, ma digne Mère, pour que je n’amplifie pas le mal par mes défauts et que vous ayez ici autant de bonnes filles qu’en France. C’est, je pense, un souhait qui vous agrée et pour lequel je fais les vœux les plus ardents. Je n’ai pu reprendre sur plusieurs choses sans toucher un peu celle [Octavie Berthold] qui, par sa bonté, ne sait pas tenir à l’ordre ; mais si ceci manque, tout est perdu ici, où l’insubordination est une vertu. Même les orphelines se plaignaient de la nourriture, du travail, disant qu’on les traitait en Négresses. Il a fallu leur mettre le marché à la main. [À La Nouvelle-Orléans], Monsieur Martial, qui est ferme, soutient son œuvre ; et au Kentucky [à Bardstown], Mgr David, coadjuteur de Mgr Flaget, a un collège nombreux, quoiqu’il soit sévère ; et près de nous [à Saint-Louis], où l’on a voulu aller par bonté et ménagement, il va en décadence. L’état de la religion va mal à Saint-Louis. Les dettes de l’église n’étant pas payées, ceux qui ont répondu veulent vendre les terres du presbytère et par conséquent le jardin de Monseigneur, la maison, etc. Il est en ce moment à Baltimore2 et celui qui a la procuration n’ose s’avancer pour acheter l’église et se charger des dettes. C’est un coup bien amer pour Monseigneur et pour ses prêtres à qui, d’ailleurs, on montre la 1 2

Plusieurs lignes ont été barrées de manière à les rendre illisibles. En octobre 1822, Mgr Dubourg est allé rencontrer ses confrères de l’Est et traiter certaines affaires avec le Gouvernement fédéral. Il sera de retour au printemps 1823.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

plus grande ingratitude, ne leur faisant aucun traitement. On me disait qu’il faudrait qu’il vînt ici ; je ne sais si c’était pour me sonder. Notre église a aussi 3 000 F de dettes. Le curé ne s’est rien laissé. Nous l’avons habillé. Je vous prie de me répondre sur l’établissement de La Nouvelle-­ Orléans et sur celui des Sœurs pour de petites écoles. Mère Eugénie me dit que vous ne voulez pas que nous ne nous établissions jamais en petites maisons de trois ou quatre et bien des villages ne pourraient en nourrir plus. Je n’ai vu cela dans aucune de vos lettres. L’état que je joins ici n’est pas très conforme au résultat de nos dépenses sur mon livre, soit parce que je ne vous compte pas la perte de l’argent de France ici, soit parce que je vous compte ce que j’ai reçu de Mère Eugénie pour mon retour : ce que j’ai regardé comme dépense de sa maison. La nourriture n’est pas dans la proportion du reste, étant beaucoup aidée pour cela par le jardin qui a rendu 100 boisseaux de pommes de terre et bien d’autres choses, et par le lait de huit bonnes vaches et les œufs de 60 poules. Les réparations sont le recrépissage d’une partie des appartements et différentes boiseries, et une longue clôture en planches en place de murs. Nous ne devons plus rien à Monseigneur, mais 250 F à un Monsieur qui avait payé pour nous. Voilà notre état après cinq ans, tandis que Mère Eugénie, à sa première année, nous a donné plus de 2 000 F. Voyez, d’après cela, la nécessité d’avoir une maison à La Nouvelle-Orléans pour soutenir l’œuvre. Ici, loin de recevoir de personne, il faudra, comme devoir de première nécessité, aider les prêtres et peut-être Monseigneur. Mère Lucile est excellente, seulement elle irait trop vite en dépense. Mère Octavie est toujours aimable et plaisant à tout le monde. Les deux Sœurs, quoique bien pesantes, sont encore bien utiles. Les cinq novices ont bonne volonté et se forment. Je tiens beaucoup à l’étude et y remets Mère Lucile, car si elle est jamais supérieure, elle en aura besoin. Dans les voyages, bien entendu que je comprends celui de nos Sœurs venues de France. Je n’ai point reçu la Vie d’Aloysia ; je ne l’ai pas copiée. Il faut toujours recommander à saint Antoine de Padoue, c’est infaillible. Je n’ai pas de nouvelles de Monsieur Inglesi, ni de l’arrivée de Sœur Joséphine [Meneyroux] en Europe, ni directement du religieux de la Trappe [le Père Dunand]. Ma dernière lettre est partie par un steamboat que les glaces retiennent ; celle-là ira par la poste à La Nouvelle-Orléans. Je l’adresse



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au bon Monsieur Richard1 qui a eu la fièvre jaune et s’en est tiré, ainsi qu’un des vicaires. Un autre a succombé, c’est une grande perte. Veuillez, ma Révérende et chère Mère, me pardonner le passé et prier pour qu’à l’avenir, je sois meilleure. Je suis avec un profond respect, dans les Sacrés Cœurs, votre indigne et toute dévouée fille. Mes Sœurs sollicitent votre bénédiction. Je demande celle de nos Pères et quelques souvenirs de mes Mères et Sœurs. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris

LETTRE 205

L. 52 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Florissant] 16 janvier 18232 Ma bien digne Mère, J’ai reçu hier à la fois deux de vos lettres ; c’est une joie universelle quand nous en recevons ; nous nous croyons alors plus près de notre Mère et de sa chère famille, et c’est une bien douce illusion. Votre première lettre, du mois de juillet, est allée aux Opelousas avant de me parvenir : je ne sais si elle était enfermée dans quelque paquet qu’on aime toujours mieux faire parvenir à Mère Eugénie qu’à moi, tant elle 1 2

M. Richard, ancien aumônier de Saint-Charles, exerce ce ministère au couvent des Ursulines de La Nouvelle-Orléans. Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 363-365 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 337-340. J. de Charry, II 2, L. 166, p. 159-164. Cf. Ch. Paisant, p. 552-555.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

s’est gagné l’estime et l’affection de tous ceux qui veulent du bien à la Société, à La Nouvelle-Orléans. Cela était déjà arrivé pour la boîte que m’envoyait M. Jouve, qu’il m’intéressait bien de recevoir, car elle contenait du galon pour un joli ornement dont il m’avait déjà donné l’étoffe et cela ne se trouve point dans nos pays. J’ai tant écrit que j’ai eu mon galon, mais ce qui l’accompagnait est resté. Je vous prie, ma bien chère Mère, de ne point confondre dans les envois ce qui est pour nos maisons ; il en coûte presque autant pour aller aux Opelousas qu’ici, par la difficulté des chemins ; le retour et le port jusqu’ici feraient des frais énormes. Mère Eugénie est d’ailleurs aussi bien montée que nous, si ce n’est mieux, et elle n’a pas nos charges et nos dettes ; elle reçoit beaucoup de présents et encore dernièrement une belle pendule. C’est encore l’inconvénient de n’être pas sur les mêmes lieux qui cause tant de méprises pour nos lettres. Il y en a eu de retrouvées dans des tiroirs de tables, après longtemps, chez les Dames Ursulines ; d’autres fois, on les remet à un vaisseau qui va au Havre, par des lettres adressées à Bordeaux et qu’il vaudrait mieux faire attendre, car j’ai la précaution de prévenir notre Mère de Bordeaux de n’envoyer que par occasion celles que je lui désigne et qui n’ont rien de pressé. Alors le papier est indifférent et nous ne pouvons en avoir ici d’aussi fin qu’en France. Je suis lasse d’être indiscrète en demandant, et il faut se retrancher dans nos pays pour y exister. Je ne sais vraiment où nous prendrons ces 6 000 F à rendre, nous ne sommes ni au Pérou, ni au Mexique, ni dans les îles ; mais [dans] les voisinages du Canada qui, loin de rendre à la France, lui a beaucoup coûté et qui a été le lieu le plus pénible pour la mission. Il n’y a à gagner que des âmes, et en petit nombre. C’est le désir de nous soutenir seules et d’avoir plus d’enfants qui m’a fait parler pour La Nouvelle-Orléans. J’espère encore que ma lettre des Opelousas et de La Nouvelle-Orléans fera changer votre résolution, puisque nous ne vous demandons rien et qu’il est nécessaire de faire un changement aux Opelousas, les deux têtes [Eugénie Audé et Xavier Murphy] n’allant pas sous le même bonnet1. On ne dit rien en ce moment, ayant dit qu’il fallait votre consentement. Notre voyant [Mgr Dubourg] est absent, je le crois à Baltimore pour terminer un schisme avec ses collègues ou pour demander secours à

1

Xavier Murphy a écrit à la Mère Barat, lui exprimant son manque de confiance envers Eugénie Audé.

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nos Pères pour les Sauvages1. Je ne crois pas que rien réussisse sans eux. Nous sommes encore à soigner celui qui a fait le dernier voyage et qui est revenu dans un état pitoyable. Il faut, parmi ces pauvres gens, plusieurs personnes qui s’entraident et qui se fixent. Les voyages sont trop longs, trop coûteux et trop périlleux pour les renouveler souvent, et où les fonds pour les faire ? Oh ! Qu’il est dur de voir un ministre de l’Evangile souffrir pour une si belle cause et de ne pouvoir l’aider ! Votre seconde lettre (septembre 1822)2, venue de New York, était je ne sais comment, recommandée à l’archevêque de Baltimore, qui en est bien loin, et puis à Monseigneur, qui était absent. C’est par la gazette que j’ai appris qu’il y avait quatre lettres à Saint-Louis sous mon nom, et on avertissait de les faire prendre. Combien j’ai été empressée d’y envoyer, attendant de vos nouvelles, et quelle joie de n’être pas trompée ! C’est maintenant une mauvaise recommandation que celle du voyant. Aussi ma lettre a-t-elle été décachetée, de même qu’un gros paquet pour lui qu’on envoyait à Baltimore et qu’on a tout défait à Louisville, le renvoyant après à Saint-Louis. C’est principalement pour trouver de l’argent qu’on fait ces visites indiscrètes. On pense qu’il en a beaucoup. Je suis vraiment fâchée et humiliée que vous ayez eu à décompter par rapport aux 1 000 F. C’est la suite de la simplicité de nos Sœurs qui, un quart d’heure après leur arrivée, ont débité scrupuleusement à la personne intéressée [Mgr Dubourg] tout ce qu’elles avaient. Elle m’écrivit le même jour, en m’additionnant le bien de Joséphine, me montrant la beauté de notre position et, qu’en conséquence, elle allait disposer des 1 000 F de Bordeaux. Il en a été de même de 1 500 F que m’envoyait Mère Eugénie, malgré ma finesse à le cacher. Nous lui devions alors, aussi c’était justice de s’acquitter, surtout depuis que M. Mullanphy est payé. Il ne nous reste plus que 2 500 F, sans intérêt, dus à un particulier, et les 6 000 F de France. Mère Eugénie, avec un peu d’attente, pourra payer les chandeliers et elle ferait bien de les laisser à La Nouvelle-Orléans. Mlle Élisa s’élève par ses sœurs, fort près de nous, même trop, car des deux jardins, on s’entend parfaitement parler, ce qui est fort désagréable quand les élèves s’appellent « Diable ». J’ai bien pris part à la mort de votre si tendre et respectable mère. Je regrette bien de n’avoir pu connaître à Joigny celle qui a donné le jour à 1 2

Un conflit opposait Mgr Dubourg et Mgr Maréchal, archevêque de Baltimore, au sujet du transfert des Jésuites du Maryland au Missouri. Dans cette lettre du 30 septembre 1822, la Mère Barat refuse l’établissement de La Nouvelle-Orléans.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

notre si bonne Mère. Nous prierons particulièrement pour elle et pour la jeune Sœur novice. Mère Lucile m’a un peu tranquillisée sur les 6 000 F car, dit-elle, pareille somme a été prêtée de main légitime à la maison de Lyon qui est assez florissante pour rendre si vous le voulez. Dans ma dernière lettre, je vous ai envoyé l’état de dépense et je vous disais avoir trouvé nos enfants bien mal. Je l’attribue au départ des grandes, à la faiblesse des surveillances et aux maladies. Trois prêtres à soigner à la fois (l’un 50 jours), et toutes les personnes en activité dans la maison, malades successivement, cela apporte une distraction extrême. On m’a dit qu’on ferait une souscription pour les dettes ou qu’il s’en chargerait en achetant l’église1, mais le fait est que le séjour de SaintLouis est pénible. Priez pour ce pauvre diocèse où le démon fait de nombreux efforts, mais je vous prie de garder ceci pour vous, car on n’aime qu’à dire le beau. On sait ici l’histoire du voyageur [M. Inglesi]2. Quelle croix pour celui qui l’a député ! Ne faites, je vous prie, aucun reproche à notre chère Octavie ; elle est trop aimable et trop sensible à l’amitié. C’est dans son être, elle ne se réformera jamais totalement et elle serait si chagrine d’une désapprobation de votre part que sa santé en souffrirait considérablement ; elle est grandement utile. Encore un mot de Catherine : elle m’a fait beaucoup de plaintes de celle qu’elle aimait tant. Mère Eugénie n’en veut absolument point, elle a raison. Ne croyez point, ma bonne Mère, qu’elle ait renvoyé Joséphine Meneyroux ; elle a été si affligée de son départ qu’elle m’en écrivit avec désolation et, quand elle en parla avec douleur au confesseur, il versa lui-même des larmes en voyant le comble d’affliction dont Dieu l’abreuvait. Mais, pour ôter le scandale qui avait été grand dans le pays, elle a eu l’air d’accord et l’autre, dans la marche embrouillée, a été reconnue de beaucoup. Je vous répète que Mère Eugénie a une sagesse rare. Je suis, dans le Sacré Cœur, et à vos pieds, votre indigne fille. Philippine 1 2

Mgr Dubourg achèterait l’église de Florissant appartenant aux religieuses du Sacré-Cœur, en remboursement de leurs dettes. Angelo Inglesi, ordonné par Mgr Dubourg en 1819, était alors impliqué dans les scandales de Rome et de Philadelphie.

Lettre 206

LETTRE 206



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L. 8 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 17 février 1823] Mon Révérend Père, J’ai reçu vos deux lettres ; la première répond à une des miennes et la seconde nous demande des prières. Je me suis empressée de les faire commencer et attends de la bonté de Dieu qu’il fera tout réussir, peut-être non selon votre désir, mais au plus grand bien de la mission à laquelle vous vous êtes consacré. J’ai cru entrevoir que ce qui vous faisait tant de peine était la nouvelle que vous étiez évêque, ce que nous avons appris depuis peu, et quoique la charité fasse une loi de s’affliger avec ceux qui s’affligent, il nous a été impossible de l’observer en cette circonstance. Depuis longtemps, les yeux se tournaient sur vous quand Monseigneur parlait de se choisir un coadjuteur et j’ai vu, dans mon voyage, combien ce vœu était général. Notre intérêt particulier semble ajouter à notre contentement, nous avons éprouvé tant de bontés, un zèle si pur de la part des membres de votre Société qu’elle nous est infiniment chère et que tout ce qui tend à l’étendre et à la consolider dans ce pays fait d’avance notre bonheur. Il me paraît très avantageux que les Sœurs du Kentucky aillent aux Barrens. Je vois toujours un bien à faire dans le projet que je vous ai soumis, surtout pour les malades, mais ce ne serait qu’à la longue qu’il pourrait s’exécuter parce que je ne pense pas qu’une personne âgée de cette nation puisse se former à la vie religieuse, parce que les jeunes personnes ne le seront qu’après bien des épreuves. Déjà deux, que nous avions prises à cette fin, se sont rebutées pour le plus léger travail ; de plus, il y a bien peu des personnes venues de France qui puissent s’accoutumer ici. Je le dirais en particulier des hospitalières qui sont toutes payées et entretenues, ainsi que les malades, aux frais des villes et du gouvernement, à qui il ne manque jamais rien. Ici, il faudrait souvent s’ôter le nécessaire pour le distribuer aux pauvres, n’être payé que d’ingratitude. Il faut connaître de longue main les privations du 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Cachet de la poste : St. Louis, Feb. 22. Au verso : « 1823 Février 17, Mme Duchesne, Florissant. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

pays et avoir été à l’école des croix pour être hospitalière dans ces pays. J’ai écrit trois fois à Monseigneur sur ce projet ; d’avance, il m’offre une veuve qui pourrait bien, dans les desseins de Dieu, être destinée à son exécution. On me dit que Monsieur Cellini ne s’accoutume pas aux Opelousas ; si cela est, vous le saurez et si le choix de son successeur dépend de vous, nous voudrions bien qu’il tombe sur Monsieur Dahmen, dans le cas où il ne se plairait pas non plus à Sainte-Geneviève. Monseigneur avait paru le destiner aux Opelousas et j’avais d’avance témoigné à mes sœurs combien elles seraient favorisées par un tel choix. Je suis avec une profonde vénération, mon Révérend Père, votre plus dévouée servante. Philippine Duchesne Ce 17 février 1823 M. Delacroix se remet seulement de son voyage aux Osages. Mes sœurs Hamilton vous offrent leurs respects, et sont bien affligées du mariage de leur mère. [Au verso :] Right Reverend Rosati Superior of the Barren’s Seminary Settlement

Lettre 207

LETTRE 207

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L. 3 À MÈRE DE LALANNE

SS. C. J. et M.

[Ce 20 février 1823] Recommandé à St Antoine de Padoue1 Ma bien bonne Mère, Je profite d’un départ d’un Monsieur2 pour la France, qui tenait à la maison de Monseigneur, pour me recommander à vos prières. S’il s’arrête à Bordeaux, il vous dira qu’il est absent depuis longtemps et que plusieurs disent que, peut-être, il ne reviendra pas à Saint-Louis. Mais j’attends de la bonté de Dieu qu’il n’en sera pas ainsi. Ce qui me persuade le contraire, c’est qu’il m’a écrit et parlé de son séjour à Baltimore comme devant se terminer bientôt. Quand je suis revenue de la Basse-Louisiane, il était déjà parti dans mon absence. Le Bon Dieu a visité cette maison par beaucoup de maladies ; sans doute le froid les a terminées à mon retour. Mais ce mois-ci, les Mères Octavie et Lucile ont encore eu un peu de fièvre ; elles sont remises, nous n’avons que quelques rhumes légers. J’espère écrire à ma Mère Bigeu en écrivant à Bordeaux ; j’ai appris avec une joie bien vive que sa santé se rétablissait ; j’en bénis Dieu mille fois et aurais voulu être son infirmière dans ses souffrances, comme je l’ai été à Paris et à Grenoble. Aucune des lettres contenues dans un paquet remis à M. Smith ne sont pressées, sinon celle de notre Mère Générale. S’il aborde à Bordeaux, et qu’il soit forcé pour quelque raison d’y séjourner, je vous prie de découdre le paquet et d’envoyer par la poste celle de notre Mère Barat et des villes plus voisines de Bordeaux. Tout le reste peut attendre des occasions. J’espère que le Père Barat est à Paris, je n’entends presque rien dire de nos Pères de Bordeaux. Je serais bien ingrate si j’oubliais le bon Père Debrosse ; je vous prie de lui présenter mes respects et de lui deman1

2

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Autres copies : A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, Box 2 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 18-20. Dans sa lettre du 20 mars 1823, à la Mère Barat, Philippine fait allusion à « un Monsieur de Saint-Louis » à qui elle a remis des lettres, un mois plus tôt.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

der une messe ; j’en ai grand besoin, Dieu nous met sous le pressoir. L’œuvre de Dieu est bien contrariée : d’un côté l’impiété et le délire du plaisir, de l’autre le découragement, les difficultés sont sur le point de renverser le bien commencé. N’en dites rien à Mme Fournier, elle serait trop inquiète, mais Monseigneur a des ennemis à Saint-Louis comme à La Nouvelle-Orléans ; nous pouvons ressentir les effets des tracasseries qu’on lui suscite ; mais le mal est bien moins grand, s’attachant à de pauvres filles comme nous, qu’au chef de la religion dans le pays. Hélas ! Le monde parle, tout le monde court. Dieu appelle, sollicite par la voix de ses merveilles, de ses pasteurs, de ses châtiments, et Il ne peut obtenir l’entrée des cœurs et la fin de l’assoupissement, de l’indifférence. Nos enfants sont extrêmement difficiles chez nous et, sorties, elles cèdent à toutes les impressions : que le Cœur de Jésus est outragé ! … Je vous prie d’exprimer à nos Mères et Sœurs notre vif et tendre attachement pour elles dans le Sacré Cœur. Je suis en Lui, ma digne Mère, votre plus dévouée servante. Philippine Duchesne Ce 20 février 1823 Mes respects à Mesdames Fournier et Vincent du Sacré-Cœur. [Au verso :]1 À Madame Madame la Supérieure des Dames du Sacré-Cœur2  Rue Mercière À Bordeaux

1 2

Note ajoutée sur l’adresse : « Si M. Smith n’aborde pas à Bordeaux, je le prie de joindre cette lettre à celles pour Paris. » Pour réaliser cette fondation, Mère Bigeu est à Bordeaux du 1er Décembre 1821 au 25 juin 1823, mais la destinataire est Mère de Lalanne : l’adresse est la même que celle du 8 mai 1820.

Lettre 208

LETTRE 208



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L. 9 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 18 mars 1823] Monsieur et Révérend Père, J’ai eu une singulière joie d’apprendre par Monsieur Borgna que vous désiriez vous fixer de plus en plus dans ce pays malgré la dignité à laquelle votre réputation vous appelait ailleurs. J’ai une grande confiance que saint François Régis favorisera ce diocèse en vous y conservant ; c’est notre vœu bien ardent. Une lettre de Monseigneur, que je reçois en ce moment, m’annonce qu’il a dû partir au commencement de ce mois pour vous rejoindre, et il en paraît bien empressé. Il approuverait qu’on formât quelques sujets pour l’œuvre sur laquelle je vous avais consulté, mais il tiendrait aux Sœurs du Kentucky auxquelles il faudrait qu’elles s’incorporassent2, ou encore plus aux Sœurs de Saint-Charles que Monsieur Inglesi lui a fait espérer. S’il l’obtient [certaines] de ces sœurs, ce sera le mieux pour le succès de l’œuvre ; je la gâterais si je m’en mêlais. D’ailleurs, nous reculons au lieu d’avancer pour les secours pécuniaires ; et les déboires, que nous avons eus à la sortie de deux jeunes postulantes, me font craindre de multiplier les essais. Une lettre des Opelousas m’apprend que Monsieur Cellini s’occupe à faire transporter l’église près du couvent, qu’il y met beaucoup d’ardeur et qu’il pense alors pouvoir se charger de la paroisse et du couvent. Je ne sais si on est bien informé du fond de ses intentions. Vous le saurez mieux de lui-même. Je suis avec une profonde vénération, Monsieur et Révérend Père, votre bien dévouée servante. Philippine Duchesne 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1823 Mars 18, Mme Duchesne, Florissant. » Ce sont les « Sœurs de Lorette au Pied de la Croix », fondées en 1812 par le P. Nerinckx, dans le Kentucky. Un groupe de douze sœurs arrive au Missouri en 1823.

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Ce 18 mars 1823 [Au verso :] Right Reverend Rosati Barrens

LETTRE 209

L. 5 À MÈRE BIGEU

SS. C. J. et M.

20 mars [1823] Rec. à St Ant. de Padoue1 (N° 7) Ma bien chère Mère, Je viens de recevoir votre lettre du 23 octobre avec une du Père Barat par les lettres que j’ai reçues de France. Il paraît que vous n’êtes plus à Bordeaux ; je n’ai pas même osé vous y adresser mes derniers paquets de lettres. Ils y parviendront rarement à présent ; les vaisseaux, partant de La Nouvelle-Orléans, vont beaucoup plus souvent au Havre où il sera à désirer d’avoir un bureau d’adresses. Il m’a été bien doux d’apprendre que votre santé reprenait le dessus2. Ne considérez pas, je vous prie, de quels biens la mort vous prive à présent, mais celui que vous pouvez encore faire pour l’honneur du Sacré Cœur, qui vous attend plus tard chargée de plus de mérites. Puissais-je avoir le même espoir et ne pas craindre trop justement de préparer l’aliment au feu purifiant de l’autre vie (trois lignes ont été barrées). Qu’il m’a été humiliant en lisant les détails sur Aloysia, de me trouver si au-dessous de celle que j’ai vu naître et selon la nature et selon la grâce. Eugénie [Audé] me fait en partie faire les mêmes réflexions ; c’est une de ces âmes victimes unies au Sacré Cœur qui attirent les grâces autour d’elles. Sa maison est mieux établie que la 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie : A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 380-381. Cf. Ch. Paisant, p. 562-563. Mère Bigeu, malade, est rappelée à Paris. Cécile Camille part la remplacer comme supérieure.

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Lettre 209

nôtre, elle est généralement aimée et estimée et le mérite par son dévouement et sa prudence. J’ai été trois semaines avec elle à jouir de son travail. La séparation a été déchirante et suivie d’un retour plein de disgrâces : j’ai mis trois mois en voyage pour le retour, divers accidents ayant prolongé un voyage qui pouvait n’être que de vingt jours et pendant lequel j’ai cru plusieurs fois ne jamais revoir une maison du Sacré-Cœur. M’y voici cependant, ayant reçu une novice et fait faire hier, 19 mars, les premiers vœux aux trois plus anciennes [Xavier et Régis Hamilton, Mary Ann Summers]. Vous n’avez été oubliée d’aucune. Monseigneur n’était pas à Saint-Louis à mon retour. Il était parti pour Washington et il sera de retour aux environs de Pâques. Il a eu, dans cet intervalle, de grands chagrins à dévorer : le départ de deux prêtres, la mort de deux des meilleurs, l’ingratitude d’une ville qu’il a comblée de bienfaits. Un parti s’est élevé contre lui à l’occasion des dettes de l’église nouvellement bâtie ; on voulait vendre le presbytère et même une maison qu’il a fait bâtir sur le même terrain. L’orage s’est calmé, mais le procédé reste et surtout l’esprit de mondanité et d’impiété qui a surpassé celui de zèle pour la religion qu’on a montré un moment. Nous participons à la critique et à l’opposition du monde ; je ne m’en décourage pas ; nous ne travaillons pas pour lui. Je vous prie de faire prier vos filles, nos chères sœurs, pour nous. Je suis avec elles, dans le Sacré Cœur, votre dévouée fille. Philippine Duchesne Ce 20 mars 1823 [Au verso :] À Madame Bigeu assistante générale de la Société du Sacré-Cœur

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LETTRE 210

L. 53 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 20 mars 18231 Rec. à St Antoine de Padoue N° 39 Ma bien digne Mère, Il y a juste un mois que je vous ai écrit, n° 382. Il se présente une trop bonne occasion de le faire de nouveau pour que je la manque. Le prêtre qui vous remettra cette lettre est un de nos plus fervents missionnaires lazaristes. Son supérieur l’envoie à Rome pour les affaires de la mission à laquelle il est tout dévoué3. Voilà deux ans qu’il brave la mort dans le temps des maladies à La Nouvelle-Orléans ; il compte y être de retour dans un an, ce serait une bonne occasion, si on s’y établit, pour lui confier deux Dames. Il est, dans cette ville, notre zélé commissionnaire et fait toutes les provisions de Mère Eugénie. Dans cette lettre, je ne ferai point de jérémiades, parce que je suis consolée d’avoir vu donner [l’habit], le dimanche dans l’octave de saint François Xavier, à notre Sœur Élisabeth Hubert, élève de l’école externe, âgée de seize ans, bonne travailleuse et ferme dans sa vocation4. Un plaisir plus grand encore nous était réservé pour la fête de saint Joseph. Nos Sœurs Xavier et Régis Hamilton et Mary-Ann Summers ont fait leurs premiers vœux. C’est l’élite de nos novices, les deux premières, surtout. Sœur Régis ne croyait pas pouvoir passer ce jour sans en mourir, tant sa joie était grande. Elle le répétait si souvent que je commençais à le craindre. Nous aurions fait une grande perte, il n’y a dans cette âme aucun obstacle à la grâce, elle fait tout le bien qu’elle sait. Sa capacité pour l’étude est médiocre, mais elle n’a pas encore 18 ans, quoique très grande. 1

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Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 378-380 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane I 1818-1823, p. 344346. J. de Charry, II 2, L. 167, p. 166-169. Cf. Ch. Paisant, p. 560-562. Cette lettre a été perdue. Philippe Borgna, lazariste piémontais, arrivé dans le Missouri en 1819, a été ordonné prêtre par Mgr Dubourg à Saint-Louis, le 19 mars 1820. Envoyé à La Nouvelle-Orléans, il s’y dévoua avec le P. Ferrari durant l’épidémie de fièvre jaune en 1822. Après le départ de Mgr Dubourg en 1826, il est nommé vicaire général de Mgr Rosati, à Saint-Louis. Il quitte ensuite les Lazaristes et exerce son ministère dans le diocèse de Philadelphie jusqu’en 1846, où il rentre en Italie. Bien que Philippine ait estimé ferme sa vocation, elle est restée peu de temps, car elle n’apparaît dans aucun autre document.

Lettre 210

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Elle pourra gagner. Sa sœur a une grande facilité pour tout, excepté pour l’ordre d’une maison, ce qui serait la partie de sa sœur. Elle a plus à travailler pour la perfection, mais a un grand courage et dévouement. Toutes trois ont l’avantage de parler et d’écrire dans les deux langues ; étant américaines, elles n’ont appris le français que chez nous. Nous aurions attendu Monseigneur pour cette touchante cérémonie, mais elles étaient déjà en retraite quand il a écrit qu’il serait ici bientôt ; on l’attend tous les jours à Saint-Louis. Monsieur Anduze, qui l’avait accompagné, sera sans doute passé en France ; il n’aimait guère ce pays. Il lui est arrivé, allant voir un malade éloigné, d’être obligé de s’arrêter dans une petite maison pour demander à manger. On lui servit du lard et du lait et, pendant qu’il mangeait, un serpent à sonnette est tombé du plancher sur la table ; il a plaint son hôtesse d’avoir de tels voisins ; elle lui a répondu que, souvent, elle en avait deux ou trois pendus à son sein qui venaient prendre son lait, qu’alors elle se gardait bien de bouger pour n’être pas piquée. Quelle vie ! Que faisons-nous de si difficile pour Dieu ? J’étais en peine pour habiller nos novices de neuf, le jour de leurs vœux. Une vieille soutane du religieux de la Trappe, parti, a fait le manteau de l’une. Sœur Mary Ann a eu son fichu et son voile pris d’une robe de crépon d’une pensionnaire, et ma Sœur Xavier était tout en neuf, excepté une vieille pèlerine pour porter les livrées de son Époux, pauvre volontaire. Il y a cet avantage ici qu’elles s’exercent à une vie dure et de privations, je vous dirai que je crains un peu celles qui ont eu toutes leurs commodités… Venant l’une de tirer les vaches, non dans une écurie, mais souvent dans un pied de boue, à la pluie, à la neige ; l’autre s’enfume à la cuisine, l’autre fait le four. À chaque instant, on traverse des cours de terre grasse, qu’il n’y a [pas] moyen d’affermir ; les habits et les appartements se sentent après ces inconvénients ; point de sabots ni galoches, cela n’est point connu. C’était un Monsieur de Saint-Louis qui était porteur de ma dernière lettre ; j’espère qu’elle est parvenue. Mère Octavie vient de souffrir beaucoup de maux dans la bouche ; différents petits abcès. Elle est mieux, mes autres Sœurs sont bien. Nous attendons avec impatience la Vie d’Aloysia. Je suis dans les Sacrés Cœurs, ma digne Mère, votre bien soumise fille et servante. Philippine Duchesne Tendres souvenirs à mes Pères, Mères et Sœurs.

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LETTRE 211

L. 52 À MADAME JOUVE, À LYON 21 Mars 18231

Ma bien chère sœur, J’attends avec empressement de tes nouvelles, et j’ai le moyen de m’en informer promptement par Monsieur Borgna, prêtre missionnaire lazariste de ces contrées, qui va à Rome pour les affaires de sa mission. C’est un homme d’un grand mérite et qui nous oblige en tout ce qu’il peut. Il doit être quinze jours à Lyon et pourra peut-être te voir. Toutes les années, j’ai envoyé mes certificats de vie à mon frère, sans jamais rien retirer de ma rente sur l’État. Cette fois-ci, j’ai adressé ces mêmes certificats à mon cousin Perier Augustin, espérant qu’il pousserait l’affaire avec zèle et je l’ai prié, si on retirait quelque argent, de m’en acheter une horloge, telle que celle de Grâne qui n’avait coûté que 100 F. C’est peut-être moins à présent ; ici, ces objets sont très chers. La voie de Bordeaux est bien moins prompte maintenant que celle du Havre, d’où il part continuellement des vaisseaux pour La Nouvelle-Orléans. Je te prie de le dire à mon cousin ou à mon frère s’ils me font cet envoi. On peut l’adresser aux Dames Ursulines pour me le faire tenir. J’espère que dans quelques années, nous aurons là une maison ; déjà un terrain est offert, mais le difficile est de bâtir. Si tu vas à Fourvière, ne manque pas de prier pour nous notre mère commune. Je ne t’oublierai jamais, ni ton mari, ni tes enfants. Toute à toi dans le Sacré Cœur, Philippine Duchesne Fais mes compliments aux personnes de la famille qui se souviennent de moi ; surtout à Mme de Rollin. Je n’écris pas à La Ferrandière, l’ayant fait il y a peu de temps, mais si M. Borgna voulait y aller voir nos dames, je te prie de l’y faire accompagner ou de lui donner une lettre de ma part, en en parlant comme d’un bienfaiteur.

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Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 113-114 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 212

LETTRE 212

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L. 54 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 20 mai 18231 Rec. à St Antoine de Padoue N° 40 Ma bien digne et très aimée Mère, Il y a longtemps que je n’ai point eu de vos nouvelles, ce qui est une grande privation. Aucune de vos dernières ne m’apprend que vous avez reçu celles que je vous donnais de mon voyage dans la Basse-Louisiane, dans le cours duquel je vous rappelais le projet d’un établissement à La Nouvelle-Orléans. Vos réponses à des propositions antérieures me marquent assez que ce n’est point-là votre intention. Monseigneur, qui avait été des premiers à parler de cet établissement, n’y paraît mettre aucun intérêt en ce moment. Sans doute, il ne nous juge pas en force sans votre secours pour cela, que vous nous refusez, et il a raison. Il est maintenant tout occupé du don important que viennent de lui faire les Dames Ursulines ; elles vont bâtir un couvent à un ou deux milles de la ville et laissent à Monseigneur et à ses successeurs leur église et leur couvent de ville, bâtiment le plus considérable de La Nouvelle-Orléans, bâti autrefois aux frais du Roi de France, ce qui fit que rien ne fut épargné et fit dire à Louis XV, en revoyant les comptes de cette dépense : « Ces Dames sont donc mieux logées que moi. » Il est beau et heureux pour ces Dames, après avoir soutenu le culte catholique dans leur ville, d’y assurer l’existence d’un évêque qui, depuis le gouvernement américain, n’y avait pas un sol d’assuré2. C’est Monseigneur lui-même qui nous a donné cette nouvelle à son retour de Baltimore. Il ne s’est presque pas arrêté à Saint-Louis, vint le jour de l’Ascension donner la Confirmation dans notre église, faire faire la première Communion à 14 élèves, externes ou pensionnaires. Il repartit le lendemain et cela a été là la seule visite, dans laquelle il s’informa bien moins qu’à l’ordinaire de l’état de la maison. On dit qu’il n’est plus notre évêque et ne signe plus qu’évêque de La Nouvelle-Orléans, au lieu 1

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 2 septembre 1823. Copie : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, p. 212-216. J. de Charry, II 2, L. 168, p. 170-177. Cf. Ch. Paisant, p. 587-591. Un sol ou sou est une monnaie qui équivaut à 5 centimes.

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qu’auparavant il signait évêque de la Louisiane. Les uns disent que notre nouvel évêque est un sulpicien, d’autres Monsieur Rosati, prêtre romain de la Société des Lazaristes. Je crois plutôt qu’ils ne seront l’un ou l’autre que coadjuteurs de Monseigneur1. Son départ précipité entraîne celui de plusieurs prêtres : l’un va se faire religieux à Rome ; d’autres vont être curés dans la Basse-Louisiane. Le nôtre même [M. Delacroix] pense à y descendre, disant que les Jésuites nous suffiront. Si vous ne savez pas encore ce qui s’est passé à Georgetown entre Monseigneur et les Jésuites, vous serez bien surprise de ma dernière phrase. Il ne nous a point expliqué les détails de cette bonne et inappréciable acquisition pour un pays comme celui-ci où la devise de la plus grande gloire de Dieu doit être la seule richesse et le seul soutien. Un prêtre m’a dit que les supérieurs voulaient dissoudre le noviciat (à cause qu’il s’y trouvait des étrangers), que sept jeunes Flamands pleins d’ardeur, de zèle et de dévouement ont jeté les hauts cris et ont protesté qu’ayant été appelés en Amérique, ils ne sortiraient pas de la maison qu’on ne les replaçât dans une autre maison de la Société, que, là-dessus, le supérieur s’était décidé à les envoyer dans cet État du Missouri avec le maître des novices et son second, quelques frères et Nègres pour les servir. Ils viennent, dit-on, sur l’unique fonds de la Providence, mais d’autant plus contents. Par le traité fait avec Monseigneur, il leur donne son habitation de Florissant qu’il a achetée 10 000 F, les chevaux et le bétail qui s’y trouvent et, comme la maison est trop petite pour douze ou quinze personnes qui y arriveront, il nous a dit que plusieurs logeraient dans la cure. Par malheur, le toit et les planchers n’y sont pas faits et nous n’avons pas le sou pour aider à cet ouvrage ; le curé le poursuit lentement, sur le fonds aussi de la Providence. Il n’y aura aucun meuble que ce que nous tâcherons de partager, ne voulant pas céder aux bons Pères dans la confiance en la Providence. Monseigneur leur donne tout le Missouri à visiter, SaintCharles et deux autres villages. C’est bien de l’ouvrage pour deux prêtres, les novices ne l’étant pas. Je me doute que, quand ils seront en nombre, il en prendra pour un collège à La Nouvelle-Orléans dans le couvent de ces Dames, quand elles le quitteront. Comme elles bâtissent à la place qu’occupait Monsieur Martial, on dit qu’il a dissout son pensionnat2. 1 2

Après de longues négociations, Mgr Rosati, provincial des Lazaristes, supérieur du séminaire des Barrens, vicaire général de Mgr Dubourg, a été nommé évêque coadjuteur le 25 juin 1823. Son collège, établi sur la propriété des Ursulines, sera transféré en 1824 au collège Saint-­ Joseph de Bardstown, Kentucky, diocèse de Mgr Flaget.

Lettre 212

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Mme Smith veut aussi consacrer le reste de sa fortune à un second établissement de Lazaristes. Il serait tout près de Mère Eugénie. Je ne vous solliciterai plus pour de petits établissements. Monseigneur, en passant au Kentucky, y a obtenu 12 des Sœurs établies dans ce diocèse par Monsieur [Charles] Nerinckx, prêtre flamand. Ces Sœurs appelées Les Amantes de Jésus au pied de la Croix et, par abréviation, les Filles de la Croix, sont très austères, tellement couvertes qu’on ne leur voit que le menton, vont pieds nus, font tous les gros travaux, labourent, sèment, fauchent, coupent le bois, soignent les chevaux, etc. Il y en a déjà plusieurs maisons et, en peu d’années, [elles] sont montées jusqu’à cent Sœurs. Elles instruisent les pauvres, les forment au travail et font beaucoup de bien. Elles aspirent déjà à la mission des Osages pour les filles et je vois qu’elles nous devanceront pour beaucoup de bonnes œuvres que nous ne pourrons que désirer, leurs usages s’adaptant à la pauvreté et aux besoins du pays. À toutes les demi-heures, on sonne chez elles pour avertir de dire ces paroles : « O Jésus souffrant ! O Vierge douloureuse ! ». À d’autres heures, toutes chantent à la fois et les mêmes cantiques, mais sans quitter leurs différentes occupations, l’une au bûcher, l’autre à la cuisine, etc. La première maison de ces Sœurs dans notre diocèse sera aux Barrens, près le Séminaire. Elle s’achève en ce moment. De là, elles se répandront. La maison des Opelousas prospère. Mère Eugénie songe déjà à y faire un nouveau bâtiment. J’y suis très opposée, voyant l’instabilité des établissements dans ce pays ; on y tourne comme le vent, il faut aller lentement et sûrement pour ne pas se mettre dedans. Il ne faut qu’une langue maligne pour lui ôter en un jour toutes ses pensionnaires. Les Dames de la Visitation ont eu 40 pensionnaires et n’en ont plus que 15, sans espoir d’augmentation, la disette d’argent se faisant aussi sentir dans les villes de l’Est. Nous n’en avons que 18, dont plusieurs gratuites, d’autres qui paient mal. Outre cela, 6 orphelines et 7 novices ou aspirantes qui ne donnent pas même leurs vêtements. Je voudrais rendre les élèves qui ne paient pas, mais plusieurs perdraient la foi. Nous aimons mieux nous priver de tout. L’établissement à La Nouvelle-Orléans aurait soutenu celui-ci. Dieu ne le veut pas, fiat, fiat pour la disette, fiat pour les maladies ! J’ai cru Mère Octavie entrée en consomption ; elle se remet de divers abcès à la bouche dont l’un a été percé par le docteur. Elle souffre avec une grande douceur. Sa fidélité à tout me faisait penser qu’elle touchait à la récompense. Sa perte eût été moins nuisible à la maison, dans le moment de notre abaissement dont je ne crois pas que nous

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nous relevions ; même, je m’attends à perdre bientôt plusieurs enfants, l’argent est trop rare. Mère Lucile a eu la fièvre à différentes reprises. Elle ne pourrait nullement remplacer Mère Eugénie, la seule en état d’être supérieure à La Nouvelle-Orléans. Elle se fait entendre en anglais et a un rare talent pour le gouvernement. Si cette maison eût eu lieu, je vous proposerais de laisser Mère Xavier [Murphy] supérieure aux Opelousas, elle est très aimée des enfants et des parents qui tiennent beaucoup à l’anglais. […] avec les enfants et […]1 disait-elle, un jour à sa petite classe, bien désagréable à la vérité ; elle ne peut absolument pas faire une des premières ; les enfants la jugeraient, et ici, plus qu’ailleurs, cela a des conséquences. Je crois que je suis clouée ici pour ma vie. Monseigneur, sur quelques avis qu’il a eus, m’a dit que Mère Octavie ne pouvait pas être supérieure et je le vois. Elle est aimée des enfants, mais ne les tient pas du tout. L’école externe va aussi petitement. On ne peut voir des enfants plus ingrates, plus insouciantes, plus ineptes. Dieu soit loué de tout ! Toutes les privations, toutes les humiliations n’auront pas payé trop cher le bonheur d’être témoins des succès de nos Pères et de leurs vertus héroïques. Ce bonheur est tel que je n’ose encore m’en flatter et crains qu’on ne nous ait bâti un beau château en Espagne. À part les malades dont je vous ai parlé, le reste va à peu près. Nous avons une postulante de 30 ans2 qui paraît bien bon sujet et qu’on pourra former aux études, mais elle a aussi, de temps en temps, la fièvre. Monsieur de Clorivière, neveu du Père et confesseur à la Visitation de Georgetown, m’a écrit au retour de Monseigneur et m’a envoyé la circulaire de ces Dames. Je vais leur répondre par une occasion qui se présente. Les dernières lettres de France sont de la Mère Prevost, confiées [à un voyageur], à qui nous allons répondre. Les vôtres étaient datées de septembre. Vous m’aviez parlé d’un tabernacle, de la Vie d’Aloysia, nous n’avons rien reçu. Les 600 F de Mme de la Grandville ont été employés, comme vous savez, pour payer M. Mullanphy. Il n’y a pas eu de possibilité d’acheter avec l’équivalent : 1°) ayant toujours été à court ; 2°) parce que M. Mullanphy nous environne de trois côtés et, de l’autre, c’est un 1 2

Passages rendus illisibles ; il y est question d’Octavie. Mary Ann O’Connor (1785-1864), RSCJ, née en Irlande, venue en Amérique, est entrée au Sacré-Cœur de Florissant et a fait ses premiers vœux le 21 juin 1823. En 1825, elle a été chargée de la classe des Indiennes, a fait sa profession en 1829. En 1841, elle a fait partie des fondatrices de la mission de Sugar Greek, chez les Potowatomis, s’y est dévouée jusqu’à sa mort.



Lettre 213

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mineur dont on ne peut vendre les biens ; 3°) la culture ici, quand on la paie, vaut plus que ce qu’on retire. Une journée est encore à 3,50 F et le boisseau de blé, mesure de France, à 25 sols ; le maïs, à 18 sols, etc. J’ai besoin de vous dire que je suis toujours la même, que j’arrête l’œuvre de Dieu, que je nuis aux âmes plutôt que de les aider. Et cependant je ne pense pas assez à la mort et au jugement qui suit. Mon recours est dans le secours de vos prières auprès du Cœur de Jésus en qui je suis votre indigne fille. Philippine D. Mes souvenirs à nos Pères, Mères et Sœurs. [Au verso :] À Madame Madame Barat, Supérieure des maisons du Sacré-Cœur, rue de Varenne Hôtel de Biron À Paris France

LETTRE 213

L. 1 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Ce 16 juin [1823]1 Monsieur et Révérend Père, Je profite du départ de M. Isidore pour tâcher de vous exprimer, par lettre, ce que la peine de votre éloignement nous a empêché de vous dire à votre départ. Le silence de chacune devait en dire plus que les paroles, puisqu’il n’était produit que par l’extrême affliction de ne pouvoir plus voir et entendre celui qui leur a voulu et fait tant de bien. Je me flatte cependant que vous reviendrez dans ces pays et que, si la divine Providence nous y retient, elle nous donnera aussi la conso1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « de Mme Duchesne, 1823, le 16 juin ; ses remerciements. N° 1 ».

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lation d’y revoir celui qui a été un des principaux instruments de ses bontés pour nous. Mes sœurs, les pensionnaires, les orphelines surtout, à qui vous laissez tant de preuves de votre souvenir et de votre générosité, s’empressent de vous offrir leurs respects et leurs remerciements. Je vous demande pour moi une messe afin que Dieu m’aide à porter les peines de la supériorité et m’en pardonne les fautes. Je vous prie de savoir s’il y a quelques lettres des Opelousas pour moi. Mère Eugénie doit avoir besoin de secours ; je ne veux en envoyer que sur sa demande et si elle en faisait une en ce moment, je perdrais l’occasion unique de faire voyager une ou deux sœurs avec autant d’agrément que de sûreté. Si une diminution sur la pension pouvait déterminer M. McKay à laisser Caroline Lavallée plus longtemps, étant bien aise de conserver un sujet si bon, nous diminuerions le quartier1 jusqu’à 25 $. Mes respects à Messieurs Niel, Anduze, Deys et Michaud2, à qui je recommande nos lettres si elles ne suivent pas. On nous avait fait espérer que Monsieur Anduze viendrait prêcher [la fête de] saint Régis ; nous n’aurons peut-être pas même de grandmesse. Je suis avec respect dans le Sacré Cœur, mon révérend Père, votre humble servante. Philippine Duchesne Nous ne manquerons pas de prier pour votre voyage. [Au verso :] Révérend Delacroix Saint-Louis

1 2

La quatrième partie de l’année scolaire. Leo Deys, séminariste flamand, s’embarqua pour l’Amérique, en 1816, avec MM. Rosati et de Andreis. Après avoir exercé son ministère à Saint-Louis, il est rentré en France en 1824. ­Eugène Michaud, né en France en 1798, est allé à La Nouvelle-Orléans comme prêtre diocésain.

Lettre 214

LETTRE 214



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L. 2 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Ce 18 [juin 1823]1 Mon Révérend Père, J’ai reçu le petit paquet qui ne contenait que quelques livres et des lettres indifférentes. Mais d’après votre avis et dans la crainte que nos sœurs des Opelousas ne se tuent, je me décide à laisser partir nos sœurs Marguerite et Mary Ann2, ne pouvant trouver un moment ni une occasion plus favorable pour les faire voyager. Étant sous vos auspices, elles sentiront moins la peine de notre séparation. Ma Sœur Mary Ann ayant plus de 18 ans et ayant fait ses premiers vœux, est bien libre de partir et le fait de bon cœur ; mais cependant s’il en reste le temps, il serait peut-être convenable qu’elle vît M. Hubert et Mme Pratte3, le premier étant son tuteur et Mme Pratte l’ayant comblée de bonté. Cependant si on venait à élever quelques difficultés, cela nous dérangerait considérablement. Je vous prie de tout peser dans votre prudence. Quant aux frais du voyage, je donne 50 $ qui suffiront, j’espère, pour le pays de traverse et s’il arrivait quelque accident, Mère Eugénie payerait le dernier partage. Je voudrais que le capitaine du steamboat attendît pour le paiement jusqu’à La Nouvelle-Orléans ou à son retour ici. Je vous prie d’arranger cela et de les guider en tout. Il vaut mieux loger à Plaquemine chez M. Desobri que dans l’auberge où nous étions, qui est trop bruyante. Si les paquets ne peuvent aller dans la voiture jusqu’au steamboat du Bayou, il vaudrait mieux prendre une charrette qui porterait mes sœurs et leurs paquets. Je vous prie de remettre les lettres pour La  Nouvelle-Madrid à Monsieur Dahmen4 ; il y a souvent communication entre les Barrens et La Nouvelle-Madrid. 1 2 3 4

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « de Mme Duchesne, 1823 ; ce 18 juin, pour amener deux ou trois sœurs. N° 2 ». Marguerite Manteau, du groupe d’origine, et Mary Ann Summers qui vient de faire ses premiers vœux. Émilie Labbadie Pratte, de Saint-Louis, femme du général Bernard Pratte. Pendant trois semaines, elle reçut chez elle Philippine et ses compagnes, à leur arrivée en août 1818. François-Xavier Dahmen, CM, né en 1789 en Allemagne, a été ordonné prêtre en 1819. Il a exercé diverses tâches pastorales à Vincennes (Indiana), Florissant, Sainte-Geneviève, et

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Je suis fâchée que le temps n’ait pas permis à ces Messieurs de venir nous voir ; je les attendais ce matin, car ils ont dû penser qu’il aurait été impossible de les coucher, n’ayant plus de matelas à disposer. Mais nos vœux suivront toujours et vous et tous ceux qui nous ont comblées de soins et de bontés. Mes sœurs vous offrent leurs respects. Je vous prie d’agréer les miens et l’expression de ma vénération et reconnaissance dans le Cœur de Jésus. Je suis, mon révérend Père, votre dévouée servante. Philippine Duchesne

Ce 18 [juin 1823]

Je prie M. Jeanjean1, chargé des affaires de Mère Eugénie, de payer les deux places. [Au verso :] Au Reverend Delacroix À Saint-Louis

1

Saint-Louis. Rentré en Europe en 1852, il est décédé à Paris en 1866. Louise Callan note : « Le P. Dahmen a été l’un des prêtres de Saint-Louis, en qui Mère Duchesne avait la plus grande confiance » (Philippine Duchesne 772 n. 10). Auguste Jeanjean, né en France en 1795, recruté comme séminariste diocésain par Mgr Dubourg, est arrivé en Amérique en 1817. Il a été ordonné prêtre en 1818 par Mgr Flaget de Bardstown, Kentucky, pour ouvrir un collège à Vincennes, Indiana. Le projet ne s’étant pas réalisé, il a été rappelé à Saint-Louis, fut envoyé à La Nouvelle-Orléans. Il a été aumônier des maisons du Sacré-Cœur en Louisiane, y fut très apprécié. En 1835, il refusa la charge d’évêque de la Louisiane, fut vicaire général du diocèse, où il est décédé en 1841.

Lettre 215

LETTRE 215



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L. 55 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 18 juillet 18231 Rec. à St Antoine de Padoue N° 42 Ma bien digne Mère, Ma dernière lettre, du 10  juin2, a dû vous consoler beaucoup, puisque je vous apprenais l’arrivée tant désirée de nos Pères ; il ne faut pas cependant que vous croyiez que la chose soit comme en France. L’intérêt ne peut être le même et, déjà plus de quatre fois dans ce moisci, on m’a témoigné qu’on pourrait bien nous laisser […] soit que la première autorité le voulût […]3. Pour nous accommoder aux heures et aux jours, cela va encore et j’attends de la divine Providence qu’elle ne nous laisse pas sans pain. Cela serait d’autant plus amer que personne n’aurait pitié de nous, persuadés que nous préférions les R. Pères à tout, et que trois4, qui auraient pu continuer à nous donner des soins, sont descendus dans la Basse-Louisiane. La plaie de la misère se fait sentir là comme ici ; avant que j’en fusse si assurée, voyant le petit nombre de nos Sœurs aux Opelousas, leur pensionnat plus fort que le nôtre, la faible santé de Mère Xavier [Murphy] et le temps des chaleurs et des fièvres, j’ai cru nécessaire de leur porter secours et, ne pouvant m’absenter, c’est ma Sœur Marguerite [Manteau], comme la plus âgée, que j’ai envoyée avec Sœur Mary Ann Summers, aspirante. Elles sont parties avec trois prêtres sur le meilleur steamboat du Mississippi, mais qui, par l’imprudence du pilote, a échoué à 400 milles d’ici ; elles ont continué leur route sur un autre steamboat qui passait, mais je ne puis avoir encore des nouvelles de leur arrivée. 1

2 3

4

Copie, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 383-384 ; USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 209-210. J. de Charry, II 2, L. 170, p. 185-188. Cf. Ch. Paisant, p. 592-594. Cette lettre (n° 41) est perdue. Mots effacés. Le P. Van Quickenborne demande à son supérieur du Maryland l’autorisation de prendre en charge spirituellement les religieuses du Sacré-Cœur. Le P. Francis Neale le permet « ad interim », en attendant l’accord du Père général, dont la réponse ne parviendra qu’à l’automne. Parmi lesquels le curé de Florissant, M. Delacroix, qui a fait ses adieux à la communauté le 8 juin.

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Ces bonnes Sœurs nous font un vide, encore augmenté par le renvoi de Sœur Marguerite Tison, novice coadjutrice depuis dix mois, mais qui nous donnait des doutes continuels sur sa vocation1. Elle est remplacée par une postulante, française de 21 ans, propre aux études et qui paraît bien disposée ; elle s’appelle Thérèse Detchemendy2. Malgré notre pauvreté, j’ai été obligée de faire venir un médecin de Saint-Louis, pour traiter Mère Octavie, qui avait, près de la bouche, un vilain ulcère ; il est maintenant bien diminué, elle est au régime et a un cautère. Les autres vont passablement pour la santé. Toutes sont consolées de la direction de leur Père. C’est le recteur [Van Quickenborne] et en même temps maître des novices3 ; c’est un père Balthazar Alvarez, un vrai Rodriguez4. Il m’a dit que ses Frères de Georgetown étaient très pauvres ; leurs terres produisent du tabac qui a beaucoup baissé, ne suffisent pas aux besoins de tous. Ils ont été 70 et sont maintenant divisés en huit ou neuf établissements ; ils refusent des sujets. Nous avons trois bons sermons tous les dimanches : un en anglais à la première messe, en anglais et en français à la seconde. Je n’ai point de réponse des lettres que je vous ai écrites depuis un an ; les plus promptes et les plus importantes pourraient être affranchies jusqu’à la mer et adressées ici : à Saint-Ferdinand, État du Missouri, par New York. Une lettre adressée au R. Père, à Georgetown, est restée plus d’une année à venir. D’ailleurs, je craindrais d’être à charge [des Jésuites qui paieraient le port]. On les dit riches, mais je sais quelles sont ces richesses ; elles sont, comme celles de Monseigneur et les nôtres, de véritables charges. 1

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3

4

Marguerite Aloysia Tison, née en 1800, entre au noviciat de Florissant, où Mgr Dubourg lui donne l’habit le 15 août 1822, en l’absence de Mère Duchesne. Elle quitte le Sacré-Cœur en 1823, y entre à nouveau, part en 1824 avec Judith Labruyère à Grand Coteau puis à Saint-­ Michel, sans avoir fait de vœux (son nom n’apparaît pas sur le registre de Florissant). En 1825, elle fera partie de celles qui iront fonder la maison de Saint-Michel, mais quittera définitivement la Société du Sacré-Cœur en 1826. Thérèse Detchemendy, RSCJ, née à Sainte-Geneviève en 1802, est la fille de Pascal Detchemendy, homme politique français, l’un des plus riches de la région. Entrée au noviciat de Florissant, elle prit l’habit le 14 septembre 1823, fit ses premiers vœux le 21 juin 1825. Elle enseigna d’abord à Saint-Louis, puis en 1829 à La Fourche et ensuite à Saint-Michel, où elle est décédée du choléra le 31 mai 1833. Charles Félix Van Quickenborne, SJ, né en 1788, en Belgique, ordonné prêtre à Gand, entre au noviciat de la Compagnie de Jésus, fait ses premiers vœux en 1817 et part en Amérique, à Georgetown, pour y être maître des novices. Il arrive au Missouri en 1823, avec le Père Timmermans et cinq novices flamands, dont Pierre De Smet, futur apôtre du Kansas et des montagnes Rocheuses. Réputé pour sa rigueur spirituelle, il a parfois fait preuve d’une autorité intransigeante à l’égard de Philippine. Il est décédé en 1837. Balthazar Alavarez (1533-1580),  SJ, mystique espagnol, a été directeur spirituel de sainte ­Thérèse d’Avila.

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La Basse-Louisiane a été affligée de plusieurs fléaux qui y portent la misère. Mère Eugénie s’en sentira et il ne faut plus songer à s’établir à La Nouvelle-Orléans. Vous étiez inspirée quand vous avez repoussé ce projet. Nous avons le bonheur d’être fort critiquées et, pour mieux réussir à croiser [entraver] nos travaux, on dit que nous partons ; il y en a bien qui le voudraient. Il faudra bientôt nous borner aux pauvres et à notre propre perfection, heureuses d’y travailler parmi les épines et d’y être aidées par ces modèles vivants, imitateurs de ceux que nous nous proposons d’imiter. Quel plaisir j’ai eu de couper et de travailler des vêtements tels que je les contemplais dans [nos] saints protecteurs. Ils prennent ici le costume exact. Mes respects à ces Pères de France, qui ne s’oublient jamais, à mes Mères et à mes Sœurs. Je suis à vos pieds, votre fille indigne, Philippine Duchesne Le Père Recteur va distribuer les prix aux externes à la fête de saint Vincent [de Paul, leur patron]. Elles-mêmes chanteront la messe. Elles sont quelquefois 30, mais c’est rare. Ma Sœur Catherine [Lamarre] y remplace ma Sœur Marguerite [Manteau] et a ce qu’elle a tant désiré ; elle tient peu au silence et Mère Lucile a aussi trop peur de gronder ; l’ordre est mal gardé. Nous n’avons que 13 pensionnaires. Nos Sœurs demandent votre bénédiction. J’ai voué une messe à La Louvesc pour Mère Octavie. Voudriez-vous, ma respectable Mère, la faire acquitter.

LETTRE 216

L. 3 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M1.

Monsieur et Révérend Père, J’ai reçu vos trois lettres : la 1ère de Saint-Louis, la seconde du steamboat Dolphin et la 3ème, de La Nouvelle-Madrid, qui m’est seulement 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « de Mme Duchesne, 18 juillet 1823. N° 2 bis ».

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parvenue hier. J’ai bien partagé les disgrâces de votre voyage et suis vraiment mortifiée que mes sœurs augmentent encore vos ennuis. Nous sommes bien occupées de vous tous et prions ardemment pour le succès de toutes les bonnes œuvres qui doivent suivre ces pénibles commencements. J’ai fait remettre les 20 $ à Mme  Pratte. M.  Hamtramck qui est venu, il y a peu de jours, ne pourra payer les 35 $ qu’au printemps prochain. Je suis charmée que M. McKay laisse encore Caroline, c’est une de nos meilleures [élèves]. Nous n’avons plus que 15 pensionnaires et elles vont bien diminuer. M. Vood n’a pas d’argent, sa maison près de Saint-Charles et tous ses vergers ont été emportés par le Missouri. Le capitaine Hamilton va à 800 milles d’ici et emmène Caroline1 ; M. Rolette songe à ôter ses deux enfants. Shakford sortira probablement le 1er août, etc. On a bien parlé sur le départ de Monseigneur et sur le vôtre ; maintenant, on nous fait quitter le pays ainsi que M. Mullanphy. La fureur du plaisir va croissant et le Père supérieur a prêché contre les bals ; au sortir de la messe, on y a couru avec plus de licence. Mesdames Chevalier et Christi sont mortes à Saint-Charles, ce qui a occasionné plusieurs courses du Père Timmermans2. Ces Messieurs ont bien souffert par le retardement de l’arrivée de leurs effets ; enfin, ils sont ici. Ils logent tous à l’habitation. L’un d’eux vient le matin pour la messe et retourne de suite, excepté le dimanche. Nous avons rendu ma Sœur Tison à sa famille ; elle n’avait point de vocation. M. Lepère3 est bedeau, il nous décharge de 40 $. Nous avons toujours sous les yeux les monuments de votre charité pour nous, qui nous pressent à la reconnaissance, mais ce sentiment

1 2 3

Cf. Lettre du 18 février 1824 au P. Delacroix. Caroline Hamilton habiterait près de la Prairie du Chien, État du Wisconsin. Pierre-Joseph Timmermans, SJ, né en Belgique en 1788, a été ordonné prêtre en 1820, à Georgetown. Arrivé au Missouri en 1823, il y est décédé l’année suivante. Martin Lepère est fréquemment mentionné dans la correspondance, comme employé à Florissant. Il était chargé des réparations, du courrier, du transport des prêtres. Philippine avait si fort confiance en lui que, malgré les objections du P. Van Quickenborne, elle lui demanda de venir en 1827 résider à Saint-Louis ; il parlait français et anglais et pouvait superviser la construction de la nouvelle maison. Quelques années plus tard, il devint sacristain à la paroisse, pour laquelle Philippine réparait le linge et les vêtements. Au 19 septembre 1831, le JSA mentionne qu’il a quitté son emploi au couvent, est allé avec sa famille commencer une entreprise, sans préciser laquelle. Les lettres de 1843-1844 font supposer qu’il s’agit d’un commerce de textile. Elles révèlent également que Philippine confectionne encore bien du linge d’autel, durant sa retraite à Saint-Charles.

Lettre 217

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nous est si naturel que nous n’avons pas besoin d’y être rappelées et il nous sera doux de le conserver toujours. Je suis dans les divins Cœurs de Jésus et Marie, mon cher Père, votre dévouée servante. Philippine Duchesne Ce 18 juillet 1823 Mère Octavie se remet seulement d’un mal à la joue qui l’a bien fait souffrir ; c’est le docteur Gober qui l’a traitée. Mes autres sœurs se portent bien et veulent toutes être rappelées à vos prières et [au] Saint Sacrifice. [Au verso :] Reverend Delacroix

LETTRE 217

L. 10 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 7 août 1823] Monsieur et Révérend Père, J’ai reçu seulement le 7 août votre lettre du 26 juin. Je suis fâchée que le temps soit si court avant l’époque à laquelle le Monsieur américain viendrait placer sa demoiselle. À peine aurez-vous le temps de recevoir ma lettre avant les vacances qui seront à la fin de ce mois. Elles ne sont que de peu de jours, devant recommencer les classes le 1er septembre. Le prix de notre pension avait été réduit à 140 $ et la rareté de l’argent étant toujours plus grande, il a encore fallu rabattre ce prix pour plusieurs enfants par différentes considérations qui pourraient 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1823 Août 27, Mme Duchesne, Florissant. » Philippine a daté la lettre du 7 août, M. Rosati, du 27.

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aussi regarder la demoiselle que vous proposez, surtout si elle payait six mois au lieu de trois d’avance. Nous pouvons aussi fournir le lit pour 2 $ par an pour éviter des transports coûteux ; mais avec ce lit, ne sont point compris les draps et les couvertures. Le trousseau consiste en 2 paires de draps, 3 couvertures dont une blanche, 6 petites serviettes, 6 chemises, 6 mouchoirs, 6 paires de bas, 1 robe noire, 1 blanche et 3 ou 4 pour tous les jours, 2 paires de souliers, 1 voile blanc, 6 pèlerines ou fichus blancs, 1 couteau, fourchette, tasse, brosse à dents, peignes, etc., papier, plumes. Le supérieur des Jésuites a été très sensible aux marques de votre souvenir. Il me charge de vous en témoigner sa reconnaissance et combien il est fâché de n’avoir pu visiter votre sainte maison. Mes sœurs se recommandent à vos prières, surtout Madame Octavie qui est souffrante, et mes Sœurs Hamilton toujours fermes dans l’heureux choix qu’elles ont fait. Je suis avec la plus grande vénération dans le Sacré Cœur, Monsieur et Révérend Père, votre dévouée et très humble servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 7 août 1823

LETTRE 218

L. 56 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Florissant], ce 25 septembre 18231 N° 44 Recommandé à St Antoine de Padoue Ma bien digne et Révérende Mère, Je vous écris encore par la voie de New York comme la plus prompte, car voici le moment où la navigation du Mississippi sera arrêtée ou fort retardée. D’ailleurs, je vois que nos commissions à La Nouvelle-Orléans 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis, Oct.  3 ; Paris, 1er  décembre 1823, par le Havre. Copie, C-III  1 : USA Foundation Haute-­

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ne se font plus bien depuis que ce bon Lazariste, Monsieur Borgna, qui est allé à Rome, n’y est plus. Vous avez dû le voir à Paris. Il était chargé de plusieurs de nos lettres. Je ne sais ce qui retarde les vôtres ou si vous nous avez oubliées. Jamais nous n’avons été si longtemps privées de vos nouvelles. La dernière des vôtres a plus d’une année de date et il y a six mois que je l’ai reçue. Les nouvelles les plus récentes sont de notre bon Père Barat. Il a dû éprouver une grande consolation en apprenant qu’il missionnait par ses Frères dans ces ingrates contrées. Il n’y a qu’eux qui pourront les régénérer. Il faut pour cela l’amour des souffrances, un zèle constant et le support des misères d’autrui au plus haut point. Nous voyons cela dans ces anges terrestres, que Dieu établit nos gardiens. Plus nous voyons le Père Recteur, plus nous apprécions sa direction et reconnaissons l’esprit de son Père [saint Ignace]. J’ai trouvé un Père Maître, je ne fais plus ce que je veux. Encore n’est-il pas content ; il voudrait une vie plus intérieure, plus de détails dans le compte qu’on rend de son âme, et vous savez que je ne suis pas longue. Il nous a donné une retraite de trois jours, pour toute la maison, à l’occasion d’une prise d’habit et d’une première Communion qui se sont faites le 14, fête du saint Nom de Marie et de la Sainte Croix. Il n’y avait qu’à la désirer plus longue et il a le don de persuader et de toucher. Voyant vos filles en si bonnes mains, je suis bien tranquillisée sur leur conduite intérieure. Ce Père connaît plusieurs des nôtres de Paris. Son nom est Van Quickenborne. Il connaît Mère de Peñaranda. Lui et ses Frères sont tous flamands. Ils seraient capables de convertir un royaume et, jusqu’à présent, ont fait peu de choses tant le pays est gâté. Ils bâtissent à l’habitation de Monseigneur. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour les engager à choisir le voisinage de l’église, mais il n’y a pas eu moyen de les engager. Ils ne voudraient pas être près de nous. J’en ai été profondément affligée, voyant bien que, malgré leur courage, nous manquerons souvent la messe en hiver. Ils ont leur chapelle chez eux et la nôtre est terriblement déserte. Les habitants y viennent peu et nous n’avons que onze enfants dont deux seulement sont assurées pour toute l’année, car leurs pensions ont été payées d’avance. Quant aux autres, elles peuvent sortir du soir au lendemain. Nous voilà entièrement aux soins de la Providence et il est doux d’y reposer. Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 217-221. J. de Charry, II 2, L. 175, p. 202-209. Cf. Ch. Paisant, p. 594-598.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Nous n’avons point manqué du nécessaire et même nous avons eu plus d’argent que dans d’autres temps avec plus d’enfants, ce qui me rassure pour l’avenir. Nous avons même pu quelquefois aider nos Pères qui sont plus pauvres que nous. Ils souffrent et je voudrais bien que tant de magnificences en France passassent un peu à leur profit. Le secours sera encore trop tardif. Un riche a refusé de leur prêter ; ils ont cultivé à grand peine et une gelée du mois de septembre leur ôte l’espérance de recueillir le plus nécessaire. C’est là encore qu’il faut adorer la Providence et s’y abandonner. On ne trouve pas ici des amis, des protections ; chacun pense à soi. On n’ôte rien de son luxe, de ses plaisirs pour les bonnes œuvres. Il n’y a pas assez de foi pour cela. Notre plus grand chagrin n’est pas de nous voir moquées, calomniées dans les sociétés par nos anciennes élèves, c’est de les voir courir à leur perte par la route des plaisirs et de l’inutilité. Celle qui a été le plus longtemps chez nous et qui était seulement sortie depuis trois mois, vient de mourir saintement avant de s’être livrée au monde [Pélagie Chouteau]. Une de ses meilleures compagnes l’avait précédée dans les mêmes dispositions. Et voilà nos seules consolations : que les jours de ces enfants si chers s’abrègent, de peur que la malice et la séduction du monde viennent à les corrompre. L’établissement de Mère Eugénie perdra par la misère qui règne cette année dans la Basse-Louisiane. Elle ne m’a pas seulement fini de payer le voyage des Sœurs que je lui ai envoyées. Elle a voulu trop promptement se monter et bien des choses lui seront inutiles. Une sage économie est, plus qu’en un autre pays, absolument nécessaire, car rien n’est stable sous le ciel où nous vivons ; les fortunes, les établissements se renversent subitement. Plusieurs nous doivent et nous paient de calomnies. La diminution des élèves n’est pas ce qui me peine le plus aux Opelousas, c’est la santé de Mère Xavier. On lui conseille d’aller se rétablir chez Mme Smith et peut-être y est-elle déjà. Monseigneur qui voit tout en beau et qui le présente toujours, est cause que les Pères sont un peu déconcertés. Ils s’attendaient à plus qu’ils n’ont trouvé. Et moi, lui parlant de la diminution de nos élèves, il me dit qu’il m’offre un établissement qui nous aidera beaucoup : c’est à 30 lieues au-dessus de La Nouvelle-Orléans, sur le bord du fleuve, en sorte que les communications seraient très faciles. Les habitants bâtiraient la maison. Mais il demande pour cela six Dames de France, d’un mérite et d’une sagesse connus, point de Sœurs [coadjutrices]. Je lui ai répondu que je ne pensais pas que vous acceptassiez cet établissement,

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de ne compter ni sur les sujets ni sur l’argent et que la maladie de Mère Octavie nous ôtait tout espoir de nous séparer ici. Cependant le peu d’espoir de ne rien faire à Saint-Louis, où nous sommes presque en horreur à présent ainsi que Monseigneur, voyant d’un autre côté la santé si singulière de Mère Xavier [Murphy] que je soupçonne fort être l’effet d’une irritation habituelle de nerfs, ne la voyant pas propre à sympathiser jamais avec Mère Eugénie, et peut-être encore moins ici, j’ai cru qu’elle était peut-être de ces personnes qui ont besoin d’agir de tête et de corps pour se bien porter, telle que la Mère Bigeu, et qu’elle pourrait être propre à conduire cet établissement que propose Monseigneur. Il l’admire beaucoup, pour la vertu et pour l’anglais. Elle, de son côté, y a une grande confiance et vivrait près de lui, car il paraît qu’il va se fixer à cette distance de La Nouvelle-Orléans, de l’autre côté du fleuve, peut-être pour habiter un canton plus sain en même temps qu’il veille à la partie la plus populeuse de son diocèse. Je ne le souhaite pas à Saint-Louis, il y manquerait de tout et n’y aurait que des déboires. Quant à nous, les Pères nous remplacent tout. Cet établissement à La Fourche, car c’est le nom de l’endroit, remplacerait celui projeté pour La Nouvelle-Orléans où il n’y aurait aucun succès de longtemps : le commerce y étant en stagnation et divers fléaux accablant un pays où Dieu est trop oublié. Nous pourrions absolument donner quelques sujets subalternes à Mère Xavier. Son évêque d’Irlande l’avait jugée propre à être supérieure et Mère Eugénie la croit bien en état de conduire une maison. Elle est la seule à qui j’ai communiqué ma pensée. Ce serait temps d’en parler à Monseigneur après votre réponse, que je vous prie de hâter. Je crains les remèdes de sorties dans le monde. Je ne saurais donner mon consentement. On l’a proposé à Mère Octavie. Je la voyais faiblir, mais heureusement le Père m’a aidée, au lieu d’ordonner comme on l’y poussait. Il doit nous donner une retraite pour nous en novembre, qui, j’espère, consolidera l’esprit religieux dans cette pauvre maison. Mère Octavie est toujours dans le même état. J’ai espéré la guérison un moment, je la perds à présent. Elle gagne dans cet état de souffrance et dit, avec tout l’accent de la ferveur : « Je ne changerais pas mes souffrances contre toutes les couronnes du monde. » Je crains pour Mère Lucile qu’elle n’ait quelques maux de la même nature, et on trouverait en elle bien moins de paix dans la souffrance. Elle n’est nullement propre à soutenir la règle et l’ordre d’une maison. Et je ne crois pas que vous ayez en Amérique une fille qui ait plus de

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solidité, d’esprit, de manières engageantes et de talents pour le gouvernement que Mère Eugénie. Joignez à cela le plus grand dévouement et un courage au-dessus de son sexe. Notre Mère Xavier d’ici [Mathilde Hamilton] est toujours tentée, mais non sur sa vocation. Sa sœur, Mère Régis, est parfaite, excepté pour l’étude. Sœur Ignace [Judith Labruyère] est une autre Sœur Chatain1. Sœur Catherine est contente à sa classe externe. Nous avons, avec celles déjà nommées, trois bonnes novices. Je vous ai parlé de l’Irlandaise [Mary Ann O’Connor]. La dernière [Thérèse Detchemendy] est créole, de Sainte-Geneviève, est propre aux études, grande, forte et ferme dans sa vocation, ce qui sera très rare dans ces climats. Si, par la mauvaise santé ou l’absence de Mère Xavier [Murphy], Mère Eugénie se trouvait seule, il me semble qu’il serait bien que ma Sœur Marguerite [Manteau] fût dame [religieuse de chœur] pour la suppléer dans certains moments ou en [cas de] maladie ; elle est déjà nécessaire pour l’office. Tout le reste est bien jeune. Nous avions voulu planter du coton, il n’a pas réussi, et notre peu de maïs a gelé. Nous n’avons plus que trois orphelines qui donnent beaucoup de peine. Enfin la croix ne nous quitte pas, puisse-t-elle être notre consolation à la mort. Je suis avec une profonde vénération dans le Sacré Cœur, votre bien dévouée servante et fille, ma digne Mère. Philippine Duchesne Notre Père Perreau nous oublie entièrement, mais je n’oublie ni lui ni le cher Père Varin, ni tous ceux qui contribuent tant à la Gloire du Sacré-Cœur. J’ai appris avec une sensible joie, par Mère de Charbonnel, la réunion de Mère de Peñaranda. Je regrette de ne pas la connaître. Toutes mes Sœurs vous offrent leurs profonds respects. Si vous envoyiez une croix à ma Sœur Marguerite [Manteau], veuillez en joindre trois pour les premières qui ont fait leurs vœux2. Si vous voulez leur accorder dispense de quelques-uns des cinq ans, leur vo1

2

Marie Chatain (1790-1863), RSCJ coadjutrice, a pris l’habit à Grenoble le 21 juin 1812, fait sa profession le 21 novembre 1818. Durant de longues années, elle a soigné les handicapées physiques au pensionnat de la rue de Varennes, jusqu’à la fermeture de cette section en 1850. Elle fut ensuite infirmière à Poitiers. Devenue infirme, elle termina sa vie à Orléans. Émilie Saint-Cyr, le 19 juillet 1822 ; Mathilde et Eulalie Hamilton, le 19 mars 1823.



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cation est solide. J’ai su qu’Eugénie Lebrument était à la Visitation. Je l’aurais mieux aimée ici, mais que la volonté de Dieu soit faite en tout et toujours. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur, rue de Varenne, Faubourg Saint-Germain À Paris France By way of New York

LETTRE 219

L. 11 À M. ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 5 octobre 1823] Monsieur et Révérend Père, J’avais reçu, à la fin d’août, votre lettre du 26 juin dans laquelle vous me demandiez une place dans notre pensionnat pour une demoiselle de vos contrées, qui voulait être ici pour la rentrée des classes. Je vous répondis de suite que les vacances finissaient le premier septembre, que la pension était de 140 $, qu’elle éprouvait même une diminution quand il y avait des raisons suffisantes ; que le dimanche, les élèves sont vêtues de noir, qu’il faut donc une robe de cette couleur et une blanche pour les grandes solennités ; du reste, les vêtements ordinaires se portent ; il faut du linge suffisamment pour changer. Le lit, à cause de la distance, peut être fourni ici pour 3 $ par an, mais non les couvertures. Cette répétition sera peut-être inutile, mais il vaut mieux me répéter que de manquer de répondre à l’honneur que vous m’avez fait, si ma première [lettre] ne vous est pas parvenue.

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1823 Oct. 5, Mme Duchesne, Florissant. »

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Nos sœurs Hamilton se portent très bien et ont fait leurs premiers vœux avec grand contentement. Elles vous offrent leurs profonds respects et vous prient de faire rendre les lettres ci-jointes à leur adresse. Le supérieur des Jésuites a été extrêmement sensible à ce que vous me chargiez de lui témoigner de votre part ; il est comme vous avez été la première année de votre établissement, et il n’a même pour bâtir aucune ressource. Il faut un tableau comme celui-là pour s’empêcher de trouver trop de douceurs dans la pauvreté, car nous ne pouvons leur être utiles comme nous le désirerions. Notre pensionnat est diminué de plus de moitié par la rareté de l’argent. Il fallait bien que Dieu nous fît acheter par quelque épreuve le bonheur d’être témoin et de jouir d’un établissement qui doit tant contribuer à la gloire de Dieu. J’apprendrai avec le plus sensible plaisir des nouvelles de Monsieur Borgna ; il semble que tout est mort pour nous à La Nouvelle-Orléans depuis qu’il n’y est plus, car nous éprouvions souvent les effets de son obligeante charité. Monseigneur écrit que Monsieur Acquaroni doit revenir au Portage. Nous aurons beaucoup de plaisir à le revoir ainsi que tous les membres de la Société dont vous êtes ici le chef et qui a déjà tant de droits à notre reconnaissance. Je suis avec respect, mon Révérend Père, votre bien humble et dévouée servante. Philippine Duchesne sup. Ce 5 octobre 1823 [Au verso :] Reverend Rosati Superior of the Seminary Barrens

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Lettre 220

LETTRE 220

L. 4 AU PÈRE DELACROIX

[Post-scriptum à la lettre d’Octavie Berthold, le 6 novembre 1823] Permettez, Monsieur, que je vous témoigne encore mon respect et ma reconnaissance, mon estime et mes vœux pour votre bonheur. M. Hamtramck n’a pas encore pris d’arbres. Il a parlé de retirer la chaire de l’église ; il me semble qu’elle vous appartenait et que vous l’aviez donnée. M. Chauvin ne croit pas vous avoir fourni autant de planches que vous pensiez, et du montant desquelles vous m’avez tenu compte. Veuillez répondre à ces deux articles et me croire, avec vénération, votre toute dévouée in Corde Jesu. Philippine [Au verso :] Recommandé aux soins de Monsieur Jeanjean Vicaire de la cathédrale, Nouvelle-Orléans

LETTRE 221

L. AU PÈRE DE NECKERE1

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 12 Novembre 18232 Monsieur, Je ne connais pas assez les lois du pays pour savoir si ma sœur [Eulalie] Hamilton, la cadette, qui n’a que 18 ans, peut faire une vente solide et si sa sœur [Mathilde], ayant sa terre confondue avec la sienne, peut 1

2

Léo-Raymond De Neckere, belge, part en Amérique où il est ordonné prêtre par les Lazaristes en 1822. En 1823, il est nommé vice-recteur et professeur au séminaire des Barrens. En 1829, il est ordonné évêque de La Nouvelle-Orléans. En soignant les victimes de l’épidémie de la fièvre jaune, il contacte la maladie et meurt en 1833. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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vendre sans sa sœur. Monsieur Rosati peut peser ces inconvénients bien mieux que moi. Pour ce qui concerne nos usages, une sœur ne se dépossède qu’en faisant ses derniers vœux ; et nos sœurs Hamilton, dont nous n’avons rien reçu, ne peuvent le faire qu’à l’époque de la profession [perpétuelle] en faveur de la Société à laquelle elles se lient. Donc, si elles peuvent vendre, elles doivent recevoir elles-mêmes le prix de vente sans le passer en d’autres mains. Je crois qu’il y a encore plus de bien à soutenir une œuvre qu’à en commencer une nouvelle ; ainsi tous les sacrifices qu’elles pourront faire seront de donner la préférence à Monsieur N ­ erinckx et de ne pas exiger le taux le plus élevé des terres. Il est dans mon cœur et dans le leur de désirer contribuer le plus possible à l’œuvre intéressante de Monsieur Nerinckx et si la Providence ne nous avait pas éprouvé par beaucoup de disgrâces, certainement nous n’aurions pas été les dernières à contribuer à l’œuvre du séminaire et [à] celle qui se prépare. Mais Dieu veut que nous pratiquions le vœu de pauvreté de la manière la plus rigoureuse, en ne pouvant en toute occasion suivre l’impulsion qui porte à obliger et à exercer la charité. Mais ceux de notre maison ont les premiers droits à nos soins et en mettant cette affaire à la disposition de Monsieur Rosati, je ne doute nullement qu’il sente les raisons pour exiger le prix raisonnable de ces terres. Nos sœurs Hamilton, n’étant pas irrévocablement fixées, ce n’est qu’aux derniers vœux [qu’elles le seront], il ne faut pas s’ôter toute réserve. Nous prierons pour Monsieur Rosati avec tout le zèle que peut donner l’intérêt et la vénération qu’il mérite. Saint François Régis a été sourd aux vœux que nous lui avons adressés pour Madame Octavie, ma première compagne, que vous avez vue à Saint-Ferdinand. Elle est atteinte d’un cancer à la figure, qui a résisté à tous les remèdes ; les souffrances sont déjà grandes et un tel spectacle n’est pas la moindre de mes croix. Je vous prie de vous souvenir d’elle et de moi au Saint Sacrifice [de la messe] et d’obtenir la même faveur de Monsieur Rosati. Je suis avec respect dans le Sacré Cœur de Jésus, Monsieur, votre très humble et très dévouée servante. Philippine Duchesne Sup. de la maison du Sacré-Cœur

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Lettre 222

[Au verso :] À Monsieur Monsieur De Neckere Prêtre de la Mission Barrens

LETTRE 222 

L. À UNE RELIGIEUSE. MAISON D. ***

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand Ce 27 novembre 18231 St Antoine Ma bien chère et respectable Mère, Je remplis un devoir bien doux en m’entretenant un moment avec vous pour vous offrir mes vœux de bonne année réunis à ceux de mes Sœurs ; ceux de l’année précédente sont déjà remplis par les succès que vous avez dans votre travail pour la Gloire de Dieu. Peut-être que vous enviez la grandeur de notre œuvre, tandis que nous avons à rougir de nous voir incapables de rien faire qui égale la multitude de vos bonnes actions. Mais cependant contentes de notre sort, nous embrassons la Croix qui nous est échue en partage et sommes heureuses de notre part puisqu’elle est déterminée par le cœur de notre époux. Mère Octavie, notre chère assistante, est atteinte d’un cancer à la bouche qui a déjà rongé la lèvre supérieure et la fait souvent beaucoup souffrir. Il n’y a pas d’espoir de guérison, quatre docteurs l’ont inutilement traitée et Dieu paraît se refuser au miracle que nous lui avons demandé, voyant augmenter le mal à chaque neuvaine faite pour elle. Dieu aussi l’a disposée à cet état d’humiliation et de souffrance, ayant dit souvent avec l’accent de la ferveur : « Je ne changerais pas mon état contre toutes les couronnes du monde. » Si elle porte si bien sa croix, pourquoi ne serions-nous pas encouragées à la porter avec elle ? Celle 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 2, L. 177, p. 217-219. Cf. Ch. Paisant, p. 602-603.

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de la pauvreté s’y ajoute, n’ayant que huit pensionnaires payantes et très mal assurées. Avec cela, il a fallu payer des visites jusqu’à près de 40 F, mais fallait-il négliger un moyen de rendre la santé à un sujet utile ? Maintenant, elles sont supprimées comme inutiles et nous nous contentons du docteur du village, qui a un prix très modéré. Avec si peu de moyens, nous supportons entièrement les frais du culte à l’église dont les dettes ne sont pas payées, personne n’ayant du zèle pour un si bel emploi, ou la misère glaçant la générosité. Ce serait peu de notre gêne, si elle ne nous ôtait pas le moyen de contribuer à l’œuvre la plus importante pour la religion, celle du noviciat de nos Pères, pépinière de saints et d’apôtres. Le Père Recteur est du plus grand mérite. Nous le comparons au Père Balthazar Alvarez. Il me serait bien doux, en vous parlant de cette famille, de vous détailler déjà des succès et des choses consolantes ; mais leur partage est la croix et nous nous trouvons heureuses de marcher sous le même étendard. Je vous le fais apercevoir, non pour vous causer de la tristesse, mais pour vous faire apercevoir leur courage à se soutenir dans une pauvreté qui arrête leur zèle et qui, dans une saison rigoureuse, ne laisse rien au soulagement pour la nature. Ils ont couché par un froid très vif sous un mauvais toit, sans plancher et sans vitres aux croisées, qu’on bouchait avec des planches. Ajoutez à cela le travail pour le bâtiment, sans pouvoir l’achever, et pour la culture, et vous verrez la mort de la nature. Combien tant d’argent placé en fêtes et embellissements serait mieux employé à leurs œuvres ! Voyez si vous pouvez leur en procurer. Je suis dans le Sacré Cœur, votre servante indigne. Philippine

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L. 57 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 27 novembre 18231 Ma bien digne Mère, J’attendais le départ d’un prêtre de Saint-Louis pour la France, appelé Monsieur Deys, qui se sent attiré à aller chercher en Europe la vie religieuse contemplative, pour écrire à nos Mères et Sœurs, étant retenue par les frais de poste. Malheureusement, malgré sa promesse, j’apprends qu’il part aujourd’hui sans nous avoir prévenues selon ce qu’il nous avait promis. Je me hâte d’écrire, espérant que peut-être le mauvais temps aura retardé le steamboat. Je sens plus que jamais le bonheur qu’il y a d’être près du centre de l’autorité, craignant d’être embarquée dans une entreprise dont nous ne pourrions nous tirer. Deux ou trois fois, je vous ai déjà parlé d’une proposition d’établissement à 30 lieues de La Nouvelle-Orléans, sur la rivière où la paroisse donnerait un terrain et ferait bâtir une maison. Mais il faudrait plusieurs sujets de France et de l’argent pour le voyage, et se meubler. J’ai écrit à Monseigneur que je ne croyais pas à votre consentement et que nous ne pourrions, d’ici, contribuer en rien à cette œuvre. Des lettres et des troubles religieux arrivés dans cette paroisse, qui est l’ancienne de Monsieur Valesano2, m’ôtaient toute idée qu’on y pensât encore. Cependant, je viens d’apprendre que Monseigneur a proposé à Mère Eugénie d’envoyer sa procuration pour conclure le traité, disant qu’il l’autorise et qu’il vous écrira. L’état de faiblesse où sont nos deux maisons, l’inconstance du pays où rien n’est solide me font appréhender une œuvre qu’on fera sonner bien haut, et dont la chute ne serait que plus triste. Tout ici est superficiel. On dit que, pour nous remonter, il faudrait une maîtresse de piano. Je ne sais si après, on serait encore content de notre éducation. Nos 1

2

Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 388-389 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 1-4. Seconde lettre datée du 27 novembre 1823. J. de Charry, II 2, L. 178, p. 220-222. Cf. Ch. Paisant, p. 604-605. Missionnaire italien avec qui Joséphine Meneyroux est retournée en France, le 21 novembre 1821.

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Pères ont appris avec joie les succès des Pères de France et de Sardaigne. Ils sont dans le temps des épreuves ; elles sont telles que je vous prie d’exciter de nouveau nos maisons de France à leur envoyer de l’argent, mais directement à eux. Les besoins sont si grands ici que je craindrais qu’on ne confondît leurs intérêts avec d’autres. Mère Octavie n’est pas mieux, le reste de la maison est bien pour la santé. Nous n’avons que dix élèves, et pas bien assurées. Les Pères n’ont pu bâtir avant l’hiver, ils sont aujourd’hui à l’air du temps, et tous sont maçons ou charpentiers pour former une chambre qui sera dortoir et salle d’études. La retraite n’a pu avoir lieu pour nous. Le Père Recteur a aussi été malade. Regardez, ma bien digne Mère, votre petit et faible troupeau de Saint-Ferdinand et daignez le bénir au moment où il vous offre ses vœux les plus ardents. Il est tout à vous in Corde Jesu. Je suis, à vos pieds, votre indigne fille. Philippine P. S. Je vous prie d’excuser ma précipitation et la liberté que je prends de vous prier d’envoyer à chaque Mère une copie de la lettre ci-jointe, n’ayant pas le temps d’écrire à toutes, et ne pouvant d’ailleurs, en plusieurs, que me répéter. Le prêtre qui veut bien se charger de ma lettre est ami de notre maison ; il est très pieux, grand musicien et a donné des leçons de piano à Mère Octavie dans ses vacances, qui a pu les répéter à ma Sœur Xavier [Hamilton] et celle-ci aux enfants. Cela jette un peu de poudre aux yeux, car on ne peut les rendre habiles. Combien je languis pour une de vos lettres, je n’ai pas de réponses aux miennes de quinze mois, votre dernière en a quatorze de date. Que c’est un grand sacrifice ! Mes respects aux Pères et Mères, surtout aux Pères Varin et Barat.

Lettre 224

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L. 11 À SA SŒUR MADAME DE MAUDUIT Saint-Ferdinand de Missouri près Saint-Louis Ce 28 Décembre 18231

Ma bien chère Sœur, J’ai reçu ta lettre où ton âme se peint toute entière, elle est toujours bonne, expansive, zélée pour le bien. Tu ne doutes pas de tout l’intérêt que je porte à tous les tiens ! Tu as des consolations, tu as des peines ; c’est notre partage en cette vie, où il semble que la consolation, qui est toujours passagère, ne nous est donnée que pour nous faire prendre le courage de supporter la croix qui nous abattrait trop si Dieu ne nous fortifiait pas de quelques-unes de ses douceurs. Rappelle-moi à ton mari, à tes enfants, à la chère Amélie [Bergasse] surtout, que j’aime malgré son silence à mon égard ; rappelle-moi aussi à mes sœurs. Il est difficile de correspondre à de si grandes distances avec tous ceux qu’on aime, il faut que les relations se passent souvent dans le Cœur de Jésus. C’est aussi à lui que j’expose les besoins des miens et tu n’es pas oubliée, surtout dans les vœux que je forme pour toi à ce renouvellement d’année. Si ton bon cœur est satisfait de savoir notre position dans le Nouveau Monde, tu la trouveras sur la rive droite du Mississipi, entre la jonction du fleuve du Missouri et celle de la rivière des Arkansas qui ont l’une et l’autre plus de 500 lieues de cours. Nous sommes plus haut que l’Ohio qui se joint, sur la gauche, avec le Mississipi. Si ta carte est détaillée et que La Nouvelle-Madrid et Sainte-Geneviève sont marquées, nous sommes plus au nord que ces deux villes qui ne sont que des villages, surtout La Nouvelle-Madrid qui a beaucoup souffert d’un tremblement de terre dont elle est le foyer. Je m’y suis arrêtée, l’année passée en remontant le fleuve, venant des Opelousas conduire deux de nos sœurs dans notre nouvel établissement qui est déjà plus nombreux que le nôtre, le pays étant moins pauvre. Les bateaux à vapeur sont tellement perfectionnés qu’on peut faire les 400 lieues de La Nouvelle-Orléans [à] ici en 15 jours, et j’ai mis trois mois dans ce retour. Cela ne donne pas le goût des voyages, il n’y a que le désir de travailler pour 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 117-120 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Dieu qui puisse faire dévorer, pour une religieuse, les inconvénients d’un si long voyage. Ma santé est des plus fortes, et pourrait bien suffire à plus d’ouvrage, mais il faut se contenter de celui que Dieu donne. Je ne voudrais pas choisir le repos par crainte de la peine, mais il me serait doux de le retrouver avant la mort, car le naturel se mêle souvent dans les plus saintes entreprises et nous en fait perdre le mérite. Si M. Saint-Ferréol vit encore, rappelle-moi à son souvenir, et fais prier pour moi mes anciennes connaissances, et surtout celles qui vont à La Louvesc. Le village où nous sommes est à 5 lieues de Saint-Louis, la principale ville du nouvel État du Missouri et à même distance de Saint-Charles, notre première résidence qui est pour quelques années, le siège du gouvernement ; Sainte-Geneviève, où nous avons dû aller, est à 30 lieues et la Nouvelle-Madrid, à 100. Notre maison est de briques et tient à la paroisse nouvellement bâtie en briques aussi. Monseigneur a fourni le terrain et nous a fait donation de celui où nous sommes qui comprend un grand champ, un petit bois le long d’un ruisseau et un jardin avec une cour et un parc pour nos animaux ; nous avons environ 100 poules, 7 vaches, 1 cheval. Tout cela ne nous coûte rien à nourrir en été : on ouvre la porte et le soir, tout se rend exactement à la même porte sans qu’il y ait jamais bergers ou bergères. J’oubliais de te parler de 5 brebis et moutons et de très belles oies. Tout cela se nourrit dans les beaux temps dans les bois et prairies communes et l’hiver, ces animaux n’ont d’autre couverture que le foin qu’on élève sur un échafaud. S’il y avait une occasion, je voudrais avoir un peu de graines de vers à soie ; mais jamais on ne pourrait filer ici et je n’ai point vu de mûriers ; ainsi ne t’en occupe pas. Adieu, ma bonne sœur, toute à toi dans les Cœurs [de Jésus et de Marie], Philippine

Lettre 225

LETTRE 225

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L. 5 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Ce 30 décembre 1823 St Antoine1 Monsieur, Je me rappelle qu’à cette époque, les années précédentes, nous avions le bonheur de vous présenter nos vœux de bonne année. L’éloignement n’altère point notre reconnaissance et il nous sera bien doux de vous l’exprimer. Toutes mes sœurs se joignent à moi pour vous offrir leurs vœux, elles le feraient chacune en particulier sans un motif de discrétion ; mais ce qu’elles n’oublieront jamais, c’est de parler de vous surtout au Cœur de Jésus auquel vous êtes si dévoué et que vous les instruisiez à aimer comme vous. Il nous tarde bien d’apprendre votre destination et que vous êtes heureux. Les croix de Monseigneur augmentent de tous côtés et je crains qu’il y succombe. Monsieur Inglesi s’est joint au parti schismatique de Philadelphie2 ; tout va mal à Saint-Louis et, ici, pas trop bien. On aime mieux renoncer à son banc ou même à l’église que de payer sa rente et, par conséquent, les dettes ne peuvent se payer. Il y a plusieurs malades à l’habitation et il est étonnant qu’il n’y en ait pas eu davantage à cause du froid, car on n’a pu finir de bâtir ; on n’a que les anciennes maisons. Je suis avec un profond respect, Monsieur, votre dévouée et humble servante. Philippine Duchesne

1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « de Mme Duchesne, 1823, Décembre 30. N° 3 ». Wiliam Hogan, prêtre de l’église Sainte-Marie à Philadelphie, s’est opposé à son évêque, Mgr Henri Conwell, l’a chassé de la cathédrale, a exhorté ses fidèles à lui désobéir ; conflit appelé ‘le schisme d’Hogan’.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

[Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix, prêtre Paroisse Saint-Michel Acadie

LETTRE 226

L. 12 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 2 janvier 1824] Monseigneur, Nous avons lieu d’admirer la bonté de Dieu sur ce diocèse et sur nous en particulier, puisqu’il vous a choisi pour se représenter dans ce pays. Une disposition si favorable de la divine Providence nous donne sujet de la bénir mille fois d’avoir écouté nos vœux et surtout la demande, faite à saint Régis, d’ouvriers remplis de son esprit. Ce bon saint, notre protecteur, ne pouvait mieux écouter nos prières dans la neuvaine que nous avons faite l’année passée sur votre demande. Il est vrai que ce n’est pas en suivant votre intention, mais suivant les intérêts de la gloire de Dieu. Je sais un gré infini à Monsieur Delacroix de m’avoir appris que vous aviez reçu vos bulles et que Mgr Dubourg viendrait vous sacrer aussitôt que le temps le permettrait. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, votre très humble et dévouée servante. Philippine Duchesne Ce 2 janvier 1824

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1824 Janvier 2, Mme Duchesne, Florissant. »

Lettre 227

LETTRE 227

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L. 2 À MÈRE E. DE GRAMONT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, près Saint-Louis, État du Missouri, ce 2 janvier 18241 St Ant. Ma bien bonne Mère, J’ai écrit à notre Mère commune sur la fin de novembre2, n° 40, et n’avais guère passé plus de temps, toute l’année, sans lui donner des détails nous concernant, mais je n’ai reçu aucune lettre d’elle en retour. La dernière que j’ai eue d’elle était datée du septembre 18223 et je la reçus il y a une année révolue, et peu après une de Mère de Charbonnel, un peu plus récente4. Aux Opelousas, on se plaint aussi d’un rigoureux silence. Je ne sais à quoi l’attribuer, et il m’est bien dur. J’avais cru mieux de prier qu’on m’écrivît par New York, mais peut-être a-t-on négligé d’affranchir la lettre jusqu’au port de mer en France, ou mal adressé les lettres ; il m’en est parvenu plusieurs adressées chez les Illinois, ou en Louisiane. Mais ce sont deux États différents du nôtre ; il ne faut plus compter comme au temps des Espagnols ou Français. Notre adresse est comme ci-dessus, à la date de ma lettre. Dans une si longue privation, je ne sais où sont plusieurs de mes Mères ; je soupçonne même que notre Digne Mère est à Turin5, sur le rapport d’un missionnaire. C’est donc vous, charitable Mère, que je suppose la plus stable, et assez charitable pour me procurer une prompte réponse. Jusqu’à ce que je m’assure de la promptitude et exactitude à New York, veuillez bien reprendre la voie de La Nouvelle-Orléans, en 1

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Copies : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children ; Box 4 ; A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 392-394 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 221-223. J. de Charry, II 2, L. 181, p. 229-233. Lettre du 27 novembre 1823, confiée à M. Leo Deys. Lettre du 27 septembre 1822. Mère Barat lui a écrit huit lettres au cours de l’année 1823 : 22 juin, 7 août, 25 août, 30 août, 10 septembre, 22 novembre, 5 et 22 décembre. Le 4 janvier 1824, aucune n’est encore parvenue, bien qu’elles arriveront toutes à destination. Le séjour de la Mère Barat à Sainte-Marie d’En-Haut et la grave maladie qu’elle fit dans cette maison expliquent son silence entre septembre 1822 et juin 1823. Elle a été copiée par Philippine dans le Recueil 92, I, p. 83-84. Elle est datée de Paris, novembre 1822. La Mère Barat ne se rendit pas à Turin à cette époque, mais seulement en mai 1832.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

faisant mettre la lettre au Havre, d’où il part plus de vaisseaux pour cette ville. Je n’adresse pas notre état de dépenses à Mère de Charbonnel, pensant qu’elle est peut-être à Besançon1. Je vous prie d’expliquer à celle qui le recevra en l’absence de notre Mère, que l’article : « église » regarde surtout la contribution pour le prêtre ; tous les frais du culte sont à notre charge ; le peuple ne fournit rien et abandonnerait plutôt l’église, et les Pères n’ont aucun moyen d’y subvenir. Combien je serai consolée quand j’apprendrai l’état de la santé des personnes des deux Sociétés [Compagnie de Jésus et Société du Sacré-Cœur], surtout de vous qui l’avez si frêle, de notre Digne Mère, de Mère Bigeu, si longtemps languissante. Qu’il me sera doux de vous voir partager notre bonheur de posséder ici ceux qui auraient dû nous devancer pour avancer plus tôt l’œuvre de Dieu, et dont le chef [Van Quickenborne] me condamne au silence quand il s’agit de parler de sa famille, ne voulant pas souffrir d’autres éloges, ni présents ni éloignés, se contentant que Dieu agrée ses souffrances et ses modestes travaux. L’approbation de son supérieur de Rome vient de le fortifier, comme nous le fûmes nous-mêmes, lorsque nous reçûmes la bénédiction du Souverain Pontife2 que Dieu a appelé à Lui, parmi les disgrâces que nous étions tentées de croire la juste punition de notre témérité et propre volonté. Mgr Dubourg a maintenant un coadjuteur, qui vient de recevoir ses bulles de Rome. C’est Monsieur Rosati, prêtre romain, supérieur ici du séminaire et de tous les missionnaires lazaristes. C’est un homme d’un grand mérite, attaché à notre Société chérie et à qui nous devons naissance [des premières vocations américaines]. Il exerce les fonctions d’évêque dans le Missouri, et Mgr Dubourg, qui ne l’a pas encore sacré3 et qui sans doute résidera dans la Louisiane, se réserve cette partie de son grand diocèse qu’il avait eu le projet de diviser. Mais l’expérience lui en a prouvé l’impossibilité. Plusieurs évêques ne pourraient y subsister, ni leurs séminaires. La demeure actuelle de Mgr Dubourg est à 30 lieues de La Nouvelle-Orléans, où je ne crois pas qu’il puisse uniquement se fixer. L’établissement pour lequel il pressait, était près 1 2

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Mère de Charbonnel est économe générale. Fin 1823, elle est à Besançon, revient à Paris en juillet 1824. Pie VII est décédé le 20 août 1823. Il avait envoyé sa bénédiction à Philippine et à ses compagnes au moyen des deux lettres (3 et 12 avril 1818) des Cardinaux Litta et Fontana, adressées à l’Abbé Perreau. Il le sacrera à Donaldsonville, Louisiane, à la paroisse de l’Ascension, le 25 mars 1824.

Lettre 228

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de lui, de l’autre côté de la rivière, mais il ne paraît pas qu’il y eût de sûreté pour le terrain1. Veuillez, ma bien chère Mère, me rappeler au souvenir et aux prières de nos Pères, particulièrement Monsieur Perreau, aux Pères Joseph et Louis. Madame Octavie est mieux, tout le reste est bien. Je suis dans le Sacré Cœur, ma chère Mère, votre soumise et humble servante, Philippine

LETTRE 228

L. 6 À [MÈRE BIGEU]2

SS. C. J. et M.

de Saint-Ferdinand près Saint-Louis, État du Missouri Pour la supérieure de la Maison de * Ce 2 janvier 1824 St Ant3. Ma bien chère Mère, Il y a si longtemps que nous sommes privées des nouvelles de France, que nous ignorons ce qui se passe dans chaque maison, quelles en sont les supérieures actuelles et ce qui intéresse en elles, et la gloire de Dieu et l’avancement de cette petite Société que l’éloignement rend encore plus chère. Que ne puis-je, comme saint Xavier, avoir les noms de toutes celles qui la composent, les porter sur mon cœur et les offrir au Cœur qui nous unit toutes ; mais j’ai tort de le souhaiter, le vœu de l’âme suffit 1

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Au printemps 1823, Mgr Dubourg vient au Missouri, fait ensuite une tournée pastorale dans le sud de son diocèse, séjourne à Saint-Michel et à Donaldsonville. En décembre, il revient à La Nouvelle-Orléans. Le style et le contenu de cette lettre laissent supposer que la destinataire est la mère Bigeu. À la même date, Philippine a écrit à la mère E. de Gramont. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copies : A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 390-392 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 223-226.

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pour lui, il voit tous les besoins, il connaît tous les vœux ; et sa bonté les accomplira. Nous avons appris la mort de notre Saint-Père le pape par les feuilles publiques, ainsi que l’élection de son successeur. Je ne doute pas qu’il ne s’opère des miracles à son tombeau dont les détails seront bien intéressants pour nous, comme l’ont été ceux des merveilles qui se font par le prince allemand [Alexandre de Hohenloe]1. Je remercie la maison de Grenoble de nous avoir fait passer la brochure qui contenait celles de 1821 et 1822, ainsi que deux attestations de miracles faits au tombeau de Mère Aloysia. Il nous manque sa vie, bien souvent annoncée et jamais reçue. Ma Mère Lucille [Mathevon] nous entretient souvent de ce qu’elle contient et excite notre désir de la posséder ; cette bonne Mère est bien accoutumée dans ce pays pour la raison qu’elle n’y a cherché que Dieu. Ma Mère Octavie nous donne depuis une année et demie bien des inquiétudes pour sa santé ; il y a un mieux sensible en ce moment, mais je n’ose trop m’y fier. Elle est généralement goûtée au-dehors et au-dedans et elle le mérite par ses excellentes qualités. Comme on aime souvent d’une manière particulière et nouvelle, on lui prépare un établissement à Saint-Louis sur l’espoir de sa guérison. Elle sera à la tête, il y aura trois personnes ; je reste à Saint-Ferdinand, on paiera 75 sous par mois pour cette école externe ; on recueille des souscriptions et tout cela se fait sans nous, sans que nous le sachions autrement que par la voie publique. Cette entreprise ne peut avoir lieu de longtemps, non plus qu’une autre dans la Basse-Louisiane. La santé de ma Sœur Catherine [Lamarre] décline beaucoup ; elle souffre de grands maux d’estomac. Le temps où elle a le plus souffert était justement le temps d’une retraite pour les six du voile noir, telle que vous avez le bonheur d’en avoir quelquefois de nos Pères. C’était aussi un Père qui la donnait selon la méthode de saint Ignace. Ces huit jours ont véritablement été un temps d’abondance spirituelle. Le démon en était jaloux, aussi il nous a fait arriver neuf gros cochons que nous avions achetés, le second jour de la retraite. Il fallut s’occuper de ce travail dégoûtant pendant deux jours et j’en ai été la première 1

Alexandre de Hohenlohe-Waldenbourg-Schillingsfürst (1794-1849) est le fils du prince Charles-Albert II de Hohenlohe-Waldenbourg-Schillingsfürst et de la princesse, née baronne hongroise, Judith Reviczky von Revisnye. Il a été séminariste à Vienne, ordonné prêtre en 1815, évêque en 1844. En 1819, il a guéri la paralysie de la princesse Mathilde de Schwarzenberg. Il est l’auteur d’un bon nombre d’ouvrages d’ascèse chrétienne.

Lettre 228



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victime. J’ai pris cela en punition de mon peu de recueillement. Les jours suivants ont été paisibles et cette heureuse retraite s’est terminée le jour de l’Immaculée Conception. Nous avions cinq exercices par jour et une instruction. Tout était de la plus grande solidité et bien touchant. Vous avez sûrement pris grande part à l’heureux événement qui nous a placées sous la conduite de nos Pères ; nous avons eu de fortes appréhensions d’être refusées, mais saint François Régis a touché le provincial qui a dit qu’en raison de notre dénuement et de la proximité de l’église qu’ils desservent, nous pourrions avoir leurs soins, pourvu que leur maison n’en souffrît pas. Elle est à une demi-lieue d’ici. Il en résulte que nous manquons quelquefois la messe quand l’un des prêtres est en course apostolique. Nous ne l’avons pas eu à minuit le jour de Noël, ce qui ne nous avait pas encore manqué, mais à 8 heures et à 11 heures avec trois sermons et l’exposition [du Saint Sacrement] dans notre chœur. Monseigneur ne la permet à l’église que très rarement à cause des personnes de tant de différentes religions qui y entrent. La dernière messe fut chantée avec diacre et sous diacre et quatre autres ecclésiastiques en surplis. Le 1er de l’An, le Père recteur a bien voulu distribuer les prix à nos onze enfants et écouter une petite pièce qu’elles avaient composée sur les plaisirs du carnaval, à la suite de ses sermons contre les bals. Nous recommandons à vos prières ce faible troupeau et leurs compagnes sorties, dont le caractère facile et inconstant ne peut se mettre à l’abri des dangers du monde qui sont ici à leur comble par le luxe des parures et de la table, les bals, les comédies, l’oisiveté, les mauvais livres. Entre nos externes, deux filles de Sauvagesses nous ont le plus consolées ; l’une n’avait aucun défaut, brûlait pour notre 1ère vocation qu’elle n’a pu gagner d’obtenir encore ; la seconde en six mois a très bien appris à lire, à écrire, une foule de cantiques et comme elle parle sauvage, espagnol, français et anglais, elle aura grand moyen d’être utile, même aux Blancs de son pays dont très peu savent lire. Elle a grand désir d’instruire et surtout de baptiser tous les enfants malades et elle a bien appris comment elle doit le faire. M’attendant [à ce] que nos enfants diminueront encore, nous tâchons de faire nous-mêmes tout ce que nous pouvons. Nous faisons notre savon, nos chandelles, nos cierges, nos hosties, notre beurre, notre fil de laine, de coton et de lin. Nous avions semé du coton cette année, il n’a pas réussi, la graine n’étant pas acclimatée. Nous espérons

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mieux réussir cette année, acheter un métier et faire des toiles de coton et de laine. Nous savons teindre en noir, en gris, en jaune sans qu’il en coûte rien avec des bois et plantes du pays. Nous tâcherons de semer de l’indigo pour la teinture en bleu qui est très facile. Le salé et le lait et notre jardinage nous font presque vivre. Mais c’est trop parlé de la vie animale. Demandez, je vous prie, au Sacré Cœur de Jésus qu’il nous assure un jour la vie éternelle où nous espérons vous revoir. Nous sommes en Lui toutes vôtres et moi surtout, Philippine Duchesne

LETTRE 229

L. 6 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Ce 16 janvier 1824 Rec. à St Antoine1 Révérend Père, J’ai reçu, il y a peu de jours, votre lettre du 26  novembre. Vous croyant encore au Grand Coteau, je vous y avais écrit, ne pouvant rester si longtemps sans vous témoigner notre reconnaissance et en même temps vous offrir nos souhaits de bonne année. Dieu les a déjà exaucés puisqu’il vous place auprès de Monseigneur, ce que vous désiriez et ce qui est si consolant pour vous. J’ai fait part de votre lettre au Père Van Quickenborne pour le faire jouir de ce qu’elle renfermait d’intéressant. Mais en même temps, il en recevait une de Monseigneur qui renfermait une partie des mêmes détails ; il est fort sensible à votre souvenir. Je vous prie de me rappeler à celui des Messieurs Brassac et Anduze. Connaissant leur intérêt pour nous, je pense qu’ils apprendront avec plaisir que Mère Octavie est beaucoup mieux et j’espère qu’avec des ménagements, nous pourrons la conserver. Le reste de la maison est bien. L’école externe va toujours de même ; le dimanche, il y a souvent 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Jan. 21. Au verso : « Mme Duchesne, 1824, 16 Janvier. N° 4 ».

Lettre 229



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près de 50 jeunes personnes, mais le pensionnat n’est que de onze, dont deux ne donnent rien du tout et les autres sont mal assurées. M. McKay, de La Nouvelle Madrid, n’a rien envoyé. Nous faisons toujours la dépense de l’église, car les Pères ne l’auraient pas pu et le peuple n’y met point de zèle. On ne paye pas les bancs ou par des journées et provisions au double, ce qui a rendu cette année bien difficile aux missionnaires ; ils n’ont pu achever de bâtir et passent leur hiver dans les anciennes maisons. M. Mullanphy ne veut rien donner, m’a-t-on dit, parce qu’il est fâché contre Monseigneur et vous. Je suis bien contente que Mère Eugénie ait pu vous remettre quelque chose ; je ne vous avais point tout donné de ce qui vous revenait de M. Hyacinthe. J’apprends avec plaisir que Petrus vous a suivi ; ses excellentes qualités nous consolent de ne pouvoir plus vous servir en rien puisqu’il le fera mieux que nous. J’ai écrit au commencement de l’année à Monseigneur à qui je vous prie d’offrir nos profonds respects. Vous avez plus que nous des nouvelles de France ; je ne sais, par quel accident, il ne nous arrive plus de lettres de notre pays. Cela me fait la plus grande peine. Nous avons vu par une lettre de Monseigneur, inscrite dans le journal, qu’il est tout à fait instruit de la conduite de Monsieur Inglesi ; elle est publique à Saint-Louis, on le dit au Canada. Je suis avec un profond respect dans le Sacré Cœur, Monsieur et Révérend Père, votre toute dévouée, Philippine Duchesne Toutes mes sœurs vous offrent leur respect. Le Père supérieur vous a répondu. M. Hyacinthe réclame 12 planches mêlées parmi les vôtres qui, étant cédées à M. Mullanphy, lui ont empêché d’avoir les siennes. Si nous retirions quelque chose des arbres, voudriez-vous lui donner le montant des planches ? Il est très souffrant et ne peut travailler. La croix se trouve partout ; nous sommes heureuses d’avoir été instruites à en connaître le prix. Nos compliments à Petrus. Veuillez n’oublier jamais une famille qui a été l’objet de vos soins et qui est encore pénétrée de vos bontés. [Au verso :] À Monsieur

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Charles Delacroix Curé de Saint-Michel, Côte d’Acadie Sur le fleuve vis-à-vis St. Jacques Louisiane

LETTRE 230

L. À M. CLEMENS JAMES1 [Ce 19 janvier 1824] Florissant

Monsieur, Notre commissionnaire n’a sans doute pas compris le contenu de la note que je lui avais remise ; il m’a rapporté des objets qui ne peuvent absolument pas nous servir, mais il m’a dit que vous voudriez bien les changer. Le crêpe est trop étroit, il le faudrait assez large pour faire des voiles. Je vous prie de le changer pour la même valeur. Le taffetas est trop roux et trop mou. Nous le désirons conforme au modèle pour la force et la couleur en satin blanc, pour la même valeur. Veuillez, je vous prie, excusez une méprise que notre éloignement ou l’impossibilité de choisir nous-mêmes rend excusable. Je suis avec respect, Monsieur, votre humble servante. Philippine Duchesne Ce 19 janvier 1824 [Au verso :] À Monsieur Clemens Saint-Louis

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Photocopie de l’original, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Clemens Family Collection, Missouri History Museum Archives, St. Louis, Missouri.

Lettre 231

LETTRE 231



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L. 15 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, État du Missouri, ce 16 février 18241 Ma bien chère cousine et amie, J’ai reçu ta lettre de l’été passé, j’ai partagé toutes tes peines ; mes larmes se sont unies aux tiennes et elles ont été partagées par toute celles qui, comme moi, participent à tes bienfaits. J’en avais depuis longtemps entretenu mes compagnes, il m’était doux de leur répéter le nom de ma première amie, de ce qui me venait d’elle et qui le plus souvent encore pare nos fêtes religieuses ; de celui qui, lié à son sort, faisait aussi la douceur de ses jours et qui, partageant son tendre intérêt pour moi, avait le premier ouvert la carrière de mon bonheur2. Jamais le sentiment de la reconnaissance n’avait pu s’affaiblir en moi, au souvenir de ce couple heureux et mille fois béni. Juge donc, ma tendre amie, si en parlant à mes sœurs du coup qui t’a frappée, elles eussent pu ne pas partager ta douleur, offrir avec toi leurs prières les plus pressantes : mais entre toutes, c’est moi qui ai plus ressenti de peine et le dernier trait de la bonté de ton époux pour moi était bien fait pour exciter toute ma sensibilité. J’emploie en retour pour lui les messes, les communions, le peu d’œuvres que nous faisons et j’espère que Dieu a déjà écouté tant de prières faites par tes soins et à ton intention pour avancer son heureuse éternité. Notre Mère générale me parle de toi, du legs que tu lui as remis pour nous, et elle en sent comme moi tout le prix. Entre mes sœurs, les deux qui t’ont connue, Mesdames Lucile [Mathevon] et Octavie [Berthold], te consacrent entre toutes le respect et la plus vive affection. La dernière a bien eu des souffrances cette année : un abcès dans la bouche et percé par le chirurgien s’est ouvert sur la joue et a fait soupçonner un cancer. Après beaucoup de souffrances, cette pauvre malade a sa plaie fermée, mais une suite continuelle d’indispositions me fait craindre le retour. C’est un sujet bien précieux par sa piété, son instruction et ses qualités sociales. 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 16 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 41-44. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Jacques-Fortunat Savoye de Rollin est décédé le 31 juillet 1823, à Paris. Le général Foy (17751825) prononça son oraison funèbre au cours de la cérémonie de funérailles.

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Tu as sans doute reçu, ma bonne amie, la lettre que je t’ai écrite depuis la mort de ma tante1. Je ne puis songer à tant d’afflictions que le bon Dieu t’a envoyées depuis notre séparation, sans en être vivement touchée. On ne comprendrait rien à ces mystères de douleurs, si la religion ne venait nous les montrer comme des avertissements que notre félicité n’est pas ici-bas et que nous devons l’attendre dans une cité plus heureuse qui réunira les époux vertueux, les amis qui se sont unis pour le bien, les affligés qui ont porté la croix à l’exemple et sur les pas de Jésus-Christ qui n’a voulu nous l’ouvrir le premier que par la voie des souffrances. Le bon Dieu m’en avait aussi préparées ici, après des commencements qui annonçaient plus de succès ; la disette d’argent a fait retirer le grand nombre de nos élèves : elles sont réduites à dix. Cette circonstance, jointe à la persécution faite à notre évêque dans une ville corrompue, l’a éloigné à 400 lieues de nous, mais la peine la plus sensible a été de voir toutes nos élèves sorties, même celles qui paraissaient les plus ferventes et solidement vertueuses, retourner par le fait de leur légèreté naturelle et la contagion des plaisirs et de l’exemple à leur premier état d’oubli de la religion. J’espère encore que leur foi n’est pas éteinte et que l’âge, les revers et d’autres touches de la main de Dieu la feront reparaître un jour. C’est là mon seul espoir pour elles, ainsi que le bien d’offrir un asile, pour pratiquer la vertu loin de la contagion du monde, à celles que Dieu y appellera. Ce sera là notre œuvre la plus solide et qui déjà nous attire mille bénédictions de la part de celles qui se sont unies à notre sort, qui sont au nombre de douze, tant aux Opelousas qu’ici. On nous a proposé d’autres établissements que la prudence n’a pas permis d’entreprendre, sans secours de sujets de France et d’argent qu’il n’est pas possible de nous envoyer. J’ai appris par Mme Teisseire et par Madame Barat que Marine était entrée au Sacré-Cœur pour rétablir sa santé. J’espère qu’elle y fera davantage, qu’elle s’y consacrera à Dieu et que ta sœur ne regrettera pas de rendre à Dieu ce qu’elle a reçu de lui. Cette enfant si aimable serait donc bien digne de sa grandeur, lui qui demande les prémices et rejette le sacrifice qui se fait avec épargne. Tu comprends que je n’ai pas appris sans consolation que la première de mes nièces, qui s’est donnée à Dieu, avait saintement fourni sa carrière. J’ai versé des larmes à cette mort, mais c’était plus sur moi 1

Marie-Charlotte Perier, née Pascal, est décédée le 31 juillet 1821. La lettre dont parle Philippine n’existe plus.

Lettre 232

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que sur elle, voyant qu’en si peu de temps, elle avait fait valoir son talent, tandis que le mien n’a rien produit encore. Cependant le moment de rendre mon compte approche et j’en ai déjà eu plusieurs avertissements. Si j’avais quelque regret de quitter la vie, ce serait de laisser notre œuvre encore si imparfaite, parmi mes sœurs les unes trop jeunes, les autres trop infirmes, mais Dieu sait ce qu’il fait. Je crois cependant que j’aurai encore le plaisir de recevoir plusieurs de tes lettres. J’y répondrai toujours avec cet empressement, cette tendre affection que je t’ai vouée dans le Cœur de Jésus. Toute à toi pour toujours, Philippine Duchesne Ne m’oublie pas auprès d’Augustin [Perier], de son épouse et de toute la famille.

LETTRE 232

L. 7 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 18 février 1824 Recommandé à St Antoine de Padoue1 Monsieur et bien bon Père, Je serais tentée de vous reprocher une calomnie quand vous dites qu’on vous oublie à Florissant. Votre souvenir, et il est toujours en vénération, sera toujours cher, non seulement à nous qui avons su vous apprécier mais encore à tous les habitants. M. Mullanphy, quoique fâché contre vous, vous regrette et il n’est pas un habitant qui ne parle de vous avec respect et reconnaissance. Le père Hyacinthe de Hêtre, qui a été bien souffrant, désire savoir comment il pourrait avoir 12 belles planches confondues avec les vôtres qui ont été portées chez M. Mullanphy. M. Hamtramck maintenant absent ne nous a rien donné pour vous, ni parlé des arbres et demandait 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Feb. 25. Au verso : « de Mme Duchesne, 1824, le 18 février. N° 5 »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

même le fauteuil de l’église que vous aviez reçu en paiement. Je compte le refuser sans un ordre de votre part de le livrer. Le monsieur flamand qui taillait vos arbres est venu les voir et dit que vous lui aviez offert tout ce que vous ne nous donniez pas ; je ne les livrerai pas non plus sans un ordre. M. Chauvin, le fermier, croit s’être trompé à votre désavantage dans vos comptes des planches et voudrait avoir un aperçu du compte. Je vous prie de remettre cette lettre à Monseigneur. Je lui parle des intentions de notre Mère générale par rapport à nos établissements ; elle n’en veut plus dans les campagnes et approuverait seulement celui de La Nouvelle-Orléans s’il était possible ; et il ne le sera que quand Dieu inspirera à quelques âmes généreuses de nous donner non seulement un terrain, mais une maison. La disette d’argent qui est si grande partout [fait que] ce serait agir contre la prudence en contractant des dettes qu’on n’est pas sûr de pouvoir acquitter. Notre Mère m’a plusieurs fois dit d’agir avec économie et de ne plus compter sur de l’argent ; elle vient même de me retenir 1 800 F qu’on m’envoyait de ma famille, pour payer en partie l’emprunt [fait] pour nous acquitter avec M. Mullanphy. J’entre dans ces détails pour que vous ne croyiez pas trop aux espérances de Monsieur Borgna, démenties par plusieurs lettres directes. Il m’est dur de renoncer à un établissement fait sous vos yeux, par vos soins, et que vous voudriez bien diriger ; mais je ne puis passer les ordres de notre Mère et nous ne pouvons en ce moment que songer à nous conserver du pain, n’ayant rien pour des voyages ou frais d’ameublement. Si nous eussions été établies à Saint-Louis, dans le principe, nous y conserverions au moins des externes ; mais ici il n’y a que des pauvres qui coûtent et ne donnent rien, non plus que les novices ; mais nos vaches nous aident beaucoup à vivre ainsi que le jardin. Les frais de l’église nous restent encore. Il n’y a pas eu plus de 20 $ pour les bancs. M. Mullanphy ne veut pas payer le sien. M. Cyr (suite effacée par l’humidité). Les Pères Jésuites ont bien leurs tribulations, mais ils savent souffrir ; il ne leur est rien venu de Maryland. La plaie à la joue de Mère Octavie est totalement fermée, mais elle a continuellement mal à la gorge, ce qui l’empêche de faire sa classe. Il y a eu dans le pays des maux de gorge fort sérieux et qui ont fait périr beaucoup de monde ; celui de Mère Octavie paraît être occasionné par l’humeur qui avait formé la plaie. Elle a aussi souvent [de] la fièvre, mais souffre avec beaucoup de patience. Mère Lucille et Sœur Catherine continuent leur classe externe. Mesdames Xavier et Régis sont

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toujours ferventes ainsi que Sœur Ignace. Les deux nouvelles sont aussi de bons sujets. La femme de Grand Louis est morte, ainsi que la mère de M. et Mme Roussel. Le Père recteur avait reçu votre petite lettre et il y a répondu de suite ; sa lettre et plusieurs des miennes sont allées au Grand-Coteau, ce qui est la cause du grand retard. Le Père Témérairement, ainsi que l’appelle Mme Roy, n’est allé qu’une fois à La Côte Sans Dessein. Mme Roy m’a dit, en venant prendre une de ses filles, que tous les habitants ne pouvaient ensemble payer ses frais de voyage, qu’ils ne faisaient point d’argent (suite illisible). Ce Père va alternativement tous les dimanches à Saint-Charles ou au Portage et à la Dardenne, et ne vient que le lundi, en sorte que nous manquons la messe ce jour-là. Le Père recteur, étant aussi trop fatigué de sa journée du dimanche où il prêche trois fois, vient souvent de nuit de son habitation et y retourne. Je suis avec un profond respect, Monsieur et bon Père, votre bien humble servante. Philippine Duchesne Toutes mes sœurs et les enfants vous offrent leurs souvenirs respectueux ; je vous prie d’offrir les miens à M. Brassac et à M. Anduze. Savez-vous la sainte mort de Mlle Pélagie Chouteau ? Caroline Hamilton est à Saint-Anthony-Falls [Minnesota], plus loin que la Prairie du Chien1 ; elle paraît toujours bonne. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Curé de Saint-Michel Bringers Post Office Louisiana

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Saint-Anthony-Falls est à 200 milles de La Prairie du Chien, située entre Saint-Louis et Minneapolis-Saint-Paul, dans l’État du Wisconsin.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 233

L. 58 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, État du Missouri, ce 19 février 1824 Rec. à St Antoine de Padoue1 N° 48 Ma bien digne Mère, Dans mon chagrin de n’avoir pas de vos nouvelles, j’ai écrit, N° 47, le 2 janvier à ma Mère de Gramont, que je pensais être plus stable à Paris, pour qu’elle voulût bien m’en donner. Enfin, la divine Providence a fait parvenir à la fois, il y a quinze jours, des lettres de France datées les unes de mars, les autres de juin et même de septembre. Il y en avait quatre de votre main et deux écrites pour vous à Grenoble de Mère Second2, et à Paris, de Mère Prevost [le 18 juin 1823]. J’ai été heureuse, cette journée ! Dieu m’avait fait soigneusement ignorer le malheur dont il menaçait la Société par votre maladie, et je ne l’ai su que pour remercier Dieu mille et mille fois avec toutes mes Sœurs de nous avoir conservé notre Mère. Toutes mes Sœurs se sont unies pour obtenir qu’un coup si terrible ne frappe pas, tant que nous vivrons ; que plutôt il vous donne la force de porter longtemps le fardeau qu’il vous a imposé et dont nulle autre ne soutiendrait le poids avec tant de dévouement pour le bien général. Selon votre intention, j’ai déjà écrit à Mme de Rollin pour la remercier et compatir à sa douleur3. Cet argent et celui provenant de la rente sur l’État nous eurent fait plaisir, mais s’il est nécessaire pour payer ce qui a été emprunté pour nous, il ne peut être fait un emploi plus juste. Je suis seulement fâchée que vous me consultiez comme si j’avais une volonté et que je possédasse quelque chose en propre. C’est bien à vous à décider, à disposer de tout et à moi à me conformer à vos intentions, que je respecte d’avance et auxquelles je me soumets. Je vous prie de faire vendre le nécessaire [de toilette ou de couture] dont vous me parlez. Je voudrais que Mme de Rollin, après avoir si bien 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 2, L. 183, p. 236-241. Adélaïde Second (1782-1857), RSCJ, entrée à Sainte-Marie d’En-Haut le 1er juillet 1804, a fait son noviciat et ses vœux en même temps que Philippine. Joséphine Savoye de Rollin vient de perdre son mari, elle envoie à Philippine une grosse somme d’argent.

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rempli ses devoirs dans le monde, accompli ceux de fille et d’épouse, se consacrât à l’aimable Cœur de Jésus. Sa plaie est trop fraîche pour proposer un semblable appareil, mais je ne m’étonnerais pas qu’elle n’en eût la volonté un jour et qu’elle ne fût utile dans la Société. La lettre de la petite Marie, sa nièce, m’a bien consolée. J’espère que Dieu, qui a fait tant de merveilles pour nous dans ces derniers temps, ne fermera pas si tôt la main bienfaisante qui les opère. Nous sommes tant inondées de faveurs que nous aurions bien mauvaise grâce de parler de nos croix. Doutez-vous, maintenant, que Dieu ne nous ait voulues ici ? Depuis que le Pape Pie VII nous a bénies, qu’il a dit à nos missionnaires italiens : « Faites bien valoir en Amérique la Dévotion au Sacré Cœur de Jésus ». Depuis que, par un bienfait inespéré, nous avons si près de nous une pépinière de Jésuites fervents comme Berchmans1, et formés, ainsi que la nôtre, par un Père Rodriguez ou Alvarez ; c’est l’un des deux. Maintenant il s’éloigne moins, il a un intérêt solide. Son retirement venait, non du défaut de zèle, mais de la crainte d’agir contre sa Règle2. Il a, dans la conduite, beaucoup de rapports avec celle de votre saint frère, dont j’ai eu aussi deux petites lettres et une de mon Père Perreau. Vraiment, j’aurais mauvaise grâce de faire l’affligée pour des misères, me voyant favorisée, soutenue, par tant d’amis de Dieu. Le même paquet contenait les associations [ou confréries] de Rome, procurées par M. Inglesi et que Madame Fournier nous a envoyées. Vous avez su la triste fin de cet indigne ministre. Elle est publique à Saint-Louis, ayant été marquée dans les gazettes de Philadelphie et de Saint-Louis où on a inséré des lettres de l’évêque de Québec et de Monseigneur, le concernant3. On a dit qu’il était entré dans le schisme d’Hogan qui, heureusement, est reparti pour l’Angleterre. Nous ne le reverrons plus, il a fui devant un habitant de Saint-Louis qui l’a rencontré à Philadelphie. On en a bien causé dans le monde et dans le parti ennemi contre la Religion, et on a publié d’un autre prêtre, qu’il avait 1

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Jean Berchmans (1599-1621), SJ, né à Diest (Belgique), entré au noviciat de Malines, est décédé à Rome comme scholastique, à l’âge de 22 ans. Béatifié en 1865, il a été canonisé en 1888. Le miracle qui a conduit à sa canonisation a été la guérison de la novice Mary Wilson, à Grand Coteau, en 1866. La règle interdisait aux Jésuites de prendre en charge la direction spirituelle des couvents, sauf exception pour les pays de mission. Le P. Van Quickenborne a reçu cette permission de son provincial. Lors de son arrivée à Philadelphie, les trustees de l’église Sainte-Marie voulurent nommer curé M. Inglesi à la place de William Hogan, qui s’était révolté contre l’évêque et avait été excommunié. Mais Mgr Dubourg le refusa.

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apostasié. J’espère encore que c’est faux ; mais je crois utile de vous en instruire par rapport aux sujets qui viennent dans ce pays. Il leur faut une bonne tête et une vertu solide. Le changement de climat, la contagion du pays font d’étranges révolutions. Hier, j’ai encore reçu une lettre de notre ancien curé [Charles Delacroix] qui se donne beaucoup de peine pour nous établir dans sa paroisse. Je lui réponds, ainsi qu’à Monseigneur qui approuve ses démarches, que vous ne voulez plus de nos établissements que dans les villes. Je vois combien il eût été mieux, dès le principe, de s’établir à Saint-Louis ; le curé nous y préparait une école, mais Monseigneur n’était pas prévenu, vous n’aviez rien permis, j’ai aussi refusé. Nous avons été obligées de renvoyer deux novices. Les autres ne peuvent que profiter sous leur excellente direction [du P. Van Quickenborne]. Nulle part, dans ce diocèse, elles ne trouveront la pareille. Cela m’attache beaucoup à ce village pour un noviciat, loin du monde, des visites, etc. Vous avez la bonté de nous demander ce qui nous serait utile : ce seraient des voiles comme les vôtres. Ceux d’ici sont en crêpe trop clair. L’argent peut être remis par occasion à un des vicaires de la cathédrale à La Nouvelle-Orléans. Ils nous veulent tous du bien. Le nom est inutile, ils changent souvent. Le titre de vicaire ne laisse pas d’équivoque. Je voudrais bien aussi du galon et franges pour une chape et un tout petit ciboire pour notre chapelle, pour y avoir le Saint-Sacrement. Nous trouvons ici de l’étoffe noire en coton à bon compte, et nous tisserons, l’année prochaine, voulant cultiver le coton. L’arrivée des Sœurs du Kentucky m’ôte toute idée de petits établissements1. Elles les rempliront, elles sont sous les yeux de Mgr Rosati, coadjuteur de Monseigneur, et de la Congrégation de Saint-Lazare. C’est un très bon choix, et il nous veut beaucoup de bien. Il paraît que Monseigneur ne remontera pas, il a fait demander ses ornements et sa bibliothèque. C’est sur la paroisse où il demeure que Monsieur Delacroix voulait nous préparer l’établissement nouveau. Sœur Catherine a reçu votre lettre. Le Père l’a mise à la communion tous les huit jours. Je gâte tout. Quand vous me déchargerez, vous ferez le plus grand bien. Je reconnais d’avance que je le mérite, non par faveur mais par 1

Les « Amies de Marie au pied de la Croix », dites Sœurs de Lorette, sont arrivées aux Barrens le 14 juin 1823, pour y fonder un monastère appelé « Bethléem ».



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punition, mais voulant toujours être soumise à vous. Étant votre très obéissante servante et fille, ma digne Mère. Philippine Souvenirs tendres à nos Pères, Mères et Sœurs. Mère Octavie est mieux. Je suis bien aise d’avoir votre consentement pour un établissement à La Nouvelle-Orléans, non que nous puissions encore le faire, mais pour profiter de la première bonne occasion. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré Cœur Rue de Varenne France À PARIS

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L. 7 À MÈRE BIGEU

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 18 mars 1824 Rec. à St Ant. de Padoue1 Ma bien bonne Mère, Par les dernières lettres que j’ai reçues de France, j’apprends que le Dieu tout puissant, malgré la faiblesse de votre santé, vient encore d’ouvrir un nouveau et vaste champ à votre zèle2. Vous êtes bien heureuse de travailler sous la protection d’une cour si bonne et si sainte et où les vertus de la princesse Clotilde de France3 répandent encore leur 1 2

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Le 21 août 1823, Joséphine Bigeu arrive àTurin, capitale du Piémont, pour la fondation demandée par le roi et la reine de Sardaigne-Piémont, Victor-Emmanuel Ier (1759-1824) et Marie-Thérèse d’Autriche-Este (1773-1832). La princesse Marie-Adélaïde Clotilde de France (1759-1802), dite Madame Clotilde, sœur des rois Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, épouse à l’âge de 16 ans le prince de Piémont, futur roi Charles-Emmanuel IV de Sardaigne-Piémont (1796-1802). Elle a été déclarée Vénérable en 1808.

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odeur. Vous avez de plus le bonheur d’être rapprochée d’un nombreux établissement de Jésuites qui ne vous laisseront pas sans le pain abondant et solide de la divine parole. Ce même secours nous est ici ménagé pour notre unique consolation sur la terre. Nous avons d’ailleurs tous les genres de croix, que Dieu tout bon proportionne néanmoins à notre petitesse : peu de succès sur les novices, élèves et externes. Les vents empestés de la liberté et du plaisir n’ont qu’à souffler deux jours sur ces têtes légères ou indépendantes pour emporter jusqu’au germe, ou d’une vocation, ou des plus saints projets de piété dans le monde. Pauvreté : elle est douce quand elle ne fait qu’ôter du superflu ou engager à certaines privations ; mais quand elle arrête les plus saints projets, qu’elle lie en quelque sorte les bras, qu’elle retarde l’avancement du royaume de Dieu, c’est alors qu’elle pèse ; mais Dieu aussi en allège le poids par la pensée qu’il est jaloux de sa gloire et que s’il ôte les moyens de la procurer, c’est que ses moments ne sont pas venus. Combien il nous eût été doux de nous prêter à l’établissement de nos Pères ! J’espère, ma bien digne Mère, qu’au retour de Monsieur Borgna, vous m’enverrez le détail de votre intéressante fondation, de celles qui la composent ; et des secours que Dieu lui prête. Il m’est revenu que la maison de Grenoble avait souffert de ce qui devait la faire prospérer pour le Ciel. Vous l’avez vue depuis cette triste nouvelle, veuillez me dire si l’on n’a pas trop exalté Aloysia, et si nous pouvons continuer à la prier en particulier ? Ajoutez à ce détail tout ce qui regarde votre santé ; elle nous est bien chère parce que vous avez été notre Mère et parce que vous êtes un des principaux appuis de notre Société. Votre Eugénie met à profit ce qu’elle a appris de vous, elle conduit très bien sa maison et a l’estime générale autour d’elle. Je ne sais si je la reverrai ; mon dernier voyage a entraîné tant d’inconvénients que je me sens peu le goût des déplacements et nos facultés ne les permettent guère à de si grandes distances. Je les ai aussi reçues, vos salutaires instructions, et je suis bien éloignée de pouvoir me rendre le consolant témoignage que j’en fais un bien bon usage. J’espère que le mérite de tant de bonnes œuvres qui se font dans la Société et auxquelles j’ai part, couvrira devant Dieu tant de fautes qui, sans ce secours, me rendraient la mort bien terrible ; mais l’union de tous nos cœurs dans ceux de Jésus et Marie font toute ma confiance. Mère Octavie, après nous avoir donné les plus grandes inquiétudes, est rétablie. Mère Lucile et mes autres compagnes se portent bien.



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Par vos rapports avec la maison de Chambéry, j’espère que vous m’y rappellerez aux prières qui s’y font, ainsi qu’à celles de vos chères filles, heureuses de travailler souvent sur une si bonne terre. Je suis avec respect in Corde Jesu, ma bien chère Mère, votre ancienne et pauvre fille. Philippine Duchesne Toutes mes sœurs vous offrent leurs tendres respects et saluent dans le Sacré Cœur leurs bonnes sœurs de votre communauté. Nous sommes six, avons 9 pensionnaires ; 3 pauvres enfants comme orphelines ; 30 externes gratuites. Nous sommes heureuses pour la direction [spirituelle des Jésuites]. [Au verso :] À Madame Madame Bigeu supérieure de la maison du Sacré-Cœur de Jésus À Turin Piémont

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L. 8 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 22 avril 1824 Rec. à St Antoine de Padoue1 Révérend Père, J’ai reçu, il y a peu de jours, votre lettre du 21 février qui m’annonce les consolations que votre zèle vous a procurées dans la paroisse de Saint-Michel. Il nous serait bien doux d’en jouir de près et d’être à portée de recevoir encore vos soins qui exciteront toujours notre vive 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Apr. 28. Au verso : « de Mme Duchesne, 1824, 22 avril. N° 7 ».

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reconnaissance ; mais par deux lettres que je vous ai écrites dans cet intervalle, vous avez vu que notre Mère générale s’oppose aux établissements dans les campagnes et donne seulement son consentement pour celui de La Nouvelle-Orléans, s’il pouvait s’opérer sans son secours. J’espère que ces lettres vous ont empêché de faire aucune démarche pour un établissement ; j’en aurais une vraie peine, car ne vous ayant jamais donné aucune consolation, il nous serait trop dur que vous fussiez dans l’embarras à notre occasion. Jamais les établissements, surtout de femmes, ne prospèrent dans un petit endroit ; si cela réussit d’abord, ce n’est qu’un feu passager qui s’éteint bientôt ; c’est en France comme ici et partout. Les Dames Ursulines, malgré les maladies, les guerres, les persécutions, les changements de gouvernements, se sont toujours soutenues ; dans un village, elles se seraient déjà détruites. Je suis seulement à savoir comment nous soutiendrons les deux établissements formés, car je m’attends bien à ce que celui des Opelousas déclinera aussi, sans qu’il manque rien du côté de la maison et des sujets. Les R. Pères sont bien sensibles à votre souvenir. Savez-vous que M. Mullanphy a une forte hypothèque de Monseigneur sur l’habitation qu’il leur a donnée et il parle de mettre en vente, si Monseigneur ne le paie pas. Je vous assure qu’il faut un beau dévouement pour travailler dans ce pays. Sur une demande d’argent qu’a faite Monsieur Niel à Saint-Louis, un de ceux de l’assemblée a dit : « Qu’avons-nous besoin de ces prêtres ? Il faut les mettre en dérive à la suite d’un steamboat. » Une des filles d’ici, le propre jour de Pâques, a donné le même scandale que Mlle Roussel. Mlle Thérèse Pratte est mariée, ce carême ; sa sœur aînée le sera dans deux mois et Céleste est promise. On marie aussi Mlles Émile et Bosseron. Mlles Maria et Adeline Boilvin1, Robb et Campbell ont fait leur première Communion, la 2e fête de Pâques. Tant garçons que filles, il y avait 18 enfants. Les Jésuites ont fait tout l’office solennel durant la semaine sainte et les trois derniers jours, il y a eu une retraite pour tout le monde. 1

Julie Adeline (Gonzague) Boilvin (1813-1848), RSCJ, née à Saint-Louis, entrée à Florissant en 1828, a été l’une des novices les plus aimées de Philippine. Elle fit ses premiers vœux en 1831, à Saint-Louis, et sa profession en 1838, à Florissant. Elle fut supérieure à New York, McSherrystown et Philadelphie, Pennsylvanie. Elle est décédée à Saint-Vincent, au Canada, où elle était allée se reposer. Plusieurs lettres que Philippine lui a envoyées existent toujours.

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M. Hamtramck n’a pas paru et peut-être ne reviendra-t-il pas. M. Shakford, ayant payé ses impositions qui étaient dues, a le droit à s’emparer de son habitation ; c’est peut-être déjà fait. M. Chauvin ne m’a pas répondu au sujet des planches ; je pense que tout au plus, il donnera celles de M. de Hêtre ; je n’en suis pas moins reconnaissante de l’abandon du surplus, que vous nous faites, ainsi que des arbres. M. Hamtramck n’en prendra point. M. Lepère dit que vous lui en avez promis le dixième et M.  Audiament croyait que vous les lui aviez aussi données. Il a été très malade et sa femme aussi ; il paraît que sa situation a été extrêmement pénible au moment de changer d’habitation. J’ai été bien touchée d’un souvenir de Monseigneur que le Père recteur était chargé de me transmettre. Je voudrais bien lui prouver les consolations qu’il mérite sous tous les rapports et je partage vivement ses croix ; je m’estimerais bien malheureuse et bien coupable si je contribuais à les augmenter. Nos sœurs et les élèves réduites à neuf vous offrent leur respect et se recommandent aux prières de leur ancien père. La paroisse ne vous oublie point et votre mémoire y est en bénédiction. Je suis avec respect, mon Révérend Père, votre très dévouée servante. Philippine Duchesne Mes respects à MM. Brassac et Anduze. Nos compliments à Petrus. Les familles Lepère et de Hêtre vont bien. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Curé de Saint-Michel Bringiers post office Louisiana

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L. 59 À MÈRE BARAT Saint-Ferdinand, 2 Mai 18241 N° 50

Ma Digne Mère, Voici votre fête bien proche ; nous nous unissons d’avance à vos heureuses filles qui vous la souhaiteront de près. Le Divin Cœur de Jésus suppléera pour nous à ce que nous ne pouvons vous faire entendre de notre dévouement, de notre amour filial, de nos souhaits de bonheur pour la meilleure des Mères. Les dernières nouvelles de France nous parlaient de votre maladie de l’année passée, dont vous paraissez à peine remise. Nous ne pouvons nous défendre de l’inquiétude que peut-être vous avez encore été surprise d’une nouvelle maladie. Puisse le Cœur de Jésus écouter les vœux ardents que nous formons pour la conservation d’une santé qui ne se consacre qu’à sa Gloire. Je joins ici un ordre du père Supérieur des Jésuites pour retirer 700 F de sa famille, et dont il a le plus grand besoin pour avoir des vases sacrés dont il est dépourvu. Il désire que rien ne s’achète avant que cet argent ait été reçu, pour ne faire aucune dette. J’ai cru pouvoir l’assurer que vous voudriez bien que le billet fût en votre nom, et faire faire sa commission au plus tôt. Elle consiste en deux petits calices et un ciboire d’argent de la hauteur de 10 pouces, et un ostensoir argenté comme le nôtre ; il me semble que M. de Rollin, qui l’avait acheté, n’en avait payé que 50 à 60 F, et ornements de cinq couleurs, propres, mais amples. Il me semble que vous en aviez acheté un pour Quimper, à 40 F, qui était joli, et peut-être qu’à Lyon, on aurait meilleur marché en fixant le prix à M. Jouve. J’ai calculé : les trois vases en argent – 350 F l’ostensoir – 60 F cinq ornements à 50 F – 250 F 660 F

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Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 400-402 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 24-28. J. de Charry, II 2, L. 185, p. 247-250.

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Il restera peut-être, outre l’emballage, de quoi avoir un ostensoir et peut-être des chandeliers, si leurs amis de France, touchés de leur dénuement, donnaient quelques-uns de ces articles ; ce qui laisserait des fonds pour les chandeliers. Ils n’en ont que deux, de table, en cuivre ; nous avons donné un petit tableau et un morceau de flanelle rouge pour faire l’ornement de leur petite chapelle. Je n’ai pas besoin d’exciter votre zèle pour cette commission, si intéressante pour la décence du culte et pour favoriser les missions, pour lesquelles ils manquent de calices. Nous avons eu l’office bien solennel, la semaine Sainte : procession des Rameaux – nous n’en étions pas, le Père Recteur ne l’aurait pas souffert – Passion chantée à plusieurs voix, office et Lamentations chantées, procession dans l’église ; le Jeudi et le Vendredi saints, adoration de la nuit, adoration de la croix, etc. Outre cela, les trois derniers jours, trois discours français et anglais pour une retraite, à dessein de préparer aux Pâques et à une première communion. Nous avons eu douze enfants, soit pensionnaires ou externes. Nous ne sommes toujours qu’à 19 pensionnaires. Toutes se portent bien. Mme Smith, fondatrice des Opelousas, a fait une donation aux Lazaristes pour la même paroisse, pour un établissement d’éducation pour les jeunes gens. Leur supérieur [Mgr Joseph Rosati], maintenant évêque coadjuteur de Monseigneur depuis le 25 mars, a cédé cette donation aux Jésuites. Je ne sais s’ils l’accepteront, étant si peu. Je désire leur établissement là, à cause de notre maison des Opelousas, mais s’il devait se faire à nos dépens, c’est-à-dire en perdant ce même avantage, je ne sais comment je porterais cette nouvelle croix. J’espère que le Cœur de Jésus ne le voudra pas pour nous. Je craindrais notre ruine, avec la disette de secours et le découragement des prêtres séculiers. Il serait difficile de s’accoutumer à une nouvelle direction, après un peu de retirement qui n’était produit que par la crainte d’enfreindre les Règles. On voit le zèle le plus soutenu et une attention à l’avancement des âmes, qui rappellent nos bons Pères de France. La maison se soutient dans l’état que je vous ai marqué, sans espoir d’accroissement. C’est le moyen de beaucoup faire pour sa propre perfection. Je fais pourtant bien peu pour moi, et suis plutôt obstacle que moyen d’avancement pour les autres. J’espère que vous pourvoirez à leur utilité et que, l’épreuve de cette supériorité n’ayant pas réussi, vous y remédierez dans votre sagesse et charité, bien contente

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de prendre toutes les formes que vous me donnerez dans l’état d’infériorité. Vous nous avez annoncé, il y a deux ans, un tabernacle, mais nous n’en avons pas reçu ; peut-être que Mère Eugénie l’a gardé. Mère Octavie est assez bien. Je suis à vos pieds, ma Révérende Mère, avec respect, dans le Cœur de Jésus, votre pauvre fille. Philippine P.S. Un souvenir respectueux à nos Pères, Mères et Sœurs.

LETTRE 237

L. 16 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

[1824]1 Ma bien chère cousine, Depuis l’événement déchirant dont tu me donnais le détail dans ta touchante lettre, tu as dû recevoir une de mes lettres qui t’exprimait la part que je prenais à ta juste douleur et ma reconnaissance des souvenirs généreux de ton cher époux. Sa pensée et la tienne occupent souvent mon cœur, et je ne prie jamais pour ma chère Joséphine sans y joindre des vœux pour le bonheur de celui qui l’avait rendue heureuse. Je te vois maintenant toute dans les bonnes œuvres, et comme la charité dont la flamme est bien plus vive que celle de l’ambition ne dit jamais « c’est assez », je viens alimenter la tienne pour une proposition que tu pèseras dans ta sagesse. La disette argent, notre éloignement de la ville frappent nos premières entreprises auprès des Blanches ; elles ont d’ailleurs maintes écoles. Nous désirons revenir 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 18 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 46-48. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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au premier objet qui tourna nos désirs vers l’Amérique : la civilisation des Sauvagesses. Une société riche et nombreuse envoie de New York des ministres protestants jusque dans l’Orient et aux extrémités des États, mais les catholiques étant les plus pauvres et les moins nombreux ici, il en résulte que l’erreur a de grands moyens et la vraie foi reste sans secours. Cependant Monseigneur a obtenu une pension pour 4 personnes catholiques qui s’appliqueraient à la civilisation des Sauvages. Cette promesse, faite par le ministre de la guerre, n’a pas eu d’effet et il est inouï que le gouvernement, qui a prêté quelque encouragement pour des établissements en faveur des hommes sauvages, n’ait jamais rien fait pour un établissement de femmes. Nous voudrions bien avoir des petites Sauvagesses, mais c’est vraiment tenter la Providence de commencer sans un petit fonds pour au moins couvrir la nudité de ces enfants. Vois si, parmi tes amis, tu pouvais assurer une petite rente par an pour aider à cette œuvre ; on te rendrait un compte exact de l’emploi et tu pourrais peut-être bientôt penser avec consolation qu’en soulageant le corps, tu as procuré la vie de l’âme à ces pauvres abandonnées aux ténèbres de l’idolâtrie. Notre gouverneur actuel, quoique protestant, est tout disposé à préparer les voies pour former un nouvel État composé de plusieurs nations sauvages, à qui on donnerait des lois, et il veut employer les prêtres catholiques. Parle de cette œuvre à Mme Teisseire que j’embrasse avec toi bien tendrement. Je suis toute à toi in Corde Jesu, Philippine

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LETTRE 238

L. À MÈRE VICTOIRE PARANQUE1

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 2 mai 1824 Rec. à St Ant. P2. Ma bien chère Mère, Malgré tous les changements arrivés dans la maison de Grenoble et qui en ont retiré la plupart des Mères et Sœurs que je connaissais, je ne suis pas moins liée à l’asile heureux qui est conservé au Sacré-Cœur, qui renferme ses dignes épouses et où j’ai eu moi-même le bonheur de le devenir, après tant d’autres grâces que j’y ai reçues de la bonté de Dieu. Une de celles que je ne puis oublier, c’est ma rentrée inespérée dans cette maison de bénédictions par la protection de saint François Régis. Ici comme à Grenoble, il est notre fidèle protecteur. Je crois encore lui devoir le retour à la santé de Madame Octavie pour laquelle je lui avais promis une messe à son tombeau et une autre pour une autre intention. Voudriez-vous, ma chère Mère, vouloir bien faire acquitter ces deux messes à La Louvesc. Monsieur Rivet ou Monsieur de La Grée, à qui j’offre mes respects, en indiqueront les moyens. Sinon je vous prie de le demander à ma sœur, Mère Xavier Duchesne3, religieuse à la Visitation à Romans, en lui demandant de prier pour moi. J’espère, ma chère Mère, que vous me répondrez. Le moyen le plus sûr et le plus prompt sera d’adresser votre lettre, en l’affranchissant, à Madame la supérieure de l’Hôpital civil et militaire au Havre de Grâce [Le Havre], Département de Seine inférieure, pour Mère Duchesne, à Saint-Ferdinand du Missouri en Amérique (sous enveloppe). J’espère que vous me donnerez quelques détails sur Mère Aloysia, si on continue à l’invoquer avec succès4 ; sur le nombre de mes Sœurs, des enfants, des externes. 1

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Victoire Paranque (1782-1838), RSCJ, née à Beauvais, entrée à Amiens en 1806, a prononcé ses vœux le 21 octobre 1807, est allée peu après à Doorseele (Gand) comme assistante et maîtresse générale, y est restée jusqu’en 1814, au moment où cette maison s’est séparée de la Société. Revenue à Amiens, elle est allée à Grenoble en 1816, a été supérieure à Autun (1822), puis à Grenoble (18231833) et à Aix (1834-1837). En 1837, elle est revenue à Paris, où elle est décédée l’année suivante. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Augustine-Mélanie (Xavier) Duchesne (1786-1828), sœur cadette de Philippine, Visitandine à Romans. De nombreux miracles, conversions ou guérisons, sont attribués aux demandes d’intercessions faites à Euphrosine (Aloysia) Jouve, devant son tombeau. La Mère Barat en fut si préoccupée, dit la tradition, qu’elle demanda à Euphrosine de cesser ses miracles.

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Je me rappelle à mes nièces en leur recommandant la sagesse et la dévotion à Marie pour l’obtenir. J’ai reçu le petit paquet où Amélie Jouve avait réuni les objets de sa quête pour les Sauvages. Je lui ai répondu ainsi qu’à Amélie Lebrument. Je ne sais pas si elles ont reçu mes lettres. J’ai aussi écrit à Mlle Anna de Chaléon. Je vous prie de m’envoyer, s’il vous est possible, les Entretiens de Saint François de Sales, la Vie de Sœur Alacoque par M. Languet1 et l’ouvrage du P. Galliffet sur le Sacré-Cœur2, les œuvres du P. Nepveu et du P. Lallemand3. Tout cela est, je crois, en double ou en triple dans votre bibliothèque. Un missel romain nous serait bien nécessaire. Mes respects à Monseigneur, Monsieur Bouchard, Messieurs Rivet et Dumolard. Tout à vous dans le Sacré Cœur de Jésus et de Marie, Philippine Mes Sœurs se rappellent à vous et à toutes leurs Sœurs, ainsi que moi ; nous sommes dix, avons 9 pensionnaires seulement et 30 externes gratuites, ou tout comme. [Au verso :] À Madame Madame la supérieure de la maison du Sacré-Cœur Sainte-Marie d’En-Haut À Grenoble France – Dép. Isère

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Jean-Joseph Languet de Gergy (1677-1753) théologien antijanséniste, évêque de Soissons, élu membre de l’Académie française en 1721, a été nommé archevêque de Sens en 1730. Auteur de livres d’office, de catéchismes et de lettres pastorales, il fut violemment attaqué par les jansénistes opposés au culte du Sacré-Cœur pour son œuvre : « Vie de la vénérable Marguerite-Marie Alacoque ». Joseph de Galliffet (1663-1749), SJ, a été un promoteur zélé de la dévotion au Sacré-Cœur. Louis Lallemand (1588-1635), SJ, est l’auteur de la première synthèse importante de la spiritualité ignacienne. François Nepveu, SJ, Pensées ou Réflexions chrétiennes pour tous les jours de l’année, Impr. Alex. Leprieur, Paris, 1759.

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L. 60 À MÈRE BARAT Rec. à St Antoine de Padoue Saint-Ferdinand du Missouri, ce 10 juin 18241 N° 51

Ma bien bonne Mère, Depuis ma dernière lettre, n° 50 [du 2 mai 1824], qui contenait un billet à ordre sur Gand, du Père Recteur, pour acheter des vases sacrés à Paris, j’ai eu le bonheur de recevoir deux des vôtres sous une même enveloppe avec celle de Mère de Gramont et de Mère de Coriolis. Ces nouvelles, toujours attendues avec impatience, ont été reçues avec avidité. Je vous prie d’exprimer en particulier ma reconnaissance à Mère de Gramont. Dans notre petit et abject établissement, nous éprouvons de mois en mois des variations, des secousses qui fournissent toujours des sujets à la correspondance et qui laissent les expressions de respect, d’attachement et de dévouement à s’exprimer dans le Cœur de Jésus, notre Divin Maître. Je prends gratuitement autant de soucis pour l’établissement des Pères que pour le nôtre, et encore plus. J’y ai d’autant plus de tort que je n’y fais pas plus que la mouche en voltigeant pour faire marcher le coche. Ils sont dans les épreuves, mais non dans le découragement. L’ancien esprit de zèle, de courage, de pauvreté etc. revit tout entier en eux. Monseigneur, qui sent le trésor qu’il possède, qui ne peut rien de plus pour eux, qui voit que le gouvernement n’a rien donné à l’occasion des Sauvages dont ils auront demain cinq [fondations], leur fait différentes propositions. La première : des terres aux Opelousas, près de Mère Eugénie. Mais que sont des terres dans ce pays-là, sans bras et sans argent ! C’est comme dans cet État où les terres du Congrès, à 7 livres 10 sols l’arpent, ne trouvent pas d’acheteurs. Je désirerais beaucoup ce voisinage pour mes Sœurs, mais Mme Smith, chargeant cette nouvelle donation de plusieurs obligations, il se passera du temps avant qu’on puisse l’accepter. La seconde chose que Monseigneur leur offre, c’est une terre à Saint-Louis pour une école, mais il faudrait bâtir et ils ne trouveraient pas même à emprunter. J’espère que plus tard ce projet 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : St. Louis MO, Jun. 16. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 9-17. J. de Charry, II 2, L. 187, p. 254-261.

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s’exécutera et leur ouvrira plus de facilité pour étendre leurs travaux, et lèvera l’un des principaux obstacles pour aller maintenant à la ville : c’est le changement de direction1. Hélas ! Le pauvre Père Recteur, seul prêtre en ce moment, de la Société en cet État, a plus qu’il ne peut faire. Son compagnon, le Père Joseph Timmermans, d’Anvers, est mort subitement, il y a huit jours, à la suite des fatigues qu’il a éprouvées dans les missions, au temps de Pâques, en voyageant dans des pays inondés ou arides, logeant dans de mauvais gîtes où il n’y a que de l’eau, du salé et la plate terre pour lit. C’est le premier Jésuite mort dans cet État, les anciens s’étaient tenus au plus près, chez les Illinois. Il est enterré dans notre église, près de l’autel. L’office a été chanté par ses frères, solennellement. Le Père Recteur, très faible de santé, reste avec quatre paroisses et d’autres missions plus éloignées, coupées par de vastes rivières, notre maison, la sienne ; le soir, des études, ses bâtisses qui ne seront qu’imparfaitement finies, faute d’argent, qu’en septembre ; ses malades qui se succèdent, frères, Nègres, Sauvages. Les deux premiers font craindre pour leur vie par la coqueluche qui a fait périr plus de cent enfants à Saint-Louis et les rend très pénibles. Je vous avoue que, quand je vois sa paix au milieu de tant d’objets qui le partagent et l’occupent, je ne puis m’empêcher de penser qu’il est dans les hautes régions de la paix que produit l’entier renoncement et l’union avec Dieu. Le dimanche, il dit deux messes, prêche trois fois le matin, préside le catéchisme et confesse dans tous les intervalles des exercices. Le voisinage des saints a un tel attrait que je goûte plus notre pauvre campagne qu’un établissement brillant dans une ville. Quand le Gouvernement aide pour la civilisation des Sauvages, il faut avoir commencé et suivre le plan tracé par son ministre, qui regarde les garçons et les filles. Les Pères ne pouvant avoir de ces dernières, nous espérons en prendre d’abord sur le fonds de la Providence ; la nourriture coûte peu, le logement nous l’avons, et nous quêterons pour le vêtement. Le principal agent du Congrès, pour traiter avec les nations de cette partie des États, approuve ce plan et verra si le ministre de Washington, auprès duquel il se rend, nous donnera aussi pour augmenter notre nombre. Ce serait sans exemple pour des filles, et il espère peu, mais il ne faut rien négliger pour cette œuvre intéressante qui a été l’objet de tant de vœux, qui nous a conduites ici et qui est par ellemême plus intéressante et donne plus de confiance pour le succès que 1

Le changement d’évêque. Le collège épiscopal sera fermé en juillet 1827, et celui des Jésuites, officiellement ouvert en novembre 1829.

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toute autre. Le Père Recteur parle avec tant de satisfaction de ces deux premiers petits qui sont dociles, innocents et dont l’un a déjà été baptisé un jour qu’on craignait qu’il [ne] mourût. La semaine passée, il vint ici une famille iroquoise1 catholique qui avait été dans le Missouri et qui retournait. Elle apportait dans des peaux les corps de deux de leurs parents morts dans le voyage et qu’on a enterrés ici solennellement. Je fus marraine d’une petite Marie bien intéressante et eus pour compère le frère sauvage de 12 [ans], qui était comique en répondant au prêtre qui se délectait dans cette fonction. Il parlait français. La mère avait un air d’éducation. Il paraît que nos terres se préparent pour renouveler les travaux apostoliques de tant de missionnaires. La nation des Sacs, a dit : « Jusqu’à présent, nous n’avions point d’oreilles, mais à présent nous en prenons une et voulons vivre comme les Blancs. » Faites, je vous prie, dire à mon neveu Henri [Jouve] que les moissons jaunissent, qu’il serait temps qu’il vienne cueillir où son saint patron, saint Régis, a tant désiré de défricher. Nous l’invoquons beaucoup pour cette conversion des Indiens et ajoutons une quarantaine pour obtenir promptement des ouvriers ; mais qu’il faut qu’ils soient morts à tout, car rien ne contente la nature. La foi seule et l’amour de Jésus souffrant trouvent ici leur solide entretien. Les Dames de la Visitation de Georgetown, qui avaient pris un tel accroissement qu’elles étaient jusqu’à 56, sont obligées, dans leur détresse, de se séparer en partie. Après avoir eu 40 pensionnaires, il n’en reste plus et elles avaient fait beaucoup de dettes pour leur église. Tous les établissements dans l’Amérique éprouvent ces promptes variations. Il faut donc être bien prudent et aller pied à pied. Je m’attends à voir décliner Mère Eugénie. Comment l’éviter quand le collège de nos Pères, à Georgetown, avec d’excellents professeurs, ne peut se suffire, ce qui a occasionné des dettes qui mettent chez eux une grande gêne. Outre l’inconstance, ces chutes viennent en partie de ce que partout les catholiques sont les plus pauvres. À Georgetown, à Baltimore, les banqueroutes ont été presque générales. Ainsi, dans ces missions, le trésor de la pauvreté ne manquera jamais, tandis que dans les Sociétés établies par les protestants à New York, Boston, etc., il y a un fonds, par an, de 1 250 000 F pour envoyer de leurs missionnaires jusque dans l’Orient et ils entretiennent des écoles de Sauvages dans ces quartiers-là, où il y en a jusqu’à 80. Qu’il est triste de ne pouvoir avancer pour le 1

Les Iroquois résidaient sur les bords de la rivière Saint-Laurent, des lacs Erié, Ontario et Huron.

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bien quand l’œuvre opposée se dilate avec succès ! Sans le secours de la France, les missionnaires feront bien peu ici. Si ma chair pouvait devenir monnaie, je la livrerais bien volontiers pour soutenir les missions. Monseigneur [Dubourg] a maintenant, pour coadjuteur, Mgr Rosati qui a été sacré le 25 mars. Il nous a fait une courte visite en revenant dans cette partie du diocèse qui doit lui échoir dans trois ans, suivant la teneur de ses bulles. Il nous a témoigné beaucoup d’intérêt, ainsi qu’aux Jésuites qu’il a pressés de s’établir à Saint-Louis en partie pour un collège, comme nous pour aller à Donaldsonville, petite ville à trente lieues ou quarante au-dessus de La Nouvelle-Orléans. Mgr Dubourg, dans sa lettre qu’il me remit, pressait fort pour accepter. Comme en ce moment un ami s’occupait pour La Nouvelle-Orléans de quelque chose de plus solide, je répondis que vous ne vouliez plus d’établissements dans les petits endroits. Je n’ai pu être gagnée par les raisons dont il appuyait l’espoir du succès. Ce sont de ces éclats passagers qui laissent bientôt dans le néant. Il me semble donc qu’à moins qu’on ne nous veuille à La Nouvelle-Orléans ou auprès, il vaut mieux, puisqu’il faut être petites, l’être tout à fait pour nos Sauvages et nous fixer là où seront les hommes apostoliques qui doivent nous servir de modèles, qui se tiennent à juste distance et ne font point perdre de temps. Le Père Recteur se tenait au commencement tout à l’extrémité de nous ; mais heureusement, la lecture des Missions de l’Amérique lui a montré des R. Pères supérieurs pour le spirituel et le temporel de communautés dont ils avaient préparé et soigné l’établissement. Avec quelle joie j’ai aperçu ces belles croix que vous nous envoyez. Les deux sœurs Hamilton méritent de les porter, mais leur temps n’est pas fini. Je vous prie seulement de permettre que, si l’aînée changeait de maison, on récompensât son sacrifice en l’admettant à la profession comme vous l’avez permis pour Mères Octavie et Eugénie1. Sœur Hamilton a un an et demi depuis les premiers vœux. Je m’étais trompée en vous demandant un changement pour Sœur Marguerite ; il eût été déplacé, Mère Eugénie y répugnait et a heureusement pressenti votre volonté. Je remercie bien notre bon Père Barat de ses quatre beaux cantiques pour nous. Je les ai envoyés aux Opelousas et nous en faisons ici nos délices. Que ne nous est-il donné d’entendre ce cher Père de plus près et de pouvoir jouir, comme à Paris, de sa présence ! 1

Octavie Berthold avait été admise à faire sa profession le 2 février 1818, un an après ses premiers vœux, en vue du départ pour l’Amérique ; de même Eugénie Audé, après huit mois, le 8 février au matin, jour du départ de Paris.

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Nous avons bien béni Dieu de ce que le Père Debrosse1 ait échappé à un si grand danger, de ce que le Père Varin fondait une nouvelle maison à Dole, de ce que le noviciat fleurissait. Que Dieu est bon ! Qui nous eût dit, il y a 24 ans, que nous verrions cette chère résurrection2 et que nous jouirions de ses précieux fruits. Le Cœur de Jésus est bien riche, peut-on craindre d’être pauvre avec Lui ? S’il y avait un troisième établissement, je pense toujours que Mère Eugénie est celle qui y conviendrait le mieux. Dans une de vos lettres, vous destiniez Mère Lucile pour la remplacer et je resterais ici, plus près des Sauvages, avec Mère Octavie qui ne pourrait seule soutenir une maison. Depuis la guérison de sa plaie, elle a toujours mal à la gorge et en souffre souvent beaucoup. Je vous prie d’offrir mes respects à mon bon Père Perreau, tous nos Pères, à nos Mères. Je suis à vos pieds, en union des divins Cœurs, votre petite et vieille fille. Philippine P.S. Nous vous prions de nous compter toutes au nombre de vos filles les plus dévouées qui vous souhaitent, avec leurs heureuses Sœurs, une bien bonne fête. Nous avons 9 pensionnaires, dont 2 ne paieront pas : elles se perdraient si elles sortaient. Je ne crois pas que nous retrouvions 1 700 F de pensions arréragées par des parents obérés. Mère Eugénie m’a fait toucher en provisions ou argent, cette année, 1 250 F qui m’ont servi à payer notre domestique, le vin de la messe et bien d’autres choses indispensables. Nous avons 6 vaches à lait, actuellement. C’est la moitié de notre vie. Elles coûtent peu. [Au verso :] À Madame Madame la Supérieure de l’Hôpital civil et militaire pour faire tenir à Madame Sophie Barat Hôtel Biron à Paris, Au Havre de Grace France Département de Seine Inférieure) By way of New York 1 2

Robert Debrosse, SJ, est l’oncle de Rosalie Debrosse, RSCJ. Le rétablissement de la Compagnie de Jésus dans l’Eglise universelle, non prévisible en 1800.

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L. 13 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 24 juin 1824] Monseigneur, Depuis le moment heureux où nous vous avons vu parmi nous, avec cette nouvelle dignité qui nous donne plus particulièrement à vous, il semble que notre bonheur soit augmenté et que Dieu nous a donné la dernière preuve que sa paternelle Providence veille sur nous spécialement ; et nous ne cessons de l’en bénir2. Vous avez sans doute appris la grande perte que vient de faire la Mission en la personne du Père Timmermans, Jésuite, peu après son retour de la Côte sans Dessein et presque subitement ; il paraît que le démon mettra de grandes difficultés aux missions du Missouri. Monsieur Delacroix en est revenu, une fois, malade ; la seconde, mourant. Et le bon Père que nous regrettons, une fois, très fatigué, et la seconde, a succombé. Le Père Van Quickenborne se trouve accablé avec sa faible santé et s’il n’espérait deux de ses frères, il ne saurait résister. Il continue le service de cette église et il nous confesse ; aux Quatre temps, nous nous confessions au Père Timmermans. Avec votre dispense, nous pourrions suspendre cet article de la règle jusqu’à l’arrivée des nouveaux Pères dont la direction nous est particulièrement appropriée, ayant la même règle. Il serait pénible de faire pour si peu de temps un changement, ce qui est même très difficile à cause de notre éloignement et [parce] que les prêtres de Saint-Louis n’ont pas l’habitude des maisons religieuses. La mort du Père Timmermans nous prive souvent de la messe et de la communion, car il faut que le Père recteur se partage. Nous voudrions un dédommagement dans les expositions du Saint-Sacrement qui sont fréquentes dans nos maisons ; mais il y a encore la difficulté, quand il a été exposé le matin dans notre chapelle, de le refermer le soir. Si, au lieu d’exposer le Saint-Sacrement, vous permettiez que le 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Cachet de la poste : Jun. 29, St. Louis MO. Au verso : « 1824 Juin 24, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 7 Juillet ; répondu le 9. » Au verso : « 1824 Juin 24, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 7 Juillet ; répondu le 9. » M. Rosati a été consacré évêque coadjuteur, à Donaldsonville, Louisiane, le 25 mars 1824. Les lettres précédentes indiquent que sa nomination était connue depuis quelque temps. Après le départ en France de Mgr Dubourg, M. Rosati devient évêque de la Louisiane, le 20 mars 1827.

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tabernacle restât seulement ouvert dans notre chapelle intérieure où nous faisons l’adoration et que vous permissiez que nous fermassions le soir le tabernacle, nous aurions un avantage égal sans donner au R. Père la peine d’une course, souvent impossible. Mgr Dubourg ne permettait pas d’exposition à l’église, sans doute à cause de la grande solitude qui y règne ; mais nous vous prions de la permettre aux fêtes communes pour nous avec les Pères Jésuites, car la solennité ne pouvant être qu’à l’église, il y a inconvenance que l’exposition soit dans notre intérieur. Il ne manquera jamais, ces jours-là, d’adorateurs. En attendant l’heureux moment que vous nous faites espérer, au mois d’octobre, daignez agréer le profond respect et la vénération avec lesquels je suis, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne fille. Philippine Duchesne sup. Ce 24 juin 1824 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Barrens Par Sainte-Geneviève

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L. 61 À MÈRE BARAT Saint-Ferdinand, ce 25 juillet 18241 Rec. à St Antoine de Padoue N° 52

Ma Digne Mère, Nous venons de passer la fête de sainte Madeleine, qui nous a rappelé des souvenirs bien doux. Nous avons tâché de nous réjouir à vos 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 402-405 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 29-34. J. de Charry, II 2, L. 188, p. 265-270.

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pieds avec nos Sœurs, confiant au Sacré Cœur de Jésus notre amour et nos vœux, la messe, la communion, une humble récréation et tout ce qu’a permis ce temps pour nous, mais nous ne voulons le céder à aucune maison en sentiments de cœur et en dévouement pour notre tendre Mère. Je crains que différentes nouvelles de divers établissements dans les États ne vous inquiètent par rapport à nous, mais je vous prie d’être tranquille ; nous avons voulu la croix et non l’honneur, la pauvreté et non l’aisance, la volonté de Dieu et non le succès. Ainsi, si l’œuvre de Dieu est contrariée, nous en rapporterons toujours le précieux avantage d’être dans une situation qui peut nous unir étroitement avec Jésus-Christ notre Époux. Toutes celles du voile noir sont dans cette détermination : Mères Octavie et Lucile, Sœurs Xavier, Régis, Catherine, et Sœur Ignace, coadjutrice, qui, le jour du Sacré Cœur [le 25 juin 1824], a fait ses premiers vœux. Quant à trois novices, deux sont fermes ; la troisième, jeune Espagnole, chancelle beaucoup. Si elle sort, ce sera la troisième dans un an ; c’est, de toutes les traverses, celle qui m’a été la plus pénible, jetant sur moi la faute de ce manque de persévérance, qui peut être attribué au manque de soin et de bon exemple de ma part. Je suis toujours dans l’attente du moment heureux qui mettra l’approbation du Saint-Siège à nos constitutions. Je voulais les faire mettre en anglais par notre Sœur Xavier Hamilton, mais la pensée que vous aviez peut-être fait quelque changement ou augmentation m’a fait sentir qu’il vaut mieux attendre. Nous désirerions bien la formule de l’acte des vœux, soit des premiers, soit derniers, et [savoir] qui doit le signer avec la nouvelle épouse1 ; cela n’est marqué nulle part. Je voudrais bien savoir aussi, précisément, le nombre de messes à faire dire chaque mois ; il me semble que c’est une par semaine pour les sœurs mortes, une pour la Société et une pour les morts, ce qui fait six. Il pourrait arriver que nous ne puissions les faire dire, le taux ici est 50 sous. Monsieur Borgna n’est point arrivé. J’espère que vous lui remettrez l’argent de Mlle Mathevon pour les Pères ; c’est la meilleure occasion. Mais s’il vous en manque, des banquiers de Paris donneraient bien du papier sur La Nouvelle-Orléans ou sur Philadelphie ou New York. On le placerait très bien, tous nos marchands se fournissant là ; il n’y aurait que la perte du change, soit pour faire passer la somme, soit pour la 1

À cette époque, les vœux étaient reçus par l’évêque (ou son délégué) qui signait l’acte de vœux, ainsi que la nouvelle religieuse, les prêtres témoins, la supérieure et son assistante.

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différence de l’argent ; l’écu, de 6 F dans l’usage ordinaire, gagne 5 sols sur notre gourde ou dollar, et le napoléon perd 5 sols. Les deux valent ensemble 2 gourdes ou dollars. Je pense qu’il y a moins de perte sur une somme. Il y a si peu d’argent ici du pays, qu’on ne voit que piastres espagnoles ou écus de France. Tout passe. Si vous pouviez nous procurer quelques livres, quand il y aura une occasion, voici ceux qui nous manquent : le Père de Galliffet [L’excellence de la dévotion au Cœur adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ] ; la Grande vie de Sœur Alacoque ; les Réflexions [chrétiennes pour tous les jours de l’année] du P. Neveu ; le P. Surin1 ; les [Maximes spirituelles pour la conduite des âmes du] P. Guilloré ; l’Oraison mentale du P. Grasset et ses Considérations sur l’exercice de la prière et de l’oraison ; Mme Louise de France [carmélite à Saint-Denis]2. Mère Xavier Murphy a demandé en Irlande [le Traité de la perfection chrétienne de] Rodriguez, en anglais. Je ne sais s’il nous arrivera. Depuis la mort d’un des prêtres jésuites, nous manquons souvent la messe, quoique le Père Recteur fasse au-delà de ses forces. S’il succombe, avec sa faible santé, nous pourrons sentir le poids des croix ; il ne se parle plus d’en voir d’autres. Ce serait d’autant plus à désirer que la mission chez les Sauvages commence à se préparer. Le gouverneur, chargé de commissions auprès de plusieurs nations, voudrait les réunir en nombre jusqu’à pouvoir former un nouvel État et se servir, pour cette grande entreprise, des Jésuites. Quoique protestant, il soutient aux ministres qu’il n’y a que les catholiques qui puissent réduire [civiliser] les Sauvages3. Les Pères en ont cinq qui leur donnent beaucoup de peine4. Ils veulent n’être que nus, coucher nus, ne rien faire, sont tout sensuels. Un jour, ne trouvant pas qu’on leur eût donné assez de viande, ils sont montés chez les étudiants, montrant que la peau de leur ventre n’était pas tout à fait tendue. Le chef sauvage, père de deux, passa chez nous assez bien vêtu et nous dit par interprète : « Mes Mères, je laisse mes enfants, priez tous les jours pour eux le Dieu que vous adorez, et ayez pitié d’eux. » 1

2 3 4

Jean-Joseph Surin (1600-1665), SJ, Catéchisme spirituel de la perfection chrétienne, Paris, 1659, 2 vol. ; Fondements de la vie spirituelle, Paris, 1667 ; Dialogues spirituels où la perfection est expliquée pour toutes sortes de personnes, Nantes, 1704-1709, 3 vol. Cette liste était celle des Livres à l’usage de la maîtresse des novices dans la Société du ­Sacré-Cœur de Jésus. Le terme « réduire » vient de l’expression « les Réductions du Paraguay ». L’internat des Jésuites pour les jeunes Indiens s’est ouvert le 11 mai 1824.

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Je ne sais quand nous pourrons prendre des filles, nous le désirons toutes1. Mais l’année est désastreuse, le Missouri, grossi considérablement, a enlevé beaucoup d’habitations, de bétail, et noyé la récolte. Il n’y a presque pas de blé ni de légumes, et nous n’aurons bientôt que trois ou quatre élèves. L’essentiel, pour le moment, est de soutenir notre petite communauté. Celle de la Visitation, à Georgetown, pour cause de dettes, est obligée de se séparer. Vingt restent, douze ou quatorze autres ont demandé asile à Québec et à La Nouvelle-Orléans, et on dit que cette maison si bienfaisante de La Nouvelle-Orléans, pour s’être engagée dans une bâtisse considérable, est aussi dans une mauvaise situation. Ces Dames avaient payé le voyage de plusieurs sujets du Canada, dont il a fallu payer le retour, avec des frais énormes. J’aurais peine qu’un de nos établissements se fît dans ce moment en cette ville ; nous semblerions profiter de leurs embarras. J’ai su aussi que le Père Général ne veut pas que le collège de Wash­ ington, qui n’a que des externes, n’en reçoive rien, ce qui entraînerait sa dissolution, à moins que les parents ne prennent des mesures pour assurer la subsistance des professeurs qui n’ont rien ; mais il faut peu compter ici sur les promesses. Les Jésuites n’ont rien reçu pour leurs Sauvages, ainsi que l’avait promis le ministre de la Guerre. Le Père Recteur m’a dit aujourd’hui qu’ils commencent à aller très bien et qu’il en attend d’autres. Il invite ses Frères, zélés pour leur conversion, à manifester leurs désirs au Père Général. Dites ceci à votre cher frère, que nous désirons tant, et à mon neveu qui a la même vocation ; il est d’âge à apprendre l’anglais. Le Père Recteur pense que le meilleur moyen de faire venir de l’argent, c’est sur la banque des États-Unis qui doit à la France, et il croit que pour cela, il n’y aurait pas de change ou très peu. On craint beaucoup la suite du débordement des rivières pour la Basse-Louisiane. Si la récolte est perdue, Mère Eugénie sera bientôt comme nous. Fiat. Il y a ici tant de renversements de fortunes, tant d’instabilité dans les entreprises, si peu d’appui, qu’il faut le doigt presque visible de la Providence pour changer de place. Ici, nous ne craignons plus de mourir de faim, c’est quelque chose. Si Dieu nous ôte le moyen de nous rendre utiles, il faut le vouloir. Quelquefois, je pense que Dieu ruine nos pre1

Le pensionnat des Indiennes commencera à Florissant, le 6 avril 1825, sera confié à Sœur Mary Ann O’Connor.

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miers desseins, notre premier ouvrage, pour édifier peu à peu l’œuvre si intéressante de l’instruction des Sauvages. Il faut bien la mériter par l’humiliation et les autres peines. Ne soyez pas inquiète de nous ; aucune n’est rebutée. Je suis la plus mécontente, parce que j’ai sujet de penser que j’ai détourné la bénédiction de nos travaux. C’est à vous, ma Digne Mère, d’y remédier. Je n’ai pas besoin d’exciter ma soumission pour me dire votre toute dévouée et obéissante fille in Corde Jesu. Philippine Duchesne Je prie ma bien bonne Mère de mettre cette petite feuille sous enveloppe à Mme de Rollin. Nos Sœurs sont toutes à vos pieds. [Au verso :]1 À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré Cœur, rue de Varenne Faubourg St. Germain À Paris

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L. 14 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M2.

[Ce 31 juillet 1824] Monseigneur, J’ai reçu la lettre par laquelle vous daignez répondre à la mienne. Le R. Père Van Quickenborne a aussi reçu celle que vous lui écrivez, mais avec vingt-quatre jours de retard. Ne pensez pas, je vous prie, que les contretemps nous découragent ; nous acceptons de la part de Dieu le bon comme le mauvais succès. Nous serons toujours heureuses si 1 2

Mère Barat a ajouté : « Pour les Pères Varin et Barat, N° 4 ». Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1824 Juillet 31, Mme Duchesne, Florissant ».

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nous ne déméritons pas votre bienveillance et votre protection, et si Dieu, voyant le désir que nous avons de nous employer pour sa gloire, veut bien se contenter de cette bonne volonté si nous ne pouvons faire davantage. Monsieur Nerinckx ne m’a point parlé des terres de nos Sœurs Hamilton et je n’ai pas cru devoir être la première à le faire, ne pouvant donner autre réponse que celle que nous avons déjà faite. Madame Eugénie, dans sa dernière lettre, ne paraissait espérer voir aux Opelousas Monsieur De Neckere et je l’y croyais rendu. Nous prions vivement pour le rétablissement d’une santé si utile au diocèse, ainsi que pour celle de Monsieur Potini ; mais nous le faisons continuellement pour le digne pasteur que Dieu nous a donné dans sa grande miséricorde. Je suis avec la plus respectueuse vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et obéissante fille. Ce 31 juillet 1824

LETTRE 243

Philippine Duchesne

L. 17 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

[1824]1 Ma bien bonne cousine, Combien je suis reconnaissante de ton bon souvenir et des nouvelles que tu me donnes de tes chères filles [de la Maison de la Providence] qu’on ne peut oublier. Témoigne à toutes combien je les aime et dis-leur de prier pour leurs compagnes du Missouri afin qu’elles prennent le goût de l’occupation, car elles savent mieux danser que coudre et lire et nous aurons bien de la peine à les dégoûter des plaisirs qui les entretiennent dans la vanité et le vice. Cependant plusieurs 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 20 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 49-50. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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nous consolent beaucoup et nous affectons devant elles de travailler à la terre, même de porter du fumier et pour leur ôter cette honte, de faire dans la pauvreté ce que font en France les plus riches habitants des campagnes. Prie surtout pour moi qui nuis à l’œuvre, loin d’y servir. Toute à toi, Philippine Rappelle-moi à M. et Mme Teisseire. À Mme Teisseire à Grenoble Ignorant si Mme de Rollin sera à Grenoble, je prends la liberté de t’adresser ma lettre pour elle. Lis-la en son absence.

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L. 15 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 20 août 1824] Monseigneur, À la joie de voir une personne de votre maison qui pût nous donner de vos nouvelles et nous faire espérer votre visite, s’est jointe la peine bien sensible qu’a faite la Mission en la personne de Monsieur Nerinckx2. Je ne doute pas de la vôtre en particulier, et c’est surtout ce qui augmente nos regrets. Les Pères Jésuites se proposent de lui faire un service solennel. Malgré mon empressement à prier pour ce respectable missionnaire, le croyant dans le sein de la Félicité [divine], je me sens bien plus 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1824 Août 20, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 25 ». Le P. Nerinckx est décédé le 12 août 1824 à Sainte-Geneviève.



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d’ardeur pour demander la conservation des ministres qui nous restent et le succès de leurs travaux. Nos vœux se dirigent principalement sur vous, Monseigneur, comme le chef de la religion dans cette contrée et celui dont Dieu se sert spécialement pour nous guider et nous départir ses grâces. Nous attendons avec impatience le moment de votre visite. Il y avait quelques enfants à confirmer et peut-être sortiront-elles sans avoir reçu cette grâce. Le nombre de nos enfants sera bientôt réduit à quatre ou cinq. Je suis moins occupée de cette disgrâce, qui néanmoins arrêtera nécessairement ou retardera d’autres œuvres, que des obstacles qui se trouvent à l’établissement d’un collège à Saint-Louis. Le Père général [des Jésuites] ne veut pas qu’on reçoive quelque chose des externes et il est impossible d’y trouver des pensionnaires pour soutenir les professeurs. Et Monsieur Niel, qui ne connaît pas les usages religieux, fait des propositions qui ne pourraient être agréées des Jésuites. Je me permets cette réflexion parce qu’elle est dictée par mon désir de voir renouveler la jeunesse de Saint-Louis et par le désir que j’aurais, que le règlement de cette affaire fût un nouveau motif qui vous attirât vers nous. Mgr Dubourg ne m’a pas écrit depuis votre retour, mais notre Supérieure générale persiste à ne vouloir de nos établissements que dans les plus grandes villes. Je m’attends [à ce] que la maison des Opelousas passe par la même épreuve que celle-ci, ce qui confirmera une plus longue expérience touchant les maisons religieuses. Madame Eugénie attend Monsieur De Neckere avec une vive impatience. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la dévouée et indigne fille. Philippine Duchesne sup. Ce 20 août 1824 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Barrens

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L. 62 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 1er septembre 18241 Rec. à St Antoine N° 53 Ma bien digne Mère, Depuis que vous m’avez fait espérer l’approbation de nos saintes Règles, j’attends avec une vive impatience l’heureuse nouvelle qui nous l’apportera. Suivant votre recommandation, nous prions pour le succès sans que nos Sœurs en connaissent l’objet. Il me semble que je n’ai plus à attendre sur la terre que cette seule consolation. Il me tarde d’en partir, non que je n’aie bien des craintes pour ma dernière heure, mais parce que je vois que je ne suis pas propre pour avancer l’œuvre de la Société dans ce pays. Cette pensée se confirme par ce que m’a souvent dit le Père Recteur de vous demander une personne en état de gouverner. Je lui ai répondu que je vous avais pressée pour cela, mais que vous ne nous promettiez aucun sujet, étant trop sollicitée pour de nouveaux établissements, mais que, si mes Sœurs faisaient cette demande, vous y auriez plus d’égards parce que la nécessité en serait mieux prouvée. Il n’a pas goûté cela et je reste avec la peine que je ne remplis pas mes devoirs, que les âmes en souffrent et cependant je n’aperçois pas le terme qui me remettra à ma place. Je vous prie avec insistance de peser devant Dieu les besoins de cette partie de votre famille, d’autant plus chère qu’elle est abjecte et souffrante. J’eus, hier, une lettre de Mère Eugénie qui espère toujours avoir bientôt une maison à La Nouvelle-Orléans. Elle sait bien qu’il n’y aurait qu’elle qui pût la gouverner et elle croit que Mère Anna [Murphy], avec une bonne économe, pourrait suffire pour le lieu où elle est. Je m’attends à ce que sa maison décline comme la nôtre, ce qui en rendra la conduite plus facile. Je craindrais que cela n’allât pas bien avec Mère Lucile [Mathevon] qui, par son ancienneté et sa place, serait au-dessus de Mère Anna, lui étant bien inférieure pour la conduite des enfants et ayant aussi peu de fermeté. Elle ne tient pas bien les externes et n’entend 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : St. Louis MO, Sep. 8. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 226-231. J. de Charry, II 2, L. 189, p. 274-283.

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pas un mot d’anglais, chose bien nécessaire à la première place, car on est souvent obligé d’employer des inférieures pour cette langue. Ces deux maisons d’en-bas pouvant aller, Mère Lucile pourrait être à la tête. Je sens bien que je la gênerais, mais il faut bien qu’elle ait des sacrifices à faire et je tâcherais de les lui diminuer. N’accédez pas, je vous prie, à une demande de Mère Eugénie qui voudrait que je descendisse en cas d’un nouvel établissement. Je porte en moi une forte appréhension de nuire où je serai, à cause d’une parole que j’ai cru entendre autrefois : « C’est moins en réussissant qu’en supportant les revers que tu es destinée à me plaire. » Que ce soit illusion, effet d’une imagination échauffée, j’ai toujours ce sentiment dans l’âme, et crains d’entreprendre pour ne pas faire échouer. Ne faisant que suivre l’obéissance et les œuvres des autres, je n’aurais pas les mêmes inquiétudes. Notre tableau actuel n’est pas trop propre à me confirmer dans cette opinion. Depuis que l’évêque a été obligé de se retirer, nous sommes dans un oubli total ou, si on se souvient de nous, c’est avec ce dédain ou cette pitié, fruit de l’indifférence. Les enfants sorties suivent toutes la voie large ; on ne fait presque rien auprès des externes et Mère Lucile, toujours disposée à les vanter, convient maintenant qu’elles sont extrêmement difficiles. Les peines des Pères sont les nôtres. Ils réussiront, je l’espère, mais les embarras, les privations, l’ingratitude qu’ils éprouvent pèsent rudement sur mon cœur qui jouirait trop s’il pouvait contribuer largement à l’œuvre intéressante d’un tel établissement. Je suis même étonnée d’avoir été en état, par un secret de la Providence, de pouvoir prêter ou donner quelque chose ; car, restant chargées de trois orphelines, de tous les frais du culte, etc., nous n’avons que sept pensionnaires dont deux ne donnent rien ; elles vont encore diminuer, quoique la pension ne soit plus pour plusieurs qu’à 100 gourdes, presque la moitié moins qu’au commencement. Il n’y a point d’argent dans le pays, tout celui qui court est de France ou d’Espagne et, le plaisir passant avant tout, il n’en reste point pour une éducation solide. Il pourrait cependant se trouver quelques personnes en place qui voulussent mettre des enfants, alors nous nous réservons toujours, pour un pensionnat, notre grande maison et voudrions former, dans celle des externes, un autre pensionnat conforme à la pauvreté du pays, dont la pension, évaluée à 150 ou 180 F de France, ne se paierait pas même en argent, ce qui ne se trouverait pas, mais en maïs, pommes de terre, lard, bœuf et beurre, qui feraient la seule nourriture des enfants qui, tour à tour, feraient elles-mêmes la cuisine, trairaient

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les vaches, laveraient, et feraient le jardin. Le reste du temps, elles fileraient et tisseraient pour la maison et les Sauvagesses que, j’espère, nous aurons sous peu, d’abord en petit nombre, et pour lesquelles nous quêterons. J’ai déjà prié Mme de Rollin, dans ma dernière lettre, de faire une petite société de parents et amis qui pourraient, chaque année, contribuer pour quelque chose à cette bonne œuvre qui aura plus de succès qu’auprès des Blancs. Les Sauvages qu’ont les Pères se tiennent déjà beaucoup mieux à l’église que les enfants du pays, et l’un d’eux a plus d’esprit qu’aucun. Voilà, ma digne Mère, le seul moyen de nous rendre utiles dans ce pays dont il faut prendre les habitudes : 1°)  des pensionnaires à 100 gourdes qui seront toujours en petit nombre, 2°) les pensionnaires pauvres à 30 ou 36 gourdes, ce qui fait les 150 ou 180 francs de France, et dont même on sera mal payé, 3°) les externes gratuites, 4°) les Sauvagesses gratuites et qui même entraîneront à des frais comme la visite des parents (et ceux-là doivent manger). Si, dans la suite, on s’établit à Saint-Louis ou à La Nouvelle-Orléans, il faudra, pour se soutenir, des externes payantes car, dans ces villes même, on aura peu de pensionnaires. Je pense que vous ne vous y opposerez pas, l’ayant permis à Chambéry. Les Pères avaient cru (vu le pays) pouvoir le faire à Wash­ ington, et leurs élèves réussissaient aussi bien que les pensionnaires à Georgetown, mais le Père Général ne veut pas que l’on continue à recevoir de l’argent des externes, et a ordonné que ce collège cessât à Saint-Ignace, si on ne pouvait les continuer gratuitement. Je ne sais pas la fin de cette affaire qui m’a paru affliger le Père Recteur. Quand on connaît ce pays, il faut peu compter sur des fondations, des bienfaits, des contributions pour l’entretien des professeurs. Je vous avais marqué que les Dames de la Visitation de Georgetown étaient obligées de se séparer, leur confesseur, Monsieur [de] Clorivière me marque qu’un secours inattendu leur permet de rester encore, mais il doute que cela dure. Les Dames de la rue des Postes devraient les aider. Ce Monsieur me demande si j’ai la Vie de Monsieur de Clorivière, son oncle1, et la désirerait. Nous venons de perdre, après une courte visite, un des grands missionnaires de l’Amérique, Monsieur Nerinckx2, flamand, fondateur de beaucoup d’églises au Kentucky et l’instituteur des Filles de la Croix, dont 1 2

L’abbé de Clorivière, confesseur des Visitandines, est le neveu du Père Picot de Clorivière (1735-1820), SJ, chargé de rétablir la Compagnie de Jésus en France. Il est décédé le 12 août 1824 à Sainte-Geneviève.

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il a établi au moins dix maisons. Elles vont s’étendre dans ce diocèse où il venait se fixer lui-même pour, de là, passer avec elles chez les Sauvages. La mort l’a prévenu en revenant d’ici faire visite aux Jésuites dont six étaient venus d’Europe avec lui dans son dernier voyage, car il y est allé plusieurs fois, quêtant pour ses établissements. Les Jésuites ont fait hier pour lui un service solennel et son oraison funèbre. Il semble que ce saint homme ne soit venu ici que pour y souffler jusqu’au dernier soupir son amour pour la classe indigente. Il disait que son instruction est le seul moyen de fixer la religion dans ce pays, les riches y étant trop indifférents. Ce qui a lieu pour le pensionnat le sera aussi pour le noviciat. Je n’attends plus de demoiselles riches et instruites, et le Père Recteur me conseillait de vous proposer d’accepter les pauvres filles et de les faire travailler aux gros ouvrages, comme les filles de Monsieur Nerinckx. Par ce moyen, nous pourrions vivre avec quelque terre, moyennant le travail d’un homme pour couper le gros bois, le foin et labourer. Mais le jardin, la culture du maïs, pour le sarcler, le cueillir ; celle du coton, des pommes de terre, du lin, pourraient être faites par les Sœurs qui, l’hiver, fileraient, tisseraient, et nous aurions la nourriture et le vêtement. Nous sommes bâties, et j’espère que quelques aumônes feraient l’entretien de la maison. Il n’y aurait d’études que pour un petit nombre. Je pense toujours qu’il faut conserver les deux rangs, quoiqu’ils soient déjà bien confondus. Nous n’avons que deux Sœurs [coadjutrices], Sœur Catherine et une autre, ce sont les deux plus faibles. Mère Octavie est encore plus propre aux travaux qu’elles. En ce moment, elle sarcle notre pépinière et se porte avec joie à toutes les œuvres abjectes. Pourquoi faut-il qu’elle ait dans son extérieur quelque chose de léger et dans sa conduite un je ne sais quoi qui a fait dire à plusieurs qu’elle n’était pas propre pour être à la tête, particulièrement à Monseigneur. Cependant je ne la crois pas au point de voir avec indifférence qu’on lui en préfère une autre, ce qui me chagrine beaucoup ne sachant pas comment mourir sans entrevoir bien des misères. J’espère que je me trompe et que je fais plus mal qu’aucune. Une autre de mes peines est de voir que nos intérêts sont tout à fait contraires à ceux des Pères. Leur éloignement de l’église leur rend leur situation vraiment pénible. Les jours ouvriers, le Père dit la messe trois fois chez lui et trois fois ici ; mais le dimanche où il est obligé de venir de bonne heure pour confesser, il faut que tous [les scolastiques] viennent et la chaleur de l’été, les pluies, les rigueurs de l’hiver, les ruisseaux qui se grossissent, rendent le trajet pénible, dangereux et même plusieurs fois impossible. Notre maison, qui tient à l’église, est vraiment ce qui

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leur faudrait, mais nous, si pauvres, perdrions tout le fruit de tant de peines pour notre établissement ayant tout à commencer ailleurs, et j’y ai une grande paresse ! À Saint-Louis, le succès est incertain, les logements chers, nous n’y aurions pas la ressource de notre champ, jardin, basse-cour, des vaches qui ne coûtent presque rien ici pour l’entretien. Elles vont seules dans les prairies communes et reviennent de même. Le bois est moins cher qu’à Saint-Louis. Je ne vois personne qui pût nous dédommager de tant de sacrifices, et encore, comment serions-nous pour le spirituel à Saint-Louis ? Tout est bien dans l’obscurité. Mais il est doux de vivre dans le sein de la Providence, attendant chaque jour son secours pour le spirituel et pour le temporel. Qui sait s’il n’arrivera pas une lettre des supérieurs jésuites qui défendra les rapports avec nous ? J’ai eu plusieurs fois sujet de le craindre, mais comme il n’y avait pas moyen de parer le coup, je demeure abandonnée. Quoiqu’il y eût plusieurs prêtres, ils ne voudront pas loger près de la maison et, restant chez eux, l’inconvénient du trajet est bien majeur. Nous sommes entre deux ruisseaux qui ont tellement grossi cette année que notre jardin et nos cours ne formaient qu’un lac ; les petits ponts et nos clôtures ont plusieurs fois été enlevés. Le Père, pour venir ou retourner, mettait son cheval à la nage et traversait sur un arbre mouvant. Un jour, on vit venir le cheval seul, sans selle. On se regardait avec effroi dans la crainte que le Père [ne] fût resté dans l’eau. Enfin il parut, mouillé jusqu’aux oreilles. Son cheval l’avait jeté à terre. Sa selle, trouvée par un jeune homme, lui fut offerte avec ce ton insolent : « Que me donnerez-vous pour que je vous la rende ? » C’est la politesse des paroissiens, leur contribution et reconnaissance. Veuillez, ma digne Mère, nous répondre sur tous ces articles. Celui du travail à la terre entraînerait peut-être un manquement à la clôture, que faire ? Le Père Recteur vous prie de nouveau de ne rien acheter sur son billet que je vous ai envoyé, si sa sœur ne paie pas. Celui-ci est pour faciliter le passage d’un Père pour l’Amérique ; il sait que plusieurs fois l’argent a empêché les départs. Vous voudriez bien garder celui-ci jusqu’à ce qu’on le demande de sa part. Si sa sœur, à qui le billet est adressé, était morte, ce qu’il craint, on pourrait l’adresser à Monsieur Bruson1, de la Société, à Gand, ou à M. Bernard Poulman, rue Haute, 1

Charles Bruson (1764-1838), SJ, fut supérieur des collèges des Pères de la Foi, à Amiens et Belley, avant de rejoindre la Compagnie de Jésus, en Belgique.



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à Gand. C’est encore bien incertain qu’il obtienne quelque chose, son frère lui est contraire. Il ne faut pas mettre de titre à Monsieur Bruson, il craint que cela [ne] fasse décacheter la lettre [par la police]1. [Au verso :] À Madame Madame la Supérieure de l’hôpital civil et militaire pour remettre à Madame Barat Supérieure des Dames du Sacré-Cœur Havre de Grace en France Département de la Seine-Inférieure. [Adresse changée par la supérieure de l’hôpital :] Rue de Varenne, n° 41 Paris

LETTRE 246

L. 16 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M2.

[Saint-Ferdinand, ce 23 octobre 1824] Monseigneur, Je viens de recevoir par Monsieur Dahmen les livres que vous avez eu la bonté de nous envoyer. Je suis bien reconnaissante que, parmi tant d’occupations, vous ayez songé à cette si petite partie de votre famille. Elle est maintenant plus particulièrement occupée à demander à Dieu le succès de vos travaux. Le R. Père supérieur lui donne une retraite, après laquelle j’aurais bien désiré faire faire les premiers vœux de cinq ans à nos deux novices, quoiqu’elles n’aient pas l’habit depuis les deux ans complets, ayant eu des exemples fréquents de cette grâce en faveur de celles qui l’avaient méritée par leur régularité, et sentant la nécessité de fixer par un lien la légèreté si ordinaire dans ce pays. 1 2

Le gouvernement du roi des Pays-Bas (Hollande et Belgique réunies) était alors hostile aux catholiques, spécialement aux Jésuites. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1824 Oct. 23, Mme Duchesne, Florissant ».

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Mais le R. Père tient à l’exactitude en tout ce qui concerne les règles et j’ai manqué de prendre auprès de vous, durant votre court séjour, les permissions nécessaires. Nous n’oublierons jamais votre précieuse visite, les grâces qu’elle nous a apportées et le témoignage d’une bienveillance qui fait notre bonheur. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Saint-Ferdinand, ce 23 octobre 1824

LETTRE 247

Philippine Duchesne sup.

L. 63 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, État du Missouri   Ce 22 novembre 18241 Rec. à St Antoine de Padoue N° 54 Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir une petite lettre de vous, qui en suppose une écrite avant et dont elle paraît la suite ; on m’annonce un petit paquet à Saint-Louis. J’espère qu’il contient cette bien-aimée lettre, mais je ne puis l’attendre avant de vous écrire, les steamboats séjournant peu à Saint-Louis, et le gel va rendre les communications plus rares. Ma lettre ne vous parviendra pas avant le jour de l’An, mais mes vœux ainsi que ceux de mes Sœurs seront toujours accueillis de la plus indulgente des Mères qui, d’ailleurs, connaît bien que cette petite portion de sa famille, si elle n’a pas d’autres bonnes qualités, est jalouse qu’on ne lui refuse pas celle d’apprécier sa Mère, de désirer lui plaire par 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 408-410 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 226-231. J. de Charry, II 2, L. 191, p. 292-296.

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sa fidélité et d’augmenter son bonheur par les vœux continuels qu’elle adresse à Dieu pour elle. Votre lettre exprime la sensibilité de votre cœur sur l’état triste où se trouvait Mère Octavie l’année passée à cette époque, mais dès que nous avons eu la pensée de vous prier d’écrire au prince [de Hohenlohe], sa guérison a commencé et elle a bientôt été complète. Je ne puis l’appeler un miracle, car les remèdes ne cessaient pas, mais si c’en est un, je suis tentée de l’attribuer au Père Recteur qui demanda à voir ce mal si fâcheux, et peu après il fut guéri. Si Dieu s’est servi des remèdes, c’est le mercure qui a opéré la guérison, il a été employé intérieurement et extérieurement et assez longtemps. Il ne reste qu’une cicatrice à côté de la bouche qui sert au Père pour faire faire des actes d’humilité : il se la fait montrer, puis il dit : « Oh que c’est laid ! ». Il a beaucoup travaillé sur cette âme et avec succès. Il la conduit par le renoncement, le détachement et l’humilité. Nous sommes toutes bien heureuses sous une telle direction. J’ai craint longtemps que notre bonheur ne durât pas, soit par l’effet de la pauvreté, soit à cause des règles de la Société [des Jésuites], mais il m’a dit depuis que le Père Général laissait faire. Il ne se tient pas autant de loin et a été jusqu’à me dire qu’il pourrait, dans la suite, nous bâtir une petite maison à Saint-Charles, avec une rue entre les deux maisons. Lorsqu’il y aura deux prêtres, je pense qu’un résidera là, n’y en ayant point encore au nord du Missouri, et les passages des rivières ont été si dangereux, cette année, que le Père Recteur en voit la nécessité. Il a été très content de notre évêque coadjuteur, Mgr Rosati, Lazariste, et qui sera bientôt évêque titulaire. Il y a eu confiance et estime réciproque. Le bon évêque parlait de son amour pour la Société avec effusion. Il baptisa solennellement un petit Sauvage, dont M. Mullanphy et une de ses filles ont été parrain et marraine. Il donna les Ordres mineurs à plusieurs des jeunes scolastiques et enfin la confirmation. Depuis le départ de Mgr Rosati pour les Barrens, où il réside au séminaire, le Père Recteur a donné la retraite à ses fils et ensuite à ses filles, c’est ainsi qu’il a appelé nos Sœurs quelquefois. L’année passée, elles n’étaient que Mesdames. Ce changement d’expression a beaucoup plu à nos Sœurs qui ont eu une retraite parfaite. On leur parlait six fois le jour, pour les quatre oraisons, pour la considération et une instruction. Le point de méditation était donné le soir et répété le matin. Le bon Père n’épargnait pas son temps pour parler encore à chacune, quoiqu’il fût lui-même en retraite avec son compagnon. J’étais restée pour les élèves, et ma Sœur Catherine pour les orphelines. C’est elle qui a eu

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à marcher droit pendant un temps, elle ne pouvait communier que le dimanche. Heureusement cela n’a pas duré, et cela me faisait beaucoup de pitié, car n’ayant pas les consolations extérieures, celles de la religion nous sont bien nécessaires. Nous n’avons plus que cinq pensionnaires dont une doit une année, sans espoir de ne rien tirer. L’une d’elles est Mlle Mullanphy cadette qui a été admise pour sa première Communion, le Père Recteur l’ayant demandé. Mgr Dubourg ne nous écrit pas. Vous savez sans doute qu’il ne veut pas de nos établissements à La Nouvelle-Orléans. Il donne pour raison à Mère Eugénie les maladies et le tort que cela ferait aux Dames Ursulines qui sont dans leur maison neuve. L’ancien couvent donné par elles à Monseigneur lui procure une église à lui1, son logement et son collège confié à un prêtre séculier. Il n’y a guère que des externes encore. Mère Eugénie, voyant notre détresse, est fort ardente pour accepter l’établissement sur le fleuve [à Saint-Michel]. Je l’ai engagée à venir ici, car ne pouvant quitter, il serait bon de se voir et qu’elle prenne ici celles qui pourront l’aider. Elle dit qu’il faut bien deux maisons dans la Basse-Louisiane, pour nous soutenir si nous avons des Sauvagesses et qu’elle peut apporter une de vos lettres qui laisse faire si on trouve des conditions raisonnables… Je ne puis, ma bonne Mère, répondre à vos lettres, ne les ayant pas reçues, mais il me tardait trop de vous écrire. Je vous conjure de ne pas oublier l’envoi des 600 F de Mlle Mathevon pour les Pères. Ils les attendent avec impatience. Si vous n’avez pas pris la voie des lettres de change, Monsieur Borgna sera le meilleur commissionnaire ; mais il faut lui dire de remettre lui-même aux Pères ou à nous, pour eux. Combien ils auraient besoin de davantage ! Le Père m’a dit n’avoir pas pour acheter un seul cochon, ce qui fait la moitié de la vie ici. Il n’a pas d’autel. Je reçus, il y a quelques jours, un mauvais morceau de grosse indienne avec un billet piqué dessus où était écrit : « On vous prie de raccommoder cela, c’est notre devant d’autel, miserere nostri. » Quelque chose de propre, venu de la chère France, a aussitôt remplacé la guenille ! Tout ce qu’on nous a envoyé nous a été utile et précieux. L’intérêt de notre Père Barat nous est bien cher. J’ai voulu souvent lui écrire, mais je crains l’importunité. Le Père d’ici a son esprit et sa 1

Mgr Dubourg réside à La Nouvelle-Orléans depuis la fin de l’année 1824. Il vient de prendre possession de la maison qu’ont quittée les Ursulines, le P. Antonio de Sedella occupant toujours la cathédrale.



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méthode. C’est en faire le plus parfait tableau selon notre cœur. Je ne conçois pas Mère Eugénie de nous avoir conseillé d’abandonner cette maison. Je la trouve, quoique pauvre, plus heureuse que la sienne. L’esprit principal pourra s’y conserver longtemps à l’ombre de cette bonne direction. Je suis à vos pieds votre indigne fille, ma digne Mère. Philippine Mes respects à nos Pères, Mères et Sœurs. Toutes sollicitent votre ­bénédiction. [Au verso :] À Madame Madame la Supérieure de l’hôpital civil et militaire pour remettre à Madame Barat Supérieure des Dames du Sacré-Cœur Au Havre de Grace Département de Seine-Inférieure France

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L. 17 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 12 décembre 1824] Monseigneur, Il se présente une occasion pour les Barrens. Je me hâte d’en profiter, pensant que c’est une voie plus sûre que la poste pour écrire. Depuis la visite de Monsieur Dahmen, nous n’avons que des nouvelles indirectes ou plutôt des mots échappés sur le séminaire, asile où nous aimons tant à porter nos pensées. Nous y voyons celui que Dieu, dans sa bonté, nous a donné pour pasteur, ce qui excite toute notre reconnaissance envers Dieu et nous porte à le bénir. Nous nous rappelons sans cesse 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1824 Dec. 12, Mme Duchesne, Florissant ».

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le temps de votre visite, comme celui de notre bonheur. J’aime avoir ce sentiment au même degré chez nos missionnaires et leur entendre répéter : « Nous sommes bien heureux d’avoir un tel Evêque. » J’ai, en mon particulier, à me féliciter de vous avoir parlé de la peine que j’avais à l’égard de celui qui nous dirige ; elle s’en est tout à fait évanouie ; c’est une grâce que j’attribue à celle de votre ministère. Nous prions Dieu tous les jours qu’il adoucisse vos travaux par toutes les consolations et les succès qui peuvent avancer sa gloire, qu’il vous environne de ministres fervents et zélés et qu’il dispose les âmes à profiter de leur secours. Les Jésuites n’ont rien reçu du gouvernement et à part moi [selon mon propre jugement], je crois qu’on les joue. J’en suis d’autant plus touchée que nous ne pouvons pas pour eux ce que nous voudrions ; mais les contretemps ne les empêchent pas d’avoir la même ardeur pour travailler à la vigne du Seigneur. Ils sont toujours plus contents de leurs petits Sauvages. Mme Fournier, sœur de Mgr Dubourg, qui vient de m’écrire, en me félicitant sur votre nomination, me charge de vous offrir ses profonds respects. Mes sœurs s’empressent à solliciter votre bénédiction et à former à vos pieds avec leur indigne Mère les souhaits les plus ardents pour la prospérité de leur évêque, de son séminaire et de tout ce qui le touche. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble servante. Philippine Duchesne Sup. Ce 12 décembre 1824 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Aux Barrens

Lettre 249

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L. 64 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 6 janvier 1825 Rec. à St Antoine de Padoue1 N° 55 Ma très digne Mère, Sans doute que Mère Eugénie vous aura fait part du consentement qu’elle a donné pour un nouvel établissement, s’y croyant suffisamment autorisée par une de vos lettres et par une des miennes, où je lui marquais qu’elle était plus à portée que moi de voir ce qui convient et de saisir l’occasion. Monseigneur lui ayant écrit qu’il ne fallait pas s’établir à La Nouvelle-Orléans à cause des maladies qui avaient réduit à rien le pensionnat des Dames Ursulines, à qui en même temps on ferait tort, il n’y avait plus moyen d’aller contre une telle autorité et de telles raisons. Ainsi, les réponses d’ici demandant toujours trois mois pour l’aller et le retour des lettres, elle a donné sa parole par écrit au curé de Saint-Michel – paroisse à vingt-cinq lieues de La Nouvelle-Orléans, paroisse riche et sur le fleuve – qu’on s’y établirait. Elle me marque, qu’en huit jours, il a trouvé 2 000 piastres de dons gratuits. Le reste du prix de la maison se trouve par souscription des parents qui ont des enfants, qui se rembourseront peu à peu par la diminution du prix de pension pour eux. Si cela ne réussit pas, on est au moins sûr de ne pas faire de dettes, ce qui est terrible ici. J’avais engagé Mère Eugénie à venir nous voir pour prendre les deux sujets que nous pouvons lui donner, n’ayant pas envie de descendre, mon dernier voyage ayant eu tant de difficultés. Elle est très contente de venir, ce qui me fait craindre d’avoir fait une sottise, car elle a déjà eu la prétention de nous faire descendre, au moins moi2 ; et, outre que j’y répugne extrêmement, je vois un avantage très grand à rester dans ce pays où nous avons à la vérité peu de pensionnaires, mais plus de sujets pour nous et moins mous que dans la Louisiane où, avec son 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Jan. 12 ; Colonies par Le Havre ; Paris, 22 mars 1825. J. de Charry, II 2, L. 192, p. 325-332. Mère Barat a suggéré à E. Audé de transférer la communauté de Florissant en Louisiane, y compris Philippine, laissant une petite école avec trois ou quatre religieuses, dont Lucile Mathevon comme supérieure. Elle s’en rapporte toutefois à la décision de Philippine.

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habileté, Mère Eugénie n’en a formé qu’un et nous lui en avons donné six (…)1. Mère Lucile m’a sondée sur qui irait à Saint-Michel ; on lui avait dit de se préparer à descendre et je vis bien qu’elle était toute prête. Je répondis en un mot que vous aviez désigné Mère Eugénie pour La Nouvelle-Orléans et que Saint-Michel le remplaçait. Et si vous me demandez mon avis, il n’y a que Mère Eugénie qui puisse être là. Il faut sa fermeté, son adresse et sa conduite irréprochable par sa grande prudence et sa régularité, qui la rendent propre à tenir une place difficile à raison du climat, des habitants et des rapports multiples avec le clergé et le peuple. Je pensais lui donner l’aînée de nos deux Américaines, Xavier Hamilton, qui peut faire la classe dans les deux langues, est forte, chante bien, a un bel extérieur, est très régulière et pénétrée d’estime pour Mère Eugénie dont elle a toujours les éloges à la bouche. Elle la préfère beaucoup à Mère Octavie et même à moi, sans me le dire. Elle disait un jour : « Je voudrais descendre dans la Louisiane quand ce ne serait que pour imiter mon saint Patron en passant devant ma famille sans m’y arrêter. » Je lui ai dit qu’il serait possible que Mère Eugénie la demandât ; elle n’a pas dit qu’elle en était contente, mais je le vois. Elle mériterait de faire ses grands vœux pour son attachement à la Société. Il y a près de deux ans qu’elle a fait les premiers, et elle a vingt-deux ans. Sa compagne serait une Créole [Judith Labruyère] qui ne sait que le français, mais propre à beaucoup de choses et susceptible d’avancer passablement dans les études. Les dix-huit mois après lesquels vous nous promettez des sujets étant près d’expirer, j’espère que vous en donnerez deux à Mère Eugénie. Elle croit que Mère Anna [Murphy] est bien en état de tenir sa place au Grand Coteau. Elle s’est bien formée et liée à elle, plus que lors de mon voyage. Si vous permettiez que Sœur Carmélite [Landry] fît aussi ses derniers vœux, étant très sûre sous tous les rapports et très en état de tenir le temporel et les ouvrages, elle serait l’assistante et aiderait à la régularité de toute manière. Je vois un inconvénient à faire descendre Mère Lucile : je ne crois pas qu’elle puisse soutenir cette épreuve, surtout depuis l’arrivée des Pères et, malgré notre pauvreté, elle est très contente ici. Après Mère Eugénie, elle serait mal jugée des parents qui goûtent tous Mère Anna, ainsi que les enfants. Il est dans les probabilités qu’il y aura là, dans quelques années, des Pères comme ici. Le supérieur [le P. Van Quickenborne] m’a fait différentes questions qui montrent qu’il y incline 1

Phrase barrée, de manière à la rendre illisible.

Lettre 249



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quand il y aura du monde. Il va de temps en temps à Saint-Charles qui est sans autre prêtre. On lui offre à acheter la maison où nous étions1 en témoignant le désir d’y avoir un prêtre fixe et une de nos écoles. Ce sera avec le temps la vraie place de Mère Lucile, que le Père apprécie grandement2. C’est la seule qu’il voudrait voir supérieure, même à Saint-Louis, tant il craindrait pour les autres cet air contagieux. J’ai cherché aujourd’hui dans toutes vos lettres celle où vous me marquiez qu’elle était destinée pour me remplacer. Je n’ai pu la retrouver. Je crains de l’avoir brûlée pour quelques phrases que je n’aurais pas voulu qui se vissent après ma mort. Il est vrai que je les transcris dans un recueil, mais alors je supprime aussi certaines choses qui empêcheraient que plusieurs n’eussent la consolation de les lire et ainsi d’en tirer profit. Cependant je puis mourir et il est essentiel que nous sachions qui vous mettez à la tête de cette petite maison. Le R. Père pourrait être dépositaire de la lettre, ou Mère Lucile, (Mère Eugénie). Vous serez fâchée, ma bonne Mère, qu’un troisième établissement se fasse encore hors des grandes villes, mais vous voyez les obstacles. Le grand Père [Mgr Dubourg] ne veut pas à la Nouvelle-Orléans. À Saint-Louis, pas une âme ne nous aiderait. Ayant demandé une quête pour les Pères à Saint-Louis, entre autres réponses désobligeantes, une d’elles marquait : « L’esprit de la ville est contre eux, on n’y trouverait pas seulement un mouchoir. » Cela n’est pas. De mon su, ils en ont tiré 160 F, mais ce n’est rien pour leurs besoins. Sans nous, ils auraient manqué du plus nécessaire. J’ai été étonnée que, dans notre disette, nous ayons pu tirer ces secours. J’ai cru ne devoir pas les calculer, dans la crainte de blesser la divine Providence sur laquelle je compte encore l’année prochaine, n’ayant que cinq pensionnaires dont une ne paie pas depuis deux ans ; une autre sort le 11. Les autres ne sont point sûres. Personne ne donne à l’église, nous en faisons tous les frais. Mère Eugénie fournit le vin et des chandelles de blanc de baleine, très belles. Elle se fait une joie d’avoir les moyens de nous sustenter. J’ai bien eu d’elle, en argent ou fournitures, plus de 1 500 F cette année. Croyez, ma bonne Mère, que dans ce pays où tout varie, une ville est bientôt un village et une campagne une ville. Le R. Père m’a dit 1

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La maison Duquette, à Saint-Charles, où la communauté a résidé de septembre 1818 à septembre 1819. En 1826, les Jésuites achètent cette propriété. Le P. Verhaegen est alors chargé de la fondation. Les religieuses du Sacré-Cœur y retourneront en octobre 1828. Lucile Mathevon ira à Saint-Charles en 1828, avec Mary Ann O’Connor.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

qu’une ville comme Baltimore n’est plus qu’un mauvais village. Les hommes et les places changent perpétuellement. Notre gouverneur de l’année passée a été supplanté1, a perdu son bien pour acquitter ses dettes et va vivre parmi les Sauvages. Le Général2 est à peu près au même point, etc., etc. Nous avons mis la pension à 100 piastres et annoncé un second pensionnat dans la maison de l’école à 36 piastres par an. Je crois qu’à peine nous réunirons des enfants à ce prix ; il n’y en a que trois sur douze qui les aient promises, les autres donnent juste la nourriture. Le bien se fait dans cette pauvreté. Sœur Catherine y est fixe et s’y baigne de plaisir. Rien ne lui coûte pour rester là, elle est beaucoup mieux pour tout. Je vous prie de marquer bien vite si vous consentez aux vœux des deux sœurs que je vous propose3 et de détourner Mère Eugénie de m’attirer en bas. J’aime notre simplicité. Je voudrais mourir sous notre bonne direction, je plais peu à Monseigneur et je crains d’arrêter le bien où j’irai. Et puis, je vous l’ai déjà marqué, Mère Eugénie est faite pour être à la tête et pour y être seule. Mère Bardot pourrait peut-être lui être bien utile, surtout pour le ménage et l’écriture. Un prêtre de Saint-Louis voulait nous y faire aller, mais ses mesures ne pouvaient offrir aucune solidité, point de maison, point de protection, secours douteux pour le spirituel. Il n’y avait pas à hésiter pour refuser. Et lui-même a assisté à la distribution solennelle des prix d’une école protestante où sont toutes les sœurs cadettes des élèves que nous avons eues, et dont les mamans disent que la demoiselle protestante nous vaut bien. La religion, là, est à part et on ne sait que dire quand le collège du prêtre a été remis par lui à un protestant. Je n’ai pas pu mettre en terre les 600 F de Mme de la Grandville, c’est impossible. M.  Mullanphy nous environne de trois côtés et le quatrième est à un mineur. Loin de nous, sans surveillance, nous ne retirerions presque rien, dix boisseaux de moins par arpent, qui ont la valeur de deux piastres et demie. Je vous prie de m’autoriser à attendre encore. Le supérieur des Jésuites, qui vous a envoyé deux ordres sur sa 1

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Le lieutenant-gouverneur William Henry Ashley (1778-1838), premier gouverneur de l’État du Missouri de 1820 à 1824, est battu en août 1824 par Frederick Bates (1777-1825), qui meurt en fonction l’année suivante. Probablement William Clark (1770-1838), qui, après la célèbre exploration du Midwest, a reçu le grade de Général de brigade et a été gouverneur général du Territoire du Missouri (1813-1819), puis surintendant des Affaires indiennes jusqu’à sa mort. Mathilde et Eulalie Hamilton ont prononcé leurs premiers vœux le 19 mars 1823.

Lettre 249



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sœur à Gand, vous prie de ne rien acheter des vases sacrés. Si vous ne retenez l’argent, ne pourriez-vous pas remettre ces 600 F à Monsieur Borgna pour lui, ou les envoyer par le Consul de France ; il en a le plus grand besoin. Quant aux 1 700 F venant de Mme de Rollin et de mon frère, ils sont à vous. Nous en aurions besoin, mais il faut bien payer ce que vous avez avancé pour nous. Mes humbles respects à mon Père Perreau, Père Barat et aux autres Pères et Mères qui vous environnent et qui se souviennent de nous. Excitez les Pères, ma bonne Mère, à aider leurs frères. Que font-ils donc avec 600 élèves ! Tandis qu’avec 5 ou 6, nous trouvons à les aider quelquefois. Nous n’avons pas la formule de l’acte à écrire quand on a fait ses vœux. N’ayez, ma digne Mère, aucune inquiétude sur nous, nous aimons toutes la pauvreté, notre situation ; nous sommes gaies, nous nous portons bien. Il est vrai que j’ai écrit d’un ton lamentable à votre cher frère ; mais c’est qu’il y a des moments durs, surtout quand les tentations pressent nos jeunes têtes. Si elles sont plus occupées, elles seront mieux. Je suis à vos pieds votre toute soumise et indigne fille. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur, rue de Varenne À Paris By way of New York

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 250

L. 65 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 28 février 18251 Rec. à St Antoine de Padoue N° 56 Ma bien digne Mère, J’ai appris que Monsieur [nom barré] retournait ou allait en France. Sans doute, vous le verrez et (ligne barrée) je voulais vous écrire pour vous rassurer, quand j’ai senti que c’était peine perdue et manque de réflexion, puisque votre prudence saura bien démêler ce qui peut venir du mécontentement de plusieurs personnes qui se sont découragées, et ce qui est dans la réalité. On a du mécompte en ce pays si on vient y chercher la fortune, l’honneur, le plaisir, mais quand on n’a voulu que le bon plaisir de Dieu, on demeure en paix, même parmi les mauvais succès, puisque Dieu ne nous a pas dit qu’Il exigeait que nous en eussions d’heureux. Toutes celles de vos filles que Dieu a choisies pour cette maison sont contentes de leur sort, n’aspirent point à une autre situation, même à celle qui les remettrait à vos pieds, ce qui serait le plus tentant pour elles. Le caractère de vos enfants, nées dans cet hémisphère, sera plus changeant, c’est pourquoi il sera bon d’avoir toujours quelques Européennes, instruites au centre de la famille, et qui se conduisent suivant son esprit. J’ai à me reprocher beaucoup sur cet article ; vous saviez que, dès la France, on ne me trouvait pas le bon esprit ; mais j’invoque tous les jours pour conduire l’œuvre, le divin Esprit, saint Régis et surtout la Madonna del buon Consiglio. J’ai été souvent occupée de la mort ces derniers temps, cependant mon âme tient encore fortement au corps ; mais je voudrais qu’un autre réparât mes fautes et quand je considère qui fera le mieux entre mes Mères Lucile et Octavie, je penche tantôt d’un côté, tantôt de l’autre et finis par n’y voir plus rien. Mais pourquoi voudrais-je voir puisque c’est à vous à décider ?

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Colonies par Le Havre ; 27 mai 1825. Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 423-425 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 41-45. J. de Charry, II 2, L. 194, p. 338-342.

Lettre 250



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Dans ma dernière lettre, je vous parlais de l’établissement de Saint-Michel, pour lequel il y a déjà 75 000 F de dons gratuits. Mère ­Eugénie, qui l’a accepté, vous aura donné tous les détails et dit que, ne pouvant aller à La Nouvelle-Orléans contre la volonté de Monseigneur, je pense que cette maison, en faisant beaucoup de bien dans la Louisiane, soutiendra celle du Missouri qui en est à trois pensionnaires. J’attends Mère Eugénie ce mois-ci, qui viendra prendre quelqu’une des nôtres. Elle ne peut guère en ôter aux Opelousas où son absence fera déjà une énorme place. Il me paraît toujours que Mère Xavier Murphy, qui s’est bien formée et qui a la confiance, est la plus propre à la remplacer. Le Père supérieur des Jésuites, sur le seul fond de la confiance en Dieu, a acheté l’ancienne maison que nous avions à Saint-Charles, veut en rapprocher l’église et a promis aux habitants que nous pourrions y former une école. Je m’y incline beaucoup, ayant si peu à faire ici. Saint-Charles a plus de monde et le canal, ordonné par le gouvernement et déjà fini de New York jusqu’aux Lacs, devant faire la communication des deux océans par le Missouri, rendra ses bords plus populeux. C’est la partie assignée par Monseigneur aux Jésuites, qui n’y ont encore personne faute de prêtres ; mais quand il y en aura un à Saint-Charles, il me semble que nous ne pourrons nous refuser à travailler sur une terre si destituée de secours. Saint-Louis se contente de ses pensions protestantes, bien peu nous y désirent, et l’homme pour conduire y manque. Une pension de pauvres enfants, la seule qu’on puisse établir à Saint-Charles, serait bien conduite par Mère Lucile que Dieu bénit et qui, je crois, n’aurait pas la force de descendre et de quitter ses Pères. Le Père supérieur la goûte beaucoup pour la vertu et la paix, etc. Après avoir parlé de notre abandon à la Providence, je ne puis m’empêcher d’avouer que nous attendons avec impatience Monsieur Borgna, qui, j’espère, nous consolera de vos nouvelles récentes et par quelques secours pour les Pères. Nous attendons avec impatience ce que vous, ma digne Mère, et Mlle Mathevon, avez annoncé pour eux. Ils en ont le plus grand besoin. Je suis presque insensible à la contribution pour Saint-Michel, voyant qu’en même temps un établissement si intéressant est tout à fait oublié. Nos santés sont bonnes mais nous languissons pour les nouvelles de France.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Le 2 février, Mlle Timon1, qui a pris le nom d’Aloysia, a pris l’habit au rang de sœur coadjutrice, quoique son frère, rempli de vertus et de talents, qui est au séminaire des Lazaristes, doive être bientôt un des prêtres les plus distingués du diocèse. Nous n’avons point de postulante. Monsieur Mullanphy a donné d’avance son consentement à sa cinquième fille qui est ici2, mais elle n’a pas encore la vocation. Il y en aura peu dans ce pays, l’éducation première y est trop contraire. J’avais écrit à mon bon Père, votre frère, j’espère une réponse et qu’il prie pour moi. Mes respects aux chers Pères Varin, Perreau, Roger et à mes chères Mères qui sont auprès de vous. Je suis au nom de toutes, dans l’aimable Cœur de Jésus, votre indigne fille. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré Cœur, rue de Varenne À Paris France

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2

Mlle Timon n’est pas restée dans la congrégation. Son frère, dont parle Philippine, est John Timon (1797-1867), qui a été ordonné chez les Lazaristes en 1826, sera évêque de Buffalo, New York. Cf. Lettre 516, L. 1 à Timon/Tanon. Mary Mullanphy se mariera avec M. Harney.

Lettre 251

LETTRE 251



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L. 18 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 28 février 1825] Monseigneur, Mon empressement ne pouvait être plus grand en apprenant des nouvelles des Barrens, où nos vœux se portent sans cesse, comme vers le point d’où Dieu enverra sur nous ses plus abondantes bénédictions en les répandant sur nous, son troupeau, par le digne pasteur qui nous le représente et qui nous est si cher. Monsieur Cellini a bien été à SaintLouis, mais je ne l’ai su qu’après son départ, ajoutant encore qu’il redescendait par le premier steamboat. Nous attendons Madame Eugénie, supérieure des Opelousas, ce mois-ci, ayant donné son consentement au nom de notre Supérieure générale à l’établissement de Saint-Michel, sur la paroisse de Monsieur Delacroix, établissement que Mgr Dubourg apprécie extrêmement. Elle vient ici avant de s’employer à cette fondation et prendre quelques sujets. Je vous prie, Monseigneur, de m’autoriser de votre côté à ces départs, au cas où le Père Van Quickenborne les désapprouve encore. Je ne puis rien avoir de plus fort que votre consentement pour qu’il ne me répète pas des avis contraires auxquels il me serait pénible de résister, ne croyant pas pouvoir refuser ces sujets indispensables et nécessaires à Madame Eugénie et dont, dans l’état des choses ici, nous pouvons nous passer. N’ayant que très peu de pensionnaires, il est de notre intérêt de faire le bien ailleurs si nous le pouvons, de soutenir cette maison par les secours d’une autre et de répondre aux vœux de Mgr Dubourg et de presque tout son clergé. Saint-Louis est trop mal disposé pour songer à y aller avant quelque temps et si, comme cela nous est demandé depuis longtemps, nous allons à Saint-Charles lorsqu’il y aura un Jésuite, et de plus prêtre, ce ne sera jamais qu’une petite école où il faudra bien peu de monde. Nous n’avions jamais pu y réunir plus de vingt à vingtquatre externes gratuites, à cause des écoles protestantes. Veuillez, je vous prie, Monseigneur, répondre à cette lettre car je ne pense pas que Madame Eugénie puisse séjourner longtemps ici. Quant 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1825 Février 28, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 3 ; répondu le 4 ; approuvé le départ ».

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

à celles qui seront choisies, cela ne peut se faire que de concert, quand nous serons réunies. Une lettre de Mgr Dubourg m’apprend que les Dames Ursulines doivent encore 60 000 $ et que lui-même a son revenu du collège absorbé, pendant plusieurs années, par les réparations qu’il a faites à l’ancien couvent. Il paraît bien souffrir pour tous ceux qui souffrent. Je crois que les espérances des Jésuites ne peuvent être que dans la Croix à porter avec Jésus-Christ. On contrarie plus leur projet de prendre des Indiens, qu’on n’est disposé à l’aider. Toutes mes sœurs sollicitent votre bénédiction. À vos pieds, je suis, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne sup. Ce 28 février 1825 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens

LETTRE 252

L. 66 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M. 

[Saint-Ferdinand], 8 mars 18251 N° 57 Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir une lettre de Mgr Dubourg [datée du 26 janvier], qui m’annonce l’arrivée de Monsieur Borgna et de Monsieur 1

Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 413-415 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 45-48. J. de Charry, II 2, L. 195, p. 343-345.

Lettre 252



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Dusaussoy et il ajoute qu’ils sont chargés de beaucoup de lettres de votre part, qu’ils m’enverront quand ils monteront au séminaire où Monsieur Dusaussoy s’attachera à la Congrégation des Lazaristes. Je l’aurais bien désiré dans la Société plus voisine1, un prêtre de plus y est bien nécessaire. Monseigneur ajoute que vous avez dit à Monsieur Borgna que je devais aller à Saint-Michel et, en conséquence, il l’a écrit à Mère Eugénie. J’aurais bien désiré qu’il ne se pressât pas, croyant devoir attendre une lettre directe et positive de votre part pour faire un changement si extraordinaire et auquel je ne m’attendais pas. Car depuis longtemps, vous aviez désigné Mère Eugénie pour l’établissement de La  Nouvelle-Orléans qui ne peut se faire, puisque Monseigneur ne le veut pas, et que Saint-Michel remplace. Mère Eugénie est avantageusement connue dans toute cette partie du diocèse, elle fera la réputation de la maison et est bien en état de la soutenir par son zèle, sa prudence et son talent pour les enfants. Je vous ai marqué toutes mes pensées là-dessus, surtout dans ma dernière lettre du 28 février. Ici, bien plus qu’en France, les vieux et les laids n’ont pas grand crédit. Je deviens tous les jours plus désagréable. Cheveux gris, point de dents, mains affreuses ne me rendent nullement propre pour figurer dans le pays de la délicatesse, passe encore pour le village où cependant, par amitié, on m’a appelée pauvre diablesse. Si j’en venais au spirituel, il y aurait bien plus de désagrément encore. Je pense donc toujours que Mère Eugénie est la seule propre pour Saint-Michel. Mère Xavier Murphy, la seule pour les Opelousas, où elle est connue et aimée. Quant à ici, sur trois, je professe bien que je devrais être la dernière. Cependant le Père Recteur, à qui j’ai parlé de ceci, m’a dit que si ce changement se faisait, cette maison se détruirait. Il est vrai qu’elle est pauvre et abjecte mais c’est par cela qu’elle m’est chère, et elle n’a jamais été dans une position à pouvoir mieux se soutenir pour le spirituel. Le Père Recteur y prend maintenant un véritable intérêt et, avec le temps, nous y cultiverons cette œuvre des Sauvagesses, tant désirée. Il m’a été même dit que si Mère Octavie ou une autre qu’il a nommée était à la tête, ni lui ni aucun des siens ne se mêleraient plus de la maison. Je ne vous fais ici qu’une exposition qui me paraît nécessaire ; quand on végète dans ce pays, il faut s’en contenter. Hormis pour la nourriture, rien ne nous manque ; pour le vêtement, d’en-bas, on peut être aidé. Si les pauvres, suivant nos règles, doivent être préférés aux 1

La Compagnie de Jésus où il a déjà passé plusieurs années. Il quittera aussi les Lazaristes.

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riches, nous n’avons rien à envier aux Opelousas, nous cultivons autant d’âmes qu’elles et aurons toujours plus de novices. Voyez que Mère Eugénie n’a formé qu’un sujet et, ici, il en a persévéré dix : ce qui augmentera avec l’établissement voisin [des Jésuites] quand la nouvelle direction aura renversé les anciennes idées. Je ne voulais vous écrire qu’après la réception de vos lettres qui sont à La Nouvelle-Orléans, mais craignant que Monseigneur ne me presse pour une décision, je vous la demande, en vous priant d’avoir égard à mon âge qui attend la mort, à mes défauts et incapacités. Je suis à vos pieds, avec une profonde vénération, ma digne Mère, votre dévouée fille in Corde Jesu. Philippine Les santés sont assez bonnes. Nos pères ont enfin reçu du Gouvernement 500 gourdes pour les Indiens.

LETTRE 253

L. 67 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 23 avril 18251 Rec. à St Antoine de Padoue N° 59 Ma bien digne Mère, Nous vous avons écrit le 5 avril, au départ de Monsieur Niel, curé de Saint-Louis. Comme il l’a un peu retardé et qu’il visite les villes de l’Est au lieu de passer par la Nouvelle-Orléans, dans la vue d’y obtenir quelques secours pour payer les dettes de l’église, je pense que cette lettre-ci préviendra son arrivée en France. Il ne manquera pas de quêter 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : May 4 ; 20 juin 1825. Copies partielles, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 415-419 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 231-233. J. de Charry, II 2, L. 197, p. 351-357.

Lettre 253



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à Paris ; mais s’il le fait dans votre maison, il ne pourra être blessé que vous fassiez votre application pour l’œuvre des Sauvages, tant garçons que filles, et il ne pourra en être fâché car, en partant, il a montré à nos Pères le désir d’obtenir quelque chose pour eux, et il serait bien bon, si vous aviez la connaissance de dons faits à notre intention, qu’il nous en arrivât la liste directement, afin de réclamer ce qui pourrait être oublié. Quoique Mère Eugénie ait vu Monsieur Borgna à la Nouvelle-Orléans en venant ici1, elle n’a pu recueillir ce qu’il nous apportait, les notes en étaient répandues sur un grand nombre de feuilles difficiles à démêler et les objets dispersés, de sorte que plusieurs étaient encore sur mer. Je n’ai encore reçu que la belle Sainte Vierge en bannière, la Vie d’Aloysia, les résumés d’instructions et quelques relations, chapelets et images. Les joujoux ont pris la route des Opelousas. On m’a dit qu’il nous reviendrait encore 500 F et le Père Galliffet2. Nos Pères ont aussi reçu les prêts de 600 F en or. Je pense que c’était l’argent qui nous était depuis longtemps annoncé par la sœur de notre Mère Lucile, quoique, par les lettres que nous avons eu aussi le plaisir de recevoir, il parût qu’il vînt du Père Barat. Ne pouvant connaître précisément à qui nous sommes redevables, je vous prie de vouloir bien faire parvenir nos remerciements. Mère Eugénie, arrivée ici le 21  mars, repartira probablement au commencement de mai, avec la jeune Mère Xavier Hamilton, qui lui sera très utile. Ayant depuis longtemps sollicité auprès de vous d’abréger ses cinq ans et reçu de vous sa croix, j’ai cru être suffisamment autorisée par-là à lui faire faire ses derniers vœux, le dimanche du Bon Pasteur, à la messe paroissiale. C’est le Père supérieur qui a fait la cérémonie et un excellent discours. Notre autre Sœur Hamilton, pour qui vous m’avez aussi envoyé une grande croix, n’ayant pas vingt-et-un ans, vous conjure de vouloir bien permettre aussitôt qu’elle les aura atteints, qu’elle ait le même bonheur que sa sœur qui est notre première professe d’Amérique et la première [religieuse] du chœur destinée à une fondation. Elle aura pour compagne Sœur Ignace, bien bonne coadjutrice des premiers vœux et Sœur Aloysia [Timon], novice américaine, coadjutrice aussi. 1

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Avant de prendre le steamboat à La Nouvelle-Orléans pour Saint-Louis, Eugénie Audé a rencontré M. Borgna, qui venait d’y débarquer, ainsi que M. Dusaussoy. Elle est arrivée à Florissant le 21 mars. Joseph Galliffet,  SJ, L’Excellence de la Dévotion au Cœur adorable de Notre-Seigneur ­Jésus-Christ, Lyon, 1733.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

C’est, en tout, trois que Mère Eugénie va enlever et c’est aussi tout ce que nous pouvions lui donner avec toutes nos divisions de trois pensionnats, celui à 500 F, celui à 175 F, celui des Sauvagesses qui commence enfin et auquel nous avons destiné une Irlandaise [Mary Ann O’Connor] qui a fait ses premiers vœux, le dimanche du Bon Pasteur. Sa langue, son âge d’environ 40 ans, sa vertu solide la rendaient la plus propre à cette œuvre qui la tient, une partie du jour et toute la nuit, séparée de nous. Les Sauvagesses l’appellent maman, lui sautent tout autour partout où elle les conduit, aux vaches, aux poules, au jardin. Nous lui laissons les occupations actives, ces enfants n’étant pas en état de supporter la vie sédentaire. Nous vous prions que le dixième1 des maisons d’Amérique, quand elles seront en état de le donner, soit appliqué pour la conversion et l’éducation des Sauvages et de le permettre de manière à ce que cela puisse faire loi pour la suite, car il y a des supérieures qui croient que c’est mieux de le garder pour leur maison et qui songent au superflu, tandis que le nécessaire manque ailleurs. Mère Eugénie nous a montré le plan de la maison de Saint-Michel qui sera très commode et située très agréablement. Tout annonce que cet établissement, mieux placé que les deux premiers, prospérera. Il nous semble que celui des Opelousas souffrira assez du changement de supérieure pour qu’on puisse en ôter aucun autre sujet. Et voici comment nous vous proposons d’y établir le gouvernement au départ de Mère Eugénie, qui pourra avoir lieu fin octobre pour ouvrir le pensionnat au 1er janvier 1826 : 1°) Mère Xavier, supérieure, étant connue avantageusement dans le pays. 2°) Sœur Carmélite Landry, formée dans cette maison, Créole acclimatée et excellent sujet, assistante et sous-maîtresse des novices coadjutrices, les seules qui resteront là. C’est un sujet tout formé pour l’âge, la régularité, la vertu et pour tenir une maison – ce qui manque à Mère Xavier. Elle peut aussi aider pour le pensionnat avec deux aspirantes, l’une américaine et l’autre française. 3°) Sœur Marguerite peut faire quelques surveillances, repasser, soigner la chapelle. Deux coadjutrices seront pour l’infirmerie et la cuisine, mais cette cuisine détruit tellement les santés qu’il nous paraît impossible de nous passer d’une Négresse esclave, que nous désirerions tenir avec nous, hors le temps de son service, pour éviter les courses 1

Le dixième des revenus, que chaque maison doit verser annuellement à la caisse générale.

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dangereuses, c’est-à-dire aux récréations. Elles entrent ici dans tous les salons à la suite de leurs maîtresses ou avec les enfants. Réponse aussi, je vous prie, sur cet article. Si le pensionnat se soutient aux Opelousas, il y manquera une bonne maîtresse française, une à Saint-Michel pour soulager Mère Eugénie et une ici, surtout si l’établissement de Saint-Charles a lieu. Les Jésuites le désirent beaucoup et il y sera bien nécessaire pour établir la religion dans le nord du Missouri, où il n’y a ni prêtre fixe, ni école et point d’argent pour éloigner les enfants1, au lieu que sur la même rive du fleuve, n’ayant pas les traverses qui sont chères et souvent dangereuses, on peut payer les pensions en nature2. C’est ainsi que se paie la pension de 175 F et même au-dessous de ce prix auquel on n’arrive jamais, et cependant les enfants ne manquent de rien pour la nourriture. La classe externe étant impossible à établir dans la Louisiane à cause des grandes chaleurs, des Nègres qui courent le pays, des animaux qui paissent sans gardien, des longues distances, il paraît qu’il vaut mieux avoir les enfants fixes, jour et nuit ; on s’en tirera à 250 F ou 50 gourdes par an. Le bien sera plus sûr, la peine pas plus grande et même ces enfants peuvent aider pour le jardin et le lavage, etc. Elles couchent en ce pays ou sur des peaux ou sur des couvertures qu’on lève le jour. Elles peuvent être 20 ou 30 dans la classe, suffisante pour des externes qu’on ne pourrait même avoir en si grand nombre. J’espère que vous serez touchée de tant de bien à faire, que vous approuverez : 1°) l’établissement de Saint-Charles ; 2°) que vous nous enverrez trois sujets d’âge moyen, mais pas Mères Benoit Maujot et Bardot, je craindrais trop pour leur tête ; 3°) que vous permettrez les vœux de Carmélite [Landry] ; 4°) l’établissement d’un pensionnat secondaire en place d’externes ; 5°) l’admission d’une Négresse mariée pour la cuisine ; 6°) que le noviciat de la Basse-Louisiane soit à Saint-Michel, au soin de Mère Eugénie, c’est la situation la plus favorable pour les secours de tous genres ; 7°) que vous désignerez la supérieure et assistante pour les Opelousas ; 8°) l’assistante ici, celle que vous voudriez supérieure à ma place en cas de mort, pour que le gouvernement n’éprouve pas un changement d’une assistante à la supérieure que vous nommeriez. Toutes ces réponses nous intéressent singulièrement. Je vous prie 1 2

Pour mettre les enfants pensionnaires dans des établissements éloignés. Si on s’établissait sur la rive du Missouri, opposée à Florissant, les élèves ne seraient pas exposées aux périls de la traversée du fleuve, et les parents, sans ces frais, payeraient plus facilement la pension en nature.

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de les adresser dans les deux maisons actuelles, le plus tôt possible, par New York et Le Havre. Si vous préférez Mère Lucile ou celle qui viendra, pour me succéder, je vous prie de la nommer de suite assistante pour éviter le mauvais effet de remplacer Mère Octavie presque aussitôt qu’elle aurait pris les rênes par sa place d’assistance, ce qui lui serait sensible et ferait parler. Quant à Mère Xavier, elle a beaucoup gagné, elle est très zélée, très attachée à la Société, et Monseigneur tient maintenant à nos Règles. 9°) Il nous est impossible d’empêcher ici les visites le dimanche, touchant l’église [contigüe1] ; des parents, venant seulement ce jour-là au village et de trois ou quatre lieues, seraient irrités d’être refusés. 10°) L’enseignement mutuel est très en vogue ici et a l’opinion générale, même des prêtres. Peut-on en prendre quelque chose, au moins pour la lecture et l’arithmétique des pauvres ? Veuillez, ma bien digne Mère, ne pas nous faire attendre la réponse à nos dix questions, de manière ostensible. De faire prier pour nous toutes et pour la mission. Elle a toujours des traverses, mais au milieu on voit le doigt de Dieu qui dispose son œuvre, heureuse de la voir accomplie, plus heureuse en laissant cette consolation aux autres, de ne garder que la Croix et l’abandon à Dieu en tout. Je suis à vos pieds in Corde Jesu, Philippine Duchesne Sup. Eugénie Audé Sup. [Au verso :] Single À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York.

1

La maison est contigüe à l’église. Il est donc normal que les parents, venant à l’église le ­dimanche, désirent rencontrer leurs filles.

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LETTRE 254



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L. 19 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 21 avril 1825] Monseigneur, Le départ précipité de Monsieur Timon ne me laisse qu’un instant pour venir solliciter votre bénédiction et vous rendre compte de l’état de notre maison. Monsieur De Neckere vous aura dit sans doute qu’il avait voyagé avec Madame Eugénie qui, du consentement de Mgr Dubourg, est venue nous visiter à l’occasion de l’établissement projeté à Saint-Michel et prendre deux ou trois de nos sujets. Mgr Dubourg demandait nos deux sœurs Hamilton, mais nous ne pouvons absolument céder que l’aînée qui est en état de se rendre très utile et qui, en faveur du départ, a fait ses derniers vœux. Il y a longtemps que j’avais sollicité notre Supérieure générale de lui envoyer sa croix [de professe], à cause de la solidité de sa vocation et de sa bonne conduite. Le sacrifice qu’elle fait est un nouveau titre pour mériter une exemption. Et le R. Père ayant de Mgr Dubourg, à son établissement ici, le pouvoir d’examiner les sujets que nous lui présentons, a fait avec joie la cérémonie le dimanche du Bon Pasteur. Ma sœur Mary Ann O’Connor, irlandaise, a fait les premiers vœux le même jour. Ma sœur Hamilton cadette eût bien désiré s’engager pour toujours, de même que sa sœur, mais n’ayant pas vingt et un ans, il a été impossible de la contenter. Madame Eugénie partira bientôt ; outre ma sœur Hamilton, elle nous enlève aussi Sœur Labruyère, de Sainte-Geneviève. Sœur Timon voulait aussi la suivre, mais sa vocation chancelante ne le permettra peut-être pas. Nous n’avons plus que quatre pensionnaires à 100 $, et 15 qui ne donnent que leur nourriture ou rien du tout. Outre la classe des externes, nous avons aussi, à part, (chiffre coupé) petites Sauvagesses que nous chérissons comme le (mot coupé) de l’œuvre intéressante qui nous a attirées en Amérique. Le R. Père demande les saintes huiles. Il est à la Côte Sans Dessein2. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1825 Avril 25, Mme Duchesne, Saint-Ferdinand ». Un village français, près du Missouri, à environ 115 milles de Saint-Louis.

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Mes sœurs sollicitent avec moi votre bénédiction. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 21 avril 1825 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Barrens

LETTRE 255

L. 9 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. et M.

Ce 1er mai [1825] St Antoine1 Monsieur et digne Père, Il me tardait beaucoup de vous témoigner ma reconnaissance, tant pour les soins que vous nous avez prodigués avec tant de bonté, que pour le zèle inexprimable, les fatigues continuelles que vous prenez pour un de nos établissements. J’ai évité de me prononcer sur une affaire de ce genre avant de connaître les intentions de notre Supérieure générale. Dans sa dernière lettre qui suppose un consentement, elle me demandait s’il ne serait point mieux que je fusse près de La Nouvelle-Orléans. Je lui ai répondu que je ne le croyais point. En effet, cette affaire ne peut être mieux conduite que par Mère Eugénie qui est connue avantageusement dans le pays et qui a tout ce qu’il faut pour réussir. Et si je suis encore bonne à quelque chose, ce n’est pas le moment de quitter ici, où il paraît que 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « de Mme Duchesne, 1824, le 1er mai. N° 6 ».

