Morphologie de la haute administration française, I: Les agents du système administratif 9783111413853, 9783111049854

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Morphologie de la haute administration française, I: Les agents du système administratif
 9783111413853, 9783111049854

Table of contents :
SOMMAIRE
INTRODUCTION
I. Les agents de l'État : caractéristiques et système de valeurs
II. Les hauts fonctionnaires des administrations centrales
APPENDICES
ANNEXES

Citation preview

LES A G E N T S DU SYSTÈME ADMINISTRATIF

ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES

— SORBONNE

VIe S E C T I O N : S C I E N C E S É C O N O M I Q U E S E T S O C I A L E S Cahiers du Centre de Sociologie Européenne . VI.

MORPHOLOGIE DE LA HAUTE

ADMINISTRATION FRANÇAISE

1 .

LES AGENTS DU SYSTÈME ADMINISTRATIF ALAIN DARBEL DOMINIQUE SCHNAPPER

PARIS

MOUTON - MCMLXIX LA

HAYE

© 1969, Mouton & Co and École Pratique des Hautes Printed in France

Études

Nous remercions ici ceux qui, à des titres divers, nous ont permis de réaliser les travaux dont cet ouvrage est la première étape, et, en particulier, M. Y. Dezalay et MUe F. Oeuvrard qui ont participé à tous les moments de la recherche, M™ F. Dubost qui a plus particulièrement assuré les dépouillements historiques et bibliographiques, M"* C. de Pazzi, et surtout M. J. Hayoun, Attaché à F I.N.S.E.E., qui nous ont facilité rutilisation des sources détenues par FI.N.S.E.E., M. M. Dumont qui a assuré la programmation de Fexploitation électronique réalisée au Centre de calcul du C.N.R.S., enfin M. J.-M. Agnus et tous les enquêteurs qui ont permis la réalisation de notre enquête. Les travaux dont nous analysons les premiers résultats font partie d'un programme de recherches consacré à F administration française, organisé par la Maison des Sciences de F Homme.

S O M M A I R E

INTRODUCTION

11

I.

15

Les agents de l'État : caractéristiques et système de valeurs. —• Hérédité professionnelle et tradition.

17

— Sécurité et valeurs familiales.

33

— Variations conjoncturelles et origine géographique.

60

II. Les hauts fonctionnaires des administrations centrales.

89

APPENDICES

107

ANNEXES

115

INTRODUCTION

E n t r e les règles, les traditions et les exigences du système administratif 1 et les agents qui le composent, u n r a p p o r t de fait est établi, dont la n a t u r e reste masquée non seulement aux acteurs mais souvent aux observateurs. Les pratiques établies et transmises de génération en génération, les exigences dues au fonctionnement des organisations de grande dimension et a u x rapports nécessaires avec d'autres secteurs de la société et en particulier avec le pouvoir politique sont-elles les déterminants essentiels du fonctionnement du système administratif et du comportement de ses agents ? Ou bien au contraire ce système ne s'explique-t-il pas a v a n t t o u t par les caractéristiques socioculturelles et éthiques de la catégorie sociale particulière que constit u e n t les fonctionnaires? E n d'autres termes, comment s ' a j u s t e n t l'un à l'autre u n groupe d'individus socialement définis et un système préexistant à ces individus ? Dans les analyses qui suivent, si nous traitons séparément le système et les agents, qui sont étroitement mêlés dans la réalité, c'est à la suite d'une décision de méthode. Soucieux de rompre avec le fait administratif global, tel qu'il est donné à l'observateur, nous avons choisi d'étudier systématiquement et rigoureusement u n des termes — les caractéristiques des agents — en suggérant les rapports qu'il entretient avec l ' a u t r e terme que constitue le système. Nous avons donc adopté le p a r t i de l'objectivation p a r le moyen privilégié qu'est l'analyse statistique. Mais cette abstraction n'est q u ' u n premier moment de la recherche à la suite duquel l'analyse des opinions et des attitudes des fonctionnaires, étudiées selon des méthodes de t y p e statistique et ethnographique et systématiquement interprétées et réinterprétées à la lumière des premiers résultats statistiques, perm e t t r a de reconstituer le système global à partir de faits rigoureusement établis. De plus, il nous a semblé indispensable de prendre e n compte des distinctions souvent ignorées par la littérature consacrée 1. « L'administration»,« la fonction publique» o u « le système administratif» ne sont pas pris au cours de ce texte dans un sens juridique. Nous entendons, par « administration » l'administration publique, et, sauf exception, celle de l'Ëtat. Nous entendons la« fonction publique» comme désignant un ensemble de règles, de garanties

12

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

à l'administration : ces analyses globales ne tirent pas toutes les conséquences de l'existence des niveaux hiérarchiques à l'intérieur de la fonction publique et, par suite, des caractéristiques des agents de l ' É t a t directement ou indirectement liées à leur appartenance à telle ou telle catégorie sociale; elles négligent aussi d'analyser les groupes divers qui constituent les agents de l ' É t a t et les distinctions essentielles qui séparent des corps de services extérieurs, comme les membres de l'enseignement ou les employés des postes, des fonctionnaires des administrations centrales; visant ainsi à saisir du premier coup le fait administratif, elles risquent de le manquer, p a r défaut de méthode. Aussi une première étape d'analyse t e n a n t compte de ces distinctions doit précéder l'essai de reconstitution du système total. S'il est vrai que l'analyse sociologique exige dans sa première étape une r u p t u r e avec le fait administratif, tel qu'il est immédiatement donné, cette exigence est redoublée dans le cas des fonctionnaires supérieurs des administrations centrales. Formés, le plus souvent, à leur métier p a r la réflexion sur l'administration française et ses « caractères propres », les hauts fonctionnaires français se savent si bien préparés à réfléchir sur les problèmes de l'administration qu'ils tendent à repousser d'avance t o u t e étude qui serait menée sans leur collaboration 1 . De fait, lorsque l'objet de la recherche sociologique est à ce point proche du sociologue lui-même, il importe, plus que jamais, que le sociologue rompe n e t t e m e n t avec le discours que le milieu développe sur lui-même et que développent parfois ses observateurs, discours dont la qualité même risque de voiler toute a u t r e vérité. Les analyses rigoureuses des caractéristiques sociales et culturelles des agents de l ' É t a t que nous présentons ici sont fondées sur les excellents t r a v a u x du recensement de l ' I . N . S . E . E . 2 , complétés et approfondis sur des points particuliers et pour une population particulière par les premiers résultats de notre enquête sur la h a u t e administration. Ces analyses n'offrent pas seulement la possibilité de r e m e t t r e en question quelques idées reçues sur les fonctionnaires et l'adminislégales ou coutumières intéressant les agents et leur conférant un statut particulier à la fois légal et sociologique. Nous entendons enfin par« système administratif» l'ensemble des règles et des mécanismes selon lesquels l'État assure son activité. S'agissant des agents, l'un ou l'autre des termes peuvent être employés selon que la dimension de l'activité ou celle du statut sont soulignées. 1. Ce fait n'est pas spécifique de l'administration française, mais de toute administration. Les auteurs de The American Fédéral Executive notent les difficultés qu'ils ont rencontrées et finalement l'impossibilité devant laquelle ils ont été placés d'interroger les fonctionnaires sur leurs opinions et leur comportement politiques, sur leur origine ethnique et sur leur origine et leur pratique religieuses. Cf. W. Lloyd WARNER et al., The American Fédéral Executive, New Haven and London, Yale University Press, 1963, p. 61, n. 2 . 2. J. HAYOUN, Recensement des agents de l'État et des collectivités locales. Renseignements généraux, Paris, I.N.S.E.E., 1 e r octobre 1964, 110 p., et J. HAYOUN, Recensement des agents de l'État et des collectivités locales. Dépouillement des bulletins individuels, Paris, I.N.S.E.E., 1968, 160 p.

INTRODUCTION

13

tration, mais elles expliquent que certains groupes sociaux plutôt que d'autres accèdent à la fonction publique et rendent compte ainsi des caractéristiques essentielles du milieu administratif. Si l'on a réalisé l'étude systématique de l'origine sociale des divers agents de l'État, ce n'est pas seulement pour préciser l'existence de hiérarchies à l'intérieur de l'administration, mais pour révéler les caractéristiques spécifiques du milieu administratif. L'analyse de la fécondité des fonctionnaires ne mériterait pas les développements qui suivent, si elle avait pour seul objet de dissiper l'image conventionnelle du fonctionnaire malthusien ou l'idée reçue de la laïcité des fonctionnaires de l'État et si la fécondité n'était pas un indicateur privilégié des normes du comportement des différents groupes sociaux et de leur système de valeurs. De même, l'analyse de l'origine géographique des fonctionnaires est plus intéressante par les valeurs et les mécanismes administratifs qu'elle découvre que par les descriptions, souvent connues, qu'elle rappelle. L'étude sur la haute administration, nécessaire pour pousser à son terme l'analyse des données issues du recensement, pose sur un nouveau mode le problème du rapport entretenu par un système avec ses agents. La haute administration constitue un cas singulier, dans la mesure où elle se vit comme sacralisée par les rapports qu'elle entretient avec le pouvoir politique. Mais, organe de transmission entre le pouvoir politique et l'ensemble de l'administration, n'est-elle pas aussi un lieu d'échanges entre les diverses catégories dirigeantes et entre celles-ci et l'ensemble de l'appareil administratif? S'il en est ainsi, les sous-groupes qui la constituent ne tendraient-ils pas, selon leur origine sociale et leur système de valeurs, les uns à renforcer la fonction proprement administrative et les autres à assurer la présence des hauts fonctionnaires parmi les catégories dirigeantes?

I LES AGENTS DE L'ÉTAT : CARACTÉRISTIQUES ET SYSTÈME DE VALEURS

HÉRÉDITÉ PROFESSIONNELLE ET TRADITION L'analyse des différentes caractéristiques socio-culturelles (au sens large) des agents de l'administration et t o u t particulièrement des administrations centrales doit p e r m e t t r e de saisir l'ensemble des facteurs qui favorisent l'entrée dans la fonction publique, d'établir le poids de chacun d'eux et la structure des relations qui les unissent. Il apparaît en effet que, selon son appartenance à telle ou telle classe sociale, qui est liée au niveau culturel mesuré p a r le diplôme, selon le s t a t u t de son père (appartenance au secteur public et en particulier au secteur étatique ou au secteur privé), selon son lieu de naissance, selon la religion d'origine de sa famille et son type de pratique personnelle, un sujet donné a des probabilités très diverses d'entrer dans la fonction publique et à l'intérieur de la fonction publique d'appartenir à tel ou tel cadre statutaire. Les grandes variations de l'origine sociale et statutaire, de l'origine géographique parmi les différents agents des services publics et en particulier des agents de l ' É t a t peuvent être analysées à partir des recensements de l ' I . N . S . E . E . Mais les informations d ' u n recensement ne peuvent être interprétées correctement que dans la mesure où les données socio-démographiques p r o v e n a n t des recensements généraux de la population sont disponibles. D ' a u t r e p a r t , elles n ' a u t o risent pas toujours une analyse rigoureuse des relations qui unissent les variables entre elles et du poids de chacune d'elles, lorsque p a r exemple, elles ne fournissent aucune donnée sur un fait aussi essentiel que la pratique religieuse. Notre enquête sur la h a u t e administration comble en partie cette lacune et propose une analyse plus complète des variables en ce qui concerne les agents du cadre A l des administrations centrales. *

L'origine sociale du groupe des jeunes fonctionnaires telle que l'a établie le recensement de l ' I . N . S . E . E . 1 et l'origine sociale des 1. Voir appendice I, p. 109.

18

LES

AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

fonctionnaires que révèle notre enquête montrent que la distribution des fonctionnaires dans les différentes catégories statutaires de la fonction publique est grossièrement parallèle à la stratification de l'ensemble de la société. Ainsi la part des fils de cadres supérieurs estelle prépondérante dans la catégorie A, dans les services extérieurs comme dans les administrations centrales (49,5 %), tandis que la plupart des fonctionnaires issus des classes moyennes se trouvent dans les catégories B (38 %) et A (37 %) et que 46 % de la catégorie G sont composés de fils d'employés et d'ouvriers. Mais faut-il supposer que l'origine sociale des fonctionnaires, qui est plus élevée dans les administrations centrales que dans les services extérieurs, est la conséquence de la hiérarchie des diplômes nécessaires à l'accès aux fonctions publiques, ou bien que les diplômés ont une attitude différente vis-àvis de la fonction publique selon le statut de leur père? En d'autres termes, l'inégal accès des différentes classes sociales aux différentes catégories de la fonction publique est-il seulement dû à l'inégale scolarisation des différentes classes sociales ou bien est-il dû aussi à une attitude spécifique des divers groupes professionnels vis-à-vis de la fonction publique ? A catégorie sociale constante, l'origine statutaire, c'est-à-dire l'appartenance du père au secteur privé ou au secteur public, joue-t-elle un rôle? L'analyse montre que chaque groupe professionnel entretient une attitude spécifique vis-à-vis de la fonction publique, de telle sorte que, dans les classes supérieures et moyennes, les sous-groupes professionnels semblent d'autant mieux destiner leurs enfants à la fonction publique que la profession du père est, à niveau social égal, plus proche de la fonction publique. Si l'on considère les fonctionnaires de la catégorie A fils de cadres supérieurs, on constate en effet que 10,1 % d'entre eux ont un père exerçant une profession libérale, alors que les professions libérales représentent 17,3 % des cadres supérieurs dans l'ensemble de la population, 21 % ont un père ingénieur alors que ceux-ci représentent 19,6 % des cadres supérieurs, 45,9 % ont un père qui appartient aux cadres supérieurs administratifs 1 au lieu de 54,6 % dans l'ensemble des cadres supérieurs, enfin 23 % ont un père professeur au lieu de 8,5 % dans l'ensemble des cadres supérieurs. Pour les fonctionnaires de catégorie B, les chiffres sont respectivement de 8,5 %, 14 %, 57,3 % et 20,2 %. Si l'on ajoute que la part des cadres administratifs supérieurs est sous-estimée chez les fonctionnaires, puisque les officiers sont pris en compte dans la population totale mais exclus des chiffres des fonctionnaires, on voit que les fils se destinent d'autant plus à la fonction publique que la profession des pères comporte une plus grande part de fonctionnaires; (si les professions libérales

1. Secteur public ou secteur privé.

HÉRÉDITÉ

PROFESSIONNELLE

ET

TRADITION

19

ne c o m p r e n n e n t presque pas de fonctionnaires, 24 % des ingénieurs, 41 % des cadres supérieurs et 74 % des professeurs a p p a r t i e n n e n t à la fonction publique).

TABLEAU I. — Répartition

fils de cadres

des

Cohorte d e s pères Proportion p¡

% Professions libérales

17,3

catégorie

% 0,8

Fi Pi 100

Sexe f é m i n i n

Cat. C e t D

5,2

5,5

53,0 150 48,0 140

5,8

13,6

7,8

24,1

7,7

17,2

5,3

15,7 202

4,1

81,0



5,2

1,0 100

72

24 100

5,5

27,0

81

Cat. A

F. F. Fi i i Pi % % 5,5 690,0

28

100

d'ouvriers.

C o h o r t e des f o n c t i o n n a i r e s

C o h o r t e des p è r e s

P

fils

Cat. B F. i

Fi Pi

%

Fi Pi

Cat. C e t D F. i

Fi Pi

%

-

1,7

210

1,4

175



3,5

18

4,4

22

17,0 49,7 142 48,1 142 48,6

145

6,0

-

31,6

95

37,6 22,5 292 14,4

187 10,3

134

8,4 202 32,4

79,0

3,3

13

4,5

110

3,7

90

100

100

100

100

100

100

100

100

10,3 137

100

48,2 144,0 24,5 2,9

100

73 27,8

84

Mais il ne suffit pas de constater les différentes attitudes des divers groupes professionnels à l'égard de la fonction publique, il importe de tenir compte de la représentation des divers groupes sociaux et

22

LES

AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

de leur inégal accès aux diplômes nécessaires à l'entrée dans la fonction publique. Mesuré par le diplôme, ou par le nombre d'années de scolarité des sujets, le niveau culturel des fonctionnaires est — même si l'on exclut les enseignants — supérieur à celui des catégories sociales correspondantes du secteur privé. Aussi les corrélations précédentes pourraient — au moins partiellement — masquer l'influence de cette dernière variable, et donner pour une hérédité professionnelle ce qui serait essentiellement une inégale aptitude à accéder à la culture scolaire. Il faut donc déterminer ce qui revient à l'hérédité professionnelle proprement dit, en éliminant, au moins approximativement, ce qui est dû à « l'héritage » culturel. On peut appliquer un modèle simple : on connaît la probabilité attachée à un sujet issu d'une catégorie sociale donnée d'accéder à une profession donnée; on connaît, d'autre part, la répartition des fils de fonctionnaires et de non-fonctionnaires pour chaque catégorie sociale. La comparaison de ces données permet de calculer les probabilités conditionnelles d'accès à la fonction publique des sujets issus d'une catégorie sociale donnée. Par comparaison avec les probabilités qui seraient obtenues, si les sujets se déterminaient par un choix aléatoire, c'est-à-dire par un choix indépendant des mécanismes familiaux, il est possible de déterminer quantitativement ce qui revient à l'hérédité professionnelle. Toutefois, faute de données statistiques suffisantes sur la mobilité socio-professionnelle entre les générations, ou plutôt suffisamment répétées dans le temps, les résultats qui suivent doivent surtout être regardés comme indicatifs 1 . S'il apparaît bien évidemment que la probabilité d'accéder à la catégorie A décroît à mesure que décroît le niveau socio-culturel et que, corrélativement, la probabilité d'accès aux catégories basse et moyenne de la fonction s'accroît quand baisse le niveau socio-culturel, l'appartenance du père au secteur public ou privé apparaît comme décisive. Les fils d'un cadre supérieur ayant atteint le niveau de diplôme les autorisant à accéder à la fonction publique n'ont que 9 % de chances d'accéder à la catégorie A de la fonction publique ou, en d'autres termes, 9 sur 100 seulement parmi eux accéderont à la catégorie A, si leur père fait partie du secteur privé, mais la probabilité monte à 57 % si le père appartient au secteur public; dans la même catégorie sociale la probabilité passe de 6 % à 24 % pour l'accès à la catégorie B . Parmi les fils de cadres moyens, la probabilité d'accès à la catégorie B passe de 6 % à 37 % selon que le père appartient au secteur privé ou au secteur public, et parmi les fils d'employés de 44 % à 82 % . Le faible nombre de fils d'agriculteurs ou de commerçants parmi les cadres supérieurs de la fonction publique montre comment la détention d'un capital matériel propre et la responsabilité directe de la gestion d'une entreprise personnelle éloignent du système adminis1. Voir appendice II, p. 111.

HÉRÉDITÉ

PROFESSIONNELLE

ET

23

TRADITION

tratif. E n revanche, les milieux populaires, ouvriers, paysans, voire une fraction des milieux moyens, marquent pour la moyenne fonction publique une préférence marquée, qui atteint son maximum dans les milieux de petits et de moyens fonctionnaires, puisque 80 % environ des fils d'employés de l'État ou de militaires non-officiers accèdent à la moyenne fonction publique lorsque leurs diplômes les y autorisent 1 .

TABLEAU

— Probabilité conditionnelle dans la fonction publique.

Y.

