Morphologie de la haute administration française, II: Le système administratif [Reprint 2019 ed.]
 9783111413877, 9783111049878

Table of contents :
SOMMAIRE
INTRODUCTION
I. FONCTIONS ET ÉQUILIBRE DES ORGANISATIONS
II. SITUATION DE MONOPOLE ET MONOPOLES INTERNES
III. LE CONTRÔLE INFORMEL
IV. ATTITUDES ET COMPORTEMENTS
CONCLUSION
APPENDICES
ANNEXES

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LE SYSTÈME ADMINISTRATIF

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES — SORBONNE V P S E C T I O N : S C I E N C E S É C O N O M I Q U E S ET S O C I A L E S Cahiers du Centre de Sociolo gie Européenne. IX

MORPHOLO GIE DE LA HA UTE

ADMINISTRATION FRANÇAISE

2. LE SYSTÈME ADMINISTRATIF ALAIN D A R B E L DOMINIQUE SCHNAPPER

PARIS

MOUTON - MCMLXXII LA H A Y E

Les travaux qui ont permis cette étude ont été réalisés entre 1967 et 1971, grâce à un programme de recherches sur Vadministration française organisé par la Maison des Sciences de VHomme.

© 1972, Mouton & Co and École Pratique des Hautes Printed in France

Études

A la mémoire de Raymond

Martinet

SOMMAIRE INTRODUCTION

11

I.

17

Fonctions et équilibre des organisations 1. 1. 1. 1. 1. 1.

1. 2. 3. 4. 5.

Intégration des comportements et régulation fonctionnelle dans le modèle de Homans-Simon Unité des comportements Agrégation et régulation Stabilité de l'organisation Moral interne et division du travail Légitimité et stabilité

2. Interaction de groupes homogènes 2. 1. Résultats généraux 2. 2. Morphologie et comportement : quelques types L'organisation comme lieu d'échanges et de transformation : une généralisation 3. 1. Homothétie et spécificités internes 3. 2. « L'action pédagogique » de l'organisation 3. 3. Comment une organisation fonctionne-t-elle au coût minimum q u a n d elle est composée de groupes homogènes ?

20 20 22 23 25 26 28 35 38

3.

II.

Situation de monopole et monopoles internes 1. 1. 1. 1. 2. 1. 3. 2. 2. 1. 2.2.

La permanence de la demande La situation de monopole : l'éternité administrative La demande de stabilité : réformes et permanence Tendances monopolistiques internes Les modifications de la demande L'accroissement de la taille Les effets de l'accroissement de la taille et les contrôles formels

39 40 46

47 57 59 60 62 67 80 81 87

10

III.

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

Le contrôle informel 1.

Le contrôle du recrutement

1. 1. L'intériorisation préalable des normes 1. 2. Homogénéité objective et rivalités internes 2.

IV.

Le contrôle des comportements

95 98 98 112 117

2. 1. Les tendances à l'institution totale

118

2. 2. L'irrégularité administrative

123

2. 3. L'idéologie de la haute administration

129

Attitudes et comportements

137

1.

141

Les variables et leur logique

1. 1. Origine sociale (OS)

143

1. 2. Passage par une grande école et appartenance à un grand corps (GE-GC)

143

1. 3. Appartenance à un ministère et à une direction ( M )

146

2.

148

Distance au rôle et comportements quotidiens

CONCLUSION

165

APPENDICES

169

Appendice I : Les sources de l'histoire quantitative de l'administration française

170

Appendice I I : Bibliographie historique sur la condition du fonctionnaire (1870-1914)

174

ANNEXES

177

Annexe

I : Tableaux statistiques historiques

179

Annexe I I : Tableaux statistiques : enquête sur la haute administration

195

Annexe I I I : Plan de sondage

245

INTRODUCTION

S'il importait dans une première étape de la recherche de rompre avec le fait administratif global, en étudiant les agents du système administratif comme s'ils formaient une population autonome, il ne suffit pas d'analyser les caractéristiques socio-culturelles de ses agents, pour comprendre le fonctionnement de ce système. Ce serait oublier que tout système ajoute ou surajoute une force propre, réelle ou symbolique, à celle des éléments qui le constituent, ce serait oublier que tout système se définit par les rapports, réels et objectifs, qu'il entretient avec les autres sous-systèmes de la société globale; le système administratif se définit, en particulier, par ses rapports avec le système politique qui lui confère sa légitimité et son monopole. Nombre de traits qui paraissent à beaucoup d'observateurs caractéristiques de la haute administration se comprennent par les caractères de la demande que la société globale adresse au système administratif, par la situation monopolistique dans laquelle il se trouve, par l'interprétation spécifique qu'il donne des valeurs reconnues par l'ensemble social. Dans la mesure où, comme nous le verrons, il existe un lien entre la situation monopolistique de l'administration dans l'ensemble social et certaines des caractéristiques de son fonctionnement interne, il est nécessaire, pour comprendre le système administratif, de le replacer dans l'ensemble de la société qui lui attribue ses fonctions spécifiques. Il ne faudrait pas en conclure que l'étude des agents ne présente qu'un intérêt académique. Elle a permis, rappelons-le, une analyse rigoureuse du système de valeurs implicites des hauts fonctionnaires : prix accordé à la sécurité, accentuation des valeurs familiales, affinité avec l'éthique héritée de la tradition catholique; elle a fait apparaître le système administratif comme un lieu privilégié de promotion interne

12

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

et indiqué selon quelle logique les fonctions et les rôles sont distribués parmi les divers groupes de fonctionnaires. S'il existe une relation entre les caractéristiques internes d'une organisation et celles de la demande qui lui est faite p a r la société, on conçoit que les fins du fonctionnement d'une organisation sont d ' a u t a n t plus spécifiques que celle-ci tend à se constituer en société totale, pour reprendre l'expression de G-offmann, en accentuant t o u t ce qui la sépare du reste de la société et en renforçant les caractères propres a u x agents qui la composent. Le système administratif qui accorde a u x notions d'intérêt général ou de service public un rôle m a j e u r — quel que soit par ailleurs le contenu exact de ces notions — tend à maintenir et à renforcer les caractères particuliers de ses agents, en sorte que, de ce point de vue, l'homogénéité des agents constitue une mesure de l'efficacité de l'organisation. Exigeant de ses agents une certaine conformité de comportements, toute organisation comporte une p a r t de « violence symbolique » et elle a intérêt à obtenir cette conformité p a r des moyens indirects. Plus l'agent oubliera l'effet de « violence » ou, en d'autres termes, mieux il aura intériorisé les normes qu'implique la participation à l'organisation, mieux celle-ci sera à même de réaliser ses fins Les caractéristiques d'une organisation sont largement fonction de la demande que lui fait la société globale et, en particulier, sa taille. Mais la modification de la taille entraîne à son t o u r des effets propres sur l'organisation. Dans un système centralisé, t o u t accroissement de taille transforme le réseau formel et informel de l'information à l'intérieur de l'organisation et par conséquent la structure même de cette organisation. Les délais de transmission entre les divers éléments de l'organisation étant allongés, on trouve là une des sources du développement du formalisme administratif, c'est-à-dire de la substitution de règles universelles, de plus en plus détaillées, à des méthodes pragmatiques. E n t r a î n a n t une stratification horizontale plus poussée, l'accroissement de la taille peut aussi conduire à des distensions logiques ou psychologiques et faire apparaître des problèmes nouveaux : les situations anormales ou exceptionnelles apparaissent plus aisément dans les organisations de grande taille, car le niveau d'occurrence de ces situations est une fonction croissante de la taille. Mais l'accroissement de la taille n ' a d'effet désintégrateur que sur les organisations faiblement structurées. Dans la h a u t e fonction publique, où il existe u n système de normes fortement affirmées,

1. Au sens où P . B O U R D I E U et J . - C . P A S S E R O N l'utilisent : « Toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique en tant qu'imposition, par un pouvoir arbitraire, d'un arbitraire culturel » (La reproduction, Paris, Éd. de Minuit, 1970. p. 19).

INTRODUCTION

13

comme le suggérait déjà l'étude objective de la population, où le recrut e m e n t des agents est contrôlé p a r l'intermédiaire du système des grandes écoles et des autres concours externes et internes, l'accroissement de la taille a plutôt eu pour effet d'accroître la prévisibilité de l'action globale et l'intégration du système administratif. Le développement de la taille n'est pas la seule caractéristique d'une organisation qui dépende de la demande que lui adresse la société globale. Selon que le b u t d'une organisation est de faire face à des changements rapides ou d'assurer la stabilité de son activité, la structure de l'organisation et le niveau de son activité varient. Autrement dit, l'esprit de compétition et de concurrence à l'intérieur de l'organisation est en affinité avec une organisation placée en situation concurrentielle, où la stratification est plus souple et laisse une place plus grande a u x « mérites » personnels. Au contraire, dans une organisation placée en situation de monopole, la stratification risque d'être beaucoup plus rigide et les contrôles a priori sont susceptibles de se multiplier. F a u t e de comprendre cette affinité, on s'étonnera, comme nous le disait R a y m o n d Martinet, de ce que les fonctionnaires français critiquent les modes de contrôle actuels mais refusent, en fait, de les voir transformés. Dans la haute administration française, les chapelles, les castes qui se partagent le territoire administratif ont souvent été dénoncées par les observateurs comme a u t a n t de causes de rigidité dans le fonctionnement des administrations publiques. La multiplicité des corps, des ministères ou des bureaux, veillant sur l'intégrité de leurs prérogatives et de leurs attributions par toutes les « techniques » administratives, luttes d'influence, rétention de l'information, dilution des responsabilités, met en évidence l'existence de monopoles internes, larges ou restreints, dont la puissance est inégale mais qui sont également attachés à leurs positions. Toute technique limitant les manifestations de la situation monopolistique, comme l'instauration de « dialogue » sincère, ne pourrait être efficace que si ces manifestations étaient les causes ultimes des dysfonctions administratives, au lieu d'en être à la fois l'instrument et l'expression. Or la situation monopolistique des administrations publiques tient à la n a t u r e même de l ' É t a t : l'administration, instrument de l ' É t a t détenant le monopole de la légitimité, garde, en t o u t état de cause, le monopole de la force légale à l'intérieur et à l'extérieur du pays et le monopole de la politique étrangère; elle a aussi, d é f a i t , le monopole des interventions dans les problèmes économiques ou sociaux que les mécanismes proprement économiques n'arrivent pas à résoudre de façon acceptable, puisque le champ d'activité de l ' É t a t dans l'ordre économique pourrait se définir de façon négative comme l'ensemble des activités d'intervention, d'arbitrage et de régulation qui ne résult e n t pas du jeu spontané des mécanismes économiques. É t a n t donné sa