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notre pensionnat va peut-être renaître de ses cendres ; plusieurs élèves nous sont annoncées. Et ayant reçu quelques Sauvagesses, objet de nos vœux en venant en Amérique, j’aurais bien de la peine à les quitter ; d’ailleurs, ces trois divisions d’instruction occupent beaucoup et Mère Octavie, toujours faible, ne pourrait répondre à tout. Je bénis Dieu de ce qu’une de nos maisons va de nouveau être sous vos soins ; celle-ci est toujours bien conduite par le Père que vous connaissez et qui réunit la confiance, comme vous, sans que pour cela aucune ne vous oublie, ni nos enfants ni les paroissiens, surtout Mme Chambers et Mme Saint-Cyr1. Mme Greaux [Catherine Mullanphy] a un fils. Sa sœur n’a point d’enfant. Notre Mère générale, avant que la maison de Saint-Michel commence, décidera en dernier ressort de la supériorité à Saint-Michel. Mais Mère Eugénie ira toujours commencer avec Mère Xavier que je donne avec peine pour nous et avec plaisir pour une maison si intéressante. Deux sœurs avec elle, c’est tout ce que nous pouvions donner. Il en viendra, j’espère, de France et s’en présentera qui se préparaient déjà ; tout annonce que Dieu bénira vos peines, secourra nos efforts et conduira l’œuvre à la gloire de ce Cœur en qui je suis, avec respect, votre humble servante et dévouée fille. Philippine Duchesne Mes sœurs vous offrent leurs respects. Nos compliments à M. Isidore. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Curé à Saint-Michel Côte d’Acadie 1

Mme Chambers est sans aucun doute Julia Jane Mullanphy Chambers (1799-1891), fille du grand bienfaiteur John Mullanphy. Jane est née dans le Kentucky, a épousé Charles Chambers (1784-1862) en 1817, à New York. Le couple s’est installé à Saint-Louis, à l’initiative du père, qui leur a donné un terrain et une maison à l’ouest de Saint-Louis, propriété appelée aujourd’hui ‘Taille de Noyer’, dans la vallée de Florissant. Là, ils ont élevé 17 enfants. Leur fille, Ann Biddle Chambers Thatcher (1828-1913), a témoigné en 1900 pour la cause de Philippine. Mme SaintCyr est certainement la mère d’Émilie Joséphine Saint-Cyr (1806-1882), élève de Florissant, entrée plus tard dans la Société du Sacré-Cœur et qui s’est dévouée principalement dans la région de Saint-Louis.

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L. 53 À MADAME JOUVE, À LYON Saint-Ferdinand de Missouri, 10 mai 18251

Ma bien bonne sœur, Je n’ai reçu ta lettre et celle de Mme de Mauduit, qui m’apprend la mort de notre chère sœur Lebrument2, qu’une année et deux mois après ce triste événement. Ma Supérieure générale m’en avait parlé plus tôt, supposant que j’avais reçu des détails de ma famille et je les attendais avec inquiétude. Au milieu d’une si profonde amertume pour le cœur, la foi et la piété sont vivement consolées par les héroïques vertus de cette bonne mère de famille, et par la touchante résignation de ses pauvres enfants et de l’époux qui l’a tant chérie. La distance des lieux ne me permet pas de satisfaire mon cœur, je te prie de faire passer à cette famille affligée ce petit souvenir qui n’est qu’une faible expression de mes sentiments et de mes vœux pour elle. Je te remercie des détails que tu me donnes sur la tienne et celle de Mme de Mauduit ; je te prie de lui témoigner mon regret ainsi qu’à Mélanie à Romans, et à mon frère. Combien il m’est pénible de ne pouvoir leur écrire en ce moment ; le départ plus prompt que je ne croyais de quatre Sœurs, que je ne reverrai probablement jamais, et qui sont destinées pour un troisième établissement de notre société en Amérique3, m’ôte tous les instants jusqu’à demain où nous devons nous séparer. Malgré des moments si pénibles, je n’ai pu passer l’occasion du steamboat pour te répondre, et par toi à mes sœurs et à ton mari. Je l’ai déjà fait par rapport à M. Pecoud. Je joins ici la note du curé le plus à portée de le connaître, et d’après laquelle on ne pourrait agir contre lui ; il n’a rien et son associé est mort. J’avais reçu dans le temps la magnifique broderie dont il était chargé de la part de M. Jouve. Monseigneur en fut si envieux que je lui en fis don ; et elle figurera mieux sur un évêque à La Nouvelle Orléans que dans notre pauvre village ; et j’en ai fait ainsi l’usage qui m’était le plus agréable, étant bien flattée de donner un souvenir à un si bon évêque, et qui s’intéresse beaucoup à nous. 1 2 3

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 114-117 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Adélaïde Duchesne (1779-1824), mariée à Henri Lebrument le 1er mai 1798, est décédée le 18 janvier 1824 à Nantua (Ain). La fondation de Saint-Michel, le 30 novembre 1825.

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Lettre 257

Je suis toute à toi dans le Cœur de Jésus, Philippine Duchesne Pour Constance Ma bien chère amie, Je voudrais t’écrire une grande lettre pour te presser de plus en plus d’imiter ta sœur aînée dont les vertus et la mémoire nous consolent, autant que sa protection dans le Ciel nous sera utile si nous marchons sur ses traces. Attire-toi comme elle la confiance et l’amour de tes bons parents, ainsi que les grâces de Dieu les plus spéciales par ta généreuse fidélité. Prie beaucoup pour moi ainsi que ta sœur Joséphine à qui je ne puis écrire, et demande à tes frères en pension chez les Pères de leur demander la même faveur. Toute à toi in Corde Jesu, Philippine Mes compliments à toute la famille.

LETTRE 257

L. 68 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, 8 juin 18251 N° 60 Ma bien digne Mère, Ma dernière lettre N° 59, datée du 23 avril, était commencée avec Mère Eugénie qui nous a quittées le jour de l’Ascension [le 12 mai], avec 1

Copies, A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 411-413 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 48-52. J. de Charry, II 2, L. 198, p. 360-364.

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les trois sujets que nous lui avons donnés, et dont je vous ai donné les détails. Cette lettre vous priait de répondre à neuf questions : 1. de désigner les supérieures des trois maisons, surtout pour celle-ci, en cas que je meure bientôt, car ma santé varie beaucoup. 2. Si l’on peut prendre quelque chose de la méthode d’enseignement mutuel, au moins pour les externes. L’usage en est général ici. 3. Si l’on pourrait admettre une Négresse dans la maison, pour la cuisine qui abat ici toutes les santés. 4. Si vous approuvez le second pensionnat à 175 F par an, ou la nourriture ; ce sera le plus nombreux ici. 5. Si vous permettez les derniers vœux de Sœur Régis ici, que je regarde comme le sujet le plus essentiel pour cette maison. 6. et ceux de Sœur Carmélite qui pourrait très bien être assistante aux Opelousas. 7. S’il ne faut pas un noviciat à Saint-Michel. 8. Si vous ne nous enverrez pas quelques sujets. 9. Que si Monsieur Niel, curé de Saint-Louis, se présente pour quêter, vous lui fixiez la destination pour nos Pères et pour nous, qui avons l’œuvre des Indiens. Ils ont maintenant dix garçons, et nous, six filles, dont nous sommes contentes et qui réussissent assez bien pour tout. Le Gouvernement ayant appliqué une somme pour la civilisation des Indiens, dont est chargé le ministre de la Guerre, je m’occupe en ce moment de lui écrire pour lui demander l’entretien de quatre maîtresses et un secours pour leur bâtir une maison qui coûtera au moins 3 000 F. Le plan du Gouvernement est de ne faire qu’aider et encourager les associations qui ont le moyen de former des établissements. Ainsi, supposé qu’il nous donne, ce ne sera toujours que la moindre partie de nos frais. Mais il nous faut fonder sur la Providence, et ne pas moins faire pour Dieu que les protestants, qui ont des écoles indiennes sur tous les points des États. Ceux qui sont chez les Osages ont des petites filles qui savent déjà la Genèse par cœur et qui savent lire. Je vous prie de faire beaucoup prier pour notre œuvre. Nous vous crierons encore : argent, argent, mais vous ne le trouverez pas mauvais pour des Sauvagesses, objets de tous vos vœux et pour l’amour desquelles vous nous avez envoyées ici. Monseigneur avait promis aux Pères les aumônes qu’il recevrait de France pour l’œuvre des Indiens. Ils n’ont rien reçu, et je crois que

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Monseigneur est le plus pauvre prêtre de son diocèse. Cela donne un peu de mécontentement réciproque. Pour qu’il n’augmente pas, quand vous pourrez faire parvenir en droiture [par la voie la plus directe], ce sera toujours mieux et, comme tout se sait à La Nouvelle-Orléans, il vaudrait mieux que tout vînt par New York, au risque de perdre le change. Je n’ai eu point de nouvelles des 1 200 F pour les Pères, ni des 300 pour nous, que vous avez eu la bonté de nous annoncer par votre dernière lettre du 10 janvier de cette année. La sœur du Père supérieur lui fait connaître que les 1 200 F viennent d’elle, ce que vous ne me dites pas. Ma séparation de la Mère Eugénie a été1… Sa santé est bien affaiblie, ses nerfs souvent malades. Cela paraît par une disposition à pleurer et à être triste qui, je vois avec peine, la rendra moins propre au gouvernement. Il faut compter sur Dieu seul, et presque sur des miracles, pour croire à notre longue existence, avec régularité, dans nos contrées. Dans ce pays, nous n’avons que deux prêtres d’une fort mauvaise santé. La mienne change beaucoup, et je crois que ce sera une attaque qui m’ôtera la vie. Je suis si pleine de défauts que l’œuvre ne pourra pas souffrir de cette perte. Le Père supérieur m’a dit de vous écrire pour que vous rappeliez Mère Eugénie ici, comme la seule propre à faire réussir l’œuvre des Indiennes. Mais je la crois encore plus nécessaire dans la Basse-Louisiane. Car ici, une supérieure médiocre, avec la direction que nous avons, peut éviter les écarts. En bas, tout est danger, le climat seul change les têtes. J’aurais bien voulu que votre neveu fût attaché à un de nos établissements. Celui-ci n’offre que trop peu de ressources, et elles sont si nécessaires, quand nous en avons de reste, aux Pères Jésuites, que ce serait les détruire que de les leur ôter. Monseigneur a voulu garder votre neveu et, à Saint-Michel, on est trop engagé avec le curé [M. Delacroix] qui fait l’établissement. J’espère que le temps nous donnera la possibilité d’un rapprochement qui brouillerait bien des choses en ce moment. Je ne vous répète pas ce que je vous ai dit dans mes précédentes lettres, par rapport à Mères Lucile et Octavie. L’Esprit de Dieu, qui vous anime, peut seul décider. Veuillez m’écrire toujours de manière à ce que la lettre puisse être vue en cas de mort. Combien n’avez-vous pas à pardonner pour ce moment ? … 1

Mots remplacés par des points de suspension.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je crains une maladie de poitrine pour Sœur Catherine. C’est une Mère du Terrail pour le zèle1. Je calcule avec plaisir que ma lettre pourrait être arrivée le 22 juillet, jour de votre fête. Je m’unis à la sainte joie de cette journée, que nous fêterons dans l’absence, mais dans l’union la plus intime avec nos Sœurs, et avec le dévouement que je vous dois in Corde Jesu. Philippine Je conjure les Pères Perreau, Varin et Barat de prier beaucoup pour nous, ainsi que nos Sœurs.

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L. 69 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

[Saint-Ferdinand], 3 juillet 18252 N° 61 Ma bien digne Mère, On célèbre demain, dans ces États, la fête de l’Indépendance3 ; ce ne sera que réjouissance dans toutes les classes et dans toutes les religions. Car les catholiques n’oublient pas que ce jour leur a donné la liberté du culte4. Jusque-là, en Virginie, toute personne pouvait tuer un catholique impunément ; c’est, du moins, ce qu’on m’a dit. Quant à moi, je me transporte jusqu’au 22 et célèbre dans mon cœur, d’avance et pour toujours, l’aimable et touchante dépendance qui me lie à vous. Oui, j’en 1 2 3

4

Marie du Terrail, RSCJ, était maîtresse générale de l’école externe de Sainte-Marie d’En-Haut, à Grenoble. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 53-57. J. de Charry, II 2, L. 199, p. 365-372. La Déclaration d’Indépendance envers la Couronne des treize premières colonies anglaises d’Amérique, le 4 juillet 1776, a été de suite étendue à l’ensemble des nouveaux États, comme jour de leur fondation. Les catholiques américains, dont beaucoup descendent de familles anglaises qui ont connu la persécution religieuse, partagent le point de vue de leurs compatriotes sur la liberté intégrale de tous les cultes.

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bénirai Dieu jusqu’au dernier soupir, et nous nous unissons de cœur à tous les vœux qui vous seront adressés pour le jour de sainte Madeleine. Nos dernières lettres vous annonçaient que ma santé changeait beaucoup ; je ne me reconnaissais pas moi-même. Mais le jour de saint Régis, sans avoir rien demandé, rien désiré, et très faible la veille, je me suis trouvée dans mon état de santé ordinaire. Et pour que je ne puisse méconnaître la main qui m’avait touchée, tout alors devait contribuer à m’ôter les forces : peines de cœur très sensibles, avenir pénible, conscience inquiète, mauvais succès, gouvernement difficile, attente longue et pénible des nouvelles de nos Sœurs parties le jour de l’Ascension, chaleur accablante… Il ne me reste plus qu’à mieux profiter du temps à venir. Cependant, comme il est incertain, je vous prie de me donner d’avance vos offres pour le gouvernement à venir. Puisse l’œuvre des Indiennes, enfin commencée, toucher vivement votre cœur et vous décider à nous envoyer une bonne tête, et une personne assez jeune pour se former à l’anglais. Une relation très intéressante de Mère d’Avenas1, à qui je vous prie de faire agréer mes remerciements en attendant une occasion pour lui répondre, m’apprend la pompe extraordinaire avec laquelle vous avez solennisé l’année passée la fête du Sacré Cœur. Je pense que, cette année, la fête aura été la même. Elle a été ici bien différente. Je n’ai pas même pu communier, le jour le plus solennel pour nous, ni par conséquent renouveler mes vœux publiquement. Il a fallu que ce fût dans l’intime de mon cœur… Messe basse, point de discours, ni le dimanche suivant, où la fête était à l’église qui est dédiée au Sacré Cœur. Quand on chantait le Kyrie, on s’aperçut que le prêtre [le P. Van Quickenborne] finissait l’Évangile, se trouvant indisposé. Ainsi le reste a été en silence. Si vous pouvez employer votre crédit pour qu’il vienne un prêtre de plus, ou pour que le Père Général donne permission aux étudiants d’ici d’être ordonnés, ce serait un grand bien pour la religion et pour nous. Un prêtre ne peut suffire à quatre paroisses, deux communautés, à des malades à grandes distances. Il est sans cesse en danger de la vie. Dernièrement, traversant une rivière pour venir ici, le cheval à la nage l’a jeté dans l’eau, il s’est tenu aux crins jusqu’à ce qu’il pût toucher le 1

Aimée d’Avenas (1804-1871), RSCJ, née le 25 janvier 1804, est alors au noviciat général de Paris où elle a pris l’habit le 7 mars 1823, prononcé ses premiers vœux le 21 juillet 1825. Elle a fait sa profession le 25 décembre 1830. Excellente éducatrice, auteur du Plan d’études de la Société du Sacré-Cœur, 1852, elle a été maîtresse générale à Paris, puis supérieure à Orléans, où elle fut particulièrement appréciée par Mgr Dupanloup. Elle est décédée le 12 août 1871, à Bruxelles.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

fond. En retournant, l’eau était encore plus haute. À cheval, il avait de l’eau jusqu’au cou, par les mouvements du cheval qui s’agitait pour retourner. La fermeté de ce saint ministre déplaît à plusieurs, surtout aux Français qui disent qu’ils ne l’aiment pas et qu’ils iraient à un autre. Cet autre n’y est pas. Nous ne voyons plus que lui. Ses enfants sont toujours dans leur retraite. Le Père de Clorivière ne l’égalait pas en exactitude. Je vois, de près et de loin, qu’un second [prêtre] mettrait les cœurs à l’aise. On ne peut pas trouver un plus grand mérite, mais quelquefois les faiblesses ont besoin d’être contentées. Depuis octobre, nous n’avons pas fait les Quatre-Temps. J’en demandais dispense pour un temps à Monseigneur, pour ne pas commencer avec des personnes avec lesquelles on n’aurait pas pu continuer et qu’il aurait fallu déranger de bien faire. Quand on sait les travaux de Mère Eugénie, il faut être bien contentes de notre sort et en bénir Dieu. Cependant, comme l’abondance de bien spirituel ne nuit pas, écoutez ma requête, je vous prie, et faites-la valoir sans qu’il soit question de nous ; l’idée d’un rapport pourrait nuire au succès1. Il suffit de parler du vaste champ qu’offrent les Indiens et les Blancs qui sont exactement, dans leurs habitations éloignées, comme des brebis sans pasteur2. Je comptais écrire au ministre de la Guerre pour obtenir un secours pour les Indiennes. Le supérieur qui est censé, dans l’intention du gouvernement, être chargé des deux sexes, comme dans tous les autres seminaries de ce genre, m’a dit que nous lui couperions le cou3. C’est assez pour demeurer passives ; il a écrit lui-même pour nous et pour faire sentir l’avantage de l’éducation séparée des deux sexes. Je compte peu sur le succès. Les Presbytériens veillent ardemment pour tout s’adjuger, et crieront contre la nouveauté du plan. J’apprends aujourd’hui que la fièvre jaune est déjà, cette année, à La Nouvelle-Orléans. Je crains bien pour votre neveu, à moins que, comme je l’espère, Monseigneur ne l’eût envoyé plus loin, et peut-être aux Opelousas, pour éviter le mauvais air. Il m’avait écrit que, si nous allions chez les Indiens, il serait notre aumônier. Ce n’est malheureusement qu’une belle chimère ; la chose n’est pas prête. 1 2 3

Elle invite la Mère Barat à faire connaître la situation de la mission américaine, sans toutefois faire un rapport officiel et sans nommer ses Sœurs. Mt 9, 36 ; Mc 6, 34. Une telle démarche risquerait de supprimer les subsides du collège. Le  15  juin 1825, le P. Van Quickenborne avait demandé un subside de 800 $ au secrétaire d’État à la guerre, pour l’école des Indiennes. Ce fut en vain.

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Toutes les nations [indiennes] vivent dans un tel abrutissement, qu’on ne peut rien attendre d’elles ni changement de mœurs, ni sûreté pour ceux qui le tenteraient. Il faut les renouveler par l’éducation [dans une école] éloignée [des parents] des enfants ; chez eux, ils ne les laisseront jamais assez longtemps. Je finis, ma digne Mère, en vous demandant pardon de vous représenter si mal ici. Dieu est bon de m’y souffrir et de me pardonner toujours. Mes respects à nos Pères et Mères. Notre dernière novice [Thérèse Detchemendy] a fait ses vœux, le jour de la fête de saint Louis de Gonzague [le 21 juin], à la messe paroissiale. Je suis à vos pieds et sollicitant votre bénédiction au nom du Sacré Cœur. Votre fille, Philippine

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L. 70 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 14 septembre 18251 Rec. à St Antoine de Padoue N° 62 Ma bien digne et chère Mère, Cette fête de la Croix me rappelle la journée où nos petites filles de Grenoble vous jouèrent une petite pièce sur l’amour des croix, que vous aviez demandée vous-même et qui nous récréa quelques instants. L’expérience apprend qu’en tous temps et en tous lieux, la scène des croix peut se renouveler. Les croix personnelles sont légères en comparaison de celles qui portent sur notre œuvre, et j’en vois beaucoup de celles-là qui m’empêchent de pouvoir désirer la mort, sentiment si 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Sep. 21 ; Paris, 11 Nov. 1825. Copie partielle, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 58. J. de Charry, II 2, Lettre 202, p. 383-390.

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délectable quand on est prêt et que l’œuvre ne peut souffrir de notre perte. Sans aimer la vie, en aimant nos établissements, je vois que la moindre croix qui y est attachée sincèrement est nécessaire pour les soutenir. Mère Eugénie vient d’avoir bien de la peine pour deux nouveaux sujets : l’un enlevé par violence en moins de trois minutes, l’autre dont la tête se dérange, qui ne songe à rien moins qu’à sauter les clôtures et à chercher la liberté, jeune et jolie, loin du sein de sa famille. Joignez au petit nombre des sujets, pour vos deux pauvres filles [Philippine et Eugénie], la morgue, maladie incurable du pays qui ne veut jamais du second rang [de sœur coadjutrice] ; cela sera si rare qu’on peut n’y compter que passagèrement. Il faut ici que le sujet le plus essentiel de la maison, notre Sœur Régis, fasse successivement tous les gros et vils ouvrages parce qu’elle est solidement vertueuse et courageuse et alors, elle manque essentiellement pour les classes, étant la seule qui ait la bonne prononciation anglaise, chose de tout prix ici, le reste n’est rien en comparaison. Je vous fais ce détail, qui se répètera dans chaque maison, pour vous prouver, cependant contre l’avis de Mgr Dubourg, que de bonnes sœurs coadjutrices, fortes, courageuses, humbles et en état de veiller à la cuisine, nous seraient au moins aussi utiles que les dames, donnant à celles-ci le temps d’être toutes aux classes. Leurs devoirs n’exigent pas la connaissance de l’anglais, que rarement les Françaises parleront bien. Mère Octavie, avec toute sa facilité, n’est pas en état de le parler et d’écrire bien une lettre. Elle le croyait et je n’en pouvais juger, et quelques compliments hasardés et saisis trop facilement nous avaient trop rassurées à cet égard. Le Père supérieur, qui a vu de ses lettres et traductions, m’a dit qu’il ne faudrait que les laisser voir pour perdre notre pensionnat. Cependant il paraît se relever sur ses cendres. Ayant été réduit à quatre élèves quelque temps, nous en avons douze en ce moment ; plusieurs sont annoncées et je voudrais que tout allât de telle manière qu’on n’eût pas à se plaindre, les secours qu’elles nous procurent étant nécessaires pour notre stabilité, celle de nos voisins toujours très pauvres, et l’entretien des Indiennes. Voilà assez de raisons, ma digne Mère, pour vous déterminer à joindre à l’unique sujet que vous nous destinez ou promettez en la compagnie d’une dame de vos amies, deux bonnes Sœurs pour le service. Ceci n’est pas l’avis du Père qui voudrait des sujets pour gouverner, ne trouvant personne à son gré pour cela ; je suis bien la première, mais il manque aux deux autres l’esprit d’ordre et de fermeté qui rendent bien

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des vertus inutiles pour le dehors. On y a dit que Mère Eugénie était venue ici pour remettre l’ordre dans le pensionnat. Il est vrai que Dieu lui a donné bien des moyens pour plaire aux enfants, aux parents, sans intéresser en rien le bon ordre et la régularité. Mon espérance pour l’avenir ici est dans Sœur Régis, mais elle n’a pas vingt et un ans. Elle est si bonne que je vous ai priée de permettre ses derniers vœux à l’expiration des premiers. La mauvaise santé du Père est une croix bien grande. Il ne veut pas faire de prêtres parmi ses scolastiques. En attendant, nous manquons souvent la messe et bien d’autres choses, avec la crainte de tout perdre avec sa vie, car il ne reste qu’un seul prêtre à Saint-Louis, et aussi fatigué que lui. Il y a, outre cela, mécontentement fortement exprimé de Monseigneur contre lui. L’un et l’autre disent que les conditions de leur concordat ne sont pas gardées par l’autre partie. Il paraît que c’est vrai du côté de Monseigneur, du côté du pécuniaire, ayant promis des secours sur ceux qu’il reçoit d’Europe, et du côté de la Société [la Compagnie de Jésus], qui devait fournir quatre prêtres pour le Missouri. Cependant le Général ne peut donner personne, et le Père disant qu’il ne peut faire encore de prêtres, ce sera le sujet de contestations qui dureront peut-être longtemps. Monseigneur accuse la Société de couvrir toutes ses opérations d’un voile impénétrable. J’ai eu sujet de craindre qu’on [ne] lui ôtât cette partie où nous sommes. Dans ce moment est arrivé un autre prêtre qui venait passer un mois ici, qui est d’ailleurs un homme extraordinaire en vertus et en talents et à qui sa mauvaise santé pouvait faire désirer notre solitude. J’eusse été bien aise qu’il s’y fixât et nous donnât les moyens d’être à la règle pour les exercices religieux ; mais j’ai aperçu une telle peine dans le Père qu’il a fallu rester tout à fait de côté et le laisser se débarrasser adroitement, après quatre jours, d’un homme qui venait avec une lettre de l’évêque coadjuteur, pour au moins un mois, sans parler des suites. Je vois bien que nous sommes exposées à manquer totalement de secours, soit par la mort, soit par des nuages dont j’ai vu quelques commencements. Mais après avoir consulté nos Mères, et surtout le Cœur de Jésus, j’ai vu qu’il était plus de la gloire de Dieu de nous y abandonner que de nuire, par la moindre démarche, à un établissement, l’unique espoir de la religion ici. Le Père pensait que Monsieur Dusaussoy l’avait peut-être desservi auprès de Monseigneur, parce qu’il avait quitté la Société. Je l’ai bien rassuré à cet égard. Et je désire autant des élèves pour eux que pour nous, étant la seule maison qui puisse, de loin ou de près, soutenir la leur en y versant ce qui se doit à l’au-

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mônier ou ce que nous pouvons y faire entrer d’ailleurs. Le Père ne sait point d’où lui viennent les 1 200 F dont vous me parliez et qu’il n’a point encore touchés, quoique le supérieur de Bordeaux les ait adressés à Monseigneur qui en a accusé la réception. Il se flattait que les 1 200 F de Bordeaux n’étaient pas les mêmes que [ceux que] sa sœur lui annonçait de Flandre. Je crains le contraire. Les 300 F que vous me disiez y joindre ne sont pas parvenus non plus. Peut-être les avez-vous employés à nous libérer pour la dette qui regardait M. Mullanphy : épine qu’il m’est bien doux de me voir ôter et vous en avoir la grande obligation. Le ministre de la Guerre a répondu au Père qu’il ne pouvait rien nous donner pour l’œuvre des Indiennes, tous les fonds appliqués à cela étant absorbés. Mère Octavie s’affaiblit sans cesser son travail. Elle est menacée de maladies qui roulent ici au mois de septembre. Mère Lucile a une forte fièvre, Sœur Catherine souffre souvent. Mère Lucile m’a prouvé dans l’emploi de la dépense que sa tête et son corps ne peuvent supporter ni l’attention à une diversité de choses, ni la fatigue de l’emploi. Fiat ! Elle tient bien faiblement sa classe, cela n’a pas échappé aux yeux clairvoyants du Père. Que faire ? Souffrir, voir les choses mal aller et n’y pouvoir remédier. Je suis bien plus incapable de la charge que vous m’imposez, je plie la tête, mais je sens mon incapacité. Si j’étais à la source des lumières auprès d’un Père Varin, d’un Père Perreau, d’un Père Barat, dans un pays moins sujet aux variations, à l’inconstance, cela serait plus supportable ; mais ici, toutes pensées se confondent quand on veut faire le bien. Le Père lui-même m’a dit : « Je ne sais souvent comment tout va, je ne vois rien. » C’est bien autre chose de moi, pauvre pécore, vieille, sans talents, sans amabilité, sans vertus. Dites donc à ces très chers Pères déjà nommés de se souvenir et des Frères et des Sœurs, et des Blancs et des Indiens. Il n’y a que Dieu qui voit la fin, mais il y a de terribles entraves pour réussir. Je ne désire vivre que pour consommer ma vie dans de plus grands travaux. Je sens que le repos n’est pas pour cette vie, il faut y avoir le corps dans la gêne et le cœur sous le pressoir. Si je puis servir à la moindre petite œuvre pour la gloire du Sacré Cœur, je consens à vieillir beaucoup ici, sans succès, sans reconnaissance, pour ma seule immolation au Cœur en qui je suis votre fille indigne. Philippine

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Lettre 260

Envoyez, je vous prie, des images en couleur pour les Indiens, et surtout les tableaux effrayants de la mort de pécheurs, de l’enfer, etc. [Au verso :] À Madame Madame Barat, supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur rue de Varenne À Paris France By way of New York

LETTRE 260

L. 20 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 24 novembre 1825] Monseigneur, À la peine de ne pas avoir de vos nouvelles, a succédé celle d’être privée de votre présence dont nous espérions jouir comme l’année passée. J’espère que, dans quelques mois, nous serons dédommagées et que je pourrai vous témoigner de vive voix ma reconnaissance de ce que vous voulez bien songer à nous, nous écrire, alors que vous êtes surchargé de soins et de sollicitudes les plus importantes. Madame Eugénie aura regretté autant que moi de ne pas vous voir et elle se réjouira avec moi de l’établissement des religieuses des Barrens à la paroisse de l’Assomption. Tous les amis de la religion ne peuvent qu’être consolés en les voyant s’étendre sur tous les points du diocèse. Je voudrais bien qu’elles nous favorisassent d’une lettre d’affiliation2. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1825 Nov. 24, Mme Duchesne, Florissant ». Le 26 janvier 1826, Mgr Rosati lui répond à ce sujet : « Les religieuses de Bethléem vous envoient les lettres d’affiliation, espérant que vous ne leur refuserez pas de votre côté le même bonheur. » Lettres de Mgr Rosati, manuscrits, 1815-1840. C-VII 2) c Writings, Box 7.

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Nous ne sommes toujours que sept et point de novice ; quelques sujets se présentent, mais hésitent encore ou éprouvent des obstacles. La maison se soutient par la générosité de mes sœurs qui ne se reposent qu’en passant de leur devoir auprès des enfants à leurs devoirs religieux, ou aux travaux domestiques. Daignez les bénir toutes et me croire, avec une profonde vénération in Corde Jesu, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble fille. Philippine Duchesne sup. Ce 24 novembre 1825

LETTRE 261

L. 21 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 15 décembre 1825] Monseigneur, Je vous ai déjà exprimé la peine que nous éprouvions de n’avoir pas eu le bonheur de vous posséder à votre retour de La Nouvelle-Orléans. Je ne sais pas si ma lettre vous sera parvenue. Je profite donc de l’occasion qui se présente pour vous témoigner de nouveau et mes regrets et ma reconnaissance. Je vous remercie des nouvelles que vous voulez bien me donner de Mgr Dubourg et de notre établissement à Saint-Michel. Je fais des vœux pour la prospérité de celui des religieuses des Barrens. Puissions-nous concourir les unes les autres à faire aimer notre Dieu dans un pays où il n’est pas même connu ! Nous irons lentement à ce but si désirable, la mobilité et le petit nombre des sujets mettent obstacle à notre accroissement. Nous n’avons qu’une postulante dans la maison et quelques-unes au-dehors 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1825 Décembre 15, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 18 ; répondu le 19. Il faut qu’elle m’envoie les dimensions, limites, et situation du terrain, etc. Miss Eleonora Gray désire être religieuse à Florissant. Les portraits du prince Hohenlohe, etc. »



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qui ne se pressent pas d’entrer, quoiqu’il ne leur fallût qu’une bonne volonté pour être reçues. Si elles entrent, je vous prie de permettre qu’elles prennent l’habit à l’époque marquée par nos Constitutions, après avoir été examinées par notre confesseur puisque nous ne pouvons, d’après vos lettres, vous voir avant plusieurs mois. Notre pensionnat renaît un peu après avoir été réduit à cinq élèves ; il est monté à seize. Ce nombre suffira pour nous soutenir avec les enfants que nous avons gratuitement. M. McCay, de La Nouvelle Madrid, nous doit encore 30 $ sur la pension d’une de ses pupilles. Je lui ai écrit plusieurs fois inutilement ; si quelqu’un des Barrens se chargeait d’une nouvelle lettre, je pense qu’il payerait et je vous prierais de garder ces 30 $ pour le séminaire, désirant toutefois qu’on n’agisse que par prière avec ce monsieur dont j’ai été parfaitement reçue. S’il m’était possible d’avoir la donation du petit terrain contenant des pommiers, que Mgr Dubourg vous avait prié de nous faire, cela pourrait nous faciliter d’acquérir un champ qui nous touche, le seul du pays qui convienne à notre position. Je suis confuse de vous entretenir de ces petites affaires. Mais je pense que j’écris à un père et pasteur qui, comme Notre Seigneur, ne dédaigne rien. Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille dans le Sacré Cœur de Jésus. Philippine Duchesne sup. Ce 15 décembre 1825 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens

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LETTRE 262

L. 71 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, ce 27 décembre 18251 Rec. à St Antoine de Padoue N° 64 Ma bien digne Mère, Nous nous transportons toutes à vos pieds pour jouir avec nos Sœurs du bonheur qu’elles ont de vous offrir leurs vœux. Puissions-nous faire votre consolation en répondant à vos soins et travaillant généreusement pour Celui à la gloire duquel tous vos travaux se dirigent. Rien ne nous aide dans les nôtres comme les lettres de notre Mère, de celle qui nous marque la volonté de notre Époux et qu’il anime de son esprit. J’ai reçu votre chère lettre du 4 août de cette année, qui contenait tant de détails intéressants, et la feuille de vos décisions et permissions. Je ne trouve que trop de latitude dans vos permissions et je suis si peu fidèle que je crains l’aveuglement qui en est la suite et les fautes qu’il pourrait me faire commettre. Je vous suis déjà bien importune par rapport à ma remplaçante en cas de mort, et je vous disais dans ma dernière lettre que l’emploi de dépensière et une maladie ont tellement montré la faiblesse de tête de Mère Lucile que je crains qu’une maison ne dégénérât bientôt dans ses mains. Elle ne tient même pas à l’ordre dans sa classe, à la tranquillité. Elle n’a point de conversation, sinon de petits riens ; elle est hors d’état de lire à l’église d’autre latin que celui de l’Office de la Sainte Vierge – et il est impossible que cela ne choquât pas à la première place –, ne sait pas un mot d’anglais, en sorte que Mère Octavie aurait la réalité de la représentation et des affaires, la confiance, et qu’il ne serait pas même au pouvoir de sa supérieure de la juger et de la suivre. Il en serait de même avec Mère Maujot. Je vous prie donc de conserver à Mère Octavie sa charge d’assistante. Un changement l’abattrait totalement et elle me l’attribuerait. Elle dit déjà qu’elle me craint. Son âge s’avance, ses traits se dénaturent, elle a une direction un peu serrée [celle du P. Van Quickenborne]. Je crois qu’avec le secours de la divine Providence, elle est, dans ce moment, la plus capable de 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Déc. 28 ; Colonies par Le Havre ; Paris, 25 février 1826. J. de Charry, II 2, L. 203, p. 390-397.

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gouverner. Sœur Régis le sera un jour, mais elle n’a que 20 ans ; elle ne connaît pas encore son bonheur et ne le saura que quand on pourra lui donner ses trois mois de retraite, autant que possible, avant ses derniers vœux. Nous avons toutes été bien contentes de la réunion avec Mère Vincent. J’en conçois l’espérance de quelques sujets. Elle en avait telles qu’il nous les faudrait : de bonnes Sœurs [coadjutrices], des maîtresses qui ont une bonne écriture, qui chantent bien et qui mettent l’orthographe. Mère Xavier, aux Opelousas, aurait besoin d’une cuisinière et d’une maîtresse d’écriture et de grammaire française, qui pût faire les comptes des enfants français et les copies nettes en français. Je redemanderais alors la cuisinière américaine que j’attends avec impatience pour [la] mettre avec nos Indiennes, elle a tout ce qu’il faut pour tenir cette classe. Mère Eugénie aurait aussi besoin d’une bonne Sœur forte et d’une maîtresse. Si Mère Maujot venait ici à son âge, elle ne peut apprendre un mot d’anglais, cela ne va guère bien quand une supérieure ne parle que par interprète. Mère Eugénie ne la désire pas, ni moi beaucoup, à moins que vous ne vouliez pas du tout Mère Octavie en place. L’âge de Mère Maujot la mettrait au-dessus des deux Mères [Octavie Berthold et Lucile Mathevon], non sans mortification de la part des deux. La nature ne meurt pas plus ici qu’en France. Je ris quand j’entends qu’on nous croit bonnes, je devrais plutôt pleurer d’être couverte de tant de grâces et d’être, comme vous me disiez à Grenoble, toute naturelle. Je suis ravie de l’assemblée des Mères, au printemps. Après les trois au quatre sujets que nous désirons beaucoup, le plus intéressant à leur proposer serait une petite somme assurée de chaque maison, prise sur les caisses d’aumônes des enfants, pour fournir de quoi vivre à un ou deux prêtres du Missouri. Il s’ouvre là un vaste champ pour le zèle. Plusieurs s’y dévoueraient, mais le Supérieur qui envoie ne peut pas laisser à une mort certaine par la misère et les maladies qui en sont la suite. Le Père supérieur me dit donc de vous demander quelque chose d’assuré sur nos pensionnats ou ceux des Pères, et alors il prendra des mesures pour étendre la mission. Tous ces missionnaires répandus au Paraguay et en Californie avaient 1 000 F du roi d’Espagne, qui servaient à leur entretien, aux églises, pour les pauvres. Prenez, ma bonne Mère, cette affaire à cœur, il en résultera le plus grand bien. Monseigneur avait promis des aumônes et n’a pu tenir. Il s’est presque brouillé avec le Supérieur, parce qu’il ne faisait pas faire des prêtres. Il répond : « Il aurait fallu les habiller, il leur faut un cheval pour les courses, je ne puis y fournir. »

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Je n’entre pas dans cette discussion que je ne connais pas toute, mais je vois que tout le bien sera arrêté si on n’est aidé de l’Europe. La politique du Gouvernement est de chasser tous les Sauvages des États. Il achète leurs terres et les pousse dans d’autres terres inhabitées. Les chefs disent : « Vous êtes les plus forts, il faut bien vous céder », et ils se retirent, non sans peine, n’ayant plus assez d’espace pour la chasse. La nation des Sacs en traitant, s’est réservé une grande terre pour donner à un Français et aux Métis de leur nation, pour y former un établissement qui serait à la jonction de la rivière des Moines et du Mississippi, à quatre journées à notre nord. C’est hors des États-Unis1, le chef de l’établissement y verrait avec plaisir un prêtre mais, dit-il, il n’y a là que des pauvres, on ne peut faire un sort au prêtre. Si ce sort était fait en Europe, l’établissement des Métis, la nation des Sacs, celle des Renards, qui a eu, dit-on, des martyrs Jésuites, seraient bientôt évangélisés. Les Osages et les Arkansas sont plus loin et plus barbares, n’ayant pas autant l’idée de la religion que les nations proches du Canada. Prenez à cœur cette affaire, ma digne Mère, et que tout arrive en droite ligne. Plusieurs affectent que les Jésuites sont riches, c’est bien ici le contraire et personne ne songe à les aider. Ce que je désire le plus pour nous, c’est quatre grandes croix [de religieuses de chœur] et deux petites [de sœurs coadjutrices], quatre cingules, un enfant Jésus et une petite Sainte Vierge pour chaque maison, y compris Saint-Charles, ce qui ferait quatre, des cingules, des canons de la messe, un encensoir, une croix de procession, des chandeliers et des galons d’ornements, des images surtout celles de l’état effrayant des pécheurs, en grand et en couleurs, et plusieurs pour chaque maison, des rouges surtout. J’oubliais de vous dire qu’à Saint-Charles, on n’aura guère que des Américaines et Mère Maujot, que ferait-elle avec elles ? J’ai l’espérance de trois ou quatre postulantes parlant l’anglais, mais seront-elles constantes ? Tant qu’il n’y aura pas de prêtre à Saint-Charles, je ne crois pas qu’il soit bon d’y aller. Ce sera sans doute dans le courant de l’année. Je suis toujours bien contente que vous approuviez quand il y aura possibilité. Je n’entends plus rien de Grenoble. Je pense souvent que peut-être Dieu me demande de couper court à toute correspondance, excepté vous, mais je n’ai pas de lumière pour le discerner. Je vois du pour et du contre. Je crains quelques avis du Père [Van Quickenborne], nous ne sommes pas toujours du même sentiment. Les Quatre-Temps ne 1

Cette région est devenue le Territoire d’Iowa en 1838, et l’État d’Iowa en 1846.

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m’ont pas fâchée, car je parle trop du temporel avec lui1. C’est cependant nécessité. Nous avons 16 élèves, ce qui suffit pour nous soutenir, je ne quête que pour le prochain, cela doit me donner un peu de crédit. Les prières pour m’obtenir une sainte mort, c’est ce qui me revient le mieux. Je compte beaucoup pour cela sur mon Père Perreau et mes Pères Varin, Barat, Ronsin, Roger, à qui j’offre mes humbles respects. Mère Xavier [Murphy] croit que votre neveu songe déjà à retourner en France. C’est étonnant comme ce pays décourage. Cela montre évidemment qu’une Société seule pourra s’y maintenir et qu’il importe de l’aider. Pauvre Amérique ! Quand on pense que, de chez nous au Canada et à l’Ouest jusqu’à l’Océan Pacifique, il n’y a pas une église, pas un prêtre, et cependant jusqu’à 23 000 âmes venues cette année de l’Est dans ce seul État du Missouri, et des établissements français, irlandais de tous côtés, presque aux sources du Missouri et Mississippi. Il est tard, l’occasion part demain matin. Je ne puis joindre aujourd’hui l’état des six mois à cause de la rédaction de livres que j’avais oubliée. Je suis à vos pieds votre indigne mais soumise fille in Corde Jesu. Philippine Mes souvenirs les plus tendres à nos Mères et Sœurs. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur rue de Varenne À Paris France By way of New York

1

Elle a pu avoir un autre confesseur, à l’occasion des Quatre-Temps.

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LETTRE 263

L. 22 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 29 décembre 1825] Monseigneur, Nous avons appris avec la plus vive peine l’incendie qui a causé une si grande perte aux saintes religieuses des Barrens ; elle serait adoucie si nous pouvions les aider à la réparer ; avec quel empressement ne le ferions-nous pas ! Mais en ce moment, je dois beaucoup plus que je n’ai et dois, de ce peu, faire une application indispensable pour la nourriture de nos enfants. Il paraît que Dieu aide miraculeusement les Amantes de Jésus car, outre les bénédictions spirituelles qu’il leur distribue, il facilite grandement leurs établissements. Monsieur Martial m’écrit de Bardstown que Monsieur Chabrat2 leur supérieur vient de leur bâtir un couvent en briques à deux étages de 125 pieds de long et qui est payé. Il souligne ce nom : payé. Cela me paraît d’autant plus surprenant que, malgré bien des secours de notre Supérieure générale, nous devons encore pour notre bâtisse à M. Meynard. Monsieur Martial m’annonce que Mgr Flaget l’envoie à Rome, en mars ou avril, et s’offre pour nos commissions. Nous recevrons avec plaisir, surtout de votre main, la demoiselle irlandaise [Eleonor Gray]3 qui s’offre pour notre Société. Les points qui y présentent le plus de difficultés sont l’obéissance entière et l’indifférence pour les lieux et les emplois. C’est sur ces articles qu’elle doit examiner ses forces et son dévouement.

1

2

3

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1825 décembre 29 ; Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 12 janvier ; répondu le 26. » Cachet de la poste : St. Louis MO, January 7. Guy Ignace Chabrat, né en Savoie en 1787, est entré chez les Sulpiciens et a été ordonné prêtre en 1811, à Bardstown, par Mgr Flaget. Devenu évêque coadjuteur de Bardstown en 1834, il a démissionné en 1847, pour raisons de santé, et il est rentré en France. Le 19 décembre 1825, Mgr Rosati lui avait proposé une postulante : « Parmi les pensionnaires de nos religieuses [des Barrens], il y a une demoiselle, âgée de 17 ans, appelée Eleonor Gray, née en Irlande et venue avec ses parents en Amérique, il y a quatre ans. » Lettres de Mgr Rosati, manuscrits, 1815-1840, C-VII 2) c Writings, Box 7.

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J’ai une grande joie d’apprendre le parti qu’a pris Mlle Patrocinia Canale, qui a non seulement été pensionnaire chez nous, mais novice ; dès ce temps, elle inclinait pour les Amantes de Jésus. Elle sortit malgré nos représentations, disant qu’elle n’avait pas de vocation, pour rentrer dans sa famille qui l’aimait bien mieux au couvent, où on l’avait peutêtre un peu trop poussée. Elle avait cependant eu l’imprudence de faire, sans conseil, le vœu de chasteté, qu’elle portait dans le monde, exposée à des dangers et sans soutien pour la piété. Je bénis Dieu mille fois de l’avoir mise à l’abri. On m’a dit que Mlle Keeper qui, elle et ses sœurs ont été à notre école gratuitement, était allée comme pensionnaire dans la même sainte maison. Nous l’avions refusée pour être avec les pensionnaires, n’admettant pas d’externes avec elles. Il y a plusieurs filles du pays qui, choquées de voir deux classes [sociales] parmi nos enfants, nous menacent d’y aller et vous font dire, Monseigneur, que l’établissement des Barrens vaut beaucoup mieux parce que tout y est égal. J’ai toujours pensé que c’était l’orgueil seul qui les blessait et je ne douterai jamais de votre bienveillance pour nous. Je ne saurais admettre, en mon cœur, le moindre doute à cet égard. Il nuirait trop à notre bonheur parce qu’un refroidissement de votre part ne viendrait jamais que par notre faute et devrait par-là mériter tous nos regrets. Je joins ici la note des limites du terrain que Mgr Dubourg nous a donné ; c’est M. Mullanphy qui l’a faite et qui avait échangé le terrain avec Monseigneur1. Notre Mère générale, sur ma demande, accorde que ma sœur Eulalie Régis Hamilton fasse ses derniers vœux quand elle aura l’âge, sans attendre les cinq années demandées par la règle. Je vous prie de donner aussi votre consentement pour combler ses désirs et récompenser ses vertus. Ce sera, ce carême, qu’elle atteindra l’âge prescrit de vingt et un ans. Daignez, Monseigneur, bénir toute notre maison qui, se mettant à vos pieds, la sollicite par mon entremise et vous offre ses vœux ardents pour la nouvelle année. Puissions-nous vous procurer quelques consolations ! Et vous prouver, surtout moi en particulier, le profond

1

Mgr Rosati lui répond, le 28 janvier 1826 : « Voici le contrat de vente du terrain, que Mgr Dubourg vous avait donné et que je vous aurais envoyé par le R. P. Van Quickenborne, si j’avais reçu votre lettre avant son départ. », Idem.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

dévouement avec lequel je suis, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et respectueuse fille et servante. Philippine Duchesne, sup. Ce 29 décembre 1825 Rec. à St Antoine [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens

LETTRE 264

L. 23 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 16 janvier 1826] Monseigneur, J’ai su, au retour du Révérend Père Van Quickenborne, que vous n’aviez pas reçu la réponse que j’ai faite à la lettre que vous eûtes la bonté de m’écrire au retour de M. Martin Lepère, où vous m’offriez une postulante et me parliez de la perte considérable qu’ont essuyée les religieuses des Barrens. Cette réponse vous sera sans doute parvenue plus tard ; dans le cas où elle serait perdue, je vais en répéter le contenu en peu de mots : Quant à la postulante, étant offerte et examinée par vous, Monseigneur, nous ne pouvons que la recevoir avec confiance, en la prévenant sur l’indifférence des lieux et emplois. Je vous témoignais mon regret de ne pouvoir suivre notre empressement à venir au secours des Amantes de Marie ; mais après avoir 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1826 Janvier 16, Mme Duchesne ; reçue le 21 ; répondu le 26. »

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Lettre 264

payé notre provision de salé, je suis restée sans argent. Il faut nous estimer heureuses quand la balance est égale ; nous ne pouvons rien retrancher de ce qui est dû à nos élèves. Je vois que Dieu les protège spécialement et ai appris avec consolation leur prompt accroissement dans la Louisiane. Mlle Canale est bien heureuse d’avoir trouvé un si bon asile. Elle a voulu sortir de chez nous et retourna dans le monde après s’être engagée, sans conseil, par un vœu perpétuel à garder la chasteté ; nos représentations ne la touchèrent pas. Sans doute, Dieu la voulait là où elle est ; ou encore, elle n’avait pas assez de lumière pour voir à quoi elle s’exposait. Quant à Mlle Keeper, qui est si vite revenue, elle n’a pas voulu se contenter de notre école externe gratuite comme ses sœurs ; elle aurait voulu être dans la maison où nous n’admettons pas d’externes. Ces deux classes [sociales] d’enfants blessent plusieurs américaines qui n’ont pas les moyens d’être pensionnaires. Notre sœur Eulalie Régis Hamilton a la permission de notre Mère générale de faire ses derniers vœux à l’époque des vingt et un ans accomplis, quoiqu’il n’y ait pas le terme des cinq ans, selon la règle, depuis les premiers. Je vous prie de permettre qu’elle contente son ardent désir, d’après l’examen du confesseur en qui sûrement vous avez toute confiance et qui, d’après l’ordre de Mgr Dubourg, nous tient aussi lieu de supérieur particulier. Je suis avec ma profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée servante et fille. Philippine Duchesne sup. Saint-Ferdinand, ce 16 janvier 1826 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 265

L. 24 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 14 février 1826] Monseigneur, J’ai reçu le contrat de vente que vous m’avez envoyé par notre nouveau prêtre, ainsi que la lettre d’affiliation que vous avez eu la bonté de me procurer de la part de vos saintes filles, Amantes de Marie. J’ai une véritable peine que mon peu d’usage de la langue anglaise ne me permette pas de leur en témoigner ma joie et ma reconnaissance d’une manière moins sèche ; leur charité me le pardonnera. J’ai été aussi bien sensible aux marques de souvenirs de Monsieur Odin. Nous ne manquerons pas de prier pour le succès de ses travaux apostoliques. Mgr Dubourg m’avait souvent témoigné le désir que deux ou trois d’entre nous puissent faire l’école à Saint-Charles et à Saint-Louis. Les mêmes propositions nous ont été renouvelées différentes fois par les prêtres qui travaillent dans ces deux villes et j’ai déjà eu l’occasion de vous en entretenir lors de votre séjour ici. Les choses sont toujours au même état et cette année, espérant un secours de France, il serait possible de donner une parole satisfaisante si vous daignez nous y autoriser d’avance, ne voulant prendre aucun engagement positif avant votre permission, ayant d’ailleurs celle de notre Supérieure générale à qui j’en ai parlé plusieurs fois. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble servante et fille. Philippine Duchesne sup. Ce 14 février 1826

1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1826 ­Février 14, Mme Duchesne, Florissant. »

Lettre 266

LETTRE 266



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L. 72 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Florissant, 18 février 18261 Ma bien Digne Mère, Je vous ai annoncé deux fois la réception de la liste de vos permissions. Vous avez deviné tout ce qui peut mettre à l’aise et ne pas rendre trop pénible l’énorme distance qui nous sépare de vous. Il n’y a que deux articles qui nous gênent beaucoup. Le premier me regarde : c’est cette charge de veiller sur trois maisons, tandis que je fais si mal dans une. Mon cœur tend, plus que jamais, vers la solitude, et je n’ai ni silence ni solitude. Ma carrière s’avance, ma santé diminue. J’aurais besoin de repasser, dans les larmes, plusieurs de mes années, surtout celles de ma vie religieuse. Je prends le travail en pénitence, mais il me fait perdre tout esprit d’oraison. Si vous avez égard à ma demande, j’obéirai bien volontiers à celle que vous nous donnerez pour nous conduire. L’établissement de Saint-Charles ne se fera pas de suite. Le R. Père dit qu’il n’enverra un prêtre que lorsque l’église en pierre sera bâtie ; or les pierres sont encore à la carrière. Je crois que si nous suivions le désir, que le curé de Saint-Louis a d’avoir une école tenue par nous dans la ville, ce serait le seul moyen de nous soutenir dans ce pays avec constance. Ce plan d’être à Saint-Louis me plaît, d’autant plus que vous-même l’avez désiré, souhaitant qu’on ne laissât qu’une école ici ; ce pourrait être le second pensionnat de 180 F par an. Quant au premier pensionnat de 500 F, c’est la maison à trouver qui pourra décider où il faudra mieux le laisser. Monseigneur a le projet de donner Saint-Louis aux Jésuites. Le Père Recteur ne dit pas tout ; mais s’étant décidé tout d’un coup à faire ordonner deux de ses jeunes diacres [De Smet et Verhaegen2], dont un 1 2

Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 241-242. J. de Charry, II 2, L. 205, p. 402-403. Pierre Verhaegen, SJ, né en Belgique en 1800, est arrivé en Amérique en 1821, et au Missouri en 1823, avec le premier groupe de Jésuites. Ordonné prêtre en 1826, il a été le premier président de l’Université de Saint-Louis en 1832, et supérieur de la mission jésuite au Missouri. En 1851, il était curé de la paroisse de Saint-Charles-Borromée, église de Saint-Charles ; c’est donc lui qui présida les obsèques de Philippine en 1852. De retour à l’Université de Saint-Louis en tant que professeur, en 1858, il dut renoncer à enseigner à cause de sa mauvaise santé, et revint à Saint-Charles, où il est décédé en 1868.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

est bon prédicateur, je ne doute pas que ce projet n’ait lieu. Nouvelle raison de nous établir à Saint-Louis. Ma Sœur Régis vous remercie de grand cœur de la permission que vous lui donnez de faire ses grands vœux. Mes respects aux Pères Perreau, Varin et Barat. Je suis à vos pieds in Corde Jesu votre plus indigne fille, Philippine Duchesne

LETTRE 267

L. 73 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 2 mai 18261 St Ant. Ma bien digne Mère, Je vous avais écrit dans le temps que Mgr Dubourg avait changé de résidence, qu’il était descendu à La Nouvelle-Orléans et nous avait ainsi laissées comme de pauvres orphelines. Par un bonheur inespéré, projetant un voyage en France, il a désiré passer par ce pays pour y visiter cette partie de son diocèse et nous a fait jouir quelques jours de sa présence2, éprouver ses bontés et veut se charger lui-même de nos commissions pour la patrie. Je ne puis en avoir de plus pressantes que celle de vous faire parvenir nos lettres, qui vous exprimeront de nouveau le désir de voir arriver les Sœurs que vous nous avez promises après la tenue du Conseil général. Je vous répète que trois Dames nous paraissent indispensables : une pour maîtresse de classe française aux Opelousas, une ou deux pour seconder Mère Eugénie à Saint-Michel, et une pour me remplacer ici. 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Copie partielle, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 243. J. de Charry, II 2, L. 207, p. 408-410. Mgr Dubourg rend visite, pour la dernière fois, aux maisons de Saint-Ferdinand, SaintCharles et Saint-Louis, avant de rentrer en Europe. Le 26 avril, il est arrivé à Florissant ; le 30, il a baptisé six petits Indiens (trois filles du pensionnat du Sacré-Cœur et trois garçons du collège des Jésuites) et donné la confirmation à cinquante personnes.

Lettre 267



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Car vous me dites dans votre dernière lettre qu’il ne faut pas penser à Mère Octavie pour le gouvernement ; Monseigneur n’y met point de doute, il me dit qu’il avait frémi lors de mon absence. Le R. Père en dit de même ; Mère Eugénie, moi, votre servante, les maîtresses qui la pratiquent le disent aussi. Tant d’autorités et de voix anéantissent tout ce que j’avais dit précédemment, d’ailleurs des infirmités sans cesse renaissantes apportent de nouveaux obstacles ; ainsi, si vous croyez que ma Sœur Benoît1 soutienne la charge, je serai la première à désirer de lui obéir. Monseigneur est celui qui peut le mieux donner les indications pour le départ et le temps de l’arrivée pour éviter la fièvre jaune et déterminer un compagnon de voyage, y ayant plusieurs prêtres qui doivent venir cette année. L’église de Saint-Charles s’élève enfin et notre première maison s’y répare pour nous recevoir une seconde fois. Vous aviez désigné Mère Lucile pour supérieure, il ne faudra avec elle que des personnes qui entendent l’autre langue qui y est la plus usitée. Propre pour cette maison, on s’accorde à dire qu’elle ne pourrait porter un plus lourd fardeau et je le crois, surtout celui du noviciat pour lequel Sœur Régis pourrait être appliquée, après ses grands vœux que vous avez permis et que son âge a retardés jusqu’à aujourd’hui. C’est un de nos meilleurs sujets. Elle prendra notre dernière grande croix. Il n’en reste plus pour nos deux plus anciennes aspirantes et pour une bonne Irlandaise sans défaut, d’environ 40 ans [Mary Ann O’Connor], et qui pourrait seconder et remplacer au besoin Mère Lucile à Saint-Charles, à tout événement. C’est donc trois grandes croix qui sont vivement attendues. Je vous écrirai par la poste après le départ de Monseigneur que je laisse seul pour vous écrire. Je suis à vos pieds in Corde Jesu votre fille, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne À PARIS 1

Claudine Maujot, RSCJ, dite Benoît.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 268

L. 18 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 2 mai 18261 Ma bien chère amie, Depuis la lettre si touchante où tu me rapportais la mort de ton époux, ses bonnes dispositions, son souvenir généreux pour l’amie de ton enfance, pour ton amie de tous les temps, je n’ai plus eu de tes nouvelles directes. J’ai su seulement que tu avais quitté Paris, conduisant avec toi à Grenoble la dépouille de celui que Dieu ne t’a enlevé que pour un temps et sur laquelle je te vois encore verser des larmes ; j’en partage l’amertume parce que je savais combien votre union était douce, mais elle se renouvellera pour toujours. Ne pleurons donc pas comme ceux qui sont sans espérance, la tienne est trop bien fondée pour qu’elle n’ait pas son effet. Je ne te donne aucun détail sur ma situation qui est toujours la même. Nous voilà avec trois établissements dans ces États-Unis, et probablement avec un quatrième l’année prochaine. Cela en fera deux au Midi dans l’État de la Louisiane, deux au Nord dans celui du Missouri, à une distance de 300 lieues, mais qu’on franchit en steamboat sur le Mississippi en dix jours pour monter et en cinq pour descendre quand on n’est pas contrarié par le volume d’eau ou d’autres inconvénients. Mgr Dubourg, notre évêque, est en ce moment auprès de nous et c’est lui qui portera cette lettre en allant à Rome ; il fait pour nos maisons au-delà de ce que nous pourrions attendre, mais il a lui-même de grands embarras. Ne manque pas, je te prie, de solliciter la bienveillance des personnes charitables pour cette mission. Tout y est nécessaire : argent, livres, chapelets, croix, images, tout nous a été du plus grand service pour faire naître et entretenir la piété. Un pays, où toutes les religions sont permises, laisse peu de ressources aux catholiques dont le culte demande des cérémonies et une pompe extérieure qui engage à des frais d’entretien. Notre église n’est pas finie et il s’en bâtit une de l’autre côté du Missouri, dans une position très favorable pour 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 17 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 13-21. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. La copie existante porte la date de 1824, mais la situation des maisons, décrite par Philippine, est celle de l’année 1826.



Lettre 269

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les catholiques de l’autre rive, qui n’ont point encore de pasteur fixe, faute d’église et de moyens. Ne m’oublie point dans ta famille et auprès de mes sœurs auxquelles je ne puis écrire par cette occasion. Crois à ma tendre affection qui ne fait que s’accroître dans le Cœur du bon Maître. Tout à toi, Philippine Duchesne

LETTRE 269

L. 2 À MÈRE DESHAYES

SS. C. J. M.

[Mai 1826]1 Ma bien bonne Mère, Monseigneur Dubourg allant en France veut bien prendre nos commissions. Il part demain matin et je dérobe quelques moments au sommeil pour écrire à mon ancienne et bien chère Mère. Mon cœur recherchait ce plaisir depuis longtemps et saisit avec joie une si bonne occasion. J’aurais voulu écrire à toutes nos Mères, surtout à Mère [*] d’Amiens mais le temps est trop court. Monseigneur ayant logé près de nous et mangé chez nous, il a fallu l’entretenir après sa longue absence qui sera suivie d’une autre peut-être aussi longue. Je vous prie de me suppléer auprès de mes Mères et Sœurs et de leur témoigner ma vive affection. Madame Girard a-t-elle reçu ma réponse ? Dimanche, Monseigneur a baptisé six Indiens et Indiennes, aux soins des Pères ou de nous, et confirmé environ 50 personnes dont 22 de nos écoles. C’était une bonne journée. Si on avait des aumônes pour accueillir d’autres enfants chez les Pères, ils renouvelleraient le pays en peu de temps. Priez bien pour leur œuvre et pour la nôtre, pour la ville 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

de Sainte-Geneviève, à 30 lieues d’ici, où les habitants veulent nous bâtir une maison. Il faut finir. Je suis dans le divin Cœur, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Deshayes Dame du Sacré-Cœur rue de l’Oratoire À Amiens

LETTRE 270

L. 1 À MÈRE DUCIS

SS. C. J et M.

[1826]1 Rec. à St Ant de Padoue Ma bien bonne Mère, Je vous remercie du modèle d’inscription que vous m’avez envoyé. Je ne pourrai le remplir exactement pour les deux maisons de la Louisiane. Je vais écrire à mes Mères Eugénie et Xavier pour qu’elles vous envoient chacune leurs listes. Veuillez me faire dire s’il faut chaque année envoyer la liste des nouvelles entrées et des vœux ou renouveler le total de la communauté. Je désirerais bien le règlement du pensionnat, suivant les dernières corrections ; le nôtre vient d’Amiens et parle encore de l’uniforme nankin2. Il me semble avoir entendu quelque chose de réglé sur les nones, vêpres et complies du dimanche, en sorte que nous disons vêpres du dimanche, nones et complies en particulier. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : Paris, 14 Oct. 1831. De la fondation jusqu’en 1822, l’uniforme des pensionnaires du Sacré-Cœur d’Amiens était de couleur nankin. Chaque maison du Sacré-Cœur avait, à cette époque, un uniforme différent.



Lettre 271

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Combien je désire aussi les arrêtés qui vont se faire au Conseil ­général. Je suis dans le sacré Cœur votre dévouée, Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Henriette Ducis Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris

LETTRE 271

L. 19 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 12 août [1826]1 Rec. à saint Antoine Ma bien bonne Cousine, Aurais-je manqué envers toi à quelqu’un des devoirs de la reconnaissance, puisque depuis la lettre où tu m’annonçais ton douloureux veuvage, je n’ai plus eu de tes nouvelles ? Celles qui me sont parvenues indirectement m’ont appris que tu étais partie de Paris avec la chère dépouille de ton mari, qu’un accident funeste avait causé à deux de tes frères une perte considérable. J’ai pris part à tous ces événements, et ne pouvant m’adresser qu’à Dieu, je lui ai beaucoup parlé de vous tous. J’espère qu’il n’a frappé que pour relever après, mais si nous ne comprenons pas ses décrets dans le temps, l’éternité nous les dévoilera et nous verrons qu’il a tout fait pour nous la rendre heureuse. 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 19 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 48-49. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. La copie existante porte la date de 1824, mais la situation des maisons, décrite par Philippine, est celle de l’année 1826.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Nos trois établissements se soutiennent en Amérique où la foi fait des progrès ; la création de nouveaux évêchés et de pensionnats catholiques servira, j’espère, à l’étendre davantage. Nous avons plus de protestantes que de catholiques dans notre petit pensionnat et il en est ainsi dans plusieurs couvents nouvellement établis. Ne m’oublie pas auprès des tiens qui me sont tous chers ; reçois l’expression de ma vive affection in Corde Jesu. Philippine J’ai répondu à toutes les lettres, sans oublier de faire mention des dispositions généreuses de M. de Rollin, dont nous jouissons.

LETTRE 272

L. 74 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Florissant, 15 juin 18261 Ma bien bonne Mère, Dieu semble mettre de grandes difficultés à l’instruction des Sauvages. Le Gouvernement, en achetant leurs terres, les repousse des États de la Fédération ; renfermés dans de trop courts espaces, et n’ayant pas assez de place pour la chasse, qui sert seule à leur subsistance, ces nations accumulées se feront la guerre et se détruiront insensiblement. C’est cette année que les Sauvages commencent à ne plus pouvoir chasser dans cet État du Missouri ; ce qui a été cause que plusieurs parents sont venus prendre leurs garçons chez les Pères et leurs filles chez nous, sans qu’il y ait eu moyen de les retenir ; ils ont dit pour toute réponse que, ne pouvant plus venir les voir, il leur était impossible de vivre ainsi éloignés d’eux. On m’a dit que les presbytériens, établis près des Osages et payés par leur propagande pour la conversion des infidèles, n’ont pu retenir aucun enfant purement sauvage ; ils leur échappent 1

Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 244-246. J. de Charry, II 2, L. 208, p. 411-414.

Lettre 272

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toujours, ou par leur propre inconstance, ou par celle de leurs parents. Cependant les Pères ne se découragent point et ils pensent que, si l’on s’établissait plus près de ces nations ainsi repoussées, il y aurait espoir de les changer ou du moins de gagner quelques âmes. L’église de Saint-Charles s’avance, elle en est au-dessus des fenêtres, et la maçonnerie pourra être finie dans un mois. On a pratiqué pour nous dans le sanctuaire une ouverture comme ici. On nous attend dans ce pays avec un grand empressement ; mais, si nous n’avons pas de secours, il sera difficile de fournir quatre sujets qui seraient nécessaires, deux pour les Françaises et deux pour les Américaines qui seront les plus nombreuses et demanderont le plus de soins. Mère Octavie ne se remet point ; il paraît que son corps est destiné à la souffrance. Après une forte fièvre bilieuse, les vomissements ont continué longtemps. Elle est devenue louche, puis sourde. Les vésicatoires ayant fait disparaître ces infirmités, ses jambes se sont enflées, et maintenant il lui reste beaucoup de faiblesse, des sueurs, des insomnies. Elle ne peut faire que sa classe tout juste et, en cela, elle rend encore un grand service, car la plupart de nos enfants (qui sont 24), étant nouvelles et de forces différentes, je ne pourrais suffire pour toutes. Il y a huit jours que les eaux de deux ruisseaux nous ont enlevé nos clôtures et un pont, détruit notre jardin, etc. Jamais, nous ne les avions vues si hautes. Les enfants de l’école ont été obligées de coucher au premier, l’eau étant dans leur classe où elles couchent habituellement, à trois ou quatre pieds d’élévation. Nous avons eu de grandes inquiétudes pour cette maison qui, étant en bois, élevée sur quatre poteaux, et ayant ainsi de l’eau, non seulement sous elle, mais encore dedans, pouvait être facilement renversée. Notre grande maison a été à sec, mais l’eau la bordait tout autour, ainsi que l’église. Nous étions au moment de ne plus pouvoir faire de feu, faute de bois que l’eau faisait nager de tout côté. J’espère que vous avez déjà vu Mgr Dubourg. On attend à SaintLouis Mgr Flaget, évêque du Kentucky, et son coadjuteur Mgr David1, avec Mgr Rosati, pour la consécration de Mgr Portier, avec qui nous avons voyagé en venant ici et qui est nommé évêque des Florides et de l’Alabama. Nous le verrons. Les ports, que nous ne pouvons plus éviter, me retiennent pour écrire à nos Mères ; j’attends quelque occasion pour répondre à plusieurs lettres. En attendant, je vous prie d’offrir mes respects au Père 1

Jean-Baptiste David, PSS, est arrivé en Amérique en 1792, avec Benoît-Joseph Flaget, dont il est devenu le coadjuteur à Bardstown, Kentucky, en 1819.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Perreau, ainsi qu’à nos Pères Varin, Barat, Roger. Leurs Frères sont dans les épreuves, mais toujours courageux. Nous avons bien besoin de leurs prières et de celles de nos Sœurs. Je les réclame avec une ample bénédiction de votre part. Philippine Duchesne

LETTRE 273

L. 25 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 23 juillet 1826] Monseigneur, J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honorée et celles qui l’accompagnaient. Si vous avez regardé avec bonté notre établissement de Saint-Michel, toutes celles qui le composent ne parlent que du bonheur que vous leur avez procuré en les visitant. Madame Eugénie craint de ne pas vous avoir assez exprimé sa reconnaissance et veut que je vous la témoigne ; son cœur est plein de tant de témoignages de bienveillance que vous leur avez marqués si paternellement. Nous avons eu une visite de Monsieur De Neckere, à laquelle j’ai été bien sensible. Il est extrêmement goûté à Saint-Louis. Les protestants vont l’écouter en foule et s’il n’y fait pas le bien, difficilement un autre le ferait après lui. Les Pères Jésuites sont en assez bonne santé, très occupés pour l’église de Saint-Charles, qui a plus de 15 pieds au-dessus de terre dans toutes ses parties ; mais les dépenses vont toujours plus loin qu’on a calculé et ce sera le point de grandes difficultés pour finir. Le Père Verhaegen, qui y est fixé, fait aussi beaucoup de fruits dans la partie de la mission qui lui est confiée et il est généralement aimé des catholiques et des protestants. Notre maison s’est peu augmentée en sujets, nous n’avons toujours que deux novices ; mais le pensionnat est monté à 24 élèves ; ce qui avec 1

Original autographe,. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Cachet de la poste : St. Louis MO, Jul. 27. Au verso : « 1826 Juillet 23, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 17 Août. »



Lettre 274

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les enfants externes nous occupe beaucoup, surtout depuis l’affaiblissement de Madame Octavie qui ne fait que languir depuis plusieurs mois. Elle vous offre, ainsi que mes autres sœurs, ses profonds respects et nous sollicitons toutes votre ample bénédiction. Je suis avec une respectueuse vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la dévouée et humble servante. Philippine Duchesne sup. Saint-Ferdinand, ce 23 juillet 1826 [Au verso :] Right Rev. Joseph Rosati Bishop of Tenagre Barrens Perry County

LETTRE 274

L. 3 À MÈRE DESHAYES

SS. C. J. et M.

12 août 1826 St Ant1. Ma bien chère Mère, J’ai répondu à votre lettre, mais je ne sais pas si l’expression de mes sentiments vous sera parvenue, ce que je désire beaucoup, car je n’ai point oublié une de mes premières Mères, à qui je dois beaucoup de réparations et dont je sens de plus en plus les peines, par celles que j’éprouve dans ma charge que je suis tout à fait incapable de remplir. C’est une grande honte d’être au-dessous de son emploi pour les talents et la vertu ; de sentir qu’on arrête le bien au lieu de le faire ; et de ne contribuer en rien à la gloire de Dieu, qui a dû être le seul but de notre 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : arrivée le 14 Oct. 1826.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

translation dans cette terre si longtemps désirée. Je compte tellement sur votre affection maternelle que j’espère que vous prierez beaucoup pour moi afin que je répare le passé et que, si je n’en ai pas le temps, Dieu couvre toutes mes infidélités par le sang qui s’est écoulé du Cœur de Jésus. Ma course s’avance, j’ai besoin d’être aidée des amies de Jésus pour en obtenir un accueil favorable. Vous attendez des nouvelles de nos Pères dont l’arrivée ici a été marquée au coin de la protection de saint Régis ; ils l’ont choisi pour protecteur spécial de cette mission, et je ne doute pas que dans des travaux obscurs et pénibles comme les siens, il ne leur fasse acquérir de grands mérites et qu’il ne soutienne leur existence et leurs établissements par ses prières dans le Ciel. Ils sont tous réunis dans une maison de bois sur notre paroisse. Monseigneur leur a donné notre église pour qu’ils soient plus libres, et tout le Nord du Missouri dont le point central sera Saint-Charles, notre première demeure. Ils y bâtissent une église en pierre qui s’élève bien lentement par le défaut de moyens. Si vous pouviez recueillir quelques aumônes pour aider cette sainte entreprise et l’œuvre des Indiens, ce serait une bien bonne action. Je ne doute pas que ma Mère Prevost, qui nous a témoigné tant d’intérêt, n’approuve votre zèle et ne l’aide en toutes manières. Je sais qu’elle est obligée d’augmenter le pensionnat pour contenir le grand nombre de vos élèves, mais je suis persuadée que les trésors de Dieu, qui sont inépuisables, suffiront à tout. Je pense que notre digne Mère Barat vous tient au courant de nos nouvelles. Je ne vous dis donc qu’un mot. Mère Xavier [Murphy], votre ancienne novice, fait parfaitement sa charge de supérieure au Opelousas, et est chérie des 18 enfants qui composent son pensionnat et de ses filles aussi, dont deux lui ont donné du chagrin : l’une, novice, a [mot déchiré] sa sortie ; l’autre, aspirante, morte subitement. Mère Eugénie est presque magnifiquement dans sa nouvelle maison de Saint-Michel, sur le fleuve près La Nouvelle-Orléans. Mgr Rosati coadjuteur m’a fait un parfait éloge de cet établissement qu’il a visité en revenant de la Nouvelle-Orléans ; il y a plusieurs jeunes sujets de grande espérance, les enfants y sont très dociles et les sœurs très régulières [aux exercices spirituels et aux emplois]. Notre maison, ici, s’est un peu relevée ; de 5 élèves où nous étions réduites, nous en trouvons 22 dont la plupart, nées de différentes communions [chrétiennes], se rangent à la véritable. Tout va bien, tant qu’on est ici, pour presque toutes les enfants ; la sortie fait ordinairement un terrible changement.

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Lettre 275

Notre plus grand bonheur est le voisinage des Pères qui procurent l’abondance des secours : tous les dimanches, trois excellents discours ; des retraites parfaites chaque année ; des cérémonies fort belles à toutes les grandes fêtes où nous chantons la messe et eux font l’office avec diacre, sous diacre, etc. Votre voix nous manque bien ici, nous en sommes si pauvres que j’aide à chanter messe et vêpres avec autant de présomption que la mouche, qui voulait faire marcher le coche. Ne m’oubliez point auprès de nos Pères de Saint-Acheul, de ma Mère Prevost, de Mère Girard. Je ne sais si je connais d’autres Sœurs, toutes me sont bien chères, et vous surtout à qui je suis in Corde Jesu l’ancienne fille. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Deshayes Maison du Sacré-Cœur À Amiens Dépt. de la Somme France

LETTRE 275

L. 26 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 18 août 1826] Monseigneur, J’ai répondu à la lettre dont vous m’avez honorée à votre retour de la Nouvelle-Orléans et qui m’a comblée de consolations par les témoignages de votre satisfaction sur la maison de Saint-Michel. La supérieure [Eugénie Audé], qui était encore tout émue de la recon1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1826 Août 28, Mme Duchesne, Florissant. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

naissance que lui ont inspiré les témoignages de votre affection et bienveillance, voulait que je vous l’exprimasse de sa part le mieux qu’il me serait possible. Je confie mes sentiments de gratitude au divin Cœur de Jésus, étant dans l’impossibilité de m’acquitter comme je voudrais de nos sentiments envers le meilleur des pasteurs et des pères. C’est avec bien de la peine que nous voyons Monsieur De Neckere s’éloigner. Il emporte l’estime et les regrets de tout Saint-Louis. Madame Octavie vient encore d’être bien malade et se rétablira, j’espère, promptement. La maison n’a reçu aucune augmentation depuis mai dernier. Celle des Pères Jésuites s’est accrue de trois postulants frères. L’église de Saint-Charles n’avance pas ; il paraît que celui qui fait l’entreprise ne pourra la continuer ; par conséquent notre établissement là éprouvera beaucoup de retard. En attendant, des écoles protestantes se fortifient et répandent beaucoup de livres contraires à notre sainte Religion. Dieu, j’espère, a marqué le moment où ce mal s’arrêtera et nous ne nous sentons pas même en état d’y remédier lors même que nous serions sur les lieux. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne sup. Saint-Ferdinand, ce 18 août 1826 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens

Lettre 276

LETTRE 276

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L. 1 À MÈRE PREVOST

SS. C. J. et M.

Saint-Ferdinand, État du Missouri, ce 18 août 18261 St Ant Ma bien chère Mère, Il y a bien longtemps que je n’ai eu de vos lettres, ni pris la liberté de vous écrire ayant maintenant peu d’occasions pour la France. Celle dont je profite aujourd’hui m’est offerte par un prêtre flamand, homme du premier mérite joint à de grands talents cachés sous le voile de l’humilité, qui étant presque hors de service par sa mauvaise santé, cherche à la recouvrer dans le pays natal. Il nous a aussi demandé de l’aider pour son voyage, ce qui nous a été assez difficile. Il y a quelques jours, une jeune dame qui partait pour Philadelphie nous offrit aussi de faire passer des lettres en France par un de ses parents qui y allait. Je profitai pour écrire à ma Mère Deshayes et si elle n’a pas reçu l’expression de mes sentiments, je vous prie de les lui renouveler ainsi qu’à ma Mère Girard. Je ne saurais oublier l’une et l’autre, non plus que mes autres sœurs, vos filles, connues de moi ou encore inconnues. Je n’ai point oublié que vous songiez à nous en donner et j’attends de votre zèle pour cette mission, que vous voudrez bien presser notre Mère de la fortifier de quelques bons sujets qui réparent le mal que je fais et remplacent les vieilles [sœurs]. Je ne serai pas la dernière à payer le tribut et Mère Octavie vient encore d’être bien près de nous quitter ; mais au moment où je désespérais d’elle, est arrivée la fête de l’Assomption, jour auquel nous avons eu la consolation de la voir à la chapelle pour communier. J’espère qu’elle se rétablira. Sœur Catherine [Lamarre] devient tous les jours plus infirme. Vous voyez que nous avons besoin de votre secours auprès de Dieu, ainsi que de celui de nos Pères de Saint-Acheul. Leurs saints frères, nos voisins, sont toujours bien édifiants et bien courageux, nous rendant toujours les secours spirituels avec une sainte profusion qui nous comble de reconnaissance envers Dieu. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : 17 Mars 1827.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je vous prie d’excuser la précipitation avec laquelle j’écris, donnez de nos nouvelles à notre Mère commune. La maison n’offre rien à lui communiquer depuis ma dernière lettre que la maladie (fièvre bilieuse) de Madame Octavie et son rétablissement. Daignez faire prier pour nous le divin Cœur de Jésus dans lequel je suis, ma digne Mère, votre toute dévouée, Philippine Duchesne Mgr Dubourg, notre vénérable évêque, est maintenant en Europe. On craint qu’il n’en revienne pas, ayant eu à boire ici un calice bien amer tout le temps de son épiscopat. C’était pour nous le meilleur des pères et nous ferions une grande perte s’il s’éloignait pour toujours. Vous saurez son retour et celui d’autres prêtres qui le feront savoir à notre Mère. Je vous prie d’en profiter pour nous recruter en chapelets et images colorées. [Au verso :] À Madame Madame Presvost supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Amiens Département de la Somme France

Lettre 277

LETTRE 277

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L. 27 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 3 octobre 1826] Monseigneur, J’ai reçu deux lettres de notre supérieure des Opelousas [Xavier Murphy] qui paraîtrait peinée du départ de Monsieur Rosti2. Je vous aurais supplié avec elle et les habitants, dont vous avez dû recevoir une lettre, de le laisser au poste qu’il occupe avec la satisfaction générale, sans que la calomnie ait pu l’atteindre comme ses prédécesseurs, si je n’avais pensé que nos raisons ne valaient pas les vôtres et ne pourraient vous faire changer de résolution. S’il était encore temps, je joindrais mes prières à celles qu’on vous a adressées pour conserver à mes sœurs celui qui a leur confiance et qui agrée à toute la paroisse. La même supérieure me parle d’un achat que veut faire un habitant d’une portion de terre du couvent et joignant le terrain de l’église ; mais je crois que dans la donation qu’a faite Monseigneur, il se réserve le retour de tout ce qu’il a abandonné en cas que l’établissement manque, ce qui rendrait impossible toute vente. La maison de Saint-Michel a été affligée par la maladie ; toutes nos sœurs ont tellement été hors de service qu’il a fallu donner vacances aux enfants. Ce début serait fâcheux si on ne savait que Dieu l’a voulu ainsi. Monsieur Niel, qui était à Paris au mois de juin, a persuadé notre Mère générale qu’un de nos établissements réussirait très bien à Saint-Louis et elle m’écrit qu’elle le croit nécessaire pour nous, et de prévoir d’avance aux moyens de le faire réussir. Mgr Dubourg nous avait souvent parlé d’une école pour cette ville et dans son dernier voyage, nous donnait un terrain pour le préparer. Il se trouve vendu et le Père Van Quickenborne, à qui j’ai parlé de ma lettre, n’approuve pas ce projet. Notre Mère y tient cependant et je vois qu’il pourrait arriver que notre maison ne pût suffire pour les enfants qui se présen1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1826 Oct. 3, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 19 Oct. ; répondu le 20. » Jean Rosti, CM, a été ordonné prêtre par Mgr Dubourg en 1821, a exercé son ministère pastoral à Grand Coteau et au Missouri. Il est décédé aux Barrens en 1839.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

teraient ; nous n’en pouvons loger plus de trente et il serait possible que le nombre se complétât dans quelques mois, plusieurs Américains aimant à nous donner leurs filles pour apprendre le français. Je voudrais savoir votre volonté à ce sujet ; d’ailleurs à Saint-Louis, il y a tant d’enfants qui ne peuvent payer pension et qui pourraient être externes. L’église de Saint-Charles n’avance point. Les Pères ont éprouvé plusieurs accidents qui ne les avancent pas pour le temporel, mais ils savent en profiter pour le Ciel. Je m’étais offerte d’être caution pour 100 $ pour Monsieur De Neckere, joints à une légère offrande de 25 $, qui ont été payés maintenant. On me dit que cela a été à M. Desmaillé. Je voudrais le savoir. Nous espérons vous voir avec Mgr Portier et recevoir votre bénédiction. Je vous prie de nous l’envoyer en attendant et de me croire avec un profond respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise servante et fille. Philippine Duchesne sup. Saint-Ferdinand, ce 3 octobre 1826 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens

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L. 75 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, 6 octobre 18261 Rec. à Saint Antoine N° 72 Ma bien chère et digne Mère, J’attendais vos lettres avec une grande impatience. Vous m’aviez annoncé la tenue du Conseil en juin et juillet et j’avais calculé que je pouvais en avoir le résultat, avec les détails sur la chère Société dont vous auriez réuni toutes les représentantes. Votre lettre du jour de saint Régis [16 juin] m’est parvenue au bout de trois mois et m’annonce le retard du Conseil. Quant aux sujets que vous nous préparez, je ne désire que votre choix. Il se fixera sûrement sur celles qui nous conviendront le mieux. J’ajoute seulement pour ma Sœur Boisson que, si Dieu lui donne la santé, elle nous serait très utile ici, ayant tant à coudre pour la maison des Pères. Elle formerait aussi nos enfants à l’ouvrage. Mais il faudrait bien qu’elle fût en quatrième ou cinquième, car chaque maison a besoin d’une maîtresse de classe. Le même jour où vous me parliez de Monsieur Niel et de son projet pour Saint-Louis, je recevais une lettre de Monsieur Anduze, qui est au Natchitoches avec Monsieur Dusaussoy, où il a une maison toute prête pour nous dans une superbe position près du lac, dans un pays peuplé, riche et plus français qu’anglais. Dans une première lettre, il disait que Monsieur Dusaussoy assurait que vous n’hésiteriez pas à accepter de suite. Dans cette dernière, il dit qu’il n’est pas content là, mais qu’il ne l’est jamais, ce qui me fait croire que le poste n’est pas si avantageux que le dit Monsieur Anduze, et c’est l’opinion de Mère Eugénie. Il y aurait de plus à lui donner chaque année la pension de deux enfants, la vie durant, pour l’aider à payer l’acquisition qu’il a faite, à très bon compte cependant. Si on était sûr qu’il ne prît trop d’ascendant dans la maison et qu’il ne visitât pas trop, cet établissement offrirait plus d’avantages que ce1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Oct. 9 ; Colonies par Le Havre ; Paris, 27 novembre 1826. Copie partielle, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 248-249. J. de Charry, II 2, L. 213, p. 432-438.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

lui de Saint-Louis. Je crois que Monsieur Niel était en délire quand il parlait d’un terrain de 12 à 15 mille francs ; il n’en faudrait pas tant pour s’y établir ; les terres qu’on ne peut cultiver et entourer ici sont une charge plutôt qu’un profit, à cause des taxes à payer et des dégâts que font tous ces troupeaux errants. Quant à bâtir, comment Monsieur Niel pourrait-il nous aider, lui qui a toujours eu des dettes, qui dit avoir fait mauvaise quête et qui ne peut empêcher qu’on ne soit au moment de vendre le petit collèges, qu’il a fait bâtir, et le presbytère pour payer les dettes de l’église, les créanciers en ayant obtenu de cet État la liberté. Je ne suis nullement d’avis de bâtir nulle part ; on ne peut jamais ici se relever de ses dettes. Malgré tant de secours de votre part, nous devons encore près de 2 000 F sur cette maison. Heureusement, il a été convenu que nous nous acquitterions en pensions, et nous avons une pensionnaire gratuite à cette fin. Mère Eugénie, avec sa souscription de 4 500 F, est en dette de plusieurs mille francs, au lieu que la maison des Opelousas va petitement mais sûrement, et il en serait de même à Saint-Charles et au Natchitoches. La petite maison de Saint-Charles, avec un beau verger et un grand jardin et bois, n’a coûté au R. Père que 3 500 F, que je lui ai dit que nous lui rendrions si nous y allions. Mais l’église reste là ; il y aura peut-être un procès avec les ouvriers et comment s’établir sans prêtre ? Le Père pourrait bien en mettre un là, maintenant ; je ne sais pourquoi il ne le veut pas. Loin cependant de repousser Saint-Louis, je le désire beaucoup, voyant tant d’enfants qui ne peuvent être en pension et qui seraient externes. La difficulté est qu’il n’est pas selon notre institut de recevoir de l’argent des externes, et il est probable que ce serait la seule ressource à Saint-Louis, à Saint-Charles, et en partie au Natchitoches, pour exister. Je voudrais bien savoir quelle est votre volonté par rapport au paiement des externes. Monseigneur pensait que les mêmes parents qui nous donnent ici des enfants ne les mettraient qu’externes à Saint-Louis et qu’ils seraient là sans cesse à tout critiquer. Les Américains veulent tout voir par eux-mêmes. L’air y est moins bon qu’ici. Je ne crois pas tout à fait cela ; mais voilà ma pensée : que tôt ou tard, M. Mullanphy, qui tient la moitié de Saint-Louis, ou son fils qui est très pieux, pourraient nous donner une maison toute bâtie à charge d’avoir quelques orphelines, ce qu’il avait projeté pour d’autres, et il peut arriver que d’autres aient des vues semblables. Il peut arriver aussi qu’on trouve un achat avantageux de personnes qui sont forcées de vendre, et trouver une maison au quart du prix qu’elle coûterait à bâtir. Mère Eugénie ne lâchera pas les 6 000 F, elle en a trop besoin pour plusieurs années, et la seule ressource

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sera donc ce qu’apportera de votre part la petite colonie qui est attendue avec bien de l’impatience. J’ai parlé de votre projet de Saint-Louis au R. Père, il n’en est point d’avis. Mais sans agir, j’écris [au sujet] de cela à Mgr Rosati, afin que, s’il se présentait un jour favorable, on pût le saisir avec dépendance de l’autorité ecclésiastique, et je pense que ce serait mieux, s’il était possible, de commencer avant l’arrivée de Monsieur Niel qui n’est nullement ce qu’il faut pour des religieuses. Monseigneur l’avait nommé notre confesseur extraordinaire, ce qu’il ne cesse de répéter, mais j’ai témoigné à Monseigneur la répugnance générale et il nous a laissées libres du choix. Ce serait le même inconvénient au Natchitoches. Monsieur Dusaussoy vaudrait mieux pour la maison, et on craindrait de se brouiller avec le curé si on le met de côté. Nous avons bien besoin de sujets pour avancer ici l’instruction catholique. Mère Octavie passe toujours d’une infirmité à l’autre, cependant en ce moment, elle fait une classe de onze. Une novice a été très malade, l’autre au moment de sortir par le caprice des parents, deux ou trois postulantes rebutées avant d’entrer. Je voudrais bien les modèles des actes de profession et de décès ; la permission de supprimer les bulletins qui offensent pour un seul mal1. Les enfants sont des idoles qu’il faudrait adorer et vanter toujours aux parents. Troisièmement, voudriez-vous qu’on admette les postulantes au premier réfectoire, en les éloignant de temps en temps pour être libres ? C’est à cause du petit nombre, du défaut de clôture dont on peut profiter et le R. Père croit aussi que cela en rebutera beaucoup [d’être absentes au repas communautaire]. Veuillez, je vous en prie, me marquer précisément vos volontés par rapport aux principaux articles de ma lettre : 1°) la conduite pour l’établissement de Saint-Louis ; 2°) la réponse à faire à M. Anduze, curé de Natchitoches, près la Nouvelle-Orléans ; 3°) si l’on peut dans les nouveaux établissements prendre l’argent des externes ; 4°) si on peut supprimer les bulletins ; 5°) quel est le modèle pour faire l’acte d’entrée d’une postulante, ses premiers vœux, la profession, le décès ; 6°) quand il faut dire None le dimanche. On a ici un journal de Paris qui annonce la démission de Monseigneur. Ce sera une grande perte pour cet ingrat diocèse qui l’a bien fait souffrir. 1

Les parents s’offusquent de l’appréciation « Mal », mise sur le bulletin. C’est pourquoi Philippine estime qu’il vaudrait mieux supprimer les bulletins de notes.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Mère Octavie est rétablie, mais elle prend un mal, espèce de dépôt près du cou. Mère Lucile est faible. Mère Régis est moins bien depuis quelques mois. J’ai l’espoir que cela changera ; elle a été fort tentée. J’espère que Dieu l’a permis pour lui donner de l’expérience. Elle en aura besoin, ayant toute la confiance des enfants, surtout des Américaines qui n’aiment que celles de leur nation. Mes respects à nos bons Pères, à nos Mères, et daignez nous bénir et me traiter comme votre plus pauvre servante. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat, Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur Rue de Varenne À PARIS FRANCE By way of New York

LETTRE 279

L. 28 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 3 novembre 1826] Monseigneur, C’est avec impatience que nous attendons l’heureux moment de votre visite et de celle de Mgr Portier. Nous espérons aussi que Monsieur Dahmen, qui depuis longtemps nous annonce la sienne, aura profité d’une aussi sainte occasion pour venir à Saint-Louis. J’ai demandé à un bon catholique de ce pays-ci s’il pourrait recevoir quelques personnes qui seraient à votre suite. Il le fera avec grand empressement, car nous craignons, suivant le moment de la visite que vous nous avez promise, de n’être pas en état de loger les personnes qui seraient avec 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1826 Nov. 3, Mme Duchesne, Florissant. »

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vous, n’ayant que nos petites sacristies où j’espère que vous, Monseigneur, et Mgr Portier prendrez votre logement. Pour la table, nous aurons tout l’espace suffisant et j’espère que vous favoriserez notre maison de la présence de vos fervents missionnaires. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne fille. Philippine Duchesne Ce 3 novembre 1826

LETTRE 280

L. 29 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 11 novembre 1826] Monseigneur, Nous venons de recevoir une nouvelle que je ne puis m’empêcher de communiquer au meilleur des pères, ne doutant pas de la part qu’il prendra à la joie de toute sa famille ; c’est celle de l’approbation de notre Société par le Saint-Siège. Notre Supérieure générale, qui me la donne, promet de nous envoyer la copie du Bref de Sa Sainteté. On attendait le lendemain à Paris, Mgr Dubourg qu’on a trouvé à Bordeaux, changé et fort triste. Notre Mère me répète l’expression de ses désirs au sujet d’un établissement à Saint-Louis. Et Monsieur Niel, qui m’écrit aussi, veut une réponse positive ; il paraîtrait qu’il songerait à engager des religieuses d’autres ordres à remplir l’établissement projeté, si nous le refusons. Madame Eugénie, qui est malade en ce moment, a vu à Saint-Michel Monsieur De Neckere qui a été trois semaines arrêté sur un banc de sable. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1826 Nov. 11, Mme Duchesne, Florissant. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Rachel, notre Négresse, dit qu’elle vous a parlé et qu’elle sait maintenant qu’elle n’est point à nous. Je pense que c’est un conte sorti de sa mauvaise tête. Nous l’avons achetée et payée à Mgr Dubourg, qui l’a redemandée à Monsieur Saulnier, voulait la vendre à son neveu si nous ne l’avions retenue. Je pensais que vous le saviez de Monseigneur lui-même. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne sup. Ce 11 novembre 1826

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L. 76 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 25 novembre 18261 Rec. à St Antoine de Padoue N° 73 Ma bien vénérable Mère, Votre lettre du 2 septembre 1826 nous a procuré la joie la plus pure que je puisse goûter ici-bas après celle qu’on éprouve dans l’union avec Jésus-Christ dans son Saint Sacrement. Nous eûmes les prémices du beau jour de notre approbation, lorsque le Pape Pie VII nous favorisa de sa particulière bénédiction par l’organe de trois de ses cardinaux, et lorsque notre Saint-Père actuel nous a envoyé la sienne avec bonté par un de nos missionnaires [le P. Borgna]. Mais quel heureux événement que cette approbation presque inespérée ! Combien elle nous engage à la perfection ! Et combien elle me fait rougir de me voir telle que je suis, après tant de faveurs qui nous accablent et qui ne m’ont pas rendue moins indigne du Corps heureux auquel j’ai le bonheur d’appartenir ! 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II, L. 215, p. 441-446.

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Je n’oublierai jamais celle qui m’y a admise, le bon Père Varin qui a déterminé notre réunion, tous les Pères et toutes les Mères qui se sont efforcés de la rendre solide en nous montrant la voie qui conduit au Cœur de Jésus. Toutes mes Sœurs ont partagé la joie commune de la Société, mais le Père supérieur surtout nous a montré en cette occasion un intérêt particulier. Il a répété plusieurs fois qu’aucune nouvelle ne pouvait lui être plus agréable. Il a voulu l’annoncer lui-même à nos Sœurs et ensuite aux enfants. Le lendemain, dimanche, il fit chanter une messe d’action de grâces avec diacre et sous-diacre. Il a fait dire à chacun de ses prêtres trois messes à la même intention, et aux Frères trois chapelets. Il aurait accordé autant de communions qu’on aurait voulu. C’est ainsi que, dans les grandes circonstances, les intérêts de la Gloire de Dieu se montrent dans les saints. Depuis ce dont je vous ai parlé, il n’y a plus eu de reproches, mais il n’est guère d’avis de l’établissement de Saint-Louis, disant qu’il faut, avant, former ici des supérieures. Je lui ai répondu qu’enfermées dans un village si petit, nous y vivions presque inconnues et que bien loin d’y trouver des supérieures, nous ne pouvions que, de loin en loin, y recevoir de médiocres sujets. Forte de votre autorité et de celle de Mgr Rosati, évêque administrateur de ce diocèse, je préparais les voies, désirant fortement l’arrivée des sujets qui auront besoin d’un peu de repos et de se faire aux usages du pays. Il me semble qu’il ne faut pas attendre Monsieur Niel, si on peut avant avoir une maison. On pourrait profiter des ventes publiques qui se font souvent ou de celles de gens qui quittent le pays. Car, pour bâtir, c’est s’enfoncer dans des dettes dont on ne se peut tirer. Mère Eugénie avec une souscription pour sa bâtisse, de 50 000 F dont 40 000 sont déjà payés, est très à la gêne, sa maison étant allée à 60 000 F, puis les meubles, etc. Nous n’aurons rien des habitants de Saint-Louis, ni de Monsieur Niel qui aura assez de peine à conduire sa propre barque. Dans cette bénite lettre qui m’annonçait la faveur du Saint-Siège, j’ai trouvé la lettre de Mme de Rollin avec la nouvelle du don de 1 000 F. J’en ferai l’emploi que vous désirez, espérant fortement que Dieu donnera succès au nouvel établissement. L’église de Saint-Charles, qui est arrêtée, nous dégage pour le moment de ce côté-là1. Cependant cette place procurera l’avantage de recruter. Il vient des États de l’Est, d’Irlande et d’Allemagne des familles nombreuses qui, attirées par nos excellentes 1

Le retour à Saint-Charles s’est fait en octobre 1828, lorsque la construction de l’église a été achevée.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

terres, s’établissent le long du Missouri et des rivières qui s’y jettent. Saint-Charles offrira la seule école catholique qui n’existe pas encore. Ces familles éparses conservent mieux l’innocence des mœurs que dans les villes et, quand elles prennent à la piété, c’est solidement. Les Créoles, bonnes d’ailleurs, sont extrêmement changeantes et idolâtrées de leurs parents. Monsieur Niel me demande une réponse, je vous prie de la lire et de la lui faire parvenir, ne sachant où il est. Je vais écrire à ma bonne cousine pour la remercier. Je pense qu’elle est à Grenoble, dont je n’entends plus rien dire. J’ai écrit deux fois à Bordeaux à Mgr Dubourg, surtout pour lui témoigner tous nos regrets qui sont bien justes et bien réels. Je serai peut-être obligée de lui demander son titre ou reçu pour la Négresse qu’il nous a vendue et dont je devais remettre le reste du prix au R. Père, ce qui a été fait. Elle n’est plus si bonne et dit qu’elle n’est pas à nous, qu’elle ne restera pas. Si vous voyez Monseigneur, je vous prie de lui en parler, car le R. Père, qui a sa procuration pour autre chose, dit qu’il ne peut rien pour cela1. Une autre grande entrave, c’est qu’à Saint-Louis, nous n’aurons presque que des externes. Pourrons-nous les faire payer ? Comment exister autrement ? La consécration d’un nouvel évêque [Mgr Michel Portier] s’est faite à Saint-Louis, le dimanche dans l’octave de la Toussaint. Il a un titre étranger et se trouve chargé comme vicaire apostolique de l’État de l’Alabama, dans le midi, État très peuplé qui touche aux Florides dont il est aussi chargé et où il n’y a en tout que trois prêtres. Nous sommes bien plus heureuses ici, moyennant l’établissement de nos Pères et des Lazaristes qui n’ont pas moins d’intérêt pour nous. L’un d’eux me dit dernièrement, en nous offrant deux pensionnaires et une postulante, que pas un seul jour il ne manquait de prier pour les maisons du Sacré-Cœur. L’évêque consacré et l’évêque consécrateur sont venus chez nous et chez les Pères. La nouvelle de la renonciation de Mgr Dubourg, que son coadjuteur apprenait de la veille par un Bref qui le chargeait de l’administration de son diocèse, l’avait rendu très triste et très pensif2. Quelqu’un me dit aujourd’hui qu’on écrit à Rome que le R. Père Supérieur d’ici était le seul homme qu’on pût charger de 1 2

Philippine doit obtenir de Mgr Dubourg un reçu en bonne et due forme, sans lequel Rachel pourrait contester la vente et réclamer sa liberté. Mgr Rosati devient administrateur apostolique des deux diocèses. Le Bref du 20 mars 1827 le nommera évêque de Saint-Louis et le maintiendra administrateur de La Nouvelle-Orléans.



Lettre 281

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la partie du diocèse qui sera ôtée à Mgr Rosati1. Le Père Fenwick est déjà chargé de Boston et Mgr Dubois, Sulpicien, de New-York où il y a plus de trente mille catholiques2. La santé de Mère Octavie a repris. Tout le reste va à l’ordinaire, surtout moi qui ne deviens pas meilleure. Je me recommande à mes Pères Perreau, Varin et Barat qui gardent un silence bien rigoureux. Je n’ai plus d’occasion pour les exciter à le rompre. Je suis avec un profond dévouement dans le Sacré Cœur, ma digne Mère, votre mauvaise fille. Philippine Duchesne Je prie Mère Bigeu de nous écrire au long et lui offre mes respects. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur, rue de Varenne À Paris France By way of New York

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L’Alabama et les Florides dont Mgr Pontier devient vicaire apostolique. Benoît Fenwick (1782-1847), SJ, oncle des sœurs Hamilton, est originaire du Maryland. Recteur du collège de Georgetown, il a négocié avec Mgr Dubourg, en 1823, le transfert du noviciat jésuite de White Marsh à Florissant. En 1824, il a succédé à Mgr de Cheverus à Boston. Jean Dubois (1764-1842), PSS, né à Paris, ordonné prêtre en 1787, arrivé aux États-Unis en 1791, devenu sulpicien en 1809, a exercé son ministère dans le Maryland et la Pennsylvanie. Il a été ordonné évêque de New York, en 1826, et le resta jusqu’à sa mort.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 282

L. À M. LEDUC1

SS. C. J. et M.

[Saint-Ferdinand, ce 11 décembre 18262] Monsieur, Je ne doute nullement de la bonté avec laquelle vous voudrez bien nous conseiller pour trouver une maison à Saint-Louis. Je sens que la chose n’est pas facile, parce que je crois qu’il nous serait plus nuisible qu’utile d’en avoir une qui ne convienne pas, soit à cause de l’éloignement, soit à cause de la petitesse du local. J’avais d’abord fort repoussé l’opinion de Monsieur Niel qui nous conseille d’acheter un local et d’y bâtir. Il insinuait se procurer un terrain à M. Lucas par voie indirecte (parce qu’apparemment, il le croirait peu disposé à se prêter à notre établissement). Je craignais beaucoup de nous enfoncer dans des dettes. Mais on me dit qu’on bâtit à Saint-Louis à peu de frais et très rapidement, et qu’en obtenant des délais, il n’y aurait pas d’imprudence à former cette entreprise ; que M. Mullanphy sait cela mieux que personne et qu’il nous dirait exactement ce que pourrait coûter une maison sur un local qui convient. Avant de rien décider, j’ai pensé à lui écrire ; peut-être aurait-il, dans le grand nombre de ses maisons, quelque chose de moins cher à nous céder. Je vous prie de dire au porteur de la lettre, M. Lepère, si ce serait là votre avis et alors, il portera ma lettre chez lui. Je n’ai pas d’autre recommandation auprès de vous que la pureté de mes intentions et le désir de servir la religion ; vous y êtes trop attaché pour que je sois timide avec vous. C’est ce qui m’a portée à vous importuner de nouveau, en vous priant d’agréer le profond respect avec lequel je suis, Monsieur, votre humble servante. Philippine Duchesne, sup. Saint-Ferdinand, ce 11 décembre 1826

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Philippe Marie Leduc était notaire et juge à Saint-Louis. Il avait été le traducteur officiel du dernier gouverneur espagnol de la Haute-Louisiane. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 283



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[Au verso :] À Monsieur Monsieur Leduc À Saint-Louis

LETTRE 283

L. 30 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 30 décembre 1826] Monseigneur, Permettez à toute votre famille de Saint-Ferdinand de venir vous offrir ses souhaits de bonne année. Celle qui a l’honneur de vous les présenter au nom de toutes, éprouve plus qu’aucune une vénération pour son premier pasteur qui l’occupe sans cesse devant Dieu de reconnaissance pour le don qu’il nous en a fait, et de supplications pour nous le conserver. J’ai eu le plaisir de recevoir une lettre de Monsieur De Neckere, du 1er décembre, qui m’éclairait sur ce que j’avais pris la liberté de vous demander. Il paraît affligé de vous avoir vainement attendu à La Nouvelle-Orléans ; et moi, je suis bien aise que vos jours si précieux ne soient pas exposés dans la mauvaise saison. Mgr Portier était arrivé avec son parent. Je n’ai pas eu plus de détails de France sur notre approbation ; mais il a dû en partir quatre de nos Dames pour être distribuées dans nos trois maisons, qui seront chargées de tout ce détail si intéressant pour nous. Le frère de la postulante que vous nous avez annoncée est venu savoir nos conditions, et faisant un voyage aux mines, celui de sa sœur est remis au printemps. Je n’ai rien entendu dire des demoiselles dont nous a parlé Monsieur Odin. En dédommagement, il faudra qu’il demande à Dieu que nous soyons de dignes filles de l’Église qui a bien voulu nous reconnaître par son chef.

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1826 Déc. 30, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 22 février ; répondu le 2 mars. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je suis avec vénération et respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne sup. Ce 30 décembre 1826 [Philippine poursuit sur le 2e feuillet :] Monseigneur, J’ai déjà fait quelques démarches pour l’établissement de SaintLouis, qui sera fort difficile, vu le peu de zèle pour de telles œuvres dans cette ville et notre peu de moyens, ne pouvant jamais mettre de côté. Je n’ai pas moins d’espoir qu’il réussira un jour. Ce qui me gêne beaucoup et pour lequel j’ai besoin de votre décision, c’est qu’ayant eu quelques peines par rapport au vœu de pauvreté, fait en conservant quelques propriétés, j’obtins de mes supérieurs de disposer de ce qui me restait, de faire mon testament et de faire mon vœu de pauvreté tel qu’autrefois, ne me réservant plus la liberté ni de recevoir, ni de posséder, ni de tester. Je n’eus pas cette obligation présente au moment où, sans m’en prévenir, Mgr Dubourg me donna la terre où est notre maison et me dit de faire de suite mon testament en faveur de deux de nos Dames. Je m’en expliquais ensuite avec lui et il me donna les dispenses nécessaires. Maintenant, je vais être exposée à de tels actes pour de nouveaux établissements, notre Mère générale n’ayant pas voulu m’ôter mon fardeau et voulant au contraire que je sois chargée en quelque sorte de toutes les maisons de ce pays où notre Société s’établira. Veuillez, je vous en prie, me marquer ce que je dois faire en conscience, en assurant les propriétés à nos maisons. Je vous prie d’excuser, sur le froid extrême, ma mauvaise écriture et le désordre de ma lettre. Vous êtes père, c’est ce qui appuie ma confiance. [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagres Barrens Par Sainte-Geneviève

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L. 20 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 1er janvier 1827 1 Il y a quelque temps, ma bien chère et bien-aimée cousine, que j’ai reçu ta lettre du 30 août où tu m’annonces un nouveau don de 1 000 F qui me pénètre de reconnaissance. Je ne sais comment te l’exprimer, je ne puis que prier le Cœur de Jésus si bon, si libéral de m’acquitter auprès de toi et de te rendre au centuple ce que tu fais pour nous. Tout nous parle déjà de tes bienfaits, notre chapelle en est ornée, et quand nous y sommes, nous ne pouvons oublier ni toi, ni ton époux, ni ma tante, ni tout ce qui t’appartient. J’avais su par mon frère l’accident affreux arrivé à Vizille2. Je te prie de témoigner à Augustin [Perier] et à ma cousine la part que j’y ai prise, et plus encore à la perte qu’ils ont faite de leur chère fille3. Mme Teisseire et son mari ont bien des droits aussi à mes souvenirs, et la perte de Marie a été bien partagée, comme elle devait l’être4. Une de mes compagnes, qui l’a bien connue à Sainte-Marie, m’en parle comme d’une perfection. Dès que tu vois Monsieur l’abbé Rambaud, présente-lui mes respects et dis-lui que je n’oublierai jamais ses courses pénibles pour moi et que celles qu’il continue avec tant de bonté excitent encore toute ma reconnaissance. Si la mort n’a pas fait payer le tribut à Messieurs de Jonc, Luc, Bernard, de La Grée, je te prie de me recommander à leurs prières ainsi que nos converties, fort sujettes ici à l’apostasie, car le changement de religion se fait aussi facilement que celui du vêtement. L’œuvre des Sauvages est bien incertaine, il faudra pour l’opérer le miracle des miracles, changer leur nature entièrement corrompue dès les 1ères an1

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Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 22 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 51-54. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. La copie de cette lettre porte la date de 1824, mais la situation des maisons, décrite par Philippine, est celle de l’année 1826. En 1825, un incendie a détruit une partie importante du château de Vizille (mobilier, ornements, charpente du xviiie siècle) et la fabrique de toiles. Augustin reconstruisit l’ensemble selon le modèle d’origine. Leur fille Fanny, née en 1800, s’est mariée avec le comte Charles de Résumat. Elle est décédée en 1826. Marie-Joséphine Teisseire, née le 19 novembre 1804 à Grenoble, mariée le 2 décembre 1823 avec Chrétien-Louis de Hell, baron, est décédée le 1er janvier 1827.

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nées. Il faudrait être au milieu d’eux : il n’y a pas encore d’exemple que des femmes aient pu s’y hasarder ! Et les prêtres, loin d’y trouver la plus pauvre existence, seraient encore obligés de leur donner du secours, car toutes les années, il en périt beaucoup de misères ou par suite de l’ivresse. La nation américaine a eu la politique d’acheter leurs terres qui se trouvaient dans les États, afin d’assurer la tranquillité publique, sous condition qu’ils iraient habiter dans des contrées reculées. C’est la dernière année que les Sauvages ont pu chasser et traverser même cet État du Missouri ; étant accumulés et resserrés, ils n’ont plus assez de terres pour chasser, ce qui les rend de plus en plus misérables. On a fait ce qu’on a pu pour avoir de leurs enfants, mais ils ne font que les prêter un moment et les reprenant, ils sont plus mauvais qu’avant, parce qu’en reprenant la vie licencieuse, ils agissent avec plus de connaissance. Des presbytériens, payés par une société de New York, s’étant établis près des Osages, se plaignent beaucoup de leur position. Ils n’ont pu retenir les enfants sauvages, ils n’ont que des Métis, nés de Blancs et de Sauvagesses. On croit qu’ils abandonneront leur établissement. Des prêtres lazaristes, qui ont parcouru la rivière Arkansas qui a plus de 500 lieues de cours et s’approche à sa source du Missouri, ont été conjurés, par les habitants de ces bords qui se peuplent, de venir parmi eux, étant dégoûtés des ministres méthodistes, qui pullulent ici de toutes parts, ne présentant jamais que la Bible. Mais on n’a aucun moyen de soutenir les missionnaires catholiques, tandis que ceux de sectes abominables qui nient même la divinité de Jésus-Christ, sont entretenus ou par le gouvernement ou par différentes sociétés. Voilà de quoi animer le zèle. Je te prie d’excuser mon écriture illisible, mais nous avons un si grand froid maintenant que l’encre gèle au bout de la plume, à côté du feu. Dès que tu voudras bien t’intéresser à notre Société, je te dirai que nos deux maisons de l’État de la Louisiane, l’une à une journée, l’autre à quatre ou cinq de La Nouvelle-Orléans, se soutiennent bien. La dernière surtout, commencée depuis un an, a déjà plus de novices et de pensionnaires que nous, dont plusieurs sont des sujets excellents et de bien bonnes familles créoles. Il y a moins à réussir avec les Américains dont l’éducation doit se faire par quartier : 3 mois pour apprendre le français, 3 mois de musique, 3 de dessins, etc. ; après, l’éducation doit être finie. Il vient ainsi de nous sortir 4 enfants qui ont été 3 mois chacune. Les parents craignent aussi qu’elles se fassent catholiques, elles

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le désirent toutes. Les parents disent qu’elles sont libres, mais il y a toujours quelques raisons pour qu’elles ne le soient pas. Adieu, bonne amie, soyons-le dans le temps, et espérons que l’union sera encore plus forte dans l’éternité in Corde Jesu, Philippine

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L. 77 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 1er mars 1827 Rec. à St Antoine de Padoue1 N° 76 Ma bien bonne Mère, Je ne vous ai pas écrit depuis le 25 décembre 18262, en envoyant l’état de six mois et franchissant de cœur tout l’océan pour me trouver à vos pieds avec mes chères Sœurs, vous offrant avec elles tous nos souhaits de bonne année. Il est difficile de vous la souhaiter plus heureuse que la dernière qui nous a donné tout ce que nous envions le plus sur la terre [l’approbation des Constitutions]. J’ai reçu l’intéressante relation de Mère Bigeu et je l’en remercie dans la feuille que je joins ici3. Le petit mot, que vous aviez mis au bas [de cette lettre du 5 novembre 1826], laisse un doute sur le départ prochain de nos Sœurs qu’on attendait tous les jours à La Nouvelle Orléans4. Dans cet espoir, j’avais poussé l’affaire de notre maison de SaintLouis, voyant bien des inconvénients à attendre Monsieur Niel [curé de Saint-Louis], que plusieurs disent ne pas devoir revenir [de France] et ne pas réussir pour les moyens pécuniaires qu’il est allé chercher. 1

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 5 mai 1827. Copies : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 18231830, p. 60-63 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane I, p. 292. J. de Charry, II 3, L. 217, p. 1-5. Nous n’avons pas cette lettre. Elle a été perdue. Leur arrivée était annoncée pour le 6 août 1826.

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Après plusieurs informations, qui me prouvaient qu’il faudrait au moins 30 000 F d’avance pour avoir en ville une maison comme la nôtre ici, que je ne pouvais compter ni sur Monsieur Niel, ni sur la somme avancée à Mère Eugénie1 qu’elle dit ne pouvoir rendre que dans plusieurs années, ni même sur ce que vous nous aviez annoncé dans une précédente lettre (6 000 F) puisque dans la dernière, vous ne me parlez que des 1 000 F de Mme de Rollin, j’écrivis à M. Mullanphy, lui demandant si, dans le grand nombre de maisons qu’il a, il voudrait nous en céder une à des conditions favorables, vu notre intention d’avoir une école gratuite pour les pauvres. Il me répondit en me demandant combien nous prendrions d’orphelines aux conditions suivantes : 1. qu’il nous donnerait une maison en briques, bâtie depuis sept ans, située à ¼ d’heure de l’église catholique, avec 24 arpents de terre tout autour, non cultivés excepté le jardin. La maison contient 12 pièces assez grandes et, en tout, c’est moins vaste que la nôtre d’ici. 2. qu’il donnerait, lui ou ses héritiers, à chaque orpheline à son entrée la somme de 50 F pour son lit, etc. ; en outre, 25 F chaque année, pour le vêtement2. 3. 5 000 F en espèces pour les premiers frais. Je répondis que je prendrais à ces conditions 15 ou 20 orphelines. Il en voudrait 20, présentées par lui ou ses filles aînées. J’ai été voir cette maison dont la situation, moins riante, moins riche que celle de Sainte-Marie d’En-Haut a quelque chose de semblable : élevée, solitaire, dans un air sain, dominant le Mississippi et découvrant la ville qu’elle laisse de côté. Il me semble que nous irions contre nos intérêts de refuser ces propositions. Il est vrai que nous prenons une grande charge et avons une dépendance, mais ou bien 20 ou 30 mille livres de dettes ; ou bien notre confinement dans un village où nous sommes entourées par 6 pieds d’eau jusqu’à notre porte cinq ou six fois l’année, et cela, subitement, de manière à enlever le pont qui conduit chez nous, à abattre toutes nos clôtures, à détruire tout notre jardin qui n’a rien donné depuis deux ans ; tout y a été pourri par l’eau. Outre cela, la très réelle 1 2

Ces 6 000 F correspondent à la somme avancée par la Mère Barat à E. Audé. Cette référence aux sommes en francs permet d’évaluer le taux de change en dollars américains, à cette époque : 5 F pour un dollar. Le contrat de M. Mullanphy spécifie 10 $ à l’entrée et 5 $ annuellement pour l’entretien.

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possibilité que, si nous ne prenons les devants, d’autres nous préviendront et nous écraseront en nous ôtant tous les moyens de nous soutenir. Ne sont-ce pas là des considérations qui mériteraient d’être pesées ? Le Conseil que vous m’avez donné a été d’avis d’accepter1. Le R. Père, d’abord opposé, s’est ensuite rapproché de cette idée, sans cependant applaudir. Il aurait peut-être préféré Saint-Charles, mais l’église est arrêtée et il ne veut pas y placer un prêtre fixe et aucun autre n’ira, puisque c’est un département assigné [par Mgr Dubourg] à leur mission personnelle. Il avait même dit que j’allais contre tout droit divin et humain en chargeant la Société sans votre avis prononcé sur les articles énoncés [par M. Mullanphy]. Sans répondre à cela, je lui ai dit que vous nous aviez toujours vues avec peine à la campagne, que vous trouviez un établissement à Saint-Louis bien nécessaire, que vous m’aviez dit de le préparer, de le faire avant tout autre. L’autre Père [Théodore De Theux], des QuatreTemps, était parfaitement d’avis de l’établissement. J’acceptai, et tout se commence, sans que l’acte de donation qui est dressé soit signé. M. Mullanphy, très entendu en réparations, les fait faire sur l’argent promis de sa poche, car il a été nécessaire d’ajouter une cuisine et une chambre pour un homme [employé au service du couvent], refaire des plafonds, etc. Tout sera prêt à Pâques et on pourra commencer l’établissement si le secours tant désiré arrive. Il n’était pas possible d’attendre votre réponse, plusieurs acheteurs étant prêts pour avoir la maison et comment même fixer un terme pour votre réponse avec les dangers et retards de la mer ? Je regrette que vous n’envoyiez pas une bonne supérieure et j’avais espéré que Mme Baker2 de New York, qui est connue ici avantageusement, aurait fait merveille à Saint-Louis, où on aurait bien apprécié une Américaine pour la langue et le caractère, aucune nation ne s’estimant plus elle-même que celle-ci. Si je suis trompée dans mes espérances en ce moment, la jeunesse de nos Sœurs donne droit d’attendre que, plus que nous, elles apprendront la langue et les mœurs du pays. En attendant, je pense nécessaire d’aller à Saint-Louis au commencement. La place serait dangereuse pour plusieurs : il n’y faut pas être trop aimable, on y courrait de grands dangers dans les rapports au dehors et comme il y a bien des personnes qui ont eu une éducation recherchée, Mère Lucile [Mathevon] ne pourrait pas suffire. On a souvent dit d’elle : peu de moyens, bonne personne. Il me semble que Mère Octavie qui voit encore plus les parents de nos enfants que moi, et qu’ils aiment, 1 2

Les Pères Jésuites de Florissant. Une dame américaine, qui a commencé son noviciat à Paris.

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pourrait continuer sa charge sans prendre aucun titre du dehors avant vos réponses, et pour qu’étant moins libre, elle soit aussi plus prudente. Elle est régulière, instruite, zélée. C’est le tact, la prudence qui sont en défaut. J’ai une forte confiance, appuyée sur la protection de saint Joseph et de saint Régis, que les deux œuvres se soutiendront ici et à Saint-Louis. L’une sera l’appui de l’autre, l’une pour le temporel, l’autre pour le spirituel. On ira y faire sa retraite, y remettre sa santé, etc. On va et vient dans un jour. Il nous est arrivé une postulante d’Irlande dont nous aurions besoin de prendre des informations de l’Abbé de la Trappe1. Elle a été six mois à Bellefontaine, elle a vu le père Prieur, et deux ans en Angleterre. Elle est sortie pour raisons de santé. Il me serait bien doux d’avoir saisi vos intentions et d’en avoir l’assurance. Dans un pays sans ressources pour la jeunesse, fallait-il reculer à cause des orphelines ? Nous avons une dépendance pour recevoir, mais nous nous attachons la famille la plus puissante du pays. M. Mullanphy s’est encore réservé de bâtir deux chambres pour ses petites-filles pensionnaires ou retirées2. En conservant le pensionnat ici, il se formera lentement à Saint-Louis et la maison aura besoin d’être agrandie. Ainsi l’argent promis sera bien nécessaire. Nous y aurons beaucoup d’externes et, si vous le trouvez bon, on prendrait l’argent des riches pour soutenir les orphelines et leurs maîtresses ; leur travail sera bien peu dans les commencements. Je suis avec un profond respect in Corde Jesu votre fille dévouée et bien indigne. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne À PARIS 1 2

Dom Augustin de Lestrange. La postulante est probablement Éléonore Gray. L’abbaye de la Trappe de Bellefontaine est située dans le département du Maine-et-Loire, près d’Angers. Des dames pensionnaires, comme il était d’usage d’en recevoir dans les couvents. Mais le Conseil général de 1826-1827 vient d’interdire cette pratique pour les maisons du Sacré-Cœur.

Lettre 286

LETTRE 286



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L. 31 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Ferdinand, ce 8 mars 1827] Monseigneur, J’ai eu l’honneur de vous écrire, il y a deux mois, sur notre établissement à Saint-Louis. N’ayant pas eu de réponse, je pense que ma lettre ne vous est pas parvenue. En attendant, l’affaire s’est avancée, m’appuyant sur la réponse que vous m’aviez précédemment faite que vous le verriez avec plaisir, et sur l’intention bien prononcée de notre Supérieure générale. M. Mullanphy nous donne une maison et 24 arpents de terre à un quart d’heure de distance de l’église, à charge de tenir vingt orphelines à qui il donnera à leur entrée 10 $, et 5 par an pour l’entretien. C’est lui qui présentera les enfants, et ses filles aînées après lui. Nous avons consenti à ses conditions et tout était fini, mais le Père Van Quickenborne semble les désapprouver. S’il était plus coulant en affaires, j’y verrais un obstacle, mais son caractère hésitant ne me laisse pas de doute que ce n’est qu’une ombre qui passera, d’autant plus qu’il a signé comme témoin, ce qui paraît extraordinaire. S’il eût été facile de communiquer avec vous, je vous aurais donné tous les détails de moment en moment ; mais mon éloignement de mes supérieurs est ma plus grande peine et il faut la porter. Maintenant que les réparations sont commencées aux frais de M. Mullanphy, que toute la ville en est instruite, que de tous côtés, on nous témoigne de la satisfaction, il me semble que ce serait manquer essentiellement à la bonne foi des promesses que de retarder même cette œuvre charitable. Daignez, Monseigneur, m’envoyer promptement un plein consentement pour me délivrer d’inquiétude, me consoler par l’assurance réitérée de votre approbation2. Nous avons promis de commencer l’œuvre le premier de mai. Jusqu’à l’enregistrement, M. Mullanphy veut le faire sur les conditions [établies] entre nous. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827 Mars 8, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 22 ; répondu le 23. » Le 24 mars 1827, Mgr Rosati lui envoie son « plein consentement », accompagné d’une approbation officielle. Lettres de Mgr Rosati, manuscrits, 1815-1840, C-VII 2) c Writings, Box 6.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

J’ai appris avec douleur que notre sœur Xavier Hamilton était dans un état de langueur. J’ai demandé qu’elle revînt ici, si elle était en état de supporter le voyage. L’air lui convenait beaucoup ici, elle s’y portait parfaitement. Je voudrais à tout prix la conserver. Je suis avec une respectueuse vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et obéissante fille. Philippine Duchesne sup. Saint-Ferdinand, ce 8 mars 1827 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati, Évêque de Tenagre Recommandé aux soins de Monsieur Jeanjean À La Nouvelle-Orléans

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L. 32 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Louis, ce 10 mai 1827] Monseigneur, Je ne saurais assez vous remercier de la bonté avec laquelle vous m’avez répondu, me donnant en même temps la paix par votre approbation de l’établissement où je me trouvais engagée, ce qui a satisfait tout le monde. Me voici à Saint-Louis avec une compagne seulement et trois orphelines, ayant demandé un peu de délai pour les autres, les plâtrages n’étant pas terminés. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827. Mai 10, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 25 juin ; répondu le 30. »

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J’avais cru, qu’ayant deux prêtres à Saint-Louis, l’un d’eux nous dirait la messe le dimanche, mais Monsieur Saulnier m’observa qu’il disait déjà deux messes et que Monsieur Lutz allait en mission. Cependant de 15 en 15 jours, il a promis de nous dire la sainte messe avant de partir pour Vuidepoche. Dans l’intervalle, Monsieur Richard ayant appris qu’il allait se former une maison à Saint-Louis demande d’être notre aumônier, n’exigeant que le logement et la nourriture ; ce qui revient bien à une maison naissante et qui a encore de grandes dépenses à faire. Monsieur Richard est d’ailleurs un homme de communauté et bien propre pour nos maisons. Il ne reste que votre consentement et le moyen de ne pas nuire aux Dames Ursulines qui cependant n’ont jamais goûté Monsieur Richard comme nous. Avant de connaître vos intentions, je ne m’explique avec personne ; d’ailleurs étant si peu, j’ai de la peine de déplacer un prêtre pour nous. On nous donne l’espérance de vous voir ici (…)1 si elle était trompée. Veuillez, je vous prie, me marquer vos intentions par rapport à un aumônier ; et si Monsieur Richard pourrait être libre. La postulante que vous avez eu la bonté de nous offrir est à Florissant et nous en sommes très satisfaites. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne sup. Saint-Louis, ce 10 mai 1827 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Sainte-Geneviève

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Expression arrachée en décachetant la lettre.

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L. 78 À MÈRE BARAT Saint-Louis, ce 13 Mai 1827 1 Rec. à St Antoine N° 77

Ma Digne Mère, La date de ma lettre vous marque que nous sommes enfin à la place que vous jugez la plus favorable pour nos maisons. Depuis que vous m’aviez marqué vos intentions, après la visite de Monsieur Niel, je commençai à tendre mes filets, à sonder le terrain, à intéresser quelques personnes. Je ne trouvai de tous côté qu’opposition, froideur et indifférence. Enfin je m’adressai directement à M. Mullanphy, lui demandant si, dans le grand nombre de ses maisons, il pourrait en céder une à bon compte pour une bonne œuvre. Il m’en proposa bientôt une, située agréablement, un peu à l’écart des rues, à un quart d’heure de l’église, presque neuve, en briques, au milieu de 24 arpents de terre, qu’il nous offrait gratuitement pour la charge de tenir 20 orphelines auxquelles en outre il donnera l’entretien, lui ou ses héritiers ; de plus il donnait 5 000 F pour les premiers frais de l’établissement. Je vous ai écrit que le Père supérieur ne le goûtait pas et, même après avoir signé avec nous l’acte de convention, il voulait qu’on attendît, pour le faire légaliser, le consentement de Monseigneur qui était alors à La Nouvelle-Orléans. Heureusement, il partait un steamboat qui porta ma demande en peu de jours et me rapporta la réponse. Outre sa lettre, il joignit l’acte d’approbation que je joins ici : Joseph Rosati, par la miséricorde divine et l’autorité du Saint-Siège apostolique, Evêque de Ténagre et administrateur du Diocèse de SaintLouis et de celui de La Nouvelle-Orléans, À Madame Philippine Duchesne, Supérieure des Dames du Sacré-­ Cœur de Jésus, salut et bénédiction en N. S. J. C. Ayant été informé que M. Mullanphy, de Florissant, plein de zèle pour l’accroissement de notre Sainte Religion, et croyant ne pas trouver de meilleur moyen pour la répandre que l’instruction de la jeunesse, a fait 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 22 juin 1827. Copies : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 18231830, p. 64-68 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane I, p. 297-299. J. de Charry, II 3, L. 219, p. 10-14.

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don et cession entière d’une maison et d’un sol de terre, dans la ville de Saint-Louis, État du Missouri, aux conditions exprimées dans l’acte de donation. Nous donnons une pleine et entière approbation au nouvel établissement que la dite Mme Duchesne va faire à Saint-Louis, persuadé que nous sommes qu’il en résultera un grand bien pour la Religion et que ceci ne fera qu’ajouter un nouveau lustre aux succès brillants dont jouit la Société du Sacré Cœur en Europe et dans les États-Unis.

Donné à La Nouvelle-Orléans, le 24 Mars 1827. Joseph, évêque de Ténagre Cette approbation authentique sous le sceau de l’Évêché, et vos désirs si souvent exprimés, nous donnent la consolation que je suis où Dieu me veut et que saint Joseph y a beaucoup aidé ; aussi est-il le protecteur spécial de la maison. Les 5 000 F y sont déjà employés par l’addition d’une cave, d’une maison en briques et d’une chambre au-dessus, très logeable pour le prêtre, de planchers, plafonds, contrevents, etc. J’avais promis d’y entrer le 1er mai ; la circonstance de ma fête, des prix donnés pour faire une nouvelle division des classes et installer une nouvelle maîtresse, ont renvoyé mon départ de Florissant au 2 mai (mercredi), n’y ayant qu’une chambre de finie. Nous n’avons eu la Sainte messe que le Dimanche et, sans m’y attendre, j’ai eu une joie sensible que, suivant le rituel du diocèse, le prêtre dise la messe de saint Joseph. Le curé dit déjà deux messes le dimanche, et son vicaire alterne dans deux paroisses assez éloignées l’une de l’autre, dont l’une est au-delà du fleuve. Dans cet embarras, le Père supérieur m’offrit la messe à 3 heures. Après avoir dit la première à Saint-Ferdinand et prêché à la grandmesse, c’était encore 5 lieues à faire. Je lui dis que je ne croyais pas être obligée à la messe à un tel prix. Cependant il est venu aujourd’hui, mais à midi, et le vicaire me dit hier qu’il pourrait à l’avenir dire la messe de grand matin et aller ensuite dans les paroisses. Voilà un gain pour le moment, mais comme il est très faible, et que cela serait trop pénible dans la mauvaise saison, la divine Providence nous offre une autre ressource : Monsieur Richard, notre premier aumônier de Saint-Charles, grand ami des Jésuites – chez qui il vient encore d’être refusé, car il avait demandé de finir ses jours chez eux –, s’offre d’être notre aumônier à Saint-Louis, ne demandant que la nourriture et le logement. Il quittera pour cela les Dames de La Nouvelle-Orléans qui lui donnaient par an 1 500 F, beau logement et bonne nourriture. Mais son désir a toujours

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été de finir sa vie, attaché à une maison du Sacré-Cœur. J’ai accepté sa proposition mais je ne sais encore si Monseigneur l’agréera. Cet établissement a présenté bien des difficultés. Nos Sœurs ont peine à suffire à Florissant, où il y a près de 30 pensionnaires, des orphelines et des Indiennes, en trois séparations. Mme Octavie gouverne comme assistante, économe, maîtresse générale. Mme Lucile maîtresse générale des orphelines et externes, maîtresse de chœur, sous-économe pour l’arrangement de la maison. Mme Régis [Hamilton] maîtresse de la classe américaine, de travail [de couture], de santé et dépensière. Mme Aloysia McKay1 maîtresse de classe aussi en anglais : elle a fait ses premiers vœux le 16 Avril. Mme Stanislas Shannon2 maîtresse des Indiennes : elle a fait aussi ses premiers vœux le 16 Avril. Mme Thérèse Detchemendy maîtresse, surveillante, vestiaire. Sœur Catherine aux externes. Mlle Eléonore, postulante irlandaise qui veut s’appeler Joséphine, portière, chargée de faire lire en anglais les françaises. Je n’ai pris avec moi que Sœur Mary Ann O’Connor, Irlandaise, aspirante, qui aura la charge des orphelines, n’étant pas propre pour le pensionnat. Nous attendons, pour prendre d’autres enfants, que nos Sœurs de France soient arrivées. Rappelez-vous, ma très digne Mère, que vous en avez promis deux de plus si l’établissement de Saint-Louis se faisait. En attendant, j’ai des demandes pour les enfants des premières familles. Mais comment tout accorder ? Le Père dit que si nous avons un pensionnat ici, nous faisons tomber celui de Florissant et je l’ai craint aussi. En attendant, je dis que ne pouvant avoir ici que peu d’élèves à cause des orphelines, nous réservons les places pour les enfants à qui on veut donner des maîtres [séculiers]. J’espère que vous permettez d’avoir les externes payantes, ce sera là le gros de la besogne, et puis des pauvres. Je pense que la considération d’arracher des enfants aux écoles protestantes, mêlés garçons et filles, est assez forte pour vous y 1

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Susannah (Aloysia) McKay (1802-1860), RSCJ, est née en 1802 à New York (selon le registre des vœux de Florissant, et non en Irlande). Elle est entrée à Saint-Louis en 1825, a fait ses derniers vœux en 1830. Elle est décédée à Saint-Charles en 1860. Anna-Joséphine (Stanislas) Shannon (1810-1896), RSCJ, née en 1810 dans le comté de Wexford (Irlande), est venue avec sa famille au Missouri, en 1820. Elle a été élève à Florissant, avant d’entrer au noviciat en 1826. Elle a prononcé ses premiers vœux le 16 avril 1827, avant d’avoir 17 ans, et sa profession le 7 mars 1836. Elle a vécu de nombreuses années avec Philippine et ses mémoires constituent l’un des témoignages les plus importants sur sa vie. Deux de ses sœurs, Judith et Margaret, sont devenues RSCJ, et une troisième, Sœur de la Charité. Anna a été vice-vicaire en Louisiane (1863-1873) et supérieure à Saint-Michel pendant les moments les plus pénibles de la guerre civile. Elle est décédée à Maryville, Saint-Louis, en 1896.

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engager. Le plus grand bien aussi est d’offrir un asile où celles qui se sont converties auront les moyens de se soutenir et des ressources pour pratiquer la religion. La mort n’était pas encore entrée chez nous. Elle vient de nous enlever ce matin une fille de l’école indienne. J’apprends aussi que Mère Lucile n’est pas bien. Je n’ai ici que trois orphelines de Saint-Ferdinand, dont deux seront sur le compte de M. Mullanphy. La troisième nous sert beaucoup, n’ayant pas, comme à Saint Ferdinand, une habile négresse pour la cuisine, etc. On m’envoie ici, de tous côtés, [ce qu’il faut] pour manger. Je ne manque de rien. Je voudrais que vous écriviez à M. Mullanphy pour le remercier. Il nous aidera peut-être pour une église, il le pourra sans se gêner ; mais il veut faire les choses de lui-même, il ne veut pas être poussé ! C’est un homme puissant en richesses et capacités. Il pourrait gouverner un royaume. Mesdames ses filles nous veulent du bien. Mlle Octavie1 [Mullanphy] qu’il avait placée chez-nous, vient de partir pour servir sa maman en France, qui a perdu sa fille aînée, personne de grand mérite. Si elle va chez vous [vous] rendre visite, je vous prie de lui faire beaucoup d’amitiés, elle en a besoin sous plusieurs rapports ; elle nous est très attachée et est bien vertueuse. Mère Eugénie a été très affligée, ainsi que moi, de la perte bien douloureuse de Mère Xavier Hamilton2, perte irréparable (elle était la seule en état de bien traduire nos Constitutions). Elle a 45 pensionnaires, il y en a 34 aux Opelousas et 10 de refusées faute de maîtresse. Il paraît que Mme Xavier [Murphy] conduit très bien cette barque et qu’elle est en grande réputation dans le pays. Mes respects aux bons Pères Varin, Barat, Perreau. Nous espérons voir le Père provincial3. Les Pères vont avoir chez eux le fils du chef des Osages et le Père supérieur ira dans cette nation composée de 22 000 hommes. Le gouvernement fait bâtir dans leur village une belle maison pour le trappeur4 qui veut avoir un des Pères et l’entretenir. 1

2 3 4

Octavia Mullanphy (1808-1876) s’est mariée en 1836 avec Denis Delaney, à Saint-Louis, et a eu deux enfants. Après la mort de son mari, elle a épousé en 1848 Henry Boyce, décédé en 1873. Elle est morte, trois ans plus tard, à Paris. Mathilde Hamilton est décédée le 1er mai 1827. Elle avait les fonctions d’assistante et de maîtresse des novices. Le P. Francis Dzierożyński, polonais, envoyé par le Père général, Aloysius Fortis, comme supérieur au Maryland. Il visitera la maison de Florissant en juillet 1827. Un chasseur d’origine européenne, établi sur le territoire indien. Les Blancs s’installent de plus en plus dans les terres attribuées, en principe, aux tribus autochtones.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je suis à vos pieds, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne Faubourg Saint-Germain À Paris France By way of New York

LETTRE 289

L. 1 À M. AUGUSTE CHOUTEAU [1827]1

Monsieur, Lorsqu’il fut question de l’établissement que nous commençons ici, M. Mullanphy m’assura que vous ne mettriez point d’obstacle à ce que nous eussions un pont sur votre ruisseau pour les personnes à pied ; il m’a ajouté depuis que je suis ici, que vous aviez formellement donné votre consentement et promis de le mettre par écrit quand le temps en serait venu. Je viens, Monsieur, vous remercier de ces bonnes dispositions à notre égard, et n’aurais pas cru pouvoir faire commencer l’ouvrage sans vous en prévenir et sans solliciter de nouveau votre permission par écrit. Veuillez, je vous prie, m’honorer d’une réponse et de me croire, Monsieur, avec un profond respect, votre dévouée servante. Philippine Duchesne sup. 1

Original autographe, Mill. Coll. Auguste Chouteau Papers. 1827, Archives Province États-Unis-Canada, Series XII. C Callan Box 7 packet 1, Letters to lay people.



Lettre 290

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[La lettre est accompagnée de la réponse suivante :] Madame, J’ai reçu il y a quelques jours votre respectable lettre, relative à la promesse que j’avais faite à Monsieur Mullanphy de permettre l’érection d’un pont sur mon ruisseau vis-à-vis de votre établissement, et pour son usage. Et je vous le répète, Madame, que je n’y mets aucun obstacle, et que je vous permets formellement, d’après la demande de Monsieur Mullanphy, de bâtir un pont pour les personnes à pied sur ce ruisseau à l’usage de votre établissement ; et je consens, pour moi et les miens, qu’il y demeure tant qu’il ne me fera tort, ou qu’il ne me portera aucun préjudice. J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, Madame, votre très humble et obéissant serviteur. Aug. Chouteau Saint-Louis, 4 juin 1827 Madame Philippine Duchesne Sup.

LETTRE 290

L. 33 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 1er juillet 1827] Monseigneur, J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honorée. Quelque plaisir qu’elle m’ait fait, celui de vous voir eût été bien plus grand, et je le désire depuis 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827 Juillet 1er, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

bien longtemps. Je ne vois pas de moyens de vous exprimer par lettre ma reconnaissance pour l’approbation authentique que vous avez bien voulu donner à notre établissement de Saint-Louis. Je me hâtai d’en faire part au R. Père, ce qui mit fin aussitôt à l’espèce d’opposition qu’il y montrait. On me dit qu’il est fâché maintenant que j’ai engagé M. Martin Lepère, qui nous servait à Florissant, de venir s’établir à Saint-Louis près de nous, où j’en ai absolument besoin pour suivre nos ouvrages ; lui seul connaît nos limites et peut faire nos affaires pour lesquelles il est nécessaire d’entendre les deux langues. Le Père supérieur lui a objecté qu’il était bedeau ; mais comme il n’est pas payé, il m’a semblé qu’il ne tenait qu’à lui de se dégager et que toute personne honnête peut le remplacer, ce qui ne suffit pas pour moi ici. Ne pouvant recourir à vous, Monseigneur, assez promptement, le changement agréant à M. Martin Lepère, je ne me suis point dédite de ma proposition malgré les réclamations, et en poursuivrai l’exécution, à moins qu’elle ne vous déplaise. Ne pensant pas qu’une de mes lettres pût vous rencontrer à La Nouvelle-Orléans, j’avais prié Monsieur Dahmen de vous en remettre une à votre arrivée, pour vous demander Monsieur Richard qui s’était offert pour notre maison. Maintenant que je n’ai aucune réponse de lui et que vous m’annoncez le départ de Monsieur Delacroix, je crains qu’il soit perdu pour nous. Monsieur Saulnier dit déjà deux messes, le dimanche. Monsieur Lutz, quand il va au Cahos, ne peut pas non plus venir le dimanche. Le R. Père s’est offert de venir ce jour-là, mais c’est après avoir prêché à Saint-Ferdinand et il arriva ici dimanche passé, à deux heures, et extrêmement fatigué. Je lui ai demandé si, ayant perdu son terrain, il ne voudrait pas bâtir le collège sur le nôtre ; il le refuse. Mais j’ai l’espérance que si Monsieur Richard ne peut venir et que vous disposiez de Monsieur Lutz, comme il s’en flatte, vous déterminerez le Père supérieur à nous donner un de ses prêtres, Monsieur Smith par exemple, qui ne peut faire ombrage à personne et qui n’est pas assez fort pour la vie de missionnaire. Mlle Éléonore Gray, que vous nous avez donnée pour postulante, a pris le saint habit, dimanche passé ; elle est ici avec moi. Mlle McGuire l’a remplacée malgré sa mauvaise santé. J’ai prié Monsieur Odin de nous procurer une Négresse propre à nous. Oserais-je vous supplier de lui demander une réponse ? On me dit qu’au Kentucky, ce choix sera plus facile et à meilleur compte.



Lettre 290

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Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la plus dévouée servante. Philippine Duchesne sup. Ce 1er juillet 1827 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Tenagre Barrens Comté de Sainte-Geneviève Missouri [Feuillet ajouté :] Maison du Sacré-Cœur de Jésus à Florissant1 La communauté est composée de 7 personnes, dont 4 professes et trois religieuses de premiers vœux, plus une postulante. Le pensionnat est composé de trente jeunes demoiselles L’objet de l’éducation consiste en : 1°) la religion qui tient le premier rang ; 2°) la lecture anglaise et française ; 3°) la grammaire anglaise et française ; 4°) les éléments de la littérature ; 5°) le calcul ; 6°) l’histoire, ancienne et moderne ; 7°) la géographie ; 8°) différentes sortes d’ouvrages manuels ; 9°) l’économie domestique, etc. École gratuite externe Les enfants de cette école sont au nombre de 51. Elles y sont instruites dans la religion, la lecture anglaise et française, l’écriture, les éléments de l’arithmétique, et le travail des mains, tels que la couture, filature, etc. École des Indiennes, au nombre de 12 Les élèves de cette école sont à demeure. Les religieuses en prennent soin pour la nourriture, le logement et les vêtements. 1

Ce prospectus, d’une autre écriture, daté du 28 juillet 1827, est joint à la lettre.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Les objets d’enseignement sont les mêmes que pour les enfants de l’école externe. Comme leurs progrès dans l’étude ne peuvent pas être grands, du moins pour quelques-unes, on tâche d’y suppléer en leur inspirant davantage l’amour du travail. Cependant, depuis deux ans et quelques mois que les religieuses du Sacré-Cœur ont entrepris cette œuvre, elles ont souvent la satisfaction de voir que ces enfants apprennent et qu’elles savent assez bien travailler, tricoter, coudre, carder, filer, tisser, etc.

LETTRE 291

L. 79 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Ce 9 Juillet 1827 Rec. à St Antoine de Padoue1 Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir votre lettre de mars, dans laquelle vous voulez bien excuser les fautes de mon gouvernement, que j’aperçois aussi bien que les autres. J’ai vu aussi, par cette lettre, que vous ne saviez pas encore mon établissement à Saint-Louis, où je suis depuis le 2 mai, avec deux Sœurs irlandaises de chœur, l’une aspirante et l’autre novice. La première [Mary Ann O’Connor] y a été aussitôt que moi, et était auparavant employée aux Indiennes. Cet éloignement du centre lui a nui, et je l’ai trouvée ici bien inférieure à ce que je pensais, et ne suis plus d’avis d’avancer ses derniers vœux. La seconde est une nouvelle novice, appelée Eléonore Gray, et qui a pris, le dimanche [26 juin] après le Sacré Cœur, avec l’habit, le nom de Joséphine, ce que j’avais promis à ce saint, patron de la nouvelle fondation. Elle est toute à former. Nous attendons, dans toutes nos maisons, le secours de France avec beaucoup d’impatience. Mère Eugénie [Audé] a la fièvre toutes les nuits, Mère Xavier [Murphy] l’a eue aussi 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 2 septembre 1827. Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 251-252. Copie partielle, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane I, p. 302-304. J. de Charry, II 3, L. 222, p. 20-23.

Lettre 291



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très forte, et ses filles, au nombre de quatre seulement, sont aux abois. J’ai été obligée de refuser ici les enfants. La Sœur irlandaise est pour les orphelines ; la novice ne peut que faire lire en anglais. Les externes de la première classe [sociale] seront ici le gros de la besogne ; car, sans bâtir, nous ne pouvons, avec les orphelines, avoir plus de 15 pensionnaires. Je vous ai déjà parlé à ce sujet, pour être autorisée à recevoir leur paiement1. Vous aviez donné cette permission pour Saint-Ferdinand où, dès le moment où Saint-Louis a commencé, on a cessé de recevoir des externes, et cela ne nous donnait pas 40 F par an. Pour abréger le chemin de la ville, nous avons fait deux ponts, l’un pour les personnes à pied, l’autre pour les voitures. D’un autre côté, un puits, l’ancien étant ruiné, des plâtrages, ouvrages en menuiserie, tout cela en dehors des 5 000 F donnés par M. Mullanphy, et qui étaient dépensés en choses essentielles avant mon arrivée. Il nous reste à nous clore en planches et en perches, ce qui sera encore une grande dépense, avec une écurie et une maison pour le domestique, nécessaire à cause de notre isolement de toutes maisons, ce qui a bien son agrément, personne ne pourra jamais nous dominer. Nous laisserons en bois une partie de nos 24 arpents, qui nous donneront des raisins sauvages, souvent fort bons, des noisettes, des fraises, et des mûres surtout, en abondance. Mais nous aurons encore bien de l’espace en clôture, un jardin, un verger de pommiers, un bois pour la promenade, où se trouve une très bonne source, qui ne manque point. Enfin, une terre à maïs et à pommes de terre, qui est à défricher. J’ai été aidée pour vivre par plusieurs dames qui m’ont envoyé du jardinage, autant que nous en pouvions manger. La mère de deux de nos enfants a mis à notre disposition ses voitures et domestiques pour toutes les fois que j’aurai besoin d’aller à Florissant. J’en ai profité deux fois pour des courses nécessaires. J’ai été forcée de prendre ici trois pensionnaires, Saint-Ferdinand n’en pouvant plus prendre ; cela a été une grande providence que cet accroissement, au moment où l’argent était si nécessaire. Si nos Dames eussent été ici, profitant de l’empressement du moment, nos deux maisons eussent été pleines à la fois. Mais je commence à avoir l’air d’une conteuse en parlant de leur prochaine arrivée. J’en suis surtout honteuse avec M. Mullanphy. Je 1

Selon les constitutions (n° 142), l’externat doit être gratuit, s’il s’agit d’une école recevant des enfants de familles pauvres, mais ce n’est pas le cas ici, puisque les externes appartiennent à des familles riches ou aisées.

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pense que Mlle Octavie, sa fille, vous aura visitée, son attachement pour nous vous engagera, j’espère, à l’accueillir. Le bon Monsieur Richard, notre aumônier à Saint-Charles, qui n’a partagé là que nos privations, est cependant épris d’un tel amour pour le Sacré Cœur, qu’apprenant l’établissement de Saint-Louis, il m’a écrit pour être gratuitement notre aumônier, car, dit-il, depuis les beaux jours de Saint-Charles, j’ai toujours espéré mourir au Sacré Cœur. Il quitterait pour cela 1 500 F que lui donnent les Dames Ursulines, beau logement, nourriture choisie, etc. La maison des Opelousas et celle-ci l’envient comme l’homme qu’il nous faut et aucune ne l’aura, car Monseigneur, à qui je l’ai demandé, le refuse net, disant qu’il ne peut laisser sans prêtre une maison de 150 personnes à qui l’évêque doit son logement, son existence1 et qui s’est engagé par contrat à leur en fournir un, ce qui est difficile ayant tant de départs qui le désolent. Ce bon Monsieur Richard croit encore qu’il viendra, et il m’envoie, en attendant, un bon missel, un ciboire et d’autres objets. Le Père supérieur de nos Pères qui, depuis l’approbation flatteuse de Monseigneur, n’était plus contre l’établissement, et qui m’avait même dit qu’il était plus que jamais en état de nous aider, me dit hier de ne plus compter ni sur lui, ni sur ses Pères, qu’ils allaient faire leur troisième an2. J’en ai versé des larmes bien amères [ligne barrée de manière à être rendue illisible]. J’espère un peu en la visite du Père provincial, qu’on attend ce mois. En attendant, il faut vivre de privations. Nous n’avons eu ni octave du Saint-Sacrement, ni du Sacré Cœur3. Souvent quatre communions perdues dans la neuvaine. Ce sont pour moi des jours de jeûne, car il m’est impossible de déjeuner alors, espérant toujours quelque coup de Providence qui amènera un prêtre pour la communion. Je prie nos Sœurs de communier pour moi, et Notre Seigneur en sera plus glorifié. Mère Octavie conduit très bien sa barque. Il n’y a que sa maladie qui me fait de la peine. Déjà très faible de la poitrine, elle a été piquée par une araignée, ce qui l’a retenue au lit et fait beaucoup souffrir ; on en dit le venin aussi mauvais que celui du serpent. Son pensionnat va bien, depuis l’expulsion d’une élève et sortie d’une autre, pauvre sujet. 1 2 3

Les Ursulines de La Nouvelle-Orléans ont fait don de leur couvent à l’évêché, lorsqu’elles se sont transférées dans la banlieue, à la fin de l’année 1824. Les six scolastiques, ordonnés prêtres par Mgr Rosati, vont commencer leur « troisième an » qui durera jusqu’au 31 juillet 1828. L’exposition du Saint-Sacrement était prévue pendant l’octave des deux fêtes, au cérémonial de la Société du Sacré-Cœur de Jésus.



Lettre 291

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Les Sœurs paraissent aussi contentes. Mère Lucile aurait été hors d’état de tenir la place [mots barrés de manière à être rendus illisibles]. Heureusement elle est mieux. Mon état de dépense ne s’accorde pas avec celui de Saint-Ferdinand pour l’argent que j’en ai reçu, parce que j’ai ajouté l’évaluation des différents objets que j’ai apportés ici. Nous sommes bien pour la sacristie. Les Pères ayant le secours reçu de Flandre, nous n’avons pas tout à fournir pour Saint-Ferdinand. Je n’ai pas le temps de mettre en francs l’état de Saint-Ferdinand, Mère Octavie l’a oublié (il n’y a qu’à multiplier toutes les sommes par 5). Monsieur Boccardo, prêtre, a perdu presque sa tête en arrivant à La Nouvelle-Orléans. Il m’écrit qu’il a perdu 10 000 F tombés à l’eau et beaucoup de lettres pour nous1. Peut-être y avait-il de l’argent pour nous, et j’ai dépensé le don de Mme de Rollin. On m’a fait crédit depuis. Je suis à vos pieds dans le Sacré Cœur, votre indigne Philippine Duchesne Combien je suis affligée de la maladie de Mme de Gramont. M. Rambaud2 est-il mort ? Mes respects à votre bon frère, aux Pères Varin, Perreau. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

1

2

Angelo Boccardo, Lazariste italien, était très désiré par Mgr Rosati, qui avait l’intention de le nommer maître des novices. Mais il fut si atterré par ce malheureux accident, qu’il rentra de suite en Italie. Quelques années plus tard, il essaya de revenir en Amérique, mais n’y fut pas autorisé par ses supérieurs. Ancien aumônier de Sainte-Marie d’En-Haut, à Grenoble.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 292

L. 34 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 15 juillet 1827] Monseigneur, Je n’ai jamais cherché à retirer Monsieur Richard de son poste mais, depuis Saint-Charles, il n’a jamais cessé de témoigner le désir de mourir près de nous ; et plus particulièrement depuis qu’il a entendu parler de l’établissement (…)2. Il m’a écrit que, ne pouvant supporter la chaleur de la Louisiane, il avait prévenu les Dames Ursulines qu’il les quitterait et il s’offrait d’être gratuitement notre aumônier, ne demandant que le logement et la nourriture. Quelque avantageuse que fût cette proposition, je n’y répondis point de suite, croyant d’ailleurs que les prêtres de Saint-Louis ou les Jésuites qui avaient le projet d’y faire un collège auraient des bontés pour nous. Mais les uns et les autres m’ayant présenté leurs difficultés, je répondis alors à Monsieur Richard que, si son déplacement vous agréait, nous étions bien empressées de l’avoir et je vous en écrivis à vous, Monseigneur, par Monsieur Dahmen, car je ne pensais pas que ma lettre pût vous trouver à La Nouvelle-Orléans. Je savais d’ailleurs que les Dames Ursulines ne tenaient point du tout à Monsieur Richard ; elles m’en ont parlé à moi-même sur ce ton et aucune ne s’y confessait ou très peu quand je les vis. Faisant de gros avantages à un prêtre, elles peuvent aussi se pourvoir facilement ; mais dans ce moment où nous n’avons que des charges, que pouvons-nous assurer à un prêtre, surtout dans le besoin indispensable d’un domestique ? Nous promettrions et ne saurions tenir. Je ne sais si vous avez parlé de nous au Père supérieur qui vint dimanche, et à qui je remis votre lettre. Il se trouva fort malade et me déclara qu’il ne pouvait continuer des courses si fatigantes. Il dit que ces Messieurs vont faire leur troisième an, qu’ils sont sans cesse occupés pour le moment et il n’a permis à aucun de venir ; ce que je croirais bien possible puisque lui seul a suffi pour ce qui en occupe quatre, maintenant ; mais insister n’aurait rien produit et si le Père pro1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827 Juillet 15, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 29. » Expression supprimée en décachetant la lettre.

Lettre 292



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vincial qui doit venir ne décide quelque chose, nous serons toujours dans l’incertitude. Monsieur Saulnier ne peut quitter le dimanche ; Monsieur Lutz avec qui je n’ai pu faire aucun arrangement sans vous, et sans savoir le sort de Monsieur Richard, est sans cesse malade ; il croit pouvoir aller au Sauvage, et une course d’ici au presbytère, qu’il dit faire à cheval en trois minutes, le met souvent en défaillance. Je dis au Père supérieur qu’il y avait des saints qui s’étaient sanctifiés sans messe et que j’étais disposée au sacrifice pour travailler à un bien dans l’avenir, mais je vois déjà du découragement dans les deux personnes qui m’aident. Je ne saurais, le dimanche, par qui faire conduire les enfants à l’église, surtout trois ou quatre pensionnaires. Je vois les inconvénients qui en résulteront infailliblement. J’aimerais mieux qu’elles manquassent la messe si vous le décidez et au milieu de tant de pensées, je crois pouvoir insister pour Monsieur Richard dès qu’il me le demande encore. C’était le Père supérieur qui était fâché que je prisse M. Martin [Lepère] pour Saint-Louis. Je lui en parlai, il ne me dit rien, mais témoigna à d’autres son mécontentement. Depuis, il s’est apaisé, je n’ai eu aucune explication avec lui et M. Martin désirant le changement, je l’ai accepté avant votre réponse, croyant l’obstacle levé par le changement du Père supérieur. Il m’a dit, ainsi que Monsieur Saulnier, que nous étions assurés de vous conserver. Je ne puis assez vous en exprimer notre joie, c’est une grande faveur de Dieu dont nous ne cesserons de le bénir. Dans plusieurs de nos maisons de France, l’évêque nous retire de la dépendance des curés, nous mettant sous sa spéciale juridiction en nous donnant celui qui le représentera pour la maison, s’il est trop éloigné. Je désirerais bien avoir la même faveur pour Saint-Louis, car il n’est pas aisé de se confesser habituellement avec celui qui prend part aux choses extérieures et avec qui il faut quelquefois lutter dans les affaires. Je ne sais si je me fais entendre, mais j’ai senti par moi-même plusieurs inconvénients à Florissant. Monsieur Loiseul vous aura remis les détails affligeants de Monsieur Borgna sur Monsieur Boccardo1. Si nous entrons dans la perte d’argent, je serai d’autant plus gênée que j’ai dépensé à peu près ce que j’attendais. Fiat.

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Angelo Boccardo a laissé tomber dans le Mississippi des documents et une somme d’argent importante.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne sup. Ce 15 juillet 1827 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Barrens Missouri Comté de Sainte-Geneviève

LETTRE 293

L. 35 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Ce 29 juillet 1827] Monseigneur, Je viens de recevoir une lettre du R. Père Van Quickenborne qui est fâché d’une note que Madame Octavie vous a adressée pour le journal de Charlestown et à laquelle je n’ai pas la moindre part. Le Père, qui me transcrit l’article des Indiennes, en est blessé parce qu’aux yeux du gouvernement, elles comptaient pour son école. Je trouve cet article mal conçu et vous prie bien de le supprimer, s’il en est encore temps. Je répugne beaucoup à nous voir sur des journaux et si vous disiez quelques mots, je voudrais qu’ils fussent les plus courts possibles. Je ne sais, Monseigneur, si vous avez reçu ma dernière lettre qui en renfermait une de Monsieur Richard qui vous montrait son inclination, et que nous n’avons point cherché à le déplacer. Mais je ne puis m’empêcher de sentir tous les jours davantage combien un homme comme 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827 Juillet 29, Mme Duchesne, St. Louis. »

Lettre 294



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lui est précieux pour une de nos maisons. Le Père provincial est arrivé ; je n’ai rien pu lui faire prononcer en notre faveur pour Saint-Louis. Daignez, je vous prie, me marquer si, au cas où nous manquions de messe le dimanche, nos enfants peuvent être dispensées d’aller à l’église. Je le voudrais bien. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille et humble servante. Philippine Duchesne sup. Ce 29 juillet 1827

LETTRE 294

L. 80 À MÈRE BARAT

SS. C. J et M.

Saint-Louis, ce 18 août 1827 St. Antoine1 Ma bien digne Mère, Vous ne m’avez jamais fait épreuve si rude que de retarder l’arrivée de nos Dames. Monsieur Boccardo, chargé de lettres pour nous, les a laissé tomber dans le Mississippi, de sorte que je suis dans une ignorance entière de leur voyage. Chaque lettre de nos maisons me fait frémir et je crains toujours que celle qui fait tout aller ne succombe et que l’œuvre ne périsse. Quelquefois, je vis d’espérance dans la pensée que vous doubleriez les secours sachant que Saint-Louis est commencé, vous me l’aviez ainsi promis. Puisse Monsieur Delacroix2, qui me dit de lui écrire à votre adresse, nous amener un second renfort. Je compte, dans le premier, 1

2

Original autographe, C-VII  2)  c Duchesne to Barat, Box  2. Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 251-252. J. de Charry, II 3, L. 224, p. 26-27. Curé de Florissant de 1820 à 1823, l’abbé Charles Delacroix, prêtre séculier belge, partit en Louisiane à l’arrivée des Jésuites dans le Missouri. Curé de Saint-Michel, il fait venir les religieuses du Sacré-Cœur en 1825. En 1827, il est à Gand, en Belgique.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

la dame américaine [Mme Baker], elle est avantageusement connue de nos Pères et ils s’accordent à dire qu’elle ferait grand bien ici. Je vous conjure de nous la laisser pour au moins quelques temps. Le Père provincial de Georgetown, qui a fait ici sa tournée et a fait plusieurs changements, m’a dit qu’elle était destinée pour Washington, que c’était un lieu très propre pour un établissement mais que son mari vivant encore là, il valait mieux retarder. Si ce retard se passait ici, je serais bien contente. J’ai bien besoin d’être remplacée par une personne qui ait l’art de toucher et de convertir. Tout languira sous moi. Quant aux deux Dames que vous m’aviez d’abord promises de plus, les grands talents ne sont pas nécessaires. J’aurais besoin d’une bonne maîtresse d’ouvrage, une d’écriture qui enseignât l’écriture anglaise. S’il peut s’y joindre la connaissance de la musique, du piano surtout, ce serait excellent. Quant à l’éducation, le suprême mérite ici est de bien parler l’anglais. Je ne puis l’attendre de France, à moins que vous n’ayez une seconde Mère Xavier [Murphy] qui fait merveille où elle est ; des familles protestantes qui ne pouvaient seulement, sans dépit et fureur, entendre prononcer le nom de catholique, disent maintenant : nous aimons la religion de Mère Xavier. Je suis toujours en peine que vous n’approuviez pas le contrat avec M. Mullanphy. Du moins vos désirs sont en partie accomplis. Mgr Rosati, qui est décidément nommé pour Saint-Louis, m’écrit qu’il y résidera une partie de l’année ; cela nous procurera plus de secours. Je ne puis plus l’espérer des Jésuites, à Saint-Louis, de longtemps. Le Père provincial a été impénétrable sur toutes mes demandes. Nous n’aurons d’eux que des apparitions. Monsieur Richard nous est aussi refusé. Ma digne Mère, je suis avec dévouement in Corde Jesu votre indigne fille. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne Paris France

Lettre 295

LETTRE 295

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L. 10 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M.

St Antoine 18 août 1827, de Saint-Louis1 Mon Révérend Père, J’ai reçu votre lettre de New York qui continue à me prouver votre attachement pour notre Société. J’espère qu’il vous ramènera à Saint-Michel, maison qui doit vous être d’autant plus chère qu’elle vous a plus coûté. Saint-Ferdinand ne vous oublie point et M. Mullanphy et sa famille vous sont toujours attachés. Je voudrais bien qu’il entrât dans vos projets de revenir par le nord, de descendre l’Ohio et de nous faire une visite à votre retour. Notre Mère générale m’avait promis que si l’établissement de SaintLouis avait lieu, elle me donnerait deux sujets de plus, je voudrais bien qu’elle vous les confiât. Nous sommes bien déroutées par le retard de la première colonie, annoncée depuis si longtemps. Les trois premières maisons ne reposent que sur des personnes dont les forces sont ruinées. Monsieur Caretta2, qui est remonté avec Monseigneur et que nous avons à Saint-Louis en ce moment, me dit que Mère Eugénie se détruit absolument, qu’elle n’écoute personne pour sa santé ; et pour l’éprouver, on lui dit encore que Mère Aloysia est trop parfaite, qu’elle ne peut pas vivre. Jugez comme cette maison irait si ces deux sujets manquaient ! Mère Octavie va toujours en déclinant, pour les forces. J’ai perdu votre adresse pour Gand et suis bien charmée de pouvoir vous répondre par l’entremise de notre Mère. Vous êtes bien bon de me demander mes commissions. J’en aurais mille, si je n’espérais bien des choses à l’arrivée de nos Dames et sachant qu’en France comme ici, il faut borner ses désirs, je n’ose rien demander avant de savoir ce qu’on a la bonté de nous apporter. Vous pourriez savoir par notre Mère s’il y a un encensoir et un petit ostensoir. C’est là le plus essentiel qui nous manque, avec deux livres de chant romain pour la messe et un vespéral, 24 grammaires de 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Letters to M-S. Barat, Box 2. Lettre jointe à celle qui est adressée à la Mère Barat. M. Jean Caretta, lazariste, est le confesseur des Sœurs de la Croix, à La Fourche.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Lhomond1, 24 Histoires saintes, 24 chronologies, le cours d’histoire de M. Loriquet en double2. Je tâcherai de vous rendre vos avances, s’il vous est possible d’en faire, le plus tôt possible. Notre maison est déjà trop petite. Si nous sommes aidées, nous aurions besoin d’une chapelle ou petite église, d’un dortoir et d’une classe externe. Nous sommes à bâtir la maison de M. Lepère3, qui s’attache à notre maison. Sa famille est déjà ici. Il a augmenté son prix, mais ayant tant à faire avec des ouvriers presque tous anglais, j’ai besoin d’un interprète fidèle. M. Mullanphy m’a dit plusieurs fois : « Il vous faut cet homme, vous ne trouveriez pas le pareil. » Un des Mailles, saint jeune homme marié, le remplace à Saint-Ferdinand. Monsieur Saulnier est bien4. Je suis avec respect, mon bon Père, votre dévouée servante. Philippine Duchesne

1 2 3 4

Abbé Charles-François Lhomond, prêtre et grammairien français (1724-1794). Jean-Nicolas Loriquet (1767-1845), SJ, était l’auteur de la plupart des manuels scolaires utilisés dans les collèges jésuites et les pensionnats du Sacré-Cœur. M. Martin Lepère, fermier de Mgr Dubourg à Florissant, a travaillé en collaboration avec M. Delacroix. Il a remplacé M. Niel à la cure de Saint-Louis.

Lettre 296

LETTRE 296

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L. 81 À MÈRE BARAT

SS. C. J. et M.

Saint-Louis, le 11 septembre 1827 1 Ma bien digne et bonne Mère, En recevant de nouveaux biens de votre main, comment ne sentirais-je pas croître ma reconnaissance ? Je viens vous l’exprimer, autant qu’il m’est possible, à l’arrivée de nos chères Sœurs [Hélène Dutour et Xavier Van Damme]2. C’est encore la Sainte Vierge qui les a amenées ; j’avais un peu de découragement, voyant que toutes les neuvaines au ­Sacré Cœur, à saint Régis, à saint Ignace n’avaient rien produit, que celle à la Sainte Vierge, à l’époque de l’Assomption et à celle de son Cœur Immaculé, avaient paru sans effet, quand j’entendis au fond de mon cœur, m’en plaignant à elle, le matin de la fête de son Nom, ces consolantes paroles : « Ma protection ne te manquera jamais. » J’en écartai la pensée comme illusoire ; mais, après la messe, elles me parurent répétées et, une heure après, le bedeau de la paroisse vint en hâte me dire que nos Dames étaient arrivées à la cure, que, se trouvant là, elles attendraient la messe, qui se dirait à 10 h et demie, en sorte que nous ne les vîmes que pour le dîner. Après vêpres, j’allai avec elles à Florissant où la joie fut au comble. On profita de la réunion, le lundi, pour donner les prix, que distribua le R. Père De Theux, accompagné d’un autre Père, le Père Van Quickenborne étant aux Osages. Ce bon Père s’était uni à notre neuvaine et avait dit la messe, le jour même, à cette intention. Je revins le soir à SaintLouis avec Mère Dutour, Mère Xavier Van Damme ayant désiré rester quelques jours à Saint-Ferdinand pour y faire une revue [spirituelle]. Cependant je l’ai engagée à revenir ici, lui faisant envisager qu’à raison de son âge et de la facilité qu’elle a à s’exprimer en anglais, elle pourra davantage y procurer la gloire Dieu.

1

2

Copies, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 252-254 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane I, p. 304306. J. de Charry, II 3, L. 227, p. 32-33. Elles sont arrivées à Saint-Louis le 9 septembre. Xavier Van Damme (1794-1833), RSCJ, née en Belgique, entrée dans la Société du Sacré-Cœur en 1825, est allée en Amérique en 1827, est décédée à Saint-Michel en 1833.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

[Obligée d’interrompre sa lettre, Philippine l’a reprise le 29 septembre.] Mgr Rosati est venu nous voir aujourd’hui et il est content de notre position, qu’il trouve fort agréable ; il m’a fait une proposition qui demande de vous une prompte réponse car, d’après votre intention que nous nous contentions de nos quatre maisons, je ne puis, sans votre accord, en accepter une cinquième. Les Filles de la Croix1, fort étendues dans le Kentucky, ont une maison dans ce diocèse, à la Fourche, près de Mère Eugénie. Le Père Bigeschi, saint prêtre retourné en France et que vous avez dû voir, leur a fait bâtir une maison, donné des terres, des meubles, etc., mais comme elles sont toutes des Américaines ne parlant qu’anglais, elles ne peuvent se soutenir à la Fourche, où tous les usages sont français, ainsi que le langage et elles se voient hors d’état de former leurs novices et d’instruire leurs élèves, une seule d’entre elles pouvant parler passablement le français et l’enseigner ; elles désirent donc s’unir à nous. Monseigneur et les ecclésiastiques du pays le désirent également. Monseigneur leur a parlé de la différence des rangs. Tout est d’accord, il ne manque que votre consentement. Le refuserez-vous à un pays populeux, quand il ne manque qu’un sujet pour la supériorité ? Ce sujet, à mon avis, pourrait être Mère Carmélite, qui était l’assistante de Mère Xavier [Murphy] mais, depuis l’arrivée de Mère Dorival, elle est bien moins nécessaire au Grand Coteau. Elle semble créée pour cette maison à La Fourche, étant avantageusement connue des habitants, et tout à fait à leur portée. On pourrait prendre de ces bonnes filles pour nos autres maisons où l’on a besoin de maîtresses d’anglais et on mettrait à leur place des Françaises. Par le moyen de ces échanges et sans qu’il fût besoin de nouveaux sujets, on formerait là un établissement précieux. Mère Eugénie pourrait y envoyer les enfants qu’elle ne peut recevoir à Saint-Michel faute de local, et même veiller sur cette maison et l’aider de bien des manières. Daignez, ma Digne Mère, me faire la réponse tout de suite ; j’ai demandé quatre mois de délai à Mgr Rosati, espérant avoir alors reçu votre réponse qui, je l’espère, sera favorable. Je le demande à Dieu par l’intercession de Notre-Dame des Sept-Douleurs, particulièrement honorée dans ce lieu. Elle m’a dit que sa protection ne nous manquerait jamais2… 1 2

La Congrégation des « Amies de Marie au pied de la Croix », fondée par le P.  Charles ­Nerinckx. La copie s’achève ainsi.

Lettre 297

LETTRE 297



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L. 36 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M1.

[Saint-Louis, ce 3 octobre 1827] Monseigneur, Vous nous témoignez tant de bontés que j’ose prendre la liberté de vous dérober quelques moments pour vous consulter sur différentes choses qui peuvent m’échapper quand vous voulez bien nous visiter ou que je ne puis dire en présence de tierces personnes. 1°) Nous avons des enfants qui ont été baptisées secrètement dans notre maison de Saint-Ferdinand ; plusieurs d’entre elles sont déjà rentrées dans le monde et quelques-unes sont retournées à leurs erreurs. Vaut-il mieux, pour assurer leur persévérance, qu’elles se déclarent hautement ? Plusieurs n’en auraient pas la force ; d’autres s’exposeraient à de violentes persécutions ; plusieurs aussi, en ne se déclarant pas et suivant les prêches, exposent considérablement leur foi. 2°) Il m’est nécessaire d’avoir votre agrément si nous faisons bâtir. Nous avons principalement besoin d’une chapelle convenable et d’un dortoir, ne pouvant maintenant loger que douze pensionnaires ; ce qui ne suffit pas pour l’entretien de la maison. Or, nous ne pouvons songer à deux bâtiments, mais si j’obtiens les avances des parents, je crois pouvoir en élever un, et dans ce cas, le dortoir peut-il être au-dessus de la chapelle, au moins jusqu’au sanctuaire ? 3°)  Dans les arrêtés du dernier Conseil [général], nos sœurs ne peuvent plus être vues de leurs parents à l’infirmerie et celle des enfants doit être disposée de manière à ce que leurs pères et mères n’entrent point dans l’intérieur de la maison [en clôture]. Le seul endroit où l’on puisse maintenant mettre nos malades est précisément sur le côté de la chapelle, d’où l’on entendrait tout le bruit qui s’y ferait. Un tapis épais peut-il suffire pour l’intercepter ? 4°) Je ne sais si j’aurais dû vous présenter nos Constitutions qu’on va faire imprimer. Le manuscrit a déjà éprouvé plusieurs additions ou changements qui le rendent peu lisible ; mais j’ai le nouveau cérémonial 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827 Oct. 3, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

au net et le sommaire des constitutions traduit en anglais par une de nos dames. 5°) Si vous le voulez bien, Monseigneur, quand vous enverrez un prêtre de plus à Saint-Louis, s’il n’est pas trop jeune et que vous le jugiez propre à la direction des religieuses, veuillez, je vous prie, le désigner pour notre confesseur. Monsieur Lutz ne parle point anglais et Monsieur Saulnier si peu dans les deux langues, que nos sœurs ont bien peine à s’y accoutumer et ce serait un grand obstacle à la persévérance de plusieurs dans cette maison. Moi-même, j’ai deux peines avec lui : la première, qu’il donne rarement l’absolution ; la seconde, qu’il n’aime point donner la communion en dehors de la messe, ce qui en fait perdre quand toutes ne peuvent être prêtes à la messe et qu’on est obligé de sortir avec les enfants ou pour des étrangers. Nos Dames [nouvellement] arrivées me disent de demander un Jésuite, mais ni le Père provincial ni le supérieur n’ont rien voulu me promettre, j’ai même vu une disposition contraire. Et si nous sommes dans la dépendance directe du supérieur, il gênerait souvent nos opérations, comme quand il s’opposait à notre établissement ici. 6°) Oserais-je encore vous prier, Monseigneur, de dire à M. Lepère qu’il doit en conscience se hâter le plus possible pour finir une de ses chambres, à cause de l’inconvenance qu’il y a qu’il soit logé si près, étant obligé d’avoir souvent des hommes chez lui, et qu’il doit se contenter de la finir sans plâtrage, ne pouvant suffire à tant de dépenses à la fois. 7°) Il devait venir avec nos Dames, et peut-être arrivera-t-elle bientôt, une dame à qui son mari a permis d’être religieuse et qui en a la permission en bonne forme de notre Saint-Père le Pape, ce que Monseigneur de Baltimore a vérifié. Malgré cela, mes sœurs me disent que l’archevêque de Paris a refusé la permission de lui donner l’habit religieux, disant que ces permissions n’avaient de valeur que pour les pays étrangers. Notre Mère me dit de la retenir ici, de lui donner l’habit, d’empêcher qu’elle retourne en France. Que faudra-t-il faire si elle persévère à demander notre habit ? 8°) Notre Mère n’a point fait faire à Madame Xavier les derniers vœux, dont maintenant on ne peut être relevé que par le Saint-Siège ; mais si elle le permettait et que vous fussiez à La Nouvelle-Orléans, pourrait-elle les prononcer ? Daignez, Monseigneur, me donner un mot de réponse, ou sur ma lettre à chaque article, ou comme il vous plaira, et croyez au profond



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respect, à la soumission avec laquelle je suis dans le Sacré Cœur de Jésus, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne sup. Religieuse du S. C. Saint-Louis, ce 3 octobre 1827 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

LETTRE 298

L. 8 À MÈRE BIGEU

SS. C. J. M.

[Saint-Louis, ce 3 octobre 1827] St Antoine1 Ma bien chère et respectable Mère, J’ai reçu votre précieuse lettre, j’apprécie bien vivement cette petite feuille, marque de votre souvenir et qui rappelle toutes vos bontés pour moi. Nos Dames sont arrivées le jour du saint nom de Marie, où nous terminions la neuvaine à la Sainte Vierge pour l’obtenir et où un Père jésuite se porta de lui-même à dire la sainte messe à cette même intention. La petitesse de notre maison, l’ensemble des Mères et de notre pauvreté ont un peu étonné et découragé Madame Xavier [Van Damme].

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copies : C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Louisiane I 1818-1823, p. 312-313 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 255256.

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Sa vertu paraît avoir pris le dessus. Quant à la mère Dutour, elle a été tout de suite accoutumée. Au plaisir de les voir, Dieu ajoute l’espérance bien chère pour moi que vous viendrez en Amérique fonder une maison dans une des villes considérables de l’Est. Ce que vous m’avez témoigné quelques fois, votre courage, votre santé même qui s’accommode mieux des voyages, semblent avoir réalisé pour moi ce qu’on ne me montre que dans l’avenir et j’en suis heureuse d’avance. J’espère que vous viendrez par La Nouvelle Orléans, que vous visiterez en remontant le fleuve jusqu’à Saint-Louis, d’abord les deux maisons de la Louisiane et ensuite les deux du Missouri. D’ici, les facilités sont grandes maintenant pour aller dans les villes de l’Est. Quelle joie de vous revoir ! Quel bien vous feriez à toutes ! Vous ne doutez pas de l’indicible plaisir que m’a causé la lecture des Brefs et tous les détails de la chère Société. J’apprends que vous êtes à Lille1, travaillant de nouveau pour la gloire du Sacré Cœur. Monseigneur Rosati, qui est maintenant à Saint-Louis et qui a béni hier notre maison, nous offre la réunion avec les Filles de la Croix, établies vis à vis de Saint-Michel, dans les paroisses à La  Fourche, de l’autre côté du fleuve. 3 sœurs américaines ont été les 1ères pierres, mais dans un pays tout français et avec des novices françaises, elles ne peuvent ni les former ni avoir des enfants [pensionnaires]. Il s’agirait seulement de leur donner une supérieure française de notre Société à laquelle elles désirent s’unir. J’avais pensé à Mère Carmélite, assistante aux Opelousas, qui a une grande ardeur pour les établissements et qui pourrait être remplacée là depuis l’arrivée de Madame Dorival2 par une personne subalterne. J’en ai écrit à notre Mère. Je ne sais si elle a reçu la lettre. Veuillez me procurer une prompte réponse. Monseigneur, qui vient ce matin baptiser une de nos écolières de 16 ans, voudrait qu’on envoyât de suite. J’ai dit que je ne pouvais sans permission. 1

2

En janvier 1827, Mère Bigeu accompagne Mère Barat à Lille, où se projette une fondation. Elle y rencontre Mme la comtesse de la Grandville, l’une des premières élèves de la maison d’Amiens, ne peut y retourner en octobre, comme prévu, à cause de son état de santé alarmant. Elle est remplacée comme supérieure par la mère M.-A. de Peñaranda. Louise Dorival (1795-1832), RSCJ, née en 1795 à Paris, avait d’abord fait un essai dans deux autres congrégations religieuses, avant d’entrer au noviciat du Sacré-Cœur de Paris en 1820. Elle a fait sa profession à Bordeaux en 1823, est arrivée en Amérique en 1827. Elle a été la première missionnaire française décédée dans Le Nouveau Monde, à Grand Coteau, en 1832.



Lettre 299

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Je suis avec respect, ma bien chère Mère, votre toute dévouée fille et servante, Philippine Duchesne religieuse du S. Cœur Saint-Louis, ce 3 octobre 1827 [Au verso :] À Madame Madame Bigeu supérieure des dames du Sacré-Cœur À Lille

LETTRE 299

L. 82 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 7 octobre 1827 1 Rec. à St. Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit déjà depuis l’arrivée de nos Dames, qui a eu lieu le 9 septembre, fête du saint Nom de Marie. Mère [Hélène] Dutour s’est accoutumée tout de suite, Mère Xavier [Van Damme] a eu de fortes tentations pour le retour, tout la rebutait ; mais, par la grâce de Dieu, elle est calme à présent. Il lui faudrait beaucoup d’occupations et justement, elles n’augmentent pas, tandis qu’au commencement où rien n’était prêt, on venait de tous côtés. Nous allons petitement reprendre les études. J’étais fort en peine de savoir si je devais laisser Mère Dutour à la tête ici et retourner à Saint-Ferdinand ; mais en relisant attentivement vos lettres, que l’empressement fait dévorer à la première lecture, j’ai vu que vous me laissiez libre de son sort. Mère Octavie contente tout le monde à Florissant ; je pense qu’elle doit continuer, étant accoutumés aux rap1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Liverpool, 27 novembre 1827 ; Paris, 13 décembre 1827. Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 64-68. J. de Charry, II 3, L. 228, p. 34-37.

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ports avec les parents. Mère Hamilton la seconde très bien. C’est Mère Lucile qui cloche le plus. Elle n’est pas très régulière. Mon éloignement ne la fâche point, elle fait mieux à sa mode, elle a été accoutumée de bonne heure à se mêler de beaucoup de choses, à s’agiter continuellement. Elle est très faible avec les enfants. Nous avons laissé la maison de Saint-Ferdinand telle qu’elle était, lui donnant seulement la postulante américaine [Margaret Short] envoyée par Mgr [Fenwick] de Cincinnati, qui paraît bonne et a des talents. Je demeure à Saint-Louis et, d’après vos permissions, voici la distribution des charges : Mme Dutour assistante, conseillère, maîtresse générale, admonitrice, maîtresse de la plus petite classe dont aucune enfant ne sait lire, première vestiaire. Mme Xavier conseillère, secrétaire, maîtresse de salon, de lecture, de chant, de la classe anglaise. Sœur Mary Ann, Irlandaise, maîtresse des orphelines internes et externes, dépensière1. Sœur Joséphine Gray, novice, portière, seconde vestiaire, maîtresse de lecture anglaise et aide aux orphelines. Les vacances vont finir demain, 8 octobre, et ont été retardées par la confirmation [donnée par Mgr Rosati, le 30 septembre]. Monseigneur nous a souvent visitées, encouragées, a paru content de cet établissement. Il a béni la maison [le 2 octobre], prêché à la cérémonie et, le lendemain, prêché encore deux fois pour le baptême solennel d’une de nos écolières externes2. Il est reparti aujourd’hui. Il m’a encore reparlé de notre union avec les Sœurs de la Croix. Sur la même réponse, que j’avais besoin de prendre vos ordres, il a paru croire qu’elles ne pourraient attendre jusque-là, qu’il était déjà sorti une des novices françaises. Alors je lui ai proposé de les envoyer à Saint-Michel. Cela n’a pas paru entrer dans ses vues, car loin de consolider par-là l’établissement à La Fourche, cette mesure lui ôterait des sujets qui n’y retourneraient peut-être pas si vous refusiez l’union des deux maisons [Saint-Michel et La Fourche], qui, si vous y consentez, pourraient se soutenir avec un seul sujet pour supérieure, et c’est ce qu’on demande. La Mère Octavie languit toujours, quoique presque toujours elle soit sur pied et fidèle à ses occupations. L’habitude de la voir si souvent malade et se relever des plus dangereux états me fait espérer qu’elle se soutiendra encore longtemps ; mais si elle venait à manquer, veuillez me marquer, si vous destineriez là, à la supériorité, Mère Dutour. Je ne crois pas qu’elle réussisse à Saint-Louis à cause de ses défauts corporels 1 2

Terme désignant la personne chargée des provisions et des repas. Le 3 octobre, Mgr Rosati baptise solennellement Mlle Élisabeth Dodge. Hélène Dutour est sa marraine.

Lettre 299



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et qu’elle n’entend pas l’anglais. De plus, si elle était à Florissant, on y laisserait le noviciat jusqu’à ce que le local et surtout plus de secours spirituels puissent se trouver à Saint-Louis où elles seraient trop distraites. C’est la raison qui y a fait laisser la nouvelle postulante [Margaret Short] qui donne des espérances. La novice [Éléonore Gray] y a passé quelque temps et nous est ici absolument nécessaire, n’étant en tout que cinq avec le secours pour le service de trois grandes orphelines mulâtresses ou métisses. J’ai plusieurs fois répété à nos Sœurs nouvelles arrivées les permissions que vous donniez par rapport aux arrêtés du Conseil. Tout ne peut se faire à la fois et les enfants doivent être plus ménagées qu’en France. Elles arrivent sans avoir jamais connu la dépendance ; l’exiger trop hautement, ce serait vider la maison au bout d’un trimestre. Mère Dutour les talonnait beaucoup les premiers jours ; cela les mit en effervescence. Plusieurs dirent qu’elles voulaient s’en aller, etc. J’espère que l’expérience arrangera tout. Le peu d’enfants qui se présentent nous laissera assez d’espace pour cet hiver ; mais si l’on est aidé, il sera indispensable d’avoir un dortoir plus grand et une autre chapelle. J’en ai parlé à Monseigneur, qui le trouve à propos, si on a les moyens et je vous en demande la permission. Autrement, le petit nombre d’élèves ne pourra soutenir la maison. J’ai été et suis encore peinée de ma précipitation à accepter cet établissement, voyant dans les arrêtés qu’on ne le peut, en ce genre, qu’avec un consentement exprès de votre part. L’article de notre contrat où M. Mullanphy se réserve de faire bâtir une chambre pour ses filles ou petites filles, qui bien entendu se conformeraient à l’ordre de la maison, est encore condamné par les arrêtés du Conseil qui ne permettent semblable chose que pour une fondatrice. Mère Dutour m’a dit à ce sujet que vous aviez admis Mlle de Cassini1 dans votre maison ; mais cela ne lève pas la difficulté. Pendant la maladie de Mère Octavie, j’avais demandé à Mère Eugénie un sujet qui parlât l’anglais pour la remplacer. Mère Hamilton vivait alors et sa maison n’en eût pas souffert. Cependant elle résista beaucoup, vous écrivit, fit écrire Monseigneur non seulement pour garder ce sujet mais encore pour qu’on ne le fît jamais monter, m’écrivit elle-même sur le haut ton et a conservé de la froideur à mon égard. Je répondis à ses premières lettres que Mère Thérèse [Maillucheau] 1

Cécile de Cassini (1777-1867), en faveur de qui a été faite une exception au décret du Conseil général de 1826-1827, avait été l’un des premiers membres de la communauté d’Amiens.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

vous avait refusé Aloysia Jouve et que Dieu l’avait prise lui-même et de prendre garde qu’il ne lui en arrivât autant. La mort prématurée de Mère Xavier Hamilton n’a que trop accompli ce que j’avais dit sans dessein, et en voyant cette perte, je me suis bien gardée de réitérer une demande. Cependant ses lettres annoncent toujours de la froideur. Elle craint de nommer seulement ses filles. Je ne suis pas jalouse de ses communications, je compatis même beaucoup à ses peines, n’ayant personne d’assez âgé pour la représenter au besoin et ne recevant aucun secours de Mère Piveteau1 qui a hautement annoncé qu’elle ne restera pas et ce sera peut-être le mieux. Mère Eugénie fait beaucoup de bien, est très considérée dans le pays, mais elle est de ces personnes qui ont besoin d’agir seule. Dans l’état de sa santé, et je puis dire de ses nerfs, je crois que toute contradiction lui ferait mal et qu’elle a plus besoin d’encouragement que d’avertissements. Cependant elle n’écoute personne pour sa santé et ne suis aucune recommandation. Il paraît qu’il y a aussi un peu de froideur avec le Grand Coteau. Mère Xavier Murphy, au contraire, fait part de tout et nous aide ici autant qu’elle peut. J’espère que Dieu bénira le nom de Xavier et que Mère Van Damne conduira très bien cette maison-ci quand vous le jugerez à propos. Elle y est plus propre que Mère Dutour qui fera mieux à Saint-Ferdinand ou même à La Fourche, pays français et populeux. Je suis à vos pieds in Corde Jesu votre indigne fille. Philippine r. S. C [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

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Laure Bernardine Piveteau, RSCJ, est née le 27 novembre 1784, à Saint-Domingue. Arrivant d’Amiens, elle entre au noviciat de Paris le 9 août 1820, fait ses premiers vœux le 31 juillet 1822. Encore aspirante, elle s’embarque pour l’Amérique le 11 juin 1827, avec L. Dorival, H. Dutour et X. Van Damme. Arrivée le 9 septembre à Saint-Ferdinand, elle part à Saint-Michel, mais revient l’année suivante à Saint-Ferdinand, où elle reste jusqu’à sa mort, en 1838.

Lettre 300

LETTRE 300



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L. À PLUSIEURS DAMES

SS. C. J. et M.

Rec. à St Antoine de Padoue Saint-Louis ce 7 octobre 1827, fête du saint Rosaire1 Mes bien chères Mères et Sœurs, Notre chère Mère Dutour et ma Sœur Xavier Van Damme, arrivées à Saint-Louis le jour de la fête du saint Nom de Marie, nous ont donné de vos nouvelles, que nous attendions avec impatience, et nous ont dit que presque toutes nos maisons avaient contribué, ou aux frais de leur voyage, ou aux présents qui nous arrivent et qui, ayant pris une autre route que ces Dames, ne nous sont pas encore parvenus. Mais quels qu’ils soient, à quelle que maison qu’ils soient adressés, ils excitent ma vive reconnaissance et nous sont précieux en toutes manières. Nous n’avons jamais rien reçu qui ne nous ait été utile, et venant de nos Maisons, ces dons ont un prix particulier puisqu’ils nous sont des gages de la sainte et durable union qui nous lie en Jésus-Christ. Quand nous recevons vos lettres et quand il nous vient quelque chose de France, nous ne pensons plus à ce grand océan qui nous sépare, nous croyons être en France témoins de vos jouissances, de vos travaux et à l’école de vos vertus. Nous ne nous apercevons de notre situation que lorsque, par la petitesse des bâtiments, la pauvreté des commencements, le petit nombre des sujets, la difficulté qu’apportent les différentes religions, les différentes langues, les usages du pays, nous rencontrons des obstacles pour établir l’ordre dans la communauté et les classes : ordre si nécessaire et auquel nous ne pouvons que tendre maintenant, de tout notre cœur. Je ne puis continuer cette lettre sans remercier le Cœur de Jésus avec vous de notre approbation, et sans vous témoigner la joie pure qu’elle nous a causée et qui donne du courage pour souffrir en soutenant, s’il est possible de nos travaux, une œuvre que Dieu a conduite lui-même et où il nous a admises par une bonté toute gratuite. Chaque nouvel établissement nous procure un nouveau bonheur, puisqu’il dilate la gloire du Cœur de Jésus et lui procure des épouses. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copies : A-II 2) g Box 2, Lettres intéressantes de la Société depuis 1816 N° 1, p. 444-447 ; C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 91-95.

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Celui de Saint-Louis est un des derniers sous tous les rapports. Mais c’est à Saint-Louis que nous avions d’abord été destinées ; c’est à SaintLouis que notre Mère générale croyait que nous serions le mieux placées, et où les vœux réitérés des pasteurs nous appelaient. M. Mullanphy, l’un des principaux habitants de cette ville, sur la demande que je lui fis d’une maison à bon compte, nous en offrit une dans la partie de Saint-Louis qui n’est pas encore bâtie, isolée au centre de 24 arpents de terre qu’il offrait avec cette maison en briques pour la charge que nous aurions de vingt orphelines auxquelles lui et ses héritiers fourniraient le lit et le vêtement. Cette maison abandonnée et dégradée, parce qu’on assurait qu’il y avait des revenants, fut recherchée à un bon prix par plusieurs personnes au moment où l’on voulait nous la donner. Je regardais cela comme une ruse du démon, qui voulait mettre obstacle à notre entrée à Saint-Louis, et me confiant en la protection de saint Joseph pour les suites, car il a été invoqué tout le temps de cette négociation, ne voyant d’ailleurs aucune autre possibilité de nous établir en ville, sentant les inconvénients graves de nos situations solitaires, j’acceptai le don et la condition faite par M. Mullanphy, promis à saint Joseph qu’il serait le patron de la maison, et que la 1ère novice et une orpheline porteraient son nom. J’allais cependant contre toute assurance de succès, Madame Octavie était malade, Madame Eugénie me refusait des sujets, j’avais un mal de jambe qui semblait devoir me rendre inutile ; et avant le 1er mai, jour où nous devions commencer, Dieu appela à lui notre jeune Mère et 1ère professe d’Amérique, Madame Xavier Hamilton, sujet rare pour nous, possédant le don d’instruire parfaitement dans les deux langues et ma seule espérance pour traduire parfaitement nos Constitutions. Il me fallut donc venir seule à Saint-Louis, seule avec une aspirante irlandaise, et c’est à ce moment où la maison n’était pas prête, où les maîtresses manquaient, qu’on offrait en foule des enfants qui nous échappent, maintenant que nous pourrions les recevoir. Notre plus grande peine est l’incertitude des secours spirituels : l’éloignement des Jésuites et leur 3e an qu’ils vont faire, font qu’ils se prêtent rarement à nous en donner, et les deux prêtres de Saint-Louis, ayant deux paroisses, sont obligés de se partager. Demandez à Dieu qu’il nous adoucisse cette privation par un de ces coups de Providence qui ne lui coûte rien. J’ai vu avec grande joie que la clôture est resserrée. Pour me prêter aux vues du curé, nous avons fait sur notre terrain la procession du Saint Sacrement, la fête du Sacré Cœur, pour les seules personnes de la

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confrérie1. Mais le chant, l’ordre, le reposoir, le recueillement allaient si mal à mon gré, que je suis charmée de pouvoir opposer à une nouvelle proposition la défense du conseil. Nous sommes encore privées des expositions faute d’ostensoir, d’encensoir et de monde pour l’adoration ; j’espère qu’elle aura lieu après l’arrivée des malles de nos Dames. Mais notre chapelle est bien peu convenable à la majesté divine ; c’était l’ancienne cuisine, à moitié sous terre, ce qu’on appelle cave ici ; on en touche le plancher avec la main, la cheminée s’est dégradée ; j’y ai tué plusieurs crapauds et autres bêtes hideuses, de grosses araignées qui chantaient comme un petit oiseau, les soirs quand j’étais seule à la chapelle. Ce sont, ainsi qu’un gros chat sauvage établi dans le toit, les seuls revenants que nous ayons aperçus et qu’à la vérité, je craignais moins que les hommes vivants dans les commencements. Cette si pauvre chapelle et l’inconvénient de ne pouvoir loger plus de 12 pensionnaires à cause des orphelines, ce qui n’est pas assez pour soutenir la maison, nous font résoudre à entreprendre un bâtiment, si notre Mère y consent, qui contiendrait une chapelle sur terre et construite selon la règle et un dortoir. C’est l’argent qui nous fait la guerre. Car la maison de Saint-Michel n’est pas relevée de ses dettes, Saint-Ferdinand et les Opelousas n’en ont pas, mais la première est déjà fort chargée à raison de mes rapines pour Saint-Louis et par l’entretien des pauvres Indiennes et orphelines qui y sont, et qu’heureusement nous pouvons vêtir des dons du pensionnat des Opelousas, dont les pensionnaires pleurent quand leurs vêtements ne sont pas agréés pour les pauvres. Cette maison est bénie sous la conduite de Mère Xavier Murphy qui, par son zèle aidé de son rare talent pour parler et pour écrire l’anglais, charme les parents protestants, dont plusieurs consentent à faire leurs enfants catholiques. L’établissement de Saint-Michel est fort apprécié dans le pays, et Madame Eugénie y est très considérée. Celui de Saint-Ferdinand abonde de grâces spirituelles, retraites parfaites chaque année, confessions tant qu’on veut, instructions de tous genres dans les deux langues ; rien ne manque, ni messe, ni sa1

La paroisse de Saint-Louis a donc une confrérie du Sacré-Cœur. Ces associations de laïcs, constituées sur le modèle des anciennes sociétés de piété et de charité, étaient érigées par l’autorité ecclésiastique dans les églises de religieux, les cathédrales et les paroisses, et enrichies d’indulgences. Elles se sont multipliées sous l’influence des révélations de Paray-le-Monial, à partir de la fin du xviie siècle, et ont gagné les pays de mission. Les confrères se réunissaient à certains jours dans une chapelle spécialement dédiée au Sacré Cœur. Cf. J. de Charry, Histoire des Constitutions, I, p. 24-26.

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lut, ni exposition. Toutes les enfants y deviennent catholiques, mais la plupart en secret. Huit prêtres jésuites sont sur la paroisse, maintenant en retraite, et dans un an, divisés sur plusieurs points dont l’un les avoisinera des Sauvages. Mgr Rosati vient d’ordonner 4 de ces bons prêtres1, il a béni solennellement la maison de Saint-Louis, y a baptisé une élève de 14 ans, prêché aux deux cérémonies et enfin, aujourd’hui dimanche après la messe, il nous quitte en nous laissant l’espérance qu’il s’établira dans notre ville2. Il ne me reste de place que pour vous offrir nos souhaits de bonne année, me recommander à vos prières et me dire, dans le Sacré Cœur, toute vôtre, Philippine Duchesne r. S. C.

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L. 37 À MGR ROSATI

SS. C. J. et M3.

[Saint-Louis, ce 24 octobre 1827] Monseigneur, Je reçois en ce moment cette lettre pour vous, que Monsieur Borgna me dit être pressée ; ne trouvant pas d’occasion, je la mets à la poste. Depuis quelques jours, je pensais déjà vous écrire, fâchée d’interrompre vos grandes occupations, mais ayant besoin d’être éclairée sur une peine que me donne le R. Père supérieur. Il me fait scrupule d’employer les novices à de petits emplois, disant que si elles ne persévèrent pas, j’en deviens en quelque sorte responsable. Je continue à 1 2

3

Les P. De Smet, Verreydt, Van Assche et Elet ont été ordonnés par Mgr Rosati dans l’église de Florissant : sous-diacres, le 21 septembre 1827 ; diacres, le 22 septembre ; prêtres, le 23. Cf. JSA. Mgr Rosati est alors administrateur apostolique des diocèses de Saint-Louis et de La Nouvelle-Orléans, récemment créés par division du diocèse de la Louisiane. Nommé évêque de Saint-Louis en 1828, il ne se fixera dans son diocèse qu’en 1830, après l’arrivée de Mgr Léo De Neckere à La Nouvelle-Orléans. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1827 Oct. 24, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 2 Nov ; répondu le 4. »

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occuper un peu la seule novice et la seule postulante que nous avons, quoique la règle marque, qu’elles ne seront occupées qu’à leur instruction religieuse et au travail manuel. La raison est : 1°) que je me regarde ici comme dans un commencement de Société, où il n’y a pas d’anciennes pour laisser du repos aux jeunes ; 2°) parce qu’on a agi ainsi en France dans tous les commencements ; 3°) parce que je suis sûre que les nouvelles venues s’accoutumeront mieux en diversifiant un peu leurs occupations ; elles seraient dans la solitude la plus pénible, n’ayant pas de compagnes pour se distraire et se récréer ensemble. J’évite de me confesser au Père parce que, s’il me dit de semblables choses en confession, je serai bien plus gênée. Je me contente de celui que la Providence nous donne, qui est toujours matière à sacrifice pour les autres. Monsieur Lutz a été malade toute la semaine passée. Les Jésuites ont aussi beaucoup de fièvres chez eux et le R. Père n’est pas encore remis de son voyage aux Osages. Notre hiver sera un hiver de privation, car la maison de M. Lepère ne pouvant se finir, j’ai été obligée, pour reprendre notre cuisine, de lui donner la seule chambre qui ait une entrée indépendante et que je me flattais de voir bientôt être une retraite pour les prêtres qui daigneraient nous visiter. J’espère qu’avec le temps, vous pourrez nous procurer notre plus grande consolation. Je suis avec respect et vénération dans le Sacré Cœur, Monseigneur, votre bien humble et dévouée fille et servante. Philippine Duchesne sup. Saint-Louis, ce 24 octobre 1827 [Au verso :] V R D. Rosati Bishop of Saint-Louis Barrens Perry Country Missouri

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L. 83 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 3 janvier 1828 Rec. à St Antoine de Padoue Secrète1 Ma bien digne Mère, Quelque attachée que je sois à cette nouvelle terre où se répand l’aimable dévotion qui nous réunit dans la chère Société, je voudrais bien pouvoir franchir les distances et pouvoir encore me tenir réellement à vos pieds, comme j’y suis si souvent en esprit. Combien j’aurais besoin de vous ouvrir mon âme et de la fortifier par vos avis. Je me rappelle les heureux jours de la montagne [de Sainte-Marie d’En-Haut, à Grenoble] et regrette bien de n’en avoir pas mieux profité. Je suis bien seule dans le monde et je crois que Dieu permettra que j’y sois jusqu’à la mort. Vous avez pu voir par la lettre du Père supérieur, que je vous ai envoyée, comment je suis avec lui au sujet de l’établissement de SaintCharles. Il continue à être fâché et dit à mes Sœurs que je suis la cause qu’il ne veut plus venir ici. Il m’a dit à moi-même que j’étais d’une opiniâtreté qui faisait beaucoup de mal dans nos maisons ; que les Frères, les Pères étaient tout à fait mécontents. M’en étant informée, c’est le contraire. Ils seraient bien fâchés qu’il n’y eût pas d’établissement à Saint-Charles, n’y voulant pas d’autres religieuses, mais ils sentent bien que je ne puis rien faire sans votre agrément qu’ils désirent. Mais le Père croit que c’est moi qui l’ai empêché et voudrait presque que je lui soumisse vos lettres, car il veut savoir si, en disant de ne pas multiplier les établissements, vous avez nommément marqué Saint-Charles et qu’une permission donnée ne peut se retirer. Les autres voudraient nous donner du secours, mais ils ne peuvent approcher. Nous sommes ici à la charité du curé et d’un missionnaire qui a deux paroisses2. Il nous dit la messe plusieurs fois la semaine et la première, quand il peut le dimanche. Mais Dieu permet pour notre 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 3 juillet 1828 ; Paris, 5 juillet 1828. J. de Charry, II 3, L. 233, p. 49-53. Joseph-Antoine Lutz, né en Allemagne en 1801, est arrivé comme prêtre diocésain à SaintLouis en 1827. Il est alors vicaire de M. Saulnier. Il sera ensuite missionnaire dans l’actuel Est du Kansas et contribuera à l’augmentation du nombre de catholiques à Saint-Louis.

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épreuve qu’il ait été malade depuis plusieurs mois ; il vient toujours à son ordinaire, mais un peu tard. Le curé confesse toute la maison. Il s’est confessé lui-même au bon Père Barat, conserve une de ses lettres comme relique. Monsieur Dusaussoy lui a fait aussi la classe à Bordeaux. Il s’appelle Monsieur Saulnier. Son désintéressement nous aide bien, car où prendrions-nous 1 000 F qui seraient le moins que nous coûterait un aumônier, outre la charge de la nourriture et du logement ? Nous n’avons encore aucun appartement convenable. La seule chambre à donner est maintenant au domestique jusqu’à ce que la maison soit finie, et elle a vue sur un passage continuel de nos Sœurs et des enfants ; ce qui ne pourrait aller pour un prêtre. Tant d’inconvénients réunis me font trouver plus avantageux pour le moment de profiter de la bonne volonté des prêtres de Saint-Louis. Étant si peu, la régularité souffrirait autant d’avoir un prêtre fixe, par l’occupation que cela donnerait. Il est bon aussi de ménager pour nous agrandir : notre chapelle, moitié sous terre, est humide et peu convenable. Elle deviendrait une classe et, en bâtissant une chapelle, nous ferions aussi un dortoir bien nécessaire pour soutenir la maison ne pouvant, dans son état actuel, loger que 12 enfants. Mère Dutour paraît contente et le dit. Mère Xavier [Van Damme], avec bien des moyens de réussir ici, ne s’y plaît guère et encore moins à Saint-Ferdinand. L’état de santé peut y contribuer ; elle a eu des dépôts qui l’ont bien fait souffrir avant de percer. Étant un peu mieux, elle est allée à la retraite donnée à Saint-Ferdinand par le Père supérieur. Après trois jours, elle a été au lit d’un fort érésipèle à la tête, de crises de nerfs (mot illisible). Aujourd’hui, elle se couche pour la fièvre. Elle regarde avec dédain nos petits établissements, la simplicité des Sœurs et donne beaucoup d’exercice à son jugement. Elle croit que tout le monde a des tentations, etc. Monsieur Eccleston1, compagnon de voyage de nos Mères, leur a écrit que Monseigneur de Baltimore, l’avait chargé de correspondre avec vous pour l’établissement dans sa ville et y met de l’importance. Nos Mères croient que vous enverrez du monde, là au printemps ; Mère Eugénie, qu’elle sera chargée de négocier. Je ne crois pas qu’elle sache assez l’anglais pour traiter dans ce pays-là. Elle va commencer un établissement pour les orphelines et croit avoir votre permission. La mai1

Samuel Eccleston, PSS, a organisé le voyage des religieuses sur le bateau, veillé sur elles et acheminé leurs bagages à ses frais, de New York à La Nouvelle-Orléans. Arrivé à Baltimore, il s’est efforcé de persuader Mgr Maréchal d’ouvrir une maison du Sacré-Cœur, mais cela ne se réalisera pas. Il succédera à Mgr Maréchal comme archevêque de Baltimore en 1828.

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son des Opelousas, où on y est accablé, demandait un sujet subalterne, Sœur Marguerite tendant à l’état d’enfance. Je vous assure que deux de ces sujets, que vous avez plus qu’au complet dans certaines maisons, y seraient bien utiles et autant que des maîtresses puisqu’elles les remplacent pour le matériel. Par exemple, Sœur [Benoîte] Boisson1 ferait bien à la Fourche si vous acceptez la réunion des Sœurs de la Croix, et leur voyage coûterait bien moins que l’achat d’une seule Négresse. Mère Xavier [Murphy] me dit que si elle en achète une, elle ne pourra rien envoyer et je comptais sur elle pour nos bâtisses. Outre tant d’autres avantages de n’être que des Sœurs, une seule Négresse coûtera 2 000 F et le voyage de deux sœurs 1 000 ou 1 500 F. Le trousseau n’est pas le plus nécessaire, on s’habille ici avec bien peu. Une postulante, envoyée ici de Washington par le Père provincial des Jésuites et le curé de la ville, dit que Mme Baker n’a pas quitté la maison de son mari depuis son retour ; qu’on cesse de la blâmer parce qu’on croit qu’elle reprend le soin de sa famille, qu’une de ses filles en son absence a été préservée des dangers par un protestant et n’a pas voulu voir sa mère au retour. Aucune de ses filles n’a de vocation. Elle dit que la permission de son mari était : Qu’elle aille au diable ! Je ne puis le croire car le Saint-Père n’aurait pas donné une décision sans des pièces suffisantes2. Mais on s’accorde dans l’Est à dire que sa présence nuirait là à un de nos établissements. Elle dit que ce pays et plus encore la Louisiane sont bons pour mourir. Nous pensions qu’elle n’y viendra pas. Je lui ai envoyé votre ordre pour Saint-Michel. Cette postulante [Mary Noyer] a pris l’habit à Saint-Ferdinand le jour de la Saint-Jean avec le nom d’Ignace. Elle est toute formée à la vertu, mais d’une santé déplorable et fort tentée déjà de quitter. L’ayant appris, j’écrivis pour arrêter la prise d’habit. Le Père supérieur la décida à le prendre et Mère Octavie y consentit. Celle de Cincinnati [Margaret Short] a pris l’habit le 21 novembre et le nom désiré de Magdeleine. Elle a bien du talent, mais est aussi peu solide. Il y a 3 postulantes Sœurs [coadjutrices] de 16 à 17 ans. Je vous prie d’accorder qu’elles n’attendent pas les 18. Ici, on est plus tôt formée. Toutes les filles se marient fort jeunes. Nous n’aurions, tard, aucun sujet. Je ne demande pas beaucoup, mais ces trois choses : la prise d’habit à 16 ans, la permission de faire SaintCharles aussitôt que possible, et la réunion des sœurs à La Fourche. 1 2

Elle désire vivement les missions d’Amérique. Le Pape a donné à Mme Baker la permission exceptionnelle d’entrer au couvent alors qu’elle était mariée.

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L’état [des dépenses] de Mère Octavie, n’est pas réduit1. Je l’envoie tout de même, ma lettre attendant plusieurs jours et désirant bien votre réponse. Il suffira de multiplier les totaux par 5 pour avoir le résultat des dix mois en francs, l’article « contribution » est principalement pour la maison [de] Saint-Louis et pour l’église de Saint-Ferdinand. Je suis toujours en vos mains, désirant l’oubli et la retraite mais toute dévouée au travail, de toute manière, si vous l’ordonnez. Je suis in Corde Jesu, ma digne Mère, votre fille indigne. Philippine r. S. C. Mes respects à nos bons Pères. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York Pays d’Outre-mer par Le Havre

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L. 38 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[Ce 6 janvier 1828] Monseigneur, C’est avec un juste effroi que j’ai appris les différents accidents de votre voyage ; heureusement pour nous, la divine Providence vous a conservé et j’espère qu’elle vous conservera longtemps pour notre bonheur, et qu’elle donnera le succès à tout ce que votre zèle vous fait entre1 2

L’état des dépenses de Florissant est en dollars, il n’a pas été converti en francs. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Janv. 6, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 9 Mars ; répondu le 12. »

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prendre pour la gloire de Dieu. Ce sont là nos vœux continuels, mais que j’ose vous offrir particulièrement au renouvellement de l’année. Je n’ai encore aucune réponse de notre Mère générale par rapport à la réunion avec les Sœurs de la Croix. Il paraît qu’on en avait fait la proposition à Madame Eugénie, à Saint-Michel, avant même que vous m’en eussiez parlé, et il en a été question ouvertement aux Opelousas, lorsqu’elle y est allée. Elle paraît craindre qu’un de nos établissements, si près du sien, n’en empêche les progrès et Madame Xavier, supérieure aux Opelousas, pense que ma sœur Carmélite lui est tout à fait nécessaire ; mais en même temps, elle convient qu’elle ferait une excellente supérieure pour la maison proposée. Toutes ces difficultés s’évanouiront si notre Mère donne son consentement et je l’en ai pressée. J’éprouve de nouveaux obstacles de ce côté-ci : le Père supérieur des Jésuites, à qui nous avions promis d’aller à Saint-Charles, m’est venu demander si nous ne remplirions pas nos engagements. Je lui répondis que nous ne le pourrions pas sans une nouvelle permission de notre Supérieure [générale] qui, depuis notre établissement ici, m’avait dit de nous arrêter et de nous appliquer à fortifier nos quatre maisons. Il insista pour le oui ou pour le non, disant qu’il avait besoin de réponse. Ne pouvant prononcer le oui et pensant que le non le satisferait puisqu’il voulait une chose impossible pour le moment, je le prononçai et il parut content, ce qui ne me laissa aucun doute qu’il n’eût d’autres vues et qu’il avait cherché à se dégager lui-même. Cependant contre mon attente, il s’est beaucoup fâché et a dit, qu’ayant annoncé à Saint-Charles qu’il y aurait un couvent et qu’à cette condition les habitants s’étant prêtés à tout ce qu’il leur avait proposé, notre refus faisait beaucoup de tort. Mes excuses ne l’ont pas apaisé, il se plaint beaucoup de moi et m’a ajouté que mon opiniâtreté causait beaucoup de peine dans nos maisons. Si vous en savez quelque chose, je vous prie, Monseigneur, de m’en avertir ; soyez sûr de ma soumission ; que je suis forcément [par obéissance] à la place que je tiens, ayant toujours chéri la dernière place et goûtant infiniment le repos de la solitude. J’ai encore demandé à notre Mère de nous mettre en quatre1 pour faire Saint-Charles. Les réponses sont si longues à venir qu’il se passe bien des choses avant de les avoir. Nous avons deux novices et deux postulantes dont les vocations ne sont pas très sûres. Monsieur Odin nous a fait une visite et nous a bien consolées par les nouvelles du séminaire et de la paroisse. Sans lui, nous eussions 1

Expression familière qui signifie : faire le maximum.

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manqué la messe un dimanche. Monsieur Lutz est toujours malade ; il fait ce qu’il peut pour nous, ainsi que Monsieur Saulnier avec beaucoup de charité ; mais l’heure de la messe, quand nous l’avons, est irrégulière. Il n’y a pas moyen de mieux faire, vu le manque de logement et de ressources. Nos Dames arrivées ont peine à se faire à ces contrariétés et celle qui paraissait la plus forte est presque toujours malade. Nous avons dix pensionnaires. Excusez, Monseigneur, cette longue lettre. Daignez me bénir et toutes mes sœurs et me croire dans le Sacré Cœur de Jésus, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne sup.r. du S. Cœur Ce 6 janvier 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À La Nouvelle-Orléans

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L. 21 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 14 janvier [1828]1 Rec. à saint Antoine Ma bien chère cousine, J’ai appris de tes nouvelles en dernier lieu par Madame Barat qui a eu le plaisir de te voir à Sainte-Marie, maison qui t’a encore de nouvelles obligations et moi par conséquent. Je t’en ai exprimé ma recon1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 21 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 50-51. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. La copie existante porte la date de 1825, mais la situation des maisons correspond à celle de l’année 1828.

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naissance, mais comme les postes peuvent être infidèles, je viens te la renouveler, tant pour ta protection sur l’asile de mon bonheur que pour ton don de 500 F dont j’ai reçu le total en Septembre. Je te prie aussi de remercier mon cousin Augustin [Perier] de sa réponse obligeante datée de Paris et qui contenait tant de détails intéressants sur toute sa famille. Nos maisons de la Louisiane s’agrandissent, et celles du Missouri sont toujours dans la petitesse. C’est mon lot et je le chéris. Mais le besoin de nous fermer mieux, ayant été volées, me fait ressouvenir que tu as eu la charité, dans une de tes dernières lettres, de me demander si j’avais des besoins, si tu peux faire quelque chose cette année. J’espère ne plus te réitérer une pareille demande qui cependant ne doit t’inquiéter si tu refuses. Adieu, chère amie, mille choses à nos bons parents, Philippine

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L. 39 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 24 janvier 1828] Monseigneur, J’ai appris avec une vive inquiétude les différents accidents de votre voyage et nous redoublons nos vœux pour votre conservation et pour votre stabilité dans l’heureux diocèse dont Dieu vous a chargé et auquel nous avons le bonheur d’appartenir. Notre Supérieure générale vient de m’écrire et, en m’annonçant la mort d’un sujet bien précieux, le danger très prochain d’une autre qui l’est encore davantage, de celle [Joséphine Bigeu] qui a été à Rome solliciter notre approbation. Elle me dit qu’elle remet à l’indéfini un établissement dans l’Est, qu’on la poussait de faire soit à New York, 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Janvier 24, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue à Donaldsonville le 10 mars ; répondu le 12. »

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soit à Baltimore. La difficulté de trouver les sujets et l’argent nécessaire pour une telle entreprise ont arrêté ses projets. J’en ai d’autant plus d’espérance qu’elle consentira à la réunion des Sœurs de la Croix qui se ferait sans frais et avec un seul sujet ou deux. Cependant Madame Eugénie nous croisera [fera obstacle] pour cela, et peut-être en a-t-elle écrit à notre [Mère] générale en sens contraire au mien. 1. Elle dit que cet établissement nuira au sien. 2. Elle désire avoir la mère Carmélite pour elle-même. 3. Elle oppose que notre Mère a dit de ne pas faire d’autre établissement dans la Louisiane. 4. Sans contrarier son opinion, ce qui est bien inutile, puisque la réponse de notre Mère est indécise, je répondrai : 5. Que voulant faire un établissement d’orphelines, il serait bien mieux placé à La Fourche, dans un établissement tout préparé, qu’à Saint-Michel où on est déjà accablé d’occupations et où il faudrait bâtir et s’endetter encore. 6. Que Madame Xavier, supérieure des Opelousas, ne peut céder Carmélite que pour l’extrême besoin de trouver une supérieure, tenant chez elle tout le temporel de la maison, auquel elle n’est pas habituée elle-même ni Madame Dorival, nouvelle venue de France ; les autres y sont impropres et il faudrait alors que je la remplaçasse, ce qui n’est pas aisé. 7. Notre Mère, à la vérité, conseillait de ne plus s’étendre pendant quelque temps, mais c’est qu’elle craint qu’on lui demande du monde et de l’argent, voulant tout réserver pour l’Est où elle renonce maintenant. Je suis étonnée de la peine que se fait Madame Eugénie et dont elle me dit vous avoir fait part. Notre Mère m’a chargée, malgré moi, de toutes les maisons de cette partie. Et ne voulant point donner de ses sujets, Madame Eugénie a encore retenu une sœur d’ici dont j’avais besoin ; je la lui ai abandonnée. Maintenant, étant 17, elle veut prendre un sujet essentiel aux Opelousas où elles ne sont que 5. Y a-t-il de la justice ? Parce que je lui ai dit qu’elle passait ses pouvoirs, elle s’afflige ; je ne puis pas dire que ce que je trouve mal soit bien. Et depuis longtemps, je lui dis que plutôt de s’excéder et de s’endetter encore pour s’agrandir, il vaut mieux se borner au nombre d’enfants auquel on peut suffire, autrement il est dangereux de dégénérer.

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Non seulement j’ai écrit à notre Mère pour La Fourche, mais encore pour Saint-Charles et je souffre du retard des réponses. Le Père supérieur vint un jour me demander quand nous serons à Saint-Charles. Je lui dis que c’était impossible pour le moment, qu’il fallait avant nous consolider à Saint-Louis et que notre Mère veut qu’on s’arrête. Il insista, disant qu’il lui fallait une réponse oui ou non. Ne pouvant dire le oui, je prononçai le non. Il a été très ulcéré, dit qu’il ne viendra plus, etc., etc. Il m’accuse d’être la seule cause du refus. Hélas ! J’ai au contraire trop d’ardeur pour nous étendre. J’ai représenté cela à notre Mère, disant que j’aimerais mieux aller seule à Saint-Charles que de voir cette division. Si j’avais sa réponse avant le printemps, que vous approuviez toujours la réunion avec La Fourche, je pensais accompagner moi-même un sujet aux Opelousas où on me demande beaucoup. C’est le retour [étant seule] qui sera difficile. Monsieur Richard me parle encore de venir ici ; si vous lui donniez sa liberté à cette époque, ce serait bien avantageux pour moi, mais tout est en projet. Les santés, ici, sont très mauvaises. Tous mes vœux sont pour que la vôtre se soutienne et que vous nous soyez bientôt rendu. Je suis avec une respectueuse vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne sup r. du S. Cœur Ce 24 janvier 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À La Nouvelle-Orléans

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L. 84 À MÈRE BARAT Saint-Louis, 23 mars 18281

Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir tout à la fois vos deux lettres, la première du 25 novembre et la seconde du 13 décembre, qui, toutes deux me parlent de la mort de la Mère Bigeu. Quoiqu’elle fût prévue par ce que vous nous écriviez en septembre, nous avons été sensiblement affligées. Le vide qu’elle vous laisse, ainsi que la Mère Camille, la plaie douloureuse qu’elle fait à votre cœur sont ce qui me touche le plus ; car, quant à elle, son sort est bien digne d’envie. Quand elle était à Grenoble, j’étais presque celle qui la voyait le moins, ne pouvant pas assister à ses instructions du noviciat, qui s’étendaient à toute la communauté2. Tout le reste de sa vie vous est plus connu qu’à moi, et tout ce que je dirais ne pourrait être que répétition. J’apprends, par une lettre de Mère Eugénie, que Mgr Rosati lui a déjà envoyé cinq novices des Sœurs de la Croix, et qu’elle en a déjà renvoyé deux qui ne pouvaient pas convenir à la Société. Je ne sais si celles qui ont fait leurs vœux désirent toujours leur réunion, ou retourneront dans leur première maison. Elles ne peuvent que prendre l’un ou l’autre parti, ne pouvant soutenir leur pensionnat dans un pays où l’on ne parle que le français, langue qu’une seule d’entre elles sache3… Je viens encore vous conjurer, ma digne Mère, de consentir à l’établissement de Saint-Charles. Le R. Père Recteur le demande toujours instamment. Saint Régis, patron de la mission, fera un miracle pour cette partie réservée aux Jésuites, et saint Joseph, qui nous a remplies d’onction le jour de sa fête, soutiendra celui de Saint-Louis, qui a monté son école externe 1

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Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 82-86 ; Copie partielle, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane I, p. 345-347. J. de Charry, II 3, L.***, p. 54-55. Joséphine Bigeu a été supérieure à Grenoble, du 25 septembre 1813 au 26 octobre 1815, et Philippine était son assistante. Elles quittèrent Sainte-Marie d’En-Haut pour se rendre au Conseil général qui s’ouvrit à Paris le 1er novembre 1815. Elles vécurent ensuite à la maison généralice, Joséphine comme assistante générale et maîtresse des novices, Philippine comme secrétaire générale jusqu’à son départ pour la Louisiane. Eugénie Audé n’a pas attendu l’accord de la Supérieure générale, le considérant acquis. Le 27 décembre, elle offrit à Mgr Rosati d’accueillir à Saint-Michel les cinq novices des Sœurs à La Fourche. Arrivées le 21 janvier 1828, trois d’entre elles prirent l’habit le 25 mars : Louise Aucoin et Marie-Rose Girouard comme coadjutrices, Eulalie Guillot comme religieuse de chœur. Mgr Rosati envisagea alors la réunion de la maison à La Fourche à la Société du Sacré-Cœur, ce que souhaitaient les deux professes restées sur place.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

pendant sa neuvaine et celle de saint Xavier1. Nous avons donc 12 pensionnaires, 10 orphelines, 10 externes payantes et 30 gratuites. Outre cela, le dimanche, une école pour les Mulâtresses après l’office de la paroisse, afin de les instruire de leur religion. C’est donc plus de 60 enfants à qui nous avons le bonheur de faire connaître le Sacré Cœur. Si la peine dépasse le profit temporel, n’est-ce pas pour le Ciel, un bien de plus, et je m’en réjouis. Le Père supérieur part aujourd’hui pour se rendre chez les Osages, où il doit rester un mois. Il m’a donné en forme la maison de Saint-Charles2. Le jour de saint Joseph, il nous a prêchées et nous a dit la sainte messe. Je suis à vos pieds, ma digne et trop chère Mère, votre fille, Philippine Duchesne

LETTRE 307

L. À MÈRE VIRGINIE DE QUATREBARBES3

SS. C. J. M4.

[Ce 22 mars 1828] Ma bien chère sœur, J’ai reçu seulement hier votre lettre du 10 novembre. Elle m’est arrivée par la maison de Saint-Michel où sans doute elle a été envoyée. Tout ce qui nous vient de France nous est très cher, mais si nous distinguons les lettres les plus précieuses, ce sont celles qui arrivent directement du centre de la Société et de ce noviciat qui en est la consolation et l’espérance. Je vous prie, puisque vous avez bien voulu en être l’interprète auprès de nous, de vous charger de lui témoigner la reconnaissance que nous devons à ce cher souvenir. Continuez-nous les mêmes marques d’affection en Notre Seigneur, en nous tenant au courant des nouvelles des deux Sociétés. C’est notre bonheur d’en apprendre les progrès et les afflictions, dont Dieu les gratifie, nous apprennent comment nous devons porter les nôtres. 1 2 3 4

Il s’agit de « la neuvaine de la grâce », située du 4 au 12 mars, en l’honneur de saint Xavier. Elle coïncidait partiellement avec celle précédant la fête de saint Joseph. Le P. Van Quickenborne a forcé Philippine à accepter la donation de la maison Duquette, pour y fonder une école du Sacré-Cœur. Virginie de Quatrebarbes, RSCJ, née le 6 janvier 1817, prend l’habit le 31 juillet 1827 à Paris, fait sa profession le 4 mai 1832. Elle est décédée le 25 avril 1865. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 307

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Vous ne doutez pas combien les fondations de Rome et de Perpignan ont fait battre nos cœurs, non pas d’envie car nous chérissons la place que Dieu nous a marquée, mais de gratitude envers Dieu qui témoigne ne pas dédaigner les services des filles de son Cœur. Celle de nos sœurs qui a fait la relation des détails de votre fête du Sacré Cœur n’y a point mis son nom, mais vous la connaissez sans doute et j’espère que vous voudrez lui témoigner de notre part combien elle nous a intéressées. Nos maisons de la Louisiane se sont empressées d’envoyer leurs copies qui, jointes à la mienne, m’en ont réuni trois pour nos trois maisons du Missouri. Vous ignorez encore que nous ne sommes plus ici, ce qu’on appelait autrefois la Louisiane ou les Illinois. L’État voisin des bouches du Mississippi est le seul qui ait conservé le nom de Louisiane. Nous en sommes séparées par le grand territoire Arkansas et notre État du Missouri s’étend seulement depuis La Nouvelle Madrid. L’État des Illinois est sur la gauche du Mississippi, dans la même étendue à peu près que le nôtre. Les maisons de Saint-Michel, à La Fourche et des Opelousas sont les seules dans l’État de la Louisiane ; trois cents lieues au moins les séparent de l’État du Missouri, où sont les trois autres maisons du Sacré-Cœur en Amérique : Saint-Louis, Saint Ferdinand, Saint-Charles. Je suis toute flattée que vous ne trouviez là que des noms de saints, dans un pays que vous croyiez, ou tout infidèle, ou barbare. Je puis vous assurer qu’on y est plus difficile qu’à Paris pour l’écorce de l’éducation, la table, la parure et les plaisirs. Il se trouve partout des âmes fidèles ; demandez que nous le soyons et que nous ne fassions pas rougir la Société, notre Mère. Je suis in Corde Jesu toute vôtre,

Philippine Duchesne

Ce 22 mars [Au verso :] À Madame Madame de Quatrebarbes Maison du Sacré-Cœur rue de Varennes À Paris1 1

L’adresse a été modifiée, la lettre a été envoyée à Poitiers.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 308

L. 22 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

Ce 10 avril 18281 St Antoine Ma bien bonne Cousine, Il y a bien longtemps que je n’ai reçu de tes nouvelles et il m’est bien doux de me rappeler à celle que les liens de la parenté, de l’amitié et de la reconnaissance unissent également. Je puis ajouter plus justement encore ceux de la religion. C’est en effet ton zèle pour notre sainte foi qui m’a comblée de tes dons et qui m’aide dans l’établissement commencé dans la ville même de Saint-Louis depuis le mois de mai passé. Quoiqu’il nous manque du logement et des sujets, nous donnons l’instruction à plus de 70 enfants soit internes, soit externes, dont 10 sont orphelines tout à notre charge. Saint-Louis est notre 4e établissement. Les deux de la Louisiane n’ont que des pensionnaires ; les deux du Missouri sont mêlés de pensionnaires et d’externes, ce qui donne bien plus d’occupations. Il se prépare encore deux autres maisons : une près d’ici à Saint-Charles, notre 1er séjour, l’autre encore dans la Louisiane. Les santés de mes compagnes de voyage ont beaucoup changé ; la mienne est mieux depuis un an. Je suis en peine de la tienne, n’ayant pas de tes nouvelles, et quand je considère combien la mort a moissonné dans notre famille depuis 1818, année de notre séparation, je redoute à chaque lettre d’apprendre de nouveaux coups. Quant à toi, ma bonne amie, je te reverrai ! Dieu ne nous a pas unies seulement pour les courts instants de cette vie ; après cette absence de l’un à l’autre hémisphère, nous nous rejoindrons rapidement pour conserver l’union éternelle. Que la religion est belle et consolante quand, pour de légers travaux, elle nous présente en retour toutes les jouissances qui assurent le bonheur. N’oublie pas d’exprimer mes sentiments à Mesdames Perier, Teisseire, à mes sœurs, à mon frère dont la santé m’occupe, aux tiens à qui je dois tant, à mes sœurs de Sainte-Marie d’En-Haut dont je n’apprends presque plus rien, et à leur bon pasteur, Monsieur Rambaud, que je 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 23 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 55-56. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 309



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ne puis oublier, ainsi que Monsieur Dumolard ; j’ignore encore s’il est toujours près de Grenoble. Le retour de France de Mgr Dubourg a procuré le départ de beaucoup d’ecclésiastiques, mais il s’en est formé dans le séminaire qui les remplacent, et la religion catholique gagne beaucoup dans les ÉtatsUnis. Les protestants généralement estiment les institutions catholiques et y envoient volontiers leurs enfants. Heureuses serons-nous si, au prix de beaucoup de sacrifices, nous aurons fait connaître et aimer Dieu à une seule âme de plus. Je suis toute à toi dans le Cœur de Jésus, Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 309

L. 40 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 24 avril 1828] Monseigneur, Madame Xavier Milles est arrivée hier matin et m’a donné la lettre dont vous m’honorez. J’ai été agréablement surprise en apprenant qu’elle était la supérieure des Dames de la Croix. N’ayant aucune place pour la loger convenablement et les novices étant à Florissant sous la direction du R. Père, elle s’y est rendue, un peu fatiguée de la route. J’ai recommandé pour sa santé tous les soins possibles. Madame Eugénie ne m’a rien dit au sujet de la supériorité à l’Assomption, et elle ne peut faire une supérieure. On avait désigné à notre Mère générale, Mère Carmélite, selon que vous l’aviez approuvé, et qui est bien capable de tenir une maison qui ne doit pas être à l’égal de Saint-Michel. Ce qui y nuirait. 1

Original autographe. L. 40 à Mgr Rosati. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Avril 24, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Monsieur Richard, dans une dernière lettre, ne me parle plus de venir ici. J’en ai eu d’autant plus de peine que Monsieur Saulnier trouve la charge trop forte et que, d’ailleurs, il n’y aura jamais régularité dans la maison tant que la messe ne sera pas fixée. Cependant nous avons beaucoup d’occupations : 50  élèves externes gratuites, 18  externes payantes, 12 pensionnaires, 10 orphelines ; c’est 90 enfants bien plus difficiles à gouverner que si elles étaient toutes ensemble. Notre chapelle se commence bien modestement. Je suis avec vénération in Corde Jesu, Monseigneur, de votre Grandeur, la dévouée et soumise servante. Philippine Duchesne Ce 24 avril [1828] [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À La Nouvelle-Orléans

LETTRE 310

L. 41 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 1er mai 1828] Monseigneur, Je viens de recevoir la lettre que vous avez daigné m’écrire, le 15 avril, et qui renferme tant de détails intéressants. Il paraît que celle que je vous ai écrite ne vous est point parvenue. Je vous y parlais de plaintes à mon sujet dont Monsieur Saulnier avait voulu vous parler, et dont 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Mai 1er, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 30. »

Lettre 310

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je voudrais bien n’être pas l’occasion coupable, mais je suis forcée de le reconnaître. J’ajoutais un mot touchant Monsieur Loiseul qui, ayant été constamment malade trois mois, puis absent, avait été remplacé auprès de nous par Monsieur Lutz. Et à son retour, s’étant encore trouvé indisposé et dégoûté de Saint-Louis dont il pense que le climat lui est contraire, je ne l’ai pas engagé à revenir pour ne pas être en perpétuels changements, craignant même de blesser Monsieur Lutz qui a tant de bontés. Monsieur Dusaussoy est allé en France et le Père supérieur à Washington. On le dit attaqué d’une maladie très grave. Notre Mère générale m’avait dit de vous demander la permission d’aller dans la Louisiane voir nos maisons et de concert avec les supérieures, de lui rendre compte de ce qui peut contribuer à établir l’uniformité et la régularité et quelles sont les dispenses que le pays exige. Une indisposition qui me rendait le voyage difficile, l’état de cette maison-ci, ne m’ont pas permis cette absence et je trouvai plus facile que Mesdames Eugénie et Xavier, qui ont assez de monde, se déplacent pour un peu de temps. Elles vous en auront sans doute dit un mot et rendu juge de la possibilité. Notre Supérieure générale persiste dans ses derniers écrits à ce que Madame Dutour n’augmente pas son établissement. Les lettres qu’elle lui a écrites n’annoncent pas qu’elle veuille s’en tenir à la simplicité ; elle y demande des marques de distinction que n’ont pas nos plus grands pensionnats. Elle se plaint de n’avoir que trois histoires de France. C’està-dire [aux enfants] avec un vêtement plus simple et une pension médiocre, elle veut donner la même éducation et, par conséquent, amener insensiblement à son établissement ce qui irait dans les autres. Notre Mère n’a consenti à l’établissement à La Fourche qu’à condition qu’il soit différent, et j’ai toute preuve que Madame Dutour en y allant, avant d’avoir rien vu, avait déjà le projet de s’approcher du niveau [des autres]. Elle a dépassé ses pouvoirs en faisant Sœurs de chœur celles qui ne devaient être que du second rang ; elle voulait former ses novices contre nos règles qui les veulent dans une même maison et notre Mère veut que je m’oppose à ce qu’on mette au rang de Sœurs de chœur celles qui n’ont pas les qualités convenables. Que puis-je y faire, quand tout se fait sans même consulter ? Elle n’écrit pas. Madame Dutour a une ténacité vraiment condamnable. On ne contrarie point ce qu’elle a annoncé et qui est porté sur les gazettes pour ne pas produire un mauvais effet. Mais notre Mère ne veut pas qu’elle pousse les études jusqu’aux 1ères classes ; si elle soigne ses trente

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

enfants, il y a là tout ce qu’il faut pour épuiser ses forces et on ne peut lui envoyer des maîtresses. Il vaut bien mieux aller modérément que de remplir une maison pour la voir ensuite tomber ; heureuse si le nombre de 30 élèves se soutenait partout. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne rel. Sacré Cœur Ce 1er mai 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À La Nouvelle-Orléans Louisiane

LETTRE 311

L. À M. WILLIAM CARR LANE, SAINT-LOUIS1 Evening of 3rd May 1828

Sir, I have recourse to your authority for the redress of an abuse, which I look upon as very much against the welfare of our establishment. You know, Sir, that our young ladies, day scholars in order to reach our home, have to pass the creek that runs all round our house. The warm weather invites a number of men and boys to swimming in the creek, and every day our young ladies meet with that disagreeable sight, both in coming and leaving the house ; and as I understood that some regulation of Court forbids swimming in public places, I suppose 1

Original autographe. Series XII, C Callan Box 7 packet 2, Letters to lay people. M. William Carr Lane était alors maire de St. Louis.

Lettre 311



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that it is merely by some negligence of the Sheriffs in the discharge of their duty, that it takes place. As you are, Sir, the father of an amiable family, I need not say how much that rudeness is against that delicacy of sentiments we strive to endow our young ladies with, and I am convinced you will be so good as to use your power to remove that obstacle. I offer you beforehand my thanks and beg you to believe me with deep respect, Sir, your most obedient servant. Philippine Duchesne Sup. [Traduction :]

Le 3 mai 1828 Monsieur, J’ai recours à votre autorité pour mettre fin à un abus que je considère tout-à-fait contraire au bien-être de notre établissement. Vous savez, Monsieur, que nos jeunes filles externes, pour rentrer chez elles, doivent passer le petit cours d’eau qui court tout autour de notre maison. Le beau temps invite un certain nombre d’hommes et de jeunes garçons à se baigner dans ce cours d’eau, et chaque jour nos jeunes filles ont ce désagréable spectacle, à l’aller comme au retour ; et comme j’ai compris qu’une réglementation de la Cour interdit les baignades dans les lieux publics, je suppose qu’il s’agit là d’une simple négligence des shérifs dans l’exercice de leur devoir. Comme vous êtes, Monsieur, le père d’une aimable famille, je n’ai pas besoin de vous dire combien cette grossièreté est contraire à la délicatesse des sentiments que nous nous efforçons d’inculquer à nos jeunes filles et je suis convaincue que vous serez assez bon pour user de votre pouvoir afin de remédier à cet obstacle. Je vous présente, Monsieur, mes remerciements et vous prie de croire à mon profond respect. Votre très dévouée servante, Philippine Duchesne sup.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 312

L. 42 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Louis, ce 12 mai 1828] Monseigneur, Ma première lettre ayant manqué le [steamboat] Oregon qui devait la porter, j’ai mieux aimé attendre le Jubilé qui est arrivé peu après, que de prendre la voie de la poste, plus longue. L’invitation que vous me faisiez de descendre m’a bien tentée, mais ayant dit à mes sœurs qui m’attendaient que je ne pouvais quitter et invitant Madame Eugénie à monter elle-même, j’ai craint que la difficulté de se concerter à si grande distance et de revenir sur ce qui a été dit, fît que nous nous croisions [sans nous rencontrer]. Mais ce qui m’a surtout retenue, ce sont les dégoûts souvent réitérés de ma sœur Xavier Van Damme, qui me faisait beaucoup craindre qu’elle ne pût me suppléer, surtout n’étant point aimée des enfants. Ayant eu l’avis de notre Supérieure générale, je n’ai plus cherché à la retenir, suivant son désir à elle-même. Il est à propos ou qu’elle change de maison en Amérique, ou qu’elle retourne en France. J’ai lieu d’espérer qu’elle sera contente à Saint-Michel où tout est plus semblable à la France et mieux monté. Elle désire beaucoup s’y rattacher à la Société et y persévérer. Je me suis cru assez autorisée par la direction de notre Supérieure générale et l’avis du confesseur. Je ne pouvais attendre votre permission à si grandes distances, car Monsieur Tichitoli2 m’ayant dit que Madame Dutour avait besoin d’un sujet de plus, et sachant que sa poitrine ne saurait longtemps résister au travail qu’elle a, je lui envoie ma sœur Thérèse Detchemendy qui a paru lui plaire à Florissant et qui, elle-même, a une fois demandé d’aller dans la Louisiane pour être plus française, quoiqu’elle lise et parle l’anglais quand elle veut. Je viens de recevoir une lettre de Mgr Dubourg qui est enchanté de nos deux nouveaux établissements et surtout de celui des Sœurs de la Charité à Saint-Louis. Il dit qu’il mourra content quand il apprendra que le collège y est établi et que vous y faites votre résidence. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Mai 12, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 30 Mai. » Joseph Tichitoli, CM, a été ordonné sous-diacre avant d’arriver en 1816, à Baltimore, avec M. Rosati et ses compagnons. Envoyé dans le Missouri, son état de santé ne lui permit pas d’y rester. Il partit en 1819 en Louisiane, fut curé de Donaldsonville, où il est décédé en 1833.



Lettre 313

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Je suis avec vénération dans le Cœur de Jésus, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne r. du S. C. Saint-Louis, ce 12 mai 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À La Nouvelle-Orléans

LETTRE 313

L. 43 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Louis, 31 mai 1828] Monseigneur, Je n’ai reçu les lettres, que vous avez eu la bonté de m’écrire dans le courant de mars, qu’après celle qui m’annonce votre heureuse arrivée aux Barrens. Nous espérions vous voir de jour en jour et je ne voulais pas vous importuner d’une réponse, quand le prompt retour de Monsieur Borgna auprès de vous me détermine à vous interrompre un moment pour vous parler du profond dégoût que Madame Xavier Milles témoigne pour notre Société et du désir bien prononcé qu’elle a de retourner à La Fourche. Si vous le trouvez bon, nous en serons contentes, ne pensant pas mieux faire qu’elle, très certainement. D’ailleurs, il est impossible d’accéder au désir de Madame Eugénie de mettre là Madame Régis Hamilton, supérieure. Ce serait la perdre pour le corps et peut-être exposer beaucoup sa conscience. La mort si prompte 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Mai 31, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

de sa sœur1 l’a beaucoup frappée et elle a été plusieurs fois assez gravement malade. Enfin, Monseigneur et vrai père, si Madame Xavier Milles peut patienter jusqu’à votre arrivée à Saint-Louis, en un quart d’heure, on peut dire plus de choses pour et contre que dans plusieurs lettres. En attendant, on la soigne autant qu’on peut et Monsieur Borgna qui l’aura vue, vous fera son rapport. Je suis avec une profonde vénération in Corde Jesu, Monseigneur, de votre Grandeur, la plus dévouée fille et servante. Philippine Duchesne sup. rel. S. Cœur Saint-Louis, 31 mai 1828

LETTRE 314L. 54 À MADAME JOUVE, À LYON, ET À MADAME  DE MAUDUIT Saint-Louis, 3 juin 18282 Mes chères sœurs, Il y a longtemps que je n’ai eu de vos nouvelles. Aloysia, quoique à Paris, n’est guère exacte à m’en donner. Il y a bien aussi longtemps que je ne vous ai pas écrit, c’est le sacrifice qu’exigent ma nouvelle vocation et la distance qui nous sépare. J’ai appris tant de morts dans notre famille depuis que je suis en Amérique, et de morts de plus jeunes que nous, que je ne sais plus s’il faut compter parmi les vivants tous nos amis de l’enfance. Nous nous sommes attendues les unes et les autres à un adieu pour la vie ; il ne reste qu’à soutenir par des bonnes œuvres le doux espoir de nous réunir pour toujours dans l’autre.

1 2

Mathilde Xavier Hamilton, née en 1802, est décédée le 1er mars 1827, à Saint-Michel. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 120-123 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 314



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J’adresse ma lettre à Mme Jouve parce que c’est elle que j’ai plus de certitude de savoir chez elle. J’ignore encore si la solitude de Mme de Mauduit ne l’aura pas décidée à quitter Grâne malgré les dépôts précieux de notre chère mère et de ses enfants, mais tous ces restes se rassembleront, se ranimeront, auront une immortelle existence qui fera oublier toutes les séparations du temps. Votre amitié attend des détails sur une sœur qui les aime toujours. Après avoir habité Saint-Charles sur le Missouri comme pied à terre, et Saint-Ferdinand à 7 lieues de là, comme notre premier établissement ; après en avoir procuré deux dans la Louisiane, État différent du Missouri, je suis maintenant dans la ville épiscopale de Saint-Louis, depuis un an, dans notre établissement qui est dans son enfance, mais qui promet plus que les autres par sa situation dans une ville qui devient un dépôt de tout ce qui va ensuite chez les Sauvages et dans les différents établissements sur le Missouri et le Mississippi pour le commerce des pelleteries, l’exploitation des riches mines de plomb. Je n’ai encore perdu aucune de mes compagnes de France, mais nous sommes divisées dans les quatre maisons. Il s’en présente encore deux à faire, mais la plus grande difficulté est notre petit nombre. Notre sainte religion fait beaucoup de progrès dans ce pays par le zèle des missionnaires et malgré le retour en France de Mgr Dubourg et de beaucoup de prêtres, Dieu n’a pas laissé sa vigne sans ouvriers. Le séminaire établi a déjà donné de bons sujets et promet plus qu’il n’avait encore fait ; priez souvent pour cette mission, mais surtout pour moi qui vieillis et ne deviens pas sainte ; s’il vous est possible de procurer une messe à Notre-Dame de Fourvière et une à La Louvesc, vous m’obligerez beaucoup. Je vous prie de me rappeler au souvenir de vos maris, de vos enfants, de la famille Lebrument, de nos parentes à la Visitation à Romans ; on m’a dit que Mélanie était maintenant à Valence. J’ai écrit la dernière [lettre] à Mme de Rollin ; je crains que cette chère amie, dont la sensibilité a été [affrontée] à de si fortes épreuves, n’ait la santé bien altérée. Si Mme Jouve a des relations avec Mesdames Geoffroy et Prevost, supérieures de nos maisons de Lyon, je la prie de me recommander à leurs pieux souvenirs in Corde Jesu en qui je suis vôtre, Philippine

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 315

L. 11 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M.

St Antoine [18 juin 1828]1 Monsieur, Je ne voudrais pas laisser partir M. Audiament sans le charger d’une lettre pour vous. Il me tardait de vous renouveler les expressions de notre reconnaissance, mais j’ai été longtemps sans savoir où vous étiez fixé. On m’a dit que c’était à Gand, au Béguinage. Ce pays a fait de grandes pertes, mais l’espoir de vous savoir heureux et de vous voir prolonger vos jours console la religion et celles qui se diront toujours vos filles. Les maisons de la Louisiane prospèrent parmi la croix, c’est-à-dire que les santés y sont très mauvaises et les enfants qui recourent à l’instruction, nombreuses. Il y a à Saint-Michel plus de 70 pensionnaires, 40 aux Opelousas. On demande la réunion à notre Société des Sœurs de la Croix à La Fourche ; trois de leurs novices ont déjà pris l’habit à Saint-Michel, mais les professes étant plus indécises et cette maison nous convenant peu, il est possible que la chose ne se termine pas. Monseigneur qui doit arriver aujourd’hui en décidera. Les Jésuites qui ont maintenant huit prêtres nous veulent aussi à Saint-Charles dans notre ancienne maison, sur le terrain de laquelle se bâtit l’église qui n’est point finie, faute d’argent. La maison de Saint-Ferdinand se soutient avec Mère Octavie dont la santé est toujours plus mauvaise. Je suis à Saint-Louis où il a déjà fallu bâtir pour augmenter la maison dans laquelle nous ne pouvions loger que douze pensionnaires, ce qui nous met à la gêne ; mais nous avons beaucoup d’externes. Point encore d’aumônier. Monseigneur va placer ici un prêtre de plus, ce qui nous sera bien avantageux, car nous manquons souvent la messe. J’ai pour compagnes : Mère Dutour savoyarde ; Mère Van Damne flamande ; Mère McKay, Mère [Mary Ann] O’Connor deux Irlandaises ; Sœur Catherine [Lamarre] et Sœur Mary Layton qui est revenue des Opelousas. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « Mme Duchesne, 1828. N° 8. »



Lettre 316

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Monsieur Saulnier se porte bien, quoiqu’il ait bien à faire ; il a beaucoup de bontés pour nous ainsi que Monsieur Lutz qui dessert Le Cahot et Vuidepoche1. Je suis avec respect in Corde Jesu, Monsieur, votre toute dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. Ce 18 juin 1828 [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Aumônier du Grand Béguinage À Gand Flandre

LETTRE 316

L. 44 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[Ce 23 juin 1828] Monseigneur, La mère d’une de nos enfants, Mme Chouteau, à qui j’ai demandé sa voiture, désire savoir le jour où vous donnerez la confirmation. Veuillez, je vous prie, l’indiquer à M. Lepère. Nous avions attendu votre visite à l’époque des Quatre-Temps, et n’avions pas fait la confession extraordinaire fixée à cette époque, dans l’espoir que vous voudriez nous entendre vous-même. Je n’ai pas pu vous exprimer ce désir à votre arrivée et maintenant j’apprends que vous vous absentez pour toute la semaine. J’espère que vous nous réser1 2

On ne sait pas où se trouvait Le Cahot ; Vuidepoche est un autre nom de Carondelet, situé à six milles au sud de Saint-Louis. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Juin 23, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

verez tôt ou tard quelques moments. Je désire bien que vous connaissiez l’état de la maison pour me dire ensuite mes vérités. Je n’ai qu’une difficulté pour me trouver à Saint-Ferdinand, c’est que vous aurez besoin de M. Lepère pour vous conduire. Je suis avec respect, Monseigneur, votre toute dévouée fille et servante. Philippine Duchesne Ce 23 juin [1828]

LETTRE 317

L. 85 À MÈRE BARAT Saint-Louis, 3 juillet 18281

Les deux dernières lettres que j’ai reçues de Paris n’étaient pas de vous. Au lieu du bonheur d’y lire votre écriture, j’apprenais que vous étiez malade. Cependant la bonne Mère de Charbonnel me disait que votre fièvre n’avait rien d’inquiétant. J’ai répondu à la chère Mère Ducis2, qui m’apprenait l’heureuse nouvelle de nos établissements à Rome, ce qui a redoublé notre reconnaissance envers le divin Cœur de Jésus. Je pense que Mère Bigeu, qui peut puiser à cette divine source de grâces, de bien près, aura contribué à obtenir une si touchante faveur. Sa circulaire, qui nous est parvenue par Mère Eugénie, nous a vivement intéressées. Le R. Père supérieur a été très content de votre décision pour SaintCharles et me charge de vous en remercier. Monseigneur l’est aussi de celle que vous donnez pour La Fourche. Je suis fâchée que Mère Carmélite ne puisse pas en être supérieure. Monseigneur, ayant vu Mère Dutour, il la demanda, je la refusai, mais elle-même me dit, le soir, qu’elle ne pouvait s’ôter de la pensée qu’elle irait à La Fourche, et je vis qu’elle en serait bien aise. Tout s’est réuni pour applaudir à ce choix, et 1 2

Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 271-274. J. de Charry, II 3, L. 238, p. 63-65. Catherine de Charbonnel était alors assistante et économe générale ; Henriette Ducis, secrétaire générale.