Si le père est fonctionnaire

Code Catégorie socio-professionnelle INSEE du père

Cat. A

Cat. B

Cat. Cet D

d'entrée

Si le père n ' e s t pas fonctionnaire Cat. A

Cat. B

Cat. Cet D

3

Cadres supérieurs, professions 37 libérales, officiers

0,57

0,24

//

0,09

0,06

//

4

Cadres moyens

25

0,28

0,37

//

//

0,06

//

5

Employés

21

0,30

0,82

0,37

0,13

0,44

0,14

100

0,32

0,75

0,80

82

Militaires, officiers et policiers

-

-

-

2

Commerçants, artisans

0

-

-

-

0,12

0,20

0,26

1

Agriculteurs

0

-

-

-

0,12

0,44

0,56

6

Ouvriers

0



-

-

0,38

0,44

0,31

On est d'autant plus autorisé à conclure à l'existence d'un héritage administratif transmis par le milieu familial que, les effectifs de l'administration s'étant constamment accrus depuis le début du siècle, les indicateurs d'hérédité professionnelle sous-estiment la réalité. E n effet la probabilité d'avoir un père fonctionnaire dépend aussi du nombre des emplois publics proposés à la génération précédente et faute de disposer des statistiques autorisant le calcul complet, notre analyse, qui ne tient pas compte de la croissance des effectifs, démontre a fortiori l'existence de l'hérédité professionnelle dans l'administration 2 . 1. Le taux est si élevé que des erreurs de déclaration restent néanmoins à redouter, l'appellation « militaire » ou « employé » recouvrant souvent des réalités sociologiques hétérogènes. 2. La hiérarchie ici constatée des probabilités d'accès dans le cadre A de la fonction publique correspond à celle observée pour les fonctionnaires fédéraux américains, bien que la comparaison terme à terme de chacune de ces probabilités (ou de ces ratios) ne soit pas rigoureusement possible, ne serait-ce que pour des raisons de classification statistique. Ainsi le rapport de la proportion d'agents à la proportion correspondante dans la population prend les valeurs de 2,932 pour les fils de cadres moyens et de 4,607

24

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

Mais comme l'on sait par ailleurs qu'il existe une certaine transmission familiale dans toutes les catégories sociales et qu'un individu a toujours plus de chance d'exercer le métier de son père que tout autre, on doit se demander si l'hérédité professionnelle est plus ou moins forte dans l'administration que dans les milieux de même niveau social du secteur privé. On peut ainsi comparer aux coefficients de rigidité sociale calculés par M. Praderie pour les différentes catégories sociales et qui s'élèvent à 0,320 pour les cadres supérieurs, 0,251 pour les cadres moyens et 0,072 pour les employés, les coefficients équivalents calculés pour les catégories A, B, C de la fonction publique 1 . Il apparaît que la rigidité sociale est supérieure dans la catégorie A (0,385) à ce qu'elle est pour l'ensemble des cadres supérieurs, et encore plus nettement supérieure dans la catégorie C (0,205) à ce qu'elle est pour l'ensemble des employés, mais qu'en revanche, comme nous l'avons déjà vu, les fils des membres des catégories moyennes de la fonction publique sont peu tentés par l'entrée dans le service public, de sorte que la rigidité sociale dans la catégorie B (0,160) est inférieure à celle des cadres moyens.

TABLEAU

VI. — Coefficents de rigidité sociale.

E n s e m b l e de la p o p u l a t i o n Cadres

supérieurs

Fonction

publique

0,320

Catégorie A

0,385

Cadres moyens

0,251

Catégorie B

0,160

Employés

0,072

Catégorie C

0,205

Ces coefficients sont confirmés par notre enquête sur la haute administration puisque la situation professionnelle des fils des fonctionnaires constituant actuellement le cadre A l peut être déduite de la connaissance de la profession de leurs pères : dans le cas du premier enfant, 28,4 % sont entrés au service de l'État et dans le cas du deuxième, 30,4 %. pour les fils de cadres supérieurs eu France, alors que pour les fonctionnaires fédéraux américains, ces rapports prennent les valeurs de 4,75 chez les fils de « professionnels », de 5,675 chez les fils de cadres moyens et de cadres supérieurs, de 0,9 pour les fils d'artisans ou de commerçants en France contre 2,0 aux États-Unis, de 0,319 pour les fils d'exploitants agricoles en France contre 0,88 aux États-Unis. Cf. L. WARNER, op. cit.,

p. 321-325.

1. M. PRADERIE,« Héritage social et chances d'ascension», in DARRAS, Le partage des bénéfices, Paris, Éditions de Minuit, 1966, p. 333. Les coefficients prennent une valeur égale à 0 % , si la probabilité de demeurer dans la même catégorie correspond à un choix aléatoire et à 100 % si la catégorie s'autoperpétue.

HÉRÉDITÉ

PROFESSIONNELLE

ET

TRADITION

25

Mais les coefficients exprimant une rigidité sociale inégale, selon les catégories, ont aussi une signification différente selon les catégories sociales. Si l'on songe que l'hérédité professionnelle dans l'administration est essentiellement culturelle et ne comporte pas de transmission économique liée à l'exercice de la profession, contrairement à la plupart des autres professions des classes supérieures (même s'il y a transmission d'un patrimoine personnel), on peut supposer que cette hérédité professionnelle, qui implique un système de valeurs privilégiant le sens de la hiérarchie, la rigueur formelle et le service désintéressé (au moins au niveau de l'idéologie) aux dépens du sens de l'entreprise et du risque, est mieux acceptée et intériorisée que les héritages culturels liés à d'autres activités professionnelles. On peut penser que dans un milieu de tradition catholique, où les catholiques pratiquants sont plus nombreux que dans les milieux correspondants du secteur privé, la forte intégration familiale favorise la transmission d'un système de valeurs qui, de plus, est en affinité avec celui du système administratif 1 . En revanche, comme nous l'avons vu, il n'existe pas d'hérédité professionnelle parmi les fils de fonctionnaires moyens, qui se dirigent, toutes choses égales d'ailleurs, un peu moins souvent vers les cadres supérieurs de la fonction publique ou vers les catégories B et G que s'ils se décidaient par un choix aléatoire. Sans doute, cette désaffection des fils de fonctionnaires de la catégorie B pour la fonction publique exprime-t-elle les difficultés vécues par une catégorie intermédiaire, dont la fonction dans la hiérarchie reste ambiguë. Mais on doit y voir aussi un indice, parmi d'autres, de l'existence d'une coupure nette entre la catégorie supérieure de l'administration investie des « fonctions de conception » et les catégories chargées des « fonctions d'encadrement de l'exécution». Si l'on sait de plus que la rigidité des règles de la comptabilité publique rend difficile l'emploi des techniciens moyens que sont, en grand nombre, les fils de fonctionnaires moyens, on comprendra la relative désaffection des fils de ces catégories de fonctionnaires pour la fonction publique. Mais n'est-ce pas suggérer que le système administratif privilégie des traits de rigueur formelle, de régularité, d'ordre interne, aux dépens des valeurs que représente la maîtrise d'un savoir-faire limité mais précis ou d'une technique adaptée à un objet concrètement défini? De telle sorte que les conditions de rémunération de la fonction publique, défavorisant les techniciens au profit des titulaires de diplômes de culture générale, ne ferait qu'exprimer l'antinomie de deux systèmes de valeurs. Au contraire les employés de l'administration, pour lesquels l'adhésion aux valeurs propres au système reste la plus grande, ont une forte hérédité professionnelle. De plus, étant donné que le monde des employés, ayant perdu la plus grande part de son ancien prestige, 1. Voir plus loin, p. 92.

26

LES

AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

s'est féminisé aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public et que de ce fait il a le coefficient de mobilité sociale le plus élevé de toutes les catégories socio-professionnelles la rigidité sociale plus grande parmi les employés du secteur public s'explique aussi par les avantages de sécurité et de protection juridique offerts par le secteur public à des employées, pour qui le salaire reste un salaire d'appoint et dont la réussite personnelle est vécue en termes familiaux et personnels plutôt que professionnels. S'il existe dans la fonction publique une hérédité professionnelle globale supérieure à celle des milieux professionnels du secteur privé, il n'en reste pas moins, comme nous l'avons vu, que nombre de fonctionnaires du cadre A sont issus des classes moyennes et populaires et que les fonctionnaires bénéficient du privilège d'une promotion professionnelle après leur entrée au service de l'État, puisque 40,7 % des fonctionnaires de sexe masculin seulement sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur et que dans la catégorie B, 23,6 % d'entre eux ont atteint le niveau du baccalauréat. Mais cette fonction de promotion s'exerce-t-elle également selon les catégories sociales et statutaires ? On peut ainsi rapporter la distribution des fonctionnaires issus d'une catégorie socio-professionnelle donnée à la distribution correspondante dans l'ensemble de la population active 2 . Mais cette comparaison exprime aussi partiellement le fait que la hiérarchie socio-professionnelle de la fonction publique n'est pas identique à celle du secteur privé. Il apparaît que la part de ceux qui accèdent aux catégories moyennes ou supérieures et de ceux qui s'y maintiennent est plus élevée dans la fonction publique que dans les catégories homologues du secteur privé. Or, la probabilité d'accéder à la fonction publique étant nettement plus élevée, toutes choses égales d'ailleurs, lorsque le père appartient au secteur public, il s'ensuit que l'administration exerce une fonction de promotion sociale, non pour l'ensemble des catégories moyennes et supérieures mais pour les fils de fonctionnaires moyens et supérieurs et pour la fraction des classes populaires qui atteignent un niveau culturel supérieur.

1 . M . P R A D E R I E , i n D A R R A S , op.

cit.,

p.

333.

2. D ' a p r è s les chiffres de M. PRADERIE, R . SALAIS, M. PASSAGEZ, « L a mobilité

sociale en France : liaison entre la formation reçue et l'activité professionnelle », in Études et Conjoncture, février 1967.

HÉRÉDITÉ

PROFESSIONNELLE

ET

TRADITION

27

TABLEAU V I I . — Rapport de la proportion de fonctionnaires à la proportion d'actifs de même groupe socio-professionnel selon la profession de leur père (pour les principales catégories de salariés). Catégorie s o c i o - p r o f e s s i o n ne I l e d u père

Fonctionnaires d'exécution ç o t . C et D

Fonctionnaires moyens cat. B

Ouvrier!

55

(547)

(387)

Employés

64

321

(476)

Cadres m o y e n s

32

127

174

Cadres s u p é r i e u r s

40

125

153

Fonctionnaires supérieurs cat. A

Le statut professionnel des épouses de fonctionnaires semble être un autre indicateur de la fermeture du milieu administratif, les ménages dont l'activité de l'épouse implique la participation à un autre milieu restant exceptionnels. On connaît la forte corrélation qui existe entre la catégorie socio-professionnelle des époux 1 . L e grand nombre de couples de fonctionnaires en est un exemple d'autant plus prévisible que les catégories moyennes de la fonction publique et le corps enseignant connaissent une forte féminisation. L a répartition des fonctionnaires mariés selon la catégorie socio-professionnelle de leurs épouses est identique à ce qu'elle est dans l'ensemble de la population, à ceci près, bien sûr, que les catégories où les fonctionnaires sont plus nombreux sont elles-mêmes sur-représentées, et corrélativement que les catégories les plus éloignées de la fonction publique, comme les commerçants, les ouvriers, les employés de commerce, ou les personnes de service, sont sous-représentées. L e t a u x d'activité des femmes de fonctionnaires (37,9 % ) est nettement supérieur à celui des autres femmes mariées (31,6 % ) . Si l'on ne tient compte que des salariées, en excluant les femmes agriculteurs, les commerçantes, et les professions indépendantes, la différence est encore plus nette, le t a u x d'activité des femmes de fonctionnaires é t a n t de 36,8 % au lieu de 23,5 % pour l'ensemble de la population 2 . Cependant il est comparable à celui des femmes de cadres moyens (37,1 % ) et des femmes d'employés (37,9 % ) niais supérieur à celui des femmes de cadres supérieurs. Si ce travail est d'abord lié a u x nécessités économiques et d'autant plus favorisé par le style de vie de l'époux que 65 % des femmes actives de fonction1. A. GIRARD, Le choix du conjoint. Paria, I . N . E . D . , 1965. 2. D'après les chiffres de M. PRADERIE, « Travail et division du travail entre les s e x e s » , i n D A R R A S , op.

cit.,

p . 1 9 0 sq.

28

LES

AGENTS

DU

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

naires appartiennent elles-mêmes à la fonction publique, les variations de ce taux d'activité dans le secteur privé selon les grandes catégories d'agents de l'État est un indicateur de la fermeture et de l'intégration croissantes des différents milieux du secteur public : 33 % des épouses de fonctionnaires de la ville de Paris et du département de la Seine ont une activité salariée dans le secteur privé, 19,6 % des épouses des ouvriers de l'État, 17,3 % des épouses des fonctionnaires communaux, 13,8 % des fonctionnaires départementaux, 12,9 % des fonctionnaires de l'État et 6,7 % des militaires de carrière, ce dernier chiffre étant à la fois expliqué par les nécessités d'un certain style de vie (contrairement aux autres catégories d'agents de l'État) et par un système de valeurs plus traditionnel. *

Les variations de l'origine sociale et statutaire selon les grandes catégories d'agents des services publics et, dans les administrations centrales, selon les ministères, sont d'autre part l'un des indicateurs du système de valeurs de l'administration. Il apparaît en effet que l'origine sociale et statutaire croît en même temps que la spécificité du secteur public et la proximité du politique. Le service de l'État est nettement préféré au service des collectivités locales; en particulier les cadres supérieurs désertent, à proprement parler, ces dernières. (A ce titre, la ville de Paris et les préfectures de l'ancien département de la Seine se distinguent à peine des autres collectivités locales.) Aussi, lorsqu'on déplore la situation administrative des collectivités locales, leur trop étroite dépendance à l'égard du pouvoir central, on oublie la plupart du temps qu'elles disposent d'un personnel d'origine sociale plus modeste, dont« l'héritage» culturel et administratif a été moindre, et qui ainsi se trouve mal placé pour lutter avec ses homologues de l'administration de l'État, ou avec les notabilités locales et les élus politiques. L'hérédité professionnelle est beaucoup plus faible chez les agents des collectivités locales que chez les agents de l'État, et beaucoup plus faible encore chez les agents de la ville de Paris et du département de la Seine. D'une façon générale elle est toujours plus forte chez les fonctionnaires de l'État. Toutefois il existe une forte hérédité professionnelle parmi les ouvriers d'État, appartenant pour la plupart aux arsenaux militaires, à des manufactures issues d'une vieille tradition, et, jusqu'en 1964, aux manufactures de tabac et allumettes (S.E.I.T.A.), qui, le plus souvent établies en province, bénéficient par leur statut réglementaire et par la situation économique locale d'un attrait particulier. La position des militaires de carrière est intermédiaire entre celle des agents des collectivités locales et celle des agents de l'État, peut-être un peu plus proche de cette dernière, et le tableau V, cité plus haut, met en évidence l'existence d'une forte hérédité mili-

HÉRÉDITÉ

PROFESSIONNELLE

ET

TRADITION

29

taire 1 . Cependant 20 % seulement des fils de militaires qui accèdent au service public entrent dans l'armée; inversement la proportion de militaires fils de militaires ou de fonctionnaires est inférieure à la proportion correspondante de fonctionnaires (31 % contre 38 %) et les militaires sont très rarement fils de fonctionnaires (et cela quel que soit, semble-t-il, le grade des intéressés). L'examen des origines sociales et celui des aspirations révélées par les choix entre service civil et service militaire conduisent à la même conclusion, et montrent la prééminence sociale actuelle du service civil. Il resterait maintenant à déterminer à la fois quelles valeurs propres à l'administration et à l'armée, ou quel type de consécration sociale donnent à ce choix toute sa signification. É t a n t donné la modification de la situation politique générale, ces mécanismes de transmission peuvent entraîner des conséquences particulières. Alors que le nombre des emplois civils tend à croître et celui des emplois militaires à décroître, le service civil devient pour les fils de militaires un substitut immédiat à la carrière militaire. Les traditions de discipline, d'autorité hiérarchisée et centralisée et les idéologies qui s'y rapportent se retrouvent d'autant mieux dans l'administration qu'une certaine homologie de fonction et de taille entraîne des caractéristiques communes aux deux organisations 2 . Cependant si le développement de la grande industrie avait été plus précoce, ce courant se serait peut-être établi au profit de l'industrie, au nom des mêmes nécessités de gestion de grandes organisations : le fait que 24 % des ingénieurs français soient fonctionnaires de l ' É t a t témoigne autant de la faiblesse relative du secteur privé que de la force du secteur public. Les différences de l'origine sociale et statutaire des agents des divers départements ministériels, juridiquement équivalents, sont aussi l'un des indicateurs d'une hiérarchie implicite de l'administration. Ces différences sont en premier lieu l'effet de la structure hiérarchique du ministère. Aussi la comparaison doit contrôler ce qui revient à cette structure et à la nature des fonctions techniques imparties à chaque ministère. A cette fin, on calcule une proportion théorique de fonctionnaires issus d'une catégorie donnée et ressortissant à un ministère donné, en affectant à chacun des cadres statutaires la proportion correspondant à la moyenne générale. Le rapport entre cette proportion théorique et la proportion réellement constatée fournit un indicateur de la représentation relative d'une catégorie donnée dans le ministère considéré 3 . 1. Voir plus haut, p. 23. 2. Une étude historique montrerait que l'administration a emprunté à l'armée nombre de ses modèles de fonctionnement. 3. Cette démarche est rendue nécessaire par le caractère statistique de cette étude qui porte, on s'en souvient, sur un sondage : la comparaison de chacun des cadres statutaires propres à chaque ministère aurait été dépourvue de signification.

30

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

D'autre part, les effectifs de ministères civils étant extrêmement dispersés — cinq d'entre eux, l'Éducation Nationale, les P.T.T., les Finances, l'Intérieur et les Travaux Publics groupent plus des 9/10 des fonctionnaires civils —, il est nécessaire de s'assurer que des conclusions propres aux plus nombreux d'entre eux n'ont pas déformé les conclusions propres à l'ensemble. Les grands départements ministériels, c'est-à-dire, en fait, leurs services extérieurs, paraissent former trois, voire quatre groupes distincts, du moins si l'on repère l'origine sociale de leurs agents par le rapport I 3 correspondant à la catégorie des cadres supérieurs. En premier lieu se trouve l'Éducation Nationale (206); puis les grands ministères techniques (Travaux Publics, 177; Agriculture, 165) et le ministère de la Justice (172); le ministère des Finances occupe une position voisine de la moyenne (114) tandis que le ministère de l'Intérieur et celui des P.T.T. (56 et 46) ont une position nettement inférieure. Les clivages sont moins nets si on procède à la même comparaison pour les catégories moyennes ou populaires, ils n'en sont pas moins significatifs. Les Finances accusent une sur-représentation des catégories moyennes (I 4 = 121) et l'Intérieur des catégories ouvrières (I6 = 125); l'Agriculture et les P.T.T. accusent une sur-représentation des fils d'agriculteurs (respectivement = 186 et I j = 128). Le ministère des Finances enfin, a une très forte sur-représentation de fils de militaires (I 8 = 259), tandis que dans tous les autres ministères, sauf peut-être le ministère de l'Intérieur (I 8 = 164), (mais le personnel de la police a été compté avec les militaires), cette catégorie est relativement sous-représentée (I 8 est de l'ordre de 50) A cette hiérarchie correspond celle des possibilités réelles de promotion interne; ainsi, 75 % des fonctionnaires des P.T.T. ont atteint le cadre A à la suite d'une promotion interne, sans doute favorisée par les conditions réglementaires de l'accès à certains emplois, comme celui d'inspecteur principal ou d'administrateur. Le ministère de l'Intérieur et le ministère des Finances présentent des taux de promotion interne élevés (respectivement 49 % et 45 %), alors que les autres ministères ont un taux beaucoup plus faible (de 23 % à 28 %). Si ce résultat n'est pas pour surprendre en ce qui concerne l'Éducation Nationale, où la hiérarchie professionnelle est une fonction directe de la hiérarchie des titres universitaires, il témoigne qu'il existe entre les ministères des différences radicales dans l'organisation des carrières et dans l'effort d'enseignement et de promotion. Si l'on analyse les origines sociales selon des catégories plus détaillées et non plus au seul niveau des catégories globales, on constate que l'hérédité professionnelle existe à l'intérieur de certains secteurs du système administratif : ainsi les fils de professeurs deviennent plus 1. Le chiffre placé en indice correspond au code des catégories socio-professionnelles de l'I.N.S E . E .

