L'identité de l'Eglise dans les Actes des apôtres: De la Restauration d'Israel a La conquete universelle
 3110229536, 9783110229530

Table of contents :
Table des matières
Préface
Liste des abréviations
Chapitre premier : L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise dans les Actes des apôtres
1.1 Bibliographie générale
1.2 Etats de la recherche consultés
1.3 Status quaestionis
1.3.1 Remarques préliminaires
1.3.2 La Tendenzkritik et l'Ecole de Tubingue
1.3.3 Franz Overbeck ou « l'antijudaïsme national » de Luc
1.3.4 La formulation d'un consensus : Hans Conzelmann et Ernst Haenchen
1.3.5 Jacob Jervell : un nouveau regard sur la question
1.3.6 L'explosion de la discussion et le durcissement des positions
1.3.7 Les voies de l'avenir
1.3.8 Reprise et conclusion
1.3.8 La valorisation de l’ambivalence
1.3.8 Le décloisonnement de la problématique juive
1.3.8 La multiplication des grilles de lecture et des lieux de vérification
1.4 Problématique
1.5 Hypothèses de lecture
1.6 Jalons méthodologiques
1.7 Démarche
1.8 La tradition textuelle des Actes canoniques
Chapitre deux : Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze (Actes 1, 15-26)
2.1 Bibliographie
2.2 Remarques préliminaires
2.3 Une histoire biblique
2.4 Ac 1, 15-26 dans l'intrigue des Actes
2.5 Les Douze dans la tourmente exégétique
2.6 Les Douze et l'identité ecclésiale des Actes
2.7 Les Douze au regard du livre des Actes
2.8 Conclusion : la recomposition des Douze et l'identité ecclésiale des Actes
Chapitre 3 : Le double universalisme de la Pentecôte : programme identitaire des Actes (Actes 2, 1-47)
3.1 Bibliographie
3.2 Une fonction de programme pour les Actes
3.3 Panorama de la recherche
3.3.1 Actes 2 comme anti-Babel
3.3.2 Le récit de la Pentecôte et le don de la Torah au Sinaï ..
3.3.3 La Pentecôte d’Actes 2 et le rassemblement final d’Israël
3.3.4 La mission « jusqu’aux confins de la terre » et l’universalisme de l’Empire
3.4 Actes 2 et la théophanie du Sinaï
3.5 Glossolalie ou xénoglossie ?
3.6 Un universalisme centripète ou centrifuge ?
3.7 L'Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme de la Pentecôte (2, 42-47)
3.7.1 La vie en communion, « phase ultime de la Pentecôte »
3.7.2 Une Eglise née de l’Esprit
3.7.3 Un ethos communautaire entre continuité et nouveauté
3.8 Conclusion : la Pentecôte d'Actes 2, programme du second tome à Théophile
Chapitre 4 : La restauration d'Israël entre succès et turbulences (Actes 3–5)
4.1 Une séquence unifiée
4.1.1 Bibliographie
4.1.2 Des facteurs d'unification
4.2 Le relèvement de l'infirme de la « Belle Porte » ou l'apocatastase d'Israël (3, 1-26)
4.2.1 Bibliographie
4.2.2 Remarques préliminaires
4.2.3 Relever le mendiant ou le pouvoir intégrateur du nom de Jésus (3, 1-11)
4.2.4 Non pas la puissance des apôtres, mais celle du Dieu qui relève le Saint et le Juste (3, 12-16)
4.2.5 L'écoute du prophète comme Moïse ou l'apocatastase d'Israël (3, 17-26)
4.2.6 Récapitulation et conclusion
4.3 Croissance miraculeuse de la communauté (4, 4 ; 5, 14) .
4.3.1 Bibliographie
4.3.2 Un symptôme du rassemblement d’Israël
4.4 Fièvre miraculeuse et convergence des malades à Jérusalem (5, 12-16)
4.4.1 Bibliographie
4.4.2 Un galimatias thématique
4.4.3 Les signes de la fin des temps
4.5 Au cœur de l'esse de l'Eglise, un ethos chrétien de partage (5, 1-11)
4.5.1 Bibliographie
4.5.2 Remarques préliminaires
4.5.3 Un récit foncièrement ecclésiologique
4.5.4 L’ethos de partage mis en péril
4.5.5 Une Eglise sub specie aeternatis
4.5.6 Reprise et conclusion
4.6 Conclusion : la restauration d'Israël entre ombre et lumière
Chapitre 5 : Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora (Actes 6, 1–8, 3)
5.1 Un tournant décisif dans l'intrigue des Actes (6, 1–8, 3) 159 5.1.1 Bibliographie
5.1.2 Une séquence-charnière
5.2 Une Eglise entre ouverture culturelle et rassemblement de l'Israël sacerdotal (6, 1-7)
5.2.1 Bibliographie
5.2.2 Remarques préliminaires
5.2.3 Un récit symptomatique
5.2.4 Les Sept, figures d’une Eglise entre continuité et ouverture
5.2.5 L’ethos de la communauté messianique au risque de la diaconie des veuves
5.2.6 Un peuple de prêtres (6, 7)
5.3 Le discours d'Etienne, document fondateur d'un christianisme nomade (7, 2-53)
5.3.1 Bibliographie
5.3.2 Remarques préliminaires
5.3.3 « Toujours, vous résistez à l'Esprit saint ! » (7, 51b)
5.3.4 L’histoire des pères entre nomadisme et rejet du Très-Haut
5.3.5 Des précédents juifs hellénistiques
5.3.6 Conclusion : Ac 7, 2-53, plaidoyer théologique en faveur d’un christianisme déraciné
5.4 Du martyre d'Etienne au témoignage en Judée et en Samarie (7, 54–8, 3)
5.5 Conclusion : continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora
Chapitre 6 : L'Eglise entre Jérusalem et Césarée ou l'intégration des marginaux dans le peuple de Dieu (Actes 8, 4-40)
6.1 Remarques préliminaires
6.2 Ac 8, 4-40 comme séquence narrative
6.3 Ac 8 dans l'intrigue des Actes
6.4 La mission en Samarie
6.4.1 Bibliographie
6.4.2 Remarques préliminaires
6.4.3 Les Samaritains dans la littérature ancienne
6.4.4 Les Samaritains du troisième évangile
6.4.5 La Samarie en Ac 8
6.4.6 Conclusion : les Samaritains dans l’ecclésiologie lucanienne
6.5 L'eunuque d'Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40) .
6.5.1 Bibliographie
6.5.2 Remarques préliminaires
6.5.3 L’Ethiopien : juif, prosélyte ou craignant-Dieu ?
6.5.4 L’intégration par l’Ecriture et le baptême
6.5.5 La conversion de l’Ethiopien : péripétie de la mission ou récit emblématique ?
6.5.6 Conclusion : L'eunuque d’Ethiopie et l'ecclésiologie lucanienne
6.6 Conclusion : une séquence stratégique pour l’ecclésiologie lucanienne
Chapitre 7 : Antioche-sur-l'Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne » (Actes 11, 19-30)
7.1 Bibliographie
7.2 Remarques préliminaires
7.3 Ac 11 dans l'intrigue des Actes
7.4 Structure d'Ac 11, 19-30
7.5 Naissance de diasporas chrétiennes en Phénicie, à Chypre et à Antioche
7.5.1 De l’exil à la diaspora
7.5.2 Un parcours catéchétique au fondement de la communauté
7.5.3 La diaspora antiochienne entre continuité et nouveauté
7.6 Les « chrétiens » d'Antioche-sur-l'Oronte
7.7 Conclusion : Ac 11, naissance d'un christianisme de diaspora
Chapitre 8 : Le programme de la mission paulinienne de diaspora (Actes 13, 14-52)
8.1 Bibliographie
8.2 Remarques préliminaires
8.3 Une fonction de programme dans l'intrigue des Actes ..
8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien
8.4.1 Structure d’Ac 13
8.4.1 Premier échange (13, 14-43)
8.4.1 Deuxième échange (13, 44-48)
8.4.1 Sommaire de croissance de la Parole et expulsion hors du territoire (13, 49-52)
8.4.1 D’une réaction de l’auditoire à l’autre
8.4.2 Ac 13 et les discours programmatiques de Jésus (Lc 4) et de Pierre (Ac 2) : essai de comparaison
8.4.2 Parallélismes de structure
8.4.2 Parallélismes thématiques
8.4.2 Parallélismes terminologiques
8.4.3 Bilan et essai d’interprétation
8.5 Ac 13 et le schéma missionnaire paulinien
8.5.1 Un schéma tripartite de rupture
8.5.2 Récapitulation
8.5.3 Incidences herméneutiques de cette démultiplication narrative
8.5.4 Conclusion : Ac 13 et le schéma missionnaire paulinien
8.6 Le kérygme christologique annexé à l'histoire d'Israël (13, 17-31)
8.7 La résurrection, « divine surprise » au cœur de l'histoire d'Israël (13, 32-41)
8.8 Du rassemblement d'Israël (13, 42-43) à l'universalisation du salut (13, 44-48)
8.9 Bilan conclusif : croissance de la Parole, persécution de Paul et Barnabé, « plérôme » des disciples (13, 49-52)
8.10 Conclusion : la mission paulinienne d’Antioche de Pisidie entre rassemblement de l’Israël exilé et rupture avec la Synagogue
Chapitre 9 : Le récit de l’assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc (Actes 15, 1-35) ..
9.1 Bibliographie .
9.2 Ac 15 dans l'intrigue des Actes ..
9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes
9.4 Les deux discours rapportés de l'assemblée jérusalémite (15, 7b-11 ; 15, 13b-21)
9.5 Le décret des apôtres (15, 20.29 ; 21, 25)
9.6 Conclusion : Ac 15 comme charte d'une Eglise entre continuité et nouveauté
Chapitre 10 : L’identité chrétienne au risque du monde hellénisé (Actes 17, 16-34)
10.1 Bibliographie
10.2 Remarques préliminaires
10.3 Ac 17 dans l'intrigue des Actes
10.4 Structure de l'épisode
10.5 Un discours à double entrée
10.5.1 Des traditions bibliques et extra-bibliques
10.5.2 Paul, prophète ou philosophe ?
10.6 Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne
10.6.1 De la méprise épistémologique à la faute spirituelle
10.6.2 Deux histoires distinctes ordonnées au même salut (13, 16b-41/17, 22b-31)
10.6.3 Quelle articulation entre foi chrétienne et culture grecque ?
10.7 Conclusion : Ac 17 ou l’inclusion d’Athènes dans le programme identitaire des Actes
Chapitre 11 : L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)
11.1 Bibliographie
11.2 Remarques préliminaires
11.3 Analyse structurelle d’Ac 28, 16-31
11.3.1 Remarques préliminaires
11.3.2 Vv. 16 et 30-31 : un phénomène d’inclusion
11.3.3 Vv. 17a et 25a : une inclusion déstabilisante
11.3.4 Vv. 23-25a et 30-31 : un parallélisme incomplet
11.3.5 Vv. 17-22 / 23-25a : deux entrevues en parallèle
11.3.6 Schéma récapitulatif
11.4 Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien
11.4.1 Des parallélismes : reprise d’un scénario connu
11.4.1 Tableau comparatif
11.4.1 Effets pragmatiques et herméneutiques
11.4.2 Ac 28, 16-31 : circularité avec Lc 1–2 et Ac 1
11.4.2 Remarques préliminaires
11.4.2 Ac 28 et l’Evangile de l’enfance : une vaste boucle narrative
11.4.2 Effets pragmatiques et herméneutiques
11.4.3 Ac 28 et l'ouverture des Actes
11.4.4 Conclusion
11.5 Ac 28 et la question d'Israël
11.5.1 Remarques préliminaires
11.5.2 Paul, symbole d’une chrétienté en continuité avec Israël
11.5.3 Une secte partout contredite
11.5.4 La découverte de Paul : Israël est endurci
11.6 L'Eglise à la conquête de l'universalité
11.6.1 « C’est aux païens que ce salut de Dieu a été envoyé » (28, 28)
11.6.2 Un sommaire universaliste de la mission paulinienne (28, 30-31)
11.6.3 La chrétienté à la conquête de l’Empire
11.6.3 Un précédent juif hellénistique
11.6.3 La fondation de colonies dans la littérature grecque
11.6.3 Ac 28, 16-31 et les récits de fondation de colonies
Excursus : Ac 28, 16-31 et l’Enéide de Virgile
11.6.3 La finale des Actes comme conquête missionnaire de l’Empire
11.6.3 Les Actes de Luc entre nostoi et ktiseis
11.7 Conclusion : Ac 28 et la constellation identitaire des Actes
Chapitre 12 : Récapitulation et conclusion
Bibliographie
1. Instruments de travail utilisés
2. Sources
3. Commentaires consultés
4. Monographies, collectifs et articles
Index biblique
Index de la littérature juive et chrétienne ancienne
Index des auteurs grecs et latins
Index des auteurs modernes

Citation preview

Simon Butticaz L’identite´ de l’Eglise dans les Actes des apoˆtres

Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche

Herausgegeben von

James D. G. Dunn · Carl R. Holladay Hermann Lichtenberger · Jens Schröter Gregory E. Sterling · Michael Wolter

Band 174

De Gruyter

Simon Butticaz

L’identite´ de l’Eglise dans les Actes des apoˆtres De la restauration d’Israe¨l a` la conqueˆte universelle

De Gruyter

ISBN 978-3-11-022953-0 e-ISBN 978-3-11-022954-7 ISSN 0171-6441 Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Butticaz, Simon David. L’identite´ de l’e´glise dans les Actes des Apoˆtres : de la restauration d’Israe¨l a` la conqueˆte universelle / Simon David Butticaz. p. cm. - (Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche, ISSN 0171-6441 ; Bd. 174) Includes bibliographical references and index. ISBN 978-3-11-022953-0 (hardcover 23 * 15,5 : alk. paper) 1. Bible. N.T. Acts - Theology. 2. Church - Biblical teaching. 3. Israel (Christian theology) - Biblical teaching. 4. Judaism (Christian theology) - Biblical teaching. I. Title. BS2625.6.C5B88 2010 226.6106-dc22 2010022394

Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available in the Internet at http://dnb.d-nb.de. ” 2011 Walter de Gruyter GmbH & Co. KG, Berlin/New York Printing: Hubert & Co. GmbH & Co. KG, Göttingen ⬁ Printed on acid-free paper Printed in Germany www.degruyter.com

« Nos murs de séparation ne s’élèvent pas jusqu’à Celui qui nous a choisis pour former un seul peuple à la gloire de son Nom » Jacques Dupont, 1985

Préface La présente monographie est la version légèrement remaniée d’une thèse de doctorat en théologie soutenue le 4 novembre 2009 à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (CH). Tout comme l’auteur anonyme du diptyque à Théophile (cf. Lc 1, 1), nous aussi savons notre dette contractée à l’égard de nos nombreux prédécesseurs à avoir déployé leur talent exégétique sur le champ textuel des Actes. Conformément à la déontologie scientifique, nous avons dûment signalé leur contribution inestimable à ce travail de thèse dans l’appareil de notes consigné en bas de pages. Mais, il est des « Anciens » en la matière, dont le nom ne peut être tu en ouverture de cette étude et dont l’apport à cette recherche ne s’est pas limité à des emprunts textuels. Nous voudrions tout d’abord nommer le Prof. Dr. Jens Schröter, qui nous a aimablement ouvert les portes de l’Institut de Nouveau Testament de l’Université de Leipzig (DE) et dont la disponibilité ainsi que les précieux conseils ont incontestablement enrichi notre propos sur l’ecclésiologie de Luc. C’est ensuite le Dr. Régis Burnet, maître de conférence à l’Université Paris VIII, à qui nous aimerions témoigner notre gratitude. En effet, c’est avec sagacité et intelligence qu’il s’est prêté à la relecture de notre chapitre consacré à l’assemblée de Jérusalem (Ac 15). Finalement, parmi les « Anciens », il est une personne à avoir endossé un rôle singulier durant la gestation de cette thèse de doctorat et dont l’apport ne peut être ni quantifié ni circonscrit, tant il est pluriforme et englobant : nous voulons parler du Prof. hon. Daniel Marguerat. La tradition allemande lui décerne le beau titre de Doktorvater. Dans notre expérience, ce qualificatif impliquant tout à la fois une proximité imprescriptible et une autonomisation naturelle ne fut pas usurpé. Qu’il soit ici publiquement et chaleureusement remercié. Au registre des remerciements, nous aimerions encore inscrire les noms des Prof. Loveday C.A. Alexander, Frédéric Amsler, PierreYves Brandt et Michael Wolter. Aux côtés du Prof. Daniel Marguerat,

VIII

Préface

tous quatre ont accepté de siéger dans le jury de thèse qui a favorablement sanctionné la présente recherche : leur lecture minutieuse ainsi que leurs observations stimulantes nous ont beaucoup profité. Enfin, la maison d’édition de Gruyter à Berlin et son directeur de collection le Prof. Dr. Michael Wolter, en accueillant promptement cette étude dans la prestigieuse série des Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche, ainsi que Mme Emmanuelle Steffek, en apportant ses compétences éditoriales à sa publication, méritent notre plus profonde reconnaissance. Avant de convier le lecteur à suivre notre parcours des Actes, il convient de signaler que cette monographie reproduit plusieurs résultats acquis au cours d’un mémoire de spécialisation en sciences bibliques intitulé La finale des Actes entre parole et silence (Ac 28, 16-31). Récits de fondation, mimèsis littéraire et rhétorique du silence (Lausanne, 2005), mais resté non publié. Le plus souvent, les emprunts sont ponctuels et méconnaissables à la lecture de la présente recherche. Dans un cas précis, les reprises sont quasi verbatim : il s’agit de notre chapitre consacré à la finale des Actes et où a été répercutée une enquête dévolue aux récits grecs de fondation (pp. 383-456). Quant au paragraphe 4.2 de la présente monographie, il s’adosse à des résultats préalablement publiés sous la forme d’un article intitulé « Ac 3, 1-26. Le relèvement de l’infirme comme paradigme de la restauration d’Israël », ETR 84, 2009/2, pp. 177-188. Chavornay, le 27 avril 2010

Table des matières Préface ………………………………………………………… Liste des abréviations ………………………………………… Chapitre premier : L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise dans les Actes des apôtres ……………………… 1.1 Bibliographie générale ……………………………… 1.2 Etats de la recherche consultés ……………………… 1.3 Status quaestionis …………………………………… 1.3.1 Remarques préliminaires …………………………… 1.3.2 La Tendenzkritik et l'Ecole de Tubingue ………… 1.3.3 Franz Overbeck ou « l'antijudaïsme national » de Luc ………………………………………………… 1.3.4 La formulation d'un consensus : Hans Conzelmann et Ernst Haenchen …………… 1.3.5 Jacob Jervell : un nouveau regard sur la question … 1.3.6 L'explosion de la discussion et le durcissement des positions …………………………………………… 1.3.7 Les voies de l'avenir …………………………………… 1.3.8 Reprise et conclusion ………………………………… 1.3.8.1 La valorisation de l’ambivalence …………………… 1.3.8.2 Le décloisonnement de la problématique juive …… 1.3.8.3 La multiplication des grilles de lecture et des lieux de vérification………………………………………… 1.4 Problématique ………………………………………… 1.5 Hypothèses de lecture ………………………………… 1.6 Jalons méthodologiques ……………………………… 1.7 Démarche ……………………………………………… 1.8 La tradition textuelle des Actes canoniques ……… Chapitre deux : Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze (Actes 1, 15-26) ……

VII XIX

1 1 6 7 7 9 10 12 15 18 27 44 45 46 47 47 52 53 59 60

67

X 2.1 2.2 2.3 2.4 2.5 2.6 2.7 2.8

Table des matières

Bibliographie ………………………………………… Remarques préliminaires …………………………… Une histoire biblique ………………………………… Ac 1, 15-26 dans l'intrigue des Actes ……………… Les Douze dans la tourmente exégétique ……………… Les Douze et l'identité ecclésiale des Actes …………… Les Douze au regard du livre des Actes ……………… Conclusion : la recomposition des Douze et l'identité ecclésiale des Actes …………………………

Chapitre 3 : Le double universalisme de la Pentecôte : programme identitaire des Actes (Actes 2, 1-47) ……………… 3.1 Bibliographie …………………………………………… 3.2 Une fonction de programme pour les Actes ………… 3.3 Panorama de la recherche ……………………………… 3.3.1 Actes 2 comme anti-Babel ……………………………… 3.3.2 Le récit de la Pentecôte et le don de la Torah au Sinaï .. 3.3.3 La Pentecôte d’Actes 2 et le rassemblement final d’Israël ……………………………………………… 3.3.4 La mission « jusqu’aux confins de la terre » et l’universalisme de l’Empire ………………………… 3.4 Actes 2 et la théophanie du Sinaï ……………………… 3.5 Glossolalie ou xénoglossie ? …………………………… 3.6 Un universalisme centripète ou centrifuge ? ………… 3.7 L'Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme de la Pentecôte (2, 42-47) ……………… 3.7.1 La vie en communion, « phase ultime de la Pentecôte » ………………………………………… 3.7.2 Une Eglise née de l’Esprit ……………………………… 3.7.3 Un ethos communautaire entre continuité et nouveauté ……………………………………………… 3.8 Conclusion : la Pentecôte d'Actes 2, programme du second tome à Théophile ………………

67 68 70 72 78 79 82 85

87 87 90 93 93 94 95 97 98 103 109 117 117 118 119 122

Chapitre 4 : La restauration d'Israël entre succès et turbulences (Actes 3–5) ………………………………………… 124 4.1 Une séquence unifiée …………………………………… 124

Table des matières

4.1.1 4.1.2 4.2 4.2.1 4.2.2 4.2.3 4.2.4 4.2.5 4.2.6 4.3 4.3.1 4.3.2 4.4 4.4.1 4.4.2 4.4.3 4.5 4.5.1 4.5.2 4.5.3 4.5.4 4.5.5 4.5.6 4.6

Bibliographie …………………………………………… 124 Des facteurs d'unification ……………………………… 125 Le relèvement de l'infirme de la « Belle Porte » ou l'apocatastase d'Israël (3, 1-26) ……………………… 128 Bibliographie ……………………………………………… 128 Remarques préliminaires ………………………………… 129 Relever le mendiant ou le pouvoir intégrateur du nom de Jésus (3, 1-11) ………………………………… 131 Non pas la puissance des apôtres, mais celle du Dieu qui relève le Saint et le Juste (3, 12-16) ………………… 134 L'écoute du prophète comme Moïse ou l'apocatastase d'Israël (3, 17-26) ………………………… 137 Récapitulation et conclusion …………………………… 142 Croissance miraculeuse de la communauté (4, 4 ; 5, 14) . 142 Bibliographie ……………………………………………… 142 Un symptôme du rassemblement d’Israël …………… 143 Fièvre miraculeuse et convergence des malades à Jérusalem (5, 12-16) …………………………………… 144 Bibliographie …………………………………………… 144 Un galimatias thématique ……………………………… 145 Les signes de la fin des temps …………………………… 147 Au cœur de l'esse de l'Eglise, un ethos chrétien de partage (5, 1-11) ……………………………………… 149 Bibliographie ……………………………………………… 149 Remarques préliminaires ………………………………… 150 Un récit foncièrement ecclésiologique ………………… 150 L’ethos de partage mis en péril ………………………… 152 Une Eglise sub specie aeternatis ………………………… 154 Reprise et conclusion …………………………………… 155 Conclusion : la restauration d'Israël entre ombre et lumière …………………………………… 156

Chapitre 5 : Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora (Actes 6, 1–8, 3) …………………………………………………… 159 5.1 Un tournant décisif dans l'intrigue des Actes (6, 1–8, 3) ………………………………………………… 159 5.1.1 Bibliographie …………………………………………… 159

XI

XII 5.1.2 5.2 5.2.1 5.2.2 5.2.3 5.2.4 5.2.5 5.2.6 5.3 5.3.1 5.3.2 5.3.3 5.3.4 5.3.5 5.3.6 5.4 5.5

Table des matières

Une séquence-charnière ………………………………… Une Eglise entre ouverture culturelle et rassemblement de l'Israël sacerdotal (6, 1-7) ………… Bibliographie …………………………………………… Remarques préliminaires ………………………………… Un récit symptomatique ………………………………… Les Sept, figures d’une Eglise entre continuité et ouverture ……………………………………………… L’ethos de la communauté messianique au risque de la diaconie des veuves ……………………………… Un peuple de prêtres (6, 7) ……………………………… Le discours d'Etienne, document fondateur d'un christianisme nomade (7, 2-53) …………………… Bibliographie …………………………………………… Remarques préliminaires ………………………………… « Toujours, vous résistez à l'Esprit saint ! » (7, 51b) …… L’histoire des pères entre nomadisme et rejet du Très-Haut ……………………………………………… Des précédents juifs hellénistiques ……………………… Conclusion : Ac 7, 2-53, plaidoyer théologique en faveur d’un christianisme déraciné ………………… Du martyre d'Etienne au témoignage en Judée et en Samarie (7, 54–8, 3) ………………………………… Conclusion : continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora …………………………………………………

Chapitre 6 : L'Eglise entre Jérusalem et Césarée ou l'intégration des marginaux dans le peuple de Dieu (Actes 8, 4-40) ……………………………………………………… 6.1 Remarques préliminaires ………………………………… 6.2 Ac 8, 4-40 comme séquence narrative ………………… 6.3 Ac 8 dans l'intrigue des Actes …………………………… 6.4 La mission en Samarie …………………………………… 6.4.1 Bibliographie ……………………………………………… 6.4.2 Remarques préliminaires ………………………………… 6.4.3 Les Samaritains dans la littérature ancienne ………… 6.4.4 Les Samaritains du troisième évangile …………………

159 161 161 162 163 164 168 169 172 172 173 175 176 184 186 187 188

190 190 190 192 197 197 198 199 201

XIII

Table des matières

6.4.5 6.4.6 6.5 6.5.1 6.5.2 6.5.3 6.5.4 6.5.5 6.5.6 6.6

La Samarie en Ac 8 ……………………………………… Conclusion : les Samaritains dans l’ecclésiologie lucanienne ………………………………………………… L'eunuque d'Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40) . Bibliographie ……………………………………………… Remarques préliminaires ………………………………… L’Ethiopien : juif, prosélyte ou craignant-Dieu ? ……… L’intégration par l’Ecriture et le baptême ……………… La conversion de l’Ethiopien : péripétie de la mission ou récit emblématique ? ………………………………… Conclusion : L'eunuque d’Ethiopie et l'ecclésiologie lucanienne ………………………………… Conclusion : une séquence stratégique pour l’ecclésiologie lucanienne …………………………………

Chapitre 7 : Antioche-sur-l'Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne » (Actes 11, 19-30) ………………………… 7.1 Bibliographie ……………………………………………… 7.2 Remarques préliminaires ………………………………… 7.3 Ac 11 dans l'intrigue des Actes ………………………… 7.4 Structure d'Ac 11, 19-30 ………………………………… 7.5 Naissance de diasporas chrétiennes en Phénicie, à Chypre et à Antioche ………………………………… 7.5.1 De l’exil à la diaspora …………………………………… 7.5.2 Un parcours catéchétique au fondement de la communauté………………………………………… 7.5.3 La diaspora antiochienne entre continuité et nouveauté ……………………………………………… 7.6 Les « chrétiens » d'Antioche-sur-l'Oronte ……………… 7.7 Conclusion : Ac 11, naissance d'un christianisme de diaspora ………………………………………………… Chapitre 8 : Le programme de la mission paulinienne de diaspora (Actes 13, 14-52) ……………………………………… 8.1 Bibliographie ……………………………………………… 8.2 Remarques préliminaires ………………………………… 8.3 Une fonction de programme dans l'intrigue des Actes ..

208 213 214 214 215 215 221 224 228 229

231 231 232 233 234 235 235 236 237 240 242

244 244 246 248

XIV 8.4 8.4.1 8.4.1.1 8.4.1.2 8.4.1.3 8.4.1.4 8.4.2 8.4.2.1 8.4.2.2 8.4.2.3 8.4.3 8.5 8.5.1 8.5.2 8.5.3 8.5.4 8.6 8.7 8.8 8.9

8.10

Table des matières

Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien … Structure d’Ac 13 ………………………………………… Premier échange (13, 14-43) ……………………………… Deuxième échange (13, 44-48) …………………………… Sommaire de croissance de la Parole et expulsion hors du territoire (13, 49-52) …………………………… D’une réaction de l’auditoire à l’autre ………………… Ac 13 et les discours programmatiques de Jésus (Lc 4) et de Pierre (Ac 2) : essai de comparaison ……… Parallélismes de structure ……………………………… Parallélismes thématiques ……………………………… Parallélismes terminologiques ………………………… Bilan et essai d’interprétation ………………………… Ac 13 et le schéma missionnaire paulinien …………… Un schéma tripartite de rupture ………………………… Récapitulation …………………………………………… Incidences herméneutiques de cette démultiplication narrative …………………………………………………… Conclusion : Ac 13 et le schéma missionnaire paulinien …………………………………………………… Le kérygme christologique annexé à l'histoire d'Israël (13, 17-31) ………………………………………… La résurrection, « divine surprise » au cœur de l'histoire d'Israël (13, 32-41) ………………………… Du rassemblement d'Israël (13, 42-43) à l'universalisation du salut (13, 44-48) ………………… Bilan conclusif : croissance de la Parole, persécution de Paul et Barnabé, « plérôme » des disciples (13, 49-52) ………………………………………………… Conclusion : la mission paulinienne d’Antioche de Pisidie entre rassemblement de l’Israël exilé et rupture avec la Synagogue ……………………………

248 249 251 251 252 252 253 254 255 256 257 261 261 271 274 277 278 286 288

294

297

Chapitre 9 : Le récit de l’assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc (Actes 15, 1-35) ………….. 299 9.1 Bibliographie ………………………………………………. 299 9.2 Ac 15 dans l'intrigue des Actes ………………………….. 303

XV

Table des matières

9.3 9.4 9.5 9.6

Une relecture ecclésiologique des Actes ………………... Les deux discours rapportés de l'assemblée jérusalémite (15, 7b-11 ; 15, 13b-21) ……………………… Le décret des apôtres (15, 20.29 ; 21, 25) ………………… Conclusion : Ac 15 comme charte d'une Eglise entre continuité et nouveauté …………………………………

Chapitre 10 : L’identité chrétienne au risque du monde hellénisé (Actes 17, 16-34) …………………………… 10.1 Bibliographie ……………………………………………… 10.2 Remarques préliminaires ………………………………… 10.3 Ac 17 dans l'intrigue des Actes ………………………… 10.4 Structure de l'épisode …………………………………… 10.5 Un discours à double entrée …………………………… 10.5.1 Des traditions bibliques et extra-bibliques …………… 10.5.2 Paul, prophète ou philosophe ? ………………………… 10.6 Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne …………………………………………………… 10.6.1 De la méprise épistémologique à la faute spirituelle … 10.6.2 Deux histoires distinctes ordonnées au même salut (13, 16b-41/17, 22b-31) …………………………………… 10.6.3 Quelle articulation entre foi chrétienne et culture grecque ? ………………………………………………… 10.7 Conclusion : Ac 17 ou l’inclusion d’Athènes dans le programme identitaire des Actes ……………………

304 312 331 344

346 346 349 350 352 355 355 361 365 373 376 379 381

Chapitre 11 : L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31) ... 383 11.1 Bibliographie ……………………………………………… 383 11.2 Remarques préliminaires ………………………………… 386 11.3 Analyse structurelle d’Ac 28, 16-31 ……………………… 387 11.3.1 Remarques préliminaires ………………………………… 387 11.3.2 Vv. 16 et 30-31 : un phénomène d’inclusion …………… 388 11.3.3 Vv. 17a et 25a : une inclusion déstabilisante …………… 389 11.3.4 Vv. 23-25a et 30-31 : un parallélisme incomplet ……… 390 11.3.5 Vv. 17-22 / 23-25a : deux entrevues en parallèle ……… 390 11.3.6 Schéma récapitulatif ……………………………………… 392 11.4 Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque

XVI

Table des matières

lucanien …………………………………………………… 11.4.1 Des parallélismes : reprise d’un scénario connu ……… 11.4.1.1 Tableau comparatif ……………………………………… 11.4.1.2 Effets pragmatiques et herméneutiques ……………… 11.4.2 Ac 28, 16-31 : circularité avec Lc 1–2 et Ac 1 …………… 11.4.2.1 Remarques préliminaires ………………………………… 11.4.2.2 Ac 28 et l’Evangile de l’enfance : une vaste boucle narrative …………………………………………………… 11.4.2.3 Effets pragmatiques et herméneutiques ……………… 11.4.3 Ac 28 et l'ouverture des Actes …………………………… 11.4.4 Conclusion ………………………………………………… 11.5 Ac 28 et la question d'Israël ……………………………… 11.5.1 Remarques préliminaires ………………………………… 11.5.2 Paul, symbole d’une chrétienté en continuité avec Israël ………………………………………………… 11.5.3 Une secte partout contredite …………………………… 11.5.4 La découverte de Paul : Israël est endurci ……………… 11.6 L'Eglise à la conquête de l'universalité ………………… 11.6.1 « C’est aux païens que ce salut de Dieu a été envoyé » (28, 28) ……………………………………………………… 11.6.2 Un sommaire universaliste de la mission paulinienne (28, 30-31) ………………………………………………… 11.6.3 La chrétienté à la conquête de l’Empire ………………… 11.6.3.1 Un précédent juif hellénistique ………………………… 11.6.3.2 La fondation de colonies dans la littérature grecque … 11.6.3.3 Ac 28, 16-31 et les récits de fondation de colonies …… Excursus : Ac 28, 16-31 et l’Enéide de Virgile …………………… 11.6.3.4 La finale des Actes comme conquête missionnaire de l’Empire ………………………………………………… 11.6.3.5 Les Actes de Luc entre nostoi et ktiseis ………………… 11.7 Conclusion : Ac 28 et la constellation identitaire des Actes …………………………………………………...

392 394 396 397 399 399 399 404 412 413 414 414 415 422 423 431 431 433 439 440 443 446 449 451 453 454

Chapitre 12 : Récapitulation et conclusion ……………………… 457 Bibliographie ……………………………………………………… 471 1. Instruments de travail utilisés …………………………… 471

Table des matières

2. 3. 4.

XVII

Sources …………………………………………………… 471 Commentaires consultés ………………………………… 473 Monographies, collectifs et articles ……………………… 478

Index biblique ……………………………………………………… Index de la littérature juive et chrétienne ancienne …………… Index des auteurs grecs et latins………………………………… Index des auteurs modernes ………………………………………

513 539 543 547

Liste des abréviations Périodiques, collections, ouvrages de référence

ABG AGJU

AJBI AnBib ANRW AOAT ASNU ASTI AThANT BBB BECNT BEThL BGBE BHTh Bib BIS BK BNTC BTB BThSt BU BWANT

BZ

Arbeiten zur Bibel und ihrer Geschichte Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums (Ancient Judaism and Early Christianity) Annual of the Japanese Biblical Institute Analecta Biblica Aufstieg und Niedergang der römischen Welt Alter Orient und Altes Testament Acta Seminarii Neotestamentici Upsaliensis Annual of the Swedish Theological Institute Abhandlungen zur Theologie des Alten und Neuen Testaments Bonner Biblische Beiträge Baker Exegetical Commentary on the New Testament Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Beiträge zur Geschichte der biblischen Exegese Beiträge zur historischen Theologie Biblica Biblical Interpretation Series Biblischer Kommentar Black's New Testament Commentary Biblical Theology Bulletin Biblisch-Theologische Studien Biblische Untersuchungen Beiträge zur Wissenschaft vom Alten und Neuen Testament Biblische Zeitschrift

XX BZNW CAT CBET CBQ CNT CRB DBS EHPR ESEC EstBib ET EtB EThL

ETR EvQ EvT EWNT FB FRLANT GNT GTA HTR JBL JRS JSJSup JSNT JSNT.SS

JThS Jud KBANT KEK

Liste des abréviations

Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche Commentaire de l’Ancien Testament Contributions to Biblical Exegesis and Theology Catholic Biblical Quarterly Commentaire du Nouveau Testament Cahiers de la Revue Biblique Dictionnaire de la Bible. Supplément Etudes d'histoire et de philosophie religieuses Emory Studies in Early Christianity Estudios Bíblicos Expository Times Etudes bibliques Ephemerides theologicae Lovanienses. Louvain Journal of Theology and Canon Law Etudes Théologiques et Religieuses Evangelical Quarterly Evangelische Theologie Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament Forschung zur Bibel Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testamentes Grundrisse zum Neuen Testament Göttinger theologische Arbeiten Harvard Theological Review Journal of Biblical Literature Journal of Roman Studies Supplements to the Journal for the Study of Judaism Journal for the Study of the New Testament Journal for the Study of the New Testament. Supplement Series The Journal of Theological Studies Judaica Kommentare und Beiträge zum Alten und Neuen Testament Kritisch-exegetischer Kommentar über das Neue Testament

Liste des abréviations

KNT LeDiv LNST MThS NICNT NRTh NT NT.S NTAbh NTOA NTD NTS NTTS OBO PaThSt PIBA QD RB RevSR RGG RHPR RivBib RivBib Suppl RNT RPh

RSR RTL RTP SBA.NT SBL.DS SBL.MS SBLSP SBS ScEs SémBi SKI

XXI

Kommentar zum Neuen Testament Lectio divina Library of New Testament Studies Marburger theologische Studien New International Commentary on the New Testament Nouvelle Revue Théologique Novum Testamentum Novum Testamentum. Supplements Neutestamentliche Abhandlungen Novum Testamentum et Orbis Antiquus Das Neue Testament Deutsch New Testament Studies New Testament Tools and Studies Orbis Biblicus et Orientalis Paderborner Theologische Studien Proceedings of the Irish Biblical Association Quaestiones Disputatae Revue Biblique Revue des sciences religieuses Religion in Geschichte und Gegenwart Revue d'histoire et de philosophie religieuses Rivista Biblica Rivista Biblica. Supplementi Regensburger Neues Testament Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes Recherches de Science Religieuse Revue théologique de Louvain Revue de théologie et de philosophie Stuttgarter biblische Aufsatzbände. Neues Testament Society of Biblical Literature. Dissertation Series Society of Biblical Literature. Monograph Series Society of Biblical Literature. Seminar Papers Stuttgarter Bibelstudien Science et Esprit Sémiotique et Bible Studien zur Kirche und Israel

XXII SNT SNTS.MS SNTU STAC StANT StNT StTh StUNT TANZ TB ThWAT ThWNT ThZ TRu TSAJ TU

TynB TynNTC TW VigCh WMANT WMFR

WuD WUNT ZAW ZBK ZKG ZKT ZNW ZThK

Liste des abréviations

Studies in the New Testament Society for New Testament Studies. Monograph Series Studien zum Neuen Testament und seiner Umwelt Studien und Texte zu Antike und Christentum Studien zum Alten und Neuen Testament Studien zum Neuen Testament Studia Theologica Studien zur Umwelt des Neuen Testaments Texte und Arbeiten zum neutestamentlichen Zeitalter Theologische Bücherei Theologisches Wörterbuch zum Alten Testament Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament Theologische Zeitschrift Theologische Rundschau Texte und Studien zum antiken Judentum Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur Tyndale Bulletin Tyndale New Testament Commentary Theologie und Wirklichkeit Vigiliae Christianae Wissenschaftliche Monographien zum Alten und Neuen Testament Würzburger Forschungen zur Missions- und Religionswissenschaft Wort und Dienst Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Zürcher Bibelkommentare Zeitschrift für Kirchengeschichte Zeitschrift für katholische Theologie Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche Zeitschrift für Theologie und Kirche

Chapitre premier

L’image du judaïsme et l’identité de l’Eglise dans les Actes des apôtres 1.1 Bibliographie générale Loveday C.A. ALEXANDER, « Community and Canon : Reflections on the Ecclesiology of Acts », dans Anatoly A. ALEXEEV, Christos KARAKOLIS, Ulrich LUZ (éds), Einheit der Kirche im Neuen Testament. Dritte europäische orthodox-westliche Exegetenkonferenz in Sankt Petersburg 24.-31. August 2005 (WUNT 218), Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, pp. 45-78.–Michael BACHMANN, Jerusalem und der Tempel. Die geographisch-theologischen Elemente in der lukanischen Sicht des jüdischen Kultzentrums (BWANT 109), Stuttgart, Kohlhammer, 1980.– Richard BAUCKHAM, « The Restoration of Israel in Luke-Acts », dans James M. SCOTT (éd.), Restoration. Old Testament, Jewish and Christian Perspectives (JSJSup 72), Leiden, Brill, 2001, pp. 435-487.–Reinhard von BENDEMANN, « Paulus und Israel in der Apostelgeschichte des Lukas », dans Klaus WENGST, Gerhard SASS (éds), Ja und nein. Christliche Theologie im Angesicht Israels. Festschrift W. Schrage, NeukirchenVluyn, Neukirchener, 1998, pp. 291-303.–François BOVON, « Israel, die Kirche und die Völker im lukanischen Doppelwerk », ThLZ 108, 1983, col. 403-414 ; traduction française : ID., « Israël, l’Eglise et les nations dans l’œuvre double de Luc », dans ID., L’œuvre de Luc. Etudes d’exégèse et de théologie (LeDiv 130), Paris, Cerf, 1987, pp. 244-251.– Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews. Conflict, Apology, and Conciliation (SBL.MS 33), Atlanta (GA), Scholars Press, 1987.–ID., « The God of Promises and the Jews in Luke-Acts », dans Richard P. THOMPSON, Thomas E. PHILIPS (éds), Literary Studies in Luke-Acts. Essays in Honor of J.B. Tyson, Macon, Mercer University Press, 1998, pp. 279-296.–Simon BUTTICAZ, « “Dieu a-t-il rejeté son peuple ?” (Rm 11,1). Le destin d’Israël de Paul aux Actes des apôtres. Gestion narrative d’un héritage théologique », dans Daniel MARGUERAT (éd.), Reception of Paulinism in Acts/Réception du paulinisme dans les Actes des apôtres (BEThL 229), Leuven/Paris/Walpole (MA), Peeters, 2009, pp. 207-225.–ID., « L’analyse narrative permet-elle de réanimer le récit ?

2

L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

L’ecclésiologie des Actes des apôtres comme construction dynamique et ambivalente », dans Anne PASQUIER, Daniel MARGUERAT, André WÉNIN (éds), L'intrigue dans le récit biblique. Quatrième colloque international du RRENAB, Université Laval, Québec, 29 mai-1er juin 2008 (BEThL 237), Leuven/Paris/Walpole (MA), Peeters, 2010, pp. 421-437.– George P. CARRAS, « Observant Jews in the Story of Luke and Acts : Paul, Jesus and Other Jews », dans Joseph V ERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, pp. 693-708.–Michael J. COOK, « The Mission to the Jews in Acts : Unraveling Luke’s “Myth of the Myriads” », dans Joseph B. TYSON (éd.), Luke-Acts and the Jewish People , 1988, pp. 102-123.–Philip A. CUNNINGHAM, « Die Darstellung des Judentums in den synoptischen Evangelien », dans Peter FIEDLER (éd.), Studien zu einer neutestamentlichen Hermeneutik nach Auschwitz (SBA 27), Stuttgart, Katholischer Bibelwerk, 1999, pp. 75-85.–John A. DARR, On Character Building : The Reader and the Rhetoric of Characterization in Luke–Acts, Louisville/Kentucky, Westminster/John Knox Press, 1992, pp. 85-126.– Rebecca I. DENOVA , The Things Accomplished Among Us. Prophetic Tradition in the Structural Pattern of Luke-Acts (JSNT.SS 141), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1997.–Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung. Christliche Gemeinde und Israel am Beispiel von Apg 13,42-52 (BU 30), Regensburg, Pustet, 2001.–Walter ELTESTER, « Israel im lukanischen Werk und die Nazarethperikope », dans Erich GRÄSSER et al. (éds), Jesus in Nazareth (BZNW 40), Berlin/New York, de Gruyter, 1972, pp. 76-147.–Michael FULLER, The Restoration of Israel. Israel’s Re-gathering and the Fate of the Nations in Early Jewish Literature and Luke-Acts (BZNW 138), Berlin/New York, de Gruyter, 2006.–Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », NT 38, 1996, pp. 1-17.–Lloyd GASTON, « Anti-Judaism and the Passion Narrative in Luke and Acts », dans Peter RICHARDSON (éd.), Paul and the Gospels (Anti-Judaism in Early Christianity 1), Waterloo, Laurier University Press, 1986, pp. 127-153.–Augustin GEORGE, « Israel », dans ID., Etudes sur l’œuvre de Luc (Sources bibliques), Paris, Gabalda, 1978, pp. 87-125.–Daniel GERBER, « Luc et le judaïsme », Cahiers bibliques 32. Foi et Vie , 1993, pp. 55-66.–David B. GOWLER, Host, Guest, Enemy, and Friends : Portraits of the Pharisees in Luke and Acts (Emory Studies in Early Christianity 2), New York et al., Peter Lang, 1991.–Joachim GNILKA , Die Verstockung Israels. Isaias 6,9-10 in der Theologie der Synoptiker (StANT 3), München, Kösel, 1961.–Klaus HAACKER, « Das Bekenntnis des Paulus zur Hoffnung Israels nach der Apostelgeschichte des Lukas », NTS 31, 1985, pp. 437-451.–Ernst HAENCHEN, « Judentum und Christentum in der Apostelgeschichte », ZNW 54,

1.1

Bibliographie générale

3

1963, pp. 155-187.–Jacob JERVELL, Luke and the People of God. A New Look at Luke-Acts, Minneapolis, Augsburg, 1972.–ID., « The Church of Jews and Godfearers », dans Joseph B. TYSON (éd.), Luke-Acts and the Jewish People, 1988, pp. 11-20.–ID., « Gottes Treue zum untreuen Volk », dans Claus BUSSMANN, Walter RADL (éds), Der Treue Gottes trauen. Beiträge zum Werk des Lukas. Festschrift G. Schneider, Freiburg i. Br. et al., Herder, 1991, pp. 15-28.–Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas. Apg 7, 2b-53 und 13, 17-25 im Kontext antik-jüdischer Summarien der Geschichte Israels (FRLANT 195), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2001.–Rainer KAMPLING, « Erinnernder Anfang. Eine bibeltheologische Besinnung zur Relevanz der lukanischen Kirchenkonzeption für eine christliche Israeltheologie », dans ID ., Thomas SÖDING (éds), Ekklesiologie des Neuen Testaments. Festschrift K. Kertelge, Freiburg et al., Herder, 1996, pp. 139160.–Hisao KAYAMA , « Luke’s Understanding of Israel : A Sequential Reading of Luke-Acts », AJBI 25, 1999, pp. 21-48.–Howard Clark KEE, « The Jews in Acts », dans J. Andrew OVERMAN, Robert S. MACLENNAN (éds), Diaspora Jews and Judaism. Essays in Honor of, and in Dialogue with, A. Thomas Kraabel (South Florida Studies in the History of Judaism 41), Atlanta, Scholars Press, 1992, pp. 183-195.–Jack Dean KINGSBURY, « The Pharisees in Luke-Acts », dans Frans VAN SEGBROECK et al. (éds), The Four Gospels 1992. Festschrift F. Neirynck, vol. 2. (BEThL 100/II), Leuven, Leuven University Press, 1992, pp. 1497-1512.– Matthias KLINGHARDT, Gesetz und Volk Gottes : das lukanische Verständnis des Gesetzes nach Herkunft, Funktion und seinem Ort in der Geschichte des Urchristentums (WUNT 2.32), Tübingen, Mohr Siebeck, 1988.–Bart J. KOET, Dreams and Scripture in Luke-Acts. Collected Essays (Contributions to Biblical Exegesis and Theology 42), Leuven, Peeters, 2006.–Christina KURTH, « Die Stimmen der Propheten erfüllt ». Jesu Geschick und « die » Juden nach der Darstellung des Lukas (BWANT 8.148), Stuttgart, Kohlhammer, 2000.–Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels. Eine Untersuchung zur lukanischen Ekklesiologie (StANT 39), München, Kösel, 1975.–Karl LÖNING, Die Saulustradition in der Apostelgeschichte (NTAbh 9), Münster, Aschendorff, 1973.–ID., « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », dans Hildegard TEMPORINI, Wolfgang HAASE (éds), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, vol. II 25.3, Berlin/New York, de Gruyter, 1985, pp. 26042646.–ID., « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », dans Ludwig HAGEMANN, Ernst PULSFORT (éds), « Ihr alle aber seid Brüder… ». Festschrift A.Th. Khoury (WMFR 2.14), Würzburg, Echter, 1990, pp. 304-319.–ID.,

4

L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

« Neuschöpfung und religiöse Kultur. Zur Begründung christlicher Identität im Geschichtswerk des Lukas », dans Rainer ALBERTZ (éd.), Religion und Gesellschaft. Studien zu ihrer Wechselbeziehung in den Kulturen des Antiken Vorderen Orients (AOAT 248), Münster, UgaritVerlag, 1997, pp. 203-215.–Robert MADDOX, The Purpose of Luke–Acts (FRLANT 26), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1982, pp. 31-65.– Daniel MARGUERAT, « Juifs et chrétiens selon Luc-Actes », Bib 75, 1994, pp. 126-146.–ID., « Le Nouveau Testament est-il antijuif ? L’exemple de Matthieu et du livre des Actes », RTL 26, 1995, pp. 145-164.–ID., « LucActes entre Jérusalem et Rome. Un procédé lucanien de double signification », NTS 45, 1999, pp. 70-87.–ID., La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 97-122.211-244.–ID., « L'image de Paul dans les Actes des Apôtres », dans Michel BERDER (éd.), Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie. XXe congrès de l'Association catholique française pour l'étude de la Bible (Angers, 2003) (LeDiv 199), Paris, Cerf, 2005, pp. 121-154.–I. Howard MARSHALL, « “Israel” and the Story of Salvation : One Theme in Two Parts », dans David P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel. Luke’s Narrative Claim upon Israel’s Legacy, Harrisburg, Trinity Press International, 1999, pp. 340-358.– Helmut MERKEL, « Israel im lukanischen Doppelwerk », NTS 40, 1994, pp. 371-398.–David P. MOESSNER, « The Ironic Fulfillment of Israel’s Glory », dans Joseph B. TYSON (éd.), Luke-Acts and the Jewish People , 1988, pp. 35-50.–Fearghus O’FEARGHAIL, « Israel in Luke-Acts », PIBA 11, 1987, pp. 23-43.–Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche. Eine exegetische Studie zu Apg 15 (SBB 55), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 2006.–John C. O'NEILL, The Theology of Acts in its Historical Setting, Londres, SPCK, 19702, pp. 77-99.–Robert F. O’TOOLE, « Reflections on Luke’s Treatment of Jews in Luke-Acts », Bib 74, 1993, pp. 529-555.–Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy. Luke-Acts and Ancient Epic, Minneapolis, Fortress Press, 2000.–David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus (WUNT 2.130), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000.–Petr POKORN, « “…bis an das Ende der Erde”. Ein Beitrag zum Thema Sammlung Israels und christliche Mission bei Lukas », dans ID., Josef B. SOUEK (éds), Bibelauslegung als Theologie (WUNT 1.100), Tübingen, Mohr Siebeck, 1997, pp. 315-325.–ID., Theologie der lukanischen Schriften (FRLANT 174), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1998, pp. 38-85.–Mark Allan POWELL, « The Religious Leaders in Luke : A Literary-Critical Study », JBL 109, 1990, pp. 93-110.– Heiki RÄISÄNEN, « The Redemption of Israel : A Salvation-Historical Problem in Luke-Acts », dans Petri LUOMANEN (éd.), Luke-Acts. Scandinavian Perspectives, Helsinki/Göttingen, Finnish Exegetical So-

1.1

Bibliographie générale

5

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

wish Public in Luke-Acts », NTS 30, 1984, pp. 574-583.–ID., « The Problem of Jewish Rejection in Acts », dans Joseph B. TYSON (éd.), LukeActs and the Jewish People , 1988, pp. 124-137.–ID., Images of Judaism in Luke-Acts, Columbia, University of South Carolina Press, 1992.–ID., « Jews and Judaism in Luke-Acts : Reading as a Godfearer », NTS 41, 1995, pp. 19-38.–ID., Luke, Judaism, and the Scholars. Critical Approaches to Luke-Acts, Columbia, University of South Carolina Press, 1999.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), Berlin/New York, de Gruyter, 1998.–Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », JBL 110, 1991, pp. 631-654.–Stephen G. WILSON, « The Jews and the Death of Jesus in Acts », dans Peter RICHARDSON (éd.), Paul and the Gospels (Anti-Judaism in Early Christianity 1), Waterloo, Laurier University Press, 1986, pp. 155-164.–Michael WOLTER, « Die Juden und die Obrigkeit bei Lukas », dans Klaus WENGST, Gerhard SASS (éds), Ja und nein. Christliche Theologie im Angesicht Israels. Festschrift W. Schrage, Neukirchen, Neukirchener, 1998, pp. 277-290.–ID., « Israel’s Future and the Delay of the Parousia, according to Luke », dans David P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel. Luke’s Narrative Claim upon Israel’s Legacy, Harrisburg, Trinity Press International, 1999, pp. 307-324.–ID., « Das lukanische Doppelwerk als Epochengeschichte », dans Cilliers BREYTENBACH, Jens SCHRÖTER (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher, Leiden/Boston, Brill, 2004, pp. 253-284.

1.2 Etats de la recherche consultés François BOVON, « Orientations actuelles des études lucaniennes », RTP 26, 1976, pp. 161-190.–ID., Luc le théologien (Le Monde de la Bible 5), Genève, Labor et Fides, 20063.–Odile FLICHY, « Etat des recherches actuelles sur les Actes des apôtres », dans Michel BERDER (éd.), Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie. XXe congrès de l'Association catholique française pour l'étude de la Bible (Angers, 2003) (LeDiv 199), Paris, Cerf, 2005, pp. 13-42.–Erich GRÄSSER, « Acta-Forschung seit 1960 », TRu 41, 1976, pp. 141-194 ; TRu 41, 1976, pp. 259-296 ; TRu 42, 1977, pp. 1-68.–ID., « Studien zur Acta-Forschung. Rückblick und Ausblick », dans ID., Forschungen zur Apostelgeschichte (WUNT 137), Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, pp. 1-47.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 211-216.–Helmut M ERKEL,

1.3

Status quaestionis

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« Israel im lukanischen Doppelwerk », NTS 40, 1994, pp. 372-382.– Eckhard PLÜMACHER, « Acta-Forschung 1974-1982 », TRu 48/1, 1983, pp. 1-56 ; TRu 49/2, 1984, pp. 105-169.–Martin RESE, « Das Lukas-Evangelium. Ein Forschungsbericht », dans Hildegard TEMPORINI, Wolfgang HAASE (éds), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, vol. II 25.3, Berlin/New York, de Gruyter, 1985, pp. 2258-2328.–ID., « “Die Juden” im lukanischen Doppelwerk. Ein Bericht über eine längst nötige “neuere” Diskussion », dans Claus BUSSMANN, Walter RADL (éds), Der Treue Gottes trauen. Beiträge zum Werk des Lukas. Festschrift G. Schneider, Freiburg i. Br. et al., Herder, 1991, pp. 61-79.–Jens SCHRÖTER, « Actaforschung seit 1982. IV. Israel, die Juden und das Alte Testament. Paulusrezeption », TRu 73/1, 2008, pp. 1-27 ; « Actaforschung seit 1982. V. Theologische Einzelthemen », TRu 73/2, 2008, pp. 190-194.–Joseph B. TYSON, Luke, Judaism, and the Scholars. Critical Approaches to LukeActs, Columbia, University of South Carolina Press, 1999.

1.3 Status quaestionis 1.3.1

Remarques préliminaires

Au regard de l'impressionnante littérature secondaire rassemblée cidessus, un constat s'impose immédiatement : l'évaluation de l'image du judaïsme en Luc–Actes est à n'en pas douter l'un des storm centers de la recherche contemporaine consacrée à l'œuvre à Théophile. Concrètement, cette problématique controversée recouvre un éventail très varié de questionnements : quelle est la responsabilité des acteurs juifs dans la mort de Jésus ? est-elle limitée aux seuls habitants de Jérusalem ou pèse-t-elle sur la totalité du peuple élu ? Comment Luc dépeint-il les protagonistes de son œuvre? opère-t-il une différenciation entre Pharisiens et Sadducéens, entre population juive et leaders d’Israël, par exemple ? Peut-on déceler chez lui des accents antijuifs, voire antisémites ? Quel rapport l'Eglise des Actes entretient-elle avec l'héritage juif, avec ses Ecritures et son histoire ? doit-on parler à son sujet d’un nouvel ou vrai Israël ? Questionné autrement : le peuple juif est-il déchu de ses privilèges historico-salutaires au profit des chrétiens ? son refus de l'Evangile est-il irrévocable ou faut-il à l'inverse considérer les Actes de Luc comme l'histoire de la restauration d'Israël ? Comment l’auteur à Théophile évalue-t-il les grandeurs vectrices de l’identité juive ? Quelle fonction réserve-t-il à la Loi, à la

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

circoncision, au Temple ou à la Terre promise ? Outre la critique théologique, c’est également l’analyse socio-historique à avoir soumis le dossier juif des Actes à une batterie de questions1 : qui sont les lecteurs/destinataires de l'œuvre lucanienne ? des païens convertis, des craignant-Dieu ou des judéo-chrétiens ? A quelles fins Luc rédige-t-il son écrit : afin de réconcilier deux courants antagonistes, l'un pétrinien, l'autre paulinien, ou pour justifier le triomphe d’une Eglise paganochrétienne sur les ruines du peuple juif ? la continuité affichée avec Israël est-elle le symptôme de l’influence grandissante des judéochrétiens au tournant du 1er siècle ou le simple viatique d’une communauté helléno-chrétienne en quête de reconnaissance officielle ? Voilà une série non exhaustive de questions qui manifeste avec éclat l'étendue du sujet et ses implications majeures pour l'exégèse de l’œuvre à Théophile. Nous souhaitons retranscrire dans ce qui suit les grandes étapes historiques de ce questionnement exégétique, afin d'en dévoiler les acteurs et les principales hypothèses de lecture. Ce panorama sera aussi l'occasion de mettre en lumière les impasses et les déficits dont témoigne la recherche passée et présente, et d'esquisser les voies prometteuses offertes à la recherche à venir. C'est dans l'immédiat après-guerre que nombre d'historiques de la recherche voient se dessiner l’intérêt des exégètes pour la problématique juive 2, et ce pour deux raisons pertinentes. D’une part, la tragédie de la Shoah a exercé un impact immanquable sur la théologie chrétienne en général et sur la science néotestamentaire en particulier, à tel point qu’on en est venu à parler d’une « exégèse après Auschwitz » différenciée de celle d’avant. Ceci s’est entre autres traduit par un empressement des chercheurs à préciser l’image du judaïsme interne au Nouveau Testament et par une volonté affichée de développer une herméneutique de l’Holocauste 3. L’autre raison à 1 2 3

Cf. François BOVON, Luc le théologien, 20063, pp. 449-450. Par ex. : David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, pp. 16-20 ; Erich GRÄSSER, « Studien zur Acta-Forschung. Rückblick und Ausblick », 2001, pp. 37ss. Voir par exemple les déclarations du Landessynode rhénan adoptées en janvier 1980 : « Von dem existentiellen Erschrecken angesichts des Holocaust her wird zurückgefragt nach den antijudaistischen Wurzeln, die die Theologie zu den entsetzlichen theologischen Disqualifizierung und Definitionen der Juden und des jüdischen Volkes bis hin zur Enterbungsthese geführt haben », cité d’après Erich GRÄSSER, « Exegese nach Auschwitz ? Kritische Anmerkungen zur hermeneutischen Bedeutung des Holocaust am Beispiel von Hebr 11 », dans ID., Der Alte Bund im Neuen. Exegetische Studien zur Israelfrage im Neuen Testament (WUNT 35), Tübingen, Mohr Siebeck, 1985, p. 259. Au reste, les travaux préparatoires à cette prise de posi-

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Status quaestionis

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l’adoption de ce point de départ tient au renouveau méthodologique en cours dans les années 1950-604. On le doit à l'entrée en scène de la Redaktionsgeschichte ou critique rédactionnelle, méthode favorisant la mise au jour du travail d'écriture réalisé par chaque auteur du Nouveau Testament. En clair, cette nouvelle approche des écrits bibliques, moins obnubilée par la quête des sources ou par l'identification de formes littéraires, a permis de renouer avec l'examen des intentions littéraires et théologiques régissant la composition de chaque œuvre du canon5. Dès lors, les auteurs du Nouveau Testament ne furent plus considérés comme de simples compilateurs rassemblant de manière lâche des sources ou traditions orales disparates, mais comme de véritables rédacteurs mus par un solide projet d'écriture et dotés d'une idéologie infléchissant fortement leurs reprises traditionnelles. Cela dit, si cette période a sans conteste favorisé l’exhumation des théologies propres aux auteurs bibliques, elle n'en a pas pour autant constitué le point de départ. Dans le cadre de l'exégèse moderne, c'est à l'Ecole de Tubingue, promue par le savant Ferdinand Christian Baur, que revient la palme de pionnière. C'est en effet à l'aube du 19ème siècle que l'on en vint à ausculter pour la première fois la tendance théologique des évangiles, et singulièrement du diptyque Luc–Actes. C’est donc à ce point nommé que nous débuterons. 1.3.2

La Tendenzkritik et l'Ecole de Tubingue

C'est dans le cercle des exégètes de l'Université de Tubingue que les premières investigations sur le rapport de Luc au judaïsme furent conduites6. Il s'agissait pour ces savants, fortement tributaires de la phénoménologie hégélienne de l'histoire, de reconstruire la tendance

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tion synodale remontent à 1965 déjà. Cette même année a aussi accouché de la déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II reconnaissant un statut historico-salutaire au peuple juif : « Licet autem Ecclesia sit novus populus Dei, Iudaei tamen neque ut a Deo reprobati neque ut maledicti exhibeantur, quasi hoc ex Sacris Litteris sequatur » (extrait de Nostra Aetate 4). Cf. Erich GRÄSSER, « Studien zur Acta-Forschung. Rückblick und Ausblick », 2001, pp. 11ss ; voir également François BOVON, Luc le théologien, 20063, qui choisit la date de 1950 comme point de départ explicite pour son état de la recherche (ibid., p. 9) ; et auparavant ID., « Orientations actuelles des études lucaniennes », 1976, pp. 161-165. Cf. Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte. Eine narratologische Studie (NTOA/SUNT 58), Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck und Ruprecht, 2006, pp. 34-36. Sur le sujet, on consultera avec profit le panorama de la recherche brossé par Joseph B. TYSON, Luke, Judaism and the Scholars , 1999, pp. 12-29.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

(Tendenz) des divers écrits néotestamentaires dans le concert des voies discordantes qui avait caractérisé l'évolution historique et institutionnelle du christianisme naissant. Ferdinand Baur, promoteur incontesté de cette école exégétique, faisait ainsi de la seconde œuvre de Luc un document irénique et apologétique soucieux de réconcilier les deux courants antagonistes du premier christianisme : le judéochristianisme pétrinien et le pagano-christianisme paulinien7. Ce projet unificateur, cette unio sacra et catholica entre pétriniens et pauliniens plébiscitée dans les Actes, aurait rejailli dans une condamnation violente des juifs incrédules, un rejet haineux d’Israël8. En d'autres termes, le programme lucanien de réconciliation se serait concrétisé sous deux formes différentes : a) par un rapprochement massif et une réduction systématique des conflits entre Pierre et Paul ; b) par une redirection stratégique de l'hostilité mutuelle des pétriniens et pauliniens sur l'ennemi commun, le judaïsme. Cette appréciation du judaïsme lucanien se retrouvera avec de faibles variations chez les disciples de Baur, Eduard Zeller en tête 9. De cette époque date ainsi le soupçon d'antijudaïsme entachant la double œuvre lucanienne. 1.3.3

Franz Overbeck ou « l'antijudaïsme national » de Luc

Cette dénonciation de l'antijudaïsme lucanien prendra un tour plus marqué encore avec Franz Overbeck. Sans couper drastiquement avec

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Ferdinand Christian BAUR, Das Christenthum und die christliche Kirche der drei ersten Jahrhunderte, Tübingen, Ludwig Friedrich Fues, 1853, p. 114. Ferdinand Christian BAUR, Über den Ursprung des Episcopats in der Kirche, Tübingen, Ludwig Friedrich Fues, 1838, p. 142 : « Ja selbst die Apostelgeschichte ist, ihrer Grundidee und innersten Anlage nach, wie es auch im Übrigen mit ihrer historischen Glaubwürdigkeit stehen mag, der apologetische Versuch eines Pauliners, die gegenseitige Annäherung und Vereinigung der beiden einander gegenüberstehenden Parteien dadurch einzuleiten und herbeiführen, dass Paulus soviel möglich petrinisch, und dagegen Petrus so viel möglich paulinisch erscheint, dass über Differenzen, welche nach der eigenen unzweideutigen Erklärung des Apostels Paulus im Galaterbrief ohne allen Zweifel zwischen den beiden Aposteln wirklich stattgefunden haben, so viel möglich ein versöhnender Schleier geworfen, und der das Verhältnis der beiden Parteien störende Hass der Heidenchristen gegen das Judenthum und der Judenchristen gegen das Heidenthum über den gemeinsamen Hass beider gegen die ungläubigen Juden, die den Apostel Paulus zum steten Gegenstand ihres unversöhnlichen Hasses gemacht haben, in Vergessenheit gebracht wird ». Die Apostelgeschichte nach ihrem Inhalt und Ursprung kritisch untersucht, 1854, p. 333, note 1.

1.3

Status quaestionis

11

les thèses développées par l'Ecole de Tubingue, l'exégète de Bâle décochera néanmoins plusieurs de ses critiques à l'encontre du modèle appliqué par Ferdinand Baur au livre des Actes10. Selon lui en effet, le second tome ad Theophilum n'est pas à lire comme une tentative de conciliation entre divers courants conflictuels du premier christianisme11 : il s'agit bien plutôt d'une apologie rédigée dans les premières décades du 2ème s. en faveur d'un pagano-christianisme déjà triomphant, traversé d’influences judaïsantes, et ce en vue de démontrer son innocuité politique à l'endroit de l'Empire 12. Cette distance historique explique d'ailleurs le regard ambivalent porté par l'auteur des Actes sur les juifs : si Luc valorise pour une part le patrimoine doctrinal juif et la Loi, c'est que le christianisme hellénisant incarne selon lui l'héritage authentique d'Israël13, s'inscrivant en continuité de son histoire des promesses. Cela dit, l'Eglise des Actes s'est constamment édifiée en rupture avec la communauté synagogale, et ce en raison de son refus de l'Evangile et de son hostilité croissante. D'où selon Overbeck l'antijudaïsme national des Actes, autrement dit l'hostilité à l'endroit de la nation juive 14. Rien dans le récit lucanien – que ce soit dans sa section jérusalémite ou dans la partie dévolue à la mission de Paul – ne laisserait ainsi présumer une quelconque velléité de réconciliation entre courants pauliniens et judaïsants ; Paul ne serait pas judaïsé, ni Pierre paulinisé, mais tous deux recyclés au service du devenir protocatholique de l’Eglise naissante. 10

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Sur la contribution de Franz Overbeck à l’exégèse des Actes, voir la monographie de Johann-Christoph EMMELIUS, Tendenzkritik und Formgeschichte. Der Beitrag Franz Overbecks zur Auslegung der Apostelgeschichte im 19. Jahrhundert (FKDG 27), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1975. Franz OVERBECK, W.M.L. de Wette : Kurze Erklärung der Apostelgeschichte, 18704, p. XXXI : « Hieraus ergiebt sich, dass die AG. sich nicht begreifen lässt als eine zwischen die urchristlichen Parteien des urapostolischen Judenchristenthums und des paulinischen Heidenchristenthums sich stellende Schrift ». Franz OVERBECK, W.M.L. de Wette : Kurze Erklärung der Apostelgeschichte, 18704, pp. XXXI-XXXII. Cf. Franz OVERBECK, W.M.L. de Wette : Kurze Erklärung der Apostelgeschichte, 18704, p. LXIII. Franz OVERBECK, W.M.L. de Wette : Kurze Erklärung der Apostelgeschichte, 18704, p. XXX : « Dagegen ist der nationale Antijudaismus der AG., ihr Antagonismus gegen die Juden als Nation » (l’auteur souligne). Cf. aussi ID., Ueber das Verhältnis Justins des Märtyrers zur Apostelgeschichte (1872), dans Ekkehard W. STEGEMANN, Niklaus PETER (éds), Franz Overbeck. Werke und Nachlass, vol. 1 : Schriften bis 1873, Stuttgart/Weimar, J.B. Metzler, 1994, p. 144.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

1.3.4

La formulation d'un consensus : Hans Conzelmann et Ernst Haenchen

Au lendemain du second conflit mondial s'ouvrit pour la recherche néotestamentaire une nouvelle et intense période exégétique aux développements particulièrement féconds. Cette phase fut en grande partie rendue possible par l'émergence fulgurante de la Redaktions- et Kompositionsgeschichte. Dans le champ textuel lucanien, terrain de prédilection des critiques de la rédaction, Hans Conzelmann, Ernst Haenchen ainsi que Philipp Vielhauer feront figure de pionniers. Ce paradigme méthodologique permit de questionner à nouveaux frais les intentions théologiques des différents auteurs de la littérature chrétienne ancienne, favorisant par là-même un réexamen du rapport lucanien à Israël. Dans une œuvre désormais emblématique de cette révolution méthodologique, Die Mitte der Zeit (1954), prolongée d'un commentaire des Actes des apôtres publié en 1963, Hans Conzelmann offrira sa propre solution au traitement du judaïsme chez Luc. Elle découle logiquement de son calendrier tripartite de l'histoire du salut. L'exégète de Göttingen conçoit en effet l'histoire salvifique selon un schème évolutif en trois périodes : le temps d'Israël jusqu'à Jean le Baptiste (Lc 16, 16), le temps de l’agir de Jésus en son centre (Lc 3–22), et finalement le temps de l'Eglise jusqu’à la Parousie (Ac) 15. Pour Conzelmann, il ne fait aucun doute que l'histoire d'Israël, l'histoire décrite dans les Ecritures juives, continue son déploiement dans l'Eglise chrétienne, autrement dit dans la troisième période du calendrier historicosalutaire. Il peut ainsi affirmer que la communauté chrétienne représente désormais (le véritable) Israël16. Cela dit, cette substitution ne fut possible que parce le peuple juif a failli à sa vocation et a été radié de la carte du salut17 : en se rendant coupables de la crucifixion et en refusant de manière répétée l'offre de pardon, les juifs ont échoué à réaliser l'authentique Israël et ont précipité l’évangélisation des nations. En bref, Luc ferait se côtoyer dans ses Actes d’apôtres deux 15 16 17

Hans CONZELMANN, Die Mitte der Zeit, 19645, pp. 9-10. Hans CONZELMANN, Die Mitte der Zeit, 19645, p. 136. Hans CONZELMANN, Die Mitte der Zeit, 19645, p. 147 : « […] hier ist der Nachweis zu erbringen, dass die Juden nicht mehr heilsgeschichtlicher Faktor, nicht mehr “Israel” sind ».

1.3

Status quaestionis

13

affirmations antithétiques sur le judaïsme 18 : a) il soulignerait d'une part la proximité irréfragable entre juifs et chrétiens, du point de vue de la croyance résurrectionnelle notamment ; b) d'autre part, il n'hésiterait pas à pointer l'abîme qui les sépare dans le présent, soulignant l'endurcissement coupable du peuple juif. Dit autrement : si l'Eglise poursuit l'histoire commencée par Dieu avec Israël et jouit du statut de peuple élu19, elle est désormais séparée du judaïsme en raison de son rejet de la Bonne Nouvelle 20. Le ministère terrestre du Nazaréen et l'époque des premiers chrétiens, fidèles à la Loi et fréquentant le Temple jérusalémite, feraient office de moyen terme entre le temps d'Israël et celui de l'Eglise chrétienne, assurant de ce fait la nécessaire continuité de l'histoire du salut21. Ernst Haenchen développera une position similaire. Elle se donne à connaître dans un article paru en 1963, « Judentum und Christentum in der Apostelgeschichte », qui, comme le signale François Bovon, collecte des données clairsemées dans son fameux commentaire des Actes. Il est vrai que la question d'Israël n'occupe qu'une place très décevante dans l'introduction aux premières éditions du Meyers Kommentar consacré aux Actes de Luc. Il faudra attendre la quatrième livraison, datée de 1961, pour voir l'introduction augmentée se pencher sur cette problématique. Discutant les nouvelles parutions consacrées au Paul de Luc, Haenchen y note « la contradiction remarquable et rarement soulevée » 22 qui apparaît à la lecture des Actes : alors que l'auteur à Théophile dépeint Paul comme un parfait judéo-chrétien et relate les conversions en masse opérées au sein du public juif de Palestine, il ne répugne pas, notamment dans la longue plaidoirie d'Etienne, à dénoncer l'endurcissement coupable du peuple juif. Bref, comme d'autres avant lui, Haenchen reconnaît là le double visage du judaïsme

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21 22

Cf. Hans CONZELMANN, Die Mitte der Zeit, 19645, p. 136. Hans CONZELMANN, Die Mitte der Zeit, 19645, p. 152 : « Die Begriffe, welche die heilsgeschichtliche Stellung Israels anzeigen, sind auf die Kirche übertragen ». Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 10 : « Die Kirche steht in Kontinuität zum alten Gottesvolk. Auf der anderen Seite stösst sie bei den “Juden” auf Unglauben und wendet sich nunmehr zu den Heiden ». Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 9. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 135 : « Die Apg enthält ja einen nicht immer beachteten merkwürdigen Widerspruch ».

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

chez Luc23. Cette observation sera réitérée et systématiquement étayée dans l'étude de 1963. Selon Haenchen, cette ambivalence s'explique aisément si l'on considère le contexte historique dans lequel s'insèrent les Actes ainsi que la visée idéologique de l'œuvre : en présence d'une Eglise à majorité pagano-chrétienne, Luc se doit de consolider l'identité chrétienne, en justifiant l'échec de la mission juive. Il en trouvera une explication dans l'endurcissement d'Israël observé tout au long de l'histoire du salut, depuis la sortie d'Egypte jusqu'au refus de l'Evangile par la diaspora d'Italie en Ac 28. Pour Luc, si l'Eglise vit désormais séparée du judaïsme, c'est que celui-ci a cessé au profit des chrétiens d'être le peuple élu : « l'authentique Israël » se recrute désormais dans les rangs des adeptes du Christ. D'autre part – et c'est là pour Haenchen la seconde visée rhétorique des Actes – en soulignant la continuité existant entre la communauté chrétienne et la tradition scripturaire, l'auteur à Théophile s'efforcerait de lui garantir face à l'empire romain le statut d'exception et la tolérance naguère attachés au judaïsme 24. Suite aux travaux des crieurs de l'aube que furent Hans Conzelmann et Ernst Haenchen, la voie s'ouvrait à l'établissement d'un consensus sur la question du judaïsme chez Luc. Elle prendra forme au sein d'un nouveau questionnement qui contaminera l'exégèse des Actes : ce n'est plus la thèse du retard de la Parousie chère à Hans Conzelmann et Erich Grässer qu'adopteront les chercheurs lucaniens, mais bien la crise de continuité entre Israël et l'Eglise qui sera au centre de leurs investigations25. L'opinio communis sur la question,

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24 25

Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 135 : « Einerseits wird nicht nur erzählt, dass Petrus am Pfingsttag mit seiner Predigt 3000 Juden bekehrt (Apg 241), und dass die Zahl dieser Judenchristen nach der nächsten Petrus Predigt auf 5000 steigt (Apg 42), sondern wir hören schliesslich sogar 2120, dass es viele Zehntausende von Judenchristen gibt, die alle zhlwtai; tou' novm ou sind. Andererseits entwickelt Lukas in der Stephanusrede […] ein Bild des jüdischen Volkes, dass die Juden Mose gegenüber ungläubig und ablehnend zeigt (Apg 735ff.) ». Ernst HAENCHEN, « Judentum und Christentum in der Apostelgeschichte », 1963, pp. 186-187. Eckhard PLÜMACHER, « Acta-Forschung 1974-1982 », 1983, pp. 12ss.45ss ; voir aussi les déclarations récentes de Jens SCHRÖTER à ce sujet dans « Heil für die Heiden und Israel. Zum Zusammenhang von Christologie und Volk Gottes bei Lukas », 2004, pp. 284-285 : « An die Stelle der zuvor das Feld beherrschenden These von der Bewältigung des Problems der Parusieverzögerung treten deshalb, neben demjenigen der Kontinuität, die Begriffe der “Legitimität” und “Identität” der Kirche. Nicht die ausbleibende Parusie, sondern die fraglich gewordene Zugehörigkeit der christli-

1.3

Status quaestionis

15

patiemment (re)formulée par toute une génération d'exégètes (Joachim Gnilka 26 ; John C. O'Neill27 ; Walter Eltester28 ; Stephen G. Wilson29 ; Gerhard Schneider30 ; Walter Schmithals31 ; Robert Maddox32), épousera le plus souvent la thèse de la substitution : face à la crise identitaire qui guette l'Eglise composée majoritairement de pagano-chrétiens, Luc résout la difficulté en énonçant deux prémisses : a) le peuple juif s'est lui-même coupé de l'histoire des promesses et a été biffé du plan divin de salut, en rejetant la Bonne Nouvelle qui lui était adressée ; b) ce sont désormais les chrétiens qui ont endossé l'héritage refusé par le judaïsme, incarnant le véritable ou nouvel Israël. Cette lecture des Actes comme « mythe étiologique » 33 d’une Eglise helléno-chrétienne se répandra largement dans l'exégèse lucanienne, essentiellement germanophone, des années 1950-1980. A cet endroit, il n’est pas abusif de parler d'un écrasant et durable consensus. 1.3.5

Jacob Jervell : un nouveau regard sur la question

Au seuil des années 1970 pourtant, essentiellement au sein de l'exégèse de langue anglaise, une nouvelle perspective sur le judaïsme de Luc va voir le jour. On la doit principalement à un exégète norvégien, Jacob Jervell. Si sa thèse-phare figure déjà dans un article daté de 1965 et intitulé « Das gespaltene Israel »34, elle s’inscrira suite à la publication de The People of God. A New Look at Luke-Acts (1972) dans un véritable système explicatif, proposant un complet retournement de perspective. Pour Jervell en effet, le livre des Actes ne décrit pas le rejet

26 27 28 29 30 31 32 33

34

chen Kirche zum Gottesvolk sei es, die Lukas mit dem zweiten Teil seines Werkes bearbeiten wolle und für die er eine Lösung entwickle ». Die Verstockung Israels, 1961, pp. 117-154. The Theology of Acts in its Historical Setting, 19702, pp. 77-99. « Israel im lukanischen Werk und die Nazarethperikope », 1972, pp. 76-147. The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, pp. 219-238. Die Apostelgeschichte, I, 1980 ; II, 1982. Die Apostelgeschichte des Lukas, 1982, pp. 46-47. The Purpose of Luke–Acts, 1982, pp. 31-65.180-187. Nous empruntons cette expression à Luke T. JOHNSON, « On Finding the Lukan Community. A Cautious Cautionary Essay », SBL.SP 115, vol. 1, 1979, pp. 87-100 (ibid., p. 94 : « Luke-Acts can be seen to function as a kind of aetiological myth for the Gentile Christian Church, in which Luke conveys to his readers how the People of God has come to be what it now is »). Formule adoptée par Eckhard P LÜMACHER, « Rom in der Apostelgeschichte », 2004, p. 147. Première parution dans StTh 19, 1965, pp. 68-96.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

en bloc du judaïsme, mais fait le récit de sa division récurrente face à la prédication de l'Evangile 35. Le chercheur d'Oslo en veut pour preuve la concomitance chez Luc de conversions massives au sein du peuple juif36 et d’expulsions violentes hors des synagogues37. Par conséquent, le second tome ad Theophilum ne fixe pas la mémoire d'une rupture indésirée entre une Eglise pagano-chrétienne héritière des privilèges d'Israël et un peuple juif déchu de son élection. Il ferait à l'inverse le récit d'une partition interne au judaïsme entre croyants et endurcis. Sous ce regard neuf, il ne peut plus être question de substitution chez Luc. En effet, la portion du peuple qui se convertit forme le « reste » d’Israël, noyau à partir duquel s’édifie la communauté chrétienne 38. En d'autres termes, la chrétienté naissante, loin d’inaugurer une nouvelle période dans l’histoire sainte, porterait à son accomplissement l’espérance juive d’une restauration du peuple élu, inscrivant sa venue dans le prolongement ininterrompu de l’Israël biblique39. C’est à la lumière de ce processus de restauration qu’il faudrait d’ailleurs considérer la mission chrétienne auprès des nations : inscrit dans les promesses faites à Israël, le rassemblement des Gentils ne serait pas provoqué par la résistance du peuple juif, mais bien par sa conversion40. C’est également dans cette optique que devrait être pensé l’intérêt lucanien pour les Samaritains : il s’agirait ni plus ni moins des « brebis perdues de la maison d’Israël » 41. Bref, la position de Jervell se laisse résumer sous le slogan détourné : extra Israel nulla salus est42. Nul autre peuple n’est mis au bénéfice de l’histoire du salut ; c’est dans

35 36 37 38

39

40 41 42

Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 42. Ac 2, 41.47 ; 4, 4 ; 5, 14 ; 6, 1.7 ; 8, 12 ; 9, 31.35.42 ; 11, 21.24.26 ; 12, 24 ; 13, 43 ; 14, 1.21 ; 16, 5 ; 17, 4.11-12 ; 18, 8.10 ; 19, 20 ; 21, 20. Cf. Jacob J ERVELL, « Gottes Treue zum untreuen Volk », 1991, pp. 24-25. Cf. Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 43 : « The portion of the Jews who believe in the Messiah and are willing to repent appears as the purified, restored, and true Israel. “Israel” does not refer to a Church that is made of Jews and Gentiles, but to the repentant portion of the “empirical” Israel » et plus loin, à la page 68 : « […] the Jewish Christians […] formed the nucleus of the apostolic Church ». Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte , 1998, pp. 92-93 : « Die Geschichte Israels hört nie auf, sondern geht geradlinig in der Kirche weiter, nämlich als die Geschichte des einen Gottesvolkes ». Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, pp. 51.55.69. Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, pp. 113-132. Cf. Jacob J ERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 142.

1.3

Status quaestionis

17

le giron d’Israël que se constitue l’Eglise 43. Cette thèse de Jervell, appliquée systématiquement au texte des Actes dans son commentaire de 199844, a drastiquement réorienté les études lucaniennes en insistant lourdement sur l’identité théologique et la continuité empirique construite par Luc entre l’Eglise et Israël. Très souvent, les retours de balancier sont aussi salutaires qu’excessifs. Jacob Jervell a eu le courage méritoire de briser un consensus indu dans l’évaluation des relations judaïsme–christianisme chez Luc. Pour sûr, la thèse de la substitution chère à Hans Conzelmann et Ernst Haenchen, si elle valorise à juste titre les marques de rupture existant entre l’Eglise lucanienne et la Synagogue, n’en néglige pas moins la logique de continuité qui préside également au devenir de la communauté croyante. Partant, Jervell a eu raison de réévaluer la partition qui caractérise la réponse juive face à la prédication évangélique, handicapant sérieusement toute thèse substitutive. Par contre, là où Jervell pèche par excès, c’est lorsqu’il superpose abusivement l’Eglise à Israël et qu’il nie jusqu’à l’absurdité l’existence d’une véritable mission païenne dans les Actes45. Si elle s’inscrit en continuité historique et empirique d’Israël, l’Eglise des Actes ne se cantonne toutefois pas dans les frontières du peuple de la Torah. La simple lecture du récit d’Ac 10–11 et la reprise qui en est faite en Ac 15 manifestent déjà les distances prises à l’endroit de la ritualité juive par l’ecclésiologie lucanienne : la Loi mosaïque n’est plus la pierre angulaire du peuple choisi. De même, la qualification de « peuple associé » réservée par Jervell aux païens constitue une construction ad hoc, certes indispensable à son auteur pour cimenter la parfaite conformité de l’Eglise à « l’Israël ancien », mais inconnue de l’œuvre à Théophile. Les païens ne sont pas associés au peuple de la Loi, mais intégrés sans la circoncision à l’Eglise multiculturelle née à la Pentecôte ; ils possèdent un statut socio-religieux propre, analogue à celui octroyé à Israël (cf. Ac 15, 14.17). Partant, toute subordination ou agrégation des Gentils au peuple de l’histoire sainte est étrangère à la 43 44 45

Cf. Jacob J ERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 54. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998. Jacob JERVELL, « Gottes Treue zum untreuen Volk », 1991, p. 16 : « Das ist auch deutlich zu sehen, dass die Mission “bis ans Ende der Erde” in der Apg durch und durch eine Diasporamission meint, was Apg 13-28 deutlich zeigt. Denn überall wird in den Synagogen und für die Juden verkündigt ».

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

pensée de Luc. Finalement, limiter la mission païenne des Actes aux seuls craignant-Dieu 46 dans le but d’accentuer le profil particulariste de l’Eglise résulte d’une lecture partielle et partiale du second tome à Théophile : le programme dévoilé par le Ressuscité en Ac 1, 8 affiche sans ambages l’orientation universaliste qui sera imprimée au témoignage chrétien. Sa finalité est d’élargir l’alliance aux païens étrangers à la communauté juive (cf. Lc 24, 47 ; 13, 46-48), ce que manifeste avec éclat la coexistence en Ac 17, 17 de deux champs d’évangélisation : la synagogue et l’agora. Il existe chez Luc une véritable mission païenne déliée de la Synagogue 47, même si son plein déploiement est encore à venir (cf. Ac 28, 28). La dévaluer au rang de réalisation secondaire et accidentelle serait dénaturer le projet identitaire de Luc. 1.3.6

L'explosion de la discussion et le durcissement des positions

Suite aux publications de Jacob Jervell, le consensus qui avait prévalu jusqu'alors vola en éclats. A partir de cet instant et tout au long des années 1980, l'on assistera à une avalanche de contributions désireuses d'instruire le dossier juif des Actes. Cette époque marquera pour la question d'Israël sa véritable accession au rang de storm center de la recherche lucanienne. Cette nouvelle phase exégétique, si elle n'introduira que de maigres déplacements dans le panorama des hypothèses de lecture, se caractérisera d'une part par son renouvellement méthodologique, d'autre part par le durcissement des positions herméneutiques en présence. Il n'est pas exagéré de qualifier cette nouvelle époque de véritable « guerre de tranchées » attendus la virulence ainsi que l'immobilisme des thèses soutenues. Dans le sillage du nouveau modèle promu par Jervell, deux études significatives sont à noter. Tout d’abord, la thèse d'habilitation de Gerhard Lohfink intitulée de manière programmatique Die Sammlung Israels. Dans ce travail exégétique consacré à l'ecclésiologie de Luc– 46

47

Jacob Jervell qualifie Ac 17, seul discours des Actes adressé à de « purs » païens – excepté Ac 14 dont Jervell ne fait guère plus de cas – d’« intermède » dont la finalité est non pas de programmer la mission non-juive de l’Eglise, mais de prononcer l’anathème sur l’univers païen (ID ., Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 452-453). Bien noté par Kirsopp LAKE, Henry J. CADBURY, The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, p. 210.

1.3

Status quaestionis

19

Actes et publié en 1975 déjà, l’exégète catholique de Tubingue va lui aussi souligner l’image positive d’Israël véhiculée dans la double œuvre de Luc, et singulièrement au seuil des Actes. C’est d’ailleurs à cet exégète que l’on doit la désormais fameuse formule de « Jerusalemer Frühling » forgée pour exprimer l’accueil favorable réservé à la prédication apostolique en Actes 2–5 48. En d’autres termes, les premiers chapitres des Actes relateraient le rassemblement d’Israël, rassemblement clos suite au martyre d’Etienne ; cette moisson au sein du peuple juif donnerait corps au véritable Israël ou mieux dit au peuple de Dieu renouvelé. Dès cet instant, l’on est en droit de parler de l’Eglise des Actes (c’est de cette manière que Lohfink explique l’apparition tardive du terme ejkklhsiva ; cf. Ac 5, 11)49. Néanmoins, l’Israël idéal ne serait définitivement rassemblé qu’une fois les païens intégrés à la communauté eschatologique50. De son côté, la partie d’Israël qui rejette la prédication apostolique perdrait son statut de peuple élu, donnant corps au « judaïsme »51. Pour Lohfink, les Actes seraient ainsi structurés sur la base du second oracle de Syméon (Lc 2, 34), les ch. 2–5 relatant le « relèvement » et les ch. 6–28 la « chute » de nombreux en Israël52. Bien que déjà ancienne, cette enquête demeure aujourd’hui encore une référence en matière d’ecclésiologie lucanienne. Cette longévité tient à deux facteurs : d’une part, outillé de la critique rédactionnelle, Gerhard Lohfink est à même de prendre toute la mesure de la théologie des Actes et singulièrement de sa conception de l'Eglise53 ; d’autre part,

48 49

50 51

52 53

Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 55. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 56 : « […] Die Kirche ist für Lukas nicht eine Grösse, die am Pfingsttag einfachhin da ist, sondern eine Wirklichkeit, die erst noch entstehen muss und die erst in dem Augenblick wirklich entstanden ist, da sich ein grosser Teil Israels um die Apostel und Jünger Jesu gesammelt hat ». Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 60. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels , 1975, p. 55 : « In der Zeit der ersten apostolischen Predigt sammelt sich aus dem jüdischen Volk das wahre Israel ! Und jenes Israel, das dann noch in der Ablehnung Jesu beharrte, verlor sein Anrecht, das wahre Gottesvolk zu sein – es wurde zum Judentum ! ». Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 61. Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 14 : « Selbst nachdem durch die Einführung der redaktionsgeschichtlichen Methode der Blick für die theologische Eigenposition jedes einzelnen Evangelisten geschärft wurde ist die Frage, wie sich denn eigentlich Lukas die Entstehung der Kirche denkt, nie wirklich gestellt worden » (l’auteur souligne).

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

s’inscrivant dans la foulée de Jervell, il prend au sérieux la « révolution copernicienne » provoquée par ses thèses, notamment en validant le paradigme d’une continuité substantielle entre Israël et l’Eglise 54, mais s’en démarque sur certains points hautement discutables, par exemple en refusant de réduire les païens au rang de peuple associé 55. Cela dit, l’enquête de Lohfink reste souvent paralysée par son modèle ecclésial – le rassemblement eschatologique d’Israël – et peine à y articuler des éléments hétérogènes. L’exégète fait ainsi insuffisamment cas des phénomènes de discontinuité existant chez Luc entre Israël et l’Eglise : ni le mouvement centrifuge de la mission chrétienne, ni le scénario de rupture/de séparation récurrent dans l’itinéraire paulinien de diaspora ne sont examinés. De même, en qualifiant l’Eglise de « vrai Israël » ou de « véritable peuple élu », Lohfink se montre irrespectueux du lexique identitaire des Actes. Jamais en effet, le titre d’Israël/Israélites n’est transféré aux chrétiens, et jamais le peuple juif n’est dépossédé de son statut de laov" 56. On le voit, Lohfink défend une vision par trop monolithique du judaïsme chez Luc, surtout axée sur le rassemblement d’Israël en Ac 2–5, et commet ainsi de malheureuses ratures exégétiques. La seconde étude qu'il nous faut mentionner est la monographie de Robert L. Brawley intitulée Luke-Acts and the Jews (1987)57. S’engouffrant dans la brèche ménagée par Jervell58, Brawley identifie dans le programme lucanien une indiscutable tendance à rattacher le pagano-christianisme au judaïsme ; Luc ne chercherait pas à couper, mais à réconcilier la gentilité chrétienne avec ses origines juives. Précisons : l’auteur des Actes aurait composé une apologie de la mission de Paul, dans le but principal de démontrer sa loyauté à 54

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57 58

Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 97 : « So stellt etwa die konkrete Herausarbeitung der Kontinuität zwischen Israel und der Kirche, die wir aus der eigentümlichen Funktion des Volkes und der Jüngergemeinde in Evangelium und Apostelgeschichte erhoben hatten, ein spezifisch lukanisches Schema dar, die sich nirgendwo sonst im Neuen Testament findet ». Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 60 : « Das wahre Israel ist erst dann erreicht, wenn die Heiden in die Gemeinschaft des Gottesvolkes eingebracht worden sind » (l’auteur souligne). Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 57-58.95-98. Sur ce point, nous partageons la critique émise par Franz Mussner à l’endroit de la thèse d’habilitation de Gerhard Lohfink (cf. sa recension publiée dans BZ 20, 1976, pp. 129-130). Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews, 1987. Cf. Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews, 1987, p. 159.

1.3

Status quaestionis

21

l’égard d’Israël ; la réorientation universaliste de son activité évangélisatrice ne constituerait pas un choix de l’apôtre, mais la malheureuse conséquence du refus juif. Le professeur de Chicago plébiscite de ce fait le retournement de paradigme provoqué par les thèses de Jervell59 : ce n’est pas pour justifier le triomphe d’une universalité helléno-chrétienne sur les vestiges du judaïsme que Luc aurait pris la plume, mais pour défendre une communauté accusée d’avoir sacrifié l’héritage d’Israël sur l’autel de la mondialisation. L’Eglise ne serait pas venue déborder les frontières d’Israël, mais évoluerait au contraire dans son prolongement, favorisant la réalisation de sa destinée 60. Sur un point significatif cependant, Brawley se démarque de son confrère scandinave. Si selon Jervell la mission juive s’achève en Ac 28, Brawley collecte plusieurs indices favorables à sa continuation par-delà la clôture du récit : a) l’absence de tout anathème à l’encontre des juifs (cf. Ac 28, 28) ; b) l’inclusivité du pavnta" employé pour qualifier l’auditoire paulinien de Rome (Ac 28, 30)61. Nous avons là une importante modification apportée au modèle de Jervell. Aujourd’hui encore, s’agissant d’évaluer le destin d’Israël chez Luc, le poids herméneutique d’Ac 28 pèse lourdement dans la balance. Et les signaux d’ouverture identifiés par Robert Brawley interdisent toute solution simpliste. A l'opposé, le consensus fissuré par Jacob Jervell sera colmaté et même consolidé dans plusieurs contributions. François Bovon, dans une conférence datée de 1982, publiée en allemand l'année suivante 62, puis traduite en français dans son recueil d'études lucaniennes L'œuvre de Luc (1987)63, traite de trois questions d'ecclésiologie lucanienne, dont 59

60

61 62 63

Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews, 1987, p. 159 : « Therefore, the standard paradigm for understanding Luke’s view of the relation between Christianity and Judaism should pivot 180 degrees. That is, rather than setting gentile Christianity free, Luke ties it to Judaism. And rather than rejecting the Jews, Luke appeals to them ». Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews, 1987, p. 159 : « To summarize a previous argument, contrary to the standard line, Luke does not describe a progressive development of the church from a Jewish to a gentile entity. He portrays the development of an essentially Jewish sect, that in fulfillment of God’s promises to Israel includes gentiles. The only church Acts knows still has the umbilical cord attached ». Cf. Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews, 1987, pp. 74-75. « Israel, die Kirche und die Völker im lukanischen Doppelwerk », 1983, col. 403-414. Il s'agit du chapitre XII : « Israël, l'Eglise et les nations dans l'œuvre double de Luc », 1987, pp. 243-263.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

les deux premières nous intéressent directement : 1) le rapport entretenu par l'universalisme chrétien avec les ambitions culturelles et militaires de l'empire romain ; 2) la continuité présumée par certains exégètes entre Israël et l'Eglise. Avant de retranscrire les résultats obtenus par Bovon, ce double questionnement nous révèle déjà l’importance des volets juif et païen dans le cadre de l'ecclésiologie lucanienne. Penser le rapport à Israël et au judaïsme ne va pas sans une considération de l'autre facette de l'identité chrétienne, à savoir sa relation à l'univers gréco-romain. Pourtant, chez Bovon, ces deux axes identitaires restent encore juxtaposés, alors que ce sont leur articulation et leur pondération respective qui mériteraient d’être mises au jour. En réponse au premier questionnement, l'exégète d'Harvard commence par énumérer quatre hypothèses possibles, pour finalement conclure en rattachant l'universalisme de Luc à la tradition vétérotestamentaire, de préférence ésaïenne, d'une part, et à l'idéologie universaliste ambiante, représentée de manière exemplaire par l'empire romain, de l'autre. Dans son état de la recherche de 1993, « Etudes lucaniennes. Rétrospectives et prospectives »64, Bovon fera encore un pas supplémentaire, en qualifiant l'œuvre de Luc de « contrepartie religieuse des ambitions impériales romaines »65, ce qui le rapprocherait significativement d'un Eusèbe de Césarée. Sur le second dossier, empruntant la voie de la sociologie troeltschienne, François Bovon caractérise les communautés chrétiennes naissantes de « sectes » en conflit identitaire avec l'Eglise instituée et dominante, dit autrement avec la religion juive. Pour Bovon, cet enfantement par séparation devrait conduire les chercheurs à revisiter le paradigme de la continuité judaïsme–christianisme plébiscité à la suite de Jacob Jervell. Cette position s’affiche sans détour dans le status quaestionis de 1993 cité en amont : « Personnellement, j'insisterais sur la discontinuité entre Israël et l'Eglise plus que ne le font la plupart des exégètes les plus récents. La défense et l'illustration de l'universalisme au long de toute l'œuvre de Luc représentent, à mes yeux, une contrepartie religieuse des ambitions impériales romaines » 66.

64

65 66

« Etudes lucaniennes. Rétrospectives et prospectives », 1993, pp. 113-135, article repris dans la troisième édition de l'ouvrage de François BOVON, Luc le théologien (2006). Ibid., p. 128. « Etudes lucaniennes. Rétrospectives et prospectives », 1993, p. 128.

1.3

Status quaestionis

23

Si François Bovon a raison de situer l'expansion universaliste de l’Eglise au cœur du projet théologique des Actes (cf. Ac 1, 8), on ne peut cependant nier l’importance identitaire que revêtent pour Luc la continuité empirique avec Israël et le prolongement de son histoire. Cet attachement au judaïsme – évident dans le portrait de ces myriades de fidèles recensés à Jérusalem (Ac 21, 20) ou à la lecture du sommaire historique déplié en Ac 13, 16b-25 – devrait figurer au menu de tout essai consacré à l’ecclésiologie de Luc. La théorie substitutive ainsi que l'accusation d'anti-judaïsme connaîtront un regain de vitalité sous la plume affûtée de l'exégète américain Jack T. Sanders. Dans son ouvrage de 1987, The Jews in Luke-Acts, ce dernier dénonce en effet l’« antisémitisme » du diptyque Luc–Actes67, renouant avec les thèses traditionnelles de Hans Conzelmann et Ernst Haenchen, et par-delà eux avec Franz Overbeck . Pour Sanders, l’œuvre à Théophile ne serait pas moins antijuive que les évangiles de Jean ou de Matthieu. L’originalité de sa démarche est non seulement de reconnaître le double regard porté par Luc sur le peuple juif, mais aussi de l’imputer aux différents genres littéraires employés dans les Actes : narration et discours. Dans le déroulé narratif en effet, les juifs sont dépeints de manière ambivalente, les uns se convertissant, les autres restant incrédules. Or, cette double image s’évanouit dans les sections kérygmatiques où le peuple juif, rendu coupable ad nauseam de la crucifixion de Jésus, est condamné en bloc (cf. Ac 2, 36 ; 3, 13-16 ; 4, 10 ; 5, 30 ; etc.). Cela étant, réduisant le narratif au discursif, Luc amènerait cette tension à résolution au terme des Actes, moment où « les juifs sont devenus ce qu’ils étaient depuis le départ » 68. Pour Sanders en effet, Luc considère le peuple juif comme essentiellement hostile à l’Evangile et opposé aux desseins divins, alors que l’authentique Israël se recruterait parmi les païens affranchis de la Loi. Coupable de récidive, le peuple juif verrait son sursis révoqué et son existence biffée de l'histoire du salut, Jack Sanders endossant à cet

67 68

Cf. Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, pp. XVI-XVII. Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, p. 81 : « By the end of the Acts the Jews have become what they from the first were ; for what Jesus, Stephen, Peter and Paul say about the Jews – about their intransigent opposition to the purposes of God, about their hostility toward Jesus and the gospel, about their murder of Jesus – is what Luke understands the Jewish people to be in their essence ».

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

égard la cinglante formule de Ernst Haenchen « Luke has written the Jews off »69. La fin des années 1980 sera encore le théâtre d'une publication importante : un double commentaire de l'œuvre lucanienne rédigé par l'exégète américain Robert C. Tannehill70. Cette parution, offrant une place inédite au narrative criticism, témoigne du renouveau méthodologique en marche dans les sciences bibliques, spécialement outre-Atlantique. Si ce commentaire en deux volumes n'investigue pas exclusivement la question d'Israël71, il lui témoigne cependant une attention appuyée. D'ailleurs, l'originalité de Tannehill ne tient pas seulement à son option méthodologique, mais aussi à la solution qu'il donne de cette épineuse problématique. C'est en effet à cet exégète que l'on doit la désormais fameuse expression de tragic story pour qualifier le destin d’Israël chez Luc. Pour Tannehill, le diptyque Luc–Actes, malgré la tonalité optimiste de l'Evangile de l'enfance et en dépit des conversions massives relatées au seuil du second tome, déçoit l'espérance juive de rédemption suscitée auprès du lecteur, de la lectrice. Au contraire, la narration de Luc développerait progressivement les composantes d'une crise appelée à éclater dans l'ultime scène des Actes : l'incapacité des juifs à répondre unanimement au message apostolique débouche sur un tragique diagnostic d’endurcissement (28, 26-27). Cela ne signifie toutefois pas, selon Tannehill, l'arrêt définitif de l'appel à Israël, comme en témoignent plusieurs indices narratifs (cf. 13, 46-47 ; 18, 6).

69

70 71

Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, p. 63 : « Surely, regarding the speeches and sayings in Luke-Acts, Haenchen's judgment is correct without any question : “The theology [of Luke-Acts]… no longer sees any sense or any truth in Israel's election…. Luke has written the Jews off”. No divided Israel here ». Au reste, ce syntagme fonctionne comme un refrain sous la plume de Sanders (ibid., pp. 41.64.82). L’extrait quant à lui provient de Ernst HAENCHEN, « The Book of Acts as Source Material for the History of Early Christianity », dans Leander E. K ECK, J. Louis MARTYN (éds), Studies in Luke-Acts. Festschrift P. Schubert, Nashville, Abingdon Press, 1966, pp. 266.278. Cette même formule figure encore dans l’introduction à son commentaire des Actes (ID., Die Apostelgeschichte, 19777, p. 135 : « Für Lukas sind die Juden “abgeschrieben”. »). The Narrative Unity of Luke-Acts, I, 1986 ; II, 1990. Auparavant, Robert Tannehill avait déjà consacré un article à la question d’Israël : « Israel in Luke-Acts : A Tragic Story », 1985, pp. 69-85. Il reprendra la plume sur ce même thème dans un article de 1999 intitulé « The Story of Israel within the Lukan Narrative », pp. 325-339.

1.3

Status quaestionis

25

Un des mérites évidents de ce commentaire a été de conjoindre dans son évaluation du judaïsme des observations faites autant par Jacob Jervell que par Jack Sanders. S'il ne peut adoucir la résistance forte à l'endroit de la prédication chrétienne dont font montre les acteurs juifs ainsi que la tension effective entre les promesses divines faites à Israël et leur refus au cours de la mission paulinienne, il n'omet cependant pas de valoriser à la suite de Jervell les succès missionnaires rencontrés auprès des juifs de Palestine. L'autre intérêt du commentaire de Tannehill est d'avoir relancé le débat entourant la finale des Actes : outillé de l'analyse narrative, l'exégète de l'Ohio est particulièrement sensible à fonction herméneutique concédée à l'ultime page d'un récit. Pour lui, la reprise conclusive du débat infructueux entre Paul et les juifs manifeste non seulement l'importance de ce dossier pour l’intelligence des Actes, mais surtout la teinte tragique qui colore l’œuvre dans son ensemble. Cela dit, toujours en bon narratologue, Robert Tannehill traque les indices littéraires lui permettant de combler les silences ménagés par cette scène conclusive et de proposer une solution à cette tragédie. C’est à l’examen d’Ac 13, 46-47 et 18, 6 que Tannehill croit trouver la clef de l’énigme : la reprise du chemin synagogal suite aux déclarations sans merci de Paul programmerait semblable attitude par-delà la clôture des Actes. L’hypothèse est tentante, mais ne convainc pas. Car c’est sans compter le poids herméneutique et la visée supra-locale attribués par Luc au terrible oracle ésaïen qui retentit en finale de son écrit (28, 26-27). Notons pour finir que le large éventail de positions défendues dans ce débat au cours des décennies 1970-1980 se retrouve synthétisé et mis en perspective dans le collectif Luke-Acts and the Jewish People (1988) édité sous la direction scientifique de Joseph B. Tyson. Y sont publiés les textes de trois conférences données dans le cadre de l'Annual Meeting de la Society of Biblical Literature tenue à Atlanta en 1986 avec en regard la réponse d’un contradicteur. Figurent ainsi dans cet ouvrage des contributions de Jacob Jervell72, David L. Tiede73, David P. Moessner74, Jack T. Sanders75, Marilyn Salmon76, Robert C. Tannehill77, Michael J. Cook78 et Joseph B. Tyson79. 72 73 74

« The Church of the Jews and Godfearers », 1988, pp. 11-20. « “Glory of Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », 1988, pp. 21-34. « The Ironic Fulfillment of Israel’s Glory », 1988, pp. 35-50.

26

L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

Malgré l'abîme vertigineux séparant les thèses aussi contrastées de Jacob Jervell et de Jack Sanders, un constat émerge inlassablement des contributions récentes à ce dossier exégétique : l'ambivalence inhérente à l'évaluation du judaïsme chez Luc80. Cette donnée, reconnue à la quasi-unanimité, va cependant recevoir un traitement différencié en fonction des présupposés idéologiques et des approches méthodologiques81. Exemples : chez Ernst Haenchen, ladite tension résulte d’une volonté lucanienne de tenir ensemble deux prémisses : la rupture entre l’Eglise de son temps et la Synagogue d’une part, et la nécessaire continuité historico-salutaire entre le christianisme et l'Israël biblique d’autre part. Différemment, Marie-Emile Boismard va imputer cette ambivalence à la genèse rédactionnelle des Actes, le rédacteur final anti-juif intervenant sur des sources/rédactions aux accents modérément projuifs82. Avant lui, Alfred Loisy avait opté pour une solution inverse, réservant les tonalités anti-juives des Actes aux traditions prélucaniennes83. De son côté, Jack Sanders, sans faire appel à la diachronie, va identifier une tension au niveau des genres littéraires en présence dans les Actes (narration et discours). Selon lui, un seul et même auteur serait à l’origine de cette dysharmonie dans la présentation des juifs, dysharmonie appelée à se résorber au terme de 75 76 77 78 79 80

81 82 83

« The Jewish People in Luke-Acts », 1988, pp. 51-75. « Insider or Outsider ? Luke’s Relationship with Judaism », 1988, pp. 76-82. « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 1988, pp. 83-101. « The Mission to the Jews in Acts : Unraveling Luke’s “Myth of the ‘Myriads’” », 1988, pp. 102-123. « The Problem of Jewish Rejection in Acts », 1988, pp. 124-137. Lloyd GASTON, « Anti-Judaism and the Passion Narrative in Luke and Acts », 1986, p. 153 : « In any case the paradox remains that Luke-Acts is one of the most pro-Jewish and one of the most anti-Jewish writings in the New Testament » ; François BOVON, Luc le théologien, 20063, p. 342 : « Les Actes en effet apparaissent être paradoxalement le livre du Nouveau Testament le plus universaliste et le plus favorable au judaïsme. Luc y dépeint avec le même amour les racines juives de l'Eglise et l'expansion géographique du christianisme au-delà des frontières raciales et religieuses du judaïsme. » ; Joseph B. TYSON, Luke, Judaism, and the Scholars, 1999, p. 2 : « Among the NT texts, Luke-Acts seems to be the most perplexing in terms of ambivalent attitudes towards Judaism that appear to be include. » ; plus loin l'auteur consacrera tout un paragraphe de son histoire de la recherche à cet aspect récurrent des études lucaniennes sur le judaïsme et les juifs (ibid., pp. 137-140). Cf. Joseph B. TYSON, Luke, Judaism, and the Scholars , 1999, pp. 137ss. Marie-Emile BOISMARD, Les Actes des deux Apôtres, 1990. Alfred LOISY, Les Actes des apôtres, 1920, pp. 104-121.

1.3

Status quaestionis

27

l’œuvre. Empruntant la voie narratologique, Robert Tannehill reconnaît pour sa part l’existence d’une tragique tension entre le prologue de Luc et la conclusion des Actes, tension tributaire de la non-réalisation des promesses installées dans l’Evangile de l’enfance. 1.3.7

Les voies de l'avenir

Comme nous l'avons signalé dans le paragraphe précédent, l’exégèse lucanienne des années 1970-1980, bien que figée sur des positions souvent extrêmes et non négociables, a nolens volens dessiné les contours de la recherche à venir. D'une part, elle a définitivement mis au jour l'étonnante contradiction que notait déjà Ernst Haenchen dans son commentaire des Actes : il n'est de nos jours plus pensable d'aborder la question d'Israël en Luc–Actes sans faire droit à cette singulière ambivalence. En parallèle, l’horizon des chercheurs semble timidement s’élargir : alors que Robert Brawley, Jack Sanders ou Matthias Klinghardt se cantonnent encore à la thématique d'Israël, soumettant au crible de l’exégèse la caractérisation des acteurs juifs (Pharisiens, Sadducéens, peuple juif, leaders religieux, etc.) ou la fonction impartie au Temple et à la Torah84, d’autres à l’instar de Gerhard Lohfink réinvestissent le dossier juif dans le cadre de l'ecclésiologie lucanienne85. Dans sa majorité toutefois, la classe exégétique n’a pas encore enregistré le tournant intervenu86. Finalement, la recherche

84

85 86

La monographie de Brawley est bipartite : alors que la première partie tend à préciser le projet d’écriture retenu par Luc, la seconde focalise son attention sur « particular categories of Jews and Jewish institutions in order to investigate how Luke envisions them » (Luke-Acts and the Jews, 1987, p. 4). De même Jack Sanders, s’il conclut sa monographie à la manière du commentaire, en entrepenant une lecture suivie du diptyque Luc–Actes et un examen systématique de ses péricopes « juives » (The Jews in Luke-Acts, 1987, pp. 157-299), commence néanmoins son étude en caractérisant les différents acteurs juifs qui peuplent l’œuvre lucanienne. C’est sans conteste cette partie qui donne le ton. Quant à la thèse de Matthias Klinghardt ( Gesetz und Volk Gottes. Das lukanische Verständnis des Gesetzes nach Herkunft, Funktion und seinem Ort in der Geschichte des Urchristentums, 1988), elle est entièrement attachée à cerner la compréhension lucanienne de la Torah. Même constat chez Martin RESE, « Das Lukas-Evangelium. Ein Forschungsbericht », 1985, pp. 2309-2310. Preuve en sont les études intéressées à la caractérisation des protagonistes juifs en Luc–Actes ; elles ont fait florès au cours des années 1990. Entre autres : John A. DARR, On Character Building, 1992, pp. 85-126 ; David B. GOWLER, Host, Guest, Enemy, and Friend : Portraits of Pharisees in Luke and Acts, 1991 ; Jack Dean

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

lucanienne s'est en partie cristallisée autour de la finale des Actes, faisant de cet espace textuel, singulièrement de son oracle ésaïen, l’incontournable lieu de vérification des modèles en présence. Cependant, une reprise systématique et critique des diverses propositions sur le sujet reste à faire. Dans cette ultime section, nous souhaitons présenter les contributions récentes à avoir collaboré à ces trois chantiers inaugurés dans la décennie 1970-1980. Les diverses études publiées par Daniel Marguerat au tournant des années nonante et deux mille illustrent à merveille le nouveau paradigme en train de se construire. Nous commencerons par un article de l'exégète lausannois publié une première fois en 1994 et centralement consacré à la question d'Israël, puis nous examinerons deux contributions plus récentes qui traitent l'une de l'identité chrétienne dans les Actes, l'autre de la gestion lucanienne du personnage Paul. C'est sous le titre « Juifs et chrétiens selon Luc-Actes. Surmonter le conflit des lectures » (1994) que Daniel Marguerat s’attelle au dossier juif chez Luc. Après un état de la recherche où est présenté le conflit herméneutique faisant rage dans ce champ d’études, Marguerat invite à une meilleure prise en compte de l'ambivalence inhérente à l’image du judaïsme. Selon lui en effet, les pôles en tension de la continuité et de la rupture avec Israël font partie intégrante de l'identité chrétienne promue par Luc. Alors que la continuité se fait essentiellement jour dans les sections initiales des deux tomes lucaniens (Lc 1–2 ; Ac 2–5), elle cède le pas à un scénario de rupture mis en place tout au long de la mission paulinienne des Actes. Cela dit, la fin de l'œuvre (Ac 21–28), si elle manifeste l'abîme grandissant entre juifs et chrétiens, trahit en même temps une proximité indélébile de la foi chrétienne avec « ce que le judaïsme peut offrir de meilleur ; et ce qu'il offre de meilleur aux yeux de Luc est assurément la piété pharisienne » 87. Bref, si Luc ne peut renverser le cours de l'histoire qui a conduit au déchirement entre Eglise et Synagogue, il redouble cependant d'efforts pour ancrer l'identité ecclésiale dans le terreau juif

87

KINGSBURY, « The Pharisees in Luke-Acts », 1992, pp. 1497-1512 ; Howard Clark KEE, « The Jews in Acts », 1992, pp. 183-195 ; Robert F. O’TOOLE, « Reflections on Luke’s Treatment of Jews in Luke-Acts », 1993, pp. 529-555 ; Mark Allan P OWELL, The Religious Leaders in Luke, 1990, pp. 93-110 ; Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », 1991, pp. 631-654. « Juifs et chrétiens selon Luc-Actes. Surmonter le conflit des lectures », 1994, p. 142.

1.3

Status quaestionis

29

et dans la continuité de son histoire. Au chapitre 4 de sa monographie La première histoire du christianisme publiée dans sa première édition en 1999, Daniel Marguerat revient sur la question du rapport lucanien à Israël sous le titre « Un christianisme entre Jérusalem et Rome ». Il élargit désormais son enquête en associant au binôme christianisme– judaïsme un troisième pôle : le rapport au paganisme et à l'Empire. Pour Marguerat, les deux pôles identitaires que sont Israël et l'imperium romanum, loin de s'exclure dans le programme idéologique de Luc, « concourent à établir l'identité du christianisme », et ce à la manière de l'écriture historienne de Flavius Josèphe. Marguerat en veut pour preuve d'une part la construction de certaines figures du récit, d'autre part l'emploi par Luc d'une stratégie rhétorique d'ambivalence sémantique, autrement dit de double-entendre, présupposant de son lectorat une culture à la fois juive et hellénistique pour être correctement décodée. Précisément, l'amphibologie serait le vecteur littéraire du programme théologique de Luc : réunir Jérusalem et Rome dans le récit fondateur de la chrétienté. Dans un article de 2005 consacré à la réception de Paul chez Luc, Daniel Marguerat revient une dernière fois sur la constellation judaïsme–christianisme–paganisme 88. Situant les Actes sur la trajectoire biographique de l'héritage paulinien, Marguerat relit le portrait de l’apôtre à la lumière de l'identité chrétienne promue par l'auteur à Théophile. D'un côté, le Paul des Actes, balançant entre attachement indéfectible aux coutumes de Moïse et adoption de la foi nouvelle au Christ Jésus, témoigne du rapport conflictuel noué entre judaïsme et christianisme. De l'autre, il symbolise la relation inaugurée par le christianisme avec le monde romain. C’est notamment à la lecture du discours de l'Aréopage, profilant le kérygme en accomplissement inattendu de la quête païenne du « dieu inconnu », que se manifesterait cette seconde dimension (Ac 17, 22-31). L’originalité et la force de ces trois études résultent de leur approche différenciée et nuancée des rapports judaïsme–christianisme chez Luc, enregistrant autant les indices de rupture que les marques de continuité existant entre Israël et l’Eglise. Bien plus, le professeur vaudois reconnaît avec intelligence la contribution tant du pôle grec que du pôle juif à la construction identitaire des Actes. Une hypothèse de lecture au fort potentiel heuristique. Un déficit toutefois doit être 88

« L'image de Paul dans les Actes des apôtres », 2005, pp. 121-154.

30

L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

noté, qui tient peut-être à l’oubli regrettable de l’Habilitationsschrift de Gerhard Lohfink dans cette discussion : les attaches nouées par la chrétienté avec Israël ne sont pas uniquement d’ordre historique ou théologique, mais également de nature empirique. L’Eglise des Actes n’est pas simplement une universalité qui fait mémoire de ses origines juives, c’est aussi le lieu où s’accomplit l’espérance scripturaire d’un rassemblement du peuple choisi (cf. Ac 2–5). Cette tension interne à l’ecclésiologie de Luc, ou mieux dit à ses ecclésiologies, aurait mérité d’être prise en compte. La recherche sur le judaïsme et l’identité de l’Eglise chez Luc a beaucoup profité des travaux de l’exégète catholique Karl Löning. Outre la publication d’un double commentaire du troisième évangile (1997 et 2006)89, Löning a commis plusieurs articles couvrant centralement notre champ d’études, mais malheureusement trop rarement cités. Nous ferons ici référence à trois articles stimulants publiés entre 1985 et 1997. Sous le titre « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte » (1985), le professeur émérite de l’Université de Münster investigue les aspects culturels et historicosalutaires de l’Eglise lucanienne à travers son double lien à Israël et au monde païen. S’agissant du rapport au judaïsme, il se doit d’être pensé selon la dialectique de la continuité et de la discontinuité 90. Continuité avec Israël, dans la mesure où la communauté chrétienne réalise le rassemblement eschatologique du peuple élu et vit de ses promesses. Mais discontinuité, du fait que l’Eglise, en affranchissant les païens de l’obéissance légale, déborde explicitement les contours de la foi juive. Cette dualité se traduit, selon Löhing, sur les deux plans, culturel et historico-salutaire, de l’ecclésiologie lucanienne. La continuité serait garantie par la judéo-chrétienté située aux origines de l’Eglise (Ac 2–7), dans la mesure où, attachée à la Loi et fréquentant le Temple, elle reste en continuité substantielle avec le judaïsme – quand bien même elle le supplante par son ethos apostolique de prière et de partage des biens. Le refus de l’Evangile par une portion importante du judaïsme conduirait néanmoins à une rupture entre ces deux factions juives, la 89 90

Das Geschichtswerk des Lukas, I, 1997 ; II, 2006. « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, pp. 2612-2613.

1.3

Status quaestionis

31

première incarnant dorénavant l’Israël idéal, l’autre une forme « déficitaire »91. Seule la veine judéo-chrétienne endosserait de ce fait la continuité d’Israël des points de vue heilsgeschichtlich et culturel. Par ailleurs, l’endurcissement de l’autre veine, dénoncé par Paul en Ac 28, 26-27, dédouanerait théologiquement l’Eglise helléno-chrétienne de toute responsabilité dans sa rupture avec la Synagogue. Mais à côté de l’ethos mosaïque des judéo-chrétiens, validé comme composante culturelle et historico-salutaire de l’Eglise universelle, Luc jetterait un pont en direction de la religiosité païenne et de la poésie grecque. C’est notamment à la lecture du récit d’Ac 17 que l’exégète de Münster le découvre : la foi chrétienne s’affirme comme la réponse à la quête hellénistique du « dieu inconnu », l’équivalent païen de l’espérance d’Israël. Ce temps de quête religieuse, malgré son déficit cognitif évident, ne serait toutefois pas dénué de valeur historico-salutaire 92. Et la poésie grecque, symbolisée par la citation d’Aratos, en serait le héraut prophétique. Bref, les rapports de l’Eglise à l’endroit de l’univers grec se penseraient également selon une logique d’ambivalence : continuité relative avec la quête païenne du Dieu créateur, mais rupture avec la philosophie des stoïciens et épicuriens (cf. Ac 17, 18). Dans les mélanges publiés en l’honneur d’Adel-Theodor Khoury, Karl Löning axe cette fois-ci son enquête sur l’Israelfrage entendue comme question identitaire posée à une Eglise majoritairement païenne93. A ses yeux en effet, c’est cette nécessité socio-historique qui commande en grande partie l’écriture historiographique de Luc94. Ce dossier est abordé dans une double perspective : sous l’angle du lien historique entre mission chrétienne et foi juive tout d’abord, puis sous l’angle du rapport intra-ecclésial entre judéo- et helléno-chrétiens. Le résultat de cette enquête en deux temps confirme la vision différenciée 91 92 93 94

Cf. Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen », 1985, p. 2615. Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen », 1985, p. 2632 : « Polytheismus ist demnach für Lukas vor allem eine Form heilsgeschichtlicher Ignoranz ». Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990. Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, p. 305 : « Die Frage nach der theologischen Identität dieser Kirche beherrscht die lukanische Darstellung der Geschichte der Urchristenheit. Die Frage stellt sich für ihn angesichts des problematischen Faktums der offenkundigen Diskontinuität zwischen jüdischer und christlicher Gemeinde ».

32

L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

des rapports judaïsme–christianisme défendue dans l’article précédent : la mission chrétienne s’inscrit dans la continuité historique 95, empirique 96 et culturelle 97 du judaïsme, restaurant Israël dans son rôle prophétique et rassemblant le « véritable judaïsme » dans la personne des judéo-chrétiens. Ces marqueurs de continuité vont néanmoins de pair avec un processus de distanciation à l’égard du judaïsme, mouvement parfois consenti (Löning prend le baptême comme exemple) 98, parfois contraint (cf. 4, 1.5-6 ; 5, 17.21b-42 ; 8, 1b.3)99. Cela conduit à l’émergence progressive d’une institution autonome d’Israël : l’Eglise (cf. 5, 11 ; 9, 31)100. Finalement, dans une contribution datée de 1997 et intitulée « Neuschöpfung und religiöse Kultur. Zur Begründung christlicher Identität im Geschichtswerk des Lukas », Karl Löning revient une dernière fois sur le rapport tissé par Luc entre chrétienté et judaïsme, reconnaissant dans le projet identitaire des Actes un processus de restauration de la création ; ce processus inclurait notamment le rétablissement de la fonction historico-salutaire d’Israël considéré comme le peuple élu de Dieu. C’est tout spécialement la culture juive qui serait ainsi ravivée et appelée à constituer le socle permanent d’une nouvelle identité culturelle, celle de l’Eglise universelle. Bref, au lendemain de la destruction du second Temple et suite à la disparition de la communauté judéo-chrétienne de Palestine, Luc aurait été sommé de résoudre la crise de continuité à laquelle était confrontée son Eglise, en rappelant par le levier historiographique la mémoire culturelle de la judéo-chrétienté.

95

Cf. Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, pp. 306-309. 96 Cette continuité empirique est assurée par les judéo-chrétiens, et singulièrement par la figure de Paul ; cf. Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, pp. 312-314. 97 Cf. Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, pp. 315-318. 98 Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, p. 310. 99 Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, p. 311. 100 Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, p. 311 : « Das Wort “Kirche” (ekklesia) fällt in der Apostelgeschichte erst, nachdem sich die urchristlich-gesamtjüdischen Beziehungen in problematischer Weise entwickelt haben in Apg 5,11 ».

1.3

Status quaestionis

33

Ces trois contributions de Karl Löning témoignent d’une approche différenciée et originale de la thématique juive chez Luc, refusant souvent l’opposition stérile entre le paradigme de la continuité et le modèle de la substitution101. L’exégète de Münster a également le mérite d’investiguer de conserve les deux axes identitaires de l’Eglise et de préciser le rapport qui s’y construit. Cela dit, l’hypothèse d’une restauration de la création avancée par Löning semble déborder l’horizon théologique de Luc : si le raffermissement du boiteux de la « Belle-Porte » y souscrit modestement, la suite des Actes ne semble guère appuyer cette position herméneutique. En 1995 paraît la thèse de doctorat de Wolfgang Reinhardt consacrée au motif de la croissance ecclésiale chez Luc102. L'auteur, après une enquête philologique sur le champ lexical de la « croissance du peuple de Dieu » dans les Actes, explore les racines vétérotestamentaires – tant linguistiques que thématiques – de ce concept ecclésiologique. Sa moisson est abondante : l'Eglise en devenir dans les Actes s'inscrit en continuité et en accomplissement de moult thèmes et espérances scripturaires, à commencer par la multiplication du peuple élu, le rassemblement d'Israël et le pèlerinage des nations au mont Sion. Ce détour par les Ecritures juives terminé, l'auteur revient au texte de Luc et en examine les sommaires de croissance. Il conclut son étude par une reprise synthétique de ses résultats exégétiques sous forme de thèses. Deux affirmations thétiques méritent d'être signalées dans le cadre de cette histoire de la recherche, les thèses 2 et 19. La thèse 2 103 soutient que l'Eglise des Actes, par sa multiplication miraculeuse, réalise les promesses bibliques de croissance et de rassemblement d'Israël ainsi que de participation des païens à ce processus constitutif. C’est également dans la perspective de ce renouveau du peuple choisi qu’il s’agirait de comprendre les appels à la conversion hérités de la tradition prophétique. Partant, à la suite de Jacob Jervell et de Gerhard Lohfink, l’auteur insiste sur la forte continuité existant chez Luc entre Israël et l'Eglise. Dans la thèse 19 104, 101 Cf. Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen », 1985, pp. 2612-2613. 102 Das Wachstum des Gottesvolkes. Untersuchung zum Gemeindewachstum im lukanischen Doppelwerk auf dem Hintergrund des Alten Testaments, 1995. Voir également la recension de Christophe W. STENSCHKE dans RBL 01/15/1998. 103 Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 309. 104 Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 338-340.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

Reinhardt affirme par ailleurs la fonction structurante des sommaires de croissance. Ces notices éditoriales sont autant de bornes servant à rappeler au lecteur le « Richtungssinn » du second tome lucanien, son thème directeur, en clair : la propagation de l'Evangile ou la croissance du nouveau peuple élu entre Jérusalem et Rome. Malgré les résistances et les obstacles rencontrés, Dieu continue d'œuvrer à l'édification et à l'expansion de son Eglise ; telle est la visée rhétorique de ces bilans intermédiaires, et par-delà eux de tout le livre des Actes. Investiguant une thématique lucanienne pourtant déjà amplement explorée (cf. Paul Zingg/Albert Noordegraaf), la thèse de Wolfgang Reinhardt y contribue doublement : en notant d’une part la conformité existant entre l’image ecclésiale des Actes et les promesses scripturaires surplombant l’avenir d’Israël, d’autre part en situant l’ecclésiologie au cœur de l’intrigue du second récit à Théophile. Partant, l’intuition ecclésiale de Jacob Jervell, qui procédait déjà à partir des notices lucaniennes de croissance, reçoit de l’enquête de Reinhardt une validation scripturaire : l’arithmétique miraculeuse des Actes reprend un thème biblique associé au renouveau eschatologique du peuple choisi. L’argument est de taille. La même année, David Ravens publie sa thèse de doctorat intitulée Luke and the Restoration of Israel ; il y exploite abondamment le filon exégétique prospecté par Jacob Jervell, démontrant ainsi la fécondité de ce paradigme de lecture trois décennies après sa conception. Selon Ravens, Luc trace d’Israël le portrait le plus positif et le plus extensif de toute la littérature néotestamentaire. En clair, l’histoire de la chrétienté serait entièrement ordonnée à la restauration d’Israël, processus qui inclurait la réunification des deux Royaumes composant originairement l’empire davidique – représentés chez Luc par les juifs et les Samaritains – et l’ouverture universaliste du salut. En conséquence, il n’y aurait aucune rupture entre Israël et le peuple des Actes, mais une parfaite continuité historico-salutaire. Si cette monographie valorise avec raison le programme de rétablissement d’Israël dans le cadre de la théologie lucanienne, il est néanmoins surprenant qu’elle n’aborde pas des questions aussi

1.3

Status quaestionis

35

importantes pour cette thématique que la fonction des Douze 105, le rôle du Saint Esprit ou encore le pèlerinage des exilés juifs au mont Sion. Ces absences incompréhensibles fragilisent malheureusement les résultats séduisants auxquels aboutit David Ravens. L’une de ces lacunes sera rapidement comblée par l’étude de Max Turner parue sous le titre Power from on High. The Spirit in Israel’s Restoration and Witness in Luke-Acts (1996). S’attelant à la pneumatologie de Luc–Actes, Turner est en effet parvenu à identifier le rôle joué par l’Esprit dans le programme théologique de Luc. Commençant par Ac 2 et le récit de la Pentecôte, l’auteur en exhume un faisceau d’allusions mosaïques et sinaïtiques, suggérant le renouveau de l’alliance scellée par Dieu avec son peuple. Par la même occasion, c’est l’importance du don de l’Esprit pour ce processus de rétablissement qui serait ainsi signifiée. Abordant ensuite le discours d’Ac 3, 19-25, puis le récit d’Ac 15, 12-21, Turner y repère la continuation ainsi que l’achèvement de ce programme de refondation embrayé au jour de la Pentecôte 106. On le voit, Max Turner, dans le cadre d’une étude plus vaste sur la pneumatologie de Luc, a souligné la fonction ecclésiologique de l’Esprit comme catalyseur du renouveau d’Israël, offrant par là-même une nouvelle assise au paradigme de la continuité entre Israël et l’Eglise. Dans le collectif Witness to the Gospel publié en 1998 et dédié à la théologie des Actes, un article de David Seccombe explore la thématique du peuple de Dieu chez Luc (« The New People of God ») 107. Respectant le déroulé narratif du récit, l’exégète de Cape Town montre comment l’on passe graduellement d’une communauté juive messianique renouvelée (le « reste » repenti d’Israël) à une Eglise détachée de Jérusalem et indistinctement composée de juifs, de Samaritains et de païens. Pour Seccombe, le nouveau peuple de Dieu légitimé par Luc se situe à l’intersection de la continuité et de la discontinuité avec Israël108 : il ne constitue ni une simple extension de la Synagogue par agrégation de prosélytes, ni un nouvel Israël païen dont 105 La restauration du collège apostolique (Ac 1, 15-26) n’est que sommairement évoquée à la page 97 de la monographie de David Ravens, et ce dans le cadre plus vaste d’une réflexion sur la figure des Samaritains chez Luc. 106 Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 308-315. 107 David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, p. 351. 108 Cf. David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, pp. 355 et 358.

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les juifs seraient bannis109. Il s’agit au contraire d’une « Eglise de nations », où les Gentils, rendus par la grâce de Dieu héritiers de la promesse abrahamique, seraient appelés à s’asseoir sur le même banc que les juifs convertis, tout en préservant leur identité culturelle 110. Ce remarquable essai, empruntant une voie interprétative prometteuse, est toutefois grevé d’un sérieux handicap. Très attentif à la continuité affichée par Luc entre judaïsme et christianisme, David Seccombe juge que les Actes reflètent le contexte socio-historique du milieu du 1er siècle : il pose comme terminus ad quem pour leur rédaction le déclenchement de la Guerre juive en 66. Cette thèse improbable trahit une appréciation insuffisante de la séparation entre l’Eglise et la Synagogue rejouée à maintes reprises dans les Actes111 et reflet des rapports conflictuels entre juifs et chrétiens après 70 ; le glissement géographique hors de l’orbite synagogale mis en scène entre Ac 13 et Ac 28 témoigne d’un déchirement, si ce n’est déjà consommé, en tout cas très profond entre la chrétienté de Luc et le judaïsme. Il est d’ailleurs symptomatique que Seccombe parle moins de rupture avec Israël que de nouveauté, notamment dans l’attachement de la communauté croyante au Messie de Nazareth et dans sa réorientation missionnaire auprès des non-juifs. La thèse de doctorat de Günter Wasserberg, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt (1999), si elle questionne en priorité le soupçon d’antijudaïsme entachant l'œuvre de Luc, ne se borne toutefois pas à un simple examen des composantes juives du diptyque. Au contraire, optant pour l'outil narratologique, l'auteur entreprend une traversée du récit double de Luc et se montre très attentif à la manière dont se construit l'identité chrétienne à travers certaines pages choisies de l'œuvre, à commencer par la finale d'Ac 28. Comme Tannehill avant lui, Wasserberg érige cette ultime scène en clef de lecture de l’écrit à Théophile. Vu sous cet angle, le récit de Luc se lit comme la chronique annoncée du refus juif et de l'universalisation du salut à partir d'Israël. La rupture entre juifs et chrétiens rejouée à maintes reprises au cours de la mission paulinienne et dénoncée comme endurcissement en Ac 28, 26-27, si elle ne doit pas masquer le printemps de Jérusalem (Ac 2– 109 David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, p. 372. 110 David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, p. 366. 111 David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, p. 364.

1.3

Status quaestionis

37

5), est néanmoins le reflet d’un christianisme détaché du peuple juif et centré sur la mission païenne. Revenant au terme de cette exégèse narrative à sa question initiale, Wasserberg se refuse dès lors à accuser Luc d'antijudaïsme, dans la mesure où le rapport conflictuel entretenu avec la Synagogue participe selon lui de la visée identitaire et apologétique d'une œuvre ad intra : en se démarquant de ses coreligionnaires, l'Eglise cherche à ériger et à consolider sa propre identité. Si Günter Wasserberg a sans nul doute raison de comprendre l’antijudaïsme de Luc dans le cadre de sa construction identitaire et de définir sa perspective rhétorique comme « Identitätsfindung durch Abgrenzung », il valorise cependant insuffisamment la logique de continuité à l’œuvre en Luc–Actes. C’est en effet par séparation et attraction que l’auteur des Actes nous semble profiler l’identité ecclésiale : comment un théologien aussi attaché à faire des origines chrétiennes un chapitre de l’histoire d’Israël peut-il être soupçonné d’antijudaïsme ? Cette herméneutique d’accomplissement, pourtant souvent notée par Wasserberg au fil de son parcours narratif, aurait mérité d’être davantage exploitée à l’heure du bilan. La thèse de doctorat de David W. Pao, réalisée sous la direction de François Bovon, paraît en 2000 sous le titre Acts and the Isaianic New Exodus. Pour David Pao, le thème ésaïen du Nouvel Exode constitue la matrice scripturaire dans laquelle se façonne l’identité ecclésiale des Actes112. Ce programme, prioritairement fondé dans l’espérance d’une restauration d’Israël, se décline en six composantes principales : a) la réunification des douze tribus/des deux royaumes du Nord et du Sud ; b) le rassemblement des exilés ; c) l’envoi de l’Esprit ; d) le rétablissement du royaume davidique ; e) l’appel à la repentance ; f) l’inclusion des hors castes. La première facette est symbolisée par l’élection de Matthias en remplacement de Judas (1, 15-26), refermant ainsi la brèche introduite à l’intérieur du collège des Douze, mais également par la mission en Samarie placée à l’enseigne de Philippe (8, 4-25 ; cf. 1, 8 ; 8, 1 ; 9, 31). Le deuxième élément se trouve quant à lui exposé dès l’ouverture des Actes, lors de l’épisode de la Pentecôte 112 David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 250 : « The national story of the ancient Israelite tradition provides the foundation story through which the identity of the early Christian Movement can be constructed ».

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réunissant des juifs de toutes les diasporas du monde habité (cf. 2, 5.911). C’est au reste lors de ce même épisode que se réalise le don de l’Esprit comme signature des temps eschatologiques et catalyseur de la restauration d’Israël. Pour sa part, la thématique davidique apparaît à plusieurs reprises dans le livre des Actes que ce soit en 13, 34 ou en 15, 16-18. Quant à l’exhortation à la repentance, elle revient abondamment sous la plume de Luc (Lc 24, 47 ; Ac 2, 38 ; 3, 19 ; 5, 31 ; etc.), avec pour conséquence l’adhésion massive de juifs à la foi nouvelle. Finalement, l’intégration des hors-castes est admirablement illustrée par la conversion d’un castrat de Nubie (8, 26-40). En outre, à la recomposition d’Israël se joint dans le programme ésaïen du Nouvel Exode une perspective universaliste. Sur ce point toutefois, en considérant les païens comme partenaires égaux du peuple de Dieu, Luc aurait sensiblement modifié sa matrice programmatique113. Partant, David Pao se démarque à juste titre de la thèse de Jacob Jervell – qu'il suit cependant sur d'autres points – en refusant de cantonner les païens convertis au rang de « peuple associé » à l'Israël restauré114. En dépit de plusieurs intuitions prometteuses, l’étude de David Pao pèche par excès d'intertextualité entre Esaïe et les Actes : l'auteur absolutise un unique modèle structurel et thématique, en l’occurrence le programme du Nouvel Exode, négligeant les autres sources d'inspiration de l'auteur à Théophile (par ex. : le Deutéronome, le rouleau d’Amos ou les Psaumes). Or, si ladite matrice intertextuelle affleure parfois chez Luc (Lc 3, 4-6 ; 4, 18-19 ; Ac 1, 8 ; 13, 47 ; 28, 26-27) et s’avère ainsi pertinente dans l’explication de certains traits de son ecclésiologie, elle dévoile également ses limites. Autrement dit, ce modèle herméneutique ne peut à lui seul rendre compte de la conception identitaire de Luc, sans courir le risque de la caricature et de la réduction. Une autre thèse doctorale, rédigée également à Harvard sous la direction de François Bovon, paraît la même année. Intitulée The Past 113 David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 245 : « The focus on the Gentiles is therefore one of the most significant ways in which the Isaianic New Exodus has been transformed in Acts ; and this transformation points to a rather different era in the history of salvation ». 114 Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 67 : « The Gentiles, however, are not Israel, but have been associated with Israel, for which reason circumcision remains for Jews ».

1.3

Status quaestionis

39

as Legacy, cette étude de Marianne Palmer Bonz situe le diptyque Luc– Actes non pas dans la lignée de l’historiographie ou de la biographie antiques, mais dans le cadre de l’écriture épique. Précisément, elle propose de relire le second tome de Luc à la lumière du genre littéraire de l’épopée, dont l’Enéide de Virgile constituait au 1er siècle ap. J.-C. le modèle par excellence ; le projet littéraire des Actes, réponse à la crise identitaire de la chrétienté post-70, adopterait une posture et une visée similaires à la création épique du plus grand poète de l’ère augustinienne : composer un récit épique de fondation par appropriation et transformation d’un passé mythologique et héroïque. Dit autrement : l’auteur à Théophile aurait réinvesti l’héritage historique et scripturaire d’Israël dans le but d’asseoir l’identité d’un nouveau peuple, la chrétienté pagano-chrétienne considérée comme le « véritable Israël » 115. Pour ce faire, Luc aurait mimé sur plusieurs points la trame et le style de l’Enéide 116, tout en les mobilisant au profit d’un projet identitaire inédit et immanquablement subversif 117. L’hypothèse de lecture avancée par Marianne Palmer Bonz se démarque par son originalité et son fort potentiel novateur, même si elle ne convainc pas entièrement. Identifier des traits épiques dans 115 The Past as Legacy, 2000, p. 128 : « Thus, just as the gods who had willed the destruction of Troy also ensured the survival of a faithful remnant, so also does Luke portray the division and ultimate collapse of the house of Israel as a result of the expressed will and plan of God. The faithful remnant, the true descendants of Abraham who are obedient to the divine Spirit, form the nucleus of a new community. To this core, a great number of gentiles are added, just as in Virgil’s narrative the Trojan remnant is led by divine guidance to merge with the numerically superior Latin peoples, taking a new name ». 116 The Past as Legacy, 2000, p. 56 : « To begin with, there is the theme of divine mission in the form of a journey that will lead to the formation of a new people. In the Aeneid and, as will be shown, also in Luke-Acts, this theme is the central narrative thread around which the entire composition is organized […] In addition to these essential elements of composition, Virgil employs a number of literary and stylistic devices that also appear to have some relevance for the analysis of Luke-Acts ». 117 The Past as Legacy, 2000, p. 182 : « This last point – that Rome’s eternal rule has been granted in accordance with divine will only if one accepts the divine legitimacy of Virgil’s Jupiter – brings one directly to a consideration of the motives behind composition of Luke-Acts in narrative epic style. If imitation is indeed a genuine form of flattery, then one must acknowledge a definite admiration for Rome on the part of Luke. Nevertheless, Luke-Acts presents a rival vision of empire, with a rival deity issuing an alternative plan for universal human salvation. Furthermore, Luke-Acts names a very different sort of hero as the primary instrument for the implementation of that plan, a different concept of the chosen people, and a very different means by which conquest leads to inevitable victory ».

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l’œuvre lucanienne et la comparer aux réalisations littéraires de l’époque augustinienne sont assurément des pistes à suivre. Cela dit, qualifier l’écrit à Théophile d’épopée, œuvre de style prosaïque, est un pari bien audacieux118. Par ailleurs, la valorisation des paradigmes littéraires et idéologiques gréco-romains empêche Marianne Palmer Bonz de reconnaître l’apport significatif de la Bible hébraïque à la construction identitaire des Actes et la conduit à entériner la théorie (quelque peu nuancée) d’une substitution entre l’Eglise et Israël chez Luc. On se trouve ici aux antipodes des thèses défendues par Wolfgang Reinhardt ou David Pao. Bref, si Luc relate la fondation d’un nouveau peuple, cela n’équivaut pas encore à une dégradation historicosalutaire d’Israël et à son remplacement par une Eglise hellénochrétienne. Appliqué unilatéralement, le paradigme littéraire de l’Enéide peine à rendre compte de cette tension inhérente à l’identité des Actes. De même, il rend imparfaitement justice à la première moitié du récit qui se joue exclusivement à Jérusalem et où, bien loin de relater la « ruine » de la maison d’Israël, Luc fixe la mémoire de son « printemps » (Ac 1–7). En 2001, paraît dans la collection « Biblische Untersuchungen » le travail de thèse d'Anton Deutschmann intitulé Synagoge und Gemeindebildung. Christliche Gemeinde und Israel am Beispiel von Apg 13,42-52. Comme l'indique le sous-titre, il s'agit à partir d'une analyse littéraire d'un passage emblématique mais peu travaillé du second tome de Luc – la mission de Paul et Barnabé à Antioche de Pisidie (Ac 13, 42-52) – d'observer le devenir de la communauté chrétienne dans son rapport au judaïsme et au salut d'Israël. Couplée à un examen du schéma missionnaire paulinien préfiguré en Lc 4, 16-30 et réitéré en Ac 28, 17-31 ainsi qu'à une analyse statistique et sémantique des termes ejkklhsiva et laov", l'étude de Deutschmann aboutit à une conclusion que ne renierait pas Jacob Jervell : la communauté chrétienne constituée de juifs et de païens ne déborde en aucun cas les frontières d'Israël, mais se constitue à l'intérieur du peuple élu, en débat permanent avec la Synagogue. Selon 118 Ce dont Marianne Palmer Bonz est parfaitement consciente (ID., The Past as Legacy, 2000, p. 190). A ses yeux toutefois, l’écriture prosaïque de l’œuvre lucanienne ne constitue pas un obstacle dirimant à l’adoption du genre littéraire de l’épopée, attendu que c’est la version grecque de l’Enéide rédigée en prose par Polybe dont Luc aurait eu connaissance.

1.3

Status quaestionis

41

Deutschmann, cette dernière n'apparaît d'ailleurs pas sous un éclairage unilatéralement sombre, mais témoigne au contraire d'une ouverture notable à l'égard de la communauté chrétienne, ne se rebiffant que sur la question de la mission païenne. Pour Deutschmann, c’est cet aspect de la culture ecclésiale qui susciterait la division entre juifs et chrétiens, et non la reconnaissance messianique de Jésus. S'il faut ainsi reconnaître une visée apologétique à l'écrit lucanien, elle résiderait dans cette volonté de légitimer scripturairement l'extension de l'alliance d'Israël aux craignant-Dieu. On le voit, Anton Deutschmann, récusant le paradigme de la substitution entre Israël et l'Eglise, se refuse à qualifier la communauté chrétienne de nouvel Israël et à lui transférer les privilèges historicosalutaires du peuple juif. Très soucieux de démontrer la continuité existant entre judaïsme et christianisme et de nier jusqu'à l'obsession tout signe de rejet du peuple élu, Deutschmann minimise plusieurs signaux qui trahissent dans les Actes une rupture, si ce n'est déjà consommée, en tout cas très avancée entre l’Eglise et la Synagogue. A titre d'exemple, les expulsions des évangélistes chrétiens hors des édifices cultuels juifs et leur migration dans des lieux d'enseignement profanes, ritournelle de la mission paulinienne des Actes, devraient être davantage prises au sérieux. Cette critique mise à part, l'intérêt du travail de Deutschmann est d'étayer l'hypothèse de Jacob Jervell, corrigée sur certains points, sur un cas-test adéquat et surtout de rouvrir le dossier juif des Actes dans le cadre d'une réflexion plus large sur le devenir identitaire de la chrétienté lucanienne. Preuve en sont les deux états de la recherche – au demeurant sommaires – constitués par Deutschmann : le premier consacré à la thématique juive119, le second à l’ecclésiologie 120. Il faut ensuite faire état de l’article publié en 2004 par Jens Schröter121. Ce dernier y examine comment s’articulent chez Luc la christologie et la constitution de l’Eglise. Selon lui, les questions – cruciales dans le débat lucanien – de la place des païens dans le peuple élu et de l’espérance d’Israël trouvent une solution du point de vue de

119 Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 16-26. 120 Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 26-28. 121 Jens SCHRÖTER, « Heil für die Heiden und Israel. Zum Zusammenhang von Christologie und Volk Gottes bei Lukas », 2004, pp. 285-308.

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sa christologie. Partant, l’exégète allemand procède de la christologie double, simultanément davidique et prophétique, qui se dégage du diptyque à Théophile. A ses yeux, ces deux lignes dominantes de la christologie expliquent l’ambivalence du rapport lucanien à la foi juive. D’un côté, la conception davidique de l’identité de Jésus, installée dans l’Evangile de l’enfance (Lc 1, 32-35) et scellée dans sa résurrection (Ac 2, 22-36 ; 13, 34-37), irait de pair avec une redéfinition des frontières du peuple choisi : elles seraient appelées à s’ouvrir aux non-juifs. Cette conséquence du relèvement du Christ davidique se lirait notamment en Lc 24, 47, mais surtout dans le discours pétrinien de la Pentecôte (2, 17.21.39) ainsi qu’en 13, 38-39, lorsque Paul à Antioche de Pisidie fait de la justification accordée à « quiconque croit » la résultante de la résurrection (13, 26-37). Pour Jens Schröter, l’extension universelle de l’alliance serait la conséquence directe de la reformulation apportée par Luc au messianisme juif122. En retour, les nations seraient mises au bénéfice des biens salutaires d’Israël ; la continuité entre le peuple des Actes et l’histoire sainte serait ainsi assurée. Quant à la composante prophétique de la christologie, elle manifesterait le refus opposé par Israël aux envoyés divins. En d’autres termes, Jésus, situé à la suite des prophètes mandatés par Dieu pour appeler son peuple à la repentance, subirait le même rejet que ses prédécesseurs. Cet endurcissement du peuple juif, annoncé au seuil du troisième évangile (Lc 2, 34-35 et 4, 1630), deviendrait effectif, bien que limité dans le temps, en Ac 28, 26-28. Le peuple juif ne serait pas pour autant congédié de l’histoire du salut. Bref, si la ligne davidique de la christologie consolide la continuité entre l’Eglise et le peuple des promesses, rendant les Gentils participants du salut d’Israël, la veine prophétique accentue pour sa part la séparation temporaire entre christianisme et judaïsme. Avec cet article, Jens Schröter a habilement contribué à la définition identitaire de Luc–Actes, soulignant une nouvelle fois son ambivalence intrinsèque et relevant son lien fort à la christologie. Précisons. Inscrivant l’endurcissement d’Israël tout comme l’universalisation de l’alliance au cœur même du plan divin mis en œuvre dans la mort, la

122 Jens SCHRÖTER, « Heil für die Heiden und Israel. Zum Zusammenhang von Christologie und Volk Gottes bei Lukas », 2004, p. 297 : « Die Neudefinition des Gottesvolkes ist demnach eine unmittelbare Konsequenz lukanischer Christologie und bereits in der Bezeichnung Jesu als des von Gott Gezeugten verankert ».

1.3

Status quaestionis

43

résurrection et l’exaltation du Christ Jésus, l’exégète de Berlin a écarté autant le paradigme de la substitution que le modèle du prolongement substantiel pour penser l’ecclésiologie de Luc. Un bémol cependant : concevant une continuité essentiellement historico-salutaire entre Israël et l’Eglise, Schröter ne valorise guère les conversions juives consignées au seuil des Actes et leur impact sur le visage de l’Eglise 123. Or, en Ac 15, 14-18, Jacques n’hésite pas à faire du lao;" ejx ejqnw'n suscité par Dieu la finalité immédiate d’un autre événement qui a directement trait au messianisme davidique : le relèvement de la hutte en ruines de David. On le voit, le salut de nombreux en Israël n’est pas seulement une espérance reléguée à l’horizon de l’histoire 124, mais au contraire un événement en cours de réalisation et, là encore, associé à l’avènement céleste du Davidide. Bref, la christologie davidique de Luc n’implique pas seulement l’extension du salut aux nations, elle active également l’espérance scripturaire d’un renouveau royal d’Israël au sein de l’Eglise naissante. La continuité est ici autant empirique qu’historique. En dernier lieu, il convient de mentionner la thèse d’habilitation soutenue par Maria Neubrand en 2005, puis publiée en 2006 sous le titre Israel, die Völker und die Kirche. Eine exegetische Studie zu Apg 15. Cette enquête au ton souvent polémique et aux ambitions affichées souhaite rouvrir le dossier de l’ecclésiologie des Actes – jugeant les tentatives de ses prédécesseurs (Conzelmann, Lohfink, Roloff, Jervell, Deutschmann et Löning) en grande partie insuffisantes – en précisant le statut socio-religieux octroyé par Luc aux croyants issus de la gentilité. C’est sur la base de l’épisode de l’assemblée jérusalémite que ce réexamen est entrepris. Le parcours exégétique – quelques résultats discutables mis à part – est convaincant et conduit l’auteur à reconnaître l’extension de l’élection divine aux non-juifs ainsi que sa nécessité historico-salutaire 125. En ce sens, les païens ne sont pas 123 Bien observé au contraire par Rainer KAMPLING, « Erinnernder Anfang. Eine bibeltheologische Besinnung zur Relevanz der lukanischen Kirchenkonzeption für eine christliche Israeltheologie », 1996, p. 155 : « Ganz offensichtlich ist die personale Kontinuität […] für das Konzept des Lukas wichtig ». 124 Cf. Jens SCHRÖTER, « Heil für die Heiden und Israel. Zum Zusammenhang von Christologie und Volk Gottes bei Lukas », 2004, p. 297 : « Es sind nunmehr die Heiden, die zuerst zum sich neu konstituierenden Gottesvolk hinzukommen, wohingegen Israel gegenwärtig verstockt ist und erst dann, wenn Gott diese Verstockung aufheben wird, dazustösst » (l’auteur souligne). 125 Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 250-251.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

associés ou substitués à Israël, mais reçoivent une qualification identitaire propre au sein du tertium genus que constitue désormais l’Eglise 126 ; cette dernière se différencie ainsi d’Israël, dont la définition scripturaire demeure inchangée. Le portrait ecclésial exhumé par Maria Neubrand sur la base d’Ac 15 est séduisant, dans la mesure où il témoigne autant de la nouveauté ecclésiale symbolisée par l’accession des païens au rang de laov" que de l’attachement à Israël incarné par les chrétiens issus du judaïsme. Cela dit, l’étude de Neubrand souffre d’un déficit patent. Si l’identité socioreligieuse des païens au cœur de l’Eglise est soigneusement précisée, tel n’est pas le cas du statut des judéo-chrétiens. Si Israël reste Israël et si les païens deviennent un laov" élu de Dieu, qu’en est-il de cette zone intermédiaire représentée par les croyants d’origine juive ? Car à leur sujet se pose bel et bien la question de savoir s’ils incarnent un Israël restauré. Or, Maria Neubrand évacue à l’aide d’une pirouette exégétique le passage qui précisément lui permettait de répondre à cette interrogation : le relèvement de la hutte de David prophétisé par Amos et répercuté en Ac 15, 16 127. Ce passage œuvre en effet à documenter le statut identitaire des juifs convertis au regard du lao;" ejx ejqnw'n (15, 14). Sous la plume de Maria Neubrand, le silence est tel que rien ne semble subsister entre l’Israël biblique qui se perpétue à côté de l’Eglise et le laov" composé de païens128. 1.3.8

Reprise et conclusion

Le débat sur le judaïsme des Actes affiche déjà un riche palmarès, et ce n’est pas l’impétuosité actuelle des chercheurs qui devrait en entonner le chant du cygne. Pour sûr, les trois dernières décennies ont fait de ce dossier exégétique l’un des plus alimentés et des plus controversés, si ce n’est de la recherche néotestamentaire dans son ensemble, en tout 126 Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 37 : « Die Kirche Jesu Christi ist in diesem Sinne als ein “tertium genus” anzusehen, das durch die jüdische Christusanhängerschaft zwar in Beziehung zum ersterwählten Volk Israel steht, aber selbst nicht identisch mit “Israel” ist ». 127 Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 131-219. 128 Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 251 : « Er [Jacob] legt positiv und theologisch begründet dar, dass die nichtjüdische Christusanhängerschaft als eine neue und eigenständige Erwählung aus den Völkern – als ejx ejqnw'n laov " (Apg 15,14) – an die Seite des ersterwählten Volkes Israel tritt » (l’auteure souligne).

1.3

Status quaestionis

45

cas de l’exégèse lucanienne. Il est intéressant de noter la profusion de thèses doctorales consacrées à cette épineuse question, et dont l’objectif est soit d’étayer un modèle préexistant, soit de défricher de nouvelles pistes exégétiques. Cette surenchère rend par ailleurs difficile toute appréhension holiste et systémique de la recherche contemporaine. On peut néanmoins, en guise de conclusion, revenir sur les tendances majeures qui se sont dessinées à travers ce status quaestionis et identifier les résultats exégétiques qui font désormais figure d’acquis solides de la recherche. Ce sera également l’occasion d’en pointer les déficits rémanents. 1.3.8.1

La valorisation de l’ambivalence

L’image double du judaïsme semble faire désormais l’unanimité des chercheurs. En effet, comme l’ont noté moult commentateurs de la théologie lucanienne, l’œuvre à Théophile est de tous les écrits néotestamentaires à la fois la plus antijuive et la plus projuive. Cela dit, si un vaste consensus s’est formé autour de ce diagnostic, son explication demeure encore largement ouverte. Dans notre bilan intermédiaire, nous avons déjà signalé une série de propositions faites sur cette question. L’article de Jens Schröter paru en 2004, investiguant les relations entre christologie et ecclésiologie chez Luc, en offre une nouvelle solution. Plus largement, le renouveau méthodologique surgi au seuil des années 1980, exploitant abondamment les paradigmes de lecture issus des sciences du langage, semble favoriser un réexamen de cette ambivalence dans le cadre de l’unité narrative des Actes. Ce sont tout particulièrement les travaux de Stephen Moore129, le leading scholar du déconstructionnisme biblique, qui nous y invitent130, en

129 Stephen D. MOORE, « Are the Gospels Unified Narratives ? », dans Kent Harold RICHARDS (éd.), Society of Biblical Literature 1987 Seminar Papers (SBL.SP 26), Atlanta, Fortress Press, 1987, pp. 443-458 ; ID., Literary Criticism and the Gospels. The Theoretical Challenge, New Haven/London, Yale University Press, 1989, pp. 5155 ; ID., Post-Structuralism and the New Testament. Derrida and Foucault at the Foot of the Cross, Minneapolis, Fortress Press, 1994, pp. 68ss. 130 Nous avons fait une tentative dans ce sens dans notre conférence donnée au RRENAB de Québec en mai 2008 et intitulée : « L’analyse narrative permet-elle de réanimer le récit ? L’ecclésiologie des Actes des apôtres comme construction dynamique et ambivalente », 2010, pp. 421-437.

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L'image du judaïsme et l'identité de l'Eglise

rappelant les ambivalences, tensions et paradoxes inhérents à toute logique narrative. 1.3.8.2

Le décloisonnement de la problématique juive

Comme nous l’inscrivions au bilan des années 1970-1980, la question d’Israël n’est plus simplement investiguée pour elle-même, mais est dorénavant traitée dans un cadre exégétique plus large. C’est tout particulièrement la problématique de la continuité de l’Eglise avec Israël qui retient désormais l’attention des exégètes, et c’est dans cette optique que la thématique juive est revisitée 131. Dit autrement, les pôles en présence tendent à s’inverser, quoique timidement : l’ecclésiologie n’est plus une annexe au dossier juif des Actes132, elle en est la voie d’accès. La thèse d’Anton Deutschmann, les diverses publications de Karl Löning ou l’article de David Seccombe sont révélateurs de ce progressif retournement de perspective. Par ailleurs, les enquêtes consacrées aux relations judaïsme–christianisme chez Luc sont appelées à s’assortir d’un troisième pôle : le rapport au monde païen et à l’Empire. Pour sûr, il semble toujours plus évident que les deux axes identitaires de la chrétienté naissante, l’imperium romanum et le monde juif, demandent à être considérés de conserve et mieux articulés. Sur ce plan néanmoins, les essais exégétiques restent encore trop souvent cantonnés dans l’alternative « ou bien–ou bien ». Soit c’est l’univers juif, ses Ecritures, son histoire, qui sont examinés et valorisés dans le projet littéraire et théologique de Luc : les récentes monographies de David Pao et Max Turner illustrent bien ce courant. Soit au contraire, c’est le monde gréco-romain, ses trésors littéraires, son idéologie, ses composantes socio-culturelles qui sont mis en exergue dans les études lucaniennes : dans cette veine, la thèse de Marianne Palmer Bonz constitue l’une des réalisations récentes les plus achevées133. La recherche semble ainsi osciller et hésiter entre ces deux 131 Cf. Jürgen ROLOFF, Die Kirche im Neuen Testament, 1993, p. 206 : « Das Verhältnis der Kirche zu Israel hat sich geradezu als die Leitfrage erwiesen, von der her er seine Ekklesiologie entwickelt ». 132 Ce que déplorait encore Gerhard Lohfink en 1975 dans ID., Die Sammlung Israels, p. 14, note 7. 133 Voir aussi Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », 1991, pp. 631654 (ibid., p. 652 : « The negative depiction of the Jews and the apology in respect to the Roman state go together, as opposite sides of the same coin. They are not to be

1.4

Problématique

47

pôles d’attraction, cultivant à l’excès les oppositions. Cela dit, deux contributions ont tenté de surmonter cette alternative stérilisante, en démontrant le double ancrage culturel et idéologique de l’œuvre ad Theophilum. Il s’agit des essais de Karl Löning et de Daniel Marguerat. Une voie exégétique inédite, encore à l’état expérimental, s’ouvre ainsi, invitant les chercheurs à relire les Actes des apôtres selon une logique théologique d’intégration et non d’exclusion. 1.3.8.3

La multiplication des grilles de lecture et des lieux de vérification

Les années 1970-1980 avaient transformé la finale des Actes en champ de bataille, d’aucuns y découvrant des signaux d’ouverture à l’endroit Israël, les autres exhumant une logique de fermeture. Aujourd’hui encore, Ac 28 reste un lieu de discussion intense et de crispation majeure. Ceci étant, les exégètes multiplient les grilles de lecture et les champs de vérification pour étayer leurs hypothèses de travail. Exemples : Anton Deutschmann a proposé d’aborder la problématique judaïsme–christianisme à partir d’une péricope peu fréquentée, la scène missionnaire d’Antioche de Pisidie (Ac 13), et Maria Neubrand a jeté son dévolu sur le récit de l’assemblée jérusalémite (Ac 15), alors que Max Turner a investi la question d’Israël à partir de la pneumatologie et que Jens Schröter a examiné l’ecclésiologie de Luc à la lumière de sa christologie. Autant d’angles d’approche et de lieux de validation qui démontrent la créativité et la fécondité prévalant à l’heure actuelle dans ce champ d’études néotestamentaires.