Lettre 317

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comme une phrase de la lettre de Mère [de] Charbonnel me prouvait que vous me laissiez libre du sort de Mère Dutour, j’ai cru pouvoir agir. Je suis forcée de retirer, de Saint-Ferdinand, Mère Régis [Hamilton], malgré qu’elle soit très utile à Mère Octavie, mais j’en ai absolument besoin ici pour rattacher les enfants à notre maison, beaucoup en prennent le dégoût, pour les raisons que vous connaissez. Mère Octavie et moi, nous sommes très occupées, avec nos trois classes d’enfants, même quatre ici : pensionnaires, orphelines, externes payantes, externes gratuites, ce qui nous fait environ 100 enfants, et nous ne sommes que huit, y compris deux Sœurs. Sœur Catherine fait la classe française et en est très contente quoiqu’elle soit pénible ; elle nous rend encore bien d’autres services. La supérieure des Sœurs de la Croix, à La Fourche1, qui était venue en apparence à Florissant pour faire son noviciat, n’a pu y tenir. Monseigneur a été mécontent de cette circonstance et ne veut point qu’elle retourne à La Fourche. Il l’a renvoyée à sa maison-mère, ce qui prouve qu’il vaudra mieux que ses deux compagnes [Agnès Cloney2 et Elizabeth Elder3] fassent leur noviciat ailleurs qu’à La Fourche, où elles pourraient troubler le nouvel ordre des choses. Il paraît, par la lettre de Mgr Dubourg, qu’il croyait que toutes les Sœurs de la Croix voulaient se réunir à nous, mais ce n’est que celles à La Fourche, qui ne peuvent y réussir, ne sachant pas le français. Monseigneur est arrivé ici le jour de saint Louis de Gonzague [le 21 juin] ; j’allai avec lui, le jour de saint Jean à Saint-Ferdinand, et, le lendemain, à Saint-Charles, pour voir l’église et notre future maison. Il 1

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3

Cecilia Miles (1800-1868), découragée par les circonstances où elle se trouvait impliquée (dettes, absence de Règle approuvée, équivoques au sujet de l’union avec le Sacré-Cœur, départ des novices à Saint-Michel), quitte sa communauté, fin janvier 1828. Après un séjour à La Nouvelle-Orléans, elle se présente à Philippine Duchesne le 25 avril, munie d’une lettre de Mgr Rosati, datée du 9 avril, qui lui conseille d’aller au noviciat de Florissant. Elle en sort avec deux autres postulantes le 24 juin, jour de la visite de Mgr Rosati, pour revenir à la maison-mère de Loretto. Elle quitte ensuite sa Congrégation et épouse en 1831 Richard Maddock, dont elle a quatre enfants. Veuve, elle termine sa vie aux Barrens. Alice Agnès (Regina) Cloney et Elizabeth (Rose) Elder, venues des Barrens avec Cecilia Miles, n’ont que 23 ans. Alice Agnès (Regina) Cloney, RSCJ, née à Baltimore en 1804, a été membre des Filles de la Croix, à La Fourche. Elle rejoint la Société du Sacré-Cœur en 1828, fait ses premiers vœux en 1830, sa profession le 23 février 1835, à Grand Coteau. Elle meurt quelques mois plus tard. Elisabeth Elder, RSCJ, née le 15 juin 1804 (ou plus tôt) d’une famille originaire d’Emmitsburg MD, venue habiter au Kentucky. Elle a pris le nom de Rose et fait ses vœux perpétuels chez les Filles de la Croix, le 21 février 1818 (là encore, date peu vraisemblable). Elle participe à la fondation à La Fourche en 1825 et était la seconde sœur de cette congrégation à intégrer la Société du Sacré-Cœur. Elle est décédée le 21 septembre 1836, à Grand Coteau.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

a fait, à Saint-Louis, une ordination solennelle, le jour de saint Pierre, et a donné la confirmation à nos enfants, le 1er de juillet. Il est reparti le 2, après nous avoir confessées et dit la sainte messe dans notre chapelle. Il reviendra dans deux mois. Il s’occupe à bâtir pour agrandir le séminaire. Il lui est arrivé quatre ecclésiastiques de Paris. Je pense que Mère Lucile sera pour Saint-Charles, elle s’y attend peut-être et le désire. Les Pères Jésuites la considèrent beaucoup ; il vaudrait mieux là une Américaine, mais où la prendre ? Nous avons deux ou trois aimables postulantes dans la maison, et plusieurs dans le monde, qui n’ont que 16 ans, et qui attendent avec impatience votre réponse pour la dispense d’attendre leurs 18 ans. Ce mois de juillet m’annonce votre fête, les heureux jours où je vous la souhaitais de près. Tout en désirant voir ma digne Mère, je n’ai jamais varié dans ma vocation, non plus que mes quatre compagnes de voyage. Nous allions avec cet attrait pour notre mission et l’incomparable amour de la Société tout entière, et de sa digne Mère, dont je suis à genoux in Corde Jesu la plus humble fille. Philippine Duchesne

LETTRE 318

L. 45 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 14 juillet 1828] Monseigneur, J’ai appris avec bien de la douleur celle que vous devez éprouver de la maladie de Monsieur De Neckere. Nous faisons les vœux les plus ardents pour le retour d’une santé qui peut être employée si utilement à la gloire de Dieu et vous fixer pour toujours auprès de nous. Combien ce moment est-il désiré de nous, de tous ceux qui aiment la religion ! 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Juillet 14, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 17 ; répondu le 22. »



Lettre 318

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Oserais-je vous prier, Monseigneur, de désigner celui des prêtres de Saint-Louis qui pourra nous dire la sainte messe et fixer ses appointements. La charge est trop grande pour n’être pas reconnue. Messieurs Saulnier et Lutz ont usé envers nous d’une charité qu’on ne peut assez reconnaître mais étant dévoués à des paroissiens qui les absorbent, ils laisseront à d’autres de nous dire la messe. Si cela était fixé, tout se ferait plus régulièrement. J’ai tenté de l’obtenir de Monsieur Saulnier qui m’a répondu : « Vous aurez les uns ou les autres quelques fois. » Pour la confession des enfants, les plus jeunes dont il paraissait fatigué, je lui ai proposé de les donner à Monsieur Loiseul. Il désapprouva que plusieurs confessent ici, en ajoutant que cela lui était pénible et que, quand il venait, il appelait cela son purgatoire. Je ne sais comment le lui ôter pour le moment car les changements ne valent rien et je soupire après le temps que vous nous avez fait espérer. En attendant, je ne dois manquer ni de reconnaissance, ni de zèle pour le bien de cette maison. J’aurai tout fait quand je vous aurai tout remis ; et vous ajouterez à vos bontés touchantes à notre égard si vous voulez bien fixer vous-même toutes choses, sans que je paraisse vous l’avoir demandé. L’arrivée de Monsieur Richard arrangerait tout, mais le bon Dieu a ses raisons quand il le retient. Je suis avec une profonde vénération dans le Cœur de Jésus, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne servante. Philippine Duchesne sup. r. du S. Cœur Ce 14 juillet 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Barrens

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 319

L. 46 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Louis, ce 22 juillet 1828] Monseigneur, Madame Xavier [Murphy] est de nouveau pressée par les habitants de transporter son établissement dans la ville Opelousas ou auprès ; on est allé jusqu’à demander si au cas où Mme Smith voulait rétracter sa donation, on serait disposé à en faire le sacrifice. Madame Xavier me pressait vivement de descendre. Le départ de Madame Dutour dans le North America m’en ouvrait une occasion favorable. Ne pouvant recourir à vous, Monseigneur, j’ai demandé son avis au Père supérieur qui trouve qu’il ne faut pas se presser et qu’on doit attendre la permission de notre Mère générale. Quant à cette permission, je m’en tiens assurée, l’ayant toujours vue chagrine que nous ne fussions que dans de petits endroits ; et elle m’a plusieurs fois pressée de tâcher de transporter l’établissement de Saint-Ferdinand ou à SaintLouis ou à La Nouvelle-Orléans. J’ai conclu que, ne pouvant agir sans vous consulter de nouveau et qu’étant impossible d’avoir vos permissions avant le départ du steamboat, il fallait laisser un voyage où je ne pourrais rien conclure et qui aurait bien des inconvénients par rapport à ce que je laisserais derrière moi, Madame Dutour nous laissant un grand vide. Il me semble même qu’il est inutile. Si vous aviez la bonté d’écrire à Madame Xavier aussitôt que vos occupations le permettront pour lui marquer vos volontés, et faire en même temps sonder Mme Smith, comme sans intention. Elle désire retourner aux Opelousas et serait peut-être charmée d’avoir une occasion de reprendre sa maison. Si d’un autre côté, les habitants font une donation équivalente, que risque-t-on ? C’est une chose d’expérience en France que les couvents réussissent mal dans les petits endroits et qu’au moment de la Révolution [de 1789], ils étaient presque tous dégénérés. Veuillez user de votre bienveillance pour nous en cette circonstance, diriger des filles sans expérience dans les affaires, qui ne désirent que le 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Juillet 22, Mme Duchesne, St. Louis. Répondu. »



Lettre 320

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bien de la religion et qui surtout n’aspirent qu’à connaître vos volontés pour s’y conformer. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne sup. r. S. Cœur Saint-Louis, ce 22 juillet 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Barrens

LETTRE 320

L. 86 À MÈRE BARAT Saint-Louis, 22 juillet 18281

Ma bonne et digne Mère, Le désir d’expédier m’a aveuglée sur l’envoi des états particuliers au 1er juillet, partis dans ma dernière lettre2. Je serai plus exacte en janvier. J’ai pensé que la lecture de ces deux lettres vous ferait plus de plaisir, de la main même de Monseigneur3 ; nos Mères m’avaient conseillé de les transcrire. Mère Dorival m’écrit que vous avez permis, à Saint-Michel, l’invitation des parents aux prix et représentations et que les Opelousas doivent obtenir la même faveur. Je suis naturellement éloignée des grands appareils et n’ayant nullement entendu parler de votre permis1 2

3

Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 112-113. J. de Charry, II 3, L. 240, p. 68-69. Les comptes des maisons sont arrêtés au 1er janvier et au 1er juillet, et envoyés à la maison-mère. Dans sa lettre du 3 juillet, Philippine a oublié celui de Florissant et le joint à celle-ci. Philippine lui envoie deux lettres autographes de Mgr Rosati.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

sion, et ayant au contraire ouï dire que Saint-Michel semblait se monter sur un autre pied que les autres maisons, j’ai répondu que je serais étonnée que, maintenant qu’on resserre la clôture, on voulût faire ce que je n’avais jamais vu, ni à Grenoble, ni à Paris : des invitations pour les prix à des séculiers ; que, dans un pays corrompu, il y avait de majeurs inconvénients à mettre en spectacle de jeunes religieuses. Mère Octavie est dans un état de souffrance à faire pitié, et de résignation et de patience et courage angéliques. Cela aurait été un coup mortel de l’envoyer aux Opelousas. Je crois que sa carrière ne sera pas longue, nous en avons cependant bien besoin. Je l’ai vouée à saint Régis par la promesse d’une neuvaine de messes à La Louvesc ; ce qui n’est que 9 F. Auriez-vous la bonté de nous en faire la charité ? Cette lettre va partir demain avec Mère Dutour. Je vous ai dit dans ma dernière [lettre] comment Carmélite, d’un commun accord, avait été jugée peu propre à l’établissement à La Fourche. Monseigneur demanda Mère Dutour, je la refusai jusqu’à ce qu’elle me dise : « Je ne puis m’ôter de la pensée que ce sera moi qui irai à La Fourche. » Je regardai cette inspiration comme un signe de la volonté de Dieu, puisque, en même temps, vous me faisiez dire de la séparer de Mère Xavier [Van Damme] et que les enfants ne pouvaient la souffrir, au moins les grandes. Veuillez, s’il vous plaît, la désigner supérieure. Elle part avec une sorte d’empressement. Mais je pense que Mère Eugénie formera mieux les novices et qu’il faut les lui laisser1. Celle-ci n’aura pas le genre pour les Américaines. Mère Octavie m’a envoyé sa lettre ouverte, ce qui m’a donné la facilité d’y joindre celle-ci. Je suis à vos pieds, etc. Philippine Duchesne J’ai bien reçu avec bien de la joie votre lettre d’avril, contenant la traduction du Bref. Le R. P. [Van Quickenborne] en était tout transporté.

1

Les novices de La Fourche sont à Saint-Michel depuis le 21 janvier.

Lettre 321

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L. 87 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 24 juillet 18281 Rec. à St. Ant. de Padoue Ma bien digne Mère, Voici ma troisième lettre, ce mois-ci. La première contenait le résultat des dépenses des six mois ; la seconde enfermée dans celle qui contenait l’état de Saint-Ferdinand. Cette seconde est partie pour La Nouvelle-Orléans, par le même steamboat qui conduit Mère Dutour pour de là aller établir la maison à La Fourche, pour laquelle, d’une commune voix, on a dit que Mère Carmélite ne convenait pas. Je ne répète pas ce que j’ai dit là-dessus dans mes précédentes, ayant l’expérience que, sous la protection de saint Antoine, notre cher ami, elles arrivent toutes. Nous avons passé votre fête sur la croix, sans messe, n’y ayant ce jour, qu’un prêtre à Saint-Louis, qui ne voulut pas laisser manquer la paroisse en considération de votre fête. Il est venu nous donner la bénédiction et la sainte communion ; et comme ce jour, nous avions toutes les externes et que Mère Dutour devait partir le lendemain, la récréation a été remise à aujourd’hui, jeudi. J’étais aussi fort occupée dans l’idée où j’étais de descendre aussi, Mère Xavier [Murphy] m’en pressant vivement, à cause des instances qu’on lui fait à elle-même, de la part des habitants de la ville des Opelousas, pour y transporter son établissement2. J’en avais entretenu Monseigneur sur une première indication, et il ne fut pas de l’avis ; n’ayant aucune possibilité d’avoir sa réponse avant le départ du steamboat, j’ai consulté le R. Père par un exprès qui a voyagé la nuit. Sa réponse a été qu’il ne voyait pas ce voyage utile ; j’ai été bien aise de cette décision. J’ai écrit à Mère Xavier qu’elle pouvait faire faire la souscription pour la bâtisse qu’on veut faire de manière à honorer le pays ; qu’on verrait où elle monterait, et de ne s’engager qu’autant qu’elle aurait la permission des supérieurs et quand elle l’aurait reçue. Comme ma réponse de France peut être longue, que ce n’est ni détruire ni faire un nouvel établissement3, mais seulement le placer au milieu d’une plus grande 1 2 3

Copie, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 121-123. J. de Charry, II 3, L. 241, p. 70-72. Il s’agissait de transférer le pensionnat de Grand Coteau dans la ville d’Opelousas. Comme ce n’est pas une fondation nouvelle ou une suppression de maison, elle peut agir sans la permission explicite de la Supérieure générale.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

population, avec plus d’avantages pour les secours spirituels et corporels, j’ai aussi écrit à Monseigneur de bien vouloir donner ses avis à cet égard à Mère Xavier directement ; que, pour votre permission, je m’en tenais assurée, vous ayant toujours vue chagrine de nous voir dans des villages ou simples campagnes, comme est le Grand Coteau. Les souscripteurs comptaient tirer parti de la maison et des terres données par Mme Smith. Mais, comme elle vit encore, qu’elle regrette d’avoir quitté les Opelousas, je suis persuadée que si on quitte sa maison, elle la reprendra pour elle. Le R. Père m’a dit que nous étions engagées avec elle, mais sa donation était à Monseigneur, et Monseigneur nous a fait la sienne ; rien ne peut être mieux arrangé que par lui, et vous verrez, par deux lettres que je vous envoie dans ma précédente, combien il est disposé favorablement pour nous. Il a aussi écrit à Rome pour avoir des Jésuites à placer dans l’autre partie du terrain donné à l’église, qui comprend l’église et le presbytère, qui cependant est trop petit pour un collège. Alors, je dis au Père Supérieur : « Si vous acceptiez d’aller dans cette paroisse, on aurait moins de peine à quitter si vous alliez dans notre maison qui a tant coûté pour la rendre propre à un pensionnat. » Il ne voulut donner aucune réponse. Peut-être l’aurat-on plus favorable de Rome. Je vous expose ici ma conduite, espérant d’ailleurs que Mère Xavier a écrit avant moi, et qu’il est possible qu’elle ait vos permissions avant qu’on ait entrepris ou rejeté le projet de changement. Mère Dutour nous faisant un grand vide, il eût été difficile que je m’absentasse. Le Bref nous a comblées de consolation, ainsi que votre rétablissement. Veuillez, ma bien chère et digne Mère, nommer aux supériorités à La Fourche, de Saint-Ferdinand, de Saint-Charles. Je pense que, pour ce dernier, c’est Mère Lucile. Elle s’y attend un peu. Mère Octavie a été très affligée de la perte de Mère Régis1, cependant nous en étions convenues à notre dernière entrevue. Elle a heureusement, outre Mère Lucile, une excellente novice à talents, qui fait la réputation de la maison par sa belle voix et son piano qu’elle peut enseigner, c’est ce qu’on désire vivement aux Opelousas. Je suis à vos pieds et dans le Cœur douloureux de Jésus, votre fille indigne. Philippine Duchesne 1

Eulalie Hamilton, dite Régis, que Philippine a fait venir de Florissant à Saint-Louis.

Lettre 322

LETTRE 322

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L. 47 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Louis, 25 août 1828] Monseigneur, Je viens de recevoir une lettre de notre Supérieure générale à qui j’avais rendu compte de notre nouvelle bâtisse et des dettes qu’elle occasionnerait. Elle en a parlé à l’un des prêtres de la Grande Aumônerie, qui s’est intéressé auprès de la Commission de la Propagation de la foi pour nous obtenir quelque chose, et elle a disposé en notre faveur de la somme de 2 000 $, peut-être trois. Mais il faut que nous recevions cette somme de vous, et elle a dû vous être adressée en même temps que la lettre m’a été écrite, ou peu après. Elle me dit aussi qu’on n’a point oublié les Pères, sans rien me spécifier. Sans doute, le tout vous sera envoyé comme au chef et au père de la Mission. Vous verrez, Monseigneur, par les feuilles que je joins ici et que Madame Xavier me charge de vous transmettre, que les pères de famille qui désirent la translation de l’établissement ont ouvert la souscription. Elle n’avait reçu ni votre réponse, ni celle de Monsieur Jeanjean, ni les miennes, ce qui la tenait fort en peine. J’ai trouvé les motifs du changement expliqués d’une manière bien séduisante et si vous aviez la bonté de le faire agréer à Mme Smith pour éviter toute plainte, il me semble qu’il pourrait s’exécuter ; à moins que vos lettres et les miennes, reçues plus tard, n’aient arrêté toute cette affaire. Une fois le feu du désir éteint, on ne le rallumera pas ; et s’il venait à arriver un accident dans cette solitude, on aurait à se reprocher de n’avoir pas profité des dispositions généreuses de quelques habitants. Il me paraît bon aussi que Mme Smith pense que la chose n’est qu’en proposition. Et en effet, il n’y a rien de fini. Je persévère à croire que notre Supérieure [générale] agréera le changement s’il a votre approbation. Monsieur Loiseul a toutes sortes d’attentions pour nous et est très exact. Monsieur Dusaussoy a l’air mécontent et froid. Je pense qu’il ­s’attendait à plus de prévenances de notre part, comme parent de notre 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Août 25, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 27 ; répondu le 28. »

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Supérieure [générale]. J’ai mis en avant les arrangements avec Monsieur Richard qui, en effet, m’écrit qu’il désire toujours mourir chez nous. Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la plus dévouée fille servante. Philippine Duchesne sup. r. S. Cœur Saint-Louis, 25 août 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Barrens

LETTRE 323

L. 88 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 25 août 18281 St. Ant. Ma bien digne et chère Mère, Je viens de recevoir votre lettre du 6 juin qui me prouve toujours davantage votre sollicitude maternelle pour nous et m’annonce un secours de 2 ou 3 mille francs de la part de la Société de la Propagation de la Foi ; un autre espoir pour nos Pères. J’ai, suivant votre intention, écrit à Monseigneur pour le prévenir de ce qu’il devait recevoir pour nous. Je lui envoie en même temps deux pages de la Gazette de la Louisiane sur le transport de l’établissement du Grand Coteau à la ville Opelousas. Il ne l’approuvait pas, mais Mère Xavier [Murphy] m’a chargée de les lui remettre et elles 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 4 avril 1829 ; Paris, 5 avril 1829. Copie partielle, USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 125-128. J. de Charry, II 3, L. 242, p. 73-76.

Lettre 323

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sont véritablement séduisantes par les éloges délicats qu’elles font de l’établissement et les avantages que le changement procurerait à la ville, pour les parents et pour les enfants. Car à quoi ne peut être exposé un établissement dans une solitude ? Mère Xavier souffre, en pesant ces avantages, de n’être pas décidée par ses supérieurs. Le rédacteur de l’article de la Gazette souscrit lui-même pour 2 500 F, un sénateur pour 1 500, d’autres autant ; et on croit que la Législature de la Louisiane y contribuera. On pense que la maison, telle qu’elle doit être, coûtera 80 000 F. Il y a contre : le mécontentement de la fondatrice du Grand Coteau, la dépense du déplacement, meubles, etc., car la maison serait livrée sans aucun retour, sinon qu’elle resterait à la ville si on quittait. J’avais conseillé à Mère Xavier de laisser faire la souscription, qu’en attendant on pouvait espérer votre réponse. Mais lui ayant aussi dit que je présumais fort votre approbation, la crainte, peut-être, de laisser tomber une ardeur qu’on ne pourrait plus rétablir, pourrait bien l’induire à commencer ce déplacement. Il nous faut deux mois pour nous répondre, de même à Monseigneur, les lettres mettant par la poste un mois et plus pour aller et autant pour venir. Il y a de grandes incommodités ou plutôt de grands inconvénients à être toujours obligé de faire 5 lieues pour avoir un médecin, de la viande, etc. La santé de Mère Octavie est toujours déplorable. Elle a maintenant deux plaies, une sur l’os du cou, l’autre sur l’épaule qui lui rendent tout mouvement douloureux. Loin de pouvoir se rendre aux Opelousas, à 300 lieues au moins, elle ne pourrait en faire 5, dans une bonne voiture, pour venir ici. Dieu l’a rappelée de si loin que j’espère encore la conserver. Elle fait ses classes avec un grand courage et croît sensiblement en toutes vertus, mais peut-être est-ce parce que son terme avance. Et d’après ce que vous m’aviez dit de la changer de place avec Mère Dorival, ce qui est impossible, voici ce que j’avais à vous proposer si Dieu dispose d’elle : 1°) de mettre Mère Xavier Van Damme [mots barrés, illisibles] avec Mère Xavier [Murphy] aux Opelousas, qui n’a que des enfants de choix ; 2°) de mettre Mère Dorival à Saint-Michel pour détacher Eugénie [Audé] de cette maison [mots illisibles], et Eugénie à Saint-Louis. Les deux dernières venues [Hélène Dutour et Xavier Van Damme] n’y ont pas réussi, ni auprès des parents, ni des enfants : j’ai reçu le compliment qu’au commencement, nous donnions une meilleure éducation. C’est à Mère Eugénie qu’on l’attribuait. Elle donnerait le ton à cette maison-ci, qu’il est important de bien monter. Elle peut répondre aux parents anglais et français [mots barrés, illisibles]. Et moi, je retournerais à Saint-Ferdinand, Mère Lucile à Saint-Charles, Mère Dutour à La Fourche ; elle ne

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

réussira pas ici, dans une grande maison. Mère Eugénie avait promis deux sujets pour remplacer celle qu’elle demandait pour supérieure [Hélène Dutour] à La Fourche. Le steamboat est remonté sans personne, sans lettre, sans nouvelles de Mère Dutour, ce qui m’afflige beaucoup. Le même silence est avec les Opelousas où on s’en plaint. Ce retard de sujets va entraver l’établissement de Saint-Charles, bien désiré. La Mère Benoît [Claudine Maujot] ne pourrait pas être supérieure là, n’entendant pas un mot d’anglais. Elle ferait mieux à La Fourche où il y a plus de Français que d’Américains. Il y a encore son âge et sa santé ; nous aurions plus besoin de maîtresses de travail et d’écriture assez jeunes pour apprendre l’anglais. Il y en avait plusieurs, chez Mère Vincent [à Bordeaux], qui feraient très bien en secours. Mme Smith se plaint d’un manque de foi aux promesses. Si on avait des sujets, seulement trois, on soutiendrait là un petit pensionnat aidé du grand [qui serait dans la ville d’Opelousas]. Il n’est pas besoin de trousseau ici, de tout trois on est bien pourvu1, on lave toutes les semaines. Si la persécution éclate [en France], ne seriez-vous pas bien aise de conserver des terres et une maison qui valent bien 80 000 F et ont plus coûté. Si vous vouliez doubler les Opelousas, Mère Benoît ferait bien au Grand Coteau, partie française. Quant aux ornements que vous avez la bonté de me promettre, nous en avons maintenant assez, car à Saint-Ferdinand et à Saint-Charles, la sacristie des Pères peut suffire, on les a bien pourvus de Flandre. Ce qui nous manque, ce sont des cingules, des galons blancs et jaunes mi-fins ; pour l’emploi des belles robes venues avec nos Dames, ils sont meilleur marché à Lyon, et des livres de classe : Évangiles, Histoire Sainte, grammaire de Lhomond, mythologie, abrégé des sciences. Les arithmétiques, géographie doivent être en anglais. Il nous faudrait bien [le Traité de la perfection chrétienne de] Rodriguez en cette langue, cela doit venir d’Angleterre ou d’Irlande. Il n’y en a point en Amérique. Du reste, l’argent est le meuble le plus nécessaire quand on établit. SaintCharles va nous coûter au moins 3 000 F. Monsieur Dusaussoy va venir ici [mots illisibles]. On le retient pour le collège, mais l’a, b, c lui fait peur et le dégoûte. Monseigneur a plusieurs fois offert, aux Pères, l’église et le presbytère et terres environnantes du Grand Coteau ; ceux d’ici ont refusé. Il a écrit en Europe. Pourquoi ne prendrait-on pas un pied dans cette place où il serait facile d’établir un collège et, si nos Dames quittent leur maison qui 1

Il suffisait d’avoir en triple chaque pièce du trousseau.



Lettre 324

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en est près, serait suffisante pour cela ? Il y a là bien à faire aussi pour des missionnaires. On est près du Mexique, autre pays libre où le clergé est corrompu. Il admet publiquement des femmes en certains quartiers. Combien je trouve mon papier court et les instants rapides quand je suis à vos pieds. Je m’y dis dans le Sacré Cœur votre indigne fille. Philippine Duchesne r. S. Cœur [Au verso :] À Madame Madame la supérieure de l’Hôpital civil et militaire pour remettre à Madame Barat Supérieure du Sacré-Cœur Rue de Varenne à Paris Au Havre Département de la Seine

LETTRE 324

L. 89 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 11 septembre 18281 St Ant. Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit il n’y a pas un mois par La Nouvelle-Orléans et comme dans cette ville il y a moins de vaisseaux qui partent pour la France, je crains que ma lettre soit en retard. J’envoie celle-ci par New York, espérant plus de célérité. Il paraît que les habitants des Opelousas n’auront pas attendu les réponses que Mère Xavier désirait pour entreprendre le transport de son établissement dans leur ville. Ils le présentent dans la Gazette sous les couleurs les plus avantageuses. Je suis trop éloignée 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 28 octobre 1828 ; Paris, 30 octobre 1828. Cette lettre est parvenue à destination avant celle du 25 août, arrivée le 5 avril 1829. Certains passages, recouverts d’encre, n’ont pu être reconstitués. Cf. J. de Charry, II 3, L. 243, p. 77-80.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

pour suivre leurs plans. J’ai fait part de cette feuille à Monseigneur, qui consent au changement et a écrit à la fondatrice du Grand Coteau. Depuis cette affaire, Mère Xavier [Murphy] a été malade et je crois que cela vient de l’état d’anxiété où elle a été, n’ayant pas les réponses qui pussent l’autoriser à agir en sûreté pour ne point manquer à son devoir. Elle se plaint, ainsi que moi, du silence de Mère Eugénie. Je n’y comprends rien, et crains que trop d’encens, là où elle est, ne relâche les liens de notre union et ne lui nuise. Après avoir considéré de tout côté, je renouvelle ma proposition de mettre Mère Van Damme (si elle le veut) aux Opelousas où une Française est indispensable, Mère Dorival à Saint-Michel, Mère Eugénie à Saint-Louis et la vieille1 à Saint-Ferdinand où la pauvre Mère Octavie s’en va, à notre grand regret. Deux plaies sur la poitrine, une fièvre lente laissent bien peu d’espoir, mais plus le cœur s’affaiblit, plus son âme sensible et reconnaissante s’attache à son époux et se sacrifie comme lui sur le lit de douleur. Si ces changements sont approuvés, cela va exciter bien des réclamations, qui seraient prévenues si notre Mère commune marquait à chacune sa place avec cet art qui fait tout adoucir. Je n’ai pas ce talent. Je ne me doutais nullement, qu’ayant donné Mère Dutour pour La Fourche, je ne reçusse les deux remplaçantes promises pour notre maison. Je n’avais pas manqué d’insister pour les obtenir, mais non seulement le steamboat arrêté exprès, suivant notre recommandation, n’a ramené personne, mais ni lui ni la poste ne nous ont depuis ce temps apporté aucune lettre qui donne raison de cette conduite de Mère Eugénie. J’en ai eu seulement de Mère Dutour qui a déjà emprunté sur la banque de la Louisiane 4 000 F pour s’arranger ; il sera bien difficile qu’elle retrouve cela sur des pensions et, d’après ce que j’ai vu, je la crois peu économe. Et elle s’arrange pour donner là la même éducation2. J’ai écrit à Monseigneur pour lui parler des 2 000 livres dont il n’avait aucune nouvelle, et dit n’avoir rien eu de la même bourse l’année passée que le passage de quelques-uns des siens. Les choses s’embrouillent un peu ici entre lui et mes frères [de Florissant]3. L’établissement d’un collège, 1 2

3

Philippine se désigne ainsi elle-même. H. Dutour veut donner le même niveau d’études qu’à Saint-Michel et Grand Coteau. Or, à La Fourche, les élèves sont de milieux modestes et peu fortunés. Les dépenses dépassent donc les ressources. Le collège épiscopal de Saint-Louis a été fondé en 1818 par Mgr Dubourg, confié au clergé de la cathédrale, dont les tâches paroissiales étaient trop lourdes pour assumer cette charge. Fermé en 1827, il est repris après des négociations difficiles, par le P. Van Quickenborne, sollicité depuis 1824. Il est ré-ouvert par le P. Verhaegen, le 2 novembre 1829.

Lettre 324

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projeté des deux côtés, en est la cause. Que Dieu y mette la main, ainsi qu’à la chère patrie, j’en sais peu de nouvelles, mais ce que j’en apprends est désolant. Mère Xavier se flatte que le malheur d’une contrée fera le bonheur de la sienne et qu’elle obtiendra ceux qu’on a souvent demandés pour son voisinage, où cependant des impressions opposées à son bonheur se propagent dans les esprits par différents articles des Gazettes, etc.1 Celui dont je vous ai envoyé une lettre [le P. Van Quickenborne] est maintenant fort content de nous, mais l’état de faiblesse de Mère Octavie, qui lui rend nécessaire le secours de Mère Lucile, retarde Saint-Charles, auquel aussi il la croit tout à fait impropre, tout comme à en être jamais à la tête, à cause de son imagination qui lui fait toujours voir que tout est bien, qui l’a rendue un peu indépendante et trop confiante en elle-même, trop peu fine pour la surveillance. Le pire est qu’elle s’attend à aller là et d’y faire assez bien. Qu’il est donc avantageux de se connaître ! et de se voir au-dessous de ce qu’on est. D’après toutes ces données, ratifiées par Sœur Hamilton qui, ayant la confiance de toutes à Saint-Ferdinand, peut plus que personne mettre au fait de tout, Mère Benoît serait nécessaire à Saint-Charles. Sœur Hamilton dit que Saint-Ferdinand languit, qu’on n’a pas confiance en Mère Octavie, que les enfants ne l’aiment pas, qu’elle est très triste, ce qui abat autour d’elle, qu’elle n’ose rien dire à Mère Lucile qui y dispose de tout et pas avec assez d’économie, que les enfants disent qu’elles font tout ce qu’elles veulent avec cette dernière, etc. La maison, que la ville Opelousas veut bâtir par souscription, pourra loger 80 enfants et les personnes employées. Elle sera donnée à perpétuité à moins qu’on ne quitte le pays, et qu’il y ait une enfant gratuite sur dix. Rien n’était conclu, mais le désir est si vif qu’on n’a pas attendu le consentement pour remplir la Gazette et ouvrir une souscription. Le premier a promis 2 500 F, le second, un sénateur, 1 500. Les enfants qu’on a appartiennent à ceux qui sont dans la Législature de la Louisiane, que l’auteur de l’article invite à contribuer. Si Mme Smith, la fondatrice, ne reprend pas sa donation, elle ferait un joli secours, si elle y consent, pour les Frères que nous désirons, ou pour placer deux ou trois des nôtres qui se recruteraient peu à peu2. Si vous envoyez plusieurs de celles que vous nommez surnuméraires, elles auront bien leur place ; plutôt emprunter ici pour le voyage. 1

2

Si les Jésuites français étaient expulsés par la révolution, qui paraît alors imminente, la Louisiane pourrait les recevoir. Mais des journaux américains se font l’écho de calomnies qui circulent en France, à leur sujet. Philippine propose, en cas de transfert aux Opelousas, de laisser quelques religieuses à Grand Coteau pour y continuer une école, ou d’offrir la maison aux Jésuites pour y fonder un collège.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Nous souffrons ici persécution pour la justice, l’apostasie de plusieurs de nos enfants nous fait des ennemis d’elles et de leurs familles, alors que ne dit-on pas ? Mère Eugénie est la plus propre à rétablir la confiance. Si vous la mettez à Saint-Charles, je vous conjure de ne pas dire que je l’ai proposée. J’écris à mon cher Père Perreau par La Nouvelle-Orléans, renouvelez-lui, je vous prie… [phrase laissée en suspens]. Je suis avec un profond respect in Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C Mes respects à MM. Joseph [Varin], Louis [Barat], je vous en prie. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris By way of New York

LETTRE 325

L. 90 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 21 octobre 18281 Ma très digne Mère, Je viens de recevoir des lettres qui ont été confiées à Monsieur Martial2, deux petites de vous, et quelques-unes de votre saint frère, avec six 1

2

Copie manuscrite de la mère Ducis, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Des passages ont été supprimés, remplacés par des points de suspension. Autre copie, C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4. Lettre écrite peu après le retour de Philippine, de Saint-Charles, où ont eu lieu la consécration de la nouvelle église paroissiale et la réouverture de l’école du Sacré-Cœur dans la maison Duquette, attenante à l’église. J. de Charry, II 3, L. 245, p. 85-88. Bertrand Martial, ancien vicaire général de Mgr Dubourg, s’était séparé de lui à la suite de dissensions et avait regagné l’Europe en juin 1826. Il est donc de retour en Amérique.

Lettre 325

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cahiers, dont celui concernant Rome nous a vivement intéressées. Que de traits de Providence sur nous ! Pourrons-nous nous en méfier ? J’espère que toutes vos traverses s’adouciront, et tourneront à la gloire du Cœur de Jésus. Entre toutes les choses qui ont été annoncées par Mère De Coppens1, il y a une chape et une Sainte Vierge donnée par Mlle de Cassini, que nous n’avons pas reçues, et que nous regretterions bien si elles étaient perdues. Les R. Pères ont mis dans leur nouvelle église [de Saint-Charles] tout ce qu’il y avait de mieux en vases et ornements, et ils suffisent ; mais l’autel était absolument nu. Nous avons donné le devant d’autel, de la belle robe fond rose avec fleurs, nappes, etc. Mais nous n’avons que prêté les beaux chandeliers donnés par Mère de Marbeuf, qui font tout l’ornement de notre église à Saint-Ferdinand. On voulait bien les garder à Saint-Charles, mais c’était impossible de les laisser. Si Mère De Coppens avait de quoi nous en procurer d’un peu hauts, car l’église le mérite, elle comblerait de joie Mère Lucile, et celui qui donne l’église. Nous revîmes à Saint-Ferdinand plusieurs de nos anciennes écolières, auprès desquelles tous nos soins ne sont pas perdus. Plusieurs étaient mortes pieusement, et celles qui restent sont plus civilisées que le commun et sont fidèles, pour la plupart. Il était nécessaire que nous fassions une apparition, Octavie pour les Anglaises, surtout. Mère Lucile et l’Irlandaise [Mary Ann O’Connor] étaient tout à fait étrangères dans ce pays. Monseigneur avait voulu que toutes nos sœurs assistassent à la cérémonie2, mais je lui représentais notre clôture plus resserrée ; nos occupations et la dépense étaient aussi un grand obstacle. Pendant quelques jours, j’avais ménagé quelques pièces de 25 sols pour le boulanger, arrêtant toute autre dépense, et ne voyant qu’un emprunt pour pouvoir donner quelque chose à Mère Lucile pour SaintCharles. Enfin, la veille, Mère Dutour m’envoie 25 F qui suffiront pour les premiers besoins. Elles sont nourries de présents, puis il viendra des enfants, presque toutes externes, dont on aura besoin de prendre, pour un temps, si vous le permettez, le paiement pour pouvoir subsister et pour l’entretien de l’église. On a cessé de prendre des externes 1

2

Anne De Coppens (1797-1837), RSCJ, née à Gand, est entrée au Sacré-Cœur en 1820, sortie momentanément pour raisons de santé. En 1828, professe à Paris, elle demande d’aller en Amérique. Elle arrive à Saint-Louis avec Henriette de Kersaint le 24 août 1831. De caractère difficile et instable, elle va du Missouri à la Louisiane, de 1831 à 1835. Elle rentre en France en août 1836, est décédée à Amiens l’année suivante. Octavie revient à Florissant et Philippine à Saint-Louis, laissant Lucile Mathevon et Mary Ann O’Connor à Saint-Charles, pour y commencer l’école.

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CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

à Saint-Ferdinand, depuis qu’on en prend plusieurs à Saint-Louis, pensant que la permission n’est que pour une maison. Si vous l’agréez, ce sera maintenant pour deux [Florissant et Saint-Charles] jusqu’à l’acquit des dettes pour lesquelles je suis un peu déroutée… La chapelle et le dortoir coûtent 6 000 F de plus qu’on avait cru. Justement j’avais compté sur 10 000 F promis d’une part, et 2 000 F de l’autre, qu’on ne peut nous donner maintenant, et Monseigneur n’a pas reçu les 2 000 F que vous m’aviez annoncés de Monsieur Perreau. Nous n’avons que sept pensionnaires [à Saint-Louis], et il s’en trouve 3 dont la pension est payée pour un an d’avance. Vous voyez qu’avec 5 000 F de dettes pour la chapelle, 3 000 F promis en remboursement de la maison, jardin, beau verger de Saint-Charles, et quelques autres dettes de 1 000 F environ, nous ne pourrions subsister sans le paiement des externes. Nous ferons tout gratuitement aussitôt que possible ; et même maintenant, outre nos orphelines, nous avons des externes gratuites. Les payantes n’aspirent qu’à nous quitter pour l’hiver. S’il en reste 15, il faudra être contentes, et malgré notre détresse d’argent et de sujets, il a fallu aller à Saint-Charles, tenir nos promesses. La maison des Opelousas va très bien ; La Fourche va bien. On a écrit à Monseigneur que Mère Dutour a 22 enfants et charme tous les habitants. Quant à Mère Eugénie, on ne peut être en plus haute estime et succès !… Sœur Maria Lévêque, que Mère Eugénie m’a envoyée, a fait ici, hier, ses premiers vœux1. Si votre ‘fleur’ est pour Rome, n’auriez-vous pas quelques feuilles vertes pour Saint-Charles et pour nous ? Lire, écrire, travailler sont l’essentiel après la vertu… Je suis à vos pieds, ma digne Mère, votre respectueuse fille, Philippine Duchesne r. S. C. [La copiste, Mère Ducis, écrit ces quelques mots à l’adresse de la supérieure à qui elle envoie cette lettre] : Qu’ajouter, bonne Mère, à des choses si édifiantes ? En lisant ces lettres où respire une si rare vertu, on est pénétré d’admiration. Puissions-nous à l’exemple de ces Mères si parfaites, si zélées pour la gloire du Sacré Cœur, correspondre plus que jamais aux grâces dont il est pour nous la source inépuisable. (…) 1

Maria Lévêque est arrivée à Saint-Louis le 23 septembre 1828, avec Eulalie Guillot, novice venant à La Fourche (ce sont les deux sujets envoyés par Eugénie Audé en échange d’Hélène Dutour).

Lettre 326

 907

C’est du Cœur de Jésus, que nous attendons toute notre consolation, et c’est aussi en lui, que je renouvelle l’assurance des sentiments avec lesquels je suis, Ducis, Secrétaire

LETTRE 326

L. 48 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Octobre 1828] Monseigneur, Je ne puis vous dire combien je souffre de ne pouvoir rien mettre à votre disposition pour tant de bonnes œuvres que vous avez à faire ; j’espère qu’il n’en sera pas toujours ainsi. Je vous envoie tout ce que j’ai en ce moment pour Monsieur Loiseul ; s’il pouvait attendre, je remplacerais cette petite somme plus tard mais, dans la gêne où nous sommes, je ne crois pas possible de lui remettre plus de 35 $ par quartier. En le priant d’attendre, c’est que je désire que les 25 $ d’aujourd’hui soient destinés aux frais du voyage de vos ecclésiastiques, à la gloire de Dieu. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. Cœur [Octobre 1828] Si M. Dusaussoy continue à venir, il est impossible de doubler [les frais].

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Oct., Mme Duchesne, St. Louis ; répondu de vive voix. »

908

CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 327

L. 1 À MGR DUBOURG1 [21 octobre 1828]

Monseigneur, Je n’ai pas eu l’honneur d’une réponse à la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire, lors de notre établissement de Saint-Louis. Je ne suis pas seule à me plaindre de votre silence, et à m’en affliger : chaque fois que je m’informe de vos nouvelles, on me répond que vous n’écrivez pas ; il en est de même de Monsieur Niel. Auriez-vous oublié la terre arrosée de vos sueurs et de vos larmes et le peuple qui vous était soumis et qui jette toujours ses regards sur celui à qui il doit tout ? Il a pu être rebelle à la voix du pasteur2, mais il n’est pas ingrat et votre nom ne se prononcera jamais au milieu de lui sans vénération. Vous m’avez non seulement permis, mais même recommandé avec amour pour vos enfants, de vous en parler quelquefois, et jamais je n’eus une meilleure occasion pour vous en entretenir. Le 12 Octobre, jour marqué par vous pour honorer nos saints Anges, j’assistai pour la première fois de ma vie à la consécration d’une église. C’était celle de Saint-Charles, bâtie sur les fonds, ou plutôt sur la vie et le vêtement des Jésuites qui y ont consacré tout ce qu’ils ont pour leur existence, même pour leurs Indiens… ; ce qui est réduit de beaucoup. Cette église dont la façade regarde le Missouri, bâtie sur notre ancien jardin, à l’endroit même où vous vous êtes aidé de votre main épiscopale pour arracher un petit arbre, est en pierres, est jolie, et entièrement finie, si ce n’est la sacristie. Mgr Rosati, qui a fait la cérémonie, était assisté de tous les Jésuites, de deux Lazaristes et plusieurs jeunes gens de son séminaire. Pendant qu’il faisait les premiers circuits, le Père De Theux3 en anglais, et Monsieur Dusaussoy en français, ont successivement prêché à un peuple 1 2

3

Copies : C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8 ; A-II 2) g, Box 2 ; Lettres intéressantes de la Société, N° 2, p. 20-22. Mgr Dubourg a démissionné comme évêque de la Louisiane et de la Floride, suite aux conflits avec le « trustee », association laïque, propriétaire des biens de l’Eglise. Arrivé en France en novembre 1826, il fut nommé évêque de Montauban. Théodore De Theux, SJ, né en Belgique en 1789, est ordonné prêtre en 1812, nommé professeur au séminaire de Liège. Il arrive en Amérique en 1816, entre chez les Jésuites du Maryland, va au Missouri en 1825. En 1836, il est nommé supérieur de la mission jésuite du Missouri, mais reprend l’enseignement l’année suivante. Il est décédé en 1846, à Saint-Charles.

Lettre 327

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nombreux devant la porte de l’église. Jamais on n’avait vu si grande fête, vos belles dalmatiques y ont figuré. Le lendemain, Monseigneur a donné la confirmation à 66 personnes dont Mme Spincer, de la Dardenne, protestante convertie ainsi que toute sa famille et qui, le même jour avec son mari, nous a donné sa fille aussi convertie pour être religieuse. Je repartis aussitôt avec Madame Octavie, que Monseigneur avait voulu que je conduise à cette belle cérémonie malgré ses infirmités qui font craindre chaque jour de la perdre. Nous laissâmes Monseigneur et son clergé occupés à bénir le nouveau cimetière. Un sermon qu’il a fait dans cette circonstance a produit le plus grand effet. Nous laissâmes aussi, dans notre ancienne maison, Mesdames Lucile et Mary O’Connor irlandaise pour y commencer notre sixième établissement dans la Louisiane. La maison était bien dégradée, sans vitres, et le froid m’ayant obligée de servir à déjeuner à Monseigneur les contrevents fermés, je lui mis copieuse quantité de sel dans son café, n’ayant pu le distinguer du sucre du pays. En vous parlant de notre sixième établissement, vous me demandez où est le cinquième ? Il est à La Fourche, dans la propre maison des Dames de La Croix, qui se sont réunies à nous, exceptée la supérieure très malade qui, étant venue à Florissant, n’a pu y rester et est retournée à sa maison-mère ; depuis, deux seulement sont restées avec nous. L’établissement de Saint-Michel a 80 pensionnaires, sans nuire aux Dames Ursulines qui en ont plus de cent. Celui des Opelousas, 40 ; et celui à La Fourche, au bout de deux mois, doit en avoir 30. Il a fallu partout s’agrandir ou réparer, de sorte qu’on n’y est pas encore à son aise, plus que nous cependant, qui n’avons à Florissant que 12 pensionnaires, ici que 8, avec environ 80 externes, la plupart gratuites. J’ai été obligée d’emprunter pour avoir une chapelle ; Mgr Rosati l’a bénite hier, le 20, et a reçu les 1ers vœux de Sœur Maria Lévêque1 qui a eu le bonheur de recevoir la première [mot absent] de vous, Monseigneur. À Saint-Michel où nos sœurs se trouvent 18, y compris les novices, Monsieur Lutz est en mission parmi les Sauvages. La Rivière aux Fèves2, 1

2

Maria Lévêque (1793-1833), RSCJ, est l’aînée des six sœurs entrées au noviciat de Saint-Michel entre 1825 et 1830. Née à La Nouvelle-Orléans, elle est reçue à Saint-Michel le 26 décembre 1825, y prend l’habit le 6 avril 1826, fait ses premiers vœux le 20 octobre 1828 à Saint-Louis. Elle est décédée le 11 novembre 1833, à Saint-Michel. Sa santé ne supportant pas le climat du Missouri, elle rentre en Louisiane en accompagnant Philippine Duchesne à Grand Coteau, le 7 novembre 1829. Envoyée à Saint-Michel en 1832, elle meurt du choléra en 1833. La Rivière aux Fèves (Fever River) tient son nom de la grande quantité de haricots sauvages qui poussaient sur ses rives. Elle traverse le Wisconsin et l’Illinois pour se jeter dans le Mis-

910

CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

qui se peuple beaucoup à cause des mines [de plomb], demande instamment un prêtre sans pouvoir l’obtenir encore. Il y a deux Jésuites et un Frère, à Saint-Charles, pour le ministère et une école gratuite. Il se fait une souscription à Saint-Louis pour qu’ils y procurent le même avantage, ils y mettront leurs meilleurs sujets. En attendant, ils ont quelques enfants de Saint-Louis à Florissant où le Père De Theux dessert la paroisse. Le Père supérieur, dont la santé est mauvaise, tient à tout. Monsieur Saulnier continue à bien soigner son troupeau ; il a pour l’aider Monsieur Loiseul créole1. Il faut bien compter sur votre indulgence, Monseigneur, pour laisser partir cette lettre ; mais il me tardait bien de la faire ; et si je la mets de côté, je ne sais quand je pourrai m’y remettre. Nous sommes peu, et très occupées. Je suis avec la plus grande vénération, Monseigneur, de votre grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne Religieuse du S. C. P. S. : On attend ici, dans peu de jours, 4 Sœurs de la Charité pour un hôpital. M. Mullanphy donne pour cela plus de 30 000 F.

1

sissippi. Aujourd’hui, elle est appelée « Galena River », du nom de la ville minière, fondée en 1826. John Francis Loisel, né à Saint-Louis en 1805, ordonné prêtre en 1828, a exercé son ministère dans de nombreuses paroisses et missions indiennes. Il est mort de la fièvre jaune en 1844. Le mot ‘créole’ avait alors plusieurs sens, dont l’un signifiait les Européens nés en Amérique.

Lettre 328

LETTRE 328



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L. 49 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 7 novembre 1828] Monseigneur, Vous savez l’arrivée des quatre Sœurs de la Charité, la maladie de la supérieure, et qu’elles ont pris logement chez nous à la demande de M. Mullanphy. Ainsi, je m’abstiens de vous le détailler. L’objet de ma lettre est au sujet d’une que j’ai reçue de Madame Eugénie, qui m’envoie la copie du passage de la Gazette où on a mis le prospectus de Madame Dutour, ce qui est contre nos usages. Mais ce dont Madame Eugénie se plaint, c’est que tous les articles de notre enseignement y sont annoncés avec un prix de pension différent, ce qui doit nécessairement lui ôter des enfants et peut-être l’empêcher de payer ses dettes. Elle ajoute qu’il y a un parti à La Fourche qui a juré de faire tomber l’établissement de Saint-Michel par celui à La Fourche. Je trouve aussi que Madame Dutour n’a tenu aucun compte des choses qui avaient été décidées pour son établissement : 1°) Elle a fait un emprunt qui n’était pas entièrement nécessaire. 2°) Elle a dit qu’on donnerait chez elle une éducation semblable à celle de Saint-Michel. 3°) De son chef, elle a mis Sœur Rose au rang des Sœurs du chœur et tout cela sans être supérieure, car il n’y a que la Mère générale qui le fasse. Je lui ai dit tout cela et n’en attends aucun effet pour empêcher ce que craint Madame Eugénie, surtout si on agrandit l’établissement à La Fourche. Je vous prie donc, Monseigneur, d’exiger : 1°) qu’on ne fasse aucune augmentation à la maison sans votre expresse permission ; 2°) qu’on ne passe pas le nombre de 30 enfants ; 3°) qu’on enseigne, là, ni autre histoire que l’histoire sainte, ni sphère, mythologie, vers [de] littérature, et seulement les quatre règles d’arithmétique ; et de le dire à ces Messieurs qui ont des bontés pour cet établissement, parce qu’il ne faut pas juger par un premier empressement. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1828 Nov. 7, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 10 Dec. ; répondu de vive voix. »

912

CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

Madame Dutour a peu de monde, peu de santé, et si elle en faisait trop, après avoir nui à Saint-Michel qui a des dettes à payer, elle verrait après tomber sa maison. Il vaut mieux aller doucement et longtemps… Elle n’aura pas payé ses dettes que les enfants diminueront. Il y en a déjà moins aux Opelousas et bien peu de ce côté-ci. Pardon, Monseigneur, de vous détourner pour nos affaires, mais je sais que je parle à un père qui permet toute confiance à celle qui s’estime bien heureuse de pouvoir se dire de vous, Monseigneur, la plus dévouée servante et fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 7 novembre 1828 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Aux Barrens

LETTRE 329

L. 91 À MÈRE BARAT Saint-Louis, 28 novembre 18281

Ma bien digne Mère, Les dernières nouvelles que j’ai eues d’Europe me sont venues par Mère Eugénie. C’était une relation de Mère Armande de Causans sur sa visite au Saint-Père. J’avais toujours pensé que vous iriez visiter sa nouvelle et intéressante fondation, et que mes lettres pourraient bien ne pas vous trouver à Paris, en sorte que, peu après ma dernière lettre à votre adresse, j’en ai envoyé une à celle de Mère Ducis, étant chargée 1

Copies, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres, Relations de voyages, Louisiane, p. 7-8 ; USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 18231830, p. 147-150. J. de Charry, II 3, L. 246, p. 89-90.



Lettre 329

913

par Monseigneur, dans son voyage du mois d’octobre, de rappeler au respectable Monsieur Perreau sa demande pour son diocèse, n’obtenant directement aucune réponse. Dans sa dernière visite, ce mois-ci, qui avait pour objet l’établissement des Sœurs de la Charité du Maryland pour l’hôpital1, il m’a annoncé la bonne nouvelle qu’il avait enfin une réponse satisfaisante de M. Petit, de Lyon. Il lui annonce qu’il a 25 000 F pour lui, dont environ 9 000 F pour payer les dettes ; 2°) 6 000 F pour les Pères ; 3°) 6 000 F applicables à d’autres dettes pour les voyages des missionnaires, l’impression des livres pour la mission. C’est 4 000 F sur lesquels on lui dit de donner quelque chose aux Dames du Sacré-Cœur, si elles ont besoin. Le plus que Monseigneur se proposait de donner était 1 000 F, et je vous assure qu’avec le détail qu’il m’a fait de ses embarras, je n’aurai pas le courage de les prendre. J’aime mieux endurer. Ainsi, ce que vous m’annonciez se réduira à rien de ce côté-là. Avec la réputation d’opulence qu’ont nos maisons, on n’a pas grand pitié de nous, et je sens moi-même qu’autant que possible, nous devons donner de notre temporel aux pasteurs. Qu’est-ce qu’un évêque sans revenus ? Un séminaire où il faut tout fournir aux jeunes gens sur les fonds de la Providence ? J’ai à vous dire que, pour les Opelousas, le changement de maison est encore indécis. Mère Xavier [Murphy], sous prétexte qu’elle ne s’explique pas bien en français, me conjure de vous demander deux sujets, dont elle paierait le voyage et le trousseau. L’essentiel serait pour elles la connaissance de la langue française et, s’il se peut, celle du piano et du dessin ; notez qu’il n’est pas besoin, pour ces deux artistes, d’une grande force. Je suis à vos pieds in Corde Jesu votre indigne fille, Philippine Duchesne

1

Les Sœurs de Charité de Saint-Joseph, fondées en 1809 à Emmitsburg, près de Baltimore, Maryland, par sainte Elizabeth Seton, née Bayley (1774-1821). La Mère Xavier Love et trois compagnes arrivèrent à Saint-Louis, le 1er novembre 1828, pour organiser l’hôpital fondé par M. Mullanphy. Elles furent hébergées au Sacré-Cœur durant les trois premières semaines.

914

CHAPITRE III : 1822-1828 EN PLEINE ACTION

LETTRE 330

L. 1 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[31 décembre 1828] Ma chère Adeline, C’est avec bien du plaisir que je vous verrai porter le nom d’un saint dont j’espère que vous exprimerez les traits. Choisissez donc entre Louise, Louisia ou Gonzague, car Aloysia est déjà pris. J’espère que la maladie de Mère Octavie, loin de nuire à la régularité du noviciat, y attirera beaucoup de grâces. Vos bons cœurs seront contents de lui procurer la plus douce des satisfactions au milieu de ses souffrances : celle de vous voir travailler courageusement à mériter le titre d’épouses du plus parfait et du plus tendre des époux. Vous pouvez plus qu’une autre contribuer à cette ferveur ; le joug du Seigneur que vous portez avec joie dès la jeunesse vous rend plus propre aux vertus religieuses et à marcher sous les étendards du Cœur de Jésus, sur lesquels on ne voit écrit que petitesse, simplicité, recueillement, obéissance, régularité, silence, sacrifice. Qu’on puisse dire de vous ce qu’on a dit du patron que vous choisissez, de Berchmans, de plusieurs religieuses que j’ai connues, que jamais vous n’avez laissé de vous-même la pratique de la moindre observance. C’est le bonheur que je vous souhaite en me disant dans le Sacré Cœur votre toute dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. Ce 31 décembre [1828]1 Quelque chose pour moi à chacune de vos compagnes. [Au verso :] À Madame Madame Boilvin Novice du Sacré-Cœur À Saint-Ferdinand 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

TABLE DES MATIÈRES TOME PREMIER Remerciements

5

Introduction générale

7

Partie critique

33

Sources et bibliographie

37

chapitre premier : 1769-1818 Avant le grand départ Introduction

43

Lettres

53

chapitre ii : 1818-1821 Les premières fondations Introduction

311

Lettres

321

chapitre iii : 1822-1828 En pleine action Introduction

595

Lettres

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P H I L I P P I N E D U C H E SN E

P IO N N I È R E À L A F R O N T I È R E A M É R IC A I N E (1769-1852) Œ U V R E S C OM P L È T E S

PHILIPPINE DUCHESNE PIONNIÈRE À LA FRONTIÈRE AMÉRICAINE

Œuvres Complètes tome ii (1829-1852) rassemblées et éditées par Marie-France CARREEL RSCJ et Carolyn OSIEK RSCJ

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© 2017, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2017/0095/133 ISBN 978-2-503-57045-7 (2 volumes) e-ISBN 978-2-503-57049-5 DOI 10.1484/M.STHCC-EB.5.111941 Printed on acid-free paper.

chapitre iv

1829-1833 Nouvelle croissance et conflits

INTRODUCTION Le manque de vie privée et la résistance des Américains vis-à-vis des distinctions sociales chez les religieuses et les élèves ont continué à faire difficulté. Le modèle importé de France était le pensionnat payant et l’école gratuite pour les pauvres. Entre les deux, des externats payants pour les élèves des classes moyennes émergentes étaient en train de se créer, mais ce nouveau modèle rencontrait souvent des résistances auprès de personnes de mentalité traditionnelle, qui ne se rendaient pas compte que la société était en train de changer. Ce nouveau modèle fut mis en place par les religieuses dès leurs débuts en Amérique (Lettres 139, 157). De plus, à Florissant, elles avaient essayé d’avoir une petite école pour les filles indiennes, et à Saint Louis, il y eut un orphelinat pour jeunes filles, l’une des conditions imposées par M. Mullanphy pour recevoir son aide. Chacune de ces écoles avait son propre type d’instruction et de fonctionnement, distinct des autres. Avec des groupes aussi petits et un espace limité, on s’imagine difficilement comment c’était possible. Un premier accommodement fut de joindre les externes payantes aux enfants de l’école gratuite. Cela a dû nécessiter de repenser profondément les buts éducatifs : les parents des externes payantes s’attendaient à ce que leurs filles reçoivent une éducation comparable à celle des pensionnaires, tandis que, selon le modèle européen de l’école gratuite (des « pauvres »), l’éducation de ces enfants devait se limiter à ce qui était nécessaire pour leur humble condition. Dans ses lettres, Philippine ne cesse de faire allusion au sens de l’égalité des Américains blancs et à leur sensibilité relative à tout ce qui pouvait suggérer une différence de classe et pourtant, bien sûr, l’esclavage était largement répandu au Missouri et en Louisiane. À la fin de l’année 1829, quatre Sœurs de la Charité vinrent ouvrir le premier hôpital de Saint-Louis, aussi sous le patronage de John Mullanphy. En attendant que leur logement soit prêt, elles furent accueillies chez les religieuses du Sacré-Cœur (Lettre 347). Les lettres de cette époque sont nombreuses : 124, dont 67 à Mgr Rosati et 23 à la Mère Barat. Aux alentours de 1825, les lettres à la Mère Barat adoptent parfois un langage prudent : « grand-père » pour désigner

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l’évêque et « amis » pour les prêtres. Même si nous n’avons pas de lettres de France donnant cette directive, c’était peut-être une réaction face à l’agitation politique et anticléricale française. Des religieuses françaises le faisaient parfois aussi. Au mois d’août 1830, les journaux américains donnent des nouvelles peu satisfaisantes sur la Révolution de juillet, à Paris. Philippine cherche auprès de son amie et cousine Joséphine des nouvelles plus précises : « Quoique la nation américaine ait gagné sa liberté par le secours des Français, elle ne les aime pas beaucoup. Je crains de l’altération dans les récits et tu sens combien j’attache de prix à les connaître vrais. » (Lettre 367, 26 août 1830). Joséphine devait le savoir : au moment où Philippine écrit, son cousin et frère de Joséphine, Casimir Périer, était président de la Chambre des députés, et sera dans quelques mois ministre de l’Intérieur. À nouveau en Louisiane

En 1829, il y avait des tensions entre les trois maisons de Louisiane qui se faisaient concurrence au sujet du personnel et des élèves. Dans plusieurs lettres, la Mère Barat parle d’un nouveau voyage de Philippine en Louisiane, pour essayer de régler les désaccords entre les trois supérieures, Mères Eugénie Audé à Saint-Michel, Xavier Murphy à Grand Coteau et Hélène Dutour à La Fourche, au sujet des objectifs de leurs écoles respectives et de leur possible concurrence. Mère Dutour voulait que l’école à La Fourche ait le même niveau d’études qu’à Saint-Michel, mais ni la démographie de la région, ni la proximité de Saint-Michel ne rendaient la chose faisable (Lettre 348). Contrairement au terrible voyage de 1822, la descente et la remontée du fleuve se firent cette fois sans peine. Au retour, Philippine s’arrêta chez les Sœurs de La Croix, aux Barrens, y resta plusieurs jours, et la dernière partie du trajet se fit dans une charrette à bœufs (Lettre 347). Le voyage se déroula bien, mais la visite n’eut pas de résultat. Philippine avait convoqué les trois supérieures à Saint-Michel. Bien que dans sa lettre du 5 mars 1829, la Mère Barat lui ait demandé explicitement de présider la réunion et de parvenir à un accord, Philippine répugnait à en prendre ouvertement la direction, disant plutôt qu’elle était venue en sœur, sans autorité, renvoyant toutes les décisions à la Mère Barat (Lettre 348). Les résultats furent ambigus. Philippine, défiante d’ellemême, n’était pas en mesure de s’affirmer face à ces trois femmes pleines d’énergie, chacune défendant son propre terrain. Bien que plusieurs

Introduction



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petites décisions aient été prises, les problèmes de fond demeurèrent. Avant de quitter la Louisiane, Philippine visita les deux autres maisons, Grand Coteau et La Fourche. Un peu plus de trois mois après son départ de Saint-Louis, elle rentra sans problème, mais le voyage n’eut pas de résultat. Saint-Michel, sous la direction de la Mère Audé, continua à prospérer, ainsi que Grand Coteau sous la direction de Xavier Murphy, Irlandaise. La Fourche, suite aux décisions imprudentes de la Mère Dutour, fut accablée de dettes que les deux autres maisons durent ensuite rembourser (Lettres 388, 395, 424), et fermera en 1832. Expansion et pensées tournées vers l’Ouest

La croissance rapide du nombre de religieuses s’est poursuivie dans le contexte d’une population en vive expansion, avec les milliers nouveaux arrivants de l’Est et de l’Europe, déferlant vers le Missouri et se dirigeant vers l’Ouest. Les familles de nombreuses nouvelles vocations firent partie de cette expansion. En 1830, la Société du Sacré-Cœur de Jésus comptait, au Missouri et en Louisiane, quarante-cinq religieuses professes, dont quatorze seulement venaient d’Europe, et vingt-quatre novices. Il y avait six maisons : Saint-Charles, Florissant et City House, au Missouri ; Grand Coteau, Saint-Michel et La Fourche, en Louisiane. Ensemble, elles recevaient jusqu’à trois cent cinquante élèves. On parla alors, à plusieurs reprises, d’une fondation à New York, sans bien savoir à l’initiative de qui. En réalité, elle n’aura lieu que beaucoup plus tard, en 1841, sous l’impulsion d’Élisabeth Galitzine, visitatrice générale, et sous la conduite de Mary Ann Aloysia Hardey, qui ne fit sa profession perpétuelle qu’en 1833. Durant toutes ces années, il apparaît clairement, dans les lettres, que Philippine n’oublia jamais les premières intentions qui l’ont conduite en Amérique. Elle continuait à chercher des occasions d’interaction plus étroite avec les Indiens. Jusqu’en 1830, les tribus furent chassées du Missouri pour aller s’installer plus loin, à l’Ouest. Dans une lettre adressée à la Mère Barat, le 23 juin 1833, Philippine exprime son désir de les rejoindre, de partir vers l’Ouest : un désir inspiré par ses rencontres régulières avec le grand missionnaire Pierre De Smet, SJ, lors de ses fréquentes visites lorsqu’il était à Saint-Louis, ainsi que d’autres prêtres missionnaires qui, à la grande envie de Philippine, allaient rejoindre les missions indiennes et racontaient leurs expériences à leur retour. Le fait d’être une femme, son âge et la clôture, ainsi que le manque de person-

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nel et de ressources, contrecarraient son intense désir d’une mission plus ouverte. Le 16 octobre 1833, la Mère Barat répondit à Philippine qu’elle n’osait pas accéder à sa demande, par manque de religieuses solides pour l’accompagner et de moyens de subsistance. Elle ne fermait pas la porte à cette idée, mais demandait à Philippine de lui en reparler, quand elle trouverait sa réalisation possible1. Le 16 septembre 1833, Octavie Berthold est morte dans la communauté de Philippine, à Saint-Louis, première du groupe initial à la quitter. Elle avait souffert courageusement durant plusieurs années de ce qui semble avoir été un cancer de la gorge ou du cou. Cet évènement donnait à réfléchir à Philippine. C’est peut-être la raison pour laquelle, tout au long de ces années, elle parle fréquemment de la mort dans ses lettres à la Mère Barat. En dépit de cette préoccupation, elle allait vivre encore dix-neuf ans et voir ses premières compagnes mourir avant elle, et d’autres également. Les notices, « Vies de religieuses » des maisons de Louisiane et du Missouri de cette époque, relatent de façon plus ou moins longue la vie et la mort de treize religieuses, la plupart nées en Amérique ou entrées dans la Société du Sacré-Cœur au Missouri ou en Louisiane. Des onze dont nous connaissons l’âge, la moyenne d’âge au moment de leur décès est de trente-deux ans. Les épidémies de fièvre jaune, de choléra ou de tuberculose en étaient souvent la cause, mais bien d’autres sont mortes de maladies inconnues. Cela représentait d’énormes pertes pour les communautés et les écoles qui luttaient pour conserver leurs élèves et leur donner la qualité d’éducation qu’elles leur avaient promise.

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J. de Charry, II 3, L. 293, p. 240-241.

LETTRES

LETTRE 331

L. 1 À M. SAULNIER1

SS. C. J. et M2.

[1er janvier 1829] Monsieur, Je viens me joindre à vos ouailles empressées à vous souhaiter la bonne année et vous offrir les vœux bien sincères de toute notre communauté pour votre bonheur et le succès de vos saintes œuvres. Je vous demande en retour votre bénédiction et le secours de vos prières pour la réussite de l’œuvre que vous désirez comme moi et que je ne perds point de vue. Il y aurait trop de douceur à travailler pour Dieu s’il n’y avait pas des difficultés à surmonter. J’ai reçu une lettre de Monsieur De Neckere, de La Nouvelle-Orléans, qui se décide à faire le remboursement à M. Benoît Condé et a remis à Monsieur Borgna le montant de 100 $ plus 6 $ pour l’intérêt de 4 mois. Je voudrais bien que le reçu de Monsieur Borgna fût accepté de quelques marchands pour de l’argent, sinon je ne pourrai en ce moment payer en argent que 53 $ pour ma part du cautionnement ; et encore en me gênant. Il faudrait alors que vous donnassiez le reste. Je pense qu’il vaut mieux faire accepter le reçu de Monsieur Borgna, au risque de donner quelque chose de plus pour l’intérêt ; c’est l’intention de Monsieur De Neckere qui ne me dit rien de M. Desmaillé. 1

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Edmond Saulnier, né en France, a été ordonné prêtre par Mgr Dubourg en 1822. Il a enseigné au collège de Saint-Louis et a été curé de plusieurs paroisses de la région, avant d’être nommé chancelier du diocèse en 1850. Il est décédé en 1864. En 1827, Philippine se plaint à Mgr Rosati de voir M. Saulnier interférer dans les affaires de la communauté. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to various Eccles., Box 8. La 2e page ayant été arrachée, le destinataire nous est inconnu. Bien que classée au N° 51 des Lettres à Mgr Rosati, le style et les questions laissent entendre qu’il s’agit de M. Saulnier, curé de Saint-Louis, à qui la lettre du 22 mai 1829 a été adressée.

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Rachel est un peu mieux. Si cela continue, nous serons contentes, car où n’y a-t-il pas d’inconvénients dans ce monde ? Je suis avec respect, Monsieur, votre dévouée servante. Philippine Duchesne sup. Ce 1er janvier 1829

LETTRE 332

L. 50 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[4 janvier 1829] Monseigneur, Je viens vous présenter les souhaits de bonne année de nos petites familles qui bénissent bien le Seigneur de les faire croître sous vos auspices. Elles demandent sans cesse à Dieu de bénir vos travaux, de vous préserver de tous les dangers qui, en affectant le pasteur, affligeraient tout le troupeau, de ne pas permettre que ce troupeau soit jamais sourd à votre voix et ne fasse un jour votre couronne. Nos chères Sœurs de la Charité sont un peu mieux maintenant. Elles ont recueilli notre novice de Washington qui compte retourner à sa première vocation. Madame Lucile est toujours fort contente avec 24 enfants externes qui font sa consolation [à Saint-Charles]. Madame Octavie, après avoir été très malade, paraît reprendre un peu de vie, mais sa faiblesse et le départ de la novice américaine ont forcé de lui rendre Madame Hamilton. Nous avons été ici presque toujours en maladie et disette. La Providence nous a soutenues. Madame Xavier est mieux de toutes manières, mais la novice toujours chancelante. Je sais de bonne part que notre Mère persiste à vouloir une différence dans l’éducation qui se donne à La Fourche pour ne pas nuire à 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1829 Janvier 4, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue à la Nouvelle Orléans le 18 avril. »



Lettre 333

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Saint-Michel. Madame Dutour, extrêmement tenace dans ses plans, ne me répond point, espérant obtenir tout ce qu’elle voudra en France. Je crois qu’il serait bien bon que Monsieur Caretta la décidât à soumettre en cela son jugement et à ne pas s’agrandir pour diminuer ses sœurs. Sa maison, telle qu’elle est, suffit bien pour le pays. Si d’autres veulent mieux, qu’ils payent à Saint-Michel. Madame Lucile, dans une position semblable, n’a point de volonté [analogue]. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et bien dévouée fille et servante. Philippine Duchesne Ce 4 janvier 1829 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Barrens Missouri

LETTRE 333

L. 51 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[18 janvier 1829] Monseigneur, J’ai eu l’honneur de vous écrire à la Nouvelle Année et viens encore renouveler l’expression des vœux de vos trois familles du Sacré-Cœur ; celle de Saint-Charles va toujours à la satisfaction de tout le monde. À Florissant, Madame Octavie se soutient mieux que je ne l’espérais, mais a bien peu de pensionnaires. Il en est de même ici et les externes, à cause du mauvais temps, se retirent en partie. Dans cet état de choses, 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1829 Janvier 18, Mme Duchesne, St. Louis. »

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ayant nos dettes à payer, cette année, je voulais profiter du désir qu’a M. Higgen d’acheter notre terrain de pommiers dont vous m’aviez fait l’acte de vente pour Mgr Dubourg. M. Higgen ne l’a pas trouvé en règle, y manquant le sceau du comté ; mais on dit que la première pièce que Mgr Dubourg tenait de M. Mullanphy peut servir également. Si elle était dans vos mains, je vous prie de bien vouloir nous l’envoyer. Peut-être aurons-nous le bonheur de la recevoir de vous, si vous remplissez la promesse que vous avez faite de venir à Saint-Louis avant de descendre à la Nouvelle-Orléans. Cependant si ce temps était éloigné, je voudrais avoir l’acte plus tôt pour pouvoir payer quelques dettes. Monsieur Loiseul est malade depuis quelque temps ; c’est un rhumatisme qui le fait souffrir et qui s’est porté sur différentes parties du corps. Son estomac est aussi en mauvais état. Nous ne voyons plus les Sœurs de la Charité, mais nous savons qu’elles sont bien et plaisent à tout le monde. Notre novice malade, qui s’était retirée chez elles, se trouve mieux, dit qu’elle s’engagera dans leur Société et reviendra ainsi à sa première vocation, n’étant venue chez nous que pour obéir à son confesseur. Point de nouvelles à La Fourche. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et bien dévouée fille et servante. Philippine Duchesne sup. r. S. Cœur Saint-Louis, ce 18 janvier 1829

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L. 55 À MADAME JOUVE Saint-Louis, 4 Avril [1829]

Ma chère sœur, Il y a bien longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles directes ; ta chère Aloysia [Amélie Jouve] m’en a données, mais qui sont un peu vieilles. Je profite du départ d’un jeune ecclésiastique qui retourne en France, pour te renouveler ainsi qu’à ton mari et à tes enfants l’assu-

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rance de mon constant souvenir devant Notre Seigneur. Aloysia m’apprend que mon filleul Henry1 va à Rome et que Constance reprend son attrait pour la vie religieuse. Bénis Dieu qui se plaît à tes sacrifices et te prouve de plus en plus qu’ils lui sont agréables. J’aurais cependant bien de la peine à te voir si solitaire, si tu n’avais encore auprès de toi Joséphine dont on m’a beaucoup loué l’affection pour sa chère maman2, et si tu ne trouvais dans ta foi et ta piété tous les motifs de consolation et de paix dans les plus grandes privations. Je suis plus en peine de Mme de Mauduit qui me paraît être restée seule dans un lieu qui l’a vue abreuvée de tant d’amertumes ; celle qu’elle a tant aimée, sa chère Amélie, lui en présente encore qui me paraissent bien pénibles3. J’ai répondu depuis peu à l’une de nos dames de la Ferrandière, qui m’avait écrit et me donnait des détails sur cet établissement. Si tu as quelque rapport avec Mesdames Prevost ou Geoffroy, supérieures des deux maisons du Sacré-Cœur, près Lyon, fais dire à Madame Rombau que je lui ai répondu, et quête un galon de chasuble mi-fin et quelques livres de classe. Si tu y ajoutais du papier vert et rose pour des fleurs et quelques paquets de chenilles vertes, tu me rendrais grand service, car nous avons plusieurs églises ou chapelles à entretenir. Tu sais sans doute que nous avons maintenant six maisons en Amérique, trois dans l’État de la Louisiane, assez florissantes, et trois dans l’État du Missouri, fort pauvres et fort éprouvées. Cette partie est la mienne et contribue à me vieillir. Je suis sujette à un mal de jambes que je n’ose guérir pour éviter pire, car nous sommes si peu nombreuses, nous étant divisées plusieurs fois, que chacune a bien ses occupations et si l’une manquait, cela ferait un surcroît trop fatigant pour les autres. J’ai aussi écrit à Mme de Rollin pour répondre à l’une de ses lettres ; je ne sais pas bien où elle s’est fixée, mais je pense que tu la vois quelquefois dans ses voyages. Rappelle-lui ma tendre affection et priez toutes pour moi, comme je le fais pour vous, qui vous aime tendrement en Notre Seigneur Jésus-Christ.

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Henry Jouve, entré au noviciat jésuite en mai 1821, a fait ses études de théologie à Rome. Joséphine Jouve, née en 1811, sera religieuse des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie de l’Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement, dont le couvent est situé près de Notre-Dame de Fourvière, à Lyon. Amélie de Mauduit (1795-1869) s’est mariée en 1818 avec Henri Bergasse (1783-1867). Le couple connut des problèmes financiers en 1819 et en 1829, suite aux crises commerciales du vin.

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Toute à toi, Philippine Duchesne Mes compliments à mon frère dont j’ai une lettre ; je lui répondrai en envoyant mes certificats qu’il me demande et qu’on n’a qu’avec des longueurs insupportables. Le dernier m’a été renvoyé de Washington par le consul de France, et il s’est perdu en allant à Jefferson, siège de notre gouvernement, pour avoir la signature du gouverneur. [Au verso :] À Madame Jouve Près de l’église des Chartreux À Lyon Département du Rhône France

LETTRE 335

L. 52 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[5 avril 1829] Monseigneur, J’ai reçu la lettre que vous avez daigné m’écrire avant votre départ pour La Nouvelle-Orléans ; et M. Mullanphy, sur ma demande, m’a avancé 50 $ quoiqu’il n’eût encore rien recouvré. Votre départ m’a fait d’autant plus de peine que jamais, peut-être, je n’avais tant désiré vous voir : 1°) Notre Mère générale m’avait écrit d’avoir votre permission pour descendre dans la Louisiane, afin d’y réunir les supérieures parce qu’elle craint que l’uniformité et la régularité s’altèrent dans six maisons si différentes les unes des autres. Elle voudrait qu’il y en eût trois seulement sur le premier rang et donner dans les trois autres une éducation pour 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1829 Avril, Mme Duchesne, St. Louis ; reçue le 15. »

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les personnes moins fortunées et avec une pension plus modique qu’à La Fourche pour ne pas nuire à Saint-Michel ; qu’on n’y fasse pas d’augmentation de bâtiment et fixe le nombre de pensionnaires qu’on peut y recevoir. Elle désire de plus que toutes les différences dans notre plan d’études et le régime de la maison, qui paraîtront nécessaires dans ce pays à cause du climat, des usages, des opinions et de la langue, soient réglées entre nous et soumises à sa révision et à celle de son Conseil. Pour que tout se fasse ensuite uniformément et légitimement. 2°) Je vous attendais pour avoir votre permission, lorsque de nouvelles plaintes de Madame Xavier et un mal de jambes assez sérieux me rendent le voyage impossible. J’invite Mesdames Eugénie et Xavier Murphy de venir elles-mêmes quand cela sera possible. Je pense qu’il est impossible que Madame Dutour se déplace. Veuillez, je vous prie, le leur permettre et leur donner vos ordres pour ce qui doit nous occuper. 3°) Monsieur Saulnier, depuis quelque temps, m’a aussi dit qu’il avait voulu vous parler à mon sujet, mais qu’il se décidait à me le dire luimême. C’est au sujet de ma manière d’agir trop rigoureuse envers mes sœurs ; il paraît qu’elles lui ont fait des plaintes et cela ne m’étonne pas. Cet article rend encore nécessaire une réunion, car Madame Octavie est toujours bien faible et affligée sous plusieurs rapports. Saint-Charles va bien ; il y a 36 externes et j’y ai envoyé Sœur Mary Layton dont on est bien content. Monsieur Loiseul est de retour et a eu la bonté de nous voir. Je n’ai pas osé le prier de revenir, car il paraît encore faible et Monsieur Lutz, qui nous a donné la messe depuis Noël lorsque Monsieur Loiseul a été malade, l’a fait de si bon cœur que j’ai craint de le blesser en recherchant un changement. Soyez persuadé, Monseigneur, que je serai docile à tout ce que vous jugerez pour moi, que je reconnais mes torts et que je suis, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À La Nouvelle-Orléans Louisiana

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L. 92 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

18 mai 18291 Rec. à St. Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, J’ai à vous annoncer la réception de plusieurs lettres dans chacune desquelles il y a quelque chose à dire. 1°) Une de Mgr Dubourg qui me parle des 31 questions qu’il vous a adressées à notre sujet, sans me dire lesquelles. Je pense qu’elles tendent à son premier dessein de nous mettre à l’égalité2. Les Sœurs de la Charité n’ont pas manqué de vanter la leur, et que leurs orphelines, dans le Maryland, étaient sur le même pied que les pensionnaires. Quant à la clôture, c’est l’esprit américain de mettre le nez partout, de visiter tous les établissements. Le général de ce quartier vient de Georgetown où il a vu celui de la Visitation ; il dit avoir été partout et qu’il est le plus bel établissement de femmes qu’il ait connu. Il y a là de grands emplacements où les hautes sciences s’enseignent : chimie, botanique, rhétorique, mathématiques, etc. Nos Dames s’étaient bien abusées en pensant que des Françaises réussiraient là mieux qu’elles3. On y parle la langue [anglaise] supérieurement, c’est un point important. La seconde lettre était de Rome, bien intéressante, mais où il paraît que j’ai scandalisé en écrivant (pour parler de nos maisons et avoir l’occasion de nous rappeler au cardinal protecteur) de lui demander si on ne pourrait pas recevoir les sujets à 16 ans à la prise d’habit. On m’a répondu qu’on ne savait pas si vous le vouliez. La troisième est de Mère Ducis et m’annonce un petit envoi joint à celui qu’elle adresse à Mère Dutour. Je n’ai pas encore reçu un seul exemplaire ni des bréviaires, ni des Constitutions, ni des manuels, ni le velours pour Mère Lucile. Cependant Mère Eugénie dit avoir envoyé 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 6 juillet 1829. J. de Charry, II 3, L. 252, p. 104-107. De ne plus séparer les religieuses et les élèves selon l’origine sociale. Les quatre religieuses sont arrivées le 31 juillet 1827 de New York, où elles ont été sollicitées pour une fondation à Baltimore et à Washington. Mais Mgr Maréchal n’y était pas favorable à cause de la proximité de la Visitation de Georgetown et des Sœurs de la Charité d’Emmitsburg. Cf. Lettres des Sœurs Dorival et Dutour, datées d’août 1827, Recueil des journaux de voyages en Louisiane, n° 15, p. 4-15. C-III USA Early History, Box 3.

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les livres. Je ne puis faire la distribution comme me dit Mère Ducis, puisque tout arrive à la Louisiane avant le Missouri. J’ai écrit à Monsieur Borgna pour m’en informer. La quatrième et la cinquième étaient du Noviciat de Paris et de Mère Toussenel1, qui a aussi des croix. Nous avons eu celle de la pauvreté, cette année, jusqu’à retarder de vous écrire pour n’avoir pas de quoi affranchir la lettre, et n’en pouvoir retirer de la poste pour la même raison, etc., etc. Saint-Ferdinand, Saint-Louis ont souvent été plusieurs jours sans un seul sou. Encore fallait-il le dissimuler pour ne pas se discréditer. Enfin, Mère Eugénie m’ayant dit de tirer sur elle pour l’argent que vous avez bien voulu la charger de me donner, et Monseigneur m’ayant fait compter 1 000 F sur l’argent que la Société de la Propagation de la Foi lui envoie, nous sommes en état d’acquitter notre emprunt de 3 300 F de l’année passée avec les intérêts. C’est une forte épine tirée du pied, ayant si peu de ressources : 8 pensionnaires, 27 personnes à nourrir, dont 19 à entretenir, et 1 250 F à donner aux domestiques. Ce sont les 18 externes payantes qui nous ont fait vivre cet hiver et des externes aussi, qui fournissent Saint-Charles qui n’a pas de pensionnaires mais plusieurs orphelines, gratuitement. On n’y a manqué de rien. Je désire bien votre réponse par rapport aux externes payantes2. Si nous refusons, elles se jetteront chez les hérétiques et nous serons peut-être réduites à zéro. Pour les enfants, on commence à nous préférer les Sœurs de la Charité qui sortent, qui s’entendent aux malades, qui parlent bien l’anglais. Nous avons 60 enfants à l’école des pauvres qui, depuis un an qu’elle va, nous a donné 4 postulantes. Voilà en quoi la maison de Saint-Louis nous sera utile : nous aurons beaucoup de sujets dans cette classe propre pour le pays, et bien peu du pensionnat, ce qui nous soutiendra dans la pauvreté car il faut tout leur donner, mais plusieurs seront capables d’étudier. La maison de Saint-Ferdinand est plus propre que celle-ci pour les novices. Mère Octavie, tout infirme qu’elle est, les soigne bien. On n’y a pas les distractions d’ici où c’est un mouvement continuel avec près de cent enfants, dans une si petite maison, qui apportent toutes les nouvelles, font les commissions, etc. 1

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Madeleine-Sophie Toussenel (1791-1862), RSCJ, entrée à Amiens en 1810, a fait sa profession le 16 juillet 1814. Elle a été supérieure à Charleville, où elle est décédée, laissant d’intéressants mémoires sur les origines de la Société du Sacré-Cœur. Le 12 février, la Mère Barat lui a donné cette permission, mais la lettre ne lui est pas encore parvenue.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Mère Octavie a été ici six jours et m’a bien aidée pour le départ de Mère Xavier Van Damme qui ne s’est jamais plu ici, n’était point aimée des enfants, peu des Sœurs et des parents, mais qui a plusieurs fois refusé de partir (notamment avec Monsieur Dusaussoy) après l’avoir désiré. Elle s’est beaucoup humiliée avant de partir, a protesté de son attachement à la Société et espère contenter Mère Eugénie où je l’ai envoyée pour le double motif qu’elle sera plus à la portée de la France et que Mère Eugénie est la seule qui puisse la gouverner en bas. La maison a tout pour lui plaire, étant mieux réglée et montée que la nôtre, sur le pied de la France. Je crains qu’elle me sache mauvais gré de la lui donner, mais Mère Xavier Murphy n’en a pas voulu ; elle ne pouvait aller avec Mère Dutour. J’ai envoyé à cette dernière une de nos aspirantes créole [Thérèse Detchemendy], qui avait aussi besoin de changer d’air et peut lui être bien utile, car elle a 30 pensionnaires. Mgr Rosati, qui me l’écrit (et c’est la sixième lettre dont j’ai à vous parler), est enchanté de cette maison de [La Fourche] et voudrait qu’on ne la limitât pas. Les deux autres s’en plaignant toujours comme leur faisant tort, il me semble qu’elle peut bien se contenter de ses trente enfants, car c’est une personne qui pourra en demander jusqu’à ce qu’elle soit à l’égal des autres1. N’ayant plus Mère Xavier [Van Damme], je ne puis du tout quitter. J’ai cinq classes, toutes les instructions, lectures, offices, prières publiques à faire, et plus encore la surveillance qui est bien difficile. Je n’ai point cherché à retenir Monsieur Dusaussoy car cela n’allait pas du tout avec les autres prêtres et notre pauvreté ne me permettait pas de lui rien offrir de convenable à sa mauvaise santé. Je vous prie de le remercier de ses bontés ainsi que Monsieur Perreau. Monsieur Petit ayant dit à Monseigneur de ne nous donner qu’en cas de besoin, comme il en a plus que nous, il se bornera à ces 1 000 F que M. Mullanphy nous a avancés, car il ne les avait pas encore. Veuillez, je vous prie, donner du temps à Mère Xavier [Van Damme], un nouvel essai sera sans inconvénient pour la Société et bien utile à son âme. Veuillez aussi agréer tout ce que régleront nos trois Mères de la Louisiane, je ne suis plus qu’un bâton usé et bon à jeter au premier jour ; mais ne consentez pas, je vous prie, à détruire une de nos maisons du Missouri. Saint-Charles sera pour des espaces immenses, celle d’ici pour être dans la ville épiscopale la plus considérable de l’État, Saint-Ferdinand pour le Noviciat et un pensionnat aux deux-tiers de la pension d’ici, Mère Octavie y consent. 1

Philippine anticipe les difficultés qui ne manqueront pas d’arriver.



Lettre 337

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Je voudrais m’y retirer si vous vouliez que Mère Xavier Murphy vînt remonter cette pauvre maison en donnant une maîtresse pour l’anglais à Mère Dorival. Il faut ici, pour supérieure, quelqu’une qui parle très bien l’anglais. Il n’y a qu’elle justement. Réponse là-dessus, je vous prie. Mère Octavie ne peut vivre longtemps. Je suis à vos pieds votre méchante fille, Philippine r. S. C. Mes respects à nos bons Pères Varin et Barat. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

LETTRE 337

L. 2 À M. SAULNIER

SS. C. J. M.

Ce 22 mai 18291 Monsieur, Je vous prie de vouloir vous rappeler le livre de rhétorique que vous avez eu la bonté de me promettre. Notre pauvre sœur M… a été bien mal toute la semaine, et voyant un soir arriver la sœur que Monseigneur, de Cincinnati, lui avait défendu de fréquenter, je me suis doutée que c’était elle-même qui l’avait fait demander et sur la question que je lui en ai faite, elle en a convenu, sans 1

Original autographe, classé dans le dossier des Lettres à Mgr Rosati, au N° 55. C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

pouvoir en connaître le sujet. Aujourd’hui, la petite-nièce est encore arrivée mystérieusement. Je crains que tout finisse par un scandale et voudrais le prévenir. Daignez me conseiller, ou la décider à prendre un parti, dès qu’elle ne veut pas suivre la règle. Je suis avec respect et reconnaissance, Monsieur, votre humble servante. Philippine Duchesne [Au verso :] À Monsieur, Monsieur Saulnier Curé de Saint-Louis À Saint-Louis

LETTRE 338

L. 53 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[12 juillet 1829] Monseigneur, J’ai eu l’honneur de répondre à la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire après votre première visite à La Fourche. Je n’ai point su si elle vous était parvenue, non plus que les précédentes et j’ai craint de vous avoir déplu en quelque chose, ce qui me fait une peine extrême. Si c’est par rapport à Monsieur Loiseul, toute autre personne aurait été aussi en doute que moi pour ce que j’avais à faire ; il avait cessé de venir trois mois par cause d’une maladie à laquelle le froid est très contraire. Monsieur Lutz l’avait remplacé et a continué de lui-même. Si j’avais prié Monsieur Loiseul de revenir, le temps était encore bien rigoureux, il était comme sûr qu’il ne pourrait pas continuer et Monsieur Lutz, qui avait toutes sortes de droits à nos égards et à notre reconnaissance, 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1829, ­Juillet 12, Mme Duchesne, St. Louis. »

Lettre 339



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aurait pu sentir qu’il n’était pas fait pour être congédié, après s’être offert avec une bonté la plus soutenue. Monsieur Loiseul lui-même m’a dit, qu’à ma place, il eût agi comme moi. J’espère que nous aurons bientôt le bonheur de vous voir et que je saurai plus positivement ce qui peut être le plus conforme à votre volonté pour m’y conformer. Je suis avec une grande vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Louis, ce 12 juillet 1829

LETTRE 339

L. 54 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[15 août 1829] Monseigneur, Je ne vous ai fait aucune demande par rapport à celles de nos pensionnaires qui n’ont pas été confirmées et qu’on avait tâché de préparer ; mais pour ma grande affliction, elles n’y ont pas mis grand intérêt et même une d’elles, sur le reproche que je lui en faisais, a dit : « Je m’en moque. » Je n’aurais pas voulu contribuer de ma part à de telles réceptions de sacrement, mais Monsieur Saulnier qui craint plus de mal en attendant, était d’avis de ne pas différer et voulait vous prier de faire cette confirmation ici lundi. Mais il est survenu de nouveaux obstacles ; Mlle Pratte l’aînée, à qui j’ai écrit de rentrer hier ou ce matin, n’est point revenue. Sa sœur a dit à ses compagnes : « Je ne serai pas confirmée. » Elle n’a pas même exprimé son désir à son confesseur, ainsi qu’elle me l’a dit. Une troisième dit encore qu’elle préfère attendre jusqu’à l’année prochaine. Enfin la qua1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1829 Août 15, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

trième qui désire le sacrement, pourrait bien se rendre demain à l’église et se joindre à la Confirmation générale. La chaleur est si grande qu’il y a de l’indiscrétion à vous prier de multiplier les cérémonies. Je vous prie de vouloir bien me faire dire par le prêtre, qui viendra demain matin, s’il faut que la jeune personne aille à la paroisse et si nous remettons les trois autres à un temps plus éloigné. M. Higgen, qui a acheté le morceau de terre dont vous nous avez passé l’acte de donation, attendait votre arrivée pour notre acte de vente dont nous avons reçu d’avance le paiement. Si vous voulez bien désigner le jour et l’heure où il pourrait vous parler, M. Lepère irait avec lui car il a besoin de quelques renseignements que je ne puis donner. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et obéissante fille. Philippine Duchesne Religieuse du S. Cœur Ce 15 août 1829 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Saint-Louis

LETTRE 340

L. 55 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[20 août 1829] Monseigneur, Sans doute, vous vous rappelez que l’année passée au mois d’octobre, vous me demandâtes d’écrire en France, n’ayant vous-même aucune 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1829 Août 20, Mme Duchesne, St. Louis. »

Lettre 340



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réponse à plusieurs de vos lettres. J’écrivis de suite à Paris et à Lyon. Je reçois seulement la réponse de la supérieure de notre maison de Lyon, qui contient la réponse qu’elle a eue de Mme Petit1. Je la joins ici. J’ai eu aussi une lettre de notre Supérieure générale qui me dit encore qu’elle voudrait que je fasse un voyage dans la Louisiane. S’il devient possible, j’en aurais d’autant plus le désir que ma sœur Mary Ann O’Connor, qui est à Saint-Charles, fera ses derniers vœux pendant les vacances. Sûrement, elle vous en demandera la permission ; mais si les cérémonies de l’église l’empêchaient de pouvoir vous approcher, veuillez, je vous prie, la demander et l’examiner. Son zèle et sa bonne conduite jointe à son âge méritent cette dernière faveur de la Société et je suis autorisée de notre Mère générale pour agir sans lui écrire d’avance. Il y a aussi deux postulantes à Saint-Ferdinand qui désirent beaucoup l’habit et qui l’espèrent de votre main. M. Pierre cadet Chouteau est venu me faire une proposition qui me jette dans l’embarras et qui m’a l’air d’être faite pour en venir à retirer ses deux filles pensionnaires. Il a demandé qu’elles sortent deux fois la semaine à l’avenir pour avancer dans la musique, le dimanche et le jeudi. Sur mon refus, il s’est retranché à une seule sortie, le mercredi soir jusqu’au vendredi matin. Ces sorties fréquentes sont tout à fait contraires à nos règlements, empêchent l’ordre de la maison, retardent ou annulent les progrès des enfants. Et si c’est votre avis, je tiendrai ferme au risque de nous voir plus à la gêne. Cela me forcera à cesser notre engagement avec M. Lepère, mais je me résigne à tout. Et s’il reste avec nous, j’oserai vous prier, Monseigneur, d’exiger qu’on tienne fermée la porte qui communique chez lui et où il passe pour son travail. Je n’ai jamais pu obtenir qu’elle le soit et encore aujourd’hui, des Nègres sont entrés par là et ont trouvé de nos jeunes sœurs dans un état où elles ne pouvaient paraître. Si l’ordre vient de vous, il s’exécutera ; de moi, cela ne paraît qu’une singularité contrariante. Je n’ai pu non plus vous demander vos volontés par rapport à Monsieur Loiseul. Personne ne convient mieux que lui pour l’exactitude, mais il est à craindre que, dans le froid, il ne puisse venir à cause de ses rhumatismes. Je ne sais aussi si je puis témoigner à Monsieur Lutz le désir qu’il continue, car il ne veut pas de conditions et nous sommes une pesante charge à cause de l’éloignement dans les mauvais temps. 1

Il s’agit d’une somme d’argent que le fils de Mme Petit doit à Mgr Rosati.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Je n’aurais pas pris la liberté de vous écrire, si M. Chouteau n’avait lui-même demandé qu’on vous parle au sujet de ses filles, et Monsieur Saulnier au sujet de Monsieur Loiseul, et que je crains, soit de l’oublier dans une visite, soit de ne pouvoir en parler devant plusieurs témoins. M. Le Duc est venu aujourd’hui me faire signer l’acte pour M. Higgen. Je n’ai pas su si je devais parler de paiement en France ; cela regarde l’acheteur. Je suis avec un profond respect in Corde Jesu, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne r. du S. Cœur Ce 20 août [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Saint-Louis

LETTRE 341

L. 93 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Ce 23 août 18291 Rec. à St. Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir votre lettre du 5 mars, toute remplie des expressions de votre douceur. Elles me sont allées au cœur, l’ont touché sensiblement. Elles me semblaient un baume fortifiant dans les épreuves dont il plaît à Dieu de nous favoriser. Si l’état [financier] de décembre vous a étonnée, celui de juin l’aura fait davantage, et cepen1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 257, p. 117-120.

Lettre 341



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dant celui de décembre prochain sera pire si Dieu n’y met la main, car nous n’avons que sept pensionnaires, et le père de deux d’entre elles m’est venu annoncer qu’elles ne resteront cette année qu’à condition qu’elles sortiront et coucheront chez lui toutes les semaines, deux jours et deux nuits. Comme j’ai refusé, je ne crois pas qu’il revienne par la passion d’avancer ses filles pour la musique. Comme nos enfants sont toutes de la même famille, ce que les uns veulent, les autres aussi, elles s’entendent toujours en tout. Je ne saurai le vrai résultat qu’à la rentrée. Il y a beaucoup d’impatience de voir les prix et j’en ignore le jour, les enfants sont peu prêtes. Je laisse partir plusieurs prêtres qui sont ici et dont les yeux seraient trop perçants. Je ne sais ce que Dieu veut ni comment je pourrais l’apaiser, mais tout va mal entre mes mains. Je me vois comme le vieux lion qui n’a plus moyen d’agir et que tout accable et pique. La plus réelle de nos peines est le peu de progrès des enfants dans la piété et l’instruction, et l’inconstance de celles qui sont sorties de chez nous en différents temps et qui conservent bien peu de la piété qu’elles avaient montrée et elles passent pour plus mauvaises que d’autres. Voici le détail abrégé des autres. Première [peine] : Monseigneur m’a paru très froid, soit à cause à La Fourche qu’il voudrait qu’on ne gênât point, ayant été très satisfait de cette maison très protégée par deux Lazaristes qui desservent les paroisses voisines. Deuxième : Le Père supérieur paraît aussi mécontent souvent. Il blâme tout et m’a paru désirer que j’allasse dans la Louisiane ; ce que je vous ai dit de lui et du curé, touchant leur opinion sur moi, m’a fait croire qu’il croit avantageux que je sois déplacée. Cependant j’en ai parlé à Monseigneur avec prière de vous le demander lui-même s’il le voyait utile par ce qu’on aurait pu lui dire ; il m’a dit que non et que je devais garder ma place. Troisième : Cependant ayant invité Mères Eugénie et Xavier de nous réunir ici, elles n’ont pu se rendre et il paraît qu’elles ne viendront pas du tout. C’était encore une consolation de perdue, espérant, comme je vous l’avais demandé, que Mère Xavier Murphy pourrait rester ici et je la regardais comme la seule en état de ressusciter cette pauvre maison, l’école gratuite, le soutien de 60 enfants et il y a 8 orphelines dans la maison. Les enfants payantes sont si peu nombreuses que je pourrai faire le voyage, mais cela ne donnera pas une supérieure à cette maison. Vous n’y voulez pas Mère Eugénie, Monseigneur croit impossible d’ôter Mère Xavier Murphy, et je sens moi-même quelle plaie on ferait

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

à deux maisons florissantes pour en réparer une, où le bien à faire est incertain à cause de la multitude d’écoles où les études sont poussées plus haut que chez nous, au moins en sciences relevées, entre autres une à Doulens [?] tenue par une famille presbytérienne, dont nous avons eu trois demoiselles des plus distinguées parmi nos élèves décorées, baptisées, confirmées, ferventes, et retournées avec fureur à leurs erreurs. Elles peuvent très bien enseigner les deux langues et vont de maison en maison arracher les enfants aux écoles catholiques ou leur distribuer de leurs livres. J’ai pensé que votre plan de faire venir ici Mère Dorival serait le mieux, car il sera plus facile de donner une Française à Mère Xavier Murphy ; mais quant au noviciat, il faut quelqu’un qui parle anglais. Tant que Mère Octavie vivra, elle peut continuer ; après elle, Sœur Hamilton, professe, sera la plus propre en ne lui donnant pas tout le titre à cause de sa jeunesse. Quatrième croix : nos Sœurs vont comme cela, il y a peu d’âmes généreuses et beaucoup d’imparfaites. II y a ici 4 novices et 4 voiles noirs, à Florissant 5 novices et deux postulantes, nous en attendons deux autres. Deux seulement pourront faire de bonnes maîtresses avec le temps. Cinquième : Mère Octavie est toujours souffrante. Puisque nos Dames ne peuvent monter, je profiterai, s’il n’y a obstacle, de son reste de vie pour aller à la Louisiane. On pourra ici prolonger les vacances ou réunir les pensionnaires à Florissant. Je vous ai déjà marqué, ma bien bonne Mère, que toutes nos dettes sont payées. Si nous ne pouvons, cette année, payer le domestique, nous le renverrons. II faut si peu pour vivre quand on est logé. Les externes nous nourriront, et Saint-Ferdinand est aussi bien gêné à cause des novices qui n’ont rien. J’envoie la feuille de Saint-Charles. Si vous voulez bien hâter le voyage des trois sujets que vous annoncez, on pourrait remplacer Mère Dorival et les autres, relever cette maison ; le nouveau aura plus de faveur, je n’ai plus ni crédit ni réputation et ne le mérite pas. Monseigneur est ici, il a confirmé lundi ici ; aujourd’hui, il le fera à Florissant et demain à Saint-Charles. Il est accompagné de Monsieur Blanc et de Monsieur Jeanjean qui va avec lui à Baltimore pour le Synode des Évêques des États-Unis1. Monsieur Jeanjean m’a appris que Mère Eugénie a encore 40 000 F de dettes, qu’elle vient de beaucoup 1

En 1829, l’archevêque de Baltimore et quatre évêques ont participé au Concile provincial de Baltimore, premier Concile national d’évêques d’un seul archidiocèse.

Lettre 341



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augmenter son bâtiment et a 74 élèves, Mère Dutour 45, Mère Xavier 40 et veut aussi bâtir. Les deux premières ont beaucoup d’enfants gratuites qui sont du pensionnat, qu’elles recherchent même des parents aisés. (En note : Je joins ici la feuille écrite à la Sœur malade [Maria Lévêque] qui me le confirme.) Mère Dutour dit que vous lui dites d’avoir des orphelines, mais l’entendez-vous comme pensionnaires ? C’est au moins huit ou dix ! Ne vaudrait-il pas mieux qu’elle assistât nos pauvres maisons ? Je vous dis en vérité que j’ai manqué d’épingles pour mettre mon voile. J’ai été à plusieurs Sœurs sans en trouver et n’avais pas un sou pour en acheter. Je vous avoue que cet abandon est fâcheux quand on a tant d’argent pour d’autres choses. Mère Dutour a déjà acheté des esclaves pour plusieurs milliers de francs. Je ne puis rien dire. Je n’ai aucun crédit. Si vous voulez bien régler le nombre d’enfants qu’elles peuvent avoir gratuitement et ce qu’elles peuvent réserver pour les deux noviciats. Mère Eugénie n’a point de postulantes à présent, nous en aurons toujours dans le médiocre ici. Vous savez, ma Digne Mère, par mes précédentes [lettres], que Mère Xavier Van Damme est chez Mère Eugénie. Elle y est fort contente. Il n’était plus possible qu’elle restât ici. Une autre, qui avait aussi besoin de changer, est chez Mère Dutour qui désire beaucoup avoir des novices si vous ne l’arrêtez. Nous avons eu plusieurs fois la messe de Messieurs Fouchet et Evremont. Ce dernier est notre compagnon de voyage depuis la rue des Postes1 jusqu’à Saint-Louis. Nous nous sommes revus avec plaisir. Il est supérieur du Séminaire de Mgr Flaget. Monsieur Martial habite le même Séminaire [à Bardstown]. On attend Monsieur Delacroix qui revient. Ne soyez point en peine de moi. Je ne recherche d’autre consolation en ce monde que d’être fidèle à Dieu. Malheureusement j’ai beaucoup de reproches à me faire, toujours le même caractère ! Il est bien juste que chaque jour soit marqué par une épreuve et c’est en vérité ce qui existe. On a été jusqu’à me dire que nous ne valions rien pour les orphelines. Si cela se répand, qu’on les procure aux Sœurs de la Charité, je ne sais si M. Mullanphy ne reviendra pas sur sa donation. Il n’y a que Dieu qui sache ce qui nous attend, mais nous n’avons d’ami zélé que Jésus. Tout autre appui languit ou s’éloigne. 1

Le 8 février 1818, le P. Evremont a accompagné Philippine et ses premières compagnes, de la maison généralice à Paris jusqu’à Saint-Louis, Missouri.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Peut-on maintenant donner à Mesdames Dutour, Octavie, Lucile le titre de supérieure ? Vous ne me l’avez jamais dit expressément comme des deux autres1. Pour ne pas trop grossir la lettre, je mets ici le résultat des recettes et dépenses de Saint-Charles où il n’y a qu’une ou deux pensionnaires. Excédent en avril : 45 F. Recettes d’avril : 30 F ; de mai, 205 F ; de juin, 90 F ; de juillet, 25 F. Total des recettes et excédent : 395 F. Dépenses : meubles, vestiaires : 104 F, réparations 35 F, nourriture 176 F. Total des dépenses : 315 F. Excédent au 1er août : 80 F. C’est la plus riche des trois, j’en ris de bon cœur et suis in Corde Jesu votre indigne, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

LETTRE 342

L. 56 À MADAME JOUVE, À LYON 27 août [1829]2

Ma chère amie et bien bonne Sœur, Dieu, qui ménage notre faiblesse, nous envoie de temps en temps des consolations, et je n’en ai pas de plus grande que d’apprendre avec quels religieux sentiments tu prends et les grâces que tu reçois de la 1 2

Eugénie Audé, à Saint-Michel, et Anna Murphy à Grand Coteau. L. 56 à Mme Jouve. Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 125-126 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.



Lettre 343

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bonté de Dieu et les traverses dont il t’éprouve. Je sens combien le sacrifice de Constance1 est grand pour toi, combien tu es isolée après avoir élevé tant d’enfants ; mais considère qu’ils sont plus à Dieu qu’à toi, que mille fois tu les lui as offerts dans la préparation de ton cœur, sans te douter qu’au moment [de la séparation], le cœur éprouve bien des déchirements. Mais aide-toi aussi de ces considérations que, même dès ce monde, tes enfants goûtent plus de bonheur au service de Dieu que par les plus brillants établissements. Je n’ai encore su que la vocation de Constance et le départ d’Henry pour Rome ; j’espère que la persévérance couronnera leurs beaux sacrifices. Tu attends de mes nouvelles, je me crois encore jeune parce que je fais comme alors, mais j’ai souvent le compliment : Oh ! Que vous êtes vieillie ! Puissè-je ne pas te survivre comme déjà je survis à deux sœurs plus jeunes que moi, Adélaïde et Mélanie. N’oublie pas de me rappeler à mon frère, à M. de Mauduit, à ton mari, à tous tes enfants qui me connaissent, et obtiens-moi le plus de prières que tu pourras. Adieu, chère amie, toute à toi dans le Cœur de Jésus. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 343

L. 94 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 13 septembre 18292 Ma chère Mère, ma bien consolante Mère, Mes deux dernières lettres étaient des jérémiades, et j’en préparais une, non moins triste. J’avais tout préparé pour partir pour la Basse-Louisiane, selon vos intentions, passant sur une infinité des 1 2

Constance Jouve est entrée au postulat du Sacré-Cœur à Paris, a pris l’habit le 22 août 1829. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres, Relations de voyages, Louisiane, p. 44-46 ; USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 89-90. J. de Charry, II 3, L. 258, p. 121.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

raisons qui semblaient devoir me retenir ici, quand le Père supérieur m’a retenue ici presque invinciblement, à cause du danger de la fièvre jaune et de la navigation dans ce temps-ci. J’ai enfin consenti à rester, craignant de me rendre coupable en désobéissant à l’ordre d’un grand vicaire1. Le même jour, je reçus votre lettre qui m’annonçait nos Sœurs, et le lendemain, elles arrivèrent, mais si humbles, si bonnes, si régulières que je ne puis assez vous remercier. Cela facilitera mon voyage, que je pourrai faire avec Monsieur Delacroix et ma Sœur Lavy2. Nos Pères viennent enfin d’établir un collège dans cette ville3, ce qui nous assure de bons secours spirituels. Je suis à vos pieds votre reconnaissante fille. Philippine Duchesne

LETTRE 344

L. 2 AUX NOVICES DE PARIS

SS. C. J. M. 

Ce 11 octobre 18294 Mes chères Sœurs, Il y a un mois que nous avons vu, avec la plus grande joie, les Sœurs bien-aimées qui nous ont apporté votre précieuse lettre, en ayant reçu une en même temps de votre chère Mère Desmarquest. Il était juste de lui répondre la première, et je l’ai fait par occasion, ainsi qu’aux Pères 1 2

3 4

Le P. Van Quickenborne est alors vicaire général du diocèse de Saint-Louis. M. Delacroix a accompagné les Sœurs Thiéfry, Bazire et Lavy, du Havre à Saint-Louis, il retourne en Louisiane. Félicité Lavy-Brun, RSCJ, est née en 1802 à Dôle (département du Jura, France). Entrée en 1824 au Sacré-Cœur de Besançon, elle fit ses premiers vœux en 1826, à Paris. Arrivée en Amérique, elle devait aller à Grand Coteau pour y être maîtresse de piano, mais elle resta à Saint-Louis où elle fit sa profession en 1830. Plus tard, elle se rendit à Natchitoches, puis à Grand Coteau. En 1856, elle rentra en Europe, est décédée à Armagh en 1866. Le collège des Jésuites s’ouvrira officiellement le 2 novembre 1829, à Saint-Louis. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 1, Lettres de la Haute-Louisiane II 1823-1830, p. 290-292.

Lettre 344



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Joseph et à notre digne Mère générale par occasion, attachant mes lettres et celles de nos dames autour d’un tout petit panier sauvage, rempli du sucre sauvage tiré des arbres de nos bois. J’ai appris avec grande joie l’émission aux vœux de ma nièce Aloysia [Amélie Jouve] et l’entrée au noviciat de Constance [Jouve] dont j’ai vu, à Grenoble, les 1ers élans pour l’état religieux. Mais ce qui me donne encore plus de joie, c’est l’attrait que plusieurs de vous montrent pour notre pauvre mission. Si vous aviez éprouvé bien des misères, votre vocation pourrait être naturelle et être produite par l’esprit de changement ; mais quitter la douceur du noviciat le mieux conduit, l’éclat et la majesté des cérémonies religieuses, l’abondance des secours spirituels distribués sous les formes les plus agréables et les plus touchantes, pour embrasser le côté de la misère, de la rudesse, de l’inconstance, de l’ingratitude, de la pauvreté, c’est là qu’on voit l’amour pour la Croix de Jésus solitaire, humble, méprisé, du chemin étroit qu’il nous offre à sa suite. Je puis vous assurer qu’il y a bien des douceurs au milieu de tout cela, et des liens si attachants que, parmi nous cinq qui avons les premières franchi l’océan, jamais le plus léger regard n’a été jeté avec tristesse sur ce que nous avions laissé pour toujours. Nous avons dit oui, toujours. J’ai porté la croix et je la porterai. Mais c’est plutôt Dieu qui la porte, car il sait bien rendre content avec peu ou point de succès ou de consolations. On a toujours l’Ita pater et le Dieu seul pour se soutenir. Oui, je l’espère, un vaste champ s’offre encore à vos désirs, mais attendez-vous d’y trouver bien des épines. Le Cœur de Jésus les donne et c’est en Lui que je suis, Philippine r. S. C. [Au verso :] Aux novices du Sacré-Cœur de Jésus À Paris

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

QUELQUES DÉTAILS SUR LES SAUVAGES [1829 ?]1 À peu de distance de notre habitation, il vient de descendre sur le Mississippi environ vingt barques de Sauvages sous trois différents pavillons ; celui du Renard, celui du Sac, et celui des Poux. Ces Sauvages allaient à Saint-Louis recevoir des présents que leur fait chaque année le gouvernement. Ils avaient parmi eux un orateur de leurs nations, déjà employé dans plusieurs ambassades et qui est comme leur oracle. Ils étaient presque tous ivres et ceux qui se réservaient à s’enivrer le lendemain, pour ce jour-là, gardèrent [la barque] charitablement, les autres déchargèrent tous leurs fusils, cachèrent les balles, etc., [par] crainte d’accidents. Nous avons vu, il y a peu de jours, plusieurs Sauvagesses dans leur costume ridicule : une couverture pour vêtements, un petit enfant sur le dos, l’un d’eux avait des oreilles énormes, percées chacune de quatre trous où on aurait placé le doigt et dans chaque trou, un anneau de l’épaisseur d’un gros anneau de rideau en plomb, carré. Ces petits enfants avaient l’air très malades ; le curé voulait les baptiser mais le démon (sans doute) inspira tant de crainte aux mères qui n’entendaient ni anglais ni français, qu’elles prirent une course si rapide qu’il fut impossible de les atteindre ou de les rappeler. À La Prairie du Chien, les Sauvages s’ornent la poitrine de fleurs qu’ils plantent dans la chair par autant d’aiguilles bien fines, qu’ils obtiennent par des échanges ; et pour conserver les traces de ce beau parterre, quand il n’y a plus de fleurs, ils mettent de la poudre à tirer dans chaque petite plaie des aiguilles, y mettent le feu et alors conservent les marques du parterre longtemps. Ils trouvent cela très beau. Ils ont aussi, dans cette partie, la connaissance de divers poisons lents ou prompts ; et ils en usent envers leurs ennemis, soit des uns, soit des autres suivant le degré de leur haine. On a vu un Sauvage, à Saint-Louis, qui s’était coupé toute la chair d’un bras pour faire des grillades (on appelle ainsi des tranches de viande rôtie). Tous les Sauvages ne sont pas d’une ignorance crasse, plusieurs savent lire et écrire. Les Jésuites avaient fait des dictionnaires et livres pour leurs langues. 1

C-VII 2) c Duchesne-writings History of Society, Box 1. Ce texte a pu être adressé au noviciat de Paris où vient d’entrer Constance Jouve, nièce de Philippine. C’est pourquoi il est situé après la Lettre aux novices de Paris.

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Nous avons pensionnaire la fille d’un riche Espagnol et d’une Sauvagesse. L’enfant est restée jusqu’à 3 ans aux soins de sa mère, elle en a quatre maintenant et a une intelligence et une adresse étonnantes ; il faut qu’elle imite tout ce que font ses compagnes, excepté la propreté ; car souvent elle fait son petit cabinet à côté du lit d’une pensionnaire, etc. Elle recherche ce dont elle avait l’habitude : changer de linge ou de robe 1 ou 2 fois par jour. Quand elle voit un couteau, un canif, kille, dit-elle, tue. Elle mord, elle égratigne, tout cela pour l’avoir vu faire, car elle n’est point méchante et fera un très bon sujet. Elle voudrait toujours courir, grimper, aller pieds nus, les cheveux épars. On nous a cité le trait d’une vache qui allait tous les jours allaiter un gros serpent dans le bois, et l’appelait quand elle était arrivée à l’arbre où il demeurait. Les arbres des bois de ces pays fournissent un suc qu’on recueille et dont on fait du sucre, qu’on appelle sucre d’érable.

LETTRE 345

L. 3 À M. SAULNIER

SS. C. J. M.

3 novembre 18291 Monsieur, Je vous ai parlé avec confiance de mon embarras au sujet des sœurs qui arrivent et de l’opposition que mettait une certaine personne à un trop grand rapprochement. Madame Régis [Hamilton] depuis, quoique si charitable, m’a témoigné la même peine, me disant qu’elle était sûre que si on venait ici, on entraînerait notre pauvre tête de novice qui, toute défectueuse qu’elle soit, nous est bien utile et fait de temps en temps des actes qui ont bien du mérite. Je ne sais alors si la charité pour les autres doit faire oublier celle qu’on doit aux plus proches. S’il était possible que tout se passe sans mauvaise édification, je crois qu’il vaudrait mieux un autre logement que celui-ci. Je pense encore qu’ail1

Original autographe, classé dans le dossier des Lettres à Mgr Rosati au N° 59. Le style et le contenu laissent entendre que cette lettre s’adresse au curé de Saint-Louis, comme celle du 22 mai 1829. C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

leurs, on se prêtera à tous leurs besoins et qu’ici, on croira que rien ne manque tandis que c’est au plus court. Je vous prie de réfléchir à cela et de décider la question, en gardant mon secret. Je suis avec respect, Monsieur, votre dévouée, Philippine Duchesne Ce 3 novembre [1829]

LETTRE 346

L. AU PÈRE PERREAU

SS. C. J. M.

Sur le Mississippi, 10 novembre 18291 Mon bien bon Père, L’arrivée de nos chères sœurs et après, de Monsieur Delacroix, a renouvelé pour moi la douce consolation de m’entretenir de vos bontés. Vous avez été mon grand consolateur à Paris, l’instrument dont la bonté divine s’est servie pour décider ma vocation pour cette mission qui donne de grandes espérances, si elle trouve toujours des appuis comme le vôtre. Vous m’avez tirée en particulier de l’embarras des dettes par des dons réitérés et secours obtenus de la Société, quoiqu’il ait été laissé à la volonté de Monseigneur par Monsieur Petit. Il a bien voulu nous donner 1 000 F dans un moment où nous en avions grand besoin. Maintenant, les dettes que nous avons ne sont que des promesses de vive voix et pour lesquelles on ne peut nous faire de la peine, car il n’en va pas moins que la vente des propriétés pour acquitter en justice, dans ce pays, celles contractées par emprunt ou avec des ouvriers. Nos Pères sont maintenant établis à Saint-Louis et sentent vivement le service que vous leur avez rendu. Leur chef [Charles Felix Van Quickenborne] qui est un homme à entreprises, qui sait souffrir 1

Copie, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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et travailler pour les poursuivre malgré les difficultés, roule maintenant dans sa tête de plus grands projets après avoir établi sa ferme à Florissant, établi le collège à Saint-Louis, fini son église à Saint-Charles, au moins à l’extérieur, le clocher et l’autel n’étant pas terminés. Les affaires l’ayant conduit cette année à Washington, il y a vu le président des États-Unis et lui a exposé son plan pour les Sauvages. Et le président lui a promis sa protection. Le Père pense donc acheter avec 25 000 F assez de terres dans le territoire du Missouri, où elles sont à 50 sous l’arpent (les acheter pour ne dépendre de personne) afin d’y attirer des familles sauvages, y marier leurs propres élèves, les former à la culture, aux bonnes mœurs, à la religion et, par le bonheur qu’on leur procurerait, attirer d’autres familles choisies de tant de tribus malheureuses qui, faute de prévoyance et par paresse, se trouvent une partie de l’année sans ressources. Toute religion, toute profession étant dans ce pays sous la protection de la loi, chacun pouvant chez lui faire ce qu’il veut dans ses propres terres, il n’y a pas de doute qu’avec un peu de persévérance, il ne pût réussir. Nous entrons dans son plan et je ne doute pas du consentement de notre Mère, même pour être ses fondatrices. Car Dieu m’ayant prouvé mon inutilité ici, m’ayant remplacée, m’ayant fortifié singulièrement la santé, je ne pense pas qu’il y eût témérité ou imprudence d’être du nombre de celles qui enfin opéreront l’œuvre tant désirée qui nous a conduites en Amérique. Dans l’état actuel, ce serait de la dernière imprudence de l’entreprendre. Autrefois, de semblables œuvres n’ont eu de succès qu’avec le secours de puissants souverains ; ici, le chef du gouvernement ne fera que protéger. Ainsi, ce sera encore la divine Providence qui viendra au secours, car il faudra que les missionnaires soient aussi les Pères chargés de toute la famille. Je ne fais que vous dire en abrégé ce que m’a détaillé le Père qui médite le projet, mais deux voyages qu’il a faits chez les Osages, ceux de Monsieur Delacroix qui en est revenu mourant la seconde fois ne permettent pas d’espérer qu’on fasse rien de solide sur les terres mêmes des Sauvages. Nations toujours cruelles, traîtresses, paresseuses et affamées. Quand on sera chez soi, on sera défendu de leurs incursions par les forts garnis de soldats, qui sont à certaines distances dans les terres des États-Unis et il n’en faut pas beaucoup pour contenir des gens qui ne sont courageux que contre les faibles et les malheureux. Je vous prie, mon respectable Père, d’excuser mon écriture. Je n’ai que ma main pour table et le balancement du bâtiment, qui va très vite, la fait bien varier.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Sans cesse, je prie le Cœur de Jésus de vous rendre au centuple tout le bien que vous m’avez fait. Je suis en lui votre tout indigne mais dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] Monsieur Monsieur l’abbé Perreau À la grande Aumônerie de France À Paris France

LETTRE 347

L. 23 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M. 

Saint-Louis, État du Missouri Ce 23 novembre [1829]1 Ma chère Cousine, Je viens de recevoir ta lettre N° 1, datée de Paris le 14 juin dernier, et qui me trace le tableau raccourci et si intéressant de l’état actuel de notre nombreuse famille. Tu n’as rien oublié de ce qui m’était cher et de ce qui me lie par la reconnaissance. Ton cœur qui a conduit ta plume a pénétré jusqu’au mien pour lui parler de tout ce qui le touche plus vivement. C’est encore ton cœur que je prie d’interpréter mes sentiments de condoléances à Mesdames Augustin Perier et Camille Teisseire dont la juste douleur peut être appréciée quand on a connu les objets de leur tendresse, si tôt enlevés de cette terre2. Il n’y a, dans de telles afflictions, 1

2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 15 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 38-41. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. La copie existante porte la date de 1823, mais la situation de la maison, décrite par Philippine, ne correspond pas à cette année-là : la lettre a dû être écrite en 1829. Mme Augustin Perier, née Henriette de Berckheim (1772-1863), vient de perdre sa fille Octavie (1801-1823). Mme Camille Teisseire, née Adélaïde-Hélène (dite Marine) Perier (1779-1851), vient de perdre sa fille Alexandrine (1806-1823).

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qu’à baisser la tête et à adorer. Les vues de la divine Providence ne sont pas les nôtres. Mais j’ai la ferme espérance qu’elle n’a abrégé de si belles carrières que pour couronner plus tôt des vertus que la contagion du monde aurait pu flétrir. J’espère que tu as reçu mes lettres de remerciements sur les dons que j’ai reçu en deux fois ; le premier, de la part de ton cher époux que j’aime à nommer un de mes premiers bienfaiteurs, puisque sa protection m’a réouvert la porte à la vie religieuse et le second, de toi également de 1 000 F qui étaient destinés pour notre maison de Saint-Louis où je suis depuis 18 mois. Nous ne nous sommes pas arrêtées à ce 4e établissement : il y en a maintenant 3 dans l’État de la Louisiane et 3 dans l’État du Missouri. Le dernier est à Saint-Charles dans la 1ère maison où nous avions été une année et auprès de laquelle vient de se bâtir une jolie église en pierre, chose rare dans ce pays. Elle a été consacrée par notre évêque le 12 octobre et je me trouvai pour la première fois de ma vie à cette belle cérémonie assez extraordinaire pour ne la voir qu’une fois en sa vie. J’étais allée accompagner les Sœurs qui commençaient ce jour-là notre 6e établissement. L’évêque avait la chape de l’étoffe verte que tu m’as donnée, et il vient encore ces jours-ci de dire la messe dans notre chapelle avec une chasuble, don de Mme Teisseire. Tu vois que tu t’y es prise de manière à ne pouvoir être oubliée dans cette terre lointaine puisqu’à l’autel surtout, cent objets me rappellent ma généreuse amie de tous les temps. Si Mme Sophie Luc vit encore1, dis-lui avec quelle joie j’ai vu son nom et reçu de ses nouvelles par toi. Autre obligation pour me parler de tant d’autres personnes dont j’ai éprouvé les bontés que je me plais à repasser devant le Seigneur. En te parlant de nos 6 établissements, il te plaira de savoir que 5 sont sous la conduite de sujets de Grenoble, que tu reconnaîtrais si tu les voyais, mais dont les noms t’auront échappé. Ceux de la Louisiane, étant dans un pays plus peuplé, plus riche, sont plus avancés. Cependant nous n’avons pas ici moins de cent enfants à instruire, mais le grand nombre est à l’école gratuite ; les choses paraissaient favorables pour un pensionnat, mais la rareté de l’argent ne nous en laisse que très peu, tout le reste est externe. Nous avons donné l’hospitalité à 4 Sœurs de la Charité qui ont été appelées ici pour un hôpital. Elles sont encore chez nous, leur maison n’étant pas prête. Elles se sont établies près de Baltimore, sur le plan de celle de Paris, avec différence de langue, de costume et sur un ton plus 1

Mme Sophie Luc a été la préceptrice de Philippine et de sa cousine Joséphine.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

élevé. La supérieure, qui est ici, est le portrait de Mme Bigeu que tu as vue, la 2e de notre Société. Crois, chère amie, à mon constant souvenir devant Dieu. Rappelle-moi à notre famille, à nos maisons et particulièrement encore à Messieurs Rambaud et Dumolard. Je suis toute à toi dans le Cœur de Jésus. Philippine

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L. 95 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

De Saint-Michel, ce 11 décembre 18291 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Ce mois de décembre, où nous nous trouvons, me rappelle l’époque heureuse de votre arrivée à Grenoble, le 13 décembre 1804. C’est 24 ans passés. Je fus alors admise dans la chère Société où le bonheur est allé croissant avec les progrès qu’elle a faits, car qu’y voulions-nous d’autre que la gloire de Jésus ? Il l’a tirée de quelques épreuves, mais telles étaient les conditions de notre noble alliance. Quand nous lisions le chapitre de la voie royale de la croix2, j’en ai tiré cette aspiration : portavi et portabo3. Maintenant je viens d’entendre de Mère Piveteau le beau cantique de Mère Cahier4. Je dirai donc à mon Époux : À vous 1

2 3 4

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 10 février 1830 ; Paris, 12 février 1830. Cette lettre est écrite à la fin de la réunion des trois supérieures de Louisiane, sous la présidence de Philippine. Cf. J. de Charry, L. 259, p. 122-130. De imitatione Christi, 1. 2, cap. 12. « Je l’ai portée et je la porterai. » Cf. De regia via sanctae crucis. Il s’agit du cantique écrit par Marie-Adèle Cahier, commençant par ces mots : « Ô Dieu que j’aime, mon trésor, mon seul bien… » Marie-Adèle Cahier (1804-1885), RSCJ, née à Paris, a été pensionnaire à Beauvais, est entrée au noviciat général en mai 1822, a fait ses premiers vœux le 26 juin 1824. En 1828, elle participe à la fondation de la maison de Turin, puis à celle de La Trinité-des-Monts, à Rome, où elle fait sa profession le 26 juin 1829. En 1834, elle est de retour à Paris comme secrétaire générale, est témoin des souffrances de la Mère Barat durant

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les cœurs, à moi les douleurs. Je n’ai que le mien tout nu à vous offrir avec mes souhaits de bonne année. Celle qui va venir sera commencée quand ma lettre arrivera, mais je ne m’en unirai pas moins avec mes Sœurs au moment précis où elles vous présenteront leurs vœux, car les cœurs peuvent se joindre à de grandes distances. Je vous ai déjà écrit plusieurs fois depuis l’arrivée de nos chères Sœurs à Saint-Louis. Elles m’ont appris que vous aviez consenti à un établissement pour New York1. Je ne crois pas qu’il puisse être mieux placé en Amérique pour y prospérer et nous être utile, car il formera un point de rapprochement avec vous, et, dans peu d’années, nous procurera des sujets du pays, très capables, ce qui manque partout à cause de la différence de langue. Monsieur Delacroix, en m’en parlant, m’a dit que la personne la plus propre pour être là à la tête était Mère Xavier Murphy ; étant par vous-même assurée de la protection de Mgr Dubois [évêque de New York], sa qualité d’Irlandaise bien née, bien instruite, bien prévenante pour les parents, fera tout de suite la réputation à son crédit, car la population catholique est irlandaise ; presque tous les prêtres le sont et, dans cette nation, les gens s’unissent à leurs compatriotes chaudement. Ce sont aussi les plus généreux catholiques et, quoique les nations forment une ligne de démarcation dans le clergé, avec de la prudence, on sera aidé et soutenu des deux parties. Nous avons près de là plusieurs de nos élèves mariées, qui seront bien contentes, et un riche habitant qui, si les Dames venues avec Mère Dutour se fussent arrêtées, eût tout de suite donné 8 de ses filles. Il faudra dans cette ville, si belle, faire les choses un peu splendidement, mais on obtiendrait une souscription assez considérable pour aider. Mère Xavier ayant arrêté un maître de musique, je croyais qu’elle pourrait se passer de Mère Félicité [Lavy-Brun] et, la voyant tout accoutumée près de nous, désirant rester, je vous la demandais et à elle aussi. Mais c’est en vain, le maître est déjà parti, les enfants sont dans une impatience extrême de continuer la musique. Cela hâtera mon retour à Saint-Louis où elle fait une classe. [Mère Xavier] vous a envoyé 3 000 F. Elle en remet ici 1 000 à Monsieur Delacroix qu’il a avancés pour le voyage, et elle m’ajoute qu’elle a aussi envoyé à Saint-Louis 500 F, qui seront pour la descente du Missis-

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la crise de 1839. Nommée assistante générale au Conseil général de 1864, elle le reste jusqu’à sa mort, le 24 avril 1885. Elle est l’auteur de la Vie de la Vénérable Mère Barat, fondatrice et première supérieure générale de la Société du Sacré-Cœur, Paris, E. De Soye et Fils, Imprimeurs, 1884. Cette fondation n’a eu lieu qu’en 1841. Elle a été décidée par Élisabeth Galitzine et réalisée par Aloysia Hardey.

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sippi de Mère Félicité qu’à mon grand regret personne ne peut remplacer. J’ai été heureuse de m’être réservé 500 F du reste du voyage de mer, aucune maison n’aurait pu payer ma descente et ma montée en steamboat ; partout, point d’argent ! Je suis, je crois, partie le 6 novembre1 avec la Sœur [Maria Lévêque] qui était montée malade et qui était retombée. Elle craignait beaucoup de redescendre, redoutant la première Mère2, et il se trouve qu’étant encore mieux, Mère Xavier la demande pour le Grand Coteau pour lequel nous partirons toutes les trois dans peu de jours. J’en ramènerai Carmélite3 que vous aviez en premier lieu désignée pour supérieure à La Fourche et qui ne s’accommode plus avec la vive Mère Dorival. Sa santé a besoin de l’air natal qui est précisément La Fourche. J’espère qu’elle aidera Mère Dutour, si toutefois elle est bien aise de l’être par une professe. Elle tenait considérablement à avoir un noviciat pour se former des maîtresses et à continuer de faire faire la 3ème classe qu’elle a établie avec résumés4, etc., disant que vous l’aviez permis. Il y a dans votre lettre : « 3ème cours », et je ne sais pas si c’est la même chose. Comme cette maison à La Fourche est notre seul embarras pour l’accord et que Monseigneur y tient extrêmement, je vais vous dire historiquement ce que je vois. Mère Eugénie m’a loué cette maison et je n’ai vu aucune marque de jalousie, cependant elle tient beaucoup à la différence de l’enseignement, étant si près. Et elle dit, ainsi que Mère Murphy, que très peu d’enfants vont plus loin [que la 3ème classe] dans leurs deux maisons et que [si] La Fourche va jusque-là, ayant une pension moindre, cela diminuera leurs enfants5. Cependant Saint-Michel surtout a des dettes et a besoin de bâtir encore, la communauté étant très mal pour la conservation des santés et la régularité. Mère Dutour a mise portière l’aspirante de chœur [Thérèse Detchemendy] que je lui avais donnée, qui m’avait fait tous les emplois 1 2 3 4 5

En réalité, le 7 novembre 1829. Maria Lévêque avait peur de rejoindre la Mère Audé qui avait été sa maîtresse des novices, à Saint-Michel. Carmélite Landry, économe à Grand Coteau, ne s’entendait pas avec Louise Dorival, assistante. Il convenait donc de les séparer. Les résumés d’histoire rédigés à partir des notes prises durant la leçon. En France, cet exercice commençait en classe de 3ème, à la fin du premier cycle d’enseignement du 2d degré. Si la maison de La Fourche offrait le même enseignement qu’à Saint-Michel et à Grand Coteau, tout en demandant une rétribution moins élevée, elle ruinerait les deux autres, trop voisines. Hélène Dutour voulait avoir toutes les catégories d’enfants, pensionnaires et orphelines. Les deux autres supérieures désiraient transférer les pensionnaires payantes à Saint-Michel et à Grand Coteau, les orphelines gratuites à La Fourche.

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subalternes à Saint-Ferdinand. La porte, dans une campagne, n’étant rien, elle languit dans l’inaction, tandis que la première maîtresse, Mère Régina Cloney ne paraît jamais au réfectoire et n’a pas de temps pour ses exercices, quoique novice. La seconde Sœur, Rose [ancienne Sœur de la Croix, restée à La Fourche], se plaint de ne pas dire l’office et d’être accablée d’ouvrage ; la Sœur coadjutrice que Mère Eugénie a donnée, cuisinière à Saint-Michel, est devenue maîtresse de chant, surveillante de 43 pensionnaires dont plusieurs grandes et mondaines, leur vestiaire, leur réfectorière ; une postulante fait la classe des petites et partie du travail [de couture]. Cette classe a été ôtée à l’aspirante pour la lui donner, et Mère Régina m’a dit qu’elle la faisait bien et que les enfants l’aimaient1. C’est un défaut de caractère qui l’a fait retrancher, mais cette conduite humiliante à son égard ne peut que l’augmenter. Je ne trouve pas à propos de l’ôter : 1°) parce qu’elle est mieux là qu’avec le noviciat ; 2°) pour soutenir l’office qu’on a commencé et où elle peut toujours faire son chœur [de chant] ; 3°) pour ne pas laisser une maison si dénuée et savoir de plusieurs côtés ce qui s’y passe. On lui a dit qu’elle n’avait pas besoin de me rendre aucun compte. C’est de Mère Dutour que nous le tenons, Mère Eugénie et moi. Réunies à Saint-Michel, nous n’avons pu sortir de ces trois points : 1°) continuer la 3ème classe ; 2°) agrandir ; 3°) former des sujets. Elle voulait me rendre l’aspirante et qu’on gardât Carmélite2 ; mais craignant les suites de cet esprit de séparation, je lui ai dit que ce n’était pas à elle à composer sa maison, que chaque supérieure n’avait pas le droit de choisir et former ses sujets. Un moment, elle a paru d’accord [à propos] des trois grands pensionnats et des trois petits avec seulement 4 classes. Mais depuis qu’il a été reconnu qu’il est impossible ici d’avoir sous le même toit ou à côté, deux classes [sociales] d’enfants distinguées l’une de l’autre, et que c’est ce qui nous a fait tort dans le Missouri, un Monsieur ayant recueilli pour elle par souscription 1 500 $ et avouant qu’il aurait obtenu davantage sans cette espèce de différence de classes à cause de la pauvreté, on lui a répondu qu’ayant senti cela, on avait destiné La Fourche pour y réunir les orphelines. Là-dessus, son zèle s’est animé et il croit trouver davantage. Mère Dutour paraît de plus 1

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Thérèse Detchemendy faisait bien cette classe. Sœur Regina était habilitée à donner son avis, ayant gouverné la maison de mars 1828 (au départ de Sœur Joanna Xavier Miles) à septembre 1828 (arrivée d’Hélène Dutour). Hélène Dutour voulait se séparer de Th. Detchemendy, venue de Florissant, et refusait de recevoir C. Landry, alors à Grand Coteau. Elle désirait avoir des religieuses formées par elle seule.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

en plus mécontente. Elle dit que les souscripteurs la tracasseront (ils ne l’ont pas fait pour Mère Eugénie), que si on ne fait pas la 3ème classe, 30 pensionnaires s’en iront et qu’elle ne pourra entretenir les orphelines (on répond qu’on l’aidera et qu’au Mississippi les enfants orphelines surpassent [en nombre] toujours les autres, et que Dieu y pourvoira, qu’ici les ressources sont bien plus grandes). Rien ne la contente, à moins qu’elle ne conduise sa barque sans gêne. Je ne sais que penser là-dessus. Monseigneur l’appuie beaucoup, ainsi que quelques prêtres ; les enfants et les parents sont contents. Mais je crains les suites de cet esprit d’isolement et qui ne s’arrête pas ; quand elle a obtenu une chose, elle en veut une autre. Elle avait dit qu’il fallait 2 000 F pour faire un logement au prêtre et elle doit pour cela 5 500 F, outre ce qu’on y a mis de pur luxe et qui m’a scandalisée. Il est nécessaire de faire une chapelle par respect pour le Saint-Sacrement qui est mal placé. Je lui parlais de quelque chose de simple d’après la nôtre. C’est maintenant tout un bâtiment en briques qu’elle veut. Monsieur Richard me charge aussi de vous dire que Monsieur Delacroix en a trop dit quand il vous marque qu’il approuve toute sa lettre. Il croit dangereux de mécontenter Monseigneur et les prêtres et les habitants à La Fourche dont l’un a donné le terrain pour l’éducation des enfants du pays ; qu’ainsi on ne peut les refuser, le fleuve mettant souvent bien des difficultés pour les voir à Saint-Michel1. Je crois que Mère Dutour, en nuisant à sa perfection, nuira aussi à l’œuvre des orphelines, parlant déjà de ne prendre que celles à La Fourche, de n’en prendre que suivant son pensionnat, de les instruire différemment, ce qui est surtout odieux ici. Si on la change, Carmélite ne peut faire ce qu’elle fait et est au-dessous pour la tenue. Si avec les 3 000 F de Mère Murphy, vous pouviez hâter le voyage de mes nièces2 et leur donner une personne pour La Fourche ; mais que l’Esprit Saint décide ! S’il y a quelques difficultés pour cette maison que nous voulions suivant votre intention mettre au-dessous, Saint-Michel va bien, Mère Piveteau seule n’est pas contente. Je lui propose de venir à Saint-Louis pour enseigner le piano, le départ de Mère Félicité pouvant déjà causer des murmures par rapport à cela. Monsieur Delacroix a repris sa paroisse [Saint-Michel] et Monsieur Jeanjean aura le Sacré-Cœur. Je 1

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Le terrain avait été donné pour l’éducation des enfants du pays. Il était difficile de transférer à Saint-Michel les élèves qui désiraient un haut niveau d’instruction, car les parents seraient obligés de traverser le Mississippi pour leur rendre visite. Amélie et Constance Jouve avaient demandé les missions d’Amérique. Seule, Amélie y sera envoyée en 1847.

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ne dis rien à cet égard. Ce que j’avais craint des propos est nul et au contraire : le départ subit de l’autre1 avait fait dire des horreurs qu’il ignore et qu’il faut taire. La noire calomnie s’attache ici à tout ce qui tient à la religion. Vous comprenez qui en était aussi l’objet : celle qui avait envoyé la Sœur malade, personne ne le lui a dit, ni moi, à quoi bon l’affliger ? Ce sont de ces propos qui se détruisent d’eux-mêmes avec la patience et la notoriété du contraire. Il y a eu aussi la Gazette portant un article offensant contre La Fourche à l’occasion d’une postulante admise et retirée par ses parents. Je vous écrirai de Grand Coteau et, comme le voyage est difficile, je laisse cette lettre, me tardant bien que vous décidiez en dernière analyse. J’ai eu besoin de dire que je n’avais aucune autorité, que je venais comme Sœur, que vous vouliez que nous nous consultassions et que vous vous étiez réservé, à vous et à votre Conseil, la décision. Monsieur Delacroix fait une souscription pour faire bâtir une église à côté de la maison où nous sommes. Le plan est d’y donner la même place aux Dames et aux élèves qu’à Quimper. J’ai dit que c’était là une église particulière, que dans celle-ci on ferait toutes les fonctions paroissiales, les enfants et les novices y seraient en spectacle à une multitude d’hommes qui n’y viendraient que pour elles. Je crains les dangers et les propos. On n’a pas changé, et je vous conjure au plus tôt d’exiger ou une tribune au-dessus, ou un chœur comme à Grenoble. Quant à celle à La Fourche, elle ne sera que pour la maison, l’église paroissiale étant à un jet de pierres. Si vous vouliez fixer que le bâtiment en briques de Mère Dutour ne passera pas le prix de 5 ou 6 000 F finie, c’est le prix du nôtre. Autrement, pas un sou du dixième pour nos pauvres maisons et noviciat du Missouri2. Mère Eugénie ne peut pas, ayant des dettes, La Fourche non plus, cette année. Mère Murphy a la vie beaucoup plus chère chez elle, elle vient de donner 4 500 F pour les voyages et doit aussi bâtir. Sa maison de bois penche déjà, mais les habitants offrent une souscription. Cette bonne Mère Xavier plaît à tout le monde. Elle pense que Mère Dorival ne sera pas fâchée d’être à la tête. Si elle avait une bonne maîtresse d’anglais, la première serait libre pour New York. J’ignore ce qu’écrit Mère Dutour. 1 2

Eugénie Audé avait été critiquée pour avoir envoyé Maria Lévêque, novice et malade, au Missouri, en juillet 1828. Le dixième des revenus de chaque maison, versé à la caisse générale (Constitutions n° 254), était affecté en priorité aux missions d’Amérique.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

SS. C. J. M.

Dimanche soir, 13 [décembre 1829] Ma chère Mère, Nous attendons à tout moment le steamboat qui doit conduire Mère Dutour chez elle, Mère Xavier Murphy, moi et la sœur malade, mais rétablie une seconde fois, aux Opelousas1. Mère Xavier l’a, je crois, demandée par charité. Mère Dutour a refusé et ici cela ne peut aller avec Mère Eugénie. Je me hâterai, les premiers jours de janvier, de repartir pour le Missouri avec Mère Piveteau. Je l’ai engagée à monter pour le piano, car Mère Félicité étant pressée de redescendre, je crains les plaintes des parents qui ont déjà dit que tout le bon descendait. Nous venons de nous réunir pour la dernière fois et nous avons arrêté ce qui suit, jusqu’à votre approbation : 1. Mère Dutour gardera sa postulante et enverra les autres à Saint-Michel, s’il s’en présente. 2. Offrir au père du fondateur, dont deux filles sont à La Fourche, de les mettre également gratuitement à Saint-Michel pour qu’il n’ait pas à se plaindre du degré d’enseignement. 3. Faire cesser les résumés d’histoire. 4. Ne pas passer 5 000 F pour la chapelle qui pourra ainsi se bâtir sans dettes sur les pensions qui ont pu fournir l’année passée 10 000 F de dépenses extraordinaires qui n’ont pas à être renouvelées, j’en ai fait le calcul. 5. Ayant reçu 1 500 F pour les orphelines, en ajouter 8 ou 9 aux 7 qui y sont déjà, le vêtement se trouvera sur les dons de Saint-Michel et Opelousas. 6. Travail [manuel] dans les trois maisons subalternes2, de 10 h 30 à 12 h, et de 6 h 30 à 7 h 30 du soir. 7. Pas d’uniforme pour ne pas égaliser aux pensionnats et profiter de leurs dons, excepté la robe blanche et le voile bleu3. 1 2 3

La réunion des supérieures d’Amérique, commencée fin novembre1829, s’est terminée le 13 décembre. Ces trois maisons sont celles où se donne l’instruction élémentaire : Florissant, Saint-Charles et La Fourche. Les pensionnaires portent chaque jour leur uniforme, et les orphelines uniquement le dimanche. En semaine, celles-ci sont habillées avec les dons des pensionnaires.

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Grâce à Dieu, il paraît que Mère Hélène se calme. Elle est capable de bien conduire sa barque, mais il faut l’arrêter et la crainte d’être déplacée la retiendrait car elle tient à sa maison et y fait le bien. La nuit et le steamboat m’obligent à finir jusqu’à ce que je sois aux Opelousas. Je suis à vos pieds in Corde Jesu. Philippine D. [Au verso :] À Madame Madame Barat Hôtel de Biron Rue de Varenne À Paris France By way of New York

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L. 96 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Ce 22 décembre 18291 Rec. à St. Antoine Ma bien chère Mère, Depuis que je suis descendue dans la Louisiane, j’ai eu le bonheur d’avoir de vos nouvelles assez récentes, apportées par Mme Montbrun de La Nouvelle-Orléans2. Le mot pour Mère Eugénie lui annonçait que vous saviez que je devais faire voyage avec Monsieur Delacroix et la 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Le Havre, 10 février 1830 ; Paris, 12 février 1830. Lettre écrite sur le steamboat, entre Saint-Michel et Grand Coteau. J. de Charry, II 3, L. 260, p. 131-137. Une jeune femme américaine, divorcée, désirait entrer au Sacré-Cœur. L’admission, recommandée par Mgr Dubourg et acceptée par Eugénie Audé, fut refusée par la Mère Barat.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

lettre à Monsieur Borgna, qu’il lui a envoyée, que vous étiez bien étonnée de devoir payer 1 000 F pour les frais des trois caisses séparées de celles de nos Dames, que leur charitable conducteur, à force de peine, a eu le talent de faire passer sans payer les droits, mais comme étant leur propre bagage. Ces 1 000 F se trouvent monter maintenant à 1 260, et sans doute 560 pour la seule caisse de Mère Lucile, sans doute parce qu’elle était conditionnée comme devant contenir les choses les plus précieuses. Cependant, je n’estime pas à 500 F le tout. On dit que, si la facture dressée au plus bas prix eût été jointe à l’envoi, on s’en serait tiré à meilleur compte ; et c’est ce qu’on prie bien de ne pas oublier. Monsieur Anduze est dans l’erreur quand il croit que les livres ne paient pas les droits pour les maisons d’institution ; ce ne sont d’abord que les livres proprement pour la classe et quand l’établissement est incorporé, ce que nous ne sommes pas, et qui a paru entraîner de grands inconvénients pour notre genre de vie. Mères Eugénie et Xavier ont consenti à payer ces 1 260 F avec Mère Dutour, quoiqu’elles aient eu la moindre part dans les objets arrivés. Nous sommes toutes fâchées qu’on vous ait noté cette dette. De  Saint-Michel, je vous ai écrit deux fois : une pour La  Nouvelle-Orléans, renfermant les élections adressées à Mère Desmarquest pour qu’on ne vît pas si souvent votre nom à la poste et déguiser ainsi le contenu dans un pays où tout se connaît ; la seconde par New York, marquant le résultat de notre réunion. J’ai été à Saint-Michel, depuis le 16 novembre jusqu’au 20 décembre (excepté quelques jours passés chez Mère Dutour). Maintenant, je suis en route depuis le 20 avec Mère Xavier et la Sœur [Maria Lévêque] revenue de Saint-Louis pour aller aux Opelousas, où elle restera à la demande de la charitable supérieure. Nous avons grand peur de n’être pas rendues pour Noël et je profite du temps où je suis sur le steamboat, dont la roue s’est cassée, pour vous écrire, et laisser en passant ma lettre à la poste. Il me restait plusieurs choses à dire sur nos maisons. Mère Xavier a pensé devant Dieu, et m’en a plusieurs fois fait la réflexion, que Saint-Michel ne prenait point la forme de nos maisons ; tout y repose sur une seule tête : temporel, enfants, salon, direction. Point d’assistante, de conseillères, de maîtresse des novices. Quand le chef est d’un côté, il manque de l’autre, et l’ordre ne peut être partout maintenu avec tant de jeunesse et de personnes sans expérience. Le sujet le plus distingué n’a que 20 ans1 ; une autre, plus âgée et bon sujet, est fort ignorante. C’est 1

C’est probablement Mary Ann (Aloysia) Hardey, qui a fait ses premiers vœux en 1827, à Saint-Michel, et qui a 20 ans en 1829.

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cependant sur ces deux-là que la Mère fonde son secours pour présider en son absence, et je me suis aperçue que cela ne suffira pas de quelque temps pour que tout se passe aux réunions, au chœur, aux repas, avec l’ordre et la dignité qui convient. À l’office, les novices occupaient la place à côté de la supérieure et la supérieure souvent était au rang des postulantes, sans place fixe, disant les leçons et demandant la bénédiction à une aspirante assez simple pour la donner. Pendant ses longues absences aux repas, faute de temps, chacun y était maître et les saintes pratiques abandonnées. Aux réunions des jeunes, personne pour permettre seulement de prêter un dé. On court partout pour le demander à la Mère. J’ai bien vu qu’elle aimerait mieux n’être aidée que par celles qu’elle forme, mais outre leur jeunesse qui ne permet pas les derniers vœux, elles sont toutes de très faible santé et si occupées pour les enfants qu’elles ne sauraient se trouver plus exactement qu’elle aux réunions. Il me semble donc qu’avec l’argent de Mère Xavier, si vous avez la bonté d’expédier mes nièces par La Nouvelle-Orléans avant l’époque des maladies, une Sœur professe âgée pourrait au moins être assistante de Mère Eugénie et surveiller les novices étant toujours avec elles, et soutenir la dignité de l’office [divin], car il est impossible que le spirituel ne soit pas un peu négligé. La veille du 21, plusieurs aspirantes ne savaient pas que le lendemain, on devait renouveler les vœux. Souvent, l’instruction manque et la lecture de 3 h n’était souvent que d’un quart d’heure1. Le point de méditation dans Médaille2, c’est bien bref pour des commençantes qui n’ont pas une pensée à elles. J’ai dit sur tout cela mon avis, mais j’ai été persuadée que je devais du reste me tenir entièrement de côté, sans m’ingérer en rien que par amitié de Sœur. Quel crédit pouvais-je attendre dans une maison où tout est admiration, au-dehors et au-dedans, du côté spirituel et temporel, pour celle qui conduit, qui réussit, moi qui suis dans une position toute contraire, ce qu’on ne manque d’attribuer à ma manière. Pour en finir sur cette première maison, elle manque pour les dehors, n’étant que dans une veine d’un arpent de large sur 40 de profondeur. Et c’est au loin qu’on trouve de l’ombre ; le devant n’a d’agrément que la vue du fleuve. D’un côté, deux cimetières, l’ancien et le nouveau. Je vous ai prié, dans ma dernière lettre, de ne pas permettre que dans l’église qu’on va bâtir, les enfants et les Sœurs aient leur place dans le mi1 2

La lecture spirituelle, faite en communauté, durait habituellement une demi-heure. Jean-Pierre Médaille, SJ, missionnaire au xviie siècle, est le fondateur des Sœurs de Saint-­ Joseph, destinées à former des congrégations diocésaines au Puy-en-Velay.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

lieu comme à Quimper, car cela ne sera point une chapelle privée mais une église paroissiale et quel inconvénient d’être tous les dimanches en spectacle ! La maison pourra contenir 100 élèves, si elles viennent, et elles seront bien logées pour tout. La communauté est très mal pour la conservation des santés. Il faudra de nécessité qu’elles n’aient pas à être toujours exposées au mauvais temps, ce qui obligera à une nouvelle bâtisse. Cela, joint à l’église qu’on entreprend, [pourrait] mettre à la gêne cette maison. Il est même étonnant qu’on ait pu se tirer de tant de dépenses ; mais on s’entend à les ménager, la pauvreté est bien gardée, le dévouement est grand. Avec ce qui reste à faire et l’entretien des novices, on ne peut rien attendre de longtemps de cette maison et il faut toute l’habileté de Mère Eugénie pour s’en tirer. On perdrait l’établissement si on l’en tirait. Toute la confiance et la réputation reposent sur elle. Quoiqu’elle puisse bien s’en apercevoir, voyant Mère Hélène ne pouvoir reculer d’un pied de ses prétentions, elle lui a offert sa place et de prendre la sienne, mais ce n’est pas faisable. Je vous ai déjà marqué quelles sont les prétentions de Mère Hélène : 1°) de former des sujets ; 2°) de bâtir ; 3°) de faire la 3ème classe qui est presque tout ce qu’on peut atteindre dans les trois maisons désignées pour pensionnat, à cause de la marche des deux langues dont l’une retarde nécessairement celle de l’autre, devant tout apprendre en double. Après beaucoup de discours qui revenaient toujours au même centre, nous avons pensé arrêter les articles suivants d’après vos intentions, le désir d’une maison d’orphelines pour laquelle elle a déjà 1 700 F pour l’arranger et bien plus à attendre, outre l’entretien de ses pauvres enfants qui se trouvera amplement dans les deux maisons. Articles : 1°) que Mère Hélène se bornera aux 5ème et 4ème classes ; 2°) qu’elle n’emploiera que 5 ou 6 mille francs pour bâtir en briques une chapelle sur laquelle on fera un dortoir semblable à celui qu’elle a déjà. Le prix est bien suffisant pour faire la chapelle comme à SaintLouis. Elle aura ainsi des places pour 60 enfants, dont 20 pourraient être orphelines et 40 pensionnaires. Il y en a eu jusqu’à 48, mais les surplus des 40 seront volontiers admises par Mère Eugénie ou attendront, et 40 sont plus que suffisantes pour faire vivre les 20 orphelines et la communauté, puisqu’à Saint-Louis, nous avons passé notre année avec sept ou huit et quelques externes payantes, étant 27 ou 28 à nourrir, et que tous vos bons secours ont été destinés à payer notre bâtiment et le domestique ; le reste [d’argent] de nos Dames, les voyages et mon retour encore, car en ce moment les trois maisons de la Louisiane sont à sec.

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Pour en finir avec Mère Hélène, j’ai cru aussi remarquer que la passion de monter les enfants [leur donner une forte instruction] prend aussi sur le spirituel : lecture de l’histoire ancienne au réfectoire à des enfants qui ne restent qu’un an, et dont plusieurs en arrivant croyaient que le Bon Dieu était un oiseau, etc. On leur fait faire des résumés profanes au lieu de les instruire de la Bible, surtout de l’Évangile que des catholiques ignorent plus que des protestantes qui savent bien le dire. L’étude approfondie de la Religion, la grammaire des deux langues, l’arithmétique et géographie de la 4ème classe sont, me semble-t-il, tout ce qui suffit pour une éducation qui doit être commune ici avec celles qui sont orphelines, autrement on jette un odieux sur les maisons, ce qui nous nuit dans le haut et auquel il faudra remédier1. Le 3ème article était que Mère Hélène pourrait faire donner l’habit à une postulante Dame qu’elle a pour maîtresse2 et que les autres seraient envoyées au noviciat commun. En lui donnant de plus Mère Carmélite pour assistante, cette maison a tout ce qu’il faut pour bien aller. La chapelle neuve et le dortoir feront du large dans l’ancienne maison et tout y ira bien. L’année dernière où le terme commun des élèves a tout au plus été 30, on a pu faire les dépenses suivantes : pour la maison de l’aumônier 5 500 F pour clôture 1 500 F pour bestiaux 1 000 F pour la chapelle 350 F pour lits, matelas, couvertures 2 000 F   10 350 F – – 1 500 F de dettes   balance faite = 8 850 F Si on a pu une première année faire près de 9 000 F de dépenses extraordinaires, une fois faites, sur 30 élèves, comment y aurait-il de la témérité d’en entreprendre 5 ou 6 mille pour la chapelle malgré les orphelines dont la nourriture est très peu de choses avec le secours de 10 vaches, de présents, et d’une basse-cour qu’on peut augmenter à l’in1 2

Les autorités ecclésiastiques n’acceptent pas un programme scolaire différent pour les pensionnaires (payantes) et les orphelines (dont l’internat est gratuit). Déjà enseignante à La Fourche, la postulante pourrait y prendre l’habit et faire son noviciat avec Hélène Dutour, pour ne pas priver celle-ci d’une maîtresse de classe.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

fini sur 140 arpents carrés de terre propre au pâturage et qui fournira pour 100 ans du bois pour le chauffage. Et je regarde dès ce moment cette maison comme la plus aisée des six. Celle de Mère Eugénie ayant des dettes, le noviciat est encore à bâtir. Celle de Mère Xavier paye extraordinairement cher les provisions et doit aussi bâtir, sa maison en bois penchant. Je sais bien qu’on se plaint aussi de celle à La Fourche, mais on peut bien attendre et si on lui donne trop de splendeur, ce qui ne manquera pas d’arriver si on lâche la bride, les deux autres en souffriront. Je ne saurais répondre que tout ceci s’observe. On ne l’a obtenu que jusqu’à votre réponse. On craint des anciennes avec soi, on voudrait former soi-même ses sujets, on dédaigne tous les autres. Je vous assure que je crains beaucoup cet esprit particulier qui cherche à s’isoler, qui n’aime que son plan, qui réclame toujours, qui déjà parlait de ne prendre des orphelines que de sa paroisse tandis que ce sont les étrangers qui ont contribué, qui craint d’être gênée. Aucune raison n’a prise sur cet esprit arrêté. Si cela empirait, je ne verrais de remède qu’un remplacement ; mais il nuirait dans ce moment, la personne étant très appuyée. Et si vous déclarez nettement vos volontés sans écouter les réclamations, je pense que la vertu surmontera l’entêtement. Je ne sais pourquoi j’éprouve beaucoup d’ennui dans mon voyage et m’inquiète pour le retour. Mère Xavier est celle avec qui mon esprit se lie davantage et nous n’avons pu nous empêcher de témoigner le désir d’un rapprochement à Saint-Louis1. Mais comment réparer ce vide aux Opelousas ? Ce serait trop de mal. Il vaut mieux souffrir encore et je vois toujours que Saint-Louis est, des six places, celle qui renferme tous les avantages réunis pour faire espérer un avenir solide : ville épiscopale, collège de Jésuites, bons prêtres, belle et saine situation, vivres à bon marché, facilité des voyages dans tous les États-Unis par les nombreuses rivières qui tombent dans le Mississippi, marchandises de toutes espèces et à bas prix. Nous allons tâcher de réunir les deux pensionnats et de mettre les orphelines à Saint-Ferdinand, mais le fondateur [M. Mullanphy] le voudra-t-il ? Je suis sans nouvelles de Saint-Louis depuis mon départ. Je tâcherai de vite y retourner pour rendre Mère Félicité à sa destination où elle est fort désirée2. Je voudrais mes deux nièces pour la remplacer à Saint-Louis. 1 2

Anna Murphy irait rejoindre Philippine à Saint-Louis. Félicité Lavy était désirée comme professeur de piano à Grand Coteau, mais elle est restée à Saint-Louis.

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Combien je fais de vœux pour vous et nos bons Pères à ce renouvellement d’année. Je les fais passer dans le Cœur de Jésus et suis à vos pieds votre fille. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

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L. 24 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 18 janvier 18301 St Antoine Ma chère cousine, Je ne puis mieux charmer l’ennui d’un long voyage qu’en venant t’offrir mes vœux de bonne année et m’entretenir avec une aussi bonne amie ; mes désirs ont été en retard pour leur accomplissement et la raison en est encore le voyage. Il a été occasionné par le besoin de nous concerter pour nos six établissements qui, se trouvant dans des climats, et on peut dire, parmi des peuples différents, auraient fini par en souffrir. J’ai la partie pauvre et je suis descendue dans la partie riche, mais qui ne l’est pas cette année par la mauvaise récolte du sucre et par l’abandon qu’on est obligé de faire de celle du coton qui donne très peu de profit, maintenant qu’il abonde davantage dans d’autres États. 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 24 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 57-59. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

J’avais quitté le Missouri le 7 novembre, l’hiver y étant commencé, et je suis arrivée pour trouver en décembre et en janvier presque l’été, car les personnes peu délicates se passent de feu, les jardins sont comme chez nous au mois de Mai et les salons sont ornés de différentes fleurs, et encore plus nos autels. J’ai vu avec bien de la satisfaction nos trois maisons de l’État de la Louisiane, je n’en connaissais encore qu’une. Je suis en voie de retour et j’espère qu’il sera plus heureux que dans mon dernier voyage, la saison étant plus favorable, parce qu’elle est exempte de ces maladies désastreuses qui se sont même plus étendues l’année dernière que les autres et qui font craindre qu’elles ne soient annuelles pour les nouvelles villes comme pour La Nouvelle-Orléans. Je te remercie bien des nouvelles que tu me donnes de tous nos amis. Je prie Mme Teisseire de m’acquitter en bons souvenirs pour plusieurs, mais tu sais que tu es toujours chargée pour notre bonne maîtresse, Mme Luc, et pour Monsieur Dumolard. Je suis maintenant en grandes privations de toutes sortes de nouvelles soit de France, soit des maisons d’Amérique, car on n’a pas su où m’adresser des lettres ; peut-être en aurais-je de toi à Saint-Louis où, si je voyage heureusement, je ne serai tout au plus que dans la 1ère quinzaine de février. Malgré les mauvaises récoltes de cette année, l’État de la Louisiane prend de grands accroissements en population et en embellissements. Il y a même un luxe ignoré en France et qui contribue à laisser les enfants dans l’habitude de la mollesse et du plaisir. Cependant la religion prend aussi de grands accroissements : plusieurs nouvelles églises ont été bâties et les congrégations catholiques s’augmentent. Mgr Portier, lyonnais, nommé pour les Florides, vient d’arriver d’Europe où il avait été chercher des ouvriers pour ses travaux apostoliques. On dit qu’il y a été fort heureux. Il a eu plusieurs années le plus de vogue pour l’éducation de la jeunesse à La Nouvelle-Orléans. On va suppléer à ce collège par un autre, pour lequel il y a une souscription qu’on veut confier à celui qui, par souscription aussi, a fait bâtir notre maison de Saint-Michel, ce qui contribuera à y rendre l’éducation solide et vertueuse. Adieu, bonne cousine, je te répète que je vieillis mais que mes sentiments ont toujours pour toi la vivacité de la jeunesse. Toute à toi in Corde Jesu et Mariae. Philippine Duchesne r. S. C.

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L. 97 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Michel, ce 20 janvier 18301 St Antoine Ma bien digne Mère, Je suis arrivée hier soir à Saint-Michel de la maison du Grand Coteau et j’ai déjà commencé à reprendre la route du retour. J’ai fait arrêter ma place dans un steamboat pour Saint-Louis et m’attends à toute heure à être appelée pour l’embarquement. Je comptais prendre avec moi Mère Piveteau, qui en était d’accord pour que son talent du piano couvrît un peu le départ nécessaire de Mère Lavy pour sa destination [Grand Coteau]. Le piano est acheté et arrivé. Il ne reste qu’à l’exercer, et moyennant cette bonne Sœur et une coadjutrice, on sera 12, nombre suffisant pour 40 élèves faciles à conduire, pour l’Office et les emplois de la maison. Ce sera la seule qui ait quatre grandes croix2. Je vous demande que Mère Lavy la prenne bientôt pour se soutenir dans un changement qui lui sera pénible. Elle n’aura pour quelque temps que son piano qui, étant annoncé aux parents dans la gazette, ne peut plus être retardé à son arrivée. Ne pouvant trouver mes feuilles d’élenchus [de compte-rendu de visite], je tracerai ici, en abrégé, ce que je vois de la maison de Mère Murphy. J’y ai encore plus vu que dans les autres la crainte de déplaire aux hommes, prenant sur la régularité que je croyais parfaite et pour laquelle Mère Dorival se croyait envoyée. La maison est comme une jolie maison séculière. On y a une porte fermée en devant, mais on peut en trouver d’ouvertes sur les côtés, y entrer sans empêchement et même parcourir la maison. Les enfants et les Dames sortent de la clôture pour se promener au loin dans leur bois et leur prairie où elles peuvent être rencontrées. On tient beaucoup à conserver cet usage, disant que c’est cette latitude qui charme les parents, que l’enceinte de la clôture est rétrécie. J’ai dit d’avoir recours à vos permissions pour les enfants ; qu’elles continuent, en attendant la réponse, sous l’œil d’une seule maîtresse 1

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Le Havre, 23 mars 1830 ; Paris, 25 mars 1820. Philippine écrit cette lettre après sa visite de Grand Coteau (fin décembre-16 janvier 1830). J. de Charry, II 3, L. 261, p. 138-144. Quatre professes de chœur : Anna-Xavier Murphy, Louise Dorival, Carmélite Landry et ­Félicité Lavy. Cette dernière prononcera ses derniers vœux à Saint-Louis, le 8 mars 1830, avant son départ, le 12 mars.

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à la fois, ayant refusé d’être du même avis pour les autres Sœurs qui ont : en jardin potager : 500 toises1 en gazon et jolie plantation : 486 en vallée plantée de saules 116 pleureurs : en verger : 1 050   2 152 outre une grande cour et un parc pour les veaux, plus grand que le verger. Les deux Mères ont été blessées de mon avis. Mère Xavier s’est rendue, mais Mère Dorival a toujours paru mécontente. Un petit crachement de sang, qui l’a effrayée jusqu’aux larmes, a irrité ses nerfs et dans cet état, elle a plus qu’habituellement horreur de la moindre opposition. Malgré l’attache à son sens, elle souffre pour la moindre difficulté de volonté dans les inférieures et prend plus la supériorité que Mère Xavier. Il me semble que pour rendre cette maison plus semblable aux nôtres, il faudrait : 1. se renfermer dans la terre en clôture ou clore un peu de la prairie et du bois pour jouir en partie de l’un et de l’autre ; 2. que toute porte qui donne entrée dans l’intérieur de la clôture soit changée ou fermée à clef ; 3. de même, celles qui donnent entrée dans les dortoirs ou classes ; 4. qu’une fenêtre du salon n’ait pas vue sur la place de jeux des élèves ou qu’elles s’abstiennent d’y aller au moment où le salon est occupé et où l’on peut les voir en désordre, crier, se mal tenir, etc. 5. Je ne sais si le plan d’études est supprimé, mais on ne le connaît ni à Saint-Michel, ni au Grand Coteau, on n’y a que la liste des études propres à chaque classe. On fait donc comme on veut. Au Coteau, un jour, le soir, on ne fait que lire, l’autre que l’arithmétique, l’autre que la géographie. Je n’ai moi-même qu’un très vieux plan d’études et demande depuis longtemps s’il est réformé ou non. 6. Quatre ou cinq Sœurs couchent sous le toit et, quoique dans un climat tempéré, je trouve là bien de la rigueur et en souffrirais. J’ai demandé un plafond et des croisées. 7. On ne suivait pas plusieurs exercices. 1

Ancienne mesure de longueur, valant 1,949 m.

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8. Il y a des Sœurs qui couchent dans de petites bâtisses séparées, exposées au danger de sortir de nuit si elles se trompent d’heure. J’ai demandé qu’on fût dans des appartements qu’on pût parcourir sans ouvrir les portes du dehors dont la clef restait à l’excitatrice [religieuse chargée du réveil matinal], hors du grand corps de logis. 9. On y négligeait beaucoup l’anglais. 10. Une Sœur sortait habituellement de la messe après la Communion, sans action de grâces. 11. On y abrège beaucoup les prières et les chants à cause des protestantes, cependant les élèves ont de bonnes voix. 12. On a repris les Offices, excepté Mères Xavier et Dorival. J’y ai remis Sœur Marguerite que Mère Dorival avait retranchée malgré qu’on représentât votre permission ; elle avait également mis l’habit de Sœur à une qui avait reçu de Monseigneur, de Mère Eugénie et convenu avec moi, celui de chœur. 13. À cette épreuve a succédé un traitement trop humiliant pour elle et les autres Sœurs pour le pays, qui a fait chanceler des vocations. Il n’y avait pas moins de trois sujets forts nécessaires qu’on voulait changer. J’ai demandé ce que feraient deux têtes sans bras. 14. On ne souffre pas que Sœur Marguerite s’occupe des besoins de l’aumônier, au moins pour les rappeler. Il n’est pas assez bien traité et je crains qu’on ne puisse le remplacer. Il y a très peu d’attention pour lui, même en maladie. 15. Le besoin le plus urgent de la maison est une chapelle plus grande, un dortoir pour remplacer celui où il pleut à seau, troisièmement une sacristie, quatrièmement une chambre séparée pour retirer dans les mauvais temps un prêtre ou un parent qui ne trouverait d’asile qu’à plusieurs milles de distance et pas un morceau de pain. On pourrait établir sur les terres incultes une bonne famille qui le demande et pourrait retirer un petit profit des services rendus aux étrangers. Je crains que des parents qui marchent cinq jours dans l’eau pour placer et voir leurs enfants, réduits à ne point trouver à se mettre à couvert dans des orages, ne se dégoûtent entièrement d’une position si peu commode. Le prêtre, qui m’a fait faire six lieues dans sa voiture pour aller au steamboat, vint la veille, fit une lieue deux-tiers pour trouver un lit, ne dormit pas d’un affreux mal de dent, vint me prendre le matin à la pluie et au tonnerre, se fit précéder d’un Nègre à cheval pour guider dans les mauvais pas et me disait un moment : « Voyez cette place verte, c’est un gouffre » ; à un autre : « Voilà la place où j’ai vu un wagon embour-

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

bé six heures ; là, j’ai été attaqué de nuit par un Nègre que j’ai renversé avec mon cheval, etc. ». J’ai cru que je ne pourrais sortir de cette contrée. J’étais extrêmement impatiente de vos nouvelles : elles m’apprennent que vous avez été souffrante cinq mois1. Oh ! Que n’ai-je souffert pour vous ! De celles de Saint-Louis, Monsieur Jeanjean, qui en revient, me dit qu’on y est toujours à six pensionnaires ; de celles à La Fourche, où nous voulions mettre Sœur Carmélite, mais le Grand Coteau la veut et je crois être obligée d’y mettre Mère Bazire pour aider Mère Dutour qui est malade. Elle a déjà 14 orphelines et va s’augmenter d’une chapelle et d’un dortoir, ainsi convenu dans notre réunion. Elle s’est prêtée de très bon cœur à payer le tiers des frais de nos caisses, me fait d’autres présents. Se tenant en subalterne, cette maison fera beaucoup de bien. Celle de Saint-Michel souffrira peut-être de la mauvaise récolte. Mère Eugénie, outre son tiers des frais, me remet de bonne grâce 375 F avec plusieurs choses utiles. Mère Murphy en a envoyé 500 à Saint-Louis qui paieront le voyage de Mère Lavy, mais elle n’a pas été contente de plusieurs de mes représentations et disait à tout : « Il faut donner, il faut envoyer ! ». Mère Dorival [disait] : « Tout retombe sur cette maison. » J’avais envie de répondre que ce n’était pas encore le dixième dû, mais la chose me regardant, il valait mieux se taire. On ne peut l’attendre cette année puisqu’il faut bâtir à ses frais, on dit que les parents ne voudraient pas contribuer pour une chapelle. J’ai honte de le dire et c’est la vérité : le reste est à l’avenant. On n’ose pas parler trop de Dieu aux enfants, trop instruire du catéchisme ; elles ont ri, me voyant dire le Veni Sancte à genoux. Le mélange des religions produit une langueur pour la véritable, vraiment déplorable. Mère Dutour, chargée aussi d’une bâtisse et de ses 14 ou 15 orphelines, élevées sur le pied des autres élèves, aura assez à faire. Quant à Mère Eugénie, elle doit encore, il faut qu’elle contribue à son église et fasse quelques arrangements par rapport aux Sœurs de la communauté. Nous trouvant ainsi dans la nécessité de nous réduire, je n’emmène point Mère Piveteau qui demande des soins. Nous donnerons des compagnes Sœurs aux deux Dames pour ne pas nous ôter la possibilité d’entretenir les autres2. Que j’ai besoin de Dieu au retour ! Que de difficultés ! 1 2

En mai 1829, Mère Barat fit une chute qui lui déboîta le pied. Elle ne sera guérie qu’en juin 1832, à Turin. Le 12 mars 1830, Félicité Lavy part à Grand Coteau, accompagnée de Lucille Frances Roche, novice coadjutrice irlandaise. Julie Bazire fait le voyage pour La Fourche avec Sœur Tesserot, créole, qui reviendra à Saint-Louis, seule et malade, le 30 juin, pour aller à Saint-Charles et sortira de la Société du Sacré-Cœur en 1833.

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Je conclus de tout pour le Grand Coteau que Mère Murphy est très agréable aux parents, un peu sèche pour les Sœurs ; Mère Dorival fort absolue, nerveuse, mais fort aimable quand elle est contente ; toutes les deux, aimées, estimées des enfants et des parents. Sœur Carmélite [Landry] de meilleure santé, entendue au temporel, dévouée, intérieure, mais peu capable de sortir de sa sphère ; Sœur Joséphine [Émilie SaintCyr], bonne pour la 4ème classe, pour l’ouvrage, sujette à la jalousie ainsi que Sœur Stanislas1 qui vient de prendre le voile noir ; elle est faible de santé, fait la 5ème classe et l’ouvrage. Sœur Joséphine Gray, accomplie en vertu et exactitude, bonne pour la 4ème classe anglaise et le vestiaire. Sœur Maria Levêque, ma malade un peu imaginaire et volontaire, portière. Sœur Marguerite vieillit et édifie. Sœur J. Boudreau coadjutrice très bonne2, mais abattue par trop de travail, elle est soulagée maintenant. Sœur Clémence Pillet novice, tentée et guérie, très intelligente, et métamorphosée en Sœur depuis son arrivée à Grand Coteau3. Monsieur Jeanjean, qui revient du Canada, attendri et embaumé de tout ce qu’il y a vu : clergé nombreux et instruit, maisons religieuses de la plus grande utilité, écoles nombreuses, foi conservée dans toutes les classes, messe chantée dans la célèbre congrégation des Iroquois fondée par les Jésuites dont les seules traces leur inspirent la vénération. Tous leurs usages y sont conservés. Le matin, au son de la cloche, tous les Sauvages se rendent à l’église, hommes d’un côté surveillés par deux chefs ; femmes, de l’autre, par leurs chefs aussi. Respect, silence gardé, ordre sans variation, doctrine chrétienne chantée en Iroquois. Respect pour le prêtre. Monsieur Jeanjean a vénéré le tombeau de Marie Tegakwitha4, le crâne du P. de Brébeuf5. Il a logé où l’a été le Père 1

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Adèle (Stanislas) Aguillard (1806-1855), RSCJ, née en Louisiane, a pris l’habit le 21 mai 1827, à Saint-Michel, a fait ses premiers vœux en 1830, à Grand Coteau, et sa profession en 1839. Décédée le 30 octobre 1855, à Saint-Michel, elle est l’une des seize religieuses mortes en deux mois au cours de la terrible épidémie de fièvre jaune. Cécile (Joséphine) Boudreau (1793-1847), RSCJ coadjutrice, prend l’habit le 4 novembre 1827, à Saint-Michel. Elle fait ses premiers vœux le 27 décembre 1828, à Grand Coteau. Sa mère, Mme Sophie Boudreau, aspirante coadjutrice, vient de mourir à Saint-Michel, le 16 décembre 1829. Philippine assiste aux obsèques avant de partir en steamboat pour Grand Coteau. Clémence Pillet prend l’habit de religieuse de chœur le 26 mars 1828, mais envoyée aussitôt à Grand Coteau, elle doit l’échanger contre celui de coadjutrice. Elle revient à Saint-Louis, quitte la Société du Sacré-Cœur en 1831. Kateri Tekakwitha, née en 1656 dans la tribu Mohawk, près d’Auriesville, New York, est baptisée à l’âge de 20 ans. Après une courte vie de dévotion et de prière, elle meurt à l’âge de 24 ans, le 17 avril 1680. Elle a été béatifiée en 1980 et canonisée par Benoît XVI le 21 octobre 2012, à Rome. Saint Jean de Brébeuf (1597-1649), SJ, missionnaire en Amérique, apôtre des Hurons, fut martyrisé par les Iroquois sur le territoire actuel du Canada, au cours d’un conflit entre les deux tribus.

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Charlevoix, il a vu les beaux établissements de l’Est, des Sœurs de la Charité à Emmitsburg et à Baltimore, magnifiques, de la Visitation à Georgetown, des Ursulines à Boston. Il a dit que c’est à New York que coûteront davantage les terrains et bâtiments. Je crois, ma bonne Mère, qu’il est inutile de bâtir à Saint-Louis s’il ne vient pas d’enfants. J’en serais bien aise si nos 20 ou 30 places commençaient de se remplir. Si nous n’avons que six élèves [pensionnaires] et autant à Florissant, est-il prudent de congédier les externes [payantes] des trois maisons, comme je le dis, ayant à bâtir pour elles ? Quant à l’état temporel reçu [relevé de compte], je le comprends mais, envoyé en septembre, il arrive en janvier quand ceux de 1829 sont déjà envoyés de la Louisiane. Combien il serait commode qu’il pût tenir la place de l’état des deux semestres que Mères Lucile et Thiéfry ne comprendront jamais. Mère Dorival s’est effrayée à l’idée d’y travailler, n’a même pas voulu que je l’y aidasse, disant que vous vous étiez contentée de ses notes, que tout était approuvé de vous. D’ailleurs les livres, tenus sans distinction de ce qui regarde le pensionnat et la communauté, ne permettaient nullement de le faire suivant les trois modèles. Elle a dit qu’elle vous écrirait en bon français par rapport à la clôture, tenant beaucoup à être libre. Je remercie Mères de Charbonnel et Ducis de leurs chères lettres. Je ne crois pas pouvoir y répondre ici. Je désire beaucoup être à SaintLouis, côté le plus faible et pauvre. Je suis avec respect votre tout humble fille et servante in Corde Jesu. Philippine D. [Au verso :] À Madame Madame Barat Des maisons du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

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L. 98 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Michel, ce 1er février 18301 Rec. à St Antoine Pour ma Mère Barat Ma bien digne Mère, Je vous accable de lettres, vous ayant déjà écrit dans le mois de janvier, revenant des Opelousas dont je vous donnais des détails et me préparant à repartir pour Saint-Louis. Comme la crainte des glaces du Mississipi, près de cette ville, arrête le départ des steamboats, je ne pourrai partir que vers le dix et peut-être le 62. Ayant les moyens d’envoyer demain ma lettre à La Nouvelle-Orléans, je ne veux pas différer, étant exposée à des accidents en route qui pourraient me priver longtemps du plaisir de vous écrire et le bonheur de recourir à vos ordres. Je ne sais si Dieu agréera mon voyage que votre seule volonté m’a rendu agréable ; le cœur porte toujours vers la partie affligée et c’est le Missouri. Je suis peu faite à la vie désoccupée et ai peu réussi à cette unité que vous vouliez rétablir. La lettre de Mgr Rosati vous a décidée à laisser La Fourche telle qu’elle est. Monsieur Richard m’a aussi dit de vous écrire qu’il la croit nécessaire dans ce quartier et qu’on offenserait beaucoup de personnes en la réduisant trop. Il règne une sorte de jalousie entre les paroisses des deux bords du Mississipi, et Mère Dutour a déjà trouvé plus de ressources pour se monter que les autres maisons [Saint-Michel et Grand Coteau], ce quartier étant pieux et ayant plusieurs protections dans des parents riches. Elle se trouve néanmoins dans une grande épreuve aujourd’hui : l’unique prêtre, malade ; ellemême ayant craché le sang et eu la fièvre plus d’un mois ; ses Sœurs la plupart indisposées et en petit nombre. Mère Xavier avait paru décidée à lui donner Sœur Carmélite, professe, ensuite l’a refusée, ainsi que Mère Dorival. J’ai engagé Mère Eugénie de donner au moins un sujet, je crois qu’elle l’aurait pu, elle ne l’a pas voulu. Je voulais profiter de la prolongation de mon séjour ici pour retourner dans cette maison affligée, mais Monsieur Delacroix n’a pas 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 15 avril 1830. J. de Charry, II 3, L. 262, p. 145-148. Elle est partie le 7 février 1830.

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été de l’avis disant que cela scandaliserait de voir tant courir les religieuses. Il n’est pas plus disposé à la pitié pour Mère Dutour que Mère Eugénie. Il dit qu’il est bon qu’elle ait un peu de peines. Moi, je n’ai pu m’empêcher de lui donner l’espoir d’avoir Mère Bazire qui pourra faire ses [derniers] vœux, être son assistante, le confort de quelques Sœurs, et une bonne maîtresse pour le ton de cet établissement. Je n’ai cessé de dire à Mère Dutour que vous ne vouliez que l’instruction pour les 5ème et 4ème classes dans les maisons de second ordre. Elle m’a montré une de vos lettres où vous lui parlez de n’enseigner que le 3ème cours ; elle prend cela pour la 3ème classe ; et avec les deux langues, c’est presque tout ce qu’on peut faire à Saint-Michel et au Grand Coteau. Elle me dit aussi, dans sa dernière lettre, que vous lui marquez qu’un seul médaillon lui suffit jusqu’à ce qu’elle ait cinquante pensionnaires1 ; ce qui semble illimiter son nombre, qui a successivement été fixé à 20, 30, 40. Il me semble qu’il faudrait s’en tenir à ce dernier nombre qui, avec 20 orphelines qu’on réunira pour les trois maisons, feront 60 élèves, ainsi que je vous le détaille dans ma dernière lettre. C’est assez pour occuper les maîtresses et pour ne pas nuire aux autres maisons, dont la pension est plus forte et où les plus jeunes enfants doivent payer comme les grandes. Dans une année de très mauvaise récolte, elles choisiraient naturellement le plus bas prix. On me dit aussi que Mère Dutour espère que le noviciat sera chez elle. Je le crois toujours mieux à Saint-Michel. Veuillez, je vous prie, me faire passer la note des articles que vous lui réglerez afin que je ne dise rien de contraire et, s’il se peut, les tellement fixer qu’on finisse les objections, car vous sentez qu’une personne qui réussit si mal que moi n’a pas grand crédit sur celles qui ont les succès et l’applaudissement. Veuillez me marquer définitivement : 1. que Mère Dutour ne fasse enseigner que les articles des 4ème et 5ème classes ; 2. qu’elle n’admette pas plus de 40 pensionnaires et 20 orphelines, à moins d’un cas extraordinaire pour deux ou trois de ces dernières pour lesquelles on aiderait en les plaçant ; 3. qu’on ne puisse recevoir d’autres novices que celles qui s’y sont trouvées le 5 février 1830 et tout au plus deux coadjutrices pour les travaux ; 4. pour la bâtisse, se borner à une dépense de 5 ou 6 000 F, ce qui est 1 200 gourdes [ou dollars]. Il y a promesse des habitants pour ce montant, en don gratuit. 1

Récompense donnée aux meilleures élèves.

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Je m’étais flattée que mon absence aurait amené quelques enfants à Mère Thiéfry, j’apprends le contraire. Dieu le permet pour que je puisse donner Mère Félicité et Mère Bazire avec chacune une compagne coadjutrice. Je tâcherai de réunir nos deux pensionnats de Saint-Louis [et de Florissant], selon votre intention, de concentrer ainsi nos maîtresses. Je ne me répète pas ici, vous ayant déjà exposé ce plan que je vous prie d’examiner. Il souffrira [un retard] avant l’exécution. Je regrette le départ de mes bonnes Sœurs, si prochain ; mais comment laisser souffrir des maisons nombreuses pour les déserter ? Il faut bien aussi les décharger, si Dieu continue à nous éprouver, pour ne pas refuser le bienfait de la vie religieuse à de nouvelles épouses du Sacré-Cœur [en Louisiane]. Si Mère Octavie meurt et moi après, il n’y aura plus personne pour les 1ères classes. J’espère donc sur mes nièces promises et sur l’argent de Mère Xavier qui vous reste pour le voyage. Mais je crains que Mme Jouve fasse du bruit pour le départ de sa fille. Je ne cesserais de désirer l’établissement de New York si vous y mettiez Mère Murphy, qui paraît disposée à quitter le Grand Coteau ; Mère Van Damme la remplacerait, elle est mieux ici et s’est repentie d’avoir témoigné de la répugnance pour y aller1. Vous craignez les petits établissements et vous êtes menacée de deux demandes. Monsieur Martial est, dit-on, nommé évêque du Fort Vincennes, dans l’État de l’Indiana, près l’Ohio2. Je ne doute pas qu’il ne nous demande, m’ayant fait mille avances cette année et ne pouvant se faire à l’anglais. Je ne serais pas étonnée que les Sœurs des Barrens suivent l’exemple de celles à La Fourche3 ; elles se sont séparées de leurs Sœurs du Kentucky et la supérieure a désiré être des nôtres. On acquerrait là à la fois 17 ou 18 sujets anglais, c’est ce qui nous manque. Veuillez me marquer votre avis, si j’ai à répondre là-dessus, car les autres Mères diront non ici, et il est bien long d’écrire et d’avoir des réponses. Recevez, ma digne Mère, mes excuses sur les défauts de ma lettre ; ma vieillesse, qui cependant reverdit, est mon excuse. Des nouvelles de votre entorse, je vous conjure. Je suis, tendre Mère, à vos pieds, votre fille dévouée in Corde Jesu. Philippine r. S. C. 1 2 3

Xavier Van Damme est décédée le 30 mai 1833, à Saint-Michel. C’est un faux bruit, Bertrand Martial ne sera jamais évêque. Les trois Sœurs de la Croix, établies à La Fourche en 1825, provenaient de la communauté de Bethléem, Barrens. Ce couvent avait été fondé un an plus tôt par un groupe de treize Sœurs, provenant de la maison-mère de Loretto, Kentucky, sous la conduite de Juliana Wathen.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

[Au verso :] À Madame Madame Desmarquest Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

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L. 56 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[22 Février 1830] Monseigneur, En retenant l’argent de mon voyage, je vois que 100 $ que j’emportais à Saint-Louis sont peut-être nécessaires au séminaire jusqu’au paiement, en mars, des Louisianinois. Si cela peut être utile à votre économe pour ne pas faire attendre ses fournisseurs, je serai trop heureuse de lui ôter une peine que je connais bien. Je suis avec vénération in Corde Jesu, Monseigneur, votre fille et servante. Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Février 22, Mme Duchesne, St. Louis. »

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L. 57 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[3 mars 1830] Monseigneur, J’ai reçu la somme que vous m’avez envoyée hier par M. Lepère et j’ai été surprise et fâchée d’y trouver les 100 $ des Barrens ; ce qui m’a fait présumer que la lettre que j’ai pris la liberté de vous écrire, le jour de votre départ pour Saint-Ferdinand, ne vous a pas été remise. Je désirerais bien le savoir. Sans doute, il faut faire un reçu de la somme envoyée par la Société de la Foi, mais comme elle vous a été adressée, il me semble que c’est à vous que je le dois et voudrais connaître en quels termes vous le désirez. J’oublie toujours de m’informer auprès de vous, Monseigneur, s’il est défendu de toucher du piano le dimanche et les fêtes. En France, c’est sans difficulté, mais il paraît qu’ici on s’en scandalise. Monsieur Delacroix n’a même pas voulu que j’écrive le dimanche dans le steamboat ; ce qui m’étonna beaucoup. Quand Mgr  Dubourg quitta Saint-Louis, il voulut régler ce qui concernait notre bâtisse de Saint-Ferdinand dont il s’était chargé, et il me dit que nous restions devoir 500 $ à M. Menard de Kaskaskia, qu’il lui avait prêtés pour nous, sous la condition que nous nous acquitterions en pensions pour quelques personnes de sa famille. Celles qu’il avait compté placer chez nous ayant préféré leur liberté, il n’a été employé que 200 gourdes pour Mlle Beauvois sa filleule ; en sorte que nous devons encore 300 $ que je lui avais proposé d’appliquer à nos orphelines ou indiennes ou à d’autres bonnes œuvres et je n’ai point eu de réponse, ni ne pense pas en avoir autrement que de vive voix, ce qui ne se pourra avec moi. Vous serait-il possible, Monseigneur, de lui parler de cette affaire, ne voulant point laisser d’embarras si je mourais. Il paraît que Mlle Maxwell reviendrait si elle n’avait rien à payer, ou des orphelines de Sainte-Geneviève qu’on propose depuis longtemps. Notre Sœur Eulalie Guillet, venue à La Fourche, a plus de deux ans de noviciat et est par conséquent au terme de ses premiers vœux. Ma 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Mars 3, Mme Duchesne, St. Louis. »

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Sœur Joséphine Miles aussi1, et il n’y a de notre part aucune difficulté pour les admettre. La troisième qui demande à les faire et qui a même avancé sa troisième année est celle dont je vous envoie le billet, n’osant rien décider. Elle est sœur de cette jeune personne que Monseigneur de Cincinnati [Edouard Fenwick] veut envoyer ici ; elle a plusieurs fois varié dans sa vocation, voulu quitter la maison, et jusque dans ses bons moments, elle conserve bien des difficultés dans nos saintes observances. Monsieur Saulnier ne prononce pas son avis ; les anciennes sœurs que je consulte ne veulent pas non plus, mais toutes conviennent cependant qu’elle a extraordinairement changé à son avantage et que la liberté de sa tête lui rendrait le séjour dans le monde des plus dangereux. Hier, une de ses sœurs, que Mgr Fenwick ne voulait pas qu’elle fréquentât, lui a glissé une lettre où elle la tente beaucoup de retourner dans le monde, traitant de folie sa sainte résolution. Je vous prie, Monseigneur, quand vous aurez un moment, de bien vouloir voir et examiner les trois sujets qui demandent d’être admises aux premiers vœux avant votre départ. Je suis à vos pieds bien respectueusement, Monseigneur, votre tout dévouée et indigne fille in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 3 mars 1830 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Saint-Louis

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Joséphine Miles (ou Milles), née en 1807, est entrée au noviciat de Florissant en 1827. Elle a vécu à City House (Saint-Louis), puis est revenue à Florissant. Elle a été renvoyée de la Société du Sacré-Cœur par la Mère É. Galitzine au cours de sa visite, en 1840.

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L. 1 À MÈRE DE LIMMINGHE1 Saint-Louis, 12 mars 1830 St Antoine de Padoue2

Ma très chère Mère, J’ai été privée de recevoir votre lettre aussitôt son arrivée en Amérique, car, par la volonté de notre digne Mère générale, je voyageais dans la Louisiane pour m’y réunir aux supérieures des trois maisons qui y sont établies. Nous avons eu cette consolation dans la maison de Saint-Michel, à 20 lieues au-dessus de La Nouvelle-Orléans. C’est la maison la plus considérable pour l’étendue des bâtiments, le nombre des Sœurs et des élèves ; les élèves sont 70, et les Sœurs 22. La maison à La Fourche, qui en est à une journée de l’autre côté du Mississippi, n’a que 6 sœurs, bientôt 8, et a 60 enfants, tant pensionnaires qu’orphelines. Les supérieures de ces deux maisons sont savoyardes [Eugénie Audé, Hélène Dutour], celle des Opelousas est irlandaise [Xavier Murphy]. C’est avec ces trois Mères que nous nous sommes réunies pendant quelques jours, après lesquels j’ai été aux Opelousas où il y a toujours 40 à 48 élèves, et 10 sœurs et bientôt douze, car demain nous voyons partir, non sans peine, quatre bons sujets que vont recruter les deux maisons trop peu nombreuses. Il y aura deux Dames et deux Sœurs : les deux Sœurs sont de ce pays ; les Dames ont été formées au noviciat de Paris, ce sont Madame Félicité Lavy pour les Opelousas, et Madame Julie Bazire pour La Fourche. Elles ont eu le bonheur de faire les derniers vœux, avec une troisième, il y a peu de jours. Ce sont les dernières venues de France avec Madame Thiéfry, Flamande, qui gouverne en ce moment à Saint-Ferdinand la maison de cet État, la plus voisine de nous ; l’autre est au nord du Missouri, et n’a presque que 1

2

Louise (Addolorata) de Limminghe (1792-1874), RSCJ, est née le 14 janvier 1792, à Louvain (Belgique). Son père, emprisonné pendant La Terreur révolutionnaire, est mort avec sa femme à Nice. En 1813, Louise entre dans la communauté de Doorseele (Gand), y reste en 1814 lorsque cette maison se sépare de la Société du Sacré-Cœur. En 1822, elle entre dans la Société du Sacré-Cœur, fait ses premiers vœux le 21 octobre 1822, sa profession le 16 juillet 1823, part comme supérieure à Turin. Au Conseil général de 1833, elle est nommée admonitrice de la Supérieure générale, puis assistante générale en 1839, mais elle démissionne, désapprouvant les choix faits sous l’influence la Mère Galitzine. Après avoir fondé la maison de Saint-Elpidio, celle de Padoue, et rétabli le Sacré-Cœur à Gênes, elle a été maîtresse des novices à La Villa Lante, à Rome, puis supérieure vicaire des maisons d’Autriche, à Graz. Elle est décédée le 19 janvier 1874, à Jette, en Belgique. Elle a participé aux dépositions pour la cause de béatification de la Mère Barat. Copie, Archives Province États-Unis-Canada, Series XII. C Callan.

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des externes. C’est ici notre plus grand nombre, et nous avons le bonheur d’avoir à nos écoles journellement une centaine d’enfants. Le noviciat de l’État de la Louisiane est à Saint-Michel, et celui du Missouri à Saint Ferdinand, dont l’église, tenant à la maison, appartient aux Jésuites à qui Mgr Dubourg en a fait donation ; elle est en briques, et pas plâtrée, faute d’argent. Celle de Saint-Charles est aussi à eux ; ils l’ont bâtie en pierre sur les fonds de la Providence. Elle est finie et consacrée ; il reste cependant une sacristie à faire et le clocher à finir. Nos chapelles ont vue dans ces deux églises, près de l’autel ; grand avantage dans un pays où il y a peu de prêtres, et nous y faisons les frais du chant. À Saint-Louis, nous sommes à un quart d’heure de l’église, mais nous avons tous les jours la messe dans notre chapelle, et même un sermon tous les dimanches, depuis que nos Pères y ont un collège, ouvert au mois de novembre, mais qui a aussi peu de pensionnaires et beaucoup d’externes gratuites. Je vous remercie, ma chère et respectable Mère, de la bonté que vous avez eue de m’écrire et de me donner des détails si intéressants, surtout regardant vos augustes souverains. Veuillez me rappeler à toutes vos filles et à nos Sœurs de Chambéry, où je connais plusieurs d’elles, surtout Mère Lavauden. Croyez-moi, dans le Sacré-Cœur de Jésus, votre dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C.

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L. 58 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Je viens d’apprendre à l’instant que vous êtes arrivé. En tout temps, c’est une bien bonne nouvelle, mais cette fois elle comble tous nos 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Mars 7, Mme Duchesne, St. Louis. »

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désirs. Nos sœurs n’ayant pu faire leurs vœux vous attendent avec la dernière impatience, surtout l’une d’elles qui n’a pas les 25 ans que je lui croyais1. Ce qui l’afflige ainsi que moi, et nous pensons que vous pourrez peut-être lever la difficulté. Si vous n’étiez pas trop fatigué, oserions-nous espérer que la cérémonie soit demain ? Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 7 mars 1830

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L. 99 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Rec. à St Antoine de Padoue Saint-Louis, ce 14 mars 18302 Ma bien digne Mère, Me voici enfin arrivée. Je vous ai écrit avant mon départ de chez Mère Eugénie, le 1er février, à l’adresse de Mère Desmarquest, et je suis partie le 7. J’ai voyagé heureusement jusqu’à la jonction de l’Ohio ; mais au-dessus, le manque d’eau nous mettant sans cesse en danger, je quittai le steamboat vis-à-vis du séminaire qui était à 4 lieues dans les terres et m’y rendis dans une charrette à bœufs, bien contente que le contretemps du voyage me facilitât les sacrements pendant les 40 heures. Je logeai près de là chez les Sœurs de la Croix, dont je fus parfaitement reçue, y restai deux jours et fus à portée de prendre mes permis1 2

Le 8 mars 1830, Mgr Rosati reçut les vœux perpétuels de Félicité Lavy, Susannah McKay (dite Aloysia) et de Julie Bazire qui n’avait pas encore 25 ans. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 3 mai 1830. J. de Charry, II 3, L. 264, p. 154-158.

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sions et de faire mes demandes auprès des deux évêques de La Nouvelle-Orléans et de Saint-Louis [Mgr De Neckere et Mgr Rosati], qui s’y trouvaient tous deux. Je demandai au premier de vouloir bien être le supérieur immédiat des trois maisons de la Louisiane qui sont de son diocèse, car Monsieur Jeanjean n’est pas agréé à La Fourche et du Grand Coteau, et son titre de supérieur mettait entièrement de côté, à Saint-Michel, Monsieur Delacroix à qui cependant on doit l’établissement et bien d’autres faveurs. Mère Eugénie se trouve maintenant dans une position difficile entre lui et Monsieur Jeanjean. Elle doit beaucoup à tous les deux, et cependant un seul peut être chargé de la maison et Monseigneur a désigné Monsieur Jeanjean. L’autre, trop peu occupé par la paroisse, semble dire et répéter : « J’ai travaillé pour les autres. » Cette maison de Saint-Michel avait bien besoin d’une assistante et maîtresse des novices et j’avais parlé à Monsieur Delacroix de céder Mère Thiéfry, ce qu’il approuvait, ainsi que Monseigneur, mais il a été impossible de la donner. J’ai eu assez de difficultés à pouvoir donner Mère Félicité Lavy et ma coadjutrice irlandaise [Lucille Roche1] à Mère Xavier, et Mère Bazire, avec une coadjutrice créole, à Mère Dutour qui en avait le plus grand besoin, n’étant que six personnes, faibles en tout, pour 60 enfants dont 18 ou 20 sont orphelines et je désire bien qu’elle se borne là : elle n’a plus de place et Mère Eugénie en a pour 100, en sorte qu’elle ferait réellement tort à Mère Eugénie en croissant davantage. Ces deux bonnes Sœurs, Lavy et Bazire, avec une de nos aspirantes, ont fait leurs vœux en présence de Monseigneur, qui est venu depuis mon arrivée à Saint-Louis et qui a donné dispense d’âge à Mère Bazire qui le désirait vivement et qui avait besoin d’être professe pour que Mère Dutour eût une assistante et consultrice et donne à sa maison une forme régulière. Mère Xavier, recevant Mère Lavy professe, reçoit sa troisième consultrice, et cette maison a pour le moment tout ce qu’il lui faut. Elle ne fait pas autant de vide ici que je l’aurais cru. Les parents ont préféré conserver le maître de piano. Les enfants ont peu profité pour l’étude avec elle. Elles ont vivement regretté Mère Bazire qui, en effet, est la bonté même, mais en ne rêvant qu’à ouvrages, ainsi que Mère Thiéfry. Les études et la propreté ont été tellement négligées que j’ai trouvé la 1

Françoise Lucille Roche, novice coadjutrice, a accompagné Félicité Lavy à Grand Coteau, le 12 mars 1830. Elle est décédée peu après son arrivée, le 16 juin (ou 16 août) 1830, à l’âge de 18 ans.

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maison et les enfants de Saint-Ferdinand en bien meilleur état qu’ici. Cela est dû à Sœur Hamilton, sujet rare pour nous. Enfin, contre vents et marées, la réunion que vous désiriez des deux pensionnats va s’opérer1 ; mais pour empêcher les plaintes des parents, des enfants, et faire un changement à l’avantage du noviciat, Mère Thiéfry s’en est allée prendre soin de Saint-Ferdinand, en attendant que vous la nommiez supérieure si vous le trouvez bon. Mère Octavie est déjà ici avec moi. Demain arrivent plusieurs de ses enfants et le 19, jour de Saint-Joseph, notre fête patronale et celle de Monseigneur, qui nous donnera la messe et l’habit à deux postulantes [Mary Shannon2 et Elisabeth Missé3] ; j’espère que les enfants seront arrivées, conduites par Sœur Hamilton qui est tout pour elles. Cette maison de Saint-Ferdinand, suivant vos intentions, est annoncée du second ordre et plusieurs enfants y entreront à bas prix. Il a fallu faire des conditions ici peu avantageuses pour nous former au nombre de 20, outre les 6 que nous avions : heureuses s’il se soutient, pour soutenir par-là, de notre côté, Saint-Ferdinand qui nous livre ses ressources [en pensionnaires]. Nous avons donné congé pour toujours aux externes payantes qui mettaient le désordre dans le pensionnat et profitaient peu. Il est impossible d’ôter Mère Lucile de Saint-Charles, le nombre des Françaises y domine. Elle est seule pour elles et il lui faudra de l’aide que je lui ai promise après Pâques, quand trois aspirantes auront fait leurs vœux4 que, sans doute, Monseigneur recevra, restant ici jusque-là et partant ensuite pour sacrer le nouvel évêque de La Nouvelle-Orléans. Il aura, dans l’espace d’un mois, reçu à Saint-Louis 3 professions, fait 2 prises d’habits et reçu les premiers vœux de 3 Sœurs, ce qui nous remplit de consolation et donne courage pour laisser partir ces chères Sœurs qui ont été si bonnes, et pour supporter les peines qui nous restent. M. Mullanphy n’a pas voulu consentir au placement de nos orphelines d’ici à Saint-Ferdinand, ce qui nous encombre. J’espère qu’il y consentira plus tard en lui en montrant les avantages. 1

2 3 4

Le pensionnat de Florissant s’est réuni à celui de Saint-Louis. Pour cette raison, Octavie Berthold et Eulalie (Régis) Hamilton, accompagnées d’Adeline (Gonzague) Boilvin, sont arrivées à Saint-Louis avec leurs élèves. Catherine Thiéfry a pris la direction de la maison de Florissant, avec la charge de maîtresse des novices. Mary Shannon, née en 1810, entrée à Florissant en 1827, envoyée à Grand Coteau, est sortie de la Société du Sacré-Cœur en juillet 1831. Elizabeth Missé, RSCJ, née en 1806, entrée en 1832 à Saint-Ferdinand, a fait sa profession en 1841 à Saint-Louis, où elle est décédée en 1847. Le 12 avril, Mgr Rosati a reçu les vœux de Margaret Short, Joséphine Milles et Eulalie Guillot, ancienne novice des Sœurs de la Croix, venue de Saint-Michel.

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Je suis fort gênée pour ces Elenchus que vous désirez. Les lettres sont exposées à être ouvertes et que dirait-on ? Il me reste à vous parler de la maison de Mère Xavier [Murphy]. Je l’ai trouvée quelquefois un peu aigre, et bien tolérante pour les protestantes comme je l’ai déjà dit. Il paraît qu’elle changerait facilement de situation. Elle pourrait être utile à New York sans nuire à sa maison, si Mère Xavier Van Damme y allait ou que Mère Félicité devînt capable d’enseigner l’anglais. Mère Dorival est très vive, très aimable quand elle est dans son assiette. On dit qu’elle a besoin d’être à la tête. Carmélite, professe, est tout à fait nécessaire pour le temporel, les deux autres Mères s’y entendant peu. J’ai trouvé Mère Lucile en moins bonne santé et moins engouée de Saint-Charles. C’est là, comme partout, peine et peu de consolations. On se désole, au village de Saint-Ferdinand, du départ des enfants, surtout le curé qui est Père [J. Van Assche]. On fait espérer les remplacer, Dieu seul le sait ! En attendant, Mère Thiéfry s’est accoutumée et est aimée. Les trois Dames dernières venues, en mon absence, ont fait l’impossible pour avoir des enfants. Ç’a été en vain, et Dieu l’a permis pour faciliter l’assistance aux autres maisons et pour montrer qu’il n’y a pas toujours de l’avantage dans les changements. Je crains Mère Thiéfry pour cela. Elle a un esprit remuant et, souvent, on fait des dépenses qui ne mènent qu’à des privations pour le temporel sans rien améliorer. Si Monseigneur n’avait pu me donner les permissions pour les vœux et le départ, j’aurais eu bien du mal avec le Père supérieur [Van Quickenborne]. Il avait refusé de faire la cérémonie ; aucun des siens n’osait d’après cela. Il m’a bien reproché les départs, m’a dit que je ruinais la Société en Amérique, qu’il vous en écrirait. Je lui ai répondu que je le désirais et serais charmée d’être au dernier rang. J’ai continué d’agir, persuadée que je suivais vos instructions et intentions, que cette bombe devait éclater pour nous tirer de notre avilissement ici, aider nos Sœurs de la Louisiane et, en mettant ici Mère Octavie et Sœur Hamilton, retenir la confiance des familles qui nous veulent du bien. Les enfants m’ont paru avoir perdu sous celles qui m’ont remplacée [Catherine Thiéfry et Julie Bazire], tandis que celles de ces deux Mères [Octavie et Régis] ont beaucoup gagné. Mais la séparation a été douloureuse du côté de l’union, de l’estime et de l’attachement que nous leur avions voué et qu’elles méritaient. J’avais reçu de Monseigneur les 1 000 F que Monsieur Petit l’avait laissé libre de nous donner l’année passée. Il m’a annoncé pour celle-ci



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2 000 F avec plusieurs déductions de charges, frais, etc., mais cet argent n’est point encore arrivé. Je vous en fais mes remerciements et à mon Père Perreau qui n’oublie point la colonie qui lui est si attachée et qui avec moi prie pour son bienfaiteur. Combien il me tarde, ma tendre Mère, de vous savoir guérie, et je trouve le temps bien long depuis votre dernière lettre où vous me parliez de vos accidents successifs. Je suis à vos pieds in Corde Jesu, ma digne Mère, votre fille. Philippine Duchesne Mes respects à votre cher frère et au Père Varin. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure Des dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

LETTRE 358

L. 59 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[31 mars 1830] Monseigneur, Avant de continuer les bonnets, je désirerais bien savoir si les deux que j’envoie peuvent passer. Madame Octavie m’a dit que vous alliez demain à Saint-Ferdinand. M. Lepère étant parti, je n’ai aucun moyen de faire dire à nos sœurs de 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Mars 31, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

vous proposer le dîner, mais vous êtes si indulgent que, si vous vous arrêtez une heure, elles pourront le préparer facilement. Monsieur Loiseul, ayant été malade, croyait nous être redevable et nous l’avons bien assuré du contraire. Maintenant, le prêtre espagnol qui l’a remplacé un mois n’a pas même voulu la rétribution de deux messes. Nous ne pouvons nous expliquer avec lui et je vous prie de nous suppléer, puisqu’il n’entend que le latin. Nous désirons que les 100 $ laissés au Barrens nous acquittent envers lui et Monsieur Lutz, pour ce quartier, et que les 75 $ au-delà soient pour notre contribution à l’entreprise de l’église, mais que tout soit entre vous, Madame Octavie et moi. Je suis avec un profond respect in Corde Jesu, Monseigneur, votre fille indigne. Philippine Duchesne rel. du S. Cœur Saint-Louis, 31 mars [1830]

LETTRE 359

L. 25 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Ce 21 avril 18301 Ma bien chère cousine, Je t’ai écrit de la Louisiane où j’ai passé trois mois ; notre État retient seulement le nom de Missouri et ne se confond plus avec la Louisiane et les Illinois comme au temps des Français. Je te donnais quelques détails sur notre situation en ce pays et n’aurais rien à y ajouter si ta lettre ne m’annonçait un nouveau bienfait de ta part, qui mérite les plus affectueux remerciements. Madame Ducis, l’économe de Paris, me marque qu’elle a pris les moyens pour me faire compter promptement 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 25 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 59-60. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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cette somme qui a un prix tout particulier pour moi, venant de ma si ancienne et si généreuse amie. Je te remercie aussi des nouvelles de Mme Teisseire et de tes bellessœurs. Assure-les toutes que mon cœur prend, de loin comme de près, toute la part possible à leurs destinées. Mme Jouve m’a écrit la dernière ; je te prie de faire dire à son mari que j’ai envoyé sa lettre à Monsieur Bovala, curé des Attacapas, que j’ai passé bien près de lui cet hiver et en suis maintenant à 400 lieues. Veuille aussi donner de mes nouvelles à Mme de Mauduit dont l’extrême isolement me fait souvent bien de la peine. La divine Providence, qui veille sur tout, est ma ressource pour le sort de mes amies ; je ne puis que les lui recommander avec instance. Je ne doute pas que Mme Sophie Luc n’ait une grande récompense. Agrée, bonne cousine, l’expression de mon attachement in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. Mes compliments à mon frère, à sa femme, et à ceux qui me conservent leur souvenir.

LETTRE 360

L. 60 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[30 avril 1830] Monseigneur, Je suis bien étonnée de ce que vous me dites de Monsieur Jeanjean. Je crois Madame Eugénie incapable de manquer envers lui d’égard et de reconnaissance ; et entre les deux extrémités, elle aurait plutôt penché vers le trop que vers le trop peu. Elle m’écrit que Monsieur Delacroix 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1830 Avril 30, Mme Duchesne, St. Louis. »

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a dit à Monsieur Jeanjean qu’il était fâché de n’être plus rien pour une maison à laquelle il avait tout sacrifié ; que sur cela, Monsieur Jeanjean avait pris le parti de se retirer. J’avais vu une sorte de gêne entre eux, qui me faisait plaindre la situation critique d’une supérieure qui avait envers tous les deux les mêmes obligations, sans espoir de se maintenir envers l’un et l’autre de manière à n’en blesser aucun. Ce sont de ces situations préparées par la Providence pour faire souffrir ceux qu’il aime. Je suis bien un peu dans un état semblable. On a trop à faire au presbytère pour nous donner la messe tous les jours. Monsieur Lutz fait faire les Pâques dans les paroisses ; et si nous nous adressons d’un autre côté, je ne tiendrai personne à la direction actuelle dont les enfants et plusieurs des sœurs ne peuvent s’accommoder, les unes sous le prétexte de la langue qu’on n’entend pas bien, les autres sous plusieurs autres. Je tâche de tout ramener à l’unité et préfère avoir des privations que de blesser personne, mais cela durera-t-il longtemps ? Suivant votre intention, j’écris à Madame Eugénie. Nos vœux vous suivront jusqu’au retour que nous désirons bien vivement. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne rel. du S. C. Ce 30 avril 1830

LETTRE 361

L. 2 À MÈRE DE LIMMINGHE Saint-Louis, ce 5 mai 1830 St Antoine1

Ma bien respectable Mère, J’ai fait, sur la fin de l’année dernière, et au commencement de celleci, un voyage fort long, mais bien intéressant pour moi, puisque j’y ai 1

Copie, Archives Province États-Unis-Canada, Series XII. C Callan.

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vu, en peu de mois, nos six maisons d’Amérique : trois dans l’État de la Louisiane, et trois dans celui du Missouri. C’est dans l’une d’elles que votre lettre est arrivée, ou plutôt m’a attendue sans que j’aie bien pu savoir qui l’avait apportée dans ce pays. J’ai soupçonné que c’était Monsieur Borgna, dont j’ai eu hier la visite à Saint-Louis, et qui m’a dit vous connaître, et avoir une de ses sœurs dans votre maison de Turin. Il m’a dit qu’il repartirait bientôt pour l’Europe, et je profite de son retour pour vous témoigner ma reconnaissance sur votre aimable souvenir, et tous les intéressants détails de votre lettre. Rien ne me touche davantage que la bonté de vos souverains, dans l’amour et l’estime desquels j’ai été élevée, étant si voisine de leurs heureux États, et amie dès l’enfance de plusieurs de leurs sujets qui avaient toujours ou leurs louanges, ou l’expression de leur vénération à la bouche. L’auguste princesse [Marie-Christine de Sardaigne], qui vous désire dans ses États [du Piémont], avait apporté la décence en France, fait tomber les modes indécentes, et je n’ai jamais oublié ce qu’on observa de la piété de ses regards sur le crucifix, un jour qu’elle visitait le Mont-Valérien. Après avoir admiré la richesse de la Providence, (…) grandeur, vous voulez que je vous entretienne de notre petitesse, où la Providence se plaît aussi à étendre ses faveurs. Depuis 1818, où nous partîmes de France, et vînmes jeter nos premières racines sur le Missouri, notre nombre, alors de 5, s’est accru jusqu’à 64, dont 9 sont encore venues d’Europe en trois temps différents. Ce nombre est maintenant distribué dans les six maisons de Saint-Michel, La Fourche, les Opelousas, en Louisiane ; Saint-Louis, Saint-Ferdinand, Saint-Charles, dans le Missouri. Ces six maisons ont le bonheur de donner l’éducation chrétienne à plus de 350 enfants, ou pensionnaires de bonne famille, ou orphelines et externes d’état médiocre. Les églises de Saint-Ferdinand et de SaintCharles, appartenant aux Jésuites, la première par don de notre évêque, la seconde parce qu’ils l’ont bâtie à leurs frais sur un terrain à eux, les maisons de ces deux villages sont sous leur conduite. À Saint-Louis aussi, nous éprouvons souvent leurs bontés. Ils y ont bâti un collège, ouvert depuis le mois d’octobre ; il y a peu de pensionnaires, mais plus de 100 externes ; ce qui, j’espère, donnera bientôt à tout le pays des pères de familles chrétiennes. Maintenant, il faut souffrir pour mériter un si grand bien ; et ces souffrances sont procurées par l’irréligion et l’erreur qui arment leur langue contre la sévérité d’une éducation vertueuse. Si Mme Centurioni est dans votre maison, je vous prie de me rappeler à son souvenir. J’ai reçu sa lettre venue par New York, et j’ai répondu

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par la même ville. Elle était à Grenoble Mlle Nina Costa, et a été 5 ans pensionnaire. Mille affectueux souvenirs à vos chères filles, aux prières desquelles nous nous recommandons. Je suis avec respect, dans le Cœur de Jésus, ma chère et respectable Mère, votre dévouée, Philippine Duchesne r. S. C.

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L. 2 À MÈRE PRESVOST, À LA FERRANDIÈRE

SS. C. J. M. 

Saint-Louis État du Missouri, 6 mai 1830 St Ant1. Ma très chère Mère, Connaissant votre dévotion à Marie, je ne puis que la remercier de me fournir l’occasion de la bénir avec vous dans ce mois qui lui appartient. Nous faisons exactement les exercices du mois qui lui est consacré, et je regrette beaucoup de n’avoir pas le petit ouvrage sorti de vos mains pour ajouter à cette dévotion ; je vous prie de me le procurer à la 1ère occasion. Nous avons reçu, avec Mère Thiéfry, une Sainte Vierge blanche qui ravit dans notre chapelle. La petitesse du lieu ne permettant pas de lui donner un autel particulier, nous avons seulement fait faire une niche en fer blanc, peint comme du marbre gris foncé, ce qui la fait bien ressortir. C’est à ses pieds qu’est venue se jeter une de nos élèves convertie, baptisée et sortie le lendemain de sa 1ère Communion, chez un oncle qui avait permis son changement de religion ; mais les dames de la maison, zélées presbytériennes n’ont pas laissé de paix à la jeune personne qui, dimanche passé, a demandé de venir nous voir, est entrée en sautant les clôtures, s’est réfugiée dans notre 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : arrivée le 3 Fév. 1831.

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chapelle auprès de Marie, priant de tout son cœur d’obtenir de revenir et d’être religieuse. Le Général, son oncle, a envoyé le soir son carrosse pour la reprendre ; elle a dit au Nègre conducteur « qu’il est inutile qu’il m’envoie chercher, je ne sortirai pas ». Son âge lui permettait de parler ainsi, mais notre position était critique eu égard à la famille. Les Pères consultés ont dit qu’il fallait se hâter de la rendre à la famille, craignant les suites. Une lettre leur a été adressée ; nous différions de l’envoyer quand l’oncle, sans autre formalité, a renvoyé chez nous tout le bagage de sa nièce : lit, trousseau, etc. Elle espère que c’est un consentement ; nous sommes en suspens et vous prions d’intéresser Marie pour cette bonne fille qui, née en Virginie, où jamais elle n’avait ouï parlé de catholiques, mais vu mourir sa grand-mère dans des transports de rage, a sujet d’appréhender d’y être renvoyée ou rappelée. Tous les détails de votre maison nous intéressent vivement. Vous en demandez sur l’Amérique et mieux que jamais, je peux vous en parler, ayant visité nos six maisons à 400 lieues de distance dans l’espace de 5 mois. Nous sommes en tout 64 et donnons l’instruction dans les six maisons à 350 enfants, toutes pensionnaires dans les trois de la Louisiane et presque toutes externes gratuites ou orphelines gratuites dans le Missouri, où il y a peu de fortune. J’espérais en ramener quelquesunes de la Louisiane, mais la distance est trop grande et le voyage trop périlleux. Ceci vous dit assez que nous sommes gênées et que nous le serons toujours avec bien d’autres inconvénients, suite de l’esprit d’indépendance et de mobilité. Nos Pères, qui ont des travaux plus importants, ont la meilleure part du calice. Sur 110 enfants, 100 environ sont externes gratuits. Il faut cependant vivre et payer les frais de bâtisse. Nous avons heureusement eu part aux dons de la Société de la Foi, ce qui a payé nos dettes personnelles. Remerciez-en Marie. Les maisons de la Louisiane, qui retirent des pensions, sont trop nouvelles pour mettre de côté et ont toutes trois à bâtir une chapelle, cette année, et un dortoir. J’ai vu leur bonne volonté et leur impuissance. Mère Thiéfry est dans notre 1e maison, à Saint-Ferdinand, pour prendre soin des novices qui ont peine au changement et de son côté, Mère Octavie, qui a suivi ici ses quelques pensionnaires, se trouvait mieux là qu’ici. Mais elle ne pouvait suffire, sa voix est éteinte et ses infirmités augmentent. Elle vous dit mille choses ainsi qu’à Mère Geoffroy à qui je vous prie de me rappeler singulièrement.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Veuillez faire dire à ma sœur, Mme Jouve, que j’ai reçu sa lettre mais non le paquet, que la lettre de son mari a été envoyée à M. Borelu. Je suis in Corde Jesu, ma chère Mère, votre dévouée, Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Presvost supérieure de la maison du Sacré-Cœur de la Ferrandière Lyon France

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L. 1 À MLLE FÉLICIA CHRÉTIEN1 [Saint-Louis, ce 30 juin 1830]

Mademoiselle, Madame Xavier, votre bonne maîtresse, en m’envoyant des habillements pour nos chères orphelines, ne m’a pas laissé ignorer que vous aviez la plus grande part dans les dons généreux qu’ont reçus ces pauvres enfants. Elles seraient heureuses de connaître toutes leurs bienfaitrices et vous particulièrement, Mademoiselle, qui êtes la première. Veuillez m’accepter pour leur interprète et me fournir l’agréable occasion d’entrer en rapport avec une famille qui honore de sa bienveillance la maison de Grand-Coteau, si chère à toute notre Société par le bien qui s’y fait. Si Monsieur votre père et Madame votre mère voulaient bien agréer l’expression de ma reconnaissance, j’en serais toute fière. On me parle beaucoup des embellissements de votre pensionnat, et je me réjouis beaucoup de tous les succès de Madame Xavier. Ses élèves, dont je sais que vous êtes une des plus distinguées, lui donnent beaucoup de consolations par leur conduite auprès d’elle. Et quand 1

Original autographe, Archives Province Etats-Unis-Canada, Series  XII. C  Callan Box  7 packet 1, Letters to lay people.

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elles sont rentrées dans le sein de leurs familles, elles ont, dit-on, beaucoup contribué au progrès de la religion et à la contribution qui vient de se faire pour une nouvelle église. La conduite des Messieurs de la Louisiane, qui sont ici au collège, fait espérer les mêmes avantages et c’est avec bien du plaisir que j’ai souvent entendu leurs professeurs en faire l’éloge le plus complet. Ce collège de Saint-Louis aura bientôt cent élèves ; il en faut peu pour compléter le nombre et la maison va s’augmenter d’un nouveau bâtiment. Nous en élevons un nous-mêmes, en ce moment, qui éprouve des retards par la rareté de la brique. Un ouragan, il y a quelques jours, a (mot déchiré) maisons, enlevé les toits de plusieurs autres ; (mot déchiré) n’ont eu qu’une cheminée de détruite, malgré que (mot déchiré) au centre du dégât. Nos élèves ont eu bien peur, sachant que le tonnerre était tombé chez nous il y a deux ans ; mais elles ont prié avec ferveur ; quoique dans une situation plus élevée, nous n’avons eu aucun mal. Le choléra nous épargne aussi, quoiqu’il règne dans les environs et soit reparu à Saint-Louis. Nous devons bénir la Providence de cette protection et j’espère qu’elle s’étendra toujours sur le Grand Coteau où tant de voix et de cœurs innocents sont capables d’attirer sa faveur. Je vous prie de me rappeler au souvenir des demoiselles que j’ai eu l’honneur de connaître et particulièrement à Mesdemoiselles Louaillier. Je suis avec le plus tendre intérêt, Mademoiselle, votre toute dévouée, Philippine Duchesne Saint-Louis, ce 30 juin 1830 [Au Verso :] À Mademoiselle Mlle Félicia Chrétien Élève du Sacré-Cœur Grand Coteau Louisiana

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

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L. 61 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Je viens vous exprimer ma joie et celle de toutes mes Sœurs à votre heureux retour. Le sacre de Mgr De Neckere y ajoute encore, puisque vous voilà plus fixe dans notre troupeau. J’espère qu’il sera la consolation du bon pasteur et que nous surtout, nous ne troublerons point son bonheur. Nous sommes à vos pieds, Monseigneur, les humbles et soumises filles. Philippine Duchesne Pour toutes les Rel. du S. Cœur Saint-Louis, 9 juillet 1830

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L. 62 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

Monseigneur, Je n’ai point oublié que vous avez eu la bonté de nous promettre une visite avant d’aller au séminaire. S’il vous était possible de nous donner un peu plus de temps, j’aurais besoin de vous consulter sur plusieurs choses qui passent les bornes d’une lettre ; et nous avions aussi espéré pouvoir vous faire la confession extraordinaire des Quatre-Temps que nous n’avons pu accomplir. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Juillet 9, Mme Duchesne, St. Louis. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Juillet 12, Mme Duchesne, St. Louis. »

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Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne fille. Philippine Duchesne r. du S. Cœur Ce 12 juillet 1830

LETTRE 366

L. 63 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Monsieur Doutrelingue nous a fait espérer une visite prochaine de votre part2. Je viens vous en remercier d’avance et vous prier, si cela ne vous dérange pas trop, que ce soit avant dimanche. Si nous savions votre jour et votre heure, M. Lepère irait pour vous conduire en voiture. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne Ce 12 août 1830

1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Août 12, Mme Duchesne, St. Louis. » Pierre Doutrelingue, CM, né en Flandre en 1795, est entré chez les Lazaristes en 1825. Arrivé au Missouri en 1827, il exerça son ministère à la cathédrale de Saint-Louis, fut ensuite curé à Cahokia. Plus tard, il revint à Saint-Louis où il est décédé en 1873.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 367

L. 26 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

Saint-Louis, État du Missouri, ce 26 août 18301 St Antoine Ma chère Cousine, J’ignore encore si tu as reçu la lettre de remerciements pour le dernier secours que tu as bien voulu m’envoyer et dont j’ai reçu l’annonce de Paris à peu près en même temps que tes nouvelles de ta propre main. Reçois de nouveau l’expression de ma reconnaissance pour toi, pour ton cher défunt qui ne faisait qu’un avec toi, et pour les autres personnes de ta famille, qui ont tant contribué à me faire retrouver le cher asile pour lequel j’avais tant soupiré. Ton amitié m’a suivie dans ces contrées lointaines et où l’on voit bien peu d’exemples d’attachement si généreux et si persévérant. Je t’en demande une nouvelle preuve en me détaillant ce que je dois croire des événements étonnants arrivés en France à la fin de juillet2. Un courrier extraordinaire de New York nous les a appris ici dans le Missouri, avant le terme de deux mois. Les nouvelles étaient apportées sur mer par un vaisseau de Liverpool qui les tenait de France par Londres. Quoique la nation américaine ait gagné sa liberté par le secours des Français, elle ne les aime pas beaucoup. Je crains de l’altération dans les récits et tu sens combien j’attache de prix à les connaître vrais. Si ma lettre et la réponse sont aussi promptes que d’autres que j’ai vues, je te lirai en janvier. Ce terme est bien long à mon impatience que tu contenteras le plus tôt possible, personne n’a plus que toi le talent de me faire connaître dans une seule lettre ce que je n’apprendrais pas dans plusieurs. La santé de Mme Teisseire m’inquiète et le sort de notre 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 26 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 61-63. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Après une longue période d’agitation ministérielle et parlementaire, le roi Charles X tenta un coup de force constitutionnel (ordonnances du 25 juillet 1830). La plupart des députés libéraux, issus de l’aristocratie ou de la bourgeoisie aisée, ne désirait que le retrait des ordonnances et un changement de ministère. Mais le peuple craignait la suppression de la liberté de presse, et le 27 juillet, il dressa des barricades dans les rues de Paris. Le 28, les insurgés hissèrent le drapeau tricolore, symbole de la république, au sommet de l’Hôtel de Ville. Le 29, Charles X et sa famille quittèrent Paris ; Louis Philippe Ier fut proclamé roi des Français le 9 août. Le 6 août, Casimir Perier fut élu président de la Chambre des députés, puis nommé président du Conseil et ministre de l’Intérieur (13 mars 1831-16 mai 1832).

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sainte montagne m’est bien à cœur. N’enferme aucune lettre dans la tienne ; ce n’est pas une économie. Le moindre petit papier ajouté à une lettre la fait payer double. Je n’ai rien de plus à t’apprendre sur ma situation que lorsque j’ai fait partir mes dernières lettres, sinon que ma santé est meilleure. J’avais eu un mal de jambe qu’on croyait nécessaire d’entretenir ; il s’est guéri malgré moi et je n’en suis que mieux. La plus grande peine que j’ai eue et que j’ai déposée aux soins de la Providence, c’est au sujet de la donation de cette maison en faveur d’orphelines. Lorsqu’elle nous fut donnée, elle était inhabitée, passait pour malsaine et infestée de revenants. Quand je l’eus visitée, je l’ai trouvée si bien située, dominant la ville et le fleuve, au milieu du terrain, ne pouvant elle-même être dominée ni contagieuse. Les revenants faisant peu d’impression sur moi, je trouvais que c’était une sottise de refuser la donation. Maintenant que la ville s’augmente beaucoup, cet emplacement acquiert de la valeur et déjà, j’ai reçu des reproches désagréables du fondateur qui, s’il le veut, peut nous susciter des embarras graves. Ne pouvant parer le coup, j’espère en la patience et dans des héritiers plus traitables la consolidation de notre établissement. Nous traitons ces pauvres enfants le mieux que nous pouvons, afin de satisfaire à notre devoir et de ne pas donner lieu à la calomnie. Elles ont paru aux prix vêtues comme les pensionnaires, ont récité une prière et ont eu comme elles leurs récompenses. Les élèves des Opelousas m’envoient tous les ans à ma fête de quoi les vêtir très bien. Ce qui est trop joli me sert pour les églises. Celle qui a été bâtie ici par le premier évêque, Mgr Dubourg, menace déjà ruine et on songe à en faire une nouvelle, si on le peut. On me dit aussi de bâtir, mais je suis d’autant plus amie de la médiocrité que je vois que tout ce qui devient promptement splendide déchoit avec la même rapidité. Nous n’en voyons que trop d’exemples, surtout dans les États-Unis. Adieu, chère amie, mille choses à tes chers frères et au mien, à tes sœurs et aux miennes. Je n’oublierai jamais Messieurs Rambaud et Dumolard. Tout à toi in Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 368

L. 64 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[3 septembre 1830] Monseigneur, On nous a dit que les vacances commençaient la semaine prochaine aux Barrens. Nous craignons beaucoup que vous vous y rendiez avant la distribution de nos prix que nous ne pouvons beaucoup tarder à cause de l’empressement des parents pour avoir leurs enfants. D’un autre côté, les élèves et nous comptons sur la promesse que vous avez faite de donner vous-même les récompenses. Si vous vouliez en fixer le jour, après votre retour de Saint-Charles, nous nous tiendrons prêtes et j’avais la pensée, quoique ce ne soit pas notre usage, d’y inviter M. Mullanphy comme père des orphelines. Daignez, je vous prie, me répondre sur ces deux articles et marquer le moment où vous voulez que M. Lepère vous conduise à SaintCharles. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne fille. Philippine Duchesne r. du S. Cœur Ce 3 septembre 1830

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Sept. 3, Mme Duchesne, St. Louis ; répondu. »

Lettre 369

LETTRE 369



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L. 65 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Dès que vous aurez la bonté de nous donner le choix du jour des prix et de les honorer de votre présence, vous serait-il possible de nous le faire dire, ce soir ou demain matin, mardi ? Si ce même jour et l’heure de 4 h vous conviennent pour la distribution ? Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne r. du S. Cœur Saint Louis, ce 6 septembre 1830

LETTRE 370

L. 66 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

Monseigneur, Ne pouvant détourner hier M. Lepère de son travail, j’ai profité d’un bon homme de notre connaissance pour vous adresser le paquet des deux ornements et de quatre aubes ou rochets ; trois restent qui n’étaient pas finis. Une tache, survenue par accident à une des doublures, l’a soumise au lavage et se trouve décolorée, mais elle durera autant que la neuve. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Sept. 6, Mme Duchesne, St. Louis. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Sept. 14, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

On m’a dit que votre projet avait été d’aller à Florissant pour la confirmation. Je désirerais bien en savoir le jour, voulant vous demander que Madame Thiéfry vienne ici, quelques jours, enseigner quelques ouvrages qui sont nécessaires pour nos élèves. Cette semaine des Quatre-Temps, qui est le temps d’une confession de règle extraordinaire, nous laisse dans l’espérance de vous voir un jour et que vous daigniez l’entendre. Si nous pouvions le connaître, M. Lepère serait à vos ordres. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne religieuse du S. Cœur Ce 14 septembre 1830

LETTRE 371

L. 67 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Je désirerais bien profiter du beau temps et de la bonté que vous avez eue de m’offrir votre voiture pour aller demain à Saint-Ferdinand. Je n’ose la garder jusqu’à lundi et cependant il serait difficile de revenir dimanche. Un des pères de Saint-Ferdinand pourrait-il, de votre part, voir Mlle Roche et examiner sa vocation. Si vous daignez me répondre, j’espère avoir la réponse demain matin par Monsieur Saulnier ou bien M. Lepère ira la recevoir.

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Nov. 5, Mme Duchesne, St. Louis. »

Lettre 372



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Je suis à vos pieds avec vénération, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne r. du S. Cœur Ce 5 novembre 1830

LETTRE 372

L. 68 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Monsieur Timon m’a dit que vous vouliez bien permettre à M. Lepère de vous parler pour le terrain qu’il désire prendre sur le nôtre et que vous n’étiez pas d’avis que nous le vendions. Il ne voudra peutêtre pas cette condition, mais elle paraît nécessaire pour pouvoir écarter des voisins incommodes si M.  Lepère revendait, à moins qu’on ne stipule que nous aurions toujours un droit de reprise à un prix marqué. Nos enfants espèrent vous voir avant le 21. Je suis avec respect, Monseigneur, votre dévouée servante et fille. Philippine Duchesne Ce 16 novembre

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Nov. 16, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 373

L. 69 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, D’après une lettre de Monsieur Tichitoli en renfermant une de Mesdames Bazire et Detchemendy qui paraissent toutes deux affligées de leur situation et qui semblent insinuer que le spirituel de la maison est aussi bas que le temporel, j’avais écrit à Mgr De Neckere s’il voulait bien, en attendant l’avis de notre Supérieure générale, donner le soin du temporel à Madame Eugénie et donner la charge du spirituel à Madame Aloysia [Hardey] ou Regina. Je disais à Madame Dutour elle-même qu’elle ferait bien de demander son déplacement. Depuis, je viens de recevoir une lettre de notre Supérieure générale qui, étant à Chambéry, y a vu Monsieur Caretta très prévenu pour La Fourche, en sorte qu’elle m’écrit que si on gêne Madame Dutour, on pourrait vous offenser. Cependant elle ne sait point l’affaire du bâtiment, les dettes, les mécontentements. Daignez me conseiller sur ce que je dois faire et consentiriez-vous à lui dire que vous approuvez un changement ? J’ose vous demander une réponse et suis avec une profonde vénération, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne r. du S. Cœur Ce 23 novembre [1830]

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Nov. 13, Mme Duchesne, St. Louis. »

Lettre 374

LETTRE 374



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L. 100 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 25 novembre 18301 Rec. à St Antoine Ma bien digne Bienfaitrice, Depuis plusieurs mois j’attendais avec impatience des lettres de ma Mère quand enfin j’en ai reçu une de chez Mère Lavauden2. Je me doutais bien qu’elle s’était déplacée, et c’est pour cela que, ne sachant son adresse, je n’écrivais point aussi directement. Quel plaisir d’avoir lu une épître de sa main après un si long temps ! Mais quelle douleur que son état d’infirmité si long, si pénible, et plus encore de lui avoir fait de la peine en allant trop vite pour Mère Bazire. Je joins ici une note qui pourra être ma justification par rapport à ses vœux. Je m’y suis crue autorisée par les lignes en réponse à l’article vœux. La pauvre Bazire paie cher la consolation de les avoir faits pour exercer une charge nécessaire, et dont on l’a privée arbitrairement et je ne sais par quelle autorité3. Elle se trouve si malheureuse dans une maison peu réglée et endettée qu’elle insiste pour un changement et, tout en l’attendant, sa santé dépérit visiblement. Tant de voix réunies contre Hélène Dutour m’ont portée à lui écrire pour lui prouver, ce qu’elle ne veut pas voir, qu’elle a manqué au but de sa commission : 1°) en voulant dès le commencement porter les études au-dessus de ce qui avait été convenu ; 2°) en mettant au premier rang une personne présentée pour le second, et sans avis ; 3°) d’avoir empêché les Sœurs d’écrire rien de sa maison ; 4°) de ne consulter qu’ellemême ; 5°) de s’être autorisée de l’avis de l’évêque pour convenir avec les ouvriers d’une bâtisse de 80 000 ; et il m’a dit qu’il lui avait, au contraire, fait promettre de ne rien entreprendre sans fonds ; 6°) de déplacer les Sœurs qu’on lui donne et de n’employer que les commençantes ; 7°) de ne pouvoir se contenter que des sujets qui ne connaissent qu’elle. Celui de Mère Eugénie qu’elle appelait stupide fait maintenant un ornement 1

2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 24 janvier 1831. J. de Charry, II 3, L. 270, p. 171-173. Secrétaire générale, H. Ducis reçoit le courrier et le fait suivre à la Mère Barat. De Chambéry, où Angélique Lavauden est supérieure depuis 1823. Mère Bazire, envoyée à La Fourche comme assistante, n’est pas acceptée par Mère Dutour.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

à Saint-Michel. La première assistante n’est occupée qu’à coudre pour gagner 7 F 10 s par semaine ; une coadjutrice de 19 ans m’a été envoyée de ces 400 lieues, seule et malade1. Quels dangers ! Au fond, Mère Bazire ne vit là que d’amertume pour avoir parlé des dettes à qui de droit. Je finissais ma lettre par lui dire que je croyais pour le bien de son âme qu’elle ferait bien de demander d’être déchargée et c’est l’avis de Monseigneur, à qui j’ai fait part de l’article qui le regarde de la lettre de ma Mère. Il m’a répondu : 1°) qu’il n’avait plus rien à voir dans cette maison2 ; 2°) qu’il ne conseillerait jamais que ce qui porte à l’union et à la dépendance ; 3°) que puisqu’elle avait enfreint ses règles, elle ne pouvait les faire observer. Monsieur Caretta n’est pas tout à fait ce qui convenait pour la conseiller, il était en partie intéressé après qu’Hélène lui eût dit qu’il lui fallait 2 000 F pour lui bâtir une maison ; elle y en a employé 3 500 et lui 4 500. Je l’ai vue, et le luxe qui y règne m’a tellement dégoûtée que je l’ai traversée sans m’y arrêter, comme dans un brasier ardent. Il est fort calomnié dans le pays, cela vient peut-être de l’élégance de son logement, mais il est à craindre que les filles d’Hélène ne le soient aussi à son sujet ! Le confesseur m’a écrit deux fois avec un grand mécontentement de la même personne et m’a fait passer la lettre des deux Sœurs affligées3. On écrivait de La Nouvelle-Orléans que leur Mère frappait à toutes les portes pour avoir 20 000 F, premier paiement de la bâtisse entreprise : personne n’a répondu et on la disait coulée à fond. Eugénie m’écrivit aussitôt avec douleur. Je répondis en hâte de prier le grand Père [Mgr De Neckere] qui était alors à demeure chez elle d’ordonner de discontinuer l’ouvrage. Cela est fait, mais la personne est telle qu’elle recommencera. Ne recevant point de nouvelles de notre première autorité, j’ai eu recours à celle du grand Père, encore par Eugénie, pour demander s’il voulait bien, en attendant la réponse de ma Mère, mettre Hélène au repos. Je ne crois pas qu’il le fasse, étant très craintif au commencement de son ministère. Faut-il laisser croître le mal ? Plusieurs m’ont dit que jamais novices ne se formeront là. On n’y est pas régulier. Dans la dernière lettre, on ne s’était pas confessé depuis un mois, ni eu de messes le dimanche que deux fois en trois mois environ, etc., etc. Ce serait là 1 2 3

Il s’agit de Sœur Tesserot, envoyée à La Fourche avec Julie Bazire le 12 mars 1830. Depuis que Mgr De Neckère est évêque de La Nouvelle-Orléans, la maison de La Fourche n’est plus sous sa juridiction. Les deux anciennes Sœurs de la Croix.

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où il faudrait une nouvelle venue de France. La langue y est commune. Mère Regina [Cloney] suffira pour les Américaines. On n’apprécierait pas autant une des filles d’Eugénie, et il paraît que ça a été une guerre où elle a vaincu. Sa propre maison va bien, mais perdra si on la perd. De même celle des Opelousas, d’où il est actuellement impossible d’ôter Mère Xavier [Murphy] au moment où les parents font pour elle la moitié des fonds de sa bâtisse, à son unique considération. Ils regarderaient son éloignement comme une trahison, et la maison viendrait à rien. Si on insiste pour New York, c’est bien Mère Eugénie qui convient le mieux et Mère Dorival pour la remplacer, avec une bonne assistante pour le temporel où elle n’entend rien. Peut-être que si Mère Eugénie ne part que pour un temps, on prendra patience, mais il est bien à craindre de perdre dans la Louisiane et de peu gagner à New York où les prétentions seront pires qu’à Londres et à Paris et où les autres personnes que celles de la Nation seront méprisées au sujet de la langue, impossible à apprendre pour une étrangère. C’est notre plaie ici. Quant à la nourriture, elle est meilleure ici qu’en bas ; les études sont aussi bien ou mieux suivies, la propreté est gardée. Mais là [en Louisiane], on a affaire à des parents bien moins exigeants, à des enfants plus ouvertes et plus dociles. On n’a pas des écoles bien montées, soutenues par des puissants et intéressées à nuire aux catholiques1. Il en coûte moins d’y envoyer des enfants externes et on tient compte de la religion et de ce qui préserve les bonnes mœurs. Nos Pères ne sont pas mieux traités que nous en succès et en réputation. Mère Octavie est incapable de tenir une maison. Des plaies intérieures et extérieures au cou lui ôtent la voix, l’obligent souvent à garder le lit et ici, où on s’attache à l’extérieur, la jeunesse, même des nôtres, ne l’aiment plus, les enfants s’en moquent. Elle ne devait plus avoir que 5 enfants aux vacances, il y a le même nombre maintenant avec Mère Thiéfry2, pas de dettes et plus de régularité. Mon unique consolation dans les malheurs de ma famille était qu’elle aurait de quoi me remplacer. J’en ai encore plus besoin qu’Hélène, et cependant ma Mère ne m’en parle pas. Je le lui demande par le Cœur de Jésus en qui je suis à ses pieds. Philippine 1 2

Les écoles protestantes, si bien organisées à Saint-Louis, n’existent pas en Louisiane où la tradition française et espagnole est catholique. Catherine Thiéfry a remplacé Octavie Berthold à Florissant.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Respect à mes Frères [jésuites] et à mes Sœurs, je vous prie, et beaucoup de prière. [Au verso :] À Madame Madame Ducis Rue de Varenne À Paris France By way of New York

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L. 70 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, J’ai l’honneur de vous écrire en veillant deux malades qui n’ont pas fini leur confession avec vous. Elles ne sont pas en danger, mais immanquablement, elles sortiront chez leurs parents et alors il y aura bien de la difficulté à terminer. Je pense que Mlle Dubreuil sortira dans la journée. S’il vous est possible d’accomplir la promesse que vous avez faite de venir le jeudi, nous avons encore une raison de le désirer, c’est que c’est la semaine des Quatre-Temps. Je suis avec profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise servante et fille. Philippine Duchesne r. du S. C. Ce 17 décembre 1830

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Déc. 17, Mme Duchesne. »

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L. 71 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[27 décembre 1830] Monseigneur, J’ai manqué de m’assurer si Monsieur Lutz viendra la nuit de Noël. Il m’avait même témoigné le désir d’être libre pour aller à Vuidepoche. Je ne me retournerai point du côté des Pères Jésuites, parce que je sais qu’ils ne peuvent donner la première Communion, la nuit. Mais nous ne pouvons tarder de nous assurer des secours pour un si grand jour et d’après ce que vous voudrez bien dire à M. Lepère, il ira prier le Père De Theux de venir pour minuit. Il m’y a paru tout disposé, dimanche passé, et je ne le pressai pas alors, à cause de l’inconvénient très grand pour les infirmes de ne pouvoir communier à minuit. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, votre humble et soumise servante. Philippine Duchesne

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Déc. 27, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 377

L. 72 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[29 décembre 1830] Monseigneur, J’ai l’honneur de vous adresser une lettre de Monseigneur l’évêque de La Nouvelle-Orléans, touchant la maison à La Fourche2. Je vous prie de ne point la communiquer, mais de vouloir bien me suggérer les moyens de soutenir l’œuvre. J’ai déjà écrit à notre Supérieure générale d’y destiner un sujet de France, puisque les deux plus anciennes ne peuvent plus exister ensemble. Des lettres reçues hier de Madame Bazire sont toujours pour demander son changement. Si l’argent que vous nous annonciez de la part de la Société de la Foi était en France, je le destinerais pour le voyage, car il a été déclaré qu’on ne pouvait en fournir depuis la révolution [de juillet 1830]. Ce matin, au plus mauvais temps, nous est arrivée Mlle Dubreuil, l’aînée, disant qu’elle ne voulait plus sortir, mais se faire religieuse. J’avais entendu dire qu’elle devait se marier et trouve sa détermination peu réfléchie ; elle ne nous en a jamais parlé. Je lui ai dit que pour être reçue, il fallait le consentement de son père à qui j’ai écrit dans ce sens, en lui demandant seulement d’attendre à demain de lui marquer sa volonté, le temps ne permettant pas de sortir. Je vous prie de me marquer si votre volonté serait qu’elle restât malgré le refus de son père. Il me semble que cela peut nous faire tort sans produire un grand bien. La jeune personne a 19 ans. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille Philippine Duchesne Saint Louis, ce 29 décembre 1830 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1830 Déc. 29, Mme Duchesne. » Léo Raymond De Neckere a été le premier évêque du diocèse de La Nouvelle-Orléans, con­ sacré le 4 août 1829.

Lettre 378

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L. 73 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[19 janvier 1831] Monseigneur, Je suis toujours plus en peine de la vocation de Madame Bosseron2. Elle est toujours morne, renfermée, et une lettre qu’elle m’a remise pour Madame Thiéfry, peut-être pour forcer à la renvoyer auprès d’elle, prouve l’exagération de ses sentiments et de ses volontés. Je vous prie de prendre la peine de la lire et de vouloir bien décider s’il faut la renvoyer à Saint-Ferdinand. Ses parents ne veulent pas qu’on l’éloigne et je crains que dans une petite réunion, elle ne se mette au-dessus des autres et ne soit pas d’assez bon exemple pour l’obéissance ; d’un autre côté, elle courra des dangers dans le monde. Ma sœur [Ann] Stegar3, qui a d’abord été contente à Saint-Ferdinand, fait aussi douter de sa vocation. Elle pleure souvent, désire une supérieure de sa langue et elle a été souffrante dans ces grands froids. J’ai l’espoir qu’en l’envoyant aux Opelousas, la supérieure, le climat et la maison lui conviendront mieux et qu’elle y conservera sa vocation et sa foi, car si elle perd l’une, elle perdra, je le crains beaucoup, la dernière. Si vous approuviez ce projet, nous préparerions ce départ pour le printemps. Monsieur Condamine n’a pas voulu accepter les 25 $ pour son quartier4. Je les joins ici comme une dette que je dois acquitter.

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Janvier 19, Mme Duchesne, St. Louis. » Marie Elisa Bosseron (1810-1836), RSCJ, entrée à Florissant en 1829, a fait ses premiers vœux en 1832 et sa profession le 15 août 1836, à Saint-Louis. Elle est décédée le lendemain. Ann ou Anna Stegar, RSCJ, est née en 1815 dans une famille protestante, en Virginie. Pensionnaire à Saint-Ferdinand, elle se convertit au catholicisme. Elle entre au noviciat en 1830, malgré les réticences de sa famille. En 1832, elle va à Grand Coteau, fait ses premiers vœux en 1834, et sa profession en 1854. Sa brève biographie, Lettres Annuelles de Saint-Michel, indique qu’elle était partout estimée, mais que des ‘circonstances particulières’ ont retardé sa profession. Elle est décédée à Saint-Michel en 1885. Pour l’histoire de sa conversion et de son entrée au Sacré-Cœur, voir Callan, PD 509-511, 517. Matthieu Condamine est arrivé aux États-Unis en 1831. Il a été curé de Kaskaskia et de Cahokia. Il est décédé en 1836.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne Ce 19 janvier 1831

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L. 74 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[19 février 1831] Monseigneur, Craignant de vous retenir trop longtemps jeudi, je ne vous demandai point nos dispenses pour le carême. Si vous l’approuvez, les pensionnaires useront de la dispense de l’abstinence quatre jours, ainsi que les orphelines. Quant à la communauté, nous avons toujours strictement fait maigre, et nous le pouvons encore, excepté Madame Octavie. Sur onze que nous sommes, cinq n’ont pas vingt et un ans ; des six autres, trois seulement sont capables de jeûner tous les jours. Madame Octavie a déjà votre dispense ; ma sœur Catherine [Lamarre] et Sœur [Elizabeth] Missé ne peuvent soutenir le jeûne que rarement. Dans toutes nos maisons, on demande permission pour un salut, chaque semaine de carême, et je vous prie de nous l’accorder, outre ceux marqués dans le cérémonial pour les fêtes. Notre voie de la Croix n’a pas été établie dans la chapelle. Avec l’indulgence, nous préparons de nouveaux tableaux et je vous prie de permettre, quand ils seront prêts, qu’on les place avec les formes usitées pour procurer l’indulgence à toutes celles qui feront la dévotion de la voie de la Croix. J’ai reçu, il y a peu de temps, une lettre de Monsieur Richard qui désire toujours venir nous trouver par amour pour le Sacré Cœur. Il 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Fév. 19, Mme Duchesne ; répondu le même jour. »



Lettre 380

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dit que la belle église des Dames Ursulines est déserte et que l’affaiblissement de la foi lui fait croire à la fin du monde. Nous avons failli perdre ma sœur [Adélaïde] Aubuchon, de Sainte-Geneviève. Je pensais, depuis quelque temps, qu’elle ne pourrait suivre la règle et qu’il fallait la rendre à sa famille ; elle l’appréhende extraordinairement et je vous prie de me dire ce qu’il faudra faire quand elle sera en état de voyager. Nous n’avons presque que des sujets sans santé ou sans moyens pour se rendre utile. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble fille et servante. Philippine Duchesne Saint-Louis, ce 19 février 1831 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque Saint-Louis

LETTRE 380

L. 75 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[11 mars 1831] Monseigneur, La jeune personne dont j’ai eu l’honneur de vous parler se détraque de plus en plus ; nous avons pensé que le jeûne lui tournait la tête et je me suis cru par-là autorisée à lui dire de mettre du lait dans son café le matin et de dormir davantage. Elle a dit plusieurs fois qu’elle n’avait pas de vocation, qu’il n’y avait pas de Ciel pour elle et que, lors même qu’elle serait exposée dans le monde, elle voulait y retourner. 1

Original autographe. L. 75 à Mgr Rosati. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Mars 11, Mme Duchesne, Couvent. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Elle a voulu écrire à son oncle, qui a été aussitôt là. Je ne doute qu’il ait convenu qu’il viendra la chercher et je pense qu’il ne faut pas la retenir : 1°) parce qu’il paraît que la vocation ne venait que d’un amour-propre inné ; 2°) que ce même amour-propre la fit toujours souffrir, n’étant propre à rien ; 3°) parce que notre Supérieure générale, sur quelque chose qu’on lui a écrit, me reproche de retenir les sujets qui peuvent troubler les maisons. Daignez, Monseigneur, me marquer votre volonté et me croire, de votre Grandeur, la plus soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 11 mars 1831

LETTRE 381

L. 76 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Je suis bien fâchée de vous interrompre dans des moments si précieux, mais l’Oregon part demain et si vous trouviez bon que je pressasse Monsieur Richard de tenir sa promesse, je le ferai, mais je crois que ce serait inutilement. Sa lettre me fait beaucoup de peine, ne voyant aucun moyen de contenter tout le monde, dans l’état actuel de la maison ; ou le dehors ou le dedans se plaindra. M. Lepère est chargé de prendre ce qu’il faut pour Monsieur Georges et nous voudrions connaître davantage [ce qu’il y a] à faire pour lui. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre humble et dévouée fille. Philippine Duchesne Ce 31 mars [1831] 1

Original autographe. L. 76 à Mgr Rosati. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Mars 31, Mme Duchesne. »

Lettre 382

LETTRE 382



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L. 77 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[11 avril 1831] Monseigneur, J’ai souvent pensé à ce que vous avez daigné me dire dans votre dernière visite, touchant notre école externe payante ; et il m’a semblé que la divine Providence, nous enlevant pour longtemps l’espérance d’avoir un prêtre auprès de nous, nous fournissait par-là le moyen de renouveler cette bonne œuvre, sans mettre le désordre dans la maison et parmi les pensionnaires qui souffraient avec peine leurs compagnes externes et les méprisaient. En mettant la condition qu’on ne prendrait pas de ces enfants pour moins de temps qu’une année ou six mois, en les payant d’avance, on ne serait pas exposé à de si perpétuels changements et à voir sortir les élèves sans qu’elles aient fait aucun progrès. Ceci encore ne pourrait avoir lieu qu’au 1er juillet, à la sortie de M. Lepère. Si vous donnez votre approbation à ce plan, je vous prie d’en parler aux personnes que cela peut intéresser. Il nous faudra bien tout leur argent pour disposer la maison. Ainsi nous aurons encore la consolation d’essayer gratuitement cette école. La visite d’une de nos Métisses de Saint-Ferdinand qui voudrait à tout prix rentrer chez nous, et que cependant nous ne pouvons recevoir comme religieuse, m’a engagée aussi à vous offrir de nous employer pour les filles de couleur, soit comme Madame Sainte Marthe, soit dans le plan des Dames de Saint-Michel à Paris. Elles sont établies pour retirer des filles dont les parents sont mécontents. Beaucoup, touchées de Dieu, veulent être religieuses et on a établi pour elles, sous la même clôture, dans un endroit à part, et avec une règle particulière, une communauté très édifiante. Ne pourrions-nous pas aussi réunir des filles de couleur qui voudraient quitter le monde et y consacrer une ou deux des nôtres jusqu’à ce qu’elles-mêmes puissent se continuer en communauté ou congrégation selon leur portée, sous vos auspices et votre approbation ?

