Oeuvres choisies en deux volumes [2]

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Oeuvres choisies en deux volumes [2]

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KARL MARX ET

FRIEDRICH ENGELS

ŒUVRES CHOISIES EN DEUX VOLUMES TOME Il

ÉDITIONS

DU

Moscou '

PROGRÈS

NOTE DE L'ÉDITEUR Le présent recueil est conforme à l' édition russe

du livre : K. Marx et F. Engels, Œuvres choi­ sies en deux volumes, tome Il, édition préparée par l'Institut du marxisme-léninisme près le C.C. du P.C.U. S. (Gospolitizdat, 1 955).

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KARL MARX

C R ITI Q U E D U P R O G R A M M E DE G OTH A

AVANT-PROPOS DE FRIEDRICH ENGELS1

L e m anuscrit imprimé ci-dessous - la lettre de présenta­ tion à Bracke ainsi que la critique du proj et de programme fut adressé à Bracke en 1875, peu de temps avant le congrès d'unité de Gotha2, pour être communiqué à Geib, Auer, Bebel et Liebknecht puis renvoyé ensuite à Marx. Le c ongrès de Halle ayant mis à l' ordre du jour du Parti la discussion du program­ me de Gotha , je croirais commettre un détournement si je dé­ robais plus îongtemps à la publicité ce document considérable, le plus considérabl e peut-être de ceux qui concernent cette dis­ cussion. Mais le manuscrit a encore une 1autre portée et de beaucoup plus grande. Pour la premièr e fois, on y tronve clairement et solidement établ i e, la position prise par Marx en face des ten­ dances inaugurées par Lassalle dès son entrée dans le mouve­ ment, tant en ce qui concerne à la fois les pnincipeis économi­ ques que la tactique. L'imp.itoyable sévérité avec laquelle le projet de programme est analysé, l'inflexibili té avec laquelle les résultats obtenus sont 1 La critique du Programme de Gotha de Marx fut publiée par Engeis e n 1 89 1 malgré l'opposition des dirigeants opportuni stes de l a social­ démocratie allemande. Engels se vit contraint à con sentir (voir sa lettre à Kautsky, pp . 41--44 du présent volume) à certains adoucissements. Dans l a présente édition le texte original e s t complètement rétabl i ct>après le manus· crit. (N.R.) :.! Au congrès de Gotha (22-27 m ai 1 875) , les deux organi sations ouvriè· res allemandes existant à l'époque : le Parti ouvrier social-démocrate (Ei senachiens) , dirigé par Liebknecht et Bebel, et l'Associati on générale des travail leurs allemands fondée par Lassalle et dirigée par Hasenclever, Hasselmann et Tolckke fusi onnèrent pou r ne former qu'un seul parti, l e Parti ouvrier sociali ste allemand. (N.R.)

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énoncés et le s points faibles du proj et mis à nu, ne peuvent plu s blesser auj ourd'hui , alors que quinze ans se sont écoulés. Des lassallien s spécifiques , il n'en existe plus qu'à l'étranger, ruines solitaires , et à Halle le programme de Gotha a été aban­ donn é même p ar se s auteurs , comme absolument insuffisant!. Malgré cela, j'ai retranché, là où la chose était indifférente, et rem placé p ar des points quelques expressions ou apprécia­ tioni s âprement personnelles . Marx le ferait : l ui-même, s'il pu­ bliait auj ourd'hui son manuscrit. La vivacité de langage qu' on y rencontre parfois s'expliquait par deux circonstances. D' abord nous étions , Marx et moi , mêlés au mouvement allemand plus intimement qu'à tout autre ; la régression manifeste dont té­ moignait le proj et de programme devait nous émouvoir tout particulièrement . En second lieu, nous étions à ce moment, deux ans à pein e après le congrès de La Haye de l' Internatio­ nale2, en ple ine bataille avec B akounine et ses anarchistes qui nou s rendaien t responsables de tout ce qui se p assait en Alle­ magne dans l e mouvement ouvri er ; nous devions donc nous attendre également à ce qu' on nous attribue la paternité ina­ vouée du programme. Ces considérations sont aujourd'hui ca­ duques, et, en même temps, sont la rais on d' être des passages en question. Il y a, en outre, quelques phrases qui, pour des raisons de censure, sont remplacées par des points. Là où je devais choi­ sir une expressi on atténuée, je l'ai mise entre crochets . A cela près, la reproduction est textuelle . Londres, 6 j anvier 1 891 Rédigé par Engels Publié dans la Neue Zeit de 1891