1.4 Problématique L’état de la recherche nous l’a montré : le dossier juif des Actes s’inscrit au cœur d’un débat d’une grande actualité non seulement pour la recherche en sciences bibliques, mais aussi dans l’optique du dialogue judéo-chrétien après Auschwitz. Suite à la tragédie de la Shoah, il est en effet devenu urgent d’ausculter l’image du judaïsme attestée dans les pursued as separate themes in the redaction criticism of Luke-Acts, but express a coordinated impulse : to define the deconstruction of one relationship and the construction of another »).

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premiers écrits de la tradition chrétienne – et à ce titre dans l’œuvre double de Luc – afin de déterminer si l’antisémitisme qui a balayé l’Europe au cours du siècle dernier est inscrit au cœur même du canon chrétien des Ecritures ou s’il est un effet pervers de sa réception134. En ce qui concerne Luc–Actes, les poussées de la recherche ont pourtant marqué le pas à la fin des années 1990. Ce fléchissement tient essentiellement à l’impasse dans laquelle se trouve actuellement ce dossier135. On l’a vu, les exégètes de Luc se sont retranchés derrière des positions extrêmes et non négociables, positions qu’illustre parfaitement le gouffre séparant Jack Sanders de Jacob Jervell. Certes, plusieurs contributions ont récemment tenté de déverrouiller le débat (D. Marguerat/D. Seccombe/J. Schröter/G. Wasserberg). Pourtant, le blocage de la recherche résiste encore. La présente enquête s’insère à la suite de ces contributions désireuses de proposer de nouvelles orientations dans ce débat aussi disputé que central. Voyons comment. Nous émettons l’hypothèse que l’impasse de la recherche découle essentiellement d’un déséquilibre provoqué par les exégètes de Luc. Le plus souvent, les chercheurs, empressés de revisiter l’image juive des Actes, ont individualisé la problématique d’Israël, au point d’en faire un chapitre autonome de la théologie de Luc. Ce sont tour à tour les acteurs juifs du récit, le lexique identitaire d’Israël ou ses marques distinctives (la Torah, la circoncision, le Temple, etc.) qui ont été passés au tamis de l’exégèse. Avec les résultats divergents que l’on connaît. Or, dans sa seconde œuvre, l’auteur à Théophile ne conduit pas prioritairement une réflexion sur le peuple d’Israël et son statut, mais

134 En 1974, un débat a ainsi opposé l’exégète juif David Flusser au néotestamentaire Ulrich Wilckens, le premier reprochant au second d’accentuer l’antijudaïsme biblique sous le couvert de la scientificité. Pour Flusser, c’est l’histoire de la réception, particulièrement la réception académique de la Bible, qui aurait contaminé le texte du Nouveau Testament de parasites antijuifs et non l’inverse. Wilckens défendait de son côté, au nom d’un authentique dialogue judéo-chrétien, l’existence d’un antijudaïsme consubstantiel à la tradition néotestamentaire et essentiel à la théologie chrétienne (David FLUSSER, « Ulrich Wilckens und die Juden », EvTh 34, 1974, pp. 236243 ; Ulrich WILCKENS, « Das Neue Testament und die Juden », EvTh 34, 1974, pp. 602-611). La position herméneutique, assumée sans détour par Ulrich Wilckens, sera abondamment critiquée et problématisée (par ex. : Wolfgang STEGEMANN, Christliche Judenfeindschaft und Neues Testament , Vortrag zum Augustanatag am 26.6.1988, pp. 20ss). 135 Cf. Odile FLICHY, « Etat des recherches actuelles sur les Actes des Apôtres », 2005, pp. 32-35.

1.4

Problématique

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raconte l’essor géographique de la Parole et l’émergence progressive de l’Eglise sous l’égide de la providence 136. Preuve en sont les sommaires de croissance, balises narratives guidant la lecture du second tome lucanien : ils ont une teneur essentiellement logo-centrée et ecclésiologique 137. Comparer les Actes de Luc à l’argumentaire de Paul en Rm 9–11 témoigne adéquatement de cette nuance focale. Pour l’auteur des Romains, c’est le statut réservé à l’Israël selon la chair et, partant, la validité des promesses divines confiées au peuple choisi qui attisent sa réflexion. Dans ce cas précis, un chapitre particulier de la lettre aux Romains est dévolu au destin d’Israël. Pas chez Luc138. L’auteur à Théophile ne cherche pas à prémunir Dieu de manquement à sa Parole dans un raffinement de contorsions argumentatives. Au contraire : à travers ses Actes d’apôtres, Luc dote la chrétienté de son temps d’un sytème d’auto-compréhension, d’une chronique de sa présence au monde 139. C’est en faveur d’une identité qui surgit sur la scène mondiale que Luc compose le récit de ses origines. Ce n’est pas la thématique juive qui domine les débats140, mais la problématique ecclésiale. Dans ce cadre seulement, typique de la littérature apologétique 141, prend place l’évaluation lucanienne des relations entre 136 Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 60 ; ID., Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 29 : « Hors du rôle fondateur des apôtres et du ministère des Sept (Ac 6), Luc est fixé sur la croissance de l’Eglise, qu’il voit coextensive à la croissance de la Parole (6,7 ; 8,14 ; 9,31 ; 11,1 ; 17,11 ; 19,20). Ce qui l’intéresse est de décrire les conditions d’émergence de l’Eglise ; elle est pour Luc creatura verbi, fruit de la Parole » ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 34 : « Das Hauptthema der Apg ist das Christuszeugnis und die aus ihm sich bildende Kirche » (l’auteur souligne). 137 Cf. Ac 2, 41.47 ; 4, 4 ; 5, 14 ; 6, 1.7 ; 9, 31 ; 12, 24 ; 16, 5 ; 19, 20 ; etc. ; consulter sur ce sujet Jerome KODELL, « “The Word of God Grew” », 1974, pp. 505-519 et Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 338-340. 138 Avec Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 365 : « Die Frage nach Israels Zukunft ist offensichtlich nicht seine Frage ». 139 Cf. Gregory E. STERLING, Historiography and Self-Definition, 1992, pp. 378-379: « At the end of the first century, the author of Luke-Acts recognized Christianity had emerged within the Roman empire as a distinct movement. […] With this recognition also came the realization that Christianity had to be defined ». 140 Contra Erich GRÄSSER, « Die Parusieverzögerung in der Apostelgeschichte », dans Jacob KREMER (éd.), Les Actes des Apôtres. Traditions, rédaction, théologie (BEThL 48), Gembloux/Leuven, Duculot/University Press, 1979, p. 123 : « Die neuere ActaForschung weiss, dass tatsächlich “Israel” die Schlüssel zum Verständnis von Plan, geschichtlichem Standort und Theologie des Lukas ist ». 141 Déterminer le genre auquel s’affilie Luc–Actes constitue au sein de la recherche actuelle un inépuisable sujet de discussion. A l’évidence, l’œuvre de Luc ne corres-

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l’Eglise et Israël. Et cela, parallèlement à une réflexion consacrée aux rapports entretenus avec le monde romain. C’est pourquoi un retournement de point de vue s’impose : c’est bien en creux de l’ecclésiologie que l’image du judaïsme se construit et doit être étudiée. Autrement dit, nous voulons approcher le dossier juif sous l’angle de l’identité ecclésiale fixée au fil du récit. De notre avis, ce retournement de perspective possède une double légitimité. Non seulement parce que la question d’Israël a très souvent été individualisée dans la recherche lucanienne, alors qu’elle fonctionne en réseau avec d’autres problématiques – notamment l’universalisme centrifuge et multiethnique de la mission chrétienne –, mais aussi parce que la thématique juive n’est pas omniprésente dans le déroulé du récit ; dominante dans les sept premiers chapitres des Actes, elle fait des apparitions sporadiques dans les vingt et un suivants. A cette modification quantitative s’ajoute une présentation qualitativement différenciée du judaïsme au fil de la narration : favorable à la prédication apostolique en Actes 1–5, le peuple juif expulse de manière répétée les missionnaires hors des synagogues dès Actes 13. Se focaliser sur l’une ou l’autre moitié des Actes conduit à des appréciations contradictoires du statut d’Israël chez

pond pas à un modèle littéraire unique, mais emprunte à différentes traditions scripturaires (historiographie, biographie, épopée, roman, etc.). Cette hybridité générique, courante dans la littérature hellénistique et romaine, n’invalide toutefois pas les enquêtes soucieuses de préciser la visée rhétorique des Actes. Car, en racontant les origines et le développement de la première chrétienté, l’écriture de Luc adhère à une intention de communication. Laquelle ? Les différents spécialistes de l’historiographie antique, juive comme grecque, nous ont rendus attentifs à sa visée éminemment identitaire et encomiastique. L’histoire neutre et objective, si vivement recommandée par l’historien Polybe (voir par exemple Histoire II,56), n’existe guère. Le plus souvent, elle plie la remémoration du passé à un ethos apologétique et à une visée thymique. C’est aussi le cas des Actes : en fixant le souvenir des premiers temps de l’Eglise et en le raccrochant à l’histoire sainte couchée dans la Septante, Luc cherche à promouvoir l’identité de sa mouvance et à en défendre la valeur. En résumé, son geste d’écrivain répond à double besoin : de légitimation ad intra et d’affirmation de soi ad extra. En cela, il participe de la littérature apologétique antique. A ce sujet, on consultera avec profit : Knut BACKHAUS, « Lukas der Maler : Die Apostelgeschichte als intentionale Geschichte der christlichen Erstepoche », dans ID., Gerd HÄFNER, Historiographie und fiktionales Erzählen. Zur Konstruktivität in Geschichtstheorie und Exegese (BThSt 86), Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 2007, pp. 30-66 ; Luke Timothy JOHNSON, The Acts of the Apostles, 1992, pp. 7-9 ; Todd PENNER, In Praise of Christian Origins , 2004 ; Gregory E. STERLING, Historiography and Self-Definition, 1992.

1.4

Problématique

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Luc142. A l’inverse, opter pour la problématique ecclésiale permet d’éviter ces deux écueils, vu qu’il s’agit d’une thématique transversale et inclusive, i.e. non seulement reliée à la question d’Israël, mais aussi articulée au rôle des nations et de l’Empire. Bref, une enquête prioritairement ecclésiologique nous semble susceptible de prendre la mesure exacte du dossier juif des Actes, sans pourtant l’élever au rang de cantus firmus de la partition lucanienne. Cette porte d’entrée évite également l’autre déficit souvent relevé dans les contributions exégétiques à ce débat : séparer arbitrairement les deux teintes identitaires qui chez Luc colorent le visage de l’Eglise. En suivant le déploiement narratif du portrait ecclésial, le lecteur voit se dessiner autant sa relation au judaïsme que sa progressive ouverture à l’universalité païenne. Il convient finalement de préciser que la dimension institutionnelle de l’Eglise, au reste faiblement travaillée chez Luc et excédant vraisemblablement son projet littéraire 143, ne ressortit pas à notre enquête. Ce n’est pas la mise au jour des formes ecclésiales dans lesquelles se moule le christianisme naissant, le discernement des ministères ou l’exhumation d’une possible succession apostolique qui guideront notre parcours exégétique. Déjà Gerhard Lohfink, dans sa monographie de 1975 consacrée à l’ecclésiologie de Luc–Actes avait

142 Même diagnostic chez Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », 1991, p. 632 : « The key of their different interpretations [de Sanders et Salmon] is that each has fastened on a selected fraction of the narrative ». 143 Bien perçu et démontré par Mark REASONER, « The Theme of Acts : Institutional History or Divine Necessity in History ? », JBL 118, 1999, pp. 635-659 ; voir aussi Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, qui constate avec raison, p. 95 : « Luke has little interest in ecclesiastical institutions. For him the Church is the continuation of Israel’s history. As is well known, it is impossible to describe what kind of Church order Luke conceived – episcopal, presbyterian, oligarchic, or democratic. It is just as impossible to describe how the offices and structure arise and function », ainsi que Robert MADDOX, The Purpose of Luke–Acts, 1982, p. 185 : « But in fact, for Luke the church as an institution is remarkably free and spontaneous in the impulses of its communal life. Neither the Apostles nor James exercise authoritarian direction of the church in Jerusalem, nor do Paul or others elsewhere. The church is led not by institutional authorities but by the Holy Spirit. By the Spirit the church is consolidated, but also disciplined and purified, and at the same time kept open to the mysterious and always new demands of God’s will. And there is no trace of a high sacramentalism ». Contra Hubert CANCIK, « The History of Culture, Religion, and Institutions in Ancient Historiography : Philological Observations Concerning Luke’s History », JBL 116/4, 1997, pp. 673-695.

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prudemment limité son enquête à la genèse et au devenir de l’Eglise 144. Nous réitérons ici cette sage décision.

1.5 Hypothèses de lecture Sans vouloir empiéter sur la démonstration exégétique, nous formulons l’hypothèse que l’auteur à Théophile configure l’histoire des origines chrétiennes à l’articulation de la restauration d’Israël145 et d’une expansion civilisatrice à la taille de l’oikoumenè tout entière 146. Bref, il tient ensemble, nonobstant d’inévitables reformulations, l’espérance juive d’un rassemblement des exilés à Jérusalem et l’idéologie romaine de domination universelle. Ou pour l’exprimer différemment encore, l’Eglise narrative des Actes vit d’un double accomplissement : la restitution d’Israël, centrale dans la tradition prophétique et apocalyptique juive, et l’édification de l’Empire sine fine d’Auguste, chanté par le poète Virgile. Dès lors, si ce double paradigme de lecture s’avère correct dans l’exploitation du matériau narratif des Actes, le rapport christianisme–judaïsme conçu par Luc ne peut plus être évalué selon l’alternative dure : soit rupture radicale, soit continuité substantielle. Il se doit au contraire d’être situé au cœur d’une tension insoluble entre ces deux pôles, tension invalidant autant la thèse d’une substitution entre Israël et l’Eglise que celle d’un pur et strict prolongement. Dit autrement, la chrétienté des Actes, à la fois héritière

144 Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 15 : « Wir sprechen weder über die Struktur der Kirche bei Lukas, noch über ihre Ämter, noch über ihre Aufgabe. Es geht einzig und allein um die Frage : Wie ist in der Sicht des Lukas die Kirche entstanden ? ». Rudolf SCHNACKENBURG défend une définition semblable de l’ecclésiologie de Luc dans son petit livre intitulé Die Kirche im Neuen Testament, 1993, pp. 59-60 : « Damit sind die Hauptanliegen des Theologen Lukas aufgedeckt : Es geht ihm um den Ort der Kirche im Rahmen der Heilsgeschichte und um die Aufgaben, die sie in ihrer Zeit nach dem Willen Gottes zu erfüllen hat. Vielleicht besitzt er gar keinen festumrissenen Kirchenbegriff ; aber “der Standort, von dem aus Lukas seine Geschichtsschau entfaltet, (ist) die Kirche, die an Jesus Christus glaubt”. Er ist existentiell mit der Kirche verbunden und schreibt nach dem Bild, das er von ihr lebendig in sich trägt. Er enthüllt es, indem er ihre Anfänge, ihr Werden und Wachsen, gerade diesen tragenden Grund ihrer Geschichte darstellt ». 145 Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975. 146 Dans ce sens Marianne Palmer BONZ , The Past as Legacy, 2000 ; François BOVON, « Israël, l’Eglise et les nations dans l’œuvre double de Luc », 1987, pp. 242-263 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 356.361-365.

1.6

Jalons méthodologiques

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d’Israël et ouverte sur l’universalité romaine, tient ensemble la continuité et la discontinuité avec la foi juive. Mais, comme toute hypothèse exégétique, ce choix de lecture se doit d’être soumis au verdict du texte.

1.6 Jalons méthodologiques Au tournant des années 1980, l’exégèse biblique a connu une révolution méthodologique sans précédent. Cette période charnière a sonné le glas d’une domination absolue de la critique historique en sciences bibliques et a marqué l’entrée en scène des sciences humaines (cultural studies ; gender studies ; sciences du langage ; etc.). Cet éclatement inédit des méthodes d’analyse n’a pas épargné l’œuvre de Luc. Sous l’impulsion de Robert C. Tannehill147 et de Jack D. Kingsbury notamment148, la double œuvre à Théophile a fait l’objet de nombreuses études narratologiques149, dont l’intention première a été d’exhumer le travail d’écriture entrepris par Luc, en repérant ses stratégies littéraires, sa construction de l’intrigue, sa gestion des personnages, sa configuration de la temporalité et de l’espace, etc. Qui plus est, la critique narrative a permis de réhabiliter le récit comme médium théologique de plein droit, favorisant la mise au jour des théologies inscrites dans les narrations bibliques. Si Luc, à la différence du Paul épistolier, n’instruit pas Théophile sous forme argumentative, il désire bel et bien confirmer la solidité de ses enseignements reçus (cf. Lc 1, 4) au travers de récits, ou plus précisément d’une diégèse (cf. Lc 1, 1)150. 147 The Narrative Unity of Luke-Acts, I, 1986 ; II, 1990. 148 Conflict in Luke : Jesus, Authorities, Disciples, Minneapolis, Fortress Press, 1991. 149 Dans le sillage de Tannehill et Kingsbury ont paru (par ordre chronologique et sans prétention d’exhaustivité) les travaux de Jean-Noël ALETTI, L’art de raconter Jésus Christ. L’exégèse narrative de l’évangile de Luc (Parole de Dieu 27), Paris, Seuil, 1989 et Quand Luc raconte. Le récit comme théologie (Lire la Bible 115), Paris, Cerf, 1998, la thèse de Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, la monographie de Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, la thèse d’habilitation de Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte. Eine narratologische Studie (NTOA/SUNT 58), Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck und Ruprecht, 2006, celle de Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche également publiée en 2006, ou encore le commentaire des Actes de Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007. 150 Dans ce sens Henry J. CADBURY, The Making of Luke-Acts, Londres, Macmillan, 1927, p. 299 : « The form of his work is narrative, and narrative carries with it the in-

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Ses Actes d’apôtres font sans conteste œuvre de théologie narrative151 ; leur faible systématicité n'est pas synonyme de vacuité théologique 152. Seulement, c’est patiemment, au gré du récit et de ses (r-)évolutions, que se glanent les épis qui permettent de nouer la gerbe de sa théologie. Le discours narratif demande une approche adaptée, sans quoi tout un pan de l’élaboration théologique des premiers chrétiens restera enfoui dans les oubliettes de la littérature biblique. En quoi cela affecte-t-il notre enquête ? L’examen de l’ecclésiologie lucanienne ne peut faire l’impasse sur une grande attention portée au récit. En effet, elle ne consiste pas en un système clos et statique, mais fonctionne sur un mode narratif et dynamique 153. Dit autrement : nous n’avons pas affaire à une ecclésiologie massifiée, déposée en vrac au seuil des Actes, mais à une élaboration progressive de l’identité ecclésiale au fil du récit. Le visage de l’Eglise n’est pas livré à l’admiration du lecteur au jour de la Pentecôte 154, date traditionnelle de sa naissance, mais se profile, tout en

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tention of supplying information » ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, I, 1986, p. 10 : « By using the phrase “it seemed good to me also”, the author is joining this new undertaking to its predecessors as an effort of the same type, which can be designated “narrative (dihvghsin)”. A dihvghsi" is a longer narrative composed of a number of events, differing from a dihvghma, which concerns a single event ». Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 27. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 91 : « Lukas ist Erzähler und kein systematischer Theologe. Er bietet keine systematische, begriffsbestimmte und einheitliche Darstellung. Eine Lehre mit dogmatischen Grundbegriffen gibt er nicht. Direkte theologische Aussagen fehlen, aber seinem narrativen Entwurf liegen doch bestimmte theologische Voraussetzungen zugrunde » ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 96 : « Denn in all dem ist Lukas kein Systematiker. Er schildert. Er erzählt. Und zwar mit sichtlicher Freude am Erzählen und einer solchen Meisterschaft, dass seine Erzählungen die Theologie und den Glauben der späteren Jahrhunderte mehr beeinflusst haben als vieles andere. Einem solchen Autor sollte man echte Theologie nicht absprechen […] » ; Daniel MARGUERAT , Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 27 : « Luc est un narrateur, pas un dogmaticien. On n’attendra donc pas de lui un exposé systématique sur sa conception de l’histoire du salut, sur sa christologie ou son ecclésiologie ; c’est au fil du récit que l’exégète collecte les indices dont il recompose la théologie sous-jacente ». Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 99 ; Jürgen ROLOFF, Die Kirche im Neuen Testament, 1993, p. 191. Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 56 : « […] Die Kirche ist für Lukas nicht eine Grösse, die am Pfingsttag einfachhin da ist, sondern eine Wirklichkeit, die erst noch entstehen muss und die erst in dem Augenblick wirklich entstanden ist, da sich ein grosser Teil Israels um die Apostel und Jünger Jesu gesammelt hat ». Bref, l’Eglise est, selon Lohfink, le fruit d’un « geschichtlicher Prozess » (ibid., p. 74). Il conclut ainsi son étude en déclarant, pp. 95-96 : « Genausowenig sinnvoll ist

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Jalons méthodologiques

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se dérobant, au fil des vingt-huit chapitres de l’œuvre 155. Précisons l’option méthodologique. Une étude narratologique exige de l’exégète le respect de deux principes non-négociables : 1) suivre le déroulé du récit dans l’ordre de la lecture. Tenant d’une approche pragmatique des textes, John Darr nous a en effet rendus attentifs à la composition cumulative, par engrangement d’informations successives, des figures du récit156. Par conséquent, étudier les constructions narratives d’un texte requiert une analyse linéaire et séquentielle 157 ; 2) enregistrer les évolutions, ruptures, tensions ou stagnations qui caractérisent cet itinéraire narratif. On mettra ici à profit la distinction désormais classique entre figure statique et dynamique 158. En clair, la narratologie nous sensibilise aux tensions dont s’autorise la narrativité et auxquelles répugnerait une pensée systématique 159. Nous avons là un modèle heuristique à même de repenser les ambivalences détectées par les exégètes dans les Actes et trop souvent considérées comme des

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dann aber auch die Frage, wann die Kirche eigentlich entstanden sei. Lukas gibt auf diese Frage keine eindeutige Antwort, sondern er erzählt eine Entwicklung, die sich in vielen Schritten vollzog. Wenn aus dieser Entwicklung schon unbedingt ein Fixpunkt markiert und als Geburtsdatum der Kirche dingfest werden soll, müsste es am ehesten der Pfingsttag sein. […] Trotzdem sollte man auch mit dieser Datierung vorsichtig sein und genau zusehen, was man sagt. Denn wenn man Pfingsten einfachhin als den ersten Tag der Kirche bezeichnet, so ist “Kirche” eben doch eine fertige und festumgrenzte Gemeinschaft innerhalb Israels, in welche die Juden dann von aussen eintreten. Und gerade das ist nicht der Sinn der lukanischen Darstellung. Sagen wir also lieber, dass in der Pfingsterzählung die nun beginnende Entwicklung, in der die Kirche entsteht, vorweggenommen und zusammengefasst wird » (l’auteur souligne). C’est là l’erreur commise notamment par Gerhard Schneider. N’identifiant dans les Actes des apôtres nul « Gründungsakt » de l’Eglise, il en déduit que l’ecclésiologie n’occupe pas une place significative dans le projet littéraire et théologique de Luc (ID., « Apostelgeschichte und Kirchengeschichte », dans ID., Lukas, Theologe der Heilsgeschichte. Aufsätze zum lukanischen Doppelwerk [BBB 59], Bonn, Peter Hanstein, 1985, pp. 207-208). John A. DARR, On Character Building, 1992, pp. 42-43. Dans ce sens également, Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place , 2006, pp. 26-27 (ibid., p. 27 : « Ignoring the dynamic nature of the reading process, through which the reader encounters and experiences the textual elements progressively and sequentially, may cause the reader or critic to distort the function of those elements within the Acts text itself »). Cette exigence méthodologique rend d’ailleurs pleinement justice à l’intention écrivaine de Luc, projetant la composition d’un récit ordonné (cf. Lc 1, 3 : kaqexh'"). Voir sur cette notion James L. RESSEGUIE, Narrative Criticism of the New Testament : An Introduction, Grand Rapids, Baker Academic, 2005, pp. 125-126. Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 71.

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impérities de la rédaction de Luc. Cela dit, cette priorité accordée à l’analyse narrative ne nous conduit pas à renoncer aux questions d’ordre socio-historique et théologique. Au contraire, le croisement des approches est un garde-fou contre toute lecture réductrice des textes bibliques ; aucune méthode ne saurait à elle seule épuiser le potentiel herméneutique d’un texte 160. Pour sûr, chaque écrit reflète un milieu historique déterminé et fonctionne à l’aide de codes de communication contingents. C’est pourquoi nous n’hésiterons pas à replacer le livre des Actes dans son milieu d’origine, pour en dégager les immanquables résonances socio-culturelles. De même, nous questionnerons constamment la portée théologique ainsi que la visée apologétique/polémique de cette construction narrative. Notre recherche intéressée à l’ecclésiologie narrative des Actes rencontre ici le projet conduit par Richard Thompson dans sa monographie Keeping the Church in Its Place. The Church as Narrative Character in Acts (2006)161. L’auteur entend offrir de l’Eglise non pas une reconstruction historique, en exploitant le récit de Luc comme un document traitant de la naissance d’une institution, mais bien un portrait narratif, en examinant la construction progressive des figures ecclésiales ou groupes de fidèles qui habillent l’intrigue des Actes162. Dans ce but, Thompson entreprend une traversée du second tome de Luc, agençant la trame narrative en trois grandes séquences (1, 1–8, 3 / 8, 4–12, 25 / 13, 1–28, 31), avec comme point focal les figures croyantes. S’il a le mérite incontestable de dévoiler l’ampleur oubliée de l’ecclésiologie des Actes163, Richard Thompson a néanmoins manqué

160 Pour une articulation des méthodes en exégèse, voir Jean ZUMSTEIN, « Critique historique et critique littéraire », dans ID ., Miettes exégétiques (Le Monde de la Bible 25), Genève, Labor et Fides, 1991, pp. 183-205. Dans ce sens également Moisés MAYORDOMO-MARÍN, Den Anfang hören. Leseorientierte Evangelienexegese am Beispiel von Matthäus 1–2 (FRLANT 180), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1998, pp. 11-17. 161 Voir également la recension de Steve W ALTON dans RBL 11/2007. 162 Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, p. 4 : « The focus of this work, therefore, is the Lukan characterization of churches, Christian communities, or groups of believers in the Acts of the Apostles ». 163 Cf. Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, p. 246 : « Therefore, the reader discovers that the issues regarding the nature of the church or Christian community are not minor themes or insignificant elements in the book but stand as integral parts of the Acts narrative, when the church is kept in its rightful narrative place(s) ».

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Jalons méthodologiques

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plusieurs épisodes décisifs pour tracer les contours de l’Eglise. Ainsi évoque-t-il en passant le relèvement du boiteux de la « Belle Porte » (3, 1-11) et enjambe-t-il la figure des Samaritains et de l’eunuque éthiopien (8, 5-40), qui étrangement semblent excéder sa définition des figures de foi. Pourtant, le sommaire d’Ac 9, 31 qui borne cette séquence en dévoile sans conteste la portée ecclésiale. De même, le discours d’Etienne au Sanhédrin (7, 2-53) est écarté, alors que l’homélie de Paul à la synagogue d’Antioche (13, 16-41) est délaissée au profit de la seconde scène missionnaire (13, 42-52), narrant les réponses juive et païenne à l’offre de salut. Or, amputée de sa première partie, qui documente fortement la continuité historique et empirique existant chez Luc entre le kérygme et Israël, la scène d’Antioche de Pisidie se borne laconiquement à contraster deux groupes de personnes, les chrétiens et les juifs164. Richard Thompson, en narratologue zélé, semble ainsi oublier que les discours participent également de la rhétorique narrative des Actes165 et offrent très souvent une vue imprenable sur la macro-intrigue 166. Nolens volens, cette enquête nous met en garde contre une compréhension rigide et minimaliste des figures narratives : si l’on entend profiler le portrait de l’Eglise qui se dégage à la lecture des Actes, c’est non seulement en analysant la manière dont Luc construit certains groupes de personnages à travers le telling – au registre duquel figurent bien entendu les différentes dénominations ecclésiales – mais aussi en examinant comment il dévoile sa perspective identitaire par le truchement de discours, de sommaires, d’événements ou du cadre (le setting), ce que l’on nomme habituellement le showing167. Nous serons donc attentifs aux différents ressorts narratifs 164 Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, pp. 175-176 : « Thus, the narrator presents a vivid contrast between two groups of people who are in some way identified with God, yet the ones who demonstrate God’s presence and blessing are the Christians or believers of Pisidian Antioch, not the Jews ». 165 Cf. Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 97. D'un point de vue théorique, Richard Thompson reconnaît au reste la fonction décisive des actes de parole dans la caractérisation des personnages (ID., Keeping the Church in Its Place, 2006, p. 20). Il ne semble toutefois guère appliquer ce principe méthodologique à son propre parcours des Actes. 166 Cf. Daniel MARGUERAT, « Le discours, lieu de (re)lecture du récit. Actes 2 et 26 », dans ID. (éd.), La Bible en récits. L'exégèse biblique à l'heure du lecteur (Le Monde de la Bible 48), Genève, Labor et Fides, 2003, pp. 395-409. 167 A ce sujet, consulter entre autres John A. DARR, On Character Building, 1992, pp. 4345 ; Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, pp. 110-111.

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dont se dote l’auteur des Actes pour signifier à son lecteur/auditeur la visée ecclésiale de son récit. Précisons encore que cette enquête sera moins l’occasion de formaliser ou de stabiliser les fondements théoriques et épistémologiques de la critique narrative que d’en offrir une application sur un thème majeur du second récit ad Theophilum ; l’outillage conceptuel restera le plus souvent en retrait. Un autre déficit méthodologique de l’enquête de Richard Thompson se repère à la distinction et à l’opposition de trois compréhensions du « peuple de Dieu » à laquelle elle aboutit : a) la nation juive comme peuple historique ; b) la portion croyante d’Israël ; c) l’Eglise faite de juifs et de païens168. Pour Thompson en effet, les deux premières acceptions seraient progressivement dévaluées au profit de la troisième compréhension du peuple de Dieu, seule adéquate aux yeux de Luc169 ; il en veut notamment pour preuve le portrait négatif de l’Eglise jérusalémite croqué en 15, 1-5 et 21, 17-26. Bref, l’exégète voit se tramer chez Luc le récit d’une double partition : tout d’abord à Jérusalem entre juifs convertis et juifs incrédules, puis dans la suite de la mission paulinienne entre chrétiens et communauté jérusalémite170. Cette vision dichotomique du peuple des Actes ne rend guère justice à la construction cumulative et par déplacements fréquents de l’ecclésiologie lucanienne ; l’Eglise jérusalémite, profondément inscrite dans la continuité d’Israël, n’est pas « remplacée » par l’Eglise mixte d’Antioche. Au contraire, c’est ensemble, dans une dialectique inépuisable , qu’elles contribuent chez Luc au portrait narratif de l’Eglise. Dialectique dont témoigne subtilement le récit de l’assemblée jérusalémite, singulièrement la citation d’Amos consignée en Ac 15, 1618. Bref, malgré son judicieux parti pris en faveur d’une approche narrative de l’ecclésiologie des Actes, Richard Thompson s’enlise malheureusement dans l’ornière de la systématisation discriminante.

168 Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, p. 245. 169 Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, pp. 244-246. 170 Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, p. 240 : « Like the Jewish opponents as depicted from Acts 3 through the rest of the narrative, the Jerusalem believer’s actions implicitly reveal their misunderstanding of the nature of Christian community ».

1.7

Démarche

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1.7 Démarche La démarche adoptée dans la suite de cette enquête découle logiquement de notre choix méthodologique : nous suivrons le déroulé du récit des Actes, en examinant les incontournables sections ecclésiologiques. Néanmoins, comme nous l’a révélé la monographie de Richard Thompson, il n’est pas toujours aisé de déterminer les pages du second tome à Théophile où se dévoile le profil de l’Eglise. Car Luc montre davantage qu’il ne nomme. C’est pourquoi nous nous pencherons non seulement sur les péricopes où surgit une désignation explicite de la communauté croyante (par ex. : ejkklhsiva en 5, 11 ou en 9, 31 ; Cristianoiv en 11, 26 ; maqhtaiv en 13, 52 ; ejx ejqnw'n laov" en 15, 14 ; skhnh; Dauivd en 15, 16 ; oJdov" en 19, 9a ; etc.), mais nous ferons également droit aux passages narrant le devenir ecclésial d’un croyant/d’un groupe de fidèles (1, 15-26 ; 3, 1-11 ; 5, 1-11 ; 6, 1-7 ; 8, 1-3 ; 8, 5-25 ; 8, 26-40 ; 11, 19-30 ; 13, 42-52), ainsi qu’aux discours où se documente entre relecture et préfiguration le visage de l’Eglise (3, 1226 ; 7, 2-53 ; 13, 16b-41 ; 15, 7-11.13-21 ; 17, 22-31 ; 28, 17b-20.25b-28). En outre, attentif aux lieux stratégiques d’une œuvre littéraire, nous avons retenu non seulement la porte d’entrée des Actes (2, 1-47) et le programme qui s’en dégage, mais également la clôture narrative (28, 16-31) et la clef herméneutique qu’elle offre au lecteur, à la lectrice de Luc. Ces deux champs textuels, décisifs en rhétorique narrative, serviront ainsi de validation à notre approche des Actes axée sur le devenir identitaire de l’Eglise dans son double rapport au monde juif et à l’univers romain. Par ailleurs, si nous privilégions une approche linéaire des Actes, en respectant l’expérience du lecteur qui s’avance dans le récit, nous serons également sensible à ne pas extraire arbitrairement les péricopes de leur environnement littéraire, les traitant autant que faire se peut dans le cadre de séquences plus larges que l’unité minimale de sens. A ce stade, deux précisions s’imposent : d’une part, nous ne prétendons pas épuiser le potentiel ecclésial des Actes à l’examen de ce choix de péricopes. D’autres passages auraient mérité d’être investigués. Pensons surtout aux trois versions du retournement de Saul (Ac 9 ; 22 ; 26), dont la fonction identitaire pour l’œuvre de Luc est

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immanquable. Néanmoins, ce travail a déjà été fait171 et il nous suffira d’y faire référence, sans devoir le démontrer une seconde fois. D’autre part, des absences peuvent surprendre à la lecture de la table des matières. A commencer par la conversion de Corneille (Ac 10, 1–11, 18) qui manque cruellement à l’appel. Cette omission n’est toutefois que spécieuse, dans la mesure où – nous nous efforcerons de le prouver – c’est au récit d’Ac 15 que revient la fonction de statuer sur les retombées ecclésiologiques de cet épisode emblématique. De même, notre parcours semble enjamber le procès de Paul, longuement relaté entre Ac 21–26, ne lui offrant pas la moindre audience. Là encore, l’absence n’est que relative, attendu que la finale d’Ac 28 offre une reprise de l’apologétique paulinienne déployée en amont (vv. 17c-20) et en dévoile le véritable cadre de compréhension : les relations judaïsme– christianisme. Par ailleurs, il serait cavalier de supposer que l’évangile à Théophile est vierge de toute réflexion ecclésiologique. Au contraire, l’identité ecclésiale fixée dans les Actes vient prolonger plusieurs thématiques esquissées dans le premier tome de l’œuvre lucanienne. C’est pourquoi nous n’hésiterons pas, le cas échéant, à remonter dans le troisième évangile et à montrer comment Luc y prépare plusieurs traits importants de la figure ecclésiale déployée dans ses Actes d’apôtres (par ex. : le portrait des Douze ; la mission des Soixante-dix [-douze] ; le statut des Samaritains ; etc.).

1.8 La tradition textuelle des Actes canoniques Les données textuelles du second tome ad Theophilum confrontent l’exégète à un véritable casse-tête 172. L’on sait en effet que très tôt dans 171 Voir en premier lieu Karl LÖNING, Die Saulustradition in der Apostelgeschichte, 1973, pp. 204-206 ; Daniel MARGUERAT, La premières histoire du christianisme, 20032, pp. 275-306 ; ID., « L’image de Paul dans les Actes des Apôtres », dans Michel BERDER (éd.), Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie (LeDiv 199), Paris, Cerf, 2005, pp. 121-154, surtout les pp. 135-154. 172 Etat de la recherche chez : Joël DELOBEL, « The Text of Luke-Acts. A Confrontation of Recent Theories », dans Joseph VERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, University Press/Peeters, 1999, pp. 83-107 ; Erich GRÄSSER, Forschungen zur Apostelgeschichte (WUNT 137), Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, pp. 156-179 ; William A. STRANGE, The Problem of the Text of Acts (SNTS.MS 71), Cambridge, Cambridge University Press, 1992, pp. 1-34.

1.8

La tradition textuelle des Actes canoniques

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l’histoire du christianisme, à partir du IIe siècle vraisemblablement, le texte des Actes a circulé sous deux formes divergentes que les textualistes ont dénommé le « texte alexandrin » (TA) d’une part et le « texte occidental » (TO) de l’autre. Cette double appellation, certes commode et largement popularisée 173, s’avère non seulement trompeuse, mais également imprécise. Trompeuse, car elle regroupe sous la bannière occidentale des témoins textuels d’origines géographiques diverses174. En effet, le texte dit occidental est attesté non seulement par deux témoins de la Vieille latine (le palimpseste fragmentaire de Fleury [h] et le codex Gigas [gig]) ainsi que par le fameux codex bilingue sauvé du sac de Lyon par Théodore de Bèze et datant du Ve siècle (l’oncial Bezae Cantabrigiensis [D05/d5]), mais également par des manuscrits de l’aire orientale, comme le papyrus égyptien P38, le parchemin copte de la collection Glazier (G67) ou encore les notes marginales respectivement les leçons signalées entre obèle et métobèle de la traduction syriaque commise en 616 par Thomas von Harkel. Qui plus est, à l’heure actuelle, les chercheurs penchent pour une émergence originellement syrienne, singulièrement à Beyrouth, de la tradition textuelle dite occidentale. Trompeuse donc, mais aussi imprécise, car « le » texte occidental n’existe pas. Bien souvent, il est

173 La désignation de « texte occidental » remonte à Johann Jakob Griesbach (ID., Novum Testamentum Graece, Halle, Londini, 1827). D’autres lui préfèrent le binôme strictement quantitatif de « texte long » et de « texte court ». Voir par exemple, Jenny READ-HEIMERDINGER, « The Long and the Short Texts of Acts : A Close Look at the Quantity and Types of Variation », Revista Catalana de Theología 22/2, 1997, pp. 245-261. 174 Cf. Albert C. CLARK, The Acts of the Apostles, Oxford, Clarendon Press, 1933, pp. VI.XV-XIX (ibid., p. XVI : « It is now established that the supposed “Western” text was found in the East as well in the West, and circulated all over the Roman world. The epithet “Western” is therefore at best a “terminological inexactitude” ») ; Stanley E. PORTER, « Developments in the Text of Acts before the Major Codices », dans Tobias NICKLAS, Michael TILLY (éds), The Book of Acts as Church History/Apostelgeschichte als Kirchengeschichte. Text, Textual Traditions and Ancient Interpretations/Text, Texttraditionen und antike Auslegungen (BZNW 120), Berlin/New York, de Gruyter, 2003, p. 66 : « The fact that these so-called Western variants are found in Egyptian papyri further confirms the inappropriateness of the use of the term Western to geographically characterize this tradition, even if the term continues to be used for the sake of convenience or as simply a label » ; dans le même sens Josep RIUS-CAMPS, Jenny READ-HEIMERDINGER, The Message of Acts in Codex Bezae. A Comparison with the Alexandrian Tradition, Vol. I. Acts 1.1-5.42 : Jerusalem (JSNT.SS 257), London/New York, T&T Clark, 2004, p. 5.

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identifié au codex de Bèze. Abusivement cependant175. En effet, le TO constitue une nébuleuse de leçons variantes que n’ont pas réussi à dissiper les efforts de stabilisation et d’harmonisation des textes entrepris au IVe siècle. Partant, il n’y a de texte occidental que reconstitué sous la forme d’une édition éclectique. D’où, entre autres, l’entreprise majeure menée par deux savants de l’Ecole Biblique de Jérusalem, les Pères Boismard et Lamouille 176. Une fois ces deux malentendus langagiers levés, se pose aux critiques textuels une question qui n’a cessé d’alimenter les chroniques exégétiques depuis le XVIIe siècle : à quelle version des Actes accorder le label d’authenticité ? Nombreuses et contrastées sont les hypothèses développées pour y répondre. Mais avant d’en énumérer les plus significatives, il nous faut dresser l’état des lieux des écarts répertoriés à ce jour. D’un point de vue strictement quantitatif, la version occidentale des Actes est considérablement plus volumineuse que sa fausse jumelle. Sur les quelque 1000 versets que totalise le texte alexandrin, la variante occidentale en atteste 525 supplémentaires, tout en proposant à 350 reprises un texte plus concis. Au final, cela donne un récit allongé d’environ 8,5 %. Dans un registre cette fois-ci qualitatif, les variantes observées dans le TO obéissent à trois tendances : 1) stylistique et grammaticale (paraphrases, explicitations, clarifications, suppressions de contradictions ou de tensions, etc.) ; 2) idéologique177 175 A ce sujet, l’exemple d’Irénée est symptomatique. Très longtemps, ses citations/allusions des Actes ont été comptées au nombre des témoins assurés du TO. Or, il s’avère aujourd’hui, à la suite des travaux de Barbara ALAND notamment (« Charakter und Herkunft des sog. westlichen Textes untersucht an der Apostelgeschichte », ETL 62, 1986, pp. 5-65), que l’œuvre d’Irénée reflète davantage un prototexte occidental, un texte non canalisé et encore dépourvu des grandes interpolations et révisions qui caractériseront cette filière textuelle dès le IIIe siècle. Dans l’introduction à son commentaire des Actes, Ernst Haenchen énumère pour sa part trois formes textuelles sous lesquelles le TO se serait matérialisé (ID., Die Apostelgeschichte, 19777, p. 69 : « Wir sind also der Ansicht, dass die Lesarten des sog. “westlichen” Actatextes [der keineswegs einheitlich ist !] in drei Gruppen eingeteilt werden sollten) ». 176 Le Texte occidental des Actes des apôtres. Reconstitution et réhabilitation. Tome I : Introduction et textes ; Tome II : Apparat critique, Index des caractéristiques stylistiques, Index des citations patristiques (Synthèses 17), Paris, Recherche sur les civilisations, 1984. Une nouvelle édition a été publiée récemment par Marie-Emile BOISMARD, Le Texte occidental des Actes des apôtres. Edition nouvelle entièrement refondue (EtB 40), Paris, Gabalda, 2000. 177 L’application des outils de la critique rédactionnelle aux lieux variants du TO a été initiée par un exégète neuchâtelois de renom, le Professeur Philippe H. MENOUD

1.8

La tradition textuelle des Actes canoniques

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(souci accru d’universalité, accentuation des traits anti-juifs, éthicisation du texte, emphase pneumatologique, exaltation de la figure pétrinienne, etc.) ; 3) référentielle (rectifications de données géographiques erronées, précisions temporelles, détails biographiques, etc.). L’inventaire est sommaire, mais il nous autorise à questionner l’ordre de priorité existant entre ces deux formes textuelles : quel modèle privilégier pour expliquer l’apparition de deux recensions des Actes, quantitativement et qualitativement différenciées ? Ce ne sont pas moins de trois scénarios à avoir été esquissés par les textualistes de Luc : a) l’hypothèse la plus célèbre attribue les deux textes au même auteur, celui que la tradition de l’Eglise a désigné du nom de Luc. Cette thèse signalée une première fois au XVIIe siècle par Jean Le Clerc sera ravivée en 1895 par Friedrich Blass qui s’en fera le champion178. En clair, Luc aurait de son vivant publié deux éditions du livre des Actes, la première – à savoir la recension occidentale – sous forme d’un brouillon rapide rédigé à Rome, la seconde constituant une révision améliorée à l’attention de son dédicataire Théophile. Plusieurs variantes de cette hypothèse ont ensuite été formulées, dont celle de l’édition posthume composée à partir de notes ou de brouillons griffonnés par Luc. b) Si l’hypothèse de la double édition lucanienne est assurément la plus fameuse, la théorie de l’interpolation est la plus répandue. La version occidentale des Actes, considérablement plus longue, serait en fait l’œuvre d’un glossateur. On retrouve cette opinion chez nombre de critiques textuels, à l’instar du tandem Brooke Foss Westcott – Fenton John Anthony Hort179 et surtout chez James Hardy Ropes180. L’argument majeur à l’appui de cette thèse tient à la fluidité (« The Western Text and the Theology of Acts », BSNTS II, 1951, pp. 19-32). Dès lors et singulièrement dans les travaux d’Eldon Jay EPP (« The “Ignorance Motif” in Acts and Anti-Judaic Tendencies in Codex Bezae », HTR 55, 1962, pp. 51-62 ; The Theological Tendency of Codex Bezae Cantabrigiensis in Acts [MS.SNTS 3], Cambridge, University Press, 1966), les écarts détectés dans la tradition occidentale seront auscultés comme les symptômes potentiels d’une révision théologique. 178 Acta apostolorum sive Lucae ad Theophilum liber alter, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1895 ; ID., Philology of the Gospels , London, Macmillan, 1898, pp. 96137. 179 The New Testament in the Original Greek, II, Cambridge/London, Macmillan, 1882, pp. 122-126. 180 « The Text of Acts », dans Frederick J. FOAKES-JACKSON, Kirsopp LAKE (éds), The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, Vol. III, London, Macmillan, 1926.

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du texte néotestamentaire, singulièrement du texte des Actes, au cours des deux premiers siècles, favorisant sa révision systématique (Ropes) ou sa glose ponctuelle et aléatoire (Westcott – Hort) sous la plume d’un ou de plusieurs copistes. c) A l’inverse, Albert Curtis Clark181, éminent savant d’Oxford, se fera le défenseur acharné de la version occidentale des Actes, considérant la recension alexandrine comme une forme abrégée datée du IIe siècle et supprimant – par inadvertance ou de manière délibérée – des stiches entières ou « lignes de sens » attestées dans le Codex de Bèze. Comment trancher ? L’hypothèse de la double édition lucanienne, si elle valorise avec raison les ressemblances lexicales et stylistiques détectables entre les deux traditions textuelles, bute néanmoins sur les nuances idéologiques qui les caractérisent et les différencient. Se détachent dès lors deux scénarios plausibles : soit le TA abrège et condense le TO, soit, à l’inverse, le TO amplifie et glose le TA. Les variantes stylistiques et grammaticales, obéissant très souvent à un souci de clarification ou de correction, dessinent une évolution menant du texte alexandrin à la forme occidentale. La trajectoire inverse, confrontée à un obscurcissement sémantique du texte et à son abâtardissement syntaxique, s’avère de ce point de vue difficilement tenable. La secondarité chronologique du texte dit occidental ne lui enlève néanmoins pas toute valeur pour l’intelligence des Actes. Pour sûr, si la forme occidentale ne nous renseigne que furtivement sur l’état « le plus archaïque possible » du texte lucanien, elle constitue cependant un témoin privilégié de sa réception en Eglise, et ce à un stade historique très ancien. Précisément, la tendance littéraire du TO, qui très souvent clarifie un passage jugé obscur ou désambiguïse un « conflit herméneutique » 182, est susceptible d’offrir une confirmation indirecte, en miroir, de notre parcours ecclésiologique des Actes. Cette hypothèse demanderait une validation ad hoc, dont l’objectif et la latitude débordent toutefois le cadre de notre enquête. Un exemple suffira ici : le récit de la première Pentecôte en Ac 2 dénote dans sa recension occidentale un renforcement de la perspective œcuménique, 181 The Acts of the Apostles, 1933. 182 Avec Roselyne DUPONT-ROC, « La tradition textuelle des Actes des Apôtres. Positions actuelles et enjeux », dans Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie. XXe congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (Angers, 2003), éd. par Michel BERDER (LeDiv 199), Paris, Cerf, 2005, pp. 61-62.

1.8

La tradition textuelle des Actes canoniques

65

voire cosmique au détriment de son attache juive. En 2, 47 en effet, le Codex de Bèze substitue le lexème kovsmon au terme laovn, qui constitue sous la plume de l’auteur à Théophile la désignation distinctive et quasi exclusive d’Israël. Or, comme nous le montrerons dans notre troisième chapitre, le récit d’Ac 2 développe une tension consciente et signifiante, situant l’identité de l’Eglise au carrefour du particularisme d’Israël et de l’universalisme cosmopolite de l’Empire. Par souci de clarté ou par reflex idéologique, le copiste-rédacteur du Codex de Bèze a réduit l’hésitation sémantique. Cette mise au point textuelle nous conduit dès lors à émettre deux prémisses : 1) le Texte Alexandrin constitue, au vu de nos connaissances actuelles, la version la plus archaïque du récit des Actes. C’est donc cette forme textuelle que nous suivrons dans notre parcours exégétique ; 2) le texte dit occidental constitue un témoin précieux de la réception des Actes au cours des IIe et IIIe siècles ap. J.-C. Partant, nous resterons attentif au potentiel herméneutique contenu dans certaines leçons variantes de cette filière textuelle (par exemple, l’adjonction en Ac 28 d’un verset notifiant le départ de la députation juive, infra, p. 389, ou, à ce même chapitre, la précision touchant l’identité des auditeurs rassemblés chez Paul, infra, p. 430).

Chapitre 2

Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze (Actes 1, 15-26) 2.1

Bibliographie1

Arthur CARR, « The First Act of the Apostles–The Election of Matthias », dans The Expositor, Series 6, vol. 1, London, 1900, pp. 388-398.– Andrew C. CLARKE, « The Role of the Apostles », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 1998, pp. 169-190, surtout les pp. 170-181.–Luc DESAUTELS, « La mort de Judas (Mt 27,3-10 ; Ac 1,15-26) », ScEs 38, 1986, pp. 221-239.–Michael DÖMER, Das Heil Gottes. Studien zur Theologie des lukanischen Doppelwerkes (BBB 51), Köln, Hanstein, 1978, pp. 94-138.–Michael E. FULLER, The Restoration of Israel. Israel’s Re-gathering and the Fate of the Nations in Early Jewish Literature and Luke-Acts (BZNW 138), Berlin/New York, de Gruyter, 2006, pp. 239-264.–Paul GAECHTER, « Die Wahl des Matthias », ZKT 71, 1949, pp. 318-346.–Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung. Studien zur lukanischen Geschichtstheologie als Soteriolgie (NTAbh 42), Münster, Aschendorff, 2003, pp. 310-313.–Kirsopp LAKE, « The Death of Judas », dans Frederick John FOAKES-JACKSON, ID. (éds), The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, V, London, Macmillan, 1933, pp. 22-30.–Jacob JERVELL, « The Twelve on Israel’s Thrones. Luke’s Understanding of the Apostolate », dans ID., Luke and the People of God. A New Look at Luke-Acts, Minneapolis, Augsburg Publishing House (1972), 1979, pp. 75-112.–Günter K LEIN, Die zwölf Apostel. Ursprung und Gehalt einer Idee (FRLANT 59), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1961, pp. 204-207.–Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels. Eine Untersuchung zur lukanischen Ekklesiologie (SANT 39), München, Kösel-Verlag, 1975, pp. 63-84.–ID., « Der Losvor1

Pour une bibliographie exhaustive de 1900 à 2004, consulter Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias, 2004, pp. 197-209.

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Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

gang in Apg 1, 26 », BZ 19, 1975, pp. 247-249.–Charles MASSON, « La reconstitution du collège des Douze, d’après Actes 1,15-26 », dans ID., Vers les sources d’eau vive, Lausanne, Payot, 1961, pp. 178-188.– Philippe H. M ENOUD, « Les additions au groupe des douze apôtres, d’après le livre des Actes », dans ID ., Jésus-Christ et la Foi, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1975, pp. 91-100.–David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, Grand Rapids, Baker, 2000, pp. 123-126.–Karl Heinrich RENGSTORF, « Die Zuwahl des Matthias (Apg 1,15ff.) », StTh 15, 1961, pp. 35-67.–Gerhard SCHNEIDER, « Die zwölf Apostel als “Zeugen”. Wesen, Ursprung und Funktion einer lukanischen Konzeption » (1970), dans ID., Lukas, Theologe der Heilsgeschichte. Aufsätze zum lukanischen Doppelwerk (BBB 59), Königstein/Bonn, Hanstein, 1985, pp. 61-85.–Alfons WEISER, « Die Nachwahl des Mattias (Apg 1,15-26) », dans Gerhard DAUTZENBERG (éd.), Zur Geschichte des Urchristentums (QD 87), Freiburg, Herder, 1979, pp. 97-110.–Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts (SNTS.MS 23), Cambridge, University Press, 1973, pp. 107-120.–Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias (WUNT 2.187), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004.

2.2 Remarques préliminaires Avant d’explorer une péricope, il est souvent très instructif de parcourir l’histoire de sa recherche. Dans le cas précis d’Ac 1, 15-262, elle nous dévoile les champs activement labourés par les exégètes ainsi que les terrains à l’état de friche. Deux questions ont rencontré un large écho dans les études consacrées à notre épisode : 1) quelle tradition de la mort de Judas Luc a-t-il héritée, et quelle est sa parenté avec les versions conservées chez Matthieu et Papias de Hiérapolis3 ? Partant, peut2 3

On peut consulter à ce sujet François BOVON, Luc le théologien (Monde de la Bible 5), Genève, Labor et Fides, 20063, pp. 378-384. Entre autres : Pierre BENOÎT, « La mort de Judas », dans ID., Exégèse et théologie, I, Paris, Cerf, 1961, pp. 340-359 ; Raymond E. BROWN, La mort du Messie, Paris, Bayard, 2005, pp. 1544-1552 ; Luc DESAUTELS, « La mort de Judas (Mt 27,3-10 ; Ac 1,1526) », 1986, pp. 221-239 ; Hans Josef K LAUCK, Judas – ein Jünger des Herrn (QD 111), Freiburg, Herder, 1987, pp. 92-123 ; Kirsopp LAKE, « The Death of Judas », 1933, pp. 22-30 ; Gerd LÜDEMANN, Das frühe Christentum nach den Traditionen der Apostelgeschichte, 1987, pp. 40-41 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 6971 ; Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias, 2004, pp. 103-125.

2.2

Remarques préliminaires

69

on reconstruire les contours historiques de la fin de Judas ? ; 2) dans quelle mesure Ac 1, 15-26 développe-t-il un embryon de succession apostolique ? En clair : l’épisode du remplacement de Judas témoigne-til d’un infléchissement protocatholique des origines du christianisme 4 ? peut-on en inférer une vision frühkatholisch de l’apostolat5 ? Voilà en bref, les deux voies royales empruntées par la recherche des cinquante dernières années. Au nombre des parents pauvres, il nous faut mentionner le rôle affecté à ce récit dans l’intrigue des Actes. Certes, l’étude classique de Karl H. Rengstorf s’y est longuement attachée, mais pour aboutir à un résultat des plus maigres6. Pour Rengstorf en effet, Ac 1, 15-26 ferait office de vestige prépascal issu du messianisme particulariste de l’homme de Nazareth, mais s’avérerait incompatible avec la visée universaliste du livre des Actes ; un récit en continuité avec le passé du maître galiléen, mais en porte-à-faux avec l’avenir de l’Eglise née à la Pentecôte. En un mot, un épisode inadapté à l’intrigue du récit porteur7 et dont la seule fonction serait d’attester la permanence de l’appel divin adressé à Israël8.

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6 7

8

Hubert CANCIK, « The History of Culture, Religion, and Institutions in Ancient Historiography : Philological Observations Concerning Luke’s History », JBL 116/4, 1997, p. 676 : « The action may be described in such a bureaucratic, legitimizing way in order to disqualify the “natural” succession of Jesus’ family through his brother, James ». Voir entre autres : Günter KLEIN, Die zwölf Apostel, 1961, p. 13 : « Die Zwölfapostelidee [erweist sich] als ein sehr bedeutsames Symptom jenes tiefgreifenden Umwandlungsprozesses, den man unter dem Schlagwort der Entwicklung der Urkirche zum Frühkatholizismus zusammenfassen kann. ». Voir plus particulièrement les pp. 204207 que Klein consacre à Ac 1, 21s. qualifié de « Magna Charta des Zwölferapostolats » (ibid., p. 204). Dans la même veine, on pourra consulter Siegfried SCHULZ, Die Mitte der Schrift. Der Frühkatholizismus im Neuen Testament als Herausforderung an den Protestantismus, Stuttgart/Berlin, Kreuz Verlag, 1976, pp. 132ss et Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 34-36. « Die Zuwahl des Matthias (Apg 1,15ff.) », 1961, pp. 35-67. « Die Zuwahl des Matthias (Apg 1,15ff.) », 1961, p. 40 : « Sie liegt in einer seltsamen Isoliertheit des Stückes im Ganzen des Buches, in dessen Eingang es einen Platz gefunden hat. Der Vorgang, mit dem es sich beschäftigt, scheint nämlich für den Fortgang der Ereignisse, wie sie Lukas in der Apostelgeschichte schildert, ohne jede tiefere Bedeutung zu sein. » « Die Zuwahl des Matthias (Apg 1,15ff.) », 1961, p. 60 : « Diese Ueberlieferung bezeugt nämlich auf dem Hintergrunde der gesamten Offenbarung in einer schlechthin überzeugenden Weise, dass es unverbrüchlich beim Ja Gottes zur Evangelisierung Israels bleibt, auch nachdem das Volk Jesus verworfen hat und sogar der Kreis

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Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

Pourtant, l’importance accordée à cet épisode dans l’intrigue des Actes ne peut que frapper le lecteur9. Elle tient pour une part à son emplacement stratégique entre Ascension et effusion de l’Esprit. Il y a là vraisemblablement un chaînon décisif entre ces deux événements de taille 10. Le soin littéraire apporté à la composition du récit en est un deuxième indice. Nous y reviendrons (cf. paragraphe suivant). Finalement, il est à rappeler que seul Luc parmi les auteurs du Nouveau Testament évoque la reconstitution du collège des apôtres ; Ac 1, 15-26 est à ses yeux un épisode mémorable. Cela dit, plusieurs étonnements ont été recensés par les exégètes de Luc. Une fois élu, Matthias disparaît aussitôt du récit lucanien. Première surprise. De même, la procédure mise en œuvre pour repourvoir à la charge apostolique laissée vacante par Judas restera un unicum, pas même réitéré suite au martyre de Jacques (Ac 12, 2). A n’en pas douter, Ac 1, 15-26 déborde la simple anecdote biographique ou la glose protocatholique. Luc n’est intéressé ni par le destin personnel de Matthias, ni par l’établissement d’une succession apostolique. Bref, s’agissant de préciser la visée de l’épisode, ces deux impasses herméneutiques se devront d’être conservées en mémoire. Néanmoins, avant d’aborder ce délicat dossier, débutons par une observation d’ordre stylistique.

2.3 Une histoire biblique Le coloris biblique, et plus spécialement septantique, d’Ac 1, 15-26 est manifeste 11. Dès les premiers mots du récit (v. 15aa : « en ces jours-

9 10

11

der Zwölf, das äussere Zeichen des Anspruchs Jesu auf Israel, in Verbindung mit seinem eigenen Tode zerbrochen zu sein scheint ». Bien relevé par Philippe H. MENOUD, « Les additions au groupe des douze apôtres, d’après le livre des Actes », 1975, p. 98. Cf. Erich GRÄSSER, « Acta-Forschung seit 1960 », TRu 41, 1976, p. 6 : « Die Komplettierung des Zwölferkreises und damit die ausdrückliche Feststellung seiner Intaktheit als entscheidendes Bindeglied zwischen vergangener Jesuszeit und gegenwärtiger Missionskirche müsste der Leser gerade an dieser Nahtstelle für ausserordentlich sinnvoll halten ». Dans la foulée de Grässer, aussi Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 213. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 23 : « Der ganze Abschnitt ist von seiner biblizistischen Sprache durchzogen […] » ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 163 : « […] darum klang er [le v. 15] für die Leser des Lukas selbst wie der Beginn einer biblischen Geschichte ». Dans ce sens également, Daniel

2.3

Une histoire biblique

71

là »)12, le style de la Septante s’impose. Cette atmosphère biblique infiltre au reste tout l’épisode, Luc recourant massivement à la rhétorique de l’imitatio13 : l’expression « s’étant levé14 au milieu 15 des frères » (v. 15ab), le terme o[noma pour désigner les personnes composant cette assemblée (v. 15b) 16, la tournure ejpi; to; aujtov qualifiant la réunion en groupe des croyants (v. 15b) 17, le motif de l’omniscience divine (v. 24 : kardiognw'sta pavntwn)18, l’élection par tirage au sort (v. 26) 19 en sont différentes traces. Quant aux deux citations de l’Ecriture soudées au v. 20, elles font de l’épisode un accomplissement prophétique (cf. v. 16 : e[dei plhrwqh'nai th;n grafhvn). A cette longue liste d’échos scripturaires, Arie Zwiep adjoint une particularité peu reconnue jusqu’ici : au v. 16, Judas est désigné par son nom juif ( jIouvda), et non par son nom hellénisé ( jIouvda")20. Or, cette graphie, unique dans le grec du Nouveau Testament, est courante dans la Septante et sert de désignation à Judah, l’un des douze fils de Jacob21. En plus de renforcer le coloris archaïque, cette graphie n’aurait-elle pas pour office d’orienter le lecteur en direc-

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MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 59 ; Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias, 2004, pp. 79-80. Cf. Ex 2, 11 ; Jg 15, 1 ; 1 Règnes 4, 1 ; 13, 22 ; 28, 1 ; etc. Chez Luc, comme signal de début de péricope : Lc 1, 39 ; 2, 1 ; 6, 12 ; 24, 18 ; Ac 6, 1 ; 9, 37 ; 11, 27. Au sujet de cette procédure rhétorique et son emploi par Luc, consulter l’étude que lui a consacrée Eckhard PLÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller. Studien zur Apostelgeschichte (SUNT 9), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1972, pp. 38-72. Concernant Ac 1, 16-22, ibid., p. 47. La formule ajnastav" suivie d’un verbe à l’indicatif (souvent un verbe de mouvement) est massivement usitée dans la Septante : Gn 13, 17 ; 19, 15 ; 22, 3.7 ; 24, 10.54 ; 25, 34 ; etc. ; Ex 2, 17 ; 12, 30 ; 24, 13 ; etc. ; Nb 11, 32 ; 22, 13.20.21 ; 24, 25 ; etc. L’expression ej n mevsw/ suivi du génitif est récurrente dans la Septante : Gn 23, 10 ; 40, 20 ; Lv 22, 32 ; 25, 33 ; Nb 1, 49 ; 5, 21 ; 9, 7 ; 18, 20.23.24 ; 26, 62 ; 27, 3.4.7 ; 35, 34 ; etc. Nb 1, 18.20 ; 26, 53.55. Ex 26, 9 ; Dt 12, 15 ; 2 S 2, 13 ; Ps 2, 2 ; 4, 9 ; 33, 4LXX ; 36, 38LXX ; etc. Cet attribut divin traverse toute la tradition vétérotestamentaire (Dt 8, 2 ; 1 S 16, 7 ; 1 R 8, 39 ; Ps 7, 10 ; 16, 3LXX ; 43, 22LXX ; 63, 6-8LXX ; 93, 11LXX ; 138, 2.23LXX ; Jr 11, 20 ; 17, 10) et se retrouve dans la littérature rabbinique (cf. STRACK-BILLERBECK II, p. 595). Ce mode d’élection est déjà attesté dans l’Ancien Testament, lorsqu’il s’agit de répartir entre les prêtres les tâches à accomplir : 1 Ch 25, 8-9 ; 26, 13-14. Dans d’autres contextes, voir également : Lv 16, 8 ; Nb 26, 55 ; etc. Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias, 2004, p. 86. Cf. Tal ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity, Part I, Palestine 330BCE– 200CE (TSAJ 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 118, note 2 et p. 122, note 167.

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Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

tion d’un motif intertextuel bien précis, en l’occurrence les douze tribus d’Israël ? Nous reprendrons cette question dans la suite de notre exégèse. Pour l’heure, un premier résultat s’impose : l’auteur des Actes a composé en ouverture de son second tome un épisode dans la droite ligne des histoires bibliques. Cette simple observation langagière démontre déjà toute l’importance conférée au remplacement de Judas dans l’intrigue des Actes : il s’agit d’un événement historico-salutaire en continuité parfaite avec le passé d’Israël22 ; la pérennité du lien unissant Dieu à son peuple est littérairement manifestée 23.

2.4 Ac 1, 15-26 dans l’intrigue des Actes La facture septantique du récit ayant été reconnue, il convient de franchir un pas supplémentaire. Pourquoi l’auteur des Actes a-t-il inséré l’épisode du remplacement de Judas à cet endroit précis de sa narration, en l’occurrence entre l’exaltation du Ressuscité et l’effusion pentecostale de l’Esprit ? Plusieurs niveaux de réponse sont possibles. Ce positionnement en fait le tout premier « acte d’apôtres », selon la judicieuse formule d’Arthur Carr24, et surtout la première prise de parole pétrinienne. Plus précisément, cette élection se situe au seuil de l’activité publique et missionnaire de l’Eglise : surplombée par le mandat du Ressuscité (Ac 1, 8), la complétion du collège des Douze rend possible la réception de l’Esprit et le premier témoignage de l’Eglise (Ac 2, 14-41). Sans conteste, la ligne du témoignage traverse les trois premiers épisodes des Actes, les reliant autour de cette même thémati-

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Entre autres : Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias , 2004, p. 179 : « […] for Luke the defection of Judas and the election of his successor belong to biblical history ». Sur les Actes canoniques comme continuation de l’histoire biblique, voir les travaux de Nils Alstrup DAHL, « The Story of Abraham in Luke-Acts », dans Jesus in the Memory of the Early Church, Minneapolis, Augsburg, 1976, pp. 66-86 ; Brian S. ROSNER, « Acts and Biblical History », dans Bruce W. WINTER, Andrew D. CLARKE (éds), The Book of Acts in Its Ancient Literary Setting, vol. 1, Grand Rapids, Eerdmans, 1993, pp. 65-82 ; Gregory E. STERLING, Historiography and Self-Definition. Josephos, Luke-Acts and Apologetic Historiography, Leiden/New York/Köln, Brill, 1992, pp. 352-363. Arthur CARR, « The First Act of the Apostles–The Election of Matthias », 1900, pp. 388-398.

2.4

Ac 1, 15-26 dans l’intrigue des Actes

73

que : mavrtu" (1, 8.22 ; 2, 32) ; diamartuvromai (2, 40) 25. Héritier d’une mission universelle de témoignage, le groupe des apôtres devait être restauré avant sa première prestation publique, retrouvant l’intégrité qui prévalait à son activité missionnaire dans le premier tome de Luc (Lc 9, 1-6). Bref, autant dans le troisième évangile qu’au seuil des Actes, les Douze sont appelés à une proclamation de l’Evangile26 ; leur office est indiscutablement kérygmatique. Ceci explique pour une part l’enracinement narratif de l’épisode. Cela dit, l’observation du contexte immédiat nous fait entrevoir une seconde ligne de sens parcourant ces trois passages : leur orientation eschatologique. Durant les quarante jours séparant la résurrection de l’Ascension, Jésus, apparaissant à ses disciples, se fait le catéchète du Royaume de Dieu et annonce lors d’un repas commun l’onction prochaine de l’Esprit (Ac 1, 3-5). Ce même repas sera aussi l’occasion d’une ultime question des disciples : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu restaures le royaume pour Israël ? » (1, 6b). Légitime au regard de la prédication du Ressuscité (cf. 1, 3), cette question recevra une réponse en demi-teinte 27 : se refusant à dévoiler le calendrier de la fin des temps (v. 7 : oujc uJmw'n ejs tin gnw'nai), Jésus prédit à ses disciples le don imminent de l’Esprit et leur mission universelle à venir (v. 8 : ajlla; lhvmyesqe […] kai; e[sesqe). Or, ces deux composantes de la prophétie christologique sont à comprendre comme une réponse positive à la question d’un « royaume pour Israël » 28. Pour preuve, tant l’effusion de 25 26 27

28

Dans ce sens Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 223. Lc 9, 5 ; Ac 2, 40 ; 3, 15 ; 4, 33 ; 5, 32. Sur la construction de la réponse du Ressuscité, voir Vittorio FUSCO, « “Point of View” and “Implicit Reader” in Two Eschatological Texts. Lk 19, 11-28 ; Acts 1,6-8 », dans Frans VAN SEGBROECK et al. (éds), The Four Gospels. Festschrift F. Neirynck, vol. 2 (BEThL 100), Leuven, Leuven University Press, 1992, p. 1691. A juste titre Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 22 : « Die Frage nach der “Wiederherstellung” (vgl 321) des Reiches für “Israel” ist Folie sowohl für die Verheissung des Geistes als für den Universalismus in 8 » ; aussi Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, pp. 115-117 ; Michael E. FULLER, The Restoration of Israel, 2006, p. 258 ; Franz MUSSNER, « Die Idee der Apokatastasis in der Apostelgeschichte », dans Heinrich GROSS, ID. (éds), Lex Tua Veritas. Festschrift H. Junker, Trier, Paulinus, 1961, p. 298 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 95-96 ; Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft. Exegetische Studien zum lukanischen Verständnis von basileiva tou' qeou' (WUNT 2.89), Tübingen, Mohr Siebeck, 1996, p. 111 ; David L. TIEDE, « The Exaltation of Jesus and the Restoration of Israel in Acts 1 », HTR 79, 1986, p. 278.

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Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

l’Esprit que l’élargissement universel de l’alliance participaient des promesses eschatologiques confiées au peuple élu29 ; il est donc parfaitement question d’un rétablissement pour Israël, même si cette réalisation prendra un tour quelque peu imprévu. Depuis Lc 24, 21, les disciples sont en effet invités à faire le deuil d’une rédemption armée et nationaliste d’Israël. En Ac 2, 30-31, Pierre affirmera quant à lui que la royauté éternelle promise à David a trouvé accomplissement dans la résurrection de Jésus : le Christ exalté est bel et bien le roi d’Israël30. Mais là encore, un correctif est intervenu : il ne s’agit plus d’une royauté terrestre, mais céleste. Entre ces deux épisodes, Ac 1, 6-8 amende, lui aussi, les espérances juives d’une refondation d’Israël : ici, c’est la vision particulariste et centripète de cette restauration qui est corrigée ; l’Israël de la fin des temps est appelé à s’ouvrir au monde dans un mouvement d’expansion centrifuge 31. De même, le Christ n’en sera pas l’acteur central, mais bien les apôtres oints de l’Esprit32. Bref, à 29

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L’Esprit est associé à la fin des temps en Es 32, 15 ; 39, 29 ; 44, 3 ; 59, 21 ; Ez 36, 27 ; 39, 29 ; Jl 3, 1-5. Par ailleurs, une ouverture universaliste du peuple de l’alliance est prédite pour le Jour du Seigneur en Es 2, 2-4 ; 60, 3.10-12 ; 66, 18-20 ; Mi 4, 1-3 ; Za 8, 2022 ; 14, 16-17. Au reste, l’expression « jusqu’aux extrémités de la terre » est directement empruntée au livre d’Esaïe (Es 49, 6) où elle côtoie l’espérance d’un renouveau pour Israël (dans ce sens, voir aussi Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, p. 113). Voir sur le sujet la monographie de Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in LukeActs. The Promise and Its Fulfillment in Lukan Christology (JSNT.SS 110), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, pp. 131-147. Dans ce sens Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, p. 117 : « […] inhaltlich wird nämlich klargestellt, dass das Heil nicht auf Israel zu beschränken ist, vielmehr die Wiederherstellung Israels unter Einbeziehung gerade auch der Heiden geschieht, worauf dann in Apg 15 noch näher eingegeangen wird (vgl. bes. 15,16–18). » ; aussi Michael WOLTER, « “Reich Gottes” bei Lukas », NTS 41, 1995, p. 558 : « Jesu Auftrag zur Zeugenschaft “bis ans Ende der Welt” (Jes 49.6) gibt mit seiner über Israel hinausreichenden Perspektive (vgl. die Wiederaufnahme des alt. Textes in 13.47) zu verstehen, dass der Universalismus der basileiva tou' qeou' aufgrund ihrer Bindung an Jesus Christus einen von Jerusalem wegführenden zentrifugalen Vorgang evoziert, der sich in eben dieser Hinsicht von der auf Jerusalem hin ausgerichteten zentripetalen Struktur des frühjüdischen Basileia-Konzepts charakteristisch unterscheidet ». Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 41 : « A l’interrogation pointant sur le Christ se substitue la promesse de l’investiture des apôtres comme témoins. Les disciples, non Jésus, seront les acteurs du temps qui s’ouvre » ; Jürgen ROLOFF, Die Kirche im Neuen Testament (GNT 10), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1993, p. 198 : « Es wird nicht mehr Jesus selbst sein, sondern der Heilige Geist, der

2.4

Ac 1, 15-26 dans l’intrigue des Actes

75

l’interrogation des disciples, Jésus ne répond pas par une fin de nonrecevoir. Au contraire, il déploie devant eux une tâche à la taille de l’orbis terrarum, tâche à haute valeur eschatologique. A cet endroit, Daniel Marguerat a parlé avec raison d’une « eschatologie géographique » 33. En ce sens, l’attente de la fin des temps n’est pas suspendue, seule la spéculation chronologique l’est34 ! Il n’est pas ici question d’une prétendue déseschatologisation de l’histoire par Luc, comme le supposaient Hans Conzelmann ou Erich Grässer. En aval d’Ac 1, 15-26, se dresse un autre passage à visée eschatologique : l’épisode « sons et lumière » de la Pentecôte (Ac 2, 1-13). Cette péricope réunit en effet toutes les caractéristiques d’un événement apocalyptique, lecture confirmée par la citation de Joël (2, 17-21) : le don de l’Esprit répandu sur l’Eglise naissante inaugure les temps derniers (cf. 2, 17 : ejn tai'" ejscavtai" hJmevrai"). Or dans cette période de la fin, les servantes et serviteurs de Dieu prophétiseront (2, 18) et « quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (2, 21). Ressurgissent ici les deux composantes d’Ac 1, 8 : le témoignage prophétique des disciples et la portée universelle du salut. Pris en sandwich entre deux textes à forte coloration eschatologique, Ac 1, 15-26 est placé sous une lumière nouvelle. Reste à savoir si cette tendance s’y trouve confirmée. Le remplacement de Judas peut-il être déchiffré à l’aide d’une grille de lecture eschatologique ? quelle(s) attente(s) de la fin ce récit met-il en jeu ? C’est au destin des Douze, groupe mis à mal par la défection de Judas, que cet épisode est dévolu (cf. l’inclusion ménagée entre 1, 17 : o{ti kathriqmhmevno" h\n ejn hJmi'n et 1, 26 : sugkateyhfivsqh meta; tw'n e{ndeka ajpostovlwn) 35. Or, l’importance

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diese Sammlung dadurch bewirkt, dass er die Jünger zum Zeugnis von Jesus befähigt ». Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 42. Dans ce sens aussi David L. TIEDE, « The Exaltation of Jesus and the Restoration of Israel in Acts 1 », HTR 79, 1986, p. 286 : « Jesus’ response to the disciples’ question is not formulated in order to correct the readers’ “christology” or “eschatology”, but to introduce the whole narrative of Acts as a testimony to the deployment of the reign of God’s Messiah through his twelve apostles who declare repentance and forgivness to Israel ». Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, p. 110 : « Jesu Antwort lässt auf diese Weise keinen Spielraum für irgendein Spekulieren nach Terminen der Heilsgeschichte ». Ces deux syntagmes encadrant le récit d’Ac 1, 15-26 soulignent l’importance conférée par Luc à la reconstitution du collège apostolique ainsi que sa préoccupation

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Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

théologique de ce cercle est connue de l’auditorat/lectorat lucanien depuis Lc 22, 29-30 : ce logion dit des douze trônes prédit aux Douze une mission eschatologique de royauté et de jugement sur Israël. En restaurant ce groupe écorné, Dieu démontre ainsi la permanence de cette promesse eschatologique, et même son avènement par anticipation. Dans les temps de la fin qui s’ouvrent, temps de restauration pour Israël, le groupe des Douze est plus que jamais appelé à assurer son office à l’égard du peuple saint36. A cela s’ajoute une dimension complémentaire : dans les traditions prophétiques et apocalyptiques du judaïsme ancien, la fin des temps devait s’accompagner d’une réunification des douze tribus d’Israël37 ; c’est à l’enseigne du grand Israël davidique, fruit de la réunion de ses deux royaumes, que devait se conjuguer le destin eschatologique du peuple juif 38. Dans une veine identique, l’on peut mentionner le réinvestissement du chiffre douze dans l’organisation de la communauté qoumrânienne (1QS 8,1 ; 1QSa 1,29 ; 2,14-15). La désignation de douze chefs de tribus au sein de la hiérarchie de la secte, notamment appelés à présider à la confrontation finale avec les fils des ténèbres (1QM 2,1ss ; 3,13-15 ; 5,1-2 ; etc.), servait vraisemblablement de symbole au mouvement eschatologique de recomposition d’Israël. Bref, les écrits découverts à Qoumrân documentent l’utilisation du chiffre douze dans un contexte éminemment eschatologique et son articulation aux douze tribus d’Israël39. A la lumière de

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pour son arithmétique . Cf. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 124-125 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 123-124 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1983, p. 83. Dans ce sens Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 128 : « Weil die Wiederherstellug des Reiches für Israël entscheidend ist, muss Lukas hier die Nachwahl zum Zwölferkreis erzählen, denn die Wiederherstellung fängt mit den Leitern des Zwölfstämmevolkes an ». Contra Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, p. 111 : « Nothing in his version suggests that the purpose of Matthias’ election was to prepare the Twelve for the End ». Sur ce sujet, voir Michael E. FULLER, The Restoration of Israel, 2006, pp. 254-257. Cf. Ez 48, 30-35 ; Si 48, 10 ; Test. Juda 25,1-3 ; Test. Nephtali 6,1-10 ; Test. Benjamin 10,2-11 (surtout 10,7 et 11) ; etc. Cf. Joseph A. FITZMYER, « Jewish Christianity in Acts in Light of the Qumran Scrolls », dans Leander E. KECK, J. Louis MARTYN (éds), Studies in Luke-Acts, Philadelphia, Fortress Press, 1980, pp. 246-247 (ibid., p. 247 : « In both Essene and Christian circles the number twelve is more plausibly explained as a derivative of the twelve tribes of Israel. The element that is common to the use of this number in both circles is its appearance in an eschatological context »). Sur ce sujet, consulter égale-

2.4

Ac 1, 15-26 dans l’intrigue des Actes

77

ces précédents, il devient séduisant de relire le récit d’Ac 1, 15-26, en y décelant non seulement l’élévation des Douze au rang de leaders eschatologiques d’Israël, mais également la restauration du noyau natif du peuple choisi ; la recomposition de ce cercle préfigure la reconstitution attendue pour la fin des temps de l’Israël des douze 40. En ce sens, cet épisode prolonge parfaitement l’espérance de rétablissement thématisée en Ac 1, 6-8 et prépare adéquatement l’effusion de l’Esprit sur la maison d’Israël rapportée en Ac 2 41. En conclusion, l’étude du contexte littéraire d’Ac 1, 15-26 a permis d’exhumer deux fils rouges traversant les trois premières péricopes des Actes. La première ligne de sens thématise la vocation de témoignage confiée à l’Eglise naissante par le Ressuscité. Telle sera également la tâche impartie à Matthias, élu pour suppléer Judas. Le second fil directeur problématise quant à lui le rétablissement du « royaume pour Israël ». Cette espérance eschatologique n’a pas été laminée par l’épreuve de la croix42. Au contraire, initiée dans la session céleste du Ressuscité, cette restauration se traduit dans l’aujourd’hui de l’Eglise par la recomposition des Douze et par l’effusion pentecostale de l’Esprit. Dans la suite des Actes, ce rassemblement d’Israël prendra corps à travers la mission universelle de témoignage portée par la communauté prophétique née à la Pentecôte.

40 41

42

ment David FLUSSER, « Qumran und die Zwölf », dans Claas Jouco BLEEKER (éd.), Initiation. Contributions to the Theme of the Study-Conference of the International Association for the History of Religions Held at Strasburg, September 17th to 22th 1964 (Studies in the History of Religions X), Leiden, Brill, 1965, pp. 134-146 ainsi que Shlomo PINES, « Notes on the Twelve Tribes in Qumran, Early Christianity and Jewish Tradition », dans Ithamar GRUENWALD, Shaul SHAKED, Gedaliahu G. STROUMSA (éds), Messiah and Christos. Studies in the Jewish Origins of Christianity (Texte und Studien zum antiken Judentum 32), Tübingen, Mohr Siebeck, 1992, pp. 151-154. Cf. Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung, 2003, p. 313 ; Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias , 2004, pp. 172-174. Cette succession chronologique (restauration de Jacob/Israël–effusion de l’Esprit) est au reste scripturaire (cf. Ez 39, 25-29), comme l’a signalé Rebecca I. DENOVA, The Things Accomplished Among Us. Prophetic Tradition in the Structural Pattern of Luke-Acts (JSNT.SS 141), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1997, p. 70. Cf. Michael E. FULLER, The Restoration of Israel, 2006, p. 258.

78

Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

2.5 Les Douze dans la tourmente exégétique Ce contexte littéraire posé, il convient de nous arrêter plus attentivement sur la signification théologique de cette recomposition des Douze. On le sait, ce lieu exégétique est particulièrement chahuté dans l’exégèse moderne. Plusieurs questions s’amoncellent devant l’exégète intéressé par cette reconstitution du collège apostolique : quelle est la fonction historique et théologique de ce cercle ? pourquoi la brèche introduite en son sein doit-elle être colmatée suite à la mort de Judas, et non après le martyre de Jacques ? sur quelle symbolique joue le chiffre 12 ? La recherche moderne a produit plusieurs hypothèses pour répondre à ces questions. Concernant le rôle des Douze et l’importance conférée à sa restitutio ad integrum, trois pistes sont en concurrence : 1) les douze apôtres sont appelés à se substituer aux douze tribus d’Israël, installant l’Eglise à la place du peuple juif et endossant sa vocation universelle de témoignage 43. C’est ici la thèse traditionnelle d’un « vrai » ou « nouvel » Israël ; 2) les Douze signalent la priorité accordée à Israël dans le ministère du Nazaréen et de l’Eglise. Dit autrement, le chiffre douze dévoile l’agenda de la prédication chrétienne, agenda que la croix et la trahison de Judas n’ont pas modifié : les juifs d’abord, les Grecs ensuite (cf. Ac 3, 26 ; 13, 46) 44 ; 3) le cercle des Douze constitue 43

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Cf. Petr POKORN , Theologie der lukanischen Schriften (FRLANT 174), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1998, p. 41 : « Die Zwölf, die offensichtlich ein neues Israel, einen neuen Zwölfstämmeverband repräsentierten (Lk 22,30 par), werden nach Ostern zu Aposteln, zu Zeugen Jesu als des auferstandenen Herrn ». Et surtout Gerhard SCHNEIDER, « Die zwölf Apostel als “Zeugen”. Wesen, Ursprung und Funktion einer lukanischen Konzeption » (1970), 1985, p. 78 ; ID., Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 229. Cf. Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 221 : « The Twelve are reconstitued so that they can confront Israel assembled in Jerusalem on the first great feast day following Passover, the feast of Assembly or (in Greek) Pentecost. What Peter and the other eleven will proclaim at that important assembly is the first instance of testimony given by the apostles to the Twelve Tribes of God’s people : despite the death of God’s anointed one, God still adresses the message of salvation first to the children of Abraham, to the Twelve Tribes of Israel » ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 66 : « Le chiffre 12 a en effet une valeur kérygmatique : il symbolise l’invitation addressée à tout Israël (cf. Lc 9,17) ; le compléter après la défection de Judas signale que l’invitation conserve toute sa valeur malgré la croix » ; Philippe H. MENOUD , « Les additions au groupe des douze apôtres, d’après le livre des Actes », 1975, p. 98 : « Mais les représentants de Jésus doivent être douze pour

2.6

Les Douze et l’identité ecclésiale des Actes

79

l’embryon de l’Israël eschatologique. Sa reconstitution préfigure le rassemblement du peuple de l’alliance, peuple appelé à se grouper autour des apôtres sis à Jérusalem45. Comme nous l’avons vu, le contexte littéraire immédiat déroule deux fils directeurs, également thématisés en Ac 1, 15-26 : la ligne du témoignage et celle de l’eschatologie . Or, ces deux lignes de sens correspondent respectivement aux hypothèses 2 et 3. Les exégètes des Actes ont dissocié deux horizons de sens fusionnés par le texte lucanien46 : le témoignage de l’Eglise participe pour Luc d’une tâche eschatologique liée à l’histoire d’Israël ; à travers la mission confiée aux Douze, c’est bel et bien le « royaume pour Israël » qui trouve son rétablissement. Reprenons cette hypothèse dans le détail.

2.6 Les Douze et l’identité ecclésiale des Actes L’auteur des Actes place sans conteste la restauration des Douze à l’horizon du témoignage qu’ils sont appelés à porter auprès d’Israël et dans le monde entier. Les paroles de Pierre sont à cet égard tout à fait explicites : la vocation du nouvel élu sera de participer au témoignage de la résurrection (1, 22b : mavrtura th'" ajnastavsew" aujtou' su;n hJmi'n genevsqai e{na touvtwn) 47. La question rebondit ainsi : pourquoi douze témoins et non pas onze ? quelle signification est attachée à ce nombre ? en quoi la complétion du collège apostolique est-elle indispensable à l’activité kérygmatique de l’Eglise ? C’est là que la symbolique des chif-

45

46

47

dire à Israël que le salut accompli par le Christ concerne tout le peuple de Dieu et qu’il est destiné d’abord aux Juifs ». Cf. Andrew C. CLARKE, « The Role of the Apostles », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 1998, pp. 169-181 ; Jacob JERVELL, « The Twelve on Israel’s Thrones. Luke’s Understanding of the Apostolate », 1972, pp. 75-112 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 91 ; Robert W. W ALL, The Acts of the Apostles, 2002, p. 48. Même constat chez Jacob JERVELL, « The Twelve on Israel’s Thrones. Luke’s Understanding of the Apostolate », 1972, p. 89, qui s’efforce ainsi de relier la composante eschatologique à la dimension du témoignage dans son évaluation des Douze chez Luc. Cf. Jacob JERVELL, « The Twelve on Israel’s Thrones. Luke’s Understanding of the Apostolate », 1972, p. 82 : « […] the task of the Twelve is to bear witness to the resurrection of Jesus (1 :22) ».

80

Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

fres intervient : cette mission de témoignage est destinée à Israël en premier lieu ; l’effacement des Douze au tournant du chapitre 15 résulte d’une réorientation de la mission en direction des non-juifs. En aval d’Ac 1, 15-26, l’homélie pétrinienne de la Pentecôte (2, 14-41) illustre parfaitement cette « valeur kérygmatique » 48 du chiffre 12 : Pierre, leader du collège apostolique, adresse à la maison d’Israël un vibrant appel au repentir (2, 36 ; cf. aussi 2, 22). Ce faisant, il inaugure la prédication publique de l’Eglise, en respectant son agenda : les juifs d’abord, les Grecs ensuite (cf. Ac 3, 26 ; 13, 46). Cela dit, cette lecture n’épuise pas la signification des Douze chez Luc. Comme dit, le logion des douze trônes placé sur les lèvres du Jésus lucanien érige les apôtres en leaders eschatologiques d’Israël (Lc 22, 29-30)49. Ils sont destinés à prendre part à la royauté du Christ sur Israël, royauté liée chez Luc à son enlèvement céleste (Ac 2, 29-32 ; 13, 32-37). En restaurant ce cercle ébréché, Dieu confirme cette promesse eschatologique 50. Bien plus, les 120 frères groupés autour des apôtres (1, 15) signalent le début de son avènement : l’Eglise naissante se constitue « par cercles de dix autour des douze apôtres »51 et incarne l’embryon de l’Israël idéal52. La restauration du « royaume pour Israël », questionnée par les disciples au seuil des Actes (1, 6), n’est pas reléguée aux calendes de l’histoire. Inauguré dans l’intronisation céleste du Ressuscité, ce rétablissement est appelé à se concrétiser dans l’Eglise des Actes en suivant une « eschatologie géographique », à commencer par la recomposition à Jérusalem du collège apostolique. En d’autres termes, les douze apôtres fonctionnent

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Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 66. Dans ce sens, Jacob J ERVELL, « The Twelve on Israel’s Thrones. Luke’s Understanding of the Apostolate », 1972, pp. 79.89. Contra Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 1968, p. 168. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 60. Similairement Wilfried ECKEY, Die Apostelgeschichte, I, 2000, p. 62 ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 72 ; Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 2005, p. 146. Dans ce sens Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1972, p. 72 : « Die Zahl 120 leistet aber noch mehr. Wenn sie aufgrund der 12 gebildet ist, verweist sie notwendig auch auf Israel, das Zwölfstämmevolk » et plus loin, p. 77 : « Die Sammlung Israels, die Jesus begonnen hat, bleibt in der Jüngergemeinde zeichenhaft existent, bis sie am Pfingsttag ihre Fortsetzung findet. » ; cf. également David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 125-126 ; Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 87.91 ; Wolfgang R EINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 2005, pp. 146-147.

2.6

Les Douze et l’identité ecclésiale des Actes

81

comme fondement et condition sine qua non de la recomposition eschatologique du peuple choisi. Contrairement à ce que nombre d’exégètes ont supposé (cf. notamment Rengstorf), cette restitutio ad integrum du cercle des Douze n’est pas une scorie traditionnelle inadaptée au projet lucanien ; il s’agit à l’inverse d’un événement hautement programmatique pour l’ecclésiologie de Luc. Au reste, l’on comprend mieux l’insertion de cet épisode dans l’intrigue des Actes : la basileiva tw/' jIsrahvl (Ac 1, 6b) ne peut se réaliser, si le cénacle appelé à siéger dans le Royaume de Dieu (Lc 22, 29-30) et représentatif des douze tribus n’est pas restauré. Son emplacement dans la trame narrative est imposé : entre la prophétie du Ressuscité (1, 8) et sa mise en œuvre au jour de la Pentecôte (2, 1-47). Une question demeure cependant en suspens : que penser de la mort de Jacques le Zébédaïde (12, 2), brèche jamais colmatée dans le récit des Actes ? Le martyre de Jacques n’est pas dans un rapport d’équivalence avec la trahison de Judas. Dit autrement, la mort sans apostasie n’enlève pas à l’apôtre son rôle historico-salutaire à l’endroit d’Israël53. Comme le dit avec raison l’exégète de Neuchâtel, Philippe Menoud : « […] la fin terrestre d’un apôtre n’est pas le terme de son ministère » 54. Résumons. La reconstitution du collège apostolique nous semble revêtir une double signification théologique dans le programme de Luc : 1) ce cercle est dépositaire d’une mission de témoignage à l’endroit de tout Israël. Restaurer ce cercle signifie la permanence de cette mission en dépit de la croix et de la défection de Judas. Promis à l’universalité, le salut doit être prioritairement accordé au peuple juif, à l’ensemble de la maison d’Israël. Ce calendrier du témoignage chrétien sera exemplifié tout au long des Actes, et surtout dans sa première moi-

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54

Dans ce sens, Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias, 2004, p. 179 : « Matthias was not chosen because Judas had died, but because he had become apostate ». Philippe H. MENOUD , « Les additions au groupe des douze apôtres, d’après le livre des Actes », 1975, p. 95 ; voir également Jacob JERVELL, « The Twelve on Israel’s Thrones. Luke’s Understanding of the Apostolate », 1972, p. 82 : « After the death of James (Acts 12 :2) it would be not only unnecessary, but superflous, to elect a new apostle, for reasons which Luke makes clear. If a new apostle were elected, the eschatological Israel would have thirteen regents over the twelve tribes ! » ; voir aussi plus loin à la p. 95 ; Arie W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias, 2004, p. 52.

82

Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

tié (2, 22.36.39 ; 3, 12.25-26 ; 4, 10 ; 5, 31), avec comme résultat des conversions en masse ; 2) la recomposition des Douze déclenche un mouvement eschatologique de rassemblement d’Israël. Dans la perspective lucanienne en effet, le collège des Douze est appelé à trôner dans le Royaume de Dieu et à juger les douze tribus d’Israël. Si cette fonction eschatologique ne sera pas pleinement effective avant la Parousie, elle est déjà anticipée dans le présent des Actes. Pour sûr, le Royaume de Dieu, qui n’est dans l’esprit de Luc nul autre que le royaume davidique promis à Israël (cf. Lc 1, 32-33.68-75 ; 2, 4.11.2526.29-32), n’est pas simplement une donnée reléguée à l’horizon de l’histoire. Dans l’aujourd’hui de la proclamation ecclésiale, proclamation agie par l’Esprit répandu, se réalisent les temps de la fin, et singulièrement le rétablissement eschatologique d’Israël ; la citation d’Amos placée sur les lèvres de Jacques en Ac 15, 16-17 le redira. Bref, restauré au lendemain de l’Ascension et à la veille de la Pentecôte, le collège apostolique joue un rôle stratégique dans le programme ecclésiologique de Luc : incarner l’embryon de l’Israël restauré 55. Remplacer Judas était ainsi d’une importance capitale.

2.7

Les Douze au regard du livre des Actes

Il n’est pas inintéressant d’examiner le traitement narratif réservé aux Douze dans la suite du récit lucanien. Comme nous l’avons évoqué, ce groupe ecclésial disparaît de la scène narrative après l’assemblée de Jérusalem, sa dernière attestation surgissant en 16, 4. Mais dans l’intrigue des Actes, il est un signe avant-coureur de cette disparition : le martyre d’Etienne et la sortie forcée de l’Eglise hors de Jérusalem. Dès cet instant, les Douze ne fonctionneront plus comme promoteurs de la mission chrétienne. Pour sûr, dès 8, 4, ce sont les Sept et les Hellénistes qui vont présider à l’expansion chrétienne, fondant dans leur élan missionnaire la communauté d’Antioche. Seule exception : la conversion du premier païen, le centurion Corneille (Ac 10–11). Ce débordement de l’Evangile par-delà les cloisons religieuses et ethniques entourant le judaïsme est réservé non à Paul, l’évangéliste des Gentils, mais à Pierre, le leader des Douze. La raison en est évidente :

55

Cf. Andrew C. CLARKE, « The Role of the Apostles », 1998, pp. 173-177.

2.7

Les Douze au regard du livre des Actes

83

l’éclatement du particularisme juif et l’élargissement de l’alliance aux païens ne constituent ni un raté de la mission chrétienne, ni une trahison paulinienne ; ils sont le résultat d’une intervention puissante de Dieu traduite en actes par Pierre. C’est le porte-parole du collège des Douze qui préside et cautionne théologiquement le basculement de la mission chrétienne. Lors de son dernier grand rendez-vous (Ac 15), l’ensemble des apôtres via Pierre donnera également son aval à ce tournant identitaire. Bref, la légitimation offerte par les Douze à cet événement décisif garantit la continuité entre l’Eglise universelle et l’Israël des promesses. Mais comme nous l’avons dit, cette importante intervention du collège apostolique est une exception. La brèche ménagée par Pierre dans la barrière des règles de pureté ne sera pas empruntée par les Douze, mais par Paul et Barnabé. Et ce, dès le premier voyage missionnaire relaté en Ac 13–14. Quant à Pierre, il prendra un autre chemin (Ac 12, 17c). Ce tableau des Douze brossé, comment interpréter leur effacement progressif de la trame narrative ? On pourrait formuler une première réponse située au niveau de la topographie du récit. Epargnés par le premier pogrom anti-chrétien survenu à Jérusalem, les Douze y restent fixés (Ac 8, 1c). Or, le mouvement de la mission chrétienne épouse une trajectoire d’éloignement de la Ville sainte, accomplissant en cela la prophétie-programme d’Ac 1, 8. Il serait toutefois réducteur d’en rester à cet élément de réponse. Car l’on sait la forte coloration théologique de l’espace chez Luc. Preuve en est le glissement subreptice des catégories entre Lc 24, 47-48 et Ac 1, 8 : l’« extrémité de la terre » (ejscavton th'" gh'" ; Ac 1, 8) retraduit en termes géographiques l’expression ethnicoreligieuse « toutes les nations » (pavnta ta; e[qnh) de Lc 24, 47b (voir aussi Ac 13, 46-47). Dans la double œuvre de Luc, géographie et théologie vont de pair. Examiné sous cet éclairage, le cantonnement des Douze à Jérusalem affecte centralement l’identité chrétienne. La Ville sainte et son Temple sont en effet les lieux incontournables de la cartographie des temps derniers. C’est là qu’était attendue la venue du Messie. C’est là que le rassemblement final du peuple choisi devait avoir lieu56. Plus que nul autre évangéliste, Luc a tenu à respecter cette géo56

Cf. Andrew C. CLARKE, « The Role of the Apostles », 1998, p. 176 : « Moreover, in Jewish eschatological expectation Jerusalem was the place where not only would the salvation of God be manifest, but the people of God would be restored ».

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Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

graphie sainte. D’où la polarisation sur Jérusalem des trois événements de Pâques (Lc 24, 33.52). D’où également l’injonction du Ressuscité d’y attendre la « promesse du Père » (Lc 24, 49b ; Ac 1, 4). D’où ensuite la première Pentecôte qui y a lieu (Ac 2, 1-13). D’où finalement la restauration des Douze et leur activité missionnaire dans ces lieux symboliques (Ac 1, 15–6, 7). Quant aux rares sorties des apôtres hors de la Ville sainte, elles culminent toutes dans une remontée vers Jérusalem. Bref, intimement liés à la Ville sainte et à son destin, les Douze garantissent la continuité historico-salutaire entre Israël et l’Eglise et ancrent au cœur du devenir chrétien l’espérance d’un rassemblement du peuple élu au mont Sion. Bien plus, selon Ac 1, 15-26, les Douze incarnent la matrice de l’Israël idéal en voie de recomposition. Telle est leur fonction théologique à l’égard de l’Eglise naissante, fonction qui ne sera jamais remise en question dans le récit de Luc. Cela dit, la disparition graduelle des Douze orchestrée entre 8, 1 et 16, 4 témoigne de l’émergence de nouvelles figures de référence pour la chrétienté des Actes. Tout d’abord, les Sept, chrétiens issus du judaïsme hellénisé, puis Saul, promoteur incontesté de la mission païenne. Or, ces deux groupes vont chacun à leur manière opérer un dépassement des frontières ethniques et religieuses du judaïsme : Philippe, l’un des Sept, en convertissant les schismatiques de Samarie et un eunuque d’Ethiopie (Ac 8, 4-40), les dispersés de Jérusalem en fondant la communauté d’Antioche composée de juifs et de non-juifs (Ac 11, 19-30), et Paul associé à Barnabé en généralisant dès Ac 13 l’ouverture aux païens risquée par Pierre. Dans ce sens, l’effacement narratif des Douze au profit d’autres protagonistes est doublement révélateur : non seulement du nouveau bassin d’expansion investi par le christianisme, mais aussi de l’émergence d’un peuple désormais composite. En d’autres termes, la disparition des Douze au lendemain de l’assemblée jérusalémite traduit au niveau des figures du récit ce qui se trame sur le plan identitaire : la chrétienté en construction n’est plus uniquement le reste restauré d’Israël, elle est conjointement un peuple universel réunissant en son sein juifs et non-juifs. Mais comme nous l’avons dit, cet effacement progressif des Douze n’équivaut pas à leur éviction hors de l’horizon identitaire du christianisme. Leur office historico-salutaire à l’endroit de l’Eglise demeure inchangé. Seule leur tâche terrestre trouve son terme après Ac 15, comme le préfigurent déjà en Ac 12 la mort de Jac-

2.8

Conclusion : la recomposition des Douze et l’identité ecclésiale des Actes

85

ques, le fils de Zébédée (v. 2), et le départ de Pierre « vers un autre lieu » (v. 17c).

2.8

Conclusion : la recomposition des Douze et l’identité ecclésiale des Actes

Episode aux saveurs bibliques incontestables, l’élection de Matthias en remplacement de Judas n’est pas une anecdote sans importance dans l’œuvre de Luc. Il s’agit au contraire d’un récit historico-salutaire de la plus haute signification pour l’identité et l’avenir de la chrétienté lucanienne. Comme nous l’avons montré, la recomposition du collège apostolique se greffe sur une double trajectoire thématique balayant les deux premiers chapitres des Actes : la trajectoire du témoignage et celle de l’eschatologie. Deux trajectoires intimement liées. En effet, l’eschatologie lucanienne n’est pas simplement une donnée future, repoussée aux calendes de l’histoire, mais se concrétise dans le présent de la communauté chrétienne, et tout particulièrement dans sa vocation de témoignage. Mission et eschatologie vont de pair chez Luc. Or, ceci est particulièrement vrai d’Ac 1, 15-26. Elu en suppléance de Judas, Matthias doit prendre sa part à la mission kérygmatique de l’Eglise. Cela dit, ce n’est pas tant le destin personnel de Matthias qui importe aux yeux de Luc, mais celui des Douze. C’est ce groupe qui est reconstitué suite à la mort infamante de Judas et c’est lui qui va conduire l’activité évangélisatrice de l’Eglise jusqu’au chapitre 6. Bien plus, cette recomposition d’un collège de douze membres dévoile la portée du témoignage ecclésial : il est destiné en premier lieu au peuple juif, à l’Israël des douze tribus. La trahison de Judas n’a pas annulé l’invitation divine adressée au peuple juif. Cette valeur kérygmatique des Douze se vérifie dès Ac 2, 14-41 lors de la première prédication pétrinienne : l’appel au repentir est adressé à l’ensemble de la maison d’Israël. Cela dit, cette tâche d’évangélisation n’est pas simplement un substitut à une eschatologie affaissée. Au contraire, Luc transfère l’eschatologie sur le plan de l’histoire missionnaire ; le Royaume de Dieu, inauguré dans la session céleste du Ressuscité, se concrétise dans l’activité kérygmatique de l’Eglise. L’effusion pentecostale de l’Esprit marquera officiellement ce commencement des temps derniers, temps singularisés par un renouveau de la prophétie. Situé

86

Un signal avant-coureur : la recomposition du cercle des Douze

entre Ascension et don de l’Esprit, Ac 1, 15-26 atteste lui aussi une forte dimension eschatologique : l’élection de Matthias en remplacement de Judas restaure le noyau natif de l’Israël idéal et ouvre la voie à une recomposition du peuple de l’alliance. Partant, l’épisode est avantcoureur de l’identité ecclésiale affichée dès Ac 2 : elle ne se substitue pas au peuple juif, mais s’inscrit dans la continuité des promesses faites à Israël ; héritière des espérances scripturaires, la communauté née de l’Esprit à la Pentecôte se comprend comme l’Israël restauré et réunifié. En conséquence, Ac 1, 15-26 est un récit décisif pour l’intelligence ecclésiale des Actes. Certes, tout principe de succession apostolique y fait défaut : la portée du récit n’est pas institutionnelle. S’il est une visée ecclésiologique à cet épisode, c’est bien au niveau identitaire qu’il faut la trouver. La recomposition du groupe apostolique a pour fonction d’ériger les Douze en figures de référence pour l’identité chrétienne. A côté des Hellénistes et de Paul, les douze apôtres constituent les piliers incontournables du récit fondateur de Luc. Dans ce groupe recomposé, se dit in nuce la prétention identitaire de l’Eglise : continuer l’histoire sainte et présider au rétablissement du Dôdekaphulon (cf. Ac 26, 7).

Chapitre 3

Le double universalisme de la Pentecôte : programme identitaire des Actes (Actes 2, 1-47) 3.1

Bibliographie

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Le double universalisme de la Pentecôte

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3.1

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Le double universalisme de la Pentecôte

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3.2 Une fonction de programme pour les Actes Le rôle programmatique attaché au récit de la Pentecôte (2, 1-47) dans le livre des Actes ne fait pas l’ombre d’un doute. Dans un article classique consacré à notre séquence, Eduard Lohse comparait déjà Ac 2 à un « grand porche au début de l’histoire de l’Eglise, que le lecteur doit franchir pour entrer dans l’histoire universelle » 1. Trois indices littéraires confirment le jugement de Lohse : 1) l’épisode s’ouvre sur une solennelle formule introductive (2, 1a : kai; ejn tw/' sumplhrou'sqai th;n hJmevran) comparable à la tournure du troisième évangile qui chapeaute 1

Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, p. 434 : « Das Pfingstereignis steht nach Lukas als ein grosses Portal am Anfang der Kirchengeschichte, durch das der Leser schreiten und Eingang in die Weltkirche finden soll ».

3.2

Une fonction de programme pour les Actes

91

la section du chemin et inaugure la marche de Jésus sur Jérusalem (Lc 9, 51 : ejgevneto de; ejn tw/' sumplhrou'sqai ta;" hJmevra" th'" ajnalhvmyew" aujtou'). Dans les deux cas, nous avons affaire à un marqueur temporel qui rythme profondément l’histoire du salut, en opérant une césure dans sa chronologie. Avec le chapitre 2, le lecteur des Actes s’avance au seuil d’une période nouvelle du calendrier de l’histoire, période caractérisée par le don de l’Esprit2, le renouveau de la prophétie 3, l’irruption des temps de la fin 4 et le début du témoignage public des apôtres5. 2) La modélisation du récit pentecostal sur les débuts du ministère de Jésus constitue le deuxième indice. C’est à Charles Talbert que revient le mérite d’avoir détaillé les multiples jeux d’échos identifiables entre ces deux séquences littéraires6. En clair, Luc a disposé en parallèle l’ouverture des deux volets de son diptyque, conférant à l’épisode de la Pentecôte une fonction inaugurale comparable au complexe baptême– discours de Jésus consigné au seuil de l’évangile (Lc 3, 21-22 ; 4, 16-30). Ce phénomène d’intratextualité possède un nom technique dans la rhétorique antique : la syncrisis. Son objectif est double : comparer deux personnages ou deux événements pour mettre en évidence leurs similitudes sur fond d’inévitables divergences. Dans le cas précis, cette construction en parallèle nous signale que les commencements de l’Eglise se font à l’identique des commencements du Maître 7. En cela, la continuité est parfaite : prière/baptême/discours-programme. Ceci dit, ce phénomène de modélisation témoigne également de l’avancée de l’histoire : l’Esprit qui fond sur Jésus au jour de son baptême n’est autre

2 3 4 5 6

7

Cf. Lc 24, 49 ; Ac 1, 8a ; 2, 4. Ac 2, 17d.18b. Ac 2, 17a. Ac 2, 14-36 ; cf. Lc 24, 47-48 ; Ac 1, 8b. Charles H. TALBERT, Literary Patterns, Theological Themes and the Genre of LukeActs (SBL.MS 20), Missoula, Scholars Press, 1974, p. 16. La préface d’Ac 1, 1-4 s’apparente à la préface de Lc 1, 1-4 ; les disciples sont en prière dans l’attente de la promesse du Père (Ac 1, 14.24) tout comme l’était Jésus à son baptême (Lc 3, 21) ; l’onction d’Esprit dont sont revêtus les disciples à Jérusalem (Ac 2, 1-13) rappelle l’effusion baptismale sur Jésus (Lc 3, 22) ; au discours pentecostal de Pierre situé en accomplissement prophétique de Joël (Ac 2, 14-41) correspond le discours tenu par Jésus en la synagogue de Nazareth et, lui aussi, assorti d’un cadre scripturaire (Lc 4, 16-30). Cf. Etienne SAMAIN, « Le récit de Pentecôte. Ac 2, 1-13 », 1971, p. 48 : « […] il n’y a de témoignage possible qu’en liaison étroite avec ce que Jésus a fait ».

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Le double universalisme de la Pentecôte

que l’Esprit qui est désormais octroyé aux témoins de la résurrection ; le monopole pneumatologique qui avait cours dans l’évangile cède au moment où le Maître est enlevé au ciel. 3) Cette dimension inaugurale est finalement confirmée par la relecture que Pierre fait de la Pentecôte à l’occasion de la conversion de Corneille (Ac 11, 15) : « A peine avais-je pris la parole que l’Esprit Saint tomba sur eux comme il l’avait fait sur nous au commencement » 8. ajrchv possède ici son double sens temporel et causal9. La Pentecôte d’Ac 2 fonctionne dans le second tome ad Theophilum non seulement comme commencement, scène inaugurale du témoignage de l’Eglise (cf. ajrxavm enoi en Lc 24, 47), mais aussi comme fondement, principe de toutes les Pentecôtes à venir. La résurgence de scènes pentecostales dans la suite du récit est là pour en témoigner (Ac 4, 31 ; 8, 17 ; 10, 44-46 et 19, 6)10. Bref, la stature programmatique octroyée par Luc au récit d’Ac 2 semble difficilement contestable. Un large consensus exégétique s’est d’ailleurs formé sur la question11. En d’autres termes, les exégètes de Luc s’accordent à l’idée que l’auteur à Théophile y a miniaturisé le programme théologique de son second tome. Ou pour le dire différemment : qui souhaite cerner le projet identitaire sous-jacent à la narration des Actes est automatiquement renvoyé à cette porte d’entrée, la suite de l’œuvre en constituant son déploiement narratif. Pourtant, cette belle unanimité vole en éclats dès

8

9 10 11

Cf. Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, p. 138 ; Heinz GIESEN, « Gott steht zu seinen Verheissungen. Eine exegetische und theologische Auslegung des Pfingstgeschehens (Apg 2,1-13) », 2003, p. 85. Un autre passage lucanien corrobore cette idée de commencement : c’est l’ordre missionnaire du Ressuscité consigné en Lc 24, 47 (cf. ajrxavmenoi). Cf. art. « ajr chv », dans Walter BAUER, Griechisch-Deutsches Wörterbuch, 19886, col. 221-223. Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 82 et 162164. Cf. Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, p. 95 : « […] the Pentecost event, with its interpretation as disclosed in Peter’s speech, the reaction of the people, and the formation and growth of the early community under guidance and protection of the Spirit, appears in the very center of Luke’s two-part work, contains in nuce (in a nutshell) his theological message, and touches upon nearly every important theme of his narrative composition. » ; Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, p. 159 : « Die Pfingsterzählung steht damit wie ein Portal am Anfang des zweiten Teils des Doppelwerkes, der den Weg der christlichen Verkündigung bis hin zu den Heiden darstellen und zugleich als im Werk Gottes begründet verstehen lehren will ».

3.3

Panorama de la recherche

93

qu’il s’agit de préciser le contenu de ce programme : les exégètes rivalisent d’ingéniosité et de talent pour défendre leur option de lecture. En témoigne l’importante littérature secondaire amassée sur le sujet. Les pistes se brouillent davantage encore lorsqu’on envisage le monde interprétatif sous-jacent au texte d’Ac 2, 1-13. Pour démêler cet écheveau, un rapide aperçu de la recherche s’impose.

3.3 Panorama de la recherche 3.3.1

Actes 2 comme anti-Babel

Depuis les Pères de l’Eglise 12, nombreux sont les lecteurs à rapprocher Ac 2 du récit de la confusion des langues rapporté en Gn 11, 1-9 13. Bien que très populaire, cette lecture a rarement fait l’objet d’un examen sérieux. La plupart du temps, les commentateurs se contentent de ressemblances forfaitaires entre les deux récits. Dans son article consacré à la Pentecôte, Etienne Samain risque trois arguments susceptibles de fonder un jeu d’échos entre Ac 2 et Gn 11 et l’autorisant à relire le texte lucanien comme le récit d’une nouvelle création, inversant les effets de

12

13

Voir entre autres : AMBROISE, Sermon 36 ; AUGUSTIN, Sermon 266 ; 268 ; 269 et 271 ; ID., Homélie sur l’évangile de Jean 6,10 ; CYRILLE DE J ÉRUSALEM, Catéchèse baptismale 17,17 ; JEAN CHRYSOSTOME, Homélie sur la Pentecôte 2 ; GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 41,16 ; etc. Simultanément, cette corrélation antitypique devint très courante dans le registre homilétique de la fête de Pentecôte (cf. Christoph UEHLINGER, Weltreich und « eine Rede ». Eine neue Deutung der sogennanten Turmbauerzählung [Gen 11,1-9] [OBO 101], Freiburg/Göttingen, Universitätsverlag/Vandenhoeck und Ruprecht, 1990, pp. 264-266). Notamment : Gregory K. BEALE, « The Descent of the Eschatological Temple in the Form of the Spirit at Pentecost. Part 1 : The Clearest Evidence », 2005, pp. 75-76 ; Georgette CHÉREAU, « De Babel à la Pentecôte. Histoire d’une bénédiction », 2000, pp. 19-36 ; Heinz GIESEN, « Gott steht zu seinen Verheissungen. Eine exegetische und theologische Auslegung des Pfingstgeschehens (Apg 2,1-13) », 2003, pp. 102-103 ; Kirsopp LAKE, « The Gift of the Spirit and the Day of Pentecost », 1933, pp. 114-115 ; Richard I. PERVO, Acts, 2009, p. 61, note 19 ; Etienne TROCMÉ, Le « livre des Actes » et l’histoire (EHPR 45), Paris, PUF, 1957, pp. 203-204. Pour sa part, Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, p. 501, mentionne en passant ce jeu d’échos, reconnaissant toutefois son faible ancrage textuel, tandis que Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, pp. 237-238.253-254, juge le parallélisme forcé.

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Le double universalisme de la Pentecôte

Babel14 : 1) la division des langues (Ac 2, 3 ; diamerizovm enai) correspondrait à la dispersion des peuples survenue à Babel et leur répartition en langues (Gn 11, 4.8.9) ; 2) le répertoire ethnique d’Ac 2, 9-11a évoquerait la table des nations de Gn 10, dans un contexte littéraire analogue15 ; 3) finalement, les renvois aux origines du monde identifiables lors du baptême de Jésus (surtout en Lc 3, 22) accréditeraient pareilles allusions en Ac 2 : ce n’est rien de moins que l’Esprit créateur de la Genèse (1, 1-2) qui serait répandu sur l’Eglise 16. A ces trois parentés, James Scott17 ajoute deux autres convergences : 1) comme dans la Pentecôte lucanienne (Ac 2, 2), un vent violent, suscité par Dieu pour détruire la fameuse tour, apparaît dans plusieurs comptes rendus antiques des événements de Babel (cf. Jub 10,26 ; Oracles sibyllins 3,101103 ; EPIPHANE, Panarion 2,11) ; 2) le trouble généré en Ac 2 par l’effusion de l’Esprit (v. 6 : sunecuvq h) rappellerait lexicalement la confusion des peuples de Gn 11, 7.9LXX (cf. sugcevw). 3.3.2

Le récit de la Pentecôte et le don de la Torah au Sinaï

Cette piste d’interprétation est sûrement la plus fréquentée, mais peutêtre également la plus accidentée 18. Nombreux sont en effet les exégètes de Luc à exhumer du récit de la Pentecôte un faisceau d’allusions directes ou indirectes au récit de la théophanie sinaïtique19. D’une part,

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16 17 18 19

Etienne SAMAIN, « Le récit de Pentecôte. Ac 2, 1-13 », 1971, pp. 62-67. Dans ce sens également Dean Philip BECHARD, Paul outside the Walls, 2000, pp. 223224 ; James M. SCOTT, « Luke’s Geographical Horizon », 1994, p. 530 ; ID., « Acts 2.911 as an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, pp. 116 et 122. Etienne SAMAIN, « Le récit de Pentecôte. Ac 2, 1-13 », 1971, pp. 63.66 James M. SCOTT, « Acts 2.9-11 as an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, p. 105. On la retrouve déjà dans l’interprétation patristique (cf. par ex. AUGUSTIN, Sermon 155,5-6). Notamment : Gregory K. BEALE, « The Descent of the Eschatological Temple in the Form of the Spirit at Pentecost. Part 1 : The Clearest Evidence », 2005, pp. 76-83 ; Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, pp. 481501 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 138-139 ; Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, pp. 238-253 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 102 ; Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 282-289. Pour sa part, Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, p. 104, défend une position nuancée : elle reconnaît certes l’existence d’un faisceau d’allusions intertextuelles, mais constate toutefois l’absence des thématiques typiques de la théopha-

3.3

Panorama de la recherche

95

les tenants de cette lecture investiguent l’arrière-fond religieux de la Pentecôte juive, plus particulièrement son association à l’épiphanie divine du Sinaï. Conscients de l’origine agricole de cette fête, ils sont néanmoins d’avis que Luc était déjà familier de son rattachement à l’histoire sainte, singulièrement aux événements du Sinaï. Il est vrai que, malgré les attestations tardives de ce glissement symbolique (2ème s. ap. J.-C.) 20, le livre des Jubilés voit dans la « fête des Semaines » un rappel et un renouvellement de l’alliance noachique (Jub 6,17.19), alors que les sectaires de Qoumrân – qui se comprenaient eux-mêmes comme la communauté « de l’alliance nouvelle » (1QpHab 2,3 ; CD 6,19 ; 8,21) ou « de l’alliance éternelle » ( 1QS 5,5-6) – en firent peut-être la fête suprême de leur calendrier21. D’autre part, les commentateurs font valoir un éventail de rapprochements directs entre le texte d’Ac 2 et les différentes relations juives des événements du Sinaï (essentiellement Ex 19, 16-19LXX ; Dt 4, 11-12LXX ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 3,79-80 ; PHILON, De Decalogo 32-36.44-49 ; De Specialibus Legibus 2,188-189 ; Targum Pseudo-Jonathan Ex 20,2 ; Ex. Rabba 5 [71a] ; b. Shabbat 88b ; Midrash Ps 92 § 3 [202a] ; etc.) 22. Ces arguments réunis, ils en concluent que le récit lucanien de la Pentecôte inaugure une nouvelle alliance entre Dieu et son peuple, ici représenté par l’Eglise chrétienne. Simplement, à la différence de la première alliance scellée lors de la théophanie du Sinaï, cette dernière ne serait plus régie par les prescriptions de la Loi, mais par l’action de l’Esprit23. 3.3.3 La Pentecôte d’Actes 2 et le rassemblement final d’Israël Suite aux travaux de Jacob Jervell publiés au seuil des années 1970, le paradigme de la restauration d’Israël va connaître un attrait grandissant dans l’exégèse lucanienne. C’est dans cette perspective que Gerhard Lohfink s’est proposé de relire l’événement de la Pentecôte et

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nie sinaïtique (Loi, alliance), absence contrastée par la présence de traditions (messianico-royales) étrangères à ces événements. Eduard LOHSE, art. « penthkosthv », ThWNT VI, 1959, pp. 47-49. Voir à ce sujet Roger LE DÉAUT, « Pentecôte et tradition juive », 1963, pp. 22-38. Pour un aperçu des parallèles supposés, voir notamment Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, pp. 481-490. Par exemple Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, p. 501 ; Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 108-109.

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les conversions massives qui s’en suivent. Il procède de l’observation suivante : réagissant aux railleries déclenchées par l’effusion de l’Esprit, Pierre s’adresse à l’ensemble de la maison d’Israël (cf. 2, 36), juifs de la dispersion inclus (cf. 2, 5-11), et suscite la repentance de trois mille d’entre eux24. Pour Lohfink, cette première moisson inaugure le « printemps de Jérusalem » (« Jerusalemer Frühling » 25) et amorce les conversions massives qui vont jalonner les chapitres 3–5 des Actes. Par conséquent, cette période faste aurait comme objectif premier de raconter le rassemblement eschatologique du peuple choisi26. Cette lecture d’Ac 2 sera reprise et étoffée par Max Turner dans le cadre de son enquête sur la figure de l’Esprit en Lc–Ac27. Repérant en arrière-fond de la Pentecôte lucanienne d’importantes allusions au don sinaïtique de la Loi, Turner voit sa thèse s’accréditer : l’envoi de l’Esprit inaugure un processus de renouvellement en Israël. Précisons : le professeur londonien considère que le ministère du Jésus lucanien s’ordonne au pattern ésaïen du Nouvel Exode, exode axé sur la restauration de Sion. Or, ce rétablissement eschatologique ne serait pas mis en faillite par la croix, mais serait au contraire activé lors de son Ascension céleste ainsi que dans l’effusion pentecostale de l’Esprit : la « puissance d’en haut » répandue par le Christ exalté deviendrait le vecteur de ce programme de restitution déployé en aval d’Ac 2 – Turner le vérifie en 3, 19-25 et 15, 12-2128. Bien avant Gerhard Lohfink ou Max Turner, Antonin Causse avait déjà rapproché le récit pentecostal des traditions juives relatives au grand rassemblement eschatologique d’Israël et en avait inféré la dimension « hiérosolymocentrique » de l’Eglise naissante 29.

24

25 26

27 28 29

Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 49 : « Was gezeigt werden soll, ist zunächst dies : Ganz Israel, selbst das Israel aus der Diaspora, wird der apostolischen Predigt konfrontiert. Diese Konfrontation soll zwar später noch im einzelnen dargestellt werden. Aber sie ist bereits hier zeichenhaft vorweggenommen » (l’auteur souligne). Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 55. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels , 1975, p. 55 : « In der Zeit der ersten apostolischen Predigt sammelt sich aus dem jüdischen Volk das wahre Israel ! » (l’auteur souligne). Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 267-315. Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 306-315. Antonin CAUSSE, « Le pèlerinage à Jérusalem et la première Pentecôte », 1940, pp. 120-141 ; voir aussi Joseph SCHMITT, « L’Eglise de Jérusalem ou la “restauration”

3.3

3.3.4

Panorama de la recherche

97

La mission « jusqu’aux confins de la terre » et l’universalisme de l’Empire

Adossé à l’envoi missionnaire du Ressuscité (1, 8), l’épisode de la Pentecôte ne pouvait échapper à son emprise. C’est en tout cas l’hypothèse développée par Eduard Lohse dans un incontournable article consacré à Ac 2 30. Selon lui, l’épisode de la Pentecôte inaugure l’ultime étape de l’histoire du salut, étape caractérisée par le don de l’Esprit et par l’instauration d’une Eglise universelle. Ces deux dimensions seraient déjà visibles in nuce dans le récit d’Ac 2 : l’effusion de l’Esprit accomplirait la promesse divine d’Ac 1, 8a et, partant, actualiserait la citation de Joël. Conjointement, le miracle des langues articulé à la présence de juifs de la diaspora symboliserait l’autre volet de cette promesse du Ressuscité, autrement dit le témoignage universel de l’Eglise (1, 8b) 31. Cette piste interprétative a été empruntée par une majorité d’exégètes, au rang desquels figure notamment Jacques Dupont32. Pour Dupont en effet, évoquant la grande théophanie du Sinaï, l’épisode d’Ac 2 élargit la nouvelle alliance à l’ensemble des nations établies sous le ciel. En d’autres termes, l’universalité théoriquement déjà présente dans le don de la Torah serait actualisée en faveur de l’Eglise née de l’Esprit à la Pentecôte 33. Plus récemment, Marianne Palmer Bonz a centré son intérêt sur le catalogue des nations consigné en Ac 2, 9-11a, y identifiant l’énoncé programmatique du livre des Actes. A l’instar de listes similaires contenues dans l’Enéide de Virgile, Luc aurait conféré à cet inventaire la valeur de prolepse narrative 34. Seraient par ce biais préfigurées

30

31 32 33 34

d’Israël d’après les cinq premiers chapitres des Actes », 1953, p. 211, et plus récemment David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus , 2000, pp. 129-131. Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, pp. 422-436 ; voir aussi ID., art. « penthkosthv », ThWNT VI, 1959, pp. 50-51. Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, pp. 432-433. Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, pp. 481502. Voir également Etienne SAMAIN, « Le récit de Pentecôte. Ac 2, 1-13 », 1971, p. 67. Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, pp. 501502. Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, p. 108 : « […] the catalogues in Aeneid 6 and Acts 2 function symbolically and proleptically » (l’auteur souligne). De même, ibid., p. 109 : « As with Virgil’s list, Luke’s list functions as symbolic and

98

Le double universalisme de la Pentecôte

la mission universelle déployée à partir de Jérusalem ainsi que la constitution d’un nouveau peuple en remplacement de la maison d’Israël. Dans une veine identique, Gary Gilbert35 a comparé cette liste aux catalogues de peuples utilisés dans la littérature antique pour promouvoir l’idéologie romaine de domination universelle. Bref, ces deux études récentes ont non seulement identifié un scénario universaliste dans la programmation d’Ac 2, mais l’ont surtout relu à l’aune de la concordia des peuples rêvée par la Rome d’Auguste. Ce rapide status quaestionis dévoile la diversité des options interprétatives générées par le récit d’Ac 2. On l’a dit, cette effervescence a partie liée avec l’emplacement stratégique dudit épisode. Nous nous proposons de reprendre cette discussion en deux temps : tout d’abord, nous désirons préciser les références intertextuelles sous-jacentes à cette Pentecôte lucanienne ; c’est essentiellement l’allusion supposée à la grande théophanie sinaïtique et au don de la Torah que nous questionnerons. Ensuite, nous tenterons de déterminer la signification de cet événement dans le cadre du livre des Actes et, partant, sa visée programmatique.

3.4 Actes 2 et la théophanie du Sinaï Comme dit, nous souhaitons premièrement questionner l’arrière-fond intertextuel d’Ac 2. Nous sommes en effet confrontés à une situation paradoxale : d’une part, la majorité des commentateurs n’hésite pas à percevoir dans le récit lucanien de la Pentecôte des renvois directs ou indirects aux événements du Sinaï ; d’autre part, les thèmes majeurs liés à cette théophanie (Loi, alliance, figure mosaïque, etc.) sont absents dans la relation de Luc. Pourtant, ce silence troublant n’a pas empêché nombre d’exégètes de lire Ac 2 comme le récit d’une nouvelle alliance entre Dieu et son ekklèsia. Tel est le cadre de notre problématique. Au rang des rapprochements indirects entre ces deux épisodes, les exégètes comptent, on l’a vu, la datation de l’effusion de l’Esprit. Luc précise en effet que le don promis survint « le jour de la Cinquantaine »

35

proleptic evidence of the eschatological fulfillment of a divinely ordered mission and of promises of the establishment of a kingdom without temporal or spatial limits ». Gary GILBERT, « Roman Propaganda and Christian Identity in the Worldview of Luke-Acts », 2003, pp. 247-253.

3.4

Actes 2 et la théophanie du Sinaï

99

(2, 1a), autrement dit lors de la fête juive de la Pentecôte. Si cette observation textuelle ne souffre aucune contestation, l’arrière-fond religieux de cette fête n’offre pas les mêmes garanties. Déterminer à partir de quel moment la Pentecôte a été associée à l’histoire d’Israël et en vint à commémorer le don sinaïtique de la Torah tient de la gageure. Dans sa vaste étude consacrée à cette fête, Jean Potin36 s’est risqué à retracer son évolution. Selon lui, c’est un abandon progressif de la signification agricole et son historicisation graduelle qu’il faut imaginer. Précisons : Potin identifie deux étapes majeures dans ce processus évolutif. La première phase se caractérise par un effacement partiel de la connotation agraire de la Pentecôte au profit d’un rattachement à l’histoire sainte. Cette double signification est ainsi identifiable dans le livre des Jubilés37 et dans certains documents retrouvés à Qoumrân. En plus de célébrer l’offrande des prémices, la Pentecôte y était considérée comme « la fête des Serments » (cf. Jub 6,10 ; 19,7 ; 24,10), comme une fête de renouvellement de l’alliance 38. Principale fête du calendrier liturgique de Qoumrân (cf. Jub 22,1), c’est vraisemblablement en ce jour que les novices étaient intégrés à la communauté sectaire et que ses membres réitéraient rituellement leur engagement ( 1QS 1,8–3,12)39. Cela dit, si la Pentecôte devint à cette époque une fête de renouvellement de l’alliance dans certains courants marginaux du judaïsme, elle n’en était pas pour autant directement rattachée à la révélation et à l’alliance du Sinaï40. Au contraire, pour les Jubilés, c’est bien l’alliance conclue par Dieu avec Noé qui était prioritairement évoquée (cf. Jub 6,15-19). La seconde étape de cette évolution affleure dans la tradition rabbinique et n’est pas attestée avant le 2ème s. ap. J.-C. (le premier témoignage pro36 37 38

39

40

Jean POTIN, La fête juive de la Pentecôte (LeDiv 65), Paris, Cerf, 1971. cf. Jub 6,21 : « Cette fête est double et a un double caractère ». Cf. Christian GRAPPE, « A la jonction entre Inter et Nouveau Testament : le récit de la Pentecôte », 1990, pp. 20-21 ; Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, p. 16. Cette interprétation reste néanmoins très débattue dans la recherche (discussion chez Werner EISS, « Das Wochenfest im Jubiläenbuch und im antiken Judentum », 1997, pp. 173-175 ; Reinhard NEUDECKER, « “Das ganze Volk sah die Stimmen…” : Haggadische Auslegung und Pfingstbericht », 1997, p. 343). Stefan SCHREIBER, « Aktualisierung göttlichen Handelns am Pfingsttag. Das frühjüdische Fest in Apg 2,1 », 2002, p. 66 : « Deutlich wird nicht das Wochenfest mit dem Sinaigeschehen gefüllt, sondern die Sinai-Offenbarung dient der Festschreibung und Durchsetzung des Festes, das Ernte- und Noahbund-Thematik umfasst ».

100

Le double universalisme de la Pentecôte

vient de rabbi José ben Chalafta et date de 150 ap. J.-C.). A partir de ce moment seulement, la Pentecôte juive semble avoir été associée à l’alliance scellée au Sinaï, et, singulièrement, au don de la Torah. Ce mouvement ira de pair avec un effacement quasi total de la coloration agraire de cette fête. Précisons encore que ni Philon d’Alexandrie (De Specialibus Legibus 1,183 ; 2,176), ni Flavius Josèphe ( Antiquités Juives 3,252 ; 13,252) ne paraissent connaître cette nouvelle signification conférée à la célébration de la Pentecôte 41. Tous deux y reconnaissent uniquement une fête des récoltes. En conséquence, le processus dessiné par Potin handicape sérieusement les exégètes désireux de voir dans la Pentecôte d’Ac 2 un renvoi implicite aux événements du Sinaï. Rien n’indique que l’auteur à Théophile était déjà sensible à cette historicisation de la fête des Prémices42. La question de la datation d’Ac 2 rebondit ici : la précision temporelle se prête-t-elle à un déchiffrement théologique ou est-elle vierge de toute charge symbolique43 ? L’auteur à Théophile fait une seconde référence à cette fête juive en Ac 20, 16, déclarant au sujet de Paul : « Il n’avait qu’une hâte : être à Jérusalem, si possible, pour le jour de la Pentecôte ». Cette notice mérite notre attention. Elle rattache en tout cas la Pentecôte juive à la Ville sainte. Couplée au témoignage de Flavius Josèphe dans sa Guerre des Juifs (2,42-43 ; cf. également Antiquités Juives 17,254), cette mention laisse penser que Luc tenait encore Pentecôte pour une fête de pèlerinage (cf. Ex 23, 19), et ce malgré la disparition du second Temple 44. La présence à Jérusalem de « juifs pieux, venus de toute nation qui est

41

42

43

44

Cf. Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, p. 430 : « Da noch Josephus und Philo nichts von der Verknüpfung des Pfingstfestes mit der Sinaitradition berichten, werden sie davon nichts gewusst haben ». Pace les exégètes qui supposent que ce transfert de signification a eu lieu peu après la destruction du Temple en 70 ; entre autres : Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 177 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 132 ; Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, pp. 14-24 ; Reinhard NEUDECKER, « “Das ganze Volk sah die Stimmen…” : Haggadische Auslegung und Pfingstbericht », 1997, p. 344 ; Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 280-282. Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, p. 213, considère la datation de l’épisode – i.e., lors de la Pentecôte juive – comme textuellement insignifiante. Dans ce sens, voir également Werner EISS, « Das Wochenfest im Jubiläenbuch und im antiken Judentum », 1997, p. 176.

3.4

Actes 2 et la théophanie du Sinaï

101

sous le ciel » (2, 5) et l’illustration qu’en donne Luc dans son catalogue des peuples (vv. 9-11a) offre plus ample assise à cette hypothèse de lecture. Au reste, cette convergence vers la Ville sainte, présupposée par la fête de la Pentecôte, ne pouvait laisser l’auteur des Actes indifférent, dans la mesure où ce pèlerinage évoque le mouvement de procession au mont Sion prophétisé dans la tradition vétérotestamentaire (cf. Es 2, 2-3 ; 60, 1-4 ; 66, 18-20 ; etc.). Partant, ressurgit ici l’intrigue de restauration d’Israël entrevue dans l’épisode précédent. De notre avis, ce décodage de la notice temporelle d’Ac 2, 1 rend davantage justice au texte lucanien et à ses emphases. Nous y reviendrons. Examinons à présent les parentés littéraires existant entre Ac 2, 1-13 et les différentes traditions juives relatives aux événements du Sinaï. Les parallèles généralement identifiés sont d’ordres thématique et lexicographique 45. Dans un registre purement conceptuel, les exégètes détaillent les convergences suivantes : nous retrouvons de part et d’autre les motifs des flammes46, du bruit47, des voix (venant du ciel) 48, la division/répartition des voix49, l’unanimité d’Israël/de l’Eglise 50, la dimension universelle de l’événement51, etc. En sus de ces ressemblances thématiques, les exégètes font également valoir un éventail de rapprochements lexicaux : les expressions ejgivnonto fwnaiv ... fwnh; th'" savlpiggo" h[c ei mevga (Ex 19, 16) ; ejn puriv (Ex 19, 18) ; ejk tou' oujranou' (Dt 4, 36 ; Ex 20, 22) et ajp ’ oujranou' purov" (PHILON, De Decalogo 46) ; wJsei; pu'r flevgon (Ex 24, 17) ; pu'r flogoeidev" (PHILON, De Decalogo 33) ; flogo;" eij" diavlekton (P HILON, De Decalogo 46) ; ejn ejscatiai'" katoikou'nta" (De Specialibus Legibus 2,189) ; les termes fwnhv (Ex 19, 5.13.16.19 ; 20, 18 ; PHILON, De Decalogo 33 ; 35 ; 46 ; 47 ; 48 ; De Specialibus Legibus 2,189 ; etc.) ; h\co" et ses dérivés (Ex 19, 16 ; PHILON, De 45

46 47 48 49 50 51

Voir entre autres chez : Georg KRETSCHMAR, « Himmelfahrt und Pfingsten », 1954/1955, pp. 229-244 ; Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, pp. 481-490. Ac 2, 3 ; Ex 19, 18 ; 24, 17 ; PHILON, De Decalogo 33 ; Targum Pseudo-Jonathan Ex 20, 2. Ac 2, 2.6 ; Ex 19, 16 ; P HILON, De Decalogo 33 ; 46. PHILON, De Decalogo 33 ; 46 ; 47 ; 48. Ac 2, 3 ; Ex. Rabba 5 (71a) ; b. Shabbath 88b ; Midrash Ps 92, 3 (202a) ; etc. Ac 2, 1 (cf. Ac 1, 14) ; Ex 19, 8 ; Targum Pseudo-Jonathan Ex 19, 2b ; Mekhilta Ex. 19, 2.8 ; 20, 2 ; etc. Ac 2, 5.9b-11 (cf. 1, 8) ; P HILON, De Decalogo 33 ; De Specialibus Legibus 2,189 ; b. Shabbath 88b.

102

Le double universalisme de la Pentecôte

Decalogo 33 ; 46 ; De Specialibus Legibus 2,189 ; etc.) se trouvent, avec quelques variations, dans le texte d’Ac 2, 1-13. Qu’en conclure ? Les parentés mentionnées sont irréfragables : autant sur un plan thématique que lexicographique, il existe des similitudes entre Ac 2 et les traditions juives rapportées à la théophanie du Sinaï (en particulier avec les relations de Philon d’Alexandrie). Ces ressemblances indiquent-elles pour autant un jeu d’intertextualité entre ces récits ? Nous évoquions en ouverture de ce paragraphe le paradoxe inhérent à cette hypothèse : d’une part, les exégètes inventorient une multiplicité de parallèles entre Ac 2 et les traditions du Sinaï, d’autre part, les thèmes majeurs de cette théophanie sinaïtique sont absents. En d’autres termes, ce qui singularise la révélation du Sinaï et l’élève audessus des autres théophanies bibliques fait défaut dans le texte d’Ac 2 : nulle mention de la Loi, nulle allusion à une quelconque alliance ou à la figure de Moïse 52. Au contraire, les parallèles énumérés ne pointent pas exclusivement en direction du don sinaïtique de la Torah53. Ils ressortissent plus globalement au genre littéraire et au langage des théophanies bibliques54. A cet endroit, Robert Menzies55 a rassemblé 52

53

54

Pace entre autres Jacques DUPONT, « Ascension du Christ et don de l’Esprit d’après Actes 2,33 », 1984, pp. 199-209 et Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 285289, qui perçoivent des résonances mosaïques dans le discours de Pierre, spécialement aux vv. 33-34a. Précisément, ces exégètes décèlent en 2, 33 une allusion au Ps 67, 19aLXX (cf. Ep 4, 8), verset interprété en référence à Moïse et à son ascension par la tradition rabbinique. Or, dans ces textes, l’ascension mosaïque aurait précédé le don de la Torah aux hommes. Relue à cette enseigne, l’ascension de Jésus serait modelée sur celle de Moïse, et le don de l’Esprit marquerait le passage de l’ancienne à la nouvelle alliance. Bref, cette allusion mosaïque conforterait les jeux d’échos supposés entre Ac 2, 1-13 et les traditions juives du Sinaï. Robert O’TOOLE, « Acts 2 :30 and the Davidic Covenant of Pentecost », 1983, pp. 245-258 ; Robert P. MENZIES, The Development of Early Christian Pneumatology with Special Reference to Luke–Acts, 1991, pp. 241-243 et Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in LukeActs, 1995, pp. 145-147, ont pour leur part démontré la fragilité de cette hypothèse et la prédominance des références davidiques dans le discours pétrinien. Pour O’Toole, s’il existe un renvoi intertextuel en 2, 33, c’est en direction de l’oracle de Natan (cf. 2 S 7, 12-16) répercuté par le Ps 88 (ibid., pp. 245-258) qu’il oriente la lecture. Cf. Heinz GIESEN, « Gott steht zu seinen Verheissungen. Eine exegetische und theologische Auslegung des Pfingstgeschehens (Apg 2,1-13) », 2003, p. 90 ; Robert P. MENZIES, The Development of Early Christian Pneumatology with Special Reference to Luke–Acts, 1991, p. 238. Bien noté par Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, pp. 246-247 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 146.

3.5

Glossolalie ou xénoglossie ?

103

quatre traditions, étrangères au don de la Loi, mais comportant des caractéristiques théophaniques communes avec Ac 2, 1-13 : il s’agit de 4 Esd 13,1ss ; 1 Hénoch 14 ; 2 S 22, 8-15 et Es 66, 15-16.18. En l’état, un jeu d’échos entre la Pentecôte lucanienne et la tradition sinaïtique nous semble peu probant. Rien n’indique que l’auteur à Théophile ait modelé son récit en référence explicite au don de la Torah à l’Horeb. Cela dit, Luc a massivement investi l’imagerie et le langage typique des théophanies vétéro- et inter-testamentaires pour composer l’épisode du don de l’Esprit. Il ne fait aucun doute qu’Ac 2 dépeint une théophanie semblable aux manifestations divines qui jalonnent l’histoire d’Israël, et semblable – à cet titre uniquement – à la grande théophanie du Sinaï : l’effusion de l’Esprit est décrite à renfort de visions et de sons accompagnant d’ordinaire les irruptions du divin (vacarme, ouragan, flammes de feu qui se divisent, etc.). Dans le cadre de son histoire de l’Eglise, Luc confère à Ac 2 une fonction et une importance similaires aux grandes épiphanies divines du passé d’Israël.

3.5 Glossolalie ou xénoglossie ? Un autre débat divise les interprètes d’Ac 2 : quel miracle Luc met-il en avant ? le parler en langues ou un « miracle philologique » 56 ? a-t-il retravaillé une tradition axée sur un phénomène de glossolalie en miracle de communication ou a-t-il simplement juxtaposé deux traditions originairement indépendantes ? Pour sûr, le texte d’Ac 2, 1-13 n’est pas exempt de tensions : deux cadres topographiques se succèdent (2, 2 : une maison / 2, 5 : la ville de Jérusalem) ; deux assistances différentes sont notifiées (2, 1 : les Douze 57 / 2, 5.11a : des juifs et des prosélytes) ; le terme glw'ssai désigne tantôt les langues de feu (2, 3), tantôt des langages humains (2, 4.11) ; les railleries suscitées par l’événement (2, 13 : 55 56 57

Robert P. MENZIES, The Development of Early Christian Pneumatology with Special Reference to Luke–Acts, 1991, pp. 235-241. Heinrich-Julius HOLTZMANN, Die Apostelgeschichte, 19013, p. 31. Si l’on respecte le déroulé narratif des Actes, le pav nte" d’Ac 2, 1 renvoie prioritairement au collège des Douze, dont il vient d’être question en Ac 1, 15-26. Il pourrait aussi faire référence aux 120 frères dénombrés en Ac 1, 15 ou à l’assemblée de prière d’Ac 1, 13-14. Dans tous ces cas néanmoins, c’est la centralité du collège apostolique qui est mise en exergue ; c’est ce groupe qui focalise l’attention lucanienne dans les premiers chapitres des Actes.

104

Le double universalisme de la Pentecôte

« Ils sont pleins de vin doux ») s’accordent mal avec un simple miracle de communication, mais suggèrent davantage un phénomène de parler en langues (cf. 1 Co 14, 23)58. Pourtant, l’expression « parler d’autres langues » relevée en 2, 4 fait obstacle à cette lecture. C’est le modèle des sources qui a longtemps eu la cote dans l’explication des tensions repérables en Ac 2, 1-13. Il a même atteint une certaine sophistication sous la plume de Friedrich Spitta 59 ; ce dernier attribue les vv. 1a.4.11c-36, i.e., les éléments relatifs au parler en langues, à une source historique appelée A. Quant au reste (vv. 1b-3a.56.9-11b.43), il émanerait d’une source B légendaire dont le propos serait de relater un miracle comparable à celui du Sinaï et à l’occasion duquel les représentants de tous les peuples de la terre auraient été à même de comprendre la voix divine dans leur langue maternelle. Le tout aurait été finalement infléchi en phénomène de xénoglossie par un ultime rédacteur (cf. vv. 3b.7-8). Ce modèle rédactionnel n’a toutefois pas convaincu. L’option actuellement la plus largement admise est bien représentée par le commentaire de Rudolph Pesch60. Ce dernier reconstruit l’histoire rédactionnelle d’Ac 2, 1-13 comme suit : une tradition primitive de la Pentecôte, axée sur un phénomène extatique de glossolalie (vv. 1-4.6a.12-13), aurait été refondue par l’auteur des Actes pour en faire un miracle de communication61. Les traces de ce travail rédactionnel seraient notamment identifiables dans le e{na e{kaston du v. 3, dans le eJtevrai" du v. 4 ainsi que dans l’insertion des vv. 5.6b-11.

58 59 60

61

Cf. Michael DÖMER, Das Heil Gottes , 1978, pp. 140-141. Friedrich SPITTA, Die Apostelgeschichte, ihre Quellen und deren geschichtlichen Wert, 1891, pp. 22-60. Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 100-101. Voir dans le même sens, avec quelques nuances inévitables : George K.A. BONNAH, The Holy Spirit, 2007, pp. 150-152 ; Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, pp. 139-151 ; Hans-Josef KLAUCK, Magie und Heidentum in der Apostelgeschichte des Lukas, 1996, pp. 1718 ; Gerd LÜDEMANN, Das frühe Christentum nach den Traditionen der Apostelgeschichte, 1987, pp. 46-48 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 79-81. Georg KRETSCHMAR, « Himmelfahrt und Pfingsten », 1954/1955, pp. 236-237, défend une trajectoire inverse, supposant que Luc réinterprète dans une perspective extatique, singulièrement glossolalique, une tradition axée sur un parler miraculeux en langues étrangères.

3.5

Glossolalie ou xénoglossie ?

105

Ceci dit, en réponse à ces opérations de dissection littéraire, Eduard Lohse 62 et Ernst Haenchen63 ont défendu l’actuelle homogénéité d’Ac 2 et se sont évertués à en saisir la signification à l’interne de l’œuvre lucanienne. Sans récuser l’existence d’une probable tradition retravaillée par l’auteur à Théophile, nous reconnaissons nous aussi la difficulté actuelle d’en reconstituer les contours exacts et l’ampleur d’origine. Comme souvent dans les Actes, remonter aux sources prélucaniennes est une entreprise périlleuse et peu concluante 64. Cela tient à la pratique lucanienne de composition : il coule ses emprunts dans de nouveaux moules stylistiques et polit soigneusement les traces laissées par l’opération65, offrant à ses lecteurs un monument discursif à admirer pour lui-même. Par conséquent, qui souhaite approcher le miracle de la Pentecôte doit délaisser la généalogie du texte pour son fonctionnement narratif. De prime abord, c’est la solennelle formule située en ouverture de l’épisode qui retient l’attention66 : kai; ejn tw/' sumplhrou's qai th;n hJmevran (2, 1a) cadre temporellement l’épisode. D’ordinaire, le verbe sumplhrou'sqai s’emploie pour désigner l’achèvement d’une période temporelle déterminée, l’échéance arrêtée dans un calendrier. Ceci dit, eu égard au précédent du troisième évangile (Lc 9, 51), il n’est pas imprudent de sonder d’autres possibles. Car, en Lc 9, 51, l’accomplissement n’est pas simplement temporel, il est historico-salutaire : une attente est conduite à son achèvement et ouvre sur une nouvelle époque de l’histoire du salut67. Mais de quelle attente s’agit-il ici ? Comme nous 62 63 64

65 66

67

Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, pp. 427.430ss. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 176. Le constat d’échec de la critique des sources sur le terrain des Actes avait déjà été émis en 1960 par Jacques DUPONT, Les sources du Livre des Actes. Etat de la question, Bruges, Desclée De Brouwer (ibid., p. 159 : « L’impression dominante est assurément fort négative. Malgré les recherches les plus soigneuses et les plus minutieuses, aucune des sources utilisées par l’auteur des Actes n’a pu être définie d’une manière qui rencontre un large accord parmi les critiques »). L’homogénéité lexicale et stylistique d’Ac 2 a été minutieusement démontrée par Nikolaus ADLER, Das erste christliche Pfingstfest, 1938, pp. 32-35. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 20 : « Der feierliche Ton der Erzählung lässt die hohe Bedeutung erkennen, die das Pfingstereignis in den Augen des Lk hat ». Dans ce sens aussi George K.A. BONNAH, The Holy Spirit, 2007, p. 141 : « The narrative of Pentecost is hereby a fulfilment of salvation history » ; Heinz GIESEN,

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Le double universalisme de la Pentecôte

l’avons vu, un éventuel renouvellement de l’alliance induit par la date de la Pentecôte semble improbable. C’est plus certainement la promesse du Ressuscité qui entre en ligne de compte (1, 4-5.8 ; cf. Lc 24, 49). Cette prophétie juxtapose deux annonces : 1) l’effusion de l’Esprit considérée comme une promesse du Père (1, 4-5.8a ; cf. Lc 24, 49) ; 2) l’érection des disciples en témoins universels du Christ mort et ressuscité (1, 8b ; cf. Lc 24, 47-48). On en trouve une confirmation dans le discours de Pierre : citant un oracle du prophète Joël (Jl 3, 1-5a), le porte-parole des apôtres souligne la dimension eschatologique du Souffle répandu (Jl 2, 28-29LXX)68 et insiste explicitement sur la portée universelle de l’événement (Jl 2, 28.32LXX ; cf. aussi Ac 2, 39). De surcroît, amendant subtilement son texte-source en ajoutant un pronom possessif devant l’expression « sur les serviteurs et sur les servantes » (2, 18 : mou ; diff. Jl 2, 29LXX), l’auteur à Théophile recentre l’annonce de Joël sur les disciples du Nazaréen : ce sont eux qui sont mandatés pour cette mission universelle de témoignage. On le voit, tant la promesse du Ressuscité en 1, 4-5.8 que le discours de Pierre en 2, 17-21 posent un cadre herméneutique autour de l’épisode de la Pentecôte : l’effusion de l’Esprit accompagnée de phénomènes théophaniques porte non seulement à son accomplissement la promesse du Père, mais marque en même temps l’avènement des derniers jours prédits par

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« Gott steht zu seinen Verheissungen. Eine exegetische und theologische Auslegung des Pfingstgeschehens (Apg 2,1-13) », 2003, p. 86 : « Lukas benutzt die Wendung “das Erfülltsein des Pfingsttages” nämlich nicht sosehr deshalb, weil er an bestimmten Termin interessiert ist, sondern weil es ihm um Erfüllung geht » ; Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, p. 94 : « Vermutlich schwebte ihm der Gedanke an die Erfüllung einer bestimmten Zeit vor Augen, und zwar der Zeit vor der Erfüllung einer Verheissung. Als alttestamentliche Verheissung, die sich Pfingsten erfüllte, wird in der Pfingstpredigt (2,16-21) die Prophetie des Joel genannt. Eine Verheissung Jesu ist Apg 1,4-8 angeführt. » ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 40 : « Erfüllt werden durch das Kommen des Geistes die alttestamentliche Geistverleihung (Joel 3) sowie die Ankündigung des Auferstandenen in Apg 1,8 » ; Stefan SCHREIBER, « Aktualisierung göttlichen Handelns am Pfingsttag. Das frühjüdische Fest in Apg 2,1 », 2002, p. 75 : « “Erfüllen” bedeutet also mehr als nur das Erreichen eines bestimmten Zeitpunktes – es meint die Erfüllung eines im Heilsplan Gottes von alters her festgelegten Ereignisses, wodurch die Heilsbedeutung sichergestellt ist ». A cet effet, Luc a substitué le syntagme ejn tai'" ejscavtai" hJmevrai" à l’expression de la Septante meta; tau'ta.

3.5

Glossolalie ou xénoglossie ?

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Joël69. Ce double accomplissement se réalise en faveur de et au sein de l’Eglise naissante (cf. 2, 42-47)70, singulièrement dans sa mission de témoignage jusqu’aux extrémités de la terre. Ce contexte littéraire exposé, nous pouvons reprendre notre question initiale : comment caractériser le miracle de la Pentecôte ? Sur quel phénomène Luc veut-il attirer l’attention de son lecteur ? D’une part, comme nous l’avons vu, l’auteur des Actes accumule en 2, 1-13 moult motifs typiques de l’imagerie théophanique : bruit, langues de feu, vent violent, etc. (cf. Es 66, 18-20). En écho, la prophétie de Joël convoquée par Pierre vient appuyer ce scénario apocalyptique : « Et je donnerai des prodiges dans le ciel et sur la terre : sang, feu et vapeur de fumée. Le soleil tournera en obscurité et la lune en sang avant que vienne le jour du Seigneur, grand et éclatant » (Jl 2, 30-31LXX ; trad. Bible d’Alexandrie). La visée est ici évidente : le don de l’Esprit inaugure les temps de la fin ; la qualification eschatologique de cette Pentecôte est immanquable . D’autre part, c’est le miracle produit par l’Esprit qui est mis en valeur : « Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (2, 4). De quel phénomène charismatique est-il question ? L’adjectif eJtevrai" ne laisse pas de doute : il n’est pas ici question de glossolalie, mais bien de xénoglossie 71. En outre, le verbe ajp ofqevggesqai, seulement attesté dans les Actes des apôtres (ailleurs en 2, 14 ; 26, 25), définit un discours emphatique, prophétique et mu par l’Esprit, sans toutefois désigner un langage désarticulé et inintelligible 72. Le don octroyé est l’occasion d’un parler prophétique en langues étrangères. Cette vocation prophétique du miracle de la Pentecôte est d’ailleurs corroborée par la citation de Joël amendée par Luc : « vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des 69 70 71

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Cf. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 21. Nous reviendrons dans la suite de ce chapitre sur la portée ecclésiologique de l’événement pentecostal. Ces « autres langues » (eJtevrai" glwvssai") ne peuvent ici s’entendre de « pseudolangages » de type glossolalique, du fait qu’ils sont corrélés en 2, 11 par l’expression « dans nos langues » (tai'" hJmetevrai" glwvssai") ; cf. aussi 2, 6.8 (th'/ ijdiva/ dialevktw/). Johannes BEHM, art. « ajpofqevggomai », ThWNT I, 1933, p. 448 ; Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, pp. 494-495 ; Heinz GIESEN, « Gott steht zu seinen Verheissungen. Eine exegetische und theologische Auslegung des Pfingstgeschehens (Apg 2,1-13) », 2003, pp. 98-99 ; Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, pp. 123-124.

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Le double universalisme de la Pentecôte

songes ; oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes73 » (2, 17b-18). Dit en une phrase, l’effusion pentecostale de l’Esprit signe le renouveau de la prophétie et déclenche un phénomène de communication en langues étrangères. Faisons un pas supplémentaire. On l’a dit, le cadre construit par la promesse du Ressuscité et le discours de Pierre valorise la dimension universaliste du don de l’Esprit. Or, cette orientation transparaît également dans les vv. 1-13 : en sus des Douze, Luc notifie la présence à Jérusalem de « juifs pieux, venus de toute nation qui est sous le ciel » (v. 5) 74 et en offre une illustration saisissante dans le catalogue des peuples des vv. 9-11a. Autrement dit, tant les juifs de Jérusalem que ceux de la dispersion, tant les juifs de naissance que les nouveaux convertis (v. 11a), sont représentés lors de cet épisode ; sa visée est d’emblée universelle et inclusive, tout en respectant le particularisme d’Israël. Résumons. Ac 2, 1-13 installe en ouverture du second tome de Luc un épisode prééminent : non seulement la solennelle formule introductive du v. 1 le signale, mais également les motifs théophaniques accumulés aux vv. 2-3. Ce surgissement du divin, centré sur le don de l’Esprit promis, constitue sans nul doute un sommet des Actes. Luc prend également la peine d’interpréter le contenu dudit événement. En effet, le cadre disposé autour de l’épisode extatique dévoile le double accomplissement dont il est témoin : accomplissement d’une prophétie christologique d’une part, et accomplissement d’un oracle scripturaire de l’autre. En revêtant ses disciples de la « puissance d’en-haut », le Christ exalté active non seulement le programme universel de témoignage confié à l’Eglise, mais inaugure surtout les temps de la fin et le renouveau de la prophétie en Israël.

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Cette précision est propre à la citation de Luc. Cf. Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, p. 131 : « Durch die Beifügung von pantov " (jeden) wird die Universalität ausgedrückt. […] Diese Universalität darf natürlich nicht so aufgefasst werden, dass tatsächlich Juden aus allen Nationen in Jerusalem anwesend waren. Es genügt – wie die Liste VV. 8-11 zeigt – die Anwesenheit aus vielen Völkern, die alle repräsentieren ».

3.6

Un universalisme centripète ou centrifuge ?

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3.6 Un universalisme centripète ou centrifuge ? Si la dimension universaliste de la Pentecôte paraît désormais irréfragable, il nous faut encore préciser la nature de cet universalisme : son orientation est-elle centripète (axée sur Jérusalem) ou centrifuge (caractérisée par un éloignement de Jérusalem) ? ressortit-il à l’eschatologie juive ou à l’idéologie romaine ? Comme l’a montré l’état de la recherche, ces deux options ont trouvé preneurs. Pour les exégètes dans leur majorité, Ac 2 officie comme prolepse de la mission universelle initiée à partir de Jérusalem et appelée à déboucher aux confins de la terre (1, 8). En d’autres termes, Luc signifierait ici l’ouverture de la mission centrifuge de l’Eglise. Les arguments à l’appui de cette interprétation sont bien connus et immanquables : les juifs établis à Jérusalem, mais originaires de toutes les nations qui sont sous le ciel (vv. 5.9-11), symbolisent les extrémités de la terre (1, 8) et les futurs convertis issus de la paganité (Lc 24, 4748), ceux que la mission chrétienne gagnera au cours du livre des Actes et par-delà sa clôture. Est ainsi programmé le déploiement œcuménique de l’Eglise 75. Au reste, ce déchiffrage universaliste est confirmé non

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Expression limpide de cette visée chez Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », 1967, p. 407 : « Cette insistance à souligner l’universalité des nations qui assistent au prodige par le truchement de leurs représentants implique vraisemblablement un sous-entendu symbolique. A travers ses auditeurs juifs, Pierre évangélise déjà, d’une certaine manière, toutes les nations de la terre. » ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 251 : « Im Rahmen unseres Berichtes gelten diese Diasporajuden gewissermassen als Repräsentanten der Weltvölker, die in ihnen wenigstens potentiell gegenwärtig sind ». Dans ce sens, voir aussi Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 108-109 ; Marianne Palmer BONZ , The Past as Legacy, 2000, pp. 95-118 ; Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, pp. 157.159 ; Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, pp. 432-434. Lisant Ac 2 comme inauguration de la mission universelle, Kirsopp LAKE, « The Gift of the Spirit and the Day of Pentecost », 1933, pp. 113-114, est même allé jusqu’à biffer, en s’appuyant sur certains témoins textuels (cf. Å* et un manuscrit de la Vulgate), la référence aux juifs ( jIoudai'oi) dans texte d’Ac 2, 5. Il a été suivi sur cette voie par Eberhard GÜTING, « Der geographische Horizont der sogenannten Völkerliste des Lukas (Acta 2 9-11) », 1975, pp. 164-165, qui, une fois le texte d’Ac 2, 5 amputé de sa référence aux jIoudai' oi, peut affirmer : « In der Intention des Lukas sollen die Fremden als Augenzeugen die Bedeutung des Geschehens unterstreichen.