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Avril 11, Mme Duchesne, St. Louis. »

102

CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Comme nous ne pourrions rien pour cette œuvre sans l’aveu de notre Mère générale, je me suis empressée de vous la proposer afin que, si vous l’agréez, j’aie le temps de prévenir toutes les longueurs [de courrier] inévitables depuis la révolution. Monsieur Lutz m’a dit avant de partir, qu’il ne voulait pas accepter ce que nous lui avions offert et qu’il le rapporterait. Je vous prie, Monseigneur, de ne point le lui remettre. S’il n’en a pas besoin, l’argent doit rester à la maison qui loge le missionnaire. Mlles Berthold et Pratte sont sorties pour l’inoculation ; Mlle Virginie Chouteau doit les suivre d’un moment à l’autre ; comme elle n’a point fait ses Pâques, par le trouble qu’elle a éprouvé pendant la sainte messe, nous l’engagerons à se présenter à vous avant qu’on ne la retienne comme malade à la maison, ce qui peut durer longtemps. Il nous restera si peu de monde que je voudrais profiter de cette solitude pour aller voir nos infirmes de corps et d’esprit à Saint-Charles et à Saint-Ferdinand. Je vous prie de m’en donner la permission, désirant cependant attendre le retour de Monsieur Lutz qui a besoin de plusieurs choses pour sa chapelle. S’il lui faut un ornement noir, nous pourrions donner le nôtre très léger, si vous voulez nous permettre de prendre pour nous une des doublures noires que vous avez mises à notre garde. Je suis avec un profond respect, Monseigneur, de votre Grandeur, l’humble et dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Louis, ce 11 avril 1831 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque Saint-Louis

Lettre 383

LETTRE 383



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L. À MÈRE LAURE DE PORTES

SS. C. J. M.

Saint-Louis, État du Missouri, 14 avril 1831 St Ant1. Ma chère Mère, Votre petite lettre ne m’a point été remise par le porteur arrivé l’hiver à La Nouvelle-Orléans où on savait que, plus haut, la navigation était arrêtée par les glaces qui ont tenu longtemps cette année. Il n’a dû en partir qu’après Pâques et peut-être ne viendra-t-il pas jusqu’à nous. Sa route sera de prendre l’Ohio à sa jonction, qui est plus bas que nous. Peut-être des frères à voir, pourront-ils engager au détour ; mais nous n’en savons rien de positif, à mon grand regret, ayant un grand désir de le connaître ainsi que ses enfants. Il a logé quelque temps chez Mère Eugénie Audé, à qui il a remis vos lettres et elle me les a envoyées par la poste, ayant 5 mois de date, en sorte que j’ai eu des nouvelles plus récentes de Paris, mais ce n’était pas des vôtres, et combien elles m’ont été agréables après un trop long silence ! Ne pouvant trop multiplier mes lettres, je vous prie de donner de mes nouvelles et de me rappeler au souvenir de vos voisines de Niort et Poitiers, d’envoyer la lettre à ma sœur, à votre loisir, quand vous écrirez à vos amis de Lyon. Quant à celles de Paris, j’ai eu une occasion de leur écrire au commencement de ce mois, dont j’ai profité ; de même pour Rome et pour ma grand-maman [Mère Barat]. Je ne réitère pas ici ce que je lui dis, dans la crainte de l’importuner et pour éviter les ports multipliés, à si grande distance. Cependant comme chaque jour j’aurais quelque chose à lui dire, je vous prie de lui envoyer la 3e feuille de cette lettre, là où vous pensez qu’elle sera, au moment de l’arrivée. Si vous voulez des nouvelles de vos connaissances, les voici en abrégé. Vous en avez trois dans la Louisiane : 1. À Saint-Michel, Mère Eugénie avec environ 25 filles, 70 pensionnaires, des orphelines, des externes gratuites en deux divisions pour les blanches et enfants de couleur. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4. Cachet de la poste : Bordeaux, 12 juin 1831.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

2. À La Fourche, Mère Dutour avec 6 filles et 40 enfants, dont moitié orphelines mêlées. 3. Aux Opelousas, Mère Murphy avec 45 ou 48 pensionnaires, seule œuvre de la maison, et 11 filles. Nous sommes 3 dans le Missouri : 1. Mère Lucile à Saint-Charles, avec 3 sœurs, 3 élèves et 40 externes. 2. Mère Thiéfry à Saint-Ferdinand, avec 9 sœurs, 5 élèves, 6 orphelines et des externes. 3. Nous [à Saint-Louis], onze avec 9  pensionnaires, 11  orphelines, 70 externes. Nous sommes les plus favorisés pour le spirituel. L’évêque vient toutes les semaines confesser les élèves ; le supérieur du collège, tous les dimanches, et il sert de conseil aux besoins, mais il refuse tous les secours réguliers, comme la messe. Nous voyons aussi, de temps en temps, ses collaborateurs. Nous ne passons pas de semaine sans entendre la parole de Dieu. Et depuis les Rois [fête de L’Épiphanie], où l’évêque a officié pontificalement dans notre chapelle, il a encore célébré toutes les semaines et particulièrement le 2 février, le 19 mars, le 25 mars, le lundi saint où il a donné les ordres mineurs au frère d’une de nos sœurs, le lundi de Pâques où il a fait faire la 1e Communion. Mère [Adélaïde] Second1, témoignant le désir de venir, je la demande avec insistance et la crois la plus propre à gouverner La Fourche, et remédier aux misères de cette maison. Il s’offre pour sœurs [coadjutrices] des Métisses d’un sang sauvage ; d’après les premiers avis, nous n’admettons pas de filles de couleur, les blanches ne voulant point de rapport d’égalité avec elles, mais l’évêque m’a dit que la répugnance du pays n’est que pour le sang nègre et que les enfants, nés des Blancs et des Sauvages, n’inspirent pas le même éloignement parce que les Sauvages ne peuvent pas être faits esclaves. Nous voulions avoir une école distincte pour les Mulâtres, filles de Blancs et de Nègres ; mais il paraît que l’évêque veut donner cette œuvre aux Sœurs de la Charité qui ont déjà l’hôpital, vont avoir des garçons orphelins et pour lesquels on bâtit une maison.

1

Adélaïde Second (1782-1857), RSCJ, entrée à Sainte-Marie d’En-Haut le 1er juillet 1804, a prononcé ses vœux le 21 novembre 1805.



Lettre 384

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Je suis in Corde Jesu toute vôtre, Philippine Duchesne r. S. C. Mère Octavie est sensible à votre souvenir. Elle s’occupe encore utilement pour son bon maître. [Au verso :] À Madame de Portes Pensionnat du Sablonat À Bordeaux Département de la Gironde By way of New Orléans

LETTRE 384

L. 78 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[20 avril 1831] Monseigneur, Je vous dois beaucoup de remerciements pour le plaisir que vous venez de me procurer en visitant si agréablement nos chères maisons. Grâce à Dieu, tout y va assez bien ; néanmoins, ma sœur Mary Layton ne peut plus rester à Saint-Charles et Madame Thiéfry veut bien donner, pour la remplacer, ma sœur Aubuchon qui se trouve mieux. Il a fallu contenter la faible tête de Sœur Layton en lui disant qu’elle reviendrait ici, mais Madame Xavier [Murphy] me réitérant la demande de deux sœurs, il me semble que le climat et la maison des Opelousas conviennent mieux pour elle et que d’ailleurs, son âge et son ancienneté la rendent plus propre à voyager avec une novice de plus de deux ans, que j’ai conduite ici et qui fera ses vœux quand vous aurez bien voulu le lui permettre. Il faut de plus faire agréer ce départ aux parents, ce qui n’est pas toujours aisé et quelquefois impossible. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Avril 20, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Daignez, Monseigneur, nous bénir et me croire avec respect, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne Saint-Louis, ce 20 avril 1831

LETTRE 385

L. 79 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[7 mai 1831] Monseigneur, Votre prompt départ m’a empêchée de répondre plus tôt à la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire par Monsieur Rondot2. C’est aujourd’hui le premier jour de confession, et toutes, excepté Sœur Shannon, pouvant s’expliquer en français, sont allées à leur nouveau directeur, sans difficulté. Il ne reste que Sœur Ann Stegar, qui dit que vous avez promis d’entendre sa confession générale, Sœur Shannon et Mlle Boilvin qui est presque au terme de sa sortie et craignait un changement. Si vos grandes occupations ne vous permettaient pas de les continuer (mot illisible), permettez-vous qu’elles aillent le dimanche au prêtre qui entend l’anglais ? Il a été impossible de déterminer Sœur Mary Layton de retourner dans la Louisiane. La veille du départ surtout, elle était comme égarée ; on lui a substitué Joséphine Milles, la dernière, excepté deux, qui ait fait ses vœux. Elle est partie mardi avec sa compagne. Il faut être si attentives au choix de celles qu’on envoie dans le midi, parce que nous avons eu la douleur d’en voir une revenir, pour rester dans le monde, Sœur Françoise Mullanphy, née d’Irlandais3 ; nous (mot 1 2

3

Copie, Archives Etas-Unis-Canada, Series XII. C Callan Collection, Box 1 Packet 2. Louis J. Rondot, prêtre de Lyon, est arrivé à Saint-Louis en avril 1831. Philippine le connaît et désire sa présence au Sacré-Cœur. Mgr Rosati le nomme confesseur de la communauté de Saint-Louis et des élèves de langue française, puis vicaire général en novembre 1831. Mais en mars 1832, il quitte le diocèse et revient en France. Mme Mullanphy a quitté la Société du Sacré-Cœur en 1831, à Saint-Michel.

Lettre 386



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illisible) depuis plus de 10 ans de Mme Chambers comme orpheline, et après beaucoup de sollicitations de la jeune personne comme religieuse. Il y en a une autre, de celles qui sont descendues aux Opelousas, qui dit aussi n’avoir point de vocation et qu’elle veut revenir ici dans sa famille. La nouvelle de la maladie de Madame Régis m’a donné bien du chagrin ; nous craignons pour elle la petite vérole quoique le médecin dise non ; en attendant, nous gardons cela entre nous. M. Mullanphy a fait beaucoup de questions à M. Lepère touchant Sœur Françoise. Je n’ai pu lui faire part de la lettre que j’ai reçue à ce sujet, parce qu’il y est question de Madame Dutour qui est maintenant aux Opelousas, d’où elle m’écrit avec beaucoup de vertu ; et Madame Eugénie dit qu’elle en a montré beaucoup à son départ qui n’a pas fait une grande impression. Les dettes sont plus fortes qu’on ne croyait ; cependant Mgr De Neckere désire que la maison se conserve et Madame Eugénie, qui a déjà traité avec plusieurs créanciers, veut se mettre en quatre pour y réussir. Je vous prie de lire la lettre jointe à celle-ci, et à l’occasion, dire à M. Mullanphy ce qui regarde Sœur Françoise, qui dans le monde s’appelait Mary. Je suis avec vénération, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne Ce 7 mai 1831

LETTRE 386

L. 80 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[14 mai 1831] Monseigneur, J’ai reçu aujourd’hui des lettres de la Louisiane et une, entre autres, de Mgr De Neckere sur les affaires de La Fourche qui ne sont point 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Mai 14, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

terminées. Madame Eugénie voyant le refus des entrepreneurs de se prêter à un arrangement, et qu’ils forment le projet de mettre Madame Dutour sous caution, a conseillé à cette dernière de s’éloigner encore et je ne sais ce qui me dit qu’elle est peut-être dans le North America. Quoique je l’aie hautement désapprouvée, j’espère qu’elle ne craindra pas ses Sœurs, et que vous voudrez bien être l’interprète et le garant de mes dispositions à son égard. Permettriez-vous aussi, Monseigneur, que ma réponse à Mgr De Neckere trouvât place dans les vôtres, pour diminuer les frais et la rendre plus sûre. Il y est joint un mot de Madame Régis [Hamilton] pour Monsieur Georges dont elle reçoit la quatrième ou cinquième lettre, auxquelles elle n’avait point répondu, ce qui doit l’affliger. Il paraît dans les meilleures dispositions et attend votre réponse avant de partir pour l’Italie. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise servante et fille. Philippine Duchesne religieuse du S. Cœur Saint-Louis, 14 mai 1831

LETTRE 387

L. 81 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Le tonnerre a renversé cette nuit une cheminée, soulevé la partie voisine du toit, et fait tomber une partie du plafond sur les lits des orphelines. On peut juger de leur frayeur. Mon premier sentiment a été de remercier Dieu qui en a épargné plusieurs dans l’état de péché. J’avais dit à M. Lepère de vous demander la permission de faire réparer le toit aujourd’hui ; il dit que cela n’est pas possible. Oserais-je 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Juin 3, Mme Duchesne. »



Lettre 388

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vous prier de nous céder vos ouvriers pour demain et leur parler vousmême, ne nous entendant point à de tels ouvrages. Je suis, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne Dimanche 3 juin [1831]

LETTRE 388

L. 82 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[3 juin 1831] Monseigneur, J’ai rappelé ce matin à Monsieur Rondot la demande que je lui avais faite de trois jours de retraite avant la fête du Sacré Cœur. Il m’a dit que cela dépendait de votre permission que je viens solliciter ; si nous l’obtenons, nous croyons nécessaire de ne pas recevoir les externes pendant ce temps et de les prévenir demain. Suivant notre cérémonial que vous nous avez permis d’observer, nous avons eu l’exposition hier et aujourd’hui. Nous ne pourrions la continuer le reste de l’octave du Saint-Sacrement sans une autorisation particulière parce que, si nous ne pouvons avoir l’exposition les deux octaves, nous devons préférer celui du Sacré-Cœur pour nous conformer à l’esprit de notre institut. Si Monsieur Rondot nous donne la retraite, je vous prie, Monseigneur, de l’engager à rester ici, ce temps, pour éviter les courses à la chaleur. Madame Eugénie me confirme en partie ce que vous avez eu la bonté de nous annoncer que les affaires de La Fourche étaient arrangées. Pour sa part, elle a payé la somme de 2 700 $ et avec d’autres secours, en tout 3 666 $. Il en reste encore autant à payer pour les dettes connues. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Juin 3, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Ma sœur Alphonsine Shannon, dans le désir de communier [pendant] ces fêtes, a essayé de se confesser en français et y a réussi. Sœur Stegar nous donne toujours des soupçons ; elle a écrit à Madame Régis « que quand elle voyait communier, elle avait envie de sortir de la chapelle, parce que cela lui rappelait des choses qu’elle n’avait jamais dites à personne, ne pouvant se décider à parler à Madame Octavie ». Il paraît que Madame Xavier [Murphy] la prendrait, mais comment envoyer si loin une novice douteuse ? Nous espérons toujours en vos bontés pour la fête du Sacré Cœur, vendredi prochain. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble fille et servante. Philippine Duchesne Ce 3 juin 1831 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque de Saint-Louis Saint-Louis

VŒU 1. VŒU REGARDANT LA MAISON DE  SAINT-FERDINAND SUR L’OBLIGATION D’Y AVOIR  UN AUTEL À SAINT RÉGIS ET D’Y CHÔMER SA FÊTE1. 16 Juin 1817 Avec la permission de ma Mère générale, je promets à Dieu en l’honneur de saint François Régis, mon cher protecteur, que si le printemps prochain de l’année 1818, je me trouve à la Louisiane dans un établissement de notre société, je ferai ce qui suit. 1. Dès le moment de notre embarquement, nous enverrons à La Louvesc y faire faire une neuvaine de messes. 2. Que dans l’instruction des Sauvagesses, nous nous proposerons de remplir le désir de saint Régis d’y être employées. 1

Original autographe. Blessed Philippine Duchesne, Personal documents-birth + baptism. Some letters and notes. C-VII 2) d Duchesne-Life-Box 2.

Lettre 389



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3. Que nous aurons un humble autel en son honneur. 4. Que nous solliciterons de l’évêque la permission de lui consacrer notre maison, et de célébrer sa fête comme l’une de nos principales. Philippine Duchesne 18 Juin 1831 Mgr Rosati, consulté par nous sur l’obligation de cette fête de saint Régis, pour savoir si elle devait s’étendre aux nouvelles maisons fondées en Amérique, l’a restreinte à la seule maison de Saint-Ferdinand, 1ère établie en Amérique, et exempte les pensionnaires et autres écolières de la chômer1.

LETTRE 389

L. 101 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis Ce 19 juin 18312 Rec. à St Ant. de Padoue Ma bien digne Mère, Je ne m’étends pas sur la peine que mon cœur éprouve si loin de vous et sans presque de vos nouvelles. J’ignore votre demeure, et j’adresse à Amiens les expressions pour vous de mon entier dévouement et constant souvenir. Monsieur Rondot, de votre connaissance, de celle de votre frère et de ses amis, est arrivé ici en avril et nous a dit beaucoup de choses que nous ignorions et qui ne sont pas consolantes. L’évêque, charmé de cette acquisition, a voulu de suite l’occuper et l’a chargé de nous et des enfants, se réservant les seules qui n’entendent pas notre langue, ce qui est très peu. Le changement a élargi tous les cœurs, oppressés 1

2

D’une archiviste, en note, sans date : « Relativement à l’autel dédié à saint Régis, il a été décidé qu’il suffisait que son tableau soit dans la chapelle, et notre autel consacré au Sacré Cœur sous l’invocation de saint Régis. Telle est donc l’intention. » Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 19 septembre 1830. J. de Charry, II 3, L. 272, p. 177-180.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

depuis longtemps jusqu’au point de faire souhaiter la mort et de troubler la paix et l’union. Chacune est contente et une retraite donnée par le nouveau conducteur, trois jours avant le 10, a achevé de combler le contentement. Celui des enfants est égal et le public apprécie beaucoup le nouveau prédicateur1. Il n’y a à craindre que de le posséder trop peu. S’il rentre chez les Pères [jésuites], nous retomberons en d’autres mains. Il n’y a pas ici la même complaisance qu’en France. Après s’être engagé pour la grande fête, au moment-même, on a retiré sa parole et on était cinq qui pouvaient être libres. Dans ma dernière lettre, d’après le désir exprimé de Mère [Adélaïde] Second de venir nous joindre, je la demandai pour tenir la maison à La Fourche et l’ai fait espérer à Mère Eugénie pour qu’on demeurât dans l’attente et que Mère Bazire ne prît pas toute l’autorité. Elle est prévenue qu’on vous a demandé quelqu’un : en attendant, elle conduit sous Mère Eugénie qui fait de fréquentes visites et prend les conseils du Père que j’avais vu chez Mlle Girard2 et que ses deux frères n’ont pas eu le courage d’ôter à une contrée où il fait merveille, surtout pour nos Sœurs toutes dépourvues. Les choses vont un peu mieux là pour tout. Mère Eugénie a tout réglé habilement et le mieux était qu’elle ne fût point gênée. Elle y a mis beaucoup de zèle. Les dettes se montaient à 36 063 F, outre que Mère Dutour avait contracté pour une bâtisse de 83 000 F ; les ouvriers ont été quelque temps à ne vouloir pas se désister et voulaient faire mettre Mère Dutour sous caution. Elle a été à La Nouvelle-Orléans, prête à partir pour la France ou Saint-Louis pour éviter les poursuites de la Justice. Enfin, après bien des peines et de cruelles abjections pour la maison obérée, Mère Eugénie a payé de sa bourse pour près de 13 460 F Monseigneur l’évêque 2 500 F il y a, en tout, de payé pour 18 330 F et il reste autant à payer. Mais tout est fini avec ceux qui voulaient faire de la peine. On a emprunté pour les satisfaire et les créanciers nouveaux ne sont pas à craindre. Cette dette est comprise dans les 18 330 F restant dus pour 1 2

M. Rondot a prêché le triduum préparatoire à la fête du Sacré-Cœur et a célébré la messe où les religieuses ont renouvelé leurs vœux, le vendredi 10 juin. La sœur d’Henriette Girard habite La Nouvelle-Orléans. Elle a été postulante au Sacré-Cœur en 1821. Le ‘Père’ est probablement l’un des trois Jésuites venus en Louisiane en 1824, à la demande de Mgr Dubourg, pour fonder un collège à La Nouvelle-Orléans ou à Grand Coteau, mais le projet ne s’est pas réalisé.

Lettre 390



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lesquels Mère Eugénie voudrait être aidée, ayant de grandes charges. Mère Xavier n’y paraît pas disposée ; nous, à peine vivons-nous. C’est d’après la lettre à Mère Eugénie du 10 septembre 1830 que les changements se sont faits. Mère Dutour a montré sa vertu en quittant et a préféré les Opelousas. J’en suis bien aise. En même temps est sortie de La Fourche et de la Société, Mary Mullanphy, coadjutrice Sœur, depuis 10 ans admise. Une au voile blanc [Louisia Desmarest] vient de sortir de Saint-Charles pour cause de maladie. La seule maîtresse anglaise de Saint-Ferdinand est en mauvais état et le jour de ma fête, mon bouquet a été le commencement d’une maladie mortelle pour notre seule maîtresse américaine de Saint-Louis [Régis Hamilton], professe et le meilleur de nos sujets. La petite vérole s’est déclarée ; elle est guérie de cette maladie, mais une mauvaise toux fait craindre une fin semblable à celle de sa sœur [Mathilde]. Ayant demandé une maîtresse à Mère Eugénie, elle m’a dit qu’elle était au moment de m’en demander elle-même. Ayez pitié de nous. Je demande encore Mère Second pour La Fourche, une bonne maîtresse pour ici qui sache l’anglais, s’il est possible, et qui puisse me remplacer. Je ne plairai jamais ici. Une forte Sœur pour Saint-Charles, c’est le plus urgent des trois. Je suis à vos pieds votre fille in Corde Jesu. Philippine

LETTRE 390

L. 83 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[27 juin 1831] Monseigneur, J’ai fait part à ma sœur Stegar de la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire ; et dimanche, elle s’est approchée des sacrements. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Juin 27, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Nous avons eu la douleur de recevoir aujourd’hui la visite mondaine de Clémence Piller ; la même dont les larmes du désir vous engageaient à [la] revêtir du saint habit à Saint-Michel. Elle dit maintenant qu’elle n’avait point de vocation et qu’elle a été poussée par une impulsion étrangère. Elle doit s’être rendue aujourd’hui dans sa famille à Saint-Ferdinand. Je désirerais bien savoir si l’obligation de jeûner ainsi que l’abstinence subsistent demain et si nous devons chômer [le jour de] saint Pierre. Toutes nos maisons ont le diplôme d’association de la confrérie du Sacré-Cœur à Rome ; nous en avions un pour Saint-Louis qu’on a égaré à Saint-Ferdinand. Il nous serait cependant bien plus commode d’avoir notre registre pour l’association, car souvent les enfants ou même [certaines] des nôtres ne se rappellent plus si elles ont été reçues et nous ne pouvons le vérifier sans nous rendre importunes. Je ne sais si vous nous permettez d’inscrire nos enfants, mais il restera toujours la difficulté d’envoyer leurs noms à la Société-mère à Rome. Je pense que Monsieur Saulnier envoie chaque année ceux de ses associés. Je prends la liberté de vous adresser les noms de toutes celles qui veulent être de cette confrérie du Sacré-Cœur et de celle du Saint Rosaire. Car pour ne pas les priver de tant de grâces, il est plus sûr d’aller à la source des pouvoirs. Il y en aurait bien d’autres dont les noms n’ont pas été à Rome pour le Sacré-Cœur, mais peut-être cela n’est-il pas indispensable. Dans l’incertitude, je choisis le papier le plus fin pour ne pas grossir une lettre par cette nouvelle liste. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et indigne servante et fille. Philippine Duchesne r. du S. C. Saint-Louis, ce 27 juin 1831 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis

Lettre 391

LETTRE 391



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L. 102 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis Ce 1er août 18311 Rec. à St Antoine de Padoue Digne et chère bienfaitrice, C’est une grande privation pour moi de ne pouvoir vous écrire directement et toutes mes amies la partagent. Mon dernier souvenir a été pour nos amies d’Amiens, au commencement de juin. L’objet principal était pour avoir des secours en chef pour La Fourche, et Mère Second se dévouant à la bonne œuvre me paraissait toute propre à y être employée à cause de la jeunesse de Mère Bazire ; mais elle est si bien guidée par Mère Eugénie et le conseil que la Providence a placé près d’elle, qu’il paraît que les choses pourraient continuer à rouler de la sorte sans inconvénient, sauf à placer de l’aide subalterne. Il n’en est pas de même à Saint-Charles. Je m’aperçois que tout s’y règle mal : le manque de santé, la facilité du caractère, une certaine humeur entreprenante font que les enfants sont un peu à l’abandon et pourraient contracter de grands défauts dont on deviendra coupable si on n’y pourvoyait. J’ai donc pensé que Mère Second serait la plus nécessaire, à cause de l’exactitude que je lui connais et de la mesure de son savoir. Si elle est 1ère gouvernante, je crains un peu que nos amis ne soient pas contents et les parents qui détestent tout changement. Peutêtre qu’en second, en relevant autant que possible son autorité et en la mettant à la tête des petites filles, elle pourra contrebalancer l’extrême faiblesse de la Mère [Lucile Mathevon] et le peu d’ordre dont suivrait le désordre complet. J’ai énoncé mon avis mais on trouve tout impossible, hors de laisser à l’abandon de pauvres agneaux une partie du jour. Je désire le repos plus par paresse que par vertu, craignant la peine d’en faire aux autres et étant persuadée que je ne suis pas propre à réussir. La famille d’Eugénie va bien en augmentant et est en réputation, mais elle s’isole un peu. La Mère est la seule qui écrive et elle donne peu de détails. Elle a beaucoup aidé La Fourche et la confiance qu’on lui a témoignée a beaucoup contribué au zèle qu’elle a montré, et aux sacri1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 273, p. 181-184.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

fices qu’elle a faits ; je n’aurais pas pu en tirer si bien. Il me semble, qu’en la lui recommandant toujours, Mère Bazire ne peut faire aucun écart et son grand-père qui y va de temps en temps et qui aime la maison la guidera parfaitement. En le consultant, lui et Mère Eugénie, on ne peut pas faire de faux pas. Il a donné, comme je vous l’ai déjà marqué, 2 500 F pour payer les dettes ; Monsieur Richard en a prêté sans intérêt plus de 4 500 que Mère Xavier s’est engagée de lui rendre, quand elle aura fini le payement de sa bâtisse. Elle est maintenant au plus haut point de sa réputation et le dernier représentant de l’État lui a dit qu’il n’avait trouvé dans aucune de nos magnifiques villes rien qui lui plût comme la maison du Grand Coteau, et c’était un protestant qui parlait. Je dois me méfier de mon jugement, mais je trouve qu’on décourage là un peu trop les subalternes, peu accoutumées ici à des différences. Voilà quatre de ces personnes qui reviennent ici pour me donner de la souffrance par leur malheur et le mauvais effet et trois, depuis la fin de mai, rentrées dans leurs familles1. Il faudra longtemps réfléchir avant d’en envoyer d’autres, mais Mère Eugénie ne veut rien donner, elle voulait plutôt me demander aussi… La mauvaise santé nous a fait perdre une autre jeune amie [Lucille Frances Roche] et une nouvelle déjà attaquée cet hiver de crises nerveuses qui l’ont reprises, près de Mère Lucile où elle a été envoyée, avec délire et de tels transports qu’elle a renversé le médecin et n’était contenue que par six personnes2. J’ai été la chercher, mais le calme était revenu. Sa vertu touchant tout le monde, on a insisté pour de nouveaux essais et comme là chacun a voix dans le village, on était fâché contre moi que je la leur ôtasse disaient les habitants. Deux personnes de plus dans chacune des deux familles y seraient bien nécessaires à cause des mauvaises santés. Il n’y a rien de pire pour Mère Octavie ; mais la petite vérole a manqué nous enlever notre Sœur aînée [Régis Hamilton] ; elle a été désastreuse dans le village voisin où jusqu’à sept personnes sont mortes le même jour dans la même famille. Ce qui n’était jamais arrivé, le tonnerre est tombé chez nous, a abattu une cheminée, soulevé et percé le toit qui venait d’être refait et a 1

2

Sœurs Louisia Desmarest, Pillet et Mary Shannon, envoyées à Grand Coteau, ont été choquées par la différence entre les deux classes de religieuses, que les maisons du Missouri cherchaient à atténuer. Il s’agit de Sœur Aubuchon qui a pris l’habit le 20 décembre 1829, est allée à Saint-Charles le 17 avril 1831. Elle est retournée dans sa famille le 8 septembre 1831.

Lettre 391



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fait tomber un plafond sur les lits de nos orphelines dont aucune n’est morte [mais plusieurs blessées]1. Depuis quelque temps, les jours se comptent par les épreuves, la plus grande est de voir une certaine émulation des petites familles [Florissant, Saint-Charles, La Fourche] par les grandes [Grand Coteau et Saint-Michel]. Elle a été funeste à La Fourche et ne fera rien de bon ailleurs. Par exemple, pour se mettre en réputation, on met quatre plats et un de sucrerie au lieu de trois ; on ne trouve pas que le café suffise à déjeuner en sorte qu’on dépense plus en proportion que dans les deux maisons les plus riches, j’en ai été témoin. Cependant on m’a dit qu’on était là aussi bien qu’à Paris et à La Nouvelle-Orléans. Ces bonnes personnes auraient besoin d’être réglées par une autre autorité que par un avis2. Une lettre de Paris, envoyée à Grand Coteau, dont on m’a fait part, annonce que Mère Eugénie y est allée et y a été malade. Que notre Mère voyage et qu’on espère la revoir, qu’elle doit prendre les eaux d’Aix [-lesBains]. Combien le cœur se porte vers tous les lieux où elle peut être, et combien le mien se retrouve auprès d’elle sur cette chère Montagne où j’eus la première fois le bonheur de la connaître. Que je regrette de n’avoir pas fait auprès d’elle les bonnes provisions qui me seraient si utiles aujourd’hui. Je suis votre humble et dévouée servante, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Henriette Ducis3 Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York

1 2 3

Cette tempête eut lieu le 4 juillet 1831. Cf. JSA à cette date. Il faudrait une provinciale ayant une vraie autorité. Or la Mère Duchesne ne peut donner que des « avis ». Mère Ducis, secrétaire générale, fait suivre le courrier.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 392

L. 84 À MGR ROSATI

SS. C. J. M.1

Monseigneur, Les maladies qui ont régné sans interruption chez nous depuis le mois de mai, ont mis dans l’impossibilité nos sœurs de travailler aux aubes. Cet ouvrage est donc resté aux orphelines dont la légèreté s’accommode mal de ce qui dure longtemps et je vois avec peine qu’elles n’ont pas aussi bien réussi que je le pensais. Tout pourrait être fini pour la fête de Saint-Louis si nous avions les aubes auxquelles les garnitures doivent appartenir. Comme elles ne serviront pas souvent, on pourrait employer du vieux [tissu] qui durerait encore bien des années. Nous désirerions avoir bientôt le tout à compléter. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre indigne fille et servante. Ce 16 [août 1831]

Philippine Duchesne

[Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Août 16, Mme Duchesne. »

Lettre 393

LETTRE 393



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L. 85 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Dès que Dieu a permis que notre vieux serviteur nous fût enlevé en servant pour le salut d’une âme, nous n’avons pas de sujet d’en être tristes. Nous serions bien fâchées de profiter de l’accident arrivé à Monsieur Loiseul, en gardant son cheval ; il sera plus utile aux missionnaires en restant à votre disposition. Je vous le demande seulement pour trois jours et si vous le croyez mieux placé dans notre parc, on le soignera selon votre ordre. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne Ce 20 août [1831]

LETTRE 394

L. 86 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[24 août 1831] Monseigneur, Voici le premier moment de la journée où je puis vous écrire. J’aurais voulu le faire aussitôt que Monsieur Brasseur, prêtre flamand3, 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Août 20, Mme Duchesne. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Août 24, Mme Duchesne. » Francis Brasseur, arrivé au Missouri en 1831, résida au séminaire des Barrens jusqu’en 1833. Il alla ensuite à La Nouvelle Orléans, où il exerça son ministère dans les paroisses rurales de la Louisiane pendant sept ans. Il rentra en France en 1840. Cf. JSA, 24 août 1831.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

soit venu nous dire que deux de nos Dames étaient arrivées cette nuit. Madame [Henriette] de Kersaint1, bretonne alliée à la famille de la Rochejaquelein2, restera ici. Madame [Anne] De Coppens, flamande, serait allée de suite à Saint-Michel, mais n’a pu continuer la route avec Monsieur Caretta qui accompagne deux de nos Dames [Adèle Toysonnier et Louise Prud’hon] à La Fourche3, car elles sont venues quatre de France. Je crois que ce sont elles qui ont payé le passage de Monsieur Brasseur que l’attrait pour les Sauvages engageait à venir dans ces missions. Il ne l’avait pas encore quand Mgr Portier le vit à la Propagande et voulait l’avoir pour son diocèse. Il ne sait rien de ce pays, m’a dit qu’il ne savait où loger. Je lui ai offert notre petite chambre et si vous l’agréez, il s’y tiendra et y couchera quand il voudra. Nos Dames en font de grands éloges. Madame De Coppens était chargée de la lettre de Monsieur Niel qui a quêté en Flandre ; elle désire que vous sachiez que ce qu’il retire est pour les missionnaires, parce qu’il s’engage dans des dettes, à Paris, dont il ne sortira presque jamais. Elle désire bien voir Monsieur Rondot qu’elle connaît. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. du S. C. Ce 24 août [1831]

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2 3



Claire Henriette de Kersaint (1799-1881), RSCJ, née à Hambourg (Allemagne), est entrée au Sacré-Cœur de Quimper (France) en 1818, a fait sa profession en 1824 et a été sous-assistante de la Mère Maillucheau jusqu’à son départ pour l’Amérique en 1831. Elle a été maîtresse des novices et supérieure en 1840 à Florissant, puis à McSherrystown en 1842. Elle est décédée à Manhattanville. Henri du Vergier de la Rochejaquelein, originaire du Poitou, fut général de l’armée vendéenne en lutte contre les révolutionnaires, de 1790 à 1794. Marie-Adèle Toysonnier, RSCJ, est née à Châtelain (Mayenne) le 31 décembre 1792. Entrée au Sacré-Cœur du Mans en 1823, elle a fait ses premiers vœux en 1826 à Paris. Arrivée en Amérique en 1831, elle est décédée le 6 février 1835 (ou 1837), à Grand Coteau. Rose (Louise) Prosper Prud’hon, RSCJ, née en 1802, est arrivée en Amérique en 1831. Elle est décédée à Saint-Michel en 1835. On a cru qu’une autre personne, née en 1799, portait le même nom, mais cela semble être une erreur.

Lettre 395

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L. 103 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis Ce 28 août 18311 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien chère Mère, Mère de Kersaint me remet sa feuille et me permet d’écrire dedans. J’en profite pour simplifier les ports de lettres. Combien il est dur de ne pouvoir recevoir aussi souvent de vos nouvelles, ni avec autant de détails et d’être aussi dans l’incertitude [de savoir] où et si l’on peut vous exprimer à l’aise tout ce qu’on a dans le cœur ; vos peines nous font oublier les nôtres. Toujours notre cœur se porte vers vous et votre grande famille. Il paraît bien que le vôtre s’occupe avec sollicitude de celle qui est près de moi puisque vous nous envoyez un si bon renfort. Les deux jeunes [Toysonnier et Prud’hon] ont poursuivi leur voyage avec leur conducteur [M. Caretta] qui, je crois, n’avait pas grande envie de me voir. Mère De Coppens se trouvant très malade en route est venue se reposer ici et n’y a pas plutôt été qu’elle n’a eu de cesse pour repartir afin de démêler ses effets qu’elle a confondus avec ceux de Monsieur Caretta. Mais c’est le temps des mauvaises maladies à la Louisiane. Les steamboats prennent le temps pour se réparer ici. Monseigneur est aussi fort opposé à ce départ, ne nous trouvant pas trop de deux sujets, car nous avons la réputation de n’avoir pas de bonnes maîtresses, de les faire toutes descendre. Je vieillis, Mère Octavie est infirme, Mère Régis, notre trésor, est du pays, tout cela ne donne pas du crédit, nous ne sommes pas musiciennes ! Quel tort ce serait donc de nous ôter encore Mère de Kersaint ! Son apparition, loin d’être une faveur, serait le dernier coup pour irriter les parents qui la voient déjà avec plaisir avec leurs enfants. Nommez-la supérieure ici, je vous prie, je me tiendrai si bien dans mon coin que je ne la contrarierai point. J’ajouterais que je suis prête à aller partout si je ne sentais que partout je gênerais à cause de mon âge, de mon ancienneté et que je ne puis correspondre avec les parents. Les Anglais ne m’entendant pas, les Français créoles veulent [une sœur] de l’extérieur. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 274, p. 185-187.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Le mieux est que je me perde dans une classe et à soigner les malades. Je vous dis ceci en toute sincérité comme je le ferais d’une autre. Cette maison a besoin de deux choses : d’une autre supérieure et d’une augmentation de bâtiments. Ceci ne peut se faire ayant seulement peine à vivre. Les maisons des Opelousas et de Saint-Michel ont les dettes à La Fourche à payer, l’une bâtit, l’autre en a un besoin réel pour les Dames ; j’en suis convaincue. Les enfants sont bien, mais étant plus de 100, elles occupent tout. Quand vous me dites de prier M. Caretta de soigner La Fourche, vous ignoriez encore que le Père de Chozal y a laissé le Père Ladavière qui y fait bien plus de bien que l’autre1. Toute ma crainte est qu’il se retire et que la maison ne retourne à celui qui a autorisé Hélène Dutour dans ses écarts, qu’elle connaît mal encore, se croyant le juste affligé. Je pense moi, le cœur peu soumis et la tête imprudente. Heureusement, elle se plaît aux Opelousas et on l’y aime beaucoup, mais prenez vos mesures pour que le total des affaires ne lui soit jamais remis. J’en dirais autant d’Octavie qui, avec le caractère le plus pliable, regrette un peu la supériorité qui lui irait mal aussi. Je n’ai vu personne d’un caractère aussi aimable et cependant si peu aimée. Les enfants ne peuvent la souffrir et plusieurs des Sœurs ont une forte antipathie contre elle. D’ailleurs, elle tourne à tout vent ; heureusement, Monsieur Rondot soignant la maison, elle l’agrée et il ne donnera que de bons conseils. Le médecin lui a mis en tête de voyager pour sa santé, de retourner en France ou tout au moins d’aller dans la Louisiane. Le désir de vivre et peut-être de se rendre utile, quand on ira à New York, lui fait prêter l’oreille à ses avis. Elle ne voit pas qu’elle irait à la mort dans ce climat humide et chaud. Les médecins de La Nouvelle-Orléans ont dit à Monseigneur : « Ne nous envoyez pas vos malades, surtout les poitrinaires. Notre climat leur a bien tôt enlevé le reste de leurs forces. » 1

Pierre Ladavière, SJ, est né à La Chapelle de Condrieu (Rhône), le 23 octobre 1777. Ordonné prêtre en 1806 (ou 1804), il entre chez les Pères de la Foi dont le projet est de refonder la Compagnie de Jésus, mais leur Société est dissoute par Napoléon. Il part à Rome puis en ­Angleterre, au Canada et enfin aux États-Unis. De retour en Europe, il entre chez les Jésuites en 1814, est envoyé aux États-Unis en 1830, pour aller fonder le collège de Bardstown, Kentucky, mais les circonstances s’y opposent. Il part alors en Louisiane, est aumônier à La Fourche après le départ de M. Caretta, seconde l’évêque de La Nouvelle Orléans et, à sa mort, il administre le diocèse. Ce fait lui est reproché par le provincial et le Père général qui le rappelle en France, mais le nouvel évêque de La Nouvelle Orléans obtient son retour en décembre 1836. Il fonde alors le collège de Grand Coteau. En 1840, il est en résidence à Saint-Michel, devient recteur en 1842. Il passe ensuite plusieurs années à Spring Hill, Alabama, où il est décédé le 1er février 1858.

Lettre 396



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Quant à New York, si Mère Eugénie y va plus de 4 mois, la maison sera perdue, il en serait de même aux Opelousas pour Mère Murphy. Tout porte sur ces deux personnes et les parents n’en connaissent qu’une dans chaque maison. La gravité américaine n’aurait pas assez de considération, à New York, pour un chef qui a l’air si jeune que Mère de Kersaint, mais elle tient à y (aller, sous-entendu). Je ne vois de remède que dans un retard et en la chargeant de cette maison-ci où il y a des vieilles avec elle. À vos pieds, Ph. Duchesne

LETTRE 396

L. 2 À MÈRE DUCIS

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 28 août [1831] St Antoine de P1. Ma bien respectable amie, Je viens de recevoir votre précieuse lettre, et les amies qui nous viennent de vous. Combien je suis reconnaissante des peines que vous prenez pour nous. Mais avant de vous en parler davantage, mon cœur a besoin de vous exprimer ses continuelles inquiétudes sur votre santé affaiblie par tant de voyages fatigants et par tant d’affaires accablantes. J’ai connu au changement de votre écriture qu’il devait vous être pénible d’écrire, et cependant j’ai eu trois pages de votre main et trois de votre maman [Mme Barat] datées de sa main. Je me suis trouvée bien riche et bien contente ; cependant fâchée de n’avoir que des vœux à faire pour votre bonheur et celui de votre chère famille.

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : Paris, 14 Oct. 1831.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

J’écris dans la lettre ci-jointe à Mère Sophie, mais je vous prie d’appuyer ce que je demande : 1°. S’il est possible qu’on n’exige pas que le compagnon de voyage soigne La Fourche ; si le grand maître dans sa sagesse l’y place, on y verra la volonté de Dieu ; mais il y a des inconvénients avec lui. 2°. Que l’établissement de cette famille à New York soit suspendu. Je crois que les affaires de l’évêque ne sont pas claires, il a eu beaucoup de dettes, il en a encore, il a défendu de rien entreprendre en son absence et on croit qu’il ne reviendra pas, étant mal avec son clergé1. À Baltimore, la famille est inutile, le grand-père l’a dit2. À Philadelphie, il y aurait eu de ressources de la part du grand-père, la ville est moins tumultueuse, mais il faudrait du supérieur pour les talents. En aurait-on en anglais ? Nous sommes déjà si pauvres de ce côté et les Américains ne voient de mérite et de talent que là, si délicats pour la prononciation qu’ils méprisent les Irlandais, trouvent à redire aux Anglais et ne peuvent jamais se méprendre quand un étranger parle leur langue, quelque bien que ce soit. 3°. L’arrivée de nos dames, loin de nous faire du bien, nous fera le plus grand tort si elles ne restent pas. Madame De Coppens n’y tient déjà plus et, malgré les avis, elle partira si Madame de Kersaint repart. Toutes les plaintes faites au départ de Mesdames Lavy et Bazire se renouvelleront. Depuis, on dit que nous n’avons rien de bon, qu’on envoie tout en bas. C’est nous porter le dernier coup que de faire faire ici l’apparition d’une personne à talents, ayant surtout celui du piano, et de l’enlever aussitôt qu’elle a la confiance. J’apprécierais fortement, au contraire, qu’elle eût la charge de la maison ; je serai avec plaisir de côté, et une rénovation peut rappeler l’opinion, la poudre aux yeux de la musique fera à elle seule beaucoup, sans le mérite réel qu’elle annonce. 4°. Mère Dorival crache le sang, répugne à La Fourche, et est trop relevée pour cette maison. Puisque Mère Second n’a pu venir, suivant son désir, il vaudrait mieux attendre encore avec Mère Bazire à moins que Mère Eugénie, si elle en a [reçu] l’ordre, n’ait déjà procuré ce changement ; mais il fera tort aux Opelousas qui augmente beaucoup et où Mère Dorival peut seule enseigner le dessin. J’ai omis cette remarque à Mère Sophie et vous prie de joindre cette feuille à ma lettre ! 5°. Dans ce pays, on n’aime pas les changements. Mère Eugénie est tout chez elle et est capable de tout. Deux autres, même bonnes, ne 1 2

L’évêque de New York était alors Jean Dubois (1764-1842), SS, seul évêque français de cette ville. Cf. Lettre suivante à la mère Ducis, 11 octobre 1832. James Whitfield (1770-1834) était évêque de Baltimore (1828-1834).

Lettre 396



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la remplaceraient pas. Il en est de même de Mère Xavier Murphy. Ce sont les Américains qu’elle charme. Deux membres du Congrès ont mieux aimé lui confier leurs filles que de les conduire dans ces maisons si exaltées de l’Est ; l’un d’eux a dit qu’il n’y avait rien vu qui lui plût comme les Opelousas. 6°. La maison de Saint-Charles, et c’est encore ce que j’ai oublié dans la lettre fermée, est bien bas par la sortie faite ou à faire de trois sujets malades, les deux autres le sont de fatigue et les enfants m’y ont paru bien peu surveillées. Il est urgent, si on conserve cette maison, d’y bâtir une maison plus fermée et d’y mettre une personne pour les enfants sans parler pour le règlement, et qui soit autorisée à le maintenir par elle-même. Mère Lucile étant trop facile, ne voit péril à rien et cependant par cela même, elle est fort aimée, surtout des Pères [jésuites] qui, si je contribuais à son déplacement, regardant la maison comme leur ouvrage, m’en sauraient mauvais gré. Ils se sont bien refroidis pendant quelque temps. 7°. Mère Sophie m’engage à bâtir. Je suis la première à en voir le besoin, n’ayant pas de chambre de malade ni de réunion. Tout se fait chez Mère Octavie, malade, et c’est avec elle qu’il a fallu mettre Mère De Coppens ; aussi est-elle très impatiente de repartir, se trouvant mieux. La chute de chez vous [à] ici est immense et à moins de beaucoup de forces physiques et morales, on s’y trouvera mal. Mais comment bâtir sans argent, sans caution, sans amis ? Ceux que nous avons, surtout l’évêque, sont tous dans le plus grand embarras ; tous ont besoin de bâtir, de vivre, et tous sont sans [autre] revenu que celui de la Providence. Je connais un missionnaire qui a 3 paroisses et n’a sa vie assurée que 8 jours dans le mois ; [pour] les autres, il faut quêter sa nourriture. On aimerait mieux laisser mourir les enfants sans baptême et ne se marier que devant le juge [plutôt] que de payer la rétribution d’usage. Il n’y a que les enterrements pour lesquels on n’épargne pas les chandelles, le son de la cloche et même la vache avec son veau, pour rétribution. C’est là mon immense croix parce que j’ai des désirs immenses de contribuer et à l’augmentation de la foi et au soulagement de ses ministres, et qu’on est dans l’impossibilité d’y contribuer autrement que par un travail manuel. Aussi sommes-nous devenus tailleuses d’hommes [confectionnant leurs vêtements]. 8°. Dans l’État de New York et de Philadelphie, l’esclavage est aboli, et les domestiques à gages, blanches, mangent avec les maîtres et comme les maîtres. On sera plus offusqué des deux rangs qu’à la Louisiane où l’esclavage est conservé et où on trouve les mœurs françaises.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

9°. Si nos établissements languissent ici [par] manque de l’opinion publique, de sujets, de bâtiments, les protestants prendront le dessus ici. Il paraît qu’il est pris aussi à New York. Veuillez, ma bonne Mère, offrir mes respects à nos pères et grandpère, à nos Mères. J’embrasse tendrement mes Sœurs [Bathilde] Sallion et Agathe1. Je les prie de m’excuser de ne pas pouvoir leur écrire aujourd’hui. Je suis in Corde Jesu votre dévouée, Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Ducis Pour Madame Eugénie Rue de Varenne N° 4 À Paris France By way of New York

LETTRE 397

L. 87 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[7 septembre 1831] Monseigneur, J’ai rappelé hier à Monsieur Rondot la retraite que nous vous avions prié de lui permettre de nous donner. Il croit n’être pas suffisamment

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Il s’agit peut-être d’Agathe Gauthier, décédée à La Ferrandière le 29 mai 1870, ou d’Agathe Gérard, sœur coadjutrice, nommée au Journal de Paris, envoyée à la fondation de Quimper avec Victoire Paranque et Olympie Rombau. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Sept. 7, Mme Duchesne. »

Lettre 398



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autorisé et je viens de nouveau solliciter cette faveur pour son 1er jour libre. La jeune personne qui vous porte l’ouvrage de nos orphelines est cette Métisse dont je vous ai plusieurs fois parlé, élevée à Saint-Ferdinand, conduite à Saint-Charles au moment de l’établissement, placée ensuite à Saint-Louis où elle n’a cessé de demander qu’on la reprenne. Je l’avais offerte à Madame Eugénie qui l’avait acceptée ; sa petite vérole empêcha le voyage. Maintenant, elle ne pourrait avoir de meilleure occasion pour descendre que d’aller avec Madame De Coppens ; mais quoiqu’elle ait dix-huit ou dix-neuf ans, je crains toujours quelque affaire avec son père et je voudrais qu’elle laisse écrit en bonne forme que c’est sa volonté d’aller dans la Louisiane. Si vous aviez la bonté de lui marquer ce qu’il faut exprimer en anglais, je le lui ferais signer avant son départ. Je suis, Monseigneur, de votre Grandeur, la plus dévouée fille et servante. Philippine Duchesne Ce 7 septembre 1831

LETTRE 398

L. 88 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Nous venons toutes solliciter votre bénédiction avant votre départ et vous remercier de l’excellente retraite que vous avez bien voulu nous procurer ; nous ne pouvons assez en remercier Dieu et prier pour nos bienfaiteurs.

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Sept. 16, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

J’ai pensé que nous devions songer aux frais du voyage de Monsieur Rondot, mais craignant des difficultés, nous vous prions de lui remettre ces 15 $. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne Ce 16 septembre 1831 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis

LETTRE 399

L. 89 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[16 octobre 1831] Monseigneur, Permettez qu’au milieu des affaires qui doivent nécessairement vous accabler à votre retour, je vienne vous témoigner la joie qu’il nous procure. Madame Gonzague Boilvin surtout l’attendait avec encore plus d’impatience, dans l’ardent désir qu’elle a que vous vouliez bien recevoir ses vœux. Je la crois assez sûre pour que vous puissiez en fixer le jour que sa grand-maman désire beaucoup connaître. Elle attend une réponse demain et j’oserais vous la demander, connaissant votre bonté pour nous. Si vous n’avez pas d’obstacle pour le 18, fête de saint Luc, c’est le jour le plus marquant et le plus désiré pour une novice qui commence sa quatrième année, et l’autre, Sœur Tesserot, est dans la troisième. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Oct. 16, Mme Duchesne. »



Lettre 400

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Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis

LETTRE 400

L. 90 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[28 octobre1831] Monseigneur, Je viens vous détourner un moment pour être décidée sur des propositions de M. Lepère, espérant que votre bonté supportera mon indiscrétion. Il est venu dimanche prendre l’argent d’un meuble qu’il nous a laissé et m’a demandé si je ne lui paierais pas le puits qu’il a fait faire sur la partie du terrain qu’il avait loué, qu’il y avait pour 18 $ de briques. Il demande également le prix des pierres de sa cave. Quant aux briques du puits, je ne crois en aucune manière rien lui devoir, il peut les reprendre. Pour les pierres, il les acheta, comme malgré moi, voulant avoir une bonne cave et m’arracha le consentement qu’il en avancerait le prix que je lui rendrai ; c’est encore 15 $. Mais il abandonna, sans même m’en faire part, le traité par lequel il me devait 15 $, chaque année, et j’en ai payé quatre à l’arpenteur pour lui et pour un objet qui n’a fait que perdre le temps pour lui et pour moi. Il me semble qu’il pourrait bien renoncer au prix des pierres pour ce qu’il nous fait perdre. Il est bien placé et Mère Thiéfry recourt à moi pour le paiement de son domestique. Je croirais plus de mon devoir 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Oct. 28, Mme Duchesne, St. Louis. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

de l’aider que de donner à M. Lepère ce que je ne crois pas lui devoir en justice. J’ose espérer que vous voudrez bien donner votre décision à Monsieur Rondot qui, venant demain, aura la bonté de me la transmettre. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 28 octobre 1831

LETTRE 401

L. 104 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 20 novembre 18311 Rec. à St Antoine de Padoue Ma Mère bien aimée et bien respectée, Depuis l’arrivée de Mère de Kersaint, je n’ai eu aucune de vos nouvelles, ce qui m’est bien pénible. Elle arriva ici sur la fin d’août avec sa compagne flamande [Anne De Coppens] qui se trouva bientôt mieux et fut en état de se rendre en dix jours à sa destination d’où elle m’a écrit et paraît fort heureuse et mieux portante. Ses deux sœurs [A. Toyssonier et M.-R. Prud’hon] sont toujours dans la maison affligée, et l’envie de bâtir paraît y être la maladie de celles qui gouvernent. Le grand Père [Mgr De Neckere], qui a mis du sien pour les premières dettes, m’écrivit pour arrêter toute entreprise imprudente. J’écrivis aussi un peu ferme disant que nos Mères n’entendraient pas badinage là-dessus, que Mère Eugénie avait assez fait et devait plutôt mettre à l’aise sa famille qui est tout à fait mal placée, vu l’augmentation des enfants. On dit que le Père Ladavière ouvrait une souscription. S’il prend la chose en main, 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 276, p. 189-192.

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elle peut réussir et il ne fera pas plus qu’il ne pourra ; mais il a été bien malade et on dit que son maître [le P. de Chozal] le rappelle, quoiqu’il n’ait pas voulu du collège qu’on lui offrait à cause des dettes dont il est chargé. J’apprends que ce père est ami des bâtisses ! La famille de Xavier [Murphy] paraissait au plus haut point de prospérité quand la pneumonie de Mère Dorival et l’hydropisie d’Hélène [Dutour], qui ont réduit chacune à l’extrémité, paraissent accabler toute la maison. J’ai été au point d’aller les aider, mais mon Père [Verhaegen] m’en a empêchée pour le moment, trouvant ma résolution trop précipitée. Dieu l’inspirait, car une lettre d’hier m’apprend que le mercure a dissipé l’enflure et l’oppression d’Hélène et que l’autre malade est mieux aussi sans pouvoir cependant s’occuper des enfants, ni aller à La Fourche. Je vous ai déjà entretenu de cette place et de la pensée qu’on avait eue de l’abandonner. Comme dans ce pays on est tantôt abattu et tantôt rétabli, que quelques mois font souvent un grand changement, je désire l’autorisation nécessaire pour décider le Oui ou le Non avec l’assentiment des deux grands Pères de famille dont les avis seront toujours ceux de la prudence et du plus grand bien. Florissant s’est soutenu jusqu’à présent avec peine ; mais enfin les difficultés deviennent si grandes que la Mère [Catherine Thiéfry] ellemême a proposé de distribuer ses enfants et de ne rester que deux pour une école et le bien du pays. J’ai consulté le chef de nos amis [le P. De Theux] et j’ai attendu sa réponse avant de rien exposer. Il est d’avis contraire qu’on y transporte les élèves d’ici, mais il ne peut rien décider sans les parents, trop tendres pour éloigner leurs enfants. Il n’y a là ni boulanger, ni boucher, ni marché. Si quelques inconvénients se trouvent en ville, ils sont encore plus grands à la campagne. J’ai conseillé à Catherine de se passer de domestique mâle, de vendre du bétail dont elle a trop et qui ne fait que coûter dans les longs hivers. Je crois que de cette manière, on peut soutenir une famille bien intéressante et qui peut recevoir tant de personnes qui n’auraient pas place ici. Combien on a besoin de l’Esprit de Dieu pour ne pas faire de faux pas dans des circonstances si délicates ! Je vous renouvelle ma demande d’un ou deux sujets pour le Grand Coteau. La maladie corporelle n’y est pas le plus grand fléau, c’est le changement en mal qui s’est opéré dans Mère Lavy que son talent rend nécessaire, mais sa Mère en est à croire qu’il faut qu’elle soit changée elle-même pour la rendre contente car l’autre en est au point de la haïr et de dire qu’elle sera damnée si elle reste là. Cet état malheureux était en partie ce qui m’aurait décidée à un voyage pour être un intermé-

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

diaire entre les nations et les caractères. Une maîtresse de musique faciliterait des changements et cette famille peut supporter des frais de voyage. La Mère m’a remis l’affaire par la difficulté de s’expliquer en français. Il paraît qu’elle désire Mère de Kersaint, mais outre le tort que nous ferait son absence à présent qu’elle a bien pris ici, elle tend toujours à New York. Elle a dit qu’elle ne pouvait prier pour autre chose et ce véhément désir a aussi pris sur son humeur, ainsi que le projet de bâtisse impossible puisque l’argent manque, que les enfants seront rares. 24 ministres de différentes dénominations ont fait un synode contre le collège de nos amis et plusieurs ont prêché dans l’église presbytérienne que c’était un péché de donner des enfants aux catholiques. À vous dire ma pensée, je crois que la Mère Thérèse [Maillucheau] porte trop celles qu’elle forme à des perfections au-dessus de leur taille. Je n’aurais jamais cru sa fille [H. de Kersaint], si entière dans ses idées, si prête à blâmer et à soutenir son opinion, en état de faire le vœu de perfection. Cependant elle l’a fait et il y en a déjà une ici qui dit qu’elle lui a nui. Les choses vont mieux, mais après avoir tant plaidé pour qu’elle prenne ma place, je n’ose plus en parler craignant des suites semblables à ce qui s’est passé sous le gouvernement d’Hélène. Il y a encore des queues à ses dettes. Tout l’objet de mes prières et de celles que je réclame, est le choix d’un chef pour ici et La Fourche, où je pense cependant que Bazire peut suffire. Et 2°, une décision sur sa maison et Florissant pour leur existence. Je pense qu’on peut au moins attendre mais il serait nécessaire d’avoir les permissions et autorisations si le cas advenait qu’il fallût trancher. Saint-Charles se soutient petitement, il s’y fait du bien. Monsieur Borgna que vous avez vu et qui a quitté La Nouvelle-Orléans pour revenir à deux journées d’ici, nous propose un établissement dans sa paroisse et d’en venir traiter ici. C’est encore un village mais il dit qu’après Saint-Louis c’est l’endroit le plus propre à faire du bien. Je vais lui répondre qu’il me faut attendre une personne. Je ne suis guère de l’avis. Mère Octavie est très souffrante en ce moment et notre bonne Américaine [Eulalie (Régis) Hamilton] n’est pas bien depuis sa petite vérole. Tout va bien avec Mère de Kersaint, elle est aimée au dehors et au dedans. Je ne crains que son imagination et des projets trop relevés pour le pays. Je suis dans une grande impatience de vos nouvelles. Vos lettres sont peut-être allées dans une rivière où tout le paquet de New York est tombé.

Lettre 402



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Il ne me reste plus de place pour les paroles du cœur. Je dirai seulement que je suis dans vos mains et que toute disposition de votre part me sera agréable. Souvenirs tendres pour nos chères sœurs. À vos pieds in Corde Jesu, Ph. Duchesne

LETTRE 402

L. 91 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Le froid est si rigoureux et les chemins si mauvais que nous aurions la plus grande peine de vous voir venir un jour déjeuner, le matin. Je vous prie de nous réserver vos bontés pour un temps plus doux et pour le moment de la journée où le froid est plus supportable. Je vous prie aussi d’empêcher Monsieur Rondot de venir avant qu’il soit beaucoup mieux. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne 15 décembre [1831]

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1831 Déc. 15, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 403

L. 92 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Madame De Coppens, en me parlant de l’établissement projeté, m’a dit qu’elle aurait à se procurer un emprunt au 3 ½ pour cent qu’on le lui avait offert et qu’elle avait refusé. Si vous désiriez l’avoir pour l’église, elle pourrait écrire pendant qu’elle est ici, mais elle n’est pas entièrement sûre que cela réussisse à cause des troubles de la révolution [de 1830]. Sans le saccage d’Anvers, elle dit qu’elle aurait eu beaucoup dans cette [ville]. Elle désire que vous lui marquiez ce qu’elle doit demander et, mieux encore, en parler avec vous. Je suis, Monseigneur, votre indigne fille. Ph. Duchesne Ce 30 [décembre 1831] [Au verso :] À Monseigneur l’Évêque

LETTRE 404

L. 93 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

Monseigneur, Je viens de recevoir une lettre de Madame De Coppens qui craint que la malle de Madame de Kersaint soit perdue. Elle ne nous dit rien 1 2

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1831, Mme Duchesne. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Janvier 12, Mme Duchesne. »

Lettre 405



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d’un piano qui était pour nous et d’effets destinés à Madame Lucile. Si vous aviez la charité de prier une personne de votre connaissance de prendre des informations à la douane ou auprès de Monsieur Caretta qui s’était chargé de cet embarquement, cela nous rendrait un grand service. Nous n’avons point de réponse quand nous écrivons. Je vous prie de m’excuser et d’agréer la profonde vénération, Monseigneur, avec laquelle je suis votre fille dévouée. Philippine Duchesne 12 janvier [1832]

LETTRE 405

L. 94 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[21 janvier 1832] Monseigneur, Je vous remercie de la bonté que vous avez eue de vous occuper des objets que nous croyions perdus à La Nouvelle-Orléans. Une lettre de Monsieur Delacroix me fait espérer qu’ils viendront bientôt. Si vous avez reçu la lettre qui contenait celle de Madame Bosseron, j’oserais vous prier de la brûler et de me dire s’il vaut mieux qu’elle soit à Saint-Ferdinand. La proposition de M. Mullanphy m’embarrasse beaucoup. Ce sera une nouvelle entrave qui écartera les orphelines. La plupart des parents ne veulent pas donner ainsi leurs enfants, les regardant comme en servitude ; d’autres sont absents. Et pour nous, loin de tirer avantage du travail des plus grandes, outre qu’on n’en trouve pas, leur entretien devient plus coûteux et dès l’âge de 15 ans, à moins qu’elles ne soient fort pieuses, l’idée de la liberté les dérange ; elles deviennent un vrai fléau. On est trop heureux alors qu’elles prennent leur parti. Je sais bien que par l’acte qui a été fait, nous pouvons renvoyer les sujets vicieux, mais 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1832 ­Janvier 21, Mme Duchesne.  »

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c’est alors s’exposer à irriter les familles qui voudront souvent avoir leurs enfants, mais seront toujours mécontentes qu’on les leur renvoie. Vous nous aviez promis, Monseigneur, de faire accepter à M. Mullanphy la petite English. Monsieur Lutz a été demandé par lui au sujet d’une petite Allemande dont la mère avait demandé l’entrée de sa fille qui pleura, quand je lui dis que nous ne donnions pas les places. Cette enfant ne vient point. Je ne puis comprendre pourquoi. C’est cela qui m’affecte. Une lettre de notre Mère générale m’apprend qu’elle renonce pour le moment, et même pour plusieurs années, à l’établissement de New York. Madame de Kersaint, après en avoir été fort affligée, paraît se résigner. Madame De Coppens est toujours pour Saint-Michel. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille et servante. Philippine Duchesne Ce 21 janvier 1832

LETTRE 406

L. 2 À MGR DUBOURG [29 Janvier 1832]1

Monseigneur, Je viens d’avoir l’inexprimable plaisir de recevoir votre lettre datée de Versailles, le 27 octobre. Nous éprouvions toutes beaucoup de joie lorsque vous faisiez mention de nous dans votre correspondance, mais un souvenir direct y met le comble en nous assurant de la bienveillance de notre premier pasteur, fondateur et père. Nos sentiments sont partagés par tous les membres qui ont augmenté notre famille, depuis qu’elle vous a perdu. Saint-Michel est la maison la plus nombreuse. Elle comprend vingt-quatre dames, entre lesquelles sont six sœurs Lévêque2 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Nées dans différentes villes de la Louisiane, elles sont toutes entrées au Sacré-Cœur de Saint-Michel : Maria en 1825, Séraphine et Louisa en 1826, Amélie en 1828, Lise en 1830. Séraphine est sortie en 1842.

Lettre 406



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et deux de leurs nièces ; environ cent vingt pensionnaires, une maison d’orphelines et une école externe. La Fourche se remet un peu de ses dettes et, au moyen d’une souscription, va continuer une bâtisse devenue bien nécessaire. Le Grand Coteau a été assez aidé par les parents des enfants pour en entreprendre et perfectionner une, qui a coûté 10 000 gourdes, et qui fait l’objet de leur complaisance, sous le nom d’Académie1. Le dernier représentant au Congrès, et celui qui l’est actuellement pour cette partie, y ont leurs enfants ; et le premier qui, pendant son séjour à Washington, avait ses filles à la pension Georgetown, dit hautement dans le pays qu’il lui préfère celle du Grand Coteau et qu’il la regarde comme la première de l’Union. Vous sentez, Monseigneur, combien un tel éloge, dans la bouche d’un homme du premier mérite parmi les protestants, donne de la confiance pour cette maison. Aussi demande-t-on à la fois à Madame Xavier [Murphy] trente places pour des enfants des Rapides2, ce qui l’approchera de cent, si toutefois elle peut les recevoir ayant eu deux des premières maîtresses fort malades. Deux maintenant sont en état d’y enseigner la musique, ce qui est un grand avantage. Toute notre gloire s’éteint en entrant dans le Missouri ; je dis qu’elle s’éteint pour les yeux mortels, mais ne devons-nous pas nous glorifier de la Croix de Jésus-Christ ? Dans les trois maisons : gêne pour le temporel, peu d’enfants et peu d’espoir d’en augmenter le nombre ; difficulté à les contenter ainsi que leurs parents, qui sont bien plus exigeants que dans la Louisiane. En ajoutant à cela les efforts des autres communions pour relever leur établissement et contrarier les nôtres, nous devons nous fonder dans l’amour de la bassesse et de la pauvreté. Le collège partage ces inconvénients terrestres et la couronne qu’il sait mieux remporter que nous. Il paraît que le chef y réunira les Belges ; trois viennent d’arriver de Georgetown qui ont beaucoup de mérite sous le rapport de la science et de la vertu. M. Mullanphy a beaucoup de zèle pour l’hôpital. Il en a augmenté le terrain et a contribué à une bâtisse en briques de 50 pieds sur 40, à trois étages, qui n’a coûté que 4 000 gourdes. Les malades y sont très bien, et on y prend des orphelines. Il y a huit Sœurs. Notre saint

1 2

Le bâtiment central de la maison de Grand Coteau a été commencé en 1830, agrandi en 1835. Paroisse des Rapides (Comté), au centre de la Louisiane.

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évêque [Mgr Rosati] s’en est fait l’aumônier, et tous les jours à 6 h du matin, par tous les temps et par un froid qui est allé à 21 degrés au-dessous de la glace, il va y dire sa messe et y retourne le soir, si les malades anglais ont besoin de lui, car depuis le départ de Monsieur Saulnier pour les Arkansas, nous avons peu de prêtres qui les entendent. L’ardeur des missionnaires a été vivement émue à l’arrivée de Sauvages que personne n’a pu entendre à Saint-Louis. Ils sont venus de l’ouest des Rocky près de l’océan Pacifique, à la distance de 600 lieues, pour voir comment prient les Blancs. Ils ont donné tous les signes de catholicité, font le signe de la croix, prient soir et matin, sont venus tous les jours à l’église. L’un d’eux, malade, a été baptisé avant sa mort et enterré promptement. Tout ce qu’on a pu savoir, c’est que cette nation s’appelle les Têtes plates1, qu’elle est composée de 40 000 personnes, qu’elle a deux grands villages, qu’elle n’est point féroce, qu’elle ne vit presque que de racines ; la chasse et la culture ne fournissent presque rien. On croit qu’elle a eu connaissance du christianisme par quelques-uns du Canada. La difficulté d’un si long voyage et celle de pouvoir exister parmi des gens si dénués peuvent beaucoup retarder les missions qui chercheraient de l’éclairer. Je reviens à la Louisiane, ne craignant point de vous lasser en vous en entretenant. Les Dames Ursulines y sont toujours au plus haut point de prospérité. Monsieur Richard qui les a quittées, prend soin depuis un an de la maison des filles de couleur, où Madame Saint-Louis2 a gouverné en l’absence de Madame Sainte-Marthe qui, dit-on, revient avec des Sœurs de Saint-Joseph. Celles de la Charité sont maintenant entièrement libres dans la maison fondée pour les orphelines et y font un bien immense, à près de cent. Si Mgr Rosati voit maintenant tant d’établissements et son collège aussi bien que le séminaire fleurir, il ne peut oublier non plus que nous, que vous en avez fait tous les plans et supporté toutes les premières difficultés. Jamais votre nom ne pourra s’oublier ; trop de monuments le rappelleront et trop de cœurs s’y porteront par la reconnaissance.

1 2

Tribu pacifique, habitant le long du cours supérieur du Missouri, pour laquelle le P. De Smet a fait plusieurs démarches auprès du gouvernement pour obtenir des subsides. Peut-être Mère Saint-Louis de Gonzague Bougie, qui était alors au couvent des Ursulines.

Lettre 407



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Monsieur Blanc, du Baton Rouge, vient d’être nommé grand vicaire et va résider à La Nouvelle-Orléans1. Monsieur Brassac doit y être2 ; il a écrit de New York qu’il était revenu avec l’évêque de cette ville qui avait demandé de nos dames et n’en parle point depuis son retour. Il serait impossible de rien détacher des maisons d’ici, qui pût convenir dans cette importante ville ; et personne de France n’est disponible, à ce qu’on écrit. Mesdames Octavie et Hamilton sont particulièrement sensibles à votre souvenir ; leur santé est toujours mauvaise. Votre indulgence, si souvent éprouvée, m’a fait remplir tout mon papier. Il ne m’en reste que pour solliciter votre bénédiction en me disant avec respect, de votre Grandeur, Monseigneur, la plus humble et dévouée servante. Philippine Duchesne Ce 29 janvier 1832

LETTRE 407

L. 105 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 1er février 18323 Rec. à St Antoine de Padoue Ma chère et bien digne Mère, J’ai reçu vos deux lettres : la première du mois d’octobre et la seconde du 30 novembre, où vous me parlez d’un nouveau plan pour la maison 1

2

3

Antoine Blanc (1792-1860), né en France, a été ordonné prêtre en 1816. En Amérique, il exerça son ministère dans plusieurs diocèses. À la date de cette lettre, il est vicaire général depuis un an, a quitté le Baton Rouge pour La Nouvelle-Orléans, où il deviendra évêque en 1835 et le premier archevêque en 1850. Il y restera jusqu’à sa mort. Hercule Brassac, arrivé en 1817 pour travailler avec Mgr Dubourg, a été le premier prêtre de la nouvelle église de Grand Coteau (1819-1822). Il a joué un rôle-clé en 1821, pour obtenir de Mme Ch. Smith le terrain de la maison du Sacré-Cœur. Il a été prêtre au Baton Rouge en 1834, à Donaldsonville en 1835. Il est rentré en France en 1837 et a travaillé comme vicaire général des évêques européens en Amérique, de 1839 à 1861. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 278, p. 196-198.

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de Saint-Louis, en le soumettant toutefois à Monseigneur. J’étais toute prête à faire ce qui me concernait, mais comme vous vouliez qu’il fût consulté et qu’on suivît son avis, je le lui ai demandé. Il est venu aussitôt, disant qu’il vous écrirait aujourd’hui et qu’en attendant une réponse, il ne fallait rien changer, et que je n’avais rien à dire1. Ma lettre ne peut donc renfermer des détails, je ne pourrais que répéter aussi ce que j’ai dit du donateur qui a assez fait, du terrain qui ne peut se cultiver, des bâtiments à faire sans argent et sans rien qui promette de pouvoir rendre l’emprunt. Je suis si amie de la médiocrité où Dieu nous tient, que je ne voudrais échanger notre situation contre les plus brillantes. Cette disposition à la bassesse me fera trouver bonnes toutes les situations, pourvu que je ne sois pas désœuvrée, et, s’il faut l’être, je pense encore que Dieu me fera la grâce de le supporter. Je suis pleinement persuadée que je n’ai pas les qualités pour le gouvernement et depuis longtemps, une de mes plus ardentes prière est pour obtenir celle qui doit venir, celle qui, j’espère, fera fleurir la régularité et gagnera les cœurs. Votre état de voyageuse vous empêchera peut-être de recevoir la lettre de notre évêque et d’y répondre. Si celle-ci la devance, veuillez faire connaître trois choses principales : 1. Où seront les novices ? Pour les Américaines, il faudra nécessairement que ce soit ici, à cause de la langue ; personne ne le pourra à Florissant. 2. Qui remplacera à Florissant Mère Thiéfry, si elle vient ici ? 3. À qui on s’adressera pour recevoir à la prise d’habit, aux vœux, pour les changements de maisons ? Mère Thiéfry paraît la plus propre. Je pense que vous aurez fait écrire à New York. Il me semble qu’on ne peut laisser l’évêque en suspens. Mère de Kersaint ne lui a rien fait dire et paraît résignée à attendre. Elle est goûtée à Saint-Louis. Mère Octavie n’y est qu’estimée ; on craindrait, je crois, qu’elle approchât des enfants2. Elle est encore bien utile en donnant des leçons aux jeunes maîtresses, mettant de la gaieté et du liant dans les conversations. 1

2

La Mère Barat veut décharger Philippine de ses responsabilités mais Mgr Rosati s’y oppose, réfutant les critiques des religieuses qui méconnaissent les difficultés et le contexte ecclésial des commencements de la mission. Le cancer a provoqué sur son visage des plaies qui la défigurent.

Lettre 408



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Une bien grande croix pour cette maison est l’état de santé de Mère Hamilton. Depuis un an, elle est infirme. Rien ne peut nous la remplacer, étant notre meilleure maîtresse américaine. Loin que les autres maisons puissent nous la remplacer, elles se plaignent d’en manquer. Un polype qui se forme dans le nez de notre chère sœur fait craindre des suites fâcheuses1. J’ai fait un vœu pour elle à saint Régis, son patron. Je vous prie d’y intéresser nos sœurs. Je donnerais deux fois ma vie pour qu’elle serve longtemps la Société. Ce qui nous unit, c’est le petit nombre de celles qui savent l’anglais. Combien d’écoles ont l’avantage sur nous pour ce point important. Si Mère Xavier qui fait seule la réputation des Opelousas venait à y manquer, la maison déclinerait considérablement. J’ai répondu à votre première lettre par Lyon. J’espère qu’elle sera arrivée. Celle-ci vous assure de mon parfait contentement sur tout ce que vous pouvez décider à mon égard. Je suis à vos pieds. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Sophie

LETTRE 408

L. 95 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

Monseigneur, Je viens d’apprendre que le Père Van de Velde et deux jeunes pensionnaires des Jésuites partent à la fin de la semaine pour la Louisiane. J’ai d’abord regretté de ne pouvoir mettre personne pour les Opelousas en si bonne compagnie. Mais réfléchissant sur l’extrême besoin de Ma1 2

En mars, un chirurgien compétent l’opérera. Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1832 ­Février 21, Mme Duchesne.  »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

dame Xavier [Murphy] pour ne pas refuser les enfants, j’ai vu que sans nous faire tort, nous pourrions lui donner ma Sœur Stegar et ma Sœur Joséphine Mayette, orpheline donnée par Monsieur Lutz qui, j’espère, aidera à son sacrifice. Elle est au terme de son noviciat. Si vous approuvez le départ des deux et permettiez à la dernière de faire ses vœux, vendredi matin, j’enverrai de suite les demandes à Madame Thiéfry. C’est ce qui me fait solliciter votre réponse, si je ne suis pas trop indiscrète. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne Ce 21 février 1832 J’ai demandé leur avis à nos trois professes ; elles pensent comme moi.

LETTRE 409

L. 96 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Nos deux sœurs viennent d’arriver ; Sœur Mayette attend avec impatience le moment de ses vœux. S’il vous était impossible de les lui faire faire, je vous prie de le dire à nos enfants. Nous prendrons votre silence pour le oui désiré. Je suis à vos pieds votre humble fille. Philippine Duchesne Ce 24 février [1832] 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1832 ­Février 24, Mme Duchesne.  »

Lettre 410

LETTRE 410



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L. 3 À MÈRE E. DE GRAMONT 24 février 18321

Ma bien digne Mère, Je vous adresse cette feuille pour Madame Sophie [Barat] et pour ne pas me répéter, vous prie d’en prendre lecture2. Vous y verrez que j’ai reçu votre billet, la relation de l’importante visite et l’espoir d’un secours pour bâtir, qui a dû partir en janvier. S’il tardait trop, je serais en peine pour un emprunt fait dans cette assurance. Il ne manquait, au plaisir qu’a procuré votre lettre, que plus de longueur ; nous en espérons un dédommagement. Nous n’avons pas d’autres nouvelles que celles déjà exprimées ici. Madame Anne [De Coppens] paraît très tranquille. Sa sœur lui fait espérer son voyage. Il est de nécessité ici d’oublier toute grandeur et de se rendre petite. Je suis in Corde Jesu, Philippine Mes respects à MM. Joseph et Louis. Nos amis ont perdu, en un mois, un Père et un Frère. L’état [des finances] sur Saint-Louis est parti le 6 janvier.

1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Courte lettre écrite au verso de celle à Mme Barat, le 24.02.1832. Cachets de la poste : Le Havre, 25 avril 1832 ; Paris, 27 avril 1832. Il s’agit de la lettre suivante : L. 107 à Mère Barat. Les deux lettres sont insérées dans la même enveloppe.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 411

L. 106 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 24 février 18321 Rec. à St Ant. de Padoue Ma bien digne Mère, Quels termes pourraient exprimer ma joie en recevant votre lettre, tout y était intéressant et mille fois précieux : votre rétablissement, le lieu et la date, la visite de notre grand Père, ses bontés paternelles, le bon état des deux familles, enfin l’espoir du retour plus près de nous, car, à la distance où vous étiez en novembre, on a bien plus rarement de vos nouvelles, bien moins de facilité pour correspondre et combien on aurait souvent besoin de conseils et d’avertissements ! Mère Lucile et Mère Thiéfry ont lu avec transport votre lettre commune qui nous est venue de Quimper, et elles sont bien contentes de votre décision par rapport à leur établissement. Elles peuvent se soutenir comme elles sont et doivent même être moins gênées que nous. La divine Providence ne nous fait entrevoir que le nécessaire ; mais saint Paul veut qu’on s’en contente. Il ne faut pas croire que, quelque chose que nous fassions, nous en venions au point des splendeurs d’Eugénie [à Saint-Michel] et de Xavier [à Grand Coteau]. C’est comme si on s’attendait de faire en Norvège ce qu’on fait en Autriche. Encore, s’il y a différence de richesses et de population, je pense aussi que les Norvégiens ne prétendent pas vivre comme à Vienne. Ici, il y a même prétention, plus d’exigences et point de fortune et de personnes qui apprécient ce que c’est qu’une bonne éducation : ce ne sera pas celle qui élève au-dessus des sens. Quand une enfant est grasse, qu’elle mange bien et bon, qu’elle se chauffe à plaisir, qu’elle est plus aimée, ce sont les grands points pour plusieurs. Un homme de ce rang fit appeler Mère de Kersaint par sa fille qui l’avait accusée d’avoir des préférences et de lui avoir fait manquer des leçons de musique. Elle nia la chose, mais n’apaisa pas le mécontentement. J’entendais le débat et la conclusion qui fut prononcée par le père : c’est qu’il retirerait sa fille aux termes du quartier. Cette affaire lui 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 25 avril 1832 ; Paris, 27 avril 1832. J. de Charry, II 3, L. 280, p. 201-204.

Lettre 411



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a été sensible, ainsi que le peu de succès dans la direction de ses enfants. Elle avait pensé qu’il n’y avait qu’à parler pour gagner à Dieu ! Tous ces mécomptes lui donneront de l’expérience. On ne fait pas toujours le bien qu’on veut et qu’on désire ; on serait trop heureux et elle apprendra, ainsi que Mère Anne [De Coppens] qu’il est plus aisé de blâmer que de réussir. Pour que les délicates n’eussent aucun mécontentement, on a eu cet hiver, quoique très doux, feux à la classe, au dortoir, au réfectoire, au piano ; et justement celles qu’on voulait retenir par-là ont quitté ou sont au moment de le faire. Ce sera bonheur d’avoir la balance, juste à la fin de l’année. Mère Eugénie m’a confirmé que vous aviez la bonté d’ordonner pour nous l’envoi de 10 000 F, mais je n’ai pas la lettre qu’elle m’annonce de Mère Ducis. Cependant sur l’assurance reçue, j’ai obtenu un prêt de 2 000 F de la banque pour commencer en hiver à préparer les bois. Le plan du bâtiment renferme : 1°) à moitié sous terre comme à la rue des Postes1 : un vestibule, un réfectoire, une chambre d’études de musique ; 2°) au-dessus, un vestibule, deux classes ; 3°) au-dessus, un vestibule, un dortoir et la même chose au 4ème s’il est besoin, ou il restera en grenier. Devant les classes, sera une galerie couverte de la longueur de la maison, très en usage ici pour abattre la chaleur du soleil et fournir une promenade en tout temps. Sur cette galerie seront trois petites chambres de dames. Le bâtiment en briques aura 50 pieds de long sur 30 de large et coûtera, avec quelques arrangements pour les orphelines et salon, la somme que nous espérions de 20 000 F. Mère Eugénie ne peut absolument rien, Mère Xavier [du Grand Coteau] fait espérer 5 000 F. Avec cela nous commençons, au risque de nous arrêter, et comptons sur quelque chose de Flandres, que Mère Anne a demandé. Cela pourrait faire le complément si cela va au-dessus. Saint-Charles a le plus grand besoin d’une petite bâtisse, celle qui s’y trouve en bois est très mauvaise. Mère Anne a montré plus d’intérêt pour nous, depuis son retour de Sainte-Geneviève. Descendant, comme je l’ai écrit de Saint-Michel, elle se trouva si triste et quitta le steamboat à Sainte-Geneviève. Monseigneur s’y trouvait alors et la fit reconduire ici. La crainte qu’elle avait de se revoir avec Mère Eugénie, l’impossibilité d’aller ailleurs, l’a rendue plus accommodante. L’hiver étant très beau, elle se porte fort bien et différents entretiens avec nos amis [jésuites] l’ont 1

Ancienne maison-mère à Paris, que Philippine a installée en 1816.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

familiarisée avec l’idée de la dépendance et non d’une surveillance, comme elle s’y croyait obligée. Je ne partage pas ses opinions sur Saint-Michel. Il peut y avoir du défectueux comme partout, mais qui ferait mieux ? Personne en Amérique ne le pense et ne voudrait avoir cette énorme charge. Quant à la piété, c’est beaucoup d’en faire des chrétiennes et il faut penser au mélange des croyances qui sont libres et nous avons en cela la conduite de nos amis qui ne gênent point et ne réussissent pas comme ils le voudraient. Il faut gagner, ici, par l’appât des sciences pour les gens qui pensent et du bien-être pour les autres. Ce sont les deux moyens d’introduire un peu de vertu et de foi. Je n’ai pas su si les 4 pour les derniers engagements les ont pris1. La 5e, Mère Van Damme, mettait la condition de ne pas être envoyée ailleurs. Je ne voudrais pas prononcer sur elle, non plus que pour les premiers vœux d’une de Saint-Ferdinand, que Mère Thiéfry espère être bonne. Monseigneur a dit de se tenir à son opinion et elle les a faits avec une autre pour le chœur. La 1ère est Mère Elisa Bosseron, Créole ; la 2de, Mary Ann Roche, Irlandaise2. Toutes deux lui sont fort utiles. Dans chacune de nos trois maisons du Missouri, il nous faudrait deux personnes de plus pour la régularité, et il n’en vient pas. S’il s’en présente, je ne mets pas de doute qu’il faut les mettre ici sous la conduite de Mère Hamilton qui a tout ce qu’il faut pour s’en faire aimer, les porter à la vertu et bien les former pour le pays. Il serait nécessaire de les séparer des récréations où il se commet des imperfections sans nombre, et quand elles viennent de celles qui sont parties du centre [de la maison-mère], on perd la bonne opinion de l’état [religieux] en ne pouvant le trouver dans ses membres. Mère Thiéfry ne sera point fâchée, elle estime singulièrement celle que je vous nomme et m’a dit qu’elle se sentait elle-même tout à fait incapable de former des Anglaises, ne pouvant les entendre assez. Le seul inconvénient est que la même [religieuse] est la plus importante 1

2

Aloysia Hardey, Hélène Green et Louisa Lévêque seront professes à Saint-Michel, le 19 juillet 1833. Hélène (ou Ellen) Green, RSCJ, née en 1807 à Saint-Jacques, Louisiane, est entrée à Saint-Michel en 1826, a fait ses premiers vœux en 1828. Elle est décédée le 4 novembre 1833, à l’âge de 26 ans. Xavier Van Damme est décédée du choléra à Saint-Michel en 1833  et Adèle Toysonnier de la tuberculose à Grand Coteau en 1835. Elles étaient encore aspirantes. Mary Ann Roch(e), RSCJ, est née en 1811 dans le comté de Wexford (Irlande). Elle a fait ses premiers vœux à Saint-Ferdinand en 1832, et sa profession à Saint-Louis en 1840. Elle est décédée en 1853, à Saint-Vincent (Canada).



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pour l’enseignement de l’anglais et pour gagner le cœur des enfants. On ne peut entièrement la consacrer au reste, ni la remplacer. Les autres n’en sont pas capables. Dans l’état actuel, même notre maison l’emporte de beaucoup sur Florissant. Comment a-t-on pu vous dire le contraire ? Mère Octavie est en ce moment fort malade. La jeune sœur attaquée de la poitrine est un peu mieux. J’espère encore les conserver. Tous nos vœux sont dirigés pour notre tendre Mère. Ils seront exaucés, je l’espère. Nous lui serons toujours bien soumises in Corde Jesu. Philippine [Au verso :] À Madame Eugénie de Gramont Rue de Varenne n° 41 À Paris France

LETTRE 412

L. 97 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, C’est parce que le Père De Smet m’avait dit que ses enfants partaient par Le Phénix avec leur maître, que j’avais cherché cette protection pour nos sœurs. Sans cette considération, nous aurions attendu un temps plus favorable. Je mets le plus grand intérêt que leurs places soient dans le même steamboat où seront un prêtre et un capitaine de votre connaissance. Votre bonté touchante pour nous me fait espérer que vous voudrez bien faire arrêter les places et que nous soyons prévenues du moment du départ, quelques heures d’avance.

1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1832 ­Février 25, Mme Duchesne.  »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Je suis à vos pieds, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne r. du S. C. Ce 25 [février 1832]

LETTRE 413

L. 98 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[17 mars 1832] Monseigneur, Madame Octavie ne vous a renvoyé qu’une paire de bas ; nous désirions joindre aux dernières celles que nos orphelines ont eu la consolation de travailler pour vous avec de la filoselle envoyée par la sœur de Madame Lucile qui réclame des prières pour demeurer fidèle dans la persécution. Nos deux postulantes sont arrivées et sont bien empressées de prendre le voile, lundi. Toute ma peine est que vous vouliez retourner à jeun et nous espérons que vous accepterez notre modique dîner avec les prêtres que vous voudrez bien amener avec vous. Des lettres de la Louisiane me parlent bien différemment de la destruction de La Fourche. Suivant Madame Eugénie, elle allait faire une seconde faillite. Suivant celles qui sortent : 1. Elles allaient, au contraire, avoir une maison qui ne leur aurait rien coûté. 2. Mgr De Neckere a été mal informé ; on lui a dit que la maison des Opelousas tomberait si elle n’avait pas les sujets de La Fourche. 3. Les parents ont été désolés, offraient d’augmenter la pension de leurs enfants dont 5 seulement sont allés à Saint-Michel. 4. On dit que Madame Thiéfry sera bientôt ici. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Mars 17, Mme Duchesne. »



Lettre 414

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Ces nouvelles m’engagent à vous prier, Monseigneur, si on voulait précipiter les choses ici de la même façon, de vouloir bien vous y opposer jusqu’à ce que l’article des Constitutions, qui défend de détruire une maison de la Société sans l’approbation du Cardinal protecteur, soit rempli. Il n’a fallu que trois jours pour anéantir une maison qui a coûté tant de peines. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre fille indigne. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 17 mars 1832 Permettez que nous partagions ce peu de sucre, en attendant davantage. [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis

LETTRE 414

L. 99 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[28 mars 1832] Monseigneur, Madame Régis [Hamilton] est de retour de Saint-Charles, elle y a vu le docteur de Madame Lucile [Mathevon], que je crois habile. Il dit que le polype est à point pour être enlevé et qu’il ne faut pas tarder parce qu’on ne le pourrait peut-être plus ; que l’opération n’est point dangereuse, peu douloureuse. Il s’en chargera volontiers et demandait 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1832 Mars 28, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

cependant qu’on consultât avant les docteurs Mary et Farrer. Nous y répugnons, craignant ce concours d’opinions. Si vous l’ordonnez, j’irai avec Madame Régis à Saint-Charles, ne pouvant me décider à la laisser, ce temps-là. Le docteur aurait seulement besoin d’un instrument appelé Cube qu’on trouve chez les chirurgiens. J’ai été fâchée que nous n’eussions pas d’Américaine quand M. Taylor est venu ; cela ne l’aura pas prévenu. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre fille et servante. Philippine Duchesne Ce 28 [mars 1832]

LETTRE 415

L. 100 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[7 avril 1832] Monseigneur, J’ai reçu, hier, une lettre de notre Mère générale qui est toujours dans les mêmes sentiments par rapport à moi. Si vous l’approuvez, elle veut faire nommer une assistante générale pour l’Amérique, sentant la difficulté pour elle de prévoir à tout de si loin. Je ne doute pas qu’on m’attribue toujours le peu de progrès de cette maison ; ainsi la première fois que vous aurez la bonté de confesser, si vous le trouvez bon, on effectuerait les changements sans attendre la réponse à votre lettre. Il n’y a pas de doute que nous sommes faibles pour l’anglais, et que la guérison de Madame Régis est douteuse. Il y a longtemps que je pense à avoir un bon maître d’anglais. Il semble que la Providence nous en ouvre les moyens, si M. Taylor vou1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Avril 7, Mme Duchesne. »



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lait donner des leçons plusieurs fois la semaine et pour son paiement, avoir ses deux enfants en pension. Elles sont si jeunes qu’il y a bien des inconvénients à ce qu’elles viennent comme externes. Veuillez, je vous prie, le sonder à cet égard. Je suis à vos pieds, Monseigneur, votre fille dévouée. Philippine Duchesne Ce 7 [avril 1832]

LETTRE 416

L. 27 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Saint-Louis, État du Missouri, 23 avril 18321 Ma chère cousine, Je ne puis m’empêcher, en répondant à M. Paranque, de joindre une lettre pour toi. Tes bontés pour la maison de mes délices et qui a aimanté notre tendre union m’excitent trop à rompre le silence, pour te témoigner ma reconnaissance. J’espère que Dieu ne te récompensera pas seulement, toi et ta famille, par les honneurs et les biens de la terre, mais qu’il y ajoutera pour un temps plus long des faveurs plus grandes. Les détails que tu as souvent la bonté de me demander sont renfermés dans ma lettre à M. Paranque qui t’en fera part. Et pour ne pas grossir inutilement ma lettre, je te prie seulement de témoigner à Mme Teisseire combien l’état de sa santé m’afflige, à M. Augustin combien je me souviens du bien qu’il m’a fait et combien j’aime les détails qui le concernent, à Monsieur Dumolard combien je suis touchée de l’événement qui a pris si fort sur sa santé et son repos. Je ne sais si mon frère et mes sœurs te verront, je te prie de me rappeler à tous, de leur dire que je ne les oublie point, que je vieillis, mais me porte très bien. Je n’ai perdu aucune de mes compagnes venues de France ; notre 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 27 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 63-64. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

pays est très sain, fertile et se peuple de Suisses, d’Allemands, d’Irlandais émigrés et d’Américains venus des États de l’Est où les terres sont pauvres. Je suis ton amie la plus fidèle. Philippine

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L. 107 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M. 

Saint-Louis, ce 24 avril [1832]1 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Votre lettre du 22 octobre, datée de Paris, m’est enfin parvenue depuis quelques jours. Elle a été longtemps désirée et par la douce attention de la Providence, elle répond aux miennes que cependant il paraît que vous n’avez pas reçues. Dans ma première, voyant la peine que Mère Henriette avait à s’accoutumer et le mal que son départ devrait causer, je vous priais qu’elle prît ma place. Dans une autre, je vous témoignais la crainte que me causait son imagination ardente et ses projets trop vastes pour nous qui auraient pu avoir les mêmes suites que chez Hélène [Dutour]. Dans celle-ci, je vous réitère que mon unique vœu est de m’occuper de ma fin, d’agir suivant vos intentions, qui seront j’espère toujours suivies avec respect et amour. Je vous ai aussi parlé dernièrement du découragement de Mère Thiéfry jusqu’au point de parler de notre réunion, ne conservant que deux personnes chez elle pour le soin de l’église. Mais plus je pense à cela, plus il me paraît imprudent d’abandonner cette première retraite, où s’accomplit le vœu à notre cher protecteur, où les vieilles, les infirmes, les malades peuvent aller respirer la paix de la solitude et le meilleur air, où les secours spirituels ne peuvent manquer, l’église tenant à la maison et appartenant à nos amis [jésuites], qui y sont obligés au service. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 282, p. 208-212.

Lettre 417



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Cette proximité fait que cette maison ne pourrait être vendue, même à l’évêque, sans les blesser considérablement. Je suis bien persuadée qu’ils en accepteraient le don et qu’elle leur ferait plaisir ; mais ils ont trop d’autres entreprises pour pouvoir la payer, et pourrions-nous en faire le sacrifice ? N’ayant pas ici les moyens de loger et de nourrir tout le monde et moins encore de recevoir des nouvelles. Un autre motif plus puissant encore, c’est la crainte des tracasseries de notre donateur [M. Mullanphy]. Il regrette sa donation et nous entrave beaucoup. Peut-on prévoir les suites ? Il ne faut donc pas du tout compter sur lui pour nous aider de nouveau et comment emprunter avec la certitude qu’on ne pourrait rendre ? Mère de Kersaint, à qui votre lettre a porté un coup foudroyant en arrêtant ses projets pour l’Est, après avoir pleuré plus de 24 heures et été malade, a enfin été calmée par les soins de Monsieur Rondot, que vous avez connu, qui est pour nous le voyant et un ange de paix. C’est lui sans doute, ou Dieu tout seul, qui l’a amenée à vous proposer que les 20 000 lires destinées pour New York nous soient prêtées, ce qu’elle rejetait bien loin avant. Alors, on pourrait s’agrandir comme vous le désirez et se mettre en sûreté ; car notre terrain va être coupé en différents sens par des rues, ce qui nous obligera à une clôture coûteuse et autre que des perches qu’on ouvre facilement. Je ne sais si au bout de deux ans nous pourrions rendre. C’est à vous de juger alors s’il est prudent de les accepter. Je compte peu sur les maisons d’en bas. Elles s’agrandissent et pensent à elles en ce moment, et peut-être au plus haut point de leur accroissement, elles sécheront comme tant d’autres dans ces pays et ne pourront encore penser qu’à elles. Quant à se former sur les Opelousas, je crois que la maison d’ici est plus régulière et les maîtresses au moins aussi bonnes, si on excepte Mère Xavier [Murphy] ; mais elle est la seule de toutes qui ait au suprême degré l’avantage de la langue, ce qui fait valoir tellement son œuvre qu’elle peut se mettre dans l’indépendance des criailleries. Elle a rendu 4 enfants à des parents mécontents et loin que cela lui ait nui, d’autres lui demandent à la fois 30 places pour le printemps. Si elle avait de l’aide, je ne doute pas qu’elle n’eût bientôt 100 enfants comme à Saint-Michel. J’en ai demandé à ma digne Mère, mais ce sont des Anglaises qu’il faudrait au Grand Coteau et notre meilleure [Eulalie Hamilton] est si infirme qu’elle a 50 ans à 26 ans, surtout depuis sa petite vérole. Un de mes grands soins est de la conserver et je m’en fais un devoir important. Rien de Saint-Ferdinand ne la remplacerait ni ne nous donnerait le moindre lustre. Croyez que notre plus grand mal est le défaut d’argent dans le pays et l’orgueil qui

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

aime mieux nous blâmer que d’avouer qu’on ne peut faire les dépenses. C’est tout un autre esprit en bas, tout y va plus rondement, doucement et poliment. Nos amis, qui ont du mélange ici, voient bien la différence des deux nations. On peut s’exprimer ainsi, ils l’ont dit souvent. On m’écrit qu’une souscription va mettre La Fourche en état de bâtir. Veuillez bien faire votre nomination pour augmenter l’autorité de Mère Bazire qui semble n’avoir qu’une autorité du moment. Je suis bien contente que vous penchiez à lui laisser la 1ère place. Lors même que Mère Dorival se rétablirait, sa présence est nécessaire à Grand Coteau au moment où tout s’agrandit ; d’autant plus que Mère Xavier a craché le sang, que Hélène est là et que Mère Lavy paraît être dérangée [nerveusement]. Elle a fait de bonnes résolutions, mais qui peut compter sur cette tête exagérée qui se croyait damnée si elle restait là, qui a des variations aperçues même des enfants. Deux des nôtres sont sorties contre leur gré, mais dans un état de santé qui ne permettait pas de les garder, n’étant pas engagées1. Maintenant, elles sollicitent leur retour. Doit-il être suivi des deux ans de noviciat ou seulement du terme qui restait pour les épreuves ? Une au moins pourrait être un secours à Mère Xavier et le climat peut mieux lui convenir. L’autre pourrait être garde-malade fixe, ici, ce qui devient bien nécessaire quand Mère Octavie souffre davantage. Daignez m’écrire promptement et n’oubliez pas ce mal de pied dont vous ne me dites rien et qui m’inquiète bien. Nous ne cessons de prier pour vous et les deux chères familles. Je suis in Corde Jesu à vos pieds, votre pauvre fille. Philippine Un grief contre nous sont les larmes d’une protestante en nous quittant : le manque de feu la nuit, au dortoir, et de viande à déjeuner, c’est jeûner que de n’avoir que du café au lait. [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat 1

L’une des deux est peut être Stanislas Verret, RSCJ, née à La Fourche en 1806, entrée au noviciat en 1830 (ou 1829), sortie momentanément pour cause de maladie. Elle a fait ses premiers vœux à Saint-Michel en 1834, est allée à Saint-Charles en 1839. Elle est retournée à Saint-Michel en 1842, a fait sa profession en 1844, est décédée en 1846.



Lettre 418

LETTRE 418

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L. 101 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[15 mai 1832] Monseigneur, Madame De Coppens nous est revenue ; sa première demande a été de se confesser. Je lui ai dit que vous aviez eu la bonté de vous charger de nous, que vous ne veniez que le vendredi et que j’ignorais si les autres prêtres avaient maintenant le pouvoir de nous confesser. Daignez avoir la bonté de me faire dire demain quelles sont vos intentions à cet égard et elle les suivra exactement. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre humble fille. Philippine Duchesne

LETTRE 419

L. 102 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[20 mai 1832] Monseigneur, Je viens de recevoir la lettre ci-jointe dont je me proposais de vous faire part à votre première visite. Mais j’apprends que vous allez faire une absence et je voudrais savoir ce que je dois répondre à Monseigneur de New York. Je n’ai fait part à personne de ce qu’il me dit pour laisser les têtes tranquilles, et il est clair que l’établissement ne peut se faire. Mais par 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Mai 15, Mme Duchesne. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Mai 20, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

rapport au prêtre dont il ne paraît pas se soucier, peut-être conviendrait-il, et j’en aurai moins de regrets, qu’il ne pût nous rendre nos 100 $. S’il vous est possible de me faire une courte réponse par le prêtre qui viendra demain, je vous prie de me dire aussi à qui vous permettez qu’on s’adresse pendant votre voyage. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre humble et dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 20 mai [1832]

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L. 12 À MADAME DE MAUDUIT, À GRÂNE Saint-Louis, Missouri, 23 Juin [1832]1

Ma bien chère Amélie, Nous nous écrivons peu, mais nous nous aimons toujours : le Cœur de Jésus, celui de Marie et celui du bon Régis, notre saint d’affection, peuvent toujours nous réunir. Je pense souvent à toi et aux tiens et viens te demander de m’y rappeler, surtout à nos parentes de Romans avec lesquelles tu es sûrement en rapport. Ne m’oublie point auprès de M. de Mauduit ; aime-t-il toujours la chasse et sa vieille belle-sœur ? Pense-t-il à imiter sa pieuse mère ? C’est là le 1er de mes vœux et l’objet de mes prières, car il vieillit ainsi que Messieurs Jouve et Lebrument. Dans ma dernière lettre, je te priais de faire faire une neuvaine que j’avais vouée à La Louvesc ; c’est cet hiver que je l’ai écrite, veuille me dire si tu as pu faire faire cette neuvaine. Mon adresse est tout bonnement à Saint-Louis Missouri, mais comme elle ne parviendrait pas si elle n’était affranchie jusqu’à un port de mer, tu peux l’envoyer à Paris ou à Lyon et on joindrait la lettre à celles qu’on nous envoie ; le trajet de la mer est le moins cher. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 123-125 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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Nous avons 5 maisons en Amérique : 2 florissantes dans l’État de Louisiane, riche et peuplé, et trois qui végètent dans celui du Missouri qui se peuple, mais où les fortunes sont en terres qu’on ne peut toutes cultiver ou qui, l’étant nouvellement, ne rendent pas les frais d’établissement. Les comestibles sont à bon marché. La religion catholique fait des progrès, nous avons un bien bon évêque, un collège de Jésuites, un séminaire de Lazaristes, des Sœurs de la Charité et de la Croix, toutes édifiantes. Monseigneur a consacré 4 églises l’année passée et en aura autant l’année prochaine. Ces progrès de la catholicité ne sont pas bornés à ce seul État, ils sont frappants partout. Rappelle-moi au souvenir de tes filles. Je vieillis et suis toujours dans l’action, ayant des sœurs de pauvre santé. Cette action nuit souvent à l’âme : prie et fais prier pour celle qui est toute à toi in Corde Jesu, Philippine Fais donner de mes nouvelles à mes sœurs, je n’ose multiplier mes lettres.

LETTRE 421

L. 103 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[10 juillet 1832] Monseigneur, Depuis longtemps, deux messieurs français venus de la Louisiane, M. Castanié et M. Henri, nous demandent une portion de notre terrain près du pont pour y établir une corderie. Ils le veulent pour 15 ans : une demie acre de front sur une2, une demie de profondeur. Et ils pressent aujourd’hui pour savoir positivement nos conditions et je suis bien indécise. Si nous donnons l’acre et demie sur la route, nous nous ôterons la facilité de faire d’autres marchés et peut-être n’y est-il pas si on le 1 2

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1832 ­Juillet 10, Mme Duchesne, St. Louis. » Une acre est une mesure de surface agraire, variable selon les pays. En France, elle valait 52 ares.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

donne en profondeur de notre côté, je ne sais si les nouvelles rues n’y mettront pas obstacle. Je prends la liberté de vous envoyer les trois plans de notre terrain. Celui sur papier fin, je l’ai levé sur celui de M. Chouteau ; et si cette 3e rue est prolongée jusqu’où elle est marquée, nous n’aurions pas grande profondeur depuis la grande route. Un briquetier nous offrait, pour cinq ans, 100 $ par an pour 2 acres à la même place demandée aujourd’hui, mais il a reculé. S’il vous était possible de me donner votre opinion et permission pour demain, ces Messieurs veulent se décider. Je crains qu’ils soient bien gênés. Je suis de votre Grandeur, Monseigneur, la soumise fille bien dévouée. Philippine Duchesne Ce 10 juillet 1832

LETTRE 422

L. 108 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Août 18321 Ma bien respectable amie, Un habitant de notre ville m’offrant une occasion pour New York, j’en profite pour vous donner de nos nouvelles. Nous n’avons pas encore le choléra, mais on l’attend ; il ne peut manquer de nous venir du Nord où il est à 100 lieues de nous, ou de l’Est où il a déjà parcouru trois grandes villes. Une dame que j’ai vue, hier, était à New York au fort de la maladie ; 60 000 personnes étaient alors sorties de la ville et ne l’ont pas toutes évitée. Une semaine, il est mort 1 300 personnes et la suivante, 1 700. Tout y est fini. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 31 octobre 1832 ; Paris, 2 novembre 1832. J. de Charry, II 3, L. 284, p. 215-217.

Lettre 422



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Dans certains moments, je l’ai désiré ce choléra ; c’est un mal, mais c’est un mal qui n’est pas l’offense de Dieu et qui peut au contraire y ramener les pécheurs. Et nous sommes ici sujets à bien des misères qui ne sont pas sans péché, ce qui me fait désirer la fin de mon exil. Vous avez su la mort de Mère Dorival [le 11 juillet 1832]. Après les destructions de La Fourche, le renfort qu’a reçu le Grand Coteau semblait plus que suffisant. J’ai cependant reçu hier une lettre de Mère Xavier [Murphy], où elle me demande d’envoyer à ma Mère ou d’en transcrire ce passage, en le traduisant de l’anglais : La santé de Mère Lavy est tellement changée qu’elle exige par l’ordre des médecins un changement de climat, celui-ci étant trop chaud pour sa constitution sanguine. Elle est maintenant au lit, saignée et avec un vésicatoire ; mais l’état de son esprit demande, encore plus, un changement et est à présent de telle nature qu’aucune considération ne peut l’empêcher. Son confesseur m’a dit qu’une âme rachetée du sang du Sacré-Cœur devait être d’une plus grande conséquence que la musique qu’elle enseigne, etc., etc. Nos vacances étant en octobre, je l’enverrai à Saint-Louis. Notre Mère n’en sera pas fâchée quand elle en apprendra l’urgente nécessité1.

Et elle ajoute plus bas qu’elle a demandé directement une assistante et qu’en attendant, elle se sert de Mère Carmélite. Je ne puis qu’applaudir à son choix de cette parfaite religieuse, mais je crains bien que, par le conseil de Prosper [Prud’hon] et de sa compagne [Adèle Toysonnier], elle n’ait plaidé pour avoir Mère de Kersaint, et c’est ce qui me fait hâter ma lettre car, quoique son caractère lie peu avec le mien, l’intérêt que j’ai pour cette maison et pour son bien, m’oblige de représenter qu’ayant été installée maîtresse générale des élèves et des pauvres, elle a des rapports qui l’ont fait connaître et goûter, et que c’est nous frapper, au moment où Notre Mère conseille de s’agrandir en bâtiments et où nous en prenons les mesures sous la direction de notre grand Père [Mgr Rosati]. Je prie donc de laisser Mère de Kersaint : 1° parce qu’elle réunit la vertu, l’extérieur prévenant et insinuant et le talent de la musique, et elle aime la direction et peut obtenir la confiance. Mère Annette [De Coppens], toujours ici et toujours mécontente, ne l’obtiendra pas plus ici qu’à Saint-­ Michel : elle n’a aucun talent pour l’enseignement et ne l’aura jamais. Mère Lavy a l’étude et les talents, mais Mère Xavier ajoute à son sujet : « C’est mon devoir de vous dire qu’elle n’est propre pour aucune charge quelle 1

Dans sa lettre du 20 novembre 1831, Philippine parlait déjà des malentendus entre Félicité Lavy et Xavier Murphy. C’est peut-être la vraie raison de son retour à Saint-Louis.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

qu’elle soit, excepté d’enseigner la musique. » C’est justement cette musique que je crains d’être entrée dans le plan de Mère Xavier pour demander Mère de Kersaint. Mais soyez sûre que Mère Lavy ne peut la remplacer dans l’affection des parents et des enfants par son extérieur qui ne plaît pas du tout, et que Mère de Kersaint n’ira jamais avec Mère Xavier qui sera toujours, où elle est, le tout pour les parents. Et moi, je puis facilement reculer pour l’élever. Ma grande occupation est maintenant auprès de l’école externe et des orphelines. Je passe des unes aux autres toute la journée. Mère Octavie étant mieux et désirant s’occuper, je suis effrayée de cette rencontre de tant de personnes qui aiment les emplois, les unes pour du bon zèle, les autres pour un zèle faux. Je vois déjà des jalousies, des éloignements de cœur qui me font bien craindre l’illusion dans les fréquentes confessions et goût de direction. J’ai fait ce que j’ai pu pour éviter le retour de Mère Lavy ; mais je pense n’y être pas à temps car il faut un mois à mes lettres pour aller à Grand Coteau et un autre pour la réponse. Je pense que Saint-Michel aura celle qu’elle attendait avec tant d’ardeur pour les vœux de 4 et 5 si on comprend Mère Van Damme, mais la condition était qu’elle ne changerait pas de maison. À toutes questions, j’ai répondu que cela ne me regardait point du tout. Mère Prosper [Prud’hon] attend pour les premiers et Mère de Kersaint croit qu’elle était autorisée en partant à les faire à leur terme. J’ai invité les deux maisons d’en bas à nous prêter le secours que je désire. Je n’ai point de réponse ; mais je prie toujours ma bonne Mère de nous prêter ce qu’elle a promis, et la meilleure voie pour l’envoyer est la banque des États-Unis qui communique avec celle de Saint-Louis. Réponse, je vous prie, sur tout ceci. Je suis in Corde Jesu votre bien soumise et dévouée, Ph. Duchesne J’ai remis à Mère Anne [De Coppens], cachetée, une lettre de l’écriture du Père Louis [Barat] et une autre qui paraissait de sa sœur. Je n’ai rien pu en savoir. [Au verso :] À Madame Eugénie de Gramont Rue de Varenne n° 41 À Paris France

Lettre 423

LETTRE 423



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L. 104 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[4 septembre 1832] Monseigneur, Nous espérions vous voir la semaine passée et prendre votre jour pour la distribution de nos prix. Oserais-je vous prier de me marquer celui qui vous convient ? Vendredi étant le premier du mois, samedi un jour de dévotion, si jeudi à trois heures ne peut vous convenir, nous remettrions à la semaine prochaine et nous attendons votre décision pour faire nos petites invitations. Nos dames ne sont point de retour, ce qui m’étonne beaucoup. Je suis à vos pieds, Monseigneur, votre dévouée et humble fille et servante. Philippine Duchesne Ce 4 septembre 1832

LETTRE 424

L. 105 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[19 septembre 1832] Monseigneur, Je suis arrivée hier tard et j’ai trouvé cette lettre de Mgr De Neckere, contenant une traite de 100 $ ; il dit qu’une portion est pour M. Sereni. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Sept. 4, Mme Duchesne. » Original autographe. L. 106 à Mgr Rosati. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Sept. 19, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Je désirerais bien qu’il la retirât de la banque et vous remît le surplus pour les appointements du prêtre qui a la bonté de venir ici, à moins qu’il ne puisse un peu attendre pour que nos employassions ces 40 $ à l’achat d’une cheminée économique telle que celle des Sœurs de la Charité, et je voudrais bien savoir où nous pourrions nous la procurer. Monsieur Jeanjean m’écrit de New York qu’il n’a pu expédier la malle de Madame de Kersaint, parce que Mgr Dubois lui a dit qu’il s’en chargeait. Nous l’avons souvent réclamée ainsi que d’autres objets et je voudrais bien sans le blesser l’obtenir enfin. Si je savais une occasion pour New York, j’en écrirais à M. Crouks et lui adresserais mes certificats de vie qui me sont encore renvoyés par le consul. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre fille indigne. Philippine Duchesne 19 septembre [1832]

LETTRE 425

L. 3 À MÈRE DUCIS

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 11 octobre 1832 Rec. à St Antoine de Padoue1 Ma chère et respectable amie, Depuis la lettre qu’a eue la bonté de m’écrire Mère Eugénie [de Gramont], après la première attaque de choléra, je n’ai eu de vous aucune nouvelle directe. Je lui ai répondu de suite et Mère Henriette a fait de même après la réception de la sienne. Nous avons seulement vu dans les gazettes que le choléra a de nouveau visité Paris, qu’il parcourt la France jusqu’à Bordeaux ; donc il n’épargnera ni Lyon, ni Grenoble ! Qu’est devenue ma chère maison ? Elle craignait autant sa ruine du 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Nov. 12 ; Le Havre, 26 décembre 1832 ; Paris, 28 décembre 1832. J. de Charry, II 3, L. 285, p. 218-221.

Lettre 425



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choléra que des fortifications et je vois dans L’Ami de la Religion, qu’on reçoit à Saint-Louis, que ces fortifications se poussent vivement. J’ai bien démérité de mon bon protecteur puisqu’il fait cesser sa douce influence ; mais non, j’espère encore ! La dernière lettre [du 8 mai 1832] de ma Mère était d’Aix et n’a pas peu contribué à m’affliger sur mon berceau1. Depuis, le silence de toutes mes amies et de tous côtés a été profond. Je ne sais donc où est ma Mère, où sont Messieurs Joseph [Varin] et Louis [Barat]. Demandez, je vous prie, à ce dernier s’il a reçu ma réponse à la lettre qu’il m’écrivait pour un jeune homme allant à New York. Nous n’aurons jamais les 1 000 F qu’il avait avancés pour son voyage, parce que son Maître est pauvre et le regarde comme un serviteur inutile, ne sachant pas la langue. Et quoique nous ayons pris tous les moyens possibles pour avoir la malle qu’avait laissée là Madame de Kersaint, qui a souvent écrit pour la demander, nous n’avons ni la malle, ni les bijoux remis au jeune homme2. Tout devient sourd quand on demande, excepté dans la chère famille de France dont vous êtes la fidèle commissionnaire. Je vous prie donc encore de demander à Monsieur Louis [Barat] en lui offrant tous mes respects, s’il a fait usage de la lettre à Mme Casimir Perier que je lui ai écrite à l’époque de la mort de son mari dont j’ignorais encore la maladie3. Si elle avait été remise, je connais assez sa bonté pour penser qu’elle m’aurait répondu, tout au moins ; mais le respectable porteur aura peut-être jugé à propos de mettre mon épître de côté ? S’il avait été possible d’obtenir un petit secours par cette protection, nous aurions pu réaliser le projet souvent formé et toujours arrêté d’augmenter notre maison. C’est le vœu depuis longtemps exprimé de maman [Mère Barat] qui pensait que l’Eugénie d’Amérique et Xavier [Murphy] du Grand Coteau pourrait chacune nous prêter 5 000 F. J’ai fait la demande de sa part, au mois de juillet, et Eugénie [Audé] n’a jamais répondu sur cet article, quoique la demande ait été réitérée au moins trois fois. Mère Xavier, qui a complété les payements de bâtisse au milieu de 1832 qu’elle n’était obligée de finir qu’en l’année 1833, mois 1 2

3

Sainte-Marie d’En-Haut a été le berceau de la vie religieuse de Philippine de 1788 à 1792 et de 1804 à 1815. Ces bijoux, envoyés par le Père Barat de la part d’une dame charitable, comportent un diamant, des boîtes en or et autres bijoux. Confiés à un jeune ecclésiastique destiné au diocèse de New York, ils ont été retenus par Mgr Dubois. Un an plus tard, Philippine les attend encore. Casimir Perier, cousin germain de Philippine, est décédé du choléra le 16 mai 1832 à Paris. Il était alors président du Conseil des ministres.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

de novembre, m’a d’abord refusé ayant, disait-elle, une maison à bâtir pour son grand-père [Mgr de Neckere] quand il la visite1, et à payer des dettes de La Fourche qu’elle s’était engagée d’acquitter ; mais, en dernier lieu, elle m’écrit qu’elle nous abandonne une somme que vous avez à elle et qu’à la fin de 1833, elle complétera les 5 000 F. C’est donc pour obtenir cette somme que je vous écris et dont Mère Xavier n’a pas eu le temps de rechercher le juste montant dans votre lettre, mais il suffit que vous le connaissiez. Si vous voulez y joindre la pension de Mère de Kersaint que ses parents vous ont remise, et ce qui peut me revenir de mes rentes, cela nous aidera pour commencer. Notre plan est fait et agréé de notre grand Père [Mgr Rosati] que notre maman chargeait de nous diriger. La meilleure voie pour faire venir cet argent est la banque des États-Unis qui correspond à celle de Saint-Louis. Le choléra ne nous a pas manqués ; après avoir fait plus de ravages au Canada qu’à Paris, toutes proportions gardées, il en a fait encore davantage dans Saint-Louis, eu égard à la population. Le fort du mal n’a duré que 15 jours. La maladie a d’abord attaqué les ivrognes, nombreux dans ce pays, et autres personnes vicieuses, mais personne du clergé, ni chez nous. Il n’est pas allé à Saint-Charles, ni à Saint-Ferdinand où nos amis [jésuites] étaient allés à leur campagne avec leurs enfants, ne laissant ici que deux des leurs2, l’un desquels paraît avoir donné un bon coup d’épaule à Mère Anne [De Coppens] pendant sa retraite. Avant, elle était si mécontente qu’elle a demandé plusieurs fois de s’en aller et insistait de préférence pour Saint-Charles, dont cependant elle a bien paru mépriser la Mère [Mathevon]. Comme elle troublerait cette petite maison qui, d’ailleurs, ne pourrait fournir à son entretien, il était convenu qu’elle retournerait à Saint-Michel. Un père qui descendait est venu lui offrir sa compagnie, elle a reculé et je me serais fait un scrupule de la pousser dans cette saison où il y a toujours beaucoup de maladies dans la Louisiane. Le choléra y est joint à la fièvre jaune et il est dangereux d’y voyager. La retraite et le départ du choléra ont un peu calmé cette pauvre tête qui juge souvent bien de travers. Lui ayant dit un jour que je ne la regardais pas comme assistante générale, elle me répondit que maman l’avait chargée de lui rendre compte de tout, qu’elle l’avait fait et que dans sa réponse qu’elle portait sur elle, elle la remerciait 1

2

Dans une lettre à Mgr Rosati, du 3 novembre 1832, Xavier Murphy note : « Nous venons de commencer une petite maison au bout du jardin, comme résidence estivale de notre évêque. » Society of the Sacred Heart in North America, p. 142. Le Père De Smet est l’un des deux Jésuites restés à Saint-Louis pendant le choléra.



Lettre 426

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de ses avertissements. Je les crois plus propres à brouiller les choses qu’à les améliorer et je vous prie de le dire à Mère Eugénie [de Gramont] en lui offrant mes affectueux respects ainsi qu’à Mère de Portes. Mère Compas a-t-elle reçu ma lettre ? Nos enfants sont dispersées depuis le choléra et on en fera durer la crainte plusieurs mois, selon les apparences. Dieu soit loué de tout, il est toujours Père et toujours bon. Au milieu des afflictions, il montre toute sa Providence sur nous ; tandis que tout tombe autour de nous, la mort n’a pu entrer dans nos trois maisons depuis notre arrivée. Monsieur Martial, notre compagnon de voyage, vient de mourir à La Nouvelle-Orléans. Je vous prie de nous rappeler à nos chers amis, à nos bonnes Mères et Sœurs. Je suis in Corde Jesu votre toute dévouée, Philippine Toutes se portent bien excepté Lucile et Octavie. [Au verso :] À Madame Henriette Ducis Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New-York

LETTRE 426

L. 106 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[15 octobre 1832] Monseigneur, Ayant appris hier qu’un des Pères Jésuites descendait à La Nouvelle-Orléans, je l’ai fait savoir à Madame De Coppens pour voir si elle réitérait sa demande d’y aller aussi. Elle a l’air d’attendre que je le lui 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1832 Oct. 15, Mme Duchesne ; reçue et répondu même jour. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

propose et je m’en fais une peine de conscience. Si vous êtes de l’avis qu’il vaut mieux qu’elle soit à Saint-Michel, auriez-vous la bonté, sachant certainement ses dispositions, de lui écrire un mot pour lui dire qu’elle ferait bien de profiter d’une aussi bonne occasion. Je garderai le silence jusque-là. Le steamboat part demain. Je suis à vos pieds, Monseigneur, votre respectueuse fille. Philippine Duchesne Ce 15 octobre 1832

LETTRE 427

L. 2 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Ce 15 novembre [1832]1 Ma bien chère Sœur, J’ai toujours répondu à vos lettres et n’ai jamais été fâchée contre vous, sinon quand vous vous inquiétez sur ma santé qui ne doit point tant vous occuper. Je suis dans un âge où, comme dit David, on n’a plus que misères ; il faudra bien que cette misérable carcasse de notre corps se détruise ; tantôt c’est tout à coup et tantôt c’est lentement. Je crois que j’aurai ce dernier sort et je m’attends à être souvent indisposée cet hiver ; mais ce sera un moyen d’expiation pour le passé, qu’il faut regarder comme un avantage et non comme une disgrâce, puisque rien de souillé ne peut entrer au Ciel. Quant à ce qui vous peine, croyez que je suis dans la même épreuve ; mais prenons la croix sans lâcheté, regardons Jésus réduit à l’extrémité des douleurs et de la désolation, nous demandant si nous voulons le laisser souffrir tout seul. Aurions-nous le courage de le lui refuser ?

1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 428

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C’est au pied de la Croix avec Marie désolée, que je suis in Corde Jesu, Philippine P. S. : Il n’y a rien de sérieux dans mon état. [Au verso :] À Madame Gonzague Religieuse du Sacré Cœur de Jésus À Saint-Louis

LETTRE 428

L. 109 À MÈRE BARAT Saint-Louis Ce 13 décembre 18321 Rec. à St Antoine

Ma bien digne et respectable bienfaitrice, Nous approchons d’une époque où l’usage fait faire beaucoup de souhaits et de compliments. Je ne sais pas les faire, mais je sais aimer, être reconnaissante et j’ai un cœur et une volonté dévoués à votre cœur et à votre volonté. Ce sont les seuls dons qui sont en mon pouvoir et ces dons sont faits dans leur plénitude. Je n’ai pas eu de vos lettres depuis celle écrite d’Aix [le 8 mai], qui me donnait des nouvelles d’une famille naissante et qui en contenait une pour mon grand Père [Mgr Rosati]. J’y ai répondu depuis longtemps. Il sera impossible de bâtir chez nous, cette année, ou ce sera en retard, supposé que vous nous aidiez. J’ai été refusée pour le prêt de 5 000 F de Mères Eugénie et Xavier. Cependant la dernière qui ne doit plus rien pour sa maison, nous laisse une somme qu’elle dit avoir dans les mains de Mère Ducis, à qui j’en ai écrit, et par une dernière lettre 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Le Havre, 31 janv. 1833 ; Paris, Fév. 1833. J. de Charry, II 3, L. 287, p. 224-227.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

promet de compléter les 5 000 F en novembre 1833. Il serait imprudent de commencer sans être assuré de l’argent, car ici il faut payer strictement. Je n’ai jamais plus senti le besoin de nous agrandir qu’en ce moment. Je n’ai pu donner à Mère Anne [De Coppens] qu’une place dans la chambre de Mère Octavie dont les infirmités paraissaient lui répugner. Elle ne voulait pas s’y tenir, ce qui, en hiver, aurait pu lui nuire, ne pouvant avoir du feu où elle était plus ordinairement. Une suite de mécontentements pour la direction, contre moi, contre plusieurs des nôtres, pour n’être pas en charge, lui ont fait demander plusieurs fois vivement son retour à Saint-Michel. Cependant elle n’a pas voulu profiter de l’occasion d’un Père qui descendait et d’une autre occasion sortable ; elle préférait Saint-Charles ou Saint-Ferdinand ; les deux places ne lui convenaient pas et elle y aurait été une charge trop forte. J’ai tâché de lui faire entendre que la volonté de Dieu, marquée par celle de sa Mère, lui devait faire préférer Saint-Michel. Je l’ai aussi détournée de la maison de Mère Xavier et lui ai fait promettre par un de nos amis de se rendre directement. Mais je ne suis nullement sûre qu’elle tienne sa promesse. Sa conduite est une conduite tortilleuse, parlant en un cœur et en un cœur1, cherchant les grandes directions et n’observant guère les vœux d’obéissance et de pauvreté. Elle a emporté tout son bagage, sans vouloir laisser un ornement commencé par nous, quelques fournitures de fleurs, ni des dessins, ni sans s’informer si elle pouvait emporter 2 grosses malles et 3 ou 4 caisses ; mais regardant que Mère Eugénie est sa Mère, on peut l’excuser. Elle dit aussi avoir des permissions de la 1ère autorité. J’ai aimé à me le persuader pour me tranquilliser sur le devoir de ma charge et pour éviter plus de mal. Une des nôtres voulait qu’on jetât de l’eau bénite dans ses placards inabordables. Les enfants n’ont témoigné aucune peine à son départ, ni leurs parents. Monsieur Borgna l’a attendue au steamboat où il avait disposé toutes choses pour qu’elle fût bien. Elle a dû voyager avec Mme Smith, la fondatrice du Grand Coteau ; nouvelle tentation pour y aller et éviter Mère Eugénie. La mort de Mère Dorival ne peut être assez regrettée. Mère Xavier [Murphy] a été deux fois malade, cette année : tout repose sur elle. La plus capable de la remplacer pour l’intérieur n’a pas eu l’éducation suffisante pour cette maison et ne sait point l’anglais, qui est là le plus en usage. 1

Elle se confiait tantôt à une personne, tantôt à une autre.

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Après un silence de plusieurs mois, Mère Eugénie m’a enfin écrit. Elle a plus d’enfants que dans aucune de nos familles. Elle a perdu 2 de ses filles [Amélie Lévêque et Louise Aucouin1] et a elle-même été malade 3 mois, tellement qu’il a fallu interrompre les exercices et laisser les prix publics. Ce colosse de maison me fait toujours trembler ; si elle manque, qui le soutiendra ? Personne. Anne y peut plus brouiller que servir. Je n’ai pas su si les vœux se sont faits pour régler les charges. On ne voulait pas lui en donner. Comment le prendra-t-elle ? Mère Lucile [Mathevon] a une santé tout à fait délabrée, elle n’est jamais sans souffrance. Elle a peu d’enfants, mais sa maison fait beaucoup de bien par les rapports avec les personnes protestantes, ou, comme on dit ici, de différentes dénominations, qui cherchent la vérité. Son Irlandaise est une controvertiste. Elle a été visitée avec consolation, cet été, par l’évêque de La Nouvelle-Orléans et la semaine dernière par Mgr Flaget, évêque du Kentucky, qui nous a dit la messe2. À Saint-Ferdinand, il a fait faire la cérémonie des 1ers vœux à Mère Elisa Bosseron, Créole, à Mary Ann Roche, Irlandaise, toutes deux du chœur. Il ne reste qu’une blanche3 dans chacune des trois familles et peu d’apparence de recrue. Mère Octavie est plus souffrante, elle a plusieurs plaies à la figure et le bras gauche prodigieusement gros et enflammé. Le polype de Mère Régis [Hamilton] a été extirpé par un docteur de Baltimore ; il lui semblait qu’on lui arrachait la langue quand il a tiré, tant les racines étaient profondes. Il ressemblait, en grosseur, à la langue d’un enfant. On le conserve dans de la liqueur. Je l’ai fait tenir sur l’autel de saint Régis, mais ce bon saint tant invoqué nous laisse craindre qu’il ne recroisse par quelques racines. C’est une croix la plus poignante, voyant dans un état si fâcheux notre sujet le plus utile. Cependant dans le moment, elle est toute à ses occupations et travaille tout le jour, chérie et estimée au-dedans et au-dehors. Mère Henriette est plus contente depuis qu’elle a vu les misères, ici, de sa compagne [Anne De Coppens]. Son départ serait extrêmement regretté.

1

2 3

Amélie Lévêque (1809-1832), aspirante de chœur, entrée à Saint-Michel en 1828, prononce ses premiers vœux le 21 novembre 1830. Elle meurt le 22 septembre 1832. Louise Aucoin (18061832), aspirante coadjutrice, venue de la communauté des Sœurs de la Croix à La Fourche, entre à Saint-Michel en 1828, fait ses premiers vœux le 13 avril 1830. Elle meurt le 20 avril 1832. Mgr Flaget, évêque du Kentucky, venait de démissionner de son diocèse. C’est-à-dire une novice. On les désignait ainsi car elles portaient un voile blanc.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

Une lettre qu’elle vient de recevoir lui donne l’heureuse nouvelle de votre guérison, ce qui a donné une joie générale1. Personne ne l’a plus éprouvée que moi et n’en a plus béni Dieu. Je voudrais bien avoir des nouvelles de ma chère montagne de Sainte-Marie [à Grenoble]. Le choléra a duré ici 15 jours, et n’est pas entré dans notre maison. Mère Thiéfry conduit toujours bien sa barque. Comme moi, elle s’afflige des infirmités de Régis, la voyant si nécessaire, et dit que s’il venait des Anglaises, elle ne pourrait traiter avec elles. On a songé à les donner à Régis, ici, car nous perdrions toutes nos enfants si elle s’en allait à Saint-Ferdinand. Monseigneur est toujours notre voyant depuis le départ de Monsieur Rondot. Plusieurs ont été faire leur retraite à Saint-Ferdinand où est le père de vos amis. Recevez, je vous prie, les effusions de mon cœur pour vous dans celui de l’ami commun. Philippine Mon souvenir à tout ce qui vous entoure. [Au verso :] À Madame Ducis Rue de Varenne n° 41 Pour Mme Sophie À Paris France By way of New York

1

En juin 1832, à Turin, un médecin trouva la cause de la douleur au pied de la Mère Barat et le guérit.

Lettre 429

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L. 107 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[4 janvier 1833] Monseigneur, Ce n’était pas le moment, à votre première visite, de vous redemander vos bontés pour nous ; il y aurait eu de l’indiscrétion, vous voyant accablé de tant d’affaires en retard, mais votre silence m’a inquiétée. J’étais déjà persuadée que votre temps étant si précieux, il vous était difficile de nous en consacrer une partie toutes les semaines. Je suis vivement partagée entre la crainte de notre arrêt et la crainte de vous être importune. Je ne puis que m’abandonner à votre paternelle bonté qui exige toute notre soumission. Nous aurions commencé les garnitures d’aube que vous désiriez, mais vous deviez choisir les dessins et nous sommes toujours [au plus] juste quand le nécessaire est pris ; ce qui m’a empêchée de faire l’avance de tulle. Depuis qu’on a pris sur votre soie violette la chasuble de Monsieur Rondot et la soutane de Mgr Flaget, il n’en reste plus assez pour en faire une autre de la grandeur de celle que vous avez ici. Monsieur Borgna ayant besoin d’une petite étole, je désirerais prendre des petits coupons inutiles pour le côté violet, si vous voulez bien le permettre. J’ai une grande répugnance à bâtir, craignant les dettes ; mais aussi nos malades sont si mal, et la classe si mal placée que nous aurions le désir de commencer aussitôt que possible, nous confiant en Dieu qui voit la bonne intention. Je n’ai point voulu en reparler à Monsieur O’Neil avant votre retour, votre permission, Monseigneur, nous étant nécessaire. J’ai l’assurance qu’on nous prêtera dans l’année la somme suffisante, mais nous ne la tenons pas ; et si des accidents en arrêtaient l’envoi, nous pourrions être dans l’embarras. Je vous prie de décider là-dessus, car si nous tardons trop, tout sera plus cher et rien ne serait fini avant l’hiver. La Mère Xavier nous a parlé en votre absence de sa sœur qui a pensé venir chez nous, elle a dit que la chose se déciderait à votre retour. 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1833 ­Janvier 4, Mme Duchesne ; répondu viva voce. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

J’ai eu la douleur d’apprendre que Mlle Clémence Piller, à qui vous aviez donné l’habit à Saint-Michel lorsqu’elle allait aux Opelousas, ayant quitté cette maison, a quitté aussi celle de son père, sans le prévenir, pour s’attacher à un homme marié ; et est allée avec lui à La Nouvelle-Orléans. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise est bien dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. C Saint-Louis, 4 janvier 1833 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis

LETTRE 430

L. 6 À MÈRE A. MICHEL

SS. C. J. M. 

Saint-Louis du Missouri, ce 24 février 1833 Rec. à St Antoine1 e [6 de Mère Duchesne] Ma chère Mère, J’ai différé de répondre à votre lettre du 2 octobre, qui avait été remise aux bons missionnaires du Kentucky parce que j’attendais l’occasion d’un autre qui retournait en France ; mais son départ étant différé, 1

Original autographe, C-I-A, 1, G-Box-17, Vol. 102, p. 91. En note sur le recueil : « Pour ne pas perdre cette lettre de la Mère Duchesne, je la place ici. On y trouvera quelques détails sur l’Amérique, dont les fondations si pauvres alors sont maintenant florissantes et si nombreuses. Nous venons de perdre la digne Mère Duchesne, à sa 83ème année. C’est la première pierre des maisons du Sacré-Cœur dans le Nouveau-Monde. » Copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 430



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je joins ma lettre à celle de Mère Lucile [Mathevon], qui vous donne les détails sans doute. Nous n’avons point vu les bons Pères ; ils sont dans un collège du Kentucky conforme à la pauvreté de cet État, mais où ils peuvent faire beaucoup de bien. Présentez nos respects à votre digne Mère que je voudrais bien connaître, ainsi que Mère Néline [de Warvillers]. Le Sacré Cœur nous réunit, c’est une grande consolation et un encouragement pour nous. Notre bonne Mère nous a écrit de Rome et parle de la Providence divine sur nos maisons au temps du choléra. Elle s’est aussi montrée bien bonne pour nous, le choléra a ravagé Saint-Louis et La Nouvelle-­ Orléans, et aucune de nous n’a été atteinte. Nous avons peu de nouvelles de Mère Eugénie [Audé] de Saint-­ Michel ; elle est trop occupée. On m’a dit qu’à la rentrée, elle devait avoir 200 élèves. Le choléra aura mis du retard dans ces entrées, comme il en a mis aux Opelousas où on en attendait 100 ; elles ne sont venues que 70. Ici, si on avait la dizaine payante, on serait bien ; nous en avons 15 qui ne rendent pas plus que dix, de même à Saint-Ferdinand. SaintCharles n’en a que 3. Chacune de ces maisons aurait besoin de deux sujets à cause de nos infirmes. Nous sommes 12 ici, mais Mère Octavie est depuis longtemps malade et une jeune Sœur est attaquée de la poitrine. Jugez si nous vous verrions avec empressement ; mais vous êtes accoutumée à de grandes maisons, vous vous feriez difficilement à notre petitesse qui engage un grand renoncement. On a peine à se réunir, l’office est dégarni, les emplois accumulés sur peu [de personnes qui] se croisent et dérangent. Une classe de 5 ou 6 enfants, souvent moins, a peu d’intérêt ; le succès répond rarement à la peine qu’on se donne ; et après s’en être donné, la reconnaissance, la piété, au lieu de payer les sollicitudes, manquent ou s’évanouissent par l’éloignement. Il faut se nourrir du plaisir tout pur de faire la sainte Volonté de Dieu et après un long temps, d’empêcher peut-être une âme de se perdre. Je suis in Corde Jesu votre dévouée, Philippine Duchesne Mes affectueux souvenirs à Mères Second, Benoît et autres que j’ai connues et dont je ne sais pas précisément la demeure. Humbles prières à toutes les chères sœurs des deux maisons de ne pas nous oublier devant Dieu.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 431

L. 108 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[17 mars 1833] Monseigneur, J’avais prié Monsieur Borgna de vous présenter notre requête pour avoir votre messe le jour de saint Joseph. Il l’a toujours oublié et moi, fatiguée hier d’une visite pénible que je ne pouvais terminer, j’ai aussi oublié de m’informer si vous auriez la bonté de venir. Je vous prie de nous accorder cette grâce et de bien vouloir nous en assurer par Monsieur Borgna. Je suis à vos pieds avec respect, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne Ce 17 mars 1833

LETTRE 432

L. 110 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

21 Mars 18332 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien digne Mère, Quelle satisfaction n’ai-je pas éprouvée en lisant votre grande lettre de Turin à tous vos enfants3. La relation de votre cure, presque mi1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Mars 17, Mme Duchesne. » Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane II, p. 187-188. J. de Charry, II 3, L. 288, p. 228. Lettre circulaire de la Mère Barat, septembre 1832. Elle lui est parvenue le 26 janvier 1833, à Saint-Louis.

Lettre 433



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raculeuse, et celle de la grande visite [à Rome], gage certain de mille bénédictions. Vos petites maisons sont ravies que vous vouliez bien les soutenir. Il se fait du bien partout ; mais celle-ci surpasse, dans le moment, Florissant. Le défaut d’argent, et le luxe qui le consume, arrêtent nos progrès. Toutes nos enfants, de quelque religion qu’elles soient, nous sont généralement attachées. L’une d’elles, enfant très distinguée, est venue nous voir aujourd’hui, elle n’a cessé de nous exprimer que son plus grand bonheur serait d’être avec nous, qu’elle donnerait pour cela tout ce qu’elle a au monde, qu’elle voudrait embrasser notre genre de vie. Sa sœur a les mêmes sentiments. À cause de cela, on ne leur permet pas de nous voir. Si le bon Dieu nous les donnait, nous pourrions alors songer à l’établissement de New York, qui ne pourra avoir lieu que lorsque nous aurons plus de sujets. Philippine

LETTRE 433

L. 4 À MÈRE E. DE GRAMONT Ce 21 mars 18331

Ma chère Mère, Veuillez, je vous prie, procurer à l’éditeur du journal, marqué dans cette feuille, quelques souscripteurs ; et envoyer la lettre ci-jointe promptement. Je vous en dis le motif parce que, peut-être, vous pourrez plutôt que notre Mère parer aux inconvénients. On me dit que Madame Dutour pense à retourner à [la maison de] La Fourche, qui a été détruite par l’avis des autorités compétentes. Il serait urgent de lui en ôter la pensée : 1°) parce qu’elle est utile où elle est comme subalterne ; 2°) parce que dans la maison qu’elle a ruinée, elle n’aurait plus de confiance à la tête et les mêmes misères renaîtraient2. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : Le Havre, 30 mai 1833 ; Paris, 1er juin 1833. En 1828, la Société du Sacré-Cœur avait repris l’école à La Fourche aux Sœurs de Lorette (connues aussi sous le nom de Filles de la Croix). La Mère Dutour, supérieure, fit beaucoup d’erreurs et fut remplacée par la Mère Bazire, en mars 1831. La Société du Sacré-Cœur se retira complétement en mars 1832. À la date de cette lettre, H. Dutour est à Grand Coteau.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

L’autre chose qui me tourmente, c’est le voyage en Amérique de Mlle Espérance [De Coppens]. Je me doutais que sa sœur Anne l’attendait ici. Or comment nous en tirer ? Par son style, je la juge d’une humeur active, entreprenante ; de mauvaise santé ; et ici, ne sachant jamais l’anglais à son âge, elle aurait peu d’occupations, point de logement sortable, pauvre nourriture. Comment aussi la régularité s’en trouverait-elle ? Quelle dispense ne faudrait-il pas ? Il paraît qu’elle amènerait du monde. Comment pourrait-on les refuser dans ces terres éloignées ? Si Madame Anne allait à Saint-Charles, comme elle l’a désiré, elle procurerait à cette maison de s’égaler à celle-ci et cela nuirait à l’une et à l’autre œuvre ; chacune doit s’accommoder aux besoins du local. Aidez-nous, je vous prie, dans cette circonstance difficile. J’ai répondu à la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire et où vous m’annonciez que Madame Ducis nous ferait compter en janvier, par la banque des États-Unis, la somme de 10 000 F par ordre de notre Mère et que Madame Ducis m’écrirait sur nos affaires. Elle doit avoir à nous : 1°) 2 années de la pension de Madame de Kersaint ; 2°) mes rentes ; 3°) un don de Mme de Rollin ; 4°) l’argent dont elle est redevable à Madame Xavier Murphy qui nous le donne pour notre bâtisse qui ira à 20 000 et Saint-Michel ne peut y contribuer. Sur l’espérance de recevoir ces sommes, j’ai emprunté à la banque de Saint-Louis 2 000 F que je serai dans l’impossibilité de rendre, mais il fallait [pour bâtir] avoir le bois d’avance. Mille choses à mes bons Pères et chères Sœurs. In Corde Jesu, Philippe Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Eugénie de Gramont rue de Varenne N° 41 À Paris France

Lettre 434

LETTRE 434



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L. 109 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[10 avril 1833] Monseigneur, J’ai écrit à Madame Lucile de se rendre ici avec sa novice pour la cérémonie de ses premiers vœux que vous avez promis de lui faire faire. Je ne doute pas qu’elles ne viennent bientôt toutes deux ; et nous avons espéré que le même jour de cette cérémonie, vous pourriez peut-être avoir la bonté de donner la Confirmation à quatre de nos enfants qui ont fait, depuis plus ou moins longtemps, leur première Communion. Si Monsieur Borgna peut leur apporter demain une réponse favorable, nous les mettrions en retraite ; le jour ne peut en être encore fixé. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 10 avril [1833]

LETTRE 435

L. 110 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[16 avril 1833] Monseigneur, Madame Lucile vient d’arriver avec sa novice. Si jeudi pouvait vous convenir pour la cérémonie de ses premiers vœux et pour la Confir1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Avril 10, Mme Duchesne. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Avril 16, Mme Duchesne ; reçu le même jour. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

mation de nos quatre jeunes personnes, je vous prie de vouloir bien nous le faire dire par Monsieur Borgna. Joseph pourrait apporter votre soutane sans manches pour mesurer s’il reste assez de taffetas violet pour en faire une semblable. Je suis à vos pieds, Monseigneur, votre plus indigne fille et servante. Philippine Duchesne Ce 16 avril 1833

LETTRE 436

L. 111 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[8 mai 1833] Monseigneur, J’ai appris avec d’autant plus de plaisir ce matin que vous n’étiez pas parti. J’aurais éprouvé plus de peine, si vous eussiez été éloigné, de ne pouvoir vous témoigner le chagrin que j’éprouvais en apprenant que vous nous aviez entièrement remises aux soins de Monsieur Borgna. Je sens combien cette charge de la confession hors de votre église est pénible pour un évêque qui a les plus importantes occupations. Mais considérez que ma douleur est principalement fondée sur le malheureux événement que vous connaissez et qui me donne des craintes que vos bontés seules peuvent calmer, au moins pour des temps si rapprochés. J’aimerais mieux la mort qu’une vie d’inquiétudes, d’alarmes, de soupçons même involontaires et de divisions par rapport aux différentes opinions et inclinations. Ayez la charité, Monseigneur, d’éloigner au moins votre détermination, si elle est telle qu’on me l’a dite. Laissez-nous plutôt quand quelque obstacle surviendra ; il vaut mieux attendre que perdre. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Mai 8, Mme Duchesne. »

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L’économe de Paris m’écrit que je dois avoir reçu une traite sur La Nouvelle-Orléans et elle se tient tellement assurée que je la possède, qu’elle ne me dit même pas le nom de la maison de commerce qui doit l’acquitter. J’espère encore que la Providence amènera la lettre qui la contient. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble fille et servante. Philippine Duchesne Saint-Louis, 8 mai 1833

LETTRE 437

L. 111 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 23 Juin 18331 Rec. à St Antoine Ma bien chère Mère, Je vous ai suivie dans tous vos voyages, de cœur et d’esprit. Votre grande lettre de Turin à toutes vos filles ne nous a point été envoyée directement. C’est Mère Thérèse [Detchemendy] qui nous en a donné la copie de sa petite Louisiane. Elle nous a fait grand bien. Peu après, j’ai reçu celle que vous m’avez écrite de la Ville sainte et où, dans la distribution que vous avez faite des familles, vous vous êtes réservée les plus lointaines2, ce qui nous touche beaucoup ; en effet, quelque difficile que puisse être le gouvernement d’ailleurs, il renferme bien plus d’épines ici et a besoin de votre main pour tout soutenir. J’ai toujours tremblé en voyant s’élever le colosse de Saint-Michel parce qu’il ne portait que sur une colonne fragile et cependant impossible à remplacer : c’est Mère Eugénie. Elle m’écrit du 17 mai sur le ton très satisfait, les bâtisses finies, l’église aussi, la belle cérémonie 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis, June 24 ; Le Havre, 7 août ; Paris, 9 août 1833. J. de Charry, II 3, L. 289, p. 229-232. Dans la lettre circulaire de septembre 1832, la Mère Barat annonce les charges des assistantes générales et précise en finale : « Nous nous réservons l’Amérique, la Suisse, l’Italie et le Piémont. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

du jour de l’Ascension où 28 enfants ont fait la première Communion des mains de l’évêque, l’espoir à la fête du Sacré-Cœur d’admettre aux derniers vœux 3 excellents sujets1. À peine avais-je lu cette lettre, qu’un prêtre remontant promptement le fleuve écrit le 11 juin à notre évêque que le choléra est à Saint-Michel, que Mères Van Damme, Detchemendy et Philippine2 en sont mortes et une 4e. La même triste nouvelle m’a été annoncée par une de nos sœurs revenue des Opelousas, qui l’avait appris à l’auberge la plus voisine de Saint-Michel. Mais comme il faut un mois à la poste pour venir de là ici, je ne sais encore rien par Mère Eugénie pour laquelle je tremble, et pour son pensionnat, car le choléra règne partout le long du fleuve. À la Havane, dans l’île de Cuba, il a été affreux ! Quelques habitants ont perdu jusqu’à 150 Nègres, d’autres tous. Ce choléra ravage de nouveau La Nouvelle-Orléans avec une autre maladie sans remèdes. Cette ville étant ainsi affligée tous les ans, il est un temps où les vaisseaux ne viennent pas à cette ville et les correspondances avec nous sont plus sûres et plus promptes par New York ; c’est ce qui m’avait fait craindre pour les 10 000 F que vous avez eu la bonté de nous prêter. J’apprenais par New York qu’ils étaient envoyés et je ne recevais rien parce que tout venait par La Nouvelle-Orléans. Maintenant tout est reçu ; les 10 000 F convertis en 1 545 $ et les 2 500 F, venant de Mme de Kersaint et Mme de Rollin, convertis en 446 $. Le supérieur de nos amis [le P. Verhaegen] a été surpris de ce déchet qui est environ de 11 pour cent tandis que, par la maison de M. Hope et Cie, banquier d’Amsterdam, il n’a perdu sur différentes sommes que 0,5 pour cent et quand ç’a été du papier sur Philadelphie, payable en Angleterre, on peut y gagner 8 et même 9 pour cent par le besoin d’argent sur ce royaume. Je désirerais qu’on pût prendre cette voie à l’avenir, ou celle de M. King, receveur à la banque de New York qui a offert tous ses services à nos Dames à leur passage dans cette ville. Mère De Coppens lui écrit pour le prier de donner l’adresse de son correspondant à Paris à Mère Ducis. Mère Prevost et la famille de Mère Lucile, qui ont de bonnes intentions pour elles, pourront user de la même voie en adressant leurs bienfaits à Mère Ducis à Paris. 1 2

Helen Green, Louisa Lévêque et Aloysia Hardey feront leur profession le 19 juillet. H. Green mourra le 4 novembre suivant. Il s’agit, non pas de Philippine [Jourdain], mais de Michelle Bariaux et d’une orpheline. Philippine Jourdain, née à Saint-Louis, novice à Grand Coteau, arriva à Saint-Michel en 1825. Elle est décédée le 4 mars 1835. Michelle Bariaux, née le 25 mars 1805, à La Fourche, a fait ses premiers vœux comme coadjutrice le 19 juillet 1829. Elle est décédée le 31 mai 1833 à Saint-Michel.

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Cette humble maison de Saint-Charles fait toujours du bien et va nous procurer trois sujets américains, pour lesquels il faudra demander la persévérance. [À Florissant] Mère Thiéfry m’a dit depuis longtemps qu’il lui était impossible de former des sujets dans leur langue. Il en est de même pour moi et Mère O. [Berthold] à cause de sa dégoûtante maladie, du genre de son esprit auquel les Américaines ne se feront jamais. J’en puis dire encore plus des Mères de Kersaint et Coppens qui ne parleront jamais anglais. Je vous avais déjà écrit, ma bonne Mère, pour vous demander de charger du noviciat Mère Régis Hamilton, américaine elle-même, d’un extérieur aimable, d’un excellent caractère, bonne religieuse, parlant très bien les deux langues ; enfin, le sujet le plus capable de répondre à tous dans une maison. Je reconnais tout le mérite de Mère de Kersaint, mais elle a une imagination trop vive, elle tient à ses propres idées singulièrement. Les conférences des enfants sont si pénibles que c’est à qui ne viendra pas. Elle se tromperait aussi sur le choix des confesseurs ; elle aimerait ceux qu’elle pourrait conduire, ne goûte point Monseigneur et cependant je regarde comme une grande grâce qu’il ait bien voulu se charger de nous. Mais je crois qu’il s’est aperçu de la méfiance. Ce sera un grand malheur s’il nous quitte. Déjà trois prêtres ici ont eu des variations de têtes. Sur quoi compter alors ? Mère Anne [De Coppens] est toujours fort difficile, les pauvres infirmières n’osent l’approcher quand elle est malade. Plusieurs dans la maison la portent sans cesse au confessionnal et sont persuadées qu’elle voudrait être à la tête. Elle n’en sera jamais capable, n’ayant ni l’estime ni l’amitié des grandes et des enfants qui ont dit un jour : « C’est heureux qu’on ait mis deux maîtresses à l’ouvrage, sans cela, Mère Anne nous déchirerait. » Tous ses rapports sont faux et exagérés. Elle se montre si malheureuse dans ses lettres que j’ai vues, par les réponses de sa famille, qu’on y est très inquiet et indisposé. On ne parle que de sous, si elle écrivait plus souvent. Et jamais il ne paraît un sou, à moins qu’on en ait envoyé à l’évêque pour son église, comme je m’en doute, pour avoir [de lui de quoi] faire remettre une lettre à [sa] famille. On s’est aussi adressé aux Pères [jésuites] de Georgetown et du Kentucky, et Mlle Espérance dit de ce dernier que c’est elle qui l’a envoyé et qu’elle le prie de venir jusqu’ici pour la tirer d’inquiétudes et que le prix de son voyage serait autant de diminué pour la mission, etc.1 Pourquoi on ne fait pas un établissement en Belgique ? ou celui de New York ? 1

Mlle Espérance est la sœur d’Anne De Coppens. Elle a aussi écrit à la Mère Barat pour se plaindre.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

J’avais demandé à Mère Xavier [Murphy] Sœurs Prosper [Prud’hon] et Milles, cette dernière partie d’ici, elle est revenue seule ; et par un mot de vous, que Mère Xavier me transmet, je suis bien aise que l’autre reste. J’ai vu hier le Père supérieur et l’ai consulté sur ma position et le désir d’être remplacée. Il m’a dit de vous laisser faire et d’être prête à tout. J’ai besoin cependant de vous soumettre le tableau de mes défauts que vous connaissez, le peu de confiance que j’inspire, mon inquiétude pour la place. Un saint prêtre [Pierre-Jean De Smet] qui va bientôt chez les Sauvages avec tous les appuis qu’on y peut espérer, quoique petits, nourrit l’espoir de nous y voir un jour. C’est un saint, qui fait des fruits dans les âmes. Il m’a parlé de son désir ainsi qu’à Saint-Charles, où il est maintenant dans une maison où il ne peut parler qu’anglais afin de s’y mieux former. Je ne voudrais pas le tromper si vous deviez refuser cet établissement qui a été l’aimant qui attire toutes les Françaises. Il est l’objet de mes désirs et je serais peut-être la seule à pouvoir y entrer avec des personnes âgées, regardant la situation bien dangereuse par rapport aux mœurs. Si vous voulez le refus, on se tournera vers les Sœurs de la Croix ou de la Charité qui se multiplient plus que nous. Recevez l’assurance de mon esprit et dévouement in Corde Jesu. Philippine Duchesne Mes respects aux bons Pères Joseph [Varin] et Louis [Barat] et à toutes mes Mères et Sœurs. [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York

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L. 2 À MÈRE DESMARQUEST Saint-Louis, 23 juin 18331 À notre digne Mère Desmarquest

Ma bien bonne Mère, Quelle a été ma joie et ma reconnaissance en recevant votre lettre et celle de Mme Élisabeth qui renfermaient tant de détails intéressants. Suivant votre intention, elle a été envoyée dans toutes les maisons de l’Amérique, j’espère que la réponse du noviciat vous sera faite par celui de Saint-Michel. Il ne reste ici que trois coadjutrices hors d’état d’en faire une. Mais toutes les anciennes Mères et aspirantes ont lu avec un singulier intérêt tout ce qui est détaillé dans les différentes relations sur la formation du noviciat romain, sur la miraculeuse protection qui l’entoure, sur son bonheur d’être couvert des bénédictions immédiates du Saint-Père et d’avoir pris commencement sous les auspices et de la main du Cardinal vicaire. Après votre grande et bonne lettre, nous avons reçu les copies des relations des visites du SaintPère et de celle de notre Mère au Vatican, et dans différentes églises. Enfin les détails des retraites et de la belle cérémonie du jour de saint Jean. Nous voudrions bien avoir notre part de tant de bénédictions et de secours. Priez ce bon Père qui a tant fait pour Sainte-Rufine, qu’il m’aide à gagner le Ciel ; j’ai autant et plus de défauts que vous m’en avez vus en France et la Croix, qui devrait me sauver, me trouve infidèle en la portant. Nous avons bien des Pères ici, mais ils se renferment dans leurs occupations. Cette mission du Missouri a 12 prêtres ; le supérieur et un autre sont à Saint-Ferdinand avec quelques novices, trois sont à Saint-Charles ou sur les rives du Missouri ou du Mississipi pour les missions. Les autres tiennent le collège Saint-Louis qui a près de 100 pensionnaires et des externes de la ville, et que l’État reconnaît comme académie. La mission du Kentucky est moins nombreuse et plus récente. On désire un collège des Pères dans la Louisiane. L’État avait en bourse 37 500 F pour l’établir ; mais comme une des conditions de ce pays irréligieux était qu’il ne soit pas régi par des prêtres, il n’a pu se former. Aux Opelousas, on a offert 225 000 F et personne ne s’est présenté. L’évêque de La Nouvelle Orléans a acheté, à 40 lieues au-dessus de la ville, une maison 1

Copies : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4 ; C-VII 2) c Duchesne-Writings about the history of the Society Box 1, Relations des premières missions de la Société en Amérique, cahier 5, p. 19-22.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

qui a servi de collège particulier à un prêtre savoyard qui est mort ; son intention est de la donner aux Jésuites, mais ils ne sont pas encore assez nombreux ici et au Kentucky. Ceux de Georgetown sont environnés de toute la protection du Congrès. Le collège a une vue magnifique sur le Potomac qui sépare Georgetown de Washington ; la maison, l’église, la bibliothèque, le jardin, l’infirmerie même sont superbes. Quand Mère Dutour est arrivée, il n’y a pas six ans, le collège n’avait que 20 pensionnaires, je crois qu’ils sont maintenant 180, outre les externes ; le Congrès donne au collège 125 000 F pour bâtir un observatoire. Nous ne verrons jamais de si beaux établissements ici, ni au Kentucky, le pays est trop pauvre d’argent et trop peu habité ; mais nous serons comme le roseau, plus à l’abri des grands orages. La maison de Saint-Michel, qui s’est si fort agrandie en bâtiments pour le pensionnat l’année dernière et qui attendait 200 élèves, vient d’être frappée : 1°) par le choléra qu’on craignait et qui a empêché bien des enfants de rentrer ; 2°) par le choléra dans la maison même, qui en peu de jours a emporté 3 ou 4 maîtresses de classe. Jusqu’à présent, les Opelousas sont préservés, on s’y porte bien, il y a 70 élèves, la plupart américaines ; la maison a été augmentée et est fort belle. Nous travaillons à augmenter la nôtre, nous n’aurions pu loger que 30 élèves, encore sans infirmerie, chambre de communauté, réfectoire convenable ; nous serons heureuses dans ce pays si nous réussissons [à avoir] toujours 20 pensionnaires, il n’y en a que 18 jusqu’à présent et 100 externes. À Saint-Ferdinand, paroisse tenue par les Jésuites et à l’église de laquelle tient notre maison qui en est sacristine, nous n’avons que 12 pensionnaires et 20 externes. Il y en a 35 à Saint-Charles et 5 pensionnaires, notre maison touche aussi à l’église desservie par un Jésuite ; pour nous, nous n’avons qu’une chapelle. Les religieuses de la Visitation, bornées à un seul établissement en Amérique, formé au commencement du siècle, en forment deux : l’un à Pensacola dans l’État de l’Alabama, diocèse de La Mobile1 ; l’autre à Kaskaskia dans l’État de l’Illinois qui nous touche et est administré par notre évêque. Il est allé établir les 12 religieuses qui y sont arrivées. Il a de plus, dans son diocèse, nos trois petites maisons du Missouri, deux des Sœurs de la Charité et trois des Sœurs de la Croix. Philippine Duchesne 1

Philippine fait une erreur : l’État de l’Alabama a été créé en 1819, mais Pensacola appartenait au nouveau diocèse de La Mobile, créé en 1829, sur le territoire de la Floride qui ne deviendra État qu’en 1845.

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L. 28 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 23 juin 18331 Ma chère Cousine, Tu me combles de bienfaits et d’amitié ; j’ai reçu ton intéressante lettre en même temps que le don que tu m’annonces et qui ne pouvait arriver plus à propos, ayant entrepris d’augmenter notre bâtiment dont la petitesse mettait obstacle à l’augmentation de notre établissement, n’ayant ni infirmerie, ni chambre de réunion, ni de chambres particulières, ce qui est pénible pour des infirmes telles que sont la plupart de nos Sœurs. Mais pour moi qui conserve mes forces, je me trouve bien partout, je passe les meilleures nuits dans la moindre place, et plusieurs années, je n’étais pas incommodée de porter mon matelas de chambre en chambre, suivant les circonstances, et de le rouler le matin pour le placer ailleurs la nuit suivante. Je fais l’expérience de ce qu’a dit saint Augustin : « Qu’il vaut mieux n’avoir pas besoin de beaucoup que d’avoir beaucoup2. » Ainsi tes bons mille francs, dont je te fais mille remerciements, seront mieux employés à la maison commune qu’à ma commodité particulière et j’y trouverai ma plus grande satisfaction. Tu ne trouveras pas mauvais que je ne réponde pas à ton invitation de retourner à Sainte-Marie pour y trouver le repos ; je préfère mourir dans le travail et, comme on peut le dire, dans le combat. Si on a loué, chez des Grecs idolâtres, cette femme qui reprochait à son fils d’avoir survécu à une défaite3, on ne pourrait me blâmer de persévérer dans le désir de faire connaître Dieu à ceux qui l’ignorent. Mon désir a toujours 1 2

3

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 28 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 64-69. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. La citation vient probablement de la Lettre à Proba sur la prière (n° 130), 411-412. Mais elle est dite de mémoire, car on lit au § 3 de la Lettre à Proba : « Il y a une consolation véritable que le Seigneur promet par la bouche du Prophète : ‘Je lui donnerai la vraie consolation et paix sur paix. À ceux qui n’ont jamais connu cette vraie félicité, quelle consolation apporte en effet les richesses, le faste des honneurs et les autres avantages de cette sorte grâce auxquels les mortels se croient heureux, mais dont il vaut mieux n’avoir pas besoin que d’en être comblé.’ » Les femmes de Sparte étaient élevées pour être vaillantes et fortes comme les hommes. Dans l’Encyclopédie (1e édition de 1751), on trouve ceci : « On ne verra jamais dans aucune autre République guerrière, une mère, après la perte d’un fils tué dans le combat, reprocher au fils qui lui reste d’avoir survécu à la défaite. »

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

été de mourir chez les Sauvages et dans le feu de mon empressement, je trouvais la chose facile ; de plus près, on ne se flatte pas autant et on ne trouve qu’une belle chimère, là où on avait cru voir de la réalité. Il faudrait être sainte à miracles, avoir le don des langues pour se faire entendre et frapper des êtres tout plongés dans les sens. Il y en a eu autrefois de ces saints, et c’est pour cela que quelques nations dans le Canada et son voisinage ont des paroisses sauvages très bien organisées, où l’office se chante par les Sauvages qui tous les jours vont à l’église. Mais c’est après de grandes souffrances et des travaux infinis qu’on est parvenu à faire ce changement et je ne suis pas assez sainte pour attirer une école de Sauvagesses. Nous trouvons plus près de nous des espèces de Sauvages blancs, qui vivent sans foi et sans religion, dans une mortelle indifférence. On peut toujours en gagner quelques enfants, mais qui ont bien peine à s’élever à une vertu généreuse. Je te remercie des détails que tu me donnes et qui me touchent de si près. Tu m’en demandes beaucoup et je crains de te faire des redites, car il part de différentes villes pour la France des gazettes catholiques qui coûtent peu et donnent les plus grands détails. Nous en avons une à Saint-Louis, sous le nom de Pasteur de la Vallée. Elles apprennent qu’il y a maintenant dans les États-Unis 10 évêchés et un archevêché, 3 collèges de Jésuites, dont un sous les yeux du Congrès qui vient de lui donner 125 000 F pour un observatoire ; ce collège ayant d’ailleurs tous les agréments possibles et, autant que je puisse m’en rappeler, 180 élèves ; celui de Saint-Louis 100 et celui du Kentucky à peu près autant. Il y a plusieurs autres collèges catholiques préférés par les protestants à ceux de leur communion et où il en vient un grand nombre. Celui de Baltimore, tenu par les Sulpiciens, est sur le meilleur pied. Il y a 3 couvents de la Visitation, 5 du Sacré-Cœur, 1 de Dominicains, 1 de Carmélites, 2 d’Ursulines, plus de 20 de Sœurs de la Charité et autant de Sœurs de La Croix pour les campagnes. Dans le nombre des candidats présentés pour chapelain du Congrès, était un prêtre catholique ; on a tiré plusieurs fois aux voix et on lui a toujours donné le 1er rang. Il est entré en fonction en dépit de plusieurs ministres qui, en injuriant le Congrès, se sont seulement fait tort à euxmêmes. La Nouvelle-Orléans vient enfin de reconnaître dans le choléra que la religion peut seule vous faire braver la mort pour soulager les malheureux. Dans la visite qui fut faite par un comité à l’hôpital, à la fin de la contagion, on y a trouvé des malades tout à fait abandonnés à qui on ne donnait rien depuis plusieurs jours, des mourants couchés sur des morts, et un enfin dans le sein duquel des poules cherchaient

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les aliments, et qui étaient en putréfaction, sans qu’on eût personne pour les ensevelir. La ville appelle à cet hôpital les Sœurs de la Charité déjà répandues dans l’Est et ici, elles seront 12 sous peu de jours pour descendre le Mississippi. Elles ont déjà à La Nouvelle-Orléans la maison fondée pour plus de 100 orphelines. Le choléra a repris dans cette ville avec rigueur et a empêché le progrès de notre maison de Saint-Michel, la plus nombreuse. Elle diminue cette année et n’a pu nous aider pour notre bâtisse comme notre Mère Barat l’espérait. J’ai écrit à Mme de Mauduit depuis ton 1er avertissement ; je te prie de permettre que je lui réitère mon souvenir dans cette lettre. Nous sommes affligées par les infirmités. Madame Octavie que tu as vue, la veille de notre départ, est dans le même état qu’Aloysia [Euphrosine] Jouve. Madame De Coppens, que tu as sûrement vue dans le salon de la rue de Varenne, est aussi toujours malade ; 2 Créoles sont en langueur ; notre plus utile sujet avait un polype dont les racines, entrant dans le gosier, l’empêchaient de chanter, de lire et souvent de parler. Un habile chirurgien de Baltimore l’a heureusement arraché mais, depuis 3 cruelles opérations, le total de la machine est affaibli. Je n’ai jamais été si privée d’un moment de tranquillité, toujours le cœur a à souffrir ; c’est ce qui m’attache le plus à cette maison, car comment quitter ces pauvres Sœurs ? Nous sommes 13 et aujourd’hui sept ont pris médecine. C’est comme cela depuis longtemps. Il m’a fallu attendre un mois pour trouver à pouvoir répondre à plusieurs lettres. Pardonne si je te quitte brusquement, mais tendrement dans le Cœur de Jésus, Philippine Mes compliments à M. Victoire et à sa famille. Mes respects à MM. de La Grée, Rambaud, Dumolard.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 440

L. 112 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[27 juin 1833] Monseigneur, Depuis votre absence, nous avons été éprouvées par les infirmités de nos sœurs ; mais votre retour en nous réjouissant nous ramène la santé, et aujourd’hui, tout le monde est mieux. Il nous est consolant d’apprendre que votre voyage a été heureux. Je désire bien savoir si nous pouvons espérer vous voir cette semaine et s’il y a trop d’indiscrétion à l’attendre, nous profiterions encore de la bonté de Monsieur Borgna. Je serai soumise mais pas indifférente. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne Saint-Louis, ce 27 juin 1833

LETTRE 441

L. 113 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[16 juillet 1833] Monseigneur, Nous sommes bien désireuses de votre entier rétablissement ; il est l’objet de nos ardentes prières. Il n’a pas plu à Dieu de nous exaucer de 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Juin 27, Mme Duchesne. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Juillet 16, Mme Duchesne. »

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suite et il continue à nous éprouver par les infirmités du plus grand nombre de nos sœurs. Nous sommes contraintes d’envoyer demain chercher celle qui a accompagné Madame De Coppens et pour qu’elle ne soit pas seule avec son conducteur, je vous prie de permettre que Madame Octavie ou une autre avec une enfant aille à sa rencontre. Je suis à vos pieds votre indigne fille. Philippine Duchesne [16 juillet 1833]

LETTRE 442

L. 114 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[16 août 1833] Monseigneur, Je vous ai déjà témoigné ma peine sur la nouvelle qu’on me donna que vous vous étiez déchargé de nous ; vous avez essayé de me rassurer mais je ne l’ai jamais été. Je sens trop combien le temps d’un évêque est précieux, combien souvent il en est peu maître. J’ai de plus pesé combien il serait amer pour nous, et combien nous serions coupables, voyant l’état affaibli de votre santé, de chercher à faire prévaloir notre avantage particulier au bien général d’un grand diocèse. Votre nouvelle absence qu’on nous annonce pour le mois prochain m’appesantit encore sur ces réflexions que je veux en vain éloigner, ainsi que celle, que celui à qui on s’adresse maintenant est plus propre pour les personnes du monde que pour des personnes qui doivent avoir une piété toute intérieure et paisible. Je dois vous dire que plusieurs ne sont pas de mon avis et sont contentes de l’arrangement présent, mais je ne trouve pas que leurs motifs aient du poids. Je serais disposée à sacrifier 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Août 16, Mme Duchesne, St. Louis. »

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mon goût et ma paix pour céder au bien général, mais je n’ai pas eu de tranquillité [avant] que je ne me sois décidée à vous exposer ce que je vois être le plus grand bien de la maison : ce serait de nous remettre, ou au moins celles qui éprouvent trop de peine, à quelqu’un de ceux qui ont les mêmes règles que nous [les Jésuites]. Madame Thiéfry s’est souvent plainte du peu d’obéissance de Sœur Marie Tesserot que vous aviez conseillé de placer auprès d’elle. Aujourd’hui, elle m’écrit qu’elle va de plus en plus mal : elle a contribué à rendre aussi indociles qu’elle deux grandes orphelines qu’elle soutient contre l’autorité et à les rendre aussi passionnées qu’elle pour le Père qui est là. Avec cela, elle a une si grande dissimulation qu’on ne peut savoir tout ce qui la travaille. J’ai l’opinion que c’est le besoin du mariage. Selon nos règles, le renvoi décidé par vous, Monseigneur, décharge des premiers vœux. Mesdames Thiéfry, Hamilton, Octavie sont toutes trois d’avis qu’elle ne convient plus à notre Société ; et je crois, moi, à aucune autre. L’autre Dame du conseil pense autrement, mais c’est chose d’habitude en elle. Si vous le décidez, on prendrait les moyens de la placer chrétiennement. Je crois qu’à Sainte-Geneviève, son retour ferait mauvais effet et qu’elle y aurait peu de ressource. La petite Sœur Charité est toujours plus décidée à nous quitter et la Providence le permet parce qu’elle ne nous convient pas. Même depuis qu’elle est assurée d’une place, elle nuit dans la maison par ses confidences et ses réflexions, ce qui irait en augmentant si son séjour était prolongé. La bonne Mère Xavier avait proposé de la reprendre pour cause d’infirmités ou autre ; elle-même désire la voir. Si vous le trouviez bon, elle pourrait se rendre chez elle et partir de là. Si vous le voulez ainsi, je vous prie de le dire à nos bonnes Sœurs de la Charité qui pourraient venir la chercher. Je suis à vos pieds, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne Ce 16 août 1833

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L. 57 À MADAME JOUVE, À LYON 18 août 18331

Ma chère amie, J’ai reçu ta lettre du mois d’avril, écrite de Lyon à ton retour de Grâne. Je suis charmée que ma lettre soit parvenue à la bonne Amélie [de Mauduit], mais sois persuadée que ce n’est pas la première. Je me rappelle très bien lui avoir écrit plusieurs fois ; dans une de mes lettres en particulier, je l’entretenais beaucoup de Mme Bergasse, sa fille [Amélie]. Il n’est pas étonnant que dans un si grand éloignement, des lettres se perdent et je n’ai point reçu celle que tu m’annonces d’elle. Je lui ai de nouveau écrit sur un avis qu’elle se plaignait de mon silence, et ma lettre a dû se croiser avec la tienne, car pour celle que tu m’annonces de cette chère Amélie, écrite en même temps que la tienne, je ne l’ai point reçue. Cette lettre ira peut-être à Lyon par l’occasion de Monsieur Odin, prêtre de cette ville et missionnaire ici2, qui va faire un tour dans son pays pour affaires ; il est président d’un collège de notre État et qui réussit bien ; celui de Saint-Louis a été érigé en université par la législature du Missouri ; il est tenu par les Jésuites qui, ayant près de cent pensionnaires, auraient besoin de quelques confrères. Je désirerais qu’Henry fût destiné à cette bonne œuvre, il trouverait dans l’État et le territoire du Missouri, bien plus vaste encore, de quoi exercer son zèle ; la religion s’y étend et il n’est pas d’année que plusieurs églises ne se bâtissent ; celle de Saint-Louis ne sera finie que l’année prochaine, elle sera belle ainsi que celle du séminaire à trente lieues d’ici, qui, étant faite sur un plan trop beau pour le pays, ne peut encore s’achever faute de fonds. Monsieur Paillasson, venu aussi de Lyon, n’a exercé le ministère que parmi beaucoup de souffrances et de détresses. Il est à présent à La Nouvelle-Madrid, village établi par les Espagnols, autrefois maîtres du pays. Monsieur Condamine, ancien vicaire à Lyon, dessert le Kaskaskia, chef-lieu de l’État des Illinois, et autrefois de la mission des Jésuites qui y ont bâti l’église. Il vient de se former là une communauté de la Visi1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 126-129 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Jean-Marie Odin, né en France, arriva en Amérique en 1822. Il fut ordonné prêtre comme Lazariste en 1824, à Sainte-Marie des Barrens. Nommé vicaire apostolique du Texas en 1842, il fut le premier évêque de Galveston en 1847, puis le second évêque de La Nouvelle-Orléans en 1861. Il assista en 1870 à l’ouverture du Concile Vatican I ; malade, il dut se retirer. Il est décédé en France.

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tation dont les religieuses sont venues de Georgetown près de Wash­ ington ; elles se trouvent un peu découragées dans un pays si différent. Je bénis Dieu d’avoir disposé toutes choses par son adorable Providence pour que ton mari et toi puissiez passer des jours tranquilles et heureux comme M. Lebrument. Elle se montrera aussi favorable, je l’espère, pour Mme Bergasse qui, comme notre bonne Adélaïde, attire des bénédictions sur sa famille. Adieu, ma bonne amie, rappelle-moi à tous les tiens et surtout à ton mari. Mon cœur ne vieillira jamais dans les sentiments qu’il vous conserve. Toute à toi in Corde Jesu, Philippine Duchesne

LETTRE 444

L. 115 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, J’ai reçu une lettre de Mme Biddle qui demande les orphelines pour l’enterrement de M. Mullanphy et qui me dit qu’on viendra les chercher à trois heures. Je lui ai répondu qu’elles seraient à ses ordres. Les vôtres que je viens de recevoir ne me laissent aucune inquiétude à avoir. Je suis à vos pieds, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne Ce 30 août 1833 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Août 30, Mme Duchesne. » La date de l’original n’est pas claire. Dans la collection de Louise Callan, elle est située en 1832, mais John Mullanphy est décédé le 29 août 1833. C’est pourquoi la date doit être « août 1833 ». Callan utilise cette référence (1833) dans sa biographie (PD 549), sans toutefois corriger la date dans sa collection.



Lettre 445

LETTRE 445

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L. 116 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Monseigneur, Madame Régis [Hamilton] avait écrit à M. James, son oncle, pour nous procurer un Nègre. Elle n’en a point eu de réponse. J’ai pensé que peut-être vous en auriez un de la même famille de ceux de Monsieur Delacroix ; nous ne vous ferions pas attendre le paiement. Je suis avec vénération à vos pieds, votre humble servante. Philippine Duchesne Ce 15 [septembre 1833]

LETTRE 446

L. 112 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

17 septembre 18332 St Ant. Ma bien digne Mère, Notre bonne Mère Célestine Octavie Berthold vient de terminer sa carrière pleine de souffrances et de mérites. Elle est la première épouse du Sacré-Cœur qui part pour le Ciel, de cet État du Missouri. Car depuis notre arrivée, en 1818, il n’y avait eu aucune mort ni parmi nous, ni parmi nos enfants à demeure, dans nos trois maisons. Je crains bien que l’intervalle ne soit pas si long de ce moment actuel à la première mort, 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Déc. 15, Mme Duchesne. » Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 2 novembre 1833. J. de Charry, II 3, L. 291, p. 234-236.

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car toutes les santés sont délabrées cette année ; mais celles que Dieu appellera seront heureuses si leur fin est aussi édifiante que l’a été celle de notre chère défunte. C’est hier, 16 septembre, qu’elle rendit sa belle âme à Dieu, presque sans agonie et avec toute sa connaissance. Elle avait dès assez longtemps reçu le Saint Viatique et l’extrême onction. Depuis, elle a communié plusieurs fois dans son lit, lorsqu’elle a pu rester à jeun1, et cela lui étant devenu impossible, son confesseur lui a donné, la veille de sa mort, le Saint Sacrement à minuit. Il lui a réitéré l’absolution et l’indulgence le jour de son décès qui a eu lieu pendant la récitation des prières des agonisants, dans la plus douce paix, qui éclatait sur sa figure jusqu’à ce qu’une odeur de corruption qui s’est promptement fait sentir a obligé de la dérober à nos yeux. On a continuellement prié dans sa chambre ou à la chapelle jusqu’à l’enterrement qui s’est fait ce matin par le principal du collège accompagné d’un autre Jésuite. Le curé et le grand vicaire [MM. Saulnier et Borgna] ont chargé le Père recteur [Verhaegen] de la cérémonie et du sermon qui accompagne toujours ici les enterrements plus marquants. Quatre messes ont été dites sur le corps et la dernière a été chantée solennellement avec diacre et sous-diacre. Nous l’avons suivie jusqu’à la tombe qui est dans notre clôture. Les orphelines ouvraient la marche en habillement bleu et voile blanc, les pensionnaires suivaient en noir, puis des externes et nos sœurs, le clergé et le corps que 4 Sœurs de la Charité nous ont aidées à porter, à cause de la faiblesse des anciennes presque toutes d’une santé chancelante. Notre chère défunte, née à Genève au sein du calvinisme, eut le bonheur d’embrasser notre sainte religion à Grenoble, à l’âge de 24 ans, y étant venue pour employer ses talents à l’éducation. Deux ans environ après, elle entra dans notre Société, prit l’habit à Grenoble, fit ses premiers vœux à Paris le 5 février 1817 et les derniers, le 3 du même mois 1818, au moment de partir pour l’Amérique. Elle a été surtout remarquable par la douceur et l’amabilité de son caractère qui l’ont fait également chérir des personnes du dedans et du dehors. Ses vertus religieuses ne se sont jamais démenties. Elle a toujours été exacte dans ses devoirs envers Dieu, docile à ses supérieures, charitable envers ses 1

Cette règle, qui n’accorde la sainte communion qu’aux personnes en état de jeûne, date du Concile de Carthage (397). Elle a perduré jusqu’en 1917, où le code de droit canonique ne la prescrit qu’aux personnes en bonne santé et non plus aux malades, comme c’était le cas en 1833. En 1957, ce jeûne eucharistique sera réduit à trois heures avant la messe et non plus à minuit, en ce qui concerne la nourriture solide et les boissons alcoolisées. En 1983, il sera exigé une heure avant la messe, à l’exception de l’eau et des médicaments.

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sœurs. Toutes la regrettent et voudraient l’imiter. Sa maladie de plus de 8 ans l’affligeait de plaies douloureuses, commencées à la bouche et terminées au coude gauche. Elles l’ont consumée à l’âge de 46 ans et 15 jours. [Le même jour, sur la 3e page :] SS. C. J. M.

Ma bien digne Mère. Je vous écris bien à la hâte. La matinée a été toute prise par l’enterrement et l’après-midi est pour se préparer aux prix qui auront lieu demain. Ils étaient fixés au 16, mais la mort de Mère Octavie a forcé d’attendre au 18. Mère Thiéfry a donné les siens avant nous et fait sa retraite pour prendre soin de sa maison pendant les Exercices que donnera à Saint-Ferdinand le Père supérieur et où, j’espère, pourront se trouver 4 des nôtres1. Les autres seront successivement en solitude à cause des malades. Nous avons encore 5 orphelines au lit. Elles se portaient bien, mais ayant été obligées d’aller à l’enterrement de M. Mullanphy2, sur la demande de sa famille, une chose si extraordinaire pour elles les avait toutes dérangées. Ce monsieur, comme je m’y attendais, ne leur a rien laissé. Il était même en retard du faible payement pour leur entretien. Monseigneur est à son séminaire, ne sera pas à nos prix et repartira d’ici lundi prochain pour le concile de Baltimore. Le Père procureur [De Smet] et un prêtre de Lyon [M. Odin] l’accompagneront jusque-là, iront en France et porteront nos lettres. Nous pourrons y suivre davantage notre empressement à s’entretenir avec la meilleure des Mères et de si bonnes sœurs. La mort de Mère Octavie nous ôte notre assistante, mon admonitrice et une consultrice. Veuillez, je vous prie, nommer à ces charges et à celles qu’il vous plairait de changer. On a toujours fort peu de rapports avec Saint-Michel ; ceux avec les Opelousas sont assez réguliers. 1 2

Eulalie Guillot, Régis Hamilton, Adeline Boilvin, et Elisabeth Missé. Cf. JSA, 21 septembre 1833. John Mullanphy est décédé le 29 août 1833. Comme c’était lui qui avait voulu l’orphelinat de la maison de ville, ses filles demandèrent que les orphelines soient présentes dans la procession funéraire [JSA].

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

L’ancien supérieur des Pères [Charles Van Quickenborne] est maintenant curé de Saint-Charles. Il s’occupe beaucoup de notre maison. Les 1 200 F de Lyon l’ont bien réjoui. Il espère que vous y ajouterez et m’a dit de vous en prier. J’espère que vous avez reçu mes lettres où je vous parlais de ma nouvelle croix, au sujet de notre conducteur [M. Borgna]. Il est maintenant vicaire général et fort goûté de notre grand Père [Mgr Rosati] à qui il est fort utile. Le Père recteur a bien voulu se charger de moi. Je souffrirais beaucoup s’il en était autrement. Cela sert au moins à empêcher l’autre de prendre tant d’empire. Mère Henriette [de Kersaint] en est tout engouée. [sans finale ni signature] [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York

LETTRE 447

L. 113 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 22 septembre [1833]1 St Antoine Ma bien digne Mère, Je ne sais encore si vous êtes de retour à Paris2. Je vous y ai déjà écrit le 17 de ce mois pour vous annoncer la mort sainte et paisible 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. La lettre est confiée au P. De Smet. J. de Charry, II 3, L. 292, p. 237-239. La Mère Barat est retournée à Paris, le 12 septembre, pour le 5e Conseil général qui s’est ouvert le 29.

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de la bonne Mère Octavie. Vous trouverez peut-être l’abrégé de sa vie trop court et trop peu détaillé, mais je n’aurais su y mettre davantage. Je ne doute pas qu’elle ne soit bien près du Ciel, si elle n’en est déjà en possession, et qu’une maladie cruelle, endurée avec patience pendant plus de huit ans ne lui ait fait expier ce que la nature avait encore laissé d’imparfait en elle ; même depuis sa vie religieuse. Ce désir d’étaler sa science, d’être aimée, d’être quelque chose. Ceci est pour vous seule et faisait dire au Père Van Quickenborne que Dieu lui avait précisément envoyé ce qu’il fallait pour guérir son côté faible : une maladie ignominieuse, dégoûtante qui l’empêchait d’être employée. Ses souffrances montrent combien la justice de Dieu est sévère et combien elle est à craindre pour l’autre vie. C’est la réflexion que je fais pour moi-même qui suis toujours plongée dans mes mêmes défauts. Veuillez, je vous prie, ma bonne Mère, me mettre à ma place et pourvoir aux charges de cette maison. Mère Octavie était assistante, admonitrice, consultrice. Je vous ai précédemment priée de nommer maîtresse des novices Mère Régis Hamilton, Américaine, parlant bien le français, aimée de toutes, bonne religieuse. Mère Thiéfry m’a dit elle-même qu’elle sentait qu’ignorant l’anglais, elle ne pouvait former celles de cette langue. Si nous sommes affligées d’une mort édifiante, elle l’est bien davantage de la sortie d’une aspirante coadjutrice [Tesserot], parmi nous depuis six ans, et qui déclinait si fort qu’il a fallu lui dire qu’elle n’était pas propre à notre saint état. Elle a répondu qu’elle l’avait pensé depuis longtemps et s’est trouvée comme déchargée d’un poids incommode. Une de ses compagnes novices et imparfaite comme elle, suivra probablement son exemple. Mère Murphy veut aussi absolument renvoyer Mère Short, aspirante1. Toutes les santés ont été affaiblies cette année par des maladies ou indispositions, branches du choléra. Nous aurions besoin de deux personnes de plus dans chaque maison. On y serait plus régulier. Les prix se sont donnés dans la nouvelle bâtisse. Monseigneur était absent, c’est le Père Verhaegen, président du collège, qui les a donnés avec le curé de Saint-Louis, en présence des pères et mères des enfants comme l’année passée et comme à Saint-Michel. On nous presse même pour y admettre plus de monde, car les Américains, suivant l’esprit républicain, veulent tout voir et se méfient de ce qu’on leur cache, comme si 1

Margaret Short restera dans la Société.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

on avait intérêt de le faire. Les pièces ont été anglaises et françaises et récitées sans costumes et déguisements. Nous avons maintenant 18 pensionnaires, 10 orphelines, 12 sœurs. Nous pouvons vivre avec ces pensions, mais rien mettre de côté pour les bâtisses qui, finies et meublées le plus simplement, iront bien à 20 000 F. Les bijoux du bon Père Barat, en vente à la Nouvelle-Orléans, nous aideront ; le diamant seul est estimé à 1 000 F1. Je joins ici les numéros des Sœurs : moi, 1 ; Mères de Kersaint, 11 ; De Coppens, 25 ; Hamilton, 13 ; McKay, 2 ; Boilvin, 14 ; Catherine, 4 ; Layton,  12 ; Judith Shannon,  9 ; Joséphine Shannon,  19 ; Joséphine Milles, 10 ; Elisabeth Missé, 62. Je suis, ma chère et digne Mère, à vos pieds et dans le S. C. de Jésus, votre humble et pauvre fille. Philippine Duchesne rscj Le P. De Smet, porteur de cette lettre, est le procureur du collège et est tout plein de bonté pour nous. Le P. Recteur [Verhaegen] veut bien me confesser. Monsieur Borgna confesse la communauté depuis les absences de Monseigneur. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale Des Dames du Sacré-Cœur Rue de Varenne n° 41 À Paris France

1 2

Voir la lettre de Ph. Duchesne à H. Ducis, du 11 octobre 1832. Ce sont les numéros de lingerie de la communauté de Saint-Louis. Pourquoi sont-ils envoyés à la Supérieure générale ? Peut-être pour éviter de les choisir pour le trousseau des futures missionnaires.



Lettre 448

LETTRE 448

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L. 5 À MÈRE E. DE GRAMONT

SS. C. J. M. 

Saint-Louis, 22 septembre 18331 St. Ant. Ma bien chère Mère, Je profite du départ du bon Père De Smet, procureur de notre collège de Saint-Louis, pour adresser le 2d catalogue dont plusieurs articles sont en blanc parce que vous êtes au fait. J’ignore si notre Mère générale est auprès de vous. Je voudrais bien partager de près la jouissance que vous éprouverez à son retour. Le Père De Smet et Monsieur Odin, son compagnon de voyage, sont très attachés à notre Société, sont l’un et l’autre de toute l’estime possible et d’une entière confiance. Veuillez la leur témoigner pour acquitter une partie de notre reconnaissance. Ils voyageront jusqu’à Baltimore avec notre saint évêque qui va assister au Concile national et nous laisse pour grand vicaire et aumônier Monsieur Borgna, le même qui a accompagné nos dames à Turin et qui est un infatigable missionnaire. La mort de Madame Octavie, d’autres maladies, les prix des enfants, notre bâtisse, m’ont tellement absorbée que je passe cette nuit pour trouver le temps d’écrire. Veuillez donc excuser et la brièveté et toutes les bévues d’une vieille, qui cependant ne sommeille point quand elle s’entretient avec vous, mais qui s’affaiblit. Je suis in Corde Jesu votre dévouée, Philippine r. S. C. Mes tendres souvenirs à toutes mes Mères et Sœurs. Mme Ducis recevra le 1er catalogue. [Au verso :] À Madame Madame de Gramont Supérieure de la maison du Sacré-Cœur rue de Varenne N° 41 À Paris 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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LETTRE 449

L. 4 À MÈRE DUCIS

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 22 septembre 1833 Rec. à St Antoine1 Ma chère Mère, J’ai reçu la lettre dans laquelle vous avez la bonté de m’annoncer le 3e envoi d’argent pour nous par Monsieur Jeanjean, maintenant évêque des Sauvages dans le Missouri (nomination qui me comble de joie) et qui est aussi chargé de 1 200 F pour Mère Lucile. Le Père Van Quickenborne, maintenant curé de Saint-Charles, a déjà sur cette attente acheté les planches pour la maison et veut qu’on n’hésite pas à compter sur la Providence pour compléter ce qu’il faudra. J’ai écrit le 17 de ce mois à notre digne Mère pour lui annoncer la mort de notre chère Mère Octavie, arrivée la veille, jour fixé pour nos prix qui furent renvoyés au 18. Le cahier de prières, que je vous envoie, avait été fait et livré à l’impression chez un monsieur qui ne pouvait payer la pension de ses filles qu’en imprimant pour nous. Et nous sentions depuis longtemps le besoin de livres d’heures dans nos deux langues pour les enfants qui les apprennent, presque toujours toutes deux ici, et pour lesquelles il est impossible de se procurer en un volume les choses qui leur sont indispensables. Dieu n’a pas béni l’entreprise, sans doute parce qu’elle n’était pas de l’ordre de notre Mère. L’imprimeur français manque ; le maître d’imprimerie, ayant mal fait ses affaires, a cédé tout son attirail et nous abandonnerions notre livre si la bonne occasion du Père De Smet, Jésuite, ne nous facilitait l’occasion d’envoyer le cahier à notre Mère pour le lui soumettre et le faire imprimer, si elle l’agrée. Car on a reçu ici des livres anglais très bien imprimés à Paris ; celui-ci tout relié reviendrait à plus de 3 F et j’espère l’avoir à Paris pour 30 ou 35 sous, mieux imprimé et mieux relié. À ce prix, nous les placerons facilement. Veuillez faire copier ou fournir la prière française du matin, que l’imprimeur avait perdue ; je n’ai eu que le temps de remettre l’anglais.

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 450

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Les souliers sauvages sont : une paire pour notre Mère générale et une pour Mme de Rollin. Je suis in Corde Jesu, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Henriette Ducis Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne N° 41 À Paris

LETTRE 450

L. 29 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

[Fin septembre] 18331 Ma bien chère Cousine, J’ai reçu le même jour une lettre de Mme de Mauduit et une de toi. C’était grande fête et grande reconnaissance, recevant 1 000 F de toi, lorsqu’à peine les remerciements des 1ers 1 000 F avaient pu te parvenir. Oui, tu me procureras ma chambre et la plus agréable qui se puisse, car en me mettant à portée des affaires, elle me tiendra tout près du Saint Sacrement, en santé et en maladie, avantage inappréciable. Je m’épuise à chercher ce qui pourrait te faire plaisir, je n’ai qu’une paire de souliers sauvages qui te montreront l’adresse de leurs femmes. Je les envoie à Madame Ducis par deux missionnaires, dont l’un, M. Odin, ira à Lyon et à Grenoble ; mais il pourrait ne pas t’y trouver et Madame Ducis te verra peut-être à Paris. Monsieur Jeanjean, chargé de tes bons 1 000 F, vient d’être nommé évêque des Sauvages du Missouri ; c’est un homme de grand mérite 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 29 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 69-70. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

et de notre intime connaissance. Madame Octavie, ma 1ère compagne, vient de rendre à Dieu sa belle âme qui savait t’apprécier. Toute à toi in Corde Jesu, Philippine Mille choses à M. Teisseire, objet de chers souvenirs.

LETTRE 451

L. 6 À MÈRE DE GRAMONT

SS. C. J. M. 

Saint-Louis, ce 15 octobre 18331 Rec. à St. Antoine [Circulaire sur l’année 1833] Ma bien chère Mère, Je profite de l’occasion de Mme Biddle (Mlle Ann Mullanphy) que vous avez eue dans votre maison avec ses sœurs, pour vous écrire cette lettre. Cette dame respectable, ayant perdu Monsieur son père, fondateur de notre établissement d’orphelines, va en France pour engager sa mère et sa sœur à revenir dans ce pays. Je repasserai dans cette lettre, en abrégé, ce que je vous ai déjà écrit pour me conformer à l’usage de la Société, sans trop de répétitions. Ce qui a balancé pour nous les consolations produites par la guérison de notre Mère et les relations de Rome à son sujet, ce sont les pertes douloureuses que l’Église a faites dans ces États-Unis, cette année, de deux grands évêques et de 17 prêtres. L’évêque de Cincinnati [Edouard Dominique Fenwick OP], d’une simplicité apostolique admirable, fils de saint Dominique et faisant comme lui des merveilles par le Rosaire, puisqu’il avait dans son diocèse des congrégations sauvages très édifiantes, des ministres catholiques pour les trois nations de ses diocésains américains, français et allemands, un séminaire, un collège, 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4. Une archiviste a ajouté : Circulaire N° 1 à Mère de Gramont.

Lettre 451

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des couvents, quoiqu’il ait commencé ses travaux bien plus tard qu’à Saint-Louis. L’évêque nommé pour le remplacer est Mgr [Jean-Baptiste] Purcell, président du collège d’Emmitsburg, près de Baltimore, et compagnon de voyage de Mère Dutour. L’évêque de La Nouvelle-Orléans [Léo Raymond De Neckere] est mort de la fièvre jaune ; sa vertu, sa science, sa modestie qui cherchait à les couvrir, son grand talent pour la chaire l’avait rendu cher et respectable à son peuple et aux plus anciens de son clergé, malgré sa jeunesse. Il était grand protecteur de notre Société. Sa perte fort sensible à Mère Eugénie, qui a tant besoin de consolation et d’appui, achève de l’accabler. La plupart des prêtres sont victimes de leur zèle ou du choléra. Monseigneur notre évêque a aussi été malade jusqu’à faire craindre, il devient pesant, vient plus rarement chez nous. Cependant il nous a donné la messe le jour de saint Joseph, notre patron, et celui du Sacré Cœur et de la Confirmation. Depuis le mois de mai jusqu’à la fin de septembre, nous avons toujours eu des malades ; aucune du choléra, mais de son influence. Nous avons fait notre Jubilé dans l’octave du Saint-Sacrement pour servir de préparation à celle du Sacré Cœur, mais les maladies ont empêché l’exposition, le 1er [jour de] l’octave. Nous avons même songé à choisir un cimetière, dans une petite partie de notre terrain qui est hors de la ville. Un digne missionnaire a demandé avec instance à être enterré chez nous et a été le premier. C’est Monsieur le Clais Normand, arrivé depuis peu, ami du Père Gloriot, et que le choléra a emporté en peu de jours. Une Sœur de la Charité, morte aussi du choléra, a fait la même demande, et Mère Octavie qui semblait devoir être le 1er enterrement n’a été qu’en 3ème. Sa mort édifiante a eu lieu le 16 septembre. Les prix fixés pour ce jour-là ont été renvoyés au 18 et se sont donnés dans la classe du nouveau bâtiment qui a 50 pieds de long sur 30 de large. Il contient premièrement, à moitié sous terre, un grand réfectoire et l’endroit où sera le poêle à charbon qui doit chauffer toute la maison. Le dessus a une grande classe et dans son étendue, une jolie galerie couverte pour prendre l’air dans les mauvais temps et un vestibule touchant à la chapelle. Au-dessus, un dortoir et une petite pièce pour se laver. Le grenier bien plâtré formera un autre dortoir et communique avec l’ancien qui est le vestiaire des enfants. Ce bâtiment et celui qu’il faut ajouter pour former le passage dans les salons, à la cuisine, etc., montera à plus de 20 000 F. Le fourneau seul coûtera environ 2 000. Il n’y a que la moitié de payé, mais nos

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

enfants augmentent, elles seront 24, sur lesquelles vivent 19 orphelines et 12 religieuses. Priez la divine Providence et croyez-moi in Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame de Gramont Supérieure de la maison du Sacré-Cœur rue de Varenne N° 41 Paris

LETTRE 452

L. 5 À MÈRE DUCIS 27 novembre [1833]1

Ma chère amie, Un habitant de Saint-Louis m’a dit avoir reçu des nouvelles de Paris, qui annonçaient des troubles ; ce qui me fait languir davantage dans la disette de vos lettres. Veuillez ne pas tant nous les épargner, je vous en prie. Nous ignorons où est en ce moment notre bonne et digne Mère et si elle a vu son conseil. Il nous tarde de savoir sa décision et l’arrivée chez vous de deux de nos amis qui vous ont porté des souliers sauvages. Les états [rapports financiers] ci-joints ont été oubliés à leur départ ou réservés pour un autre qui a manqué. Je viens de faire une courte visite dans les deux maisons. Les santés se sont rétablies à Saint-Charles, où l’on songe sérieusement à bâtir. Monsieur Van Quickenborne, qui y est à demeure, ne veut point qu’on se méfie de la Providence et en attendant ses bontés, il emploie les moyens humains d’une souscription. Je voudrais savoir si l’emprunt, qui a été fait pour nous, peut se reverser sur cet établissement, quand 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : Paris, 12 Janv. 1834.

Lettre 452



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nous pourrons mettre quelque chose de côté. Je commence à l’espérer si Saint-Charles trouve alors le suffisant. Je vous prie de m’informer si nous pourrions prolonger l’emprunt jusqu’à ce que nous ayons agrandi notre chapelle et fait la chambre pour laquelle ma bonne cousine m’a envoyé 1 000 F. Ils ont vite été employés au plus pressé et je voulais seulement arranger ma petite retraite quand les ouvriers ont posé un toit, malgré mes réclamations, qui n’y laisse presque plus de jour. Une lettre de Saint-Michel m’apprend aujourd’hui qu’on vient d’y perdre Lise Lévêque1, la sixième des six sœurs de la Société. Elle était excellente et fort capable, ayant fait son éducation sous Mère Eugénie qui est bien affligée. Elle me dit de tirer sur elle [sur son compte] pour ce que vous l’avez chargée de me remettre. Chacune de nos 5 familles aurait besoin de 2 personnes de plus, surtout Saint-Charles. Je vois de plus en plus la nécessité de laisser les jeunes à Saint-Louis. Leur santé souffre à Saint-Ferdinand ; personne ne sait les soigner et la difficulté de la langue y a plus d’inconvénients qu’ici. Monsieur Jeanjean est encore à Baltimore avec notre grand papa [Mgr Rosati], attendu ce mois-ci chez lui. Nous avons reçu l’envoi à M. King, de New York, sans perte. Mes respects à mon cher oncle Joseph [Varin] ; dites-lui, je vous prie, que l’épreuve dont je lui ai parlé dure toujours. Rien de nouveau ici qu’une augmentation d’enfants. Mes respects à Pères et à Mères. Je suis toute à eux et à vous in Corde Jesu. Philippine Ce 27 novembre [Au verso :] À Madame Madame Henriette Ducis Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne N° 41 À Paris France By way of New-York

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Lisa Lévêque (1812-1833), RSCJ, entrée à Saint-Michel en 1830, a fait ses premiers vœux en 1832. Elle est décédée le 24 octobre 1833 des suites du choléra.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 453

L. 114 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis ce 10 décembre 18331 St Antoine Ma bien digne Mère, J’enferme dans ma lettre ce billet de Mère Anne [De Coppens]. Je me doute qu’elle vous parle de choses dont je vous ai entretenue plusieurs fois. Elle voit du même œil à peu près que moi le voyant2 ; le reste en est content, ce qui forme un peu de méfiance. Il a vu deux de mes lettres qu’on lui a montrées à ma grande surprise, trouvant qu’on manquait à un secret et il annonce qu’il parlera à notre grand Père [Mgr Rosati] à son retour pour faire tout aller. Je n’ai pas eu la moindre pente à faire une démarche auprès de lui pour l’éviter, sachant bien que le pire serait de retomber dans le rien et c’est ce que je désire. Si on va jusqu’à vous, vous êtes sûre d’avance que toutes vos déterminations me trouveront soumise. Monsieur Jeanjean, qu’on attend d’heure en heure avec notre grand Père qui revient avec lui de Baltimore, nous a fait dire qu’il est chargé de beaucoup de lettres pour nous. Je voulais les attendre pour faire celleci, mais je craignais faire de la peine à Anne en différant tant l’envoi de son billet. Elle se porte bien, veille au salon, au vestiaire des enfants, à leurs ouvrages et catéchisme, et comme la famille augmente, il serait bien difficile à présent de se passer de son secours. Elle me prévient en tout et comme je ne mérite pas ses égards, j’ai eu le malheur de penser qu’à la mort d’Octavie, elle a eu la pensée de la remplacer. Je demande à Dieu que sa volonté s’accomplisse, et ne sais plus que dire par rapport aux charges. Plusieurs ne les craignent pas assez et c’est cette confiance qui fait ma méfiance, ne voyant rien de sûr que dans l’humilité. Celle que je proposais pour maîtresse des jeunes n’a pas gagné depuis la nouvelle

1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 27 mars 1834. Copie, C-III 1 : USA Foundation Haute-Louisiane, Box 3, Lettres de la Louisiane II, p. 205-208. J. de Charry, II 3, L. 294, p. 242-243. Il s’agit peut-être de M. Borgna qui a contribué à la désunion de la communauté par son manque de discrétion et de prudence auprès des religieuses.

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Lettre 453

direction1, ni Henriette [de Kersaint] non plus quoiqu’elle ne le voie pas. Je l’avais priée d’être admonitrice en attendant les ordres supérieurs, elle l’a refusé disant que cette charge lui avait donné tant de peines à Quimper qu’elle avait promis de ne la plus prendre. J’ai accepté son refus en lui disant que je pensais en effet qu’une personne plus calme pouvait mieux remplir cette place. Je pense que vous avez souvent des nouvelles directes de Mère Xavier [Murphy]. Tout va bien chez elle. Mère Eugénie était au moment de venir nous voir ; les médecins, ses filles même l’y invitaient pour sa santé qui menaçait ruine à la suite du désastre du choléra et la mort d’un de ses meilleurs et plus jeunes sujets [Lise Lévêque]. La maladie de plusieurs autres la rattache à sa maison dont il est bien difficile de la tirer sans y nuire beaucoup. La mort du saint évêque est une perte irréparable2. On dit que Monsieur Delacroix veut aussi retourner en son pays. Il sera difficile de le remplacer. Saint-Ferdinand se soutient avec de médiocres sujets. Saint-Charles a reçu de La Nouvelle-Orléans près de 2 000 F par souscription pour la bâtisse. J’espère qu’il nous sera permis d’y rendre une partie du prêt que vous avez bien voulu nous faire, quand nous le pourrons. Nous n’avons pas encore les 20 000 F et il faudra plus avec les meubles. Je vous prie d’agréer nos vœux de bonne année et de me croire votre soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Barat Sophie Barat Rue de Varenne n° 41 À Paris France

1 2

Philippine parle peut-être de Joséphine Milles. Mgr De Neckère, évêque de la Nouvelle-Orléans, est mort du choléra le 5 septembre 1833.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

LETTRE 454

L. 115 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis ce 28 décembre 1833 St Antoine1 Ma bien digne Mère, Votre heureux retour à Paris et l’objet de la pieuse réunion [la 5e Congrégation générale] nous a comblées de joie et nous attendons les résultats avec impatience et soumission. Agréez, je vous prie, nos vœux de bonne année. Ils sont d’autant plus ardents que votre charge devient plus pesante. Il en a dû coûter à votre cœur de prononcer la suppression de cette maison chérie [de Sainte-Marie d’En-Haut], qui est encore l’objet de mes plus fortes attaches et du plus grand sacrifice que je puisse offrir au berceau du Divin Enfant. Si Dieu frappe ainsi le bois vert, que sera-ce du bois sec et vermoulu que nous taillons ici. La Fourche anéantie est bientôt occupée par des personnes d’une autre Société2 ; Saint-Michel, à deux doigts de sa perte au moment du choléra, par la maladie de Mère Eugénie, par la mort du bon Pasteur [Mgr De Neckere], par la résolution de Monsieur Delacroix de quitter définitivement3 ; Les Opelousas reposant sur une seule tête [Xavier Murphy] ; Saint-Charles et Saint-Ferdinand sur lesquels vous aviez presque porté sentence et qui auraient servi incontinent à d’autres4. Tout cela montre la fragilité des établissements humains et me fait beaucoup craindre d’être l’auteur de tant de disgrâces. Il y a beaucoup de témoignages contre moi, et moi-même ne puis m’en défendre ; aussi aurais-je les bras coupés pour de nouvelles entreprises5. L’établissement indien en vue a changé de place et n’aura lieu que dans un an ou plus6. On a aussi 1 2 3 4 5

6

Original autographe dont il manque une page. C-VII  2)  c Duchesne to Barat, Box  2. J. de Charry, II 3, L. 295, p. 244-246. Supprimée en mars 1832, la maison a été reprise par l’évêque qui l’a cédée aux Carmélites, puis aux Lazaristes. Elle sera détruite par un incendie en 1855. Curé de Saint-Michel, il a quitté la paroisse quand Eugénie Audé est allée en France. Cf. Lettres de Madeleine-Sophie Barat à Philippine, 22 octobre 1831 et 8 mai 1832. Cf.  L. 30 à Mme  de  Rollin, 13  janvier 1834 : « Les bras me tomberont pour de nouvelles entreprises.» C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5, Cahier Lettres à Mme de ­Rollin. Dans ses lettres du 23 juin 1833 et 22 septembre 1833, Philippine a déjà parlé de ce projet, pour lequel elle est en rapport avec le P. De Smet. L’arrivée des RSCJ chez les Potawatomis se réalisera en 1841 et Philippine fera partie de la communauté fondatrice.

Lettre 454

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en vue pour le faire des Sœurs de la Charité ou de celles de la Croix ; nous ne sommes qu’en troisième [position] et souvent les dernières dans les nominations. Si ce qu’on dit du concile national des États-Unis est vrai, on peut attendre un meilleur temps. Il paraît qu’il y a été déterminé que toutes les nations sauvages qui n’appartiennent pas déjà à un diocèse seraient remises aux soins des Jésuites et de la Propagande. Alors on n’irait pas avec un seul prêtre qui peut manquer ou par la mort ou du côté de la sainteté, ce qui livrerait un établissement à une déchéance certaine. Il ne faudrait que des personnes mûres et j’ai déjà vu qu’on ne se souciait pas beaucoup de moi. Je vous avoue que je deviens tous les jours plus soupçonneuse. Tous ceux qui viennent ici ne s’y font pas saints, et il les faudrait à miracles pour opérer le bien parmi tant d’obstacles. Vous aurez appris à Paris que nous n’avons point emprunté les 20 000 F destinés pour New York. Nous avons eu votre prêt de 10 000 F, 3 200 F des Opelousas. Saint-Michel n’a pu rien faire. J’espère que nous nous en tirerons avec le prix des bijoux du Père Barat1, par son nouveau don de 1 000 F, par la pension de Mère de Kersaint et ce que vous nous faites encore espérer. C’est un nouveau bienfait que ce soit réversible sur Saint-Charles auquel nous nous intéressons comme à nous-mêmes. Dieu a béni votre volonté et nous éprouvons l’avantage de nous y être attachées. Nous comptons 30 élèves au lieu des 8 ou des 12 qui nous sont restées souvent. Ce sont de petits enfants dociles et des meilleures familles américaines ; mais aussi ce sont autant de princesses à qui il faut des soins infinis, qui ont sans cesse des visites, qu’on retire à la moindre indisposition, qu’on accable de gourmandises. Je ne sais quoi vous dire sur le sujet de mes dernières lettres, à mes appréhensions s’est joint le refroidissement de nos amis. Le Père [Verhaegen] est venu me faire un discours aussi éloquent que la lettre de saint Ignace à sa dévote espagnole2. J’en ai été accablée. Depuis, on s’éloigne beaucoup. Je pense que c’est pour ne pas ombrager. Monseigneur à son retour a dit qu’il viendrait confesser. Plusieurs, Mère de Kersaint surtout, en ont pleuré longtemps. Elle ne me dit rien, mais d’autres qui sont poussées, je pense, viennent insinuer qu’elles aimeraient bien mieux celui que je vous ai désigné [M. Borgna] et qui, ve1 2

Cf. Lettre de Ph. Duchesne à H. Ducis, 11 octobre 1832. C’est probablement la lettre du 18 juin 1536, écrite par saint Ignace à Thérèse Rejadilla, ­religieuse du monastère de Sainte-Claire. Il refuse que les Jésuites dirigent spirituellement sa communauté.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

nant dire la messe, serait une occasion pour aller à lui. Le refuser le piquera lui-même et fâchera les pauvres Sœurs. [sans finale, ni signature]

LETTRE 455

L. 117 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[29 décembre 1833] Monseigneur, En vous envoyant la liste que vous m’avez demandée, je voudrais y joindre celle des vœux que la vénération et la reconnaissance nous portent à offrir à Dieu pour vous, à l’approche de la nouvelle année. Votre cœur pourra mieux les entendre que nous ne saurions les exprimer ; ils tendent surtout à attirer la bénédiction du Ciel sur vos importants travaux et à nous mériter la continuation de vos soins paternels. Monsieur Borgna a dit à Madame De Coppens qu’il ne voulait plus venir ici. Cette résolution de sa part a renouvelé mes regrets de la perte que nous avons faite en Monsieur Condamine. Je me rappellerai toujours son exactitude, sa piété modeste, sa douce politesse, son humeur accommodante et paisible. On m’a dit qu’il ne s’accoutumait pas à Kaskaskia, ne sachant pas assez l’anglais. Je suis affligée de vous être un sujet de peine et vous prie de me le pardonner. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, l’indigne fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 29 décembre 1833 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1833 Déc. 29, Mme Duchesne. »

Lettre 456

LETTRE 456



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L. 1 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ [À la fin de l’année 1833]1

Ma révérende Mère, C’est dans le sentiment de la plus vive douleur que je vais ajouter à celle qui remplit en ce moment votre cœur maternel par la perte déjà sensible des quatre sœurs que le choléra nous a enlevées à Saint-Michel. Ce terrible fléau nous a épargnées, mais la mort qui avait respecté jusqu’ici nos maisons du Missouri vient d’y frapper, par d’autres armes, sa première victime. La Mère Octavie Berthold a enfin succombé à ses longues souffrances. C’est le 16 septembre dernier qu’elle a cessé de vivre. J’ai perdu en elle mon soutien, mon appui, et ses sœurs le plus touchant modèle ! Née à Genève au sein du calvinisme, Octavie vint à Grenoble pour y consacrer ses talents à l’éducation des jeunes personnes. Elle eut le bonheur d’ouvrir les yeux à la lumière et d’embrasser, à l’âge de 24 ans, la religion catholique. Fidèle à toute l’étendue de cette première grâce, elle médita celle de la vocation religieuse et environ deux ans après son abjuration, elle entra dans notre Société, en prit les saintes livrées dans notre maison de Grenoble2, fit ses premiers vœux à Paris, le 5 février 1817, et prononça ses derniers engagements en 1818, au moment de partir pour l’Amérique. Son amabilité, la douceur de son caractère la faisaient également chérir, et des personnes du dedans et de celles du dehors. Elle obtenait sur toutes cet ascendant que donne la vertu, jamais on ne la vit se démentir un seul instant. Accablée pendant huit longues années de la plus douloureuse maladie, couverte de plaies, elle trouvait dans son zèle les forces que lui refusait sa santé et malgré les divers emplois que le petit nombre de sujets me forçait à réunir sur elle, jamais elle ne se permit une plainte. Je la trouvais toujours également obéissante et docile, n’omettant pas un seul de ses exercices de piété et trouvant encore dans son ingénieuse charité le moyen d’obliger ses sœurs. Aussi toutes la regrettent, la pleurent et sentent le besoin de l’imiter. Elle est morte presque sans agonie et conservant toute sa connaissance. Elle avait reçu depuis longtemps le saint viatique et l’extrême-onction, elle communia plusieurs fois depuis dans son lit, mais sa faiblesse étant 1 2

C-VII 2) c Duchesne, History of the Society, Box 1, Relations des premières missions de la Société en Amérique, cahier 5, p. 14-16. Octavie Berthold est entrée le 4 septembre 1814 au noviciat de Sainte-Marie d’En-Haut.

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

ensuite devenue extrême, on lui apporta la sainte communion à minuit, la veille de sa mort. On lui réitéra, le matin, la grâce de l’absolution et des dernières indulgences et pendant que nous récitions auprès d’elle les prières des agonisants, elle rendit sa belle âme au Seigneur dans les sentiments de la plus douce et de la plus entière tranquillité, âgée de 46 ans et 15 jours. On pria sans interruption dans sa chambre ou à la chapelle jusqu’au moment de l’enterrement qui se fit le lendemain de sa mort. Le curé et le premier vicaire chargèrent le recteur des Jésuites de la cérémonie et du sermon que l’on fait ici à tous les décès un peu marquants. Quatre messes furent dites sur le corps ; on chanta solennellement la dernière avec diacre et sous-diacre. Nous suivîmes cette chère Mère jusqu’à sa tombe qui est dans notre clôture. Les orphelines ouvraient la marche, en habillement bleu et voile blanc ; les élèves suivaient vêtues de noir, puis les externes, nos sœurs et le clergé. Quatre Sœurs de la Charité aidaient à porter le corps, nos anciennes étant trop faibles pour soutenir seules ce précieux fardeau. Je ne m’étends pas davantage, ma digne Mère, sur cette perte dont vous ne comprenez que trop l’étendue et, quoique je ne puisse douter du bonheur de cette âme si fidèle, je vous supplie cependant de réclamer pour elle les suffrages de la Société. Duchesne By way of New-York

NOTICES VIES DES RELIGIEUSES DU SACRÉ-CŒUR EN AMÉRIQUE1 État du Missouri et de la Louisiane Elles y sont venues de France en 1818 1ère Sœur Mary Ann Summers

Sœur Mary Ann Summers naquit le 28 décembre 1804, à Baltimore dans le Maryland, d’une famille irlandaise, son père et sa mère étant 1

C-VII 2) c Duchesne-Writings about the history of the Society, Box 1.

Notices



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venus s’établir à Saint-Louis, État du Missouri. Ils y moururent bientôt et laissant quatre filles en bas âge. L’aînée, qui était notre chère Sœur, fut conduite à Mgr Dubourg comme au père commun de tous les orphelins catholiques. Monseigneur nous l’envoya à Saint-Charles, où nous passâmes la 1ère année de notre séjour aux États-Unis. Le tuteur donné à ces malheureux enfants voulait nous l’arracher, étant ennemi de la religion catholique ; mais Monseigneur lui résista. Quand elle eut atteint 14 ans, elle demanda à la Cour un tuteur de sa religion ; ce fut M. Hubert Guyon qui lui permit peu après de prendre notre saint habit. Il y avait un peu plus d’un an que nous la tenions comme orpheline ; et dans ce court espace, il s’était fait en elle un changement total. La religion, qu’elle n’avait connue avant que de nom, avait fait sur son âme les plus fortes impressions ; elle était devenue humble, recueillie, silencieuse, mortifiée. Elle prit l’habit comme sœur coadjutrice le même jour où Mlle Saint-Cyr prit celui de dame [de chœur], à la fête de saint Joseph 1821. 1823 Aussitôt après, elle fut employée le matin à la cuisine et l’après-midi à la classe externe ; deux emplois qu’elle exerça parfaitement bien ; ce qui lui mérita de faire ses 1ers vœux comme Sœur, le même jour de saint Joseph, ses deux années de noviciat expirées, avec nos deux Sœurs Hamilton. Le 18 juin 1823, elle fut envoyée dans notre maison des Opelousas avec une ancienne sœur de France. Ses qualités de corps et d’esprit firent juger qu’elle rendrait plus de services à la Société si elle était toute consacrée aux classes et on lui fit prendre le costume des maîtresses. Elle fit courageusement le sacrifice de son départ de Saint-Ferdinand, maison où elle avait pris l’habit, fait ses vœux, où elle était à portée de voir ses sœurs, et en 1825, celui de celle qui lui avait fait faire les premiers pas dans la vertu, la Mère Eugénie Audé qui avait été sa maîtresse à son entrée chez nous et qui depuis, était la supérieure aux Opelousas, maison qu’elle quitta à l’automne 1824 pour aller établir notre maison de Saint-Michel. Depuis cette époque, Sœur Mary Ann se dévoua plus que jamais à l’œuvre de Dieu, ne s’épargnant pour rien, faisant en tout les volontés de sa supérieure qui ne cessa de rendre justice à son zèle et à sa vertu. Enfin le 20 mai 1826, elle fut soudainement attaquée d’un mal dans l’estomac qui l’emporta en deux heures, sans que l’on ait pu croire qu’elle

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CHAPITRE IV : 1829-1833 – NOUVELLE CROISSANCE ET CONFLITS

fût au point de recevoir les derniers sacrements. Mais elle s’était confessée dans la semaine et sa vie régulière et fervente n’a laissé aucune inquiétude sur son sort. 2e Mère Mathilde Xavier Hamilton

Née à Fredonia, État du Missouri, 28 septembre 1802 Mademoiselle Mathilde Hamilton, entrée comme pensionnaire chez nous à l’âge de 17 ans, 1819, avant même notre arrivée à Saint-Ferdinand, étant encore à l’habitation de Mgr Dubourg. Sa famille, originaire du Maryland, était venue s’établir sur le Mississippi vis-à-vis de Kaskaskia et était catholique. Mme Fenwick sa grand-mère était et est encore, par sa piété et ses autres grandes qualités, l’admiration de tous ceux qui la voient, surtout de Messeigneurs nos évêques. Mlle Mathilde avait été à l’école à Sainte-Geneviève et était retournée dans sa famille dont elle était particulièrement chérie, lorsque Monsieur Portier, alors nouvellement prêtre et maintenant évêque chargé des Florides, est allé dans sa famille pour s’accoutumer à parler anglais. Il conseilla à Mme Hamilton de mettre Mlle Mathilde chez nous, où elle arriva à l’automne 1819 et sa sœur Mlle Eulalie à Noël de la même année. Ce jour-là même, Mlle Mathilde parla français et profita également dans toutes les branches de son éducation. Dieu, qui la fit surtout avancer dans la vertu après une retraite que nous donna Monsieur de Andreis, supérieur des Lazaristes, à qui elle fit une confession générale, la favorisa la même année de la vocation religieuse. Elle ne s’était pas encore déclarée à ses parents quand ils l’envoyèrent chercher subitement, leurs ordres étant trop précis pour qu’elle pût différer. Retournée dans sa famille, les prévenances qu’on lui faisait de tous côtés, parents et amis goûtant également sa conversation, lui firent oublier un moment ses pensées de retraite. L’amour de sa famille la fixa, son temps se passa en visites et Dieu fut un peu oublié, l’éloignement de l’église, la rareté des secours spirituels lui ôtant les moyens les plus forts de se soutenir dans la piété. Enfin, Monsieur Potini, jeune missionnaire lazariste, étant aussi allé apprendre l’anglais dans sa famille, elle lui fit de nouveau une confession générale et il la pressa fortement de quitter le monde qui lui devenait dangereux. Elle écrivit à la supérieure de Saint-Ferdinand, la conjurant de la recevoir et faisant la promesse formelle d’obéir à la voix de la grâce. Il s’agissait de la retirer de sa famille, ce dont sa mère et sa grand-mère seules pouvaient être gagnées. Son

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père était mort, ses oncles ses frères n’auraient jamais consenti à son éloignement. Mgr Rosati obtint le consentement de Mme Hamilton. Mme Fenwick le donna d’elle-même avec joie et le R. Père Marie-Joseph Dunand, ancien curé de Saint-Ferdinand très connu de toute la famille de Mlle Mathilde dont il était le parrain, fut jugé le seul capable de la retirer des mains de ses frères. Il alla la demander pour assister à la prise d’habit de sa sœur cadette [Eulalie], qui avait plus facilement que l’aînée obtenu de quitter le monde. Mesdames Fenwick et Hamilton, d’accord avec le zélé parrain de Mlle Mathilde, la lui remirent en surmontant par religion les sentiments de la nature. Il la conduisit à Saint-Ferdinand où elle arriva la veille de la prise d’habit de sa sœur, 3 mai 1821. Elle fut revêtue elle-même de nos saintes livrées le jour de saint Régis, 16 juin 1821. Ce fut Mgr Dubourg, charmé de la bonne acquisition que nous faisions, qui voulut faire la cérémonie. Comme c’était grande fête patronale chez nous, elle fut très solennelle ; nous reçûmes, outre la messe de Monseigneur, celle du Père J. Dunand, de Messieurs Anduze, Delacroix, Tichitoli. Notre nouvelle Sœur prit le nom de Xavier, par amour pour l’apôtre des Indes, dont elle avait extrait la vie durant son postulat ; et elle avait avec lui des traits de ressemblance : un extérieur très engageant, un cœur mâle, une âme généreuse et capable de grands sacrifices. Elle en eut à faire pour convaincre l’amour naturel, la délicatesse, l’amourpropre. Elle vainquit le 1er ennemi par tant de détachement qu’elle disait un jour : « Tout ce qui me ferait plaisir en descendant dans la Louisiane serait de passer devant mes parents sans leur dire adieu comme a fait mon saint patron. » Sa délicatesse fut changée en la plus stricte mortification : tout lui était indifférent pour la nourriture et le vêtement ; jamais un signe de mécontentement. Elle affligea de plus sa chair par des ceintures de fer, de fréquentes et sanglantes disciplines qu’il fallut modérer quand on s’en aperçut. Son dernier ennemi, l’amour-propre, fut le plus difficile à vaincre. Il excita bien des tempêtes dans son cœur naturellement fier et attaché à son jugement. Dieu la laissa longtemps dans de terribles combats : dégoût de ses supérieures, jalousie contre ses sœurs, dépit de ses fautes, doutes contre la foi, tentations de toutes sortes, désespoir même jusqu’à désirer s’ôter la vie. Son courage et sa foi surmontèrent tant de maux qui accablaient son cœur ; tandis qu’il était sous le pressoir des tentations et du chagrin, elle était aimable, soumise, toujours prête à obéir.

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19 mars 1823 Elle fit ses premiers vœux, avant la fin de ses deux années de noviciat, avec sa sœur Eulalie et Sœur Mary Ann Summers. Monsieur Delacroix les reçut et jamais cérémonie semblable ne répandit plus d’onction de joie dans tous les cœurs. Elle continua à profiter dans la vertu et l’instruction, et ses succès auprès des enfants la firent juger capable de seconder Mère Eugénie Audé dans l’établissement de Saint-Michel et en considération de cette destination, elle obtint de faire ses derniers vœux avant l’expiration des cinq années. Elle les prononça le dix-sept avril 1825. Le Père supérieur des Jésuites fit la cérémonie. Son départ eut lieu le jour de l’Ascension 1825. Son calme recueilli marquait assez la paix de son âme fondée sur la volonté de Dieu ; elle ne versa aucune larme en quittant un confesseur éclairé qui avait toute sa confiance, une sœur chérie et ses Mères et Sœurs de religion, les enfants dont elle avait toute l’estime. Elle ne s’arrêta point chez ses parents, alla d’abord aux Opelousas et devint en novembre assistante de Mère Eugénie à Saint-Michel, où elle fut occupée à l’instruction des novices et au pensionnat. Enfin le moment de la récompense arriva. Elle eut un dépôt sous le bras et tomba dans une langueur qui la conduisit au tombeau. Voici ce qu’en écrit sa supérieure [Eugénie Audé] : Elle n’est plus, notre ange de paix. Le Seigneur l’a appelée à lui, hier, 1er du mois [d’Avril], à 6 heures du matin, année 1827. À trois heures, on m’appela, je ne lui trouvai pas de pouls. Elle s’en aperçut et dit : « Lorsque je n’aurai plus de pouls, je serai dans le sein de mon Dieu, je serai bien mieux qu’ici-bas. » Je fis appeler son confesseur, elle se confessa, reçut l’application des indulgences, les derniers sacrements ayant déjà été reçus avec toutes les cérémonies. Elle répondit aux prières de la recommandation de l’âme avec une parfaite connaissance, puis elle mit sa main placée dans la mienne et me dit : « Je vais mourir dans quelques instants ; je vais rejoindre mon Dieu. » Elle prit sa croix, y appuya ses lèvres tremblantes, prononça le nom de Jésus, leva les yeux vers moi pour me dire adieu, dit d’une voix expirante : « Jésus ! » et donna son dernier soupir. Un abandon entier entre les mains de ses supérieures pour qui elle avait le plus tendre respect, et à qui elle était unie de cœur et d’esprit, une soumission de jugement qui n’a jamais été en défaut, le dévouement le plus généreux, un courage mâle pour vaincre les répugnances de la nature, une patience à l’épreuve de la souffrance, la douceur, la bonté envers ses Sœurs et les enfants qui toutes la chérissaient, telles sont les

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vertus qui brillaient dans notre chère Sœur et qui ont fait notre édification et ma plus douce consolation. Mais ce qui m’a surtout souvent touchée jusqu’aux larmes, c’est la douceur et la flexibilité de ce caractère naturellement fier et hautain entre les mains de ses supérieures ; leurs moindres paroles étaient reçues avec un respect religieux ; tout cédait en elle lorsqu’elles avaient parlé. Il n’y avait de récréation pour elle que là où elles étaient ; loin d’elles, elle parlait moins ; la raison était que devant sa Mère, elle pouvait parler et agir avec plus de liberté parce que, si elle disait ou faisait quelque chose de mal, elle serait avertie…

Elle n’a eu que deux ou trois minutes d’agonie. Son âme, depuis longtemps détachée de tout, est sortie sans peine et sans combat de sa dépouille mortelle pour s’unir pour toujours et à jamais à son divin époux. 3e Sœur Borgia Boudereaux

Coadjutrice de la maison de Saint-Michel, morte en janvier 1830. Cette bonne Sœur avait été mariée et avait eu un mari pieux et des enfants bons comme leurs père et mère. Habitants de la Basse-Louisiane, ils s’écartaient des endroits fréquentés pour conserver l’innocence de leurs enfants et s’il recevait des visites, c’était pour de pieuses réunions le dimanche, chantant la messe et les vêpres, faisant de bonnes lectures, des instructions chrétiennes et faisant aux grandes fêtes jusqu’à 30 lieues à pied pour assister à la messe et approcher des sacrements. À la mort du père Boudereaux, ses fils aînés déjà pères de famille et deux des filles religieuses, l’une aux Ursulines, l’autre au Sacré-Cœur de Saint-Michel, conjurèrent à genoux la supérieure de cette dernière maison de recevoir parmi ses novices leur bonne mère qui avait au moins 60 ans. Elle fut admise et prenait les avis de sa propre fille pour accomplir à la lettre tous les points de la règle, toute la perfection de ses humbles emplois et tous les ordres de l’obéissance. Elle eut soin du jardin, de la basse-cour, d’un dortoir. Son fils aîné étant venu avec ses petits-enfants comme domestiques servir dans la maison, elle ne leur parlait point sans ordre et sans nécessité et pratiqua ce détachement jusqu’à la mort, ayant donné jusque-là des exemples admirables de sainte simplicité, de pauvreté, d’obéissance et de ferveur. Une fluxion de poitrine l’enleva en janvier 1830 ; elle fit la mort d’une sainte.

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Sœur Aucoin à Saint-Michel

Deux ans après Sœur Borgia est aussi morte à Saint-Michel une autre Sœur coadjutrice qui avait d’abord été reçue chez les Sœurs de la Croix et entra chez nous quand celles à La Fourche demandèrent leur réunion. Elle s’y est distinguée par sa patience dans de fréquentes infirmités, son obéissance et sa confiance en la Sainte Vierge. Elle y a presque toujours été chargée du réfectoire des élèves. Sœur Lucille Roche aux Opelousas

Cette jeune Sœur était venue d’Irlande avec sa famille. Elle entra entre 15 et 16 ans chez nous et s’y distingua dans le noviciat de Saint-Ferdinand par son courage pour les travaux les plus pénibles, sa candeur, son obéissance et sa ferveur. Elle prit l’habit au terme fixé après le postulat et fut destinée en 1830 pour aller avec Mère Félicité Lavy Lebrun aux Opelousas. Elle s’y livra avec la même ardeur à tous les travaux pénibles, mais une maladie prompte et cruelle l’enleva avant la fin de l’année [le 16 août 1830]. Sœur Ignace Labruyère de Saint-Michel

Cette bonne Sœur coadjutrice est décédée à Saint-Michel, le 9 novembre 1831. Elle était née le 31 janvier 1801, à Sainte-Geneviève, diocèse de Saint-Louis. Elle entra au noviciat de Saint-Ferdinand le 7 mars 1822 et y fit ses 1ers vœux le 25 juin 1824. Elle fut, ainsi que notre Sœur Hamilton, destinée pour la fondation de Saint-Michel et partit avec elle sous la conduite de Mère Eugénie Audé, le jour de l’Ascension 1825. Elle s’est employée avec zèle à presque tous les emplois de son rang dans cette nouvelle fondation. Elle y fut en même temps dépensière, portière, vestiaire et infirmière ; et cela à la satisfaction de toutes ses Sœurs, des enfants et de leurs parents qui l’estimaient et la chérissaient tous. Sa mauvaise santé, de fréquentes fluxions [de poitrine], des maux de dents cruels et surtout une toux opiniâtre contraignirent à lui ôter la porte, son dernier emploi qui lui fut resté, car il avait fallu nécessairement les diviser, quand la maison s’était accrue. Sa dernière maladie a été longue et douloureuse, et sa mort a été celle des saints.

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1832 Sœur Aucoin, coadjutrice, est morte à Saint-Michel (Louisiane). La même année, Sœur Amélie Lévêque, aspirante de chœur, dans la même maison. La lettre qui annonce ces morts est dans le Cahier des Lettres intéressantes, page 69, 2e partie. 1833 Le 30 mai, dans la même maison, le choléra a enlevé en quelques heures Mère Xavier Vaud, une Flamande, aspirante de chœur, à onze heures du soir. Le lendemain à midi mourut de la même maladie, en moins de 24 heures, Mère Thérèse Detchemendy, aussi aspirante de chœur. Et le même jour à 3 heures du soir, Sœur Bariot aspirante coadjutrice. Et 3 jours après, Sœur James novice de chœur. Et depuis, Sœur Michel, d’apoplexie. Mère Octavie Célestine Berthold

Notre chère Mère Octavie, née le 2 septembre de l’année 1787 à Genève, en Suisse, dans le berceau et le centre du calvinisme, fut élevée dans cette religion et y vécut jusqu’à l’âge d’environ 23 ans. Son père, officier du Génie en France, royaliste de cœur, n’en était pas moins si attaché à sa secte qu’il n’eut plus de rapport avec elle depuis sa conversion. Il l’avait élevée lui-même avec sévérité, mais avec la jalousie de la rendre savante comme il l’était lui-même. La révolution [de 1789] l’ayant réduit à se mettre précepteur dans différentes maisons, il forma sa fille pour l’enseignement des demoiselles. À l’âge de 22 ans, elle était à Grenoble, donnant des leçons. Des personnes pieuses cherchèrent à la gagner à Dieu et à la tirer des deux abîmes où elle était exposée : la perte de l’innocence après la privation de la vraie foi. Elle se convertit, fut baptisée à la cathédrale, placée comme maîtresse dans une pension catholique. On chercha bientôt à l’élever à un état plus parfait et à lui obtenir le bienfait de la vie religieuse. Le directeur du séminaire vint l’offrir au Sacré-Cœur de Grenoble. Elle y entra le 4 septembre 1814 et fit son noviciat avec la Mère Aloysia [Euphrosine] Jouve et Louise [Olympie] Rombau ; elle le

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finit à Paris à la naissance du noviciat général sous la même conduite qu’à Grenoble, la Mère Bigeu première assistante générale, ayant passé de Grenoble à Paris pour y être maîtresse générale des novices. Mère Octavie y fit ses premiers vœux le 5 février 1817 et fut en même temps maîtresse de la 3e classe. Cette année-là, notre Supérieure générale destina une colonie pour l’Amérique sous les auspices de Mgr Dubourg évêque de la Louisiane et du Missouri. Mère Octavie fut une des élues pour la fondation du Missouri et pour cela, on avança l’émission des derniers vœux ; elle les prononça le 3 février 1818 et partit peu de jours après avec la charge d’assistante. Après un séjour d’un mois à Bordeaux, une traversée de 70 jours, elle arriva à La Nouvelle-Orléans, où elle et ses compagnes furent reçues chez les Dames Ursulines, où le séjour fut encore d’un mois environ, et où comme à Bordeaux, elle agréa à tout le monde par son affabilité et la douceur de son caractère. Le voyage sur le Mississippi pour arriver à Saint-Louis, résidence de Mgr Dubourg, fut de 40 jours et après y avoir été trois semaines dans l’incertitude du choix de notre demeure, nous partîmes pour Saint-Charles où elle s’employa tout entière pour les pensionnaires. Et quand au bout d’un an, nous vînmes à Saint-Ferdinand où notre première maison en Amérique fut bâtie, elle y continua les mêmes emplois jusqu’en mai 1827, où elle y fut supérieure pendant quelques années. La réunion des deux pensionnats la fit venir à Saint-Louis ; elle était depuis trois ans dans un état d’infirmité qui l’empêchait d’être auprès des élèves. Dieu l’éprouva beaucoup par des souffrances également douloureuses et humiliantes, par un état d’inaction nouveau pour elle et pénible à son zèle. Les oublis, la solitude, les ennuis d’une longue maladie l’accablèrent tour à tour ; le démon la tourmenta intérieurement ; et ce fut en pressant continuellement la croix amère sur son cœur, en offrant à Dieu encore plus qu’il ne lui demandait, qu’elle se fit victime avec lui et arriva paisiblement à son dernier moment. Sa mort fut causée par le reflux des humeurs malignes dans la poitrine et arriva le 16 septembre 1833 dans la maison de Saint-Louis. Elle était munie de tous les secours qu’offre l’Église à ses enfants. Ainsi se termina par une mort paisible et sainte une maladie de 8 ans. Une lettre du 20 octobre, de Mère Eugénie Audé, annonce la mort de Sœur Lise Lévêque aspirante de chœur, des suites du choléra. Elle a été pendant sa vie un modèle de ferveur, d’innocence, de soumission et de dévouement. Elle n’avait pas vingt ans.

chapitre v

1834-1839 Retour à Florissant

INTRODUCTION En 1834, Philippine retourne à son cher Saint-Ferdinand, à Florissant, toujours comme supérieure. Au cours de ces années, elle demande à Sophie Barat, dans presque chacune de ses lettres, d’être relevée de cette fonction qu’elle n’a jamais désirée et dont elle se sent constamment incapable, en comparaison avec d’autres qui semblent mieux réussir dans le leadership. En 1834 (Lettre 478, du 9 novembre, Florissant), elle rapporte à Mère Barat un cas d’insolence d’enfants à son égard, qu’il est difficile de croire, mais le fait de le raconter est caractéristique de la dépréciation qu’elle a d’elle-même et l’incident sert joliment d’exemple à l’argument selon lequel elle ne devrait pas être supérieure. Il y eut de longs silences dans leur correspondance : aucune lettre de Philippine à la Mère Barat n’a subsisté, de 1837 et 1839, bien que Madeleine-Sophie lui ait adressé deux lettres, le 25 mai et le 20 juillet 1837, et une autre le 25 janvier 1838, faisant référence aux lettres de Philippine, ce qui indique que certaines ont été perdues1. Mais elle est maintenant une supérieure plus expérimentée qui a peut-être moins besoin d’écrire pour demander conseil. Les lettres à Mgr Rosati, fréquentes les années précédentes, commencent aussi à être moins nombreuses. La Société du Sacré-Cœur se développait rapidement en Amérique du Nord. Il était temps d’avoir une assistante générale pour l’Amérique. Il fut demandé aux religieuses de voter à bulletin secret pour en désigner une. La majorité tomba sur Eugénie Audé. Au Conseil général de novembre 1833, en France, Eugénie Audé fut élue in absentia Assistante générale pour l’Amérique, avec mission de visiter toutes les maisons, puis de retourner en France pour en rendre compte. La nouvelle ne parvint à Saint-Louis qu’en mars 1834. En avril, Mère Audé passa par Saint-Louis pour se rendre en France. Pendant les dix-huit mois qui suivirent, Philippine lui écrivit souvent pour la tenir au courant de ce qui se passait en Amérique, rendant loyalement compte à celle qui avait été sa jeune compagne des premières années. Les expressions de foi et de déférence envers Eugénie sont frappantes, étant donné leur passé conflictuel et le fait que Philippine savait qu’Eugénie avait contourné 1

J. de Charry, II 3, L. 315-317, p. 296-299.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

délibérément son autorité pour s’adresser directement à Sophie (ex. : Lettre 299, 1827). En novembre 1834, Philippine suppose qu’Eugénie va revenir (Lettre 497). En janvier 1836, elle en doute (Lettre 503). Ses expressions, ses supplications même pour qu’on lui dise qu’Eugénie va revenir, sont déchirantes quand on sait que Mère Barat lui écrira finalement, en octobre 1836, qu’il ne faut plus attendre Eugénie en raison de sa santé. Elle ne reviendra jamais en Amérique, et mourra le 6 mars 1842, supérieure à la Trinité des Monts, à Rome, où elle repose sous le grand autel de l’église. Depuis son arrivée en 1818 et tout au long des années, Philippine lutta contre le fait de l’esclavage qu’elle rencontrait partout où elle vivait. Elle en fut révoltée lorsqu’elle le découvrit pour la première fois, à La Nouvelle Orléans, et fut tout de suite attirée par les enfants noirs (Lettre 94). Elle se voyait elle-même ainsi que les autres religieuses, dévouées au service des enfants de couleur, motif de leur venue (Lettre 100). Elle exprima périodiquement le désir de les faire entrer à l’école et y réussit parfois (Lettre 122), mais le plus souvent non ; de même pour les admettre dans la vie religieuse et de commencer en vue de cela une nouvelle communauté, et elle n’y réussit pas (Lettres 142, 382). En l’absence d’un nombre suffisant de sœurs coadjutrices, elle préférait embaucher des domestiques, mais elle découvrit qu’en certaines circonstances, la seule manière d’obtenir un travail fait était de se procurer des esclaves, comme tout le monde (Lettres 114, 156). Au fil des années, elle accepta la réalité de l’esclavage dans son contexte et s’en servit quand c’était nécessaire. Elle a même parfois cédé aux clichés (Lettre 548, 1839). Nous connaissons le nom d’une femme noire qui travaillait au couvent, probablement à City House ; Rachel avait été achetée à Mgr Dubourg en 1826, et vendue par Philippine en 1828, nous ne savons pas où (Lettres 280, 331, et JSA 22 mai 1829)2. La lettre 518, fin décembre 1836, 2

Nous connaissons par d’autres sources une certaine Liza Nebitt (ou Nebbitt), orpheline noire probablement née au Kentucky et donnée à l’âge de sept ans à la Mère Duchesne par Mgr Dubourg, vers 1821. Elle passa la plus grande partie de sa vie à Saint-Michel. Comme adulte libre, elle se maria plusieurs fois, sans succès, et elle est toujours revenue à Saint-Michel. Elle soignait avec beaucoup de dévouement les malades et les mourantes de la communauté, et avait sa place à la chapelle à côté des stalles des mères. Chaque année à la Pentecôte, il y avait une cérémonie particulière où elle faisait un vœu de charité. À cette occasion, Mère Hardey lui envoyait chaque année une nouvelle robe blanche de New York ou de l’endroit où elle vivait. Quand Liza mourut à Saint-Michel le 22 juin 1889, elle eut un enterrement solennel comme on le mentionne dans les Lettres Annuelles qui ne parlent habituellement que des RSCJ. (LA 1888-1889-2, p. 503-505).

Introduction



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adressée de Florissant au Père Timon, lazariste aux Barrens (qu’elle appelle par erreur Tanon), sollicite son aide pour l’achat d’un homme pour les gros travaux et d’une femme comme cuisinière. La lettre 523, début janvier de l’année suivante, annule la requête. Une autre pratique était de louer des esclaves, c’est pourquoi plusieurs fois nous voyons que le couvent emploie des gens qui appartiennent à d’autres personnes (Lettres 468, 482, 534). La lettre 439, du 23 juin 1833, fait savoir que Joséphine (Mme de Rollin), sa meilleure amie, lui a offert de payer son voyage de retour à Grenoble, mais elle refusa, disant qu’elle préférait mourir au travail. Elle avait espéré mourir chez les Indiens, mais son rêve s’estompait. Quelques années plus tard, une lettre de la Mère Barat du 20 juillet 1837 suggère que Philippine, n’étant plus supérieure, pourrait revenir en France pour y mourir : « …et qui vous empêcherait de venir mourir avec nous ? Au moins nous nous reverrions »3. Cependant lorsque Philippine fut enfin soulagée de sa fonction de supérieure par Élisabeth Galitzine en 1840, son désir se tourna vers ce qu’elle pensait être le but de sa vie : les missions indiennes. Elle était alors au courant des projets de missions jésuites, plus à l’Ouest. Maintenant, elle pouvait enfin poursuivre son rêve. Dégagée de la responsabilité qu’elle avait portée depuis 1818, elle devenait de plus en plus impatiente à l’idée d’aller à l’Ouest, à la frontière, pour réaliser la totalité du projet pour lequel elle était venue en Amérique, projet sans cesse contrarié par l’éloignement progressif des Indiens des territoires où se trouvait la Société du Sacré-Cœur et la nécessité de bâtir de solides fondations dans les centres où le rêve américain prenait rapidement forme. Bien avant les changements révolutionnaires des Constitutions du Sacré Cœur, proposés par le Conseil général de 1839, on peut discerner l’influence jésuite sur la vie des communautés. Dans la lettre 478, du 9 novembre 1834, Philippine exprime à Sophie son désarroi devant les nouvelles directives sur la prière, qu’elle juge trop compliquées à suivre. Un partage d’un quart d’heure est prévu, le soir : Philippine dit qu’elle ne peut pas le faire. Elle manifeste ici quelque chose de sa propre prière : elle voit les choses comme un tout, et ne sait pas comment les détailler. Elle résume les sermons et causeries à quelques mots, incapable de s’étendre sur un sujet. Le départ d’Eugénie Audé de Saint-Michel et d’Amérique en 1833, la mort soudaine et prématurée de Xavier Murphy à Grand Coteau 3

J. de Charry, II 3, L. 316, p. 298.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

en 1839 et la fin du mandat de Philippine comme supérieure en 1840 laissèrent d’énormes vides dans le gouvernement des maisons. De nouvelles supérieures les remplacèrent : à Saint Michel, Julie Bazire, puis en 1836 Aloysia Hardey, la première supérieure américaine ; Julie Bazire partit alors à Grand Coteau, puis à Saint-Louis après 1840 ; Catherine Thiéfry se rendit à Florissant, et Régis Hamilton à City House, la seconde Américaine à assumer un rôle d’autorité, tandis que Lucile Mathevon continuait à Saint-Charles, où elle était depuis sa refondation en 1828. L’ancien ordre européen commençait à laisser place à du neuf. Pendant ce temps, l’attention de Philippine se portait ailleurs, avec l’Ouest pour horizon. Dès 1831, les commentaires de Sophie dans sa lettre du 30 novembre indiquent clairement qu’elle a reçu des plaintes de religieuses d’Amérique au sujet du gouvernement de Philippine, y compris au sujet de l’ordre, de la propreté de la maison et de la propriété qui dépendait d’elle4. Dans ces dernières années, il est clair que les critiques ont continué, non seulement auprès de la Mère Barat, mais aussi auprès de prêtres en confession (Lettres 457, 460, et 464), d’où les difficultés relationnelles de Philippine, non seulement avec sa communauté, mais aussi avec le clergé local. C’était angoissant pour elle d’être en position d’autorité et d’être ainsi la cible de critiques, alors qu’elle ne cessait de supplier d’être soulagée de cette charge. Philippine, comme toujours, était consciente de l’utilité d’avoir des traces historiques. Elle continua à tenir le journal de la maison où elle résidait5 et elle compila la première de ses trois listes chronologiques6 qui ont survécu : « Époques intéressantes », écrite pendant ou après l’année 1834, placée entre les Lettres 485 et 486. Elle ne donne pas de nouvelles informations, mais montre qu’elle suivait les événements de la Société du Sacré Cœur, non seulement dans le Nouveau Monde, mais aussi en Europe. C’était peut-être aussi pour elle un exercice de mémoire, car elle avait largement dépassé la soixantaine et sentait le poids de l’âge, même si sa robuste santé allait lui permettre de vivre encore de nombreuses années.

4 5 6

J. de Charry, II 3, L. 277, p. 193-195. Le Journal de la Société en Amérique se trouve au début du chapitre VI. Les autres sont au chapitre VII.

LETTRES

LETTRE 457

L. 116 À MÈRE BARAT Ce 2 janvier 18341

Ma digne Mère, J’ai commencé ma lettre, comptant l’envoyer avec les comptes et par courrier, sur une feuille simple pour être moins dispendieux. Ayant une occasion pour New York dans peu de jours, j’en profiterai pour toutes ces feuilles et envoie celle-ci par la poste. Depuis le 28 [décembre 1833] il s’est fait bien des changements. L’aumônier [M. Borgna] ne cessait de dire à Mère Coppens qu’il allait quitter, qu’il avait des raisons si multipliées, si secrètes, etc. Sur le rapport qu’elle m’en fit, je lui répondis que je ne dirais pas un mot pour le retenir, dussions-nous manquer de secours, et de n’en parler à personne dans la maison. Comme il n’a vu aucun mouvement, il a pris son parti de faire ses adieux publiquement après la messe ; c’était tout ce que je craignais, appréhendant un éclat. Mère de Kersaint, seule, est vite sortie pour pleurer à son aise. J’ai accompagné le Monsieur seule, avec Mère Coppens, jugeant les adieux dangereux, car les larmes auraient été réciproques. Je n’ai fait aucune instance pour qu’il restât, lui disant seulement que j’avais trop de peine de le voir tous les jours se retirer à la rigueur des temps, sans rien vouloir accepter. En effet depuis longtemps, il ne prenait pas même une goutte d’eau et dit un jour qu’il était invité à aller déjeuner à l’hôpital en sortant d’ici, ce qu’il acceptait. Je le considérais comme un outrage et comme pouvant faire tort à la maison, car cela supposait que notre déjeuner n’était pas recevable. Je ne puis vous dire ce qu’était la maison avec ce Père ; par bonté il écoutait tout, questionnait sur tout, et les affections sensibles entraî1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Jan. 4 ; Le Havre, 23 févr. 1834 ; Paris, 25 février 1834 ; Niort, 27 févr. 1834. J. de Charry, II 3, L. 297, p. 249-251.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

naient la désobéissance, le murmure, le manque de charité. On devait chanter Dieu seul le jour de son départ. J’en pris occasion à la dernière conférence de dire : que mon souhait le plus ardent pour la nouvelle année était de voir une nouvelle supérieure qui faisant mieux, obtenant la confiance, ne les obligerait pas à dire Dieu seul comme si elles restaient sans appui, avec un saint évêque pour confesseur, et Jésus lui-même sous le même toit, auprès duquel elles pouvaient bien trouver leur consolation si elles étaient fidèles. Cela produisit quelques impressions : plusieurs convinrent de leurs désobéissances volontaires et une, qu’elle avait dit à ce confesseur : « Est-ce que ce que je vous dis vous fait perdre l’estime pour ma Mère ? » J’en ai conclu que c’était ces confidences qui lui faisaient dire qu’il avait des raisons secrètes. Mère de Kersaint lui a écrit une lettre où elle exprime toute sa douleur. Tout m’annonce qu’il aurait bien voulu être prié de rester et qu’il cherche à revenir. J’en dirai encore ce que j’en pense à Monseigneur au risque de n’être pas crue ; mais je n’ai jamais vu tant de renversements dans la maison, que celui qu’a produit cet attachement. Monseigneur nous envoie à présent pour la messe un jeune prêtre français [M. Saint-Cyr] très pieux et qui vient confesser, mais plusieurs le redoutent. Il a des raisons de se charger des religieuses que je respecte beaucoup. Il ne souffre pas que les Sœurs de la Charité se confessent à qui elles veulent. S’il ne nous laisse pas aux Pères [jésuites], c’est, je le vois, pour fournir un petit traitement à ses prêtres, tous pauvres et les empêcher de se décourager par défaut d’occupation. Il faut aussi peu compter sur les Pères. Le Père recteur [Verhaegen] a paru tout disposé un moment et il vient de m’écrire que je dois sentir qu’il ne faut pas qu’il vienne dans une maison confiée à un prêtre séculier. D’ailleurs, il se déplace difficilement et a beaucoup à faire dans son collège. Ce sera beaucoup d’obtenir les retraites et les Quatre-Temps. Je suis à vos pieds votre mauvaise fille. Philippine [Au verso :] À Madame Ducis Rue de Varenne n° 41 Pour remettre à Madame Sophie Barat À Paris France By way of New York

Lettre 458

LETTRE 458



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L. 7 À MÈRE E. DE GRAMONT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 13 janvier 1834 St Ant1. Ma chère Mère, Je profite d’une occasion pour envoyer jusqu’à la mer l’état de six mois de Saint-Ferdinand, mais je suis bien plus empressée encore de vous offrir les vœux que nous formons pour nos chères Sœurs et Mères d’Europe, que nous voudrions imiter : ce dont nous sommes encore fort loin. C’est avec une sensible joie que nous apprenons que la France est assez tranquille et qu’à l’ombre de sa paix, les personnes ferventes trouvent à exercer leur zèle. C’est ce que l’évêque de Charleston fait remarquer à son retour à ses chères ouailles. Les États-Unis ont perdu deux saints évêques cette année et plus de 12 excellents ouvriers, la plupart de maladie. Quelques autres sont venus, mais en plus petit nombre et la vigne du Seigneur a bien des parties où il manque de la culture. Heureusement que, dans ce pays libre, les établissements catholiques prospèrent presque tous et finiront par donner des ministres du pays. Le collège des Jésuites est reconnu par cet État du Missouri comme université et il y a près de 100 pensionnaires, plus de 150 sont aux Barrens, dans le même diocèse, qui donne aussi asile à 60 religieuses : 22 des nôtres, 12 Sœurs de la Charité, 10 Visitandines et le reste, des Sœurs de la Croix. Le choléra n’a enlevé qu’une Sœur de la Charité sur ces 60, mais il n’en a pas été ainsi chez Madame Eugénie à Saint-Michel ; nous apprenons aujourd’hui la douzième mort cette année, la plupart du choléra et de ses suites, ou de la poitrine. Madame Octavie est la seule de l’État du Missouri qui soit morte, des nôtres ou des enfants, depuis 1818. Et Dieu, en nous conservant par sa bonté, a contrebalancé par les croix de disette, de mauvais succès, etc. Il paraît qu’il les diversifie maintenant. Nous prenons une petite forme à l’extérieur : Saint-Charles, notre ber1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : Le Havre, 25 mars 1834 ; Paris, 27 mars 1834.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

ceau, changera cette année sa maison de bois pourri en une autre de briques ; Saint-Ferdinand a 16 pensionnaires et nous de 28 à 30, mais toujours quelques-unes dehors pour indisposition. Saint-Michel, quoique frappé si rigoureusement, a encore 28 sujets, 4 excellentes postulantes, plus de cent pensionnaires, nombre d’orphelines pour lesquelles l’État vient de donner 10 000 F et les parents en auront bientôt réunis 15 000 pour leur bâtir une maison plus grande en briques. Cette maison a fait une perte irréparable dans Mgr De Neckere qui y passait plusieurs mois dans l’année, y donnait des retraites et s’abaissait jusqu’à donner des leçons de hautes sciences aux jeunes maîtresses. Nous éprouvons à notre tour les bontés paternelles de notre saint évêque. Il a repris les confessions de la communauté, que ses voyages et ses indispositions avaient interrompues. Il a donné l’habit hier à Mlle Thérèse Wise, pensionnaire de Saint-Ferdinand venue ici. Il a prêché le matin à la cérémonie et a voulu dîner au salon pour chanter les vêpres avec nous, faire un second sermon et donner la bénédiction. Il officie toujours à la fête du Sacré-Cœur et à celle de Saint-Joseph, son patron et le nôtre. Que celles de nos dames qui ont eu la bonté de nous copier les lettres de notre Mère générale et les relations de Rome reçoivent ici l’expression de notre tendre et vive reconnaissance. Quand nous recevons ces aimables dépêches, nous nous faisons d’agréables illusions et nous nous croyons parmi celles qui nous charment par tant de détails intéressants. Depuis le premier mai jusqu’à la fin de septembre, où nous avons perdu Mme Octavie, notre infirmerie a toujours été pleine ; nous le pensons, à cause des mauvaises influences du choléra. Un bon missionnaire qui en est mort a demandé d’être enterré sur notre terre, ainsi que la Sœur de la Charité ; ces deux corps avec celui de Madame Octavie sont la fondation de notre cimetière dans une partie qui n’est pas de la ville. Je joins à ma lettre le plan de notre terrain et nouvelle maison ; nos voisins nous proposent des échanges d’une terre plus écartée qui rendrait notre terrain carré et ils prendraient des angles sur les rues qui doivent être ouvertes suivant le plan de la ville et qui nous coupent en tout sens, ce qui serait extrêmement désagréable. Nous craignons d’être gênées dans cet échange par les exécuteurs testamentaires de M. Mullanphy1. 1

John Mullanphy, donateur de la maison, est décédé le 29 août 1833.