HÉRÉDITÉ

PROFESSIONNELLE

ET

TRADITION

31

fréquemment professeurs, les fils d'ingénieurs plus fréquemment ingénieurs, les fils d'administrateurs eux-mêmes plus fréquemment administrateurs. L a mobilité à l'intérieur des milieux supérieurs étant imparfaite, les clivages que la diversité des fonctions ou des missions provoque à l'intérieur de l'administration tendent à se perpétuer.

TABLEAU V I I I .



Répartition

fils de cadres supérieurs, Ensemble % Professions libérales

8,7

des

fonctionnaires

selon le

ministère.

P.T.T.

Finances

%

%

10,2

4,2

8,0

7,9

13,8

Education nationale

%

Trqvpux publics %

Autres

%

Professeurs

20,0

26, 5

7,0

10,7

15,0

12,2

Ingénieurs

17,3

14, 7

16,8

13,4

29,8

26,9

Cadres administratifs supérieurs

54,0

48, 7

72,0

67,7

47,5

46,8

100,0

100, 0

100,0

100,0

100,0

100,0

On peut aussi appliquer la méthode de calcul précédemment décrite et construire ainsi un indice d'hérédité professionnelle propre à chaque ministère. Les indices, très voisins de 100 dans la majorité des cas, en diffèrent néanmoins nettement pour certains départements ministériels. C'est, en premier lieu, le cas du ministère des Travaux Publics (130). Or ses agents étant plus fréquemment fils d'ingénieurs ou de techniciens devraient être peu fonctionnarisés. On peut se demander si ce chiffre ne s'explique pas par le prestige du corps des Ponts et Chaussées auprès des fonctionnaires et des ingénieurs. Le ministère de l'Éducation Nationale et le ministère des P.T.T. ont, au contraire, une hérédité professionnelle légèrement inférieure à la moyenne (I = 95), contrairement à ce que les mécanismes précédents laissent attendre, manifestement parce qu'ils ont l'un et l'autre connu un développement numérique important dans les années récentes. Enfin, les agents des ministères sociaux, des Anciens Combattants, de la Coopération, ont une hérédité professionnelle nettement plus faible (I = 78). Possédant des effectifs faibles, créés à des époques récentes, ces ministères occupent souvent une position marginale par rapport aux grands ministères traditionnels, ce que le choix implicitement fait par les fonctionnaires contribue à accentuer. *

32

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

Comme toutes les institutions sociales, le système administratif trouve son avantage à recruter une forte proportion d'agents déjà familiarisés p a r l'intermédiaire de leur milieu familial avec les normes de son fonctionnement et le système de valeurs qu'elles impliquent. Mais si l'hérédité professionnelle est particulièrement forte dans l'administration, où ce mécanisme d'auto-perpétuation est comme renforcé, la raison n'en tient-elle pas au fait que, le système administratif é t a n t mal pourvu des critères et des moyens de contrôler le rendement de ses agents, l'hérédité professionnelle constitue un moyen indirect et informel d ' u n contrôle du fonctionnement administratif?

SÉCURITÉ ET VALEURS FAMILIALES Le malthusianisme des fonctionnaires en matière de fécondité, la féminisation croissante de la fonction publique sont aujourd'hui comme jadis deux des thèmes préférés de la littérature consacrée à l'administration, sans doute parce qu'à l'insu même des auteurs, la famille et les valeurs familiales constituent un élément essentiel de l'équilibre des agents et du système administratif. La fécondité des fonctionnaires, la place que l'administration accorde aux femmes seront analysées ici comme deux indicateurs privilégiés du système de valeurs propre à la fonction publique. La fécondité est en effet l'un des indicateurs les plus indirects et les plus révélateurs des différents groupes sociaux et tout particulièrement de leur attitude à l'égard du temps. Son étude permet d'analyser le sentiment de sécurité et la recherche de la sécurité propres au milieu administratif, qui s'expriment dans la vie de famille, et que celle-ci renforce à son tour. *

L'étude de la fécondité des fonctionnaires que nous présentons ici s'appuie systématiquement sur les analyses présentées par P. Bourdieu et A. Darbel 1 . Nous ne rappellerons pas l'ensemble des analyses expliquant le taux de fécondité par le rapport entretenu par les sujets avec les conditions objectives de leur existence et le système de valeurs et d'attentes du groupe social auquel ils appartiennent, mais nous en rappellerons la conclusion : « Le sentiment de sécurité ou d'insécurité que les sujets sociaux peuvent retirer de leur expérience quotidienne et qui influence toutes leurs décisions engageant l'avenir, comme les conduites de procréation, est fonction d'une part de leurs conditions réelles d'existence et d'autre part des normes socialement conditionnées et propres à leur classe qui définissent les conditions d'existence (revenus, régularité de l'emploi, avenir de la profession et avenir dans la profession, logement, etc.) absolument exigibles et l'étendue de la responsabilité parentale, par exemple en matière d'éducation ». 1. P . B O U R D I E U et A. p. 135 sq.

DARBEL,«

La fin d'un malthusianisme», in

DARRAS,

op. cit.

34

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

Le s e n t i m e n t e t le désir de sécurité é t a n t p a r t i c u l i è r e m e n t liés à la profession d u f o n c t i o n n a i r e , d o n t la carrière n e c o m p o r t e q u e des risques limités, on c o m p r e n d q u e la f é c o n d i t é soit u n i n d i c a t e u r privilégié d u s y s t è m e d ' a t t e n t e s , d ' a t t i t u d e s et de v a l e u r s p r o p r e à la f o n c t i o n p u b l i q u e . Mais si le s e n t i m e n t de sécurité ou d ' i n s é c u r i t é est le f a c t e u r essentiel q u i influence les décisions e n g a g e a n t l ' a v e n i r et e n particulier les c o n d u i t e s de p r o c r é a t i o n , n e doit-on p a s s ' é t o n n e r de la r é p u t a t i o n de m a l t h u s i a n i s m e des f o n c t i o n n a i r e s ? L a f a i b l e n a t a l i t é des f o n c t i o n n a i r e s est en effet l ' u n des t h è m e s f a v o r i s de la l i t t é r a t u r e consacrée à l ' a d m i n i s t r a t i o n depuis la fin d u XIX e siècle. C'est même u n thème si répandu que les auteurs en donnent une explication dès 1898 :« Des causes de dépopulation..., il en est une qui nous paraît agir plus directement sur l'employé de l ' É t a t que sur t o u t autre individu : c'est l'expansion des besoins. L'éducation de l'employé est, en général, très propre à favoriser cette expansion; la vie relativement aisée qu'il mène d u r a n t le célibat n'est pas pour la contrarier, si bien qu'il entre en ménage avec tous les goûts du bien-être et les seules ressources de la médiocrité. Comment et pourquoi souhaiterait-il de nombreux enfants? Serait-ce afin de les voir éprouver plus t a r d cette dure contradiction qu'il a connue lui-même entre les besoins et les ressources? Ou bien, s'il a évité une telle souffrance en épousant quelque travailleuse, serait-ce pour les laisser t o u t le jour dans la maison abandonnée, cependant que la mère est au bureau ou à l'atelier M1. Ce texte établit clairement une liaison entre les caractéristiques de la natalité et une éthique spécifique des fonctionnaires. Or il reflète une opinion très largement répandue dans le grand public comme parmi les économistes et les sociologues, et qu'on trouve encore exprimée dans les commentaires des statistiques de 1944 et de 1947. On en a déduit très tôt l'idée que l ' É t a t devait, par divers avantages consentis aux fonctionnaires chargés de famille, combattre les causes de ce phénomène. Un article du Temps du 27 janvier 1897 2 relate une démarche effectuée par l'Alliance nationale pour l'accroissement de la population française auprès de M. Méline, président du Conseil : entre autres vœux, l'association demandait « que le nombre des enfants vivants soit marqué dans les notes signalétiques de MM. les fonctionnaires et qu'il en soit tenu compte pour leur avancement ». Mais surtout — et il n'est que de lire les débats parlementaires qui ont précédé la loi du 18 octobre 1919 — le souci de favoriser la natalité a été l'un des arguments majeurs en faveur des allocations familiales pour les fonctionnaires. Les statisticiens d u d é b u t d u siècle r e n f o r c e n t p a r leurs t r a v a u x ces idées reçues en é t a b l i s s a n t q u e la f é c o n d i t é des employés de l ' É t a t pris d a n s leur ensemble est inférieure à celle de la p o p u l a t i o n globale. 1,63 enfants en moyenne pour les employés fonctionnaires de sexe masculin, célibataires exclus, en 1906, contre 2,17 chez les ouvriers de l ' É t a t et 2,19 3 1. L. G U I M B A U D , Uemployê de l'État, Paris, Girard et Brière, 1898, p. 70-71. 2. Cité par L . G U I M B A U D , ibid., p. 71-72. 3. D'après la Statistique des familles publiée par la Statistique générale de la France en annexe aux Recensements généraux (1906, 1911, 1926, 1931, 1936). Il s'agit du nombre moyen d'enfants survivants, seuls les recensements de 1906 et 1931 ayant été faits d'après le nombre total des enfants nés, et celui de 1931, qui ne comporte pas de classement par profession, étant inutilisable ici.

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

35

pour la France entière ; 1,58 contre 2,09 et 2,12 en 1911; 1,39 contre 1,93 et 1,95 en 1929 De plus, ils montrent la faiblesse particulière de la fécondité des ménages de fonctionnaires, qu'ils tiennent pour un argument démontrant l'influence néfaste exercée sur la natalité par l'appartenance à la fonction publique. On donne ainsi l'exemple, en 1898, de la recette principale des Postes et Télégraphes de N. qui comptait 85 employés : 33 étaient célibataires, parmi lesquels 17 hommes et 16 femmes; 34, mariés avec une femme non fonctionnaire, réunissaient 47 enfants; 18 étaient mariés entre eux, et les 9 ménages ne réunissaient que 4 enfants 2 . De même en 1944, le nombre moyen des enfants, qui était de 114 pour 100 familles de fonctionnaires, tombe à 98 lorsque les deux conjoints sont fonctionnaires 3 . Mais si les statisticiens ont tout de suite éliminé l'influence différentielle de l'âge sur la fécondité, en procédant à des comparaisons de fécondité à âge égal, ils ont comparé, jusqu'à l'étude fondamentale de M. Febvay 4 , la fécondité de l'ensemble des employés à celle de l'ensemble de la population globale sans tenir compte de l'influence différenrentielle exercée sur la fécondité par l'appartenance à différentes catégories socio-professionnelles, aussi bien dans la population totale que dans l'administration, où les hauts fonctionnaires, issus de la grande bourgeoisie catholique parisienne, ont apparemment peu en commun avec les employés des postes, ou les instituteurs, fils de paysans aux idées volontiers « avancées » . Aussi, fondée sur l'analyse des variations systématiques de la fécondité selon les catégories socioprofessionnelles, toute l'étude qui suit compare la fécondité des membres de la fonction publique à celle de l'ensemble de la population, à catégorie socio-professionnelle constante. Or la comparaison de la fécondité des fonctionnaires à celle des catégories homologues du secteur privé peut être menée dès 1906, grâce à la découverte dans la Statistique des familles de données non exploitées jusqu'à présent. Jusqu'en 1944, outre les données fournies par les recensements généraux (qui ne font pas pour les salariés des services publics d'autre distinction que celle des employés et des ouvriers), on ne possède qu'une seule étude démographique des fonctionnaires, celle qui est publiée en annexe du recensement 1. L a Statistique des familles en 1936 donne les chiffres suivants : 1,54 pour les services publics contre 1,82 dans la France entière en 1926; 1,59 contre 1,80 en 1936. Les chiffres diffèrent pour 1926 d'avec le tableau précédent pour deux raisons. D'une part sont comptés ici tous les chefs de famille, y compris les veuves. D'autre part en 1936 les familles n'ayant pas déclaré le nombre de leurs enfants (soit 8 % des familles recensées) ont été considérées comme n'ayant pas d'enfants vivants. 2 . L . G U I M B A U D , op. cit., p . 2 1 . 3 . Contribution à la statistique des fonctionnaires, 1944, p. 87-88. 4 . M . F E B V A Y , Niveau et évolution de la fécondité par catégorie socio-professionnelle, i n Congrès international de la population, Vienne, 1959, p. 257-272.

36

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

de 1906 : encore ne correspond-elle qu'à une enquête partielle (284 000 bulletins ont été exploités). Les s t a t i s t i q u e s établissent en effet q u e la f é c o n d i t é des e m p l o y é s de l ' É t a t ( l , 9 8 e n f a n t s nés en m o y e n n e ) est égale à celle de la catégorie « e m p l o y é s » d u r e c e n s e m e n t général (1,97 e n f a n t s nés en m o y e n n e ) , le n o m b r e m o y e n d ' e n f a n t s s u r v i v a n t s é t a n t r e s p e c t i v e m e n t de 1,60 et 1,58 et q u e , de m ê m e , les ouvriers de l ' É t a t a v a i e n t en m o y e n n e 2,61 e n f a n t s e t les ouvriers d a n s leur e n s e m b l e 2,81. Dès c e t t e d a t e , la f é c o n d i t é des e m p l o y é s de l ' É t a t a p p a r a î t d o n c p r a t i q u e m e n t égale à celle des catégories homologues d u s e c t e u r p r i v é 1 . D ' a u t r e p a r t les v a r i a t i o n s de la f é c o n d i t é selon les catégories de t r a i t e m e n t s o n t c o n f o r m e s a u x analyses postérieures de M. F e b v a y : elle décroît l o r s q u ' o n passe des classes p o p u l a i r e s a u x classes m o y e n n e s , où elle est m i n i m u m , et croît à n o u v e a u , à m e s u r e q u e s'élève le n i v e a u social. Dans la catégorie A (traitement inférieur à 1 500 F par an) le nombre d'enfants survivants était en moyenne de 2. Dans les catégories D et E (traitements compris entre 1 501 F et 4 500 F par an, correspondant à ceux des commis et des rédacteurs d'administration centrale), le nombre était de 1,50 et s'élevait en même temps que les catégories de traitement pour atteindre une moyenne de 2,15 enfants dans la catégorie H (traitement supérieur à 10 000 F par an, correspondant à celui de Directeur d'administration centrale). On p e u t d o n c m o n t r e r que, dès c e t t e é p o q u e , la faible f é c o n d i t é des f o n c t i o n n a i r e s n ' é t a i t p a s d u e , c o m m e le c r o y a i e n t les c o n t e m p o r a i n s , à l ' i n f l u e n c e de la f o n c t i o n p u b l i q u e , mais à l ' a p p a r t e n a n c e de la m a j o r i t é des f o n c t i o n n a i r e s a u x classes m o y e n n e s , p e u prolifiques. C e p e n d a n t , é t a n t d o n n é la g a r a n t i e d ' e m p l o i s u p é r i e u r e à celle d u secteur p r i v é , d o n t bénéficiaient les f o n c t i o n n a i r e s , le s e n t i m e n t de sécurité n ' a u r a i t - i l p a s d û c o n d u i r e à u n e f é c o n d i t é s u p é r i e u r e à celle des a u t r e s classes m o y e n n e s ? La sécurité des fonctionnaires est u n t h è m e c o n s t a n t de la littér a t u r e a d m i n i s t r a t i v e , dès le milieu d u XIXe siècle : « Amovibles ou non, les fonctionnaires jouissent en France d'une grande sécurité personnelle. A p a r t certaines mesures de violence que chaque révolution amène... ces situations sont respectées >>2. Ce fait, malgré l'absence de statut, est confirmé par la suite : « E n fait donc, les révocations sont très rares. L'employé de l ' É t a t est devenu ainsi presqu'inamovible » 3 . « E n fait, du jour où il a été reçu à l'épreuve insignifiante du concours d'entrée, le candidat est tranquille, il sait qu'il a acquis le privilège de gérer les affaires de l ' E t a t , et d'être nourri à ses frais jusqu'à son dernier soupir. » 4 1. Voir annexe I, p. 124. 2. M. VIVIEN, Études administratives, 3. L . GUIMBAUD, op.

cit.,

1898, p.

Paris, Guillaumin et C IE , 1852, p. 263. 19-20.

4. M. G. DEMARTIAL, Le personnel des ministères,

p. 25.

Paris, Berger-Levrault, 1906,

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

O n c o m p r e n d q u e les employés de l ' É t a t , a u style bourgeois r e n f o r c é p a r le f o r m a l i s m e j u r i d i q u e p r o p r e à t i o n , é t a i e n t p a r t i c u l i è r e m e n t soucieux de sécurité e t j u r i d i q u e s et n ' e n r e s s e n t a i e n t pas moins l ' a b s e n c e de

37

de vie p e t i t l'administrade garanties statut.