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Le double universalisme de la Pentecôte

seulement par l’insertion de la capitale romaine au terme du répertoire ethnique (2, 10)76, mais surtout par le discours de Pierre donné en explication de l’extase pentecostale (2, 17.21.39). En effet, l’événement qui se joue à Jérusalem sera aux dires de Pierre source de salut pour « quiconque invoquera le nom du Seigneur » (2, 21). A l’instar de l’expression équivoque employée en 2, 39 (« ceux qui sont au loin »), Luc prend néanmoins le soin de respecter les différentes phases de l’histoire du salut, réservant l’éclatement du particularisme juif à la conversion emblématique du centurion Corneille (10–11). Suite à ce tournant seulement, l’identité mystérieuse de ces « distancés » est en effet appelée à s’éclairer : il s’agit des païens (cf. 22, 21)77. Bref, le récit d’Ac 2, inscrit en accomplissement du mandat universel confié aux témoins de la résurrection (cf. 1, 8), en programme la réalisation à travers la figure chiffrée des bené haggolah établis dans la cité de David. En conséquence, le programme universaliste de Luc serait foncièrement centrifuge, décrivant une trajectoire d’expansion à partir de la Ville sainte et projetant l’annexion des nations au peuple de l’Eglise. Sur cette base, plusieurs commentateurs ont rapproché l’universalisme des Actes du mondialisme romain, faisant du programme lucanien la contrepartie religieuse des aspirations impériales78. Plus précisément, Gary Gilbert79 a tenté de montrer comment la liste d’Ac 2, 9-11a tendait à subvertir la propagande romaine de concordia des peuples au profit d’une authentique oikoumenè rendue possible par l’Esprit de la Pentecôte 80. La piste est séduisante.

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Um es in der Sprache Lukas zu sagen : Gott schafft sich aus den Völkern ein Volk » (ibid., p. 166). Cf. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 124 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 105-106 ; Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, p. 123. Cf. Marianne Palmer BONZ , The Past as Legacy, 2000, pp. 114-115. Dans ce sens François BOVON, « Israël, l’Eglise et les nations dans l’œuvre double de Luc », 1987, pp. 244-251 ; Daniel MARGUERAT, « Un christianisme entre Jérusalem et Rome », 2003, pp. 113-114. Gary GILBERT, « The List of Nations in Acts 2 : Roman Propaganda and the Lukan Response », 2002, pp. 497-529 ; ID., « Roman Propaganda and Christian Identity in the Worldview of Luke-Acts », 2003, pp. 247-253. Gary GILBERT, « Roman Propaganda and Christian Identity in the Worldview of Luke-Acts », 2003, pp. 252-253 : « While the geographic catalogues produced by Rome provide the conceptual framework in which to read the list of nations from Acts 2, the message of the latter could not be more different, as Luke envisions the

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Un universalisme centripète ou centrifuge ?

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Différemment, plusieurs exégètes ont rapproché l’universalisme d’Ac 2 de l’eschatologie centripète caractéristique de la foi juive. En clair, l’épisode universaliste de la Pentecôte symboliserait le rassemblement à Sion des exilés juifs, rassemblement prophétisé dans la tradition vétérotestamentaire et espéré pour la fin des temps81. Moins évidents, les arguments en faveur de cette lecture ne sont néanmoins pas inexistants. En son temps, Ernst Haenchen avait déjà refusé de lire Ac 2 comme prolepse de la mission universelle, arguant que l’intérêt de Luc se limitait dans cet épisode aux seuls juifs et que l’ouverture aux Gentils ne serait thématisée qu’ultérieurement dans le récit (Ac 10)82. De manière décidée, d’autres exégètes lui ont emboîté le pas, plébiscitant une interprétation obvie des vv. 5.9-1183. Outre l’anticipation symbolique de la mission païenne, quelle pourrait être ainsi la fonction, dans le récit lucanien, de ces juifs pieux venus des quatre coins du monde et résidant à Jérusalem ? Tout d’abord, il est à reconnaître le caractère ostensiblement intrajuif et jérusalémite de l’épisode d’Ac 2 84 : Luc ne manque pas une occa-

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oikoumenê as the possession of Jesus, the Church, and God, not the emperor, Rome and its pantheon. ». Voir de manière similaire Hans-Josef KLAUCK, Magie und Heidentum in der Apostelgeschichte, 1996, pp. 21-22 : « Bei den Alexanderhistorikern dienten solche Listen der Uebersicht über eroberte Gebiete. Bei Lukas macht sich eine neue Weltanschauung soeben auf, ein Weltreich zu erobern, aber nicht mit einem grossen Heer und mit Waffengewalt, sondern allein durch reisende Boten des Evangeliums und durch die Kraft des Wortes der Verkündigung ». Dans ce sens Antonin CAUSSE, « Le pèlerinage à Jerusalem et la première Pentecôte », 1940, pp. 120-141 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 134135 ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, p. 49 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 129-131. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, pp. 172-174 (ibid., p. 174 : « Es sind keine Heiden, denn die Heidenmission beginnt für Lukas erst mit der Taufe des Cornelius durch Petrus in Kap. 10 ! »). Voir dans ce sens Rebecca I. DENOVA , The Things Accomplished Among Us, 1997, pp. 169-174 ; Heinz GIESEN, « Gott steht zu seinen Verheissungen. Eine exegetische und theologische Auslegung des Pfingstgeschehens (Apg 2,1-13) », 2003, p. 101 ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, pp. 48-49 ainsi que Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 2005, p. 151. Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 177 : « Das erste Pfingstfest in Jerusalem kann nur an Juden seine Macht zeigen ». De même, Rebecca I. DENOVA, The Things Accomplished Among Us, 1997, p. 173 : « The audience is specifically “Jewish” (Acts 2.5, 10) and it is to them that Peter’s speech is directed » ; DietrichAlex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von

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sion de rappeler à son lecteur/auditeur l’origine exclusivement juive de l’assistance, non seulement en verrouillant le répertoire des nations à l’aide du syntagme « juifs et prosélytes » (v. 11a)85, mais également en constellant le discours pétrinien de marques particularistes axées sur la maison d’Israël (2, 14b.22.29.36.37.39) 86. On le voit, le caveat lector lancé par Ernst Haenchen n’était pas exagéré. Au v. 5, c’est même une pétition de principe que commet l’auteur à Théophile pour renforcer la facture indigène de son récit : il y notifie la présence à Jérusalem de juifs pieux. Quoi de plus normal, en effet87 ! Assurément, les juifs de la diaspora présents au jour de la Pentecôte ne servent pas simplement d’alibis à la future activité missionnaire menée auprès des Gentils. Au contraire : associés aux juifs de la Ville sainte, ils forment ensemble la maison d’Israël (cf. 2, 36)88 pour qui le Christ exalté a répandu l’Esprit conformément à l’oracle du prophète Joël et à qui s’adresse hic et nunc l’appel pétrinien à la repentance (2, 38). Cette orientation immanquablement juive du chapitre notée, quelle lecture est-on amené à en faire ? Un examen approfondi du v. 5 nous entrouvrira une première lucarne. Ce verset a occasionné différentes interprétations parmi les exégètes. Un paradoxe apparaît en effet à la juxtaposition des vv. 5 et 9 : les juifs présents sont dits vivre simultanément à Jérusalem (eij" jIerousalh;m katoikou'nte" ; cf. 2, 14) et dans les contrées géographiques listées aux

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Apostelgeschichte 2,14-39 und 13,16-41 », 2004, p. 90 : « Lukas beginnt in einem bewusst jüdischen Kontext, und zwar in einem betont stadtjerusalemer Rahmen » ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 130 : « While the universal mission may be implicit here [en Ac 2, 5], the focus upon the Jews who are present cannot be denied. The same dual emphases on the identity of the Jews and the universality of the people present can also be found in the list of nations in 2 :911 » ou encore Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 2005, p. 151 : « Das Pfingstgeschehen betrifft zunächst nur die Juden und nicht die Völker ». Cf. Heinrich-Julius HOLTZMANN, Die Apostelgeschichte, 19013, p. 33 ; David SECCOMBE, « The New People of God », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids, Eerdmans, 1998, p. 352. Cf. Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas, I, 1919, pp. 81.91. Bien vu par James M. SCOTT, « Acts 2 :9–11 as an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, p. 106 : « Why does Luke consider it worth mentioning that there were Jews living in Jerusalem ? ». Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 49 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 27.

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Un universalisme centripète ou centrifuge ?

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vv. 9-11a (katoikou'nte" th;n Mesopotamivan, ktl.) 89. C’est la raison pour laquelle plusieurs commentateurs ont proposé de différencier les acceptions de katoikei'n aux vv. 5 et 9. Alors que ce verbe signifierait « résider en permanence » au v. 9, il serait employé pour exprimer le séjour temporaire de voyageurs ou de pèlerins au v. 5 (cf. ejpidhmou'nte" en 10b)90. Comme nous l’avons vu, la référence faite à la Pentecôte juive (2, 1a), qui était l’occasion d’un pèlerinage à Jérusalem, irait dans ce sens, de même que la présence notifiée de juifs originaires de Judée (2, 9b). D’autres exégètes, récusant ladite polysémie du verbe katoikei'n, en ont simplement conclu que des juifs issus de la diaspora s’étaient établis à Jérusalem pour des motifs religieux91. Ac 4, 36-37 ou 6, 5.9 pourraient en offrir une confirmation. Que l’on opte pour l’une ou l’autre hypothèse, toutes deux consonnent sur un point significatif : l’importance religieuse de Jérusalem pour les juifs de la dispersion. C’est pourquoi il a été proposé de situer Ac 2 en accomplissement du programme vétérotestamentaire de restauration d’Israël, programme incluant le rassemblement des exilés juifs sur le mont Sion92. L’expression « de toute nation qui est sous le ciel » (ajp o; panto;" e[q nou" tw'n uJpo; to;n oujranovn) par laquelle Luc désigne, toujours à ce verset 5, l’assistance juive de la Pentecôte en serait une confirmation langagière. Comme l’a en effet montré James Scott, cette formule lucanienne décrivant l’assemblée d’Ac 2 consonne lexicalement avec plusieurs passages

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Cf. Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-39 und 13,16-41 », 2004, p. 88 ; Daniel R. SCHWARTZ, « Residents and Exiles, Jerusalemites and Judaeans (Acts 7:4 ; 2:5,14) : On Stephen, Pentecost and the Structure of Acts », 1992, pp. 122ss ; James M. SCOTT, « Acts 2 :9-11 As an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, p. 106. Voir par exemple James M. SCOTT, « Acts 2 :9-11 As an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, p. 106 ; STRACK-BILLERBECK II, p. 604. Notamment Jacques DUPONT, « La première Pentecôte chrétienne (Actes 2, 1-11) », 1967, p. 498 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 171, note 5 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 134 ; Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, p. 128 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 43 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, pp. 250-251 ; Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas, I, 1919, p. 81. Voir notamment Jacob KREMER, Pfingstbericht und Pfingstgeschehen, 1973, p. 131 ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, pp. 47-49 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 130 ; Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 267-315.

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Le double universalisme de la Pentecôte

scripturaires thématisant le retour à Jérusalem des exilés juifs93 : Dt 30, 4-5LXX (ajp ’ a[krou tou' oujranou' e{w" a[krou tou' oujranou'), Jr 38, 8LXX (ajp’ ejscavtou th'" gh'"), 2 Esd 11,8-9 (ajp’ a[krou tou' oujranou') ainsi que 2 M 2, 18 (ejk th'" uJp o; to;n oujranovn). Bref, le langage de Luc serait codé : c’est dans l’espérance d’un rassemblement d’Israël que résiderait la clef de son déchiffrement94. A l’appui de cette hypothèse, deux arguments supplémentaires peuvent être avancés : premièrement, le don de la Pentecôte s’insère sans difficulté aucune dans ce programme de restauration. Pour sûr, l’envoi de l’Esprit accomplit plusieurs espérances scripturaires liées au rétablissement du peuple juif (par ex. : Es 32, 15 ; 36, 26-27 ; 37 ; 39, 2529 ; 44, 3-5 ; Jl 3, 1–4, 1 ; Za 12, 10 ; etc.) 95. C’est la raison pour laquelle Max Tuner interprète, dans son étude de la pneumatologie lucanienne, le discours pétrinien de la Pentecôte (2, 14-39) dans cette même perspective : c’est dans l’agir de l’Esprit répandu par le Christ exalté que la restauration messianique de Sion, thématisée en Ac 1, 5-8, deviendrait effective 96. Ensuite, – et c’est là le second argument – le scénario eschatologique brossé en Es 66, 15-20LXX et axé sur la restauration finale d’Israël ressemble à plus d’un titre au tableau de la Pentecôte d’Ac 2 97. En premier lieu, c’est une même imagerie théophanique qui apparente ces deux textes, Es 66, 15 faisant état de flammes de feu (ejn flogi; purov") et d’un semblant de tourbillon (wJ" kataigiv") accompagnant l’irruption du divin98. Ensuite, Es 66, 18 évoque un rassemblement des nations et des langues (pavnta ta; e[q nh kai; ta;" glwvssa") qui n’est pas sans rappeler le miracle de communication universelle généré par l’Esprit de la Pentecôte. Et finalement, à l’instar d’Ac 2, 9-11a, la prophétie ésaïenne comporte une liste de peuples qui fonctionne 93 94

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James M. SCOTT, « Acts 2 :9-11 As an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, pp. 107-109. James M. SCOTT, « Acts 2 :9-11 As an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, p. 108 : « Hence, when Acts 2 :5 describes the Pentecost event as occurring when Diaspora Jews had gathered from every nation under heaven, this language strongly implies the restoration of Israel ». Cf. Max TURNER, « The Spirit and Salvation in Luke-Acts », 2004, p. 110. Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 297-303. Voir aussi Etienne SAMAIN, « Le récit de Pentecôte. Ac 2, 1-13 », 1971, p. 64. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 27 ; Robert P. MENZIES, The Development of Early Christian Pneumatology with Special Reference to Luke-Acts, 1991, pp. 238-241.

3.6

Un universalisme centripète ou centrifuge ?

115

comme pars pro toto de toutes les nations de la terre appelées à converger vers Jérusalem (cf. Es 66, 19)99. Qu’en conclure ? Notre lecture de l’universalisme d’Ac 2 semble déboucher sur une impasse. En effet : les vv. 5.9-11 s’offrent à deux interprétations de prime abord contradictoires. D’une part, avec la grande majorité des exégètes, nous avons articulé l’orientation universaliste d’Ac 2 au programme missionnaire fixé par le Ressuscité (1, 8), y déchiffrant l’anticipation du mouvement d’expansion centrifuge caractéristique du livre des Actes et peut-être calqué sur le mondialisme cher à la Rome d’Auguste. D’autre part, nous avons cautionné la frange exégétique qui rapproche l’universalisme de la Pentecôte des espérances juives – particulièrement ésaïennes –, prophétisant pour la fin des temps un mouvement de convergence des exilés à Jérusalem. En d’autres termes, quel programme théologique Ac 2 décrit-il ? la mission universelle et centrifuge de l’Eglise, qui quitte Jérusalem pour conquérir le monde habité, risquant un contrepoint aux ambitions politiques de l’Empire ? ou, au contraire, le rassemblement final des dispersés juifs et des nations païennes au mont Sion, accomplissant les promesses de restauration d’Israël ? On l’a vu, le texte des Actes se prête à ces deux lectures. Pourtant, les exégètes ont constamment privilégié l’une de ces hypothèses au détriment de l’autre, s’ils n’ont pas simplement réduit l’ambiguïté à l’aide d’une stratification rédactionnelle 100. De notre avis pourtant, Luc tient ensemble ce que ses lecteurs dissocient : Ac 99

Cf. James M. SCOTT, « Acts 2 :9-11 As an Anticipation of the Mission to the Nations », 2000, p. 117 : « This passage [Es 66, 18-20] gives a pars pro toto list of the nations which are expected to make an eschatological pilgrimage to Zion, bringing with them the exiles who had been scattered throughout the world ». 100 Voir de manière exemplaire Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, p. 128 : « Behind the narrative in Acts 2, therefore, it would seem that we have an ancient picture of an apocalyptic event, where the nations flock to Jerusalem and, through the agency of the Spirit, are reached by a Divine Spirit-language which leaps the bound of nationality and communicates with all those present, thereby reversing Gen. 11. It is probable that Luke did not deliberately alter, but simply failed to understand this tradition. When he utilises it he reshapes it to fit his own understanding of the course of the Church’s mission. For him, Pentecost is concerned with Jews alone ; the Gentiles will be reached later, according to a definite plan (1 :8). Thus by historicising the narrative and by understanding it as concerned with Jews alone, he can utilise a tradition which is orientated in the opposite direction to his own narrative, that is, centripetally rather than centrifugally ».

116

Le double universalisme de la Pentecôte

2 est simultanément l’annonce de la conquête universelle de l’Eglise et l’accomplissement symbolique de la restauration d’Israël. A ce stade de la narration, le lecteur/auditeur ne peut trancher l’équivocité du récit lucanien sans amputer Ac 2 d’une de ses orientations sémantiques. Bien plus, cette ambivalence est inhérente au programme théologique de Luc et, partant, à son projet identitaire. Un bémol s’impose cependant. Si cette double composante universaliste apparaît côte à côte au seuil des Actes, Luc semble déjà instiller un léger déséquilibre en faveur de l’eschatologie centrifuge ; non seulement au travers du programme missionnaire fondé christologiquement (Ac 1, 8), mais également à la lecture de la citation de Joël 3, 15 retravaillée par ses soins. En effet, ladite reprise scripturaire a été amputée de sa finale thématisant le rassemblement des rescapés au mont Sion et à Jérusalem (Jl 3, 5b)101 ; Luc stoppe la citation de Joël sur son ouverture universaliste (Ac 2, 21 : « kai; e[stai pa'" o}" a]n ejpikalevs htai to; o[noma kurivou swqhvsetai ») et combine, en fin du discours pétrinien (2, 39), la partie manquante (Jl 3, 5bd) avec un extrait ésaïen désignant à demi-mot les païens (Es 57, 19)102. L’excision est ici chirurgicale et probablement significative d’une future reconfiguration de l’universalisme centripète : si Luc ambitionne de raconter le rassemblement d’Israël, c’est vraisemblablement au prix d’une reformulation progressive de son centrage jérusalémite. Mais seule la suite du récit lucanien permettra de confirmer cette intuition.

101 Voir sur le sujet Bernd WILLMES, « Lukas als Interpret von Joël 3,1-5 in Apg 2 », 2005, p. 253. 102 Relevé à juste titre par Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », 1967, p. 408 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 232.

3.7 L’Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme

117

3.7 L’Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme de la Pentecôte 3.7 L’Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme 3.7.1 La vie en communion, « phase ultime de la Pentecôte » 103 Habituellement, les commentateurs stoppent le récit de la Pentecôte en 2, 41, dans la mesure où la conversion des trois mille constitue de l’appel pétrinien à la repentance une conclusion logique et apaisante 104. Pourtant, Luc a soigneusement articulé le premier sommaire de la vie communautaire (2, 42-47) à l’épisode qui le surmonte : le oiJ mevn du v. 41aa appelle en effet le dev du v. 42aa. Nous avons ici une indubitable couture syntaxique. La lecture ne peut s’arrêter au v. 41 pour souffler, mais doit prolonger sa course jusqu’en 2, 47 105. D’autres indices favorisent cette continuité entre le discours de Pierre et le sommaire en question : tout d’abord, l’absence de sujet explicite en 2, 42 conduit le lecteur/auditeur à se reporter aux derniers protagonistes nommés dans le récit, à savoir les trois mille convertis qui sont venus se joindre au cercle des Douze (v. 41) ; de même, l’unanimité décrite aux vv. 44-47 (cf. ejpi; to; aujtov en 44a et 47b ; oJm oqumadovn en 46a) n’est pas sans évoquer l’unité qui prévalait en amont de la scène pentecostale (cf. ejpi; to; aujtov au v. 1). Partant, ce phénomène d’inclusion unifie narrativement

103 Selon le titre judicieux donné par Edgar HAULOTTE à son article « La vie en communion, phase ultime de la Pentecôte, Actes 2,42-47 », 1981, pp. 69-75. 104 Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 31 : « Ist oiJ mevn ou\n selbstständige Wendung ? » et de poursuivre ensuite : « Das Summar (Einleitung Vc) unterbricht den Gang der Handlung und belehrt den Leser über das Wesen der Urkirche ». Voir également Andreas LINDEMANN, « The Beginnings of Christian Life in Jerusalem According to the Summaries in the Acts of the Apostles (Acts 2 :42-47 ; 4 :32-37 ; 5 :12-16) », 1998, p. 204, qui, malgré certaines hésitations, dissocie les versets 41 et 42 ainsi que Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, pp. 64-65. 105 Bien noté par Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, p. 115 : « Although verse 41 serves as the immediate conclusion to Peter’s Pentecost speech, it also serves as the transitionnal sentence for the more detailed summary (Acts 2 :42-47) that brings the entire Pentecost narrative to its dramatic close ». Voir aussi Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, p. 432 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 100 ; Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 2005, p. 148 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 239 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 56.

118

Le double universalisme de Pentecôte

l’épisode de la première Pentecôte et invite à transférer sa clôture en 2, 47. 3.7.2

Une Eglise née de l’Esprit

Notre propos se limitera ici à interroger la fonction rhétorique de ce sommaire dans le cadre de la première Pentecôte. Pour sûr, clore l’épisode du don de l’Esprit sur ce portrait miniaturisé de la communauté jérusalémite n’est pas anodin. La finalité ultime de cette effusion ne semble ainsi ni extatique, ni missionnaire, mais bien ecclésiologique106. S’il faut parler d’une création à l’occasion du don de l’Esprit, c’est bien dans cette inauguration d’une communauté de salut (v. 47) : le Souffle répandu n’est pas confisqué au profit d’un groupe de charismatiques assoiffés de performances spirituelles ; il instaure bien plutôt une dynamique de partage et de communion qui construit la communauté. Dit autrement, l’unité ecclésiale « miraculeuse »107 concrétisée dans le partage des biens est le fruit de l’Esprit répandu. Par ailleurs, surmontée des vv. 1-41, cette figure de l’Eglise naissante devient le lieu même où s’articulent l’universalisme centrifuge et l’universalisme centripète de Luc. Ou pour le dire différemment, dès l’ouverture de son second tome, l’auteur à Théophile précise la double identité de l’Eglise des Actes : issue de la maison d’Israël, dont elle accomplit la restauration eschatologique à Jérusalem, elle est appelée à s’étendre dans toutes les contrées de la terre, élargissant par là même le particularisme juif aux nations païennes. L’Eglise est d’emblée inscrite au cœur d’une tension entre une continuité forte avec le judaïsme , dont elle réunit, dès sa première apparition publique, 3000 convertis issus de la maison d’Israël (2, 5.36.41), et une ouverture audacieuse à l’égard de « ceux qui sont au loin » (2, 39 ; cf. 2, 9-11a.17.21), préfigurations voilées des Gentils108.

106 Cette fonction impartie au sommaire a été relevée à juste titre par Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 160 ; Marianne Palmer B ONZ, The Past as Legacy, 2000, p. 118 ; Eduard LOHSE, « Die Bedeutung des Pfingstberichtes im Rahmen des lukanischen Geschichtswerkes », 1953, p. 432 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 100 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte , I, 1981, p. 101. 107 Cf. Marianne Palmer BONZ , The Past as Legacy, 2000, p. 118. 108 Cette double orientation travaillant l’assistance présente lors de l’effusion pentecostale est bien résumée chez Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-39 und 13,16-41 », 2004, pp. 90-92.

3.7 L’Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme

119

Pour Luc, cette Eglise n’est pas qu’une esquisse fugace appelée à être supplantée par une universalité helléno-chrétienne, c’est un modèle programmatique, une peinture idéal-typique 109. En témoigne le choix du temps verbal : l’imparfait à valeur durative. 3.7.3

Un ethos communautaire entre continuité et nouveauté

Quatre pratiques adoptées par les premiers chrétiens de Jérusalem caractérisent leur modus vivendi. C’est sous la forme de deux couples qu’ils sont nommés par Luc : l’enseignement des apôtres et la communion d’une part, la fraction du pain et les prières de l’autre. Ces quatre dimensions du vivre ensemble des croyants témoignent elles aussi de la tension inhérente au devenir ecclésial. En effet, si elles affichent explicitement l’attachement de l’Eglise à Israël, elles insinuent également la nouveauté qui émerge du sein du judaïsme 110. Voyons comment. Tout d’abord, la communauté de frères est dite persévérer dans l’enseignement des apôtres. Ce qu’il faut entendre sous cette expression n’est pas explicite ; Luc ne dévoile nulle part le contenu exact d’une catéchèse communautaire111. Assurément, son contenu doit s’apparenter à l’Evangile enseigné 112 et proclamé ailleurs par les apôtres : la confession de la messianité de Jésus et sa conformité au témoignage scripturaire (cf. 2, 36 ; 3, 18.20 ; 4, 10 ; 5, 31.42) auxquelles devait se joindre un florilège de récits liés à son ministère terrestre113. Cette première marque caractéristique de l’être ensemble des chrétiens dévoile qu’à côté des Ecritures juives, jamais délaissées par l’Eglise lucanienne, et à côté de l’exégèse midrashique pratiquée au sein des écoles pharisiennes, une autre source d’instruction s’insinue au cœur de la catéchèse des fidèles : 109 Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 103 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 101-102. 110 Avec Augustin GEORGE, « Israël », dans ID., Etudes sur l’œuvre de Luc (Sources bibliques), Paris, Gabalda, 1978, pp. 111-112 (ibid., p. 111 : « La nouveauté de ce groupe s’exprime par ses rites propres »). 111 Cf. Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 285. 112 Cf. didaskeivn en 4, 2.18 ; 5, 21.25.28a.42 / didachv en 5, 28b. 113 Cf. Andrew C. CLARKE, « The Role of the Apostles », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 1998, pp. 179-180 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 66 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 56 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 105.

120

Le double universalisme de Pentecôte

la tradition attachée au témoignage et à l’herméneutique scripturaire des apôtres114. Est ensuite notifiée la communion qui règne entre les frères. Les contours de cette koinwniva sont flous, mais la suite du sommaire en offre une double concrétisation : tout d’abord dans le partage des biens mentionné aux vv. 44b-45, puis dans la pratique cultuelle notée au v. 46. Mais que ce soit sur le plan matériel ou spirituel, cette vie en communion est à chaque fois travaillée par une immanquable ambivalence. Pour sûr, l’éthique de partage adoptée par les premiers chrétiens et sur laquelle Luc reviendra longuement dans la séquence économique d’Ac 4, 32–5, 11 emprunte, comme l’ont abondamment noté les exégètes, un modèle social pratiqué autant en Palestine 115 – par les Esséniens116 et dans la communauté de Qoumrân entre autres117 –, que dans le monde hellénistique118 – auprès des Pythagoriciens notamment119. Se fait ainsi jour dans l’Eglise naissante un idéal économique à la fois ouvert sur l’universalité grecque et congénital au judaïsme. De même, thématisant au v. 46 la communion spirituelle qui régit le culte des premiers croyants, l’auteur à Théophile fait état de deux espaces où elle est appelée à prendre place : dans le Temple et à domicile. Or, ces deux lieux cultuels fréquentés par la communauté jérusalémite sont symbo-

114 Cf. Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 66 : « Im übrigen war schon im Lehren Jesu ein fundamentaler struktureller Unterschied zu dem des pharisaïschen Schriftgelehrtentums angelegt, der in nachösterlicher Zeit auch das Lehren der Gemeinde bestimmt hat : Hier ging es nicht um gesicherte Weitergabe autoritäter Tradition und deren Anwendung auf alle Fälle des Lebens, sondern um das Herausstellen der jetzt im Lichte des Christusgeschehens sichtbar gewordenen endzeitlichen Heilsoffenbarung ». 115 A ce sujet Brian CAPPER, « The Palestinian Cultural Context of Earliest Christian Community of Goods », dans Richard J. BAUCKHAM (éd.), The Book of Acts in Its First Century Setting, IV, Grand Rapids/Carlisle, Eerdmans/Paternoster, 1995, pp. 323-356. Cette proximité est encore renforcée par l’équivalence existant entre l’expression lucanienne ejpi; to; aujtov et la tournure yahad couramment employée dans les textes de la Mer morte pour exprimer l’être communautaire de la secte qoumrânienne ( 1QS 5,1.2.7 ; 6, 7.14 ; 8, 12.19 ; etc.). 116 Cf. FLAVIUS J OSÈPHE, Guerre des Juifs 2,122. 117 Cf. 1QS 1,11-12 ; 6,16-23 ; 9,8-9. 118 A ce sujet Brian CAPPER, « Reciprocity and the Ethics of Acts », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 1998, pp. 499-518. 119 Cf. J AMBLIQUE, Vie de Pythagore 30,168.

3.7 L’Eglise comme lieu de concrétisation du double universalisme

121

liques de l’ambivalence identitaire de l’Eglise : si la chrétienté naissante est attachée au Temple de Jérusalem, centre symbolique de la foi juive et lieu de la pratique miraculeuse et catéchétique des apôtres (3, 111.12-26 ; 4, 2 ; 5, 12.20-21.25.42), elle adopte néanmoins la maison comme autre lieu de vie centré sur la fraction du pain120. La suite des Actes nous dévoilera au reste comment les chrétiens, bannis du Temple de Jérusalem et chassés des synagogues, investiront la maison romaine comme nouvel espace de surgissement identitaire. La troisième marque communautaire est, nous l’avons dit, la fraction du pain. Ici, la dialectique de la continuité et de la nouveauté est évidente : ce geste accompagnant la bénédiction prononcée par le père de famille en ouverture du repas juif (cf. Es 58, 7 ; Jr 16, 7) désigne désormais, par métonymie, la cène chrétienne (Lc 24, 35 ; Ac 20, 7.11 ; cf. 1 Co 10, 16 ; 11, 24)121, occasion d’un véritable partage de nourriture (2, 46c ; cf. 1 Co 11, 17-34)122. Finalement, l’Eglise jérusalémite se singularise également par ses prières. Là encore, le terme recouvre indistinctement les trois prières journalières recommandées dans la piété juive (3, 1 ; 10, 9) ainsi que la tradition orante propre à l’Eglise naissante (1, 14.24 ; 2, 47a ; 4, 24-31 ; 6, 4 ; 12, 5b.12) 123. Bref, si la communauté jérusalémite est encore une secte de juifs messianiques participant au service du Temple, elle revêt néanmoins un ethos singulier, fait d’enseignements, de prières, de fraction du pain, et pratiqué dans le cadre du domicile privé124. On le voit, les quatre dimensions de la vie en communion installées de manière principielle en 2, 42, puis explicitées dans la suite du sommaire, sont à 120 Bien vu par Heinrich-Julius HOLTZMANN, Die Apostelgeschichte, 19013, p. 39. 121 Chez Luc, en effet, sont associés à la « fraction du pain » une certaine forme de présence christique (Lc 24, 30-31 ; cf. 1 Co 10, 16) ainsi qu’un ensemble de prières, de chants et d’enseignements (Ac 2, 46-47a ; 20, 7-11). Bien plus, cette formule cultuelle est agendée le premier jour de la semaine, autrement dit le dimanche soir (Ac 20, 7). Finalement, l’attitude des participants, communiant dans l’allégresse et la simplicité de cœur (Ac 2, 46b), laisse également penser qu’il en va d’un moment à caractère liturgique et non d’un simple repas communautaire. 122 Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 104.108 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, pp. 66-67. 123 Dans ce double sens, Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 159. 124 Cf. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 27 : « So bildet sich allmählich eine kultische Sondergemeinde neben jener Israels ; die kommende Entwicklung deutet sich an ».

122

Le double universalisme de Pentecôte

l’image de l’identité ecclésiale programmée par Luc : une identité entre continuité imprescriptible avec Israël et différenciation progressive.

3.8 Conclusion : la Pentecôte d’Actes 2, programme du second tome à Théophile 3.8 Conclusion : la Pentecôte d’Actes 2 En ouverture de ce chapitre, nous évoquions l’emplacement stratégique et le rôle programmatique de la Pentecôte, Ac 2 s’offrant au lecteur comme un majestueux portique installé en surplomb du récit lucanien. L’analyse du texte a permis de confirmer cette impression. D’une part, Luc a construit l’effusion de l’Esprit à renfort de motifs théophaniques pour souligner la prééminence de cet événement. Ce qui se trame lors de la Pentecôte à Jérusalem s’affilie aux grandes épiphanies divines qui ont jalonné l’histoire du peuple élu ; le Dieu de la Pentecôte n’est autre que celui du buisson ardent, du Sinaï ou du baptême de Jésus125. D’autre part, Luc a pris le soin de doubler son récit d’une grille d’interprétation livrée par Pierre dans son discours. A l’aide d’une citation scripturaire (Jl 3, 1-5a cité selon le texte de la Septante), le porteparole des apôtres a clairement énoncé la qualité eschatologique du don répandu sur l’Eglise naissante, Eglise qui se voit ainsi dotée d’un charisme prophétique (cf. 2, 17-18). Ce faisant, l’auteur à Théophile n’a pas hésité à souligner l’irruption d’une nouvelle étape historicosalutaire, l’étape des « derniers jours » (cf. 2, 17). Commentant cet événement en Ac 11, 15, Pierre aura ainsi tout loisir de qualifier cette Pentecôte chrétienne de « commencement » (cf. ejn ajrch/'). Bref, non seulement son emplacement en tête des Actes, mais surtout la facture du récit font d’Ac 2 une porte d’entrée du second tome ad Theophilum. Dit en termes narratologiques, cet épisode propose au lecteur un pacte de lecture. Mais sur quoi veut-il orienter l’acte de déchiffrement ? quel est l’objet de cette convention herméneutique scellée entre narrateur et narrataire ? Nous l’avons vu, le prodige mis en exergue par le récit lucanien s’apparente selon toute vraisemblance à un phénomène de xénoglossie, autrement dit de communication en langues étrangères. Cette orienta-

125 Sur les parentés théophaniques entre Lc 3, 21-22 et Ac 2, 1-13, voir Etienne SAMAIN, « Le récit de Pentecôte. Ac 2, 1-13 », 1971, pp. 58-59.

3.8 Conclusion : la Pentecôte d’Actes 2

123

tion universaliste, scellée dans l’assistance cosmopolite de la Pentecôte (2, 5.9-11a), est ensuite confirmée par le discours de Pierre, qui l’affirme à trois reprises (2, 17.21.39). Plus précisément, le miracle de Pentecôte engendre une communauté universelle appelée à proclamer les merveilles de Dieu par-delà les barrières culturelles ; dès sa fondation, elle a pour vocation de rendre un témoignage universel au Ressuscité (1, 8). Ou pour le dire avec Charles K. Barrett : « The Church from the beginning, though at the beginning located only in Jerusalem, is in principle a universal society in which universal communication is possible » 126. Tel est le propos principal de Luc en Ac 2 et tel est le programme narratif dont le lecteur, la lectrice va suivre le déploiement au fil du récit. En clair, le projet lucanien se décompose en deux volets : 1) relater le développement d’une communauté de prophètes caractérisée par une mission. Le programme est ainsi ecclésiologique ; 2) raconter la mission de ce groupe religieux dont la vocation est œcuménique. Mais quelle est la nature de cet universalisme ? ressortit-il à l’espérance juive de restauration ou à l’idéologie romaine de conquête universelle ? est-il axé sur Jérusalem ou épouse-t-il une trajectoire de décentrement ? Le texte d’Ac 2 ne permet pas de trancher. Bien plus, il semble sciemment alimenter cette saisissante ambivalence. L’Eglise qui naît au jour de la Pentecôte est située en prolongement de deux modèles identitaires : le modèle ésaïen de rassemblement au mont Sion et le modèle impérial de domination universelle. Son visage est double. Au reste, cette polarité infiltre jusqu’à l’ethos dont se dote l’Eglise jérusalémite : à l’exemple de l’idéal de partage des biens, il est suspendu entre une continuité inviolable avec Israël et une ouverture progressive à l’universalité romaine.

126 Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 108.

Chapitre 4

La restauration d’Israël entre succès et turbulences (Actes 3–5) 4.1 Une séquence unifiée 4.1 Une séquence unifiée 4.1.1 Bibliographie Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels. Studien zur Bedeutung des Tempelmotivs im lukanischen Doppelwerk (NTAbh 36), Münster, Aschendorff, 2000, pp. 209-233.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 249-256.–Sijbolt NOORDA , « Scene and Summary. A Proposal for Reading Acts 4.32-5.16 », dans Jacob KREMER (éd.), Les Actes des Apôtres. Traditions, rédaction, théologie (BEThL 48), Gembloux/Leuven, Duculot/Leuven University Press, 1979, pp. 475-483.–Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes. Untersuchungen zum Gemeindewachstum im lukanischen Doppelwerk auf dem Hintergrund des Alten Testaments, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1995, surtout pp. 156-201.–Joseph SCHMITT, « L’Eglise de Jérusalem ou la “restauration” d’Israël d’après les cinq premiers chapitres des Actes », RSR 27, 1953, pp. 209-218.–Robert C. TANNEHILL, « The Composition of Acts 3-5 : Narrative Development and Echo Effect », dans Kent H. RICHARDS (éd.), Society of Biblical Literature Seminar Papers 23, Chico, Scholars Press, 1984, pp. 217-240 ou dans ID., The Shape of Luke’s Story. Essays on Luke-Acts, Eugene, Cascade Books, 2005, pp. 185-219.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), de Gruyter, Berlin/New York, 1998, pp. 213-232.

4.1 Une séquence unifiée

4.1.2

125

Des facteurs d’unification

Plusieurs exégètes des Actes ont reconnu à juste titre le caractère unifié des chapitres 3 à 5 du second tome à Théophile 1. Multiples sont en effet les indices littéraires qui conduisent à établir l’unité de ces trois chapitres : Sur le plan thématique tout d’abord, deux lignes de sens traversent la séquence, en évoluant selon un schéma d’intensification : c’est, d’une part, le récit de la croissance numérique de la communauté chrétienne (4, 4.32 ; 5, 14 ; cf. 2, 41.47 et 6, 1.7) assorti du compte rendu de son activité miraculeuse (3, 7-8 ; 4, 30.33 ; 5, 12-16 ; cf. 2, 19.22.43) ; et c’est, d’autre part, la chronique du conflit grandissant entre chrétiens de Jérusalem et autorités juives (4, 3.18 ; 5, 33.40-41)2. Cette double gradation atteindra finalement son paroxysme, et en même temps sa résorption, dans la séquence suivante consacrée au procès et à la lapidation d’Etienne (6, 8–8, 3), qui signe à la fois le comble de l’hostilité des sanhédrites à l’endroit de l’Eglise jérusalémite – en générant la persécution et l’expulsion des chrétiens hors de la Ville sainte –, mais aussi le point d’orgue de la recomposition d’Israël – en permettant la diffusion providentielle de la Parole en Judée et en Samarie (cf. 8, 1.4ss ; 9, 31). Nous y reviendrons dans notre prochain chapitre. Du point de vue structurel ensuite, il a été relevé la démultiplication en Ac 3–5 d’un même scénario en quatre temps : sommaire – événement – discours – effets contrastés3. Dit autrement, la séquence est scandée par trois grands sommaires de la vie communautaire (2, 42-47 ; 4, 32-35 ; 5, 12-16) qui ouvrent à chaque fois sur une même succession narrative.

1

2 3

Entre autres : Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 249-256 ; ID., Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 111-112 ; Robert C. TANNEHILL, « The Composition of Acts 3-5 : Narrative Development and Echo Effect », 2005, pp. 185-219 ; ID., The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 48ss ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 107 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, pp. 163-165. Robert C. TANNEHILL, « The Composition of Acts 3-5 : Narrative Development and Echo Effect », 2005, pp. 199ss. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 250-253.

126

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

Sur le plan spatial également, la continuité entre ces trois chapitres est assurée par la présence massive du lieu saint jérusalémite 4. D’une borne à l’autre en effet, le Portique de Salomon en particulier et le Temple en général sont les lieux de l’enseignement apostolique (3, 13.8.11 ; 5, 12b.20-21.25.42 ; cf. 2, 46) et le théâtre de la crispation croissante entre la communauté chrétienne et la caste saducéenne. A n’en pas douter, l’occupation légitime du sanctuaire jérusalémite fait figure d’enjeu théologique majeur tout au long de cette séquence littéraire 5. Par ailleurs, la dualité « Temple – maison » (ejn tw'/ iJerw'/ kai; kat’ oi\k on), désignant ainsi les deux espaces géographiques fréquentés par la première communauté à Jérusalem, se retrouve aux deux extrémités de la séquence, en 2, 46 et 5, 42 6, formant ainsi inclusion autour des chapitres 3 à 5 des Actes. Quant à la constellation des personnages, elle témoigne également d’une constance remarquable, en s’articulant autour de trois groupes auxquels Luc résume la société juive de Jérusalem : les apôtres, le peuple et les autorités juives7 – figurées ici par le grand prêtre Hanne et par le sanhédrin, lui-même réparti entre Pharisiens et Sadducéens. Un chassé-croisé burlesque est par ailleurs mis en scène entre les apôtres et l’aristocratie du Temple, dont l’enjeu semble être non seulement la revendication du lieu saint jérusalémite (4, 1-3 ; 5, 20-21 ; 5, 25-28.42), mais également la faveur du peuple (4, 16-17 ; 5, 12.13b.25-27). Dit autrement, à côté du sanctuaire de la Ville sainte , c’est le peuple d’Israël (cf. 4, 10) qui est l’objet d’un conflit d’autorité entre les chrétiens surplombés par la puissance du « nom de Jésus » et les chefs du peuple chapeautés par la figure du grand prêtre. Cela nous conduit directement à la dernière procédure d’unification, linguistique cette fois-ci. Au niveau terminologique en effet, les chapitres 3 à 5 sont placés sous le sceau du « nom de Jésus », le vocable o[noma contrôlant les diffé4

5

6 7

Cf. Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, pp. 209ss ; Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, pp. 175-176 ; Günter W ASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 225. Dans ce sens, Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 253-254 : « La crise montante entre le groupe chrétien et les leaders Sadducéens a tous les traits d’une querelle de territoire, visant à établir qui dispose de l’autorité théologique au cœur de la religion d’Israël ». Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 250-251 ; ID., Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 103. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 51.

4.1 Une séquence unifiée

127

rentes parties de cette séquence narrative (3, 6.16 ; 4, 7.10.12.17.18.30 ; 5, 28.40.41)8. En clair, ces chapitres développent une théologie du Nom témoignant qu’il n’y a pour Israël d’autre lieu de salut qu’en Jésus Christ (4, 12) ; c’est en vertu de cette puissance que les apôtres prêchent (4, 17-18 ; 5, 28.40), guérissent (3, 6.16 ; 4, 7.10.30) et souffrent les vexations qui leur sont infligées par les autorités juives (5, 41). En retour, cette concentration du récit sur le Nom de Jésus, lieu exclusif de l’agissement du Dieu d’Israël (cf. 3, 13), renferme un immanquable potentiel critique vis-à-vis du Temple et de sa prétention idolâtre à assigner le Très-Haut à résidence. Néanmoins, c’est dans la séquence d’Etienne seulement qu’il sera activé. A côté du vocable o[noma, le lexème laov" totalise également un nombre inhabituellement élevé d’occurrences (3, 9.11.12.23 ; 4, 1.2.8.10.17.21.25.27 ; 5, 12.13.20.25.26.34.37) 9, trahissant par là-même l’importance de ces trois chapitres dans l’intrigue ecclésiale des Actes : se reconstitue ici le peuple allié de Dieu. Ce processus ecclésiologique est d’ailleurs renforcé lexicalement par l’usage prégant du verbe prostiqevnai – toujours avec Dieu pour agent – dans ces chapitres liminaires des Actes (2, 41.47 ; 5, 14 ; cf. 11, 24). Ceci dit, deux sections restent hétérogènes à ces facteurs d’unification et seraient donc susceptibles d’invalider cette proposition de séquentialisation des premiers chapitres des Actes : le discours du Temple tenu par Pierre en 3, 17-26 ainsi que la fin tragique d’Ananias et Sapphira (5, 1-11). Pour sûr, la première de ces deux péricopes, en oblitérant de son horizon la guérison du boiteux de la « Belle Porte », construit un écart flagrant avec la situation thaumaturgique de départ (3, 1-16). A la vérité, nulle trace du miracle accompli ne persiste dans les propos finaux de Pierre 10. C’est seulement au chapitre 4 que

8 9

10

Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 188-189 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 49. Voir sur le sujet Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, pp. 49-50 ; Robert C. TANNEHILL, « The Composition of Acts 3-5 : Narrative Development and Echo Effect », 2005, pp. 194-195. Correctement relevé par Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 166 : « Nun [à partir du v. 17] verschwindet der Geheilte aus dem Blick, auch von dem Wunder wird nichts mehr gesagt » et plus loin aux pp. 171-173. L’exégète norvégien décèle en outre un glissement rhétorique d’une période du discours pétrinien à l’autre : alors que la première moitié rejette en bloc le peuple « assassin » (vv. 12-16), l’autre moitié soutient à l’inverse la fidélité indélébile de Dieu à Israël (vv. 17-26). Partant, Jervell tient les vv. 12-16 pour un bloc traditionnel repris par Luc.

128

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

l’infirme fera sa réapparition sur la scène narrative des Actes (vv. 9.10.14.22) et avec lui la théologie du Nom. Cette particularité devra trouver explication. De même, le récit du jugement de Dieu sur le couple formé par Ananias et Sapphira déroge à la ligne thématique du conflit ouvert avec les autorités d’Israël. La problématique attachée à cet épisode ne réside pas dans la relation houleuse entretenue par les premiers chrétiens avec les chefs du peuple, mais bien dans un incident interne à la communauté naissante 11. Cette singularité demandera également à être expliquée. C’est à partir de ces deux anomalies que nous procéderons.

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte » ou l’apocatastase d’Israël (3, 1-26) 4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte » 4.2.1 Bibliographie Simon BUTTICAZ, « Ac 3, 1-26. Le relèvement de l’infirme comme paradigme de la restauration d’Israël », ETR 84, 2009/2, pp. 177-188.–Nils Alstrup DAHL, « The Story of Abraham in Luke-Acts », dans Leander E. KECK, J. Louis MARTYN (éds), Studies in Luke-Acts, Philadelphia, Fortress Press, 1980, pp. 139-158.–Christian DIONNE, La Bonne Nouvelle de Dieu. Une analyse de la figure narrative de Dieu dans les discours pétriniens d'évangélisation des Actes des Apôtres (LeDiv 195), Paris, Cerf, 2004, pp. 127-193.–Christian GRAPPE, « Main de Dieu et mains des hommes. Réflexions à partir d’Actes 4,30 et 5,12 », dans René KIEFFER, Jan BERGMAN (éds), La Main de Dieu. Die Hand Gottes (WUNT 1.94), Tübingen, Mohr Siebeck, 1997, pp. 124-125.–Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung. Studien zur lukanischen Geschichtstheologie als Soteriologie (NTAbh 42), Münster, Aschendorff, 2003.–Dennis HAMM, « Acts 3 :12-26 : Peter’s Speech and the Healing of the Man Born Lame », Perspectives in Religious Studies 11, 1984, pp. 199-217.–ID., « Acts 3,1-10 : The Healing of the Tempel Beggar and Lucan Theology », Bib 67, 1986, pp. 305-319.–Jacob JERVELL, Luke and the People of God. A New Look at Luke-Acts, Minneapolis, Augsburg, 1972, pp. 5860.–Emmeram K RÄNKEL, Jesus der Knecht Gottes (BU 8), Regensburg,

11

Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, p. 255.

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

129

Pustet, 1972, pp. 103-108.125-129.193-202.–Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels. Eine Untersuchung zur lukanischen Ekklesiologie (StANT 39), München, Kösel-Verlag, 1975, pp. 60-61.–ID., « Christologie und Geschichtsbild in Apg 3,19-21 », dans ID., Studien zum Neuen Testament (SBA.NT 5), Stuttgart, KBW, 1989, pp. 223-243.–Karl LÖNING, « Neuschöpfung und religiöse Kultur. Zur Begründung christlicher Identität im Geschichtswerk des Lukas », dans Rainer ALBERTZ (éd.), Religion und Gesellschaft. Studien zu ihrer Wechselbeziehung in den Kulturen des Antiken Vorderen Orients (AOAT 248), Münster, UgaritVerlag, 1997, pp. 203-215.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 181-209.–Gudrun MUHLACK, Die Parallelen von Lukas-Evangelium und Apostelgeschichte (TW 8), Frankfurt, Lang, 1979, pp. 27-38.–Franz MUSSNER, « Die Idee der Apokatastasis in der Apostelgeschichte », dans Heinrich GROSS, ID. (éds), Lex Tua Veritas. Festschrift H. Junker, Trier, Paulinus, 1961, pp. 293-306 ou dans ID., Praesentia Salutis. Gesammelte Studien zu Fragen und Themen des Neuen Testaments, Düsseldorf, Patmos, 1967, pp. 223-234.–David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, Grand Rapids, Baker, 2000, pp. 132-135.–Mikeal C. PARSONS, « The Character of the Lame Man in Acts 3–4 », JBL 124, 2005, pp. 295-312.–Jacques S CHLOSSER, « Moïse, serviteur du kérygme apostolique d’après Ac 3,22-26 », RevSR 61, 1987, pp. 17-31.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), Berlin/New York, de Gruyter, 1998, pp. 222-231. 4.2.2

Remarques préliminaires

On l’a dit, la seconde période du discours (3, 17-26), partant de l’ignorance des Jérusalémites lors de la crucifixion, puis enchaînant avec un vibrant appel au repentir, construit un écart thématique avec son objet initial : il s’agissait pour Pierre de répondre à la stupéfaction de l’auditoire suite à la guérison d’un infirme de naissance (cf. v. 10 : qavmbo" ; v. 11 : e[kqambo") 12, en évacuant toute méprise magique (cf. v. 12). Or, cette visée clarificatrice est parfaitement endossée par la première moitié du discours, encadrée qu’elle est par deux références 12

Cf. Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 225.

130

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

au boiteux de la Belle Porte (vv. 12b et 16). En décalage manifeste, la suite de l’homélie pétrinienne déploie l’horizon de salut qui s’offre aux Israélites, s’ils prêtent l’oreille au prophète comme Moïse et se détournent de leurs méfaits. Si elle n’a pas été tout simplement ignorée 13, cette digression a été le plus souvent expliquée à l’aide d’une stratification tradition/rédaction. En clair : Luc aurait reproduit dans son récit de fondation un scénario archaïque du discours missionnaire face au judaïsme 14 ou une tradition juive sur l’envoi eschatologique d’Elie 15, sans toutefois les adapter à la guérison du boiteux de la Belle Porte16. D’où les anomalies repérées dans la composition de cette séquence des Actes. Cette hypothèse de type rédactionnel, si elle voit probablement juste en attribuant tout ou partie du discours de Pierre à une provenance traditionnelle, conclut néanmoins trop hâtivement à l’incohérence narrative. En littérature en effet, la digression n’est pas nécessairement synonyme de maladresse rédactionnelle, mais peut au contraire fonctionner comme un dispositif délibéré par lequel un auteur, sous le couvert d’un détour par l’ailleurs, vise à faire rebondir l’intrigue ou à en élargir la perspective. C’est à semblable stratégie littéraire que nous semble répondre la seconde partie du discours, en manifestant la visée para-

13 14

15 16

Par exemple Christian DIONNE, La Bonne Nouvelle de Dieu, 2004, pp. 182-184, qui juge l’articulation texte-contexte des plus harmonieuses. Martin DIBELIUS, Aufsätze zur Apostelgeschichte (FRLANT 60), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 19685, p. 142, a identifié dans les Actes, et notamment ici, un scénario récurrent du discours missionnaire face au judaïsme, décliné en cinq temps : a) introduction : 3, 12 ; b) kérygme christologique : 3, 13-15a ; c) témoignage apostolique : 3, 15b ; d) argumentation scripturaire : 3, 22-26 ; e) appel à la repentance : 3, 17-20. Ce schéma quinaire trouverait son origine dans la pratique missionnaire du christianisme primitif (voir aussi ID., Die Formgeschichte des Evangeliums, Tübingen, Mohr Siebeck, 19332, p. 15). Otto BAUERNFEIND , Kommentar und Studien zur Apostelgeschichte, 1980, pp. 66-68. Par exemple : Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 108 : « At times the speeches are only loosely connected to the context in which they appear » ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, pp. 211-212 : « Sieht man von den Versen ab, die an die Heilung des Lahmen anknüpfen, so bleibt eine Missionspredigt vor Juden übrig, die von der Form her ein Ueberlieferungsstück sein könnte », voir aussi la note 4, p. 212 : « Die VV 12b.16 sind überdies schlecht mit der übrigen Rede verbunden. V 13 bezieht die Tatsache, dass Gott seinen Knecht Jesus “verherrlichte”, auf die Krankenheilung im Namen Jesu. Der Vorwurf, den Heiligen und Gerechten verleugnet und den Führer zum Leben getötet zu haben (VV 14.15), leitet zwar sachgerecht die Umkehrforderung (an Juden) ein, passt aber nicht in eine Aufklärung über die Ursachen der Heilung. V 17 schliesst sachlich an V 15 (und nicht an V16) an ».

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

131

digmatique de la guérison survenue à la porte du Temple. Voyons comment. 4.2.3

Relever le mendiant ou le pouvoir intégrateur du nom de Jésus (3, 1-11)

Examinons pour commencer la signification octroyée par l’auteur des Actes au miracle de la Belle Porte : sur quoi porte précisément l’intervention merveilleuse des apôtres Pierre et Jean ? De prime abord, il est question d’une guérison redonnant à un infirme de naissance l’usage de ses membres frappés d’asthénie (cf. 4, 9 : ajnqrwvp ou ajsqenou'"). Surmonté du premier sommaire de la vie communautaire (2, 42-47), où il est fait mention des « prodiges et signes » réalisés par les apôtres (v. 43b), l’épisode de la Belle Porte en offre une concrétisation exemplaire à l’enseigne de Pierre et de Jean. Nous assistons au tout premier récit de guérison du livre des Actes. De nombreux miracles suivront, gagnant en spectaculaire au fur et à mesure que se déroule le récit : la fin dramatique d’Ananias et Sapphira (5, 1-11), les nombreux malades guéris par les apôtres (5, 12), ceux délivrés au seul contact de l’ombre de Pierre (5, 15-16), les relèvements merveilleux d’Enée et Tabitha (9, 32-42), etc. Cela dit, plusieurs signaux suggèrent une dimension supplémentaire de cette guérison17. Le premier indice nous est livré par l’emplacement territorial : cantonné à la porte du Temple (v. 2 : pro;" th;n quvran tou' iJerou'), où chaque jour on le dépose pour mendier (vv. 2.10), l’infirme est finalement à même de pénétrer, d’un bond, le saint lieu et d’y louer Dieu (vv. 8-9). Le passage de l’extériorité à l’intériorité, de la passivité à l’action, de l’exclusion à la communion, est flagrant entre le début (v. 2) et la fin du récit (vv. 8-9) 18. Par-delà l’acte thérapeutique, le prodige se joue véritablement dans cette intégration 17

18

La visée symbolique du miracle de la Belle Porte a été amplement argumentée par Dennis HAMM, « Acts 3,1-10 : The Healing of the Temple Beggar and Lucan Theology », 1986, pp. 305-319. Voir aussi Mikeal C. PARSONS, « The Character of the Lame Man in Acts 3–4 », 2005, pp. 295-312 ainsi que Robert C. TANNEHILL, « The Composition of Acts 3-5 : Narrative Development and Echo Effect », 2005, pp. 195ss. Bien noté par Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 120. Dans ce sens également Dennis HAMM, « Acts 3,1-10 : The Healing of the Temple Beggar and Lucan Theology », 1986, p. 310 ; Heiner GANSER-K ERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 217.

132

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

symbolique du sanctuaire jérusalémite. A l’instar des miracles johanniques, cette guérison de l’infirme a, elle aussi, valeur de signe 19 : la puissance du nom de Jésus, et tout spécialement la foi en ce nom, a pour résultat la pleine restauration dans la communauté du Temple et la liquidation du quadruple handicap – physique, social, religieux et économique 20 – qui immobilisait l’impotent. Bref, au-delà du geste thaumaturgique, l’enjeu de cette guérison, de ce relèvement-résurrection (vv. 6-7 : ejgeivrw), est de rétablir le lien du mendiant avec Dieu – comme en témoigne sa louange dans le Temple (v. 9) – et de lever son isolement social, en l’inscrivant dans un nouvel espace communautaire (v. 8 : su;n aujtoi'" ; cf. également v. 11a). On le voit, la dimension verticale, théocentrique de ce prodige ne va pas sans sa contrepartie horizontale, humaine. Cette lecture trouve à s’alimenter d’autres signaux textuels, à commencer par l’âge du grabataire : plus de quarante ans au jour de sa guérison (4, 22). Cette durée évoque notamment l’errance du peuple de l’exode avant son entrée en Canaan (Ac 7, 36.42b ; cf. Ex 16, 35). Partant, le parcours symbolique menant du désert vers l’espace promis a aussi été celui de l’impotent. Ensuite, les commentateurs ont signalé l’existence d’un signifiant renvoi intertextuel au v. 8 : le verbe rare (ejx)a{llomai, employé pour décrire l’entrée du miraculé dans le lieu saint, se retrouve en Es 35, 6LXX, un passage thématisant la restauration eschatologique d’Israël (cf. Es 55, 12 ; Mi 2, 12). « Le boiteux (cwlov") bondira (aJl ei'tai) comme un cerf », s’exclame en effet le prophète Esaïe 21. Appliqué au récit d’Ac 3, il devient clair que le miracle réside moins dans l’inouï du raffermissement des membres que dans la réintégration du boiteux à l’alliance d’Israël, au peuple des

19 20

21

Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 114. Les infirmes étaient maintenus à l’écart du Temple, réduits à un état d’impureté et de marginalité sociale (cf. Lv 21, 18-20). A cela, le récit ajoute un obstacle économique : le boiteux est condamné à dépendre financièrement d’autrui (3, 2). Heiner GANSER-K ERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 225 ; Christian GRAPPE, « Main de Dieu et mains des hommes. Réflexions à partir d’Actes 4,30 et 5,12 », 1997, pp. 124-125 ; Mikeal C. PARSONS, « The Character of the Lame Man in Acts 3–4 », 2005, p. 309 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 184 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 110 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 174.

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

133

temps derniers22. En d’autres termes, le relèvement de l’estropié et son entrée dans l’enceinte sacrée d’Israël débordent sans conteste le geste strictement spectaculaire : c’est la restauration du peuple, attendue pour la fin des temps, qui s’y joue 23. Cette lecture éclaire également la concentration de la séquence sur le Temple jérusalémite (cf. la répétition du syntagme eij" to; iJero;n aux vv. 1.2.3.8). Pour la foi juive en effet, la fin des temps devait s’accompagner d’un rétablissement – céleste ou terrestre – de la maison de Dieu ainsi que d’une refondation de la cité davidique, centre symbolique du pays où les douze tribus étaient appelées à converger (par ex. : Ez 40–48)24. En réinstallant le boiteux au sein de la communauté célébrante du Temple, Ac 3 concourt ainsi à réaffirmer le rôle du sanctuaire jérusalémite et du mont Sion dans le relèvement d’Israël25. Et cela, même si cette fonction idéale du lieu saint sera immédiatement remise en question par les tentatives juives d’en déloger la Parole de Dieu (4, 3 ; 5, 26-28.40). Dernier indice : au risque d’infirmer l’attribution traditionnelle des Actes à « Luc le médecin » (Col 4, 14), le verbe stereovw ( rendre ferme, affermir ; vv. 7.16) n’est pas un terme issu du jargon médical26, mais du langage créationnel de la Septante 27. Le relèvement du boiteux est à déchiffrer comme un geste recréateur, redressant sur ses bases une identité vacillante et réinstallant l’humain dans l’alliance scellée par Dieu avec son peuple.

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Bien formulé par Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 110 : « Die Heilung ist ein Zeichen Gottes, das der Sammlung Israels, seiner Hinwendung zum Glauben an Jesus Christus dienen soll ». Dans ce sens Christian GRAPPE, « Main de Dieu et mains des hommes. Réflexions à partir d’Actes 4,30 et 5,12 », 1997, p. 125 : « […] la guérison du boiteux [est] signe de la restauration eschatologique d’Israël ». Sur le sujet, consulter David E. AUNE, « From the Idealized Past to the Imaginary Future. Eschatological Restoration in Jewish Apocalyptic Literature », dans ID., Apocalypticism, Prophecy and Magic in Early Christianity : Collected Essays (WUNT 199), Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, pp. 26-31. Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 232 : « Apg 3 berichtet mit seinem demonstrativen Heilungswunder und seiner eindringlichen Umkehrpredigt davon, wie ganz im Sinn der Joel-Verheissung von V 5b [3, 5b] der Tempel in den Dienst der Restitution Israels gestellt werden soll ». Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 184. Contra Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, p. 125. Plus globalement, il est à noter la pauvreté du vocabulaire médical en Ac 3 : cf. Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung, 2003, pp. 97-98. Cf. Ps 74, 4LXX ; 92, 1LXX ; 135, 6LXX ; Es 42, 5 ; 44, 24 ; voir à ce effet Georg BERTRAM, art. « stereov w », ThWNT VII, 1964, pp. 609-614.

134

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

Résumons. Ce rapide survol d’Ac 3, 1-11 nous a permis de reconnaître la dimension éminemment symbolique de l’événement. Le miracle thérapeutique se fait signe exemplaire (cf. 4, 22 : shmei'on) 28 du pouvoir intégrateur et recréateur du nom de Jésus Christ : le mendiant est restauré dans sa créaturalité et rendu participant de la communauté eschatologique – deux facettes, cosmique et historique, intimement liées dans les traditions prophétique et apocalyptique juives (voir infra). Pourtant, si le lecteur connaît déjà l’origine divine de ce geste, le peuple rassemblé a, lui, encore besoin d’explications (vv. 10-11). C’est à ce déficit cognitif que va remédier le discours pétrinien qui vient se greffer sur l’événement (v. 12). Cela dit, l’ironie est palpable : si le mendiant réintègre pleinement la communauté de l’alliance et se met à louer Dieu dans le Temple, les juifs de Jérusalem, prisme où se réfracte l’attitude globale d’Israël (cf. pa'" oJ laov" aux vv. 9.11.12), restent quant à eux dubitatifs, frappés d’étonnement, et se massent hors du sanctuaire autour de Pierre et de Jean (v. 11) ; une fois l’impotent raffermi sur ses bases, c’est Israël qui perd pied (cf. v. 10 : ejkstavsew") 29 ! Ce contraste construit une attente auprès du lecteur : vont-ils eux aussi s’ouvrir au pouvoir intégrateur du Nom qui relève ? Dit autrement, le peuple d’Israël, témoin privilégié du signe survenu (v. 9 ; cf. 4, 16.22), va-t-il entériner le parcours herméneutique déployé par Pierre et accueillir le salut qui lui a été promis depuis toujours ? Se dessine ici la problématique ecclésiologique de la séquence. 4.2.4

Non pas la puissance des apôtres, mais celle du Dieu qui relève le Saint et le Juste (3, 12-16)

La fonction de relecture assignée à la première section du discours pétrinien ne fait pas l’ombre d’un pli. L’encadrement construit par les versets 12 et 16, qui tous deux pointent en direction de l’homme raffermi dans ses membres, le rappelle sans doute possible au lecteur. Ac 3, 12-16 s’offre comme un moyen d’interpréter le miracle survenu et de corriger certains malentendus. Ce cadre de référence installé, les vv. 1315 logent en son centre un long développement christologique. La deuxième tâche est de comprendre la raison de cette insertion kéryg28 29

Cf. Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 222. Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 121.

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

135

matique ici. Comme le révèle le v. 15, la portée du témoignage des disciples est d’affirmer la résurrection de Celui que le peuple juif a mis à mort. Tout le kérygme s’oriente ainsi sur l’acte résurrectionnel, les expressions « le Dieu de vos pères a glorifié son serviteur » (v. 13a) et « celui que Dieu a réveillé des morts » (v. 15b) disposant un cadre signifiant autour du passage. La fonction endossée par cette incise christologique s’éclaire désormais : « l’infirme n’a pas été guéri par les apôtres mais par le Christ et le Christ n’a pu guérir que parce qu’il fut revêtu, en vertu de son exaltation, de la force de Dieu » 30. Autrement dit, les miracles des Actes, dont la réhabilitation du mendiant de la Belle Porte est l’archétype, sont les traces présentes de la résurrection du Christ, les effets permanents de Pâques31. Partant, un lien de causalité s’insinue chez Luc entre la résurrection du Nazaréen et le relèvement du boiteux à la porte du Temple. L’emploi des verbes polysémiques ejgeivrw en 3, 7.15 et ajnivsthmi en 3, 22.26, pouvant signifier autant « faire lever » que « ressusciter » 32, en sont les symptômes langagiers. Bref, le Dieu de vie qui a triomphé de la croix a donné au Christ exalté la capacité de raffermir les membres morbides de l’impotent. Il nous faut toutefois franchir un pas supplémentaire dans l’analyse de cette section discursive. En ouverture du sermon, le narrateur précise – ce qui est inhabituel dans les discours des Actes – que Pierre s’adresse à l’ensemble du peuple (v. 12a : laov" ; cf. 13, 15)33, les apostrophant de l’adresse coutumière a[ndre" jIsrahli'tai (cf. 2, 22 ; 5, 35 ; 13, 16). On l’a dit, ce même peuple formait déjà l’assistance présente lors de la guérison du boiteux (3, 9.10.11). C’est donc dans son statut honorifique d’Israël de Dieu, de peuple élu de l’histoire sainte, que la foule des juifs est interpellée par Pierre. On pressent déjà que l’enjeu du discours pétrinien déborde le cas particulier de l’infirme et concerne le peuple choisi dans son ensemble. Un autre indice corrobore cette im30 31

32 33

Jacques SCHLOSSER, « Moïse, serviteur du kérygme apostolique d’après Ac 3,22-26 », 1987, p. 17. Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 137 : « Pour rendre compte de la guérison qui s’est produite au Temple, le discours de Pierre passe par l’annonce de la résurrection. Pâques est en effet l’attestation du pouvoir de transformation de Dieu dans l’histoire ». Dans ce sens, Jacques SCHLOSSER, « Moïse, serviteur du kérygme apostolique d’après Ac 3,22-26 », 1987, pp. 27-31. Bien remarqué par Yvan MATHIEU, La figure de Pierre dans l’œuvre de Luc , 2004, p. 200.

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La restauration d'Israël entre succès et turbulences

pression : pourquoi le narrateur alourdit-il son texte en désignant le Dieu qui glorifie, de son titre vétérotestamentaire de « Dieu d’Abraham, et d’Isaac, et de Jacob, le Dieu de nos (vos) pères » ? (v. 13a ; cf. Ex 3, 6.15.16 ; etc.). Là également, le discours semble dresser les implications historico-salutaires de cette guérison située à la porte du Temple : c’est le Dieu d’Israël, le Dieu des Ecritures juives et nul autre, qui est intervenu pour relever son serviteur Jésus et, partant, le mendiant de la Belle Porte 34. Bref, si le propos de Luc dans ce discours est d’expliquer le miracle réalisé, d’en donner les fondements christologiques, il est aussi de le contextualiser dans le cadre de l’histoire sainte, en le raccordant à la situation d’Israël suite au tournant pentecostal. Hans Conzelmann35, et plus récemment Jürgen Roloff 36, Jacob Jervell37 ou Heiner Ganser-Kerperin38, l’ont correctement perçu. En résumé, la première phase du discours a pour fonction de relire l’événement en pointant sur l’agent véritable du relèvement, à savoir le nom de Jésus ; c’est le Dieu des patriarches et des pères, le Dieu de l’histoire d’Israël, le Dieu de Pâques, qui a conféré au nom du Ressuscité le pouvoir d’affermir les membres défaillants du boiteux. Ce faisant, cette première période discursive continue d’élargir l’horizon du 34

35 36

37 38

Bien noté par Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 284 : « In other words, none other than the God of Israel, known from the Hebrew Scriptures, has intervened on behalf of Jesus. It is the God whom his Jewish listeners have always worshiped. Through the invocation of Jesus’ name, their God has acted on behalf of the lame beggar. With this OT allusion Luke stresses the continuity between historic Israel and the new Christian movement ». A notre avis, il n’y a pas lieu de discriminer ici pour déterminer si l’acte de Dieu glorifiant son serviteur Jésus a eu lieu lors de la résurrection ou dans la guérison de l’infirme. Les deux sont plausibles, voire recommandés, dans le texte lucanien (cf. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 195 ; Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 164). Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 33 : « Lk ergänzt die Pfingstrede, indem er die Situation Israels ausführlich darlegt ». Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 73 : « Vor allem für das Kirchenverständnis des Lukas ist die Rede von hoher Bedeutung. […] Demnach verstand sich die Urgemeinde weder als eine jüdische Sondergruppe noch gar als eine neue Grösse neben Israel. Sie wollte vielmehr das wahre Israel der Endzeit sein. In diesem Sinn lässt er [Lukas] hier die Juden durch Petrus als Israel angesprochen werden. Kehren sie um, öffnen sie sich der Entscheidung für Jesus (V. 19f.26) und sammeln sie sich um die Apostel, so bleiben sie in dem Segen, der auf Israel liegt (V. 25) ». Luke and the People of God, 1972, pp. 58-60 ; ID., Die Apostelgeschichte, 1998, p. 163 : « Es geht in der Rede um die Situation Israels ». Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 229 : « […] in der Tempelpredigt des Petrus geht es um die Frage der Rolle Israels im Prozess der endzeitlichen Erneuerung der Schöpfung ».

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

137

récit. La guérison du boiteux est arrachée à l’anecdotique et reçoit un statut exemplaire dans le cadre de l’histoire sainte : dans ce geste intégrateur de l’infirme à la communauté du Temple se joue une geste historico-salutaire du Dieu des promesses en faveur de son peuple. Pierre en prend ses auditeurs à témoin (cf. v. 16 : tou'ton o}n qewrei'te kai; oi[date et ajpevnanti pavntwn uJm w'n) ! Partant, nous avons découvert que la problématique qui sous-tend la guérison du boiteux et le discours de Pierre est bel et bien ecclésiologique : dans la réhabilitation d’un infirme, c’est en sourdine le destin de tout un peuple qui se joue. Pourtant, jusque-là, cette portée communautaire est restée plus implicite qu’explicite. Le narrateur s’est borné à multiplier les signaux pointant en cette direction. C’est à la seconde partie du discours que revient la tâche de faire la pleine lumière sur cette dimension. Voyons comment. 4.2.5

L’écoute du prophète comme Moïse ou l’apocatastase d’Israël (3, 17-26)

Commençons par la péroraison (3, 25-26)39. Le discours culmine dans une exhortation, où Pierre apostrophe à deux reprises l’auditoire à l’aide de pronoms personnels en position anaphorique : uJmei'" ejste (v. 25a) ; uJmi'n prw'ton (v. 26) ; il y récapitule pour ses auditeurs les deux axes majeurs de son discours40. D’une part, leur statut particulier dans l’histoire du salut est maintenu : les juifs de Jérusalem, représentatifs de tout Israël, sont et restent « fils des prophètes et de l’alliance » ; la bénédiction abrahamique de toutes les familles de la terre prévaut encore et toujours pour eux. A n’en pas douter, les auditeurs de Pierre sont les bénéficiaires du salut promis. Néanmoins, une double restriction est d’emblée apportée à cette déclaration : tout d’abord, cette bénédiction octroyée dans l’envoi du serviteur de Dieu est soumise au repentir des méfaits (cf. v. 26b). Ensuite, elle n’est plus exclusivement

39 40

Voir à cet effet l’essai de structuration rhétorique d’Ac 3, 12-26 chez Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung, 2003, pp. 116-129 (sur la peroratio, ibid., pp. 127-129). Cf. Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung, 2003, p. 129 : « Als Quintessenz des argumentativen Teils der Rede entsprechen die VV 25.26 rhetorisch der peroratio : hier ist der Ort einer kurzen Zusammenfassung oder verstärkenden Wiederholung der beigebrachten Argumente, wobei auf parteigünstige Affekte nicht verzichtet werden sollte ».

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La restauration d'Israël entre succès et turbulences

réservée à Israël. Certes, elle vaut prioritairement pour lui (v. 26a : prw'ton), mais elle est appelée à s’ouvrir à « toutes les familles (patriaiv) de la terre » (v. 25b ; citation composite forgée à partir de Gn 12, 3 et 22, 18)41. Dans le contexte du début des Actes et en conformité avec son usage septantique, pa's ai aiJ patriai; th'" gh'" – que Luc a d’ailleurs préféré à l’expression « tous les peuples de la terre » (cf. Gn 12, 3 ; diff. Ga 3, 13) –, désigne le peuple juif dans son extension maximale, en l’occurrence les tribus dispersées aux quatre coins du monde habité 42. Pourtant, à l’instar du prw'ton, l’inclusion des païens dans l’Israël recomposé est obliquement suggérée, même si elle ne figure pas encore à l’agenda de la mission chrétienne. L’exclusivisme s’effrite pour se restreindre à une préséance dans l’histoire du salut. Les accents principaux de la conclusion rhétorique notés, remontons dans le discours et suivons son parcours argumentatif depuis le v. 17. Cette deuxième période est introduite par une nouvelle apostrophe de l’auditoire ; cette fois-ci, les juifs présents au Portique de Salomon sont interpellés sous le titre d’ajdelfoiv. Cet appellatif souligne la proximité forte existant entre Pierre et ses auditeurs jérusalémites. Aucun écart n’est ici perceptible entre les pèlerins venus adorer Dieu au Temple et celui qui les apostrophe. Dans la suite de son discours, on retrouvera cette désignation dans la citation de Dt 18, 15a. Nous y reviendrons. Auparavant, le leader des Douze, insistant sur l’ignorance des acteurs juifs de la Passion, leur adresse un vibrant appel au repentir. Leur conversion est en effet le préalable nécessaire à l’effacement des péchés (v. 19b : eij" to; ejxaleifqh'nai uJm w'n ta;;" aJmartiva") et surtout à la venue des « moments de fraîcheur » (v. 20a : o{p w" a[n e[lqwsin kairoi; ajnayuvxew"). A quoi peut bien faire référence ce syntagme unique dans le lexique néotestamentaire ? Tout le débat exégétique questionne inlassablement le rapport entretenu par cette expression avec la formule du v. 21 : « les temps de la restauration » 43. L’origine traditionnelle, vraisemblablement apocalyptique 44, de ces deux hapax néotestamentai41 42 43 44

Cf. Yvan MATHIEU, La figure de Pierre dans l’œuvre de Luc, 2004, p. 206. Cf. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 171 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 78. Pour un résumé des diverses positions, voir Emmeram K RÄNKEL, Jesus der Knecht Gottes, 1972, pp. 193-198. Voir sur ce sujet l’étude désormais classique de Gerhard LOHFINK , « Christologie und Geschichtsbild in Apg 3,19-21 », 1989, pp. 223-243.

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

139

res paraît difficilement contestable et invite à ne pas trop presser leur signification. De notre avis, ces deux syntagmes ne renvoient pas à différentes phases du calendrier eschatologique45, mais désignent tous deux la fin des temps – ouverte avec la Pentecôte (2, 17) et achevée au jour de la Parousie (1, 11)46 – dans sa portée salutaire pour Israël. L’enjeu est bien de déployer l’avenir paradisiaque qui s’offre au peuple juif, s’il change de regard sur Celui qu’il a mis à mort. La formule « les temps de la restauration de tout ce dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes depuis l’éternité » (v. 21) mérite néanmoins plus ample examen. En effet, le terme ajpokatavs tasi" appelle à la mémoire du lecteur la question des disciples au Ressuscité qui chapeaute le livre des Actes : « Seigneur, est-ce dans ce temps-ci (ejn tw/' crovnw/) que tu vas rétablir (ajp okaqistavnei") le royaume pour Israël ? » (1, 6). Un lien intratextuel se noue ainsi autour de la thématique de la restauration dernière ; s’il reproduit vraisemblablement une tradition de type apocalyptique, l’auteur à Théophile la réinvestit au service de sa propre vision de l’eschatologie. Dans les deux passages, il est question de « restauration », de « rétablissement » d’un état initial aujourd’hui corrompu ou disparu. Cela dit, on peut penser avec Gerhard Lohfink que le terme ajpokatavstasi" fonctionne en 3, 21 de manière polysémique, évoquant autant l’idée d’un « rétablissement final » que l’« accomplissement » de toutes les prophéties scripturaires47. Que recouvre alors cette 45

46

47

Cf. Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 288 ; Gerhard LOHFINK, « Christologie und Geschichtsbild in Apg 3,19-21 », 1989, p. 230 ; Albrecht OEPKE, « ajpokatavstasi" », ThWNT I, 1933, pp. 390-391. Avec Max TURNER, Power from on High. The Spirit in Israel’s Restoration and Witness in Luke-Acts, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996, p. 309, note 112, ainsi que Robert W. WALL, The Acts of the Apostles, 2002, p. 81, note 165. Dans ce cas, a[cri crov nwn ajpokatastavsew" pavntwn est à traduire « après les temps de la restauration de toutes choses » et non pas « jusqu’aux temps de la restauration de toutes choses » (cf. idem en Ac 20, 6). En outre, notre lecture s’accorde parfaitement avec les deux formules plurielles employées par Luc : kairoi; ajnayuvxew" ; a[cri crovnwn. En effet, ces deux expressions semblent indiquer une période temporelle durative et non un événement ponctuel (diff. la tournure au singulier employée en Ac 1, 6 : ejn tw/'/ crovnw/) . Gerhard LOHFINK, « Christologie und Geschichtsbild in Apg 3,19-21 », 1989, p. 240 : « Die einfachste und ungezwungenste Erklärung ist die, dass er hier zwei ganz verschiedene Vorstellungen unter einem einzigen Begriff zusammenfasst : Einmal die Vorstellung von der Erfüllung aller Prophezeiungen – die ist lukanisch ; dann die Vorstellung einer endgültigen Heilszeit, in der Gott sein Volk und die Welt wiederherstellt – diese zweite Vorstellung wird Lukas […] der Apokalyptik entnommen haben ». Dans ce sens également, Albrecht OEPKE, « ajpokatavstasi" », ThWNT I, 1933, p. 390.

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La restauration d'Israël entre succès et turbulences

apocatastase promise à Israël par les prophètes ? Dans la tradition prophétique et apocalyptique juives, les composantes politiques et cosmiques de cette restitution se superposent et se confondent souvent48 : rassemblement des douze tribus, jouissance de la Terre promise, rétablissement de la royauté davidique, mais aussi recréation du ciel et de la terre 49. Si l’on revient à l’usage lucanien de cette expression, on comprend désormais mieux sa fonction : comme le boiteux a recouvré son identité créaturale et socio-religieuse, de même Israël est promis à pareil avenir, s’il se convertit ; son salut eschatologique, tant historique que cosmique, dépend de son rapport au nom de Jésus. Et cette espérance de rétablissement, si elle doit se consommer entièrement au jour de la Parousie, n’en est pas moins amorcée depuis la Pentecôte, comme en témoigne le miracle survenu à la Belle Porte du Temple 50. On le voit, Luc tient ensemble et articule dans son programme théologique aujourd’hui du salut et réserve eschatologique51. Ceci dit, la jouissance de la félicité paradisiaque est soumise à une condition. C’est aux vv. 22-23 que revient la tâche de l’expliciter, et avec elle la face sombre qu’entraînerait son refus. Ces deux versets se présentent comme une citation composite des Ecritures grecques, combinant plusieurs passages de Dt 18, 15-19 et Lv 23, 29. Il devient ici clair que le prophète comme Moïse suscité par Dieu (i.e., le Christ Jésus) fonctionne désormais comme ligne de partage au milieu du peuple juif : si la participation à l’Israël historique était ordonnée à l’observance de la Torah mosaïque, l’appartenance au laov" eschatolo-

48

49 50 51

Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung, 2003, p. 302 : « “Was Gott von Ewigkeit geredet hat” beschränkt sich inhaltlich ja nicht auf die politische Restauration Israels, sonder impliziert genauso eine restitutio ad integrum der gesamten Schöpfung. “Wiederherstellen wie einst” umfasst in der Perspektive der Schrift eine globale Neuschöpfung, die immer dort Gegenstand soteriologischen Nachdenkens ist, wo Gott als Schöpfer vorgestellt wird ». Cf. Jr 12, 14-17 ; 16, 15 ; 23, 8 ; 24, 6 ; Ez 17, 23 ; Es 11, 1-12 ; 62, 1-5 ; 65, 17 ; 66, 22 ; Am 9, 11 ; Ml 3, 23 ; 1 Hénoch 45,4-6 ; 96,3 ; 4 Esd 7,75 ; 2 Ba 32,6 ; 57,2. Dans ce sens Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 229. David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 134, discerne une semblable dialectique temporelle dans l’expression « les temps de la restauration » d’Ac 3, 21. Assurément, le pluriel crovnoi implique non pas un événement ponctuel (diff. Ac 1, 6 : ejn tw/ crov nw/), mais un temps appelé à durer et désigne ainsi l’époque historicosalutaire qui court de la Pentecôte à la seconde venue du Messie Jésus (cf. Albrecht OEPKE, « ajpokatavstasi" », ThWNT I, 1933, p. 390 ; Sylvia HAGENE, Zeiten der Wiederherstellung, 2003, p. 303).

4.2 Le relèvement de l’infirme de la « Belle Porte »

141

gique est désormais conditionnée par l’écoute du dernier prophète 52. En outre, réapparaît ici le terme ajdelfoiv (v. 22a), utilisé dans l’adresse du discours pétrinien (cf. v. 16a) : la solidarité fraternelle, dont il était question en ouverture de l’homélie, est ici soumise à une clause d’exclusion radicale en cas de non-repentance. En résumé, la parole de Jésus devient le critère unique, mais indispensable, de la restauration eschatologique d’Israël. Refuser l’Evangile signifie se couper de la bénédiction divine et perdre irrémédiablement son statut de « fils des prophètes et de l’alliance » (v. 25). Le choix auquel Israël fait face a de lourdes répercussions ecclésiologiques. Concluons. La seconde période du discours pétrinien vient déployer avec clarté les enjeux de la guérison de l’infirme. Ce dernier est désormais le paradigme, l’emblème de la réhabilitation eschatologique, tant historique que cosmique, promise au peuple juif à condition qu’il se repente de ses méfaits et prête l’oreille au prophète comme Moïse 53. La recomposition finale du peuple choisi, sa pleine réintégration dans ses droits, est à ce prix. Pour Luc, seul le Dieu qui a relevé Jésus d’entre les morts peut relever Israël de son « asthénie spirituelle » et l’intégrer à l’Eglise des temps derniers. Après le récit de la Pentecôte qui a situé la chrétienté naissante à l’intersection du rassemblement eschatologique d’Israël et des ambitions gréco-romaines de domination universelle, le discours du Temple vient clarifier les modalités d’effectuation de la première affirmation identitaire : la recomposition du peuple de l’alliance est indissociable du dernier prophète, précisément de sa sphère de puissance. C’est dans la foi en ce Nom que les « fils des prophètes et de l’alliance » recevront le pardon des péchés et hériteront des temps paradisiaques. Quant aux apôtres, oints de l’Esprit

52 53

Cf. Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 310-311. Bien noté par Yvan MATHIEU, La figure de Pierre dans l’œuvre de Luc, 2004, p. 206 : « Comme il a réintégré l’infirme dans la communauté priante d’Israël en lui accordant la guérison au nom de Jésus, Dieu offre maintenant aux auditeurs de Pierre un pardon-relèvement pour qu’ils continuent à faire partie du peuple rétabli, un peuple auquel s’adjoindront des païens ». Dans ce sens également Mikeal C. PARSONS, « The Character of the Lame Man in Acts 3–4 », 2005, p. 312 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 161 : « Zuschauer ist das Gottesvolk als Ganzes, für das das Wunder auch geschieht, nämlich als Sammlung und Restitution des Gottesvolkes. » ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 110 : « Die Heilung ist ein Zeichen Gottes, das der Sammlung Israels, seiner Hinwendung zum Glauben an Jesus Christus dienen soll ».

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depuis la Pentecôte, s’ils ne sont pas à confondre avec l’« initiateur de vie », ne sont pas moins les acteurs terrestres et les témoins patentés de ce processus de renouvellement (cf. 1, 8). 4.2.6

Récapitulation et conclusion

Nous sommes partis d’un diagnostic : l’inadéquation contextuelle de la prédication pétrinienne (3, 12-26), singulièrement de sa seconde moitié. Refusant de tenir cette anomalie pour une impéritie rédactionnelle, nous avons proposé d’y voir une stratégie délibérée de prise de distance . Au terme de notre parcours exégétique, cette supposition s’est confirmée : le discours du Temple a pour fonction de relire le miracle de la Belle Porte, d’en donner les raisons christologiques, et surtout d’en dévoiler la portée ecclésiologique. L’affermissement d’un impotent n’est pas une simple anecdote thaumaturgique à mettre au bilan de la fièvre miraculeuse qui caractérise chez Luc l’« âge d’or » de la chrétienté. Au contraire, il s’agit d’un épisode paradigmatique, condensant sous une scène haute en couleur l’enjeu majeur des premiers chapitres des Actes : œuvrer au rassemblement du peuple eschatologique, en offrant à Israël le pardon des péchés et la possibilité de la conversion. En élargissant l’horizon du récit lucanien, l’homélie de Pierre arrache la guérison de la Belle Porte à l’anecdotique et en fait un maillon fort de la trame des Actes. Il n’est désormais plus possible de lire la suite du récit sans garder à l’esprit cette intrigue de restauration, dont rien n’indique qu’elle s’évanouirait immédiatement après Ac 3. Au contraire, plusieurs signaux nous semblent trahir la prégnance de ce programme ecclésiologique en aval de notre péricope : les conversions massives déclenchées par la prédication apostolique (4, 4 ; 5, 14) ou l’afflux de malades vers Jérusalem (en 5, 16) en sont deux symptômes. Il vaut la peine de s’y arrêter.

4.3 Croissance miraculeuse de la communauté (4, 4 ; 5, 14) 4.3 Croissance miraculeuse de la communauté (4, 4 ; 5, 14) 4.3.1 Bibliographie Andreas LINDEMANN, « The Beginnings of Christian Life in Jerusalem According to the Summaries in the Acts of the Apostles (Acts 2:42-47 ; 4:32-37 ; 5:12-16) », dans Julian HILLS et al. (éds), Common Life in the

4.3 Croissance miraculeuse de la communauté (4, 4 ; 5, 14)

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Early Church. Essays Honoring Graydon F. Snyder, Harrisburg, Trinity Press International, 1998, pp. 202-218.–Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels. Eine Untersuchung zur lukanischen Ekklesiologie (StANT 39), München, Kösel-Verlag, 1975, pp. 52-55.–Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes. Untersuchungen zum Gemeindewachstum im lukanischen Doppelwerk auf dem Hintergrund des Alten Testaments, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1995, pp. 180-190.–Gregory E. S TERLING, « “Athletes of Virtue” : An Analysis of the Summaries in Acts (2,41-47 ; 4,32-35 ; 5,12-16) », JBL 113, 1994, pp. 679-696. 4.3.2

Un symptôme du rassemblement d’Israël

Nous l’avons dit, la séquence formée par les chapitres 3 à 5 des Actes se caractérise d’une part par la fulgurante croissance de la communauté croyante, d’autre part par l’inflation de ses actes thaumaturgiques. Or, ces deux aspects typiques du devenir ecclésial subséquent à la Pentecôte ne sont pas de simples élaborations mythologiques servant à habiller de décorations fabuleuses l’« âge d’or » de l’Eglise à Jérusalem. Au contraire, autant la multiplication du groupe formé autour des Douze que ses réalisations miraculeuses sont à lire à l’aide d’une grille théologique. Voyons comment. C’est à l’exégète Wolfgang Reinhardt que revient le mérite d’avoir exposé les fondements scripturaires du concept de croissance ecclésiale et de l’avoir situé en accomplissement des espérances nourricières de l’eschatologie juive 54. Par une analyse sémantique – tant philologique que thématique – de ce motif lucanien, Reinhardt a en effet montré ses liens substantiels non seulement avec les promesses de multiplication faites aux patriarches et la théologie biblique de bénédiction55, mais également avec tout un réseau d’attentes et de motifs attestés dans la tradition prophétique : l’espérance d’un rassemblement à Jérusalem du peuple exilé (Jr 3, 14.16 ; 23, 3 ; 29, 6.10 ; Es 49, 18 ; Ez 36, 10-12 ; 37, 2628)56, l’annonce d’un afflux des païens au mont Sion (par ex. : Mi 4, 17)57, ou encore l’appel à l’obéissance/au repentir des fils d’Israël58. Par 54 55 56 57

Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995. Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 100-101. Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 101. Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 101.

144

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

ailleurs, il a pointé du doigt, avec encore plus de précision que ses prédécesseurs en la matière, les parentés terminologiques existant entre le vocabulaire lucanien de croissance (plhquvnein ; aujxavvnein) et le lexique vétérotestamentaire. Bref, suite à l’étude fouillée de Wolfgang Reinhardt, il n’est plus permis de tenir ces notices de croissance pour de simples traits favorisant l’effet de réel ou pour des embellissements mythologiques. La croissance merveilleuse de la communauté croyante s’inscrit au contraire en prolongement et en accomplissement des espérances faites à l’Israël biblique. Les conversions massives notifiées depuis le jour de la Pentecôte (2, 41.47) et réitérées au fur et à mesure que se déploie l’activité missionnaire des chrétiens à Jérusalem (4, 4 ; 5, 14) signalent au lecteur que la « multitude de ceux qui avaient cru » (4, 32) n’est autre que le peuple saint en faveur de qui Dieu a scellé son alliance et à qui il a octroyé sa bénédiction. Bien plus, la croissance fabuleuse de ce groupe témoigne que les temps de la fin et leur cortège d’espérances sont en cours de réalisation dans l’Eglise ; elle en est la signature visible. Dit autrement, suite à la guérison emblématique de la Belle Porte, l’offre de restauration promise par les prophètes et prioritairement destinée au peuple juif n’est pas restée lettre morte : la recomposition d’Israël, rendue possible par l’effusion de l’Esprit, s’actualise par et dans la communauté croyante. C’est pourquoi les mesures de censure adoptées par les autorités juives ne sauraient la stopper. Dans sa sagesse, Gamaliel en avait prévenu le sanhédrin (5, 3539).

4.4 Fièvre miraculeuse et convergence des malades à Jérusalem (5, 12-16) 4.4 Fièvre miraculeuse et convergence des malades 4.4.1 Bibliographie Christian GRAPPE, « Main de Dieu et mains des hommes. Réflexions à partir d’Actes 4,30 et 5,12 », dans René KIEFFER, Jan BERGMAN (éds), La Main de Dieu. Die Hand Gottes (WUNT 1.94), Tübingen, Mohr Siebeck, 1997, pp. 117-134.–Andreas LINDEMANN, « The Beginnings of Christian Life in Jerusalem According to the Summaries in the Acts of the Apostles (Acts 2:42-47 ; 4:32-37 ; 5:12-16) », dans Julian HILLS et al. (éds), 58

Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 101.

4.4 Fièvre miraculeuse et convergence des malades

145

Common Life in the Early Church. Essays Honoring Graydon F. Snyder, Harrisburg, Trinity Press International, 1998, pp. 202-218.– Gregory E. S TERLING, « “Athletes of Virtue” : An Analysis of the Summaries in Acts (2,41-47 ; 4,32-35 ; 5,12-16) », JBL 113, 1994, pp. 679-696.– Rick STRELAN, Strange Acts : Studies in the Cultural World of the Acts of the Apostles (BZNW 126), Berlin, de Gruyter, 2004, pp. 104-106.191195. 4.4.2

Un galimatias thématique

Outre la foudroyante croissance de l’Eglise, il est un autre motif à manifester l’irruption des temps derniers et à servir le dessein ecclésiologique des Actes : l’engouement thaumaturgique qui gagne la pratique de la communauté de Jérusalem. Citant une prophétie de Joël (Jl 3, 1-5a), Pierre avait dans son homélie de la Pentecôte prédit la survenue de prodiges dans le ciel et de signes sur la terre (2, 19-20), programmant ainsi la future activité miraculeuse des apôtres et lui offrant d’emblée un horizon de compréhension eschatologique 59. Or, cette prophétie s’est concrétisée dès le premier sommaire de la vie communautaire (2, 43) et, comme nous l’avons vu, lors du relèvement d’un mendiant à la Belle Porte du Temple (3, 1-11). Mais, c’est surtout dans le troisième sommaire des Actes que l’activité guérissante de l’Eglise jérusalémite reçoit un traitement appuyé et devient une dimension intrinsèque de la chrétienté naissante et de sa pratique missionnaire (5, 12-16). Ce sommaire mérite qu’on s’y attarde. La poussée miraculeuse dont témoigne ce sommaire ne doit pas être déconnectée de la prière communautaire qui le surmonte (4, 29-30), au risque de se méprendre sur la nature de la puissance à l’œuvre. Trop souvent en effet, les commentateurs ont rapproché les apôtres thaumaturges des qei'oi a[ndre" qui peuplaient le paysage antique du merveilleux60. Or, une dimension notable les en distingue : si les apôtres guérissent, c’est en vertu du nom agissant de Jésus. La proximité lin-

59 60

Christian GRAPPE, « Main de Dieu et mains des hommes. Réflexions à partir d’Actes 4,30 et 5,12 », 1997, p. 127. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 241 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 98 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 254.

146

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

guistique existant entre 4, 30 et 5, 12 est telle 61 que tout doute sur l’origine foncièrement théologique de ce pouvoir de guérison n’est guère possible : à travers l’activité miraculeuse des apôtres, c’est le Dieu du Ressuscité qui étend sa main pour restituer le malade à sa pleine humanité 62. Outre cette dimension théologique, un autre aspect des miracles lucaniens, que le tout premier récit de guérison a bien illustré (3, 1-26), ressurgit ici : leur coloration eschatologique . La guérison du boiteux de la Belle Porte nous a en effet rendus attentifs à l’intrigue de restauration d’Israël et à son rapport étroit avec l’univers du merveilleux. Or, ce lien entre croissance du peuple, pratique miraculeuse et rassemblement d’Israël réapparaît en force dans le troisième sommaire des Actes (5, 12-16). Pour sûr, à la quasi-unanimité, les commentateurs ont dénoncé l’incohérence de ces versets lucaniens et leur complexité thématique, recourant allègrement à la dissection entre tradition et rédaction pour en réduire les anomalies63 et poussant parfois même le vice jusqu’à recomposer un autre enchaînement logique 64. Or, ces opérations de critique littéraire sont doublement coupables : d’une part de forcer un texte stylistiquement homogène à livrer ses sources d’inspiration65, d’autre part d’intenter à son auteur, reconnu par ailleurs pour ses qualités d’écrivain, un procès en illogisme. C’est la raison pour laquelle une explication autre que le délit d’incohérence 61 62

63

64 65

Luc orchestre entre 4, 30 et 5, 12 un évident phénomène d’intratextualité par la reprise du substantif « main » et de l’expression « signes et prodiges ». Cf. Christian GRAPPE, « Main de Dieu et mains des hommes. Réflexions à partir d’Actes 4,30 et 5,12 », 1997, p. 129 : « […] on ne peut manquer de faire le parallèle entre cette affirmation [5, 12] et la prière placée dans la bouche de ces mêmes apôtres en 4,29-30 […]. Le parallélisme des deux phrases suggère que la main de Dieu trouve désormais son prolongement dans celles des apôtres ». Le plus souvent, les vv. 12b-14 sont qualifiés de greffe rédactionnelle, lucanienne ou post-lucanienne, qui serait venue briser le lien logique existant originairement entre les vv. 12a et 15. Dans ce sens : Pierre BENOÎT, « Remarques sur les “sommaires” de Actes 2,42 à 5 », dans Aux sources de la tradition chrétienne. Mélanges M. Goguel, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1950, pp. 1-10 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 149 ; Alfred WIKENHAUSER, Die Apostelgeschichte , 1961, p. 72. Par exemple Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, pp. 86-87 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 251. En réaction à ces opérations de critique des sources pratiquées sur le troisième grand sommaire des Actes, plusieurs commentateurs ont réaffirmé avec force son uniformité stylistique et, partant, dénoncé toute entreprise de démembrement rédactionnel : par exemple Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 273 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, pp. 239-241 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 97.

4.4 Fièvre miraculeuse et convergence des malades

147

doit être trouvée à l’indéniable surcharge thématique dont témoigne ce troisième sommaire des Actes. De notre avis, seul un examen attentif des thèmes entrelacés dans ces versets nous livrera la solution. 4.4.3

Les signes de la fin des temps

Nous l’avons dit, l’arithmétique fabuleuse des Actes (1, 15 ; 2, 41 ; 4, 4 ; [5, 14]) participe, et ce dans la foulée des traditions scripturaires, aux espérances promises à Israël. Or, une perspective similaire infiltre la gaine thaumaturgique qui enserre le troisième sommaire des Actes (vv. 12a.13b.15-16), et tout spécialement la notice conclusive notifiant la convergence vers Jérusalem d’une foule de malades (v. 16). Etonnamment, seul Rick Strelan parmi les exégètes de Luc a prêté attention à la relevance eschatologique de cet épitomé 66. A cet effet, l’auteur recense plusieurs passages scripturaires (Za 12, 8LXX ; Mi 4, 6-7LXX ; Jdt 9,11LXX ; Ba 2,18LXX), prédisant pour les temps derniers accueil et fortification des asthéniques et des boiteux auprès du Dieu d’Israël. A cette liste, on peut appondre le texte de Dt 7, 15LXX qui promet au peuple de l’exode la disparition de tous ses maux suite à son entrée en Canaan : « Le Seigneur écartera de toi toute maladie » 67. En clair : dans la foulée des « signes et prodiges » attendus pour la fin des temps (2, 19-20) et à l’exemple du boiteux relevé au nom de Jésus (3, 1-11), la réhabilitation apostolique des imbéciles et des aliénés prend place dans un vaste processus de restauration, auquel même ceux que l’impureté de la maladie tenait à l’écart de la communauté juive sont appelés à prendre part. Par ailleurs, les exégètes ont trop rapidement interprété la provenance géographique de cette armée d’invalides (v. 16a : les « villes alentour de Jérusalem ») : elle programmerait le débordement universaliste de la mission par-delà les remparts de la Ville sainte (cf. 1, 8)68. En effet, le mouvement décrit au v. 16 par la multitude n’est pas 66

67 68

Rick STRELAN, Strange Acts, 2004, pp. 104-106 (ibid., p. 104 : « Given Luke’s eschatological view and his dependency on the Septuagint for his construction of people and events, it is possible that the healing of the weak in 5.16a is seen as the fulfilment of eschatological expectation »). Cf. Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 140. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 184 ; Wolfgang R EINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 185-186 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, p. 157 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 87. Pour sa part, Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 202,

148

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

centrifuge, mais bien centripète. Ce faisant, cette trajectoire convergeant sur Jérusalem s’accorde préférentiellement avec les passages des Ecritures prédisant le pèlerinage, chargé d’offrandes et de sacrifices, des habitants de Juda en direction de la maison du Seigneur (cf. Jr 17, 26LXX qui présente le même verbe fevronte" qu’Ac 5, 16) ou prophétisant le rassemblement au mont Sion des meurtris de la vie (Mi 4, 67LXX) 69. Bref, le montage thématique attesté en 5, 12-16, s’il déroute le lecteur par ses aspérités, trahit néanmoins la volonté lucanienne de conjuguer dans le dernier grand sommaire des Actes les deux grandeurs sous lesquelles se matérialise le processus eschatologique de restauration d’Israël : 1) la croissance miraculeuse de la communauté croyante ; 2) la réhabilitation des blessés du corps et de l’âme et leur intégration au peuple du salut. Relue à l’enseigne de ce programme de restauration, une autre difficulté syntaxique du sommaire s’estompe. En effet, les commentateurs ont souvent déploré l’incongruité du lien de consécution disposé par l’auteur à Théophile entre les versets 14 et 15 (w{s te) 70, rattachant de préférence l’engouement thaumaturgique des Jérusalémites à l’aura sacro-sainte dont jouissaient les apôtres (v. 13) 71 ou à leurs vertus miraculeuses (v. 12a)72. Or, si l’on considère que les conversions en masse sont un signe tangible de la fin des temps et de la recomposition d’Israël inaugurée par Dieu (cf. v. 14a : prosetivqento [passivum divinum] 73), alors l’enthousiasme thaumaturgique en devient un effet plausible : cette frénésie à la limite de la superstition est la réponse lo-

69 70

71

72

73

considère cet afflux de malades vers Jérusalem comme un vestige purement et simplement archaïque. Dans ce sens Rick STRELAN, Strange Acts, 2004, p. 105. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 273.276 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 41 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 240 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 202 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, pp. 381-382 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 251. Par exemple Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 98 : « Mit dem etwas ungefügen “so dass” wird der Faden von V. 13 wieder aufgenommen : So gross ist der Eindruck, der von der Gemeinde ausgeht, dass man von Petrus, ihrem Leiter, unbegrenzte Fähigkeit des Helfens und Heilens erwartet ». Par exemple Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 202 : « Dagegen ist die Volksbewegung für die Kranken nach V 12a verständlich, denn die Wunder erklären die Reaktion in VV 15-16 ». Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 253.

4.5 Au cœur de l’esse de l’Eglise, un ethos chrétien de partage

149

gique à la survenue des temps eschatologiques et au rassemblement par Dieu de son peuple. Si l’attrait du merveilleux dont témoignent les habitants de Jérusalem paraît suspect de magisme, il ne procède pas moins d’une identification correcte des temps eschatologiques, dont la foule d’hommes et de femmes venue s’agréger au groupe établi au Portique de Salomon (v. 12) est la trace intramondaine. Bref, une interdépendance est établie par Luc entre croissance stupéfiante du peuple et pratiques miraculeuses, faisant tantôt des guérisons opérées par les apôtres la raison de l’accroissement de la communauté (v. 12v. 14), tantôt sa résultante (v. 14v. 15). Le fait est que ces deux motifs participent, l’un comme l’autre, des attentes eschatologiques du peuple élu et servent conjointement le programme lucanien de recomposition d’Israël.

4.5 Au cœur de l’esse de l’Eglise, un ethos chrétien de partage (5, 1-11) 4.5 Au cœur de l’esse de l’Eglise, un ethos chrétien de partage 4.5.1 Bibliographie Paul Burns BROWN, The Meaning and Function of Acts 5,1-11 in the Purpose of Luke-Acts (thèse, Boston University School of Theology), Ann Arbor, UMI, 1989.–Jacques DUPONT, « La communauté des biens aux premiers jours de l’Eglise (Actes 2, 42.44-45 ; 4, 32.34-35) », dans ID., Etudes sur les Actes des apôtres (LeDiv 45), Paris, Cerf, 1967, pp. 503519.–Yvan MATHIEU, La figure de Pierre dans l’œuvre de Luc (Evangile et Actes des Apôtres) (EtB 52), Paris, Gabalda, 2004, pp. 211-221.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 245274.–Kiyoshi MINESHIGE, Besitzverzicht und Almosen bei Lukas. Wesen und Forderung des lukanischen Vermögensethos (WUNT 2.163), Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, pp. 230-236.–Rick S TRELAN, Strange Acts : Studies in the Cultural World of the Acts of the Apostles (BZNW 126), Berlin, de Gruyter, 2004, pp. 199-208.

150

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

4.5.2

Remarques préliminaires

Le jugement de Dieu sur Ananias et Sapphira (5, 1-11) constituait l’autre décrochage thématique que nous avions identifié dans la composition homogène de la séquence d’Ac 3–5. Certes, l’épisode en question renoue avec la thématique miraculeuse, amorcée dans le premier sommaire des Actes (2, 43) et mise en récit à l’occasion du relèvement d’un boiteux à la Belle Porte du Temple (3, 1-11), annonçant par là-même le dernier grand sommaire des Actes centré, on l’a vu, sur la communauté guérissante. Cela dit, alors que l’environnement immédiat s’occupe à relater le conflit grandissant entre une multitude chrétienne unanime et le sanhédrin, Ac 5, 1-11, et plus largement la séquence économique d’Ac 4, 32 à 5, 11, détourne l’attention du lecteur sur une problématique interne au devenir ecclésial. La menace qui guette ici le peuple de Dieu ne s’origine pas dans l’hostilité des grands prêtres, mais dans un délit d’argent qui met en péril la communion ecclésiale. Tout comme pour le discours du Temple, cette singularité doit trouver explication. 4.5.3

Un récit foncièrement ecclésiologique

Plusieurs commentateurs ont relevé l’apparition du terme ejkklhsiva en clôture d’Ac 5, 1-11, première occurrence de ce vocable dans les Actes74. Or, connaissant l’adresse littéraire de Luc, ce surgissement de la terminologie ecclésiale n’est assurément pas fortuit. Pour sûr, si l’ejkklhsiva désigne souvent dans le second tome lucanien la communauté locale 75, en l’occurrence l’Eglise sise à Jérusalem, et parfois les assemblées populaires/politiques du monde gréco-romain76, le terme se double également d’un sens théologique, s’appliquant à l’assemblée eschatologique de salut, au peuple élu de Dieu 77. Cet emploi théologique et 74

75 76 77

Ac 5, 11 constitue la première des 23 occurrences du terme ejkklhsiva que totalise le livre des Actes, si l’on renonce à considérer comme archaïques les variantes textuelles qui ajoutent le terme ejkklhsiva en 2, 47. Ce que recommande la critique interne du passage, attendu qu’il s’agit, avec un haut degré de certitude, de gloses explicatives ou complétives. 5, 11 ; 8, 1 ; 11, 22.26 ; 12, 1.5 ; 13, 1 ; 14, 23.27 ; 15, 3.4.22.41 ; 16, 5 ; 18, 22 ; 20, 17. 19, 32.39.40. Ont plaidé en faveur d’une lecture théologique d’ejkklhsiva Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 56 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du

4.5 Au cœur de l’esse de l’Eglise, un ethos chrétien de partage

151

supra-local, fondé dans le précédent prestigieux que constitue l’assemblée du Sinaï à qui Dieu confie les « oracles divins » (7, 38) 78, se rencontre dans les Actes en 8, 3 ; 9, 31 et 20, 2879. Partant, l’ekklèsia qui émerge en clôture de la tragédie d’Ac 5, bien que limitée à Jérusalem, est, dans la perspective de Luc, une concrétion exemplaire du qahal eschatologique : c’est ici que, pour la toute première fois, se manifeste l’assemblée de Dieu. Bref, revêtue dès 5, 11 de l’attribut d’ejkklhsiva, la chrétienté naissante est non seulement comparée aux rassemblements publics du monde grec, mais surtout à la congrégation sainte de la Septante 80. Il devient ainsi séduisant de relire, comme l’a fait Daniel Marguerat, le délit d’Ananias et Sapphira dans cette perspective ecclésiologique , en examinant comment la communauté chrétienne « jusqu’ici rangée sous le terme indéterminé de plh'q o" (4, 32 ; voir 5, 14 ; 6, 2), acquiert le statut d’assemblée de Dieu (ejkklhsiva) » 81 à travers une action divine de jugement sur un couple infernal. Si cette hypothèse de lecture tendait à se confirmer, alors la singularité thématique que nous relevions en amont s’estomperait : la péricope d’Ananias et Sapphira s’inscrirait, comme l’ensemble des chapitres 3 à 5 des Actes, sur la trajectoire identitaire de l’Eglise. Dit autrement : ce drame communautaire travaillerait à préciser, sous l’angle épisodique82, le portrait de la chrétienté naissante entre accomplissement des espérances d’Israël, nouveauté christologique et condition souffrante. Cela dit, cette interprétation éveillée par un unique indice lexical mérite une validation plus large : nous nous y attellerons dans le paragraphe sui-

78 79 80

81 82

christianisme, 20032, pp. 255-256 ; ID., Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 176-177 ; Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 201-202 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 95 ; ID., Die Kirche im Neuen Testament (Grundrisse zum Neuen Testament 10), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1993, pp. 200201 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 252. Cf. Dt 4, 10LXX ; 9, 10LXX ; 18, 16LXX ; 31,30LXX. Contra Kevin N. GILES, « Luke’s Use of the Term “EKKLHSIA” with Special Reference to Acts 20.28 and 9.31 », NTS 31, 1985, pp. 135-142. La polysémie du terme ejkklhsiva chez Luc a été observée et analysée par Petr POKORN, Theologie der lukanischen Schriften (FRLANT 174), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1998, p. 44, et par Wolfgang R EINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 202-204. Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 256. Le recours au style épisodique dans l’écriture des Actes et singulièrement en 5, 1-11 a été bien montré dans l’étude désormais classique d’Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller. Studien zur Apostelgeschichte (StUNT 9), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1972, pp. 109-110.

152

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

vant. Dans un second temps seulement, la fonction assignée à cette péricope dans le parcours des Actes pourra être déterminée. 4.5.4

L’ethos de partage mis en péril

Il convient tout d’abord de relever la nature du crime perpétré par le couple d’Ananias et Sapphira : c’est une fraude pécuniaire qui cause sa perte. Or, l’on sait, depuis le tout premier sommaire de la vie communautaire qui est venu couronner l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte (2, 42-47), que l’éthique du partage des biens constitue – à côté de l’enseignement apostolique, des prières et de la fraction du pain – une donnée intrinsèque de l’être-ensemble des chrétiens83. Bien plus, il s’agit là d’une conséquence directe de l’onction eschatologique de l’Esprit sur les frères réunis dans la chambre haute : le Souffle répandu, signe des temps derniers, a créé une dynamique communautaire (koinônia) que concrétise notamment l’éthique du partage 84. A cela s’ajoute l’odeur d’accomplissement qui se dégage de cette pratique. La disparition de l’indigence au cœur de la communauté croyante (4, 3435) répond en effet à une promesse eschatologique faite par Dieu à son peuple : « Il n’y aura pas chez toi d’homme dans le besoin, parce que le Seigneur ton Dieu te comblera de bénédictions dans la terre que le Seigneur ton Dieu te donne comme part d’héritage » (Dt 15, 4LXX ; trad. Bible d’Alexandrie) 85. Bref, il n’est pas exagéré de qualifier, comme l’a

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84

85

Cela a été souligné par Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 103107 ; Rudolf P ESCH, Die Apostelgechichte, I, 1986, pp. 132-133 ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 103-105. Cette lecture est confirmée en 4, 31-32 : Luc y thématise une seconde fois l’éthique de partage de l’Eglise jérusalémite, alors que l’Esprit vient de fondre sur la communauté en prière. Relevé à juste titre par Kiyoshi MINESHIGE, Besitzverzicht und Almosen bei Lukas, 2003, p. 242. Dans ce sens, voir également Hans-Josef K LAUCK, « Gütergemeinschaft in der klassischen Antike, in Qumran und im Neuen Testament », dans ID., Gemeinde – Amt – Sakrament. Neutestamentliche Perspektive, Würzburg, Echter, 1989, p. 95 : « Diese mit der Landnahme verbundene Verheissung wird bei Lukas zunächst eschatologisch aufgefasst. Sodann wird gezeigt, wie dieses Anzeichen der Heilszeit in der Urgemeinde in Erfüllung ging » ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 184. Sur la réception targoumique de Dt 15, 4, on consultera avec profit Jacques DUPONT, « La communauté des biens aux premiers jours de l’Eglise (Actes 2, 42.44-45 ; 4, 32.34-35) », 1967, pp. 509-510. L’exégète doute néanmoins que la référence deutéronomienne, présente en arrière-plan d’Ac 4, 34-35, soit encore consciente à l’écriture de Luc.

4.5 Au cœur de l’esse de l’Eglise, un ethos chrétien de partage

153

fait Daniel Marguerat, cette règle ecclésiale de « concrétion éthique du souffle » 86. A n’en pas douter, la communion des biens n’est pas un adiaphoron pour l’Eglise de Luc ; à l’inverse, elle fait figure de constituant essentiel de la communauté eschatologique de salut87. Relu à cette enseigne, le récit d’Ac 5, 1-11 montre comment le délit d’argent commis par Ananias et Sapphira, en portant atteinte à la règle d’éthique économique que s’est donnée la communauté, ne fissure pas simplement un idéal philosophique d’amitié, mais blesse directement l’esse du peuple de Dieu. En d’autres termes, le rapport des chrétiens aux biens devient chez Luc une marque distinctive de l’ekklèsia. Dans cette gestion du matériel, ce n’est rien de moins que l’identité communautaire et son salut dernier qui sont en jeu : le Souffle répandu a inauguré un vivre-ensemble où chacun est sommé de répondre de l’indigence du frère et c’est cette harmonie où tous les croyants formaient « un seul cœur et une seule âme » (4, 32a) qu’Ananias et Sapphira ont désaccordée. On le voit, le signal terminologique installé en clôture de la péricope (ejkklhsiva au v. 11) trouve plus ample assise : l’intrigue qui soustend le drame d’Ananias et Sapphira est bel et bien ecclésiologique. En questionnant le rapport des chrétiens à l’argent à travers un contremodèle, Luc problématise une dimension centrale de l’identité ecclésiale en devenir. Bref, si le discours de Pierre au Temple (3, 12-26) situait la chrétienté lucanienne en accomplissement substantiel des espérances de l’Israël biblique, Ac 5 vient de son côté thématiser une facette inédite de l’Eglise : son ethos de partage des biens88. Certes, ce principe économique possède des parallèles fameux autant dans la culture grecque (la République de Platon ou les Pythagoriciens) que

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La première histoire du christianisme , 20032, p. 170. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 272-273. Dans ce sens Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », dans Hildegard TEMPORINI, Wolfgang HAASE (éds), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, vol. II 25.3, Berlin/New York, de Gruyter, 1985, p. 2615 : « Das Neue der christlichen Ethik kommt zum Alten der traditionellen Gesetzesfrömmigkeit überbietend hinzu. Das Bild der Urgemeinde ist also von Lukas insgesamt so angelegt, dass die Elemente der Kontinuität (hier : Tempelfrömmigkeit) durch genuin christliche Züge (hier : Eucharistie und Gebet, Gütergemeinschaft) ergänzt und überboten werden ».

154

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

juive (les Esséniens ainsi que les sectaires de Qoumrân)89. Mais Luc va plus loin : dans cette règle, il ne s’agit pas simplement d’un idéal d’amitié comme dans la tradition hellénistique 90 ou de pauvreté radicale comme à Qoumrân91, mais d’une composante indispensable pour déterminer si l’Eglise chrétienne est de Dieu (ejk qeou') , selon le mot de Gamaliel (5, 39). 4.5.5

Une Eglise sub specie aeternatis

Il est un autre motif à manifester l’horizon eschatologique sous lequel se trame le drame d’Ac 5, 1-11 : le jugement mortifère qui fond sur le couple de fraudeurs. Pour sûr, les exégètes de Luc ont souvent déploré la violence de la parole de Pierre qui foudroie sur place Ananias et Sapphira et qui contrevient de manière criante à la pédagogie de conversion attestée ailleurs dans les Actes ou à la discipline d’excommunication formulée en Mt 18, 15-17 92. Mais c’est lire le récit du péché d’Ananias et Sapphira selon une logique missionnaire ou institutionnelle. Ce qui est inadapté. Ac 5, 1-11 relève en effet du bestrafendes Normenwunder, autrement dit du genre miraculeux dont l’objectif est la validation d’une exigence sacrée (Normenwunder), soit

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On consultera sur le sujet : Hans-Josef KLAUCK, « Gütergemeinschaft in der klassischen Antike, in Qumran und im Neuen Testament », 1989, pp. 69-100 ; l’excursus « Le partage des biens : réalité ou fiction », chez Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 162-163 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, pp. 89-91 ; Kiyoshi MINESHIGE, Besitzverzicht und Almosen bei Lukas , 2003, pp. 237-243 (excursus intitulé « Die Gütergemeinschaft in der Antike »). A la différence de l’utopie sociale des Grecs, la communauté des biens consentie par l’Eglise jérusalémite ne répond pas à un idéal d’amitié qui lèverait toute frontière entre le privé et le collectif ; c’est au contraire une éthique insufflée par l’Esprit, trace de la foi nouvelle au cœur de la matérialité (2, 44 : pavnte" de; oiJ pisteuvonte" h\san ejpi; to; aujto; kai; ei\con a{panta koinav ; cf. 4, 32a), dont il s’agit. Dans ce sens aussi Kiyoshi MINESHIGE, Besitzverzicht und Almosen bei Lukas, 2003, p. 238 : « Andererseits spielt bei Lukas, anders als im sozialutopischen Bild in der Antike, Freundschaft keine zentrale Rolle. Statt “Freund” schreibt Lukas in 4,32 “die Gläubigen”. Bei ihm geht es also vielmehr um die Gemeinschaft im Glauben, als um die Gemeinschaft unter Freunden ». A la différence du communautarisme social de Qoumrân en effet, la règle de partage notifiée chez Luc ne découle ni d’un mépris des richesses (diff. 1QH 10,23.29 ; 15,23), ni d’un renoncement à la propriété privée (diff. 1QS 1,11-12). Elle est librement consentie et ne suspend pas le droit à la propriété. Par exemple Hans Hinrich W ENDT, Die Apostelgeschichte, 18998, pp. 129-130 ; Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas , I, 1919, p. 191, note 36.

4.5 Au cœur de l’esse de l’Eglise, un ethos chrétien de partage

155

par la gratification d’un comportement obéissant (cf. Ac 28, 1-6), soit par la punition d’une conduite transgressive (ici et en Ac 13, 8-12)93. Quelle norme Ananias et Sapphira ont-ils enfreinte ? Nous l’avons dit, par leur mensonge, c’est à la règle économique dont vit la communauté chrétienne que le couple a porté atteinte ; une règle qui est le fruit de l’Esprit répandu et le témoin du surgissement des temps derniers (cf. 2, 44b-45 ; 4, 32-35). Bref, Ananias et Sapphira ont menti à l’Esprit saint (5, 3), menti à Dieu (5, 4) et mis l’Esprit de Dieu à l’épreuve (5, 9). La punition est ainsi à la hauteur du crime : elle est de nature eschatologique ; le trépas qui terrasse les fraudeurs est une préfiguration du jugement dernier94. Bref, en punissant de mort le couple infernal, l’Esprit à travers la parole efficace de Pierre protège la communauté de salut du mal qui est tapi à sa porte. Ac 5 se lit comme la chronique d’un combat eschatologique entre Dieu et Satan (cf. 5, 3). Dans cette lutte cosmique, l’Esprit intervient vigoureusement pour déloger le mal qui s’insinue au cœur du peuple des temps derniers et qui, en menaçant sa cohésion, met en danger sa croissance et même jusqu’à son existence 95. 4.5.6

Reprise et conclusion

Subséquent aux deux premiers sommaires des Actes (2, 42-27 ; 4, 32-35) qui ont souligné l’importance de l’éthique du partage pour le devenir communautaire, le drame d’Ananias et Sapphira vient déployer avec force les enjeux ecclésiologiques de cette pratique économique ainsi que sa tonalité eschatologique. Pour sûr, la communion des biens n’est pas une institution avant-dernière au seul service de la justice sociale de

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Gerd THEISSEN, Urchristliche Wundergeschichten. Ein Beitrag zur formgeschichtlichen Erforschung der synoptischen Evangelien (StNT 8), Gütersloh, Gerd Mohn, 19906, pp. 114-120. Désignation reprise chez Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 166 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 195-196 ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 140-141. Dans ce sens Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 272-273 : « A la lumière du jugement d’Ananias et Sapphira, préfiguration du jugement eschatologique, l’éthique du partage des biens prend une extrême gravité » ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 147. Cette dimension eschatologique a été bien perçue par Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 202 : « Der Text dokumentiert also wie 4,34 (mit Dtn 15,4) die Ueberzeugung der Urgemeinde, das eschatologische Gottesvolk zu sein, in dessen Mitte das Böse keinen Platz hat (vgl. Dtn 13,6 ; 17,7.12 ; 19,19 ; 21,21.24 ; 24,7 ; auch 1Kor 5,13), das sich in der “Todsünde” artikuliert ».

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La restauration d'Israël entre succès et turbulences

l’Eglise chrétienne ; c’est au contraire une dimension essentielle du peuple eschatologique, d’où toute pauvreté doit être bannie. Seul, d’ailleurs, l’Esprit répandu au jour de la Pentecôte a permis cette convivialité économique. C’est la raison pour laquelle la menace qui sourd de l’intérieur de la communauté et qui vise cet idéal de partage n’est pas moins dangereuse que l’hostilité fomentée par les autorités juives. De part et d’autre, c’est l’être même de la communauté eschatologique qui est visé. Et, lorsqu’il porte atteinte au peuple saint et à ses notae ecclesiae, c’est simultanément contre l’Esprit que l’homme commet un délit (cf. Lc 12, 10). Pour un tel crime, Luc ne peut envisager d’autre sanction que la mort.

4.6 Conclusion : la restauration d’Israël entre ombre et lumière 4.6 Conclusion : la restauration d’Israël La Pentecôte d’Ac 2 avait installé le programme de la fin des temps : effusion de l’Esprit sur l’Eglise, renouveau de la prophétie, signes et prodiges, rassemblement des exilés au mont Sion et universalisation du salut. Ce programme n’est pas longtemps resté en stand-by. La longue séquence formée par les chapitres 3 à 5 des Actes a progressivement exposé les modalités de sa concrétisation. La guérison d’un boiteux (3, 1-11) a ainsi exemplifié l’offre de restauration adressée au peuple d’Israël. Singulièrement, ce miracle a mis en exergue trois composantes de ce processus eschatologique de renouveau : sa dépendance absolue au nom de Jésus, son orientation sur le centre géographique de la foi juive et sa répercussion sur la personne entière du croyant, corps et âme. Ce prototype fixé, la porte s’ouvrait à une généralisation de l’offre de salut à la population entière de Jérusalem et même au-delà : c’est ce à quoi les apôtres, prêchant et guérissant au Portique de Salomon comme à domicile, n’ont cessé d’œuvrer. Le résultat a été à la hauteur de l’effort consenti : les Jérusalémites par milliers ont accueilli la Parole, reçu le baptême ou été touchés par la puissance libératrice du nom de Jésus. A n’en pas douter, les chapitres 3 à 5 des Actes ont, dans le projet de Luc, la fonction de relater le « printemps » de Jérusalem, son renouveau eschatologique. Mais deux menaces ont immédiatement assombri le ciel de la communauté naissante : tout d’abord, l’hostilité déployée à son encontre

4.6 Conclusion : la restauration d’Israël

157

par les autorités juives, ensuite la blessure infligée en son sein par un couple crapuleux. Contrairement à ce que pensait Ernst Käsemann96, Luc n’a pas substitué à la théologie paulinienne de la croix une theologia gloriae. Si triomphe et succès il y a, c’est toujours à travers la souffrance de la communauté 97 ; l’apocatastase d’Israël n’a rien d’un long fleuve tranquille. Par ailleurs, si la séquence a manifesté l’importance pour l’ecclésiologique des Actes du renouveau d’Israël, elle a également enregistré de nouveaux infléchissements apportés à ce processus eschatologique. C’est, tout d’abord, l’universalisation de l’alliance abrahamique qui s’est invitée au cœur de ces chapitres. Timidement, il est vrai. Et obliquement, à l’instar du prw'ton placé sur les lèvres de Pierre prêchant au Temple (3, 26). Mais déjà, il devient clair que la communauté chrétienne ne se cantonnera pas indéfiniment dans les frontières d’un peuple de juifs et de prosélytes. Autre développement inédit : l’ethos chrétien de communion, signalé dès Ac 2, 44b-45, puis affiché avec insistance tout au long de la séquence économique d’Ac 4, 32 à 5, 11, a été érigé au rang de nota ecclesiae par Luc. Le partage libre et volontaire des biens, bafoué par le détournement hypocrite d’Ananias et Sapphira, fait désormais partie de l’être-ensemble des chrétiens ; il est une marque visible des temps derniers, inscrite au cœur même de la matérialité. C’est pourquoi toute velléité de corrompre ce principe d’économie ecclésiale revient à entrer en conflit direct avec l’Esprit. Au cœur de la gestion financière de la communauté chrétienne se love dorénavant une préoccupation à forte plus-value eschatologique. Finalement, le devenir de la communauté chrétienne n’ira pas sans certains renoncements : à commencer par le rétablissement du sanctuaire jérusalémite dans son rôle eschatologique. Pour sûr, la pression 96 97

Ernst K ÄSEMANN, Der Ruf der Freiheit, Tübingen, Mohr Siebeck, 19725, pp. 207-222. Voir sur le sujet l’article de Jean ZUMSTEIN, « L’Apôtre comme martyr dans les Actes de Luc. Essai de lecture globale », RThPh 112, 1980, pp. 371-390 (repris dans son recueil d’études intitulé Miettes exégétiques [Le Monde de la Bible 25], Genève, Labor et Fides, 1991, pp. 183-205). Ainsi que Scott CUNNINGHAM, « Through Many Tribulations ». The Theology of Persecution in Luke-Acts (JSNT.SS 142), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1997, pp. 186ss (ibid., p. 214 : « Acts 4.31 and 5.42 demonstrate that proclamation of the Word continues in spite of persecution. But it also spreads because of it »). A la page 324 de sa monographie, Cunningham discute par ailleurs le point de vue développé chez Ernst Käsemann.

158

La restauration d'Israël entre succès et turbulences

croissante que les Sadducéens font peser sur l’ekklèsia, afin de lui barrer l’accès du lieu saint et de museler sa prédication, aura finalement raison de la fonction du Temple comme symbole identitaire d’Israël et comme lieu du salut dernier ; la superposition forte qui prévaut encore au seuil des Actes entre communauté chrétienne et communauté du Temple se délitera graduellement jusqu’à la rupture que consommeront le discours d’Etienne (7, 2-53) et surtout l’expulsion tragique des croyants hors de Jérusalem (8, 1.4). Mais cela est une autre histoire que nous aborderons dans le chapitre suivant.

Chapitre 5

Continuer l’histoire d’Israël en régime de diaspora (Actes 6, 1–8, 3) 5.1 Un tournant décisif dans l’intrigue des Actes (6, 1–8, 3) 5.1 Un tournant décisif dans l’intrigue des Actes (6, 1–8, 3) 5.1.1 Bibliographie Udo BORSE, « Der Rahmentext im Umkreis der Stephanusgeschichte (Apg 6,1–11,26) », dans ID., Regina BÖRSCHEL et al. (éds), Studien zur Entstehung und Auslegung des Neuen Testaments (SBA.NT 21), Stuttgart, KBW, 1996, pp. 97-117.–Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels. Studien zur Bedeutung des Tempelmotivs im lukanischen Doppelwerk (NTAbh 36), Münster, Aschendorff, 2000, pp. 233262.–Todd PENNER, In Praise of Christian Origins. Stephen and the Hellenists in Lukan Apologetic Historiography (ESEC 10), New York, T&T Clark, 2004, pp. 262-330.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), Berlin/New York, de Gruyter, 1998, pp. 233-255. 5.1.2

Une séquence-charnière

La fonction stratégique conférée à la séquence d’Etienne 1 dans l’intrigue du second tome lucanien paraît difficilement contestable 2. A première vue en effet, il ressort que le procès et la lapidation du leader des Sept font transition entre deux phases majeures pour le déploiement de la mission chrétienne et le devenir de l’Eglise. En amont en effet, l’auteur à Théophile a braqué son projecteur sur l’« âge d’or » de la communauté croyante groupée à Jérusalem autour des Douze (Ac 2– 5) ; dès 8, 1.4 il détourne toutefois son objectif sur l’évangélisation chrétienne portée au-delà de la Ville sainte par le témoin Philippe. Com-

1 2

En effet, le leader des Sept unifie actoriellement les chapitres 6, 1 à 8, 3 des Actes, c’est pourquoi il est justifié de les qualifier de « séquence d’Etienne ». Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 203.205.236-237 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, pp. 273-274.

160

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

ment ce déplacement autant géographique (de Jérusalem vers la Judée et la Samarie) qu’actoriel (des Douze [Pierre, Jean] aux Sept et aux Hellénistes [Philippe]) s’opère-t-il dans la narration lucanienne ? La passerelle entre ces deux époques est assurée par la séquence centrée sur la figure d’Etienne, et ce de deux manières différentes. Sur le plan thématique tout d’abord, en conduisant à son acmé et à sa résorption la crise qui, depuis la guérison du boiteux de la Belle Porte (4, 1-3), couvait entre les chrétiens de Jérusalem et les autorités juives. Etienne, l’un des Sept, est en effet mis en accusation, déféré devant le sanhédrin, puis lapidé sous le coup de la fureur collective déclenchée par sa plaidoirie (6, 8–8, 1b). Après 4, 3-21 et 5, 17-41, il s’agit pour les chrétiens de Jérusalem de la troisième entrevue judiciaire devant le « sénat » d’Israël. Mais, alors que les menaces (4, 18.21 ; 5, 40b) et les punitions corporelles (5, 40a) avaient conclu les deux premières comparutions, la troisième culmine quant à elle dans la mise à mort de l’accusé. Cette folie meurtrière débouche finalement sur un pogrom généralisé à l’encontre de l’Eglise jérusalémite – les Douze mis à part (8, 1b). On le voit, la gradation notée depuis Ac 4 dans le conflit ouvert entre l’Eglise naissante et les chefs du peuple atteint son paroxysme dans la péricope stéphanoise, outrepassant allégrement la mise en garde de Gamaliel (5, 39) et concrétisant le dessein de mort formulé par les sanhédrites en 5, 33 déjà 3. C’est sur une note indiscutablement lugubre que prend ainsi fin le « printemps de Jérusalem ». Mais la séquence d’Etienne est également le théâtre inattendu d’une genèse, et c’est là l’autre facette de la charnière : la persécution qui s’abat sur l’Eglise jérusalémite (8, 1b) au lendemain du lynchage d’Etienne favorise en effet la diffusion de la Parole dans les contrés de Judée et de Samarie (8, 1c.4), inaugurant providentiellement une nouvelle étape du programme universel de la mission chrétienne (1, 8). Dit autrement, l’exil contraint des chrétiens loin de la cité de David se transforme en occasion providentielle de répandre l’Evangile dans les terres ceinturant Jérusalem et d’offrir aux Samaritains ainsi qu’à un eunuque originaire d’Ethiopie l’intégration au peuple eschatologique (8, 4-40). Sur le plan 3

Le renvoi à cette décision mortifère est facilité par l’emploi de part et d’autre du même verbe diepriv onto (5, 33 ; 7, 54) – uniques occurrences néotestamentaires de ce verbe – pour exprimer l’exaspération qui gagne les sanhédrites. Cf. Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 96-97 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 235.

5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7)

161

du récit, c’est au discours d’Etienne (7, 2-53), qui documente cette rupture symbolique en faisant retour sur l’histoire millénaire d’Israël, que revient la tâche de légitimer cet avènement d’un christianisme sans Temple et détaché de la Terre promise . Nous verrons par la suite comment. Sur le plan actoriel également, Ac 6, 1–8, 3 assure la transition entre la deuxième section du livre centrée sur les Douze (Ac 3–5) et la section samaritaine placée sous le patronage de Philippe, un chrétien de langue et culture grecques (Ac 8, 4-25). Le passage de témoin entre ces différentes figures de référence pour la chrétienté est orchestré en 6, 1-7, lors du second conflit surgissant à l’interne de la communauté chrétienne. La crise des veuves vient en effet dévoiler l’existence au sein du christianisme jérusalémite de deux groupes culturellement hétérogènes, les Hébreux et les Hellénistes, insérant ainsi une nouvelle touche universalisante dans le parcours des Actes et introduisant par la petite porte – outre le protagoniste malheureux du chapitre 7 – Philippe, l’un des promoteurs de la mission chrétienne conduite à partir de 8, 1b au-delà de Jérusalem4. De même, à l’autre extrémité de la séquence (7, 58b ; 8, 1a), c’est la figure de Saul, pourfendeur acharné de l’Eglise chrétienne à partir d’Ac 8, 3, mais surtout futur évangéliste des nations païennes (9, 1-30), qui pointe en arrière-plan de la lapidation d’Etienne. On le voit, la soudure entre l’amont et l’aval du récit lucanien est solidement assurée par ces deux relais actoriels ménagés dans la séquence-charnière d’Ac 6, 1–8, 3.

5.2 Une Eglise entre ouverture culturelle et rassemblement de l’Israël sacerdotal (6, 1-7) 5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7) 5.2.1 Bibliographie Johannes BIHLER, Die Stephanusgeschichte im Zusammenhang der Apostelgeschichte (MThS 16), München, Hueber, 1963, pp. 195-216.– Axel VON DOBBELER, Der Evangelist Philippus in der Geschichte des Urchristentums (TANZ 30), Tübingen, Francke, 2000, pp. 249-282.– 4

La fonction inaugurale et proleptique de cette péricope pour la séquence formée par les chapitres 6 à 9 des Actes a été bien mise en évidence par Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 106-107.

162

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

Bernhard DOMAGALSKI, « Waren die “Sieben” Diakone ? », BZ 26, 1982, pp. 21-33.–Peter DSCHULNIGG, « Die Rede des Stephanus im Rahmen des Berichtes über sein Martyrium (Apg 6,8–8,3) », Judaica 44, 1988, pp. 195-218.–Jacques DUPONT, « Les ministères de l’Eglise naissante d’après les Actes des apôtres », dans ID ., Nouvelles études sur les Actes des Apôtres (LeDiv 118), Paris, Cerf, 1984, pp. 133-185, et surtout les pp. 151-157.–Simon LÉGASSE, Stephanos. Histoire et discours d’Etienne dans les Actes des Apôtres (LeDiv 147), Paris, Cerf, 1992, pp. 97115.179-194.–Todd PENNER, In Praise of Christian Origins. Stephen and the Hellenists in Lukan Apologetic Historiography (ESEC 10), New York, Clark, 2004, pp. 60-78.262-287.–F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts. A Study of Roles and Relations (JSNT.SS 67), Sheffield, JSOT Press, 1992, pp. 189-211.–ID., « Neglected Widows in Acts 6,1-7 », CBQ 56, 1994, pp. 715-733. 5.2.2

Remarques préliminaires

L’affaire des veuves hellénistes signe, on l’a dit, la seconde crise à jaillir du sein même de la communauté chrétienne de Jérusalem. Le caractère quasi anodin de l’incident qu’on pourrait qualifier de « domestique » a conduit les exégètes à minimiser l’importance de cet épisode pour l’intrigue des Actes. A l’inverse, depuis les travaux de Ferdinand Christian Baur et de l’Ecole de Tubingue 5, la critique socio-historique a massivement investi ce champ textuel, excitée à l’idée d’identifier à travers cette crise à peine voilée entre chrétiens hébraïsants et hellénisants les trajectoires plurielles et parfois conflictuelles du premier christianisme 6. Ces tentatives pour forcer le verrou littéraire posé sur ce conflit par Luc7 ont néanmoins été récemment dénoncées8. Concomitamment, 5

6

7 8

Ferdinand C. Baur supposait que Luc, dans son récit d’Ac 6, avait masqué sous le couvert d’un problème strictement organisationnel le profond clivage théologique qui existait, au sein de la communauté primitive de Jérusalem, entre Hébreux et Hellénistes et qui la scindait en deux camps rivaux. Julius WELLHAUSEN, Kritische Analyse der Apostelgeschichte, 1914, p. 11 ; Martin HENGEL, « Zwischen Jesus und Paulus. Die “Hellenisten”, die “Sieben” und Stephanus (Apg. 6,1-15 ; 7,54–8,3) », ZThK 72, 1975, pp. 151ss ; Etienne TROCMÉ, Le « Livre des Actes » et l’histoire (EHPR 45), Paris, PUF, 1957, pp. 188-191. Axel VON DOBBELER, Der Evangelist Philippus in der Geschichte des Urchristentums, 2000, pp. 255ss ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 168. Entre autres : Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte, 1983, pp. 165-167.171-173 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 235-237.

5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7)

163

la fonction octroyée à cet épisode dans le cadre de la troisième séquence des Actes (6, 1–8, 3) a fait l’objet d’examens plus approfondis9. C’est ce travail que nous souhaitons poursuivre ici. 5.2.3

Un récit symptomatique

La crise des veuves offre un nouvel exemple du style épisodique typique de l’écriture lucanienne et mis au jour par Eckhard Plümacher10. En effet, à travers cet épisode singulier, l’auteur des Actes installe et condense plusieurs composantes hautement décisives pour l’avenir de la chrétienté, à commencer par l’institution du groupe des Sept. C’est également l’unique texte des Actes à faire mention de la mouvance helléniste chrétienne, dont semblent issus Etienne et Philippe, deux protagonistes centraux des chapitres suivants. Last but not least, Ac 6, en relatant l’affaire des veuves délaissées, est le second récit des Actes à problématiser l’ethos de la nouvelle communauté croyante. On le voit, à travers le compte rendu d’un trivial problème d’intendance, Luc concourt à fixer plusieurs données révélatrices de l’identité de l’Eglise. Cette orientation foncièrement ecclésiologique de la péricope transparaît également sur le plan compositionnel : l’auteur à Théophile a situé l’anecdote des veuves hellénistes dans un cadre thématisant la multiplication fulgurante de la communauté croyante (vv. 1b.7)11. Dit autrement, l’inclusion formée par ces deux notices de croissance signale au lecteur que la trame soutenant le récit d’Ac 6, 1-7 est de nature prioritairement ecclésiale 12. Examinons-en les détails.

9

10 11

12

Notamment Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 164 : « Der Bericht von der Wahl und Einsetzung der “Sieben” gehört zu den Abschnitten der Apg, die grundlegende Bedeutung haben », et surtout Todd PENNER, In Praise of Christian Origins, 2004, pp. 262-287. Lukas als hellenistischer Schriftsteller (StUNT 9), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1972, pp. 80-136. Sur la coloration ecclésiale de la Parole et de sa croissance en Ac 6, 7, voir Jerome KODELL, « The “Word of God” grew. The Ecclesial Tendency of lov go" in Acts 6,7 ; 12,24 ; 19,20 », Bib 55, 1974, pp. 505-519. Cette dimension ecclésiologique a été rarement relevée : exception faite de Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 213.

164

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

5.2.4

Les Sept, figures d’une Eglise entre continuité et ouverture

C’est tout d’abord la parenté formelle existant entre notre récit et celui de la recomposition du groupe ébréché des Douze (1, 15-26) qui mérite d’être notée 13. Si la procédure de sélection n’est pas identique de part et d’autre – un tirage au sort en Ac 1, un choix humain en Ac 6 –, plusieurs similitudes demeurent : la même clause temporelle « en ces jours-là », typique du langage de la Septante, chapeaute les deux épisodes (1, 15a ; 6, 1a) ; le problème à résoudre est à chaque fois nommé (1, 16-20 ; 6, 2-3) : il s’agit de (re-)pourvoir à une charge vacante (1, 25 ; 6, 1) ; les qualifications requises sont également stipulées (1, 21-22 ; 6, 3) ; présentation est ensuite faite des candidats (1, 23 ; 6, 6a) ; à chaque fois, une liste nominative des membres composant ces cercles est donnée (1, 13 ; 6, 5) ; l’installation est toujours conduite sous le signe de la prière (1, 24-25 ; 6, 6b). A n’en pas douter, Luc a échafaudé en échos ces deux récits d’installation, traçant une ligne de continuité des Douze aux Sept et soulignant leur apparentement. Par ailleurs, nous avions montré dans notre premier chapitre la fonction décisive revêtue par le cercle des Douze dans le cadre de l’ecclésiologie lucanienne. Sur la base de ce précédent, il devient légitime de questionner le rôle référentiel des Sept dans la construction identitaire des Actes : quelle fonction les Sept appointés en Ac 6 occupent-ils dans l’œuvre de Luc ? quelle symbolique est attachée à ce chiffre de sept membres et en quoi éclaire-t-elle leur office ainsi que l’orientation prise par l’Eglise dans son parcours identitaire ? Il est premièrement intéressant de signaler la dualité similaire qui caractérise l’entourage du Jésus lucanien, composé lui aussi d’un cercle de douze apôtres et d’un autre de soixante-dix ou soixante-douze 14

13

14

Pour les parallèles, voir Johannes BIHLER, Die Stephanusgeschichte im Zusammenhang der Apostelgeschichte, 1963, pp. 192-194 ; Simon LÉGASSE, Stephanos, 1992, pp. 99-100 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 206, note 5. L’hésitation textuelle repérable en Lc 10, 1.17 découle du désaccord qui existe entre la version septantique et la version massorétique de Gn 10 : le texte grec comptabilise 72 peuples parmi les nations de la terre, la recension hébraïque 70. Luc se conformant d’ordinaire à la Septante, nous retiendrons donc le nombre de soixante-douze envoyés dans la suite de ce paragraphe.

5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7)

165

envoyés (Lc 6, 12-16 ; 9, 1-6.10 ; 10, 1-20)15. Hasard fortuit ? Peu vraisemblable. Car ce mimétisme constitue un exemple parmi de nombreux autres de la technique littéraire de syncrisis dont est friand l’auteur à Théophile. Sur le plan pragmatique, ces jeux de renvois internes à l’œuvre lucanienne ont un effet aisément observable : ils dévoilent au lecteur la continuité travaillant l’histoire du salut. En clair : les Douze, en appointant pour le service des tables un groupe de sept membres, risquent un geste qui peut se recommander du précédent christologique que constitue l’envoi des soixante-douze en mission. Par conséquent, la solution imaginée par les apôtres à la crise des veuves, à savoir l’institution d’un ministère de diaconie, n’est pas un développement imprévu et contestable de l’histoire ecclésiale, mais s’ancre au contraire dans un passé qui le fonde et l’autorise. Outre ce dispositif de légitimation, la corrélation orchestrée entre Lc 10 et Ac 6 induit un rapprochement des chiffres sept et soixante-douze. Le plus souvent pourtant, les exégètes, convaincus qu’il s’agissait d’un vestige traditionnel importé dans l’œuvre lucanienne, ont identifié derrière le chiffre 7 le quorum exigé dans le judaïsme rabbinique pour constituer l’organe disposant de l’autorité au sein des communautés synagogales (souvent désigné sous l’appellatif de « sept [meilleurs] d’une ville ») 16. Plus globalement, les Sept ont paru être calqués sur le modèle des collèges de magistrats (les septemviri epulones) que connaissait l’Antiquité romaine 17. Si cette hypothèse de lecture, largement popularisée dans le recherche moderne, est peut-être valable pour la tradition en amont d’Ac 6, 1-7, elle ne correspond néanmoins pas au point de vue narratif développé par Luc : chez lui, les Sept ne sont assurément pas caractérisés comme « Leitungsgremium » de la mouvance helléniste 18 ; tout au plus, reçoivent-ils une responsabilité ministérielle de diaconie. Les parallèles offerts par les septénaires juifs ou hellénistiques sont donc peu pertinents.

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18

Bernhard DOMAGALSKI, « Waren die “Sieben” Diakone ? », 1982, pp. 26-29 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 207, surtout la note 11. Pour les références talmudiques, consulter STRACK-BILLERBECK II, p. 641. Cf. DION CASSIUS, Histoire romaine 43,51,9 ; TACITE, Annales 3,64. Voir notamment Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 44 et Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 312. Contra Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 108.

166

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

S’agit-il alors d’une titulature héritée par Luc de sa tradition et à laquelle toute dimension symbolique aurait été ôtée 19 ? Deux arguments ne permettent pas de quittancer cette option : 1) Luc reprend de sa tradition le groupe des Douze, tout en lui maintenant sa fonction symbolique de représentation nucléaire de l’Israël eschatologique (Ac 1, 1526). Pourquoi en irait-il différemment des Sept20 ? Et ce d’autant plus que Luc compose en Ac 6, 2-3 un face-à-face délibéré entre ces deux groupes, recourant au terminus technicus oiJ dwvdeka – hapax dans le lexique des Actes21 – afin de désigner les apôtres22 ; 2) de même, les soixante-douze disciples du Nazaréen, envoyés en mission à la suite des Douze, ont régulièrement été déchiffrés à l’aide d’une grille de lecture symbolique : c’est à une anticipation de la mission universelle conduite dans les Actes que les exégètes de Luc ont le plus souvent conclu 23, dans la mesure où diverses traditions juives répertoriaient 72 peuples parmi les nations païennes de la terre (cf. Gn 10LXX) 24. Au regard de cet antécédent du troisième évangile, il semble légitime de plébisciter un décodage symbolique des Sept appointés en Ac 625 ? Si on se met alors en quête d’une clef apte à desceller cette énigme, c’est sans conteste le livre de l’Apocalypse et ses multiples septénaires26 qui s’offrent comme les meilleurs candidats : le chiffre sept y est souvent considéré comme l’expression d’une totalité, d’une plénitude 27. Appliquée au récit d’Ac 6, cette symbolique de totalité est à lire en réseau avec la mission des soixante-douze que connaît le troisième évangile et avec l’évangélisation de la Samarie conduite par Philippe (dès Ac 8, 5). 19 20 21 22

23 24 25

26 27

Dans ce sens Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 211. Dans ce sens Johannes BIHLER, Die Stephanusgeschichte im Zusammenhang der Apostelgeschichte, 1963, p. 194. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 310. Bien noté par Johannes BIHLER, Die Stephanusgeschichte im Zusammenhang der Apostelgeschichte, 1963, p. 194 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 205. Par exemple : François BOVON, L’Evangile selon Luc, II, 1996, p. 64. Cf. Karl H. RENGSTORF, art. « eJptav », ThWNT II, 1935, pp. 630-631. Johannes BIHLER, Die Stephanusgeschichte im Zusammenhang der Apostelgeschichte, 1963, p. 194, tient ainsi la mission des septante pour une « Vorabbildung » de l’activité des Sept relatée dans les Actes. Ap 1, 4.11.12.16.20 ; 4, 5 ; 5, 1.6 ; 8, 2ss. Cf. Pierre PRIGENT, L’Apocalypse de Saint Jean, 2000, p. 99 : « il [le chiffre sept] caractérise sans doute la totalité, l’œcuménicité, ce qu’affirmait déjà le canon de Muratori ». Consulter également l’art. « eJptav », ThWNT II, 1935, pp. 623-631 signé par Karl H. RENGSTORF.

5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7)

167

Les Sept seraient ainsi garants de l’universalité, de la totalité de la mission chrétienne adressée à Israël, déployant leurs efforts missionnaires au-delà de Jérusalem et de la seule Judée. Alors que les Douze restent géographiquement rivés sur la Ville sainte, les Sept, issus du groupe des Hellénistes, témoigneraient de l’universalisation à l’œuvre au sein de la mission juive des Actes, portant l’Evangile auprès des Samaritains situés en marge d’Israël (8, 4-25) ainsi que d’un hors-caste originaire de Nubie (8, 26-40), dans toutes les villes situées sur la route de Césarée (8, 40 ; cf. 21, 8), et probablement aussi auprès des fidèles résidant en diaspora (11, 19) 28. Partant, leur installation en 6, 1-7 serait programmatique du futur déploiement de la mission chrétienne suite au martyre d’Etienne. Cette conception des Sept se trouve d’ailleurs confortée par leur provenance culturelle et/ou géographique : il s’agit selon toute vraisemblance d’hellénistes – ce que trahit entre autres leurs noms29 –, donc de judéo-chrétiens imprégnés de culture grecque30 et probablement issus de la dispersion à l’instar de Nicolas, « prosélyte d’Antioche » (6, 5). Ce dernier est d’ailleurs le tout premier converti d’origine païenne à être identifié par son nom dans les Actes. Par conséquent, l’émergence en Ac 6 d’un nouveau cénacle de sept hellénistes viendrait transférer sur le plan des figures du récit la mondialisation (encore) interne à Israël programmée depuis Ac 2, 5-11 et mise en œuvre dans la séquence d’Ac 8–11 ; les Sept seraient les garants de l’inclusivisme sans bornes de la mission juive des Actes et figures de l’ouverture culturelle caractéristique de la chrétienté naissante. Dit 28

29

30

Johannes BIHLER, Die Stephanusgeschichte im Zusammenhang der Apostelgeschichte, 1963, p. 214 : « Von ihnen [les Sept] weiss Lukas zu berichten, dass sie über das Land Judäa und Samaria zerstreut wurden (8,1c), ja dass einige sogar bis nach Phönizien, Cypern und Antiochien kamen (11,19) » ; Jacques DUPONT, « Les ministères de l’Eglise naissante d’après les Actes des apôtres », 1984, p. 153 : « Philippe aboutit à Césarée (8,40), tandis que d’autres poursuivent leur chemin jusqu’en Phénicie, Chypre et Antioche (11,19). Parmi ceux-ci, il y a des hommes de Chypre et de Cyrène (11,20), qui avaient naturellement appartenu au groupe des Hellénistes ». Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, pp. 314-315 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 428. En sus de cet argument d’onomastique, Jacques DUPONT fait également valoir, comme preuve de sa provenance culturelle gréco-romaine, l’activité déployée par Etienne au sein des synagogues juives hellénistiques (« Les ministères de l’Eglise naissante d’après les Actes des apôtres », 1984, p. 153). Cf. Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 108 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 165 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 286.

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autrement, ce cercle symbolique viendrait programmer l’orientation identitaire prise par l’Eglise en aval du martyre d’Etienne : une identité où se conjuguent continuité forte avec Israël et ouverture sans conditions à toutes les composantes du peuple juif, des juifs de naissance établis à Jérusalem aux prosélytes hellénisants originaires de la diaspora 31. En d’autres termes, si le collège des apôtres, restauré au lendemain de l’ascension du Ressuscité, symbolise la restauration d’Israël, l’installation des Sept, réalisée avant l’exode forcé hors de Jérusalem, est emblématique de l’inclusivisme sans limites du peuple de Dieu et jette d’ores et déjà une passerelle culturelle en direction des nations païennes. 5.2.5

L’ethos de la communauté messianique au risque de la diaconie des veuves

La crise des veuves qui surgit en Ac 6 n’est pas un simple artifice narratif composé par Luc pour introduire par la petite porte Etienne et Philippe, les deux protagonistes majeurs des chapitres suivants. Au contraire, cette affaire, aussi anodine soit-elle de prime abord, problématise de fait un trait caractéristique du visage de l’Eglise naissante : son ethos de communion. Pour sûr, les trois grands sommaires des Actes ont martelé jusqu’ici l’unité admirable régnant au sein de la communauté jérusalémite et concrétisée, on l’a vu, dans sa règle de partage des biens. En 4, 34, Luc n’hésitait d’ailleurs pas à constater la disparition de toute indigence au sein de la communauté croyante. Or, l’oubli des veuves dans le service quotidien en est un criant désaveu : affirmer l’unité d’un groupe est une déclaration surfaite, si les marges en sont exclues. Luc en est conscient. Comme l’ont en effet rappelé F. Scott Spencer32 et Robert M. Price 33, l’auctor ad Theophilum est particulièrement sensible à cette catégorie sociale d’êtres fragilisés que sont les femmes sans mari. Cela explique les abondantes références

31

32 33

Même conclusion chez Todd PENNER, In Praise of Christian Origins, 2004, p. 281: « For Luke, this means that in the reconstituted Israel there are not only Palestinian and Diaspora Jews but also proselytes, advancing the narrative argument that “all Israel” is present at the formative moment of the ekklesia ». « Neglected Widows in Acts 6,1-7 », 1994, pp. 715-733. The Widows Tradition in Luke-Acts : A Feminist-Critical Scrutiny (SBL.DS 155), Atlanta, Scholars Press, 1997.

5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7)

169

faites aux veuves en Luc–Actes34. Toutefois, cette orientation sociale dont témoigne l’œuvre lucanienne n’est pas à lire indépendamment de son arrière-plan scripturaire. L’Ancien Testament, et tout spécialement le livre du Deutéronome 35, font montre d’une sollicitude appuyée pour les veuves, groupes de personnes placées avec les étrangers et les orphelins sous la protection directe du Dieu d’Israël (par ex. : Ps 68, 6-7). On perçoit désormais mieux l’enjeu ecclésial de cette affaire « domestique » : Ac 6 confronte la chrétienté naissante à une crise qui la blesse en plein cœur, révélant une faille honteuse dans son idéal de communion. En d’autres termes, l’affaire des veuves constitue un défi majeur pour l’Eglise et sa prétention identitaire : dans sa réponse aux murmures des Hellénistes, la communauté croyante dévoile si elle est vraiment le peuple de la fin où tous les parias trouvent refuge ou s’il s’agit simplement d’une institution humaine appelée à succomber aux crises qui l’atteignent (cf. 5, 38). Or, selon Luc, l’installation des Sept constitue une issue heureuse et adéquate à cette situation explosive : l’essor de la Parole et la multiplication des disciples qui en découle en sont les preuves tangibles36 ! Bref, une fois encore, après la fraude d’Ananias et Sapphira (5, 1-11), l’épisode des veuves hellénistes vient rappeler au lecteur la dimension quasi ontologique pour la chrétienté lucanienne de son éthique de communion et le danger mortifère qui s’y love. 5.2.6

Un peuple de prêtres (6, 7)

Un autre aspect d’Ac 6 mérite d’être attentivement investigué : le sommaire de croissance qui clôt l’épisode et atteste la présence, dans les rangs de la communauté chrétienne de Jérusalem, d’une multitude de prêtres (v. 7). Localiser semblable notice de croissance au terme d’un conflit qui a menacé la cohésion de l’Eglise correspond bien au principe lucanien de composition. C’est en effet à travers les obstacles que la communauté chrétienne puise les ressources pour se multiplier et croî34 35 36

Lc 2, 37 ; 4, 25.26 ; 7, 12 ; 18, 3.5 ; 20, 47 ; 21, 2.3 ; Ac 6, 1 ; 9, 39.41. Dt 10, 18 ; 14, 29 ; 16, 11.14 ; 24, 17.19.20.21 ; 26, 12.13 ; 27, 19. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 213 : « L’épisode ne se clôt pas sur les veuves, mais sur la communauté ; elle sert à montrer comment, menacé par le drame des veuves hellénistes, l’essor de l’Eglise s’est trouvé renforcé par une mesure éthiquement et théologiquement juste ».

170

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

tre : les crises sont d’indéniables ressorts du devenir ecclésial des Actes. Le trait est ici encore accentué, Luc notifiant une croissance forte , violente (sfovdra) 37 du nombre de disciples. Si l’insertion de ce bilan ecclésial en clôture de l’affaire des veuves n’étonne pas, c’est la mention d’une colossale foule de prêtres obéissant à la foi qui intrigue (poluv" te o[clo" tw'n iJerevwn uJphvk ouon th'/ pivstei) 38, et ce d’autant plus que les chapitres 3 à 5 des Actes ont graduellement installé un net clivage entre le peuple juif et les autorités du Temple, contrastant leurs réponses à la prédication chrétienne. Différentes explications à cette curiosité ont été proposées : enrayage par les chrétiens de l’opposition première des autorités sacerdotales (cf. 5, 17 ; G. Staehlin39 ; D. Marguerat40), souci de marquer la compatibilité, en regard des accusations portées contre Etienne dans la suite du récit (6, 13-14), entre la foi chrétienne et le Temple jérusalémite (G. Schneider41 ; S. Légasse 42), reflet d’une réalité historique rendue possible par les tensions et le clivage socioéconomique existant entre le haut- et le bas-clergé (P. Zingg 43 ; A. Weiser44), ou, tout simplement, motif insignifiant pour la trajectoire communautaire des Actes (H. Conzelmann) 45. De notre avis, la solution n’échappera pas à une prise au sérieux du contexte immédiat dans lequel surgit cette adhésion massive de prêtres à la foi chrétienne : elle prend place dans un sommaire de croissance, dont nous avons noté, à la suite de Wolfgang Reinhardt46 et Jerome Kodell47, le fort enracine37

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44 45 46

Ex 1, 7.12.20 recourt au même adverbe pour qualifier la croissance des Hébreux en Egypte ; chez Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche : Beiträge zur Frage der lukanischen Redaktion und Theologie (OBO 3), Freiburg/Göttingen, Universitätsverlag/Vandenhoeck und Ruprecht, 1974, pp. 25.174. La transmission textuelle d’Ac 6, 7 porte les stigmates de l’embarras ressenti par les copistes face à cette difficulté sémantique : plusieurs manuscrits, dont le Sinaïticus (prima manus), lisent ainsi « une foule de juifs » en lieu et place d’une « foule de prêtres ». Il s’agit selon toute vraisemblance d’une leçon facilitante. Die Apostelgeschichte, 1983, p. 100. Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 213. Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 430. Stephanos, 1992, p. 110. Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche : Beiträge zur Frage der lukanischen Redaktion und Theologie (OBO 3), Freiburg/Göttingen, Universitätsverlag/Vandenhoeck und Ruprecht, 1974, pp. 173-174. Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 167. Die Apostelgeschichte, 1963, pp. 44-45. Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes. Untersuchungen zum Gemeindewachstum im lukanischen Doppelwerk auf dem Hintergrund des Alten Testaments, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1995, pp. 58-102.

5.2 Une Eglise entre ouverture et rassemblement (6, 1-7)

171

ment scripturaire 48. En clair, ces notices ne sont pas les simples traces de la bénédiction divine présidant au destin communautaire des Actes, mais les signaux récurrents du rassemblement eschatologique d’Israël en cours dans l’Eglise. Gerhard Lohfink49 ou Jürgen Roloff50 ont eu une intuition correcte, en raccordant cette prodigieuse conversion de prêtres à la vision inclusive du peuple dont témoigne l’Eglise depuis Ac 251. En accueillant dès Ac 6, 7 des membres de la caste sacerdotale dans ses rangs, puis progressivement des Samaritains et un eunuque du Royaume de Koush, la chrétienté naissante s’ouvre à toutes les composantes d’Israël et en incarne la réunification idéale . N’est-il pas également tentant de faire un pas supplémentaire et de relire cette notice à la lumière de l’oracle d’Ex 19, 6 promettant à Israël de devenir un « royaume de prêtres », oracle dont on possède une application au rapport Israël-nations en Es 61, 5-6 ? Attester la présence d’une foule « colossale » de prêtres au cœur du peuple des Actes n’irait en tout cas pas à l’encontre de cette espérance. Il est d’ailleurs intéressant de relever que la prophétie d’Ex 19, 6 a connu une Wirkungsgeschichte particulièrement foisonnante au cours des époques hellénistiques et romaines (cf. 2 M 2, 17LXX ; Jub 16,18 ; 33,20 ; 1 P 2, 5.9 ; Ap 1, 6 ; 5, 10 ; 20, 6), alimentant notamment les prétentions identitaires de certains groupes juifs (surtout les Pharisiens52) en conflit ou en rupture avec la caste sacerdotale du second Temple. Partant, en notifiant l’agrégation massive de prêtres à la communauté chrétienne, Ac 6, 7 ne se situerait plus en porte-à-faux avec son contexte proche, qui, on l’a dit, relate le conflit grandissant avec l’aristocratie du Temple : à l’instar

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Jerome KODELL, « The “Word of God” grew. The Ecclesial Tendency of lovgo" in Acts 6,7 ; 12,24 ; 19,20 », 1974, pp. 510-512. Précisément, le binôme hu[xanen kai; ejplhquvneto ici employé revient régulièrement dans la Septante (14x), non seulement pour évoquer la bénédiction du Créateur sur ses créatures (Gn 1, 22.28 ; 8, 17), mais aussi pour qualifier la croissance et le rassemblement du peuple choisi (Gn 9, 1.7 ; 17, 20 ; 28, 3 ; 35, 11 ; 47, 27 ; 48, 4 ; Ex 1, 7 ; Lv 26, 9 ; Jr 3, 16 ; 23, 3). Die Sammlung Israels, 1975, p. 53. Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 110-111. Voir également, dans une perspective similaire, Simon LÉGASSE, Stephanos, 1992, p. 110, qui souligne le crescendo travaillant les notices de croissances d’Ac 2, 41 à Ac 6, 7 : sont progressivement intégrés à la communauté de salut trois mille âmes (2, 41), cinq mille hommes (4, 4), une multitude d’hommes et de femmes (5, 14), puis finalement un grand nombre de prêtres (6, 7). Cf. Kaufmann K OHLER, art. « Pharisees », dans The Jewish Encyclopedia, 9, New York/London, Funk and Wagnalls, 1905, pp. 661-662.