Lettre 459

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Je désire bien avoir là-dessus l’avis de notre Mère et comme elle est peut-être absente, je prie humblement ma Mère de Gramont de me le transmettre. Elle apprendra avec plaisir que la santé de Madame De Coppens est toute rétablie ; elle brave le froid qui a été grand quelques jours ; elle est 1e maîtresse, vestiaire des élèves, maîtresse d’ouvrage et s’emploie aussi à la dépense et au salon. Elle est par-là fort utile et se prête à tout avec courage. Madame de Kersaint tousse beaucoup et ne peut presque pas chanter. Recevez, chère Mère, nos humbles respects in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie de Gramont Rue de Varenne n° 41 À Paris France

LETTRE 459

L. 30 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. et M.

Saint-Louis, ce 13 janvier 18341 St Antoine Ma bien chère Cousine, J’ai reçu tous tes bienfaits, les deux mille francs que tu as eu la bonté de m’envoyer en deux temps me sont parvenus à peu de distance les uns des autres. Je me plais à t’être toujours redevable, malgré que mon attachement pour toi n’ait aucun égard à mon intérêt quand il s’agit de t’aimer tendrement et de t’estimer vivement. 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 30 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 70-73. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Pourquoi faut-il que la plus grande faveur que toi, que ton cher mari, que tes bons frères ont pris tant de peine à nous procurer, touche maintenant à sa fin ? On m’écrit qu’il n’y a plus moyen de conserver Sainte-Marie, que sa destruction est résolue, et que les voix de Sion auront à pleurer la cessation des saints cantiques. Je ne pensais plus revoir cet aimable séjour, mais c’était mon délice de penser qu’il était celui de la vertu craintive, du zèle et de l’innocence. Rien ne m’est plus amer que de songer que j’ai peut-être attiré cette chute de l’établissement, n’ayant pas mérité les grâces qui devaient la soutenir d’en haut. Les bras me tomberont pour de nouvelles entreprises. Il me semble qu’ici tout est château de cartes, comparé à la solidité de ce noble établissement, à son étendue, à sa situation ravissante, à son église solitaire et silencieuse. Mais après avoir dit qu’il ne me reste plus qu’à bien mourir, je sens mon âme terrestre fort tenace dans le corps, et mes rêves fréquents sont d’avoir ici quelques débris de ces autels abandonnés pour notre pauvre chapelle. Ce n’est pas tout à fait une illusion. Il vient continuellement dans ces ports des vaisseaux chargés d’énormes masses de marbres d’Italie ; à Washington, le Capitole, la maison du président en sont presque bâtis. La seule difficulté est d’aller par eau jusqu’à Marseille, car sur la mer c’est peu de chose : on met des blocs de pierre exprès pour affermir le vaisseau sur les vagues. De Marseille à La Nouvelle-Orléans et de cette ville, par le Mississippi, jusqu’ici, le trajet est aisé, mais toute la difficulté n’est pas dans le voyage, elle sera pour obtenir ces autels ; je crains beaucoup qu’on s’empresse de les demander ou de les vendre. La bâtisse à laquelle tu as bien voulu contribuer est finie, excepté le plâtrage. Elle a si bon air qu’elle nous a déjà procuré le double de pensionnaires, je ne l’espérais pas. Tu apprendras avec plaisir que tous les établissements catholiques prospèrent dans ce moment, dans les États-Unis. Le Congrès a pour chapelain, c’est-à-dire prédicateur, un prêtre catholique. Le président leur est favorable et beaucoup de protestants préfèrent livrer leurs enfants à des prêtres célibataires qu’aux professeurs chargés, outre les études, des soins d’une famille. La Nouvelle-Orléans s’est enfin décidée à remettre son hôpital aux soins des Sœurs de la Charité ; ici, elles se font admirer dans le nôtre par les personnes de toutes les communions. Rappelle-moi, je te prie, à Mme Teisseire dont je n’oublie point aussi les bontés et aux autres personnes que tu verras de ma famille. Sois sûre de mon constant souvenir et de celui que je conserve pour Monsieur



Lettre 460

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Rambaud ; recommande-moi à ses prières, j’y ai toute confiance et un continuel souvenir de ses soins charitables. Un de nos prêtres vient d’aller chez les Kansas sauvages. Avant de le recevoir, ils ont voulu avoir le sentiment de leur prophète, qui leur a dit qu’il fallait croire à ce que leur diraient les robes noires, qu’ils enseignent la vérité. Le bon missionnaire est bien consolé [de voir] que celui qu’il craignait soit justement celui qui lui donne du crédit dans sa nation. Une nation de 30 000 hommes de la plus douce nature donne des marques certaines de quelque connaissance du christianisme, mais personne n’entend leur langue. Et comme ils ne chassent, ni ne cultivent, ne mangeant que des racines, les Européens n’y pourraient vivre. Adieu, bonne cousine, je suis toute à toi et pour toujours. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 460

L. 117 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 26 janvier 18341 St Ant. Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit il n’y a pas un mois, et je vous rendais compte de notre situation. J’ai su que le Conseil était tenu, sans aucun détail du résultat ; j’espère que vous aurez la bonté de nous envoyer ce qui pourrait nous concerner. Rien ne me dit que vous auriez reçu la nouvelle de la mort de Mère Octavie et que vous ayez nommé à ses charges ; en vous priant de le faire, je n’aurais pas voulu vous dire un seul mot pour influencer le choix. Cependant je crois devoir vous avertir que Mère Anne [De Coppens], en me prévenant beaucoup, semblait m’insinuer que les 4 maîtresses 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 298, p. 252-255.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

formaient une espèce de parti contre moi, entre elles1, et qu’elle observe peu le silence. Je crains ces esprits qui voient de travers et peuvent, par des rapports, troubler l’union ; aussi n’ai-je pas beaucoup donné foi à ses relations. D’un autre côté, Mère Henriette [de Kersaint] lui est très opposée, la blâme en tout, lui parle avec hauteur, enfin ce sont deux personnes qui ne seront jamais bien d’accord. Celle-ci plairait plus en général mais elle ne s’identifiera pas avec une supérieure à moins qu’elle ne voie en elle supériorité de vertus et de talents. Mère Régis est d’après la dernière lettre de notre Digne Mère en possession de sa nouvelle charge de deux brebis blanches2. Elle a un peu perdu depuis ses rapports avec Mère Henriette pour la docilité. C’est encore la pièce la plus solide et la plus essentielle pour le pays. Mais j’ai la douleur de voir recroître son polype. Il sera besoin de l’extirper de nouveau et avec quelles difficultés ! J’avais espéré le miracle de saint Régis, il n’est pas fait. Mère Aloysia [Susannah McKay], quatrième professe, est médiocre en tout. Elle fait la 2de classe anglaise. Nous avons 32 enfants, ce qui ne s’était pas encore vu ici. Dieu balance cette bonne fortune par la douloureuse suppression de Sainte-Marie3, lieu chéri et jamais oublié, par l’affaiblissement des santés et par l’alarme qu’on s’est plu de faire naître à la mort de M. Mullanphy [le 29 août 1833], que sa donation n’était pas valide. Monseigneur me rassura entièrement et si on ne l’était pas par l’entente du fondateur pour les affaires, on le serait par la probité de ses enfants ; mais il suffit de ce nuage pour faire abandonner l’échange d’une portion de la terre attachée à l’œuvre. Une lettre de M. King, de New York, m’annonce qu’il a reçu pour nous de Mère Ducis 3 000 F faisant ici la somme de 545 dollars ou gourdes que nous toucherons sans perte d’un marchand qui avait besoin d’argent à New York. Nous vous en devons de grands remerciements. Je pense que c’est ce dont vous me parliez dans votre dernière lettre en me disant que vous pourriez peut-être nous envoyer 4 000 F. Le Père [Smedts]4, de Saint-Charles, est si zélé pour Mère Lucile [Mathevon] qu’il voudrait déjà tenir la somme. Je l’ai assuré qu’après en avoir payé 1 2 3 4

Judith Shannon, Suzanne McKay, Adeline Boilvin et Henriette de Kersaint. Le 24 juin 1833, la Mère Barat a confié les novices à la Mère Régis Hamilton. Le 16 octobre 1833, la Mère Barat lui a appris la fermeture de Sainte-Marie d’En-Haut. Jean-Baptiste Smedts, SJ, a été l’un des premiers Jésuites belges venus en Amérique, arrivés à Georgetown en 1821. Il a fait ses premiers vœux en 1823, à Saint-Ferdinand, avec les Pères Verhaegen, Verreydt, Van Assche, De Smet et Elet. Il a été ordonné prêtre le 29 janvier 1826, et après avoir réalisé un travail pastoral intense, il a été nommé en 1843 maître des novices. Il est décédé en 1855.

Lettre 461



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nos ouvriers, j’espérais, si nos enfants restent, la lui rendre avant la fin de l’année. Il a fait une quête et a bien déjà 4 000 F de souscription. Il en voudrait 15 000. Je suis avec le plus profond respect, ma Digne Mère, votre petite vieille fille. Philippine [Au verso :] À Monsieur Monsieur Louis Barat et À Madame Sophie À Paris

LETTRE 461

L. 14 AU P. BARAT

SS. C. J. M.

St Antoine 26 janvier 18341 Mon bien bon Père, Combien je vous remercie de votre petite lettre, [lettres] qui deviennent si rares. Elle avait été précédée du don, bien précieux aussi, remis par Monsieur Jeanjean à son retour de France. Joint à ce qu’on nous fait espérer ce mois-ci des bijoux si longtemps retenus à New York2, nous espérons finir de payer notre nouveau bâtiment auquel il ne manque plus que le dernier plâtrage et peinture. Il plaît beaucoup aux enfants et en a attiré plusieurs. Je ne sais si nous pouvons en désirer davantage, étant si pauvres de sujets. Moi, la plus forte, suis passée de mode et ne serai jamais que pour le matériel qui m’occupe assez. Mère Anne [De Coppens] est sans talent pour la classe et n’est pas aimée des 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, Annexe à la lettre 298, p. 253-254. Cf. Lettre du 11 octobre 1832, adressée à Mère Ducis.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

enfants. Mère Henriette [de Kersaint] l’est beaucoup, mais sa santé se mine, sa voix se perd et sa poitrine souffre. Les Américaines ont aussi de pauvres santés, et des talents inférieurs à ce qu’on exige dans un pays où la science et le désir de paraître sont le principal mobile. Il faut parler de hautes sciences : astronomie, chimie, philosophie avec les démonstrations. Je m’en sens d’autant plus attirée à ne chercher qu’à connaître Jésus comme l’unique science nécessaire et à le chercher dans la solitude. En m’éveillant, le jour de Toussaint, et le 1er de 1834, appelant un protecteur, le saint qui s’est présenté à ma pensée sans aucun autre, c’est saint André et sa croix. Alors j’ai dit O bona crux et je la trouvais en deux choses : dans ma fin ou dans la fin de mon gouvernement avec des circonstances pénibles. L’événement prouvera si j’ai été imaginaire ou prévenue pour le départ. Je n’oserais demander la mort, mais j’y pense fort souvent. Je crains l’effet de ces paroles si perçantes de votre cantique : après la mort il faudra souffrir encore et rendre compte jusqu’au dernier denier. Vous ne me dites rien sur ma dernière lettre, mais vous semblez m’indiquer qu’elle est reçue. Monseigneur a repris notre conduite à ma grande satisfaction et au grand déplaisir de plusieurs qui préféraient celui qui le remplaçait [M. Borgna] avec un goût bien bizarre. Le collège érigé par l’État du Missouri en université va bien1. La pépinière [jésuite] de Saint-Ferdinand aussi. Un des membres est en Louisiane et peut y faire beaucoup de bien à nos deux maisons. Je l’ai annoncé aux Opelousas, où cette année on a fait la retraite avec le livre de Bourdaloue, sans prêtre. 80 élèves ne pourraient balancer pour moi de telles privations. Nous ne manquons point d’aliments spirituels. Je suis in Corde Jesu à vos pieds, votre fille. Philippine Mes respects à mon bon Père Joseph [Varin] et au Père Roger. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Louis Barat et À Madame Sophie À Paris 1

Le collège jésuite de Saint-Louis a été érigé en université par le gouvernement le 28 décembre 1832.



Lettre 462

LETTRE 462

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L. 118 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 28 [janvier 1834]] Monseigneur, Notre docteur Lane a examiné le polype de Madame Régis ; il lui a conseillé de tâcher de le toucher avec la pierre infernale. Elle craint beaucoup de le faire et moi aussi, et si le polype a plusieurs ramifications, il croîtra toujours du côté qu’on ne pourrait le saisir. Veuillez, je vous prie, en parler à Monsieur Cellini et ne confier sa réponse qu’à moi. Si on parle de cette maladie, cela fera un tort essentiel à notre maison. M. Paul ne m’a point répondu. Je voudrais bien relire le papier de l’avocat qui, tant qu’il le possédera, pourra travailler dessus et nous faire des frais. Je suis avec respect, Monseigneur, votre indigne fille. Philippine Duchesne Ce 28 [janvier 1834]

LETTRE 463

L. 119 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[Saint-Louis, ce 5 février 1834] Monseigneur, Il nous était dû quelque chose, à la mort de M. Mullanphy ; n’ayant rien pu obtenir de la famille, j’écrivis à Monsieur O’Fallen qui nous fit 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1834 Janvier 28, Mme Duchesne ; répondu le même jour. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1834 Fev. 5, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

espérer être payées au mois de Janvier. J’y ai renvoyé ce matin et voici sa réponse. Je ne connais point les usages pour s’adresser à la Cour. Si vous avez la bonté d’en charger une personne pour nous, cela nous rendrait bien service. Je joins la note de ce qui est dû, dans la feuille ci-jointe. Je vous demande pardon de la liberté que je prends, mais vous êtes le père des orphelins comme le nôtre. La charge est pénible pour vous, mais les résultats sont si avantageux pour nous, par les soins paternels que vous nous prodiguez, que c’est le sujet habituel de nos actions de grâces auprès de Dieu. Je suis avec respect, Monseigneur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne Saint-Louis, ce 5 février 1834

LETTRE 464

L. 118 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis ce 2 mars 18341 St Ant. Ma digne Mère, Il y a bien longtemps que je suis privée de vos nouvelles, même de toutes celles de France. S’il était possible de vous oublier, vous vous rappelleriez de force par vos bienfaits multipliés. Mr King, banquier de New York, m’a écrit qu’il était chargé de nous compter 3 000 F, changés ici en 545 dollars ou gourdes et 1/2. Nous avons reçu de suite cet argent par des négociants qui avaient besoin d’argent à New York. Sans doute Mère Ducis m’a écrit sur cet envoi, mais je n’ai reçu aucune lettre, ni d’elle ni d’aucune maison de France. Je ne sais même où en est notre chère maison de Grenoble que nous regrettons toutes. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Le cachet de la poste indique les dates de départ : St. Louis MO, Mar. 4, d’enregistrement au Havre : 30 avril 1834, d’arrivée à Paris : 2 mai 1834. J. de Charry, II 3, L. 299, p. 256-258.

Lettre 464



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Notre nouvelle bâtisse est habitée en partie et, à Pâques, quand le plâtrage sera fini, elle le sera entièrement. Elle nous a déjà plus que doublé le pensionnat qui est maintenant de trente-quatre et, s’il en vient encore, ce qui paraît certain, nous ne pourrions être mieux nous-mêmes ; toujours point d’infirmerie ni de lieu de réunion. Par un malentendu des ouvriers, que nous ne pouvions assez tôt apercevoir, on entendra à la chapelle tout le bruit de la classe et des récréations, ce qui nous donne grande envie d’en bâtir une sur l’autre côté de la vieille maison, et de changer l’ancienne chapelle en deux classes et salon. L’ancien dortoir serait notre logement et infirmerie. La dépense serait au moins 15 000 F. Si Mère Lucile, qui commence sa bâtisse, n’avait pas besoin de votre prêt – ayant déjà d’assuré 7 500 F par souscription – nous consacrerions pour cet établissement tout ce que nous pourrions recueillir des élèves et ce serait certainement l’établissement le plus solide et le plus à portée des trois de nous [au Missouri]. Saint-Ferdinand a perdu l’an passé une aspirante [Julie Tesserot] qui est dans la ville maintenant à se faire remarquer par sa mise et sa légèreté ! Une colombe, la dernière de toutes, mais qui se mettait dans le cas de ne pas avoir toujours l’absolution, dit un jour que, puisqu’elle ne pouvait se sauver, elle allait se tuer. Elle disparut et on ne put la trouver jusqu’à dix heures du soir qu’elle sortit de la cave. Jugez des sollicitudes de la pauvre Mère Thiéfry ! Elle lui a ôté le costume. Elle aurait bien besoin d’un bon sujet pour la vertu, soit Dame, soit Sœur ; Saint-Charles d’une dame, et nous aussi d’une ou deux. Je vais peu au pensionnat ayant cru m’apercevoir qu’on ne s’en souciait pas. Je ne m’en offense pas, sachant bien qu’il est un âge qui ne plaît pas à la jeunesse et que peut-être on s’en est aperçu ! J’ai bien d’ailleurs de quoi m’occuper depuis cinq heures du matin jusqu’à onze heures du soir, économe, sacristine, dépensière, vestiaire des dames ; une classe externe, deux heures par jour aux orphelines, les ouvriers à surveiller, les visites, les lettres, etc. Vous pensez peut-être que c’est l’envie de tout faire, mais il faudra peut-être que je prenne le vestiaire des enfants ; les trois maîtresses [Judith Shannon, Susannah McKay et Adeline Boilvin] qui parlent anglais, avouent toutes qu’elles n’ont pas un quart d’heure à disposer et l’ont refusé ; Mère de Kersaint de même, à cause de la musique. Mère De Coppens qui la surveillait, le fait, dit-on, fort mal ; ce sont des plaintes continuelles. Quand on les fait, je dis : « Chargez-vous en » ; et on répond : « C’est impossible. » Il est à craindre que Sœur Catherine [Lamarre], qui a encore une classe de 40 à 50 petites externes, ne passe pas l’année ; elle est malade

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

tous les samedis, jour de congé, et les dimanches se passent peu sans médecine. Notre infirmière [Judith Shannon] a été plusieurs fois en danger pour la poitrine et ce serait une perte irréparable. Mère Hamilton étant très occupée, et qui est toujours maîtresse de santé pour les élèves, de tempérament faible, dit qu’elle ne pourra soigner ses colombes. On pourrait lui en laisser seulement la direction si elles avaient une surveillante de quelque langue que ce fût. Je vous le demande instamment ainsi que trois autres sujets de vertus solides. Je ne doute pas qu’on vous ait écrit contre moi, car le directeur [M. Borgna], dont je vous ai parlé a excité, dit-on, à le faire, et s’est chargé de faire passer les lettres. Il en sera ce que Dieu voudra. Je ne tiens à rien et sais qu’on peut dire du mal bien vrai. Je voudrais voir un terme à ma situation embarrassante. Si j’en crois Anne [De Coppens], les quatre maîtresses forment parti contre moi et ces quatre (plus franches qu’elle) l’accusent de fausseté ; et Madame Henriette en particulier dit qu’elle n’oserait répéter ce qu’elle lui a entendu dire, et qu’elle était bien loin de l’affermir dans le premier temps qu’elle ne pouvait s’accoutumer. Elle est bien souvent partie au confessionnal et a toujours des rapports à faire. Il faudrait pénétrer dans le cœur pour se démêler de tout cela et pour tenir la balance juste. Je ne puis tout dire ici sur ce sujet, mais elle nuit à l’union. Veuillez me marquer si nous avons la permission de bâtir, s’il n’y a pas d’imprudence et si nous pouvons espérer quelqu’un. Rien à attendre d’en bas ; Saint-Michel a plus de 100 enfants, les Opelousas 80. Les nôtres, en grande partie protestantes et américaines, sont à cent lieues de la vie religieuse. Les sujets importants pour elles sont : Mères Hamilton, de Kersaint et Boilvin. Cette dernière peut aussi enseigner la musique et l’anglais. Elle est créole. Je suis à vos pieds et à ceux de Jésus, votre dévouée, Philippine Mes respects à votre bon frère, sa lettre est la dernière de France, et au P. Joseph [Varin]. [Au verso :] À Madame Madame Ducis pour Madame Sophie



Lettre 465

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rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New-York.

LETTRE 465

L. 120 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Fête de Pâques [31 mars 1834]] Monseigneur, Vous nous aviez fait espérer venir demain, lundi, pour la prise d’habit de Mary Knappe, mais elle m’a dit que vous l’aviez engagée à se préparer à une confession générale pour le courant de cette semaine2. Alors je vous prie de me dire si lundi prochain où l’on célèbre la fête de l’Annonciation ou tout autre jour vous conviendrait, car la famille serait très fâchée de n’être pas prévenue du jour de la cérémonie, désirant extrêmement s’y trouver. Veuillez, je vous prie, me faire donner une réponse et me croire à vos pieds, votre plus soumise et indigne fille. Philippine D. Fête de Pâques [31 mars 1834]

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1834 Mars 31, Mme Duchesne. » Mary Knapp(e) (1818-1881), RSCJ, est née le 3 avril 1818, à Saint-Louis, dans une famille américaine profondément catholique. Elle est entrée au noviciat en 1834, à l’âge de 16 ans. Formée à la vie religieuse par Philippine, elle a fait ses premiers vœux en avril 1836 et sa profession le 15 octobre 1853, à Grand Coteau. Elle se dévoua à Natchitoches puis à Saint-Michel, comme maîtresse de classe et maîtresse générale des pauvres. Elle est décédée à Saint-Michel, le 27 novembre 1881.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 466

L. 119 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Avril 18341 Ma bien digne Mère, J’aurais répondu plus tôt à votre dernière lettre [du 26 décembre 1833] si je n’avais attendu journellement Mère Eugénie qui pouvait se charger de toutes nos lettres sans frais et plus sûrement. Elle est ici maintenant à attendre le premier steamboat qui la mènera plus droit à son but2. Elle a visité toutes les maisons et peut, mieux que personne, vous en rendre compte. Elle vous dira les démarches qu’elle a faites par rapport à la direction de cette maison et le succès qu’elle a eu3. Il n’y en a point de mieux placées à ce point de vue que Florissant et SaintCharles, paroisses dont les Pères sont chargés et le seront toujours, suivant leur contrat avec l’évêque4. C’est un bien puissant motif pour les soutenir5. Elles ne nuisent point à celle-ci et si elles étaient supprimées, du jour au lendemain, on y verrait des Sœurs de la Charité qui ont toute faveur parmi le clergé et le peuple, tenant également bien les hôpitaux, des pensionnats, des écoles externes et des maisons d’orphelines et d’orphelins. De plus, elles se mettent infirmières pour les collèges, même des Jésuites, pour leurs enfants, ce qui leur procure l’intérêt général et tous les moyens de réussir. Si nous leur fournissons la place, elles nous éclipseront bientôt. J’ai été affectée de cette phrase de votre lettre : « Au retour de Mère Eugénie, les ordres seront précis et j’espère qu’on n’y mettra pas d’opposition. » De qui pouvait-on attendre des oppositions ? Comment a-t-on donné lieu de les craindre ?

1 2

3 4 5

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Lettre confiée par Eugénie Audé qui se rend à Paris. J. de Charry, II 3, L. 300, p. 259-261. Le 28 avril, Eugénie Audé quitte Saint-Louis pour New York. Elle y rencontre Mgr Dubois pour un projet de fondation, qui ne se réalisera à New-York qu’avec Élisabeth Galitzine en 1841. Il s’agit certainement des difficultés causées par les indiscrétions de M. Borgna. Les Jésuites restèrent à la paroisse de Saint-Charles jusqu’en 1957, où ils quittèrent le clergé diocésain pour être pleinement au service de l’éducation, dans l’archidiocèse. Philippine tient à l’œuvre d’éducation de la Société du Sacré-Cœur, au Missouri, et craint de fermer soit Saint-Charles, soit Florissant, maisons bénéficiant de la direction des Jésuites.

Lettre 466



243

Mère Anne [De Coppens], qui s’est si souvent plainte de sa position, n’exprime aucun désir de retour et, peut-être, elle le cherchera encore quand la bonne occasion du départ de Mère Eugénie ne lui en fournira plus les heureux moyens. Je n’ai aucun détail sur la ruine de la maison de Grenoble1. En me l’annonçant, vous aviez la bonté de m’y promettre la somme de 4 000 F pour payer notre bâtisse, avec charge d’en remettre le montant à Mère Lucile [Mathevon] pour celle de Saint-Charles et je le lui avais annoncé. Peu après, sans aucun avis de France, nous avons reçu par M. King, la somme de 3 000 F réduits à 554 dollars américains. Je vous écrivis tout de suite pour en témoigner notre reconnaissance. Toutes nos additions ne montent pas à 23 000 F ; nous avons eu pour payer : vos 10 000 qui ont perdu avec le change environ 700 F, les 3 000 qui en ont perdu plus de 200, les 2 000 et quelque chose de Mère Murphy. Tout le reste a été payé par les pensions et 2 000 F de Mme de Rollin. Nous ne devons que 4 000 F et comme le pensionnat est augmenté, nous payerons dans l’année, espérant n’être pas pressées pour restituer les emprunts. Si je dois encore manier l’argent, je vous avoue qu’il m’est amer d’avoir à refuser pour tant de bonnes œuvres et qu’il est difficile de ne pouvoir donner plus de 50 F, ce qui est peu de chose ici. Je suis à vos pieds in Corde Jesu. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale Des maisons du Sacré-Cœur de Jésus Rue de Varenne n° 41 À Paris

1

Sainte-Marie d’En-Haut, dont s’est emparé le gouvernement français.

244

CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 467

L. 121 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[15 juin 1834] Monseigneur, J’ai omis ce matin de vous parler de notre docteur, parce qu’il doit vous parler lui-même au sujet de son unique fille dont la mère ne peut plus se séparer depuis la mort de son fils. Elle est venue solliciter de mettre sa fille à la demi-pension et sur le refus de Madame Régis, elle parut fort chagrinée. Je vins après et lui dit que nous réfléchirions et donnerions la réponse au docteur. Madame de Kersaint est très opposée à ce qu’on reçoive cette jeune personne de cette manière : 1°) parce que d’autres voudront en faire autant ou se plaindront des préférences ; 2°) parce que c’est contre nos règlements. Je lui ai répondu que je ne craindrais pas de dire que nous faisions une exception unique pour notre docteur qui nous a soignées si généreusement et que nous aurions beaucoup de peine à payer avec ses visites si fréquentes. Il n’est point dédommagé par les élèves dont le grand nombre ont d’autres docteurs ; qu’à toute règle, il peut y avoir des exceptions et que je ferais ce que vous me conseilleriez. Veuillez, je vous prie, en décider. J’ai évité de me rencontrer avec le docteur pour n’être pas obligée de lui répondre sur le désir de son épouse. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre dévouée fille et indigne servante. Philippine Duchesne r. S. C.

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1834 Juin 15, Mme Duchesne. »

Lettre 468

LETTRE 468



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L. 2 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Louis, ce 2 juillet 1834 Rec. à St Antoine1 Ma chère Mère, J’ai différé de répondre à votre lettre de New York, espérant que vous m’en écririez une seconde avant votre embarquement. Je suis charmée du succès de votre voyage et des bonnes espérances que vous concevez sur le futur établissement. Je n’ai parlé de cela qu’à Monsieur Jeanjean, pour ne pas faire travailler les têtes. Elles sont déjà assez remuées. Mère Henriette [de Kersaint] m’a écrit qu’une expérience de trois ans lui prouvait qu’elle ne pouvait rester à SaintLouis. Je ne lui ai pas répondu. Mère Anne [De Coppens] est aussi fort agitée ; je lui ai dit qu’elle parlait trop tard, qu’elle aurait dû s’expliquer avec vous. Elle prétend vous avoir tout dit. Mère Régis [Hamilton] a été sérieusement malade et garde encore le lit ; c’était une fièvre bilieuse, elle en est à la 35e médecine et a été saignée 3 fois. Vous jugez quel vide c’est dans la maison. Mère Félicité [Lavy] n’est point arrivée et nous n’avons rien su d’elle. Le choléra a un peu repris à Saint-Louis et sans l’avoir eu, plusieurs des nôtres en ont de légères attaques. Des banqueroutes, des gales, des disettes nous ont ôté déjà bien des enfants ; elles ne sont que 22 et occupent beaucoup par leurs continuelles indispositions. Les Pères ont eu aussi beaucoup de malades ; ils ont reçu 5 de leurs Flamands et en attendent plus encore. Nous les voyons très peu. Monsieur Jeanjean est venu souvent pour la messe et, sans lui, nous l’aurions souvent manquée pendant les octaves où nous n’avons eu que rarement l’exposition. Des bulles pour l’évêché de La Nouvelle-Orléans sont arrivées ; on ne peut le décider [M. Auguste Jeanjean] à accepter. Mère Thiéfry est bien, elle a eu une sœur très malade. Et Sœur Eulalie Guillot2, à Saint-Charles, a reçu les derniers sacrements dans une dysenterie dont elle est maintenant guérie. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St. Louis MO, Jul. 4 ; Paris, 19 août 1834. Eulalie Guillot, RSCJ, née en 1811 à La Fourche, est entrée à Saint-Michel en 1828, a fait ses premiers vœux en 1830, et sa profession à Saint-Louis en 1834. Elle est décédée à Saint-Charles en 1839.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Mère Bazire ne m’a écrit qu’une fois et était contente de votre chère famille. Celle du Grand Coteau perd Monsieur Rosti qui ne peut vivre longtemps. Nous vous prions toutes de mettre nos vœux et soumissions auprès de notre Mère ; où qu’elle soit, elle voudra bien nous bénir. Depuis que Mère Régis est malade, je n’ai pas même le temps de sentir la croix ; cependant elle est lourde. J’attends votre retour avec impatience ; ne le différez pas et conduisez avec vous des personnes de bon exemple pour renouveler l’esprit. Rien ne peut se régler pour la messe. S’il était possible d’amener quelqu’un avec vous qui nous la dise régulièrement : il ne faut pas compter pour cela sur les Pères [jésuites] et Monsieur Jeanjean s’en allant, il ne reste à la paroisse que Monseigneur, Monsieur Lutz très occupé avec les Allemands, qu’il entend seul1, et Monsieur Borgna qui est celui qui vient le plus souvent. Je ne sais si, dans la liste de nos autres demandes, il était question : 1°) d’un galon pour l’ornement que brode Mère De Coppens, 2°) de Grammaire de Lomond, 3°) d’Histoire sainte, 4°) de Chronologies, 5°) de Fables abrégées à La Fontaine, 6°) d’Encyclopédie. Tout le reste se trouve mieux en anglais, mais ces livres-ci sont nécessaires pour les demoiselles qui ne viennent que pour le français. Il y en a de très avancées dans leur langue et c’est heureux qu’elles veuillent la nôtre en ce moment. Excusez mon écriture, mais je ne suis pas bien et, pour ne plus différer, j’écris au moment d’une tempête qui met dans les ténèbres. Je me suis fatiguée pour l’état des six mois, qui ne pouvait être juste et je n’ai que des heures décousues ou celles où le sommeil accable. Mes respects aux Pères Joseph [Varin] et Louis [Barat]. Je suis in Corde Jesu, Philippine Le menagé2 nègre est bon et nous rend bien service. Si vous aviez de l’argent pour nous en arrivant, il vaudrait mieux l’employer à le payer au maître qui sera à New York et désire vous rendre ses services.

1 2

Il est le seul à connaître la langue. L’ouvrier chargé de différents travaux.

 247

Lettre 469

In Corde Jesu, Philippine Nous voudrions bien pour la nouvelle église un devant d’autel de 10 pieds ½ de long sur 3 ½ de hauteur, ayant un pélican dans le milieu et une belle guirlande de roses sur de l’étoffe jaune, pour servir à plusieurs fêtes. [Au verso :]1 À Madame Madame Ducis rue de Varenne N° 41 À Paris By way of New York

LETTRE 469

L. 122 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[10 juillet 1834] Monseigneur, Je n’ai osé vous parler de nous pendant que je vous ai vu malade. Monsieur Jeanjean m’ayant fait espérer que vous étiez mieux et que vous viendriez, je me suis hâtée d’envoyer M. Berger prendre votre heure. Je n’aurais pas voulu que ce fût au risque de renouveler votre indisposition, mais si votre bonté peut se prêter à venir avant samedi, j’éviterai beaucoup de refus qui occasionnent mille fâcheries, quand on ne peut avoir ce qu’on désire. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne 1 2

D’une autre écriture : « Je prie Mère Ducis de faire parvenir promptement cette lettre à Mère Eugénie. » Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1834 Juillet 10, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 470

L. 123 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Louis, ce 26 août [1834]] Monseigneur, J’ai l’honneur de vous adresser les 50 $ pour les honoraires des prêtres qui ont eu la bonté de venir depuis le départ pour Galena de Monsieur Cyr, à qui nous avions remis les siens. Nos Dames sont revenues hier de Saint-Ferdinand en état de reprendre leurs occupations. Je suis avec une profonde vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Louis, ce 26 août [1834]

LETTRE 471

L. 58 À MADAME JOUVE Saint-Louis, État du Missouri, ce 4 octobre 18342

Ma bien chère sœur et amie, J’ai reçu ta lettre en réponse à celle que je t’ai écrite par M. Odin. Il était encore à Rome la dernière fois qu’il a écrit et n’était pas prêt pour revenir. Tu as donc bien fait de ne pas l’attendre pour m’annoncer la

1 2

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1834 Août 26, Mme Duchesne. » Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 129-130 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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Lettre 472

mort de ton cher mari, et de ta belle-fille1. Nous avons prié pour les défunts et pour toi, bonne amie, si fort isolée et affligée. Madame Lucille [Mathevon] ne veut pas que Joséphine, qui la connaît bien, soit carmélite et la désire pour le Sacré-Cœur, mais ce n’est pas à nous à faire les vocations. Je demanderai donc à Dieu de diriger son choix pour sa plus grande gloire et le bonheur de ma Joséphine. Nous avons été affligées de diverses maladies, et ma santé s’affaiblit depuis le printemps, sans cependant souffrir beaucoup ; mais c’est la machine qui commence à s’écrouler. Quant à l’argent dont tu me parles, tu sais qu’ayant fait vœu de pauvreté, je ne puis ni donner ni prendre sans permission ; j’en ai écrit à Madame Barat notre Générale ; tu peux le faire aussi, ce sera plus prompt que de faire voyager des lettres et en France et ici, ce qui sera décidé a d’avance mon consentement. Mes amitiés à tes chers enfants et aux Lebrument. In Corde Jesu, Philippine

LETTRE 472

L. 120 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis du Missouri, ce 5 octobre 18342 St Ant. Ma bien digne [Mère], Mes dernières lettres en France ont été pour Mère Eugénie qui était notre interprète auprès de vous. Je n’ai eu qu’une lettre d’elle, depuis qu’elle a quitté l’Amérique, si je ne compte pas pour une seconde un bil1

2

Marie-Antoinette Joséphine Néel (1800-1834), née à Cadix, mariée à Jean-Hippolyte Jouve le 8 octobre 1824, est décédée à Lyon, le 24 juin 1834. Jean-Hippolyte Jouve se remariera avec Amélie Bergasse, sa cousine (voir la lettre 64 à Mme Jouve, 3 septembre 1839). Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Oct. 8 ; Paris, 19 nov. 1834. J. de Charry, II 3, L. 302, p. 264-266.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

let qui datait du lendemain et qui est arrivé le même jour ici, où elle me marquait qu’il ne fallait point compter sur l’emprunt d’une partie des 20 000 F donnés par Mme Félicie, cousine de Mère Henriette [de Kersaint]. Je ne me rappelle point d’en avoir fait la demande. Quand on eut notifié à Mère Henriette que son établissement à New York était impossible pour le moment, elle-même songea à l’emprunt, où je trouvais beaucoup d’inconvénients ; mais pour m’informer à ses vues, je crois me rappeler de vous en avoir parlé et elle-même en fit part à Mère Eugénie. Le refus que vous fîtes aussitôt de consentir à cet arrangement en a ôté toute la pensée et je ne sache pas qu’il en ait été écrit de nouveau. Nous avons fini de payer notre entrepreneur. Le pensionnat ou Académie a coûté en dollars : 3 600, ou en francs : 18 000, et le logement des orphelines : dollars 816, ou en francs : 4 080. Mais nous devons à Mère Lucile [Mathevon] les 3 000 que vous m’avez chargée [lettre du 16 octobre 1833] de lui faire passer et malgré que le terme n’en fut pas fixé, pour ne pas me brouiller avec le Père qui fait bâtir sa maison élevée au 1er étage, il a fallu signer l’engagement, même au-delà de cette valeur pour payer dans peu de mois. Nous devons aussi en janvier ou février 4 750 F pour un ménage de Nègres, absolument nécessaire pour le service. Dans un terme court, la femme s’est trouvée si mauvaise qu’on lui a fait expier ses propos incendiaires par quelques jours de prison et la crainte du fouet. Elle en a été quitte (personne ne la voulant dans la maison) pour être louée chez quelqu’un qu’elle peut craindre. Le mari est très bon, fait les commissions, le jardin, nous fait une partie de la provision du bois. J’ai en outre emprunté, de la banque de Saint-Louis, 1 000 F pour subvenir aux premières nécessités dans le moment où toutes les maîtresses étant malades de fièvres bilieuses, dysenteries, il a fallu congédier les enfants. Leur absence tout le mois d’août a compté pour les vacances. Au retour, le 1er septembre, elles ont fait les répétitions. Les prix ont eu lieu le 25, en présence de Monseigneur, du Curé [M. Lutz], de Monsieur Borgna, de trois de nos frères et d’environ 40 à 50 pères et mères des enfants. Une jeune Irlandaise a eu le prix d’excellence et, le lendemain, notre plus ancienne élève et trois autres nous ont quittées pour toujours. Elles sont en tout 25 à présent et 22 orphelines, 14 sœurs. Monseigneur et les Pères ont dit que tout s’était très bien passé. Les récitations ont été plus anglaises que françaises. Une conversation en anglais sur la philosophie naturelle est ce qui a plu davantage. Il faut toujours quelques grands mots dans ce pays.

Lettre 472



251

J’ai reçu une lettre de Mme Jouve qui me parle de la mort de son mari et des arrérages qu’elle croit me devoir d’une rente viagère qui servait à la pension de son aînée Aloysia. Je sais que j’avais placé chez son mari à cette intention ; mais ce que je ne puis me rappeler, c’est si la rente était sur la tête d’Aloysia ou sur la mienne. Si c’est sur la tête d’Aloysia, ma sœur ne doit plus rien depuis sa mort ; si c’est sur la mienne, c’est à vous, ma Digne Mère, à répondre pour la destination de cet argent. Ma sœur a sûrement les conditions faites, ou elles sont restées à la maison de Grenoble. Mme Mullanphy m’a remis les 740 F qu’elle avait reçus pour nous et dont 500 venaient de Mme de Rollin, par Lyon. Elle a remis en outre le nouveau plan d’étude, le règlement pour le pensionnat secondaire, le règlement des Enfants de Marie sorties1, la manière de faire les actes pour l’état [des comptes] et pour le conseil, vingt-six circulaires qui nous ont bien touchées. Un point difficile pour moi, c’est cette méthode d’oraison et d’examen que je n’ai jamais pu suivre et moins encore à présent où mon imagination est bien plus vagabonde2. Vous m’aviez dit avoir la même difficulté et cela me console. Quant aux changements que le règlement marque, je pense qu’il faut attendre Mère Eugénie, qui est aussi désirée dans le Missouri que dans la Louisiane. Le changement de ma santé et de mes forces naturelles sert encore à me montrer mon incapacité pour ma place et je soupire après la décharge. Le mot à dire à Monseigneur par rapport à M. B[orgna] est des plus difficiles. Plus j’y pense, plus j’en crains les suites. Le Père supérieur [Verhaegen], à ma prière, doit venir demain. Sa prudence, son esprit intérieur peuvent seuls guider dans une circonstance si difficile. Le triste départ (et les circonstances qui l’ont accompagné) de M. Rondot, et cette dernière affaire ôtent tout courage pour persévérer dans ma place. La consécration de l’église doit avoir lieu le 26 du courant. Monseigneur veut absolument que quelques-unes de nous y assistent dans une tribune à part. Nous espérons que Mère Eugénie est déjà en route ; ainsi je ne lui dis rien, elle est d’ailleurs instruite de tout par ses premières filles. J’insère ici la lettre de Mère Henriette [de Kersaint] en réponse à une envoyée 1

2

Edmée Lhuillier, RSCJ, nièce du P. Julien Druilhet, SJ, a établi la congrégation des Enfants de Marie pour les anciennes du pensionnat de Lyon, rue Boissac, en 1831. Elle est décédée à Avignon le 9 août 1843. Julien Druilhet adapta le Règlement des Enfants de Marie du Pensionnat et rédigea les Instructions pour les Enfants de Marie. Le Conseil général de 1833 insista sur l’usage de certaines méthodes d’oraison et d’examen.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

par Mère Eugénie, et qui a bien fait pleurer celle qui l’a reçue et qui répond. Je n’ai pas pu en découvrir la cause. J’ai pensé à l’affaire de M. B[orgna] pour qui on conserve une haute considération. Je suis, in Corde Jesu, ma Digne Mère, votre toute mauvaise fille, mais bien dévouée. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso] : À Madame Madame Ducis pour Madame Sophie, rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York.

LETTRE 473

L. À MÈRE ÉMILIE GIRAUD

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 8 octobre 1834 St Ant1. Ma bien chère amie en Jésus-Christ, Votre lettre m’a été au cœur en me rappelant notre première union. Union consacrée par la religion et ses plus touchantes pratiques. Nos fîmes nos 1ers vœux pour commencer2, autant que possible, une carrière religieuse encore parmi les troubles de la révolution [de 1789] ; nous en refîmes de plus solennels et dans une plus touchante cérémonie [le 21 novembre 1805], sous notre digne Mère.

1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Après le départ des Visitandines de Sainte-Marie d’En-Haut, le 26 août 1802, elles formèrent la communauté des « Filles de la Propagation de la Foi », sous la direction de l’Abbé Brochier, vicaire général de Grenoble. Elles ont prononcé leurs vœux simples le 3 mars 1803.

Lettre 473



253

Si [le fait] de manger à la même table forme une union, que cite David1, combien pour nous, et la table et le pain ont formé des liens délicieux et indissolubles. Outre cela, nous eûmes le même Père2, cet ange de paix et de mortification, que je regrette encore. Nous fûmes compagnes de noviciat, de retraites célèbres ; compagnes d’emplois et même de devoir jusqu’à ce que le Japon, où nous devions aller ensemble, se soit changé pour moi en Amérique et pour vous, en un mince département. Mais consolez-vous : vous faites plus dans votre coin que moi, dans ma vaste mission et dans ma petite maison qui va se changer en plus petite encore, mais elle est consacrée à saint Régis, saint obscur pendant sa vie et dont tous les dévots doivent rechercher l’heureux sort. Les Pères ont à Saint-Louis un collège de 130 élèves et, à Saint Ferdinand, un noviciat petit mais fervent. Saint-Charles en possède un pour curé. Faites prier pour nos trois petites maisons du Missouri et pour les deux grandes de la Louisiane. Nous ne manquerons pas de le faire pour vous toutes. In Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C.

Nous sommes 14. Je quitte dans deux jours : Mère Thiéfry, supérieure Mère de Kersaint, maîtresse générale et consultrice Mère Hamilton, maîtresse d’anglais, de santé, consultrice Mère McKay, maîtresse d’anglais Mère Boilvin, maîtresse de dessins, d’écriture, de musique, de classe Sœur Catherine [Lamarre], classe externe Sœur Layton, classe externe Sœur Milles, aux orphelines 2 Sœurs Shannon, infirmière, dépensière, etc. 2 novices de chœur 1 postulante du Canada

1 2

Ps 133, 1. D’après les lettres à Mme de Rollin, il s’agit du P. Rambaud. Elle le cite souvent, et voici en quels termes, le 10 avril 1837 : « Si Monsieur Rambaud, l’homme de ma paix, vit encore, dis-lui qu’il vivra toujours dans ma reconnaissance. » L. 35 à Mme de Rollin, Cahier Lettres à Mme de Rollin, p. 84-87. C-VII 2) c Duchesne, Letters to her family and other lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 474

L. 31 À MADAME DE ROLLIN, À GRENOBLE

SS. C. J. M.

8 octobre 18341 St Antoine Ma chère amie et bonne Cousine, Il y a longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles directes, mais tu me parles toujours par tes bienfaits. Une lettre venue de Lyon m’apprend que 500 F, que j’ai reçus par des dames de notre ville qui ont été à Paris, venaient de toi. C’est trop de générosité de ta part et je ne sais, de la mienne, comment la reconnaître. Cet argent est venu si à propos que j’en ai béni mille fois et la divine Providence et mon aimable pourvoyeuse. De mauvaises fièvres et dysenteries qui s’étaient mises parmi nos maîtresses avaient forcé de donner vacances à nos pensionnaires. À cause de cela, toutes les sources étaient taries et il me restait soit sœurs, soit orphelines, 38 personnes à entretenir. Après cette nouvelle preuve que Dieu veille toujours à nos besoins, les santés se sont rétablies et la mienne, qui s’était soutenue mieux que les autres, a été éprouvée à son tour, mais non sérieusement. L’état souffrant de M. Teisseire m’occupe beaucoup ; ma consolation est de vous voir réunies et à portée de vous soulager mutuellement. Notre Sainte-Marie est donc abandonné ! On ne peut trouver mauvais que je pleure sur lui, à plus juste titre qu’autrefois Jérémie sur les ruines de Sion. Ce séjour de notre enfance a été le berceau de notre religion et de l’union qu’elle a cimentée entre nous et qui m’est bien chère. Je vais passer de la maison de Saint-Louis à celle de Saint-Ferdinand, ma précédente demeure, quittée depuis 6  ans, qui n’est qu’à 5 lieues de celle-ci. Cela me donne plus d’occupations pour le moment et me force d’abréger. Permets que, ne sachant plus l’adresse de Mme [X.] qui m’annonce la mort de son mari, j’insère ici ma réponse. Mille tendres amitiés à Mesdames Teisseire, Perier, Duchesne, de Mauduit ; cette dernière ne se plaindra pas, car je lui ai écrit plu1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 31 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 73-74. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 475



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sieurs fois. Elle connaît d’ailleurs mon cœur pour [savoir qu’il] ne peut changer. Je suis toute à toi in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 475

L. 1 À MÈRE LÉRIDON1

SS. C. J. M.

Ce 9 octobre 18342 [Saint-Louis] Ma bien chère Sœur, Je dois vous remercier de la peine que vous avez prise en me donnant tant de détails intéressants. La prospérité de la maison de Lyon est un bonheur pour nous et la récompense des vertus qui s’y pratiquent. Je n’avais pas encore reçu les touchants détails de la ruine de celle de Grenoble. J’oublierais plutôt ma main droite3 que ce délicieux séjour et on peut le pleurer à plus juste titre que Jérémie, Jérusalem. Témoignez à mes bonnes et anciennes Sœurs Furnon, Bonabaud, Chauvin et autres qui ont supporté la douleur des derniers moments, combien je compatis à leur peine et leur souhaite une paix longue et inaltérable dans le nouveau sanctuaire où la charité les a accueillies. J’aurais bien voulu des nouvelles du saint prêtre qui, depuis la fondation de Grenoble jusqu’aux abois, en a été le pasteur fidèle, le parfait modèle, d’une constante charité, mortification et profonde humilité4. M. de Vidaud, mourant au moment de cette ruine qu’il n’a pu empêcher, aura reçu une grande récompense. Nous avons bien pris part aux troubles révolutionnaires qui, heureusement, ne vous ont pas atteintes, ainsi que Mère Geoffroy. 1 2 3 4

Aimée Leridon (1793-1857), RSCJ, a pris l’habit le 24 juin 1820, fait sa profession le 29 novembre 1829. Elle est décédée à la maison de Saint-Joseph, à Marseille. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Ps 137, 3. Il s’agit vraisemblablement du P. Rambaud.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Dans ce sol de la liberté, il est arrivé un malheur qui prouve que la jalousie des sectes la porte jusqu’à la licence. Dans une nuit désastreuse, dans une ville considérable, les Ursulines de Boston ont été attaquées par une troupe d’hommes masqués, qui les ont obligées de s’enfuir dans les ténèbres et leur magnifique couvent a aussitôt été brûlé par ces malheureux1. Le Saint Sacrement y a été profané, tous les meubles perdus. La population irlandaise, qui est de 20 000, voulait tirer vengeance de cet attentat horrible. Mais l’évêque, ancien jésuite, a réuni son peuple à l’église et dans un véhément discours, lui a persuadé le pardon des injures et l’obligation de ne pas rendre le mal pour le mal2. Les protestants honnêtes se sont joints aux catholiques pour détester et chercher à réparer ce désastre que l’on croit [être] occasionné par les discours fanatiques d’un ministre furieux de voir le plus bel établissement de l’État pour l’éducation dans les mains des catholiques. Nous sommes ici 14, dont vous ne connaissez probablement aucune. Les Françaises sont Mesdames De Coppens, de Kersaint, Sœur Catherine et moi ; les Américaines : Mesdames Hamilton, McKay, Layton, Shannon, 2 novices ; 1 créole, Mère Boilvin. Priez pour toutes et me croyez toute vôtre in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. Je prie ma Mère Prevost d’agréer mes profonds respects. [Au verso :] À Madame Madame Léridon Maison à La Ferrandière Lyon Département du Rhône France 1

2

Le couvent des Ursulines, à Charlestown (Massachusetts), a été brûlé dans la nuit du 11 août 1834. Une foule impitoyable, dirigée par le Dr Lyman Beecher et d’autres ministres protestants de Charlestown et de Boston, voulait débarrasser la ville du catholicisme et criait : « À bas le pape, à bas l’évêque, à bas le couvent ! » Les sœurs et leurs élèves s’échappèrent par une porte, à l’arrière du bâtiment, et se réfugièrent chez un ami, d’où elles aperçurent l’incendie de leur couvent bien-aimé. Rom 12, 17.



Lettre 476

LETTRE 476

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L. 3 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, 14 octobre 1834 St Ant1. Ma chère Mère, J’ai reçu votre petite lettre du 3 août avec le compte de mes rentes. Les nouveaux certificats se feront en janvier. J’ai remis à Mère Thiéfry le billet à ordre de 94 $. Il pourra aider à payer les 950 pour la famille nègre dont il n’y a rien de côté pour préparer ce paiement. Si vous vouliez y appliquer les 633 F de Mère de Kersaint ou toute autre chose à notre destination. Il serait bon que le tout restât à New York chez M. King de la banque de cette ville, que Mère De Coppens connaît beaucoup et qui nous a déjà fait tenir une somme. Car la personne à qui nous devons devait résider à New York et n’a pas laissé son adresse. Mère Thiéfry est partie pour Saint-Louis lundi passé, 12 du mois, avec Mère Bosseron. Elle hésitait sur le changement de Mère McKay, n’ayant point de nouvelles de Mère Lori, et il est fort douteux qu’elle s’accommode avec Mère Dutour dont les élèves se moquaient complètement. Les santés sont toujours faibles partout. Le Père Van Quickenborne se relève d’une maladie très grave et a toujours le même zèle pour la maison qu’il bâtit. Voyez si Monsieur Perreau ou autre pourrait l’aider. Quant à moi, j’ai peu de besoins et si les 14 élèves restent et payent, nous pourrons aller mais il faudra encore baisser le prix dès qu’il devra être le même à Saint-Charles ; ce sera beaucoup de 70 $ et encore aura-t-on peine à les avoir. M. Chambers ne peut donner plus et a deux enfants ici. Je regrette bien que vous veniez si tard et que je ne sois pas totalement déplacée. Cela conviendrait bien mieux à ma paresse et plus encore au bien de l’œuvre. Philippine Duchesne r. S. C.

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Mes respects aux Pères et à nos Mères et Sœurs. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé rue de Varenne, N° 41 À Paris France By way of New York

LETTRE 477

L. 3 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[octobre 1834]1 Ma bien bonne Sœur, Il m’avait été pénible de ne pouvoir vous écrire en particulier. Vous savez que vous avez toujours été au plus près de mon cœur. Mais encore faut-il que nous soyons de préférence au plus près du Cœur de Jésus et comment en serions-nous près si nous ne faisions sa volonté ? Elle a été si marquée dans cette circonstance2, qu’elle ferait mon bonheur si elle ne me laissait entrevoir mes nombreux manquements. La volonté de Dieu est bien marquée aussi pour vous ; faites-la en accomplissant au plus près tous les devoirs de votre règle. Le pas difficile étant fait, j’ai la confiance et presque l’assurance que vous aurez la paix. Je l’ai trouvée dans cette circonstance difficile. Tous mes désirs sont la retraite, le silence, l’oubli des créatures et la mort au pied de l’autel de saint Régis. In Corde Jesu, Philippine [Au verso :] Madame Gonzague3 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. En octobre 1834, Mère Duchesne est envoyée à Florissant. Mère Thiéfry la remplace à Saint-Louis. Une archiviste a ajouté : Lettres de direction [spirituelle].

Lettre 478

LETTRE 478



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L. 121 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 9 Novembre 18341 St Ant. Ma bien digne Mère, Me voici à la fin de ma retraite, que j’ai faite seule, peu après mon arrivée ici. Je voudrais pouvoir vous assurer que je vais mener une vie nouvelle, à l’ombre de la solitude et loin des occasions qui m’ont si souvent fait faillir ; mais il me semble toujours que, pour ma sûreté et pour le bien des autres, je dois entrer dans le rang d’inférieure, j’attends cette seconde faveur de votre bonté. Outre l’expérience du total de ma conduite, ces nouveaux règlements et directoires m’effraient. C’est si multiplié, et j’ai la mémoire si fautive pour les objets présents, plus que pour ceux qui sont passés. J’ai le cœur si sec, que je puis à peine me fixer à tant de règles et de méthodes, ce sera bien pire de les faire observer. Nous nous trouvons trois, le soir à la prière. Si je puis dire trois phrases en trois minutes sur le sujet d’oraison, ce sera tout. Je suis sûre que les autres ne diront rien. Que deviendra la préparation d’un quart d’heure pour l’oraison ? Je n’ai jamais pu réfléchir sur une chose, je la vois ; et ce que j’ai vu, c’est ce que je verrai durant dix ans sans y changer ou ajouter. Je ne sais rien voir en détail et par partie. Un objet me frappe, c’est en entier, je n’y vois point de divisions. Quand on prêche ou parle longuement, malgré moi je réduis en peu de mots tout ce qui s’est dit et ne comprends pas comment on peut amplifier un sujet. Dans ces dispositions, toutes méthodes et considérations ne deviennent que des égarements d’esprit et je suis si sèche et si brève dans mes paroles qu’elles n’apporteront jamais que l’aridité et le dégoût. Je sens que je suis un instrument usé, un bâton inutile, qui n’est plus propre qu’à occuper un coin reculé et caché. Dieu permet que tout me le montre. Je n’ai pu jamais, dans aucun temps, mériter la confiance, et c’est encore ici la même chose. Les sœurs pensent naturellement qu’elles doivent préférer celle qui me l’a ôtée [Catherine Thiéfry], et je n’ai pas eu d’elle une seule parole, je ne dis pas d’amitié, mais de politesse. Deux élèves m’ont écrit, sous les yeux de la maîtresse, pour me demander de n’être pas à ma classe, et m’ont apporté cette lettre en triomphe. Je leur ai dit de la montrer à leur maman. J’ai été en remplacement aux externes, 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 303, p. 267-269.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

elles me demandaient quand l’autre maîtresse viendrait, et ensuite si je savais faire la multiplication, qu’alors je pourrais la leur montrer. Bien d’autres froideurs me portent à fortifier mon opinion que je ne puis plus travailler pour les autres. Je suis venue ici en paix, comme à un port, mais le démon ne m’a pas longtemps laissée tranquille. Dans les lettres que j’ai reçues de Saint-Louis, plusieurs me marquent qu’on leur avait dit qu’on ne me reverrait jamais. J’en ai conclu qu’on voulait m’envoyer plus loin et je n’en ai pas le courage. Je suis ici plus à portée des secours spirituels qu’en aucune autre partie des États-Unis. C’est tout ce qu’il me faut pour finir mes jours. Mère Xavier [Murphy, à Grand Coteau] a dit, je le sais, qu’elle croyait que je les finirai auprès d’elle, mais je le redouterais beaucoup, pendant trois mois on n’a eu de messes ni fêtes, ni dimanches. Et je n’ai pas la conscience assez calme pour vivre tranquille, éloignée des derniers secours. Je redoute l’eau, le voyage, la chaleur surtout à cause d’une maladie dont je ne suis pas quitte1. Veuillez, je vous prie, ma digne Mère, me laisser mourir dans le Missouri2. J’obéirai à qui vous voudrez. Je ne serais pas tranquille si je ne vous disais pas que, lorsque je fis l’acte pour les orphelines, M. Mullanphy se réserva de faire bâtir, s’il voulait, près de notre maison, pour une de ses parentes. J’en voyais les inconvénients ; mais il y tenait et je passais dessus, pensant qu’aucune de ces dames ne le voudrait et qu’il était important de nous assurer une maison à Saint-Louis, ne pouvant en acheter. J’ai aussi plusieurs fois donné plus de 50 F, sans l’avis du Conseil et votre permission, entraînée par le désir de rendre service pour les bonnes œuvres. Ce n’est ici que dix gourdes, montant des moindres contributions pour églises, missions, etc. Je suis à vos pieds in Corde Jesu, votre indigne fille. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale 1

2

Lorsque le climat est doux et humide, une allergie la brûle, la nuit, « du sommet de la tête à la plante des pieds ». Lettre à E. Audé, du 9 novembre 1834, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Le mois suivant, elle se rétractera, sur le conseil d’un Jésuite. Cf. Lettre de décembre 1834.

Lettre 479

LETTRE 479



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L. 4 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 9 novembre [1834]1 Pour Madame Eugénie Audé Ma digne Mère, Voici la seconde fois que je vous écris depuis mon arrivée ici. J’y suis venue avec un cœur plus ferme que je ne l’ai maintenant. Depuis longtemps, je pliais sous le joug de mes occupations qui me causaient de grandes fautes et je me croyais au port, au pied de l’autel de saint Régis et près de ce fervent noviciat de nos amis. Mais plusieurs des enfants et des Sœurs du Saint-Louis m’ayant écrit qu’on leur avait dit qu’on ne me reverrait jamais, j’en ai conclu qu’on voulait peut-être me faire descendre ; j’y perdrais beaucoup pour les secours spirituels, nulle part si assurés qu’ici, où les deux Sociétés soutiennent chacune leurs membres et empêchent les découragements si fréquents dans la Louisiane. D’ailleurs, je redoute beaucoup un climat chaud. J’ai eu cet été la même maladie qu’autrefois, non pas avec tant de danger, mais avec bien plus de souffrances. J’étais sur pied le jour et tourmentée la nuit de feux volants, du sommet de la tête à la plante des pieds. Une nuit, je me suis éveillée en sursaut, mes dix doigts de pieds étaient comme dix boules de feu. Je me suis jetée à terre jusqu’à ce que le froid de la nuit et de l’eau m’ait permis de me remettre au lit où j’étais souvent les jambes pendantes sans y pouvoir souffrir la plus légère toile. Chaque fois que le temps devient doux, j’ai des ressentiments de cette vexante indisposition que je m’imaginais être diabolique. Aussi, un jour à minuit, n’en pouvant plus, je me suis recommandée avec larmes à Marie Immaculée et j’ai été mieux. Je n’ai pas trouvé cette maison aussi en ordre que je croyais. Toutes les fois qu’on faisait la lessive, soit notre linge, soit celui des élèves restait dans la buanderie porte et fenêtres ouvertes. La classe externe, l’église, le réfectoire, la cuisine, la dépense n’étaient jamais fermés la nuit. Des fenêtres de la chapelle d’ailleurs ne pouvaient non plus fermer leurs contrevents la nuit. Cette confiance était d’autant plus éton1

Original autographe et copie, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : Pays d’outremer par Le Havre ; Charenton, 20 janvier 1836 (la lettre est envoyée à Conflans où se trouve E. Audé).

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

nante dans ce pays plein de cabarets, que des gens, plusieurs nuits, se sont plu à défaire les roues de notre charrette, couper la queue à notre cheval, etc. Il en était de même pour le danger du feu : le tuyau du poêle des externes rasait une cloison en planches sèches, derrière laquelle étaient du foin et des feuilles sèches. Trois fois dans une semaine, en faisant la visite, j’ai trouvé des bûches de six pieds de long brûlant dans toute leur longueur près d’objets combustibles ; la Négresse gardait sa chandelle sur son lit. On ne faisait pas la prière du matin aux externes. On les laissait seules pendant le dîner. Une m’a dit : « Je n’apprends pas le catéchisme, j’ai fait ma 1ère Communion. » Les jeunes étaient passionnées pour l’étude. J’ai trouvé des journaux protestants et des poésies très suspectes. À la 4e classe, on lisait l’histoire de France et on ne savait pas un mot d’histoire sainte, etc. Je ferai faire indirectement des recommandations pour le feu et les portes à Saint-Louis. Chargez-vous du reste. Il ne me convient pas d’en parler. Nous aurions bien besoin d’un galon pour un ornement commencé ici. Mes respects à nos Pères et à nos Mères. Je suis in Corde Jesu, Philippine Duc. r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Assistante générale du Sacré-Cœur À Paris By way of New York

Lettre 480

LETTRE 480



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L. 5 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 19 novembre [1834]1 St Ant. Ma chère Mère, Je vous ai écrit, ainsi qu’à notre digne Mère générale, il n’y a guère que 10 jours et c’était la 2e fois depuis mon arrivée ici. Je n’ai point vu ni entendu parler du missionnaire italien, Monsieur Boccardo, dont vous me parlez et votre lettre étant venue de Paris ici, par la poste et la mer, je n’ose compter sur les gravures. M.  Kely, de New York, qui nous a vendu les Nègres, est revenu pour affaires. Mère Thiéfry lui a remis à Saint-Louis en acompte les (je crois) 92 $ que vous devez M. McCarty. Ce sera encore, en février, 858 $ à payer ; je ne sais s’il voudra attendre jusqu’au printemps. Si vous pouviez faire déposer chez M. King, banquier de New-York, quelques sommes, il sera difficile à Mère Thiéfry de mettre autant de côté jusquelà. Cependant je n’en sais rien car je me fais une loi de ne faire aucune question sur la maison de Saint-Louis. Mère Boilvin ayant demandé de venir me trouver, je l’ai engagée à ne plus le faire ; la plaie serait trop grande pour le pensionnant où elle est chérie et la satisfaction eût été trop grande pour moi. J’aurais eu une personne instruite, modeste, et j’ai ici une savante ridicule qui ne peut pas faire la prière à haute voix, ne la sachant pas assez, et à qui j’ai trouvé à son usage : 1°) 4 gros cahiers de poésies tirées en partie d’un recueil de gazettes protestantes à sa disposition, recueil que j’ai envoyé au Père De Theux qui l’a trouvé nuisible ; 2°) la philosophie naturelle ; 3°) l’astronomie ; 4°) la chronologie ; 5°) la rhétorique ; 6°) 4 grosses grammaires ; 7°) 3 grosses géographies, dont la plus volumineuses se lisait en faisant l’écriture et les surveillances ; 8°) le genre épistolaire ; 9°) l’histoire des États-Unis en grand. Ajoutez à cela qu’on lisait des gazettes protestantes et qu’on n’avait pas le temps de dire l’office. Quand j’ai lu le nouveau plan d’étude et la simplicité des classes qui se feront ici, la bonne sœur m’a dit : « Il faut bien l’astronomie pour apprendre 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St-Louis MO Nov. 21 ; Pays d’outremer par Le Havre.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

aux enfants le nom des étoiles. » Sa classe est composée de 5 buses dont 3 ne savent pas lire. Mère Thiéfry m’envoya demander mon opinion pour les vœux de Mère Stanislas Shannon en qui elle avait beaucoup de confiance. Je refusai de la donner, ne voyant ici aucune dépendance, mais je vois cependant qu’elle est bien attachée et dévouée à son état, qu’elle approche de 25 ans et qu’elle a eu la générosité de se sacrifier à tous les travaux les plus pénibles. Son seul mal a été d’être, trop jeune, la 2de de la maison et par sa langue, souvent la première pour tout le temporel. Elle a aussi les études à la renverse ; mais elle fera ce qu’on lui dira. Je serais donc bien d’avis qu’on récompensât sa générosité ; mais les Constitutions disent qu’on doit aller dans la maison destinée à la 2e probation et je ne sais comment on la remplacerait ici puisqu’elle ne pourrait pas être maîtresse à Saint-Louis. Veuillez marquer au plus tôt cette décision. Je ne serais pas fâchée qu’elle disparût un peu pour lui ôter la dépense. Je ne puis supporter que dans une maison si pauvre où il ne reste que 12 enfants, dont les unes portant les autres ne donnent pas 70 $, on donne des pintes de lait à goûter, 2 plats au sucre le vendredi, le pain avec autant de lait que d’eau. J’ai déjà fait une réforme, mais si on la faisait partout, cela ferait peut-être disparaître le peu d’enfants (il faut voir et souffrir). Ma vie ici est celle de Saint-Louis : réveil le matin, visite du soir, visite des punaises ; de plus balayer, etc. Je me porte mieux mais crains les voyages. Le magnifique steamboat Missouri a péri en deux minutes par le choc du Boonslik1 au-dessus de La Nouvelle-Orléans, sur un point du fleuve dont on ne connaît pas le fond. Je n’aurais pas été en état de mourir si vite. On n’entend parler que de désastre : vous savez celui des Ursulines de Boston ; [L’Hermitage] la maison splendide du Président des États-Unis a été brûlée2. Présentez aux Pères Varin et Louis [Barat] mes profonds respects. Sollicitez auprès de notre digne Mère ma stabilité dans le Missouri. J’ai trop peur de mourir sans secours. Dites [à] mon bon Père Perreau que cela m’a été une grande joie de savoir son retour ; ses bontés sont un baume sur mon cœur. 1

2

Le 24 octobre 1834, le steamboat ‘Missouri Belle’ entra en collision avec le navire ‘Boonslick’, à 15 milles au nord de la Nouvelle-Orléans. Si le ‘Boonslick’ ne fut pas sérieusement endommagé, le ‘Missouri Belle’ coula presque aussitôt avec cent trente personnes à bord, dont trente se noyèrent. (Source : James T. Lloyd, Steamboat catastrophes de Lloyd, 1856, 1. 153.) La résidence du Président Andrew Jackson, l’Hermitage, fut sérieusement endommagée par un incendie, le 13 octobre 1834. Elle a été reconstruite plus belle encore.



Lettre 480

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Voici plusieurs choses qui ont besoin d’explication si vous tardez à revenir : 1°) Dans le plan d’étude, il est dit que les arts d’agrément ne se prendront qu’à la récréation. Comment cela se peut-il ? Je pense que c’est une faute de la copiste. 2°) On marque l’arithmétique pour le jeudi et samedi. Que fait-on le dimanche ? 3°) Où prend-on toutes ces différentes géographies, surtout celle du Bas-Empire [romain] ? 4°) Au premier cours d’arithmétique, il faut continuer la géométrie et on n’en parle pas au deuxième. 5°) Aux leçons du matin et du soir, il n’est jamais question de chronologie, de géographie. 6°) Où prendre la géométrie, la logique, toute géographie française est insuffisante ici ; et l’arithmétique ? Je vous parle de tout cela parce que j’ai fait toutes les copies, personne n’en ayant le temps. Sœur Marguerite [Manteau] est à la fin. Monsieur Blanc a donné la retraite au Grand Coteau et en a été enchanté. Demandez pour moi, à notre Mère, sa bénédiction. Je suis in Corde Jesu, toute vôtre. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Rue de Varenne n° 41 À Paris1 By way of New-York

1

On a fait suivre la lettre à la maison Saint-Joseph à Marseille, où se trouve E. Audé.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 481

L. 4 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[Automne 1834]1 Vous ne devez pas douter du plaisir que m’a fait votre lettre et de celui que me feront celles que vous vous proposez d’écrire quand vous en aurez le temps. Je ne dis pas la force, parce que je suis persuadée qu’elle ne vous manquera pas, surtout pour porter de bonne grâce toutes les croix qu’il plaira à Dieu de vous envoyer. Cela n’est pas impossible quand on a médité le mystère de la Croix, les livrées sanglantes de son Époux, et la nécessité de faire pénitence pour entrer au Ciel. La vôtre n’a été ni assez longue, ni proportionnée à vos dettes. Préparez-vous au travail sans repos, à la prière sans consolation, à l’infirmité sans les adoucissements de la délicatesse. C’est ainsi que vous serez vraiment épouse du Sacré Cœur. Demandez à Mère Thiéfry de vous faire lire les vers du Père Varin, qui terminent sa retraite que je viens de renvoyer2. In Corde Jesu, Philippine r. S. C. Dites à Mère Régis que je suis de son avis. [Au verso :] À Madame Gonzague Saint-Louis

1 2

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Pour sa retraite spirituelle, faite à Saint-Ferdinand, Philippine a utilisé les Méditations du Père Varin, texte appartenant à la maison de Saint-Louis.

Lettre 482

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L. 8 À MÈRE DE GRAMONT

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, Novembre 1834 St Antoine1 [Circulaire sur la maison de Saint-Louis pour l’année 1834] Ma bien respectable Mère, Je ne saurais vous exprimer le plaisir que nous a causé votre circulaire ; elle a trop tardé à arriver, mais combien les détails de votre résurrection nous ont intéressées ! Les nôtres sont bien obscurs en comparaison, cependant je prie quelqu’une de nos chères novices parisiennes d’en faire une copie pour la ville de Rome à l’adresse de Mesdames de Coriolis et Olympe de Causans ; une autre pour Turin à celle de Madame Constance Jouve à qui je dois aussi une réponse, et une troisième pour Quimper, à moins qu’il ne soit de règle d’en faire davantage. Cela nous entraînerait ici à beaucoup de dépenses d’affranchissement. Quoique maintenant à Saint-Ferdinand, je ne puis en parler, y arrivant seulement ; et j’ai avec moi le Journal de Saint-Louis dont voici l’abrégé. Le 12 janvier, Mgr l’évêque vient donner l’habit à une postulante (qui a été renvoyée au mois d’octobre). Il passe une partie de la journée avec nous, fait deux bons sermons, voit plusieurs des nôtres en particulier et se vante d’avoir 60 religieuses dans son diocèse, qui est aussi un de ceux qui a le plus de prêtres. Ces religieuses sont de 4 Sociétés : de la Visitation, de la Charité, de la Croix et du Sacré-Cœur. Avant la fin du mois, le ci-devant supérieur de nos amis s’était assuré par souscription 7 500 F pour bâtir à nos Sœurs de Saint-Charles une maison en briques, la leur en bois étant toute dégradée. Au mois de Mars, Saint-Ferdinand a perdu une novice par défaut d’aptitude et de vertu, elle a repris l’habit séculier et est restée comme domestique. Je l’ai vu faire sa préparation à la 1e Communion en se balançant comme une enfant au berceau. Le jour de saint Joseph, notre fête patronale, Monseigneur a daigné nous dire la sainte messe, faire faire la première Communion et confirmer plusieurs élèves ! 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4. Cachet de la poste : Pays d’Outre-mer par Le Havre, Paris, 19 janvier 1835. Une archiviste a ajouté : Circulaire N° 2 à Mère de Gramont.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Malgré notre petit nombre, l’office des ténèbres s’est fait dans nos trois maisons ; à Saint-Louis plusieurs élèves ont dit des leçons et l’adoration s’est faite toute la nuit du Jeudi saint. La seconde fête de Pâques, Monseigneur a donné le saint habit à Mlle Mary Knappe, notre plus ancienne et meilleure orpheline. Le 13 avril, nous avons le plaisir de voir arriver la Mère Eugénie [Audé], notre assistante générale, qui visite les trois maisons et repart bientôt pour la France. Le six juin, fête du Sacré Cœur, nous renouvelons nos vœux à une première messe dite par Monsieur Borgna ; Monsieur Jeanjean chante la seconde et Monsieur le curé de Saint-Louis dit la 3e. Monseigneur vient chanter les vêpres, donne la bénédiction et un Père termine la fête par un sermon. Le Saint Sacrement ne peut être exposé pendant l’octave à cause des maladies commencées dès le mois de Mai, tant parmi les maîtresses que parmi les élèves ; celles des maîtresses ont été graves et sujettes aux rechutes ; c’étaient des fièvres bilieuses, des dysenteries, des espèces d’attaque de choléra. Nous nous sommes trouvées sans personne pour les classes anglaises et à ne savoir qui faire veiller, celles qui restaient étant accablées de fatigue. Monseigneur a été d’avis de donner les prix et d’avancer les vacances des élèves, mais il était impossible de faire des exercices ; elles sont donc toutes sorties sans prix le jour de la fête de saint Ignace où le plus grand nombre devaient assister aux prix du collège qui ont surpassé l’attente générale, vu les maladies des maîtres dans l’année. Le 19, nous avions donné les prix aux externes dans un de nos petits bois. Les vacances des pensionnaires et leurs sorties continuelles nous ont mis dans une telle gêne que, ne pouvant finir le paiement de la bâtisse du pensionnat, nous sommes obligées d’emprunter à la banque. Ce n’est qu’au mois d’Août que nous avons reçu l’argent, les lettres et les autres objets remis à Paris à Mmes Mullanphy qui nous visitent toutes trois, ainsi que le Père Ladavière allant au Kentucky voir le Père de Chosel. 4 de nos sœurs les plus malades sont allées achever leur guérison à Saint-Ferdinand. Le 15 août, malgré notre petit nombre, nous avons fourni à l’adoration, aidées de plusieurs orphelines en retraite qui ont aussi jeûné au pain et à l’eau et fait la procession les pieds nus, la veille [de la fête] du Cœur de Marie pour obtenir la cessation de nos épreuves. Le lendemain et surlendemain de la fête, nos maîtresses sont revenues ainsi que plusieurs élèves et le 1er septembre, on a recommencé les classes pour les répétitions de l’année. À la même époque (comme il faut toujours avoir des croix), une Négresse achetée, mais non payée,

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qui nous faisait la cuisine est devenue si furieuse qu’elle menaçait de tuer, de brûler la maison, de se jeter dans le Mississippi. Nous avons été obligées de payer pour la tenir quelque temps en prison. Chacune en ayant peur, il faudra la revendre. Les prix des élèves se sont donnés le 25 septembre, en présence de Monseigneur, de son grand vicaire, du curé, des parents et de plusieurs des Pères. Notre plus ancienne a récité également bien des pièces en anglais, en français et en italien. Une autre en avait en espagnol mais sa sortie l’avait déroutée, elle n’était pas assez sûre pour se hasarder devant ceux qui entendaient cette langue. Pour la 1e fois, nous avons donné le prix d’Excellence. Il a été mérité par une jeune Américaine d’un excellent esprit et d’une conduite irréprochable qui pourrait bien être un jour des nôtres. Au commencement d’Octobre, j’ai reçu les lettres de notre Mère générale et de notre assistante générale qui m’apprenaient mon changement d’habitation. Je pris quelques jours pour régler bien des choses et attendre le samedi, jour où notre évêque vient régulièrement confesser. Je lui remis la lettre de notre générale qui le prévenait de mon départ, que je lui témoignai désiré pour le même jour. Il m’engagea à passer chez lui pour me montrer sa belle cathédrale ; j’y trouvai quelque obstacle, et la même voiture qui le reconduisit, vint me reprendre pour me conduire à Saint-Ferdinand. J’y trouvai Madame Thiéfry prévenue de tout, je fus témoin des regrets qu’elle emportait en quittant le lendemain pour se rendre à Saint-Louis, où elle a eu toutes les visites des évêques venus pour la consécration de l’église. C’était ceux de Cincinnati de l’État de l’Ohio, de Bardstown de l’État du Kentucky, du Fort Vincennes de l’État de l’Indiana ; avec le nôtre, c’étaient 4 [évêques] qui se sont trouvés à la consécration, tous d’un mérite distingué. Cette consécration a eu le lieu le 26 octobre ; outre les 4 évêques, il y avait 28 prêtres et beaucoup d’ecclésiastiques du séminaire. Tout a concouru à rendre cette solennité la plus pompeuse et faite pour en imposer aux sectes jalouses. À l’élévation de la messe, le son de grosses cloches venues de Normandie [France], celui du canon qu’on tirait, celui de la musique du corps militaire qui assistait, tout formait un ensemble qui donnait du respect pour le Dieu auquel le temple se dédiait. Et la nombreuse congrégation qui s’était réunie a avoué de concert qu’on n’avait jamais rien vu de si beau. Monseigneur m’avait dit que nous serions visitées à Saint-Ferdinand par les évêques, mais n’ayant trouvé que moins de 5 F dans cette maison, j’ai détourné le coup, ou plutôt la Providence. J’aurais été bien contente de voir Mgr Bruté [de Rémur] qu’on m’a comparé au Père Barat pour la science et la direction ; il a été sulpicien.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

La bâtisse de Saint-Charles a été retardée par une maladie très grave du Père curé du lieu, qui l’a entreprise. Il s’est heureusement rétabli et Mère Lucile m’écrit que cette maison, sans faire de dettes, sera couverte avant les grands froids. Il faudra quêter pour finir le dedans. Mais elle compte comme reçues les 3 000 lires qui nous ont été prêtées par notre digne Mère pour les lui faire passer. Elle a emprunté sur cette assurance et on ne peut encore les donner. J’espère que toutes mes chères Sœurs, vos filles, trouveront ici l’expression de mon tendre attachement dans le Cœur de Jésus. C’est en lui que je suis votre dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce novembre [1834] [Au verso :] À Madame Madame Eugénie de Grammont Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

LETTRE 483

L. 124 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 29 décembre 1834] Monseigneur, Étant privée de vous voir depuis si longtemps, je n’ai cessé d’avoir présentes à l’esprit toutes vos bontés dont le souvenir sera ineffaçable et 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1834 Déc. 29, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 31, répondu même jour. »

Lettre 484



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me fait former des vœux continuels pour votre bonheur et pour le succès de vos saintes et importantes entreprises. C’est la crainte de vous en détourner un seul instant qui m’a empêchée de vous écrire, les premiers temps après mon départ de Saint-Louis. Je l’ai fait depuis, ignorant votre absence ; elle a été lue et anéantie et je serais bien mortifiée que vous eussiez sujet de penser que j’ai manqué à un devoir que la seule reconnaissance m’invitait à remplir. C’est cette reconnaissance qui rend encore plus ardents les vœux que j’offre pour vous au Souverain Maître, en ce renouvellement d’année, et que je vous prie d’agréer. Je ne vous parle pas de ma situation, elle est telle que vous pouvez imaginer. J’aime la solitude et je la goûterais davantage si elle était plus entière et je la demande à Dieu, sans beaucoup espérer l’obtenir, car partout, il y a bien des occupations et la charité fait un devoir d’y faire céder son inclination. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la dévouée et humble fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 29 décembre 1834

LETTRE 484

L. 122 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Ce décembre 18341 Rec. à St Ant. Ma bien digne Mère, En cette fin d’année, je me crois obligée de vous demander pardon des peines que je vous ai causées depuis bien des années. J’espère que votre bonté me l’accordera et, de plus, la grâce que j’ai déjà sollicitée d’être délivrée de toute charge. Dieu et les hommes me disent égale1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 304, p. 270-271.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

ment que j’y suis moins propre que jamais. Je demande à Dieu, en cette nouvelle année, qu’il vous comble de toutes ses bénédictions, ainsi que la Société de nos bons Pères. C’est par le conseil de l’un d’eux que je me rétracte, quoique avec grande peine, de la demande que je vous ai faite de ne pas être envoyée ailleurs. Je suis prête à obéir quoiqu’il m’en coûte, dans tout changement qu’il vous plaira et quelque appréhension que j’en éprouve. Nous avons ici une aspirante [Anna-Joséphine Shannon, dite Stanislas], qui était le bras droit de Mère Thiéfry, qui a 25 ans et les cinq années passées depuis les premiers vœux. Je n’avais pas voulu donner mon avis les premiers temps que je l’ai pratiquée, mais depuis, j’en ai conçu une opinion très bonne. La difficulté est qu’elle ne peut quitter cette maison sans que cela nuise entièrement. On ne peut donner personne qui la remplace. Je suis ici comme une inconnue, surtout pour les Américains, ne pouvant leur parler, et cette sœur faisait tout le temporel et recevait les parents de sa langue. Je demande qu’elle reste ici les six mois de ses dernières épreuves. Si vous voulez y mettre la condition qu’elle s’adresse au Père supérieur et Maître des novices [le P. De Theux], elle sera mieux quant à la direction qu’à Saint-Louis, pour notre institut. Veuillez faire répondre par Mère Eugénie qui a bien fait faire les derniers vœux sans une retraite totale pour les jeunes sujets. Nous perdrions une partie des élèves et externes si elle s’éloignait. Mes respects à nos Pères Joseph [Varin] et Louis [Barat] et à nos Mères. Je suis à vos pieds votre toute indigne fille et servante. Philippine r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat ou en son absence À Mère Eugénie Audé Paris



Lettre 485

LETTRE 485

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L. 5 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[Après octobre 1834]1 Ma bien chère Sœur, J’ai reçu votre lettre dont je n’ai pas la date et à laquelle je n’ai pu répondre de suite. Profitez des moments d’épreuve, c’est le bon temps pour avancer. Je me rappelle toujours ces paroles qui me furent dites par un homme de Dieu, un jour que j’étais dans votre situation : « Si le grain de froment ne pourrit dans la terre et n’y meurt, il ne portera point de fruit ; mais s’il pourrit et s’il meurt, il en portera beaucoup2. » C’est souvent par paresse qu’on veut la mort ; et il n’y a qu’à dire ces mots du cantique : « Après la mort, s’il faut souffrir encore. » Et quoi souffrir au purgatoire ? Et puis le dernier denier3 dont il faudra rendre compte, cela fait peur. Portons nos peines et laissons à Dieu d’en déterminer la longueur et le poids. Je suis tout à fait surprise que Grand-maman et Mme  Brozeau, m’ayant promis de faire remettre trois objets le lendemain à SaintLouis, cela ne soit pas reçu depuis quinze jours. Faites-en aujourd’hui des plaintes à Maria et qu’elle s’informe. In Corde Jesu, Philippine [Au verso :] Madame Gonzague Saint-Louis

1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Jn 12, 24. Mt 5, 26 ; Lc 12, 59.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

CHRONOLOGIE 1

ÉPOQUES INTÉRESSANTES1

1. Départ de Paris. Février 2. Lettres de trois cardinaux qui nous envoient l’expression et la bénédiction du pape Pie VII sur l’établissement d’Amérique. 3. Lettre de M. Perreau qui a reçu celle des cardinaux. 4. Fondation de Chambéry. Avril 5. Idem de Lyon. Janvier 6. Idem de Bordeaux 7. Idem des Opelousas 8. Idem du Mans 9. Arrivée en Amérique de Mme Xavier Murphy 10. Fondation d’Autun 11. Idem de Besançon 12. Réunion de Mme de Peñaranda et de 11 Flamandes 13. Fondation de Turin, en Piémont 14. Idem de Metz 15. Idem de Saint-Michel 16. Approbation de la Société par Léon XII 17. Fondation de Saint-Louis 18. 2ème maison de Lyon 19. Fondation de Lille 20. Idem à Rome à la Trinité-du-Mont 21. Idem à La Fourche (détruite en 1832) 22. de Saint-Charles 23. Chute de Charles X. Révolution en France 24. Fondation à Montet en Suisse (détruite en 1849) 25. Idem d’Aix 26. Idem de Sainte-Rufine à Rome 27. Choléra à Saint-Michel : 1833, à Paris 28. Destruction de Grenoble 1 2

3

Années 1818 1818 1818 1818 1819 1819 1821 1821 1822, 2 février 1822 1823 1822 1823 18232 1825 1826, Juillet3 1827 1827 1827 1828 1828 1828 1830 1832 1832 1835 1832 1834

Original autographe. C-VII 2 c) Writings Duchesne History of Society, Box 1, Lettres intéressantes depuis 1818 jusqu’à 1836, p. 102. Mgr Jauffret créa en 1807, à Metz, la Société des Dames de Sainte-Sophie. Il désira ensuite les réunir à la Société du Sacré-Cœur. Des négociations eurent lieu de novembre 1823 à mars 1824. En septembre 1824, La Mère Barat réalisa la fondation. L’approbation du Saint-Siège a été obtenue par le décret du 15 juillet 1826, confirmé par le pape le 21 juillet. La Mère Barat écrivit à Philippine le 2 septembre 1826 : « J’ai à vous confier l’heureuse nouvelle de notre approbation à Rome. Le Saint Pontife a fait quelques changements dans nos Constitutions, que j’ignore encore. » Cf. J. de Charry, II 2, idem, p. 426-431. Mais le Bref In supremae militandis ne fut expédié que le 22 décembre 1826.



Lettre 486

LETTRE 486

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L. 6 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 1er janvier 18351 J’ai reçu vos deux lettres, ma bien aimée Sœur, et quand vous ne m’auriez pas dit que vous étiez l’auteur de tout ce que vous m’envoyez, je vous y aurais reconnue sans peine. Je vous remercie du tout, mais particulièrement de ce qui est le symbole de notre union, l’objet de notre chère dévotion, le miroir sur lequel nous devons, et apercevoir nos défauts et trouver l’image des vertus qui nous manquent. Le but de mes vœux pour vous, à ce commencement d’année, est que vous les obteniez ces vertus qu’on puise en étudiant le sacré Cœur. Je n’ai pas besoin de toute sa charité pour vous pardonner toutes vos fautes à mon égard, car je ne m’en rappelle aucune. Quant à celles qui ont déplu à Dieu, elles sont pardonnées les 70 fois 7 fois2 que vous les détestez ; ainsi ayant la même ressource pour moi, j’espère que le Cœur de Jésus nous réunira. Je suis en lui toute vôtre, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Gonzague Boilvin Maison du Sacré-Cœur À Saint-Louis

1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Mt 18, 21-22.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 487

L. 1 À MÈRE GALITZINE

SS. C. J. M.

Ce 17 février [1835]1 Ma respectable Mère, Je suis bien reconnaissante des détails intéressants que vous avez bien voulu me transmettre et où, en peu de paroles, vous avez eu l’art de réunir beaucoup de choses comme l’ensemble de tout l’édifice dont nous faisons une si petite portion. Je vous prie d’ajouter à vos bontés celle de faire passer à notre assistante [E. Audé] la feuille ci-jointe qui, je pense, d’après ce qu’on m’écrit, ne pourrait la trouver à Paris. Vous devez m’excuser si je ne vous donne pas de nouvelles détaillées ; elles ne pourraient être que d’insipides répétitions. La maison où je suis n’en peut fournir aucune. La porte, quelques fois, ne s’ouvre pas dans la journée ; et le salon souvent ne voit personne d’un dimanche à l’autre. Cette solitude m’est bien agréable ; les secours spirituels ne nous y manquent point, nos Pères [jésuites] ayant leur noyau tout près de nous. Je suis avec une haute considération, in Corde Jesu, votre dévouée, Philippine Duchesne Mes respects, je vous prie, à M. Perreau et aux Pères joseph [Varin] et Louis [Barat]. [Au verso :] À Madame Madame de Galitzine Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St. Louis MO, 1 Feb. 1835 ; Paris, 12 Avril 1835.



Lettre 488

LETTRE 488

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L. 6 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, 19 février [1835] St Ant1. Pour Madame Eugénie Audé Ma bien digne Mère, J’ai reçu votre lettre du 6 décembre, mais je suis loin d’avoir reçu les cinq que vous m’annoncez. Je n’en ai eu qu’une depuis celle qui m’annonçait mon changement. Vous ne me parlez point de retour et c’est ce qui m’aurait fait plus de plaisir ; on le croit tellement prochain qu’on ne veut plus vous écrire en France. Je mets cette feuille dans une [lettre] à Mère Galitzine qui saura où vous êtes. À la Louisiane, on vous croit à Marseille et j’avais grand peur que vous allassiez jusqu’à Rome, ce qui retarderait beaucoup pour nous le plaisir de vous revoir ; je pourrais plutôt dire le besoin. Tout va bien dans le midi, mais la croix est toujours plantée à SaintLouis. Sœur R. Hamilton m’écrivait qu’elle croyait que les démons mettaient tout en jeu contre elles. J’y compatis beaucoup parce que je connais les difficultés qu’il y a là, auxquelles se sont jointes des maladies vraiment extraordinaires. Mlle Odile de la Suze, notre ancienne enfant, depuis mariée deux fois et devenue héritière de son 2e mari, vient d’entrer à la Visitation à Kaskaskia où on prépare un splendide bâtiment et où chacun s’empresse d’envoyer des enfants, même les nôtres, qui par-là sont diminuées. Mère Anne [De Coppens] ne peut aller avec sa nouvelle Mère qui voulait me la donner, mais je ne la désire pas plus que Mère Xavier qui l’a refusée. Sa sœur m’a écrit que notre Mère avait promis son retour en France et elles le sollicitent toutes deux. Si vous pouvez arranger cela ; il n’y aura jamais de paix, à moins qu’elle ne soit à la tête… Voyez pour Saint-Charles en mettant Mère Lucille ici et j’aurais mon repos entier que je désire, n’ayant pas la plus légère espérance de réussir à rien. Dites-le à notre digne Mère à qui j’offre mes humbles respects. Je suis in Corde Jesu, Philippine r. S. C. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 489

L. 125 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Ce 25 février [1835] Monseigneur, J’ai appris avec beaucoup de joie votre heureux retour avec une meilleure santé. Je viens vous prier de pourvoir à celle de Madame Gonzague si affaiblie depuis longtemps. Je ne doute pas qu’un petit voyage ici ne la rétablisse. Elle l’a beaucoup désiré et je l’ai priée de ne pas le demander, cela pouvant me faire tort ; mais moi-même, j’ai prié Madame Thiéfry de nous la donner quelques jours pour enseigner quelque chose à une compagne. Madame Thiéfry l’a refusé sous prétexte qu’on ne peut se passer d’elle, mais quand elle est au lit, il faut bien s’en passer. Je vous prie, Monseigneur, de décider ce petit voyage quand le temps le permettra, sous prétexte de repos ou de sa retraite qu’elle n’a pas faite. Madame Régis me marquant que la tristesse a beaucoup de part à son mal, une diversion ne peut que lui être utile. Ses sœurs pourraient la conduire ici ou une orpheline l’accompagner avec un domestique. Pardon, Monseigneur, de vous détourner ainsi [de vos occupations], mais c’est un devoir de charité que je remplis. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille et servante. Philippine Duchesne Ce 25 février [1835]

1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1835 ­Février 25, Mme Duchesne ; répondu. »



Lettre 490

LETTRE 490

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L. 7 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[Carême 1835]1 Ma chère Sœur, Soyez persuadée que vous ne m’êtes point un sujet de peine, mais plutôt de consolation, parce que je vois en vous une personne qui peut rendre des services à la Société du Sacré-Cœur. C’est parce que je crains que vous l’entrevoyiez et que nul mérite n’est sans tache à effacer, c’est pourquoi j’ai cru pouvoir heurter l’amour propre pour faire place à l’amour divin et à l’amour fraternel. Le plus grand mal serait de se voir irrépréhensible ; s’attrister trop de ses défauts peut venir d’un orgueil humilié. Il faut faire comme la sœur hospitalière à qui on reproche 52 défauts et qui ne s’en plonge pas moins avec confiance dans le Cœur exorable de Jésus-Christ. Je suis fâchée que vous n’ayez pas dit plus tôt que vous souffriez ; vous n’auriez pas jeûné mercredi. Toutes les fois que vous ressentez le besoin de remèdes, il faut le dire. On ne peut pas toujours découvrir nos misères au simple coup d’œil. Ce sera pour moi un vrai plaisir de vous soulager. In Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] Madame Gonzague

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 491

L. 126 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Ce 17 avril 1835 Monseigneur, J’ai appris avec douleur que votre santé ne se rétablissait pas et je le juge aisément d’après la violente secousse qu’elle a dû éprouver [au cours de] cette fatale nuit du feu, que j’ai toujours présente. Je me reprochais d’avoir dormi tandis que vous aviez tant à souffrir ; votre image ne me quittait pas, et nous nous sommes toutes réunies pour demander votre conservation et la cessation des peines qui doivent vous oppresser. Je voudrais qu’il fût en mon pouvoir de réparer tout le dommage fait à l’église ; je vous envoie tout ce que je peux pour le moment et désire bien doubler cette petite somme aussitôt que possible. Je n’ose vous occuper plus longtemps. Je vous prie de nous bénir toutes et de me croire avec un profond respect, Monseigneur, votre indigne fille. Philippine Duchesne Ce 17 avril 1835

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1835 Avril 17, Mme Duchesne, Florissant. »

Lettre 492

LETTRE 492



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L. 7 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 24 avril [1835] St Ant1. Ma bien chère Mère, De tous côtés, on se plaint de votre longue absence et on soupire pour votre retour. Personne ne le désire plus que moi. Vous trouverez de quoi exercer votre zèle ; cela vaut bien le sacrifice des douceurs que vous goûtez en France. Monsieur Elet, arrivé depuis peu de jours, m’a envoyé des lettres de Saint-Michel où tout va parfaitement : 142 élèves, 50 orphelines ; de ferventes colombes avec Mère Louisia, Sœur Sophie qui se remet, Philippine [Jourdain] qui est allée au Ciel pour, de là, étendre sa protection sur le lieu où elle a reçu tant de grâces. Au Grand Coteau, le Père a fait beaucoup d’instructions et a trouvé que l’esprit de Dieu y régnait. Mère Xavier n’est pas bien portante ; la mort de Mère [Adèle] Toysonnier l’a extrêmement affligée. Mère Lavy m’écrit sur un ton qui me marque que son âme a retrouvé son assiette [un bon moral]. Sœur Marguerite [Manteau] ne fait plus que prier et tricoter. On continue à bâtir ; le toit, cette semaine, se jettera sur la maison de Saint-Charles. Monsieur Elet lui apporte de la Louisiane 300 $. Je ne sais si cela suffira pour le dedans pour lequel il manquait. Saint-Louis est la maison la plus affligée : les santés y sont toutes chancelantes et plusieurs cœurs torturés. La grande Anne a annoncé son départ. Henriette [de Kersaint] a été gravement malade et fort triste depuis qu’elle n’espère plus New York. Cincinnati avait un moment pris sa place, mais comment y contribuer puisqu’on peut à peine suffire malgré la diminution d’enfants. Dans sa dernière lettre, Mère Régis [Hamilton] me disait qu’elle finissait, ne pouvant plus tenir la plume ; qu’elle craignait d’être malade comme l’année passée, qu’elle était tentée de désespoir. Il me semble que cette maison a besoin de votre présence pour un temps et je vous répète ma pensée : que le sujet, parti d’ici avec sa mère, est dangereux. J’ai encore trouvé et envoyé à Saint-Louis un très 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St. Louis MO, Apr. 28 ; Paris, 13 Juin 1835.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

mauvais livre qu’elle avait à la bibliothèque dont elle avait sollicité la charge. C’est de même là où elle est ; je veux dire qu’elle y a la main et ramasse à son usage ce qui lui plaît. Monseigneur fait beaucoup craindre pour sa conservation. Ce serait une perte incalculable : qui le remplacerait ?… Il est allé se faire traiter par Monsieur Cellini ; je crois qu’il ne pourra plus aller régulièrement dans notre maison. Les désagréments qu’il éprouve de la part de ses ouvriers ont, je crois, contribué à sa maladie. On craignait le perdre, la nuit où un feu (qu’on a dit mis exprès) a brûlé la vieille église, l’écurie publique et aurait aussi brûlé la nouvelle église si elle n’eût été couverte en cuivre. Une secte ennemie en avait menacé, disant que l’évêque était trop orgueilleux, le jour de la consécration. L’église si chère à Monsieur Jeanjean, où il a chanté en Iroquois, a été brûlée par la même secte. Et comme elle est l’auteur du désastre des Ursulines de Boston, attentat plus affreux qu’aucun de ceux de la Révolution de France, au centre d’une grande ville, sans punition du coupable, [elle] peut tout faire craindre pour l’avenir. On attaque déjà de parole la maison où est Mère Dutour ; les nôtres, qu’on appelle dans les gazettes protestantes des maisons du diable, pleines d’idoles, etc. L’armée des 180 Jésuites, serviteurs de souverains étrangers, est aussi fortement attaquée, comme ne pouvant s’allier à un gouvernement libre. Et on doit demander au Congrès de ne pas permettre les émigrations en ce pays, où 150 000 catholiques sont arrivés pour tout détruire. Je ne sais où est notre digne Mère, ni vous aussi. Je hasarde cette lettre avec le désir que vous ne puissiez la recevoir, étant sur la route de nos contrées. Elle arrivera toujours à notre Mère qui y lira l’expression de mon dévouement ; ou à son autre elle-même, Mère Eugénie [de Gramont] de Paris. J’envoie aujourd’hui mon certificat de vie à Philadelphie. Il sera adressé à Mère Galitzine et n’arrivera qu’après celle-ci. Toute à vous in Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Rue de Varenne n° 41 À Paris

Lettre 493

LETTRE 493



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L. 123 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

St Antoine [30 juin 1835]1 Ma Révérende Mère, J’ai reçu une lettre de Mère Audé qui me témoigne votre bonté à mon égard. Quant à ma santé, elle est bonne maintenant. Tout désir est éteint en moi, excepté celui de jouir de Dieu et de m’y préparer par l’éloignement des occasions de chutes, et j’en aurai toujours, ainsi que la peine d’être un obstacle à l’avancement des inférieures qui dépendront de moi tant que je ne serai pas déchargée de la supériorité. C’est la demande que j’ose vous réitérer. La jeune personne [Mary Knapp] qui vous écrit, désire faire ses premiers vœux et je vous prie de le lui accorder. Sœur Stanislas Shannon a reçu avec joie la permission pour les siens et, comme elle ne peut être remplacée ici, que son nom seul y est nécessaire, le supérieur de nos voisins [le P. De Theux] se chargera avec zèle et intérêt de la diriger luimême pendant les six mois qui ne peuvent commencer aux vacances. Si vous pouviez les abréger en considération de 10 ans de services assidus2, j’en aurais, et elle aussi, beaucoup de joie. Ma vue troublée aujourd’hui m’empêche de prolonger et je crains de trop grossir la lettre. Je suis à vos pieds, votre humble fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 30 juin [Au verso :] À Madame 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : St. Louis MO, Jul. 3 ; Paris, 18 août 1835. J. de Charry, II 3, L. 305, p. 272-273. Elle est entrée au Sacré-Cœur à l’âge de 16 ans, a dû attendre ses 25 ans pour faire sa profession perpétuelle.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Madame de Gramont pour Madame Sophie Rue de Varenne n° 41 Paris France By way of New York

LETTRE 494

L. 127 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

Saint-Ferdinand, 27 juillet 1835 Monseigneur, J’ai reçu de votre part une image de sainte Philomène qui m’est un souvenir bien précieux de mon premier pasteur. J’avais précédemment reçu votre lettre contenant le reçu de M. Ménard. Votre absence de Saint-Louis et la maladie de notre domestique m’ont empêchée de vous en accuser la réception. Je n’ai pu manquer de bénir la Providence qui, contre toute apparence, m’a fourni le moyen d’enlever à moi-même et à la maison une dette, épine toujours piquante, en permettant qu’un parent des enfants eût payé une année d’avance pour ses enfants et que j’eusse le montant d’une des boîtes d’or. Mon voyage à Saint-Charles n’a encore pu s’effectuer, faute d’occasion et ayant l’espoir d’une autre vente qui aiderait à finir la maison de Madame Lucile. On m’apprend que votre santé se soutient meilleure, et je bénis mille fois le Seigneur d’une si grande grâce pour tout le diocèse. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, 27 juillet 1835 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1835 ­Juillet 27, Mme Duchesne, Florissant. »

Lettre 495

LETTRE 495



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L. 128 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 8 octobre 1835] Monseigneur, Je suis malade depuis la fin d’août et, souvent, lorsque je me suis crue près de ma mort, je me disais : « Ne reverrai-je plus mon vénérable évêque ? » Je désirais aussi la mort pour moi, mais j’étais bien triste de laisser sans chef cette maison. Je fis prier Madame Lucile de venir, tant pour lui assurer la propriété du terrain de Saint-Charles que pour lui proposer, au cas où je mourusse, de venir passer quelque temps ici en attendant que notre Supérieure générale eût désigné celle qu’elle voudrait. Et j’avais, dès les premiers jours de ma maladie, écrit à notre Supérieure pour le lui demander. Madame Lucile n’a pas du tout agréé ma proposition et lui voyant tant d’opposition, je n’ai pas insisté. Maintenant, nos jeunes Dames qui aiment beaucoup Madame Thiéfry m’ont proposé de lui demander de venir passer quelques semaines ; qu’elle s’y était offerte. Je désirerais beaucoup que vous lui fissiez entendre que ce n’est pas le moment. Je crois que ma maladie est un dépérissement dont je ne sortirai pas, qui peut durer longtemps. Et il vaut bien mieux qu’elle réserve sa bonne volonté pour le temps où je serai tout à fait hors de service ou quand je ne serai plus. D’ici là, il y aura une réponse de France. À présent, son absence nuirait à la maison de Saint-Louis sans qu’elle-même fût bien nécessaire ici, et si elle ne pouvait la prolonger, elle manquerait au moment où l’on aurait bien besoin d’elle. Ce m’est une consolation et un grand sujet de tranquillité qu’elle soit disposée à venir ici quelque temps ; mais je le répète, ce n’est pas le moment. Ma maladie n’est pas de celles qui surprennent, il faudra encore languir. Je vous prie d’excuser les fautes de ma lettre ; j’ai de la peine à écrire.

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1835 Oct. 8, Mme Duchesne, Florissant. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Veuillez, je vous prie, me donner votre bénédiction et me croire à vos pieds, Monseigneur, votre indigne, mais bien dévouée fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C Ce 8 octobre 1835 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

LETTRE 496

L. 129 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 8 novembre [1835]] Monseigneur, Il faut bien se résigner, pour l’avantage de l’Église, à un voyage qui a toujours ses dangers. Mais pour obtenir votre prompt et heureux retour, nous ne cesserons de prier les anges protecteurs de ce diocèse de vous accompagner dans tous vos pas et de veiller à la conservation de vos jours. J’espère que vous voudrez bien pardonner la liberté que je prends de joindre ici des lettres pour l’Europe et la Louisiane. Veuillez bien me bénir et me croire, de votre Grandeur, la plus dévouée fille. Philippine Duchesne Ce 8 novembre [1835] 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1835 Nov. 8, Mme Duchesne. »



Lettre 497

LETTRE 497

287

L. 8 À MÈRE EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Ce 8 novembre 1835 Rec. à St Antoine1 Ma bien chère Mère, J’ai reçu votre lettre du 25 août, où vous me dites que notre digne Mère générale ne peut me décharger de mon fardeau. J’ai cru que Dieu m’en déchargerait lui-même, comme je vous l’ai écrit, je crois, au commencement de septembre. Depuis la fin d’août, j’avais une fièvre bilieuse qui, avec quelques jours de mieux, m’a travaillé jusqu’à la Toussaint où je craignais beaucoup de ne pouvoir dire l’office des morts ; il aurait fallu le laisser. Depuis ce jour, je suis à peu près mon train ordinaire. Nous n’avons point de Sœur Royer parmi nous, à qui notre Mère générale permet les vœux. C’est peut-être de ma Sœur Roche dont vous avez voulu parler. On ne peut être trois professes pour ses informations, Mère Thiéfry ayant toujours été seule professe ici et moi, depuis. Dès que notre digne Mère fait espérer votre retour au printemps, je pense qu’il vaut mieux vous attendre. J’apprends en ce moment la mort de notre chère Sœur Régina Cloney [au Grand Coteau], d’une fièvre bilieuse, mais qui a surpris. La perte est incalculable pour cette maison où il y a 90 pensionnaires. Mère Xavier [Murphy] demande une maîtresse anglaise et partout, il en faudrait. Dans cette situation, elle ne lâchera pas Mère [Félicité] Lavy attendue à Saint-Louis et qui y serait bien utile pour que les classes fussent en d’autres mains. Mère Lucile [Mathevon] entrera ce mois-ci dans sa maison de briques, qui est plus grande que celle d’ici. Mère [Suzanne] McKay, si mécontente ailleurs, dit qu’elle est à Saint-Charles comme dans son centre. Toutes les santés y ont été mieux cette année. Je suis avec respect in Corde Jesu, votre dévouée, Philippine Duchesne r. S. C.

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Mgr Rosati part dans quelques jours pour aller sacrer M. Blanc évêque de La Nouvelle-Orléans, et assister à la cérémonie où l’on posera la première pierre de la cathédrale de La Mobile. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Religieuse du Sacré-Cœur À Paris

LETTRE 498

L. 124 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[8 novembre 1835]1 St Antoine Ma bien digne Mère, Je vous ai écrit la dernière fois, il me semble, au commencement de septembre et vous priais de pourvoir aux besoins de cette maison, craignant et espérant que Dieu disposerait de moi dans une maladie dont je n’ai été quitte que le 1er novembre. Encore y ai-je perdu la plus grande partie de ma force ; mais je puis présumer que si, comme vous nous le faites espérer, Mère Eugénie revient au printemps, j’aurai le plaisir de la revoir. Mère Lucile [Mathevon] est venue ici 24 heures, tant par l’arrangement de la donation de son terrain faite en mon nom, où elle a part par mon testament et par le sien. Elle le laisse à ses compagnes. Mgr Dubourg, dès le commencement, nous fit faire nos testaments l’une en faveur des autres, à cause des lois de cet état. Mon second motif était de savoir si, en cas de ma mort, elle aurait voulu venir passer ici quelque temps, pour ne pas laisser une maison sans professe, et y craignant plusieurs abus. Mais je l’y ai trouvée très opposée et me suis résignée à vivre encore si Dieu le veut ainsi. Mère Thiéfry est venue aussi sans être attendue. Elle a témoigné à ses anciennes filles qu’elle viendrait volontiers passer ici quelques semaines et ces dernières voulaient que je l’y engageasse, mais je l’en ai au 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 307, p. 277-279.

Lettre 498

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contraire détournée pour le moment, la priant de réserver cette bonne volonté pour le temps où je mourrai. N’ayant jamais perdu la connaissance ni la facilité de lire une lettre, je pouvais encore surveiller de mon lit. Je n’étais pas prête pour la mort, j’ai encore besoin et sujet de faire pénitence. Vos trois circulaires, ma digne Mère, nous sont parvenues. 1°, celle écrite avant l’établissement de la maison-mère1, au sortir de votre maladie, objet de notre vive reconnaissance envers Dieu, impose la douce loi de vous écrire tous les mois et tous les quatre, aux supérieures locales2. Je ne sais si vous y comprenez les maisons d’Amérique. La cherté des ports, pour affranchir les lettres partantes et payer celles qui arrivent, nous entretient dans le silence. Cette maison-ci, surtout, n’offre aucun détail intéressant. Je pensais que d’écrire une seule lettre à nos Mères supérieures à la fin de l’année, que des novices ou étudiantes pourraient copier pour les différentes maisons, ce serait suffisant pour notre obscurité. La neuvaine que vous indiquiez pour la fête de saint Ignace n’a pu se faire qu’avant la Toussaint, [la lettre] étant arrivée trop tard. Notre petit pensionnat est tout pour l’anglais et parle l’anglais habituellement. Je fais cependant 1 h et demie de classe française à quelques-unes et une heure de surveillance. Le supérieur [P. De Theux] de nos frères a dit ici la messe aujourd’hui, a prêché et fait la direction de celle qui est dans ses six mois, Sœur Stanislas Shannon. Il y prend beaucoup d’intérêt. Monseigneur s’absentant, on aura encore la même tribulation à Saint-Louis. On nous annonce le départ au port d’Anvers de 12 de ces bons ouvriers [jésuites]. Je suis à vos pieds, ma digne Mère, votre mauvaise fille. Philippine r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des maisons du Sacré-Cœur À Paris 1 2

Lettres circulaires de notre bienheureuse Mère Madeleine-Sophie Barat, 1re Partie, L. VIII, 4 juin 1835 et L. IX, 28 juillet 1835, Roehampton, 1917, p. 53-60 ; 60-64. En fait, la circulaire ne dit pas « tous les 4 mois », mais « de temps en temps ». Idem, p. 56.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 499

L. 125 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Ce 20 décembre 18351 St Ant. Ma bien digne Mère, Votre maladie, dont j’ai déjà eu connaissance par diverses circulaires, ne nous a été connue qu’au temps de votre guérison. J’ai remercié Dieu de nous avoir épargné une si profonde affliction. Nous continuons nos vœux pour la conservation d’une santé si précieuse et pour la prospérité de cette grande famille confiée à vos soins. Ce sont mes souhaits de bonne année que je voudrais porter à vos pieds, s’il était possible. Je viens bientôt au principal objet de votre lettre : la réunion de Florissant. J’ai aussitôt écrit au chef de nos amis [le P. De Theux] pour avoir son avis et voici les propres paroles de sa réponse : Je serais bien mortifié de voir votre maison de Florissant se supprimer, mais j’espère qu’il n’en sera rien. Si toutefois Mère B[arat] est déterminée, ne pourriez-vous pas lui proposer de la laisser subsister comme Noviciat pour toutes vos maisons avec une école externe ? Ceci me paraîtrait un bon moyen de former vos novices et votre Société continuerait à faire le bien parmi nous. Mais de grâce, qu’on ne supprime pas votre maison ! Mon très humble respect à Mère B[arat], s’il vous plaît. Quant à vous, après avoir fait ce que vous pourrez pour conserver cette maison, si utile, n’allez pas vous décourager. C’est ainsi que Dieu éprouve ses servantes2.

Quant à moi, si mon avis peut être reçu, voici ce que je pense : 1°) Que cette maison donnera plus de sujets à la Société avec un petit pensionnat que les deux autres. Celui de Saint-Louis n’augmente pas et donne beaucoup de chagrin par l’impiété et l’ingratitude des enfants de différentes religions et par l’inconstance des parents. On vient d’en 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis, Dec. 22 ; Paris, 31 janvier 1836. J. de Charry, II 3, L. 308, p. 280-282. Le 15 mars 1836, le Père De Theux écrivit dans le même sens à Mgr Rosati. Il fut finalement décidé de garder Saint-Ferdinand.

Lettre 499



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retirer celles sur qui on comptait le plus. À Saint-Charles, il y a aussi mélange de religions. 2°) Ici, on aura toujours la meilleure direction à cause de l’établissement de nos voisins [les Pères Jésuites] dont il sortira bien des apôtres. 3°) Aucune de nos enfants n’irait dans les autres maisons et les sujets y seraient une charge, tandis qu’ici nous pouvons vivre de nos produits. L’argent passe tout pour le domestique qu’on pourrait supprimer. 4°) Il y a assez de monde dans les deux autres maisons. On ne prendra des enfants qu’à concurrence des forces des maîtresses. À quoi servent ces protestantes de 15, 16 ans, qui ont couru toutes les écoles, qui donnent l’amour de la liberté. La gêne d’un règlement et nos exercices de religion les dépitent. Elles font quelque temps bonne mine pour être les premières aux prix ; si elles n’en ont pas assez, elles sortent, décrient les maîtresses et nos usages. Dans la Louisiane, il n’y a pas de combat d’opinions ni la même hauteur de caractère. 5°) Notre maison a coûté pour être finie, dans un temps où tout était plus cher, au moins 40 000 F. Nous n’en aurions pas 10 000 et je suis comme sûre qu’on l’achèterait par souscription pour maison de campagne des Sœurs de la Charité. Elles ont déjà plusieurs souscriptions dont la dernière s’est montée à 8 000 F et on leur a bâti une nouvelle maison pour les orphelines. Elles auront toujours la préférence par les soins qu’elles donnent aux malades et parce qu’elles sont toutes du pays et en ont le genre. J’ai fait part de l’article de votre lettre nous concernant à Mère Thiéfry. Quoique rétablie, je ne suis pas en état de voyager ; le moindre froid ou la moindre humidité me redonnent ou la fièvre ou une forte toux. Elle vous écrira directement, ma bien aimée Mère. Je finis pour ne pas manquer une occasion. Si vous suivez la pensée du Père, Mère Thiéfry pourrait revenir ici. Elle n’a pas augmenté le pensionnat, Mère Hamilton est mieux vue de toutes, mais qu’elle n’amène pas Mère Elisa [Bosseron], c’est un mauvais exemple pour les jeunes. Mère Stanislas [Anna-Joséphine Shannon] suffira pour l’aider dans l’anglais. Je suis à vos pieds, in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Mes respects à mes bons Pères Joseph [Varin] et Louis [Barat]. [Au verso :] À Madame Madame de Gramont rue de Varenne N° 41 pour Madame Barat À Paris France By way of New York

LETTRE 500

L. À MÈRE ANGÉLIQUE LAVAUDAN

SS. C. J. M.

Ce 20 décembre 1835 St Antoine1 Ma chère Mère, Je commence par vous offrir mes vœux de bonheur à cette fin d’année pour la nouvelle, qui sera déjà avancée quand ma lettre parviendra. La vôtre du 14 octobre ne m’est parvenue qu’en Décembre de cette année ; elle avait donc 14 mois de date et j’avais de vous des nouvelles plus récentes de différents côtés, où j’ai vu votre établissement plus considérable que vous ne me le marquez. J’espère que Dieu le fera croître toujours de plus en plus à sa plus grande gloire, sous la puissante et aimable protection de Sa Majesté. Mais combien il m’était plus agréable d’avoir de vos nouvelles par vous-même ! J’en ai eu aussi de Rome et de Turin dans le cours de cette année, qui consolent toutes celles qui m’ont appris l’anéantissement de notre cher asile2, et qui ont produit un 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : Paris, Fév. 1836. En juin 1833, la Mère Barat la met au courant des demandes d’expropriation de Sainte-Marie d’En-Haut par le Génie civil de Grenoble ; le 10 octobre 1833, elle lui confirme la décision de fermeture. Le déménagement et les démarches administratives se sont terminés en février 1834, grâce à M. de Vidaud, père de Louise, RSCJ, et ami de la Société du Sacré-Cœur.

Lettre 500



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effet bien contraire. Il faut que j’aie bien déplu à saint Régis pour voir sa protection retirée d’une manière si frappante. Ici, de six maisons, il n’y en a déjà plus que cinq et j’ai beaucoup à craindre pour celle où s’est accompli le vœu qui lui avait été fait à notre départ. Je vous prie de n’en rien dire, mais de compatir à ma faiblesse en faisant prier pour moi. C’est encore beaucoup que notre saint asile ne soit pas devenu un séjour de licence, comme je le craignais. J’apprends qu’il y a une pension, une école gratuite de filles et une autre de garçons dans la petite maison, que l’église est intacte et qu’on y dit la sainte messe. Depuis le 12 septembre 1834, notre digne Mère m’a fait passer de Saint-Louis à Saint-Ferdinand, où j’ai le bonheur d’être dans la plus petite maison de la Société. Madame Thiéfry, d’Amiens, en partit le lendemain pour aller prendre ma place que je n’étais plus en état de porter. J’ai la consolation d’avoir tout près une maison de nos amis qui nous rendent tous les services que nous pouvons désirer ; les biens qu’ils nous procurent sont les seuls que je désire et auxquels je puisse prétendre. Une maladie de trois mois m’a beaucoup affaiblie et mes indispositions me rendront bientôt dans l’état que le Père Guilloré1 appelle « l’inestimable bonheur ; celui d’être souverainement méprisable ». Plût à Dieu que je puisse le goûter dans une entière solitude, mais j’ai encore une charge qui m’oblige à agir. Il faut dire fiat. Madame Lucile [Mathevon] reste toujours à Saint-Charles dans une jolie maison en briques où elle pourrait avoir 40 élèves, mais le pays ne les fournira pas ; il n’y a que des cultivateurs qui ont peu d’argent. Saint-Louis même ne peut monter jusque-là, mais il y a 20 orphelines et 100 externes. La maison de Saint-Michel a 150 élèves et 50 orphelines ; celles des Opelousas, 100 élèves. On vient d’y perdre un excellent sujet américain. Les collèges catholiques prospèrent partout ; celui de Saint-Louis a 150 pensionnaires et des externes. Les États-Unis qui, il y a peu de temps, n’avaient point d’évêque en ont maintenant treize, tous pleins de mérite et de dévouement. L’archevêque de Baltimore, venant de Saint-Sulpice, a été le conducteur et directeur de la bande de nos Sœurs confiées à Mesdames Dutour et Dorival. Cette dernière est 1

François Guilloré (1615-1684), SJ, a écrit des ouvrages dont la doctrine s’inspire de celle de Bérulle. Il s’oppose au quiétisme environnant et dénonce, parfois avec exagération, les illusions de la vie spirituelle. Cf. Les œuvres spirituelles du R. P. Fr. Guilloré de la Compagnie de Jésus, Paris, 1684.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

morte. Mgr Purcell, évêque de Cincinnati dans l’État de l’Ohio, était aussi du voyage1. Il est venu ici à la dédicace de notre cathédrale et a donné une espèce de mission à nos Dames, dont il voulait plusieurs sujets pour sa ville, mais ils manquent déjà ; il faudra du temps pour le contenter. Les Sœurs de la Charité, ayant les mêmes règles que celles de France sans leur être unies et sans leur costume, ont de nombreux établissements en hôpitaux, asiles d’orphelins, écoles externes et même pensionnats. Il y a aussi trois maisons de Visitandines, une de Carmélites, deux d’Ursulines, et des Sœurs de la Croix, établissement du pays commencé dans le Kentucky et répandu aux environs pour les écoles. Le papier et le temps me manquent pour continuer cette lettre. Qu’elle vous soit un gage de ma tendre amitié et de mon dévouement in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. Mes compliments à vos chères compagnes. [Au verso :] À Madame Madame Angélique Lavauden Supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Parme Duché de Parme en Italie

1

Jean-Baptiste Purcell (1800-1883), né à Mallow (Irlande), est allé en 1820 au séminaire Sainte-Marie, à Emmitsburg (Maryland), pour y faire des études en vue de la prêtrise. Il les termina au séminaire Saint-Sulpice, à Paris, où il fut ordonné prêtre en 1826 par l’archevêque Mgr de Quelen. Il fut évêque de Cincinnati de 1833 jusqu’à sa mort.

Lettre 501

LETTRE 501 SS. C. J. M.



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L. 32 À MESDAMES DE ROLLIN ET TEISSEIRE À Grenoble Saint Ferdinand, ce 20 décembre 18351

Ma bien aimée Cousine, Je suis trop près de la nouvelle année pour que tu reçoives mes souhaits à temps, mais sois assurée que tu peux en recevoir à toutes les époques, parce que sans cesse ma première amie et bienfaitrice, sa famille dont j’ai reçu tant de bons services et de témoignages d’amitié, ne peuvent s’effacer de ma mémoire et mes vœux pour elles sont continuels. Ta lettre du 4 mars, remise à Monsieur Odin, m’est parvenue bien peu de jours avant ta seconde, arrivée par la poste et qui est sans date. Je n’ai point vu ce bon missionnaire depuis son retour ; il a débarqué plus bas que Saint-Louis au collège qu’il présidait avant son départ, joint au séminaire des Lazaristes, où il aura été reçu avec beaucoup d’empressement. Je me doute qu’il y a une de tes lettres perdue, car je n’ai jamais rien su par toi de la destruction de notre cher Sainte-Marie, ni de l’établissement des orphelines. Dans ces longs 15 mois où je n’avais point de tes nouvelles, je craignais que Dieu eût disposé de toi, et je m’en suis entretenue avec Madame Lucile [Mathevon], venue de Grenoble et qui te connaît presque aussi avantageusement que moi. Elle est maintenant supérieure de la maison de Saint-Charles où nous avons d’abord mis le pied. La maison tombait en ruines, elle y a beaucoup souffert, n’ayant ni porte ni fenêtres qui fermassent, il pleuvait sur les lits. Un jour, la cuisinière, avec son plancher, est tombée dans la cave, sans se faire mal cependant. Maintenant, par quelque secours de nos maisons et surtout par les soins d’un missionnaire qui a obtenu une souscription, elle a une jolie maison en briques, plus grande que celle de Saint-Ferdinand. Le même missionnaire a fait bâtir par le même moyen une jolie église en pierre qui touche la maison et où nos dames ont une chapelle. Il y a toujours dans cet État du Missouri des églises commencées ; il y en a 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 32 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 76-78. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

au moins quatre dans ce moment. Le grand mal est que le prêtre qu’on y envoie ne peut pas y vivre. Je te remercie de ta bonne volonté pour moi, en m’offrant un nouveau don, mais garde-le. S’il arrive avant ma mort, je n’en ferai aucun usage pour nous agrandir ou nous mettre plus à l’aise. La destruction de Sainte-Marie, où j’ai tant dépensé, m’ôte le goût des entreprises et une maladie de trois mois, qui a beaucoup changé ma constitution, me fait espérer que je ne serai pas longtemps sur cette terre de douleur et de larmes, mais il n’y a pas de doute que si ton don était adressé pour les pauvres curés, ce serait une très bonne œuvre. Mais, ayant fait vœu de pauvreté, il ne dépendrait pas de moi d’en disposer ; il faut marquer ton intention. Je sens comme toi la grande perte de Monsieur de La Grée et te prie d’offrir mes respects à Messieurs Rambaud et Dumolard à qui je dois tant. Ne m’oublie pas auprès de Mme Augustin [Perier] et de sa famille. Je te remercie de ton attention à m’en parler, son excellent époux ne peut s’oublier, non plus que toi, ma meilleure amie. Permets que je réponde dans ta lettre à Mme Teisseire ; elle me pardonnera avec sa bonté ordinaire cette épargne de port. Reçois l’expression d’un cœur tout dévoué. Philippine R S. C. J’ai été bien étonnée de voir sur ton adresse : « Supérieure générale ». Ni je n’y ai jamais pensé et été, mais ne le serai jamais.

Lettre 502

LETTRE 502



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L. 1 À MADAME TEISSEIRE (jointe à celle de Mme Rollin) 20 décembre 18351

Ma bien chère Cousine, J’ai été bien sensible à ton aimable souvenir ; je l’ai été plus encore aux peines de ta longue maladie et à la solitude où te laisse l’absence de tes enfants, peine bien grande pour un cœur fait comme le tien. J’ai heureusement appris que ta dernière compagne, en se mariant, ne te quittait point, et que son alliance, loin de l’éloigner de toi, te procurerait un agréable appui dans un gendre plein de mérite2. Celle de tes enfants que j’ai le plus connue est Mme [Amélie] Bergasse. Ne manque pas de me rappeler à son souvenir et à celui de son digne époux. Je ne te charge de rien pour mon frère ; une lettre de Paris, plus récente que la tienne, m’apprend qu’il est député et qu’on a reçu sa visite. Je ne doute pas que Mme Duchesne ne soit avec lui. Nous avons la consolation de voir la religion catholique (mot déchiré) dans les États-Unis. Ses ministres fraternisent souvent avec ceux des différentes religions et ordinairement ne les appellent que nos frères séparés. Outre un archevêque à Baltimore, il y a encore 12 évêques catholiques ; leurs collèges ont beaucoup de protestants ainsi que nos établissements de la Louisiane, dont l’un a 150 pensionnaires et 30 orphelines, l’autre 100 pensionnaires. Dans l’État du Missouri, nous n’avons pas le même succès, et beaucoup d’ennemis parmi les fanatiques presbytériens ; dans leur gazette, ils nous appellent « maison des démons », qu’il faut brûler les couvents. Un jour, on vint me dire qu’on avait été pour brûler le nôtre de Saint-Louis ; la nouvelle était fausse, mais on ne doute pas qu’en brûlant l’écurie publique de Saint-Louis, près de la cathédrale, on ait eu l’intention de brûler l’église en même temps. Le coup a manqué parce qu’on l’a couverte en cuivre ; deux fenêtres seulement ont été brûlées ; elle venait seulement d’être consacrée. La cérémonie très pompeuse avait mis la rage dans le cœur de la secte en1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 9 ; Cahier Lettres à Mme de Rollin, p. 78-80. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Louise (1814-1895), dernière fille de Mme Teisseire, s’est mariée en 1835 avec Charles Rolland, magistrat.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

nemie. L’incendie du couvent des Ursulines de Boston n’a pas été puni, il a été prémédité et opéré par plus de 80 personnes1 ; et on en voulait l’anniversaire cette année en détruisant quelques restes. Les magistrats s’y sont opposés, la population irlandaise catholique se serait sûrement soulevée. Les religieuses doivent être allées au Canada ; elles n’ont reçu de la ville aucun dédommagement. Ce couvent, superbe établissement, a commencé après le nôtre. C’est un triste exemple de l’instabilité des œuvres qui paraissent les plus utiles. Je ne suis plus bonne à rien, mais aurais-je des talents et des forces, je n’aurais pas le goût des entreprises. Je ne pense plus qu’à bâtir l’éternité, et j’ai encore beaucoup à faire. Toute à toi de l’intime de mon cœur. Ph. Duchesne r. S. C.

LETTRE 503

L. 9 À MÈRE DE GRAMONT

SS. C. J. M.

Circulaire de Saint-Ferdinand, ce 1er janvier 18362 Mes révérendes Mères et Sœurs, La petitesse où s’est réduit I’enfant Jésus, dans le temps consacré à nous rappeler ses profondes humiliations, ne vous permettra pas de dédaigner les souvenirs et les vœux partant de la plus petite, comme de la plus abjecte des maisons du Sacré-Cœur. Cet avantage nous était disputé il y a quelques mois par celle de Saint-Charles ; mais la divine Providence, dont l’un de nos amis a été le principal instrument, lui ayant procuré une bâtisse en briques plus grande que la nôtre, nous restons au dernier rang pour tout. Mais nous sommes dans la maison vouée expressément à saint Régis, nous avons cet autel promis par un 1 2

Voir la note de la Lettre 475, ci-dessus. Original autographe. C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4. Cachets de la poste : St. Louis, Janv. 9 ; Pays d’Outre-Mer par Le Havre ; Le Havre, 14 février 1836.

Lettre 503

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vœu fait en France pour obtenir sa protection sur notre mission d’Amérique. J’ai espéré plusieurs fois cet automne de mourir à ses pieds, mais il n’a pas plu à Dieu de terminer pour moi les peines de l’exil, je suis encore vivante. Si Saint-Charles et Saint-Ferdinand se sont disputé le dernier rang, Dieu leur accorde le 1er pour les secours spirituels. Nos deux églises appartiennent, non à la population catholique, mais à nos amis qui les ont, l’une bâtie, l’autre achevée sur un terrain leur appartenant et adjoignant nos maisons. Nous profitons de leur secours et leur noviciat composé de 20 excellents sujets donne bien des espérances qu’ils seront durables ; le 1er de tous nous visite aux 4 saisons et dans les retirements avec une bonté non pareille ; à Noël nous avons eu 9 messes dont une solennelle en musique. Le même jour, à Saint-Charles, elles ont eu 4 prêtres, 2 messes chantées, une à minuit et une à 11 h, 3 sermons : 1 anglais, 1 français, 1 allemand pour les paroissiens de cette langue qui se multiplient beaucoup. C’est donc l’existence de nos amis dans ce pays qui nous y procure les vrais biens. Sept postulants leur sont arrivés en février et 8 autres depuis. Nous avons eu l’hiver passé un froid extrême, tel aussi en Canada où depuis 20 ans on n’en avait pas vu de si rigoureux. Il attachait nos lèvres l’une contre l’autre, et gelait notre respiration la nuit sur notre oreiller et nos draps. Cet hiver n’a pas été moins fâcheux par la multitude des incendies dont plusieurs ont été procurés volontairement, tel que celui de Sainte-Marie du Sault, où repose le corps de Kateri Tathacuita Iroquoise ; celui de la vieille église de Saint-Louis, qui a failli brûler la nouvelle et nous, avec notre bon évêque qui était malade. Le voisinage du feu faisait rompre ses vitres ; il a eu bien de la peine à se remettre ; il nous a visitées en Mai pour donner la confirmation dans les paroisses environnantes. Notre fête du Sacré Cœur a eu tout le nécessaire, mais en petite solennité. Notre domestique étant malade, nous n’avions personne pour servir le prêtre, il a fallu nous en charger. Le dimanche, la fête s’est renouvelée pour la paroisse. La principale maîtresse étant malade à la fin d’août, nous donnâmes nos prix entre nous et dès le lendemain, je me mis au lit pour y être bien souvent pendant trois mois. En septembre, nous apprîmes le rétablissement de notre Mère générale, avant d’avoir eu la douleur d’apprendre sa maladie ; nous reçûmes des circulaires qui annonçaient l’établissement de la maison-mère.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Nous avons eu celui d’une école tenue par un Frère, ainsi qu’à SaintCharles ; déjà on voit le succès de leurs peines. L’Université de SaintLouis en a de plus grands encore : 200 enfants y reçoivent l’instruction, 150 sont pensionnaires. Je suis in Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. Nous ne sommes que cinq sœurs dans cette maison. [Au verso :] À Madame Madame de Gramont rue de Varenne N° 41 À Paris France By way of New York

LETTRE 504

L. 10 À MÈRE E. DE GRAMONT

SS. C. J. M1.

[Ce 6 janvier 1836] Ma digne et révérende Mère, J’ai reçu, le mois de décembre, votre lettre d’octobre, où vous nous laissiez dans l’incertitude sur le retour de Mère Eugénie et sur notre existence. Je vous ai envoyé presque aussitôt l’avis de celui qui mérite à tous égards notre confiance. Et Madame Thiéfry m’écrit qu’elle n’a pu consulter Monseigneur qui est absent, mais d’être tranquille, qu’il y a trop d’avis opposés pour qu’une pareille affliction nous arrive. Je ne parle pas de la mienne, car mes défauts, mon âge, mes infirmités me rendront gênante et incommode partout où j’irai : dans toutes les 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cette lettre est jointe à la circulaire de 1836 : 2e feuillet. Cachets de la poste : Le Havre, 9 janvier 1836 ; Paris, 27 mars 1836.

Lettre 504



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maisons, tout est consacré aux enfants. Je n’y connais point de chambre où une personne, âgée et souvent sur un lit, puisse se retirer. Plusieurs maisons, comme nous l’apprenons par les circulaires, ont des maisons de campagne. Si donc vous n’approuvez ni le transport ici des jeunes sœurs, ni celui des orphelines qu’on obtiendrait, je vous demande pour dernière grâce d’y rester solitaire avec Sœur Missé pour laquelle je vous demande les derniers vœux. Elle est coadjutrice de l’âge de 30 ans. Je vous prie aussi de les accorder à l’aspirante de chœur, Mary Ann Roche, dont le nom a été confondu avec un autre que je ne connais pas. Je joins ici l’avis de la professe [Aloysia Mc Kay] qui les connaît et Madame Thiéfry, ayant été leur Mère, vous en dira davantage, mais comment envoyer les feuilles de si loin ? Madame Eugénie [Audé] a écrit à Madame Eulalie Guillot qu’elle avait sa permission pour 25 ans ; elle souffre de l’attente de quelques mois et en demande grâce. La Vie de Saint Ignace, que nous lisons maintenant, m’a déterminée à vous prier instamment pour la conservation de cette famille, comme il a agi aussi fortement pour éviter un chapeau rouge [l’accès au cardinalat] au Père Borgia. Si nous sortons toutes d’ici, plus d’école catholique pour les filles, plus d’instructions les dimanches, plus d’ordre et de propreté dans l’église, plus d’existence pour le Père et le Frère que nous nourrissons et qui ne pourraient tenir, [payer] un domestique. L’indifférence est telle que même pour les enterrements qui sont ici plus considérés que les sacrements mêmes, il n’y a personne pour chanter et pour porter la croix. Le prêtre est seul, il nous a fallu pour l’honneur de la religion prêter notre domestique pour l’un et pour l’autre. Je ne vois pas de plus sûre mission pour nous ici que d’aider les prêtres. Les enfants retournées dans le monde rarement s’y soutiennent. Pardonnez-moi, je vous prie, ces observations et me croyez votre plus humble et dévouée in Corde Jesu. Philippine r. S. C. Ce 6 janvier 1836 [Au verso :] À Madame Madame de Gramont By way of New York

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 505

L. 59 À MADAME JOUVE 20 mars 18361

Ma bien chère sœur, J’ai reçu depuis peu ta lettre du 3 avril 1835, datée de Conflans, et mise dans une caisse venue de Paris avec le beau présent que tu m’envoies ; c’est ce que je désirais le plus, car la première étoffe que tu m’envoyas en 1819, étant passée par l’usage, avait besoin d’un supplément. Je savais par une lettre venue plus promptement par la poste que tu avais été voir ta fille et j’avais pris part au plaisir de cette entrevue. Quant à la pension dont tu parles, je ne m’en rappelle point les conditions, et il n’est pas en mon pouvoir de les changer à cause de mon vœu ; mais dans tous les cas, c’est plus naturel que cela aille à Amélie qui est plus près et plus jeune. On évite par-là les frais de banque et les hasards d’une mort qui, j’espère, m’atteindra avant ta fille qui peut bien servir la religion au lieu que mon temps passe, je m’affaiblis. Dans un pays dont la langue m’est encore médiocrement connue, je serai bientôt inutile. On oublie qu’on y a été français et la langue ne s’étudiera que comme langue étrangère par les Américains qui se multiplient et occupent les premières places. Je prie Dieu de t’éclairer ainsi que Joséphine sur le parti que Dieu lui destine ; j’ai de la peine de te voir seule, et j’aurais de la consolation à la savoir à l’abri de tant de dangers pour la foi, dont tes soins éclairés et maternels n’ont pu préserver plusieurs de tes enfants ; et c’est en multipliant pour eux tes sacrifices que tu augmenteras tes mérites et assureras plus certainement leur vrai bonheur. Le monde a été sauvé par la Croix ; les ouvriers évangéliques ne prêchent que la Croix, et les vertus ne sont solides qu’à son ombre. C’est cette nécessité de porter sa croix et de vivre à la suite de Jésus-Christ dans les travaux et les larmes, qui retient ici tant de frères égarés dans leurs erreurs. Nous ne voulons pas, disent-ils, d’une religion si triste et qui n’annonce que des peines, nous voulons les plaisirs. Ils veulent le Paradis sans peines, mais pourront-ils démentir l’Évangile ? 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 130-131 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 506



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Permets, bonne amie, que je te quitte pour ta fille Amélie, ne sachant pas son adresse, et le moindre papier, outre une feuille, double l’affranchissement. Toute à toi, Philippine

LETTRE 506

L. 130 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 29 mars 1836] Monseigneur, J’ai appris avec le plus grand empressement la nouvelle de votre heureux retour. Je l’attendais avec impatience et avais depuis longtemps envoyé une lettre à Madame Thiéfry pour vous la remettre à la première entrevue. Elle ne vous l’a pas remise, par oubli, et me l’a rapportée ; elle n’était plus bonne qu’à brûler. La supérieure de Saint-Louis était spécialement chargée d’avoir votre avis par rapport aux dispositions sur notre maison. Il ne me reste qu’à accepter ce qui me regardera personnellement et c’est ce dont je suis le moins touchée. Mais l’idée d’une destruction me navrait depuis longtemps. J’espère que les choses s’arrangeront, que vous voudrez bien protéger un établissement où le bien peut se continuer ; il n’est pas nécessaire qu’il soit brillant. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 29 mars 1836

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1836 Mars 29, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 507

L. 126 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[Saint-Ferdinand, 10 avril 1836]1 Ma bien digne Mère, J’ai répondu le 20 mars à la lettre où vous me marquiez la destinée de notre pauvre maison2. Mère Thiéfry est aussi venue me lire une partie de celles qu’elle avait reçues de vous et de Mère Eugénie. Elle en avait aussi fait part à Monseigneur, enfin arrivé à l’approche de Pâques, et à Mère Lucile [Mathevon]. Elle n’a pas trouvé dans sa maison une place bonne pour moi et a conclu qu’il valait mieux que je restasse ici à soigner l’école externe. Mais outre qu’elle ne se fait qu’en anglais, je n’ai plus la force de soutenir une classe où il faut toujours parler et où en hiver, je ne pourrais même me rendre. Il n’y a plus pour moi qui convienne que le silence et la retraite et je les aime tant que j’espère ne pas troubler celles qui agiront et surtout celle qui me remplacera. Mère Gonzague Boilvin, à la suite d’une rougeole et d’un état de dépérissement, a été envoyée par Mère Thiéfry pour se remettre, et elle l’a été aussitôt, mais je pense que cet état de langueur la regagnera si elle retrouve sa première situation, et comme il faudra bien donner des leçons aux novices de la seconde année, elle y serait très propre sous tous les rapports. Veuillez en décider car je crains le retour d’un état qui peut la rendre inutile et auquel les remèdes n’apportent aucun changement. Mère Thiéfry, en échange de cette bonne Sœur qui est aspirante, a eu Mère Roche pour laquelle j’avais sollicité la permission des derniers vœux. L’autre, pour qui je faisais la même demande, est encore ici, et je joins à ma lettre sa feuille d’information3. Quant aux deux autres modèles, j’ai cru inutile d’envoyer la feuille entière, n’étant que 4. Le reste peut servir pour l’année prochaine. Je vous renouvelle mes remerciements pour l’envoi des deux caisses. Les objets en plâtre se sont brisés. 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : New York, Avril 25. J. de Charry, II 3, L. 311, p. 286-287. Cette lettre n’existe plus. L’autre sœur est peut-être Elisa Bosseron, décédée le 16 août de la même année, ayant fait sa profession sur son lit de mort.



Lettre 507

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J’ai appris tout nouvellement la mort de Mère d’Aster et voulais écrire à Mère [Eugénie] de Gramont pour lui témoigner ma sensibilité sur cette grande perte1. Je me contente d’en parler à Dieu, espérant que vous voudrez bien le lui dire, car je sentais le besoin et la nécessité pour cette maison de réduire les correspondances. Nous nous communiquons souvent des relations qui parviennent de trois côtés. Il me semble qu’un envoi en Louisiane et un au Missouri pourraient suffire. Il n’y a rien de nouveau autour de nous que le changement de supérieur [le P. Verhaegen] pour nos amis. L’ancien [le P. De Theux] reste chargé des nouveaux venus et est notre confesseur extraordinaire pour les trois maisons. Il a dû vous écrire pour celle-ci. Je suis à vos pieds votre indigne fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, 10 avril 1836 Mes respects aux bons Pères Varin, Barat, Perreau. [Au verso :] A Madame Madame Barat Supérieure Générale des maisons du Sacré-Cœur de Jésus À Chambéry Savoie France Aux soins de Mère De Coppens

1

Charlotte de Gramont d’Aster, mère d’Eugénie et d’Antoinette, est décédée le 16 janvier 1836 au Mans, où elle était supérieure.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 508

L. 9 À EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 10 avril 1836 St Ant1. Ma bien chère Mère, Vous me trouvez peut-être silencieuse, mais on nous avait flattées de l’espérance de vous revoir bientôt et je pensais que mes lettres se croiseraient avec vous. Depuis, on m’a parlé de votre 2d séjour à Marseille, où il vous est bien plus difficile de correspondre avec nous. Vos dernières nouvelles m’ont été apportées par Mère Thiéfry qui venait de Saint-Charles et passa ici pour me parler du sort de cette pauvre maison. Elle m’y lut : « qu’elle était une charge pour la Société ». Il est vrai qu’au temps où on la bâtit, elle fut aidée de notre Mère comme le sont toutes les fondations. Depuis, elle a fourni un nombre considérable de sujets aux autres maisons, surtout aux Opelousas ; sujets qui ont coûté tout le temps qu’on les a formés. Depuis encore, elle a aidé d’argent et de sujets Saint-Louis et Saint-Charles et n’a rien reçu de l’une ni de l’autre, surtout depuis que j’y suis. Je n’ai eu un seul sou de personne et j’ai payé les 1 500 F empruntés par Mgr Dubourg à M. Ménard, de Kaskaskia ; de plus, j’ai donné à Mère Lucile plus de 1 500 F sur les bijoux envoyés par le bon Père Barat et dont on n’avait pu tirer parti ni à New York ni à La Nouvelle-Orléans. Il fallait en finir ; un homme allant au Mexique en a donné moins que nous n’en espérions. Voilà donc une maison qui ne coûte rien à personne, qui a aidé les autres et qui maintient ici la religion. C’est l’avis de tous nos Pères. J’ajoute qu’elle produira des vocations au pensionnat ; à Saint-Louis, aucune. Sœur Joséphine Shannon ne montrait plus de vocation. Monsieur Borgna, son homme de confiance, l’a placée chez les Sœurs de la Charité. Sa sœur aînée fait ses derniers vœux au commencement de mars et l’autre, qui a repris pour la santé, se rend bien utile à Saint-Louis. Mère Roche s’y est rendue cette semaine, à la demande de Mère Thiéfry qui, voyant Mère Gonzague [Boilvin] toujours malade et ne pouvant rien faire, l’a envoyée à sa place. Comme la première fois, le premier jour de l’arrivée ici, elle a été guérie. Elle était souffrante d’esprit, se voyant l’objet de la jalousie de plusieurs et peu facile à se faire avec celles qui l’em1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 509

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ployaient. À vous dire vrai, je crois que son mal était la nostalgie, maladie expliquée dans Buchau et dont M. Bilou nous a donné des exemples frappants. Les remèdes humains n’y peuvent rien ; il faut satisfaire le malade qui languit pour son pays ou pour une autre situation. La pauvre Sœur n’a pas été ici que Mère Thiéfry lui a écrit d’étudier et se préparer à retourner en septembre. Je pense que la maladie peut renaître et que si l’on suit le projet d’avoir ici un noviciat, il y faudra bien une maîtresse d’études ; celle-ci sachant la musique et le dessin peut suffire, avec son bon esprit ; celle qui sert maintenant à Saint-Louis, à mon avis, peut nuire. Je ne ferme pas ma lettre afin qu’elle puisse être lue de notre digne Mère, si vous êtes éloignée. Croyez à mon respect et constant souvenir in Corde Jesu. Philippine [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Assistante générale des Dames du Sacré-Cœur À Paris

LETTRE 509

L. 33 À MADAME DE ROLLIN, à Grenoble Pays d’outre-mer par Le Havre

SS. C. J. M.

Ce 10 mai 18361 Rec. à saint Antoine Ma bien chère Cousine, Il y a longtemps que je n’ai eu de tes nouvelles. Ta dernière lettre, si affectueuse et si intéressante, ne me permet pas de croire que tu m’aies 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 33 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 74-76. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

oubliée ; mais les pertes si désolantes que tu as faites depuis notre séparation me font craindre que tu sois occupée à pleurer sur de nouvelles plaies faites à ton âme sensible. Je désire être rassurée sur ta situation ; ce n’est pas par curiosité mais par devoir de reconnaissance. Comment ne voudrais-je pas partager les peines de celle qui m’a fait tant part de ses biens, soit de fortune, soit de crédit ? Je suis encore toute entourée de tes dons et je n’oublierai jamais que c’est à toi, à ton cher époux, à tes frères, que j’ai dû l’asile que j’avais tant désiré. Il n’a pas tenu à toi qu’il nous fût conservé ; et j’apprends par Madame Thérèse [Maillucheau] de Quimper qui, la dernière me donne de tes nouvelles, que tu sens la perte que nous avons faite. Il me suffisait qu’il conservât sa destination pour me rendre heureuse. Depuis qu’il est abandonné, je l’ai sans cesse présent avec ces paroles de Jérémie et leur suite : « Viae Sion lugent quia, etc.1 » Si tu me fais l’amitié de me répondre, n’envoie pas ta lettre à Paris dans notre maison, d’où l’on écrit rarement depuis les voyages de notre Mère. Il suffit de les affranchir jusqu’au Havre et les adresser par la voie de New York (à Mme Duchesne à Saint-Ferdinand, comté de Saint-Louis, État du Missouri). Tu sais déjà que je suis revenue à cette première maison que nous avons eue en Amérique, car Saint-Charles n’a été au commencement qu’un pied-à-terre. On y bâtit en ce moment une maison en briques, en dépit des sectes qui s’efforcent de former aussi des établissements pour faire tomber toutes les Nonneries, qui sont les maisons des démons et des centres d’idolâtrie, à cause du culte des saints et des images. Elles se plaignent qu’il est entré en peu de temps dans les États-Unis 150 000 catholiques qui ne doivent pas obtenir la protection des États parce que leurs principes sont subversifs au gouvernement établi et qu’ils sont les serviteurs de potentats étrangers. Cette guerre se fait dans une foule de gazettes, qui répètent des absurdités qu’elles ont copiées les unes sur les autres. Déjà plusieurs églises ont été brûlées malignement, ainsi que le bel établissement des Ursulines de Boston, dont les auteurs sont connus et non punis. Elles n’ont pu encore se rétablir, mais une autre maison s’est formée du même ordre à Charleston, capitale de La Caroline. Celle de La Nouvelle-Orléans prospère toujours, ainsi que les deux nôtres de la Louisiane, où on est plus français qu’en aucun autre État. Je t’adresse ma lettre à Grenoble et te prie de n’y point oublier mes souvenirs pour tes chères sœurs et mes vieilles connaissances. Adieu, bonne et incomparable amie. 1

Lm 1, 4.

Lettre 510

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Je suis toute à toi. Philippine Notre solitude retentit du bruit d’une guerre avec la France ; j’espère qu’elle n’aura pas lieu. Si elle se fait sur mer, comment ira la correspondance ? Je pense que celle-ci peut encore parvenir et la réponse, si elle part d’un pays neutre.

LETTRE 510

L. 10 À EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M. 

Pour Madame Eugénie Ce 22 mai 18361 Ma bien chère Mère, Je viens de recevoir votre lettre du 19 février. Le bon Père De Theux m’avait fait part de celle que vous lui aviez écrite, qu’il avait reçue avant et était tout content de sa réponse. Il n’a plus que la charge de la maison de Saint-Ferdinand et de sa florissante jeunesse. La charge en chef du corps [de la Compagnie de Jésus], dans le Missouri, appartient maintenant au Père Verhaegen. Je croyais avoir mérité la disgrâce de saint Régis qui me frappait dans tout ce qu’il avait le plus protégé, et je ne savais que penser et de ses anciennes bontés et de son indifférence actuelle. Je vois avec consolation qu’il n’est pas tout à fait muet auprès de Dieu ; et une de mes sœurs, Mme de Mauduit, s’est chargée de faire dire de temps en temps des messes pour moi à La Louvesc. La veille de saint Philippe nous arriva Mère Pinel, aspirante de Saint-Michel2, envoyée aux Opelousas, d’où Mère Carmélite l’a ramenée à Saint-Michel, attaquée de la poitrine et en m’en donnant la nouvelle, on avait l’air de douter de sa vocation. En l’adressant ici, on a dit : « que je la ferai marcher » et on m’engage à lui parler souvent ; mais comme les 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Louise-Marie Penel (1810-1837), RSCJ, née à Roanne le 27 mai 1810, est entrée à Saint-Michel en 1832, a fait ses vœux en 1834. Elle est décédée le 16 janvier 1837 à Florissant.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

autres, elle n’a pas grand-chose à me dire, elle parle en bonne religieuse, mais sa figure dénote de la contrariété et elle a cette expression même en dormant. Elle est un peu mieux. Mère Potier, restée à Saint-Louis, s’y montre parfaite en vertu, mais n’est pas mieux1. Mère Thiéfry s’étonnait de mon bouquet et avait déjà assez de malades, ce qui a occasionné plusieurs visites ici. Notre meilleure orpheline en tout genre y est restée 3 semaines, après une maladie des plus graves, mais qui décide sa vocation. Il n’y a plus qu’à attendre le consentement de sa mère. Nous avons 15 enfants, presque toutes bonnes, excepté une presbytérienne, la seule qui ne soit pas catholique. Ceux de cette secte ont, dit-on, menacé le Grand Coteau d’un sort semblable à celui des religieuses de Boston2. La Providence est là, mais c’est la mode à présent de mettre le feu. Saint-Louis a échappé à un grand malheur ; le feu a pris au moulin à poudre, ce qui a excité une consumation et brins, qui s’est fait sentir jusqu’ici. Le vent a heureusement dirigé les flammes du côté opposé au magasin où était, dit-on, plus de 600 barriques de poudre. S’il eût sauté, Saint-Louis était perdu et notre maison, des premières. Votre lettre datée de Paris me fait espérer que celle-ci vous y trouvera. Pourquoi ne parlez-vous point de votre retour, chaque maison le désire, mais je crains qu’il n’ait pas lieu de mon vivant. L’hiver me rendra probablement toutes les misères du dernier ; le beau temps seul les a terminées et j’étais bien éloignée de penser que je reprendrai des forces, même passagères. Demandez pour moi une sainte mort, c’est mon unique désir et ambition. Votre dévouée, in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York 1 2

Antonia (ou Antoinette) Potier (1805-1836), RSCJ, née à La Fourche le 9 décembre 1805, est entrée à Saint-Michel en 1827, a fait ses premiers vœux le 9 juillet 1829. Elle est décédée en 1836. Voir la note de la lettre 475.

Lettre 511

LETTRE 511



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L. 127 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 22 mai 1836, Pentecôte1 St Antoine Ma bien vénérable Mère, J’ai reçu votre lettre et celle de Mère Eugénie, du 19 février. Elle m’a été envoyée par Mère Thiéfry. Je me réjouis de ce que votre santé est meilleure, elle importe plus à votre famille que celle des vingt sœurs que nous avons perdues. Je suis consolée que notre maison reste dévouée au Sacré-Cœur et toujours consacrée par le vœu exprès que vous m’aviez permis de faire à notre protecteur saint Régis. Il a cessé de l’être de celle de Grenoble, fallait-il encore que l’épreuve allât plus loin ? Quant à moi, ma carrière s’avance, je n’ai jamais désiré les charges, et encore moins à présent que je sens de plus en plus que je n’y suis pas propre, car aux misères de l’âme se sont jointes celles du corps qui aident à me montrer mon incapacité. Je vous ai demandé d’éviter un changement parce qu’aucune de nos maisons ne porte plus à l’amour et à la garde de la solitude et que les secours les plus avantageux n’y peuvent manquer. Elle est très propre à recueillir de jeunes sujets ; mais en en ôtant les élèves, on s’ôte presque l’espérance d’en recueillir quelques-uns. Nous n’avons que quinze enfants et je suis presque persuadée qu’il y aura plus de vocations solides dans ce petit nombre que dans aucun des quatre autres pensionnats. Personne n’en espère de Saint-Louis. Il en sera de même de Saint-Charles où toutes celles qu’on a prônées se sont évanouies. Il faut être dans le pays pour voir les nuances. Une des aspirantes de Saint-Michel, arrivée ici, croit qu’on n’y est plus que 24 de la communauté, 19 aux Opelousas. Il est vrai que le service se fait par les Nègres, mais c’est bien peu de monde pour tant d’ouvrage. Je vous ai adressé, ma digne Mère, par Madame De Coppens, les informations pour notre petit nombre. Elle est partie en mauvais état, mais avec notre bon docteur, sa femme et sa fille pleines d’attention. Ce départ ôte une forte épine à Madame Thiéfry, mais il faut bien qu’il lui en reste, car elle pleure souvent et elle m’a écrit qu’elle avait encore 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 312, p. 288-290.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

un bon bout de la croix que j’avais portée avant elle. Il est vrai que je redouterais bien de l’endosser de nouveau ; mais je pense aussi que son activité extrême la fait souffrir pour vouloir tout bien, tout à la fois, et elle fatigue les autres par des changements perpétuels dans leurs occupations et dans la maison, dont un salon à côté et ayant vue sur la porte d’entrée est devenu noviciat. Deux sœurs malades, sans parler d’une troisième plus fatiguée encore, ont dit qu’elles préféreraient bien être ici, mais ce n’est point à moi qu’elles l’ont dit, mais aux sœurs de la maison quand elles y sont venues pour indispositions. Mère Thiéfry elle-même, à qui je m’étais plainte de quelques visites qu’elle avait procurées, m’écrivait que Saint-Ferdinand avait un vrai charme et elle paraissait fâchée que je ne l’engageasse pas à y venir. Ma réponse était prête, qu’elle ne m’avait pas fait non plus d’invitation. Elle était allée à Saint-Charles avant de venir ici parler des changements et paraissait désirer, suivant son caractère actif, que tout se fit promptement. Je lui témoignai que vous demandiez des avis et des informations, mais que vous n’aviez rien décidé et que d’ailleurs, où était la maîtresse nécessaire1 ? Si j’avais un avis, ce serait de garder toujours quelques élèves. Il faudra bien une maîtresse d’étude pour la seconde année, la même peut soigner quelques enfants de bonnes dispositions. Nous avons eu et allons encore avoir cette semaine deux petites filles de M. Mullanphy, qui sont suivies de plusieurs plus jeunes, toutes habitantes de cette paroisse. Les mères, venant à la messe, peuvent les voir. Elles n’iront pas à Saint-Louis ni à Saint-Charles et je ne crois pas que ces mères chrétiennes gênassent leurs enfants dans le choix d’un état. Il faut ajouter peu de foi aux récits de Mère De Coppens ; personne ne rend les choses moins exactement. Monseigneur est venu ici pour la confirmation, mais toutes choses ayant été consultées à Saint-Louis, je n’ai rien dit des changements. Seulement, en confession, il m’a fort exhortée à porter la croix. On nous a dit qu’il est à craindre que nous le perdions. Il serait bien difficile à remplacer. Daignez agréer l’expression de mon profond respect in Corde Jesu et me croire, ma digne Mère, votre plus dévouée fille quoique indigne. Philippine D. r. S. C. 1

Sans doute la maîtresse des novices.

Lettre 512

LETTRE 512



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L. 131 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 1er juillet [1836]] Monseigneur, Pendant vos courses apostoliques, j’ai reçu cette lettre qui annonce un envoi pour vous, où nous avons quelque part. Si ces objets de dévotion sont maintenant à votre disposition, je vous prie de vouloir bien remettre notre portion. Je ne connais point la personne à qui je dois faire part de cette lettre ; je pense que c’est l’une des Sœurs de la Charité. Je suis en peine d’une lettre contenant de l’argent pour Monsieur O’Neil, où je priais Monsieur Lutz de prendre le reçu et que notre domestique, malgré mes recommandations, a remise à une inconnue. Je vous demande pardon de cette importunité, mais je m’adresse à un bon père dont je suis la fille, quoique bien indigne. Excusez-moi et recevez le respect profond avec lequel je me dis votre plus dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 1er juillet [1836]

1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1836 ­Juillet 1er, Mme Duchesne ; reçue le 2. Répondu le même jour. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 513

L. 128 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[Florissant] ce 1er juillet 18361 St Antoine Ma bien digne Mère, Il me tardait d’envoyer cet état [des comptes de la maison] pour y joindre l’expression de mon respect et de mon amour, quoique je n’aie pas de réponse à la lettre que je vous ai écrite où je parlais de l’arrivée, de Saint-Michel, de Mère Penel qui y avait été reçue et depuis envoyée aux Opelousas où elle a contracté une maladie de poitrine dont je ne crois pas qu’elle se remette, non plus que Mère Antonia Potier à SaintLouis. Cependant on m’écrit de ne renvoyer en aucun cas Mère Penel, qu’il y a des raisons pour cela. Mère Thiéfry m’a aussi témoigné sa surprise sur l’arrivée de ces deux malades, à qui un climat doux convenait bien mieux que le nôtre. Elles souffrent toutes deux du froid en juillet, que sera-ce en décembre ? La malade d’ici crache quelque fois le sang et toujours les sueurs et expectorations abondantes. La fièvre revient presque tous les jours. À présent que j’ai des forces, je supplée quand nos deux infirmes habituelles sont au lit. Mais j’ai sujet d’appréhender l’hiver : qui les soignera ? L’infirmière est le plus souvent arrêtée. La jeune Sœur [Adeline Boilvin], que Mère Thiéfry m’avait demandé d’échanger, continue à se soutenir à Florissant, mais une de ses compagnes de Saint-Louis est aux abois. Je regarde son état comme un arrangement de la Providence sur elle et sur plusieurs, comme je l’ai pensé de même des derniers moments de Mères Van Damme et Detchemendy [mortes du choléra, à Saint-Michel]. La perte d’un sujet qui avait des moyens cause beaucoup de peine à sa mère, qu’on me dit bien changée, passant des nuits auprès d’elle. J’ai oublié de conserver le montant de l’excédent du dernier semestre en francs, mais je me rappelle très bien qu’il ne s’accordait pas avec celui en dollars. C’est cependant sur celui-là qu’il a fallu se régler, ce qui forme une erreur que je ne puis réparer. Le changement proposé pour cette maison arrivera au moment où elle prospère le plus. Nous avons plus d’enfants externes et internes 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 313, p. 291-292.



Lettre 514

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qu’on en a eues tout le temps de Mère Thiéfry et plusieurs se sont offertes qui n’iront pas ailleurs. Je vous dois cette remarque et vous prie encore de voir qu’il faudra toujours ici une maîtresse instruite pour les jeunes avec leurs leçons. Elle pourrait y joindre le soin de 12 ou 15 enfants qui n’iraient pas ailleurs. Mais fiat ! Mère Lucile [Mathevon, à Saint-Charles] n’en a guère plus et est toujours à court, ne pouvant mettre de côté pour s’acquitter de 5 000 F. Je viens de lui en prêter 500 pour un acompte, trop heureuse de faire ce petit bien de nos épargnes. Elle a eu à se meubler cette année, c’est beaucoup qu’elle ne doive rien de ce côté-là. On a vu Mère De Coppens à Philadelphie. Je crains bien qu’elle erre, de ville en ville, à notre confusion. Ce n’était pas sa route. Que ne puis-je être tout à fait cachée pour n’avoir plus d’occasion de porter mes pensées sur ce qui ne me regarde pas. Ma résurrection, à Pâques, me fait craindre l’agitation et le tracas continuel. Je me suis trouvée en état de veiller les malades, de travailler au jardin, de faire le réveil et les visites. Personne autre ne l’eût pu, trop infirme ou trop occupée. Permettez que je réponde ici à Mère de Charbonnel et que je me dise votre fille respectueuse et indigne. Philippine r. S. C. Mes humbles respects à M.M. Joseph et Louis.

LETTRE 514

L. 132 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 8 juillet 1836] Monseigneur, Je vous remercie bien humblement d’avoir songé à notre petite maison pour lui procurer la satisfaction de lire les merveilles opérées par un de vos coopérateurs à l’œuvre de Dieu dans ce pays, et un de vos plus intimes amis. Je n’ai pu me procurer une occasion plus prompte. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1836 Juillet 8, Mme Duchesne. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

On m’écrit que vous souffrez et j’en souffre beaucoup moi-même pour les intérêts de la gloire de Dieu et les nôtres. Agréez l’expression des vœux que nous formons pour une santé si précieuse et me croyez avec respect, Monseigneur, votre plus dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 8 juillet 1836

LETTRE 515 

L. 34 À MADAME DE ROLLIN CHEZ MADAME TEISSEIRE À Grenoble

SS. C. J. M.

Ce 22 septembre 18361 St Antoine Ma bien chère Cousine, J’ai reçu ta lettre écrite le jour de ma fête et, si elle me fut arrivée le même jour, elle eût été mon plus précieux bouquet, comme tu as toujours été ma plus constante et ma plus chère amie. Oui, quand je ferai des fautes qui me feront craindre la justice divine, je pourrai dire à Dieu pour toucher son cœur : que n’ai-je pas quitté pour vous ? Et alors le nom de Joséphine se placera sur mes lèvres comme il est toujours dans mon cœur. Les détails sur Sainte-Marie me sont toujours intéressants, je remercie Dieu d’en faire encore un asile où il soit glorifié. J’ai à craindre ici pour la plus importante de nos maisons, qui renferme 150 élèves et 30 orphelines, un sort semblable à celui que j’ai déploré quand j’ai vu notre asile de l’enfance abandonné. Une ligue maligne lui fait une guerre ouverte ; une gazette de la Louisiane, qui en renferme des dé1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 34 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 81-83. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 515



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tails, nous fait beaucoup craindre qu’on ne soit obligé de se transporter ailleurs. Ce n’est pas qu’il manque de place pour s’établir ; nous sommes demandées à New York, la 1ère ville de l’Union, et à Cincinnati dans l’État de l’Ohio, ville moins ancienne que Saint-Louis, mais dont les progrès en tout ont été plus rapides. Elle renferme 40 000 âmes et l’évêque [Mgr Purcell], élève de Saint-Sulpice, a pressé beaucoup, lorsqu’il est venu à la consécration de notre cathédrale. Il a voulu (ainsi qu’il s’appelait) être le chapelain de notre chapelle à Saint-Louis. Il a tellement charmé par sa piété et ses sermons qu’on s’écriait : « Heureuse la mère qui a un tel fils !1 » Mais où je vois le danger dans un changement, c’est que si les persécuteurs l’emportent, chez un peuple de rois, on peut toujours en réunir dans sa ligue contre d’autres et ce que le public fait est toujours sinon applaudi, au moins impuni. C’est ainsi que Dieu détache, en voyant combien ce que nous édifions a peu de solidité. À combien d’orages et de vicissitudes on est exposé ! On sent le besoin de s’attacher à ce qui est immortel et de ne vouloir plaire qu’à celui qui donne l’immortalité. Tu vois, ma bonne amie, que si nous souffrons par l’éloignement du corps, le cœur et l’âme trouvent le moyen de jouir par l’assurance de se retrouver un jour dans une vie meilleure. Combien donc les amitiés envers les personnes vertueuses comme toi, riches en mérite et en bonnes œuvres, ont un délicieux souvenir. Je me doute bien que c’est par modestie que tu ne me dis point que tu es la fondatrice de la Maison des Orphelines à Grenoble2. Le saint homme qui en dessert la chapelle sera toujours, comme toi, un objet bien fort de reconnaissance. Parlelui de moi et recommande-moi à ses prières. Je suis touchée de l’affaiblissement de ta santé et demande à Dieu de te laisser, pour le soutien des pauvres, dans une vie qui doit te devenir amère après tant de douloureuses séparations, mais il perfectionnera son ouvrage en toi, et augmentera ta récompense. J’ai vu les annonces d’une maladie comme celle de l’année passée, tout le mois d’août ; mais me trouvant mieux, je pense que je resterai sur pied pour soigner mes Sœurs infirmes et aider les maîtresses des enfants qui ont augmenté, je ne sais comment ; et quand la divine Pro1 2

Cf. Lc 11, 27-28. Mme de Rollin a fondé « La Société des Dames de la Providence », maison d’éducation pour jeunes filles pauvres, acheta les locaux et ceux de « L’Œuvre des Orphelines » créée en 1807 par Antoinette-Rosalie Doudart de Lagrée. Elle contribua aussi à l’achat de la « Maison du Bon-Pasteur » pour une valeur de 70 000 F.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

vidence fournit l’ouvrage, elle doit aider au moyen de l’entreprendre ; telle est ma pensée. Du reste, je tiens bien peu à la vie, je ne crois pas pouvoir faire aucun bien pour le service de Dieu et du prochain et le séjour de la patrie [céleste] attire mes regards et fixe mon cœur. N’oublie pas de me rappeler à Mesdames Perier et Teisseire, à mes sœurs, quand tu leur écriras, et autres personnes qui veulent bien se souvenir de moi. Tes lettres, adressées à Saint-Louis, me parviendront toujours par mes Sœurs de cette ville, où la poste arrive plus souvent que dans notre petit village. Adieu, bonne cousine ; je suis ta reconnaissante et fidèle amie. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 516

L. 11 À EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 16 octobre 1836 St Ant1. Ma chère Mère, Je viens de recevoir votre petite lettre qui m’est venue sous une enveloppe dont l’adresse était mise par Mère Thiéfry qui sans doute a plus de détails dans la sienne. Pour moi, je n’avais pas de date qui pût m’indiquer le temps et le lieu dans lequel vous m’écriviez. Si mes lettres ont été rares, j’étais retenue par l’incertitude de l’adresse que je devais mettre, ne sachant pas même encore celle de la maison-mère. J’ai envoyé mes dépêches rue de Varenne. La dernière vous aura porté, ou à notre mère commune, un morceau de gazette qui montre que l’orage grandit toujours à Saint-Michel. 1

Original autographe et copie : C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : Le Havre, 4 Déc. 1836 ; Paris, 5 Déc. 1836.

Lettre 516



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Mère Bazire le voit, mais garde le silence ; peut-être que sa foi et le zèle de la personne qu’on attaque détourneront les malheurs qu’on aurait sujet d’appréhender. On dit que la conversion de jeunes professeurs du collège de l’État a irrité les autres qui en sont bien éloignés. C’est la chère et bien regrettée Mère Xavier [Murphy] qui m’avait envoyé cette page. Mère Dutour, qui nous a annoncé sa mort si affligeante, vous en aura dit plus qu’à nous, car les détails qu’elle promet sont encore à venir, mais il n’en est pas besoin pour mesurer cette perte irréparable et pour concevoir la douleur des sœurs, des enfants, de tout le pays où on l’appelait la Reine. Nous avons bien partagé cette douleur, même celles qui ne la connaissaient que de réputation. Si Dieu l’eût voulu, j’aurais bien désiré disparaître de ce monde à sa place ; ma mort n’eut fait tort à personne, et comment remplacer un tel sujet ? Je n’ai eu que les premières atteintes de la maladie que j’attendais et à la même époque que celle de l’année dernière. Un vésicatoire, mis aussitôt, a enlevé l’oppression et le point de côté, et mes forces sont telles que depuis Pâques, j’ai toujours été excitatrice, visitatrice, jardinière, dormitorière le samedi pour la visite des lits, n’ayant pour aide que deux enfants qui ne m’ont point empêchée de grimper jusqu’aux anneaux où vous ne me permettiez pas de monter. J’ai semé tout le jardin et tout récolté ; mon orgueil ne pouvant plus se porter que sur des fèves et des choux, j’admirais un haricot qui en avait produit plus de 600, un autre haricot nain, plus de 300 ; mes choux en belles pommes égalent la largeur du plus vaste fauteuil. Les feuilles de plusieurs ont bien deux pieds et celles de mauves, 8 pouces de diamètre. Quant aux choses délicates, point de succès : les oiseaux ont mangé les petits pois et les groseilles ; les fraises ont manqué. Nous avons 23 élèves et en attendons jusqu’à 28 ; le nombre des externes est plus grand ; les deux égalent celui des temps de prospérité, car rarement on en a eu 30 des deux côtés. L’échange qu’a demandé Mère Thiéfry, au printemps, nous a été avantageux. Mère Boilvin, toujours malade à Saint-Louis, soutient ici un travail continuel dans le pensionnat. Mère Stanislas [Shannon] ne l’aide qu’une heure le matin, et le soir quand les externes sont retirées et qu’elle a fait ses exercices. Elles sont en parfaite union, chéries des enfants, aimées au dehors. Je ne puis beaucoup les aider, 5 seulement apprenant le français et un grand nombre ne m’entend pas. Mère Pinel, venu de Saint-Michel, est toujours malade. Sœur Élisabeth [Missé], condamnée des médecins, vient encore de passer 3 mois au lit. Cela me donnait bien de l’occupation. Mère Thiéfry a encore pris une pensionnaire comme postulante

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

qui nous aidait et a donné en échange Sœur Milles qui est infirmière et aide à l’école. Elle a fini ses 5 ans et elle ne voulait pas qu’elle prît les derniers engagements. Avec une très bonne Négresse, nous pouvons (mot déchiré à l’ouverture de la lettre). Plusieurs pensions sont morcelées, mais on s’en tire. Saint-Louis a maintenant autant d’enfants que la maison en peut contenir et les maîtresses en soignent 52. Je ne leur en désire pas davantage car elles sont difficiles. Saint-Charles va à peu près comme nous. Nos amis vont changer de local et viennent de commencer à bâtir sur une belle habitation. Le Père qui est au Sauvage a éprouvé des grandes difficultés par les intrigues des ministres environnants ; il a fallu recourir au Congrès. On espère que l’établissement se fera malgré les ruses de l’enfer. Voilà tous les détails que je pense vous devoir faire. Nous parlons souvent de votre retour que toutes désirent et surtout moi, assez vivante pour espérer vous revoir. Je vous prie de présenter mes soumissions à notre digne Mère. J’espère qu’elle aura reçu ma lettre par Mère Eugénie. Je suis, avec respect et reconnaissance des témoignages de votre affection, in Corde Jesu, toute vôtre. Ph. Duchesne Mme Boilvin n’a pas 25 ans ; mais si cela se peut, elle mériterait de faire ses derniers vœux, et j’en vois peu qui puissent mieux être chargée des novices. Il sera difficile de trouver quelqu’une qui possède les deux langues nécessaires et qui ait les talents et la vertu plus qu’elle. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé Rue de Varenne n° 41 À Paris

Lettre 517

LETTRE 517



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L. 60 À MADAME JOUVE, À LYON 4 Décembre 18361

Ma chère sœur, J’ai reçu il y a quelques semaines ta lettre du mois de mai, contenant celle de Mme de Mauduit ; je te remercie de ton adresse et des nouvelles que tu me donnes. Je ne reçois pas encore tes adieux jusqu’à l’éternité, car tu te portes encore assez bien et moi, j’ai éprouvé une telle résurrection, j’ai tellement repris mes forces après une longue maladie, dont je croyais mourir, que je n’attends plus la mort que de quelque accident, tel qu’une chute. Mais tu te tromperais bien, si tu pensais qu’une prolongation de vie me donnât l’espoir d’une augmentation de mérites ; bien loin de là, je vois que mes comptes seront toujours plus chargés envers la justice de Dieu, et je crains son jugement, tandis que je n’avais que les saints désirs de la mort, lorsque j’étais pensionnaire ou novice. Voilà tout ce que je remporte pour avoir eu charge des autres. Notre premier pied-à-terre en arrivant ici fut Saint-Charles au-dessus du Missouri ; notre première maison solide a été à Saint-Ferdinand à 5 lieues de Saint-Louis, que j’habite maintenant ; la 2e fut à Saint-Louis sur le Mississipi et enfin la 3e est un retour à Saint-Charles, en tout semblable à cette maison par le nombre des sujets, des élèves et par le voisinage de jolies églises qui nous touchent, où les secours abondent et qui sont bâties depuis peu d’années. Saint-Louis, étant dans la capitale de l’État, est la plus considérable en tout. Les lettres me parviennent également adressées à Saint-Louis ou Saint-Ferdinand. La poste est le plus sûr et le plus court moyen pour correspondre en affranchissant les lettres jusqu’à un port de mer ; Le Havre est le meilleur. Recommande-moi au souvenir et aux prières de Monsieur Soudan, curé de Saint-Bonaventure et à ton fils recteur à Chambéry. Il a ici un élève, Monsieur Verheydt, flamand, qui est venu chez les Jésuites et espérait l’y trouver lui-même ; c’est un grand sujet à l’Université de Saint-Louis. 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 133-135 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Embrasse tendrement ta chère Joséphine, que j’aime encore plus parce qu’elle soigne ta vieillesse. Mille choses aux Lebrument. Toute à toi et pour la vie. Philippine Aie la bonté de faire tenir cette lettre à Mme Geoffroy ou Lhuiller au Sacré-Cœur, rue Boissac, à Lyon. Adieu encore, tendre et constante amie ; lis ta lettre à Mme de Mauduit.

LETTRE 518

L. 1 AU PÈRE TANON1 [Saint-Ferdinand, ce 18 décembre 1836]2

Monsieur, J’ai eu de la crainte de m’adresser à vous pour une affaire temporelle ; mais l’extérieur est souvent si lié au spirituel qu’il y sert, ou lui est fort contraire. Et j’ai pensé, qu’étant à la recherche des âmes, vous ne dédaigneriez point de rendre service à des épouses de Jésus-Christ. J’ai su que votre maison avait vendu des Nègres et Négresses à Monsieur Delacroix et à notre maison de Saint-Michel. Jusqu’à présent, nous n’avons pu nous procurer d’esclaves, mais notre domestique devant nous quitter, nous voudrions le remplacer par un Noir qui pût convenir à notre maison par un bon naturel et de la probité ; pourvu qu’il ne refuse pas les plus viles occupations, qu’il puisse couper le bois et porter quelques commissions à Saint-Louis, nous nous en contenterions. Le 1

2

Philippine a mal écrit le nom du destinataire, John Timon, CM, né en 1797 à Conewago Settlement, Pennsylvanie. Entré au Séminaire lazariste des Barrens en 1822, il a été ordonné prêtre en 1826 par Mgr Rosati. Visiteur de la province lazariste américaine de 1835 à 1847, il fut nommé évêque de Buffalo, New York, où il est décédé en 1867. Photocopie de l’original, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Dec. 24. La lettre autographe a été trouvée au Séminaire Sainte-Marie des Lazaristes, à Perryville. Une photocopie a été envoyée à la maison de Chicago par le Père William McKinley, CM, cousin de la sœur Jane McKinley, RSCJ.



Lettre 518

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difficile serait les conditions du paiement et les termes où il écherait. J’espère qu’on pourrait avoir 200 $, après le mois d’essai en usage. Si une fille était assez forte pour les mêmes occupations et [puisse] se former à la cuisine, nous l’aimerions autant. Mais à aucun prix, nous ne voudrions une personne dont les mœurs fussent déréglées et de ces caractères qui ne peuvent plier. Cette proposition que je vous fais est indiscrète, mais je n’hésite plus en songeant qu’elle me procurera au moins l’avantage d’une réponse, dont j’espère être honorée, et encore un bon souvenir dans vos prières pour mes misères spirituelles, pour plusieurs malades de notre maison, dont une est en danger et ne peut trop s’aider pour mourir, perdant souvent la tête. Oserais-je vous prier de me recommander aussi à Messieurs Olivier1 et Odin ? Je suis avec respect, Monsieur, de votre Révérence, la dévouée servante. Philippine Duchesne r. du S. C. Saint-Ferdinand, ce 18 décembre 1836 [Au verso :] À Monsieur Monsieur Tanon Supérieur du séminaire des Lazaristes Au Barrens Perry-County

1

Donatien Olivier, arrivé en Amérique en 1794, a été envoyé dans l’Illinois et l’Indiana comme vicaire général de l’évêque de Baltimore. Il est décédé en 1841 aux Barrens, à l’âge de 90 ans. Il est vraisemblablement l’une des personnes âgées, à la retraite, en 1836.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 519

L. 133 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 23 décembre 1836] Monseigneur, Je n’ai pris depuis longtemps le plaisir de vous écrire pour ne pas vous détourner de vos importantes occupations et me renfermer dans ma solitude, quand il n’est pas nécessaire d’en sortir. Mais je ne puis résister à l’empressement de vous offrir mes souhaits de bonheur à l’approche de la nouvelle année. Il m’est doux de vous les exprimer après les avoir bien souvent, dans le secret, offerts à Dieu par devoir et par reconnaissance. L’année se commencera heureusement pour notre maison, puisque vous avez bien voulu promettre de la visiter au mois de janvier pour recevoir les vœux de Madame Eulalie qui s’occupe, avec ferveur, de sa préparation. Cette consolation est tempérée par la presque assurance de ne pouvoir les faire prononcer à ma sœur Milles qui est aussi au terme des cinq ans. Madame Louise-Marie Penel, venue de Saint-Michel avec une maladie de poitrine, nous offre en ce moment le plus terrible spectacle ; elle est en danger et dans un état de folie qui ne permet pas de s’assurer de ses bonnes dispositions. Voilà une croix bien peu attendue et qui me donne bien de la tristesse, croyant y apercevoir un châtiment pour moi, le plus sensible. Vous avez eu la bonté, Monseigneur, en remettant 100 $ à Monsieur O’Neil, de m’offrir à renouveler un pareil service. M. Kieulen, le même qui remit 40 $ à Monsieur Lutz pour compléter les 300 de M. Meynard, nous doit encore la même somme. Je prends la liberté de vous en offrir le reçu, destinant 20 $ pour ces pauvres prêtres et les 20 autres sont destinés à terminer avec notre domestique qui veut nous quitter. Je voudrais bien trouver un petit Nègre qu’on pût former à notre service et d’une bonne race. J’en ai écrit à Monsieur Timon, aux Barrens, espérant quelque découverte. J’ai la confiance de pouvoir le payer.

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1836 Déc. 23, Mme Duchesne, Florissant. »



Lettre 520

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Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée fille en Jésus-Christ. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 23 décembre 1836 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

LETTRE 520

L. 134 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 26 décembre 1836] Monseigneur, Je fus fâchée, à l’arrivée de notre domestique, de trouver tout l’argent de M. Kieulen. Il me dit qu’il n’a pas voulu retourner chez vous, que c’était trop loin. Je prends donc la liberté de vous adresser les gourdes 20. Je me félicite de ce que cela me procure l’honneur de vous présenter encore mes vœux de bonne année et le profond respect avec lequel je suis, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. du S. C. Ce 26 décembre 1836

1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1836 Déc. 26, Mme Duchesne, Florissant. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 521

L. 8 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[Noël 1836]1 Madame Gonzague Ma bien chère Sœur, J’aperçois votre bon cœur et votre charité pour moi, en me faisant des présents qui rappellent à l’amour du Cœur de Jésus et de sa Croix. Votre dernier emblème me paraît avoir plus de perfection que les autres. Je ne sais si cela vient de la matière plus délicate sur laquelle elle est peinte. Vous obligeriez vos deux écolières de leur donner deux petits morceaux semblables pour la copier, car elles l’ont trouvé fort jolie. Elles ont toutes deux bien des dispositions pour cet art si agréable et si utile pour nourrir la piété ; elles vous renvoient quelques-uns de leurs modèles, elles gardent encore les autres, ayant fort peu de temps à elles. Votre lettre m’a consolée parce qu’on y apercevait l’onction dont le divin enfant avait parfumé votre cœur, étant aux pieds de sa crèche. La crèche et le calvaire sont deux habitations les plus chères aux amantes de Jésus. Priez-le pour moi afin de que je n’en sorte jamais. Le jour de l’An, les chantres de Saint-Stanislas nous ont donné une belle messe en musique avec l’orgue et sont venus nous souhaiter la bonne année. Ils sont 20 Frères réunis. In Corde Jesu, Philippine

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 522

LETTRE 522

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L. 135 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 16 janvier 1837]2 Monseigneur, Votre visite à la pauvre défunte lui a donné la bonne volonté de prier quelquefois, quand elle était moins égarée3. Elle a même pu se confesser avant sa mort. Madame Eulalie, qui a eu auprès d’elle une bonne occasion de se mortifier en se préparant à ses vœux, n’aspire qu’après l’heureux moment que vous choisirez pour les recevoir. Madame Thiéfry a promis de l’envoyer chercher lorsqu’elle le connaîtra. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 16 janvier 1837 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur Rosati Évêque de Saint-Louis Saint-Louis

1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1837 Janvier 16, Mme Duchesne, Florissant. » Sœur Louise Pinel est morte le 16 janvier 1837. Un faire-part de décès accompagne cette lettre.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 523

L. 2 AU PÈRE TANON

SS. C. J. M.

27 janvier 1837 1 Monsieur, J’ai eu l’honneur de vous écrire il y a quelque temps, espérant trouver, dans vos familles de Nègres, un sujet dont nous aurions eu besoin. Monseigneur, qui nous a honorées d’une de ses visites, m’a laissé peu d’espérance de réussir, ce qui m’a déterminée d’accepter les nouvelles propositions du domestique qui nous avait quittées et qui est venu s’offrir à reprendre notre service. On dit d’ailleurs que le prix des Nègres est exorbitant en ce moment, et je m’étais peut-être fait illusion en pensant pouvoir le payer promptement. Si vous n’avez donc rien fait pour nous procurer un Nègre ou une Négresse, je vous prie de ne pas vous en donner la peine. Mais je réclame vos prières pour une de mes sœurs, décédée le 16 de ce mois, pour une autre malade et pour moi que Dieu laisse en ce monde, sans doute pour l’expiation de mes péchés. Je suis avec respect et vénération, votre toute dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. Saint Ferdinand, ce 27 janvier 1837 [Au verso :] Rd Monsieur Tanon Superior of the Seminary Barrens Perry County

1

Photocopie de l’original, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Jan. 28.



Lettre 524

LETTRE 524

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L. 136 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Ce 1er février [1837]]2 Monseigneur, J’ai l’honneur de vous adresser l’acte que vous m’aviez envoyé. L’absence du juge de paix a empêché plus de célérité. Madame Eulalie m’a parlé de son bonheur, au 23 de ce mois, et de votre paternelle et touchante exhortation que je regrette n’avoir pas entendue. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 1er février [1837]

LETTRE 525

L. 35 À MADAME DE ROLLIN, À GRENOBLE Pays d’outre-mer par Le Havre

SS. C. J. M.

Ce 10 avril 18373 St Antoine Ma bien bonne Cousine, J’ai reçu il y a quelque temps ta lettre du mois de décembre ; je suis toujours bien reconnaissante des témoignages de ta constante 1 2 3

Original autographe. L. 136 à Mgr Rosati. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1837 Fev. 1er, Mme Duchesne, Florissant ; répondu. » Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 35 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 84-87. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

amitié, qui est payée d’un juste et bien empressé retour. Il n’y a qu’une chose qui me fâche dans tes expressions : elles sont trop flatteuses pour moi, je suis loin de les mériter. On se porte partout1, et dans une double vocation qui devait me porter à la sainteté, je conserve des défauts dont bien des personnes du monde et dans le monde se seraient corrigées. Dieu prend soin lui-même de me les faire expier. C’est un préservatif contre la vanité d’être louée de loin et souvent blâmée de près, ce qui m’a rappelé ces paroles de saint Augustin sur Platon : « À quoi te sert, Platon, d’être applaudi où tu n’es pas, puisque tu brûles où tu es. » Il faut penser que je me survis, je vois arriver le moment où je ne pourrai presque rien faire ; et ma santé, qui a repris de la vigueur, rend cette inutilité pénible quand on a eu beaucoup d’occupations. Toutes nos enfants parlent l’anglais, peu le français, et je ne puis même instruire dans leur religion deux Négresses à notre service, ni de petites pauvres ; car quoique j’entende l’anglais dans les livres par la vue des mots, c’est tout autre chose de l’entendre parler et de le parler soi-même à cause de l’extrême délicatesse de la prononciation à laquelle on ne parvient jamais à mon âge. Il vient d’arriver dans la Louisiane trois de nos Dames2 qui m’ont apporté des nouvelles de France, mais aucune ne viendra dans le Missouri. Elles pourront à peine réparer les pertes de la maison où elles vont et où la mort a moissonné plusieurs des meilleurs sujets. Ce pays-ci étant beaucoup plus sain, nous avons eu peu de morts depuis 1819 où nous sommes entrées dans cette maison de Saint-Ferdinand. Notre 1ère morte a été cette année 1837, mais le sujet que nous avons perdu est venu de la Louisiane, déjà condamné. Aussi ai-je grand peur de devenir une radoteuse, dans l’enfance, avant que la mort ne m’atteigne. J’aurai d’ici-là le temps de semer notre jardin ; il paraît qu’il ne prospérera pas cette année, car la neige a couvert la terre 3 fois depuis le 1er du mois, et presque tout était semé. Le grand avantage que je trouve dans ce paisible travail, c’est un certain calme de l’âme que procure sans doute le beau spectacle de la 1 2

On garde son caractère, quel que soit le lieu où l’on est. Monique Lion, autrichienne, est décédée en 1849 à Grand Coteau. Annette Pratz, française, est décédée en 1855 à Saint-Michel. Maria Cutts, née en 1811 à Nottingham (Angleterre), est entrée au noviciat en 1829 à Beauvais (France), a fait ses premiers vœux en 1831. Sitôt après sa profession, faite le 26 octobre 1836 à Paris, elle est partie en Amérique. Elle a été visitatrice des maisons occidentales (Missouri, Kansas, Louisiane) de 1844 à 1852, vicaire de l’Ouest de 1852 à 1854. Elle est décédée à Grand Coteau en 1854.

Lettre 525



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nature qui reporte à son auteur. L’église paroissiale tient aussi à notre maison ; la 1ère Communion s’y est faite hier ; 2 de nos enfants, nées protestantes, ont été du nombre de celles qui ont reçu la 1ère fois leur Sauveur. Les deux autres maisons du Missouri ont eu la même consolation. Les Américaines converties sont les meilleures catholiques. Cette nation des États-Unis ne le cède à aucune pour les formes extérieures, la solidité de l’esprit, le génie pour les sciences et les arts. Il est même à craindre qu’aux yeux du chrétien, on n’excède dans la passion de savoir, de s’agrandir et de paraître splendidement. Moi qui ne suis qu’une antique, j’aime d’autant plus la simplicité que je vois d’affectation, de luxe et de sciences. On dit que la France n’est plus reconnaissable non plus, alors on ne peut se plaire que dans les heureux souvenirs de notre enfance. Si Monsieur Rambaud, l’homme de ma paix, vit encore, dis-lui qu’il vivra toujours dans ma reconnaissance. C’est un tribut que je dois, dans un autre genre, à M. et Mme Teisseire toujours si bons, si généreux pour moi. Que dirais-je d’Augustin s’il existait encore ? Je partage tes sentiments pour lui et espère que Dieu aura écouté la voix de ses aumônes. Je n’ai pas eu de réponse à mes dernières lettres à Mmes de Mauduit et Jouve ; on me dit que cette dernière est toute seule ; nous voilà trois dans une carrière différente, en position de détachement. Je n’ai aucune Française avec moi. Nous avons notre centre, ma bonne cousine, le Cœur du même Dieu qui a sur nous l’œil de sa Providence dont le bras puissant nous soutient ; qu’il daigne nous bénir. Je suis à jamais ton amie, Philippine r. S. C.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 526

L. 61 À MADAME JOUVE, À LYON Saint-Ferdinand, comté de Saint-Louis, 11 juin 1837 1

Ma bien chère Sœur, J’ai reçu ta lettre du 16 Mars ; les sentiments généreux que tu y témoignes sont bien consolants pour une sœur qui t’aime en Dieu principalement ; mais ta solitude, tes sacrifices ajoutent aux tendres sentiments qu’elle t’a toujours voués et qui ne peuvent que croître par la durée de tes épreuves. Si la grandeur de l’oblation d’Abraham a été tant exaltée, si Dieu, lui-même, l’a récompensée et louée si noblement, que ne fera-t-il pas pour toi qui as offert 5 victimes chéries à son Cœur reconnaissant ? Ce n’étaient pas des rebuts de famille qu’on conduit à l’autel pour décharger une maison, mieux établir des frères plus aimés. Ce sont les plus belles prémices, tes premiers fruits, les dons d’Abel et de Salomon qui ne laissent rien à désirer pour le choix et le prix des enfants qui auraient pu briller dans le monde, jeter du lustre sur leurs parents, s’établir avantageusement ; c’était vraiment la moelle dans l’holocauste. Si tu reçois déjà une partie du centuple en ce monde par la bonne réputation de ceux que tu as donnés à Dieu, quelle sera ta joie de les retrouver au Ciel, couronnés de gloire, bénissant la main qui les a guidés et l’honorant de la suite nombreuse qui les accompagnera pour l’avoir guidée elle-même dans la voie du salut. Ne crains point que j’aime moins Joséphine que les autres ; Dieu a fait toutes les sociétés religieuses ; il s’y prépare dans toutes des âmes privilégiées ; ses voies sont différentes, mais elles vont au même terme qui nous réunira, j’espère. Ce m’est une consolation qu’il te reste celle de la visiter souvent et d’avoir pu jouir du séjour du Père Henry à Lyon ; si tu le vois, dis-lui de prier pour sa marraine. Ses frères se multiplient dans les États-Unis ; ils y ont trois noviciats : un américain, tout près de la ville du Congrès, un français au Kentucky, un principalement de Flamands près de Saint-Louis. Cependant l’enseignement est principalement en anglais ; dans certaines parties, le français, l’allemand et encore plus l’espagnol sont nécessaires, mais il n’est pas rare de trouver des personnes qui parlent facilement quatre langues. Ce n’est pas moi, 1

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 135-137 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 527



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tout ce que j’ai gagné pour l’anglais est de le comprendre dans les livres, de l’entendre pour les choses communes et de le parler encore moins. Tu m’as consolée en m’apprenant que Sainte-Marie [d’En-Haut] était rendue à un objet édifiant, utile et religieux. J’avais dessiné ce cher asile depuis sa désertion et j’avais écrit à côté : « Les voies de Sion pleurent parce qu’il n’est plus personne qui vienne à ses solennités. (Jérémie)1 » J’y ajouterai ces paroles de David : « On y verra les tribus, les tribus du Seigneur qui loueront son saint nom2. » Il m’est consolant de penser que Mme de Rollin est encore l’auteur de cette bonne œuvre ; remercie l’en pour moi, car tout ce qui regarde la gloire de Dieu m’est personnel et je m’en réjouis comme de mon propre gain. Ne m’oublie pas auprès de Mme de Mauduit3, nous sommes trois vieilles sœurs ; notre ancienne amitié durera toujours parce que Dieu en est le lien le plus fort. P. Duchesne r. S. C.

LETTRE 527

L. 137 À MGR ROSATI

SS. C. J. M4.

[Juin 1837] Monseigneur, J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honorée ; l’argent est resté au collège où il aura bientôt son emploi. J’écrirai mes remerciements à Madame De Coppens, cette semaine. La jeune enfant que vous avez reçue dans vos bras a été extrêmement souffrante et a causé notre admiration par la manière dont elle a supporté ses maux et accepté les remèdes. Mme Chambers a retiré aujourd’hui sa fille qui était moins bien depuis qu’on l’entretenait de l’espoir d’aller trouver ses sœurs5 ; je pense qu’elle les rejoindra bientôt. 1 2 3 4 5

Lm 1, 4. Ps 122, 4. Philippine ne sait pas que sa sœur, Mme de Mauduit, est décédée le 19 mars 1837. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1837 Juin, Mme Duchesne, Florissant, S-Cœur. » Il s’agit de Jane Mullanphy Chambers (1799-1891), fille de John Mullanphy.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

La demoiselle qui a fait sa première Communion le jour de la Confirmation se soutient dans le bien, mais je ne sais si elle pourra rester. Je crois sa famille ruinée et bien malheureuse. C’est ce dont il est difficile de s’assurer positivement. On veut sauver son honneur, mais il ne sort de cette maison que des personnes abattues. Veuillez, Monseigneur, nous bénir de votre demeure et vous renouvellerez ainsi, pour nous, le bonheur de votre visite. Je suis avec respect, de votre Grandeur, la soumise fille et dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 528

L. 138 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Dimanche [21 septembre 1837]] Monseigneur, Si vos occupations vous le permettent, nous désirerions que la distribution des prix fût jeudi, sur les deux heures. Je vous nomme ce jour et cette heure, parce que vous avez bien voulu nous en laisser le choix. Nous ne pouvons guère retarder, plusieurs élèves étant au terme de leur sortie. J’espère que vous voudrez bien nous faire dire si nous pouvons espérer vous avoir jeudi, ou quel autre jour vous voudriez bien désigner, afin de faire prévenir les parents. Je suis avec vénération, Monseigneur, votre dévouée fille. Philippine Duchesne Dimanche [21 septembre 1837] 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1837 Septembre 21, Mme Duchesne. »



Lettre 529

LETTRE 529

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L. 12 À EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

15 octobre [1837] St Ant1. à Madame Eugénie Ma bien digne Mère, Votre long silence me fait craindre que vous n’oubliiez l’Amérique. Les douceurs de la Provence et de la Sainte-Baume vous charment-elles plus que la simplicité de nos bons Sauvages et le dévouement de ceux qui cherchent à les attirer à la foi ? Vous aurez su que le Père Van Quickenborne avait enfin réalisé l’objet de ses désirs avec un Père allemand et plusieurs Frères. Le Père allemand parlait déjà la langue des Sauvages, faisait des instructions, avait son école d’Indiens. Quand le Père Van Quickenborne a été rappelé, remplacé par le curé du Portage des Sioux dont il a pris la place, par ordre de son supérieur, il n’a résisté que quelques jours après son arrivée, n’a pas même vu la nouvelle église qu’on venait de finir et il est mort séparé de tous ses anciens frères et enfants ; car il avait été le père de tous. Il est enterré à Saint-Charles, tout près de l’église et du couvent bâti par ses soins et ses travaux. Cette mort, celle du bon Monsieur Perreau, celle de Mme de Mauduit, ma sœur, m’ont beaucoup frappée. Ma sœur était la plus rapprochée de mon âge, du même tempérament et caractère que moi, parmi des occupations semblables. J’en ai auguré que je la suivrais bientôt et me livrais à cette pensée. J’ai pris pour ma retraite celle du Père Nouet, Pour se préparer à la mort. Des maux de tête me faisaient penser que j’aurais une maladie de tête comme la sienne. Dieu me fait voir qu’il faut acheter le Ciel plus chèrement. À la fin de ma retraite, après avoir fait une chute sur le pavé, dont je me suis guérie en travaillant au jardin, je me trouve aussi forte que jamais, ne prévoyant ni le jour ni l’heure du dernier combat. Sœur Alphonsine Shannon m’a écrit qu’elle avait sa permission pour les derniers vœux. Je ne puis avoir de réponse pour Mère Boilvin dont vous connaissez le mérite. Il lui manque quelques mois, mais nous 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

aurions besoin pour l’ordre de la maison que les charges fussent désignées ; elle remplirait bien celle de maîtresse générale si Mère Stanislas Shannon était assistante et maîtresse générale des externes ; nous serions en communauté. Mère Boilvin a eu un crachement de sang qui fait taire sa jolie voix. Il a fallu la soulager pour sa classe des petites, qui la tuait (c’est son expression). Mère Lucile nous a cédé Mary Knappe, notre 1ère orpheline de Saint-Louis et aspirante du Sacré-Cœur. C’est une âme simple et innocente, sans talents brillants, mais qui fait beaucoup pour nous qui étions si peu. Sœur Élisabeth [Missé] a encore, dans l’année, passé plusieurs mois au lit. Elle est mieux en ce moment et presse pour sa permission, les 5 ans étant écoulés. Elle a 36 ans. Recevez l’assurance de mon respect et tendre attachement et celui de toutes mes Sœurs, in Corde Jesu. Ph. Duchesne r. S. C. Saint-Michel a 175 élèves ; le Grand Coteau 90. On y a fait les fondations du collège pour les Pères [jésuites] le 31 juillet. Mgr Blanc s’y est trouvé. Saint-Louis en a 70 ; Saint-Charles et nous 20, en ayant renvoyé plusieurs qui ne payaient pas ou pouvaient nuire.

LETTRE 530

SS. C. J. M.

L. 36 À MADAME DE ROLLIN Chez Mme Camille Teisseire À Grenoble

Saint-Ferdinand, comté de Saint-Louis, État du Missouri Ce 17 octobre 1837 1 St Antoine Ma bien chère Cousine, J’ai reçu ta lettre qui me parlait du décès de ma chère sœur Amélie de Mauduit. Mon frère a été le premier à me l’annoncer, et ensuite 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 36 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 97-90. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 530



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Mme Jouve et sa fille Aloysia [Amélie]. J’ai répondu à ces différentes lettres et espère que tout a été reçu. Je viens maintenant te remercier toi-même des détails intéressants et édifiants que tu me donnes sur la mort d’une sœur dont j’appréciais tout le mérite. Je ne doute pas que sa piété et ses bonnes œuvres ne l’aient déjà mise en possession de la vie bienheureuse et sans fin. Il ne faut pleurer que sur nous, qui sommes encore sous les tentes de Cédar, exposées à mille dangers de perdre la couronne due à la persévérance seule. Depuis la mort de nos chers parents Augustin, Scipion et Camille1, aucune ne m’a tant frappée que cette dernière : tant de rapports naturels et surnaturels m’unissaient à ma sœur, que je ne puis m’empêcher de penser que son départ de cette vie est un signal pour le mien, et il me reste beaucoup à faire pour m’assurer un jugement favorable. L’auteur de l’Imitation [de Jésus-Christ] dit « que ceux qui voyagent se sanctifient rarement » et ailleurs que « le changement de lieu en trompe beaucoup ». J’avais espéré faire ici quelque chose pour la gloire de Dieu et le salut de ses enfants, et je me trouve les mains aussi nues et peut-être moins nettes que dans ma petite cellule de notre Mont d’affection2. Je ne dirai plus à son sujet ces paroles de Jérémie : « Les rues de Sion pleurent » etc., mais bien celles-ci d’un autre prophète : « On y reverra les tribus, les tribus du Seigneur, pour louer son saint Nom3. » Combien je suis consolée que toi, à qui je devais une première résurrection de mon saint asile, aies contribué à une seconde, non moins merveilleuse, ni moins glorieuse pour la religion4 ! Quelle consolation pour moi d’apprendre, dans mon éloignement de ma première amie, que la voix de son aumône, voix toujours écoutée, part continuellement de cet heureux asile de l’innocence pour supplier notre père commun de la combler de ses bénédictions. Applique, je t’en prie, le mérite de quelques-unes de ces prières et pour moi et pour M. de Mauduit dont la situation est bien fâcheuse. J’ai su par Mme Jouve elle-même qu’elle était réduite à la plus entière solitude ; mais elle a, plus que son beau-père, les consolations de la religion qui suffisent pour la soutenir. 1 2 3 4

Scipion Perier est décédé le 2 avril 1821 ; Camille Jordan, le 19 mai 1821 ; Augustin Perier, le 2 décembre 1833. Le Mont Rachais (1046 m), partie méridionale du massif de la Chartreuse. Lam 1,4 ; Ps 122, 4. La réouverture de Sainte-Marie d’En-Haut par les Ursulines.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Dans l’agréable cercle de nos anciennes connaissances que tu me fais toujours parcourir dans tes lettres, je n’ai rien vu dans la dernière de Mme Casimir Perier ; on m’avait dit qu’elle avait acheté une terre dans le diocèse de Meaux et qu’elle y était retirée. Je ne doute pas que sa vertu n’ait pris de nouveaux accroissements. Veuille me rappeler à Mme Teisseire, au souvenir de laquelle je suis bien sensible. Ne m’oublie pas auprès de Mme Augustin [Perier], de mon frère et de son épouse. Ton cœur demande peut-être comment va ma santé ; elle est forte encore, mais je n’en suis pas plus assurée de vivre longtemps, d’après l’exemple de Mme de Mauduit. Mme Jouve croit qu’elle a eu une fièvre cérébrale ; cette maladie vient souvent à l’improviste, et elle m’avertit d’être toujours prête. Notre petit établissement se soutient et nous procure l’avantage de tous les secours spirituels. Notre évêque est d’un mérite distingué ; son séminaire, 2 collèges nombreux, 5 ou 6 couvents pour l’éducation des demoiselles entretiennent les espérances de la vraie religion. Plusieurs sectes en frémissent et ne peuvent, malgré leurs déclamations, empêcher que les pensionnats catholiques ne soient remplis de protestants. À mon départ de Saint-Louis, ce sont nos élèves protestantes qui m’ont donné le plus de témoignages d’affection. Je suis toute à toi dans le Cœur de notre bon Maître. Philippine Duchesne r. S. C. Si mon bon Père Rambaud vit encore, je lui offre mon plus humble respect.

Lettre 531

LETTRE 531



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L. 139 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 10 décembre 1837] Monseigneur, Voici les Quatre-Temps qui approchent. Ne sachant pas si le Père De Theux, que vous aviez chargé d’entendre les confessions à cette époque, pourra continuer, je viens vous prier de me dire si vous avez décidé quelque chose à cet égard. Dans le doute, je n’ose m’en informer ni d’un côté ni de l’autre et Madame Lucile ne m’en a rien appris, quoiqu’elle vous ait vu après votre visite à Saint-Ferdinand. Si vous aviez quelque argent à faire venir de France, et qu’il vous convient d’en recevoir ici, cela éviterait des frais de change pour vous et pour nous, si vous acceptiez que je vous comptasse à Saint-Louis ce que j’offre d’envoyer à Paris pour obtenir une sœur coadjutrice. L’embarras où nous nous sommes trouvées, au départ de notre Négresse, me fait craindre le retour des mêmes inconvénients, quand on dépend et des maîtres et des esclaves. J’ai écrit à notre Supérieure générale pour lui demander une Sœur [coadjutrice] faite pour les gros travaux, offrant de payer son passage. J’économise pour cela et pourrai bientôt disposer d’une partie de la somme nécessaire. J’ai senti qu’en offrant de payer les frais du voyage, j’aplanissais une des principales difficultés, que ce serait moins que l’achat d’une Négresse, et que nous serions bien mieux partagées. Si vous daignez me répondre, Monseigneur, dans la semaine, j’enverrai notre domestique à Saint-Louis et il passera à l’évêché pour prendre votre lettre. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, l’humble et soumise fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 10 décembre 1837 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1837 Déc. 10, Mme Duchesne, Florissant ; reçue le 11. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 532

L. 140 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 14 décembre 1837] Monseigneur, Je n’ai pas, comme mes sœurs de Saint-Louis, l’avantage de vous exprimer mes souhaits de bonne année de vive voix, mais je les présente continuellement à Dieu pour qu’il donne au bon pasteur des ouailles qui le consolent dans les exercices d’un zèle toujours ardent, devenant ainsi sa joie et sa couronne. Ce zèle ne me manque pas pour porter généreusement mon petit fardeau, et Dieu permet qu’il me pèse d’autant plus que mon terme s’avance et que je suis plus près du jugement [de  Dieu]. Toutes les peines que j’ai jamais eues par rapport aux vœux d’obéissance et de pauvreté se sont toutes ramassées dans une nuit où je me voyais prête à rendre compte [à Dieu]. La chose qui me vexait le plus était des dispositions faites sans l’agrément de notre Supérieure générale. Et quand, à différentes époques, j’ai cherché à m’en expliquer avec elle, ou les réponses ont été omises ou elles ont été si douteuses que j’avais sujet de penser que j’agissais contre son intention. Je me suis dit : la charité est la première loi et, au fond du cœur, j’entendais : « J’aime mieux l’obéissance que les oblations. » Enfin, ne pouvant m’ôter de ma place et étant dans la situation d’agir encore avec des doutes qui portent sur des vœux dont le Saint-Siège, seul, peut nous relever, j’ai eu la pensée de vous supplier de m’obtenir du Saint-Père une permission pour disposer d’une somme plus forte qu’il n’est marqué dans nos règles quand, sans faire tort à la maison dont je suis chargée, il se présentera l’occasion de faire une bonne œuvre au dehors. Plus je réfléchis, plus je vois que c’est le seul moyen pour moi de mourir en paix, doutant même de ma contrition sur le passé. Vous penserez peut-être, Monseigneur, que c’est trop attendre pour moi. Mais je me suis rappelée que notre Saint-Père Pie VI a daigné lui-même décharger de l’obligation de son office une simple religieuse tourmentée de scrupules, en le disant. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1837 Déc. 14, Mme Duchesne, Florissant. »

Lettre 533



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Je me rappelle vous avoir consulté sur ma peine, il y a quelques années. Je l’ai fait depuis, sans succès pour la tranquillité de mon âme ; mais si j’obtiens la grâce que je vous prie de solliciter pour moi, je pourrai agir en toute sûreté. Mes vœux, par rapport à moi, se bornent tous à ce qu’elle me soit accordée avant ma mort, avec le pardon du passé. Ces 20 $ sont notre petite contribution pour les pauvres prêtres du diocèse. Je suis avec respect, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 14 décembre 1837

LETTRE 533

L. 141 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 14 janvier 1838] Monseigneur, Je suis extrêmement reconnaissante de la bonté avec laquelle vous voulez bien accéder à ma demande ; la réponse seule pourra m’obtenir la paix. Dans notre Société, on ne conserve la propriété des biens, meubles et immeubles, que jusqu’à l’émission des derniers vœux ; et dès l’entrée dans le noviciat, on cesse d’en avoir le libre usage. Seulement si on vient à sortir, on rend ce que les sujets ont apporté. Avant notre approbation, le temps de posséder était plus illimité ; je n’aimais pas ces vœux à demi : la pauvreté jointe à la propriété. Je demandais à ma supérieure, après m’être réglée avec ma famille, de destiner aux missions ce qui me restait et je fis le vœu de pauvreté dans toute son étendue, renonçant 1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1838 ­Janvier 14, Mme Duchesne, Florissant. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

au pouvoir de tester et d’acquérir. Cela m’a fort gênée en Amérique. Je m’en expliquai avec Mgr Dubourg quand il nous donna le terrain où nous sommes et qu’il nous fit en même [temps] léguer à la survivante, en cas de mort. Il me répondit que je n’acquérais pas pour moi et que ce testament n’était qu’une formalité nécessaire pour assurer la propriété à l’établissement. Il a fallu faire le même raisonnement pour Saint-Charles et Saint-Louis. Mais très certainement, en faisant mon vœu de pauvreté, je m’étais ôté cette liberté et en avait prévenu ma famille. Cela, joint à la charge d’économe que j’ai toujours eue, dans laquelle j’ai agi souvent sans assez de dépendance, me cause un poids dont la première autorité peut seule me délivrer. La Supérieure générale dispose avec son conseil de tous les biens de la Société. Il y a des règlements qui gênent beaucoup l’administration des supérieures locales, surtout à de si grandes distances. Je vois que d’autres n’y songent pas et je me garderais bien de leur communiquer mon tourment. Je joins ici la feuille que nous devions garnir : que Mme Pitcher, morte dans le désastre d’un steamboat, nous laisse ainsi sa fille orpheline et pauvre ; nous nous en chargeons de bon cœur. Mais nous craignons que le même sort n’ait atteint M. James Brown, de Galena, dont nous avons aussi la fille. Nous n’avons plus de ses nouvelles depuis qu’il a eu aussi un voyage dangereux. M. Walsh, à qui il nous avait dit de nous adresser, n’a pu rien nous apprendre. Si par les gazettes ou autrement, vous en appreniez quelque chose, j’espère qu’avec votre paternelle charité, vous voudriez bien nous avertir. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et humble fille. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 14 janvier 1838 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis

Lettre 534

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L. 13 À EUGÉNIE AUDÉ

SS. C. J. M.

Ce 18 janvier 1838 St Antoine1 Ma bien chère Mère, Nous sommes entièrement privées de vos nouvelles. Quelques fois, j’en ai eu indirectement, mais ce serait bien plus de plaisir si on voyait votre écriture et qu’on sût de vous-même qu’on n’est pas oubliée. J’ai toujours craint que votre séjour en France ne fût bien prolongé et une lettre de notre Mère générale, en parlant de votre santé, semblait annoncer qu’on ne pouvait hasarder pour vous un voyage en Amérique. Cette idée nous affligeait toutes ; mais depuis, on a écrit de Paris que vous étiez beaucoup mieux, que tout prospérait autour de vous. C’est la récompense des longues épreuves où Dieu vous a mise avant le départ ; et depuis encore, par la mort de Mesdames Sophie et Antoinette. Mère Penel est venue mourir ici ; nous venons de faire son anniversaire. C’est la 1ère religieuse morte ici ; Mesdames Octavie et Bosseron, à Saint-Louis. La maison de cette ville a bien augmenté. On a commencé à bâtir et plusieurs jeunes sujets se forment ; d’autres sont aux termes des vœux, ainsi qu’ici. J’en ai parlé à notre Mère générale et ne reçois pas de réponse. Mère Gonzague Boilvin atteindra bientôt ses 25 ans et a plus de 5 ans d’aspirat. Sœur Élisabeth Missé est dans sa 32e et a fini ses 5 ans. Veuillez, je vous prie, vous intéresser à mes compagnes, le petit nombre est déjà une grande épreuve ; nous ne sommes toujours que cinq. J’ai demandé à notre Mère générale une Sœur coadjutrice, forte et capable de faire la cuisine et tirer les vaches. Notre bonne Négresse nous ayant quittées un temps, j’ai éprouvé combien il était désagréable de dépendre pour les gros ouvrages d’une seule personne qui peut être malade, qui a manqué de constance, sans sujet ; et dont le maître qui augmente son prix chaque année, parle aussi de la reprendre. Pour prévenir toutes ces chances, j’avais recouru au Conseil général, en offrant de payer les frais du voyage, moins grands que l’achat d’une esclave. Mère Stanislas [Shannon], ayant perdu un frère et une sœur de la poitrine, s’effrayait cet été d’y avoir mal. Elle est bien à présent. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : New York, Fev. 4.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Mère Gonzague [Boilvin] fait ses emplois ; mais un crachement de sang, en septembre, l’avait aussi effrayée et ajoute aux ménagements qu’exige habituellement sa santé. Mère Maria Knappe que j’ai obtenue pour la soulager, a de continuelles indispositions ; c’est notre plus ancienne et bonne orpheline. Sœur Élisabeth [Missé] a été mieux cette année que les précédentes, et quand elle est sur pied, elle rend bien des services. Mère Régis [Hamilton], maintenant maîtresse générale à SaintLouis, gémit du peu de piété de ses enfants et plus encore des dangers qui les attendent à la sortie. La ville est une Babylone pour le luxe, les plaisirs. On nous a envoyé une des grandes élèves pour qu’elle gagne ici en piété et en connaissance du ménage. Heureusement, elle s’est accoutumée. Vous êtes sans doute au courant de ce qui se passe dans notre pays, les rapports avec la France sont si fréquents ; mais c’est un plaisir de vous parler de l’érection des trois évêchés au Natchez, à Nashville et à Dubuque, au nord de l’État du Missouri ; outre un coadjuteur nommé pour New York. Monseigneur, en revenant du Concile, nous dit que les établissements prospéraient partout ; il paraît qu’ils sont splendides à La Mobile. Saint-Michel va toujours très bien. Aux Opelousas, la mort de Mère Xavier [Murphy] a fait diminuer le pensionnat, mais elles abondent en secours spirituels depuis que le collège se bâtit décidément au Grand Coteau. Vous avez su la mort, dans un même jour, de Mme Louailler et sa fille ; le bon Monsieur, protecteur de l’établissement, était près du tombeau, dans la dernière lettre reçue. Recevez, chère Mère, tous mes vœux, tous ceux de mes sœurs et me croyez, in Corde Jesu, toute vôtre. Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Eugénie Audé, Maison du Sacré-Cœur À Marseille Département des Bouches du Rhône France By way of New-York

Lettre 535

LETTRE 535



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L. 37 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

St Antoine de Padoue Saint Ferdinand, ce 30 janvier 18381 Ma bien chère Cousine, Il me semble qu’il y a plus longtemps que jamais que je n’ai reçu de tes lettres ; c’est que jamais, je ne les avais tant désirées. La raison en est facile à comprendre. Une lettre, qui m’annonçait des désastres dans la famille Lebrument, m’apprenait en même temps que tu étais affligée par des malheurs semblables arrivés à tes neveux. Comment te savoir affligée et d’autres objets de ta tendresse, sans l’être moi aussi, et sans désirer apprendre par toi-même l’état où tu te trouves et si la divine bonté n’a pas mis elle-même l’appareil à tes plaies pour les adoucir ou les guérir entièrement ? Ne tarde pas, bonne Cousine, de me parler de tes chagrins. Je ne sens que trop que je n’ai pas le pouvoir de te les enlever, mais je les partagerai, j’unirai mes prières aux tiennes pour obtenir de Dieu que des biens meilleurs et plus durables remplacent ceux que l’inconstance de la fortune arrache si facilement. Un ouvrage français, que je lis en ce moment, me donne cet espoir. Il prouve que notre patrie se trouve dans un état meilleur qu’avant l’affreuse révolution dont, toutes deux, nous avons vu le triste cours. On y dit que les ruines sont réparées plus magnifiquement ; que le zèle a redoublé pour les établissements utiles et religieux ; qu’il n’y a qu’à les proposer à la piété et à la générosité et qu’aussitôt ils s’élèvent. Un de nos évêques, voyageur et quêteur pour son diocèse, a rendu chez nous le même témoignage et en parlait avec admiration. Si tu me fais l’amitié de me répondre, ne manque pas surtout de mentionner dans ta lettre les noms de Mesdames Augustin [Perier], Casimir [Perier], Teisseire, Jouve, Duchesne et son époux. Depuis que Madame Barat n’est plus si fixe à Paris, ainsi que celles que j’y avais connues, on nous écrit peu. À mesure que la Société s’est étendue et a perdu tant d’anciens sujets, nous ne pouvons être en Amé1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 37 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 90-92. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

rique que de ces êtres qui semblent avoir vécu dans l’antiquité. Je me trouve si antique moi-même que j’en ai honte et n’ai nulle envie de me montrer comme une momie d’Égypte. Dans ce pays où tout est nouveau et où le luxe, la délicatesse sont à l’excès et dégoûtent, je n’aurais de plaisir qu’à rappeler nos simples plaisirs de l’enfance : nos toilettes modestes, notre bon temps du couvent où nous mangions la salade avec les doigts et toutes deux dans le même plat, sur un même réchaud, ce qui faisait pleurer de tendresse la sœur Colombe qui disait : « Combien s’aiment ces enfants !... » Je me rappelle toujours Augustin lisant les vies des saints avec moi ; Scipion, tricotant à mes côtés pour éviter son déjeuner une veille de Toussaint ; Casimir [Perier] et Camille Jordan me donnant des leçons d’arithmétique ; nos soirées chez notre grand-mère, ces repas simples mais touchants du dimanche et du lundi ; ces étrennes distribuées graduellement à chacun des petits-enfants. Tout m’y rappelle le temps patriarcal, bien préférable à l’orgueil dédaigneux, à l’indifférence, à la langueur affectée par laquelle on croit être grand et aimable. Je suis toujours dans la même maison, paisible retraite faite pour mon âge et mes goûts ; mes entretiens y sont souvent avec toi et de toi si chère à mon cœur. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 536

L. 129 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand ce 2 juillet 18381 St Antoine Ma bien digne Mère, J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite dans votre convalescence et peu avant votre départ de la ville sainte. Je ne sais s’il s’est effectué, j’aime 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : St. Louis MO, Jul. 5 ; New York, Jul. 16 ; Le Havre, (1) août 1838 ; Paris, (4) août 1838. J. de Charry, II 3, L. 318, p. 300-302.

Lettre 536



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à le croire pour le bonheur de la plus grande famille. Le peu de lettres que nous avons eues de France disaient toutes qu’on vous y attendait à la même époque que vous me marquiez, notamment celles de Mère Eugénie [Audé], qui m’ont fait le plus grand plaisir. J’en ai eu deux d’elle, de dates rapprochées ; elle vous attendait. Depuis quelque temps, j’ai reçu des feuilles, formule d’un vœu au Sacré Cœur1. Votre respectable frère me dit, une fois, qu’il approchait de beaucoup de celui de perfection. S’il est pris à ce haut point, je ne connais personne des nôtres, ici, à qui je voulusse conseiller de la faire, ne les jugeant pas capables de le garder. Cependant j’ai craint de ne pas suivre l’intention de votre cœur. J’ai consulté et on m’a dit de vous demander ce qu’on s’oblige de faire précisément. L’explication qui suit la formule semble réduire le vœu à une consécration spéciale de dévotion au Sacré-Cœur. Ce sera beaucoup, ici, surtout parmi les sœurs, si on peut en sûreté prendre les engagements ordinaires dans la Société. Je n’ai pas cru agir selon votre intention en annonçant à la coadjutrice d’ici qu’elle avait sa permission pour les derniers vœux : dans l’intervalle qui s’est écoulé depuis ma demande, elle a montré une indocilité en plusieurs occasions qui sous le voile des infirmités pourrait se nourrir et la rendre plus coupable si elle ne change. J’en ai parlé à Mère Thiéfry qui n’a pas dit le oui en sa faveur. Quant à celle qui écrit à son ancienne maîtresse, Mère Eugénie [Audé], je ne rétracte point l’éloge que j’en ai fait2, mais comme je vous l’ai marqué, elle a peine à surmonter l’opposition à certains caractères et la faiblesse de sa santé ne supportera pas un état violent. Son crachement de sang ne s’est pas renouvelé. Du reste, elle peut répondre à tous les besoins d’une élève pour la santé, l’étude, les soins de propreté, le travail, et elle peut sans danger s’exposer à les suivre dans les visites qu’elles reçoivent. Elle a une réserve qui la met au-dessus de la jeunesse. Par votre lettre, il paraît que vous lui destineriez la conduite de cette maison ; mais sa compagne professe et plus âgée aurait peut-être peine à la voir au-dessus d’elle3, son air affable lui ayant obtenu la confiance générale soit des Pères, des parents et des enfants qui l’aiment, même trop. Quant à moi, je suis à votre disposition. Je désire la retraite et le repos et n’espère pas le trouver en cette vie ; d’ailleurs je n’aimerais point 1 2 3

Nous n’avons pas de renseignements sur ce vœu. Adeline (Gonzague) Boilvin fera sa profession le 30 septembre 1838. Stanislas Shannon a fait sa profession le 7 mars 1836.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

un repos oisif qui m’exposerait à dormir toujours. Mais tout m’annonce que la douce retraite n’est pas pour moi, partout où j’ai été les travaux extérieurs et dissipants ont été mon partage et encore à présent, allant entrer dans ma 70e année. Il n’y a personne d’autre pour éveiller le matin, faire la visite le soir, soigner le jardin, veiller les malades, soigner les provisions, le linge, etc. Ne pouvant faire la classe anglaise ni les surveillances où l’on parle, ces travaux matériels me retombent et les autres sont encore bien fatiguées auprès d’enfants qui se renouvellent sans cesse, ce qui rend l’instruction commune bien difficile. Si l’aspirante va à Saint-Louis, je ne sais comment tout irait. Je vous l’ai représenté et j’espère une réponse favorable avant septembre. Elle a fait avec moi l’état des six mois et je pense qu’elle pourra le faire seule au besoin. Je pense vous faire plaisir de vous donner l’état actuel de notre diocèse : Population catholique : 50 000. Les églises sont au nombre de 40, dont 9 en pierre, 16 se commencent cette année, ce qui en fera 56. Il y a deux collèges, un de Jésuites et six écoles de garçons, en tout : 1 200 écoliers. On compte 70 prêtres, 100 religieuses en dix couvents : 3  du Sacré-Cœur, 2 des Sœurs de la Croix, 2 des Sœurs de la Charité, 2 des Sœurs de Saint-Joseph et 1 de la Visitation. Il y a un hôpital à Saint-Louis où on a reçu, l’année dernière, 600 malades. L’asile des orphelins, maison distincte, en contient 53 et deux autres maisons contiennent 26 orphelines. Il y a eu plus de 100 adultes baptisés. Cette année, environ 150 confirmations à Saint-Louis ; à Saint-Ferdinand, 52 et Sainte-Geneviève, 80. Je vous quitte à regret, ma digne et respectée Mère. Une occasion pour Saint-Louis se présente. Je suis à vos pieds, in Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C. Mes respects à mes bons Pères Louis et Joseph, à mes Mères Desmarquest, Eugénie [Audé] et de Gramont, enfin à toutes. [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Supérieure générale des

Lettre 537

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Maison du Sacré-Cœur rue Monsieur À Paris France By way of New York

LETTRE 537

L. 38 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

St Antoine Saint-Ferdinand, ce 24 juillet 18381 Ma bien aimée Cousine, J’ai reçu ta lettre du 1er de mai : tu me préparais, ce jour-là, un bouquet bien agréable, outre ton cher souvenir des détails de l’œuvre intéressante où tu prends une aussi bonne part à Sainte-Marie [d’En-Haut]. Combien je suis heureuse quand je pense que ce séjour du bonheur est toujours celui de la vertu où Dieu doit prendre ses délices ! Que cette fête de saint Joseph, si bien solennisée par une classe humble et pauvre, a dû être de bonne odeur pour celui qui a contemplé de ses yeux le Verbe incarné pauvre et obéissant sur la terre !… J’ignorais la mort de Mme Jordan2 ; je prie pour elle et pour tout ce qui t’appartient. J’aime à te savoir à Grenoble, il me semble que je suis plus près de toi. Témoigne ma reconnaissance à Monsieur Rambaud ; c’est demain sa fête et double sujet d’un juste souvenir. Je suis sensible à ceux de Mesdames de La Grée, Trouillet et Botus et désire bien qu’elles aient l’expression du mien, ainsi que Mesdames Augustin, Teisseire et Duchesne. Ma lettre se sentira de l’état de faiblesse où je me trouve depuis quelques jours, après une saignée nécessaire et d’autres remèdes. Je suis si accoutumée à reprendre des forces que je les attends encore sans les désirer. Il est juste que je console ta piété en te donnant quelques nouvelles touchant les progrès de la religion catholique. Dans ce diocèse, un des 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 38 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 92-94. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Mme Jordan, née Sylvie Gueymar de Roquebeau (1774-1837), mariée à Alexandre Jordan (1768-1824).

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

plus heureux des États-Unis, il y a 50 000 catholiques, quoique plusieurs petites villes n’en aient pas un seul. Il y a une vingtaine d’églises et en outre 16 se bâtissent ; cette année-ci, on compte 70 prêtres, 10 couvents, 2 collèges nombreux, un séminaire, trois asiles d’orphelins, un hôpital et une vingtaine d’écoles subalternes. Le Congrès ne veut prendre aucune part dans les démêlés entre la Cour d’Angleterre et les Canadiens soulevés ; mais nous apprenons qu’il a permis à 30 000 d’entre eux, bons catholiques, de venir s’établir dans l’État le plus voisin du nôtre, celui des Illinois. Il n’y aura que le Mississippi entre eux et nous ; ils auront sûrement leurs prêtres. Il y a d’autres États où la prévention est extrême contre notre sainte religion ; cependant elle gagne partout quelque chose. Je te prie de donner de mes nouvelles à Mme Jouve et de lui dire que j’avais profité d’une occasion pour lui demander quelques commissions. Il paraît que la personne chargée de ma lettre et d’acquitter les commissions a tout abandonné, comme je les abandonne aussi à cause des grandes difficultés. J’ai aussi répondu à la lettre de sa chère Joséphine, sa consolation. Je suis toute à toi, incomparable amie, dans le Cœur de notre bon Maître. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 538

L. 142 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 23 août [1838]] Monseigneur, Depuis votre bonne et paternelle visite, j’ai reçu une des plus grandes consolations que je puisse avoir : c’est la permission de notre Supérieure 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1838 Août 23, Mme Duchesne, Florissant. »



Lettre 538

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générale pour les dernières épreuves de Madame Gonzague Boilvin et [que] ses vœux se fassent ici. Cela nous était contesté à Saint-Louis, mais j’ai réclamé et tout obtenu. Je viens maintenant, Monseigneur, prendre vos ordres pour le jour de la cérémonie. Elle ne pourrait être avant le 24 septembre, jour où s’accompliraient les 25 ans nécessaires pour la profession. Veuillez, je vous prie, nous répondre lorsque vos occupations vous le permettront. Je désirerais bien aussi savoir si nous pourrions légitimement laisser choisir un tuteur à Mlle Watts, âgée de 16 ans, orpheline de père et de mère. Son oncle, qui l’a prise à sa charge et qui s’est fait recommander à M. Dumaine par Mgr Blanc, l’a placée chez nous avec recommandation de ne la remettre à personne, quoiqu’il n’ait d’autre titre sur elle que celui de sa bienfaisance. Sa grand-mère a voulu la faire sortir et est opposée à ce qu’elle demeure ici ; on l’a refusé. Cette dame a été fort courroucée et a dit qu’au mois d’octobre, on verrait qui serait maître. La jeune personne qui a la vocation religieuse est très affligée. Un de ses oncles, M. Alvarez, ne veut pas être son tuteur. On nous a dit que M. Mullanphy se chargeait volontiers de ces bonnes œuvres ; mais je ne sais si en conscience, nous pouvons la refuser à cette vieille mère qui paraît avoir besoin de services, mais qui aussi aurait grand besoin de conversion. Qui sait si sa petite fille y pourra contribuer ou perdre auprès d’elle la piété qu’elle a à présent ? Daignez, je vous prie, décider la question. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et dévouée servante et fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 23 août [1838] [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 539

L. 9 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

[Août 1838]1 Ma bien bonne Sœur, Je voudrais avoir le zèle et l’onction de votre bon père pour vous exprimer mes désirs et mes sentiments à l’approche de la sainte cérémonie où vous contracterez votre douce, et je l’espère, votre éternelle alliance. Encore un mois et le jour heureux arrivera. Nous tâcherons de vous donner plus de temps pour être plus à vous-même, plus à la prière, aux actes d’humilité, au recueillement. C’est dans le calme de la solitude que votre Bien-aimé veut vous parler de son amour, des conditions de son alliance, des biens qu’elle vous procurera, des ornements qui doivent vous décorer pour lui être présentée. Nous les méditerons aujourd’hui ces ornements : la croix, les épines, les liens, voilà les joyaux du calvaire et de l’autel, qui entendront vos serments. Ayons courage ; d’autres les ont portés avant nous et les voient changés en des biens immortels et incompréhensibles dans leur grandeur. In corde Jesu, Philippine [Au verso :] À Madame Madame Gonzague

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 540

LETTRE 540

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L. 10 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

Ce 11 [1838. Avant le 30 septembre]1 Ma chère Sœur, Votre lettre m’a donné beaucoup de consolation puisque j’y ai lu l’expression de vos désirs, l’amour de votre saint état et l’empressement de contracter l’alliance qui formera votre union plus entière avec le Cœur de Jésus. Votre persévérance sera Son dédommagement et le nôtre à la défection de plusieurs de ses épouses. Mais pour que l’amour et l’empressement de ce Cœur adorable soient pleinement satisfaits, il faut que celui que vous voulez lui donner se prépare à l’union divine par des traits de ressemblance. Quelle ressemblance ? Il l’a assez témoigné en disant : « Apprenez de moi la douceur et l’humilité2. » C’est la dernière vertu qui demande de vous plus de travail et puisque vous voulez vous connaître, et tailler la vigne avant d’inviter l’époux à manger de ses fruits, je dois vous conseiller d’ébrancher continuellement les bois inutiles. J’appelle ainsi la bonne opinion de soi, le ton trop assuré, l’étonnement d’être trouvé en faute, une froideur si une demande cause un léger dérangement, un peu de négligence pour la tenue des enfants, l’ordre de la classe et sur leur personne. Quant aux pénitences, elles ne vous conviennent pas. La seule que je vous demande, c’est de parler toujours anglais quand on peut vous entendre. C’est là une très bonne mortification et qui va plus à la gloire de Dieu et au bien de la maison qu’un jeûne au pain et à l’eau. Voici donc vos pénitences : 1°) parler l’anglais ; 2°) l’étudier plus ou moins tous les jours ; 3°) étudier des cantiques anglais ; 4°) faire tous les jours la visite de l’habillement, si cela ne se peut après le lever, que ce soit après le déjeuner ; 5°) faire tous les jours deux pratiques d’humilité, en évitant de répliquer ou de s’excuser ou autre [chose] semblable. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Mt 11, 29.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Je suis in Corde Jesu, Philippine [Au verso :] Madame G. B.

LETTRE 541

L. 143 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Septembre 1838] Monseigneur, Nous venons d’apprendre votre arrivée. J’ose vous prier respectueusement de me dire si vous pourrez céder à notre ardent désir de faire faire ses vœux à Madame Boilvin, ou s’il faut attendre, ou si vous donnez la commission à quelque autre de faire la cérémonie. Que la voiture ne vous gêne pas : veuillez faire prendre une voiture à deux chevaux des plus commodes, trop heureuse d’en faire les frais et que vous y soyez accompagné de Monsieur Lutz. On me presse. Je suis à vos pieds votre dévouée fille. Philippine Duchesne

1

Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1838, Mme Duchesne ; répondu. »

Lettre 542

LETTRE 542



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L. 62 À MADAME JOUVE, À LYON 4 octobre 18381

Ma bien chère Sœur, J’espère que notre pieux parent [Noël Jordan], le respectable curé de Saint-Bonaventure, voudra bien te faire passer ce peu de lignes que j’insère dans une lettre que je lui écris pour annoncer la mort d’une de ses anciennes paroissiennes, dont je ne connais pas la famille. Je n’ai pas eu de lettre de toi depuis celle que tu m’as écrite après la mort d’Amélie [survenue le 19 mars 1837]. Mon frère m’a donné depuis de tes nouvelles ainsi que Mme de Rollin. Si tu veux savoir des miennes, je te dirai qu’entrant dans ma 70e année, je prends les infirmités de cet âge ; je tousse, je chancelle et tombe. Enfin, le souvenir de la mort m’accompagne partout ; il en est tant tombés de notre famille, plus jeunes et plus forts que moi. Mêle tes prières aux miennes ; fais prier ta chère fille pour moi ; fais encore prier les dévots à Notre-Dame de Fourvière. De mon côté, je te voue un souvenir fréquent devant Dieu ; l’amitié, le sang, la religion, tout inspire ma prière. Je suis in Corde Jesu ta sœur et amie. Ph. Duchesne

LETTRE 543

L. 144 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[Saint-Ferdinand, ce 23 octobre 1838] Monseigneur, La crainte de vous détourner un seul instant de vos importantes occupations m’a empêchée de vous écrire pour vous témoigner la vive 1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 138 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1838 Oct. 23, Mme Duchesne, Florissant ; répondu. »

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

part que nous prenions à l’inquiétude qu’a dû vous causer l’accident de Monsieur Jamison et la maladie de Monsieur Lutz. J’ai appris avec reconnaissance envers Dieu que l’un et l’autre étaient hors d’affaire. Je prends maintenant la liberté de vous consulter sur une demande de M. Henri Chouteau. En octobre 1836, nous reçûmes de M. Reily pour 58 $, 82 de sucre et café pour pension arréragée de ses nièces. Je suis bien étonnée, en ce temps, de la réclamation de cette somme par M. Chouteau, portant intérêt. La lettre ci-jointe est sa troisième réclamation, malgré que Madame Shannon, qui avait toujours traité avec M. Reily, ait d’abord répondu à M. Chouteau que nous n’avions eu affaire qu’avec M. Reily et qu’il devait, de son côté, se régler avec lui. Cette lettre n’a rien produit et M. Reily lui-même, que nous avons prié de nous délivrer de cette poursuite, n’a pas daigné répondre à la lettre ; notre commissionnaire a seulement reçu verbalement l’assurance que tout s’arrangerait. La preuve du contraire est la lettre ci-jointe, reçue hier. Je ne sais si Monsieur Lutz, qui connaît M. Reily, ou M. Leduc dont l’avis aura peut-être force de loi pour ces Messieurs, pourront les déterminer à nous donner un reçu qui nous laisse tranquilles. Je n’ai ni le moyen ni la volonté de payer comme dette ce que nous ne devons pas et je suis persuadée que Mme Auguste Chouteau, la mère, serait mortifiée de cette poursuite ; mais ce qui me peine le plus, c’est de voir qu’on s’en prend à une jeune personne qui n’a été que ma secrétaire pour faire au domestique la note de commission de ce que M. Reily avait dit dans notre salon de demander à son magasin. Je serais bien fâchée qu’elle eût à traiter avec des Messieurs. Veuillez, Monseigneur, m’honorer de votre avis et dire au domestique s’il peut retourner pour prendre votre réponse. Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise et respectueuse fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 23 octobre 1838 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque À Saint-Louis



Lettre 544

LETTRE 544

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L. 2 À MÈRE LÉRIDON

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand du Missouri 20 décembre 1838 Rec. à St Antoine1 À Madame Léridon, à Amiens Ma chère Mère, Ce n’est pas sans émotion que j’ai reçu la lettre d’une personne qui appartient de si près à une Mère des plus respectées et des plus dignes de l’être, Mère Bigeu. Celle que vous avez vue à Marseille aura pu vous le rappeler sous plusieurs rapports2. Nous devons toutes bénir le Seigneur d’avoir donné à la Société des sujets qui ont tant contribué à sa gloire. Vous êtes maintenant au berceau de cette Société vénérée3 ; c’est là où se sont formés nos modèles, c’est là encore qu’on les imite si bien et que la régularité est dans sa rigueur. J’ai eu le bonheur de connaître à Grenoble Mgr de Chabon, votre digne évêque, Mère de Portes, votre bien-aimée supérieure, qui a aussi été à l’école de Mère Bigeu. Combien de choses se sont passées depuis le temps de ce noviciat, d’où sont sorties plusieurs de celles qui gouvernent maintenant. J’ai à rougir de ce que tant d’autres fournissent ou ont terminé leur carrière, toutes plus jeunes que moi et que j’ai encore à languir sur cette mer où les naufrages surprennent souvent au port, après avoir échappé à plusieurs tempêtes. Ici, je ne puis jouir que des succès des autres. Dieu en accorde presque dans tous les diocèses, tous pourvus de bons pasteurs et d’établissements pour l’éducation. Depuis la dernière érection, il se trouve 14 évêques et l’archevêque de Baltimore, qui est venu de Saint-Sulpice dans ces terres avec l’évêque de Cincinnati ; ils ont voyagé avec Mesdames Dutour, Dorival, etc. Le diocèse du Missouri, après celui du Baltimore, paraît des plus favorisés. Notre évêque, Mgr Rosati, napolitain mais formé chez 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Il s’agit vraisemblablement d’Eugénie Audé, supérieure de la maison de Saint-Joseph, fondée en 1835. La maison d’Amiens est ainsi appelée car elle a été la première fondation de la Société du Sacré-Cœur de Jésus.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

les Lazaristes à Rome, est connu avantageusement de notre Saint-Père le pape et de sa cour, où il a du crédit. Il avait obtenu 2 places à La Propagande et les deux sujets américains qui s’y sont formés ont été forts distingués et sont de retour depuis peu avec les vertus apostoliques. Les Lazaristes tiennent le séminaire ; un collège est auprès [de ce dernier] et ils ont plusieurs résidences. Les Jésuites ont l’université de Saint-Louis, reconnue par l’État, un noviciat, plusieurs cures à desservir le long du Missouri et 2 missions chez les Sauvages, où il se fait déjà du bien, quoiqu’établies depuis peu et contrariées par les ministres d’autres religions. Je prie ma Mère de Portes et toutes mes chères sœurs d’Amiens de me mettre dans leur memento de prières. In Corde Jesu, toute vôtre, Ph. Duchesne r. S. C.

LETTRE 545 

L. À MÈRE ADÉLAÏDE DE ROZEVILLE1, À BESANÇON

SS. C. J. M.

Saint-Ferdinand, ce 20 décembre 1838 Rec. à St Antoine2 Ma chère Mère, J’ai été bien reconnaissante de votre souvenir. Je connais toutes vos bontés pour notre mission, j’ai eu ma part de plusieurs de vos lettres, soit de Besançon, soit d’Amiens où Mère Thiéfry a eu l’avantage de vous connaître et de vous apprécier. Cette bonne Mère a changé de place avec moi ; cela n’a pas été pour sa tranquillité ; elle a bien des sol1

2

Adélaïde de Rozeville, RSCJ, est née le 28 août 1870. Lorsqu’éclata la Révolution française, toute sa famille fut prisonnière à l’Abbaye de la Chaise-Dieu (Champagne) jusqu’à la mort de Robespierre. Après avoir travaillé comme maîtresse d’école, Adélaïde entra au noviciat du Sacré-Cœur en 1819, prit l’habit religieux le 5 mars, fit sa profession le 14 juin 1822. Supérieure à Amiens en 1828 puis à Besançon en 1833, elle fut élue la même année membre du Conseil général. En 1840, pour raisons de santé, elle retourna à Amiens, y resta jusqu’en 1848. Elle est décédée le 12 novembre 1855, à Jette (Belgique). Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 545



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licitudes, ses enfants jusqu’à présent ont été bien difficiles ; cette année, elles sont mieux. On l’attribue justement à l’établissement [de la congrégation] des Filles de Marie, ce qui n’avait pu encore prendre parmi les cœurs élevés dans le mépris ou l’indifférence pour notre bonne Mère [la Sainte Vierge]. Ici, nos enfants sont peu nombreuses, la plupart orphelines sans prétention et toutes catholiques, donnent moins de peine. Cinq sont entrées solennellement dans la congrégation de leur Mère dans l’octave de sa nativité. On a tout fait pour graver dans leur mémoire le souvenir de cette action. C’est le recteur de l’université qui les a reçues et exhortées ; ce sont ses novices et leur maître qui ont chanté la messe en musique. Le Père recteur avait aussi conduit les deux principaux de sa congrégation pour être témoins de la solennité. Un de nos plus grands bonheurs, cette année, a été une retraite donnée aux Français de la paroisse par un dévot à saint Régis et qui a été de sa résidence. Cette retraite a ému tous les auditeurs et converti de signalés pécheurs. Il y en avait qui depuis 40 ans ne s’étaient pas confessés. Et ce même Père vient de donner la retraite à nos enfants et est resté chargé de notre paroisse, où il exerce librement son zèle et s’occupe d’ajouter à l’église une chapelle à la Sainte Vierge. C’est une vraie satisfaction pour moi de savoir Mère Thévenin auprès de vous ; depuis bien longtemps, je n’avais pas eu de ses nouvelles et les dernières l’annonçaient très malade. Je vous prie de lui rappeler sa compagne de la maison de Paris, à sa naissance. Il vient d’arriver à Saint-Louis deux prêtres de votre diocèse ; je ne sais si ce sont eux qui ont apporté votre lettre. On en fait de grands éloges. On possède aussi dans cette ville, pour tout l’hiver, le 1er évêque de Dubuque, nouvelle cité du territoire Wisconsin, au Nord-Ouest, qui touche aux Grands Lacs et où la religion fait beaucoup de progrès. Mgr Loras, ce digne évêque, est du diocèse de Lyon et était depuis plusieurs années occupé dans celui de La Mobile près de La Nouvelle-Orléans1. Recevez, ma digne Mère, l’expression de mon respect et du mon tendre attachement in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. 1

Pierre-Jean-Mathias Loras (1792-1858), né à Lyon, est ordonné prêtre en 1815. Il part en Amérique en 1829, à La Mobile (Alabama), où il est président du Collège Spring Hill de 1830 à 1832. Le 10 décembre 1837, il est consacré évêque de Dubuque (Iowa). Après avoir voyagé à travers la France pour recruter des missionnaires pour son diocèse, il passe l’hiver à Saint-Louis, arrive le 19 avril 1839 à Dubuque, où il reste évêque jusqu’à sa mort.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 546

L. 145 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[1er janvier 1839] Monseigneur, Il faut bien compter sur votre indulgence pour interrompre quelques instants vos importantes occupations, afin de lire l’expression des vœux de notre petite famille pour la nouvelle année. Tout ce qui fait notre assurance, c’est qu’à l’imitation de Notre Seigneur, vous ne dédaignez pas ce qui est petit et que tout ce qui est faible peut approcher de vous avec confiance. J’ai pris la plus grande part à la satisfaction qu’a dû vous causer le retour des élèves de la Propagande, ainsi qu’à l’accroissement que prend la vigne du Seigneur par la bénédiction que Dieu donne au succès de votre zèle. Croyez-moi, je vous prie, Monseigneur, de votre Grandeur, la plus dévouée et respectueuse servante. Philippine Duchesne r. S. C. 1er janvier 1839

LETTRE 547

L. 146 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[Ce 9 janvier 1839] Monseigneur, L’état de notre petite maison est bien pauvre ; et encore, je ne savais en quel rang placer Sœur Élisabeth dont la conduite plus que chancelante n’a pas permis de lui laisser faire profession. J’avais espéré qu’elle 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1839 Janvier 1er, Mme Duchesne, Florissant ; répondu le 4. » Original autographe. L. 146 à Mgr Rosati. C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6. Au verso : « 1839 Janv. 9, Mme Duchesne, Florissant. »



Lettre 547

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aurait plus d’avantages pour son salut à Saint-Louis ou à Saint-Charles, mais elle a été refusée et les supérieures de ces deux maisons n’ont pas voulu conseiller qu’elle prît les derniers engagements. Je ne pouvais le prendre sur moi ; car, après avoir sollicité et obtenu la permission pour qu’elle fît profession, elle s’est conduite de manière à ce qu’il m’était impossible d’en user, sans agir formellement contre l’intention de notre Supérieure générale. J’ai longtemps vécu auprès d’elle et je suis sûre que jamais elle n’aurait donné cette permission, ayant vu la conduite du sujet qui n’a plus de notre Société que l’habit. J’ai presque à regretter que Madame Gonzague ait fait ses vœux, avant d’avoir d’exigé de son frère ce qu’il lui doit de la part du gouvernement et qu’il a formellement dit ne vouloir donner que si elle quitte son état. Ma première pensée avait été (si la conscience le permettait) qu’elle vendît son droit à un homme d’affaires qui, moyennant des réductions, lui ôterait l’aspect odieux de plaider avec son frère. Si la visite que vous nous faites espérer avec Mgr Loras était retardée, je vous prie instamment de permettre cet acte de propriété et de nous le faire savoir. Je suis, Monseigneur, à vos pieds, votre indigne fille et respectueuse servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 9 janvier 1839 [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 548

L. 63 À MADAME JOUVE, À LYON Saint-Ferdinand, ce 24 février 18391

Ma chère sœur et tendre amie, Il me semble que depuis que nous voyons tomber devant nous tant de personnes de notre intéressante famille, tu me deviens doublement chère. Mais un autre sentiment m’y porte encore plus fortement, c’est celui qui nous unit dans les mêmes principes, qui rend semblables nos choix et nos douleurs. J’ai vivement partagé les consolations que te donnent les enfants que tu as si généreusement offerts au Seigneur. J’ai en mon particulier entendu faire un éloge bien complet de deux qui sont dans notre Société ; celle qui les a devancées au Ciel est notre protectrice. Ton fils Henry, mon filleul, en gagnant des âmes à Dieu, enrichira d’autant sa couronne et la tienne, et peut-être est-il destiné à ramener à ses principes ceux des siens qui se sont écartés de la voie. Rappelle-moi à lui et à ta dernière fille, ta voisine et ta consolation. J’ai reçu la lettre dans laquelle tu me marques les retards de la mienne ; c’est toujours ce qui nous arrive quand nous comptons sur les commissionnaires ; aussi, je prends le plus souvent la voie de la poste, c’est la plus sûre et la plus prompte. Je te remercie mille fois du présent si utile que tu veux bien me faire. Je ne l’ai point encore reçu, mais tu l’as mis en bonnes mains. On nous fait espérer l’envoi d’une ou deux de nos dames ; je pense qu’elles se chargeraient de tout. Tu es la dernière de la famille qui m’en ait donné des nouvelles : Mme de Rollin m’a toujours écrit quelquefois, mais dans sa dernière lettre, elle se plaignait de sa santé, ce qui me tient en peine, car elle est le soutien de beaucoup de bonnes œuvres. Que d’étonnants changements ont eu lieu dans sa famille et la nôtre ! Que de disparitions ! Que de morts ! La religion fait des progrès dans ces États-Unis, soit par les travaux des missionnaires, soit par des émigrations fréquentes d’Allemands et Irlandais catholiques qui conservent du zèle pour elle. Vingt églises vont se bâtir cette année dans ce seul diocèse et, l’année dernière, il y en a bien eu huit. Il vient d’y arriver des prêtres de Lyon et de Besançon 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 141-143. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 549



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et deux Américains instruits à la Propagande à Rome, où ils avaient obtenu une place pour faire leur cours d’études. Les Lazaristes ont aussi obtenu un renfort. Prie pour toutes nos missions, surtout pour moi qui ne fais plus grand-chose pour ce monde et encore moins pour l’autre. Embrasse ta chère fille pour moi et regarde Philippine comme ta plus constante amie. Ph. Duchesne

LETTRE 549

L. 39 À MADAME DE ROLLIN

SS. C. J. M.