14

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

situation monopolistique, l'administration dispose d'une certaine latitude pour infléchir la demande et fixer le niveau de son activité, en fonction de l'interprétation qu'elle donne elle-même de cette demande. Cette latitude est inégale selon les ministères mais chacun d'eux cherche avant tout à conserver son domaine d'action. Étant donné que la fonction essentielle de l'administration consiste à assurer le maintien et la continuité de l'ordre existant, un partage interne du monopole, en dépit des tensions qu'il suppose, est en affinité avec cette fonction stabilisatrice. L'équilibre entre les différents monopoles est à l'image de la fonction conférée à la haute administration par l'ensemble social. On déplore que la haute fonction publique ne conserve pas d'archives, que de nombreuses étapes des décisions administratives ne laissent pas de traces 1 , ou prennent des formes enveloppées qui dissimulent la réalité : combien de rejets pour vice de forme masquent des oppositions de fond? Combien de fois la rigueur du ministère des Finances a-t-elle été invoquée, sans même que la rue de Rivoli ait été consultée? S'il est difficile, voire impossible de localiser avec certitude l'ultime décideur, c'est que tout se passe comme si les processus administratifs tendaient à rendre aussi imperceptible que possible la responsabilité des individus. L'existence d'écrans protecteurs ne renseigne pas sur l'existence de pouvoirs administratifs individualisés, puisqu'ils peuvent aussi bien protéger des décideurs réels que contribuer à voiler leur absence de pouvoir réel, c'est-à-dire ne servir qu'à leur conférer un pouvoir symbolique. Il existe entre l'administration et le pouvoir politique qui lui confère sa légitimité non seulement des relations structurelles mais des relations réelles — sujet sur lesquel, étant donné les méthodes actuelles ou, peut-être, les méthodes possibles de l'investigation sociologique, on ne trouve guère d'éléments scientifiques : l'analyse des opinions que se font sur le pouvoir les hauts fonctionnaires ne constitue pas une analyse de ce pouvoir. Mais parce qu'il est difficile ou impossible à analyser, on ne doit pas conclure que le pouvoir administratif n'existe pas. Il fait partie de l'essence du pouvoir de chercher à se dissimuler et à dissimuler aux autres les fondements et les moyens de son action. Non seulement la haute administration, dans la mesure où elle participe du et au pouvoir politique, n'échappe pas à cette règle mais, étant donné sa situation médiate dans l'organisation du pouvoir social et politique et les divisions horizontales et verticales entre lesquelles elle se partage, le camouflage est comme redoublé. 1. C'est pourquoi le type d'archives déposées par l'administration n'est pas utilisable pour une enquête comme la nôtre. Nous avons dû procéder à une lecture attentive des sources publiées pour retrouver trace des mécanismes propres à la Fonction publique dont la signification apparaît, au-delà de leur aspect anecdotique, lorsqu'on prend pour objet les nécessités organisationnelles du fonctionnement administratif.

INTRODUCTION

15

Dès lors, la bureaucratie, qui n'accorde à ses agents et a forùoti aux observateurs extérieurs que des perceptions partielles de son fonctionnement, offre ainsi un avantage décisif dans la perpétuation du pouvoir social qui, comme tout pouvoir, tend à faire oublier son origine et à s'affirmer comme éternel 1 .

1. L'abondante littérature consacrée au cours des dernières années à la haute administration par les juristes ou les hauts fonctionnaires eux-mêmes souffre, comme l'a fait remarquer E. SULEIMAN, de se refuser à une analyse proprement scientifique du fonctionnement administratif, parce qu'elle suppose, explicitement ou implicitement, que la haute administration française, par nature, ne peut rester qu'impénétrable (« The French Bureaucracy and its Students », World Politics, oct. 1970, p. 121-170). On peut certes lier l'absence d'intention scientifique à la formation des chercheurs et à la formulation de leurs objectifs, mais sans doute cette attitude tient-elle plus profondément à ce que la haute administration, par sa proximité d'avec le pouvoir politique, participe peu ou prou au caractère sacré du pouvoir. Ainsi, écrivent R . CATHERINE et G. THUILLIER, pour la « partie de l'administration vouée à l'exercice des prérogatives de l'autorité publique, toute connaissance proprement scientifique et toute véritable méthodologie de l'action sont-elles réduites par la nature des choses» (Introduction à une philosophie de l'administration, Paris, A. Colin, 1969, p. 13). Ainsi, affirme Louis BOULET : « Il faut se convaincre en effet que l'étude du fait et du phénomène administratifs ne peut être faite, de l'extérieur, par un observateur objectif» ( « L a méthode en science administrative», in Traité de science administrative, Paris — La Haye, Mouton, 1966, p. 133).

I FONCTIONS ET ÉQUILIBRE DES ORGANISATIONS

Sensibles aux caractères spécifiques de l'administration française à laquelle, depuis A. de Tocqueville, sont attribués alternativement les bienfaits de la stabilité au milieu des bouleversements politiques et les méfaits de la résistance à l'innovation, les sociologues ont peu t e n t é d'appliquer au fonctionnement de l'administration française les analyses formelles qui cherchent à rendre compte du fonctionnement des organisations. Traiter les administrations centrales comme des organisations quelconques n'implique pas qu'elles soient des organisations quelconques, pas plus que « traiter les faits sociaux comme des choses » n'implique que les faits sociaux soient des choses. Mais quels que soient les caractères propres de la h a u t e fonction publique, et en particulier ceux qu'elle tient de ses rapports, réels et objectifs, avec le pouvoir politique, il peut être f r u c t u e u x d'analyser la h a u t e fonction publique comme une organisation non spécifiée en a d o p t a n t u n «point de v u e » partiel qui sera éventuellement justifié p a r les résult a t s qu'il permet d'obtenir. Nous présenterons donc, en premier lieu, une analyse formelle des conditions de l'équilibre et du fonctionnement d ' u n e organisation a v a n t de montrer comment cette analyse permet de comprendre certains aspects du fonctionnement de la h a u t e administration française. *

Une organisation peut être regardée comme le lieu géométrique d'une séquence d'actions ou d'interactions d'agents qui, explicitement ou implicitement, librement ou non, partagent une certaine communauté d'objectifs et /ou d'intérêts. Ces actions sont plus ou moins différenciées, stratifiées ou ordonnées; elles sont plus ou moins intégrées ou subordonnées à une pression extérieure qui constitue la raison sociale de l'organisation; elles sont également tributaires de pressions internes, t e n a n t à l'histoire des agents qui la composent, a u x traditions établies ou au style des relations, formellement ou informellement entretenues. L'influence de la taille sur le comportement des agents, sur leur degré d'adhésion a u x fins de l'institution, sur le degré de stratification interne, sur le formalisme des relations suggère qu'on puisse légitimement considérer une organisation comme

20

LE

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

une congruence d'interactions : interaction entre les acteurs euxmêmes, et interdépendance entre les différentes dimensions de l'action de chacun des auteurs. Les développements qui suivent prennent pour point de départ un modèle dû à Herbert A . Simon, et tentent de l'étendre successivement à des domaines d'application plus larges.

1. I N T É G R A T I O N DES COMPORTEMENTS ET R É G U L A T I O N F O N C T I O N N E L L E DANS

LE M O D È L E

DE

HOMANS-SIMON

Dans un article relativement ancien, Herbert A . Simon a montré que l'équilibre auquel parvient une organisation n'est ni nécessairement acceptable ni nécessairement stable et, par conséquent, que l'existence d'une organisation n'est pas nécessairement assurée Le modèle de Simon se veut pour l'essentiel la traduction de propositions contenues dans le livre de Homans, The Human Group2. Il conduit à une formulation mathématique simple; mais il procède, nous semble-t-il, de principes beaucoup plus généraux que ne le suggère l'axiomatique, parfois un peu simpliste, sur laquelle il se fonde explicitement 3. Nous voudrions présenter ici une interprétation du modèle d'Herbert Simon avant d'en proposer un prolongement. Celui-ci fait intervenir quatre variables : I : l'intensité de l'interaction parmi les membres du groupe (interaction) ; F: le niveau d'attraction mutuelle des agents (friendliness); A : la quantité d'activité exercée par les agents; E : la quantité d'activité demandée à l'organisation par l'extérieur. 1. 1. Unité des comportements Chacune des variables est définie en fonction du temps t, à l'exception — et ce point se révélera essentiel —• de la dernière. Plus précisément, l'interaction I est la moyenne des interactions individuelles par unité de temps; cette interaction peut être quantitative (quantité d'informations échangées) ou qualitative (valeur réelle ou symbolique des messages échangés entre les agents). De même 1. H . A . SIMON,« A Formai Theory of Interaction in Social Groups», American Sociological Review, X V I I , 1952, p. 202-211. 2. G. HOMANS, The Human Group, N e w York, Harper, 1950. 3. R . BOUDON, dans son Analyse mathématique des faits sociaux, fournit un exposé très complet de cette axiomatique. Il s'attache surtout à la deuxième partie de l'article cité, c'est-à-dire à l'exposé général du modèle, qui abandonne apparemment les hypothèses de linéarité mises en jeu dans la première partie pour leur substituer des hypothèses, il est vrai plus larges sur la « convexité » des fonctions qui interviennent effectivement (Analyse mathématique des faits sociaux, Paris, Pion, 1967, p. 333-339).