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Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

de certaines sectes juives en bisbille avec la noblesse sacerdotale, la chrétienté des Actes dirait, à travers cet afflux considérable de religieux dans ses rangs, sa prétention à incarner le « royaume de prêtres » promis par Dieu à Israël, revendiquant pour elle-même et de manière polémique la désignation de « nation sainte » (Ex 19, 6 ; Es 61, 5-6). Bref, au « peuple de prophètes » né de la Pentecôte (2, 17-18) se superpose désormais un « peuple de prêtres ».

5.3

Le discours d’Etienne, document fondateur d’un christianisme nomade (7, 2-53) 5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur 5.3.1 Bibliographie

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5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

173

Actes », dans Camille FOCANT (éd.), Quelle maison pour Dieu ? (LeDiv. Hors série), Paris, Cerf, 2003, pp. 303-306.–Franz MUSSNER, « Wohnung Gottes und Menschensohn nach der Stephanusperikope (Apg 6,8– 8,2) », dans Rudolf PESCH, Rudolf SCHNACKENBURG (éds), Jesus und der Menschensohn. Festschrift A. Vögtle, Freiburg et al., Herder, 1975, pp. 283-299.–Heinz-Werner NEUDORFER, « The Speech of Stephen », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids, Eerdmans, 1998, pp. 275294.–Todd PENNER, In Praise of Christian Origins. Stephen and the Hellenists in Lukan Apologetic Historiography (ESEC 10), New York, T&T Clark, 2004, pp. 303-327.–Kerstin SCHIFFNER, Lukas liest Exodus. Eine Untersuchung zur Aufnahme ersttestamentlicher Befreiungsgeschichte im lukanischen Werk als Schrift-Lektüre (BWANT 172), Stuttgart, Kohlhammer, 2008, pp. 339-393.–Günter S TEMBERGER, « Die Stephanusrede (Apg 7) und die jüdische Tradition », dans Albert FUCHS (éd.), Jesus in der Verkündigung der Kirche (SNTU 1), Linz, A. Fuchs, 1976, pp. 154-174.– Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures” : The Legitimation of the Jewish Diaspora and the Early Christian Mission », dans David P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel, Harrisburg, Trinity Press International, 1999, pp. 199-225.–Claude TASSIN, « Le discours d’Etienne : un jeu de traditions », Cahiers Evangile 128, Paris, Cerf, 2004, pp. 40-49.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), Berlin/New York, de Gruyter, 1998, pp. 244-254.–Cana WERMAN, « God's House : Temple or Universe », dans Roland DEINES, KarlWilhelm NIEBUHR (éds), Philo und das Neue Testament. Wechselseitige Wahrnehmungen. I. Internationales Symposium zum Corpus JudaeoHellenisticum, 1.-4. Mai 2003, Eisenach/Jena (WUNT 1.172), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004, pp. 309-320. 5.3.2

Remarques préliminaires

Le cœur de la séquence d’Ac 6, 1–8, 3 est formé par la plaidoirie d’Etienne au Sanhédrin (7, 2-53), majestueuse fresque de l’histoire d’Israël et plus long discours des Actes des apôtres. Or, depuis l’homélie pétrinienne de la Pentecôte (2, 14-36) et le sermon du Temple (3, 12-26), l’on connaît l’affection de l’auctor ad Theophilum pour ces relectures discursives de l’intrigue des Actes. Dans la rhétorique narra-

174

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

tive de Luc, les discours s’offrent comme des outils favoris pour éclairer les événements passés ou à venir et en dévoiler l’inscription dans la macro-intrigue. Ce principe compositionnel bute cependant en Ac 7 sur une difficulté inhabituelle : la fragilité du lien entre les griefs allégués contre Etienne par les faux-témoins, à savoir son opposition présumée à la Loi mosaïque et au Temple (6, 13-14), et le discours qu’il tient en réponse à la sommation du grand prêtre (7, 1)53. Face à l’inadéquation contextuelle du discours stéphanois, la classe exégétique a dans sa grande majorité adopté le point de vue de Martin Dibelius, qui considérait la première moitié du discours (jusqu’au v. 34) comme une pièce rapportée neutre : un « Fremdkörper » emprunté à la tradition synagogale hellénistique et dénué de toute tendance particulière, mais ponctuellement retouché dans un sens polémique par Luc54. Ces entreprises de critique des sources mises à part55, une piste séduisante a été proposée par Daniel Marguerat56, qui sur certains aspects rejoint d’ailleurs une intuition formulée par Kirsopp Lake en 1933 déjà57, consistant à voir dans l’apologie d’Etienne moins une défense de sa personne qu’un plaidoyer en faveur de la cause qu’il représente58. De ce fait, l’inadaptation du discours à son cadre rhétorique ne serait que spécieuse : en faisant retour sur le passé d’Israël, Etienne viserait à démontrer sa loyauté, et plus globalement celle de l’Eglise, à l’identité 53

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Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 278 : « Stephanus soll die Frage beantworten, ob die Anklage gegen ihn zutrifft ; aber ein sehr grosser Teil seiner Rede geht darauf gar nicht ein ! » ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 244 : « Die längste Rede der Apostelgeschichte, die Stephanusrede, fällt im Vergleich mit den übrigen durch mangelnden Situationsbezug auf […] ». Aufsätze zur Apostelgeschichte (FRLANT 60), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 19685, pp. 144-145. Dans la foulée de Dibelius, l’on peut mentionner notamment Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 280 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, pp. 50-51. Proposition inverse de Martin Dibelius chez Odil Hannes STECK, Israel und das gewaltsame Geschick der Propheten (WMANT 23), Neukirchen, Neukirchener, 1967, pp. 266-267 ; Ulrich WILCKENS, Die Missionsreden der Apostelgeschichte (WMANT 57), Neukirchen, Neukirchener, 19743, pp. 208-221. Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 236. The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, p. 70 : « All observation shows that religious or political pioneers when brought into court never attempt to rebut the accusations brought against them, but use the opportunity for making a partisan address ». Un semblable glissement de la personne accusée à la cause qu’elle défend se reconnaît au reste à l’examen de la double rencontre entre Paul et les juifs de Rome (28, 21-22).

5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

175

juive qu’il est accusé de bafouer, en blasphémant contre la Loi et le Temple. « Soupçonné d’apostasie, il contre-attaque par une leçon sur l’identité du peuple au cours de l’histoire sainte, qui retourne en finale le grief sur ses accusateurs » 59. Bref, s’il ne désamorce pas directement les accusations qui sont proférées à son encontre, Etienne, en dévoilant sa lecture de l’histoire juive, vise le fond du dossier d’instruction qui est foncièrement identitaire. Il est ainsi recommandé, dans le cadre d’une recherche consacrée à l’ecclésiologie des Actes, de se pencher sur cette pièce discursive où se documentent plusieurs facettes du devenir identitaire de la chrétienté lucanienne. La structuration du discours d’Etienne a connu des essais multiples et de pertinence variable au cours du siècle dernier60. C’est tantôt le registre thématique, tantôt le registre stylistique, ou encore celui de la rhétorique antique qui ont été empruntés. Notre propos ici ne sera pas de risquer une hypothèse supplémentaire. Nous souhaitons simplement déterminer la visée rhétorique adoptée par la plaidoirie stéphanoise. En examinant, tout d’abord, la péroraison, autrement dit la conclusion discursive consignée en 7, 51-53, puis en investiguant les thèmes dominants et traversants du discours. 5.3.3

« Toujours vous résistez à l’Esprit saint ! » (7, 51b)

Avec le v. 51, le discours d’Etienne revient, après la longue rétrospective historique, au présent et invective directement, dans une attaque d’une rare violence, les sanhédrites (uJmei'" ; vv. 51bc ; 52c). Des griefs dont ils sont accusés par le leader des Sept, deux retiennent plus particulièrement l’attention : d’une part, leur opposition perpétuelle à l’Esprit saint, d’autre part la typologie négative des « pères » sur laquelle les sanhédrites sont alignés (v. 51c) et dont Etienne se distancie ouvertement (oiJ patevre" uJmw'n ; vv. 51c ; 52a ; 2a.b.11.12.15.19.38.39.44.45a.b). Assurément, la double dénonciation qui est formulée ici, au stade de la péroraison, a dû être amenée dans le sommaire historique. C’est

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Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 236. Pour en avoir un éventail suggestif, consulter Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 229-231.

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probablement là l’une des visées octroyées par Luc au discours du Sanhédrin61. Sur le plan thématique, deux lignes de sens refont inlassablement surface à la lecture du discours d’Etienne 62 : d’une part la ligne de l’espace, notamment cristallisée autour du pays et du lieu de culte promis par Dieu à Abraham ainsi qu’à sa descendance (7, 3c.5b.7), et à laquelle s’ordonnent également les thèmes de la tente de la rencontre, du Temple ainsi que la critique des « demeures faites de mains d’homme » (7, 44-50)63 ; d’autre part, la ligne de la désobéissance des pères qui rythme les différentes périodes historiques du passé d’Israël (7, 9.25.27-29.35a.39-41). Au vu de la visée rhétorique identifiée cidessus, il paraît légitime de considérer ces thèmes comme les deux faces d’une même médaille sous lesquelles se matérialise l’opposition constante d’Israël à l’Esprit. Voyons comment. 5.3.4

L’histoire des pères entre nomadisme et rejet du Très-Haut

Partons d’une hypothèse : la plaidoirie d’Etienne problématise le rapport d’Israël à l’espace. En d’autres termes, la topographie reçoit dans le sommaire historique déroulé par l’Helléniste une consistance théologique particulière : c’est une dimension centrale où se dévoile le rapport de l’homme à l’Esprit saint. C’est en effet sous cet éclairage que s’ouvre le discours au Sanhédrin, sélectionnant comme point de départ de l’histoire d’Israël, non pas le récit de la création (Ps 136, 4-25 ; Ne 9, 6-13) ou la geste libératrice de l’exode (cf. 1 S 12, 8-13 ; Ps 106, 7-46 ; Ac 13, 17ss), mais l’apparition divine à Abraham et sa vocation à quitter pour un autre pays sa terre natale (7, 3 ; cf. Dt 26, 5-10 ; Jos 24, 2-13). Mais, à peine nommée, cette orientation géographique de l’histoire 61

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Dans ce sens, John KILGALLEN, « The Function of Stephen’s Speech (Ac 7,2-53) », 1989, pp. 174ss (ibid., p. 182 : « Thus, the speech is overtly a lengthy argument of accusation, contending that a review of Israel’s history up to the present generation will show that the children are like their fathers, always stiffnecked and uncircumcised of heart, always in opposition to the Holy Spirit of God. All sections of the speech can be understood as contributing strength to Stephen’s argument »). Avec Kirsopp LAKE, The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, p. 70 ; Daniel MARGUERAT, « Du temple à la maison suivant Luc-Actes », 2003, pp. 303-304 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 118 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 312. Kerstin SCHIFFNER, Lukas liest Exodus, 2008, p. 356 ; Hans Hinrich WENDT, Die Apostelgeschichte, 18998, p. 151.

5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

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sainte est problématisée : Abraham, à la différence des contemporains d’Etienne (7, 4b), n’a pas reçu cette terre en héritage, « pas même une foulée » (7, 5a). Au contraire, c’est en qualité de « déporté », d’« émigré » (v. 4b : metwv/kisen ; cf. 7, 43)64 qu’il a intégré le pays de Canaan. C’est seulement après cette peinture inhabituelle d’un Abraham vagabond que la promesse du pays lui est finalement accordée (7, 5b). Mais là encore, il est à noter une omission théologiquement signifiante eu égard aux versions scripturaires de cette promesse abrahamique65 : la garantie d’éternité assortie à cette possession territoriale est gommée (diff. Gn 13, 15 ; 17, 8 ; 48, 4). Chez Luc, le lien à la Terre promise n’est pas perçu sous le signe de la pérennité. Finalement, ce sont les modalités d’accomplissement de cette promesse qui sont explicitées aux vv. 6-7, et ce à l’aide d’une citation amendée de Gn 15, 13-14LXX. Cela dit, le lecteur ne manquera pas de noter qu’avant de prendre possession du pays la descendance d’Abraham devra encore endurer 400 ans d’exil (v. 6 : pavroiko") et de maltraitance en Egypte. Est ainsi programmé ce qui sera raconté dans la suite du discours, à travers l’exil égyptien de Joseph (vv. 10-15) et surtout au seuil de la section mosaïque, lorsque se lèvera en Egypte un Pharaon-tortionnaire qui n’avait pas connu le patriarche juif (vv. 17-19). Par ailleurs, la fin de la citation de Gn 15 mérite qu’on s’y attarde : Luc lui soude une parole divine adressée à Moïse en Ex 3, 12LXX. Cela dit, au lieu de retranscrire mot à mot le texte exodique, Luc substitue à la tournure « rendre un culte à Dieu sur cette montagne » l’expression géographiquement plus imprécise « rendre un culte en ce lieu (ejn tw'/ tovp w/ touvtw/) ». Les commentateurs ont rivalisé d’imagination pour identifier ce lieu énigmatique, en y voyant tour à tour une référence au Temple 66, au pays promis67, à sa

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metoikivzw signifie en effet déporter, établir dans un pays étranger, forcer à émigrer. Cf. Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas , I, 1919, p. 250 : « Nicht als ein Bürger und Grundbesitzer, sondern nur als ein Fremdling und Beisasse […] ». Simon LÉGASSE, Stephanos , 1992, p. 28 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 241. Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 249 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 183 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 246. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 242 ; Todd P ENNER, In Praise of Christian Origins , 2004, pp. 308-309 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte, 1983, p. 181 ; Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas, I, 1919, p. 250.

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Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

capitale Jérusalem68 ou même au mont Garizim69. De notre avis, ce flottement langagier n’est pas anodin : dans la droite ligne de la distanciation face à la Terre promise orchestrée jusqu’ici et en prévision de la critique du sanctuaire « fait de mains d’homme » qui retentira ultérieurement, Luc, tout en insistant sur la promesse divine confiée à Abraham, en émousse délibérément les contours géographiques. Est implicitement affirmée l’existence d’autres lieux saints en marge de la terre d’Israël. Déclarer comme le fait Klaus Haacker qu’il s’agit là d’un « oui énergique en faveur du Temple » 70 est ainsi une exagération infondée. Résumons. En relisant le destin réservé par Dieu à Abraham, la première phase historique de la rétrospective d’Etienne a construit un décalage immanquable entre la promesse fondatrice du passé d’Israël et l’existence effective du patriarche originaire de Mésopotamie : dépositaire sous forme de promesse d’une possession territoriale, constamment guidé par la providence divine, Abraham offre l’exemple d’une vie constamment dissociée de la terre d’Israël. Cela ne vaut d’ailleurs pas pour lui seul, mais aussi pour les générations d’Hébreux à avoir vécu l’exil égyptien. Précisons quelque peu l’orientation argumentative : ce n’est pas le pays promis en tant que tel qui est disqualifié – dans la perspective de Luc, il s’agit toujours et encore d’un don central au passé d’Israël –, mais l’attachement exclusif à cet espace qui est écorné. Cette valorisation de l’étranger au détriment d’une existence résidentielle en Canaan reçoit une accentuation particulière dans la section suivante (vv. 9-16), relisant le parcours de Joseph. Cette période commence par la vente, sous le coup de la jalousie fraternelle, de Joseph à l’Egypte (v. 9a). Ce début ex abrupto oriente d’emblée le lecteur sur le pays des Pharaon (eij" Ai[gupton), où va se tramer toute la suite de l’épisode (cf. 7, 10.11.12.15), érigeant Joseph en illustre représentant de la diaspora juive 71. Cette notice amorce également la seconde ligne de

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Wilfried ECKEY, Die Apostelgeschichte, I, 2000, p. 169 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 270 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 455, note 72 ; Alfred WIKENHAUSER, Die Apostelgeschichte, 1961, p. 88. Abram SPIRO, « Stephen’s Samaritan Background », dans Johannes MUNCK, The Acts of the Apostles (AnBib), New York, Garden City, 1967, pp. 286-287. Wege des Wortes : Apostelgeschichte, 1984, p. 45. Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 121 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 317.

5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

179

sens parcourant le discours d’Etienne et axée, on l’a dit, sur la désobéissance perpétuelle des pères : le geste effrayant des patriarches à l’encontre de Joseph en devient le prototype 72. Cependant, à cette transaction crapuleuse répond immédiatement l’assistance divine : « Dieu était avec lui », déclare en effet Etienne (v. 9b). Cette proposition fait sans conteste office de sommaire programmatique de l’agir de Dieu en Egypte. Pour sûr, toute l’existence de Joseph y est placée sous le signe de la guidance divine : Dieu le délivre de ses malheurs, lui octroie « grâce et sagesse devant Pharaon » et l’établit comme chef sur l’Egypte (v. 10) 73. Non seulement Joseph devient le type du juste souffrant relevé par Dieu, mais il incarne de surcroît la réussite possible en dehors du pays promis. La positivité de l’Egypte se verra même accentuée aux versets suivants (vv. 11-15), ce pays de sable se transformant en terre d’exil pour tous les autres patriarches. C’est en effet là qu’ils trouveront refuge et nourriture aux jours de la grande détresse. Le renversement axiologique infiltrant la topographie ne pourrait être plus appuyé : c’est l’Egypte et non la terre de Canaan qui devient ici la patrie du salut ! Dernière touche à ce tableau surprenant : une fois morts, c’est à Sichem, en terre samaritaine, et non à Hébron, comme le voudraient les traditions du judaïsme ancien (Gn 50, 13 ; Jub 46,9-10 ; FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 2,199 ; Testaments des Douze patriarches, passim) 74, que les patriarches recevront sépulture (v. 16). Sans chercher ici à identifier l’origine de cette tradition iconoclaste, il convient d’en élucider la portée chez Luc. C’est Günter Stemberger qui semble avoir vu juste, en notant que la Samarie n’était pas considérée comme faisant partie du pays promis stricto sensu 75. Dans ce sens, notifier l’inhumation à Sichem de Jacob et de ses fils servirait à alimenter l’effet de distanciation face à la terre d’Israël orchestré jusqu’ici par la plaidoirie d’Etienne.

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Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 317. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 244. Günter STEMBERGER, « Die Stephanusrede (Apg 7) und die jüdische Tradition », 1976, p. 162. Günter STEMBERGER, « Die Stephanusrede (Apg 7) und die jüdische Tradition », 1976, pp. 164-165 ; position adoptée ensuite par Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 157 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 246 ; Kerstin SCHIFFNER, Lukas liest Exodus, 2008, p. 360.

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Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

Résumons. Avec Joseph, Israël se découvre un passé de déporté, d’exilé, de juste accablé. Un passé qui n’a toutefois pas été une simple parenthèse stérile dans le plan salvifique. Au contraire, l’existence égyptienne de Joseph a été abondamment nourrie de la bénédiction divine, Dieu l’assistant dans toutes ses entreprises et le gratifiant de qualités qui assureront son succès à la cour de Pharaon. Avec Joseph et les autres patriarches, Israël s’est également découvert d’autres lieux de salut que la terre de Canaan. Des lieux où Dieu s’est délocalisé et a pourvu généreusement au bonheur des siens. Sans conteste, ce passé élargit une nouvelle fois, après les pérégrinations d’Abraham, l’horizon géographique du peuple élu. Les deux lignes de sens observées au détour du destin de Joseph reçoivent une consistance particulière dans la séquence suivante, réservée à la figure de Moïse (vv. 17-43). C’est sous le signe de l’accomplissement de la promesse faite à Abraham que s’ouvre cette nouvelle période historique (v. 17a). Or, comme en témoigne la synchronie des clauses temporelles disposées aux vv. 17a et 20a, Moïse – dont est dévoilé un portrait inhabituel des jeunes années (vv. 20-22) – en sera la pièce maîtresse. L’obésité de cette séquence trahit également son importance dans le cadre de l’histoire du salut : sur les 52 versets que totalise le discours stéphanois, 28 sont consacrés à Moïse et à son œuvre libératrice (env. 54%). Notre propos ici sera d’examiner la manière dont cette section mosaïque vient se greffer sur les deux thématiques déroulées par le discours d’Etienne. Sur le plan spatial, la séquence effiloche, une fois encore, le lien noué par Dieu avec la terre judéenne. Multiples en sont les signaux : l’adoption de Moïse par la fille de Pharaon (v. 21), son instruction dans « toute la sagesse égyptienne » (v. 22a), la fuite du héros juif au pays de Madian – où il se verra dégradé au rang de pavroiko" (v. 29a) et où sa descendance s’agrandira à deux reprises (v. 29b) – l’épiphanie divine à Moïse localisée « dans le désert du Sinaï » (vv. 30-34), premier tovp o" de l’histoire salvifique à être qualifié de « terre sainte » (v. 33c : gh' aJgiva) 76. Bref, le destin de Moïse manifeste sans ambages la transcendance du Dieu d’Israël vis-à-vis du pays promis et témoigne de sa sollicitude non 76

Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 251 ; Heinz-Werner NEUDORFER, « The Speech of Stephen », 1998, p. 285 ; Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures” », 1999, pp. 213-214.

5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

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démentie à l’égard des habitants de la Golah. Bien plus, la théophanie du buisson ardent, en dévoilant un nouveau tovpo" sanctifié de l’histoire du salut, complexifie le rapport au Temple jérusalémite et au mont Sion. Nous avions déjà signalé l’équivocité chez Luc de la promesse abrahamique, assurant au patriarche de Chaldée un culte « en ce lieu ». Il appert désormais qu’à côté de la cité de David et de son sanctuaire, le passé d’Israël recèle d’autres lieux saints, dit autrement d’autres lieux propices à accueillir la présence du divin, le Sinaï en tête de liste 77. Sur le plan de la désobéissance des pères, la section mosaïque livre un exemplier particulièrement bien pourvu. C’est principalement dans l’opposition déployée contre Moïse par le peuple en captivité que cet endurcissement trouve son terrain d’expression. Dès ses premiers pas en effet, le Législateur d’Israël, revêtu des attributs du médiateur du salut78, butera sur l’incompréhension de ses frères (vv. 23-25). Sa seconde intervention pacificatrice ne récoltera pas plus de succès : repoussé par les dires de ses compatriotes79, il devra prendre la fuite et trouver refuge au pays de Madian (vv. 26-29). Ces deux extraits de la vita Mosis placés en exergue par Luc serviront ainsi de paradigmes au refus constamment opposé par Israël au dessein divin de salut. Preuve en est la reprise au v. 39 du verbe « repousser » qui qualifie au préalable le rejet de Moïse lors de sa médiation manquée (v. 27a) : dans ce second cas, le verbe ajp wqei'sqai s’étend à la rébellion des pères au désert, refusant l’autorité mosaïque et formulant le désir de rebrousser chemin vers l’Egypte. C’est finalement dans l’érection d’un veau d’or, artéfact de ses mains, que la génération de l’exode figera ostensiblement son apostasie (vv. 40-42). A ce point du récit, le gouffre entre la promesse faite à Abraham et la réalité cultuelle d’Israël ne pourrait être plus abyssal : assurément l’adoration des astres à laquelle Dieu livre les

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Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 322. Chez Luc, le verbe ejpiskevyasqai ainsi que les substantifs swthriva et eijrhvnh ressortissent en effet au registre sotériologique. En 7, 35, Moïse se verra même affublé du titre de « libérateur » (lutrwthv "), désignation appliquée au Christ Jésus dans le troisième évangile (cf. Lc 1, 68 ; 2, 38 ; 24, 21). Sur ce point, Luc travestit délibérément le texte de l’Exode qui attribue la cause de la fuite de Moïse aux menaces que fait peser sur lui le Pharaon (Ex 2, 15).

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enfants de l’exode (v. 42a : latreuvein) ne se tient pas dans la droite ligne du culte à rendre « en ce lieu » (v. 7c : latreuvs ousivn)80. La dernière partie du sommaire historique s’attache à relire le parcours conduisant à la construction du Temple sous Salomon (vv. 44-50). Or, cette nouvelle étape discursive, en instruisant le dossier du sanctuaire jérusalémite, bien loin d’effacer les isotopies de l’espace et de la désobéissance des pères suivies jusqu’ici, les relie sous une même enseigne. La problématique de la résidence divine devient en effet le lieu où se dévoilent non seulement la transcendance radicale de Dieu par rapport à la géographie sainte, mais également l’idolâtrie coupable d’Israël. Comment Etienne aboutit-il à cette conclusion qui résonne aux vv. 48-50 ? C’est dans le contraste des différentes habitations divines expérimentées par Israël au cours de son histoire qu’elle se documente : d’une part la tente du témoignage qui a accompagné le peuple au désert et lors de son installation en Canaan, d’autre part le Temple requis par David et construit sous Salomon (vv. 44-47). En effet, si le premier type de demeure, aligné sur la Loi confiée à Moïse au Sinaï et calqué sur un modèle céleste, reçoit une sanction indéniablement positive 81, l’autre mode résidentiel tombe sous le coup de la critique d’Etienne (v. 48 : ajll’ oujc) 82. Sur quoi porte précisément la dénonciation de l’Helléniste ? La question a fortement agité les exégètes, générant un flot de positions difficile à endiguer83. Il est tout d’abord à relever que la césure axiologique n’intervient dans le discours d’Etienne qu’au v. 48 84, et non lors de la notification de l’édification sous Salomon d’une maison pour le Seigneur85 ; la conjonction dev n’a pas ici valeur adversative, mais vise simplement à contraster les rôles respectifs de David et Salomon86 : l’un formule le projet d’édification et sollicite Dieu, et/or c’est 80 81

82 83 84 85 86

Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 248. Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 256 : « Dieses Heiligtum entsprach also ganz Gottes Anspruch an Israels Gottesverehrung » ; Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 247 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, pp. 465-466. Cf. Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 248-249. Pour un résumé des propositions faites pour résoudre cette crux interpretum, voir Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 262. Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 49. Contra Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 256 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 125. Sur les valeurs possibles de dev en 7, 47, voir Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 248-249 ; voir aussi BDR § 447.

5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

183

l’autre qui l’exécute 87. Bref, si la construction du Temple ne reçoit pas en tant que telle une note négative, quel est alors l’objet de la critique stéphanoise ? La réponse tient à la connotation sémantique du verbe katoikevw employé en 48a et auparavant en 7, 4b88 : il sert à exprimer un mode d’habitation durable, achevé, fixe. Un autre trait langagier du discours pointe dans la même direction : alors que David sollicite de Dieu le droit de lui construire une skhvnwma (un campement) 89 à michemin entre la tente et l’habitation fixe 90, c’est finalement une oi\k o" (une résidence fixe) qui lui est bâtie, et c’est sur cette seconde ligne terminologique que se déploie, adossée à une prophétie ésaïenne (Es 66, 1-2LXX), la critique d’Etienne (cf. v. 49c : poi'on oi\k on oijkodomhvs etev moi). Dit autrement : alors que le projet davidique s’aligne encore sur le mode idéal de présence divine à Israël représenté par la tente mobile, la suite de l’histoire du sanctuaire jérusalémite dérape dans une sédentarisation outrancière et blasphématoire du Très-Haut. Bref, c’est la volonté humaine de fixer Dieu à une place, de le cantonner dans un lieu stable et déterminé, qui est taxée d’idolâtrie. C’est ce type de résidence désireuse de verrouiller le divin dans une cage dorée qui est disqualifié par l’expression « faite de mains d’homme » relevant de la polémique biblique contre les idoles païennes91. On le voit, l’attaque d’Etienne n’est pas décochée à l’encontre du Temple en tant que lieu saint92, mais contre toute velléité idolâtre d’y assigner le Créateur à résidence 93, 87

88 89

90

91 92

93

Avec Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 373 : « So far we have a plain statement of fact : David asked leave to build a dwelling-place ; Salomon actually build a house » ; également Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 261. Avec Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 262-263. Noté avec finesse par Heiner GANSER-K ERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, pp. 247.250-251 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 260-261 ; Jürgen R OLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 124 ; Kerstin SCHIFFNER, Lukas liest Exodus, 2008, p. 379. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte , 1998, p. 243 : « skhvnwma ist eigentlich “Zelt”, aber auch “Wohnung”, “Behausung”, jedoch im Gegensatz zu oi\ko" etwas Tragbares und Transportables ». Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 262, surtout la note 153 ; Kerstin SCHIFFNER, Lukas liest Exodus, 2008, p. 381. Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 187-188, radicalise par trop la critique d’Etienne, en affirmant qu’elle vient dénoncer ici le Temple comme centre religieux de la piété juive, Luc ne le considérant dorénavant plus que comme « phénomène culturel » (terme emprunté à l’exégète Karl Löning) du judaïsme. Cf. John KILGALLEN, « The Function of Stephen’s Speech (Ac 7,2-53) », 1989, pp. 177178.

184

Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

méprisant non seulement son universalité sans attaches94, mais aussi le nomadisme caractéristique de l’histoire des pères. On perçoit désormais mieux comment les deux fils conducteurs de la rétrospective d’Etienne se nouent ici : dans la prétention humaine de construire une « maison » pour le Seigneur s’exhibe ostensiblement la résistance idolâtre au Très-Haut qui a prévalu au passé d’Israël et s’est illustrée de manière criante dans la fabrication d’un veau d’or. A l’opposé, l’histoire des pères documente une autre relation à la géographie où chaque lieu (tovp o") peut, si Dieu s’y rend présent pour les siens, se muer en « terre sainte ». C’est à cette seule enseigne que l’on peut d’ailleurs répondre à la question de Dieu « quel sera le lieu (tovp o") de mon repos ? » qui retentit en 7, 49e. Seule cette disponibilité mobile, perpétuelle et universelle au divin en respecte la nature foncièrement transcendante. Sans conteste, la gestion de l’espace devient chez Luc une question à forte plus-value théologique. Concluons. « Vous résistez perpétuellement à l’Esprit saint ! », lance Etienne à ses auditeurs réunis en Sanhédrin. Son retour sur l’histoire du peuple élu l’a en effet conduit à identifier une histoire du refus qui court parallèlement à l’histoire sainte et se vérifie dans le rapport faussé des pères à l’espace. Pour sûr, l’absolutisation d’un lieu pour y river le Dieu d’Israël n’a fait que rédupliquer le geste idolâtre du peuple de l’exode confectionnant au désert un veau d’or. Au contraire, la tente du témoignage, mobile par définition, respectait l’universalité et la majesté cosmique du Très-Haut, qui – l’histoire des pères en témoigne – peut se révéler autant en Mésopotamie qu’au pays des Pharaons. En d’autres termes, pour être sainte l’histoire doit se dire dans la fidélité au Dieu d’Abraham, de Joseph et de Moïse ainsi que dans l’ouverture constante à la mobilité géographique, contrepoint humain de la transcendance infinie du Très-Haut. 5.3.5

Des précédents juifs hellénistiques

Dans un article consacré à Ac 7, Gregory E. Sterling a tenté de montrer que le sommaire historique de Luc reproduisait ou s’imprégnait de 94

Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres , I, 2007, p. 264 : « De la critique du Temple, l’orateur est passé à une critique de la conception de Dieu : assigner Dieu à résidence n’est pas seulement trahir la vocation d’Israël, qui est d’être en mouvement, c’est ignorer l’immensité cosmique de Dieu ».

5.3 Le discours d’Etienne, document fondateur

185

traditions exégétiques issues du judaïsme hellénistique et consacrées à Abraham, à Moïse et dans une moindre mesure à Joseph95. Précisons : Gregory Sterling met en lumière la manière dont une panoplie d’auteurs juifs de la diaspora (Cleodème Malchos, Pseudo-Eupolème et Artapan) ont légitimé, en référence à des héros bibliques, une existence croyante en dehors du pays. Les exemples les plus probants sont sans conteste les trois fragments attribués par Alexandre Polyhistor à Artapan et conservés chez Eusèbe de Césarée dans sa Praeparatio Evangelica : à l’instar du discours historique d’Etienne, ces textes font retour sur les trois figures d’Abraham, Joseph et Moïse et accordent de surcroît une place de choix à ce dernier96. Une petite différence peut néanmoins être notée : si Luc valorise dans sa géographie sainte différentes régions extra-palestiniennes, Artapan se concentre, lui, exclusivement sur l’Egypte et sa civilisation. Cette particularité s’explique aisément, si l’on juge qu’Artapan écrit pour des juifs égyptiens dans le but de légitimer cette diaspora et d’ancrer son origine dans l’histoire sainte du peuple élu 97. Bref, Sterling montre de manière séduisante que, tout comme Luc, les auteurs juifs hellénistiques se sont évertués à légitimer la diaspora juive en ayant recours à différentes figures illustres du passé d’Israël. Autrement dit, le sommaire lucanien s’adosserait à une tradition exégétique issue du judaïsme hellénistique et imiterait son geste herméneutique. Dans quel but ? Vu l’emplacement stratégique d’Ac 7, la réponse coule de source. Au moment où la mission chrétienne prend son essor, au moment où s’opère la sortie hors du Temple et loin de Jérusalem, au moment où le christianisme s’émancipe de son lieu d’origine, l’auteur 95 96

97

Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures” », 1999, pp. 199-217. Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures” », 1999, pp. 206-208.212 ; voir aussi Cana WERMAN, « God’s House : Temple or Universe », 2004, p. 311. Une traduction allemande est disponible chez Nikolaus WALTER, Fragmente jüdisch-hellenistischer Historiker (Jüdische Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit), Gütersloh, Mohn, 1976, pp. 121-136 et une anglaise chez Carl R. HOLLADAY, Fragments from Hellenistic Jewish Authors, 1983, pp. 204-225. Cf. Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures” », 1999, p. 208 : « Artapanus offered a history of the Jews in Egypt as a means of providing Egyptian Jews with a sense of identity. Jews living in Egypt had an illustrious past, a past which was in no way inferior to that of other nations. He demonstrated this by incorporating the traditions of other national heroes. The combination of Jewish and foreign traditions showed how Jews could integrate into the larger society without forfeiting their own identity. In this way he legitimated the Egyptian Diaspora ».

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Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

des Actes a vu la nécessité d’en offrir un plaidoyer apologétique 98. Partant, Ac 7, 2-50 contiendrait in nuce une légitimation de la mission et de la diaspora chrétiennes, légitimation qui réapparaîtra dans l’ultime page des Actes (Ac 28, 16-31 ; voir infra). Autrement dit, dans le discours au Sanhédrin, Luc convoquerait au profit du christianisme naissant et disséminé une tradition biblique et exégétique dont l’intention première était de justifier l’existence juive hors du pays et loin du Temple. 5.3.6

Conclusion : Ac 7, 2-53, plaidoyer théologique en faveur d’un christianisme déraciné

Se proposant de faire toute la lumière sur sa loyauté à l’identité juive, Etienne a livré une relecture du passé d’Israël qui d’une part ordonne les sanhédrites à la typologie négative des pères meurtriers des prophètes et d’autre part discerne dans l’histoire sainte une continuité qui se dit dans la mobilité et la distance à la Terre sainte. Or, nous avions en ouverture de ce chapitre noté l’emplacement stratégique de la séquence d’Ac 6, 1 à 8, 3 : elle intervient au moment où la Parole, expulsée de son espace originaire signifié par Jérusalem et le Temple, entreprend sa sortie vers les nations païennes. Cet essor missionnaire loin du centre symbolique de la piété juive conduira à la fondation à Antioche (11, 19-30), en régime de diaspora, d’une nouvelle communauté chrétienne. Ce tournant décisif dans l'intrigue des Actes, aux conséquences ecclésiologiques considérables, a néanmoins besoin d’une justification théologique : c’est ce que le discours d’Etienne lui a offert. En identifiant dans l'histoire des pères la présence constante d'un Dieu de la mobilité, d’un Dieu qui fracture l’équivalence idolâtre posée entre la bénédiction et la Terre sainte, Etienne annonce et sanctionne l'exode de l'Evangile qui va se produire incessamment et pose, à l’instar d’Artapan et des exégètes du judaïsme hellénisé, les fondations historico-salutaires d’une diaspora chrétienne. Le sommaire historique d’Ac 7 officie ainsi comme stylobate théologique d’une identité ecclésiale déliée du Temple et de tout attachement territorial ; une identité qui, si elle conjugue dorénavant son avenir au cœur de la 98

Cf. Daniel MARGUERAT, « Du Temple à la maison suivant Luc-Actes », 2003, p. 306 ; Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures” », 1999, pp. 212-217.

5.4 Du martyre d’Etienne au témoignage

187

diaspora, n’en demeure pas moins en continuité forte avec le passé illustre d’Israël. En perpétuant l’itinérance débutée avec Abraham, Joseph et Moïse, les chrétiens dispersés dans la campagne judéenne offrent à l’identité israélite une nouvelle et quelque peu déconcertante actualité.

5.4

Du martyre d’Etienne au témoignage en Judée et en Samarie (7, 54–8, 3)

5.4 Du martyre d’Etienne au témoignage S’il revient au discours d’Etienne la fonction de justifier l’émergence d’un christianisme nomade, c’est toutefois son martyre qui en déclenchera la genèse. Une cascade d’événements est ainsi posée entre Ac 7, 54 et 8, 3 99, enchaînant sans répit la réaction des sanhédrites aux dires d’Etienne (7, 54-58a), sa lapidation hors de la ville sous le coup de la fureur collective (7, 58b.59-60), le surgissement de Saul et sa montée en puissance – tour à tour témoin distant de l’exécution d’Etienne, approbateur attentiste, et pour finir persécuteur effréné (7, 58c ; 8, 1a.3) –, la déferlante qui s’abat contre l’Eglise jérusalémite et la disperse dans les contrées de Judée et de Samarie (8, 1bc) ainsi que l’inhumation par des juifs pieux de l’Helléniste (8, 2). Cette succession rapide d’événements, faiblement articulés (cf. la rafale de quatre dev additifs entre 8, 1 et 8, 3), n’a pas simplement pour but de donner le tournis au lecteur, mais concourt plutôt à lui offrir la vision saisissante d’un renversement providentiel modifiant un échec subi en occasion favorable. Aucune clôture ne peut être ainsi posée autour de l’épisode d’Etienne 100 : la mort du leader des Sept n’est pas le fin mot de l’histoire ecclésiale ; cette tragédie relance au contraire, et à une vitesse fulgurante, le cours des événements, générant la dispersion chrétienne en Judée et en Samarie, où se conjuguera désormais son avenir missionnaire (8, 4-25). Précisons : si le retournement providentiel n’est pas intégralement consommé avant l’ouverture de la séquence suivante, qui notifiera explicitement l’évangélisation conduite hors de Jérusalem par les exilés (8, 4), l’auteur des Actes a anticipé à l’aide de plusieurs signaux cette issue heureuse. J’en relève au moins deux : 1) la 99 Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 270-271. 100 Bien noté par Simon LÉGASSE, Stephanos , 1992, p. 135 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 270-271.

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Continuer l'histoire d'Israël en régime de diaspora

reprise en 8, 1b du binôme Judée–Samarie qui, pour un lecteur un tant soit peu attentif, évoque immanquablement le programme missionnaire fixé par le Ressuscité en 1, 8. Un dispositif d’accomplissement s’infiltre ainsi dans le récit lucanien, au cœur même du malheur qui frappe l’Eglise ; 2) l’emploi à ce même verset du vocabulaire technique de la diaspora juive pour qualifier l’exode des chrétiens hors de la Ville sainte (cf. diaspeivresqai)101. En clair : loin de signer l’arrêt de mort de l’ekklèsia, la persécution pointe au-delà d’elle-même, vers une nouvelle diaspora chrétienne qu’elle contribue ironiquement à promouvoir et qui pourra se recommander, Etienne l’a rappelé, d’illustres précédents historiques. Paradoxalement, c’est à assurer la continuité de l’histoire commencée avec les pères que concourt le harcèlement dont sont victimes les chrétiens102.

5.5

Conclusion : continuer l’histoire d’Israël en régime de diaspora

5.5 Conclusion : continuer l’histoire d’Israël Sur la route de l’Eglise, la séquence d’Etienne constitue un tournant majeur. Une rupture même. Jusqu’ici cantonnée dans la Ville sainte où elle a inlassablement œuvré dans son dire et dans son faire à la restauration eschatologique du peuple élu, la communauté chrétienne se voit désormais chassée loin du nombril de la foi juive, contrainte à repenser son existence et son identité en régime de dispersion. Et c’est à reconfigurer cette identité en crise, fragilisée par l’interdit posé sur le lieu saint jérusalémite et par le revirement collectif du peuple juif (cf. 6, 12 : sunekivnhsavn te to;n laovn), que contribue l’apologie d’Etienne. Dit autrement, loin de se défendre des accusations qui sont dirigées contre lui, le chef des Sept plaide la cause d’une Eglise aux abois. Comment cette visée argumentative opère-t-elle ? En relisant un passé fon-

101 Dans ce sens Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 278 ; David SECCOMBE, « The New People of God », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids, Eerdmans, 1998, p. 359. 102 Scott CUNNINGHAM, « Through Many Tribulations ». The Theology of Persecution in Luke-Acts (JSNT.SS 142), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1997, p. 294 : « The Word of God grows through the providential failure brought by persecution ».

5.5 Conclusion : continuer l’histoire d’Israël

189

dateur103. Ou mieux dit, en construisant une mémoire légitimante. Concrètement, c’est en empruntant le genre littéraire du sommaire historique qu’Etienne travaille à démontrer la continuation du passé millénaire d’Israël dans le destin de l’Eglise dispersée. Dans ce cadre, deux leviers ont été activés par l’Helléniste ; il a d’une part noirci le portrait des sanhédrites fixés à Jérusalem et gardiens du Temple (7, 4b), en les comptant au nombre des pères assassins des prophètes et en les ordonnant à une histoire du refus, d’autre part il a retracé une histoire sainte de la Golah juive dont la perpétuation fidèle est à identifier dans le déploiement universel d’un christianisme nomade. L’audace de Luc est de taille : l’Eglise, bien loin de trahir l’identité du peuple d’Israël, bien loin de renoncer à réaliser ses attentes séculaires, prétend incarner en régime de diaspora l’Israël restauré, le qahal de la fin des temps104. C’est là que se continue selon Luc le passé glorieux d’Abraham, de Joseph et de Moïse. Mais, si continuité il y a, l’histoire n’est pas indemne de certains renoncements et crève-cœur : quand bien même le rassemblement du peuple juif a eu lieu à Jérusalem (Ac 2–5) et s’y poursuit vigoureusement (cf. Ac 21, 20), ce n’est toutefois plus au mont Sion que convergeront les nations païennes. La vision centripète de l’histoire d’Israël, même si elle n’est pas instantanément biffée de la narration lucanienne, se délite à vue d’œil.

103 Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 248, pense ainsi que l’unique thème du discours est l’histoire d’Israël, dont Etienne ferait le récit afin de montrer que l’Eglise se situe en continuité du peuple élu de Dieu. 104 Sur ce renversement qui voit chez Luc la Golah se substituer au mont Sion comme lieu du salut, voir Karl Matthias SCHMIDT, « Abkehr von der Rückkehr : Aufbau und Theologie der Apostelgeschichte im Kontext des lukanischen Diasporaverständnisses », NTS 53, 2007, pp. 406-424. L’auteur est toutefois insuffisamment attentif à la tension forte qui travaille la théologie lucanienne, combinant visions centripète et centrifuge du salut d’Israël.

Chapitre 6

L’Eglise entre Jérusalem et Césarée ou l’intégration des marginaux dans le peuple de Dieu (Actes 8, 4-40) 6.1 Remarques préliminaires Le chapitre 8 des Actes introduit le lecteur dans une nouvelle étape des origines du christianisme. Situé en surplomb, le protomartyre d’Etienne a sonné le glas d’une concentration de l’Eglise dans la Ville sainte et inauguré sa marche missionnaire vers les nations païennes. Sur cette route, Luc a disposé plusieurs bornes, ménageant une transition échelonnée entre le monde juif et l’univers gréco-romain. Le présent chapitre, consacré à la séquence d’Ac 8, 4-40, étudie le rôle dévolu par Luc aux Samaritains et à l’eunuque d’Ethiopie dans l’intrigue de son récit. Plus particulièrement, nous serons attentif à la manière dont l’auteur des Actes poursuit la construction identitaire de l’Eglise dans cette étape-charnière : favorise-t-il la substitution d’une identité par l’autre, ouvrant l’Eglise à l’univers païen et reléguant le monde juif au registre du passé ? ou maintient-il en tension ces deux horizons ethniques et religieux dans son récit des origines ? Ces questions guideront en grande partie notre parcours exégétique.

6.2 Ac 8, 4-40 comme séquence narrative L’unité du chapitre 8 des Actes est un fait largement reconnu par les exégètes de Luc. Il suffit de consulter les commentaires scientifiques des Actes pour s’en convaincre : la quasi-totalité des chercheurs étudie Ac 8, 4-40 comme une séquence unifiée 1. Voyons quels en sont les indices. 1

Entre autres : Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 394-436 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 283 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, pp. 480-481 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity

6.2

Ac 8, 4-40 comme séquence narrative

191

Le bouclage de la séquence par l’inclusion des vv. 4-5 et 40 en est un premier signal littéraire. Les jeux d’échos terminologiques entre ces versets sont en effet abondants : vv. 4-5 : OiJ me;n ou\n diasparevnte" dih'lqon eujaggelizovmenoi to;n lovgon. Fivlippo" de; katelqw;n eij" th;n povlin th'" Samareiva" ejkhvrussen aujtoi'" to;n Cristovn. v. 40 : Fivlippo" de; euJrevqh eij" [Azwon: kai; diercovmeno" eujhggelivzeto ta;" povlei" pavsa" e{w" tou' ejlqei'n aujto;n eij" Kaisavreian. Comment interpréter ce phénomène d’encadrement ? que signale au lecteur cette boucle narrative 2 ? D’une borne à l’autre du récit, Philippe est campé en figure de proue d’un mouvement missionnaire porté par les dispersés de Jérusalem. Ac 8, 4-40 se présente comme une séquence narrative gouvernée par la figure de Philippe, et ce malgré son absence des vv. 14-25 : c’est véritablement lui qui en est le héros. Nous y reviendrons. A ce premier signal littéraire s’ajoute un second : la récurrence du vocabulaire kérygmatique tout au long de la séquence : eujaggelivz omai en 8, 4.12.25.35.40 ; khruvssw en 8, 5 (toute première occurrence des Actes) ; diamartuvromai en 8, 25 ; lalevw en 8, 25 ; lovgo" en 8, 4.14.21.25. Ce registre terminologique vise indubitablement à unifier l’ensemble du chapitre. A la densité du lexique kérygmatique s’ajoute aussi l’emploi du verbe dievrcomai aux deux extrémités du chapitre 8 (vv. 4 et 40) : c’est la désignation technique du mouvement missionnaire dans les Actes3. Sur le plan thématique également, des indices ont été disposés pour favoriser l’unité de la séquence : les deux épisodes situés entre la lapidation d’Etienne (Ac 7) et la conversion de Saul (Ac 9) développent en effet une même thématique de la marginalité 4. Précisons de quoi il s’agit : autant les Samaritains (8, 5-25) que l’eunuque d’Ethiopie (8, 26-40) constituaient dans la catégorisation du

2

3 4

of Luke-Acts, II, 1990, pp. 102-112 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, pp. 279ss. En sus de cet encadrement, Robert C. TANNEHILL identifie entre 8, 8 et 8, 39 un phénomène de circularité construit autour du motif de la joie (The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 112). Cf. F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, p. 36. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 283 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 480.

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L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

peuple juif des êtres impurs ; proches du judaïsme par leur religiosité, ils en étaient tenus à l’écart par la barrière infranchissable des règles de pureté. Nous y reviendrons en détail dans la suite de notre enquête. Seul le diagnostic d’homogénéité thématique suffit ici.

6.3 Ac 8 dans l’intrigue des Actes Quel rôle la séquence d’Ac 8, 4-40 reçoit-elle dans l’intrigue des Actes ? Si Philippe en est le héros, en quoi consiste sa geste héroïque ? Introduit en coulisse de la crise survenue entre les Hébreux et les Hellénistes (Ac 6, 5)5, Philippe va présider un tournant majeur de la mission chrétienne : cantonnée à la Ville sainte jusqu’en 8, 1, l’Eglise est contrainte, suite au martyre d’Etienne, à la dispersion en dehors de Jérusalem, essaimant en Judée et en Samarie. Or, cette expulsion, épisode tragique des origines du christianisme, va se transformer en occasion inespérée de réaliser le programme missionnaire des Actes : diffuser la Parole audelà de Jérusalem. Le scénario géographique tracé par le Ressuscité (1, 8b) s’accomplit en effet dans cette dispersion de l’Eglise : « Tous, sauf les apôtres, se dispersèrent dans les contrées de la Judée et de la Samarie » (8, 1b) ; cette migration chrétienne réalise paradoxalement la prophétie-programme d’Ac 1, 8 ! C’est donc à l’occasion de cet exode de la Parole que Philippe va œuvrer en héros. La mobilisation massive du vocabulaire kérygmatique notée ci-dessus, couplée au verbe de l’itinérance missionnaire (dievrcomai), est à cet égard révélatrice : Philippe, héros du récit, l’est principalement en tant que héraut de la Parole. Dit autrement, son acte héroïque est de porter l’Evangile en dehors de son espace originaire, d’inaugurer la mission au-delà de la Ville sainte. En aval, cette dispersion trouvera un épilogue apaisant lors de la fondation d’une nouvelle communauté de base, l’Eglise d’Antioche. Pour preuve, 11, 19 renoue avec les dispersés de 8, 4, empruntant un vocabulaire identique : Ac 8, 4 : oiJ me;n ou\n diasparevnte" dih'lqon eujaggelizovm enoi to;n lovgon. 5

Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 205 : « Luc est coutumier du procédé consistant à introduire subrepticement les personnages marquants de son livre ».

6.3

Ac 8 dans l’intrigue des Actes

193

Ac 11, 19 : oiJ me;n ou\n diasparevnte" ajp o; th'" qlivyew" th'" genomevnh" ejpi; Stefavnw/ dih'lqon e{w" Foinivk h" kai; Kuvprou kai;

jAntioceiva"

mhdeni; lalou'nte" to;n lovgon eij mh; movnon jIoudaivoi". En un mot, c’est l’expression oiJ me;n ou\n diasparevnte" […] dih'lqon (8, 4a) qui réapparaît à l’identique en 11, 196, signalant les percées missionnaires réalisées en Phénicie, à Chypre et dans la ville d’Antioche par les exilés de Jérusalem. Cette reprise verbatim induit un indiscutable phénomène d’inclusion entre ces deux scènes, invitant à lire d’une traite les chapitres 8–11 des Actes. Ces quatre chapitres déploient les retombées de la crise surgie en Ac 7 : le martyre d’Etienne a paradoxalement occasionné une dynamique missionnaire dont l’achèvement est signifié par la fondation de l’Eglise d’Antioche (11, 1930). Cet essaimage de l’Eglise a d’ailleurs reçu de Luc une qualification théologique précise : le hapax legomenon diaspeivrw est employé à trois reprises pour décrire l’expulsion des chrétiens loin de Jérusalem (8, 1.4 ; 11, 19). Or, à côté du substantif diasporav, diaspeivrw est le terme technique utilisé pour désigner la diaspora juive dans la Septante (cf. Gn 11, 4.8.9 ; Lv 26, 33 ; Dt 4, 27 ; 28, 64 ; 32, 26 ; Jr 13, 24 ; 15, 7 ; 18, 17 ; Ez 5, 12 ; 12, 14.15 ; 22, 15 ; Ps Salomon 9,1-2 ; etc.)7. Son emploi par Luc n’est assurément pas l’effet du hasard : Ac 8–11 se fait la chronique d’une naissance. La naissance d’un christianisme de dispersion, d’une chrétienté nomade appelée à fonder des diasporas dans sa course aux confins de la terre 8. Sur cette route, Antioche en est la première réalisation majeure. Force est ainsi de constater l’enchâssement d’Ac 8 dans une macrointrigue déployée entre 8, 1 et 11, 30. Cette longue séquence se caractérise par son puissant mouvement centrifuge : la Parole quittant Jérusalem essaime en Judée, en Samarie et arrête provisoirement sa course dans la « belle ville des Grecs » 9 qu’était Antioche. La percée en terres païennes s’approfondit, la barrière du pur et de l’impur se brise

6 7 8 9

F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, pp. 32-33. Cf. Johannes BEHM, « diasporav », ThWNT II, 1935, pp. 98-104 ; F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, pp. 34-36. Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 289 ; David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, p. 359. C’est ainsi que les Syriens désignaient la ville d’Antioche-sur-l’Oronte jusqu’à la fin de l’Antiquité au moins (cf. ISAAC D’ANTIOCHE, Carmen 15).

194

L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

symboliquement lors de la conversion du craignant-Dieu Corneille (Ac 10–11). Pourtant, cette même séquence est striée de multiples retours sur Jérusalem : au fort mouvement centrifuge de la mission se superpose un non moins prégnant mouvement centripète. Chaque avancée en direction des nations s’accompagne d’une contrepartie orientée sur Jérusalem et sur la communauté apostolique qui y est encore établie. Le tableau suivant permet de bien s’en rendre compte :

Mouvement loin de Jérusalem

Mouvement vers Jérusalem

8 , 5-1 3 : Philippe évangélise la Samarie (v. 5 : katelqw;n eij" th;n povlin th'" Samareiva") et baptise Simon le mage.

8, 14- 25 : Pierre et Jean, mandatés par la communauté jérusalémite, imposent les mains aux Samaritains, et, tout en retournant à Jérusalem (v. 25 : uJpevs trefon eij" JIerosovl uma), évangélisent de nombreux villages de Samarie. Saul remonte à Jérusalem (v. 26 : paragenovm eno" de; eij" jIerousalhvm) pour s’agréger au cercle des disciples ( 9, 2 6-2 9), avant de repartir pour Césarée, puis Tarse ( 9, 30 ). 11, 1-18 : Pierre remonte à Jérusalem (v. 2 : o{te de; ajnevbh Pevtro" eij" jIerousalhvm), et expose aux frères l’affaire en question.

9, 1-19 : Saul quitte Jérusalem et descend à Damas (v. 3 : ejggivzein th/' Damaskw/') pour y persécuter les chrétiens. 9, 32–10, 4 8 : Pierre descend à Lydda (v. 32 : katelqei'n kai; pro;" tou;" aJgivou" tou;" katoikou'nta" Luvdda), puis à Joppé. Puis s’étant rendu à Césarée, il préside au baptême de Corneille et de sa maisonnée. 11, 19- 21 : l’Eglise d’Antioche est fondée par les dispersés de Jérusalem (v. 20 : ejlqovnte" eij" jAntiovceian).

11, 22 b- 27 : A la suite de quoi,

11, 22a : cet événement fondateur remonte aux oreilles de la communauté de Jérusalem (v. 22a : hjkouvsqh de; oJ lovgo" eij" ta; w\ta th'" ejkklhsiva" th'" ou[sh" ejn jIerousalh;m peri; aujtw'n). 11, 28- 30 : en retour, lors de la

6.3

Ac 8 dans l’intrigue des Actes

l’Eglise de Jérusalem envoie Barnabé (v. 22 : ejxapevsteilan Barnaba'n e{w" jAntioceiva") suivi dans ce mouvement par des prophètes (v. 27 : kath'lqon ajpo; JIerosoluvmwn profh'tai eij" jAntiovceian).

195

grande famine qui frappa le monde habité, une contribution en faveur des frères de Judée (v. 29 : toi'" katoikou'sin ejn th/' jIoudaia/) fut levée à Antioche et confiée aux bons soins de Barnabé et Saul.

Ce tableau illustre le chevauchement des mouvements centrifuges et centripètes dans cette séquence narrative 10 : chaque unité qui la compose prolonge en effet l’avancée missionnaire en direction des nations païennes, égrenant les villes et régions abordées (Samarie, Césarée, Damas, Lydda, Joppé, Phénicie, Chypre, Antioche, Tarse) et décrivant une trajectoire d’expansion nord-ouest. Pourtant systématiquement, ces mêmes unités littéraires culminent dans un reflux narratif sur la Ville sainte 11. Quelle est donc l’incidence de cette polarité géographique sur la lecture des chapitres 8–11 ? D’une part, comme nous l’avons dit cidessus, la mission hors de Jérusalem prend son essor, et avec elle, c’est le programme missionnaire qui poursuit son accomplissement en direction des nations païennes. Dit autrement, le fort mouvement centrifuge signale l’avancée puissante de la mission en direction des Gentils. Le monde hellénisé apparaît déjà subrepticement dans le chapitre 8, au travers de la ville de Césarée où Philippe se rend en finale (8, 40). Cité côtière et capitale romaine de la province de Judée, Césarée était en effet une ville à majorité païenne 12. Mais alors, quelle est la visée rhétorique des incessants retours du récit sur Jérusalem ? Une première réponse s’impose. Ces remontées narratives sur la Ville sainte sont les vecteurs littéraires de la continuité théologique entre la diaspora chré10

11

12

Le schéma de la géographie des Actes esquissé par Loveday C.A. ALEXANDER en offre également une excellente visualisation (« “In Journeying Often” : Voyaging in the Acts of the Apostles and in Greek Romance », dans Christopher M. TUCKETT [éd.], Luke’s Literary Achievement [JSNT.SS 116], Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, p. 42). Ce mouvement de repli sur Jérusalem et la Judée se perpétuera au reste jusqu’au terme de l’œuvre lucanienne, quoique plus timidement (cf. Ac 15, 2-4 ; 18, 22 ; 19, 21 ; 20, 16 ; 21, 11-15 ; 21, 17 ; 22, 17 ; 25, 1-3 ; 26, 10.20 ; [28, 21]). Il a été notamment observé par Robert L. BRAWLEY, Luke-Acts and the Jews. Conflict, Apology, and Conciliation (SBL.MS 33), Atlanta, Scholars Press, 1987, pp. 35-36. Cf. FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des Juifs 3,409.

196

L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

tienne et sa métropole juive 13. Le lien historico-salutaire avec l’Israël des promesses est garanti par ces va-et-vient géographiques. Toutefois, le mouvement centripète décrit par la narration lucanienne évoque aussi une conviction théologique centrale à la foi juive : la procession eschatologique des exilés juifs et des nations païennes au mont Sion. La restauration d’Israël prophétisée dans l’Ancien Testament et dans la littérature intertestamentaire doit s’accompagner d’une convergence des juifs de la dispersion et des païens à Jérusalem (cf. Es 2, 2-4 ; 49, 6 ; 56, 6-8 ; 66, 18-20 ; Mi 4, 1-3 ; Za 2, 10-17 ; 8, 1-8.20-23 ; etc.). De ce fait, la séquence d’Ac 8–11 ne se réduit pas à raconter la pénétration progressive de l’univers païen, mais vise conjointement à relater l’accomplissement du rassemblement d’Israël par intégration de ses marges. Non seulement l’Eglise essaime hors de Jérusalem et fonde des diasporas dans sa course jusqu’aux extrémités du monde, mais elle préside simultanément à la recomposition de l’Israël des temps derniers. Au vu du double mouvement géographique qui caractérise les chapitres 8–11, il devient nécessaire de préciser la fonction impartie à Ac 8 dans cette macro-intrigue. Nous l’avons dit, les « actes de Philippe » se situent en marge d’Israël, offrant la Parole aux exclus du Temple : les schismatiques de Samarie d’une part, un eunuque d’Ethiopie de l’autre. De notre avis, l’unité de cette séquence se construit sur le plan de la missiologie et de l’ecclésiologie des Actes. D’une part, nous avons noté la présence massive du langage kérygmatique tout au long de la section : dans la mission qui se répand hors de Jérusalem, la geste évangélisatrice de Philippe fonctionne comme un cas d’école. Daniel Marguerat a bien démontré cette dimension, identifiant dans cet ensemble littéraire un modèle de la mission chrétienne 14 : Luc y thématise sa pratique, sa régie divine, sa déontologie, ses succès et ses dangers. Mais en prolongement de cette problématique, une visée ecclésiologique nous semble travailler le chapitre, visée dont les dépla13

14

Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 281. Voir aussi Heiner GANSER-K ERPERIN, Das Zeugnis des Tempels. Studien zur Bedeutung des Tempelmotivs im lukanischen Doppelwerk (NTAbh 36), Münster, Aschendorff, 2000, p. 309 : « Jerusalem erscheint […] als “geographisches Realsymbol”, das die Identität des Christentums mit seinen Ursprüngen garantiert ». Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, pp. 119-130 ; dans ce sens aussi Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte , I, 1986, p. 295.

6.4

La mission en Samarie (8, 5-25)

197

cements géographiques notés ci-dessus sont les symptômes littéraires. Les mouvements centripètes et centrifuges témoignent en effet, depuis Ac 2, de la double dimension identitaire de l’Eglise 15. Or, cette portée ecclésiale de la séquence est confirmée par la relecture qui en est faite dans le sommaire d’Ac 9, 31 : « L’Eglise (ejkklhsiva), sur toute l’étendue de la Judée, de la Galilée et de la Samarie, vivait donc en paix, elle s’édifiait et marchait dans la crainte du Seigneur et, grâce à l’appui du Saint Esprit, elle s’accroissait ». Cette notice de croissance renvoie assurément le lecteur à la dispersion de l’Eglise « dans les contrées de la Judée et de la Samarie » notifiée en 8, 1. En Ac 9, 31 toutefois, le terme ejkklhsiva ne désigne plus simplement la communauté locale, mais dorénavant le peuple saint dont le prototype n’est autre que l’Israël du désert, le qahal de l’histoire sainte (cf. Ac 7, 38) 16. Bref, il semble important de questionner cette séquence littéraire sur le plan de l’ecclésiologie, ou plus précisément du point de vue de la construction identitaire de l’Eglise.

6.4 La mission en Samarie (8, 5-25) 6.4.1

Bibliographie

Friedrich AVEMARIE, Die Tauferzählungen in der Apostelgeschichte (WUNT 139), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, pp. 168-173.214-266.– Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas. Eine Studie zum religionshistorischen und traditionsgeschichtlichen Hintergrund der lukanischen Samarientexte und zu deren topographischen Verhaftung (WUNT 2.111), Tübingen, Mohr Siebeck, 1999.–Richard J. COGGINS, « The Samaritans and Acts », NTS 28, 1982, pp. 423-434.–Patrick FABIEN, Philippe « l'évangéliste » au tournant de la mission dans les Actes des apôtres. Philippe, Simon le magicien et l'eunuque éthiopien (LeDiv 232), Paris, Cerf, 2010.–Michel GOURGUES, « Esprit des commencements et Esprit des prolongements dans les Actes. Note sur la “Pentecôte des Samaritains” (Act. 8,5-25) », RB 93, 1986, pp. 376-385.–Jacob J ERVELL, 15 16

Voir supra notre chapitre consacré à Ac 2, 1-47. Dans ce sens Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 56 : « Vergleicht man die ejkklhsiva-Stellen in 5,11 ; 8,1 und 9,31 miteinander, so ist die Steigerung nicht zu übersehen : Lukas zeigt Schritt für Schritt, dass die ejkklhsiva mehr ist als nur die Einzelgemeinde ».

198

L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

« The Lost Sheep of the House of Israel. The Understanding of the Samaritans in Luke-Acts », dans ID., Luke and the People of God. A New Look at Luke-Acts, Minneapolis, Augsburg, 1972, pp. 113-132.–HansJosef KLAUCK, Magie und Heidentum in der Apostelgeschichte des Lukas (SBS 167), Stuttgart, KBW, 1996, pp. 24-35.–Andreas LINDEMANN, « Samaria und Samaritaner im Neuen Testament », WuD 22, 1993, pp. 51-76.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 181-209.–ID., « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », dans Early Christian Voices. Essays in Honor of F. Bovon (BIS 66), Boston, Brill, 2003, pp. 119-130.–David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel (JSNT.SS 119), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, pp. 72-106.–Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, London/New York, T&T Clark, 2006.–F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts (JSNT.SS 67), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1992, pp. 26-127.211-220. 6.4.2

Remarques préliminaires

L’intérêt de Luc pour la Samarie et les Samaritains a souvent intrigué les lecteurs de son œuvre. Il est vrai que cette contrée et cette population peu appréciée du judaïsme du second Temple reçoivent chez lui un traitement non négligeable. Bien plus, à l’interdit d’entrer en Samarie signifié par le Jésus matthéen (10, 5b) correspond dans les Actes canoniques l’ordre intimé par le Ressuscité d’évangéliser la Samarie (1, 8). Cette énigme mérite assurément un examen poussé. Pour commencer, brossons à grands traits le portrait des Samaritains véhiculé dans la littérature antique.

6.4

6.4.3

La mission en Samarie (8, 5-25)

199

Les Samaritains dans la littérature ancienne17

L’origine de la communauté religieuse des Samaritains est mal connue ; sa plus ancienne attestation littéraire remonte au livre de Jésus ben Sira : « Il y a deux nations que mon âme déteste et la troisième n’est pas une nation : ceux qui sont établis dans la montagne de Seïr, les Philistins et le peuple fou qui habite à Sichem » (Si 50, 25-26)18. Dans ses écrits et tout spécialement dans ses Antiquités Juives, Flavius Josèphe présente souvent les Samaritains comme des païens originaires de Perse et de Médie, déportés en Samarie par les Assyriens19 et adorant Dieu au Temple du mont Garizim20. Au livre 12 (§ 257-264) de ses Antiquités Juives, l’historien juif raconte également que, durant le règne d’Antiochus Epiphane IV et sa campagne d’hellénisation massive, les Samaritains ont fait appel à ce dernier, lui enjoignant de dédier leur Temple anonyme du mont Garizim à Zeus Hellénios (Dio;" JEllhnivou) et s’affublant eux-mêmes du surnom de « Sidoniens de Sichem » (oiJ ejn Sikivmoi" Sidwvnioi) 21. Des échos de cette polémique anti-samaritaine se font entendre jusque dans la tradition rabbinique : est reproché aux frères ennemis du peuple juif leur passé sulfureux fait de syncrétisme et de mélange ethnique (b. Hullin 6a ; b. Yoma 69a ; cf. 2 R 17, 24-41). Reproche qui donnera naissance au slogan plusieurs fois répété dans le Talmud de Jérusalem : « Les Samaritains sont comme les païens » (Kethuboth 27a ; Berakoth 11b ; etc.). A d’autres endroits de ses écrits pourtant, Flavius Josèphe considère la communauté samaritaine comme une excroissance hétérodoxe du judaïsme, résultant d’un schisme survenu au sein de la caste sacerdotale jérusalémite : c’est le grand prêtre Manassé, chassé de Jérusalem par son frère Jaddus suite à 17

18 19 20 21

Voir sur le sujet : Ingrid HJELM, The Samaritans and Early Judaism. A Literary Analysis (JSOT.SS 303), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2000 ; Jean-Daniel MACCHI, Les Samaritains : histoire d’une légende. Israël et la province de Samarie, Genève, Labor et Fides, 1994 ; Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, pp. 57-98 ; STRACK-BILLERBECK I, pp. 538-560 ; Jürgen ZANGENBERG, SAMAREIA. Antike Quellen zur Geschichte und Kultur der Samaritaner in deutscher Übersetzung (TANZ 15), Tübingen/Basel, Francke Verlag, 1994. Cf. Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas, 1999, pp. 60-68 ; Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, pp. 70-74. Antiquités Juives 9,277-291 ; 11,114-115. Antiquités Juives 11,310-311.322-324.346-347 ; 12,257-259 ; 13,74ss.255-256 ; Guerre des Juifs 1,63. Cf. 2 M 6, 2.

200

L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

son mariage irrégulier avec la fille de Sanballat, le gouverneur de Samarie, qui serait à l’origine de la nouvelle lignée sacerdotale du Garizim22. Au reste, cette seconde image véhiculée par Josèphe se reconnaît également à l’examen des sources rabbiniques qui n’hésitent pas à comparer les Samaritains aux Sadducéens, y voyant ainsi des juifs déviants ou « déficitaires » ( m. Nidda 4,2). Bref, un double profil caractérise les Samaritains dans l’œuvre de Josèphe : tantôt il les nomme Kouthéens (cf. Antiquités Juives 9,290 : Couqai'oi), identifiant les Samaritains aux colons païens de 2 R 17, 24-41 et Esd 4, 1-6.9-10, tantôt il les qualifie d’« apostats de la nation juive » (cf. Antiquités Juives 11,340 : ajpostatai; tou' jIoudaivwn e[q nou"), voire de jIouvdaioi au même titre que les habitants de Galilée et de Pérée (cf. Antiquités Juives 13,48-57). De leur côté, les traditions samaritaines associent, elles aussi, la communauté religieuse du mont Garizim au Royaume du Nord, revendiquant l’héritage d’Ephraïm et de Manassé (ST 1 S §IB*23 ; cf. 2 Ch 34, 9 ; Antiquités Juives 11,341 ; Bereshit Rabba 94,7), mais en soulignant cette foisci son observance stricte de la Loi, sa pratique inflexible de la circoncision le huitième jour (même s’il tombe un jour de sabbat), sa célébration de la Pâque et son respect rigoureux du sabbat. Cette religiosité méticuleuse et scrupuleuse pratiquée par les Samaritains a même reçu quittance dans la tradition rabbinique : « Toute pratique religieuse observée par les Kouthéens est suivie avec plus de minutie que par les Israélites proprement dits » déclare rabbi Simon ben Gamaliel dans le traité Berakoth 47b du Talmud de Babylone (cf. aussi b. Gittin 10a ; b. Hullin 4a ; m. Nedarim 3,10 ; b. Masseketh Kuthim 61b ; etc.). Flavius Josèphe lui-même y fait écho dans ses Antiquités Juives (9,290 ; 12,256260)24. Bref, à l’instar du judaïsme jérusalémite, cette communauté religieuse se comprenait au 1er s. ap. J.-C. comme la descendante légitime du vrai Israël, désignant ses membres comme les authentiques « gardiens » (shomerim) de la Loi ou de la vérité. Et ce, même si ses

22 23

24

Antiquités Juives 11,302-325.340 ; 13,256. La traduction anglaise que nous citons ici est empruntée à Ingrid HJELM, The Samaritans and Early Judaism, 2000, p. 246 : « Samuel, King Saul, Jesse, of the tribe of Judah, gathered together and gave orders for battle to be made against the tribe of Ephraim and the tribe of Manasseh and all their congregations – namely the congregation of the Samaritan Israelites ». Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, p. 81.

6.4

La mission en Samarie (8, 5-25)

201

frères ennemis lui reprochaient un passé religieux empreint de turpitude. En résumé, un portrait ambivalent des Samaritains semble traverser la grande majorité des sources anciennes : tant Flavius Josèphe que les textes rabbiniques croquent un portrait en clair-obscur de cette communauté religieuse, hésitant entre sa judaïté et sa paganité et soulignant son statut ethnico-religieux souvent ambigu 25. De leur côté, les traditions samaritaines s’enorgueillissent d’une ascendance illustre en la personne du patriarche Joseph, revendiquant l’héritage des tribus non-judéennes d’Israël, et se targuent d’une observance religieuse des plus conservatrices. 6.4.4

Les Samaritains du troisième évangile

Dans le premier tome du diptyque lucanien, ce ne sont pas moins de trois passages à faire état des Samaritains : 9, 51-56 ; 10, 25-37 ; 17, 11-19. Or, tous trois sont situés dans l’importante séquence centrale de l’évangile, appelée depuis Friedrich Schleiermacher « section du voyage » (Reisebericht ; Reiseabschnitt) 26 : alors que dans les évangiles de Marc et de Matthieu, Jésus dérive à l’est et traverse la Pérée dans sa montée vers Jérusalem (Mc 10, 1 ; Mt 19, 1-2), le Jésus de Luc, quant à lui, pénètre en Samarie et descend directement sur la Ville sainte. De cette réorientation géographique, certains exégètes en ont déduit que la section du chemin décrivait un « voyage en Samarie » 27, une « mission en Samarie » 28 ou même un « ministère samaritain » 29. Dans tous les cas, Luc réserve une place significative à la Samarie et aux Samaritains dans le récit de son évangile. C’est la raison pour laquelle, avant de discuter le statut de la mission samaritaine décrite dans les Actes, il est indis-

25

26 27 28 29

Cf. FLAVIUS J OSÈPHE, Antiquités Juives 9,290-291 ; 11,340-341 ; t. Ter 4,12.14. Même diagnostic chez Ingrid HJELM, The Samaritans and Early Judaism, 2000, p. 206 ; Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, pp. 82-83 ; Jürgen ZANGENBERG, SAMAREIA, 1994, p. 96. Ueber die Schriften des Lukas, ein kritischer Versuch, Berlin, Reimer, 1817, pp. 159.161.165. Joseph A. FITZMYER, The Gospel according to Luke , I, 1981, p. 166. Chester C. MCCOWN, « The Geography of Luke’s Central Section », JBL 57, 1938, pp. 51-66. Morton S. ENSLIN, « The Samaritan Ministry and Mission », HUCA 51, 1980, pp. 2938.

202

L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

pensable de déterminer le portrait des Samaritains qui se dégage à la lecture du troisième évangile. Nous aborderons ainsi les trois péricopes samaritaines de Luc, en respectant leur ordre d’apparition. Lc 9, 51-56. La première occurrence des Samaritains dans l’évangile de Luc se situe à un moment-charnière de l’œuvre : le moment où Jésus prend résolument la route de Jérusalem. La première étape de ce cheminement vers la Ville sainte le conduit en effet dans un village de Samarie. Néanmoins, le bilan de cette percée samaritaine est négatif : les villageois n’accueillent pas Jésus. Motif invoqué : « car sa face était en route vers Jérusalem » (9, 53b). L’inhospitalité dont témoigne ce passage a été diversement interprétée par les lecteurs de Luc. Ce sont deux hypothèses principales qui sont en concurrence. D’un côté, on y a vu l’écho de la controverse sur le Temple qui divisait juifs et Samaritains au 1er s. ap. J.-C.30. En d’autres termes, c’est la polarisation du ministère de Jésus sur le Temple jérusalémite, jugé illégitime par la communauté du mont Garizim, qui serait la cause de cette rebuffade en terres samaritaines. Sur ce point, le témoignage de Flavius Josèphe a été invoqué : adorant Dieu au mont Garizim, les Samaritains menaient la vie dure aux pèlerins galiléens en route vers le Temple jérusalémite, comme en témoigne le massacre de Galiléens sous la procuratelle de Cumanus (Guerre des Juifs 2,232-247 ; Antiquités Juives 20,118-123)31. Lc 9, 51-56 serait donc à replacer au cœur de cette tension socio-religieuse. A cette lecture historicisante, certains exégètes ont opposé une interprétation théologique de cette rebuffade : le motif du refus signifié par les Samaritains ne serait pas socio-religieux, il serait tributaire de l’évaluation lucanienne de la Ville sainte 32. Dans le troisième évangile comme au seuil des Actes, Jérusalem est en effet le lieu incontournable de la révélation messianique de Jésus et le théâtre où doit s’accomplir le 30

31 32

Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas , 1999, pp. 204-238 ; François BOVON, L’Evangile selon Luc, II, 1996, p. 33, aussi note 19 ; Dennis HAMM, « What the Samaritan Leper Sees : The Narrative Christology of Luke 17 :11-19 », CBQ 56/2, 1994, p. 276 ; David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, p. 82 ; Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, pp. 126-127 ; F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, pp. 54-55 ; Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, 2008, p. 370. Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, p. 104. Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, pp. 123-124 ; F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, pp. 57-58.

6.4

La mission en Samarie (8, 5-25)

203

salut pour Israël (cf. Lc 1–2 ; 19–21 ; 23–24 ; Ac 1–2 ; 3, 1-26 ; etc.). Du coup, c’est le statut proprement christologique de Jésus et son rôle salvifique appelés à se révéler au cœur géographique de la foi juive qui seraient déniés dans cet épisode 33. Certains exégètes ont d’ailleurs comparé le refus des Samaritains à celui infligé au Jésus de Luc dans sa patrie de Nazareth (Lc 4, 16-30)34, puis ultérieurement à Jérusalem (Lc 19, 41-44)35. Bref, c’est une ligne narrative décrivant l’opposition unilatérale de tout Israël à l’encontre du Messie de Nazareth qui relierait la Galilée, la Samarie et la Judée 36. Comment trancher ? La première piste empruntée par la recherche exégétique pèche en présupposant un hors-texte connu du lectorat/de l’auditorat de Luc : la division au 1er siècle ap. J.-C. entre juifs et Samaritains sur la question du Temple. En d’autres termes, c’est la critique historique qui vient pallier une supposée carence informative du troisième évangile. Pourtant, c’est négliger l’explication suffisante de l’inhospitalité samaritaine livrée par le narrateur : « car sa face était en route vers Jérusalem » (9, 53b)37. La deuxième hypothèse de lecture semble sur ce point plus respectueuse du projet théologique de Luc : la clef herméneutique est à chercher dans l’appréciation lucanienne de Jérusalem comme lieu symbolique. Peu avant, en 9, 51, le commencement d’une nouvelle période dans le ministère du Nazaréen venait d’être notifié : la période de son enlèvement. Or, c’est à ce moment précis qu’il prend la route de la Ville

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F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, p. 58 : « […] it would also signify blatant repudiation of Jesus’ messiahship » ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, I, 1986, p. 230 : « […] thus they (les Samaritains) reject him because of a basic lack of understanding of the divinely determined destiny wich Jesus must fulfill in Jerusalem ». Voir notamment Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas, 1999, p. 214 ; Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, p. 102 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, I, 1986, p. 230. Cf. Pierre HAUDEBERT, « Le Samaritain-étranger (Lc 17,18) dans l’œuvre de Luc », dans Jean RIAUD (éd.), L'étranger dans la Bible et ses lectures (LeDiv 213), Paris, Cerf, 2007, p. 190. Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas, 1999, pp. 214-215 ; voir aussi plus loin, p. 238 : « Damit ist m.E. bei den Samaritai von Lk 9,51-56 in der Perspektive des Lukas an Israel gedacht – an einen besonderen Teil innerhalb Israels, der neben den auf Jerusalem hin orientierten Juden eine eigene – und wohl auch nicht unproblematische – Grösse bildete. Dann gehört aber auch diese Samarienerzählung in die in Lk 2,34 prophezeite Aufgabe Jesu, zum “Fall und zum Aufstehen für viele in Israel” und zur “Scheidung und Entscheidung” zu führen ». Cf. Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, p. 104.

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sainte. L’expression solennelle employée ici aujto;" to; provs wpon ejsthvrisen tou' poreuvesqai eij" jIerousalhvm est singulièrement proche de la motivation offerte au rejet samaritain : o{ti to; provswpon aujtou' h\n poreuovmenon eij" jIerousalhvm (9, 53b). La charge christologique de cette marche sur Jérusalem est immanquable (cf. Lc 19, 29-44)38, et c’est sur ce point sensible que porte le refus des Samaritains39. Le parallélisme établi avec la scène synagogale de Nazareth permet de renforcer cette hypothèse : autant au seuil de son ministère qu’au début de sa montée vers Jérusalem, lieu de son enlèvement, le Jésus lucanien voit sa prétention messianico-prophétique rejetée. A chaque fois d’ailleurs, le récit se clôt sur une notice similaire, signalant la poursuite de son itinérance (Lc 4, 30/9, 56). Au terme de ce voyage, le Christ de Luc subira le rejet unanime des Jérusalémites. Bref, autant les Nazaréens que les habitants d’un village samaritain opposent résistance à l’accomplissement du ministère du Jésus lucanien et préfigurent sa crucifixion à Jérusalem. Leur rejet vise moins la question de l’authentique lieu cultuel – qui n’est pas explicitement problématisée par le récit – que le statut messianique de Jésus et son rôle sotériologique pour Israël. En conséquence, la ligne du refus qui relie ces deux épisodes (Lc 4, 16-30/9, 5156) permet deux déductions : 1) l’opposition touche l’ensemble d’Israël40, à l’inclusion des schismatiques du Temple. Elle se manifestera en puissance dès Lc 19, 47 ; 2) en dépit de leur statut singulier, les Samaritains sont mis sur un pied d’égalité avec les juifs de Galilée ou de Jérusalem41. Cette évaluation socio-religieuse sera illustrée et confir38

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L’acclamation messianico-royale de Jésus en Lc 19, 29-40 offre une confirmation en miroir de notre lecture : à l’inhospitalité des Samaritains répondent ici les cris de joie et les louanges des disciples ; le rejet christologique des premiers fait place à une reconnaissance de l’identité messianique par les seconds ; de part et d’autre, Jérusalem reste l’horizon de l’itinérance du Nazaréen, explicitement qualifié de lieu de la visitation eschatologique (cf. 19, 44). Sur cette mise en regard de Lc 9, 51-56 et 19, 28-48, voir Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels. Studien zur Bedeutung des Tempelmotivs im lukanischen Doppelwerk (NTAbh 36), Münster, Aschendorff, 2000, p. 148, note 7. Bien formulé par Josef ERNST, Das Evangelium nach Lukas, 19936, p. 245 : « Die Bewohner der samaritanischen Stadt verweigern in der Sicht des Lk nicht nur dem jüdischen Jerusalempilger, sondern auch dem seiner “Aufnahme” (zum Kreuz und zur Verherrlichung) entgegenziehenden Messias die Gastfreundschaft ». Cf. Darrell L. BOCK, Luke, II, 1996, p. 970 : « Rejection of Jesus is widespread ». Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 124, nous semble livrer une interprétation fautive de ce passage, en qualifiant les Samaritains de « Jews who have gone astray », les comparant aux Sadducéens qui refusent la croyance en la ré-

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mée par les deux autres sections samaritaines de l’évangile lucanien : Lc 10, 25-37 et 17, 11-19. Lc 10, 25-37. La deuxième figure samaritaine surgit au cœur de la fameuse parabole sur l’amour du prochain : le comportement d’un Samaritain contraste ici avec celui d’un prêtre et d’un lévite. Sans faire l’exégèse complète de cette péricope, il en ressort un constat important : c’est le Samaritain qui est érigé par Jésus en modèle d’observance du double commandement d’amour, commandement fondé scripturairement (Dt 6, 5 pour l’amour de Dieu et Lv 19, 18 pour l’amour du prochain). Ici aussi, Luc souligne donc l’égalité entre juifs et Samaritains, non seulement au regard de la Torah, mais surtout dans l’ordre du salut – la question du légiste a effectivement trait à la vie éternelle (10, 25). Bref, le Samaritain de Lc 10 est campé en modèle d’obéissance à la Torah, obéissance lui assurant l’accès au salut promis pour Israël42. Un dernier point mérite attention : en 10, 36, le Samaritain est caractérisé à l’aide de l’adverbe plhsivon (cf. 10, 29). Or, le « prochain » (oJ plhsivon) qualifie dans la Septante le membre de la communauté d’Israël (Dt 4, 42 ; 5, 17 ; Lv 19, 18) 43. En revêtant le Samaritain de cette épithète, Luc accentue indéniablement la proximité entre juifs et Samaritains, revendiquant pour les seconds leur pleine appartenance au peuple choisi44. Lc 17, 11-19. Cette péricope relate la guérison merveilleuse de dix lépreux. Or, une fois purifiés, un seul d’entre eux, un Samaritain, revient vers Jésus, rendant gloire à Dieu. L’envoi des lépreux aux prêtres pour se soumettre à leur verdict autorisé (v. 14 ; cf. Lv 14, 2-32) a fait couler beaucoup d’encre parmi les exégètes : comment un Samaritain qui adore Dieu au mont Garizim peut-il recourir au rituel de purification des prêtres du Temple jérusalémite ? Des échappatoires ont été trouvées : on a vu dans le pluriel toi'" iJereu'sin du v. 14 (diff. Lv 13, 49, où un seul prêtre est requis pour la purification) l’allusion implicite à

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surrection. Bien que proches du monothéisme d’Israël, les Samaritains ne sont pas considérés chez Luc comme un parti interne au judaïsme du second Temple. Cf. Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, pp. 110-111. Johannes FICHTNER, « plhsivon », ThWNT VI, 1959, pp. 310-313 ; David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, p. 84, aussi note 55. Dans ce sens Vanmelitharayil J. SAMKUTTY, The Samaritan Mission in Acts, 2006, p. 114 : « By using a Samaritan in the role of a neighbour, Jesus transcends the racial and religious boundaries and puts both the Jews and Samaritans together as fellow Israelites ».

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deux castes sacerdotales, celle de Jérusalem et celle du Garizim45. Sans appui supplémentaire dans le texte lucanien, cette hypothèse reste néanmoins très fragile. Au contraire, loin de singulariser la démarche de purification du Samaritain, le récit souligne sa totale identité avec les neuf autres lépreux. Tous recourent à Jésus pour être guéris et tous se soumettent aux rituels de purification consignés en Lv 13–14. Jusqu’au v. 14, rien ne permet de différencier la démarche du Samaritain. A partir du v. 15 seulement, cette uniformité s’évanouit : un seul des dix lépreux revient vers Jésus, glorifiant Dieu. Le v. 16b notifiera quant à lui l’origine samaritaine de ce dernier. Ce que confirmera Jésus, en le qualifiant d’ajllogenhv" au v. 18. Qu’en conclure ? Comme dit, le traitement narratif des dix lépreux est en tous points semblable dans la première moitié du récit. Jusqu’au v. 14, ils forment un groupe monolithique. A l’unisson, ils implorent la pitié de Jésus (v. 13), lui reconnaissant une certaine forme d’autorité (cf. ejpistavta : « maître »). Sur l’ordre de Jésus, ils vont se montrer aux prêtres. Or, en chemin, ils sont purifiés (passivum divinum). Dès cet instant, la narration se focalise sur l’un d’entre eux. Cinq verbes vont caractériser sa démarche : tout d’abord, il voit (ijdwvn). Ensuite, il rebrousse chemin, retournant auprès de Jésus. Si uJp ostrevfein, un terme cher à l’écriture lucanienne, désigne au sens propre un retournement physique, il n’est pas sans évoquer le registre sémantique de la conversion46. Partant, la polysémie du vocabulaire embraye un processus de métaphorisation : le retour du Samaritain vers Jésus engage davantage qu’une simple volte-face spatiale ; il met en jeu un processus spirituel47. Le v. 19 viendra le confirmer, recourant à la catégorie de la pivsti". Sa conversion est d’ailleurs totale, comme le dévoilent les trois verbes finaux, tous em-

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Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas, 1999, p. 266 ; I. Howard MARSHALL, The Gospel of Luke : A Commentary on the Greek Text, 1978, p. 651. Cf. F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, p. 65, qui néanmoins confond ejpistrev fw et uJpostrev fw. François BOVON, L’Evangile selon Luc, II, 1996, p. 136 : « Le verbe uJpostrevf w a un sens local (le lépreux guéri revient sur ses pas). Mais, associé à la joie et à la louange, il suggère aussi une réalité spirituelle : le lépreux intériorise sa guérison, intensifie sa confiance initiale, approfondit sa foi et achève sa conversion » ; Josef ERNST, Das Evangelium nach Lukas, 19936, p. 366 : « Er kehrt um – das Wort meint sicher mehr als nur vordergründiges “Zurück-Gehen” zu Jesus ».

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preints d’une forte coloration cultuelle 48 : le lépreux loue Dieu d’une grande voix (meta; fwnh'" megavlh" doxavzwn), tombe face contre terre (e[pesen ejpi; provs wpon para; tou;" povda" aujtou') et rend grâce à Jésus (eujcaristw'n aujtw/'). Non seulement il se détourne de son passé, mais surtout il embrasse une nouvelle relation à Dieu médiatisée par le Christ49. On le voit, le retournement spatial se fait clairement retournement spirituel. En réaction à ce geste de conversion, Jésus lui déclare solennellement : « Ta foi t’a sauvé » (v. 19c). Bref, par-delà la purification physique, c’est le salut qui est offert à cet homme. Une question reste à éclaircir : le statut religieux du Samaritain. On l’a dit, la première partie du récit ne permet pas de le différencier des neuf autres malades. Au contraire, soumis aux règles de purification du Lévitique, le Samaritain est mis sur un total pied d’égalité avec les juifs du Temple. Pourtant au v. 18, Jésus va qualifier le Samaritain d’« étranger » (ajllogenhv"). Qu’est-ce à dire ? Vu que ce hapax néotestamentaire figurait sur une inscription du Temple d’Hérode interdisant – sous peine de mort – l’accès du parvis d’Israël aux nonjuifs50, on en a déduit que ce terme désignait les incirconcis. Partant, le Samaritain atteint de lèpre serait pour Luc un semi-païen, voire un païen51. C’est oublier la première partie du récit où Jésus renvoie indistinctement tous les lépreux vers les prêtres pour se faire purifier. C’est également ne pas faire de différence avec le terme ajllovfulo" servant à qualifier les païens en Ac 10, 28. L’usage septantique d’ajllogenhv" permet d’ailleurs d’affirmer que ce terme n’est pas une désignation techni-

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Cf. Dennis HAMM, « What the Samaritan Leper Sees : The Narrative Christology of Luke 17 :11-19 », 1994, pp. 283-284. Plusieurs lecteurs du passage y ont identifié des allusions implicites à la théologie du Temple. Le lépreux retournant vers Jésus en louant Dieu signifierait qu’il aurait trouvé en Jésus le lieu adéquat pour rendre un culte. Cf. Dennis HAMM, « What the Samaritan Leper Sees : The Narrative Christology of Luke 17 : 11-19 », 1994, pp. 273287. Mhqevna ajllogenh' eijsporeuv esqai ejnto" tou' peri; to; iJero; n trufavktou kai; peribovlou. o{" d’ a] n lhfqh/, eJa utw/' ai[tio" e[ stai dia; to; ejxakolouqei'n qavnaton. Texte cité d’après Adolf DEISSMANN, Licht vom Osten. Das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, Mohr, 19234, p. 63. Dans ce sens François BOVON, L’Evangile selon Luc, II, 1996, p. 140 ; Pierre HAUDEBERT, « Le Samaritain-étranger (Lc 17,18) dans l’œuvre de Luc », 2007, p. 188 ; Andreas LINDEMANN, « Samaria und Samaritaner im Neuen Testament », 1993, p. 60, note 37.

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que des païens52 : il est employé pour qualifier le prosélyte en Es 56, 3.6, le profane par opposition au lévite en Nb 1, 51 ou aux prêtres en Ex 29, 33 ; 30, 33, ou encore les infidèles au sein même de la communauté d’Israël en Ml 3, 19. Bref, sans être précisé par son contexte, le substantif ajllogenhv" signifie globalement « l’autre », « le marginal » 53. En Lc 17, 18, il souligne ainsi l’aliénation vécue par le Samaritain eu égard au référentiel juif. Pourtant, ce même récit le mettra au bénéfice du salut octroyé par Jésus à Israël. Il devient ainsi séduisant de lire cet épisode en écho à la prophétie d’Es 56, 3LXX : « Que l’ajllogenhv" , celui qui est dévoué pour le Seigneur, ne dise pas : “Il me séparera certainement, le Seigneur, de son peuple”. » (voir aussi Es 56, 6). En purifiant le lépreux de Samarie, Jésus a ainsi porté à son accomplissement cette prophétie ésaïenne, prédisant la restauration de tout Israël, marginaux du Temple inclus. De notre avis, cet épisode ne pose pas les fondements de la mission païenne des Actes, comme on l’a parfois supposé 54 ; il vise plutôt à symboliser dans le cadre restreint d’Israël l’inclusivisme du salut lié au ministère du Nazaréen : avec Jésus, même les parias du peuple choisi reçoivent guérison physique et rédemption spirituelle. 6.4.5

La Samarie en Ac 8

Il devient urgent de préciser le statut socio-religieux des Samaritains en Ac 8 : quelle fonction reçoivent-ils dans le programme ecclésiologique de Luc ? chaînons intermédiaires entre juifs et non-juifs ? population syncrétiste ? brebis perdues de la maison d’Israël ? héritiers légitimes du Royaume du Nord ? Deux lectures principales ont été défendues dans la recherche des cinquante dernières années : la lecture traditionnelle voit dans la Samarie et sa population une étape intermédiaire entre Israël et les nations païennes55. Localisée entre le martyre 52 53 54

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Ce terme sert à désigner les incirconcis notamment en Gn 12, 43 ; 17, 27 ; Lv 22, 25 ; Ez 44, 7.9 ; Jr 28, 51 ; 49, 17 ; Es 60, 10 ; 61, 5 ; etc. Voir le dossier constitué sur ce sujet par Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas , 1999, pp. 194-203. Par exemple Michael WOLTER, Das Lukasevangelium, 2008, p. 574, qui décèle dans ce récit une tonalité semblable à celle qui retentit dans la finale des Actes (28, 25-28) : refus du salut par le peuple juif et acceptation par les païens. Friedrich A VEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, pp. 214-215 ; Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 402 ; John BOWMAN, Samaritan Problem. Studies in the Relationships of Samaritanism, Judaism and Early

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d’Etienne, qui sonne le glas d’une concentration jérusalémite du récit, et la conversion de Saul, appelé à être l’évangéliste des païens, la mission samaritaine offrirait un chaînon bienvenu dans l’intrigue des Actes : à son habitude, Luc ménagerait une transition échelonnée entre le monde juif et l’univers gréco-romain. Cette position mi-juive mipaïenne de la Samarie a d’ailleurs reçu confirmation du témoignage de Flavius Josèphe. « D’humeur versatile, lorsqu’ils voient les Juifs prospérer, ils [les Samaritains] les appellent leurs parents, étant issus de Joseph, en qui ils trouvent l’origine de leur parenté ; les voient-ils péricliter, ils prétendent n’avoir rien en commun avec les Juifs et n’être tenus envers eux par aucun lien d’amitié ou de race, mais se déclarent des étrangers domiciliés » 56, nous apprend-il (Antiquités Juives 9,291). Une autre voie exégétique a été ouverte par les thèses de Jacob Jervell sur le judaïsme des Actes57 : ni préfigurations, ni prémices du monde païen, les Samaritains ne s’inscrivent pas dans l’essor missionnaire aux confins de la terre 58. A l’instar des Sadducéens qui rejettent l’idée de résurrection des morts, ils seraient à considérer comme des juifs déviants59. Bref, le propos d’Ac 8 ne serait pas de montrer le débordement universaliste de l’Evangile par-delà les frontières du judaïsme. Ce qui intéresserait l’auteur à Théophile, c’est au contraire le statut spécifique des Samaritains à l’intérieur d’Israël. Ces deux lectures, diamétralement opposées dans leur appréciation du rôle imparti aux Samaritains dans le projet lucanien, se recommandent toutes deux d’arguments convaincants. D’un côté, l’évangélisation de la Samarie consonne indéniablement avec le programme universaliste de témoignage installé en Ac 1, 8 : « […] vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie,

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Christianity, Pittsburgh, The Pickwick Press, 1975, p. 70 ; Hans-Josef KLAUCK, Magie und Heidentum in der Apostelgeschichte des Lukas, 1996, pp. 24-25 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 283 ; Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 272 ; Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, pp. 148150. Traduction citée d’après Théodore REINACH, Œuvres complètes de Flavius Josèphe , t. 2, 1926, p. 302. Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, pp. 113-132 ; ID., Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 266-267. Voir aussi Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas , 1999 ; David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, pp. 72-106. Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 123 : « […] it is meaningless to speak about a Samaritan mission as a transition to the Gentile mission ». Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 124.

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L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

et jusqu’aux extrémités de la terre ». On ne peut nier que la Samarie constitue pour Luc une borne importante dans le scénario géographique de la mission. La réduplication du binôme Judée–Samarie en 8, 1b est à cet effet un écho immanquable à la prophétie du Ressuscité. A n’en pas douter, l’évangélisation samaritaine occupe une fonction stratégique dans l’intrigue des Actes : scander le passage du monde juif à l’univers païen. En effet, les Samaritains au pedigree incertain, louvoyant entre attachement au messianisme d’Israël (8, 5b.12a) et séduction syncrétiste (8, 9-11), incarnent à merveille cette étape transitoire. Cela dit, plusieurs particularités de cette phase missionnaire ne peuvent manquer d’éveiller la curiosité du lecteur : à la différence de la conversion du païen Corneille, aucune justification théologique n’est requise pour offrir le baptême aux Samaritains. La régie divine de l’épisode est d’ailleurs nulle60. Bref, le statut religieux des Samaritains n’est pas problématisé par la narration. A l’inverse, la pratique missionnaire qui s’y loge ressemble en tous points à la mission juive d’Ac 2–5 : proclamation du Christ (8, 5b ; cf. 5, 42) ; annonce de la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu et du nom de Jésus (8, 12a ; cf. 5, 42) ; activité thaumaturgique (8, 6b-7.13b ; cf. 2, 22.43 ; 3, 1-11 ; 4, 30 ; 5, 12.1516) ; joie (8, 8 ; cf. 2, 46b) et baptême (8, 12b ; cf. 2, 41) des récipiendaires ; imposition des mains et don de l’Esprit (8, 17 ; cf. 2, 1-13 ; 4, 31) ; succès missionnaires (8, 6a.12.14a ; cf. 2, 41.47b ; 4, 4 ; 4, 32a ; 5, 14.16 ; 6, 1a.7). Bref, la mission qui se déploie, à partir d’Ac 8, 1, « dans les contrées de la Judée et de la Samarie » prolonge l’évangélisation réalisée à Jérusalem. Le même succès est au rendez-vous. La notice éditoriale consignée en 9, 31 le redira : « Donc l’Eglise, par toute la Judée, Galilée et Samarie, avait la paix, s’édifiant et marchant par la crainte du Seigneur ; et par l’encouragement du saint Esprit, elle se multipliait ». Ce sommaire de croissance dévoile trois données importantes pour la mission samaritaine d’Ac 8 : 1) elle est une réussite manifeste, favorisant la multiplication ecclésiale ; 2) la Samarie est ici mentionnée avec les régions de Galilée et de Judée. Pour Luc, ces trois contrées géographiques forment vraisemblablement un tout61. Aucune différence 60 61

Cf. David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, pp. 92-93 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 103. Jacob JERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 122 : « Here Galilee, Judea, and Samaria constitute a unity separated from the rest of the world where “the nation” are found ».

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ethnico-religieuse entre ces territoires n’est notifiée 62. Au reste, la triade Galilée–Samarie–Judée nommée ici prend le contre-pied du refus généralisé opposé à Jésus dans le troisième évangile (Lc 4, 16-30 [Galilée] ; 9, 51-56 [Samarie] ; 19, 41-44 [Judée]) ; 3) les sommaires des Actes ont pour fonction d’offrir une pause dans le récit ou un bilan synthétique. La valeur conclusive de 9, 31 est explicitement signalée par le ou\n qui l’introduit. Quelle synthèse cette notice offre-t-elle de la séquence inaugurée en 8, 1 ? L’Eglise croît dans l’ensemble d’Israël (Judée, Galilée et Samarie). Les conversions en masse en témoignent. Avant que le récit ne se tourne vers les païens (10, 1 ; 11, 20), le narrateur souligne ainsi le large écho reçu par la Parole auprès du peuple d’Israël tout entier, Judéens, Galiléens et Samaritains confondus. La piste interprétative empruntée par Jacob Jervell devient ainsi plausible : la mission samaritaine ne se limite pas à préfigurer le dépassement des barrières religieuses et ethniques d’Israël, en incarnant un entre-deux entre Jérusalem et Rome – quand bien même cette lecture n’est pas fautive. Narrativement, cette étape s’inscrit encore dans l’annonce de l’Evangile à Israël. Certes, il est excessif d’affirmer, à l’instar de Jervell, que les Samaritains constituent une simple secte juive comparable aux Sadducéens63. Néanmoins, notre parcours des Samaritains du troisième évangile nous a permis de recueillir les grands traits de leur portrait chez Luc : fidèles observateurs de la Loi, exemples de foi, ils sont souvent rapprochés de leurs frères ennemis juifs. Ils sont d’ailleurs mis au bénéfice du salut annoncé dans l’Evangile de l’enfance et promis à Israël (Lc 1, 54.68.71.77 ; 2, 11.25.30.34a.38). Ces éléments réunis invitent à les considérer comme des Israélites non-judéens, malgré leur exclusion du Temple. Une seule fausse note pourrait troubler cette symphonie : l’appellatif ajllogenhv" assigné par Jésus au Samaritain de Lc 17. Mais comme nous l’avons vu, cette désignation n’oblige pas à une paganisation des Samaritains. Il signale plus probablement leur statut de marginalité au sein d’Israël. Bref, la mission d’Ac 8, 5-25 62

63

Cf. Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas , 1999, p. 304, note 483. Contra Andreas LINDEMANN, « Samaria und Samaritaner im Neuen Testament », 1993, p. 65, qui juge que le report de la Samarie en fin de liste, alors que géographiquement elle serait à situer entre la Judée et la Galilée, trahit implicitement son statut d’exception. Nous acquiesçons à la position nuancée défendue par Richard J. COGGINS, « The Samaritans and Acts », 1982, pp. 431-432.

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doit être lue à l’aune du « relèvement de nombreux en Israël » prophétisé dans le Nunc Dimittis (Lc 2, 34a) et du rétablissement « du royaume pour Israël » questionné par les disciples au seuil des Actes (1, 6)64. En effet, comment cette restauration de tout Israël serait-elle possible sans la participation des Samaritains ? qui mieux qu’eux pouvait prétendre au 1er siècle ap. J.-C. au statut d’héritiers légitimes du royaume du Nord65 ? On le voit, cette percée évangélisatrice en Samarie, menée par Philippe l’Helléniste, constitue non seulement une borne intermédiaire sur la route universelle qui mène au cœur de l’Empire, mais également l’occasion d’accomplir la restauration d’Israël par l’adjonction au peuple choisi des schismatiques du Nord. Cette réunification des douze tribus constitue dans les traditions prophétique et apocalyptique juives une donnée importante des espérances eschatologiques d’Israël66. Et, l’on sait depuis le début des Actes (1, 6-8 ; 1, 15-26), l’importance de cette promesse pour l’avenir de la chrétienté lucanienne. D’ailleurs, dans sa dernière apologie face à Agrippa et Festus, Paul dira endosser une espérance faite à l’Israël des douze tribus (26, 67). C’est incontestablement à l’horizon du grand royaume salomonien que l’Eglise des Actes conçoit son identité.

64

65

66

Voir dans ce sens Martina BÖHM, Samarien und die Samaritai bei Lukas , 1999, p. 304 : « Schon die Parallelisierung mit Judäa in Act 8,1 zeigt, dass in Act 8,4ff. noch von keinem irgendwie gearteten Übergang zur Heidenmission die Rede sein kann, sondern dass es – getreu dem Act 1,6-8 zugrundeliegenden eigentlichen “Programmwort” Jes 49,6 – um die verheissene Aufrichtung der Stämme Jakobs und Sammlung Israels geht » ; voir aussi la note 483. Cf. David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, p. 99 : « Luke’s view of the Samaritans was very probably conditioned by the Jewish side of the division, but it was also strongly influenced by Samaritan claims to be the true descendants of the northern tribes. We have seen that some rabbinical writings give a grudging acknowledgment of that claim and, for Luke, Samaritans were the only possible candidates for that role, however doubtful it might have seemed to him ». Cf. Es 11, 11-13 ; 49, 6-7 ; Jr 31, 10-11 ; Ez 37, 15-17.21-23 ; 48, 30-35 ; Za 10, 6 ; 4 Esd 13,40-48 ; 2 Ba 77–78. Consulter à ce sujet David E. AUNE, « From the Idealized Past to the Imaginary Future. Eschatological Restoration in Jewish Apocalyptic Literature », dans ID., Apocalypticism, Prophecy and Magic in Early Christianity. Collected Essays (WUNT 199), Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, pp. 22-26.

6.4

6.4.6

La mission en Samarie (8, 5-25)

213

Conclusion : les Samaritains dans l’ecclésiologie lucanienne

Dans la recherche consacrée à Ac 8, la Samarie a été doublement appréciée par les exégètes de Luc : zone frontière entre judaïsme et paganisme, elle incarne tout d’abord une étape importante dans l’essor missionnaire des Actes. Pour preuve, l’unique borne géographique entre la Judée et les confins du monde notifiée dans le programme missionnaire du Ressuscité (Ac 1, 8) n’est autre que la Samarie. Entre-deux géographique, mais aussi religieux : fidèles observateurs de la Torah, exemples de foi, bénéficiaires du salut d’Israël, les Samaritains, centrés sur le mont Garizim, n’en sont pas moins guettés par la séduction syncrétiste, comme en témoigne le succès récolté par Simon le mage. A l’instar de Flavius Josèphe ou des traditions rabbiniques, Luc a volontairement croqué un portrait en clair-osbcur des habitants de Samarie, offrant une transition échelonnée entre le peuple juif et les nations païennes. Sur le plan de l’ecclésiologie, les retombées sont évidentes : concrétiser l’universalisme ecclésial programmé en Ac 2. La communauté chrétienne s’édifie par-delà les barrières sociales, ethniques et religieuses, intégrant dès Ac 8, 5-25 les schismatiques du Temple au passé sulfureux. Mais une autre image des Samaritains traverse également le diptyque Lc–Ac : celle d’une communauté religieuse interne à l’Israël des douze tribus, malgré sa bâtardise. D’ailleurs, la poussée missionnaire en Samarie, conduite tambour battant par Philippe, n’exigera ni justification théologique, ni pression divine. L’évangélisation de la Samarie s’inscrit au contraire dans le giron de la proclamation apostolique faite à tout Israël. En clair : lieu de brassage ethnique et religieux, la Samarie n’est en pas moins l’héritière des tribus du Nord. Or, la réunification des douze tribus d’Israël et la recomposition de ses deux royaumes sont des espérances importantes de l’eschatologie juive, tant vétérotestamentaire qu’intertestamentaire. Luc y a été sensible. Se proposant de relater la restauration idéale d’Israël, il ne pouvait manquer d’y associer les prétendants favoris à l’héritage d’Ephraïm et de Manassé. Bref, l’Eglise des Actes se comprend non seulement comme une Eglise universelle appelée à dépasser les barrières religieuses et raciales, mais incarne conjointement l’Israël recomposé, qui réunit en son sein les frères ennemis du peuple choisi. C’est à la lumière de ce double horizon qu’il s’agit de considérer les Samaritains d’Ac 8.

214

L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

6.5 L’eunuque d’Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40) 6.5.1

Bibliographie

Friedrich AVEMARIE, Die Tauferzählungen in der Apostelgeschichte (WUNT 139), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, pp. 267-294.–Joseph A. GRASSI, « Emmaus Revisited (Luke 24, 13-35 and Acts 8, 26-40) », CBQ 26, 1964, pp. 463-467.–Erich DINKLER, « Philippus und der ANHR AIQIOY (Apg 8,26-40). Historische und geographische Bemerkungen zum Missionsablauf nach Lukas », dans Jesus und Paulus. Festschrift W.G. Kümmel, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1975, pp. 8595.–Patrick FABIEN, Philippe « l'évangéliste » au tournant de la mission dans les Actes des apôtres. Philippe, Simon le magicien et l'eunuque éthiopien (LeDiv 232), Paris, Cerf, 2010.–Beverly Roberts GAVENTA, From Darkness to Light. Aspects of Conversion in the New Testament (Overtures to Biblical Theology 20), Philadelphia, Fortress Press, 1986, pp. 98-107.–Hans-Josef KLAUCK, Magie und Heidentum in der Apostelgeschichte des Lukas (SBS 167), Stuttgart, KBW, 1996, pp. 39-42.– Andreas LINDEMANN, « Der “Aethiopische Eunuch” und die Anfänge der Mission unter den Völkern nach Apg 8–11 », dans Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher (AGJU 57), Leiden, Brill, 2004, pp. 109-133.–Coert H. LINDIJER, « Two Creative Encounters in the Work of Luke. Luke xxiv 13-35 and Acts viii 26-40 », dans Tjitze BAARDA et alii (éds), Miscellanea Neotestamentica (NTS 48), Leiden, Brill, 1978, pp. 77-85.–Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », dans Early Christian Voices. Essays in Honor of F. Bovon (BIS 66), Boston, Brill, 2003, pp. 119-130.–Paul DE MEESTER, « “Philippe et l’eunuque éthiopien” ou “le baptême d’un pèlerin de Nubie” ? », NRTh 103, 1981, pp. 360-374.–David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus (WUNT 2.130), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, pp. 140-142.–F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts (JSNT.SS 67), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1992, pp. 128-187.–ID., « The Ethiopian Eunuch and His Bible », BTB 22, 1992, pp. 155-165.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), Berlin/New York, de Gruyter, 1998, pp. 258261.

6.5

L’eunuque d’Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40)

6.5.2

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Remarques préliminaires

Comme nous l’avons démontré ci-dessus, le baptême du Nubien a été littérairement soudé à la mission samaritaine : le chapitre 8 des Actes se présente indiscutablement comme une séquence en deux volets. Or, au vu de l’importante dimension ecclésiologique conférée par Luc à l’évangélisation samaritaine, il devient intéressant de questionner l’épisode de l’eunuque sous cet angle : Ac 8, 26-40 joue-t-il également un rôle dans la construction identitaire de l’Eglise, ou cette péricope répond-elle à une autre visée rhétorique ? C’est à cette question que nous consacrerons ce paragraphe. 6.5.3

L’Ethiopien : juif, prosélyte ou craignant-Dieu ?

Une première observation s’impose : comme les Samaritains, l’eunuque d’Ethiopie est un exclu du Temple. Sa mutilation lui ravit en effet le droit de fouler le parvis d’Israël dans l’organisation spatiale du second Temple. La législation deutéronomiste est à cet égard implacable : « L’homme mutilé par écrasement et l’homme à la verge coupée n’entreront pas dans l’assemblée du Seigneur » (Dt 23, 2). De fait, il est relégué au niveau des incirconcis. Pourtant, le texte d’Ac 8 ne souffle mot du statut religieux de l’Ethiopien. D’où l’excitation exégétique qui a gagné les lecteurs de Luc : est-il païen ? craignant-Dieu ? prosélyte ? juif de la dispersion ? Tour à tour, ces différentes options religieuses ont été plébiscitées dans la recherche : cette conversion a été considérée comme la préfiguration de la mission païenne 67, certains exégètes faisant même de l’eunuque le premier gentil baptisé 68. Dans ce sens, Ac 8, 26-40 a été souvent tenu pour une tradition helléniste concurrente de la conversion du païen Corneille 69. D’autres au contraire ont rapproché 67 68

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Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, p. 159 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 55. F. Scott SPENCER, The Portrait of Philip in Acts, 1992, pp. 186-187 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1994, pp. 109-112. Auparavant déjà EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique 2,1,13 : « Cet officier, le premier d’entre les Gentils, fut rendu par Philippe, grâce à une manifestation, participant des mystères du Verbe divin ; il devint les prémices des croyants de l’univers […] ». Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 420 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 55 ; Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 304-305 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 138-139 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 498.

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L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

cette figure étrangère des prosélytes appelés en pèlerinage à Jérusalem70, ou en ont fait un juif de la diaspora 71, à l’instar des juifs hellénisés signalés en Ac 9, 29. Finalement, l’eunuque éthiopien a aussi été assimilé à la catégorie des craignant-Dieu bien attestée chez Luc (Ac 10, 2 ; 13, 16.26 ; cf. 18, 7) 72. Comment trancher ? Que Luc ait recueilli une tradition helléniste relatant la conversion du premier païen semble une hypothèse probable. Cela ne revient pas encore à fixer l’eunuque d’Ac 8 au rang de non-juif. Avant de foncer tête baissée sur l’une ou l’autre de ces propositions, il faut de notre avis prendre au sérieux le silence lucanien sur ce point. Ce n’est assurément pas par manque d’information, ni par inconséquence littéraire 73. A d’autres occasions, le narrateur prend le soin de préciser le profil socioreligieux de ses protagonistes : Corneille est d’emblée campé en craignant-Dieu (Ac 10, 1-2), autrement dit en non-juif sympathisant de la foi d’Israël. Tel n’est pas le cas pour le pedigree de l’Ethiopien. Ce silence est d’autant plus frappant qu’il côtoie un portrait très détaillé du personnage. Pas moins de six qualificatifs le décrivent : 1) c’est un homme de sexe masculin (ajnhvr) ; 2) Il est éthiopien. Etymologiquement, l’Ethiopien (Aijqivoy), c’est l’homme à la « face brûlée », au « visage de feu » (< aijq ov", hv, ovn = brûlé, de la couleur du feu, d’un rouge sombre ; oJ w[y = le visage , l’aspect ; cf. HÉRODOTE, Histoires 2,29) : l’homme est donc de peau sombre, c’est un Noir. C’est d’ailleurs cette caractéristique physique, parfois associée aux cheveux frisés, qui servait dans la littérature antique de description courante à cette peuplade, souvent vantée pour sa grande beauté (cf. HÉRODOTE, Histoires 2,22 ; 3,20.101 ; 7,70 ; P HILOSTRATE, Vie d’Apollonius 4,1)74. Quant à l’Ethiopie, l’actuel Soudan, elle passait au premier siècle pour être un 70

71 72 73 74

Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 271 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 289. Cette hypothèse a été réfutée par Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 424-425, qui la juge incompatible avec le handicap physique du personnage. Selon Barrett en effet, un eunuque ne pouvait de par sa mutilation en aucun cas devenir prosélyte. Par exemple Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, pp. 410.412, qui toutefois n’exclut pas l’hypothèse qu’il puisse également s’agir d’un prosélyte. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 424-426 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 140. Bien noté par David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus , 2000, p. 141 et Friedrich A VEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, p. 67. Erich DINKLER, « Philippus und der ANHR AIQIOY (Apg 8,26-40). Historische und geographische Bemerkungen zum Missionsablauf nach Lukas », 1975, pp. 90-91.

6.5

L’eunuque d’Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40)

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bout du monde, une marge de la terre 75, teintée d’exotisme et habitée de peuples barbares (cf. HOMÈRE, Odyssée 1,21s ; HORACE, Odes et épodes 3,45-48 ; STRABON, Géographie 1,1,6 ; 17,2,1 ; HÉRODOTE, Histoires 3,114 ; Es 43, 3.6 ; Ez 29, 10)76. Sujet très prisé des auteurs grécoromains, l’Ethiopie avait ainsi accédé, depuis l’exploration des sources du Nil sous Néron (61/62 ap. J.-C.) 77, au rang de topos propice à exciter l’imaginaire d’un lectorat hellénisé 78. Luc n’a donc assurément pas choisi au hasard cette provenance géographique, qui fait si bien résonner « les confins de la terre » (e[scaton th'" gh'"), destination ultime de la mission chrétienne 79. A cette première explication s’ajoute une seconde : l’Ethiopie est souvent associée dans la Septante au pèlerinage eschatologique des peuples de la terre au mont Sion (cf. Es 11, 11 ; 18, 7 ; So 3, 9-10 ; Ps 68, 32) 80. Nous y reviendrons au point 6 ; 3) il est affublé du terme eujnou'co". L’analyse sémantique de ce terme divise les exégètes : deux acceptions du vocable sont en concurrence. Certains y voient la désignation du handicap physique dont souffrait l’Ethiopien81.

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79 80 81

Cf. Paul DE MEESTER, « “Philippe et l’eunuque éthiopien” ou “le baptême d’un pèlerin de Nubie” ? », 1981, p. 362 : « Depuis toujours les Ethiopiens passaient pour habiter les confins de l’oikoumenè ». Dans la cartographie des Grecs, l’oikoumenè se présentait sous une forme ovale ou rectangulaire, ceinturée d’océans et centrée sur la Grèce. Les bordures du monde, quant à elles, étaient peuplées de barbares et de terres exotiques. Dans cette Weltanschauung, l’Ethiopie héritait souvent du rôle de marge méridionale. Sur ce sujet Edward Herbert BUNBURY, A History of Ancient Geography among the Greeks and Romans from the Earliest Ages till the Fall of the Roman Empire, Amsterdam, Meridian, 1979 ; voir aussi le dossier littéraire rassemblé par E. Earle ELLIS, « “Das Ende der Erde” (Apg 1,8) », dans Claus BUSSMANN, Walter RADL (éds), Der Treue Gottes trauen. Beiträge zum Werk des Lukas. Festschrift G. Schneider, Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1991, pp. 279-281. PLINE L’A NCIEN, Histoire naturelle 6,181-188 ; SÉNÈQUE, Questions naturelles 6,8,3-4 ; cf. Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, p. 13 : « Spätestens seit der neronischen Nilquellen-Expedition (61–62 n. Chr.) war das Interesse an Nachrichten über Aethiopien so gestiegen, dass seine Befriedigung literaturfähig geworden war und dass man über dieses Thema selbst dann schreiben konnte, wenn man sachlich Neues dazu nicht mehr beizutragen hatte ». Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 55 ; Erich DINKLER, « Philippus und der ANHR AIQIOY (Apg 8,26-40). Historische und geographische Bemerkungen zum Missionsablauf nach Lukas », 1975, pp. 90-91 ; Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, p. 128. Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, I, 1980, p. 499 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 108-109. Voir Friedrich AVEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, p. 282. F. Scott SPENCER, « The Ethiopian Eunuch and His Bible », 1992, p. 156.

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Il s’agirait ainsi d’un castrat, d’un mutilé sexuel. Ce terme (en hébreu ) possède cette signification en Es 56, 3-4 ; Sg 3, 14 ; Si 20, 4 ; 30, 20 ; Mt 19, 12. La tradition rabbinique, elle aussi, interprète le terme  dans un sens physique/biologique. D’autres ont préféré rapprocher eujnou'c o" du terme dunavs th", faisant de l’eunuque un titre strictement officiel82. L’homme serait donc un fonctionnaire de la cour royale. Des précédents ont été répertoriés en Gn 39, 1 ; 40, 1-2.7 ; 2 R 24, 12 ; 1 Ch 18, 8 ; etc. Il a été finalement signalé que les deux sens pouvaient se superposer, comme en témoignent certaines attestations du rouleau d’Esther (Est 2, 3.14 ; 4, 4-5 ; etc.) 83. Quel usage Luc a-t-il fait de ce terme indéniablement polysémique ? Il s’agit de considérer la juxtaposition eujnou'c o" / dunavsth" du v. 27b. dunavsth" vise-t-il à neutraliser la polysémie d’eujnou'c o", en l’explicitant84 ? Dans ce cas, l’auteur à Théophile aurait pu tout aussi bien renoncer à eujnou'co". Sa récurrence en Ac 8 (vv. 27b.34a.36c.38b.39b) fait pencher pour une autre solution : l’intention lucanienne est de produire un fort contraste dans le portrait du dignitaire éthiopien. eujnou'c o" désigne donc selon toute vraisemblance un être castré, catégorie sociale particulièrement méprisée et raillée dans le monde antique 85. A l’opprobre sociale s’ajoutait également la discrimination religieuse : en raison de leur impureté rituelle, les eunuques étaient exclus de l’assemblée d’Israël (Dt 23, 2 ; PHILON, De Specialibus Legibus 1,324-325), et, partant, interdits de sacerdoce (Lv 21, 16-20). Cet ostracisme pratiqué dans nombre de cultures anciennes tient à plusieurs facteurs : le brouillage de la barrière entre les genres ; l’atteinte à l’intégrité corporelle ; l’aspect efféminé des castrés ; leur incapacité à procréer ; la blessure de l’imago Dei ; etc. Bref, l’homme venu d’Ethiopie allie dans son pedigree pouvoir et fragilité, autorité et exclusion86 ; 4) le quatrième trait de son portrait souligne en effet sa grande autorité. L’homme est un dunavsth". En d’autres termes : c’est un dignitaire, un homme de pouvoir. En lui-même, ce terme ne

82 83 84 85 86

Paul DE MEESTER, « “Philippe et l’eunuque éthiopien” ou “le baptême d’un pèlerin de Nubie” ? », 1981, p. 363. Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, p. 126, aussi note 19. Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 289. Cf. LUCIEN DE SAMOSATE, L’eunuque 6. Voir sur le sujet F. Scott SPENCER, « The Ethiopian Eunuch and His Bible », 1992, pp. 155-165. Un même contraste caractérise le portrait du général syrien Naamân en Lc 4, 27.

6.5

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renferme pas une signification bien précise ; il évolue en fonction de son contexte d’utilisation. Le lieu d’exercice de cette autorité est la cour de la Candace, titre de la reine(-mère) d’Ethiopie 87 ; 5) la proposition relative qui suit précise quelque peu son office : o}" h\n ejpi; pavs h" th'" gavz h" aujth'". Son pouvoir s’étend sur l’ensemble du trésor royal. L’Ethiopien est de ce fait un haut fonctionnaire comparable à un ministre des finances ou à un grand argentier88 ; 6) la seconde proposition relative est l’unique indice relatif au statut religieux du castrat d’Ethiopie : o}" ejl hluvqei proskunhvs wn eij" jIerousalhvm. Jérusalem et son Temple étaient les buts de son voyage. Son pèlerinage accompli, il s’en retourne vers sa lointaine Nubie. Le verbe proskunevw a attisé l’intérêt des exégètes : ce verbe qualifie religieusement le voyage de l’Ethiopien. Il l’affilie aux trois pèlerinages vers la Ville sainte recommandés aux juifs ou aux prosélytes (à Pentecôte, à Pâque et lors de la fête des tentes), et dont le but ultime était de pénétrer dans la cour du Temple pour y présenter une offrande (Dt 16, 16-17). C’est dans des termes similaires que Paul résume le sens de sa montée à Jérusalem en Ac 24, 11 : ajnevbhn proskunhvs wn eij" jIerousalhvm 89. Sur cette base, il en a été déduit que l’eunuque d’Ethiopie devait être juif ou pour le moins prosélyte 90. Cette conclusion nous semble néanmoins hâtive : ce qui intéresse Luc, ce n’est pas tant le statut religieux que présuppose ce pèlerinage, mais le fait en lui-même. L’homme est un pèlerin étranger venu adorer Dieu au Temple de Jérusalem91. L’attractivité du sanctuaire jérusalémite dépassait d’ailleurs largement les seuls juifs ou prosélytes, comme en témoigne Flavius Josèphe (Antiquités Juives 3,318 ; 11,331.336 [Alexandre le Grand] ; Guerre des Juifs 4,272-275) ou encore

87

88

89 90 91

Erich DINKLER, « Philippus und der ANHR AIQIOY (Apg 8,26-40). Historische und geographische Bemerkungen zum Missionsablauf nach Lukas », 1975, p. 93 et note 40 ; Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, p. 12. Cf. Paul DE MEESTER, « “Philippe et l’eunuque éthiopien” ou “le baptême d’un pèlerin de Nubie” ? », 1981, p. 364 ; F. Scott SPENCER, « The Ethiopian Eunuch and His Bible », 1992, p. 155 ; Andreas LINDEMANN, « Der “Aethiopische Eunuch” und die Anfänge der Mission unter den Völkern nach Apg 8–11 », 2004, p. 124. Voir à ce sujet Heiner GANSER-K ERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 87. Friedrich A VEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, pp. 63-65. Cf. Beverly Roberts GAVENTA, From Darkness to Light, 1986, p. 104 : « Thus, worshiping in Jerusalem merely indicates the receptivity of this particular individual ».

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le quatrième évangile (Jn 12, 20) 92. A cela s’ajoute une dimension supplémentaire : proskunevw est l’un des verbes employés pour parler du pèlerinage eschatologique des nations païennes au mont Sion93. Bref, le voyage de l’Ethiopien dévoile deux données de son statut religieux, sans le clarifier totalement : 1) c’est un sympathisant du judaïsme, attiré par son Temple au point d’entreprendre un pèlerinage depuis les confins de la terre. Son intérêt pour la foi d’Israël l’a également conduit à acquérir un rouleau d’Esaïe, qu’il lit sur le chemin du retour (v. 30a) ; 2) son voyage au centre géographique de la foi juive s’apparente au pèlerinage eschatologique des nations païennes au mont Sion. Au terme de ce parcours, il nous faut reprendre notre question initiale : quel statut religieux Luc octroie-t-il à l’eunuque d’Ethiopie ? Directement, rien n’est dévoilé de son identité religieuse. Ce silence est stratégique : Luc souhaite réserver l’éclatement du particularisme juif à la conversion du païen Corneille. Il ne peut donc en faire ouvertement un Gentil. Indirectement plusieurs éléments sont apparus par le biais du showing : 1) l’homme est un exclu de l’assemblée d’Israël en raison de sa castration. Motif invoqué : Dieu a appelé ses créatures à procréer et à se multiplier (Gn 1, 28 ; cf. FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 4,290-291) ; 2) l’usage du verbe proskunevw nous a conduit à le considérer comme un sympathisant d’Israël, prêt à entreprendre un long pèlerinage vers la Ville sainte. Qui plus est, son voyage au Temple jérusalémite fait résonner l’attente eschatologique d’une convergence des païens au mont Sion. Bref, en bute à l’exclusion actuelle du Temple, l’Ethiopien peut espérer intégrer l’Israël de la fin des temps. Il devient ici séduisant de faire valoir la prophétie d’Es 56, 3-5LXX souvent rapprochée du récit d’Ac 8 94. Cette prophétie prédit en effet l’inclusion des étrangers et des eunuques dans le peuple de l’alliance : « Que l’étranger, celui qui est dévoué pour le Seigneur, ne dise pas : “Il me séparera certainement, le Seigneur, de son peuple.” Et que l’eunuque ne dise pas : “Moi, je suis un arbre sec.” Voici ce que dit le Seigneur : 92

93 94

Voir dans ce sens Shmuel SAFRAI, Die Wallfahrt im Zeitalter des Zweiten Tempels (Forschungen zum jüdisch-christlichen Dialog 3), Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1981. Cf. Ps 21, 28LXX ; 65, 4LXX ; 71, 11LXX ; 85, 9LXX ; Es 27, 13 ; 45, 14 ; 66, 23. David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 141 ; David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, pp. 359-360 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 109.

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“Aux eunuques, ceux qui gardent mes sabbats, qui choisissent de faire ce que moi je veux, et qui s’attachent à mon alliance, je leur donnerai dans ma maison et dans mon enceinte un endroit renommé, mieux que des fils et des filles, je leur donnerai un nom éternel, et il ne disparaîtra pas ». Castré et d’origine étrangère, l’Ethiopien remplit les deux conditions régissant cette prophétie eschatologique. Dit autrement, horscaste situé dans l’orbite du judaïsme, l’eunuque de Nubie est appelé à intégrer l’Israël des temps derniers. C’est donc en écho au programme ésaïen de Nouvel Exode (Es 56, 3-5) ou plus globalement à l’espérance juive d’un rétablissement final du peuple choisi qu’il s’agit de lire l’épisode d’Ac 8, 26-4095. 6.5.4

L’intégration par l’Ecriture et le baptême

La rencontre qui se joue dans ce lieu désert de la route de Gaza se décline en deux temps : un premier temps axé sur l’interprétation des Ecritures (8, 29-35), un autre centré sur l’acte du baptême (8, 36.38). Commençons par la geste herméneutique du témoin Philippe. Comme le Ressuscité sur le chemin d’Emmaüs (Lc 24, 13-35), c’est lui qui embraye la conversation par une question à son interlocuteur : « connaistu ce que tu lis ? », interroge l’Helléniste au v. 30b (cf. Lc 24, 17)96. Le diagnostic d’incompréhension en est de part et d’autre la résultante : en Lc 24, 25-26, c’est le choc de la croix que les deux compagnons n’arrivent pas à intégrer dans le plan divin ; ici, c’est le sens même de la péricope ésaïenne qui échappe à l’Ethiopien. Cette ignorance renforce le contraste entre puissance et faiblesse noté ci-avant : cet homme, venu de sa lointaine Ethiopie pour adorer Dieu au Temple, s’en retourne chez lui, son manque inassouvi. Non seulement le judaïsme du second Temple le marginalise, le recalant au parvis des païens, mais également la pleine compréhension des Ecritures lui est ôtée. Sa réponse sous forme interrogative (v. 31a) va induire une métaphorisation de son

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Dans ce sens David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus , 2000, pp. 140-142. Nombreux sont les commentateurs à avoir identifié un phénomène de syncrisis entre le récit du chemin d’Emmaüs (Lc 24, 13-35) et le baptême de l’Ethiopien (Ac 8, 2640). Voir entre autres Jacques DUPONT, « Les pèlerins d’Emmaüs (Lc 24, 13-35) », 1985, pp. 1128-1152 ; Joseph A. GRASSI, « Emmaus Revisited (Luke 24,13-35 and Acts 8,26-40) », 1964, pp. 463-467 ; Coert H. LINDIJER, « Two Creative Encounters in the Work of Luke. Luke xxiv 13-35 and Acts viii 26-40 », 1978, pp. 77-85.

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L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

itinérance : « Comment donc puissé-je en être capable, si personne ne me guide ? (oJdhgei'n) » 97. Cet homme en voyage, qui s’est rendu du lointain royaume de Koush à la Ville sainte, est un chercheur. Sa marche se fait quête de sens, quête spirituelle, cheminement intérieur et scripturaire. Sur ce chemin (oJdov" : vv. 26b.36a.39c), où la topographie devient elle aussi symbolique – on tourne le dos à Jérusalem, la route de Gaza est déserte, puis on croise un point d’eau – Philippe va faire office de guide. Le texte qui fait obstacle sur la route de l’eunuque, c’est le passage d’Es 53, 7b-8c, issu du quatrième chant du serviteur de YHWH. Pour un lecteur chrétien de l’œuvre lucanienne, les résonances christologiques de cette citation scripturaire ne font pas l’ombre d’un doute : placé en situation de faiblesse, victime silencieuse, humilié, le serviteur a vu son droit enlevé (cf. h[rqh) et sa vie de la terre ôtée (cf. ai[retai). La polysémie du verbe ai[rw (enlever/ôter ; lever/élever) justifie néanmoins une autre traduction : son jugement a été levé et sa vie élevée98. Comment ne pas y lire le schéma abaissement/élévationréhabilitation qui, très tôt dans le christianisme primitif, a été utilisé pour dire le destin du Christ Jésus (cf. Ph 2, 6-11 ; He 2, 9-10) ? Si la Passion de Jésus est à corréler à la situation de faiblesse endurée par le Serviteur souffrant (vv. 32b-33aa), la suspension du jugement correspond au geste de Dieu qui réhabilite son Fils, en le ressuscitant des morts (33ab-c). Sous la forme bien connue du « schéma de contraste », mais pas seulement, les discours des Actes font abondamment mention de cet acte divin glorifiant le Fils (2, 24-36 ; 3, 13-15.22-26 ; 13, 28-37 ; 26, 22-23 ; cf. Lc 24, 25-27). Bien entendu, ce schème peut aussi s’appliquer a posteriori à toutes les personnes en situation de marginalité et d’humiliation, à l’instar de l’eunuque d’Ethiopie 99. La question d’Esaïe « qui peut décrire sa descendance ? » évoquerait de ce fait sa stérilité. Bref, ce passage du quatrième chant ésaïen du Serviteur s’offre à une double lecture, christologique et anthropologique. Dit autrement : le

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Cf. Friedrich A VEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, pp. 267268. Cette polysémie de la citation ésaïenne a été bien relevée par Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, pp. 128-129 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 111 ; F. Scott SPENCER, « The Ethiopian Eunuch and His Bible », 1992, p. 158. Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, p. 129.

6.5

L’eunuque d’Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40)

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renversement sotériologique identifié en Es 53, 7b-8c possède un corrélat anthropologique et sociologique amplement exploité chez Luc et déjà signifié dans le Magnificat de l’Evangile de l’enfance (Lc 1, 52)100. Réagissant à une nouvelle question de son interlocuteur, Philippe va offrir un parcours de l’Ecriture, trouvant dans le destin christologique la clef de lecture qui manquait à sa pleine intelligence. C’est le Christ, souffrant comme le serviteur de YHWH, mais relevé par Dieu, qui fait ici office de décodeur des Ecritures. Sans la médiation christologique, l’eunuque serait encore un exclu. Pourtant, cette intégration doit encore passer de la parole à l’acte. C’est ce que va orchestrer la seconde partie de l’épisode (vv. 36.38). A ce stade du récit, Luc a ménagé un rebondissement : le convoi des voyageurs atteint un point d’eau. Cette fois-ci, c’est l’eunuque qui prend l’initiative, interrogeant Philippe de la sorte : « Qu’est-ce qui empêche (tiv kwluvei) que je sois baptisé ? ». Notifier ici l’empêchement invite le lecteur à faire mémoire de tous les obstacles rencontrés par cet homme : son impossibilité à avoir une descendance, son exclusion du Temple, son incompréhension des Ecritures. Les multiples handicaps qui grèvent son existence sont manifestes. Y en aurait-il encore un ? Que nenni ! Cette question rhétorique contraste la fin du récit avec la situation de départ : tous les empêchements à une intégration à l’alliance ont été levés par le parcours christo-centré des Ecritures. Le baptême, rite d’entrée dans la communauté ecclésiale, va le signifier en actes. Bref, là où le Temple plaçait l’eunuque dans une situation de marginalité, empêchant la réalisation de la prophétie ésaïenne, la Parole crée un espace de communion. Ce que le judaïsme du second Temple n’a pas réussi à faire, le kérygme christologique associé au baptême le réalise, à savoir la recomposition de l’Israël idéal. On ne peut manquer ici la coloration théologique de la géographie : en tournant le dos à Jérusalem et à son Temple, l’événement annonce l’échec historicosalutaire du sanctuaire jérusalémite dans sa vocation d’intégration101. Cet échec sera définitivement scellé en Ac 21, 30, lorsque les portes du Temple, en désaveu criant de l’oracle d’Es 60, 11, seront fermées à la

100 Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, pp. 119-130 ; F. Scott SPENCER, « The Ethiopian Eunuch and His Bible », 1992, p. 158. 101 F. Scott SPENCER, « The Ethiopian Eunuch and His Bible », 1992, pp. 160-161.

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hâte 102. Le peuple juif a failli à sa tâche d’élargir les frontières de l’alliance. C’est paradoxalement dans un lieu désert qu’une postérité spirituelle sera offerte à l’eunuque ! 6.5.5

La conversion de l’Ethiopien : péripétie de la mission ou récit emblématique ?

La portée du récit d’Ac 8, 26-40 est très débattue dans la recherche. Nombreux sont les exégètes à identifier dans le portrait de l’eunuque une dimension paradigmatique. Pour certains, il est l’anticipation exemplaire de la mission auprès des non-juifs103 ; pour d’autres, il est un modèle de la mission chrétienne 104 ; pour d’autres encore, il est le premier évangéliste de l’Ethiopie 105 (ou de l’Afrique) 106, emblème des « confins de la terre » vers lesquels pointe le programme missionnaire d’Ac 1, 8 107 ; pour d’autres finalement, il incarne la descendance de Cham nommée dans la table des nations en Gn 10, 6-7108. Face à cette pression typologique et symbolique exercée sur l’homme à la face brûlée, certains exégètes ont souligné le caractère privé et la dimension individuelle de l’épisode. Partons de cette objection : elle résulte d’un cumul d’observations exactes. Tout d’abord, à la différence d’autres

102 Daniel MARGUERAT, « Du Temple à la maison suivant Luc-Actes », 2003, p. 309. 103 Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 55 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas , 1983, p. 217. 104 Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, pp. 119-130 ; dans une certaine mesure aussi Andreas LINDEMANN, « Der “Aethiopische Eunuch” und die Anfänge der Mission unter den Völkern nach Apg 8–11 », 2004, p. 133 ainsi que Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 52. 105 Déjà IRÉNÉE, Adversus Haereses 4,23,2 et EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique 2,1,13. Ensuite Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 294. 106 Cf. Paul DE MEESTER, « “Philippe et l’eunuque éthiopien” ou “le baptême d’un pèlerin de Nubie” ? », 1981, p. 374 ; James M. SCOTT, « Luke’s Geographical Horizon », dans David W.J. GILL, Conrad H. GEMPF (éds), The Book of Acts in Its GraecoRoman Setting, II, Grand Rapids, Eerdmans, 1994, pp. 533-538 ; ID., « Acts 2 :9-11 as an Anticipation of the Mission to the Nations », dans Jostein ÅDNA, Hans K VALBEIN (éds), The Mission of the Early Church to the Jews and Gentiles (WUNT 1.127), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, p. 102. 107 Berverly Roberts GAVENTA, From Darkness to Light, 1986, p. 106 ; Daniel MARGUERAT, « Actes 8 : Faire tomber le puissant et relever l’humble », 2003, p. 128. 108 Dean Philip BECHARD, S.J., Paul Outside the Walls : A Study of Luke’s Sociogeographical Universalism in Acts 14 :8-20 (AnBib 143), Rome, Institut Biblique Pontifical, 2000, p. 230, surtout la note 160 ; James M. SCOTT, « Luke’s Geographical Horizon », 1994, pp. 533-538.

6.5

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conversions relatées dans les Actes, le baptême de l’eunuque n’est pas généralisé à toute son escorte (v. 38 ; diff. Ac 10, 44-48 ; 16, 15.31.33 ; 18, 8)109 et ne culmine pas dans son intégration à une vie communautaire (v. 39 ; diff. Ac 8, 13 ; 9, 18-19 ; 10, 48 ; 16, 15 ; etc.) 110. L’événement surgit ensuite dans un lieu désert à l’abri de tout témoin potentiel et met en scène un homme au rôle éphémère dans les Actes de Luc. D’ailleurs, l’épisode n’est suivi d’aucune légitimation théologique, ni d’une sanction de la communauté jérusalémite. Tout concourt ainsi à la construction d’un récit au caractère privé, dont les conséquences immédiates en termes de publicité et d’ecclésialité sont nulles111. Pourtant, cette singularité prégnante n’exclut pas forcément toute portée symbolique. Luc affectionne les épisodes particuliers aux relents d’universalité ; il aime à énoncer une thèse générale au travers d’événements typés, tout spécialement dans le cadre de récits de conversion. C’est là le « style épisodique » dont il est friand112. Il est d’ailleurs remarquable que la grande majorité des conversions individuelles narrée par Luc se concentre dans la section charnière d’Ac 8–11, section relatant la nais109 Bien noté par Andreas LINDEMANN, « Der “Aethiopische Eunuch” und die Anfänge der Mission unter den Völkern nach Apg 8–11 », 2004, p. 131. 110 Sur l’intégration des nouveaux convertis à une vie communautaire chrétienne, consulter Friedrich AVEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, pp. 49-51. 111 Bien relevé par Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 109 : « Indeed, this scene has no consequences in the narrative. The Ethiopian is not mentioned again, and there is no indication that the Jerusalem Church learns of his conversion. There is no discussion in Jerusalem of the propriety of baptizing an Ethiopian eunuch as there is after the baptism of Cornelius. Philip’s encounter with the Ethiopian takes place on a “desert” or “deserted” road (8 :26), and it remains a private event within the narrative ». Même constat chez David Lertis MATSON, Household Conversion Narratives in Acts (JSNT.SS 123), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996, pp. 96-97. 112 En effet, cette affection lucanienne pour le « style épisodique » a été affirmée et démontrée sur la base de nombreux passages des Actes par Eckhard PLÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, pp. 80-136. Au sujet d’Ac 8, 26-40, consulter les pp. 90-91 ; voir aussi Friedrich AVEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, pp. 44ss, qui a bien relevé la récurrence chez Luc de récits de conversion, associant une forte visée symbolique à un faible intérêt pour les destinées individuelles (ibid., pp. 46-47 : « So wichtig für Lukas der soziokulturelle Status der Bekehrten ist, so gering ist doch andererseits sein Interesse für ihre individuelle Persönlichkeit. Mit Ausnahme des Saulus spielen diese Figuren in der Apostelgeschichte nur episodische Rolle. […] Für die Geschichte, die Lukas erzählt, haben ihre Bekehrungen vor allem exemplarische Wert, und nur insoweit interessiert ihr persönliches Schicksal »).

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sance d’un christianisme de diaspora distancé de Jérusalem113. Il est ainsi fort probable que ces trois conversions individuelles (l’Ethiopien, Paul et Corneille) endossent toutes une dimension symbolique appelée à légitimer ce cap décisif. Si cette hypothèse s’avère correcte, de quoi le baptême de l’Ethiopien est-il le modèle ? Emblème de la mission païenne ? Sûrement pas : Ac 8, 26-40 ne problématise pas la rupture des règles de pureté. Cette visée rhétorique est celle d’Ac 10, 1–11, 18. Parangon des prosélytes, comme le pense Jacob Jervell114 ? Le silence sur le statut religieux de l’eunuque et la non-extension de son baptême handicapent sérieusement cette hypothèse. L’Ethiopien n’est pas le porte-drapeau d’un groupe religieux défini. Modèle générique de la mission chrétienne ? Cette hypothèse n’est qu’en partie correcte. Certes, l’épisode d’Ac 8, 26-40 retrace dans ses étapes différentes la pratique missionnaire du témoin Philippe : de la rencontre jusqu’à la disparition surnaturelle, en passant par l’exégèse scripturaire et le rite baptismal115. Pourtant, cette lecture ne rend pas compte des traits typiques de l’épisode : l’altérité religieuse, raciale et géographique qui caractérise le converti. C’est là que réside la pointe du récit. Originaire des « extrémités de la terre », l’homme est figure de l’ailleurs géographique. Il incarne de fait idéalement la finalité géographique du programme missionnaire des Actes (cf. Ac 1, 8). Pliant son œuvre à la visée universaliste de la propagande impériale romaine, Luc recourt à l’un de ses topoi favoris : tracer l’extension géographique maximale de la domination impériale. Ce passage des Odes et épodes d’Horace en est un exemple classique : « Elle peut [la fière Rome], portant au loin la terreur, étendre son nom 113 Cf. Friedrich A VEMARIE, Die Tauferzählungen der Apostelgeschichte, 2002, p. 47 : « Die Berichte von Einzelbekehrungen stehen sämtlich in den mittleren Kapiteln, die die Zeit zwischen dem Stephanusmartyrium und der Abschiedsrede des Paulus in Milet umspannen und damit den Kern des lukanischen Berichts von der Ausbreitung des Christentums über das judaïsche Mutterland hinaus bilden. Die ausführlicheren Berichte konzentrieren sich auf die ersten Kapitel dieses Abschnitts, 8–11 (daneben nur noch 16), wo ihre exemplarische Funktion erzählerisch am wirkungsvollsten zutage tritt ». 114 Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 274-275 : « Anders als bei Paulus, Apg 9, handelt sie hier nicht von einem Individuum, sondern diese Bekehrung steht typisch für die Bekehrung einer Gruppe von Menschen, die unsere Erzählung damit legitimiert. Der Bekehrte ist auch diesmal Jude, aber aus einer besonderen Gruppe. Lukas hat vorher die Samaritaner aufgenommen jetzt folgen die Proselyten ». 115 Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 52.

6.5

L’eunuque d’Ethiopie et la mission des Actes (8, 26-40)

227

jusqu’aux régions extrêmes (in ultimas oras), là où l’onde, s’interposant, sépare l’Europe de l’Afrique, là où le Nil débordé arrose les campagnes » (3,45-48). En ce sens, la conversion de l’homme du Royaume de Koush préfigure l’imperium sine fine (cf. Enéide I,278279), non pas de Rome, mais de l’Eglise chrétienne. Ce qui avait été entrevu en Ac 2 se précise ici : l’œcuménicité de la chrétienté et sa subversion de l’universalisme politique ambiant. Cela dit, le Nubien est aussi « autre » au regard du judaïsme du second Temple. Exclu comme eunuque et comme étranger de l’assemblée d’Israël, il est néanmoins promis à un avenir meilleur : intégrer l’Israël de la fin des temps (Es 56, 3-5LXX). Dit autrement, en lui, sont résumées in nuce deux promesses fondamentales pour l’Eglise des Actes, connues du lecteur depuis la Pentecôte d’Ac 2 : atteindre les « confins de la terre » en s’adressant à « ceux qui sont au loin » (cf. Ac 1, 8 ; 2, 39) et œuvrer à la restauration d’Israël par l’inclusion des marginalisés (cf. Ac 1, 6 ; 2, 5.9-11 ; 3, 22-23). Le rappel de ces deux prophéties dont la réalisation doit s’accomplir dans l’Eglise n’intervient pas à n’importe quel stade de la narration lucanienne : entre Ac 7 qui signe la fin de la concentration jérusalémite de la mission, et Ac 9 qui relate la conversion du futur évangéliste des nations, le lieu est stratégique. Dans cette phase de transition entre le monde juif et l’univers païen, Ac 8, 26-40 redit la double identité de l’Eglise. Concluons : Luc, maître incontesté du style épisodique hellénistique, a composé un épisode vivant, haut en couleur et riche en rebondissements, propice à captiver et émerveiller son auditorat/lectorat116. Pour ce faire, il n’a pas hésité à employer l’un des thèmes favoris de la culture romaine contemporaine, celui des peuples fantastiques relégués aux antipodes. Cela dit, cet épisode dramatique, aux liens lâches avec son environnement littéraire, a pour fonction de concrétiser deux données centrales à la définition identitaire de l’Eglise des Actes : son extension géographique maximale et sa vocation de restauration d’Israël par l’intégration des parias du judaïsme.

116 Cf. Richard I. P ERVO, Profit with Delight. The Literary Genre of the Acts of the Apostles, Philadelphia, Fortress Press, 1987, p. 70 : « The story points […] to the “ends of the earth” in all its glamour » (nous soulignons).

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L'Eglise entre Jérusalem et Césarée

6.5.6

Conclusion : l’eunuque d’Ethiopie et l’ecclésiologie lucanienne L’épisode d’Ac 8, 26-40 n’a pas comme objectif de problématiser l’accès des païens au peuple de Dieu. Luc a réservé cette visée rhétorique à la longue séquence du baptême de Corneille (Ac 10–11). Le silence sur l’identité religieuse de l’Ethiopien est à cet égard symptomatique. Dans ce récit au caractère privé, la finalité est ailleurs. L’auteur à Théophile fait du castrat de Nubie une figure de promesses ; ce dernier incarne à merveille la double prophétie surplombant l’avenir de l’Eglise : atteindre les confins de la Terre 117 et rassembler au creuset de l’Israël de Dieu tous les marginalisés. Ces deux promesses, installées au seuil des Actes (1, 6-8 ; 2, 1-47), se répercutent en effet en Ac 8. L’Ethiopie, terre exotique des confins du monde, préfigure idéalement l’accomplissement du programme missionnaire. La conversion du Koushite en est la garantie narrative. Mais cette figure aux saveurs de l’ailleurs, venue en pèlerinage à la Ville sainte, symbolise également une autre promesse : le rassemblement attendu pour la fin des temps de tous les hors-castes de la terre. Dit autrement, l’eunuque d’Ethiopie n’est pas traité par Luc en modèle de la mission païenne. La pointe du récit lucanien ne réside pas là118. Au contraire, figure symbolique de l’ailleurs géographique et racial, exclu de l’assemblée d’Israël en raison de son handicap, l’homme du chemin de Gaza baptisé par Philippe inscrit au cœur de l’identité ecclésiale le mondialisme cher à l’idéologie impériale romaine et le rassemblement intégral espéré par Israël. Une identité volontairement double et ambivalente. Cela dit, l’accomplissement de ces deux promesses, dont le Koushite est la figure proleptique, ne va pas sans certaines surprises et nouveautés. Pour preuve, l’assurance d’atteindre les extrémités de la terre ne passe plus par le recours à la puissance militaire 119 ou à 117 Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 109 : « The scene is important for what it anticipates and symbolizes rather than for its consequences. It is prophetic of the gospel’s reach. » (nous soulignons). 118 Cf. Beverly Roberts GAVENTA, From Darkness to Light, 1986, p. 123 : « For Luke, he [l’eunuque] is neither the first Gentile convert nor a proselyte to Judaism. Instead, he symbolizes all those from earth’s end who, unlike Jerusalem Jews, will receive the gospel ». 119 Cf. Frank M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity. Ethiopians in the Greco-Roman Experience, Cambridge, Belknap Press, 1970, pp. 109-110 : « Military experiences brought the Romans in contact with Ethiopians in various parts of Africa and at different pe-

6.6

Conclusion : une séquence stratégique pour l’ecclésiologie lucanienne

229

l’expédition scientifique 120 comme pour la Rome d’Auguste ; la conquête armée de l’Ethiopie ou l’exploration ethnographique ne sont pas les vecteurs de son rattachement à l’oikoumenè chrétienne. Seul l’Esprit peut favoriser la conversion des « derniers des hommes » et leur ouvrir l’accès au peuple du Seigneur. De même, la restauration d’Israël n’est plus centrée sur la Ville sainte : Jérusalem et son Temple ont échoué dans leur capacité à intégrer les marges de la terre. C’est pourquoi, ce n’est plus le mont Sion qui réunit, mais la figure christologique. Dit autrement, là où les étrangers et les hors-castes étaient tenus à distance de l’assemblée de Dieu dans l’organisation du second Temple, le baptême au nom de Jésus déploie désormais un espace de communion. La reconfiguration de l’universalisme centripète juif, supposée depuis Ac 2 et légitimée par Etienne en Ac 7, 2-53, se vérifie ainsi dans la trame narrative des Actes, et ce dès Ac 8.

6.6 Conclusion : une séquence stratégique pour l’ecclésiologie lucanienne Ce parcours exégétique d’Ac 8, 4-40 nous a convaincu de sa forte dimension ecclésiologique. Située à un moment-charnière dans l’intrigue des Actes, cette section répond à une double visée identitaire. Relatant successivement la conversion des Samaritains et le baptême d’un Nubien, cette séquence placée sous le patronage de Philippe, l’un des Sept, déploie les retombées missionnaires de la tragique expulsion des chrétiens hors de Jérusalem. Paradoxalement, ce coup dur porté à la croissance irrésistible de la communauté jérusalémite a favorisé l’émergence d’un christianisme de diaspora et a permis la réalisation de la prophétie riods of their history. Like the Greeks, the Romans came to know the Ethiopians south of Egypt very well. From the time of Augustus until the sixth century A.D. the exigencies of frontier defense resulted in military operations and diplomatic relations involving the Romans’ black and dark neighbours to the south of Egypt. Information concerning Ethiopians would have reached Rome from the soldiers stationed at military posts in the Dodekaschoinos, which the Romans occupied after the settlement of Augustus with the Ethiopian Candace. » ; voir aussi ibid., pp. 131-133 ainsi que Erich DINKLER, « Philippus und der ANHR AIQIOY (Apg 8,26-40). Historische und geographische Bemerkungen zum Missionsablauf nach Lukas », 1975, pp. 91-92. 120 Cf. Frank M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity, 1970, pp. 135-136 ; Erich DINKLER, « Philippus und der ANHR AIQIOY (Apg 8,26-40). Historische und geographische Bemerkungen zum Missionsablauf nach Lukas », 1975, pp. 91-92.

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d’Ac 1, 8b : « […] vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». En effet, tant les Samaritains que l’eunuque du royaume de Koush –royaume relégué aux régions extrêmes de l’orbis terrarum– s’inscrivent dans ce programme missionnaire. La première visée de cette séquence consacrée aux « actes de Philippe » est ainsi de dessiner, dans un raccourci signifiant, l’extension territoriale maximale de la mission chrétienne. L’Eglise des Actes est depuis Ac 2 une communauté universelle, et cette dimension identitaire est vigoureusement rappelée en Ac 8, 4-40. En d’autres termes, le peuple des Actes répond à un projet civilisateur à la dimension de l’oikoumenè tout entière : les Ethiopiens des limites méridionales du monde habité sont aussi appelés à prendre place dans l’Empire sine fine de l’Eglise. Tel est le premier visage ecclésial de la séquence. L’autre visage lorgne en direction d’Israël et de son espérance de restauration. Pour sûr, inaugurant la mission au-delà de Jérusalem, Philippe ne se fait pas le fossoyeur des attaches de l’Eglise à l’histoire sainte. Au contraire, autant la géographie bipolaire d’Ac 8–11 que le profil ambivalent des Samaritains et de l’eunuque éthiopien signalent que cette avancée missionnaire de l’Eglise en direction des Gentils réalise simultanément l’une des espérances les plus chères au prophète Esaïe : la réunification des douze tribus et l’intégration des hors-castes dans le peuple de l’alliance. On le voit, Luc, soucieux de conserver à l’Eglise des Actes sa double dimension identitaire, a soigné cette étape de transition sise entre Jérusalem et Césarée. Quitter la Ville sainte sous l’effet d’une expulsion n’équivaut pas à un rejet des promesses liées à l’histoire du peuple choisi. Dans cette Eglise qui prend son essor hors de Jérusalem et loin de la Judée s’accomplit providentiellement le programme ésaïen de restauration d’Israël.

Chapitre 7

Antioche-sur-l’Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne » (Actes 11, 19-30) 7.1 Bibliographie Elias J. BICKERMAN, « The Name of Christians », HTR 42, 1949, pp. 109124.–Henry J. CADBURY, « Names for Christians and Christianity in Acts », dans Frederick John FOAKES-JACKSON, Kirsopp LAKE (éds), The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, V, London, Macmillan, 1933, pp. 375-392.–Martin HENGEL, Zur urchristlichen Geschichtsschreibung, Stuttgart, Calwer Verlag, 1979, pp. 84-93.–Andreas LINDEMANN, « Der “Aethiopische Eunuch” und die Anfänge der Mission unter den Völkern nach Apg 8–11 », dans Cilliers BREYTENBACH, Jens S CHRÖTER (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher (AGJU 57), Leiden, Brill, 2004, pp. 109-133, surtout les pp. 112-114.–Wolfgang KRAUS, Zwischen Jerusalem und Antiochia. Die « Hellenisten », Paulus und die Aufnahme der Heiden in das endzeitliche Gottesvolk (SBS 179), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 1999, pp. 61-66.–Bruce W. LONGENECKER, « Lukan Aversion to Humps and Hollows : The Case of Acts 11,27– 12,25 », NTS 50, 2004, pp. 185-204.–Markus OEHLER, Barnabas. Die historische Person und ihre Rezeption in der Apostelgeschichte (WUNT 156), Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, pp. 202-252.–Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller. Studien zur Apostelgeschichte (StUNT 9), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1972, pp. 24-25.– Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes. Untersuchungen zum Gemeindewachstum im lukanischen Doppelwerk auf dem Hintergrund des Alten Testaments, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1995, pp. 220-234.–Justin TAYLOR, « Why Were the Disciples First Called “Christians” at Antioch ? (Acts 11,26) », RB 101, 1994, pp. 75-94.– Norman E. THOMAS, « The Church at Antioch : Crossing Racial, Cultural, and Class Barriers : Acts 11 :19-30 ; 13 :1-3 », dans Robert L. GALLAGHER, Paul HERTIG (éds), Mission in Acts. Ancient Narratives in

232

Antioche-sur-l’Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne »

Contemporary Context (American Society of Missiology Series 34), Maryknoll, Orbis Books, 2004, pp. 144-156.–Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place. The Church as Narrative Character in Acts, New York, T&T Clark, 2006, pp. 147-154.–Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche. Beiträge zur Frage der lukanischen Redaktion und Theologie (OBO 3), Freiburg/Göttingen, Universitätsverlag/Vandenhoeck und Ruprecht, 1974, pp. 197-222.

7.2 Remarques préliminaires La fondation de l’Eglise antiochienne relatée en Ac 11, 19-30 n’a guère retenu l’attention des exégètes de Luc. La minceur du dossier bibliographique constitué sur le sujet est à cet égard tout à fait symptomatique. Ce désintérêt s’explique sans peine : surmontée du majestueux épisode de la conversion de Corneille, l’un des sommets narratifs du second tome à Théophile, la péricope d’Ac 11, 19-30, pénalisée par sa concision et sa facture hétéroclite, a inévitablement subi la relégation dans les vestiaires de la recherche. Johannes Weiss est représentatif de ce courant, n’hésitant pas à qualifier ce « récit terne » de « déchet » en comparaison de l’épisode de Corneille1. Ceci dit, une enquête intéressée à la construction identitaire des Actes ne peut renforcer l’évitement dont a été l’objet ce passage. Pour sûr, cet épisode est à plus d’un titre significatif de la visée ecclésiologique de Luc. Car, d’une part, se concrétise à Antioche, dans la « ville des Grecs », la tout première

1

Cité d’après Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 355 : « Einen ganz anderen Schluss zog J. Weiss 18f., dem auch aufgefallen war, dass diese “farblose Erzählung” sich “fast wie ein Abfall” nach der Corneliusgeschichte macht ». Cf. également les constats similaires énoncés par Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 350 : « Nach der grossen Erzählung über die Eröffnung der Heidenmission durch Petrus (10,1–11,18) folgt ein kurzer, aus mehreren Notizen zusammengesetzter Bericht über die Gründung der Gemeinde in Antiochien und deren Entwicklung zu einem Zentrum der Heidenmission » et de reprendre plus loin, p. 354 : « Nach dem Gewicht, das in der luk. Komposition der Korneliuserzählung zukommt, wird von einem der wichtigsten Ereignisse der ältesten Kirchengeschichte, der Gründung der antiochenischen Gemeinde und der hier beginnenden, von Barnabas und Paulus geförderten Heidenmission, fast in Form des understatements erzählt » et par Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 176 : « Die lapidare Kürze des Berichtes, die gerade im Vergleich zu der Breite der vorausgehenden Kornelius-Erzählung doppelt auffällig ist, mag sich aus der Kargheit des Lukas verfügbaren Materials erklären ».

7.3

Ac 11 dans l’intrigue des Actes

233

communauté mixte de la chrétienté naissante. Ensuite, parce que cette péricope voit surgir une nouvelle dénomination pour caractériser l’Eglise, celle de Christianoi. Sans conteste, la péricope antiochienne fait figure de halte imposée dans un parcours ecclésiologique des Actes canoniques.