St Antoine Saint-Ferdinand, ce 17 mars 18391 Ma bien chère Cousine, Je trouvais le temps long depuis ta dernière lettre quand, entre plusieurs lettres, j’ai reconnu ton écriture, j’ai éprouvé un sensible plaisir. Je te remercie de me parler toujours du doux asile, séjour de notre adolescence, où la pluie des faveurs du Ciel a commencé à tomber sur nous. Tout riait alors pour nous, des jours orageux ont suivi : la révolution, la perte de tout ce que nous aimions, l’âge et les infirmités ont changé la scène ; mais non le Cœur de Celui que nous avons pris pour modèle et que nous devons suivre. Il nous avait prévenues que ce serait en portant sa croix ; il attache à nos combats, à nos souffrances passagères un bonheur infini. Ainsi, nous serons toujours dans sa faveur si nous voulons accepter les conditions. Je prie cependant ce bon Maître d’adoucir pour toi tout ce qu’un âge avancé offre de pénible. Cette parole de l’écriture aura son effet : « Dieu délivrera, aux jours mauvais, celui qui a été sensible aux malheurs des pauvres et des délaissés2. » Toute ta vie, tu t’es occupée des pauvres : tes soins, ta bourse les ont soulagés ; combien de prêtres pour qui tu as sollicité et obtenu 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 39 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 94-97. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Ps 41, 1.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

leur délivrance ! Pour continuer le même passage ou son sens : « Le Seigneur s’est engagé pour toi à soulever et remuer la couche où tu reposeras au jour de la douleur1. » Il est bien doux d’avoir près de soi des amis quand on est malade ou affligé ; quel ami plus aimable, plus puissant pour nous calmer, que Celui qui a tout pouvoir sur l’âme et sa triste enveloppe ! Quant à moi, je me porte mieux que je ne le voudrais. Les années passées, je croyais mourir ; maintenant, je crains beaucoup d’aller à cent ans et, ne voyant pas la mort, mon imagination se fixe sur les infirmités et le désœuvrement du grand âge. Je n’en suis pas encore là : le manque de domestiques m’a laissé assez d’occupations dans ce pays de la liberté. Il est bien difficile, surtout pour nous, de s’en procurer ; souvent, un assez mauvais Nègre coûte jusqu’à 3 ou 4 000 F ; il faut ensuite les entretenir et ils sont plus difficiles que des Blancs dans notre contrée. Outre cela, les Nègres sont sujets à tant de vices qu’on a peine à s’en charger. Nous avons maintenant un bon Allemand dont nous sommes très contentes et, comme il entend très peu la langue, on ne pourra pas si tôt le gâter. Pour l’intérieur, des orphelines qui ne sont pas si souples que les tiennes ; il leur faut une surveillance continuelle. Tu m’as fait plaisir en me rappelant mes anciennes connaissances. Exprime surtout à Monsieur Rambaud toute ma reconnaissance. Je voudrais avoir mieux profité de ses avis, je me les rappelle souvent et m’unis à ses prières, soit qu’il vive, soit qu’il ait déjà sa récompense. Nous avons à Saint-Louis l’évêque de Dubuque [Mgr Loras], nouvelle ville dans le territoire du Wisconsin assez près des Grands Lacs et au nord de notre État. Le digne évêque, qui est lyonnais et qui n’a pu s’établir en hiver dans un pays si froid, fait une station à Saint-Louis où il s’occupe en missionnaire. Après Pâques, Monseigneur, aussi actif en bonnes œuvres que saint Vincent de Paul, son père et fondateur, doit tenir un synode pour le bien de son diocèse où, après celui de Baltimore, il y a plus de prêtres qu’en aucune autre partie des États-Unis. Grâce aux établissements des Lazaristes et des Jésuites, il formera sans doute de nouvelles paroisses puisqu’il va s’élever cette année 20 églises dans son diocèse. Celle de Jefferson ou chef-lieu de l’État sera fort belle par la générosité des Irlandais qui s’y trouvent. Rappelle-moi, bonne amie, à tes chères sœurs et belles-sœurs, à mon frère et à mon unique sœur, Mme Jouve, dont j’ai eu une lettre à laquelle j’ai répondu, mais je n’ai point reçu ce qu’elle m’envoie. 1

Ps 41, 3.

Lettre 550



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Je suis toute à toi, bien unie par tous les liens les plus forts de nature, d’amitié, d’estime et de religion. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 550

L. 1 À MADAME TIGHE

SS. C. J. M.

30 mars 18391 Madame et bien bonne amie, Il m’en a bien coûté de ne pouvoir profiter pour le Jeudi saint du bon présent que vous m’avez fait espérer, mais nous avons un domestique allemand, hors d’état de faire seul nos commissions. Je l’envoie avec l’ancien qui doit partir pour la France et peut se faire entendre. Vos jolis vases, d’un si bon goût, font tout l’ornement de nos grandes fêtes. Que sera-ce, quand nous y joindrons ceux que vous me promettez. Le domestique aura un panier pour les placer en sûreté. Aujourd’hui, Jour de Pâques, s’est faite la communion générale pour la retraite. Il y en a eu plus de deux cents ; les exercices ont été bien suivis. Notre bon pasteur n’a point tout ce qu’il faut pour la chapelle de la Sainte Vierge. Si vous pouvez lui ajouter quelque chose, vous obligerez un saint prêtre, rempli de zèle et qui se consume pour le salut des âmes. Mes souvenirs affectueux pour Mme Philipps, pour sa chère sœur et votre très excellente orpheline. Tout à vous dans le Cœur de Jésus. Philippine Duchesne 1

Copie certifiée conforme : « Nous avons comparé avec l’autographe et nous l’avons trouvé correct », signé : Jean-Joseph Kain, archevêque de St. Louis. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

Je vous prie de me procurer le galon, car j’ai un devant d’autel à faire. [Au verso :] À Monsieur et Madame Tighe1 Rue du marché N° 87 Saint-Louis

LETTRE 551

L. 147 À MGR ROSATI

SS. C. J. M2.

[Saint-Ferdinand, ce 16 mai 1839] Monseigneur, Il y a quelques mois, j’ai eu l’honneur de vous consulter au sujet des 4 000 $ que le Gouvernement a donnés à chacun des enfants de M. Boilvin et que le frère aîné [d’Adeline] s’est adjugés, en vertu d’une donation qu’il lui avait surprise à la mort de son père. Il a été reconnu qu’elle n’était pas en âge de se dépouiller et M. Mullanphy travaillait à faire valoir cette nullité auprès de l’agent du Gouvernement pour ces affaires. M. Saint-Cyr a constamment refusé de rendre. La famille craint moins son injustice que la honte qu’elle soit connue et on a obsédé Madame Gonzague au point qu’elle est pleine de froideur pour moi qui lui dis, qu’ayant fait vœu de pauvreté, nous ne pouvons abandonner un droit qui n’est plus le nôtre mais celui de la Société. Elle a reçu M. Mullanphy de mauvaise grâce et s’il faut, comme il dit, attester que sa signature est celle de la fille de M. Boilvin, il n’y a personne dans la famille qui voulût signer, ni dans le village qui pût rendre ce témoignage. Mlle Maria Boilvin est venue, après beaucoup de dissimulation, me parler de cette affaire, me conjurant d’arrêter ou retarder toute poursuite, cherchant à pénétrer où on en était. J’ai simplement répondu 1

2

Mme Mary Tighe est la nièce de M. Mullanphy. Entrée au Sacré-Cœur sous le nom de Sœur Françoise, coadjutrice, elle participe en 1825 à la fondation de Saint-Michel et quitte la Société du Sacré-Cœur en 1831. Cf. L. 79 à Mgr Rosati. Original autographe, C-VII  2)  c Writings Duchesne to Rosati, Box  6. Au verso : « 1839 May 16th, Mme Duchesne, Florissant. »



Lettre 551

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que je n’avais aucun pouvoir là-dedans, mais que je consulterais sur la proposition qu’elle a faite de se dessaisir d’une partie de sa portion et de se débattre elle-même avec son frère. Je crois donc que si elle donnait les deux tiers, ou même la moitié de 4 000 $, il vaudrait mieux abandonner le reste que de voir toute cette famille mécontente et Madame Gonzague dans une disposition qui pourrait nuire à sa conscience. Je ne lui dis point que je vous écris, espérant une réponse et une décision qui justifieront tout, auprès de notre Supérieure générale qui sait bien que nous avons grand besoin du tout. Le Père Van Assche à qui vous nous aviez remis pour les QuatreTemps, étant trop éloigné pour avoir quelque chose de fixe, agréeriez-vous que le prêtre qui prendra soin du noviciat des Jésuites nous entende aux Quatre-Temps et qu’on l’attende ? Je suis avec vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la soumise fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 16 mai 1839 Monseigneur, les décrets de votre synode nous priveraient-ils de suivre nos usages pour l’exposition [du Saint-Sacrement] à la messe, les premiers vendredis et autres fêtes ? [Au verso :] À Monseigneur Monseigneur l’Évêque de Saint-Louis À Saint-Louis

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 552

L. 64 À MADAME JOUVE, À LYON Saint-Ferdinand, État du Missouri 3 septembre 18391

Ma bien chère Sœur, J’ai reçu ta lettre du 5 de Mai et mon cœur répond au tien du fond le plus intime. Combien l’union de notre jeunesse et le rapprochement des sentiments de la vieillesse rendent notre union forte, touchante et durable. Je suis bien plus inutile au monde que toi, qui es mère d’une nombreuse famille ; ainsi permets-moi de désirer, par le droit de l’âge et du besoin, de cesser d’offenser Dieu, de demander à te devancer dans le Ciel, lieu de notre commune espérance, et qui nous réunira pour toujours. J’ai pris une grande part à l’union qui a mis la joie dans deux familles qui me tiennent de si près, et d’où sortiront, je l’espère, des rejetons qui ne dégénèreront point, et feront la consolation de ma sœur et d’une nièce toujours aimée2. Dieu m’a punie du trop grand empressement à recevoir ton présent. Je crus un jour le tenir et ouvris une boîte avec empressement, mais elle était pour une enfant. Les effets que tu me donnes sont cependant en Amérique, mais ont été envoyés aux Opelousas où j’ai marqué les moyens de me les envoyer ; rien ne peut m’être plus agréable et va me fournir une occupation utile pour l’Église. Ne manque pas de me rappeler à mon frère et à ma belle-sœur, à Mme Bergasse et aux Lebrument. J’espère que leur situation est maintenant moins affligeante. Embrasse ta chère fille pour moi, ta plus douce consolation, et sollicite ses prières pour sa vieille tante. Toute à toi in Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C.

1 2

Copies : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 139-140 ; Lettres dactylographiées. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il s’agit du mariage d’Amélie Bergasse (1819-1905), fille d’Amélie de Mauduit et d’Henri Bergasse. Elle épouse son cousin veuf Jean-Hippolyte Jouve (1802-1877), le 2 juillet 1839.

Lettre 553

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LETTRE 553 L. 40 À MADAME DE ROLLIN, GRENOBLE, ISÈRE SS. C. J. M.

St Antoine Saint-Ferdinand, État du Missouri, ce 3 septembre 18391 Ma bien chère amie et bien-aimée Cousine, J’ai reçu la lettre dans laquelle tu me souhaites la bonne fête et où tu continues à me donner d’intéressantes nouvelles ; je suis bien sensible à ces deux témoignages de ton amitié que le temps n’affaiblit point. Je suis entrée, le 29 août, dans ma 71e année et je calcule que bientôt tu y entreras aussi, puisque notre âge ne diffère que de quelques mois. La diminution de ta santé m’affecte bien plus que la mienne ; tu es dans la ville de notre naissance, l’ouvrière de presque toutes les bonnes œuvres et Dieu, qui savait que tu n’abuserais pas des richesses, te les a données pour te faire l’instrument de sa bonté. Je suis toujours charmée de l’intérêt avec lequel tu me parles de tes orphelines et du succès de tant d’établissements charitables. Je ne suis pas étonnée qu’un zèle semblable t’est unie avec Mlle [Rosalie] de La Grée et aux dames que tu me nommes, auxquelles je te prie de me rappeler ; dès longtemps, elles étaient charitables. Il paraît que le respectable Monsieur Rambaud ne veut pas aller au Ciel avant moi ; Dieu le conserve, quoique plus âgé, pour augmenter sa récompense et continuer ses soins à ses enfants. Je suis combattue de la peine d’apprendre sa mort, quoique je n’espère pas le revoir en cette vie, et du désir que par ses prières dans le Ciel, comme autrefois par ses soins ici-bas, il m’y prépare une place. C’est où tous mes désirs tendent. La faiblesse de l’âge me fait clairement sentir que je ne suis plus bonne à rien, que les autres feront mieux que moi et que cesser d’offenser Dieu doit être mon unique ambition. Tu ne doutes pas combien tout ce qui touche Mesdames Perier et Teisseire me touche fortement. Les coups sensibles, qui les ont frappées depuis notre séparation, m’affectent aussi vivement. Tes bons frères, tous aussi bons pour moi, pourraient-ils être oubliés et Dieu pourrait-il oublier leurs bonnes œuvres, ces œuvres de miséricorde auxquelles il 1

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 40 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 97-100. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

attache toutes ses récompenses ? On me dit que la santé de mon frère diminue, je te prie de lui en exprimer ma peine en lui faisant, ainsi qu’à son épouse, mes plus empressés compliments. L’évêque de Bardstown au Kentucky [Mgr  Flaget] est un saint évêque ; il me connaît peu, ne m’ayant vue qu’une fois et peu de temps. On m’a dit que des chagrins très vifs, que lui ont causés des brebis indociles, l’ont forcé à prendre le parti de voyager. Cependant d’autres disent qu’il doit revenir. Il a laissé un évêque coadjuteur et de nombreux établissements pour l’éducation. J’aurais bien désiré que tu m’eusses donné quelques détails sur les troubles qui ont eu lieu à Paris et qui ont paralysé toute notre correspondance avec nos connaissances de cette ville, qu’on nous disait toutes dispersées1. Jamais personne de nos amies ne nous en a parlé. Les papiers catholiques parlent presque seulement de l’Irlande parce qu’ils sont principalement faits pour les Irlandais de ce pays, fort zélés pour le leur. On m’avait promis deux sujets pour augmenter notre petit nombre ; leurs noms et le temps de leur départ me sont inconnus. Nos cinq établissements se soutiennent bien ; celui qui est le plus près de La Nouvelle-Orléans [Saint-Michel] est aussi le plus considérable. On y compte près de 300 personnes, dont 200 pensionnaires et 35 orphelines. Ici, nous ne pouvons avoir plus de 30 enfants avec beaucoup de charges, ce qui nous oblige à emprunter pour réparer notre maison, car les édifices de ce pays n’ont pas la solidité de ceux d’Europe. Adieu, bonne Cousine, pense à moi dans tes prières, tu es souvent l’objet des miennes. Je suis ta plus affectionnée amie. Philippine Duchesne r. S. C.

1

Il s’agit de l’insurrection du 12 mai 1839, dirigée par Armand Barbès, opposant à la Monarchie de Juillet. Le coup d’État essaie de renverser Louis-Philippe mais il échoue. Barbès est condamné à la détention perpétuelle, sera libéré par la révolution de 1848.



Lettre 554

LETTRE 554

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L. 2 À M. CHOUTEAU1 Saint-Ferdinand, ce 12 Novembre 1839

Monsieur, J’ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire ; j’ai remis celle qu’elle contenait à Mesdemoiselles Destrehan dont le père s’est souvent plaint de ne pas recevoir les lettres. Elles espèrent que, si vous vous chargiez cette fois-ci de la faire remettre sur quelque steamboat, elle arriverait peut-être plus promptement et plus sûrement. Nous profitons avec d’autant plus d’empressement de la permission de recevoir de l’argent, que la longue absence de M. Destrehan oblige de pourvoir Mesdemoiselles ses filles de bien des choses, qu’il aurait données lui-même s’il eût été à Saint-Louis. J’envoie à Madame Thiéfry un reçu de la somme de 150 $ qu’elle vous remettra quand vous voudrez bien lui compter cette somme, dont l’emploi doit être à Saint-Louis sous ses soins. Je suis avec respect, Monsieur, votre humble servante. Philippine Duchesne

1

Photocopie de l’original, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Cette lettre n’a pu être adressée à René Auguste Chouteau (voir Lettre 289) qui est mort en 1829. Ce pourrait être à son demi-frère, Jean-Pierre Chouteau (1758-1849), lui-même très investi dans le commerce des fourrures (voir la référence à son sujet, Lettre 340), ou à Henri Chouteau (1805-1855), fils d’Auguste (voir la référence à son sujet, Lettre 543). La lettre 556 s’adresse aussi à un Chouteau, inconnu.

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CHAPITRE V : 1834-1839 – RETOUR À FLORISSANT

LETTRE 555

L. 148 À MGR ROSATI

SS. C. J. M1.

[Saint-Ferdinand, ce 28 décembre 1839] Monseigneur, Je viens avec toutes mes sœurs mettre à vos pieds nos personnes et vous présenter nos souhaits de bonne année. Nous espérons que Dieu les exaucera comme les années précédentes où il a accordé tant de succès au progrès de la religion dans votre diocèse, objet principal de vos désirs. Des réparations urgentes nous ont empêchées jusqu’à présent de contribuer pour le séminaire ; aussitôt que possible, nous remplirons ce devoir. J’ai renvoyé par M. Girard la note qui devait être renvoyée par la poste. Elle était en retard et il aurait fallu attendre le courrier de la semaine suivante ; ce que je pensais trop tardif. C’est être indiscrète, Monseigneur, de vous faire des questions qui demandent une réponse ; votre zèle et votre charité peuvent seuls enhardir à vous les faire. Madame Thiéfry pourrait recevoir les permissions verbalement et nous les transmettre. Il m’importe de savoir si je puis m’adresser à quelque autre confesseur qu’à l’ordinaire ou extraordinaire. Ce dernier se déplace difficilement et j’éprouve une grande difficulté avec le premier. J’ai eu recours au Père Hocken qui m’a dit n’avoir pas de permission. On ne sait plus ce qui est strictement de collation dans ce diocèse ; je vois généralement qu’on use du beurre, etc. Mgr Dubourg le permettait, mais d’autres usent de lait qu’il ne permettait pas. Je n’ai pas compris dans votre dernière lettre si l’exposition [du Saint Sacrement] avec l’ostensoir ne peut durer qu’un quart d’heure, comme celle avec le Saint Ciboire. Je suis avec respect et vénération, Monseigneur, de votre Grandeur, la dévouée fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand, ce 28 décembre 1839 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to Rosati, Box 6.

chapitre vi

Juin 1840-1842 Le rêve se réalise

INTRODUCTION Le mois d’octobre 1840 apporta une nouvelle merveilleuse à Philippine de la part de Mère Barat, par l’intermédiaire de la Mère Élisabeth Galitzine, visitatrice arrivant de France : elle était enfin relevée de sa charge de supérieure, fardeau qu’elle avait porté pendant vingt-deux ans. L’un de ses talents était sa capacité à tenir un journal, ce qu’elle avait fait d’abord à Grenoble (1804-1815), ensuite à Paris (1815-1817), puis dès l’arrivée en Amérique en 1818. Le Journal de la Société en Amérique qu’elle a tenu fidèlement s’est alors arrêté, et c’est pourquoi nous l’insérons ici. Philippine quitta Florissant pour City House, à Saint Louis, désormais simple religieuse, âgée et respectée de la communauté. En même temps que cette bonne nouvelle qui lui donnait la possibilité de vivre la vie cachée qu’elle avait toujours désirée, en arrivait une autre, terrible : une fois que Philippine eut quitté Florissant, Mère Galitzine ordonna de démonter l’autel de saint François Régis que Philippine avait érigé en 1819 pour accomplir son vœu envers ce saint qu’elle considérait responsable de sa venue en Amérique. Les Indiens enfin !

Bien qu’elle fut maintenant âgée de soixante et onze ans, elle était enfin libre de poursuivre son vrai rêve : les Indiens ! Le Père Peter Verhaegen, SJ, était à Saint Louis, et demandait des sœurs pour la mission jésuite déjà commencée auprès des Potawatomis, à Sugar Creek, au Kansas. Au dix-septième siècle, les Potawatomis avaient rencontré pour la première fois des explorateurs et missionnaires français dans la région des Grands Lacs. Ils sont rapidement devenus des alliés et des partenaires commerciaux et beaucoup acceptèrent le catholicisme. Les femmes indiennes se sont mariées avec des commerçants français et leurs enfants furent intégrés dans la tribu. Au début du dix-neuvième siècle, ils perdirent une bonne partie de leur territoire et quelques groupes s’installèrent en Indiana. Les États-Unis les obligèrent à quit-

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

ter cette région pour le Kansas. En septembre 1838, plus de huit cents Indiens, hommes, femmes et enfants, sous escorte militaire, partirent à pied pour le Kansas. Plus de quarante – les plus faibles et les personnes âgées – moururent sur ce « Sentier de la mort ». En 1848, un autre traité obligea de nouveau les Potawatomis à se déplacer vers un endroit situé sur les rives de la rivière Kansas, aujourd’hui St. Mary, Kansas. Au début des années 1870, la plupart des Indiens de la mission furent déplacés jusqu’à une réserve dans l’Oklahoma où leurs descendants, le groupe des Citoyens, vivent toujours. Le groupe de la Prairie, pour la plupart des indigènes traditionnels, sont restés dans le Kansas dans une réserve grandement réduite, où ils se trouvent toujours. En 1841, quatre religieuses du Sacré Cœur répondirent à l’appel pour la mission indienne, à l’invitation du Père Verhaegen, la fondation étant approuvée par la Mère Galitzine qui avait l’autorité d’une provinciale en Amérique. L’on pensait que Philippine était si fragile qu’elle pourrait mourir d’un jour à l’autre, mais à l’idée de partir, elle retrouva des forces. La manière dont Lucile Mathevon raconte comment elle fut introduite dans le groupe destiné à partir est touchante. Les sœurs se trouvaient dans le parloir de City House avec le Père Verhaegen, discutant du projet, quand tout à coup il s’aperçut que Philippine ne figurait pas dans le projet. Il insista, déclarant que, même s’il fallait la porter, elle viendrait1. Les quatre religieuses du Sacré Cœur quittèrent Saint Louis le 29 juin 1841 avec le Père Verhaegen. Mère Lucile Mathevon était arrivée de France en 1822 et avait été supérieure à Saint Charles pendant de nombreuses années ; elle allait être supérieure de la nouvelle fondation. Mary Ann O’Connor avait refondé Saint Charles avec elle en 1828, et Louise Amyot (ou Amyotte) était à City House, à Saint Louis. Toutes les trois moururent à la mission indienne, bien des années plus tard. Le voyage sur le Missouri en direction de l’ouest dura quatre jours, à bord du vapeur Émilie. Les sœurs notèrent alors que les rives du fleuve étaient plus peuplées qu’elles ne l’avaient imaginé. Le long du chemin, elles virent de belles maisons et des fermes. Un passager se rappelle que Philippine, si faible et malade au moment du départ, arpentait le pont de long en large, comme « si elle avait retrouvé sa jeunesse ». Elles débarquèrent le 4 juillet à Westport, aujourd’hui un peu au sud de Kansas City, Missouri ; elles y passèrent la nuit et poursuivirent le chemin 1

Lucile Mathevon, Notes sur la fondation de la mission de Sugar Creek. Archives RSCJ, Saint Louis.

Introduction



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vers l’ouest en chariots. À la tombée de la nuit, le 5 juillet, étant loin d’un village, elles campèrent le long du fleuve. De là, elles voyagèrent encore quatre jours, et c’est le 10 juillet qu’elles arrivèrent à « la terre de nos désirs », comme l’écrivit Philippine à Madeleine-Sophie quelques jours plus tard. Plusieurs récits de témoins directs parlent de l’accueil qu’elles reçurent de la part des Indiens : cavaliers à cheval postés tous les trois kilomètres le long de la route, à mesure qu’elles approchaient de leur destination ; des centaines de personnes attendant leur arrivée, avec toutes les femmes et jeunes filles qui saluèrent une à une chacune des religieuses. Le Père Verhaegen leur avait dit que Philippine attendait depuis trente ans de venir chez elles. Comme on ne savait pas bien quand elles arriveraient, aucune maison n’était prête à les accueillir, si bien qu’un des Indiens leur donna sa maison pendant quelques mois, en attendant que leur maison soit construite. Face aux limites

Les images populaires de Philippine et des autres religieuses à Sugar Creek les représentent comme vivant dans des conditions très primitives. La vie était certainement simple et même austère quant au logement, mais Philippine souligne dans plusieurs lettres que la nourriture était bonne et abondante. La seule lettre à son frère Hippolyte, venant de cette période, décrit une petite ferme avec un jardin et des animaux de ferme (Lettre 570). La joie de Philippine de se trouver là fut bientôt tempérée par son incapacité à apprendre une langue difficile, tout en observant que ses compagnes en saisissaient rapidement quelques éléments. Le 19 ­juillet, elles ouvrirent l’école pour les petites Indiennes. L’attrait de toute sa vie pour la prière soutint Philippine et fit d’elle « la femme qui prie toujours », vénérée par les Indiens. C’est à Sugar Creek qu’elle a probablement appris le décès de Marguerite Manteau, - la seconde du groupe initial -, le 4 juillet 1841 à Grand Coteau, et peut-être est-ce aussi au Kansas que lui arriva la nouvelle de la mort d’Eugénie Audé à Rome, le 6 mars 1842, la troisième de ses premières compagnes. Octavie Berthold était déjà décédée en 1833. Il ne restait plus que Philippine et Catherine Lamarre, et Catherine précéderait aussi Philippine dans la mort en 1845. Tandis que Philippine écrit qu’elle retrouve des forces et envisage d’aller encore plus loin à l’Ouest, les autres religieuses de Sugar Creek

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s’inquiètent beaucoup pour sa santé, dans des conditions de vie aussi rudes. La supérieure, Lucile Mathevon, se fait constamment du souci, craignant qu’elle ne meure sous sa responsabilité. La Mère Élisabeth Galitzine vint au printemps pour une brève visite et fit un rapport sur la santé fragile de Philippine. Le nouvel évêque de Saint-Louis, Mgr Kenrick2, qui succédait à Mgr  Rosati retourné en France, fit une visite à Sugar Creek et essaya de la convaincre de retourner à Saint-Louis. Philippine savait que les autres avaient des doutes sérieux sur sa capacité à supporter la vie rude à Sugar Creek et qu’on en parlait derrière son dos (Lettre 577). Mère Mathevon écrivit de nouveau à Élisabeth Galitzine en août 1841, lui demandant de transmettre à la Mère Barat son rapport sur l’état de santé inquiétant de Philippine. Après les rapports des Mères Galitzine et Mathevon, la Mère Barat accepta. Le 18 avril 1842, elle écrivit à Régis Hamilton, supérieure à Saint-Charles : Une lettre de Mère Lucile Mathevon me mande que la Mère Duchesne est bien infirme et souffre beaucoup dans la position pauvre et dénuée où elle se trouve. Elle croit que cette respectable Mère serait mieux près de vous. Je le pense aussi, bonne Mère et fille, écrivez-lui pour la demander ; cette sainte fondatrice de nos maisons d’Amérique sera la bénédiction de votre maison et vous aurez la consolation de la recueillir pour la soigner et adoucir ses derniers moments que je crains qu’ils soient proches, car cette mère a tant souffert. Je serai moi-même plus tranquille de la savoir près de vous qu’elle révère et aime à ce que me mande sa Supérieure.

C’est donc la Mère Barat qui prononça le mot redouté. Si elle écrivit directement à Philippine pour la rappeler à Saint Charles, cette lettre n’existe plus, mais Philippine a de fait reçu une lettre de la supérieure de Saint-Charles, sa chère ancienne novice, l’invitant à venir chez elle. Le 19 juin 1842, à peine un an après leur arrivée à Sugar Creek, le Père Verhaegen la reconduisit à Saint-Charles, où elle fut accueillie par la communauté et sa supérieure, Régis Hamilton. Saint-Charles allait être sa dernière résidence. 2

Peter Richard Kenrick (1806-1896) est né à Dublin, en Irlande, où il fut ordonné en 1832. Il fut curé à Philadelphie puis à Baltimore, et nommé évêque coadjuteur de Saint Louis en 1841. Lorsque Saint-Louis devint archidiocèse, il en fut le premier archevêque en 1847 jusqu’à sa retraite en 1895. Son frère Francis Patrick devint archevêque de Philadelphie (1842-1851) puis de Baltimore (1851-1863).

LETTRES

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JOURNAL DE 1818 À 18401 Journal de la Société du Sacré-Cœur 1° à Saint-Charles 2° à Saint-Ferdinand 3° à Saint-Louis 4° partie de la Louisiane de 1818 à 1840

À la plus grande gloire des Sacré Cœurs de Jésus et Marie Copie abrégée du journal commencé à Saint-Charles et continué à Saint-Ferdinand et à Saint-Louis pour la Société du Sacré-Cœur (commencé le 3 janvier 1819) 1818 Les premières religieuses du Sacré-Cœur, venues en Amérique sont Mesdames Philippine Duchesne supérieure, Octavie Berthold assis1

Journal de la Société en Amérique, C-VII 2) c Duchesne-writings History of Society, Box 1.

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tante, Eugénie Audé admonitrice et les Sœurs Marguerite Manteau et Catherine Lamarre. Marguerite fut prise à Poitiers. Les autres partirent de Paris le 8 février 1818, étant toutes professes. Elles reçurent à leur départ la bénédiction de leur révérende Mère générale, du vénérable Monsieur Perreau, confesseur de la maison et faisant les fonctions de Supérieur général pour Monseigneur du Périgord, archevêque de Paris et grand aumônier de France. Le Père Varin, auteur des Constitutions de la Société, et plusieurs autres Pères Jésuites les bénirent aussi. Elles eurent pour compagnon de voyage jusqu’à Bordeaux M. Evremond-Harissard (depuis Jésuite). Mme Vincent, supérieure d’une maison religieuse (depuis unie au Sacré-Cœur)1, les reçut dans sa maison jusqu’à l’embarquement. Elles y furent visitées par le P. Barat, frère de leur Mère générale qui, le premier, avait proposé à Mgr Dubourg évêque de Saint-Louis de les recevoir dans son diocèse. Elles partirent de Bordeaux le 14 mars 1818, munies de la bénédiction du saint évêque de cette ville [Mgr d’Aviau] qui les avait communiées de sa main, dans sa chapelle. Son grand vicaire, M. Boyer, dit la messe ce jour-là pour les voyageuses. M. Dubourg aîné et Mme Fournier, frère et sœur de Mgr Dubourg, les accompagnèrent jusqu’à la Garonne, d’où une barque les conduisait au vaisseau. On s’arrêta à Pauillac, où le curé procura un logement jusqu’au moment d’entrer dans le vaisseau qui s’appelait La Rebecca et avait pour capitaine M. Le Tourneur. M. Martial, grand vicaire de Mgr Dubourg, et M. Evremont entrèrent avec elles dans le bâtiment2 le Jeudi saint 19 mars consacré à saint Joseph. Elles éprouvèrent toutes sortes d’égards de la part du capitaine et des passagers. La nourriture était saine et abondante, on les servait en maigre tous les vendredis, elles pouvaient se confesser, communier, avoir la messe les dimanches et dans la semaine quelquefois, quand le temps le permettait. Le Samedi saint, entrant en mer, elles remirent leurs derniers adieux à notre Supérieure générale, au pilote côtier qui les avait dirigées jusque-là. Toutes ayant le mal de mer le jour de Pâques, ainsi que M. Martial, il n’y eut pas de messe. On eut du mauvais temps pendant [les] sept jours qu’on mit avant de sortir du golfe de Gascogne. Les voyageuses ont remarqué avec reconnaissance envers la Sainte Vierge 1 2

Cette incise semble indiquer que la « Copie abrégée du Journal » a été écrite après la réunion de la maison des Dames Vincent à la Société du Sacré-Cœur, le 20 juillet 1825. Terme utilisé dans la marine pour désigner un navire ou un paquebot.

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que le samedi leur a toujours été favorable. Le 30 mars, on fut à la latitude de Lisbonne ; le 2 avril, on doubla les Açores. Le 16, M. Martial, qui faisait des instructions à sa petite communauté, exigea ce jour-là que désormais on communia moins souvent, à cause des opinions des passagers dont plusieurs, quoique protestants, venaient à la messe. Il faisait cependant tous les soirs la prière tout haut en commun avec elles et plusieurs autres, sur le pont. Le 21 avril, on faisait 7 milles par heure et on fut effrayé par la rencontre d’un corsaire de Buenos Aires1, monté par 120 hommes, et qui avait onze canons. Ils forcèrent d’arrêter, mais ayant reconnu que le vaisseau était américain, ils laissèrent passer, sans attaquer. Le 1er mai dédié à Marie, on fit ce jour et tout le mois l’exercice établi pour le sanctifier et une neuvaine au Saint-Esprit. On a le 3 passé et repassé cinq fois le Tropique du Cancer, que le capitaine suivait en longitude pour éviter la Martinique et Saint-Domingue, abréger la route par le Canal de Bahama au nord de Cuba ; le 16 mai, on était devant sa capitale La Havane. Un vaisseau qui sortait de son port nous amena un passager appelé Martinez, bon catholique qui, sachant que les 5 religieuses venaient s’établir en Amérique dans la vue de servir la religion, leur donna 40 piastres et les engagea à aller à La Havane si on ne réussissait pas ailleurs. Le 26 mai, on entra dans le Mississippi qui se jette à la mer par quatre branches ; on était fort tourmenté par les maringouins. Le 29, fête du Sacré Cœur de Jésus, les cinq épouses renouvelèrent leurs vœux à la messe de M. Martial qui prêcha. Dès le soir arrivèrent deux voitures envoyées par les Dames Ursulines de La Nouvelle-Orléans, qui s’étaient offertes pour les loger2, de la part de Mgr Dubourg. On était au 29 mai en entrant à La Nouvelle-Orléans. Ce fut une joie bien sensible pour des religieuses de pouvoir baiser la terre, objet de leurs longs soupirs et où elles espéraient faire connaître leur divin maître. On ne peut dire de combien d’attentions délicates, généreuses, elles furent l’objet dans le saint asile qui les reçut jusqu’à leur départ pour Saint-Louis. Les Dames Ursulines allèrent jusqu’à les presser de faire à La Nouvelle-Orléans un établissement semblable au leur. Monseigneur s’y étant opposé, après avoir séjourné quarante jours 1 2

Au sujet de cet incident, voir : Lettres de la Haute-Louisiane, Vol. 1, p. 8-17. C-III USA, Box 3. Les Ursulines arrivèrent à La  Nouvelle-Orléans en 1727. En 1752, elles déménagèrent à Chartres Street, où, en plus du couvent, elles firent des écoles séparées pour les filles françaises et créoles, indiennes et noires. La maison, qui existe toujours, est estimée la plus ancienne de la vallée du Mississippi.

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chez elles, les Dames du Sacré-Cœur en reçurent trois cents piastres venant de leur bourse ou de celles de leurs amies. Madame Gensoul la supérieure était française ; sa vocation pour l’Amérique avait été décidée par le pape Pie VII lui-même, captif à Savone. Arrivées à Baltimore, elle et ses compagnes se trouvant découragées par la maladie et plusieurs contretemps, un pieux chevalier français les encouragea en leur annonçant la prédiction d’une sainte religieuse : « Que les bords du Mississippi, alors tout sauvages, seraient un jour peuplés de maisons religieuses. » Les Dames du Sacré-Cœur ont aidé, pour leur part, à l’accomplir. Le 12  juillet, après avoir fait partir leurs lettres pour leur Mère bien-aimée, elles s’embarquèrent dans un steamboat pour Saint-Louis, ne pouvant assez exprimer leur gratitude aux Mères Ursulines : Mesdames Gensoul (Saint-Michel), Saint-Joseph, Saint-André, Sainte-Scolastique, Sainte-Félicité, Sainte-Marie et autres. Leur ordre de journée fut réglé comme sur le vaisseau, mais avec quelques différences. Le capitaine Reed se montra plein d’attentions, nous fit servir en maigre les jours d’abstinence. MM. Portier et Evremont, non prêtres encore, prirent la même route et M. Richard, prêtre destiné à être l’aumônier des Dames du Sacré-Cœur, entra dans le même steamboat à La Fourche. Le 17 juillet, on était devant Natchez ; on eut divers accidents sur la route par la rencontre de chicots, de bancs de sable ; on vit des steamboats plus maltraités encore. Le 8 août, on s’arrêta devant La Nouvelle Madrid1, établissement des Espagnols quand ils possédaient le pays ; il y a eu un grand tremblement de terre et son foyer subsiste encore. Le 11  août, on arriva à la jonction de l’Ohio et du Mississippi. Le 14, on était devant le Cap Girardeau qui s’agrandit aux dépens de Sainte-Geneviève, établissement français. Le 17, le capitaine ayant à décharger à Kaskaskia remonta la rivière de même nom. On devait rester là 24 heures et la colonie du Sacré-Cœur, sachant qu’il y avait un prêtre, espérait y trouver un terme à tant de longues privations. Elle n’avait pas eu depuis La Nouvelle-Orléans les secours spirituels comme dans le vaisseau ; elle fut trompée, le curé partait et enlevait M. Richard. Les Jésuites avaient eu un établissement à Kaskaskia ; lors de sa destruction2, les Sauvages furent inconsolables 1 2

Une série de quatre terribles tremblements de terre, dont l’épicentre était la Nouvelle Madrid, au sud du Missouri, fit des dégâts considérables entre le 16 décembre 1811 et le 7 février 1812. Il s’agit peut-être de la destruction du fort par les Britanniques en 1763. Kaskaskia a été la capitale de l’Illinois Territoire (1809-1818) et depuis 1819, de l’État de l’Illinois.

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et pendant longtemps, il n’y avait de sûreté en passant chez eux qu’en portant l’habit noir. Il vint au bord de la rivière des Sauvages demi-civilisés : le prince des Illinois, sa femme et beaucoup d’autres. Le 19, étant devant Sainte-Geneviève, le curé M. Pratte vint voir les religieuses1. Deux d’entre elles entrèrent le 21 au soir dans Saint-Louis, se rendirent chez Mgr Dubourg qui leur avait assuré à toutes un logement chez M. Pratte, frère du curé de Sainte-Geneviève. Madame son épouse les combla de bontés, et tous deux auraient voulu les retenir à Saint-Louis, M. Pratte offrant un fonds de terre de la valeur de 5 000 $, qu’il aurait laissé sans intérêt pendant cinq ans. On alla aussi visiter une maison à Saint-Ferdinand mais elle ne convint pas ; et il fallut se rendre à Saint-Charles au-delà du Missouri, dans une maison de Mme Duquette que Monseigneur avait engagée pour nous2. Il nous y accompagna avec M. Richard qu’il nous laissa. Mme Duquette nous reçut très bien. C’était le 7 septembre. 8 septembre Le lendemain 8, nous élevâmes un autel à la hâte et Monseigneur nous dit la première messe ; pendant qu’il fut au Portage des Sioux, nous préparâmes une petite chapelle dans la maison qui n’avait que 5 petites chambres et une plus grande au centre. Monseigneur y dit la messe le 11, et nous laissa le Saint Sacrement, notre plus grand trésor. Il repartit le 12, nomma M. Richard curé de la paroisse ; il devait loger près de chez nous, nous donner une messe le dimanche ; et dans la semaine, il faisait d’excellentes instructions à nous et aux élèves qui ne tardèrent pas à former un très petit pensionnat, une école payante et une gratuite. Nous plaçâmes dans la chapelle une image de saint Régis souvent invoqué pour la mission d’Amérique, qui fut choisi pour notre patron, d’après un vœu fait à Paris avec permission de notre Mère générale, s’il nous y conduisait ; et de célébrer sa fête comme fête patronale et d’avoir un autel en son honneur. Mgr Dubourg permit de tenir l’engagement. L’ignorance avait fait placer les images de Bacchus et de Vénus dans l’église du Portage. Nous avons eu le bonheur de contribuer à mettre 1 2

Henri Pratte, né à Sainte-Geneviève vers 1788, fit ses études chez les Sulpiciens et fut ordonné prêtre en 1815. Curé de sa ville natale, il y était très aimé. Il est mort de la fièvre jaune en 1822. Appelée habituellement Duquette, Marie-Louise Beauvais était la veuve de François Duquette, décédé en 1816. Leur maison avait été un centre d’activités catholiques à Saint-Charles. Cf. Callan PD 270-272 pour la description de la maison.

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dans toutes celles qui nous environnent celle du Sacré Cœur de Jésus. M. Acquaroni, maintenant curé du Portage, nous a rapporté la consolation qu’il a eue de donner le baptême au lit de la mort à un vieux Sauvage qui s’entretenant avec lui-même, disait : « J’ai déjà été voir l’auteur de la vie et il m’a dit : “Retourne, il n’est pas encore temps”. » Un autre Sauvage iroquois catholique lui dit : « Peut-être l’auteur de la vie t’a renvoyé pour te faire jeter l’eau sur la tête par les robes noires, j’irai en chercher un si tu veux. – Oui, répartit le malade ; mais va vite, cela presse. » L’Iroquois fit venir M. Acquaroni ; le baptême lui fut conféré et il expira aussitôt après. Octobre 3 M. Pratte, qui nous avait reçues à Saint-Louis, nous amène ses deux filles aînées, Émilie et Thérèse, avec Mlle Pélagie Chouteau leur cousine. Tel a été le fondement de notre premier pensionnat en Amérique. M. Pratte nous apporte aussi des nouvelles de France ; outre celles de notre Mère générale et de Mère Bigeu, il y avait la copie de deux lettres des Cardinaux Litta et Fontana à M. Perreau, en réponse aux siennes concernant notre départ pour l’Amérique à propos duquel il demandait l’approbation de Sa Sainteté, le Pape Pie  VII, qui l’a donnée avec les plus touchantes expressions et chargea les deux cardinaux, ci-dessus nommés, de nous assurer de sa bénédiction apostolique pour nous et pour celles qui viendraient nous rejoindre. Comblées de joie, M. Richard a dit la messe en action de grâces et nous le Te Deum. Novembre Monseigneur arrive le 18 novembre avec M. Ferrari. Le lendemain, il distribue des récompenses aux élèves et aux externes, nous confesse extraordinairement, nous fait une instruction. Le 21 il reçoit la rénovation de nos vœux et repart. La semaine suivante, une disette générale nous prive de pain, même de maïs ; après 15 jours, on en a. L’eau est encore plus difficile à se procurer, n’ayant point de puits ; et une source, remuée par les pieds des animaux ou gelée, aide peu ; pas une enfant n’en apporterait. Enfin, un homme plus complaisant nous apporte avec sa charrette et une barrique de l’eau du Missouri, qu’il faut clarifier.

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Décembre 15 Nous recevons une postulante [Mary Mullen] qui parle anglais, envoyée par Monseigneur qui sent comme nous le besoin d’une maîtresse pour l’anglais. Heureusement, toutes nos enfants parlant le français, Mère Octavie peut encore suffire à leur instruction ainsi que Mère Audé. Des lettres, venant directement de Grenoble où se trouvent notre Mère générale et Mère Bigeu, nous annoncent que cette dernière va former un de nos établissements à Chambéry et qu’il s’en prépare un aussi pour Lyon. 25 Nous avons la messe à minuit où les enfants et nous avons le bonheur de communier au nombre de vingt. Les enfants externes communiantes passent la nuit chez nous. 28 Monseigneur nous écrit avec une affection paternelle, dit qu’il voudrait voir son diocèse couvert de nos établissements et nous donne M. Delacroix pour confesseur de celles qui parlent l’anglais et pour nous aux Quatre-Temps. 1819 Il tient toujours à ce qu’on bâtisse notre première maison à Saint-Ferdinand, à cause des difficultés qu’apporte pour les parents le passage du Missouri ; et consentirait cependant que deux de nous restassent à Saint-Charles pour une école externe, les habitants se mettant en mouvement pour y bâtir une petite maison. Février 21 Il donne rendez-vous aux Mères Duchesne et Octavie pour voir l’emplacement qu’il nous destine, en don gratuit, à Saint-Ferdinand où il arrive accompagné de M. De Neckere, non prêtre encore (depuis, évêque d’Orléans). La crainte des dépenses qui seraient à faire à Saint-Ferdinand nous effraie et nous plaidons pour rester à Saint-

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Charles, dans la maison que les habitants veulent bâtir sur un terrain qu’ils nous donnent. Mars 26 Mais le 26 mars, Monseigneur vient faire sa retraite chez M. Richard et prend un jour pour déconcerter toutes nos mesures et les désirs de M. Richard et de M. Acquaroni qui s’épuisaient de peines pour nous établir solidement à Saint-Charles. Monseigneur avait en main la somme de 2 000 $ que nous lui avions adressée de France à notre départ. Il nous déclare qu’il ne les emploiera que pour Saint-Ferdinand, empruntera le surplus sans que nous [nous] mêlions des détails de la bâtisse dont il charge le curé de l’endroit qui, religieux trappiste, avait fait bâtir le couvent des femmes près de Fribourg en Suisse et qui nous désirait aussi dans sa paroisse1. Monseigneur ajoute qu’il ne veut plus qu’on se divise à cause de notre petit nombre. Au milieu de cette épreuve pour nous, jamais Monseigneur ne nous avait témoigné plus d’intérêt. Il a lu nos Constitutions, les a trouvées pleines de sagesse et nous a remerciées de les lui avoir fait connaître, a dit qu’il préférait ce plan à celui de toute autre Société. Enfin, en partant, il dit qu’il laissait son cœur parmi nous, qu’il était venu chercher le repos de l’esprit et du cœur et l’y avait trouvé. Dans le principe, il avait songé à changer quelque chose à nos règles pour nous conformer aux idées du pays et il avait cherché à nous gagner chacune en particulier2 ; mais ayant reçu de toutes la même réponse, que nous ne changerions rien sans la permission de notre Supérieure générale, il avait dit que « nous étions plusieurs têtes sous un même bonnet » et plus tard, qu’il reconnaissait qu’il ne fallait rien changer. Avril Pendant la maladie de Mlle Émilie Pratte et le séjour de sa mère dans la chambre de Mme Duquette, sa Négresse ayant fait trop gros feu, il prit à la cheminée qui nous était commune, et l’effroi fut grand, étant sans le secours d’aucun homme et presque sans eau. Heureusement, il s’éteignit facilement. 1 2

Marie-Joseph Dunand, trappiste du monastère de La Valsainte, en Suisse, a contribué à l’aménagement du monastère de femmes de la Riedra au printemps 1804. En agissant ainsi, l’évêque prenait le risque de diviser la communauté.

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6 Il n’en fut pas de même le Jeudi saint. Mère Audé, qui avait paré la chapelle, l’avait tendue en coton blanc ; le feu prit à un coin de la tenture et gagna le tout subitement. Ne pouvant rien conserver au-dedans, on arracha ce qu’on put, on jeta de l’eau sur le plancher au-dessus (heureusement la pluie en avait donnée) pour empêcher le feu de gagner le toit de bardeaux fort secs. Nous croyions la sainte hostie perdue et toute consumée, mais elle se retrouva intacte sous la pale toute noire et le corporal brûlé, le calice ayant été renversé. Elle fut replacée dans le tabernacle qui restait seul, de toute la décoration, avec la statue de la Sainte Vierge dont la couverture seule était brûlée. Nous passâmes la nuit en adoration. M. Richard l’avait fait tout seul à la paroisse et ignorait notre désolation ; il ne put y avoir d’office le matin. Il admira la bonté de Dieu qui nous avait laissé le plus précieux : le tabernacle avec le Saint Sacrement, la Sainte Vierge, les reliques, le tableau du Sacré Cœur. Du reste, le plancher et les murs étaient tout noirs ; on les passa à la chaux et on se mit à travailler pour remonter une chapelle, le jour de Pâques ; et on y réussit. Mai 1er On a commencé le mois de Marie pour toutes les enfants. Juin 16 La fête de saint François Régis a été chômée, d’après le vœu fait en France ; on a chanté la messe et cette fête de 1ère classe a été précédée d’une neuvaine pendant laquelle une de nous a communié chaque jour pour obtenir par la protection du saint les grâces nécessaires à notre établissement. 18 Une autre neuvaine a aussi précédé la fête du Sacré Cœur, encore plus solennelle. M. Aquaroni est venu nous donner sa messe. Celle de communauté a été chantée et toutes les communiantes pensionnaires et externes se sont approchées de la sainte table. M. Richard a prêché.

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21 La fête de saint Louis de Gonzague n’a été que pour les pensionnaires dont le nombre s’était augmenté, et auxquelles s’est jointe aujourd’hui Mlle Odile de Lassus. La neuvaine a suivi la fête pour ne pas concourir avec celle du Sacré Cœur. Juillet 31 La fête de saint Ignace a été des plus solennelles ; la grand-messe a été chantée, la neuvaine a précédé. Août Le 9 août s’est commencée la neuvaine, en retraite, pour la 1ère Communion de nos écolières, auxquelles se sont jointes plusieurs autres jeunes personnes. M.  Richard faisait d’excellents discours, écoutés avec attention ; les confessions étaient accompagnées de beaucoup de larmes ; la chaleur était supportée sans adoucissement, les repas sanctifiés par la mortification. Les larmes ont surtout coulé au sermon sur la Passion et pendant la voie de la Croix. 15 Toutes celles qui devaient faire leur première Communion ont couché chez nous et ont entendu notre messe à 6 h du matin. Elles se sont ensuite rendues à la paroisse deux à deux, accompagnées de Mère Audé qui avait conduit leur retraite. Mère Octavie a suivi de près avec trois pensionnaires pour exécuter le chant. Après la cérémonie de la 1ère Communion, toutes sont revenues dîner chez nous. Le lendemain, elles sont entrées en classe. 30 Arrivée de Monseigneur avec M.  Martial, son grand vicaire à La Nouvelle-Orléans, et de M. Delacroix établi sur sa ferme. Monseigneur nous annonce que la maison qu’on bâtit pour nous à Saint-Ferdinand n’est point finie, et qu’étant à la fin de notre location, il ne voit pas d’endroit qui nous convienne mieux en attendant que la petite maison sur sa ferme, à un mille de Florissant.

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31 Il a distribué les prix aux élèves et aux externes le 31, accompagné de ses prêtres et de deux séculiers. Mlle de Lassus a eu le prix de sagesse et le ruban. Monseigneur a paru satisfait des progrès des élèves et est reparti le même jour. M. Martial retourne à La Nouvelle-Orléans, où il va établir un collège pour lequel il emmène avec lui M. Evremont, notre compagnon de voyage depuis Paris et qui a été fait prêtre cette année. Septembre Nous ne nous occupons plus que des préparatifs du départ. 3 Il est retardé d’un jour et donne le temps de célébrer encore à SaintCharles le 1er vendredi du mois. Toutes les enfants de la première Communion l’ont renouvelée et ont chanté les mêmes cantiques qu’en ce beau jour. M. Richard, attendri comme nous toutes, s’est surpassé dans son dernier discours et s’est retiré bien triste, disant qu’il ne pouvait déjeuner le jour de notre départ. Les enfants ont suivi Mère Audé jusqu’au bateau, elles y étaient à ses genoux, baignées de larmes, plusieurs des mères aussi ; il a fallu l’autorité des conducteurs pour les arracher d’auprès d’elles. Elle était attendue à la Charbonnière avec ses compagnes, à l’autre bord du Missouri, par le curé de Saint-Ferdinand, M. Delacroix, et plusieurs habitants qui venaient gratuitement transporter nos effets. Mère Octavie partit aussi en voiture avec des pensionnaires. 4 Mère Duchesne reste seule avec Sœur Marguerite et part le 4 en charrette avec elle et les poules ; des hommes conduisent les vaches et nous nous trouvons réunies le même soir à la ferme de Monseigneur. M. Delacroix, pour nous laisser la maison, s’est logé dans une espèce de cage faite pour tenir du maïs, où il entrait par un trou où une chaise ne pouvait passer, il n’y avait pas de porte. La maison pour nous est composée d’une chambre qui sera dortoir des élèves, réfectoire, salon, classe ; et d’un grenier au-dessus, couvert du seul toit ouvert par beaucoup de trous, il sera notre propre habitation, le jour et la nuit, en bouchant les trous comme nous pourrons : cuisine, notre réfectoire, le garde-meuble.

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10 Notre position est un sujet de continuel renoncement : tantôt importunées de visites, sans un coin pour se retirer et pour prier, tantôt accablées de chaleur par le resserrement, tantôt tourmentées du froid et du vent qui a toute liberté d’entrer. M. Delacroix, malade, est à tout vent la nuit et le jour. On lui bâtit une chambre de vieux bois qui sera finie dans la semaine et on fait un retranchement pour une petite chapelle où nous puissions avoir le Saint Sacrement, dont nous nous trouvons privées. Nous venons de recevoir Mlle Mathilde Hamilton, jeune Américaine dont les respectables parents ont reçu la plupart des jeunes prêtres de Monseigneur pour qu’ils puissent plus facilement apprendre l’anglais dans une famille où on le parle bien et où il n’y a pas moyen de parler d’autre langue. 19 On est tellement accoutumé à être mal logé dans ce pays qu’on n’est pas rebuté de nous offrir des pensionnaires des plus riches familles. Il s’en trouve trois de plus aujourd’hui : Mlle Labbadi et deux demoiselles Rolette. Octobre 5 Visite du bon M. Richard qui ne cesse de nous exprimer ses regrets de nous avoir perdues. Il est seul dans son presbytère, sans secours, même en maladie. 9 Visite de Mgr Dubourg. On chante à la messe le cantique du P. Barat sur le nom de Marie. Il en a été enchanté, l’a fait répéter dans la journée en présence de M. de Andreis, supérieur en ces pays de la mission des Lazaristes. La beauté du cantique échauffant encore en lui le feu de l’amour de Dieu et de sa sainte mère, nous l’avons vu pâlir, rougir, trembler et enfin comme perdu sur son siège, et il nous a vivement représenté saint Jean de la Croix, extasié au chant d’un cantique sur l’amour divin par sainte Thérèse et ses compagnes. On se réunit le soir à la chapelle pour chanter la 3e fois le même cantique. Monseigneur fait l’acte de concession du terrain qu’il nous donne et où se construit notre maison. Il fait écrire à Mère Duchesne une lettre

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à M. Mullanphy pour l’emprunt de 2 000 $, l’argent manquant pour achever notre maison. Novembre 1er Fête de la Toussaint, communion générale ainsi que le lendemain, jour des morts. Notre vie se passe occupée des élèves et de nos exercices de piété ; nous y joignons des travaux qui nous étaient étrangers. N’ayant pas de domestique, il a fallu souvent aller ramasser le bois dans la forêt ; une visite étrangère dans un pays où on se moque des feux de Paris nous faisait consumer la provision en un jour ; et il fallait la renouveler, cueillir le maïs, les pommes, les légumes du jardin. La promenade des enfants nous apportait souvent des fruits sauvages et quelques provisions des habitations. Ce qui n’a pas empêché de manquer de viande et même d’autre pain que celui de farine de maïs, qu’on nous vendait à haut prix. 21 Monseigneur arrive le 20, nous confesse, fait le lendemain le discours pour la rénovation des vœux, les reçoit, nous communie ainsi que les élèves ; il assiste aux vêpres, fait un discours sur la Sainte Vierge, donne la bénédiction ; on termine par le chant des litanies. Il parle encore de quelques changements à nos règlements, auxquels nous ne consentons pas et nous lui disons franchement que, quand un évêque nous a permis d’être dans son diocèse, il nous laisse le choix du local, car il parlait de faire un second établissement à Sainte-Geneviève et nous aurions préféré Saint-Charles. 28 Il fait faire leur testament à Mères Duchesne, Berthold et Audé au sujet de sa donation du terrain à Saint-Ferdinand, que nous nous donnons l’une à l’autre en cas de mort, par le testament. M. Delacroix va en mission à la Gasconade et au-delà, pays qu’il a visité le premier comme prêtre1.

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La Gasconade est un comté situé dans la Rhénanie du Missouri, sur le côté sud du fleuve. Il tient son nom de la rivière Gasconade.

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Décembre 3 Le curé de Saint-Ferdinand, le P. prieur trappiste Marie-Joseph Dunand, vient dire la messe pour le 1er vendredi du mois et la fête de saint François Xavier. 5 L’absence de M. Delacroix fait aussi avancer la retraite qui nous a été promise par Monseigneur. Il nous envoie le saint M. de Andreis qui ouvre la retraite le 5, à 5 heures du soir ; nous la faisons toutes les cinq ; elle est aussi suivie par les plus grandes pensionnaires. Nous sommes toutes embaumées et des vertus du ministre et de la solidité de ses discours. Toutes aussi se confessent à lui. 8 Pour la fête de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge, il nous entretient de ses douze privilèges1. La communion est générale, le Saint Sacrement exposé tout le jour, les vêpres sont chantées ainsi que les litanies ; les élèves font leur consécration à Marie. La fête du Sacré Cœur de Marie fut aussi solennelle et termina la retraite. 13 Réception d’une lettre de notre Mère générale qui regrette que notre 1er établissement n’ait pas été à La Nouvelle-Orléans ou à Saint-Louis. Elle insiste pour qu’il se forme une maison-mère et un noviciat qui pourra ensuite former de petits établissements ; mais pour le moment, elle voit de grands inconvénients à nous diviser. 14 Nous faisons mémoire du jour où cette digne Mère Barat arriva à Grenoble en 1804 pour unir la maison de Sainte-Marie, où était Mère Duchesne, à la Société. À 11 heures, moment de son arrivée dans cette 2e maison, nous avons toutes été à la chapelle chanter le Laudate, le Magnificat et le cantique à saint Régis. 1

La dévotion à la Vierge Marie, Immaculée Conception, a été inspirée par les douze étoiles entourant la tête de la femme dans le livre de l’Apocalypse (Ap 12, 1). Elle a été promulguée par saint Louis-Marie de Montfort (1673-1716).

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15 Mère Duchesne fait encore mémoire de sa rentrée dans le couvent où elle avait été pensionnaire, puis religieuse 4 ans et demi, avant et pendant la grande révolution de France ; elle en sortit en septembre 1792 et y rentra en 1801, 13 décembre. La maison fut obtenue du gouvernement sous Napoléon, l’année même de son concordat avec le pape Pie VII. 18 Retour de M. Delacroix qui a couru de grands dangers : son cheval à la nage l’a tiré du Missouri. Il en sort dans une nuit obscure, mourant de faim. Une voix semble lui dire : « C’est ton chemin. » Il avance et il arrive en quelques instants dans un lieu qu’on lui disait être à 9 milles. 21 Jour de saint Thomas apôtre, Mère Duchesne avec Mary Ann Summers orpheline vont habiter la nouvelle maison. Le 23, Mère Octavie à pied, avec les plus grandes pensionnaires. Les plus jeunes viennent avec Sœur Catherine dans un wagon [un chariot] parmi leurs matelas, car le froid était grand ; des lits avaient été couverts de neige la nuit précédente. Mère Duchesne, retournée à la ferme, a bien de la peine avec Mère Audé de finir le déménagement ; elle laisse Sœur Marguerite se rendre dans le dernier wagon ; elle part à pied avec Mère Audé, elles font la trace sur la neige ; les poches de Mère Duchesne se laissent tomber avec sa montre, ses papiers, son argent, qui étaient dedans. Ses doigts sont sans mouvement par le froid, ses gants gelés. On met les effets tombés dans un mouchoir et on arrive pour le dîner. On prépare la chapelle et un autel, tout est fini pour se confesser avant minuit ; on dit Matines à 11 heures, deux messes suivent, les premières qui se soient dites dans cette heureuse maison et où assistent tous les ouvriers, pieux Irlandais. 25 La 3e messe se dit encore par M. Delacroix à l’heure ordinaire ; à toutes [les messes], on chante des cantiques. Les vêpres et le salut sont solennels.

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26 Arrivée de Monseigneur qui vient bénir la maison ; il va d’abord à la paroisse et engage les habitants à contribuer pour une maison d’école en bois pour l’éducation gratuite de leurs enfants. Le soir, les élèves en uniforme lui chantent des couplets qui expriment notre reconnaissance envers lui. Il y en a aussi deux adressés au Père prieur pour le remercier de ses soins dans la bâtisse de notre maison. Mme Pratte, qui est présente, couche dans le village pour tracer, de l’avis de Monseigneur, la route aux parents qui viendront voir leurs enfants, afin qu’ils ne comptent pas loger chez nous. 27 Monseigneur fait faire leur première Communion à Mlle Thérèse Pratte et à Mary Ann Summers ; il leur parle avant et après la communion. Le curé fait l’office à vêpres et reçoit la rénovation des vœux du baptême. 31 Salut de réparation pour la fin de l’année, sur le soir. Année 1820 Janvier 1er On souhaite la bonne année à la supérieure ; deux Dames et deux élèves la souhaitent pour toutes à M. Delacroix après son déjeuner et au curé, en lui répétant les deux couplets chantés le 26. 6 Jour des Rois, fête solennelle. 26 Entrée au pensionnat de Mlles Leduc, Chénier et Cabanel, trois excellents sujets.

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Nous avons reçu de Monseigneur les tableaux du Sacré Cœur, de saint Régis mourant1, de saint François d’Assise, de sainte Agathe, du vénérable Labre, de la vénérable Sœur des cinq plaies2. Février 2 Communion générale des élèves. 26 Lettres de France qui annoncent la mort de Mme de Saint-Pern, fondatrice de la maison de Quimper en Bretagne, et la réunion à notre Société de la maison d’orphelines de Mme de Lalanne, pieuse veuve de Bordeaux, qui est devenue Dame du Sacré-Cœur. Mars 17 Arrivée de différentes caisses venant de France contenant un piano, 6 chandeliers d’église argentés avec la Croix, de la part de Mme de Marbœuf veuve, novice3 ; de l’étoffe pour ornements, des vêtements, provision de papier, des livres, des graines de jardinage. 18 Autres présents pour la nourriture, [de la part] des Dames Ursulines.

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Le tableau de saint Jean-François Régis est un grand portrait du xviie, réalisé près de son lit de mort, au moment où il disait voir Notre Seigneur et Notre Dame lui ouvrir le paradis. Il fut installé dans la chapelle des religieuses (cf. JSA, ci-dessous, 29 novembre 1821). Il y resta jusqu’en 1840, date à laquelle Philippine fut déchargée de sa fonction de supérieure, à Florissant. La Mère Élisabeth Galitzine, visitatrice, le relègua alors dans un placard, à la consternation de Philippine. Il s’y trouvait encore en 1846 après le départ de la Société du Sacré-Cœur, et à l’arrivée des Sœurs de Lorette l’année suivante. Quand la Mère Amélie Jouve vint visiter sa tante à Saint-Charles, à la fin de l’été 1847, Philippine la pria de ramener le tableau à Saint-Charles où, depuis lors, il est vénéré. Catherine-Marie-Félicité Aubert de Tourny, née à Paris, en février 1725. Cf. La Vie de la Vénérable Sœur Emmanuel de Tourny, calvairiène, en forme de lettres, 1760. Catherine de Gayardon de Fenoyl (1765-1839), RSCJ, mariée au comte de Marbeuf, eut un fils et une fille dont elle prit soin après la mort de son mari. Lorsque la Révolution française éclata, elle se réfugia à l’étranger et revint en France en 1800. Après le mariage de sa fille avec le comte d’Ambrugeac, et la mort de son fils tué au cours de la campagne de Russie, elle entra au noviciat du Sacré-Cœur, en 1818, y fit profession le 4 juin 1822.

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21 Le Père prieur ayant fait couper les bois pour la maison de l’école, elle s’élève par corvée de 26 hommes à qui on donne à dîner. 25 Fête de l’Annonciation où M. Borgna nous dit sa première messe ; il prêche à 10 h 30. Les vêpres sont solennelles et il y a le soir [un] sermon de M. Delacroix. 30 Jeudi Saint : la messe est à 6 h, M. Delacroix devant être à SaintLouis pour la cérémonie des saintes huiles. Nous faisons l’adoration au reposoir, le jour et la nuit, avec les pensionnaires. Le lavement des pieds est à 2 heures. 31 Office le matin, la voie de la Croix à 1 heure ; la dévotion de l’agonie et des sept paroles jusqu’à 3 h ; les matines, office des nocturnes à 4 h 30 ; la passion à 5 h 30, suivie de l’adoration de la vraie Croix. Avril 1er On fait tout l’office dès huit heures. Les grandes élèves ont suivi l’office avec nous, tous les jours. 2 Le saint jour de Pâques, notre communauté et les élèves font la communion pascale et Mlle Labbadi fait sa 1ère Communion. M. Delacroix prêche à la messe et l’après dîner, à la rénovation et consécration de Mlle Labbadi. 3 Retraite pour la Confirmation, confiée à Mère [Octavie] Berthold qui parle les deux langues. Monseigneur arrive le 5.

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6 Monseigneur donne la Confirmation avant la messe et fait un discours avant et après, et part pour la donner aussi au Portage. Il revient le sept, avec M. Delacroix. 8 Ils ont fait faire les Pâques à beaucoup de personnes, M. Aquaroni étant malade. Il y en a eu 30 pour la Confirmation. 20 Monseigneur déclare aux marguilliers de Saint-Ferdinand qu’il a nommé M. Delacroix pour leur curé. Le Père prieur se bâtit une petite maison. Quand M. Delacroix fait son entrée à la paroisse, les chanteurs et chanteuses refusent de chanter, regrettant le Père prieur. Mai Toutes les élèves commencent le mois de Marie avec ferveur. Entrée de Mlles Maria et Adeline Boilvin au pensionnat et le 27, de Mlle Bosseron. Juin 1er Fête du Saint Sacrement, solennelle ; pendant l’octave, il n’y a pas d’exposition tout le jour. 8 Arrivée de M. de Andreis pour la fête du Sacré Cœur. 9 Plusieurs se confessent à lui ; il dit la messe de communauté chantée avec diacre et sous-diacre ; il fait une touchante exhortation avant la rénovation des vœux et donne la communion. Le soir, M. de Andreis prêche encore après vêpres sur le Sacré Cœur. Salut, amende honorable, litanies chantées. Les jours suivants, bénédiction soir et matin. Neuvaine à saint Régis.

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16 Fête de saint Jean-François Régis, en grand solennel. La messe a été chantée ; les vêpres, le salut après l’exposition tout le jour. M. Delacroix a prêché. 21 Fête de saint Louis de Gonzague, de 1ère classe. Toutes les élèves communiantes se sont approchées de la sainte Eucharistie. 24 M. Niel a prêché. 29 Saint Pierre et saint Paul ont été célébrés de 1ère classe. Juillet 2 [Fête de la] Visitation, de 2ème classe ; Saint Vincent de Paul, de 3ème (pour l’école). 4 Congé pour [la fête de] l’Indépendance. 22 Sainte Madeleine : le congé a été général. Les élèves ont répété la pièce sur notre voyage en Amérique. 31 Le 31, fête de saint Ignace en grand solennel. M. Niel, curé de SaintLouis, fait le panégyrique du saint. Les élèves chantent seules, les Mères Berthold et Audé étant malades. Un habile docteur européen leur prescrit un régime à toutes deux. Août 10 Retraite pour la première Communion des filles de la paroisse, qui a lieu le 13. Elles sont au nombre de 19.

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16 Monseigneur arrive du Portage des Sioux avec M. Richard, curé de Saint-Charles. 17 Il distribue les prix à nos élèves. 18 Le lendemain, il dit la messe d’action de grâces et fait un discours aux élèves et repart pour Saint-Louis. M. Richard fait le soir un autre discours aux élèves et à nous le lendemain, et repart. 19 Arrivée de notre première postulante stable, Mary Layton. Elle habitait les Barrens, paroisse où est le séminaire de Monseigneur. Le supérieur, M. Rosati, nous fait une visite ainsi que Messieurs Borgna et Deys qui sont restés plusieurs jours à Saint-Ferdinand. Septembre 1er Messe solennelle du Saint-Esprit pour la rentrée des classes. Les communiantes y font leur dévotion. 15 Maladie sérieuse de Mère Duchesne, pendant laquelle Monseigneur vient la voir plusieurs fois avec le docteur Fotsoni. Octobre 20 Celui de notre village la traite gratuitement, ainsi que Mère Berthold pour une rupture de jambe qui la tient trente jours au lit, pendant que Mère Duchesne garde encore sa chambre et ne se rétablit entièrement qu’après deux mois.

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Novembre 18 Après la mort de M. de Andreis, vicaire général et supérieur des Lazaristes, Monseigneur est invité à aller à La Nouvelle-Orléans où Messieurs Martial, Moni, Portier lui ont préparé les voies après l’expulsion de deux prêtres scandaleux et schismatiques. Il se dispose à partir et vient nous faire ses adieux avec M. Richard qui nous quitte en vrai père, parle à chacune et nous fait une exhortation. 21 M. Delacroix reçoit notre rénovation de vœux. Le lendemain, il donne l’habit à Sœur Mary Layton, comme sœur coadjutrice. Il part le 27 pour sa mission à La Côte-Sans-Dessein. Décembre 3 Premier dimanche de l’Avent. M. Niel, principal du collège à SaintLouis, nous fait un beau sermon. 4 La maison d’école est finie, les enfants vont être reçues. 8 Fête de l’Immaculée Conception de Marie et après de son sacré Cœur, toutes deux très solennelles. Deux enfants de Marie ont augmenté leur nombre. 22 Nous commençons une quarantaine pour les besoins spirituels et temporels de la maison, pour le succès du voyage de Monseigneur et l’extinction du schisme qui divisait le clergé de La Nouvelle-Orléans. Il y aura tous les jours un jeûne et une communion à ces intentions et chacune dit tous les jours 5 Pater et 5 Ave. 25 Fête de Noël. M. Delacroix nous donne la messe de minuit et les deux autres le matin à la paroisse. Le Père prieur nous dit 3 messes le

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jour. Les élèves montrent beaucoup de zèle pour honorer Jésus dans la crèche. 27 Messe en musique pour la fête de saint Jean, chantée par les élèves. 28 Le lendemain, exercices et prix du trimestre. Mlle Eulalie Hamilton a le premier ruban ; Mlle Saint-Cyr, le prix de bonne conduite de sa classe. Toutes deux manifestent le désir d’être religieuses, ainsi que l’orpheline Mary Ann Summers. 1821 Janvier 27 Lettre de M. Niel sur la réception faite à Monseigneur dans la Louisiane : « La religion triomphe, dit-il. Partout où notre évêque est passé, on l’a reçu comme le successeur des apôtres… On allait l’attendre à une ou deux lieues et on le conduisait à l’église, accompagné de la milice à pied et à cheval, au bruit du canon et au son des cloches. Le peuple se prosternait sur son passage, et il n’a cessé de répandre ses bénédictions, de prêcher, d’officier, de confirmer… » Février 15 Lettres de France qui nous annoncent la tenue du 2e Conseil général de la Société, à Paris. 19 Ce jour, M. Delacroix a posé la 1ère pierre de l’église qu’il fait bâtir au moyen d’une contribution ; elle sera en briques et contiguë à notre maison. Quoique paroisse, elle appartiendra à l’évêque, étant bâtie sur sa propriété. Nous avons toutes assisté à la cérémonie qui a été terminée par le Magnificat et par le cantique à saint Régis en nous retirant. Le billet sur parchemin, inséré en terre dans une bouteille et écrit en latin, contient ce qui suit : « Cette année 1821, 19 février, moi Charles Delacroix, par la permission de notre révérendissime évêque Valentin Guillaume, Louis Dubourg, évêque de la Louisiane (et de Saint-Louis), ai posé la 1ère pierre à cette église dédiée

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au Sacré Cœur de Jésus, sous l’invocation de saint Ferdinand et de saint François Régis, Mme Duchesne supérieure, me présentant ladite pierre et Mmes O. Berthold et E. Audé étant présentes, ainsi que les autres sœurs, les pensionnaires (qui ont toutes signé) et plusieurs autres du village. » Mars 1er Lettres de France et envoi de 5 710 F que nous remettons à M. Mullanphy, acompte de notre dette. Autres lettres de Mgr Dubourg qui annoncent le saint empressement avec lequel il a été reçu et la parfaite union de tous les prêtres avec lui. Il permet de donner l’habit à nos postulantes et de choisir le confesseur extraordinaire. 19 Prise d’habit de Mlle Émilie Saint-Cyr créole, âgée de 15 ans, qui prend le nom de Joséphine. Elle est pour le chœur. Sa compagne est Mary Ann Summers, orpheline placée chez nous depuis deux ans par Monseigneur ; elle a 16 ans. La messe a été chantée et le Saint Sacrement exposé pour la fête de saint Joseph. 25 Fête de l’Annonciation, 1ère Communion de 5 élèves. 29 Nous recevons des Dames Ursulines de la Nouvelle-Orléans une 3e barrique de sucre, une 2e de riz, et de la morue, des raisins secs, des confitures pour la 2e ou 3e fois. Avril 3 Nous apprenons que le Conseil général est terminé. Sa première opération a été de transporter l’établissement du Sacré-Cœur, rue des Postes, à l’hôtel de Biron rue de Varenne, faubourg Saint-Germain, à Paris. La Mère de Charbonnel est 1ère assistante générale ; la Mère Bigeu, 2e et maîtresse générale des novices. Les autres Mères du conseil sont : les Mères Grosier, de Gramont, Desmarquest, Geoffroy, Prevost, Deshayes, etc. Les mêmes lettres détaillent la réception faite au Grand

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aumônier de France, Supérieur général de notre Société, cardinal et archevêque de Paris, Mgr de Périgord, le jour de la fête du Sacré-Cœur de Jésus ; et quelques jours après, de celle du nonce de Sa Sainteté. La fête de la Compassion de la Sainte Vierge a été précédée de sept jours d’œuvres pieuses pour obtenir que les parents de Mlles Hamilton consentent à ce qu’elles soient religieuses. Le consentement est arrivé à la fin de cette dévotion. Les trois jours de Ténèbres, l’office s’est fait régulièrement. On a fait l’adoration du jeudi au vendredi Saint. 24 Départ du Père prieur qui va chercher sa filleule, Mlle Mathilde Hamilton, chez ses parents. 2e prix de trimestre. 30 M. Ferrari Lazariste vient remplacer M. Delacroix qui va en mission. Il commence à donner la retraite pour toute la maison. Mai 1er Le mois de Marie se fait aussi. 3 Retour du Père prieur avec Mlle Hamilton, sortie en juillet dernier avec le ruban de mérite. Elle parle anglais et français et sa vocation est très bonne. 4 Prise d’habit de sa sœur, Mlle Eulalie Hamilton, plus jeune qu’elle, et qui se trouvait au pensionnat. Elle prend le nom de saint Régis, et est aussi ferme que sa sœur dans sa vocation. Juin 7 Première visite de Mgr  Dubourg depuis son retour de La  Nouvelle-Orléans, où le schisme est éteint. Il nous propose un établissement aux Opelousas, où Mme Smith, riche veuve, offre une maison, des terres, un mobilier, les frais de

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voyage. Nous acceptons et Monseigneur, qui a prévenu Madame sa nièce de garder chez elle deux dames qui nous sont annoncées de France, est d’avis qu’une de nous aille les attendre aux Opelousas où elles se rendront à leur arrivée en Amérique. 16 Fête de saint François Régis. Monseigneur revient de Saint-Louis la célébrer chez nous avec M. Tichitoli, Lazariste. Il donne le voile et le saint habit à Mlle Mathilde Hamilton qui prend le nom de Xavier. Nous avons ce jour-là cinq messes, la prise d’habit est avant celle de Monseigneur, à 6 h 30. La 5e est chantée solennellement. Nous avons l’après dîner le panégyrique du saint. 21 Fête de 1ère classe pour saint Louis de Gonzague, qui concourt avec la Fête-Dieu ; et le 24, saint Jean, avec le dimanche. 29 La fête principale du Sacré Cœur concourt aussi avec saints Pierre et Paul. Monseigneur nous permet de faire l’office du Sacré Cœur. M. Delacroix a reçu notre rénovation ; la messe a été en musique ; sermon le soir. L’exposition s’est faite [durant] l’octave. Juillet 19 Fête de saint Vincent de Paul ; les externes chantent la messe et prennent au chœur la place des pensionnaires. Elles chantent aussi les vêpres et M. Delacroix leur adresse une instruction. Réception de lettres de France qui confirment la conservation intacte de Mère Aloysia Jouve, qui cause la conversion de son frère, M. François Henry Jouve qui va se faire jésuite ; et encore la conversion du soldat Claude, domestique de la maison de Grenoble. 31 Saint Ignace célébré de 1ère classe. Monseigneur ne peut dire la messe ; il insiste pour que Mère Eugénie Audé, destinée pour être supérieure aux Opelousas, y devance les sœurs attendues de France.

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Août Il retourne à Saint-Louis sur la nouvelle du départ d’un steamboat ; et nous cherchons les objets nécessaires pour commencer l’établissement avec 100 $ pour les premiers besoins, Mme Smith devant fournir la nourriture, les premiers temps. 5 Mère Eugénie part de Saint-Ferdinand, emportant bien des regrets. Elle a pour compagne Sœur Mary Layton qu’elle soignait ; elle nous quitte à 7 h du matin et entre à 10 h dans le steamboat Le Rapide. 15 Les prix avaient été avancés quand on a été informé du prochain voyage. Les élèves sortent aussi plus tôt pour les vacances. Il n’en reste que huit, ce temps-là. 30 Les élèves rentrent ; on lit le règlement, on nomme aux charges. Les classes recommencent. Septembre 1er Monseigneur nous visite. Le 8, il va au Portage et repasse ici le 12, avec M. Rosati supérieur aux Barrens, et se rend à Saint-Louis. Notre pension, jusqu’alors à 180 $, est réduite à 140 $. Octobre M. Aquaroni nous visite avec un autre M. Richard, missionnaire durant de longues années au Detroit où il a commencé une belle église. Il nous engage à aller nous y établir. Ce qui n’a pas été possible. 22 Nouvelles de Mère Eugénie ; son voyage a été long et désagréable par les différentes stations et manières de voyager. Elle a d’abord été bien reçue de Mme Smith ; mais cette dame ne pouvant être admise dans la communauté, elle s’est plainte d’avoir été trompée. Mère Eugénie lui

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propose de se retirer, Mme Smith la retient et consent à tout ce qu’elle demande. La Sœur Layton a eu de la fièvre et Mère Eugénie un mal d’yeux très considérable. Le recours au Sacré Cœur est sa ressource. M. Ferrari lui dit la messe tous les jours au couvent. Il l’avait accompagnée depuis Saint-Louis et est son appui aux Opelousas dans les contradictions, la maladie et la solitude où elle se trouve, nos dames de France n’étant pas arrivées. Novembre 10 Neuvaine des novices pour se préparer à la fête de saint Stanislas. 13 Mary orpheline prend l’habit. On chante vêpres. 20 Arrivée de MM. Deys, Aquaroni, Anduze et de deux enfants de chœur pour la bénédiction de notre nouvelle église. 21 1ère messe pour la Communion et rénovation à 5 h 30 ; à 6 h, celle d’action de grâces ; à 7 h 30, troisième messe où les Filles de Marie ont communié ; 4e messe par M. Aquaroni. À 11 heures, tout le clergé part de notre salon en procession, va à la nouvelle église que M. Delacroix bénit sans chant. La grand-messe y est dite par M. Niel, curé de SaintLouis ; elle est chantée en musique par les élèves, accompagnées par M. Deys au piano. M. Anduze prêche sur la solennité, après avoir lu l’arrêté de Monseigneur, qui abolit les marguilliers1 et leur ordonne de remettre au curé l’argent en caisse et le mobilier de la vieille église. 22 Après le départ des autres prêtres, M. Niel reste et dit la sainte messe en l’honneur de sainte Cécile pour les chanteuses.

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Les laïcs chargés d’administrer les biens de l’association paroissiale, à laquelle appartenait l’église. Ce conseil paroissial de gestion, mis en place au xviie en Amérique, fut ensuite supprimé par les évêques.

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29 Érection de l’autel à saint Régis, qu’il avait été impossible de faire plus tôt pour l’accomplissement de notre vœu. Il est dans notre chœur, à gauche, à côté de la balustrade. Décembre 3 Fête de saint Xavier, de 2ème classe. 8 Fête de l’Immaculée Conception, de 1ère classe ; consécration du pensionnat. 10 Fête du saint cœur de Marie, les novices font leur consécration le soir. 14 Récréation en réjouissance de l’arrivée de notre Mère Barat à Grenoble, lorsqu’elle y réunit Mère Duchesne et ses compagnes à la Société naissante du Sacré-Cœur à Amiens. Grenoble fut la 2e maison. 21 Autre congé en mémoire de la 1e entrée dans la maison de Saint-Ferdinand. 25 La 1ère messe, à minuit, se dit dans notre chapelle, pour nous seules. Le Saint Sacrement y est exposé et reste ainsi toute la nuit et tout le jour. On communie à minuit. La 2e messe est à 4 heures dans l’église. On chante des cantiques comme à la première. La 3ème est à 11 heures, elle est chantée, il y a sermon en français et en anglais. 31 Nous avons salut à 4 heures, en réparation des fautes de l’année. On y chante le Miserere.

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1822 Janvier 1er On chôme la fête de la Circoncision. 6 Jour de la fête des Rois ; messe en musique, exposition du Saint Sacrement. Février 2 Nous prenons deux orphelines à notre charge, sous la protection de la Sainte Vierge, nous destinant pour un plus grand nombre. On fait solennellement la bénédiction des cierges. Mgr Dubourg nous écrit des Opelousas où il a passé la fête de Noël, et consolidé notre établissement. Mars 4 Nous commençons la neuvaine à saint François Xavier. 7 Visite de MM Anduze, Celini et Pratte, curé de Sainte-Geneviève, qui nous amène comme postulante Mlle Judith Labruyère. 19 Saint Joseph est célébré de 1ère classe. 25 L’Annonciation, aussi. Nous apprenons que nos Sœurs Xavier Murphy, irlandaise, et Lucile Mathevon, française, sont arrivées le jour de la [fête de la] Purification à La Nouvelle-Orléans où se trouvait Mgr Dubourg. Il fait partir Mère Murphy pour les Opelousas et nous envoie Mère Mathevon, ainsi qu’il était convenu.

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Avril 4 Le Jeudi saint, 1e Communion de quelques pensionnaires et externes et de six petits garçons. Tout le carême, 2 jours exceptés, il y a eu à 3 h 30, à l’église, un catéchisme par M. Delacroix, suivi du salut et de la prière. Les cérémonies du Jeudi saint ont toutes été observées ; on a veillé pour l’adoration au reposoir. Le Vendredi saint, l’adoration de la Croix, la dévotion des sept paroles et la voie de la Croix ont été faites. 8 La seconde fête de Pâques, il y a eu à l’église 9 adultes baptisées, presque toutes filles de protestants. 11 Arrivée de M. Dahmen, Lazariste, qui vient remplacer M. Delacroix pendant sa mission aux Osages. 15 Arrivée de Mère Lucile Mathevon. Elle nous donne tous les détails concernant notre chère Société et nous apprend que par un secours de notre Mère générale, nous nous trouvons acquittées avec M. Mullanphy qui l’a vue à Paris. 20 Distribution des prix du trimestre. 28 Mlle Émilie Rolette, étant très malade, fait sa 1e Communion dans son lit avec beaucoup de ferveur. 30 Maladie grave de notre Sœur Régis Hamilton, novice ; autre maladie grave de Mlle Betsie Rolette (toutes se rétablissent).

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Mai 1er Commencement du mois de mai pour nous, les élèves et les externes. 13 Les Rogations se font sans procession1. 16 Ascension, [fête de] 1ère classe. M. Niel prêche en français et en anglais. 23 Retour de M. Delacroix de sa mission aux Osages. 26 Fête de la Pentecôte, fort solennelle. Juin 1er Depuis Pâques, il y a eu plusieurs baptêmes de protestantes, ou secrets ou publics. Celui de Mlle Benton, quoique secret, est connu de ses parents qui la retirent du pensionnat. 6 Fête du très Saint Sacrement, il est exposé dans l’église. On fait la procession avant la messe dans notre champ, on y fait le reposoir. Nous y assistons toutes ; les novices y portent la bannière du Sacré Cœur et l’arc de triomphe de la Sainte Vierge. Suivaient les élèves chanteuses. M. Dahmen portait le Saint Sacrement.

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Les trois jours des Rogations (du latin rogare, demander) précédaient immédiatement l’Ascension. Au cours du dimanche, appelé dimanche des Rogations, des processions se faisaient en bordure des champs et les prêtres bénissaient les cultures. Cette fête, introduite par saint Mamert en 470, promue par le Concile d’Orléans (511), a perduré jusqu’au Concile Vatican II.

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14 Fête du Sacré Cœur, solennelle. Nous avons eu trois messes dont l’une chantée en musique avec qui diacre et sous-diacre ; exposition tout le jour. Ce saint jour, Mlle Labruyère a pris l’habit avec le nom d’Ignace. Toute l’octave, le Saint Sacrement a été exposé. 16 Fête de saint Régis et de la Dédicace. 21 Celle de saint Louis de Gonzague. Juillet Visite de Mgr Dubourg revenu de la Louisiane avec M. Brassac, curé des Opelousas. Il nous donne des nouvelles de nos sœurs : que Mme Joséphine Meneyroux les a quittées pour retourner en France, que Mme  Xavier Murphy a fait ses derniers vœux, et Sœur Mary Layton ceux de cinq ans. Que Mlle Carmélite a pris le voile blanc et que M. Jeanjean a été retiré de la paroisse du Grand Coteau. 12 Retraite pour la 1ère Communion. Elle est donnée par M. Brassac pour le plus grand nombre et nos élèves. M. Delacroix la fait aux américaines que Mme Hamilton soigne. Mme Octavie conduit les françaises. 16 Fête de saint Vincent de Paul. Monseigneur, arrivé la veille, reçoit les 1ers vœux de Mme Joséphine Saint-Cyr, lui adresse un discours fort touchant en présence de toute sa famille. La première Communion a lieu le même jour. C’est M. Brassac qui fait le discours. La Confirmation est donnée après les vêpres. 20 Départ de Monseigneur avec Mme Duchesne qui va conduire aux Opelousas Mme Saint-Cyr et Sœur Mary Mullanphy. Après le dîner, elle se rend au steamboat avec ses compagnes, Mlle Thérèse Pratte et MM. Brassac et Dumoulin. Ce dernier est destiné pour le Baton Rouge.

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21 Mère Octavie reste comme assistante chargée de la maison. Elle fait donner les prix aux externes. Août 9 M. Brassac n’était allé qu’aux Illinois, il revient à Saint-Ferdinand d’où M. Delacroix est parti pour les Osages. 11 M. Brassac tombe malade. 15 Fête de l’Assomption. Monseigneur donne l’habit à Marguerite Tison. 17 Le dix-sept, Monseigneur distribue les prix. Mlle Chénier, qui a eu le prix de sagesse et le 1er ruban, quitte le pensionnat. 18 Sortie pour les vacances des autres pensionnaires, excepté cinq. 24 Mère Octavie et Sœur Catherine sont malades de la fièvre, ainsi que Sœur Mary Ann Summers et deux orphelines. Beaucoup de malades dans le pays. 28 Nos sœurs sont un peu mieux, mais M. Brassac, qui paraissait se rétablir, retombe le 30. Septembre 1er Sœur Mary Ann est en grand danger et Sœur Xavier Hamilton est aussi malade.

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4 Messe du Saint-Esprit, rentrée des classes, lecture du règlement. 5 Mme Lucile, qui a aussi été malade, est mieux. Sœur Tison le devient. 6 Il y a du mieux pour toutes. On apprend la mort de M. Pratte, curé de Sainte-Geneviève, et de M. Ferrari, Lazariste à La Nouvelle-Orléans. 14 Fête de l’Exaltation [de la Sainte Croix]. M. Brassac peut dire la messe pour la 1ère fois. Il fait faire sa 1ère Communion à Mlle Céleste Pratte. 17 Monseigneur vient faire l’enterrement de Mme Hamtramck dont il dirige le mari très pieux ; la dame était des plus estimables. Le même jour, M. Delacroix revient des Osages dans le plus pitoyable état. La fièvre ne lui ayant pas permis de revenir à cheval, une barque l’a conduit à la Charbonnière, et une charrette ici. 19 Monseigneur arrive avec un docteur pour le soigner ; il repart le même jour avec M. Brassac. M. Dahmen partant après, on est plusieurs jours sans messe. 26 M. Saulnier, qui vient d’être ordonné prêtre, nous dit sa première messe. M. Delacroix, qui est mieux, l’y assiste. Toutes les malades sont sur pieds. Octobre 1er Visite de Monseigneur et de M. Brassac pour faire leurs adieux. Toutes les sœurs se confessent à Monseigneur ; il réunit la communauté pour revenir sur des préférences qu’on avait montrées pour d’autres

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confesseurs que celui qu’il avait donné, M. Delacroix, et dit que c’était celui qui convenait le mieux. 6 On apprend que Monseigneur, en descendant, s’arrête au Barrens pour ordonner prêtres MM. De Neckere et Queen. Mères Octavie et Lucile prennent la fièvre. 24 Mlle Émilie Chouteau qui, depuis longtemps, avait la vocation religieuse sans pouvoir obtenir le consentement de ses parents pour la suivre, ayant atteint l’âge d’être libre dans le choix d’un état, part toute seule de Saint-Louis et vient s’offrir au Sacré-Cœur où elle est reçue. Son père la poursuit, furieux ; puis retourne sur ses pas consulter sa femme à qui Mère Octavie fait dire que sa fille s’est rendue auprès d’elle. On envoie pour la ramener M. Niel curé, et Mme Paul sa sœur. Mlle Émilie résiste longtemps, soutenue par M. Delacroix. Mais Mère Octavie n’osait rien dire parce qu’on la menaçait d’en venir à des extrémités, Mlle Émilie se laisse entraîner et retourne dans sa famille. Novembre 13 Fête de saint Stanislas, précédée d’une retraite des novices. On chante la messe. 21-22 De même, le jour de la Présentation [de la Vierge Marie] et de sainte Cécile. 30 Retour de la Louisiane de Mère Duchesne qui, étant partie le 20 juillet, s’était arrêtée le 22 à Sainte-Geneviève pour avoir la messe, où le steamboat prit M. Cellini prêtre. Le 28, nous nous arrêtâmes au Natchez ; c’était le dimanche, mais M. Manhant le curé avait déjà dit sa messe ; et n’ayant pas la réserve [du Saint Sacrement], nous ne pûmes communier. Nous arrivons le 29 à Plaquemine ; nous y sommes le jour de saint Ignace à l’auberge et ne la quittons que le 4 août. Nous sortons du steamboat du Bayou le 6. La route ordinaire par terre étant cou-

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verte d’eau, on prit un petit bayou où on se crut perdu dans un marais, puis effrayé par une barque montée par des Noirs et des Sauvages qui jetaient de grands cris ; la ressource fut la prière. Elle obtint bientôt de voir la terre ; on monta sur une charrette traînée par 4 bœufs et on arriva le 7 à notre maison des Opelousas. Mère Duchesne trouva le pensionnat en bonne tenue, la chapelle jolie et la maison en bien bon ordre. Elle en repartit avec Mlle Pratte le 2 septembre ; à l’auberge, on reprit la charrette à bœufs jusqu’au steamboat du bayou et une voiture du bayou à l’auberge de Plaquemine. Elle fut obligée d’aller à La Nouvelle-Orléans pour trouver un steamboat jusqu’à Saint-Louis. Elle y fut bien accueillie par les Dames Ursulines, et tomba malade chez elles. Leur supérieure et leur docteur furent d’avis qu’elle partît ainsi, car la fièvre jaune se déclarait à La Nouvelle-­ Orléans. Elle en repartit le 13 septembre. Le 15, elle arriva au Baton Rouge ; deux morts y font arrêter le steamboat qui y laisse encore un Français bien malade. Le lendemain 16, le capitaine meurt ; et bien d’autres passagers étaient encore malades, ainsi que Mère Duchesne. Elle s’arrête le 18 au Natchez, mais il y avait défense d’y laisser entrer aucune personne venant de La  Nouvelle-­ Orléans. Elle est reçue avec Mlle Pratte d’abord chez un veuf allemand ; M. le curé Manhant vient l’y voir et lui procure l’entrée de la maison de M. et Mme Davis où elle est reçue avec grande charité et elle part comblée de leurs bontés. Après 3 semaines de séjour sur le steamboat Cincinnati, les maladies s’y déclarent aussi ; elle a le bonheur de baptiser un moribond qui meurt aussitôt après, et se trouve rétablie elle-même. À la jonction de l’Ohio, elle voit l’Hectat, 1er steamboat qu’elle avait quitté au Natchez. Le pilote avait enterré 13 hommes dans une petite île qu’il montra, et qui avaient été tués par la rupture des bouilloires ou étaient morts de la fièvre jaune. Le Cincinnati échoue près de La Nouvelle Madrid. Mme McKay fait inviter Mme Duchesne à aller chez elle dans cette petite ville, mais on soustrait sa lettre. Enfin, après 14 jours d’ennui le plus cruel, une seconde lettre de cette dame lui parvient et elle se rend chez elle avec Mlle Pratte, ayant employé son loisir à faire la retraite. Après cinq jours, le steamboat se dégage, elle le rejoint et arrive à Saint-Louis le 28 novembre. Décembre Nous faisons les neuvaines avant les fêtes de saint Xavier et de l’Immaculée Conception.

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25 Nous avons la messe de minuit dans notre chapelle ; la 2e, à 6 h à l’église ; la 3e chantée, à 11 heures. 1823 Janvier Nouvelles de France, on s’y prépare aux établissements de notre Société à Turin et à Besançon. Février 6 Nous apprenons que M. Rosati, supérieur des Lazaristes, est nommé coadjuteur de Mgr Dubourg. Il nous demande une neuvaine sans dire pourquoi. La sortie et les plaintes de deux postulantes sans vocation, la maladie et la mort de Mlle Le Duc, la mondanité d’élèves sorties, leur oubli au dehors, l’indocilité de celles du dedans, les calomnies, tout concourt à nous mettre sous le pressoir de la croix. Il faut y joindre la pauvreté et la maladie qui attaque presque toutes les maîtresses et une troupe d’élèves. Mars 19 Le jour de la fête de saint Joseph, nos sœurs Xavier Hamilton, Régis Hamilton, Mary Ann Summers prononcent leurs premiers vœux. M. Delacroix fait la cérémonie. 23 Dimanche des Rameaux. 24 M. Brassac nous annonce son départ pour les Opelousas, et que le diocèse est maintenant divisé : Mgr  Dubourg restera évêque de La Nouvelle-Orléans et Mgr Rosati, de Saint-Louis. 27 Jeudi saint, nous faisons l’adoration le jour et la nuit.

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Avril Nouvelle que Mgr Dubourg a obtenu des Jésuites pour le Missouri. Joie universelle pour toutes. Mai 3 Nous faisons la cérémonie d’une plantation de croix dans notre petit bois. 8 Fête de l’Ascension. Mgr Dubourg, revenu des États de l’Est, vient à Saint-Ferdinand et ce jour, fait faire la 1ère Communion aux enfants de la paroisse et donne la Confirmation. Il nous annonce la prochaine arrivée, aux Barrens, de 12 sœurs de la Croix, instituées par M. Nerinckx, fervent missionnaire. Il confirme celle des Jésuites et nous apprend qu’ayant fini avantageusement au Congrès une affaire des Dames Ursulines, elles lui donnent leur église et ancien couvent de La Nouvelle-Orléans, qui est grand et avait été bâti aux frais de Louis XV. Elles en bâtissent un nouveau. Monseigneur y descend le 11. Juin Le second [jour] de ce mois, arrivent à Saint-Ferdinand le R. Père Van Quickenborne, supérieur des Jésuites du Missouri, les Frères Henri et Pierre, trois Nègres et leurs femmes. (Neuvaine du Sacré Cœur). 5 Arrivée du R. P. Timmermans prêtre et des novices au nombre de 7 : ils ne sont pas prêtres. 6 Célébration de la fête du Sacré Cœur. Nous renouvelons nos vœux à 6 h 30 dans notre chapelle, à la messe du Père supérieur, assisté de M. Delacroix. Il y a une 2e messe, puis la messe chantée. 8 La fête du Sacré Cœur se renouvelle, le dimanche, pour la paroisse. Il y a trois messes, la dernière avec diacre et sous-diacre.

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14 M. Delacroix y annonce qu’il quitte la paroisse et part le 14. Le lendemain des deux fêtes et tout l’octave, il y a exposition. 16 Fête de saint Régis, solennelle. 18 Départ pour les Opelousas de nos chères sœurs Marguerite Manteau et Mary Ann Summers. 21 Fête de saint Louis de Gonzague, patron du pensionnat et des Jésuites étudiants. Ils chantent la grand-messe et le supérieur fait un excellent discours. Il a déjà prêché, ce matin, en donnant le voile à notre sœur Mary Ann O’Connor. Arrivée de Mlle Detchemendy, postulante. Le jeudi 26, jour de confession. Nous entrons sous la direction des Pères Jésuites établis à l’habitation de Mgr Dubourg sur cette paroisse, et qu’il leur a donnée. Ils sont tous des Pays-Bas et ont demeuré quelque temps près de Georgetown. Ils sont chargés des missions de SaintCharles, du Portage, de la Dardenne et de tout le cours du Missouri. Juillet 19 Fête de saint Vincent de Paul, renvoyée au dimanche. Les externes chantent la messe ; leurs prix sont à 2 heures, donnés par le Père supérieur. 22 Récréation pour la fête de notre Mère générale. 31 Fête de saint Ignace, solennelle, à l’église. Ce jour, les Jésuites qui se revêtent de leur costume religieux, chantent la messe et les vêpres célébrées en musique. M. Niel prêche à vêpres, on chante le Te Deum au salut.

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Août 15 Fête de l’Assomption, célébrée comme celle de saint Ignace. 20 Distribution des prix au pensionnat par le Père Van Quickenborne. Septembre 1er Les élèves n’ont été que sept pendant les vacances. Les classes recommencent le 1er septembre. 14 Fête du saint nom de Marie, qui concourt avec celle de l’Exaltation de la Croix ; prise d’habit de notre Sœur Detchemendy ; 1ère Communion de trois élèves. 21 Mort de Mlle  Pélagie Chouteau, notre plus ancienne et plus constante élève, retirée depuis trois mois dans sa famille. Sa mort a été sainte et a causé bien de la douleur à ses parents et à nous. Octobre Ayant appris les nombreux miracles du Prince [Alexandre de] Hohenloe, nous prions notre Mère générale de recommander à ses prières Mère Octavie Bertold, pour laquelle on craint un cancer à la bouche. Novembre 1er Fête de la Toussaint, très solennelle. Après les vêpres, nous chantons celles des morts avec les Jésuites. Et le lendemain matin, matines et laudes. Le Père recteur officie, les Jésuites étudiants disent les leçons. La messe suit et le Libera. 13 Fête de saint Stanislas ; la messe est dans notre chapelle, le Père supérieur prêche.

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21 Celle de la Présentation est précédée de deux jours de retraite. Elle se célèbre dans notre chapelle. 22 Les élèves chantent la messe. Décembre 1er Le 1er commence la retraite des Sœurs du voile noir. Les novices soigneront les élèves. Le Père supérieur, qui la fait avec nous, y donne 6 exercices par jour. À 5 h 30, oraison ; à 9 h, instruction ; à 10 h, 2e méditation ; à 3 h, considération ; à 5 h 30, 3e oraison ; à 9 h, le point d’oraison, répété le matin. Tout ce qu’il dit est touchant et solide. 3 On ne peut communier le jour de saint Xavier, les confessions n’étant pas faites. 8 Fête de l’Immaculée Conception ; exposition tout le jour. 15 Nouvelle de la mort de notre Saint-Père Pie VII et de l’élection de Sa Sainteté Léon XII. 1824 Janvier Le 1er, distribution des prix du trimestre par le Père supérieur. Février Nouvelle que le roi de Sardaigne remet l’éducation de la jeunesse dans ses États aux R. P. Jésuites. La Mère Bigeu est supérieure de la fondation que ce roi a faite de notre Société, à Turin, pour sa noblesse. Mère Bigeu, qui avait fait l’établissement de Bordeaux, y est remplacée par la Mère Camille.

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Notre Mère générale fait à Grenoble une maladie fort sérieuse. Elle se remet quand sa nièce Élisa se dévoue à la mort pour obtenir sa guérison. Thérèse Dusaussoy, sœur d’Élisa, meurt aussi à Chambéry. 8 La Mère de Peñaranda, ancienne supérieure de Gand, par suite de la persécution qu’on y fait aux catholiques, demande à se réunir à notre Société1. Notre Mère générale la reçoit avec empressement et 18 sujets qui l’accompagnent. Elle est bientôt supérieure à Beauvais et Mère Desmarquest, maîtresse du noviciat général à Paris, composé de 60 sujets. Celui des Jésuites à Montrouge [à Paris] est aussi nombreux, et leur pensionnat de Saint-Acheul [à Amiens] a 780 élèves. 10 Notre pensionnat de Paris en a 104 ; Lyon, Amiens, autant. Mars 19 La fête de saint Joseph se passe sans messe, on ne la chôme pas. Celle de l’Annonciation l’a été. Avril Tout le carême, le R. Père a fait le catéchisme tous les jours. 11 Le jour des Rameaux a été solennel. La Passion a été chantée à plusieurs voix. 14 L’office des ténèbres a été chanté par les Jésuites avec nous, les 3 jours. Le Jeudi saint, les Jésuites font l’adoration le jour et quand ils se sont retirés, nous la continuons toute la nuit. Jeudi saint : retraite de trois jours, donnée à l’église par le Père supérieur en anglais et en français, assisté d’un autre. Les offices se font solennellement. 1

La maison de Dorseele (Gand) s’était séparée de la Société du Sacré-Cœur de Jésus en 1814.

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18 Le jour de Pâques, nous avons dit tout l’office de l’Église. 19 1ère Communion des enfants. Baptême de plusieurs protestantes. Nouvelle du sacre de Mgr Rosati à Donaldsonville, le 25 mars, par Mgr Dubourg. Il y avait en outre 18 prêtres à la cérémonie. Nous apprenons aussi les progrès de la foi dans l’État de L’Ohio, depuis que Mgr Fenwick, religieux dominicain, est évêque de Cincinnati. La piété des fidèles rappelle celle des premiers chrétiens. Plusieurs jeûnent jusqu’au soleil couché. Mai 1er Nous n’avons point de messe le 1er, le 3 et le 11, fête du Bienheureux Geronimo1. Les Jésuites commencent ce jour-là une école pour les Métis et Sauvages. 21 Arrivée de Mgr Rosati qui nous témoigne une bonté paternelle, et nous presse de la part de Mgr Dubourg de faire un second établissement près La Nouvelle-Orléans. 22 Départ de Mgr Rosati. 25 Arrivée d’une famille sauvage d’Algonquins, qui fait baptiser un enfant et en apporte deux autres morts, dans des peaux, pour les enterrer en terre sainte. M. Aquaroni, curé du Portage, retourne en France. 31 Mort subite du R. Père Joseph Timmermans. 1

François Jérôme de Geronimo (1642-1716), SJ, né à Tarente en Italie, exprima dès son enfance de la compassion vis-à-vis des pauvres. Entré dans la Compagnie de Jésus, il fut envoyé à Naples où, excellent prédicateur, il fit de nombreux miracles, favorisa l’apostolat des laïcs et les œuvres sociales. Il a été canonisé en 1839. Sa fête est fixée au 11 mai.

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Juin 1er Service [funèbre] de ce bon père, victime de son zèle au sein de la pauvreté. Il a été apporté à l’église, on y a chanté l’office des morts, puis une messe de Requiem. Il est enterré dans le sanctuaire. 16 Fête de saint Régis, célébrée à son autel dans notre chapelle. 20 La fête du Saint Sacrement ne s’est faite que le dimanche. Le mauvais temps n’a pas permis de faire la procession au-dehors, mais seulement dans l’église. 21 La fête de saint Louis de Gonzague a été solennelle à l’église ; la messe et les vêpres ont été chantées et le panégyrique du saint a été prononcé par le P. Elet. 25 Fête du Sacré Cœur dans notre chapelle, précédée d’une retraite pour les renouvelantes. Le Père supérieur a prêché et reçu les vœux de Sœur Ignace Labruyère. 27 Fête du Sacré Cœur à l’église, grand-messe, sermon et après le sermon, procession du Saint Sacrement dans notre clôture tout autour. Il y avait deux reposoirs. 28 Le Père supérieur, revenant de Saint-Charles, reçoit un coup à la tête qui le rend fort malade et nous prive toute l’octave de l’exposition du Saint Sacrement. Juillet Une lettre du confesseur des Dames de la Visitation, à Georgetown, et une de leur Supérieure nous apprennent que leurs affaires se sont

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arrangées et qu’elles restent réunies. Dans le moment où on craignait que leurs dettes les séparassent, huit étaient reçues chez les Dames ­Ursulines à La Nouvelle-Orléans ; neuf à Québec en Canada ; les autres à Trois-Rivières. Elles nous envoient une lettre d’affiliation1. 31 Fête de saint Ignace, grand-messe, panégyrique du saint par le R. P. Verhaegen. Août Le mauvais temps qui fait enfler les deux ruisseaux qui nous entourent et qui n’ont pas de pont, a rendu bien difficile et dangereuse la route que le Père supérieur a à faire pour arriver à l’église. Il lui a fallu souvent passer à la nage sur son cheval ou sur un arbre. 10 Nous apprenons la mort prompte de M. Nerinckx, missionnaire au Kentucky et instituteur des Sœurs de la Croix. Il a fini ses jours à Sainte-Geneviève et est enterré aux Barrens, dans la maison des Sœurs de son institut. Septembre 22 Distribution des prix par le R. Père supérieur. 28 Arrivée de Mgr Rosati avec deux séminaristes. Nous nous confessons toutes à lui. Octobre 1er Le 1er vendredi, il dit la messe dans notre chapelle et y expose le Saint Sacrement.

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Un lien spirituel, un échange de prières entre les deux communautés.

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3 Le dimanche du Saint Rosaire, il baptise un jeune Indien des Pères Jésuites. Il donne ensuite les ordres mineurs à trois des novices et la tonsure à deux. Enfin, il donne la confirmation à 30 personnes, dont plusieurs sont nos élèves. Il dîne chez nous avec les Jésuites. 4. Départ de Monseigneur. Il a pénétré de vénération tous ceux qui l’ont vu. 16 Notre grande retraite a été donnée comme l’année passée par le R. Père supérieur et sur le même plan. Elle a été extrêmement goûtée. Novembre 1er Sortie de Mlles Boilvin. Il ne nous reste que 5 élèves dont une ne paie pas. Les externes, durant toute l’année, n’ont rendu que 9 gourdes et cependant nous n’avons manqué de rien. Et même, moyennant 250 $ reçus de la maison des Opelousas, nous avons pu aider le séminaire indien. La fête de Toussaint, solennelle. 2 L’office des morts est chanté en entier avant la messe. 13 Nous n’avons pas eu de messe le jour de saint Stanislas, mais la sainte communion, bénédiction et sermon. 21 Après une retraite, les sœurs des premiers vœux les ont renouvelés publiquement et les professes, en particulier. La messe, à cause du dimanche, a été dite à l’église. 22-25 Récréation, ces deux jours, pour les élèves.

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Décembre 3 Nous n’avons pas eu de messe [pour] la fête de saint Xavier, mais la sainte communion, bénédiction et sermon du Père supérieur. 8 Point de messe ni de communion le jour de l’Immaculée Conception. Nous l’avons célébrée par l’exercice de la messe, le chant des cantiques, des vêpres et des litanies. 25 Point de messe à minuit ; plusieurs de nous veillent jusqu’à cette heure par dévotion. La messe de l’aube est à 7 h 30 ; la grand-messe, à 10 h 30. Le R. Père Elet y prêche. 27 Point de messe, ni de communion. 31 Madame Eugénie Audé nous écrit que, d’après le consentement de notre Mère, elle accepte l’établissement de notre Société à Saint-Michel que M. Delacroix, qui en est curé, prépare avec zèle. Une souscription qu’il a ouverte a donné 4 000 $. Tous les prêtres de la Louisiane ont souscrit pour 100 $, M. Jeanjean pour 250. 1825 Janvier 1er Le Père supérieur étant malade ne dit qu’une messe basse et ne peut assister aux vêpres. 9 Le pensionnat se trouve réduit à 4 ; nous nous soutenons avec si peu de ressources.

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15 Nous apprenons que Mère Grosier est allée former à Metz une de nos maisons. Février 2 La bénédiction des cierges a eu lieu à la Purification et les prières des 40 heures1, les trois jours avant le carême pendant lequel le Père supérieur fait une instruction, tous les jours à 3 h 30, suivie de la bénédiction. Mars 21 Arrivée de Mère Eugénie Audé. Elle nous apporte, de différentes personnes de France et d’Amérique, 160 $ et des provisions de la part des Dames Ursulines. Elle nous apprend le bon état de sa maison où elle a 27 élèves et que la souscription pour celle de Saint-Michel s’élève en dons gratuits à 7 000 $. 27 Dimanche, distribution des rameaux, passion chantée à plusieurs voix. Le Jeudi saint, la retraite se commence pour trois jours à la paroisse. Nous chantons l’office des ténèbres avec les Jésuites. Ils font l’adoration le jour et nous la nuit, quand ils se sont retirés. Les jours suivants, la retraite continue ; les offices se font. Avril 3 Le saint Jour de Pâques, nous disons matines et laudes à 5 h 30. La première Communion des enfants de la paroisse a lieu à la première messe. Les jeunes filles déjeunent et dînent chez nous. 6 Nous recevons dans une école à part une Sauvagesse et une Métisse. Elles sont remises aux soins de notre Sœur O’Connor. 1

La dévotion des « Quarante heures » d’adoration devant le Saint Sacrement fut instituée par saint Charles Borromée, archevêque de Milan, en 1574. Elle se répandit progressivement dans toute l’Église catholique.

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17 Elle fait ses premiers vœux le jour où notre Sœur Xavier Hamilton fait ses derniers. Le Père supérieur les reçoit et fait un beau discours. Mai Départ de Mère Audé qui doit être supérieure à Saint-Michel, de Sœur Xavier Hamilton qui sera son assistante, de Sœur Ignace Labruyère, coadjutrice, et Aloysia, novice. 30 Fête de Saint-Ferdinand, célébrée le dimanche. Juin 2-5 Fête du Saint Sacrement dans notre chapelle et 1er vendredi. Elle se fait le dimanche à l’église ; deux Indiens de l’école des pères sont baptisés et sont à la procession avec les autres. La procession est à 11 heures, le reposoir dans notre champ dont elle fait le tour. Ce sont les filles du village qui portent l’arc de triomphe de la Sainte Vierge. La milice accompagne la procession. 10 Le Père supérieur étant indisposé, nous n’avons à la grande fête du Sacré Cœur qu’une messe basse, la rénovation des vœux, l’exposition. C’est encore moins solennel à l’église le dimanche ; il n’y a qu’une messe basse, sans sermon, ni exposition. 16 Fête de saint Régis. Grand-messe ; distribution des prix aux Indiennes. 21 Fête de saint Louis de Gonzague, messe avec diacre et sous-diacre. Les Indiens ont servi à l’autel, comme le jour de saint Régis. Le R. P. Verhaegen a prêché avant la messe ; Sœur Thérèse Detchemendy y a fait ses premiers vœux.

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Juillet 1er 1er vendredi sans messe, exposition [du Saint Sacrement]. 2 Visitation, 2e classe. 4 Fête de l’Indépendance des États-Unis. Grand congé. 17 Dimanche. Il se passe sans messe, le Père supérieur ayant une fièvre bilieuse. Le P. Verhaegen lit l’exercice de la messe, prêche, chante Vêpres. 19 Fête de saint Vincent de Paul, elle se passe sans messe ; nous distribuons les prix aux externes. 22 Nous avons la messe ; le R. Père se rétablit. Récréation. 31 Fête de saint Ignace, messe avec diacre et sous-diacre, sermon ­anglais et français du P. Verhaegen, fort beau. Août 15 Il prêche aussi le jour de l’Assomption où la messe est chantée. 22 M. De Neckere vient passer quelques jours à Saint-Ferdinand, sur la nouvelle de la maladie du Père supérieur. 28 Nouvelle de Mme Eugénie Audé qui nous dit que le jour de sainte Madeleine, elle doit faire prendre le voile à deux jeunes orphelines pour

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[être religieuses] de chœur. L’une s’appellera Sophie et l’autre Philippine. Une 3e devait aussi le prendre, elle a été enlevée de force par ses frères et sœurs, malgré le consentement de son tuteur. Septembre Lettre de M. Martial qui a quitté le diocèse de La Nouvelle-Orléans pour s’attacher à celui de Bardstown où son collège a cent pensionnaires. 21 Mme  Lucile Mathevon prend une fièvre bilieuse. Mme  Octavie souffre constamment ; plusieurs enfants sont aussi malades et empêchent l’ordre des classes. Nous nous décidons à mettre les vacances avant les prix. 28 Elles commencent le 21 et se terminent le 28. Les prix sont donnés le 30 par le R. P. Van Quickenborne. Octobre 1er Il dit la messe du Saint-Esprit pour la rentrée des classes et fait un excellent discours sur la vraie et la fausse sagesse. 27 Arrivée chez les Jésuites du R.  P. De Theux, Jésuite et Flamand comme eux, avec le Frère O’Conor. Novembre 1er L’arrivée du P. De Theux nous procure le bonheur d’avoir désormais la messe tous les jours du Père supérieur et deux, le dimanche. La fête de Toussaint est solennelle. L’office des morts est entre nous. 14 Lettre de Mgr Rosati qui annonce que Mère Eugénie Audé est à Saint-Michel avec sa petite colonie composée des deux sœurs qu’elle

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a prises ici (Aloysia est sortie), de Mary Mullanphy, des 3 novices, Sophie, Philippine et Aloysia Hardey. Elles logent en arrivant chez M. Delacroix qui va ailleurs. 27 Nous apprenons que Mgr Dubourg a donné les prix aux élèves du Sacré-Cœur aux Opelousas, avec une extrême satisfaction. Il a reçu les derniers vœux de Sœur Carmélite et Mary Layton. Au départ de Mère Audé, Mère Murphy, désignée par notre Mère générale, a pris sa place de supérieure ; Sœur Carmélite est son assistante et économe. Décembre 8 Fête de l’Immaculée Conception ; entrée de Mlle Anna Shannon au postulat. Et le 31, de Mlle Suzanne McKay, ancienne pensionnaire ; toutes deux Irlandaises. 1826 Janvier Les prix sont donnés au commencement de l’année par le Père supérieur aux Indiennes d’abord, puis aux externes et pensionnaires. Février 8 C’est le R. P. De Theux qui fait la cérémonie des Cendres et qui prêche. Le 1er jeudi de carême, c’est le R. P. Smedts qui dit la messe, il n’est prêtre que depuis quelques jours. 20 Le R. P. Verhaegen part à son tour pour les Barrens afin d’y être aussi ordonné prêtre. Mars 1er Le Père supérieur ayant acheté de Mme Duquette la maison et la terre que nous avions habitées en 1818, va prendre tous les arrangements pour bâtir une église en pierre sur cette place.

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3 Le 1er vendredi du mois est fêté. Le R. P. supérieur donne le voile à Mlle Anna Shannon qui prend le nom de Stanislas. Le soir, il baptise Charlotte, une de nos Indiennes qui était en danger pendant ce mois. Presque toute la communauté est atteinte successivement de rhumes et de maux de gorge. 19 Dimanche des Rameaux ; ils sont distribués après la messe où la passion est chantée à plusieurs voix. 22 Retraite pour les Pâques. Le Père supérieur s’en charge ainsi que des cérémonies du Jeudi et Vendredi saint, l’eau trop haute empêchant les Jésuites de venir. Le froid et le mauvais temps rendent plusieurs Sœurs malades. 26 Fête de Pâques, solennelle. 27 Première Communion des enfants, au nombre de 24, à la messe de 8 heures ; à 3 h, vêpres, rénovation des vœux, procession, consécration à la Sainte Vierge. Le Père Verhaegen, qui est chargé de 6 congrégations, n’a eu que 60 communions le jour de Pâques à Saint-Charles. Avril Premier vendredi du mois : prise d’habit de Mlle McKay. Elle prend le nom d’Aloysia. 4 Maladie bilieuse de Mère Octavie Berthold. 26 Arrivée de Mgr Dubourg. Il est complimenté des élèves.

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30 Il baptise trois de nos Indiennes et trois petits Indiens des Pères et donne la confirmation à 50 personnes. Il dîne et soupe chez nous. Mai 3 Il va à Saint-Charles et retourne à Saint-Louis où le jour de l’Ascension, il donne la Confirmation à environ 60  personnes et en communie plus de  100, dont 20 faisaient leur première Communion. Ensuite, il part pour l’Europe après avoir fait don de l’église de Saint-Ferdinand aux Pères Jésuites, en nous réservant à perpétuité : la moitié de la tribune, la première sacristie et l’ouverture de notre chapelle sur l’église. 14 Fête de la Pentecôte, solennelle. 17 Le R. P. De Theux vient entendre les confessions pour les QuatreTemps. Et pour lever ses doutes sur la faculté de nous confesser, je lui montre une nouvelle permission de Monseigneur de nous confesser à tout prêtre approuvé. 25 Fête du Saint Sacrement, non chômée ; messe solennelle. Le dimanche, la procession se fait seulement dans l’église, nous n’y paraissons pas. Juin 1er Baptême de Mlles Mary et Rosalie Johnson. 2 Fête du Sacré Cœur. Notre Sœur Régis Hamilton fait ses derniers vœux, après 3 ans et quelques mois depuis les premiers, par la permission de Monseigneur et de notre Mère générale. Elle a 21 ans.

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Juillet 8 Visite de M. De Neckere. Nous apprenons que M. Portier est nommé évêque des Deux Florides ; il a quitté son collège. Nouvelle de la mort subite de notre Sœur Mary Ann Summers ­aspirante, aux Opelousas. Août Notre pensionnat est monté au nombre de 24. Septembre 22 Distribution des prix par les R. Pères supérieur et De Theux. 24 Commencement de notre retraite commune par le Père supérieur. Il s’y surpasse en tout. Le journal de New York annonce que Mgr Dubourg a donné la démission de son évêché pour des raisons si fortes que le Saint-Père l’a acceptée. Il est nommé à l’évêché de Montauban, en France, et Mgr de Chevreuse à l’archevêché de Bordeaux, où est mort Mgr d’Aviau. Octobre 3 Rentrée des classes. Les élèves sont 25. Novembre 1er Toussaint : nos sœurs chantent la messe et vêpres. 2 Nous disons aussi l’office des morts et on chante la messe des morts. 5 Dimanche : sacre de Mgr Portier à Saint-Louis par Mgr Rosati. Il s’y est trouvé 17 ecclésiastiques.

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6 Visite chez nous de Messeigneurs Rosati et Portier. 9 Lettre de notre R. Mère Barat qui nous annonce l’approbation de notre Société par Sa Sainteté Léon  XII, sous le nom des Dames du Sacré-Cœur. C’est Mère Bigeu qui a sollicité à Rome cette importante affaire. Le Conseil général a dû s’ouvrir le 29 septembre. Dans cette même lettre, notre R. Mère, sollicitée par M. Niel, nous engage à tâcher de nous établir à Saint-Louis, et promet 4 sujets. La maison de Paris prospère. On est 100 à la communauté, 120 au pensionnat. Le P. Barat est confesseur des élèves ; le Père Perreau, de la communauté. Décembre 3 Le 1er dimanche de l’Avent s’est ouvert dans notre église le jubilé qui a duré huit jours pour les exercices publics. 25 Noël Nous avons la douleur de revoir, en cette grande fête, une ancienne élève qui a été baptisée et a fait sa première Communion et qui, chez nous-mêmes, blasphème contre notre sainte religion. Une autre a dénoncé à leurs parents celles de ses compagnes qui penchaient vers la religion catholique ; leurs parents, protestants, les ont retirées. Nous avons en cette fin d’année : 23 pensionnaires À l’école des Indiennes : 10 enfants Aux externes : 12. Année 1827 Janvier 1er Ce jour, le froid est extrême, l’autel est couvert de neige. Il n’y a qu’une messe basse, point de sermon ; l’église est déserte. Les vêpres sont dans notre chapelle.

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8 Distribution des prix du trimestre. Nouvelle que les Mères Bigeu et Lavaudan, qui ont été à Rome pour obtenir notre approbation, ont eu le bonheur d’être présentées à notre Saint-Père Léon XII par le Père général des Jésuites, dans leur sacristie, le jour de saint Ignace. Elles ont exprimé à Sa Sainteté leur reconnaissance sur son approbation et ont été admises au baisement des pieds. Notre Mère générale ordonne qu’en action de grâce de l’approbation de la Société : 1°) de faire dire dans chaque maison une messe ; 2°) de chanter, pendant 3 dimanches, un Magnificat après le salut ; 3°) de faire sept communions de la communauté, dans chaque maison aussi, soit pour le pape, le cardinal protecteur et autres, etc. Février 16 Mère Duchesne voit à Saint-Louis M. Mullanphy à qui elle s’est adressée pour y avoir une maison. 25 Les quarante heures se font à l’ordinaire. Mars 4 Les neuvaines à saint Xavier et à saint Joseph sont pour l’établissement de Saint-Louis, de même celle à Notre-Dame des 7 douleurs. Avril 1er Nouvelle de la mort édifiante de notre chère Sœur Xavier Hamilton, à Saint-Michel. Elle fait un grand vide dans ce nouvel établissement. 8 Le dimanche des Rameaux ; ils ont été distribués sans chant. 12 Les trois derniers jours de la semaine sainte se sont passés avec la même simplicité dans les cérémonies. Les discours de la retraite de ces

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trois jours, réduits à deux, étaient en anglais. Le jour de Pâques a été peu solennel. 15 Seconde fête de Pâques ; le Père supérieur a reçu les vœux de nos Sœurs McKay et Shannon. 22 Dimanche de Quasimodo1. Il a été le jour de la 1ère Communion des enfants de la paroisse et de 3 élèves. 29 Distribution des prix au pensionnat et aux classes externe et indienne. Récréation. Mai 2 Départ de Mère Duchesne et de Sœur O’Connor pour l’établissement de Saint-Louis avec Mary Knapp, orpheline. Notre R. Mère Barat et notre vrai Père Joseph Varin qui a fait nos Constitutions, désirant vivement que nous fussions établies en Amérique dans une ville épiscopale et nos évêques ayant témoigné le désir qu’il y eu une de nos maisons à Saint-Louis, Mère Duchesne n’y connut que M. Mullanphy, assez riche et assez zélé pour y seconder un établissement religieux. Elle savait d’ailleurs qu’il avait un fond en réserve pour un établissement d’orphelines. Elle lui proposa par lettre de s’en charger. Il y consentit et offrit dans Saint-Louis une maison de briques, agréablement située, entourée de 24 arpents de terre ; avec 1 000 $ pour les premiers frais, à charge de prendre à perpétuité 20 orphelines, auxquelles il serait donné par lui, ou Mesdames ses trois filles aînées, 10 $ à leur entrée pour le lit, etc. et chaque année, 5 $ pour leur entretien qui devait être simple, ainsi que la nourriture, sans thé et café, avec du pain de maïs. Elles devaient aller l’été sans souliers, au moins les petites ; ne devaient pas être reçues au-dessous de 4 ans ni au-dessus de 8. On pouvait les garder jusqu’à 18 ans et il leur promettait, à leur sortie, une petite somme. 1

Nom donné, autrefois, au premier dimanche après Pâques.

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M. Mullanphy évalua ce qu’il donnait en commençant à 7 000 $ ou 35 000 F de France. Il fut en outre convenu que dans la même maison, nous pourrions avoir des pensionnaires et une école externe. On peut renvoyer celles dont la conduite nuirait aux autres. 2 Nous avons accepté tout ce qui a été convenu avec M. Mullanphy, qui a permis d’admettre dans ce nouvel établissement 2 orphelines de Saint-Ferdinand ; car il s’est réservé, à lui et les dames ses trois aînées, de donner les places d’orphelines. Nous sommes parties avec elles, le deux mai, conduisant de plus Julie Courtemanche, Métisse, pour le travail extérieur. Le même jour, nous fûmes visitées par M. Saulnier, curé de SaintLouis, qui nous offrit tous ses services et de faire son possible avec M. Lutz pour que nous ne manquions pas la messe. Il nous envoie une vache à lait, offre son jardinage, envoie des meubles utiles en tables, bancs d’école, etc. 6 Notre première messe a été dite le mercredi, en l’honneur de saint Joseph choisi comme notre patron et qui nous a déjà fait sentir sa protection. Nous ne pouvons garder le Saint Sacrement, n’ayant pas de ciboire. Le même jour, M. Mullanphy nous visite et nous témoigne beaucoup de bonté. Visite de Mme Pratte. 8 Nouvelle que Mgr Dubourg a prêché à Saint-Denis devant le roi, le 21 janvier, anniversaire de la mort du roi Louis XVI son frère ; qu’il est en faveur à la cour et a été très bien reçu à Montauban, son évêché. 1ère visite du P. Van Quickenborne qui est fort content de la maison et de sa situation. 9 Il nous dit la sainte messe et nous la promet pour dimanche.

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13 Il nous la dit à midi, venu de Saint-Ferdinand à jeun, après avoir passé une partie de la nuit pour assister Justine Courtemanche, orpheline de nos sœurs, morte à 4 h ce jour-là. Nous recevons beaucoup de visites de nos anciennes connaissances et de personnes qui offrent des enfants. Le retard de l’arrivée de nos sœurs de France ne permet pas de prendre des pensionnaires. Plusieurs vont attendre à Saint-Ferdinand que tout soit préparé ici pour les recevoir. 26 Mère Duchesne y conduit Mlle cadet Chouteau elle-même. Juin Visite de M. Mullanphy qui vient déterminer la place du pont sur le ruisseau de M. Auguste Chouteau qui le permet, afin d’ouvrir un passage pour aller à la ville et recevoir les externes. Il remet 60 $ pour le lit et l’entrée des six premières orphelines. 24 Fête du Sacré Cœur pour laquelle M. Saulnier envoie ce qui est nécessaire, tant pour la procession que pour le déjeuner des dames de la confrérie du Sacré Cœur qui y assistent1. La procession se fait autour de la clôture ; il y a un reposoir vis-à-vis de la maison. M. Saulnier la conduit et M. Lutz porte le Saint Sacrement. Nous avons renouvelé nos vœux à la messe. 25 Mère Duchesne va à Saint-Ferdinand, assiste à la prise d’habit, le 26, de Mlle Éléonore Gray qui prend le nom de Joséphine et l’emmène le soir avec elle à Saint-Louis pour aider au pensionnat qui va commencer.

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Association de laïcs, érigée par l’autorité ecclésiastique dans les églises de religieux, les cathédrales et les paroisses, et accompagnée d’indulgences. Ces confréries se sont multipliées à la fin du xviie siècle sous l’influence de sainte Marguerite-Marie Alacoque.

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29 Entrée de Mlles Émilie et Julie Chouteau et de Mlle Cabané leur cousine. Juillet 7 Lettre de Mgr Rosati, maintenant évêque titulaire de Saint-Louis et administrateur du diocèse de La Nouvelle-Orléans. Il nous refuse M. Richard pour aumônier. Ce bon prêtre, rappelant ce qu’il appelait « les beaux jours de Saint-Charles », nous avait témoigné le désir de mourir dans le Missouri, auprès d’une de nos maisons. 8 Dimanche, messe du Père supérieur qui nous déclare qu’il ne pourra plus venir, ni aucun des siens pour la sainte messe. Maladie de Mère Octavie qui souffre de la piqûre d’une araignée venimeuse comme un serpent. 9 M. Richard continue à désirer être notre aumônier et nous envoie un joli ciboire, un beau missel, des canons. 22 Visite du R. Père provincial des Jésuites, qui ne nous assure aucun secours de leur part. M. Lutz refuse généreusement ce que nous lui offrons pour ses services habituels et si charitables. 29 Lettre du Père supérieur qui nous abandonne tout à fait les Indiennes. Ce mois termine plusieurs ouvrages importants pour nous : 1°) le pont sur le ruisseau, de 100 pieds de long, coûtant 110 $ ; 2°) un second pont sur une coulée pour les voitures, 100 $ ; 3°) ouvrages du menuisier pour portes, etc., ses journées, 100 $ ; 4°) plâtrage depuis mai, 35 $ ; outre l’emploi des 1 000 $ donnés par M. Mullanphy, qui ont servi à faire une cave, une cuisine au-dessus et une chambre pour le domestique.

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Août Lettre de la Mère Murphy, supérieure aux Opelousas, qui nous envoie 100 $ pour la maison de Saint-Louis. Septembre 9 Le neuf, fête du saint nom de Marie, arrivée de nos Mères et Sœurs de France. C’étaient Mère Hélène Dutour née en Savoie ; Sœur Xavier Van  Damme Flamande, aspirante ; Mlle  Margaret Short, nouvelle convertie et donnée par Mgr Fenwick, évêque de Cincinnati, pour le postulat1. Elles ont voyagé, jusqu’à la jonction de l’Ohio avec le Mississippi, avec Mère Dorival qui est destinée pour les Opelousas et Mme Piveteau aspirante, pour Saint-Michel. Le soir même, Mère Duchesne conduit les trois arrivantes à Saint-Ferdinand, assiste le lendemain aux prix et revient à Saint-Louis avec Mère Dutour. 10 La maison d’Amiens nous a donné 200 $ ; Mme de Rollin, cousine de Mère Duchesne, 200 $ ; le Père Perreau confesseur de la maison de Paris, 200 $ dont une partie a servi au voyage sur mer. Nous recevons aussi la copie du précieux bref de notre Saint-Père Léon XII, pour notre approbation ; la correction des Constitutions, faite par les cardinaux Pacca, Bertozolli et Pedicini. Leur approbation est du 15 juillet, année 1826 ; l’expédition du bref, du 27 décembre 1826. Le pape a donné pour protecteur à la société le cardinal Pedicini2. 17 Entrée de deux demoiselles Berthold au pensionnat, après une 3e demoiselle Chouteau.

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Margaret Mary (Madeleine) Short, RSCJ, est née en 1807 à New York. Elle a fait ses premiers vœux en 1830 à Saint-Louis, et sa profession en 1842 à Saint-Michel. Elle est décédée à Kenwood, Albany, en 1870. Carlo Maria Pedicini (1769-1843), né le 2 novembre, à Bénévent près de Naples (Italie), a été secrétaire de la Congrégation de la Propagande de la Foi, de 1816 à 1823. Créé cardinal par Pie VII, le 10 mars 1823, il occupa diverses fonctions dans la curie romaine, tout en étant évêque de Palestrina puis de Porto, près de Rome.

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21 Arrivée de Mgr Rosati, qui va à Florissant, où il fait sous-diacres les PP. Jésuites De Smet, Werreydt, Van Assche, Elet. Il les fait diacres le 22 et le 23, il les fait prêtres ; et donne la Confirmation. 24 Il donne la Confirmation à Saint-Charles ; le 26, au Portage. Retour de Mère Van Damme à Saint-Louis avec Mère Octavie en visite. 25 Distribution des prix pour les élèves, les externes, les orphelines par MM. Saulnier et Lutz. 29 Retour de Monseigneur des trois paroisses. 30 Il donne la Confirmation à Saint-Louis. Il voit notre bref d’approbation. Octobre 2 Et le deux, fête des anges gardiens, il dit la sainte messe chez nous, fait un discours touchant où il exprime tout le bien qu’il attend de notre établissement. Il bénit la maison en la parcourant en cérémonie, nous à la tête de la procession avec la bannière de la Sainte Vierge. 3 Le lendemain, il revient baptiser solennellement Mlle  Élisabeth Dodge. Mme Dutour est sa marraine. Monseigneur lui fait, avant et après le baptême, des instructions touchantes. 7 Monseigneur nous dit encore la messe et veut que notre tabernacle soit couvert et qu’une nappe de l’autel pende des deux côtés jusqu’à terre. Il repart pour les Barrens.

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Novembre 1er Nous avons la messe de M. Lutz, toutes communient ; les vêpres sont chantées ; l’office des morts est à 6 h. 2 Messe et communion. 12 Arrivée pour le postulat de Mlle Mary Noyer1, de Washington, recommandée par le Père Dzierożyński, provincial des Jésuites2. Elle va le même jour à Saint-Ferdinand où sont les novices. 21 Encore à Saint-Ferdinand, nos mères Octavie Berthold, Lucile Mathevon et Sœur Catherine font le vœu de stabilité, maintenant en usage pour les professes. Mlle  Marguerite Short prend l’habit ; elle prend le nom de Madeleine. La retraite a été en anglais. 23, 24 et 25 Dans la même paroisse : cérémonie de la béatification du Bienheureux Alphonse [de Liguori].

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Mary Noyer quitta le noviciat un an après son entrée, sans avoir fait de vœux. François Dzierożyński (1779-1850), SJ, Polonais, né le 3 janvier 1779 à Orsza (Biélorussie actuelle), entra au noviciat le 13 août 1794, fut ordonné le 24 décembre 1806. Après avoir enseigné les Humanités à Saint-Pétersbourg (1803-1806), il fut professeur de philosophie et de mathématiques à Mogilev (1810-1811) et de théologie dogmatique à la Faculté jésuite de Polotsk (1814-1820), où il était recteur. Après l’expulsion des Jésuites de Russie en 1820, son Supérieur général l’envoya en Amérique du Nord comme provincial de la mission jésuite (1823-1830) puis du Maryland (1840-1843), et maître des novices à Frederick (1834-1840). Il fut en même temps professeur de philosophie (1821-1825) et de théologie (1825-1838) à l’Université de Georgetown, où il lutta contre l’esclavage. Il visita Florissant en Juillet-Août 1827, spécialement pour inspecter le séminaire et examiner ceux qui se préparaient à l’ordination. En 1829, il dirigea l’ouverture du collège des Jésuites à Saint-Louis, puis du Holy Cross College à Worcester, Massachusetts. Il est considéré comme celui qui a posé les fondements de l’éducation jésuite aux États-Unis. Tous le vénéraient comme directeur spirituel. Il est décédé le 22 septembre 1850, à Frederick (Maryland). http ://pl.wikipedia.org/wiki/Franciszek_Dziero%C5%BCy%C5%84ski.

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Décembre 25 Fête de Noël. M. Lutz nous dit deux messes à minuit. Dix externes ont couché dans la classe et communié avec nous à minuit. 27 Mlle Noyer prend avec l’habit le nom d’Ignace, à Saint-Ferdinand. 1828 Janvier Nous avons passé le 1er de l’An sans messe. Mme Van Damme est malade de plusieurs dépôts1. Février Nous avons l’exposition aux 40 heures, puis la cérémonie des Cendres. D’après la permission de Monseigneur et le secours d’un emprunt, nous nous décidons à faire un bâtiment de 32 pieds sur 22 pour une chapelle et dortoir, au-dessus, et 2 petites sacristies de plus. Mars 1er Départ pour notre maison des Opelousas de notre Sœur Joséphine Gray et Mlle Piller. 4 Neuvaine à saint Xavier pour le succès de leur voyage et pour celui de l’école gratuite qui a langui jusqu’à présent, faute de local. Nous la plaçons dans la chambre du domestique, qui a maintenant une maison commode et un jardin à part. Mère Dutour est maîtresse des françaises ; Sœur O’Connor, des anglaises ; et sont aidées chacune par une autre jeune personne de même langue. 19 Le nombre des enfants monte déjà à 26, le jour de saint Joseph, notre fête patronale, où le Père supérieur prêche et dit la messe. 1

Ce sont peut-être des calculs dans les reins.

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25 M. Lutz nous dit la messe. Nous, les élèves, externes payantes et gratuites, orphelines, toutes font la procession en l’honneur de la Sainte Vierge. On y chante les litanies, Magnificat, Ave Maria. Nous apprenons l’heureuse arrivée de notre Sœur Gray, et que notre Mère générale approuve la réunion à notre Société des Sœurs de la Croix à La Fourche, que Monseigneur a demandée. Leurs novices sont déjà à Saint-Michel. Nous apprenons aussi la sainte mort de la R. Mère Bigeu, seconde assistante générale, et celle de la Mère Camille, supérieure de Bordeaux. Le Père supérieur part pour les Osages et avant, il nous envoie, par écrit, la donation de notre 1ère maison à Saint-Charles, qu’il a achetée et où il désire que nous nous établissions. 24 Nouvelles de France. Mère de Peñaranda est supérieure à Lille, nouvelle maison ; Mère Deshayes à Amiens, Mère de Portes à Beauvais, Mère Prevost à Lyon, Mère Grosier à Bordeaux, Mère Chobelet à Poitiers. À La Nouvelle-Orléans, les Dames Ursulines, qui pleuraient encore Mère Saint-Michel Gensoul et Mère Sainte-Marie, perdent la Mère Saint-Joseph de la Clotte supérieure avant Mère Sainte-Félicité qui est aussi dangereusement malade. Avril Nous n’avons pas de messe le jeudi Saint, M. Saulnier n’en voulant pas deux dans la paroisse. M. Lutz vient donner la sainte communion et exposer le Saint Sacrement qui reste ainsi jusqu’au vendredi après-midi. L’adoration a lieu le jour et la nuit. 6 Nous disons les trois jours l’office de ténèbres, et celui de l’Église, la fête de Pâques où M. Lutz nous dit la messe. 20 Mère Duchesne va à Saint-Ferdinand où se fait la 1ère Communion de 34 enfants. Elle en revient avec la sœur novice Madeleine Short.

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25 Sœur Catherine vient aussi à Saint-Louis pour l’école externe. Mère Xavier Milles, supérieure à La Fourche, recommandée par Mgr Rosati, va s’y essayer au noviciat. Ce jour de saint Marc est marquant par la 1ère Communion de six élèves, à qui le R. P. Elet a prêché 3 fois pendant leur retraite. Les parents y assistent et 50 externes. Mai 1er Maladie bilieuse de Mère Duchesne, qui est bientôt guérie. Nous faisons le mois de Marie. 13 Nous apprenons qu’il y a à Saint-Michel 70 élèves et 32 aux Opelousas ; que notre Mère générale a été dangereusement malade en décembre et janvier ; qu’il se fait une fondation de notre ordre à Rome. Le pape Léon XII a demandé pour cela au roi de France une maison qui appartient à sa couronne, à la Trinité-du-Mont. Le roi l’a accordée. Nos sœurs sont parties pour cette fondation qui a pour supérieure la Mère Armande de Causans qui l’était à Turin, où Mère de Limminghe la remplace. 15 et 25 Fêtes de l’Ascension et Pentecôte, messe de M. Lutz. Juin 5 Fête du Saint Sacrement avec exposition. 9 Arrivée de Mlle Ironside, postulante, qui va à Saint-Ferdinand. 13 Grande fête du Sacré Cœur, pour laquelle nous faisons des invitations ; et pour avoir plus de place, nous élevons un autel dans la nouvelle chapelle, non encore finie. La grand-messe est à 7 h 30 par M. Lutz ; la 2e à 9 h par M. Verhaegen qui fait un beau sermon. À Vêpres, le feu prend

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à des rideaux prêtés par Mme cadet Chouteau qui, généreusement, ne veut pas qu’on les lui remplace. 21 Fête de saint Louis de Gonzague que nous faisons. Monseigneur arrive avec M. Dusaussoy prêtre ; il nous dit la messe le 22. 24 Mesdames Xavier Milles, Ironside, Mary Shannon, toutes trois postulantes, sortent de Saint-Ferdinand. Les deux premières vont chez elles. 25 Monseigneur, le Père supérieur, Mère Duchesne vont visiter la maison de Saint-Charles, où notre Mère générale permet qu’on s’établisse. 27 Retour à Saint-Louis. 29 Monseigneur ordonne prêtre M. Loiseul ; il lui en arrive 4 de France. Juillet 1er Monseigneur vient confirmer chez nous 9 élèves. Nous avons alors : 11 pensionnaires, 9 orphelines, 29 externes payantes, 56 gratuites. Nous sommes 8 religieuses. 19 Fête de saint Vincent de Paul pour les externes gratuites. On leur donne les prix. Même jour, arrivée à Saint-Louis de notre Sœur Régis Hamilton qui vient à Saint-Louis prendre la place de Mère Dutour, destinée pour être supérieure dans le nouvel établissement à La Fourche dans la Louisiane sur la demande de Monseigneur, en attendant que notre Mère générale la nomme définitivement. Mère Aloysia McKay va à Saint-Ferdinand remplir le vide qu’y laisse Mère Hamilton.

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23 Mère Dutour descend seule, elle trouvera des sujets à La Fourche. 31 Fête de saint Ignace ; ce jour, Mlle Judith Shannon prend le voile de notre Société à Saint-Ferdinand et prend le nom d’Alphonsine1. Août 2 Fête de Notre-Dame des anges. Communion générale à l’occasion de l’indulgence de la Portioncule2, que le Saint-Père accorde à nos maisons. 10 Fête de saint Laurent, 2e dimanche du mois. 1er jour où nous prenons possession de notre chapelle. Le Père supérieur dit la messe et prêche. 15 Nous célébrons la fête de l’Assomption en la terminant par la procession en l’honneur de Marie. La fête de son Cœur, il n’y en a pas ; les novices font leur consécration. 30 Nouvelles de France qui nous annoncent que M. Perreau nous a obtenu, de la Société de la propagation de la foi, 2 000 F et 2 000 autres de différentes personnes sont envoyés en même temps avec quelques objets de sacristie. Il y a aussi une somme de la Société de la Foi pour les PP. Jésuites, qui ont à Saint-Charles des dettes contractées pour finir l’église.

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Judith ou Johanna (Alphonsine) Shannon, RSCJ, sœur d’Anna, Margaret et Catherine, est née en Irlande en 1812. Elle a fait ses premiers vœux en 1830 et sa profession en 1836 à Saint-Louis. Elle est décédée à Manhattanville, New York, en 1848. Indulgence plénière accordée par une visite faite, entre le 1er août à midi et le 2 août à minuit, dans une église ou une chapelle dotée de ce privilège, avec les conditions suivantes : avoir fait une confession, une communion, des prières aux intentions du pape (six Pater, Ave et Gloria).

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Septembre D’autres nouvelles bien fâcheuses. C’est que le gouvernement en France interdit aux Jésuites de tenir des collèges ; six qu’ils y avaient sont détruits, en particulier celui de Saint-Acheul près d’Amiens, qui a eu 1 200 élèves à la fois. Madame Dutour a commencé l’établissement du Sacré-Cœur à La Fourche avec les Sœurs Régina et Rose qui avaient fait leurs vœux chez les Sœurs de la Croix. 19 Les prix se donnent à Saint-Ferdinand, où sont fort malades les mères Octavie, Lucile, Sœurs Noyer et Milles. De 24  élèves qui s’y trouvent, 12 ne reviendront pas. 22 Prix des élèves à Saint-Louis, distribués comme à Saint-Ferdinand par le R. Père supérieur. 23 Arrivée de Saint-Michel de nos Sœurs Maria Lévêque et Eulalie Guillot. Nous préparons le dortoir au-dessus de la chapelle, avec 20 lits peints et rideaux blancs. Octobre 8 Arrivée et visite de Mgr Rosati accompagné de M. Paquin, qui se rendent le lendemain à Saint-Ferdinand puis à Saint-Charles, le 10. 10 Le même jour s’y rendent aussi les Mères Duchesne, Octavie, Lucile Mathevon et Sœur Mary Ann O’Connor. Ces deux dernières doivent y rester pour renouveler l’établissement que nous y avions commencé en 1818 et dans la même maison, à côté de laquelle a été bâtie une jolie église en pierre. La première en bois tombait en ruines. La maison est aussi en mauvais état. On y dresse un autel dans la plus grande chambre et le 11 au soir, Mgr Rosati, 8 Jésuites, 2 Lazaristes et 2 séminaristes disent les matines et chantent laudes auprès de l’autel où sont exposées

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les reliques qui doivent être mises dans l’autel de l’église. C’est le corps de saint Adéodat1. 12 Le dimanche, plusieurs messes se disent avant 7 h 30 où la cérémonie de la consécration de l’église commence. Elle est terminée par la messe en musique ; le soir, il y a vêpres et salut. 13 Le 13, Monseigneur donne la Confirmation dans la nouvelle église à 66 personnes. 15 Sœur Eulalie Guillot va à Saint-Ferdinand pour l’école externe. Le même jour, Monseigneur y donne le voile à Mlle Adeline Boilvin, notre ancienne élève ; elle prend le nom de Gonzague. 19 Monseigneur donne la Confirmation dans l’église de Saint-Louis. 20 Le lendemain, il bénit notre chapelle dédiée au Sacré Cœur sous l’invocation de saint Joseph, patron de la maison. Il est assisté de MM. Paquin et Loiseul. Il reçoit aussi les 1ers vœux de Sœur Maria Lévêque et bénit en partant plus de 84 enfants de nos écoles, attirées par la cérémonie et il en manquait vingt. 25 Monseigneur revient dans la semaine. Il est en peine de tant de dettes qui lui ont été laissées. M. Saulnier curé est fort à la gêne aussi. Saint-Ferdinand, à la rentrée, n’a plus que 10 élèves et nous 7 pensionnaires, 24 élèves payantes, 60 gratuites et 8 orphelines. Saint-Charles commence avec 40 $. Monseigneur nous laisse M. Loiseul pour aumônier et fixe ses honoraires à 100 $. 1

Saint Adéodat 1er (ou Dieudonné 1er) fut pape et patriarche de Rome, de 615 à 618. Sa fête est le 8 novembre.

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Novembre 1er Fête de 1ère classe ; le soir, office des morts. 4 Arrivée de Mère Xavier Love, supérieure des Sœurs de la Charité, appelée d’Emmitsburg par Monseigneur pour un hôpital dont M. Mullanphy est fondateur. Ses trois compagnes sont : Sœur Élisabeth, Sœur Régis, Sœur Martina. Leur maison n’étant pas prête, nous avons le bonheur de les loger dans la sacristie. 21 Monseigneur dit la sainte messe qui est aussi solennelle que possible. 27 Les Sœurs de la Charité nous quittent pour habiter l’hôpital. 29 Mère Régis va à Saint-Ferdinand pour la retraite et y reste, sa présence y étant nécessaire par l’état de santé de la Mère Octavie, de Sœur Noyer qui quitte bientôt après la Société. Décembre 25 Nous avons 2 messes à minuit, une le matin. 31 Prix des externes gratuites. 1829 Janvier 8 Le huit, entrée de Mlle Marcellite Côté au postulat1. 1

Marcellite Adrienne Côté, RSCJ, née en 1812 à Saint-Charles, a fait ses premiers vœux à SaintLouis en 1831, et sa profession à Grand Coteau en 1839. Elle a vécu ensuite quelques années à Mater, à La Nouvelle-Orléans. Elle est décédée à Saint-Michel en 1898.

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Le 21, nous recevons la copie de notre affiliation à la Société de Jésus par le Père général. Février 24 Lettre de notre Mère générale qui engage les supérieures d’Amérique à se réunir pour établir l’uniformité dans les maisons et voir quelles dispenses sont ici nécessaires. Mars 7 Sœur Mary Layton professe coadjutrice est envoyée à Saint-Charles. Mère Duchesne l’y accompagne, y trouve 36 élèves externes. 17 Visite de Mme Smith, fondatrice des Opelousas, avec Messieurs Cellini et Potini. Elle loge à la sacristie. Avril 16 Le jeudi Saint, nous n’avons pas de messe, mais la communion pascale et le reposoir où se fait l’adoration jour et nuit. Mlle Lucille Frances Roche entre au postulat à Saint-Ferdinand et Sœur Marcelline Côté y a pris le saint habit. 20 Après avoir passé le vendredi et le samedi saint, sans prêtre, nous chantons les deux fêtes de Pâques. Mai 1er Nouvelle de la mort de notre Saint-Père le pape Léon XII. 14 Départ de Mme Xavier Van Damme pour Saint-Michel et de Sœur Thérèse Detchemendy aspirante aussi, pour la maison à La Fourche.

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22 Nous acquittons toutes nos dettes par 200 $ reçus de la Société de la Foi, 500 $ de notre Mère générale et par la vente de Rachel. C’est M. Torrenton, Irlandais, qui nous avait prêté ces 700 $. 30 On termine le mois de Marie par une procession en son honneur. 31 Nouvelle de l’élection de Sa Sainteté Pie VIII. Juin 21 Fête de saint Louis de Gonzague. Elle a été précédée de la dévotion des six dimanches. Ce jour, fête du Saint Sacrement à la paroisse ; la procession se fait sur notre terrain où il y a deux reposoirs. 26 Fête du Sacré Cœur. Nous avons 2 messes solennelles, nous y renouvelons nos vœux. Toutes les élèves communiantes s’approchent de la sainte Eucharistie, ainsi que les externes. Elles sont reçues dans la confrérie du Sacré-Cœur et l’on termine par une procession où on chante en son honneur. Nous apprenons qu’il y a à La Fourche 44 élèves ; et de France, que dans la maison de Lyon, il y en a 100 et 18 orphelines nobles dans la 2e maison où Mère Geoffroy est supérieure de cette maison fondée pour ces orphelines. On prépare la fondation d’Avignon où M. de Vidaud donne son grand hôtel ; celle de Perpignan va bien. Juillet Entrée de Mlles Elisa Bosseron et Hélène Mayette au postulat à Saint-Ferdinand. 24 Les prix des externes avaient été différés parce qu’on espérait que Monseigneur les donnerait. Il ne vient pas ; ils sont donnés par M. Saulnier.

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31 Le Père supérieur nous dit la messe, prêche, expose le Saint Sacrement. Les vêpres sont chantées ; toutes les externes s’y trouvent. Août Le deux, nous communions pour gagner l’indulgence de la Portioncule. 13 Visite de Monseigneur avec M. Blanc, curé du Baton Rouge ; 2e visite de Monseigneur avec MM. Evremont et Fouchet qui, avec M. Martial, ont tenu un collège premièrement à La Nouvelle-Orléans, puis au Kentucky. Ils nous confient qu’ils vont se faire Jésuites et nous disent la messe. 17 Monseigneur vient donner la Confirmation à plusieurs de nos pensionnaires. 19 Visite de Monseigneur avec M. Jeanjean et M. Blanc. 22 Monseigneur va à Saint-Ferdinand avec ces Messieurs, et y donne le voile à Mlles Lucille Françoise Roche et Louise Desmarest. 23 Il donne la Confirmation dans l’église de Saint-Ferdinand à 53 personnes, dont plusieurs sont nos élèves. 24 Il donne la Confirmation à Saint-Charles. 26 Il vient donner les prix à nos élèves, accompagné de MM. Blanc et Jeanjean, après avoir dit la sainte messe.

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27 Départ de Monseigneur pour Baltimore, où il va assister au Concile national1, accompagné de M. Jeanjean. La messe d’action de grâces est dite par le Père supérieur et est suivie par la sortie des élèves, dont les parents nous affligent en exigeant de plus longues vacances que par le passé, et demandent des sorties de leurs enfants, chaque semaine. Ce qui est refusé. Septembre 4 Sœur Mary Ann O’Connor, après une retraite faite à Saint-Ferdinand, y a prononcé ses derniers vœux le 4, devant le Père supérieur. 5 Distribution des prix à Saint-Ferdinand. 11 Arrivée de France de nos Sœurs Catherine Thiéfry, Félicité Lavy et Julie Bazire. Elles nous apportent des lettres de notre R. Mère générale, du Père Perreau et du Père Varin, qui nous comblent de consolations. 30 Rentrée des sept pensionnaires qui restaient aux prix. Octobre 2 Rentrée des classes. Le Père supérieur prêche pour les élèves. 30 Fête du Bienheureux Alphonse.

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En 1829, l’archevêque de Baltimore et quatre évêques ont participé au premier Concile provincial de Baltimore, premier Concile national des évêques dans leur archidiocèse.

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Novembre 7 Départ de Mère Duchesne pour la Louisiane avec Sœur Maria Lévêque dont la santé demande le retour à Saint-Michel, dans sa patrie, et M. Delacroix revenu d’Europe. Décembre 20 Retraite à Saint-Ferdinand par le Père supérieur des Jésuites, suivie, le 27, par la prise d’habit de Mlles Elisa Bosseron, Aubuchon et Mayette. 1830 Janvier Il y a presque tous les dimanches à Saint-Louis, un ou deux sermons des R. P. Verhaegen et Walsh. Février 2 Bénédiction des cierges. 10 Le dix, on y a commencé la grande retraite donnée par le Père supérieur, avec six exercices par jour. Elle a duré 9 jours. 27 Retour de Mère Duchesne de la Louisiane, qui a visité premièrement la maison de Saint-Michel, bâtie en briques près le Mississippi, à 30 lieues de La Nouvelle-Orléans. Elle est sur un terrain d’un seul arpent de face, sur 40 de profondeur. La maison a 95 pieds de long sur 60 de large, outre 6 petites bâtisses pour le service de la maison. Elle y a assisté, fin décembre, à l’enterrement de Sœur Borgia coadjutrice, veuve et mère de la famille qui sert la maison. Sœur Ignace Labruyère y a fait ses derniers vœux le 2 février. Mère Eugénie Audé supérieure a 22 filles religieuses et 70 pensionnaires. La maison à La Fourche, où Mère Duchesne a passé la fête de saint François Xavier, a eu pour fondateur M. Bigeschi, prêtre italien, qui y a été curé et que sa santé a forcé de retourner en Italie. La maison, qu’il

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a fait bâtir et où sont nos sœurs, est sur un terrain de trois arpents de face, sur le bayou La Fourche, et 40 de profondeur. Il a été donné par un riche habitant. Mère Dutour supérieure n’y a encore que 5 filles religieuses, dont aucune professe. Il y a 60 élèves dont 18 orphelines. M. Caretta en est aumônier. M. Rosti Lazariste l’est aux Opelousas dont la maison en bois, de 56 pieds sur 50, a coûté à Mme Smith 7 000 $. Le terrain qu’elle a donné a 80 arpents. Mère Xavier Murphy y est supérieure, Mère Dorival assistante, Sœur Carmélite économe. Il y a en tout dix religieuses. Mère Duchesne a reçu des présents des trois maisons de la Louisiane pour les trois du Missouri. Elle les a quittés le 7 février et a mis 20 jours pour arriver à Saint-Louis, s’étant arrêtée aux Barrens pour consulter Mgr Rosati et De Neckere, nommé à l’évêché de La Nouvelle-Orléans. Elle y a logé chez les saintes Sœurs de la Croix, à Sainte-Geneviève, chez le curé M. Dahmen. Mars Dans sa visite aux Barrens, Mère Duchesne a obtenu de Mgr De Neckere qu’il soit le supérieur immédiat des trois maisons du Sacré-­ Cœur. 7 Il arrive à Saint-Louis avec Mgr Rosati, qui vient nous voir, nous confesse, examine les sœurs qui doivent faire leurs vœux et consent que la cérémonie ait lieu le lendemain dans notre chapelle. 8 Il dit la sainte messe, prêche et reçoit les derniers vœux de nos sœurs aspirantes de chœur : Félicité Lavy, Aloysia McKay et Julie Bazire pour laquelle Monseigneur donne dispense d’âge à cause de son départ prochain pour La Fourche, car elle n’a pas atteint 25 ans. Après la messe, il écrit l’acte des vœux, qu’il signe avec M. Lutz son assistant, les nouvelles épouses, etc. 11 D’après les consultations faites, on réunit le petit pensionnat de Saint-Ferdinand à celui de Saint-Louis, où Mère Octavie se rend avec Sœur Gonzague Boilvin d’abord, puis Mère Régis Hamilton.

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Mère Thiéfry va à Saint-Ferdinand où elle est chargée de la supériorité et du soin des novices qui y restent avec Sœur Stanislas Shannon aspirante. 12 Le jour du départ, Monseigneur vient de nouveau dire la sainte messe dans notre chapelle et bénir les voyageuses, qui sont Mère Lavy et Sœur Roche pour les Opelousas et Mère Bazire et Sœur Tesserot pour La Fourche. Elles nous quittent à 11 heures. Jamais les pensionnaires n’avaient montré tant de sensibilité. 19 Fête de saint Joseph, notre bien-aimé patron dont nous éprouvons l’assistance dans ces moments de peines et de sacrifices. Monseigneur nous dit la sainte messe, prêche et donne le voile à Mlles Mary Shannon et Élisabeth Missé, comme coadjutrices. 20 Les classes sont réorganisées et les externes séparées du pensionnat. 31 Visite de Mgr Rosati qui nous annonce qu’il a reçu de la Société de la Foi 1 200 $ pour lui, pour les Jésuites et pour nous. Mgr De Neckere l’accompagne. Avril 5 Nous recevons notre part du don : 453 $. Visite de Monseigneur pour examiner nos sœurs Short, Milles, Guillot qui ont fini leur noviciat et promet de recevoir leurs premiers vœux, la seconde fête de Pâques. Il nous permet d’avoir dans notre chapelle toutes les cérémonies de la semaine sainte, ce qui nous avait été refusé les années précédentes. 8 Mgr De Neckere dit de bonne heure la sainte messe, le Jeudi saint, pour se trouver à la cérémonie des saintes huiles à la paroisse. Outre les deux évêques, il s’y trouve 8 prêtres.

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9 Office du Vendredi saint par M. Saulnier. 10 C’est encore lui qui fait l’office. 11 Fête de Pâques, messe du P. Walsh. 12 Mgr Rosati, accompagné de Mgr De Neckere, vient recevoir les vœux de nos sœurs Eulalie Guillot, Madeleine Short, Joséphine Milles. Il fait un beau sermon et écrit l’acte des vœux. 13 3e fête de Pâques ; nous avons une 1ère messe du Père supérieur ; Mgr De Neckere en dit une seconde où il fait un discours très touchant pour la 1ère Communion de 5 de nos élèves, dont une est Mlle Anne Stegar, protestante convertie à l’âge d’environ 20 ans, et qui désire être religieuse. 15 Mgr Rosati vient avec M. Leduc nous faire signer l’acte par lequel il nous fait consentir à recevoir chaque année 120 $ destinés à l’entretien des orphelines ; au lieu de les recevoir de lui ou de Mesdames ses filles après sa mort, comme cela avait d’abord été arrêté. 19 Nouvelle de la mort de Mère de Peñaranda, arrivée à Lille où elle était supérieure. Et d’une maladie grave de Mère de Gramont à Paris. 20 Nouvelle que M. Jeanjean, qui avait le soin de la maison de Saint-­ Michel, s’est retiré. M. Delacroix, qui depuis son retour d’Europe n’avait que la paroisse, reprend la conduite de nos sœurs. Mère Eugénie annonce en même temps l’arrivée de nos quatre sœurs à La Fourche et aux Opelousas.

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Mai 5 Nous commençons une quarantaine de jeûne et de prières pour le diocèse. Et le mois de Marie, par une procession dans le champ, où se trouvent les pensionnaires, les externes et nous, au nombre de cent. Nous sommes bien éprouvées par l’exigence des parents pour leurs visites fréquentes et les sorties de leurs enfants. 16 Commencement de la dévotion des six dimanches en l’honneur de saint Louis de Gonzague et du Jubilé1. 17 Rogations, Litanies des saints avant la messe. 20 Ascension. Communion pour le Jubilé. On a dû jeuner trois jours et quand on ne peut pas le faire, réciter trois psaumes de la pénitence. L’aumône peut aussi être remplacée par la récitation des Litanies des saints. 25 Deux élèves sortent sans notre agrément pour une noce mondaine et passent deux nuits à danser. 30 Fête de la Pentecôte. Le feu prend à l’autel et oblige de fermer le Saint Sacrement. 31 Nous n’avons ni messe, ni communions. Nous terminons le mois de Marie par une procession. 1

Une dévotion, datant de 1739, accordait une indulgence plénière grâce à une confession, une communion, des œuvres de charité et une prière à saint Louis de Gonzague, six dimanches consécutifs, en particulier ceux qui aboutissaient à sa fête, le 21 juin. Le 16 mai 1830 était un dimanche et il y avait cinq autres dimanches avant le 21 juin. Le jubilé fut proclamé par le pape Pie VII, à l’occasion de son pontificat.

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Juin 9 Nous commençons la neuvaine à saint Régis. 10 Fête du Saint Sacrement. Le soir, il est porté en procession par M. Lutz accompagné des Pères De Theux et Elet et de M. Doutreligne. M. Saulnier conduit la procession où il ne nous est plus permis d’aller. Les élèves sont en blanc, nombre de personnes de la paroisse. Il n’y a qu’un reposoir. Les pensionnaires chantent tout. 13 Pendant cette octave, il y n’a d’exposition que le jour de la fête et le dimanche. Par une méprise, aucun prêtre ne vient le soir de ce dernier jour pour fermer le Saint Sacrement. Nous veillons tour à tour la nuit pour l’adoration. 18 Fête du Sacré Cœur, solennelle. Nous renouvelons nos vœux à une 1ère messe ; à 7 h 30, la messe est chantée en musique ; c’est M. Saulnier qui la dit ; nous avons vêpres chantées, sermon de M. Doutreligne et procession le soir entre nous. 21 Fête de saint Louis de Gonzague, de 1ère classe. 22 Exposition du Saint Sacrement. Le feu prend à la niche, on est obligé de mettre l’ostensoir sur l’autel. 23 M. Saulnier fait défendre, à cause de l’accident du feu, de laisser le Saint Sacrement exposé tout le jour. 29 Fête de saint Pierre. Il y a peu de communions parce qu’il y a beaucoup de malades dans la maison.

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30 Retour de Sœur Tesserot de notre maison à La Fourche. M. Landry, qui l’accompagne, blâme beaucoup que Mère Dutour entreprenne sans fonds une bâtisse de 12 000 $. Juillet 1er On en entreprend une aux Opelousas de 7 500 $, mais avec des fonds et la permission de notre Supérieure générale. Nouvelle que Monseigneur de la Nouvelle-Orléans a posé la première pierre à l’église de Saint-Michel que M. Delacroix entreprend avec des fonds qu’il a tirés de la Belgique. Mlle Lise Lévêque est la sixième sœur qui prend notre saint habit à Saint-Michel. 4 Mère Duchesne va visiter Mère Lucile malade ainsi que Sœur Layton. Elle est accompagnée de Mère Aloysia McKay qui s’arrête chez sa mère, aussi bien malade. Elle voit au retour la maison d’école à Saint-Ferdinand toute dégradée. On la fait réparer. 10 Visite de Mgr Rosati de retour de La Nouvelle-Orléans, où il avait été pour sacrer Mgr De Neckere, assisté de Mgr Portier évêque de La Mobile. Il confesse pour les Quatre-Temps et nous apprend qu’il a aux Barrens cent pensionnaires. Il y va célébrer la fête de saint Vincent de Paul. 19 Nous avons aussi solennisé la fête de ce grand saint ; plus de 100 de nos élèves ont assisté à la messe ; les grandes externes ont communié. L’après-dîner, on leur a donné leurs prix de l’année ; elles ont bien répété aux exercices. On chante vêpres. 31 Fête de 1ère classe, mais sans exposition. Même jour, fête et grands prix chez les Jésuites.

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Août 4 Sœurs Madeleine Short et Mary Shannon partent pour les Opelousas (le 21). 15 Assomption, de 1ère classe. M. Paillasson dit la messe1 ; elle est en musique. 19 Monseigneur dit la sainte messe et confirme Mlles Hegard et Frémont. 29 Messe solennelle de saint Louis pour sa fête à la paroisse. Nous faisons le même jour, celle du saint Cœur de Marie. Septembre 4 Commencement des exercices pour les prix. 9 Distribution des prix par Monseigneur et les PP. De Theux et ­ erhaegen. On y répète des morceaux du Poème de la Religion [de BosV suet], une géographie symbolique, des morceaux anglais. 10 Monseigneur dit la messe d’action de grâces. 11 Nous faisons la retraite, successivement.

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Victor Paillasson, SJ, né en France en 1799, a été ordonné prêtre dans le clergé séculier. Arrivé en Amérique, il a exercé son ministère pastoral à Kaskaskia et à La Nouvelle-Madrid, avant d’entrer dans la Compagnie de Jésus, à Florissant. Il a été curé de Saint-Ferdinand, peu de temps, en 1838. Il est décédé en 1840 à Grand Coteau.

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17 Monseigneur nous apprend la nouvelle révolution de France. Charles X a fui avec sa famille. Le duc d’Orléans est élu roi, sous le nom de Philippe. 20 Nouvelle de la mort de notre chère et bonne Sœur Françoise Lucille Roche, aux Opelousas ; elle a été très prompte et causée par la rupture de l’artère mère. Fin des retraites. Octobre 1er Messe pour la rentrée des classes. 10 Nous apprenons qu’à la suite de la révolution de France, M. de la Fayette est à la tête de la Garde nationale. La Chambre des députés déclare que la religion catholique n’est plus la seule religion de l’État. On pille et détruit le palais de l’archevêque de Paris, Mgr de Quelen, le séminaire irlandais et autres, la maison des Jésuites à Saint-Acheul [à Amiens]. Ces exemples sont suivis dans plusieurs villes, surtout à Lyon, à Perpignan, etc. 17 Nouvelle que la bâtisse de Mère Dutour à La Fourche est arrêtée, faute d’argent. Entrée au postulat de Saint-Ferdinand de Sœur Ann Hagerty. 30 Fête du Bienheureux Alphonse Rodriguez. Monseigneur dit la messe, reçoit les premiers vœux de Sœur Alphonsine Shannon et donne l’habit à Mlle Ann Stegar. Novembre 1er Les fêtes de la Toussaint et des morts sont célébrées à l’ordinaire.

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21 Le R. P. De Theux reçoit la rénovation des trois aspirantes. Décembre Le froid devient rigoureux, beaucoup d’élèves sont malades. 25 M. Lutz nous dit 3 messes à minuit et le Père De Theux, les trois du jour. 1831 Janvier Le jour de l’An, nous avons une 1ère messe du Père supérieur. M. Lutz dit la seconde et fait un beau sermon, comme à Noël. 6 Fête des rois. Monseigneur vient officier pontificalement dans notre chapelle. 9 Distribution des prix du trimestre. Février 2 Le jour de la Purification, Monseigneur nous dit la messe et bénit les cierges ; il prêche aussi. Nous avons eu, les trois jours avant le carême, l’exposition, les prières des 40 heures. Le mercredi des Cendres, M. Lutz les a bénies et distribuées. 28 Nous apprenons que le P. De Theux est supérieur des Jésuites à la place du P. Van Quickenborne. Le froid a fait périr beaucoup d’animaux ; la disette du bois et du fourrage s’est bien fait sentir. La neige a tenu depuis Noël jusqu’au dernier [jour] de février.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

Mars 1er M. Dubreuil nous donne le Nègre Joseph pour la pension de ses filles. Nous sommes obligées de garder gratuitement jusqu’aux vacances Mlle Mélanie Boilvin dont on ne peut payer la pension. 15 Nous recevons de la Société de la Foi, par Monseigneur, 350 $ et 100 $ de Mère Eugénie. 19 Monseigneur nous dit la sainte messe, prêche et chante vêpres le matin. 25 Annonciation, 1ère classe, exposition [du Saint Sacrement]. 26 Fête de Notre-Dame des sept douleurs. 28 Lundi saint, Monseigneur, assisté de plusieurs prêtres, donne solennellement la tonsure, dans notre chapelle, à MM. Hamilton et Toquet, séminaristes prêts à partir pour Rome, où ils ont une place gratuite au séminaire de la Propagande. 30 Le jeudi, le Saint Sacrement placé dans un tombeau est gardé en adoration le jour et la nuit. C’est M. Lutz qui fait l’office de jeudi et vendredi. On dit, les trois jours, l’office des Ténèbres. Le Samedi saint, nous n’avons pas de prêtre. Avril Le saint jour de Pâques, le P. Verhaegen dit la messe, prêche.

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4 Monseigneur vient faire faire la 1ère Communion à deux de nos pensionnaires et prêche. 10 Messe du P. De Theux. M. Lutz devant aller en mission, nous lui demandons si l’un des pères pourrait nous dire la messe ; il répond le soir que son conseil le refuse à l’unanimité et qu’il est de son avis. 13 Une lettre de France nous apprend que notre sainte religion s’y soutient ; la messe de minuit s’est dite tranquillement à Lyon. Il a été impossible à Romans et à Valence de trouver quelqu’un qui voulût abattre les croix. À Vienne, lorsqu’on a voulu ôter celle de la mission, le peuple s’y est porté en foule, l’a accompagnée à la cathédrale où les amendes honorables se sont succédées pendant huit jours avec piété. Des punitions soudaines et des morts terribles ont puni plusieurs furieux, dans d’autres villes, qui avaient outragé la croix. 17 Sœur Aubuchon, novice de chœur de 18 mois, va à Saint-Charles. Sœur Layton revient de Saint-Charles. Sœur Marcellite Côté est destinée pour les Opelousas. 20 Lettre de notre Mère générale qui ôte la supériorité à Mère Dutour, l’envoie aux Opelousas, et charge Mère Eugénie Audé d’arranger les dettes pour la bâtisse. 25 Monseigneur se réserve nos cérémonies de prise d’habit et de vœux. Il vient recevoir ceux de Sœur Marcellite Côté, le 25. Mai Départ le 3, de Sœur Marcellite Côté et de Sœur Milles pour les Opelousas.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

6 La petite vérole se déclare pour Mère Régis Hamilton, dangereusement malade depuis le 1er du mois. 7 Monseigneur charge M. Rondot, prêtre de Lyon, de la confession des Françaises de la communauté et du pensionnat. M. Condamine, du même diocèse, nous dira souvent la messe en l’absence de M. Lutz, en mission. 22 Entier rétablissement de Mère Hamilton. 31 Conclusion du mois de Marie par une procession. Juin 2 La fête du Saint Sacrement a été de 1ère classe, mais sans procession au dehors ; elle s’est faite dans l’église de la paroisse. 6 Commencement d’une retraite de trois jours, donnée par M. Rondot pour préparer à la fête du Sacré Cœur. 10 Fête du Sacré Cœur. M. Rondot dit la messe à 5 h 30 où se fait le renouvellement des vœux. Il prêche sur le Sacré Cœur à la messe de Monseigneur qui officie pontificalement à la grand-messe. Nous chantons les vêpres et terminons la fête par une procession. 11 Nous sommes sans messe, Monseigneur ayant conduit ses prêtres à Saint-Ferdinand. Il y donne la confirmation à 36 personnes. 16 Nous fêtons saint Régis, de 1ère classe. Monseigneur détermine que le vœu qui regarde cette fête s’accomplira seulement à Saint-Ferdinand,

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la 1ère maison en Amérique1. Nous avons fait une neuvaine à ce saint et à saint Antoine de Padoue. 17 Nous avons dit, tout l’octave du Sacré Cœur, l’office qui lui est consacré. Sœur Louisia Desmarest est sortie de Saint-Charles pour maladie et Sœur Piller, des Opelousas. Juillet 2 Nous apprenons que Mère Eugénie a payé près de 4 000 $ de dettes faites à La Fourche, qu’on veut bien attendre pour le reste, que Mgr De Neckere a donné pour cela 500 $ et que M. Richard a prêté 900 $. Refus continué du P. De Theux de permettre à un des Jésuites de confesser nos enfants qui n’entendent que l’anglais. 3 Mlle Mary Ann Roche entre au postulat de Saint-Ferdinand2. 4 Orage affreux pendant les nuits, le tonnerre tombe sur une cheminée et la rase, il ouvre le toit, détache les chevaux, fait tomber le plafond au-dessous dans la chambre où couchaient toutes les orphelines dont plusieurs sont blessées, mais non dangereusement. Il faut réparer le toit, quoique ce soit dimanche, car la pluie y contraint. Les jours suivants, on continue et on place un paratonnerre. 10 Départ de Monseigneur pour fêter saint Vincent de Paul aux Barrens, séminaire des Lazaristes. 19 Il se trouve à cette solennité 14 prêtres. Il donne ensuite la Confirmation à 34 personnes dans l’église de Saint-Michel des Mines, bâtie 1 2

Voir « Vœu à saint Régis, regardant la maison de Saint-Ferdinand », chapitre 4, 18 juin 1831. Dans la marge, Philippine apporte une correction de date : 1830.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

par le secours de Mme Smith, fondatrice des Opelousas, alors retirée dans cette petite paroisse. Le jour même de la fête de saint Vincent de Paul, nous donnons les prix à 71 externes de l’école gratuite. 22 Récréation pour la fête de notre Mère générale. 26 Retour des Opelousas de notre Sœur Mary Shannon qui rentre dans sa famille. 29 Retour de Mère Duchesne de Saint-Charles, où on lui avait demandé d’aller chercher Mme Aubuchon novice, qui avait des crises effroyables à son arrivée. Elle se trouve mieux et on a désiré la garder. 30 Nouvelle du bon état de la maison des Opelousas et surtout du pensionnat, que le représentant au Congrès préfère à tous ceux qu’il a visités dans le Nord et dans l’Est. 31 Fête de saint Ignace, de 1ère classe. Août On communie, le deux, pour l’indulgence de la Portioncule. 15 Fête solennelle où les élèves renouvellent leur consécration à la Sainte Vierge. 17 Neuvaine au Sacré Cœur de Marie et à saint Régis, pour le bien de l’établissement.

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24 Arrivée de France de nos Dames De Coppens professe de Paris, de Kersaint assistante de Quimper. La 1ère, qui arrive malade, est destinée pour notre maison de Saint-Michel à la Louisiane ; la seconde, pour nous. Elles sont accompagnées de M. Lebrasseur, prêtre flamand. Elles sont venues de France avec Mesdames Toysonnier aspirante et Prud’hon novice, destinées pour La Fourche et qui les ont quittées à la jonction de l’Ohio avec M. Caretta qui a eu le soin de cette maison avant d’aller en Europe. Nos Dames nous rapportent les suites de la révolution de 1830, qui a mis à deux doigts de leurs pertes nos maisons de Grenoble, d’Autun et de Perpignan. Le noviciat de Paris, qui avait été dispersé, est maintenant en partie en Suisse près de Francfort, sous la conduite de Mère Henriette de Coppens ; en partie, à Rome, sous celle de Mère Desmarquest. Ce qui forme notre seconde maison à Rome, à Sainte-Rufine. La maison de Paris, dont le pensionnat avait aussi été dispersé, n’a plus que 80 élèves au lieu de 160 ; c’est Mère de Gramont qui y remplace notre digne Mère Barat. Mère de Varax gouverne le pensionnat. 28 La fête du saint Cœur de Marie concourt avec celle de saint Augustin et de saint Louis, à la cathédrale. Le R. P. Verhaegen prêche chez nous ; les novices font leur consécration. Septembre 1er Maladie de Mère Hamilton et de Mère Stegar. 6 Monseigneur distribue les prix à nos élèves. 7 Offrande des couronnes, sans discours1. Mère De Coppens part pour la Louisiane avec M. Lebrasseur et Élisabeth [Missé] métisse.

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Voir, à ce sujet, la note du chapitre premier (JG), 23 septembre 1805.

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8 Commencement de la retraite générale par M. Rondot. Même jour, arrivée de Mère Lucile Mathevon qui conduit Mme Aubuchon, dont les crises ont recommencé ; ne pouvant du tout observer la règle, elle retournera dans sa famille. 16 Retour de Mère Lucile à Saint-Charles. 19 Départ de M. Lepère et sa famille, qui avait servi notre maison de Saint-Louis depuis le commencement et qui veut établir un commerce. 20 L’école externe est placée dans la maison qu’il occupait. On y joint une école payante pour les enfants qui voudront apprendre la broderie, la grammaire et la géographie. Octobre 1er Rentrée des classes avec sept élèves seulement. 3 Entrée de trois autres. 18 Monseigneur donne le voile noir à nos Sœurs Boilvin et Tesserot, assisté de MM. Odin et Lutz. Il nous raconte la cérémonie de la bénédiction de l’église des Mines, où il s’est trouvé 9 prêtres et beaucoup de séminaristes. Nouvelle qu’aux Opelousas, on attend 100 élèves ; que 23 élèves ont été confirmées, 2 adultes baptisées, 14 confirmées. Mme Dutour y est fort malade d’hydrophysie et Mme Dorival, assistante et maîtresse générale, l’est aussi dangereusement de la poitrine. Il y a plus de 100 élèves à Saint-Michel.

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24 Lettre de M. Evremond-Harrissart qui annonce son entrée au noviciat des Jésuites où il sera suivi de M. Fouchet. 30 Visite de M. Saulnier qui annonce son départ pour le territoire des Arkansas. Novembre 1er La fête de la Toussaint et celle des morts se célèbrent comme les années précédentes. 21 Fête de la Sainte Vierge ; rénovation des aspirantes. Décembre 8 Fête de l’Immaculée Conception. Les élèves renouvellent solennellement leur consécration à Marie. Nouvelle de la Louisiane : Mère Dutour est rétablie et Mère Dorival est toujours souffrante ; notre Sœur Ignace Labruyère est morte à Saint-Michel de la consomption [la tuberculose], le 9 novembre ; c’était une excellente religieuse qui a rendu de grands services. Sous la protection de Mgr De Neckere et par les soins du P. Ladavière, il se fait une souscription pour achever la maison à La Fourche où Mère Bazire gouverne depuis le départ de Mère Dutour. La seule paroisse de l’Ascension fournit 500 $. 25 M. Condamine nous dit trois messes à minuit ; 14 grandes externes passent la nuit chez nous. Le matin, nous avons encore trois messes du P. Van Quickenborne et son sermon. Il y a aussi sermon le soir. 31 On chante le Miserere avant la bénédiction, et on récite le Te Deum, après.

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1832 Janvier 1er La sortie des élèves, le jour de l’An, nous permet de le passer dans le recueillement. Les parents sont effrayés de voir des engelures à quelques pensionnaires. 6 Fête de 1ère classe. 8 Prix du trimestre. 19 Réputation augmentée du pensionnat des Opelousas. Le local qu’on vient de bâtir a coûté 10 000 $. Le pensionnat des Dames Ursulines, à La Nouvelle-Orléans, prospère aussi beaucoup, ainsi que la maison des orphelines, confiée aux soins des Sœurs de Charité d’Emmitsburg. Février M. Cellini, prêtre romain et excellent médecin, vient de Saint-Michel des Mines à Saint-Louis, sur notre demande, pour juger des remèdes à faire à notre Mère Hamilton qui a un polype dans le nez. Ses remèdes n’ont pas d’effet. On croit qu’il faudra une opération. 26 Départ de Sœur Hegard novice, et de Sœur Mayette aspirante, pour les Opelousas. Cette dernière a prononcé ses 1ers vœux. Le R. P. Van de Velde les accompagne et M. Paquin avec leurs pensionnaires. Ils font la prière avec elles. Mars 7 Le 7, mardi des 40 heures. M. Rondot dit sa dernière messe chez nous. Sa raison est tout à fait altérée ; il retourne en France.

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19 Le jour de saint Joseph, Sœur Élisabeth Missé a fait ses vœux. 26 Nouvelles de Mère Eugénie Audé qui nous apprend qu’elle est autorisée de notre Mère générale pour la dissolution de notre maison à La Fourche, toutefois, en prenant le consentement de Monseigneur de La Nouvelle-Orléans. On le lui arrache avec peine. Les deux supérieures de Saint-Michel et des Opelousas opèrent cette dissolution le 26 mars. Les 5 dames qui restaient à La Fourche vont aux Opelousas ; d’autres et quelques élèves, à Saint-Michel. La maison s’est fermée et a été reprise par l’évêque de qui on la tenait en propriété. Les Sœurs de l’établissement, les enfants et leurs parents ont été fort affligés. 29 Monseigneur vient nous voir avec un habile docteur de Baltimore, que la divine Providence nous envoie pour l’opération à faire à Mère Hamilton. On ne pensait pas trouver à Saint-Louis un docteur qui sût la faire. On était d’avis de la conduire dans l’une des villes de l’Est. Cette affaire ayant été recommandée à saint Régis, nous reconnaissons dans l’arrivée de ce bon docteur un effet de la protection du saint. Avril 15 Dimanche des rameaux que l’on bénit. 19 Jeudi saint, M. Condamine fait l’office ; nous veillons au reposoir. 22 Pâques, nous disons matines à 5 h 30. La messe est dite par le R. P. Elet qui prêche. 25 Monseigneur vient faire faire la 1ère Communion à nos enfants et donne la Confirmation, assisté de MM. Lutz, Lefebvre, et de M. Hamilton qui va faire ses dernières études à la Propagande à Rome.

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29 Distribution des prix du trimestre. 30 Le docteur de Baltimore, M. O’Dowyer, fait une seconde fois l’opération pour l’enlèvement du polype de Mère Hamilton. Elle souffre beaucoup. Le résultat est douteux ; il paraît qu’il se reproduit de l’autre côté du nez. Mai 2 Rentrée des classes. Nous avons 93 enfants à l’école. Visite du R. Père Kenny, provincial des Jésuites1. 11 Arrivée de Mme De Coppens qui revient de Saint-Michel où il y a 35 sœurs, 154 pensionnaires, 12 orphelines. On y continue un grand bâtiment. 19 Le R. P. Barat nous envoie de la part d’une dame charitable : un diamant, des boîtes en or et autres bijoux avec 200 $ qui ont servi pour le passage d’un ecclésiastique destiné pour le diocèse de New York, le Père pensant que l’évêque nous en tiendrait compte. Mgr Dubois écrit qu’il ne peut les rendre, que le sujet étant français ne lui est d’aucune utilité ; que les bijoux ont peu de valeur, les 200 $ étant perdus pour nous. Nous prions M. Tesson de se charger d’une lettre de notre part où nous réclamons les bijoux avec le projet de les vendre à La Nouvelle-Orléans. Mgr Dubois, qui avait demandé un de nos établissements pour cette ville de New York, n’en parle plus. 27 Nous sommes obligées d’envoyer une aide à Mère Lucile qui est languissante ; Sœur Eulalie Guillot est envoyée. Mère Octavie est toujours 1

Il n’y avait pas encore de province jésuite. Peter Kenny, SJ, n’était donc pas provincial, mais chargé de visiter les maisons jésuites du Missouri. Le supérieur de la mission était alors le P. Théodore De Theux.

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plus souffrante, Sœur Alphonsine Shannon a été en danger de mort par une fluxion de poitrine. Les orphelines ont eu de mauvais rhumes. 31 Fête de l’Assomption ; on a fait les prières des Rogations et on termine le mois de Marie par une procession. Juin 10 Fête de la Pentecôte ; on a fait la neuvaine au Saint-Esprit. 13 On en termine une à saint Antoine de Padoue. 16 Et on continue jusqu’à sa fête, celle à saint François Régis. 21 La fête du Saint Sacrement concourt avec celle de saint Louis de Gonzague ; on n’a pas de grand-messe. 28 Nouvelle que le choléra morbus a fait périr, dans toutes les classes [sociales], à Paris, 25 000 personnes, non au Sacré-Cœur. 29 Fête de saint Pierre et saint Paul et du Sacré Cœur. Nous avons renouvelé [nos vœux] à la messe de 6 h. Monseigneur officie pontificalement à celle de 7 h 30, assisté de MM. Lutz, Roux, Condamine, Borniot. Le Saint Sacrement reste exposé ; les vêpres sont chantées avec MM. Lutz et Roux. Le R. P. Verhaeghen prêche un beau sermon en anglais. Exposition pendant l’octave. Juillet 8 Visite de Mgr De Neckere, évêque de La Nouvelle-Orléans, et de son grand vicaire, M. Blanc.

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18 Mère Eugénie de Gramont nous détaille dans une lettre les maux que le choléra a faits à Paris où il s’est principalement attaché aux personnes vicieuses. Dans une maison où tous sont morts, on a trouvé des vases sacrés volés dans une église. Généralement, les personnes attaquées ont fait de bonnes morts. L’archevêque était continuellement à l’Hôtel-Dieu ; sa maison de campagne a été changée par lui en hôpital. Le séminaire de Saint-Sulpice a aussi été changé en hôpital desservi par les séminaristes. Dans un faubourg, en peu de jours, 500 enfants se sont trouvés orphelins de père et de mère. Il y a eu à Grenoble un combat sérieux entre le 35e régiment tenant pour Henri V, petit-fils de Charles X, et le peuple qui l’a emporté, aidé d’autres soldats. 19 Prix des externes. 31 Mgr De Neckere nous dit la sainte messe et nous fait sa 4e et dernière visite. Août 2 Nous gagnons l’indulgence. Départ de M. Paillasson pour La Nouvelle Madrid. 3 Nouvelle de la fondation d’Aix-en-Provence, et que notre Mère générale est d’avis qu’on bâtisse à Saint-Louis et prête 10 000 $ ; que Mère Dorival est morte au Opelousas, très regrettée. Septembre 1er-2 Nos Sœurs De Coppens et Boilvin sont allées à Saint-Ferdinand assister à la consécration de l’église, faite par Mgr Rosati. Il s’y est trouvé 12 prêtres.

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3 Le lendemain, 35 personnes ont été confirmées dans cette église. 6 Distribution des prix à nos élèves dans leur dortoir orné par la Mère de Kersaint. C’est Monseigneur qui y préside, accompagné des R. Pères Jésuites Verhaegen et Elet, de MM. Condamine, Lutz, Roux et Paquin. Elle s’est terminée par une pièce champêtre composée par Mère Octavie, adressée à Monseigneur sous le titre du Pasteur de la Vallée, nom que portait son journal ecclésiastique. 8 Mère Duchesne va faire sa retraite à Saint-Ferdinand. 15 Pendant son absence, le bon docteur de Baltimore, M. O’Dowyer, assisté du Dr Walker, a enlevé entièrement le polype de Mère Régis, lui disant après : « Remerciez Dieu et moi. » C’est généreusement tout ce qu’il a pris pour une opération si difficile. Ce polype conservé dans du whisky ressemble à une langue d’enfant. Mère Octavie, au contraire, voit augmenter sa maladie incurable. Ses plaies se sont reportées à la figure. Octobre 10 Rentrée des classes. Les pensionnaires se trouvent 15, mais la crainte du choléra qui se déclare à Saint-Louis les fait toutes sortir, excepté six. 14 Il est dans sa force pendant huit jours où il périt chaque jour 20 à 30 personnes. 30 Le trente, on n’en parle plus. Pendant ces jours malheureux, Monseigneur et MM. Lutz, Roux, Borniot, Lefevre, Borgna ont montré le parfait dévouement et procuré la conversion de beaucoup de protestants, abandonnés par leurs pasteurs. Les Jésuites avaient conduit leurs élèves

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à Saint-Ferdinand. Le P. De Smet, resté au collège, s’est aussi dévoué au service des malades et grands pécheurs. Novembre 1er La Toussaint et le jour des morts ont été célébrés comme les autres années. 4 Nouvelle de la mort de notre Sœur Amélie Lévêque à Saint-Michel et de la maladie grave de Mère Eugénie Audé, qui l’oblige à donner vacances, avant terme, à ses pensionnaires au nombre de 150. Le choléra prolonge les vacances des enfants et cause à sa maison une perte de plusieurs milliers de piastres. Cette maladie, jointe à la petite vérole et à la fièvre jaune, fait périr à La Nouvelle-Orléans 400 personnes. 21 Fête de la Présentation, renouvellement des vœux des aspirantes. 27-1er Décembre Monseigneur revient de Vincennes avec Mgr  Flaget, évêque de Bardstown dans le Kentucky, qui nous dit la messe le premier du mois tandis que Mgr  Rosati confesse Mère Octavie et Sœur Alphonsine Shannon, toutes deux très malades. 4 Les deux saints évêques vont à Florissant et reçoivent les premiers vœux de nos Sœurs Elisa Bosseron et Mary Ann Roche. Aux Opelousas, nos Sœurs [Rose] Prud’hon et Ann Stegar ont aussi fait les leurs, le mois de novembre ; ils ont été reçus par Mgr De Neckere. 21 Mgr  Rosati et Mgr  Flaget se rendent ensemble au Kentucky. De Sainte-Geneviève, Mgr Rosati nous a renvoyé malade Mme De Coppens qui retournait à Saint-Michel.

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25 M. Borgna nous dit trois messes à minuit et M. Le Fèvre, deux le jour ; nous avons l’exposition [du Saint Sacrement]. 1833 Janvier 1er Le jour de la Circoncision, M. Borgna prêche et dit la messe. 16 Messe de M. Timon. Nous apprenons que presque tous les Pères jésuites de Saint-Louis sont malades ; et que leur collège, par un acte du gouvernement du Missouri, est changé en université. Le Père général de leur Société leur permet un établissement dans la Louisiane. 26 Réception d’une lettre circulaire de notre R. Mère Barat, datée de Turin, où s’est opérée la guérison miraculeuse de son pied qui avait résisté aux remèdes des plus habiles médecins, depuis longtemps. Février 1er Retour de Mgr Rosati qui a fait une ordination à Cincinnati, en revenant du Kentucky. Cette ville établie après Saint-Louis, qui a eu un évêque plus tard, se trouve dans une bien plus grande prospérité. L’église, le séminaire et le collège valent en bâtiment 60 000 $ ; les catholiques y sont nombreux, la plupart allemands. 17 Dimanche des 40 heures ; la messe et le sermon sont du R. P. Ver­ haegen ; l’exposition n’a lieu que ce jour. 24 Lettre de Mère de Gramont qui en a eu une de notre Mère générale, qui est à Rome et a été visitée par Sa Sainteté le pape Grégoire XVI qui a parcouru la maison de la Trinité-du-Mont.

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Mars 19 Fête patronale de saint Joseph. Monseigneur nous dit la sainte messe. Avril 1er La semaine se passe à l’ordinaire. 7 Le jour de Pâques, nous avons eu deux messes. Deux orphelines, Joséphine du Fremble et Hélène McMoner ont fait leur 1ère Communion. 18 Monseigneur les a confirmées le 18 avec des pensionnaires et le même jour, ma Sœur Ann Hagerty a fait ses 1ers vœux1. Mai Elle est retournée à Saint-Charles avec Mère Lucile. Nous avons fait peu de processions, le mois de Marie, à cause des maladies et du mauvais temps. La plus dévote a été la fête de Pentecôte. Nous avons reçu de notre Mère générale 10 000 F pour commencer à bâtir, qui se sont réduits par le change à 9 228 F. Des lettres de Rome nous renouvellent : 1°) le détail de la visite de notre Saint-Père le pape ; 2°) la visite de nos Mères, avec Sa permission, dans les plus fameux sanctuaires : à Saint-Pierre, à Saint-Jean de Latran, à Sainte-Marie-Majeure, à la chapelle de Saint-Ignace, à celle de Saint-Stanislas ; 3°) leur visite aux dames religieuses de Saint-Sylvestre, qui ont donné l’hospitalité à nos sœurs à leur arrivée dans la ville sainte ; 4°) leur visite au Cardinal vicaire, qui a donné le voile à onze postulantes au Sacré-Cœur, le jour de saint Jean ; 5°) la visite de nos Mères Barat, Desmarquest, de Causans au Saint-Père, présentées par la princesse de Carignon, marquise Audassilla dans un pavillon des Jardins du Vatican. Elles ont été admises au baisement des pieds et obtenu une indulgence de 7 ans et 7 quarantaines2 pour toutes les 1 2

Anne Hagerty ou Hagarty, RSCJ, née à Philadelphie en 1812, est entrée à Saint-Louis en 1830. Elle a fait sa profession en 1839, est décédée en 1846, à Saint-Louis. Quarante jours de pénitence, renouvelés sept fois. Ces sept cycles de quarante jours de pénitence obtenaient « l’indulgence plénière », c’est-à-dire la remise complète de ses péchés.

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[religieuses] professes de la Société, actuelles et à venir, en baisant leur croix d’ordre, et disant : « Seigneur Jésus, couvrez de la protection de votre Cœur notre Saint-Père le pape et la sainte Eglise. » C’est notre Saint-Père le pape qui a donné à la Société la maison de Sainte-Rufine, la princesse de Carignon qui a fait faire les réparations, et le Père Massa Jésuite qui les a conduites. Il a de plus donné à nos Mères et Sœurs de Rome quatre retraites ; M. Frebuquet, une. 26 Mgr Rosati a donné la Confirmation à la paroisse, la 2e fête de la Pentecôte, et est parti le lendemain pour Kaskaskia où il vient d’arriver neuf religieuses de la Visitation pour l’établissement d’un pensionnat. Juin 16 Fête du Saint Sacrement ; nous avons commencé notre jubilé. Le Saint Sacrement n’a été exposé tout le jour qu’à la fête de saint Régis. 21 La fête du Sacré Cœur a été pompeuse : à la messe de 5 heures, nous avons fait la rénovation des vœux ; à 8 heures, M. Lutz a chanté la messe avec diacre et sous-diacre et M. Le Clair a fait un sermon des plus touchants sur la dévotion du jour. Les vêpres ont été chantées par plusieurs prêtres. Le R. P. Verhaegen a prêché. Nous avons terminé la fête par une procession. Retour de notre Sœur Milles des Opelousas. Elle nous a apporté l’affligeante nouvelle des morts très promptes de nos Sœurs Van Damme, Detchemendy et de trois autres, dans l’espace de 4 jours, par le choléra à Saint-Michel, dont toutes les pensionnaires sont aussitôt sorties. 27 Dernier jour des exercices du Jubilé. Le choléra est revenu, mais avec moins de rigueur. Un ouragan a renversé plusieurs maisons à Saint-Louis. Juillet 1er Monseigneur est malade ainsi que Mère Hamilton.

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Mme Maria Lévêque nous écrit les détails du ravage du choléra à Saint-Michel. Elle dit qu’après la mort des 5 premières malades, il en restait 5 en danger qui se sont rétablies ; 3 pensionnaires sont aussi mortes en se rendant dans leurs familles. Elle fait l’éloge le plus accompli de la conduite de Mère Eugénie Audé dans ces tristes circonstances. 19 Prix des externes. Le choléra a été terrible sur tous les points de la Louisiane et est entré chez les Dames Ursulines. Mort du saint M. Richard, constant ami et protecteur de nos maisons, notre 1er aumônier à Saint-Charles. 23 Mort à Saint-Louis de M. Le Clair, excellent missionnaire. 25 Notre chère Mère Octavie Bertold reçoit le saint viatique avant la messe et l’extrême-onction après la messe. Août 2 Nouvelle que Mère Audé, tombée dans un état de faiblesse extrême, se rétablit et sa maison aussi. Nous gagnons l’indulgence. 29 M. Mullanphy meurt très chrétiennement. Mesdames ses filles demandent que les orphelines aillent à l’enterrement de leur bienfaiteur. 30 Elles s’y trouvent toutes en uniforme blanc et noir. Septembre 4 Ce jour est bien affligeant pour le diocèse de La Nouvelle-Orléans et pour tous les amis de notre sainte religion. C’est celui de la mort de

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Mgr De Neckere, illustre par sa piété, sa science, sa grande modestie, son talent pour la chaire qui le faisait admirer. Il était le protecteur et le père le plus zélé pour nos maisons de la Louisiane. 10 Exercices pour les prix où nous n’espérons pas avoir Mgr Rosati. 16 Ils sont fixés au 16, mais notre Mère Octavie Bertold ayant promptement tourné vers la mort, ils sont différés. Elle rend sa belle âme à Dieu vers 10 h du matin, assistée de M. Borgna, grand vicaire. Son agonie n’a duré qu’un instant ; elle avait communié. Elle est portée à la chapelle où l’on prie continuellement ; l’autel est en noir ; l’office [des morts] est récité. 17 Le lendemain, MM. Borgna, De Smet, Doutreligne disent la messe pour elle. Elle est encore chantée à 8 heures par le R. P. Verhaegen avec diacre et sous-diacre et il fait l’enterrement où les orphelines ouvrent la marche, puis les pensionnaires, puis nos Sœurs, le clergé et enfin, le corps porté par elles et les Sœurs de la Charité. 18 Les prix se sont donnés sur les 4 heures par le R. P. Verhaegen et M. Lutz. Les parents qui y assistent dans la nouvelle bâtisse en sont satisfaits ; elle a 50 pieds de long sur 30 de large. Un peu dans la terre est le réfectoire des élèves, leur classe au-dessus ; les dortoirs, au 2e et 3e étage. 19 Messe d’action de grâces, sans discours. Offrande des couronnes. 21 Départ pour Saint-Ferdinand de Mme  Eulalie qui retourne à Saint-Charles, de nos Sœurs Hamilton, Boilvin, Élisabeth Missé. Cette dernière doit y rester pour remplacer Sœur Tesserot qui sort de la Société.

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23 Départ de Monseigneur, de retour des Barrens, pour le Concile de Baltimore. Il est accompagné jusque-là par le P. De Smet, procureur du collège des Jésuites et par M. Odin, principal du collège des Lazaristes, qui vont tous deux en Europe. 24 Nous soignons nos orphelines malades. Mme Biddle vient nous visiter et part pour la France, désirant en ramener Mme sa mère et Mlle Octavie, sa sœur1. Octobre 2 Rentrée des classes. Les élèves habitent le nouveau local. Mort de notre Sœur [Zelamie] Michel, coadjutrice de la maison de Saint-Michel. Nouvelles de l’arrivée de M.  Jeanjean à Baltimore, la veille du Concile qui a duré huit jours ; Mgr Rosati, en y allant, a sacré évêque pour le Detroit à Cincinnati, Mgr Reze. À Baltimore a aussi été sacré Mgr Purcell qui succède à Cincinnati à Mgr Fenwick, mort du choléra. La cérémonie a été faite par l’archevêque de Baltimore, Mgr Eccleston, assisté de deux des évêques du Concile2. Novembre 1er Les jours de la Toussaint et des morts ont été comme les années précédentes. 2 M. Blanc nous écrit qu’il a entre les mains 200 $ que M. Richard a laissés pour nous à sa mort. Nous en recevons 450 de la maison des Opelousas pour notre bâtisse et 200 $ de Mme de Rollin. Nous avons aussi consenti à prendre deux demoiselles Grolet, orphelines des Opelousas, 1

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Anne Mullanphy Biddle, quatrième fille de John Mullanphy, est veuve du Major Thomas Biddle. Sa sœur Octavia épousa le Dr. Dennis Delaney en 1836. Leur mère était Élizabeth Browne Mullanphy (1770-1843), récemment veuve (voir JSA, le 29 août). Frédéric Rese ou Reze a été évêque de Detroit (1833-1871) ; Jean-Baptiste Purcell, évêque de Cincinnati (1833-1883) ; Samuel Eccleston, évêque de Baltimore (1834-1851).

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pour la somme de 1 500 $ en trois paiements, dont le premier en avance. Nous en restons chargées pour six ans et devons les entretenir de tout. Nous admirons la divine Providence qui nous met ainsi en état de payer notre bâtisse qui a coûté 4 000 $. 21 Fête de la Présentation. Le P. Verhaegen a dit la sainte messe. 24 Mère Duchesne va à Saint-Charles où elle voit le plan de la nouvelle maison qu’on projette d’y bâtir en briques. Le R. P. Van Quickenborne, qui en est curé, a ouvert pour cela une souscription et y donne tous ses soins ; la souscription donne déjà 1 500 $. 29 Nouvelle de la mort de notre Sœur Lise Lévêque à Saint-Michel, des suites du choléra. Elle n’avait que 20 ans et était pleine de talents et de vertu. Mère Eugénie, par une souscription faite à La Nouvelle-Orléans, élève une maison en briques pour les orphelines qui ont perdu leurs parents du choléra. Décembre 11 Monseigneur, de retour de Baltimore avec M. Jeanjean, nous promet de reprendre le soin de confesser nos sœurs. 31 Les enfants pensionnaires sortent presque toutes. 1834 Janvier M. Borgna nous dit la messe et nous fait ses adieux ; n’ayant plus à confesser, il préfère dire la messe ailleurs. M. Saint-Cyr, jeune prêtre, la dira tous les jours à sa place. 6 Fête de 1ère classe. Nous distribuons entre nous les prix du trimestre.

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10 Il y a des prix aux externes. 12 Monseigneur donne le voile à Mlle Thérèse Wise, il fait de beaux sermons dans la journée qu’il passe avec nous. Nous apprenons la mort de notre Sœur Hélène Green, de la poitrine, dans la maison de Saint-Michel où malgré tant de pertes, il reste encore 28 sœurs, 4 postulantes, 100 pensionnaires, 20 orphelines. Février Aux 40 heures, le Saint Sacrement n’a été exposé que le dimanche. Mars Nous apprenons la conclusion du Conseil général du mois de novembre 1833. Les assistantes générales sont les Mères Desmarquest 1ère ; de Charbonnel 2e ; de Gramont 3e ; Eugénie Audé pour l’Amérique. Elle a reçu l’ordre de notre Mère générale de visiter les cinq maisons qui s’y trouvent et d’aller ensuite lui en rendre compte en France. 19 Fête de saint Joseph. Monseigneur nous dit la messe, fait faire la 1ère Communion à plusieurs enfants, auxquelles il donne aussi la Confirmation. À la neuvaine de saint Xavier et à celle de saint Joseph, a succédé celle de Notre-Dame des sept douleurs. 26 Les jours des Ténèbres, nous récitons l’office avec nos enfants qui disent les leçons. Le Jeudi saint, nous avons eu la sainte messe et fait l’adoration le jour et la nuit. 30 Nous avons à Pâques 33 pensionnaires et 22 orphelines. La seconde fête, l’une d’elles, Mary Knapp, a pris notre saint habit.

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Avril 13 Arrivée de Mère Eugénie Audé avec M. Jeanjean. Elle a laissé Mère Bazire chargée du gouvernement à Saint-Michel, Mère Hardey pour son assistante et maîtresse générale, Mère Louisia Lévêque, maîtresse des novices. Son nouveau bâtiment est fort beau. L’église est aussi finie. Elle a passé 15 jours aux Opelousas, où il y a 85 élèves, toutes payantes. 16 Elle visite Saint-Ferdinand, Saint-Charles et en passant, le beau collège des Jésuites, la cathédrale 18 et Monseigneur qui la visite à son tour. 19 Elle engage les Mères Lucile et Thiéfry à venir à Saint-Louis traiter des affaires de nos maisons. Elle part pour aller en France avec un ecclésiastique qui a été missionnaire à Alger et qui retourne en Europe, après nous avoir toutes édifiées et comblées de ses présents. Mai Nous faisons le mois de Marie qui se termine par la procession. Juin 6 Grande fête du Sacré Cœur. On renouvelle les vœux à la messe de 5 heures. À 7 h, M. Jeanjean chante la messe avec diacre et sous-diacre. Monseigneur vient chanter les vêpres, avec MM. Borgna et Jeanjean. Le soir à 6 h, le P. Walsh prêche et donne la bénédiction et fait l’amende honorable. 8 Maladie sérieuse de Mère Hamilton ; elle est saignée trois fois et prend 32 médecines. Plusieurs élèves sont aussi malades et sortent pour se rétablir.

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13 Neuvaine à saint Antoine de Padoue, à saint Régis et à saint Louis de Gonzague pour le bien spirituel et temporel de la maison. Leurs fêtes sont peu solennelles. 29 Fête de saint Pierre. Mère Hamilton peut recevoir la sainte communion à l’église. Arrivée de plusieurs Jésuites ; ils annoncent que le Père De Smet revient d’Europe avec 16 autres novices. Les bulles qui font M. Jeanjean évêque de La Nouvelle-Orléans sont arrivées. Il refuse l’évêché et fait tout pour n’être pas forcé à l’accepter. Juillet 4 Le 4, toutes les élèves sortent pour la fête de l’Indépendance. 19 Distribution des prix aux externes. Ce mois est affligeant par les maladies continuelles : Mère Hamilton est retombée, Mme Boilvin a une forte dysenterie, Mme McKay a une fièvre bilieuse. Mme de Kersaint et Sœur Alphonsine Shannon ont aussi la fièvre. Toutes ces maladies obligent, d’après l’avis de Monseigneur, d’avancer les vacances et de renvoyer les prix au retour des élèves. Toutes sortent le jour de saint Ignace, excepté 3. Cette fête est fort simple chez nous. Chez les Jésuites, on y donne les prix. Août Visite du Père Ladavière qui, le temps qu’il était à La Fourche, a comblé notre maison de ses bontés jusqu’à sa destruction. Il va au Kentucky. 4 Nous apprenons que le R. P. Van Quickenborne est très malade à Saint-Charles. Bonne nouvelle des deux maisons de Rome et des deux de la Louisiane.

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Pendant l’absence nos sœurs malades qui ont été se rétablir à Saint-Ferdinand, nous nous trouvons à notre dernier sou par les sorties fréquentes et les vacances des élèves. Nous sommes obligées d’emprunter de la banque 200 $ pour finir de payer notre bâtisse. Nous ne recevons rien des maisons florissantes de la Louisiane. La Providence nous envoie de la maison de Paris 133 $ au retour de France de Mme Biddle. 15 L’adoration s’est faite malgré notre petit nombre. Les orphelines communiantes ont reçu le Saint Sacrement ; neuf d’entre elles jeûnent au pain et à l’eau, la veille du saint Cœur de Marie pour obtenir, si c’est la volonté de Dieu, la cessation de nos épreuves. Les pénitentes jeuneuses vont aussi à la procession en l’honneur de Marie, pieds nus et la corde au cou. Les jours suivants, nos quatre dames malades sont revenues en santé ; plusieurs élèves sont rentrées. 28 Nouvelle du désastre arrivé à Boston où le parti protestant (quelques forcenés) a mis le feu au couvent des Dames Ursulines. Tout a été brûlé. Pas de dédommagement. Les religieuses et leurs pensionnaires se sont sauvées par une porte de derrière. 31 Les élèves sont rentrées au nombre de 14. Septembre Les prix se sont donnés le 25, à 25 élèves, par Monseigneur accompagné de MM. Borgna, Lutz et de plusieurs des Pères Jésuites. Nous avons 21 orphelines. Nous avons reçu de France 26 circulaires de Sœurs défuntes et des lettres de plusieurs de nos maisons. Paris a un noviciat nombreux, aux soins de Mère Desmarquest. Il y a rue de Varenne 120 pensionnaires. Il y en a autant à Lyon, qui compte aussi des novices et en tout, 200 personnes dont plusieurs sont venues de Grenoble à sa destruction. Les autres sujets de cette 2e maison de la Société ont été dans la nouvelle d’Annonay, ou ailleurs. M. de Vidaud qui a rendu de

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grands services à la maison de Grenoble est mort, le jour même de la sortie des Sœurs, en odeur de sainteté. Sa fille cadette, notre Sœur Louise de Vidaud, religieuse de Grenoble transportée à la fondation d’Avignon dans la maison de son père, nous écrit, que n’y ayant pas assez de jardin, elles sont maintenant ailleurs dans la même ville. Mère Chonez y est supérieure. Mère Lavaudan professe de Grenoble l’est à Parme, dans la fondation faite par la ci-devant impératrice, femme de Napoléon, Marie-Louise d’Autriche, maintenant duchesse de Parme. Octobre 11 D’après une lettre de notre R. Mère générale qui annonce à Mère Duchesne qu’elle doit échanger la supériorité de Saint-Louis pour celle de Saint-Ferdinand avec Mère Thiéfry, elle prépare son départ. Le onze, Monseigneur étant venu pour confesser, elle lui présente une lettre de notre digne Mère Barat pour lui, afin de lui faire agréer ces changements. Il permet qu’elle s’en aille le même jour. Elle arrive à 2 heures à Saint-Ferdinand où elle remet à Mère Thiéfry les lettres qui la regardaient pour aller à Saint-Louis. 12 Elle part le lendemain avec Mme Elisa Bosseron aspirante, et elle emporte les regrets les plus vifs de la part de ses filles et des élèves. 19 Notre petit nombre et l’inexactitude des enfants externes de Saint-Ferdinand pendant l’hiver engagent à les congédier jusqu’au carême. Jusque-là, on ne leur fera que l’école dominicale. 27 Nous apprenons que la consécration de l’église de Saint-Louis s’est faite le dimanche par Mgr Rosati assisté de Messeigneurs Flaget évêque de Bardstown, Purcell évêque de Cincinnati, Bruté nommé pour Vincennes1. Il y avait en outre 28 prêtres et d’autres ecclésiastiques.

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Simon William Gabriel Bruté de Rémur a été évêque de Vincennes de 1834 à 1839.

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28 Mgr Bruté a été consacré évêque le jour de la fête de son patron, saint Simon. 30 Fête du Bienheureux Alphonse, de 3ème classe. Novembre 1er La fête de tous les Saints s’est célébrée à l’ordinaire. Le soir, toutes les élèves ont dit l’office des morts avec nous. 21 Nous n’avons eu que trois jours de vraie récollection avant la Présentation. La veille, le P. De Theux nous a préparées dans un discours à la rénovation de nos vœux qui s’est faite à la messe devant les enfants. 30 Nous apprenons la réunion d’une maison religieuse de Charleville à notre Société, composée de 40 religieuses et de 60 élèves, maison très édifiante. Décembre Il s’est aussi formé à Conflans près de Paris une autre maison de la Société dans la maison de campagne de Mgr l’archevêque de Paris, qui l’a donnée pour y recevoir des orphelines qui ont perdu leurs parents par le choléra. 8 Fête de la Conception [de la Vierge Marie], toutes les élèves ont communié et fait leur consécration. 25 Nous avons la messe à minuit, à 7 heures et à 10 h 30. Cette dernière est chantée en musique, le P. De Theux y prêche et vient souhaiter les bonnes fêtes.

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1835 Janvier 1er Le jour de la Circoncision nous avons une messe à 7 heures et une chantée, à 9 h. Toute la journée, on mange avec les élèves pour ne pas séparer notre petit nombre. 14 Nous faisons avec les élèves et en union avec le P. De Theux et ses novices une neuvaine à sainte Philomène pour le rétablissement de Sœur Élisabeth Missé retenue au lit depuis deux mois. À la fin, elle est sur pied. Les maladies affligent tout ce mois la maison de Saint-Louis. Mère Eugénie a écrit de France, ne parle point de son retour mais d’une nouvelle fondation de la Société à Marseille. Février Il arrive cinq postulants d’Europe pour le noviciat des Jésuites. Le Père De Smet y est retenu par une maladie grave. Le froid est extraordinaire cette année dans les États-Unis et dans le Canada où depuis 20 ans, on n’en avait pas vu d’aussi vif. Mère Eugénie écrit que la Mère de Charbonnel, seconde assistante générale, vient de préparer près de Bruxelles un de nos établissements où on pourra avoir 150 élèves. C’est le plus beau local de la Société avec Bordeaux. Mars Maladie du P. De Theux. Visite du P. Pin qui a fait ses vœux et va à Saint-Louis. Mme Gonzague vient se rétablir à Saint-Ferdinand. Avril Nouvelle de Quimper, en Bretagne, où la mère Thérèse Maillucheau est toujours supérieure et entretient la ferveur parmi ses filles et les élèves. Elle en a 72 au pensionnat et 50 orphelines. À Saint-Michel, il y a 150 pensionnaires et 50 orphelines. Aux Opelousas, il y a 80 pensionnaires. Les accidents du feu ont été plus fréquents que jamais à Saint-Louis. Celui qui a brûlé la vieille église et mis en danger la belle cathédrale

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a été le plus considérable ; on a craint de perdre Monseigneur, cette terrible nuit. Il a toujours été malade depuis. 12 Dimanche des Rameaux, la passion a été chantée. Le Jeudi saint, la messe a été chantée et l’adoration s’est faite le jour et la nuit. Nous avons dit l’office des ténèbres entre nous. 19 La fête de Pâques a été très solennelle. Le P. Buschotts a fait un beau sermon1. 26 Nous donnons le 26 les prix du trimestre. Mai 3 Le dimanche du bon Pasteur s’est faite la 1ère Communion des enfants de la paroisse. Les jeunes filles prennent leur repas chez nous. M. Ménard, de Kaskaskia, vient réclamer le reste d’une somme de 500 $ qu’il avait prêtés à Mgr Dubourg pour la bâtisse de Florissant. 19 Départ du P. Van Assche pour Saint-Charles, et qui est bien regretté. 24 Le P. Buschotts, qui le remplace, fait un discours pathétique au sujet de son placement dans cette cure. 31 Fête de saint Ferdinand, patron de la paroisse. Monseigneur, arrivé la veille, assiste seulement à la grand-messe et baptise un Nègre. Le curé baptise deux enfants de protestants. 1

James Buschotts, SJ, né le 22 juin 1796 en Belgique, est entré dans la Compagnie de Jésus en 1833, après avoir été vicaire de l’église Saint-Pierre à Louvain. Parti la même année en Amérique, il a été curé de Florissant (1835-1836), puis d’autres paroisses du Missouri, situées plus à l’Ouest. Il est décédé le 6 août 1875.

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Juin 5 Monseigneur, après avoir donné la Confirmation au Portage et à Saint-Charles, la donne ici à 25 personnes. 18 Fête du Saint Sacrement fort solennelle, la procession se fait sur le terrain de l’église. Le P. Buschotts prêche. 26 À la fête du Sacré Cœur, précédée de trois jours de retraite pour toute la maison, nous n’avons qu’une messe basse où se fait la rénovation [des vœux]. Le P. Buschotts prêche ; il y a exposition et procession. 28 Fête du Sacré Cœur à la paroisse. Juillet 1er Visite de MM. Brassac et Lutz. 19 Les externes n’ont pas leurs prix. 22 Récréation de sainte Madeleine. 24 Mère Duchesne va à Saint-Charles porter à Mère Lucile 300 $, partie d’une somme retirée de bijoux envoyés de France par le Père Barat, de la part d’une dame de qualité de Paris. Ces 300 $ aident à payer la dépense de la bâtisse neuve à Saint-Charles.

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Août 4 Visite du R. P. Van de Velde, après la brillante distribution des prix chez les Pères Jésuites. Il leur reste en vacances 130 écoliers. Les prix se sont aussi distribués chez nos Sœurs de Saint-Louis. 18 Autre visite du P. Van de Velde qui accompagne M. [Georges] Carrell au noviciat, où il entre comme postulant1. 22 M. Carrell vient confesser, le P. Buschotts étant malade. 25 Il donne la sainte communion à Sœur Élisabeth dans son lit, où elle la reçoit pour la 4e fois. C’est la fête du Cœur de Marie. M. Carrell dit deux messes. L’inondation a empêché les fidèles d’y venir. 28 Les maladies obligent d’avancer les prix. On les donne entre nous, Mère Shannon sur son lit, Sœur Élisabeth sortant du sien, Mère Duchesne au point de s’y mettre. Les élèves françaises ont bien récité des scènes de la tragédie d’Esther ; les anglaises, des pièces de poésie. Septembre 2 et 3 Visite de Mère Thiéfry et de Mère De Coppens à Mère Duchesne qui est malade de la fièvre. Elles repartent. 8 Le Frère de Myers commence une école à Florissant, dans la sacristie. Nous lui prêtons la partie qui est à nous.

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George Aloysius Carrell, né à Philadelphie en 1802, a été ordonné prêtre diocésain en 1829, après avoir étudié à Georgetown. Entré ensuite chez les Jésuites, à Florissant, il a été président de l’Université de Saint-Louis en 1843 et recteur du collège Saint-Xavier à Cincinnati en 1851. En 1853, il a été nommé évêque de Covington (Kentucky) où il est décédé en 1868.

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Nouvelle de l’établissement de la maison-mère le 22  juillet, rue Monsieur à Paris, où doit résider notre R. Mère générale et se tenir le principal noviciat. Tout ce mois, le P. Carrell remplace à la paroisse le P. Buschotts. Visite du P. Van de Velde et de M. Connelly, ministre protestant converti, qui va à Rome et prend nos commissions1. Octobre 15 Le P. Buschotts vient reprendre ses fonctions à Saint-Ferdinand. 29 Visite de M. Timon et de M. Badin, premiers missionnaires du Kentucky. Novembre Fête très solennelle ; beau sermon de M. Carrell. 4 Le R. P. De Theux nous apprend que Mgr Blanc sera sacré le 22, évêque de La Nouvelle-Orléans. 8 Nous apprenons la mort de notre chère Sœur Régina Cloney, de la maison à La Fourche réunie à celle des Opelousas. Sa maladie a été courte et sa vie, bien édifiante. 21 Les trois aspirantes ont renouvelé leurs vœux. 1

Pasteur éminent de l’Église épiscopale, converti au catholicisme, Pierce Connelly (1804-1883) épousa en 1832 Cornelia Augusta Peacock (1809-1879). En 1835, ils se convertirent au catholicisme au Natchez (Mississippi), puis vécurent un certain temps à Rome, car ils désiraient faire partie de l’Église catholique. À leur retour en 1838, ils habitèrent avec leurs enfants à Grand Coteau. Deux d’entre eux moururent et furent enterrés au cimetière des Jésuites. Cornelia enseignait la musique au Sacré-Cœur. En 1840, Pierce décida de devenir prêtre catholique et se sépara de sa femme. Cornelia fonda la « Congrégation de l’Enfant Jésus » en Angleterre. Pierce lui demanda ensuite de revenir vivre avec elle, ce qu’elle refusa. Il termina sa vie comme pasteur. Cornelia est décédée en 1879 ; elle a été déclarée Vénérable en 1992.

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Décembre Nous apprenons que le pensionnat des Opelousas est monté à 100, que M. Jeanjean y a donné une excellente retraite, que M. Odin revenu d’Europe en a rapporté beaucoup de lettres pour nous. On y dit que la maison de Grenoble, que la Société du Sacré-Cœur a abandonnée, est occupée par différentes écoles. 20 Arrivée de 7 postulants flamands, pour les Jésuites. 25 Nous avons une messe à minuit et à 8 h le matin. 30 Distribution des prix du trimestre. 1836 Janvier 1er Visite de trois novices de la part du P. De Theux. 4 Rentrée des classes. Février Le froid, moins grand que l’année passée, a cependant causé beaucoup de rhumes et maux de gorge dans la maison. Mars On recommence l’école externe. 7 Profession de Mme Stanislas Shannon. C’est M. Borgna qui reçoit ses vœux en l’absence de Monseigneur.

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13 Sa sœur, Joséphine Shannon, novice de 4 ans, sort et va chez les Sœurs de la Charité à Saint-Louis qui doivent l’envoyer à Emmmitsburg, leur noviciat général. Les offices de la semaine sainte se sont faits à l’ordinaire. Avril Le cinq de ce mois, Mère Régis Hamilton nous conduit Mme Gonzague Boilvin, malade à Saint-Louis, qui vient changer d’air. Elle repart le lendemain avec Mme Mary Ann Roche qui l’y remplacera. 21 Maladie grave de Mlle Cozzens qui fait avec ferveur sa première Communion dans son lit. Elle reçoit aussi le sacrement de l’extrême-onction. Et depuis ce temps, se trouve mieux. 25 Visite de Sœur Louise Amiot qui vient chercher Mlle Cornélie dont la compagne, Mlle Knappe son amie doit prendre le lendemain le voile noir. 26 Visite de nos Sœurs Bosseron et Knappe ; cette dernière va demeurer à Saint-Charles. Elles nous conduisent Mère Penel que Mère Bazire, de Saint-Michel, envoie pour sa santé. Mai 1er Départ des Mmes Bosseron et Knappe et de Mlle Cozzens qui va passer sa convalescence chez Madame sa mère. Procession pour le mois de Marie. Sortie des trois demoiselles Dillon. 3 Monseigneur vient donner la confirmation dans notre paroisse à 35 personnes de la paroisse et à 5 de nos élèves.

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12 Fête de l’Ascension. Visite du P. Van Quickenborne et de trois Frères Jésuites, qui partent avec lui pour aller habiter avec lui chez les Indiens Kickapoo. Juin 2 Fête du Saint Sacrement, la procession se fait sur le terrain de l’église. Le P. De Theux qui a chanté la grand-messe y porte le Saint Sacrement qui reste exposé dans l’église. 10 Fête du Sacré Cœur ; le P. De Theux nous dit la messe à 6 h pour la rénovation [des vœux]. Celle du curé suit sans sermon ; exposition [du Saint Sacrement] tout le jour. 12 Dimanche, la fête du Sacré Cœur se fait à l’église ; il y a deux sermons. 15 Fête de saint Régis, solennelle et chômée à cause de notre vœu avant de partir de France. Il y a sermon et exposition. 21 Fête de saint Louis de Gonzague, communion générale des élèves. Vêpres chantées, exposition. 27 Visite de M. Paillasson, missionnaire de Lyon, qui quitte sa paroisse de La Nouvelle-Madrid pour entrer au noviciat des Jésuites. Prêt à Saint-Charles de 100 $ par la maison de Saint-Ferdinand, de plus 50 sont encore dus, prêtés pour le puits. Juillet Maladie grave de Mesdames Bosseron, Potier et Penel et de Sœur Élisabeth.

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4 Grande récréation pour les élèves. 6 Retraite de trois jours, donnée aux élèves par le R. P. De Theux. 19 Fête de saint Vincent de Paul, de 2e classe. 29 Visite de la Mère Xavier Love, supérieure des Sœurs de la Charité à Saint-Louis, accompagnée de Sœur Élisabeth. 31 Fête solennelle de saint Ignace, messe en musique. Août 2 Nous gagnons l’indulgence plénière. Nouvelle qu’il doit se faire une fondation à Nantes en France. Nouvelle du retour en Amérique de Mgr Bruté, évêque de Vincennes ; il amène de France, pour son diocèse, dix-sept ecclésiastiques. 15 Fête de l’Assomption, solennelle. 16 Mort édifiante à Saint-Louis de notre Sœur Elisa Bosseron. 24 Visite des Mères Thiéfry et de Kersaint. Mère Thiéfry repart le lendemain avec notre élève, Mlle Ann Cagan qui devient postulante. 28 Visite de Mme Roche et de trois pensionnaires de Saint-Louis.

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29 Entrée au pensionnat de Mlles Louise et Adèle Destrehan. 31 Entrée de Mlles Keating et Petticrew pour le pensionnat. Le P. Van Assche, curé de Saint-Charles, reprend sa paroisse de Saint-Ferdinand. Il est accompagné du R. P. Verhaegen qui donne les prix à l’école externe. Septembre Arrivée de la Sœur Joséphine Milles qui demeure ici. 6 Départ du P. Buschotts qui avait remplacé dans cette paroisse le P. Van Assche. 8 Distribution des prix à nos élèves par le P. De Theux. 9 Offrande des couronnes à la sainte messe. 10 Sortie des élèves pour les vacances. Elles restent onze. Octobre 1er Rentrée des classes, messe du Saint-Esprit ; il ne s’y trouve que 15 élèves. Le dernier du mois, elles sont 24. Nouvelle de notre Mère générale qui nous dit de ne plus compter sur le retour de Mère Eugénie Audé, à cause de sa santé. Nouvelle de la perte douloureuse que vient d’éprouver la Société en Amérique par la mort de Mère Xavier Murphy, supérieure de notre maison du Grand Coteau. Elle était née en Irlande, y avait été élevée chez les Dames Ursulines de Cork. Elle était âgée de 43 ans et en avait

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15 de profession. Une fièvre violente l’a enlevée en peu de jours. Elle s’était acquis par son mérite une grande réputation dans la Louisiane. Novembre 1er et 2 La messe a été chantée en musique le 1er et le jour des morts. 15 Arrivée de notre Sœur aspirante Eulalie Guillot qui, avec la permission de notre Mère générale, vient passer ici deux mois en solitude pour se préparer à ses derniers vœux. 19 Visite de Mère Thiéfry. Elle a reçu deux postulantes de l’Est et en attend une troisième. Son noviciat [Saint-Louis] a dix sujets, le pensionnat 54 élèves ; le nôtre, 24 ; celui de Saint-Charles, 20. 21 Les aspirantes, excepté Sœur Milles, ont renouvelé leurs vœux. 22 Les chanteuses ont chanté la messe en musique. Nous apprenons que le P. Elet est recteur du collège à la place du P. Verhaegen ; que le P. Van de Velde descend à la Louisiane où il trouvera six Jésuites français qui doivent y établir un collège. Ils sont venus de France avec Mgr Blanc qui a aussi conduit avec lui trois de nos dames pour le Grand Coteau : Mmes Cutts, Lyons et Pratt. Décembre Mme Penel aspirante, venue de Saint-Michel, condamnée pour sa santé, a une crise violente suivie d’un état d’insensibilité. 5 Elle est administrée. Le lendemain, elle se lève et court dans la maison ; la folie se déclare.

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11 Elle paraît si changée, surtout par rapport à la religion, qu’on croit que le démon a part, même dans son état physique. 21 Le P. De Theux la visite deux fois et n’en peut tirer une simple parole. Son regard est égaré. Le froid est extrême ; elle ne le sent pas. Elle prononce des mots très grossiers, frappe, s’emporte, crie, chante, etc. 25 Nous avons une messe à minuit, trois autres se disent à 8 heures. La grand-messe en musique, à 11 h. 31 On chante le Miserere à la fin de la messe, suivie de la bénédiction et du Magnificat, ne sachant pas le chant du Te Deum. On donne les prix à 10 h 30. Le soir, on se demande pardon sans conférence, à cause des malades. 1837 Janvier Le jour de l’An, nous avons 2 messes, dont l’une chantée avec diacre et sous-diacre. 4 Rentrée des classes. 5 Visite de Monseigneur à qui on avait dit faussement que nous l’attendions pour les vœux de Mme Eulalie Guillot ; comme ses 25 ans ne sont pas accomplis, il repart sans faire la cérémonie. Il a vu Mme Penel avec bonté et ne croit pas que le démon ait part à son fâcheux état ; il n’en peut rien tirer. Mais Dieu a écouté les prières qu’on a faites pour elle : le 15, elle a assez de raison pour vouloir se confesser. Elle se confesse encore le 16 et reçoit la sainte communion. L’extrême-onction, reçue le jour où elle fut premièrement administrée, n’a pas été réitérée.

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Elle est morte une heure après sa communion. Le lendemain, cinq Jésuites ont bien voulu assister à son enterrement. 18 Mme Eulalie, pour ne pas donner à Monseigneur la peine de revenir, car il s’est réservé les cérémonies religieuses, va à Saint-Louis faire ses vœux. Février Les prières des 40 heures se sont faites sans exposition dans la journée. La permission de manger du gras en carême s’étend à 5 jours. Nous apprenons que notre vénérée Mère générale va à Rome. Elle a nommé pour supérieure à Saint-Michel Mère Aloysia Hardey et Mère Bazire, qui y avait tenu la place de Mère Eugénie Audé, est nommée supérieure pour la maison du Grand Coteau qui n’en avait pas depuis la mort de Mère Murphy. On y était aussi privé d’un prêtre que le charitable M. Rosti, ancien missionnaire et constant ami de la maison, curé du village Opelousas, suppléait quand cela lui était possible. C’est lui qu’on appela pour administrer la Mère Murphy. 24 Arrivée de six postulants pour les Jésuites ; ils nous visitent avec le Père Hélias1. Mars 4 Neuvaine à saint François Xavier, sur la fin de laquelle on commence les prières ordonnées par Monseigneur pour la tenue du Concile de Baltimore. Ce sera le 3e dans les États-Unis. Il s’ouvrira le troisième dimanche après Pâques. Ces prières sont : 7 Pater et 7 Ave chaque jour, avec l’oraison au Saint-Esprit.

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Ferdinand Benoît Marie Guislain Hélias d’Huddeghem, SJ, est né en 1796, à Gand (Belgique). Au collège jésuite de Roulers, il a eu comme professeur le P. Van Quickenborne. Arrivé en Amérique en 1833 et au Missouri en 1835, il a enseigné à l’Université de Saint-Louis et a exercé son ministère pastoral auprès des catholiques allemands. En 1838, il a été affecté à une paroisse de Westphalie, au centre du Missouri, où il est resté jusqu’à sa mort en 1874.

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10 Nous apprenons l’arrivée au Grand Coteau des trois professes françaises et la mort de Sœur [Hélène] Mayet coadjutrice1. Elle avait été plusieurs années comme orpheline à Saint-Louis et s’y était rendue fort utile. 22 Vœux à Saint-Louis de Sœur Louise Amiot. 23 M. Paillasson donne une retraite pour la paroisse, où nous assistons. Nous récitons l’office des ténèbres, faisons toutes nos Pâques le Jeudi saint, et l’adoration jour et nuit. Plusieurs Jésuites ont été élevés aux ordres sacrés, ces saints jours. 27 Mme Stanislas Shannon reconduit, à Saint-Louis, Sœur Joséphine Milles. Avril Nous avons le bonheur de présenter au baptême Mlle Jane Pettecrew, née protestante et dont prend soin Mme Tighe, Irlandaise, qui a été sa marraine et le mari, son parrain. La jeune personne a 16 ans et annonce les plus heureuses dispositions. 4 Froid et neige extraordinaire. 9 Second dimanche après Pâques : 1ère Communion de 31 enfants de la paroisse, tant garçons que filles. Mlles Jane Pettecrew et Ezelda Musick la font aussi.

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Hélène Mayet, RSCJ, est née en 1813 à Peoria (Illinois). Elle est entrée à Saint-Ferdinand en 1829, a fait ses premiers vœux à Saint-Louis, est morte le 3 février 1837, à Grand Coteau. Elle a probablement fait sa profession sur son lit de mort, mais la date reste inconnue.

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Mai 1er Messe chantée, procession au jardin pour commencer le mois de Marie. Nous apprenons que les Jésuites venus de France vont s’établir au Grand Coteau où toute la terre, donnée à Mgr Dubourg pour un collège, leur est adjugée. Ils vont y bâtir. Le R. P. Point est leur supérieur. Nos Dames sont dans l’abondance des secours spirituels, après en avoir souvent manqué par les maladies et absences de M. Rosti Lazariste, que ses supérieurs ont rappelé dans le Missouri. 25 Fête du Saint Sacrement, procession dans l’église seulement. Juin 2 Grande fête du Sacré Cœur, rénovation des vœux à la 1ère messe. Sœur Élisabeth, malade, ne peut entendre la messe. 4 Fête du Sacré Cœur à l’église, qui concourt avec celle de saint Ferdinand ; messe avec diacre et sous-diacre, sermon sur le Sacré Cœur du P. Buschotts. Nous avons l’exposition dans notre chapelle, du 2 au 10. 13 Fête de saint Antoine de Padoue, précédée de sa neuvaine. 16 Fête de 1ère classe en l’honneur de notre patron, saint Régis. Sa neuvaine s’est faite avec celle de saint Louis de Gonzague. 21 Ce jour-là, le P. Paillasson commence une retraite de trois jours, en anglais, pour préparer à la Confirmation ; les élèves la suivent.

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24 Arrivée de Monseigneur. Le lendemain, il donne la Confirmation après la grand-messe et fait une instruction, avant et après. 25 Il y a eu 36 confirmés, du nombre desquels étaient six de nos élèves. 29 Saint Pierre a été peu solennisé. Juillet 4 Récréation pour l’Indépendance. Août 2 Communion pour l’indulgence de la Portioncule. 4 Le 3 et le 4, les prix se sont distribués au collège et au Sacré-Cœur à Saint-Louis. 15 Fête de l’Assomption. On fait ce jour-là la procession du Saint Sacrement qui ne s’était pas faite à la Fête-Dieu. C’est le P. De Theux qui porte le Saint Sacrement à la procession. La messe a été en musique. 16 Nouvelle de notre Mère générale de Rome, le 15 mars. Elle cherche dans cette ville une maison pour le noviciat. Elle a encore eu une audience du Saint-Père, qui nous a toutes bénies en sa personne. Elle nous annonce la mort de M. l’abbé Perreau, qui nous a tenu la place de Supérieur général pour le Grand aumônier de France, a longtemps été le confesseur de nos sœurs à Paris. Il a beaucoup contribué à décider notre établissement en Amérique, nous y a aidées de sa propre bourse et en nous obtenant des secours de la Société de la Propagation de la Foi. Enfin, il s’est toujours montré notre insigne bienfaiteur. Par sa charge de

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secrétaire du Grand aumônier de France, il a eu part par ses conseils au bon choix des évêques, et l’eût été lui-même infailliblement si sa grande modestie n’eût détourné ce coup pour lui. Il a été prisonnier sous Napoléon avec Mgr d’Astros, maintenant archevêque de Toulouse, et alors grand vicaire à Paris pour la cause de la religion en soutenant les droits de l’ Église contre l’autorité séculière. Ce qui lui avait donné un grand crédit à la cour de Rome. Plusieurs cardinaux étaient en correspondance avec lui et il nous a procuré, par les cardinaux Litta et Fontana, l’approbation du pape Pie VII pour notre mission en Amérique. Il nous a plusieurs fois écrit des lettres paternelles. Son extérieur humble et doux, sa vie toute simple le rendaient une image de Jésus-Christ sur la terre. 22 MM. Barry et Murphy nous visitent avec Mère Thiéfry. 23 Visite des Mères Hamilton, de Kersaint et Roche. 24 Visite à Saint-Charles de nos Sœurs Stanislas Shannon et Gonzague Boilvin avec les demoiselles Destrehan. 25 Service solennel pour notre insigne bienfaiteur, M. l’Abbé Perreau. 27 Fête du Cœur de Marie. Sœur Élisabeth, malade, reste au lit. 31 Service pour le R. P. Van Quickenborne, 1er supérieur des Jésuites dans le Missouri, et longtemps confesseur de notre maison. Septembre 1er Premier vendredi du mois. Nous ne pouvons avoir l’exposition [du Saint Sacrement] ; la maladie de Sœur Élisabeth continue et Mme Gonzague a un fort crachement de sang.

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8 Distribution des prix par trois Pères Jésuites, autres que le P. De Theux qui donne la retraite à des novices. 9 Messe d’action de grâces. 12 Nouvelles de notre Mère générale par Mère Desmarquet 1ère assistante [générale], et par Mère Galitzine secrétaire générale. Elles nous apprennent que la Société vient d’acquérir un beau local vis-à-vis l’église Saint-Pierre à Rome, pour l’établissement du noviciat romain. Notre Mère s’y est transportée et y a reçu deux sujets d’une naissance et d’un mérite distingués. 18 Visite des Mères Lucile et O’Connor. Elles repartent et leurs autres Sœurs McKay et Eulalie viennent à leur tour et nous conduisent notre jeune Sœur Mary Knappe qui doit rester avec nous. Octobre 1er Fête du saint Rosaire ; peu d’enfants communient, n’étant pas rentrées. 2 Visite du R. P. Verhaegen provincial, qui vient habiter le noviciat et nous promet une instruction par semaine. Visite de M. Timeson prêtre, et du P. Carrell Jésuite. Visite de MM. Nicolaï et Mullanphy. 12 Visite du maître de la Négresse qui nous sert et qui veut s’en aller. Novembre 1er Elle sort avec sa petite fille et nous restons sans aucune personne pour soigner les vaches et faire la cuisine. Mère Thiéfry ne peut nous donner aucune sœur.

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Nous formons l’orpheline Lynch pour la cuisine et Mme Stanislas Shannon tire les vaches avec elle. 2 Messe des morts, solennelle. 16 Visite de Messeigneurs Rosati et Bruté. 20 Visite de 4 postulants pour les Pères Jésuites. 21 Rénovation des aspirantes. 22 Les chanteuses n’ont pas mérité leur fête entière. 23 Visite du P. De Smet Jésuite, arrivé de Flandre après une grande maladie. Décembre 3 Nous fêtons saint Xavier, de 2e classe. 4 C’est le 1er vendredi. Salut à l’église ; amende honorable ; voie de la Croix. 8 L’Immaculée Conception a été chômée, de 1ère classe. Mlle Loper a été baptisée. 25 Il y a eu messe à minuit, le jour de Noël, avec exposition, communion générale. Mlle Loper y a été admise pour la 1ère fois. À 8 heures, on

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a de nouveau exposé le Saint Sacrement ; il y a eu 2 messes, deux autres à 9 heures, la grand-messe à 11 h avec un beau sermon du P. Paillasson. Saint Étienne et saint Jean n’ont été fêtés que de 2e classe. 1838 Janvier Le jour de l’An, plusieurs élèves ont passé la journée chez leurs parents ; d’autres sont sorties les jours suivants. 6 Fête de 1e classe pour les rois mages. Nouvelles d’Europe. Notre Société a perdu cette année 27 de ses membres. Six ont péri par le choléra dans la maison de la Trinité à Rome. Nouvelles de Saint-Michel où il y a 10 ferventes novices, 20 orphelines et 150 pensionnaires. Les Jésuites du Grand Coteau, dont la bâtisse ne se finira qu’en mai, ne peuvent maintenant en prendre que 35. Le nombre en est diminué au Sacré-Cœur des Opelousas, depuis la mort de Mère Murphy. Février 2 La fête de la Purification a été contrariée par le gel du Missouri, qui a retenu le P. Van Assche à Saint-Charles. 24 Le froid est moins vif ; les santés se sont soutenues pendant sa rigueur, excepté celles de Sœur Élisabeth et d’une élève. Les Quarante heures se sont faites sans exposition toute la journée. Nous recevrons, ce mois, des présents de la maison de Saint-Michel et des nouvelles de notre Mère générale. Mars 1er Elle emploie en ce moment la Mère Desmarquest 1ère assistante générale, pour la fondation de Nantes, que la Mère Thérèse Maillucheau doit continuer après elle.

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Le R. P. Verhaegen provincial, étant allé à Washington pour les affaires de sa mission, a placé le P. Van Assche à sa place au noviciat et donne pour curé à notre paroisse le P. Paillasson. Avril 4 Nouvelles par la Mère Galitzine secrétaire générale, qui annonce de la part de notre R. Mère Barat à Mme Gonzague Boilvin la permission de faire ses derniers vœux, et la nomme en même temps maîtresse générale quand ils seront prononcés, et Mme Stanislas Shannon assistante. Elle ajoute que nous venons encore de perdre huit de nos sœurs. 11 Nouvelle de la mort de la marquise Andosilla, alliée à la maison de Savoie, notre bienfaitrice à Rome pour la fondation de notre maison de Sainte-Rufine. Notre Mère générale ordonne dans toute la Société un service et des messes pour le repos de son âme. Retraite donnée la Semaine sainte par le P. Gleizal1, qui produit les plus heureux fruits dans la paroisse. 12 Jeudi saint solennel ; veillée au tombeau. 13 Fin de la retraite, voie de la Croix, office des ténèbres les 3 jours. 14 Baptême solennel de Mlles Huffe et Pitcher par le P. Van Assche. (La 1ère a été brûlée vive par accident, peu après).

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Jean-Louis Gleizal, SJ, né en Avignon, est entré dans la Compagnie de Jésus à l’âge de 18 ans, en est sorti pour raisons de santé. Ordonné prêtre diocésain, il a exercé son ministère à La Louvesc et a décidé de revenir chez les Jésuites. Il est arrivé à Florissant en 1837, est allé en 1848 à La Nouvelle-Orléans, où ses prédications missionnaires eurent beaucoup de succès. De retour à Florissant, il a été maître des novices pendant huit ans. Il est décédé au Collège Church, à Saint-Louis-Université, en 1859.

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Mai 1er Le P. Paillasson commence publiquement le mois de Marie. 13 Première Communion de 37 enfants, dont trois sont de notre pensionnat. Ce jour, 200 personnes sont reçues [dans la confrérie] du Saint Scapulaire dans cette paroisse. Bonnes nouvelles du pensionnat et du noviciat de Montet, en Suisse, près Fribourg. Cette maison est fondée depuis la révolution de France en 1830. Besançon a aussi beaucoup de succès, ainsi que Niort où les secours spirituels sont plus rares. 31 Conclusion du mois de Marie et mort dans la maison d’une petite Négresse, fille de la cuisinière qui nous avait quittées et qui était rentrée chez nous. Sa fille, âgée seulement de 8 ans, a été en état de faire sa 1ère Communion avant sa mort ; 4 de nos élèves l’ont portée au cimetière. Juin 1er Il n’y a pas eu d’exposition, le premier vendredi. 3 La fête de Pentecôte a été très solennelle. 14 La Fête-Dieu n’a pas eu, ce jour, la procession. Nous avons eu l’exposition. 21 Saint Louis de Gonzague a été peu solennel.

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22 Grande fête du Sacré Cœur, messe, rénovation sans discours à 6 h 30 ; à 8 heures, messe en musique avec diacre et sous-diacre et un beau sermon sur le Sacré Cœur du P. Gleizal. 24 Monseigneur dit la 1ère messe à  6  h  30 ; assiste à  10  heures à la grand-messe et après, donne la Confirmation à 50 personnes dont 8 à 10 à cheveux blancs, c’est-à-dire à de vieux convertis ; prêche en anglais et en français ; dîne chez nous avec 7 Jésuites ; aux vêpres, il donne la bénédiction et part pour le noviciat des Jésuites et de là, à Saint-Charles. L’exposition dans l’octave n’a pu avoir lieu tous les jours. 29 Saint Pierre et saint Paul ont été sans solennité. Juillet 19 Le jour de saint Vincent de Paul n’a été fêté qu’au salut. Des nouvelles de Saint-Michel nous apprennent que l’évêque de la Nouvelle-Orléans, le jour de la Pentecôte, a fait faire au Sacré-Cœur une 1ère Communion de 100 jeunes personnes, qu’il a ensuite confirmées. Il y a aussi célébré la fête du Sacré Cœur où il a donné le voile à des postulantes, admis d’autres sœurs aux premiers et seconds vœux. Elles sont 36 en tout et ont 200 pensionnaires. On y projette un plus grand bâtiment. Août 1er Maladie bilieuse de Mère Stanislas Shannon et indisposition de presque toutes les Sœurs. Ce qui détermine à donner de suite les prix entre nous, le deux, sans exercices qui aient précédé. 5 Sortie de 10 élèves. Le 13, il n’en reste que 6 jusqu’à la rentrée.

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13 Nouvelle d’une maladie très grave de Mère Thiéfry à Saint-Louis. 15 Fête de l’Assomption ; il n’y a pas d’exposition à cause de la grande musique du collège qui vient pour la messe et la procession le soir. Vingt musiciens déjeunent chez nous et en même temps, Monseigneur et le P. Elet arrivent sans être attendus ; leur dîner s’en est ressenti à notre confusion. Cependant les musiciens sont allés dîner chez les Jésuites au noviciat, reviennent pour la procession et se retirent. 16 Monseigneur et le P. Elet nous disent la messe. 31 La Négresse Mathilde nous quitte pour la seconde fois, sans remplaçante. Septembre 1er Visite de Mère Lucile qui a fait commencer sa chapelle et de Mère Thiéfry qui s’est remise de sa dangereuse maladie. Elle reste trois jours, après lesquels Mère Prud’hon vient la chercher. 8 Rentrée des classes. Nous ne chômons pas [le jour de] la Nativité [de la Sainte Vierge]. Le P. Paillasson part avec précipitation pour assister le curé du Portage, le P. De Bruyn1 à l’extrémité. 11 Nouvelle de sa mort ; on l’enterre à Saint-Charles. 1

Aegidius De Bruyn, SJ, Belge, est entré en 1832 au noviciat jésuite à Florissant, a été ordonné prêtre en 1837. Curé au Portage des Sioux, il souffrait d’une maladie chronique de l’estomac, devenue si grave qu’il est tombé de cheval en revenant d’une visite pastorale. Trouvé et secouru par un homme qui a alerté la paroisse, il est mort dix jours plus tard, le 10 septembre 1838, deux jours après que ces nouvelles soient parvenues à Florissant.

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24 et 25 Le P. Paillasson est nommé curé à sa place et vient nous faire ses adieux. Le P. Gleizal est nommé pour desservir la paroisse de Saint-Ferdinand. Monseigneur, qui va faire sa visite dans le nord de son diocèse, l’a chargé de nous dire que le P. Van Assche peut recevoir les derniers vœux de notre Sœur Gonzague, cérémonie qu’il s’était réservée, ainsi que celles des 1ers vœux et prises d’habit, les appelant les fleurs des évêques. 30 Communion donnée aux infirmes à  6  heures. Messe solennelle à 7 h 30 pour les vœux de Sœur Gonzague Boilvin ; messe, cantiques chantés par les novices jésuites. Le P. Van Assche fait les questions et bénédictions en chape, dit la messe avec diacre et sous-diacre et reçoit, avant la communion, les vœux de notre Sœur. Le P. Gleizal, après l’Évangile, avait fait le discours propre à la cérémonie et dit la 2e messe qui n’est pas chantée ; le Te Deum l’a été après les vœux par les novices jésuites ; le Saint Sacrement reste exposé jusqu’après les vêpres. Octobre 7 À la fête du saint Rosaire, nous avons sermon en anglais et en français ; messe et vêpres en musique ; réception des élèves communiantes pour le saint Rosaire. 20 Nous apprenons le décès de Mère Paranque, une des plus anciennes de la Société, qui s’est trouvée aux fondations de Gand et de Quimper, a été supérieure à Grenoble et à Aix-en-Provence. 22 Réunion en une seule province des Jésuites de la Louisiane et du Missouri. Le P. Verhaegen va faire sa visite au Grand Coteau. 24 Visite du P. Hélias, Jésuite missionnaire dans les parties voisines de Jefferson City ; il a accompagné Monseigneur à son retour et ira continuer ses missions.

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Sœur Élisabeth a recouvré la santé par l’intercession de saint François Régis. Novembre 1er Fête de la Toussaint, fort solennelle. Le P. Gleizal, dans son sermon, a fulminé contre les bals. 2 Messe solennelle à 10 heures. Départ de Mme Prud’hon après 8 jours de demeure chez nous pour sa santé. 13 Réception d’une lettre intéressante de Mme de Beaufort, religieuse du Sacré-Cœur à Amiens, qui détaille sa maladie très grave et sa guérison dans une neuvaine faite à cette intention à saint François Régis. Mme Galitzine a aussi été guérie d’une fièvre de cinq ans en buvant de l’eau d’une fontaine que ce grand saint avait bénie. Décembre 8 Le P. Gleizal a donné la retraite au pensionnat, avant la fête de l’Immaculée Conception, célébrée de 1e classe. 10 Le R. P. Elet vient exprès de Saint-Louis pour établir dans notre pensionnat la congrégation des Filles de Marie. Il dit la messe qui est chantée en musique, reçoit cinq élèves, fait un très beau discours ; il repart pour Saint-Louis. 25 Noël. Messe basse à minuit, où l’on communie ; 2 autres messes à 7 heures ; la 3e à 10 heures, elle est chantée. 27 Saint Étienne, saint Jean, sans solennité.

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1839 Janvier 1er Nous sommes sans domestique ; à peine si nous pouvons nous rejoindre dans la maison pour nous souhaiter la bonne année. Refus de celle qui pourrait nous aider ; nous prenons une jeune Négresse qui n’est qu’un surcroît de peines. Elle n’est pas fidèle et très à surveiller sur un autre article. Nous sommes obligées de faire le soir la récréation à la cuisine pour qu’elle ne reste pas avec l’orpheline. C’est au milieu d’elles, dans le bruit du lavage et du rangement de la cuisine, avec le vent qui y perce de tous côtés, que nous pouvons renouveler un sacrifice en songeant aux soirées de la France. 15 Nouvelle de la mort de dix de nos sœurs en Europe. 25 Lettre de Rome qui détaille la visite que notre Saint-Père Grégoire XVI a faite à Villa Lante, maison du noviciat de notre Société à Rome, qu’il a promis de réitérer. Février 2 Bénédiction et distribution des cierges que nous recevons à la table de la Communion. 15 Nous apprenons la mort de M. Petit au collège Saint-Louis. Il avait succédé à M. Desseille dans la mission des Potawatomis du Michigan. Il a accompagné une partie de cette nation dans le territoire indien, étant déjà malade ; près d’y succomber. Il a remis ses Sauvages au R. P. Hoecken Jésuite, et est mort chez eux. 1er samedi de carême, arrivée de Monseigneur pour la réception, le dimanche, des filles de Marie dans la paroisse, qui se fait en grande pompe. Elles sont 25. La Sainte Vierge est placée, environnée de lumières, derrière le tabernacle et plus haut. Monseigneur dit la messe, fait un beau sermon et reçoit la consécration de chacune.

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Mars Le deux, froid très vif après une neige abondante. 4 Neuvaine à saint François Xavier. 8 Absence du P. Gleizal pour une mission au Portage. 23 Il envoie le P. Paillasson pour le dimanche des Rameaux et la retraite de chaque année, la semaine Sainte. Le jeudi Saint et les 2 jours suivants se passent comme les autres années. 31 Fête solennelle de Pâques, conclusion de la retraite. Communion générale de plus de 200 personnes. Avril 1er Visite du P. De Theux qui va partir pour la Louisiane avec le P. Paillasson et deux scolastiques. 6 Le P. Aelen part pour aller chez les Potawatomis avec des Frères. 8 Visite de Monseigneur et du P. Verhaegen qui vont pour le synode1, se préparer dans la solitude du noviciat.

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Ce fut le premier synode diocésain de Saint-Louis, qui s’est ouvert à la cathédrale le 21 avril 1839, troisième dimanche après Pâques. Il s’est terminé le 28 avril, quatrième dimanche après Pâques, contrairement à ce que dit Philippine ci-dessous (1er mai). Parmi les décisions prises se trouvaient : l’application des décrets du Concile de Baltimore, l’approbation des catéchismes uniformes en français, anglais et allemand, et l’application d’une liturgie commune selon le Rituel romain, ce qui n’était pas du tout du goût de Philippine (Cf. ci-dessous, 7 juin).