INTÉGRATION

ET RÉGULATION

FONCTIONNELLE

21

l'activité A exercée par les agents est la quantité moyenne de travail, d'effort ou d'attention dépensée par unité de temps. Le niveau d'attraction mutuelle F est plus difficile à définir. Simon le définit comme l'attraction moyenne entre chaque couple d'agents (average friendliness between pairs of members) ; on pourrait le définir comme la satisfaction éprouvée par un agent à entretenir des relations, professionnelles ou non, avec tel autre de ses collègues : cette variable serait ainsi proche de la « satisfaction » des économistes, qui est fonction du niveau d'échange. Un indicateur de ce niveau d'attraction pourrait être l'intensité des relations non directement dictées par les nécessités professionnelles. A partir de ces variables, Simon énonce d'abord que l'intensité de l'interaction est une fonction croissante du niveau d'attraction mutuelle et réciproquement. Il montre ensuite que la quantité d'activité est une fonction croissante du niveau d'interaction et du niveau d'attraction mutuelle. L'existence de ces relations autorise Simon à formuler explicitement le postulat de l'unité du comportement des agents. Cette proposition traduit, par exemple, l'observation très fréquente selon laquelle un sujet ayant des activités professionnelles multiples déploie souvent une grande activité dans chacune d'elles, sans que la multiplicité soit un obstacle, alors qu'un sujet ayant des responsabilités professionnelles limitées tend au contraire à réduire encore l'effort qu'elles lui demandent. Mais, plus encore, elle exprime le fait d'expérience qu'il existe une étroite affinité entre le degré de cohésion de la vie familiale et le degré de réussite professionnelle d'un sujet. Ce n'est certainement pas un hasard si, à catégorie socioprofessionnelle, âge et charge de famille par ailleurs « constants », les rémunérations salariales directes des hommes mariés sont supérieures à celles des hommes veufs ou divorcés, si, toutes choses égales par ailleurs, les salaires croissent avec le nombre d'enfants à charge, tout se passant en dernière analyse comme si les valeurs familiales étaient, implicitement au moins, regardées comme des valeurs organisationnelles positives 1 . Le modèle de Simon ne dit rien sur les conditions par lesquelles cette unité est obtenue, maintenue et perpétuée, conditions qui permettent aux sujets de partager durablement une certaine communauté d'existence. On peut penser, en songeant à l'analyse des sociétés totales faite par Erwin Goffmann, qu'elles dépendent du type de l'organisation, des fins que les organisations poursuivent et des moyens légaux ou institutionnels dont elles disposent. Le modèle de Simon

1. M. BLANCHEMANCHE, « Les salaires dans l'industrie, le commerce et les services en 1 9 6 6 » , Études et Conjoncture, juillet 1968, p. 43.

LE SYSTÈME

22

ADMINISTRATIF

suggère que la p l u p a r t des organisations d e v r a i e n t ê t r e classées, en t e n a n t c o m p t e d u c o n t e x t e général, s u i v a n t la valeur de la dérivée partielle 81 8F 81 D a n s les organisations concurrentielles, est vraisemblablem e n t très faible, les effets d ' u n accroissement d u degré d ' a t t r a c t i o n mutuelle des agents é t a n t freinés p a r les divergences d ' i n t é r ê t s individuels; d a n s les organisations en s i t u a t i o n monopolistique, est plus élevé, les intérêts individuels é t a n t organisés, comme on le v e r r a plus loin, de manière à ne pas être en concurrence t r o p vive; c e p e n d a n t 31 la relation e n t r e le t y p e d'organisation et la valeur de

n'est pas

biunivoque. Le système d'équations différentielles linéaires du premier ordre de Simon s'écrit : I(t) = ^ F(t) + a 2 A(t)

(1.1)

^

(1.2)

= b[I(t) -

p F(t)]

= q [F(t) -

y Ait)} + ca [E0 -

A(t)]

(1.3)

Les coefficients a15 a2, b, [3, c 1; c2 et y étant positifs, les positions d'équilibre 7 0 , F 0 , A0 sont fourmes par le système : I0 = a1F0 + azA0 O=6(I0-pF0)

(1.4) (1.5)

O = CJ(F0 — yA0)

+ C2[E0 — A0]

(1.6)

D'où C

J

F

°

2 (P — "l)

=

c ^ p - ^ + c A y ^ - ^ - o , ]

= 1. 2. Agrégation

p

E

°

(A

^ (1.9)

et

régulation

Le raisonnement en termes de « m o y e n n e » constitue u n e simplification évidente et laisse de côté le problème de l'agrégation de données individuelles (interaction ou a t t r a c t i o n ) a u n i v e a u de l'organisation globale; simplification t o u j o u r s dénoncée dans la l i t t é r a t u r e écono-

INTÉGRATION

ET RÉGULATION

FONCTIONNELLE

23

mique sur la théorie des choix mais non moins a b o n d a m m e n t utilisée dans la pratique. Mais, dans ce cas, la moyenne n'aurait-elle pas une signification propre ? Ne suggère-t-elle pas que le comportement effectif des agents à l'intérieur d'une organisation dépend moins des aléas d'une somme de comportements présumés indépendants que du « c l i m a t » qui y règne, tel qu'il est intériorisé p a r les sujets : « c l i m a t » dont il paraît raisonnable d ' a d m e t t r e qu'il est fonction de la distribution statistique des comportements individuels, et en particulier de la « moyenne » de ces comportements ? E n agrégeant une multiplicité de comportements individuels en un comportement unique, « macro-sociologique », on ne prétend nullement avoir défini, comme le font les économistes lorsqu'ils parlent « d'utilité collective » ou de « satisfaction collective », u n niveau d'« attraction collective » ou d ' « interaction collective » qui soit la somme des niveaux individuels, supposés indépendants les uns des autres, mais avoir introduit une variable qui implique u n minimum de cohésion à l'intérieur de l'organisation. E n revanche, les moyennes ne sont vraisemblablement pas des fonctions simples; il n ' y a aucune raison pour que l'idée que les gens se font des choses coïncide systématiquement avec la réalité, ou, en d'autres termes, que moyenne subjective et moyenne réelle (ou objective) s'ajustent en toute circonstance. Raisonner en moyenne revient en quelque sorte à supposer l'existence d ' u n e norme de l'activité et des relations à l'intérieur d ' u n groupe, qui est elle-même une résultante d'actions antérieurement constatées. On retrouve ainsi les faits bien connus de la sociologie industrielle depuis l'expérience de la Western Electric, où il s'est avéré que le niveau de la production dépendait moins de la demande externe que des normes internes du groupe. Simon d'ailleurs postule l'existence d'une norme lorsqu'il montre que l'accroissement d'activité des agents dépend de l'écart entre l'activité instantanée et la demande externe, soit SA = /[— A(t) +

E(t)]

dans un modèle linéaire SA est proportionnel à - A ( t ) +

E(t)

Cet écart suppose la non-coïncidence entre la demande et la norme interne et, p a r conséquent, l'existence d ' u n système de contraintes et de sanctions, dont l'efficacité sera exprimée par la valeur de la dérivée partielle 8A d(A — 1. 3. Stabilité

de

E)

l'organisation

Le modèle de Simon est ainsi fondé sur deux idées majeures : l'unité de comportement des agents, l'existence directe ou indirecte,

24

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

consciente ou inconsciente, d'une norme de l'activité de l'organisation et des relations interpersonnelles à l'intérieur de cette organisation. Il les traduit dans un système d'équations différentielles linéaires du premier ordre, méthode qui permet une discussion aussi complète que possible. Le problème qui se pose est celui de l'existence de l'équilibre et en particulier de la stabilité de l'organisation. On peut définir la stabilité à partir de la mécanique rationnelle. Un mobile soumis à un champ de force et placé en position d'équilibre est dit stable, si, après avoir subi une perturbation passagère, il revient à son point d'équilibre, au lieu de tendre à en trouver un autre ou à n'en trouver aucun. On dit d'ailleurs qu'une population est stable, lorsque, accidentellement décimée, elle a tendance à revenir à sa structure antérieure. On conçoit par analogie que la stabilité d'une organisation suppose que les variables qui la définissent ne prennent pas n'importe quelles valeurs. Si, par exemple, le niveau d'attraction mutuelle des agents prend une valeur trop faible, et conduit, selon l'expression de Simon, à une « morale négative », la vie risque d'être intenable au point peut-être de conduire à une désagrégation interne. De même, si le niveau d'activité est trop élevé, ou au contraire trop faible, des situations inacceptables risquent de s'ensuivre. On peut s'attendre à rencontrer une série de manifestations anomiques plus ou moins aiguës : accroissement du taux de laxisme, absentéisme, laisser aller, diminution de la durée d'activité des agents ou bien, au contraire, des phénomènes opposés de « fanatisme » interne, d'identification absolue des sujets à la tâche qui leur est confiée, en quelque sorte de « surintégration ». Dans les cas d'équilibre difficile à atteindre ou d'équilibre instable, on peut attendre une adaptation secondaire, au sens d'Erwin Goffmann 1 . L'organisation s'établira, parallèlement à son existence officielle et affichée, dans une existence secondaire et cachée, les agents n'accordant plus qu'une part restreinte de leur temps à leur activité officielle et réservant l'essentiel à des activités extra- ou para-institutionnelles. La stabilité dépend des valeurs prises par les racines de l'équation caractéristique associée au système 1 : — b (p — Oi) — X c

i

ba2

— ( c iY + c 2 ) —

x

= 0

(1.10)

1. « L'adaptation secondaire (secundary adjustment) qui caractérise toute disposition habituelle permettant à l'individu d'utiliser des moyens défendus, ou de parvenir à des fins illicites (ou les deux à la fois) et de tourner ainsi les prétentions de l'organisation relatives à ce qu'il devrait faire ou recevoir, et partant à ce qu'il devrait être... Par exemple on affirme couramment en Amérique que l'on doit accorder aux prisonniers l'accès à une bibliothèque... Cependant si on leur donne ce droit, il est facile de penser... que, souvent, ce n'est pas pour s'enrichir l'esprit que les prisonniers commandent des livres, mais pour impressionner favorablement la commission des libérations sur parole, ou pour ennuyer le bibliothécaire, ou tout simplement pour recevoir un paquet » (E. G O F F M A N N , Asiles, Paris, Éd. de Minuit, 1968, p. 245-246).