7.3 Ac 11 dans l’intrigue des Actes Dans notre chapitre précédent consacré à la séquence d’Ac 8, 4-40, nous avions déjà mis au jour le phénomène d’inclusion existant entre 8, 4 et 11, 192. A n’en pas douter, la naissance de la communauté d’Antioche signe l’aboutissement d’une intrigue séquentielle amorcée en 8, 4 avec l’expulsion des chrétiens hors de Jérusalem et leur dispersion dans les campagnes judéennes et samaritaines ; la dynamique missionnaire conduite par Philippe et les autres Hellénistes (cf. 11, 20) permet le surgissement de la première diaspora chrétienne en terres syriennes. Nous sommes assurément en présence d’un récit de fondation. Le propos d’Ac 11, 19-30 est en effet de préciser l’origine de la communauté antiochienne, les motifs ayant présidé à sa naissance, ses conditions d’existence et ses marques identitaires (cf. infra). Mais Ac 11 s’inscrit également en continuité de la macro-intrigue programmée en Ac 2 : raconter le devenir identitaire de l’Eglise entre restauration d’Israël et conquête universelle. En prenant ses quartiers à Antioche-sur-l’Oronte, métropole qu’on surnommait volontiers la « ville des Grecs », et en ouvrant ses portes aux non-juifs, la chrétienté naissante franchit une étape décisive dans l’accomplissement du programme universaliste des Actes (1, 8 ; cf. Lc 24, 47). De la conversion exemplaire d’un craignantDieu (10, 1–11, 18 ; cf. v. 18 : a[ra kai; toi'" e[q nesin oJ qeo;" th;n metavnoian eij" zwh;n e[dwken), l’on passe aussitôt à une généralisation de l’offre salvifique aux païens (11, 20 : ejlavl oun kai; pro;" tou;" JEllhnistav") 3. Dorénavant, géographiquement séparée de Jérusalem et indistinctement composée de juifs et de païens, l’Eglise reçoit une identité nouvelle et prend possession d’un lieu propre, à partir duquel elle pourra prolonger sa geste évangélisatrice. En ce sens, la péricope d’Ac 11, 19-30 fonctionne comme un passage-charnière, où se reflètent 2 3

Voir supra, pp. 193-198. Cf. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 70.

234

Antioche-sur-l’Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne »

autant l’attachement à Jérusalem (vv. 22.27.29.30)4 que l’extension à l’oikoumenè (vv. 20.25 ; cf. v. 28 : ejf’ o{l hn th;n oijkoumevnhn). Cette polarité identitaire est également relayée sur le plan actoriel : Barnabé, figure exemplaire de l’Eglise jérusalémite et Lévite (cf. 4, 36-37 ; 9, 27), va dans la communauté antiochienne s’associer à Saul, le futur évangéliste des nations, et conduire avec lui le premier voyage missionnaire relaté en Ac 13–145. Se conjuguent ainsi à Antioche-sur-l’Oronte l’ancien et le nouveau, la continuité et l’ouverture 6. En termes cinématographiques, on parlerait de « fondu-enchaîné » pour qualifier cette transition en douceur entre les différentes phases de la croissance ecclésiale.

7.4 Structure d’Ac 11, 19-30 La grande majorité des chercheurs a reconnu le caractère composite d’Ac 11, 19-307. Ce sont en effet quatre scènes ayant trait à la communauté antiochienne (cf. la répétition de jAntiovceia aux vv. 19.20.22.26.27)8 qui se succèdent de manière lâche, à la manière du pointillisme – seul le connecteur dev les reliant entre elles (cf. vv. 22aa.25aa.27aa) : 11, 19-21 ; 11, 22-24 ; 11, 25-26 ; 11, 27-309. Les trois premières unités notifient toutes une activité missionnaire et culminent dans une notice de croissance (vv. 21b.24b.26b) 10, alors que la dernière, introduite par la clause tempo4 5 6

7 8 9 10

Cf. Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 280. Cf. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 70. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 355 : « Die Verbindung der Kirche von Jerusalem (22) und Antiochien (26), des Barnabas und des Paulus, der Juden und der Griechen kräftigt die christliche Bewegung und markiert eine fundamentale Epoche auf deren Weg bis zu den Grenzen der Erde. Der karge Bericht des Lukas beschreibt eine einmalige “Konstellation”, deren Chance damals ergriffen wurde von allen, deren “entschlossenes Herz” sich der Führung Gottes anvertraut hatte » ; Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 222 : « Diese Unsicherheit hängt mit der Doppelbedeutung von Antiochia innerhalb der Apg zusammen : Einerseits hat es eine enge Beziehung zu Jerusalem. […] Andererseits hat Antiochia eine eigene, grosse Bedeutung für die Gesamtdynamik der Ausbreitung : hier begann nicht nur die gezielte Heidenmission, sondern Antiochia wird zum Hauptausgangspunkt der Missionsreisen » (l’auteur souligne). Cf. Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, pp. 260-262 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, pp. 274-275. Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 408. Même structuration chez Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 273. Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 351.

7.5

Naissance de diasporas chrétiennes en Phénicie, à Chypre et à Antioche

235

relle septantique ejn tauvtai" de; tai'" hJmevrai" et traitant de la collecte organisée en faveur de Jérusalem, déroge à cette règle. Ces différents flashs dirigés sur la communauté d’Antioche, s’ils concourent à en tracer le portrait, en relatant ses origines et sa consolidation (vv. 1921.23b), en dévoilant les rapports étroits entretenus avec la communauté jérusalémite (vv. 22-23a.27-30), en rappelant l’œuvre commune de Barnabé et Saul (vv. 25-26b) et en signalant le surgissement d’une nouvelle dénomination ecclésiale (v. 26c), ne présentent toutefois pas, à la différence des trois grands sommaires du début des Actes (2, 42-47 ; 4, 32-35 ; 5, 12-16), un état fixe et durable de la communauté croyante. Preuve en est l’absence de l’imparfait de durée. Sur la route de l’Eglise, la fondation de la communauté d’Antioche, si elle représente une étape décisive, n’en est pas moins un modèle unique (einmalig). Il convient finalement de noter que ces quatre tableaux miniaturisés de la communauté antiochienne sont encadrés par un déplacement géographique entre Jérusalem et Antioche. Seulement, au mouvement d’arrivée dans la ville syrienne qui introduit la péricope (v. 19), répond en finale une trajectoire inversée, orientée sur la Judée (vv. 29-30).

7.5 Naissance de diasporas chrétiennes en Phénicie, à Chypre et à Antioche 7.5.1

De l’exil à la diaspora

Comme dit, la péricope d’Ac 11, 19-30 renoue explicitement avec le fil narratif amorcé en 8, 4, déroulant la suite des aventures réservées aux dispersés de Jérusalem : le pogrom anti-chrétien survenu au lendemain du martyre d’Etienne a entraîné la dispersion des croyants hellénistes et leur éparpillement au nord-ouest de Jérusalem. Or paradoxalement, loin de sonner le glas de la croissance ecclésiale, cet exode imposé a favorisé la diffusion de l’Evangile en Judée et en Samarie (8, 1.4-40), puis désormais sur la côte méditerranéenne, à Chypre et jusqu’à Antioche, la capitale de la province romaine de Syrie et de Cilicie (11, 19). Bref, la persécution s’est révélée être un moteur imprévu de la dynamique missionnaire. Qui plus est, pour la première fois, Luc relate comment cette dispersion – habituellement tenue pour une sanction de Dieu contre son peuple infidèle (cf. 5, 37b ; 7, 43) – va présider dans la

236

Antioche-sur-l’Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne »

ville d’Antioche à la création d’un nouveau centre pour la chrétienté naissante 11. L’exil se transforme ici en diaspora 12. Au reste, ce renversement surprenant est, comme nous l’avions relevé précédemment13, induit par le choix du vocabulaire, Luc recourant au verbe caractéristique de la diaspora juive, diaspeivresqai, pour qualifier l’exode hors de Jérusalem. Sur la route des confins de la terre, c’est dans la ville d’Antioche que voit le jour la toute première diaspora chrétienne. 7.5.2

Un parcours catéchétique au fondement de la communauté

Sous la plume de Luc, semblable récit de fondation est unique et n’a comme point de comparaison que la constitution de la communauté jérusalémite. Nulle part ailleurs, l’auteur à Théophile n’offrira une chronique aussi détaillée 14 de la naissance et de la consolidation d’une communauté chrétienne. Ici, une fois les motifs à l’origine de l’exil stipulés (ajp o; th'" qlivyew" th'" genomevnh" ejpi; Stefavnw/), c’est un véritable « parcours catéchétique »15 qui est mis en œuvre dans un raccourci signifiant16 : se succèdent l’annonce de la Parole (vv. 19b.20b), l’exhortation à la fidélité (v. 23b), puis l’enseignement (v. 26b). Au terme de ce parcours, c’est sur un rassemblement de type synagogal (v. 26b :

11

12

13 14 15

16

Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 86, a bien perçu les notables différences qui affectent la dispersion de Theudas et celle des Hellénistes : le groupe de Theudas y succombe, alors que l’éparpillement des chrétiens ouvre sur une existence de diaspora. Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 224 : « So bilden einige verfolgte Jerusalemer Christen eine Art neuer jüdisch-christlicher Diaspora » ; Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche, 1974, p. 199 : « Die Zerstreuung von 8,1ff hat einen guten Effekt : sie lässt judenchristliche Gemeinden in Judäa, Samarien und Galiläa spriessen (vgl. 9,31) und dann judenchristliche und heidenchristliche in der Diaspora (11,19ff) ». Voir supra, p. 194. Cf. Luke Timothy JOHNSON, The Acts of the Apostles, 1992, p. 203 : « Luke exercises particular care in describing this foundation ». Voir également les pp. 206-207. Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres , I, 2007, p. 408 : « De l’annonce à l’enseignement, un parcours catéchétique se dessine, qui culmine en 26c dans la dotation au groupe du nom de “chrétien”. » Cf. Luke Timothy JOHNSON, The Acts of the Apostles, 1992, p. 207 : « The description of the community is a model of suggestive compression ».

7.5

Naissance de diasporas chrétiennes en Phénicie, à Chypre et à Antioche

237

sunacqh'nai) 17 et sur la gratification du nom de « chrétiens » aux membres de la communauté (v. 26c) que le lecteur débouche. Est ainsi signifié l’avènement d’une identité différenciée de son milieu ambiant. L’intitulé « récit de fondation » se justifie ainsi : de l’exil imposé par la métropole juive à la fondation d’une diaspora chrétienne, Luc montre comment un parcours d’initiation à la foi soutenu par l’agir de Dieu (11, 21a.23a) transforme une foule indifférenciée (11, 23b : pavnta" ; 11, 21b : poluv" te ajriqmov" ; 11, 24b.26b : o[clo" iJkanov") en « disciples » (11, 26c : maqhtav") et en « chrétiens » (11, 26c : Cristianouv"). A n’en pas douter, l’Eglise que Luc envisage est une creatura Verbi divini ; c’est la Parole de Dieu qui la suscite et la fait croître. La double formule « je vous remets à Dieu et à la parole de sa grâce » sur laquelle Paul prend congé des croyants d’Ephèse résume admirablement cette conviction théologique 18. 7.5.3

La diaspora antiochienne entre continuité et nouveauté

Si la chrétienté naissante s’est délocalisée en terres païennes, précisément dans la troisième plus grande ville de l’Empire 19, lieu de brassage ethnique et culturel, elle n’en a pas pour autant rompu ses liens avec la communauté restée à Jérusalem. Au reste, si le centre missionnaire migre dorénavant à Antioche (cf. Ac 13–14 ; 15, 36–18, 22 ; 18, 23ss) 20, la Ville sainte fonctionne encore et toujours comme centre symbolique de l’Eglise et comme lieu de validation identitaire (cf. Ac 11, 22 ; 15, 1-35). Dans le récit d’Ac 11, ces connexions entre Antioche et Jérusalem, entre diaspora et métropole, se révèlent à plusieurs niveaux21 : sur le plan doctrinal et spirituel tout d’abord, car l’Evangile introduit à Antioche a été proclamé par des dispersés originaires de Jérusalem, euxmêmes relayés par les encouragements et l’instruction de Barnabé, une

17

18 19 20 21

Cf. Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas , 1983, p. 264 : « “Versammeln” (vgl. den Wortstamm mit Synagoge) meint terminologisch den Gottesdienst (Übersetzung : “waren beisammen”) ». Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 29. Cf. FLAVIUS JOSÈPHE, Guerre des Juifs 3,2,4. Alfred WIKENHAUSER, Die Apostelgeschichte, 1961, p. 133. Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 361 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 328-329 ; F. Scott SPENCER, Journeying Through Acts, 1997, pp. 132-133.

238

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figure exemplaire de la communauté-mère ; sur le plan personnel ensuite, du fait que Barnabé, précisément, va non seulement offrir sa caution à la mission antiochienne, mais va surtout s’y établir durablement, suivi dans ce mouvement par des prophètes venus de Jérusalem. Sur le plan matériel finalement, puisque, lors de la disette qui frappa l’ensemble du monde habité, une collecte fut levée à Antioche en faveur des frères résidant en Judée. On le voit, en dépit du processus de distanciation et d’autonomisation qui se fait jour dans le récit des origines chrétiennes, Luc ne manque pas une occasion de renforcer les marqueurs de continuité entre l’Eglise émancipée et son lieu d’origine, la ville de Jérusalem. D’autres facteurs de continuité peuvent encore être notés. Ils ont trait à l’ethos dont se dote la communauté antiochienne. A plus d’un titre en effet, le mimétisme est flagrant entre l’Eglise-mère et la communauté-fille. De part et d’autre, la mission chrétienne rencontre un succès colossal et fulgurant, Dieu présidant au développement de son peuple par l’agir de sa main (4, 30 ; 11, 21) et ajoutant de nouveaux fidèles à la communauté croyante (cf. prostivqhmi en 2, 41.47 ; 5, 14 ; 11, 24)22. Partant, cette croissance est la trace visible de la grâce divine (4, 33b ; 6, 8 ; 11, 23a) et suscite conversion, foi et joie auprès des acteurs humains (2, 38.44a.46b ; 11, 21b.23b). Ces derniers quant à eux s’engagent résolument dans l’enseignement de la communauté, que ce soient les apôtres à Jérusalem (2, 42) ou Barnabé et Paul à Antioche (11, 26b). De surcroît, les ressemblances infiltrent également la sphère matérielle : à l’exemple de la communauté de biens volontairement consentie (5, 4a) qui régissait l’être-ensemble des chrétiens jérusalémites (2, 44b-45 ; 4, 32-35), les frères d’Antioche vont à leur tour céder librement (11, 29a : kaqw;" eujporei'tov ti") une part de leur avoir au service de l’Eglise-mère (11, 29b)23. Si la radicalité éthique caractéristique de l’« âge d’or » de la chrétienté s’émousse, la gestion des biens est de part et d’autre mue par la solidarité fraternelle et par une morale de partage ; la koinwniva qui prévalait à l’interne de l’Eglise jérusalémite est désormais reportée sur les relations entre les communautés-sœurs. En d’autres termes, si la convivialité économique pratiquée au sein de 22 23

Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 413 ; Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 231. Parallélismes notés par Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 147-149.

7.5

Naissance de diasporas chrétiennes en Phénicie, à Chypre et à Antioche

239

l’Eglise de Jérusalem n’est plus – signe immanquable d’une évolution historique –, le croyant de l’aire lucanienne est toujours sommé de répondre de sa foi au cœur de la matérialité. Bref, que ce soit sur les plans spirituels, matériels ou humains, la nouvelle Eglise qui surgit dans la capitale syrienne s’inscrit en continuité substantielle de la chrétienté jérusalémite. Sur deux aspects néanmoins, il est à reconnaître des innovations. Sur le plan ethnique tout d’abord. Si la communauté messianique de Jérusalem recrutait ses adhérents parmi les juifs et prosélytes exclusivement, l’Eglise d’Antioche ouvre désormais ses portes aux fidèles d’origine païenne, ceux que le récit nomme « Hellénistes » 24 (11, 20). L’universalisation de la chrétienté est désormais embrayée. A cet effet, Luc en a offert un écho indirect, en faisant, contre toute plausibilité historique 25, de la famine rapportée en 11, 28 un événement affectant l’Empire dans son ensemble (ejf’ o{l hn th;n oijkoumevnhn). Il ne s’agit pas d’une simple exagération stylistique 26, mais d’une volonté délibérée d’ancrer le devenir de l’Eglise dans le cours de l’histoire mondiale. Dit autrement, le peuple qui fait saillie à Antioche participe désormais à la marche de l’histoire universelle 27. D’autre part, que l’appellatif « Christianoi » réponde à une désignation externe ou interne (cf. infra), elle dévoile dans tous les cas l’autonomisation sociologique qui a désormais cours entre l’Eglise et la Synagogue : les disciples du Christ Jésus ne sont plus assimilés aux juifs fréquentant les assemblées synagogales ; ils en sont dorénavant distincts28. La raison de cette 24 25 26

27

28

Vu le contraste construit entre les vv. 19 et 20, seuls des païens sont ici susceptibles d’être désignés sous l’appellatif d’« Hellénistes ». Cf. le dossier constitué sur le sujet par Rainer RIESNER, Die Frühzeit des Apostels Paulus (WUNT 71), Tübingen, Mohr Siebeck, 1994, pp. 112-119. Cf. Kirsopp LAKE, Henry J. CADBURY, The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, p. 131, qui évoquent la possibilité d’une « natural exaggeration ». Eckhard PLÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, p. 25 : « Der Grund für die lukanischen Manipulationen dürfte in beiden Fällen [Lc 2, 1-3 ; Ac 11, 28] derselbe gewesen sein : der Wunsch, Ereignisse der Geschichte des Christentums auch als Ereignisse der Weltgeschichte darstellen zu können ». Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, pp. 354, note 3, et p. 358 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, pp. 353-354 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 181 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 92 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 163. Contra Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 325. Pour l’exégète norvégien, le titre de Christianoi ac-

240

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individualisation n’est toutefois pas claire. Nous y reviendrons dans le paragraphe suivant. On le voit, c’est assurément une chrétienté entre ancienneté et nouveauté, entre continuité et rupture, qui, avec les exilés de Jérusalem, prend ses quartiers à Antioche-sur-l’Oronte.

7.6 Les « chrétiens » d’Antioche-sur-l’Oronte Contre toute attente, l’appellatif Cristianoiv n’a pas encore livré tous ses secrets. S’agit-il d’une auto-désignation chrétienne ou d’une appellation externe ? est-elle officielle ou officieuse ? Ces questions sont celles de la critique historique et importent peu dans une enquête prioritairement narrative. Par contre, le narratologue est confronté à d’autres sujets de questionnement, non moins aigus : pourquoi l’auteur des Actes, gestionnaire attentif du vocabulaire, réserve-t-il le surgissement de ce nom à l’épisode antiochien et ne le répète-t-il plus, hormis en 26, 28 ? A quel point de vue semble répondre cette désignation ? chrétien, juif ou païen ? Quelle est sa signification pour le devenir identitaire de l’Eglise lucanienne ? Autant de questions qu’il nous faut aborder à présent. L’étymologie du nom de « chrétiens » n’est guère problématique29. Il s’agit d’un latinisme formé sur le terme Cristov" compris comme un nom propre et sur le suffixe -iano" qui, en latin, signifie « adhérent » ou « partisan de ». Les Cristianoiv sont ainsi les membres du parti attaché à Christ. Mais de qui émane, dans le récit d’Ac 11, cette désignation ? En grec, le verbe à l’infinitif aoriste crhmativzein a soit le sens actif de porter un nom, se dénommer, soit le sens passif d’être appelé 30. L’autre occurrence néotestamentaire de ce verbe plaide en faveur du sens pas-

29 30

colé aux croyants d’Antioche dit seulement leur accession au statut distinctif de « secte » interne au judaïsme pluriforme du second Temple. A ce sujet, l’on consultera avec profit Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 556-557 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 68. Cf. art. « crhmativzw », dans Walter BAUER, Griechisch-deutsches Wörterbuch, 19886, col. 1766, qui donne les sens suivants : einen Namen führen, benannt werden, heissen. Voir aussi les exemples de la littérature grecque rassemblés par Justin TAYLOR, « Why Were the Disciples First Called “Christians” at Antioch ? (Acts 11,26) », 1994, pp. 82-83.

7.6

Les « chrétiens » d’Antioche-sur-l’Oronte

241

sif (cf. Rm 7, 3) 31, donc pour une désignation extérieure. Ce que semble confirmer la seconde attestation lucanienne de Cristianov" (26, 28) : ici, c’est sur les lèvres d’un roi Agrippa ironique qu’elle apparaît. Au reste, l’emploi homéopathique de ce terme dans le lexique des Actes trahit l’hésitation de son auteur à faire sienne cette dénomination. Chez lui, c’est à l’aide des vocables « frères » 32, « croyants »33, « saints » 34 ou « disciples » 35 que sont le plus souvent désignés les chrétiens36. Bref, sous la plume de Luc, l’appellatif Cristianoiv ne semble pas encore appartenir au registre identitaire de l’Eglise. Ceci dit, qu’elle réponde à un point de vue extérieur n’enlève pas encore à cette dénomination toute signification dans l’intrigue des Actes. Luc est trop adroit dans sa distribution du vocabulaire pour avoir simplement archivé ici un reliquat historique. Qu’est-ce à dire ? Il est sûrement révélateur que les membres de l’ekklèsia soient gratifiés du nom de chrétiens à Antioche-sur-l’Oronte. Suite à la conversion emblématique de Corneille généralisée dans l’évangélisation des grécisants d’Antioche, la communauté chrétienne atteste dorénavant une mixité ethnique qui la différencie ostensiblement de la Synagogue juive. Au reste, cette dernière est totalement absente du récit d’Ac 11, alors que, comme ailleurs, la priorité d’Israël dans le schéma missionnaire a été respectée (11, 19-20). Dit autrement : les émigrés de Jérusalem s’adressent en premier aux juifs avant de se tourner vers les païens, sans pour autant qu’une activité synagogale ne soit notifiée (diff. 13, 5.14 ; 14, 1 ; etc.) 37. Ce silence est symptomatique de l’émancipation ecclésiale en cours : c’est désormais une chrétienté autonome qui fait synagogue (cf. 11, 26b : sunacqh'nai). L’autre aspect souvent évoqué par les commentateurs pour expliquer la dotation du 31 32 33 34 35 36 37

Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 354, note 3. Contra Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche, 1974, p. 217, qui plaide en faveur du sens actif. Ac 1, 15.16 ; 6, 3 ; 9, 30 ; 11, 1.29 ; 12, 17 ; 15, 7.13.22.23 ; 21, 17.20. Ac 2, 44 ; 4, 4.32 ; 5, 14 ; 6, 7 ; 11, 17 ; 15, 5.11 ; 21, 20 ; 22, 19. Ac 9, 31 ; 26, 10. Ac 6, 1.2.7 ; 9, 1.26. Cf. Henry J. CADBURY , « Names for Christians and Christianity in Acts », 1933, pp. 375-392. Contra Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 321-322. Précisément, le silence lucanien sur l’institution synagogale en Ac 11, 19-30 handicape sérieusement la thèse de Jervell, selon qui les Actes des apôtres ne feraient pas état d’une véritable mission païenne déliée de la synagogue.

242

Antioche-sur-l’Oronte, naissance de la première diaspora « chrétienne »

nom de chrétiens en 11, 26c tient à la taille que semble avoir gagné la nouvelle Eglise 38. Les trois sommaires de croissance qui ponctuent la scène antiochienne n’ont cessé de le marteler. Bref, que ce soit pour des raisons numériques ou ethnico-religieuses, Luc tient à signaler à son lecteur/auditeur que le processus d’autonomisation de la chrétienté est en marche et qu’il devient patent aux yeux du monde environnant39 : l’Eglise n’est plus un parti interne au judaïsme, situé dans l’orbite de la Synagogue ; c’est sur la scène mondiale qu’elle se hisse désormais.

7.7 Conclusion : Ac 11, naissance d’un christianisme de diaspora Ac 11, 19-30 conduit à son dénouement l’intrigue séquentielle embrayée en Ac 8, 4. La persécution qui s’est abattue contre les chrétiens suite à la lapidation d’Etienne a présidé, par vagues successives, à la création d’un christianisme de diaspora. Ce renversement ironique d’une fureur mortifère en ferment créateur est saisissant. Mais cet heureux dénouement a aussi été le théâtre d’une évolution, peut-être la plus fondamentale des origines chrétiennes. D’une secte messianique cantonnée à la cité provinciale de Jérusalem, l’Eglise s’est muée par le jeu des rencontres en un peuple citadin où se côtoient dorénavant juifs convertis et chrétiens issus de la gentilité. Cette révolution fondatrice, rendue possible par l’intervention puissante de Dieu dans les affaires humaines (Ac 10, 1–11, 18), a reçu sa première concrétisation communautaire à Antioche-sur-l’Oronte. Dans cette ville cosmopolite a en effet surgi une Eglise de diaspora, futur centre missionnaire, où cohabitent des chrétiens d’origine juive et païenne. L’élargissement au 38 39

Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 353 ; Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, p. 234. Cf. Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 445 : « Auf jeden Fall zeigt diese neue Bezeichnung, dass aus der Jüngerschar in Antiochien recht bald eine “eigenständige” (R. Pesch, Apg I 354) und “geschlossene” (G. Schneider, Apg II 92) Christengemeinschaft wird, die sich von ihrer jüd. und heidnischen Umgebung mehr und mehr loslöst ». Voir également les prudentes remarques de Wolfgang KRAUS, Zwischen Jerusalem und Antiochia, 1999, p. 63 : « Es ist daher auch nicht notwendig, anzunehmen, dass schon in dieser Phase das “Bewusstsein einer Diskontinuität” zum Judentum das der Zusammengehörigkeit überwog. Gewiss wird mit der Fremdbezeichnung in jedem Fall das Entstehen einer neuen, in zunehmendem Mass auch soziologisch identifizierbaren Gruppe signalisiert ».

7.7

Conclusion : Ac 11, naissance d’un christianisme de diaspora

243

monde de la communauté croyante programmé depuis Ac 2 est devenu réalité. Et ce tant sur le plan géographique qu’ethnique. Assurément, cette mutation sociologique, scellée dans la dotation du nom de « chrétiens » aux frères de l’Eglise antiochienne, est une étape marquante dans l’accomplissement du mandat missionnaire du Ressuscité (Ac 1, 8 ; cf. Lc 24, 47). Toutefois, cette inscription inédite de la chrétienté dans l’universalité païenne n’a pas eu comme contrepartie la liquidation de la continuité avec Israël. Nous l’avons vu, la chronique antiochienne d’Ac 11 a tissé en un maillage serré les attaches juives aux extensions universelles. Bien plus, la préséance du peuple choisi a été soigneusement cultivée dans l’agenda des missionnaires hellénistes (11, 19) : le slogan paulinien « le juif d’abord, le Grec ensuite » n’a pas été sacrifié sur l’autel de la mondialisation chrétienne. Bref, dans la « ville des Grecs », où près de 10 % de la population était de confession juive 40, coexistent dans la communauté de salut l’ancien et le nouveau, la continuité et la rupture, Barnabé le Lévite et Paul l’évangéliste des nations, Israël et l’oikoumenè romaine. Sans conteste, c’est à l’image de la chrétienté « utopique » célébrée par l’historiographie lucanienne que se profile le modèle de l’Eglise antiochienne.

40

Quand bien même les évaluations numériques pour la colonie juive d’Antioche varient beaucoup d’un historien à l’autre, FLAVIUS JOSÈPHE nous renseigne sans discussion possible sur son importance quantitative et sa forte dotation en païens sympathisants du monothéisme d’Israël (Guerre des Juifs 7,43-45).

Chapitre 8

Le programme de la mission paulinienne de diaspora (Actes 13, 14-52) 8.1

Bibliographie 8.1 Bibliographie

Cilliers BREYTENBACH, Paulus und Barnabas in der Provinz Galatien : Studien zu Apostelgeschichte 13f. ; 16, 6 ; 18,23 und den Adressaten des Galaterbriefes (AGJU 38), Leiden et al., Brill, 1996.–Matthäus FranzJosef BUSS, Die Missionspredigt des Apostels Paulus im Pisidischen Antiochien : Analyse von Apg 13,16-41 im Hinblick auf die literarische und thematische Einheit der Paulusrede (FB 38), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 1980.–Gerhard DELLING, « Israels Geschichte und Jesusgeschehen nach Acta », dans Heinrich BALTENSWEILER, Bo REICKE (éds), Neues Testament und Geschichte. Festschrift O. Cullmann, Zürich/Tübingen, Theologischer Verlag/Mohr, 1972, pp. 187-197.–Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung. Christliche Gemeinde und Israel am Beispiel von Apg 13,42-54 (BU 30), Regensburg, Pustet, 2001.–Jacques DUPONT, « Je t'ai établi lumière des nations (Ac 13,14.43-52) », dans ID., Nouvelles études sur les Actes des Apôtres (LeDiv 118), Paris, Cerf, 1984, pp. 343-349.–ID., « La conclusion des Actes et son rapport à l'ensemble de l'ouvrage de Luc », dans ID., Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, 1984, pp. 455-511.–Odile FLICHY, « Inscrire la nouveauté dans la continuité. Le discours de Paul à la synagogue d'Antioche de Pisidie (Ac 13,16-41) », dans Emmanuelle STEFFEK, Yvan BOURQUIN (éds), Raconter, interpréter, annoncer. Parcours de Nouveau Testament. Mélanges D. Marguerat (Le Monde de la Bible 47), Genève, Labor et Fides, 2003, pp. 260-272.–Jacob J ERVELL, « The Divided People of God. The Restoration of Israel and the Salvation for the Gentiles », dans ID., Luke and the People of God. A New Look at Luke-Acts, Minneapolis, Augsburg, 1972, pp. 60-62.–Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas. Apg 7,2b-53 und 13,17-25 im Kontext antik-jüdischer Summarien der Geschichte Israels (FRLANT 195), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2001.–John J. KILGALLEN, « Acts 13,38-39 : Culmination of Paul’s Speech in Pisidia »,

8.1 Bibliographie

245

Bib 69, 1988, pp. 480-506.–Matthias KLINGHARDT, Gesetz und Volk Gottes : das lukanische Verständnis des Gesetzes nach Herkunft, Funktion und seinem Ort in der Geschichte des Urchristentums (WUNT 2.32), Tübingen, Mohr Siebeck, 1988, pp. 97-109.–Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-39 und 13,16-41 », dans Cilliers BREYTENBACH, Jens SCHRÖTER (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher (AGJU 57), Leiden/Boston, Brill, 2004, pp. 83-107.–Bart J. KOET, « Paulus und Barnabas in Pisidian Antioch : A Disagreement over the Interpretation of Scriptures (Acts 13,42-52) », dans ID ., Five Studies on Interpretation of Scripture in Luke-Acts (SNTA 14), Leuven, University Press/Peeters, 1989, pp. 97118.–Christina KURTH, « Die Stimmen der Propheten erfüllt ». Jesu Geschick und « die » Juden nach der Darstellung des Lukas (BWANT 148), Stuttgart, Kohlhammer, 2000, pp. 185-193.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 220-226.–ID., « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », dans ID., L'aube du christianisme (Le Monde de la Bible 60), Paris/Genève, Bayard/Labor et Fides, 2008, pp. 469-498.–David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus (WUNT 2.130), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, pp. 96-101.–Josef PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte. Untersuchungen zur Rede im pisidischen Antiochien (Innsbrucker theologische Studien 50), Innsbruck, Tyrolia-Verlag, 1997.–Walter RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk. Untersuchungen zu Parallelmotiven im Lukasevangelium und in der Apostelgeschichte (EHS 23.49), Bern/Frankfurt am M., Lang, 1975, pp. 82-100.–Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes. Untersuchungen zum Gemeindewachstum im lukanischen Doppelwerk auf dem Hintergrund des Alten Testaments, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1995, pp. 235-245.–Dietrich RUSAM, Das Alte Testament bei Lukas (BZNW 112), Berlin/New York, de Gruyter, 2003, pp. 390-416.–Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, London, SCM Press, 1987, pp. 259-263.–Gert Jacobus S TEYN, Septuagint Quotations in the Context of the Petrine and Pauline Speeches of the Acta Apostolorum (Contributions to Biblical Exegesis and Theology 12), Kampen, KOK Pharos, 1995, pp. 185-201.–Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts. The Promise and its Fulfillment in Lu-

246

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

kan Christology (JNST.SS 110), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, pp. 148-180.–Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul's Mission in Acts », dans ID., The Shape of Luke's Story. Essays on Luke-Acts, Eugene, Cascade Books, 2005, pp. 145-165.–Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche. Beiträge zur Frage der lukanischen Redaktion und Theologie (OBO 3), Freiburg/Göttingen, Universitätsverlag/Vandenhoeck und Ruprecht, 1974, pp. 230-237.–Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt. Eine narrativ-exegetische Studie zur Theologie des Lukas (BZNW 92), Berlin/New York, de Gruyter, 1998, pp. 44-54.310-318.–Ulrich WILCKENS, Die Missionsreden der Apostelgeschichte. Form- und traditionsgeschichtliche Untersuchungen, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 19743, passim.

8.2

Remarques préliminaires 8.2 Remarques préliminaires

Il est un point sur lequel les chercheurs sont unanimes : l’impact considérable d’Ac 13, 14-52 sur l’Israelfrage 1. Deux raisons immédiates expliquent cette concorde exégétique : d’une part, le sermon de Paul dans la synagogue d’Antioche constitue, avec son retour sur l’histoire d’Israël, le plus long et le plus détaillé discours paulinien face au judaïsme de diaspora ; les homélies subséquentes attribuées à l’apôtre des nations ne sont le plus souvent que des raccourcis suggestifs. Bref, le discours synagogal d’Ac 13 possède pour l’évangélisation paulinienne des Actes

1

Outre la thèse de doctorat d’Anton Deutschmann, ce sont probablement les commentaires de Ernst Haenchen et de Franz Mussner à avoir le plus accentué l’impact d’Ac 13, 14-52 sur l’intrigue des Actes et sur l’évaluation du judaïsme chez Luc (Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 402 : « […] dieses Geschehen hat eine übergreifende Bedeutung. Diese Entscheidung [du v. 46] steht stellvertretend für alle späteren Fälle. Die Juden, welche in Antiochia auf die Christen neidisch werden, sind zugleich die Juden überhaupt […] » ; Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 79 : « Man könnte diesen Abschnitt als die Mitte der Apg bezeichnen. Denn hier kommt programmatisch jener Grund zur Sprache – und zwar durch den Mund des Paulus ! –, der die Kirche für immer von Israel trennt und sie, missionsgeschichtlich gesehen zur Heidenkirche werden liess »). On retrouve par ailleurs des échos identiques dans un article de Mussner consacré au projet littéraire de Luc dans ses Actes d’apôtres : « Die Erzählintention des Lukas in der Apostelgeschichte », dans Claus BUSSMANN, Walter RADL (éds), Der Treue Gottes trauen. Beiträge zum Werk des Lukas. Festschrift G. Schneider, Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1991, p. 35.

8.2 Remarques préliminaires

247

un incontournable statut d’exemplarité 2. D’autre part, l’épisode d’Antioche de Pisidie installe dans le second tome lucanien un schéma de rupture avec la Synagogue 3, schéma appelé à se répéter plusieurs fois en aval d’Ac 13. On le voit, tant la dimension paradigmatique de la péricope que sa structure programmatique en font un candidat favori à l’examen de la problématique juive au sein de la section paulinienne des Actes. Mais il est une autre question qui mérite d’être investiguée : le rôle concédé à Ac 13 dans l’intrigue ecclésiologique des Actes. En effet, si le mainstream exégétique a sondé la scène d’Antioche de Pisidie pour en exhumer un modèle de rupture avec la Synagogue, Anton Deutschmann a, dans sa thèse de doctorat, examiné le verset conclusif de l’épisode 4, notifiant l’existence d’un cercle de disciples dans la ville d’Antioche (v. 52), afin de situer la communauté naissante dans son rapport au judaïsme synagogal et au peuple d’Israël5. A la suite de cet exégète, il nous semble judicieux d’interroger le rôle octroyé à ce schéma missionnaire dans le cadre de la construction identitaire des Actes : en quoi le scénario de la mission paulinienne de diaspora programmé en Ac 13 nous renseigne-t-il sur le portrait lucanien de

2

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4

5

Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, p. 152 : « Furthermore, Paul’s sermon at Antioch is the primary place where the narrator reveals the content of Paul’s mission preaching to Jews. The later brief summaries of Paul’s preaching to Jews are to be understood in light of this fuller statement. This sermon, then, has a key role in indicating the place of Israel in Paul’s gospel, according to Acts. » ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 149 : « For Luke the sermon must therefore represent a model of the message Paul brought to the synagogues of the diaspora ». Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », dans Hildegard TEMPORINI, Wolfgang HAASE (éds), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, vol. II 25.3, Berlin/New York, de Gruyter, 1985, p. 2616 : « Der erste ausführlich gestaltete Bericht über die christliche Mission im Bereich des Diasporajudentums begründet die Wende von den Juden zu den Heiden ursächlich mit dem ablehnenden Verhalten der Juden der christlichen Verkündigung gegenüber […]. Dies geschieht hier auf lokaler Ebene, setzt sich aber im Fortgang der paulinischen Mission als Tendenz überall fort […] ». Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 31 : « Kaum Beachtung fand in der Auslegung V52 und die Bildung der Gemeinde in Antiochien. Für die Untersuchungen zum lukanischen Kirchenbild spielte bisher keine Rolle, obgleich es doch bemerkenswert erscheint, dass bei einer der ausführlichsten Schilderungen der paulinischen Wirksamkeit die sich bildende Gemeinde nur summarisch erwähnt wird ». Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 219-251.

248

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

l’Eglise ? s’agit-il d’une secte messianique en débat interne avec l’institution synagogale ou d’un peuple de païens qui se substitue aux juifs endurcis ?

8.3

Une fonction de programme dans l’intrigue des Actes 8.3 Une fonction de programme dans l’intrigue des Actes

La fonction inaugurale et programmatique attribuée à l’épisode d’Antioche de Pisidie constitue un solide point d’accord entre les exégètes de Luc6. Ce consensus procède habituellement de deux observations faites sur le texte d’Ac 13 : d’une part sa parenté avec d’autres scènes introductives du diptyque Luc–Actes (Lc 4, 16-30 ; Ac 2, 14-41), d’autre part la reprise dans la suite de l’itinéraire paulinien du scénario missionnaire installé à Antioche de Pisidie (14, 1-7 ; 17, 1-10a ; 17, 10b14 ; 18, 1-18a ; 18, 19-21 ; 19, 8-10 ; 28, 16-31)7. Examinons successivement ces deux arguments.

8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien 8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien

Plusieurs exégètes ont entrepris une étude comparative des différentes prédications inaugurales qui scandent le diptyque Lc–Ac (Lc 4 ; Ac 2 ; Ac 13), afin d’en détailler les éventuelles correspondances8. La localisa-

6

7

8

Walter RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk, 1975, p. 93 : « So macht Lukas das Ende schon im Anfang sichtbar. Denn unser Bericht umgreift nicht nur, er eröffnet auch den zweiten Teil der Apg. Nach den hinführenden Szenen 13,1-3.412.13 betritt man 13,14-52 wie durch ein mächtiges Tor den Paulus-Teil des Buches » ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, pp. 149-150 : « […] this sermon, like in Acts 2, has introductory and programmatic importance for Luke ». Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 141 : « Alle oben aufgeführten Texte folgen mehr oder weniger deutlich diesem Schema, wobei einzelne Elemente entfallen können oder die Reihenfolge geringfügig variiert wird » ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, p. 220. Pour un minutieux relevé des parallélismes, voir l’étude que leur a consacré Walter RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk, 1975, pp. 82-100. Cf. également Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 35-168 ; Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 487-489 ; ID., « Je t'ai établi lumière des nations (Ac 13,14.43-52) », 1984, pp. 344-345 ; Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, pp. 247-249 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 221-226 ; Frans NEIRYNCK, « Luke 4,16-30 and the Unity of Luke-Acts », dans Joseph V ERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven Uni-

8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien

249

tion de ces trois récits légitime déjà une analyse comparative. En effet, tous trois se situent au seuil de l’activité publique d’un personnage appelé à jouer un rôle majeur dans la suite du récit, lui réservant invariablement une tribune d’où s’exprime un discours annonçant plusieurs thèmes et développements à venir. Nous procéderons en deux temps. Premièrement, nous étudierons Ac 13 pour lui-même, le soumettant à une analyse structurelle. Dans un second temps, nous nous demanderons dans quelle mesure cette prédication paulinienne s’apparente à l’homélie délivrée par Jésus dans la synagogue de Nazareth et au discours tenu par Pierre au jour de la Pentecôte. 8.4.1 Structure d’Ac 13 Les vv. 14 et 51-52 constituent les deux bornes de notre péricope : au mouvement d’arrivée dans la ville d’Antioche de Pisidie (v. 14a) répond en finale un mouvement de départ pour Iconium (v. 51). Le changement scénique est d’ailleurs confirmé en aval par l’emploi en 14, 1 de la formule sémitique ejgevneto de; (+ infinitif), formule fonctionnant très souvent comme césure et marque introductive sous la plume de Luc9. Le champ textuel délimité, voyons comment le passage est narrativement agencé. Anton Deutschmann a identifié en Ac 13, 14-52 l’existence d’un schéma missionnaire décliné en neuf points10 : 1) arrivée des apôtres dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, un jour de sabbat (v. 14) ; 2) première prédication (vv. 16-41) ; 3) réaction de l’auditoire et premiers succès missionnaires (vv. 42-43) ; 4) accroissement significatif de l’auditoire, deuxième enseignement lors du sabbat subséquent (v. 44) ; 5) réaction négative d’une portion de l’assemblée juive (v. 45) ; 6) réorientation de la mission chrétienne en direction des nations païennes (vv. 46-47) ; 7) notification de sa réussite : naissance et croissance d’une communauté chrétienne (vv. 48-49.52) ; 8) agitation fomentée par des juifs influents et expulsion des apôtres (v. 50) ; 9) abandon de la ville (v. 51). Si ce découpage fin détaille adéquatement les petites unités que

9 10

versity Press, 1999, pp. 365-375 ; Joseph PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, pp. 82-92 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 339-340. ejgevneto de; (+ infinitif) ailleurs en Ac 4, 5 ; 9, 3.32.37 ; 19, 1 ; 21, 1.5 ; 27, 44 ; 28, 8.17. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 138.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

recèle l’épisode en question, il lisse cependant la macrostructure du passage. Elle mérite d’être mise en valeur. Sur le plan de la temporalité, le récit couvre deux sabbats distincts. Nous avons là un premier marqueur de discontinuité qui permet de distinguer les versets 14-43 des versets 44-52. Nous assistons clairement à deux entrevues, la seconde venant se greffer sur la première (cf. v. 42) 11. A cette progression temporelle s’ajoute un changement spatial. En effet, Paul et Barnabé sont dits sortir de la synagogue à la fin de la première entrevue (vv. 42-43), mais rien n’est dit de sa réintégration le sabbat suivant. Le cadre spatial semble être la ville dans son entier, d’où les missionnaires vont être finalement chassés (cf. v. 50). Par ailleurs, l’on assiste également à une modification des destinataires : l’auditoire synagogal, composé de juifs et de craignant-Dieu (vv. 16b.26a) respectivement de prosélytes (v. 43a), fait place à un auditoire avoisinant la taille de la ville (v. 44 : scedo;n pa'sa hJ povli") et composé de païens sans lien explicite avec l’institution synagogale (v. 48 : ta; e[qnh) 12. A notre avis, cette triple modification nous permet de distinguer deux unités dans cet épisode : une première rencontre sabbatique dans la synagogue d’Antioche de Pisidie (vv. 14-43) suivie d’un second échange en présence de toute la population de la ville, le sabbat subséquent (vv. 44-48). A côté de ces déplacements, il convient de noter un point de continuité d’une section à l’autre : l’objet des deux prises de parole demeure inchangé (v. 42 : ta; rJhvmata tau'ta). Ces deux moments discursifs sont finalement conclus par un petit sommaire à l’indicatif imparfait notifiant la diffusion géographique de la Parole (v. 49), luimême suivi de mesures d’ostracisme à l’encontre des deux missionnaires Paul et Barnabé (vv. 50-51). Une ultime notice éditoriale (v. 52), derechef à l’imparfait de durée, boucle finalement l’épisode sur une teinte optimiste, signalant la survivance à Antioche de Pisidie d’un

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Cf. Joseph PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, p. 135, qui parle d’une « Doppelfenster » ; aussi Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 492. Contra Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 362, qui plaide, malgré le silence lucanien, pour une localisation de ce second épisode antiochien dans le cadre synagogal.

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groupe de disciples13. Affinons maintenant la structuration de ces trois principales unités. 8.4.1.1 Premier échange (13, 14-43) Le noyau central de ce premier temps est formé par le discours de Paul (vv. 16-41). Ce moment discursif est pour sa part surmonté d’une partie introductive (vv. 14-15) et débouche sur une section conclusive (vv. 4243). En effet, les vv. 14-15 servent à installer le cadre spatio-temporel de la prédication (Antioche de Pisidie / synagogue / jour du sabbat / après la lecture de la Loi et des Prophètes) et à nommer les protagonistes de la scène (Paul et Barnabé / les ajrcisunavgwgoi / le peuple [cf. pro;" to;n laovn]), ainsi que la visée rhétorique de l’acte de parole paulinien (v. 15c : lovgo" paraklhvsew"). De leur côté, les vv. 42-43 clôturent ce premier sabbat, en mentionnant la sortie de la synagogue et en décrivant la réaction de l’auditoire aux dires de Paul. Conjointement, ces versets ouvrent sur le deuxième temps de cet épisode antiochien, en rapportant la demande faite à Paul et Barnabé d’un second discours agendé au sabbat suivant (v. 42). Il s’agit là d’un mécanisme de relance, assurant l’articulation entre eux des deux temps discursifs. 8.4.1.2 Deuxième échange (13, 44-48) Luc ne juge pas nécessaire de rapporter explicitement les propos tenus par Paul en cette occasion ; il se contente de varier une tournure ramassée (v. 44 : to;n lovgon tou' kurivou ; v. 45 : toi'" uJp o; Pauvl ou laloumevnoi" ; v. 46 : to;n lovgon tou' qeou' ; v. 48 : to;n lovgon tou' kurivou ; v. 49 : oJ lovgo" tou' kurivou), dans la mesure où l’apôtre ne dit rien de plus que ce qu’il avait proclamé le précédent sabbat (v. 26 : oJ lovgo" th'" swthriva" ; cf. v. 42 : ta; rJhvmata tau'ta). On l’a dit, l’auditoire croît sensiblement au point de s’identifier approximativement à la population totale de la ville d’Antioche de Pisidie. Si, comme lors du premier sabbat, la réaction des juifs est notifiée (v. 45), leur bienveillance initiale a pourtant fait place à une hostilité manifeste. Sur ce, Paul et Barnabé reprennent la parole et annoncent le virage que va prendre leur activité mission13

Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 399 : « Ein erbaulicher lukanischer Abschluss, der den Leser durch das Wort maqhtaiv daran erinnert, dass in Antiochia eine christliche Gemeinde entstanden ist ».

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

naire (v. 46 et fondement scripturaire ésaïen [Es 49, 6] au v. 47). Ces dires suscitent une nouvelle réaction des auditeurs (cf. ajkouvonta), mais de la part des païens cette fois-ci (v. 48). 8.4.1.3 Sommaire de croissance de la Parole et expulsion hors du territoire (13, 49-52) Ces versets conclusifs, qui débordent le cadre restreint (pour le moins topographique ; cf. v. 49 : di’ o{l h" th'" cwvra") de la seconde prédication paulinienne et ne lui répondent pas directement14, présentent diverses attitudes adoptées face à la mission chrétienne : diffusion nonentravée de la Parole du Seigneur dans toute la contrée (v. 49) ; résistance de la part des jIoudai'oi auxquels s’associent des femmes pieuses et les premiers de la ville (v. 50) ; plérôme des disciples (v. 52). De notre avis, ces versets fonctionnent comme épilogue de l’épisode en question. 8.4.1.4 D’une réaction de l’auditoire à l’autre Avant de nous aventurer à comparer Ac 13 aux récits de Lc 4 et Ac 2, il nous semble nécessaire de préciser ce qui provoque au v. 45 la volteface des juifs face à la prédication paulinienne. Il s’agit en effet d’un point délicat, fort débattu dans l’exégèse lucanienne moderne. Pour faire court, trois hypothèses sont en concurrence. Pour certains commentateurs, c’est l’atteinte à la Loi (vv. 38-39), et plus particulièrement à son statut sotériologique, qui est perçue comme un sacrilège par les juifs15. D’autres considèrent que le zh'l o" des juifs est provoqué par

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En effet, la réaction d’hostilité des juifs n’est pas déclenchée par la joie et la foi des païens (v. 48), mais découle de la large diffusion spatiale de la Parole du Seigneur (v. 49). Cf. Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 47 : « Wie schon die Ausbreitungsnotiz blickt auch der folgende Bericht in der zweiten Texthälfte über den zweiten Sabbat in Antiochien hinaus » (nous soulignons). Bart J. KOET, « Paul and Barnabas in Pisidian Antioch : A Disagreement over the Interpretation of the Scriptures (Acts 13,42-52) », 1989, p. 105 : « The Jews are not jealous but their attitude shows a certain zealousness and especially a zeal against Paul’s interpretation of the Torah, as presented in 13,38-41. » ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, p. 45 : « Ihre “Eifersucht” nährt sich aus dem “Eifer” für das Gesetz, das Paulus als ohnmächtig erklärt hatte (38c) » ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 518.

8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien

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l’ouverture du salut aux nations16. C’est finalement dans le succès récolté par les missionnaires chrétiens, facteur de concurrence pour les synagogues juives, qu’une frange minoritaire de chercheurs découvre la raison de cette levée de bouclier17. D’un point de vue strictement narratif, c’est la deuxième hypothèse avancée qui semble la plus convaincante, même si elle procède immanquablement du nouveau statut accordé à la Loi chez Luc (cf. 13, 38-39). En effet, si l’on examine attentivement le texte lucanien, c’est la vue des foules accourues pour entendre les missionnaires qui provoque le « zèle » des juifs (v. 45 : ijdovnte" de; oiJ jIoudai'oi tou;" o[clou"). Qu’est-ce à dire ? Luc construit une opposition sociologique entre les juifs d’une part, et les foules d’autre part (cf. v. 45) 18. Il s’agit de deux entités clairement distinctes. Or, l’unique critère susceptible d’expliquer cette partition sociologique est ethnico-religieux : en contraste avec les juifs présents, les foules semblent désigner les païens et les craignant-Dieu de la ville, ceux-là même qui réagiront positivement aux paroles de Paul et Barnabé (v. 48 : ta; e[qnh) 19. Par conséquent, la cause de l’hostilité juive n’est pas à rechercher dans le contenu même des propos pauliniens (au contraire, les juifs leur font bon accueil [vv. 42-43]), mais bien dans l’orientation universelle adoptée par la mission chrétienne ; c’est l’extension du salut d’Israël aux Gentils qui semble déclencher l’ire des juifs d’Antioche de Pisidie. 8.4.2 Ac 13 et les discours programmatiques de Jésus (Lc 4) et de Pierre (Ac 2) : essai de comparaison Cette comparaison pour être valide doit convoquer différents registres d’analyse. C’est pourquoi nous examinerons successivement les volets structurel, thématique et lexicographique. 16

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18 19

Il s’agit de l’opinion majoritaire : Frans NEIRYNCK, « Luke 4,16-30 and the Unity of Luke-Acts », 1999, pp. 372-374 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 222 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 314-318 ; etc. Par exemple : Wilfried ECKEY, Die Apostelgeschichte, I, 2000, p. 302 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte , 19777, p. 398 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 362. Josef PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, p. 195. Dans ce sens Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 6667 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 222.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

8.4.2.1 Parallélismes de structure La structure mise au jour en Ac 13, 14-52 offre un parallèle immanquable du scénario bipartite fixé dans le récit de Lc 4, puis rédupliqué par l’auteur à Théophile en ouverture des Actes (Ac 2). Tout comme Jésus ou Pierre, Paul commence par délivrer un message à teneur christologique (13, 16b-41 ; cf. Lc 4, 21 / Ac 2, 14b-36). Ce premier acte discursif rencontre dans les trois cas une réaction bienveillante (Lc 4, 22 / Ac 2, 37 / Ac 13, 42-43). Dans un deuxième temps, à l’instar de Jésus ou de Pierre, Paul, réagissant à une demande de son auditoire, reprend la parole (13, 44 ; cf. Lc 4, 23-27 / Ac 2, 38-40). L’attitude des juifs est cette fois-ci hostile (13, 45). Si semblable revirement de l’auditoire s’observe également dans le récit de Lc 4 (cf. v. 28), il fait toutefois défaut au seuil des Actes : la Pentecôte chrétienne d’Ac 2 n’offre rien de comparable. Au contraire, l’épisode s’achève sur une note clairement optimiste, relatant les conversions massives déclenchées par l’appel pétrinien à la repentance (2, 41)20. Cette finale positive explique une autre singularité d’Ac 2 : à la différence de Lc 4, 29 ou d’Ac 13, 50, nulle mesure de répression n’est prise à l’encontre du prédicateur, l’obligeant à reprendre la route (diff. Lc 4, 30 / Ac 13, 51). Deux variantes attestées dans l’épisode d’Ac 13 méritent d’être signalées : la réaction positive des païens aux dires de Paul et Barnabé (13, 48) n’a son équivalent ni en Lc 4 ni en Ac 2. De même, la dénonciation du refus juif et la réorientation solennelle de la mission chrétienne (13, 46-47) n’ont de pendant ni dans l’épisode de la synagogue de Nazareth ni dans celui de la Pentecôte. Ces deux décrochements par rapport au modèle installé en Lc 4 et répété en Ac 2 demanderont à être éclairés. Cela dit, un bilan intermédiaire peut déjà être tiré : si le scénario d’Ac 13 n’est pas la réplique exacte du script fixé en Lc 4 ou en Ac 2, les parentés structurelles existant entre ces trois pages de la double

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Cf. Andreas LINDEMANN, « Einheit und Vielfalt im lukanischen Doppelwerk. Beobachtungen zu Reden, Wundererzählungen und Mahlberichten », dans Joseph VERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, p. 234 : « Die Jesus-Szene in Nazareth endet mit einer Niederlage Jesu, nämlich seiner Vetreibung aus der Stadt (V. 28-30) ; […] Die Petrus-Szene in Jerusalem dagegen endet mit einem grandiosen Triumph des Redners : An einem einzigen Tag nimmt eine grosse Zahl von Menschen seine Botschaft an, lässt sich taufen und wird (sc. zur Jesus-Gruppe) “hinzugetan” (prosetevqhsan) […] ».

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œuvre lucanienne sont néanmoins irréfragables et témoignent d’une mise en réseau délibérée. 8.4.2.2 Parallélismes thématiques D’un point de vue thématique également, les ressemblances apparentant ces trois discours sont indubitables. Deux grandes constances apparaissent à première lecture : leur contenu centralement christologique ainsi que leur recours régulier aux Ecritures pour fonder leur argumentation. Partons de l’homélie en la synagogue de Nazareth : elle a pour but principal de clarifier l’identité de Jésus au seuil de son ministère public, inscrivant sa venue en accomplissement de l’oracle du prophète Esaïe (Lc 4, 17-21 ; cf. Es 61, 1-2). De même, Pierre, relisant l’effusion pentecostale à l’aide d’une grille scripturaire (2, 17-21 ; cf. Jl 3, 1-5a), en cherche les fondements dans l’événement Jésus Christ, faisant de sa résurrection et de son exaltation les catalyseurs du don de l’Esprit (2, 22-36). Là encore, l’argumentation christologique puise abondamment au creuset des Ecriture juives lues dans la version des Septante (Ps 15, 8-11 ; 109, 1 ; 131, 11). En Ac 13 finalement, Paul, après un rappel de l’histoire sainte, lui appond la figure du Messie de Nazareth et offre de sa résurrection une relecture scripturaire à partir des Ps 2, 7 et 16, 10. On le voit, tant le discours pétrinien de la Pentecôte que celui de Paul à Antioche de Pisidie appuient le fait résurrectionnel sur le Ps 16, 10 (cf. Ac 2, 27 ; 13, 35) 21, érigeant la figure de David en antitype du Christ ; alors que le grand roi d’Israël est mort et a connu la corruption, Jésus quant à lui n’est pas retourné à la décomposition, mais a été relevé d’entre les morts (Ac 2, 29-32 / Ac 13, 36-37). Quant à l’universalité du salut, symbolisée en Lc 4, 25-27 par les figures bibliques de la veuve de Sarepta et de Naamân le Syrien, puis obliquement suggérée dans le discours pétrinien de la Pentecôte (2, 17.21.39)22, elle reçoit en Ac 13 non seulement une légitimation théologi21

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Michael D. GOULDER, Type and History in Acts, London, SPCK, 1964, p. 83 : « Theme, text, and exposition are identical for the two sermons, ch. 13 being an abbreviated form of ch. 2 ». Pierre, désireux d’expliquer le phénomène extatique survenu à la Pentecôte, cite Jl 3, 1 qui déclare : « Et ce sera dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair […] » et ajoute plus loin : « Et ce sera (ainsi) : quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (Jl 3, 5 ; nous soulignons). Quand bien même l’épisode de la Pentecôte ne fait état d’aucune assistance païenne (cf. Ac 2, 5 qui ins-

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

que (13, 38-39 : pa'" oJ pisteuvwn dikaiou'tai) ainsi qu’une validation scripturaire (13, 47b ; cf. Es 49, 6), mais surtout une concrétisation exemplaire pour la mission paulinienne des Actes (13, 46b.48)23. Bref, si le programme de mondialisation tracé par l’homme de Nazareth est fidèlement cultivé par Pierre et Paul, l’histoire du salut suit néanmoins son cours, imprimant à la thématique universelle des infléchissements graduels. Finalement, une dernière observation favorise un rapprochement entre ces trois discours : à chaque fois la figure de Jésus y est présentée sous les traits d’une victime repoussée et brutalisée. En Lc 4, 24, cette violence est thématisée à l’aide du topos deutéronomiste du prophète rejeté par les siens, avant d’être mise en récit dans l’épilogue de la péricope (cf. 4, 29). En Ac 2, 23 et 13, 27-29, c’est sous la forme du « schéma de contraste » que la violence exercée contre Jésus est amenée dans le discours. Bien entendu, le point de vue s’est immanquablement déplacé d’un discours à l’autre, dans la mesure où Lc 4, 24.28-29 officie comme préfiguration voilée de la crucifixion, alors qu’Ac 2, 23 et 13, 27-29 offrent des relectures a posteriori. 8.4.2.3 Parallélismes terminologiques Il convient finalement d’apprécier les convergences terminologiques recoupant ces trois épisodes. Ce sont tout d’abord les parentés lexicales existant entre Lc 4 et Ac 13 qu’il faut noter. A commencer par les précisions scéniques : l’épisode d’Antioche de Pisidie (Ac 13, 14-16a) reçoit en effet une introduction calquée sur celle de la prédication de Jésus à la synagogue de Nazareth (Lc 4, 16). Les rapprochements terminologiques sont multiples : kai; eijsh'lqen kata; to; eijwqo" aujtw'/ ejn th'/ hJm evra/ tw'n sabbavtwn eij" th;n sunagwghvn (Lc 4, 16c) / kai; eijselqovnte" eij" th;n sunagwgh;n th'/ hJm evra/ tw'n sabbavtwn (Ac 13, 14b) ; kai; ajnevsth ajnagnw'nai (Lc 4, 16c) / ajnasta;" de;; Pau'lo" (Ac 13, 16a). De même, la seconde réaction des juifs aux

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talle une mondialisation exclusivement intra-juive ; voir aussi la concrétisation géographique que Luc en donne aux vv. 9-11a), il énonce de manière voilée l’ouverture universelle du salut (cf. aussi Ac 2, 39). Cf. Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 315 : « Die Universalität des Heils wird nicht mehr nur proklamiert, sie könnte jetzt praktiziert werden ».

8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien

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dires respectifs de Jésus et de Paul offre d’évidents échos terminologiques : kai; ejplhvsqhsan pavnte" qumou' (Lc 4, 28) / […] oiJ jIoudai'oi […] ejplhvsqhsan zhvl ou (Ac 13, 45). Enfin, l’expulsion finale sur laquelle débouchent ces deux récits atteste également certaines parentés lexicales : ejxevbalon aujto;n e[xw th'" povlew" (Lc 4, 29) / kai; ejxevbalon aujtou;" ajpo; tw'n oJrivwn aujtw'n (Ac 13, 50b). Poursuivons par une présentation des recoupements identifiables entre les textes d’Ac 2 et d’Ac 13. Déjà les apostrophes qui émaillent ces deux discours se présentent à l’identique : a[ndre" jIsrahli'tai (Ac 2, 22a / 13, 16b) ; a[ndre" ajdelfoiv (Ac 2, 29a / 13, 26a). Les affinités lexicographiques ne s’arrêtent toutefois pas là, mais infiltrent le corps des deux discours : oujde; dwvsei" to;n o{siovn sou ijdei'n diafqoravn (Ac 2, 27b) / ouj dwvs ei" to;n o{siovn sou ijdei'n diafqoravn (Ac 13, 35b) ; ou[te hJ sa;rx aujtou' ei\den diafqoravn (Ac 2, 31b) / oujk ei\den diafqoravn (Ac 13, 37b) ; uJmi'n gavr ejstin hJ ejpaggeliva kai; toi'" tevk noi" uJm w'n (Ac 2, 39a) / kai; hJmei'" uJma'" eujaggelizovmeqa th;n pro;" tou;" patevra" ejpaggelivan genomevnhn, o{ti tauvthn oJ qeo;" ejkpeplhvrwken toi'" tevk noi" aujtw'n hJmi'n (Ac 13, 32-33a ; cf. 13, 23). 8.4.3 Bilan et essai d’interprétation Cette rapide étude comparative nous a permis de démontrer les parallèles multiples – structurels, thématiques et lexicographiques – qui affectent les trois grandes scènes inaugurales de la double œuvre lucanienne. Autrement dit, Luc semble avoir composé ces trois fresques discursives sur un modèle identique : un épisode en deux temps, comprenant, à chaque fois, un acte de parole de l’orateur principal suivi d’une réaction de son auditoire. Nous avons là un indiscutable cas de syncrisis réalisé par la reprise dans trois épisodes distincts d’un scénario analogue. Outre ces ressemblances structurelles, les trois prises de parole de Lc 4, Ac 2 et Ac 13 affichent, on l’a vu, d’indéniables affinités thématiques. D’une part, leur teneur est fortement christologique et réquisitionne à cet effet la figure davidique comme antitype. Ensuite, leur argumentation est constamment scripturaire, exploitant dans deux cas un extrait du Ps 16 comme prophétie de la résurrection. Finalement, leur propos dénote d’invariables teintes universalistes, signifiant implicitement ou explicitement le débordement de l’exclusivisme sotériologique juif. Bien entendu, l’emplacement narratif de ces discours – au

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

début de l’évangile, au seuil des Actes et en ouverture de la mission paulinienne – influe immanquablement sur la gestion de ces thématiques. Enfin, sur le plan lexicographique, nous avons également repéré certaines convergences soutenant la mise en réseau de ces trois épisodes. Ces parallèles, relevés dans les registres structurel, thématique et lexicographique, démontrent avec clarté que Luc a modelé la prédication inaugurale d’Antioche de Pisidie sur les homélies de Jésus à Nazareth et de Pierre à Jérusalem. Ce diagnostic littéraire posé, il nous faut maintenant en risquer une interprétation théologique. Autrement dit, il nous faut déterminer la portée herméneutique de ce phénomène d’intratextualité. Première incidence : le programme universaliste suggéré par Jésus dans la synagogue de Nazareth (Lc 4, 25-27), puis réitéré par Pierre au jour de la Pentecôte (Ac 2, 17.21.39), reçoit à partir d’Ac 13 une concrétisation à grande échelle : les païens accueillent avec joie l’offre de salut qui leur est faite (v. 48). La continuité du plan salvifique est ainsi garantie. Ce qu’avait par ailleurs prédit Jésus en Lc 4, 24, à savoir le rejet du salut par Israël, se vérifie également en Ac 13, 45.46b. Comme l’affirme très justement Daniel Marguerat, « […] Luc compose ici [Lc 4, 16-30] un tableau où il anticipe une vérité encore à venir dans l’ordre du récit, qui est le rejet de la Parole par Israël et son accueil par les nations » 24. Ce qui se joue et se jouera à maintes reprises dans la mission paulinienne de diaspora est programmé par Jésus dès son discours inaugural de Nazareth25. Bref, les figures majeures de la première chrétienté – telle que reconstruite par Luc – à savoir Pierre et Paul ne font que prolonger le dire et le faire de leur Maître. Ceci est d’une importance capitale au moment où la mission apostolique, repoussée par des

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Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, p. 225 ; cf. également Jean-Noël ALETTI, Quand Luc raconte. Le récit comme théologie (Lire la Bible 115), Paris, Cerf, 1998, pp. 177-178. Cf. Jacques DUPONT, « Je t'ai établi lumière des nations (Ac 13,14.43-52) », 1984, pp. 344-345 : « La rupture de Jésus avec ses compatriotes fait déjà pressentir celle qu’on voit se produire à Antioche de Pisidie et qui va se renouveler et s’approfondir tout au long de la carrière missionnaire de l’Apôtre » ; Joseph B. TYSON, « The Jewish Public in Luke-Acts », NTS 30, 1984, p. 578 : « Luke 4. 16-30 anticipates the Jewish public response to Jesus that will be worked out in the rest of the gospel. It is significant that the rejection is associated with favourable treatment of Gentiles ».

8.4 Ac 13 et les scènes inaugurales du diptyque lucanien

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juifs endurcis, s’ouvre aux nations païennes26. Ce geste fracturant le particularisme d’Israël reçoit de ce jeu d’échos une légitimation christologique bienvenue. D’autre part, la violence dont sont victimes à Antioche de Pisidie Paul et Barnabé est alignée par ce phénomène littéraire sur le destin de Jésus et s’alimente de ce fait à la même source, en clair au modèle deutéronomiste du prophète mandaté par Dieu mais repoussé par Israël27. Il nous reste un dernier point à éclaircir : quid de la variation du pattern littéraire en Ac 2 ? Pourquoi cet épisode ne comporte-t-il pas une première réaction positive suivie d’une seconde négative ? Pourquoi sa teinte est-elle finalement triomphaliste ? Observer la localisation narrative de ces différents épisodes nous aidera à préciser notre réponse. Lc 4, 16-30 se situe en ouverture du ministère public de Jésus et revêt à cet égard une indéniable fonction programmatique 28. C’est ainsi que Lc 4, 29 officie comme prolepse de la Passion29, alors que Lc 4, 25-27 anticipe l’enjeu central des Actes, à savoir la mission jusqu’aux confins de la terre (Ac 1, 8). Dans cette optique, le refus des Nazaréens préfigure celui d’Israël30 ; cet épisode contient en puissance le problème des rapports Israël–nations, problème qui rebondira de manière aiguë dans les Actes. De son côté, Ac 13 initie également la prédication et la mission pauliniennes de diaspora 31. Nombreux sont ainsi les 26 27

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Cf. Joseph PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, pp. 91-92 : « Die Apostel führen den universalen Ansatz der Botschaft Jesu getreu weiter ». En cela, nous ratifions les remarques faites par Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 225 : « Secondement, l’épisode fonctionne comme modèle, parce que le destin de Jésus y est interprété à l’aide du motif du prophète rejeté par les siens ». Cf. Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », déclare au sujet de Lc 4, 16-30, p. 502 : « En esquissant le programme du ministère public de Jésus, cette page fait en même temps pressentir toute la suite du récit jusqu’à la conclusion que lui donne l’épisode de Rome ». Dans ce sens Andreas LINDEMANN, « Einheit und Vielfalt im lukanischen Doppelwerk. Beobachtungen zu Reden, Wundererzählungen und Mahlberichten », 1999, p. 236. Lecture également défendue par Walter RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk, 1975, p. 98 : « Die Tatsache, dass Jesus in Nazareth nicht aufgenommen wird, gewinnt typische Bedeutung für seine Ablehnung beim ganzen Volk ». Cf. Walter RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk, 1975, p. 93 : « So macht Lukas das Ende schon im Anfang sichtbar. Denn unser Bericht umgreift nicht nur, er eröffnet auch den zweiten Teil der Apg. Nach den hinführenden Szenen 13,13.4-12.13 betritt man 13,14-52 wie durch ein mächtiges Tor den Paulus-Teil des Buches ».

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commentateurs à avoir énuméré les épisodes des voyages pauliniens qui rédupliquent entièrement ou partiellement le scénario scellé à cette occasion32 : Iconium (14, 1-7) ; Thessalonique (17, 1-10a) ; Bérée (17, 10b14) ; Corinthe (18, 1-18a) ; Ephèse (18, 19-21 ; 19, 8-10) ; Rome (28, 1631)33. Vue ainsi, la prédication paulinienne à la synagogue d’Antioche fonctionne bien comme porte d’entrée de la dernière section des Actes. Pour faire court, elle installe, sous la forme d’un archétype, le dossier incandescent qui va embraser cette séquence narrative : le rejet de l’Evangile par la Synagogue et l’élargissement du salut aux païens. Nous y reviendrons en détail au paragraphe suivant. Qu’en est-il alors du discours pentecostal de Pierre, placé au fronton du second tome lucanien ? Son propos est non seulement interprétatif – donner sens à l’effusion de l’Esprit sur l’Eglise – mais aussi programmatique, en ce qu’il renferme déjà de claires allusions à l’universalisation du salut. En outre, il inaugure une série de discours qui vont scander le fameux « printemps de Jérusalem » (3, 12-26 ; 4, 912 ; 5, 29b-32), amorçant par là-même la mission de témoignage confiée aux Douze et appelée à débuter dans la Ville sainte (cf. Lc 24, 47b ; Ac 1, 8b). Et, si ces chapitres mettent en scène l’opposition croissante des chefs d’Israël à l’encontre des évangélistes, ils n’en relatent pas moins l’accueil très favorable qui leur est réservé par les foules juives34. Cela explique pour une part l’absence en Ac 2 de toute réaction négative des Jérusalémites : l’engouement suscité par le discours de la Pentecôte anticipe le rassemblement d’Israël relaté dans les chapitres 3 à 6 des Actes35. Bref, si Luc dresse un continuum reliant entre elles les trois

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Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 138-141 ; Jacques DUPONT, « Je t'ai établi lumière des nations (Ac 13,14.43-52) », 1984, p. 344 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 220 ; Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », 1991, pp. 639-644. Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 141 : « Alle oben aufgeführten Texte folgen mehr oder weniger deutlich diesem Schema, wobei einzelne Elemente entfallen können oder die Reihenfolge geringfügig variiert wird ». Cette bienveillance affichée par le peuple de Jérusalem fait figure de trait constant en Ac 2–5 ; le premier signe de crispation surviendra lors du martyre d'Etienne seulement, en Ac 6, 12. Cf. Hans Jörg SELLNER, Das Heil Gottes. Studien zur Soteriologie des lukanischen Doppelwerkes (BZNW 152), Berlin, de Gruyter, 2007, p. 367 : « Die 3000, die schon am Pfingsttag hinzugefügt werden (2,41), die 5000, die es schon mit 4,4 sind, erzeugen zusammen mit weiteren Wachstumsnotizen (2,47 ; 5,14 ; 6,1.7) beim Leser un-

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

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scènes inaugurales de son diptyque, il ne télescope pas pour autant les différentes phases de l’histoire du salut, orchestrant une nette évolution dans l’attitude du public juif face à la prédication chrétienne. D’autre part, – et c’est là une seconde explication à la teinte uniformément positive de la scène pentecostale – Ac 1–2 sont conçus par Luc pour relater les événements fondateurs de l’Eglise : rappel de l’exaltation de Jésus / choix de Matthias / effusion de l’Esprit et conversion des trois mille. En deux chapitres, Luc construit le tableau originaire de la chrétienté à Jérusalem. Ce contexte narratif offre ainsi une autre explication à l’attitude globalement favorable affichée par l’auditoire de la Pentecôte : « il faut bien que les apôtres soient installés dans leur pratique avant d’être contestés » 36.

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne 8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

8.5.1 Un schéma tripartite de rupture L’autre argument assurant à l’épisode d’Antioche de Pisidie une fonction inaugurale se reconnaît à l’examen du scénario de rupture répété tout au long de la mission de diaspora conduite par Paul. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, une large majorité d’exégètes a en effet identifié la démultiplication en aval d’Ac 13 d’un schéma missionnaire introduit à Antioche de Pisidie 37. Ceci dit, cet accord de principe masque mal les divergences qui affectent la délimitation de ce pattern littéraire ainsi que son repérage dans le récit des Actes. Exemple : alors qu’Anton Deutschmann exhume en Ac 13 un stéréotype en neuf points que les différentes étapes des voyages pauliniens varieraient38, Lawrence Wills,

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weigerlich den Eindruck, nun werde “fortgeführt und vollendet, was Jesus mit seiner Predigt gewollt hatte : das Volk wird gesammelt, die Ernte wird eingebracht”. » Jean ZUMSTEIN, « L’apôtre comme martyr dans les Actes de Luc. Essai de lecture globale », dans ID., Miettes exégétiques (Le Monde de la Bible 25), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 185. Une fissure est néanmoins déjà apparue dans cet édifice idyllique suite à l’événement de la Pentecôte (cf. Ac 2, 12-13). Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 138-141 ; Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, pp. 145-165 ; Joseph B. TYSON, « The Jewish Public in Luke-Acts », 1984, pp. 580-581 ; Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », 1991, pp. 639-644. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 137-152.

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de son côté, identifie un « cycle » missionnaire décliné en seulement trois moments dramatiques : activité missionnaire positive – opposition – libération et expansion (voir le tableau synoptique dressé par l’auteur) 39. On le pressent déjà, la définition du pattern missionnaire de diaspora échappe à toute velléité de réduction à un modèle standard qui se verrait répété mécaniquement par son auteur. Au contraire, la redondance narrative est une stratégie littéraire dans laquelle l’écrivain Luc excelle et qui consiste non seulement à accentuer un événement jugé digne d’intérêt, mais également à en déployer tous les effets de sens40. Partant, les modulations et les écarts qui caractérisent la reprise d’un étalon sont aussi signifiants que ses éléments invariants. Il s’agira d’y être attentif. Comme nous l’avons mis au jour, l’épisode d’Ac 13 se compose de trois unités principales qui ne sont pas sans affinités avec le « cycle missionnaire » identifié par Lawrence Wills : 1) prédication des missionnaires Paul et Barnabé dans la synagogue d’Antioche et réaction positive de l’auditoire juif ; 2) reprise de la parole lors du sabbat subséquent. Cette fois-ci, la présence d’une foule ethniquement mixte suscite la fureur et les injures de la population juive de la ville. Sur ces entrefaites, Paul et Barnabé annoncent la réorientation de leur mission en direction des incirconcis ; 3) épilogue notifiant d’une part la croissance irrépressible de la Parole et la rémanence d’un groupe de disciples à Antioche de Pisidie, d’autre part la persécution des missionnaires Paul et Barnabé et leur départ contraint de la ville. Observons maintenant comment cette structure tripartite est reprise et modulée en aval d’Ac 13. Le premier épisode à endosser ce scénario missionnaire s’inscrit dans la continuité d’Ac 13 : il s’agit de l’évangélisation conduite à Iconium par Paul et Barnabé (14, 1-7). Luc a d’ailleurs renforcé la proximité entre ces deux scènes, en précisant que la procédure adoptée dans

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Lawrence M. WILLS, « The Depiction of the Jews in Acts », 1991, pp. 640-641. A ce sujet, Daniel MARGUERAT, Yvan BOURQUIN, La Bible se raconte. Initiation à l’analyse narrative, Paris/Genève/Montréal, Cerf/Labor et Fides/Novalis, 20043, p. 161. Le déploiement sémantique inhérent à ce phénomène de répétition a été mis en lumière par Daniel Marguerat à l’examen des différentes relectures de la conversion de Corneille (ID., La première histoire du christianisme, 20032, p. 83). Nous aurons au reste l’occasion de revenir sur cette technique littéraire dans notre chapitre suivant consacré au récit de l’assemblée jérusalémite (Ac 15).

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

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la ville d’Iconium réduplique celle engagée à Antioche de Pisidie (cf. v. 1a : kata; to; aujtov) 41. Trois unités se laissent derechef découper : 1) activité synagogale des deux évangélistes sanctionnée par la réaction positive des auditeurs, notamment concrétisée dans des conversions nombreuses de juifs et de païens (v. 1) ; 2) opposition des juifs incrédules, cherchant à séduire les païens d’Iconium et à les soulever « contre les frères » (kata; tw'n ajdelfw'n ; cf. 1, 15) résidant dans la ville (v. 2) ; 3) poursuite de l’activité d’évangélisation assortie de signes et prodiges, division de la population locale, persécution des apôtres et finalement départ contraint d’Iconium (vv. 3-6). Le tout débouche sur un sommaire conclusif signalant une nouvelle phase d’expansion missionnaire (v. 7). Si ce deuxième épisode missionnaire reproduit les trois temps du scénario fixé en Ac 13, il n’en modifie pas moins les volumes42. Aucun contenu n’est ainsi donné de la prédication tenue en la synagogue d’Iconium par Paul et Barnabé. Assurément, l’ample et détaillée homélie d’Ac 13, 16b-41 constitue un modèle-type du discours missionnaire paulinien de diaspora 43, autorisant Luc à passer sous silence les propos ultérieurs délivrés par Paul. Autre omission : si l’opposition s’origine une nouvelle fois au sein du public juif de la prédication chrétienne, Paul ne redouble pas l’annonce faite en 13, 46-47, proclamant la nouvelle orientation prise par sa mission. Bref, si l’auteur des Actes compresse en Ac 14, 1-6 les deux premières sections du schéma missionnaire, la troisième partie reçoit à l’inverse une amplification notable : Luc notifie non seulement la poursuite par Paul et Barnabé de leur effort missionnaire ainsi que ses conditions « théologiques », mais aussi

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Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 403 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 369. Contra Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 210 : « Der Bericht über den Aufenthalt des Paulus und Barnabas in Ikonion wirkt auf den heutigen Leser ausgesprochen blass, ja schematisch. Kein einziger Zug von unverwechselbarem Eigenprofil lässt sich in ihm entdecken. Das meiste sieht wie eine Wiederholung der Vorgänge im pisidischen Antiochia aus […] ». Cf. Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, p. 312 : « Der Leser soll die erste Reise als die beispielgebende Reise verstehen ! Demzufolge liegt auch auf der ersten Missionsrede des Paulus 13,16ff. ein stärkeres Gewicht als auf späteren Redeelementen […]. Hier werden Einzelheiten breit ausgeführt, die man sich später selbstverständlich zu ergänzen haben wird » ; aussi Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts , 1995, pp. 148-149.

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la scission qu’elle déclenche au sein de la population, fracturant la ville en deux camps opposés. Il faut ensuite attendre le chapitre 17 et l’évangélisation menée à Thessalonique pour voir réapparaître un exemplaire du schéma missionnaire paulinien. Les trois mêmes sections y figurent44 : 1) activité synagogale de Paul, cette fois-ci étalée sur trois sabbats, comportant une exégèse scripturaire et une annonce du kérygme christologique. Un succès auprès des juifs comme des Grecs, auprès des hommes comme des femmes, couronne cet effort missionnaire (vv. 1-4) ; 2) dans un second temps, l’opposition fomentée par les résidents juifs de la ville et l’agitation qu’ils occasionnent sont relatées à renfort de détails (vv. 59) ; 3) le départ en catimini de Paul et Silas pour Bérée conclut finalement l’épisode (v. 10a). La concrétion en Ac 17, 1-10a du schéma missionnaire se caractérise tout d’abord par la dilatation considérable du second moment : la contestation suscitée par les juifs de Thessalonique à l’encontre des prédicateurs de l’Evangile y reçoit un traitement détaillé, dans une scène particulièrement mouvementée 45. Cette anecdote haute en couleur signale également les conditions d’existence des nouveaux convertis à Thessalonique : ils semblent se réunir dans des maisons particulières, à l’exemple de la domus de Jason où l’on tente d’appréhender Paul et Silas et où se trouvent également d’autres frères46. A la différence d’Ac 13 par contre, nul sommaire de croissance ne vient clôturer l’épisode qui se termine sur une note sombre et laconique, signalant la fuite nocturne et précipitée de Paul et Silas. La halte missionnaire de Bérée (17, 10b-14) se déroule sous les mêmes auspices : 1) s’étant immédiatement rendus dans la synagogue 44 45

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Cf. Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 617. Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 139 : « Die Szenerie der paulinischen Mission in Thessalonike schildert besonders ausführlich den Widerstand gegen die Verkündigung der Apostel, die in ihrer lebendigen Darstellung wohl Elemente lokaler Kenntnisse bzw. Traditionen bewahrt hat ». Cette composition haute en couleur constitue un exemple supplémentaire du style épisodique pratiqué par Luc (cf. Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 442). David Lertis MATSON, Household Conversion Narratives in Acts (JSNT.SS 123), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996, pp. 169-170 : « The scene thus witness a strategic shift away from the synagogue to the house as the new sphere of religious activity. That “brothers and sisters” (aj delfou;") are present in the house of Jason suggests that it has become the distinct locale of Christian assembly at Thessalonica and the center of Paul’s missionary activity (17.6) ».

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du lieu, Paul et Silas y reçoivent tout d’abord un accueil favorable, générant un nombre appréciable de conversions au sein de leur auditoire mixte, composé de juifs et de Grecs, d’hommes et de femmes (vv. 10b12) ; 2) mais, à l’arrivée de juifs venus de Thessalonique, l’atmosphère jusqu’alors clémente vire à l’aigre (v. 13). Un nouveau soulèvement populaire menaçant les prédicateurs de l’Evangile aura finalement raison de la présence à Bérée de l’apôtre des nations : 3) il sera ainsi exfiltré vers la mer, d’où il prendra la route d’Athènes (v. 14 ; cf. v. 15). Deux éléments singularisent la reprise en 17, 10-14 du schéma missionnaire paulinien. D’une part, l’opposition aux évangélistes ne s’origine pas dans le cadre de la synagogue de Bérée, mais est orchestrée de l’extérieur par l’intervention de juifs venus expressément de Thessalonique. D’autre part, si comme en 13, 52 la persécution ne semble viser que les prédicateurs de l’Evangile, ici c’est toutefois la seule personne de Paul qui semble inquiétée. Silas et Timothée peuvent en effet prolonger leur séjour dans la ville de Bérée, jusqu’à ce que l’évangéliste des nations, installé à Athènes, les fasse mander (vv. 1415). L’activité missionnaire menée à Corinthe (18, 1-18) s’aligne, elle aussi, sur le modèle d’évangélisation fixé en Ac 13. Dans ce cas, les variations sont néanmoins plus marquées. Les trois temps habituels s’y retrouvent en effet, mais se présentent sous un jour quelque peu inhabituel et augmenté de certains éléments singuliers : à son arrivée à Corinthe, Paul commence par entrer en contact avec un couple de juifs expulsé de Rome, chez qui il va loger et travailler (vv. 1-3). Ensuite seulement, son activité synagogale est notifiée : elle couvre plusieurs sabbats et a pour contenu le kérygme christologique (vv. 4-5). Sa proclamation s’intensifiera encore avec l’arrivée de Silas et Timothée. Comme ailleurs cependant, une levée de bouclier assortie d’injures (ajntitassomevnwn de; aujtw'n kai; blasfhmouvntwn ; cf. 13, 45) caractérisera la réaction des juifs de Corinthe. D’où le geste de rupture de Paul secouant ses vêtements et la réorientation de sa mission auprès des nonjuifs (v. 6). Cette nouvelle direction donnée à la mission et mise en œuvre à partir de la domus d’un craignant-Dieu récoltera quant à elle un franc succès, tant auprès des cercles juifs que des cercles païens de la ville de Corinthe (vv. 7-8). Durant un an et demi, Paul, surplombé par une vision nocturne lui garantissant non seulement la protection de

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

Dieu, mais aussi la fécondité ecclésiologique de son agir missionnaire, poursuivra son activité à Corinthe (vv. 9-11)47. Son départ de cette ville ne sera relaté que bien plus tard, laissant à Corinthe un groupe de frères, et répondra cette fois-ci à un choix délibéré de Paul (v. 18a). Entredeux, Luc a réinséré et amplifié le motif de l’agitation populaire, dans ce cas exclusivement juive, qui conduit à l’arrestation de Paul et à sa traduction devant le tribunal de Gallion (vv. 12-17). Bref, si la reprise du schéma missionnaire en Ac 18, 1-18 souffre plusieurs modifications, tant dans le contenu que dans l’agencement des motifs, la structure-type en trois temps se reconnaît sans peine : 1) activité non-entravée de Paul dans la synagogue de Corinthe (vv. 4-5) ; 2) opposition de son auditoire juif et réorientation de sa mission vers un public païen. Le virage imposé à la mission chrétienne est ici signifié de trois manières différentes : par un geste symbolique de rupture, par une parole rejetant la responsabilité de ce tournant sur les opposants à l’Evangile et annonçant la réorientation de la mission auprès des païens, et enfin par la migration géographique de Paul dans la maison de Titius Justus, nouvel hébergement choisi pour son enseignement48 ; un large succès conclut cette seconde phase évangélisatrice (vv. 6-8) ; 3) durant un an et demi, poursuite de l’agir missionnaire de Paul, soutenu par la providence divine, et constitution d’un « peuple nombreux » pour le Seigneur dans la ville de Corinthe (vv. 9-11)49. Finalement, départ pour une nouvelle destination missionnaire, non sans laisser de foyer ecclésial à Corinthe (cf. v. 18a : toi'" ajdelfoi'").

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L’importance de cette vision pour la théologie lucanienne de croissance ecclésiale a été notée par Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 255263. Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 663 : « Die Bemerkung über den Umzug des Paulus in das Haus des Titius Justus (V. 7) kann uns auf die Bedeutung von Hausgemeinden (“Häusern”) aufmerksam machen […]. Sie haben z.Z. des Paulus vor allem eine dreifache Funktion : Sie sind 1. Stützpunkte für die Missionare, bilden 2. die Keimzellen in einer neugegründeten Gemeinde und dienen 3. der Gemeinde als Versammlungsstätten für Gebet, Gottesdienst und Katechese. Nach wie vor kommt den “Hausgemeinden” (Familien) als den kleinsten Zellen der Kirche eine nicht zu unterschätzende Bedeutung zu ». Carsten BURFEIND , « Paulus muss nach Rom. Zur politischen Dimension der Apostelgeschichte », NTS 46/1, 2000, pp. 79-80, a souligné l’importance de l’épisode corinthien dans le processus d’autonomisation du christianisme face à la Synagogue. Ici en effet, Paul reçoit une autorisation théologique à poursuivre sa mission dans la ville de Corinthe et à y constituer un peuple pour le Seigneur.

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

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La prochaine occurrence du pattern missionnaire de diaspora surgit dans le prolongement immédiat, lors de l’escale paulinienne d’Ephèse (18, 19-21 ; 19, 8-10). En réalité, l’activité kérygmatique de Paul dans cette ville d’Asie Mineure est dédoublée, Luc prêtant à l’apôtre des nations deux séjours successifs à Ephèse. Le premier est de courte durée et voit Paul se rendre comme à son habitude dans la synagogue locale ; la réaction des juifs d’Ephèse est bienveillante, ceux-ci priant l’évangéliste de prolonger sa halte (vv. 19-21). Refusant, l’apôtre évoque toutefois la possibilité d’une seconde venue. Elle est relatée au chapitre 19. Cette fois-ci, Paul commence par y rencontrer des disciples établis à Ephèse, à qui il impose les mains, afin qu’ils soient également revêtus d’Esprit saint (vv. 1-7). Partant, cette anecdote est le théâtre d’une nouvelle Pentecôte en écho immanquable à l’événement extatique d’Ac 2 50. A partir du v. 8 seulement, Luc renoue avec le fil narratif laissé en suspens depuis 18, 21, mentionnant la seconde venue de Paul dans la synagogue d’Ephèse et l’activité qu’il y déploie. Sa prédication, étirée sur un intervalle de trois mois, a cette fois-ci le « Règne de Dieu » comme objet (v. 8b). L’évangéliste y prêche avec assurance, cherchant à convaincre son auditoire. Ceci dit, à Ephèse également, le deuxième temps du schéma missionnaire ne manque pas à l’appel : endurcis, certains de ses auditeurs (tine") se rebiffent et se mettent à diffamer la « Voie » (v. 9 : kakologou'nte" th;n oJdovn ; cf. 13, 45 ; 18, 6a). Cette opposition surgie du cœur de la synagogue d’Ephèse conduit Paul à rompre avec ses détracteurs et à rassembler son cercle de disciples au sein de l’école de Tyrannos (v. 9). Finalement, un sommaire conclusif notifie la prolongation, deux années durant, de l’activité kérygmatique de Paul, avec pour conséquence la diffusion de la Parole de Dieu dans l’Asie tout entière (v. 10). L’épisode missionnaire d’Ephèse, s’il atteste quelques variantes sur lesquelles nous reviendrons, est lui aussi modelé sur la base du script

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Est-ce une pure coïncidence si les disciples à qui Paul impose les mains sont au nombre de douze environ (19, 7) ou est-ce un écho supplémentaire à Ac 2, 1-13 ? La première alternative a été soutenue par Ernst HAENCHEN (Die Apostelgeschichte, 19777, p. 531, note 3) et Jacob J ERVELL (Die Apostelgeschichte , 1998, p. 477), la seconde par Jacob KREMER (Pfingstbericht und Pfingstgeschehen. Eine exegetische Untersuchung zu Apg 2,1-13 [SBS 63/64], Stuttgart, KBW, 1973, p. 200). Faute d’indices suffisants, Alfons W EISER se refuse quant à lui de trancher (Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 518).

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tripartite installé à Antioche de Pisidie : 1) activité missionnaire de Paul au sein de la synagogue locale. Réaction intéressée de son auditoire (18, 19-20) ; 2) seconde proclamation de Paul centrée sur le « Règne de Dieu », thème indissociable de la christologie chez Luc. Cette fois-ci, volte-face partielle de l’auditoire assortie de calomnies à l’encontre de la « Voie ». En conséquence, déplacement de Paul et de ses disciples dans l’école de Tyrannos, un lieu d’enseignement profane (19, 8-9) ; 3) poursuite de l’activité missionnaire paulinienne dans la ville d’Ephèse ; large diffusion territoriale de la Parole (19, 10). Au nombre des variations, on peut compter deux éléments significatifs : tout d’abord, la nouvelle direction prise par la mission paulinienne suite au rejet et à l’endurcissement de certains membres de la synagogue d’Ephèse n’est pas ici verbalisé, mais uniquement narrativisé 51. Rompant avec la synagogue, Paul migre dans l’école de Tyrannos, signifiant ainsi sur le plan spatial le tournant majeur qui s’opère dans le cours de la mission chrétienne. C’est en effet dans ce nouveau lieu d’enseignement profane 52 que se regroupent, dissociés des fidèles de la synagogue (cf. v. 9b : ajfwvrisen tou;" maqhtav") 53, les disciples de la Voie. Une dégradation dans les relations judéo-chrétiennes est ainsi signifiée : à l’opposition juive répond du côté chrétien un geste de séparation et d’autonomisation54. L’autre singularité d’Ac 19, 8-10 tient au surgissement d’une nouvelle désignation ecclésiale. Après 9, 2 en effet, réapparaît pour la première fois dans les Actes le terme oJdov" comme appellation distinctive de la mouvance chrétienne 55 : pourquoi ici préci-

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Cf. Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, p. 145. A ce sujet Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, pp. 574-576. Cf. Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, p. 154 : « Indeed, we are told that he not only withdrew but also “separated the disciples” (19:9). This remark suggests permanent consequences to the shift of mission locations in response to Jewish rejection : Christian disciples are becoming a separate religious community ». Cf. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 115 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 688. Contra Anton D EUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 231-232, pour qui le verbe ajfivsthmi ne trahit pas une séparation sociologique entre l’Eglise et la Synagogue, mais simplement un éloignement géographique garantissant à l’évangéliste Paul un cadre serein pour son enseignement. C’est négliger les autres signaux textuels qui colorent symboliquement ce geste de séparation. Par la suite, on le retrouve en 19, 23 ; 22, 4 ; 24, 14.22.

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

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sément ? La signification de cette dénomination est abondamment discutée dans la recherche lucanienne. Bien qu’absente de la correspondance de Paul, oJdov" comme auto-désignation chrétienne semble refléter un usage d’une haute archaïcité, dont la littérature chrétienne n’a que fragilement préservé la mémoire. De tous les auteurs du Nouveau Testament, Luc est ainsi le seul à l’adopter. Sous sa plume, cette terminologie ecclésiale désigne autant la foi chrétienne comme contenu doctrinal (Ac 19, 23 ; 24, 22) que le mouvement qui se groupe autour d’elle (Ac 9, 2 ; 22, 4 ; 24, 14)56, et cela en contraste avec l’appellatif de « secte » qui dans les Actes répond toujours à un point de vue juif (cf. 24, 5.14 ; 28, 22). La communauté sectaire de Qoumrân et les documents exhumés des grottes de la Mer Morte ont livré de précieux parallèles à cet 57 usage absolu de oJdov" . Ici, la « voie » désigne le choix éthique adopté par les membres de la secte, et ce par opposition à ceux qui s’en écartent fautivement (1QS 9,20). Cette éthique de la « voie » n’est autre que l’application fidèle et scrupuleuse des commandements divins consignés dans la Loi mosaïque 58. Chez Luc, le terme oJdov" dénote, outre un comportement éthique, un choix aux lourdes implications sotériologiques59 ; les chrétiens sont ceux qui ont opté pour la « voie du salut » (Ac 16, 17)60. Partant, le potentiel polémique et la tentation exclusiviste de cette désignation identitaire ne sont pas moins accentués qu’à Qoumrân, même si la phraséologie dualiste s’estompe. Revenons à l’usage qui en est fait en Ac 19, 9. Pourquoi ici précisément ? Cela tient vraisemblablement à la détérioration des relations avec la Synagogue : désormais, les chemins respectifs des juifs (cf. 19, 9a : plh'qo") et des chrétiens (cf. 19, 9b : maqhtaiv) ne convergent plus. Pour l’auteur des Actes, un seul est adéquat, celui précisément que certains juifs endurcis 56

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Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 448 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 57 ; Martin VÖLKEL, art. « oJdov" », EWNT II, 1981, col. 1203. 1QS 9,17-19 ; 10,21 ; CD 1,13 ; 2,6. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 448. On retrouve pareils échos sotériologiques dans la thématique judéo-biblique des deux voies, celle qui mène à la vie et celle qui conduit à la perdition : Ps 1, 6LXX ; Pr 11, 19-20LXX ; Pr 12, 28LXX ; etc. Ensuite, aussi en 1 Hén 91,18 ; 2 Hén 30,15 ; etc. Sur le péril syncrétique qu’encourt le syntagme « voie de salut » en Ac 16, 17, voir Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 196. C’est pourquoi dans les Actes des apôtres l’interprétation de cette expression n’est pas laissée à la discrétion de tout un chacun : elle est livrée par Paul dans une formule exorciste massivement christologique.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

calomnient. Or, à Ephèse, ce chemin ne passera dorénavant plus par la synagogue, mais par la scolhv de Tyrannos, là où Paul a regroupé ses disciples et où il prêche quotidiennement. Par ces deux aménagements – la notification d’un geste de séparation collective et le surgissement de la titulature du « chemin » –, Luc souligne ainsi la visée nettement ecclésiologique de l’activité de Paul à Ephèse : elle a pour résultat la genèse d’un mouvement religieux détaché de la Synagogue et qui emprunte, malgré les médisances et les oppositions, son propre chemin de salut61. Le dernier exemplaire du pattern missionnaire de diaspora pointe à l’ultime page du second tome à Théophile, dans l’épisode romain de l’itinéraire paulinien (28, 16-31). Les trois temps caractéristiques du schéma missionnaire se laissent délimiter sans peine : 1) plaidoyer de Paul devant les notables juifs de la ville, dont la réaction est bienveillante. A leur demande, un nouvel entretien consacré à la « secte » chrétienne est agendé (vv. 16-22) ; 2) seconde entrevue entre Paul et les juifs de la ville, dont le nombre a désormais augmenté. Proclamation scripturaire de l’évangéliste portant sur le Règne de Dieu et sur Jésus. La réaction de l’auditoire juif est cette fois-ci en double teinte. Sur ces entrefaites, Paul, s’adossant à une parole confiée à Esaïe par l’Esprit saint, dénonce le durcissement du peuple juif et annonce l’octroi du salut aux non-juifs, dont l’acceptation est également prophétisée (vv. 23-28) ; 3) sommaire conclusif notifiant la poursuite, deux années durant, de l’évangélisation paulinienne à Rome. Accueil de tout un chacun dans la demeure louée par l’apôtre (vv. 30-31). Après la longue parenthèse formée par le procès de Paul (Ac 21– 26), qui s’est soldée par un reflux massif du scénario missionnaire de diaspora, l’arrivée de l’apôtre dans la capitale impériale signe une résurgence de son activité d’évangélisation, là aussi modelée sur le canevas fixé à Antioche de Pisidie. Cela dit, comme ailleurs, le mimétisme n’est pas complet : si l’épisode bascule effectivement sur un revirement brusque de l’auditoire juif, les variations par rapport au modèle antiochien sont cependant multiples. Sur le plan spatial déjà, une donnée déroge ostensiblement au schéma missionnaire paulinien : contrairement à la pratique répétée en amont d’Ac 28, l’évangéliste des nations 61

Dans ce sens John C. O’NEILL, The Theology of Acts in Its Historical Setting, London, SPCK, 19702, pp. 74-75.

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

271

n’inaugure pas son activité de proclamation dans le cadre synagogal. Bien entendu, cette différence a partie liée avec l’assignation de Paul à résidence. Mais l’explication est trop courte 62 : elle méconnaît le rôle décisif octroyé aux logements particuliers dans le cadre du récit lucanien et singulièrement dans le cours de la mission paulinienne (cf. 16, 15.34.40 ; 17, 5b ; 18, 3a.7 ; 19, 9b ; 20, 20). C’est là que, selon Luc, se recompose progressivement la communauté chrétienne suite à son expulsion de la synagogue. Les haltes missionnaires de Paul à Corinthe et Ephèse l’ont bien manifesté. Mais, alors qu’en 18, 7 et 19, 9b cette migration intervient seulement après le refus des fidèles de la synagogue, en Ac 28 la domus constitue le présupposé constant de l’activité romaine de Paul. C’est là qu’il reçoit les deux délégations successives des représentants juifs et c’est là finalement qu’il est à même d’accueillir, deux années durant, tous ceux qui viennent l’écouter. Une autre particularité d’Ac 28 par rapport au stéréotype arrêté en Ac 13 tient à la réaction des juifs de Rome. Alors qu’en Ac 13 les juifs font bloc dans leur opposition aux prédicateurs chrétiens (v. 45) et prennent des mesures violentes d’expulsion (v. 50), la scène romaine se borne à notifier la réponse mitigée de l’auditoire paulinien qui cette fois-ci choisit de se détacher lui-même de Paul (vv. 24-25aa ; cf. ajp eluvonto)63. 8.5.2 Récapitulation Ce survol de la section paulinienne des Actes nous a permis de mettre au jour non seulement un script-type de la mission de diaspora fixé en Ac 13 et rejoué à l’envi jusqu’à l’ultime page du récit, mais également les variantes inhérentes à ce phénomène de redondance narrative. Au registre des invariants, trois moments-clefs se sont constamment dégagés à l’examen des scènes missionnaires de l’itinéraire paulinien de diaspora : 1) arrivée de Paul, seul ou accompagné, dans une nouvelle ville ; visite de la synagogue et proclamation sans entraves de

62

63

Contra Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, p. 160 : « This change, to be sure, simply reflect Paul’s imprisonment ». Bien vu par Michael WOLTER, « Das lukanische Doppelwerk als Epochengeschichte », dans Cilliers BREYTENBACH, Jens SCHRÖTER (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher, Leiden/Boston, Brill, 2004, p. 266.

272

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

la Parole ; succès missionnaire à la clef ; 2) brusque et inattendue modification de la disposition des auditeurs juifs à l’endroit du prédicateur, avec très souvent la notification d’une réorientation de son activité auprès des incirconcis ; 3) épilogue mentionnant la poursuite de l’effort missionnaire de Paul ainsi que son départ, volontaire ou contraint. Un autre motif peut être ajouté à cette liste : la constitution d’un nouveau groupe, distinct de l’assemblée synagogale et désigné sous les appellatifs de « frères », de « disciples », de « peuple » ou de « Voie », émerge régulièrement au cours de ces épisodes missionnaires. En clair, le pattern délimité atteste une modeste mais indiscutable dimension ecclésiologique 64. Les références régulières faites par Luc aux lieux d’habitation et d’enseignement profanes adoptés par ce groupe participent également de cette visée identitaire 65. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que ces deux motifs apparaissent constamment dans les sections 2 et 3 du schéma missionnaire (voir les éléments entre parenthèses dans le tableau récapitulatif ci-après), c’est-à-dire une fois la rupture avec la synagogue du lieu consommée.

Haltes des voyages missionnaires pauliniens

Prédication synagogale, accueil favorable

Refus juif, réorientation de la mission

Antioche de Pisidie

13, 14-43

13, 44-48

64

65

Epilogue : poursuite de la mission, départ de Paul 13, 49-52 (plérome des disciples)

Noté laconiquement par Joseph B. TYSON, « The Jewish Public in Luke-Acts », 1984, p. 578 : « […] Paul is forced to go on to another city, leaving a believing group behind ». David Lertis MATSON, Household Conversion Narratives in Acts (JSNT.SS 123), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996, p. 180 : « While at Thessalonica, Paul transfers to the house of Jason when the Jews become jealous and foment public hatred against him (Acts 17.1-9) ; later, during the course of the third journey, Paul withdraws from the synagogue and moves to the school of Tyrannus when the Jews at Ephesus begin speaking evil of the Way (Acts 19.8-10). Both stories “bracket” the story of Crispus, which contains the most explicit juxtaposition between two competing centers of religious life. Together, the three stories reveal a strong interest in the development of a new religious space for the burgeoning Christian movement. Even Paul’s speech before the Areopagus at Athens contains a subtle geographical shift. By focusing attention away from Paul’s preaching in the synagogue to the marketplace, the narrator anticipates Paul’s movement toward the Gentiles that occurs in an explicit way in the house of Titius Justus ».

273

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne Iconium

14, 1

14, 2 (les juifs soulèvent la population païenne contre les frères) 17, 5-9 (quelques frères qui se trouvaient dans la maison de Jason sont saisis) 17, 13

Thessalonique

17, 1-4

Bérée

17, 10b-12

Corinthe

18, 4-5

18, 5-8 (déplacement et prédication de Paul dans la maison de Titius Justus)

Ephèse

18, 19-21 ; 19, 8

Rome

28, 16-22

19, 9 (la Voie est diffamée ; rompant avec la synagogue, Paul réunit ses disciples dans l’école de Tyrannos) 28, 23-28

14, 3-5

17, 10a

17, 14-15 (les frères organisent la fuite de Paul) 18, 9-11.18a (un peuple nombreux est destiné au Seigneur à Corinthe ; rémanence de frères) 19, 10

28, 30-31 (accueil de tous les auditeurs de l’Evangile dans la maison de Paul)

Au registre des variables maintenant, on peut signaler tout d’abord le volume des trois périodes composant le schéma missionnaire : exemple, alors que la prédication synagogale de Paul est amplement détaillée en 13, 16b-41, son contenu est par la suite soit totalement oblitéré (14, 1 ; 18, 19b), soit résumé sous un slogan christologique (17, 2-3.11 ; 18, 4-5 ; 19, 8 ; 28, 23b.31a). Comme nous l’avons dit, l’homélie d’Antioche de Pisidie officie vraisemblablement en tant qu’échantillon programmatique de la prédication paulinienne de diaspora, c’est pourquoi Luc n’a ressenti nul besoin d’en répéter le contenu en aval

274

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

d’Ac 13. Autre variable : la rupture avec la Synagogue n’entraîne pas automatiquement une réorientation explicite de la mission. Ce motif qui voit les évangélistes chrétiens se tourner suite au refus juif vers les Gentils est fortement souligné en 13, 46-48 ; 18, 6-7 ; 19, 9b et 28, 26-28, alors qu’il fait totalement défaut dans les autres épisodes. Par contre, l’opposition aux missionnaires peut prendre dans certaines péricopes une proportion considérable, occasionnant une agitation de la population locale tout entière, tant juive que grecque (13, 50 ; 14, 2.5 ; 17, 5.13), ainsi qu’une traduction des chrétiens devant les autorités politiques (17, 6-9 ; 18, 12-17). Finalement, on a pu noter que l’ultime occurrence du schéma missionnaire (28, 16-31) n’avait plus comme cadre géographique l’institution synagogale, mais un logement privé loué par l’évangéliste des nations. Partant, cette modification spatiale, amorcée lors des haltes corinthienne et éphésienne, met en exergue le nouveau lieu de vie adopté par la chrétienté lucanienne suite à sa séparation du judaïsme synagogal. 8.5.3 Incidences herméneutiques de cette démultiplication narrative L’examen de l’itinéraire paulinien de diaspora nous a permis de mettre au jour un phénomène narratif de redondance : Luc a fixé en Ac 13 un stéréotype missionnaire de rupture avec la Synagogue et l’a repris en cascade jusqu’au terme de son œuvre. Le constat littéraire posé, il convient d’en risquer une interprétation : quel est l’impact herméneutique de cette stratégie de répétition ? quelle lecture le destinataire de l’écrit est-il appelé à en faire ? La redondance narrative a pour premier objectif de mettre en évidence un personnage, un motif ou un scénario particulièrement important. Dans le cas du schéma missionnaire de diaspora, cette visée emphatique est confirmée et renforcée par sa reprise aux deux extrémités de la geste évangélisatrice de Paul, à Antioche de Pisidie en Ac 13 et à Rome en Ac 28 : à n’en pas douter, la mission de Paul en diaspora est placée sous le signe d’une rupture récurrente avec la Synagogue juive. Précisons cependant sur quoi porte le dispositif littéraire d’accentuation. En effet, la première dimension mise en exergue n’est pas la rupture avec l’assemblée synagogale, mais bien la préséance

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

275

concédée à cette dernière dans le cadre de la mission paulinienne 66 : c’est avec une régularité frisant la monotonie, démentie par le seul épisode de Corinthe, que Paul réserve le baptême de son activité dans une ville à la synagogue du lieu. Cette priorité accordée à l’institution-clef du judaïsme de diaspora retranscrit narrativement ce que Paul énonce en paroles à Antioche de Pisidie, à savoir la primauté d’Israël dans l’ordre du salut (cf. le prw'ton d’Ac 13, 46). Bref, le scénario missionnaire répété entre Ac 13 et Ac 28 souligne pour une part le statut privilégié reconnu au peuple juif dans le cadre de l’histoire sainte. En outre, un succès, bien que partiel, couronne le plus souvent cette proclamation synagogale (13, 43 ; 14, 1b ; 17, 4 ; 17, 12 ; 28, 24a)67, dévoilant l’inscription de la chrétienté naissante dans le prolongement organique du judaïsme. C’est un double ancrage – historico-salutaire et empirique – de l’Eglise dans le terreau d’Israël qui se voit ainsi signifié par le schéma de la mission paulinienne. L’autre élément à être accentué par ce phénomène de redondance est assurément l’opposition fomentée par les juifs, débouchant le plus souvent sur l’excommunication des missionnaires chrétiens. En d’autres termes : s’il souligne la continuité qui relie juifs et chrétiens, le scénario de la prédication paulinienne de diaspora se fait également la chronique d’une rupture indésirée entre la Synagogue et l’Eglise, rupture rejouée invariablement en Asie Mineure, en Grèce et à Rome. De cette séparation, émerge le plus souvent une nouvelle communauté religieuse, dissociée de l’institution synagogale et implantée dans un réseau de maisons privées68. Ce divorce se reflète également sur le plan lexical. A partir du chapitre 12 en effet, les opposants juifs de Paul sont progressivement désignés sous l’expression forfaitaire et péjorative d’oiJ jIoudai'oi (12, 3.11 ; 13, 45.50 ;

66 67

68

Cf. Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 246. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 257 : « Wesentlich ist also, dass die Mission unter Juden durchaus erfolgreich ist, Lukas teilweise sogar den Eindruck erweckt, als stünde die Mehrzahl der jüdischen Hörer auf der Seite der Apostel : Von einem Scheitern der “Judenmission” kann daher keine Rede sein ». Contra Anton D EUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, qui, s’il reconnaît le processus de constitution ecclésiale inhérent au schéma missionnaire paulinien, juge cependant que la communauté qui émerge de la prédication chrétienne demeure cantonnée dans le cadre synagogal et ne forme en aucun cas un « nouvel » Israël.

276

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

14, 2.4.5 ; 17, 1.4.5.10.13 ; etc.)69, alors que l’auteur des Actes réserve aux chrétiens des appellatifs spécifiques et/ou neutres (ajdelfoiv70 / maqhtaiv71 / ejkklhsiva72 / laov" 73 / oJdov" 74). Bref, le pattern de la mission paulinienne de diaspora n’entonne pas simplement le chant du cygne d’une coexistence synagogale entre juifs et chrétiens, mais prélude également à la genèse d’une communauté religieuse inédite, accueillant sans discrimination aucune juifs et Grecs. Quant aux variations qui infiltrent le schéma missionnaire de diaspora, elles s’expliquent d’une part par une volonté lucanienne de ne pas lasser son lectorat. L’auteur à Théophile, dont l’art littéraire n’est plus à démontrer, sait, lorsqu’il reproduit un même scénario, l’habiller d’éléments singuliers et divertissants, puisés notamment dans le coloris local à l’instar du soulèvement populaire d’Ac 17, 5-9 qui voit certains chrétiens de Thessalonique déférés devant les politarques de la ville. Une autre explication à ces écarts tient à l’inévitable évolution de l’histoire : ainsi, la migration de Paul dans de nouveaux lieux d’enseignement, suite à son expulsion des assemblées synagogales, surgit exclusivement dans la seconde moitié de son itinéraire missionnaire, à partir de Corinthe et d’Ephèse, et reçoit une accentuation particulière dans la dernière page des Actes (28, 16-31). En Ac 13, ce motif fait encore défaut, même s’il s’insinue déjà en filigrane du récit, dans la mesure où Luc ne fait plus état, lors de la seconde entrevue sabbatique, d’une réintégration de la synagogue d’Antioche ; le cadre géographique de cette seconde scène semble être la ville dans son ensemble, en un mot : la place publique. Bref, au-delà des continuités notées, le scénario de la mission paulinienne est le théâtre d’un glissement ethnique et géographique hors de l’orbite de la Synagogue : c’est dans une double distance au judaïsme que se reconfigure l’identité chrétienne. Autre ligne évolutive : la dénonciation du refus juif prend au fil du récit un tour de plus en plus marqué. Si en 13, 46-47 et en 18, 6, Paul reproche à ses auditeurs leur rejet de la Parole, c’est essentiellement pour se pré69 70 71 72 73 74

Cf. Augustin GEORGE, « Israel », dans ID., Etudes sur l’œuvre de Luc (Sources bibliques), Paris, Gabalda, 1978, p. 113. Ac 14, 2 ; 15, 1.3.22.23.32.33.36 ; 16, 2 ; 17, 6.10.14 ; 18, 18.27 ; etc. Ac 13, 52 ; 14, 20.21.22.28 ; 15, 10 ; 16, 1 ; 18, 23.27 ; 19, 1.9b ; etc. Ac 14, 23.27 ; 15, 3.4.22.41 ; etc. Ac 15, 14 et 18, 10b. Ac 19, 9a.23 ; 22, 4 ; 24, 14.22.

8.5 Ac 13 et le schéma de la mission paulinienne

277

munir de toute culpabilité dans cette banqueroute. C’est d’ailleurs ainsi qu’il s’agit d’interpréter les gestes symboliques de 13, 51 et 18, 6a : en secouant la poussière de leurs vêtements ou de leurs pieds, les évangélistes signifient leur virginité morale, rejetant sur les juifs incrédules l’entière responsabilité dans l’échec de leur mission (cf. aussi 20, 26)75. Si nous n’avons donc pas affaire à des rites de malédiction, la dénonciation de l’endurcissement d’Israël s’accentue néanmoins au fil du récit : en 19, 9 ainsi, Luc n’hésite pas à qualifier théologiquement le rejet juif d’Ephèse, le taxant de sclérose spirituelle (ejsklhruvnonto) 76, ouvrant par là même la voie à la reprise en 28, 26-27 de l’oracle d’Es 6, 9-10LXX diagnostiquant la surdicécité du peuple d’Israël (cf. laov"). A partir d’Ephèse, il devient ainsi évident que les juifs qui repoussent l’Evangile sont alignés par Luc sur la typologie négative des pères « au cou raide » qui parcourt l’histoire d’Israël (Ex 33, 3.5 ; cf. Ac 7, 51 : sklhrotravc hloi kai; ajperivtmhtoi kardivai" kai; toi'" wjsivn), se voyant du même coup arrachés au registre du singulier. En d’autres termes, d’Ac 13 à Ac 28, une double gradation opère dans la dénonciation du refus d’Israël : qualitative tout d’abord, dans la mesure où le rejet juif est progressivement relu à l’aide de la catégorie biblique de l’endurcissement ; quantitative ensuite, du fait que les protagonistes issus de la diaspora se muent au fil du récit en représentants de tout Israël. 8.5.4 Conclusion : Ac 13 et le schéma missionnaire paulinien Deux arguments nous semblaient justifier la dimension programmatique reconnue à l’épisode d’Antioche de Pisidie : d’une part sa proximité tant littéraire que thématique avec d’autres scènes introductives du diptyque Luc–Actes, d’autre part la fixation en Ac 13 d’un scénario typique de l’activité paulinienne de diaspora. C’est à le montrer que 75

76

Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, p. 223 : « Voilà le sens à retenir ici : le rite des pieds secoués n’est pas porteur de malédiction ; il impute aux juifs la culpabilité du rejet et absout Paul de toute responsabilité dans la rupture » ; aussi Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, pp. 153-154. sklhruvnw dans un sens moral et religieux est attesté à maintes reprises dans la Septante (Ex 4, 21 ; 7, 3 ; 9, 12 ; 10, 1.20.27 ; 11, 10 ; 14, 4.8.17 ; Dt 2, 30 ; 10, 16 ; etc.). A ce sujet, consulter Karl Ludwig SCHMIDT, Martin Anton SCHMIDT, art. « sklhruvnw », ThWNT V, 1954, pp. 1031-1032 ainsi que l’art. « sklhrokardiva, ktl. », dans Ceslas SPICQ, Lexique théologique du Nouveau Testament, 1991, pp. 1394-1398.

278

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

nous nous sommes attaché dans ce paragraphe. A l’heure du bilan, une conclusion s’impose : l’épisode missionnaire d’Ac 13, décliné en trois temps distincts, installe un script qui va être rejoué, avec une marge d’interprétation inévitable, tout au long de la mission paulinienne, et ce jusqu’à son ultime étape, Rome. Ledit schéma fixé lors du séjour antiochien de Paul et répété en Asie Mineure, en Grèce et jusqu’au cœur du monde latin dévoile trois données inhérentes au rapport christianisme– judaïsme chez Luc : 1) l’inscription irréversible de l’Eglise naissante dans le prolongement d’une histoire, celle consignée dans les Ecritures juives, et d’un peuple, Israël ; 2) la rupture qui blesse cette relation et conduit à l’éjection des chrétiens hors de l’institution synagogale, les obligeant à repenser leur identité à distance du judaïsme ; 3) la mise en œuvre d’une universalité caractéristique du devenir ecclésial, ouverte aux Grecs comme aux juifs, mais paradoxalement déclenchée par le refus partiel du peuple choisi.

8.6 Le kérygme christologique annexé à l’histoire d’Israël (13, 17-31) 8.6 Le kérygme christologique annexé à l’histoire d’Israël

La fonction programmatique d’Ac 13 démontrée, il nous faut maintenant en examiner les différents éléments constituants, à commencer par la grande fresque de l’histoire d’Israël qui chapeaute l’homélie de Paul dans la synagogue d’Antioche. Il s’agit là, après la rétrospective d’Etienne face au Sanhédrin, du second survol de l’histoire sainte à figurer sur les lèvres d’un protagoniste chrétien de l’écrit à Théophile. Or, l’étude du discours d’Ac 7, 2-53 nous a convaincus que ces tableaux du passé d’Israël, loin d’être de simples pièces rapportées aux liens lâches avec leur contexte d’énonciation, servent à l’inverse de fondement et d’éclaircissement à l’intrigue lucanienne. Pour cette raison, une étude du sommaire historique d’Ac 13, 17-25 ne peut être négligée. Si le panorama de l’histoire juive brossé par Paul s’apparente d’un point de vue formel au même genre littéraire que la rétrospective stéphanoise (7, 2-50), à savoir au genre du sommaire historique, les écarts de contenu ne sont pas moins importants entre ces deux fresques et ne

8.6 Le kérygme christologique annexé à l’histoire d’Israël

279

s’expliquent pas par la simple volonté lucanienne d’éviter la redite 77. Au contraire, comme nous l’avons perçu en analysant la rétrospective d’Etienne et comme l’a montré sur un échantillonnage plus large Joachim Jeska, il n’y a dans la littérature biblique et postbiblique de sommaire historique neutre et dénué de visée rhétorique78. L’actualisation tantôt valorisante tantôt critique qui surgit en finale de ces anamnèses en est un premier indice textuel (cf. Ac 7, 51-53 ; 13, 26-41)79. De ce fait, les amplifications, omissions et distorsions dont témoignent ces remémorations du passé d’Israël sont autant d’indices trahissant la rhétorique adoptée par leur auteur80. C’est par en faire l’inventaire que nous commencerons notre examen d’Ac 13, 17-25. Le sommaire de l’histoire d’Israël déroulé par Paul se subdivise en deux parties principales81 : la première qui court du v. 17 au v. 20a retrace en accéléré les différents moments fondateurs de la geste de Dieu en faveur du peuple choisi, à commencer par l’élection des pères jusqu’à l’installation en Canaan. Quant à la seconde partie qui démarre au v. 20b et se prolonge jusqu’au v. 25, elle se concentre non plus sur les actions divines en faveur d’Israël, mais sur les figures que Dieu a suscitées, de Samuel à Jésus, pour présider aux destinées de son peuple. Observons pas à pas ces deux périodes de la rétrospective paulinienne, en étant particulièrement attentif à leurs analogies/divergences avec Ac 7 d’une part, et avec la trame biblique de l’autre.

77

78

79

80 81

C’est là l’explication donnée par Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 399 : « Lukas vermeidet dabei, soweit es nur möglich ist, etwas von dem zu wiederholen, was die Stephanusrede schon gesagt hat ». Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 117 : « SGI [les sommaires de l’histoire d’Israël] sind also niemals “neutral” oder tendenzlos, und sie haben als Geschichtsdarstellung keinen Selbstzweck. » ; voir aussi Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 234-235. Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, pp. 86-118 (ibid., p. 115 : « Der oder die Verfasser von SGI zeigen durch Aktualisierung, dass es ihnen nicht darum geht, “einfach Geschichte zu erzählen”, sondern dass die summarisch dargebotene Geschichte Auswirkungen auf die Gegenwart von Sprechern und Hörern hat »). Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, pp. 116-117. Cf. Gerhard DELLING, « Israels Geschichte und Jesusgeschehen nach Acta », 1972, p. 188 ; Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, pp. 221231.

280

Le programme de la mission paulinienne de diaspora

Nous l’avons dit, la première séquence déverse dans une cascade paratactique 82 les interventions successives de Dieu ayant conduit à l’établissement d’Israël en Canaan. Chose remarquable, tous les verbes principaux ont Dieu pour sujet, cernant ainsi le cours de l’histoire sainte sous le seul angle de l’agir divin. Comme point de départ de son anamnèse, Paul a privilégié la même amorce qu’Etienne (7, 2) : l’élection des pères (13, 17a). C’est littéralement d’un choix de Dieu (ejxelevxato) que l’histoire d’Israël voit le jour. Toutefois, dans le cas d’Ac 13, deux singularités se dessinent aussitôt : d’une part la sobriété de l’évocation condensée sous le seul trait de l’élection des patriarches, d’autre part l’absence de la promesse abrahamique, pourtant centrale au sommaire historique d’Etienne. Le deuxième événement à retenir l’attention de Paul n’est autre que l’élévation/la multiplication (u{y wsen) du peuple exilé (pavroiko" ; cf. 7, 6) en Egypte (13, 17b). Là encore, le rappel historique se caractérise par sa grande économie de détails et son oblitération constante de toute figure humaine que ce soit Joseph, qui occupe une place de choix dans le discours d’Etienne (7, 9-16), ou encore Moïse, dont l’Helléniste a rapporté – simultanément à la croissance des Hébreux en Egypte (7, 17-19) – la naissance ainsi que les jeunes années (7, 20-22). Mais c’est surtout dans l’évocation suivante que l’interventionnisme divin se voit immanquablement accentué (13, 17c) : alors qu’Etienne avait souligné à renfort de détails la fonction décisive accordée à Moïse dans la sortie d’Egypte, Paul opte de son côté pour un compte rendu axé sur l’entière souveraineté et la majesté de la geste divine. Cette tendance se prolonge finalement dans la notification des deux derniers épisodes : la période du désert (13, 18), amputée du don sinaïtique de la Loi, se dévoile comme un temps où s’expérimente une nouvelle fois la sollicitude de Dieu pour les siens, alors que l’entrée en Canaan (13, 19-20a) valorise non pas la tradition scripturaire de la conquête militaire (Dt 2–3 ; Jos 1–12 passim ; Jdt 5,14-16), mais la version « pacifique » de la prise de possession par héritage (Lv 25, 38 ; Dt 1, 6-8 ; 4, 37-38 ; 7, 1-2 ; 12, 9-10 ; 26, 9 ; Jos 24, 11-13 ; Ps 78, 55 ; 105, 44 ; 135, 10-12 ; 136, 21-22). Pas davantage que les précédentes, ces deux époques, attachées qu’elles sont à souligner la mainmise souveraine et exclusive de Dieu sur l’histoire d’Israël, ne font droit à une quelconque 82

Du verset 17 au verset 20, le texte n’accumule pas moins de cinq verbes d’action coordonnés entre eux par la simple conjonction kaiv.

8.6 Le kérygme christologique annexé à l’histoire d’Israël

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médiation humaine – que ce soit Moïse, dont on sait qu’il a guidé Israël au désert, ou Josué qui a présidé à l’installation du peuple élu sur sa terre. Deux constantes se dégagent ainsi à la lecture de cette première période du sommaire paulinien : d’une part sa concentration sur l’agir de Dieu seul83. C’est souverainement et sans le concours de figures humaines qu’Il préside aux événements de l’histoire sainte. Bref, Ac 13 ne se singularise pas seulement d’Ac 7 sur le plan des faits retenus, mais également quant au point du vue qui commande leur présentation : il est, dans la rétrospective paulinienne, exclusivement divin. L’autre tendance qui infiltre ce survol historique est sa portée communautaire 84 : le Dieu qui s’y fait jour n’est pas le Dieu de figures individuelles, mais le Dieu d’un peuple (laov" 2x en 13, 17). Cette cristallisation de l’histoire sur la destinée collective d’Israël, reconnu comme l’impétrant invariable des bienfaits divins et dont le visage ne présente nul trait disgracieux, trouve dans la désignation de Dieu en 13, 17 son énoncé programmatique : il est le oJ qeo;" tou' laou' touvtou jIsrahvl ; le rôle éminent confié à Israël dans l’histoire du salut ne saurait être mieux exprimé. Abordons maintenant la seconde période du sommaire historique. Ici, les figures humaines de médiation passées sous silence dans la première moitié réinvestissent le devant de l’histoire. Cela étant, leur surgissement reste constamment lié et subordonné aux choix et à l’agir divins : c’est lui qui a donné aux Israélites des juges (e[dwken), qui leur a donné Samuel, qui leur a donné Saül (e[dwken), qui leur a suscité David (h[geiren), et qui a finalement fait sortir Jésus (h[gagen). On le voit, en dépit de la réapparition des leaders d’Israël sur le devant de la scène, la conduite de l’histoire reste invariablement monopolisée par le Dieu d’Israël. La seule action qui soit portée au crédit des juifs est évaluée négativement : l’avènement de la royauté (13, 21a). En effet, Saül, 83

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Bonne formulation chez Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 210 : « Es gibt keine Geschichte Israels ausserhalb dieses heilvollen Handelns Gottes. » ; voir aussi Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, pp. 34-35 ; Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 224 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 158 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 331 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 502. Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 224 ; DietrichAlex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-38 und 13,16-41 », 2004, pp. 95-96.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

consenti par Dieu à la demande des Israélites (hj/thvsanto), sera finalement destitué (13, 22aa), sans que sa disgrâce ne soit motivée par la désobéissance du roi (diff. 1 Hén 89,44-45)85. La critique semble ainsi se porter par-delà la figure de Saül sur le peuple juif 86, dont la prétention monarchiste, bien qu’honorée par Dieu, reste marquée du sceau des vues humaines. Au reste, la négativité qui grève cette demande constitue dans le discours de Paul un précédent à une autre funeste requête : celle des Jérusalémites pressant Pilate de mettre à mort Jésus (13, 28 : hj/thvsanto)87. Ceci dit, la disqualification de Saül alimente également un autre dessein : servir de contrepoint à la figure davidique88. Ce parallélisme contrasté entre Saül et David, forme typique de la syncrisis antique, n’est du reste pas un cas isolé dans les sommaires de l’histoire d’Israël, puisqu’on le retrouve en 1 Hén 89,44-4989 ; David, à l’inverse de Saül, n’est pas élevé à la royauté suite à une requête populaire, mais représente le type par excellence de l’envoyé « trouvé » par Dieu (cf. Ps 88, 21LXX) et appelé à réaliser toutes ses volontés (o}" poihvs ei pavnta ta; qelhvmatav mou ; cf. Es 44, 28LXX). L’expression « selon mon cœur » reprise de 1 S 13, 14 souligne bien l’intimité vécue entre Dieu et David, le cœur étant dans la pensée sémitique le lieu de la volonté et de la décision90. En clair, le contraste Saül–David porte moins sur les personnages en tant que tels et leurs qualités morales, que sur les motivations qui les ont hissés au pouvoir91 : pour le premier une velléité humaine d’autonomie, pour le second un choix divin. A quel titre la figure de David est-elle invoquée ? A la différence d’Ac 7, où David est subordonné à la thématique de la demeure divine, ici c’est son statut de roi suscité par Dieu qui est mis en exergue. Mais son portrait ne s’arrête pas là : au v. 23, c’est en tant qu’ancêtre du sauveur d’Israël, Jésus, qu’il est dépeint. Partant, David est mis au service d’une continuité entre le

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Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 226 ; contra Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 204 : « [Gott] musste ihn wegen seines Ungehorsams wieder verwerfen ». Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 226 : « Das bedeutet, dass nicht das Verhalten Sauls kritisiert wird, sondern das Verhalten des Volkes ». Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 232. Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 503. Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, pp. 226-227. Josef PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, p. 221. Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 227.

8.6 Le kérygme christologique annexé à l’histoire d’Israël

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passé d’Israël surplombé d’une promesse92 et Jésus, figure à travers laquelle cette espérance trouve réalisation. En d’autres termes, l’inscription de Jésus dans la généalogie davidique permet de jeter un pont par-delà les mille ans qui le séparent de l’histoire fondatrice d’Israël. Mais la continuité esquissée ne tient pas simplement à ce lien « génétique » entre David et Jésus ; il est garanti par l’analogie des interventions divines : tout comme Dieu a institué des juges, a investi Saül et a suscité David, ainsi également a-t-il fait sortir Jésus93. Le Nazaréen est de ce fait relié à la constellation de figures qui ont émaillé l’histoire sainte depuis l’époque des juges jusqu’au roi David. Les deux tendances identifiées dans la première moitié du sommaire historique se confirment ainsi dans la seconde période : là également Dieu constitue l’acteur constant et souverain de l’histoire du salut, gratifiant Israël de leaders appelés à présider à sa destinée. Contrairement à la tradition vétérotestamentaire cependant, où ces héros reçoivent souvent une évaluation mitigée, ici nul travers ne vient égratigner leur portrait. La seule figure à recueillir une note négative est Saül, qui sera « remplacé » par Dieu : mais là encore, sa mise à l’écart n’est pas motivée par un comportement infidèle (diff. 1 S 13, 13-14 ; 15, 1035), mais tient plus vraisemblablement à l’intentionnalité humaine à l’arrière-plan de son investiture. En contraste manifeste, David est présenté comme l’instrument adéquat que Dieu s’est trouvé (eu|ron Dauivd) pour endosser toutes ses volontés (13, 22c ; cf. Ps 89, 21 ; 1 S 13, 14) : la conformité de David à un choix transcendant est ici immanquable. Bref, si la seconde moitié du sommaire historique se caractérise par la chaîne de héros surgis au cours de l’histoire sainte, l’agir de Dieu ne reflue pas pour autant. A l’inverse, ces leaders du passé d’Israël demeurent invariablement subordonnés à un don fait par Dieu aux siens. Cela nous permet d’aborder l’autre teinte qui colore cette période historique : tout 92

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Une référence explicite à l’oracle de Natan (2 S 7, 12-16) n’est pas directement déductible du texte d’Ac 13 (cf. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, p. 636). Il est par contre permis, à l’examen des échos davidiques répercutés par le contexte littéraire, de déceler une actualisation de cette prophétie faite à David et raccordée à sa dynastie, sans toutefois exclure l’option qui consiste à appréhender l’entier du passé d’Israël depuis les patriarches sous l’angle promissif. Cette interprétation a pour elle la formule de 13, 32, où la promesse est explicitement reliée à la figure des pères (cf. Josef PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, p. 223). Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 230.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

comme la première, elle est constamment mise au bénéfice d’Israël94. C’est pour ce peuple, issu de l’élection des pères, que Dieu intervient dans l’histoire, en lui suscitant des chefs. Cette visée collective et particulariste de l’histoire du salut est explicitement nommée dans la présentation de Jésus, qualifié de « sauveur pour Israël (tw'/ jIsrah;l swthvr) » (13, 23)95, ainsi qu’au travers du portrait de son devancier Jean, qui conviait « tout le peuple d’Israël (panti; tw'/ law'/ jIsrahvl) » au baptême de conversion (13, 24). Un phénomène d’encadrement jouant sur l’expression « le peuple d’Israël » (13, 17aa.24b) est ainsi disposé autour du sommaire paulinien. La portée exclusiviste de la geste historicosalutaire de Dieu ne saurait être plus fortement signifiée. C’est dans le cadre de cette histoire axée sur le devenir d’Israël que vient s’inscrire le parcours du Nazaréen : si la nouveauté éminente que constitue sa venue est triplement suggérée – par le titre de sauveur qui lui est accolé, par le rôle annonciateur du Baptiste et par la dimension d’accomplissement qui caractérise son itinéraire –, Jésus n’en demeure pas moins aligné sur une palette de figures appartenant à une histoire de promesses particulière, celle de l’Israël des pères96. De cette rétrospective, une application logique s’impose ; elle surgit sans retard dans la suite du discours paulinien : si Jésus est issu de la lignée davidique et si en lui s’actualise une promesse inextricablement liée à l’histoire d’un peuple particulier, alors « c’est à nous que cette parole de salut a été envoyée » (13, 26b). L’événement Jésus Christ, acmé de la geste salutaire de Dieu pour son peuple électif, est aujourd’hui adressé à ses bénéficiaires de jure : les membres de l’assemblée synagogale auxquels Paul s’identifie intimement (cf. hJmi'n). En d’autres termes, le kérygme christologique reproduit en 13, 27-31 sous les traits désormais bien connus du « schéma de contraste » (cf. 2, 24 ; 3, 13-15 ; 4, 10 ; 5, 30-31 ; 10, 38-40) s’inscrit dans la continuité substantielle d’une histoire d’interventions salutaires du Dieu d’Israël et en occupe à la fois le sommet et l’aboutissement. 94 95 96

Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 354 ; Joachim J ESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 230. Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 159 : « His arrival [de Jésus] is the culmination of God’s choice and providential care for Israel ». Gerhard DELLING, « Israels Geschichte und Jesusgeschehen nach Acta », 1972, p. 195 : « Gottes Handeln in Jesus ist von seinem Handeln in der Geschichte Israels seit dessen Erwählung nicht zu lösen ».

8.6 Le kérygme christologique annexé à l’histoire d’Israël

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Résumons. Nous sommes partis d’une observation : il n’y a dans la tradition biblique et postbiblique de sommaires historiques neutres et dénués de portée édificatrice. Dans le cas de la rétrospective d’Ac 13, 17-25, son étude nous a permis de mettre au jour une double tendance infiltrant sa composition et induisant la sélection de figures et d’événements appelés à habiller ce spectre historique : d’une part le renforcement immanquable de la mainmise divine sur l’histoire sainte, d’autre part l’accentuation constante de sa perspective collective et particulariste. Dit en une phrase : l’histoire retracée par Paul est l’histoire souveraine et providentielle d’un Dieu en faveur de ceux qu’il a fait siens. C’est en continuité et en accomplissement de cette histoire de promesses que Jésus est situé ; le kérygme christologique proclamé par Paul aux juifs faisant synagogue à Antioche de Pisidie n’est autre que la parole de salut destinée à Israël depuis l’élection des patriarches. Sans conteste, l’histoire juive n’est pas ici mise au service de la Bonne Nouvelle. C’est l’inverse qui est vrai97 : le Nazaréen, même s’il en constitue le point d’orgue et le dénouement, est annexé à l’histoire particulière d’Israël. Si cette logique de continuité travaillant le sommaire paulinien a été le plus souvent notée par les commentateurs modernes98, ils l’ont cependant majoritairement ordonnée à une légitimation de l’ecclésiologie chrétienne 99. Or, c’est faire fi du schéma missionnaire de diaspora qui, on l’a vu, n’introduit la dimension ecclésiologique qu’une fois enregistrée la rupture avec la Synagogue. Dans le panorama historique d’Ac 13, il n’est encore nullement question de l’Eglise, mais du seul peuple d’Israël ! D’ailleurs, Paul a jusqu’ici soigneusement évité toute marque rhétorique de distanciation par rapport à son auditoire 100. Conscient de ce mutisme, Joachim Jeska s’est risqué à exploiter

Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 354 : « Israels Geschichte ist […] nicht die Vorgeschichte Jesu, sondern Jesus ist ein Teil eben dieser Geschichte des Gottesvolkes ». 98 Daniel MARGUERAT, « L'image de Paul dans les Actes des Apôtres », 2008, p. 488 : « […] la relecture de l’histoire est façonnée par une théologie de la continuité » ; également Odile FLICHY, « Inscrire la nouveauté dans la continuité. Le discours de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13,16-41) », 2003, passim. 99 Par exemple : Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 33 : « Er [le discours de Paul] stellt die Kontinuität zwischen Israel und Kirche fest ». Dans ce sens, également Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 354. 100 Pour preuve, le compte rendu de la Passion livré en 13, 27-29 se présente sous une forme objective et neutre, décrivant les actes commis à la 3ème personne du pluriel et 97

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

cette tonalité particulariste couvrant l’orchestration paulinienne de l’histoire sainte 101. En plus de démontrer la continuité de l’Evangile avec l’histoire d’Israël, l’évangéliste des nations, en insistant sur l’exclusivisme de la geste divine, offrirait une caution théologique à la pratique missionnaire répétée tout au long de la seconde section des Actes, à savoir la priorité absolue accordée aux synagogues de la Golah102. Dit autrement, Paul validerait, par ce détour historique, le prw'ton inscrit à l’agenda de sa proclamation de diaspora (cf. 13, 46). L’hypothèse est séduisante.

8.7 La résurrection, « divine surprise »103 au cœur de l’histoire d’Israël (13, 32-41) 8.7 La résurrection, « divine surprise »

Si l’homélie paulinienne a déployé jusqu’en 13, 31 une théologie de la continuité , arrimant solidement l’intervention de Dieu en Jésus Christ au flot de dons salutaires qui ont nourri le passé d’Israël, un pas supplémentaire est néanmoins franchi aux vv. 32-33 : la « parole de salut » (v. 26) promise aux pères et aujourd’hui adressée aux Israélites est désormais relue à l’enseigne des catégories résurrectionnelles104. La nouveauté radicale de cette affirmation sotériologique ne saurait être émoussée : c’est dans la résurrection de l’homme de Nazareth, légitimée à renfort d’arguments scripturaires (Ps 2, 7 ; Es 55, 3 ; Ps 15, 10LXX) et servie par la figure davidique, que l’histoire juive de promesses trouve sa réalisation déroutante. La dialectique de la continuité et de la nouveauté est portée à son comble dans la citation retravaillée

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limitant la responsabilité de la crucifixion à la seule population juive de Jérusalem (cf. diff. 2, 23). Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, pp. 231-249. Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas, 2001, p. 245 : « Die obige Interpretation hat […] gezeigt, dass die Funktion des SGI zwar unter anderem darin besteht, das Jesusgeschehen als integralen Bestandteil der Geschichte Israels zu erweisen, dass aber dieses dazu dient, die Erstadressatenschaft der Juden zu legitimieren und damit die grundsätzliche Anknüpfung der paulinischen Mission in der Synagoge zu begründen ». Heureuse formule employée à cet endroit par Daniel MARGUERAT, « L'image de Paul dans les Actes des Apôtres », 2008, p. 487. Odile FLICHY, « Inscrire la nouveauté dans la continuité. Le discours de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13,16-41) », 2003, p. 245 : « La “parole de salut” dont il parlait au v. 26 prend ici toute sa dimension d’annonce d’une nouveauté radicale : le Messie ressuscité est proclamé comme événement de salut ».

8.7 La résurrection, « divine surprise »

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d’Es 55, 3 : « je vous donnerai (dwvs w) les saintes, les fiables réalités de David » (cf. également dwvsei" en 13, 35b). Le don en question ici, s’il s’apparente aux multiples bienfaits divins qui habitent la mémoire du peuple choisi (cf. l’emploi d’e[dwken en 13, 20 et 21)105 et qui ont été promis au roi David, n’en désigne pas moins l’acte inédit de la résurrection du Messie Jésus. Luc fait ainsi exploser la catégorie traditionnelle du don historico-salutaire. Bien plus, cette rupture et ce dépassement du cadre de référence fixé en 13, 17-25 trouvent dans la suite du discours à s’alimenter d’autres motifs. Le débordement de l’exclusivisme de l’histoire sainte, suggéré une première fois par la présence de craignant-Dieu dans la synagogue d’Antioche (13, 16b.26b)106, reçoit une sanction théologique dans la transposition de cette Bonne Nouvelle sur le plan anthropologique (13, 38-39) 107 : c’est de cet acte inouï de relèvement que découlent en effet pardon des péchés et justification pour « quiconque croit » (pa'" oJ pisteuvwn ; cf. 10, 43). Le tour de force réalisé par Luc est magistral108 : ancrer la justification par la foi seule, une justification en rupture avec la Torah rituelle et ouverte sur l’universalité, dans la droite ligne des interventions divines qui ont servi à édifier Israël au cours de son histoire. Ce faisant, on comprend mieux pourquoi l’évangéliste des nations n’a fait, dans son rappel historique, nulle référence à la Loi confiée au Sinaï (diff. 7, 38)109 : dépossédée de sa fonction sotériologique, la Torah s’aligne avec peine sur la

105 Cf. Odile FLICHY, « Inscrire la nouveauté dans la continuité. Le discours de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13,16-41) », 2003, p. 269. 106 Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 237 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 331. 107 Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 239 : « In der Paulusrede wird, das lässt sich zusammenfassend sagen, die durch das SGI stark betonte Partikularität der Heilsbotschaft schrittweise aufgebrochen und der Redner kommt an sein Ziel » ; Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-38 und 13,16-41 », 2004, p. 97 : « Dabei erfolgt die Gesamtaussage von 13,38f. genau an der Stelle, an der der Uebergang der Christusverkündigung zu den Heiden theologisch vorbereitet und begründet werden muss ; d.h. hier wird theologisch geklärt, was dann ab 13,44 narrativ entfaltet wird ». 108 Bien explicité chez Daniel MARGUERAT, « L'image de Paul dans les Actes des Apôtres », 2008, p. 487-488. 109 Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, p. 223 ; DietrichAlex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-38 und 13,16-41 », 2004, pp. 96-97.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

chaîne de bienfaits débouchant dans l’envoi du Messie Jésus110. Bref, un choc jaillit du discours paulinien tenu en ce premier sabbat, le choc de deux logiques opposées, celle de la continuité et celle de la discontinuité. Loin de tout immobilisme, l’auditeur de la synagogue d’Antioche est ainsi ballotté entre la rive du familier et le grand large.

8.8 Du rassemblement d’Israël (13, 42-43) à l’universalisation du salut (13, 44-48) 8.8 Du rassemblement d’Israël à l’universalisation du salut

Il convient désormais d’examiner les réactions suscitées par cette prédication paulinienne à la synagogue d’Antioche. C’est, comme nous l’avons montré, tout d’abord une réponse favorable de l’auditoire juif qui se voit notifiée (vv. 42-43). Plusieurs éléments méritent néanmoins explication. En premier lieu, la substitution des prosélytes (v. 43a) aux craignant-Dieu (vv. 16.26). Ce glissement a fait couler beaucoup d’encre dans la recherche moderne, engendrant une inflation d’hypothèses exégétiques : 1) pour la classe exégétique dans sa grande majorité, il s’agit de deux groupes identiques, malgré les différences de vocabulaire, et désignant tantôt des païens sympathisants du monothéisme juif111, tantôt un cercle de convertis issus de la gentilité, en un mot des prosélytes au sens technique 112 ; 2) à l’inverse, d’autres exégètes valorisent davantage les nuances lexicales et différencient ainsi les deux auditoires du point de vue de leur intégration au judaïsme 113. Manque néanmoins souvent une interprétation pertinente de cet écart. Joachim Jeska, l’un des rares exégètes à risquer une solution, y découvre le scénario miniaturisé de la mission chrétienne : si le discours paulinien

110 Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, pp. 238-239 : « Dem Gesetz wird jede Wirksamkeit in Bezug auf das Heil abgesprochen. Deshalb ist die Gabe des Gesetzes am Sinai kein relevantes Ereignis der Geschichte Israels und kann in dem SGI ausgelassen werden ». 111 Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 209 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 337. 112 Notamment Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, I, 1994, pp. 629631.639.654 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 310, pour des raisons de cohérence narrative essentiellement. Voir également ibid., pp. 48-51. 113 Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-38 und 13,16-41 », 2004, pp. 100-103 ; Josef PICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, pp. 207-209.256.

8.8 Du rassemblement d’Israël à l’universalisation du salut

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évoque déjà la portée universaliste de la Bonne Nouvelle, le récit qui suit, en conformité avec le particularisme de l’histoire sainte (13, 17-25), mentionne en premier lieu la moisson au sein d’Israël (vv. 42-43)114. Pour élucider cette crux interpretum, il convient de convoquer deux registres argumentatifs : le registre linguistique d’une part, le registre narratif ensuite. D’un point de vue terminologique, les lectures harmonisantes lissent, contrairement à l’usage de Luc, les différences ethnico-religieuses qui existent sous sa plume entre « craignant-Dieu » et « prosélytes ». Pour Luc, ceux qu’il nomme les « craignant-Dieu » – même si le caractère technique de cette désignation et l’existence formelle d’un tel groupe au sein du judaïsme du 1er siècle sont aujourd’hui très discutés115 – sont des sympathisants d’Israël ethniquement et culturellement païens (comparer Ac 10, 2.22 avec 10, 28 ; 10, 45 ; 11, 1.18 ; etc.). Leur attrait pour la foi juive ne les a pas conduits à intégrer complètement le peuple de l’alliance, circoncision incluse. Le « prosélyte », au contraire, constitue la désignation technique du non-juif converti au judaïsme et dont l’agrégation est entre autres manifestée par la circoncision, un bain lustral et une offrande sacrificielle. Bref, du point de vue lexical, il est recommandé de distinguer les « prosélytes » du v. 43 des « craignant-Dieu » à qui s’adresse Paul dans son homélie. Le participe sebomevno" servant d’épithète à proshvlutoi n’infirme en rien ce premier résultat : ici, sebomevno" a le sens général et non technique de « pieux », d’« adorant », de « dévot » 116, désignant ainsi une attitude de foi (idem pour 13, 50) et non un statut socio-religieux. Examinons maintenant la logique narrative de l’épisode : si Luc fait mention de deux groupes différents, comment expliquer ce saut brusque de l’un à l’autre ? D’une part, les prosélytes n’émergent pas du néant, mais étaient jusqu’à présent récapitulés sous les appellatifs d’« Israélites » (13, 16) et de « fils de la race d’Abraham » (13, 26). Par contre, si les « craignant-Dieu » ne sont plus signalés parmi les récipiendaires de la 114 Joachim JESKA, Die Geschichte Israels in der Sicht des Lukas , 2001, pp. 240-241 ; voir aussi Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-38 und 13,16-41 », 2004, pp. 99-100. 115 Voir à ce sujet, notamment Irina LEVINSKAYA, The Book of Acts in Its Diaspora Setting (The Book of Acts in Its First Century Setting V), Grand Rapids/Carlisle, Eerdmans/Paternoster, 1996, pp. 51-82 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 45-47. 116 Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 520 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 397, note 5.

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Le programme de la mission paulinienne de diaspora

« grâce de Dieu » au sortir de la synagogue d’Antioche, c’est pour respecter le calendrier de l’histoire du salut : l’offre de justification est tout d’abord adressée aux Israélites, de naissance ou d’adoption, et conduit à une première moisson en leur sein ; l’accent est ici mis sur l’adhésion de tout Israël au salut proclamé 117. Dans un second temps seulement, la mission s’universalise et s’ouvre effectivement aux non-juifs (13, 46-48). Bref, si les « craignant-Dieu » surgissent dans le cours de la prédication synagogale de Paul, c’est pour programmer le débordement des frontières d’Israël, et non pour signifier le début effectif de la mission païenne de diaspora. Deuxième point à éclaircir : comment qualifier l’attitude des auditeurs juifs décrite en 13, 43 ? intérêt poli dans la foulée de la demande formulée au v. 42 118 ? conversion à la foi en Jésus Christ119 ? ou moyen terme entre ces deux stades120 ? Si le verbe pisteu'sai est absent de ces versets (diff. 11, 21 ; 13, 12.48 ; 15, 7) 121, trois autres verbes nous autorisent à spécifier la position adoptée par les juifs et prosélytes au sortir de la synagogue : hjk olouvqhsan, e[peiqon aujtouv", prosmevnein th'/ cavriti tou' qeou'. Le premier verbe hérite parfois, dans le Nouveau Testament, du sens technique de « suivance religieuse », même si cet aspect ne semble pas en vue en 13, 43a : ici, il en va trivialement de la dissolution d’une assemblée synagogale et du déplacement d’un groupe de juifs à la suite

117 Dietrich-Alex KOCH, « Proselyten und Gottesfürchtige als Hörer der Reden von Apostelgeschichte 2,14-38 und 13,16-41 », 2004, p. 100. 118 Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 175 : « The meeting breaks up with requests for Paul and Barnabas to return the following Sabbath (v. 42) and with many Jews and “devout proselytes” showing interest and receiving encouragement from Paul and Barnabas » ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 209 : « Aus dem weiteren Hörerkreis schlägt den Missionaren jedoch positives Interesse entgegen. Viele Juden und Gottesfürchtige schliessen sich ihnen an, um weitere Unterweisung zu erhalten ». 119 Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 654 ; Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 92-95 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 337 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 511. 120 Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, I, 1986, p. 41, parle ainsi d’une « aufkeimender Glaube » ; voir également la position prudente adoptée par Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 313-314. 121 Cf. Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 142 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 314.

8.8 Du rassemblement d’Israël à l’universalisation du salut

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des missionnaires chrétiens122. Un tel sens est corroboré par les autres occurrences du verbe ajk olouqei'n dans les Actes canoniques (12, 8.9 ; 21, 36)123. De surcroît, le sens religieux de suivance est chez Luc réservé à la figure de Jésus (Lc 5, 11.27.28 ; 7, 9 ; 9, 11.23.49.57.59.61 ; 18, 22.28.43). La décision est plus délicate pour l’expression prosmevnein th'/ cavriti tou' qeou'. Quand bien même le verbe typique de l’adhésion à la foi chrétienne fait défaut dans ces versets, il est ici fait référence à un état durable caractérisé par la grâce de Dieu, grâce qui n’est autre que la justification offerte dans la résurrection de Jésus aux juifs d’Antioche (13, 38-39 ; cf. 15, 11 ; 20, 24)124. Cet « état de grâce » permanent est en outre surplombé par un effort de persuasion déployé par les missionnaires chrétiens et exprimé à l’aide du verbe e[peiqon. Or chez Luc, ce verbe vise toujours la conversion : l’effet recherché est synonyme de foi (Ac 14, 1-2 ; 17, 4 ; 28, 23-24)125. De même, semblables exhortations à la persévérance se retrouvent dans les Actes toujours associées à des croyants convertis (11, 23 ; 14, 22). Bref, l’homélie synagogale de Paul a selon toute vraisemblance déclenché une adhésion massive (cf. polloiv) 126 de juifs à la foi et leur rémanence dans la grâce de Dieu. Mais, comme nous l’avons dit, cette première récolte suscitée par l’activité synagogale de Paul et Barnabé n’a pas encore excédé le cadre du judaïsme de diaspora : seul le « reste » saint d’Israël a été rassemblé jusqu’ici dans la ville d’Antioche de Pisidie127. Quant à l’universalisation du salut, elle est encore à l’état de promesse. Plus pour très longtemps, cependant.

122 Günter W ASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 314. Contra Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche, 1974, p. 232. 123 Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 654. 124 Sur l’usage lucanien de cavri" comme désignation du message salvifique, en un mot de l’Evangile, ainsi que l’état qui résulte de ce don, voir Hans CONZELMANN, art. « cavri" », ThWNT IX, 1973, pp. 382-383. Chez Paul également, la grâce peut désigner l’état durable dans lequel se trouve celui qui a été justifié par la foi (Rm 5, 2). Contra Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, pp. 261-262, qui voit dans l’activité de Paul et Barnabé non pas un effort de persuasion orienté sur la foi chrétienne, mais au contraire une démarche soucieuse d’attacher les juifs d’Antioche à leur état religieux initial, à savoir la foi juive stricto sensu. 125 Cf. Paul ZINGG, Das Wachsen der Kirche, 1974, p. 232. 126 Cf. Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 362. 127 Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 95 : « Ein Teil Israels ist gesammelt » (l’auteur souligne) ; dans ce sens également Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 362.

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La seconde entrevue sabbatique est le théâtre d’une double évolution : l’assemblée synagogale composée de juifs et de craignantDieu fait désormais place à un auditoire à la taille de la ville d’Antioche (13, 44) ; d’autre part, l’attitude positive affichée par les juifs au terme du premier sabbat bascule ici dans une opposition « zélée » (13, 45). Comme nous l’avons signalé en amont, cette brusque volte-face tient vraisemblablement à la posture universaliste désormais adoptée par les missionnaires chrétiens. En effet, alors que la première homélie délivrée par Paul se cantonnait encore au cadre synagogal, insistait lourdement sur le particularisme de l’histoire sainte et n’avait gagné aucun païen à la cause du Christ, les évangélistes chrétiens semblent à partir du v. 44 faire éclater l’isolationnisme d’Israël, en s’adressant à une mixité ethnique et religieuse (ijdovnte" de; oiJ jIoudai'oi tou;" o[clou") 128. D’où la fureur zélée et les blasphèmes des juifs d’Antioche. La réponse de Paul et Barnabé ne se fera pas attendre : la priorité d’Israël dans l’ordre du salut respectée (v. 46a), le refus juif les conduit néanmoins à réorienter leur mission auprès des Gentils (v. 46b), preuve scripturaire à l’appui (v. 47 ; cf. Es 49, 6). Cette citation produite comme justification de l’universalisation missionnaire est extraite du deuxième chant du Serviteur de YHWH (Es 49, 1-6LXX), chant qui thématise non seulement l’extension du salut aux nations païennes, mais également la restauration des tribus d’Israël et le rassemblement des dispersés129. Cette dimension ne peut échapper à la mémoire du lecteur lucanien. Même détachée de son cadre énonciatif, une citation garantit bien souvent au texte d’origine une fonction de matrice herméneutique 130. Qu’est-ce à dire ? Malgré le rejet cinglant infligé aux missionnaires chrétiens par certains juifs d’Antioche (13, 45 ; cf. Es 49, 4aLXX), l’universalisation du salut n’opère pas contre Israël et son espérance de relèvement. A l’inverse, la première moitié du récit antiochien d’évangélisation (cf. 13, 43) a mis en 128 Belle formulation de l’évolution survenue à partir d’Ac 13, 44 chez Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 315 : « Lukas gestaltet erzählerisch eine Gelegenheit, endlich zu vollziehen, was längst Programm ist (Lk 2,30-32). Die Universalität des Heils wird nicht mehr nur proklamiert, sie könnte jetzt praktiziert werden ». 129 Bart J. KOET, « Isaiah in Luke-Acts », dans ID., Dreams and Scriptures in Luke-Acts. Collected Essays, Leuven/Paris/Dudley, Peeters, 2006, pp. 71-72 ; Gert Jacobus STEYN, Septuagint Quotations, 1995, p. 201. 130 Cf. Bart J. KOET, « Paulus und Barnabas in Pisidian Antioch : A Disagreement over the Interpretation of Scriptures (Acts 13,42-52) », 1989, pp. 107-108.

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récit son accomplissement conformément au rôle confié par YHWH à son Serviteur (cf. Es 49, 6aLXX : kai; ei\pevn moi Mevga soiv ejstin tou' klhqh'naiv se pai'dav mou tou' sth'sai ta;" fula;" jIakwb kai; th;n 131 diaspora;n tou' jIsrahl ejpistrevy ai ) : le reste de Jacob a été rassemblé autour de Jésus, le sauveur d’Israël issu de la dynastie davidique (13, 23) et le Serviteur souffrant promis par Esaïe (Lc 2, 32 ; Ac 8, 32-33 ; 26, 23). Bref, à ce point nommé, Luc offre du virage pris par la mission chrétienne une lecture double et sciemment ambiguë : l’extension de la proclamation évangélique aux païens résulte, d’une part, de son rejet par une portion de juifs réfractaires. En même temps, cette ouverture universaliste participe d’une nécessité historico-salutaire inscrite au cœur même des Ecritures et liée à l’espérance juive d’un rassemblement eschatologique (Es 49, 1-6)132. En d’autres termes : si depuis toujours les païens ont de jure accès au salut d’Israël, l’actualisation de cette promesse s’opère de facto à l’occasion du refus juif133. Dans le cadre narratif d’Ac 13, cette annonce aura comme conséquence positive l’adhésion joyeuse des païens à la foi (v. 48). Dès cet instant, la communauté de disciples sise à Antioche ne s’identifie plus à un groupe de juifs messianiques fréquentant le culte synagogal, mais se présente comme une Eglise citadine, ouverte sur la place publique, et composée non seulement du reste saint d’Israël, mais également de païens convertis sans la Loi. Cela nous conduit à investiguer la dernière section de l’épisode (13, 49-52), épilogue de l’activité antiochienne de Paul et Barnabé.

131 Bart J. K OET, « Paulus und Barnabas in Pisidian Antioch : A Disagreement over the Interpretation of Scriptures (Acts 13,42-52) », 1989, pp. 109-110. 132 Bart J. K OET, « Paulus und Barnabas in Pisidian Antioch : A Disagreement over the Interpretation of Scriptures (Acts 13,42-52) », 1989, p. 114 : « The disciples show in response to the Jewish zeal that the Gentile mission is not only in accordance with Scripture but is even an implication of the mission to Israel ». 133 François BOVON, Luc le théologien, 20063, p. 354 : « Il faut distinguer la motivation théologique et la réalisation historique : or, sur ce point, il est difficile de ne pas admettre que Luc, comme Paul, met en relation l’évangélisation des païens avec l’endurcissement des Juifs » ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 226 : « L’universalité du salut naît de l’histoire même d’Israël où elle trouve sa source et sa légitimité (13, 32-39), mais cette ouverture est paradoxalement mise en œuvre dans l’histoire par le refus juif de la mission chrétienne ».

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8.9 Bilan conclusif : croissance de la Parole, persécution de Paul et Barnabé, « plérôme » des disciples (13, 49-52) 8.9 Bilan conclusif : croissance de la Parole, persécution de Paul et Barnabé

Nous l’avons dit, l’épilogue qui clôt l’épisode antiochien des Actes constitue le troisième temps caractéristique du scénario de la mission paulinienne de diaspora. Il se compose ici de trois éléments : un refrain de croissance de la Parole, la notification de la persécution qui s’abat sur Paul et Barnabé et conduit à leur expulsion de la ville, puis finalement une notice à l’imparfait de durée signalant la survivance à Antioche de Pisidie d’une communauté de disciples. Investiguons tour à tour ces trois petits tableaux. L’affection lucanienne pour les sommaires de croissance n’est plus à démontrer (2, 41.47 ; 4, 4.32-33 ; 5, 14 ; 6, 1.7 ; 9, 31.35 ; 11, 21.24.26b ; 12, 24 ; 16, 5 ; 19, 20). Ces notices éditoriales sont dans le second tome ad Theophilum autant de bornes narratives rappelant au lecteur le thème directeur du récit et son avancée irrépressible. Deux facteurs expliquent le plus souvent la disposition de ces refrains au fil du texte : la scansion des différentes périodes de l’histoire ecclésiale d’une part, les obstacles rencontrés par la Parole dans sa progression aux confins de la terre de l’autre. Ces deux dimensions se trouvent réunies en 13, 49 : d’une part, cette notification de l’essor de la Parole est insérée dans un contexte fait de persécutions et de coercition (13, 45 et 13, 50)134, d’autre part, ce refrain de croissance clôt une étape missionnaire, en signalant l’expansion de la Parole dans toute la contrée ceinturant Antioche de Pisidie (di’ o{l h" th'" cwvra" ; cf. 6, 7 [Jérusalem] ; 9, 31 [Judée, Galilée, Samarie] ; 19, 10 [toute la province romaine d’Asie] ; etc.). Abordons la deuxième composante de l’épilogue : après l’opposition verbale déployée par les seuls juifs (13, 45), c’est à une persécution généralisée que sont exposés les missionnaires chrétiens135. Comme souvent dans le schéma missionnaire paulinien, la conclusion en sera l’expulsion hors des murs de la ville (cf. 14, 5-6 ; 17, 10 ; 17, 1314). A cette mise à ban répondra du côté des évangélistes un geste prophétique de rupture, analogue à celui prescrit par Jésus dans le troisième évangile (Lc 9, 5 ; cf. 10, 10). Comme nous l’avons dit, cet acte symbolique vise moins à prononcer l’anathème sur les juifs d’Antioche 134 Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 244-245. 135 Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte , 1994, p. 520.