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12 Retour de Monseigneur. Maladie sérieuse du P. Gleizal ; il ne peut se rendre au synode ouvert le 3e dimanche après Pâques. Le P. Pain vient dire la messe ici, ce jour-là. 26 Le P. Gleizal peut dire la messe et les jours suivants. 29 Nous apprenons que le nouveau bâtiment pour le pensionnat de Saint-Louis est fini et peut être occupé. Mai 1er Ouverture du mois de Marie. 5e dimanche après Pâques, conclusion du synode. 10 Le P. Verhaegen donne la retraite pour la 1ère Communion des enfants. Elle se fait le jour de l’Ascension de Notre Seigneur ; dix de nos élèves ont le bonheur d’en être ; il y a le même jour procession pour le renouvellement des vœux ; prix à l’église pour le catéchisme. 25 Veille de la fête de la Sainte Trinité ; arrivée de Monseigneur qui nous confesse pour les Quatre-Temps. Il donne la Confirmation, le jour de la fête, et repart. 26 Arrivée du P. Devos qui vient pour être maître des novices1. Il visite notre maison.

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Pierre Devos (ou De Vos), né à Gand en 1797, est entré chez les Jésuites en 1825. Il a été le premier curé de Saint-Charles, paroisse de Grand Coteau, puis maître des novices à Florissant (1839-1843). Il est ensuite parti vers l’Ouest et a travaillé dans les Montagnes Rocheuses et l’Oregon. Il est décédé en 1859 à Santa Clara (Californie).

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31 Conclusion du mois de Marie et communion générale des Filles de Marie. Juin 7 Il n’y a pas d’exposition, l’octave du Saint Sacrement. Grande fête du Sacré Cœur ; nous renouvelons nos vœux à une 1e messe. La 2e est chantée à l’église par les Jésuites novices. Nous nous trouvons privées de beaucoup de consolations par les arrêtés du synode qui défendent : 1°) la bénédiction après la messe ; 2°) plus d’exposition pendant la messe, excepté l’octave du Saint Sacrement ; 3°) il faut 16 cierges à la bénédiction ; 4°) il en faut aussi 16, tout le temps où le Saint Sacrement est exposé ; 5°) point de communion à minuit, le jour de Noël. Maladie de Mme  Gonzague qui ne nous laisse plus de temps, ayant déjà été privée de Mme Maria Knappe qui est allée à SaintLouis pour être traitée, ayant une forte foulure au pied. Les remèdes étant sans effet, nous la rappelons pour aider, assise, auprès des élèves. Elle se sent portée à faire un vœu à saint François Régis pour sa guérison. Le P. Gleizal, très dévot au saint, l’y engage aussi ; et la guérison est complète après le vœu. Elle n’a plus même, comme avant cette foulure, des ressentiments d’une autre plus ancienne. Elle quitte ses béquilles. 16 Le jour de la fête de saint François Régis, Mère Gonzague est mieux, ainsi qu’Antoinette Radiren qui s’était démis le bras. Juillet 4 Mort sainte et paisible de notre Sœur Eulalie Guillot dans la maison de Saint-Charles, où elle a fait admirer sa patience.

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14 Visite de Mère Lucile et de deux de nos sœurs de Saint-Michel, destinées pour la maison de Saint-Charles. Ce sont Mmes [Adèle] Verret et N… 19 Saint Vincent de Paul est peu solennisé. 20 Nouvelle que Mère Eugénie est à Rome avec notre digne Mère Barat, qu’on y tiendra le Conseil général, et que par-là, le voyage de la Mère Galitzine, comme visitatrice des maisons d’Amérique, se trouve retardé. Mère Barat dit à Mère Thiéfry de donner une sœur coadjutrice à Saint-Ferdinand, car dans le besoin d’une bonne Sœur, nous lui avions envoyé 1 100 F pour le voyage de celle que nous réclamions. 21 Mère Duchesne va à Saint-Louis chercher la Sœur et consulter M. O’Neil pour rebâtir le réfectoire. Elle laisse à Saint-Louis Antoinette Rariden. 31 Fête de saint Ignace, moins célébrée par suite des derniers arrêtés. Août 2 1er vendredi, de même. Communion pour l’indulgence de la Portioncule. 15 Fête solennelle sans exposition ; réception de 4 filles de Marie dans le pensionnat. 16 Exercices de l’année ; visite de Mmes Hamilton et Roche.

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17 Distribution des prix par les Pères Verhaegen, [Pierre] De Vos et Gleizal. 18 Dimanche, première pierre posée par le P. Verhaegen, pour la chapelle de la Sainte Vierge. 21 Arrivée des Sœurs Cornélie1, Lamarre et Louise Amiot pour une retraite. Elles commencent par suivre celle des Filles de Marie de la paroisse, qui se préparent à la fête de leur congrégation, celle du saint Cœur de Marie. 25 Cette fête est très solennelle et concourt avec celle de saint Louis, patron du diocèse. Communion générale des Filles de Marie ; procession du Saint Sacrement dans le village avec bénédiction au reposoir. 26 Arrivée des Mères Thiéfry et de Kersaint pour la retraite française, donnée par le P. Gleizal. Septembre Notre bâtisse se commence ; elle nous donnera un réfectoire en briques et une plus grande chambre pour la famille du domestique. 4 et 5 Départ de nos Sœurs. 7 Maladie bilieuse de Sœur Élisabeth, de Mlles Watts et Knappe.

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Il s’agit probablement de Margaret Cornelius, RSCJ, née à Bardstown (Kentucky) en 1818. Elle a commencé son noviciat à Saint-Louis en 1836, a fait ses premiers vœux le 21 août 1838. Elle était à City House (Saint-Louis) en septembre 1839 avec les Sœurs Lamarre et Amiot.

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13 Le P. Gleizal est ôté de cette paroisse ; le P. Van Assche y est replacé. 21 Visite du P. Hoecken, missionnaire indien et malade. Octobre 9 Visite des parents de Mlle Marguerite Knappe qui est dangereusement malade ; Madame sa mère reste quelque temps à Saint-Ferdinand et la voit tous les jours. 16 Nous recevons une lettre de Mère Eugénie, datée de Rome. Elle dit que le Conseil général est terminé, qu’il s’y est fait une rédaction de nos Constitutions. 22 Mlle Émilie Watts, qui a été guérie d’un mal sur les lèvres qu’on craignait sérieux et qui a été guérie par l’invocation de saint François Régis, quitte aujourd’hui notre pensionnat pour entrer au noviciat à Saint-Louis1. Novembre 1er Notre domestique, bon Allemand, tombe et se démet le bras gauche ; trois hommes n’ont pu remettre l’os à sa place. Le docteur en augure mal. Nous commençons pour lui une neuvaine à notre protecteur saint François Régis et il est guéri, le dernier jour de la neuvaine, en retombant d’une charrette sur le bras ; ce qui replace l’os. Une personne des meilleures familles de Saint-Louis nous est donnée comme pensionnaire, étant nouvellement guérie de la gale, sans nous en prévenir. Cette gale repousse et elle la communique justement à nos élèves les plus distinguées et deux avaient leurs parents fort 1

Emily Regis Watts, RSCJ, née en 1823 à Edwardsville (Illinois), est entrée au noviciat de SaintLouis et a fait ses premiers vœux en 1841, à Florissant. Elle est décédée à Saint-Louis en 1844, avant sa profession.

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proches qu’il a fallu prévenir. C’était un grand opprobre pour la maison, il a fallu l’accepter ; celles que nous avons traitées n’ont pu être guéries par le précipité, mais par le soufre. Nous avons promis d’employer 10 $ en messes pour les âmes du purgatoire, si tout était fini au 1er décembre. Nous recevons une lettre de Mère Thérèse Maillucheau, revenant de Rome d’où elle était prête à partir pour venir en Amérique visiter les maisons du Sacré-Cœur. Mais cette destination a été changée ; elle retourne à Nantes y former le noviciat de la province de l’Ouest, notre Société, depuis le Conseil, étant mise en provinces. 23 Le soir du 23, une pensionnaire sort de table et met imprudemment des morceaux de bardeaux dans le poêle de la classe. La flamme est si forte qu’elle met aussitôt le feu à la cheminée, qui le jette en dehors avec une telle abondance que, si le toit n’eût eu une forte couche de neige, nous n’aurions pu sauver la maison. Il s’est éteint en mettant des couvertures mouillées à toutes les ouvertures. Les élèves effrayées, car le vent était grand, disaient le chapelet avec ferveur. Le P. Gleizal est absent ce mois-ci pour la retraite avant ses vœux qu’il prononce le 21. Il revient après. Le P. Buschotts, qui l’avait remplacé, va dans le Missouri dans une nouvelle cure. Les galeuses sont guéries. 30 Nous avons la visite de 8 postulants jésuites, partis d’Anvers. Décembre 8 Six pensionnaires sont entrées dans la congrégation des Filles de Marie. Et 36 de celles de la paroisse ont communié et renouvelé leur consécration à une messe plus tardive. 19 La confession des 4 temps s’est faite au P. Devos. 25 Le P. Hoecken a dit la messe de minuit. Toutes les nôtres ne s’y trouvent pas, ne pouvant y communier, Monseigneur l’ayant défendu.

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À 5 h 30, il y a une 2e messe où toutes communient ; à 7 h 30, encore deux messes ; à 10 h 30, la grand-messe en musique, suivie de la 6e messe. 30 Distribution des prix. 1840 Dans le cours de cette année, Mère Stanislas Shannon va à SaintLouis et est remplacée ici par Sœur Joséphine Egan aspirante1. Sœur [Catherine] Campbell2, qui nous avait été donnée pour la cuisine, retourne à Saint-Louis pour cause de maladie. Le P. Gleizal est retiré de la paroisse pour aller à Cincinnati et nous possédons de nouveau le P. Van Assche. Nous jouissons de nos nouvelles réparations en briques, mais nous sommes encore obligées d’élever en bois une maison pour le domestique qui, ayant reçu sa famille d’Allemagne, ne peut la contenir dans sa chambre ; et ses enfants étaient trop près de nous et du pensionnat. Mgr Rosati, avant de partir pour l’Europe, vient nous visiter, bénit notre cimetière près du jardin et nous bénissant nous-mêmes, nous demande tous les jours un Pater et un Ave. Septembre Arrivée à Saint-Louis de Mère Galitzine, notre provinciale et visitatrice. Elle destine Saint-Ferdinand pour le noviciat. Octobre Mère Duchesne et ses compagnes vont à Saint-Louis.

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Anna Josephine Egan, RSCJ, née en Irlande en 1820, est entrée au noviciat en 1836, à SaintLouis, a fait ses premiers vœux en 1838. Elle est décédée en 1849, à Saint-Michel. Catherine Campbell, RSCJ, née en Irlande en 1797, est entrée au noviciat en 1837, à SaintLouis, a fait ses premiers vœux en 1839. Elle est décédée en 1841.



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Fin du journal (pour elle)1 années Départ de Paris pour l’Amérique Départ de Bordeaux  Arrivée à La Nouvelle-Orléans Arrivée à Saint-Louis Arrivée à Saint-Charles Arrivée à Saint-Ferdinand Départ de Mère Eugénie pour les Opelousas Arrivée des Jésuites dans le Missouri Départ de Mère Eugénie Audé, 2e fois Elle fonde Saint-Michel Fondation de Saint-Louis Arrivée à Saint-Louis de Mère Dutour, etc. Réception du bref de Léon XII pour l’approbation Fondation de la Fourche Fondation de Saint-Charles, consécration de l’église Arrivée de France de Mères Thiéfry, Lavy, Bazire Noviciat à Saint-Ferdinand Départ pour la Louisiane de Mères Lavy, Bazire Vœu à Saint Régis, réglé par Mgr  Arrivée de France de Mères de Kersaint, De Coppens Dissolution de la maison à La Fourche Choléra à Saint-Louis (nouvelles de Paris) Nouvelles de Rome Mort, 16 août, de Mère Octavie ; en juillet et août, de MM. Le Clair et Richard, de Mgr De Neckere. Arrivée de Mère Eugénie Audé Changement des supérieures de Saint-Louis et de Saint-Ferdinand 1

8 février 1818 14 mars 1818 29 mai 22 août 6 septembre 21 décembre 1819 5 août 1821 Juin 1823 4 mai 1825 Décembre 1825 2 mai 1827 9 septembre 1827 Septembre 1827 Septembre 1828 12 octobre 1828 11 septembre 1829 8 mars 1830 12 mars 1830 16 juin 1831 24 août 1831 26 mars 1832 Juillet 1832 Mai 1833 1833 13 avril 1834 11 octobre 1834

Quand Élisabeth Galitzine arriva comme visitatrice en 1840, elle déchargea Philippine de son supériorat, responsabilité assumée depuis 1818, et pendant laquelle elle a tenu le Journal (JSA), quelle que soit la maison où elle se trouvait : Saint Charles (1818-1819), Florissant (1819-1827), Saint-Louis (1827-1834) et Florissant (1834-1840). Personne ne l’a continué après elle sous la même forme, mais chaque maison du Sacré-Cœur possédait un Journal. En 1828, celui de la maison de Saint-Charles commença par la relation du JSA de 1818-1819 et se poursuivit différemment.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

années Mort de Mère Xavier Murphy Mère Aloysia Hardey, supérieure à Saint-Michel Mère Julie Bazire, aux Opelousas. Mort de M. l’abbé Perreau, Supérieur en France, et du P. Van Quickenborne, supérieur des Jésuites dans le Missouri et confesseur à Saint-Ferdinand. Mort du P. Bruyn, au Portage ; le P. Paillasson curé de Saint-Ferdinand le remplace et le P. Gleizal est à Saint-Ferdinand. Miracles de saint Régis. Le P. Gleizal est retiré de Saint-Ferdinand et le P. Van Assche reprend cette cure. Départ pour l’Europe de Mgr Rosati. Arrivée de la R. Mère Galitzine, visitatrice, avec plusieurs sœurs.

LETTRE 556

Octobre 1836 Février 1836 Août 1837 Septembre 1838 1838-1839 1840 1840 Septembre 1840

L. 3 À M. CHOUTEAU1 Saint-Ferdinand, ce 11 février 1840

Monsieur, J’attends de votre complaisance que vous voudrez bien m’informer si M. Destrehan ne vous a point adressé du sucre et de la mélasse pour notre maison ; dans le cas contraire, vous serait-il possible de nous envoyer seulement une barrique de sucre, qui vous serait remplacée à l’arrivée de celui de M. Destrehan ? Il donne très peu de ses nouvelles. S’il vous en avait données, ses enfants et nous serions bien empressées de les apprendre.

1

Photocopie de l’original, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Voir note Lettre 554.



Lettre 557

531

Je suis avec respect, Monsieur, votre humble servante. Philippine Duchesne Saint-Ferdinand, ce 11 février 1840

LETTRE 557

L. 130 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

St Antoine de Padoue 26 avril 18401 Ma très Révérende Mère, J’envie le bonheur de notre vénérable évêque Mgr Rosati, qui se propose de vous voir à Rome. Nous craignons beaucoup que Sa Sainteté le retienne auprès d’elle. Notre diocèse perdrait beaucoup. C’est une chose merveilleuse que les heureux changements qui s’y sont opérés par son zèle infatigable. Dieu a visiblement béni ses travaux apostoliques et surtout sa haute piété et sa charité qui le rendent le digne imitateur de saint Vincent de Paul2. Nous attendons avec impatience notre provinciale, mais si vous êtes gênée de lui donner quelqu’un pour nous, nous pouvons nous en passer. Mère Thiéfry, très affligée de vos reproches, nous a envoyé une très bonne Sœur et avec elle3, tout peut se faire dans notre petite maison, même quand Dieu disposera de moi, je n’y ferai aucun vide. Mère Gonzague Boilvin, quoique jeune, a comme la Mère Bigeu de ces naturels faits pour le gouvernement. Elle lui ressemble en quelque chose et à Mère Eugénie, son ancienne maîtresse. Elle aurait avec elle deux jeunes maîtresses tirées de nos élèves qui parlent les deux lan1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 28 novembre 1840. J. de Charry, II 3, L. 319, p. 303-305. Mgr Rosati appartenait à la Congrégation de la Mission (les Lazaristes), fondée par Saint Vincent de Paul. Catherine Campbell (1797-1841), RSCJ, est retournée quelques mois plus tard à Saint-Louis, où elle est décédée le 20 octobre 1841.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

gues, de même que celle qui fait la classe externe, qui ne pourra jamais être nombreuse ici, elle a même beaucoup diminué à Saint-Louis. Mère Thiéfry s’y propose des changements qui en éloigneront Sœur Catherine [Lamarre] ; cette pauvre Sœur, toujours infirme, désirera, comme elle me l’a déjà témoigné, de finir ses jours ici où elle pourra encore alimenter son zèle auprès de quelques petites Françaises du dehors. Il paraît que la maison de Saint-Louis est trop chargée pour les moyens de répondre à tout. Le pensionnat est diminué, nombre de postulantes entrent avec rien, pas même de trousseau. Il y a plus de 50 orphelines. Mère Thiéfry m’ayant demandé mon avis sur les réceptions, je lui ai répondu qu’il était imprudent de prendre plus de sujets qu’on n’en peut soutenir. Des sujets qui arrivent de plusieurs centaines de lieues, dont on est mal informé pour la santé et la vocation, à qui cela ne coûte rien de traverser les États-Unis pour venir se promener et voir un peu de tout. L’une à grands talents veut être supérieure du premier coup, l’autre a une tête mal affermie, l’autre est dans l’octave de sa prise d’habits, etc. Mère de Kersaint n’a jamais assez de monde, mais je tiens pour certain que les sujets de l’Est et du Canada ne viendront ici que parce qu’elles seront refusées dans les maisons déjà nombreuses de ces pays lointains. On m’a dit qu’en toutes les postulantes actuelles, aucune ne ferait une bonne maîtresse. Celles qui sortiront de nos écoles seront toujours les meilleures et surtout les plus sûres. Je pense que le noviciat pourra se soutenir par elles. On aura moins de monde à la fois, mais il en restera autant parce qu’il y aura moins de sorties. Monseigneur, avant son départ, a béni le cimetière que nous avons fait faire conjointement avec Mère Thiéfry qui doit y faire transporter ses mortes, une rue devant désormais occuper la place où elles sont. Quant à nous, nous n’en avons jamais eu depuis l’établissement, excepté Mère Penel, venue de la Louisiane, déjà condamnée et qu’on renvoyait en France dans sa famille. Elle s’arrêta ici trop malade pour continuer sa route. Elle est au cimetière commun. N’ayant plus qu’une professe avec moi, je suis sans assistante, sans admonitrice. Recevez, ma chère Mère, ma vénérée Mère, les expressions d’un cœur qui sent ce qu’il vous doit. J’ai toujours la mort devant moi et elle ne sera pas aussi douce que si j’avais toujours été au plus bas lieu dans la sainte maison.



Lettre 558

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Je suis à vos pieds votre plus indigne fille. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Ferdinand ce 26 avril 1840 [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale Des maisons du Sacré-Cœur de Jésus À la Trinité du Mont À Rome Italie

LETTRE 558

L. 65 À MADAME JOUVE, À LYON Saint-Ferdinand, ce 10 mai 18401

Ma bien chère sœur, J’ai reçu ta lettre du mois de janvier et j’ai bien pris part au mariage de ton fils [Hippolyte], dont l’épouse aimable [Amélie Bergasse] sera, j’espère, une consolation pour toi. Dis bien à Joséphine qu’elle m’est bien chère parce qu’elle est ta 1ère consolation. Mais ne regrette pas le sacrifice de tes autres enfants, ce sont surtout ceux qui se donnent à Dieu généreusement qui rendent leurs parents plus heureux. N’aimes-tu pas mieux voir Henry attirant les cœurs à son Dieu dans les chaires de Lyon et de Toulon, que Camille luttant contre un climat dangereux et des hommes barbares2 ? Tes deux filles [Constance] à Turin et [Amélie] à Conflans ne sont-elles pas l’honneur de leur famille ? [Hippolyte] Duchesne, qui est assez difficile, avait la plus 1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 143-145. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Camille Jouve (1809-1897), officier lors de la Campagne d’Algérie contre Abd-el-Kader (18321837).

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

grande confiance dans les soins de ton Aloysia [Amélie], qui a encore été surpassée par ta fille aînée [Euphrosine] d’une vertu à toute épreuve. Je suis bien aise que ta santé se soutienne pour l’utilité de la famille ; pour moi qui ne suis nécessaire à personne, je ne désire pas la prolongation de ma carrière que j’ai souvent pensé devoir finir par une attaque. L’important est d’être tellement préparé qu’on ne puisse pas la craindre, cette fin décisive. J’ai bien prié pour ton fils Camille et pris part à ton plaisir de voir Aloysia à Lyon. Je te fais de nouveaux remerciements pour les jolies choses que tu m’as envoyées : le vase est dans un cadre doré dans notre salon et fait l’admiration des personnes qui le voient ; les roses sont faites avec de la percale et font illusion à tous, par leur vivacité si naturelle. Elles ornent l’autel et le salon aux plus grandes fêtes. Plusieurs s’essaient à broder le même bouquet du vase, ce qui leur procure un très grand plaisir. Notre digne évêque est en route pour Rome ; il m’a dit devoir passer par Lyon, mais je ne lui ai pas donné de lettres pour toi, craignant que la visite d’un évêque, qui a besoin de recueillir pour le soutien de tant d’autres dans son diocèse, ne fût pour toi un sujet de peine, si tu ne pouvais donner. J’insère cette lettre dans une à Mme de Rollin qui m’a écrit une longue lettre et en demande une semblable. Toute à toi dans les cœurs de Jésus, Marie. Ph. Duchesne



Lettre 559

LETTRE 559

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L. 131 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

30 septembre 1840 St Antoine de Padoue1 Ma révérende et bien aimée Mère, Nous jouissons enfin du bonheur de vous voir représentée dans notre nouveau monde, nous vous devons bien des actions de grâces pour le sacrifice que vous avez fait en notre faveur d’une Mère qui vous était si nécessaire. J’espère que Dieu le bénira et ajoutera consolations sur consolations dans votre cœur par le bien qu’une personne de si grand mérite opérera dans nos maisons à la gloire du Divin Cœur. Je vous remercie, en mon particulier, bien sincèrement, d’être déchargée de mon fardeau [de supérieure]2 que je portais si mal et qui m’aurait donné tant de peine à ma dernière heure. Je la désire et la crains. Dieu si bon me donnera aussi les moyens d’expiation, car je vois bien clair que les croix me suivront d’une autre manière, quand ce ne serait que de tomber tout à coup d’une vie très agissante dans la plus complète inaction. Il n’y a point d’espérance pour les Sauvages3 ; outre que les choses ne sont pas préparées, je me suis bien aperçue, quand quelquefois j’ai exprimé sur cela mes désirs et mes regrets, qu’on ne me jugeait pas propre à l’œuvre et quand il n’y aurait que mon âge contre moi, cela pourrait suffire. Je demande à Dieu l’esprit intérieur pour lequel j’ai bien à acquérir. Je suis, ma vénérée Mère, avec le plus profond respect in Corde Jesu, votre indigne fille. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À ma très Révérende Mère Sophie Barat 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 320, p. 306-307. Cf. JSA, octobre 1840 : après avoir relaté cet évènement et son départ pour Saint-Louis, elle arrêta son journal. Philippine ne perdit jamais complètement l’espoir d’aller chez les Indiens. Et grâce au P. Ver­haegen, le 29 juin 1841, elle accompagna les fondatrices (Lucile Mathevon, Mary Ann O’Connor et Louise Amyot) au village des Potawatomis.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

LETTRE 560

L. 2 À MÈRE DE VIDAUD

SS. C. J. M. 

Saint-Louis, ce 1er octobre 1840 Rec. à St Antoine1 Ma bien chère Mère, Votre silence de six ans ne m’a pas empêchée de penser à vous ; les souvenirs de France et surtout de Grenoble me sont trop présents pour qu’il en soit ainsi. C’est moins alors au pays de ma naissance et de ma famille que je m’attache alors, qu’à me rappeler les miséricordes de Dieu sur moi, la protection marquée de saint Régis, les excellents sujets qui, à son ombre, se sont formés sur la sainte montagne et travaillent de tous côtés, en France et en Italie, à la gloire du Sacré Cœur. Je vois ce même amour pour notre dévot sanctuaire dans toutes les personnes qui l’ont habité et dont j’ai quelquefois des nouvelles. Notre maison de Saint-Ferdinand a aussi reçu des faveurs spéciales du même patron qu’à Grenoble. Nous lui vouâmes notre nouvelle mission avant de partir pour l’Amérique. Il a été notre recours dans tous les besoins. Et un beau tableau de ce charitable saint nous a donné le moyen de lui élever un autel dans notre chapelle, qui tient à l’église paroissiale de Saint-Ferdinand, qui l’a aussi pour patron secondaire. Elle a été desservie deux ans par un Jésuite [Jean-Louis Gleizal] qui a été de la maison de La Louvesc, dont il est encore tout embaumé et qui ne parle du saint qu’on y trouve qu’en termes attendrissants. Je suis bien consolée des détails que vous me donnez sur toutes les bonnes œuvres qui s’établissent à Avignon. Nous sommes loin de tant de ferveur et il faudrait bien des années pour la faire germer. Combien je suis contente d’entendre le nom de Zoé et de savoir que votre chère nièce rappelle ses touchantes vertus. Vos songes sur notre commun martyre ne sont pas oubliés ni la procession des vierges, qui « doivent suivre l’agneau partout où il va2 ». Je ne puis vous dire en ce moment de quelle maison je suis. Depuis huit jours, j’ai quitté Saint-Ferdinand pour venir voir, à Saint-Louis, 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Rev 14, 4.



Lettre 560

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la mère Galitzine et ses sept compagnes1. Elles se portent toutes bien. L’établissement à New York n’aura lieu qu’au printemps. La digne Mère passera l’hiver dans la Louisiane et évitera ainsi la rigueur du froid dans le Missouri, où plusieurs missions indiennes sont commencées par les Pères Jésuites, et où il y a déjà des succès. Je suis in Corde Jesu votre dévouée, Ph. Duchesne rel. S. C. Mes respects à la respectable Mère Chonez et à Mère Thévenin. Je demande à toutes mes sœurs des prières pour ma vieillesse. [Au verso :] À Madame Madame Louise de Vidaud Maison du Sacré-Cœur À Avignon 1

Ces sept compagnes sont : – Antoinette Seligmann (1808-1855), RSCJ, décédée de la fièvre jaune le 28 septembre 1855, à Saint-Michel. – Louise Dumont (1801-1888), RSCJ, née le 26 juillet 1801 à Sainte-Anne d’Auray (Bretagne). Elle est entrée chez les Ursulines à l’âge de 24 ans, les quitta dix ans après. Admise au Sacré-Cœur de Quimper en 1836, elle fit sa profession en 1840, à Paris, avant de partir pour l’Amérique. Elle laisse un récit fort intéressant de leur voyage de quarante jours, du Havre à New York. Elle accompagna Élisabeth Galitzine à Saint-Michel, l’assista au moment de sa mort en 1843. L’année suivante, elle partit à Saint-Jacques de l’Achigan, Canada, revint en France en 1846. Elle est décédée le 4 avril 1888, à Nantes. – Aloysia Jacquet (1801-1864), RSCJ, a été assistante à Saint-Louis pendant plusieurs années, puis supérieure à Saint-Charles. Elle est décédée le 9 novembre 1864, à Chicago. – Bathilde Sallion (1791-1875), RSCJ, née à Nantes, résida à New York et partit en 1842 fonder la maison de Saint-Jacques d’Achigan (près de Montréal), Canada. Elle est rentrée en France en 1852, est décédée le 4 décembre 1875, à Laval. – Fébronie Gallien (1807-1894), RSCJ coadjutrice, née dans l’Isère, est entrée à l’âge de 17 ans chez les Dames de Saint-Pierre, réunies à la Société du Sacré-Cœur en 1835. Elle fit son noviciat à Marseille, sous la direction d’E. Audé, et sa profession en 1838. Elle fut envoyée en Amérique, à Saint-Louis, puis à New York (Manhattanville), où elle donna l’alarme de l’incendie en 1888. Elle est décédée le 17 août 1894, à Kenwood. – Marie Courbet (1799-1853), RSCJ coadjutrice, née à Aiguillon-sur-Mer (Eguillon), France, a pris l’habit le 4 mai 1821, fait sa profession le 8 décembre 1835. Elle est allée en Amérique en 1840. Elle est décédée le 28 janvier 1853, à Saint-Louis. – Célestine Couture (1801-1871), RSCJ coadjutrice, née en France, prit l’habit le 31 juillet 1822, fit sa profession le 10 octobre 1829. Arrivée en Amérique en 1840, elle vécut à SaintLouis et à Saint-Charles, où elle est décédée le 26 décembre 1871.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

LETTRE 561

L. 66 À MADAME JOUVE, À LYON [Fragment d’une lettre sans date1]

[1840]

Il y a grand bien à faire à Pignerol, en formant des maîtresses d’écoles catholiques2 ; jusqu’à cet établissement, toute l’éducation était dans les mains des hérétiques vaudois qui y instruisaient, payés par Genève ou la Prusse, pour faire des prosélytes ; ils attiraient à eux tous les enfants. Je ne croyais pas que le culte se fît au Canada avec tant de splendeur. Les églises y sont magnifiques, la cathédrale de Montréal peut contenir 11 000 âmes. Les processions se font en marchant sur de beaux tapis et sous de belles tentes ; les femmes n’y sont pas admises, mais cent enfants tous de la même taille, vêtus de blanc, ayant des encensoirs d’argent, marchent devant le Saint Sacrement. La troupe de toutes les autorités anglaises va à la procession.

LETTRE 562

L. 2 À MADAME GALITZINE

SS. C. J. M.

7 janvier 1841 St Antoine de Padoue3 Ma révérende Mère, J’attendais l’expédition d’un paquet de ma Mère Thiéfry pour y joindre une lettre qui vous porterait mes souhaits de bonne année, 1 2

3

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 185-186. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Un deuxième noviciat du Sacré-Cœur fut ouvert en Italie en 1838, à Pignerol (Turin), où le 24 décembre 1839, une école normale fut fondée. « Mgr Charvaz voyait avec douleur se propager dans son diocèse la secte des Vaudois ; elle s’étendait sur dix-neuf paroisses, et l’éducation des enfants lui était abandonnée. Le zélé pasteur conçut le projet d’établir des écoles catholiques et de faire appel au Sacré-Cœur, pour mettre un certain nombre de jeunes filles en état de les diriger. » Adèle Cahier, RSCJ, Vie de la Vénérable Mère Barat, fondatrice et première supérieure générale de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, t. I, Éd. de Soye et Fils, Paris, 1884, p. 655. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Louis MO, Jan. 9.

Lettre 562



539

mais je vois que ma lettre ira aussi bien seule, puisque je désire y insérer celles qui s’y trouvent et que le meilleur état de ma santé m’a permis d’écrire. Voilà trois maladies graves que je supporte en Amérique, mais jamais je n’avais aussi bien cru que je sortirais de ce malheureux monde où je ne faisais plus qu’offenser Dieu, et je me rappelais en particulier, avec repentir, d’avoir résisté à ma destination pour Saint-Louis. Le jour surtout de l’Immaculée Conception et celui de Noël, dans un état plus pénible, j’avais joint de si ardentes prières pour obtenir de me voir à mon terme, que je me croyais presque exaucée. Il n’en a pas été ainsi. Je crois comprendre le mystère de cette résurrection. En 1806 ou 1807, l’Abbé de la Trappe se trouva à Grenoble, le Jour des Rois, fête de la Conversion des Gentils. Il nous prêcha et nous raconta, fort au long, ses voyages pour la gloire de Dieu. Dès le jour même, je sentis tomber mon attachement trop fort pour la maison que j’habitais, et pour d’autres objets. Je ne voulus plus qu’aller instruire des infidèles, surtout ceux de l’Amérique. J’en écrivis à notre Rde Mère générale, qui était alors à Amiens et qui me répondit à cet égard de la manière la plus satisfaisante pour l’accomplissement de mes désirs, me parlant de ceux qu’elle avait eus, qu’on l’avait condamnée à rester en France et combien elle serait contente d’envoyer quelqu’un à sa place, vers ces Sauvages qu’elle avait tant désiré servir. Quand nous sommes venues ici, sous les ailes de Mgr Dubourg, nous croyions toutes que nous nous emploierions pour les Sauvages, et lui-même nous le faisait espérer, disant que son diocèse comprenait les limites de ces Nations. Nous avons été trompées jusqu’ici, du moins moi, dont tous les goûts et tous les vœux se portaient vers elles. Notre digne Mère générale, avant que je partisse de France, me permit de faire le vœu de me consacrer à l’éducation des Sauvages ; je l’ai souvent renouvelé, surtout hier fête des Rois, car la visite du Père qui revient des Rocky Montagnes avait tellement réveillé mes désirs, mon ardeur, que je me sentais comme ressuscitée, avec l’espoir que je serais de la mission qui s’offre, maintenant, sous les apparences les plus favorables. Voici ce qu’il dit et qui est appuyé par d’autres Pères : « Il faut encore attendre pour aller aussi loin que les nations pour lesquelles il est venu solliciter 4 prêtres, outre deux qui sont encore plus loin vers l’Océan, envoyés de Québec par l’évêque et qui ont converti 1 900 Sauvages. »

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

Mais sur la limite de l’État du Missouri, à peu de distance des villes Portland, Liberté, Indépendance, il y a une très bonne Nation venue du Canada, en partie convertie. Un saint prêtre breton, Monsieur Petit, leur avait consacré ses soins et épuisé sa vie qu’il a terminée saintement au collège de Saint-Louis, laissant son cher troupeau à un Jésuite, qui nous a aussi fait une visite depuis qu’il y est ; et qu’il vit dans la consolation de son ministère, très content avec les mêmes privations que sa famille. Il m’en a dit des merveilles ; tous les jours, elle l’assiste à la sainte messe, écoute les instructions. Souvent, les journées ne suffisent pas à entendre les confessions. On me dit qu’il nous attend, le gouvernement qui l’a aidé pour son église peut aussi nous aider pour une maison. Le missionnaire que je vis hier me dit bien des choses qui rendent l’établissement facile par la proximité des petites villes, la sûreté du lieu à l’abri de toute incursion. Et il nous fait une obligation de saisir la place avant qu’elle ne soit occupée par les presbytériens ou méthodistes. Je lui ai montré la lettre que vous m’avez apportée de Mgr Rosati, lettre qui sent l’inspiration et où il me dit positivement : « Suivez cette vocation. » Ayant l’âme accablée quand je la reçus, voyant que tout repoussait mes désirs, je n’y donnais pas beaucoup d’attention. Maintenant, je pense qu’elle est la voix de Dieu, que la volonté souvent exprimée de notre Mère générale y concourt et que Dieu permettra que vous y donniez la main. Ce serait au printemps qu’on devrait commencer ; et sans nuire à aucune des maisons, voici ce que j’ai pensé vous soumettre : 1°. Dieu va me guérir et je serai là, surnuméraire, aidant au travail, au ménage et laissant le temps à une novice de finir son noviciat. 2°. Ma sœur Mary Ann O’Connor, de Saint-Charles, personne mûre qui sait les deux langues, qui a eu l’éducation des Sauvagesses et Métisses quand nous en avions, qui s’entend très bien à leurs ouvrages, à celui du jardin, à la culture des terres, pourrait être la supérieure. Son caractère est gai, affable, accommodant. Si elle avait seulement Sœur Knappe, d’un caractère pliable, entendue à l’ouvrage, pas difficile, sachant aussi les deux langues, de plus Lynch ou une autre orpheline pour certains ouvrages, il y aurait tout le monde qu’il faut. Je me suis hâtée de vous parler de tout ceci, au cas où cela donnât lieu à quelques choix avant votre retour. On peut bien se passer de Madame O’Connor à Saint-Charles. Je prie Dieu de vous rendre favorable à cette œuvre, ce dont j’ai déjà assuré le missionnaire, jetant le refus sur son supérieur à qui il a dû



Lettre 563

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parler hier, fête des Gentils. Je suis avec respect, dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie, votre humble servante. Ph. Duchesne r. S. C. Ce 7 janvier 1841 [Au verso :] À Madame Madame Galitzine Maison du Sacré-Cœur À Saint-Michel Bringuiers post-office Louisiana

LETTRE 563

L. 132 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Saint-Louis, 15 janvier 18411 Rec. à St Antoine Ma digne et vénérée Mère, Je vous ai écrit au mois de novembre, et m’empressais de le faire les premiers jours de cette année, pour vous offrir mes vœux et solliciter l’accomplissement des miens les plus ardents. Un des Pères [De Smet] de la mission la plus éloignée est revenu solliciter des secours d’autres Pères et Frères et enfin des aumônes. Quoique malade, et environnée des opinions contraires à la mienne, mon feu ancien se ralluma, je voyais tout possible. Et un jour, tirant au sort un verset de psaume pour sujet de mon adoration, je tombai sur celui-ci : In verba tua supersperavi2. Je ne savais comment dire à Dieu qu’il pouvait tout, que j’avais en 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : New York, Jan. 30 ; Le Havre, 28 février 1841. J. de Charry, II 3, L. 321, p. 308-311. Ps 118, 74 ; 147.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

lui au-delà d’une triple espérance, me rappelant ces nuits heureuses où j’avais cru entendre : Cela sera, pourquoi doutes-tu ? Loin que mes désirs prennent tournure de s’accomplir pour moi, j’ai lieu de croire encore que je me laisse aller à mon imagination et à ma présomption. Car, ayant dit au Père que, sans miracle, je pourrais guérir de la maladie dont j’étais atteinte si j’allais aux Sauvages, je suis forcée maintenant de penser et de voir qu’il faudrait bien le miracle tout entier, que je ne suis qu’un fardeau pénible et embarrassant. Ma maladie est une enflure presque universelle, qu’on combat par de larges vésicatoires aux jambes. Je pense en moi-même qu’elle est causée par ce changement de vie extraordinaire : passer subitement d’une vie très active pour le corps et la tête à un état complet de désœuvrement, n’ayant qu’un tour et un tricot. Je ne le dis pas ; de quelque part que vienne le mal, c’est toujours Dieu qui le veut et à qui il faut se soumettre ; tout est de sa permission. Peut-être encore guérirai-je. Je me suis plusieurs fois crue à la mort, mais jamais le médecin ne me l’avait si positivement annoncée. Et je ne puis m’empêcher d’être frappée d’une lettre de Monseigneur par rapport à cette mission sauvage, que je ne lui demandais pas1. Il m’a écrit de Paris qu’il savait que je la désirais ; qu’il dirait à une autre : n’allez pas, mais qu’il me disait à moi d’aller. Quoiqu’il en soit de mon sort, je rêve toujours à cette œuvre chérie, si nécessaire et maintenant facile. Permettez-moi de vous en parler, au moins pour les autres. 1°. L’œuvre est facile. Elle est demandée par les missionnaires, pour de bonnes nations où on peut vivre sans aucun danger. Il y a assez de sujets pour commencer. 2°. Elle est nécessaire parce que, si on ne se hâte pas, des foules de ministres avec leurs femmes, bien payés par les sectaires des grandes villes, fourmillent déjà jusqu’aux hautes montagnes Rocky. Les femmes s’emparent de l’éducation des filles, et c’est ce qui va arriver chez la nation convertie la plus voisine. Le prêtre me disait : « Voilà des personnes qui, pour de l’argent, quittent tout, vont donner des enfants à Satan, et les Dames du Sacré-Cœur retarderaient d’en donner à tout prix à Jésus-Christ ? » 3°. Elle est chère, car, dans cette nation convertie, on vit absolument comme il nous est représenté dans les missions du Paraguay et, dans l’autre qui commence, on ne peut pas être mieux préparé ; la loi naturelle s’y gardait, le vol, le mensonge, les querelles, médisances y sont 1

Mgr Rosati est en Europe pour raisons de santé. Il mourra en 1843 à Rome.

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inconnues. 1 200 ont, en peu de temps, été baptisés et, dans le nombre, plusieurs ont dit qu’ils s’étaient toujours abstenus de ce qu’ils pensaient être mal ; deux vieillards de 80 ans sont du nombre. Tous les jours, avant le lever du soleil, ils parcourent toutes les cabanes, éveillant tout le monde, faisant donner les premières pensées à Dieu et invitant à venir à la prière commune. Le Père a nommé l’un Pierre, l’autre Paul. Ils savent tous la prière en leur langue, et même le cantique Jésus paraît en vainqueur : 30 000 âmes pourront former, là, une chrétienté un jour. Notre Sœur O’Connor, irlandaise, qui, à Florissant, a soigné les petites sauvagesses que nous avions, a tout ce qu’il faut pour l’œuvre. Bien plus que Mère Thiéfry, dont la santé change beaucoup et dont les idées changent aussi très facilement. Nous avons une forte orpheline qui était à Saint-Ferdinand et irait volontiers, elle sait les deux langues et apprendrait facilement le sauvage. Plusieurs jeunes, également propres, iraient avec joie. Je sais que c’est témérité de vous dire mes pensées à cet égard, mais je me repose sur votre amour pour les Sauvages et sur votre indulgence. Soit que je vive, soit que je meure1, je crois pouvoir vous exposer ces pensées : 1°) que l’œuvre, importante et difficile, aura besoin de rapports directs avec la première autorité, qui est vous, au moins les premières années. L’avarice conduit, dans ces pays, des marchands pour de misérables peaux, et alors on peut avoir par les Anglais, par les Français du Canada, sur le cours des rivières Arkansas, Colombia et autres, des voies pour vous écrire plus promptes que par les États-Unis ; 2°) que la clôture soit tout à fait mitigée, qu’elle se bornât le jour à ne pas sortir de ses terres, à ne visiter que l’église dont nous sommes séparées, à moins qu’il n’y eût deux prêtres à la mission même2 ; 3°) que le voile, excepté pour la communion, fût très court, le bonnet plus grossier et sans empois. Comment s’en procurer ? 4°) point de manteau l’été ; 5°) là où il n’y a pas de pain et où on n’aurait que de la viande un vendredi, [pouvoir] en manger. Le Père l’a fait, tout le voyage, n’ayant que des vaches sauvages qu’on tuait ; pendant trois mois, avant, il n’avait eu que des racines sauvages ;

1 2

Ph 1, 20. S’il y avait deux prêtres à la mission, l’un d’eux pourrait dire la messe au Sacré-Cœur et les religieuses n’auraient pas à se rendre à l’église paroissiale.

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6°) là où il y aura un Père, il y aura un Frère. J’ai l’expérience combien ces charges de nourriture dérangent une petite maison ; il faudrait n’avoir aucune obligation et même défense à cet égard. Les (mot déchiré) sont toujours les plus difficiles. À Florissant même, donnant tout ce que nous avions de mieux, il y a eu bien des misères1. Tous ces points importants arrêtés, autant qu’ils peuvent l’être, par la première autorité, il y aurait plus d’uniformité. Nous avons déjà des règlements de journée différents dans chaque maison. Ici, la classe 2 h, de 9 h à 11 h ; instruction à 12 h, d’une demi-heure ; souper, pour les dames à 6 h 30, pour les élèves et orphelines, 7 h. Je n’ai eu à dire le mot sur rien, mais ç’aurait été parfaitement inutile. Des enfants bornés avec trois classes par jour, dont une de deux heures, avec de longues études, n’en sauront pas plus, par la fatigue, que celles qui en auront de moins longues ; sans parler qu’on ruine les jeunes maîtresses. La Mère provinciale qu’on m’avait dit [être] tout « comme Notre Mère Générale », ne m’a pas paru telle pour la facilité à écouter les raisons et à les balancer… Je me croyais des plus malades en commençant cette lettre, que je pensais être la dernière. Je la finis beaucoup plus forte. Permettez que je mette ici trois petites feuilles qu’Aloysia [Amélie Jouve]2 pourra adresser ; deux ont pour objet la mission. Je suis à vos pieds, ma vénérable Mère in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Supérieure des maisons du Sacré-Cœur Hôtel de Biron À Paris France By way of New York

1

2

Philippine et ses Sœurs leur fournissaient certains repas à Florissant, mais cette bienveillance occasionna des difficultés relationnelles. Une des conditions de la fondation serait donc que les religieuses n’aient ni obligation, ni même permission d’y pourvoir. Amélie (Aloysia) Jouve est alors maîtresse générale à Conflans.

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L. 67 À MADAME JOUVE 15 janvier 18411

Ma chère sœur, Je ne veux pas te laisser plus longtemps sans avoir de mes nouvelles ; à notre âge, et dans la maladie que je fais actuellement, il est naturel de penser que l’occasion, peut-être, ne se renouvellera pas. Je t’avoue qu’il me serait bien amer de te survivre et de me voir ainsi condamnée à voir passer devant moi toutes mes sœurs plus jeunes que moi ; je ne suis pas jalouse qu’elles jouissent déjà de la récompense de leurs vertus, mais j’attribue à ce qui me manque à cet égard la longueur de mon exil. Les dernières nouvelles que j’ai eues de toi sont par Aloysia. La maladie est une enflure presque générale, que l’on combat par des vésicatoires. Dieu en connaît le succès, et moi je vis dans l’attente de ses volontés. Prie pour moi, tendre amie et bien-aimée sœur. Philippine Duchesne

LETTRE 565

L. 3 À MADAME GALITZINE

SS. C. J. M.

25 janvier 1841 St Ant2. Ma révérende Mère, Le révérend Père De Smet, qui vous remettra cette lettre, s’il a l’avantage que vous rencontrez, est celui même qui soutient la grande mission vers les Montagnes ; et pour les dépenses de laquelle j’ai sollicité 1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 145-146. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Louis MO, Janv. 29.

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des secours dans les trois petites lettres renfermées dans celle que j’ai eu l’honneur de vous écrire, au commencement de ce mois. Peut-être arrivera-t-il aussitôt qu’elles et appuiera fortement et bien nécessairement sur toutes les demandes. Quoi de plus intéressant que de pauvres nations qui tendent les bras d’elles-mêmes pour entendre la vérité qui les conduira à Dieu ? Et quelle œuvre meilleure que d’aller les instruire ou d’y coopérer en en fournissant les moyens ? J’ai eu l’occasion de demander au Père provincial s’il verrait avec plaisir que nous nous établissions dans la maison la plus voisine. Il m’a répondu qu’il y avait tellement compté à votre arrivée, que se voyant déçu, il en avait écrit au Père général. Mais il en est encore temps ; daignez hâter votre retour pour cette grande affaire que je sais bien être un des désirs ardents de notre Mère générale. Les sujets ne manquent pas. J’espère que Dieu permettra que je sois choisie et que je recouvre mes forces. Mère Stanislas1, si elle joint à sa classe au pensionnat de SaintCharles celle des externes anglaises, comme à Saint Ferdinand, ce qu’elle peut car une partie de son temps est une surveillance au maître, elle rend ma Sœur Mary Ann O’Connor entièrement libre et c’est la personne qui me paraît plus capable qu’aucune pour conduire le nouvel établissement aux Sauvages : 1°) par les soins qu’elle a déjà donnés aux Sauvagesses que nous avons eues ; 2°) par son âge rassis2 et sa solidité ; 3°) elle sait les deux langues, ce qui est nécessaire ; 4°) elle est très entendue aux travaux de la culture à enseigner aux enfants et aux ouvrages à leur portée. Il y a dans cette maison notre Sœur Louise [Amiot], vestiaire, qu’il serait facile de remplacer. Elle a vécu parmi les Sauvages, les connaît, soupire pour aller les instruire et elle a toutes les qualités pour réussir. Sa faible santé ne souffrira pas plus qu’ici. On aura le nécessaire. Il y a bien d’autres Sœurs qui brigueraient cet heureux sort, mais je l’espère pour moi, trois ou 4 suffisent. Lynch serait volontiers la 4e, ferait la cuisine et les commissions, soignerait les vaches qu’on pourra se procurer et qui ne coûterait rien à nourrir.

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2

Adèle Stanislas Verret, RSCJ, née en 1806 à La Fourche, est entrée dans la Société du Sacré-­Cœur en 1829. Elle a fait sa profession en 1844, à Saint-Michel, où elle est décédée en 1846. Ayant un âge mûr.



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Quand on voit le peu de piété de nos élèves, surtout quand elles sont retournées au monde, combien on voit plus de gloire pour Dieu, de consolation pour nous, d’instruire des âmes neuves qui restent dans l’innocence à l’abri des tempêtes du grand monde ! Qu’il est doux de servir Dieu gratuitement et à ses frais ! Si on avait seulement 400 $ pour commencer, on irait au printemps, le reste s’accomplirait après. Nos vastes maisons de la Louisiane peuvent bien regarder un don de cette valeur comme une obole, en comparaison des grands frais de leurs bâtiments, auxquels il serait glorieux pour Dieu de retrancher quelque beauté pour fournir l’indispensable à nos pauvres Indiens. Ma lettre commencée, j’apprends qu’il n’y a pas de steamboat pour le R. Père, en sorte que je ne sais quand elle partira. Je suis avec un profond respect, ma révérende Mère, votre humble et dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Louis, 25 janvier [Au verso :] À Madame Madame de Galitzine Maison du Sacré-Cœur à Saint-Michel Bringuiers post-office Louisiana

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

LETTRE 566

L. 133 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[Saint-Louis] 10 mai [1841]1 Rec. à St Antoine Ma bien Révérende Mère, J’avais déjà répondu à Mère Bathilde [Sallion] sur l’article des Sauvages ; on y aura peut-être moins de privations que dans nos commencements à Saint-Charles. Ce qui me presse de vous écrire à vous-même, c’est la situation de Mère Bazire, qui est laissée à Saint-Ferdinand, véritablement en pénitence. Je ne m’étonne pas qu’on me laisse sans rien faire, on peut prétexter mon âge et mes vœux pour les Sauvages. Mais elle, qui a été supérieure de trois maisons, qui allait avoir 60 enfants à La Fourche, si on l’eût conservé ; qui n’en a trouvé que 100 à Saint-Michel et en a laissé 200, et économisé plus de $ 10 000 ou 50 000 F pour la nouvelle maison ; qui, arrivant aux Opelousas, prit la charge si difficile du pensionnat après Mère Murphy2. Il n’y avait plus que 40 enfants ; quand elle est partie, elles étaient environ 125. Elle a été partout aimée et estimée au-dedans et au-dehors. Si elle a prêté de l’argent aux Pères, c’est un acte de charité pour eux et de prudence pour la maison, parce que la somme étant toute en billets de banques qui sont sujettes à faillir, elle trouvait plus sûr de la leur prêter jusqu’à ce qu’on finisse les bâtisses pour lesquelles elle avait d’avance les 300 000 briques, toute la chaux nécessaire et la plus grande partie du bois. Cette personne si entendue est dans un coin, oisive, quand cette maison-ci est toute dégarnie. Il ne paraît au salon que notre Mère [Galitzine] et une jeune aspirante qui parle très mal l’anglais. Je vous assure que j’ai été bien édifiée d’elle, elle ne montre ni aigreur, ni ressentiment, elle n’est point sombre, on aurait dit qu’elle était dans son élément. Notre Mère provinciale m’avait dit de l’engager à aller aux Sauvages, mais elle n’en avait pas la vocation ; de violents maux d’estomac, dont elle a été soulagée ici, ne permettent pas une nourriture grossière. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 322, p. 312-313. Julie Bazire a succédé comme supérieure à Anna Murphy, décédée en 1836.

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Lettre 567

Comment Mère [Eleanor] Gray pourra-t-elle soutenir la charge de la supériorité, de maîtresse générale, maîtresse de la 1ère classe et 3ème, l’instruction1 ? Le salon lui prend beaucoup de temps. Quand Mère Bazire ne ferait que l’instruction, des surveillances de récréation et au salon, on y verrait une personne grave. Nous n’avons ni assistante, ni admonitrice. Pardon, ma Mère, mon cœur avait besoin de se décharger dans le vôtre. Je baise vos pieds et vos mains. Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur Hôtel de Biron À Paris France

LETTRE 567

L. 134 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M. 

[Saint-Louis, 18 mai 1841] Rec. à St Antoine2 Ma vénérée Mère, Je vous ai écrit, il y a peu de temps. C’était la compassion qui m’y portait. Excusez encore celle-ci pour vous rassurer sur les moyens d’existence dans la mission proposée. On a tout autour des habitations cultivées. Il y a des Métis qui sont des saints, et des Sauvages aussi. On voit 1

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Eleanor Gray (1808-1862), RSCJ, née en Irlande, est entrée à Florissant en 1827. Supérieure à Saint-Louis en 1842, à Buffalo en 1852, à Saint-Michel en 1855, elle a fait partie du groupe fondateur de St. Johns, New Brunswick (Canada), en 1854. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 323, p. 314-315.

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CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

dans cette mission ce qui ne se voit point ailleurs, tant la foi qui y règne rappelle les premiers temps de l’Église. Quand le prêtre porte le Saint Sacrement à des malades, deux acolytes en aube, le cierge à la main, précèdent le prêtre, un troisième avec une sonnette les accompagne. Ils sont à cheval, le prêtre aussi, couvert du surplis et de l’étole. La sonnette annonce aux habitants qu’on porte le Bon Dieu, et aussitôt ils sortent tous de leurs maisons ou cabanes, et se prosternent dans le chemin pour l’adorer. Le dimanche, la messe est supérieurement chantée par les Sauvages. J’ai dit à Mère Bathilde que le gouvernement a un fonds considérable dont le revenu est uniquement applicable pour l’éducation des Sauvages. On ne doute pas que nous n’y ayons part, comme les autres dénominations. Monsieur Timon1, qui vous remettra cette lettre, a déjà refusé d’être évêque, mais on croit qu’il acceptera pour le Texas, pays qui s’est détaché du Mexique et commence à former une république comme la nôtre2. Monsieur Odin, qui va aussi être évêque, est venu ici ce matin et m’a raconté ses travaux au Texas, qu’il a parcouru dans l’espace de 800 lieues ; le pays est aussi grand que la France, la ville principale Saint-Antoine. Il n’est pas habité en proportion de sa grandeur. On peut y aller, de La Nouvelle-Orléans, en dix ou quinze jours. Monsieur Odin demanda, l’année passée, des religieuses de Saint-Michel à Mère Hardey. Sur sa promesse, il s’est fait céder pour elles, par le gouverneur, la plus belle maison de Saint-Antoine et il donne de longs termes (quand on voudra). Monsieur Timon doit présenter une nouvelle requête à la Mère provinciale. Mère Bazire ferait bien dans cet établissement qui peut se faire avec 5 000 F pour les premières fournitures. On aura de suite des écolières. Mon écriture, mes ratures annoncent la faiblesse de ma tête et de ma main. Le miracle n’est pas fait. J’attends la volonté de Dieu. C’est Mère Lucile [Mathevon] qui sera à la tête. Je suis à vos pieds, ma digne Mère, avec amour dans le Sacré-Cœur de Jésus, votre mauvaise fille. Philippine Duchesne r. S. C. 1 2

Jean Timon, porteur de la lettre, est provincial des Lazaristes. Il sera en 1847 le premier évêque de Buffalo. La République du Texas s’est établie en 1836, en se séparant du Mexique, et a duré jusqu’en 1846, où elle fut intégrée aux États-Unis.



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Saint-Louis, 18 mai 1841 [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Supérieure des maisons du Sacré-Cœur rue de Varenne n° 40 À Paris France

LETTRE 568

L. 11 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

4 juin [1841]1 Rec. à St Antoine Ma chère Mère, Je vous ai déjà répondu deux mots à votre lettre de Pittsburgh, me réservant de le faire un peu plus longuement quand il y aurait une occasion. C’est maintenant celle du maître de musique ; il est remplacé par Mère Claford de Saint-Michel, bien aimable personne ; elle a six écolières tant pour la harpe que pour le piano, mais elle paraît avoir la poitrine bien délicate. Mère Lévêque ne l’a guère bonne ; je souffre quand j’entends les longues répétitions. Mère Aloysia [Hardey], à qui j’offre mes respects, connaît leur santé ; c’est à sa prudence de faire faire les recommandations nécessaires pour la conservation de deux sujets si utiles. M. Destrehan est venu et est reparti, sans que je l’aie seulement su. C’est après le départ que j’en ai entendu parler en récréation. Il a refusé de laisser son piano, à moins de 300 $, et je crains bien que la méthode de Mère Prud’hon ne lui ait pas plu. Il doit revenir en août. Mlles Chambers sont dehors ; la cadette a eu ici la rougeole. Elles ont été ensemble chez leur mère et Mlle Jane, qui avait pris le germe de la maladie auprès de sa sœur, l’a à présent bien déclarée chez sa mère. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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On dit que vous ne serez pas chez vous avant le mois d’août. Ce temps sera sans doute pour un temps profitable en toutes vertus et en toutes sciences. Je ne sais pas ce que m’a fait la science, mais quand je vois combien je la goûtais, combien je l’estimais et combien elle m’a peu servi, j’ai du plaisir à penser qu’au Ciel, toutes sciences seront anéanties1. Il n’y aura qu’un amen éternel à dire, et Saint, Saint, Saint, le Seigneur. Je n’ai pas l’espérance de pouvoir faire ma broderie. Adieu, mille choses à ma bonne Sœur Golieu. In Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Boilvin Religieuse du Sacré-Cœur À New York

LETTRE 569

L. 135 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M. 

Nation et village des Potawatomis 21 juillet 18412 Rec. à St-Ant. de Padoue Ma bien vénérée Mère, Nous sommes enfin sur les terres tant désirées. Nous partîmes de Saint-Louis avec le Père [Verhaegen] provincial, qui remplace Mgr Rosati en tout ce qui n’est pas propre à un évêque, et deux autres Pères. Nous voyageâmes d’abord par eau, partant le beau jour de saint Pierre, 1 2

1 Cor 13, 8. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. La lettre a dû être écrite peu après l’arrivée dans la mission, le 9 ou 10 juillet. Cachets de la poste : Saint-Charles MO, Jul. 21 ; New York, 31 juillet 1841. J. de Charry, II 3, L. 324, p. 316-317.

Lettre 569



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après avoir reçu la visite et la bénédiction de l’évêque du Natchez, qui aura, plus que nous, des difficultés. Il n’y en a ici que quand on s’occupe trop du lendemain. La nation, chassée des bords du Michigan par les Américains, ainsi que beaucoup d’autres, est à moitié catholique, faisant village à part avec les païens qui se convertissent peu à peu. Une fois baptisés, ils ne connaissent plus l’ivrognerie, le brigandage ; ce qui se trouve est mis à la porte de l’église pour être reconnu du propriétaire. Aucune maison ne ferme, et rien n’y manque jamais. Ils s’assemblent en partie le matin, pour la prière, la messe et l’instruction. Le soir, ils vont encore à la prière, et mangent sept fois par jour. Le curé n’est pas d’avis, jusqu’à présent, qu’on apprenne une autre langue aux enfants, il craint qu’ils ne se corrompent. On verra encore à cela. Il insiste surtout sur les ouvrages des mains. Car hommes et femmes dorment une partie du jour et remplissent en silence notre maison qui est celle d’un Sauvage. Mère Galitzine nous avait donné 2 500 F et cela devait suffire amplement pour la bâtisse en bois. Je croyais que cela avait été envoyé au curé et quelqu’un nous avait dit que notre maison était finie : c’était la sienne et son église, pour laquelle il a obtenu du gouvernement 4 000 F. Arrivées ici, ça a été un grand mécompte d’être sans maison, et les tristesses ont paru. Mais n’est-ce pas la faute de celle qui m’a tout caché, pas écoutée sur rien1 ? Je n’ai pas eu la liberté de faire aucun paquet ; on m’a répété jusqu’au bout que le voyage me ferait mal. Les 2 500 F ont été employés : environ 1 000 F en balle de café, barrique de sucre et de mélasse, en choses pour le vestiaire dont nous n’avions nul besoin. Le voyage payé, il ne restait plus que 1 000 F. Mais ce qui me fait le plus de peine, ce sont toutes [ces] invitations à des familles séculières de venir nous voir2, et qui nous troubleront et dévoreront. Le curé nous a donné deux belles vaches et met à notre service deux bœufs, un bon cheval et sa charrette. Il sera facile d’avoir un bon jardin. A-t-on raison de se lamenter ? Nous avons le Nègre de Saint-Louis avec nous, il est charpentier et aidera pour la maison. Nos effets ne sont point arrivés, ce qui me force de prendre du papier grossier. J’ai été malade et ai une faiblesse de tête que je n’ai jamais 1 2

Mère Galitzine, très opposée au projet de Philippine, ne céda qu’après l’intervention de la Mère Barat. À cette époque, en Europe et aux États-Unis, les « Sauvages » étaient des sujets d’exhibition. Philippine refuse qu’ils le soient, car elle leur porte un autre regard, celui d’enfant de Dieu, créé à l’image du Christ.

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éprouvée. Elle m’excuse pour la lettre, dont le contenu est vrai, mais vous aurez des exagérations. [Au verso :] À Madame Barat Supérieure des Dames du Sacré-Cœur [rue de Varenne N° 41 Faubourg Saint-Germain Paris France

LETTRE 570 L. 1 À M. HIPPOLYTE DUCHESNE, À GRENOBLE Southern Pottowatomis, at Sugar Creek by West port Ce 12 Septembre 18411 Mon bien cher frère, J’ai reçu seulement depuis peu de jours la lettre du bon M. de Mauduit, écrite de ta main, à la fin de laquelle tu m’assurais de ton aimable disposition à mon égard. Comme tu m’avais dit dans ta précédente que tu l’exécuterais seulement à mon arrivée ici, d’où je n’ai pas manqué de te prévenir, j’ai été bien agréablement surprise en recevant bientôt après, de ta part, dans une lettre de Mme de Rollin, ta lettre de change de 500 F sur la banque de La Nouvelle-Orléans. C’était la meilleure manière de me faire passer cette somme à moins que les banqueroutes fréquentes à La Nouvelle-Orléans, et la chute réitérée des banques qui ont eu le plus de crédit dans les États-Unis, mettent obstacle à l’acceptation de la lettre de change. Je l’ai aussitôt envoyée à Saint-Louis, à la personne à qui nous devons le plus pour notre déplacement, et je n’ai pas de doute qu’elle ne soit aussitôt portée en compte pour les avances reçues.

1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 146-150. C-VII 2) Duchesne, Letters to her family and other lay people, Box 5.

Lettre 570



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Nous sommes quatre dans ce nouvel établissement et nous nous portons toutes mieux qu’à Saint-Louis. Le plus grand mécompte que nous ayons éprouvé a été de ne point trouver de maison pour nous. Comme par erreur, elle nous avait été annoncée toute faite, bien plus grande que nous ne sommes en état d’en faire une, aidées des habitants et du pasteur de la paroisse où nous nous trouvons bien heureuses. Les Sauvages ont coupé et transporté les troncs d’arbre qui forment les murs : vingt ou 25 hommes en deux jours ont élevé ces grosses pièces d’un pied ou plus d’épaisseur, après les avoir équarries, et ont ainsi formé le cadre de la maison dont le toit s’est fini hier. Il est en petites planches qu’on appelle en français marins et bardeaux. En attendant, on a loué pour nous la maison mal finie d’un Sauvage qui s’est mis pour cela sous des tentes avec sa famille : nos lits contre des murs de bois à jour nous procurent le meilleur sommeil ; et pour lever tout soupçon de folie dans notre entreprise, je te dirai que cette petite nation est très bonne, professe notre religion, nous a bien accueillies. Nous avons derrière la maison un champ de terre excellente, l’espace pour cour et jardin, et enfin, pour plus de détails, le curé met à notre disposition cheval, bœufs, charrette pour la culture et les transports. Il nous a envoyé trois belles vaches, des poules et poulets, des oies, une petite et jeune famille de cochons. Nous avons les veaux dans un parc et tous les jours, les mères reviennent leur donner un peu de lait. On prend le reste aussitôt et quand le pasteur a sa portion, tout le reste nous est abandonné et pourrait presque suffire à notre nourriture, mais nous trouvons de bons légumes et du jambon à 5 sols ½. Nous n’avons rien à attendre des Sauvages, à peine si nous pouvons fixer l’inconstance des enfants et amuser leur paresse de quelques petits ouvrages. La langue est extrêmement difficile, mais l’alphabet qui a 4 lettres de moins que le nôtre se prononce comme en français. Les maîtresses ont pu facilement apprendre à lire et enseignent aux enfants comme on enseignerait à lire en latin à des enfants. Mais ici, les enfants, dont aucune ne savait lire, comprennent les mots que nous ne comprenons pas. Voici le Gloria Patri : Kelchilwa wendagosid Weosimind, gaie wegossimind, gaie Wenijitchit Manito, Epitché, Bilchilwa Wendagasibane gaias, gaie nougor Kagini gaie : apine, apine gaie Keabi, missa Kagini Kenigi apeingi (amen). Dieu se dit : Kije Manito, Homme : nenne, femme : kivet, femme mariée : kiwish, soleil : kisis, eau : bish, lune : tepekekisis, sel : siontaken, feu : skote, maison : wigwane, langue : dilkenonoaken, doigt : oteshkuraitsh. Ajoutons à cette barbarie des mots de huit, neuf, dix syllabes ; point de

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dictionnaire ni de grammaire ; un seul livre de prières. Je ne crois pas jamais apprendre une telle langue. Dis à Mme de Rollin que je lui écrirai après avoir reçu sa lettre qui m’est annoncée. Dis à cette chère cousine et à ton épouse tout ce que tu auras de plus aimable. Après avoir lu ma lettre, je te prie de l’envoyer à Mme Jouve pour laquelle j’ajoute ces lignes qui te seront communes. Adieu, mon bon frère. Je prie le Seigneur pour toi et espère te revoir dans une vie sans fin et toujours heureuse. Ta sœur reconnaissante, Philippine [Au verso :] À Monsieur Monsieur Hippolyte Duchesne À Grenoble

LETTRE 571

L. 68 À MADAME JOUVE 12 septembre [1841]1

Ma chère et bien-aimée Sœur, Je pense que mon éloignement à six journées de plus ne t’a fait aucune peine : notre voyage a été heureux ; nous avons trouvé un village de Sauvages chrétiens et en partie civilisés par de bons missionnaires du Michigan, dont l’un a consommé pour eux 32 000 F, et le dernier les a accompagnés ici avec une santé déjà ruinée par les travaux et a fini saintement sa vie. Voici l’ordre de journée qu’ils avaient établi : le matin, prière à l’église au son de la cloche, la sainte messe pendant laquelle on chante des cantiques en langue sauvage, catéchisme pour les enfants. Le principal 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 150-152. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Cette lettre est écrite à la suite de celle de son frère Hippolyte.

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repas, à 10 ou 11 heures, consiste principalement en maïs et en viande (beaucoup ont vaches et chevaux). Le soir, il y a encore prière commune à l’église. Le samedi, le prêtre ne quitte presque pas le confessionnal, et le 15 août, ainsi qu’aujourd’hui, il y a eu plus de 100 communions. Les hommes, à l’église, sont séparés des femmes et les garçons ont un surveillant, la baguette à la main. Je suis témoin qu’ils en ont besoin. Les autres ne sont point las des plus longues cérémonies. Leur bon exemple attire continuellement des adultes qui demandent le baptême et, dès qu’ils l’ont reçu, on ne voit plus de querelles, d’ivrognerie, de vols, de danse. Rien de si paisible que le village ; on dirait même que les chevaux ont des pattes de chat ; les animaux nous sont bons comme les hommes. Plusieurs nations voisines (par nation, on entend des tribus de 1 000, 2 000, 3 000, 20 000 hommes) demandent aussi des prêtres et veulent des églises ; elles n’aiment pas les ministres parce qu’ils ont des femmes. Je ne désespère pas de voir chez elles d’autres établissements ; si Alexandre pleurait de ne pouvoir continuer ses conquêtes1, je serais tentée de pleurer de ne pouvoir, par mon âge, tirer de la barbarie tant de pauvres gens qui se détruisent eux-mêmes par leur inconduite. Une femme, en étouffant son enfant à sa naissance, disait : « Je ne veux pas qu’il soit malheureux comme moi. » Deux filles très grasses ont été grillées au feu pour, de leur graisse, arroser le maïs de la nation ; les efforts des voyageurs et des missionnaires qui allaient aux Rocky n’ont pu les sauver. Sans prévoyance, le diable, que beaucoup adorent, les rend esclaves de la faim. Alors des racines amères, les poux, les fourmis, sont recherchés, ainsi que d’autres mauvais aliments qui apportent des mortalités ; pour perpétuer la nation, on force les filles à se marier. Dis-moi, si on pouvait peu à peu changer tant de maux en la situation heureuse de notre village, ne ferait-on pas plus de bien que d’enseigner les sciences humaines ? Nos Sauvages sont vêtus décemment : une grosse couverture de Catalogne au mois d’août n’est pas trop dure, les 1ers vêtements très diversifiés et bizarres. J’ai vu sortir des hommes de l’église avec pantalon rouge, chemise blanche par-dessus, arrêtée par un large ruban bleu. Le costume élégant pour eux est, au lieu de la chemise, une jolie camisole de femme avec pèlerine et 2 fichus en sautoir de couleur vive. En voilà 1

Alexandre le Grand (356 av. J.-C.-323 av. J.-C.) roi de Macédoine, personnage célèbre de l’Antiquité, avait conquis un immense empire, allant de la Grèce à l’Inde. Il contribua ainsi au développement de la culture grecque au-delà des anciennes frontières.

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assez pour te prouver qu’il peut exister une vraie vocation pour notre état actuel, et que Dieu peut la bénir et la récompenser. Toute à toi dans le Cœur du bon Maître, Philippine

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L. 136 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Sugar Creek, Potawatomi 22 septembre 18411 Ma bien respectable Mère, Le bien se fera ici aussi lentement que le permettra l’humeur insouciante des Sauvages. Du reste les enfants sont bonnes et en général intelligentes ; elles peuvent apprendre facilement, mais y mettent peu d’intérêt, et il faudrait bien se garder de leur faire des reproches, mais les attirer par amitié. Plusieurs chefs des petites nations voisines donneraient leurs filles, mais comment les entretenir ? Nous aurions pour nous-mêmes bien des difficultés, sans le secours des bonnes vaches des missionnaires, dont le lait pourrait presque suffire à notre nourriture. Je lui attribue le renouvellement de mes forces, car je vais tous les jours deux fois à l’église sans aucun secours. Mes Sœurs se trouvent aussi toutes mieux. Sœur O’Connor n’a plus de migraines, et Sœur Louise paraît infatigable et de bon appétit, le lard est devenu du poulet pour elle. Trois personnes suffisent pour l’ouvrage, et je crains bien que les enfants, déjà diminuées, ne soient qu’un bien petit nombre, à l’époque du froid et des mauvais chemins. Veuillez, ma digne Mère, me bénir et me croire, votre dévouée servante. P. Duchesne rel. du S. C. 1

Copie d’après les Lettres Annuelles, 1841, Sugar Creek, p. 73. J. de Charry, II 3, L. 326, p. 320.



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L. 1 À MÈRE BAZIRE

SS. C. J. M.

Sugar Creek, ce 12 janvier 18421 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien chère Sœur, J’ai reçu la lettre bien intéressante que vous m’avez envoyée par l’occasion de notre Mère provinciale. Je comptais ne vous répondre qu’à son retour à New York, mais comme à mon âge plus qu’en aucun autre, on peut mourir tous les jours, j’ai pensé qu’il était de la reconnaissance de vous faire le même plaisir que celui que m’a procuré votre lettre. J’ai surtout été bien satisfaite d’avoir des nouvelles des Mères Bathilde et Hardey, auxquelles je porte le plus vif intérêt, ainsi qu’à l’œuvre qui exerce leur zèle. Je vous prie de leur présenter mes respects. J’ai appris depuis peu de jours seulement que Mère Thiéfry a accompagné notre Mère Galitzine et qu’elle doit pas passer l’hiver à Saint-Charles où tout le monde et surtout Mère Régis se trouvent très heureuses. Je vous prie d’envoyer la feuille, que j’ai détachée tout exprès, à la bonne Mère Thérèse Maillucheau qui m’a toujours porté grand intérêt ainsi qu’aux Sauvages ; en lui disant que c’est peut-être mon dernier souvenir. Dieu seul peut le savoir, car malgré mon âge, je suis bien mieux qu’à Saint-Louis et chacune a reçu une amélioration pour la santé, et on vous fait des compliments en abondance. Nous n’avons point la messe chez nous ; le défaut de local nous oblige à aller à l’église de la paroisse. Je suis celle qui soupire le plus après la clôture ; il n’y en a pas d’apparence jusqu’à présent. Tout entre et sort chez nous à toute heure. J’espère que quand on aura élevé l’autre partie de notre maison et que notre Mère provinciale aura fait sa visite ici, il y aura un changement. Le Père Verhaegen en avait déjà parlé et n’y mettra pas obstacle. La langue sauvage parlée ici est des plus difficiles et n’a aucun rapport avec aucune langue vivante, elle tient un peu du grec. On prend le livre où on écrit le Pater et l’Ave, le Magnificat, et il est impossible de discerner le moindre rapport des mots avec les nôtres. Je demandai un jour à un des prêtres de me dire le mot à mot du Pater. Il me dit : 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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« Je ne le sais pas moi-même. » Le Père Hoecken parle la langue avec aisance. Il a fait un dictionnaire, mais en désordre, et a dit qu’il ne pourrait nous servir. Il nous a promis sa grammaire, qu’il a faite aussi, mais un missionnaire la retient. Que faire sans livres pour étudier ? Il n’y a d’imprimé qu’un seul syllabaire et un livre de piété qui contient les prières communes, des cantiques sur nos airs, et un catéchisme. Je pense que c’est M. Dessel qui l’a composé, il est imprimé au Michigan. Les lettres ont la prononciation française. Le Père Aelen confesse, mais il prêche par interprète. Quand il porte le bon Dieu à pied ou à cheval, en surplis, son servant l’accompagne en habit de chœur avec une lanterne allumée et une grosse sonnette pour avertir les habitants de sortir de leur maison pour adorer le Saint Sacrement. Arrivé chez le malade, il n’y a ordinairement point de table pour Le poser. Un petit banc en tient lieu, couvert d’une natte, et la lanterne est tout le luminaire, mais la foi des pauvres gens supplée au cérémonial. Ils n’attendent pas l’extrémité pour appeler le prêtre, disant que c’est leur consolation d’avoir le ministre de la religion près d’eux. À toutes les fêtes, on a des baptêmes d’adultes. Des enfants nés au chant du coq sont quelquefois apportés au baptême à la première messe par leur propre mère. Les filles viennent quelquefois pieds nus à l’église en hiver pour ne pas mouiller leurs souliers de peau de chevreuil. Ce sont ces imprudences qui en envoient beaucoup au tombeau, ainsi que l’inégalité de nourriture ; tantôt, on s’est bourré de viande, d’autres fois on n’a pas seulement de maïs. Nous avons deux illustres pensionnaires qui couchent près de moi : l’une a été malade la nuit ; le lendemain, j’ai su qu’outre ses 4 repas comme les nôtres, elle s’était remplie en cachette de viande crue… Adieu chère Sœur. Priez pour moi et me croyez dans le Sacré Cœur toute vôtre. Philippine Duchesne r. S-Cœur

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L. 69 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 4 février 18421 Rec. à St Antoine Ma bien chère Sœur, Tu sais déjà mon changement de demeure, mais partout mon cœur se porte vers toi et jouit de pouvoir t’assurer qu’il t’aime. Ma santé a beaucoup gagné dans ce pays, j’y ai repris des forces, une meilleure vue et conserve l’usage de tous les sens, malgré la 73e année. La nation de Pottowatomis, qui nous a bien reçues, quoiqu’on n’admette pas les Blancs sans permission, est une nation ou plutôt une tribu d’Indiens, déjà en partie faits chrétiens dans le territoire du Michigan. Le Congrès les a repoussés jusqu’ici moyennant une somme qui, tant que le paiement durera, les tirera de la misère. Nous les avons vus, du moins en partie, faire un bon usage de leur argent cette année, achetant des souliers, des chemises et des vêtements qui se rapprochent de ceux des Blancs, mais la couverture est toujours de grand usage. Le christianisme change tellement ces malheureux qu’un païen est toujours connu à son extérieur farouche et misérable. Dans notre école, de bonnes petites filles commencent à lire en leur langue et d’autres aussi en anglais ; plus de 20 ont appris à filer et à tricoter, mais avant nous, plusieurs cousaient déjà très bien. Elles sont généralement fort intéressantes, mais ont bien peine à se fixer longtemps à une même chose. Le pasteur conduit la nation comme des agneaux. Adieu bonne sœur, fais prier pour moi ta chère Joséphine. Je ne t’oublie pas devant notre commun Maître, ni toute ta famille. In Corde Jesu, Philippine Duchesne R. S. C.

1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 153-154. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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L. 12 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M.

Sugar Creek, village des Pottowatomis catholiques ce 20 février 18421 Rec. à St Antoine de Padoue Monsieur et bienfaiteur respectable, Je viens seulement de recevoir la lettre que vous me dites avoir remise à M.  l’abbé Lefèvre qui est maintenant évêque du Detroit2, ayant été sacré à Philadelphie ainsi que Mgr Kenrick, coadjuteur de Mgr Rosati qu’il a devancé à Saint-Louis. Nous ignorons encore quand Mgr Rosati sera de retour de son voyage en Europe. Nous croyons qu’il a une commission de Sa Sainteté pour les affaires de la religion à Saint-Domingue. Comment vous exprimer présentement ma joie en recevant votre précieux souvenir ? On voit bien que, comme père tendre, vous n’oubliez pas les enfants que vous avez comblés de biens spirituels et temporels et qui vous regretteront toujours. J’espère satisfaire votre sollicitude touchante en vous donnant des nouvelles de chaque famille, au risque de faire des répétitions. Je commencerai par la dernière, à New York, où une Française est supérieure, mais Mère Aloysia Hardey est l’âme du pensionnat dont elle a été faite maîtresse générale3. Les habitants et surtout le clergé l’ombragent de leur protection. Mère Louisa Lévêque est supérieure à Saint-Michel ; Mère Dutour soigne les orphelines. Mère Audé n’y reviendra pas, elle est supérieure à la Trinité-du-Mont, à Rome. On croyait qu’à la mort de Mère Xavier Murphy, l’établissement des Opelousas souffrirait beaucoup. Cela n’a pas duré : le pensionnat a augmenté ; c’est une anglaise venue de France [Bathilde Sallion] qui en est

1 2

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Pierre Paul Lefèvre (1804-1869), Belge, arrivé en Amérique en 1828, fut ordonné prêtre en 1831 par Mgr Rosati à Saint-Louis. En 1841, il devint évêque de Detroit. En 1851, il reçut les religieuses du Sacré-Cœur, lors de leur première fondation à Detroit. En 1842, la supérieure était Maria Cutts (1811-1854) qui deviendra plus tard vicaire de l’Ouest. Mère Hardey sera supérieure à New York, l’année suivante.

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supérieure. Plusieurs ont suivi Mère Xavier au tombeau, en particulier Sœur Marguerite [Manteau]1. Les Jésuites ont bâti un beau collège sur le terrain de l’église, mais avec beaucoup de contradictions. Ils ne font qu’une province avec le Missouri. Le collège de Saint-Louis a fort augmenté, l’église est couverte et surpassera la cathédrale. Le noviciat est dans cette place où nous éprouvâmes vos premières bontés ; c’est une belle situation à présent. Saint-Ferdinand vous intéresse. L’église a été augmentée d’une jolie chapelle de la Sainte Vierge, vis-à-vis de la nôtre qu’on a augmentée de tout le salon. Le noviciat est placé là pour notre Société dans le Missouri ; le Père Van Assche est curé2 ; Mère de Kersaint, supérieure et maîtresse des novices. Il n’y a plus de pensionnat, mais une école externe. Mesdames Chambers et Saint-Cyr sont là l’exemple des saintes femmes. Saint-Louis a une supérieure irlandaise [Eleanor Gray] ; le pensionnat est de 50 et autant d’orphelines ; ce qui, avec une bâtisse considérable, a endetté la maison. Saint-Charles l’était aussi pour une belle maison en briques, mais elle est près de s’acquitter ; Mère Régis Hamilton en est supérieure. Elle a avec elle Sœur Catherine et Mère Thiéfry qui attend auprès d’elle le retour de notre provinciale, Mère Galitzine, qui est allée dans la Louisiane, au retour de la fondation de New York. C’est elle qui m’a fait passer votre lettre, après l’avoir lue. J’en suis maintenant à mon histoire depuis votre départ. Je pourrais dire comme vous que je suis heureuse, si je savais profiter des souffrances. Mais j’avais besoin d’être éprouvée et Dieu m’a fait passer vias duras, tout en me conduisant chez les Sauvages, le terme de mes vœux, où je souffre encore parce que je n’y fais rien. D’abord, j’ai été transférée de Saint-Louis à Saint-Ferdinand où on m’annonçait continuellement la destruction de l’établissement. Enfin, à force de prières et de représentations, on l’a changée en noviciat. J’ai été à Saint-Louis, passant d’une vie très active à une nullité complète : j’y ai été longtemps malade. L’arrivée du Père De Smet, de chez la nation des Têtes Plattes au-delà des Rocky montagnes, à une distance de trois mois pour le voyage, me rendit la vie. Il me fit espérer que nous y aurions un établissement 1 2

Marguerite Manteau, RSCJ, l’une des premières compagnes de Philippine, est décédée à Grand Coteau en 1841. Josse F. Van Assche (1800-1877), SJ, Belge, arriva en Amérique en 1821 et entra dans la Compagnie de Jésus à Georgetown. Il fut ordonné prêtre par Mgr Rosati en 1827 à Florissant, avec Pierre De Smet, Jean Elet et Jean Verreydt. Il fut quelque temps curé au Portage des Sioux et à Saint-Charles, mais il resta la plus grande partie de sa vie à Florissant, comme curé et maître des novices.

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dans deux ans et il pressa vivement notre provinciale de nous établir d’abord ici, chez la nation venue du Michigan, déjà en partie convertie par les R. P. Missionnaires Badin, Dessel et Petit1 ; le premier y a peu été, le second baptisa 800 Indiens et en fut tellement chéri qu’à sa mort, ils arrosèrent toute sa chambre de leurs larmes et furent trois jours sans manger. Monsieur Petit a aussi consumé sa vie avec eux, a conduit la première bande sur ce territoire, céda sa place aux Jésuites et alla mourir chez eux. Les Pères Hoeken germain et Aelen hollandais ont continué l’œuvre avec succès. Ils forment ici une résidence avec trois Pères ; le Père Verreydt2 que vous connaissez, est supérieur. Ils font des missions dans les nations voisines où ils gagnent bien des âmes à Jésus-Christ. C’est le Père Verhaegen provincial et le Père De Smet curé de SaintCharles qui nous ont conduites ici. Mère Lucile [Mathevon] est la supérieure ; Sœur O’Connor irlandaise, que vous avez vue à Saint-Ferdinand, est la première des maîtresses ; une sœur canadienne est fort habile pour les ouvrages, ce qui répond à tous les besoins des enfants qu’on ne peut retenir longtemps, qui s’échappent à toutes les heures et qui ne peuvent encore goûter l’instruction. Les nations voisines n’offrent pas encore l’espoir qu’on puisse s’y établir, pas même chez les Osages dont nous sommes assez près et dont nous avons traversé la rivière. Ils sont encore bien barbares, ont tué le forgeron américain, brûlé la maison des ministres protestants. Cependant comme il y a beaucoup de Métis chez eux, le Père Aelen y va et y est bien reçu du grand chef. En une fois, il a fait 50 baptêmes et reçu du grand chef 25 F pour nous, disait qu’il espérait que nous ferions aussi quelque chose pour leurs enfants. Plusieurs Osages sont 1

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Stephen Theodore Badin a été, dit-on, le premier prêtre ordonné aux États-Unis. Vers 1830, il avait déjà travaillé avec les Potawatomis, dans le Michigan, avant leur déménagement au Kansas. Le P. Dessel est probablement le P. de Seilles, du même groupe de missionnaires. Benjamin-Marie Petit, français, arriva en Amérique en 1836, fut ordonné prêtre en 1837 à Vincennes. Il passa le reste de sa vie dans les missions indiennes, se déplaçant avec les Potawatomis sur la Piste de la Mort, vers le Kansas. Sa santé s’étant détériorée, il fut pris en charge par les Jésuites, à Saint-Louis, où il est décédé en 1839. Christian Hoecken (ou Hoeken), SJ, né dans le Brabant (Belgique), a été novice en 1833 à Florissant. Il travailla en 1836 avec Pierre De Smet chez les Kickapoo, et en 1841 avec les Potawatomis nouvellement arrivés au Kansas. Il est décédé du choléra, contracté au cours d’un voyage sur un steamboat en 1851. Il était connu pour son remarquable don des langues. Herman G. Aelen, SJ, a été lui aussi novice à Florissant. En 1839, il fut supérieur de la mission chez les Potawatomis. Il quitta ensuite les Jésuites et travailla en paroisse, au Kentucky. Lorsque Philippine était à Sugar Creek, le supérieur était Felix L. Verreydt (1798-1883), SJ, qui avait été novice à White March (Maryland), séminariste à Florissant, où il fut ordonné en 1827. Il travailla avec Hoecken chez les Kickapoos en 1837. Puis il choisit d’être à Sainte-Marie (Kansas), lorsque les Potawatomis furent obligés de se déplacer plus à l’ouest, en 1847. Il vécut plus longtemps que ses contemporains missionnaires. Il est décédé en 1883 à Cincinnati.

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venus à notre école et prenaient plaisir à voir lire et travailler les enfants. Nous ne pourrions avoir les leurs qu’à demeure et comment le faire ? Nous avions cru trouver une maison, mais on nous avait mal informées. Notre première demeure a été une maison d’un Sauvage, de juillet jusqu’en octobre, où nous avons eu la nôtre de 19 pieds carrés, sans cheminée finie et sans escalier pour monter au grenier qui était le dortoir où on montait par une échelle. La chambre de dessous est salon, classe, cuisine, réfectoire, etc. La maison de Saint-Louis et les autres n’ont rien pu faire pour nous. Notre Mère générale seule a fait un don qui sert à doubler notre maison ; mais pour accueillir des enfants orphelines et d’autres nations, il faudrait des moyens qui nous manquent pour les nourrir. Le gouvernement n’a rien fait pour nous, malgré les démarches du Père Verhaegen qui a lui-même de grands besoins pour son noviciat, son église à finir et pour les missions. Si vous pouviez nous avoir quelque chose pour la nourriture des petites Indiennes, il y en a beaucoup d’offertes, et pour la mission des Rocky montagnes. Pour moi, des prières pour une bonne mort et votre ample bénédiction. Étant à vos pieds, Philippine Duchesne r. S. C. Mère Lucile voulant vous témoigner son respect elle-même, j’ai encore cette place de la lettre pour vous redemander les prières, surtout au saint Sacrifice de la messe, pour la bonne mort. Ce moment est bien redoutable, quand on a si peu travaillé avec ferveur. Je veux aussi vous dire un mot de plus des bons Pottowatomis. Les catholiques forment un village séparé des païens qui honorent surtout le diable pour l’empêcher de leur nuire. Les catholiques n’ont parmi eux ni ivrognerie ni danse ni jeux. On en voit, tous les dimanches, une centaine à la sainte table ; à Noël, 400 se sont approchés des sacrements ; à l’Assomption, il y a eu 50 premières Communions, la plupart d’adultes nouveaux baptisés. Depuis juillet, il y a eu environ 70 baptêmes de personnes âgées et qui persévèrent. À l’église, les hommes et les femmes sont séparés et chantent en chœur des cantiques en leur langue, ce qui se pratique aussi le soir dans les familles où on dit le chapelet que tous portent. Plus de 200 ont été reçus du scapulaire en un même jour1. Ils ont entre eux la charité des premiers chrétiens. 1

Estimés dignes de porter le scapulaire, ils sont sous la protection de la Vierge Marie.

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L. 137 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Sugar Creek chez les Potawatomis, ce 28 février 18421 Rec. à St Antoine de Padoue Ma très révérende Mère, Nous venons d’apprendre, dans notre village, que vous rappelez promptement notre Mère Provinciale auprès de vous et elle nous annonce, qu’à moins d’un contre-ordre, elle ne pourra nous visiter2. Nous sommes toutes affligées de cette nouvelle, et n’ayant pas le temps suffisant pour vous exposer le besoin de la voir pour régler toutes choses avec nos guides, notre consolation unique est de penser au plaisir que vous éprouverez en la revoyant et au grand soulagement qu’elle apportera à vos immenses travaux. Nous bénissons Dieu du retour de votre santé, et ne cessons de solliciter sa conservation ; les nôtres ont toutes gagné chez les Indiens. Il ne nous manque rien pour la nourriture, avec nos bonnes vaches. Les autres aliments valent ceux des grandes maisons des États-Unis. Il n’y a que le logement qui offre des sacrifices, n’ayant encore qu’une maison de bois de 19 pieds. Les bois sont préparés pour l’agrandir plus que de moitié, mais les ouvriers manquent ; les Sauvages ne sont pas des travailleurs. Les hommes qui ont bâti l’église prenaient 10 F par jour et leur nourriture coûtait 50 par semaine. Elle a été construite aux frais du gouvernement, qui dépense beaucoup pour la civilisation de ces pauvres nations, et avance peu : aucune de ses écoles n’a pu subsister. Cette nation est la plus avancée, depuis un an surtout. Chaque individu a reçu 175 F cette année, et le Président a promis à ses députés 50 000 F pour fournir au défrichement des terres, qui seront ensuite partagées ; on leur construira un moulin à farine et leur fournira des métiers qui attendent déjà qu’on veuille s’en servir. Le Père provincial n’a pu rien obtenir pour ses missionnaires et notre école, mais nous avons fait le plus coûteux pour notre petite 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 327, p. 321-323. Élisabeth Galitzine quittera l’Amérique le 18 avril 1842, pour se rendre au Conseil général, prévu en juillet.

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bâtisse. Croirait-on – et je l’ai vu – que huit bœufs n’ont pu transporter une des pièces de bois de notre maison ? Il en a fallu dix et douze attelés à un même wagon pour charrier, en quatre jours, les planches des deux planchers, et qui étaient déjà à moitié chemin du lieu où elles avaient été sciées. J’ai l’espérance, quand les grosses pièces seront élevées par les Sauvages l’une sur l’autre (cela ne coûtera que la nourriture de 20 ou 30 hommes pendant deux jours), qu’un des Frères, qui a bâti pour les Pères pourra au moins diriger ce qui restera à faire ; ce que vous avez eu la bonté de nous donner y suffira, mais je ne pense pas qu’on puisse y trouver une petite chapelle. Mme de Rollin a voulu m’envoyer quelque chose (500 F), mais la lettre n’a pas été acceptée ; je l’ai écrit à mon frère. Si elle n’est pas morte dans l’intervalle, je pense que cela viendra, et vous demande que ce soit uniquement pour une petite chapelle en bois, près de la place où doit se bâtir une plus grande église en pierres ; ce serait alors notre place. Nous en avons une près du confessionnal, dont nous sommes sans cesse chassées quand il s’y présente quelqu’un, et c’est souvent le dimanche, où il y a toujours beaucoup de communions chez cette bonne nation. On assure que le cimetière renferme des corps de saints ; aussi, dans mes promenades solitaires, c’est mon terme, et là, à genoux, je sollicite le bonheur d’avoir mes os réunis aux leurs. J’éprouve cependant les mêmes mouvements pour la mission des Rocky montagnes, ou tout autre semblable, que j’éprouvais en France pour venir en Amérique et puis, y étant, pour les pays sauvages. On dit qu’aux Rocky, on vit plus de cent ans. Ma santé étant rétablie et n’ayant que soixante-treize ans, je pense que j’aurais au moins dix ans de travail. D’autres fois, je crois plus parfait d’attendre les événements qui doivent décider mon sort. Voyez, ma Révérende Mère, si vous voulez m’autoriser à aller ailleurs, si on me veut : et cela est encore fort douteux car ici je ne suis qu’une charge, sans aucune occupation ; de plus, on se méfie de moi et il est hors de doute qu’on me verra partir avec plaisir. Je m’étais aperçue, dès les premiers jours, qu’on me voudrait ailleurs. J’ai su que, sur quelque mécontentement d’un Père, on lui a dit que j’avais parlé sans doute. Il a répondu que non, et néanmoins il y a toujours des recommandations de ne rien me dire. Un des missionnaires a eu la permission de rester dans les missions tant qu’il voudrait ; on l’aurait cependant bien voulu au collège ; c’est ce qui me fait espérer une faveur semblable. Les causes qui augmentent la méfiance sont : 1°) que j’ai montré le désir qu’on ait la messe chez nous ; 2°) qu’on ne prenne pas d’enfants gratuitement ; 3°) qu’on ne les laisse pas sortir à toute heure, s’absenter

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la nuit et plusieurs jours chez les parents ; 4°) que dès lors qu’on ne veut ou ne peut pas les punir, qu’on n’ait que des externes ; 5°) qu’on ne les nourrisse pas mieux qu’elles ne le sont à Saint-Louis, etc., etc. ; et 6°) qu’il n’y ait pas d’emplois désignés. Le plus ancien des missionnaires dit qu’il faut en passer beaucoup et gagner l’affection des enfants par tous les moyens possibles. Malgré cela, il n’a pu en conserver vingt, qu’il nourrissait et qui se sont tous en allés. Il a ajouté qu’il y a une toute autre manière d’agir avec eux qu’avec les Blancs, qu’ils n’oublient jamais un refus ou un reproche ; que les supérieurs, de loin, ne peuvent faire des règlements pour eux. Il est d’avis qu’on reçoive les petites filles qui sont trop loin pour venir externes, qu’on compte sur la Providence. C’est le plus habile pour la langue ; il a envoyé au Général [des Jésuites] ce qu’il veut faire imprimer, promet de faire un dictionnaire, de prêter une grammaire et, avec ce secours, il pense qu’en trois mois, on pourrait s’entendre. J’ai peine à le croire ; d’autres, en deux ans, sont peu avancés dans cette langue si difficile, où on ne trouve pas un seul mot qui ait rapport aux nôtres. Il s’en trouve d’hébreux et de grecs, et ce Père en conclut que les Sauvages descendent des Juifs. Je suis honteuse d’abuser de votre temps, mais je sais que vous êtes Mère, et Mère la plus indulgente. Daignez bénir votre fille, qui est à vos pieds, la plus mauvaise, mais la plus dévouée de vos filles. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso, d’une autre écriture :] À Madame Madame Sophie Barat Supérieure générale des religieuses du Sacré-Cœur À Rome

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L. 70 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Pottowatomi-village par Westport, ce 24 avril 18421 Ma bonne Sœur, J’espère que tu ne trouveras pas mauvais que je joigne mes deux réponses, à toi et à ta bien chère Joséphine que je n’ai pas connue, mais que j’aime beaucoup pour ce que j’ai entendu dire d’elle et pour la consolation qu’elle te procure. Dis-lui de bien prier pour moi et pour Madame Lucile qu’elle aimait tant à Sainte-Marie d’En-haut, et qui est maintenant chez les Sauvages aussi bien que moi. Nous ne sommes en tout que quatre, mais cela suffit, n’ayant que des enfants externes. On ne peut trouver de meilleurs gens que ces bons Sauvages. Deux travaillent pour nous, et comme il faut souvent quitter l’ouvrage, ils s’amusent à rire comme de petits enfants toujours contents, et cela avec une taille et une tournure qui annonceraient des guerriers. S’il voit qu’on lave, ils ont la simplicité d’apporter leur linge et leur raccommodage. Les enfants externes sont très adroites, mais paresseuses. Tu sens qu’on ne reçoit rien de personne et qu’il faut tout fournir pour leurs ouvrages. Elles ont déjà épuisé les aiguilles de bas et à coudre, dés, ciseaux, fil, tout disparaît bientôt. Elles ne feraient rien si on ne donnait tout. J’ai vu une pauvre mère de famille, dont le mari était malade et les enfants tout déchirés, ne pouvoir trouver à emprunter du fil pour les rapiécer ; de pauvres Sauvages, venir par signes nous montrer leurs guenilles et nous faire entendre qu’ils n’avaient ni fil ni aiguille, et s’en aller si contents quand on leur en donnait. Ainsi dès que tu veux bien m’offrir quelque chose, je te demanderai du galon mi-fin pour un ornement, des laines de différentes couleurs pour le travail de marque, des aiguilles à coudre, des dés, ciseaux, petits couteaux de peu de poids. La ville de Saint-Louis, depuis que les Allemands s’y sont établis, fournit tout le reste, mais à grand prix et peu d’objets pour l’église. Tu serais touchée de la piété de cette bonne nation déjà convertie à la foi, en grande partie, avant d’habiter le pays. Le jour de Noël et de 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 154-157. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

570

CHAPITRE VI : JUIN 1840-1842 – LE RÊVE SE RÉALISE

Pâques, il y a eu 400 communions, il y en a souvent 100 les dimanches ordinaires, où il est rare qu’il n’y ait pas des baptêmes d’adultes, même des nations voisines. Le prêtre appelle souvent un de ses catéchistes pour faire à leur portée une courte exhortation. Le Sauvage arrive sans difficulté, la tête baissée et commence à parler, enveloppé dans sa couverture ; puis il s’anime, sort son bras et finit son discours en prédicateur sans que rien l’intimide. Il en est de même pour le catéchisme qui se fait tous les jours à l’église en langue sauvage, ainsi que pour la prière du soir. L’église qui a été bâtie avec le secours de 4 000 F obtenus du gouvernement, est maintenant beaucoup trop petite ; quand on pourra en bâtir une autre, celle-ci servira pour un hôpital, car il y a beaucoup de malades sans secours, faute de logements, de parents et d’argent. Il en meurt beaucoup, surtout chez les nations où le diable est honoré et dont une partie du culte consiste dans l’usage de certaines médecines qui sont de vrais poisons qu’on donne à ses ennemis. La nation Osage a diminué de moitié depuis quelques années, elle est encore féroce et malheureuse, quoique la première où les Blancs ont commercé, mais ils n’ont fait qu’ajouter à d’autres vices celui de l’ivrognerie. J’ai goûté dernièrement des racines dont ils se nourrissent quand ils n’ont pas de chasse ; la plus mauvaise rave cotonnée et percée eût été un délice en comparaison. La faim leur fait autant de mal que les poisons. Ne crois pas, ma bien chère Euphrosine, que l’éloignement t’efface de ma mémoire ; je suis devant Dieu bien occupée de toi et des tiens. En retour, fais dire une messe pour moi à Notre-Dame de Fourvière. Si tu as quelque moyen de faire parler de nous à la bonne Mère Geoffroy et à la maison à La Ferrandière, dis que nous sommes bien accoutumées. Nos bonnes vaches nous ont engraissées et nos santés sont fort bonnes. Adieu, chère amie, tout à toi in Corde Jesu. Ph. Duchesne R. S. C.

Lettre 578

LETTRE 578



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L. 1 À MÈRE LYNCH1

SS. C. J. M.

St Antoine Ce 19 mai 1842 Ma bien chère Sœur, C’est avec joie que je vais approcher le moment qui vous unira plus particulièrement au Sacré Cœur. Je ne doute pas que vous vous y prépariez avec ferveur et un grand contentement. Voilà comment Dieu fait succéder le bonheur aux épreuves, pour ses chers enfants. Je me souviens encore des larmes amères que vous répandîtes quand je quittai Saint-Ferdinand et Saint-Louis. Vous vous croyiez abandonnée ; mais Dieu n’abandonne jamais ceux qui le cherchent avec droiture. Je vous conseillai de songer à vous donner toute à lui en obtenant, par vos prières, le don de la vocation religieuse. Et ce bon maître vous a ouvert les portes de son sanctuaire où, à l’abri des dangers que je craignais pour vous, vous pouvez, environnée de tant de secours spirituels, faire votre salut et même tendre à toute la perfection de notre saint état. C’est le vœu que je fais pour vous et que je renouvellerai avec plus d’ardeur le jour de votre engagement. Dieu me donne l’espoir de vous revoir, j’espère, toute fervente. Je suis à vous in Corde Jesu, Phil. Duchesne r. S. C

1

Les informations sont incertaines au sujet d’Élisabeth ou Élisa Lynch, née en 1820 ou en 1826 dans le comté de Cork en Irlande. Elle est vraisemblablement celle qui a reçu l’habit religieux le 16 juin 1842, fait ses premiers vœux le 21 novembre 1844, sa profession le 7 avril 1854 à Saint-Charles. Elle est décédée le 13 février 1883 à Chicago.

chapitre vii

Juin 1842-1852 Les dernières années

INTRODUCTION En avril 1842, Philippine reçut cette triste nouvelle : à Sugar Creek, on se souciait tellement de sa santé fragile qu’on allait lui demander de faire le sacrifice de cette mission et de revenir au Missouri. Le Père Peter Verhaegen la reconduisit à Saint-Charles ; ils quittèrent Sugar Creek le 19 juin 1842. Après à peine un an, le rêve de toute une vie s’achevait. Quand Philippine arriva à Saint-Charles en 1842, la vieille cabane de bois, « la maison Duquette », était toujours là. Elle y avait passé une année misérable, de septembre 1818 à septembre 1819. Après quelques réparations, la cabane avait aussi abrité au retour de la communauté, de 1828 à 1835 : Lucile Mathevon, Mary Ann O’Connor et Louise Amyot (les trois qui iront ensuite à la mission de Sugar Creek). Elle dura jusqu’à sa destruction en 1858, après la mort de Philippine. En 1827, les Jésuites avaient vendu à Philippine pour un dollar le terrain de l’école, excepté l’espace de seize pieds autour de l’église. La nouvelle église paroissiale fut consacrée le 12 octobre 1828. En 1835, on construisit une maison en briques de deux étages, un peu plus bas que la précédente sur la colline. En 1840, le bâtiment de 1835 fut prolongé pour le relier à l’église des Jésuites. Comme à Florissant, l’école et la chapelle des religieuses étaient perpendiculaires à l’église, si bien qu’on avait devant soi le sanctuaire de l’église paroissiale. C’est dans la petite chambre, située juste derrière la chapelle du couvent, entre celle-ci et le bâtiment de 1835, que Philippine vécut les dix dernières années de sa vie. Elle choisit cet endroit parce qu’il était le plus proche de la chapelle. Finir là où elle avait commencé

L’image courante de Philippine, pendant ces dix dernières années, est celle d’une vieille femme priant silencieusement dans un coin. Ce n’est pas tout à fait exact. Bien sûr, elle passait de longues heures en prière. Mais au cours des dernières années de sa vie à Saint Charles, la Société du Sacré-Cœur s’était étendue jusqu’à New York, en Pennsylvanie, à Détroit et à Montréal. Philippine restait bien informée des

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

nouvelles fondations, en Amérique et en Europe, et elle écrivait à ses amies qui y avaient été envoyées. Elle lisait avec assiduité les Annales de la Propagation de la foi et elle recevait de fréquentes visites au retour des missionnaires, tel le Père De Smet qui lui amenait parfois des filles indiennes pour qu’elle s’en occupe. Elle avait beaucoup de contacts avec les élèves de l’école ; plusieurs se souvenaient encore d’anecdotes, cinquante ans plus tard, lorsqu’on leur demanda de témoigner de sa sainteté. De 1844 à 1850, elle est inscrite au catalogue comme enseignante à l’externat, situé au rez-de-chaussée du bâtiment de 1840 ; cette indication est intéressante, car on a en général l’impression que son anglais était limité ; peut-être y donnait-elle seulement des cours de français. On garde aussi le souvenir de pièces de théâtre qu’elle écrivait pour les élèves et d’ouvrages pour les enfants malades. Le petit musée de Saint Charles conserve de menus objets qu’elle fabriquait pour eux, tels que des meubles de poupée. Sa correspondance atteste qu’elle confectionnait de nombreux ornements pour les prêtres. Il y a encore à Florissant une chape noire faite pour le Père De Smet. Philippine a toujours été une habile couturière, bien qu’elle eût parfois du mal à enfiler les aiguilles à cause de sa vue qui baissait. Des élèves de l’époque se souviennent d’avoir eu l’honneur d’être appelées pour enfiler son aiguille, lorsqu’elles se rendaient à la chapelle. Elle composa plusieurs listes d’événements importants de la Société du Sacré-Cœur et de sa mission en Amérique, peut-être pour exercer et entretenir sa mémoire. Elle gardait beaucoup de relations avec sa famille, ses amis et ses anciennes novices. Lorsque la Mère Élizabeth Galitzine arriva en Amérique en 1840 en qualité de visitatrice générale, Philippine l’accueillit loyalement comme envoyée de la Mère Barat, et elle essaya d’accepter les changements radicaux des Constitutions, décidés au Chapitre général de 1839. En 1843, elle protesta vigoureusement contre la décision de la Mère Galitzine de transférer le pensionnat de Saint-Charles à Saint-Louis, ne laissant à Saint-Charles que l’école gratuite, avec l’intention semble-t-il de fermer un jour complètement la maison. En 1843, la mort subite en Louisiane de la Mère Galitzine, frappée par la fièvre jaune lors de sa deuxième visite en Amérique, annula cette décision. Philippine n’hésita pas ensuite à exprimer son opinion sur les erreurs que la visitatrice avait commises (cf. lettres 606 et 610 à Mère Barat, 5 juin 1846 et 10 septembre 1847). En 1845, à Saint Charles, elle reçut l’annonce de la mort de Catherine Lamarre à Florissant, le 5 juillet. C’était sa dernière compagne des premiers temps en Amérique ; Philippine, la plus âgée,

Introduction



577

restait maintenant seule du groupe initial ; elle mourrait la dernière. En 1846, elle insista auprès de la Mère Barat pour conserver la maison de Florissant ; ce fut sans succès ; l’école fut fermée et confiée, un an après, aux Sœurs de Lorette. C’est au cours de cette période que se situe l’incroyable silence épistolaire, de près de deux ans, entre Philippine et Sophie Barat. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : Philippine, n’étant plus supérieure, n’avait plus à rendre compte de la vie des maisons à la Supérieure générale ; une recommandation avait été faite d’éviter d’écrire à la Mère Barat sans nécessité, à cause de son énorme travail (cf. lettre 606, 5 juin 1846) ; les lettres se perdaient parfois en route. Quand Philippine écrivit en juin 1846 pour demander le maintien de la maison de Florissant, on ne tint pas compte de sa requête. Peut-être sentit-elle alors qu’il était inutile d’écrire. Mère Barat était en effet surchargée de correspondance et de travail et il se peut qu’elle ait tout simplement oublié d’écrire à une vieille amie avec laquelle elle n’avait plus d’affaires à traiter. Quelle qu’en soit la cause, Philippine le ressentit vivement. Son amie intime, Régis Hamilton, qui l’avait accueillie à Saint-Charles en 1842, fut envoyée comme supérieure à Saint-Jacques, au Canada, puis à Eden Hall (Philadelphie) et à Detroit. Durant ces années, Philippine avait comme supérieure Emilie St Cyr, nommée par Mère Galitzine, qui avait été sa novice mais qui, à ses yeux, n’avait pas le don de gouvernement. La mission continue

Le silence de Mère Barat prit fin le 8 septembre 1847, avec l’arrivée de la nièce de Philippine, Amélie (Aloysia) Jouve, à qui la Mère Barat avait demandé de passer par Saint-Louis en allant au Canada, afin de visiter sa tante qu’elle n’avait pas vue depuis 1818. Aloysia resta deux semaines avec Tante Philippine qu’elle réussit à convaincre, entre autres choses, d’abandonner son vieux livre d’office en lambeaux (ce trésor est maintenant conservé aux archives de la Province) en échange d’un nouveau. Elle apportait une lettre de la Mère Barat qui n’existe plus, mais à laquelle Philippine fait allusion deux jours plus tard dans sa réponse du 10 septembre 1847. Quand Aloysia demanda à sa tante ce qu’elle pourrait faire pour elle, Philippine lui demanda deux choses : récupérer le grand tableau de la mort de saint François Régis, reçu de Mgr Dubourg en 1821 et que la Mère Galitzine avait relégué dans un grenier à Saint-Ferdinand, et faire revenir Régis Hamilton, alors au

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Canada, pour être de nouveau supérieure à Saint-Charles. Le tableau fut rapporté à Saint-Charles où il se trouve encore aujourd’hui, et Régis Hamilton revint à Saint-Charles comme supérieure, mais seulement en 1851, un an avant la mort de Philippine. La correspondance reprit entre elle et la Mère Barat : il reste sept lettres de Philippine à Sophie depuis cette date jusqu’à sa mort, le 18 novembre 1852, et deux de Sophie à Philippine, de décembre 1849 et février 1852. Philippine s’affaiblissait doucement. Deux jours avant sa mort, elle reçut la visite de Mère Anna du Rousier, envoyée par la Mère Barat visiter toutes les maisons d’Amérique. Anna était élève à Poitiers lorsque Philippine et ses compagnes s’y arrêtèrent, entre Paris et Bordeaux, avant de s’embarquer pour l’Amérique. Mère du Rousier faisait le tour des maisons du Missouri et du Kansas, et devait partir pour la Louisiane. Apprenant que Philippine était mourante, Anna du Rousier, atteinte elle-même d’un mauvais rhume, insista pour entreprendre le voyage de Saint-Louis à Saint-Charles sous une pluie glaciale. Elle demanda à Philippine sa bénédiction, écrivant plus tard qu’elle sentait encore la main de Philippine sur son front. Chacune ignorait alors qu’Anna du Rousier, à son retour à New York, y recevrait une lettre de Sophie lui demandant de ne pas revenir en France, mais d’aller au Chili pour y faire une nouvelle fondation, ce qu’elle fit l’année suivante. La fondatrice de la Société du Sacré-Cœur en Amérique du Nord et la fondatrice en Amérique du Sud se sont ainsi rencontrées sans le savoir. Anna du Rousier continua la mission de Philippine, emportant son zèle sur un nouveau continent, où elle resta jusqu’à sa mort en 1880. Philippine Duchesne est décédée le 18 novembre 1852, au moment où sonnait l’Angelus de midi. Le Père Peter Verhaegen, SJ, le cher ami qui avait insisté pour que Philippine vienne à la mission du Kansas, lui qui l’avait ramenée à Saint-Charles un an plus tard, était alors curé à la paroisse Saint-Charles-Borromée. C’est donc lui qui présida la messe de funérailles et l’enterrement au cimetière du couvent. Voici ce qu’il inscrivit sur le registre de la paroisse : Le 20 novembre 1852, je, soussigné, ai enterré les restes mortels de Madame Philippine Duchesne, religieuse professe de le Société du Sacré-Cœur, âgée de quatre-vingt-trois ans. Madame Duchesne était née en France et vint aux Etats-Unis d’Amérique avec un petit nombre de religieuses du Sacré-Cœur en 1818. Elle peut être considérée comme la fondatrice de toutes les maisons du Sacré-Cœur aux Etats-Unis.

Introduction



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Remarquable dans toutes les vertus de vie religieuse, mais particulièrement en humilité, elle a doucement et calmement quitté cette vie en odeur de sainteté le 18 novembre 1852.

[Signé] P.J.Verhaegen La mention de ses funérailles, au journal de la maison, se conclut ainsi : « Nous avons fait un daguerréotype pour le cas où elle serait un jour canonisée. » L’original de cette photo a disparu, mais il en reste de nombreuses copies. L’attente de la reconnaissance de sa sainteté trouva une première réponse dans sa béatification, le 12 mai 1940, et s’acheva avec sa canonisation, le 3 juillet 1988.

LETTRES

LETTRE 579

L. 12 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

Saint-Charles, 7 août 18421 St Antoine de Padoue Ma bien chère Sœur, Il y a peu de jours que j’ai adressé à ma mère Bathilde deux lettres pour la France ; en voici encore deux, mais j’espère n’être plus indiscrète et que ma correspondance sera de plus en plus bornée, surtout avec la France. J’ai entendu dire que vous étiez très souffrante, et mon tendre intérêt pour votre conservation me fait craindre ou augurer que vous avez voulu faire plus que vos forces ne permettent. Vous avez toujours eu besoin de vous ménager pour le chant et d’avoir un peu plus de sommeil que la communauté. Ayez donc l’humilité et la simplicité d’avouer vos besoins et d’accepter du soulagement. Par ma dernière [lettre], vous avez su mon départ du territoire indien. Je ne puis oublier les Sauvages, quoique environnée de tout ce qui peut édifier et pénétrée de reconnaissance, car les Sœurs que je n’avais point vues, comme celles que j’avais déjà pratiquées, sont remplies d’attentions pour moi. J’ai laissé nos Sœurs de Sugar Creek en bonne santé. Elles ont dans cette mission le R. Père Verreydt et deux Pères Hoecken qui sont de faible santé. Priez pour la conversion de tous, pour le bien des pauvres nations qui les entourent. Notre petite maison de 5 chambres était achevée. Plusieurs des enfants ont appris à lire, à tricoter, à carder et filer ; 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Charles MO, Août 9.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

plusieurs savaient déjà coudre et c’est l’ouvrage qu’elles préfèrent. Elles commencent à se fixer et étant intelligentes, il y a lieu d’espérer qu’avec les prières offertes à Dieu et la persévérance dans les soins qu’on leur donne, elles profiteront en vertu et en instruction. Toute à vous in Corde Jesu, Ph. Duchesne r. S. C. Le Père provincial rappelle le Père Aelen à Saint-Louis. Mille respects et amitiés à nos Mères et Sœurs. [Au verso :] Madame Madame Boilvin Religieuse du Sacré-Cœur 412 Houston Street À New York

LETTRE 580

L. 13 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, 7 août 18421 Rec. à St Antoine Respectable Père et bienfaiteur, J’ai reçu de vous une lettre que vous aviez remise depuis longtemps à Mgr  l’évêque de Detroit. Elle ne m’est parvenue que dans le pays sauvage d’où je vous répondis, en sollicitant des secours de l’Association de la Propagande de la Foi pour notre établissement qui a pour but l’instruction des petites Sauvagesses. Ma Supérieure générale, me trouvant trop âgée pour cette œuvre, m’a écrit de venir à Saint-Charles, notre premier séjour. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.



Lettre 580

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J’ai pensé qu’il était bon de vous écrire pour vous prier d’adresser ce que vous destiniez à l’œuvre des Sauvages, au Père provincial des Jésuites, qui connaîtra mieux les besoins et la situation de chaque mission. Déjà deux ont été abandonnées ; l’ivrognerie s’y était introduite et on n’y pouvait plus rien faire. On n’a pas de nouvelles directes du Père De Smet. Un premier voyageur a annoncé qu’il était heureusement arrivé chez les Têtes plates au-delà des Rocky. Un second a parlé de ses succès et qu’un des trois prêtres avait descendu l’Arkansas pour aller à La Nouvelle-Orléans. Il y trouvera peu de secours, les affaires y étant en bien mauvais état. Nos pensionnats de la Louisiane ont diminué ; celui de Saint-Michel, où Mère Louisia Lévêque est supérieure, n’a plus que 60 élèves, de 220 qui y étaient avant. Celui des Opelousas, qui a pour supérieure Mère Cutts, anglaise, est tombé de 100 à moins de 80. La même pénurie d’argent existant à Saint-Louis, le pensionnat de 60 est descendu à 30. Saint-Ferdinand a eu le noviciat transporté près de Philadelphie, n’a laissé qu’une école externe. Saint-Charles, où je suis, a depuis plusieurs années une bonne maison en briques, par les soins du R. Père Van Quickenborne. J’y vis en solitaire, pouvant employer tout mon temps à réparer le passé pour me préparer à la mort, mais je ne puis m’ôter la pensée des Sauvages et mon ambition qui se portait jusqu’aux Rocky. Je ne peux qu’adorer les desseins de Dieu en me privant de l’objet de tant de désirs. Je suis avec un profond respect, mon vénérable Père, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Chanoine de la cathédrale Rue aux Marjolaines, N° 54 À Gand Flandre

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 581

L. 14 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M.

St Antoine de Padoue1 [24 octobre 1842] Mon révérend et ancien Père, J’ai eu l’honneur de répondre à la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire par Mgr l’évêque de Detroit. Je la reçus dans le territoire indien où j’étais alors. Obligée de revenir à Saint-Charles par l’ordre de ma Supérieure générale, je suis tombée dans une maison plus pauvre que celle que j’ai quittée chez les Pottowatomis. Il m’est bien pénible d’y être une nouvelle charge, étant l’objet de toutes les attentions de ma charitable Mère, Madame Régis Hamilton. Sa maison a toujours été à la gêne, surtout depuis qu’on a bâti en briques, la maison de bois tombant tellement en vétusté que la cuisinière, avec tout son plancher, est tombée un jour dans la cave. Le dérangement général des affaires dans cette partie de l’Amérique et qui, dit-on, durera encore plus de deux ans, met tout le monde à la gêne. Tous nos pensionnats ont considérablement diminué et ce qui reste paye bien mal. Mère Louisia l’Evêque, supérieure à Saint-Michel, voit tout en décadence après avoir tout vu dans la prospérité ; elle a écrit à Saint-Louis : « Toute consolation est que le mal ne peut être plus grand. » Mère Thiéfry à Saint-Ferdinand nous écrit de reprendre un sujet qu’elle ne peut entretenir. Mon objet, je vous le dis franchement, mon révérend Père, est de nous avoir quelque chose pour Saint-Charles, afin de le soutenir dans ce temps malheureux, si vous pouvez disposer de quelques fonds de la Société de la Foi. J’ai cru rester seule de celles qui sont venues premièrement en Amérique, Sœur Catherine ayant été très mal ; elle vit encore pour souffrir et moi aussi. Tous mes vœux depuis 38 ans me portaient aux Sauvages. J’avais même l’espoir d’aller jusqu’aux Rocky, à la mission du Père De Smet. Et après un an de vie inutile, passée chez les Sauvages, je reviens sans avoir rien fait ni sans espérance de rien faire. Le Père De Smet a de grands succès : il avait baptisé 1 200 Indiens et la voie 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste, Gand : 12 Déc. 1842. Au verso : « Madame Duchesne, 1842 ».



Lettre 581

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s’ouvre tellement devant lui qu’il dit que 20 prêtres et 20 Frères trouveraient de l’occupation. Vous savez peut-être que Mère Eugénie Audé est morte à Rome. Nous y avons trois maisons, une à Lorette, plus nouvelle ; [une] à Montpellier, [une] à Nancy et une troisième à Lyon, à Notre-Dame de Fourvière. C’est là que vient de se tenir le Conseil général qui a dû mettre la dernière main à nos Constitutions, qui ont déjà divisé la Société en provinces. Mère Aloysia Hardey s’y est trouvée, ayant accompagné la Mère provinciale à Rome, où Mgr Rosati les a présentées à notre Saint-Père le pape. Elle doit bientôt revenir pour deux nouvelles fondations dont l’une sera à Philadelphie. Ces établissements nouveaux et tant de voyages empêchent qu’on aide notre pauvre maison. Je suis avec un profond respect, mon bon Père, votre humble fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Charles, État du Missouri, ce 24 octobre 1842 [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Chanoine de la cathédrale Rue aux Marjolaines, N° 34 À Gand Flandre

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 582

L. 71 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, État du Missouri, ce 24 octobre 18421 Ma bien chère sœur, Au commencement d’août, j’avais écrit à Mme de Rollin, je l’avais priée de te faire passer quelques mots de ma part ; j’avais pris la liberté, suivant ton offre obligeante, de te demander un galon pour chasuble. Étant maintenant en solitude, je me fais une occupation bien agréable de broder une croix de chasuble avec le reste de tes soies et je les ménage tant que j’en aurai beaucoup de reste. Je me félicite de les avoir conservées jusqu’à présent. Tu sens que l’ouvrage est très imparfait, mais il m’agrée beaucoup. Je ne pourrai le compléter qu’à l’arrivée du galon ; je te réitère la demande, s’il n’est pas déjà parti, de l’envoyer à Paris, maison de Varennes. La maison de New York a de fréquentes relations avec elle ; c’est la voie la plus courte pour arriver à nous. Nous n’aurions pas les moyens d’acheter ce galon. J’ai l’espoir de tirer quelque chose de la rente sur le Trésor royal que mon père avait mis sur ma tête. Je crois qu’on trouve que je vis trop longtemps et on a déclaré, au dernier paiement, qu’on ne donnerait plus rien si le certificat de vie n’exprimait que le juge, qui le fait, a vu mon extrait baptistaire ou de naissance. Je l’avais demandé, faisant prier mon frère de me l’envoyer. Dans le temps qui s’est écoulé depuis, j’aurais pu l’avoir ; fais-moi le plaisir de lui demander s’il me l’a envoyé ; s’il est encore à rechercher, dis-lui qu’en le mettant sur du papier fin, le plus court serait de l’envoyer par la poste du Havre, sinon de l’envoyer encore : rue de Varennes, à mon adresse. Nous attendons [certaines] de nos dames, mais je crois qu’elles seront déjà parties à l’arrivée de ma lettre. Peut-être en as-tu plusieurs à Lyon dans la nouvelle maison de Fourvière où on a dû se réunir. Ne m’oublie pas auprès de ta bonne fille du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie et dis-moi si c’est de sa communauté que sont partis six sujets pour les Indes orientales et si sa maison tient à celle de Picpus, à Paris2. 1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 157-159. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Il s’agit de sa fille Joséphine, de la congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie de l’Adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement. Cette congrégation, dite des Sacrés-Cœurs de

Lettre 583



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Mes souvenirs à mon frère ; je crains qu’il regrette ce qu’il m’a envoyé aux Sauvages, où il m’avait prédit que je ne resterais pas deux ans. Il a dit vrai, mais c’est bien contre mon gré, et son argent a eu un bon et très utile emploi dont Dieu lui tiendra compte. Mme de Rollin m’avait demandé comment elle pourrait m’envoyer quelque chose ; dis-lui aussi, par l’économe de la rue de Varennes, Madame de Lemps, et que j’en ai autant besoin qu’aux Indiens, toutes nos maisons étant en souffrance par le dérangement général des affaires, produit sans doute par cette monnaie courante de papier qui a le sort de nos assignats de France. Adieu, bonne amie, prie pour ton unique sœur, comme je le fais sans cesse pour toi et les tiens. Philippine Duchesne

LETTRE 583

L. 1 AU PÈRE DE SMET

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce saint Jour de Pâques [16 avril 1843]1 Rec. à St Antoine Mon révérend Père, J’ai appris que vous étiez de retour à Saint-Louis, et la saison s’avançant, je crains ne pas vous voir à Saint-Charles. Mais je ne sais pas si, malgré mon désir d’entendre vos détails sur votre importante mission, je ne dois pas craindre davantage l’impression de douleur que me causerait votre visite, voyant tous mes vœux frustrés et mes espérances détruites. Vous savez peut-être déjà que notre Supérieure générale m’a rappelée de Sugar-Creek. Pendant que j’y étais, j’avais des raisons de pressentir que ce ne serait pas pour longtemps et quand je rêvais agréablement, j’étais toujours aux Rocky Montagnes et priais sans cesse pour vous et pour le succès de votre mission. J’ai continué pendant votre

1

Picpus, a été fondée à Poitiers, en 1800, par l’Abbé Claude Coudrin et la Mère Henriette Aymer de la Chevalerie (1767-1834). Elle tient son nom de la rue de Picpus, à Paris, où elle fut établie. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to various Eccles. Box 8.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

voyage dans les États-Unis et ne pourrai oublier de le faire tant que je vivrai. Pendant que j’étais chez les Sauvages, on m’a envoyé de France une boîte contenant des objets pour eux : médailles, plumes d’acier, crayons, petits livres, etc. L’agent des Potowatomis doit fournir ces derniers objets à cette nation ; j’ai pensé qu’ils pourraient vous être utiles ; s’ils ne le sont pas, ils pourront rester à notre maison de Saint-Louis. Attendant une occasion pour demain, j’écris d’avance afin de pouvoir en profiter. Quant à de l’argent, cette maison est si gênée en ce moment qu’elle ne peut vous offrir qu’une garniture de nappe. J’y joins des papiers de couleur pour des fleurs, Mme Chouteau nous ayant dit que le Père Point1 en faisait et se faisait aider par les Dames de Westport2. Si vous voulez quelque chose de plus pour cela, Madame Aloysia, assistante à Saint-Louis, y pourra ajouter et fournir de petits modèles. Croyez, mon Révérend Père, aux vœux ardents que j’adresserai toujours à Dieu pour qu’il vous soutienne lui-même, et qu’il vous console par les conversions qui seront le fruit de vos travaux. Daignez me donner quelque part aux mérites que vous acquerrez, ainsi que les heureux compagnons qui vous suivront. Je suis avec respect, dans les saints Cœurs de Jésus et Marie, mon Révérend Père, votre dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] Au Très Révérend Père De Smet missionnaire À l’Université À Saint-Louis

1 2

Nicolas Point, SJ, a été attiré par l’offre des 200 000 briques inutilisées du couvent et décida d’installer les Jésuites à Grand Coteau, plutôt qu’à Donaldsonsville (Ohio). C’est probablement une référence à la confrérie Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, que le P. Point avait établie dans cette communauté catholique en plein essor, à l’ouest du Missouri, en 1840.

Lettre 584

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L. 72 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 5 mai 18431 Ma bien chère sœur, C’est au milieu de toutes les richesses que tu m’envoies, que je me hâte de t’en accuser la réception. Si j’avais fait une litanie de ce que je désirais, tu n’aurais pu mieux trouver ; accepte mes remerciements les plus amples. Je t’avais fait dire par Mme de Rollin que j’avais des nouvelles de l’arrivée du paquet en Amérique ; mais retenu sur nos rivières glacées, pendant un très long et rude hiver, je ne l’ai reçu que ce 5 mai. Voici la seconde de nos sœurs qui meurt depuis mon retour, elle est enterrée ce matin2 ; je n’ai pas suivi le convoi, j’étais trop faible et trop préoccupée que ce serait moi que Dieu appellerait après elle. Il me semble qu’en quittant les Sauvages, j’ai quitté mon élément et que je ne puis que languir pour la patrie où il n’y aura pas de départ. Les causes de mon rappel sont connues de Dieu, cela suffit. Je n’ai de plaisir qu’à entendre parler des espérances que donne la mission des Rocky Montagnes. Le chef des missionnaires se voit obligé d’aller en Europe solliciter des secours, car il faut tout commencer et tout entretenir. Au risque de te rapporter ce que tu as peut-être vu dans les Annales catholiques, j’entreprends de te citer deux traits qui annoncent la miséricorde de Dieu sur ces immenses contrées, et où le démon a déjà des émissaires, gens payés par les sociétés hérétiques pour établir leurs fausses doctrines : « Une jeune fille était très malade avant que les missionnaires catholiques eussent paru dans le pays ; elle fut baptisée par un des voyageurs qui commercent, parce qu’elle l’avait ardemment demandé. Aussitôt après, elle s’écria : “Oh ! Que je vois de belles choses ; non, rien sur la terre n’est beau comme ce que je vois. C’est Marie, ma mère ; il y a aussi des robes noires. Faites ce qu’ils vous diront, car eux seuls annoncent la vérité.” Elle expira, ayant reçu le nom de Marie, et tous ceux qui avaient été témoins de sa mort et de ses paroles exami1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 159-162. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Angèle Angélique Booz, RSCJ, née en 1816 à Berthier (Canada), entra au Sacré-Cœur de Saint-Louis en 1839, reçut l’habit religieux le 3 mars 1840. Elle fit ses premiers vœux le jour de sa mort, le 4 mai 1843, à Saint-Charles.

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nèrent attentivement les missionnaires à leur arrivée et furent aussi étonnés que ravis de leur voir choisir la place où Marie était enterrée pour bâtir la première église ; elle est en bois, peut contenir 500 personnes. On y dit la première messe la fête de saint François-Xavier, patron de la mission et ce jour-là, 25 catéchumènes furent baptisés. Il y en a plus de 1 200 à présent qui mènent une vie angélique. » Le 2d trait est celui-ci : « Un petit garçon ne pouvait apprendre ses prières, quoique traduites en sa langue ; ses parents chrétiens lui en faisaient des reproches. Il alla, tout affligé, trouver un autre enfant pour les apprendre. En entrant dans sa cabane, il vit une dame d’une admirable beauté qui le consola, lui apprit ses prières en un instant, et le laissa comblé de joie. Il lui vit une étoile sur la tête, son cœur visible sur sa poitrine et ses pieds sur un serpent qui dévorait une pomme. La candeur de l’enfant, ses transports, le rapport de ce qu’il avait vu avec l’image de l’Immaculée Conception, ont amené plusieurs païens à se faire baptiser. » La mission où j’étais, proche de l’État du Missouri, se soutient bien ; les Sauvages s’y civilisent, ils bâtissent et cultivent la terre ; ils seront heureux s’ils peuvent surmonter leur paresse naturelle. Il faut du temps. Nos sœurs écrivent qu’elles n’ont plus besoin de presser les enfants pour le travail, elles l’aiment. L’Agent supérieur, qui a visité la nation, en a été fort content, a fait donner tout ce qu’il faut en plumes, papiers, livres pour l’école, du coton pour filer. Il a promis de les recommander au Congrès. Tu sais sans doute que notre Saint-Père a chargé Mgr Rosati, notre évêque, de traiter avec le président des Nègres de Saint-Domingue ; je connais l’évêque qui a été consacré pour cette île. On m’a dit que des prêtres lyonnais l’avaient joint. La langue française s’y est conservée. La Louisiane, si riche autrefois, souffre beaucoup ; le Missouri s’en ressent ; aussi, peu de personnes étant en état de payer pension, nous avons éprouvé beaucoup de gêne, mais rien ne m’a manqué et j’ai pris ma part de tes bonnes provisions. Adieu, chère sœur, je ne t’oublie point, ni tes enfants. C’est un plaisir de m’unir à toi. Ph. Duchesne R. S. C.



Lettre 585

LETTRE 585

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L. 1 À M. MARTIN LEPÈRE Rec. à St Antoine Saint-Charles, ce 30 juillet [1843]1

Monsieur, J’avais bien désiré vous voir pour décider avec vous ce qu’on pouvait faire d’utile à votre église, dans la malle d’ornements que vous avez fait déposer chez nous. Ne voyant que moi ici qui pût s’en occuper, mon âge avancé qui ne peut compter sur le lendemain m’a décidé à commencer de travailler. 1°) J’ai fait une chasuble noire des trois débris de celle de La Nouvelle-Orléans, mais le velours était tellement gros que les points à l’aiguille y faisaient autant de trous, dont plusieurs restent. 2°) J’ai raccommodé autant que je le pouvais le surplis à dentelle, et en ai fait un second plus solide pour l’usage ordinaire. 3°) J’ai laissé subsister ce qui m’a paru être une couverture de crédence et j’ai réparé la nappe d’autel à la mesure du nôtre et sur sa largeur. J’ai trouvé quelques purificatoires ; il reste quelques taches causées par l’humidité qu’il a été impossible d’ôter. 4°) J’ai garni la chape à fleurs avec le galon de la violette qui, étant teinte en noir, fera encore une très bonne chape pour les enterrements. 5°) J’ai coupé les longues pointes de bannière dont les glands n’ont pu se blanchir et j’ai réparé les festons. Maintenant, voici ce que je pense sur ce qui reste : 1. Il y a deux dessus de dais, celui qui est blanc et double, teint en noir, pourrait faire un drap mortuaire. 2. On pourrait faire deux ornements, l’un violet et l’autre pour le blanc, en ajoutant quelque chose à l’étoffe de la dalmatique rose. Les deux dalmatiques à fleurs ne seront jamais d’usage dans votre petit sanctuaire. Vous pourriez les vendre ou les échanger avec M. Fisher pour Notre-Dame-des-Victoires et si on voulait les rajeunir en teignant le fond en jaune, personne ne s’en acquitterait mieux que Madame Aloysia [Jacquet], assistante de votre maison de Saint-Louis. J’en serais incapable moi-même. Il reste encore le tour du dais en cramoisi, mais si on faisait encore deux ornements, il faudrait en prendre les galons. 1

Copie, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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J’espère que votre chère Agnès sera un jour bien utile à sa bonne-Maman. Il est fâcheux qu’elle n’ait ni le goût, ni beaucoup de dispositions pour l’étude ; mais ses bonnes qualités la font aimer de toutes. Bien des amitiés à Mme Lepère. Je suis votre humble servante. Philippe Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Martin Lepère

RÉCIT 2

SOMMAIRE HISTORIQUE DES FONDATIONS EN AMÉRIQUE1 1ère feuille2

Notre révérende Mère générale avait souvent, dans sa jeunesse, soupiré pour les missions étrangères. Lorsque je lui témoignai le même désir, elle me fit part de ceux qu’elle avait eus, et dont on lui avait dit que Dieu ne voulait pas l’exécution, étant destinée pour l’Europe. Mais elle me témoigna le contentement qu’elle éprouvait de ce que je pourrais suivre cette vocation. Elle n’a jamais varié depuis, non plus que son respectable frère, le R. Père Barat, qui ayant vu le premier Mgr Dubourg à Bordeaux, nous offrit pour un établissement dans son diocèse. J’étais 1 2

Titre ajouté par une archiviste. Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne History of Society, Box 1. Cachet de la poste : St. Charles, Août 1843. Ph. Duchesne évoque les fondations réalisées de 1818 à 1831 sous son supériorat, et elle ajoute celle de Sugar Creek (1841), en finale de la relation. Margaret Murphy est assistante à McSherrystown. Le 6 janvier 1844, Philippine lui dit : « Je n’ai reçu aucune de vos lettres depuis l’envoi de la relation que vous m’aviez demandée ; je craignais qu’elle ne vous fût pas parvenue. » C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4.

Récit 2



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alors à Paris depuis la tenue du 1er Conseil général en 1815. Le R. Père Varin, qui avait d’abord approuvé ce projet, faisait tous ses efforts pour m’en détourner ; mais m’étant ouverte au R. Père Perreau qui faisait alors l’office de Supérieur général, quoiqu’il m’exhortât à la résignation, il est celui qui décida tout en ma faveur. Et en 1817, Mgr Dubourg étant venu à Paris, il arrêta avec notre Mère générale que nous partirions l’année suivante. Le terme fixé n’était pas expiré, quand M. Martial son vicaire général devant s’embarquer, il nous confia à ses soins. Nous partîmes de Paris le 8  février 1818, sous la protection de M. Evremond-Harissart (maintenant Jésuite au Kentucky) et le 13, nous arrivâmes à Bordeaux où nous fûmes reçues dans la maison du Sacré-Cœur1 par la supérieure Mme Vincent qui depuis, s’est réunie avec sa communauté à notre Société2. Nous visitâmes Monseigneur qui nous a communiées de sa main et bénies pour le voyage3 ; nous vîmes tous les jours le Père Barat et nous nous embarquâmes la veille du dimanche des Rameaux, le 14 mars. M. Boyer grand vicaire dit la messe pour nous ce jour-là. Nous étions cinq : Mme Octavie Berthold assistante, Mme Eugénie Audé adjutrice (toutes deux avaient fait leurs derniers vœux immédiatement avant le départ de Paris) ; les Sœurs [coadjutrices] étaient Catherine Lamarre et Marguerite Manteau, toutes deux professes, et moi. M. Martial et M. Evremont étaient nos protecteurs. Le vaisseau était nommé La Rébecca et le capitaine, M. Le Tourneur. Quoique protestant, il nous a toujours servi en maigre le vendredi et venait à la messe le dimanche quand M. Martial, seul prêtre, n’était pas malade et qu’il n’y avait pas de roulis. Nous avons pu nous confesser tous les huit jours et communier plus souvent quand il y avait la messe dans la semaine, après quelque mauvais temps. Le 16 mai, ayant pris route par le détroit de Bahamas, nous nous trouvâmes vis-à-vis de La Havane, capitale de Cuba. Le 29 mai, fête du Sacré Cœur, nous eûmes la messe, un sermon et renouvelâmes nos vœux chacune, avant de recevoir la Sainte communion. Le soir à 10 h, nous entrâmes à La Nouvelle-Orléans. Le lendemain samedi, jour toujours propice, nous fûmes reçues à 5 heures du matin chez les Dames Ursulines, dont la supérieure Mme Michel Gensoul nous a comblées de bontés, comme l’avait fait Mme Vincent 1 2 3

L’institution, fondée en 1791 par le P. Boyer, vicaire général, portait alors ce nom et dépendait du diocèse. Cette réunion s’est réalisée le 20 juillet 1825. Mgr Charles-François d’Aviau du Bois de Sanzay (1736-1826), archevêque de Vienne (Isère) en 1789, en exil de 1792 à 1797, fut nommé à Bordeaux en 1802.

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à Bordeaux. Comme nous, elle était venue de France ; elle y avait été décidée par le pape Pie VII à qui elle avait écrit ; elle fut encouragée aussi à Baltimore par un chevalier français qui lui dit qu’une sainte religieuse avait prédit que les bords du Mississippi, alors sauvages, seraient un jour peuplés de couvents. Nous en voyons l’accomplissement. Ces Dames Ursulines ont porté l’intérêt pour nous jusqu’à faire des démarches pour nous fixer à La Nouvelle-Orléans, lors-même que cela ferait tort à leur pensionnat ; et M. Martial ayant arrêté ces démarches, elles nous donnèrent 1 500 F venant d’elles ou de leurs connaissances, avant le départ pour Saint-Louis, qui eut lieu le 12 juillet. M. Martial étant nécessaire à La Nouvelle-Orléans, outre le capitaine Reed capitaine du steamboat, nous eûmes pour protecteurs MM. Portier et Evremont et depuis La Fourche, M. Richard que Mgr Dubourg avait destiné pour être notre aumônier à Saint-Charles où il avait loué une maison. Nous gardâmes un règlement comme sur le vaisseau ; nous fîmes toujours maigre le vendredi avec les ecclésiastiques ; mais M. Richard, seul prêtre, ne jugea pas à propos de dire la messe, ni de confesser. Notre voyage fut long ; nous nous arrêtâmes à Kaskaskia où est une église bâtie par d’anciens Jésuites qui avaient une mission, avant leur destruction, et nous vîmes beaucoup de Sauvages. Nous étions à Saint-Louis le 22 août et le lendemain dimanche, nous fûmes en spectacle à la messe pour les habitants. M. et Mme Pratte nous logèrent et tentèrent de nous fixer à Saint-Louis, mais les terres y étaient alors hors de prix ; il n’y avait pas de maison à Saint-Ferdinand et nous fûmes contraintes d’aller à Saint-Charles. Monseigneur nous y accompagna chez Mme Duquette, où nous avons passé la première année. Nous y avions quelques pensionnaires, quelques externes payantes et environ 20 ou 24 externes gratuites. Mme Eugénie, qui en prépara le plus grand nombre à la 1ère Communion, acquit tellement leur confiance et leur amitié qu’elles coururent après elle jusqu’au bateau qui la leur arrachait, se tenant à ses genoux, renouvelant les adieux faits à saint Paul1. Pendant notre séjour à Saint-Charles, Mgr Dubourg voulait nous faire changer nos règles en supprimant les sœurs coadjutrices ; nous répondîmes que nous ne pouvions y consentir sans l’avis de notre Supérieure générale. Il s’opposa de son côté à ce que nous restâmes à Saint-Charles où les habitants voulaient nous retenir, et la maison qu’il fit commencer à Florissant (ou Saint-Ferdinand) n’étant pas prête au 1

Ac 20, 36-38.

Récit 2



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bout de l’année, nous restâmes trois mois dans la ferme qu’il avait à 1 ou 2 milles. La maison consistait en 1 chambre qui devint dortoir des élèves, leur réfectoire, leur classe, le salon. Le grenier tout ouvert fut notre dortoir, réfectoire et cuisine ; le toit en étant tout percé, Mme Octavie y a eu son lit couvert de neige et le pain gelait les derniers temps sur la table. M. Delacroix remplaçant M. Richard, bien triste de nous avoir perdues à Saint-Charles, n’avait pour logement qu’une espèce de cage pour tenir le maïs ; on y entrait par un trou où une chaise ne pût passer. En huit jours, on se hâta de lui bâtir une maison dont la 2e chambre devint chapelle ; nous y faisions tous nos exercices spirituels, y avons eu plusieurs fois notre évêque et une bien bonne retraite donnée par M. de Andreis, prêtre romain, supérieur des Lazaristes, autre saint Jean de la Croix. Nous avons eu différentes fois des lettres de notre Mère générale qui, nous voyant établies hors de Saint-Louis, regrettait que nous ne se soyons pas restées à La Nouvelle-Orléans. Le saint Monsieur Perreau m’a aussi écrit plusieurs fois et voyant qu’on blâmait en France notre départ sans en avoir prévenu le Saint-Père, il a écrit à trois cardinaux qu’il avait connus pendant leur exil en France. Tous trois ont assuré que Pie VII était fort satisfait de notre établissement en Amérique et nous envoyait sa bénédiction, et à toutes celles qui s’y joindraient. Cette bénédiction a été renouvelée par Léon XII et par Grégoire XVI. Les lettres des cardinaux Litta et Fontana, dont j’eus les copies, furent couvertes de larmes de reconnaissance de nous trouver ainsi dans la voie sûre de la volonté de Dieu. La maison bâtie en briques à Saint-Ferdinand étant en partie logeable pour Noël, nous y étions toutes rendues la veille avec nos pensionnaires. Le froid était extrême. Arrivant la dernière avec Mère Eugénie, conduisant notre vache, nous ne pûmes l’empêcher de s’éloigner ; le chemin était effacé par la neige, nos doigts trop engourdis pour en faire usage. Il fallut en arrivant préparer la chapelle et l’autel pour la messe de minuit. M. Delacroix en dit deux et réserva la 3e pour l’heure accoutumée ; à toutes, on chanta des cantiques. Les vêpres et le salut furent aussi solennels que possible. Monseigneur nous a donné plusieurs tableaux, entre autres ceux du Sacré Cœur, de la Portioncule, de saint Régis mourant, visité par Notre Seigneur et la Sainte Vierge, de sainte Agathe, de Benoît Labre. Dans le cours de la première année passée à Saint-Ferdinand, nous avons pu réunir environ 20 pensionnaires des premières maisons de Saint-Louis et environ 20 externes dans une maison à part. Tout étant extrêmement

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cher à notre arrivée en Amérique, notre maison de Saint-Ferdinand a coûté 8 000 $ et nous a laissées longtemps en dettes. Nous avons eu de fréquentes visites de Mgr Dubourg qui a distribué les prix. Cette année finit par l’altération de toutes les santés et une grave maladie pour moi, qui a duré trois mois. 1821 Monseigneur se rendit aux invitations qu’on lui faisait de retourner à La Nouvelle-Orléans où un schisme, qui avait exposé sa vie, l’empêchait de paraître. Mais Monsieur Martial ayant préparé les voies, il y fut bien reçu partout, comme nous l’avons appris le 5 janvier. Février 19 M. Delacroix pose la première pierre de l’église qu’il va faire bâtir sur la terre de Monseigneur, joignant celle qu’il nous a donnée et [qui] touche à notre maison. Elle est dédiée au Sacré Cœur de Jésus, sous l’invocation de saint Ferdinand et de saint Régis patron de notre maison. Mars 19 Fête de saint Joseph ; première prise d’habit de Mlle Saint-Cyr notre élève, qui prend le nom de Joséphine, et de Mlle Mary Ann Summers orpheline et depuis deux ans avec nous. [Cérémonie] faite par Monsieur Delacroix. Mai 4 Prise d’habit de Mlle Eulalie Hamilton qui prend le nom de Régis. C’est une de nos élèves américaines. [Cérémonie] faite par Monsieur Ferrari. Juin 16 Prise d’habit de Mlle Mathilde Hamilton, sœur aînée de Mme Régis, qui est revenue ayant passé quelques mois dans sa famille en sortant de chez nous. C’est Mgr Dubourg, revenu de la Louisiane, qui fait la cérémonie, assisté de quatre prêtres. Monseigneur nous offre l’établissement des Opelousas. Mme Smith, fondatrice de la paroisse et de l’emplacement pour un collège, offre pour le nôtre une maison qui lui coûte 35 000 F, plusieurs centaines d’arpents de terre avec des bois pour des années incalculables, des

Récit 2



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meubles et l’entretien pour une année. Notre Mère générale a accepté l’offre de cet établissement et y destine Mme Murphy, aspirante irlandaise, et Mme Eugénie Audé pour supérieure. Monseigneur est d’avis qu’elle parte avant l’arrivée de nos sœurs de France. C’est le 5 août qu’elle nous fait ses adieux ; elle part avec Sœur Layton et [le steamboat] échoue plus de dix fois dans l’espace de 30 lieues. Elle loge en arrivant chez Mme Smith et va habiter la maison avant qu’elle soit finie ; elle y souffre de maux d’yeux et met un vésicatoire sous la plante des pieds. Ne pouvant marcher, elle se traîne sur le dos, et dans une fièvre, passe deux jours sans boire, ne voulant pas faire sortir Sœur Layton. 1822 2 Mars Arrivée à La Nouvelle-Orléans de nos sœurs Xavier Murphy et Lucile Mathevon. Mgr Dubourg les y accueille et fait de suite partir la 1ère pour l’établissement de Mère Eugénie aux Opelousas. Mère Lucile vient à Saint-Ferdinand. Juillet 20 Je pars pour conduire à Mère Eugénie nos Sœurs Saint-Cyr et Mary Mullanphy. Cette dernière n’a pas persévéré. Ce voyage fut long, n’ayant pu être de retour que le 30 novembre. En allant, je crus que nous étions perdues dans les marais de la Louisiane, n’ayant pu suivre la route ordinaire toute inondée ; les cris que nous entendions qui venaient d’une barque de Sauvages augmenta ma terreur ; je dis aux jeunes sœurs de se recueillir et pour moi, je récitai les prières des agonisants, me croyant à mon dernier moment, sans communiquer mes craintes. Enfin, nous sortîmes de notre bayou bourbeux et arrivâmes au couvent dans une charrette à 4 bœufs. J’y trouvai plusieurs malades et Mère Eugénie accablée de travail et s’oubliant entièrement pour soulager les autres, jusqu’à donner sa seule couverture à une novice qui s’était plainte du froid, en ayant sept. Attaquée d’une fièvre opiniâtre dont l’accès venait le jour, elle faisait la cuisine la nuit pour être le jour aux autres besoins de la maison. Après un mois de séjour, je repartis et fus obligée de descendre à La Nouvelle-Orléans pour trouver un steamboat. J’y pris la fièvre et partis fort malade ; mais la fièvre jaune commençait ses ravages et je craignais de la prendre et de la communiquer aux Dames Ursulines qui me lo-

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geaient. Elle était dans le steamboat : la mort des deux capitaines et le danger de plusieurs autres me fit descendre au Natchez. J’y fus charitablement reçue chez un veuf allemand, puis chez Mme Davis sur le bord opposé, car les docteurs avaient défendu de laisser entrer dans la ville aucune personne venant de La Nouvelle-Orléans. Je ne pus que me confesser à la dérobée dans une maison protestante et n’étant point rétablie, repartis sur un autre bâtiment. Il échoua près La Nouvelle Madrid où je fus reçue chez M. McKay qui donnait asile à tous les prêtres quand ils s’y arrêtaient. C’est ainsi que j’ai mis deux mois et demi pour un voyage qu’on fait maintenant en 5 ou 6 jours. 1823 Février La maison, pendant mon absence, avait été affligée de maladies. Elle l’était alors par l’éloignement des personnes de confiance, par des calomnies au-dehors, d’autres maladies au-dedans, par la mondanité des élèves sorties, l’indocilité de plusieurs au-dedans, leur diminution et une extrême pauvreté. Avril Nouvelle du retour de Mgr Dubourg qui était allé dans l’Est, et de ce qu’il a obtenu des Jésuites pour son diocèse, qui seront près de notre village puisqu’il leur donne pour s’établir cette même habitation où nous avions demeuré près de 4 mois. Monseigneur nous visite le jour de l’Ascension, prêche et fait faire la 1ère Communion. Il annonce l’arrivée de 12 Sœurs de la Croix pour les Barrens, confirme celle de Jésuites et que désormais sa résidence sera à La Nouvelle-Orléans, où les Dames Ursulines, ayant bâti un superbe couvent, lui donnent l’ancien, bâti aux frais de Louis XV avec l’église. 30 Mai Arrivée des Jésuites qui ont pour supérieur le P. Van Quickenborne. Il n’y a pas d’autres prêtres que lui et le P. Timmermans, qui meurt bientôt après subitement. Les autres Jésuites étaient : le P. Verhaegen, maintenant provincial ; le  P.  Elet recteur du collège de Cincinnati ; le P. De Smet missionnaire aux Rocky ; le P. Verreydt supérieur à Sugar Creek ; le P. Smith curé de Saint-Charles ; le P. Van Assche curé de

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Saint-Ferdinand et un autre qui a quitté ; 2 Frères et deux familles de Nègres étaient avec eux. Si on considère le collège de Saint-Louis, sa belle église, celle de Saint-Charles, leurs deux belles habitations où sont à Saint-Ferdinand les novices, près de Saint-Louis les scolastiques, on ne se fera pas une idée de leur pauvreté au commencement ; elle a été bien réelle. 8 Juin Fête du Sacré Cœur très solennelle. Monsieur Delacroix annonce qu’il laisse sa paroisse aux Jésuites et il part pour la Louisiane, où il créera bientôt un de nos établissements à Saint-Michel par souscription. 14. Départ de nos Sœurs Marguerite Manteau et Mary Ann Summers pour les Opelousas où elles sont mortes, la 1ère dans l’enfance1, la 2ème subitement. 21 Prise d’habit de Sœur O’Connor qui est à Sugar Creek. 15 Décembre Le Saint-Père nomme Mgr Rosati coadjuteur de Mgr Dubourg. Il réside dans le Missouri. 1824 Dans le cours de cette année, il a été souvent question d’un nouvel établissement. Mgr Dubourg a décidé qu’il ne le voulait pas à La Nouvelle-Orléans à cause de la fièvre jaune et de la concurrence avec les Dames Ursulines qui ont tant fait pour la religion. Le 31 décembre, nous apprenons qu’il approuve le choix que Monsieur Delacroix a fait de Saint-Michel sa paroisse ; qu’il a 4 000 $ pour commencer à bâtir. Chaque prêtre de la Louisiane a souscrit pour 100 $. Nous n’avons à cette époque que trois pensionnaires ; nous n’avons manqué de rien, ô Providence !

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Dans un état de sénilité mentale.

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1825 21 Mars Arrivée de Mère Eugénie Audé qui nous apporte quelques secours et nous entretient du bon état de sa maison, de la visite qu’elle a faite à Saint-Michel dont elle est nommée supérieure par notre R. Mère générale. Nous lui donnons pour sa fondation Mme Xavier Hamilton et Sœur Ignace Labruyère, excellente coadjutrice. 17 avril Mère Xavier qui doit être l’assistante de la Mère Eugénie prononce ses derniers vœux le 17  Avril et Sœur O’Connor ceux de 5  ans. Le jour de l’Ascension, départ des Mères Eugénie et Xavier et de Sœur Ignace. Elles doivent rester aux Opelousas jusqu’à ce que la maison de Saint-Michel soit bâtie. La souscription monte à 7 000 $. Décembre En Décembre, Mère Xavier Murphy reste supérieure de la maison des Opelousas qui a 27 pensionnaires ; sous son gouvernement, elles sont montées à 80, deux bâtiments en briques ont joint la première maison en bois. Elle acquiert un tel empire sur tous les parents qu’elle est appelée la reine du pays. L’un d’eux, député au Congrès, a dit en revenant qu’il préférait l’éducation qu’on donnait au couvent des Opelousas à celle qu’on reçoit à Georgetown. Dans le courant de Décembre, Mère Eugénie part pour Saint-Michel avec ses deux compagnes de Saint-Ferdinand et Mesdames Hardey, Sophie et Philippine, toutes trois novices sorties du pensionnat. La maison n’étant pas prête, elles logent d’abord chez Monsieur Delacroix qui va demeurer ailleurs. 1826 Et le 2 février 1826, jour de saint André, elle va occuper le nouveau couvent. Mars 1er Commencement de l’église de Saint-Charles.

Récit 2



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4 mars Prise d’habit de Mlle Stanislas Shannon. Avril 4 Celle de Mlle McKay. Retour de Mgr Dubourg. 1er juin À la fête du Sacré Cœur, vœux de Mme Régis Hamilton après 3 ans d’aspirat ; elle a 21 ans. Nous avons alors 24 pensionnaires. Novembre Nous apprenons que Mgr Dubourg, parti pour la France après sa dernière visite à Saint-Ferdinand, est nommé à l’évêché de Montauban. 1827 Notre Mère générale nous apprend l’heureuse nouvelle de l’approbation de notre Société, sous le titre de Dames du Sacré-Cœur, par notre Saint-Père Léon XII. Dans la même lettre, elle nous engage à faire un établissement à Saint-Louis. Nous nous adressons à M. Mullanphy qui avait offert à Mgr Dubourg une fondation pour les orphelines. Il a consenti à nous donner un terrain de 20 arpents à Saint-Louis avec une maison de briques qui avait en tout six ou sept appartements, 1 000 $ pour les premiers frais, à charge de prendre 20 orphelines à qui il donnerait à leur entrée 10 $ et 5 chaque année jusqu’à 18 ans. Elles ne pourront entrer avant 4 ans ni après 8. Les 1 000 $ furent employés à bâtir une cuisine et faire une cave. 2 Mai Mère Octavie resta supérieure à Saint-Ferdinand et Mère Duchesne vint à Saint-Louis avec Mère O’Connor et trois orphelines, attendant des Dames de France pour cet établissement. 9 Elles arrivent le neuf septembre. C’étaient Mesdames Dutour et Van Damme avec une postulante. Mme Dorival les avaient quittées à l’Ohio pour aller aux Opelousas et Mme Pivetot pour Saint-Michel.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

1828 Mme Joséphine Gray part pour les Opelousas et le Père supérieur des Jésuites nous fait donation d’une partie du terrain où il a bâti son église à Saint-Charles et où se trouve la maison que nous avons habitée pendant la 1ère année de notre arrivée de France. L’établissement s’y commence le 10 octobre 1828. Lucile Mathevon est supérieure et n’ayant qu’une école externe, elle n’a avec elle que Sœur O’Connor et une Sœur [coadjutrice]. Le mois précédent, en septembre, Mère Dutour avait commencé l’établissement à La Fourche dans la maison des Sœurs de la Croix qui s’étaient réunies à la Société du Sacré-Cœur. Cette maison a été détruite à cause de ses dettes et les sujets qui la composaient ont été aux Opelousas. C’est aussi au mois d’octobre que Mgr Rosati vient bénir notre chapelle bâtie à côté de la maison. Il est fort gêné, le curé de Saint-Louis aussi, Saint-Charles n’a que 40 $ ; Saint-Ferdinand n’a que 10 élèves et nous 7 et 25 externes payantes. C’est encore un temps difficile à passer. 1829 11 Août Arrivée de Mère Thiéfry professe d’Amiens, et des Sœurs Lavy-Brun et Julie Bazire aspirantes de Paris. 9 Novembre Départ de Mère Duchesne pour la Louisiane, qui revient le 27 février. 1830 8 Mars Derniers vœux de Mesdames Bazire, Lavy-Brun et O’Connor. La cérémonie est faite en présence de Mgr Rosati, par Mgr De Neckere évêque de La Nouvelle-Orléans. Le 12, Mère Lavy part pour les Opelousas et Mère Bazire pour La Fourche qui subsistait encore. Mère Thiéfry est supérieure à Saint-Ferdinand où est le noviciat. Mère Octavie vient à Saint-Louis avec des pensionnaires. 1831 Arrivée de France, 24 Août, de Mesdames De Coppens, de Kersaint, Prosper [Prud’hon] et Toysonnier.

Récit 2

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[Au verso du dernier feuillet :] À Madame Murphy1 J’ai reçu votre lettre du 22 Mai et vous remercie de tous les détails qu’elle contient. J’ai un peu différé de vous répondre, ayant besoin de me procurer le Journal de Saint-Louis et de Saint-Ferdinand pour avoir les époques exactes des arrivées de France et des fondations. Je ne suis pas entrée dans le détail de toutes les cérémonies de prise d’habit, etc., plusieurs n’ayant pas persévéré. Il en est de même pour les baptêmes d’adultes. J’ai oublié de marquer la fondation de Sugar Creek. Nous sommes parties de Saint-Louis pour cette terre tant désirée, le 29 août 1841. Mère Lucile [Mathevon], Sœur O’Connor, Sœur Louise [Amiotte2] et moi qui en ai été rappelée l’année suivante à même époque. J’éprouve à Saint-Charles les bontés de toutes mes Sœurs. Veuillez me rappeler au souvenir de celles que je connais auprès de vous ; mais ce n’est plus aucune, je pense ; mais pour gagner davantage aux prières de toutes. Croyez à mon tendre attachement in Corde Jesu. Ph. D. r. S. C. [Au verso :] Madame M. Murphy Religious of the Sacred Heart MacSherrystown Near Hanover Pa

1

2

Margaret Murphy, RSCJ, née le 24 février 1819 dans le comté de Butler (Pennsylvanie), entra au Sacré-Cœur de Saint-Louis en 1836, prononça ses premiers vœux le 28 décembre 1838. Après avoir travaillé quelque temps à Florissant, elle rejoignit la communauté de McSherrystown (Pennsylvanie), où elle fit sa profession le jour de sa mort, le 3 juillet 1844. Elle était alors sous-assistante, bien qu’encore aspirante. Elle est l’une des trois religieuses décédées de la tuberculose en quatre mois. Suite à ces graves problèmes de santé, cette maison fut fermée en 1846 en faveur de Philadelphie. Elle fut réouverte de 1848 à 1852. Louise Amiot (ou Amyot, Amiotte), RSCJ, née en 1818, était novice à Saint-Louis en 1835. Elle fut l’une des fondatrices de la mission de Sugar Creek, en juillet 1841. Elle est décédée en 1857.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 586

L. 73 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

24 septembre 18431 Rec. à St Antoine Ma bien chère Sœur, Si j’avais pu prévoir les maux qui te sont arrivés, je me serais bien gardée de te demander des livres. Je ne les ai point encore reçus, et t’en remercie. Je t’écris dans la même lettre qu’à ton fils pour aller à l’économie et je pense que vous ne faites qu’un. J’ai gardé pour toi les nouvelles de ta fille du Canada, dans le cas où tu n’en aurais pas ; elle est supérieure de sa maison, à son grand chagrin qui lui faisait perdre le sommeil et l’appétit. J’espère qu’elle sera remise de son étonnement, elle a gagné tous les cœurs. Elle a reçu dans sa maison la supérieure de Philadelphie, très malade, et à qui un changement d’air restait pour tout remède2. C’est une excellente personne qui peut l’aider à porter son fardeau. Je te prie d’envoyer la petite lettre ci-jointe à son adresse. Cette bonne cousine est toujours l’amie la plus affectionnée. Je venais de lui écrire quand j’ai reçu une de ses lettres qui demande une réponse, mais non des répétitions ; ainsi elle est courte. Quelqu’un qui revient d’Europe m’a dit qu’en s’embarquant à Anvers (ce doit être le même au Havre), on ne paie pour venir en Amérique que 300 F et sur terre, pour parvenir à la Louisiane ou au Missouri, moins de 100 F. J’ai oublié de dire à mon neveu qu’on parle français à la Louisiane plus que l’anglais.

1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 162-163. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. C’est probablement Caroline (ou Charlotte) Cauche, née en 1798, en France. En mars 1843, elle fut victime d’un accident pendant la construction des bâtiments : une lourde poutre de bois lui tomba sur la tête, provoquant de graves problèmes cérébraux. En août, elle fut remplacée comme supérieure par Adeline Boilvin et conduite à New York. Les registres différent ensuite sur sa destination : ou elle est décédée en 1845 à New York, ou (en tant que Charlotte Cauche) elle rentra en Europe et vécut, malade, à Jette (Belgique), jusqu’à sa mort en 1881. La maison dont parle Philippine est en fait McSherrystown (Pennsylvanie), située à environ 120 milles à l’ouest de Philadelphie, où la Société du Sacré-Cœur ne s’est installée qu’en 1846 dans la ville elle-même.

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Lettre 587

Adieu, chère Sœur, je partage bien vivement toutes tes sollicitudes. Mon cœur est plus en France qu’en Amérique, tant je suis préoccupée de ma famille chérie. Tout à toi avec une vive affection, Philippine Duchesne R. S. C.

LETTRE 587

L. 13 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Ce 18 octobre 18431 St Ant. Ma chère Mère, J’ai reçu hier votre lettre, et dès le même jour, j’ai commencé la neuvaine que vous me demandez et j’ai communié aujourd’hui à la même intention. J’ignorais absolument la maladie de la Mère Cauche et que vous l’eussiez remplacée. Je ne m’étonne pas de votre étonnement, et moins encore de votre affliction. Mais après tout, Dieu a voulu le coup qui vous frappe ; sa volonté s’est exprimée par l’ordre des supérieurs et l’urgence du besoin de remplacer ces pauvres Mères. Votre inclination se trouve contrariée et prouve que, de votre part, rien ne vous a portée à l’élévation où vous êtes, toute petite que vous soyez. Vous devez donc vous courber sous le joug de deux pesantes charges, celle de supérieure et de maîtresse de novices. Si l’humilité est toujours bonne, l’humilité généreuse l’est encore plus. L’obéissance ne vous destine pas à être un Alexis ou un Benoît Labre2, mais plutôt à imiter le courage de sainte [Jeanne] de Chantal et de sainte Thérèse [d’Avila], sans respect humain. La première n’a pas cru manquer à l’humilité en s’informant auprès de saint François de Sales s’il faisait l’oraison ; et la seconde en enseignait la méthode à son évêque et dirigeait des religieux et son frère, homme du grand monde ; et ce sont des saintes. J’espère que vous le serez aussi dans votre place, comme si vous faisiez les emplois les plus vils. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Ces deux saints ont vécu comme des mendiants.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Je prierai souvent pour vous et votre grande famille. Celle que vous avez quittée va toujours de même. Grand-Maman peut aller à l’église et paraît encore plus forte que Maria à qui je vais donner de vos nouvelles, en cas où vous ne l’ayez fait. Il paraît qu’elle se perfectionne dans les infirmités. Mère Thiéfry est contente à Sugar Creek et on est bien content de l’y avoir. Elle y a d’abord été bien malade, et c’est Sœur Louisa qui est maintenant la plus infirme. Les maladies ont cessé dans cette maison ; tout le monde peut venir à la récréation, ce qui n’était pas encore arrivé depuis que je suis ici. Le dérangement des affaires et l’établissement d’une école gratuite des Sœurs de la Charité, qui y admettent des enfants en état de payer, réduisent nos pensionnats à bien peu de choses. Elles ont 200 enfants, ce qui absorbe tout. Nos Sœurs à Saint-Louis n’ont guère que 28 élèves, autant d’orphelines et 50 externes gratuites. Ici aussi, 50 ou 60 externes et 9 élèves en ce moment, dont deux ne donnent rien, 1 fort peu, et 2 à demi-pension. Jugez de la gêne et de la croix. Cependant la Providence a toujours été là dans le besoin, après avoir éprouvé la foi. Je ne sais rien de la Louisiane que la grande diminution des élèves ; c’est de même au collège de Saint-Louis et je n’en doute pas, de celui du Grand Coteau. Le Père [Pierre] De Vos est allé aux Rocky Montagnes ; le Père De Smet est maître des novices à Saint-Ferdinand et le Père Verhaegen, qui n’est plus provincial, est curé à Saint-Charles à la grande satisfaction de nos Sœurs et de la paroisse. C’est le Père Van de Velde qui est provincial ; le Père [Georges] Carrell, président du collège ; le Père Gleizal, curé de la paroisse dédiée à saint Xavier. On dit que l’église est très belle ; il s’en bâtit une près de Mme Biddle, aux soins de Monsieur Hamilton pour les Irlandais, une pour les Allemands, et celle du séminaire de Monseigneur, desservie par les Lazaristes. La Mère provinciale [Élisabeth Galitzine] n’est point arrivée, on l’attend tous les jours. On m’écrit que Mère Bazire était au moment de revenir en Amérique quand, tout à coup, sa destination s’est changée. Elle est partie pour Léopold, autrement Lemberg, en Galicie dans l’empire d’Autriche avec Mère Delacroix, ancienne professe que je connais et qui a un grand mérite. L’établissement du Sacré-Cœur doit y être commencé. Les demoiselles Destrehan ont quitté le Sacré-Cœur, il y a plus d’un an. Les aînées, au moment où elles profitaient [de l’éducation], ont été mises dans une pension séculière et cet automne, ou fin de l’été, sont

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Lettre 588

allées avec leur cadette chez une tante dans la Louisiane. Priez bien pour elles. Priez pour moi qui suis toute vôtre in Corde Jesu. Ph. Duchesne r. S. C. Mes amitiés à Mère Murphy. Elle m’avait demandé des détails sur nos commencements ; je les lui ai envoyés1. Les a-t-elle reçus ? [Au verso :] À Madame Madame G. Boilvin McSherrystown

LETTRE 588

L. 2 À MARTIN LEPÈRE Rec. à St Antoine Ce 16 novembre [1843]2

Monsieur, Si vous voulez l’ornement violet, il est fini ; j’espère, dans 8 ou 10 jours, finir aussi les autres objets. Je suis fâchée que la teinture, qui a bien réussi pour le drap mortuaire, n’ait donné qu’une couleur de noyer à la chape. On l’a replongée trois fois avec aussi peu de succès. Je crois que l’étoffe était trop serrée. Veuillez faire prendre le tout dans (mot manquant) jours ou indiquer si on peut envoyer par le stage et à quelle adresse. Mes compliments à votre chère épouse et à Agnès. Je suis votre servante. Philippine Duchesne r. S. C. 1 2

Il s’agit du Sommaire des Fondations en Amérique. Copie, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

[Au verso :] À Monsieur Monsieur Martin Lepère Recommandé à M. Francis Lepère À Saint-Louis

LETTRE 589

L. 14 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, ce 6 janvier 18441 St Antoine de Padoue Ma chère Mère, Vous n’avez pris pour m’écrire que la moindre portion du papier et moi, je consacre la meilleure partie de cette feuille à vous répondre et il me semble que c’est encore peu pour ce que j’aurais à vous dire. D’abord, parlons de Grand-Maman : je sais par le Père Van Assche qu’elle va aussi bien que possible et se rend presque tous les jours à l’église. Maria est toujours faible, elle gardait le lit lors de la visite du bon Père qui est confesseur ici pour les Quatre-Temps. Vous savez déjà que le Père Verhaegen n’est plus provincial, c’est le Père Van de Velde ; le Père Verhaegen est ici, faisant l’office de curé ; nous craignons bien que ce ne soit pas pour longtemps. Le Père De Smet est maître des novices à Saint-Ferdinand, le Père Carrell président du collège, le Père Gleizal avec lui, curé dans leur belle église de SaintFrançois-Xavier. Vous savez aussi la grande perte qu’a faite notre Société dans la personne de la Rde Mère Galitzine. Mère Maria Lévêque, qui a été témoin de sa douloureuse maladie, en est inconsolable. Vous jugez aisément, par votre propre cœur, combien on est affligé dans le Missouri. Avant son départ, elle avait eu la fièvre à Saint-Louis, ce qui nous priva de sa visite. Elle fit appeler la Mère Hamilton et sur ce qu’elle apprit du petit nombre des enfants, sur les malades, elle nous frappa d’un seul coup, fit 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Charles, Jan. 9.

Lettre 589

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aller les élèves et plusieurs Sœurs à Saint-Louis, envoya à Saint-Ferdinand Mère Purcell, Sœurs Anne et Théotiste. Nous ne sommes restées que huit dans cette grande maison ; excepté Mère Hamilton, il n’y a que Sœur Couture qui parle français. En peu de jours, nous étions dans un désert, surtout vers les derrières de la maison ; l’école externe qui reste, étant sur le devant. On a proposé notre maison aux Dames de Kaskaskia qui veulent quitter la leur à cause des maladies. Elles l’ont refusée et vont prochainement s’établir à Saint-Louis, si elles n’y sont déjà1. Je conserve quelque espoir que notre Mère générale ne sanctionnera pas ces mesures si douloureuses, pour moi surtout qui ai tout vu commencer, pour peut-être devenir spectatrice d’une destruction. Je lui ai écrit avec le plus d’insistance que j’ai pu, pour renouveler cette maison et y admettre encore des élèves qui la soutiennent. Il n’y a encore aucun moyen de pris pour cela ; on comptait peut-être sur la Louisiane, mais l’argent y est aussi rare qu’ici, les pensionnats bien bas ; celui des Pères souffre beaucoup. Je vous en dis assez pour que vous sentiez la situation de mon faible cœur ; ne manquez pas de faire beaucoup prier pour notre résurrection et, si vous écrivez à notre Mère Barat, plaidez notre cause. Vous devriez aussi lui dire qu’on verrait généralement, au dehors et au dedans, avec plus de satisfaction, une provinciale de la même nation et même langue2. Vous avez bien connu Mère Hardey. Vous pourriez lui marquer votre opinion sur elle ; c’est sur elle aussi que je jetterais les yeux si j’avais à en parler. Tachez de porter votre fardeau. Dieu est bien bon de vous l’avoir adouci par le bon naturel de toute votre famille. Il y a maintenant à Saint-Louis 4 maisons des Sœurs de la Charité : 1°) l’hôpital, devenu plus beau que l’université ; 2°) la maison des orphelins ; 3°) une maison d’orphelines sous la protection de Mme Biddle et dans sa maison ; 4°) près des Pères et de leur église, une grande école gratuite de 200 jeunes filles, qu’ils dirigent. Et comme beaucoup vont là, qui ne sont point pauvres, cela diminuera beaucoup les élèves pour les pensionnats.

1

2

Les Visitandines de Georgetown avaient ouvert en 1833 une école à Kaskaskia (Illinois). Suite à de terribles inondations, elles furent obligées de fermer l’école ; elles déménagèrent en 1844 à Saint-Louis. De 1839 à 1851, des changements furent promulgués dans la Société du Sacré-Cœur de Jésus, parmi lesquels la création de provinces. En 1851, cette décision fut révoquée en faveur du retour à un gouvernement plus centralisé.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Redoublez d’instance auprès de saint Régis pour Saint-Charles et Saint-Ferdinand. J’attribue tous nos maux à la destruction de son autel, que je voudrais bien voir rétablir1. Les dernières nouvelles de Sugar Creek étaient bonnes. Adieu, ma bonne Mère, demandez pour moi une bonne mort. Je suis, in Corde Jesu, toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :]2 Madame G. Boilvin Superior of the house of the S. Heart McSherrystown Near Hanover Pa

LETTRE 590 L. À MÈRE MURPHY, ASSISTANTE À MCSHERRYSTOWN SS. C. J. M. 

6 janvier [1844]3 Ma chère Mère, Je n’ai reçu aucune de vos lettres depuis l’envoi de la relation que vous m’aviez demandée4 ; je craignais qu’elle ne vous fût pas parvenue. Je suis bien aise qu’elle vous ait fait plaisir ; vous m’en avez bien récompensée par l’intéressant détail de vos fêtes et la prospérité de votre 1

2 3 4

En arrivant en 1840 à Saint-Ferdinand, où Philippine n’était plus supérieure, la Mère Galitzine, visitatrice, ordonna de démonter l’autel de saint François Régis, érigé par Philippine selon le vœu qu’elle avait fait en 1817. L’adresse est écrite par Mère Régis Hamilton. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Il s’agit du Sommaire historique des fondations en Amérique, envoyé de Saint-Charles en août 1843.



Lettre 591

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maison. Faites prier vos pieuses élèves et Sœurs pour la nôtre. Mère Galitzine nous a réduites à huit personnes, sans pensionnaires ; et elle est morte sans avoir pourvu à des moyens d’existence. Plus vous vous plaisez dans votre douce retraite, plus vous devez compatir à la nôtre sur laquelle il est permis de pleurer et de répéter, avec Jérémie sur Jérusalem : « Les voix de Sion pleurent1. » Ne négligez aucun moyen de nous rendre Dieu favorable ; et comme Jésus a promis de ne rien refuser à ceux qui l’invoquent par son admirable nom, mettez-le toujours en avant dans vos prières pour nous. Puis Marie, en lui disant avec force le Memorare. Si cette épreuve dure longtemps, on doit se consumer, demandez que je meure avant ; je ne me sens pas la force de supporter une telle affliction. Il faut avoir éprouvé ce que j’ai éprouvé, voir ce que j’ai vu, pour en comprendre l’amertume. C’est assez parler de douleurs : la résignation doit trouver sa place ; demandez-la aussi pour moi. Toute à vous in Corde Jesu. Philippine Duchesne religieuse du S. C. Mère Ignace est à Saint-Louis, Mères Duffy et Sade ici avec Sœur Barnwel et Mère Donald.

LETTRE 591

L. 3 À M. LEPÈRE Ce 13 mars [1843]2

Monsieur, Il y a trois mois que j’ai fini ce que je pouvais faire de vos ornements. Je n’ai rien dépensé et suis trop heureuse d’avoir travaillé pour une église. J’ai honte de recevoir un présent pour un travail si mal fait. 1 2

Lm 1, 4. Copie, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

N’ayant pas eu de réponse à la lettre que je vous ai écrite, j’ai remis le paquet il y a trois jours à la supérieure de la maison du Sacré-Cœur, avec prière de le remettre au Docteur Henri au collège des Jésuites. J’y ai joint une lettre pour le prier de le faire tenir, le Père Coligny m’ayant dit que vous le voyez souvent. Je suis votre dévouée servante. Philippine Duchesne Mes amitiés à Mme Lepère. [Au verso :] À Monsieur Henri Au Collège des Jésuites pour Monsieur Lepère Saint-Louis

LETTRE 592

L. 2 À MÈRE DE CHARBONNEL

SS. C. J. M.

St Antoine1 [9 avril 1844] Ma bien digne Mère, Je viens de recevoir votre lettre du 30 décembre. J’en avais besoin pour me rassurer sur votre amitié, car vous ayant écrit de Sugar Creek, quand j’étais dans cette mission, avec un grand désir d’avoir une réponse, je n’en ai jamais eue depuis deux ans qu’elle avait été écrite ; ce qui me faisait craindre d’y avoir mis quelque chose que vous n’approuviez pas. Il y aura en juillet deux ans que notre Mère générale me fixa à SaintCharles, maison solitaire, petite, régulière, et je pensais comme à Sugar 1

Original autographe C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 592



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Creek y passer mes derniers jours, quand l’arrivée de Mère Galitzine renversa notre établissement. Il était pauvre par la chute du papier monnaie, presque seul en usage dans ce pays ; ce qui, appauvrissant les familles, les mettait hors d’état de payer des pensions. Toutes nos maisons ont souffert de ce dérangement dans les affaires, aussi bien dans la Louisiane qu’ici dans l’État du Missouri. Saint-Michel, qui a eu plus de 200 élèves, en a environ 40 cette année. Mère Galitzine, qui avait envoyé ici plus de sujets que la maison n’en pouvait supporter, les a retirées, placées ailleurs, ne laissant ici que 8 religieuses dont 3 Sœurs et la classe externe. Les pensionnaires ont été envoyées à Saint-Louis et on nous donne leur pension ; cela ne peut suffire car elles étaient peu, et il faut toujours payer un domestique et entretenir la maison. Mère Galitzine m’écrivit qu’elle avait fait part à notre Mère générale de ces changements et qu’au printemps, notre sort serait décidé. Sachant qu’on avait proposé notre maison aux Dames de la Visitation de ce diocèse, je ne doutai plus de notre ruine et j’en fus affligée au dernier point, non seulement pour nous, mais pour des enfants qui iraient de suite s’instruire chez les protestants, notre pensionnat étant le seul catholique au Nord du Missouri. Je demandai à notre évêque de nous soutenir auprès de notre Mère générale ; il me répondit « que Mère Galitzine ne l’avait point consulté, mais dit seulement ce qu’elle allait faire ; qu’il ne se mêlait point des religieuses qui ne dépendaient pas de lui. » J’ai écrit directement deux fois à notre Rde Mère générale. Elle vient de répondre par Mère Cahier et ne décide rien. Daignez, bien digne Mère, ajouter aux motifs de nous conserver, que je lui ai énoncés, ainsi qu’ à ma supérieure, que la maison de Saint-Ferdinand, celle de Sugar Creek ont autant besoin d’être aidées que celle de Saint-Louis ; que celle de Saint-Louis a des dettes et pas de logement pour les personnes vieilles et incapables comme moi, pour les infirmes qui ne seraient que des charges, sans y contribuer à aucun bien. Sœur Couture, que vous nous avez envoyée de Bordeaux et qui est la seule Française qui soit restée ici, m’a souvent parlé de vous, de la magnificence des établissements en France et de leur abondance. Si on en tirait un an ou deux quelque secours, en attendant le retour des pensionnaires qu’on nous permettrait de reprendre, je ne doute pas de notre résurrection. Mais si notre existence dépend d’une autre maison, il y aura tous les jours des voix de destruction. Si on calculait la peine qu’il y a eu pour s’établir ici, on ne concevrait pas que maintenant qu’on

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

a bâti, que tout est en rapport, on puisse penser à nous détruire. Les autres Sociétés en profiteraient du soir au lendemain et jusqu’à nos Pères [jésuites] y donneraient la main. Après la mort de Mère Galitzine, je voulais déterminer à reprendre les élèves qu’on offrait, mais notre Mère [Régis Hamilton] a craint d’aller contre l’obéissance. Je prie beaucoup pour le retour de votre vue, si nécessaire encore à notre vénérée Mère et à toute sa grande famille, et suis in Corde Jesu Mariae, votre bien dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. Saint-Charles, État du Missouri, ce 9 avril 1844 N.B. J’ai oublié de vous dire que les affaires vont mieux dans l’État de la Louisiane et dans celui-ci par l’augmentation du prix du sucre et du coton. Les pensionnaires recommencent à venir. Daignez nous écrire s’il nous est permis d’en reprendre, il y en a qui attendent. Mes humbles respects à notre vénérée Mère. [Au verso :] À Madame Madame de Charbonnel Assistante générale des maisons du Sacré-Cœur À Conflans Banlieue de Paris France

Lettre 593

LETTRE 593



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L. 15 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, ce 11 mai 18441 St Ant. Ma chère Mère, J’ai reçu votre lettre du 16 avril ; elle nous a fait d’autant plus de plaisir que vous nous y donniez des nouvelles du R. Père Verhaegen. Quand vous le reverrez, parlez-lui de notre gratitude pour ses bienfaits. La Rde Mère Cutts a été ici la semaine passée, conduisant avec elle votre chère tante Joséphine Saint-Cyr qu’elle nous a donnée pour supérieure. Mère Hamilton n’est plus que son assistante. Elle est retournée hier à Saint-Louis, d’où elle doit partir au 1er jour avec le Père Van de Velde pour leur visite à Sugar Creek d’où, probablement, elle ramènera Sœur Xavier et une autre. Saint-Ferdinand languit toujours ; notre maison n’a que 8 élèves et 20 demi-pensionnaires à une gourde par mois. Cela ne suffit pas encore pour une maison d’infirmes, le paiement du domestique, les réparations, etc. Saint-Louis doit beaucoup à notre Mère générale qui a grand besoin qu’on lui rende ce qu’elle a prêté. Il y a, à Saint-Louis, 50 élèves, c’est beaucoup ; avec la quantité de pensions séculières, avec deux maisons de la Visitation dans la même ville et avec l’école gratuite des Sœurs de la Charité qui ont 300 enfants dont beaucoup ne sont pas pauvres, mais préfèrent ne rien donner pour leur éducation. Voilà qui rendra difficile la formation des deux pensionnats, d’ici et Florissant. Il y a plus d’espoir pour ici, mais Mère McKay est si timide qu’elle n’osera se décider sans le secours d’une personne qui paraisse au salon. Je n’avais point donné de commission pour les messes à La Louvesc, avant votre réponse. Depuis que je l’ai, j’en ai parlé avec le Père Gleizal qui m’a dit qu’il ne connaissait plus personne au tombeau du saint et ne pouvait se charger d’écrire. Je le fais moi-même à ma sœur, à Lyon qui, par une de mes nièces chez Mère Geoffroy, ou une autre à la Visitation 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Charles MO, May 13.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

de Romans, pourra trouver des occasions fréquentes par les pèlerins qui se rendent chaque année à La Louvesc. Mais j’ignore le nombre de messes promises ; écrivez à la place où j’ai mis (nombre des messes), puis vous cachèterez la lettre, l’affranchirez et si vous le trouvez mieux, y ajouterez une autre petite feuille. Il me semble qu’elle peut partir comme elle est. Toute à vous in Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. Notre bonne Mère Saint-Cyr me charge de vous dire mille choses de sa part. Si par distraction, elle cachetait la lettre à ma sœur, introduisez un petit mot avec un cachet dans la lettre. [Au verso :] À Madame Madame Boilvin Maison du Sacré-Cœur A McSherrystown Pennsylvanie

LETTRE 594

L. 74 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 11 mai [1844 ou 1845]1 St Antoine de P. Ma bien chère Sœur, J’ai reçu il y a peu de jours ta lettre du 18 février ; la poste a été bien infidèle, car maintenant on reçoit souvent les lettres d’Europe après 6 semaines de leurs dates. Je n’ai jamais été aussi longtemps que tu m’accuses sans te donner de mes nouvelles. C’est bien long d’attendre 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 163-166. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 594



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un an sans écrire à mon unique sœur. Il y a là encore quelque défaut de la poste. J’ai bien lu ta lettre, quoique tu te plaignes de ta vue. La mienne avait aussi perdu, elle a regagné au point que je n’ai point besoin de lunettes, lis les caractères fins et enfile très bien mes aiguilles. J’en remercie Dieu, car le travail des mains est une grande ressource dans un âge avancé. Notre hiver a été très doux, je n’y ai pas souffert comme l’année passée de mal de jambes ; j’en ai été quitte pour un mal de main, pendant trois mois, mais qui me permettait le travail ordinaire. Je suis depuis le 29 août dans ma 76e année et je désire et redoute ma fin, car j’ai bien peu amassé ; la vieillesse n’est pas le temps de la ferveur. Aujourd’hui, fête de la Pentecôte, est le jour de ma 1ère communion. Il eût été heureux pour moi de mourir alors, je le pensais tristement, mais Dieu l’a voulu autrement. Certainement, je n’oublie ni toi, ni ta famille dans mes prières journalières ; je te remercie de m’en donner des nouvelles, surtout de Constance dont je n’apprenais plus rien. Depuis que la Société s’est beaucoup étendue, nous avons bien moins de lettres. Les Mères et Sœurs que j’ai connues sont presque toutes ou mortes, ou infirmes. Je bénis Dieu de la santé qu’il a rendue à Mme Teisseire ; j’étais bien occupée de sa triste situation et de l’extrême sensibilité de Mme de Rollin qui devait souffrir beaucoup de la maladie de sa bonne sœur. Je ne sais pas si elle a reçu ma dernière lettre qui était assez courte. La situation de nos maisons ne permet pas de fréquentes correspondances, les ports étant bien plus chers qu’en France. On parle de les diminuer quand on n’usera plus du papier-monnaie. Donneleur, je te prie, de mes nouvelles, lui faisant, ainsi qu’ à sa sœur, les plus affectueuses amitiés. N’oublie pas mon frère et sa femme, mes beaux-frères et leurs familles ; je ne puis que prier pour eux et le fais chaque jour. J’ai une grâce à te demander : c’est 1°) de faire dire à Fourvière une messe pour moi ; 2°) d’acquitter à La Louvesc le nombre de messes promises pour acquitter un vœu que j’ai conseillé à la supérieure de notre maison, près de Philadelphie. Elle a été affligée de maladies et a eu beaucoup à craindre au moment où un parti protestant a brûlé plusieurs églises, leurs presbytères et écoles, et fait fuir les Sœurs de la Charité. Notre maison de Saint-Louis a aussi été menacée ; heureusement, le maire leur a fourni des sentinelles, et pendant plusieurs semaines 8 ou 10 des amis de la maison couchaient la nuit dans le parloir pour les défendre en cas d’attaque ; tout s’est calmé.

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Tu sens par ces deux traits combien nous avons besoin d’un protecteur tel que saint François Régis. Quand j’ai été à son tombeau, les messes étaient fixées à 20 sols. Je ne me rappelle pas le nombre de messes promises ; il sera mis ci-dessous (nombre de messes). Si tu n’as pas de moyens directs pour La Louvesc, lieu de son tombeau, Caroline chez Mère Geoffroy ou Eugénie à la Visitation à Romans pourraient trouver des occasions1. Rappelle-moi à leur souvenir. Adieu, bonne et chère Sœur. Philippine Duchesne r. S. C.

LETTRE 595

L. 16 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, 9 juin 18442 Rec. à St Antoine Ma bien chère Mère, J’ai reçu votre lettre du 20 mai. Quelque sacrifice que fut pour moi la privation de vos nouvelles, j’en comprenais la juste raison et n’ai jamais mal interprété votre silence. J’ai prié pour vous et continuerai de le faire, dans un doux souvenir des années que nous avons passées ensemble à Florissant. Les troubles qui ont eu lieu à Philadelphie et qu’on nous dit s’être renouvelés, m’engagent à vous prier de ne pas nous laisser trop longtemps sans quelques détails sur votre situation. Une de vos filles vous suppléera volontiers et je serais fâchée d’accroître vos occupations dont je sens toute l’importance et la multitude.

1 2

Caroline Lebrument (1799-1854) est Religieuse du Sacré-Cœur à Lyon. Eugénie Lebrument (1802-1857) est Visitandine à Romans. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Charles, Jun. 11.

Lettre 595



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Je prends ma part sincère et à vos grandes consolations et aux épreuves qui les accompagnent et qui vous fournissent encore tant de motifs de bénir le bon maître, puisque celles qu’il vous enlève meurent de la mort des saints, et qu’ayant obtenu leur récompense, elles ne manqueront pas d’agir auprès de Dieu pour vous attirer ses bienfaits. Vous comprenez l’intérêt particulier que je mets à la conservation de Mère Murphy1. Je suis étonnée que vous n’ayez pas pour cela fait un vœu à saint Régis et s’il en était encore temps, tâchez par son intercession d’obtenir du médecin céleste ce qui est hors du pouvoir des médecins de la terre. Vous pourriez vouer 2 ou 3 messes qui se diraient à La Louvesc. Le voisinage de nos sœurs d’Annonay, près du sanctuaire où Dieu se plaît encore chaque jour à honorer son serviteur, faciliterait l’accomplissement du vœu. Certainement, elles se feraient un plaisir de faire la légère offrande, qui est bien modique. On a reçu aujourd’hui la circulaire de notre Sœur Washen. Toutes prieront pour elle et Mère Hamilton surtout qui ne vous oublie point. Comme moi, elle s’intéresse vivement à tout ce qui vous regarde. Quand je vous écrivis la dernière fois, je vous faisais espérer que votre grand-maman prolongerait ses jours ; mais bientôt après, elle a terminé en sainte sa longue carrière, assistée du Père Van Assche qui plaignait bien la pauvre Maria. Je sais qu’elle vous écrit et que par elle, vous avez des nouvelles de votre famille plus exactes que celles que je pourrais vous donner. Vous savez peut-être que notre Mère générale, sur la demande de Mère Hamilton, a permis que cette pauvre maison de Saint-Charles, qui a été si éprouvée depuis octobre, reprennent des élèves. Ce qui a fait plaisir au dehors et au dedans. 5 de nos Sœurs sont revenues de Saint-Louis, mais il n’y a encore que 21 pensionnaires et demain, 8 demi-pensionnaires ; l’école externe avait subsisté au nombre d’environ 50. Mère Purcell se porte mieux à Florissant, mais Sœur Burk est presque toujours malade à Saint-Louis2, où il y a 54 élèves, 28 orphelines. Mères Gray et Prud’hon ont repris de la santé. Un Monsieur qui revient de Sugar Creek dit que toutes nos Sœurs vont bien. Mère Cutts doit venir dans le courant de ce mois. On l’attend avec impatience, ainsi que nos Mères Bathilde et Hardey. Vous êtes, comme 1 2

Xavier Murphy est décédée le 3 juillet 1844, un mois après cette lettre. Catherine Burk, née en 1820 aux Barrens (Missouri), est entrée en 1939 à Saint-Louis. Elle a quitté la Société du Sacré-Cœur en 1847, à Saint-Michel.

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cette dernière, fille chérie de Mère Eugénie [Audé], et il semble que toutes deux, vous êtes appelées à courir dans une carrière semblable à la sienne et qu’elle a si bien parcourue. On nous dit que Mère [Louise] Dumont remplacera Mère Bathilde et qu’elle conduit avec elles Mères Dutour, Short et une 3e. Nous apprenons aussi que Mlle Lucien Bonaparte, après avoir fait briller le pensionnat de Rome, est entrée au noviciat. Madame [Cornelia] Connelly qui a été longtemps maîtresse de musique à Grand-Coteau, y est postulante, et son mari, novice chez les Jésuites. Leurs collèges de la Louisiane et de Saint-Louis, après avoir beaucoup diminué, commencent à reprendre, ainsi que Saint-Michel et les Opelousas. À Saint-Louis, le collège a plus de 400 écoliers gratuits et les Sœurs de la Charité, 300. Le Père Gleizal a soin de la paroisse avec le Père Aelen ; ils ont eu à la première communion 300 enfants et comptent en réunir 1 000 pour fêter saint Louis de Gonzague. Si la chère Mère Murphy vit encore, exprimez-lui mes tendres sentiments. Je voudrais mourir [à sa place] pour la conserver. Elle faisait plus de bien que moi. Toutes nos Sœurs et surtout Mère Hamilton ont appris de vos nouvelles avec le plus grand intérêt et vous offrent leurs affectueux compliments et moi à toutes vos chères filles et élèves, et suis pour la Mère, dans le Sacré Cœur, toute à elle. Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Boilvin Maison du Sacré-Cœur À McSherrystown

Lettre 596

LETTRE 596



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L. 15 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 25 juillet 1844 St Antoine1 Monsieur et digne Père, Votre dernière lettre devrait mettre obstacle à une requête qu’on me charge de vous présenter ; je m’en suis défendue, alléguant les bonnes raisons que vous m’exprimiez, mais on a répliqué que s’agissant d’une église que vous avez fait bâtir, vous seriez plus incliné à contribuer à sa conservation. Il est question de l’église de Saint-Ferdinand dont la voûte menace ruine. Le Père Van Assche, qui est chargé de cette paroisse, n’a pas les moyens d’en faire les dépenses et m’a fait presser de vous solliciter pour lui obtenir quelque secours. Je vous en prie avec lui, voyant sa grande nécessité, car il n’a pu même jusqu’à présent se faire un logement convenable ; il n’est que commencé. Mme Saint-Cyr, qui était venue s’établir près de l’église, est morte en prédestinée. Son fils était marié et Adeline [Boilvin], sa petite fille, est maintenant supérieure d’une de nos maisons près Philadelphie. Je suis toujours à Saint-Charles où nous avons pour curé le R. Père Verhaegen, mais nous ne le posséderons pas longtemps. Il est question de le charger du collège de Cincinnati. C’est le R. Père Van de Velde qui est provincial2 ; le Père De Smet, en résidence à l’ancienne habitation de Mgr Dubourg, y est maître des novices. Le R. Père Elet3 se destine aux missions sauvages dont je n’ai actuellement aucune nouvelle, sinon celle des Pottowatomis où sont nos sœurs qui y ont pour supérieure Mère Thiéfry. Le R. Père Van de Velde vient de s’y rencontrer avec le 1 2

3

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : « Madame Duchesne sup., 1844, N° 9 ». Jean-Olivier Van de Velde (1795-1855), SJ, Belge, arrivé en Amérique en 1817, entra dans la Compagnie de Jésus à Georgetown, fut ordonné prêtre en 1827. Il enseigna à l’Université de Saint-Louis, dont il fut président en 1840. Il fut ensuite supérieur de la vice-province du Missouri (1843-1848), puis évêque de Chicago (1849-1853) et du Natchez (1853-1855). Jean-Antoine Elet (1802-1851), SJ, Belge, arriva en 1821 en Amérique, et au Missouri en 1823. Novice à Florissant, ordonné en 1827, il fut président de l’Université de Saint-Louis en 1836, supérieur de la vice-province du Missouri en 1848. Il est décédé à Florissant, trois ans plus tard. Contrairement à ce que dit Philippine, il n’a jamais pu réaliser son désir d’être missionnaire auprès des Indiens.

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Surintendant des Affaires des Sauvages, qui a été étonné du changement opéré dans cette nation et a dit que les Pères avaient plus réussi avec eux que tous les méthodistes qui fourmillent partout depuis qu’ils se disent missionnaires ; et cela, en trois ans. Il dit, de plus, qu’il fallait des catholiques pour civiliser les Sauvages. Les faits le prouvent par le succès qu’on obtient dans l’Indiana, les Rocky, et dans le diocèse de Dubuque, au nord du nôtre. L’évêque des Illinois y est arrivé ; on en fait un grand éloge. Je suis avec un profond respect, Monsieur et bon Père, votre dévouée servante. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix chanoine de la cathédrale Rue aux Marjolaines, N° 34 À Gand En Flandre Way of New York

LETTRE 597

L. 17 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M.

Ce 15 septembre 18441 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien chère Mère, Depuis que j’ai su les coups successifs qui ont éprouvé votre résignation, je me suis continuellement occupée de vous auprès de Dieu, lui demandant d’être votre force et de faire tourner au bonheur de votre maison de si grands sacrifices. Déjà le baume délicieux, découlant des 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 597



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vertus de vos filles sur votre cœur affligé, a dû le raffermir et vous montrer leur félicité comme surpassant de beaucoup la peine de leur séparation. Il me semble de plus que le zèle, la ferveur de notre Sœur Murphy surtout, vont revivre dans toutes celles qui ont pu les admirer, et en faire l’objet de leur imitation. Il me semble qu’une douce paix aura succédé aux orages et que tout réussit pour la plus grande gloire du Sacré Cœur dans votre paisible retraite. Nous attendons tous les jours les Mères Cutts et Bathilde qui, à cause du débordement du Missouri, n’ont pu aller à Sugar Creek. Elles sont descendues en Louisiane pour y faire leur visite avant la nôtre. J’ai seulement su qu’on reprendrait les anciennes Constitutions ; et notre maison et celle de Florissant pourront avoir des élèves. Mais Dieu fait succéder les épreuves pour que tout se fasse lentement. Après une inondation qui n’avait pas eu sa semblable, et qui a ruiné le pays, des maladies ont succédé, durent encore et réduisent les familles qui avaient déjà perdu maison, meubles, bestiaux, récolte, à la plus affreuse misère ; et personne ici d’assez fortuné pour faire de grandes aumônes. Il s’en fait beaucoup à Saint-Louis : il y a des particuliers peu riches qui ont recueilli jusqu’à 7 familles malades venant des Illinois, lors de l’inondation, et voulaient pourvoir à tous leurs besoins pendant six mois. Votre oncle a perdu son enfant. Maria a été extrêmement affligée et est tombée plus malade. Votre cousin, M. Johnson, a mis ici ses deux filles âgées de 6 et 8 ans. Ce sont deux petites prédestinées1, dignes enfants d’un père des plus pieux et d’une mère dont la sainte mort a embaumé le Père Gleizal. Les jeunes cousines de ces enfants viennent à l’école externe qui va bien, mais est diminuée en ce moment par les maladies. Le Père Gleizal réside à Saint-Louis et y fait beaucoup de bien ; il est chargé de nos dames pour l’extraordinaire, des élèves et orphelines. Je ne conçois pas comment ma lettre a pu aller à Sugar Creek, à moins que le cachet l’ait attachée extérieurement à une autre pour cette mission, où il va y avoir quelque changement. Les Osages ont demandé au Président des États-Unis une mission de Jésuites chez eux. Elle a été accordée ; on attend une réponse du Supérieur général pour commencer. Adieu, bonne et chère Mère. Personne ne prendra plus de part que moi à tout ce qui vous touche. Je suis in Corde Jesu toute à vous. Ph. Duchesne r. S. C. 1

Ajouté dans la marge : « qui ont très mal tourné ».

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LETTRE 598

L. 2 À MÈRE BAZIRE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 24 octobre 1844 St Antoine1 Ma chère Mère, Je viens vous remercier, ainsi que Mère Boilvin, de vos intéressantes lettres qui ont charmé ma solitude. Je me réjouis beaucoup des progrès de votre établissement ; ceux d’Angleterre et d’Irlande m’intéressent aussi particulièrement ainsi que celui de Notre-Dame de Fourvière à Lyon, que nous ne connaissions pas avant les deux catalogues qui donnent les noms et les circulaires des maisons. La Louisiane après avoir prospéré, et le Missouri en végétant toujours, semblent destinés à travailler dans la souffrance. Mère Thiéfry et Mère Gray en ont leur compte et ici on ne peut être plus gêné. On dit que le dérangement des affaires durera encore deux ans et demi. Je ne comprends pas ce calcul, mais je comprends très bien combien il est amer de ne pouvoir contribuer à tant de bonnes œuvres. Je crois qu’on est moins à la gêne à Sugar Creek qu’ici ; mais quel bien immense résulterait pour la religion si on pouvait aider la mission au-delà des Rocky Montagnes ! Plus on avance vers l’Océan, plus on trouve de facilité. Le Père De Smet écrit qu’ils ont baptisé 1 200 Indiens et qu’il y aurait de l’ouvrage pour 20 prêtres et 20 Frères si on les avait. Que de frais pour de tels établissements ; c’est en les considérant qu’on est tenté d’être riche. La sœur de Mère Boilvin est mieux ; elle a été soignée par Mère Tison et Mlle Céleste Frémont. Monseigneur, notre évêque, est venu donner la confirmation, il y a quinze jours. Il a posé, dimanche passé, la 1ère pierre de l’église de Saint-Patrick à Saint-Louis, sur un terrain donné par Mme Biddle ; c’est un mauvais temps pour bâtir. L’église du collège n’est point finie et celle de la basse ville, où Mgr Rosati a posé la 1ère pierre, n’est pas commencée. J’ai encore l’indiscrétion d’enfermer ici deux lettres pour éviter deux ports. Je vous prie de les mettre à la poste. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.



Lettre 598

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Mes respects à Mère Bathilde que je voudrais bien connaître. Je suis, dans le Cœur de Jésus, votre dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. P.S. : Connaît-on à New York la Confrérie du Saint-Cœur de Marie pour la conversion des pêcheurs1 ? Le Saint-Père Grégoire XVI, par un bref, y attache bien des indulgences et elle produit des conversions prodigieuses. Vous feriez bien de contribuer à l’établir à New York. Le livre de l’archiconfrérie, chef-lieu à Notre-Dame-des-Victoires, est des plus intéressants, écrit en 1839. Trois ans et trois jours après l’établissement de l’archiconfrérie, on y comptait déjà plus de 200 000 âmes ; 46 évêques de France y ont leurs noms et l’ont établie dans leur diocèse ; il y avait alors plus de 200 confréries et jusqu’en Suède, en Suisse, en Angleterre, en Amérique. [Au verso :] À Madame Julie Bazire Religieuse du Sacré-Cœur Houston Street 412 New York

1

La Confrérie du Saint-Cœur de Marie a été établie en décembre 1836 par le P. Charles Desgenettes (1778-1860), curé de Notre-Dame des Victoires à Paris, dans le but d’obtenir la conversion des pécheurs par la protection et les prières de la Vierge Marie. Au cours du xixe siècle, s’y sont affiliées 14 000 communautés laïques ou religieuses de tous les continents.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 599

L. 2 À MADAME TIGHE

SS. C. J. M.

Ce 8 novembre 1844 Rec. à St Antoine1 Madame et chère amie, Il me tardait d’avoir une occasion pour vous renouveler mes remerciements. Malgré une fièvre qui m’a tenue quelques jours, j’ai pu finir pour la fête de l’Immaculée Conception la chape dont vous m’avez donné le moyen de la terminer. Notre Mère Hamilton en a été aussi reconnaissante que moi, et elle a engagé toutes nos sœurs à faire pour vous une communion, laissant ainsi à notre bon Maître le soin de nous acquitter envers vous ; ce que nous n’aurions pu faire de nous-mêmes. Je joins à ma lettre un petit souvenir pour vous et nos deux chères et anciennes pensionnaires, à qui j’offre des images ainsi qu’à vous. Le crucifix est aussi pour vous. Je prie Monsieur Tighe d’agréer mes remerciements pour le temps que je lui ai fait perdre. Lui, vous et tout ce qui vous appartient seront souvent l’objet de mes vœux et de mes prières auprès de Dieu. Je suis dans les Cœurs de Jésus et de Marie, votre toute dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Tighe À Saint-Louis

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 600

LETTRE 600

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L. 18 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, ce 17 décembre 18441 Rec. à St Antoine de P. Ma bien chère Mère, J’ai reçu à Saint-Charles la lettre que vous m’avez adressée à SaintLouis. Comment avez-vous deviné que j’y ai été ? Je fus fort étonnée un jour, que Mère Gray vint me chercher pour refaire mon testament. Elle avait eu quelques troubles par rapport à la donation que nous avait faite M. Mullanphy de la maison qu’elle occupe, et l’avocat consulté décida qu’il fallait que je fisse mon testament légalement, en approuvant des changements faits depuis ma sortie. Cette petite affaire n’a été conclue qu’après 3 semaines, où les Mères Aloysia [Jacquet] et [Louise] Prud’hon m’accompagnèrent jusqu’ici. Nous couchâmes à Saint-Ferdinand que je n’avais pas vu depuis que nous nous y séparâmes. Faites prier pour que cette sainte maison se remette. C’est le vœu surtout des Pères Van Assche et Gleizal. Ce dernier dit qu’il connaît au confessionnal les jeunes personnes qui ont été élevées chez nous par la bonne méthode qu’elles gardent pour le sacrement. La gloire vous en est plus due qu’à moi, vous faisiez l’instruction. Veillez donc qu’elle soit aussi bonne où vous êtes. Je suis bien contente que vous ayez vu Mère Bathilde. Elle n’a point donné de ses nouvelles ici. Je prends bien part aux peines de Monseigneur votre évêque ; son frère, qui est notre 1er pasteur, a sa santé en bien mauvais état2. Il vient de partir pour La Nouvelle-Orléans avec Monsieur Timon et probablement, y passera l’hiver. Il est chéri et respecté à Saint-Louis, même par les protestants. Je crois qu’il s’est trop fatigué par la prédication et la mortification, malgré les avis de Monsieur Cellini qui est chanoine à la cathédrale. Monsieur De Smet demeure aussi à Saint-Louis chez M. Soulard. Monsieur Cellini a fait à Saint-Louis des guérisons remarquables. Vous savez sans doute que le Père Gleizal y exerce le saint 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Francis Patrick Kenrick (1796-1863), a été archevêque de Philadelphie (1842-1851) puis de Baltimore (1851-1863). Il est le frère aîné de Peter Richard Kenrick, alors évêque de Saint Louis en remplacement de Mgr Rosati.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

ministère avec succès et a établi dans l’église de Saint-Xavier, dont il est vicaire, la confrérie de Notre-Dame des Victoires, qui obtient tant de conversions. Les Dames de la Visitation ont à Saint-Louis deux établissements, car celles qui étaient restées à Kaskaskia l’ont aussi quitté au moment de l’inondation et n’y retourneront pas. M. Ménard, leur protecteur, est mort. Elles sont invitées à aller dans une autre ville de l’Illinois et il est probable qu’elles iront. Les Sœurs de la Charité ont 4 maisons : l’hôpital, les orphelins, des orphelines et une école gratuite près du collège de 350 enfants ; celle des Pères pour les garçons est de 500, celle de Monsieur Fisher pour les Allemands, de 500 aussi. Ce bon prêtre exerce le saint ministère dans l’église bâtie pour eux, qui est dédiée à Sainte Marie. L’église de la Trinité pour le Séminaire s’ouvrira pour Noël. Ce sont les Messieurs du séminaire qui disent la messe chez nos Sœurs et confessent les enfants dont le nombre est médiocre, vu tant d’établissements en écoles privées. Les trois demoiselles Destrehan ont été mises chez la femme du docteur qui me soignait quand vous partîtes ; celles de la famille Mullanphy vont à la Visitation. Croyez-vous qu’on voulait leur faire avoir notre maison de Saint-Ferdinand et que Mère Galitzine leur avait fait offrir celle de Saint-Charles ? Elles étaient à saint Régis ; il les a conservées, je puis dire, par miracle. Les réflexions sont ici inutiles. Je tombe comme malgré moi sur saint Régis par lequel je voulais commencer ma lettre, mais je voulais aussi vous apprendre tout ce que Dieu a fait pour Saint-Louis. Confiez-vous en ce grand, cet humble protecteur. C’est lorsqu’on est le plus rabaissé, le plus foulé par les épreuves qu’on éprouve ses secours bienfaisants. Qu’étais-je pour obtenir de Napoléon le couvent qui avait fait les délices de ma jeunesse ? Qu’étais-je encore pour avoir enfin obtenu par de longues sollicitations de venir en Amérique ? C’est saint Régis qui a tout fait. Dans le désir extrême de retrouver mon saint état, je fis vœu de lui consacrer notre maison si je l’obtenais dans le courant de l’année ; j’y fus au bout de six mois. Quand les personnes qui agissaient pour moi auprès du gouvernement sollicitaient, on les recevait à merveille et on leur disait « que la chose irait d’elle-même ». Le doigt de saint Régis était là. Je fis encore le vœu de consacrer notre maison en Amérique si j’y allais alors, avec la permission de notre Mère générale ; et le bon Dieu conduisit Mgr Dubourg à Bordeaux où le Père Barat, qui me soutenait beaucoup, m’offrit à lui. Il vint ensuite à Paris où on m’avait fait aller et il fut conclu que nous aurions un établissement dans son diocèse.

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Lettre 600

Plusieurs évêques blâmèrent notre Mère générale, mais elle tint ferme. Notre Supérieur [ecclésiastique, le Père Perreau] écrivit à trois cardinaux qu’il avait connus pendant leur captivité en France ; tous trois parlèrent au pape Pie VII de notre départ pour une mission étrangère. Il en fut très satisfait et envoya sa bénédiction pour nous et pour toutes celles qui s’uniraient à nous. La Mère [Bigeu] qui alla à Rome pour notre approbation m’écrivit, quand elle fut obtenue, que notre établissement en Amérique avait été une considération qui avait fait pencher la balance en notre faveur. Les papes Léon XII et Grégoire XVI nous ont aussi spécialement envoyé leur bénédiction. Je ne puis pas vous dire ce que j’éprouvais de consolation quand notre Supérieur me fit parvenir la copie des réponses des trois cardinaux. Pouvais-je être plus assurée en ce monde que j’étais là où Dieu me voulait ? Faites donc un vœu, car il donne force aux prières, et promettez des messes au tombeau de saint Régis. C’est là où Dieu se plaît à le glorifier, mais tâchez, dans ce que vous promettrez, que d’autres que vous ne soient pas chargées de l’accomplissement. J’ai eu des chagrins à ce sujet. Par exemple, si au bout de six mois ou un an, personne chez vous ne meurt de la poitrine ou de la consomption, vous ferez faire une neuvaine de messes chez vous et en enverrez à La Louvesc. Je m’informerai [auprès] du Père Gleizal d’une adresse pour les demander ; on n’y prend que 20 sols, mais comment les envoyer ? C’est le difficile. Les billets sont là sans valeur. Avant six mois, je vous dirai la réponse du Père Gleizal. J’en ai fait dire souvent par le moyen d’amis, mais ils meurent. Je ne sais plus à qui m’adresser. La dernière fois, cela a été à la supérieure de notre maison d’Annonay, mais je n’osais jamais en demander plus d’une ou deux. Je sais de bonne part qu’en plusieurs maisons religieuses, notamment à Emmitsburg, la mort de plusieurs jeunes sujets faisait penser que le local était malsain, mais c’est qu’elles étaient entrées malsaines et depuis, on n’a plus eu la charité de recevoir les malades, réservant la charité pour le total de l’établissement qui tombait en discrédit. Mère Hamilton et nos Sœurs sont bien et dans les autres maisons [aussi]. Toute à vous in Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Madame J. A. Boilvin1, Maison du Sacré-Cœur À McSherrystown Pennsylvanie

LETTRE 601

L. 19 À MÈRE BOILVIN

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, le 29 décembre 18442 St Ant. de P. Ma chère Mère, Je vous écrivais, il y a environ 15 jours, quand le R. Père Verhaegen qui était notre curé, demanda nos commissions pour l’Est. Il partait pour Georgetown où les Pères du collège l’ont demandé au Père général, qui l’a fait partir de suite avec la charge de provincial et de visiteur tout à la fois ; ce qui le conduira jusqu’à vous par rapprochement. J’ai pris la liberté d’enfermer dans la lettre que je lui ai remise pour vous, une lettre pour la France que je vous prie d’affranchir jusqu’à New York, si vous manquez d’occasion pour l’y faire mettre à la poste. J’y demande à la Mère Geoffroy de vous procurer le recueil des Annales de la Foi, depuis l’établissement de la Société qui porte ce nom, en 1822, jusqu’en 1844. Je crois que c’est en tout 15 ou 18 volumes. On les imprime en 7 langues maintenant. Vous devriez vous les procurer en anglais et ensuite faire des dizaines d’associées qui vous procureront, par dix dizaines, les 6 cahiers de chaque année suivante, peut-être. L’association est établie à Philadelphie ou à New York. Vous connaissez les conditions : un sol par semaine. Je n’ai rien lu en ma vie de plus intéressant, ni de plus propre à enflammer le zèle. Les Lazaristes en Syrie et un collège à Dublin font des Annales un livre de classe, qui échauffe même les juifs et les jeunes mahomé1 2

Pour la première fois, Philippine met les initiales des prénoms de baptême de Mère Boilvin : Julie-Adeline. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 601



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tans qui apostasient ensuite dans leur famille. Cette lecture fait mes délices. Après la lettre que vous m’avez écrite et à laquelle j’ai répondu, Mère Hamilton en a encore reçu une de vous, où vous lui dites que Monseigneur votre évêque est allé vous consoler dans vos afflictions. Je crains que l’appréhension de perdre de nouveaux sujets ne vous dégoûte de votre établissement à McSherry. Mais avant, pourquoi ne vous informeriez-vous pas, [auprès] des Sœurs de la Charité, si elles ont perdu là des sujets qui fussent venues en bonne santé. Toutes vos défuntes avaient de pitoyables santés, dès leur réception, au moins à ce que j’ai appris. La respectable Mère Xavier Love, supérieure de l’hôpital de Saint-Louis, et ses compagnes disaient qu’à Emmitsburg plusieurs sujets reçues très débiles y étaient promptement mortes, ce qui avait nui à l’établissement. Mais que les supérieures, jugeant que la charité pour l’œuvre entière devait l’emporter sur la charité pour un individu, avaient dès lors fait plus d’attention à la santé des postulantes ; et les mauvais bruits ont cessé. Il en a été de même à Grenoble dans la maison où j’ai été : deux jeunes religieuses moururent coup sur coup de la poitrine. On accusa l’air de la maison. Il était des plus sains ; moi et mes sœurs dans l’âge critique y avons acquis la meilleure santé et pendant 6 ans et demi que j’y ai été, personne n’est morte de la poitrine, quoique la communauté fut nombreuse et les sujets généralement délicats. Confiez-vous donc en la divine Providence et la protection de saint Régis, lui faisant quelque vœu comme je vous l’ai dit dans ma dernière lettre ; mais tâchez d’en faire un que vous soyez sûre d’accomplir, en en prenant tous les moyens. Je crains que l’inobservance de ceux faits au saint, pour Grenoble et Saint-Ferdinand, ne soit la cause de la destruction de Grenoble et de l’état misérable de Saint-Ferdinand. In Corde Jesu, Philippine D. r. S. C.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 602 L. À LA SUPÉRIEURE D’ANNONAY [ROSINE GRANON]1 SS. C. J. M. 

Saint-Charles, État du Missouri – États-Unis, ce 27 juillet 1845 Rec. à St Ant. Padoue2 Ma très chère Mère, Dans l’éloignement qui nous sépare du centre de notre Société, il nous faut souvent recourir directement au Ciel quand la tribulation nous accable. Saint François Régis à qui on a confié notre mission en Amérique est celui à qui nous avons le plus souvent recours ; et les preuves de ses continuelles bontés augmentent notre confiance pour obtenir ce qui nous manque encore. L’état mal assuré de deux de nos maisons m’a fait promettre, pour celle qui est toute vouée à notre saint, une messe à son tombeau. J’ai espéré, ma très chère Mère, qu’étant dans la maison la plus voisine du tombeau de saint Régis, il vous serait facile de nous faire dire cette messe faite en son honneur. Avant 1800, j’ai visité ce sanctuaire ; la messe se disait dans une grange et l’église n’était point réparée. Je me suis de plus en plus confiée à la protection du saint qu’on y honore et je vous serai mille fois obligée si vous pouvez m’assurer que la messe, que j’ai vouée, a été dite. Le Père Gleizal qui a été vicaire à La Louvesc s’attendrit au seul nom de saint Régis ; il fait beaucoup de bien à Saint-Louis et est pasteur de l’église de Saint-Xavier, tenant au collège des Jésuites. Nous avons une petite mission chez les Indiens, trois maisons dans l’État du Missouri, deux dans celui de la Louisiane, trois dans ceux de 1



2

Henriette Granon (1791-1866), RSCJ, et sa fille Rosine ont été, tour à tour, supérieure de la maison d’Annonay. Veuve en 1822, Henriette obtint son entrée au Sacré-Cœur, prit l’habit le 15 décembre 1825 en présence de ses deux filles, Claire et Rosine. Elle fit sa profession le 2 février 1831 fut supérieure à Annonay en novembre 1834. Elle est décédée le 28 décembre 1866 à Marseille. Rosine (1812-1876), RSCJ, est née à Sisteron le 19 avril 1812. Elle prit l’habit le 11 novembre 1831, fit sa profession le 2 juin 1837. Supérieure à Annonay (1845-1855), puis à Perpignan (1857-1865), elle fut ensuite assistante à Montfleury (Grenoble), où elle est décédée le 18 novembre 1876. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : New York, Sept. 4 ; Paris, 30 Sept. 45 ; Annonay, 2 Oct. 45.

Lettre 603



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l’Est1 et une en Canada qui a été la plus rapidement formée, parce qu’on y parle français et que la religion catholique s’y pratique avec ferveur par le plus grand nombre des habitants. Les églises, les ornements, les cérémonies y sont même plus splendides qu’en France. Veuillez, je vous prie, me recommander aux prières de vos chères filles car je touche presque au tombeau ! Le mois prochain, j’aurai 76 ans. Je suis dans les cœurs de Jésus et Marie, votre toute dévouée, Philippine Duchesne Religieuse professe du Sacré-Cœur [Au verso :] À Madame Madame la supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Annonay département de l’Ardèche En France

LETTRE 603

L. 41 À MADAME DE ROLLIN2

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 14 septembre 18453 Recommandée à St Antoine de Padoue Ma bien chère Cousine, Je suis toujours plus touchée de ta générosité envers moi et surtout des paroles aimables dont tu accompagnes tes bienfaits. Je ne sais com1

2 3

Au catalogue de la Société du Sacré-Cœur de 1845, il n’y a que deux maisons dans l’Est : New York et McSherrystown (Pennsylvanie), mais l’école externe de Houston Street a été transférée au 114 Bleecker Street, tandis que le pensionnat s’est installé à Astoria. Cette lettre est la dernière adressée à Mme de Rollin. Albert du Boys prononça son oraison funèbre, lors de ses funérailles le 26 septembre 1850, à Grenoble. Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 41 ; Cahier, Lettres à Mme de Rollin, p. 100-102. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

ment les reconnaître, mais notre Père commun entend et entendra, tous les jours de ma vie, la voix qui le supplie de m’acquitter auprès de toi. Je suis déjà exaucée, je l’espère, les détails intéressants que tu me donnes sur ton intéressante famille, sur la piété qui règne dans les jeunes dames qui font la consolation de leurs mères, tout me dit au cœur que mes vœux journaliers pour elles sont écoutés du souverain Maître qui ordonne la reconnaissance. Ce n’est que dans ses trésors que je puise ; c’est là uniquement que je peux m’acquitter. La nouvelle des messes acquittées à Fourvière et à La Louvesc m’est bien agréable. La protection du Ciel s’est aussi montrée et notre maison, près Philadelphie, qui les avait promises, a vu s’enfuir la maladie et la mort qui avaient mis la terreur dans toutes les jeunes Sœurs. Nos maisons de la Louisiane se remontent un peu, ainsi que celles du Missouri ; celle de Saint-Louis est la mieux de toutes, malgré l’établissement de plusieurs maisons religieuses dont deux sont composées de Dames de la Visitation, chassées de Kaskaskia dans l’Illinois, État voisin, par l’inondation, les maladies et des dettes énormes dont elles étaient accablées. On s’est beaucoup intéressé à elles ; cela a dû nécessairement nous ôter des enfants ; mais, ne voulant que le service de Dieu, nous sommes contentes de notre médiocrité. La somme considérable que tu nous envoies va enlever les craintes pour l’hiver en nous fournissant le plus nécessaire. La religion catholique continue de s’étendre dans tous les États-Unis et en particulier dans l’État du Missouri. Les églises s’élèvent de toutes parts et les personnes zélées ont bien peine même à répondre à toutes les quêtes qui se font, mais Dieu suscite ici comme en Europe des âmes dévouées à la gloire de Dieu et qui se font une joie de leurs sacrifices. Adieu, bonne Cousine, ne m’oublie pas auprès du Père Henry Jouve, de mon frère et de toute ta famille. In Corde Jesu toute à toi, Philippine Duchesne r. S. C.



Lettre 604

LETTRE 604

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L. 2 À MADAME TEISSEIRE

SS. C. J. M.

Ce 14 septembre 18451 St Antoine Pour Madame Teisseire Ma bien chère Cousine, Je viens vous remercier du don que Mme de Rollin m’annonce de votre part ; je suis bien sensible à cette marque de souvenir qui me rappelle toute votre générosité à mon égard. Je suis redevable à vos chères enfants pour leur aimable souvenir, je l’ai prévenu par les miens ; car, tous les jours, j’adresse mes vœux à notre commun Maître pour qu’il veille au bonheur de tout ce qui appartient à cette famille Perier qui doit m’être si chère, n’en ayant éprouvé que des bienfaits. J’ai bien partagé ses pertes ; j’ignorais encore la mort de Mme Scipion2 et je voudrais bien savoir si elle est devenue catholique. Votre rétablissement fait ma joie et j’espère qu’il se soutiendra. Je vous prie de me rappeler en particulier à Mesdames Bergasse, Chapuy et Rolland ; je n’ai pu connaître aucun de leurs aimables enfants, mais j’en ai entendu les éloges. Je suis votre fidèle amie. Philippine Duchesne r. S. C. P. S. : Mes affectueux souvenirs pour Mme Augustin Perier. Je dois une réponse à Mme Jouve, je ne la ferai que quand j’aurai reçu le montant de la lettre de change que j’envoie à New York afin de vous en donner avis. [Au verso :] À Mesdames Mesdames de Rollin et Teisseire À Grenoble Département de l’Isère France 1 2

Copies of letters of Philippine Duchesne to Mme de Rollin and a few others, N° 9. Autre copie : Cahier Lettres à Mme de Rollin, p. 102. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Mme Perier, née Louise-Charlotte-Sophie de Dietrich en 1774 à Strasbourg, est décédée le 11 avril 1832 à Paris.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 605

L. 75 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

29 mars 1846 St Antoine1 Ma bien chère Sœur et amie, Ton cœur se montre dans la promptitude et le zèle que tu mets pour occuper simplement et agréablement ma vieillesse ; je n’ai jamais plus aimé la lecture et le travail manuel qu’à présent, où ils font, avec la prière, mon occupation. Quand j’aurai reçu les livres, j’en accuserai la réception à mon frère pour lui témoigner ma gratitude. Pour toi, bonne Sœur, je t’ai toujours présente, et si je pouvais t’oublier, les deux envois que tu m’as faits pour des ouvrages sont des restes bien chers pour moi. Ils m’ont servi dans six ornements d’église ; je croyais d’abord n’avoir pas assez de soie pour le premier, et dans le dernier, je n’ai mis qu’une bobine à un ; c’est une multiplication qui me fait admirer la Providence qui prend soin de moi. Tu juges quelle broderie je fais et de quoi je suis capable, mais je rends service à de pauvres églises qui s’élèvent de tous côtés. Je ne lis pas un seul journal ecclésiastique sans y voir plusieurs nouvelles églises consacrées et beaucoup de très belles ; en général, toutes ont des orgues et un beau chant. La multitude d’Allemands, qui arrivent dans les États-Unis, a beaucoup contribué à apporter ici les beaux-arts les plus utiles. Tous nos ouvriers, nos domestiques, sont de cette nation, ainsi que la plupart des enfants de l’école gratuite, qui donnent aussi moins de peine. Si tu lis les Cahiers de la Propagation de la Foi, il est bien inutile que je te parle de celle qui a lieu dans ce pays. Rien n’est plus intéressant que ce qu’on y lit. Je ne puis cependant m’empêcher de te citer un trait des Sauvages. Il y avait dans le Canada des nations sauvages qui se réunissaient à une époque fixe pour attendre le missionnaire qui allait chaque année leur administrer les sacrements. L’année dernière, étant malade, il tardait à arriver. On députe deux Sauvages pour aller jusqu’à Québec s’informer du missionnaire. Ils rencontrèrent celui qui remplaçait le 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 166-168. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.



Lettre 606

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prêtre malade et retournèrent avec lui au point de la réunion où la joie fut extrême. L’un des chefs s’avança et dit au missionnaire : « Père, nous n’avons plus rien à manger ; si le Père qui est au Ciel ne nous envoie pas de poissons, nous allons rester 10 jours sans manger, voulant recevoir les sacrements. Si après 10 jours, nous sommes encore sans nourriture, il nous faudra partir. » Le prêtre alors les fit de suite retourner chez eux, les y suivit et y accomplit sa mission. Il y a bien d’autres traits parmi eux d’une ferveur semblable. Je me fais le tableau de la jeune famille et je me plais à penser qu’elle te donne de la consolation, et te remercie des nouvelles de tes grands enfants et des autres personnes de ta famille. Adieu bonne Sœur. Je suis dans le Cœur de Jésus ta fidèle amie et sœur. Philippine Duchesne Mes compliments à ceux et celles qui me connaissent.

LETTRE 606

L. 138 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[Saint-Charles, ce 5 juin 1846]1 Rec. à St Antoine de P. Ma très chère et vénérée Mère, Il y a longtemps que je ne vous ai écrit, mais c’était pour obéir à vos recommandations de n’écrire que pour une vraie nécessité. Je la crus telle quand je pris la liberté de vous demander le rétablissement du pensionnat ; je n’eus pas de réponse, notre Mère d’alors [Régis Hamilton] en obtint, ce qui me prouva davantage que je devais être sur la réserve. On m’a témoigné l’inutilité de ma démarche lorsque j’ai paru désirer vous solliciter pour la conservation de notre première maison2, le doux 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Saint-Charles MO, 6 Jun. 1846 ; Le Havre, 18 juillet ; Paris, 19 juillet 1846. J. de Charry, II 3, L. 328, p. 324-326. La maison de Florissant fut fermée en 1846.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

asile voué à saint Régis, La Louvesc d’Amérique. Mon cœur tendait trop à y retourner pour être arrêté par aucune considération, d’employer tous les moyens pour cela. J’ai proposé à Mère Cutts de tenir cette maison paisible, avec une Sœur qui parlât les deux langues, d’y continuer l’école gratuite, de prendre soin de l’église et de la nourriture du prêtre, qui est pauvre et ne peut même réparer le toit de son église, qui nous a toujours servi comme nôtre, le prêtre, sans frais d’appointement, et avec une abondance de secours de la part des Pères. La Mère Cutts, au premier moment, m’a dit que ce serait bon avec moi ; l’ayant assurée que je ne demandais ni plusieurs personnes, ni argent. Pour la prévenir contre mon âge avancé, je lui ai dit : qu’on vivait longtemps dans ma famille, que je croyais vivre plusieurs années encore, me portant beaucoup mieux que les années précédentes ; que cela donnerait le temps de voir des jours plus heureux ; que cette maison, dans un air très sain, conviendrait toujours pour les personnes âgées, infirmes, convalescentes ; qu’il n’était pas étonnant qu’il y eût peu de pensionnaires, avec tant de différentes religions, tant de nouveaux établissements ; que plusieurs fois, nous en avions eu trente, nombre qu’on ne surpassait guère dans les communautés avant la Révolution, si on en excepte la maison royale de Saint-Cyr. L’espérance d’obtenir ce que je demandais avait séché mes larmes, mais elles coulent plus amères aujourd’hui, car après lui avoir répété que je vous écrirais là-dessus, elle m’a assurée, avant de repartir ce matin, que vous n’accorderiez rien, que votre parti était pris. Quand j’ai su qu’on avait détruit l’autel de saint Régis, ôté de la chapelle les belles reliques que Mgr Dubourg avait apportées de Rome, je me suis attendue à quelque catastrophe ; quand est arrivée la mort de la Mère Galitzine [le 8 décembre 1843, à Saint-Michel], je l’ai vue. Je n’ai pu m’empêcher de le dire à la Mère Visitatrice : sans événements extraordinaires, c’est une grande plaie que cette destruction d’une maison qui a fourni plus de sujets qu’aucune. Saint-Charles pourra en fournir aussi, mais Saint-Louis, le pensionnat aux deux-tiers protestant, l’autre tiers d’enfants élevées dans la mollesse, n’en a point donné et n’en donnera peut-être jamais. Il y en aura parmi les orphelines, mais des maîtresses sorties de là n’obtiennent pas grande confiance ; c’est cependant ce qui compose le noviciat, avec les Sœurs coadjutrices ; ajoutez à cela plusieurs sorties [du noviciat], dont l’une a été mise et blâmée sur une gazette, annonce le besoin de tirer, de plus simples maisons, des enfants instruites, mais que leur orgueil ou celui de leurs parents n’éloignent pas de la vie religieuse.

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Lettre 606

Mère Cutts compte vendre ou louer la maison à Monseigneur [l’archevêque Pierre Richard Kenrick]. Il n’en fera rien, il est encore chargé des dettes de Mgr Rosati, il a bien peine à entretenir son séminaire. Les Pères ont beaucoup de dettes pour leurs églises. Les Dames de la Visitation ont quitté Kaskaskia et sont insolvables. Les Sœurs de la Charité ne s’établissent qu’avec un traitement assuré et s’aident encore par des foires qui leur produisent beaucoup. Si on aimait moins la magnificence dans les grandes maisons, les petites seraient soutenues. On croit faire merveille par ces dehors, mais les personnes qui souffrent et qui voient des inutilités savent bien le remarquer. Cette passion de magnificence, ici, est encore accompagnée de passion pour la science. Une externe, qui était obligée de travailler pour payer son école, a voulu apprendre l’algèbre. Sa bonne maîtresse a persuadé un bon Père de lui en donner des leçons, fort longues. J’ai dit que vous n’approuviez point, ni notre Père Joseph [Varin], ce goût des hautes sciences. Cela n’a rien produit ; le départ du Père, le manque d’argent de la demoiselle ont fait cesser les leçons. On veut connaître tous les mouvements des cieux et des étoiles, et on ne sait pas l’histoire sainte, ni cultiver un jardin. Pardonnez-moi cette longue lettre. J’ai compté sur votre bonté ; si je suis refusée, je me soumettrai ; mais je ne serai jamais consolée, la plaie est trop profonde. Je suis à vos pieds, attendant mon arrêt ; et conserverai toujours un profond respect pour vous et le Père très doux qui a donné commencement à notre sainte Société. Je demande au Cœur de Jésus de vous soutenir, et suis en lui, ma Révérende Mère, votre bien humble et indigne servante. Philippine Duchesne r. S. C [Au verso, d’une autre écriture :] À Madame Madame Sophie Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur À Conflans Banlieue de Paris En France By way of New York

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

CHRONOLOGIE 2

SOUVENIRS1 Philippine Duchesne née le 29 août 1769

1ère communion, Pentecôte

1782

confirmation

1783

prise d’habit

1788

sortie du couvent

1792

Année des massacres

1793

rentrée au couvent

13 décembre 1801

réunie à Mère Barat

14 décembre 1804

quitté Grenoble, arrivée à Paris

1er novembre 1815

1er Conseil général terminé

17 décembre 1815

quitté Paris, 5 février

1818

partie de Bordeaux, jeudi saint

voyage 72 jours

séjourné chez les Dames ursulines

40 jours

arrivée à Saint-Louis

22 août, après la fête de l’Assomption

arrivée à Saint-Charles

pour la Nativité2

en partit au mois de Septembre

1819

demeuré à la ferme

3 mois entiers.

dans la maison bâtie à Saint-Ferdinand, jour de saint Thomas

21 décembre 1819

Fondation des Opelousas en

1821

de Saint-Michel

1825

Arrivée des Jésuites à Florissant

1823

Fondation de Saint-Louis, 2 mai

1827

Id. de la Fourche

1828

Arrivée de Mères Thiéfry, Bazire et Lavy

11 août 1829

1

2

Original autographe. Varias : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Miscellaneous, Autograph of Blessed Philippine Duchesne. Philippine a fait plusieurs chronologies, mais celle-ci évoque des évènements personnels. On peut donc supposer que ces « Souvenirs » sont destinés à la Mère Amélie (Aloysia) Jouve, sa nièce, qui lui rendit visite en septembre 1847, avant d’aller au Canada. Pour la fête de La Nativité de la Vierge Marie, le 8 septembre.



Chronologie 2

641

Arrivée de Mesdames Dutour, Van Damme, Dorival, 9 sept. 1827 2e fondation de Saint-Charles, 10 octobre

1828

Arrivée de Mesdames de Coppens, de Kersaint, Prud’hon, Toissonniers, le 24 août

1831

Dissolution à La Fourche

1831

Choléra. Mort de Mère Octavie

18321

Mort de Mgr de Neckere et de M. Richard

1833

Mère Eugénie Audé va en France

Mai 1834

Destruction de la maison de Grenoble

1833 ou 342

Mère Thiéfry, supérieure à Saint-Louis

1834

Mère Duchesne va à Saint-Ferdinand

le 11 octobre 1834

Mort de Mère Xavier Murphy

11 octobre 18363

Mort de M. Perreau, bienfaiteur, et du P. Van Quickenborne

1837 1837

Départ de Mgr Rosati pour l’Europe

1840

Arrivée de Mère Galitzine

Septembre 1840

Le 10 octobre, Mère Duchesne est déchargée de la supériorité

1840

Elle part pour les Sauvages

29 juin 1841

19 mars, Mère Galitzine y arrive

1842

16 juin, Mgr Kenrick y arrive, confirmation

1842

J’en pars le 24 juillet et viens à Saint-Charles

1842

Fondation de New York

1841

à McSherry près Philadelphie

1842

de Saint-Jacques en Canada

1843

de Saint-Vincent près Montréal

1846

1

2

3

Octavie Berthold est décédée le 16 septembre 1833. Il est curieux que Philippine fasse une erreur sur la date de sa mort et sur celle de Xavier (ci-dessous), car ce sont deux personnes qu’elle a particulièrement estimées et aimées. Il est vraisemblable que sa mémoire commençait à lui faire défaut. La décision de fermeture fut prise en juin 1833, mais les démarches et la fin du déménagement ne furent terminées qu’en février 1834 par M. de Vidaud. Cela explique peut-être l’hésitation de Philippine. Xavier Murphy est morte le 6 septembre 1836. Il est possible que Philippine ne l’ait appris que le 11 octobre.

642

CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 607

L. 76 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M. 

Le 3 janvier 1847 1 St Antoine de Padoue Ma bien chère sœur, Il y a longtemps que je n’ai reçu de tes nouvelles, il semble que tu es morte ; je ne voudrais pas te survivre ; il est trop dur de voir passer devant soi tous ceux qu’on aime. J’ai les mêmes craintes par rapport à Mme  de  Rollin qui a tant de droit sur mon cœur ; sa dernière lettre était si affectueuse, qu’elle me pénétra de la crainte que ce fût un dernier adieu. J’avais éprouvé le même sentiment à la dernière visite de mon père, venant me voir à Sainte-Marie. En me quittant, ses paroles : « Adieu Philippine » m’arrachèrent des larmes, je pensais tout de suite qu’il ne reviendrait plus et je ne me trompais pas. Quand tu me répondras, ne manque pas de me parler de mon frère, de Mme de Rollin, de sa sœur et de tout ce qui nous tient de plus près. Je ne puis trop te remercier du don que tu m’as procuré des Annales de la Foi ; cet ouvrage est aussi agréable qu’édifiant et fait mes délices. Je voudrais être incorporée à l’œuvre et ne le peux ici : près de moi, elle n’est pas établie. Pourrais-tu me faire admettre et payer pour moi le sou de chaque semaine ? Si cela ne se peut, fais prier la supérieure de notre maison de la rue Boissac de vouloir bien me rendre ce service, en lui présentant mes respects et les besoins de ma vieillesse. Je ne la connais pas, mais je compte sur sa charité. Recommande-moi aussi à ta chère religieuse [Joséphine], voisine de Notre-Dame de Fourvière, afin qu’elle me recommande à cette bonne Mère et aux prières de ses Sœurs. Il y a peu de jours, j’ai vu un des missionnaires des Rocky Montagnes vers l’Océan Pacifique qu’il a traversé en conduisant dans l’Oregon, territoire des religieuses flamandes qui ont aussi une ou deux maisons dans l’État de l’Ohio. Elles ont déjà bâti, dans la partie occupée par des Canadiens mariés à des Sauvagesses, une belle 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 168-170. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 608

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maison et y ont 60  pensionnaires, fruits de ces alliances, et font outre cela des écoles pour les pures Sauvagesses. Il y a encore sur l’Océan une colonie de ces dames qui aborderont à l’embouchure de la rivière Colombia, avec leur évêque. Le Saint-Siège a nommé trois évêques pour ce vaste territoire. L’un deux sera pour la côte et pour les îles qui la bordent ; il y a là 100 000 hommes qui n’ont jamais connu notre sainte religion ; ses progrès sont consolants chez les nations qu’on a pu instruire ; on y voit la ferveur des premiers chrétiens. Je suis, ma bien bonne Sœur, ta toute dévouée dans le Sacré Cœur de Jésus. Philippine Duchesne R S. C.

LETTRE 608

L. 77 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M. 

3 mars [1847] St Antoine1 Ma chère sœur, J’ai reçu ta dernière lettre pour cette nouvelle année que je te souhaite des plus heureuses. Il me tarde d’avoir des nouvelles de Constance, je n’ai su que par toi qu’elle était malade. J’attends avec impatience les circulaires de la dernière année. Celle de Pignerol sera lue dans les premières. Je te félicite des consolations que tu reçois du mérite marquant de plusieurs de tes enfants, surtout du Père Henry. Je n’ai pas compris qui est Mme de Mantal dont tu me parles. Je suis si vieille, si loin de la France où il s’y est fait de grands changements qui ont échappé dans 1

Copie certifiée conforme à l’original, Paris, le 18 novembre 1895. Le vicaire général, signé : R. Bureau v. g. Cachet de l’archevêché de Paris. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

les correspondances. Je pense que tu m’en parles comme d’une parente, mais je le ne la connais pas. Étant obligée de renfermer ma lettre dans une autre, je serai courte aujourd’hui. Tu pourrais lire la partie qui est pour Mme de Rollin, afin de ne pas répéter ce qui regarde ma santé, qui peut cependant se soutenir longtemps dans mes infirmités. La mission sauvage où j’ai été se soutient bien ; il y a cinq de nos Sœurs qui s’y trouvent heureuses et me marquent que leurs enfants prennent bien le goût du travail. Toute à toi in Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. Si tu vois les Lebrument et si tu as quelques rapports avec nos maisons de Lyon, fais-y mention de moi et de mes souvenirs affectueux. Je m’étais réservé quelques-uns des objets destinés aux Sauvages ; je m’en sers encore pour tricoter. Tout a été très utile, je t’en renouvelle mes remerciements. Je n’ai pas perdu le goût du travail manuel et il me devient nécessaire pour nourrir mon activité naturelle, pouvant peu agir. Conserve ta santé pour l’amour de moi et de ta famille. [Au verso :] À Madame Veuve Jouve Rue Clos des Chartreux N° 23 Lyon

Lettre 609

LETTRE 609

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L. À MÈRE ADÈLE CAHIER

SS. C. J. M.

Saint-Charles, État du Missouri, 3 avril 1847 St Ant. de Padoue1 Ma très chère Mère, La supérieure de Saint-Louis vint me chercher à la fin de décembre pour certaines affaires, où ma signature était nécessaire. J’y ai été retenue jusque vers la fin de février, à cause des mauvais chemins et glaces du Missouri. J’ai profité de mon séjour dans cette ville pour avoir plus promptement mon certificat de vie en règle, et l’envoyer à signer au consul ou ambassadeur de France par le moyen de la Mère Hardey, à qui j’ai prié de l’envoyer à Paris pour retirer ma rente sur le Trésor royal qui est sur ma tête. Il y a plus de deux années que j’ai envoyé le dernier certificat. On m’avait écrit qu’il était mieux d’attendre deux ans pour ne pas renouveler si souvent les démarches à faire. La Mère Ducis en avait chargé un de ses parents et après sa mort, un autre homme d’affaires que Madame de Lemps a connu, car c’est elle en dernier lieu qui avait eu la bonté de s’occuper de nous rendre ce service. Maintenant, j’ignore qui la remplace à la maison-mère et je prends la liberté de m’adresser à vous, du consentement de ma supérieure qui m’a promis de signer le contenu de nos demandes. Je lui ai proposé d’employer l’argent de cette rente en livres, surtout allemands, dont nous avons grand besoin, n’en ayant que d’emprunt et cependant parmi nous, parmi les élèves et les externes, il se trouve des Allemandes, qui peut-être bientôt couvriront le nombre des Américaines et des Françaises, tant il vient de monde dans notre État de toutes les parties de la Germanie. Voici ce qui nous serait plus nécessaire : 1. les Annales de la Propagation de la Foi, en anglais ; 2. les mêmes Annales, en allemand ; 3. la Perfection de Rodriguez, en allemand ; 4. des catéchismes abrégés pour les enfants allemandes ; 5. des Catéchismes de Fleury2, abrégés, en allemand ; 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St. Charles MO, April 15 ; Charenton-le-Pont, 26 Mai 1847. Claude Fleury (1640-1723), avocat, quitta le barreau pour la prêtrise, devint Abbé de l’Ordre cistercien en 1667. Ami de Bossuet et de Fénelon, précepteur des princes de Conti, il écrivit

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6. des petits livres de prières allemandes ; 7. des livres pour apprendre à lire l’allemand ; 8. des grammaires allemandes. On nous a dit qu’à Metz, on étudie cette langue. Nous ne voudrions de ces livres que pour le montant de la somme qui se retirera avec mon certificat. Si par impossible, elle était déjà en chemin pour l’Amérique, elle vous sera renvoyée le plus tôt possible. Quant aux livres français, on ne lit guère que ce qui est court ; moi seule ai lu les ouvrages longs comme Les œuvres de saint François de Sales, du Père de la Colombière. Bourdaloue1, à Saint-Louis, depuis 15 ou 20 ans, est en partie à couper pour être lu. Je respecte trop le temps précieux de notre révérende Mère générale pour lui écrire. Je vous prie de lui témoigner tout mon respect et dévouement, ainsi qu’au très cher Père Joseph [Varin], aux Mères assistantes générales, à Mère Thérèse [Maillucheau] que j’ai vue être à Conflans, mais qui sait si elle y est encore ? On nous a flattées de revoir Mère Bazire, chaque maison la désirait. On l’a dit arrivée, mais nous ne savons sur quel point [de l’Amérique]. Les lettres sont bien rares du Canada et de l’Est. Je laisse la place à notre Mère Saint-Cyr et suis dans les saints Cœurs de Jésus et de Marie, votre dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Cahier Maison du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France By way of New York

1

de nombreux ouvrages, dont : Le Catéchisme historique, 1683 ; Traité du choix et de la Méthode des études, 1675-1686 ; Histoire ecclésiastique en 20 volumes, 1690-1720. Il fut élu membre de l’Académie française en 1696. Louis Bourdaloue (1632-1704), SJ, brillant prédicateur, fit de la vie intérieure l’un des thèmes de ses Sermons, objet de plusieurs publications. Il est aussi l’auteur de Pensées et Retraites spirituelles. Il combattit le quiétisme, sorte de mysticisme religieux du catholicisme français, visant à ne vivre que pour Dieu, en dehors de la société.

Lettre 610

LETTRE 610

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L. 139 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[Saint-Charles, 10 septembre 1847]1 Rec. à St Ant. Ma bien-aimée et vénérée Mère, J’ai eu l’avantage d’une bonne occasion pour vous écrire, celle du R. Père Elet qui allait à Rome, je pense pour le Conseil2. Il s’est peu arrêté ici, et ma lettre se sentait de la précipitation, et plus encore de la persuasion douloureuse que j’avais perdu ma place dans votre cœur ; malgré la pensée que c’était par ma faute, le mien n’en était que plus flétri. Votre lettre, vos présents d’un choix exquis ont été comme un baume vivificateur3, et j’en ai béni le Dieu de bonté. Si je me suis abstenue de vous donner des nouvelles de nos maisons, c’est parce que cela n’était plus mon affaire, que ce serait inutile, espérant toujours qu’un nouveau Conseil calmerait les orages que le dernier [de 1839] avait excités. Toutes les maisons de ce pays ont accueilli respectueusement les changements opérés par Mère Galitzine, parce qu’on y voyait vos intentions ; mais à votre seule parole, je suis sûre qu’on reprendrait l’ancien ordre. Quant à moi, j’ai toujours trouvé impossible ce long examen du soir, où beaucoup ne font que dormir ; l’ordre du jour n’est point de mon goût, je préférais bien l’ancien, où la récréation se terminait avec la prière. On soupe encore à 6 h, souvent on goûte à 4 h. Ces deux repas sont l’un sur l’autre, et ce long temps qui reste après le dernier est bien fatigant pour les personnes qui ont beaucoup travaillé. On y dort souvent. L’office ne se dit pas ici, et mal à Saint-Louis. Beaucoup y manquent. Le spirituel est un peu négligé pour faire face au matériel. Cependant on est trente, et il n’y a pas plus de soixante élèves, outre les orphelines et externes. J’étais là [à Saint-Louis], au mois de janvier. J’avais la douleur de voir que tout le pensionnat et les orphelines manquaient la 1 2

3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 329, p. 327-329. Cette lettre remise au P. Elet n’a pas été conservée. Elet est parti à Rome, début août, pour représenter la vice-province du Missouri à une réunion de procurateurs jésuites. Là, il fut nommé supérieur des Jésuites du Midwest, responsabilité qu’il assura jusqu’à sa mort en 1851. Cette lettre et les cadeaux de la Mère Barat ont dû être apportés par Amélie (Aloysia) Jouve, lors de sa visite, le 2 septembre 1847.

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messe les jours ouvriers ; les vêpres et le salut les dimanches, à cause du froid, quoiqu’il y eût grand feu au poêle de la chapelle et au salon qui y tient, et peut-être regardé comme une prolongation du saint lieu. Quelques novices, ici et à Saint-Louis, n’ont guère d’exercices réglés, étudient comme la seconde année et sont employées aux enfants pour classes et surveillances. Si on les réunissait sous les soins de Mère Thiéfry, qui est bien rétablie, elles se formeraient bien mieux ; ou sous Mère Bazire, que je regretterai si elle va en Louisiane. Ne pourrait-elle pas remplacer, dans notre petite maison, celle que la Mère provinciale y a établie [Émilie Saint-Cyr] et qui fait couler bien des larmes, surtout aux pauvres malades pour qui elle est trop dure. J’ai fait à elle-même des représentations, j’en ai parlé à la provinciale. C’est toujours de même. Les Sœurs ont fait souvent des prières pour un changement.> Je regarde la visite de Mère Galitzine comme un fléau. Revêtue de tout pouvoir, elle agissait de manière à blesser les évêques ; le dedans et le dehors ; et les pauvres Sœurs, comme des brebis, se laissaient conduire, comme si elle eût été Supérieure générale. On ne parlait plus de celle qui l’était. J’ai été affligée de la destruction de Saint-Ferdinand. Je vous prie de conserver les établissements de Saint-Charles et des Sauvages. Ces petites maisons procurent peut-être plus de gloire à Dieu qu’un pensionnat brillant. On évangélise les pauvres, on y rend de grands services aux missionnaires, soignant leurs vêtements qu’ils ne pourraient faire réparer, etc. Je ne connais rien que de bon des deux maisons de la Louisiane et suis trop loin d’elles pour en parler avec assurance, ainsi que des autres. Dieu m’a favorisée ici d’une chambre qui touche à la chapelle. Je passe de l’une à l’autre, goûte bien ma solitude quand je puis y avoir un travail manuel ; il ne m’a pas manqué depuis quelque temps. Mon bonheur est de prier pour les missions, pour la Société et pour vous qui me tenez la place de Dieu. Je suis, avec une profonde vénération, ma bien chère Mère, dans les Cœurs de Jésus et de Marie, votre bien indigne fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 10 septembre 1847 P. S. : Je n’ai pas reçu les 250 F de Mme de Rollin.

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Lettre 611

[Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur À Paris France

LETTRE 611

L. À MÈRE CUËNOT

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, ce 10 septembre 1847 St Antoine1 À Madame Éliane Cuënot2 Ma bien respectée Mère, Je suis bien reconnaissante de la bonté et de l’empressement que vous avez mis à faire mes importunes commissions, au milieu d’occupations si variées et si importantes. Je ne pourrai m’acquitter auprès de vous qu’en conjurant un Dieu tout libéral et tout puissant de vous combler de ses faveurs, et de vous faciliter les moyens de remplir une charge aussi importante que la vôtre. J’espère que vous me continuerez votre bienveillance pour le reste des livres ; les premiers sont encore en route. Que Dieu bénisse tous vos travaux, et qu’il m’unisse à vous, ma charitable Mère, dans les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, où j’aimerai bien vous rencontrer. Philippine Duchesne r. S. C. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne : Letters to RSCJ and children, Box 4. Eliane Cuënot (1810-1888), RSCJ, née le 22 janvier 1810 (Doubs), entra au noviciat de Montet, où elle prit l’habit le 25 mars 1833, prononça ses premiers vœux le 25 mars 1835 et sa profession, le 27 décembre 1845. Elle fut ensuite nommée économe des maisons de Besançon, Conflans, Layrac, Poiters, Nantes, pour surveiller les travaux d’agrandissement des bâtiments. Elle est décédée le 21 juillet 1888 à La Neuville-les-Amiens.

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P. S. : Je n’ai pas reçu 250 F envoyés par Mme de Rollin. [Ajouté par Amélie (Aloysia) Jouve :] Ma chère Mère, Madame Hardey, se trouvant si à court d’argent, a été obligée d’emprunter, d’abord les 1 000 F aux Pères de Montreal, puis de quoi payer mon voyage et celui de Mme Bazire. Je n’ai point osé lui demander les 250 F que me demande ma tante, et si Mme Bazire est aussi gênée, elle les attendra longtemps…, ce dont je suis bien fâchée, mais il faut bien qu’elle patiente. Recevez, chère Mère, les affectueux compliments d’une pauvre voyageuse qui est lassée du revers (…). Aloysia

LETTRE 612

L. 1 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

10 octobre 1847 Rec. à St Antoine1 Ma bien chère Aloysia, J’ai reçu la lettre que tu m’as écrite de Saint-Louis. Je t’ai vue avec peine t’éloigner pour toujours, car nous ne pouvons espérer nous revoir que dans le Ciel2. Il nous faut donc tâcher d’y arriver l’une et l’autre mais par des voies bien différentes : moi par la nullité, et toi par un travail important auprès de Dieu, l’éducation de la jeunesse. Il t’a donné les 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. D’une autre écriture, sous l’adresse, ces mots : « C’est celle d’une mère, fidèle, fidèle à la voie des saints, dans les sentiers semblables à celui de la Vierge fidèle. » Amélie Jouve, nouvellement arrivée en Amérique, et en route vers le Canada, rendit visite à sa tante à Saint-Charles, sur la demande explicite de la Mère Barat qui lui confia une lettre, rompant ainsi un long silence.