E n dépit de quelques traces de garanties antérieures, l'histoire du x i x e et du début du x x e siècle peut être regardée comme celle de la recherche de la sécurisation statutaire de la fonction publique; au début du XIX e siècle les demi-soldes et les agents des Finances qui subirent les coups de la terreur blanche ouvrent un mouvement d'opinion que l'opposition libérale appuie de 1844 à 1850 et qui faillit aboutir en 1848; l'offensive reprend en 1873, mais le projet de loi élaboré par la chambre est rejeté par le gouvernement après avoir reçu u n avis défavorable du Conseil d ' E t a t ; en 1905, le scandale des fiches vient ébranler u n système qui ne voulait pas accorder de garanties risquant de prévaloir sur le bon fonctionnement de l'administration et qui tenait surtout à ce que les garanties fussent octroyées et non discutées paritairement. Cependant, l'extension de la pratique du concours d'admission dans les dernières années du x i x e siècle, la réglementation du régime des sanctions, mais surtout la reconnaissance implicite d'abord, explicite ensuite, des associations professionnelles et des syndicats conduira à u n véritable bouleversement de la conception du service public, qui, amorcé pratiquement vers 1887 (syndicats d'instituteurs), s'achève vers 1905-1910, période où toutes les amicales se transforment en syndicats. Ainsi l ' a b s e n c e d e s t a t u t a-t-elle p u e n t r e t e n i r chez les fonct i o n n a i r e s u n e i n q u i é t u d e d i s p r o p o r t i o n n é e à la sécurité réelle de l ' e m ploi. L ' a n a l y s e des l o n g u e s discussions sur le s t a t u t m o n t r e e n effet q u e les f o n c t i o n n a i r e s r e v e n d i q u e n t a v e c plus d ' i n s i s t a n c e l ' o r g a n i s a t i o n d e l ' a v a n c e m e n t e t des g a r a n t i e s q u i l ' e n t o u r e n t . Or ces g a r a n t i e s o n t été t a r d i v e m e n t acquises e t les f o n c t i o n n a i r e s y a t t a c h a i e n t d ' a u t a n t plus d e p r i x q u e celles d e l ' e m p l o i l ' é t a i e n t depuis l o n g t e m p s d a n s les f a i t s . Sans d o u t e est-ce l ' i n s é c u r i t é de la carrière, plus longt e m p s prolongée q u e l'insécurité de l ' e m p l o i , qui a c o n d u i t les fonct i o n n a i r e s a u m ê m e m a l t h u s i a n i s m e q u e les a u t r e s m e m b r e s des classes m o y e n n e s . D e plus, d a n s les g r a n d e s o r g a n i s a t i o n s , l ' i n c e r t i t u d e s u b j e c t i v e n'est-elle p a s l a r g e m e n t s u p é r i e u r e à celle q u e d e v r a i t p r o v o q u e r la s i t u a t i o n o b j e c t i v e , telle q u e p e u t l ' é t a b l i r l ' o b s e r v a t i o n des f a i t s e t l ' i n c e r t i t u d e n e croîtrait-elle p a s a v e c la taille des o r g a n i s a t i o n s , leurs effectifs ou l e u r c o m p l e x i t é ? Ce serait là u n e des raisons p o u r lequelles les r e v e n d i c a t i o n s d u syndicalisme f o n c t i o n n a i r e s o n t p a r t i e s des a d m i n i s t r a t i o n s les plus n o m b r e u s e s 1 . 1. Cette hypothèse peut elle-même être regardée comme une conséquence de la loi de valeurs extrêmes : la probabilité que la valeur maximum (ou minimum) observée dans un échantillon aléatoire soit supérieure (ou inférieure) à une valeur donnée est une fonction croissante de la taille de cet échantillon. En d'autres termes, l'apparition de valeurs exceptionnelles (ou anormales) sera d'autant moins rare que la population observée sera plus importante. Si l'on admet que les valeurs extrêmes, parce qu'elles sont l'objet d'une publicité plus large, ont un rôle privilégié dans l'appréciation d'une situation par un sujet social, on conçoit que la connaissance d'une situation soit elle-

38

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

Si l'étude des données établies en 1906 montre que la fécondité des fonctionnaires est égale à celle des catégories sociales homologues du secteur privé, l'analyse des variations de la fécondité selon les catégories socio-professionnelles, réalisée par M. Febvay sur les taux de fécondité entre 1930 et 1940, démontre qu'à niveau socio-professionnel comparable, les salariés des administrations centrales avaient alors un taux de fécondité supérieur à celui des salariés des grands services extérieurs, lui-même supérieur à celui des salariés du secteur privé 1 . Mais dans une période de déflation, le traitement du fonctionnaire paraissait sans doute plus élevé, la sécurité de l'emploi particulièrement souhaitable; enfin le montant des allocations familiales distribuées aux fonctionnaires était en moyenne deux fois plus élevé que celui des allocations distribuées aux salariés du secteur privé. Faut-il donc attribuer la fécondité supérieure du secteur public à ces traits particuliers de la conjoncture économique plutôt qu'aux caractéristiques spécifiques de la fonction publique ? L'analyse de la situation actuelle telle qu'elle a été établie par le Recensement des agents de VÉtat et des collectivités locales permet de répondre à cette question. On peut en effet comparer, toujours à partir de l'étude de M. Febvay, la fécondité des fonctionnaires à celle des catégories correspondantes dans le secteur privé (fonctionnaires de catégorie A et cadres supérieurs, fonctionnaires de catégorie B et cadres moyens, fonctionnaires de catégorie C et employés, fonctionnaires de catégorie D et ouvriers) 2 . même fonction de la taille du milieu auquel appartient le sujet, ou encore que le milieu, par sa dimension et sa structure, entraine une déformation spécifique. Plus généralement, l'établissement de règles fixant les rapports à l'intérieur d'une organisation est induite par la dimension de cette organisation qui résulte elle-même des tâches qui lui sont assignées. Il s'ensuit que les garanties statutaires de la fonction publique doivent être regardées tout d'abord comme l'effet nécessaire de la dimension atteinte par les grandes administrations de l ' É t a t et qu'elles sont homologues des garanties accordées par les grandes entreprises privées. La tendance à la protection formelle doit donc s'accentuer dans la mesure où la croissance des organisations bureaucratiques est un phénomène constant. Cependant le degré de formalisme ou de protection reste fonction d'autres variables et particulièrement de l'histoire ou de traits culturels nationaux. 1. La Statistique des familles en 1936 ne fournit qu'une estimation globale, mais qui souligne aussi le sens de cette évolution. Reprenant les chiffres de 1926 (selon une méthode de calcul différente de celle qui avait été alors appliquée), elle constate entre 1926 et 1936 une augmentation de 3,2 % du nombre des enfants pour l'ensemble des services publics. 2. Les conditions d'une analyse démographique rigoureuse ne sont pas strictement remplies, puisque nous n'observons pas de cohortes de femmes mariées, d'âge donné, mais des cohortes d'hommes mariés (à l'époque du recensement). Comme il existe une corrélation étroite entre l'âge des époux, la courbe des t a u x de fécondité ainsi obtenue se déduit de la courbe féminine par une translation d'amplitude comprise entre cinq et dix ans environ. Toutefois, il existe d'autres raisons de divergence entre les deux courbes; d'une part les calculs de M. Febvay ne retiennent que les femmes âgées de moins de 30 ans, alors que toutes les femmes sont ici retenues; d'autre part, u n homme âgé de 50 ans environ, peut s'être marié soit avant-guerre, soit après-guerre, soit avec une femme n'ayant pas atteint le terme de sa vie féconde, soit avec une femme ayant atteint ou dépassé ce terme. Sauf dans le cas où les mariages ont été célébrés

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

39

Pour effectuer cette comparaison, il est nécessaire d'éliminer l'influence que l'âge peut exercer sur la fécondité, c'est-à-dire de comparer les divers t a u x de fécondité à âge égal. On peut ainsi comparer le nombre moyen d'enfants nés après dix ans de mariage pour les femmes mariées en 1944 au nombre moyen d'enfants nés dans les familles de fonctionnaires âgés de 35 à 39 ans, célibataires exclus. Il apparaît alors que les t a u x de fécondité sont approximativement les mêmes dans le secteur privé et le secteur public dans les trois catégories les plus élevées (respectivement 2,48 et 2,30, 2,07 et 2,10, 2,10 et 2,12), alors que la fécondité de la catégorie D (1,80) est nettement moins élevée que celle de la catégorie correspondante dans le secteur privé (2,57) TABLEAU I X . — Nombre

titulaires

moyen

et stagiaires de l'État (Administrations

d'enfants

des

agents

selon la catégorie centrales.)

statutaire

Sexe masculin A p r è s d i x a n s de m a r i a g e Fonctionnaires Catégorie

Secteur

Nombre d'enfants

Catégorie

A p r è s v i n g t a n s de m a r i a g e

privé

(1)

Nombre d'enfants

Secteur privé

Fonctionnaires Catégorie

Nombre d'enfants

Catégorie

(1)

Nombre d'enfants

1,8

ouvriers

2,57

D

1,5

ouvriers

2,57

C

2,1

employés

2,12

C

1,9

employés

2,00

B

2,1

c. moy.

2,07

B

2,1

c. moy.

1,89

A

2,3

prof. lib.

2,48

A

2,2

prof. lib.

2,38

D

1. Les chiffres du secteur privé sont empruntés à M. Febvay. après-guerre et où ils sont parvenus au terme de leur fécondité, les résultats statistiques seront, en moyenne, inférieurs à celui des familles complètes constituées après-guerre. E n général, les données de ce tableau sous-estiment donc légèrement la fécondité réelle des ménages de fonctionnaires telle qu'une méthode rigoureuse permettrait de la chiffrer. 1. On peut se faire rapidement une idée suffisamment précise du degré de signification statistique de la comparaison du nombre moyen d'enfants entre deux échantillons, de taille n, si l'on admet que la variable aléatoire x (nombre d'enfants d'une famille) suit une loi de Poisson de paramètre m (égal à la moyenne) et, par suite, de

n

variance m, en sorte que la somme, prise sur un échantillon S xt suit encore une

j n

i

loi de Poisson de paramètre nm et la variable - S xh une loi de Laplace Gauss m\ " Î m , — y, on peut donc donner pour différentes valeurs de m et n la valeur de l'écart

]/nJ

entre une valeur observée d'une valeur donnée à l'avance correspondant à un seuil de confiance donné à l'avance; au niveau de 5 % n = 10 n =50 n = 100 n = 1 000 m= 3 1,1 0,50 0,35 0,11 m= 2 0,9 0,40 0,30 0,09 En pratique le chiffre qui suit la virgule dans les tableaux ci-dessous n'a qu'une valeur indicative.

LES

40

AGENTS

DU

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

On peut aussi comparer le nombre moyen d'enfants des familles complètes de même niveau socio-professionnel dans la population totale (les femmes âgées de 45 à 54 ans) au nombre moyen d'enfants des fonctionnaires des administrations centrales âgés de 50 à 64 ans, célibataires exclus. Il apparaît de même que les taux de fécondité sont à peu près les mêmes dans le secteur privé et dans le secteur public pour les trois catégories les plus élevées (respectivement 2,25 et 2,20, 1,89 et 2,10, 2 et 1,90) alors que la fécondité de la catégorie D (1,80) est nettement moins élevée que celle de la catégorie correspondante dans le secteur privé (2,57), le taux plus élevé pour les fonctionnaires âgés de 65 à 69 ans dans la catégorie A tenant à ce que les charges de famille sont l'une des raisons qui permettent de prolonger l'activité du fonctionnaire au-delà de 65 ans.

Nombre moyen d'enfants par tranche d'âge selon le sexe et la catégorie statutaire des agents titulaires et stagiaires. (Administrations centrales.)1 T A B L E A U X . -—

Sexe cat. A

fat. B

masculin

Sexe féminin

cat. C

cat. A

cot. B

cat. C

cet. D

-

0,4



0,5

1

cat. D

de 20 à 24 ans

0,4

-

1

de 25 à 29 ans

1,3

1

0,7

1,3

0,2

0,8

0,6

1

de 30 à 34 ans

1,6

1,8

1,5

1,4

1,3

1,5

1,3

1,3

de 35 à 39 ans

2,3

2,1

2,1

1,8

1

0,7

1,3

1,3

de 40 à 44 ans

2,6

2,2

2,1

2,9

1,4

1

1,3

1,1

de 45 à 49 ans

2,3

2,2

2,1

de 50 à 54 ans de 55 à 59 ans de 60 à 64 ans 65 ans et plus % chiffres non

(

< 2,2

(

r

j 2,1

(

3,7

( i 1,9 i 1,8 ( ( ( i

l

]

flj*

(1) *

l

0,9

j

0,9

( 0,8

0,5

.

(

1 2

(

1,3

11,4 ( 1,2

significatifs.

1. On trouve, dans ce tableau, la trace de l'histoire démographique récente : les couples mariés après-guerre et qui atteignent un âge où leur fécondité approche son maximum (vers 50 ans), ont un nombre moyen d'enfants supérieur à ceux qui, plus âgés, se sont mariés avant-guerre, à l'exception bien sûr des fonctionnaires âgés de plus de 65 ans.

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

41

La spécificité de la fonction publique paraît nette, en ce qui concerne les fonctionnaires de la catégorie D, dont le taux de fécondité est, en tout cas depuis 1947, nettement inférieur à celui des ouvriers 1 . Bien que leur faible formation et leur revenu modeste les rapprochent des ouvriers d'usine ou des ouvriers agricoles, les fonctionnaires de la catégorie D qui comprennent des huissiers, garçons de courses, chauffeurs, sténo-dactylos débutantes, ont un style de vie et, en particulier, un style de vêtement et des contacts qui les assimilent au monde des employés de bureau, qu'ils côtoient au cours de leur vie professionnelle. Par ailleurs, la plupart d'entre eux ont l'ambition, soutenue par les syndicats et qui sera satisfaite, d'accéder dans l'avenir à la catégorie C et même à la catégorie B. On comprend dès lors que les fonctionnaires de cette catégorie aient adopté plus ou moins consciemment les valeurs propres aux employés des catégories B et C auxquels ils tendent à s'assimiler et, en particulier, que leur taux de fécondité soit parmi les plus faibles de toutes les catégories socio-professionnelles. Si l'on se souvient qu'en 1906, les fonctionnaires les plus modestes avaient comme les ouvriers, un taux de fécondité élevé, ne peut-on en conclure à une sorte d ' « embourgeoisement » des catégories inférieures de la fonction publique, favorisé par l'enrichissement général? Les femmes actives ayant une fécondité inférieure à celle des femmes qui n'exercent pas d'activité professionnelle, il importe pour apprécier l'influence spécifique de la fonction publique de comparer les ménages dont le chef est fonctionnaire, suivant que la femme travaille ou non, aux ménages de même niveau social dans l'ensemble de la population, c'est-à-dire de contrôler l'inégale proportion de femmes actives. Il apparaît que le nombre moyen d'enfants à charge est plus élevé chez les fonctionnaires, que leurs épouses travaillent ou non, que chez les non-fonctionnaires. Si l'on rapproche les résultats du recensement des fonctionnaires des travaux de M. Praderie 2 , on constate que, dans les familles dont le chef est fonctionnaire, le nombre moyen d'enfants à charge dans les familles de trois enfants ou plus s'élève à 1,052

1. E n 1947 chez les fonctionnaires mariés titulaires, le nombre moyen d'enfants passait de 0,5 pour les traitements de moins de 120 000 A F à 0,9 pour les traitements de 120 000 A F à 270 000 A F , 1,8 pour les traitements de 270 000 A F à 480 000 A F et 3 et plus pour les traitements supérieurs à 480 000 A F . 2. Dans l'étude de M. PRADERIE, « L'emploi féminin en 1962 et son évolution depuis 1954 » , in Études et Conjoncture, décembre 1964, les familles de trois enfants et plus, c'est-à-dire les familles nombreuses au sens de la législation sociale, sont regroupées en un seul poste. Nous avons procédé au même regroupement afin de permettre la comparaison avec ces travaux. Si l'on admet que la répartition des familles nombreuses diffère peu d'un échantillon à l'autre, l'erreur ainsi commise peut être regardée comme négligeable. Mieux, comme les familles très nombreuses qui présentent un caractère exceptionnel sont en quelque sorte abstraites du calcul et qu'elles peuvent perturber la comparaison de moyennes, les indicateurs retenus répondent mieux à l'esprit de notre propos.

LES AGENTS DU SYSTÈME

42

ADMINISTRATIF

quand la mère est active et à 1,335 quand la mère est inactive; alors que dans les familles dont le chef n'est pas fonctionnaire ces chiffres sont respectivement de 0,762 et 1,196.

T A B L E A U X I . — Nombre moyen d'enfants à charge dans les familles de trois enfants ou plus

Père fonctionnaire . . Père non-fonctionnaire

1.

Mère active 1,052 0,762

Comment dès lors les ménages de fonctionnaires auraient-ils, comme le répète traditionnellement la littérature consacrée à l'administration, une fécondité particulièrement faible et, plus généralement, comment la fécondité des femmes fonctionnaires ne serait-elle pas plus élevée que celle des autres femmes actives de même niveau social? En analysant les résultats du recensement de 1947, on constate que sur 259 188 fonctionnaires mariés de sexe masculin, 10,2 % avaient une épouse travaillant hors de la fonction publique, 22,6 % une épouse fonctionnaire. Si 65,8 % des femmes actives non-fonctionnaires étaient sans enfants et si leur nombre moyen d'enfants était de 0,5, les chiffres étaient respectivement de 44,3 % et 0,9 pour les femmes fonctionnaires. Or, le recensement de 1962 confirme que la fécondité des femmes de fonctionnaires, elles-mêmes fonctionnaires, est supérieure à celle des femmes actives de fonctionnaires, qui ne sont pas elles-mêmes fonctionnaires. Dans le premier cas, le nombre moyen d'enfants s'établit à 1,621 contre 1,127 dans le deuxième et le nombre moyen d'enfants, correspondant a u x familles complètes, semble dépasser nettement deux enfants dans le premier cas et rester inférieur à deux dans le deuxième cas. L'exercice d'une profession de fonctionnaire pour une femme semble ainsi compatible avec une vie familiale, puisque, quelle que soit la catégorie statutaire, le nombre moyen d'enfants est toujours plus élevé, lorsque la femme est fonctionnaire que lorsqu'elle travaille hors de l'administration. 1. Il est évidemment dommage que les comparaisons d'une part soient opérées par l'intermédiaire d'indicateurs, d'autre part qu'elles ne tiennent pas systématiquement compte des différences de structure d'âge. L'une et l'autre objection ne peuvent modifier le sens des résultats de manière appréciable; il existe en effet une corrélation très étroite entre le nombre d'enfants à charge pour une tranche d'âge donnée des parents et le nombre total d'enfants, et cette corrélation varie vraisemblablement assez peu selon les catégories sociales; enfin, M. Febvay a montré que, connaissant le niveau de la fécondité dix ans après le mariage, il est possible de prévoir le niveau définitif de façon très précise; les différences de structure par âge entre les fonctionnaires et les non-fonctionnaires étant faibles, les risques d'appréciation erronée demeurent très rares.

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

43

Nombre d'enfants à charge de trois enfants ou plus, où le père est fonctionnaire1.

TABLEAU X I I . —

dans les familles

Mère

active

fonctionnaire

Mère active non fonctionnaire

Toutes catégories statutaires

1,159

0,744

Catégorie

1,198

0,865

B

1,215

0,769

C

1,021

0,715

D

0,960

0,721

A

Mère non active 1,335 11

»1 11

Le nombre moyen d'enfants est maximum dans la catégorie B, où les couples de fonctionnaires sont essentiellement des couples d'instituteurs, pour lesquels les exigences professionnelles s'adaptent assez facilement aux nécessités familiales; si l'on se souvient de la faible fécondité des catégories moyennes en général, il apparaît que les groupes qui, à l'intérieur des classes moyennes, se destinent à la fonction publique, sont, en fonction du même ethos, ceux qui sont les moins disposés à limiter les naissances et que cette attitude est renforcée par l'activité de fonctionnaire 2 . C'est pourquoi, à catégorie socio-professionnelle constante, la fécondité des femmes de fonctionnaires actives est supérieure à celle des femmes actives des travailleurs du secteur privé. Le nombre moyen d'enfants des femmes de cadres supérieurs actives est de 1,029 alors qu'il est de 1,215 pour les femmes de fonctionnaires du cadre A, celui des femmes de cadres moyens actives est de 0,911 alors qu'il est de 1,707 pour les femmes de fonctionnaires du cadre B , celui des femmes d'employés actives est de 0,696, alors qu'il est de 0,936 pour les femmes de fonctionnaires de la catégorie G, celui des femmes d'ouvriers actives est de 0,561 alors qu'il est de 0,909 pour les femmes de fonctionnaires de la catégorie D. Or, si l'on se souvient que les femmes de fonctionnaires sont plus souvent actives que l'ensemble des femmes 3, et, d'autre part, que la fécondité des femmes actives est inférieure à celle des femmes non-actives, on comprendra que la fonction publique exerce a fortiori une influence favorable sur la fécondité. Lorsque l'épouse d'un fonctionnaire n'est pas fonctionnaire, mais salariée du secteur privé, tout se passe alors comme si le système de valeurs de ce dernier s'imposait à celui du secteur public en dépit 1. Le recensement de l'I.N.S.E.E. poursuivant des fins d'analyse comptable ou budgétaire a rarement tenu compte des catégories statutaires; ce qui explique l'absence de données dans la colonne de droite. 2. L'analyse de la place que l'administration réserve aux femmes permettra de préciser ce point. 3. Voir plus haut, p. 27.