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qu’à garantir la virginité et la pureté morales des proclamateurs de l’Evangile face à l’échec de leur mission (cf. 18, 6c ; 20, 26-27). Il est au reste difficile de déterminer les destinataires visés par le geste : les juifs incrédules136 ? tous les persécuteurs sans discrimination137 ? ou la ville dans son ensemble 138 ? La dernière option semble peu probable 139, si l’on en croit Ac 14, 21-23 qui voit les deux bannis revenir dans ces lieux où un groupe de frères a survécu. Par contre, il est plus délicat de trancher entre les deux premières hypothèses : la tournure ejp’ aujtouv" peut soit se reporter sur le dernier sujet explicité, à savoir les oiJ de; jIoudai'oi (v. 50aa), soit se référer à l’ensemble des protagonistes nommés au v. 50, c’est-à-dire les juifs incrédules, des femmes pieuses ainsi que les premiers de la ville. A la lecture du récit d’Ac 18, 6a, on découvre que, dans ce second cas, seuls les juifs se trouvent en ligne de mire du rite. L’argument est correct, mais il méconnaît la gradation ménagée par Luc entre ces différentes scènes missionnaires. Comme nous l’avons mis en évidence, la dénonciation de l’endurcissement juif va crescendo et ne surgit en pleines lettres qu’en 28, 26-27. Il semble donc plus respectueux du texte lucanien de maintenir le flou entourant les destinataires du geste posé en 13, 51 : il vise moins à dénoncer le refus juif qu’à imputer aux opposants de l’Evangile quels qu’ils soient la responsabilité dans l’arrêt de la mission antiochienne. Penchons-nous finalement sur le dernier élément de l’épilogue : la survivance à Antioche de Pisidie d’un groupe de disciples (v. 52). Comme nous l’avons vu, cette dimension ecclésiologique compte au nombre des composantes caractéristiques du scénario de la mission chrétienne de diaspora : l’activité évangélisatrice de Paul est le plus souvent couronnée par l’émergence d’un cercle religieux autonome de la Synagogue, ouvert sur l’universalité païenne et désigné par des appellatifs spécifiques. Malgré la sobriété du « Chorschluss » 140 d’Ac 13, ces différents aspects s’y retrouvent sans peine : tout d’abord, cette communauté en rupture avec l’assemblée synagogale semble avoir 136 Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 365 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas , 1983, p. 298. 137 Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 136. 138 Robert C. TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 2005, p. 152. 139 Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 399. 140 Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 83.

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comme auditoire et cadre spatial la ville d’Antioche ainsi que son agglomération (cf. 13, 44 : scedo;n pa's a hJ povli" ; 13, 49 : di’ o{lh" th'" cwvra"), lieux d’où Paul et Barnabé vont être finalement éjectés (13, 50 : ajpo; tw'n oJrivwn aujtw'n). Ensuite, ses traits caractéristiques permanents (cf. ejplhrou'nto à l’imparfait duratif) sont au nombre de trois : ses membres sont appelés maqhtaiv, ils se trouvent dans un état de joie et sont revêtus d’Esprit saint. Ces traits typiques peuvent être complétés par les descriptions des nouveaux convertis données en amont : prosmevnein th'/ cavriti tou' qeou' (v. 43) et e[cairon kai; ejdovxazon to;n lovgon tou' kurivou kai; ejpivsteusan (v. 48). Nous avons là, tout spécialement dans les motifs de la foi et de l’Esprit saint, les marques identitaires de l’Eglise chrétienne née à la Pentecôte. Chez Luc, ces deux dimensions, christologique et pneumatologique, se retrouvent d’ailleurs fréquemment associées à l’appellatif maqhtaiv141, lui offrant ainsi une surface sémantique. Bref, loin de clore l’épisode antiochien sur une note négative et défaitiste, l’auteur des Actes a choisi d’offrir en guise de conclusion l’image d’une communauté chrétienne naissante, détachée de la synagogue juive 142, cultivant ses signes distinctifs143 et durablement établie dans la capitale de la province romaine de Pisidie 144.

141 Dimension christologique en Ac 6, 7 ; 9, 1 ; 14, 22 ; 18, 27 ; dimension pneumatologique en Ac 13, 52 ; 19, 1-7 ; 21, 4. 142 Contra Anton D EUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 225, qui minimise les signaux de distanciation existant en Ac 13 entre la synagogue et la communauté émergeante : « Mit V52 führt Lukas demnach zwar terminologisch einen neuen Personenkreis am Ende der Perikope ein, der in einem besonderen Verhältnis zur Botschaft der Apostel bzw. zu Jesus steht und insofern von den “Juden” und “Heiden” unterscheiden weiss, aber nicht das Heilsvolk des Bundes ersetzt, vielmehr erfüllen sich an diesem Personenkreis die Verheissungen des Bundes. Es wird auch ansonsten nichts über das Verhältnis dieser Gruppe zur Synagoge bzw. zum Bundesvolk ausgesagt. Die maqhtaiv sind Juden (V43) und Heiden (V48), die bereits in gewisser Nähe zur Synagoge stehen und sich nun als Teil Israels begreifen dürfen (V47f.). Thema der Perikope war ja bisher das Verhältnis der Nichtjuden zu Israel hinaus ; insofern sind die Nichtjuden unter den “Schülern” nun endgültig als Teil Israels zu begreifen, und eben nichts als Glieder einer “neuen” Gemeinschaft ». La proximité irréfragable existant entre ce groupe de disciples et le peuple d’Israël (respectivement son histoire de promesses) ne conduit pas Luc à escamoter la nouveauté sotériologique d’une justification déliée de la Torah ni à taire le récurrent scénario de rupture survenant au cours de la mission paulinienne des Actes. Sous sa plume, ce schéma de séparation est le reflet du divorce en train de se produire entre l’Eglise et ceux qu’il appelle dorénavant et dans un sens péjoratif les oiJ jIoudai'oi (cf. 13, 45.50). La communauté qui émerge de cette fracture n’est plus simplement une secte interne au judaïsme bigarré du second Temple, c’est une universalité faite de

8.10 Conclusion : la mission paulinienne d’Antioche de Pisidie

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8.10 Conclusion : la mission paulinienne d’Antioche de Pisidie entre rassemblement de l’Israël exilé et rupture avec la Synagogue 8.10 Conclusion : la mission paulinienne d’Antioche de Pisidie

C’est par démontrer la fonction inaugurale et programmatique d’Ac 13, 14-52 que nous avons commencé ce chapitre : comparable aux grandes scènes introductives qui jalonnent la double œuvre lucanienne, l’épisode d’Antioche de Pisidie installe un stéréotype de l’activité missionnaire conduite par Paul au sein de la diaspora juive. Or, ce pattern littéraire, fixé une première fois en 13, 14-52, puis reproduit avec de légères modulations tout au long du parcours paulinien des Actes, travaille à souligner trois dimensions inhérentes au rapport judaïsme– christianisme chez Luc : 1) l’inscription indélébile de la communauté naissante dans le prolongement d’Israël. C’est là le premier aspect à ressortir avec force de l’examen de la scène antiochienne : non seulement Paul et Barnabé inaugurent leur activité évangélisatrice par la participation au culte synagogal, mais surtout l’évangéliste des nations y délivre une homélie entièrement occupée à déployer une herméneutique de la continuité et de l’accomplissement entre le kérygme christologique et le passé d’Israël. Partant, l’adhésion massive de juifs et prosélytes qui couronne cette activité synagogale ne peut être sousestimée : à travers ce succès missionnaire, c’est l’Israël exilé qui amorce son rassemblement eschatologique ; 2) la seconde dimension à être appuyée par le schéma missionnaire est la fracture qui court-circuite la relation entretenue par les prédicateurs de l’Evangile avec la Synagogue. Cette rupture provoquée par la posture universaliste adoptée par la mission chrétienne occasionne en retour l’excommunication des disciples et les oblige à repenser leur identité à distance de l’institution juifs et de païens pour qui la Loi de Moïse ne possède plus ni fonction sotériologique ni relevance identitaire. 143 Joseph P ICHLER, Paulusrezeption in der Apostelgeschichte, 1997, p. 264 : « Ihr Glaube unterscheidet sie von den Heiden und den Juden ». 144 Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1988, p. 210 : « Wohl um nicht mit diesem düsteren Bild schliessen zu müssen, fügt Lukas eine Bemerkung an, die, ohne sachlich über V.48f. hinauszuführen, den Leser daran erinnert, dass Paulus und Barnabas in Antiochia nicht vergeblich gewirkt haben. Was bleibt, ist eine blühende Gemeinde ». Voir aussi Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 365 : « Eine Gemeinde von Juden und gottesfürchtigen Heiden ist in Antiochia entstanden ».

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synagogale ; 3) le troisième axe tracé par le schéma missionnaire d’Ac 13 est la mise en œuvre d’une proclamation universelle de salut, adressée prioritairement aux juifs, mais appelée également à déborder les frontières du peuple choisi. Pour Luc, cette extension aux non-juifs de l’histoire sainte, rendue possible par l’événement salutaire de la résurrection145, peut d’ailleurs se recommander d’une forte légitimité scripturaire, accomplissant le rôle confié dans le rouleau du prophète Esaïe au Serviteur de YHWH. Bref, le scénario développé par l’épisode d’Antioche de Pisidie inscrit au fronton de la section paulinienne (Ac 13–28) une grille de lecture à même de préciser l’évolution des rapports entre l’Eglise et la Synagogue dans la dernière tranche des Actes, une évolution suspendue entre continuité et rupture .

145 Bien souligné chez Jens SCHRÖTER, « Heil für die Heiden und Israel. Zum Zusammenhang von Christologie und Volk Gottes bei Lukas », dans Cilliers BREYTENBACH, ID. (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher, Leiden/Boston, Brill, 2004, pp. 292-295.

Chapitre 9

Le récit de l’assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc (Actes 15, 1-35) 9.1

Bibliographie

9.1 Bibliographie Jostein ÅDNA, « James’ Position at the Summit Meeting of the Apostles and the Elders in Jerusalem (Acts 15) », dans ID., Hans KVALBEIN (éds), The Mission of the Early Church to the Jews and Gentiles (WUNT 1.127), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, pp. 125-161.–Knut BACKHAUS, « Mose und der Mos Maiorum. Das Alter des Judentums als Argument für die Attraktivität des Christentums in der Apostelgeschichte », dans Christfried BÖTTRICH, Jens HERZER (éds), Josephus und das Neue Testament : Wechselseitige Wahrnehmungen. II. Internationales Symposium zum Corpus Judaeo-Hellenisticum 25.-28. Mai 2006, Greiswald (WUNT 1.209), Tübingen, Mohr Siebeck, 2007, pp. 401-428.–Richard BAUCKHAM, « James and the Gentiles (Acts 15.13–21) », dans Ben WITHERINGTON III (éd.), History, Literature, and Society in the Book of Acts, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, pp. 154-184.–Craig BLOMBERG, « The Christian and the Law of Moses », dans I. Howard MARSHALL, David PETERSON (éds), Witness to the Gospel. The Theology of Acts, Grand Rapids, Eerdmans, 1998, pp. 397-416.–Markus BOCKMUEHL, « The Noachide Commandments and New Testament Ethics with Special Reference to Acts 15 and Pauline Halakhah », RB 102/1, 1995, pp. 72-101.–George K.A. BONNAH, The Holy Spirit. A Narrative Factor in the Acts of the Apostles (SBB 58), Stuttgart, Katholisches Verlag, 2007, pp. 364-378.–François BOVON, « La Loi dans l’œuvre de Luc », dans Camille FOCANT (éd.), La Loi dans l’un et l’autre Testament (LeDiv 168), Paris, Cerf, 1997, pp. 206-225.–Simon BUTTICAZ, « Acts 15 or the “Return of the Repressed” ? The Church and the Law in Acts », dans Michael TAIT, Peter OAKES (éds), The Torah in the New Testament. Papers Delivered at the Manchester–Lausanne Seminar of June 2008 (LNST 401), London, T&T Clark, 2009, pp. 118-132.–Terrence CALLAN, « The Background of the Apostolic Decree (Acts 15 :20,29 ; 21 :25) », CBQ 55, 1993, pp. 284-297.–Nils A. DAHL, « “A People for His

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

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9.2 Ac 15 dans l’intrigue des Actes

303

precht, 1997.–Alfons WEISER, « Das “Apostelkonzil” (Apg 15,1-35). Ereignis, Ueberlieferung, lukanische Deutung », BZ 28, 1984, pp. 145167.–Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in LukeActs, Cambridge, Cambridge University Press, 1973, pp. 178-195.224225.

9.2 Ac 15 dans l’intrigue des Actes 9.2 Ac 15 dans l’intrigue des Actes La fonction décisive octroyée dans l’économie narrative des Actes à l’épisode de l’assemblée jérusalémite constitue un indéniable point d’accord entre les exégètes modernes1. Souvent qualifiée de premier « concile », la rencontre narrée en Ac 15 se situe en effet au centre géométrique du second tome à Théophile et assure la transition entre l’amont et l’aval du récit2. Le maillage avec l’amont est évident : c’est à Antioche, lieu où a vu le jour la toute première communauté mixte (11, 19-30), que s’embrase le conflit entre Paul et Barnabé et des croyants venus de Judée (15, 1) ; c’est à la conversion de Corneille et de sa maisonnée relatée en Ac 10, 1-48 que Pierre fait référence pour dénoncer l’obligation de la circoncision et de la Loi mosaïque à l’endroit des païens convertis (15, 7b-9) ; c’est à leur activité missionnaire conduite avec succès en Asie Mineure (13–14) et scellée dans des actes de puissance (13, 9-12 ; 14, 3.8-10) que Paul et Barnabé font allusion face à l’assemblée des apôtres et des anciens tenue dans la Ville sainte (15, 4.12 ; cf. 15, 3) ; ce sont les conversions massives réalisées depuis le jour de la Pentecôte (2, 41.47 ; 4, 4 ; 5, 14 ; 6, 1.7) que semble évoquer le relèvement de la hutte délabrée de David (15, 16) ; c’est le cercle des Douze, recomposé en Ac 1, 15-26 et augmenté des anciens (cf. 11, 30), qui entérine le décret formulé à l’endroit des Gentils (15, 23). Bref, multiples 1

2

Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, pp. 709-710 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 81 ; Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, pp. 160.187 ; Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les nations (Actes 15.14) », 1985, p. 322 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte , 19777, p. 444 ; Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 71 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 222 ; Héctor SÁNCHEZ, Das lukanische Geschichtswerk im Spiegel heilsgeschichtlicher Uebergänge , 2001, p. 133 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, pp. 327-328 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 180 ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 364-365 ; Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, pp. 192-193 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 439 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 555. Cf. Michael DÖMER, Das Heil Gottes , 1978, p. 187.

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

sont les renvois vers l’amont du récit orchestrés en Ac 15 : l’épisode de l’assemblée de Jérusalem boucle une longue phase narrative embrayée depuis le seuil des Actes. A ce regard jeté sur le passé, conférant au récit d’Ac 15 une stature éminemment rétrospective, se joint une orientation vers l’avenir3. Pour sûr, en statuant sur les conditions d’accès au salut, l’assemblée de Jérusalem ouvre la voie à l’évangélisation qui sera portée ultérieurement par Paul dans son nouveau bassin d’expansion : l’univers païen, et singulièrement la portion européenne de l’Empire (16–28). Dans ces nouveaux champs missionnaires, le décret apostolique entériné à Jérusalem (15, 22 ; 16, 4b ; 21, 25), puis communiqué à la communauté d’Antioche (15, 30-31), sera également diffusé (15, 23 ; 16, 4a). Par ailleurs, Jacques, figure narrative introduite pour la première fois en Ac 12, 17, assumera dorénavant avec les anciens, surgis en Ac 11, 30, la direction de l’Eglise sise dans la Ville sainte (21, 18), et ce en remplacement du cercle des apôtres disparu du récit après Ac 16, 4 4. On le voit, le tricotage narratif entre l’amont et l’aval du récit ne saurait être plus serré ; Ac 15 constitue selon toute vraisemblance un tournant majeur dans l’intrigue du second récit à Théophile.

9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes 9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes L’emplacement stratégique réservé à l’épisode d’Ac 15 reconnu, il convient d’en préciser la portée. Nous l’avons dit, en faisant état de son activité missionnaire engagée auprès des païens, Pierre offre une transcription discursive de la conversion de Corneille, événement dont il avait pourtant déjà indiqué le sens en amont. Cette reprise en cascade d’un même épisode n’est pas inconnue des exégètes de Luc : les trois versions du retournement de Saul en sont un autre cas d’école (Ac 9 ; 22 ; 26)5. Ce phénomène littéraire a même reçu un nom technique dans

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4 5

Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 444 : « Kap. 15 ist der Wendepunkt, “Mittelstück” [,…] und “Wasserscheide” des Buches, die kommende Entwicklung innerlich ermöglichend und die vergangene abschliessend und rechtfertigend ». Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 445. Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, p. 222 : « Eines der Hauptcharakteristika der Erzählung der Acta ist das wiederholte Erzählen von Ereignissen, die bereits erzählt wurden ; sei es die Eröhung Jesu, die Visionen des

9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes

305

la recherche moderne, celui de « redondance fonctionnelle »6. S’agissant de la « rencontre de Césarée », ce ne sont pas moins de quatre (re)lectures que Luc glisse dans la bouche de Pierre (10, 28-30 ; 10, 3443 ; 11, 5-17 ; 15, 7b-11). Avec à chaque fois, un angle d’approche différencié 7. Dit autrement, ces incessants retours du récit sur lui-même ne visent pas seulement à mettre l’emphase sur un événement jugé digne d’intérêt8, mais concourent également à en dégager tous les effets de sens9. C’est dans la capacité de ces redites narratives à décliner le potentiel sémantique d’un épisode qu’il faut les évaluer et c’est dans cette perspective qu’il convient de préciser le rapport entre Ac 10–11 et Ac 15 : quelle relecture le récit de l’assemblée jérusalémite opère-t-il de la conversion du craignant-Dieu romain ? quel point de vue commande cette ultime rétrospective ? Les exégètes ont le plus souvent conclu de cette redondance narrative qu’Ac 15 venait offrir sa caution d’officialité à l’existence dans les rangs de l’Eglise de païens convertis sans la Loi10. Dit autrement, la rencontre de Jérusalem, considérée comme le tout premier concile de

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Petrus und Cornelius, die Berufung des Paulus – die Beispiele liessen sich beliebig ergänzen ». Ronald D. WITHERUP, « Cornelius over and over and over again : “Functional Redundancy” in the Acts of the Apostles », JSNT 49, 1993, pp. 45-66. Dans une contribution précédente, l’auteur avait appliqué cette catégorie et analysé son fonctionnement sur le triple retournement de Saul (ID., « Functional Redundancy in the Acts of the Apostles : A Case Study », JSNT 48, 1992, pp. 67-86). Sur les variations caractérisant les relectures pétriniennes de la « conversion de Corneille », voir Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 83. Il discerne ainsi en 10, 28 une relecture éthique, en 10, 34-43 une relecture théologico-christologique, en 11, 17 une relecture pneumatologique et en 15, 9-10 une relecture sotériologique de l’événement. Sur la composition littéraire d’Ac 10– 11, consulter également Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts , II, 1990, pp. 128-145. Dans ce sens Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, p. 177 : « Sheer length and repetition are Luke’s way of impressing upon his readers the immense significance which this event had for him ». Cf. Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte , 2006, pp. 222-223 : « Durch das Stilmittel der Redundanz werden dem Erzähladressaten und damit auch den RezipientInnen Ereignisse eingeprägt. In den Wiedererzählungen werden sie in der Regel in unterschiedlichen Figurenperspektiven mit neuen Akzenten erzählt ». Par ex. Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 386: « Die nach luk Sicht auf dem “Apostelkonzil” offiziell und einheitlich geschehene Anerkennung der gesetzesfreien Einbeziehung der Heiden und die Ermöglichung der Lebensgemeinschaft zwischen Juden- und Heidenchristen bedeutet die endgültige Oeffnung der Tür für die Ausbreitung des Christuszeugnisses in alle Welt ».

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l’histoire du christianisme, serait à lire comme un document juridique – ancêtre des canons et décisions conciliaires11 – institutionnalisant l’aile pagano-chrétienne de l’Eglise à côté d’un courant chrétien d’inspiration pharisienne. Cette lecture institutionnelle d’Ac 15, très populaire dans la recherche passée et récente 12, excède néanmoins la perspective développée par Luc13. Si Hubert Cancik a raison de souligner le caractère communautaire de la décision prise en 15, 22, où se rejoignent les avis des apôtres, des anciens et de toute l’ekklèsia14, il a néanmoins tort d’y voir une chape institutionnelle dont Luc aurait coiffé son histoire de la chrétienté. Pour preuve, Ac 15, 30-31 et 16, 4 mis à part, rien n’est dit de la réception et de l’adoption du décret apostolique dans les communautés de diaspora 15. De même, le caractère « catholique » de la décision prise fait défaut : seuls sont représentés dans la Ville sainte des chrétiens d’Antioche et de Jérusalem. Partant, le récit d’Ac 15, s’il fait montre de solennité et d’ecclésialité, ne dépeint pas l’émergence du fonctionnement conciliaire de l’Eglise ancienne, dont les décrets auraient un caractère contraignant pour l’ensemble de la chrétienté. Bref, si intérêt ecclésiologique il y a, ce n’est pas au niveau institutionnel qu’il faut le dénicher, mais bien sur le plan identitaire. Voyons comment. La question portée devant les apôtres et les anciens de Jérusalem est tout d’abord soulevée en 15, 1, à l’occasion du différend qui gagne

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15

Cf. Alfred WIKENHAUSER, Die Apostelgeschichte, 1961, p. 171 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 575. Dès le début du Ve siècle, différents auteurs du christianisme ont élevé Ac 15 au rang de modèle, voire de justification scripturaire, de l’institution conciliaire. A ce sujet, consulter Hermann Josef SIEBEN, Die Konzilsidee der Alten Kirche (Konziliengeschichte, Reihe B), Paderborn et al., Ferdinand Schöningh, 1979, pp. 215-216.417-423. Au sein de l’exégèse moderne, on retrouvera semblables affirmations notamment chez Hubert CANCIK, « The History of Culture, Religion, and Institutions in Ancient Historiography : Philological Observations Concerning Luke’s History », JBL 116/4, 1997, p. 677 ainsi que chez Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 71. Position discutée et nuancée chez Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 222 et rejetée avec force et conviction par Ralph NEUBERTH, Demokratie im Volk Gottes ? Untersuchungen zur Apostelgeschichte (SBB 46), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 2001, p. 198. Hubert CANCIK, « The History of Culture, Religion, and Institutions in Ancient Historiography : Philological Observations Concerning Luke’s History », 1997, p. 677. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 445 : « Die Christenheit […] bildet keine straff organisierte Kirche, in der alles auf den Wink Jerusalems geschieht ».

9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes

307

l’Eglise antiochienne. Elle sera ensuite rédupliquée – et amplifiée – en ouverture de l’assemblée tenue dans la Ville sainte (v. 5). A chaque fois, c’est la circoncision prescrite dans la Loi de Moïse qui est objet de litige. Aux dires de certaines personnes venues de Judée (v. 1 : tine" katelqovnte" ajpo th'" jIoudaiva"), relayés par des croyants d’obédience pharisienne (v. 5a), l’accession des païens au salut est impensable sans le préalable de la circoncision, et plus largement sans l’observance de la Torah. Précisons la problématique en jeu : le conflit qui surgit entre des chrétiens attachés au pharisaïsme et le tandem Paul–Barnabé n’est plus l’extension de l’alliance d’Israël aux nations ou la légitimité d’une mission auprès des non-juifs16 ; que Dieu ait aussi « ouvert une porte de la foi » aux Gentils est un fait acquis pour l’Eglise de Luc, et ce depuis la conversion emblématique de Corneille (11, 18 : a[ra kai; toi'" e[qnesin oJ qeo;" th;n metavnoian eij" zwh;n e[dwken ; cf. 10, 45 ; 11, 1 ; 13, 46b-47 ; 14, 27). Dans le parcours de lecture que déploient les Actes, la fondation de la communauté antiochienne composée de juifs et de non-juifs (11, 1930), puis le premier voyage missionnaire initié à partir d’Antioche (13– 14) ont narrativement entériné cet élargissement au monde de la prédication chrétienne. En abordant la thématique sensible de la circoncision, les chrétiens de tendance pharisienne déplacent donc la problématique du salut des païens sur le plan socio-identitaire17. Au 1er siècle 16

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Bien noté par Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 388 : « Es geht nicht um die Möglichkeit für Heiden, zum Heil zu gelangen, oder ihren Anteil an den Verheissungen Israels. Denn dafür gibt es schon eine Entscheidung. Neu ist die Bedingung ». De même Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, pp. 2621-2622 : « Auf dem sogenannten Apostelkonzil erfolgt nicht “die endgültige Billigung der gesetzesfreien Heidenmission”, sondern es geht nach lukanischer Sicht um die Legitimation der kirchlichen Zustände, die sich aus der gesetzesfreien Heidenmission ergeben » ; Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 84 : « Es handelt sich also in Antiochien nicht nur um einen Streit um die Evangeliumsverkündigung auch unter Nichtjuden […] » (l’auteure souligne) ainsi que David SECCOMBE, « The New People of God », 1998, p. 365 : « However, the issue in chapter 15 is not the same as chapters 11 and 12 [sic !]. The concern there was to justify evangelism towards and fellowship with uncircumcised Gentiles. Such people soon become a fact of life in the churches. The question which then arose was their obligation towards the law, the need to be circumcised ». Dans ce sens : Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 75, note 9 : « Bei der Beschneidungsforderung geht es um die Zugehörigkeit zum Volk Gottes, die soziale Dimension des Heils […]. » (nous soulignons). Voir aussi Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, pp. 129-130 : « Die Frage, die 15,5 aufwirft, zielt damit we-

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ap. J.-C., circoncision et Torah rituelle étaient en effet des identity markers, des signes d’appartenance au peuple choisi18 ; les abroger revenait à gommer les frontières du peuple élu et à entraîner sa dissolution identitaire dans son environnement païen. Il existait certes différents degrés entre judaïsme et paganisme, degrés auxquels Luc est sensible et qu’il dénomme « craignant-Dieu ». Dans son œuvre cependant, ce ne sont jamais des convertis au judaïsme, mais bien des croyants au Dieu d’Israël ethniquement et culturellement païens. Les savants désireux de réduire la dispute d’Ac 15 au rang de querelle interne au judaïsme pluriforme du 1er siècle – singulièrement entre une aile rigoriste et un judaïsme libéral de diaspora – importent dans l’œuvre lucanienne une

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niger auf den Modus der Rettung, sondern auf den religionssoziologischen Status der Heidenchristen » ; Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder Christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 356 : « In Apg 15 geht es vielmehr um die Zugehörigkeit von Nichtjuden zum eschatologischen Gottesvolk und die daraus ergebenden Konsequenzen in der Lebensführung » ; Karl LÖNING, « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, p. 315 : « Es geht in Apg 15 also nicht um die Legitimation der Heidenmission, sondern um die sich daran anschliessende Frage, wie die Heiden in die Kirche einbezogen sind, die ja bisher insgesamt als eine Form des Judentums erschien. Die Frage ist nicht, ob sie zur Kirche gehören, sondern ob sie als getaufte Heiden zur Kirche gehören oder als Proselyten » (l’auteur souligne) ; Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 89 : « Zu meinen, dass es mit “Beschneidung und Einhaltung des Gesetzes” um “Aeusserliches und Legistisches” geht, verkennt die mit der Beschneidungsforderung zur Debatte stehende Grundsatzfrage nach dem religionssoziologischen Status der nichtjüdischen Christusanhängerschaft » ; Richard P. THOMPSON, Keeping the Church in Its Place, 2006, pp. 185-186 : « The question, therefore, focuses not on the legitimacy of the Christian mission to the Gentiles but on the issue of Gentile partnership in the Christian community. The problem concerning circumcision seems to be a problem of Jewish identity and self-understanding, since this is a primary issue of distinction and identity that the Gentile presence is perceived to threaten ». Voir sur le sujet l’incontournable article de James DUNN, « Boundary Markers in Early Christianity », dans Jörg RÜPKE, Gruppenreligionen im römischen Reich. Sozialformen, Grenzziehungen und Leistungen (STAC 43), Tübingen, Mohr Siebeck, 2007, pp. 49-68, particulièrement les pp. 50-55, ainsi que l’étude de Scot MCKNIGHT, A Light Among the Gentiles. Jewish Missionary Activity in the Second Temple Period, Minneapolis, Fortress Press, 1991, surtout aux pp. 78-89. Ce dernier montre ainsi que chez Flavius Josèphe et dans la tradition rabbinique au moins la circoncision avait accédé au rang de pré-requis majoritaire à la pleine conversion au judaïsme (ibid., p. 82 : « Circumcision was probably required for male converts most of the time and in most local expressions of Judaism. It was the ritual that separated the Jew from the Gentile [at least in Jewish perception], and therefore it would have been the act that permitted the would-be convert to cross the boundary and enter the community » [l’auteur souligne]).

9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes

309

problématique qui lui est étrangère et peut-être même inconnue. Bref, c’est dans la perspective des identity ou boundary markers qu’il convient de déchiffrer la motivation religieuse qui anime les opposants de Paul et Barnabé : selon eux, pour être et demeurer le peuple élu de l’histoire sainte, l’Eglise se doit de respecter la Loi et ses prescriptions rituelles. Sans cela, les païens ne peuvent intégrer l’alliance de Dieu et, partant, obtenir le salut promis. On le voit, si Ac 15, par la bouche de Pierre, revient une dernière fois sur la conversion du craignant-Dieu Corneille (Ac 10), ce n’est pas par maladresse littéraire. C’est pour dresser sur le plan de l’identité du peuple de Dieu et de ses signes distinctifs les répercussions de cet événement-phare. Le salut des Gentils n’est plus problématisé pour lui-même ; ce sont les incidences identitaires de la mission païenne qui retiennent désormais l’attention ; c’est la définition de l’Eglise que met en jeu l’extension de l’alliance aux incirconcis. La portée identitaire du récit d’Ac 15, induite par les récriminations des judaïsants, se voit d’ailleurs confirmée dans le troisième acte de parole tenu en cette occasion, le discours de Jacques (vv. 13-21). Voyons comment. Dans une étude parue en 1985, Jacques Dupont a mis au jour la construction en parallèle des deux discours directs d’Ac 1519 : tout comme la plaidoirie de Pierre (vv. 7b-11), le discours de Jacques (vv. 1321) s’organise selon un schème bipartite où chaque subdivision trouve son point d’ancrage dans les dires préalables du porte-parole des Douze. Précisons : alors que les vv. 14-18 s’appuient, tout en la prolongeant scripturairement, sur la première période du discours pétrinien (vv. 7-9)20, la conclusion qu’en tire Jacques (v. 19) redouble la conséquence déjà énoncée sous forme de question rhétorique par Pierre (v. 10) 21. Le tableau suivant permet de bien visualiser ce jeu d’échos orchestré entre les discours respectifs de Pierre et de Jacques : 19 20

21

Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les nations (Actes 15.14) », 1985, pp. 321-335. En repérant derrière le nom de Syméon en 15, 14 une référence intratextuelle au Syméon de l’Evangile de l’enfance (Lc 2, 25-35), Maria NEUBRAND méconnaît par trop le parallélisme prégnant construit entre les discours rapportés d’Ac 15 : Jacques se situe en continuité immanquable de Pierre et fait prioritairement référence au discours de son préopinant. La trajectoire remontant jusqu’au seuil du troisième évangile est ainsi barrée ( ID ., Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 119-120). Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les nations (Actes 15.14) », 1985, p. 323 : « Il est remarquable que chacune des deux parties du discours de Jacques prenne son point de départ dans ce qui avait été dit par Pierre : le v. 14 résume en d’autres termes ce

310

Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

Discours de Pierre a[ndre" ajdelfoiv, uJmei'" ejpivstasqe o{ti ajf’ hJm erw'n ajrcaivwn ejn uJmi'n ejxelevxato oJ qeo;" dia; tou' stovm atov" mou ajkou's ai ta; e[qnh to;n lovgon tou' eujaggelivou 8 kai; oJ kai; pisteu'sai: kardiognwvsth" qeo;" ejm artuvrhsen aujtoi'" dou;" to; pneu'm a to; a{gion kaqw;" kai; hJmi'n 9 kai; oujq e;n dievkrinen metaxu; hJm w'n te kai; aujtw'n, th'/ pivstei kaqarivs a" ta;" kardiva" aujtw'n. 7

10

nu'n ou\n tiv peiravzete to;n qeovn ejpiqei'nai zugo;n ejpi; to;n travc hlon tw'n maqhtw'n o}n ou[te oiJ patevre" hJmw'n ou[te hJmei'" ijscuvsamen bastavsai; 11 ajlla; dia; th'" cavrito" tou' kurivou jIhsou' pisteuvomen swqh'nai kaq’ o}n trovp on kajkei'noi

Discours de Jacques a[ndre" ajdelfoiv, ajk ouvs atev mou. 14 Sumew;n ejxhghvs ato kaqw;" prw'ton oJ qeo;" ejp eskevyato labei'n ejx ejqnw'n lao;n tw'/ ojnovm ati aujtou'. 15 kai; touvtw/ sumfwnou'sin oiJ lovgoi tw'n profhtw'n, kaqw;" gevgraptai,

16

Meta; tau'ta ajnastrevyw kai; ajnoikodomhvsw th;n skhnh;n Daui;d th;n peptwkui'an kai; ta; kateskammevna aujth'" ajnoikodomhvsw kai; ajnorqwvsw aujthvn, 17 o{pw" a]n ejkzhthvswsin oiJ katavloipoi tw'n ajnqrwvpwn to;n kuvrion kai; pavn ta ta; e[qnh ejf’ ou}" ejpikevklhtai to; o[nomav mou ejp’ aujtouv", levgei kuvrio" poiw'n tau'ta 18 gnwsta; ajp’ aijw'no". 19 dio; ejgw; krivnw mh; parenoclei'n toi'" ajp o; tw'n ejq nw'n ejpistrevfousin ejpi; to;n qeovn, 20 ajlla; ejpistei'lai aujtoi'" tou' ajpevcesqai tw'n ajlisghmavtwn tw'n eijdwvl wn kai; th'" porneiva" kai; tou' pniktou' kai; tou' ai{mato". 21 Mwu>sh'" ga;r ejk genew'n ajrcaivwn kata; povlin tou;" khruvssonta" aujto;n e[cei ejn tai'" sunagwgai'" kata; pa'n savbbaton ajnaginwskovmeno".

Ceci dit, Jacques ne se borne pas simplement à répéter les propos tenus par Pierre avant lui. Deux effets de son discours apparaissent du rapprochement effectué ci-dessus. D’une part, Jacques retraduit en termes ecclésiologiques (v. 14 : labei'n ejx ejq nw'n lao;n tw'/ ojnovm ati aujtou') le compte rendu missiologique livré par Pierre (vv. 7b-8 : dia; tou' que Pierre avait rappelé dans les vv. 7-9, tandis que le v. 19 transforme en déclaration l’avis que Pierre avait exprimé sous une forme interrogative au v. 10 ».

9.3 Une relecture ecclésiologique des Actes

311

stovmatov" mou ajkou'sai ta; e[q nh to;n lovgon tou' eujaggelivou kai; pisteu's ai) : l’évangélisation des païens et leur baptême d’Esprit saint ont permis la constitution d’un peuple d’entre les nations. Nous avons là l’unique cas dans tout le corpus lucanien (avec Ac 18, 10b ; voir infra) où le terme honorifique de laov", d’ordinaire réservé à Israël, est directement appliqué aux non-juifs. L’incidence de cette exception est de taille : désormais, les païens sont partie intégrante du peuple élu, de l’élection divine, au même titre qu’Israël22. La nouveauté et l’énormité de ce choix électif de Dieu ne sauraient être atténuées. D’autre part, Jacques donne de la relation pétrinienne une justification puisée dans l’Ecriture (v. 15 : kaqw;" gevgraptai) : l’afflux des païens dans le peuple choisi a été prédit par les prophètes (cf. la conflation en 15, 16-18 de différentes sources prophétiques) 23 et participe d’un processus plus vaste, le relèvement de la hutte en ruines de David. Quel que soit le sens offert à cette expression (cf. notre discussion infra), la fonction de cette citation pour la compréhension de l’ecclésiologie lucanienne est immanquable 24. La constitution d’un peuple de païens (v. 14) qui s’est réalisée, non seulement dans la conversion exemplaire du craignantDieu Corneille (Ac 10–11), mais surtout dans l’évangélisation à grande échelle conduite en Asie Mineure par Paul et Barnabé (Ac 13–14), loin d’être un virage imprévu de l’histoire sainte, s’inscrit à l’inverse en continuité et en accomplissement des promesses confiées au peuple choisi. Dit autrement, consécutive au redressement de la cabane écroulée de David, la quête païenne du Dieu d’Israël a concrétisé dans l’aujourd’hui de l’Eglise un décret éternel de Dieu promulgué par les 22 23

24

Cf. Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 301 : « Die Christen aus den e[qnh sind ebenso laov ", Gottesvolk, wie die Juden(christen) ». Probablement : Am 9, 11-12LXX ; 2 S 7, 13 ; Jr 12, 15 ; Es 45, 21. Relevé précis chez Gert J. STEYN, « Notes on the Vorlage of the Amos Quotations in Acts », 2004, pp. 7081 (ibid., p. 78 : « The sumfwnou'sin oiJ lovgoi tw'n profhtw'n is the clue for his intentional and conscious reconstruction of the known quotation from early Judaism. He composed a new quotation by using LXX terminology from other prophetic sections »). Contra Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 725, qui rejette cette lecture. Pierre-Antoine PAULO, Le problème ecclésial des Actes à la lumière de deux prophéties d’Amos, 1985, p. 79 : « La citation d’Am 9, 11-12, tout comme celle d’Am 5, 2527, est au nombre des citations à caractère ecclésiologique » ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 232 : « In dieser Fassung [la version de la LXX] gewinnt das Zitat grundlegende Bedeutung für die lukanische Ekklesiologie. Diese geht davon aus, dass die Heidenkirche nicht eine neue, ausserhalb der Kontinuität der Heilsgeschichte stehende Grösse ist ».

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

prophètes. Une continuité forte se tisse ainsi entre le peuple de païens surgi d’un surprenant geste électif de YHWH et l’histoire singulière d’Israël. Une continuité que ne garantit cependant plus le respect de la Torah et de la circoncision – les marques identitaires de l’Israël historique – mais l’onction d’Esprit saint accordée gracieusement aux Grecs comme aux juifs. Bref, le discours de Jacques, aux forts accents ecclésiologiques, œuvre à documenter le nouveau statut socio-religieux octroyé aux païens, en leur conférant non seulement la qualité de laov" jusqu’ici chasse gardée d’Israël, mais surtout en offrant une caution scripturaire à cette divine surprise. Concluons. L’analyse du rôle d’Ac 15 dans l’intrigue lucanienne nous a permis de mettre au jour sa perspective éminemment ecclésiologique. Par la voix de Pierre et de Jacques, le récit de l’assemblée jérusalémite revient sur la conversion du premier païen dans une perspective socio-identitaire : la circoncision, et plus largement la Torah rituelle, sont-elles des préalables indispensables au salut, autrement dit des conditions régissant l’intégration et la participation permanente au peuple de l’alliance ? En clair : Ac 15 s’inscrit en clôture des quatre relectures de la rencontre entre Pierre et Corneille et en décline les répercussions sur le plan de l’identité ecclésiale et de ses signes distinctifs. Ce n’est plus l’accueil des Gentils en tant que tel qui est problématisé, mais les identity markers de cette nouvelle communauté de salut réunissant juifs et non-juifs. Le point de vue s’est déplacé. Bref, tant le discours de Pierre que celui de Jacques attestent une forte composante socio-religieuse, s’évertuant à déterminer le visage de ce nouveau peuple fait de juifs et de non-juifs. La visée ecclésiologique d’Ac 15 reconnue, il convient désormais de déterminer avec précision ce que le récit dit effectivement du profil identitaire de l’Eglise. C’est à travers une étude successive des deux discours directs, celui de Pierre et celui de Jacques, puis du décret apostolique que nous y prétendrons.

9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite (15, 7b-11 ; 15, 13b-21) 9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite L’étude structurelle d’Ac 15 nous a permis de montrer l’imbrication forte et la configuration parallèle des deux actes de parole rapportés (15, 7b-11 ; 15, 13b-21). Selon toute vraisemblance, Pierre et Jacques

9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite

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associent leur voix pour développer un seul et même mouvement argumentatif. Voyons comment. C’est Pierre qui ouvre les feux, commençant par retracer sa pratique missionnaire auprès des païens ainsi que leur onction d’Esprit saint (vv. 7b-8). Référence est ici faite au baptême de Corneille et de sa maisonnée (Ac 10). Cet événement extatique fut en tout point similaire à l’épisode de la Pentecôte, ce que ne manque pas de rappeler Pierre (v. 8 : kaqw;" kai; hJmi'n ; déjà en 10, 47 ; 11, 15.17). Reconnaissant ainsi l’impartialité totale de la geste divine (v. 9a ; 10, 34), le leader des Douze en infère le principe sotériologique qui s’impose : « c’est par la foi que Dieu a purifié les cœurs » (v. 9b). C’est assurément à dessein que Pierre recourt ici au vocabulaire caractéristique de la pureté rituelle juive, employant le verbe kaqarivz w pour qualifier le don gracieux de l’Esprit aux païens : la pureté dont il est question ne résulte plus d’une observance rituelle fondée dans la Loi (par ex. Lv 11–18 ou Dt 14), singulièrement d’un respect scrupuleux des tabous alimentaires (cf. Ac 10, 14-15.[28] ; 11, 8-9), mais provient d’un acte souverain de Dieu octroyé dans la foi 25. Ce principe de salut sera ensuite réitéré par Pierre au v. 11, notifiant ici clairement la raison de ce changement : le tournant christologique. Entre-deux, Pierre tire la conclusion qui s’impose dans l’immédiat : « Dès lors, pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n’avons été capables de porter ? ». De cette période argumentative, le lecteur/auditeur glane donc une première réponse à la crise déclenchée par les chrétiens judaïsants : la pureté naguère attachée à l’observance de la Loi est désormais l’objet d’un don gratuit du Dieu révélé en Jésus Christ. Le soubassement théologique de ces versets se résume comme suit : la fonction sotériologique de la Torah a vécu. Mais, si la Loi n’est plus voie de salut, s’agit-il néanmoins d’un vecteur identitaire pour le peuple choisi ? C’est avec Jacques que cette question trouvera réponse. C’est dans un discours en écho à celui tenu par Pierre que Jacques prend la parole. Evoquant les dires de son préopinant, Jacques en

25

Hans Hinrich WENDT, Die Apostelgeschichte, 18998, p. 261 : « Die durch den Glauben bewirkte Reinigung der kardiva durch Gott, den kardiognwvsth" (V. 8), steht im Gegensatz zu der durch die Beschneidung äusserlich am Menschen vollzogenen Reinigung (vgl. Röm 220f. ), welche den Judaisten als entscheidende Bedingung des Heilsempfanges erschien ».

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

donne, nous l’avons dit, une relecture ecclésiologique 26 : le baptême des Gentils a non seulement été voulu de Dieu (v. 14a), comme le déclarait déjà le porte-parole des Douze, mais a surtout permis la constitution d’un peuple au nom du Seigneur (v. 14b). L’affirmation est forte et mérite un examen attentif. D’une part, l’expression ejx ejqnw'n laov" constitue un unicum sous la plume de Luc et n’a pas manqué d’intriguer ses lecteurs. Pour sûr, le terme laov" est dans le diptyque lucanien monopolisé par Israël, Luc l’utilisant pas moins de 79 fois à son sujet, et toujours distinct des e[q nh (cf. l’expression oJ lao;" kai; ta; e[qnh en Ac 26, 17.23). A côté de cet emploi massif de laov" comme désignation distinctive du peuple juif, l’auteur des Actes consent à deux exceptions, la première ici, la seconde en 18, 10b. Dans les deux cas, laov" est utilisé sans article et désigne des païens convertis. Ces deux écarts à la règle ont été diversement interprétés au sein de la classe exégétique : d’une part, la majorité des lecteurs lucaniens a opté pour le sens théologique de laov" et en a conclu soit l’extension aux Gentils de la qualité de peuple choisi27 soit le report de cette titulature sur l’Eglise, impliquant ainsi une redéfinition du concept de laov"28. En clair, les chrétiens issus de la paganité formeraient avec Israël29, en lui30, en rem-

26 27

28

29 30

Cf. Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2625. Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 93 : « […] der Volkgottesbegriff wird auf die Heiden ausgedehnt » ; Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 116. Clairement formulé chez Michael DÖMER, Das Heil Gottes, 1978, p. 184 : « Durch die Formulierung ejx ejqnw' n laov " wird nämlich herausgestellt, dass Gottes Volk nicht einfach mehr mit dem jüdischen identisch ist, sondern als eine neue Grösse anzusehen ist, die durch die Zugehörigkeit gerade auch von Heiden bestimmt ist » ou chez Dietrich RUSAM, Das Alte Testament bei Lukas, 2003, p. 428 : « Durch den Kontext wird der traditionell mit dem ethnischen Volk Israel besetzte Begriff des “laov "” signifikant uminterpretiert ». Voir également Wilfried ECKEY, Die Apostelgeschichte, I, 2000, p. 332 ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 60 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 232 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 382 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 568. Rudolf P ESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 79 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 232 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 382. Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 246 : « 15,14 konstituiert nicht einen heidnischen laov", sondern vielmehr eine Teilmenge des Heilsvolkes, nur so können beide Gruppen in einer Gemeinschaft, die sich letztlich dem lao; " jIsravhl zugehörig weiss, mit einem Begriff bezeichnet werden ».

9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite

315

placement de lui31 ou associé à lui32 le (nouveau) peuple élu. En contraste, une frange exégétique emmenée par Nils Dahl33 et Jacob Jervell34 a plébiscité une compréhension profane et collective de laov" au sens de « grande population » 35. Pour résoudre cette crux interpretum, trois registres argumentatifs doivent être conjugués : les registres linguistique, syntaxique et littéraire. L’analyse linguistique de laov" tout d’abord. Elle laisse apparaître non seulement la propension lucanienne à employer ce vocable (84 occurrences sur les 142 que totalise le Nouveau Testament), mais aussi sa répartition inégale dans les Actes des apôtres (22x en Ac 2–6 et seulement 26x en Ac 7–28)36. C’est en outre l’emploi prépondérant de ce terme pour désigner Israël, dans son ensemble ou dans ses parties constitutives, qui ressort de cet examen. En clair, nous avons là une appellation qui semble coller à l’image que Luc se fait d’Israël. A cela s’ajoute ce que Jacques Dupont a pointé du doigt, à savoir la définition prioritairement verticale de ce terme chez Luc : pour sûr, le lien de Dieu au laov" est à plusieurs reprises nommé (cf. Lc 1, 68.77 ; 2, 32 ; 7, 16 ; Ac 13, 17), manifestant ainsi, sans discussion possible, le caractère éminemment théologique, voire théo-centrique, de cette désignation37. Un premier bilan peut être tiré de cette analyse linguistique : laov" sert chez Luc d’appellatif caractéristique et quasi exclusif d’Israël, considéré comme un tout ou dans ses composantes. Ce terme reçoit en outre une forte connotation théologique, fonctionnant ainsi, conformément à son 31

32 33 34 35

36 37

Cf. Dietrich RUSAM, Das Alte Testament bei Lukas, 2003, pp. 184-185, qui défend l’hypothèse d’une réinterprétation chez Luc du concept de laov", désormais octroyé aux pagano-chrétiens, et qui identifie la tente reconstruite de David avec la communauté chrétienne en devenir. Dans ce scénario, Israël semble être amputé de ses privilèges de peuple choisi. Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 195. Nils A. DAHL, « “A People for His Name” (Acts XV.4) », 1957-1958, pp. 324-326. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 394. Dans la foulée de Dahl et Jervell, voir également Heiner GANSER-KERPERIN, Das Zeugnis des Tempels, 2000, p. 264 ainsi que Eduard SCHWEIZER, Gemeinde und Gemeindeordnung im Neuen Testament (ATANT 35), Zurich, Zwingli-Verlag, 1962, pp. 55-56. Pour sa part, Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, pp. 224-225, minimise la portée de ces deux exceptions, en y voyant de simples inconséquences d’écriture (« linguistic imprecision »). Cf. Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 49. Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les nations (Actes 15.14) », 1985, pp. 324-328. Dans la même ligne, Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 109-110.

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

usage septantique 38, en tant que terminus technicus du peuple choisi de l’histoire sainte 39. Cela nous conduit à entreprendre une étude syntaxique et sémantique d’Ac 15, 14. Décider si le syntagme ejpeskevy ato labei'n ejx ejqnw'n lao;n tw'/ ojnovm ati aujtou' s’inspire d’une tournure septantique attestée en Dt 14, 240 ou d’une formule targoumique41 est vivement débattu au sein de la recherche lucanienne. Ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que l’expression choisie présente des relents scripturaires indéniables42, anticipant la citation amosienne qui sera donnée aux vv. 16-18, et qu’elle souligne, elle aussi, l’appartenance à YHWH, ou mieux dit à son Nom (cf. tw'/ ojnovm ati aujtou') 43, du ejx ejqnw'n laov". Dit autrement, il est question d’une consécration des païens au Seigneur et de leur intégration à sa sphère de puissance 44. On retrouve ici l’importance qu’a chez 38

39

40 41 42

43 44

La Septante totalise quelque 1000 occurrences de laov", essentiellement comme désignation religieuse d’Israël. Voir surtout Ex 19, 4-7 ; Dt 7, 6-12 ; 32, 8ss ; etc. A ce sujet, Hermann STRATHMANN, art. « laov " », ThWNT IV, 1942, col. 34-37. Cf. Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, p. 134 : « Nichtdestoweniger trägt laov" auch in dieser “paradoxen” Verbindung mit e[qnh die theologische Bedeutung, die es sonst dem Volk Israel vorbehalten sein lässt : Charakteristikum des laov " ist die Heiligkeit, die seine besondere Gottesbeziehung bedingt (vgl. Dtn 7,6 ; 14,2.21 ; 26,18f). Das Wort konnotiert die Erwählung der Heiden, wie es umgekehrt die positive Konnotierung des erwählten Volkes Israel impliziert ». Jacques DUPONT, « LAOS jEX jEQNWN (Act. XV. 14) », 1957, pp. 47-50. Nils A. DAHL, « “A People for His Name” (Acts XV.4) », 1957-1958, p. 320. Echos vétérotestamentaires potentiels : Ex 6, 7LXX ; Dt 4, 20LXX ; 14, 2LXX ; Za 2, 15LXX. Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 83 : « Doch liegt nicht Anspielung auf eine einzelne Stelle vor, sondern lukanischer Bibelstil » ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 59, note 141 : « Es liegt biblizistischer Redestil vor, der sich nicht an einen einzigen Text anlehnt, sondern aus vielen Quellen gespeist wird » ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 187 : « Thus a series of election texts in the Septuaginta provides patterns for the formulations in Acts 15 :14 and 18 :10. The resulting biblical style is important to the message ». Cf. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 724 : « It [la formule tw'/ ojnovmati aujtou'] probably means “to his account”, “so as to become his property” ». Mbachu HILARY , Inculturation Theology of the Jerusalem Council in Acts 15, 1995, pp. 190-191 : « In the OT usage, something called by the name of God belongs automatically to him and comes under his dominion or juridiction – whether cities or temples or human beings. The same is true of what man calls by name. Everything which God or man names is owned and protected by each of them. To invoke the name of God over a people is to consecrate them to him » ; Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 114-115 : « Denn mit dieser Wendung wird theologisch nicht nur die Zugehörigkeit der nichtjüdischen Christusanhängerschaft zum Gott Israels, sondern auch deren Eingliederung in seinen Herrschaftsbereich zum Ausdruck gebracht ».

9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite

317

Luc la théologie du Nom45. Une question doit encore être réglée : l’absence d’article devant laov". Cette omission a été différemment interprétée, certains exégètes y voyant l’indice de l’indétermination de ce nouveau groupe, qui, loin de se substituer au lao;" jIsravhl, lui resterait subordonné 46 ou associé 47, d’autres au contraire refusant de surinterpréter ce silence 48. Comment trancher ? L’indétermination de laov" tant en 15, 14 qu’en 18, 10, donc à chaque fois qu’il est question de païens, ne semble pas fortuite. En effet, Luc doit tenir ensemble deux convictions : d’une part, celle qu’Israël est et demeure le laov" de Dieu, et ce en dépit de son endurcissement partiel (cf. Ac 28, 26-27) ; d’autre part, que les nations peuvent appartenir à Dieu au même titre que le peuple juif – en effet, Ac 15, 14 comme 18, 10 font état d’un rapport de propriété entre Dieu et ce laov" . Or, dans son argumentation, Pierre vient d’affirmer l’identité totale entre la Pentecôte juive d’Ac 2 et la Pentecôte païenne d’Ac 10 ; Jacques ne peut ainsi réintroduire une différence qui serait fatale pour les chrétiens issus de la gentilité. Bref, l’absence de l’article grec signale que, si la qualité de laov" n’est plus le monopole d’Israël, elle ne lui est néanmoins pas ravie 49. Même si Dieu étend son geste électif à d’autres peuples, Israël se tient toujours et encore dans la continuité de l’histoire particulière que YHWH a tissée avec lui. En résumé, ce n’est pas le privilège d’Israël d’être le peuple choisi de l’histoire sainte qui est octroyé aux nations païennes, mais bien la stature socio-religieuse de peuple élu qui leur est étendue 50. Dit autrement, ce n’est pas le peuple juif qui est rayé de la carte du salut,

45 46 47 48 49

50

Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, pp. 145-146. Par exemple Anton D EUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 246247. Charles P ERROT, « Les décisions de l’assemblée de Jérusalem », 1981, pp. 202-203. Par exemple Jacques DUPONT, « Un Peuple d’entre les nations (Actes 15.14) », 1985, p. 326, note 34. Cf. Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, p. 222 : Die « endzeitliche Ausweitung der “Umkehr zum Leben” (11,18) auf die Heiden schmälert und revidiert nicht die Singularität des erwählten Volkes Israel ». Nous abondons dans le sens de Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 116 : « Lukas hält daran fest, dass Israel in spezifischer Weise das ersterwählte Volk Gottes ist und bleibt. Die Aussage des Jakobus in V 14 weist jedoch der nichtjüdischen Christusanhängerschaft einen eigenen religionssoziologischen Status zu : Aufgrund ihrer Christuszugehörigkeit durch Geistempfang und Taufe sind auch Nichtjuden in die unmittelbare Nähe zu Gott gekommen und dadurch – analog zu Israel – als ein von Gott erwählter laov " anzusehen ».

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c’est à l’inverse les païens qui y sont désormais localisés. Cette analogie entre Israël et les nations est d’ailleurs corroborée par l’emploi à ce même verset du verbe ejpiskevyasqai, signifiant l’acte divin de visitation. Ici, ce geste salutaire n’est pas mis au bénéfice d’Israël, comme ailleurs chez Luc (Lc 1, 68.78 ; 7, 16 ; 19, 44 ; Ac 7, 23), mais bien au profit des non-juifs. Last but not least : en Lc 2, 31, l’auteur à Théophile avait recouru – ce qui est rare sous sa plume – au pluriel de laov" . Le problème se décline comme suit : s’agit-il d’une référence aux douze tribus d’Israël (cf. Ac 4, 27) ou d’une préfiguration augurant la suspension à venir de l’opposition entre juifs et païens, tous deux étant mis au bénéfice de l’élection divine ? Le verset 32 contient la réponse : sous l’expression pavnte" oiJ laoiv sont récapitulés non seulement les douze familles d’Israël, mais aussi les nations païennes. On le voit, dès le seuil du troisième évangile est annoncé ce qui va se produire dans les Actes : l’élargissement de l’alliance divine aux non-juifs et leur gratification de la qualité de laov". L’analyse de la déclaration de Jacques en 15, 14 ayant été conduite, il nous faut encore examiner le contexte littéraire dans lequel elle surgit. A l’appui de cette affirmation identitaire, Jacques convoque en effet les Ecritures juives, et singulièrement une citation du prophète Amos (vv. 16-18)51. En raison de sa notoire dissemblance par rapport à la version des Massorètes et de sa résurgence dans deux écrits de la secte qoumrânienne ( 4QFlor 1,12/CD 7,16), cet extrait amosien n’a pas manqué d’attiser l’intérêt des chercheurs52. Notre propos ici ne sera néanmoins pas de reconstruire l’histoire de la transmission textuelle d’Am 9, 11-12, mais bien d’en saisir le fonctionnement et la signification à l’interne du discours de Jacques. Une première observation littéraire dévoile que c’est par la technique du mot-crochet que la prophétie d’Amos vient s’articuler à l’affirmation du v. 14 : deux termes garantissent en effet la suture, e[q nh (vv. 14 et 17b) et o[noma (vv. 14 et 17b)53. Partant, on se rend immédiatement compte que c’est à montrer la 51 52

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Précisément, il s’agit d’une Mischzitat, dans la mesure où la citation d’Am 9, 11-12 est prise en sandwich entre des emprunts faits à Jr 12, 15 et Es 45, 21. Voir récemment la mise au point de Martin STOWASSER, « Am 5,25-27 ; 9,11f. in der Qumranüberlieferung und in der Apostelgeschichte. Text- und traditionsgeschichtliche Überlegungen zu 4Q174 (Florilegium III) 12/CD VII 16/Apg 7,42b-43 ; 15,16-18 », 2001, pp. 47-63. Cf. Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 185.

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consécration des nations au Nom divin que concourt toute la séquence d’Ac 15, 14-18. Mais comment y parvient-on ? C’est le v. 16 avec son annonce d’une reconstruction de la hutte écroulée de David qui contient la solution. La constitution d’un peuple d’entre les païens s’inscrit en effet dans un processus plus vaste, processus prédit en Am 9, 11 et cité en Ac 15, 16. Ou pour le dire avec l’exégète catholique Gerhard Lohfink, la conversion des païens ne flotte pas dans le vide 54, mais est reliée par un lien de cause à effet au redressement de la tente davidique. Reste encore à desceller l’énigme entourant cette image. La recherche récente s’y est activement attelée, générant deux grandes lignes interprétatives : la première christologique et personnelle, la seconde ecclésiologique et collective 55. L’aile christologique emmenée par Ernst Haenchen a proposé de lire le relèvement de la hutte de David comme une métaphore de la résurrection dans laquelle l’histoire du Jésus lucanien culmine, et non comme une image de la restauration du royaume davidique ou du vrai Israël56. C’est en effet dans l’événement christologique, singulièrement dans la sessio ad dextram du Ressuscité, que la promesse révélée à David par le prophète Natan aurait aux yeux de Luc trouvé accomplissement57. Partant, l’image de la hutte en ruines ne serait pas à lire de manière collective : sa clef de compréhension résiderait dans le messianisme davidique cher à Luc. Une version alternative de cette thèse tient la restauration messianique pour un événement autant à venir que réalisé : la dynastie davidique recevrait de la résurrection de Jésus et de son élévation à la droite de Dieu une garantie d’éternité, même si son établissement effectif ainsi que l’extension

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Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, p. 59 : « Für Lukas hängt die Heidenmission nicht in der Luft ». Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », 1985, p. 20 : « Face à cette question, l’exégèse peut s’engager dans deux directions différentes suivant qu’elle envisage sous un angle plus personnel ou plus collectif l’événement auquel, dans la pensée de l’auteur des Actes, correspond la reconstruction de la cabane de David. En simplifiant un peu, on pourrait qualifier la première interprétation de christologique, l’autre d’ecclésiologique ». Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 431. Dans la foulée de Haenchen, nonobstant quelques variations, voir Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », 1985, pp. 31-32 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, pp. 182-183 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, pp. 190-192 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of LukeActs, II, 1990, pp. 188-189. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 431.

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universelle de son règne ne se réaliseraient pas avant la Parousie. Cette hypothèse est notamment défendue par Maria Neubrand58. Quant à l’approche ecclésiologique, elle recouvre de fait deux positions incompatibles : d’une part, le courant majoritaire, surtout représenté au sein de la classe exégétique allemande, identifie dans le redressement de la hutte de David le processus de rassemblement ou de restauration d’Israël, processus engagé dans la première moitié des Actes et achevé au jour de l’assemblée jérusalémite 59. Cette recomposition d’Israël serait toutefois le présupposé indispensable à l’ouverture de l’alliance aux nations. D’autre part, une poignée d’exégètes, tenant également d’une lecture collective de la hutte davidique, y identifie non pas l’Israël fidèle et authentique, mais la communauté chrétienne en devenir, en un mot l’Eglise composée de juifs et de païens60. Comment progresser sur ce terrain miné ? Deux voies complémentaires peuvent être empruntées pour sécuriser notre progression : d’une part, investiguer le contexte proche et large dans lequel est insérée la citation d’Am 9, 11 et par rapport auquel elle est appelée à jouer un rôle. D’autre part, examiner la manière dont la prophétie d’Amos a été reçue et interprétée dans la tradition exégétique juive.

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Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 182 : « Diese “Wiedererrichtung” des davidisch-messianischen Reiches ist durch Jesu Auferweckung und Erhöhung als gültig bestätigt ; ist allerdings noch nicht abgeschlossen, sondern setzt sich im nachösterlichen Wirken Jesu Christi fort – bis zur endgültigen Errichtung der erhofften messianischen Herrschaft und Reiches Gottes durch den Parusiechristus ». Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 395 ; Gerhard LOHFINK, Die Sammlung Israels, 1975, pp. 59-60 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 80 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 203-204 ; Hans Jörg SELLNER, Das Heil Gottes, 2007, p. 394 ; Max TURNER, Power from on High, 1996, pp. 312-315 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 382 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 459 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 569. Franz MUSSNER, « Die Idee der Apokatastasis in der Apostelgeschichte », 1961, p. 228 : « Jakobus sieht nun diese Verheissung des Propheten ihre eschatologische Erfüllung in der Gemeinde des Messias Jesus finden : Die Apokatastasis der zerfallenen Hütte Davids wird so auf eine völlig neue Ebene transponiert. Denn die wiederaufgerichtete “Hütte Davids” ist nun nicht mehr das politische Reich Davids, sondern das neutestamentliche Gottesvolk, bestehen aus Juden und Heiden ! » (l’auteur souligne). Voir dans le même sens Markus OEHLER, Barnabas. Die historische Person und ihre Rezeption in der Apostelgeschichte (WUNT 156), Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 410 ; Dietrich RUSAM, Das Alte Testament bei Lukas, 2003, p. 428.

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Commençons par définir le nouveau contexte d’utilisation de l’oracle amosien. Comme nous l’avons dit, la péricope d’Ac 15 atteste une forte dimension identitaire, soucieuse qu’elle est de préciser les frontières du peuple élu et, partant, le statut des païens convertis à l’égard d’Israël. Tour à tour, Pierre et Jacques ont pris la parole pour soutenir la parfaite identité, tant sotériologique qu’ecclésiologique, prévalant dorénavant entre juifs et païens. C’est ainsi à l’appui de cette argumentation reconnaissant aux Gentils un statut socio-religieux analogue à celui du peuple d’Israël que la citation d’Amos est convoquée. Il ne serait ainsi pas étonnant que l’extrait des Ecritures allégué par Jacques serve, lui aussi, à préciser les rapports entre Israël et les nations61. Auquel cas la tente relevée de David désignerait l’Israël restauré, dans la mesure où les nations païennes, nommées au verset suivant sous l’appellatif oiJ katavl oipoi tw'n ajnqrwvp wn (v. 17a ; cf. Am 9, 12LXX), en sont clairement détachées. En bref, toute l’humanité, répartie entre Israël et le reste du monde, semble appelée à prendre part à l’événement eschatologique décrit par le berger de Téqoa. L’interprétation collective de la « tente de David » serait ainsi à privilégier. Ceci dit, l’emphase mise sur la figure davidique dans la double œuvre ad Theophilum et sa coloration forte de la christologie lucanienne ne peuvent être négligées, lorsqu’il s’agit de desceller l’énigme entourant la skhnh; Dauivd62. C’est en effet dans l’événement Jésus Christ, singulièrement dans sa résurrection et son ascension céleste, que la prophétie de Natan à David, à savoir la promesse d’une dynastie éternelle (2 S 7, 12-16 ; cf. Lc 1, 32-33), semble pour Luc s’être réalisée. Bref, de manière encore plus accentuée que les autres auteurs du Nou61

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Dans ce sens Jacob J ERVELL, Luke and the People of God, 1972, p. 52 : « Corresponding to the two groups in the quotation, the concern is with the two groups of men, precisely because the problem in the preceding account involves the relationship between Jews and converted Gentiles (vv. 8ff.) » ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 137 : « While the connection between the Davidic tradition and the exaltation of Jesus cannot be denied, an ecclesiological emphasis is clearly present in the use of the Amos quotation in Acts 15, a chapter that deals with the boundary of the people of God » ; Max TURNER, Power from on High, 1996, p. 313 : « Haenchen’s interpretation leaves Israel curiously unmentioned, while the whole point of the citation in context should be to explain how the large Jewish Christian church is to relate to the expanding group of Gentile believers ». Au sujet du messianisme davidique chez Luc, voir Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, ainsi que Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 170-182.

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veau Testament, Luc défend, outre une lecture prophétique de la christologie, une conception clairement messianico-davidique de la figure jésuanique, installée de manière programmatique dans l’Evangile de l’enfance (Lc 1, 32-33.69 ; 2, 11) 63, puis scellée dans le complexe résurrection–exaltation (Ac 2, 25-36 ; 13, 23.32-37). Aussi, l’articulation de la métaphore d’Ac 15, 16 à la figure du Messie davidique – ressuscité et élevé à la droite de Dieu – n’est-elle pas impensable. Un bémol néanmoins : le verbe ajnoikodomhvs w, introduit à deux reprises dans la citation amosienne, ne participe pas chez Luc du champ lexical de la résurrection. Or, c’est en remplacement d’ajnivsthmi, attesté dans la version des Septante et typique du langage résurrectionnel de Luc, que surgit ce verbe 64. Connaissant l’affection lucanienne pour ces anticipations voilées du relèvement de Jésus, induites par une identité de vocabulaire (cf. Ac 3, 22.26), l’amendement ici réalisé ne peut manquer d’éveiller l’attention du lecteur : loin de suggérer un jeu d’intratextualité avec la résurrection du Nazaréen, la citation d’Am 9, 11 bloque toute association lexicale allant dans ce sens65. Résumons. L’examen des liens noués par la citation d’Amos avec son contexte littéraire, loin d’opposer les lectures christologique et ecclésiologique, semble les unifier66. D’ailleurs, cette double dimension se vérifie dans l’Evangile de l’enfance, singulièrement dans le Benedictus : non seulement Dieu a suscité une « corne de salut » (cf. Ps 89, 25 ; 132, 17) dans la « maison de David », mais cet événement messianique doit 63

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Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », 1985, p. 31 : « Dans le cadre de l’ouvrage de Luc, les événements qui ont entouré la naissance de Jésus faisaient déjà augurer l’accomplissement de cette promesse attachée à la maison de David » ; Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 173-174 : « Programmatisch steht damit am Beginn des Evangeliums fest, dass Jesus der verheissene “Nachkomme Davids” ist, der als Davidssohn und Gottessohn seine Königsherrschaft errichten wird ». Bien noté par Richard BAUCKHAM, « James and the Gentiles (Acts 15.13–21) », 1996, p. 157 ; Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », 1985, pp. 26-27 ; Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 198-200 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 188. Cf. Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », 1985, p. 26 : « On peut donc s’expliquer que Luc ait préféré l’éviter là où ce verbe avait pour objet la “cabane de David”. ». Cette double lecture de l’image d’Ac 15, 16 est également soutenue par David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus , 2000, p. 137 ; Pierre-Antoine PAULO, Le problème ecclésial des Actes à la lumière de deux prophéties d’Amos , 1985, p. 85.

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également signifier la libération et la restauration politico-militaire de tout Israël (Lc 1, 68-71). Les aspects individuels et collectifs sont ici indissociables. Bref, la reconstruction de la hutte écroulée de David et son redressement semblent évoquer dans le diptyque Luc–Actes non seulement l’événement christologique, particulièrement le double fait de la résurrection et de l’exaltation, mais également un processus collectif de restauration du peuple choisi, processus qui, nous l’avons montré, a été activement mis en œuvre jusqu’ici67. Cette hypothèse de lecture avancée, il devient intéressant d’évaluer sa compatibilité avec l’interprétation juive d’Am 9, 11. L’histoire rédactionnelle du livre d’Amos est relativement longue et compliquée. Néanmoins, il existe depuis les travaux de Julius Wellhausen un consensus exégétique pour reconnaître à la finale du rouleau prophétique (Am 9, 11-15) le statut d’ajout secondaire d’époque exilique ou post-exilique, renversant la couleur uniformément sombre du livre en issue quasi paradisiaque 68. C’est dans ce contexte travaillé par l’espérance d’un salut eschatologique que surgit l’oracle d’Am 9, 11. Cet accord de principe s’arrête là. A ce stade initial en effet, l’image de la « hutte de David » constitue déjà une énigme que les exégètes peinent à résoudre 69. Son statut isolé dans le lexique vétérotestamentaire n’en rend que plus délicat son déchiffrement. Deux hypothèses de lecture se retrouvent régulièrement sous la plume des

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Cf. Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 301 : « Das grösstenteils Am 9,11f (LXX) entnommene Schriftzitat in Act 15,16-18 rekurriert auf den von Lukas dargestellten Ablauf der Heilsverkündigung. V 16 meint nicht die Auferstehung Jesus, sondern die Zeit der Heilsverkündigung an Israel, wie Lukas sie eingangs der Apostelgeschichte erzählt hat ». Julius WELLHAUSEN, Die kleinen Propheten übersetzt und erklärt , Berlin, Reimer, 1963, p. 96 : « Rosen und Lavendel statt Blut und Eisen » ; Werner H. SCHMIDT, Einführung in das Alte Testament , Berlin/New York, de Gruyter, 19955, p. 200 : « Wohl ebenfalls die exilisch-nachexilische Zeit, die das Gericht erfahren hat, fügt der Gerichtsbotschaft einen versöhnenden Schluss an, die Hoffnung auf Wiederaufrichtung der Hütte Davids und auf Segen in der Natur (9,11-15) » ; Erich ZENGER, « Das Buch Amos », dans ID . et al (éds), Einleitung in das Alte Testament (Studienbücher Theologie 1,1), Stuttgart et al., Kohlhammer, 20014, p. 489 : « Das zweite Paar (9,11-12.1315) entwirft in gezieltem Kontrast zu den vorher im Buch stehenden Gerichtsbildern eine vielgestaltige Heilsutopie (Wiederherstellung des davidischen Königtums, paradiesische Fruchtbarkeit des Landes und dauerhaftes Wohlergehen Israels) ». Hans Walter WOLFF, Dodekapropheton 2. Joel und Amos (BKAT 14/2), NeukirchenVluyn, Neukirchener, 19853, p. 406 : « Aber wir wissen nicht genau, was sie mit dem ungewöhnlichen Ausdruck meint ».

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commentateurs. Certains, d’une part, considèrent la « hutte de David » comme une désignation de la dynastie-croupion que serait devenue la « maison de David » suite à l’exil de 586. Dans ce sens, l’oracle amosien promettant une reconstruction « comme dans les jours anciens » serait à raccrocher à la prophétie de Natan (2 S 7)70, singulièrement à la garantie d’éternité qui est accordée à la dynastie/à la royauté davidique (2 S 7, 16)71. De fait, cette ligne interprétative se divise en deux sousensembles, certains restreignant la « maison de David » à la seule dynastie royale 72, d’autres élargissant la référence à l’empire davidique dans son indivision initiale 73. Quant à la seconde voie exégétique, elle identifie la « hutte de David » à la ville de Jérusalem, autrement dit à la cité de David, dont les murs en ruines furent longtemps un sujet de désolation (cf. Es 1, 8 ; 58, 12), limitant parfois l’allusion au seul Temple jérusalémite, Temple que l’on trouve désigné sous le terme de « hutte » dans la tradition des Psaumes (Ps 27, 5-6 ; 31, 21 ; 42, 5 ; 76, 3) ainsi que dans le livre des Lamentations (Lm 2, 6) 74. En faveur de la première hypothèse plaident non seulement les liens terminologiques directs existant entre Am 9, 11 et 2 S 775, mais également l’autre occurrence vétérotestamentaire de l’expression skhnh; Dauivd. En Es 16, 5LXX en effet, l’image intervient dans un contexte émaillé de renvois à l’oracle de Natan76 : il est question de l’établissement par YHWH d’un trône sur lequel viendra siéger, dans la tente de David, un juge mû par le droit et appliqué à la justice. Le fait qu’il soit question d’un juge stricto sensu et non d’un roi ne handicape pas l’hypothèse intertextuelle : ce n’est pas tant une fonction précise qui

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Jörg J EREMIAS, Der Prophet Amos (ATD 24/2), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1995, p. 134 ; Shalom M. PAUL, A Commentary on the Book of Amos (Hermeneia), Minneapolis, Fortress Press, 1991, p. 290, note 15. Alfons DEISSLER, Zwölf Propheten. Hosea-Joël-Amos (NEB), Würzburg, Echter Verlag, 1992, p. 135. Jörg J EREMIAS, Der Prophet Amos, 1995, p. 134 ; Wilhelm NOWACK, Die kleinen Propheten übersetzt und erklärt (HAT 3/4), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1903, p. 173. Samuel AMSLER, Amos (CAT XIa), Genève, Labor et Fides, 1992, pp. 245-246. Hans Walter WOLFF, Dodekapropheton 2, 19853, p. 407. C’est cette option interprétative qui est plébiscitée par Richard BAUCKHAM dans son décryptage de la citation amosienne d’Ac 15, 16 (« James and the Gentiles [Acts 15.13–21] », 1996, pp. 158-159). Cf. Ulrich K ELLERMANN, « Der Amosschluss als Stimme deuteronomistischer Heilshoffnung », EvTh 29, 1969, p. 176. Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 167-168.

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est ici évoquée, mais l’inclination de cette figure pour la justice 77. Par ailleurs, Es 16, 5 s’insère avec Es 9, 6 et 11, 1-10 dans un ensemble de textes de l’Ancien Testament partageant une même idéologie royale centrée sur la figure davidique 78. Ceci dit, le même passage d’Es 16, 5 pourrait également soutenir la seconde hypothèse de lecture, dans la mesure où la « tente de David », différenciée du « juge » appelé à s’établir sur le trône promis, servirait à désigner non pas la dynastie/le royaume davidique, mais un lieu de résidence, précisément le complexe Temple–ville de Jérusalem (cf. Es 1, 8)79. Bilan. Malgré les hésitations inhérentes à notre rapide éclairage exégétique, nous sommes en mesure de confirmer l’adossement de l’oracle amosien à la prophétie de Natan, singulièrement à la garantie de pérennité accordée à la royauté davidique. Cela dit, savoir si la « hutte délabrée de David » désigne plutôt la lignée royale, le royaume en tant que tel ou la cité de David avec son Temple n’est guère possible à partir du seul texte d’Am 9, 11. Bien plus, semblables distinctions ne paraissent guère recommandées. Pour sûr, affirmer le renouveau de la lignée davidique semble abscons, si la résurgence du royaume qui lui est assorti fait défaut (par ex. : Es 9, 6). Il paraît plus judicieux de considérer la reconstruction de la hutte en ruines de David comme la promesse d’une restauration complète du règne éternel des Davidides, restauration incluant autant l’avènement d’un empire universel que la reconstruction d’un Temple. Si l’on suit, à partir de sa première mise par écrit, l’histoire de la réception de cette prophétie, l’on débouche immanquablement sur l’utilisation qu’en fit la secte de Qoumrân. Deux emplois ont été répertoriés à ce jour : dans le Florilège de la grotte 4 (4Q174 1,12) ainsi que dans le Document de Damas (CD 7,16). L’emploi d’Am 9, 11 dans ces deux contextes littéraires est divergent et trahit bien la diversité exégétique qui prévalait dans l’herméneutique qoumrânienne. En 4Q174, l’environnement littéraire est façonné par une lecture de la prophétie de Natan (2 S 7 ; cf. 4Q174 1,7.10-11), à l’appui de laquelle est allégué le texte d’Amos. C’est dans le surgissement eschatologique du « Germe 77 78

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Contra Sabine NÄGELE, Laubhütte Davids und Wolkensohn, 1995, p. 200. Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 167-168 ; Hans WILDBERGER, Jesaja. 2. Teilband : Jesaja 13-27 (BKAT 10/2), Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1978, p. 623. Dans ce sens Sabine NÄGELE, Laubhütte Davids und Wolkensohn, 1995, pp. 192-220.

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de David » accompagné du « Chercheur de la Loi » que la hutte de David relevée de ses ruines trouve ici sa signification80. L’orientation de l’image est incontestablement messianique 81. Cela dit, le contexte plus large ( 4Q174 1,2-4) fait montre d’une forte préoccupation communautaire, thématisant à l’aide d’une citation d’Ex 15, 17-18 le sanctuaire eschatologique érigé par Dieu et dans lequel ne sont appelés à pénétrer que les saints (i.e., la communauté de Qoumrân) 82. Ce « sanctuaire d’hommes » fera d’ailleurs monter à Dieu non des sacrifices d’animaux, mais les œuvres de la Loi ( 4Q174 1,6-7). De même, c’est en faveur du salut d’Israël, dont la secte qoumrânienne prétendait incarner le reste idéal, qu’œuvrera le Messie davidique (4Q174 1,13) 83. L’autre occurrence d’Am 9, 11 se trouve, on l’a dit, dans le Document de Damas, et désigne dans ce second cas, non plus une figure messianique, mais les livres de la Loi ; l’orientation est désormais « torah-logique ». L’importance jouée par la restauration eschatologique de la Torah au sein de la secte de la Mer Morte – qui se désignait elle-même comme la « maison de la Loi » (CD 20,10.13) – ressort ailleurs dans le Document de Damas (CD 5,3-5 ; 6,2-11 ; cf. aussi en 1QS 5,8 ; 8,1-2 ainsi que dans le Testament de Lévi 14,3). Bref, la « hutte du roi David » semble servir l’apologie de la communauté sectaire, considérée comme le reste saint d’Israël au milieu duquel se dresse la Torah réhabilitée (CD 3,12b-13)84. Dans son observance en effet, la communauté essénienne prétendait 80 81

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Johannes ZIMMERMANN, Messianische Texte aus Qumran (WUNT 2.104), Tübingen, Mohr Siebeck, 1988, pp. 110-113. Cf. Jacques DUPONT, « “Je rebâtirai la cabane de David qui est tombée” (Ac 15,16 = Am 9,11) », 1985, p. 29 : « Il est clair qu’Am 9,11 est entendu ici comme une prophétie messianique, une annonce de la venue du roi-messie ». Cf. Sabine NÄGELE, Laubhütte Davids und Wolkensohn, 1995, pp. 23-26 ; Martin STOWASSER, « Am 5,25-27 ; 9,11f. in der Qumranüberlieferung und in der Apostelgeschichte. Text- und traditionsgeschichtliche Überlegungen zu 4Q174 (Florilegium III) 12/CD VII 16/Apg 7,42b-43 ; 15,16-18 », 2001, pp. 54-55. Martin STOWASSER, « Am 5,25-27 ; 9,11f. in der Qumranüberlieferung und in der Apostelgeschichte. Text- und traditionsgeschichtliche Überlegungen zu 4Q174 (Florilegium III) 12/CD VII 16/Apg 7,42b-43 ; 15,16-18 », 2001, p. 53 : « In 4Q174 soll der Messias, auf den Am 9,11 gedeutet wird, “Israel” retten, was im Licht der vorausgehenden Z. 3-8 die Heilsgemeinde der Qumranfrommen meint ». Sabine NÄGELE, Laubhütte Davids und Wolkensohn, 1995, pp. 21-22 : « Die Schriftzitate Am 5,26f ; Am 9, 11 und Num 24,17 werden zu diesem Zweck apologetisch umgeformt. Die Bücher der Tora und der Propheten werden jetzt an aus dem damaszenischen Heilsexil offenbart, d.h. von der erwählten Gemeinde in ihrer tiefen eschatologischen Bedeutung enthüllt, da das alte Israel diesen eigentlichen Sinn der heiligen Schriften nicht erkennt, sie also verwirft ».

9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite

327

contraster le constant mépris des livres prophétiques affiché par Israël (CD 7,17-18). Dans la littérature rabbinique ensuite, l’on découvre plusieurs utilisations de l’extrait amosien incriminé. Dans le traité Sanhédrin 96b97a du Talmud de Babylone tout d’abord85, Am 9, 11 est employé comme étymologie du nom de Bar Naphlê, considéré par rabbi Nahman comme un nom messianique pour le fils de David. Dans ce sens, la « hutte de David » relevée par Dieu reçoit ici une interprétation clairement messianique. Néanmoins, le contexte immédiat soutient également la vision d’un renversement plénier des conditions d’existence du peuple juif suite à la victoire de Nabuchodonosor ; la restauration de Ville sainte, la reconstruction de son Temple et l’avènement politique d’Israël en sont des ingrédients incontournables86. Cette interprétation inclusive se trouve d’ailleurs confirmée par la paraphrase exégétique d’Am 9, 11 contenue dans le Targum du livre d’Amos87. La « tente de David » est ici rendue par « le royaume de la maison de David », articulant ainsi la lecture dynastique à une interprétation nationaliste et collective. Il est en outre question d’une reconstruction des villes ainsi que d’une réactivation des assemblées synagogales. Bref, est attendue une figure davidique dont le règne consistera à redonner à la maison d’Israël son lustre d’antan, en réalisant non seulement la restauration de ses cités, mais en lui assujettissant également tous les autres royaumes, le reste d’Edom ainsi que les peuples des nations. On le voit, notre exégèse d’Am 9, 11 ainsi que l’histoire de sa réception dans la littérature juive rendent d’autant plus plausible une interprétation double, à la fois christologique et ecclésiologique, de la skhnh; Dauivd en Ac 15, 16. Pour le judaïsme ancien en effet, le relèvement de la « hutte de David », bien loin de désigner une espérance

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Nous reproduisons ici la traduction allemande de Lazarus GOLDSCHMIDT qui a opté pour une traduction étymologique de Bar Naphlê : « R. Nahman sprach zu R. Jiçhaq : Hast du vielleicht gehört, wann der Sohn der Verfallenen kommen wird ? Dieser fragte : Wer ist der Sohn der Verfallenen ? Jener erwiderte : Der Messias – Den Messias nennst du Sohn der Verfallenen !? Freilich, denn es heisst : An jenem Tag werde ich die verfallene Hütte Davids wieder aufrichten » (ID ., Der Babylonische Talmud, 1903, p. 419). Sabine NÄGELE, Laubhütte Davids und Wolkensohn, 1995, pp. 54-55. Cf. The Aramaic Bible. Vol 14 : The Targum of the Minor Prophets. Translated with a Critical Introduction, Apparatus, and Notes by Kevin J. CATHCART and Robert P. GORDON, Edinburgh, T&T Clark, 1989, pp. 77-96.

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

davidique parfaitement circonscrite et stable, semble recouvrir un spectre large et mouvant, signifiant tour à tour une figure messianique individuelle, la Torah réhabilitée ou le recouvrement de l’empire davidique. Bien plus, dans ces différents contextes d’utilisation, Am 9, 11 est constamment associé à la vision eschatologique d’une restauration complète d’Israël, où sont appelés à jouer un rôle tant la personne du Messie davidique que la figure collective du peuple ou de ce qu’il en reste. Par conséquent, non seulement le contexte lucanien d’Am 9, 11, mais également l’histoire juive de sa réception invitent à tenir ensemble les aspects individuels et collectifs de la « tente de David », y discernant autant une métaphore messianique que l’image d’une restauration communautaire de la maison de Jacob 88. La compréhension de v. 16 stabilisée, il convient désormais de préciser son articulation au contexte proche, particulièrement au v. 17. Ce second verset, également repris du livre d’Amos dans sa version grecque (Am 9, 12), se rattache, nous l’avons dit, par association lexicale à la déclaration jacobienne du v. 14 : à chaque fois, c’est l’élection des nations païennes (e[qnh), leur consécration au Nom divin (o[noma), qui sont explicitement affirmées. Tout comme au v. 14, la conformité de ce geste électif à l’acte natif d’Israël est suggérée : ailleurs dans l’Ancien Testament89, l’expression ejf’ ou}" ejpikevklhtai to; o[nomav mou ejp’ aujtouv" sert en effet à désigner le peuple d’Israël comme possession divine. L’extension de l’alliance aux non-juifs, amorcée dans la conversion exemplaire du centurion Corneille, répond ainsi à un projet historicosalutaire voulu par Dieu depuis toujours (v. 18 : gnwsta; ajp ’ aijw'no" ; cf. v. 7 : ajf’ hJmerw'n ajrcaivwn ; v. 14 : prw'ton)90. Néanmoins, cette concrétisation du plan archaïque de Dieu dans l’aujourd’hui de l’Eglise

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Avec raison, Max TURNER affirme : « One can barely imagine any Jew speaking of God’s re-establishment of the royal “house of David” in glory without implying the Davidid’s saving and restoring rule in Israel (cf. Lk. 1.68-71) ; for within a Jewish context to be given the throne of David meant to exercise rule “over Jacob” (Lk. 1.32) » (ID., Power from on High, 1996, p. 314). Cf. Dt 28, 10 ; 2 Ch 7, 14 ; Jr 14, 9 ; Dn 9, 19. Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 84 : « Der Schluss (Jes 4521f.) deutet im Sinn des Lk einen heilsgeschichtlichen Hintergrund für das kirchengeschichtliche Motiv ajf’ hJmerw'n ajrcaivwn (v7) an » ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 232 : « Der mit Wendungen aus Jes 45,21 gebildete Abschluss des Schriftbeweises unterstreicht, dass sich in alledem der uranfängliche Heilsratschluss Gottes verwirklicht ».

9.4 Les deux discours rapportés de l’assemblée jérusalémite

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n’a pu se faire qu’en vertu du redressement de la « hutte de David » 91. Dit autrement, l’universalisation de la quête du Seigneur proclamée en Am 9, 12LXX se présente comme la finalité de la restauration d’Israël rendue possible dans l’événement christologique (cf. v. 17aa : o{pw" a[n). Affirmer sur la base des indicateurs temporels prw'ton (v. 14a) et meta; tau'ta (v. 16aa) que la reconstruction de la « tente de David » constitue pour Luc une promesse d’avenir, seconde par rapport à l’accession des Gentils au statut de laov", résulte d’une malencontreuse erreur de lecture 92. Comme nous l’avons dit, le v. 17 reprend et justifie scripturairement la déclaration ecclésiologique faite au v. 14 : si les païens sont dorénavant mis au bénéfice de l’élection divine, c’est que s’est accomplie en leur faveur une espérance ancienne. Est légitimée à l’aide d’une promesse scripturaire la nouveauté qui dans l’aujourd’hui affecte la définition du peuple élu ; est notifié l’accord qui régit les rapports entre l’histoire ecclésiale et la tradition prophétique (cf. sumfwnou'sin). Bref, si la citation d’Amos vient fonder un fait présent par un retour aux « paroles des prophètes », la reconstruction de la cabane de David ne peut, quant à elle, évoquer un événement futur. Par ailleurs, conférer au prw'ton du v. 14 le sens d’adverbe numéral ordinal impliquant l’enchaînement de deux événements contredirait frontalement la conviction théologique chère à Luc selon laquelle la mission chrétienne répond à un calendrier intangible et conforme au slogan paulinien : « les juifs d’abord, les Grecs ensuite » (cf. Ac 3, 26 ; 13, 46)93. En conséquence, l’adverbe prw'ton n’a pas ici le sens de « premièrement », « tout d’abord », mais consonne avec la formule temporelle du v. 7 (ajf’ 95 hJmerw'n ajrcaivwn)94 pour souligner l’archaïcité de l’acte électif de Dieu . Concluons. Soucieux de prendre au sérieux les récriminations de croyants attachés au pharisaïsme, Pierre et Jacques se sont relayés pour

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Cf. Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 382. Voir par exemple Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 193198. Cf. Dietrich RUSAM, Das Alte Testament bei Lukas, 2003, p. 423. Cf. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 83 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 430. Cf. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 394 ; Jens SCHRÖTER, « Lukas als Historiograph. Das lukanische Doppelwerk und die Entdeckung der christlichen Heilsgeschichte », dans Eve-Marie BECKER (éd.), Die antike Historiographie und die Anfänge der christlichen Geschichtsschreibung (BZNW 129), Berlin/New York, de Gruyter, 2005, p. 253, note 75.

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accorder aux païens convertis un statut socio-religieux analogue à celui d’Israël. C’est sur la base de la pratique missionnaire de Pierre ainsi que d’un oracle du prophète Amos que cet objectif a pu être atteint. Avec Pierre, l’auditeur/lecteur lucanien a reconnu que pour accéder au salut les païens n’ont dû observer quelque commandement que ce fût. Pas même la circoncision ! Dieu leur a conféré par grâce le don de l’Esprit et le pardon qui mène à la vie. Et cela, sans faire de différence avec les juifs de naissance ! Avec Jacques ensuite, l’auditeur/lecteur des Actes a découvert que cette nouvelle Pentecôte accordée à la maisonnée de Corneille a également favorisé l’extension aux non-juifs de la qualité de laov" . Là encore, sans le concours de la Loi mosaïque. Bref, dépossédée de son rôle sotériologique, la Torah se voit également soustraire sa capacité à tracer les contours du peuple élu : peut être membre de l’ekklèsia, tout homme que Dieu a gracieusement visité pour l’attacher à son Nom. La définition du laov" n’est plus horizontale ; elle est strictement verticale . Non seulement l’expérience missionnaire de Pierre l’a prouvé, mais cela a été également auguré par les prophètes des Ecritures juives : depuis les temps immémoriaux en effet, Dieu a envisagé l’universalisation de son geste électif, événement qui vient de se réaliser à la faveur de la reconstruction de la hutte davidique. Arrivé à ce stade du récit des Actes, le lecteur/auditeur lucanien découvre ainsi toute l’ampleur du parcours ecclésial déployé jusqu’à présent. La communauté de salut née à la Pentecôte rassemble désormais, pour constituer l’ekklèsia de Dieu, non seulement l’Israël restauré, le royaume davidique relevé de ses ruines, mais également un peuple de païens convertis au seul Nom du Seigneur Jésus. Tel est le nouveau visage du laov" que Dieu s’est choisi depuis l’aube des temps. Ceci dit, si la Torah n’a plus chez Luc ni fonction sotériologique, ni office d’identification du peuple élu, qu’en est-il alors du décret apostolique entériné à l’appel de Jacques par l’assemblée de Jérusalem ? Les quatre continences édictées à l’endroit des helléno-chrétiens ne sont-elles pas à comprendre comme une re-légalisation de l’ecclésiologie lucanienne ? Cette objection mérite d’être abordée de front.

9.5 Le décret des apôtres (15, 20.29 ; 21, 25)

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9.5 Le décret des apôtres (15, 20.29 ; 21, 25) 9.5 Le décret des apôtres (15, 20.29 ; 21, 25) Le débat entourant la provenance traditionnelle ainsi que la signification du décret apostolique fait rage parmi les exégètes de Luc. Sur le plan de l’histoire des traditions, tout d’abord. C’est du côté des Ecritures juives que la grande majorité des commentateurs cherche la source d’inspiration des quatre abstinences recommandées par Jacques. Dans cette perspective, ce sont soit les codifications du Lévitique prescrites aux étrangers installés en terre juive et résidant au milieu d’Israël qui sont invoquées (Lv 17–18 ainsi que les targoumim associés à ces textes) 96, soit les interdits alimentaires imposés au lendemain du Déluge à Noé (Gn 9, 3-7, Jub. 7,20 ainsi que les traditions rabbiniques y afférentes) 97. Pour d’autres au contraire, les références intertextuelles sousjacentes au décret apostolique ne pointent pas en direction de la tradition scripturaire, mais vers la littérature rabbinique. Ce sont singulièrement les traités du Talmud faisant état des aspects non négociables – même face à un danger mortel – de l’ethos juif qui sont le plus souvent allégués (cf. p. Shebiith 35a.49-50 ; p. Sanhédrin 3.6.21b ; b. Pesahim 25ab ; b. Sanhédrin 74a ; etc.) 98. Quant à la signification accordée à ces commandements sous la plume de Luc, là également un consensus peine à se dessiner. Pour faire court, ce sont trois lectures principales qui se disputent la compréhension de l’édit entériné par l’Eglise jérusalémite. L’option identi-

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Voir entres autres : Richard BAUCKHAM, « James and the Gentiles (Acts 15.13–21) », 1996, pp. 172-178 ; Terrence CALLAN, « The Background of the Apostolic Decree (Acts 15 :20,29 ; 21 :25) », 1993, pp. 284-297 ; Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 557 ; Klaus MÜLLER, Tora für die Völker, 1996, pp. 150-166 ; Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 94 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, pp. 321-322 ; Hans WAITZ, « Das Problem des sog. Aposteldekrets und die damit zusammenhängenden literarischen und geschichtlichen Probleme », 1936, pp. 228-231 ; Jürgen WEHNERT, Die Reinheit des « christlichen Gottesvolkes » aus Juden und Heiden, 1997, pp. 209-238 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 383-384 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 569. Dans ce sens : Markus BOCKMUEHL, « The Noachide Commandments and New Testament Ethics with Special Reference to Acts 15 and Pauline Halakhah », 1995, pp. 72-101, voir surtout les pp. 93-95. Pour les références rabbiniques relatives aux sept commandements noachiques, consulter Klaus MÜLLER, Tora für die Völker , 1996, pp. 25-64. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, pp. 734-735 ; Stephen G. WILSON, Luke and the Law, 1983, pp. 100-101.

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taire tout d’abord99. La régulation apostolique serait le résultat d’une application casuistique des exigences rituelles de la Loi à l’intention des non-juifs (cf. Lv 17–18). On ne devrait ainsi parler ni d’abrogation, ni de nouvelle interprétation de la Loi chez Luc : c’est le peuple de la Torah qui serait sauvé, et lui seul100 ! Ou pour l’exprimer différemment encore : le décret apostolique garantirait à la Loi de Moïse sa fonction d’identity marker pour le peuple de l’alliance, exigeant des païens convertis ce que la Torah impose aux gerim. Les deux propositions concurrentes se refusent, quant à elles, d’assigner les quatre prescriptions d’Ac 15 au rang de vecteurs identitaires du peuple choisi : a) si certaines prescriptions de la ritualité d’Israël sont perpétuées en régime chrétien, c’est pour asseoir un modus vivendi susceptible de préserver l’existence de foi des judéo-chrétiens101. En d’autres termes, le décret 99

Le champion de cette lecture est à n’en pas douter l’exégète norvégien Jacob JERVELL, et ce au travers de multiples articles et monographies : Luke and the People of God, 1972, pp. 133-151 ; ID., « Gottes Treue zum untreuen Volk », 1991, pp. 15-27 ; ID., « Das Aposteldekret in der lukanischen Theologie », 1995, pp. 227-243 ; ID., The Theology of the Acts of the Apostles, 1996, pp. 54-61. Avant lui, Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 206, mentionnait déjà cette lecture parmi deux possibles. 100 Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 206, parle ainsi de la Loi comme « Grundstatut des Gottesvolkes » ; voir aussi Jürgen WEHNERT, Die Reinheit des “christlichen Gottesvolkes” aus Juden und Heiden, 1997, p. 82, qui, tout en considérant le décret apostolique comme une solution prioritairement pragmatique assurant la cohabitation entre judéo- et pagano-chrétiens, déclare en même temps que « Lukas hat sie auch favorisiert, weil sich die Heidenchristen im Beachten der Enthaltungsvorschriften in besonderer Weise als Teil des von Gott erwählten laov" (Apg 15,14), nämlich als Miterben der Thora, erweisen ». 101 Entre autres : Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, pp. 556-557 : « As Conzelmann recognizes (Acts, 118), James’s intention is not “to retain the Law valid, not even symbolically or ‘in principle’.” Rather, it enables Jewish Christians to have contact with Gentile Christians. James’s regulations seek only a modus vivendi of Gentile among Jewish Christians and imply no salvific purpose in them » ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 232 : « Vier Forderungen sollen für die Heidenchristen verbindlich gemacht werden, die darauf zielen, ihnen jenes Minimum an ritueller Reinheit zu verleihen, das nötig ist, damit nach dem Gesetz lebende Judenchristen, die mit ihnen in Tischgemeinschaft treten, vor Verunreinigung geschützt werden » ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 190 : « The underlying point would be that gentile Christians need to find ways of living with people deeply committed to Mosaic law » et plus loin, à la p. 191 : « The Jerusalem meeting that guarantees the Gentiles’ freedom from the law also anticipates the problem that will arise as the gentile portion of the church grows, for James is proposing that Gentiles be asked to abstain from certain things especially offensive to a Jewish sense of cultic purity so that Jewish Christians remain in the fellowship of the church without being forced to give up their way of life » ; Hans Jörg

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des apôtres, résultat d’un compromis entre les deux factions ecclésiales102, recommanderait aux chrétiens issus de la gentilité, spécialement dans le cadre de la commensalité, un comportement susceptible de ménager ce qui forge la piété et assure la pureté des judéo-chrétiens. La perspective ne serait ici plus identitaire , mais pastorale et pragmatique ; b) les commandements contenus dans le décret apostolique ne seraient pas à interpréter dans le cadre des rapports entre judéo- et hellénochrétiens, mais comme des pré-requis moraux exigés des païens désireux de se tourner vers le Dieu unique et indispensables pour conserver la pureté qui leur a été gracieusement octroyée (15, 9)103. Seraient ainsi taboues les signatures divines inscrites au cœur de la création104. Bref,

SELLNER, Das Heil Gottes, 2007, p. 397: « Sie [les clauses du décret] sind also ein Mittel zur Sicherung der Einheit der christlichen Gemeinde » (l’auteur souligne) ; Hans WAITZ, « Das Problem des sog. Aposteldekrets und die damit zusammenhängenden literarischen und geschichtlichen Probleme », 1936, p. 231 : « Das Aposteldekret übernimmt die Bestimmungen des jüdischen Ritualgesetzes über den Verkehr zwischen Israeliten und Beisassen und wendet sie auf den Verkehr zwischen Judenund Heidenchristen an. Eine Lebens- und Tischgemeinschaft zwischen beiden, zumal bei Feier des Herrenmahls, ist nur möglich, wenn auch die Heidenchristen, was für die Judenchristen als selbstverständlich gilt, die Götzenopfer bzw. das Götzenopferfleisch, das Fleisch von nicht rituell geschächteten Tieren (Blut) und von Tieren, die auf Jagd mit Schlingen gefangen und getötet sind (Ersticktes), sowie Ehen in Verbotenen Verwandtschaftsgraden und unsittlichen, widernatürlichen Geschlechtsverkehr meiden » ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 302303 : « Act 15 ist also gegenüber Act 10f kein Rückschritt, sondern Act 15 geht insofern organisch aus Act 10f hervor, als es gesamtisraelitisch Rücksicht nimmt auf die besondere kulturelle Normenwelt im Judenchristentum […]. Dieser jüdische Verhaltenskodex entspricht nach Lukas guter Sitte » ; Alfred WIKENHAUSER, Die Apostelgeschichte, 1961, p. 173 : « In einem zweiten positiven Teil, wünscht er [Jacques] aber, dass man von den Heidenchristen verlange, dass sie durch Einschränkungen in der Lebenshaltung Rücksicht auf das religiöse Empfinden der Judenchristen nehmen ». 102 Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas , 1983, pp. 322-329 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, pp. 183-184. 103 Convergent à l’établissement de cette thèse, moyennant quelques nuances inévitables : Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, pp. 323-395 ; Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, pp. 190-197 ; Maria Neubrand, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 224-249 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 241-242 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, pp. 461-467. 104 Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 380 : « Dabei liegt das Verwerfliche nicht in einer Übertragung von Geboten der Tora, sondern in der Missachtung fun-

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c’est dans la perspective de l’idolâtrie païenne105, source potentielle de souillure pour la relation purifiée unissant les païens convertis au Dieu créateur du monothéisme juif, qu’il conviendrait ainsi de décoder le décret des apôtres. L’orientation de l’édit serait ici prioritairement théologique 106, participant de l’idéologie juive de pureté et de sainteté du peuple allié de Dieu. Comment avancer dans ce débat miné ? Pour débrouiller cet écheveau, il nous semble impérieux de procéder méthodiquement. En clair, la signification du décret des apôtres ne peut être appréhendée en dehors du contexte argumentatif dans lequel il s’insère, en l’occurrence en conclusion des discours respectifs de Pierre et de Jacques (cf. v. 19 : diov) 107. C’est ainsi une approche essentiellement synchronique que nous privilégierons pour stabiliser notre lecture d’Ac 15, 20. A la lumière du contexte littéraire en effet, les trois pistes herméneutiques défrichées par les chercheurs dévoilent toutes leur talon d’Achille. La lecture identitaire de la Torah, dont le décret des apôtres serait une pure émanation, enjambe l’affirmation faite par Jacques au v. 14 : le chef de file de la communauté jérusalémite y a, en effet, décerné aux païens convertis sans la Loi le statut socio-religieux de laov". En clair, pour intégrer l’alliance élective de Dieu et pour s’y maintenir, les païens n’ont dû observer aucun commandement, pas même la circoncision. Au contraire, c’est en qualité de Gentils et non de prosélytes que le Nom divin a été prononcé sur eux (cf. v. 17b). Bref, la Torah, ou ses prescriptions à l’endroit des gerim, n’ont plus chez Luc de pertinence socio-identitaire. A cela s’ajoute que l’édit jérusalémite ne tire pas sa légitimité de la Loi mosaïque, mais de l’Esprit saint et des apôtres (cf.

damentaler Signaturen, die Gott durch die Schöpfung gesetzt hat und die darum allen Menschen zugänglich sind ». 105 Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 394 : « Zurecht wird darum Götzendienst als dominierendes Element des Dekrets angesehen, nur dass Götzendienst bereits die Folge dieses ursächlichen Verlusts der Gottesbeziehung darstellt » ; Kirsopp LAKE, « The Apostolic Council of Jerusalem », 1933, pp. 208-209. 106 Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 229 : « Die Enthaltungsgebote sind deshalb im lukanischen Kontext grundsätzlich theologisch begründet » (l’auteur souligne). 107 Bien observé par Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, p. 142 : « Die Enthaltungsgebote werden nach ihrer rhetorischen Funktion nicht als Forderung, sondern als Folgerung (diov) vorgetragen ».

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15, 22-23.28a ; 16, 4 ; 21, 25)108. Il ne s’agit donc pas d’une Torah pour les païens, mais bien d’une didachè apostolique. Bref, l’interprétation identitaire du décret des apôtres plébiscitée par Jacob Jervell échoue à l’examen du contexte lucanien. L’hypothèse du compromis pragmatique entre judéo- et hellénochrétiens, de loin la plus populaire dans la recherche lucanienne moderne, procède d’une observation adéquate : la séquence d’Ac 15 concourt à quittancer l’existence des païens qua païens au sein de l’Eglise naissante, en leur reconnaissant un statut socio-religieux analogue à celui des judéo-chrétiens. La perspective déployée par la péricope dans son ensemble est fortement ecclésiologique, et il ne serait pas surprenant que le décret apostolique participe de cette même visée. Cela dit, la problématique ecclésiologique identifiée en arrière-plan de l’édit, à savoir la communauté de table entre juifs et païens, ne possède aucun appui textuel en Ac 15, mais semble directement importée, moyennant un indispensable passe-passe chronologique 109, de Ga 2, 11-14110. Bien 108 Dans ce sens Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 345 : « Es wird ausschliesslich von den “Aposteln und Ältesten” erlassen (15,23), aber nicht mit der Tora legitimiert wie etwa die Entscheidung gegen die Beschneidung mit den “Worten der Propheten” (15,15) » ; Stephen G. W ILSON, Luke and the Law, 1983, p. 85 : « Luke presents the decree as apostolic rather than Mosaic in origin (Ac. 15 :19, 28-9 ; 16 :4) » ainsi que Daniel MARGUERAT, « Paul et la Torah dans les Actes des apôtres », 2009, p. 93 : « Le décret n’est pas présenté comme un substrat de la Torah, mais comme une didachè apostolique légitimée par l’Esprit saint ». 109 Au 19ème siècle déjà, l’Ecole de Tubingue partait de l’idée que le décret apostolique était incompatible avec le compte rendu paulinien de l’assemblée jérusalémite (cf. Ga 2, 6) et présupposait ainsi une datation ultérieure à l’incident d’Antioche rapporté en Ga 2, 11-14. Voir à ce sujet l’historique de la recherche brossé par Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 452. En faveur d’une autre reconstruction historique s’exprime Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 206 : « […] man wird dann zu der Annahme gedrängt, dass der antiochenische Konflikt sich vor dem Apostelkonzil ereignete ». 110 Cf. Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 356, qui affirme que « die Frage der Tischgemeinschaft gerade nicht das Problem von Apg 15 ist, sondern aus Gal 2,11f eingetragen wird » (l’auteur souligne) ou Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 227 : « Denn erst im vermuteten Kontext des Antiochenischen Konflikts lässt sich das Jerusalemer Abkommen überhaupt erst als eine Regelung für die (Tisch-)Gemeinschaft bzw. das Zusammenleben von jüdischer und nichtjüdischer Chritusanhängerschaft oder als grundsätzliche Verhältnis von Juden und Nichtjuden in der Christusanhängerschaft interpretieren. Dieses so aus dem Galaterbrief eruierte Verständnis der Enthaltungsgebote wird dann wieder in den lukanischen Text eingetragen und für diesen vorausgesetzt ».

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plus, butant sur l’interprétation de porneiva, notion incongrue dans une 111 liste de tabous alimentaires , pareille hypothèse de lecture est non seulement acculée à expliquer l’absence de certains interdits alimentaires centraux pour la ritualité juive – telle la consommation de porc ou de vin offert en libation112 –, mais surtout s’oppose frontalement à la vision de Corneille qui a précisément dénoncé l’application de la ritualité alimentaire (10, 9-16) et rendu possible la commensalité entre juifs et païens (11, 1-18)113. Là encore, l’hypothèse proposée pèche par négligence contextuelle. Quant à la troisième veine interprétative, elle jouit d’un bon ancrage dans le récit d’Ac 15. Ce sont notamment le recours au vocabulaire caractéristique de la pureté rituelle (cf. v. 9) ainsi que la formule toi'" ajp o; tw'n ejqnw'n ejpistrevfousin ejpi; to;n qeovn par laquelle sont désignés les destinataires du décret114 qui assurent à cette thèse sa plausibilité. Néanmoins, pour y parvenir, ajlisghvm ata est hissé en exergue des quatre interdits, exprimant de manière programmatique leur dénominateur commun115 : tous seraient facteurs de souillure 116. Cette hypothèse, de prime abord séduisante, dévoile sa fragilité à l’examen des deux autres versions du décret (15, 29 ; 21, 25). Dans ces deux cas, ajlisghvmata tw'n eijdwvl wn fait place à eijdwlovquta. Cette substitution manifeste l’équivalence envisagée par Luc entre les idolothytes et les souillures occasionnées par le culte rendu aux idoles/la consommation des viandes sacrifiées ; ajlisghvmata est restreint à ce champ sémantique et, loin de surplomber l’ensemble du décret, œuvre uniquement à désigner les effets nocifs d’une communion avec les idoles. Par ailleurs, la confession du Dieu créateur à laquelle veillerait le décret apostoli111 Kirsopp LAKE, « The Apostolic Council of Jerusalem », 1933, p. 207. 112 Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas , II, 1927, p. 531. 113 Critique de cette hypothèse chez Stephen G. WILSON, Luke and the Law, 1983, pp. 74-75. 114 Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche, 2006, p. 223 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 242. 115 Proposition notamment faite par Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 379 ; Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche , 2006, p. 228 et Jürgen WEHNERT, Die Reinheit des « christlichen Gottesvolkes » aus Juden und Heiden, 1997, p. 69. 116 Jürgen WEHNERT, Die Reinheit des « christlichen Gottesvolkes » aus Juden und Heiden, 1997, p. 69 : « Götzen(dienst bzw. –opferfleisch), Unzucht, Ersticktes und Blut sind tabu, weil sie die Christen verunreinigen ».

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que117 déborde manifestement la perspective théologique développée dans l’épisode d’Ac 15. Certes, la théologie du Dieu créateur jouit d’une certaine audience dans l’œuvre à Théophile et sert l’argumentation lucanienne face aux nations païennes, mais uniquement en Ac 14, 15-17 et 17, 24-28. De même, ce serait soumettre le décret apostolique à une perspective sotériologique 118, alors que la question du salut octroyé aux païens a été favorablement sanctionnée en 15, 11. Last but not least, cette hypothèse de lecture est entachée d’un soupçon d’harmonisation entre Paul et Luc. Dans sa correspondance épistolaire en effet, l’apôtre des nations, loin d’exiger la re-judaïsation des chrétiens issus de la gentilité, réclame des nouveaux convertis le simple abandon de leur mode de vie antérieur, fait d’idolâtrie, d’immoralité et d’impureté. Le décret d’Ac 15, 20, compris comme un manifeste monothéiste et antiidolâtre, ne serait du coup plus incompatible avec la pensée paulinienne et ne viendrait en aucun cas contredire Ga 2, 6119. Bref, une attention soutenue au contexte littéraire invalide en grande partie les trois hypothèses précitées. C’est la raison pour laquelle rouvrir cette question d’un point de vue narratologique paraît incontournable. Situé en clôture de l’argumentaire de Jacques, le décret des apôtres en constitue assurément la conclusion (dio; ejgw; krivnw). Précisément, ce sont deux affirmations que fait se succéder le leader des anciens : la première proposition, en écho aux dires de Pierre (v. 10), commence par émettre un jugement négatif à l’encontre de toute re-légalisation des païens convertis (v. 19a : krivnw mh; parenoclei'n) ; cette première considération faite, elle est ensuite contrebalancée par un appel positif à s’abstenir de certaines choses (v. 20a : ajlla; ejpistei'lai aujtoi'" tou' ajpevcesqai). Au vu de l’argumentation conduite jusqu’ici, il est clair

117 Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 241-242 : « Vor diesem durch den monotheistischen Gottesglauben bedingten Hintergrund lassen sich auch die Enthaltungsgebote in Apg 15,20 (und ihre Wiederholungen in Apg 15,29 und 21,25) verstehen […]. Denn mit den beiden Begriffspaaren “Götzen(dienst) und Unzucht” und “Blut und Ersticktes” sind Verstösse gegen die Einzigkeit Gottes sowie gegen sein Herr- und Schöpfer-Sein angesprochen ». 118 Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 734 : « It should be noted that such commands, especially the prohibition of idolatry, would be necessary for salvation, and not merely in order to facilitate fellowship between Jewish Christians and Gentile Christians ». 119 Cf. Otto BÖCHER, « Das sogenannte Aposteldekret », 1989, pp. 329-333 ; Maria NEUBRAND , Israel, die Völker und die Kirche, 2006, pp. 243-245.

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que la Torah, délestée de ses fonctions sotériologiques et identitaires au profit de la grâce élective de Dieu 120, ne possède plus aucun caractère contraignant pour les helléno-chrétiens. Les soumettre à la Torah mosaïque serait les « importuner » (parenoclei'n). Ainsi en va-t-il a fortiori du décret des apôtres : lui non plus n’a pas force de loi et ne peut se prévaloir d’une quelconque relevance salutaire ou socio-identitaire. Pareilles fonctions lui sont refusées d’office. Au v. 21 ensuite, le décret des apôtres se voit gratifié d’une justification (gavr). Ce verset aussi énigmatique que décisif n’a cessé de diviser les exégètes de Luc. La grande majorité des chercheurs a plébiscité un lien direct entre le v. 21 et le décret apostolique. Ce faisant, la référence à Moïse servirait soit à appuyer la fonction de compromis à l’égard des juifs mosaïques reconnue au décret121, soit à manifester sa provenance scripturaire et, partant, son statut de Loi minimale exigée des païens122. Parmi les lectures minoritaires, il nous faut citer, d’une part, les exégètes qui considèrent le v. 21 comme une justification accordée non pas au décret apostolique, mais à l’extension de l’alliance aux non-juifs (vv. 14.17)123. En clair, 120 George K.A. BONNAH, The Holy Spirit, 2007, p. 371 : « On can therefore conclude from the speech of Peter that the identity marker of the new people of God – lao;" tou' qeou' – is (faith in Jesus, baptism and) the reception of the Holy Spirit – pneu'ma a{gion (v. 8) – and not circumcision and the observance of the customs of Moses » (l’auteur souligne) ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 232 : « Die äusseren Zeichen der Kontinuität und Identität Israels, Gesetz und Beschneidung, werden dabei ersetzt durch die vom Geist Gottes gewirkte Kontinuität des rettenden Glaubens (V.9.11) ». 121 Craig L. BLOMBERG, « The Law in Luke-Acts », JSNT 22, 1984, p. 66 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 94 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, p. 322 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 190 ; Hans Hinrich WENDT, Die Apostelgeschichte, 18998, pp. 264-265. 122 Rebecca I. DENOVA, The Things Accomplished Among Us, 1997, p. 190, voir également la note 33 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 433 ; Jacob JERVELL, « Das Aposteldekret in der lukanischen Theologie », 1995, p. 231 ; ID ., Die Apostelgeschichte, 1998, p. 399 ; Luke Timothy JOHNSON, The Acts of the Apostles, 1992, p. 273 ; Klaus MÜLLER, Tora für die Völker , 1996, p. 161 ; Sabine NÄGELE, Laubhütte Davids und Wolkensohn, 1995, p. 105 ; Maria NEUBRAND, Israel, die Völker und die Kirche , 2006, p. 239 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 81 ; Walter RADL, « Das Gesetz in Apg 15 », 1986, p. 172 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 233 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 184 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 384. 123 Kirsopp LAKE, Henry J. CADBURY, The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, pp. 177-178 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 206.

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la distribution universelle de l’institution synagogale servirait précisément l’afflux dans le peuple de Dieu de toutes les nations sur lesquelles le Nom divin a été prononcé. Il nous faut, d’autre part, mentionner les commentateurs qui y voient non pas une justification donnée à la seconde proposition de Jacques (v. 20), i.e., au décret apostolique, mais à sa première déclaration (v. 19), à savoir la non-imposition de la Loi aux païens. L’expérience faite, en tous lieux et depuis toujours, au sein des synagogues juives conduirait en effet à documenter soit le caractère irréalisable de la Torah (cf. Ac 15, 10) 124, soit la résistance foncière et inflexible des païens à son endroit125. Aussi créatives et attractives soient-elles, ces hypothèses de lecture sont toutes coupables de combler abusivement les blancs du texte et d’en inférer une clef de lecture étrangère au v. 21. C’est pourquoi seule une interprétation respectueuse des dits du verset peut être admise. La première observation qui doit être faite est la mise en exergue de Moïse : c’est cette figure qui surplombe l’ensemble du verset et semble ainsi le déterminer. Il est ensuite à noter sa facture ostensiblement inclusive et totalisante 126 : tant sur un plan temporel (ejk genew'n ajrcaivwn/kata; pa'n savbbaton) que sur un plan spatial (kata; povlin). Nous sommes sans conteste face à un événement archaïque et géographiquement illimité 127. Par contre, si Jacques avait voulu faire ici référence à l’ancrage scripturaire du décret, il aurait recouru, comme au v. 15, à une formule du type kaqw;" gevgraptai (cf. Lc 2, 23 ; Ac 7, 42 ; 13, 33)128. De même, s’il avait voulu légitimer par ce biais l’ouverture de l’alliance aux nations, il aurait probablement fait allusion aux craignant-Dieu se trouvant en contact direct avec les institutions synagogales. Or, la seule chose que déclare Jacques, c’est la diffusion im124 David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, p. 242, note 85. 125 Mbachu HILARY , Inculturation Theology of the Jerusalem Council in Acts 15, 1995, p. 206 : « One may infer from this v.21 that James is stressing that to continue to bother the Gentiles about the Jewish Law so well entrenched among them for many ages, is quite absurd and uncalled for » ; Daniel SCHWARTZ, « The Futility of Preaching Moses (Act 15,21) », 1986, p. 279 : « James means only that since long and widespread Jewish experience shows that Gentiles will not (by and large) accept Mosaic law, a Christian attempt to impose it upon Gentiles (whether already converted or contemplating it) would be futile ». 126 Cf. Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, p. 131. 127 Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, p. 131 : « “Mose” konnotiert so “universale Bekanntheit”. » 128 Cf. Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 182, note 79.

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mémoriale et universelle de Moïse à travers la lecture et la prédication synagogales. C’est ce fait unique qui, aux yeux de Luc, justifie les quatre abstinences promulguées par l’assemblée jérusalémite. Qu’est-ce à dire ? C’est à partir de la compréhension lucanienne de la Torah et, plus globalement, à partir de l’orientation identitaire de son historiographie qu’une réponse peut être risquée. De tous les auteurs du Nouveau Testament, Luc est celui dont le vocabulaire législatif est le plus panaché et le plus idiosyncrasique 129. Précisément, ce sont deux vocables, novmo" 130 et e[qo" 131, que connaît l’auteur à Théophile pour désigner la Torah de Moïse 132. Le champ sémantique recouvert par ces deux termes, bien que proche et parfois amalgamé 133, n’est pas parfaitement superposable dans la double œuvre lucanienne. Employé au singulier (Lc 1, 9 ; 2, 42 ; Ac 15, 1), e[q o" est un quasi synonyme de novm o" (exception faite de Lc 22, 39 et d’Ac 25, 16) et ressortit ainsi au vocabulaire législatif de Luc : il s’agit de la Loi ou de ses commandements compris comme normes religieuses134. Cela dit, cette perspective s’émousse lorsque e[qo" est rendu par un pluriel. Dans ces cas, c’est moins la dimension sacrée et contraignante de la Loi qui est mise en valeur que sa surface traditionnelle et culturelle. Précisons. Les e[qh ne désignent pas simplement un code de lois religieuses référencé à Moïse, mais également une grandeur culturelle, une charte

129 Cette observation a été faite à plusieurs reprises : Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, pp. 364-377 ; Augustin GEORGE, « Israel », dans ID., Etudes sur l’œuvre de Luc (Sources bibliques), Paris, Gabalda, 1978, pp. 119.122-124 ; Burkhard JÜRGENS, Zweierlei Anfang, 1998, pp. 128-130 ; Matthias KLINGHARDT, Gesetz und Volk Gottes, 1988, p. 115 ; Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, pp. 2623-2624, notes 44 et 45 ; ID., « Das Verhältnis zum Judentum als Identitätsproblem der Kirche nach der Apostelgeschichte », 1990, pp. 316-317 ; Stephen G. WILSON, Luke and the Law, 1983, pp. 1-11. 130 Lc 2, 22.23.24.27.39 ; 10, 26 ; 16, 16.17 ; 24, 44 ; Ac 6, 13 ; 7, 53 ; 13, 15.38 ; 15, 5 ; 18, 13.15 ; 21, 20.24.28 ; 22, 3.12 ; 23, 3.29 ; 24, 6.14 ; 25, 8 ; 28, 23. 131 Lc 1, 9 ; 2, 42 ; Ac 6, 14 ; 15, 1 ; 16, 21 ; 21, 21 ; 26, 3 ; 28, 17. Dans le NT, le terme n’apparaît ailleurs qu’en Jn 19, 40 et He 10, 25. 132 A ces deux termes récurrents pour désigner la Loi chez Luc, il faut encore ajouter l’expression lovgia zw'nta usitée en Ac 7, 38 seulement ainsi que le substantif ejntolhv employé pour désigner les commandements de la Torah en Lc 1, 6 ; 18, 20 ; 23, 56. 133 Cf. Stephen G. WILSON, Luke and the Law, 1983, p. 4. 134 Cf. art. « e[qo", eijqismevo" », dans Ceslas SPICQ, Lexique théologique du Nouveau Testament, 1991, p. 421.

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morale 135 : à travers leur application ou leur négligence, c’est la singularité éthique et nationale d’un e[qno" qui est en jeu 136. En un mot, les e[qh désignent chez Luc les mores, les coutumes culturelles d’un peuple donné, généralement de la nation juive, mais parfois aussi du monde romain (cf. Ac 25, 16). Bien plus, ces e[qh transmis par Moïse (cf. Ac 6, 14 : ta; e[qh a} parevdwken hJmi'n Mwu>s h'") servent non seulement à garantir la particularité ethnique d’Israël dans le concert des nations, mais aussi à asseoir, par cette preuve d’ancienneté, son statut de respectabilité. En retour, l’on comprend aisément pourquoi les occurrences d’e[qh surgissent chez Luc constamment dans l’horizon de la diaspora 137 et répondent souvent à un regard extérieur (cf. Ac 16, 21 ; 26, 3)138. C’est en effet dans ce contexte socio-culturel que la spécificité ethnique du judaïsme est non seulement appelée à faire saillie, mais surtout menacée de se résorber sous la pression païenne (cf. tou;" kata; ta; e[qnh pavnta" jIoudaivou" en Ac 21, 21 ; voir aussi Ac 6, 9 ; 21, 27-28)139. Luc a été sensible à ce danger : si la Torah perd sa fonction de norme salvifique, elle n’en conserve pas moins, dans l’Eglise lucanienne, le rang d’e[q o" légué par Moïse 140. En témoigne l’attachement indéfectible du Paul lucanien aux coutumes (à la Loi) des pères, expression incontournable de sa judaïté (Ac 16, 20-21 ; 21, 21-26 ; 22, 3 ; 25, 8 ; 28, 17). En témoigne également la circoncision pratiquée par l’évangéliste des nations sur Timothée (Ac 16, 3), marque de son respect des mœurs juives. Comment expliquer cette ambivalence du rapport lucanien à la Torah ? 135 Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2623, note 44 : e[qo" désigne au pluriel « die Normen des mosaischen Gesetzes als Sittenkodex des Judentums » ; Stephen G. WILSON, Luke and the Law , 1983, p. 11 : « To describe the law as e[qo" is to view it as a cultural as much as a religious phenomenon and indicates an ability to view it either from something of a distance or within a broad perspective ». 136 Cf. Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, p. 369 ; Augustin GEORGE, « Israel », 1978, p. 122. 137 Roland DEINES, « Das Aposteldekret – Halacha für Heidenchristen oder christliche Rücksichtnahme auf jüdische Tabus ? », 2007, pp. 368-369. 138 Matthias KLINGHARDT, Gesetz und Volk Gottes , 1988, p. 117 ; Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2623, note 44. 139 Cf. Hans Helmut ESSER, Klaus HAACKER, art. « e[qo" », TBLNT I, 19972, p. 619. 140 Souligné à juste titre par Daniel MARGUERAT, « Paul et la Torah dans les Actes des apôtres », 2009, pp. 95-99.

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Elle est la résultante directe de l’orientation identitaire affichée par son historiographie. En chantre d’une civilisation chrétienne tout à la fois universaliste et tolérante des particularismes culturels, l’auteur à Théophile a en effet découplé la dimension théologique et exclusiviste de la Torah de sa valeur traditionnelle. L’enjeu est double : sanctionner la singularité ethnique des judéo-chrétiens au sein d’un peuple par définition multiculturel (cf. Ac 2, 9-11)141, et surtout éviter à la chrétienté naissante le soupçon de superstitio nova ac malefica142. En garantissant au trésor culturel et historique juif sa survivance dans la communauté chrétienne 143, Luc démontre avec éclat l’ancienneté de la foi en Jésus Christ et contrecarre toute accusation d’innovation religieuse 144 : le christianisme est sans conteste une religio vetus et pia, fidèle non seulement à l’histoire sainte débutée avec Abraham, mais aussi aux traditions héritées de Moïse. L’objectif visé est ici apologétique 145. C’est, à notre avis, dans cette même perspective qu’il convient de relire le décret des apôtres promulgué en Ac 15, 20. Voyons comment. On l’a vu, l’édit des apôtres, situé en clôture de l’assemblée jérusalémite, ne vise pas à replacer les helléno-chrétiens sous le joug de la Loi : en tant que code de pureté garantissant le salut, la Torah est désormais obsolète pour la communauté chrétienne. Ce n’est donc pas une caution légale ou scripturaire que Moïse vient offrir au décret (cf. 15, 21). Par contre, la Loi comprise comme e[qo" constitue pour les judéo-chrétiens une grandeur toujours actuelle, symbolisant leur ap141 Hans Helmut ESSER, Klaus HAACKER, art. « e[qo" », TBLNT I, 19972, p. 619 : « Das Vorhandensein spezifischer nationaler Sitten bei Juden (vgl. Joh 19,49 ; Apg 26,3) und Römern (vgl. Apg 25,16) wird im NT nicht kritisiert, sondern respektiert ». 142 SUÉTONE, Vies des Césars : Néron 16,2. Voir aussi TACITE, Annales 15,44,3 : exitiabilis superstitio ; P LINE LE JEUNE, Lettres 10,96,8 : superstitio prava, immodica ainsi que superstitionis istius contagio. 143 Sur la valorisation d’ensemble du patrimoine juif chez Luc, voir Knut BACKHAUS, « Mose und der Mos Maiorum. Das Alter des Judentums als Argument für die Attraktivität des Christentums in der Apostelgeschichte », 2007, pp. 401-428. 144 Dans son Discours Véritable, Celse se fait l’écho du reproche qui sera souvent opposé au christianisme soupçonné de rompre avec la loi des ancêtres (CELSE, ap. Origène, Contre Celse V,34). Voir à ce sujet, les considérations de Helmut MERKEL, « Das Gesetz im lukanischen Doppelwerk », dans Knut BACKHAUS, Franz Georg UNTERGASSMAIR (éds), Schrift und Tradition. Festschrift J. Ernst , Paderborn et al., Schöningh, 1996, pp. 129-133. 145 Knut BACKHAUS, « Mose und der Mos Maiorum. Das Alter des Judentums als Argument für die Attraktivität des Christentums in der Apostelgeschichte », 2007, p. 422 ; Helmut MERKEL, « Das Gesetz im lukanischen Doppelwerk », 1996, p. 133.

9.5 Le décret des apôtres (15, 20.29 ; 21, 25)

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partenance ethnique au judaïsme. L’auteur des Actes, bien loin de répudier cette attache traditionnelle et nationale au passé fondateur d’Israël, y a veillé. Non seulement à travers la gestion du portrait paulinien, véritable héros de la mos maiorum146, mais aussi par son anamnèse des dovgmata apostoliques (cf. 16, 4). En exigeant quatre abstinences des païens convertis, les apôtres de Jérusalem ont, aux yeux de Luc, plébiscité un modus vivendi qui non seulement évite de porter atteinte à l’ethos du judaïsme, mais qui s’inscrit également dans la continuité des biens cultuels et culturels d’Israël. On comprend désormais aisément la justification qui est donnée du décret au v. 21 : c’est un argument d’ancienneté et d’universalité. Le décret des apôtres prend sa source dans le patrimoine universel et séculaire que constitue la Torah de Moïse, lue et prêchée à travers le monde depuis la nuit des temps, et évite d’y porter ombrage. Dit autrement, l’édit apostolique témoigne du respect inaliénable existant même auprès des païens convertis face à l’ancienneté de Moïse et face aux coutumes qui lui sont associées. Bien loin de les radier, l’Eglise multiculturelle qui émerge de la prédication apostolique leur offre une audience universelle 147. Concluons. Localisé au terme de l’assemblée jérusalémite, après les discours respectifs de Pierre et de Jacques, le décret des apôtres en tire les conséquences à l’égard des païens convertis. Sauvés par grâce tout comme les fils d’Israël, reconnus bénéficiaires de l’élection divine sans l’observance de la Loi, les Gentils qui adhérent à la foi en Jésus Christ n’ont plus besoin d’observer les règles de pureté consignées dans la Torah mosaïque. Nul « joug » ne doit leur être imposé. Seules quatre continences sont rédigées à leur intention. Mais quelle en est la motivation ? le maintien de la Torah comme pierre angulaire du peuple de Dieu ? un compromis pragmatique permettant la cohabitation entre judéo- et pagano-chrétiens ? ou une sommation à délaisser l’idolâtrie païenne pour le Dieu unique du monothéisme d’Israël ? Un regard porté au contexte lucanien nous a convaincus de l’insuffisance de ces 146 Knut BACKHAUS, « Mose und der Mos Maiorum. Das Alter des Judentums als Argument für die Attraktivität des Christentums in der Apostelgeschichte », 2007, p. 422 : « So wird der Missionar zum Heros des mos maiorum ». 147 Knut BACKHAUS, « Mose und der Mos Maiorum. Das Alter des Judentums als Argument für die Attraktivität des Christentums in der Apostelgeschichte », 2007, pp. 424-425 : « Der rätselhafte und umstrittene Satz [15, 21] gewinnt Sinn, sieht man ihn als universalisierende Reprojektion des jüdischen mos ».

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Le récit de l'assemblée de Jérusalem, « charte ecclésiale » des Actes de Luc

trois solutions et nous a mis en quête d’une autre hypothèse de lecture. C’est l’orientation apologétique adoptée par Luc dans sa diégèse qui nous indique la piste à suivre : elle explique son intérêt pour les e[qh de Moïse ainsi que la publicité faite au décret des apôtres. En clair, attentif à défendre la légitimité du mouvement religieux dont il fait le récit, l’auteur à Théophile a pris le soin d’en manifester l’ancienneté et la modération, non seulement en érigeant son héros Paul en apologète des traditions héritées des Anciens, mais aussi en imposant aux chrétiens issus de la gentilité quatre interdits valorisant universellement le patrimoine séculaire de Moïse.

9.6 Conclusion : Ac 15 comme charte d’une Eglise entre continuité et nouveauté 9.6 Conclusion : Ac 15 comme charte d’une Eglise entre continuité et nouveauté Le récit d’Ac 15 est un épisode majeur dans l’intrigue ecclésiale de Luc. Pas tant comme témoin d’une conciliarité embryonnaire que comme document d’une identité en construction. Suite à la conversion du craignant-Dieu Corneille et suite à la percée païenne en Asie Mineure, il devenait en effet urgent d’évaluer l’impact de ce virage missionnaire sur la définition que se donnait la première communauté croyante. Partant, si Ac 10–11 constitue le sommet missionnaire des Actes, Ac 15 est à n’en pas douter son apogée ecclésiologique. C’est à travers les récriminations de chrétiens attachés au pharisaïsme que cette question identitaire va être soulevée. Leur position principielle ne souffre aucune ambiguïté : selon eux, pour être peuple de Dieu et, partant, pour obtenir le salut lié à l’histoire des promesses, les chrétiens issus de la gentilité doivent adopter les observances de la Loi ; en un mot, devenir prosélytes. Extra Israel nulla salus est. On le voit, l’affirmation des croyants débarqués de Judée est autant identitaire que sotériologique : il en va de la délimitation des contours du peuple élu, ou mieux dit de la face sociologique du salut. A ce réquisitoire en règle contre une mission païenne déliée de la Torah rituelle, deux acteurs de premier plan sur la scène des origines chrétiennes vont opposer une argumentation soucieuse de préserver l’affranchissement légal des non-juifs. Le premier accentuera l’irrelevance de la Torah en matière de salut, le second son inanité

9.6 Conclusion : Ac 15 comme charte d’une Eglise entre continuité et nouveauté

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socio-identitaire. En d’autres termes, avec Pierre, l’on découvre que les païens, tout comme les judéo-chrétiens, n’ont pas été sauvés en vertu de la Loi, mais d’un don gracieux du Dieu de Jésus Christ ; avec Jacques ensuite, que leur statut de peuple électif, là encore analogue à celui d’Israël, leur a été octroyé non pas sur la base d’une fidélité à la Torah, mais en accomplissement d’un décret immémorial de Dieu rendu public par les prophètes de l’Israël ancien. Ceci dit, l’équivalence ici posée entre judéo- et helléno-chrétiens ne doit pas masquer deux différences rémanentes, l’une sur le plan historico-salutaire, l’autre au niveau culturel. La première différence est évidente à la lecture de la citation amosienne d’Ac 15, 16-18. Reconnus laov" de Dieu à l’instar du peuple juif, les païens qui se tournent vers le Seigneur n’en sont pas moins seconds au regard du calendrier salvifique : leur quête du Dieu unique n’a été possible qu’en vertu du relèvement de la hutte de David, en l’occurrence en vertu du rassemblement eschatologique d’Israël. On le voit, l’avènement ecclésiologique des nations ne procède pas contre ou en remplacement du peuple juif, mais dans son prolongement empirique et historique. L’autre différence qui demeure entre juifs et païens apparaît en filigrane du décret apostolique : le peuple d’Israël restauré par grâce dans le Nom de Jésus, s’il n’a plus l’utilité de la Torah pour garantir son salut, ne se voit pas pour autant confisquer ce qui assure son identité ethnique, à savoir le respect des coutumes héritées de son grand Kulturbringer. C’est aussi à cela que veille le décret jérusalémite : honorer l’ancienneté de Moïse au sein de l’Eglise naissante, en respectant les traditions singulières des judéo-chrétiens et en risquant une application universelle de ces biens culturels. Un document à la mesure du projet lucanien de civilisation.

Chapitre 10

L’identité chrétienne au risque du monde hellénisé (Actes 17, 16-34) 10.1

Bibliographie

10.1 Bibliographie Dean Philip BECHARD, S.J., Paul Outside the Walls : A Study of Luke’s Socio-geographical Universalism in Acts 14 :8-20 (AnBib 143), Rome, Institut Biblique Pontifical, 2000, pp. 355-431.–Ernst BENZ, « Christus und Sokrates in der alten Kirche : Ein Beitrag zum altkirchlichen Verständnis des Märtyrers und des Martyriums », ZNW 43, 1950-51, pp. 195-224.–Günter BORNKAMM, Gesammelte Aufsätze IV , München, Kaiser Verlag, 1971, pp. 157-158.–François BOVON, L’œuvre de Luc. Etudes d’exégèse et de théologie, Paris, Cerf, 1987, pp. 241-242.–Hans CONZELMANN, « The Address of Paul on the Areopagus », dans Leander E. KECK, J. Louis MARTYN (éds), Studies in Luke-Acts, Philadelphia, Fortress Press, 1980, pp. 217-230.–N. Clayton CROY, « Hellenistic Philosophies and the Preaching of the Resurrection (Acts 1:18, 32) », NT 39/1, 1997, pp. 21-39.–Martin D IBELIUS, « Paulus auf dem Areopag », dans ID ., Aufsätze zur Apostelgeschichte (FRLANT 60), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 19685, pp. 29-70.–ID., « Paulus in Athen », dans ID., Aufsätze zur Apostelgeschichte, 19685, pp. 71-75.– Detlev DORMEYER, « Weisheit und Philosophie in der Apostelgeschichte (Apg 6,1–8,1a und 17,16-34) », dans Martin FASSNACHT, Andreas LEINHÄUPL-WILKE, Stefan LÜCKING (éds), Die Weisheit–Ursprünge und Rezeption. Festschrift K. Löning (NA.NF 44), Münster, Aschendorff, 2003, pp. 155-184.–Marcel DUMAIS, « Le langage évangélique et la vie en cours. Réflexions sur le modèle biblique », Eglise et théologie 7, 1976, pp. 147-170.–ID., « Le Salut en dehors de la foi en Jésus-Christ ? », Eglise et théologie 28, 1997, pp. 179-189.–Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », dans ID., Etudes sur les Actes des Apôtres (LeDiv 45), Paris, Cerf, 1967, pp. 416-419.–ID., « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », dans ID., Nouvelles études sur les Actes

10.1

Bibliographie

347

des apôtres (LeDiv 118), Paris, Cerf, 1984, pp. 380-423.–Walter ELTESTER, « Gott und die Natur in der Areopagrede », dans Neutestamentliche Studien für R. Bultmann (BZNW 21), Berlin, Alfred Töpelmann, 1957, pp. 202-227.–Bertil GÄRTNER, The Areopagus Speech and Natural Revelation (ASNU 21), Lund/Copenhagen, Gleerup/Munksgaard, 1955.–Mark GIVEN, « Not Either/Or but Both/And in Paul’s Areopagus Speech », Biblical Interpretation 3/3, 1995, pp. 356-372.–ID., « The Unknown Paul : Philosophers and Sophists in Acts 17 », SBL 1996 Seminar Papers, pp. 343-351.–Michel GOURGUES, « La littérature profane dans le discours d’Athènes (Ac 17,16-31) : un dossier fermé ? », RB 109/2, 2002, pp. 241-269.–Adolf VON HARNACK, Ist die Rede des Paulus in Athen ein ursprünglicher Bestandteil der Apostelgeschichte ? (TU 39/1), Leipzig, Hinrichs’, 1913.–Hildebrecht HOMMEL, « Neue Forschungen zur Areopagrede Acta 17 », ZNW 46, 1955, pp. 145-178.– ID., « Platonisches bei Lukas », ZNW 48, 1957, pp. 193-200.–Hans-Josef KLAUCK, Magie und Heidentum in der Apostelgeschichte des Lukas (SBS 167), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 1996, pp. 88-111.–Heinz KÜLLING, « Zur Bedeutung des Agnostos Theos. Eine Exegese zu Apg 17,22.23 », ThZ 36, 1980, pp. 65-83.–ID., Geoffenbartes Geheimnis. Eine Auslegung von Apostelgeschichte 17,16-34 (AThANT 79), Zürich, Theologischer Verlag, 1993.–Manfred LANG, Die Kunst des christlichen Lebens. Rezeptionsästhetische Studien zum lukanischen Paulusbild (ABG 29), Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2008, pp. 251-314.– Lucien LEGRAND, « Aratos est-il aussi parmi les prophètes ? », dans Henri CAZELLES (éd.), La Vie de la Parole. De l'Ancien au Nouveau Testament : études d'exégèse et d'herméneutique bibliques offertes à Pierre Grelot, Paris, Desclée de Brouwer, 1987, pp. 241-258.–François LESTANG, « A la louange du dieu inconnu. Analyse rhétorique de Ac 17.22-31 », NTS 52, 2006, pp. 394-408.–Andreas LINDEMANN, « Die Christuspredigt des Paulus in Athen (Act 17, 16-33) », dans ID ., Paulus, Apostel und Lehrer der Kirche. Studien zu Paulus und zum frühen Paulusverständnis, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999, pp. 241-251 (première parution dans Tord FORNBERG, David HELLHOLM [éds], Texts and Contexts. Biblical Texts in Their Textual and Situational Contexts. Festschrift L. Hartman, Oslo et al., Scandinavian University Press, 1995, pp. 245-255).–Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der

348

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

Apostelgeschichte », dans Hildegard TEMPORINI, Wolfgang HAASE (éds), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, vol. II 25.3, Berlin/New York, de Gruyter, 1985, pp. 2604-2646.–ID., « Das Gottesbild der Apostelgeschichte im Spannungsfeld von Frühjudentum und Fremdreligionen », dans Hans-Josef KLAUCK (éd.), Monotheismus und Christologie. Zur Gottesfrage im hellenistischen Judentum und im Urchristentum (QD 138), Freiburg, Herder, 1992, pp. 88-117.–Kenneth D. LITWAK, « Israel’s Prophets Meet Athens’ Philosophers : Scriptural Echoes in Acts 17,22-31 », Bib 85/2, 2004, pp. 199-216.–Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme (Les Actes des apôtres) (LeDiv 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 20032, pp. 104106.–ID., « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », dans ID., L'aube du christianisme (Le Monde de la Bible 60), Paris/Genève, Bayard/Labor et Fides, 2008, pp. 488-490.–Philippe-H. MENOUD, « Jésus et Anastasie », RThPh 32, 1944, pp. 141-145.–Franz M USSNER, « Einige Parallelen aus den Qumran-texten zur Areopagrede », BZ 1, 1957, pp. 125-130.–ID., « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », dans ID., Praesentia Salutis. Gesammelte Studien zu Fragen und Themen des Neuen Testaments, Düsseldorf, Patmos, 1967, pp. 235243.–Agnes A. NAGY, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans György NÉMETH (éd.), Kalendae. Studia Sollemnia in Memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16), Budapest/Debrecen, 2008, pp. 241-264.–Wolfgang NAUCK, « Die Tradition und Komposition der Areopagrede. Eine motivgeschichtliche Untersuchung », ZThK 53, 1956, pp. 11-52.–Eduard NORDEN, Agnostos Theos. Untersuchungen zur Formengeschichte religiöser Rede, Leipzig/Berlin, Verlag Teubner, 1913.–David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, Grand Rapids, Baker, 2000, pp. 193-197.–Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller. Studien zur Apostelgeschichte (SUNT 9), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1972, pp. 19.97-98.–Max POHLENZ, « Paulus und die Stoa », ZNW 42, 1949, pp. 69-104.–Petr POKORN, Theologie der lukanischen Schriften (FRLANT 174), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1998, pp. 132-136.–Karl Olav SANDNES, « Paul and Socrates : The Aim of Paul’s Areopagus Speech », JSNT 50, 1993, pp. 13-26.–Gerhard SCHNEIDER, « Anknüpfung, Kontinuität und Widerspruch in der Areopagrede Apg 17,22-31 », dans Paul-Gerhard

10.2

Remarques préliminaires

349

MÜLLER, Werner STENGER (éds), Kontinuität und Einheit. Festschrift F. Mussner, Freiburg i. Br. et al., Herder, 1981, pp. 173-178.–Pierre-André SCHÜTZ, « La prédication de Paul à Athènes (Actes 17,16-34) et la nôtre en contexte postmoderne », HOKHMA. Revue de réflexion théologique 93, 2008, pp. 20-37.–Jens-Wilhelm TAEGER, Der Mensch und sein Heil. Studien zum Bild des Menschen und zur Sicht der Bekehrung bei Lukas (StNT 14), Gütersloh, Gerd Mohn, 1982, pp. 94-105.132.142-147.– Philip VIELHAUER « Zum “Paulinismus” der Apostelgeschichte » (1950/1951), dans ID., Aufsätze zum Neuen Testament (TB), München, Kaiser Verlag, 1965, pp. 9-27.–Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts (SNTS.MS 23), Cambridge, University Press, 1973, pp. 196-218.–Dean ZWECK, « The Exordium of the Areopagus Speech, Acts 17.22, 23 », NTS 35, 1989, pp. 94-103.

10.2

Remarques préliminaires

10.2 Remarques préliminaires Contrairement aux attentes suscitées par le programme missionnaire fixé en Lc 24, 47-48 (khrucqh'nai […] metavnoian eij" a[fesin aJm artiw'n eij" pavnta ta; e[qnh) et par la vocation de Paul en Ac 9, 151, la mission païenne des Actes n’occupe d’un point de vue strictement quantitatif qu’une part extrêmement dérisoire du récit lucanien. Seuls deux discours, l’un adressé aux barbares de Lystre (14, 15-17), l’autre aux philosophes de l’Aréopage d’Athènes (17, 22-31), mettent en scène la prédication chrétienne à l’endroit des nations, les deux scènes totalisant une trentaine de versets sur les 1000 que comptabilisent les Actes canoniques2. De même, parler d’un franc succès de l’évangélisation païenne chez Luc serait une exagération sans fondement : l’épisode mouvementé de Lystre dérape dans une scène de lynchage collectif, alors que la plaidoirie paulinienne d’Athènes débouche sur une salve de railleries ou, au mieux, sur un ajournement poli. Ailleurs, il est certes fait référence à des conversions païennes suscitées par l’annonce de l’Evangile (13, 12.48 ; 14, 1.21-22.27 ; etc.), mais là encore tempérées par des attitudes d’obstruction à la foi (13, 50 ; 14, 5.19 ; etc.). Bref, il serait faux d’opposer, dans le second tome à Théophile, la faillite de la mission juive à une réussite de l’évangélisation païenne. Les données en pré1 2

Voir également Ac 13, 2.46-47 ; 22, 17-21 ; 26, 17-18.23 ; 28, 28. Voir également Ac 13, 12 ; 14, 21-27 ; 15, 3-4.12 ; 16, 30-34.

350

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

sence semblent nettement plus nuancées et complexes. C’est pourquoi, après avoir investigué le modèle de la mission juive de diaspora fixé en Ac 13, il nous semble important de nous tourner vers une autre scène symptomatique pour le devenir de l’Eglise : l’activité kérygmatique conduite par Paul dans le haut lieu de la culture hellénistique antique. Car, si l’auteur des Actes a réduit au maximum la mission païenne des Actes, il lui a néanmoins réservé deux scènes typiques, l’une dans le cadre d’une ville provinciale peuplée de barbares, l’autre dans la métropole culturelle de l’oikoumenè gréco-romaine. C’est à l’examen de cette seconde péricope que nous consacrerons donc ce chapitre.

10.3 Ac 17 dans l’intrigue des Actes 10.3 Ac 17 dans l’intrigue des Actes L’importance de la scène athénienne pour l’intrigue des Actes est immanquable 3. Un simple regard jeté sur la littérature épistolaire paulinienne laisse déjà apparaître le glissement tant quantitatif que qualitatif : si Paul évoque dans sa correspondance aux Thessaloniciens sa présence dans la capitale culturelle du monde antique (1 Th 3, 1), il ne livre toutefois pas le moindre détail de l’activité missionnaire déployée dans ces lieux. Ni contact avec la Synagogue, ni dialogue avec les philosophes grecs. Nulle lettre adressée aux chrétiens d’Athènes, qu’elle soit authentique ou pseudépigraphe, n’a d’ailleurs été léguée à la postérité. Comme le reconnaît à juste titre Alfons Weiser, le séjour mis-

3

Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 601 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, pp. 354.360 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 231 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 458 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 511 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 637. Contra Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 453, qui tient Ac 17 pour un intermède insignifiant dans l’intrigue ecclésiale des Actes et ne débordant pas la portée strictement anecdotique d’une altercation de Paul avec le paganisme. Il n’hésite d’ailleurs pas à affirmer, dans un jugement à l’emporte-pièce, que l’omission du discours sur l’Aréopage ne changerait pas fondamentalement le visage des Actes canoniques. Il finit par déclarer à la page 455 que cette scène, exceptionnelle dans le récit des Actes, se borne à prononcer un « Non » de l’Eglise à l’endroit du paganisme extra-synagogal. Cette thèse iconoclaste et caricaturale nous renseigne davantage sur les options interprétatives et idéologiques de son auteur que sur la fonction narrative et herméneutique reconnue à la scène athénienne dans l’intrigue des Actes.

10.3

Ac 17 dans l’intrigue des Actes

351

sionnaire de Paul à Athènes ne semble pas avoir eu historiquement le poids que lui concède Luc dans son récit des origines chrétiennes4. Comparée à la scène de Lystre, la stature narrative conférée à la prédication paulinienne d’Athènes s’impose également. Les contrastes entre ces deux scènes païennes des Actes ne sauraient être plus accentués5 : à l’auditoire inculte et sujet à la méprise polythéiste de Lystre se substitue la clique cultivée des philosophes stoïciens et épicuriens d’Athènes6 ; à l’agitation populaire et superstitieuse font place des discussions animées par la curiosité intellectuelle et le désir de savoir ; au cadre géographique d’une bourgade campagnarde d’Asie Mineure fait place le nombril culturel et intellectuel de toute la civilisation grécoromaine (cf. CICÉRON, Pro Flacco 26,62) 7, et singulièrement la colline de l’Aréopage avec son conseil vénérable 8. C’est finalement le soin littéraire apporté à la scène athénienne qui ne manquera pas d’éveiller chez le lecteur le sentiment d’être en face d’un épisode idéal-typique 9 : l’emploi d’un vocabulaire inhabituel et/ou hellénisant (oJ spermolovgo" ; kovsmo" ; qerapeuvw pour désigner le service divin ; oJroqesiva ; cavragma ; pivsti" au sens de preuve), le recours au mode verbal raffiné de l’optatif (v. 18 : tiv a]n qevloi ; v. 27 : eij … eu{roien), l’usage de figures rhétoriques – la polyptote (vv. 24-25 : pavnta/pa'si/pavnta ; v. 26 : pa'n/pantov" ; vv. 30-31 : pavnta"/pantacou'/pa'sin), la paréchèse (v. 25 : zwh;n kai; pnohvn), l’allitération (v. 27 : eJno;" eJkavstou hJmw'n uJpavrconta ; v. 31 : pivstin parascw;n pa'sin) 10 – ou encore l’emploi atticisant du couple 4

5

6 7

8 9 10

Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 457 : « Einen Höhepunkt seiner Wirksamkeit hat Paulus im Athen-Aufenthalt nicht gesehen ». Même constat chez Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 384. Sur la perspective universaliste et inclusive qui sous-tend ce contraste géographique et culturel entre Lystre et Athènes, voir Dean Philip BECHARD, Paul Outside the Walls, 2000, pp. 372-377. Cf. Max POHLENZ, « Paulus und die Stoa », 1949, p. 83 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 255. Martin DIBELIUS, « Paulus in Athen » (1939), 1956, p. 73 : « […] hier ist das Tor zur Weisheit » ; Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31) . Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 384-385. Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, p. 98 : « Man diskutiert zudem auch nicht irgendwo in Athen, sondern auf dem Areopag ». Cf. Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 228. Martin DIBELIUS, « Paulus auf dem Areopag » (1939), 1956, p. 54, note 1 ; Manfred LANG, Die Kunst des christlichen Lebens , 2008, p. 266 ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 230.

352

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

levgein h] ajk ouvein ainsi que du comparatif kainovteron (v. 21)11 en sont différents exemples. Bref, se pliant à la rhétorique antique de l’imitatio, l’auteur des Actes a soigneusement ciselé le récit d’Ac 17 pour en faire un épisode à la grecque . Tout laisse ainsi penser que le discours tenu par Paul sur l’Aréopage d’Athènes possède une fonction-clef dans l’intrigue lucanienne, condensant dans un épisode typé une dimension programmatique pour l’identité ecclésiale 12 : il s’agit là de la rencontre per definitionem entre la chrétienté naissante et l’univers intellectuel païen. Bref, si Ac 13 officie en tant qu’exemple de la mission paulinienne face au judaïsme de la Golah et Ac 20 en tant que modèle de la prédication apostolique adressée aux communautés chrétiennes, Ac 17 et la scène athénienne sont représentatifs chez Luc de l’évangélisation paulinienne face à la sagesse grecque 13.

10.4 Structure de l’épisode 10.4 Structure de l’épisode Il est intéressant de noter que la structure ternaire identifiée en Ac 13 et vérifiée tout au long de la mission paulinienne des Actes (1. activité missionnaire débouchant sur une réaction bienveillante ; 2. second temps sanctionné par une volte-face de l’auditoire ; 3. départ de l’évangéliste et rémanence d’un cercle de disciples) se retrouve également en Ac 17, avec – il est vrai – de symptomatiques altérations. Le premier temps dudit scénario correspond aux vv. 16-21 et relate l’activité d’évangélisation conduite par Paul à Athènes, avec comme champs d’action la synagogue et l’agora. Sa prédication est christologi11 12

13

Eduard NORDEN, Agnostos Theos, 1913, pp. 333-335. Eckhard P LÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, pp. 97-98, a bien reconnu la concrétion en Ac 17, 16-33 du style épisodique employé ailleurs dans les Actes et consistant à illustrer à travers une scène particulière un énoncé thétique. Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 382 : « Cette carrière missionnaire de Paul est elle-même jalonnée par trois grands discours : au début, dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, un exemple de prédication missionnaire à l’adresse d’un auditoire juif (13, 16-41) ; au milieu, le discours d’Athènes devant des auditeurs païens (17, 22-31) ; en conclusion, le testament pastoral adressé aux Anciens de l’Eglise d’Ephèse, seul exemple de prédication concernant des chrétiens (20, 18-35) » ; Adolf VON HARNACK, Ist die Rede des Paulus in Athen ein ursprünglicher Bestandteil der Apostelgeschichte ?, 1913, pp. 7-8 ; cf. aussi Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 509 : « […] es war gleichsam eine Art Programm für die Mission ».

10.4

Structure de l’épisode

353

que et attise la curiosité des philosophes athéniens, sollicitant de l’apôtre de plus amples développements (vv. 19b.20b). Le deuxième temps missionnaire aura pour cadre l’Aréopage cette fois-ci, où Paul a été conduit par ses interlocuteurs grecs, et fera droit à un long discours culminant dans un appel à la repentance fondé dans une lecture apocalyptique du kérygme. La réaction est ici en double teinte : certains raillent Paul, d’autres ajournent l’entretien à un moment indéterminé. Finalement, le départ de Paul est également évoqué (v. 33) dans une formulation étrangement proche de celle employée en Lc 4, 30 pour signifier l’extraction de Jésus hors de l’étau mortifère des Nazaréens. A cela s’ajoute une notice conclusive dévoilant l’existence de nouveaux adhérents à la foi dans la capitale culturelle du monde antique (v. 34). Cela dit, ces analogies structurelles relevées entre les scènes juives et païennes de la mission paulinienne des Actes ne doivent pas nous conduire à négliger les écarts existant. La première différence notable tient au fait qu’il n’est pas ici question d’une réorientation de la mission chrétienne suite au rejet grec ni d’un transfert de l’évangéliste Paul dans d’autres lieux d’enseignement. Ensuite, si l’apôtre prêche comme ailleurs dans la synagogue de la ville, il le fait concomitamment à une activité évangélisatrice localisée sur la place publique. Finalement, la seconde réaction de l’auditoire paulinien, si elle a abandonné la bienveillance initiale, ne dérape pas pour autant dans des mesures violentes prises à l’encontre du prédicateur. Sur ce point cependant, il est à concéder que le séjour athénien de Paul n’est pas vierge de toute menace, comme le laissent penser deux indices : d’une part le jeu d’échos évoqué ci-dessus avec la scène de la synagogue de Nazareth (Lc 4, 1630), d’autre part les analogies entre Paul et Socrate infiltrant le récit d’Ac 17 (cf. infra) 14. Que nous apprennent ces parentés structurelles ? Pas plus que l’évangélisation juive de diaspora, la mission païenne des Actes n’est un franc succès. Au contraire, la scène exemplaire d’Athènes fait se succéder accueil favorable et distanciation moqueuse. Programmatique, l’épisode d’Ac 17 dévoile ainsi les données futures de la proclamation chrétienne au cœur de l’univers païen : elle oscillera entre ombres et 14

Bien vu par Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 507 : « […] der Leser fühlt, dass sich Paulus hier auf ein gefährliches Abenteuer einlässt, und atmet befreit auf, wenn Paulus schliesslich “aus ihrer Mitte geht”. ».

354

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

lumières, recueillant tantôt des sarcasmes tantôt l’accueil favorable des plus influents d’entre eux, à l’instar de Denys l’Aréopagite. Affinons maintenant l’organisation du discours tenu par Paul face au conseil de l’Aréopage. Les tentatives de structuration sont multiples au sein de la recherche moderne 15. Nous suivrons ici une approche thématique organisée autour des trois négations rythmant le discours paulinien16 : Dieu n’habite pas dans des temples faits de main d’hommes ; Il n’est pas servi par des mains humaines ; Il n’est pas semblable à des idoles d’or, d’argent ou de pierre. Embrayant son discours en faisant l’éloge de la religiosité athénienne, Paul en prend à témoin le monument dédié au « dieu inconnu », énonçant ainsi le thème directeur de sa harangue. C’est en effet ce « dieu inconnu », vénéré sans le connaître par les Grecs, que l’évangéliste Paul va annoncer. Bref, les vv. 22b-23 introduisent sous la forme d’un exorde, incluant l’habituelle captatio benevolentiae, la cause à plaider. L’argumentation proprement dite prend place aux versets 24-29, corps du discours, et déploie à côtés d’affirmations positives sur le Dieu créateur une théologie négative, autrement dit une approche apophatique du divin. Comme dit, ce sont trois négations qui se succèdent, délimitant ainsi trois temps dans l’argumentation de Paul : 1) Dieu déborde infiniment les demeures faites de mains d’hommes et ne peut être capté , car Il est le Dieu créateur de l’univers, maître du ciel et de la terre (v. 24) ; 2) Dieu n’est pas un être dans le besoin, dans la mesure où inversement c’est lui qui a présidé et préside encore aux destinées de l’humanité, conférant à ses créatures vie, mouvement et être (vv. 25-28) ; 3) le divin n’est pas réductible à des idoles matérielles, comme en témoigne l’examen de notre propre nature humaine, elle-même issue de la race de Dieu (v. 29). Finalement, surgit l’application existentielle de cette annonce du « dieu inconnu » : elle met non seulement fin aux « temps d’ignorance » qui ont marqué jusqu’ici la quête religieuse grecque, mais surtout enjoint tout un chacun à se repentir (v. 30). Cet appel à la conversion est mo15 16

A ce sujet, Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 387-391. Cf. Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 396 : « Ce que le discours veut faire ressortir avant tout, c’est que Dieu n’habite pas dans des temples faits de main d’homme, qu’il n’est pas servi par des mains humaines, qu’il n’est pas semblable à des représentations en or, en argent, en pierre » (l’auteur souligne).

10.5

Un discours à double entrée

355

tivé (cf. kaqovti) par le dévoilement du jugement à venir que rendra l’homme relevé d’entre les morts par Dieu (v. 31).

10.5 Un discours à double entrée 10.5.1

10.5 Un discours à double entrée Des traditions bibliques et extra-bibliques

Le jeu de traditions sous-jacent au discours paulinien sur l’Aréopage n’a cessé d’alimenter les discussions exégétiques17. A l’heure actuelle, le débat est loin d’être clos. Depuis les travaux publiés par Martin Dibelius dans la première moitié du 20ème siècle 18, un courant important de la recherche moderne a ainsi sondé le discours paulinien face à l’Aréopage pour en exhumer de possibles traits et motifs empruntés à la culture hellénistique 19. Gonflant le dossier textuel, pourtant déjà touffu, constitué par Dibelius en accumulant de nouveaux parallèles issus de la littérature grecque, cette veine exégétique a le plus souvent offert sa caution à l’hypothèse de l’exégète d’Heidelberg, selon qui Ac 17, 22-31 serait en fait « eine hellenistische Rede von dem wahren Gottesdienst »20 appuyé non pas sur la conceptualité biblique, mais sur un système de pensée philosophique 21. Dit autrement, le discours sur l’Aréopage constituerait au sein de la littérature néotestamentaire un corps étranger de facture hellénistique. D’autres exégètes cependant,

17

18 19

20 21

Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, pp. 230-231 : « Die entscheidende Frage für die Beurteilung der Rede ist, ob darin tatsächlich die nicht-biblischen Gedanken und Wendungen das Uebergewicht haben oder aber doch die biblischen ». Martin DIBELIUS, « Paulus auf dem Areopag » (1939), 1956, pp. 29-70 ; ID., « Paulus in Athen » (1939), 1956, pp. 71-76. Marc DELAGE, « Résonances grecques dans le discours de saint Paul à Athènes », BAGB 3, 1956, pp. 46-49 ; Hildebrecht HOMMEL, « Neue Forschungen zur Areopagrede Acta 17 », 1955, pp. 145-178 ; ID., « Platonisches bei Lukas », 1957, pp. 193-200 ; Michel GOURGUES, « La littérature profane dans le discours d’Athènes (Ac 17,16-31) : un dossier fermé ? », 2002, pp. 241-269 ; Max POHLENZ, « Paulus und die Stoa », 1949, pp. 69-104. « Paulus auf dem Areopag » (1939), 1956, p. 54 ; ID., « Paulus in Athen » (1939), 1956, pp. 72-73. Martin DIBELIUS, « Paulus in Athen » (1939), 1956, p. 74 : « Und was sich hier, sehr früh, aber schon sehr einseitig zeigt, ist die Art, wie eine christliche Theologie nicht mit biblischen, sondern mit philosophischen, zumal stoischen Gedanken aufgebaut wird » ; dans ce sens également Max POHLENZ, « Paulus und die Stoa », 1949, p. 95, selon qui Luc « übernimmt einen geschlossenen Gedankengang, eine heidnische Theorie der natürlichen Gotteserkenntnis ».