INTÉGRATION

ET RÉGULATION

FONCTIONNELLE

25

soit X +'Sci y + + b 0 — %)]X + b [(P — 0), les « climats » y étant pratiquement opposés. L'activité moyenne A t peut être regardée comme la résultante de quatre facteurs : a. p Ft : Elle dépend du niveau moyen d'attraction exercée par les autres groupes, p ayant à nouveau le sens d'un coefficient d'équivalence; comme a, il est supposé indépendant des groupes. Remarquons que, si les transformations At -»- jFj ou A t étaient parfaitement réversibles, il serait également possible d'écrire a . p = l . En fait la transformation suppose une certaine perte, en sorte que a. p < 1 . La valeur du produit a¡3 peut être regardée comme un indicateur du

32

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

degré d ' i n t é g r a t i o n « m é c a n i q u e » des agents à leur organisation, a u sens où D u r k h e i m emploie ce concept. T o u t e s choses égales d'ailleurs, a(3 est analogue au carré d ' u n coefficient ou d ' u n r a p p o r t de corrélation; t o u t se passe c o m m e si les activités développées d a n s l'organisation e t en dehors de l'organisation a v a i e n t u n e p a r t i e c o m m u n e , d ' a u t a n t plus élevée q u e a¡3 est lui-même plus élevé. b.

Y(

.E :

L ' a c t i v i t é du g r o u p e i p e u t - ê t r e regardée c o m m e proportionnelle à l ' a c t i v i t é d e m a n d é e E, et c o m m e u n e f o n c t i o n de la position d é t e n u e p a r le g r o u p e d a n s la p r o d u c t i o n de cette activité, symbolisée s c h é m a t i q u e m e n t p a r le coefficient L ' e n s e m b l e des valeurs y i p e u t être regardé c o m m e fonctions d u degré d ' i n t é g r a t i o n organique des agents à leur organisation, quelle q u e soit p a r ailleurs la f a ç o n d o n t celle-ci est obtenue. E n effet, est é q u i v a l e n t à u n coefficient de sensibilité de l ' a c t i v i t é d u groupe à u n e v a r i a t i o n de la d e m a n d e i m p a r t i e à l'ensemble. Les y t ne sont v r a i s e m b l a b l e m e n t p a s i n d é p e n d a n t s des r t j qui, rappelons-le, décrivent essentiellement les m o d a lités internes de r é p a r t i t i o n d u t r a v a i l . Aol figure l ' a c t i v i t é qui existerait en dehors de t o u t e d e m a n d e ou de t o u t e action organisationnelle. Les agents é t a n t prédisposés p a r leurs origines sociales, familiales ou scolaires à faire ce qu'ils f o n t d a n s l'organisation, il est hors de d o u t e q u e la disparition virtuelle de l'organisation n ' e n t r a î n e r a i t p a s la disparition complète de l'ensemble des activités At, mais t o u t au plus leur r a l e n t i s s e m e n t ou leur t r a n s f e r t sur d ' a u t r e s activités parallèles. L'histoire des crises a d m i n i s t r a t i v e s est riche d ' e x e m p l e s de situations où u n e certaine activité s'est t r o u v é e exercée en l'absence de t o u t e d e m a n d e extérieure; il est hors de d o u t e également q u e bien des a d m i n i s t r a t e u r s se créent d u t r a v a i l , s u b s t i t u a n t leur p r o p r e d e m a n d e à celle qu'ils a t t e n d e n t v a i n e m e n t . Cette valeur est l a r g e m e n t fonction du t y p e de f o r m a t i o n reçue, a v a n t e t après l'utilisation d u s u j e t d a n s l'organisation : a v a n t , de p a r son origine, après, de p a r les h a b i t u d e s q u ' i l y a u r a intériorisées. Ces trois premiers f a c t e u r s t r a d u i s e n t le p o s t u l a t d ' u n i t é d u comport e m e n t mis en j e u p a r Simon. Le q u a t r i è m e t r a d u i t l'existence d ' u n système de régulation et de r a p p e l à la norme. d.ft(E-A) : On p e u t supposer q u e l'activité A t est u n e f o n c t i o n de l ' é c a r t e n t r e l ' a c t i v i t é t o t a l e A et l'activité requise E, ou plus précisément u n e fonction croissante de l ' é c a r t E — A, soit q u e diE^Â)

> °

et

/'W = °

Rien ne p e r m e t de supposer q u e c e t t e f o n c t i o n soit s y m é t r i q u e a u voisinage de E, u n excès d ' a c t i v i t é n ' a y a n t p a s u n e signification é q u i v a l e n t e à u n e insuffisance, l'organisation é t a n t d a v a n t a g e à m ê m e de s u p p o r t e r l ' u n ou l ' a u t r e t y p e d ' e r r e u r . Il est donc raisonnable de poser, d a n s la m e s u r e où la f o n c t i o n ft a d m e t u n d é v e l o p p e m e n t en série de Taylor : fi = 8i(E-A) avec

Sj > 0

+ et

(E

Si

e, = 0

e

A )

'

(2.2)

INTERACTION

DE GROUPES

HOMOGÈNES

33

Une organisation plus sensible à une perte d'activité qu'à un excès sera caractérisée par une valeur positive de s ( ; au contraire, une organisation plus sensible à un excès qu'à une perte sera caractérisée par une valeur négative de e ( . E n résumé, on écrira : Ai = pF; +

r,E

+ A0l

+ f , ( E — A)

soit (2.3)

Nous disposons d ' u n système de n équations : en en multipliant chacun des deux membres par v ( , et en sommant membre à membre, il vient : n

n

n

E

=

1

E

P E V^i + 1

n

E y,V, + E 1

1

V,

Aot n

+ (E—A)

E Si v, +

A)2 "

(e E

1

E «I v, 1

soit encore _

A = p F + Evy + iî 0 v + (E — A)v§ +

(E

A)2

^ - v c

(2.4)

E n prenant les espérances mathématiques, il vient : -¿é = — [1 — j) n'étant équivalent à l'effet symétrique (J -> i) que si a = b. On peut, sans nuire à la généralité, poser b > o, ce qui revient à dire que l'activité induite par le groupe 1 sur le groupe 2, ..., n est supérieure à l'activité induite par chacun de ces groupes sur le groupe 1, ou plus généralement que l'activité induite par tout groupe de rang inférieur sur un groupe de rang supérieur est supérieure à l'activité induite inverse. E n raison

ÉCHANGES

ET

49

TRANSFORMATION

de cette asymétrie, on peut considérer que des groupes se hiérarchisent selon une même échelle (du groupe 1, groupe supérieur, au groupe n, groupe de base). La résolution du système (3.11) se réduit à celle du système 12S>2 =

r

r

21 V l

(

13 3 = 31 l

r

rl

v

r

n% =

v

av

2 =

H

| 02V3 = 6 %

S0it

f a— 1vn

'-„ 1 v 1

=

(3.12) b»- 1^ b

La taille des groupes obéit à une loi géométrique de raison - = k, soit vf = fci'-1) V,

(3.12')

Si a = b, k = 1, les groupes élémentaires sont de taille égale. Par sommation des équations (3.12'), il vient ^ v =

soit

V

k" — 1 i

n = Logk

=

V

^

l

fc^T - +

lj

n = Log, [vfc2 + 1]

(3.13)

Appliqué au cas des organisations centralisées et hiérarchisées, c'est-à-dire à la majorité des organisations bureaucratiques, le modèle conduit à la loi énoncée par Revans, donnant l'expression du nombre de niveaux hiérarchiques dans une organisation de taille donnée, caractérisée par un rapport hiérarchique d o n n é 1 . Plus précisément, le nombre de niveaux hiérarchiques h est proportionnel au logarithme de la taille de l'organisation, mesurée par le nombre de ses agents, soit

h = Logp [v(p — 1) + 1] + Cte P étant un coefficient dépendant du rapport et de l'intensité des communications à l'intérieur de l'organisation. Revans, à notre connaissance, ne donne pas la démonstration de cette proposition. On montrerait que les deux postulats sous-jacents sont, d'une part, celui de la centralisation et de la hiérarchisation, d'autre part, celui de la dépense minimum d'énergie 2 . Une vérification empirique a été fournie par Blau 3 . Ce rapport k — — est défini comme le rapport du coefficient b 1. R. W. REVANS,« Human Relations, Management and S i z e » , in E . H . HUGHJONES (ed.), Human Relations and Modem Management, Amsterdam, North-Holland Publishing Company, 1958, p. 177-219. 2. A. DABBEL et D. SCHNAPPER,« Taille et effet de la taille dans la haute fonction publique » , Sociologie du Travail, IV, 1971, p. 399-415. 3. P. M. BLAU, « A Formai Theory of Différenciation in Organizations » , American Sociological Review, 35, 2, avril 1971, p. 201-218.