Lettre 612



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talents nécessaires, c’est à toi à les faire valoir au centuple, mais n’oublions jamais que le chemin du Ciel est celui de la croix. Jésus nous a appelées à sa suite en portant la croix comme lui ; il n’y a pas à choisir, il faut nécessairement s’en charger pour se sauver. Tu as fait un grand pas en quittant la France et tant d’objets attachants. Il faut avec courage soutenir ce premier abandon, renoncer à de légitimes satisfactions, s’accommoder aux caractères des différentes nations, voir toujours Dieu dans ses créatures et vivre avec elles comme avec les enfants d’un même père. J’ai fait ma retraite aussitôt ton départ. Dieu ne m’y a présenté que des croix ; ainsi demande-lui que je sache les porter. J’ai eu grand peine à lire ta lettre ; j’espère que tu useras à l’avenir d’encre plus noire. Celle de Paris m’était presque illisible. Je tâche de ne pas mériter le même inconvénient. Tout va ici comme à ton départ ; on t’y conserve un bon souvenir. Présente le mien à Mesdames de Kersaint, Roche, Lévêque, Alphonsine, Cornelie, Short, Hamilton. Nous espérons revoir cette dernière qui n’a été que prêtée1. Mes respects à ta digne Mère, Madame Bathilde, à Mère Cruice et à la miraculée de sainte Philomène. Demande à toutes une part dans leurs prières. Je suis toute à toi in Corde Jesu. Philippine Duchesne r. S. C. Donne ton adresse. [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve Maison du Sacré-Cœur près Montréal Canada

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Philippine aimait beaucoup Régis Hamilton qui avait été sa supérieure à Saint-Charles, avant son départ pour le Canada en 1846. Elle demanda instamment son retour qui n’eut lieu qu’en novembre 1851, un an avant sa mort.

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LETTRE 613

L. 3 À MADAME TIGHE

SS. C. J. M.

Ce 29 novembre 1847 1 Madame et bien chère amie, Il y a peu de jours que j’ai reçu vos si beaux et si charitables présents avec le petit mot qui les accompagnait et qui m’ôtait un grand fardeau de dessus le cœur ; celui d’avoir été pour vous, si obligeante pour moi, un sujet de peine, que je n’avais pas pu prévoir, vous ayant écrit sans savoir que notre Mère Saint-Cyr devait aller à Saint-Louis ; et ignorant totalement que Mlle Martin Johnson fut de votre connaissance et vous eut des obligations. Cette jeune personne mérite votre affection et y répondrait avec empressement, étant incapable d’ingratitude, mais allant à SaintLouis, tous ses sentiments se portaient vers son père et elle passa au collège la journée entière où elle fut à Saint-Louis. Il n’y a eu dans ce défaut envers vous qu’ignorance de notre part et l’habitude dans l’enfant de se laisser à la conduite des personnes qui la gouvernent. Toute jeune qu’elle est, sa raison est si développée qu’elle a été jugée capable de faire sa première Communion, le jour de la fête de la très Sainte Trinité et de la renouveler à toutes les fêtes ; sa sœur est aussi un excellent sujet. Je reviens à vos présents qui ont surpassé toutes mes espérances. Je les ai étalés devant mes sœurs qui les ont admirés et leur ai dit que ce n’était pas là vos premiers bienfaits, que déjà à Saint-Ferdinand, j’avais éprouvé votre générosité. Dans ma vie solitaire, elle me reviendra agréablement et je prierai le souverain libérateur de vous en récompenser abondamment. Je suis Madame et généreuse amie, votre dévouée, Philippine Duchesne r. S. C.

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Copie, C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.



Lettre 614

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Daignez accepter cette ménagère et la pelote et le petit Jésus pour vos nièces. [Au verso :] À Madame Madame Gray Supérieure de l’Académie du Sacré-Cœur Pour Madame Tighe À Saint-Louis

LETTRE 614

L. 2 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 12 décembre 1847 St Antoine1 Ma chère Mère, Sœur et nièce, Je ne veux pas me fâcher contre toi, mais me plaindre tendrement de n’avoir point de tes nouvelles. Nous en avons eues de Mère Hamilton, qui nous dit brièvement qu’elle t’a vue ; je l’excuse parce qu’elle avait écrit plus tôt et que nous n’avons pas reçu sa lettre et que je n’ai pas eu de réponse à une lettre de janvier. Il se perd beaucoup de lettres d’ici au Canada ; n’y aurait-il pas moyen de les faire passer par New York ? Je désirais doublement de tes nouvelles pour satisfaire Mère Bazire qui m’avait chargé de lui en donner, mais c’était surtout Mme Jouve que j’aurais voulu contenter en la tranquillisant sur ta situation présente. Elle m’a écrit ; elle craint les maladies, la rigueur des hivers, etc. J’ai tâché de la tranquilliser, mais ce n’est qu’aujourd’hui, car j’espérais toujours que tu me fournirais dans tes lettres de quoi la consoler, mais j’espère y réussir. Elle est si pieuse, elle ne voudrait pas reprendre ce qu’elle a donné à Dieu. Elle m’annonce la mort d’Augustine Jordan et dit qu’elle est elle-même bien rétablie. Peu de jours après ton départ, Mère Bazire était toujours dans les angoisses et elle est partie plus tôt qu’elle ne l’avait d’abord projeté. Elle a été reçue avec empressement aux Opelousas et quelqu’un a murmuré 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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qu’elle irait au Natchitoches. La Mère Thiéfry que tu as vue à Saint-Louis, supérieure deux fois à Saint-Ferdinand, et environ six ans à Saint-Louis, a été appelée subitement pour s’y rendre. Elle doit y être à présent ; elle conduisait avec elle Mère Murphy de Saint-Louis, qui est destinée pour Saint-Michel où il y a maintenant 105 pensionnaires. Mère Hardey, sœur de la supérieure de New York, viendra à Saint-Louis1. La Mère Lucile Mathevon que tu as vue à Grenoble, ayant su de moi que tu avais été chez nous, a pour la 1ère fois désiré être à Saint-Charles pour t’y voir. Elle m’a dit que la moitié des Pottowatomis sont déjà à la place des Kansas, dont le chef a témoigné vouloir aussi des prêtres et des religieuses. Les Miamis, dont presque toutes les femmes sont catholiques, vont habiter à ce qu’on croit à Sugar Creek qui restera mission catholique. Ils ont mis à part une grosse somme pour bâtir une belle église. Une 4e mission, dont j’ai perdu le nom, est visitée tous les 15 jours par un prêtre. Un de ceux qui sont allés aux Osages, prêche déjà en leur langue. Ce sera 4 missions pour les Jésuites. Dis à Mère Hamilton que je lui pardonne et ne crois point être oubliée, surtout devant Dieu. Je l’ai bien prié pour toi pendant ton pénible voyage et le ferai constamment. J’ai suivi ton désir et suis toute couverte, jour et nuit, des présents de ma Mère ; et pour la nourriture, j’agis sans scrupule et quand je puis manger un peu de viande, je n’en fais pas mystère. Présente mes respects à Mère Bathilde et rappelle-moi au souvenir des prières de toutes mes Sœurs du Canada, que je connais pour la plupart. Si tu entends parler du Père Pond, Jésuite, donne-m’en des nouvelles. Ici, toutes t’aiment et prient pour toi. Ph. Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve À Saint-Vincent près Montréal Canada Poste restante 1

Mathilde Hardey, née en 1813 à Alexandrie (Maryland), est entrée à Saint-Michel en 1829, a fait sa profession en 1839. Elle est sortie de la Société du Sacré-Cœur en 1864, étant alors à Rochester, New York.

Lettre 615

LETTRE 615



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L. 78 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 12 décembre 1847 1 Ma bien-aimée Sœur, J’ai reçu le mois passé ta lettre du 26 septembre, où tu te plains de n’avoir pas reçu de mes lettres depuis le mois de Février. Je suis sûre de t’avoir écrit depuis dans le cours de l’année et la dernière fois en septembre, ainsi qu’à Mme de Rollin. C’est ta chère fille Aloysia qui emporta les lettres pour les mettre à la poste à New York, où elle devait les remettre en mer. Te dire quel plaisir m’a fait sa visite serait difficile à exprimer ; il y avait plus de 30 ans que je ne l’avais pas vue et depuis ce temps, elle a acquis bien du mérite. Elle m’a donné tous les détails qui pouvaient m’intéresser sur notre nombreuse famille dont je ne connais pas le plus grand nombre, mais que je recommande souvent à Dieu, en masse et en détail. J’ai admiré le mérite de ton sacrifice en te soumettant à l’éloignement de cette Sœur et amie que je possédais. Elle a été vue avec empressement par mes Sœurs qui auraient bien voulu la conserver toujours ; il en a été de même à Saint-Louis, maison plus considérable que celle de Saint-Charles. Ne t’inquiète pas pour sa santé, le Canada est un pays très sain. Tous les Canadiens que j’ai vus étaient robustes, et celles de nos dames qui y ont supporté la peine d’une fondation, et dont plusieurs avaient souffert de la poitrine, s’y sont mieux trouvées qu’en Louisiane et à Saint-Charles et y ont eu moins froid que dans le Missouri. Les maisons y sont si bien construites et réchauffées que les pensionnaires, quand elles n’en sortent pas, sont vêtues en hiver comme en été. En dirait-on autant de Paris qui est à la même latitude ? Ta chère Aloysia m’a écrit de New York et point du Canada ; j’ai différé de répondre à ta lettre pour te donner de ses nouvelles et étant lasse d’attendre, je viens me féliciter sur ton rétablissement et te prier, si tu vois ton fils Henry, de lui dire que j’ai vu son souvenir pour moi dans une lettre à sa sœur et que je le prie de ne pas m’oublier au saint autel. 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 170-173. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

J’en dis de même à Constance que j’ai quittée encore enfant. Je savais la mort de M. Lebrument1, mais tu m’as appris celle de Mme Jordan2. Sans doute sais-tu bien maintenant où est ta chère fille, mais comme nous perdons beaucoup de lettres de ce pays, je veux te rassurer. L’adresse qu’on nous a envoyée est : à Montréal, poste restante. Montréal est la ville la plus considérable du Canada, plus que Québec, la capitale, qui a été en partie brûlée, l’année dernière. Les maladies qui ont eu cours dans ce pays y ont été apportées par des Irlandais, fuyant leur pays accablé par la famine et une maladie épidémique qui n’a pas eu de suites. La dernière lettre que nous en avons reçue n’en parlait même pas et annonçait seulement à notre supérieure l’arrivée de ta fille. Le premier couvent étant trop éloigné de Montréal, les pensionnaires diminuaient. La supérieure, Mme Mathilde, qui l’avait été dans l’une des maisons pour les enfants de la Légion d’honneur, a entrepris une grande bâtisse plus près de la ville, et a été secondée par une dame pieuse qui a donné une maison, des jardins, des terres cultivées pour une modeste pension viagère. La 1ère maison reste pour un village et s’appelle Saint-Jacques ; la plus grande et nombreuse s’appelle SaintVincent, et c’est là où notre chère Aloysia est établie. M’étonnant de n’avoir pas de ses nouvelles directes, je vais lui écrire par New York, car nous en avons beaucoup perdues par les autres voies. Mille souvenirs à Mme de Rollin et à mon frère ; demande-lui pour moi la suite des Annales, depuis janvier 1845. Tout à toi, Philippine Duchesne R S. C. Je n’ai pas su plus tôt que toi le voyage de ta fille en Amérique. Elle m’a dit qu’elle n’aurait pu demander d’y venir sans la mort de Mme [Eugénie] de Gramont.

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M. Lebrument, le mari d’Adélaïde Duchesne, est décédé le 13 juin 1847. Mme Jordan, née Augustine de Mauduit, est décédée le 25 août 1847.

Lettre 616

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L. 79 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

5 avril 18481 Ma bien chère Sœur et amie, J’ai été longtemps en peine de la bonne Aloysia, ne recevant pas de ses nouvelles depuis son arrivée au Canada ; enfin, j’en ai eues, mais après plusieurs mois. Nous en avons plus tôt de France. Une lettre écrite d’ici à nos sœurs n’a vu sa réponse qu’au bout de 13 mois ; il faut que nous affranchissions les lettres comme pour l’Europe. Si j’ai tardé à apprendre l’état où se trouvait ta chère fille, j’ai été parfaitement consolée par sa lettre ; elle me dit que Dieu a béni son sacrifice, qu’elle est en paix et comblée des prévenances de toutes ses Sœurs. Mais elle se plaignait de n’avoir pas de nouvelles de sa chère famille. Garde-toi de faire passer tes lettres par les États-Unis ; le plus court est d’écrire directement. Une lettre contenant un certificat de vie, venue par le Canada, a coûté 5 F et 25 sous, et étant en retard, j’avais demandé une seconde copie qui, venant directement et plus vite, ne m’a coûté que 5 F. Ma vue a perdu cette année et varie beaucoup ; aujourd’hui, j’y vois bien peu et ma lettre s’en ressent. On a appris par le télégraphe qu’il y avait une révolution en France. Je désire bien les détails de cet extraordinaire événement. J’espère de la bonté de Dieu que la conduite de la Suisse ne sera pas imitée. Tout à toi, chère et tendre amie. Ph. Duchesne R. S. C.

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Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 173-174. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 617

L. 3 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, 18 juin [1848] St Ant1. Ma chère Mère, Je commence par me justifier de n’avoir donné aucune nouvelle dans la circulaire de Mère Duffy2. Je l’ai ignorée. C’est moi qui pourrais me plaindre de ton silence ; je n’ai eu qu’une seule lettre de toi depuis que tu es au Canada. Je t’ai répondu et fait part des lettres de ta chère mère et de toute sa famille. Après un long silence de toutes nos amies d’Europe, c’est encore ma sœur Jouve qui, la première, me parle de la révolution ; je t’envoie sa lettre pour que tu vois cette chère écriture. J’ai retranché comme moins utile la seconde page. Voici le principal de son contenu : « Ce sont des questions qu’on s’adresse en tremblant et les plus habiles ne peuvent que lever les yeux au Ciel et se jeter dans le sein de la Providence… Les personnes de la famille se portent bien mais tout le monde est à la gêne. Constance est bien. Chambéry a éprouvé une secousse, mais les paysans se sont attroupés avec leurs instruments d’agriculture et ont dissipé les agresseurs. Ton frère Henry est supérieur à Bordeaux qui est tranquille. Il n’en est pas ainsi en Italie, Autriche, Piémont, Gênes ; ses confrères sont chassés. » Tu dois l’avoir su avant moi. Notre visitatrice, Mère Cutts, a passé plus de 15 jours dans le Missouri. Elle a amené de Saint-Michel la Mère Gallwey et l’a laissée supérieure à Saint-Louis3. Ici, changement d’une coadjutrice et départ de trois pour le noviciat. En repartant, Mère Cutts a emmené Mère Gray. Je pense que c’est pour la mettre ou à Saint-Michel, ou à Saint-Antonio

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : St. Charles MO, Jun. 24. Mary Duffy, RSCJ, née en 1812 en Irlande, est entrée en 1840 au Sacré-Cœur, à Saint-Louis. Elle est décédée le 4 mai 1848, à Saint-Charles. Margaret Ann Gallwey, RSCJ, née en 1805 en Irlande, entrée en 1836 au Sacré-Cœur, à Saint-Michel, a fait sa profession en 1844. Elle a fondé la première maison à Chicago (Illinois), a ensuite été vicaire de l’Ouest (1864-1869). Elle est décédée à Chicago en 1873.

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Lettre 617

dans le Texas où un de nos établissements est demandé. La paix est faite avec Mexico1. J’ai reçu ta lettre du 22 mai, aujourd’hui, et en même temps, une de la Mère Hardey bien affligeante. Elle compte que nous allons avoir en Italie 400 sœurs hors de leur asile. En France, les pensionnats sont vides. Notre Mère Sophie [Barat] lui a écrit et donnera des sujets à volonté, si on peut payer leur passage. Mère Hardey parle pour 10, nous pour 2. Tachez d’exciter vos bons Canadiens à en procurer pour vous. Je souffre bien de vous savoir dans l’embarras des dettes et l’affliction des maladies. Témoignez-le vivement à Mère Bathilde et à Mères Roche, Short et Lévêque. Dites à cette dernière que M. Bujol a fait une sainte mort. J’ignore si Mère Lucile a changé de place avec ses sœurs qui devaient suivre les Potawatomis2. La mission chez les Osages réussit bien. Informe-toi où est le Père Point ; il m’a demandé des nouvelles des Sauvages. Il apprendra avec plaisir que le Père jésuite destiné pour les Pieds-noirs est arrivé. Il est flamand et aura un compagnon. Sont arrivés à Saint-Louis les 4 étudiants du Missouri qui étaient au Collège romain, chassés comme les autres ; ils étaient 1 000 étudiants. Je ne sais rien de Mme de Rollin et sa famille ; aucun de leurs noms dans les nominations. Adieu, chère amie. Si nous aimons Jésus, nous en serons aimées : c’est tout le bonheur. Philippine Duchesne r. S C. [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve Maison du Sacré-Cœur à Saint-Vincent Montréal Canada Poste restante 1

2

La guerre américano-mexicaine (1846-1848) prit fin par le traité de Guadalupe Hidalgo, qui situa la frontière au fleuve Rio Grande et céda le Nouveau-Mexique, l’Arizona et la Californie aux États-Unis. Le Texas, qui avait accédé à son indépendance vis-à-vis du Mexique en 1836, fut annexé aux États-Unis en 1845. En août-septembre 1848, la mission potawatomie fut déplacée par le gouvernement à St Marys, au Kansas. Lucile Mathevon en faisait partie. Un récit de ce transfert mentionne que, au moment où les Indiens hésitèrent à poursuivre la route, elle prit la tête de l’escorte, abattant l’herbe haute qui leur barrait le chemin.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 618

L. 80 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

18 juin 18481 Ma chère et bien-aimée Sœur, J’ai reçu ta lettre du mois de mai ; j’étais privée de vos nouvelles depuis Janvier. J’ai fait part de ta lettre à la maison où est ta fille, car elle était privée comme moi des détails qui pouvaient l’intéresser. Il s’est passé bien des choses depuis. Je n’ai pas écrit à mon frère, ni à ma cousine Joséphine [de Rollin], ne sachant où ils seraient et si ma lettre pouvait leur causer du déplaisir. J’ai gardé la même réserve à l’égard de Mme Sophie, ma 1ère Mère, et tu me ferais plaisir, étant sur les lieux, de t’informer où elle est, on le saura rue Boissac, et de lui écrire toi-même que la maison de Saint-Ferdinand, dont on a retiré les sujets, a été vide une année, et une année occupée par des Sœurs qui y font l’école, et louent la maison à bas prix. Cette maison nous appartenant et restant avec quelques meubles et objets du culte, comme pour nous attendre de nouveau, nous désirerions savoir si on peut la reprendre pour les dames qui pourront venir l’habiter, si de côté ou d’autre, on peut payer leur voyage. On pourrait former là une école toute française : cette langue est bien appréciée et on l’apprend difficilement en l’étudiant avec l’anglais, car on retourne toujours à cette langue nationale. Cependant l’éducation n’est pas accomplie si on ne sait pas le français et on en est extrêmement jaloux. Vois si tu peux faire part de cette lettre et me procurer une réponse. Adieu, chère Sœur et bonne amie, je suis de cœur toute à toi. Philippine Duchesne

1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 175-176. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

Lettre 619

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L. 4 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 29 juillet [1848] Rec. à St Antoine de P1. Ma bien chère Mère, Dans ces temps de maladies et de convulsions politiques, on a besoin de se consoler avec ses amis. Notre correspondance éprouve de grandes difficultés par la voie de la poste. Il est plus aisé d’avoir une réponse de France. J’avais témoigné à Mère Hardey ma peine sur ton découragement dans ta pénible charge ; elle me répondit d’Halifax qu’elle avait une lettre de toi, où tu paraissais résignée, mais je ne laisse pas de compatir beaucoup à ta situation et ne pouvant la changer, j’ai tous les jours recours pour toi à la divine Providence, à la tendresse du Cœur de Jésus et de sa Sainte Mère. Ce sont les meilleures assurances que je puisse avoir que tout tournera à ton avantage. Si tu souffres, tu acquerras des mérites et pourras même, par ta résignation, attirer des grâces sur notre Saint-Père, la Sainte Église et sur la France, toujours sur un volcan. Considérons que nous sommes pécheresses, que nous avons beaucoup à expier et que d’autres, moins coupables que nous, souffrent plus que nous. La ville de Saint-Louis est celle où le choléra a fait de plus cruels ravages ; tous les jours, il y avait plus de 100 morts et jusqu’à 150 et 180. En une semaine, il y en a eu 900 ; maintenant, on se trouve heureux de n’en avoir que 30 ou moins, mais le fléau parcourt les campagnes, s’attaque à la population nouvellement arrivée d’Europe. Nos Sœurs de Saint-Louis ont perdu Mère Prud’hon économe, Mère Gardener maîtresse de l’école externe et 4 aspirantes ou novices toutes jeunes. Les autres communautés ont perdu chacune 2 ou 3 sujets. La Mère Gallwey a été en grand danger, s’est rétablie et est venue ici avec 8 de ses filles pour changer d’air. Elle est retournée et reviendra avec d’autres sœurs. Nous avons été exemptes du choléra, mais il ravage les campagnes. On croit que le fatal incendie qui a consumé, dans 8 rues, 300 maisons qui ont brûlé plusieurs jours dans les caves, a contribué à augmenter la 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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contagion. Fais-toi l’idée de pauvres abandonnés, exposés à tout vent, sans nourriture, etc. Aucun prêtre n’est mort et ils étaient sur pied, le jour et la nuit. La Mère Bazire, après avoir passé quelques mois à Saint-Louis, est partie pour aller au Kansas chez nos Potawatomis qui ont changé de place1 ; le gouvernement leur a bâti la maison des prêtres, l’église, et on commence celle de nos Sœurs qui ont à présent 30 pensionnaires dans deux chambres. Elles reçoivent pour elles 250 F par an. Mon frère m’a écrit une fois depuis la révolution de France, qui lui a fait perdre beaucoup [de biens]. Ta chère mère a vu pour la première fois tous ses fils réunis à sa table ; elle se portait bien ainsi que Mesdames de Rollin et Teisseire. Je ne crois pas qu’aucun des leurs soit dans les places2. Fais part de ma lettre aux Mères de Kersaint ou Hamilton. Mère Monique Lion est en grand danger de mort au Grand Coteau. Mère [Félicité] Lavy-Brun est au Natchitoches. J’embrasse toutes mes Sœurs et suis, in Corde Jesu, toute à toi. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve Supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Saint-Vincent Montréal Canada Poste restante

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2

En 1848, chassés de Sugar Greek, les Potawatomis furent contraints d’aller vers l’Ouest, à Sainte-Marie du Kansas, où la nouvelle mission s’établit. La Société du Sacré-Cœur y resta jusqu’en 1879. C’est-à-dire ayant de hautes fonctions dans le gouvernement, les banques ou l’industrie.

Lettre 620

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L. 5 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 30 août 1848 St Antoine de Padoue1 Ma bien chère Mère, Voilà comme Dieu contente les uns en infligeant les autres. Je me mets entre les deux et sans me réjouir de te voir en place, je bénis Dieu qui permet que tu redoutes ta charge afin que tu la portes avec défiance de toi-même et en mettant tout ton appui en Dieu. Il est trop bon pour t’abandonner. La bonne Mère Boilvin, que tu possèdes, a passé par la même épreuve, et le provincial, Père Elet, m’a dit qu’il avait vu peu de personnes aussi généralement estimées. Il en a été de même de la Mère Murphy aux Opelousas et qui a tellement captivé l’estime générale qu’on l’appelait la reine du pays, faisant tout ce qu’elle voulait des parents des enfants. Prononce le fiat généreusement. Je t’écris à la hâte, je sors de retraite. On avait gardé mes lettres et j’en ai beaucoup à finir pour profiter d’une occasion. Sois tranquille par rapport aux 250 F ; je n’aurais pas fait l’imprudence d’en écrire à Paris ; si je t’en ai parlé, c’est que je croyais devoir en user ainsi, ne me croyant pas propriétaire. Attendons, tout s’arrangera. Je n’ai plus eu de lettres de France depuis celle de ta mère, que je t’ai envoyée. Je n’augure rien de bon de cette révolution, mais il faut recevoir les châtiments de Dieu avec respect comme les récompenses. Ce qui m’étonne le plus, c’est le silence sur Mme de Rollin. Je pense qu’elle est peut-être morte et qu’on me le cache2. Si tu en sais quelque chose, dis-le-moi. Je pense que je la rejoindrai bientôt. Je joins à ma lettre une image dont me fait présent Mère de Coriolis, supérieure à la Trinité-des-Monts à Rome où on a donné asile à cette Mère Macrine favorisée de Dieu extraordinairement3. On dit que le 1 2 3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Joséphine Perier, baronne Savoye de Rollin, est décédée deux ans plus tard, le 23 septembre 1850, à l’âge de 80 ans. Makrena Mieczyslawska, abbesse des Basiliennes polonaises de Minsk (1838-1845), en Lituanie, résida à La Trinité-des-Monts de 1845-1848, après avoir fui la prison de Miadzioly le 1er avril 1845, avec trois autres sœurs (Cf. Lettres Annuelles de La Trinité-des-Monts). Arrivée à Rome, à la demande de Grégoire XVI, elle écrivit le récit des tortures effroyables qu’elles subirent en refusant d’apostasier la religion catholique pour devenir orthodoxes. Leur Mère

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pape a défendu d’en parler à Rome ; mais le Père Elet, qui en vient, a raconté plusieurs merveilles et assure que la Mère de Coriolis, ayant entendu la nuit dans sa chambre une musique délicieuse, sut de la Mère Macrina que c’était ses sœurs mortes dans leur persécution qui venaient la réjouir de leur concert. On lui surprend sa signature de faire aussi des miracles. C’est la dernière [image] que je vous envoie. Mes sœurs sont bien sensibles à votre souvenir et prient pour vous. Je suis in Corde Jesu toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve Supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Saint-Vincent – Près Montréal Canada

générale, Euphrasine Giedymin, princesse de Lituanie, fut envoyée avec d’autres Basiliennes en Sibérie sur ordre de l’empereur Nicolas Ier. L’Ordre de Saint-Basile comptait alors 245 religieuses qui furent toutes persécutées. Cf. Recueil de pièces authentiques traduites et publiées par Dom H. Leclercq, Les Martyrs, t. XIV : Corée-Syrie-Pologne (1802-1866), « Le Martyre des Basiliennes de Minsk en Pologne, de 1838 à 1845 », p. 76-127, Tours, 1922. Mais des historiens polonais contemporains mettent en doute la véracité des faits. http ://www.abbaye-saint-benoit.ch/martyrs/martyrs0014.htm#_Toc90195265. Récit de Makrena Mieczyslawska, abbesse des Basiliennes de Minsk en Lithuanie de 1838 à 1845.

Lettre 621

LETTRE 621

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L. 6 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles, ce 22 octobre 1848 St Antoine de Padoue1 Ma bien-aimée Mère, Je reçois aujourd’hui votre lettre du 28 septembre. La triste nouvelle de la mort de Mère Gonzague [Boilvin] était attendue, mais a toujours été très sensible. Elle a été pour moi un appui et une consolation ; pour la Société, un sujet précieux et d’édification ; pour Dieu, une enfant docile et une fidèle épouse du Sacré Cœur. Lorsqu’elle se rétablit après les premières atteintes de sa maladie, elle m’écrivit qu’il lui en avait coûté d’avoir été si près de son éternité et d’avoir été condamnée à rester encore dans la terre d’exil. Je suis bien rassurée sur son sort actuel après une sainte mort, mais il m’est doux et consolant de la rappeler à mon souvenir, en remplissant nos devoirs envers nos défuntes, et rappelant ses vertus. La lettre que tu me rappelles est sans doute celle où tu m’annonçais de quel fardeau on t’avait chargée. J’y ai répondu aussitôt, en t’encourageant à le porter avec résignation. Dieu t’a heureusement aplani les voies en te conciliant l’affection de tous ceux qui t’entourent ; c’est ce qui m’a été écrit de toutes parts. Console-toi donc puisque, outre la volonté de Dieu bien marquée, tu peux contribuer si facilement à la prospérité et régularité d’un établissement si utile dans un pays où la religion est encore toute vivante et honorée dans le pays. J’ignorais que mon frère eût fait des pertes considérables ; mais je n’en doutais pas, d’après les lettres de Mme de Rollin et de ma sœur. La première, qui avait ses frères et ses neveux dans les hautes places, les voit venir autour d’elle habiter leurs maisons de campagne et elle ajoute que tout le monde est à la gêne. Son frère Joseph a perdu sa femme, il en est désolé ; ses 4 filles sont mariées. Ta chère mère me fait des détails semblables, avec encore plus de vérité. Ton frère Eugène m’a écrit en témoignant le désir de venir en Amérique et me demandant différents renseignements sur les différents États. Je l’ai détourné de s’établir au 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St. Charles Mo., 25 octobre ; Montréal, Nov. 9 1848.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Texas, malsain et agité, au Tennessee que je connais peu. Je lui ai vanté notre bon air et nos bonnes terres, mais comme il n’est pas cultivateur et n’a pas de grands fonds, il pourrait trouver quelques places lucratives avec des recommandations de ton frère Henry qui exerce le saint ministère très librement à Lyon, adressées à ses confrères de La Nouvelle-Orléans ou de New York. Ta chère mère m’écrivait dans la même lettre [que] Constance est toujours à Chambéry où les paysans se sont opposés à la destruction du couvent dans les grands troubles. Il paraît que tout se calme un peu, mais la Suisse poursuit son système déplorable de persécutions. Nous avons à Saint-Charles ou à Saint-Louis une quinzaine de confesseurs de Jésus-Christ. L’un d’eux est chez les Potawatomis avec nos 4 sœurs qui ont quitté Sugar Creek pour le Kansas. Elles s’y trouvent très bien, quoiqu’encore sans maison pour l’école jusqu’au printemps. Vous avez dû recevoir la circulaire de Saint-Louis, annonçant la mort de Sœur Hoover, aspirante sortie du pensionnat de Saint-Charles : elle avait 23 ans. Une autre aspirante, tirée de Saint-Charles pour aller à Saint-Michel, est aussi bien près de son éternité ; elle se nomme Ignace Egan, avait été Sœur de la Charité au Kentucky ; elle est pleine de talents et de mérites. Saint-Charles vient aussi de fournir 3 sujets pour le noviciat des Opelousas, une pensionnaire que Mère Hamilton connaît et deux autres germaines, novices. Il est resté à Saint-Louis 6 autres germaines, toutes bons sujets. La Mère Thiéfry paraît bien contente au Natchitoches. L’établissement prospère beaucoup : 40 pensionnaires ; 110 à Saint-Michel ; 70 aux Opelousas. Je n’ai point reçu de lettres de mon frère, ni d’Augustin Jordan depuis la révolution de France. Donne de nos nouvelles aux Mères de Kersaint et Hamilton. Je les salue dans le Sacré Cœur, ainsi que la Mère Roche et Sœur Short. Si Mère de Monestrol1 me connaissait, elle ne ferait pas long chemin pour me voir. Il n’y a que toi qui aies pu avoir ce courage.

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Angélique de Monestrol, RSCJ, est née en 1811 à Montauban (Garonne). Elle entre au noviciat du Sacré-Cœur en 1844, à Niort, fait ses premiers vœux en 1846. Elle part pour l’Amérique en 1847 et, apparemment, se rend directement au Canada, sans passer comme Amélie par SaintCharles. Elle fait sa profession religieuse en 1850 à Saint-Vincent. Puis elle va successivement à : Saint-Louis, Manhattanville, New York, Détroit, Chicago et enfin au Sault, au Canada, où elle est décédée d’un œdème (éléphantiasis) en 1866 ; mort douloureuse mais héroïque.

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Lettre 622

Je vous chéris toutes dans le Sacré Cœur et suis en lui toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve Maison du Sacré-Cœur à Saint-Vincent À Montréal Canada

LETTRE 622

L. 2 AU PÈRE DE SMET

SS. C. J. M.

St Antoine de Padoue1 Mon révérend Père, Je ne puis vous exprimer assez ma reconnaissance pour avoir accepté ce que je croyais bien indigne de vous être offert, pour m’avoir honoré d’une de vos lettres, et pour l’inexprimable bonheur d’avoir eu, deux fois dans la semaine sainte, la messe à mon intention. Comment, après une telle faveur, ne pas bénir l’auteur de tout bien ? Je ne cesserai de le prier pour les missions et surtout pour celui que Dieu a choisi pour y travailler si heureusement. Je travaille aussi, espérant les récompenses de l’obole. Je suis avec un profond respect, mon Révérend Père, votre bien humble servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 9 avril 18492 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. C-VII 2) d Duchesne, Life, Box 3, Quelques notes sur la Mère Duchesne : « Entre l’année 1847 et l’année 1849, le Révérend Père De Smet, l’apôtre des Montagnes Rocheuses, en Amérique, fit

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 623

L. 81 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

25 avril [1849]1 Ma bien chère sœur, Chaque fois que je t’envoie un souvenir, je pense que c’est le dernier en cette vie ; l’âge me le disait, et aujourd’hui, la maladie me le dit plus encore. C’est une enflure qui se porte de côté ou d’autre et quand elle sera aux parties nobles, on dit qu’elle m’enlèvera de cette vie. Je suis en cet état, plus ou moins fatiguée, depuis la fin de novembre. Je suis bien loin de fuir la mort, et je soupirerais après, si je n’avais beaucoup à craindre du jugement, puisque le juste même n’est pas assuré de son sort, Dieu devant juger les justices-mêmes. Cette pensée est effrayante, prie et fais prier pour moi ; je le fais aussi pour toi et ta famille. Je puis cependant traîner encore longtemps, Dieu seul connaît le terme. J’ai appris les malheurs de Lyon, auxquels j’ai bien pris part ; heureusement que je te savais à l’abri des dangers. J’ai su aussi que mon frère avait mis une de ses nièces à la Ferrandière et qu’il y a été très bien accueilli. Le voilà revenu de ses préventions contre l’éducation religieuse. Je demande à Dieu que les autres tombent. Il y a bien du bon en lui, il se fait l’appui de bien des malheureux.

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une apparition à Jette [Belgique]. (…) Ce saint missionnaire nous a entretenues pendant une heure sur ses missions lointaines et nous a beaucoup parlé de la Mère Duchesne qu’il avait vue, il y avait peu de temps. Il nous disait que la Mère Duchesne a parcouru tous les échelons qui mènent à la sainteté et disait n’avoir jamais vu une âme plus ardente pour Notre Seigneur, qu’à son avis, elle aurait pu rivaliser avec sainte Thérèse ; qu’il n’avait pas rencontré d’âme plus pauvre dans sa vie privée, qu’elle était l’émule de Saint-François d’Assise ; d’âme plus apostolique pour conquérir des âmes que saint François Xavier. Elle lui avait communiqué son zèle pour la conversion des infidèles. En terminant, le Père disait : elle est maintenant sur la voie douloureuse du calvaire par l’inaction à laquelle son âge et ses infirmités la condamnent, mais cette voie, quelque dure qu’elle doive lui paraître, elle la parcourt avec sa ferveur de jeunesse et elle jette de profondes racines qui porteront un jour des fruits abondants. Je ne serais pas étonné, dit le Père, qu’elle fut élevée un jour sur nos autels. Le 18 août 1898, Céline de Groote, RSCJ. » Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 176-177. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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Lettre 624

Adieu, bonne Sœur ; heureux le jour qui nous réunira ! qui finira les douleurs et assurera le bonheur éternel, dans le sein de notre Sauveur, en qui je suis ta Sœur et amie. Philippine Duchesne R. S. C.

LETTRE 624

L. 3 AU PÈRE DE SMET

SS. C. J. M.

St Antoine de Padoue1 Mon très Révérend Père, Je me suis trouvée si heureuse de ce que vous aviez accepté la pauvre offrande de mon travail, et du bonheur de l’offrande de deux messes en ma faveur, que j’ai la confiance que vous voudrez recevoir ce que je vous envoie pour les missions chez les Sauvages : deux couvertures, dans l’une desquelles sont deux petites étoles, une grande, et quelques petits linges d’église. C’est le présent d’une pauvre, adressé aux pauvres, les vrais amis de Jésus-Christ. Votre charité en couvrira tous les défauts. Je suis avec le plus profond respect, mon révérend Père, votre indigne servante. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 29 avril [1849]

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Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 625

L. 82 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Saint-Charles du Missouri, ce 12 septembre 18491 Ma bien chère Sœur, J’ai à répondre à deux de tes lettres : la première, de février, m’arriva peu de jours après que je t’avais écrit ; ce qui fit suspendre ma réponse. Tu m’y parlais de l’exil de notre Saint-Père, des dispositions de la France à son égard. Tu m’y donnais des détails sur la famille Bergasse qui se relève de longues épreuves. Je ne doute pas que les vertus de notre Amélie n’aient attiré les bénédictions du Ciel sur ses enfants2. Ta seconde lettre est de juillet et me détaille la révolution de juin. Je la connaissais par nos gazettes qui sont très multipliées dans les États-Unis ; les ouvriers, les domestiques mêmes reçoivent la gazette. Il s’y en imprime dans de petits villages et les télégraphes, extrêmement multipliés ici, apportent rapidement les nouvelles d’Europe. Il en arrive dans l’Est après 8 jours de l’Angleterre ou de la France, et par ces deux États, il en parvient de toute l’Europe. Notre ville de Saint-Louis fait paraître 3 gazettes ; deux sont journalières, et sur grand papier, la 3e, haute de trois pieds, paraît toutes les semaines. Cette ville de Saint-Louis vient de fournir un terrible exemple des châtiments que Dieu envoie pour l’observance mal gardée de ses lois : le luxe, l’ivrognerie, le dimanche mal gardé pour la cessation du travail et l’assistance à la messe, ont attiré premièrement un incendie qui a consumé entièrement trente-six steamboats et 300 maisons dans les rues proches de la rivière. Le feu ayant commencé sur les steamboats, il a duré plusieurs jours ; il s’est renouvelé une seconde fois et a brûlé cinq steamboats. Le choléra est venu à la suite et la dysenterie ; ces deux maladies ont fait périr 10 000 habitants ; il y a eu des jours où l’on en portait 180 aux cimetières ; dans des maisons, il n’est resté que les petits enfants. L’asile des orphelins, composé de 60 enfants, est tout de suite monté à 132. Malgré le zèle des prêtres à assister les mourants, aucun n’est mort. Dans le collège des Jésuites, environné de morts et de mourants, personne n’a été atteint ; on était 1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 177-180. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Mme Amélie de Mauduit, née Duchesne, est décédée en 1837.

Lettre 625



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200 dans la maison, mais on y priait avec ferveur la Sainte Vierge. Nos sœurs de Saint-Louis ont perdu 8 sujets en 6 semaines, dont six par le choléra en peu de jours. Il est venu aussi à Saint-Charles, mais il n’y avait guère qu’un ou deux morts par jour ; il ne nous a pas attaquées. Après Saint-Louis, je crois que la ville où le choléra a été plus sévère, c’est Cincinnati. Je désire vivement que les disgrâces de ce monde trompeur amènent au service de Dieu mon frère et mon beau-frère ; je les porte tous les jours au pied des autels. Notre chère Aloysia [Amélie Jouve] m’écrit de Montréal qu’elle y a vu son frère cadet [Eugène] qui s’est établi à New York1 ; elle paraît moins surchargée de son fardeau et est fort aimée de ses filles. J’espère qu’elle sera pour elles une autre Constance2 ; je suis charmée qu’elle t’ait vue ainsi que le R. Père Henry, à qui je demande une messe, en qualité de marraine. Pour juger des progrès de la religion catholique dans les États-Unis, je te dirai seulement qu’il s’y trouve plus de 20 évêques, et après l’autorisation du pape, sept archevêques. La ville de Cincinnati, en 1832, n’avait que 6 000 catholiques ; maintenant il y en a 40 000 ; il n’y avait qu’une église de bois, il y en a maintenant dix grandes en briques. Nous y avons dix établissements : la Visitation, 5 ou 6, les Sœurs de charité, de Saint-Joseph, de la Croix, de la Merci, bien davantage. Il s’y trouve des Jésuites dans six ou sept grands collèges ; des Lazaristes, dans nombre de diocèses, des Rédemptoristes, des Augustins, des prêtres de la Croix, des Trappistes, etc. Dans le temps du choléra, le président des États-Unis fit une adresse pour chaque État, renfermant l’ordre de consacrer à la prière le 1er vendredi d’Août et d’y faire cesser tous les travaux publics pour s’humilier devant Dieu et en obtenir la cessation du choléra. Ce président, ci-devant Général Taylor à la tête des Américains dans la guerre du Mexique, prenait souvent ses délassements avec un Jésuite, à la suite des troupes catholiques, savant et parfait religieux. Il a été tué par des Sauvages qu’il allait évangéliser. Tu me feras plaisir de transmettre ces petits détails de nouvelles à Mme de Rollin, afin de ne pas me répéter dans ce billet que je joins 1

2

Eugène Jouve (1814-1887), célibataire, dessinateur et journaliste, correspondant au journal Le Courrier de Lyon. Ses œuvres les plus connues sont : Lettres sur la guerre d’Orient, Lyon, Vve Mougin-Rusand, 1854 ; Voyage en Amérique, Lyon, Vve Mougin-Rusand, 1853-1855. Constance Jouve, supérieure à Chambéry, était fort appréciée de sa communauté, des parents d’élèves et du clergé local.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

ici. Reçois l’expression de ma vive affection dans les Cœurs de Jésus et de Marie. Philippine Duchesne R. S. C.

LETTRE 626

L. 7 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 14 octobre 1849 St Antoine P1. Ma bien chère Mère, Tes deux dernières lettres ont été un baume pour mon cœur, parce qu’il paraît que Dieu, après t’avoir si fort éprouvée par la pesanteur de ta charge, te l’adoucit maintenant. J’en ai bien remercié saint Régis et continuerai de lui recommander ta maison qui m’est aussi chère que la nôtre. Dieu, après nous avoir éprouvées par les malheurs de SaintLouis et par le changement de tous nos prêtres qu’on a changés à la fois, augmente le pensionnat et a donné le moyen de faire deux petites bâtisses d’un grand secours. Le porteur de ta lettre l’a [tout] bonnement mise à la poste de SaintLouis ; nous ne l’avons point vu. J’ai eu depuis peu des nouvelles de notre famille par ta chère mère qui se plaint de sa difficulté pour écrire. Elle a été tranquille dans la dernière révolution qui, retardée par une longue et forte pluie, a donné au bon parti le temps d’avoir un renfort de l’armée où deux de tes frères sont engagés et dont l’un [Camille] a une place distinguée. Constance a été à Lyon et ta mère, qui y visitait sa fille à la fête du Sacré Cœur à la Ferrandière, y dîna avec son fils Henry qui était le prédicateur. Nous possédons en ce moment la Mère Bathilde [Sallion] ; elle a cruellement souffert de l’hiver rigoureux à McSherry [Pennsylvanie], n’a pu se remettre à Philadelphie. Notre Mère générale, croyant que 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 626



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les froids du Nord lui fussent contraires, l’a engagée à aller en Louisiane. Elle est arrivée mourante à Saint-Louis avec une jaunisse très forte, y a gardé le lit jusqu’au jour où elle a désiré se remettre à SaintCharles. Elle y est sur pied une partie du jour, vient aux récréations. Sa jaunisse est passée, elle se promène ; mais ayant grande frayeur des docteurs allemands, elle désire retourner à Saint-Louis, ayant encore besoin de remèdes. Il sera possible qu’elle reste à Saint-Louis où elle peut être très utile après les pertes qu’on y a faites. Tu les verras en détail dans ma lettre à Mère Hamilton que je joins à la tienne pour faire d’une pierre deux coups. Je te prie de l’envelopper et de l’envoyer à Saint-Jacques. Mère Bathilde m’a donné une nouvelle adresse qu’elle dit valoir mieux que celle de Poste restante à Montréal. J’ai bien pris part à la perte que vous avez faite de votre digne fondateur. C’est sans doute lui qui, au pied du trône de toutes les grâces, les obtient pour vous. On dit que Mère Bazire ne pourra pas rester chez les Sauvages ; elle ferait une grande sottise de les quitter. Après l’épreuve d’un logement très étroit, quand elle entrera dans le bâtiment que le gouvernement leur fait bâtir, elles seront bien logées et auront plus de 40 pensionnaires qui recevront du gouvernement 50 $ pour leur pension ; ajoutez à cela de bonnes terres cultivables, elles seront mieux que nous. Le spirituel ne peut manquer puisque les Jésuites reçoivent du gouvernement pour les garçons et la civilisation. Fais prier, je te prie, car elle a tout ce qu’il faut pour se rendre utile et on ne peut la remplacer avec les pertes qu’on a faites. Elle se prépare de grands malheurs si elle abandonne son poste. Fais aussi prier pour notre maison pour que Dieu la protège, la conserve et nous sauve, surtout moi qui suis si près du tombeau. In Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. Nous avons 26 pensionnaires.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 627

L. 2 À MÈRE LYNCH [1849]1

Ma chère Sœur Lynch, Si je n’ai pas répondu plus tôt à votre billet, c’est que je croyais vous voir dans peu [de temps] ; les mauvais chemins sont un obstacle. Il faut attendre qu’ils se dessèchent un peu et que le Missouri soit dégelé. Je ne suis plus malade, et l’ai été fort peu ; mon pied est aussi guéri. Il n’y a personne sérieusement malade, mais plusieurs ont de mauvais rhumes. Sœur Griffin en souffre encore2, Sœur Élisabeth tousse aussi beaucoup. Faites mes compliments à toutes mes sœurs, aux élèves et aux externes françaises. Je n’oublie personne dans mes prières. Je suis dans le Cœur de Jésus toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C.

1

2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. D’après son contenu, cette lettre est écrite au début de l’année 1849, durant la période de grands froids et de gel. Élisabeth doit être à Florissant ou à Saint-Louis lorsque Philippine lui écrit, bien que le catalogue annuel de la Société du Sacré-Cœur la situe à Saint-Charles. Marie-Louise Griffin, RSCJ, née à Saint-Louis en 1825, entrée au Sacré-Cœur en 1843, a prononcé ses premiers vœux en 1845. Elle est morte du choléra le 30 juillet 1849, alors qu’elle était encore aspirante.



Chronologie 3

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CHRONOLOGIE 3 ÉPOQUES POUR LA SOCIÉTÉ EN AMÉRIQUE1 Départ de Paris des premières religieuses du Sacré-Cœur pour l’Amérique

8 février 1818

Entrée en mer

19 mars 1818

Arrivée la Nouvelle-Orléans le jour même de la fête du Sacré Cœur

29 mai 1818

Arrivée à Saint-Louis

22 août 1818

à Saint-Charles, le 6, et 1ère messe le 8

Septembre 1818

Entrée dans la maison de Saint-Ferdinand, 21 décembre, 1ère messe à Noël

Décembre 1819

Départ de Mère Eugénie Audé pour la fondation aux 5 août 1821 Opelousas Arrivée des Jésuites dans le Missouri

Juin 1823

Fondation du Sacré-Cœur à Saint-Michel

Décembre 1825

Fondation du Sacré-Cœur à Saint-Louis

2 mai 1827

Arrivée de France de Mère Dutour et compagnes

9 septembre 1827

Fondation du Sacré-Cœur à La Fourche

Septembre 1828

Fondation du Sacré-Cœur et consécration de l’église le 12 octobre 1828 à Saint-Charles Arrivée de Madame Thiéfry, Lavy, Bazire

11 août 1829

Arrivée de Mère de Kersaint et compagnes

24 août 1831

Dissolution de la maison à La Fourche

1832

Choléra

1832

Morts de Mgr de Neckère, de M. Richard, de Mère Octavie Berthold

16 septembre 1833

Départ de Mère Eugénie Audé pour la France

Mai 1834

Mère Thiéfry supérieure à Saint-Louis, Mère Duchesne à Saint-Ferdinand

Octobre 1834

Mort de Mère Murphy aux Opelousas

Octobre 18362

1 2

Original autographe. C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Miscellaneous, Autograph of Blessed Philippine Duchesne. Elle est morte le 6 septembre, mais Philippine n’a peut-être reçu la notice que le 11 octobre.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Mère Hardey supérieure à Saint-Michel, Mère Bazire 1836 aux Opelousas Mort de M. Perreau et du P. Van Quickenborne

1837

Arrivée de Mère Galitzine

Septembre 1840

Suite des époques1 J’arrive à Saint-Charles le 29 juillet

1842

Dissolution du pensionnat, la maison en vente

1843

Mort de Mère Galitzine

Décembre 1843

Retour du pensionnat

1844

Voyage à Saint-Louis par l’ordre des Mères Cutts et Bathilde

1844

8 mai, Mère Cutts arrive avec Mère Saint-Cyr qu’elle 1845 établit supérieure à Saint-Charles 3e visite de Mère Cutts

1846

Lundi après la Trinité, destruction de la maison de Saint-Ferdinand. C’était le 8 juin

1846

Départ de Mère Hamilton

8 septembre 18462

Je viens à Saint-Louis pour la donation

fin de Décembre 1846

Fondation de New York changée à McSherry près de Philadelphie détruite et rétablie à Eden Hall, Philadelphie

en 1841 1847 1842 1848 1847

Natchitoches

1847

De Sugar Creek au Kansas

18483

Halifax et Buffalo

1849

1

2

3

Original autographe, écrit sur un morceau d’enveloppe. C-VII 2) d Duchesne-Life-Box 2, Chronologie détaillée de la vie de notre Bre Mère Duchesne, Blessed Philippine Duchesne, ­Personal documents. Some letters and notes. Philippine était très attachée à Régis Hamilton, son ancienne novice, récemment supérieure à Saint-Charles, partie en 1846 à Saint-Jacques, au Canada. Elle demandait instamment son retour et l’obtint en novembre 1851, de telle sorte que la Mère Régis fut auprès d’elle durant la dernière année de sa vie. En 1848, les Potawatomis ont été forcés de se déplacer vers l’Ouest, à St. Marys. Les Jésuites et les Religieuses du Sacré-Cœur sont partis avec eux.

Lettre 628

LETTRE 628

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L. 16 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M. 

Saint-Charles, ce 10 février 1850 St Antoine1 Mon très Révérend Père, Nous avons eu la visite, ces jours passés, du Père Van Assche, toujours curé à Saint-Ferdinand. Il a enfin refait le toit de l’église, mais il lui manque une cloche. Il m’a dit que vous lui en aviez fait espérer une de la Flandre et il la désire beaucoup, le son de la sienne ne pouvant être entendu des paroissiens qui se sont étendus dans les terres depuis qu’elles ont été partagées entre eux. Je ne sais quel Père l’a entretenu dans ses espérances et lui a dit que quelques personnes avaient déjà contribué à cette bonne œuvre. Il en désire ardemment le succès ; il la voudrait de 1 000 livres ; et malgré ma répugnance à vous importuner, il a insisté pour que je fusse votre interprète. Veuillez, je vous prie, me répondre s’il vous est possible de réussir. Nous ne sommes plus à Saint-Ferdinand, les Sœurs de la Croix du Kentucky y ont pris notre place et sont aussi chez les Osages sous la direction de Jésuites qui n’ont pu avoir de nos Sœurs ; et elles réussissent au-delà de leur espérance auprès des jeunes filles. Nos Sœurs, les mêmes avec lesquelles j’étais allée chez les Pottowatomis, ont changé de place avec cette nation et sont maintenant à Kaw River, où le gouvernement a fait bâtir les écoles pour les garçons et les filles, ainsi qu’une grande église, et donne 50 $ par an pour chaque pensionnaire, au nombre de 46. Elles ont passé ce nombre jusqu’à 60 et s’arrangent pour le surplus avec les parents. Voici le nom de nos maisons en Amérique : Saint-Charles, SaintLouis, Saint-Michel, les Opelousas, Saint-Vincent en Canada, SaintJacques en Canada, New York, Halifax, Buffalo, Philadelphie, McSherry près Philadelphie, Natchitoches. Saint-Louis a considérablement augmenté ; on y compte 50 mille habitants, dont plus de 20 mille sont germains, mais le luxe et l’ivresse y augmentent aussi. Dieu semble avoir voulu en faire un exemple de ses vengeances : le jour de l’Ascension, cette année, le feu a pris à un 1

Original autographe. C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Louis MO, Fev. 25, 1850. Au verso : « Mère Duchesne, ancienne supérieure des Dames du Sacré-Cœur, 1850 ».

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

steamboat qui le communiqua à 36 autres où tout périt. Le feu atteignit les maisons de la ville la plus proche et 300 ont été consumées dans un jour, mais les caves qui avaient renfermé des objets capables d’entretenir le feu, ont fumé pendant deux mois ! On n’a pu calculer le nombre de morts, ni celui de ceux qui ont péri bientôt après le feu, par le choléra ; on en a enterré jusqu’à 100, en un jour. Nos sœurs de Saint-Louis, en deux mois, ont perdu 8 sujets ; nous l’avons évité à Saint-Charles. Me voici parvenue à ma 81e année ; il y en a 31 que je suis en Amérique ; j’y ai bien peu fait pour la gloire de notre commun Maître. Priez-le pour moi et accordez-moi, je vous prie, une messe pour la bonne mort. J’ai pour supérieure la Mère Saint-Cyr que vous avez vue à Saint-Ferdinand et aux Opelousas. Bénissez-nous toutes deux pour l’amour du Cœur de Jésus. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Chanoine de la cathédrale Rue aux Marjolaines, N° 54 À Gand Flandre

LETTRE 629

L. 8 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 30 mai 1850 Rec. à St Antoine de P1. Ma chère Mère, J’ai à répondre à deux de vos lettres ; la 1ère est celle que vous croyiez perdue, et la 2de du 14 avril. J’ai fait vos commissions auprès de Mère 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 629

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Mathilde qui se porte beaucoup mieux, entretient les récréations agréablement et remplit les emplois d’économe, de consultrice et maîtresse de français. La Mère Cutts vient de nous visiter ; elle est repartie ce matin de Saint-Charles et quittera Saint-Louis dans huit jours. Elle nous fait prier pour les santés du midi ; on y a perdu trois excellentes maîtresses d’anglais de la consomption et trois autres sujets distingués en sont attaqués. Joignez vos prières aux nôtres pour obtenir leur guérison, car les ouvriers manquent pour la moisson1. Saint-Michel a cent quarante élèves ; les Opelousas, cent dix ; le Natchitoches, 100 y compris les externes. Je n’en sais pas le nombre dans les deux autres maisons. La Louisiane fournira à l’avenir plus de sujets pour nous ; deux postulantes ont accompagné ici Mère Cutts et beaucoup d’autres se préparent. Les pertes faites l’année passée à Saint-Louis et celles au midi n’ont pas permis de faire la fondation promise pour La Nouvelle-Ibérie, à 40 lieues des Opelousas. On sollicite pour celle de Saint-Antonio au Texas, à Milwaukee dans le Wisconsin, de Chicago dans les Illinois et au Detroit dans le Michigan. On a eu peine à trouver deux sujets pour augmenter les secours chez les Pottowatomis. Mère Lucile y a 50 à 60 élèves métisses et sauvages. Mère Bazire s’est dégoûtée de ce séjour comme de celui de SaintLouis et des Opelousas. On ne pense pas qu’il y ait d’autre place pour elle que la France2. Je commence, je crois, à radoter : tantôt je dis vous et tantôt toi. Il faut pardonner à ma vieillesse de 81 ans. La France étant encore sur un volcan, ton frère [Eugène] réussira peut-être mieux au Mexique, c’est un pays bien catholique et ceux qui y ont fait la guerre se sont loués de la bonté des habitants. Saint-Louis devient une Babylone depuis les émigrations. Cette ville n’avait que 4 000 âmes à notre arrivée en 1818 et maintenant, elle en contient 63 000. Cincinnati, qui n’existait pas ou à peine, en a plus de 100 000. Le retour du pape à Rome a aussitôt causé celui de plusieurs prêtres dans leur patrie. Les religieuses de Notre-Dame de Namur en Flandre, qui ont deux établissements dans le territoire Oregon ou de Colombia, vont avoir cette année un renfort de 12 Sœurs qui veulent y parvenir 1 2

Jn 4, 35. Julie Bazire est arrivée en Amérique en 1829. Elle retourna en France de 1843 à 1847, puis revint aux États-Unis jusqu’en 1850 et rentra ensuite définitivement en France. Elle est décédée en 1883.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

par terre et par conséquent par Saint-Louis. Leurs règles sont fort semblables aux nôtres. Les Jésuites, venus avec la première colonie et établis dans le Midi, songent à s’établir dans la Californie. On leur fait des propositions très avantageuses pour deux collèges. On les demande aussi au Mexique. Il en restera dans l’Oregon. Nous avons toujours, à Saint-Charles, trois de ces Pères qui, les dimanches, desservent trois paroisses. Ces deux jours passés, des visiteurs nous ont procuré 6 messes chaque jour. L’une se disait à mon intention, je répondais à une autre entre deux autels où le Saint Sacrifice était offert par nos deux plus grands missionnaires : le Père De Smet qui a traversé quatre fois l’espace qui nous sépare de l’Océan Pacifique et en a visité les peuplades, et le Père Hoecken qui est très habile pour les langues sauvages et peut en parler 12 ou 15. Il est maintenant de la mission où sont nos sœurs, mais il désire entreprendre de nouvelles conquêtes. Juge comme je me trouvais bien entre ces deux saints dont la charité pour moi va jusqu’à dire souvent la messe pour moi. Tu ferais bien de te procurer par Paris les livres des Missions du Père De Smet, qui ont été imprimés à Lille et je crois aussi en Flandre. Il m’a fait présent de deux volumes différents l’un de l’autre. Je reçois bien rarement des nouvelles de ma famille ; tu en as sûrement de plus récentes. J’admire la simplicité de tes bonnes Sœurs de désirer quelques lignes de ma part. Une longue vie n’est pas un sujet d’estime, mais de tremblement pour celle qui doit en rendre compte. Je leur envoie des vers. Je fais passer ta lettre à Mère Hamilton avec les nouvelles de celle-ci, si elle est encore à Saint-Jacques. In Corde Jesu, Philippine Duchesne

Lettre 630

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L. 140 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

30 juin 18501 St Antoine Ma bien-aimée et vénérée Mère, Je vous ai répondu à la lettre confiée à Mère Guinand, que je n’ai pas encore eu le plaisir de voir2 ; mais elle m’a écrit. Je ne savais comment contenir ma sensibilité à la vue et lecture de votre lettre et ma reconnaissance pour vos présents ; je cherchai à l’exprimer en vous répondant, mais je n’avais pas d’expression pour la satisfaire. Il faut que continuellement je présente à mon Dieu ma dette envers vous, pour pouvoir l’acquitter. Je vous ai encore écrit3, mais votre dernière lettre est toujours celle de septembre 1849. Je me trouve encore bien favorisée par vos lettres, étant devenue tout à fait inutile. La seule charité peut m’en procurer. Lorsque j’ai appris le dépérissement du R.  Père Varin, j’espérais quelques lettres qui nous missent au courant de sa maladie. C’est dans la Gazette du Kentucky que j’ai appris sa mort4 ; et on l’y fait connaître comme l’auteur de nos Constitutions. Que de souvenirs cette mort a rappelés ! Que de reconnaissance envers lui, qu’on ne peut acquitter ! Que de compassion pour ma vénérée Mère, déjà tant éprouvée par la perte d’un frère, son appui ! Il faut votre grande âme pour porter le poids de tant de peines, avec celui des révolutions. Nous avons eu Mère Cutts quinze jours dans le Missouri, elle a fait partir deux sujets pour Mère Lucile [à Sugar Creek], mais peut-être deux reviendront : Mère Bazire et notre première Sœur épuisée par les travaux. Le reste est bien ferme et réussit parfaitement. 1 2

3 4

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Saint-Charles MO, Jul. 2 ; Calais, 30 juillet 1850. J. de Charry, II 3, L. 331, p. 332-333. Adine Pierrette Guinand (1816-1880), RSCJ, née au Mornant, près de Lyon, entra à La Ferrandière en 1837, fit ses premiers vœux en 1840 et sa profession en 1848 à Conflans. Elle partit en Amérique l’année suivante, fut supérieure au Baton Rouge durant l’existence de cette communauté (1851-1855), puis à Natchitoches en 1856. En 1864, elle alla à Detroit, puis à Sault-au-Récollet (Canada). Revenue à Saint-Michel en 1873, elle est décédée sept ans plus tard. Cette lettre confiée à la Mère Guinand et la réponse de Philippine n’existent plus. Le P. Varin est décédé le 19 avril 1850.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Nous désirons beaucoup le retour de Mère Hamilton. Elle a un talent particulier pour soigner les congrégations. On ne l’avait demandée que pour un an, et en voilà trois qu’elle nous manque. Les deux maisons du Canada prospèrent après quelques épreuves1 ; et en général, celles des États-Unis. On m’a fait donner mon avis sur les vœux de deux anciennes aspirantes. Combien je désire qu’elles ne soient pas retardées. Il y en a encore qui ont passé leur temps. Ces longues épreuves sont ce qui les dégoûte2, quand elles voient des maisons où leur sort est assuré après un ou deux ans. C’est là qu’on se rendra, pour ne pas s’exposer à être renvoyé après six ou huit ans. Notre maison a autant de sujets et d’élèves qu’elle peut en contenir. On pense à l’augmenter, et cela paraît bien nécessaire pour les santés. Je suis, avec le plus profond respect, ma vénérable Mère, votre fille très humble et obéissante servante. Philippine Duchesne r. S. C. Mes respects à nos Mères de Charbonnel et Desmarquest. Saint-Charles, 30 juin 1850 [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Rue de Varenne n° 41 À Paris France By way of New York

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2

Saint-Jacques de l’Achigan (1842), mission transférée à Saint-Vincent (1846), puis à Sault-au-Recollet (1856) par Aloysia Hardey. Une nouvelle fondation a été faite en 1849, à Halifax. À cette époque, la durée normale des premiers vœux était de cinq ans mais elle pouvait être prolongée. Or, dans d’autres congrégations, les vœux définitifs se faisaient après un ou deux ans de noviciat.

Lettre 631

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L. 17 AU PÈRE DELACROIX

SS. C. J. M.

[Juillet 1850] St Antoine de Padoue1 Mon très révérend et bon Père, Votre lettre m’a été bien agréable, puisque loin d’être fatigué de mes lettres, vous m’engagez à vous écrire quelquefois. Je ferai part de votre lettre au Père Van Assche ; il a réparé son église et a doublé notre maison pour les Sœurs de la Croix du Kentuky qui nous remplacent à Saint-Ferdinand, que nos Mères leur ont abandonnée. Nous avons deux maisons en Canada, deux dans l’État de New York, deux près Philadelphie, une à Halifax, une à Buffalo, trois dans le Missouri et trois dans la Louisiane ; en tout : 14. Les Sœurs de Notre-Dame de Namur prospèrent plus que nous à Saint-Louis où il y a maintenant des Visitandines, des Ursulines, des Sœurs de Saint-Joseph, du bon Pasteur et trois ou quatre maisons de Sœurs de la Charité. Il y a plus de sept églises catholiques, le collège des Jésuites et [celui] des Frères de la Doctrine chrétienne. Cette ville de Saint-Louis, où il n’y avait pas plus de 4 000 âmes quand nous y arrivâmes, en a maintenant 63 000. La Nouvelle-Orléans, Cincinnati et Baltimore ont chacune plus de 100 000 habitants, New York près de 400 000, Philadelphie 230 000. Le nombre des évêchés est bien consolant. On en compte au-delà de trente, sous cinq archevêques. La Californie, les îles sur la côte de l’Oregon et la Nouvelle-Calédonie sont aussi pourvues d’évêques. Le Père Nobili2 jésuite écrit qu’il a baptisé dans la Calédonie [Colombie-Britannique] 15 à 1600 Sauvages ; il y a 3 églises et plus de 7 dans le territoire Oregon. Nos Sœurs sont toujours chez les Pottowatomis qui ont 2 000 catholiques. Les Osages ont aussi des Jésuites payés par 1

2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachets de la poste : St. Louis MO, Jul. 10 ; Gand : 6 Août 1850. Au verso : « Mère Duchesne, ancienne supérieure des Dames du Sacré-Cœur ». Jean Nobili (1812-1856), SJ, né à Rome, ordonné prêtre en 1843, s’est porté volontaire pour l’Amérique en 1844. En compagnie du P. De Smet, il est allé dans l’Oregon pour ouvrir de nouvelles missions sur la côte Ouest. Il atteignit l’Alaska, fit un travail considérable en Colombie-Britannique. Il a ensuite fondé Santa Clara (Californie), où il est décédé. Philippine ne l’a probablement jamais rencontré mais elle a appris, par ses lectures, ses succès missionnaires.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

le gouvernement, ainsi que les Sœurs de la Croix ; de même que chez les Pottowatomis où 700 personnes [ont été] baptisées. Le Père Bax1, qui a appris leur langage et qui est venu faire un tour à Saint-Louis où il a prêché en faveur de ses ouailles, a recueilli après un discours dans l’église du collège 1 000 $. Il a le don de la parole et on croit qu’il sera évêque pour les Sauvages. Un mot de vos anciennes enfants : Émilie Chouteau a été très malheureuse avec son mari ivrogne. Ils sont tous deux morts, mais la jeune dame en sainte ; sa fille est chez nous. Les cinq demoiselles Pratte sont toutes mariées : trois à New York et deux à Saint-Louis ; ce sont de bonnes mères de famille. Les pères et mères sont morts ainsi que M. et Mme Saint-Cyr [dont] tous leurs enfants sont mariés, excepté notre supérieure qui se propose de vous écrire. Nous avons en ce moment ici, une postulante de la Louisiane qui pour faire son deuil, à votre départ, a été trois ans sans se confesser. Celui qui a eu sa confiance après vous l’a trouvée mieux instruite ; elle n’est restée que trois mois à regretter ; elle veut se rappeler à votre souvenir et m’a dit que le Père Labbadi, qui dessert Saint-Michel, a fait bâtir deux chapelles aux points les plus éloignés de l’église. Il y dit la messe une fois par mois. La Mère Thiéfry et Sœur Knappe sont au Natchitoches où il y a environ 40 élèves. Il y en a 110 au Grand Coteau et 140 à Saint-Michel où est supérieure Mère Pratz, Française2. Mère Louisia Lévêque est au Grand Coteau, Evelina Lévêque à Buffalo. Mère Hardey a une province ; sa maison est près de New York. C’est elle qui a fondé Halifax et Buffalo. Tous les évêchés sont pourvus de collèges et d’écoles. Les Sœurs de la Merci sont très répandues. Au milieu de ce bien, il y a beaucoup de mal. Saint-Louis a du bien bon et du mauvais. Le choléra qui y a fait tant de victimes et l’incendie de 300 maisons n’ont pas empêché le progrès du luxe et des fêtes. Ce mois de mai, 300 personnes étaient réunies pour se livrer aux plaisirs, le plancher s’est écroulé, il y a eu plusieurs morts et beaucoup de blessés. 1 2

Jean J. Bax (1817-1852), SJ, Belge, arriva au Missouri en 1847 pour aller travailler chez les Osages. Il est décédé de la variole, peu de temps après. Annette Françoise Pratz (1811-1855), RSCJ, est née le 9 mars 1811. Elle prit l’habit le 20 février 1831, fit ses premiers vœux le 15 octobre 1833 à La Ferrandière (Lyon), et sa profession le 26 octobre 1836 à Paris. Elle arriva en Amérique en 1840. Elle est décédée à 44 ans, le 19 septembre 1855. Elle est la première des quinze religieuses et trois élèves mortes de la fièvre jaune, en quinze jours, à Saint-Michel.



Lettre 632

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C’est vous, mon bon Père, qui avez guidé nos premiers pas dans notre mission. Nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous, moi surtout pour qui vous avez offert le Saint Sacrifice ; donnez m’y encore quelque part, car mes 81 ans doivent me rendre la mort présente. Je suis, mon respectable Père, votre dévouée fille et servante. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monsieur Monsieur Delacroix Chanoine de la cathédrale Rue aux Marjolaines, N° 34 À Gand Flandre

LETTRE 632

L. 83 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

St Antoine de Padoue Saint-Charles, ce 4 août 18501 Ma bien bonne Sœur, J’ai reçu hier ta lettre du 4 juin qui annonçait la mort du pauvre M. de Mauduit qui, depuis longtemps, était l’objet de mes prières journalières2. Dieu est si bon qu’un moment de repentir peut effacer les péchés d’une longue vie ; nous en avons eu un bel exemple dans la personne de celui qui a coupé le 1er arbre pour commencer à bâtir SaintLouis. Son idole était Voltaire ; sa vie, criminelle. Un zélé missionnaire 1 2

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 181-182. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5. Joseph-Constant de Mauduit, chevalier du Plessis, né le 22 août 1760 à Pouldergat (Finistère), est décédé à Grâne (Drôme) le 26 mai 1850.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

s’est rendu son ami, faisait sa partie aux cartes et enfin, l’a conduit à une heureuse mort. Témoigne à Mme Bergasse la part que j’ai prise à ses peines et, maintenant, à l’heureux état de sa famille. Je me recommande à ses prières. Je te dois deux réponses à tes deux lettres de cette année. Ta fille Amélie écrit peu, mais je sais que tout va bien chez elle. Son frère est allé au Mexique1, d’où je crains qu’il passe en Californie, où la fureur de l’or attire une grande population ; mais je crois plus à une lettre du voisinage qui assure que sur un qui s’enrichit, 500 s’y appauvrissent et n’ont pas même de quoi retourner sur leurs pas. Le luxe, la danse, les spectacles sont à côté de la douleur et de l’extrême misère. L’état de l’Europe pèse bien sur mon cœur. Mais comme la France se distingue en tout temps, c’est elle qui rétablit le pape comme autrefois Charlemagne, dans ses affaires temporelles ; mais qu’il faut le secours du Ciel pour réprimer ce goût d’anarchie et de division. Ne t’inquiète pas sur ma santé ; elle est aussi bonne que le comporte l’âge de 80 ans. Je te suis unie par un âge bien rapproché, par tous les sentiments de l’amitié et parenté. Je suis dans le Sacré Cœur de Jésus, toute à toi. Philippine Duchesne Religieuse S. C.

LETTRE 633

L. 9 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 10 novembre [1850] St Ant. de Padoue2 Ma chère Mère, J’ai reçu vos deux dernières lettres. Comme vous me disiez dans la dernière que vous n’aviez pas de nouvelles de France, je viens vous en donner. J’ai eu hier une lettre de mon frère, du mois de septembre ; il 1 2

Voir Lettre 629. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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Lettre 633

m’annonçait la mort de Mme de Rollin, la mère des pauvres et ma si intime amie. Elle a perdu ses facultés intellectuelles dès le commencement de sa maladie. Dieu, qui voyait cette âme toute prête pour le Ciel, a sans doute voulu lui ôter la connaissance de sa mort qu’elle craignait beaucoup. Je crains que sa sœur [Marine Teisseire] la suive de bien près. Mon frère me dit que Mme Jouve est à Grâne, mais je n’ai pu distinguer si c’était ma sœur ou sa belle-fille, enfant de Mme Bergasse. Il faut que ma sœur soit bien, car si elle eût été malade, il n’aurait pas laissé un doute si affligeant. Ce qui me confirme qu’il ne me parle pas de ta mère, c’est qu’il dit dans le cours de sa lettre que tous les enfants de M. de Mauduit et les petits-enfants sont tous réunis à Grâne. Je ne sais si on conservera une possession, si éloignée des villes qu’habite cette famille qui prospère maintenant par la bonne éducation que leur mère leur a donnée. Le fils aîné est en état de veiller aux affaires de la famille. Mère Gallwey a perdu des sujets qui l’obligent de faire la 1ère classe. Mère Bazire l’a quittée et est allée à New York, pour sans doute passer en France. Notre Mère générale est à Rome. Tout était prêt dans la Louisiane pour une 4e maison, à 30 lieues du Grand Coteau. Des ennemis ont fait brûler par un Nègre la maison qui était toute prête. La fondation sera, je crois, abandonnée pour toujours1. Il y a plus de 100 élèves à Saint-Michel et au Grand Coteau et le nombre en approche au Natchitoches. Nous n’en avons pas 30. Je crains que ma lettre pour Mère Hamilton tarde trop à la poste de Montréal. Je te prie de la lui envoyer. Ma vue s’affaiblit, excuse mon barbouillage. In Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve Supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Saint-Vincent Comté Isle Jesus Par Montréal Canada 1

Nouvelle-Iberia (Louisiane). La fondation a été abandonnée lorsque le prêtre, qui la désirait et était déterminé à reconstruire, mourut brusquement.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 634

L. À MÈRE DE CAUSANS

SS. C. J. M.

Ce 20 janvier 1851 St Antoine de Pad1. À Madame Olympe de Causans Ma bien-aimée Sœur, Je viens de recevoir en janvier votre lettre datée de juin dernier, ce qui est 7 mois de date. Mais ma constante amitié pour vous m’a donné tout le plaisir que peuvent produire d’anciens et tendres souvenirs en recevant votre lettre, que je crois être la seule de votre main depuis mon départ de France en 1818. Je vous ai suivie dans tous vos changements avec beaucoup d’intérêt : à Rome, en Angleterre, à votre retour en France. Vous ne me dites point si vous êtes fixée à Conflans. J’ai également suivi la respectable Mère Armande à Turin, à Rome, à Gênes, à Bordeaux2. Je ne suis pas étonnée du sacrifice de Monsieur votre [père] lorsqu’il vous remit à Mère Bigeu ; même pour l’Amérique, c’était un autre Abraham dans sa foi et sa générosité. Vous avez éprouvé bien des sacrifices qui valent sûrement la mission d’Amérique. Le bon Père De Smet est pour le moment fixé à Saint-Louis où sa sollicitude s’étend sur toutes les missions des Pères. Son bonheur serait de vivre avec ses chers Sauvages ; mais il leur est réellement plus utile qu’en résidant dans une mission. Un Jésuite de Saint-Louis a été nommé évêque pour le territoire assigné aux Sauvages ; il a refusé la charge. Je ne sais si le pape insistera. Nous avons, aux Illinois, un Jésuite évêque qui a aussi vu Rome et la France. Il voudrait nous avoir. Je ne sais si on pourra le contenter. Je suis in Corde Jesu, ma chère Mère, toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C. 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Armande de Causans (1785-1866), RSCJ, entrée au noviciat du Sacré-Cœur, à Paris, à l’âge de 36 ans, prit l’habit le 20 janvier 1822, fit ses premiers vœux le 13 novembre 1823 et sa profession, le 8 décembre 1824. Supérieure de la maison de Turin en 1826, puis de la Trinité-des-Monts, à Rome, elle y séjourna de 1828 à 1838 et de 1851 à 1864. Elle est décédée à La Villa Lante, à Rome.

Lettre 635

LETTRE 635

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L. 10 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 2 février [1851]1 Rec. à St Antoine de P. Ma bien chère Mère, J’ai pris le plus grand intérêt à la perte des deux religieuses de ta maison, pour lesquelles nous avons prié, ainsi que pour toi dont le cœur a souffert d’une telle séparation. Dans les desseins de Dieu, elles feront peut-être davantage pour leurs chères Sœurs qu’elles n’eussent pu faire sur la terre. Tu as dû recevoir la nouvelle de la mort d’une novice, venant de la Louisiane, et qui a fait ses premiers vœux, peu avant sa mort. Nous avons de nouvelles Sœurs de France en Louisiane, et notre visitatrice, Mère Cutts, est occupée à faire la 4e fondation de notre Société au Baton Rouge, chef-lieu de cet État pour le gouvernement. Elle était commencée par les Sœurs de la Charité2, mais elles y ont renoncé pour suivre à la lettre leur institut pour les pauvres, se réunir avec les Françaises et prendre leur costume pour ne faire qu’un seul corps dans leurs œuvres si importantes. Elles enverront des sujets en France et la France leur en donnera. J’ai reçu des lettres de France, en date d’Avril et de Juin ; et cela, ce mois-ci. Notre Mère générale n’était pas alors à Rome. Elle a ordonné un jubilé pour la 50ème année de notre établissement. À Saint-Louis, elles se sont toutes confessées, Mgr l’archevêque les a visitées, après une messe solennelle, l’après-midi. Un bon Jésuite leur a étalé leur haute destinée et la journée s’est finie dans la joie. Nous avions d’abord cru que cette solennité nous donnerait une indulgence3 ; nous nous sommes trompées. Vous ne me dites rien de ma Sœur [Mary Ann] Roche ; est-elle à New York ? ou au Ciel ? car vous me l’aviez dit bien malade.

1 2

3

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachets de la poste : St. Charles, Feb. 3 ; Montréal, Fév. 22 1851. En 1851, les Sœurs de la Charité cèdèrent leur école du Baton Rouge à la Société du Sacré-­ Cœur. Mais en 1853 et en 1855, la fièvre jaune ravagea tellement la communauté et l’école que la maison fut fermée en 1855. La ponctuation ne permet pas de savoir si Philippine cite une partie de la lettre de la Mère Barat ou si elle se réfère à sa propre communauté de Saint-Charles.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Notre pensionnat a baissé de 35 à 25 et encore, parmi elles, un nombre de 10 protestantes. C’est ainsi que les croix se multiplient pour nous ; nous n’avons pas d’infirmerie et pendant la maladie de notre Sœur, il a fallu la mettre à la communauté où elle est morte de langueur, sans que nous ayons les moyens de faire mieux. (Quatre lignes ont été barrées). Je crains d’être une charge pour mes Sœurs, ayant eu plusieurs affaiblissements qui menacent ma vieillesse. Depuis peu de jours, j’ai reçu une lettre de ma sœur, ta chère mère. Elle venait de voir ta sœur Constance qui craint la destruction de son bel établissement, le gouvernement de Turin ayant voté pour les destructions des couvents. Fais prier pour leur conservation et qu’il en soit de Turin comme de Rome. Je voulais écrire à Mère Hamilton. Elle n’a jamais été si longtemps en silence avec moi, mais j’éprouve de la fatigue par mon âge de 82 ans et je me flatte qu’elle est peut-être en route pour nous joindre. Si elle est encore à Saint-Jacques, envoyez-lui ma lettre. La santé de notre Mère Saint-Cyr est aussi un peu altérée. Elle entre en retraite ce soir. Priez pour elle et pour nous. (Une ligne est à nouveau barrée). Je suis, in Corde Jesu, toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Aloysia Jouve supérieure de la maison du Sacré-Cœur À Saint-Vincent de Paul Ile Jesu Près et par Montréal Canada



Lettre 636

LETTRE 636

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L. 141 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M. 

[30 avril 1851]1 St Antoine de Padoue Ma bien-aimée et digne Mère en Jésus-Christ, J’ai appris l’année passée que vous partiez pour Rome et qu’il ne fallait vous écrire que pour les choses bien nécessaires. J’ai donc gardé le silence, mais je ne peux plus m’empêcher de rompre ce silence, depuis que j’ai appris que notre digne visitatrice, Mère Cutts, était malade depuis longtemps à Saint-Michel et qu’on ne croit pas possible qu’elle vienne cette année. Nous sommes à l’extrémité des cinq ans de supériorité de Mère Saint-Cyr. Son temps fini, nous avions espéré être encore gouvernées par la Mère Hamilton, qui a été chérie de toutes pour ses vertus. Ici, comme à Saint-Louis, il faut une supérieure qui parle l’anglais. C’est toujours la supérieure qu’on demande. Mère Hamilton, à la vérité, redoute le parloir et encore plus la supériorité, étant fort scrupuleuse ; mais le grand obstacle est le besoin qu’on en a à Saint-Jacques en Canada où une Française, ou [une autre] qui parle français, peut bien gouverner. Nos Sœurs, dont plusieurs portent le voile [depuis] dix ou douze [ans] languissent dans l’attente de faire leurs derniers vœux2. Je crains que plusieurs ne se découragent et soient tentées par la promptitude, ailleurs, du dernier engagement. À la Visitation, on le prend après un an, aux Ursulines après deux. On voit dans des Gazettes catholiques que, dans des villes, l’évêque a donné le voile à sept novices à la fois dans différents Ordres. Ici, nous n’augmentons pas ; à Saint-Louis, on a bien diminué. À la Louisiane, on n’a que le nécessaire. Si on voyait moins de lenteur, on serait plus encouragé. Un des provinciaux m’a dit que, chez eux, Jésuites, on ne retardait pas les vœux comme chez nous. Les sujets, sur lesquels on prenait des informations il y a un an, sont si utiles dans cette maison qu’elle ne pourrait aller sans elles. L’une est d’une très mauvaise santé, 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 332, p. 334-335. Les décrets des Constitutions de 1839 n’autorisaient les vœux perpétuels qu’après dix ans de vœux simples, ce qui a été supprimé en 1843. Néanmoins, la remarque de Philippine semble dire que le rétablissement des règles de 1826 n’est pas terminé en 1851.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

mais je puis assurer qu’elle a été mal soignée ; elle a le courage d’être sept heures aux enfants pour les classes, instructions, et leçons de musique. Ma bien-aimée Mère, je vieillis beaucoup, daignez me préparer à la mort par vos si douces et touchantes exhortations. Je vous conjure de soutenir cette maison de Saint-Charles. Saint-Ferdinand, qu’on a abandonné, a presque autant de pensionnaires qu’à Saint-Louis. Les Sœurs de la Croix y ont augmenté les bâtiments1. Ma très vénérée Mère, je suis à vos pieds votre indigne fille. Philippine Duchesne r. S. C. Ce 30 avril 1851 [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale des Dames du Sacré-Cœur À Paris

LETTRE 637

L. 11 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 12 juin [1851] Rec. à St Ant2. Ma chère Mère, Je me confesse [d’être] en retard pour te répondre, mais j’attendais pour le faire la visite de Mère Cutts, qui nous aurait donné des nou1 2

La Société du Sacré-Cœur a quitté Saint-Ferdinand en 1846. L’année suivante, les Sœurs de la Croix ont réouvert l’école. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : Montreal, July 5 1851.

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Lettre 637

velles du Midi. Elle a été malade et n’a point fait sa visite ; nous avons seulement appris par une lettre de la supérieure de Saint-Michel qu’elle est rétablie et se prépare au voyage de France pour le Conseil [général]. Cette maison de Saint-Michel a 170 élèves, tout ce qu’elle peut recevoir ; les Opelousas, encore plus de 100 ; le Natchitoches, 70 ; le Baton Rouge a principalement des journalières, la maison est petite, mais on l’agrandira. Saint-Louis en a près de 70 ; on n’y est pas assez nombreuses depuis le choléra qui lui enleva 6 sujets. Nos sœurs de Kaw River chez les Sauvages sont très bien pour tout. Le territoire où elles sont, qui s’étend jusqu’aux Rocki Montagnes, a maintenant un évêque et quand il ne sera pas en course chez les nations sauvages, il résidera à Kaw River avec les Pères qui y résident. Elles sont véritablement bienheureuses. J’ai eu une lettre de ta mère qui conserve, ainsi que mon frère, une très bonne santé. Étant malade actuellement, je te prie de m’excuser auprès d’elle pour ce moment. Mme Teisseire m’a aussi écrit, m’engageant à lui répondre bien vite. Je l’ai fait et, n’ayant plus de ses nouvelles, je crains qu’elle ne soit morte ; la perte de Mme de Rollin l’a accablée. J’ai appris avec bien du plaisir tout le renforcement qu’a reçu la maison de Saint-Jacques, ce qui nous fait espérer le retour de Mère Hamilton, mais il n’est pas encore sûr. Excuse-moi auprès de Mère Roche si je ne lui écris pas, j’ai la tête bien embarrassée et le corps faible. J’espère que Dieu bénira tes travaux auprès de ton troupeau. Ta situation fait apprécier le don d’une forte santé comme la tienne. Recommande-moi aux prières de celles qui t’entourent. Je les vois avec complaisance comme l’héritage du Seigneur. Je suis dans le Cœur de Jésus toute à toi, Philippine Duchesne Mère Bathilde doit retourner en France. [Au verso :] À Madame Madame Jouve Maison du Sacré-Cœur à Saint-Vincent de Paul Ile Jesu En Canada

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 638

L. 142 À MÈRE BARAT

SS. C. J.

Saint-Charles, ce 18 août 18511, Rec. à St Ant. de P. Ma bien vénérée Mère, Je ne sais où vous êtes maintenant ; mais je crois plus sûr et plus prompt d’adresser cette lettre à Paris2. Hier, je me suis longtemps entretenue de vous et de la Société avec Mère Bathilde [Sallion] et ce n’était pas sans amertume. Elle me parlait de vous, de vos chagrins, que je ne croyais pas si multipliés et j’y répondais par mes craintes et bien profondes douleurs qui accompagnent ma vieillesse. Mère Cutts nous écrivant fort peu, n’ayant point remplacé notre Mère dont les cinq ans de supériorité sont expirés au printemps, j’ai craint qu’elle nous détruise, comme on a fait à Saint-Ferdinand où celles qui nous remplacent ont 79 élèves et je ne sache pas qu’on ait reçu même un très bas prix pour la maison. Voulant éviter pour notre petite maison un coup si fatal, je priai les deux Pères, derniers provinciaux des Jésuites, de vous écrire pour vous montrer les avantages qu’elle offre à notre œuvre : 1°) la direction des Pères dont trois desservent la paroisse et une voisine ; 2°) la grande salubrité de l’air qui nous a épargné bien des maladies qui ont ravagé Saint-Louis ; 3°) la belle situation que Mgr Dubourg admirait tant. La petite ville où nous sommes offrira peu de pensionnaires, mais les grandes émigrations qui se font peuplent les campagnes, et nous sommes la seule ressource, dans ce territoire, pour l’éducation catholique, tandis que les écoles protestantes fourmillent de tous côtés. J’ai été bien trompée dans ma confiance aux deux Pères, ayant eu occasion d’en voir un, et m’informant s’il vous avait écrit, il m’a dit que non. Ce non se répète sur mon cœur, en pensant combien nous nous sommes mises à la gêne à leur arrivée pour les aider et je ne leur demandais qu’une lettre qui pût vous éclairer. Je sais bien que tous les 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 16 septembre 1851. J. de Charry, II 3, L. 333, p. 336-337. Madeleine-Sophie Barat a quitté Rome le 14 juin 1851. Elle ne reviendra à Paris qu’au début de décembre, après le Conseil général à la Ferrandière (Villeurbanne, Isère).

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Lettre 638

Pères ne sont pas si insensibles à notre petitesse et voudraient bien nous voir prospérer davantage. Mais tant d’écoles à Saint-Louis et aux environs, qui ne demandent qu’un pas, ne peuvent être balancées avec nous. Le Missouri fait coûter 10 F à chaque visite des parents de Saint-Louis et, dans les glaces, on ne peut quelquefois le passer en aucune manière. Après vous avoir parlé de nos difficultés, je vous prie de nous les laisser plutôt que de nous détruire comme Florissant ou Saint-Ferdinand (c’est le même). Nous aurons toujours des journalières payantes, des pauvres abandonnées et quelques pensionnaires des environs et même quelques-unes de Saint-Louis, comme à présent, et qui sont très bien payées. Toutes les maisons d’Amérique se plaignent du manque de sujets ; c’est que les épreuves sont trop longues et on se jette au plus près, ailleurs. Si vous voyiez notre joli local qui tient à l’église, vous n’auriez pas le courage de nous en arracher, ne fussions-nous que quatre. J’ai eu de longues conversations hier avec la Mère Bathilde qui est venue nous voir ; elle m’a confié qu’elle nous quitterait bientôt. Elle m’a parlé de vos croix, j’y compatis beaucoup ; mais enlevez la mienne, je vous en conjure, en laissant subsister notre première demeure. Je suis avec un profond respect, votre humble et indigne servante. Philippine Duchesne r. S. C. Mes respects aux Mères du Conseil. Excusez mon barbouillage, tout m’y a été contraire, plume, encre, etc. [Au verso :] À Madame Madame Sophie Barat Hôtel de Biron, rue de Varenne n° 7 À Paris France By way of New York

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 639

L. À MÈRE HARDEY1

SS. C. J. M. 

Ce 23 [1851]2 St Antoine Ma bien-aimée Mère, Je vous remercie bien vivement de nous avoir donné de vos nouvelles ; je pressentais le danger de votre situation au milieu de l’orage, tandis qu’il nous faisait trembler, étant à couvert. J’ai la confiance que la divine Providence vous soutiendra toujours dans les périls, puisque vous êtes un de ses bras sur la terre pour le soulagement des affligés et des malheureux. Les orphelines seront votre soutien dans les épreuves, car l’aumône prie sans voix. Je vous renouvelle mes remerciements pour toutes vos bontés pour moi. Je prie le Cœur de Jésus d’en être la récompense. Philippine Duchesne r. S. C.

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Copie : C-VII 2) d Duchesne-Life-Box 2, Cahier : Some letters and notes, p. 40-41. Note d’une archiviste : « Lettre trouvée dans un livre de la Rev. Mère Hardey, sans adresse ». Cette lettre date peut-être de l’été 1851, lorsque la Mère Hardey venait d’ouvrir un pensionnat et un orphelinat à Detroit sur un terrain donné par la famille Beaubien. Bien vite, les héritiers lui firent un procès, réfutant la donation. Mais ils consentirent ensuite à retirer leur poursuite et le problème fut réglé au cours des mois suivants.

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Lettre 640

LETTRE 640

L. À MÈRE LÉVÊQUE1

SS. C. J. M.

Ce 11 octobre [1851] Rec. à St Antoine2 Ma bien chère Sœur Evelina, J’avais appris votre retour à Saint-Jacques [Canada], mais je ne m’attendais pas à recevoir une de vos lettres. Cette marque de votre amitié ne m’a pas trouvée insensible ; je me la rappellerai aux pieds des autels et rappellerai à Notre Seigneur votre courage à supporter les épreuves où il a exposé votre sensibilité, pour vous fournir l’occasion de grands sacrifices, qui vous préparent une grande récompense. Tout le bien que j’ai appris de la maison de Saint-Jacques me fait espérer que vous y passerez des jours heureux et méritoires. J’espère que vous m’y procurerez de bonnes prières pour me disposer à une sainte mort. Je suis entrée dans ma 83e année. Vous voyez que je suis près de ma fin qui s’avance à pas lents. Je suis in Corde Jesu toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C. Je ferai plusieurs communions pour vous. [Au verso :] À Madame Evelina Lévêque À Saint-Jacques près Montréal Canada

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Evelina Lévêque (1810-1892), RSCJ, née à Donaldsonville (Louisiane), est l’une des premières élèves de Saint-Michel, où elle entra au noviciat en 1828. Elle prit l’habit le 29 septembre 1828, prononça ses vœux définitifs le 7 juin 1839. Elle est l’une des six sœurs Lévêque entrées dans la Société du Sacré-Cœur. Elle prit part aux fondations de New York et de Saint-Jacques (Canada), alla ensuite en France, vécut quinze ans rue de Varenne à Paris, où elle assista la Mère Barat dans ses derniers moments. Elle est décédée à Beauvais. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 641

L. 12 À MÈRE AMÉLIE JOUVE

SS. C. J. M.

14 octobre [1851] Rec. à St Antoine1 Ma bien chère Aloysia, J’ai vu par une lettre de Mère Régis qu’elle vous a vue en passant à Saint-Vincent, mais elle a été retenue à New York avec ses commissions. Je viens vous remercier de vos intentions pour moi ; je vous ai peu écrit, ma vieillesse me rend bien incapable et j’ai espéré que Mme Jouve et mon frère vous mettent au courant de ce qui regarde notre famille. Mme Teisseire est bien près de la mort, si elle n’est pas encore à ce terme si effrayant pour elle, et qui demande bien des prières. Je vous prie bien de les lui procurer. Je vieillis beaucoup, ma mémoire se perd et mes forces s’affaiblissent de plus en plus. Peut-être n’aurez-vous plus de mes lettres ; mais j’espère avoir toujours de vos prières et de celles de vos chères filles auxquelles je me recommande. Je suis dans le Cœur de Jésus, votre dévouée, Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Madame Madame Jouve Maison du Sacré-Cœur à Saint-Vincent de Paul Ile Jesu En Canada

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Cachet de la poste : New York, Oct. 25 1851.

Lettre 642

LETTRE 642

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L. 1 À MÈRE SIMONI1 [Novembre ou Décembre 1851]2 St Antoine3

Ma chère sœur en Jésus, le bien-aimé, Mère Hamilton est arrivée heureusement à Saint-Charles ; nous avons beaucoup parlé de Saint-Jacques et elle m’a fait faire votre connaissance en me détaillant vos emplois de charité. J’ai en grande envie qu’elle m’y procure une place, afin de les offrir à Notre Seigneur en réparation de ma paresse à son service et de tant de fautes punissables. Vous êtes l’épouse du Cœur le plus tendre et le plus accessible. Ainsi, je me confie en nos liens de charité et m’appelle votre sœur, in Corde Jesu. Philippine Duchesne

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2 3

L’identité de la destinataire est incertaine. Il est clair qu’elle est à Saint-Jacques (Canada) au moment où la lettre est envoyée, en novembre ou décembre 1851. Mais une seule RSCJ, portant ce nom, est connue à cette époque : Orsola Simoni, née en Italie le 7 février 1820, novice le 14 août 1836 à Marseille, ayant fait ses premiers vœux le 26 août 1838 et sa profession le 2 janvier 1846 à Eden Hall (Philadelphie). Or, dans le catalogue de 1848, Orsola est à Sainte-Rufine, à Rome, puis à Philadelphie (1851 et 1852), ensuite à Natchitoches (Louisiane), où elle est décédée le 12 novembre 1853. Elle était peut-être au Canada en 1851, mais cette information n’a pas été conservée dans les registres. Régis Hamilton est retournée à Saint-Charles en novembre 1851. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 643

L. 1 À MÈRE BRANGIER1

SS. C. J. M. 

Rec. à St Antoine 10 [1851]2 À Madame Brangier Ma bien chère Mère, Mes mères et sœurs qui vous connaissent, m’ont donné un grand désir d’avoir part à vos saintes prières. Je viens vous la demander, cette heureuse part ; m’exciter à vous imiter dans votre patience à souffrir et vous promettre mes fréquentes prières pour votre bonheur. Je sais que vous avez eu la charité de presser le départ de Mère Hamilton pour me donner la consolation de la revoir avant ma mort. Son arrivée m’a fait revivre et je ne veux plus vivre que pour Celui qui vit pour moi au Saint-Sacrement3, mon cher voisin, à qui je porterai souvent… (La feuille a été coupée) Je vous envoie cette image de sainte Eulalie. Priez-la pour que la volonté de Dieu soit faite. Mère Cutts a pris toutes les mesures pour faire un autel à saint Régis dont nous avons fait venir le tableau de Saint-Ferdinand. Il sera placé entre la fenêtre et la table de communion. Mère Galwey, supérieure à Saint-Louis, aime aussi beaucoup saint Régis ; elle promet des vases et des fleurs pour l’autel. Nous avons 30 pensionnaires. On a bâti une école externe, un four et une cuisine en briques. Mes amitiés à toutes, Philippine Duchesne S. C. Jesus 1

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3

Marie-Alexandrine Brangier (1803-1869), RSCJ, est née à Bourg-en-Bresse (Ain). Entrée au Sacré-Cœur, à Paris, le 25 juin 1825, elle fit ses premiers vœux le 5 octobre 1827 et sa profession le 13 janvier 1833. Supérieure à Niort avant de partir en Amérique en 1849, elle le fut à Buffalo, à Saint-Jacques (Canada) et à Eden Hall (Philadelphie). Elle est décédée au Sault-au-Récollet. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4. Original autographe. Seconde partie : Varias : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Miscellaneous, Autograph of Blessed Philippine Duchesne. Ga 2, 20.



Lettre 644

LETTRE 644

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L. 2 À MÈRE BRANGIER

SS. C. J. M.

Ce 19 décembre 18511 Rec. St Antoine À Madame Brangier Ma très respectable Mère, Nous avons reçu vos lettres ; pour ma part, il y en avait quatre. L’arrivée de Mère Hamilton et ses attentions continuelles me comblent de reconnaissance envers notre cher maître, le [bon] Dieu. J’ai été en état de vous répondre ; ce qu’avant, je croyais impossible. Croyez, chère Mère, à la possibilité de réussir dans vos pieux désirs de voir bientôt une communauté bien fervente. Dans mes premiers vœux pour aller en Amérique, je ne pensais qu’au Canada et y plaçais tout mon espoir, ayant la Mère de l’Incarnation dans mon admiration. Le Père Barat, frère de notre Mère générale, me dit que le Canada possédait ce qu’il fallait et nous offrit à Mgr Dubourg, évêque de La Nouvelle Orléans, qui nous plaça près de Saint-Louis. Je ne pensais plus au Canada et je remercie la divine bonté d’y avoir placé des Mères plus ferventes que moi et qui apprécient beaucoup tout ce qui se fait au Canada. Je vous prie d’offrir mes respects à votre saint curé ; dites-lui que je suis sa 1ère fille, au moins en admiration. La Mère Hamilton nous embaume souvent par ses récits sur l’évêque, le clergé, les usages du Canada. Je ne puis relire ma lettre, mes yeux étant trop fatigués. In Corde Jesu, Philippine Duchesne r. S. C.

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Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 645

L. 2 À MÈRE SIMONI

SS. C. J. M. 

Ce 19 décembre [1851] St Antoine1 À Madame Simoni Mère Hamilton m’a parlé si avantageusement de vous que je n’ai pu que vous en marquer ma joie. Car le Canada était le pays où je jetais mes regards en espérant y servir les Sauvages ; mes châteaux en Espagne se sont fondus. Et au lieu de moi, pauvre misérable, c’est une Romaine qui a pris la place que j’enviais. Je compte comme descendance des Sauvages vos pauvres externes dont Mère Hamilton me dit tant de bien. Je vous y vois heureuse au milieu de vos congrégations et je participe à votre bonheur que je n’ai pas mérité. Je n’ai reçu de vous aucune lettre de Rome et mes compagnes de religion, dont j’ai été maîtresse, m’ont écrit bien rarement. Ce que je demande, ce sont les saintes prières qui m’aideront à effacer le passé et à m’obtenir une bonne mort qui est peut-être bien éloignée. Je ne puis relire ma lettre et me recommande à vos ferventes prières. Je suis in Corde Jesu toute vôtre. Philippine Duchesne r. S. C.

1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to RSCJ and Children, Box 4.

Lettre 646

LETTRE 646



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L. 1 À SŒUR PRATTE1 [1851]2

Chère Sœur, Je vous ai fait le catéchisme et vous pourriez me le faire à présent. J’oublie beaucoup. Suppléez à ma faiblesse en me présentant souvent à notre Seigneur, je le prierai pour vous, surtout au Ciel si Dieu m’y permet d’entrer. In Corde Jesu Ph. Duchesne r. S. C. J.

LETTRE 647

L. 143 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

Ce 22 avril 18523 Rec. à St Antoine de Padoue Ma bien vénérée Mère, J’ai été étonnée et bien consolée en recevant votre lettre [du 16 février]. Depuis Pâques de l’année passée, je ne croyais la finir, surtout 1

2 3

Marie Mathilde Pratte, RSCJ, est née le 16 juin 1826 à Québec, Canada. Alors qu’elle est encore enfant, sa famille déménage à Saint-Louis, et après la mort de son père, sa mère vient s’installer à Florissant avec ses cinq filles. Mathilde y connaît Mère Duchesne encore supérieure jusqu’en 1840. Puis elle vient à ‘the City House’ à Saint-Louis, quand la Mère Duchesne est encore là, d’octobre 1840 jusqu’à son départ pour la mission Potawatomi en juin 1841. Tout au long de ce temps, Philippine lui apprend le catéchisme. Mathilde entre le 15 août 1841 au noviciat, au terme duquel elle est envoyée à Grand Coteau, où elle fait ses premiers vœux le 10 octobre 1844 et sa profession le 30 mai 1856. Sauf au cours de l’année 1885-1886 où elle est à La Nouvelle Orléans, elle a vécu à Grand Coteau, où elle est décédée le 16 avril 1903. Original autographe. Varias : C-VII 2) c Duchesne-Varia, Box 9, Miscellaneous, Autograph of Blessed Philippine Duchesne. Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 335, p. 340-342.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

pendant l’été où, plusieurs fois, je n’ai pu écrire mon propre nom. Le froid m’a rendu des forces, mais la mémoire s’altère de plus en plus, ainsi que la vue. Dieu m’a ménagé une grande consolation par le retour de ma Mère Hamilton. Les cœurs et les bras s’étendaient vers elle depuis longtemps. Les sœurs qui la connaissaient étaient souvent bien tentées et celles qui ne la connaissaient se sont aussi réjouies dans le Seigneur, et toutes se trouvent heureuses après de grandes tentations causées par le chagrin. Les Pères l’estiment et sont contents et les pensionnaires lui sont plus attachées qu’à leurs précédentes Mères, et encore les amies du dehors ; ce qui est un sujet de reconnaissance envers Dieu qui relève après les épreuves. La charité de celle qui gouverne est un exemple pour toutes. Elle couche dans la même chambre que moi, ce qui donne bien de l’exercice à sa charité. Elle a eu lieu de l’exercer encore davantage par la maladie d’une Sœur converse et d’une jeune pensionnaire, qui sont mortes et ensevelies ensemble. Il est survenu plusieurs pensionnaires, mais il serait impossible de passer le nombre 35 sans se gêner beaucoup et sans s’exposer à de nouvelles maladies. On aurait besoin d’une augmentation et, étant si inutile, j’ai demandé à Dieu ma mort pour avoir deux lits de plus à placer. Si la maison de Saint-Louis pouvait aider, cela serait facile. Nous attendons avec empressement la visite qui nous est annoncée et qui sera le complément de vos heureux travaux qui, j’espère, seront toujours bénis par le Dieu si riche en miséricorde et si libéral en récompense. Il les a prodiguées par l’heureux succès du Conseil, dont nous désirons bien avoir la connaissance. Je pense qu’il nous faudra attendre la visite de la Vicaire et de Mère Cutts1. Elle m’a envoyé votre lettre dont j’ai été bien reconnaissante, ainsi que de la croix qui, si elle tarde, pourrait bien ne jamais m’arriver.

1

Le septième Conseil général de la Société du Sacré-Cœur eut lieu à Lyon en novembre 1851 ; le premier après celui de 1839. Mère Barat avait récemment obtenu l’autorisation du Saint-Siège de nommer des supérieures vicaires, autorités intermédiaires entre elle et les maisons. Il y avait alors 2 247 religieuses dans 68 maisons sur trois continents, impossibles à gouverner directement depuis le centre. Aloysia Hardey et Maria Cutts représentèrent les maisons américaines au Conseil général. Anna du Rousier fut nommée supérieure vicaire de l’Amérique, Mère Hardey vice-vicaire des maisons du Nord-Est et Maria Cutts, de celles de l’Ouest. Mère du Rousier fut également nommée visitatrice de toutes les maisons américaines, tâche qu’elle entreprit en mai 1852, et au cours de laquelle elle rendit visite à Philippine, à Saint-Charles, deux jours avant sa mort.

Lettre 647



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J’ai reçu une lettre de Madame d’Ainval, de la part de Madame Henriette1. Je les en remercie beaucoup, mais je ne suis guère capable d’être lue ; il faut la maternité la plus indulgente comme la vôtre pour pouvoir me lire. Cependant mon amour pour les Sauvages m’engage à vous tracer l’état du seul établissement que nous ayons parmi eux, et qui souffrirait du manque de sujets si on n’y pourvoit, toutes les maisons d’Amérique réclamant aussi pour des sujets. Mère Lucile Mathevon me dit qu’elle a à son pensionnat plus de 60 élèves, 4 personnes qui aident beaucoup les maîtresses religieuses et qui ont la vocation pour le devenir2. Le gouvernement paye pour l’entretien des prêtres nécessaires, des religieuses de l’école et d’un certain nombre d’élèves : garçons et filles. Le surplus dans ces classes de l’établissement vient ou du produit de l’immense terre donnée à l’établissement, ou d’autres pensions des parents. Ces terres sont cultivées et on a eu cette année : 1°) beaucoup de maïs à vendre ; 2°) plus de 60 bêtes à cornes ; 3°) beaucoup de légumes. Il serait bien aisé de former là des maîtresses et religieuses en même temps, qui seraient pour cette mission, et plus tard, pour celles qu’on demande, avec des règles suivant leurs travaux. Faudrait-il que de saintes personnes fussent privées de la vie religieuse parce qu’elles ont du sang des Sauvages ? Elles ont la plupart autant d’esprit que les Blancs et peuvent parvenir à une haute sainteté. Il vient d’y avoir le fléau de la petite vérole qui est terrible pour les Indiens et la plupart sont morts en saints. Les secours spirituels sont abondants. Cette mission est la résidence de l’évêque de tout le territoire3. Il y a quatre ou cinq Pères Jésuites, huit Frères pour les travaux de la culture et autres, et pour

1

2

3

Marie-Sophie Henriette Coppens (1788-1863), RSCJ, née à Gand, est entrée au Sacré-Cœur de Dooreseele en 1813. Lorsque cette maison se sépara momentanément de la Société du Sacré-Cœur de Jésus, en 1814, elle y est restée. Elle fit partie des dix-huit religieuses qui retournèrent au Sacré-Cœur en 1823. Elle fut maîtresse des novices à Montet puis supérieure. Au conseil de 1839, elle fut nommée provinciale de l’Est, puis trésorière générale et assistante générale, à Paris, où elle est décédée en 1863. La première fondation, à Sugar Creek (Kansas), dut déménager en 1848 à Sainte-Marie (Kansas), à environ 140 milles au nord-ouest, car le gouvernement refoulait les Indiens. L’école rassembla alors les Indiens et les Blancs jusqu’en 1864. La mission dura jusqu’en 1879 et au cours des dernières années, seulement comme pensionnat. Jean-Baptiste Miege (1815-1884), SJ, né en Savoie, fut ordonné prêtre à Rome en 1847. Il partit en 1849 à la mission américaine, où il fut nommé, l’année suivante, vicaire apostolique du Territoire indien, à l’est des Montagnes rocheuses, du Missouri aux Montagnes rocheuses et du Canada au Texas. Il fut ordonné évêque par l’archevêque Kenrick, à Saint-Louis, en 1841, fut vicaire apostolique jusqu’en 1857, évêque du Territoire du Kansas jusqu’en 1874.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

enseigner et aider les Sauvages ; et ils ont aussi un paiement du gouvernement. Notre archevêque, à Saint-Louis, est loin d’avoir de si belles cérémonies, la Semaine sainte. Le pauvre évêque a officié pontificalement trois jours. L’Office a été solennel les trois jours, ténèbres et [laudes], chanté à trois voix. Un Frère, habile musicien, avait formé dix jeunes Indiens à chanter à la Passion, la partie du peuple, et ils l’ont fait admirablement. L’évêque a donné la retraite à nos Sœurs et il leur fait une instruction tous les quinze jours. Si vous voulez établir un noviciat à Kavi River, il faudrait, pour ne pas nuire aux secours que donnent déjà les personnes dont m’a parlé Mère Lucile, qu’elles eussent des emplois auprès des enfants pour ne pas trop les retirer des travaux laborieux dont elles sont le plus capables et plus à leur portée. Je connais bien peu des personnes qui ont le bonheur de vous voir ; mais j’ai bien de l’empressement à me recommander aux prières des Mères Desmarquest4, Thérèse [Maillucheau] et Constance Jouve que je n’ai vue qu’enfant. Ma lettre, si mal écrite, m’a cependant obscurci la vue et me force à me mettre à vos pieds pour recevoir votre bénédiction avec toute l’affection et le respect possible dans le Cœur de Jésus. Philippine Duchesne religieuse du S. Cœur

4

Félicité Desmarquest est assistante générale et chargée de la probation.

Lettre 648

LETTRE 648

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L. 144 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[7 mai 1852]1 St Antoine de Padoue Ma bien-aimée et bien vénérée Mère, J’ai été surprise bien délicieusement quand j’ai reçu votre lettre : elle a été en retard parce que la Mère visitatrice ne s’était pas arrêtée à New York ; elle et ses effets, où votre chère lettre était renfermée, sont allés en Louisiane, d’où elle est remontée jusqu’ici. Combien j’ai admiré votre bonté, voyant que vous ne m’avez pas oubliée parmi tant d’importantes occupations. Nos deux Mères, qui ont assisté aux délibérations qui étaient l’objet de leur voyage, sont revenues bien satisfaites, et leur contentement fait soupirer après le fruit de vos travaux dont nous nous promettons un renouvellement général. Je ne pensais pas l’année [dernière], à cette époque, d’être encore où je suis. La même semaine, l’année passée, je changeais beaucoup, pour la mémoire et pour les forces. Cette année à la même époque, je me porte mieux et crains beaucoup d’être encore loin de la patrie [céleste]. J’attribue ce renouvellement à celui de toute cette famille. Nous ne saurions trop reconnaître le don que vous nous avez fait de notre Mère Hamilton. Tout est en paix dans la maison. Je frémis, il y a six ans et plus, quand arriva celle qui l’a précédée. Cet espace de temps a été bien orageux. Combien de larmes ai-je vues, combien de vocations ébranlées ! Celle qui l’avait choisie n’a pas compris qu’elle n’avait pas l’art du gouvernement. Elle pouvait beaucoup travailler utilement dans une maison, mais pour se concilier les esprits, c’est autre chose. Maintenant, au lieu de larmes et de tentations, chacune est contente. Les élèves sont d’accord avec les maîtresses et les personnes du dehors aussi. Le Père Verhaegen, ci-devant provincial, qui a la charge de cette paroisse, a aussi toute la confiance des Sœurs et des élèves. Nos Mères vous auront détaillé le bien qui se fait dans les maisons de la Louisiane. La seule maison du Bâton rouge est encore dans l’en1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachet de la poste : Paris, 1er juillet 1852. J. de Charry, II 3, L. 336, p. 343-344.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

fance. McSherry, où sont les Mères de Kersaint et Rewuls1, va si bien qu’on en a fait un éloge pompeux dans la gazette de Philadelphie. Mère Lucile [Mathevon, à Sainte-Marie] est dans l’abondance et voudrait de l’aide pour l’augmentation de son pensionnat qui, j’espère, sera une pépinière de maîtresses d’école pour les Sauvages. Il y a ici plus d’élèves que jamais il y en a eues, et cependant il y a des dettes qui auraient pu s’employer à bâtir. La Mère Jouve est très bien au Canada. Je ne connais plus que bien peu de nos anciennes Mères. Oserais-je vous prier de me rappeler aux respectables Mères de Charbonnel et Desmarquest, qui sont près de vous, et de charger quelque bonne Sœur de mes souvenirs pour Mère Thérèse [Maillucheau] et la supérieure de Poitiers [Emma de Bouchaud]. Je suis obligée de m’arrêter. Mon cœur voudrait me rappeler à de chers souvenirs, mais la mémoire me manque. J’en ai été jusqu’au point de ne pouvoir écrire mon nom ou d’écrire des noms familiers, il fallait appeler quelqu’un. Ma vue est bien courte aussi. Ma digne et bien aimée Mère, envoyez-moi votre bénédiction pour la mort, car elle court après moi. Je suis, in Corde Jesu, votre indigne fille et servante. Philippine Duchesne [Au verso :] À Madame Madame Barat Supérieure générale de la Société du Sacré-Cœur Rue de Varenne À Paris France Via New York

1

Philippine se trompe : Henriette de Kersaint a quitté MacSherrystown en 1842 pour aller au Canada ; en 1852, elle est à New York. L’identité de la Mère Rewuls est inconnue ; la dernière religieuse, qui a quitté la fondation en septembre 1852, est retournée à l’école des Sœurs de Saint-Joseph. « Rewuls » vient peut-être de la déformation auditive, par Philippine, de « O’Reilly » ou d’un autre nom semblable.

Lettre 649

LETTRE 649

 709

L. 84 À À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 7 juillet 18521 St Antoine Ma bien chère Sœur, J’ai reçu hier ta lettre du mois de janvier, ce qui m’a bien étonnée, car les lettres font leur cours ici très exactement. Dieu, sans doute, aux privations de l’absence, a voulu me faire supporter celle de ta correspondance. Il a fallu se résigner ; il n’y a plus pour nous que les peines de la vieillesse, ajoutées à celle des événements de la vie, contraires à nos désirs. Nous voudrions dans notre état, la paix, la tranquillité, les douceurs des jouissances de l’amitié et tout, dans la vieillesse, en nous en faisant supporter le poids, nous accable encore par les événements malheureux, soit publics, soit autour de nous. Je suis étonnée que tu aies à te plaindre du silence de ta chère fille ; tout le monde l’accuse d’être paresseuse pour écrire, mais elle est très agissante dans sa maison ; on en fait de grands éloges ; tout y va très bien. Elle m’écrit rarement et je n’avais pas besoin d’être aiguillonnée pour écrire, car j’ai cru quelquefois qu’il fallait rompre les correspondances pour ne pas montrer du ridicule. C’est surtout l’été passé que je perdais la mémoire et le raisonnement, mais au lieu de mourir dans l’hiver qui a été rigoureux, je me suis trouvée plus forte au printemps et je ne calcule plus l’époque de ma mort. Elle sera quand Dieu voudra. La vieillesse a bien des sacrifices à faire et qui peuvent être de valeur pour en faire un purgatoire. Il sera toujours moins rigoureux que celui de l’autre vie. Notre établissement chez les Sauvages va très bien ; il y a 60 pensionnaires et le gouvernement paie la pension de 20 et celle de plusieurs maîtresses. C’est aussi le gouvernement qui a fait bâtir l’église, les écoles et le logement des Pères Jésuites et de nos sœurs. Je crois que cette année, il y avait plus de douze cents bêtes à cornes et des légumes en 1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 182-184. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

abondance. Quand le gouvernement repousse loin de son voisinage les Indiens, il y a toujours un paiement de leur terre qui s’emploie en bâtisse et en pension pour les hommes, femmes et enfants. Il y a bien peu de peuples qui soient plus équitables. Ceux qui traitent avec eux ont porté de leurs ouvrages au gouvernement et disent tous qu’il faut des catholiques pour civiliser les Sauvages, mais les ouvriers manquent pour la moisson. Cette année, le 1er des missionnaires qui pouvait parler 14 ou 15 langues sauvages, outre celles des civilisés, est mort du choléra, en servant ceux qui en étaient attaqués. Il y en a un autre aux portes de la mort chez les Osages. Ce sont de grandes pertes. Je n’ai personne, ici, qui te connaisse, mais la charité nous fait bien prier pour les amis de nos amis. Ainsi, tu as part à toutes nos prières. Je suis in Corde Jesu, Ph. Duchesne

LETTRE 650

L. 145 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M. 

17 août 18521 St Ant. Ma bien révérende et chère Mère, C’est selon toutes les apparences la dernière fois que je pourrai vous écrire. Hier, j’ai reçu les derniers sacrements ; mais peut-être Dieu voudra-t-il me faire attendre encore le bonheur de le voir. Les égarements d’esprit que j’ai eus ne venaient que d’une forte fièvre, avec laquelle j’allais toujours. Je ne sais à présent quand arrivera ma fin. Je viens encore me mettre à vos pieds, vous demander mes pardons, vous assurer de mon profond respect. Philippine Duchesne r. S. C. 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. Cachets de la poste : Saint-Charles, Août 20 1852 ; Paris, 14 septembre 1852. J. de Charry, II 3, L. 337, p. 345.



Lettre 651

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[Au verso, d’une autre écriture :] Madame Sophie Barat Supérieure Générale de la Société du Sacré-Cœur Rue de Varenne, 77 Paris France

LETTRE 651

L. 85 À MADAME JOUVE

SS. C. J. M.

Ce 17 août 18521 Ma chère et bien bonne Sœur, Je viens de recevoir une de tes lettres et le temps presse pour y répondre. J’ai reçu hier les derniers sacrements ; je te laisse avec la douleur de te laisser dans la solitude. Mais Dieu, ayant promis le centuple à ceux qui quittent pour lui père et mère, tu as la grande faveur d’obtenir aussi ce centuple, car tes sacrifices surpassent ceux de tous tes enfants. Toutes les bonnes œuvres qu’ils font, tu en partages le mérite. Courage donc. Dans les sacrifices qu’on fait pour Dieu, il y a toujours à gagner. Fais prier pour moi tes pieux enfants ; leur souvenir et le tien m’accompagneront dans l’éternité. Adieu, bonne et chère Sœur. Philippine Duchesne

1

Copie : Cahier, Lettres de la Mère Duchesne à sa famille, p. 184-185. C-VII 2) c Duchesne to her family and lay people, Box 5.

712

CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

LETTRE 652

L. 4 AU PÈRE DE SMET

SS. C. J. M.

Ce 17 août [1852]1 Mon révérend Père, Vos bontés à mon égard me donnent l’assurance que j’en recevrai le complément à la fin de ma vie. J’ai reçu hier les derniers sacrements et j’espère que vous ne m’oublierez pas dans vos prières ; et si vous me faites la charité de quêter pour moi, ce serait une grande charité. Je vous prie d’écrire au R. Père de Coen qui ne m’oubliera pas non plus. Si le bon Dieu me fait miséricorde, vous aurez une grande part à mes prières. Je vous prie de me bénir et suis votre humble servante. Philippine Duchesne [Au verso, d’une autre écriture :] Rev. Father De Smet Saint-Louis

LETTRE 653

L. 2 À M. HIPPOLYTE DUCHESNE Ce 29 d’août 18522

Mon cher frère, Si ta lettre était arrivée il y a peu de jours, je n’aurais pas pu la lire, étant dans la préparation de la mort. Dieu m’a laissée encore sur cette terre, peut-être pour m’offrir l’agréable nouvelle que tu avais pris le parti 1 2

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Charles MO, Aug. 20. Original autographe, C-VII 2) Duchesne, Letters to her family and other lay people, Box 5. Cachet de la poste : Paris, 28 sept. 1852.



Lettre 654

713

seul désirable, seul heureux, d’une vie chrétienne en en remplissant tous les devoirs. Avant de mourir, je suis bien aise que tu m’aies fourni l’occasion de songer aux vérités éternelles où tout doit se terminer. J’ai reçu les derniers sacrements avant la mort ; mais je suis encore sur pied, et te prie de le dire aux personnes de la famille qui ne m’oublient pas. J’ai beaucoup perdu pour la mémoire, mais non pour la tendre amitié qui nous a toujours liés. Dis à Mme Jouve que, si je ne passais pas une partie de la journée au lit, je lui écrirais aussi. Mais si je me relève, j’en aurai encore la facilité. Je ne puis te dire tout ce que je voudrais, mais je m’arrête toujours à la grande nécessité de pratiquer la religion catholique pour être sauvé. Excuse-moi auprès de Mesdames Jouve et Bergasse sur mon silence. Je ne les oublie point et me recommande à leur charitable amitié pour faire prier Dieu pour moi. Je suis ta dévouée, Ph. Duchesne r. S. C. [Au verso :] À Monsieur Duchesne Hippolyte demeurant près de la ville Saint-Ismier Département de l’Isère France

LETTRE 654

L. 5 AU PÈRE DE SMET

SS. C. J. M.

Ce 4 septembre [1852]1 Mon très révérend Père, Votre touchante lettre m’a pénétrée de reconnaissance ; il faut que Dieu soit bien bon, puisqu’il me donne auprès de lui un tel intercesseur. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Cachet de la poste : St. Charles MO, Sep. 4.

714

CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

Je vous remercie mille et mille fois des messes offertes à Dieu pour ma pauvre âme, que je vous prie de continuer à protéger, car si Dieu veut prolonger ma vie parmi les infirmités de l’esprit et du corps, je serai exposée à bien des tentations. C’est ce qui me fait recourir à votre charité, afin qu’elle ne m’abandonne pas au milieu des tentations où l’on est exposé dans une longue vieillesse. Si Dieu me fait miséricorde, je ne manquerai pas aux devoirs de la reconnaissance que je vous dois en abondance. Je suis avec un profond respect votre humble servante. Philippine Duchesne qui a atteint sa 83e année, le 29 août [Au verso :] R. Monsieur De Smet Au Collège des Jésuites Saint-Louis, MO

LETTRE 655

L. 6 AU PÈRE DE SMET

SS. C. J. M.

Octobre 18521 Mon très cher Père, Vos souvenirs pleins de bonté, et surtout votre dernière lettre, m’ont pénétrée d’une telle reconnaissance que je ne puis quitter cette vie sans vous l’exprimer, et vous remercier humblement. N’oubliez pas, après sa mort, celle que vous avez favorisée de vos bontés sur la terre ; elles sont pour moi un appui auprès du Souverain juge que j’ai tant offensé et vous ne serez pas étonné que je recours encore à celui à qui je dois tant en cette vie. Votre dernière lettre m’en est un gage bien précieux. 1

Original autographe, C-VII 2) c Writings Duchesne to various Eccles., Box 8. Au verso : Mme Duchesne, Oct. 1852.



Lettre 656

715

J’ai eu le chagrin de ne pouvoir exprimer ma reconnaissance au R. Père de Coen. Veuillez, je vous prie, la lui témoigner pour ses bontés et j’ai été bien mortifiée de ne pouvoir le faire de vive voix. Je me crois bien près d’entrer dans mon éternité. C’est ce qui me porte à me rappeler à votre charité. Si Dieu me fait miséricorde, je prierai beaucoup pour les missions sauvages et surtout pour leur bon père. Je suis in Corde Jesu, Philippine Duchesne [Au verso :] Au Révérend Père De Smet Missionnaire de l’Oregon Au collège de Saint-Louis

LETTRE 656

L. 146 À MÈRE BARAT

SS. C. J. M.

[1852]1 Ma bien révérende Mère, Je viens vous faire mes adieux, dans le sens que Dieu seul peut savoir en ce moment. J’aurais beaucoup à m’étendre sur les peines que je vous ai données, si vous étiez moins indulgente ; et moi plus en état de m’exprimer. Dans le courant de cette dernière année, j’ai absolument perdu la mémoire, je ne pensais pas cependant que ma tête pût se dérégler. Mais Dieu a voulu humilier mon orgueil ; depuis quelques semaines, je m’apercevais d’absences et d’oublis continuels. Je crus cependant devoir commencer ma retraite l’avant-dernier dimanche où je vous écris. Je 1

Original autographe, C-VII 2) c Duchesne to Barat, Box 2. J. de Charry, II 3, L. 338, p. 346-347.

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CHAPITRE VII : JUIN 1842-1852 – LES DERNIÈRES ANNÉES

passai presque tout le jour à la chapelle et j’étais chaque jour plus fatiguée. Notre confesseur me dit qu’il ne fallait pas m’appliquer et je le sentais moi-même. Le 1er trait de ma folie fut de coudre ma couverture sur mon drap ; je trouvai cette invention admirable ; mais comme elle ne l’était pas, je m’en dégoûtai. Plus j’avançais dans ma retraite, plus je perdais le sens et la mémoire. Enfin, dimanche dernier, je tournai le dos au Saint Sacrement pendant la bénédiction, et me plaignant de n’avoir pas été à Vêpres, ce que je ne pouvais me rappeler, il a fallu que plusieurs de nos sœurs m’assurassent ce que j’y avais fait. Le docteur m’a trouvé, le soir, une forte fièvre ; mais je la déplore bien moins que le dérangement de ma tête. Il faut bien savoir que Dieu fait tout pour notre bien, pour envisager ma situation actuelle, la perspective de la perte de la raison. Rien ne me manque pour les attentions. C’est notre Mère [Hamilton] qui couche dans ma chambre et veille avec tendresse à tous mes besoins. Je n’ai aussi que de bons traitements de mes Sœurs. Je vous prie de les comprendre dans les prières que je sollicite pour moi, surtout de la part de nos premières Mères que je ne puis nommer car tous les noms m’échappent. Je vous demande bien pardon des peines que je vous ai données. Je ne crois pas pouvoir encore le faire. Je suis à vos pieds, ma révérende Mère, votre toute indigne fille. Philippine Duchesne r. S. C. [Au verso :]1 À Madame Madame Sophie Barat Maison du Sacré-Cœur rue de Varenne À Paris France

1

L’adresse, très lisible, est écrite par Philippine.

ILLUSTRATIONS

Ill. 1. Acte de naissance de Philippine Duchesne. Archives municipales et métropolitaines de Grenoble, GG186. Photo : M.-F. Carreel, RSCJ.



Ill. 2. Philippine Duchesne, Tableau de Mircea Milcovitch. Crédit photo ME-ARGEM.

Ill. 3. Pierre-François Duchesne (1743-1814). Artiste inconnu. Crédit photo ME-ARGEM.



Ill. 4. Philippine âgée de huit ans. Robin (Catherine Blood, RSCJ). Archives RSCJ, Saint-Louis.

Ill. 5. Vitrail de sainte Philippine Duchesne, église de Grâne. Crédit photo ME-ARGEM.



Ill. 6. Tableau de saint François Xavier et de saint François Régis, église de Grâne. Crédit photo ME-ARGEM.



Ill. 7. Château des Duchesne, à Grâne. Propriété actuelle de M. Marc Estrangin. Crédit photo ME-ARGEM.

Ill. 8. Jardin de Sainte Marie d’En-Haut. Photo: M.-F. Carreel, RSCJ.



Ill. 9. Philippine, pensionnaire à Sainte-Marie d’En-Haut. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 10. Jeudi Saint, Grenoble 4 avril 1806. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 11. Permission d’aller en Amérique. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 12. Arrivée en Amérique, 29 mai 1818. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 13. Croquis de la première maison à Saint-Charles, 1818. Archives RSCJ, Saint-Louis.

Ill. 14. Déménagement à Florissant, 1819. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 15. Maison de Saint-Ferdinand à Florissant. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 16. Tableau du décès de saint François Régis. Artiste inconnu. Saint-Charles. Archives, RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 17. Première maison de Grand Coteau, 1821. Archives RSCJ, Saint-Louis.

Ill. 18. Dessin de la maison de Saint-Michel, 1825. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 19 Lettre à Félicia Chrétien, 30 juin 1830. Pp. 1. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 20 Lettre à Félicia Chrétien, 30 juin 1830. Pp. 2. Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 21. Arrivée au village Potawatomi, juillet 1840. Robin.Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 22. La femme qui prie toujours. Robin.Archives RSCJ, Saint-Louis.



Ill. 23. Signature de Philippine Duchesne. Archives RSCJ, Saint-Louis.

Ill. 24. Mosaïque de la cathédrale de Saint-Louis. Artiste : Hildreth Meiere. ©2017, Cathedral Basilica of Saint Louis, photo de M. L. Olsen, tous droits réservés.

ANNEXE LISTE DES LETTRES ET AUTRES DOCUMENTS Par ordre chronologique page tome i

I. Avant le grand départ (1797-1818) R1

Histoire de Sainte Marie d’EnHaut

1792-1804

1

Mauduit Mme de1

novembre 1797

1

82

2

Mauduit Mme de

fin 1797 ou début 1798 2

83

3

Jouve Mme

14 février 1802

1

86

J1

Journal de Grenoble

1804-1813

4

Jouve Mme

[novembre 1804]

2

151

5

Jouve Mme

14 décembre 1804

3

152

6

Jouve Mme

22 mars 1805

4

153

7

Jouve Mme

17 septembre [1805]

5

154

8

Jouve Mme

14 février [1806]

6

154

2

53

88

9

Barat, Sophie, RSCJ

mars 1806

1

155

10

Barat, Sophie, RSCJ

4 avril 1806

2

158

11

Jouve Mme 

[1807]

7

159

12

Jouve Mme

[1807]

8

160

13

Jouve Mme

9 avril 1807

9

161

14

Pinet, Julie

25 ? [1807]

1

162

15

Jouve Mme

[1807]

10

163

1 2

Mme Amélie de Mauduit, née Duchesne (1771-1837), sœur de Philippine. Mme Euphrosine Jouve, née Duchesne (1772-1857), sœur de Philippine.

718

ANNEXE

page

16

Jouve Mme

19 novembre 1807

11

164

17

Jouve Mme

[1807]

12

166

18

Jouve Mme

2 décembre 1807

13

167

19

Jouve Mme

2 mai [1808]

14

168

20

Jouve Mme

10 août 1808

15

169

21

Jouve Mme

26 décembre 1808

16

170

22

Jouve Mme

[1809]

17

171

23

Jouve Mme

6 février [1809]

18

172

24

Jouve Mme

28 mai 1809

19

172

25

Jouve Mme

15 août 1809

20

174

26

Michel, Adrienne, RSCJ

17 août 1809

1

175

27

Jouve Mme 

[1809 ou 1811]

21

177

28

Jouve Mme

10 janvier 1810

22

178

29

Jouve Mme

2 décembre 1810

23

179

30

Jouve Mme

1 janvier [1811]

24

180

31

Jouve Mme

24 ? [1811]

25

180

32

Jouve Mme

22 mai [1811]

26

181

33

Michel, Adrienne, RSCJ

2 janvier 1812

2

182

34

Michel, Adrienne, RSCJ

30 [juillet 1812]

3

183

35

Ruelle Mme 

6 décembre 1812

1

184

36

Michel, Adrienne, RSCJ

fin 1812

4

186

37

Michel, Adrienne, RSCJ

9 février [1813]

5

187

38

Jouve Mme 

[1813]

27

188

39

Jouve Mme

25 mai 1813

28

189

40

Jouve Mme

24 novembre [1813]

29

190

41

Jouve Mme

2 janvier [1814]

30

191

42

Jouve Mme

2 mars 1814

31

192

43

Jouve Mme

18 avril [1814]

32

193

44

Jouve Mme

[1814]

33

194

45

Jouve Mme

4 juillet [1814]

34

195

46

Jouve Mme

novembre [1814]

35

195



Liste des lettres et autres documents

719 page

47

Jouve Mme

25 novembre 1814

36

48

Jouve Mme

[fin décembre 1814]

37

198

49

Jouve Mme

2 novembre 1815

38

199

50

Jouve Mme

14 décembre [1815]

39

200

51

Religieuses de Sainte-Marie d’En-Haut

8 janvier 1816

1

202

52

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

26 février [1816]

1

204

53

Jouve Mme

Samedi Saint 1816

40

205

54

Jouve Mme

1 juin 1816

41

207

55

Jouve Mme

15 juin 1816

42

208

56

Jouve, Euphrosine, RSCJ

juin 1816

1

209

57

Roussel M. 

12 juillet 1816

1

211

58

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

27 juillet [1816]

2

211

3

196

59

Jouve, Euphrosine, RSCJ

4 août 1816

2

214

60

Jouve Mme

4 août 1816

43

216

61

Mauduit Mme de

8 août 1816

3

217

62

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

août [1816]

3

219

63

Religieuses de Sainte-Marie d’En-Haut

5 janvier 1817

2

221

64

Jouve Mme

9 janvier [1817]

44

224

65

Jouve Mme

3 juillet 1817

45

224

66

Mauduit Mme de

juillet 1817

4

226

67

Mauduit Mme de

17 août 1817

5

227

68

Rollin Mme de

29 août 1817

1

228

69

Barat, Sophie, RSCJ

janvier ou février 1818

3

229

70

Religieuses de Sainte-Marie d’En-Haut

janvier ou février 1818

3

237

71

Rollin Mme de 

24 janvier 1818

2

238

72

Rollin Mme de

28 janvier 1818

3

240

3

Euphrosine Jouve (1796-1821), dite Aloysia, est la fille de Mme Jouve et donc la nièce de Philippine.

720

ANNEXE

page

73

Rollin Mme de

lundi fin janvier 1818 4

242

74

Rollin Mme de 

fin janvier 1818

5

243

75

Rollin Mme de

fin janvier 1818

6

244

76

Jouve Mme

1 février [1818]

46

244

77

Mauduit Mme de

février 1818

6

245

78

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

4 février 1818

4

247

79

Jouve, Euphrosine, RSCJ

février 1818

3

248

80

Barat, Sophie, RSCJ

13 février 1818

4

249

81

Élèves de Sainte Marie d’En-Haut 15 février 1818

1

251

82

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

15 février 1818

5

253

83

Rollin Mme de 

17 février 1818

7

254

84

Mauduit Mme de

18 février 1818

7

256

85

Barat, Sophie, RSCJ

18 février 1818

5

258

86

Barat, Sophie, RSCJ

20 février 1818

6

262

87

Barat, Sophie, RSCJ

28 février 1818

7

263

88

Jouve Mme

1 mars 1818

47

267

89

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

2 mars [1818]

6

268

90

Jouve, Euphrosine, RSCJ

mars 1818

4

269

8

270

91

Rollin Mme de 

5 mars 1818

J2

Journal de Paris

1815-1817

272

II. Les premières fondations (1818-1821) 92

Vincent Mme, Religieuse

1818

1

321

93

Barat, Sophie, RSCJ

16 mai 1818

8

322

94

Bigeu, Joséphine, RSCJ

30 mai 1818

1

328

95

Mauduit Mme de

2 juin 1818

8

333

96

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

3 juin [1818]

7

335

97

Élèves de Paris-Grenoble

3 juin 1818

1

337

98

Varin, Joseph, SJ

4 juin 1818

1

347

99

Gramont, Eugénie de, RSCJ

juin 1818

1

349

100 Barat, Sophie, RSCJ

7 juin 1818

10

351

101

8 juin 1818

1

356

Professe de Paris, RSCJ



Liste des lettres et autres documents

721 page

102 Barat, Louis, SJ 103

21 juin 1818

Barat, Sophie, RSCJ

1

357

22 juin 1818

11

359

104 Barat, Louis, SJ

22 juin 1818

2

365

105 Barat, Sophie, RSCJ

24 juin 1818

12

367

106 Barat, Sophie, RSCJ

9 juillet 1818

13

369

107 Barat, Louis, SJ

11 juillet 1818

3

375

1

377

108 Charbonnel, Catherine de, RSCJ 1818 109 Barat, Sophie, RSCJ

22 août 1818

14

378

110

Barat, Louis, SJ

29 août 1818

4

382

111

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

29 août 1818

8

385

112

Fournier Mme

29 août 1818

1

387

113

Jouve Mme

29 août 1818

48

389

114

Barat, Sophie, RSCJ

31 août 1818

15

390

115

Bigeu, Joséphine, RSCJ

2 septembre 1818

2

396

116

Barat, Sophie, RSCJ

12 septembre 1818

16

398

117

Barat, Sophie, RSCJ

8 octobre 1818 (1)

17

401

118

Barat, Sophie, RSCJ

8 octobre 1818 (2)

18

405

119

Barat, Sophie, RSCJ

9 novembre 1818

19

406

120 Religieuses et élèves, Paris-Grenoble

20 novembre 1818

1

411

121

Barat, Louis, SJ

21 novembre 1818

5

414

122

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

16 décembre 1818

9

416

123

Rollin Mme de

1819

9

419

124 Barat, Sophie, RSCJ

25 janvier 1819

20

421

125

15 février 1819

21

425

126 Vincent Mme, religieuse

2 mars 1819

2

431

127

Barat, Sophie, RSCJ

5 mars 1819

22

432

128

Barat, Louis, SJ

15 mars 1819

6

436

129

Jouve, Constance

mars 1819

1

440

4

Barat, Sophie, RSCJ

4

Constance Jouve (1807-1852) est la fille de Mme Jouve et donc la nièce de Philippine. Elle deviendra religieuse du Sacré-Cœur.

722

ANNEXE

page

130

Bigeu, Joséphine, RSCJ

25 avril 1819

3

441

131

Jouve, Joseph

25 avril [1819]

1

444

132

Barat, Sophie, RSCJ

29 juillet 1819

23

445

133

Barat, Sophie, RSCJ

28 août 1819

24

449

134

Rollin Mme de

29 août 1819

10

453

135

Barat, Louis, SJ

17 septembre 1819

7

456

136

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

26 septembre 1819

10

459

137

Barat, Sophie, RSCJ

27 septembre 1819

25

462

138

Vincent Mme, religieuse

27 septembre 1819

3

465

139

Barat, Sophie, RSCJ

28 septembre 1819

26

467

140 Barat, Sophie, RSCJ

10 octobre 1819

27

471

141

15 novembre 1819

28

472

142 Barat, Sophie, RSCJ

1-16 décembre 1819

29

476

143

1819

1

481

144 Barat, Louis, SJ

2 janvier 1820

8

482

145

29 février 1820

1

485

1 mars 1820

1

488

Barat, Sophie, RSCJ Provenchère, Peter Debrosse, Robert, SJ

146 Religieuses de Sainte-Marie d’En-Haut 147 Barat, Sophie, RSCJ

3 mars 1820

30

496

148 Barat, Louis, SJ

20 mars 1820

9

497

149 Barat, Sophie, RSCJ

20 mars 1820

31

500

150

Jouve Mme

27 mars 1820

49

501

151

Mauduit, Mme de

27 mars 1820

9

502

152

Novices de Paris

28 mars 1820

1

503

153

Barat, Sophie, RSCJ

8 mai 1820

32

505

154

Barat, Louis, SJ

8 mai 1820

10

507

155

Lalanne, Suzanne de, RSCJ

8 mai 1820

1

509

156

Rollin Mme de

27 août 1820

11

511

157

Barat, Sophie, RSCJ

29 août 1820

33

513

158

Deshayes, Geneviève, RSCJ, et novices de Paris

29 août 1820

1

517



Liste des lettres et autres documents

723 page

159

Desmarquest, Félicité, RSCJ

26 septembre 1820

1

522

160 Barat, Sophie, RSCJ

30 octobre 1820

34

523

161

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

30 novembre 1820

11

531

162

Élèves de Sainte-Marie d’En-Haut 1820

2

533

163

Barat, Sophie, RSCJ

18 février 1821

35

540

18 février 1821

12

544

7 mars 1821

11

547

21 mars 1821

1

550

Vidaud, Louise et autres novices 10 avril 1821

1

551

164 Rollin Mme de 165

Barat, Louis, SJ

166 Rosati, Joseph, CM

5

167

168 Jouve, Euphrosine, RSCJ

11 avril 1821

5

556

169 Maillucheau, Thérèse, RSCJ

11 avril 1821

12

558

170 Barat, Sophie, RSCJ

12 avril 1821

36

559

171

Jouve Mme

avril 1821

50

561

172

Rosati, Joseph, CM

20 mai 1821

2

563

173

Barat, Sophie, RSCJ

mai 1821

37

565

174

Bigeu, Joséphine, RSCJ

23 juin 1821

4

567

175

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

23 juin 1821

13

568

176 Barat, Sophie, RSCJ

24 juin 1821

38

571

177

Rosati, Joseph, CM

27 juin 1821

3

575

178

Rollin Mme de

29 juin 1821

13

576

179

Barat, Sophie, RSCJ

15 août 1821

39

577

180 Barat, Sophie, RSCJ

15 septembre 1821

40

581

181

Barat, Sophie, RSCJ

7 octobre 1821

41

582

182

Rosati, Joseph, CM

28 octobre 1821

4

588

183

Barat, Sophie, RSCJ

17 décembre 1821

42

589

III. En pleine action (1822-1828) 184 Rosati, Joseph, CM

6 janvier 1822

5

493

185

18 février 1822

12

494

5

Barat, Louis, SJ

Supérieur des Lazaristes et supérieur du séminaire des Barrens, Joseph Rosati, CM, est nommé évêque coadjuteur de Mgr Dubourg le 25 juin 1823. Mais Philippine l’ignore encore lorsqu’elle lui écrit le 7 août et le 5 octobre 1823.

724

ANNEXE

page

186 Barat, Sophie, RSCJ

28 février 1822

43

497

187

Barat, Sophie, RSCJ

6 mars 1822

44

500

188 Rosati, Joseph, CM

8 mars 1822

6

504

189 Barat, Louis, SJ

1er avril 1822

13

505

190 Barat, Sophie, RSCJ

16 avril 1822

45

508

191

Maillucheau, Thérèse, RSCJ

16 avril 1822

14

510

192

Barat, Sophie, RSCJ

24 juin 1822

46

511

193

Mauduit Mme de

29 juin 1822

10

514

194 Olivier, Marie, RSCJ

juillet 1822

1

515

195

19 juillet 1822

47

519

196 Barat, Sophie, RSCJ

8 septembre 1822

48

520

197

11 septembre 1822

2

525

198 Debrosse, Rosalie, RSCJ

11 septembre 1822

1

526

199 Jouve Mme 

17 septembre 1822

51

528

200 Rollin Mme de 

20 septembre 1822

14

529

201 Barat, Sophie, RSCJ

30 octobre 1822

49

530

202 Barat, Sophie, RSCJ

1 décembre 1822

50

534

203 Rosati, Joseph, CM

1 décembre 1822

7

538

204 Barat, Sophie, RSCJ

4 janvier 1823

51

540

205 Barat, Sophie, RSCJ

16 janvier 1823

52

543

206 Rosati, Joseph, CM

17 février 1823

8

547

207 Lalanne, Suzanne de, RSCJ

20 février 1823

3

549

208 Rosati, Joseph, CM

18 mars 1823

9

551

Barat, Sophie, RSCJ Lalanne, Suzanne de, RSCJ

209 Bigeu, Joséphine, RSCJ

20 mars 1823

5

552

210 Barat, Sophie, RSCJ

20 mars 1823

53

554

211

Jouve Mme 

21 mars 1823

52

556

212

Barat, Sophie, RSCJ

20 mai 1823

54

557

213

Delacroix, Charles, Abbé

16 juin 1823

1

561

214 Delacroix, Charles, Abbé

18 juin 1823

2

563

Barat, Sophie, RSCJ

18 juillet 1823

55

565

216 Delacroix, Charles, Abbé

215

18 juillet 1823

3

567



Liste des lettres et autres documents

725 page

217

Rosati, Joseph, CM

218

Barat, Sophie, RSCJ

7 août 1823

10

569

25 septembre 1823

56

570

219 Rosati, Joseph, CM

5 octobre 1823

11

575

220 Delacroix, Charles, Abbé

6 novembre 1823, ps d’Octavie

4

577

221

12 novembre 1823

1

577

De Neckere, Léo, CM

222 Religieuse, RSCJ

27 novembre 1823

579

223 Barat, Sophie, RSCJ

27 novembre 1823

57

581

224 Mauduit, Mme de 

28 décembre 1823

11

583

225 Delacroix, Charles, Abbé

30 décembre 1823

5

585

226 Rosati Mgr

2 janvier 1824

12

586

227 Gramont, Eugénie de, RSCJ

2 janvier 1824

2

587

228 Bigeu, Joséphine, RSCJ

2 janvier 1824

6

589

229 Delacroix, Charles, Abbé

16 janvier 1824

6

592

230 Clemens, James

19 janvier 1824

1

594

231

16 février 1824

15

595

232 Delacroix, Charles, Abbé

18 février 1824

7

597

233

19 février 1824

58

600

234 Bigeu, Joséphine, RSCJ

18 mars 1824

7

603

235

22 avril 1824

8

605

236 Barat, Sophie, RSCJ

2 mai 1824

59

608

237 Rollin, Mme de 

[1824] 

16

610

238 Paranque, Victoire, RSCJ

2 mai 1824

1

612

239 Barat, Sophie, RSCJ

10 juin 1824

60

614

240 Rosati Mgr 

24 juin 1824

13

619

241 Barat, Sophie, RSCJ

25 juillet 1824

61

620

242 Rosati Mgr 

31 juillet 1824

14

624

243 Rollin, Mme de 

[1824]

17

625

244 Rosati Mgr 

20 août 1824

15

626

Rollin, Mme de  Barat, Sophie, RSCJ Delacroix, Charles, Abbé

245 Barat, Sophie, RSCJ

1 septembre 1824

62

628

246 Rosati Mgr 

23 octobre 1824

16

633

726

ANNEXE

page

247 Barat, Sophie, RSCJ

22 novembre 1824

63

248 Rosati Mgr 

12 décembre 1824

17

637

249 Barat, Sophie, RSCJ

6 janvier 1825

64

639

250 Barat, Sophie, RSCJ

28 février 1825

65

644

251

28 février 1825

18

647

252 Barat, Sophie, RSCJ

8 mars 1825

66

648

253

23 avril 1825

67

650

Rosati Mgr  Barat, Sophie, RSCJ

634

254 Rosati Mgr 

25 avril 1825

19

655

255

1 mai 1825

9

656

256 Jouve Mme 

10 mai 1825

53

658

257 Barat, Sophie, RSCJ

8 juin 1825

68

659

258 Barat, Sophie, RSCJ

3 juillet 1825

69

662

259 Barat, Sophie, RSCJ

14 septembre 1825

70

665

260 Rosati Mgr

24 novembre 1825

20

669

261 Rosati Mgr

15 décembre 1825

21

670

262 Barat, Sophie, RSCJ

27 décembre 1825

71

672

263 Rosati Mgr

29 décembre 1825

22

676

264 Rosati Mgr

16 janvier 1826

23

678

Delacroix, Charles, Abbé

265 Rosati Mgr

14 février 1826

24

680

266 Barat, Sophie, RSCJ

18 février 1826

72

681

267 Barat, Sophie, RSCJ

2 mai 1826

73

682

268 Rollin, Mme de

2 mai 1826

18

684

269 Deshayes, Geneviève, RSCJ

mai 1826

2

685

270 Ducis, Henriette, RSCJ

1826

1

686

271

12 août 1826

19

687

272 Barat, Sophie, RSCJ

15 juin 1826

74

688

273 Rosati Mgr

23 juillet 1826

25

690

274 Deshayes, Geneviève, RSCJ

12 août 1826

3

691

275 Rosati Mgr

18 août 1826

26

693

Rollin, Mme de

276 Prevost, Marie, RSCJ

18 août 1826

1

695

277 Rosati Mgr

3 octobre 1826

27

697



Liste des lettres et autres documents

727 page

278 Barat, Sophie, RSCJ

6 octobre 1826

75

699

279 Rosati Mgr

3 novembre 1826

28

702

280 Rosati Mgr

11 novembre 1826

29

703

281

25 novembre 1826

76

704

282 Leduc, Philippe

11 décembre 1826

1

708

283 Rosati Mgr

30 décembre 1826

30

709

284 Rollin, Mme de 

1 janvier 1827

20

711

Barat, Sophie, RSCJ

285 Barat, Sophie, RSCJ

1 mars 1827

77

713

286 Rosati Mgr

8 mars 1827

31

717

287 Rosati Mgr

10 mai 1827

32

718

288 Barat, Sophie, RSCJ

13 mai 1827

78

720

289 Chouteau, Auguste

4 juin 1827

1

724

290 Rosati Mgr

1 juillet 1827

33

725

291

9 juillet 1827

79

728

292 Rosati Mgr

15 juillet 1827

34

732

293 Rosati Mgr

29 juillet 1827

35

734

294 Barat, Sophie, RSCJ

18 août 1827

80

735

295 Delacroix, Charles, Abbé

18 août 1827

10

737

Barat, Sophie, RSCJ

296 Barat, Sophie, RSCJ

11 septembre 1827

81

739

297 Rosati Mgr

3 octobre 1827

36

741

298 Bigeu, Joséphine, RSCJ

3 octobre 1827

8

743

299 Barat, Sophie, RSCJ

7 octobre 1827

82

745

300 Religieuses du Sacré-Cœur

7 octobre 1827

1

749

301

24 octobre 1827

37

752

302 Barat, Sophie, RSCJ

Rosati Mgr

3 janvier 1828

83

754

303 Rosati Mgr

6 janvier 1828

38

757

304 Rollin, Mme de 

14 janvier 1828

21

759

305 Rosati Mgr

24 janvier 1828

39

760

306 Barat, Sophie, RSCJ

23 mars 1828

84

763

307 Quatrebarbes, Virginie de, RSCJ 28 mars [1828]

1

764

308 Rollin, Mme de 

22

766

10 avril 1828

728

ANNEXE

page

309 Rosati Mgr

24 avril 1828

40

767

310 Rosati Mgr

1 mai 1828

41

768

311

Carr Lane, William

3 mai 1828

1

770

312

Rosati Mgr

12 mai 1828

42

772

313

Rosati Mgr

31 mai 1828

43

773

314

Mme Jouve et Mme de Mauduit 3 juin 1828

54

774

315

Delacroix, Charles, Abbé

18 juin 1828

11

776

316

Rosati Mgr

23 juin 1828

44

777

317

Barat, Sophie, RSCJ

3 juillet 1828

85

778

318

Rosati Mgr

14 juillet 1828

45

780

319

Rosati Mgr

22 juillet 1828

46

782

22 juillet 1828

86

783

320 Barat, Sophie, RSCJ

24 juillet 1828

87

785

322 Rosati Mgr

321

Barat, Sophie, RSCJ

25 août 1828

47

787

323

25 août 1828

88

788

324 Barat, Sophie, RSCJ

11 septembre 1828

89

791

325

21 octobre 1828

90

794

octobre 1828

48

797

Barat, Sophie, RSCJ Barat, Sophie, RSCJ

326 Rosati Mgr 327 Dubourg Mgr 

[21 octobre 1828]

1

798

328 Rosati Mgr

7 novembre 1828

49

801

329 Barat, Sophie, RSCJ

28 novembre 1828

91

802

330 Boilvin, Adeline, RSCJ

31 décembre [1828]

1

804

IV. Nouvelle croissance et conflits (1829-1833)

tome ii

331

Saulnier, Edmond, Abbé

1er janvier 1829

1

11

332

Rosati Mgr

4 janvier 1829

50

12

333

Rosati Mgr

18 janvier 1829

51

13

334 Jouve Mme

4 avril 1829

55

14

335

avril 1829

52

16

336 Barat, Sophie, RSCJ

18 mai 1829

92

18

337

22 mai 1829

2

21

12 juillet 1829

53

22

Rosati Mgr Saulnier, Edmond, Abbé

338 Rosati Mgr



Liste des lettres et autres documents

729 page

339 Rosati Mgr

15 août 1929

54

23

340 Rosati Mgr

20 août 1829

55

24

341

23 août 1829

93

26

342 Jouve Mme

27 août 1829

56

30

343 Barat, Sophie, RSCJ

13 septembre 1829

94

31

344 Novices de Paris

11 octobre 1829

2

32

Barat, Sophie, RSCJ

Quelques détails sur les Sauvages [1829 ?]

34

345 Saulnier, Edmond, Abbé

3 novembre 1829

3

35

346 Perreau, Pierre, Abbé

10 novembre 1829

1

36

347 Rollin Mme de

23 novembre 1829

23

38

348 Barat, Sophie, RSCJ

11-13 décembre 1829

95

40

349 Barat, Sophie, RSCJ

22 décembre 1829

96

47

350 Rollin Mme de

18 janvier 1830

24

53

351

Barat, Sophie, RSCJ

20 janvier 1830

97

55

352

Barat, Sophie, RSCJ

1 février 1830

98

61

353

Rosati Mgr

22 février 1830

56

64

354 Rosati Mgr

3 mars 1830

57

65

355

12 mars 1830

1

67

Limminghe, Louise de, RSCJ

356 Rosati Mgr

7 mars 1830

58

68

357

Barat, Sophie, RSCJ

14 mars 1830

99

69

358

Rosati Mgr

31 mars 1830

59

73

359 Rollin Mme de

21 avril 1830

25

74

360 Rosati Mgr

30 avril 1830

60

75

5 mai 1830

2

76

362 Prevost, Marie, RSCJ

361

Limminghe, Louise de, RSCJ

6 mai 1830

2

78

363 Chrétien, Félicia

30 juin 1830

1

80

364 Rosati Mgr

9 juillet 1830

61

82

365 Rosati Mgr

12 juillet 1830

62

82

366 Rosati Mgr

12 août 1830

63

83

367 Rollin Mme de

26 août 1830

26

84

368 Rosati Mgr

3 septembre 1830

64

86

730

ANNEXE

page

369 Rosati Mgr

6 septembre 1830

65

87

370 Rosati Mgr

14 septembre 1830

66

87

371

5 novembre 1830

67

88

372 Rosati Mgr

16 novembre 1830

68

89

373

23 novembre 1830

69

90

374 Barat, Sophie, RSCJ

25 novembre 1830

100

91

375

17 décembre 1830

70

94

Rosati Mgr Rosati Mgr Rosati Mgr

376 Rosati Mgr

17 décembre 1830

71

95

377 Rosati Mgr

29 décembre 1830

72

96

378 Rosati Mgr

19 janvier 1831

73

97

379 Rosati Mgr

19 février 1831

74

98

380 Rosati Mgr

11 mars 1831

75

99

381

Rosati Mgr

31 mars 1831

76

100

382 Rosati Mgr

11 avril 1831

77

101

383

14 avril 1831

1

103

384 Rosati Mgr

20 avril 1831

78

105

385 Rosati Mgr

7 mai 1831

79

106

386 Rosati Mgr

14 mai 1831

80

107

Portes, Laure de, RSCJ

387 Rosati Mgr

3 juin 1831

81

108

388 Rosati Mgr

3 juin 1831

82

109

V 1 Vœu à saint Régis

1817-1831

389 Barat, Sophie, RSCJ

19 juin 1831

101

111

390 Rosati Mgr

27 juin 1831

83

113

391

Barat, Sophie, RSCJ

110

1 août 1831

102

115

392 Rosati Mgr

16 août 1831

84

118

393 Rosati Mgr

20 août 1831

85

119

394 Rosati Mgr

24 août 1831

86

119

395 Barat, Sophie, RSCJ

28 août 1831

103

121

396 Ducis, Henriette, RSCJ

28 août 1831

2

123

397 Rosati Mgr

7 septembre 1831

87

126

398 Rosati Mgr

16 septembre 1831

88

127



Liste des lettres et autres documents

731 page

399 Rosati Mgr

16 octobre 1831

89

128

400 Rosati Mgr

28 octobre 1831

90

129

401 Barat, Sophie, RSCJ

20 novembre 1831

104

130

402 Rosati Mgr

15 décembre 1831

91

133

403 Rosati Mgr

30 décembre 1831

92

134

404 Rosati Mgr

12 janvier 1832

93

134

405 Rosati Mgr

21 janvier 1832

94

135

406 Dubourg Mgr

29 janvier 1832

2

136

407 Barat, Sophie, RSCJ

1 février 1832

105

139

408 Rosati Mgr

21 février 1832

95

141

409 Rosati Mgr

24 février 1832

96

142

410 Gramont, Eugénie de, RSCJ

24 février 1832

3

143

411

24 février 1832

106

144

412 Rosati Mgr

Barat, Sophie, RSCJ

25 février 1832

97

147

413

17 mars 1832

98

148

414 Rosati Mgr

28 mars ? 1832

99

149

415

7 avril 1832

100

150

416 Rollin Mme de

23 avril 1832

27

151

417 Barat, Sophie, RSCJ

24 avril 1832

107

152

418 Rosati Mgr

15 mai 1832

101

155

419 Rosati Mgr

20 mai 1832

102

155

420 Mauduit Mme de

23 juin [1832]

12

156

421 Rosati Mgr

10 juillet 1832

103

157

Rosati Mgr Rosati Mgr

422 Barat, Sophie, RSCJ

août 1832

108

158

423 Rosati Mgr

4 septembre 1832

104

161

424 Rosati Mgr

19 septembre 1832

105

161

425 Ducis, Henriette, RSCJ

11 octobre 1832

3

162

426 Rosati Mgr

15 octobre 1832

106

165

427 Boilvin, Adeline, RSCJ

15 novembre [1832]

2

166

428 Barat, Sophie, RSCJ

13 dec 1832

109

167

429 Rosati Mgr

4 janvier 1833

107

171

732

ANNEXE

page

430 Michel, Adrienne, RSCJ 431

Rosati Mgr

24 février 1833

6

172

17 mars 1833

108

174

432 Barat, Sophie, RSCJ

21 mars 1833

110

174

433 Gramont, Eugénie de, RSCJ

21 mars 1833

4

175

434 Rosati Mgr

10 avril 1833

109

177

435 Rosati Mgr

16 avril 1833

110

177

436 Rosati Mgr

8 mai 1833

111

178

437 Barat, Sophie, RSCJ

23 juin 1833

111

179

438 Desmarquest, Félicité, RSCJ

23 juin 1833

2

183

439 Rollin Mme de

23 juin 1833

28

185

440 Rosati Mgr

27 juin 1833

112

188

441 Rosati Mgr

16 juillet 1833

113

188

442 Rosati Mgr

16 août 1833

114

189

443 Jouve Mme

18 août 1833

57

191

444 Rosati Mgr

30 août 1833

115

192

445 Rosati Mgr

15 septembre 1833

116

193

446 Barat, Sophie, RSCJ

17 septembre 1833

112

193

447 Barat, Sophie, RSCJ

22 septembre [1833]

113

196

448 Gramont, Eugénie de, RSCJ

22 septembre 1833

5

199

449 Ducis, Henriette, RSCJ

22 septembre 1833

4

200

450 Rollin Mme de

[fin septembre] 1833

29

201

451

15 octobre 1833

6

202

27 novembre 1833

5

204

Gramont, Eugénie de, RSCJ

452 Ducis, Henriette, RSCJ 453 Barat, Sophie, RSCJ

10 décembre 1833

114

206

454 Barat, Sophie, RSCJ

28 décembre 1833

115

208

455 Rosati Mgr

29 décembre 1833

117

210

456 Audé, Eugénie, RSCJ

Fin de l’année 1833

1

211

N 1 Vies des religieuses, RSCJ

1826-1833

212

V. Retour à Florissant (1834-1839) 457 Barat, Sophie, RSCJ

2 janvier 1834

116

227

458 Gramont, Eugénie de, RSCJ

13 janvier 1834

7

229



Liste des lettres et autres documents

733 page

459 Rollin Mme de 

13 janvier 1834

30

231

460 Barat, Sophie, RSCJ

26 janvier 1834

117

233

461 Barat, Louis, SJ

26 janvier 1834

14

235

462 Rosati Mgr 

28 janvier 1834

118

237

463 Rosati Mgr 

5 février 1834

119

237

464 Barat, Sophie, RSCJ

2 mars 1834

118

238

465 Rosati Mgr 

31 mars 1834

120

241

466 Barat, Sophie, RSCJ

avril 1834

119

242

467 Rosati Mgr 

15 juin 1834

121

244

468 Audé, Eugénie, RSCJ

2 juillet 1834

2

245

469 Rosati Mgr 

10 juillet 1834

122

247

470 Rosati Mgr

26 août 1834

123

248

471 Jouve Mme 

4 octobre 1834

58

248

472 Barat, Sophie, RSCJ

5 octobre 1834

120

249

473 Giraud, Émilie, RSCJ

8 octobre 1834

1

252

474 Rollin Mme de

8 octobre 1834

31

254

475 Léridon, Aimée, RSCJ

9 octobre 1834

1

255

476 Audé, Eugénie, RSCJ

14 octobre 1834

3

257

477 Boilvin, Adeline, RSCJ

octobre 1834

3

258

478 Barat, Sophie, RSCJ

9 novembre 1834

121

259

479 Audé, Eugénie, RSCJ

9 novembre [1834]

4

261

480 Audé, Eugénie, RSCJ

19 novembre [1834]

5

263

481 Boilvin, Adeline, RSCJ

automne 1834

4

266

482 Gramont, Eugénie de, RSCJ

Novembre 1834

8

267

483 Rosati Mgr

29 décembre 1834

124

270

484 Barat, Sophie, RSCJ

décembre 1834

122

271

485 Boilvin, Adeline, RSCJ

[après octobre 1834]

5

273

C1

entre 1834 & 1835

Époques intéressantes

486 Boilvin, Adeline, RSCJ

1 janvier 1835

274 6

275

487 Galitzine, Élisabeth, RSCJ

17 février 1835

1

276

488 Audé, Eugénie, RSCJ

19 février [1835]

6

277

734

ANNEXE

page

489 Rosati Mgr

25 février 1835

125

490 Boilvin, Adeline, RSCJ

carême 1835

7

279

491 Rosati Mgr

17 avril 1835

126

280

492 Audé, Eugénie, RSCJ

24 avril [1835]

7

281

493 Barat, Sophie, RSCJ

30 juin 1835

123

283

494 Rosati Mgr

27 juillet 1835

127

284

495 Rosati Mgr

8 octobre 1835

128

285

496 Rosati Mgr

8 novembre 1835

129

286

497 Audé, Eugénie, RSCJ

8 novembre 1835

8

287

498 Barat, Sophie, RSCJ

8 novembre 1835

124

288

499 Barat, Sophie, RSCJ

20 décembre 1835

125

290

500 Lavaudan, Angélique, RSCJ

20 décembre 1835

1

292

501

Rollin, Mme 

278

20 décembre 1835

32

295

502 Teisseire Mme6

20 décembre 1835

1

297

503 Gramont, Eugénie de, RSCJ

1 janvier 1836

9

298

504 Gramont, Eugénie de, RSCJ

6 janvier 1836

10

300

505 Jouve Mme

20 mars 1836

59

302

506 Rosati Mgr

29 mars 1836

130

303

507 Barat, Sophie, RSCJ

10 avril 1836

126

304

508 Audé, Eugénie, RSCJ

10 avril 1836

9

306

509 Rollin Mme de

10 mai 1836

33

307

510 Audé, Eugénie, RSCJ

22 mai 1836

10

309

511

Barat, Sophie, RSCJ

mai 1836

127

311

512

Rosati Mgr

1 juillet 1836

131

313

513

Barat, Sophie, RSCJ

1 juillet 1836

128

314

514

Rosati Mgr

8 juillet 1836

132

315

515

Rollin Mme de

22 septembre 1836

34

316

516

Audé, Eugénie, RSCJ

16 octobre 1836

11

318

517

Jouve Mme

4 décembre 1836

60

321

6

Mme Marine Teisseire, née Perier (1779-1851), est la cousine de Philippine et la sœur de Mme de Rollin.



Liste des lettres et autres documents

735 page

518

Tanon (Timon), John, CM

519

18 décembre 1836

1

322

Rosati Mgr

23 décembre 1836

133

324

520 Rosati Mgr

26 décembre 1836

134

325

521

Christmas 1836

8

326

522 Rosati Mgr

16 janvier 1837

135

327

523

27 janvier 1837

2

328

1 février 1837

136

329

Boilvin, Adeline, RSCJ Tanon (Timon), John, CM

524 Rosati Mgr

10 avril 1837

35

329

526 Jouve Mme

525

Rollin Mme de

11 juin 1837

61

332

527 Rosati Mgr

juin 1837

137

333

528 Rosati Mgr

21 septembre 1837

138

334

529 Audé, Eugénie, RSCJ

15 octobre 1837

12

335

530 Rollin Mme de 

17 octobre 1837

36

336

531

Rosati Mgr

10 décembre 1837

139

339

532

Rosati Mgr

14 décembre 1837

140

340

533

Rosati Mgr

14 janvier 1838

141

341

534 Audé, Eugénie, RSCJ

18 janvier 1838

13

343

535

30 janvier 1838

37

345

536 Barat, Sophie, RSCJ

2 juillet 1838

129

346

537

24 juillet 1838

38

349

538 Rosati Mgr

23 août 1838

142

350

539 Boilvin, Adeline, RSCJ

[août 1838]

9

352

540 Boilvin, Adeline, RSCJ

Ce 11 [1838. Avant 30 sept]

10

353

541

Rollin Mme de  Rollin Mme de 

septembre 1838

143

354

542 Jouve Mme

Rosati Mgr

4 octobre 1838

62

355

543 Rosati Mgr

23 octobre

144

355

544 Léridon, Aimée, RSCJ

20 décembre 1838

2

357

545 Rozeville, Adélaïde de, RSCJ

20 décembre 1838

1

358

546 Rosati Mgr

1 janvier 1839

145

360

547 Rosati Mgr

9 janvier 1839

146

360

736

ANNEXE

page

548 Jouve Mme

24 février 1839

63

549 Rollin Mme de

17 mars 1839

39

363

550 Tighe, Mary

30 mars 1839

1

365

551

Rosati Mgr

16 mai 1839

147

366

552

Jouve Mme

3 septembre 1839

64

368

553

Rollin Mme de

3 septembre 1839

40

369

554 Chouteau, Jean-Pierre ou Henri 12 novembre 1839

2

371

555

148

371

Rosati Mgr 

28 décembre 1839

362

VI. Le rêve se réalise (1840-1842) Journal de la Société en Amérique

J3

379

556 Chouteau, Jean-Pierre ou Henri 11 février 1840

3

530

557

26 avril 1840

130

531

558 Jouve Mme

10 mai 1840

65

533

559 Barat, Sophie, RSCJ

30 septembre 1840

131

535

560 Vidaud, Louise de, RSCJ

1 octobre 1840

2

536

561

fragment sans date 1840

66

538

562 Galitzine, Élisabeth, RSCJ

7 janvier 1841

2

538

563 Barat, Sophie, RSCJ

15 janvier 1841

132

541

564 Jouve Mme

15 janvier 1841

67

545

565 Galitzine, Élisabeth, RSCJ

25 janvier 1841

3

545

Barat, Sophie, RSCJ

Jouve Mme

566 Barat, Sophie, RSCJ

10 mai 1841

133

548

567 Barat, Sophie, RSCJ

18 mai 1841

134

549

568 Boilvin, Adeline, RSCJ

4 juin [1841]

11

551

569 Barat, Sophie, RSCJ

21 juillet 1841

135

552

570 Duchesne, Hippolyte

12 septembre 1841

1

554

571

12 septembre [1841]

68

556

572 Barat, Sophie, RSCJ

22 septembre 1841

136

558

573 Bazire, Julie, RSCJ

12 janvier 1842

1

559

7

7

Jouve Mme

Hippolyte Duchesne (1781-1854) est le frère de Philippine.



Liste des lettres et autres documents

737 page

574 Jouve Mme

4 février 1842

69

561

575 Delacroix, Charles, Abbé

20 février 1842

12

562

576 Barat, Sophie, RSCJ

28 février 1842

137

566

577 Jouve Mme

24 avril 1842

70

569

578 Lynch, Élisabeth, RSCJ

19 mai 1842

1

571

VII. Les dernières années à Saint-Charles (Juin 1842-1852) 579 Boilvin, Adeline, RSCJ

7 août 1842

12

581

580 Delacroix, Charles, Abbé

7 août 1842

13

582

581

24 octobre 1842

14

584

24 octobre 1842

71

586

Delacroix, Charles, Abbé

582 Jouve Mme

16 avril 1843

1

587

584 Jouve Mme

583

De Smet, Pierre, SJ

5 mai 1843

72

589

585

30 juillet [1843]

1

591

Lepère, Martin

R 2 Sommaire historique des fonda- Août 1843 tions en Amérique 586 Jouve Mme

24 septembre 1843

592 73

604

587 Boilvin, Adeline, RSCJ

18 octobre 1843

13

605

588 Lepère, Martin

16 novembre [1843]

2

607

589 Boilvin, Adeline, RSCJ

6 janvier 1844

14

608

590 Murphy, Margaret, RSCJ

6 janvier [1844]

1

610

591

13 mars [1844]

3

611

592 Charbonnel, Catherine de, RSCJ [9 avril 1844]

2

612

593 Boilvin, Adeline, RSCJ

11 mai 1844

15

615

594 Jouve Mme

11 mai [1844 ou 1845] 74

616

595 Boilvin, Adeline, RSCJ

9 juin 1844

16

618

596 Delacroix, Charles, Abbé

25 juillet 1844

15

621

597 Boilvin, Adeline, RSCJ

15 septembre 1844

17

622

598 Bazire, Julie, RSCJ

24 octobre 1844

2

624

599 Tighe, Mary

8 novembre 1844

2

626

600 Boilvin, Adeline, RSCJ

17 décembre 1844

18

627

601 Boilvin, Adeline, RSCJ

29 décembre 1844

19

630

Lepère, Martin

738

ANNEXE

page

602 Granon, Rosine, RSCJ

27 juillet 1845

1

632

603 Rollin Mme de

14 septembre 1845

41

633

604 Teisseire Mme

14 septembre 1845

2

635

605 Jouve Mme

29 mars 1846

75

636

606 Barat, Sophie, RSCJ

5 juin 1846

138

637

C 2 Souvenirs 1782-1846

640

607 Jouve Mme

3 janvier 1847

76

642

608 Jouve Mme

3 mars [1847]

77

643

609 Cahier, Adèle, RSCJ

3 avril 1847

1

645

610 Barat, Sophie, RSCJ

10 septembre 1847

139

647

10 septembre 1847

1

649

612 Jouve, Amélie, RSCJ

10 octobre 1847

1

650

613

611

Cuénot, Éliane, RSCJ 8

29 novembre 1847

3

652

614 Jouve, Amélie, RSCJ

Tighe, Mary

12 décembre 1847

2

653

615

12 décembre 1847

78

655

616 Jouve Mme

5 avril 1848

79

657

617 Jouve, Amélie, RSCJ

18 juin [1848]

3

658

618 Jouve Mme

18 juin 1848

80

660

Jouve Mme

619 Jouve, Amélie, RSCJ

29 juillet [1848]

4

661

620 Jouve, Amélie, RSCJ

30 août 1848

5

663

621 Jouve, Amélie, RSCJ

22 octobre 1848

6

665

622 De Smet, Pierre, SJ

9 avril 1849

2

667

623 Jouve Mme

25 avril [1849]

81

668

624 De Smet, Pierre, SJ

29 avril [1849]

3

669

625 Jouve, Amélie, RSCJ

12 septembre 1849

82

670

626 Jouve, Amélie, RSCJ

14 octobre 1849

7

672

627 Lynch, Élisabeth, RSCJ

[1849]

2

674

C 3 Époques de la Société en Amérique (1818-1849) 628 Delacroix, Charles, Abbé 8

675 10 février 1850

16

677

Amélie Jouve (1799-1880) est la deuxième fille de Mme Jouve et donc la nièce de Philippine.



Liste des lettres et autres documents

739 page

629 Jouve, Amélie, RSCJ

30 mai 1850

8

678

630 Barat, Sophie, RSCJ

30 juin 1850

140

681

631

Juillet 1850

17

683

632 Jouve Mme

4 août 1850

83

685

633 Jouve, Amélie, RSCJ

10 novembre [1850]

9

686

634 Causans, Olympe de, RSCJ

20 janvier 1851

1

688

635 Jouve, Amélie, RSCJ

2 février [1851]

10

689

Delacroix, Charles, Abbé

636 Barat, Sophie, RSCJ

30 avril 1851

141

691

637 Jouve, Amélie, RSCJ

12 juin [1851]

11

692

638 Barat, Sophie, RSCJ

18 aout 1851

142

694

639 Hardey, Mary Ann, RSCJ

[été 1851 ?]

1

696

640 Lévêque, Evelina, RSCJ

11 octobre [1851]

1

697

641 Jouve, Amélie, RSCJ

14 octobre [1851]

12

698

642 Simoni, Orsola (?), RSCJ

novembre ou décembre 1851

1

699

643 Brangier, Marie, RSCJ

10 [1851]

1

700

644 Brangier, Marie, RSCJ

19 décembre 1851

2

701

645 Simoni, Orsola (?), RSCJ

19 décembre 1851

2

702

646 Pratte, Mathilde, RSCJ

[1851]

1

703

647 Barat, Sophie, RSCJ

22 avril 1852

143

703

648 Barat, Sophie, RSCJ

7 mai 1852

144

707

649 Jouve Mme

7 juillet 1852

84

709

650 Barat, Sophie, RSCJ

17 août 1852

145

710

651

17 août 1852

85

711

Jouve Mme

652 De Smet, Pierre, SJ

17 août 1852

4

712

653 Duchesne, Hippolyte

29 août 1852

2

712

654 De Smet, Pierre, SJ

4 septembre 1852

5

713

655 De Smet, Pierre, SJ

octobre 1852

6

714

656 Barat, Sophie, RSCJ

? 1852

146

715

740

ANNEXE

Par destinataire Audé 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

Fin de l’année 1833 2 juillet 1834 14 octobre 1834 9 novembre [1834] 19 novembre [1834] 19 février [1835] 24 avril [1835] 8 novembre 1835 10 avril 1836 22 mai 1836 16 octobre 1836 15 octobre 1837 18 janvier 1838

456 468 476 479 480 488 492 497 508 510 516 529 534

Barat L 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14

21 juin 1818 22 juin 1818 11 juillet 1818 29 août 1818 21 novembre 1818 15 mars 1819 17 septembre 1819 2 janvier 1820 20 mars 1820 8 mai 1820 7 mars 1821 18 février 1822 1er avril 1822 26 janvier 1834

102 104 107 110 121 128 135 144 148 154 165 185 189 461

Barat MS 1 2 3 4 5

mars 1806 4 avril 1806 janvier ou février 1818 13 février (suite de lettre d’Octavie Berthold) 18 février 1818

9 10 69 80 85



Liste des lettres et autres documents

6 7 8 109 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 9

20 février 1818 28 février 1818 16 mai 1818 7 juin 1818 22 juin 1818 24 juin 1818 9 juillet 1818 22 août 1818 31 août 1818 12 septembre 1818 8 octobre 1818 1 8 octobre 1818 9 novembre 1818 25 janvier 1819 15 février 1819 5 mars 1819 29 juillet 1819 28 août 1819 27 septembre 1819 28 septembre 1819 (journal de la petite maison de Florissant) 10 octobre 1819 15 novembre 1819 1-16 décembre 1819 3 mars 1820 20 mars 1820 8 mai 1820 29 août 1820 30 octobre 1820 18 février 1821 12 avril 1821 mai 1821 + lettre de Mathilde et Eulalie Hamilton 24 juin 1821 15 août 1821

741

86 87 93 100 103 105 106 109 114 116 117 118 119 124 125 127 132 133 137 139 140 141 142 147 149 153 157 160 163 170 173 176 179

Dans la présente édition, la lettre 9 à Mère Barat est absente volontairement, car c’est un récit de la traversée de l’Atlantique écrit par Eugénie Audé et non par Philippine Duchesne. Jeanne de Charry l’a toutefois intégrée dans sa collection (lettre 93), en reconnaissant qu’elle n’a pas été rédigée par Philippine.

742 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77

ANNEXE

15 septembre 1821 7 octobre 1821 17 décembre 1821 28 février 1822 6 mars 1822 16 avril 1822 24 juin 1822 19 juillet 1822 8 septembre 1822 30 octobre 1822 1 décembre 1822 4 janvier 1823 16 janvier 1823 20 mars 1823 20 mai 1823 18 juillet 1823 25 septembre 1823 27 novembre 1823 19 février 1824 2 mai 1824 10 juin 1824 25 juillet 1824 1 septembre 1824 22 novembre 1824 6 janvier 1825 28 février 1825 8 mars 1825 23 avril 1825 8 juin 1825 3 juillet 1825 14 septembre 1825 27 décembre 1825 18 février 1826 2 mai 1826 15 juin 1826 6 octobre 1826 25 novembre 1826 1 mars 1827

180 181 183 186 187 190 192 195 196 201 202 204 205 210 212 215 218 223 233 236 239 241 245 247 249 250 252 253 257 258 259 262 266 267 272 278 281 285

Liste des lettres et autres documents

78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 114 115

13 mai 1827 9 juillet 1827 18 août 1827 11 septembre 1827 7 octobre 1827 3 janvier 1828 23 mars 1828 3 juillet 1828 22 juillet 1828 24 juillet 1828 25 août 1828 11 septembre 1828 21 octobre 1828 28 novembre 1828 18 mai 1829 23 août 1829 13 septembre 1829 11-13 décembre 1829 22 décembre 1829 20 janvier 1830 1 février 1830 14 mars 1830 25 novembre 1830 19 juin 1831 1 août 1831 28 août 1831 20 novembre 1831 1 février 1832 24 février 1832 24 avril 1832 août 1832 13 dec 1832 21 mars 1833 23 juin 1833 17 septembre 1833 22 septembre [1833] 10 décembre 1833 28 décembre 1833

 288 291 294 296 299 302 306 317 320 321 323 324 325 329 336 341 343 348 349 351 352 357 374 389 391 395 401 407 411 417 422 428 432 437 446 447 453 454

743

744

ANNEXE

116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144 145 146

2 janvier 1834 26 janvier 1834 2 mars 1834 avril 1834 5 octobre 1834 9 novembre 1834 décembre 1834 30 juin 1835 8 novembre 1835 20 décembre 1835 10 avril 1836 mai 1836 1 juillet 1836 2 juillet 1838 26 avril 1840 30 septembre 1840 15 janvier 1841 10 mai 1841 18 mai 1841 21 juillet 1841 22 septembre 1841 28 février 1842 5 juin 1846 10 septembre 1847 30 juin 1850 30 avril 1851 18 aout 1851 22 avril 1852 7 mai 1852 17 août 1852 1852 ?

457 460 464 466 472 478 484 493 498 499 507 511 513 536 557 559 563 566 567 569 572 576 606 610 630 636 638 647 648 650 656

Bazire 1 2

12 janvier 1842 24 octobre 1844

573 598

Bigeu 1 2

30 mai 1818 2 septembre 1818

94 115



Liste des lettres et autres documents

3 4 5 6 7 8

25 avril 1819 23 juin 1821 20 mars 1823 2 janvier 1824 (à la supérieure de la maison de *) 18 mars 1824 3 octobre 1827

130 174 209 228 234 298

Bigeu, Lalanne et Messoria 1 8 mai 1820

155

Boilvin 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

31 décembre [1828] 15 novembre [1832] octobre 1834 automne 1834 [après octobre 1834] 1 janvier 1835 carême 1835 Christmas 1836 [août 1838] Ce 11 [1838. Avant 30 sept] 4 juin [1841] 7 août 1842 18 octobre 1843 6 janvier 1844 11 mai 1844 9 juin 1844 15 septembre 1844 17 décembre 1844 29 décembre 1844

330 427 477 481 485 486 490 521 539 540 568 579 587 589 593 595 597 600 601

Brangier 1 2

10 [1851] 19 décembre 1851

643 644

Cahier 1

3 avril 1847

609

Causans 1

20 janvier 1851

634

745

746

ANNEXE

Charbonnel 1 1818 2 [9 avril 1844]

108 592

Chouteau 1 2 3

4 juin 1827, lettre suivie de la réponse 12 novembre 1839 11 février 1840

288 554 556

Chrétien 1

30 juin 1830

363

Clemens 1

19 janvier 1824

230

Cuénot 1

10 septembre 1847

611

Debrosse 1

29 février 1820

145

Debrosse RSCJ 1 11 septembre 1822

198

Delacroix 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17

213 214 216 220 225 229 232 235 255 295 315 575 580 581 596 628 631

16 juin 1823 18 juin 1823 18 juillet 1823 6 novembre 1823, ps d’Octavie 30 décembre 1823 16 janvier 1824 18 février 1824 22 avril 1824 1er mai 1825 18 août 1827 18 juin 1828 20 février 1842 7 août 1842 24 octobre 1842 25 juillet 1844 10 février 1850 juillet 1850



Liste des lettres et autres documents

De Neckere 15

12 novembre 1823

221

De Smet 1 2 3 4 5 6

16 avril 1843 9 avril 1849 29 avril [1849] 17 août 1852 4 septembre 1852 Octobre 1852

583 622 624 652 654 655

Deshayes 1 2 3

29 août 1820 mai 1826 12 août 1826

158 269 274

Deshayes Novices de Paris 1 29 août 1820

158

Desmarquest 1 26 septembre 1820 2 23 juin 1833

159 438

Dubourg 1 2

327 406

[21 octobre 1828] 29 janvier 1832

Duchesne, Hippolyte 1 12 septembre 1841 2 29 août 1852

570 653

Ducis 1 2 3 4 5

1826 28 août 1831 11 octobre 1832 22 septembre 1833 27 novembre 1833

270 396 425 449 452

Fournier 1

29 août 1818

112

747

748

ANNEXE

Galitzine 1 2 3

17 février 1835 7 janvier 1841 25 janvier 1841

487 562 565

Giraud 1

8 octobre 1834

473

Gramont 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

juin 1818 2 janvier 1824 24 février 1832 21 mars 1833 22 septembre 1833 15 octobre 1833 13 janvier 1834 Novembre 1834 1 janvier 1836 6 janvier 1836

99 227 410 433 448 451 458 482 503 504

Granon 1

27 juillet 1845

602

Hardey 1

[été 1851 ?]

639

Mme Jouve 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

14 février 1818 [novembre 1804] 14 decémbre1804 22 mars 1805 17 septembre [1805] 14 février [1806] [1807] [1807] 9 avril 1807 [1807] 19 novembre 1807 1807 2 décembre 1807

3 4 5 6 7 8 11 12 13 15 16 17 18

 749

Liste des lettres et autres documents

14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51

2 mai [1808] 10 août 1808 26 décembre 1808 [1809] 6 fevrier [1809] 28 mai 1809 15 août 1809 [1809 ou 1811] 10 janvier 1810 2 décembre 1810 1 janvier [1811] 24 ? [1811] 22 mai [1811] [1813] 25 mai [1811] 24 novembre [1813] 2 janvier [1814] 2 mars 1814 18 avril [1814] [1814] 4 juillet [1814] novembre [1814] 25 novembre 1814 [fin décembre 1814] 2 novembre 1815 14 décembre 1815 Samedi Saint 1815 1 juin 1816 15 juin 1815 4 août 1816 9 janvier [1817] 3 juillet 1817 1 février [1818] 1 mars 1818 29 août 1818 27 mars 1820 avril 1821 17 septembre 1822

19 20 21 22 23 24 25 27 28 29 30 31 32 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 53 54 55 60 64 65 76 88 113 150 171 199

750 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85

ANNEXE

21 mars 1823 10 mai 1825 3 juin 1828 4 avril 1829 27 août 1829 18 août 1833 4 octobre 1834 20 mars 1836 4 décembre 1836 11 juin 1837 4 octobre 1838 24 février 1839 3 septembre 1839 10 mai 1840 fragment sans date 1840 15 janvier 1841 12 septembre [1841] 4 février 1842 24 avril 1842 24 octobre 1842 5 mai 1843 24 septembre 1843 11 mai [1844 ou 1845] 29 mars 1846 3 janvier 1847 3 mars [1847] 12 décembre 1847 5 avril 1848 18 juin 1848 25 avril [1849] 12 septembre 1849 4 août 1850 7 juillet 1852 17 août 1852

Jouve, Amélie 1 10 octobre 1847 2 12 décembre 1847

211 256 314 334 342 443 471 505 517 526 541 548 552 558 561 564 571 574 577 582 584 586 594 605 607 608 615 616 618 623 625 632 649 651 612 614



Liste des lettres et autres documents

3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

18 juin [1848] 29 juillet [1848] 30 août 1848 22 octobre 1848 14 octobre 1849 30 mai 1850 10 novembre [1850] 2 février [1851] 12 juin [1851] 14 octobre [1851]

617 619 620 621 626 629 633 635 637 641

Jouve, Constance 1 mars 1819

129

Jouve, Euphrosine 1 juin 1816 2 4 août 1816 3 février 1818 4 mars 1818 5 11 avril 1821

56 59 79 90 168

Jouve, Joseph 1 25 avril [1819]

131

Lalanne 1 2 3

155 197 207

8 mai 1820 11 septembre 1822 20 février 1823

M. William Carr Lane 1 3 mai 1828

311

Lavaudan 1

20 décembre 1835

500

Leduc 1

11 décembre 1826

282

Lepère, Martin 1 30 juillet [1843] 2 16 novembre [1843] 3 13 mars [1844]

585 588 591

751

752

ANNEXE

Leridon 1 2

9 octobre 1834 20 décembre 1838

475 544

Lévêque 1

11 octobre [1851]

640

Limminghe 1 2

12 mars 1830 5 mai 1830

355 361

Lynch 1 2

19 mai 1842 [1849]

578 627

Maillucheau 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14

26 février [1816] 27 juillet [1816] août [1816] 4 février 1818 15 février 1818 2 mars [1818] 3 juin [1818] 29 août 1818 16 décembre 1818 26 septembre 1819 30 novembre 1820 11 avril 1821 23 juin 1821 16 avril 1822

52 58 62 78 82 89 96 111 122 136 161 169 175 191

Mauduit 1 2 3 4 5 6 7 8

novembre 1797 fin 1797 ou début 1798 8 août 1816 juillet 1817 17 août 1817 février 1818 18 février 1818 2 juin 1818

1 2 61 66 67 77 84 95



Liste des lettres et autres documents

9 10 11 12

27 mars 1820 29 juin 1822 28 décembre 1823 23 juin [1832]

151 193 224 420

Michel 1 2 3 4 5 6

17 août 1809 2 janvier 1812 30 [juillet 1812] fin 1812 9 février [1813] 24 février 1833

26 33 34 36 37 430

Murphy 1

6 janvier [1844]

590

Olivier 1

juillet 1822

194

Paranque 1

2 mai 1824

238

Perreau 1

10 novembre 1829

346

Pinet 1

25 [1807]

14

Portes, de 1

14 avril 1831

383

Pratte 1

[1851]

646

Prevost 1 2

18 août 1826 6 mai 1830

276 362

Provenchère 1 1819

143

Quatrebarbes 1 28 mars [1828]

307

753

754 Rollin 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 22 30 31 32 33 34 35

ANNEXE

29 août 1817 24 janvier 1818 28 janvier 1818 lundi fin janvier 1818

17 février 1818 5 mars 1818 1819 29 août 1819 27 août 1820 18 février 1821 29 juin 1821 20 septembre 1822 16 février 1824 [1824]  [1824] 2 mai 1826 12 août 1826 1 janvier 1827 14 janvier 1828 10 avril 1828 23 novembre 1829 18 janvier 1830 21 avril 1830 26 août 1830 23 avril 1832 23 juin 1833 [fin septembre] 1833 10 avril 1828 13 janvier 1834 8 octobre 1834 20 décembre 1835 10 mai 1836 22 septembre 1836 10 avril 1837

68 71 72 73 74 75 83 91 123 134 156 164 178 200 231 237 243 269 271 284 304 308 347 350 359 367 416 439 450 308 459 474 501 509 515 525



Liste des lettres et autres documents

36 37 38 39 40 41

17 octobre 1837 30 janvier 1838 24 juillet 1838 17 mars 1839 3 septembre 1839 14 septembre 1845

530 535 537 549 553 603

Rosati 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

21 mars 1821 20 mai 1821 27 juin 1821 28 octobre 1821 6 janvier 1822 8 mars 1822 1 décembre 1822 17 février 1823 18 mars 1823 7 août 1823 5 octobre 1823 2 janvier 1824 24 juin 1824 31 juillet 1824 20 août 1824 23 octobre 1824 12 décembre 1824 28 février 1825 25 avril 1825 24 novembre 1825 15 décembre 1825 29 décembre 1825 16 janvier 1826 14 février 1826 23 juillet 1826 18 août 1826 3 octobre 1826 3 novembre 1826 11 novembre 1826 30 décembre 1826

166 172 177 182 184 188 203 206 208 217 219 226 240 242 244 246 248 251 254 260 261 263 264 265 273 275 277 279 280 283

755

756 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68

ANNEXE

8 mars 1827 10 mai 1827 1 juillet 1827 15 juillet 1827 29 juillet 1827 3 octobre 1827 24 octobre 1827 6 janvier 1828 24 janvier 1828 24 avril 1828 1 mai 1828 12 mai 1828 31 mai 1828 23 juin 1828 14 juillet 1828 22 juillet 1828 25 août 1828 octobre 1828 7 novembre 1828 4 janvier 1829 18 janvier 1829 avril 1829 12 juillet 1829 15 août 1929 20 août 1829 22 février 1830 3 mars 1830 7 mars 1830 31 mars 1830 30 avril 1830 9 juillet 1830 12 juillet 1830 12 août 1830 3 septembre 1830 6 septembre 1830 14 septembre 1830 5 novembre 1830 16 novembre 1830

286 287 290 292 293 297 301 303 305 309 310 312 313 316 318 319 322 326 328 332 333 335 338 339 340 353 354 356 358 360 364 365 366 368 369 370 371 372

Liste des lettres et autres documents

69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106

23 novembre 1830 17 décembre 1830 27 décembre 1830 29 décembre 1830 19 janvier 1831 19 février 1831 11 mars 1831 31 mars 1831 11 avril 1831 20 avril 1831 7 mai 1831 14 mai 1831 3 juin 1831 3 juin 1831 27 juin 1831 16 août 1831 20 août 1831 24 août 1831 7 septembre 1831 16 septembre 1831 16 octobre 1831 28 octobre 1831 15 décembre 1831 30 décembre 1831 12 janvier 1832 21 janvier 1832 21 février 1832 24 février 1832 25 février 1832 17 mars 1832 28 mars ? 1832 7 avril 1832 15 mai 1832 20 mai 1832 10 juillet 1832 4 septembre 1832 19 septembre 1832 15 octobre 1832

 373 375 376 377 378 379 380 381 382 384 385 386 387 388 390 392 393 394 397 398 399 400 402 403 404 405 408 409 412 413 414 415 418 419 421 423 424 426

757

758 107 108 109 110 111 112 113 114 115 116 117 118 119 120 121 122 123 124 125 126 127 128 129 130 131 132 133 134 135 136 137 138 139 140 141 142 143 144

ANNEXE

4 janvier 1833 17 mars 1833 10 avril 1833 16 avril 1833 8 mai 1833 27 juin 1833 16 juillet 1833 16 août 1833 30 août 1833 15 septembre 1833 29 décembre 1833 28 janvier 1834 5 février 1834 31 mars 1834 15 juin 1834 10 juillet 1834 26 août 1834 29 décembre 1834 25 février 1835 17 avril 1835 27 juillet 1835 8 octobre 1835 8 novembre 1835 29 mars 1836 1 juillet 1836 8 juillet 1836 23 décembre 1836 26 décembre 1836 16 janvier 1837 1 février 1837 juin 1837 21 septembre 1837 10 décembre 1837 14 décembre 1837 14 janvier 1838 23 août 1838 23 septembre 1838 23 octobre 1838

429 431 434 435 436 440 441 442 444 445 455 462 463 465 467 469 470 483 489 491 494 495 496 506 512 514 519 520 522 524 527 528 531 532 533 538 541 543



Liste des lettres et autres documents

145 146 147 148

1 janvier 1839 9 janvier 1839 16 mai 1839 28 décembre 1839

546 547 551 555

Roussel 1

12 juillet 1816

57

Rozeville 1

20 décembre 1838

545

Ruelle 1

6 décembre 1812

35

Saulnier 1 2 3

1er janvier 1829 22 mai 1829 3 novembre 1829

331 337 345

Simoni 1 2

novembre ou décembre 1851 19 décembre 1851

642 645

Tanon (Timon) 1 18 décembre 1836 2 27 janvier 1837

518 523

Teisseire 1 2

20 déc 1835 14 septembre 1845

502 604

Tighe, Mary 1 30 mars 1839 2 8 novembre 1844 3 29 novembre 1847

550 599 613

Varin 1

4 juin 1818

98

Vidaud 1 2

10 avril 1821 1 octobre 1840

167 560

759

760

ANNEXE

Vincent 1 2 3

1818 2 mars 1819 27 septembre 1819

92 126 138

Destinataires : groupes et anonymes Aloysia, Louise, Joséphine

1 mars 1820

146

1

à plusieurs Dames

7 octobre 1827

300

1

RSCJ élèves Paris Grenoble 20 novembre 1818

120

1

Elèves Ste Marie

15 février 1818

81

2

Elèves de Sainte-Marie d’En-Haut

1820

162

1

Elèves Paris Grenoble

3 juin 1818

97

1

Novices à Paris

28 mars 1820

152

2

Novices à Paris

11 octobre 1829

344 101

1

1

Une professe de Paris

8 juin 1818

Quelques détails sur les sauvages

[1829 ?]

Une religieuse

27 novembre 1823 à Maison 222 D. **

Religieuses Ste Marie

8 janvier 1816

51

2

Religieuses Ste Marie

5 janvier 1817

63

3

Religieuses Ste Marie

janvier ou février 1818

70

Documents divers Chronologie C1

Époques intéressantes

entre 1834 & 1835

C2

Souvenirs

1782-1846

C3

Époques de la Société en Amérique

1818-1849

J1

Journal de Grenoble

1804-1813

J2

Journal de Paris

1815-1817

J3

Journal de la Société en Amérique

1818-1840

Journal

Liste des lettres et autres documents

Notice N1

Vies des religieuses

1826-1833

R1

Histoire de Sainte Marie

1792-1804

R2

Sommaire historique des fondations en Amérique

Récit

Vœu V1

Vœu Saint-Régis

1817-1831



761

LISTE DES ILLUSTRATIONS 1.

Acte de naissance de Philippine Duchesne. Archives municipales et métropolitaines de Grenoble, GG186. Photo : M.-F. Carreel, RSCJ. 2. Philippine Duchesne, Tableau de Mircea Milcovitch. Crédit photo ME-ARGEM. 3. Pierre-François Duchesne (1743-1814). Artiste inconnu. Crédit photo ME-ARGEM. 4. Philippine âgée de huit ans. Robin (Catherine Blood, RSCJ). Archives RSCJ, Saint-Louis. 5. Vitrail de sainte Philippine Duchesne, église de Grâne. Crédit photo ME-ARGEM. 6. Tableau de saint François Xavier et de saint François Régis, église de Grâne. Crédit photo ME-ARGEM. 7. Château des Duchesne, à Grâne.  – Propriété actuelle de M.  Marc Estrangin. Crédit photo ME-ARGEM. 8. Jardin de Sainte Marie d’En-Haut. Photo : M.-F. Carreel, RSCJ. 9. Philippine, pensionnaire à Sainte-Marie d’En-Haut. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. 10. Jeudi Saint, Grenoble 4 avril 1806. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. 11. Permission d’aller en Amérique. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. 12. Arrivée en Amérique, 29 mai 1818. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. 13. Croquis de la première maison à Saint-Charles, 1818. Archives RSCJ, Saint-Louis. 14. Déménagement à Florissant, 1819. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. 15. Maison de Saint-Ferdinand à Florissant. Archives RSCJ, Saint-Louis. 16. Tableau du décès de saint François Régis. Artiste inconnu. SaintCharles. Archives, RSCJ, Saint-Louis. 17. Première maison de Grand Coteau, 1821. Archives RSCJ, Saint-Louis. 18. Dessin de la maison de Saint-Michel, 1825. Archives RSCJ, Saint-Louis. 19-20. Lettre à Félicia Chrétien, 30 juin 1830. Pp. 1-2. Archives RSCJ, SaintLouis. 21. Arrivée au village Potawatomi, juillet 1840. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. 22. La femme qui prie toujours. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis.

764 23. 24.

ANNEXE

Signature de Philippine Duchesne. Archives RSCJ, Saint-Louis. Mosaïque de la cathédrale de Saint-Louis MO. Artiste : Hildreth Meiere. ©  2017, Cathedral Basilica of Saint Louis, photo de M.  L. Olsen, tous droits réservés. Cartes

1. Traversée de l’Atlantique sur La  Rébecca. Carte figurant dans le livre édité par Chantal Paisant : Les Années pionnières, Lettres et Journaux des premières missionnaires du Sacré-Cœur aux États-Unis (1818-1823), Cerf, Paris, 2001, p. 692. 2. Carte de la Louisiane, 1840. Croquis de Louis Renaud, 1980. 3. Premières fondations aux États-Unis. Robin. Archives RSCJ, Saint-Louis. Généalogies10 1. Famille Duchesne 2. Famille Perier 3. Famille Jouve

10

Réalisation : Olivier Gorse, 2017.

INDEX* Acquaroni, Jean-Baptiste, CM : I 257, 387, 564, 575, 686 — II 384. Amiot (Amyot, Amyotte, Amiotte), RSCJ : II 376, 500, 507, 525, 535, 546, 575, 603. Andreis, Félix de, CM : I 13, 257, 387, 388, 438, 458, 465, 479, 484-485, 492-493, 517, 524, 525, 532, 564, 575576, 588, 603, 615, 672 — II 214, 390, 392, 397, 400, 595. Anduze, Aristide, CM : I 519, 572, 613, 665, 672, 702, 709, 717, 809, 811 — II 48, 215, 406, 408. Astros, Paul d’ : I 216, 237, 279, 284, 289, 292, 296-298, 307 — II 510. Audé, Eugénie, RSCJ : I 10, 11-13, 50, 243, 247, 284, 286, 294, 319, 351, 375, 387, 411, 437, 478, 515, 564, 595-597, 608, 644, 654, 662, 727, 749, 761, 764, 803, 824, 838, 873, 899, 906 — II 8-9, 17-20, 27-30, 42-43, 44-50, 52, 57-58, 61-62, 69-70, 75-76, 90-93, 103, 107-109, 112-113, 115-117, 123-124, 126-127, 130, 144-145, 148, 163, 167169, 173, 179-180, 203, 205, 207-208, 211-213, 216, 218, 220, 223-225, 229, 242-243, 245-247, 249, 250-252, 257-258, 260-265, 268, 272, 276-277, 281-283, 287-288, 300-301, 304, 306-307, 309-311, 318-320, 335-336, 343-344, 347-348, 357, 377, 380, 385, 387-389, 391, 393, 398, 402, 404-406, 426-431, 456, 459, 466-467, 469, 475, 480, 484, 487-489, 494, 503, 506, 524, 526, 529-532, 537, 562, 585, 593*

595, 597, 600, 620, 641, 675, 732-735, 740-741. Aviau du Bois de Sanzay, Charles-François d’ : I 55, 92, 110-111, 147, 250, 253, 265, 457 — II 380, 434, 593. Badin, Stephen Theodore : II 498, 564. Balastron, Virginie, RSCJ : I 68, 91-92, 101, 124, 133, 138, 286, 297, 357, 404n2, 407, 430, 621. Barat, Louis, SJ : I 17, 21, 50, 97-98, 112, 116, 131, 133, 136-137, 221, 250, 258, 261, 264-265, 2861, 288, 321, 326, 332, 353, 357-359, 365-368, 372, 375-377, 379, 382-385, 388, 394, 397, 406, 409, 411, 414-416, 424, 433, 436-441, 443, 450, 456-459, 462, 465-466, 473, 476-477, 482-485, 486-487, 492, 496-499, 507-509, 519, 540, 542-543, 547-550, 556, 558-560, 565, 573-574, 580-581, 587, 589-590, 592, 604-607, 609, 615-617, 624, 644, 659, 662, 681, 692, 711, 727, 733-734, 746, 753, 756, 761, 772, 778, 785, 792, 800, 817, 833, 841-842, 865, 904 — II 21, 111, 160, 163, 182, 198, 209, 235-236, 246, 264, 269, 272, 276, 292, 305-306, 348, 380, 390, 435, 476, 496, 592-593, 628, 701, 721-724, 733, 740. Barat, Madeleine-Sophie, RSCJ : I 7, 8-14, 17-20, 23, 25, 34, 37-39, 46-50, 71-72, 74-81, 88, 90-93, 96-97, 99, 101-102, 104-105, 110-112, 115, 118, 120-123, 132-138, 141, 144-145, 149150, 152-153, 155-159, 181, 183, 185-187,

Pour chaque entrée dans l’index, la note biographique est en italique et caractère gras.

766

Index

200, 211, 220-221, 229-236, 245, 249-251, 258-266, 272, 275, 278-279, 283, 294, 313-314, 316-318, 322-328, 335, 351-356, 359-363, 367-375, 378382, 387-388, 390-396, 398-411, 417, 420-430, 432-435, 440, 445-453, 455, 458-459, 462-465, 467-481, 486, 487, 488, 496-497, 500-501, 505-506, 513516, 523-530, 534, 540-544, 559-561, 565-567, 571-574, 577-587, 589-592, 597, 601, 607-614, 618-625, 629-635, 640-647, 650-656, 659, 664-665, 667-671, 675-677, 680-685, 691-692, 697, 706, 710-713, 718-720, 722, 724-728, 730-734, 738-747, 749-756, 758-764, 769-779, 782-785, 791-793, 798-800, 802, 805, 809-812, 814-817, 823-826, 830-834, 838-841, 845-847, 849-850, 854, 855-858, 864-867, 869, 873-874, 888-890, 893-896, 898-907, 912-913 — II 7-10, 18-21, 26-32, 40-53, 55-64, 67, 69-73, 91-94, 103, 111-113, 115-117, 121-123, 130-133, 139-141, 143-147, 152-154, 158-160, 162-163, 167-170, 174-175, 179-182, 187, 193-198, 206-210, 223-228, 233235, 238-240, 242-243, 249-252, 259260, 271-272, 274, 283-284, 288-292, 304-305, 311-312, 314-315, 345-348, 375, 378, 392, 407, 435, 437, 471, 481-482, 492, 514, 524, 531-533, 535, 538, 541-544, 548-554, 558, 566-568, 576-578, 609, 637-640, 647-650, 659, 681-682, 690-692, 694-695, 697, 703-708, 710-711, 715-717, 719-744. Baudemont, Anne : I 101, 106, 157, 276, 294. Bazire, Julie, RSCJ : I 438, 464, 471, 485, 543 — II 32, 58, 62-63, 67, 69-70, 72, 90-92, 96, 112, 115-116, 124, 132, 154, 175, 226, 246, 319, 455, 457-458, 473, 489, 500, 506, 529-530, 548-550, 559, 602, 606, 624-625, 640, 646, 648, 650, 653, 662, 673, 675-676, 679, 681, 687, 736-737, 744.

Bernard, Henriette, RSCJ : I 120-121, 306-307. Berthé, Marie, RSCJ : I 135, 148, 281, 287, 297, 357, 371. Berthold, Octavie, RSCJ : I 10, 13, 50, 237, 243, 247-250, 260-261, 263-264, 281-282, 292, 297, 317, 478, 527-532, 541, 599, 651, 687, 705, 727, 783 — II 10, 12-13, 17, 19-21, 28, 30, 63, 7174, 79, 93, 98, 105, 110, 116, 121-122, 125, 132, 139-140, 147-148, 154, 160, 165, 168-169, 173, 181, 187, 189-190, 193, 195, 197, 199-200, 202-203, 206, 211, 219-220, 229-230, 233, 343, 377, 379, 385, 388-389, 391, 393, 396, 398-399, 402, 411-412, 414, 419, 430, 432, 440, 442-443, 449-451, 457, 476, 479-480, 484-485, 529, 593, 595, 601602, 641, 675, 725, 740, 746. Bigeu, Marie Anne-Joséphine, RSCJ : I 21, 104, 109, 122, 124, 146, 148, 150, 187, 196, 200-201, 203, 211, 216, 219, 221-222, 225, 244, 247, 258, 260, 273, 275-278, 280-283, 288-289, 291-293, 300, 303, 305-308, 325, 328-333, 351, 353, 360, 367-368, 395-397, 400, 406407, 418, 427, 433, 441-444, 448, 450, 463, 473, 509-510, 543-544, 567-568, 591, 610, 635, 659, 660, 662-663, 683, 698-702, 713-715, 817, 823, 853-855, 870, 873, 888 — II 40, 220, 357, 384385, 402, 420, 435-436, 445, 531, 629, 688, 720-725, 727, 744-745. Blanc, Antoine : I 464 — II 28, 139, 265, 288, 336, 351, 454, 477, 486, 498, 504. Boilvin, Julie Adeline (Gonzague), RSCJ : I 464, 716, 914 — II 71, 106, 128, 166-167, 195, 198, 234, 239-240, 253, 256, 258, 263, 266, 273, 275, 278-279, 304, 306, 314, 319-320, 326, 335-336, 343-344, 347, 351-354, 361, 366-367, 397, 425, 450, 457, 466, 472, 478, 485, 490, 494, 496, 500, 510, 514, 518, 523, 531, 551-552, 581-582, 604-610, 615-616, 618-620, 621-624,

Index

627-631, 663, 665, 728, 731, 733-737, 745. Boisson, Benoîte, RSCJ : I 127, 145, 148, 336, 809, 866. Borgna, Philippe, CM : I 603, 649, 661, 664, 666, 681, 686, 708, 714, 731, 746, 753, 755, 758-759, 761, 814, 843, 862, 883-884 — II 11, 19, 48, 77, 132, 168, 171, 174, 177-178, 188, 194, 196, 198-199, 206, 209-210, 227, 236, 240, 242, 246, 250, 268, 306, 396, 399, 479, 481, 485, 487, 489, 491, 499. Bosseron, Marie Elisa, RSCJ : II 97, 135, 146, 169, 257, 291, 304, 343, 397, 453, 456, 480, 492, 500-502. Boyer, Joseph : I 250-251, 253, 259, 265, 290, 321, 388, 432, 465 — II 380, 593. Brangier, Marie-Alexandrine, RSCJ : I 19 — II 700-701, 739, 745. Brassac, Hercule : I 495, 515, 630-631, 702, 709, 717 — II 139, 411-413, 416, 496. Brunel, Antoinette, RSCJ : I 118-119, 121, 138, 148. Buschotts, James, SJ : II 495-498, 503, 508, 527. Cahier, Adèle, RSCJ : I 7, 37 — II 40, 538, 613, 645-646, 738, 745. Campbell, Catherine, RSCJ : I 716 — II 528. Camille, Cécile, RSCJ : I 303-304, 662, 873 — II 420, 445. Carrell, George Aloysius : II 497-498, 511, 606, 608. Cassini, Cécile de : I 104, 111, 265, 279, 264, 857, 905. Cauche, Caroline (Charlotte), RSCJ : II 604-605. Causans, Armande de, RSCJ : I 301, 912 — II 446, 482, 688. Causans, Olympe de, RSCJ : I 129, 301, 308 — II 267, 688-689, 739, 745. Chabert, Marie, RSCJ : I 284, 303, 306.



767

Chambers, Jane Mullanphy et deux filles : I 12, 600, 767 — II 107, 333, 551, 563. Charbonnel, Catherine-Émilie de, RSCJ : I 88, 124, 186, 247-248, 275-278, 283, 377-378, 400, 430, 450, 684, 697-698, 888-889 — II 60, 315, 402, 488, 494, 612-614, 682, 708, 721, 737, 746. Chatain, Marie, RSCJ : I 123, 146, 148, 288, 297, 684. Cellini, François : I 614, 634, 646, 649, 658, 661, 757 — II 237, 282, 414, 452, 474, 627. Chobelet du Bois-Boucher, Gabrielle Lydie Charlotte, RSCJ : I 109, 122 — II 445. Choppin, Clotilde, RSCJ : I 127, 146, 280. Cloney, Alice Agnès (Regina), RSCJ : I 889 — II 43, 93, 287, 498. Clorivière, Pierre-Joseph Picot de : I 18, 47, 274, 298, 475, 670, 740, 774. Connelly, Pierce et Cornelia, neé Peacock : II 498, 620. Coppens, Anne, RSCJ : I 905 — II 120121, 124-125, 127, 130, 134-136, 143, 145, 155, 159-160, 164-169, 176, 180-181, 187, 189, 198, 206, 210, 227, 231, 233, 235, 239-240, 243, 245-246, 256-257, 277, 311-312, 315, 333, 471, 476, 478, 480, 497, 529, 602, 641. Coppens, Henriette, RSCJ : I 280 — II 257, 305, 311, 333, 471, 705. Coriolis, Joséphine de, RSCJ : I 129, 336, 461, 488, 532, 570, 724 — II 267, 663-664. Cornelius (Cornélie), Margaret, RSCJ : II 500, 525, 651. Coté, Marcellite Adrienne, RSCJ : II 451-452, 467. Couture, Célestine, RSCJ : II 537, 609, 613. Crouzas, Christine de, RSCJ : I 99, 115, 127, 146, 217, 248. Cuënot, Eliane, RSCJ : II 649-650, 738, 746.

768

Index

Dahmen, François-Xavier, CM : I 614, 619, 623, 658, 673-674, 743, 747, 812, 836, 842 — II 409-410, 413, 457. Debrosse, Robert, SJ : I 253-254, 265, 366, 376, 382, 384, 415, 437, 459, 484487, 499, 509, 550, 607, 659, 728 — II 722, 746. Debrosse, Rosalie, RSCJ : I 78, 88-89, 92, 101, 137, 152, 185, 253, 636-637 — II 724, 746. Delacroix, Charles : I 10, 427, 463, 467479, 493-494, 496, 529, 544, 564, 575, 614, 619, 658, 668, 671-674, 675, 677-679, 687, 695-697, 702-704, 707709, 712, 715-717, 729, 757, 766-767, 771, 836, 845, 847-848, 886-887 — II 29, 32, 36-37, 41, 44-45, 47, 61, 65, 70, 75, 135, 193, 207-208, 215-216, 322, 385, 388-394, 396-398, 400-401, 403-404, 406, 409-414, 416-418, 426, 431, 456, 459, 462, 562-565, 582-585, 595-596, 599-600, 621-622, 677-678, 683-685, 724-728, 737-739, 746. De Neckere, Léo-Raymond, CM : I 601, 614, 687-689, 735, 737, 765, 800, 804, 808, 813, 819, 862, 890 — II 11, 70, 82, 90, 92, 96, 107-108, 130, 148, 161, 164, 203, 207-208, 230, 385, 414, 429, 434, 457-459, 462, 469, 473, 477-478, 480, 485, 529, 602, 641, 675, 725, 747. Deshayes, Geneviève : I 91, 95, 101, 105, 112, 123, 126, 129, 149-150, 156, 163, 168, 176, 180, 185, 187, 190, 200, 220, 222, 225, 277-278, 504 — II 402, 445, 722, 725-726, 747. Desmarquest, Félicité, RSCJ : I 102, 122, 220, 275, 277-278, 522-523 — II 48, 64, 69, 183-184, 348, 421, 471, 482, 488, 491, 682, 706, 708, 723, 732, 747. De Smet, Pierre-Jean, SJ : I 22, 24-25, 598, 673, 791, 862 — II 9, 138, 147, 164, 182, 195-196, 198-200, 208, 234, 442, 480, 485-486, 490, 494, 512,

541, 545, 563-564, 576, 583-584, 587588, 598, 606, 621, 624, 627, 667, 669, 680, 683, 688, 712-715, 737-789, 747. Detchemendy, Thérèse, RSCJ : I 676, 684, 775, 832, 882 — II 20, 42-43, 90, 179-180, 219, 314, 418-419, 428, 452, 483. De Theux, Théodore, SJ : I 825, 849, 908 — II 95, 131, 263, 272, 283, 289-290, 305, 309, 339, 430-431, 433-434, 461, 463, 465, 467, 469, 476, 493-494, 498-499, 501-503, 505, 509, 511, 521. Devos (De Vos), Pierre, SJ : II 522, 525, 527, 606. Deys, Leo : I 672, 691, 697 — II 399, 406. Dorival, Louise, RSCJ : I 850, 854, 858, 871, 893, 899, 902 — II 18, 21, 28, 42, 45, 55-61, 72, 93, 124, 131, 154, 159, 168, 293, 357, 441, 457, 472-473, 478, 601, 641. Dubourg, Louis-Guillaume : I 10-11, 13, 21, 50, 207, 232, 235, 244, 251, 257, 259, 264-265, 267, 286, 288, 296, 312, 314, 316, 318-319, 327, 330-331, 357, 363, 375-376, 387-388, 402, 426-428, 457, 477, 478, 481, 486, 507, 517-519, 525-526, 540, 543, 564, 573, 585, 595597, 600, 608, 609, 614, 631, 651, 654656, 664, 668, 674, 676, 696-699, 711, 727, 729-730, 737, 746, 748, 751, 757758, 765, 776, 780-781, 787, 789-790, 792, 794-795, 799, 806-807, 813-814, 816-817, 820, 825, 848, 877, 882, 885, 889, 902, 904, 908, 910 — II 11n1, 14, 18, 47, 65, 68, 85, 112, 136-139, 213-215, 220, 224, 288, 306, 342, 372, 380-381, 383, 390, 401-403, 408, 411, 416-418, 422, 431-432, 434, 438, 495, 508, 539, 577, 592-594, 596-599, 601, 621, 628, 638, 694, 701, 723, 728, 731, 747. Duchesne, Antoine-Louis-Hippolyte : I 19, 51, 155, 525-526 — II 16, 31, 75, 151, 297, 336, 338, 355, 364, 368, 370,

Index

377, 533, 554-556, 567, 586-587, 617, 634, 636, 642, 656, 660, 662, 665666, 668, 671, 686-687, 693, 698, 712-713, 736, 739, 747. Duchesne, née Enfantin, Marie-Louise : I 27, 51, 82. Duchesne, Pierre-François : I 27, 39, 43, 44-46, 52, 54, 58, 73, 82, 84, 155, 169, 189, 192-193, 231 — II 586, 642. Duchesne, née Perier, Rose-Euphrosine : I 27, 39, 43, 51. Ducis, Henriette, RSCJ : I 102, 586, 796797, 888, 904, 906-907, 912 — II 1819, 60, 74, 91, 94, 117, 123-126, 145, 162-165, 167, 170, 176, 180, 198-201, 204-205, 209, 228, 234-235, 238, 240, 247, 252, 645, 726, 730-732, 747. Duffy, Mary, RSCJ : II 611, 658. Dumont, Louise, RSCJ : II 537, 620. Dunand, Joseph-Marie, OCSO : I 409, 422, 463, 468, 470, 479, 492, 494, 496, 505-507, 511, 543, 574, 581, 652 — II 215, 386, 392. Dusaussoy, Julie, RSCJ : I 129, 149, 461, 488-489. Dusaussoy, Louis : I 572, 758-759, 761, 777, 809, 811, 865, 879, 897, 900, 907-908 — II 20, 447. Dusaussoy, Thérèse, RSCJ : I 294, 461, 471, 149 — II 421. Dutour, Hélène, RSCJ : I 12, 150, 481, 601, 849, 854-859, 865, 879, 882, 886, 888-889, 892, 894-896, 899-902, 905-906, 911-912 — II 8-9, 13, 17-18, 20, 29-30, 41-46, 48, 51, 58, 61-62, 67, 70, 90-91, 104, 107-108, 112-113, 122, 131, 152, 175, 184, 203, 257, 282, 293, 319, 357, 441-442, 444, 447-489, 457, 462, 464, 467, 472-473, 529, 562, 601-602, 620, 641, 675. Egan, Anna Josephine (Ignace), RSCJ : II 528, 666. Elet, Jean-Antoine, SJ : I 862 — II 234, 281, 423, 426, 442, 446, 461, 475,

 769

479, 504, 517, 519, 563, 598, 621, 647, 663-664. Enfantin, Louis-Barthélemy : I 110-111, 114, 120-121, 123-125, 131, 134, 137-138, 140, 156, 227, 234, 300, 383. Evremond (Evremont)-Harissart, Xavier, SJ : I 264, 387 — II 29, 380, 382, 389, 454, 473, 593-594. Fenwick, Edouard, OP : I 406, 856 — II 66, 202, 422, 441, 486. Ferrari, André, CM : I 39, 257, 387, 564, 575-576, 579, 588-589, 603, 649, 664 — II 384, 403, 406, 413, 596. Flaget, Benoît, SS : I 327, 389, 397, 402, 405-406, 429, 458, 465, 520, 539, 651, 668, 674, 786, 799 — II 29, 169, 171, 370, 480, 492. Fonsala, Marie, RSCJ : I 148, 150, 590. Fontaine, Aglaé, RSCJ : I 220, 284, 287. Forbin-Janson, Charles de : I 146, 148, 214, 234, 285. Galitzine, Elisabeth, RSCJ : I 8, 13, 542 — II 9, 41, 66, 671, 225, 242, 276-277, 282, 375-376, 378, 395, 511, 514, 519, 524, 528-530, 537-541, 545548, 553, 559, 563, 566, 576-577, 606, 608, 610-611, 613-614, 628, 638, 641, 647-648, 676, 733, 736, 748. Gallwey, Margaret Ann, RSCJ : II 658, 661, 687. Gauthier, Agathe, RSCJ : I 148, 374 — II 126. Geoffroy, Suzanne, RSCJ : I 120, 121, 264, 275, 277-278, 282, 395, 423, 457, 505, 507, 511, 885 — II 15, 79, 255, 322, 402, 453, 570, 615, 618, 630. Gérando, Joseph-Marie de : I 26, 73, 75-77, 86, 151. Gillot, Angélique, RSCJ : I 285, 292-293. Girard, Henriette, RSCJ : I 92-93, 95, 101, 110, 123, 275, 278, 297, 349-350, 396, 401, 449, 574, 584, 608, 796, 803, 805 — II 112.

770

Index

Giraud, Émilie, RSCJ : I 68, 87, 91-92, 101, 120-121, 185, 277, 278, 302, 357, 430, 446, 498 — II 252-253, 733, 748. Gleizal, Jean-Louis, SJ : II 514, 516, 518519, 521-523, 525-528, 530, 536, 606, 608, 615, 620, 623, 627, 629, 632. Gloriot, Charles : I 94, 96, 109, 144, 298 — II 203. Gramont d’Aster, née Boisgelin, Gabrielle Charlotte Marie-Eugénie de, RSCJ : I 132, 216, 220, 279, 293, 295-297, 301, 544 — II 305. Gramont, Eugénie de, RSCJ : I 216, 220, 275-276, 278-281, 283, 285, 290, 297, 302, 349-351, 400, 430, 446, 543-544, 549, 592, 610, 612, 644, 697-699, 710, 724, 841 — II 143, 147, 160, 162, 165, 175-176, 199, 202-204, 229-231, 267-270, 282, 284, 292, 298-301, 305, 348, 402, 459, 471, 478, 481, 488, 656, 720, 725, 731-734, 748. Gramont, Antoinette de, RSCJ : I 132, 289-290 — II 305. Granon, Henriette et Rosine, RSCJ : II 632-633, 738, 748. Gray, Eleonor (Joséphine), RSCJ : I 780, 786, 826, 836, 838, 856-857. — II 59, 439, 444-445, 549, 563, 602, 619, 624, 627, 653, 658. Green, Hélène (Ellen), RSCJ : II 146, 180, 488. Grivel, Fidèle de, SJ : I 287-288, 298, 573. Grosier, Henriette, RSCJ : I 91, 96, 99, 101, 118, 120-121, 126, 211, 219-220, 222, 247, 275, 277-278, 283, 287, 293294, 299, 301, 353, 394, 543, 637 — II 402, 427, 445. Gueymar, née Perier, Hélène : I 168, 201, 454. Guillot, Eulalie, RSCJ : I 873 — II 71, 195, 245, 301, 449, 450, 458-459, 476, 504-505, 523. Hamilton, Eulalie (Régis), RSCJ : I 318, 543-550, 558, 561, 564, 566, 568, 576,

580, 584, 595, 613, 617, 658, 663-664, 680, 684, 686-688, 708, 731, 735, 752, 761, 765, 770, 776-777, 783, 787, 789, 792-793, 812, 817, 832, 856, 883, 889, 896, 903 — II 12, 28, 35, 71-72, 107-108, 110, 113, 116, 121, 132, 139, 141, 149-150, 153, 169-170, 181, 190, 193, 195, 197-198, 213, 216, 226, 234, 237, 240-241, 245-246, 253, 256, 266, 277-278, 281, 291, 329, 344, 378, 390, 401, 403-404, 409, 411, 416, 433, 447, 451, 457, 468, 471, 474-476, 479, 483, 485, 489-490, 500, 510, 524, 559, 563, 577-578, 584, 596-597, 601, 608-610, 614-615, 619-620, 626, 629, 631, 637, 651, 653-654, 662, 666, 673, 676, 680, 682, 687, 690-691, 693, 698702, 704, 707, 716, 741. Hamilton, Mathilde (Xavier) : I 318, 558, 563, 566, 568-576, 583-584, 595, 596, 617, 647, 658, 663-664, 680, 686-688, 692, 708, 727, 731, 735, 750, 752, 761, 765, 817, 828, 833, 858, 860, 884 — II 113, 213-217, 218, 390, 403-404, 412, 416, 428, 436, 596, 600, 741. Hardey, Mary Ann Aloysia : I 596 — II 9, 411, 48, 90, 146, 180, 224, 226, 431, 489, 506, 530, 550-551, 559, 562, 585, 600, 609, 619, 645, 650, 654, 659, 661, 676, 682, 684, 696, 704, 739, 748. Hélias d’Huddeghem, Ferdinand Benoît Marie Guislain: II 506, 518. Hoecken (Hoeken, Hoken), Christian, SJ : II 520, 526-527, 560, 564, 581, 680. Inglesi, Angelo : I 486-487, 492, 494, 497-498, 500, 506-507, 526, 560, 580, 584, 623, 644, 646, 652, 656, 661, 695, 703, 711. Jacquet, Aloysia, RSCJ : II 537, 591, 627. Jeanjean, Auguste : I 630, 674, 687, 828, 897 — II 28, 44, 58-59, 70, 75-76,

Index

162, 200-201, 205-206, 235, 245-247, 268, 282, 411, 426, 454-455, 459, 486487, 489-490, 499. Jordan, née de Mauduit, Augustine : I 51, 168-169, 174, 177-178, 227, 502 — II 31, 653, 656. Jordan, Camille : I 26, 44, 86, 161, 167, 174, 182, 241, 257, 455, 512, 639 — II 337, 346. Jouve, Amélie (Aloysia), RSCJ : I 7-8, 14, 19, 48, 52, 129, 161, 164, 167-701, 173174, 177, 179, 181-182, 188, 194, 199, 201, 206, 209, 218, 245, 334, 440-441, 488, 501, 556-558, 561-562, 570, 579, 591, 598, 613, 644, 723 — II 14-15, 33, 44, 302-303, 337, 395, 533-534, 544545, 577, 640, 647, 650-651, 653-659, 661-667, 670-673, 678-680, 686-687, 689-690, 692-693, 698, 708, 738739, 750-751. Jouve, née Duchesne, Charlotte-Euphrosine : I 17, 19, 20, 48, 52, 86-87, 151-155, 159-161, 163-175, 177-182, 188-201, 205-209, 216-217, 224-225, 244-245, 257, 267, 389, 438, 446, 501-502, 512, 561-563, 613, 638, 666, 768-769, 884-885 — II 14-16, 30-31, 63, 75, 80, 191-192, 248-249, 251, 302-303, 321-322, 331-333, 337-338, 345, 350, 355, 362-364, 368, 533-534, 538, 545, 556-558, 561, 569-570, 586-587, 589-590, 604-605, 616-618, 635-637, 642-644, 655-658, 660, 668-669, 670-672, 685-686, 709-711, 713, 717-724, 726, 728-729, 732-739, 748-750. Jouve, Constance, RSCJ : I 52, 160, 162, 201, 217, 245, 269, 335, 440-441, 461, 769 — II 15, 31, 33-34, 44, 267, 534, 617, 643, 656, 658, 666, 671-672, 690, 706. Jouve, Adèle-Euphrosine (Aloysia), RSCJ : I 17, 33-34, 52, 80, 86, 126, 129, 163-164, 166, 173-174, 195, 197, 209-210, 214-215, 221, 248-249,



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268-270, 386, 440, 488, 501, 556-558, 561, 568, 571, 591, 613, 616, 620, 722, 858 — II 15, 187, 219, 251, 337, 404, 534, 719-720, 723, 751, 760. Jouve, Henri (Henry), SJ : I 51, 162, 179, 192, 201, 206, 208, 217, 227, 245, 334, 591, 726 — II 15, 31, 191, 332, 362, 404, 533, 634, 643, 655, 658, 666, 671-672. Jouve, Jean-Joseph : I 19, 51, 240, 248, 270, 356, 361, 395, 441, 444-445, 452, 462, 607, 654, 718 — II 156, 722, 751. Kenrick, Francis (François) Patrick : II 378, 627. Kenrick, Peter (Pierre) Richard : II 378, 562, 627, 639, 641, 705. Kersaint, Claire Henriette de, RSCJ : I 905 — II 120-121, 123-124, 130, 132, 134, 136, 140, 144, 153, 159-160, 162164, 176, 180-181, 196, 198, 207, 209, 227-228, 231, 234, 236, 239-240, 244245, 250-251, 253, 256-257, 281, 471, 479, 490, 502, 510, 525, 529, 532, 563, 602, 641, 651, 662, 666, 675, 708. Knapp(e), Mary, RSCJ : II 241, 268, 283, 336, 344, 437, 488, 500, 511, 523, 525526, 540, 684. Labruyère, Judith (Ignace), RSCJ : I 622, 676, 684, 750, 765 — II 218-219, 408, 411, 423, 428, 456, 473, 600. Lalanne, née Dudevant, Catherine-Suzanne-Félicité de, RSCJ : I 99, 407, 457-458, 471, 499, 509-511, 550, 567, 591, 630, 635-636, 659-660 — II 395, 722, 724, 745, 751. Lamarre, Catherine, RSCJ : I 10, 25, 50, 242-243, 316, 324, 437, 449, 474, 677, 700, 805, 886 — II 98, 239, 253, 377, 380, 525, 532, 576, 593. Lau d’Allemans, Henri-Charles du : I 47, 69. Lavaudan, Hippolyte, RSCJ : I 284. Lavauden, Adélaide, RSCJ : I 137, 146.

772

Index

Lavauden, Angélique, RSCJ : I 96, 104, 124, 148, 488 — II 68, 91, 292-294, 436, 492, 734, 751. Layton, Mary, RSCJ : I 10, 11, 316, 319, 525, 528, 531, 540, 542, 564, 576, 579, 583584, 595, 608, 617, 634, 639, 886 — II 17, 105-106, 198, 253, 256, 399-400, 405-406, 411, 431, 452, 462, 467, 597. Ladavière, Pierre, SJ : II 122, 130, 268, 473, 490. Landry, Carmélite, RSCJ : I 634, 750, 762-763, 770, 850, 854, 868, 871, 877, 888, 894-895 — II 42-44, 51, 55, 5859, 61, 72, 159, 309, 411, 431, 457, 462. Lavy-Brun, Félicité, RSCJ : II 32, 41, 52, 55, 58, 67, 69-70, 124, 131, 154, 159160, 218, 245, 281, 455, 457-458, 529, 602, 640, 662, 675. Leblanc, Charles : I 105-106, 108-109. (Le)brasseur, Francis, CM : II 119-120, 471. Lefebvre, Adèle, RSCJ : I 285, 293, 296. Lefèvre, Félicité : I 99, 104, 112, 120, 357. Lefèvre, Pierre Paul : II 479, 562. Lepère, Martin : I 678, 717, 788, 818, 836, 843, 848, 852, 863, 887-888 — II 2425, 65, 73, 83, 86-89, 95, 100-101, 107-108, 129-130, 472, 591-592, 607608, 611-612, 737, 751. Lévêque, Amélie, RSCJ : II 136, 169, 219, 480. Lévêque, Evelina, RSCJ : II 136, 551, 697, 739, 752. Lévêque, Lise, RSCJ : II 136, 205, 217, 220, 462, 487. Lévêque, Louisa (Louisia), RSCJ : II 136, 146, 180, 489, 562, 583, 604, 684. Lévêque, Maria, RSCJ : I 906, 909 — II 29, 42, 45, 48, 59, 136, 449-450, 456, 484, 608, 651, 659. Limminghe, Louise (Addolorata) de, RSCJ : I 488 — II 67-68, 76-78, 446, 729, 752. Loras, Pierre-Jean-Mathias : II 359, 361, 364.

Loriquet, Jean-Nicolas, SJ : I 132-133, 136, 395, 534, 848. Lutz, Joseph-Antoine : I 829, 836, 843, 852, 863-864, 869, 879, 887, 891, 909 — II 17, 22, 25, 74, 76, 95, 102, 136, 142, 246, 250, 313, 324, 354, 356, 438-440, 442-446, 457, 461, 465-468, 471, 475, 477, 479, 483, 485, 491, 496. Lynch, Élisabeth (Élisa), RSCJ : II 540, 546, 571, 674, 737-738, 752. Maillucheau, Thèrèse (Elisabeth), RSCJ : I 34, 110-111, 121-123, 169, 181, 183, 204-205, 211-213, 219-220, 241, 247-248, 253-254, 259, 265, 268-270, 335-336, 385-386, 416-418, 444, 459461, 471, 531-532, 557-559, 568-571, 620-621, 857 — II 120, 132, 308, 494, 513, 527, 559, 646, 706, 708, 719-724, 752. Mandolx, Jean-François de : I 102, 279, 281. Manteau, Marguerite, RSCJ : I 10, 50, 243, 437, 673, 675, 677, 684 — II 265, 281, 377, 380, 418, 563, 593, 599. Marie de l’Incarnation : I 20, 21, 416, 429, 449, 534, 585 — II 701. Mathevon, Lucile (Lucille) , RSCJ : I 11, 148, 150, 319, 481, 514, 527, 560, 595, 601, 620, 615, 626, 700, 705, 731, 738, 746, 749, 751, 755, 783, 825, 905, II 115, 149, 164, 169, 173, 226, 234, 243, 249-250, 287-288, 293, 295, 304, 315, 376, 378, 408-409, 430, 443, 449, 472, 535, 550, 564, 575, 597, 602603, 654, 659, 705, 708. Martial, Bertrand : I 50, 228, 257, 264266, 268, 308, 311, 322, 326, 327-329, 331-333, 353, 356, 359, 362, 366, 368, 370, 373-377, 380, 382, 392, 424-425, 438, 441, 448, 458-459, 462, 467, 471, 473, 476, 495, 499, 515, 526, 612, 639, 646, 651, 668, 786, 904 — II 29, 63, 165, 380-381, 388-389, 400, 430, 454, 593-594, 596.

Index

Mauduit du Plessis, Joseph-Constant de : I 51, 82, 180, 238, 241 — II 685, 687. Mauduit, née Duchesne, Marie-Amélie de : I 5, 46, 49, 51, 82-85, 160, 168, 185, 173-174, 193, 217-218, 226-227, 240-241, 245-246, 254, 255-258, 267, 270, 330, 333-335, 362, 441, 502-503, 562, 624-625, 693-694, 768, 884885 — II 15, 75, 156-157, 187, 191, 201, 254, 309, 321-322, 331, 333, 335-338, 368, 670, 717, 719-720, 722, 724-725, 728, 731, 752-753. Maujot, Claudine (Benoît), RSCJ : I 113, 362, 437, 763, 782-784, 793, 900, 903. Mayet (Mayette), Hélène (Joséphine), RSCJ : II 142, 453, 456, 474, 507. McKay, Susannah (Aloysia), RSCJ : I 832, 886 — II 69, 198, 234, 239, 253, 256-257, 287, 431-432, 437, 447, 457, 462, 490, 511, 601, 615. Meneyroux, Rosalie (Joséphine) : I 286, 292, 308, 514, 629, 631, 652, 656, 691 — II 411. Messoria, Caroline, RSCJ : I 99, 104, 120, 221, 457, 509-511 — II 745. Michel, Adrienne, RSCJ : I 175-177, 182-184, 186-188, 220, 223, 277, 336, 404 — II 172-173, 718, 732, 753. Milles (Miles), Joséphine (Xavier) : I 877, 883-884 — II 66, 70, 106, 182, 198, 207, 253, 320, 324, 449, 458-459, 467, 483, 503-504, 507. Missé, Elizabeth, RSCJ : II 71, 98, 195, 198, 301, 320, 336, 343-344, 458, 471, 475, 485, 494. Monestrol, Angélique de, RSCJ : II 665666. Monzert, Marie-Rose, RSCJ : I 23-24. Moulin, Marie, RSCJ : I 127, 146, 461. Mullanphy, John : I 12, 24, 312, 353, 393, 475, 481, 540, 543, 561, 579, 583, 599-600, 611, 619, 626, 646, 655, 670, 678, 703, 707-708, 716, 745, 752, 756, 767, 778, 787, 810, 818, 824-827, 830, 833-835, 839, 846-848, 857, 860,



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910-911, 913 — II 7, 14, 16, 20, 29, 52, 71, 86, 107, 135-137, 153, 192, 195, 230, 234, 237, 260, 312, 333, 351, 366, 391, 402, 409, 436-440, 451, 484, 486, 511, 601, 627-628. Murphy, Anna Xavier, RSCJ : I 10, 11, 18, 319, 528, 542, 560, 595, 597, 615, 629, 631, 644, 654, 670, 675, 683-684, 732, 738, 750, 755, 759, 785, 802, 807, 833, 838, 846, 850, 858, 861, 866, 892, 895, 898-899, 902, 913 — II 8-9, 12, 17, 20-21, 27-29, 30, 41-42, 44-46, 4849, 52, 55-59, 61, 63, 67, 70, 72, 80, 93, 104-105, 110, 113, 116, 123, 125, 131, 137, 141-142, 144-145, 153-154, 159160, 163-164, 167-168, 171, 176, 182, 190, 197, 207-208, 225, 243, 260, 274, 277, 281, 287, 319, 344, 408, 411, 431, 441, 457, 503, 506, 510, 513, 530, 548, 562-563, 597, 600, 641, 654, 663, 675. Murphy, Margaret, RSCJ : II 592, 603, 607, 610-611, 620, 623, 737, 753. Nerinckx, Charles : I 12, 406, 661, 669, 688, 735-736, 740-741, 850 — II 417, 424. Niel, Francis : I 387, 495, 672, 716, 737, 760, 770, 807, 809-811, 813, 815-816, 818, 823-824, 830, 848, 908 — II 120, 398, 400-401, 406, 410, 414, 418, 435. O’Connor, Mary Ann, RSCJ : I 11, 601, 670, 684, 733, 751, 762, 765, 793, 832, 838, 856, 886, 905, 909 — II 25, 376, 418, 427, 437, 444, 449, 455, 511, 535, 540, 543, 546, 558, 564, 575, 599-603. Odin, Jean-Marie, CM : I 790, 819, 836, 868 — II 191, 195, 199, 201, 248, 295, 323, 472, 486, 499, 550. Olivier, Marie d’ : I 625-628 — II 724, 753. Paillasson, Victor, SJ : II 191, 463, 478, 501, 507-508, 513-515, 517-518, 521, 530. Pain, Pauline, RSCJ : I 287-288, 303, 305-306, 533.

774

Index

Paranque, Victoire, RSCJ : I 220, 277, 293-294, 722-723 — II 126, 151, 518, 725, 753. Parisot, Françoise-Jeanne, RSCJ : I 149150, 282. Peñaranda, Marie-Antoinette de, RSCJ : I 105, 106-108, 177, 184, 681, 684, 8541 — II 274, 421, 445, 459. Penel (Pinel), Louise-Marie, RSCJ : II 309, 314, 319, 327, 343, 500-501, 504-505, 532. Perier, Antoine-Scipion : I 52, 127, 226, 238-239 — II 337, 346, 635. Perier, Augustin-Charles et sa femme : I 52, 127, 238, 239-241, 245, 257, 512, 666, 707, 821-822, 870 — II 38, 296, 337-338, 345, 635. Perier, Casimir-Pierre et sa femme: I 52, 238-239 — II 8, 84, 163, 338, 345-346. Perier, Claude : I 44, 46, 52, 127, 151, 420. Perier, Jacques : I 43, 52, 168. Perier, née Pascal, Marie-Charlotte : I 44, 51, 73, 77, 151, 421, 454, 546, 706. Perreau, Pierre, SJ : I 216, 229, 260, 275276, 284, 286, 289, 299-301, 307-308, 326, 330, 332, 357, 371, 401, 427-428, 430, 453, 478, 480, 503, 506, 516, 543, 560, 587, 624, 684, 698-699, 711, 728, 753, 756, 772, 778, 785, 792, 800, 817, 833, 841, 904, 906, 913 — II 20, 36-38, 73, 257, 264, 274, 276, 305, 335, 380, 384, 435, 441, 448, 455, 509-510, 530, 593, 595, 629, 641, 676, 729, 753. Pillet, Clémence : II 59, 116. Piongaud, Marie-Jeanne : I 91, 95-96, 118, 120-122, 185. Piveteau, Laure Bernardine, RSCJ : I 858 — II 40, 44, 46, 55, 58, 441. Portes d’Amblérien, Louise (Laure) de, RSCJ : I 124, 148, 284, 297 — II 103105, 165, 357-358, 445, 730, 753. Portier, Michel : I 426, 526, 799, 808, 812-813, 816, 819 — II 54, 120, 214, 382, 400, 434-435, 462, 594.

Potier, Antonia (Antoinette), RSCJ : II 310, 314, 501. Pratte, Bernard et famille : I 313-315, 391, 393-394, 397, 439, 443, 596, 618, 631, 673, 678 — II 383-384, 386, 394, 438, 594, 684. Pratte, Henri : I 391, 642 — II 383-384, 408, 413. Pratte, Marie Mathilde, RSCJ : II 703, 739, 753. Pratz, Annette Françoise, RSCJ : II 330, 684. Pressigny Cortois, Gabriel de: I 168, 225, 272. Prevost, Marie-Élisabeth, RSCJ : I 96, 294-295, 324, 352, 371, 440, 670, 710, 802-803, 805-806, 885 — II 15, 7880, 180, 256, 402, 445, 726, 729, 753. Purcell, Jean-Baptiste : II 203, 294, 317, 486, 492, 609, 619. Quatrebarbes, Virginie Marie de, RSCJ : I 874-875. Régis, Jean-François, SJ, Saint : I 8, 19, 28-29, 46, 54, 56-57, 59, 69-70, 76, 81, 95, 105, 113-114, 125-126, 134, 144, 147, 158, 205, 210, 218, 225, 227, 230-231, 234-235, 237, 246, 258, 262, 330, 362-363, 404, 424, 458, 493, 502, 521, 530, 539-540, 556, 569-570, 576, 591-592, 623-624, 626-627, 635, 661, 672, 688, 696, 701, 722, 726, 754, 773, 802, 809, 826, 849, 873, 894 — II 111, 141, 156, 169, 215, 234, 253, 258, 261, 293, 298, 309, 311, 359, 375, 383, 387, 395, 397-398, 401-404, 407, 411, 418, 423, 428, 461, 468-470, 475, 477, 483, 490, 501, 508, 519, 523, 526, 529530, 536, 577, 595-596, 610, 618-619, 628-629, 631-632, 638, 672, 700, 730, 761, 763. Ribau, Félicité : I 113, 129, 222, 280. Richard, Benoît, OSB : I 379, 382, 388, 409, 433, 442, 458, 463, 473, 478,

Index

482, 484, 499, 524-525, 532, 549, 588, 647, 653, 829, 831, 836, 840, 842-844, 846, 872, 878, 891, 898 — II 44, 61, 98, 100, 116, 138, 382-384, 386-390, 399-400, 405, 440, 469, 484, 486, 529, 594-595, 641, 675. Rivet, Marie : I 46-47, 68-72, 75, 77-81, 91, 101, 336, 368. 374. Roche, Lucille Françoise, RSCJ : II 58, 70, 116, 218, 452. Roche, Mary Ann, RSCJ : II 88, 146, 169, 301, 304, 469, 480, 500, 502, 510, 524, 651, 659, 666, 689, 693. Rollin, née Perier, Élisabeth-Joséphine Savoye de : I 18, 19, 21, 22, 28, 44, 45, 46, 52, 58, 61, 73, 77, 127, 151, 197, 200, 210, 228-29, 238-245, 254-257, 260, 262, 265, 270-271, 330, 337n1, 372, 389-390, 419-420, 446, 453-456, 511-513, 544-546, 560, 576-577, 638639, 666, 705-707, 710, 718, 720-721, 734-736, 740, 753, 794-795, 797-798, 815, 821-824, 841, 869-870, 876-877, 885 — II 8, 15, 38-40, 53-54, 74-75, 84-85, 151-152, 176, 180, 185-187, 201-202, 208, 225, 231-233, 243, 251, 253-255, 295-297, 307-309, 316-318, 329-331, 333, 336-338, 345-346, 349-350, 355, 362-365, 369-370, 441, 486, 534, 556, 567, 586-587, 589, 617, 633-635, 642, 644, 648, 650, 655-656, 659-660, 662-663, 665, 671, 687, 693, 719-727, 729, 731-736, 738, 754-755. Rosati, Joseph, CM : I 13, 34, 39-40, 257, 458, 495, 525, 550-551, 561, 563-564, 575-576, 585, 588-589, 600-601, 603604, 614, 648-649, 657-658, 661-662, 664, 668, 672, 679, 685-686, 688, 696, 698, 712, 719, 727, 729-730, 734-737, 743-748, 757-758, 765-766, 779-781, 786-790, 799-801, 803-804, 807-808, 811-817, 819-820, 827-830, 835-837, 840, 841-846, 850-856, 862-863, 867-869, 870-873, 877-880, 882-884, 887-888, 889, 890-893,



775

897-898, 907-912 — II 7, 11-14, 16-17, 20-26, 61, 64-66, 68-71, 73-76, 8283, 86-90, 94-101, 105-111, 113-114, 118-120, 126-130, 133-138, 140-142, 147-151, 155, 157-159, 161-162, 164165, 167, 171, 174, 177-179, 188-190, 192-193, 196, 205-206, 210, 215, 223, 237-238, 241, 244, 247-248, 270-271, 278, 280, 284-286, 288, 290, 303, 313, 315-316, 322, 324-325, 327, 329, 333-334, 339-342, 350-351, 355-357, 360-361, 366-367, 371-372, 378, 399, 405, 416, 422, 424, 430, 434-435, 440, 442, 446, 449, 457-459, 462, 478, 480-481, 483, 485-486, 492, 512, 528, 530-531, 540, 542, 552, 562-563, 585, 590, 599, 602, 624, 627, 639, 641, 723-736, 755-759. Rousier, Anna Pélagie du, RSCJ : I 14 — II 578, 704. Rozeville, Adelaïde de, RSCJ : II 358359, 735, 759. Saint-Cyr, Émilie (Joséphine), RSCJ : I 318, 542, 584, 595-596, 617, 629, 631, 684, 767 — II 59, 213, 228, 401-402, 411, 563, 577, 596-597, 615-616, 621, 646, 648, 652, 676, 678, 684, 690691. Saint-Estève, Louis Sambucy de : I 49, 101-102, 105-106, 109, 144-145, 212, 272-274, 277, 295. Saint-Pern, Anne Marie de, RSCJ : I 218, 227, 291-292, 300, 303-304, 450 — II 395. Sallion, Bathilde, RSCJ : II 126, 537, 548, 550, 559, 562, 581, 619-620, 623, 625, 627, 651, 654, 659, 672-673, 676, 694-695. Saulnier, Edmond : I 814, 829, 836, 843, 848, 852, 864-865, 869, 878, 887, 891, 910 — II 11-12, 17, 21-23, 26, 35-36, 66, 88, 114, 138, 194, 413, 438-439, 442, 445, 450, 453, 459, 461, 473, 728-729, 759.

776

Index

Sedella, Antoine de, OFM Cap. : I 312, 358, 363, 375, 746. Shannon, Anna-Joséphine (Stanislas), RSCJ : I 598, 832 — II 198, 253, 256, 264, 272, 283, 289, 291, 306, 319, 335-336, 343, 347, 431-432, 437, 447, 458, 497-500, 499, 507, 510, 512, 514, 516, 528, 601. Shannon, Judith ou Johanna (Alphonsine), RSCJ : II 110, 198, 234, 239-240, 335, 448, 464, 477, 480, 490, 651. Short, Margaret Mary, RSCJ : I 856-857, 866 — II 71, 197, 441, 443, 445, 458459, 463, 620, 651, 659, 666. Smedts, Jean-Baptiste, SJ : II 234, 431. Stegar, Ann(a), RSCJ : II 97, 106, 110, 113, 142, 459, 464, 471, 480. Summers, Mary Ann, RSCJ : I 10, 543543, 584, 663-664, 673, 675 — II 212214, 216, 393-394, 401-402, 412, 416, 418, 434, 596, 599. Terrail, Marie du, RSCJ : I 88, 118-119, 150, 772. Teisseire, née Perier, Adélaïde-Hélène (Marine) : I 52, 167, 169, 229, 241243, 245-246, 254-257, 270-271, 455, 546, 577, 706, 721, 736, 821, 876 — II 38-39, 54, 75, 84, 151, 202, 232, 254, 295-298, 316, 318, 331, 336, 338, 345, 349, 369, 617, 635, 662, 687, 693, 698, 734, 738, 759. Thévenin, Frédérique, RSCJ : I 281, 284285, 374 — II 359, 537. Thiéfry, Catherine, RSCJ : I 13 — II 32, 60, 63, 67, 70-72, 78-79, 88, 93, 97, 104-105, 129, 131, 140, 142, 144, 146, 148, 152, 170, 181, 190, 195, 197, 226, 239, 245, 253, 257-259, 263-264, 266, 269, 272, 278, 285, 287-288, 291, 293, 300-301, 303-304, 306-307, 310-312, 314-315, 318-319, 327, 347, 358, 371372, 455, 458, 489, 492, 497, 502, 504, 510-511, 517, 524-525, 529, 531-532,

538, 543, 559, 563, 584, 602, 606, 621, 624, 640-641, 648, 654, 666, 675, 684. Timmermans, Pierre-Joseph, SJ : I 676, 678, 725, 729 — II 417, 422, 598. Toysonnier (Toissoniers), Marie-Adèle, RSCJ : II 120, 130, 146, 159, 281, 602. Van Assche, Josse F., SJ : I 862 — II 72, 234, 367, 442, 495, 503, 513-514, 518, 526, 528, 530, 563, 598, 608, 619, 621, 627, 677, 683. Van Damme, Xavier, RSCJ : I 849, 853, 855, 858-859, 865, 882, 894, 899, 902 — II 20, 29, 63, 72, 146, 160, 180, 314, 441-442, 444, 452, 483, 601, 641. Van de Velde, Jean-Olivier, SJ : II 141, 474, 497-498, 504, 606, 608, 615, 621. Van Quickenborne, Charles Félix, SJ : I 573, 598, 601, 675-676, 678, 681, 698, 702, 711-712, 729, 734, 750, 757, 773774, 782-784, 787-788, 807, 844, 849, 874, 894, 902-903 — II 32, 36, 72, 196-197, 200, 204, 257, 335, 417, 430, 438, 465, 473, 487, 490, 501, 506, 510, 530, 583, 598, 641, 676. Varin d’Ainvelle, Joseph-Désiré, SJ : I 18, 25, 47, 68-77, 79-81, 88, 92, 96, 99105, 108-109, 112-115, 135, 145, 149, 151, 156, 210, 212-214, 219, 222, 232233, 247, 260, 273-274, 279, 285-286, 291, 297-298, 302, 307-308, 326, 330, 347, 430, 475, 480, 506, 516, 523, 543, 559, 587, 589, 624, 684, 692, 728, 734, 756, 772, 778, 785, 792, 800, 815, 817, 833, 841, 904. II 21, 33, 73, 143, 163, 182, 205, 236. 240, 246, 264, 266, 272, 276, 292, 305, 315, 348, 380, 437, 455, 593, 639, 646, 681, 720, 759. Vaulserre, Marie-Louise-Angélique de : I 128-129, 141-142, 159. 166. Verhaegen, Pierre J., SJ : I 598, 751, 791, 800, 902 — II 131, 180, 194, 197, 198,

Index

209, 228, 234, 251, 305, 309, 375-378, 424, 428-429, 431-432, 446, 456, 463, 466, 471, 479, 481, 483, 485, 487, 503504, 511, 514, 518, 521-522, 525, 535, 552, 559, 564-565, 575, 578-579, 598, 606, 608, 615, 621, 630, 707.



777

Vidaud, Louise de, RSCJ : I 48, 58, 129, 149, 182, 338, 461, 488-489, 532, 551556 — II 292, 492, 536-537, 641, 723, 736, 759. Watts, Emily Regis, RSCJ : II 351, 500, 526.

TABLE DES MATIÈRES TOME PREMIER Remerciements

5

Introduction générale

7

Partie critique

33

Sources et bibliographie

37

chapitre premier : 1769-1818 Avant le grand départ Introduction

43

Lettres

53

chapitre ii : 1818-1821 Les premières fondations Introduction

311

Lettres

321

chapitre iii : 1822-1828 En pleine action Introduction

595

Lettres

603 TOME II

chapitre iv : 1829-1833 Nouvelle croissance et conflits Introduction Lettres

7 11

780

Table des matières

chapitre v : 1834-1839 Retour à Florissant Introduction

223

Lettres

227

chapitre vi : Juin 1840-1842 Le rêve se réalise Introduction

375

Lettres

379

chapitre vii : Juin 1842-1852 Les dernières années Introduction

575

Lettres

581

Annexe Liste des lettres et autres documents

717

Liste des illustrations

763

Index

765