356

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

soucieux de relativiser le caractère décisif de ces ponctions faites dans la littérature profane 22, ont entrepris l’inventaire des multiples échos et équivalences scripturaires dont est constellé le discours athénien de Paul23, entérinant la conclusion lapidaire, mais extrêmement suggestive d’Eduard Norden : « jüdisch-christliches Grundmotiv, stoische Begleitmotive » 24. En d’autres termes, loin d’être déterminants, les traits gréco-stoïciens arborés par le discours paulinien serviraient de simple verni à un matériau de base foncièrement biblique 25. On le voit, deux grands courants agitent en profondeur l’océan exégétique que constitue le discours d’Ac 17, 22-31. Plus récemment, des voies médianes se sont également profilées, soucieuses de rendre justice tant aux composantes scripturaires qu’aux caractéristiques grecques affichées par la harangue paulinienne 26, lui attribuant le plus souvent une origine juivehellénistique 27. C’est en effet dans ce cadre culturel et religieux que, selon le principe de l’interpretatio graeca, les concepts bibliques attestés dans le discours d’Ac 17 auraient été relus et/ou forgés à l’aide de caté-

22

23 24

25

26

27

Voir de manière exemplaire la réponse critique de Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, pp. 242-243, note 16, à la thèse de Martin Dibelius : « Die Areopagrede ist ein kunstvolles Ganzes ; ihre Zerlegung in “Motivgruppen” mag methodisch vorteilhaft sein, darf aber nicht dazu führen, gerade die Funktion des Anfangs- und Schlusskerygmas im Ganzen der Rede zu übersehen, weil doch gerade dieses Rahmenkerygma die Rede als eine christliche qualifiziert, den einzelnen Motiven einen neuen Sinn verleiht und so den “philosophischen” Charakter der Rede auf ein Minimum reduziert » (nous soulignons). Voir surtout Bertil GÄRTNER, The Aeropagus Speech and Natural Revelation, 1955, pp. 146s. Eduard NORDEN, Agnostos Theos, 1913, pp. 3-30. On retrouve ensuite cette expression chez Wolfgang NAUCK, « Die Tradition und Komposition der Areopagrede. Eine motivgeschichtliche Untersuchung », 1956, p. 31 ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 103 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 235 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 648. Cf. Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 636 : « Dass freilich die Anknüpfung an hellenistisch-stoische Motive […] der biblischen Schöpfungstheologie […] untergeordnet bleibt (und von ihr auch “korrigiert” wird), ergibt sich aus folgender Beobachtung : Lukas übernimmt eigentlich nur 2 (zusammenhängende) Motive, die rein stoisch sind […] ». Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, pp. 822-855 ; Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 403 ; Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, pp. 602-603 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte , II, 1985, pp. 478-480 ; Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, pp. 196-215. Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 103 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 255-256.

10.5

357

Un discours à double entrée

gories hellénistiques. Outre ces travaux intéressés à l’histoire des traditions, quelques contributions plus récentes ont examiné cette question d’un point de vue narratologique, réévaluant le double ancrage traditionnel du discours à partir de la position du lecteur implicite 28 ou investiguant la fonctionnalité littéraire réservée dans le programme lucanien à cette ambivalence sémantique 29. On le voit, le champ est miné. Pour y progresser sans risque, nous avons commencé par inventorier dans le tableau disposé ci-après les parentés tant conceptuelles que lexicales existant entre Ac 17, 22-31 et la tradition hellénistique, respectivement la tradition judéo-biblique. Discours sur l’Aréopage 1 7, 22-2 3 deisidaimonev stero"

Parallèles hellénistiques

Parallèles bibliques et juifs

Penchant religieux, tantôt valorisé (XÉNOPHON, Cyropédie 3,3,58), tantôt disqualifié (PLUTARQUE, De Superstitione 1,164-165)

Cf. Ac 25, 19

Dieu, le créateur

PLATON, Timée 28c.76c /EPICTÈTE, Entretiens 4,7,6

Gn 1, 1/Es 42, 5 ; 45, 18/Sg 9, 1/etc.

du monde (kovsmo")

EPICTÈTE, Entretiens 4,7,6 /Corpus Hermeticum 4,1

Sg 9, 9/2 M 7, 23/4 M 5, 25

et de tout ce qui s’y trouve

EPICTÈTE, Entretiens 4,7,6

Ex 20, 11/Ps 145, 6LXX/Es 42, 5/1QH 1,13-15

17, 24

28

29

Mark Given considère en effet que le discours d’Ac 17 joue délibérément à l’aide de vocables à double-entendre, technique que seul le lecteur implicite est à même de discerner. C’est, selon lui, pour n’avoir pas adopté ce point de vue omniscient que les chercheurs empruntant la voie historico-critique ont abouti à l’impasse dans laquelle se trouve à l’heure actuelle la mise en valeur de l’héritage traditionnel du discours sur l’Aréopage (ID., « Not Either/Or but Both/And in Paul’s Areopagus Speech », 1995, pp. 356-372). A la suite de Marcel Dumais, Daniel MARGUERAT (La première histoire du christianisme, 20032, pp. 104-106) a en effet reconnu dans ce dédoublement sémantique la concrétion langagière du programme théologique lucanien, un programme simultanément orienté vers Jérusalem et Rome. En clair, le discours athénien s’offrirait à une lecture ambivalente, culturellement différenciée, et en refuserait toute réduction, témoignant ainsi de la double disponibilité religieuse du kérygme christologique, à la fois accomplissement de l’espérance d’Israël et aboutissement de la quête païenne du « dieu inconnu ».

358

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

entendu comme seigneur/maître du ciel et de la terre

Es 42, 5 ; 45, 18

n’habite pas dans des tem- PLUTARQUE, De Repugnantiis ples faits de main d’hommes Stoicorum 6,1034b/Sénèque apud LACTANCE, Divinae Institutiones 6,25

1 R 8, 17/Es 66, 1-2/FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 8,227ss/Oracles sibyllins 4,8-11/cf. Ac 7, 48

est employé en grec profane : par ex. chez HÉRODOTE, Histoires 1,195

est employé dans la Septante dans le cadre de la polémique contre les idoles païennes : Lv 26, 1/Es 2, 18 ; 10, 11 ; 16, 12 ; 19, 1 ; 21, 9 ; etc./Dn 5, 4.23 ; 6, 28/PHILON, De Vita Mosis 1,303 ; 2,165.168

Il n’est pas servi par des mains humaines

SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius 41,1

Ps 50, 8-13

qerapeuvein

Le verbe qerapeuv ein est souvent employé en grec profane pour désigner le culte rendu au divin : DION CHRYSOSTOME, Discours olympiques 12,60/PLATON, Lois 4,716d ; 11,930e

Par contre, qerapeuv ein avec un sens religieux ne se retrouve que dans le judaïsme hellénistique : PHILON, De Specialibus Legibus 2,167/FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 3,206 ; 18,14.

Comme s’il avait besoin de quelque chose

PLATON, Timée 33d.34b /PLUTARQUE, Moralia 1052a /EURIPIDE, Hercule 13451346/SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius 4,95,47-49/Corpus Hermeticum 5,10

2 M 14, 35/3 M 2, 9/PHILON, De Specialibus Legibus 1,271/FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 8,4,3

C’est lui qui donne à tous

APULÉE, De Platone 1,5/SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius 4,95,50

Es 42, 5

ceiropoivhto"

1 7, 25-2 8

la vie et le souffle et toutes choses A partir d’un seul,

Gn 2, 7/Es 42, 5/Sg 1, 7.14/2 M 7, 23 Pris au neutre = réf. à l’unité originelle de l’humanité

Pris au masculin = réf. historique à Adam :

10.5

359

Un discours à double entrée

soutenue par la philosophie Gn 2, 7-8/Lc 3, 38 stoïcienne : SEXTUS, Adversus Mathematicos 9,61

il a fait toute l’humanité/chaque peuple d’entre les hommes

toute l’humanité : ARATOS, Phaenomena 5

pour habiter sur toute la surface de la terre ayant défini des temps déterminés et les limites de leur habitat

chaque peuple : Gn 5 ; 10 ; 11, 9/Dt 32, 8

Gn 2, 6 ; 4, 14 ; 7, 23 ; 11, 4.8.9b/Dt 6, 7 ; 7, 6 kairoiv pris au sens des saisons : AELIUS ARISTIDE, In Jovem 24/CICÉRON, De Natura Deorum 2,19,49

kairoiv (saisons) et oJroqesivai (espaces créés différenciés du chaos) : Gn 1, 9-10.14 ; 8, 21-22/Jr 5, 2225 ; 31, 35 ; 38, 36/Jb 38, 811/Ps 74, 12-17/Pr 8, 28-29

On retrouve dans la littérature grecque le lieu commun de la limite naturelle assignée à la mer par rapport à la terre ferme : Corpus Hermeticum 5,4 oJroqesivai au sens des frontiè- kairoiv et oJr oqesivai au sens historique et politique : Gn res nationales : P S-GALIEN, 10/Dt 32, 8/Jb 12, 23/etc. Definitiones Medicae 19,349

afin qu’ils cherchent Dieu

lui qui du moins n’est pas loin de chacun de nous

La quête de la vérité/du divin comme mouvement rationnel : XÉNOPHON, Memorabilia 1,1,15/PLATON, Apologie 19b.23b/Gorgias 457d/République 449a Par ailleurs, l’idée que Dieu puisse être reconnu à partir de l’observation des éléments mondains est bien attestée chez les Grecs : CICÉRON, De Natura Deorum 2,5,15 ; 2,41,153/DION CHRYSOSTOME, Discours olympiques 12,32

La quête de Dieu comme démarche existentielle et volontariste : Dt 4, 29/Jr 29, 13/Es 55, 6 ; 58, 2/Am 5, 6.14 ; 8, 12/Ps 14, 2 ; 24, 6/53, 3 ; etc./1 Ch 22, 19a ; 28, 9b

Il s’agit là d’un topos cher à la philosophie grecque : DION CHRYSOSTOME, Discours olympiques 12,27-28 /SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius 41,1-2 ; 120,14

Ce motif de la proximité divine est également attesté dans la tradition biblique et juive : Dt 4, 7.30/Ps 139, 510/FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 8,108

360

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

En lui en effet, nous avons vie, mouvement et être

PLATON, Timée 37c/PLUTARQUE, De Tranquilitate Animi 20,477cd

Car nous sommes de sa race Citation d’ARATOS, Phaenomena 5 1 7, 29 Nous ne devons pas penser que le divin est semblable à de l’or, de l’argent ou de la pierre travaillés par l’art et l’imagination de l’homme

LUCRÈCE, De Rerum Natura 1,63-80/PLUTARQUE, Moralia 6,167d/SÉNÈQUE, Lettres à Lucilius 31,11

Es 40, 18-20 ; 44, 9-20 ; 46, 17 ; etc./Sg 13–15/PHILON, De Vita Contemplativa 7 ; De Decalogo 66

to; qei'on

DION CHRYSOSTOME, Discours olympiques 12,60/ HÉRODOTE, Histoires 3,108,2 /THUCYDIDE, La Guerre du Péloponnèse 5,70/ XÉNOPHON, Cyropédie 4,2,15

FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 1,85.194 ; 2,275 ; etc.

17, 30-3 1

du fait qu’il a fixé un jour où il va juger le monde habité avec justice pivsti"

Ps 9, 9 ; 95, 13bLXX ; 97, 9LXX

a en grec profane le sens de preuve : P LATON, Phèdre 70b /EPICTÈTE, Entretiens 1,28,3

constitue dans le lexique néotestamentaire un vocable incontournable pour exprimer la foi en Dieu (Mc 11, 22 ; 1 Th 1, 8), la confiance fondée en Jésus Christ (Ac 20, 21 ; 24, 24 ; 26, 18 ; etc.)

Le tableau des parallèles grecs et bibliques dressé ci-dessus est éloquent : non seulement le vocabulaire, mais avant tout la conceptualité déployée par la plaidoirie paulinienne sur l’Aréopage sont à double entrée 30 ; les intertextes conviés par la lecture sont autant nourris des penseurs grecs, de prédilection stoïciens, que des auteurs de la Septante. Ce faisant, tant l’hypothèse d’un discours biblique revêtu de ca30

Cf. Mark GIVEN, « Not Either/Or but Both/And in Paul’s Areopagus Speech », 1995, pp. 356-372 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 104-106 ; ID., « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », 2008, pp. 469-498.

10.5

Un discours à double entrée

361

tégories hellénistiques que la thèse d’une harangue foncièrement grécostoïcienne sont trop courtes : Ac 17, 22-31 s’offre à deux lectures, culturellement et linguistiquement situées, et ne les réduit pas l’une à l’autre. Nous sommes en présence d’un exemple magistral d’ambivalence sémantique, procédé rhétorique dont est friand l’auteur anonyme des Actes31. Dans son discours commandé face aux philosophes d’Athènes, le Paul de Luc ne se contente pas simplement d’adapter sa théologie à l’encyclopédie culturelle de son auditoire. Au contraire, le pont jeté en direction du continent païen et de son système de pensée demeure fortement arrimé à un rivage marqué par une théologie scripturaire de la création. On a là un exemple typique de la construction inclusive du récit lucanien des origines chrétiennes : ouvrir la chrétienté naissante à l’univers gréco-romain ne conduit jamais l’auteur des Actes à liquider son passé juif. L’un ne va pas sans l’autre. Cela ne revient pas encore à dire que Luc rechercherait une articulation lisse et une superposition artificielle de ces deux filières religieuses et culturelles. C’est bien l’inverse qui est vrai : dans le programme de civilisation promu par l’auteur à Théophile, les traditions juives et grecques dont hérite la chrétienté ne sont pas fusionnées, mais mises en tension. Nous reviendrons dans la suite de ce chapitre sur la fonction théologique reconnue chez Luc à cette ambivalence traditionnelle. A ce stade de notre enquête, il convient encore de noter que cette stratégie d’amphibologie développée systématiquement dans le discours-programme de l’Aréopage n’est pas la seule marque textuelle du programme lucanien d’intégration : il possède dans la composition du portrait paulinien son pendant actoriel. Voyons comment. 10.5.2

Paul, prophète ou philosophe ?

La même hésitation se reconnaît à l’examen de la figure paulinienne esquissée en Ac 17 : Paul est-il campé sous les traits d’un prophète de l’Israël ancien ou se glisse-t-il dans le manteau de Socrate, le philosophe grec par excellence ? A la suite de Justin Martyr32, il est devenu un lieu 31 32

Thèse défendue par Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 101-110. Dans sa deuxième Apologie (10,5-6) en effet, JUSTIN MARTYR ne répugne pas à placer dans la bouche de Socrate, comparé au Christ, les paroles tenues par Paul sur l’Aréopage d’Athènes (Ac 17, 23). Partant, Ernst Benz en tire la conclusion suivante :

362

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

commun exégétique de situer Paul à l’ombre de Socrate, voire de l’élever au rang de « Socrate chrétien » 33. Ceci dit, le relevé précis des parallèles socratiques dans la scène athénienne ne fait pas l’unanimité des chercheurs : la classe exégétique dans sa grande majorité se cantonne aux ressemblances identifiées dans le cadre narratif d’Ac 17, alors que plusieurs exégètes ont détecté des infiltrations socratiques jusque dans le corps du discours paulinien. Reproduisons succinctement les différents arguments en présence. Commençons par les analogies pointées dans la section narrative (vv. 16-22a). Elles sont immanquables : comme Socrate, Paul est dit s’entretenir quotidiennement sur l’agora d’Athènes avec ceux qu’il est appelé à rencontrer (dielevgeto34 ejn th'/ ajgora'/35 pro;" tou;" paratugcavnonta" 36) ; comme lui, il est accusé d’annoncer des « divinités étrangères » (xevnwn daimonivwn dokei' kataggeleuv" ei\nai) et d’exposer une « nouvelle doctrine » (hJ kainh; au{th hJ uJpo; sou' laloumevnh didachv) 37. Finalement, l’apostrophe « hommes Athéniens » avec laquelle Paul ouvre son discours a aussi été

33

34 35 36 37

« Der Philosoph, der die Athener “dem unbekannten Gott zuwandte” und sie lehrte, den Logos zu suchen und zu erkennen, erscheint hier als der frühergeborene Bruder des Apostels, der denselben Athenern, die dem unbekannten Gott einen Altar errichtet hatten, das Wesen dieses Gottes offenbart » (ID., « Christus und Sokrates in der alten Kirche : Ein Beitrag zum altkirchlichen Verständnis des Märtyrers und des Martyriums », 1950-51, pp. 206-207). Voir entre autres : Loveday C.A. ALEXANDER, « Acts and Ancient Intellectual Biography », dans Bruce W. WINTER, Andrew D. CLARKE (éds), The Book of Acts in Its First Century Setting. Vol I : The Book of Acts in Its Ancient Literary Setting, Grand Rapids/Eerdmans, 1993, pp. 57-63 ; ID., Acts in Its Ancient Literary Context. A Classicist Looks at the Acts of the Apostles, London/New York, T&T Clark, 2005, pp. 6168 ; Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, pp. 828-831 ; Mark GIVEN, « The Unknown Paul : Philosophers and Sophists in Acts 17 », 1995, pp. 343-351 ; ID., « Not Either/Or but Both/And in Paul’s Areopagus Speech », 1995, p. 365 ; Kirsopp LAKE, Henry J. CADBURY, The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, p. 212 ; Eckhard PLÜMACHER, Lukas als hellenistischer Schriftsteller, 1972, p. 98 (pour la démonstration, ibid., p. 19) ; ID., art. « Apostelgeschichte », TRE III, Berlin/New York, de Gruyter, 1978, p. 517 ; Agnes A. NAGY, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », 2008, pp. 241-264 ; Karl Olav SANDNES, « Paul and Socrates : the Aim of Paul’s Areopagus Speech », 1993, surtout pp. 21-22 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 458.464. PLATON, Apologie 33ab ; République 454a ; DIOGÈNE LAËRCE, Vies 2,20.45.122. PLATON, Apologie 17c.30b ; XÉNOPHON, Memorabilia 1,1,10. PLATON, Apologie 29d. PLATON, Apologie 24bc.26b ; Euthyphron 2c.3b ; XÉNOPHON, Memorabilia 1,1,2.

10.5

Un discours à double entrée

363

comptée au nombre des échos socratiques potentiels38. Bref, le cadre narratif d’Ac 17 semble installer une scène à la Socrate, induisant ainsi un jeu de correspondances entre Paul et le grand philosophe grec, et préparant à la lecture du discours délivré sur l’Aréopage. Mais les ressemblances s’épuisent-elles au seuil de la harangue paulinienne ? Pas sûr. L’intrigue gnoséologique qui parcourt la scène d’Ac 17 (cf. la rafale de termes construits sur la racine gno-/gnw- en 19b.20b.23b.c.30a) et enserre le discours paulinien autour du double constat d’ignorance dans laquelle gisent les Athéniens (vv. 23b.30a) fait déjà entrevoir une similitude avec Socrate : tout comme Paul, ce dernier aussi œuvrait à démasquer les faux savants et à les acculer à un aveu d’ignorance 39. Bien plus, l’évangéliste des nations semble adopter la méthode discursive chère à Socrate, sa fameuse « dialectique ». Dans la pratique socratique en effet, le dialogue embraye toujours à partir des croyances les plus assurées de ses interlocuteurs. Par un jeu subtil de questions et d’objections distillées au compte-gouttes, Socrate parvient alors à éveiller leur curiosité et à déconstruire progressivement leur savoir initial. Au final, l’interlocuteur du grand philosophe doit confesser de lui-même son ignorance, ce qui le conduit soit à rejeter l’enseignement socratique, soit à y adhérer. Excepté l’absence de questionnement, ce procédé rhétorique d’insinuatio (ou d’exorde indirect) ne semble pas étranger à l’argumentation conduite par Paul en Ac 17 : c’est du monument athénien en l’honneur du « dieu inconnu » que procède en effet son discours. Par ailleurs, comme nous l’avons détaillé dans le tableau ci-dessus, la suite du parcours argumentatif puise abondamment dans le patrimoine philosophique grec et n’hésite pas à s’adosser à la tradition poétique représentée par Aratos. Bref, le terrain d’entente déployé entre le prédicateur de l’Evangile et les philosophes grecs ne saurait être plus vaste. Pourtant en même temps, les écueils s’amoncellent devant les auditeurs de Paul et leur barrent la route d’une connaissance naturelle du divin (vv. 23c et 27b) : sans s’en rendre compte, les Athéniens glissent progressivement dans un état d’ignorance, scellé au terme du discours (v. 30) ; les sages épicuriens et stoïciens se retrouvent in fine cancres à l’école de la connaissance. On le voit, Socrate semble couvrir de son ombre non seulement la scène 38 39

PLATON, Apologie 17a. PLATON, Apologie 21bc.

364

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

d’ouverture, mais également le corps du discours sur l’Aréopage, et peut-être même jusqu’à son dénouement40. Contrastant ces résultats exégétiques, plusieurs lecteurs de Luc ont retenu, non pas la dimension philosophique émergeant du portrait paulinien, mais sa ressemblance avec les prophètes de l’Israël ancien. La formulation la plus limpide de cette thèse se trouve sous la plume de Gustav Staehlin : « Paulus steht nicht als Philosoph unter den Philosophen, sondern als Prophet » 41. De quels arguments se nourrit cette hypothèse ? Ils sont de deux types : langagiers et intertextuels. Sur le plan linguistique, il a été relevé que le lexique employé pour décrire l’activité paulinienne d’Athènes est celui de la prédication de conversion et non celui de l’enseignement philosophique (v. 18 : kataggeleuv"/eujhggelivzeto ; v. 23 : kataggevllw ; v. 30 : paraggevllei) 42. Quant à la voie intertextuelle, elle a été récemment empruntée par Kenneth Litwak43. Ce dernier montre que les parallèles scripturaires convoqués à la lecture/l’audition du discours d’Athènes, tout spécialement la polémique anti-idolâtre d’Esaïe (Es 40–48)44, servent à aligner Paul sur la prédication des prophètes de l’Israël ancien45. L’auteur soutient également, de manière séduisante pensons-nous, que l’intrigue

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Cf. Agnes A. NAGY, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », 2008, p. 255, qui découvre certaines similitudes entre le sort réservé à Paul et celui jadis infligé à Socrate : tous les deux sont rejetés par la majorité des Athéniens, alors qu’une poignée de disciples leur reste solidaire. Seule différence, pourrait-on alléguer, Paul quitte la ville d’Athènes sans être menacé (17, 33), ce qui ne fut bien entendu pas le cas du philosophe grec qui refusa obstinément de se soustraire à la peine capitale prononcée à son encontre. Die Apostelgeschichte, 1962, p. 232. A sa suite, Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 413-414 ; Kenneth D. LITWAK, « Israel’s Prophets Meet Athens’ Philosophers : Scriptural Echoes in Acts 17,22-31 », 2004, pp. 199-216. Cf. Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 413-414. Voir aussi Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 255 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 468-469. « Israel’s Prophets Meet Athens’ Philosophers : Scriptural Echoes in Acts 17,22-31 », 2004, pp. 199-216. Avant lui David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 193-197. « Israel’s Prophets Meet Athens’ Philosophers : Scriptural Echoes in Acts 17,22-31 », 2004, p. 211 : « When Paul is presented as saying the same kinds of things that Israel’s prophets from the past said about idols, Luke’s audiences will naturally interpret Paul’s speech, based on this “prophetic” discursive framing as anti-idol polemic in the mold of the prophet of old ».

10.6

Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne

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gnoséologique – identifiée ci-avant et relue dans une perspective socratique – pourrait tout aussi bien prendre place dans le cadre de la mission prophétique d’un Esaïe : en effet, c’est également l’ignorance des adorateurs et fabricateurs d’idoles que dénonce le prophète de l’Israël ancien (Es 44, 8-20 ; 45, 15-16.20) et c’est cette nescience à laquelle il souhaite remédier, en les appelant à la conversion (Es 45, 14.22)46. Philosophe socratique ou prophète d’Israël ? Voilà l’alternative souvent posée par les exégètes de Luc à l’examen du portrait paulinien d’Ac 17. Pourtant, à l’instar des jeux d’échos suscités par le discours sur l’Aréopage, un tel choix semble irrespectueux de l’ambivalence intentionnelle de la scène athénienne. Tout comme la prise de parole paulinienne, le portrait de l’apôtre est à double entrée, se soumettant à une grille de lecture autant juive que grecque. En cela, le Paul de Luc est exemplaire de l’identité chrétienne déployée dans les Actes à Théophile, une identité entre continuité avec l’Israël prophétique et ouverture sur l’univers philosophique grec. En d’autres termes, l’enquête actorielle entérine les résultats de la critique des sources : il s’agit d’un récit sciemment situé au carrefour de deux cultures, la tradition scripturaire d’une part et la tradition hellénistique de l’autre.

10.6 Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne 10.6 Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne La pondération ainsi que l’articulation des différentes parties du discours de l’Aréopage ont fait couler beaucoup d’encre au sein de l’exégèse moderne. La pondération tout d’abord : l’appel au repentir qui retentit en finale du discours (v. 30) et auquel Paul donne un fondement kérygmatique (v. 31) en est-il le point d’orgue ou un simple appendice ? Dans la même ligne : les motifs gréco-stoïciens accumulés en Ac 17, 22-31 trahissent-ils la nature profonde du discours paulinien ou n’en sont-ils qu’une enveloppe secondaire ? Dit en une phrase, avons-nous affaire à une fresque discursive en dernier lieu hellénistique ou chrétienne ? Cette première vague de questions se prolonge dans une seconde série d'interrogations touchant à l'articulation réci46

« Israel’s Prophets Meet Athens’ Philosophers : Scriptural Echoes in Acts 17,22-31 », 2004, pp. 203-204. Voir auparavant Gerhard SCHNEIDER, « Anknüpfung, Kontinuität und Widerspruch in der Areopagrede Apg 17,22-31 », 1981, pp. 176-177.

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L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

proque des motifs affichés par le discours : comment caractériser le rapport suggéré par la prise de parole paulinienne entre l’Evangile christologique et la quête religieuse païenne ? continuité, correction, opposition ou dépassement ? Sur ce point, les avis des exégètes sont extrêmement variés et contrastés. Bref, ressurgit ici le conflit d’interprétation que nous avions déjà entrevu à l’examen du maillage traditionnel identifiable dans le discours à l’Aréopage ; il convient désormais de rouvrir ce dossier, en questionnant cette fois-ci le point de vue narratif et herméneutique développé par Luc en Ac 17. On l’a dit, c’est dans un article daté de 1939 que Martin Dibelius mit le feu aux poudres. Son étude fouillée de la prise de parole sur l’Aréopage le conduisit en effet à la conclusion iconoclaste qu’il s’agissait non seulement d’un « corps étranger » (« ein Fremdling ») au sein de la tradition néotestestamentaire, mais surtout d’un discours hellénistique commandé par la thématique de la « Gotteserkenntnis, zu der jeder Mensch gelangen kann, denn die Stellung des Menschen in der Welt und die Gottverwandtschaft seiner Natur muss ihn dazu führen » 47. En clair : baigné d’emprunts stoïciens, le discours de Paul aux Athéniens serait un exemple flagrant de théologie naturelle, autrement dit constituerait une valorisation sans précédent au sein de la littérature chrétienne de la disposition humaine à appréhender positivement le divin. Pour prétendre à ce résultat, l’exégète d’Heidelberg a non seulement sérié les motifs hellénistiques identifiables en Ac 17, mais a également distingué le corps du discours de sa conclusion kérygmatique (17, 30-31). Selon lui, l’appel à la conversion qui pointe au terme de la harangue paulinienne serait la seule touche chrétienne apportée à un discours de nature radicalement philosophique 48 et atteste47 48

Martin DIBELIUS, « Paulus auf dem Areopag » (1939), 1956, p. 55. La dégradation rhétorique dont fut victime la finale christologique sera encore plus marquée chez les successeurs de Dibelius : cf. Hildebrecht HOMMEL, « Neue Forschungen zur Areopagrede Acta 17 », 1955, p. 159 : « Das zentrale Anliegen einer Rede kann nie und nimmer im Epilogos stehen ! » et plus loin de poursuivre « Der angehängte Schluss, der dieser “heidnischen” Predigt sozusagen im letzten Augenblick den christlichen Stempel aufdrückt, lässt nichts davon spüren, dass die wahre Gotteserkenntnis erst durch Offenbarung mitteilbar wird […] » ; Walter ELTESTER, « Gott und die Natur in der Areopagrede », 1957, p. 206, note 6, qui parlera en écho aux travaux de Dibelius du « nachklappenden Charakter des Schlussteiles », ou encore Eduard SCHWEIZER, « Zu den Reden der Apostelgeschichte » (1957), 1963, p. 426 : « Die Christusverkündigung ist strukturell gesehen nur ein Anhang der Rede » (l’auteur souligne).

10.6

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rait là encore des traces d’infiltrations hellénisantes : en témoignent l’évitement dont est victime le nom du Ressuscité ainsi que l’emploi inhabituel de pivsti" au sens de « preuve » 49. On sait la fortune que connaîtra cette thèse sous la plume de Max Pohlenz50, Hildebrecht Hommel51 et surtout Philip Vielhauer52. C’est dans le cadre de sa désormais célèbre étude du paulinisme des Actes que prend place l’évaluation faite par Vielhauer du discours sur l’Aréopage. L’objectif poursuivi par l’ancien professeur de Bonn est de mesurer la compatibilité du système de pensée lucanien avec le Paul des lettres, et ce à l’examen de quatre théologoumènes : la théologie naturelle, la Loi, la christologie et l’eschatologie. Sondant prioritairement les discours des Actes et la théologie qui en émane, c’est tout naturellement le discours de Paul aux Athéniens que Vielhauer retient pour déterminer le statut réservé par Luc à la connaissance naturelle du divin. Or, comparée aux déclarations de la lettre aux Romains (Rm 1, 19-20), la théologie naturelle n’a plus sous la plume de Luc la fonction que lui reconnaissait l’épistolier Paul : « Dort [en Rm 1] ist sie eine Hilfskonstruktion zum Erweis der menschlichen Verantwortlichkeit und wird sofort verlassen ; hier [en Ac 17] ist sie positiv gewertete und pädagogisch-missionarisch verwendete praembula fidei : die natürliche Gotteserkenntnis muss nur geläutert, korrigiert und überhöht werden ; ihre fundamentale Bedeutung steht aber ausser Frage. Gratia non tullit naturam, sed praesupponit et perficit » 53. Bref, valorisant la proximité naturelle de l’homme au divin et lui reconnaissant une faculté innée à le connaître, le discours sur l’Aréopage élèverait la culture et le monde religieux païens au rang de préhistoire du christianisme. Démarche théologique aussi éloignée de Paul que familière aux apologètes chrétiens du 2ème siècle. Un verdict retentissant dont l’œuvre à Théophile peinera à s’affranchir.

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Martin DIBELIUS, « Paulus auf dem Areopag » (1939), 1956, pp. 53-54. Max POHLENZ, « Paulus und die Stoa », 1949, pp. 69-104 (ibid., p. 95 : « Es sind also nicht einzelne philosophische Lesefrüchte oder Schulreminiszenzen, die der Paulus der Areopagrede verwendet. Vielmehr übernimmt er einen geschlossenen Gedankengang, eine heidnische Theorie der natürlichen Gotteserkenntnis. »). Hildebrecht HOMMEL, « Neue Forschungen zur Areopagrede Acta 17 », 1955, pp. 145-178 ; ID., « Platonisches bei Lukas », 1957, pp. 193-200. « Zum “Paulinismus” der Apostelgeschichte » (1950/1951), 1965, pp. 10-14. « Zum “Paulinismus” der Apostelgeschichte » (1950/1951), 1965, p. 13.

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Suite à cette démonstration exégétique accusant l’hétérogénéité d’Ac 17 au sein de la littérature biblique, la polémique ne tarda pas à enfler, générant une gamme impressionnante de positions sur la question. La réponse des exégètes s’est située sur deux plans différents, le plus souvent parallèles. Pour une part, les chercheurs se sont évertués à pondérer différemment les motifs hellénistiques et judéo-chrétiens en présence. Cela a été rendu possible non seulement par une réévaluation à la hausse de la dette contractée par Ac 17 à l’endroit des Ecritures juives54, mais également par la reconnaissance du rôle signifiant dévolu au cadre kérygmatique ceinturant ces emprunts traditionnels (17, 2425.30-31)55. D’autre part, – et c’est là l’autre voie empruntée par les exégètes de Luc – l’articulation réciproque des deux cultures dont hérite le discours paulinien a soulevé un flot intarissable de propositions, dont le degré de sophistication est inégalé dans toute la recherche néotestamentaire. Quelques exemples suffiront ici. La réponse barthienne tout d’abord. La théologie dialectique, alertée par toute forme de théologie naturelle au sein de la tradition chrétienne, n’a pas manqué de couvrir ce champ textuel de son voile. C’est sous la plume de l’éminent exégète et dogmaticien Rudolf Bultmann que la réplique s’est manifestée. Dans une étude au titre évocateur « Anknüpfung und Widerspruch », l’ancien professeur de Marbourg, explorant la thématique sensible du rapport missionnaire aux

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Bertil GÄRTNER, The Aeropagus Speech and Natural Revelation, 1955, et plus récemment Heinz KÜLLING, Geoffenbartes Geheimnis, 1993 (ibid., p. 191 : « Denn die Verbindung dieser Rede mit dem theologischen Gedankengut der Apg und den übrigen biblischen Schriften ist eng und ohne Widersprüche. Sie weicht auch nirgends von den alt- und neutestamentlichen Grundlinien ab », et plus loin : « Die Untersuchung hat an den Tag gebracht, dass die Botschaft der Areopagrede, obgleich sie sich vor allem an epikureische und stoische Philosophen wendet, nicht auf deren Ansichten stützt »). Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, pp. 235243 (ibid., p. 243 : « Der “Rahmen” der Rede ist nicht “blosser” Rahmen, von dem man bei ihrer Auslegung absehen dürfte ; gerade er hilft dem Hörer dazu, das Mittelstück theologisch richtig zu verstehen. Der kerygmatische Rahmen hat interpretierende Funktion ! Er verhindert ein Missverständnis des Mittelstücks und des Prinzips der Anknüpfung », ainsi que ID., Apostelgeschichte, 1988, p. 107 : « Die Rede endet also mit einem entschiedenen und die Hörer zur Glaubensentscheidung und Umkehr aufrufenden Kerygma. Sie erweist sich so als genuin christliche Predigt »). Voir dans la même ligne : Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 102 ; Andreas LINDEMANN, « Die Christuspredigt des Paulus in Athen (Act 17, 1633) », 1999, pp. 245-247 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 255-256.

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Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne

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religions non-chrétiennes, en vint à ausculter les rares exemples néotestamentaires de valorisation du monde païen, Rm 1 et Ac 17 en tête. Or dans ces cas, si rattachement à la culture hellénistique et à la théologie naturelle païenne il y a, c’est pour finalement les contredire et les condamner56. Bien plus, comme le dévoile Paul en Romains, c’est une fois contredite et dénoncée comme péché que la connaissance naturelle devient accroche positive pour l’Evangile 57. C’est dans sa négation que la nature humaine peut s’ouvrir à la grâce 58 ! Bref, ni chez Paul ni chez Luc il ne serait question de continuité entre le message chrétien et une quelconque forme de théologie naturelle. Présentons ensuite la thèse du pressentiment religieux. C’est l’article de Franz Mussner59, en dialogue direct avec celui de Bultmann60, qui représente le mieux ce courant interprétatif. En effet, le professeur émérite de l’Université de Regensburg reprend à son compte les deux termes-clefs de l’article de Bultmann, rattachement et opposition, tout en révisant leur portée. Rattachement il y a dans l’évocation par Paul du monument en l’honneur du « dieu inconnu » ; concession à l’auditoire athénien dans la reprise de motifs typiquement gréco-stoïciens ; reconnaissance même d’un desiderium naturale inhérent à la religiosité grecque, à différencier toutefois d’une démarche théologique positive61. Parler ici d’opposition, de condamnation de ces éléments païens serait, selon Mussner, incorrect dans la perspective de Luc62. Mais au terme du discours, surgit un indiscutable moment de discontinuité identifié par Mussner au kérygme centré sur la figure du Juge eschatologique 63. En 56

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Rudolf BULTMANN, « Anknüpfung und Widerspruch » (1946), 1952, p. 127 : « Der Verfasser der Acta weiss also, dass es Anknüpfung nicht ohne Widerspruch gibt […] ». Dans son commentaire des Actes, Alfons WEISER fait encore un pas de plus que Bultmann, considérant que la théologie naturelle a chez Luc la même fonction que chez Paul : dénoncer le péché de l’homme et l’appeler à la repentance. Son cadre de compréhension ne serait autre que la justification par la foi (Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 480). Rudolf BULTMANN, « Anknüpfung und Widerspruch » (1946), 1952, p. 125. Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, pp. 235243. Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, pp. 235236. Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, p. 239. Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, p. 239. Franz MUSSNER, « Anknüpfung und Kerygma in der Areopagrede », 1967, pp. 241243.

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clair : une correction indispensable est ici signifiée à la cosmologie et à l’anthropologie stoïciennes. Le rattachement initial de Paul au pressentiment naturel du divin attesté chez les Grecs n’en serait pas pour autant remis en question ; il est plutôt amendé et dépassé par la proclamation du Dieu de Jésus Christ. Une position similaire, quoi que plus sévère à l’endroit de la religiosité grecque et de l’approche rationnelle du divin, se retrouve chez Jacques Dupont64 : quand bien même il appelle ses interlocuteurs au repentir, dénonçant ainsi leur ignorance du Dieu Créateur comme faute spirituelle, Paul ne disqualifie pas encore le pressentiment religieux inhérent à la paganité. « Même si elle n’a pas abouti, cette recherche religieuse lui paraît avoir une valeur positive. Elle représente une attente de ce que le message du vrai Dieu veut leur apporter, une disposition d’âme qui devrait faciliter l’accueil de ce message. Il est bien entendu qu’en comblant cette attente, le message ne manquera pas de redresser ce qu’elle contenait d’imparfait et qui tendait à la conduire vers une divinisation du cosmos »65. Il n’est pas surprenant que cette veine herméneutique, valorisant le désir naturel du divin en l’homme, se soit particulièrement développée dans les rangs des exégètes catholiques66 et en débat direct avec l’approche dialectique du discours sur l’Aréopage. Terminons ce status quaestionis par résumer une troisième hypothèse en présence : celle de la continuité historico-salutaire entre la quête religieuse païenne et la foi chré-

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Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 380-423. Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 423. Voir plus récemment Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 648 : « Nicht also wird die christl. Botschaft der heidnischen ein- oder gar untergeordnet, sondern das bei dieser Anknüpfbare […] wird für die philosophisch geprägten Heiden im Sinne einer natürlichen Propädeutik zum besseren Verständnis der biblischen Botschaft herangezogen […] » ; Michel GOURGUES, « La littérature profane dans le discours d’Athènes (Ac 17,16-31) : un dossier fermé ? », 2002, pp. 241-269 (ibid., p. 269 : « Ce que la sagesse et la littérature profanes, en ce qu’elles ont de meilleur, ont pu connaître et exprimer au sujet de Dieu n’étaient encore que des pressentiments, qu’il est certes précieux de recueillir, sur lesquels un approfondissement rationnel pourra éventuellement tabler, mais qu’il faudra néanmoins épurer, transposer, corriger et pousser plus loin, si tant est que l’esthétique, la sagesse ou la raison consentent à un saut inévitable dans la foi »).

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Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne

371

tienne . Cette thèse est défendue en premier lieu par Karl Löning67. Refusant l’hypothèse d’une continuité religieuse 68, théologique 69 ou éthique 70 entre la culture grecque et le kérygme chrétien, l’exégète émérite de Münster en vint à reconnaître à la paganité et à sa quête religieuse le statut d’époque historico-salutaire, en analogie aux temps des promesses qui ont marqué le passé d’Israël71. Dit autrement, il n’y aurait pas deux sources, révélée ou naturelle, pour approcher le divin, mais différents accès historiques. Cela dit, cette continuité située au niveau strictement heilsgeschichtlich72 ne serait pas garantie par le polythéisme païen, mais uniquement par la tradition poétique hellénistique, à l’instar des Phénomènes d’Aratos allégués en 17, 28. D’un point de vue formel, cette citation assumerait dans le discours de Paul aux 67

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Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, pp. 2604-2646, surtout les pp. 2632-2637. Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2632 : « Wenn jetzt die Schöpfungswirklichkeit durch das christliche Evangelium explizit zur Sprache gebracht wird, ist der Polytheismus obsolet geworden ». Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2635, note 75 : Paul en Ac 17 ne reconnaît pas à la pensée stoïcienne « den Rang der gedanklichen Urheberschaft ». S’il y a un point de rattachement théologique pour le kérygme, il réside plutôt dans la théologie biblique de la création (ibid., p. 2635, note 75 : « sondern umgekehrt betrachtet Lukas die biblische Schöpfungsidee und das entsprechende Gottesbild als den Anknüpfungspunkt für die Erschliessung der christlichen Lehre von Jesus und der Auferstehung für gebildete Heiden »). Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2636 : « Lukas kann die heidnische Philosophie nicht so weit aufwerten, dass sie für das Leben der Heidenchristen unmittelbar zur moralischen Autorität wird so wie “Mose” für die Judenchristenheit ». Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, pp. 2634-2635. Dans son article de 1992 intitulé « Das Gottesbild der Apostelgeschichte im Spannungsfeld von Frühjudentum und Fremdreligionen », Karl LÖNING complexifiera néanmoins cette position, différenciant notamment entre le monde du récit et celui de la communication auteur-lecteur, p. 108 : « Der erzählten Redesituation nach geht es dabei um ein Nacheinander von zwei “heils”geschichtlichen Epochen ; aber in der Verständigung zwischen Autor und Leser ist diese missionstheologische Schema (einst Unwissenheit-jetzt Umkehr) ein Instrument, um zu analysieren, was der Leser als Christ von seiner “damaligen” Denkweise als religiöser Mensch mit natürlicher Vernunft “jetzt” halten soll » (l’auteur souligne), et de conclure, pp. 108109 : « Die natürliche Möglichkeit des Menschen, Gott zu suchen und auch zu finden, wird in der Areopagrede also bejaht ».

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Athéniens le rôle dévolu aux Ecritures dans les prédications missionnaires adressées au judaïsme 73. On retrouve des échos semblables dans une étude de Lucien Legrand74 ainsi que dans les deux développements consacrés par Daniel Marguerat au discours paulinien sur l’Aréopage 75. Comparant la citation d’Aratos aux prophéties de l’Ancien Testament, Legrand développe une compréhension prioritairement historicosalutaire du lien entre poésie grecque et foi chrétienne : les poètes de la Grèce antique seraient, selon Legrand, inclus dans une économie de salut, distincte de celle particulière d’Israël76, mais devant également aboutir, nonobstant un moment de jugement, à la Révélation christologique 77. Refusant d’identifier en Ac 17 une approche naturelle du divin, Marguerat se risque, lui aussi, à comparer la quête grecque du « dieu inconnu » à l’« espérance d’Israël », débouchant sur la conclusion suivante : « Nous retrouvons ici la fonction-clé qu’occupe, dans la pensée lucanienne, la résurrection du Christ : accomplissement de la promesse faite aux pères, elle se présente comme une garantie d’achèvement de l’histoire universelle » 78. L’exégèse se meut, là encore, sur un plan essentiellement historico-salutaire : c’est au moment même où elle aboutit historiquement que la quête naturelle du divin est mise en échec. Avant de nous aventurer dans cet imbroglio herméneutique, trois considérations méritent d’être faites au sortir de ce survol de la recherche : 1. Dans le cadre du récit des Actes, la scène de Paul aux Athéniens constitue un tout homogène. Cette observation littéraire

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Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2635 : « Das Aratus-Zitat hat in der Paulusrede in Athen formal den Stellenwert, den in Predigten vor jüdischem Publikum der Schriftbeweis hat ». Lucien LEGRAND, « Aratos est-il aussi parmi les prophètes ? », 1987, pp. 241-258. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 104-106 ; ID., « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », 2008, pp. 486-491. Lucien LEGRAND, « Aratos est-il aussi parmi les prophètes ? », 1987, p. 245 : « Ils [les poètes] ont leur rôle propre à jouer dans une économie distincte ». Lucien LEGRAND, « Aratos est-il aussi parmi les prophètes ? », 1987, p. 256 : « Les sages d’Hellas ne pouvaient manquer de participer aussi à cette théorie [d’une histoire universelle du salut] s’avançant vers le Christ à travers les Nations, au fil des âges ». Daniel MARGUERAT, « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », 2008, p. 489.

10.6

Le kérygme christologique et la quête religieuse païenne

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remonte à Adolf von Harnack déjà79. Partant, le matériau hellénistique qui fonde le corps du discours ne peut être autonomisé de son cadre discursif et narratif 80. 2. Les traditions dont se nourrit Ac 17, 22-31 puisent à deux cultures distinctes. Ce résultat tend à se confirmer dans la recherche récente. La culture hellénistique est toutefois la seule à être explicitement signalée comme cadre de référence pour l’intelligence du discours (cf. 17, 28) : le statut réservé à la citation du poète Aratos demande ainsi à être précisé. 3. Le couple rattachement-opposition, ou mieux dit continuitédiscontinuité, semble faire consensus dans son application à Ac 17. Toutefois, dès qu’il s’agit de préciser les éléments visés par cette dialectique, les fronts se séparent. Nous procéderons en trois temps : (1) nous commencerons par déterminer la visée rhétorique reconnue par Luc au discours d’Ac 17. Ensuite (2), nous mettrons en évidence les similitudes et les écarts identifiables entre le discours de Paul à Antioche de Pisidie et celui tenu sur l’Aréopage d’Athènes, deux discours programmatiques pour le devenir de la chrétienté lucanienne. (3) Sur la base de ces observations, nous esquisserons une réponse à la délicate question de l’articulation en Ac 17, 22-31 entre le kérygme christologique et les motifs hellénistiques. 10.6.1

De la méprise épistémologique à la faute spirituelle

Le discours de Paul aux Athéniens est traversé de part en part par une ligne sémantique dominante 81 : l’isotopie de la connaissance . En effet, c’est pour apaiser la soif de savoir de ses interlocuteurs grecs (v. 19b : gnw'nai ; v. 20b : gnw'nai) que Paul entame son discours. Une attente épistémologique, située sur un plan strictement intellectuel, est ainsi 79

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Adolf VON HARNACK, Ist die Rede des Paulus in Athen ein ursprünglicher Bestandteil der Apostelgeschichte ?, 1913. Voir ensuite Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 459-460. Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 479 : « Methodisch ist es erforderlich, den Text weder einseitig atl.-biblisch noch einseitig stoisch auszulegen, sondern gemässe des neuen Kontextes ». Ce parcours sémantique a été relevé à juste titre par Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 411-413.

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installée. Or, cette inflexion sémantique ne manquera pas de ressurgir dans l’acte de parole paulinien, et ce dès son énoncé thématique : « au dieu inconnu ( jAgnwvstw/ qew'/) ». C’est en effet cette inscription découverte par Paul sur un monument sacré de la ville d’Athènes qui va lui servir d’accroche à son discours, comme il le déclare lui-même : « ce que vous vénérez ainsi sans le connaître (o} ou\n ajgnoou'nte" eujsebei'te), c’est ce que je viens, moi, vous annoncer (tou'to ejgw; kataggevllw uJmi'n) ». La thèse ici énoncée par le Paul de Luc est extrêmement décisive pour la compréhension de son discours : se croisent en effet deux lignes sémantiques, celle déjà reconnue de la connaissance et celle de la proclamation évangélique. Or, cette seconde isotopie, entrevue dans le cadre narratif du discours (vv. 17.18), vient glisser un premier hiatus dans le fil discursif : entre la quête rationnelle du divin chère aux Athéniens et la réponse de Paul s’introduit un élément nouveau, celui de la prédication82. La prochaine occurrence de la veine gnoséologique surgit au v. 27 : on l’a vu, le verbe zhtei'n, ici employé, se meut sur un double plan sémantique, signifiant pour un juif le fait de fonder son existence dans le Dieu d’Israël – suite à son oubli (par ex. : Dt 4, 29-30 ; Jr 50, 4-5), alors que pour un Grec il en va prioritairement du mouvement positif de la pensée soumettant chaque objet au crible de la vérité (par ex. : PLATON, Apologie 19b.23b ; République 449a)83. Le glissement d’une connaissance rationnelle à une démarche existentielle/spirituelle tend ainsi à se confirmer : ici encore, le lecteur est suspendu entre deux appréhensions possibles du divin. Tension que vient renforcer la seconde partie du verset 27 suggérant la possibilité, bien que fragile (cf. l’usage de l’optatif) et tâtonnante, de sa découverte. Si la potentialité d’une connaissance du divin est ainsi reconnue, le mode épistémologique n’en est pas pour autant précisé 84. A l’inverse, il est sciemment laissé dans le flou : est-ce Dieu qui se donne à connaître à celui qui se tourne vers lui (cf. Os 6, 1-6) ou est-ce l’homme qui s’élève vers Dieu au terme de sa quête rationnelle ? est-ce l’attachement à la Torah qui garantit cette rencontre ou l’examen des ordres de la création ? Seule la justification en est donnée (cf. kaiv ge) : Dieu n’est pas loin de nous, motif qui, 82 83 84

Bien vu par Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 232. Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, pp. 205-206. Cf. Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 503 : « Wie der Mensch Gott suchen soll, sagt der Redner hier nicht ».

10.6

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comme nous l’avions vu, s’aligne autant sur une pensée biblique qu’hellénistique. Cette ambiguïté entre un accès naturel et un accès spirituel au divin est levée dans la conclusion discursive (v. 30 ; cf. ou\n). Ici surgit en effet un couple antinomique puisant aux deux lignes de sens traversant la scène athénienne des Actes : aux « temps de l’ignorance (crovnou" th'" ajgnoiva") » s’oppose « maintenant » un appel universel à la repentance (ta; nu'n paraggevllei toi'" ajnqrwvpoi" pavnta" pantacou' metanoei'n). La nescience dont étaient frappés les philosophes stoïciens et épicuriens (vv. 19.20) n’équivaut plus ici à un simple déficit cognitif que la pensée pourrait vouloir combler85 ; c’est une faute spirituelle et existentielle dont il convient de se repentir86. Chez Luc, le couple metanoei'n et ejpistrevfein, tantôt associé 87, tantôt disjoint, ressortit en effet au champ sémantique de la foi baptismale et du pardon des péchés (cf. Ac 2, 38-41 ; 3, 13-19 ; 5, 31 ; 26, 18) 88. Bref, c’est la metanoia que prêche, dans la perspective du Jugement dernier, le missionnaire Paul sur l’Aréopage, et c’est seulement ainsi que les Athéniens accéderont à l’objet de leur quête religieuse, à savoir au « dieu inconnu »89. 85

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Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 475 : « Ihnen stellt er als Gegenwart nicht etwa eine Zeit besserer Erkenntnis und tieferer Einsicht gegenüber, sondern eine Zeit, in der Gott Umkehr verkündet und ermöglicht » ; Heinz KÜLLING, Geoffenbartes Geheimnis, 1993, p. 154 : « Die von Paulus gepredigte metavnoia fordert darum nicht nur eine von abergläubischen Elementen gereinigte Gottesauffassung, sondern die ausschliessliche Hinkehr zum Gott Israels, der nach den Aussagen der Areopagrede ebenfalls der Gott der heidnischen Völker ist ». Contra Philipp VIELHAUER « Zum “Paulinismus” der Apostelgeschichte » (1950/1951), 1965, p. 12 : « Die geforderte Busse besteht letztlich in der Selbstbesinnung auf die natürliche Gotteserkenntnis ». Même point de vue chez Martin DIBELIUS, « Paulus auf dem Areopag » (1939), 1956, pp. 54-55. Cf. Jürgen R OLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 265 : « Lukas vermeidet zwar das Wort “Sünde”, aber indem er der “Unwissenheit” die Umkehr als Korrelat zuweist und sie zugleich in den Horizont des Gerichts stellt, deutet er an, dass sie für ihn nicht nur intellektuelles Defizit, sondern existentielles Fehlverhalten ist […] ». Ac 3, 19 ; 26, 20. A ce sujet Petr POKORN, Theologie der lukanischen Schriften (FRLANT 174), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1998, pp. 122-125. Faute d’avoir identifié les deux lignes sémantiques qui parcourent le discours sur l’Aréopage – la ligne de la connaissance et celle de la proclamation évangélique – Jens-Wilhelm Taeger restreint la metanoia d’Ac 17, 30 à son sens profane de changement de pensée (ID., Der Mensch und sein Heil, 1982, p. 144 : « Jetzt besteht die Möglichkeit zum metanoei' n, was dem Duktus der ganzen Rede entsprechend nur heissen kann : An die Stelle des falschen Erkenntnis treten, die a[gnoia wird durch ein meta-noei'n überwunden, geboten sind Um-denken und Ergreifen der Möglichkeit zu wahrer Erkenntnis. Der aufklärerische Tenor ist unverkennbar »).

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Comble de l’ironie peut-être : au moment même où la possibilité naturelle d’accéder au vrai Dieu est explicitement dénoncée par Paul surgit une nouvelle marque d’ambiguïté dans l’usage qui est fait du terme pivsti" (v. 31c) ; terme fortement connoté par son emploi massif dans le langage chrétien, mais utilisé ici au sens profane de « preuve », de « témoignage » 90. Le passage du sens grec au sens spirituel, réponse attendue à l’appel à la conversion, sera accompli au terme du récit par Denys l’Aréopagite, Damaris et quelques autres (v. 34a : ejpivsteusan). L’étude de l’intrigue gnoséologique mise en scène par le récit d’Ac 17 est extrêmement éclairante, car elle invalide ce que de nombreux chercheurs croient déceler chez Luc : une valorisation de la theologia naturalis. En effet, un examen attentif de cette isotopie sémantique démontre précisément l’échec de cette voie d’accès au divin : c’est l’appel au repentir universel (v. 30) placé à l’horizon du jugement eschatologique que rendra le Ressuscité (v. 31) qui vient mettre un terme à cette démarche théologique. Elle est désormais sursumée par la foi qui seule donne, selon Luc, accès au vrai Dieu : certains Athéniens l’ont compris ! 10.6.2

Deux histoires distinctes ordonnées au même salut (13, 16b-41/17, 22b-31)

Les similitudes tant fonctionnelles que structurelles recoupant les discours pauliniens d’Ac 13 et d’Ac 17 ont été peu relevées par les exégètes de Luc91. Elles méritent toutefois d’être notées. De part et d’autre, le lecteur des Actes est en effet confronté à une scène exemplaire pour la mission paulinienne et plus globalement pour le devenir identitaire de l’Eglise : en Ac 13, c’est la mission juive de diaspora et la relation Eglise–Synagogue qui sont thématisées dans une scène typique, alors qu’en Ac 17, c’est le rapport missionnaire ainsi que l’articulation du 90 91

Cf. Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 266. A l’exception notable de Michel GOURGUES, « La littérature profane dans le discours d’Athènes (Ac 17,16-31) : un dossier fermé ? », 2002, pp. 267-268. De son côté, Heinrich-Julius Holtzmann a inventorié une série de parallèles entre le discours d’Etienne au Sanhédrin (7, 2-53) et celui de Paul à l’Aréopage (17, 22b-31). Ces convergences, réelles quoique moins denses, tendent à confirmer le point de vue que nous défendons dans ce paragraphe, à savoir la parallélisation par Luc de deux histoires, l’une universelle, l’autre singulière, conduisant au même salut (ID., Die Apostelgeschichte, 19013, pp. 113-114).

10.6

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kérygme au monde païen qui reçoivent un traitement programmatique. Bref, nous sommes en présence de deux discours-programmes aux fortes incidences sur le projet théologique de Luc92 : les deux orientations identitaires de la chrétienté naissante, à savoir le monde juif et l’univers hellénistique, se dévoilent et se précisent ici. Cette proximité fonctionnelle est confirmée par la construction similaire des deux discours. Tous deux, tenus dans un haut lieu institutionnel (l’assemblée synagogale/l’Aréopage), répondent à une sollicitation extérieure (13, 15b/17, 19b.20b) et conduisent Paul à délivrer, debout (13, 16aa/17, 22aa), une parole empreinte de solennité. Dans les deux cas, le moment kérygmatique ne surgit qu’en finale de l’acte de parole (13, 26-39/17, 31) et se présente comme l’accomplissement surprenant de l’histoire religieuse familière aux auditeurs (13, 16b-22/17, 22b-29). A chaque fois, cette annonce christologique est articulée à l’événement de la résurrection (13, 30.32-37/17, 31c.32a ; cf. 17, 18d) et implique pour l’auditoire la conversion d’un état marqué par le péché (13, 38-41/17, 30b), condition sina qua non à l’obtention de la justice divine (13, 38c-39/17, 31). En outre, cet état de péché, quand bien même il recouvre de part et d’autre des réalités différentes, est semblablement qualifié par l’ignorance dans laquelle se trouvaient les protagonistes respectifs, juifs ou grecs (13, 27/17, 23b.c.30a)93. Dans les deux cas finalement, cette proclamation débouche sur une partition des auditeurs, seule une portion d’entre eux adhérant à la foi (13, 43.45.50.52/17, 32-34). Cela dit, les écarts sont aussi signifiants que les ressemblances. Au particularisme accentué de l’histoire de salut déroulée en Ac 13 94 répond en Ac 17 le déploiement d’une histoire universelle et œcuménique 95. Aux citations des Ecritures

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Ceci a été notamment reconnu par Daniel MARGUERAT, « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », 2008, pp. 489-490. Cf. Günther BORNKAMM, Gesammelte Aufsätze IV, 1971, p. 157 ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 461. Voir pour la démonstration supra notre chapitre consacré à Ac 13, 14-52. Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 409 : « Le discours ne dit rien d’un peuple particulier, mais il se plaît à souligner le rapport qui existe entre Dieu et “tout” ou “tous” (vv. 24, 25 bis, 30, 31 ; cf. “chacun”, v. 27 ; “en tout lieu”, v. 30). Le Dieu dont il s’agit est caractérisé par son universalité : Dieu de toutes choses et de tous les hommes. On n’en parle pas comme du Dieu d’Israël » ; Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, p. 217 : « In contrast to this pronounced universalism there is no mention at all of the Old Testament Heilsges-

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juives, singulièrement de la tradition prophétique et psalmique, alléguées en Ac 13 correspondent en Ac 17 des références faites à la littérature grecque et singulièrement à sa filière poétique. L’analogie, suggérée par certains exégètes des Actes96, entre l’espérance d’Israël et la quête païenne du « dieu inconnu » gagne désormais en plausibilité. Luc semble identifier deux cheminements historiques parallèles, chacun éclairé de hérauts de valeur, en direction de la Révélation christologique. Ces deux histoires simultanées, l’une restreinte à un peuple particulier né d’une élection (13, 17 ; cf. 3, 25 ; 7, 38), l’autre ouverte à l’humanité tout entière et inaugurée lors de la création du monde (17, 26a ; Lc 3, 38)97, deux histoires toutes tendues vers l’assouvissement de leur aspiration, trouvent dans l’événement de la résurrection leur point d’orgue 98. Un point d’orgue non dénué de surprise et de résistance tant pour un juif (cf. 26, 8) que pour un Grec (cf. 17, 32). En clair : si, comme nous l’avons soutenu dans le paragraphe précédent, ce n’est pas la propension naturelle de l’homme à connaître le divin qui se voit couronnée en Ac 17, c’est en tout cas l’histoire de cette quête qui reçoit un apaisement, tout comme l’histoire juive des promesses a pu célébrer en Jésus l’aboutissement de son attente séculaire. Si analogie il y a, c’est donc bien au niveau historicosalutaire : tout comme Israël, le monde païen possède une histoire de salut, placée sous la conduite du Dieu Créateur (17, 26)99 et appelée à une résorption lors du Jugement dernier (17, 30-31). Mais, dans le cadre d’Ac 17, l’affirmation inverse a également une importance capitale : le

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chichte or of Israel as the chosen people of God – themes which are prominent in the speeches to the Jews ». Entre autres : Günther BORNKAMM, Gesammelte Aufsätze IV , 1971, p. 157 ; Karl LÖNING, « Das Evangelium und die Kulturen : heilsgeschichtliche und kulturelle Aspekte kirchlicher Realität in der Apostelgeschichte », 1985, p. 2635 ; Daniel MARGUERAT, « L'image de Paul dans les Actes des apôtres », 2008, p. 489. Cf. Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 214 : « The tension between the Athens speech and Paul’s statements about God’s promise to Israel cannot be easily resolved, for one begins from what all share as God’s creatures and the other from God’s special history with a chosen people. Both perspectives are important in Acts ». Cf. Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », 1967, p. 418. Avec Stephen G. W ILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, p. 216 : « God is Creator of the whole world and exerts his rule over both nature and history (vv. 24-6) ».

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message annoncé par Paul aux Athéniens, centré sur la figure de Jésus et sur la résurrection (v. 18d), n’est plus, comme le prétendaient les Grecs de passage, des « divinités étrangères » et une « nouvelle doctrine ». Au contraire, cette prédication peut se prévaloir d’une longue préhistoire , celle-là même dont se recommandent les interlocuteurs de Paul ! Se dit ici l’antiquité de foi chrétienne, qui, loin d’innover, répercute dans l’aujourd’hui de l’Eglise la séculaire quête grecque du « dieu inconnu ». 10.6.3

Quelle articulation entre foi chrétienne et culture grecque ?

Une fois reconnu le saut qualitatif du gnoséologique au spirituel orchestré entre 17, 23 et 17, 30-31 et entérinée la continuité historicosalutaire entre les « temps de l’ignorance » et l’événement de la Résurrection, il convient de reprendre à bras-le-corps l’épineuse question de l’articulation entre le message évangélique et la culture païenne. Quel statut Luc réserve-t-il dans le discours sur l’Aréopage à la tradition philosophique stoïcienne et plus généralement à la religiosité grecque ? Il nous faut tout d’abord revenir sur la triple négation qui, on l’a vu, rythme la harangue paulinienne : Dieu n’habite pas dans des temples faits de main d’hommes ; Il n’est pas non plus servi par des mains humaines ; et Il ne ressemble pas à des objets d’or, d’argent ou de pierre. Un réquisitoire en règle éclate ici contre le culte païen des idoles qui, selon Luc, caractérisait grandement la religiosité athénienne (v. 16) 100. Sur ce point, l’opposition à la paganité et à ses concrétions religieuses ne pourrait être plus accentuée 101. De même, le polythéisme païen, qui a vraisemblablement conduit les Athéniens à identifier dans le contenu de la prédication chrétienne un couple de divinités orientales (cf. v. 18d : « Jésus et Anastasie »)102, reçoit de l’orientation monothéiste et 100 Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 834. 101 Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, p. 404 : « Ainsi, il devient tout de suite clair que le discours adopte une attitude très critique à l’égard de la religion païenne, se situant d’emblée dans la grande ligne de la tradition biblique et juive ». 102 Cette lecture remonte aussi loin que les Homélies sur les Actes de JEAN CHRYSOSTOME (38,1). Par ailleurs, on lira avec délectation le compte rendu que fait Philippe H. MENOUD des péripéties entourant la traduction d’Ac 17, 18 pour la quatrième édition de la Bible de Lausanne (« Jésus et Anastasie. Actes XVII, 18 », 1944, pp. 141145).

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créationnelle adoptée par Paul dans son discours un refus cinglant (voir dans la même ligne Ac 14, 15-17). Finalement, cette religiosité, dévoyée dans l’idolâtrie et embourbée dans le polythéisme, n’a même pas su reconnaître/trouver le vrai Dieu, alors que telle était sa finalité (v. 27a) et qu’elle l’eût pu de par sa proximité naturelle du divin (v. 27c). Ce refus de toute continuité religieuse entre paganisme et foi chrétienne est on ne peut mieux manifesté dans la formulation neutre du v. 23 : jAgnwvstw/ qew'/. o} ou\n ajgnoou'nte" eujsebei'te, tou'to ejgw; kataggevllw uJmi'n103. Bref, la religion païenne s’apparente, jusqu’ici, à un monumental échec. L’exégète ne peut toutefois se contenter de ce maigre bilan. Ce serait faire fi de la captatio benevolentiae par laquelle Paul inaugure son discours, en faisant l’éloge de la piété remarquable de ses interlocuteurs. De même, ce serait oublier l’élévation de la quête hellénistique au rang de préhistoire , bien que malheureuse et avortée, de l’événement Jésus Christ. Ce serait enfin oblitérer la valorisation en tant qu’expression culturelle du paganisme de la philosophie et de la poésie hellénistiques. Précisons tout de suite que si valorisation culturelle il y a, elle ne doit pas être tenue pour un blanc-seing octroyé à la connaissance naturelle et rationnelle du divin. N’oublions pas le contexte discursif dans lequel surgissent ces références culturelles grecques : elles sont insérées dans un cadre interprétatif judéo-chrétien104. C’est donc ce point de vue unique qui permet de quittancer tel ou tel motif stoïcien. Impuissants à approcher le vrai Dieu, la culture grecque et ses trésors d’intelligence ne sont pas purement et simplement liquidés ; ils trouvent dans l’économie chrétienne une nouvelle pertinence. Tout comme l’auteur à Théophile répugne en Ac 15 à abolir les us et coutumes hérités de Moïse, il refuse en Ac 17 de faire tabula rasa de la culture léguée par Socrate. Remarquons d’ailleurs que, dans ces deux cas, le moment de la valorisation culturelle côtoie un moment de disqualification religieuse : en Ac 15, c’est la Loi qui perd son rôle sotériologique et ecclé103 Voir à sujet les remarques judicieuses faites par Jacques DUPONT, « Le discours à l’Aréopage (Ac 17, 22-31). Lieu de rencontre entre christianisme et hellénisme », 1984, pp. 418-420. 104 Cf. Stephen G. WILSON, The Gentiles and the Gentile Mission in Luke-Acts, 1973, pp. 211-212 (ibid., p. 212 : « Moreover, the bracketing of these Stoic motifs within monotheistic pattern of belief means that these motifs undergo a shift of meaning, since they cannot be interpreted in isolation »). De manière plus retenue, voir également François BOVON, L’œuvre de Luc, p. 242 : « Par charité, Luc présente du reste une clé : les quelques mots relatifs au second article du credo (Ac 17, 30-31) ».

10.7

Conclusion : Ac 17 ou l'inclusion d'Athènes

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siologique ; en Ac 17, c’est la quête païenne du « dieu inconnu », foncièrement polythéiste et idolâtre, qui est mise en faillite. Rattachement culturel et historique, mais opposition religieuse et théologique, pour reprendre la dialectique bultmanienne.

10.7 Conclusion : Ac 17 ou l'inclusion d'Athènes dans le programme identitaire de Luc 10.7 Conclusion : Ac 17 ou l'inclusion d'Athènes Seul sermon missionnaire des Actes adressé à un auditoire païen (à considérer qu’Ac 14 n’est pas un discours d’évangélisation proprement dit), le discours de Paul tenu sur l’Aréopage d’Athènes est une scène symptomatique pour le devenir de la chrétienté : ici se dévoile le rapport à construire entre le message évangélique et la culture hellénistique. Mais en même temps, ce discours-programme, tendu vers l’univers grec, tisse inlassablement sa toile en direction du monde juif et de sa tradition scripturaire. Comme nous l’avons vu, Ac 17 est en effet un récit à double entrée, réquisitionnant autant des modèles juifs que grecs pour se faire comprendre. Double entrée certes, mais issue unique. La formule kérygmatique qui, selon l’usage antique de la peroratio, est proposée en guise de conclusion à l’adhésion des auditeurs introduit dans le fil discursif un immanquable moment de discontinuité et de nouveauté. Qui, d’ailleurs, ne manquera pas de susciter la résistance de l’auditoire ! Arrivé aux vv. 30-31, le lecteur/auditeur, alerté par l’ambivalence sémantique dont use Paul, est obligé de se rendre à l’évidence que ces deux traditions culturelles sont ordonnées à un point de vue interprétatif et épistémologique unique : le message chrétien du Jugement dernier et de la résurrection. Ces deux cultures, l’une couchée dans la Septante, l’autre chantée par les poètes grecs, se trouvent chez Luc réunies à l’enseigne de l’homme ressuscité par Dieu et appelé à juger l’humanité. A cette valorisation, sans comparaison dans toute la tradition néotestamentaire, des réalisations culturelles grecques s’ajoute de l’admiration pour l’histoire qui les a produites, mue qu’elle était par une formidable quête religieuse. Cette histoire, tâtonnante et finalement ignorante, n’en a pas moins été le témoin imparfait d’un désir aussi noble que l’espérance d’Israël. On peut ici oser la formulation paradoxale d’ignorance historico-salutaire .

382

L'identité chrétienne au risque du monde hellénisé

S’étant avancé jusqu’ici dans le récit des origines chrétiennes, le lecteur/auditeur de Luc voit se profiler de manière aiguë la double orientation identitaire prise par l’Eglise, double orientation qu’il pressentait depuis le jour de la Pentecôte. Ce peuple qui se déploie au gré des périples missionnaires et par vagues successives en direction de Rome est un peuple où se conjuguent deux histoires, deux cultures, deux espérances. Un peuple qui tel Janus regarde simultanément dans deux directions que tout semblerait opposer105 : le monde juif et l’univers païen. A lui seul, le récit d’Ac 17 résume in nuce le programme théologique des Actes : articuler la continuité à Israël avec une ouverture audacieuse à l’endroit de la culture hellénistique. Athènes aussi bien que Jérusalem se voient indexées au chapitre ecclésiologique de Luc.

105 Cf. Daniel MARGUERAT, Les Actes des apôtres, I, 2007, p. 28.

Chapitre 11

L’Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31) 11.1

Bibliographie

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384

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

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11.1

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386

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

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11.2 Remarques préliminaires La conclusion des Actes est l’un des chapitres les plus commentés de l’œuvre lucanienne. Cette véhémence exégétique tient d’une part à ses nombreux silences : quid de la comparution paulinienne devant le tribunal de César, annoncée à répétition durant son procès et motif de son transfert à Rome ([Ac 23, 11] ; 25, 11.12 ; 26, 32 ; 27, 24 ; 28, 19) ? Quid du martyre de l’apôtre, indirectement préfiguré par Luc (Ac 20, 25.38 ; 21, 11) et explicitement relaté dans les Actes apocryphes (Ac Paul 14) ? Quid du programme missionnaire tracé par le Ressuscité en Ac 1, 8 : l’arrivée de l’Evangile à Rome en offre-t-elle une réalisation plénière ? Peut-on identifier les confins de la terre avec la capitale romaine, d’où radient toutes les routes de l’Empire1 ? L’autre raison à cet engouement des exégètes procède du rôle stratégique reconnu à la conclusion des Actes : c’est au sortir d’une œuvre littéraire que se documente le plus souvent sa clef herméneutique 2. Or, l’auteur des

1 2

Sur ce lieu commun et son fonctionnement en filigrane d’Ac 28, 15, voir Loveday C.A. ALEXANDER, « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, p. 427, note 29. Dans le cas d’Ac 28, cela a été notamment affirmé par Franz MUSSNER, « Die Erzählintention des Lukas in der Apostelgeschichte », dans Claus BUSSMANN, Walter RADL (éds), Der Treue Gottes trauen. Beiträge zum Werk des Lukas. Festschrift G. Schneider, Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1991, p. 32 ; Robert C. TANNEHILL, The Nar-

11.3

Analyse structurelle d’Ac 28, 16-31

387

Actes, bien loin de focaliser son récit sur l’église chrétienne de Rome ou sur le procès paulinien, offre à son lecteur l’image d’une ultime rencontre entre Paul et la communauté juive. C’est sur le débat entre l’Eglise et la Synagogue que se ferme le récit double de Luc. Mais, au cœur de ce dialogue judaïsme–christianisme s’invite un troisième et incontournable partenaire, signifié avec force par le setting de cette dernière scène : Rome (28, 14.16) et les nations païennes (28, 28). A n’en pas douter, la dernière page des Actes confronte son lecteur à la délicate question de l’articulation dans le programme identitaire de Luc de la constellation judaïsme–christianisme–paganisme : comment les deux axes identitaires de la chrétienté naissante, l’univers juif et le monde païen, concourent-ils à fixer l’image de l’Eglise que Luc souhaite laisser à sa postérité ? Voilà la question à laquelle nous risquerons une réponse ici.

11.3 Analyse structurelle d’Ac 28, 16-31 11.3.1

Remarques préliminaires

Préciser l’organisation structurelle d’un épisode constitue une étape herméneutique importante. Nous nous proposons de mettre au jour la disposition narrative d’Ac 28, en repérant les phénomènes d’inclusion, de répétition et de parallélisme qu’il recèle. L’utilité de cette démarche est double : dévoiler le centre de gravité du récit, mais aussi mettre le doigt sur des éléments qui déstabiliseraient volontairement une construction bien échafaudée. Dans le cas précis de la fin des Actes, l’enjeu est de taille. En effet, la critique historique a intenté à cette conclusion un procès pour maladresse littéraire et déficience artistique 3. Ce grief est-il fondé ? Etudier la structure de cette péricope nous offrira une première réponse à cette question.

3

rative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 344 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 71. Cf. Karl BORNHÄUSER, « Der Schluss der Apostelgeschichte (28, 11-31) », 1934, p. 160 : « Mit dieser letzten Bemerkung schliesst die Apostelgeschichte. Ein merkwürdiger Schluss. Doppelt merkwürdig, weil sich das Buch für den aufmerksamen Leser je länger je mehr als ein Werk von grosser schriftstellerischer Kunst erweist. Versagt diese Kunst hier plötzlich […] ? » (nous soulignons).

388

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

Nous initierons notre enquête par les bornes de la péricope, à savoir le v. 16 et les vv. 30-31. Dans un second temps, nous aborderons les versets médians (vv. 17-28). A cet égard, nous prolongerons les analyses littéraires faites par Jacques Dupont4 et par Hermann J. Hauser5. Tous deux en effet ont grandement contribué à l’étude structurelle de cette finale 6. 11.3.2

Vv. 16 et 30-31 : un phénomène d’inclusion

Dans son étude structurelle d’Ac 28, Jacques Dupont commence par repérer les jeux d’inclusion à l’œuvre dans cette finale. Il identifie un premier encadrement formé par les vv. 16 et 30-31 ; cette inclusion opère par le recours à un vocabulaire identique ou apparenté : mevnein (v. 16) / ejnevmeinen (v. 30) ; kaq’ eJautovn (v. 16) / ejn ijdivw/ misqwvmati (v. 30) et de façon moins concluante eijs hvlqomen (v. 16) / eijsporeuomevnou" (v. 30). A l’examen de ces reprises lexicales, il semble indéniable que les vv. 16 et 30-31 installent un cadre narratif où vient s’intercaler la double rencontre entre Paul et les juifs. Dit autrement, cette inclusion concentre le regard du lecteur sur les versets 17-28 de la péricope. Par ailleurs, tant le v. 16 que les vv. 30-31 font office de charnière ou de jointure. En effet, si le v. 16 introduit un nouvel épisode après le voyage animé entre Césarée et Rome, en fixant un cadre spatiotemporel différent, il marque également l’ultime étape de ce périple au long cours. De même, les vv. 30-31, tout en formant inclusion avec le v. 16, inaugurent une nouvelle période temporelle (dietivan o{lhn), en brossant les conditions de diffusion de la prédication paulinienne au cœur de la romanité. Ceci dit, à la différence des versets 23-25a, où la réaction de l’auditoire face à l’annonce de l’Evangile est notifiée, le résultat de cette entreprise évangélisatrice est volontairement laissé en 4

5 6

Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 459-482. En effet, la première partie de cet article classique conduit une analyse littéraire d’Ac 28, 16-31. La seconde investigue les rapports entretenus par cette conclusion avec l’ensemble de la double œuvre lucanienne. Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, pp. 185-228. Dans leur foulée, voir également Thomas BERGHOLZ, Der Aufbau des lukanischen Doppelwerkes. Untersuchungen zum formalliterarischen Charakter von LukasEvangelium und Apostelgeschichte (EHS 23.545), Frankfurt am Main et al., Peter Lang, 1995, pp. 111-115.

11.3

Analyse structurelle d’Ac 28, 16-31

389

suspens ; l’ultime tableau croqué par Luc est sciemment inachevé, afin de favoriser une continuation du récit dans la vie de son lecteur7. 11.3.3

Vv. 17a et 25a : une inclusion déstabilisante

Un second phénomène d’inclusion a été identifié par Jacques Dupont dans notre passage : au v. 17a, qui voit Paul convoquer les principaux de la communauté juive, répond, au terme du double entretien, le départ de cette même députation (v. 25a). Deux indices supplémentaires confortent cette inclusion. D’une part, Luc a soigneusement soudé les deux entrevues en ne mentionnant pas le départ des juifs suite à la première rencontre (v. 22 ; cf. v. 23a). De la sorte, le mouvement d’éloignement rapporté au v. 25a renvoie directement au v. 17a. D’autre part, ce phénomène d’inclusion est renforcé par un vocabulaire en antithèse : à l’unité (v. 17 : sugkalevsasqai ; sunelqovntwn) qui caractérise la venue des juifs auprès de Paul fait place la division en finale (v. 25a : ajsuvmfwnoi). Comment concilier ces deux inclusions qui balafrent Ac 28, 16-31 ? Elles ont pour principal effet d’individualiser les vv. 25b-28. En effet, rejetée en finale, cette parole prophétique déborde ostensiblement le cadre de l’entrevue entre Paul et les juifs (vv. 17-25a). Partant, elle n’est pas limitée à la contingence de cet épisode, mais endosse une validité méta-textuelle 8. A cet effet, la version occidentale du texte des Actes trahit la gêne ressentie par les copistes face à cette mise à l’écart des vv. 25b-28 : ces derniers ont délibérément choisi d’ajouter un verset de clôture (v. 29), neutralisant abusivement un déséquilibre révélateur.

7

8

Cf. Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, p. 203 : « Nun ahnen wir auch, warum in dieser Sequenz keine Resultate der Verkündigungstätigkeit des Paulus berichtet werden : Die Erzählung soll nicht als geschlossener Zirkel enden, sondern “open-ended” bleiben, – mit der Beschreibung eines unaufhaltsamen dynamischen Vorgangs ». Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, p. 463 : « Il semble clair que cet isolement relatif a pour effet de lui donner plus de relief : la dernière déclaration de Paul donne l’impression de s’adresser à un auditoire plus large que celui des interlocuteurs qui, d’une certaine manière, ont déjà quitté la scène ».

390

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

11.3.4

Vv. 23-25a et 30-31 : un parallélisme incomplet

Sans entrer dans une structuration fine des versets 23-25a, il ressort que Luc a disposé en parallèle la prédication de Paul devant les notables juifs (vv. 23-25a) et son annonce universelle de l’Evangile (vv. 30-31). En effet, la rencontre de Paul avec les juifs de Rome se décompose grosso modo en trois éléments : a) exposition du cadre spatio-temporel et déplacement des leaders juifs auprès de Paul (pro;" aujtovn) (v. 23a) ; b) annonce du Royaume de Dieu et de l’événement Jésus Christ (v. 23b) ; c) résultat (vv. 24-25a)9. Deux de ces trois composantes se retrouvent aux versets 30 et 31 : a) exposition du cadre spatio-temporel et venue des auditeurs chez Paul (pro;" aujtovn) (v. 30) ; b) annonce du Royaume de Dieu et de l’événement Jésus Christ (v. 31). Au reste, le parallélisme est renforcé par la saisissante proximité des vv. 23b et 31a : l’objet de la prédication chrétienne est à chaque fois présenté à l’aide de la double formulation hJ basileiva tou' qeou' – [ta;] peri; tou' jIhsou' et introduit par deux participes10. Le mimétisme structurel est évident. Dans le second cas toutefois, seule fait défaut la notification du fruit porté par la prédication paulinienne : échec ou succès ? Le silence lucanien paraît ici finement orchestré. Autrement dit, si Luc reproduit dans ses ultimes versets un canevas échafaudé dans les versets précédents, il s’en démarque volontairement sur un point hautement significatif : si la prédication du kérygme chrétien auprès d’Israël s’est soldée par un échec partiel (vv. 24-25a), la diffusion urbi et orbi de la Parole ne semble pas devoir s’arrêter, avant que le programme missionnaire d’Ac 1, 8 ne soit entièrement réalisé. 11.3.5

Vv. 17-22 / 23-25a : deux entrevues en parallèle

Comme nous l’avons dit ci-avant, l’inclusion formée par les vv. 17a et 25a nous autorise à autonomiser le bloc narratif des vv. 17-25a et à le détacher de la parole prophétique qui surgit en finale (vv. 25b-28). Ces versets 17-25a relatent une double rencontre entre Paul et une 9 10

Cf. Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31) , 1979, p. 199. Pareille construction est extrêmement rare chez Luc et ne se retrouve ailleurs qu’en Ac 8, 12. Dans ce cas toutefois, elle n’est pas introduite par un double participe.

11.3

Analyse structurelle d’Ac 28, 16-31

391

députation de la communauté juive de Rome. Ces deux entrevues sont intimement liées, dans la mesure où la seconde vient se greffer sur la première : le désir des juifs d’en savoir plus sur l’« hérésie » à laquelle Paul est rattaché (v. 22) donne à l’évangéliste des nations l’occasion d’une présentation étoffée de la foi chrétienne. Or, quoique différents dans leur objet, ces deux échanges adoptent un scénario identique : a) venue des juifs auprès de Paul (vv. 17a.b ; 23a 11) ; b) discours-plaidoirie de l’évangéliste (vv. 17c-20 ; 23b) ; c) réaction de l’auditoire (vv. 21-22 ; 24-25a)12. On ne peut manquer l'isotopie structurelle existant entre ces deux scènes. Le fort parallélisme construit entre les vv. 17-22 et 23-25a vient à l’appui de nos remarques préalables : à l’instar des phénomènes d’inclusion, ces constructions parallèles conduisent le lecteur à individualiser les versets 25b-28. Ces versets acquièrent par là même une place en vue dans l’argumentation narrative déployée par Luc en Ac 28, 16-31 : la double plaidoirie paulinienne devant les juifs de Rome culmine dans une sanction prophétique, dont la validité déborde le strict cadre de cette entrevue. Autrement dit, la structure d’Ac 28 invite le lecteur à détacher les versets 25b-28 de leur cadre énonciatif : ce n’est pas d’un simple blâme adressé aux juifs de Rome qu’il s’agit.

11 12

Ces deux versets introductifs comprennent à chaque fois un indicateur temporel, un verbe de mouvement et la mention explicite de son sujet. Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 465-466 ; Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, pp. 197-199 ; ce dernier démontre le parallélisme à l’aide des instruments de l’analyse sémiotique : 1) virtualité (vv. 17a / [22a].23a) ; 2) actualisation (vv. 17b-20 / 23b) ; 3) résultat (vv. 21-22.[23a] / 24.[25a]). Voir également Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 676-677.

392

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

11.3.6

Schéma récapitulatif

11.4 Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien Le rôle stratégique assigné à la péricope conclusive d’un récit n’est plus à démontrer. Nombreux sont en effet les critiques littéraires à avoir mis en lumière, à partir de la littérature profane, la fonction herméneutique de la clôture narrative 13. En clair, l’ultime page d’un texte est supposée 13

Notamment : Frank KERMODE, The Sense of an Ending. Studies in the Theory of Fiction (Galaxy Book 248), London/Oxford, Oxford University Press, 1977 ; ID., The Genesis of Secrecy. On the Interpretation of Narrative, Cambridge/London, Harvard University Press, 1979 ; Armine Kotin MORTIMER, La Clôture narrative, Paris, Corti,

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

393

officier comme sommaire récapitulatif et clef interprétative de l’ensemble. On peut à cet égard considérer la clôture comme un « pacte de lecture à rebours » 14, puisqu’elle oblige le lecteur à remonter dans le récit pour s’assurer de sa juste compréhension15. Développé dans les années 1970 déjà, ce modèle heuristique n’a été que tardivement appliqué à la littérature biblique, singulièrement aux conclusions de l’évangile de Marc et du livre des Actes16. Dans ces deux cas en effet, pareilles approches du phénomène de clôture, délibérément cantonnées à l’espace textuel, sont confrontées à des situations non dénuées de complexité. Car ces deux pages conclusives se caractérisent, l’une comme l’autre, non seulement par ce qu’elles disent, mais également par ce qu’elles taisent. Bien connus sont leurs multiples silences, déclenchant auprès de générations de lecteurs un vif sentiment d’incomplétude. Or, se refusant à invoquer un hors-texte, les entreprises attachées à la rhétorique littéraire sont sommées d’exposer l’intention narrative qui préside à ces logiques d’inachèvement.

14

15

16

1985 ; Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, Princeton, Princeton University Press, 1981. Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, 1981, parle à cet égard de « retrospective patterning » (ibid., p. 5 : « Endings enable an informed definition of a work’s “geometry” and set into motion the process of retrospective rather than speculative thinking necessary to discern it–the process of “retrospective patterning”. […] In part, we value endings because the retrospective patterning used to make sense of texts corresponds to one process used to make sense of life : the process of looking back over events and interpreting them in light of “how things turned out” ». De même, plus loin, p. 209 : « endings invite the retrospective analysis of a text and create the illusion of life halted and poised for analysis »). Conjointement à cet intérêt croissant pour les conclusions littéraires, l’on assiste à un essor d’études consacrées aux débuts et prologues. Il s’agit en effet de deux lieux stratégiques servant à guider l’interprétation des textes et donc leur réception par le lecteur. Voir entre autres : Loveday C.A. ALEXANDER, « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, pp. 419-446 ; Yvan BOURQUIN, Marc, une théologie de la fragilité. Obscure clarté d’une narration (Le Monde de la Bible 55), Genève, Labor et Fides, 2005, pp. 271-351 ; Simon BUTTICAZ, La finale des Actes entre parole et silence, 2005 ; Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, pp. 203-205 ; James Lee MAGNESS, Sense and Absence. Structure and Suspension in the Ending of Mark’s Gospel, Atlanta, Scholars Press, 1986 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 307-340 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 344-357 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 71-115.

394

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

A cet effet, c’est la taxinomie des stratégies de clôture proposée par Marianna Torgovnick qui a connu le plus vif succès. Dans son étude de la conclusion narrative, Torgovnick s’est en effet risquée à établir une typologie des techniques de clôture qui tient compte autant des procédés de reprise que des phénomènes de silence 17. Elle qualifie de circularité les jeux de renvois échafaudés entre la conclusion et le commencement d’un récit18 et de parallélisme les différents liens qui unissent la finale à d’autres sections de l’œuvre, en plus de son début19. Lorsque certains éléments essentiels à l’intrigue ne trouvent pas résolution au sortir du récit, elle parle alors d’incomplétude 20. On le voit, ce modèle rend compte non seulement des procédures de reprise identifiables au terme d’une œuvre, mais également des phénomènes d’inachèvement. Partant, ce paradigme littéraire semble particulièrement recommandé pour déterminer l’adéquation – abondamment contestée – d’Ac 28 à l’œuvre en amont. 11.4.1

Des parallélismes : reprise d’un scénario connu

Les multiples parallélismes construits entre Ac 28 et l’amont du double écrit à Théophile ne sont plus à démontrer. Ces phénomènes de reprise ont été soigneusement détaillés par Jacques Dupont21, puis ratifiés par quantité d’autres chercheurs22. C’est pourquoi nous nous limiterons ici à une présentation sommaire de ces renvois intratextuels.

17

18 19 20 21

22

Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, 1981, pp. 13-19. Cette taxinomie des techniques narratives de clôture a déjà été appliquée à la fin des Actes par Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 353-355. De son côté Mikeal C. PARSONS, The Departure of Jesus in Luke-Acts. The Ascension Narratives in Context (JSNT.SS 21), Sheffield, JSOT Press, 1987, pp. 65-113, en a fait usage dans son étude de la conclusion du troisième évangile. Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, 1981, p. 13. Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, 1981, p. 13. Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, 1981, p. 13. Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », 1967, pp. 393-419 ; ID., « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 457-511 (surtout les pp. 483ss). Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 169-217 ; Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, p. 204 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 220-226 ; Frans NEIRYNCK, « Luke 4,16-30 and the Unity of Luke-Acts », dans Joseph V ERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, pp. 387-395 ; Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, pp. 44-45 ; Robert C.

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

395

L’analyse structurelle d’Ac 28, 16-31 nous a permis d’y reconnaître un scénario bipartite. En effet, l’inclusion des vv. 17a et 25a incite le lecteur à individualiser le bloc narratif des vv. 17-25a où se succèdent deux entrevues construites en parallèle et comprenant à chaque fois trois éléments : a) la venue des juifs auprès de Paul (vv. 17a.b ; 23a) ; b) une prise de parole de l’évangéliste des nations (vv. 17c-20 ; 23b) ; c) une réaction de l’auditoire (vv. 21-22 ; 24-25a)23. Or, cette organisation narrative n’est pas sans rappeler le schéma que le lecteur a rencontré en Lc 4, en Ac 2 et dernièrement en Ac 13. En effet, ces quatre épisodes, situés à des emplacements-clefs du récit lucanien, développent un même scénario narratif : deux temps successifs, comprenant au moins un acte de parole suivi d’une réaction de l’auditoire. Dans trois des quatre cas précités, l’attitude du public juif, initialement positive , se mue en hostilité affichée ou, à tout le moins, en comportement négatif, seul le discours pentecostal dérogeant à ce principe. A cela, il faut ajouter que, tout comme Ac 13, 46-47, Ac 28 débouche sur un oracle de jugement servant à exprimer la nouvelle orientation prise par la mission chrétienne suite au rejet du peuple juif (vv. 26-28 ; cf. aussi Ac 18, 6). Cela dit, les affinités existant entre ces quatre péricopes ne sont pas cantonnées au registre formel, mais ressortissent aussi au plan thématique. En effet, la forte coloration christologique des discours inauguraux se retrouve dans le discours paulinien adressé aux juifs de Rome (cf. 28, 23.31). A cet égard, il faut noter le constant retour aux Ecritures opéré par les orateurs respectifs en vue de fonder leur argumentation (cf. 28, 23b). De même, la question des rapports entre Israël et les nations refait inlassablement surface dans toutes ces prises de parole et occupe une place de choix dans la conclusion lucanienne (cf. 28, 26-28). Finalement, le motif du prophète rejeté par les siens, convoqué en Lc 4, 24, puis immédiatement expérimenté par Jésus dans sa

23

TANNEHILL, « Rejection by Jews and Turning to Gentiles : The Pattern of Paul’s Mission in Acts », 1986, pp. 83-101 ; ID., The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 344-357 ; Joseph B. TYSON, « The Jewish Public in Luke-Acts », 1988, pp. 574-583 ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, pp. 677-679 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 794. Voir supra notre analyse structurelle d’Ac 28, 16-31 (spécialement le paragraphe intitulé : Vv. 17-22 / 23-25a : deux entrevues en parallèle).

396

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

patrie de Nazareth (4, 28-29), sous-tend également le destin missionnaire de Paul du début à sa fin (cf. Ac 13, 46.50 ; 18, 6a ; 28, 25b-2724). 11.4.1.1

Tableau comparatif 25

Ac 2, 14-41

Lc 4, 16-30

Ac 13, 14-52

Ac 28, 16-31

Entrée de Jésus Pierre et les Onze dans la s yna gogue sont réunis dans une m a ison (2, (4, 16) 14a ; cf. 2, 2). Lecture des Citation des Ecritures (4, 17-20a) Ecritures (2, 16-21)

Convocation des dignitaires juifs dans la m aison de l’apôtre (28, 17a.b)

Premier acte parole (4, 21)

Premier acte de parole (28, 17c-20)

de

Réaction positive de l’auditoire (4, 22 ; avec mécanisme de relance : 4, 22b) Deuxième acte de parole (4, 23-27) Seconde réaction, négative cette foisci (4, 28-29)

Entrée de Paul et Barnabé dans la synagogue (13, 14b) Lecture de la Loi et des Prophètes (13, 15a) acte de Premier acte de Premier parole (2, 14b-15.22- parole (13, 16-41) 36) Réaction positive de Réaction positive de l’auditoire (2, 37 ; l’auditoire (13, 42avec mécanisme de 43 ; avec mécanisme de relance : 13, 42) relance : 2, 37b) Deuxième acte de parole (2, 38-40) Seconde réaction positive (2, 41a)

du L’universalité du L’universalité salut est induite (4, salut est proclamée, tout en restant 25-27) lim itée au p euple d’Israël (2, 17a.21.39) Epilogue (4, 30)

Epilogue (2, 41b)

Réaction positive de l’auditoire (28, 2122 ; avec mécanisme de relance : 28, 22)

Deuxième acte de parole (13, 44) Seconde réaction, négative cette foisci (13, 45) D énonc iation du refus juif (13, 46)

Deuxième acte de parole (28, 23) Seconde réaction, négative cette foisci (28, 24-25a) Dénonc iation du refus juif (28, 25b27) L’universalité du L’universalité du salut est proclamée, salut est proclamée, puis c oncrétisée puis mise eu œuvre (28, 28.30) (13, [46-] 47-48)

Epilogue (13, 49-52)

Epilogue (28, 30-31)

A la lecture de ce tableau synoptique, il paraît incontestable que Luc a organisé sa finale en respectant un schéma échafaudé en amont

24 25

Cf. Walter RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk, 1975, p. 98. En corps gras sont signalées les variantes significatives existant entre ces quatre scènes.

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

397

de son ouvrage (Lc 4, Ac 2 et Ac 13). Reste à évaluer les incidences tant pragmatiques qu’herméneutiques de cette vaste syncrisis balayant la narration lucanienne. 11.4.1.2

Effets pragmatiques et herméneutiques

Au niveau pragmatique tout d’abord, ce jeu d’échos vise à induire un phénomène de continuité entre le début et la fin de Lc–Ac : Ac 28, 16-31 constitue à n’en pas douter la conclusion adéquate et délibérée du diptyque lucanien26. Au sortir du récit, se joue ce qui avait été programmé dès la porte d’entrée (cf. Lc 4, 16-30) et qui a été observé tout au long du récit lucanien des origines : l’endurcissement d’Israël et l’ouverture de l’alliance aux nations. En bon écrivain, Luc revient ainsi sur une des thématiques transversales de sa double œuvre et expose à son lecteur la logique constante qui préside à l’accomplissement du plan divin. Ceci dit, si ces parallélismes suggèrent la continuité de l’histoire du salut et invitent le lecteur à construire l’unité de Luc–Actes27, les variations, qui singularisent ces différents épisodes-charnières, ne peuvent être occultées : elles rappellent que la réalisation du plan salvifique est un processus graduel28. Dit autrement, Luc respecte les différentes phases de l’histoire du salut. Exemple : l’inclusivisme de l’Evangile programmé par Jésus en Lc 4, 25-27, puis concrétisé à l’interne du peuple juif en Ac 2, 5.9-11a, n’est étendu à tous les peuples de la terre qu’à partir d’Ac 13, 47-48. Au terme de l’écrit, la page conclusive confirmera la mise en œuvre de ce processus d’universalisation du salut (28, 28.3031). De même, la dénonciation solennelle du refus d’Israël n’apparaît qu’au cours de la mission paulinienne des Actes (13, 46 ; 18, 6 ; 28, 2627). A ce stade du récit en effet, c’est en connaissance de cause qu’une portion du peuple juif refuse le salut qui lui est offert. Finalement, les espaces où retentit la prédication chrétienne varient également d’une borne à l’autre de la double œuvre : à côté du Temple jérusalémite (Ac

26 27

28

Thèse avancée et étayée une première fois par Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 502-508. A ce sujet, on consultera avec profit l’étude que Daniel Marguerat a consacré aux diverses procédures lucaniennes d’unification narrative : ID., La première histoire du christianisme, 20032, pp. 75-89. Cf. Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, p. 508.

398

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

2, 46) et de la synagogue (Lc 4, 16 ; Ac 13, 14), se muant progressivement en lieux du refus, émerge un nouveau lieu d’évangélisation, la place publique (Ac 17, 17), et singulièrement l’espace domestique (Ac 16, 15.34.40 ; 18, 7 ; 20, 20)29. C’est là que Paul, assigné à résidence dans la capitale impériale (Ac 28, 16.23), prêchera sans relâche deux années durant (Ac 28, 30-31). Au niveau herméneutique ensuite, ce subtil réseau de liens structurels et thématiques tissés vers l’amont de l’œuvre dévoile l’enjeu central du diptyque lucanien. Resurgit au terme des Actes le schéma d’opposition inauguré dans la synagogue de Nazareth, puis rejoué, dès la halte antiochienne, tout au long de la mission paulinienne de diaspora. Qu’est-ce à dire ? Sans conteste, la problématique des rapports entre la mission chrétienne et la Synagogue se loge au cœur de la perspective littéraire et théologique de Luc30. Terminer son œuvre non pas sur le sort personnel réservé à l’évangéliste Paul, mais sur la délicate constellation judaïsme–christianisme–paganisme n’est pas un choix anodin. Derrière ce schéma bipartite évoluant de l’accueil favorable au rejet tragique se dessine la double conviction identitaire de Luc : la communauté de salut dont il narre le passé fondateur vient d’Israël et s’inscrit dans son prolongement, même si, suite à l’endurcissement du peuple juif, elle est contrainte à s’en détacher pour former une entité religieuse autonome . C’est au cœur de l’Empire, au sein de la domus romaine, que ce nouveau peuple, cultivant autant ses attaches au particularisme d’Israël qu’à l’universalité païenne, prendra désormais ses quartiers. Partant, le tableau final centré sur l’hospitalité illimitée exer-

29

30

Dans sa thèse de doctorat consacrée aux quatre récits des Actes relatant la conversion d’une maisonnée, David Lertis Matson a montré de manière convaincante comment l’espace profane et privé de la maison était progressivement appelé à devenir le lieu cultuel et public de la chrétienté naissante (ID., Household Conversion Narratives in Acts [JSNT.SS 123], Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996). Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 344 : « The fact that the narrator has chosen to end the work with a scene that focuses on Paul’s encounter with Jews shows how extraordinarily important the issues of this encounter are to the narrator » ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 793 : « This can only mean that clarifying Paul’s relationship with Judaism was extremely important to Luke » ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 885 : « Es ist bedeutsam, dass der Acta-Vf in dieser letzten Einzelszene gerade die Judenproblematik – ein zentrales Thema der Apg, das sich wie ein roter Faden durch das gesamte Werk hindurchzieht (vgl. 1,6 ; 3,20ff. ; 13,46 ; 18,6 u.a.) – noch einmal aufgreift […] » (l’auteur souligne).

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

399

cée par Paul dans son logement romain, loin d’être un simple appendice biographique 31, participe au contraire de la visée identitaire des Actes. Au reste, nous avions reconnu un rôle similaire à l’épilogue d’Ac 13, 49-52. 11.4.2

Ac 28, 16-31 : circularité avec Lc 1–2 et Ac 1 11.4.2.1

Remarques préliminaires

Jusqu’à présent, nous avons fait l’inventaire des parallélismes disposés entre la conclusion des Actes et l’ensemble du diptyque. Nous voulons maintenant mettre en relief les jeux d’inclusion construits par Luc entre Ac 28 et les différents prologues de sa double œuvre (Lc 1–2 et Ac 1). Dit en termes géométriques, nous désirons pointer les phénomènes de circularité existant entre le début de la narration et sa clôture 32. De la sorte, nous nous rendrons compte des marqueurs de bouclage posés par Luc en finale de son récit. 11.4.2.2

Ac 28 et l’Evangile de l’enfance : une vaste boucle narrative

Plusieurs motifs centraux à la conclusion des Actes sont pour le lecteur des appels à une mémoire d’évangile, plus particulièrement à une mémoire de l’Evangile de l’enfance. Les jeux d’échos sont multiples. Lexicographiquement, le syntagme tou'to to; swthvrion tou' qeou', utilisé par Paul dans sa prophétie d’Ac 28, 28 et extrêmement rare dans le lexique néotestamentaire 33, renvoie le lecteur au portique d’entrée de la double œuvre lucanienne, à Lc 2, 30 et 3, 6 précisément34. Ces trois 31

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33 34

Contra Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 113 : « Die lukanische Schlusssentenz wird man kaum als den Höhepunkt des lk Erzählwerkes werten wollen, eher als seinen Ausklang ». Cf. Marianna TORGOVNICK, Closure in the Novel, 1981, p. 13ss ; l’auteure nomme circularité les divers types de renvois (langagiers, situationnels, actoriels, etc.) qui, au terme d’un récit, pointent vers son début. Ailleurs seulement en Ep 6, 17 ; cf. Werner FOERSTER, Georg FOHRER, art. « swthvrio" », ThWNT VII, 1964, pp. 1022-1024. Cf. Loveday C.A. A LEXANDER, « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, p. 434 ; Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, p. 71, note 200 ; Walter RADL, « Die Beziehungen der Vorgeschichte zur Apostelgeschichte, dargestellt an Lk 2,22-39 », dans Joseph VERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, p. 304 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 349.355.

400

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

occurrences lucaniennes de to; swthvrion se situent d’ailleurs toutes dans des contextes littéraires identiques35. A chaque fois, le salut espéré est assorti d’une orientation universaliste – à cet égard, Lc 2, 32 et Ac 28, 28 désignent tous deux les e[q nh comme co-bénéficiaires de ce salut36 – et son irruption provoque une résistance au sein d’Israël (cf. Lc 2, 34 ; 3, 8-9 ; Ac 28, 24-27)37. Qui plus est, le syntagme incriminé apparaît invariablement dans des citations ou allusions scripturaires, spécialement ésaïennes (cf. Es 40, 5)38. A cela s’ajoute le fait qu’en Ac 28, 28, cette expression est introduite par le verbe ajp estavl h (passivum divinum), qui est également utilisé en Lc 1, 19 et 26 (cf. aussi 4, 18.43) pour signifier l’envoi dont Dieu est l’auteur39. De même, le verbe ajntilevgein, présent à deux reprises en Ac 28 (vv. 19a et 22b), se retrouve (uniquement) dans la prophétie de Syméon (Lc 2, 34) ainsi que dans l’épisode d’Antioche de Pisidie (Ac 13, 45). A chaque fois, il sert à exprimer l’opposition déployée à l’encontre du kérygme chrétien. On le voit, ce qui est annoncé prophétiquement par Syméon dans le Nunc Dimittis trouve sa réalisation aiguë dans la mission paulinienne40. Le verbe ajntilevgein encadre ainsi la double œuvre de Luc et, singulièrement, le

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40

Contra David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel (JSNT.S 119), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, qui affirme, p. 41 : « Of the three instance of swthvrion, only one refers to Gentiles, and that is in a speech to a Jewish audience (Acts 28, 28) ». Cf. Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, p. 71 : « Mit dem Hinweis auf das Heil für die Heiden unter Anspielung oder Zitierung der Schrift greift Lukas ein Thema aus dem Anfang und dem Schluss seines Evangeliums (Lk 2,30-32 ; 3,6 ; 4,25-27 ; 24,47) hier am Ende der Apostelgeschichte noch einmal erneut und abschliessend auf ». Observation faite par Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », 1967, pp. 137-138 ; ID., « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 508-509. Cf. Paul S. MINEAR, « Luke’s Use of the Birth Stories », dans Leander E. KECK, James Louis MARTYN (éds), Studies in Luke-Acts, Philadelphia, Fortress Press, 1980, p. 116. Inclusion suggérée par Michael WOLTER, « Israel’s Future and the Delay of the Parousia, according to Luke », dans David P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel. Luke’s Narrative Claim upon Israel’s Legacy, Harrisburg, Trinity Press International, 1999, p. 311. Cf. David L. TIEDE, « “Glory to Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », dans Joseph B. TYSON (éd.), Luke-Acts and the Jewish People. Eight Critical Perspectives, Minneapolis, Augsburg, 1988, p. 29 : « Paul is asked to speak on behalf of “this sect which is everywhere spoken against” (Acts 28 :22). Since Jesus has been identified as a “sign spoken against” (Luke 2 :34), the reader ought not be surprised to find that the messianist sect ( hairesis) and its apostle would share that fate ».

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

401

cycle paulinien41. Là également, l’inclusion est patente. A cet éventail de reprises terminologiques vient finalement s’ajouter un jeu de renvois orchestré autour du verbe oJravw. Tant en Lc 2, 30 qu’en 3, 6 en effet, le salut de Dieu est l’objet d’un voir. Or, tragiquement, au terme de sa mission, Paul réduplique les dires du prophète Esaïe (Ac 28, 26-27) et dénonce la cécité du peuple juif : loin d’avoir reconnu le salut qui lui a été envoyé, Israël a tenu ses yeux clos (kai; tou;" ojfqalmou;" aujtw'n ejkavmmusan: mhvpote i[dwsin toi'" ojfqalmoi'"). Sur un plan thématique également, plusieurs phénomènes de circularité peuvent être reconnus. L’« espérance d’Israël » pour laquelle Paul, parfait judéo-chrétien, porte les chaînes dans la capitale impériale (cf. Ac 28, 20) prolonge et synthétise les attentes des figures prophétiques de l’Evangile de l’enfance, Zacharie, Marie, Syméon et Anne (Lc 1, 32-33.50-54.68-71.74.78-79 ; Lc 2, 25-27 et 2, 38)42. En outre, l’atmosphère est de part et d’autre judéo-centrée : à la saveur septantique de Lc 1–2 correspond, en finale, un récit saturé de catégories juives et monopolisé par la problématique des relations entre juifs et chrétiens43. Force est de constater que la thématique de la rédemption d’Israël surplombe et encadre l’ensemble du diptyque lucanien44. Néanmoins, cet accomplissement

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Cf. Walter RADL, « Die Beziehungen der Vorgeschichte zur Apostelgeschichte, dargestellt an Lk 2,22-39 », 1999, p. 307 : « Nicht umsonst rahmt es gewissermassen den Paulusteil der Apostelgeschichte. Ja es rahmt im wesentlichen sogar das ganze Werk des Lukas ; denn das ajntilevgetai von Apg 28,22 entspricht dem ajntilegovmenon von Lk 2,34 ». Dans ce sens : Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », NT 38, 1996, p. 3 : « Though this hope has as its primary object the resurrection of the dead, it retains an aspect of nationalism. […] This same hope which at the beginning of the work has been personified in characters such as Simeon and Anna, at the end incarnates itself in Paul ! ». De manière similaire Richard I. P ERVO, Luke’s Story of Paul, Minneapolis, Fortress Press, 1990, p. 95 ; David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, pp. 245-246. Cf. David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, p. 245 : « The account of Paul in Rome has a strongly Jewish character such as we find in the birth stories. All the people taking part are Jews and the reader is reminded that God’s salvation is for all, including the Gentiles (28.28 ; Lk 2.30-32 ; 3, 6) ». Richard BAUCKHAM, « The Restoration of Israel in Luke-Acts », dans James M. SCOTT (éd.), Restoration. Old Testament, Jewish and Christian Perspectives (JSJ.S 72), Leiden, Brill, 2001, p. 466 : « In some sense the whole narrative from Luke 3 to Acts 28 is recounted as the fulfillment of the hopes of restoration expressed in Luke 12. » ; John T. CARROLL, Response to the End of History : Eschatology and Situation in Luke-Acts (SBL.DS 92), Atlanta, Scholars Press, 1988, p. 155 : « The hope of Israel is at stake in the course of events narrated in Luke-Acts ».

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universel des espérances d’Israël va de pair avec une partition de ce même peuple juif : la prédiction de Syméon reçoit de la division des juifs de Rome une ultime concrétisation (28, 24-25a)45. A cet endroit, l’on peut se demander si le diagnostic émis par Paul en Ac 28, 26-27, dénonçant la cardiosclérose d’Israël (kardiva 2x au v. 27), ne prolonge pas le dévoilement des pensées de nombreux cœurs (ejk pollw'n kardiw'n), également auguré par le vieux Syméon (Lc 2, 35). A ce jeu de reprises axé sur le destin d’Israël s’ajoute l’encadrement royal dont est doté le diptyque lucanien. Les deux premiers chapitres qui composent l’Evangile de l’enfance sont en effet constellés de référence au messianisme davidique. Comme l’a montré Mark L. Strauss, ces allusions sont tantôt explicites (cf. Lc 1, 32-33.68-75 ; 2, 4.11.26), tantôt implicites (cf. Lc 2, 25-26.29-32)46. Autrement dit, Luc associe fortement et programmatiquement sa christologie à un vocabulaire royal et davidique. Cette thématique ressurgit ensuite dans d’autres passages-clefs du diptyque, comme le discours pentecostal de Pierre (Ac 2, 25-36), l’homélie paulinienne d’Antioche de Pisidie (Ac 13, 22-23.32-37) ou la plaidoirie de Jacques lors de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15, 16)47. De l’autre côté, au terme de son œuvre, Luc compose deux sommaires de la prédication paulinienne centrés sur l’annonce de la basileiva tou' qeou' et sur sa 45

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Cf. Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, p. 509 : « […] la perspective d’un salut universel s’allie à celle d’un partage à l’intérieur d’Israël » ; Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, pp. 216-217 : « Mit ihrem Ende knüpfen die Acta an den Beginn des Lukasevangeliums an, denn es erfüllt sich, was der Prophet Simeon bereits angekündigt hat : Das Heil gilt dem Volk Israels und den Völkern, aber im Volk Israel führt es zur Spaltung » ; David RAVENS, Luke and the Restoration of Israel, 1995, p. 246 : « The theological purpose of Paul’s presence in Rome is to restate what had been revealed to Simeon, including the divisive effect of Jesus (Lk. 2.34-35). » ; David L. TIEDE, « “Glory to Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », 1988, p. 29 : « The ending of the narrative in Acts 28 is, therefore, not the end of the story, but it is a resumption of the themes sounded in Simeon’s oracles ». Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts. The Promise and its Fulfillment in Lukan Christology (JSNT.SS 110), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, pp. 76-125. Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 131 : « Both the nativity and the speeches in Acts 2 and 13 will be shown to be christologically introductory and programmatic for Luke’s promise-fulfillment motif. It is highly significant, therefore, that both are strongly Davidic messianic. » ; aussi Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 13 : « The Davidic Messianism of the Lukan birth story, which carries with it the imagery of Jesus as King and Lord (Luke 1 :32-33 ; 2 :11), reappears in the Pentecost speech ».

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

403

réalisation en Jésus Christ (28, 23.31). Là également, la coloration royale de la christologie est manifeste 48. En outre, la dernière et imposante titulature apposée au nom de Jésus (v. 31 : ta; peri; tou' kurivou jIhsou' Cristou') forme inclusion avec Lc 2, 11, où les anges désignent Jésus comme le cristo;" kuvrio". Dans ce cas précis, le messianisme est indubitablement davidique, attendu que c’est à Bethléem, la ville de David, qu’a vu le jour l’enfant de Nazareth (cf. v. 11)49. Cette association cristov"/kuvrio" se retrouve encore dans le Cantique de Syméon (Lc 2, 26 : to;n cristo;n kurivou) et au terme du discours pétrinien de la Pentecôte (Ac 2, 36 : kai; kuvrion aujto;n kai; cristo;n ejp oivhsen oJ qeov"), à savoir dans deux contextes habités par l’attente d’un Messie davidique50. Pour terminer, nous pouvons remarquer le poids herméneutique conféré, de part et d’autre, aux Ecritures et tout particulièrement aux prophéties ésaïennes (par ex. : Lc 2, 30 [Es 40, 5] ; Lc 3, 4b-6 [Es 40, 3-5] / Lc 4, 18-19 [Es 61, 1-2] / Ac 28, 26-27 [Es 6, 9-10] ; etc.) 51. Aux deux extrémités de son diptyque, Luc a truffé son texte de renvois scripturaires 48

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Cf. I. Howard MARSHALL, « “Israel” and the Story of Salvation : One Theme in Two Parts », dans David P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel. Luke’s Narrative Claim upon Israel’s Legacy, Harrisburg, Trinity Press International, 1999, p. 352 : « Thus for Luke the kingdom of God and the kingdom of the Messiah are the same thing, and to speak of the kingdom of God is to speak of the kingship of Jesus. » ; Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, p. 61 : « Wenn also nach Lukas die basileiva tou' qeou' verkündigt wird, dann geht es primär um Christus und seine Funktion im Heilsplan Gottes, was für die Zeit nach der Himmelfahrt Jesu nur heissen kann, dass im Zentrum der Basileiaverkündigung der erhöhte und von Gott zum Herrscher eingesetzte Christus steht. » ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 351 : « Some Jewish background is important for preaching God’s reign because it is connected in Luke-Acts with Jesus’ own reign as the Davidic Messiah. Lukan interest in Jesus’ kingship appears in Luke 19 :38 ; 22 :29-30 ; 23 :42 and in the passages that present Jesus as the successor to David’s throne (Luke 1 :32-33, 69-70 ; Acts 2 :25-36 ; 13 :22-23, 32-37) ». Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 114. Cf. Raymond E. BROWN, The Birth of the Messiah : A Commentary on the Infancy Narratives in the Gospels of Matthew and Luke (The Anchor Bible Reference Library), New York et al., Doubleday, 1993, p. 243 ; Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, pp. 115-118 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 352 : « The reference in 28 :31 to the “Lord Jesus Messiah” also forms an inclusion with the climax of the Pentecost speech in 2 :36 ». Observation faite par Paul S. MINEAR, « Luke’s Use of the Birth Stories », 1980, p. 116 : « Other link can be noted between the Canticles and the citation from Joel in Acts 2, between the use of Isaiah in the prologue and in the epilogue of Acts 28 » ; voir aussi Loveday C.A. A LEXANDER, « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, pp. 434-435.

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explicites ou implicites. Qui plus est, l’autorité du prophète Esaïe n’est explicitement nommée qu’en Lc 3, 4 ; 4, 17 ; Ac 8, 30 et 28, 2552. 11.4.2.3

Effets pragmatiques et herméneutiques

Ces indiscutables liens intratextuels construisent une boucle narrative entre le début et la fin de la double œuvre lucanienne 53. Autrement dit, le narrataire est convié par ce mouvement de va-et-vient à s’interroger sur la réalisation du programme installé en ouverture du récit à Théophile. Les attentes cristallisées dans l’Evangile de l’enfance, portées par des figures de foi exemplaires, ont-elles trouvé leur résolution ? La réponse n’est pas univoque. Pour sûr, les reprises lexicographiques et thématiques que nous avons relevées suggèrent un accomplissement – à tout le moins partiel – de ce qui avait été prédit. En effet, l’universalité du salut semble en bonne voie d’actualisation54 et les promesses messianico-davidiques ont été réalisées tant dans la résurrection et l’exaltation du Christ Jésus (Ac 2, 30-3255 ; 13, 22-23.32-3756), que dans le relèvement de la hutte en ruines de David (Ac 15, 16). Par ailleurs, la scission interne à Israël, récurrente face au kérygme chrétien et rejouée à la fin de la mission paulinienne, avait également été prédite par Syméon. Le plan divin suit donc son cours. Néanmoins, pour qui relit attentivement ces deux chapitres inauguraux (Lc 1–2), l’affaire n’est pas aussi simple. En effet, Marie et Zacharie n’ont-ils pas chanté la rédemption d’Israël dans des termes socio-politiques et béni Dieu d’une libération armée de leurs ennemis (Lc 1, 51-53.68-71.74) ? Cette restauration « nationaliste » du peuple juif a-t-elle trouvé réalisation ? La crucifixion de Jésus et l’emprisonnement de Paul au cœur de l’Empire n’en sont-ils pas de

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Cf. Loveday C.A. A LEXANDER, « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, pp. 434-435. Cf. Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », 1996, pp. 2-3. A cet égard, Jacques DUPONT, « Le salut des Gentils et la signification théologique du livre des Actes », 1967, passim. Cf. Odette MAINVILLE, « Le messianisme de Jésus : le rapport annonce / accomplissement entre Lc 1,35 et Ac 2,33 », dans Joseph V ERHEYDEN (éd.), The Unity of LukeActs (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, pp. 314-318 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, pp. 240-247. Cf. Odette MAINVILLE, « Le messianisme de Jésus : le rapport annonce / accomplissement entre Lc 1,35 et Ac 2,33 », 1999, pp. 317-318 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, pp. 157-174.

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

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flagrants désaveux57 ? De même, l’endurcissement d’une notable portion du peuple élu n’hypothèque-t-il pas sérieusement l’accomplissement de la « restauration d’Israël » ? Suscitées par ce jeu de circularité, toutes ces questions58 constituent un véritable nœud gordien de l’exégèse lucanienne et les tentatives de le défaire ont été multiples59. Parcourons quelques-uns de ces essais majeurs. Partons de l’hypothèse formulée par le narratologue américain Robert C. Tannehill60. C’est sous le slogan bien connu de « tragic story » qu’il a résumé le parcours narratif proposé en Luc–Actes et, partant, répondu à l’Israelfrage 61. Pour Tannehill en effet, l’histoire d’Israël dans les Actes est la tragique chronique d’une faillite des promesses confiées 57

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C’est pour le moins ce qui transparaît des dires des disciples d’Emmaüs en Lc 24, 21 : « hJmei'" de; hjlpivzomen o{ti aujtov " ejstin oJ mevllwn lutrou'sqai to; n j Israhvl ». La reprise de la racine lutr-, attestée en Lc 1, 68 et 2, 38, montre que nous avons affaire aux mêmes attentes nationalistes ; voir Robert C. TANNEHILL, « Israel in Luke-Acts : A Tragic Story », 1985, p. 76. Cf. Loveday C.A. A LEXANDER, « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, p. 442 : « If the reader is sent back from Acts to re-read the Gospel prologue, it seems to me, this awareness of tragedy can only be enhanced. […] And what is the reader to make, on such a re-reading, of all the promises held out in Luke’s opening chapters of “salvation” to Israel ? Are these simply unfulfilled predictions ? » ; voir aussi les questions soulevées par Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 125 : « Through the use of this “promise” language, Luke has created an air of anticipation for his readers. How does this nationalistic and political sounding language apply to the crucified, resurrected and ascended Jesus ? If Jesus is not now reigning on an earthly Davidic throne in Jerusalem, how can he be the Christ, the one to fulfill the promise set forth in Luke 1.32-33 ? Through the dominance of the Davidic messianic theme in the nativity, Luke has implicitly set this question before his readers ». Plusieurs exégètes ont tenté de le défaire ou de le trancher. Entre autres : John T. CARROLL, Response to the End of History, 1988 ; Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », 1996, pp. 1-17 ; David P. MOESSNER, « The Ironic Fulfillment of Israel’s Glory », dans Joseph B. TYSON (éd.), Luke-Acts and the Jewish People. Eight Critical Perspectives, Minneapolis, Augsburg, 1988, pp. 35-50 ; Heikki RÄISÄNEN, « The Redemption of Israel : A Salvation-Historical Problem in Luke-Acts », 1991, pp. 94-114 ; Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, pp. 76-125 ; Robert C. TANNEHILL, « Israel in Luke-Acts : A Tragic Story », 1985, pp. 69-85 ; David L. TIEDE, « “Glory to Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », 1988, pp. 21-34. Robert C. TANNEHILL, « Israel in Luke-Acts : A Tragic Story », 1985, pp. 69-85 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 344-357. Robert C. TANNEHILL, « Israel in Luke-Acts : A Tragic Story », 1985, p. 74 : « It seems to me that the narrative strategy of Luke-Acts takes on meaning if we assume that the author is guiding the readers to experience the story of Israel and its messiah as a tragic story », et de conclure son étude, en affirmant que « the story of Israel, so far as the author of Luke-Acts can tell it, is a tragic story » (ibid., p. 85).

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au peuple allié de Dieu au cours de son passé et ravivées au seuil du diptyque lucanien. En clair, l’arc de cercle qui se dessine entre le début et la fin de l’œuvre à Théophile, loin d’offrir un apaisement aux attentes suscitées dans l’Evangile de l’enfance, déclenche au contraire un irrépressible sentiment de tragédie. A cette tension, l’exégète de l’Ohio ne trouve nulle solution au sein de la narration lucanienne, si ce n’est la confiance en Dieu et la persévérante annonce de l’Evangile62. Le ton est résolument confessant. Le risque inhérent à la lecture de Robert Tannehill est de massifier le rejet juif des Actes et d’immobiliser Israël dans une posture d’opposition. De ce point de vue, une hypothèse différenciée serait plus respectueuse du programme littéraire et théologique de Luc. Pour sûr, les conversions massives relatées dans la première moitié du récit, loin d’être simplement submergées par la notification répétée du rejet juif, participent de plein droit à la réponse faite par Luc à l’Israelfrage : Dieu n’a pas failli à ses promesses, dans la mesure où une portion considérable de juifs a trouvé le chemin de la foi. Tout comme Paul en Rm 9 à 11, l’auteur à Théophile se meut ici dans le prolongement de la théologie vétérotestamentaire du reste saint qu’il voit se reformer dans la communauté chrétienne. Ceci dit, l’auteur des Actes est également conscient de la progression de l’histoire et de sa propre situation ecclésiale caractérisée par un reflux de la mission juive et par l’adhésion majoritaire de pagano-chrétiens. Face à cette nouvelle donne socio-historique, c’est une seconde conviction qui va animer sa réflexion sur Israël et son destin : la conviction que le refus juif est le résultat d’un endurcissement voulu par Dieu et annoncé par le prophète Esaïe (Es 6, 9-10 ; cf. Rm 11, 7-8)63. Vu sous ce double angle, le récit déployé en Luc–Actes ne peut être forfaitairement taxé d’« histoire tragique », sans risquer la caricature du point de vue lucanien.

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Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 352-353 : « Acts offers no solution except the patient and persistent preaching of the gospel in hope that the situation will change », et plus loin, p. 357 : « Because God is God, hope remains that God’s comprehensive saving purpose will somehow be realized, but there is no indication of how that can happen ». Voir infra notre paragraphe intitulé : La découverte de Paul : Israël est endurci.

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

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David L. Tiede procède, lui aussi, de la tension qui surgit à la lecture de l’œuvre lucanienne 64. Si l’Evangile de l’enfance, dont le rôle est d’installer nombre de thèmes essentiels à la narration de Luc, exhibe une inflexible confiance en Dieu et déborde d’une joie eschatologique, le tour que prend le récit à Théophile est quant à lui tragique, et ceci de manière climactique en Ac 28 65. Ceci dit, David Tiede refuse de réduire les prophéties du prologue à l’état de pures chimères : selon lui, les espérances de ces figures justes et pieuses ne peuvent être simplement déçues. A cette énigme, Tiede trouve une solution dans le deuxième oracle de Syméon, prédisant la chute et le relèvement de nombreux en Israël (Lc 2, 34). Cette prophétie alerte en effet le lecteur sur les sinuosités que peut emprunter l’accomplissement du salut, dans la mesure où il va être confronté à la résistance (d’une partie) du peuple juif (donc « sa chute »). Il n’en demeure pas moins que Dieu n’abandonne jamais son peuple et que l’histoire reste orientée sur son « relèvement ». Et cela, même si ces événements doivent survenir en dehors de la narration lucanienne66. Cette thèse présente un défaut majeur, mais aussi un double mérite. Sa faiblesse résulte d’une lecture erronée de l’oracle de Syméon. En effet, la « chute » et le « relèvement » de nombreux en Israël ne sont pas à comprendre dans les termes d’une succession chronologique. Au contraire, il s’agit de deux réponses concomitantes au kérygme chrétien, deux réponses exemplifiées tout au long de la mission apostolique, particulièrement paulinienne des Actes (cf. 13, 42-45 ; 14, 1-4 ; 17, 1-5 ; 18, 4-5.12-17 ; 19, 8-10 ; 23, 7-10 ; 28, 24-25a). Mais, comme nous l’avons

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David L. TIEDE, « “Glory to Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », 1988, p. 23. David L. TIEDE, « “Glory to Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », 1988, p. 25 : « Certainly the sense of an ending which could be derived from Acts 28 is that the recitation of God’s salvation history points only to the condemnation of Israel ». David L. TIEDE, « “Glory to Thy People Israel” : Luke-Acts and the Jews », 1988, p. 34 : « Simeon’s dire oracle concerning the falling of many in Israel and a sign spoken against has already been amply fulfilled within the narrative and at its end (Acts 28) and probable in Luke’s world. But the restoration, the consolation, the redemption, the repentance, the forgiveness, and the reign of God which Simeon and all those worthies in Israel expected has only begun to be inaugurated in the present time of Luke’s story. ». Dans ce sens, voir aussi Bart J. KOET, « Simeons Worte (Lk 2,29-32.34c-35) und Israels Geschick », dans Frans VAN SEGBROECK et al. (éds), The Four Gospels. Festschrift F. Neirynck, vol. 2 (BEThL 100), Leuven, Leuven University Press, 1992, p. 1563.

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dit, sa force est double. D’une part, elle ne réduit pas le diptyque lucanien au rang de récit tragique (tragic story). S’il existe une tension effective entre le début et la fin de l’œuvre à Théophile, l’histoire collective du peuple juif est pourtant promise à un heureux dénouement. La reconstruction de la hutte de David est affirmée en Ac 15, 16 et un rétablissement complet de tout Israël semble devoir survenir à la fin des temps (par ex. Lc 13, 34-35). Nous y reviendrons en détail. D’autre part, on ne peut évacuer les prophéties dévoilées dans l’Evangile de l’enfance sous prétexte qu’il s’agit d’une pièce rapportée 67 ou que ses hérauts ne sont pas fiables68. Au contraire, par le jeu d’échos que nous avons perçu entre Lc 1–2 et Ac 28, Luc invite sciemment le lecteur à opérer l’anamnèse des hymnes de l’Evangile de l’enfance. Néanmoins, sur d’autres points, la question reste de mise : quid d’une libération armée de la tutelle romaine et d’une restauration politique du royaume davidique ? Rien ne laisse présumer que, pour Luc, ces attentes, confessées dans l’Evangile de l’enfance (Lc 1, 32-33.68-75 ; 2, 10-11.25), sont appelées à se réaliser dans le futur (au-delà d’Ac 28)69. A cette question, la thèse soutenue par David Tiede n’offre pas de réponse satisfaisante.

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Par exemple Hans CONZELMANN, Die Mitte der Zeit. Studien zur Theologie des Lukas (BHTh 17), Tübingen, Mohr Siebeck, 19645, p. 8, note 2, qui jugeait l’authenticité de ces deux chapitres douteuse. Cette thèse ne résiste néanmoins pas aux observations faites par Paul S. Minear qui a pointé l’homogénéité existant entre Lc 1–2 et le reste de l’ouvrage lucanien (ID., « Luke’s Use of the Birth Stories », 1980, pp. 111-130). Dans ce sens David P. MOESSNER, « The Ironic Fulfillment of Israel’s Glory », 1988, pp. 40-43, qui considère que Zacharie, Marie et Elisabeth n’ont qu’une compréhension limitée du plan divin et n’expriment ainsi que partiellement le point de vue de Dieu et celui du narrateur. Au contraire, nous abondons dans le sens de Daniel Gerber qui affirme : « […] il n’est pas sans importance de noter que ces discours (les cantiques) sont placés sur les lèvres de personnages des plus fiables, du moins dans la logique du monde du récit lucanien […] » (ID., « Le Magnificat, le Benedictus, le Gloria et le Nunc Dimittis : quatre hymnes en réseau pour une introduction en surplomb à Luc-Actes », dans Daniel MARGUERAT [éd.], La Bible en récits. L’exégèse biblique à l’heure du lecteur. Colloque international d’analyse narrative des textes de la Bible, Lausanne [mars 2002] [Le Monde de la Bible 48], Genève, Labor et Fides, 2003, pp. 357-358). Les allusions à la rédemption future d’Israël et de Jérusalem (Lc 13, 35 ; 21, 24b) notées à juste titre par Vittorio FUSCO (« Luke-Acts and the Future of Israel », 1996), auxquelles Daniel MARGUERAT ( La première histoire du christianisme, 20032, p. 334, note 2) additionne Ac 3, 21-22, ne dévoilent aucun détail sur la manière dont elle surviendra. Pour faire court, rien ne permet de dire qu’il s’agira d’un rétablissement national du peuple juif. Contra Arthur W. WAINWRIGHT, « Luke and the Restoration

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

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Faut-il alors adopter l’hypothèse défendue par Heikki Räisänen ? Ce dernier suggère que Luc aurait simplement juxtaposé, côte à côte au cœur de l’Evangile de l’enfance, deux conceptions diamétralement hétérogènes du salut attendu : d’une part un salut nationaliste (1, 3233.68-71.74 ; 2, 1-10.25), d’autre part une rédemption spirituelle (1, 3435.76-77)70 ? Qui plus est, cette juxtaposition n’aurait aucune prétention falsificatrice ou corrective. Luc fusionnerait simplement deux espérances antagonistes et éluderait du même coup la question de la réalisation des attentes politiques. Dit autrement, il assimilerait l’espoir d’une restauration nationale au salut christologique dont il fait le récit. Cette assimilation serait néanmoins capitale pour qu’il y ait véritablement « continuité » et « accomplissement » en Jésus Christ71 : le langage de la Septante serait tacitement mis au service d’une cause inédite. La proposition de lecture avancée par Heikki Räisänen vise juste sur un point notable, à savoir que Luc confère à l’Evangile de l’enfance une « atmosphère biblique », notamment véhiculée par les hymnes qui le composent. L’enjeu théologique de cette « conservative biblical imagery » 72 est de dresser une continuité inviolable entre l’histoire d’Israël et le ministère du Nazaréen73. Cependant, à la différence de Räisänen, nous ne dirions pas qu’il y a pure et simple juxtaposition de deux conceptions du salut74, mais progressive réinterprétation des catégories vétérotestamentaires75. Dès le seuil du troisième évangile, le lecteur de

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of the Kingdom to Israel », ET 89, 1977/1978, p. 78 : « The Lord who ascended physically would descend in the same manner to establish a physical kingdom on earth ». Heikki RÄISÄNEN, « The Redemption of Israel : A Salvation-Historical Problem in Luke-Acts », 1991, pp. 96-97 (ibid., p. 97 : « The national vision does not simply yield to a more spiritual or more comprehensive conception, but both views are juxtaposed » [l’auteur souligne]). Heikki RÄISÄNEN, « The Redemption of Israel : A Salvation-Historical Problem in Luke-Acts », 1991, p. 108 : « It is very important for Luke’s “fulfilment theology” that the expectation is first described in classical biblical language, even though he time and again “slip” into assimilations already in the birth narrative itself ». Cf. Heikki RÄISÄNEN, « The Redemption of Israel : A Salvation-Historical Problem in Luke-Acts », 1991, p. 108. Cf. Günter W ASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 119 : « Nicht der Dissens, sondern die Identität mit jüdischem Glauben und Hoffen steht eindeutig im Vordergrund ». Contra Heikki RÄISÄNEN, « The Redemption of Israel : A Salvation-Historical Problem in Luke-Acts », 1991, p. 97. Dans ce sens Richard BAUCKHAM, « The Restoration of Israel in Luke-Acts », 2001, p. 438 : « But it is also clear that this framework of hope is itself subject to interpretation by the events which fulfil it only in unexpected ways » (nous soulignons).

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Luc enregistre certains glissements qui trahissent la nouveauté du salut surgi en Jésus (par ex. : l’annonce de la partition d’Israël dans l’oracle de Syméon) 76. Cette réinterprétation parcourt ensuite l’entier du diptyque lucanien et se perçoit encore dans la finale d’Ac 28. Précisément, la conclusion des Actes reproduit la thématique de la basileiva tout en la relisant christologiquement77 : c’est dans le ministère du Messie de Nazareth et plus spécifiquement dans son exaltation céleste que la lignée et le règne davidiques ont trouvé leur perpétuation éternelle (cf. Lc 1, 32-33 ; Ac 2, 30-31)78. Partant, l’oracle auguré par Natan (2 S 7, 517), lieu classique du messianisme davidique, n’est plus lié à l’avènement d’une figure humaine et périssable. Qui plus est, son accomplissement n’a rien de comparable avec la restauration nationale du royaume d’Israël : le relèvement de la hutte en ruines de David (Ac 15, 16), rendu possible par l’effusion de l’Esprit, est érigé non à la faveur d’une campagne militaire contre l’oppresseur étranger, mais dans le repentir, l’adhésion au Nom de Jésus et l’accueil du pardon des péchés (cf. Ac 3, 1-26). L’écart est considérable 79. Ceci dit, la réalisation de la

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Richard BAUCKHAM, « The Restoration of Israel in Luke-Acts », 2001, p. 463 : « We can take it, then, that Simeon’s prophecy introduces a discordant and riddling note into Luke’s programme of messianic restoration. » ; John T. CARROLL, Response to the End of History, 1988, p. 48. Cette christologisation de la basileiva démarre dès Lc 4, 43. A ce sujet, la très bonne remarque faite par Philip DAVIES, « The Ending of Acts », 1982/1983, p. 335 : « In Roman captivity the prisoner and servant of the son of David proclaims the kingdom of God. He too will die, and other servants. But the “hope of Israel” cannot thus be extinguished. Both the king and the kingdom are of a different order » (nous soulignons). Voir également Frederick F. BRUCE, « Eschatology in Acts », dans W. Hulitt GLOER (éd.), Eschatology and the New Testament. Festschrift G.R. Beasley-Murray, Peabody, Hendrickson, 1988, pp. 52-54 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, pp. 351-352. Dans ce sens Christopher M. TUCKETT, « The Christology of Luke-Acts », dans Joseph V ERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, p. 162 : « Jesus is thus the royal Messiah, but the nature of his reign, the place of his throne, and any consequences of his arrival in terms of political real time, are all radically altered in the pro-cess of adaptation of the network of ideas as appropriated by the Lukan Jesus and the Christian preachers in Acts », et plus loin, p. 164 : « Jesus is the Messiah figure of Jewish expectation, fulfilling all the messianic expectations albeit in a highly unusual and distinctive way, i.e. via his exaltation to God’s right hand in heaven where his “true” throne is to be located » ; aussi Mark L. STRAUSS, The Davidic Messiah in Luke-Acts, 1995, p. 115 : « Jesus fulfills the promised role of the Christ in a surprising and unexpected way. As we shall see, this paradox of continuity and discontinuity with Jewish hopes is a key theme in

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

411

basileiva tw`/ jIsrahvl, bien qu’amorcée, court encore jusqu’« aux confins de la terre » (Ac 1, 8) et jusqu’au jour de la Parousie (Ac 1, 11). Dans l’intervalle, l’espérance d’Israël (cf. Ac 28, 20 : hJ ejlpiv" tou' jIsrahvl) va emprunter des chemins de traverse 80 : le salut scellé en Jésus va buter sur la résistance du peuple juif. Précisément, cette contestation paradoxale, limitée aux seules couches dirigeantes dans la première moitié des Actes (1–6), va se manifester avec acuité au cours de la mission paulinienne. En Ac 28, 20, l’ironie sera d’ailleurs mordante : incarcéré à Rome, Paul dira à ses coreligionnaires porter les chaînes à cause de l’« espérance d’Israël »81. En retour, cette partition d’Israël s’accompagnera d’un mouvement centrifuge, partant de Jérusalem en direction des païens (Lc 24, 47 ; Ac 1, 8). Sur ce point aussi, la reconfiguration des espérances juives est frappante : au pèlerinage des nations à Jérusalem, encore symbolisé dans la scène inaugurale de la Pentecôte (cf. Es 66, 18ss), se superpose progressivement un essaimage loin de la Ville sainte 82 ; la basileiva, en raison de son ancrage christologique, se caractérise non plus par son israélo-centrisme, mais par un universalisme sans limites – qu’illustre de manière évidente la dernière partie des Actes et sa prégnante orientation romaine (19, 21 ; 23, 11 ; 25, 10-12 ; 27, 24)83. C’est

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Luke’s Christology. » ; Brendan BYRNE, « Jesus as Messiah in the Gospel of Luke : Discerning a Pattern of Correction », CBQ 65/1, 2003, pp. 80-95. Cf. Richard BAUCKHAM, « The Restoration of Israel in Luke-Acts », 2001, p. 466 : « That Paul, in Rome in the last chapter of Acts, can say that “it is for the sake of the hope of Israel that I am bound with this chain” (28 :20 ; cf. 26 :6-7) is indicative of the extent to which the theme of the restoration of Israel dominates Luke’s narrative and does so in a way that does not negate but actually entails the Gentile mission ». Ironie très justement relevée par Robert C. TANNEHILL, « Israel in Luke-Acts : A Tragic Story », 1985, p. 78 : « The central focus of Jewish hope, the main object of earnest intercession, is rejected by Jews as they reject Paul and his message. The theme of Paul on trial for the hope of Israel highlights the tragic irony of the situation into which Paul’s Jewish opponents have blindly stumbled ». Egalement ID., The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 354 ; John T. CARROLL, Response to the End of History, 1988, pp. 155-157. Voir John T. CARROLL, Response to the End of History, 1988, p. 48, note 43 ; Michael WOLTER, « “Reich Gottes” bei Lukas », NTS 41, 1995, p. 558 ; contra Arthur W. WAINWRIGHT, « Luke and the Restoration of the Kingdom to Israel », 1977/1978, p. 78 : « The restoration is not merely to be a reinstatement of Israelites. It will include the coming of others to Jerusalem ». Cf. Michael WOLTER, « “Reich Gottes” bei Lukas », 1995, p. 558 : « Jesu Auftrag zur Zeugenschaft “bis ans Ende der Welt” (Jes 49.6) gibt mit seiner über Israel hinausreichenden Perspektive (vgl. die Wiederaufnahme des alt. Textes in 13.47) zu verstehen, dass der Universalismus der basileiva tou' qeou' aufgrund seiner Bindung an Jesus Christus einen Jerusalem wegführenden zentrifugalen Vorgang evoziert, der

412

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

pourquoi son avènement inclut également la mission chrétienne auprès des Gentils84. Ultime rappel à l’adresse du lecteur, cette double composante inattendue de la « gloire d’Israël » – le refus juif et l’élargissement centrifuge de l’alliance – est ramassée dans l’oracle paulinien qui conclut le livre des Actes (28, 25-27.28). En conclusion, nous pouvons dire que les attentes condensées dans l’Evangile lucanien de l’enfance, bien qu’elles ne soient pas entièrement réalisées au sortir de l’œuvre, n’en sont pas pour autant vouées à l’échec. Au contraire, le Règne de Dieu, inauguré dans l’exaltation céleste du Ressuscité, progresse irrésistiblement selon une géographie eschatologique (cf. Ac 1, 8) et les espérances d’Israël sont promises à un apaisement futur (cf. Lc 13, 35 ; 21, 24b)85. Néanmoins, force est de constater que cet accomplissement se fait et va continuer de se faire de façon inattendue. Dit autrement, le rapport entre prophéties et accomplissements fonctionne chez Luc sur un mode dialectique : il répond à une double logique, la logique de continuité et celle de discontinuité. 11.4.3

Ac 28 et l’ouverture des Actes

Avant de clôturer ce paragraphe, il nous faut encore faire état d’un phénomène de circularité existant entre Ac 28 et Ac 1. En effet, une série de liens intratextuels, fonctionnant sur différents niveaux, est repérable : 1) la thématique de la basileiva, centrale à la prédication de Paul devant les instances juives de Rome (cf. Ac 28, 23.31), rappelle la catéchèse du Ressuscité en Ac 1, 3 (cf. aussi la question des apôtres en

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sich in eben dieser Hinsicht von der auf Jerusalem hin ausgerichteten zentripetalen Struktur des frühjüdischen Basileia-Konzepts charakteristisch unterscheidet. » (l’auteur souligne). Cf. David L. TIEDE, « The Exaltation of Jesus and the Restoration of Israel in Acts 1 », 1986, p. 286 : « If Jesus is to be Israel’s Messiah and Lord, the inspired preaching of repentance unto forgiveness, the division in Israel, the ascendancy of Rome, and the expending gentile mission of the Christian movement which follow in Acts must all be seen as integral to the restoration which the exalted Jesus has inaugurated. » ; dans ce sens Frederick F. BRUCE, « Eschatology in Acts », pp. 54-56 ; Michael WOLTER, « “Reich Gottes” bei Lukas », 1995, p. 562 ; ID., « Israel’s Future and the Delay of the Parousia, according to Luke », 1999, pp. 310-311. Cf. Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », 1996, pp. 10-17 ; Michael WOLTER, « Israel’s Future and the Delay of the Parousia, according to Luke », 1999, pp. 308-310.

11.4

Ac 28 et son rapport à l’ensemble du diptyque lucanien

413

1, 6)86. Quant à la titulature ta; peri; tou' kurivou jIhsou' Cristou' (28, 31), elle s’apparente à la formule conclusive du discours pentecostal de Pierre (cf. Ac 2, 36) 87. L’encadrement est ainsi manifeste : tout comme Pierre, Paul, l’évangéliste des nations, prolonge fidèlement le dire et le faire de son Maître ; 2) de part et d’autre, les apôtres/disciples se trouvent dans une stabilitas loci : perimevnein (Ac 1, 4) / ejnevmeinen (Ac 28, 30)88. Néanmoins, de Jérusalem, le récit s’est déplacé vers Rome ; 3) l’orientation universaliste du salut, exprimée en Ac 28, 28, trouve sa légitimation dans le scénario missionnaire tracé par le Ressuscité (1, 8 ; cf. Lc 24, 47-48), même si ce programme déborde vraisemblablement le monde du récit lucanien. En retour, la mission paulinienne, arrêtée au faîte de l’empire romain, en a été un des promoteurs essentiels89. 11.4.3

Conclusion

Ces brèves remarques révèlent la finesse du travail compositionnel entrepris par Luc. Autrement dit : loin d’être une finale maladroite et fautive, Ac 28 constitue la parfaite conclusion tant du livre des Actes que de la double œuvre lucanienne. En plus de reprendre un scénario installé dès Lc 4, 16-30 et répété tout au long de la mission paulinienne de diaspora, la finale des Actes active deux amples jeux de circularité, le premier avec l’Evangile lucanien de l’enfance, le second avec les premiers versets du livre des Actes. Qui plus est, tant les phénomènes de parallélisme que ces boucles narratives nous ont permis de mettre au jour certains thèmes centraux à l’intrigue lucanienne : l’« espérance d’Israël » et la thématique de la basileiva, omniprésentes en Lc 1–2,

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Cf. Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, p. 210 : « Mit dem Stichwort Basileia Gottes schliesst sich der Kreis mit dem Anfang des Buches (circularity). Dort war die Basileia-Gottes-Verkündigung des Auferstandenen in den letzten vierzig Tagen vor seiner Erhöhung summarisch erzählt worden (Act 1,3) und im letzten Dialog des Auferstandenen mit seinen JüngerInnen war ausdrücklich auch die Apokatastasis der Basileia für Israel thematisiert worden (Act 1,6f.) ». Voir également Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 354 ; Michael WOLTER, « “Reich Gottes” bei Lukas », 1995, p. 559. Inclusion notamment relevée par Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1984, p. 352. Avec Mikeal C. PARSONS, The Departure of Jesus in Luke-Acts, 1987, p. 159. Cf. Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, p. 495 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of LukeActs, II, 1990, p. 354.

414

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

ressurgissent en Ac 1, 3.6, pour occuper finalement une place de choix dans la conclusion du diptyque (cf. Ac 28, 20.23.31). Ce faisant, Luc installe des clefs pour relire et interpréter non seulement sa finale, mais surtout l’ensemble de son œuvre. Rapidement dit, il en va d’un récit dont l’intention première est de préciser l’identité d’une communauté excommuniée de la Synagogue et implantée dans un réseau de maisons privées, à l’image du logement loué par Paul à Rome. Pour l’auteur à Théophile, c’est dans cette communauté distincte de l’institution synagogale que paradoxalement s’accomplissent les promesses liées à l’histoire du peuple élu et portées par les figures exemplaires de l’Evangile de l’enfance. En clair, dans son dire et dans son être, cette assemblée de salut née à la Pentecôte trahit la réalisation des prophéties accordées au peuple choisi : le surgissement d’un Messie davidique, l’octroi de l’Esprit de prophétie, le rassemblement de l’Israël eschatologique et l’universalisation du salut. Un accomplissement des espérances scripturaires certes, mais non dénué de surprises, à commencer par l’endurcissement partiel du peuple juif et par l’universalisme sans attaches, pas même jérusalémite, de la dynamique sotériologique. C’est sur ces deux aspects que nous voulons nous pencher maintenant.

11.5 Ac 28 et la question d’Israël 11.5.1

Remarques préliminaires

Qui souhaite évaluer l’image d’Israël chez Luc est automatiquement renvoyé à la conclusion des Actes. L’état de la recherche nous a d’ailleurs révélé l’empressement des chercheurs à valider leur paradigme de lecture sur ce champ textuel, déclenchant une avalanche difficilement contrôlable de positions sur la question90. Cet engouement 90

Parmi les exégètes à avoir reconnu la fonction décisive d’Ac 28 pour cerner l’image d’Israël chez Luc : Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 149 : « Das letzte Beispiel für das Anknüpfungsschema. […] Die grundsätzliche Bedeutung des Schemas wird hier vollends klar. Zugleich wird der Zweck des Buches sichtbar : das (räumliche) Ziel der Weltmission ist erreicht, und der Übergang von der Urkirche zur Kirche der Gegenwart ist dargestellt. Das lukanische Paulusbild und sein heilsgeschichtliches Verständnis von Gesetz, AT und Israel treten noch einmal unverhüllt in Erscheinung », et plus loin : « Die Szene ist gerade entworfen, um den Eindruck zu erwecken, dass es mit den Juden hoffnungslos steht. Anders als Paulus (Rm 9-11) blickt Lk nicht über die jetzige Verstockung hinüber auf eine künftige Bekehrung

11.5

Ac 28 et la question d’Israël

415

exégétique n’est pas usurpé. Car nous l’avons vu, Ac 28 s’inscrit en continuité de la problématique juive déployée en amont de l’œuvre, lui offrant un ultime et stratégique surgissement narratif. Détaillons ici les différents éléments de ce dossier. 11.5.2

Paul, symbole d’une chrétienté en continuité avec Israël

Dans son premier échange avec les leaders juifs de la synagogue romaine, Paul va offrir une ultime défense de son innocence. Dans ses termes, cette apologie se présente comme un raccourci des plaidoiries Israels. Jetzt ist vielmehr die Zeit der heidenchristlichen Kirche angebrochen ; diese hat das Erbe Israels angetreten » ; Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 627 : « Die Juden gehen nun auseinander. Jetzt geschieht in Rom, was früher in Jerusalem, Kleinasien und Griechenland geschehen ist : die Ungläubigen werden ausgeschieden ; sie gehören Israel nicht mehr, und das von Gott verheissene Heil wird jetzt von ihnen genommen » ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 698 : « Auch das letzte Kapitel gliedert sich damit vollständig in das Gesamtwerk ein, indem es das Recht zur Heidenmission im sich Versagen der Juden begründet » ; Joseph B. TYSON, « The Jewish Public in Luke-Acts », NTS 30, 1984, p. 582 : « In the closing narratives, the entire Jewish population has turned against the gospel, i.e. against Paul as its representative (Acts 25. 24). Even the myriads of believers (21. 20) fade from the picture », et plus loin : « At the end, Jewish acceptance of Jesus and the early Christians has been either neglected or suppressed. The Jewish public has heard but rejected the gospel. Thus, the failed mission to the Jews is terminated in favour of the mission to the Gentiles » ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 679 : « Lukas zeigt : Das mit Johannes dem Täufer vorbereitete (Lk 1 ; Apg 10,24), durch das Wort und Wirken Jesu angebotene Heil und die von den Aposteln und von Paulus verkündete Heils Botschaft wurden vom Volk Israel als ganzem nicht angenommen » ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 115 : « Jüdische Heilsverweigerung zieht sich wie ein roter Faden durch seine Verkündigungsbemühungen [de Paul]. In Rom wird nur der Schlusspunkt gesetzt : Jetzt reicht’s. Dass einige Juden für den christlichen Glauben gewonnen werden (Act 28,24), ist offenkundig nicht genug und nicht der bleibende Eindruck » ; Hans Hinrich W ENDT, Die Apostelgeschichte, 18998, pp. 420-421 : « In der Erfolglosigkeit des P., die Judenschaft Roms für den Glauben an die Messianität Jesu zu gewinnen, stellt sich noch einmal die Thatsache dar, von der die vorangehende Geschichtserzählung eine Fülle früheren Beispiele gebracht hat : dass das jüd. Volk im Grossen und Ganzen sich ablehnend und feindselig gegen das christliche Evangelium verhalten und dadurch selbst die Zuwendung dieses Evangeliums an die Heiden veranlasst hat. Die gewichtigen Worte, mit denen P. hier in Rom die Verstocktheit der Juden bezeichnet und die Predigt des Evangeliums an die Heiden proklamiert (V. 25-28), sind zugleich ein zusammenfassendes Urteil über das Verhalten des jüd. Volkes im Allgemeinen zur Apostelzeit und über den Gang, den die christ. Mission von den Juden aus zu den Heiden genommen hat. […] Gewiss hat der Vf. mit vollem Bedachte unsere Erzählung zum bedeutungsvollen Abschluss seiner Missionsgeschichte gestaltet ».

416

L'Eglise à la conquête de Rome (Actes 28, 16-31)

antérieures tenues par l’apôtre (21, 27–26, 32) et comme une réponse aux accusations initiales lancées à son encontre (21, 21.28)91. Ce sont singulièrement deux éléments qui courent comme un fil rouge au travers de ces chapitres et qui, au terme des Actes, retiennent une fois encore l’attention du lecteur/auditeur : la loyauté paulinienne aux coutumes des pères et sa fidélité à l’espérance d’Israël. Examinons tour à tour ces deux constantes de l’apologétique paulinienne. A deux reprises dans les Actes (21, 21.28), Paul est accusé de porter atteinte à la Loi de Moïse, au peuple juif, au Temple de Jérusalem (cf. Ac 24, 6) ainsi qu’aux coutumes des pères. En clair, c’est l’identité juive et ses signes distinctifs que l’apôtre est suspecté de mettre en péril et c’est sur ces griefs qu’il est incarcéré 92. Quelle ligne de conduite l’accusé adoptera-t-il pour plaider sa cause ? Elle se repère aisément à la lecture du procès paulinien : l’évangéliste des nations y clame sans relâche son innocence, protestant de sa judaïté, singulièrement de son pharisaïsme, de son respect de la Torah des pères, du peuple juif et des coutumes transmises par Moïse (22, 3 ; 23, 6 ; 24, 14 ; 25, 8 ; 26, 2-3.5-7 ; cf. 21, 24.26). Partant, la finale des Actes constitue la suite logique de cette posture apologétique (28, 17.20). Ceci dit, comment comprendre cette insistance récurrente du Paul lucanien sur son attachement indéfectible à la Loi et aux coutumes de Moïse ? Ou mieux dit, pourquoi l’auteur des Actes brosse-t-il un portrait judéo-chrétien, singulièrement pharisien, de l’apôtre des nations ? La réponse pourrait se situer sur le plan documentaire : l’auteur à Théophile restituerait avec exactitude la mémoire historique attachée à l’apôtre Paul, retranscrivant fidèlement la plaidoirie délivrée au cours de son procès. Seulement, il exhumerait ici des traditions laissées dans l’ombre de sa correspondance épistolaire (cf. Rm 3 ; 9–11). C’est là la thèse originale avancée par l’exégète norvégien Jacob Jervell93. Cette proposition bute cependant sur le portrait 91

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Cf. Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 483-486 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 344. Cf. George P. CARRAS, « Observant Jews in the Story of Luke and Acts. Paul, Jesus and Other Jews », dans Joseph VERHEYDEN (éd.), The Unity of Luke-Acts (BEThL 142), Leuven, Leuven University Press, 1999, p. 699 : « A Jew such as Paul, who was perceived as teaching against the Law, the people and the Temple, would be a threat to Jewish identity and the social fabric of local Jewish communities, if found guilty ». Jacob JERVELL, The Unknown Paul. Essays on Luke-Acts and Early Christian History, Minneapolis, Augsburg, 1984, pp. 52-67 (ibid., p. 67 : « Luke builds on tradi-

11.5

Ac 28 et la question d’Israël

417

nettement plus libéral de l’apôtre qui ressort à maints endroits de ses lettres authentiques (par ex. : 1 Co 8–11 ; Ga 2, 1-14 ; 5, 1-12 ; Ph 3, 7-9). C’est pourquoi une autre explication se doit d’être recherchée : elle se profile à l’examen de la visée identitaire affichée par l’historiographie lucanienne et infiltrant la gestion de ses différentes dramatis personae. Plusieurs exégètes ont en effet démontré la fonction identitaire que revêt pour Luc la figure de Paul94 : en lui se documente le double rapport de l’Eglise à Israël, un rapport entre continuité et rupture. De ce point de vue, l’adhésion sans compromis de Paul aux coutumes ancestrales témoignerait de cette logique de continuité plébiscitée par Luc dans son récit des origines chrétiennes. Au reste, l’adoption du décret apostolique en Ac 15 nous a paru répondre à une logique similaire. Précisons cependant le plan sur lequel fonctionne le facteur de continuité. En affirmant son respect inflexible des coutumes ancestrales, le Paul des Actes dévoile l’ancienneté culturelle de l’Eglise chrétienne. Car, comme nous l’avons reconnu en Ac 15, 21, la Torah (respectivement Moïse) fonctionne chez Luc, non plus comme une norme sotériologique ou ecclésiologique 95, mais comme une grandeur culturelle, et ce même en régime chrétien. Dit autrement, c’est en tant que membre de

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tions about Paul and on material to be found in the marginal notes in Paul’s letters »). Cf. Jürgen ROLOFF, « Die Paulus-Darstellung des Lukas. Ihre geschichtlichen Voraussetzungen und ihr theologisches Ziel », EvTh 39, 1979, pp. 510-531, surtout les pp. 528-532 (ibid., p. 520 : « Paulus ist für die Kirche des Lukas zur Identifikationsfigur geworden, anhand derer sie die in der eigenen Geschichte vollzogene Wende verstehend verarbeitet » [l’auteur souligne], ainsi que plus loin à la p. 531 : « Lukas will mit seiner Paulusdarstellung seiner heidenchristlichen Kirche helfen, ihren heilsgeschichtlichen Ort zu verstehen und ihre Identität zu finden. […] So ist letztlich die Paulusdarstellung des Lukas eine Funktion seiner Ekklesiologie »). Jürgen Roloff a ensuite repris et appliqué cette thèse à son commentaire des Actes : par ex. ID., Die Apostelgeschichte, 1981, p. 371. Plus récemment, Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, pp. 9-11 a défendu une hypothèse similaire (ibid., p. 10 : « Lk macht nun vor allem die Figur des Paulus zum besonderen Repräsentanten der Kontinuität in der Diskontinuität, besonders mit Blick auf das Heidenchristentum, das ja in keiner Kontinuität mit Israel zu leben schien »), alors que Daniel MARGUERAT, « L’image de Paul dans les Actes des Apôtres », dans Michel BERDER (éd.), Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie (LeDiv 199), Paris, Cerf, 2005, pp. 121-154, surtout les pp. 135-154, l’a démontré avec les outils de la narratologie (ibid., p. 482, il affirme ainsi : « l’auteur des Actes construit la figure de Paul comme lieu de déploiement de l’identité chrétienne » [l’auteur souligne]). Contra Jacob JERVELL, « Paul : The Teacher of Israel. The Apologetic Speeches of Paul in Acts », dans ID., Luke and the People of God. A New Look at Luke-Acts, Minneapolis, Augsburg, 1972, pp. 176-177.

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la faction judéo-chrétienne de l’ekklèsia que Paul se soumet à l’ethos mosaïque, qu’il circoncit Timothée (16, 3), qu’il accomplit le vœu du naziréat (18, 18), pratique un rite de purification et finance les offrandes votives de quatre coreligionnaires (21, 22-26), et c’est ainsi qu’il assure à ce patrimoine immémorial une réception et une rémanence au sein de la communauté multiethnique née à la Pentecôte. On le voit, la continuité est ici prioritairement d’ordre culturel. Cela étant, un autre facteur de continuité peut être identifié à l’examen du portrait paulinien fixé en Ac 28 : la dimension historico-salutaire. C’est dans l’aveu paulinien du v. 20 que cette continuité s’affiche : l’évangéliste des nations y clame son engagement non-négociable, jusque dans les chaînes, pour l’« espérance d’Israël ». De quoi s’agit-il ? Cette expression récurrente sur les lèvres du Paul accusé mérite un examen attentif. Avouons-le d’emblée, ce syntagme demeure très discuté dans l’exégèse lucanienne. Trois lectures s’entrechoquent : a) certains y voient une référence à l’espérance juive, plus précisément pharisienne, d’une résurrection des morts96 ; b) d’autres y rattachent sans discrimination aucune l’ensemble des attentes messianiques et eschatologiques partagées par le peuple d’Israël97 ; c) finalement, eu égard à son emploi vétérotestamentaire (cf. Jr 14, 8 ; 17, 13), Ben Witherington a préféré y voir une dénomination de YHWH, le Dieu d’Israël98. Procédons d’un relevé linguistique : le lexème ejlpiv" apparaît à six reprises avec un sens religieux dans les Actes (Ac 2, 26 ; 23, 6 ; 24, 15 ; 26, 6.7 ; 96

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Cf. Joseph A. FITZMYER, The Acts of the Apostles, 1998, p. 793 ; Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 624-625 ; ID., « Paulus – Der Lehrer Israels », 1968, p. 183 ; Kirsopp LAKE, Henry J. CADBURY, The Beginnings of Christianity. Part I : The Acts of the Apostles, IV, 1933, p. 289 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 329 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 84 ; Alfred WIKENHAUSER, Die Apostelgeschichte, 1961, p. 288. Cf. Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 191-192 ; Klaus HAACKER, « Das Bekenntnis des Paulus zur Hoffnung Israels nach der Apostelgeschichte des Lukas », NTS 31, 1985, pp. 440-443 ; Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 690 ; Kenneth D. LITWAK, « One or Two Views of Judaism. Paul in Acts 28 and Romans 11 on Jewish Unbelief », 2006, p. 232 ; Johannes MUNCK, The Acts of the Apostles, 1967, p. 258 ; Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, pp. 158-159 ; David W. PAO, Acts and the Isaianic New Exodus, 2000, pp. 122-123 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 308 ; Gottfried SCHILLE, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1983, p. 478 ; Gert J. STEYN, Septuagint Quotations in the Context of the Petrine and Pauline Speeches of the Acta Apostolorum, p. 217 (aussi note 24). Ben W ITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 799, note 67.