LE SYSTÈME

50

ADMINISTRATIF

d'influence d'un groupe sur le groupe auquel il est immédiatement subordonné au coefficient symétrique a qui est lui-même fonction de la demande exercée par l'extérieur sur l'organisation. D a n s une telle organisation, le « niveau d'attraction » mutuelle est constant, ainsi que la tension — ou la pénibilité — supportée par chaque sujet. E n revanche, le niveau d'activité moyen ne l'est pas, celui du ou des groupes médians étant inférieur à celui du groupe dirigeant et à celui du groupe de base. On peut se demander si certaines caractéristiques de comportement individuel ne sont pas essentiellement une fonction de la position occupée par les sujets, dans un type d'organisation donnée, et si en particulier un grand nombre des comportements et des attitudes des catégories moyennes ne s'opposent p a s à la fois à ceux des catégories supérieures et des catégories populaires. Pour déterminer des activités individuelles, nous supposerons, comme précédemment, que l'énergie du système est minimum, compte tenu de la contrainte : n

Iv^, î

= E ;

l'ensemble des At sera alors solution du système de n équations

X étant une constante déterminée par ailleurs, identique à un multiplicateur de Lagrange, soit \ A

+

+ ••• + r i , ^ . = *

(3.14)

ou encore ; A1 + bA,+

. . . b"~ 1An

= X

\aAl

... + » - * A

u

+ A1t +

a"- 1 A + a"~ 2A2

+

=

\

. . . + An = X

Les solutions sont alors de la forme A1 = ¡X (1 -

b)

A2 = A3 = ... A

r i

= n(l -

o) (1 -

b)

(3.15)

An = ¡x(l — o) avec M- = 1, — _ ab , Les coefficients a et 6 doivent être inférieurs à l'unité (faute de quoi toutes les activités ne pourraient avoir le même signe) : 0 < o,6 < 1 (3.16)

ÉCHANGES

ET

51

TRANSFORMATION

Les activités des groupes médians se situent à un niveau inférieur à la fois à celles du groupe dirigeant et du groupe de base. 1

8W

Tj

1

En revanche, les quantités —

, qui sont analogues au rapport de

contrôle directement mis en œuvre dans l'étude directe des effets de taille, sont constantes. Cette quantité est, d'après les équations (2.1) et (3.14), égale à a F t . Le niveau d'attraction mutuelle attaché à chacun des groupes est donc également constant, dans la mesure où la relation d'équivalence entre l'activité induite par un groupe sur un autre fait abstraction de la position relative de chacun d'entre eux. Le résultat peut être regardé comme valable a fortiori puisque le niveau d'attraction mutuelle, tel qu'il a été défini plus haut, ne tient pas compte explicitement de la position relative des groupes. Ce serait sans doute trop attendre de ce modèle que de vouloir voir ici une exploitation de l'attitude qui s'exprime à travers l'attachement au formalisme juridique 1 , mais notre enquête sur la haute administration suggère une confirmation de ce résultat théorique 2 . Enfin, le modèle met en évidence l'existence d'effets contraires dans la croissance des organisations hiérarchisées puisque l'énergie ou l'entropie requises, toutes choses égales d'ailleurs, croît avec le nombre de niveaux hiérarchiques, et décroît avec la taille alors que chacune de ces deux dernières variables croissent simultanément. E n définitive, la prévisibilité sera une fonction décroissante du nombre des segments et une fonction croissante de la taille moyenne de ces segments, la précision étant d'autant plus forte que les segments sont plus grands. Pour exprimer les quantités Wn, on montre que dans tous les cas : (3.17)

Wn = \E

L'expression de W dépend du nombre n de niveaux hiérarchiques de l'organisation. Lorsque n = 1,

E2 = —

(3.18)

Lorsque n = 2, = V*» +

+ 2av2A1A2 —^.

=

[aA\ + bA\ + 2abA1At]

(3.19.1)

1. « ... Parmi les propositions générales sur les classes sociales, il en est qui, s'appliquant à des unités définies exclusivement ou primordialement par leur position différentielle dans une structure sociale, établissent des liaisons régulières entre des positions homologues et entre certaines caractéristiques des unités placées dans ces positions...» (P. BOURDIEU,« Condition de classe et position de classe», Archives européennes de Sociologie, vu, 2, 1966, p. 205). 2. Cf. notre tome I, p. 102.

52

LE

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

D'après (3.15) et (3.17) : r

,

^



^2ab

(3.19.2)

Il s'ensuit que

W2 > Wx\ en effet (a +

6) (1 — ab)

— a J^ IJ

si a

>1

réalisée si 0 < a,b < 1

(3.19.3)

b — 2ab > 0, inégalité qui est toujours

(3.16).

L'énergie d'un système hiérarchisé d'ordre 2 est supérieure à celle d'un système homogène de même taille et de même rendement. Lorsque n = 3 : W3 =

+

+

v3A\

+

2av2A1A2

soit encore W

* =

V

+

t

+

abA

+

+

2a 2v3A1A3

+

2 av3A2A3

(3.20.1)

+

2b 2a 2A1A3

+ 2b 2aA2A3

(3.20.2)

H

b2A

2ba A1A2 î

et d'après (3.15) et (3.17) : E

2

v

( l - a b ) ( a * + ab +

b*)

[a + 6 — abf — ab

On montre que W3 > W2

(i.^O.d) (3.20.4)

On montrerait plus généralement que W

H

> W

n

^ >

...

>W1

(3.21)

c'est-à-dire que l'énergie d'un système hiérarchisé s'accroît avec le nombre de niveaux hiérarchiques qu'il comprend. Les analyses qui précèdent suggèrent que, pour comprendre le fonctionnement d'une organisation, il faut faire simultanément appel à deux systèmes d'interprétation liés ou, pour reprendre le langage de l'analyse factorielle, il faut repérer la « position » de l'organisation par rapport à un système de référence constitué au moins de deux axes : — le premier, et le plus important, est « équivalent » à l'intensité, à la forme, à la position de la demande externe; — le second, et éventuellement les suivants, sont équivalents aux spécificités internes de l'organisation, c'est-à-dire aux valeurs internes qu'elle peut conserver, maintenir ou reproduire à un niveau d'énergie donné, en conservant le plus grand degré d'adaptation possible à la demande externe; cet axe secondaire est partiellement arbitraire : un « déplacement » virtuel de l'organisation parallèlement à cet axe

ÉCHANGES

ET

TRANSFORMATION

53

suppose un niveau d'énergie différent — ou un rendement différent —, mais une égale adaptation de l'organisation à son rendement; il n'est défini qu'à une « rotation » près. Ces axes ne sont en général pas assimilables à une variable unique, simplement identifiable comme la plupart des données empiriques (taille, segmentation, système de distribution des rôles et des tâches, autorité, etc.) mais à un complexe de celles-ci. Par exemple, le système de gratification des agents se « projettera » vraisemblablement avec un impact d'autant plus grand sur l'axe de la demande extérieure, que l'organisation est soumise à une pression plus grande; de même, la taille et le degré de segmentation de l'organisation sont une dimension essentielle de ce premier axe. En revanche, le capital juridique et réglementaire, le système des idéologies internes s'interpréteront vraisemblablement beaucoup plus facilement sur le (ou les) axe(s) secondaires(s). On peut proposer le graphique suivant pour résumer les analyses qui précèdent :

Peut-on admettre que les administrations centrales de l'État constituent une seule organisation, plutôt qu'une série d'organisations hiérarchisées, ayant chacune son centre ? De fait, elles comprennent les divers ministères qui se différencient les uns des autres par leurs attributions, leur histoire et leurs traditions. A l'intérieur de chaque ministère, les directions ou même les services constituent des domaines relativement autonomes, dont la dépendance à l'égard du ministre reste souvent formelle. L'échec des tentatives pour établir un secrétariat général dans tel ou tel ministère montre, entre autres indices, la difficulté de constituer un ministère en une organisation unique. De plus, on ne peut comprendre certains secteurs des administrations

54

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

centrales qu'en tenant compte des relations que les « centrales » entretiennent avec leurs services extérieurs — c'est par exemple le cas du ministère de l'Éducation nationale, ou de certaines directions du ministère des Finances. Malgré tout, il existe une complémentarité des rôles et des attitudes entre les divers groupes de même niveau et de niveau différent, chacun des segments des administrations centrales se définit, structuralement et réellement, en fonction des autres segments. Pour n'en donner qu'un exemple, nous verrons ci-dessous qu'on ne peut comprendre la « politique » de certains corps techniques qu'en relation avec l'existence des corps issus de l'E.N.A. On peut donc admettre que l'ensemble des administrations centrales, malgré la dispersion géographique, la spécificité de l'histoire et des attributions de chaque ministère, la relative hétérogénéité des innombrables corps qui les constituent (par opposition à certains corps de services extérieurs, comme les magistrats, les employés des P.T.T. ou les membres de l'Éducation nationale) répondent, pour l'essentiel, aux principes de fonctionnement très généraux exposés ci-dessus, ce qui fonde le caractère scientifique de l'objet de cette étude. Dès lors, notre modèle permet d'introduire les propositions suivantes : 1. Les administrations centrales de l'État forment quasiment un système, en ce sens que la plupart des actions des unes auront des effets sur l'action des autres, ces effets étant différents en intensité et en rythme, selon qu'il s'agit d'une administration ou d'une autre. Les différents secteurs de ces administrations peuvent donc être considérés comme des sous-systèmes à l'intérieur de l'ensemble du système administratif. 2. Aucune organisation ne peut se comprendre sans référence à la situation qu'elle occupe dans la société globale et à la demande que cette société lui adresse. La haute fonction publique se caractérise par les rapports objectifs réels qu'elle entretient avec le monde politique qui lui confère sa légitimité, par la situation de monopole qu'elle occupe dans la société et par la stabilité et la continuité que celle-ci lui « demande ». 3. Il existe un lien entre la situation de monopole externe où se trouve l'administration et certaines de ses caractéristiques internes, en particulier l'existence de « monopoles » internes. 4. Si l'on admet que l'organisation est formée de groupes homogènes et stables, la prévisibilité de l'action globale est liée aux caractéristiques des individus qui constituent cette organisation et à l'affinité qui existe entre les caractéristiques de ces individus, les nécessités du fonctionnement de l'organisation et la demande que la société adresse à cet organisme. D'où le contrôle qu'exerce l'administration sur le recrutement de ses agents et sur leur comportement, soit par