LES AGENTS

44

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

des f o n c t i o n s d e s é c u r i s a t i o n q u e le s e c t e u r p u b l i c a s s u m e . Selon la m ê m e l o g i q u e , l a f é c o n d i t é des f e m m e s f o n c t i o n n a i r e s m a r i é e s à des n o n - f o n c t i o n n a i r e s est s u p é r i e u r e à celle des salariées d u s e c t e u r privé. TABLEAU X I I I . — Nombre

moyen d'enfants

à charge

dans les familles de trois enfants ou plus, où la mère travaille. Le père et la mère étant fonctionnaires

Le père étant seul fonctionnaire

1,159

0,744

La mère étant seule fonctionnaire 1,020

L ' i n t r o d u c t i o n des a l l o c a t i o n s f a m i l i a l e s d o i t ê t r e c o m p r i s e n o n c o m m e u n f a c t e u r e x p l i c a t i f u n i q u e , m a i s c o m m e l ' u n des é l é m e n t s d ' u n s y s t è m e d e f a c t e u r s q u i t e n d e n t à a c c r o î t r e e t e n t r e t e n i r le sentiment de sécurité. Dès 1897, l'administration des Contributions Indirectes avait accordé aux agents dont le t r a i t e m e n t n'était pas supérieur à 2 200 F u n e allocation annuelle de 60 F pour chaque e n f a n t au-dessus de trois enfants 1 . Cette mesure f u t suivie d ' u n certain nombre de mesures analogues dans divers secteurs de l'administration. P e n d a n t la guerre de 1914-18, en période de hausse rapide des prix, l ' É t a t préféra accorder au personnel civil des suppléments différenciés du traitement appelés « allocations de cherté de vie » dont le nombre variait suivant celui des enfants. Enfin, « la loi d u 18 octobre 1919 consacre d ' u n e façon définitive pour tous les agents de l ' É t a t , civils et militaires, le droit a u x indemnités pour charges de famille» et elle f u t complétée par divers lois et décrets complémentaires 2 . Nous ne disposons pour évaluer les conséquences de ces mesures que de l'enquête effectuée au ministère de la Guerre en août 1929 : les corps et services devaient faire connaître pour chaque catégorie de personnel le nombre d'enfants à charge à la date d u 15 j u i n 1921, du 15 j u i n 1925 et du 15 j u i n 1929. Il a p p a r a î t q u e « si de 1921 à 1925 la répartition des familles n'a pour ainsi dire pas varié, en revanche de 1925 à 1929, le nombre des familles d ' u n et deux enfants a diminué alors que celui des familles de 3, 4 et 5 enfants a augmenté (le nombre des familles de 6 enfants n ' a y a n t toutefois pas varié), si bien que le nombre, par famille, des enfants bénéficiaires a progressé de 1,76 à 1,81 et le nombre des enfants p a r agent est passé de 0,72 à 0,87 » 3 . A p a r t i r de cette enquête limitée, mais que confirment toutes les a n a l y s e s , o n p e u t c o n c l u r e q u e des a v a n t a g e s f a m i l i a u x o n t f a v o r i s é l a f é c o n d i t é des f o n c t i o n n a i r e s . Mais si les a v a n t a g e s f a m i l i a u x o n t p u a v o i r u n e i n f l u e n c e aussi sensible, « c ' e s t q u e la f r a c t i o n salariée des classes m o y e n n e s é t a i t p r é d i s p o s é e , p a r u n s y s t è m e d e v a l e u r s q u i 1. L . GUIMBAUD, op.

cit.,

p. 72-73.

2. H. THIVOT, Les indemnités pour charges de famille Faculté de droit, 1929, p. 223-224. 3. Ibid., p. 173.

aux fonctionnaires,

Paris,

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

45

l'inclinait à s'inquiéter plus fortement de l'avenir, à ressentir plus fortement l'accroissement général de la sécurité et à supputer plus rationnellement les avantages sociaux qui lui étaient offerts, allocations familiales ou autres » 1. 2. Si l'on accepte ces analyses, on comprend que la fécondité des employés de l'État, dont l'analyse rigoureuse, tenant compte des variations de la fécondité selon l'appartenance sociale, montre qu'elle est égale dans l'administration centrale et supérieure dans l'ensemble de l'administration à celle des catégories socio-professionnelles correspondantes du secteur privé, soit un bon indicateur du sentiment de sécurité ressenti par les employés de l'État. Par une apparente harmonie préétablie entre le système et ses agents, que nous retrouvons dans d'autres domaines, le système administratif offre en effet les privilèges d'une grande sécurité à des individus qui y sont d'autant plus sensibles et qui la recherchent d'autant plus qu'ils viennent pour le plus grand nombre d'un milieu familial appartenant déjà à la fonction publique. La vie de famille, avec ses exigences matérielles et la régularité d'existence qu'elle entraîne, vient ensuite comme redoubler et renforcer ce besoin. La fécondité peut en effet être tenue aussi pour l'indicateur d'un système de valeurs privilégiant les valeurs familiales, le désir et la recherche de la sécurité d'une part, les valeurs familiales d'autre part, tendant à se renforcer mutuellement. La place réservée aux femmes dans l'administration le montrerait également : l'administration ne réussit-elle pas, en dépit d'un statut qui impose l'égalité juridique des deux sexes devant la fonction publique, et en dépit de la progression du nombre global des femmes fonctionnaires, à réserver aux hommes, au nom de ces mêmes valeurs familiales et traditionnelles, l'essentiel des fonctions de responsabilités ? *

La brève étude historique qui suit n'a pas seulement pour but de mieux comprendre la situation actuelle des femmes dans le monde administratif, mais de préciser, à travers un autre indicateur, l'analyse des valeurs traditionnelles suggérées par l'étude sur la fécondité des fonctionnaires et que tend à perpétuer un milieu caractérisé par une forte hérédité professionnelle. 1. P . B O U R D I E U e t A . D A R B E L , «

La

fin

d'uu malthusianisme » , in DARRAS,

op.

cit., p. 152. 2. Ces résultats sont conformes aux résultats d'une enquête de A. Girard et L. Henry sur les attitudes vis-à-vis de la natalité. L'attitude des fonctionnaires subalternes à l'égard de la natalité est très légèrement plus favorable que celle des employés du secteur privé et nettement moins favorable que celle des cadres supérieurs (secteurs public et privé) : 34 % des fonctionnaires subalternes, 36 % des employés du secteur privé et 23 % des cadres supérieurs jugent que le nombre d'enfants idéal est égal ou inférieur à deux, tandis que 66 % des fonctionnaires subalternes, 62 % des employés du secteur privé et 77 % des cadres supérieurs jugent que ce nombre est égal ou supérieur à trois. Cf. A. GIRARD et L. HENRY, « Les attitudes et la conjoncture démographique : natalité, structure familiale et limites de la vie active » , in Population, janvier-mars 1956, p. 105-141.

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L ' a d m i s s i o n p r o g r e s s i v e des f e m m e s a u x d i v e r s e m p l o i s d e l a f o n c t i o n p u b l i q u e a é t é e n e f f e t le f r u i t d e c o m p r o m i s e n t r e d i v e r s e s c o n s i d é r a t i o n s , les u n e s d ' o r d r e i d é o l o g i q u e e t social, les a u t r e s d'ordre économique et budgétaire, q u ' e x p r i m e n t , consciemment ou i n c o n s c i e m m e n t , les p a r t i s a n s e t les a d v e r s a i r e s d e l ' a c c è s des f e m m e s à l ' a d m i n i s t r a t i o n , q u e ces c o n s i d é r a t i o n s s o i e n t p r é s e n t é e s lors d e s « g r a n d s a r r ê t s » d u Conseil d ' É t a t , o u d a n s l a l i t t é r a t u r e c o n s a c r é e à l ' a d m i n i s t r a t i o n . Les a r g u m e n t s des a d v e r s a i r e s d e l ' a c c è s des f e m m e s s o n t d ' o r d r e i d é o l o g i q u e : le p r i n c i p e d e l ' é g a l i t é d e v a n t les c h a r g e s p u b l i q u e s , p r o c l a m é p a r la R é v o l u t i o n f r a n ç a i s e , n e p e u t c o n c e r n e r q u e les h o m m e s , la n a t u r e d e la f e m m e l u i i n t e r d i t les p o s t e s d ' a u t o r i t é , d i r e c t e m e n t ou i n d i r e c t e m e n t liés a u p o u v o i r d e l ' É t a t . « Nous arrivons à cette conclusion que les conditions intellectuelles de la f e m m e s'opposent à ce qu'on lui confie les fonctions supérieures ou une position dirigeante dans le service postal. » R a p p o r t du B u r e a u international de l'Union générale des postes, 1876 1 . « Le télégraphiste militaire est l'indispensable auxiliaire des armées modernes, et c'est p a r m i les seuls employés mâles q u ' o n p o u r r a le recruter. » Fonctionnaire cité p a r L. G u i m b a u d 2 . E t m ê m e l o r s q u ' u n e f e m m e f é m i n i s t e é c r i t p o u r d é f e n d r e la c a u s e d e l a f e m m e f o n c t i o n n a i r e , elle se s o u m e t à l ' i m a g e sociale q u i a c c o r d e à l a f e m m e les q u a l i t é s d ' o r d r e , d e p o n c t u a l i t é e t d e c o n s c i e n c e indisp e n s a b l e s a u f o n c t i o n n a i r e s u b a l t e r n e , m a i s lui r e f u s e les q u a l i t é s d ' a u t o r i t é nécessaires a u x f o n c t i o n s d e d i r e c t i o n . « Rédacteur, sa supériorité [sur l ' h o m m e ] est manifeste. Sous-chef ou chef, elle se révélera inférieure à de très rares exceptions près, et le tableau d ' a v a n cement devra rendre à l ' h o m m e la première place perdue au concours d'admission... à égalité de valeur, l ' h o m m e sait mieux que la f e m m e exercer l'autorité. » 3 Ces j u s t i f i c a t i o n s s o n t s o u t e n u e s p a r des c o n s i d é r a t i o n s p r a t i q u e s s u r l a n o n - p e r m a n e n c e d u p e r s o n n e l f é m i n i n , a r g u m e n t d o n t le B u r e a u i n t e r n a t i o n a l d e l ' U n i o n g é n é r a l e des p o s t e s , e n 1876, a f o u r n i u n e formulation qui, répétée j u s q u ' a u j o u r d ' h u i , p e r m e t de justifier la c r a i n t e d ' u n e c o n c u r r e n c e d é l o y a l e q u e p e u v e n t n o u r r i r les h o m m e s . « Si l'on arrivait à a d m e t t r e dans une large mesure les dames a u x divers emplois du service de la poste, on s'exposerait... à des m u t a t i o n s très fréquentes dans le personnel... Les fonctionnaires féminins n'envisageront

1. Cité par M Ue J . B O U V I E R , Histoire des Dames employées dans les Postes, Télégraphes et Téléphones de 1714 à 1929, Paris, P.U.F., 1930, p. 105. 2 . L . G U I M B A U D , op. cit., p . 2 4 . 3 . S . C A N T I N E A U , « La femme fonctionnaire

Eyrolles, 1933, p. 214.

», in Les carrières féminines, Paris,

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VALEURS

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jamais l'emploi qui leur sera confié que comme un poste de transition en a t t e n d a n t le mariage ou toute autre position sociale mieux en rapport avec la vocation naturelle de leur sexe. » 1 Mais a u x j u s t i f i c a t i o n s idéologiques d e l ' i m a g e sociale de la f e m m e , s ' o p p o s e n t , en raison m ê m e de l'inégalité des sexes, des argum e n t s p r a t i q u e s , d ' o r d r e b u d g é t a i r e et é c o n o m i q u e . Les c a n d i d a t s masculins s o n t , a u moins d a n s les services extérieurs, de moins en moins n o m b r e u x ( t h è m e qui a p p a r a î t vers 1900). « A la pléthore des candidats succède une pénurie qui commence à inquiéter les chefs des administrations. Le concours des femmes qu'ils ont refusé jusqu'ici par suite de sots préjugés sera bientôt une nécessité à laquelle ils seront forcés de se soumettre. » 2 D ' a u t r e p a r t , le t r a v a i l a d m i n i s t r a t i f é t a n t t r o p m o n o t o n e et r o u t i n i e r p o u r exercer la noble énergie des h o m m e s , la « n a t u r e » de l a f e m m e , a p p l i q u é e et consciencieuse, c o n v i e n t p a r t i c u l i è r e m e n t à l'exercice des t â c h e s a d m i n i s t r a t i v e s q u o t i d i e n n e s . « La multiplicité des fonctions et des emplois... appelle trop d'hommes... à solliciter de l ' É t a t une existence bornée, mais commode et sûre. Ainsi se perdent l'énergie et l'honorable indépendance de l'homme obligé d'assurer p a r lui-même son avenir; ainsi s'éteignent trop de capacités. » 3 « P a r nature, la femme est peu portée vers l'action intense et a peu de goût pour la lutte, elle est essentiellement pacifique et tranquille. Elle aime assez la protection d'autrui et elle se décharge volontiers sur son protecteur des soucis violents; la vivacité de l'effort de décision et l'incertitude inquiétante des responsabilités la troublent désagréablement et elle s'en débarrasse avec plaisir..., sa situation est semblable à celle du fonctionnaire; la femme est très consciencieuse et obéissante : appliquée et attentive, elle accomplit sa besogne avec beaucoup de soin, elle fait son devoir sans trop de peine; très docile et sans hardiesse, elle a peu de penchant pour la révolte, pour l'insoumission; le respect de l'autorité, l'admiration de la hiérarchie, le goût des titres sont des sentiments innés dans son esprit. » 4 « Plus soigneuse, plus attentive que l'homme, elle a de merveilleuses aptitudes pour les mille besognes de nos grandes administrations, qui n'exigent que de l'ordre, de l'exactitude, de la patience. » 5 « Les femmes sont d'excellentes bureaucrates, u n peu lentes, mais ponctuelles, dociles, exactes et minutieuses. » 6

1. C i t é p a r M L L E J . B O U V I E R , op.

cit.,

p.

110.

2. A. BONNEFOY, Place aux femmes ! Les carrières féminines administratives et libérales, Paris, Arthème Fayard, 1914, p. 100. 3. BERRYER, 1850, cité par P. CAMBON, La femme et le fonctionnarisme, Imprimerie Rennaise, Rennes, 1906, p. 55. 4. P. CAMBON, ibid., p. 127. II ne faut pas confondre ce Paul Cambon, receveur de l'enregistrement, dont l'ouvrage cité est la thèse de doctorat en droit, avec son homonyme, le diplomate bien connu. 5. Ch. TURGEON, Le féminisme

français,

1 . 1 , 1902, p. 440, cité par P . CAMBON,

ibid., p. 164. 6. E. FAGTJER, « Les métiers féminins », Revue Bleue, cité par P. CAMBON, ibid., p. 164.

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T h è m e à la m o d e a u d é b u t d u siècle q u e celui de la coïncidence de l ' i m a g e sociale de la f e m m e e t de l ' i m a g e sociale d u b u r e a u c r a t e s u b a l t e r n e . D e plus, il n e f a u t p a s oublier les a r g u m e n t s d ' o r d r e b u d g é t a i r e , d o n t la force p e r m e t d ' i m p o s e r les f e m m e s c o m m e s t é n o - d a c t y l o s à la place des commis et e x p é d i t i o n n a i r e s , t i t u l a i r e s d'emplois réservés a u x ex-sous-officiers et protégés p a r u n e série de r è g l e m e n t s . « Il est certain qu'à un moment donné les dactylographes succéderont a u x expéditionnaires. Il en résultera une économie très appréciable car il est démontré que deux dactylographes font le travail de trois expéditionnaires.» 1 On c o m p r e n d dès lors q u e l ' a d m i s s i o n progressive des f e m m e s se soit f a i t e p l u t ô t p a r les services e x t é r i e u r s q u e p a r l ' a d m i n i s t r a t i o n c e n t r a l e ( a r r ê t Cuisset, 1912), p a r les emplois m o d e s t e s p l u t ô t q u e p a r les postes d ' a u t o r i t é , p a r les ministères sociaux p l u t ô t q u e p a r les ministères t e c h n i q u e s ou « régaliens » 2 . Quelles sont en effet les é t a p e s de droit de la f é m i n i s a t i o n de la f o n c t i o n p u b l i q u e ? La Révolution française, au nom du principe d'égalité, avait supprimé le droit des femmes à hériter du service commercial de transport q u ' é t a i t le service des postes. P o u r t a n t le service des postes, parce qu'il avait d'abord été un service commercial, f u t pendant tout le x i x e siècle le seul service de l ' É t a t qui admit des femmes mais uniquement dans les bureaux de postes dont le revenu était inférieur à 2 000 F. Pour des raisons budgétaires, clairement exprimées par le Journal des Postes et Télégraphes en 1884, les femmes sont introduites en 1863 au Télégraphe, au central télégraphique de Paris en 1877 et au service du téléphone en 1889 3 . E n 1877, le ministère des Finances employait une vingtaine de femmes à la confection du double du Grand Livre, une dizaine au magasin central des Impressions, six caissières à l'Administration; mais leur engagement avait signifié une dé-fonctionnarisation de ces fonctions et elles ne jouissaient ni de la sécurité de l'emploi, ni de la mensualisation du traitement, ni de la retraite 4 . E n dehors des d a m e s des P . T . T . , l ' e n t r é e des f e m m e s d a n s la f o n c t i o n p u b l i q u e m o d e s t e d a t e de la c r é a t i o n e n 1901 p a r Miller a n d d u c a d r e des d a m e s s t é n o - d a c t y l o g r a p h e s , qui e x i s t a i t e n 1914 d a n s neuf ministères sur douze. Mais en dépit d u t r a i t é de Versailles, qui p r é v o y a i t l'égalité de salaire des h o m m e s et des f e m m e s , ce principe n e f u t a d o p t é p a r la C h a m b r e des D é p u t é s q u ' e n 1928, lorsqu'elle t r a n s f o r m a 2 000 emplois de d a m e s employées en emplois de commis. E t e n d é p i t d u n o m b r e des f e m m e s qui é t a i e n t e n t r é e s a u m o m e n t de la guerre d a n s la fonct i o n p u b l i q u e , l'accession des f e m m e s à des postes supérieurs à c e u x de s t é n o - d a c t y l o g r a p h e s r e s t e t r è s faible. 1. A . B O N N E F O Y , op.

cit.,

1914, p.

88.

2. Nous entendons par ce terme les ministères les plus étroitement liés à l'essence du pouvoir : Justice, Intérieur, Affaires Étrangères, Finances. 3 . M LLE J . B O U V I E R , op.

cit.,

passim.

4. C. ROUYER, La femme dans V administration,

Tours, Marne et fils, 1900, p. 51-53.