Pour préparer la présente édition, on a utilisé la traduction publiée p ar l es Editions Sociales, Paris 1 950

1 Le congrè s de la social-démocratie allemande à Halle, le premier qui suivit l' abrogation de la loi d'exception contre les socia listes, décida le 1 6 octobre 1 890 sur la proposition de W. Liebknecht, auteur principal du Progra mme de Gotha, de préparer pour le prochain congrès l e proj et d'un nouveau programme. Celui-ci (le Programme d'Erfurt) fut a dopté en octobre 1 891 au congrès d'Erfurt. (N.R.) � Le Congrès de La Haye de la Ire Internationale (septembre 1 872) fut le théâtre d'une lutte violente contre les bakouninistes. La majorité du con­ grès se rallia au Conseil général, dirigé par Marx. B akoun ine fut exclu de l'Internationale. (N.R.)

CRITIQUE nu· PROGRAMME DE GOTHA

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L E TT R E À W. B R A C K E Londres, 5 mai 1 875

Mon cher Bracke, Les gloses marginale s qui suivent, critique du programme . d'unification , ayez l'amabilité de les porter, après lecture, à la connai ssance de Geib et d'Auer, de Bebel e� de Liebknecht. Je suis surchargé de travail et fais déjà beaucoup plus que ce qui m ' est prescrit par les médecins. Aussi n'est-ce nullement pour mon ·« plaisir » que j ' ai griffonné ce long papier. Cela n'en était pa s moin s indispensable pour que, par la suite, les démarches que je pourrais être amené à faire ne pussent être mal inter­ prétée s p ar les amis du Parti auxquels est destinée cette com­ munication. Après le congrès d'unification nous publierons, Engels et moi, une brève déclara tian dans laquelle nous indiquerons que nous n'avons rien de commun avec le programme de· principe en question. Cela est indispens able puisqu'on répand à l'étranger l' opi­ nion soigneusement entretenue p ar les ennemis du Parti, opinion absolument erronée, - que nous dirigeons ici, en se­ c ret, 'l e mouvement du Parti dit d'Eisenach. Dans un écrit russe tout récemment paru, Bakounine, par exemple, me rend res­ ponsabl e non seuleme nt de tous les programmes, etc. , de ce Parti , m ais encore de tout ce qu' a fait Liebknecht dès le pre­ mie r jour de sa collaborati on avec le Parti populaire (Vo lks­

partei)1.

1 Le Parti populaire fut fondé en septembre 1 865 à Darmstadt ; il s'organisa en tant que parti politique en septembre 1868 lors du congrès de

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Cela mis à part, c' est pour moi un devo ir de ne pas re­ connaître, fût-ce par un di plomatique silence, un programme qui , j 'en sui s convaincu, est absolument condamnable et qui démoralise le Parti . Tout p as fait en avant, toute progression réelle importe plus qu'une douza ine de programmes. Si donc on se trouvait dans l' impossibilité de dépasser le programme d'Eisenach 1, - et les circonstan ces ne le permettaient pas, -- on devait se borner à conclure un accord pour l' acti on contre l' ennemi commun. Si on fabrique, au contraire, des programmes de principes (au lieu d'aj ourner cela à une époque où pareils programmes eussent été pnéparés par une longue activité commune) , on pose pu­ bliquement des j aloni s qui indiqueront au monde entier le ni­ veau du mouvement du Parti. Les chefs des lassalliens venaient à nou s, poussés par les circonstances. Si on leur avait déclaré dès l'abor d qu'on ne s'engagerait dans aucun marchandage de principes, il leur eût bien fallu se contenter d'un programme d' action ou d'un plan d'organis ation en vue de l' action commu­ ne. Au lieu de cela , on leur permet de se présenter munis de mandats qu'on reconnaît soi-même avoir force obligatoire, et ainsi on se rend à la di scrétion de gens qui ont besoin de vous. Pour couronner le tout, i ls tiennent un nouveau congrès avant le congrès de compromis, 1tJ andis qu e notre parti nient le s ien post festum2 . On voulait m anifestement escamoter toute critique et banni r toute réflexion de notr e propre P arti . On sait que le s eul fait de l'union donne s atisfaction aux ouvriers, m ais on se trompe si l'on pense que ce résultat immédi at n'est p as trop chèrement payé. Au surplus , le programme ne vaut rien, même si l' on fait abstraction de la canonisation des articles de foi lassalliens . Stuttgart. C'était un p arti de l a petite-bourgeoisie qui recrutait essentielle­ men t ses adhérents en Allemagne du Sud. Il opposait à l a politique de Bismarck, qui préconisait l'unification de l 'Allemagne sous l'hégémonie de la Pru sse des junkers, les principes petits-bourgeois du fédéralisme. (N.R.) 1 Il s ' agit du programme adopté l es 7-9 août 1869 à Eisenach au con­ grès p anallemand des social-démocrates d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse. Le congrès proclama la fondation du Parti ouvrier social-démocrate d'Allemagne connu sous le nom de parti des eisenachiens. Le programme d' Eisena ch répondait d ans son ensemble aux principes de l 'Internationale. (N.R.) i Après la fête. En effet, le congrès l assallien se tint avant celui de Gotha en mai ; et le congrès des e isenachiens à Hambourg le 8 juin . (N .R.)