ÉCHANGES

ET

TRANSFORMATION

55

l'intermédiaire des groupes eux-mêmes — les corps, les bureaux, ou les directions selon les cas —, soit par l'instauration des contrôles formels, les deux moyens variant en sens inverse. 5. Par l'intermédiaire du contrôle que les divers groupes exercent les uns sur les autres et par l'effet même de son fonctionnement, l'organisation exerce sur ses agents une « action pédagogique » telle que ceux-ci finissent par se conformer au rôle que leur attribue l'organisation. 6. Il existe à l'intérieur de la haute fonction publique un double système de valeurs : les valeurs de sécurité, d'abord, sont largement impliquées par la demande externe; les valeurs de prestige, ensuite, définissent les spécificités internes.

n SITUATION DE MONOPOLE ET MONOPOLES INTERNES

Si l'on accepte les analyses qui précèdent et si l'on admet qu'une organisation est d'abord fonction de la demande externe, il apparaît que nombre des caractères de la haute administration française tiennent à la situation de monopole qu'elle occupe dans la société globale et à la demande de sécurité et d'intégration des divers groupes sociaux que lui fait cette société. Mais cette demande varie dans le temps : la société globale n'attend plus seulement de l'administration qu'elle perpétue l'ordre social et qu'elle favorise l'intégration des groupes sociaux, elle demande une intervention de l'État dans l'ordre économique et social pour favoriser l'accroissement de la production, éviter les crises économiques par un ensemble de mesures réglementaires, budgétaires et fiscales, assurer le plein emploi, redistribuer les revenus au nom de considérations extra-économiques, etc. Il importe donc d'analyser, d'abord, les caractéristiques permanentes de l'administration liées à sa situation monopolistique, et ensuite, dans une deuxième partie, les effets qu'exercent sur la haute administration les modifications de la demande.

1.

LA

PERMANENCE

DE

LA

DEMANDE

L'administration a longtemps été la cible des économistes libéraux et néo-libéraux; le gaspillage, le laxisme, les tracasseries leur apparaissent comme des conséquences inéluctables de la situation de monopole. Mais ces méfaits peuvent aussi être liés à la croissance de sa taille, à sa complexité ou à l'échec des procédures de contrôle fondées sur une autorité hiérarchique de type plus ou moins militaire et juridique, ou encore aux abus de la tradition centralisatrice. Ce qui importe, ce n'est pas de rendre compte de tel trait en particulier, mais d'essayer de rendre compte des mécanismes permanents de la haute fonction publique qui sont liés à la situation de monopole. On peut analyser ces mécanismes à partir des trois points suivants : le caractère monopolistique du système administratif se déduit principalement de ses rapports avec l'État ou avec le pouvoir politique, en ce sens que l'État seul légitime l'activité administrative; l'activité procède de la recherche non d'un profit maximum, mais de la maxi-

60

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

misation d'une valeur plus complexe, faite de prestige et de pouvoir social, destinée à maintenir la stabilité du système et, à travers le système administratif, de l'ensemble social; il existe une affinité entre la situation de monopole où se trouve l'administration dans l'ensemble social et certaines des caractéristiques de son organisation interne. 1 . 1 . La situation

de monopole:

l'éternité

administrative

Par nature, l'administration publique est de caractère monopolistique; elle n'a pas de concurrent légitime, autant que les pouvoirs publics eux-mêmes n'ont pas de concurrents légitimes. Si une entreprise économique est légitimée par sa réussite, l'action administrative ne se légitime pas elle-même, mais obtient cette légitimation d'une autorité extérieure, elle-même légitime en droit ou en fait, l'autorité publique. C'est pourquoi l'administration n'est en situation de monopole parfait qu'en ce qui concerne le domaine public proprement dit •—• ordre, justice, monnaie. Sa situation monopolistique est imparfaite dans les domaines économiques et sociaux. Mais, même dans ce dernier cas, elle n'en garde pas moins le privilège de la définition des limites de son propre monopole. En ce sens, elle est dans une situation comparable à celle du monopoleur économique lorsqu'il agit sur la demande en fixant ses prix. Les dispositions institutionnelles qui tendent à atténuer les effets de la taille par une déconcentration des attributions et des responsabilités non accompagnées d'une décentralisation des sources réelles de l'autorité sont d'effet nul, voire négatif, pour peu que les pseudo-responsables ressentent le besoin de protections nouvelles. Il ne pourrait y avoir décentralisation réelle, si l'on entend par là la création de nouveaux centres indépendants, que dans la mesure seulement où les sources de légitimation seraient ellesmêmes décentralisées. Toute situation monopolistique tend, pour se perpétuer, à interdire l'entrée de nouvelles firmes sur le marché, soit par la réglementation soit par l'importance des capitaux à investir initialement, faute de quoi l'avantage monopolistique risque d'être éphémère, l'existence de cet avantage ne pouvant que susciter des concurrences. Ainsi l'administration tend à interdire — dans le cas de la puissance publique — ou à réglementer -—• dans le cas des prestations — toute initiative dans les domaines dont elle a le monopole. La légitimité politique se donnant pour éternelle, l'action administrative se conçoit également comme éternelle. La force de la notion de « précédent » ou de « modèle », ainsi que la grande difficulté où se trouvent les fonctionnaires pour distinguer des périodes à l'intérieur du passé récent sont une conséquence de cette proposition, avant d'être des attributs de la psychologie des fonctionnaires. Le principe de légitimation de l'action administrative privilégie les comportements traditionnels et confère au précédent une valeur

PERMANENCE

DE LA

DEMANDE

61

d ' a u t a n t p l u s g r a n d e q u e le r e n o u v e l l e m e n t d e s c a d r e s e s t q u a s i c o n t i n u et i m p e r c e p t i b l e . L a m o d i f i c a t i o n des règles formelles n e suffit p a s à m o d i f i e r le c o m p o r t e m e n t réel. Il s ' e n s u i t q u e la r a t i o n a l i t é a d m i n i s t r a t i v e est s y s t é m a t i q u e m e n t décalée d ' u n intervalle de t e m p s qui peut atteindre une génération. P a r e x e m p l e , en d é p o u i l l a n t s y s t é m a t i q u e m e n t le Bulletin officiel du Ministère de VIntérieur, o n c o n s t a t e q u ' e n 1869 u n p r e m i e r a r r ê t é , i n t r o d u i t p a r u n r a p p o r t e x p o s a n t les a v a n t a g e s d u r e c r u t e m e n t p a r c o n c o u r s , instit u a i t d e u x c o n c o u r s d i s t i n c t s , l ' u n p o u r les r é d a c t e u r s et l ' a u t r e p o u r les e x p é d i t i o n n a i r e s . E n 1886, u n n o u v e a u d é c r e t , a p r è s a v o i r r e m a r q u é q u e le p r é c é d e n t é t a i t t o m b é e n d é s u é t u d e ( u n seul c o n c o u r s a v a i t été organisé e n 1879) r é t a b l i s s a i t le c o n c o u r s . A u c u n e t r a c e de c e t t e d e r n i è r e m e s u r e n ' a p p a r a î t d a n s le Bulletin e t u n n o u v e a u d é c r e t e n 1897 r é t a b l i t à n o u v e a u le c o n c o u r s , suivi d ' u n a r r ê t é q u i e n fixe le p r o g r a m m e et les c o n d i t i o n s d ' a c c è s . D e f a i t il f o n c t i o n n e n o r m a l e m e n t à p a r t i r de 1899. O n a u r a m i s t r e n t e a n s p o u r p a s s e r des t e x t e s à leur a p p l i c a t i o n . Mais, a u j o u r d ' h u i encore, les f o n c t i o n n a i r e s q u i o n t la r e s p o n s a b i l i t é de p r o c é d e r à u n e f u s i o n de services, de c o r p s ou de m i n i s t è r e s a v e n t q u ' i l ne suffit p a s de m o d i f i e r les t e x t e s p o u r m o d i f i e r la r é a l i t é , la r é f é r e n c e i m p l i c i t e a u x p r é c é d e n t s et a u x t r a d i t i o n s i n t e r d i s a n t q u e les nouvelles r é g l e m e n t a t i o n s e n t r e n t i m m é d i a t e m e n t en a p p l i c a t i o n . C o m m e n o u s le d i s a i t u n des d i r e c t e u r s d u m i n i s t è r e des F i n a n c e s : « L ' i m p ô t sur le r e v e n u a é t é modifié e n 1920 e t cela n e se ressent a i t p a s e n c o r e e n 1940. Les D i r e c t e s t e n d e n t t o u j o u r s à c o n s t a t e r a u lieu d e c o n t r ô l e r , ils c o n s t a t e n t les y a c h t s ou les résidences secondaires c o m m e a u t r e f o i s les p o r t e s e t les f e n ê t r e s . » Alors q u e la rationalisation impliquerait u n e identité de situat i o n e t e n p a r t i c u l i e r d e r é m u n é r a t i o n p o u r les a g e n t s f o r m e l l e m e n t placés d a n s la m ê m e situation a d m i n i s t r a t i v e , o n sait q u ' e n dépit d u s t a t u t g é n é r a l d e la f o n c t i o n p u b l i q u e , d e u x i n d i v i d u s fonctionnellem e n t homologues perçoivent, en fait, des r é m u n é r a t i o n s différentes s e l o n l ' h i s t o i r e e t le p r e s t i g e d u c o r p s , d u m i n i s t è r e e t m ê m e p a r f o i s d e l a d i r e c t i o n a u x q u e l s ils a p p a r t i e n n e n t . Lors de la f u s i o n d u m i n i s t è r e d u T r a v a i l e t de la S a n t é p u b l i q u e , il e s t a p p a r u q u e les t r a i t e m e n t s et les s y s t è m e s de p r i m e s é t a i e n t t r è s différ e n t s , s a n s q u e l ' o n puisse d i s c e r n e r à cet é t a t de choses d ' a u t r e s r a i s o n s q u e l ' e x i s t e n c e d ' u n e s é p a r a t i o n e n t r e les d e u x m i n i s t è r e s e t la force d u p r é c é d e n t ; n ' a - t - o n p a s t o u j o u r s f a i t a i n s i ? D e m ê m e , la valeur conférée à la r é d a c t i o n e t le style de c e t t e r é d a c t i o n s o n t u n e a u t r e e x p r e s s i o n d e la v a l e u r d u p r é c é d e n t . O n c o n t i n u e a u j o u r d ' h u i à p u b l i e r des m a n u e l s de s t y l e a d m i n i s t r a t i f 1 . On c o n t i n u e à p u b l i e r — c'est t o u t aussi t r a d i t i o n n e l — des o u v r a g e s c r i t i q u a n t ce s t y l e 2 . 1. J. BRUN, Technique et pratique de la rédaction administrative, Paris, Publication de l'Indicateur Universel des P.T.T., 1951; J. D A T A I N , L'art d'écrire et le style des administrations : manuel à l'usage des candidats aux concours de la fonction publique, Paris, Ch. Lavauzelle, 1953; J. G A N D O U I N , Correspondance et rédaction administratives, Paris, A. Colin, 1966. 2. Par exemple, A. MOUFFLET,« Littérature administrative, essai sur la rédaction des textes officiels», Revue générale d'Administration, 1 9 2 8 , p. 9 7 - 1 1 4 ; R . C A T H E R I N E , Le style administratif, Paris, A . Michel, 1 9 4 7 ; R . G E O R G I N , Le langage de l'administration, Paris, Les Editions Sociales Françaises, 1954.