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

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D'après un témoignage, en 1938 seuls les ministères de la Guerre et de l'Air, la Préfecture de la Seine et les bureaux de l'Assistance publique admettent les femmes à concourir pour les postes de rédacteurs 1 . D'après un autre, trois ministères (Agriculture, Affaires Étrangères, Marine) en 1938 n'avaient toujours pas de cadres de sténo-dactylos (ce qui ne signifie d'ailleurs pas qu'ils n'en utilisaient pas, mais que celles-ci ne jouissaient pas des privilèges de la fonction publique). A ces trois ministères, s'ajoutaient ceux des Colonies et des Finances, quand il s'agissait de l'accès aux cadres des « commis d'ordre et de comptabilité ». Les femmes n'avaient alors le droit de concourir pour les fonctions de rédacteurs que dans les Ministères de l'Air, de l'Éducation Nationale, des P.T.T., de la Santé Publique, du Travail et des Travaux Publics, l'accès aux postes de rédacteurs dans les autres ministères leur étant interdit 2 . Quoi qu'il en soit, il est certain que, j u s q u ' à la deuxième guerre mondiale, l'accès a u x postes de rédacteurs dans les administrations centrales ne f u t que très partiellement accordé aux femmes, comme le montre d'ailleurs le célèbre arrêt B o b a r d du Conseil d ' É t a t (1936). Sans doute, l'évolution par rapport à l'arrêt Cuisset (1912) est-elle nette, puisque le Conseil d ' É t a t déclara à cette occasion que « les femmes ont l'aptitude légale a u x emplois dépendant des administrations centrales des ministères » , mais « cette affirmation voyait sa portée immédiatement réduite par la possibilité reconnue a u Gouvernement d'édicter des restrictions à l'admission et à l'avancement du personnel féminin, pour des raisons tirées de l'intérêt du service et sans contrôle juridictionnel autre que celui du détournement de pouvoir » 3 . Bien mieux, les restrictions à l'engagement des femmes vont se trouver largement accrues, au moins sur le plan du droit, par la législation du gouvernement de Vichy. Par la loi du 11 octobre 1940, est créée provisoirement (mais aucune limite n'est fixée au-delà de laquelle la loi doive devenir caduque) une incapacité générale d'accès à toutes les fonctions publiques à l'égard des femmes mariées et, pour les autres femmes, elle prévoit des restrictions à leur emploi pouvant aller j u s q u ' à l'établissement d'un numerus clausus. Comme le remarque un juriste : « L e principe de l'égalité d'accès a u x fonctions publiques se voit ainsi apporter de nouvelles et importantes dérogations » 4 . Dues à la crainte d'un chômage consécutif à la défaite et au blocus, et à l'idéologie familiale et nataliste du gouvernement de Vichy, ces dispositions ne furent guère appliquées. L a facilité avec laquelle les fonctionnaires acceptèrent ces mesures n'en révèle pas moins la résistance à laquelle se heurtait l'accès des femmes à la fonction publique. 1 . S . C A N T I N E A U , op. cit., 1 9 3 3 , p . 2 1 3 . 2 . Pour devenir fonctionnaire, Liste complète

des carrières

Paris, Éd. Journal des fonctionnaires, 1938, passim. 3. M .

L O N G , P . W E I L e t G . B R A I B A N T , Les

administrative,

grands

4 e éd., Paris, Sirey, 1965, p. 236.

4 . M . D U V E R G E R , La

situation

Durand Auzias, 1941, p. 48.

des fonctionnaires

depuis

féminines arrêts 1940,

de

et la

masculines,

jurisprud

Paris,

Pichon

nce

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DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

Sur le plan juridique l'égale admission des femmes à tous les emplois publics fut obtenue, dans la loi et dans la jurisprudence, après la deuxième guerre mondiale. Le préambule de la Constitution de 1946, la loi du 19 octobre, relative au statut de la fonction publique, qui dispose qu'« aucune distinction, pour l'application du présent statut, n'est faite entre les deux sexes » furent confirmés dans la jurisprudence par divers arrêts du Conseil d'État 1 . Ainsi, sur le plan du droit, si les femmes furent employées dans les fonctions modestes de certains services extérieurs (P.T.T., enseignement) dès la fin du XIX e siècle, si elles furent admises dans les emplois modestes des administrations centrales à partir de 1901 en tant que dames sténo-dactylographes, elles n'obtinrent l'accès à ce qui est devenu le cadre A qu'après la deuxième guerre mondiale. Mais la distorsion entre le droit et les faits que l'analyse statistique permet d'établir n'a-t-elle pas des caractéristiques particulières qui s'expliquent par le système de valeurs propre à l'administration? Si la part des femmes dans la fonction publique était d'environ un cinquième avant 1914, d'un quart entre les deux guerres et des deux tiers en 1962, l'inégale répartition des femmes selon les diverses catégories statutaires, selon les divers ministères, selon les services extérieurs et les administrations centrales d'un même ministère s'explique par la même logique, qui est l'inégalité de fait des hommes et des femmes aussi bien pour l'accès aux divers secteurs de l'administration que pour la carrière que les uns et les autres peuvent y poursuivre. L'inégale pénétration des femmes dans la fonction publique est conforme à ce que furent les étapes successives de leur accès juridique, de sorte que la part des femmes est d'autant plus élevée que la catégorie statutaire est plus basse et que le prestige du ministère est moins élevé. La part des femmes dans les administrations centrales est de 64,5 % dans la catégorie D, nombre d'emplois de cette catégorie étant traditionnellement réservés à des hommes, 70,3 % pour la catégorie C, 50,5 % pour la catégorie B, et 11,3 % pour la catégorie A. On voit que la féminisation rapide de la fonction publique ne touche que les trois catégories inférieures. Aussi le taux de masculinité des fonctionnaires de la catégorie A est-il, dans tous les ministères, supérieur à celui de l'ensemble des fonctionnaires des administrations centrales (toutes catégories), et à celui de l'ensemble des fonctionnaires (toutes catégories de fonctionnaires — administrations centrales et services extérieurs). La concentration des femmes fonctionnaires dans la catégorie B et D, et surtout dans la catégorie C explique que dans les administrations centrales les femmes fonctionnaires, pour l'ensemble des catégories statutaires, sont moins diplômées que les hommes : 15,2 % 1. On trouvera une analyse détaillée de ces arrêts dans l'ouvrage classique de

M . L O N G , P . W E I L e t G . B R A I B A N T , op.

cit.,

p. 236 et 237.

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seulement des femmes fonctionnaires sont au moins titulaires du baccalauréat contre 56 % des hommes. La population des fonctionnaires de sexe féminin prise dans son ensemble est donc essentiellement une population d'employées de bureau a p p a r t e n a n t a u x classes moyennes de la population, comme le montre d'ailleurs le fait que, d'après une enquête partielle, 57,8 % de celles qui sont mariées ont épousé u n employé ou cadre moyen et 25,8 % u n ouvrier 1 . La p a r t des femmes de la catégorie A des différents ministères est d ' a u t a n t plus forte que le ministère apparaît moins prestigieux. Il existe en effet une hiérarchie implicite, mais uniformément reconnue p a r tous, des différents ministères, que m o n t r e n t grossièrement, entre autres indices, la hiérarchie des choix à la sortie de l'E.N.A., la p a r t de fonctionnaires hors échelle p a r r a p p o r t à l'ensemble des fonctionnaires de la catégorie A qui appartiennent à ce ministère, la p a r t des fonctionnaires sortis de l'E.N.A. p a r m i ceux de la catégorie A et enfin le degré de la féminisation de la catégorie A. Cette hiérarchie des divers ministères, qui correspond grosso modo à leur ancienneté, est u n indicateur global du système de valeurs des fonctionnaires pour lesquels la participation, directe ou indirecte, à l'exercice du pouvoir est valorisée, les tâches techniques, et encore plus sociales, dévalorisées, é t a n t attribuées à ceux qui sont jugés les moins capables. Ainsi, le ministère des Finances, le ministère de la Justice et le ministère des Affaires Étrangères ont dans la catégorie A u n t a u x de masculinité supérieur à 90 % ; il en va de même pour les ministères techniques, les uns p r a t i q u e m e n t réservés à u n corps exclusivement masculin (Travaux Publics, Industrie), les autres de tradition antiféministe (les P.T.T.). Les ministères techniques (Agriculture, Construction) ont un t a u x de masculinité légèrement inférieur, compris entre 80,4 % et 87 % , la p a r t la plus élevée des femmes travaillant dans les ministères sociaux (55,3 % à 73,8 %). Les différences de féminisation, à l'intérieur du même ministère, entre l'administration centrale et les services extérieurs s'expliquent selon la même logique : les services extérieurs dont les salaires, le prestige, les responsabilités sont élevés — comme ceux du ministère des Finances, des P.T.T. ou de l'Industrie — ont u n t a u x de masculinité supérieur à celui des administrations centrales; dans les ministères où les services extérieurs comprennent de nombreuses exécutantes, comme le ministère de la Santé Publique, le t a u x de masculinité est plus faible que dans l'administration centrale. L'accès à la fonction publique est inégalement consenti a u x deux sexes; de plus, une fois qu'elles y sont entrées, les femmes ne font jamais dans la fonction publique la même carrière que les hommes du même niveau universitaire. 1. Cl. VIMONT et G . GONTIEH, « Une enquête sur les femmes fonctionnaires », in Population, janvier-février 1965, p. 21-52.

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Dans les administrations centrales, il apparaît que le niveau de diplôme des femmes de la catégorie A est comparable à celui des hommes : 64,2 % des femmes dans la catégorie A ont un diplôme d'enseignement supérieur contre 62 % des hommes, mais que, dans les trois autres catégories statutaires, les femmes ont un niveau supérieur à celui des hommes. E n revanche, si l'on considère l'ensemble de l'administration (administrations centrales et services extérieurs), les femmes sont toujours, à niveau statutaire égal, titulaires d'un diplôme supérieur à celui des hommes. Dans la catégorie A, 44,7 % d'entre elles ont un diplôme d'enseignement supérieur, contre 40,7 % des hommes; dans la catégorie B, 44,7 % ont au moins le baccalauréat, contre 23,6 % des hommes; dans la catégorie C, 48,7 % des femmes sont titulaires du B.E.P.C, et 9,6 % seulement des hommes; dans la catégorie D, 66 % des femmes sont titulaires du C.E.P. et 59,7 % des hommes. Or, cette différence entre les services extérieurs et les administrations centrales ne tient pas seulement à la présence d'un grand nombre de femmes dans l'enseignement puisque, même si l'on exclut les professeurs et les instituteurs, les femmes fonctionnaires, si l'on considère l'ensemble des administrations, sont, à niveau statutaire constant, plus diplômées que les hommes. 44,7 % d'entre elles ont un niveau de diplôme supérieur au baccalauréat, contre 40,7 % des hommes dans la catégorie A et 26,7 % contre 16,5 % dans la catégorie B, 47,8 % sont titulaires du B.E.P.C, dans la catégorie C contre 9,6 % chez les hommes, et 66,6 % d'entre elles sont titulaires du C.E.P. dans la catégorie D contre 59,7 % des hommes. De plus le nombre de sans réponse, qu'on peut sans doute assimiler à des sans diplômes, est plus élevé chez les hommes (34,7 %) que chez les femmes (21 %). Il semble bien que les femmes doivent être titulaires d'un diplôme plus élevé pour obtenir le même niveau statutaire que leurs collègues masculins. C'est d'ailleurs ce que montre la manière différente dont elles progressent dans les administrations centrales et dans les services extérieurs. Dans l'ensemble de l'administration (administrations centrales et services extérieurs), on constate que les femmes pour les catégories A affrontent moins les concours externes que les hommes (42,4 % d'entre elles sont entrées dans leur corps actuel par un concours externe et 46 % des hommes) et encore moins les concours internes (6 % contre 11,9 %) mais qu'elles accèdent plus souvent sur titres (18,3 % contre 14,2 %). E n revanche dans les administrations centrales, c'est le plus souvent par concours interne et par intégration que les femmes ont accédé à leur corps actuel. L a promotion interne étant plus facile dans les administrations centrales, le concours est moins recherché par les hommes que favorise la pratique administrative en leur offrant d'autres modalités de promotion; ce sont donc les

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FAMILIALES

53

femmes qui se présentent aux concours. En revanche, dans les services extérieurs, où la promotion interne est difficile, et où, par conséquent, le concours est un moyen privilégié de progression, les hommes participent beaucoup plus largement aux concours. Les ministères les plus prestigieux sont ceux où la part des hommes diplômés de l'enseignement supérieur est la plus élevée. Si l'on établit le rapport du taux de masculinité de la catégorie A au taux des hommes diplômés de l'enseignement supérieur dans cette même catégorie, dans un ministère donné, il apparaît une liaison de forme non linéaire mais parabolique. Ce qui suggère que, dans les ministères régaliens, le groupe des hommes, nombreux et de niveau élevé, réussit, consciemment ou inconsciemment, à faire admettre son système de valeurs, et en particulier à écarter les femmes de niveau élevé. Ce rapport tendrait ainsi à montrer la force de l'unité réelle qu'est le ministère, et à l'intérieur d'un ministère régalien la force du groupe des hommes diplômés de l'enseignement supérieur qui parvient à détenir un pouvoir de décision sur le recrutement des fonctionnaires de la catégorie A . De plus, qu'elles soient également ou plus diplômées que les hommes, les femmes, dans les services extérieurs et les administrations centrales, font, à diplôme égal, une carrière inférieure à celle des fonctionnaires hommes. Les histogrammes cumulés représentant la carrière des femmes sont toujours situés au-dessus de ceux des hommes, ce qui signifie qu'à diplôme égal les femmes accèdent moins nombreuses aux postes les plus élevés de la hiérarchie. En effet, dans l'ensemble de l'administration (administrations centrales et services extérieurs), les femmes titulaires du C.E.P. ont une carrière administrative inférieure à celles des hommes du même niveau; celles qui sont titulaires du B.E.P.C, ont une carrière à peine supérieure à celles des hommes titulaires du C.E.P., celles qui sont titulaires du baccalauréat ont une carrière inférieure à celle des hommes titulaires du baccalauréat et même à ceux qui sont titulaires du seul B.E.P.C.; enfin celles qui ont un diplôme supérieur au baccalauréat ont une carrière inférieure aux hommes de niveau correspondant et à peine supérieure à celles des hommes bacheliers. La différence entre les carrières des hommes et des femmes est d'ailleurs plus accusée dans les administrations centrales que dans l'ensemble de l'administration (graphiques I et I I ) . Il apparaît en effet que la promotion interne est nettement plus favorisée dans les administrations centrales, où régnent une compétition plus vive et une plus grande souplesse d'organisation et de carrière, que dans les services extérieurs. 14 % des fonctionnaires de la catégorie A dans les administrations centrales sont issus de la catégorie B, contre 10 % pour l'ensemble de l'administration, 22,7 % des fonctionnaires de la catégorie B des administrations cen-

54

LES AGENTS DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

GRAPHIQUE I. 1. — Répartition des fonctionnaires suivant le sexe, l'indice hiérarchique et le niveau d'instruction, toutes administrations. traies viennent du cadre C contre 13,9 % pour l'ensemble de l'administration, enfin 26,2 % du cadre C dans les administrations centrales sont issus du cadre D contre 8 % pour l'ensemble de l'administration. Aussi peut-on lire clairement sur les histogrammes que dans les administrations centrales la carrière des femmes est décalée au moins

SÉCURITÉ

ET VALEURS

FAMILIALES

55

SOURCE; I. N.S.E.E. I . 2 . — Répartition des fonctionnaires le sexe, l'indice hiérarchique et le niveau d'instruction, administrations centrales.

GRAPHIQUE

suivant

d ' u n niveau de diplôme par r a p p o r t à celle des hommes, puisque les femmes titulaires du B.E.P.C. font une carrière inférieure à celle des hommes titulaires du seul C.E.P. et que la carrière des femmes bachelières est de loin inférieure à celle des hommes titulaires du baccalauréat et même du B.E.P.G., les femmes du niveau de l'enseignement

56

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

SOURCE: I.N.S.E.E. GRAPHIQUE I I . — Répartition des fonctionnaires du cadre A suivant le sexe et l'indice hiérarchique, toutes administrations.

supérieur faisant également une carrière beaucoup plus modeste que celles des hommes. Aussi la carrière des femmes dans les administrations centrales est-elle comparable à celle des hommes dans les services extérieurs, la carrière des hommes dans les administrations centrales étant nettement favorisée.

SÉCURITÉ

ET VALEURS

FAMILIALES

57

De même le diplôme modal des fonctionnaires dont l'indice est inférieur à 265 est pour les femmes le C.E.P., celui des fonctionnaires dont l'indice est compris entre 265 et 455 est pour les femmes le baccalauréat et le B.E.P.C. et pour les hommes le C.E.P., celui des fonctionnaires dont l'indice est compris entre 455 et 855 est pour les femmes le niveau supérieur au baccalauréat et pour les hommes le B.E.P.C. et le baccalauréat. Les différences de carrière entre les services extérieurs et les administrations centrales que l'on peut observer sont un autre indicateur de la manière dont l'administration privilégie la proximité du pouvoir. I l existe trois sortes de carrières possibles pour un fonctionnaire en fonction de son niveau de diplôme : celle que font les titulaires du G . E . P . , celle à peu près semblable que font les titulaires du B . E . P . C . et du baccalauréat, enfin celle que font les titulaires d'un diplôme supérieur au baccalauréat. E n revanche, les carrières féminines sont de deux ordres : celle que font les femmes dont le niveau est égal ou inférieur au baccalauréat, et celle que font les femmes dont le niveau est supérieur au baccalauréat. L a carrière des femmes étant ainsi systématiquement retardée, on s'explique qu'en dépit de titres universitaires supérieurs ou égaux, la part totale des femmes qui atteignent les échelles lettres soit très faible (2 % , toutes licenciées), alors que 19 % des hommes de ce niveau universitaire y parviennent, ainsi que 3 % des bacheliers. D'ailleurs les directions et les corps les plus prestigieux (Inspection des Finances, Directions du Budget ou du Trésor) leur sont toujours pratiquement interdits. Elles ne représentent que 2,1 % des fonctionnaires issus de l ' E . N . A . entrés au ministère des Affaires Étrangères, 3,6 % à la Cour des Comptes, 7,6 % au Conseil d ' É t a t , les seuls ministères qui leur sont largement ouverts é t a n t le ministère des Affaires Sociales (14 % ) et le ministère de l ' É d u c a t i o n Nationale. D'ailleurs les femmes, même celles qui sont parvenues à des fonctions élevées, ne « pantoufient » pas. On peut d'ailleurs penser que la création de l ' E . N . A . où les femmes représentent 3 , 4 % des effectifs des anciens élèves a plutôt tendu à accroître la part des hommes dans la haute administration 1 . Alors que la part des hommes diplômés est constante parmi les fonctionnaires entrés dans la fonction publique avant et après la guerre de 1939-45, on constate que 17 % des femmes entrées dans la fonction publique entre 1930 et 1939 étaient d'un niveau supérieur à celui du baccalauréat, tandis que parmi celles entrées entre 1950 et 1954 cette part n'atteignait que 10,5 % et 3,5 % parmi celles entrées dans la fonction publique entre 1955 et 1962. D'après notre enquête, les femmes du cadre A l représentaient 11 % de l'ensemble du recrutement dans les années 1928-1932, 8 % dans les années 1933-1957 et 1 1 % dans les 1. J. LAUTMAN constate ce fait dans son étude monographique au Ministère

du Travail. Cf. Planification

et administrations centrales, offset, Paris, 1966.

58

LES

AGENTS

DU

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

années 1958-1967. Quand on sait que les femmes doivent avoir un diplôme supérieur à celui des hommes pour faire une carrière équivalente, on comprend que la masculinité de la haute fonction publique se soit accrue depuis la création de l'E.N.A. Cette limitation de la carrière des femmes dans l'administration, que mesurent leur inégal accès aux divers secteurs de l'administration et le type de carrière qu'elles y poursuivent, est d'autant mieux acceptée par les fonctionnaires des deux sexes qu'elle procède d'un système de valeurs qui privilégie la carrière professionnelle des hommes et la vie familiale des femmes aux dépens de leur vie professionnelle. La manière dont les jeunes filles s'auto-éliminent des études pouvant les mener à des postes de responsabilité dans l'administration montre qu'elles se conforment à l'avance à cette image sociale de leur existence, d'abord familiale. Connaissant leur faible chance d'entrer dans la haute fonction publique, les jeunes filles sont relativement peu nombreuses à poursuivre les études qui peuvent y mener. Les facultés de droit, malgré une réputation de relative facilité, sont peu féminisées (29,3 % contre 63,3 % dans les facultés des lettres, 32,1 % dans les facultés de sciences, 25,6 % dans les facultés de médecine, 59,8 % dans les facultés de pharmacie en 1961-62 2 ). L a part des femmes diplômées de la section Service public de l'Institut d'études politiques de Paris, à peu près constante depuis la deuxième guerre mondiale, est de 12,5 % en moyenne 3 , un certain nombre s'élimine entre le diplôme de l'Institut d'études politiques et le concours à l'E.N.A., le concours enfin accentue le plus souvent l'élimination 4 .