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CRITIQUE DU PROGRAMME DE GOTHA

Je vous enverrai bientôt les derniers fascicules de l'1 é dition française du Capital1 . L'édition e n a été l ongtemps suspendue, par suite de l'interdiction du gouvernement français. Cette se­ maine-c i , ou au commencement de la semaine prochaine, l'édi­ tion sera terminée . Avez-vous eu les six premiers fascicules ? Veuillez me procurer l' adresse de Bernhard Becker à qui je dois envoyer les derniers. L a librairie du Vo llisstaat2 a des manières à elle. C'est ainsi que, par exemple, on ne m'a pas encore adressé un seul exem­ plaire i mprimé du Procès des communistes de Co logne. Meilleures salutations. Votre Karl Marx

1 La première traduc tion française du premier volume du Capital fut publiée à Paris pa r fascicules , sous le contrôle de Marx lui-même, entre 1872 et 1875. (N.R.) i Il s'agit de la librairie du Parti ouvrier social-démocrate ouverte à Leipzig près l a rédaction de l'organe central du Parti le Vo lhsstaat (Etat popul aire) (1869-1876) . (N.R.)

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KARL MARX

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GLOSES MARGINALES AU PROGRAMME DU PARTI OUVRIER ALLEMAND 1 1 . « Le travail est l a source de toute richesse et de toute culture , et comme le travail productif n'est possible que dans la société et par la société, son produit app artient intégralement , par droit égal, à tou s les membres de la société. »

Première partie du paragraphe : « Le travail est la source de toute richesse et de toute culture. » Le travail n'est pas la source de toute richesse . La nature est tout autant la source de s val eurs d'usage (qui sont bien, tout de même, la r1 i chesse réelle !) que l e travail, qui n'est lui­ même que 1 l ' expression d'une force naturelle, la force de tra­ vail de l'homme. Cette phrase rebattue se trouve dans tous les abécédaire s, e t elle n'est vraie qu'à conditions d'entendre que l.,e tra vail se fait en intégran t tous les objets et procé dés qui (5 ' y rapportent. Mais u n programme sociali ste ne saurait per­ mettre à cette phras éologie bourgeoise de passer sous silence les conditions qui , seules, peuvent lui donner un sens. Et ce n'est qu' autant que l'homme, dès l'abord, agit en propriétaire à l' égard de la nature, cette source première de tous les moyens e t maté riaux de travail, ce n'est que s'il la traite comme un objet lui appartenant que son travail devient la source des va­ \ leurs d'usage , partant de la richesse. Les bourgeois ont d' ex­ cellentes raisons pour attribuer au travail cette surnaturelle puissance d� créatio n : car, du fait que le travail est dans la dé­ pendance de la nature, il s'ensuit que l' homme qui ne possède rien d' autre que sa force de travail sera forcément, en tout état de société et de oivii lis1ait ion, l' esclave d' autres hommes qui se s eront érigé s en détenteurs des conditions obj ectives du tra­ vail. Il ne peu t travailler , et vivre par conséquent, qu' avec la permission de ces derniers .