62

LE

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

La valeur d u t e m p s a d m i n i s t r a t i f , le r y t h m e de l'activité admin i s t r a t i v e découlent d u f a i t que l ' a d m i n i s t r a t i o n , é m a n a n t du pouvoir politique, n e se conçoit q u e c o m m e éternelle. La patience et le sens de l ' o p p o r t u n i t é sont considérés comme des v e r t u s b u r e a u c r a t i q u e s dans la mesure où la rigidité a d m i n i s t r a t i v e circonscrit assez rigoureusem e n t la m a r g e de j e u laissée a u x acteurs. T o u t e entreprise possède, explicitement ou implicitement, son horizon temporel propre, c'està-dire u n e perception de la durée de son existence. Celle de l'administ r a t i o n est infinie et, corrélativement, la vie quotidienne de l'admin i s t r a t i o n suppose, plus encore que t o u t e a u t r e organisation, l'existence de ces r y t h m e s réguliers comme la présence quotidienne ou l ' a n n u a l i t é b u d g é t a i r e p a r lesquels l'infini de la mission est t r a n s f o r m é en fini dans l'action. Rythme

de Vactivité administrative au cours de Vannée. Deux exemples : 1960 et 1965.

250

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250

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I J 1. 2. La demande

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: réformes et

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permanence

La théorie économique classique m o n t r e que le c o m p o r t e m e n t rationnel d u monopoleur consiste, dans le court t e r m e , à choisir u n p r i x qui égalise le coût marginal et la d e m a n d e marginale; or ce p r i x s'écarte de celui qui serait o b t e n u dans u n e situation de concurrence p a r f a i t e , p r i x qui est alors égal a u coût m o y e n et a u coût marginal; si cet écart est positif, u n bénéfice p u r a p p a r a î t et la q u a n t i t é échangée est inférieure à celle que donnerait le j e u concurrentiel. Si a u contraire,

PERMANENCE

DE LA

DEMANDE

63

cet écart est négatif, u n déficit apparaît et u n surcroît de consommation; l'entrepreneur ne peut durablement maintenir son activité : un grand nombre de monopoles d ' É t a t appartiennent d'ailleurs à ce second t y p e et n ' o n t d'autres choix que celui qui consiste à restreindre la demande ou à trouver les moyens de résorption de leur déficit auprès du Trésor public. Selon la théorie classique, la situation de monopole réduit le volume des échanges, en accroît le coût et limite les effets bénéfiques de l'incitation quotidienne de la concurrence. Ce résultat est peu douteux, si l'on néglige le coût que comporte l'élimination d'agents ou de facteurs de production placés brutalement en situation sousconcurrentielle. Ce coût n'est jamais négligeable, mais il est susceptible d ' u n e résorption socialement acceptable, par exemple lorsque l'économie dispose de débouchés inexplorés et de possibilités import a n t e s d'expansion où les réadaptations sont, théoriquement et technologiquement a u moins, encore possibles. Si l'on considère l'ensemble du domaine de l'administration publique et si l'on substitue à la notion de bénéfice économique une notion plus générale de pouvoir ou de prestige social, dont la dimension économique ne serait qu'une des dimensions, le raisonnement précédent peut être largement transposé, à condition de rappeler que cette analyse n'est valable que dans le court terme 1 . Mais le domaine économique et le domaine social sont m o u v a n t s : l'obsolescence technologique et l'innovation d ' u n côté, les fluctuations politiques de l'autre côté, menacent les positions les mieux assises; les transitions requises comportent u n coût intrinsèque que le monopoleur est mieux à même de supporter, dès lors qu'il dispose d'une capacité de financement autonome. A long terme, l'ordre économique comme l'ordre administratif sont placés devant la même nécessité, celle de faire face au changement, et la situation de monopole favorise l'accomplissement de cette tâche. « Si, p a r exemple, un risque de guerre est assurable, personne ne reprochera à une firme de recouvrer le coût des primes sur les acheteurs de ses produits. Or, ce risque, même s'il n'existe aucun moyen de l'assurer, n'en constitue pas moins u n élément du prix de revient à long terme et, dans ce cas, une stratégie des prix visant au même objet pourra donner l'impression d'impliquer des restrictions évitables et d'engendrer des profits excessifs. » 2 De 1. La transposition suggérée ici rejoint d'ailleurs les réflexions des économistes sur les entreprises. Par exemple, R . M . C Y E R T et J . G . M A R C H notent les limites de la théorie de la maximisation du profit. Ils proposent de substituer à la théorie de la recherche d'un optimum celle de la recherche d'un niveau de revenu acceptable. Mais ce qui est en cause, c'est moins la théorie de la maximisation que la théorie du profit; celui-ci ne peut se réduire à sa seule dimension monétaire et la survie de la firme, pour ne retenir qu'un seul exemple, pèse d'un poids considérable dans les décisions qui l'affectent (« Organizational Factors in the Theory of Oligopoly », The Quarterly Journal of Economies, LXX, févr. 1956, p. 44-65). 2. J. S C H U M P E T E R , Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1954, p. 170 ( l e r e éd., en langue anglaise, 1942).

64

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

fait, on a constaté que l'évolution des effectifs totaux des administrations de l ' É t a t connaissait depuis la fin de la première guerre mondiale des fluctuations opposées à celles du revenu national et que l'administration assumait ainsi, pour certaines catégories sociales, une fonction de refuge et de régulation de l'emploi. Cet exemple pris parmi d'autres montre l'habitude, en quelque sorte viscérale, de l'administration d'assurer les charges et les servitudes du changement et d'en amortir concrètement les effets les plus pénibles. Si l'on passe à la répartition du pouvoir, des attributions, ou des compétences à l'intérieur de l'administration, c'est la théorie de l'oligopole ou celle des échanges internationaux qu'il faudrait transposer. Chaque protagoniste tend à consacrer ses efforts aux domaines sur lesquels il est le mieux placé, à interdire à ses partenaires les activités qu'il juge siennes. C'est ce qui explique l'intensité et les limites de l'activité des services : la demande est le plus souvent traduite en termes d ' « intérêt du service » ou d'« intérêt du corps ». Selon qu'elle tend à renforcer ou à affaiblir la position du service, ou du corps — ou plutôt selon l'idée que les membres de ce service ou de ce corps se font de cette position —-, la demande est acceptée ou rejetée. Elle se fixe au point où les désavantages et les avantages marginaux qu'elle procure s'annulent, c'est-à-dire en dessous du point où les avantages et les désavantages moyens s'annuleraient; la modification de l'équilibre atteint est tributaire du coût d'opportunité, c'est-à-dire du coût nécessité par le transfert des moyens disponibles à un moment donné d'une mission à une autre. Aussi les actions modales sont constamment privilégiées. On évite toute action qui pourrait mettre en question ou qui semblerait mettre en question la position du service ou du corps et à travers elle l'équilibre des services et des corps sur lequel repose l'intégration du système. On n'accepte une activité marginale que dans la mesure où, en dépit de l'apparence, elle favorise le maintien des positions centrales. Par suite, l'activité administrative présente une forte continuité et une certaine rigidité. L'activité interne de l'administration ne résultant pas directement de la demande qui s'exerce sur elle, mais de la traduction que l'administration fait de cette demande, on comprend que cette activité dépende d'abord des conditions de structure et soit largement indépendante de la conjoncture. Lorsque des problèmes nouveaux apparaissent, on peut ne trouver aucune autorité compétente ou, ce qui revient au même, en trouver plusieurs — et cela, quelle que soit l'importance accordée par l'ensemble de la société à ces problèmes. Aussi l'administration peut combiner à la fois la permanence réelle de ses structures et les réformes apparentes continuelles que révèle l'étude de la création et du développement des directions. Sur les 337 directions existant aujourd'hui, plus du tiers (139) ont été créées, sous leur forme actuelle, depuis 1958. Dans certains cas,