La féminisation de la fonction publique n'est pas fondamentalement différente de la féminisation de l'ensemble du marché du travail. Le travail féminin, caractérisé par une qualification peu élevée et des bas salaires, reste un travail d'appoint. Mais peu favorisées dans le monde du travail, c'est encore dans la fonction publique que les femmes sont le moins défavorisées, comme le montrent deux indicateurs : la part des femmes mariées est supérieure dans la fonction 1. Comme le résume B. Gournay : « Le Comité central d'enquête sur le coût et le rendement dans les services publics paraissait s'inquiéter, dans son dernier rapport, de la féminisation qui menace notre administration. L a catastrophe est peut-être imminente en ce qui concerne les emplois moyens. Mais que les hauts fonctionnaires se rassurent : leur groupe ne risque guère de tomber en quenouille dans les prochaines a n n é e s » . Cf. B . GOURNAY, Introduction

1966, p. 168.

À la science administrative,

2. P . BOUHDIEU et J . - C . PASSERON, Les héritiers,

P a r i s , A r m a n d Colin,

P a r i s , É d i t i o n s de Minuit, 1965,

p. 129. 3. 1,75 % en 1947, 10 % en 1949, 14 % en 1950, 7,5 % en 1951, 9 % en 1952, 17 % en 1953, 15 % en 1955, 12 % en 1957, 15 % en 1958, 11,5 % en 1959, 13,5 % en 1960, 18 % en 1961, 13 % en 1962, 10,5 % en 1963. 4. Les femmes ont représenté 5 % des candidats qui se sont présentés à l'E.N.A. en 1957 et 5 % de ceux qui furent reçus; ces chiffres furent respectivement de 3 % et 0 % en 1958, 6 % et 4 % en 1959, 4 % et 7 % en 1960; elles représentent 3,4 % de l'ensemble des effectifs des anciens élèves de l'E.N.A., 7 % en 1961, 6,4 % en 1962, 5,5 % en 1963, 2,7 % en 1964, 2 % en 1965, 5,3 % en 1966.

SÉCURITÉ

ET

VALEURS

FAMILIALES

59

publique (58,4 %) à ce qu'elle est dans l'ensemble de la population active (53,2 %), la fécondité des femmes fonctionnaires est supérieure à celle des autres femmes actives 1 . Comme les femmes vivent leur existence en terme de réussite familiale et non en terme de réussite professionnelle et que les hommes participent de cette conception, a u x mesures juridiques qui, depuis le s t a t u t général de la fonction publique j u s q u ' a u x avantages réglementaires accordés a u x mères de familles comme le droit à la mise en disponibilité, assurent à la femme fonctionnaire des prérogatives qui sont une « source d'infériorité et de supériorité par rapport à l'homme » 2 , s ' a j o u t e n t les m œ u r s administratives qui accordent à des degrés divers des facilités d'absentéisme à la femme fonctionnaire chargée de famille. Ainsi, dans u n milieu où à travers la conception de la famille s'expriment les valeurs traditionnelles, les fonctionnaires des deux sexes se conforment à l'image traditionnelle de la femme, en accordant à celle-ci une carrière sûre, limitée mais souvent peu exigeante et en réservant a u x hommes l'essentiel des responsabilités — répartition des fonctions qui satisfait les femmes, plus soucieuses de leur vie de famille que de leur carrière, et les hommes qui, au nom de valeurs supérieures, se sentent justifiés à bénéficier d'une carrière privilégiée. *

Cette valorisation de la famille, en affinité avec un système de valeurs d'inspiration traditionnelle (qui peut être renforcée, au moins pour le cadre A l des administrations centrales p a r les valeurs chrétiennes dominantes 3 ) favorise chez les fonctionnaires, en même temps que la soumission aux impératifs de l'ordre et de la hiérarchie exigés par le fonctionnement du système administratif, le goût d ' u n e vie sûre et réglée dans le temps, de sorte que t o u t se passe comme si le système administratif utilisait à son profit l'affinité qui existe entre les nécessités d ' u n système non-compétitif et les aspirations des agents qui le composent.

1. Nous ignorons les variations du taux de célibat selon les catégories statutaires. Mais d'après une enquête de Population sur un échantillon restreint, la part des femmes mariées tend à décroître à mesure que s'élève le niveau statutaire : 50,5 % des femmes de la catégorie A sont mariées, 57,5 % de la catégorie B, 60,5 % de la catégorie C et 53 % de la catégorie D; ce qui tendrait à montrer par un nouvel indicateur que la carrière de fonctionnaire est une de celles que les femmes mariées des catégories moyennes peuvent le plus facilement entreprendre. En revanche dans la catégorie A, les nécessités de la carrière imposeraient plus souvent le célibat, ce qui expliquerait que le taux de célibat dans les administrations centrales (36,5 %), où la carrière est plus difficile, soit supérieur à ce qu'il est dans les services extérieurs (31,4 %). Cf. C. VIMONT et G . GONTIER, op.

cit.

2. Ch. DEBBASCH, « Condition spécifique de la femme au regard de la fonction publique », in Revue des Contributions Indirectes, décembre 1962, p. 562. 3. Voir plus loin, p. 92.

VARIATIONS CONJONCTURELLES ET ORIGINE GÉOGRAPHIQUE

Si l'origine sociale et statutaire est le déterminant essentiel de l'accès à la fonction publique, il n'en reste pas moins que les analyses précédentes, fondées sur les seules catégories socio-professionnelles du père et son appartenance au secteur public ou privé supposent plusieurs types d'abstractions. D ' u n e p a r t , l'ensemble du milieu familial et le groupe d'interconnaissance où s'insère u n individu contribuent à médiatiser toutes ses expériences et en particulier celle qu'il peut avoir d'une carrière administrative. D ' a u t r e p a r t , si le comportement du sujet social est déterminé par son appartenance à une catégorie donnée, le comportement modal de cette catégorie est lui-même fonction de la position réelle de cette catégorie dans l'ensemble de la hiérarchie sociale et des variations dans le temps d ' u n e situation économique générale qui confère à chaque catégorie socioprofessionnelle u n poids réel variable selon le t e m p s et l'espace. Or une analyse fondée sur le code statistique des catégories socio-professionnelles confère arbitrairement à une profession donnée une même valeur dans t o u t le champ de variation sociale. E n réduisant apparemment la force explicative de l'origine socio-professionnelle, l'analyse historique et écologique révèle en fait un effet de position différentielle locale et conjoncturelle ou de hiérarchisation réelle de catégories abstraites. Si la même catégorie socio-professionnelle ne recouvre pas la même réalité sociale selon la taille, l'histoire du développement économique et urbain de la région où elle s'exerce, l'influence indirecte que peut exercer u n fonctionnaire sur ses proches, que ce soit sur sa famille ou sur ceux avec lesquels il est en relations, s'en trouve ipso facto modifiée. Mais s'il importe d'étudier les variations du recrutement dues à la conjoncture économique et au mécanisme de diffusion dans l'espace d ' u n t r a i t ou d ' u n comportement socio-culturels par l'intériorisation faite par u n sujet donné d'une probabilité objective, il n'en reste pas moins que vouloir regarder la position localement ou historiquement définie comme facteur causal reviendrait à faire passer des facteurs de second ordre a v a n t le facteur causal essentiel. *

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

ET

61

GÉOGRAPHIQUES

Effectifs des administrations de l'Etat 1250

UNITE: MILLE iSONNES PE! Echcliss arilhrnéiques

/

1000

750 EFFECTIFS

D E S ADM ^ I S T R A T Î O N S

y

500

DE L'ETAT

REVENU NATIONAL [ S E R I E DE SAUVY •

E X T R A P û • ATION)

\

250



1914

1922 2324

SOURCE: I.NS.E.E.

27

GRAPHIQUE I I I . —

des fonctionnaires

32

3S

40

44



i

4647

Année .

50

52

Évolution comparée de l'effectif et du revenu national.

La situation économique des familles et t o u t particulièrement de celles qui ont connu des périodes d'insécurité grave peut jouer un rôle i m p o r t a n t dans le recrutement de nouveaux fonctionnaires, comme l ' a t t e s t e n t les variations maintes fois constatées du nombre des candidats a u x concours publics. Aux périodes de basse conjoncture

62

LES

AGENTS

DU

SYSTÈME

ADMINISTRATIF

de l'emploi correspond un fort recrutement public et, inversement, aux périodes de haute conjoncture des difficultés pour le recrutement public.

UNITE:

0 LJ

30 SOURCE:

I POUR

1

!—

25

20

MILLE

SEXE MASCULIN

15

10

05

_1_ 00

Année de naissance

Proportion, dans la population active, de l'effectif des fonctionnaires de la catégorie A et du nombre d'ingénieurs du secteur privé.

GRAPHIQUE I V . 1. —

L'évolution des effectifs t o t a u x des administrations de l ' É t a t connaît en effet depuis la fin de la première guerre mondiale des fluctuations opposées à celles du revenu national. Plus précisément aux phases d'accroissement rapide du revenu national (1946-1956) correspondent des phases d'accroissement lent, voire de régression de l'effectif des fonctionnaires, ce qui suggère qu'en période de h a u t e conjoncture les avantages statutaires de la fonction publique, la garantie d'emploi ou l'assurance d'une retraite perdent une partie de leur intérêt au profit de rémunérations moins certaines mais plus avantageuses, et, à l'inverse, que la fonction publique offre dans les périodes de dépression un débouché recherché. Ainsi, à la dépression des années 1920 correspond un effectif des services publics maximum qui régresse lentement j u s q u ' a u x années 1924, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la période d'expansion; à la dépression des années 1930 correspond une hausse rapide des effectifs qui restent stables pendant la

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

1900 1905 1S10 SOURCE: I.N.S.E.E.

1915

1920

ET

1925

GÉOGRAPHIQUES

1930

1935

63

Année denaissance

GRAPHIQUE I V . 2. — Proportion, dans la population active, de l'effectif des fonctionnaires de la catégorie B, de l'effectif des instituteurs et du nombre de cadres moyens du secteur privé, (sexe masculin)

période 1932-1936, pour amorcer une phase ascendante qui atteindra son maximum à la fin de la seconde guerre mondiale. Le graphique I I I montre que les fluctuations d'effectifs ont été relativement plus réduites que celles du revenu national; de fait, elles tiennent essentiellement au recrutement de « nouveaux » fonctionnaires, voire à des dégagements des cadres qui ne représentent qu'une faible fraction des effectifs. Toutefois le graphique n'a de valeur qu'indicative. Une comparaison des pyramides des âges de la population active apporte des

LES AGENTS

64

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

SOURCE! I.N.S.E.E.

Proportion, dans la population de l'effectif des fonctionnaires de la catégorie de l'effectif des instituteurs et du nombre de cadres moyens du secteur privé, (sexe féminin)

GRAPHIQUE I V . 3 . —

active, B,

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

ET

GÉOGRAPHIQUES

65

150

POP.

ACTIVE

(DEU X S E X ES]

UNITE:

1 POUR

MILLE

A HOMMES

EMPLOYES

H O M M E S POP. ACT.

(DEUX S E X E S )

HOMMES CATEG.'C' H O M M E S POR A C T .

1900 SOURCE:

1905 1910 I.N.S.E.E.

1915

1920

1925

1930

1935

Année de naissance

Proportion, dans la population active, de F effectif des fonctionnaires de la catégorie C et du nombre d'employés du secteur privé.

GRAPHIQUE I V . 4. —

66

LES AGENTS

Proportion, de l'effectif des fonctionnaires et du nombre d'employées

GRAPHIQUE I V . 5 . —

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

dans la population de la catégorie du secteur privé.

active, C

précisions utiles sur l'historique du recrutement public. E n calculant le rapport des effectifs d'âge (ou d'ancienneté) à l'ensemble de la population active, des périodes ou des années privilégiées de recrutement apparaissent, qui coïncident avec une série de périodes de crise : les années 1930 d'abord, puis le régime de Vichy, où la politique de recrutement des fonctionnaires a été explicitement inspirée par l'intention de réduire le chômage et conçue comme un moyen d'assurer une redistribution des revenus, ce qui était particulièrement urgent dans le climat de la crise économique qui sévissait en 1941-42, enfin

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

ET

GÉOGRAPHIQUES

67

les périodes inflationnistes et récessionnistes des années 1950 1 . Cette méthode de comparaison ne serait à son tour complètement satisfaisante que si le recensement saisissait la totalité des agents entrés dans l'administration à une époque déterminée, alors qu'il ne concerne, parmi ces derniers, que ceux qui y demeurent encore en 1962. Cet inconvénient, de portée relativement faible lorsqu'il s'agit d'un ensemble qui entretient des échanges réduits avec le secteur privé, devient plus sérieux lorsqu'on s'intéresse aux grands cadres statutaires entre lesquels un fort mouvement ascendant se développe, qui dépend de l'âge ou de l'ancienneté acquise. Ces réserves faites, les graphiques IY attestent l'importance de la conjoncture générale dans les choix faits par les générations successives entre le secteur public et le secteur privé. En effet, à l'exception des classes creuses nées pendant la première guerre mondiale qui, bénéficiant en quelque sorte du déficit des naissances laissé par cette guerre dans la population active, ont accédé relativement plus facilement aux professions supérieures ou moyennes que les générations voisines, il est clair que le recrutement du secteur public varie en sens inverse de celui du secteur privé (cf. graphiques IV) 2 . Cependant, l'amplitude de cette corrélation varie selon le sexe et la catégorie statutaire. Elle est plus forte chez les hommes que chez les femmes, plus forte dans les catégories supérieures que dans la catégorie C. C'est rappeler que l'éventail des choix est plus ouvert pour les hommes que pour les femmes, et qu'il s'élargit à mesure que l'on gravit l'échelle hiérarchique. En particulier, le comportement de la masse des petits employés de l'administration ne paraît guère avoir été modifié par l'appréciation de la conjoncture, comme le laissait prévoir le fort coefficient de rigidité de l'hérédité professionnelle dans la catégorie C, alors que dans les parties supérieures de la pyramide hiérarchique, les choix sont éclairés par une connaissance plus rigoureuse de la conjoncture économique. On peut aussi évaluer le poids des facteurs économiques par l'analyse de la proportion de fonctionnaires dont le père était inactif ou décédé au moment de leur entrée dans la fonction publique. La hiérarchie de ces taux est, dans la fonction publique comme dans l'ensemble de la population, en tenant compte du cas particulier des militaires, l'inverse de la hiérarchie sociale. Mais la proportion des 1. « L a majorité des hauts fonctionnaires entrèrent dans le service fédéral au cours de deux périodes privilégiées. Dans les années 1930, l'entrée dans la fonction publique offrait à beaucoup une occasion de résoudre des problèmes nouveaux et redoutables... Plus tard, pendant la seconde guerre mondiale, l'administration fut envahie par un nouvel afflux d'employés », écrivent à propos de l'administration fédérale américaine, J . J . CORSON et P. R. SHALE, in Men near the top, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1966, p. 1 0 7 . 2. Toutefois, en procédant à la comparaison à l'intérieur des grands groupes socioprofessionnels, cet effet de promotion sociale se trouve pris en compte aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public; il ne peut certainement pas modifier le sens des conclusions.

68

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

fonctionnaires de l ' É t a t dont le père était inactif ou décédé lors de leur entrée dans la fonction publique (18,2 % pour les hommes de la catégorie A, 14,5 % pour ceux de la catégorie B) est plus élevée que les proportions correspondantes dans les catégories homologues du secteur privé (13,1 % pour les cadres supérieurs, 11,1 % pour les cadres moyens) 1 , la mortalité ne pouvant expliquer l'écart constaté, puisque la probabilité de décès qui atteint 10 % pour l'ensemble de la population masculine française entre 25 et 55 ans, ne saurait être plus élevée pour les fonctionnaires que pour les non-fonctionnaires. Proportion de fonctionnaires dont le père était inactif ou décédé au moment de leur entrée dans la fonction publique2.

TABLEAU X I V . —

Hommes

Femmes

100 à 209

210 â 305

306 â 455

1000

100 â 209

Fonctionnaires de l ' E t a t

20,1

16,1

13,3

14,5

20,7

14,3

13,4

Contractuels

14,9

12,8

18,5

19,8

13,6

15,4

13,8

-

Militaires de c a r r i è r e

Ind i c e s bruts

456

210 à 305

306 à 455

456 1000 14,5

25,6

35,7

36,7

38,1

32,4

38,2

Fonctionnaires des départements

15,9

20,6

//

//

14,4

16,3

// //

// //

Fonctionnaires des communes

20,8

18,3

//

//

18,6

18,8

//

//

Unité

%

Si l'on admet que l'expérience des incertitudes de l'entreprise privée ou de la régression économique locale et, d'une manière générale, les nécessités économiques disposent des individus issus de familles non fonctionnarisées à apprécier les avantages de la sécurité offerte par la fonction publique, c'est que l'administration assure pour certaines catégories sociales une fonction de refuge et de régulation de l'emploi. Les familles qui ont vécu des périodes d'insécurité grave se t r o u v a n t plus nombreuses dans des régions de dépression économique que dans des régions de fort développement, l'origine géographique des agents de l ' É t a t peut être l'expression dans l'espace à la fois de l'hérédité professionnelle du milieu administratif et du besoin de sécurité qui lui est lié et des variations du recrutement selon la conjonct u r e économique. 1. Chiffres empruntés à M . P R A D E R I E , R . S A L A I S et M . P A S S A G E Z , op. cit., in Études et Conjoncture, février 1967. 2. L'indice budgétaire est commun à tous les agents de l'État et des collectivités locales, alors que la catégorie statutaire n'a de sens indiscutable que pour les fonctionnaires de l'État (cf. p. 43, n. 1). L'indice étant fonction de l'âge et de l'ancienneté administrative est un indicateur imparfait de la position effective des hauts fonctionnaires. Aussi l'analyse de ce tableau doit-elle tenir compte de ces restrictions.