CRITIQUE DU P ROGRAMME DE GOTHA

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Mai s laissons l a proposition telle qu'elle, ou plutôt s i b oi­ teuse qu'ell e soit . Quelle conclusion en devrait-on attendre ? Evidemment celle-ci : �< Puisque le trava il est la source de toute richesse, nul dans la société ne peut s'approprier des richesses qui ne soient un produit du travai11. Si donc que: l qu 'un ne travaille pas lui-même, il vit du travail d' autrui et, même sa culture , il la tire du tra­ vail d'autrui. � Au lieu de cela, à la première proposition, on en aj oute une seconde par le moyen du mot-cheVïille : « et comme », pour tirer de la seconde, et non de l'autre , la conséquence finale. Deuxième partie du paragraphe : 1 « Le travail productif n' est possible que dans la société et par la société. » D'après la premiè re proposition, l e travail était la source de toute richesse et de toute culture, donc pas de société poss ible sans travail. Et voilà que n ous apprenons au contraire que le travai l « producti f » n'est pas possible sans société. O n aurait pu dire, tout auss i b ien, que c'est seulement dans socié la té que le travai l inutile , et même socialement nuisible, peut devenir une branche d' industrie, que c'est seulement dans la société qu 'on peut vivre de l'oisiveté , etc. , etc. - bref reco­ pier tout Rousseau. Et qu' e st-ce qu'u n travail 1« productif » ? Ce ne peut être que le travail qui produit l ' effet utile qu'on se propose. Un sau­ vage, - et l'homme est un sauvage après avoir cessé d'être un singe , - qui abat une bête d'un coup de pierre, qui récolte des fruits , etc., accompl it un travail K< productif ». Tro isièmement., Conclusion : 1 « Et comme l e travail produc­ tif n'est possible que dans la société et par la société, son pro­ duit appartient intégralement, pair droit égal, à tous les membres de la société. » '--" Belle conclusion ! Si l e travail productif n' est possible que dans la société et par la société, s on produit appartient à la so­ ciété , - et, au travaille ur individuel, il ne revient rien de plus qu e ce qu i n'es t pas indispensable au maintien de la société, « condition » même du travail. E n fai t, cett e propositi on a touj ours é té défendue par les cham pions de l'ordre social existant, à chaque époque. En pre- � mier viennent le' s prétentions du gouvernement, avec tout ce qu i s'ensui t, car le gouverneme nt est l'organe de la société

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charg é du maintien de l' ordre social; puis viennent les pré ten­ ti ons des diverses sortes de propriété privée , qui, toutes, sont le fondemen t de la société, etc. On le voit, ces phrases creuses peuvent être tournée s et retournée s dans le sens qu' on vëut. Il n'y a de lien logique entre la première et la seconde partie du paragraphe que si l'on adopte la rédaction suivante : /- «Le trava il n'est la source de la richesse et de la culture qu e s'il es t un travail social » , ou, ce qui revier;t au même : «qu e s'il s' accompli t dans la société et par elle ». l...-- Thèse incontestablement exacte , car le travail isolé (en sup­ posan t réalisée s ses condition s matérielles) , s'il peut créer des valeur s d'usag e, ne peut créer ni richesse, ni culture . Autre thèse non moins incontestable : « Dans la mesure où le travail évolue en travail social et devient ainsi source de riche sse et de culture, se développent, chez le travailleur, la pauvreté et l'abandon, chez le non-tra­ ' vailleur, la richesse et la culture. » Telle est la loi de toute l'histoire jusqu'à ce j our. Au lieu de faire des phrases générales sur le «travail » et la « société », il fallait donc indiqu er ici ave c précision comment, dans la so­ ciété capitaliste actuelle , sont finalement créées les conditions matérielle s et autres qui habilitent et obligent le travailleur à bris er cette malédiction sociale . Mai s , en fait, tout ce paragraphe, aussi bien raté au point de vue de la forme que du fond, n'est là que pour qu'on puisse ins­ crire sur le drapeau du Parti, tout en haut, comme mot d'or­ dre, la formule lassallienne du