HISTORIQUE SIMPLIFIÉ DES MINISTÈRES EXISTANT EN 1966 1800

1850

1790 1810 1320 1530 1540 1860 J 1 I I 1 } I I I 1 | I I 1 I | I I I I I I I I 1 | I I I I I I I i | | I I I I I I I I I j I I I I j I I I I | I I I I I I I I I | I I I I j I M

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1870 1550 1SV0 1900 1910 1'20 1730 I i i i i i i i i i J i i i i i i i i I i i i i i i i i i I J i i i i i i i i i i i i i j i i i t i i i i i i i i i i i i i i i J i I i

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PREMIER MINISTRE

JUSTICE ÉDUCATION

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rue de Va renne VII

MINISTERE DE L'INDUSTRIE

8

Au cours de la période 18701940, c'est en effet seulement le développement des nouvelles fonctions de l ' É t a t dans l'ordre économique et social qui explique la croissance globale de l'activité administrative, les fonctions traditionnelles étant restées stables. Ainsi, si l'on considère le niveau des effectifs, on constate que, sur la base 100 en 1885, les effectifs sont, en 1940, de 84 a u ministère de l'Instruction publique, de 82 au ministère de l'Intérieur et a u ministère des T r a v a u x publics, de 107 a u ministère de la Guerre et de 128 au ministère des Affaires étrangères. E n revanche, ils atteignent 190 au ministère de la Justice, 231 a u ministère de l'Agriculture, 239 a u ministère de l ' I n dustrie, 225 a u ministère du T r a vail (base 100 en 1910), 250 à la Marine marchande (base 100 en 1910) et 276 a u ministère des Finances.

LE SYSTÈME

Av, Franklin Roosevelt Vili

82

MINISTRE

DIRECTION

13

5

"SERVICE"

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BUREAU

13

1)

Ces variations pourraient n'être dues q u ' a u x variations d u nombre des agents participant à une même unité de travail. Or sous les apparentes transformations des unités administratives — des b u r e a u x sont élevés à la dignité de sousdirections, des sous-directions à celle de directions; inversement, des sous-directions sont transformées en services ou en simples b u r e a u x — on constate, en comparant à des dates diverses les organigrammes d ' u n même ministère, que les bureaux conservent u n e grande stabilité. Leur nombre n e change pas entre 1900 et 1940 dans les ministères régaliens traditionnels (Affaires étrangères, Justice, Intérieur). Il diminue au ministère de l'Instruction publique et a u x T r a v a u x publics. Il s'accroît brutalement et durablement à la suite de la guerre de 1914 au ministère des Finances et a u ministère d u Travail et de la Prévoyance sociale (l'accroissement b r u t a l du ministère de la Guerre reste provisoire) et augmente lentement mais continuellement a u x ministères de l'Industrie, des P.T.T. et de l'Agriculture. Les dépenses de matériel dans chaque ministère indiquent la même évolution du volume global de l'administration, stable entre 1870 e t 1914 et qui se développe n e t t e m e n t après la Première Guerre

3

MODIFICATIONS

DE LA DEMANDE

83

mondiale dans les ministères économiques et sociaux. Tous les indicateurs montrent que jusqu'à 1939 l'accroissement global de la taille de l'administration dissimule de fortes inégalités selon les secteurs : la stabilité des fonctions régaliennes, le développement des fonctions économiques et surtout sociales. Mais l'accroissement de la taille a été très fort entre 1939 et 1969. Comme la guerre de 1914, la Deuxième Guerre mondiale a conduit à un accroissement de la taille à la fois de l'ensemble et de chacun des secteurs de l'administration. Un accroissement global de l'activité administrative depuis la fin du siècle dernier se mesure à la multiplication par plus de 5 du nombre annuel de décrets et arrêtés à caractère administratif depuis le début du siècle, alors que le nombre des textes législatifs était divisé par 4 environ. Le volume de la production administrative ne renseigne d'ailleurs pas sur la qualité de l'action administrative puisqu'il peut être l'expression de mesures nécessaires et opportunes ou, au

84

contraire, de contradictions

LE SYSTÈME

MINISTERE DES ARMEES

ADMINISTRATIF

engendrées par le système administratif lui-même. Mais les autres indicateurs montrent aussi un accroissement Adresse : rue arrondt. > O X global de la taille des admidistance en cent, de m nistrations centrales. Les administrations parisiennes centrales compCD taient au total 28 directions ou services avant 1870 : elles MINISTRE sont aujourd'hui au nombre de 337 environ; la I I I e République en voit apparaître 61; 25 apparaissent sous le régiDIRECTION me de Vichy; 84 sous la IV e République; plus du tiers (139) voient le jour sous la V e République. Parmi les "SERVICE" directions actuelles, près de la moitié proviennent de l'éclatement d'anciennes SOUS-DIRECTION 5 6 unités (129) ou d'un regroupement d'unités ou de fonctions appartenant auparavant à d'autres unités (37); BUREAU 5 6 7 près des deux tiers des directions restantes, qui correspondent de fait à la création de la fonction, apparaissent après 1945. La notion de création et la notion de fonction peuvent être sujettes à caution. Il est difficile dans la majorité des cas, comme nous l'avons vu, d'affirmer qu'une fonction n'était pas assumée antérieurement à la date où elle apparaît manifestement. Mais, malgré tout, la création d'une fonction peut correspondre à une attribution nouvelle sans précédent proche, comme par exemple la gestion du secteur des assurances, à la prise en charge par l'État de techniques nouvelles, ou encore à une nouvelle conception des charges et des responsabilités de l'État. Le Commissariat général au plan n'incarne-t-il pas, en quelque sorte, la nécessité d'introduire dans la gestion publique un rythme qui dépasse celui de l'annualité budgétaire? Le nombre de bureaux, sous-directions, services et directions se trouve en gros multiplié par 4 entre 1939 et 1967. Les plus grosses augmentations se trouvent au ministère des Finances, où le nombre des bureaux est multiplié par 6,32 entre 1936 et 1966, par 6,28 au ministère de l'Agriculture, par 6,22 au ministère des Affaires sociales.

MODIFICATIONS

DE LA

DEMANDE

85

FIG. 10.

Puis viennent les ministères des Affaires étrangères (5,5), de l ' É d u cation nationale (5,05), de l'Intérieur (4,70). E n revanche, a u x ministères des P.T.T. (2,93), de la Guerre (1,98), de la Justice (1,94), des T r a v a u x publics (1,76) et de la Marine (0,66), le nombre de bureaux a augmenté dans une moindre proportion. Les variations dans les effectifs donnent des indications légèrement différentes : sur la même base 100, en 1885, les effectifs étaient, en 1962, de 174 au ministère des Armées, qui prenait la succession des anciens ministères de la Guerre et de la Marine, de 213 au ministère des P.T.T., 355 au ministère de la Santé publique, 425 aux Affaires étrangères, 457 au ministère de l'Éducation nationale, 491 au ministère du Travail, 589 au ministère de l'Intérieur, 612 au ministère des Finances, 709 au ministère de la Justice, 763 à l'Agriculture, 905 au ministère de l'Industrie et 2 003 au ministère des T r a v a u x publics.

86

LE SYSTÈME

ADMINISTRATIF

MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES

Les différences de croissance des différentes fonctions de l ' É t a t sont moins nettes que dans la période précédente. I l apparaît toutefois, à travers ces différents indicateurs, que ce sont encore les ministères techniques et sociaux, et, d'autre part, le ministère des Finances dont la croissance, comme dans la période précédente, a été la plus forte. L'étude du budget fonctionnel a aussi montré que les nouvelles fonctions économiques et sociales exercées par l ' É t a t n'ont pas abouti à un bouleversement du budget, l'essentiel de l'action économique s'exerçant par l'intermédiaire des entreprises nationales et l'essentiel de l'action sociale de l ' É t a t par les régimes de sécurité sociale qui, à l'exception du régime agricole, sont débudgétisés 1 . Ainsi la justice et la sécurité représentaient 5,35 % des dépenses en 1822 et 4,41 %

1. J. EDMOND-GRANGÉ, Le Durand-Auzias, 1963.

budget fonctionnel

en France,

Paris, Pichon et

MODIFICATIONS

DE LA

DEMANDE

87

en 1963, l'action économique de l ' É t a t 23,90 % des dépenses en 1882 et 23,35 % en 1963, l'action sociale représentait 4,54 % en 1912 et 9,24 % en 1963. La masse des dépenses publiques s'est fortement accrue, mais leur répartition selon les grandes « rubriques fonctionnelles » a gardé une certaine stabilité. Ces données, comme notre analyse des variations de la taille selon les secteurs de l'administration, semblent indiquer une relative stabilité de la demande faite aux administrations centrales, en dépit de l'intervention de l ' É t a t dans les domaines économique et social. Si l'analyse détaillée des variations de la taille révèle une assez grande stabilité de la structure de la demande dans de nombreux secteurs de l'admi' nistration, le modèle cidessus avait montré que, même dans les secteurs où la demande a le plus varié, l'accroissement de la taille n'a d'effets désintégrateurs que lorsqu'il se produit dans les secteurs où le système de régulation interne est faible.

2. 2. Les effets de F accroissement de la taille et les contrôles formels Nos observations, dont les conclusions rejoignent celles de nombreux auteurs, suggèrent que la taille est liée au style des relations d'autorité, à la manière dont circule l'information et au degré de division du travail qui caractérisent l'organisation. Les organisations de petites tailles tolèrent et requièrent une certaine indifférenciation des fonctions et des tâches. Les organisations de grande taille exigent une normalisation des fonctions, une formalisation accrue des relations, l'adoption formelle et informelle de règles d'ordre et d'autorité, des types de contrôle renouvelés. Le développement du juridisme et du sys-

LE SYSTÈME

88

ADMINISTRATIF

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2

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Av. de l'Opéra 1

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rue Bons Enfants 1

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