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

ET

GÉOGRAPHIQUES

69

Il est classique d a n s la l i t t é r a t u r e a d m i n i s t r a t i v e d ' a t t r i b u e r a u déclin économique le g r a n d n o m b r e des fonctionnaires issus d ' u n e région d o n n é e . R a p p e l o n s les t e r m e s de c e t t e analyse : « Autrefois l ' a d m i n i s t r a t i o n p o u v a i t r e c r u t e r facilement u n personnel sur place soit d a n s la p e t i t e , soit d a n s la g r a n d e bourgeoisie, quelquefois aussi d a n s la noblesse. L a p l u p a r t des fonctionnaires occupaient leur emploi, s o u v e n t d a n s la c o m m u n e où h a b i t a i t leur famille, ou d a n s les limites de leur d é p a r t e m e n t , e t c o m m e ils é t a i e n t p e u n o m b r e u x , le r e c r u t e m e n t , sur place, correspondait g é n é r a l e m e n t a u x besoins des services locaux. Il en résultait des r a p p o r t s , sinon intimes, au moins très cordiaux, e n t r e la p o p u l a t i o n et les fonctionnaires qui é t a i e n t connus de t o u t le monde... P e u à p e u les choses c h a n g è r e n t t o t a l e m e n t . . . ; a r r i v a u n m o m e n t où des régions entières cessèrent de f o u r n i r des fonctionnaires à l ' a d m i n i s t r a t i o n qui, p o u r garnir les postes v a c a n t s , f u t obligée d'aller les p r e n d r e là où elle p o u v a i t les t r o u v e r , c'est-à-dire d a n s les régions où l'industrie e t le commerce s ' é t a i e n t p e u développés. Les e n f a n t s de la bourgeoisie se t r o u v a i e n t disponibles. E t p e t i t à p e t i t , p a r la force des choses, e t c o m m e conséquence de l ' a u g m e n t a t i o n c o n s t a n t e d u n o m b r e des fonctionnaires, des régions entières d e v i n r e n t des pépinières où l ' a d m i n i s t r a t i o n r e c r u t a en a b o n d a n c e le personnel qu'elle ne t r o u v a i t plus q u e difficilement d a n s les régions industrielles e t commerciales » 1 . L e d o u a n i e r corse, le postier d u S u d - O u e s t , les militaires b r e t o n s o u lorrains c o n s t i t u e n t des s t é r é o t y p e s familiers, et plus g é n é r a l e m e n t le caractère rural et m é r i d i o n a l de la g r a n d e m a s s e d e la p e t i t e f o n c t i o n p u b l i q u e o u l'origine parisienne de la h a u t e f o n c t i o n p u b l i q u e s o n t des f a i t s g é n é r a l e m e n t c o n n u s o u p l u t ô t a d m i s c o m m e allant d e soi. A ces descriptions familières s ' a j o u t e l ' o b s e r v a t i o n , s o u v e n t f a i t e , de l a d é s a f f e c t i o n a p p a r e n t e de certaines régions p o u r la f o n c t i o n p u b l i q u e , c o m m e celle d u N o r d , o u encore de l ' e x c l u s i o n t r a d i t i o n n e l l e de villes c o m m e L y o n de la h a u t e f o n c t i o n p u b l i q u e . N o n s e u l e m e n t l ' a n a l y s e s t a t i s t i q u e c o n f i r m e l a r g e m e n t la v a l i d i t é de ces clichés, m a i s elle f o u r n i t u n d é c o u p a g e d e la carte de F r a n c e assez s e m b l a b l e à celui de la carte p o l i t i q u e o u de la scolarisation d a n s l ' e n s e i g n e m e n t secondaire ( c a r t o g r a m m e I). L a c a r t e de la scolarisation d a n s l'enseignement secondaire établie p o u r 1962-1963 p a r le ministère de l ' É d u c a t i o n N a t i o n a l e se superpose grossièrem e n t à la c a r t e d u r e c r u t e m e n t d a n s la f o n c t i o n p u b l i q u e ; de l ' u n e c o m m e l ' a u t r e se d é g a g e n t d e u x zones, qui p e u v e n t être séparées p a r u n e ligne brisée j o i g n a n t H e n d a y e , Cognac, Nevers, Bourg-en-Bresse : le n o r d a p p a r a î t c o m m e f a i b l e m e n t scolarisé e t aussi f a i b l e m e n t « f o n c t i o n n a r i s é », à l ' e x c e p t i o n bien sûr de l ' a g g l o m é r a t i o n parisienne, mais s u r t o u t des d é p a r t e m e n t s lorrains qui bien q u e f a i b l e m e n t scolarisés, o n t u n t a u x de « f o n c t i o n n a r i s a t i o n » n e t t e m e n t supérieur à la m o y e n n e , en r a i s o n d u t r a n s f e r t sur le service civil d ' a n c i e n n e s t r a d i t i o n s militaires. D a n s la zone S u d - E s t , a u contraire, f o r t e m e n t scolarisée et « fonctionnarisée », les d e u x c a r t e s d é p a r t e m e n t a l e s sont p r e s q u e superposables. A cette corrélation se j o i g n e n t n a t u r e l l e m e n t t o u t e s celles qui o p p o s e n t la F r a n c e d u N o r d e t la F r a n c e d u Midi; ainsi les régions de basse scolarisation e t de h a u t e f o n c t i o n n a r i 1. B. R E M M E L , Essai sur l'organisation des administrations Bataille, 1935, p. 199-200.

centrales, Lille, Bouviez-

70

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

CARTOGRAMME I . — Proportion

de natifs de chaque département entrés dans la fonction publique. (Titulaires et stagiaires de VEtat. Métropole.)

s a t i o n , c o m m e l ' e n s e m b l e d u b a s s i n p a r i s i e n (à l ' e x c e p t i o n d e P a r i s ) , l a L o r r a i n e , l'Alsace, l a B o u r g o g n e , le N o r d e t l a P i c a r d i e , la N o r m a n d i e , le P o i t o u , régions de f e r m a g e d a n s lesquelles la f é c o n d i t é est élevée, à l ' o p p o s é d u Midi m é d i t e r r a n é e n , d u couloir r h o d a n i e n , d u L a n g u e d o c , des P y r é n é e s , des Alpes, de l ' A u v e r g n e q u i s o n t t r a d i t i o n n e l l e m e n t des régions d e b a s s e f é c o n d i t é e t de p e t i t e e t m o y e n n e p r o p r i é t é . D e m ê m e o n p o u r r a i t o p p o s e r

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

Proportion de natifs de chaque département entrés dans LaFonctionPubliqùe

ET

71

GÉOGRAPHIQUES

REGION

N O R D .•Jura

•Cota l'or •Ardeime •Hout^odn* DotlVTerritoîre.de-Belfort teet-Hestlie «Seine • Vende* Finistère Haute-Morne •Charente (h in i Aube* .» .'Loiret • Cô*e s-du-Nord l-Letre arente-maritime 'SaSne-e Cl Manche Pas deCàTars«sein «-et-Morne lnllr c «Norl Seine-et'Oise E urc-et-Loirj^.O.me lUe-it-Vilaine l

-

Loir-< 0

n Eure"Sorthe\ Seine-moritime 'Loire-A l antique

25 i Haye n

50

75

100%

•Corse R E G I O N

S U D

•Ar.îije Basses-Alpes Hérault •Auie

•Corrèze

-

DordogneeeAin

SOURCE: I.N.S.E.E.

25

• Hlutes-Pyrénées * Houte •Garonne e Alpes« laritimts

•Lot-et- ¡orenne •JtQorà eÇ mtol y. Gu-onde #vor Haut :-VienneTorn»0oïses-Pyrine«s . Savoie* T3ouches-«Ju-Rh& e •Aveyron « • Gers •Creuse •'1friSiiSe-Dome

•Landes

HÇ |_| 0

«•Alpes

Vauetuse .. i ' * u ! î î - ^ «Rhône •Isire •i"*Houte-Sevoie Rapport entre les *A rdeche \ *Pyrénées*Onent , l , s effectifs scolarisés Haute-Loire •Loire dans Les établissements du niveau du second degré et la • Tarn-et-Garonne population de 11 à 17ans I / Ull5 50 75 100%

— Corrélation entre le taux de scolarisation dans l'enseignement du second degré et l'origine géographique des fonctionnaires.

GRAPHIQUE

V.

72

LES AGENTS

DU SYSTÈME

ADMINISTRATIF

légitimement les pays de granit a u x p a y s de calcaire, la France radicale à la F r a n c e cléricale. Ces oppositions classiques ont c e p e n d a n t une valeur beaucoup plus descriptive qu'explicative; si l'on cherche à se faire une idée plus précise de la liaison, p a r exemple entre la « fonctionnarisation » et la scolarisation, en r a p p r o c h a n t les t a u x d é p a r t e m e n t a u x respectivement a t t a c h é s à l ' u n et l ' a u t r e phénomène, n'apparaissent en fait que des liaisons d'intensité moyenne (graphique V), ce qui suggère que les deux phénomènes ont bien en c o m m u n certains mécanismes mais qu'ils ne sont pas liés p a r une relation de cause à effet. Mais il i m p o r t e , p o u r c o m p r e n d r e les a n a l y s e s q u i s u i v e n t , d e c o n n a î t r e le c o r p s d ' h y p o t h è s e s s u r les p r o b a b i l i t é s o b j e c t i v e s e t subjectives q u ' o n p e u t grossièrement schématiser, pour la compréh e n s i o n d e ce t e x t e , d a n s les q u e l q u e s p r o p o s i t i o n s s u i v a n t e s . L ' a d o p t i o n p a r u n s u j e t social d ' u n c o m p o r t e m e n t c u l t u r e l n o u v e a u est d ' a u t a n t p l u s p r o b a b l e q u e le s u j e t a l ' e x p é r i e n c e d e r é u s s i t e s conséc u t i v e s à l ' a d o p t i o n d e ce c o m p o r t e m e n t p a r d ' a u t r e s s u j e t s p l a c é s d a n s les c o n d i t i o n s s o c i o - é c o n o m i q u e s v o i s i n e s . Mais c e t t e a d o p t i o n n ' e s t possible q u e si le s y s t è m e d e v a l e u r s a u t o r i s e o u , m i e u x , p r é i m p l i q u e c e t t e a d o p t i o n . Les g r o u p e s réels d a n s l e s q u e l s s ' i n s è r e le s u j e t m é d i a t i s e n t s o n e x p é r i e n c e e t i n t r o d u i s e n t des d é c a l a g e s e n t r e le j e u des p r o b a b i l i t é s d i c t é e s p a r les c o n d i t i o n s é c o n o m i q u e s e t sociales o b j e c t i v e s e t le j e u des p r o b a b i l i t é s s u b j e c t i v e s , telles q u ' e l l e s s o n t v é c u e s p a r le s u j e t 1 . L a p r o p o s i t i o n q u ' i l f a u t alors v é r i f i e r e s t l a s u i v a n t e : l ' e f f e c t i f des f o n c t i o n n a i r e s n é s d a n s u n e c o m m u n a u t é u r b a i n e o u villageoise d o n n é e e s t u n e f o n c t i o n d e la t a i l l e d e c e t t e c o m m u n a u t é e t d u n o m b r e des f o n c t i o n n a i r e s q u i y r é s i d e n t 2 . L ' a b s e n c e d e d o n n é e s s t a t i s t i q u e s n e p e r m e t p a s de m e n e r la d é m o n s t r a t i o n a u n i v e a u réel, c ' e s t - à - d i r e a u n i v e a u d e la c o m m u n a u t é , o ù s ' e x e r c e r é e l l e m e n t l ' i n t é r i o r i s a t i o n p a r les i n d i v i d u s des c h a n c e s o b j e c t i v e s d ' a c c é d e r à la f o n c t i o n p u b l i q u e p a r l ' i n t e r m é d i a i r e d u m i l i e u f a m i l i a l e t d u milieu d ' i n t e r c o n n a i s s a n c e . N o u s s o m m e s réduits à faire l'étude au niveau du d é p a r t e m e n t pour lequel existent les d o n n é e s s t a t i s t i q u e s . Soit Y l'effectif des fonctionnaires nés dans u n d é p a r t e m e n t 3 : cette variable est en étroite corrélation avec l'effectif des jeunes gens nés dans ce départem e n t , qui y ont fait leurs études et qui y conservent des a t t a c h e s familiales ; c'est une variable manifeste, dans le vocabulaire de P . Lazarsfeld, d ' u n e variable écologique et d'une variable observable avec une erreur négligeable 1. On trouvera les analyses fondées de ces propositions notamment in P. B O U K D I E U , Travail et travailleurs en Algérie, Paris-La Haye, Mouton, 1962, p. 313 sqq., et A. D A R B E L , « Inégalités régionales ou inégalités sociales ?», in Revue Française de Sociologie, VIII, n° spécial 1967, p. 140-166. 2. Nous préférons ce terme impliquant le groupement réel et l'horizon social concret à celui, purement juridique, de commune. 3. Pour alléger l'écriture nous n'indiquons pas les indices départementaux.

VARIATIONS

CONJONCTURELLES

ET

GÉOGRAPHIQUES

73

lors des recensements des agents de l ' É t a t . Soit X 1 5 X 2 . . . . X „ l'effectif des fonctionnaires résidant, dans ce département à l'intérieur de localités de taille donnée t x , t 2 , ..., t„ (tj < i 2 < . . . t ' ÎA + ( 1 — W J i A N* n où -j^- est la proportion de la catégorie dans la population et ^ est la proportion de fonctionnaires dans la population active (soit 11 % environ) en 1962. L'équation précédente est vérifiée pour un couple (i, A) donné pour toutes les sous-catégories (ij, A) (ij désignant une catégorie professionnelle ressortissant d'un groupe professionnel). Le nombre d'équations nécessaires est donc en général surabondant pour déterminer fiA et fil. 2) Entrée

dans d'autres

catégories

statutaires.

Le principe du calcul demeure le même, mais au lieu de faire intervenir les probabilités ro,, il convient de faire intervenir les probabilités qu'un sujet, issu du groupe social i, parvienne au groupe social j. A cet effet nous utiliserons dans toute la mesure du possible les calculs de M. Praderie 1 . E n particulier nous utiliserons les probabilités qu'un sujet demeure dans la même catégorie sociale que son père. 3) Coefficient

de rigidité

sociale.

Il reste maintenant à comparer fu, qui se définit comme une probabilité conditionnelle d'entrée dans la fonction publique, à la probabilité théorique ç3 de devenir fonctionnaire (code I . N . S . E . E . , cadres supérieurs) d'un diplômé de l'enseignement supérieur. E n supposant que les rapports cp3 soient restés constants dans le temps, on peut montrer que les rapports : „ fiA Ç3 . , J t i = — j — r e s t e n t compris entre —-1 et 1, R = 1 correspond à une endogamie absolue (tous les fils de fonctionnaires deviennent fonctionnaires), R = 0 correspond à un choix indépendant de la profession du père. Les valeurs négatives de R correspondent à des choix d'autant plus défavorables à la fonction publique que le père est lui-même fonctionnaire.

1. M . PRADERIE, R .

SALAIS e t M . PASSAGEZ, op.

cit.

APPENDICES

113

Le coefficient de rigidité de la catégorie B s'écrira sous les mêmes hypothèses : R -

( c o d e I.N.S.E.E., 4 = c a d r e s moyens)

et celui de la catégorie C ou D : C + D —

1—Ts

1

?

5

ANNEXES

eu

H

t. s 16,7 29,5

CN

IO*

34,4 I»*

oo co" 36,6

Ouvriers

25,8

CN Os" CN sC?

o co" sO

co oo" •

CO o"

16,8

co" 28,8

37,6

13,8

co T"

34,4

15,1

Os so"

50,0

16,7

15,7 « o"

12,2

16,7

11,9

Indice brut 456-HE

CN Os"

19,2 1



co

CN o" so" o o u-> TJ-"

oo o" Os o" o o

Os lo" o o

UÌ so" o o



o o 58,5

O TJ-" o o 21,5

r-. o" Í-H" o o

Os o" hso" o o

Os «•>" o o

Tío o

sO

o o

Ensemble

51,0 25,5 1

40,5 CN' LO r-s." o o

59,5 30,0 40 o" o o

65,5 CN" CO

CN* o o

ov Tf co" o o

Classes moyennes

Classes supérieures

35,5 53,5

48,0 o a>" •t o o

52,0 »o n" 8

£ co

CN"

•o

ci co

-

IO

100

"1 CN* -t

Ensemble

16,5

45,0

23,5

o o

56,5

00

co" co

Classes populaires

CN"

O o

001

o"

Armée, police et autres catégories

o'i

co"

Personnel de service

co"

oo"

21,2

o o

14,8

so" oo io"

SO r-s."

26,0



12,8

co^ oo"

21,0

-o

22,3

16,8

Os Os*

r-C

32,9

33,3

12,5

00 CN"

15,5

CN CN* 13,9

CO

NO co"

12,9

CM

o CO CN"

Employés

00 CN*

Professions libérales et cadres supérieurs

o

Cadres moyens

00 co"

o o o 13,6

CN • r». i-«." o"

13,8

r-. co

IO

10,4

15,7

13,0

Class, spéc.

Catégorie statutaire actuelle

co o*

O'l

io" 11,2

Indice brut 456-HE

Sexe féminin

CN Lo"

L'L

sO uS"

Patrons de l'industrie et du commerce

a

Salariés agricoles

U 11,7

m

23,2


o"

11,6

15,6

Y co io"

1

H Peí

O'IL

O •j H

Titulaires Contractuels

£ O

Agriculteurs

-o s ß,

socio-professionnelle du père

s

1NSEE

h. O Fonctionnaires titulaires des collectivités locales

e

Agents de l'Etat

bC

Catégorie

»2 e •M u o en «>

Code

118

o o* io oo

e s

s

O) «4) O U

108,3

50,0

Personnel de Service

®

Ouvriers

o co

o* co es co -

oo co CO NO

79, 3 37,7

36,1

43,8

225,7

o co 29,2 473,3 100

37,5 446,7

41,7 393,3

87,3

170,0

182,9

rsT •o CN

238,6

CN O CN

446, 7

587, 5 671,4 378,0 131,4

104,0 192,9 286,4 204, 3

24,0

25,7

62, 7 33, 3

85,2 101,8 66,7

147,9

101,4

356,0

r*.

o o

266,6

100,0

24,2

92,0

23,0

52,6

274,3 231,4

135,6 155,9

456-HE

co co*

118,6



221, 4

284,8

CM

293,2

«O

103,4

o* co

189, 8

CO w 66,1

82,1

298, 2

o 133, 9

45,2 65,6 111,2

43,5

57,5

110,6

O

80, 8



83,3

69,5

O

137,5 460,7

90,0

Û co

91,4

36,7

U

O w

506,6 O

406,7 o o

460, 0 o o

433,3 393,3



CN m

Q

Ensemble

O

U

184,3

o 3 O M

Employés

«>

CO

64,4

V) a D o o

Cadres moyens

E «> J>

50,0

D «A O


31,9

o o

51,8

o O • 8 * v»

Patrons de l'industrie et du commerce

I "o D

61,3

e KO



Salariés agricoles

k.

e e e e « o

co

211,4

242,4

180,4

102,6

30,6

55,7

Ensemble

100

433,3

37,5

o** >o

001

Eh

H •J n o < .60 O

X

102,6

B "Ö s


< C» «

Agriculteurs exploitants

O E «4>

Class, spec.

J» •8"« s tfl e

456-HE Ensemble

e e

«s vo

inin

s ß,

Class, spec.

m

Catégorie socio* professionnelle

119

o o

o o



o o

o

o o

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co o»

o

O

00

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CN

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1

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29,0

CN*

io CN*

27,0

*

ne pratique qu'occasionnellement

o o*

27,5





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26,5

so

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27,0



Protestante

o f-T



ne pratique jamais

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26,5

£ o co"

21,0

« k. 00

Juive

CN

o co*

Aucune

co

9 et plus

160



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ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES collection CAHIERS

1.

DU C E N T R E

DE S O C I O L O G I E

Pierre B O U R D I E U et Jean-Claude P A S S E R O N , avec la collaboration de Michel É L I A R D Les étudiants et leurs études. 1964, 150 pages.

2 . Pierre B O U R D I E U , Jean-Claude P A S S E R O N

et Monique de SAINT M A R T I N Rapport pédagogique et communication. 1965, 125 pages.

3. Alfred W I L L E N E R Interprétation de l'organisation 1967, 164 pages.

dans

l'industrie.

4 . Robert CASTEL et Jean-Claude P A S S E R O N

Éducation, développement 1967, 268 pages.

5.

Luc

et

démocratie.

BOLTANSKI

Prime éducation et morale de 1969, 152 pages. Paris MOUTON & Co. La Haye

classe.

EUROPÉENNE

Achevé d'imprimer le 3 avril 1 9 6 9 par Firmin-Didot en son Imprimerie Alençonnaise. Imprimé en France. Dépôt légal 2 e trimestre 1 9 6 9 : 5 1 . 3 2 1