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28, 20) et cinq fois sur les lèvres de l’apôtre au cours de son procès. On a sans doute affaire à une constante de l’apologétique paulinienne non seulement devant les autorités juives (le Sanhédrin en Ac 23, 6 ; le roi Agrippa II en Ac 26, 6-7 ; les juifs de Rome en Ac 28, 20), mais aussi devant les instances romaines (Félix en Ac 24, 15 et Festus en Ac 26, 67)99. La répétition de ce même vocable permet de dire sans hésitation que Paul a prioritairement en vue l’espérance pharisienne d’une résurrection des morts – ceci est explicite en 23, 6 ; 24, 15 et 26, 6-8. Néanmoins en rester là serait méconnaître la lecture résurrectionnelle opérée par Luc : à ses yeux, cette promesse a trouvé son accomplissement anticipé et sa garantie de validité dans la résurrection du Christ Jésus (cf. Ac 4, 2 ; 26, 23)100. En clair, dissocier espérance résurrectionnelle et promesse messianique constituerait une compréhension fautive de la christologie lucanienne : c’est en Jésus, dans sa résurrection et son avènement céleste, que non seulement s’accomplit par anticipation l’espérance pharisienne d’une résurrection des Justes, mais aussi l’ensemble des promesses confiées aux pères et à l’Israël des douze (cf. Ac 26, 7), singulièrement la prophétie de Natan au roi David (cf. Ac 13, 23.27-37)101. En résumé, sous cette expression chiffrée sont subsumées toutes les espérances chères à Israël, ravivées dans l’Evangile de l’enfance 102 et, selon Luc, réalisées en Jésus de Nazareth 103. Cette lecture 99 100

101 102

103

Cf. Klaus HAACKER, « Das Bekenntnis des Paulus zur Hoffnung Israels nach der Apostelgeschichte des Lukas », 1985, p. 438. Cette idée apparaît explicitement dans le discours de la Pentecôte en Ac 2, 26, dans la mesure où Pierre va livrer une interprétation christologique du Psaume 16, 10 (cf. v. 31), ainsi que dans le discours paulinien d’Ac 26, 6-8 (cf. v. 23). Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 303-304 : « Tout le discours est rhétoriquement dominé par le schéma promesse / accomplissement que signifie l’inclusion des versets 6-8 et du verset 23, l’espérance juive en la résurrection trouvant son accomplissement dans la résurrection du Messie (v. 23) » ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 84-86. Carsten BURFEIND , « Paulus muss nach Rom. Zur politischen Dimension der Apostelgeschichte », NTS 46/1, 2000, p. 87. Carsten BURFEIND , « Paulus muss nach Rom. Zur politischen Dimension der Apostelgeschichte », 2000, p. 87 : « Mit dieser Verbindung von Davidsverheissung, Hoffnung Israels und Auferstehung nimmt Lukas die lukanische Vorgeschichte Lk 1-2 auf und stellt Paulus neben Maria (Lk 1.46-55), Zacharias (Lk 1.68-79), den Engel des Herrn (Lk 2.10-14), Simeon (Lk 2.25-35) und Hanna (Lk 2.36-8). Sie alle erkennen, in dem Jesuskind die Erfüllung ihrer Hoffnungen, Gottes Heil für sein Volk Israel ». Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 1240 : « Elsewhere Paul has insisted that the real point at issue between himself and his Jewish adversaries is the resurrection : 23.6 ; 24.15, and it may be that this is the meaning here of the hope of

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est d’ailleurs confortée non seulement par la circularité qui existe entre la finale des Actes et Lc 1–2, mais aussi par le contenu même de la prédication paulinienne face aux juifs de Rome. Comme nous l’avons vu, l’évangéliste y thématise la réalisation dans l’événement Jésus Christ de la basileiva promise au peuple choisi. Le contexte est clairement messianico-royal. En retour, la problématique de l’espérance d’Israël soulevée par Paul dans son premier échange avec les juifs de Rome va également commander le second entretien104 : c’est là que réside la véritable tension ou pierre d’achoppement entre la « secte » chrétienne et la Synagogue 105 ! Néanmoins, force est de constater que, bien que réinterprétée christologiquement, cette espérance à laquelle Paul adhère sans retenue relève premièrement de l’eschatologie juive. C’est aux catégories classiques que Luc recourt consciemment pour signifier la nouveauté ; les promesses de résurrection et de rédemption messianique intrinsèques à l’histoire sainte ne sont pas niées, mais requalifiées et anticipées par et dans la résurrection du Christ de Nazareth. La continuité historico-salutaire est ainsi garantie. On le voit, le portrait de Paul esquissé au cours de son procès et fixé pour la postérité en Ac 28 se situe en continuité inviolable d’Israël. C’est un Paul judéo-chrétien, respectueux des coutumes ancestrales et fidèle aux espérances du peuple choisi, qui se présente aux juifs de la communauté romaine. Derrière ce portrait individualisé, crayonné à travers les salles d’audience de l’Empire, se dessine le visage collectif du mouvement religieux dont Luc fait le récit. Un mouvement, qui tout en s’ouvrant à la nouveauté que constituent la foi au Nom de Jésus et l’universalité sans attache du salut, démontre son inscription indélébile dans l’histoire d’un peuple particulier, Israël, ainsi que son respect immuable du trésor culturel hérité de Moïse. Bref, un mouvement reliIsrael. At 26.6 however (and perhaps at 24.15 also) the meaning of hope is different, and it is probable that here the hope of Israel is the realization of the promises God made to his people, that is, the promise of Messianic salvation. Paul alleges that the hope has been and will be fulfilled in Jesus. For Paul (whether this is true also for Luke is a difficult question) this belief is guaranteed and anticipated by the resurrection of Jesus, but the hope is wider than the personal resurrection of the crucified Messiah. Understood in this way the statement represents fairly enough the issue between Christianity and Judaism : Jesus was or was not the one in whom the promises were fulfilled ». 104 Cf. Hans Hinrich W ENDT, Die Apostelgeschichte, 18998, p. 426. 105 Cf. Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, pp. 326-327.

11.5

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gieux en continuité tant historique que culturelle de la descendance abrahamique. Cela étant, on perçoit mieux l’enjeu des quatre plaidoiries pauliniennes consignées entre Ac 22 et Ac 26 (22, 1-21 ; 23, 1-7 ; 24, 10-21 ; 26, 2-29) : elles participent à la construction identitaire de l’Eglise dans son rapport à Israël106. A ces deux facteurs de continuité reliant la communauté chrétienne à Israël, il nous faut en ajouter un troisième, tout aussi fondamental : la composante personnelle . Ce volet empirique est bien illustré par le Paul des Actes ; en tant que véritable judéo-chrétien, attaché aux coutumes du judaïsme et fidèle aux espérances du peuple de l’alliance, l’évangéliste des nations symbolise ostensiblement ce reste d’Israël qui trouve sa place au sein de la chrétienté naissante. Si le refus juif va grandissant au fil du récit lucanien, Luc ne verrouille jamais tout Israël dans une posture de rejet. Jusqu’à l’ultime page de son diptyque, l’auteur à Théophile fera ainsi droit aux failles, même modestes, ménagées dans ce mur d’opposition107. 106 Cf. Jacob JERVELL, « Paul : The Teacher of Israel. The Apologetic Speeches of Paul in Acts », 1972, p. 160 : « It is clear that Chapters 22-26 form neither an appendage of a political-apologetic sort nor a transitional element that is to prepare for the conclusion. Luke’s understanding of the church and his description of the apostle given earlier in Acts necessitate so extensive a defense of Paul ». 107 Quel sens faut-il accorder en Ac 28, 24a à peivqesqai ? Avons-nous là un synonyme de « croire » ? Plusieurs indices plaident en tout cas pour cette lecture : a) Luc oppose peivqesqai à ajpistei'n, donc à une réaction d’incrédulité. Néanmoins, cet argument est mineur, car réversible. En effet, opposé à peivqesqai, ajpistei'n pourrait tout aussi bien hériter d’un sens faible (par ex. : ne pas être persuadé ; ne pas ajouter foi [à des dires]) plutôt que de son sens technique (ne pas croire) ; b) décrivant la réaction d’une portion de son auditoire à l’aide du verbe peivqesqai, Luc veut signifier le succès, en tout cas partiel, de la démarche de Paul, qu’il avait caractérisée à l’aide de ce même verbe au v. 23 (peivqwn). Or, prêchant le Royaume de Dieu et Jésus Christ, Paul recherchait-il une persuasion purement intellectuelle ou bien une réelle conversion ? La seconde hypothèse semble la plus plausible ; c) pareille division de l’auditoire face au kérygme chrétien était déjà apparue en Ac 14, 1-2. Dans ce cas précis, un groupe de juifs était dit ajpeiqhvsante", alors que les autres crurent (v. 1 : pisteu'sai). Indiscutablement, la racine peiq– reçoit ici son sens fort de « croire » (cf. Jn 3, 36 ; 1 P 2, 7-8 ; He 3, 18-19). Une même lecture est soutenue par Jacques DUPONT, « La conclusion des Actes et son rapport à l’ensemble de l’ouvrage de Luc », 1984, pp. 476-477 ; Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 626 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, p. 330, (aussi note 2). Ont plaidé pour une interprétation inverse Ernst HAENCHEN, Die Apostelgeschichte, 19777, p. 691 ; Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 309 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 374 ; Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, pp. 296-299 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 417 ; Harry W. TAJRA, The Trial of St. Paul , 1989, pp. 189-190 ; Robert C. TANNEHILL, The Narrative

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11.5.3

Une secte partout contredite

La triple continuité mise au jour entre la « secte » chrétienne et Israël ne doit pas occulter le revers de la médaille. L’Eglise lucanienne naît d’une rupture, ou mieux dit d’une expulsion. Expliquons-nous. Cantonnés jusqu’en Ac 7 à Jérusalem et y fréquentant assidûment le service du Temple, les chrétiens n’excèdent alors en rien une secte messianique juive. Une secte qui, à l’instar de nombreuses autres au sein de la nébuleuse juive du 1er siècle, prétend incarner la forme idéale d’Israël, son reste saint (par ex. : CD 1,3-5 ; 3,12b-13). Suite au martyre d’Etienne cependant et de manière systématique au cours de la mission paulinienne de diaspora, ce parti chrétien butera sur l’opposition croissante du peuple juif. Certes, ce rejet de la prédication ecclésiale ne sera pas intégral, mais déclenchera le plus souvent une partition de l’auditoire synagogal. Toujours est-il que de ce refus constant de l’Evangile naîtront des communautés de frères et de disciples distinctes des assemblées juives et implantées dans un réseau de demeures privées. Dit en une phrase, le schéma de la mission paulinienne de diaspora est le témoin privilégié de l’avènement d’un mouvement religieux spatialement et identitairement différencié de la Synagogue. Or, rejoué à l’envi en Asie Mineure et en Grèce, ce schéma de rupture sera non seulement évoqué, mais surtout réactivé dans l’ultime scène du diptyque. Voyons comment. C’est d’un simple aveu que la contestation de l’Evangile surgit tout d’abord dans la finale des Actes. Aux dires des juifs de Rome en effet, la secte à laquelle Paul est rattaché rencontre un refus généralisé (v. 22b : pantacou' ajntilevgetai). N’est ici livré rien d’autre qu’un diagnostic de la condition chrétienne dans l’Empire. Il est d’ailleurs à noter que les acteurs de cette contestation ecclésiale ne sont pas explicitement nommés. Si une référence implicite au refus juif-synagogal paraît imUnity of Luke-Acts, II, 1990, p. 347. Pour ces exégètes, le v. 24 n’indiquerait pas la conversion – même partielle – de l’auditoire. Pareille adhésion ne serait en effet guère pensable au vu des vv. 26-27 où Paul dénonce vigoureusement l’aveuglement du peuple dans son entier. C’est ainsi la logique narrative de l’épisode qui serait mise en péril (cf. par ex. Robert C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts, II, 1990, p. 347 : « Why would the narrator want to say this when the scene is building up to the bitter words of Isaiah ? Use of the quotation would seen most justified if the rejection is total »).

11.5

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manquable (cf. l’usage d’ajntilevgein en 13, 45 et surtout en 28, 19a), cette opposition universelle pourrait, en regard de l’œuvre lucanienne, tout aussi bien se nourrir de résistances païennes. Preuve en est le bilan déficitaire des haltes pauliniennes de Lystre et d’Athènes. A ce stade du récit, la seule différence tient au caractère encore embryonnaire de la mission païenne, qui quantitativement occupe une place mineure dans les Actes et demeure constamment ordonnée à la mission juive (excepté en 17, 17). Partant, l’auteur à Théophile ne semble pas encore prêt à tirer un bilan de ce second volet de la mission chrétienne (cf. Ac 28, 28). Résumons. Au sortir du livre des Actes, les leaders de la communauté juive de Rome font état d’un ouï-dire : l’opposition à la Bonne Nouvelle aurait pris une ampleur considérable, gagnant telle une araignée tissant sa toile l’ensemble de l’Empire. Cet état des lieux ne constitue cependant pas une surprise pour le lecteur/auditeur de Luc : le récit des Actes a parfaitement rendu compte de cette mondialisation de la contestation chrétienne, narrant les revers successifs subis en Judée, en Asie Mineure, puis en Grèce. A cette géographie du refus se joindra finalement la capitale de l’Empire, Rome. Car, nous l’avons vu, la conclusion lucanienne ne se contentera pas d’être le simple relais d’une rumeur ; elle aussi reproduira le schéma tripartite qui a retenti tout au long de la mission paulinienne de diaspora : accueil favorable – opposition – poursuite de la mission. En clair, l’intérêt initial affiché par les représentants de la communauté juive de Rome se muera, suite au second entretien organisé dans la demeure de Paul, en division grinçante. Sur ces entrefaites, l’évangéliste des nations n’aura d’autre alternative que de faire sienne la parole du prophète Esaïe et de qualifier d’endurcissement la scission de son auditoire. On le voit, au terme littéraire de son histoire des origines, Luc brosse un constat peu enjôleur : l’opposition à l’Evangile a gagné l’ensemble de la population juive de l’Empire, des juifs de Jérusalem à ceux de Rome. Dit autrement, la continuité avec Israël clamée et symbolisée par Paul bute en Ac 28 sur un irrépressible mouvement de séparation et de rejet. Pour Luc, c’est également d’une blessure que devra se constituer l’identité ecclésiale. 11.5.4

La découverte de Paul : Israël est endurci

Jusqu’ici, la finale des Actes s’est bornée à nouer entre elles les données éparses du diptyque, profilant la compréhension lucanienne des rap-

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ports judaïsme–christianisme : l’Eglise, fidèle à l’histoire et à la culture d’Israël, se voit progressivement expulsée de l’orbite synagogale, condamnée à repenser son identité au cœur de la paganité romaine. Néanmoins, à la délicate question d’Israël, la conclusion de Luc va également offrir une réponse inédite et trop peu accentuée dans la recherche des Actes : le rejet juif est voulu de Dieu. Précisons. Face à la partition récurrente de son auditoire, Paul s’adosse à une prophétie ésaïenne de jugement, pour mettre au jour la posture de rejet et de fermeture dans laquelle a été figé le peuple élu (Es 6, 9-10). Précisons : à l’image du Paul des Romains (Rm 11, 7-10), Luc fait de la résistance d’Israël la résultante d’un décret divin inscrit au cœur même des Ecritures juives108. Non seulement l’emploi au passif divin du verbe ejpacuvnqh (v. 27a) – dont résulte la surdicécité du peuple (v. 26c ; cf. v. 27a : gavr) 109 –, mais également le passage à la 1er personne du singulier au terme de la citation (kai; ijavs omai aujtouv") suggèrent que Dieu a sa part de responsabilité dans l’échec de la mission juive. A n’en pas douter, l’auteur à Théophile trouve dans cette conviction théologique une réponse, à tout le moins partielle, à l’Israelfrage : si le peuple juif refuse l’Evangile, c’est qu’il a été endurci, et cet endurcissement, loin de se confiner à la stérilité, sert le déploiement du plan divin. Preuve en est la succession sur les lèvres de Paul de ces deux données historicosalutaires : l’endurcissement d’Israël ouvre pour les nations la voie du salut (28, 26-28). Là encore, l’auteur à Théophile se situe dans la continuité théologique de la lettre aux Romains : elle aussi subordonne la résistance d’Israël à un dessein universaliste (Rm 9, 17-18 ; 11, 1112.15.25)110. Reste néanmoins à déterminer si, comme en Rm 11, 25-26,

108 Cf. Eckhard PLÜMACHER, « Rom in der Apostelgeschichte », 2004, p. 156 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 374 ; Dietrich RUSAM, Das Alte Testament bei Lukas (BZNW 112), Berlin/New York, de Gruyter, 2003, p. 445 ; Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 108-109 ; Josef ZMIJEWSKI, Die Apostelgeschichte, 1994, p. 887. Contra Michael THEOBALD, « Mit verbundenen Augen ? Kirche und Synagoge nach dem Neuen Testament », dans ID., Studien zum Römerbrief (WUNT 136), Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, p. 384. 109 Avec Eckhard PLÜMACHER, « Rom in der Apostelgeschichte », 2004, p. 156. Pour sa part, Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 1245, évoque cette possibilité, mais doute néanmoins que telle soit la véritable intention lucanienne. 110 Parallèle noté par Eckhard P LÜMACHER, « Rom in der Apostelgeschichte », 2004, p. 156.

11.5

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cet endurcissement présente un caractère strictement temporaire. C’est là que se partagent les fronts exégétiques. La fonction ainsi que la portée de l’oracle ésaïen adressé par Paul aux juifs de Rome sont vivement débattues dans la recherche lucanienne : s’agit-il d’un oracle de jugement ouvert sur un possible repentir ou Paul prononce-t-il l’anathème sur ses coreligionnaires ? La prophétie est-elle dirigée contre le peuple d’Israël dans son ensemble ou est-elle restreinte à la communauté juive de Rome ? Israël est-il déchu de ses privilèges au profit des nations païennes ou ne souffre-il qu’un endurcissement temporaire ? Pour l’écrasante majorité des chercheurs, l’oracle emprunté par Paul au prophète Esaïe claque comme une porte fermée sur l’avenir du peuple juif 111. En d’autres termes, Israël, campé dans une posture de rejet tout au long des Actes, serait, au sortir du récit, définitivement écarté de l’histoire du salut, et ce au bénéfice des nations païennes. Au contraire du Paul des Romains, l’auteur à Théophile ferait ainsi le deuil d’un salut collectif de tout Israël112, se limitant à garder ouverte la possibilité de conversions individuelles113. Réagissant de manière critique à ce consensus exégétique, plusieurs commentateurs se sont évertués à en adoucir la radicalité. Ce sont principalement trois arguments à avoir été formulés à cet effet : 1) eu égard aux précédents que constituent les déclarations de Paul aux juifs d’Antioche de Pisidie (13, 46-47) et de Corinthe (18, 6), le jugement qui s’abat au terme des Actes sur la synagogue romaine pourrait être limité à la seule capitale de l’Empire, n’interdisant pas une relance de la mission juive par-delà la clôture du récit. De ce fait, l’endurcissement d’Israël serait strictement local ; 2) la fonction rhétorique de l’oracle 111 Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, pp. 149-150 ; Ernst HAENCHEN, « Judentum und Christentum in der Apostelgeschichte », 1963, pp. 183-185 ; ID., Die Apostelgeschichte, 19777, pp. 691-692 ; Jacob J ERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, pp. 627-628 ; Rudolf Pesch, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 310 ; Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, pp. 418-419 ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, pp. 374-375. 112 Cf. Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 628 : « Eine zukünftige Bekehrung Israels, so wie Röm 11, ist ausgeschlossen » ; Jürgen ROLOFF, Die Apostelgeschichte, 1981, p. 375 : « Die heilsgeschichtliche Zukunftsperspektive von Röm 9-11, die über die gegenwärtige Verstockung hinaus auf eine zukünftige Bekehrung Israels blickt, macht sich Lukas also nicht eigen ». 113 Cf. Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 419 : « Die Hinwendung zu den Heiden ist nun endgültig. Sie schliesst nicht die Bekehrung einzelner Juden aus ».

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ésaïen ne serait pas de maudire, mais de juger. Dit autrement, son effet pragmatique ne serait pas de verrouiller le peuple élu dans l’immobilisme d’un refus coupable, mais au contraire de le provoquer au repentir ; 3) les trois mots sur lesquels se termine l’oracle ésaïen (kai; ijavsomai aujtouv") viendraient confirmer cette volonté divine de guérir Israël. Comment évaluer ces différentes positions ? A l’appui du courant majoritaire, il est à reconnaître la fonction stratégique occupée chez Luc par l’oracle ésaïen : il déborde ostensiblement le cadre restreint de l’épisode romain114 et a été délibérément tronqué par Luc en Lc 8, 10 (cf. diff. Mc 4, 12), afin d’être réservé dans sa version intégrale à la page conclusive des Actes115. Bref, Es 6, 9-10 revendique en regard de l’œuvre lucanienne une validité principielle et méta-textuelle 116 : à la contestation généralisée de la prédication chrétienne (v. 22) répond logiquement une dénonciation collective, une dénonciation à avoir successivement retenti en Asie Mineure, en Grèce, puis en Italie. De surcroît, c’est en qualité de laov" que sont prophétiquement interpellés les juifs de Rome 117. Sans conteste, l’oracle de jugement qui retentit au cœur de l’Empire propage son écho jusqu’à ses frontières : ce sont les juifs dans leur ensemble, disséminés aux quatre coins de l’oikoumenè et frappés de surdité, à qui Paul adresse les terribles paroles du prophète Esaïe 118. Le poids herméneutique octroyé par Luc à cet extrait ésaïen est considérable. Ceci dit, les deux autres objections méritent d’être examinées avec soin. Dans une étude rhétorique et pragmatique, Volker A. Lehnert119 a reconnu à l’oracle ésaïen la fonction d’« intervention paradoxale », dont le propos implicite serait non pas de prononcer une condamnation sur Israël, mais de l’amener à la

114 Voir supra notre analyse structurelle d’Ac 28, 16-31. 115 Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 237 ; Helmut MERKEL, « Israel im lukanischen Werk », 1994, p. 396 ; Michael W OLTER, « Das lukanische Doppelwerk als Epochengeschichte », dans Cilliers BREYTENBACH, Jens SCHRÖTER (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher, Leiden/Boston, Brill, 2004, p. 267. 116 Avec Michael WOLTER, « Das lukanische Doppelwerk als Epochengeschichte », 2004, p. 267. 117 Cf. Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », 1996, p. 6. 118 Contra Kenneth D. LITWAK, « One or Two Views of Judaism. Paul in Acts 28 and Romans 11 on Jewish Unbelief », 2006, p. 239. 119 Volker A. LEHNERT, Die Provokation Israels, 1999.

11.5

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conversion, en dévoilant précisément son état d’endurcissement120. De ce fait, sa reprise par Paul en Ac 28 serait à comprendre dans une perspective analogue, comme le recours à une rhétorique intra-juive de provocation au repentir et d’auto-critique prophétique121. Cette étude fonctionnelle d’Es 6, 9-10 semble d’autant plus recommandée que l’oracle est vierge de toute malédiction explicite 122. Comme l’a montré David P. Moessner, Luc travaille à l’aide d’un schéma deutéronomiste en quatre temps (A–D), décrivant le rejet par Israël de ses prophètes, et l’applique à la figure de Jésus et aux autres dramatis personae de son diptyque : ils revêtent à l’endroit du peuple juif la fonction de messagers eschatologiques envoyés par Dieu pour l’inviter à la repentance 123. En Ac 28, 16-31 néanmoins, Luc omet l’élément D de ce script, i.e., l’annonce explicite d’une destruction d’Israël suite à son refus (Es 6, 1113 n’a pas été repris) 124. Ce silence laisse présager l’offre d’une dernière chance. Bref, c’est d’un strict constat d’endurcissement qu’il s’agit ici. Bien plus, comme l’a noté Volker Lehnert, ce dévoilement prophétique surgit de la bouche même d’un homme qui n’a cessé de clamer son attachement sans failles à l’espérance du peuple choisi et qui, ici encore, se situe dans la continuité des prophètes de l’Israël ancien, Esaïe en

120 Volker A. LEHNERT, Die Provokation Israels, 1999, p. 117 : « Sein Auftrag ist nicht wörtlich, sondern funktional zu verstehen, als Rhetorik der Provokation », et plus loin, p. 120 : « Betrachtet man Jes 6,9f als paradoxe Intervention, dann läge der Zweck der Symptomverschreibung (“versteht nicht… !”) geradezu in der Beseitigung des Symptoms, in der Umkehr des Lesers, performativ erwirkt durch den provozierten Protest gegen das Gelesene. […] Die paradoxe Intention des Textes “vollzieht” im Leser das, wovon sie ihn scheinbar abbringen will. Sie provoziert Glauben, indem sie ihn abspricht und lässt den Leser die geistliche Tiefendimension seiner Situation erkennen ». 121 Dans le même sens, Ute E. EISEN, Die Poetik der Apostelgeschichte, 2006, p. 212 ; John KILGALLEN, « “... and I will Heal Them” (Acts 28:27) », 2005, pp. 88-89 ; Kenneth D. LITWAK, « One or Two Views of Judaism. Paul in Acts 28 and Romans 11 on Jewish Unbelief », 2006, pp. 239-241. 122 Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 210 ; Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », 1996, p. 6 ; Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 160. 123 David P. MOESSNER, Lord of the Banquet. The Literary and Theological Significance of the Lukan Travel Narrative, Minneapolis, Fortress Press, 1989, pp. 82ss ; ID ., « Paul in Acts : Preacher of Eschatological Repentance to Israel », 1988, pp. 96-104 ; ID., « The Ironic Fulfillment of Israel’s Glory », 1988, pp. 49-50. 124 David P. MOESSNER, « Paul in Acts : Preacher of Eschatological Repentance to Israel », NTS 34, 1988, p. 103.

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tête 125. Assurément, ce n’est pas le ton de la polémique antijuive qu’adopte Paul face aux juifs de Rome, mais celui de la provocation intra-juive. Le glissement de la solidarité à la distanciation repérable entre 28, 17b (a[ndre" ajdelfoiv) et 28, 25b (pro;" tou;" patevra" uJm w'n) n’infirme en rien ce diagnostic : il se meut, là encore, dans la ligne de la critique prophétique. Pareil procédé rhétorique se reconnaît d’ailleurs dans le discours d’Etienne au Sanhédrin. L’autre objection a été initialement argumentée par François Bovon126 et récemment relayée par plusieurs exégètes127. Elle se nourrit d’une réévaluation grammaticale et syntaxique de l’ultime phrase d’Es 6, 9-10LXX. Depuis la fin du 18ème siècle au moins, les traducteurs considèrent en effet l’indicatif ijavs omai comme un « Indicativus post Subjunctivum » 128 et en font l’équivalent d’un subjonctif. Partant, la forme verbale ijavsomai serait à raccorder à la chaîne de verbes au subjonctif, eux-mêmes reliés par une rafale de kaiv consécutifs au subordonnant mhvp ote129 : toute thérapie susceptible d’apporter la guérison à Israël serait rendue vaine, bien plus délibérément contrariée. Au reste, cette élégante solution grammaticale se reconnaît ailleurs chez Luc, précisément en Lc 12, 58c et Lc 14, 8c. Cela ne revient pas encore à dire que l’indicatif ici usité est strictement équiva-

125 Dans le même sens, voir aussi Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, pp. 209-210. 126 François BOVON, « “Il a bien parlé à vos pères, le Saint-Esprit, par le prophète Esaïe” (Actes 28, 25) », 1987, p. 150. 127 Cf. Reinhard VON BENDEMANN, « Paulus und Israel in der Apostelgeschichte des Lukas », dans Klaus WENGST, Gerhard SASS (éds), Ja und nein. Christliche Theologie im Angesicht Israels. Festschrift W. Schrage, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1998, p. 300, note 35 : « Der Indikativ Futur kai; ijavsomai aujtouv" lässt einen affirmativ– positiven Schlusston anklingen » ; Anton DEUTSCHMANN, Synagoge und Gemeindebildung, 2001, p. 208 : « Es ist also aufgrund der sprachlichen Beobachtungen und der Interpretation des Zitats im zeitgenössischen Judentum durchaus möglich, den letzten Teilvers des Drohwortes als versöhnlichen Abschluss zu verstehen, der von der künftigen Wiederannahme des “verstockten” Teil des Volkes handelt » ; Martin KARRER, « “Und ich werde sie heilen”. Das Verstockungsmotiv aus Jes 6,9f in Apg 28,26f », 2000, p. 271 : « Die Grammatik erlaubt und die zitierte Septuaginta-Vorlage sowie der Zusammenhang des luk Doppelwerks sprechen übereinstimmend dafür, das ijavsomai am Ende von Apg 28,27 als wirklichen Indikativ, als die Zusage Gottes “und ich werde sie heilen” zu lesen. » ; et dans un même esprit Martin VAHRENHORST, « Gift oder Arznei ? Perspektiven für das neutestamentliche Verständnis von Jes 6,9 f. im Rahmen der jüdischen Rezeptionsgeschichte », ZNW 92, 2001, p. 165. 128 Expression empruntée à Johann A. BENGEL, Gnomon Novi Testamenti, 18603, p. 338. 129 Cf. BDR § 442, 2d et note 8.

11.5

Ac 28 et la question d’Israël

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lent d’un subjonctif et dépourvu de particularité modale. A preuve du contraire, l’auteur à Théophile sait, lorsqu’il le souhaite, employer une cascade non discontinue de subjonctifs après mhvpote (cf. Lc 21, 34). La transmission textuelle d’Ac 28, 27 dévoile, elle aussi, l’embarras suscité par l’indicatif futur ijavsomai : certains témoins textuels lui ont préféré la forme subjonctive ijavs wmai. On le voit, le décrochage modal doublé d’un changement de sujet ne semble pas anodin. A cet égard, Martin Karrer a relevé que l’emploi lucanien du subjonctif suivi d’un indicatif futur insinuait toujours une attente certaine, une probabilité réelle 130 : le futur introduirait dans la syntaxe de la phrase une immanquable césure et viendrait nommer une nouvelle donne appelée à survenir avec certitude dans un avenir plus ou moins proche (l’incarcération en Lc 12, 58, l’obligation de céder sa place en Lc 14, 8-9, ou l’intervention thérapeutique de Dieu en Ac 28, 27). Partant, si l’ultime portion de la prophétie ésaïenne, loin de cadenasser Israël dans une situation sans issues, lui faisait miroiter la possibilité réelle d’une intervention salutaire de Dieu 131 – dimension salvifique qui se retrouve dans des termes identiques ou analogues à d’autres endroits du rouleau d’Esaïe (7, 4 ; 19, 22 ; 26, 19 ; 30, 26 ; 57, 19 ; 61, 1) –, alors il faudrait se demander si cette lecture théologique possède des appuis supplémentaires dans l’œuvre de Luc : la promesse de guérison adressée à Israël n’est-elle qu’un reliquat archivé en Ac 28 ou reflète-elle à l’inverse l’intention théologique de l’auteur à Théophile ? Dans un article consacré à l’accomplissement des espérances juives chez Luc, Vittorio Fusco s’est penché au chevet des prophéties de malheur prononcées sur Jérusalem (Lc 13, 34-35 ; 19, 41-44 ; 21, 20-24). Or, le résultat de cette enquête est digne d’intérêt : en dépit de la tragédie présagée, ces différentes annonces entrouvrent toutes une lucarne d’espérance 132. Dit autrement, l’aveuglement d’Israël ne serait que temporaire et sans conséquences irréversibles pour le peuple juif. Au reste, une même lueur d’espoir se perçoit dans le dernier tableau des Actes (28, 30-31) : Paul y accueille sans faire de différence tous ceux qui viennent le trouver, le pavnta" ici employé pouvant s’entendre indistinctement des juifs comme des 130 Martin KARRER, « “Und ich werde sie heilen”. Das Verstockungsmotiv aus Jes 6,9f in Apg 28,26f », 2000, pp. 257-259. 131 Lecture réfutée par Eckhard P LÜMACHER, « Rom in der Apostelgeschichte », 2004, pp. 143ss. 132 Cf. Vittorio FUSCO, « Luke-Acts and the Future of Israel », 1996, pp. 10-17.

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Grecs133. Cette lecture a d’ailleurs été relayée par la version occidentale du texte d’Ac 28, 30 qui a explicité le pavnta" à l’aide du syntagme jIoudaivou" te kai; {Ellhna" 134. Bref, la réévaluation grammaticale de l’indicatif futur ijavsomai, compris comme l’annonce d’une possible convalescence d’Israël, s’aligne sans peine sur la perspective théologique formulée ailleurs chez Luc. Concluons. Le poids conféré par Luc à l’oracle d’Esaïe est immanquable : il s’agit non seulement des ultima verba de l’évangéliste Paul, mais aussi des toutes dernières paroles rapportées du second tome à Théophile. C’est sur une prophétie de jugement que Luc quitte un peuple juif en pleine confusion. La charge émotionnelle soulevée par ce tableau d’Israël sourd et aveugle ne saurait être artificiellement nivelée. Pour la troisième fois dans les Actes, retentit une déclaration de jugement sur Israël assortie d’une réorientation missionnaire auprès des païens ; cette ultime parole (rJh'm a e{n) ne peut manquer de frapper les esprits et d’imprimer sa marque dans les mémoires. Une page semble s’être définitivement tournée. Mais de quelle page s’agit-il ? Luc souhaite-t-il conclure le dossier juif, en déplorant l’endurcissement inexorable d’Israël et, partant, la faillite irréparable de la Parole divine ? Semblable hypothèse bute sur plusieurs écueils : en Ac 28, Israël n’est pas radié de la cartographie du salut, aucune malédiction ne venant sceller ultimement son destin. De même, le peuple juif n’est jamais déshérité de ses privilèges historico-salutaires, pas même au terme des Actes : face à leur division coupable, Paul ne rechigne jamais à leur décerner le titre honorifique de laov" . Bref, si Ac 28 n’invalide pas les prérogatives d’Israël135, sur quoi se ferme la page tournée ? La perspective adoptée par Luc est prioritairement missionnaire : en tant qu’évangéliste, Paul se devait d’annoncer la Bonne Nouvelle au peuple choisi (9, 15), en respectant sa priorité historico-salutaire (13, 46). Face à son endurcissement, le témoin Paul a néanmoins été contraint de met-

133 Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, pp. 1250.1252 ; Franz MUSSNER, Apostelgeschichte, 19882, p. 161 ; Alfons W EISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 684. Contra Gerhard SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte, II, 1982, p. 420, note 97, ainsi que Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 113, qui refusent l’interprétation universalisante du pavnta". 134 A ce sujet Marie-Emile BOISMARD, Le texte occidental des Actes des apôtres (EtB 40), Paris, Gabalda, 2000, p. 428. 135 Contra Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 683.

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tre en route la seconde phase du plan divin : la proclamation de l’Evangile aux nations païennes. C’est précisément ce qui se trame au terme des Actes : face à la contestation généralisée de la prédication chrétienne, Paul ne jette pas l’anathème sur les juifs endurcis, il diagnostique seulement l’endurcissement de « ce peuple » et reconnaît concomitament le surgissement d’une nouvelle époque missionnaire, le « temps des païens » (cf. Lc 21, 24c). Qu’Israël se convertisse à l’avenir reste une possibilité, qui ne dépendra néanmoins plus de l’évangélisation active menée à son endroit, mais, disons-le dans les termes de la lettre aux Romains : d’un mystère.

11.6 L’Eglise à la conquête de l’universalité A côté du dossier juif, c’est également l’orientation universaliste adoptée par l’identité chrétienne qui s’affiche au terme des Actes. Et ce, de trois manières différentes : 1) dans un oracle paulinien parsemé de touches scripturaires (28, 28) ; 2) en filigrane de l’auditoire inclusif accueilli par Paul (28, 30-31) ; 3) par la reprise d’un pattern de conquête coloniale tout au long de la séquence d’Ac 27–28. Examinons successivement ces trois marques d’universalité. 11.6.1

« C’est aux païens que ce salut de Dieu a été envoyé » (28, 28)

Confronté à l’endurcissement d’Israël, c’est dorénavant aux païens que Paul va adresser l’offre de salut. Nous avions à ce point observé la reprise du neutre substantivé to; swthvrion, employé au commencement du troisième évangile pour désigner le salut attendu (Lc 2, 30 ; 3, 6). Partant, s’accomplit en Ac 28 un événement programmé depuis le seuil de l’évangile (cf. Lc 2, 11.14.30-32 ; 3, 6), réactivé par le Ressuscité à la charnière du diptyque (Lc 24, 47 ; Ac 1, 8), et surtout espéré depuis les temps anciens (cf. Es 40, 5 ; Ps 67, 3 ; 98, 3) : l’élargissement au monde du salut d’Israël. Tout comme le refus intimé par le peuple élu, cet événement missionnaire n’a pu se produire qu’en vertu d’une intervention divine, en témoigne la formulation passive du verbe ajpestavlh136. Par cette déclaration solennelle (gnwsto;n ou\n e[stw uJmi'n), le Paul de Luc fait davantage qu’entériner un état de fait ecclésial : il 136 Cf. Eckhard P LÜMACHER, « Rom in der Apostelgeschichte », 2004, p. 142.

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proclame l’ouverture d’une nouvelle phase de l’histoire du salut, une phase prévue par Dieu depuis toujours et mise au bénéfice des nations disséminées à la surface de la terre. Il convient à cet endroit de rappeler l’expression a[cri ou| plhrwqw'sin kairoi; ejqnw'n placée sur les lèvres de Jésus dans le troisième évangile (Lc 21, 24c) : suite au refus du peuple juif, ici symbolisé par la ville de David, la ruine s’abattra sur Jérusalem et durera jusqu’à l’accomplissement du « temps des païens » 137. En clair, le refus de son kairos par le peuple juif, s’il n’équivaut pas chez Luc à sa dépossession sotériologique, inaugure cependant une nouvelle époque historique, non seulement marquée par la suprématie militaire de l’empire romain, mais aussi axée sur l’avènement des nations au salut138. A l’achèvement de cette ère seulement, lorsque reviendra le Ressuscité 139, Israël pourra alors à nouveau s’exclamer : « Béni soit, au nom du Seigneur, celui qui vient » (Lc 13, 35)140. Là encore, la narration lucanienne n’est pas sans affinités avec les dires pauliniens de Rm 9–11. L’apôtre des nations considère, lui aussi, que la résistance d’Israël durera a[cri ou| to; plhvrwma tw'n ejqnw'n eijsevlqh/ (Rm 11, 25), formule étrangement proche de celle consignée en Lc 24, 21c. Suite à quoi seulement, sera « mystérieusement » levé l’endurcissement du peuple choisi (Rm 11, 26). Bref, si la fin des Actes marque un tournant dans l’histoire tissée par Dieu avec les humains, ce n’est pas tant en dépouillant Israël de ses privilèges au profit des nations qu’en inaugu-

137 Cf. Rudolf PESCH, Die Apostelgeschichte, II, 1986, p. 310. 138 Walter GRUNDMANN, Das Evangelium nach Lukas , 1971, p. 383 : « Die Zeiten der Völker sind einerseits die Zeit, da sie über Israel triumphieren, andererseits aber ihnen das Evangelium angeboten wird, wie das in der Apostelgeschichte sichtbar wird – vgl. Apg. 18,6 und Röm 11,25f. Damit ist der zeitlich nicht zu begrenzende Geschichtsabschnitt fixiert, in dem Lukas lebt und schreibt » ; Wilfried ECKEY, Das Lukasevangelium, II, 2004, p. 863 : « Die Wendung “Zeiten der Völker” verweist im Gesamtwerk des Lukas zum einen auf die Rolle, die sie bei der Zerstörung Jerusalems und der Herrschaft über die von ihnen verwüstete Stadt und das jüdische Volk spielen, zum anderen aber auch auf ihre Rolle als Adressaten und Hörer der christlichen Heilsbotschaft (2,31-32 ; 3,6 ; Apg 10,1–11,18 ; 13,46-47 ; 18,6 ; 28,28) ». 139 Karl LÖNING, Das Geschichtswerk des Lukas , II, 2006, p. 225 : « Im Plan Gottes ist diese Zeit aber von befristeter Dauer (vgl. V 24c). Mit der Parusie wird sie ebenso ihr Ende finden wie die Zeit der Christenverfolgung ». 140 Walter GRUNDMANN, Das Evangelium nach Lukas , 1971, p. 290 : « Am ausgeschlossenen Geschlecht vollzieht sich das Gericht, während die Völker eingehen (vgl. 13,25-30) ; aber es besteht eine Hoffnung : als letzte werden sie den wiederkommenden Herrn mit dem Segensruf begrüssen, mit dem die Tempelpilger am Tempelberg begrüsst wurden (Ps. 118,26) ».

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rant un nouveau kairos, celui des Gentils. A l’avenir, c’est à eux que s’adressera prioritairement la mission chrétienne. 11.6.2

Un sommaire universaliste de la mission paulinienne (28, 30-31)

Conformément au scénario missionnaire de diaspora installé en Ac 13, la scène conclusive des Actes se clôt, elle aussi, sur un sommaire notifiant la poursuite de l’effort évangélisateur. D’ordinaire, la fonction accordée par Luc à ces épilogues est double : d’une part, manifester le triomphe de la Parole sur les obstacles faits à sa progression ; d’autre part, fixer une image durable de la chrétienté dans un lieu donné. La première fonction est immanquable à la lecture d’Ac 28, 30-31. Face au revers tragique subi par Paul devant les juifs de Rome, face à la contestation généralisée de la prédication chrétienne, face à l’incarcération de l’évangéliste des nations au cœur de l’Empire, le tableau final des Actes livre un saisissant retournement de perspective. A l’atmosphère sombre et menaçante qui a dominé les ultimes chapitres des Actes (Ac 21, 17–28, 28) fait désormais place la vision idyllique d’une proclamation confiante et sans entraves (Ac 28, 30-31). Les exégètes ont cherché différentes explications à cette peinture déconcertante de l’emprisonnement paulinien, y découvrant tantôt la reconnaissance juridique accordée par Rome au mouvement chrétien141, tantôt l’application au portrait de l’apôtre des qualités d’homo honestus et justus142. Partons du texte lucanien. C’est à l’aide de deux 141 Gerhard DELLING, « Das letzte Wort der Apostelgeschichte », 1973, pp. 193-204 ; David L. MEALAND, « The Close of Acts and its Hellenistic Greek Vocabulary », 1990, p. 590 : « In Acts 28. 31 the primary and strongest element in the force of ajkwluvtw" is that of the unhindered exercise of religious liberty by one who had been accused of a criminal offense, had made some kind of appeal, and who was now being permitted to proclaim his message openly without hindrance » ; Harry W. TAJRA, The Trial of St. Paul. A Juridical Exegesis of the Second Half of the Acts of the Apostles (WUNT 2.35), Tübingen, Mohr Siebeck, 1989, p. 193 : « Luke’s aim is unambiguous here : Rome is depicted as showing tolerance towards Paul’s ministry and towards the Christian message ». 142 Michael LABAHN, « Paulus – ein homo honestus et iustus. Das lukanische Paulusportrait von Act 27–28 im Lichte ausgewählter antiker Parallelen », 2001, pp. 78-79 : « Lukas lässt den gefangenen Paulus die Freiheit eines einflussreichen und von seiner Mitwelt anerkannten Ehrenmannes, eines homo honestus geniessen, im Verkehr mit Freunden, in der Diskussion mit dem Schiffsführer und in der römischen Gefangenschaft ».

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tournures adverbiales que l’auteur à Théophile précise les modalités de la prédication paulinienne : meta; pavs h" parrhsiva"/ajk wluvtw". a) meta; pavsh" parrhsiva" : parrhsiva/parrhsiavzesqai apparaissent à plusieurs reprises dans les Actes pour caractériser la prédication apostolique (cf. 2, 29 ; 4, 29.31 ; 9, 27-28 ; 18, 26). A l’origine cependant, ce vocabulaire émane de la sphère politique grecque où il sert à qualifier la parole librement délivrée par le citoyen. Dans ce cadre énonciatif, le discours meta; pavs h" parrhsiva" condense généralement trois dimensions : a) publicité ; b) véracité ; c) courage. Si la parrhsiva lucanienne s’aligne assurément sur ce modèle hellénistique (par ex. : Ac 4, 13.27-31 ; 26, 26), sa spécificité tient à sa causalité : elle est agie par l’Esprit saint (cf. Ac 4, 31)143 et fondée dans le nom du Seigneur (cf. Ac 9, 27-28). Cette tonalité immanquablement théologique de la parrhsiva a probablement été dictée à Luc par sa propre tradition scripturaire, la Septante 144. Résumons. Dans l’épilogue d’Ac 28, Luc reproduit un des traits permanents de la prédication chrétienne : en dépit de son incarcération, Paul, sans tressaillir, prêche publiquement et librement. Posture nullement pensable en dehors de la sphère de l’Esprit145. On a là un exemple éclatant de ce que Jean Zumstein a désigné du terme d’« échec providentiel » 146 : les chaînes n’entravent pas la marche de la Parole, mais deviennent au contraire l’occasion d’un témoignage public et courageux ! Bref, sous la plume de Luc, le terme de parrhsiva, hérité

143 Cf. Heinrich SCHLIER, art. « parrhsiva/parrhsiavz omai », ThWNT V, 1954, p. 881 : « Die Parrhesie des vor dem feindlichen Kosmos offen und vollmächtig verkündenden Apostels ist ein Charisma ». 144 Cf. Horst BALZ, art. « parrhsiva/parrhsiavzomai », EWNT 3, 1983, col. 106 : « In jüd. Texten erhält p. (12mal in LXX, parrhsiavzomai 5mal) ein neues und eigenes Gewicht […]. Die p. des Frommen hat ihren Ursprung also in der p. Gottes (Philo Her 27 ;  3.d-f), erweist sich als die wahre Kühnheit des Weisen und der Freunde Gottes (wie Mose und Abraham, Her 14.21 u.ö.) ». 145 Voir à cet effet Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, p. 143 ; Gerhard DELLING, « Das letzte Wort der Apostelgeschichte », 1973, p. 195. 146 Cf. Jean ZUMSTEIN, « L’apôtre comme martyr dans les Actes de Luc. Essai de lecture globale », dans ID., Miettes exégétiques (Le Monde de la Bible 25), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 202 : « Nous retrouvons alors le thème de l’échec providentiel cher à Luc : en arrêtant Paul, l’autorité, loin de mettre fin à sa mission, va lui permettre de témoigner devant les grands de ce monde et de porter l’Evangile dans la Rome impériale. La servitude du témoin est la médiation de l’accomplissement du plan de Dieu » (nous soulignons).

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de la tradition citoyenne d’Athènes, se double d’un incontournable sens théologique. b) ajk wluvtw" : « sans entraves ». Contrairement aux apparences, la signification de cet adverbe, unique dans le lexique du Nouveau Testament, n’est de loin pas stabilisée. Plusieurs questions s’amoncellent devant l’exégète : quel sens est attaché à cette locution adverbiale ? à quelle isotopie ressortit-elle ? à quel empêchement potentiel est-il fait référence ? Commençons par déterminer le champ sémantique auquel la littérature grecque accrédite cette tournure adverbiale. Pareille enquête a été menée par Gerhard Delling147. Il en ressort que l’adverbe considéré n’est que faiblement attesté avant le 1er siècle av. J.-C. et lié de manière lâche à un contexte précis ; il hérite souvent d’un sens légal et définit l’usage non-entravé de certains droits. Dans son œuvre historiographique, Flavius Josèphe se sert de cette tournure pour signifier une liberté acquise dans la sphère religieuse (Antiquités Juives 16,41.166.169 ; 19,290). C’est d’ailleurs cette solution que Delling semble préconiser pour la finale des Actes, affirmant que cet adverbe présuppose une tolérance et reconnaissance officielles (impériales) de la religion et de la mission chrétiennes148. L’intention de cette tournure adverbiale serait ainsi apologétique, devant servir la cause de la chrétienté aux yeux d’un lectorat romain. Néanmoins, semblable lecture juridique pèche par sa non-considération du contexte lucanien149. En effet, rien n’est dit d’une quelconque tolérance romaine à l’endroit de la foi chrétienne, l’autorité impériale étant totalement absente d’Ac 28. La perspective de l’ultime chapitre des Actes n’est certainement pas une apologie ad extra, une apologia pro ecclesia, comme l’ont suggéré maints chercheurs150. Au contraire, cette 147 Gerhard D ELLING, « Das letzte Wort der Apostelgeschichte », 1973, pp. 193-204. 148 Gerhard D ELLING, « Das letzte Wort der Apostelgeschichte », 1973, pp. 202-204. 149 Cf. Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, p. 146. 150 Cf. Henry J. CADBURY, The Making of Luke-Acts, Londres, Macmillan, 1927, pp. 308ss ; Ernst HAENCHEN, « Judentum und Christentum in der Apostelgeschichte », 1963, pp. 186-187 : « Wenn es Lukas gelang nachzuweisen, dass der christliche “Weg” nicht von dem abwich, was die Kronzeugen der jüdischen Religion, Moses und die Propheten, verkündet hatten (Act 2622), dann bestand – so scheint es – für Rom kein Anlass mehr, die christliche Glaubensgemeinschaft anders zu behandeln als die jüdische : auch sie musste toleriert werden. Das für die Christusbotschaft zu erwirken, hat sich Lukas in der Apostelgeschichte bemüht, bis zu deren letztem Wort » ; ID., Die Apostelgeschichte, 19777, p. 694 : « […] dieses “unge-

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imperturbabilité de la Parole ne tire pas sa source première d’un statut de religio licita conféré par l’autorité romaine à la secte chrétienne, mais de la Providence divine (cf. Ac 5, 39). Cette lecture est d’ailleurs parfaitement préparée en amont des Actes, Luc ne cessant de présenter la marche triomphale de la Parole au travers des vexations infligées à ses hérauts ; les récurrents sommaires de croissance qui ponctuent les Actes et répondent aux menaces qui ont pesé sur le devenir de la communauté croyante en sont des exemples bien connus (4, 4 ; 6, 7 ; 12, 24 ; 13, 49 ; 19, 10.20) 151. Partant, Ac 28, 30-31 fonctionne de manière identique, notifiant le triomphe de la prédication chrétienne sur les obstacles faits à sa progression ; c’est avant tout un sens théologique que possède ici l’adverbe ajkwluvtw". Ceci dit, la résonance théologique de cette locution ne dévoile pas encore l’origine exacte des empêchements présumés. Emanent-ils de l’extérieur de la communauté ou de son for intérieur ? C’est ce que nous voulons préciser désormais. Assurément, ajkwluvtw" vise en premier lieu l’obstruction à la foi manifestée par la population juive, singulièrement par les leaders d’Israël (4, 16-22 ; 5, 27-41 ; etc.), et expérimentée d’une borne à l’autre du second tome à Théophile (2, 13 ; 28, 22.24-25a). On ne saurait toutefois en rester à ce premier élément de réponse. Car, outre l’opposition juive, c’est aussi les résistances païennes qui ont régulièrement émaillé le second récit de Luc (14, 2.8-20 ; 16, 16-40 ; 17, 32 ; 19, 23-41 ; 26, 17) ainsi que les obstacles surgis du cœur même de l’Eglise (5, 1-11 ; 6, 1-7 ; 15, 1-5 ; etc.). Partant, l’adverbe ajk wluvtw" qui ponctue la scène de Rome s’offre comme un épitomè des Actes dans

hindert” zeigt die damalige Toleranz Roms gegenüber der christlichen Botschaft » (voir également les pp. 699-700) ; Hans CONZELMANN, Die Apostelgeschichte, 1963, p. 150 : « ajkwluvtw" – ein Appell an Rom » ; Walter SCHMITHALS, Die Apostelgeschichte des Lukas, 1982, p. 241 : « Das ist ein letzter, der römischen Situation angemessener “Paukenschlag” der politischen Apologetik, die das lukanische Doppelwerk durchzieht, und der in auffälliger Weise den Bericht vom römischen Martyrium des Paulus, den man an dieser Stelle erwartet, ersetzt ». 151 Il s’agit de la lecture notamment défendue par Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, p. 159 : « Gerade darin berührt es eine Linie der Apg, die wir kurz skizziert haben : Durch Beistand von oben hat sich die Verkündigung immer wieder von Behinderungen losgerissen ».

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leur entier : c’est par-delà les résistances nombreuses et hétéroclites que, de Jérusalem à Rome, Dieu a frayé un chemin à son Evangile 152. Bilan. C’est sans conteste sur un registre théologique que se situent les deux tournures adverbiales qui concluent les Actes : l’évangéliste Paul, érigé en modèle du prédicateur libre de sa parole 153 et indéfectiblement soutenu par l’agir subversif de l’Esprit, symbolise avec éclat la marche irrépressible de la Parole que rien ne saurait entraver dans sa course aux confins de la terre (1, 8). Telle est pour une part la fonction du sommaire d’Ac 28, 30-31 : signifier le triomphe de Dieu sur les obstacles faits à la diffusion de sa Parole. Ce que Johann Bengel a synthétisé sous une formule admirable : Victoria Verbi Dei. Paulus Romae, apex evangelii, Actorum finis154. L’autre objectif de l’épilogue est de brosser un tableau durable de la chrétienté naissante (cf. dietivan o{l hn). Comme les autres sommaires des Actes, sa marque en est la narration à l’imparfait de durée (ajpedevceto). A cette temporalité durative vient ici s’ajouter la notification d’une stabilitas loci (cf. ejnevmeinen) : c’est dans un lieu spécifique, en l’occurrence ejn ijdivw/ misqwvmati155, que Paul est à même de 152 L’ambivalence des obstacles à la foi supposés par l’adverbe ajkwluvt w" a également été défendue par Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), 1979, pp. 147-150, ainsi que par Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 286-291. 153 Cf. Alexander PRIEUR, Die Verkündigung der Gottesherrschaft, 1996, p. 82 : « Paulus wird damit zum Paradigma des wahren Verkündigers, den auch ein bevorstehender Prozess nicht daran hindern kann, die Botschaft zu verkündigen, um derentwillen er in Haft sitzt ». 154 Johann A. BENGEL, Gnomon Novi Testamenti, 18603, p. 338 ; Cf. Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 329, qui recourt, lui aussi à une tournure latine fort suggestive : Vexilia regis prodeunt. 155 Le terme mivsqwma n’est pas aisé à traduire ; ce dernier peut signifier tantôt, dans son sens actif, un paiement contractuel (un salaire) ou une location, tantôt, dans son sens passif, l’objet loué, donc un logement. Comment trancher ? Il convient tout d’abord de préciser qu’il s’agit d’un hapax legomenon dans le vocabulaire néotestamentaire. Selon David L. MEALAND, il s’agirait en Ac 28, 30 d’un terme technique issu du droit civil et servant à désigner le paiement (d’un loyer) (ID., « The Close of Acts and its Hellenistic Greek Vocabulary », 1990, pp. 583-597 ; voir aussi Brian RAPSKE, The Book of Acts and Paul in Roman Custody [The Book of Acts in its First Century Setting 3], Grand Rapids/Carlisle, Eerdmans/Paternoster Press, 1994, p. 178 : « The sense of the term in its many other contexts is of money paid to or by a person, and is appropriately rendered “contract price”, “contract”, or “rent” »). Bien que souvent admise dans l’exégèse moderne, cette proposition de traduction bute sur quelques écueils, notamment la construction ej nevmeinen ejn. En effet, cette tournure signifie plus certainement « demeurer dans » que « vivre » ; ce second sens est préconisé par

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recevoir ses visiteurs et de leur annoncer la Bonne Nouvelle. Cette insistance spatiale n’est pas anodine : Luc quitte son lecteur sur l’image d’un prédicateur sédentaire accueillant ses hôtes dans son propre logis. Si ce transfert de l’évangélisation chrétienne au sein du domaine privé d’un logement de location a partie liée avec l’assignation à résidence de l’apôtre, cela n’explique pas encore l’accentuation de cet aspect dans l’ultime page des Actes (28, 16.23) ainsi que sa reprise dans le tableau conclusif (28, 30). Cette composante spatiale participe à n’en pas douter de l’image que Luc souhaiter fixer de la chrétienté 156. Bien plus, nous avons observé tout au long de la mission paulinienne de diaspora le glissement topographique qui s’opère de la synagogue vers l’espace profane de la maison. Avec Ac 28, ce glissement touche à son terme : c’est dans la domus romaine, lieu de l’avenir, qu’est appelée à se reconfigurer la chrétienté expulsée de l’institution synagogale et c’est là que retentit désormais la prédication évangélique 157. Cela nous conduit Ernst HANSACK, « “Er lebte… von seinem eigenen Einkommen” (Apg 28, 30) », p. 251. De son côté Hermann J. HAUSER, Strukturen der Abschlusserzählung der Apostelgeschichte (Apg 28,16-31), p. 156, a montré que la racine men< est d’ordinaire suivie d’un complément de lieu ; « vivre à ses propres frais » constituerait ainsi une exception. Au reste, Ernst Hansack a bien perçu la difficulté, vu qu’il est contraint de restituer un ej n JRwvmh/ implicite après l’indicateur temporel (ibid., p. 253). Dès lors, quoique non attesté dans le sens de logement, Luc pourrait avoir élargi la signification de mivsqwma dans le but de qualifier le type particulier d’habitat qui fut celui de Paul à Rome. Il serait d’ailleurs très probable que, dans ce verset, Luc reprenne et précise ce qu’il avait dit au v. 16 (et 23) des dispositions locatives de Paul (cf. Theodor ZAHN, Die Apostelgeschichte des Lucas, II, 1927, p. 852). Dans cette optique, ej n ijdiv w/ misqwvmati serait équivalent de l’expression kaq’ eJa utovn du v. 16. Ce sens local trouve au reste sa suite logique dans le v. 30b qui affirme que Paul recevait tous ceux qui venaient le trouver, sous-entendu « dans son logement ». A cet endroit, l’emploi du verbe eijsporeuomev nou" est parfaitement adéquat pour signifier l’entrée dans un espace donné (cf. Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 1252). 156 Jacob JERVELL, Die Apostelgeschichte, 1998, p. 630 : « Für die fortsetzende Mission wird nun die Mietwohnung des Paulus das Zentrum » ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 336 : « Dans la capitale impériale, comme l’apôtre, le christianisme va désormais trouver sa “maison”. » ; Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1965, p. 329 : « […] das Gefangenenquartier des Paulus in Rom wird für zwei Jahre zu einem Missionszentrum ersten Ranges ». 157 Bien vu par Michael THEOBALD , « Mit verbundenen Augen ? Kirche und Synagoge nach dem Neuen Testament », 2001, p. 380 : « Damit verbunden ist nach Apg 13 und 18 ein realer Ortswechsel – weg von der Synagoge als dem ersten Ort der ChristusPredigt hin, so in Korinth, zu einem neuen Lehrlokal, nämlich zum “Haus eines gewissen Titius Justus, eines Gottesfürchtigen” (Apg 18,7). Das dürfte ein Spiegelbild der inzwischen vollzogenen soziologischen Trennung der Ekklesia von

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à un troisième aspect de ce sommaire conclusif : sa visée inclusive. Comme nous l’avons déjà dit, l’auditoire accueilli par Paul dans ses quartiers est qualifié comme une totalité : pavnta". Or, le recours au quantitatif indéfini pa'" pour caractériser le public de la prédication paulinienne de Rome n’est pas sans rappeler son usage prégnant chez Luc pour désigner la destination universelle du salut (cf. Lc 3, 6 ; 24, 47 ; Ac 2, 5.17.21.39 ; 3, 25 ; etc.) 158. Sans conteste, le groupe qui se rassemble dans le logement romain de Paul autour de la Parole prêchée est représentatif de l’oikoumenè, de la population entière de l’Empire qu’elle soit d’origine juive ou païenne 159. Partant, le sommaire des Actes assure une fonction de prolepse, garantissant l’accomplissement à venir du programme universaliste des Actes (cf. 1, 8) 160. 11.6.3

La chrétienté à la conquête de l’Empire

Dans un article consacré à la thématique du voyage dans le second tome de Luc, Daniel Marguerat s’est risqué à rapprocher la conclusion des Actes, singulièrement la poussée irrépressible du récit en direction de Rome (19, 21 ; 23, 11 ; 27, 24), des récits grecs de fondation (ktivsei")161.

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der Synagoge sein, die jetzt nicht mehr deren Lebensmittelpunkt bezeichnet. Die dritte und letzte Szene – der Schluss der Apostelgeschichte – bildet die Klimax der Reihe : Nicht nur, dass sie durch das ausgiebige Jesaja-Zitat besonders markiert ist, auch der Ortsindex ist neu : Paulus geht nicht mehr von sich aus in eine der vielen Synagogen Roms, um zu missionieren, sondern lädt die führenden Männer der Juden zu sich in seine römische Wohnung ein : christliche Missionsaktivitäten in jüdischen Synagogen scheinen für Lukas zu seiner Zeit und in seinem Umkreis unmöglich geworden zu sein ». Charles K. BARRETT, The Acts of the Apostles, II, 1998, p. 1252 : « pavnta" is important to Luke, and his meaning (though not his text) is rightly given by the Western insertion at the end of the verse […] » ; Ben W ITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 813 : « The word is a very important one for Luke, and it is no accident he ends Acts by using it ». Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, p. 336. Cf. Wolfgang REINHARDT, Das Wachstum des Gottesvolkes, 1995, pp. 291-293. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 341-374 (surtout les pp. 356.361-365). Néanmoins, Luc ne s’inspirerait pas de ce seul motif littéraire, mais évoquerait les diverses facettes de la thématique hellénistique du voyage : aventure et exploration ; voyage romanesque ; itinérance ; initiation ; etc. (cf. ibid., pp. 361-373). Pour sa part, Walter T. WILSON a identifié une influence des récits de fondation derrière le récit de la conversion de Corneille (ID., « Urban Legends : Acts 10,1–11,18 and the Strategies of Greco-Roman Foundation Narratives », JBL 120, 2001, pp. 77-99).

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En prolongement de cette intuition exégétique, nous avons pour notre part défendu l’hypothèse que la figure paradoxale de Paul fixée en Ac 27–28 – tout à la fois prisonnier de l’autorité romaine et leader d’une expédition sur mer et sur terre – répondait au modèle de l’œciste, autrement dit au portrait du fondateur de colonies162. C’est cette hypothèse littéraire et ses implications herméneutiques que nous souhaitons reprendre ici. 11.6.3.1

Un précédent juif hellénistique

Partons de deux textes de Philon d’Alexandrie 163. Dans son Legatio ad Caium164 ainsi que dans son écrit contre Flaccus (In Flaccum) 165, 162 Simon BUTTICAZ, « La figure de Paul en fondateur de colonie (Ac 27–28) », 2006, pp. 173-188. 163 Sur le sujet, voir : Yehoshua AMIR, « Die Wallfahrt nach Jerusalem in Philons Sicht », dans ID., Die hellenistische Gestalt des Judentums bei Philon von Alexandrien (Forschungen zum jüdisch-christlichen Dialog 5), Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1983, pp. 52-64 ; Hans-Josef K LAUCK, « Die Heilige Stadt. Jerusalem bei Philo und Lukas », Kairos 28, 1986, pp. 134-135 ; Berndt SCHALLER, « Philon von Alexandria und das “Heilige Land” », dans Georg STRECKER (éd.), Das Land Israel in biblischer Zeit (GTA 25), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1983, pp. 172-187 ; Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures”. The Legitimation of the Jewish Diaspora and the Early Christian Mission », dans David P. MOESSNER (éd.), Jesus and the Heritage of Israel. Luke’s Narrative Claim upon Israel’s Legacy, Harrisburg, Trinity Press International, 1999, pp. 202-203 ; Harry Austryn WOLFSON, Philo. Foundations of Religious Philosophy in Judaism, Christianity, and Islam (Structure and Growth of Philosophic Systems from Plato to Spinoza 2), Cambridge/London, Harvard University Press, 1982, pp. 396ss. 164 PHILON, Legatio ad Caium 281-283 : « Sur la Ville Sainte, il m’incombe de dire ce qu’il convient. Cette ville, comme je l’ai dit, est ma patrie mais aussi la capitale, non pas du seul territoire de Judée, mais encore de la plupart des autres territoires, à cause des colonies qu’elle a envoyées, suivant les époques, dans les pays limitrophes : Egypte, Phénicie, Syrie, et spécialement celle qu’on appelle Caelé-Syrie ; d’autres dans des régions plus lointaines, Pamphylie, Cilicie, la plus grande partie de l’Asie jusqu’en Bithynie et au fin fond du Pont ; de même en Europe, en Thessalie, Béotie, Macédoine, Etiolie, en Attique, à Argos, à Corinthe, dans la plupart des meilleures régions du Péloponnèse. Et ce n’est pas seulement les continents qui sont remplis de colonies juives, mais les îles les plus renommées, l’Eubée, Chypre, la Crète. Et je ne dis rien des colonies au-delà de l’Euphrate. Car, à l’exception d’une mince partie, Babylone et, parmi les autres satrapies, toutes les cités qui possèdent un territoire fertile autour d’elles ont des habitants juifs. De sorte que, si ma patrie a quelque part à ta bienveillance, ce n’est pas une seule ville qui en ressentira le bienfait, mais des myriades d’autres qui sont situées dans toutes les régions de l’univers, en Europe, en Asie, en Libye, sur les continents et les îles, sur les côtes ou dans l’intérieur des terres ».

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l’historien juif hellénistique construit une analogie entre le système grec de colonies et le statut des diasporas juives. A cet endroit, il est en mesure de comparer Jérusalem, la Ville sainte (iJerovp oli"), à une métropole (mhtrovp oli") et les diverses diasporas juives disséminées dans le monde habité à des colonies (ajp oikivai) envoyées par cette villemère. Ce faisant, Philon reproduit une terminologie empruntée aux récits archaïques de colonisation, mais en décalage immanquable par rapport à la réalité politique de son siècle 166. De son temps en effet, les entreprises coloniales n’étaient plus menées par les différentes citésétats du monde grec, mais par l’empire romain, et ce dans le but de fonder des colonies de vétérans. Par ailleurs, à l’instar des récits grecs de fondation, Philon n’omet pas de stipuler la cause (cf. In Flaccum 46 : aijtiva) de cette dispersion juive, à savoir la surpopulation (cf. In Flaccum 45 : dia; poluanqrwpivan) 167. Sur un point toutefois, sa comparaison s’avère forcée – ce dont Philon semble être conscient : si dans le modèle hellénistique, les habitants des colonies sont les descendants directs des colonisateurs et y occupent ainsi un rôle directeur, cela n’est pas le cas des juifs de la diaspora. Pour sa défense, Philon affirme néanmoins que certains d’entre eux avaient déjà pris part à la première vague colonisatrice (cf. In Flaccum 46 : « Dans

165 PHILON, In Flaccum 45-46 : « […] Car les Juifs, à cause de leur grand nombre, un seul continent ne saurait les contenir. C’est pour cette raison qu’ils émigrent vers la plupart des régions les plus favorisées d’Europe et d’Asie, sur les continents et dans les îles ; ils considèrent comme leur métropole la ville sainte où se trouve le temple sacré du Dieu Très-haut, mais ils tiennent pour leurs patries respectives les régions que le sort a données pour séjour à leurs pères, à leurs grands-pères, à leurs arrièresgrands-pères et à leurs ancêtres plus lointains encore, où ils sont nés et ont été élevés. Dans certaines, ils sont arrivés en colonie officielle, dès la fondation, pour complaire aux fondateurs ». 166 Cf. Yehoshua AMIR, « Die Wallfahrt nach Jerusalem in Philons Sicht », 1983, p. 53 ; Hans-Josef KLAUCK, « Die Heilige Stadt. Jerusalem bei Philo und Lukas », 1986, p. 134 : « Es ist bezeichnend für Philo, dass er auf das archaische Modell zurückgreift, das ihm als Bildungsgut aus der Literatur überkommen war. » ; au sujet de la terminologie utilisée, voir Michel CASEVITZ, Le vocabulaire de la colonisation en grec ancien. Etude lexicographique des familles de « ktizô » et de « oikeô-oikizô » (Etudes et commentaires 97), Paris, Klincksieck, 1985. 167 Cf. P LATON, Lois 5,740e : « Finalement, si l’on arrive au comble de l’embarras pour ajuster les foyers au chiffre de cinq mille quarante et qu’il se produise un afflux excessif de citoyens par suite des sympathies nées de la cohabitation, dans cette extrémité on dispose de l’antique expédient que nous avons plusieurs fois mentionné, l’envoi de colonies (ejkpomh; ajpoikiw'n) […]. » ; cf. aussi 9,708b ; 5,735e ; 11,929cd.

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certaines, ils sont arrivés en colonie officielle, dès la fondation, pour complaire aux fondateurs ») 168. Quels sont les effets de ce rapprochement sur la définition des rapports entre la diaspora juive et sa terre d’origine ? Si Philon fait référence au modèle grec de colonisation, il n’est pas sans savoir que les liens qui se perpétuaient entre métropoles et colonies étaient des plus ténus et se maintenaient surtout sur les plans culturel et religieux. En effet, les dieux célébrés dans la cité-mère l’étaient généralement aussi dans les villes-filles169. Dans les sphères politique et économique au contraire, l’on assistait à une rapide autonomisation des colonies, voire parfois à un antagonisme affiché. A cette lumière, l’on perçoit mieux pourquoi Philon recourt à ce modèle littéraire et désigne Jérusalem uniquement comme lieu du Temple 170. Son propos ici est d’expliquer à la population de la diaspora la raison d’être des pèlerinages vers la Ville sainte et la nécessité de l’impôt du Temple, tout en légitimant une existence de diaspora 171. Pour Philon, ce sont prioritairement des considérations religieuses qui sont appelées à régir les rapports entre la

168 Cf. Yehoshua AMIR, « Die Wallfahrt nach Jerusalem in Philons Sicht », 1983, p. 54 : « Es ist leicht, den schwachen Punkt des historischen Vergleichs zu finden : Als die Hellenen einst übers Meer zogen, gründeten sie Städte, in denen sie herrschten, und mitunter gelang es ihnen auch, die ortsansässige Bevölkerung ihrer Herrschaft zu unterwerfen. Anders die Juden, die in ihrer auswärtigen Ansiedlungen meist nur den Status einer geduldeten ethnischen Gruppe hatten und jedenfalls nirgendwo Herren waren. » ; également Hans-Josef K LAUCK, « Die Heilige Stadt. Jerusalem bei Philo und Lukas », 1986, p. 135. 169 Sur le sujet, voir Yehoshua AMIR, « Die Wallfahrt nach Jerusalem in Philons Sicht », 1983, pp. 54-55 ; Alexander John GRAHAM, Colony and Mother City in Ancient Greece, Manchester/New York, University Press/Barnes and Noble, 1971, pp. 6263.154-165.213.216-217 (ibid., p. 216 : « It is above all the religious relations which show the fundamental nature of the colony-metropolis relationship ») ; Theresa MILLER, Die griechische Kolonisation im Spiegel literarischer Zeugnisse (Classica Monacensia 14), Tübingen, Narr, 1997, pp. 259-261 (ibid., p. 259 : « Kulte der Mutterstadt waren in griechischen Apoikien sehr häufig anzutreffen, und man kann annehmen, dass dieser Fall die Regel war »). 170 PHILON, In Flaccum 45 : « […] ils considèrent comme leur métropole la ville sainte où se trouve le temple sacré du Dieu Très-Haut ». 171 Berndt SCHALLER, « Philon von Alexandria und das “Heilige Land” », 1983, p. 174 : « […] hier spricht kein Advokat einer ungebrochenen Landtheologie, sondern ein Apologet des Lebens in der Diaspora ». Et plus loin, p. 175 : « Das Leben in der Diaspora, fern vom Land der Väter, trägt in dieser Sicht keinen Makel, es wird nicht, wie es gut biblisch wäre, als Folge der Uebertretungen des Gotteswillens erkannt, ja es bedeutet nicht einmal Leben in der Fremde ».

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métropole juive et ses colonies disséminées à la surface du monde habité 172. Sur la base de ce précédent juif hellénistique, il devient tentant d’examiner si Luc, lui aussi, se recommande du modèle grec des ktiseis pour penser les rapports entre la secte chrétienne qui fonde des diasporas dans sa course aux confins de la terre (cf. Ac 11, 19-30) et la foi juive centrée à Jérusalem. Dit autrement, l’auteur à Théophile penset-il les rapports judaïsme–christianisme à la lumière des relations entre métropoles et colonies ou ce paradigme lui est-il étranger ? Commençons par retracer les contours des récits antiques de fondation, avant de nous pencher sur leur éventuelle reprise chez Luc. 11.6.3.2

La fondation de colonies dans la littérature grecque

Le pattern littéraire de fondation d’une cité coloniale est attesté dans la littérature grecque dès la période archaïque, même s’il est encore difficile de parler d’un genre littéraire bien établi173. Ce n’est qu’au cours de la période hellénistique, à la faveur d’une vaste entreprise alexandrine de classification de la poésie et d’une résurgence de

172 Cf. Gregory E. STERLING, « “Opening the Scriptures”. The Legitimation of the Jewish Diaspora and the Early Christian Mission », 1999, p. 202 : « His response [de Philon] was to present the Jews scattered throughout the empire as a single nation, united on the grounds of religion […] ». 173 Thèse défendue par Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, Apollo, Ktisis and Pindar : Literary Representations of Archaic City Foundations, Diss., Princeton, UMI, 1988, pp. 14-58 (cf. ibid., pp. 14-15 : « We can fell confident that archaic poets and early prose writers were interested in accounts of city foundations, but it is not clear what form these accounts took ») ; aussi ID., The Poetics of Colonization : From City to Text in Archaic Greece, New York/Oxford, Oxford University Press, 1993, p. 15 : « While foundation poetry did not exist as an autonomous genre in the archaic period, tales of how cities came to be settled were at home in many literary contexts – from the Homeric poems to the works of the Hellenistic poet-scholars –and are best treated as a topos or theme that could be embedded within elegiac poems, epinician odes, tragedy, or the history of Chios. » ; contra P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, Freiburg, Paulusdruckerei, 1947, qui a défendu l’existence d’un genre des ktiseis, à partir de la période archaïque jusqu’à l’époque hellénistique. En effet, ses reconstructions demeurent souvent éminemment hypothétiques et sa définition du genre étudié extrêmement sommaire (cf. ibid., pp. XIII-XIV : « In der Folge entstand eine eigene Literaturgattung, die der Ktiseis, welche, wie der Name schon besagt, Städtegründungerzählungen zum Gegenstand hatte. Diese Literatur wurde dann auch weitergepflegt, sie lässt sich bis in den Hellenismus, ja darüberhinaus verfolgen »).

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l’activité coloniale, qu’une forme littéraire se stabilisera 174. Il n’en demeure pas moins que, dès la première vague coloniale, raconter la fondation d’une colonie a constitué un topos favori des poètes et historiens grecs, voire des philosophes (cf. Archiloque, Callinus, Pindare, Hérodote, Thucydide, etc.), topos par ailleurs pratiqué tout au long des périodes classique et hellénistique. Quels sont les éléments typiques de ce pattern colonial ? Francesco Trotta a identifié huit motifs caractéristiques175 : 1) mention des causes (aijtivai) qui ont présidé à l’entreprise coloniale (causes politiques, familiales, économiques, divines, etc.)176 ; 2) recherche d’un œciste (oijkisthv") ou fondateur177. Ce dernier fonctionne comme pièce maîtresse des ktiseis, symbolisant autant la continuité nouée avec la métropole que la nouvelle cité à fonder178 ; 3) consultation de l’oracle, 174 Cf. Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, Apollo, Ktisis and Pindar, 1988, pp. 49-50. 175 Francesco TROTTA, « Lasciare la madrepatria per fondare una colonia. Tre esempi nella storia di Sparta », dans Giorgio CAMASSA, Silvana FASCE (éds), Idea e realtà del viaggio, Gênes, ECIG, 1991, pp. 43-50 ; pour sa part, Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, The Poetics of Colonization, 1993, pp. 15-30, résume le pattern narratif des récits de fondation coloniale comme suit : crise civile – consultation d’Apollon à Delphes et sanction de l’entreprise coloniale – fondation de la colonie – résolution de la crise marquée par le culte du fondateur. 176 Dans certaines ktiseis, plusieurs motifs peuvent être conjointement allégués pour expliquer l’origine de l’entreprise coloniale : dans le récit de la fondation de Rhégion, notamment relaté par le géographe STRABON (Géographie 6,1,6), les causes invoquées sont tour à tour une stasis, une disette et un oracle delphien (cf. Jean DUCAT, « Les thèmes des récits de la fondation de Rhégion », dans Mélanges helléniques offerts à G. Daux, Paris, de Boccard, 1974, pp. 93-114). Un inventaire des causes invoquées est dressé par Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, The Poetics of Colonization, 1993, pp. 16-18 ; voir aussi Theresa MILLER, Die griechische Kolonisation im Spiegel literarischer Zeugnisse, 1997, pp. 31-87 ; P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, 1947, pp. 169-172. 177 Dans certains cas, il en va du héros éponyme de la colonie : Théras pour Théra, par exemple (cf. PAUSANIAS, Description de la Grèce 3.1.7-8). Le statut de l’œciste est ambivalent : cf. Irad MALKIN, Religion and the Founders of Greek Colonies, Ann Arbor, UMI, 1986, pp. 28-29 : « The founders of Greek colonies represented both the initiative of their mother-cities, the authority of Apollo, and the embryonic colony. The oikists thereby formed the connection among all three, they served as the intermediary between men, their communities, and their gods ». 178 Cf. P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, 1947, p. 178 : « Seine Bedeutung [du fondateur], die er als treibendes Zentrum im ganzen Kolonisationsprozess besass, mag auch dadurch ersichtlich sein, dass man die Stadt auf seinen Namen hin benennen lassen konnte, dass also eine Ktisis unter Umständen in ihm zugleich den Eponymos besass (Byzanz = Byzas, Kaunos) » ; consulter également Theresa MILLER, Die griechische Kolonisation im Spiegel literarischer Zeugnisse, 1997, pp. 193-239.

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celui de Delphes le plus souvent179. Il peut s’agir d’un oracle de « concession » qui vient sanctionner l’expédition coloniale, d’un oracle chiffré à interpréter ou d’un oracle spontané (« automatique ») 180 ; la destination géographique peut être également révélée181 ; 4) préparatifs de départ ; 5) mention des membres de l’expédition, souvent peu nombreux ; 6) compte rendu du voyage ; 7) reconnaissance des lieux ; 8) débarquement. Dans certains récits, le débarquement est précédé d’une phase d’exploration menée à partir d’une île proche de la zone à coloniser (par exemple l’île côtière de Platéa dans les récits hérodotéens de la fondation de Cyrène) 182. Par ailleurs, l’accueil réservé aux colons par les indigènes est tantôt bienveillant, tantôt hostile 183. A l’instar du topos colonial défini par Carol Lisa Dougherty-Glenn, il nous semble nécessaire d’ajouter un neuvième point au pattern délimité par Trotta, neuvième point traitant de l’installation sur le nouveau territoire et des honneurs religieux conférés à titre posthume à l’œciste 184. Autrement 179 Le thème oraculaire est un élément décisif dans la quasi-totalité des traditions coloniales. Sans cette injonction divine, aucune entreprise fondatrice ne peut réussir (par exemple : le cas de Dorieus, dont la tentative colonisatrice échoue faute d’avoir consulté Apollon) : cf. Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, The Poetics of Colonization, 1993, pp. 18-19 ; Irad MALKIN, Religion and the Founders of Greek Colonies, 1986 ; Francesco TROTTA, « Lasciare la madrepatria per fondare una colonia. Tre esempi nella storia di Sparta », 1991, pp. 45-46. Pour le cas de Cyrène, consulter Claude CALAME, « Mythe, récit épique et histoire : le récit hérodotéen de la fondation de Cyrène », dans ID . (éd.), Métamorphose du mythe en Grèce antique , Genève, Labor et Fides, 1988, pp. 105-125. Les deux récits hérodotéens de cette geste colonisatrice font état d’interventions divines répétées. 180 Cf. Francesco TROTTA, « Lasciare la madrepatria per fondare una colonia. Tre esempi nella storia di Sparta », 1991, pp. 45-46. 181 Cf. PLUTARQUE, De Pythiae Oraculis 407f-408a. 182 Cf. Jan N. BREMMER, « Myth and History in the Foundation of Cyrene », dans Pedro AZARA et al. (éds), Mites de fundació de ciuitats al món antic (Mesopotàmia, Grècia i Roma). Actes del Col-loqui (Monografies 2), Barcelona, Museu d’Arqueologia de Catalunya, 2001, p. 156 : « Clearly, colonists felt safer first exploring the new territory before definitively settling in their “new world” ». La base de cette phase exploratrice était souvent formée par une île. 183 Les contacts noués par les colons avec les communautés locales peuvent être tantôt hostiles tantôt amicaux : cf. Francesco TROTTA, « Lasciare la madrepatria per fondare una colonia. Tre esempi nella storia di Sparta », 1991, pp. 49-50. Pour une série d’exemples, voir P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, 1947, pp. 173-175. 184 Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, The Poetics of Colonization, 1993, pp. 24-27, surtout la p. 24 : « The death of the oikist provides the colony with a point of transition from colony to independent city-state and thus marks the solution to the crisis and the end of the colonial narrative. Throughout his lifetime, the founder of the colony

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dit, la mort de l’œciste signe l’achèvement de l’entreprise coloniale et annonce l’émergence d’une nouvelle cité indépendante. En effet, le processus d’héroïsation dont le fondateur est l’objet est propre à la cité coloniale et la démarque ainsi de sa métropole 185. 11.6.3.3

Ac 28, 16-31 et les récits de fondation de colonies

Dans quelle mesure le transfert du récit de Jérusalem à Rome, et singulièrement la séquence formée par Ac 27–28, sont-ils modelés sur ce topos littéraire grec ? Lorsqu’il compose l’ultime page de son œuvre, l’évangéliste Luc s’inspire-t-il de ces récits de fondation chers aux auteurs hellènes ? Dans l’article susmentionné, Daniel Marguerat a répondu par l’affirmative à cette question186. Selon lui, les affinités entre Ac 28 et les ktiseis ne seraient pas cantonnées au registre thématique, mais ressortiraient également au plan formel187. Marguerat voit ainsi se reproduire dans le livre des Actes un scénario narratif en six points caractéristique des mythes de fondation188. Eprouvons et prolongeons cette suggestion :

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186

187 188

occupies a position of power and respect ; after his death, he is worshipped through cult as the city’s founding hero » ; Irad MALKIN, Religion and the Founders of Greek Colonies, 1986, p. 27 : « His death [de l’œciste] symbolized the end of the period of “foundation” », et plus loin, p. 29 : « The oikists embodied in themselves the transformation and realization of the colony. With the death of the oikist, as we have stated, the act of foundation can be said to have ended. » ; ID., « Heroes and the Foundation of Greek Cities », 2001, p. 125. Cf. Carol Lisa DOUGHERTY-GLENN, The Poetics of Colonization, 1993, p. 25 : « Independent of the metropolis, the founder’s cult belong entirely to the new city ; it both represents and protects the city’s emergency self-identity – even when that civic identity changes » ; Irad MALKIN, « Heroes and the Foundation of Greek Cities », 2001, p. 125 : « It was a new identity. The death of the human founder also signified the end of “foundation” and the beginning of life for the new city-state not merely as “colony” in relation to a mother city, but as a polis with its defined identity and its future history ». Et plus loin, p. 125 : « It [le culte de l’œciste] was the first cult a colony could truly call its own, as it was not imported from a mother city ». Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, pp. 361-365 (ibid., p. 361 : « Le soin apporté dès 19, 21 par l’auteur des Actes à pointer l’itinéraire sur Rome, l’inexorable progression du récit dans cette direction dès 23, 11 et la dramatisation de la croisière finale [27, 1–28, 13] révèlent que Rome représente l’aboutissement d’une stratégie de conquête missionnaire »). Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 362-364. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 363-364. Par rapport aux motifs délimités par Francesco TROTTA (« Lasciare la madrepatria per fondare una colonia. Tre esempi nella storia di Sparta », 1991), deux font défaut dans

11.6

L’Eglise à la conquête de l’universalité

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1) départ : l’aijtiva réside dans le conflit opposant Paul aux autorités juives, et plus précisément dans l’appel à César : le litige est ici religieux (cf. 28, 19-20). Ceci dit, la crise proprement dite remonte à Ac 8, 1b déjà, moment où les chrétiens, chassés loin de la métropole juive, sont contraints à l’exil ; 2) l’œciste 189 : chez Luc, cette fonction est centralement endossée par Paul – qui, à l’image des fondateurs grecs, se montre tout d’abord opposé à cette vocation (cf. Ac 8, 3 ; 9, 1-4). Cependant, une fois cette résistance levée, Paul incarne parfaitement le lien, la passerelle entre colonie chrétienne et métropole juive190. Tout en s’ouvrant à l’universalité romaine (28, 28.30-31), l’apôtre ne manque en effet pas une occasion de rappeler son attachement au peuple d’Israël, au Temple de Jérusalem et à l’espérance de la résurrection (28, 17c-20 ; cf. 21, 24.26 ; 22, 3 ; 23, 6 ; 24, 14-15 ; 25, 8 ; 26, 2-3.5-8). Cette fonction éclaire également l’attachement inflexible de Paul aux coutumes d’Israël : dans la littérature grecque de fondation, la fidélité aux lois ancestrales léguées par la métropole constitue un motif prégnant (cf. par ex. : PINDARE, Pythie 1,61-71). Cela dit, le rôle de l’œciste ne se cantonne pas à maintenir vivante l’unité entre métropole et colonie 191, mais consiste surtout à assurer le bon déroulement de l’entreprise coloniale. Autrement dit, c’est lui qui monopolise la fonction directoriale de l’expédition, jouit de la faveur divine et en assume l’autorité religieuse. Ces qualités morales et numineuses sont admirablement endossées par le Paul des Actes, tout particulièrement lors de la traversée mouvementée entre Césarée et Rome (27, 1–28, 15)192. Pour preuve, si le voyage réussit, c’est grâce à sa sagesse

189 190 191 192

cette liste : le motif des membres de l’expédition et celui de la reconnaissance. Le second est regroupé par Daniel Marguerat sous le point 6 (débarquement). Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 363, parle plus prosaïquement d’un chef . A ce sujet, nous nous permettons de renvoyer à notre article « La figure de Paul en fondateur de colonie (Ac 27–28) », 2006, pp. 173-188. Sur ce point, Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 363, nous semble s’arrêter trop tôt. Bien noté par Matthew L. SKINNER, Locating Paul. Places of Custody as Narrative Settings in Acts 21–28 (SBL.AB 13), Leiden/Boston, Brill, 2003, p. 152 : « At several points in the account Paul assumes a place of prominence and leadership over his keepers and sailors, and he displays a calm confidence that is more impressive than the violence of the storm that annihilates the ship and nearly kills its 276 passengers. Acts 27 describes a setting in which Paul again enjoys a certain measure of autonomy and influence within his custodial conditions, as a brief review of significant

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maritime (27, 10.21-22) et surtout à la protection divine dont il est l’objet (cf. 27, 24). Par ailleurs, son autorité religieuse est notamment mise à contribution lors du repas à consonance eucharistique 193 qu’il préside au cœur de la tempête (cf. 27, 33-38) ; 3) l’oracle : la sanction divine de l’entreprise coloniale est réitérée à deux reprises (23, 11 et 27, 24 ; cf. déjà 19, 21) et sa destination géographique clairement nommée, Rome ; 4) préparatifs de départ : rapportés succinctement en 27, 1-2 ; 5) voyage : Luc en offre une ample et riche description en 27, 3–28, 15, composant notamment une fresque maritime grandiose (27, 3-44). Il précise par ailleurs les différents participants 6) de cette expédition : 276 personnes au total, dont des soldats, des hommes libres et des prisonniers (27, 1-2.37). Qui plus est, l’autorité de Paul et sa sollicitude semblent s’étendre à l’ensemble de cet équipage (cf. 27, 22-24.31.3334.44b) : son destin individuel se conjugue désormais à celui d’un groupe ; 7) débarquement : il s’opère en deux temps, tout d’abord sur l’île de Malte (28, 1), puis avec l’entrée dans Rome (28, 14.16). Comme vu, cette progression binaire n’est pas inconnue de la littérature grecque de fondation, mais évoque l’exploration de la terre à coloniser initiée à partir d’une île côtière 194. En outre, l’accueil des indigènes est ambivalent : bienveillant de la part des habitants de l’île et des frères, réticent de la part des juifs de Rome. A cela, nous ajoutons une huitième étape : installation et mort de l’œciste. Les détails de l’établissement du fondateur Paul sont explicitement relatés ; l’apôtre loue une demeure dans laquelle il est à même de recevoir ses convives et d’y annoncer le kérygme christologique (28, 16.23.30). Ce faisant, l’œciste préside à l’installation du christianisme dans son futur bassin d’expansion et trace les contours cultuels de la nouvelle colonie. Quant à la notice relative à la mort de l’œciste, elle apparaît en filigrane de

parts of Luke’s account reveals ». Cf. également Simon BUTTICAZ, « La figure de Paul en fondateur de colonie (Ac 27–28) », 2006, pp. 173-188 ; John Clayton LENTZ, Le portrait de Paul selon Luc dans les Actes des apôtres (LeDiv 172), Paris, Cerf, 1998, pp. 127-128 ; Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme, 20032, p. 323 ; aussi ibid., pp. 107-108. 193 Gustav STAEHLIN, Die Apostelgeschichte, 1962, p. 320 ; Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 664. 194 Sur la symbolique de l’île dans l’imaginaire antique, voir Marie-Françoise BASLEZ, « Les Actes des Apôtres entre utopie et espérance chrétienne », dans ID. (éd.), Les premiers temps de l’Eglise de saint Paul à saint Augustin, Paris, Gallimard, 2004, pp. 232-238.

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L’Eglise à la conquête de l’universalité

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l’épilogue d’Ac 28, 30-31 : suite aux deux années de son assignation à résidence, le martyre du fondateur semble être survenu (28, 30 ; cf. 20, 25.38 ; 21, 11). Néanmoins, une différence de taille se profile ici. Nulle mention n’est faite d’un culte rendu à l’évangéliste des nations. Au contraire, la discrétion et le silence qui entourent sa mise à mort excluent d’office tout processus d’héroïsation de ce dernier – de fait, ce motif est transféré en amont et mis au compte de la religiosité des barbares maltais195. En bref, si Luc suit le pattern des ktiseis, il évite de le reproduire mécaniquement, mais s’en écarte ici ou là pour d’évidentes raisons théologiques. Excursus : Ac 28, 16-31 et l’Enéide de Virgile Certains exégètes ont supposé une parenté entre le livre des Actes, plus particulièrement les pérégrinations pauliniennes de Jérusalem à Rome, et l’Enéide du poète romain Virgile196. A l’instar de l’épopée d’Enée, les Actes pointent en effet en direction de Rome comme lieu d’implantation et d’émergence d’un nouveau peuple 197. A cette intrigue et macrostructure identiques, l’on peut ajouter une série de parallèles ponctuels : Charles Talbert 195 Cf. Daniel MARGUERAT, La première histoire du christianisme , 20032, pp. 87-88 : « La mort des deux héros [Pierre et Paul] est très précisément escamotée par le narrateur (Ac 12, 17 ; 28, 30s.), comme s’il ne fallait pas porter ombrage à la seule mort salvatrice, celle de Jésus ». 196 Voir entre autres : Loveday C.A. ALEXANDER, « New Testament Narrative and Ancient Epic », 2003, pp. 239-249 (cf. ibid., p. 241 : « The most obvious point of comparison here is with the final westward voyage of St. Paul, destined by divine decree to visit Rome, travelling from Troas down the Aegean coast, by-passing Crete and narrowly escaping disaster on the coasts of North Africa, swept by storm-winds to Sicily before finally making landfall in Italy. ») ; Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000 ; Walter ELTESTER, « Israel im lukanischen Werk und die Nazarethperikope », dans Erich GRÄSSER et al. (éds), Jesus in Nazareth (BZNW 40), Berlin/New York, de Gruyter, 1972, pp. 88-89 ; Vittorio FUSCO, « “Point of View” and “Implicit Reader” in Two Eschatological Texts : Lk 19,11-28 ; Acts 1,6-8 », dans Frans VAN SEGBROECK et al. (éds), The Four Gospels. Festschrift F. Neirynck, vol. 2 (BEThL 100), Leuven, Leuven University Press, 1992, p. 1695 (surtout note 75) ; Justin TAYLOR, Les Actes des deux Apôtres, 1994, p. 274. 197 Bien montré par Marianne Palmer BONZ , The Past as Legacy, 2000, p. 56 : « To begin with, there is the theme of divine mission in the form of a journey that will lead to the formation of a new people. In the Aeneid and […] also in Luke-Acts, this theme is the central narrative thread around which the entire composition is organized ». Toutefois, ni l’Enéide de Virgile, ni l’œuvre lucanienne ne conduisent ce plan divin à son terme (cf. ibid., p. 191 : « In all of these examples, moreover, fulfillment is metaphorically or proleptically implied, rather than definitively achieved within the story line, a technique enabling the audience to assume a participatory role in the ongoing drama of the enactment of the divine plan »).

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a identifié dans les Actes une architecture balancée similaire à celle des douze livres de l’Enéide (I–VI et VII–XII)198 ; plusieurs épisodes ou motifs se retrouvent de part et d’autre, à commencer par le naufrage relaté en Ac 27, dont les similitudes avec certaines tempêtes essuyées par Enée sont saisissantes199 ; enfin, certains procédés littéraires, comme les listes de peuples200 ou les prolepses prophétiques 201, sont communs à l’écriture de Luc et de Virgile. Or, ces jeux d’échos sont susceptibles d’être amplifiés, si l’on perçoit l’influence exercée par les ktiseis grecques sur l’Enéide. En effet, l’œuvre de Virgile se structure de manière grossière autour de trois étapes essentielles, qui ne sont pas sans évoquer la trame de ces récits de fondation : départ de Troie – périple maritime et terrestre à la recherche de la nouvelle patrie – débarquement et contact hostile avec les populations indigènes202. Par ailleurs, P. Benno Schmid a inventorié dans l’Enéide de Virgile un éventail de motifs rappelant la littérature grecque de fondation203 : mention du départ pour l’exil (Livre III,1112) ; Enée fonde une première ville du nom d’Enéades (III,13-18). Ce faisant, il agit en parfait œciste-éponyme. Plus tard, abordant sur l’île de Délos, Enée, comme tout fondateur, consulte Apollon sur la route à suivre ; ce dernier lui délivrera une réponse énigmatique, l’enjoignant à retrouver sa « mère antique » (III,96). Un nouvel oracle apollonien sera délivré en III,250-257, puis derechef en III,388-395. Cet échantillonnage démontre sans doute possible que Virgile reproduit consciemment nombre de traits typiques des ktiseis204. Partant, 198 Charles H. TALBERT, Literary Patterns, Theological Themes, and the Genre of LukeActs (SBL.MS 20), Missoula, Scholars Press, 1974, pp. 67-69. 199 Sans entrer dans une étude minutieuse de l’Enéide, nous pouvons d’emblée relever une série de parallèles entre le naufrage d’Enée sur les rivages de la Libye (Livre I,102-222) et l’épisode d’Ac 27 : tempête violente (I,102-130 ; cf. Ac 27, 14-44)/des navires viennent se briser sur les rochers (I,108-110 ; cf. Ac 27, 29.41)/des naufragés et débris flottent à la surface de l’onde (I,118-119 ; cf. Ac 27, 43-44)/débarquement dans une baie abritée (I,157-164 ; cf. Ac 27, 39–28, 1)/rassemblement des marins détrempés autour d’un feu (I,174-176 ; cf. Ac 28, 2-3)/repas dispensé par Enée (I,184-196 ; cf. Ac 27, 33-38)/discours d’encouragement de ce dernier (I,197-207 ; cf. Ac 27, 21-26.3334)/etc. Pour d’autres rapprochements, consulter Susan Marie PRAEDER, The Narrative Voyage, 1980, pp. 227-246. 200 Cf. Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, pp. 107-110. 201 Cf. Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, passim. 202 Ces trois actes sont fort bien annoncés dans les premiers vers du Livre I de l’Enéide (1-7) : « Je chante les armes et l’homme qui, premier, des bords de Troie vint en Italie, prédestiné, fugitif, et aux rives de Lavinium ; ayant connu bien des traverses et sur terre et sur l’abîme sous les coups de Ceux d’en haut, à cause de la colère tenace de la cruelle Junon, il souffrit aussi beaucoup par la guerre comme il luttait pour fonder sa ville et installer ses dieux dans le Latium ; d’où la race latine, les Albains nos pères et les murs de la haute Rome » (trad. Jacques PERRET, Belles Lettres, légèrement amendée). 203 P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, 1947, pp. 189-198. 204 Cf. P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, 1947, p. 196.

11.6

L’Eglise à la conquête de l’universalité

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Schmid n’hésite pas à qualifier l’Enéide de « Ktisisepos » 205. Or, si la section finale des Actes répond, elle aussi, aux critères distinctifs des récits grecs de fondation, alors la parenté lucanienne avec l’Enéide de Virgile, envisagée par une poignée d’exégètes, se trouve confortée.

11.6.3.4

La finale des Actes comme conquête missionnaire de l’Empire

Ce scénario littéraire mis au jour dans la finale des Actes, il convient d’en préciser la portée herméneutique. Autrement dit, pourquoi Luc recourt-il au pattern grec des ktiseis pour configurer la séquence conclusive de sa seconde œuvre ? L’objectif sémantique est aisé à déterminer : en recourant au modèle grec de fondation, c’est l’émergence symbolique d’un nouveau peuple, implanté dans l’ensemble du monde habité – précisément dans les régions où essaimaient juifs exilés et colons grecs –, un peuple autonome et distinct du judaïsme que Luc souhaite raconter. La longue séquence romanesque sur mer et sur terre relatée en Ac 27, 1–28, 15 n’a pas seulement pour vocation d’offrir au lecteur une pause divertissante. Ce périple trahit le changement épocal qui intervient au terme des Actes et qui inaugure un chapitre inédit de l’histoire chrétienne centré sur un nouveau monde 206. Ce nouveau monde est assurément celui de l’empire romain, ici représenté par sa capitale politique. Ceci dit, à l’instar des diasporas juives et des colonies grecques, ce peuple ouvert sur l’universalité romaine fait mémoire de sa dette spirituelle contractée à l’égard de sa religion-mère, la foi juive. Jamais, les liens religieux unissant la chrétienté émancipée à sa métropole ne sont

205 P. Benno SCHMID, Studien zu griechischen Ktisissagen, 1947, p. 197. 206 Cette fonction de transition assumée par le voyage entre Césarée et Rome a été finement notée par Michael WOLTER, « Das lukanische Doppelwerk als Epochengeschichte », dans Cilliers BREYTENBACH, Jens SCHRÖTER (éds), Die Apostelgeschichte und die hellenistische Geschichtsschreibung. Festschrift E. Plümacher, Leiden/Boston, Brill, 2004, p. 271 : « Der Zweck, den Lukas mit der Einschaltung einer solch ausführlichen Erzählung an dieser Stelle verfolgt, liegt auf der Hand : Es geht ihm darum, erzählerische Distanz zu schaffen bzw. eine Zäsur zu markieren. Der Abenteuerbericht drängt durch seine Ausführlichkeit das davor Berichtete in den Hintergrund und erleichtert es den Leser, ihre Aufmerksamkeit mit dem Erreichen Roms auf etwas Neues einzustellen. Sie werden dadurch in die Lage versetzt, die Ereignisse in Rom als den Beginn eines wirklich neuen Stadiums der Ausbreitungsgeschichte der christlichen Verkündigung wahrzunehmen ».

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rompus : Paul, fondateur incontesté de l’apoikia chrétienne207, est chez Luc le garant par excellence de cette continuité. Partant, discerner ce pattern littéraire à l’œuvre en finale des Actes évite de fâcheux malentendus quant au rapport christianisme–judaïsme envisagé par Luc. En s’adossant au modèle grec de fondation, Luc trahit son souci de neutraliser toute accusation de création de novo : la chrétienté, tout en affirmant sa singularité socio-religieuse et sa particularité identitaire sur la scène antique, se défend d’être une superstition dépourvue de légitimité historique et de profondeur traditionnelle. Pour sûr, la reprise en Ac 27–28 du pattern colonial grec démontre à merveille l’ancrage inconditionnel de l’Eglise dans un passé fondateur et son allégeance aux traditions héritées de la métropole juive. Bref, une fois encore, la dialectique chère à l’auteur à Théophile se fait jour : si, en investissant le monde païen de sa Parole colonisatrice (cf. 28, 30-31), l’Eglise déborde ostensiblement le particularisme juif, jamais pourtant elle ne largue ses amarres rivées à la foi et à la culture d’Israël. C’est un peuple entre continuité et rupture, entre ancienneté et nouveauté, entre Israël et l’Empire, qui avec Paul prend ses quartiers dans la capitale romaine. Cela étant, on ne peut manquer de noter la portée subversive de cette construction littéraire. En concurrence implicite avec l’Enéide de Virgile – la grande épopée à la gloire d’Auguste –, les Actes de Luc soumettent le monde païen, singulièrement sa capitale politique, à un processus colonisateur placé sous la kuriovth" non de César, mais de l’homme de Nazareth (cf. 28, 31 : didavskwn ta; peri; tou' kurivou jIhsou' Cristou') 208. On le voit, si l’œuvre à Théophile adopte une perspective politique, ce n’est pas sous la forme d’une apologia pro ecclesia qu’elle se profile 209, mais davantage dans les termes d’un mimétisme critique

207 Luc ne peut taire l’existence de chrétiens romains antérieure à l’arrivée de l’apôtre, mais il choisit délibérément de les évacuer de la ville en 28, 15 pour ne plus en faire mention par la suite. 208 Carsten BURFEIND , « Paulus muss nach Rom. Zur politischen Dimension der Apostelgeschichte », NTS 46/1, 2000, p. 89 : « Und dass der kuvrio" cristov"-Titel “in polemischem Kontrast zum Machtanspruch aller heidnischen Kultgottheiten, vor allem aber auch zum kyrios Kaisar des Herrscherkultes” verwendet wurde, scheint mir auch und gerade mit der Predigt des Paulus in Rom im Blickfeld des Lukas zu sein ». 209 Contra, entre autres, Ernst HAENCHEN, « Judentum und Christentum in der Apostelgeschichte », ZNW 54, 1963, pp. 186-187.

11.6

L’Eglise à la conquête de l’universalité

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de l’universalité impériale 210. Dès le seuil des Actes, nous avions d’ailleurs noté la tendance de Luc à faire siens les procédés de la propagande romaine, notamment par la reprise d’un catalogue de peuples, affichant ainsi l’ambition œcuménique de l’Eglise. Cette tendance mondialiste, également entrevue à l’occasion du baptême d’un Koushite originaire des limites méridionales du monde habité (8, 26-40), se confirme au terme du récit : à l’aide du pattern grec de fondation coloniale, Luc lance la chrétienté paulinienne à la conquête de l’oikoumenè romaine. Le programme est ambitieux. Toutefois, le mimétisme est volontairement imparfait. Cette conquête civilisatrice du monde habité sera conduite avec d’autres armes que celles des légions de César : la proclamation, les actes miraculeux, l’appel au repentir et la conversion. Dit en une phrase, la conquête sera missionnaire ou ne sera pas211. 11.6.3.5

Les Actes de Luc entre nostoi et ktiseis

Tout au long de notre parcours des Actes, mais singulièrement en Ac 2 et en Ac 8–11, nous avons observé la double orientation géographique du récit lucanien : au mouvement d’universalisation de la mission chrétienne, initié à Jérusalem et pointant de manière irrépressible en direction de Rome, sont conjoints d’incessants retours du récit sur la Ville sainte 212. Or, ces deux trajectoires géographiques, l’une d’émancipation, l’autre de retour, répondent toutes deux à un modèle grec du voyage. Comme nous l’avons montré à l’instant, le transfert géographique de Jérusalem à Rome, prégnant à partir d’Ac 23 et culminant en Ac 28, semble correspondre au pattern hellénistique des ktiseis, autrement dit des mythes de fondation coloniale. Quant au 210 Cf. Gary GILBERT, « Roman Propaganda and Christian Identity in the Worldview of Luke-Acts », dans Todd PENNER, Caroline VANDER STICHELE (éds), Contextualizing Acts. Lukan Narrative and Greco-Roman Discourse (SBL.SS 20), Atlanta, SBL, 2003, p. 255 : « The analysis presented here would suggest that Luke-Acts generates a vigorous critique of Rome and its claims to universal authority and dominion. Through the adaptation of Roman propaganda, Luke-Acts sets up an alternative vision of universal authority – indeed, a rival to Rome’s claim to be ruler of the world ». 211 Marianne Palmer BONZ , The Past as Legacy, 2000, pp. 181-183. 212 Voir à cet effet le tableau de la géographie des Actes esquissé par Loveday C.A. ALEXANDER, « “In Journeying Often” : Voyaging in the Acts of the Apostles and in Greek Romance », dans Christopher M. TUCKETT (éd.), Luke’s Literary Achievement. Collected Essays (JSNT.SS 116), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, p. 42.

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mouvement inverse, non moins accentué entre Ac 8 et Ac 21, il pourrait pour sa part s’inspirer des nostoi grecs, autrement dit des voyages circulaires de retour213, dont l’Odyssée d’Ulysse est le modèle par excellence. La démonstration de cette hypothèse, qui dépasse néanmoins le cadre de notre présent chapitre, serait susceptible de confirmer, une fois encore, l’ambivalence foncière du rapport christianisme–judaïsme chez Luc : un rapport entre attraction et répulsion.

11.7 Conclusion : Ac 28 et la constellation identitaire des Actes Concluons notre parcours exégétique. Nous l’avons rappelé, la clôture d’un récit occupe le plus souvent une fonction stratégique dans la construction d’une œuvre littéraire, récapitulant les thèmes dominants déployés en amont et héritant du statut de clef herméneutique. En dépit de son incomplétude, la finale des Actes ne faillit pas à cette règle. En effet, par jeux de parallélisme et de circularité, la page conclusive du second tome de Luc dévoile le rôle central de la problématique juive pour la compréhension du récit à Théophile. Précisons : à en croire Ac 28, ce n’est ni le destin de Paul ni l’innocuité politique de l’Eglise qui se lovent au cœur de la perspective littéraire et théologique de Luc, mais bien les relations conflictuelles entretenues par l’Eglise avec la Synagogue. C’est d’une thématique identitaire dont se nourrit la diégèse de Luc214 : comment la chrétienté, expulsée de l’institution synagogale, peut-elle affirmer sa raison d’être et sa légitimité sur la scène socioreligieuse antique ? Face à cette interrogation pressante, la finale d’Ac 28 reproduit les différents éléments d’une réponse qui a mis cinquantedeux chapitres à se dessiner. La continuité avec Israël, tout d’abord. C’est là le premier volet de la réponse lucanienne à la crise identitaire de son Eglise. Il se décompose en trois éléments : historico-salutaire, culturel et empirique.

213 Intuition allant dans ce sens chez Loveday C.A. ALEXANDER, « “In Journeying Often” : Voyaging in the Acts of the Apostles and in Greek Romance », 1995, p. 23 ; ID., « Reading Luke-Acts from Back to Front », 1999, p. 426. 214 La perspective identitaire inscrite par Luc dans le texte d’Ac 28 a été bien perçue par Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, II, 1985, p. 680.

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Conclusion : Ac 28 et la constellation identitaire des Actes

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Historico-salutaire premièrement, car la « secte » chrétienne, sommée de repenser son identité à distance de la Synagogue, confesse la réalisation en Jésus de Nazareth des attentes eschatologiques juives, y compris l’universalisme du salut, et prétend perpétuer l’histoire sainte commencée avec Abraham. C’est l’« espérance d’Israël » dont vit la communauté croyante née de Pentecôte et désormais installée au cœur du monde païen. Culturelle ensuite, car, bien loin de niveler les singularités ethniques des peuples rassemblés au nom de Jésus, cette communauté née de l’Esprit vise la préservation de chaque patrimoine culturel, à commencer par l’ethos immémorial légué par Moïse. Empirique finalement, dans la mesure où la mission des Actes ne bute pas sur le rejet « en bloc » du peuple juif : c’est la « chute » et le « relèvement » de nombreux en Israël dont Luc fait la chronique. Se reconstitue au cœur de l’Eglise excommuniée un reste saint, la hutte en ruines de David. Cette triple continuité, thématisée de multiples manières dans le corps narratif des Actes, se profile en Ac 28 sous les traits de l’évangéliste Paul, un Paul respectueux des coutumes ancestrales et fidèle à l’espérance d’Israël. La discontinuité avec Israël, ensuite. C’est également d’une blessure que naît l’Eglise des Actes. Jusqu’à l’ultime page du récit, la priorité d’Israël dans l’agenda missionnaire a été respectée. En vain, néanmoins. Invariablement, d’Antioche de Pisidie à Rome, Paul fait l’expérience tragique du refus juif et souffre le rejet parfois violent de ses coreligionnaires. En Ac 28, cette contestation de la « secte » chrétienne, généralisée à l’Empire, contraint l’évangéliste Paul à changer de cap missionnaire : dorénavant, installé dans le cadre privé d’une domus romaine, c’est aux non-juifs qu’il s’adressera en priorité et c’est dans ce nouveau bassin d’évangélisation que la « Voie » recrutera ses fidèles (28, 28). Ceci dit, cette déchirure n’est pas que perte : aux yeux de Luc, elle permet d’actualiser l’ambition œcuménique de l’Eglise, qui, depuis le jour de la Pentecôte, aspire à réaliser la concorde entre les peuples. Cette posture universaliste de la chrétienté se déclare en force dans l’ultime scène des Actes, Paul pénétrant tel un fondateur de colonies sur le sol d’Italie. Or, une fois Rome annexée à l’oikoumenè chrétienne, rien ne semble devoir faire obstacle à l’avènement de l’imperium sine fine de l’Eglise : c’est librement et sans entraves (28, 31) que la Parole soutenue par l’agir subversif de l’Esprit tracera sa route

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jusqu’aux marges du monde habité (cf. Ac 1, 8) et jusqu’au jour de la Parousie (cf. Ac 1, 11).

Chapitre 12

Récapitulation et conclusion La présente étude s’est invitée au cœur d’un débat enflammé de l’exégèse lucanienne : l’évaluation du visage d’Israël chez Luc. Depuis le milieu des années 1970 au moins, les interprètes des Actes rivalisent en effet de talent et d’ingéniosité pour offrir à l’Israelfrage une ultime et satisfaisante réponse. Sans succès jusqu’ici. Entre les défenseurs d’une continuité ininterrompue entre l’Eglise et Israël et les tenants du paradigme de la substitution, le torchon brûle. Mais à la véhémence de ce débat exégétique s’ajoute encore sa sensibilité, habité qu’il est par la mémoire douloureuse de la Shoah. Assurément, l’exégèse d’après Auschwitz est non seulement mue par une exigence scientifique d’objectivité, mais également par un devoir éthique de transparence 1. L’on sait en effet l’importance qu’ont joué la tradition néotestamentaire et son positionnement à l’égard de la foi juive pour sceller le mariage contre nature entre l’Eglise allemande des années 1930 et les théories racistes de l’idéologie nazie, des grands noms de la science néotestamentaire, tels Gerhard Kittel ou Walter Grundmann, prêtant leur génie exégétique à la « négation spirituelle » d’Israël et à la déjudaïsation du christianisme 2. Partant, la question posée à l’exégèse du Nouveau Testament est aussi simple que directe : l’animosité séculaire dont a été victime le peuple de David, portée à un comble de monstruosité dans la solution finale envisagée par le IIIe Reich, est-elle un avatar programmé du Nouveau Testament ou l’effet pervers de sa lecture en contexte 3 ? 1

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C’est essentiellement à partir des années 1970 et suite à la publication de Faith and Fratricide. The Theological Roots of Anti-Semitism (New York, Seabury Press, 1974) par Rosemary R. RUETHER que la responsabilité du canon chrétien des Ecritures à l’égard de l’antisémitisme moderne a accédé au rang de débat central pour l’exégèse néotestamentaire. Sur cette histoire de l’antijudaïsme théologique, consulter Leonore SIEGELEWENSCHKEWITZ, « Mitverantwortung und Schuld der Christen am Holocaust », EvTh 42, 1982, pp. 171-190. Reimund BIERINGER, « Wrestling with Johannine Anti-Judaism : A Hermeneutical Framework for the Analysis of the Current Debate », dans ID. et al. (éds), AntiJudaism and the Fourth Gospel. Papers of the Leuven Colloquium, 2000 (Jewish and Christian Heritage Series 1), Assen, Royal Van Gorcum, 2001, p. 6 : « Nevertheless,

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Récapitulation et conclusion

Ou encore : l’antijudaïsme 4 attesté chez Jean, Matthieu ou Luc émarget-il simplement à l’arsenal de l’auto-critique prophétique d’Israël ou contient-il les ferments de l’antisémitisme moderne ? Bref, que ce soit pour son statut scientifique controversé ou pour sa délicate actualité, la question d’Israël se trouve dans l’œil du cyclone de l’exégèse des Actes. Et, face à cette autoroute bouchonnée de la recherche, toute entreprise pour défricher un nouveau chemin, si elle n’est pas aussitôt soupçonnée de fatuité ou de naïveté, risque vite de s’enliser dans les ornières du débat. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité commencer cette enquête par un état de la recherche menée depuis près de deux siècles et par l’inventaire précis de ses acquis ainsi que de ses carences. Ce sont trois déficits principaux qui se sont dégagés à l’examen du status quaestionis : a) l’autonomisation abusive du dossier juif des Actes et sa dissociation de la perspective ecclésiologique adoptée par Luc ; b) l’oubli de l’axe identitaire païen dans la résolution de cette énigme ; c) l’approche verticale et scotomisante de la diégèse lucanienne. C’est en réponse à ce triple handicap que s’est prioritairement construite la présente étude. Dit autrement, nous avons soumis le second tome de l’œuvre à Théophile à une enquête narratologique, soucieuse de suivre le déroulé du récit dans l’ordre de sa lecture et appelée à rendre justice à l’un de ses thèmes directeurs : le devenir identitaire de l’Eglise, fruit d’une Parole proclamée et enfant de la Providence divine 5. Pour sûr, la thématique ecclésiale surgit non seulement aux deux extrémités du second volume de Luc (2, 1-47 ; 28, 16-31), mais retient également l’attention à maints passages-charnières et programmatiques du récit (par ex. : 13, 14-52 ; 15, 1-35 ; 17, 16-34), sans compter les multiples sommaires de croissance qui se succèdent

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the question must be asked whether in the case of the gospel of John, the anti-Jewish interpretation is a creatio ex nihilo or whether it is actualizing a dangerous potential that is present in the text itself ». Pour une définition de l’antijudaïsme, voir entre autres Judith HARTENSTEIN, « Ueberlegungen zum Erkennen und Vermeiden von Antijudaismus in neutestamentlicher Exegese », dans Volker A. LEHNERT, Ulrich RÜSEN-W EINHOLD (éds), Logos – Logik – Lyrik. Engagierte exegetische Studien zum biblischen Reden Gottes. Festschrift K. Haacker (ABG 27), Evangelische Verlagsanstalt, Leipzig, 2007, pp. 353366. Avec Alfons WEISER, Die Apostelgeschichte, I, 1981, p. 34 : « Das Hauptthema der Apg ist das Christuszeugnis und die aus ihm sich bildende Kirche » (l’auteur souligne).

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comme un refrain et imprègnent de leur mélodie la mémoire du lecteur. En retour, cette orientation identitaire imprimée par Luc à son récit des origines est l’accès privilégié ouvrant à l’évaluation des acteurs qui habillent son récit, le peuple juif et le monde romain en tête. Ou pour le dire différemment : Luc n’offre pas de réponse immédiate à la question pressante de Rm 11, 1. Sa problématique n’est pas celle du destin d’Israël. Pas prioritairement du moins. Non, ce qui motive son écriture, c’est l’apologie d’une identité chrétienne confrontée à une triple crise de croissance : 1) la disparition du christianisme de deuxième génération, moyen-terme entre l’Eglise lucanienne et le passé fondateur du Galiléen, appelant une stabilisation de l’héritage apostolique, singulièrement paulinien, menacé par des « dires pervertis » (cf. Ac 20, 25-35) ; 2) la rupture, en grande partie consommée, avec la Synagogue, plaçant la chrétienté dans l’urgence de se doter d’une profondeur historique 6 ; 3) la croissance numérique et la mutation sociologique de l’Eglise qui d’une secte de juifs messianiques originaires des campagnes palestiniennes s’est transformée en une universalité citadine à majorité païenne. Ou pour le dire avec Rudolf Bultmann, le 1er siècle finissant marque pour la chrétienté son accession au rang de « protagoniste de l’histoire mondiale » 7 (cf. Ac 26, 26c et en creux Ac 17, 6 ; 24, 5). Partant, il devenait impératif de préciser son positionnement identitaire au cœur de la société antique8. C’est pour éteindre ces différents foyers de déstabilisation, concomitants et souvent interdépendants, que Luc prend la plume (cf. Lc 1, 4 : ajsfavleia) et offre des premiers temps de l’Eglise une peinture aussi édifiante que divertissante. Bref, c’est pour instruire et construire une identité que Luc se fait historien.

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Cette nécessité d’offrir à la chrétienté émancipée du judaïsme un récit fondateur a été relevée notamment par Marianne Palmer BONZ, The Past as Legacy, 2000, pp. 2529. Theologie des Neuen Testaments, Tübingen, Mohr Siebeck, 19849, p. 469 : « Die Auffassung vom Christentum als einer weltgeschichtlichen Grösse leitet die Darstellung des Verf. von Lk und Act ». Dans ce sens également Eckhard P LÜMACHER, art. « Apostelgeschichte », TRE III, Berlin/New York, de Gruyter, 1978, p. 517 ainsi que Jens SCHRÖTER, « Lukas als Historiograph. Das lukanische Doppelwerk und die Entdeckung der christlichen Heilsgeschichte », dans Eve-Marie BECKER (éd.), Die antike Historiographie und die Anfänge der christlichen Geschichtsschreibung (BZNW 129), Berlin/New York, de Gruyter, 2005, p. 261. Avec Gregory E. STERLING, Historiography and Self-Definition, 1992, pp. 378-379.

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Récapitulation et conclusion

Mais à quel projet ecclésiologique l’écriture des Actes répond-elle ? en quoi consiste la réponse lucanienne à l’urgence identitaire de sa mouvance ? D’emblée, nous avions mis en garde le lecteur avide de résultats : les Actes de Luc ne se lisent pas comme on parcourt une lettre de Paul ou une somme théologique. L’écriture n’est pas systématisée et le propos n’est pas vierge de tensions ou de silences. Bien plus, intimement liée au déploiement du récit, la théologie lucanienne reste hermétique au consommateur gavé de fast-food intellectuel. C’est au prix d’une patiente traversée des Actes, respectueuse de ses évolutions et déplacements fréquents, que se conquiert le cœur de sa théologie, singulièrement de son ecclésiologie. Le danger de la systématisation simpliste et de la réduction arbitraire n’est toutefois pas moins grand à l’heure du bilan. Là encore, l’on se doit d’être vigilant. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité reproduire ici, dans leur ordre d’apparition, les découvertes majeures de notre parcours ecclésiologique des Actes. Offrant au lecteur, à la lectrice un raccourci signifiant d’une identité qui a mis vingt-huit chapitres à se profiler. Au fondement de l’Eglise, le « printemps de Jérusalem » ou le rassemblement d’Israël (Ac 1–6) . Si la communauté croyante prend son essor véritable avec l’onction pentecostale de l’Esprit (2, 1-47 ; cf. 11, 15 : ejn ajrch'/), il est toutefois un signal avant-coureur de cette naissance : la restauration du cercle ébréché des Douze (1, 15-26). Trop souvent considéré comme une anecdote insignifiante pour la théologie de Luc, cet épisode aux saveurs de la Septante constitue à l’inverse un maillon décisif dans l’enchaînement des premiers chapitres des Actes : le « royaume pour Israël », raccordé par Luc à la mission universelle de témoignage tracée par le Ressuscité (1, 6-8), ne peut se réaliser si le cénacle appelé à siéger sur Israël (Lc 22, 29-30) et représentatif de ses douze tribus est incomplet. Ainsi, c’est à la lumière d’un rassemblement de tout Israël que se comprend l’emphase mise par Luc sur la restauration numérique du collège apostolique (1, 17.26). Partant, cet épisode dévoile non seulement le statut référentiel des Douze pour l’ecclésiologie des Actes, mais surtout le processus en gestation : la réunification dans la communauté née de l’Esprit du Dôdekaphulon (cf. 26, 7). L’épisode théophanique de la Pentecôte, qui voit le Souffle de la fin des temps envahir le groupe de frères réuni à Jérusalem et

Récapitulation et conclusion

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déclencher un parler prophétique en langues étrangères, en est la conséquence logique : la restauration d’Israël n’est plus uniquement symbolisée par le cercle recomposé des apôtres ; elle est désormais mue par l’Esprit et agie par le témoignage d’une Eglise de prophètes. Les temps de la fin se sont abattus sur Israël (2, 17-21) et avec eux l’indispensable appel à la conversion (2, 38-41). A n’en pas douter, les deux premiers chapitres des Actes condensent en un maillage serré tout un tissu d’espérances juives liées à la fin des temps : l’envoi de l’Esprit, le renouveau de la prophétie, le rassemblement des douze tribus d’Israël et l’universalisation de l’alliance. Au reste, cet embrasement eschatologique ne s’est pas confiné à la chambre haute, mais s’est rapidement propagé hors les murs : dès leur première prestation publique, les apôtres emmenés par leur leader Pierre ont rencontré un succès colossal, provoquant la conversion de trois mille fils de la maison d’Israël, juifs de la Golah inclus (2, 14-41). Bien plus, cette première moisson en a suscité d’autres, tout aussi abondantes (4, 4 ; 5, 14 ; 6, 1.7), se doublant très souvent de guérisons spectaculaires (5, 1216). Là encore, le scénario apocalyptique entrevu par le prophète Joël se confirme : Israël est rassemblé et des « signes et prodiges » surviennent non seulement dans le ciel, mais également sur la terre (2, 19). Bref, Jérusalem se pare des couleurs de l’eschaton, accueillant dans l’allégresse son « nouveau printemps » (cf. 2, 46b). Mais si l’apocatastase d’Israël – tant espérée depuis la nuit des temps – bat son plein au cœur de la communauté ecclésiale, la nouveauté qui émerge du judaïsme se fait également jour, singulièrement dans l’ethos particulier adopté par cette dernière – le baptême (2, 41), l’enseignement apostolique, la communion, la fraction du pain et les prières (2, 42-47). Bref, si elle s’inscrit en accomplissement des promesses scripturaires et donne corps à l’Israël renouvelé, la communauté de salut suscitée par le Souffle répandu arbore déjà des marques d’affranchissement par rapport à son milieu natif. Au reste, cette séparation va rapidement s’approfondir, car à la trajectoire d’émancipation éthique va répondre du côté des chefs d’Israël une posture de rejet. Territorialement, c’est sur le Temple de Jérusalem que va se reporter le conflit d’autorité. Pour la foi juive en effet, le rétablissement d’Israël devait inclure la refondation de son centre symbolique. Luc a été sensible à cette attente : à côté de la population de Jérusalem, c’est également son lieu

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Récapitulation et conclusion

saint que revendiquent dans leur dire et dans leur faire les témoins du Ressuscité. L’entrée bondissante d’un boiteux dans l’enceinte sacrée d’Israël en a été l’emblème (3, 1-26). En lui en effet, s’est concrétisé de manière paradigmatique le choix auquel le témoigne de l’Eglise confronte Israël : accueillir le Nom qui relève, en prêtant foi au dernier prophète, et se maintenir ainsi dans la filiation d’Abraham ou faire la sourde oreille à cette exigence de conversion, avec à la clef une excommunication du peuple de l’alliance. C’est d’une partition d’Israël dont il s’agit en premier lieu (3, 22-23 ; cf. Lc 2, 34). Initialement limitée aux couches dirigeantes, cette opposition à la prédication chrétienne va progressivement s’étendre à la population juive dans son ensemble, et ce dès l’arrestation d’Etienne (6, 12). Ici, comme lors du procès de Jésus (cf. Lc 23, 13.18), une union sacrée entre les leaders d’Israël et le peuple juif se constitue, avec comme conséquence l’expulsion des chrétiens hors de Jérusalem et loin du Temple. Cette cassure du lien unissant l’ekklèsia à son espace originaire constitue la première rupture de son histoire. Une rupture instauratrice, au demeurant. Entre métropole et diaspora, la naissance d’un christianisme mixte et nomade (Ac 8–11). C’est avec Etienne que tout bascule. Accusé de blasphémer contre le Temple et contre la Loi, déféré devant le « sénat » d’Israël, le leader des Sept va offrir non une apologie de sa personne, mais une lecture du passé d’Israël où se documente l’identité juive à laquelle il adhère. Partant, c’est une mémoire édifiante qu’Etienne livre en défense d’un christianisme aux abois, un christianisme sommé de redire son identité à distance de la terre sainte d’Israël, en régime de dispersion (7, 2-53). A cet endroit, Luc a recouru aux mêmes principes herméneutiques que les auteurs juifs hellénistiques : légitimer la Golah juive, en raccordant son passé au destin illustre des grands héros d’Israël. C’est par la diaspora que se continue désormais l’histoire du salut. Cet acte de fondation posé, la diffusion de l’Evangile par-delà Jérusalem pouvait s’amorcer (8, 4 ; cf. 1, 8), renversant providentiellement l’exil contraint (8, 1b) en occasion favorable. Avec comme premiers bénéficiaires, les exclus du Temple : la population mi-juive mi-païenne de Samarie (8, 5-25), puis un eunuque originaire de Nubie (8, 26-40). Ces deux récits de conversion situés aux marges d’Israël, mais n’excédant pas encore les frontières religieuses tracées autour du peuple de l’alliance (cf. 9, 31 ; 11, 19), prolongent l’intrigue de

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restauration d’Israël programmée en Ac 2. Désormais, sont réunifiés aux juifs du Temple non seulement les schismatiques du mont Garizim, dont l’ascendance revendiquée remonte à Joseph, mais aussi tous les hors-castes de la terre attendus en pèlerinage eschatologique au mont Sion. Ceci dit, à côté de la restauration d’Israël, encore axée sur le nombril géographique de la foi juive, c’est l’universalisme centrifuge du salut, également préfiguré au jour de la Pentecôte, qui avec les bannis de Jérusalem prend son essor. La reconfiguration de la basileiva tw/' jIsrahvl, annoncée par le Ressuscité (1, 6-8), devient ici évidente. Cette universalité sans attaches, contrepoint humain de la transcendance radicale de Dieu comme l’a rappelé Etienne, va recevoir de la conversion de Corneille (10, 1–11, 18), premier païen baptisé des Actes, et de la fondation d’une communauté ethniquement mixte (11, 19-30), un puissant coup d’accélérateur. Débouchant à Antioche-surl’Oronte, le lecteur/auditeur des Actes découvre toute l’ampleur de la mutation identitaire réalisée, probablement la plus significative de toute l’histoire chrétienne : d’une communauté de juifs messianiques cantonnés à la bourgade de Jérusalem, l’ekklèsia a migré, par le double jeu de l’exil et de la conquête, dans la troisième plus grande ville de l’Empire, y posant les fondations d’une communauté universelle composée de juifs et de Grecs. Dès cet instant, l’Eglise des Actes ne s’identifie plus simplement au « reste » d’Israël groupé autour des Douze, mais s’affirme comme une universalité cosmopolite peuplée de chrétiens de tous horizons. Cette mutation a également eu des répercussions sur le plan actoriel : les Douze, rivés à Jérusalem, ont passé le témoin aux Sept et aux chrétiens de culture grecque qui désormais s’affirment comme les véritables promoteurs de la dynamique missionnaire. Cela ne revient pas encore à dire que la métropole juive, Jérusalem, ainsi que la communauté apostolique qui y a survécu sont évacuées de l’horizon identitaire des Actes. Bien au contraire, c’est dans une dialectique inépuisable que s’écrit sous la plume de Luc le portrait narratif de l’Eglise. Les multiples connexions tissées entre la communauté jérusalémite et l’Eglise antiochienne en témoignent (11, 19-30). Tout comme la polarité géographique qui caractérise les Actes jusqu’au chapitre 21. Au centre du second volume à Théophile, la Magna Charta du peuple de Dieu (Ac 15, 1-35). Cette nouvelle réalité ecclésiale,

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patiemment travaillée à même la pâte narrative entre Ac 8 et Ac 14, reçoit quittance lors de l’assemblée de Jérusalem (15, 1-35). Précisément, l’auteur à Théophile y évalue les retombées identitaires de l’ouverture audacieuse à l’endroit des Gentils (cf. 14, 27) : la communauté qui s’est élargie aux incirconcis et qui s’est délocalisée en terres païennes n’est-t-elle que l’Israël restauré auquel serait venu s’agréger un « peuple d’entre les nations » (15, 14) ou sa définition identitaire déborde-t-elle désormais les barrières du peuple de la Torah ? Voilà la question à laquelle est confrontée la chrétienté lucanienne et c’est de la bouche de Pierre et de Jacques que fuse la réponse. Tous deux – le premier en invalidant la fonction sotériologique de la Torah, le second en dénonçant sa relevance identitaire – œuvrent à documenter le nouveau statut conféré par Dieu aux Gentils, et partant, à entériner le double visage que la chrétienté arbore in nuce depuis la Pentecôte : elle n’est plus seulement la portion fidèle d’Israël, la hutte restaurée de David (15, 16), c’est dorénavant un peuple universel qui se caractérise autant par sa continuité historique et empirique avec Israël (13, 14-43) que par son ouverture inconditionnelle à l’égard des Gentils (13, 38-39.47-48 ; 15, 9-11.14.17-19). Dit autrement, dans cette communauté inédite, les chrétiens issus de la gentilité ne sont plus subordonnés aux judéo-chrétiens ; ce ne sont pas des croyants de seconde classe. Au contraire, ils sont membres à part entière de l’ekklèsia, au bénéfice du même don de l’Esprit que les fils d’Israël (15, 8-11), sans pour autant devoir troquer leur modus vivendi pour la ritualité exigeante de la Torah mosaïque (15, 19-21). Le refrain de la seconde moitié des Actes : la mission chrétienne entre accueil et endurcissement (Ac 13–28). La scène antiochienne d’Ac 13 déploie un programme, le programme de l’évangélisation paulinienne de diaspora. C’est sous la forme d’un scénario en trois temps qu’il se décompose : prédication synagogale et réaction bienveillante de l’auditoire – opposition – poursuite de la mission, départ des prédicateurs et survivance d’un cercle de croyants. Or, fixé à Antioche de Pisidie, ce schéma ressurgit systématiquement, avec de légères variations, tout au long de la mission de Paul, et ce jusqu’à son entrée dans Rome. Se dévoile ici, par ce phénomène de redondance narrative, le cadre de compréhension des relations entre la Synagogue et l’Eglise chez Luc. Trois points retiennent plus spécialement

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l’attention : 1) l’inscription indélébile de la chrétienté naissante dans le prolongement d’une histoire, celle consignée dans les Ecritures juives, et d’un peuple, Israël ; 2) le divorce qui blesse cette relation et conduit à l’éjection des chrétiens hors de l’institution synagogale, les obligeant à repenser leur identité à distance du judaïsme, dans un réseau de demeures privées ; 3) la mise en œuvre d’une universalité caractéristique du devenir ecclésial, ouverte aux Grecs comme aux juifs, mais paradoxalement déclenchée par le refus partiel du peuple choisi. Partant, se poursuit dans la seconde moitié des Actes ce qui avait été préfiguré en amont : la partition d’Israël et l’autonomisation progressive de l’Eglise. Néanmoins, l’évolution est immanquable : l’opposition à la prédication chrétienne se généralise, contaminant non seulement les chefs d’Israël mais également le peuple (cf. 28, 22), et se mue progressivement en endurcissement (19, 9a ; 28, 26-27). D’autre part, à la rupture géographique survenue en Ac 8, 1, qui a brisé le lien nourricier de l’Eglise à la terre sainte, s’ajoute désormais une rupture institutionnelle : chassée de la Synagogue juive, la chrétienté est contrainte de migrer dans des lieux de vie et d’enseignement profanes. Si elle n’est pas définitivement consommée, cette rupture est en tout cas très avancée en Ac 28, 30-31 : c’est dans le cadre de sa propre domus, où Paul l’évangéliste s’est sédentarisé, que s’exerce désormais l’hospitalité illimitée de l’Evangile. L’universalité romaine et la culture païenne dans le viseur de la chrétienté lucanienne (17, 16-34 ; 27–28) . C’est dans l’ultime section des Actes, placée à l’enseigne de la mission et du procès pauliniens, que Luc installe véritablement l’universalité païenne au cœur de son projet ecclésiologique. Deux passages trahissent sans doute possible cette emphase identitaire : le discours sur l’Aréopage (17, 16-34) et le voyage de Paul entre Césarée et Rome (27–28). C’est pour offrir un modèle de la mission chrétienne face à la culture païenne que Luc a composé la scène athénienne : ici se noue le rapport à construire entre la chrétienté naissante et l’univers intellectuel grec. Un rapport foncièrement dialectique : Luc tient à l’ouverture à l’égard du monde hellénistique, valorisant autant ses réalisations culturelles que l’histoire croyante qui les a produites. Ce n’est toutefois pas un blanc-seing accordé à la religiosité païenne, infestée qu’elle est par le polythéisme et viciée par l’idolâtrie. Un acte de fondation est ici posé, qui favorisera sans

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conteste l’acculturation chrétienne dans son nouveau bassin d’expansion. Ceci dit, à l’universalité culturelle se joint ensuite l’universalité politique ; Rome succède à Athènes dans la cartographie des Actes. Le transfert mouvementé de Paul pour le tribunal impérial, empruntant son scénario aux mythes grecs de fondation, va repréciser l’ambition œcuménique de l’Eglise, affichée à l’agenda missionnaire dès le seuil des Actes (1, 8 ; 2, 5.9-11.17.21.39 ; 3, 25b) : c’est à un processus colonisateur, comparable à la grande épopée d’Enée, que la Parole proclamée par l’évangéliste Paul soumet l’Empire via son centre. En établissant ses quartiers au cœur du monde antique, l’œciste Paul dit la prétention identitaire de l’Eglise : conquérir l’oikoumenè et l’indexer à la kuriovth" de l’homme de Nazareth. Mais, même dans cette ultime section des Actes, irrésistiblement orientée sur la capitale politique de l’Empire et pénétrant plus avant au cœur de la culture païenne, la double identité de la chrétienté n’est jamais remise en question. Pour preuve, autant l’ambivalence sémantique affichée par le discours athénien de Paul que l’apologétique développée au cours de son procès trahissent cet attachement irrévocable de l’Eglise à Israël. Un attachement triple : culturel, historico-salutaire et empirique. Et c’est sur cette image de Paul, tour à tour fidèle judéo-chrétien (28, 17c-20) et prédicateur universel (28, 28-30), que se termine le livre des Actes et que se dessine l’avenir de l’Eglise. Au terme de ce parcours des Actes, il est temps de revenir à notre question de départ : quel visage des juifs et d’Israël se dégage à la lecture de la diégèse à Théophile ? L’image, on l’a dit, n’est pas uniforme. C’est dans l’ambivalence que se dit le rapport Eglise–Israël chez Luc. Ni le paradigme d’une continuité ininterrompue ni le modèle de la substitution ne rendent compte du projet identitaire des Actes. Israël n’est ni magnifié, ni ruiné. Ou pour le dire positivement : c’est autant par attraction que par séparation que Luc dessine le visage de son Eglise. Une attraction qui vaut d’ailleurs autant pour les origines du christianisme (1–6) que pour son avenir (28, 17c-20.27fin.30-31). Bien plus, cette dialectique n’est pas restreinte aux rapports judaïsme– christianisme, mais travaille également la relation au monde païen. Là aussi, la venue au monde de la chrétienté s’accompagne d’une perspective aussi bien polémique qu’admirative. On le voit, l’écriture lucanienne n’ambitionne ni le génocide spirituel d’Israël et encore

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moins sa disqualification raciale. Luc n’écrit pas pour noircir le peuple juif, ni pour fonder sa nullité ontologique. Cela ne revient pas encore à dire que son propos serait vierge d’agressivité. Certes non. La massification du rejet juif dans la seconde moitié des Actes ou la généalogie des opposants à l’Esprit retracée par Etienne en sont deux exemples patents. Comment alors caractériser et évaluer cet antijudaïsme qui côtoie de près un projudaïsme ? Quatre aspects peuvent être notés qui s’offrent comme un début de réponse. 1) Le garde-fou du contexte Nous l’avons dit, l’écriture historiographique de Luc répond à une nécessité identitaire : doter sa mouvance d’un récit de sa venue au monde et assurer la solidité de sa foi (Lc 1, 4). Dans ce cadre autodéfinitoire, l’auteur à Théophile entreprend un travail de mise en perspective, recourant à la comparaison et à l’antithèse9, pour situer la chrétienté naissante par rapport à son environnement, un environnement habité tant par le judaïsme que l’empire romain. Partant, les Actes ne sont ni un manifeste antijuif ni un pamphlet antipaïen ; ils documentent une identité entre attachement et répulsion. Ce projet littéraire devrait être un obstacle à toute récupération hors contexte de l’antijudaïsme lucanien. 2) Une rhétorique inspirée de la critique prophétique d’Israël Accuser, comme le fait délibérément Jack Sanders, l’œuvre lucanienne d’antisémitisme est inapproprié. Jamais, dans le livre des Actes, la dénonciation d’Israël n’opère sur le plan de l’essence ; aucun déterminisme naturel ne dicte au judaïsme son endurcissement10.

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Samuel VOLLENWEIDER, « Antijudaismus im Neuen Testament. Der Anfang einer unseligen Tradition », dans Walter DIETRICH, Martin GEORGE, Ulrich LUZ (éds), Antijudaismus – christliche Erblast, Stuttgart/Berlin/Köln, Kohlhammer, 1999, p. 49. Contra Jack T. SANDERS, The Jews in Luke-Acts, 1987, p. 81, qui s’exprime ainsi : « The narrative shows how existence comes to conform with essence, the process by which the Jewish people become “the Jews” ; yet one should not think that the fact that Luke’s narrative shows Jews progressing from an attitude of receptivity to one of hostility provides some hope, from Luke’s point of view, for Jews ; for what they became was no more nor less than what they always, from the days of their creation as a people, were ».

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L’argumentation n’est ni raciale ni biologique11. Au contraire, les catégories de Luc sont invariablement théologiques, empruntées qu’elles sont à la critique prophétique des Ecritures juives (par ex. Am 5, 25-27 ; Ha 1, 5 ou Es 6, 9-10), et l’opposition spirituelle d’Israël est toujours susceptible d’être levée par un mouvement de conversion (Ac 2, 38 ; 3, 19 ; etc.). Qui plus est, l’auteur à Théophile puise au même arsenal d’invectives que les courants du judaïsme ancien ; sa rhétorique disqualifiante n’innove guère12. Il suffit de parcourir les écrits de la secte qoumrânienne pour s’en convaincre. « C’est là le jour où Dieu visitera, ainsi qu’Il a dit : Les princes de Juda furent comme ceux qui déplacent la limite, sur lesquels se déversera le Courroux. Car ils seront malades sans nulle guérison, et tous les châtiments les écraseront, vu qu’ils ne se sont pas écartés de la voie des traîtres […] », lit-on notamment dans le Document de Damas (CD 8,3-4). Bref, une fois replacée dans son milieu religieux d’origine, la phraséologie antijuive des Actes ne peut plus être confondue avec les slogans racistes de l’antisémitisme moderne. 3) Une énonciation ad intra Le destinataire des Actes n’est ni un juif de la Synagogue ni un officiel de l’Empire. La figure historique ou idéale du « très honorable Théophile » à qui Luc dédie ses deux tomes (Lc 1, 3 ; Ac 1, 1) en témoigne : c’est un croyant vraisemblablement catéchisé, dont il suffit de sécuriser la foi (Lc 1, 4)13. Ce préavis est confirmé en aval de la

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Avec Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 30. Avec Gerd THEISSEN, « Aporien im Umgang mit den Antijudaismen des Neuen Testaments », dans Erhard BLUM, Christian MACHOLZ, Ekkehard W. STEGEMANN (éds), Die Hebraïsche Bibel und ihre zweifache Nachgeschichte. Festschrift R. Rendtorff, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener, 1990, p. 543 : « Ihre Polemik [des auteurs du Nouveau Testament] ist nicht schlimmer als das, was damals üblich war ». Loveday C.A. A LEXANDER, The Preface to Luke’s Gospel. Literary Convention and Social Context in Luke 1.1-4 and Acts 1.1 (SNTS.MS 78), Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 192 : « Whether patron or not, then, Theophilus is not in the most obvious sense an “outsider” to the Christian message » ; Wilfried ECKEY, Das Lukasevangelium, I, 2004, p. 62 : « Der Widmungsträger und Erstleser ist kaum ein Aussenstehender, der diese oder jene Kunde von Erzählungen über Jesus und die Christen erhalten hat, oder ein Neubekehrter und Katechumene, sondern in der christlichen Lehre unterrichtet (Apg 18,25 ; Gal 6,6), ein Insider » ; cf. également Gerhard SCHNEIDER, Das Evangelium nach Lukas, I, 19842, p. 40 ; Eduard

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préface lucanienne par les abondants emprunts faits à la Septante ainsi que dans la désignation de Jésus comme Seigneur, deux données incompréhensibles dans l’optique d’un lectorat non-chrétien14. Partant, le diptyque Luc–Actes participe d’une communication interne à l’Eglise lucanienne , d’une énonciation intra muros. Ce cadre rhétorique devrait être un obstacle à toute exhibation ad extra de l’antijudaïsme de Luc, précisément au sein des relations judéo-chrétiennes contemporaines15. 4) La mémoire d’une triple parenté et le refus de fermer le dossier juif La polémique antijuive des Actes n’est jamais absolutisée. La chrétienté de Luc ne se construit pas sur les ruines d’Israël. Au contraire, son identité est inconcevable en dehors d’un triple lien qui l’unit au peuple juif et qui participe, sans délai d’expiration16, à sa compréhension de soi : le lien historico-salutaire, attendu que l’Eglise s’inscrit dans le prolongement de l’histoire commencée avec Abraham ; le lien culturel, attendu que la communauté jérusalémite, Paul ou encore le décret des apôtres veillent à la préservation du patrimoine de Moïse en régime chrétien ; le lien personnel, attendu que l’Eglise s’adresse, par-delà les barrières ethniques ou raciales, à tout homme. Certes, parallèlement à cette triple connexion, il est à reconnaître la séparation qui est intervenue historiquement et dont la mission paulinienne a été marquée au fer rouge. Pourtant, là encore, l’abîme entre juifs et chrétiens n’est pas infranchissable, Paul s’adressant de manière indifférenciée aux juifs comme aux Grecs. Bien plus, plusieurs indices collectés dans l’œuvre lucanienne nous donnent à penser qu’Israël n’est jamais écarté du salut, mais est promis à un rétablissement final (par ex. Lc 13, 35 ou Ac 28, 27fin). Cela tient à

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SCHWEIZER, Das Evangelium nach Lukas , 1982, p. 13 ; Günter W ASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, p. 64. Jean-Noël ALETTI, L’art de raconter Jésus Christ. L’écriture narrative de l’évangile de Luc (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1989, p. 224 ; Ben WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles, 1998, p. 61. Avec Günter WASSERBERG, Aus Israels Mitte – Heil für die Welt, 1998, pp. 365-366. Rainer KAMPLING, « Erinnernder Anfang. Eine bibeltheologische Besinnung zur Relevanz der lukanischen Kirchenkonzeption für eine christliche Israeltheologie », dans ID., Thomas SÖDING (éds), Ekklesiologie des Neuen Testaments. Festschrift K. Kertelge, Freiburg et al., Herder, 1996, p. 151 : « […] so dass nach lukanischer Konzeption Kirche je gegenwärtig anamnetisch auf Israel verwiesen ist und bleibt ».

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une conviction ecclésiologique chère à son auteur : le laov" de Dieu ne se définit plus de manière horizontale, à partir de critères religieux, ethniques ou raciaux, mais de façon strictement verticale (Ac 15, 14)17 ; c’est Dieu qui visite les humains pour se les attacher. Au reste, cela se reconnaît au lexique identitaire employé par Luc : si les chrétiens se détachent graduellement d’Israël, héritant de désignations distinctives (par ex. : Cristianoiv ou oJdov"), jamais pourtant l’appellatif de « nouveau peuple » ou le titre de « vrai Israël » ne leur est accolé. En clair, l’ekklèsia qui se constitue autour de la Parole du dernier prophète (Ac 3, 22), si elle active un indiscutable potentiel critique à l’encontre d’Israël (cf. Lv 23, 29 cité en Ac 3, 23 18 ou Ha 1, 5 cité en Ac 13, 41), ne doit toutefois pas être pensée en concurrence ou en remplacement de la maison de Jacob. Une inconnue entoure le lien nourricier noué par Dieu avec le peuple juif, inconnue qu’il serait abusif de réduire par l’expédient du supersessionisme. Bref, cette mémoire et cette espérance qui habitent l’identité ecclésiale des Actes devraient être autant d’obstacles à la négation du judaïsme, qu’elle soit spirituelle ou raciale.

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Cf. Augustin GEORGE, « Israel », dans ID., Etudes sur l’œuvre de Luc (Sources bibliques), Paris, Gabalda, 1978, pp. 123-124. Néanmoins, comme l’a bien souligné Michael Wolter, la menace ici brandie possède une relevance strictement eschatologique (ID., « Das lukanische Doppelwerk als Epochengeschichte », 2004, p. 281).

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512

Bibliographie

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Index biblique

1. Ancien Testament

Genèse 1, 1 1, 1-2 1, 9-10 1, 14 1, 22 1, 28 2, 6 2, 7 2, 7-8 4, 14 5, 10 7, 23 8, 17 8, 21-22 9, 1 9, 3-7 9, 7 10 10, 6-7 11 11, 1-9 11, 4 11, 7 11, 8 11, 9 12, 3

357 94 359 359 171 171 359 358 359 359 359 359 171 359 171 331 171 94, 164, 166, 359 224 93 93 94, 193, 359 94 94, 194, 359 94, 193, 359 138

12, 43 13, 15 13, 17 15 15, 13 15, 13-14 17, 8 17, 20 17, 27 19, 15 22, 3 22, 7 22, 18 23, 10 24, 10 24, 54 25, 34 28, 3 35, 11 39, 1 40, 1-2 40, 7 40, 20 47, 27 48, 4 50, 13

208 177 71 177 177 177 177 171 208 71 71 71 138 71 71 71 71 171 171 218 218 218 71 171 171, 177 179

514 Exode 1, 7 1, 12 1, 20 2, 11 2, 15 2, 17 3, 6 3, 12 3, 15 3, 16 4, 21 6, 7 7, 3 9, 12 10, 1 10, 20 10, 27 11, 10 12, 30 14, 4 14, 8 14, 17 15, 17-18 16, 35 19, 4-7 19, 5 19, 6 19, 8 19, 13 19, 16 19, 16-19 19, 18 19, 19 20, 11 20, 18 20, 22

Index biblique

170-171 170 170 71 181 71 136 177 136 136 277 316 277 277 277 277 277 277 71 277 277 277 326 132 316 101 172 101 101 95, 101 95 101 101 357 101 101

23, 19 24, 13 24, 17 26, 9 29, 33 30, 33 33, 3 33, 5

100 71 101 71 208 208 277 277

Lévitique 11–18 13–14 13, 49 14, 2-32 16, 8 17–18 19, 18 21, 16-20 21, 18-20 22, 25 22, 32 23, 29 25, 33 25, 38 26, 1 26, 9 26, 33

313 206 205 205 71 331-332 205 218 132 208 71 140, 470 71 280 358 171 193

Nombres 1, 18 1, 20 1, 49 1, 51 5, 21 9, 7 11, 32 18, 20 18, 23

71 71 71 208 71 71 71 71 71

Index biblique

18, 24 22, 13 22, 20 22, 21 24, 25 26, 53 26, 55 26, 62 27, 3 27, 4 27, 7 35, 34 Deutéronome 1, 6-8 2–3 2, 30 4, 7 4, 10 4, 11-12 4, 20 4, 27 4, 29 4, 29-30 4, 30 4, 36 4, 37-38 4, 42 5, 17 6, 5 6, 7 7, 1-2 7, 6 7, 6-12 7, 15 8, 2 9, 10

71 71 71 71 71 71 71 71 71 71 71 71

280 280 277 359 151 95 316 193 359 374 359 101 280 205 205 205 359 280 359 316 147 71 151

515

10, 16 10, 18 12, 9-10 12, 15 14 14, 2 14, 29 15, 4 16, 11 16, 14 16, 16-17 18, 15 18, 15-19 18, 16 23, 2 24, 17 24, 19 24, 20 24, 21 26, 5-10 26, 9 26, 12 26, 13 27, 19 28, 10 28, 64 30, 4-5 31, 30 32, 8 32, 26

277 169 280 71 313 316 169 152 169 169 219 138 140 151 215, 218 169 169 169 169 176 280 169 169 169 328 193 114 151 316, 359 193

Josué 1–12 24, 2-13 24, 11-13

280 176 280

Juges 15, 1

71

516

Index biblique

1 Samuel 4, 1 12, 8-13 13, 13-14 13, 14 13, 22 15, 10-35 16, 7 28, 1

71 176 283 282 71 283 71 71

2 Samuel 2, 13 7 7, 5-17 7, 12-16 7, 13 7, 16 22, 8-15

71 324-325 410 102, 283, 321 311 324 103

1 Rois 8, 17 8, 39 2 Rois 17, 24-41 24, 12 Esaïe 1, 8 2, 2-3 2, 2-4 2, 18 6, 9-10 6, 11-13 7, 4 9, 6 10, 11

358 71

199-200 218

324-325 101 74, 196 358 403, 406, 424, 426427, 468 427 429 325 358

11, 1-10 11, 1-12 11, 11 11, 11-13 16, 5 16, 12 18, 7 19, 1 19, 22 21, 9 26, 19 27, 13 30, 26 32, 15 36, 26-27 37 39, 25-29 39, 29 40–48 40, 3-5 40, 5 40, 18-20 42, 5 44, 3 44, 3-5 44, 8-20 44, 9-20 44, 24 44, 28 45, 14 45, 15-16 45, 18 45, 20 45, 21 45, 22 46, 1-7 49, 1-6

325 140 217 212 324-325 358 217 358 429 358 429 220 429 74, 114 114 114 114 74 364 403 400, 403, 431 360 357-358 74 114 365 360 133 282 220, 365 365 357-358 365 311, 318 365 360 292-293

Index biblique

49, 4 49, 6 49, 6-7 49, 18 53, 7-8 55, 3 55, 6 55, 12 56, 3 56, 3-4 56, 3-5 56, 6 56, 6-8 57, 19 58, 2 58, 7 58, 12 59, 21 60, 1-4 60, 10 60, 11 61, 1 61, 1-2 61, 5 61, 5-6 62, 1-5 65, 17 66, 1-2 66, 15 66, 15-16 66, 15-20 66, 18 66, 18-20 66, 19 66, 22 66, 23

292 252, 256, 292-293 212 143 223 286-287 359 132 286 218 221, 227 208 196 429 359 121 324 74 101 208 223 429 255, 403 208 171-172 140 140 358 114 103 114 103, 411 101 115 140 220

Jérémie 3, 14 3, 16 5, 22-25 11, 20 12, 14-17 12, 15 13, 24 14, 8 14, 9 15, 7 16, 7 16, 15 17, 10 17, 13 17, 26 18, 17 23, 3 23, 8 24, 6 28, 51 29, 6 29, 10 29, 13 31, 10-11 31, 35 38, 8 38, 36 49, 17 50, 4-5 Ezéchiel 5, 12 12, 14 12, 15 17, 23 22, 15

517 143 143, 171 359 71 140 311, 318 193 418 328 193 121 140 71 418 148 193 143, 171 140 140 208 143 143 359 212 359 114 359 208 374

193 193 193 140 193

518 29, 10 36, 10-12 36, 27 37, 15-17 37, 21-23 37, 26-28 39, 25-29 39, 29 40–48 44, 7 44, 9 48, 30-35 Osée 6, 1-6 Joël 2, 28 2, 28-29 2, 29 2, 30-31 2, 32 3, 1–4, 1 3, 1 3, 1-5 3, 5 Amos 5, 6 5, 14 5, 25-27 8, 12 9, 11 9, 11-12 9, 11-15

Index biblique

217 143 74 212 212 143 79 74 133 208 208 76, 212

9, 12 9, 13-15

321, 328-329 323

Michée 2, 12 4, 1-3 4, 1-7 4, 6-7

132 74, 196 143 147-148

Habaquq 1, 5

468, 470

Sophonie 3, 9-10

217

Zacharie 2, 10-17 2, 15 8, 1-8 8, 20-22 8, 20-23 10, 6 12, 8 12, 10 14, 16-17

196 316 196 74 196 212 147 114 74

Malachie 3, 19 3, 23

208 140

Psaumes 1, 6 2, 2 2, 7 4, 9 7, 10 9, 9

269 71 255, 286 71 71 360

374

106 106 106 107 106 114 255 74, 106, 122, 145, 255 116, 255

359 359 468 359 140, 319, 324, 327328 311 323

Index biblique

14, 2 15, 8-11 15, 10 16 16, 3 16, 10 21, 28 24, 6 27, 5-6 31, 21 33, 4 36, 38 42, 5 43, 22 50, 8-13 55, 3 63, 6-8 65, 4 67, 3 67, 19 68, 6-7 68, 32 71, 11 74, 4 74, 12-17 76, 3 78, 55 85, 9 88 88, 21 89, 21 89, 25 92, 1 93, 11 95, 13 97, 9 98, 3

359 255 286 257 71 255 220 359 324 324 71 71 324 71 358 359 71 220 431 102 169 217 220 133 359 324 280 220 102 282 283 322 133 71 360 360 431

519

105, 44 106, 7-46 109, 1 131, 11 132, 17 135, 6 135, 10-12 136, 4-25 136, 21-22 138, 2 138, 23 139, 5-10 145, 6

280 176 255 255 322 133 280 176 280 71 71 359 357

Proverbes 8, 28-28 11, 19 12, 28

359 269 269

Lamentations 2, 6

324

Esther 2, 3 2, 14 4, 4-5

218 218 218

Daniel 5, 4 5, 23 6, 28 9, 19

358 358 358 328

Esdras 4, 1-6 4, 9-10

200 200

520

Index biblique

Néhémie 9, 6-13

176

1 Chroniques 18, 8 22, 19 25, 8-9 26, 13-14 28, 9

218 359 71 71 359

2 Chroniques 7, 14 34, 9

328 200

Judith 5, 14-16 9, 11

280 147

2 Maccabées 2, 17 2, 18

171 114

6, 2 7, 23 14, 35

199 357-358 358

Sagesse 1, 7 1, 14 3, 14 9, 1 9, 2 9, 9 13–15

358 358 218 357 357 357 360

Siracide 20, 4 30, 20 48, 10 50, 25-26

218 218 76 199

Baruch 2, 18

147

Index biblique

521

2. Nouveau Testament Matthieu 18, 15-17 19, 1-2 19, 12

154 201 218

Marc 4, 12 10, 1 11, 22

426 201 360

Luc 1–2 1, 1 1, 1-4 1, 3 1, 4 1, 6 1, 9 1, 19 1, 26 1, 32-33 1, 32-35 1, 39 1, 50-54 1, 51-53 1, 52 1, 54 1, 68 1, 68-71 1, 68-75 1, 69 1, 71

28, 203, 399, 401, 404, 408, 413, 420 53 91 55, 468 53, 459, 467-468 340 340 400 400 82, 321-322, 401-402, 408, 410 42 71 401 404 223 211 181, 211, 315, 318, 405 323, 401, 404 82, 402, 408 322 211

1, 74 1, 77 1, 78 1, 78-79 2, 1 2, 4 2, 10-11 2, 11 2, 14 2, 22 2, 23 2, 24 2, 25 2, 25-26 2, 25-27 2, 25-35 2, 26 2, 27 2, 29-32 2, 30 2, 30-32 2, 31 2, 32 2, 34 2, 34-35 2, 35 2, 37 2, 38 2, 39 2, 42 3–22 3, 4

401, 404 211, 315 318 401 71 82, 402 408 82, 211, 322, 402403, 431 431 340 339-340 340 211, 408 82, 402 401 309 402-403 340 82, 402 211, 399, 401, 403, 431 431 318 293, 315, 400 19, 211-212, 400, 407, 462 42 402 169 181, 211, 401, 405 340 340 12 404

522 3, 4-6 3, 6 3, 8-9 3, 21 3, 21-22 3, 22 3, 38 4 4, 16 4, 16-30

4, 17 4, 17-20 4, 17-21 4, 18 4, 18-19 4, 21 4, 22 4, 23-27 4, 24 4, 25 4, 25-27 4, 26 4, 27 4, 28 4, 28-29 4, 29 4, 30 4, 43 5, 11 5, 27 5, 28 6, 12 6, 12-16 7, 9 7, 12

Index biblique

38, 403 399, 401, 431, 439 400 91 91, 122 91, 94 359, 378 248, 252-257, 395 256, 396-398 40, 42, 91, 203-204, 211, 248, 258-259, 353, 397, 413 404 396 255 400 38, 403 254, 396 254, 396 254, 396 256, 258, 395 169, 396 255, 258-259, 397 169 218, 396 254, 257 256, 396 254, 256-257, 259 204, 254, 353, 396 400, 410 291 291 291 71 165 291 169

7, 16 8, 10 9, 1-6 9, 5 9, 10 9, 11 9, 17 9, 23 9, 49 9, 51 9, 51-56 9, 53 9, 56 9, 57 9, 59 9, 61 10 10, 1 10, 1-20 10, 17 10, 25 10, 25-37 10, 26 10, 29 10, 36 12, 10 12, 58 13, 34-35 13, 35 13, 46-48 14, 8 14, 8-9 16, 16 16, 17 17, 11-19 17, 13 17, 14

315, 318 426 73, 165 73, 294 165 291 78 291 291 105, 203 202, 204, 211 202-203 204 291 291 291 165, 205, 317 164 165 164 205 205 340 205 205 156 428-429 408, 429 408, 412, 432, 469 18, 274 428 429 12, 340 340 205 206 205-206

Index biblique

17, 15 17, 16 17, 18 17, 19 18, 3 18, 5 18, 20 18, 22 18, 28 18, 43 19–21 19, 28-48 19, 29-40 19, 29-44 19, 41-44 19, 44 19, 47 20, 47 21, 2 21, 3 21, 20-24 21, 24 21, 34 22, 29-30 22, 39 23–24 23, 13 23, 18 23, 56 24, 13-35 24, 17 24, 18 24, 21 24, 25-26 24, 25-27 24, 30-31

206 206 206, 208 206 169 169 340 291 291 291 203 204 204 204 203, 211, 429 318 204 169 169 169 429 405, 408, 412, 431432 429 76, 80-81, 460 340 203 462 462 340 221 221 71 74, 181, 432 221 222 121

24, 33 24, 35 24, 44 24, 47

523

24, 49 24, 52

84 121 340 18, 38, 42, 83, 92, 233, 243, 260, 411, 431, 439 83, 91, 106, 109, 349, 413 84, 91, 106 84

Jean 3, 36 12, 20 19, 40

421 220 340

24, 47-48

Actes des apôtres 1–2 203, 261 1–5 1–6 411, 460, 466 1–7 40 1, 1 468 1, 1–8, 3 56 1, 1-4 91 1, 3 73, 412, 414 1, 3-5 73 1, 4 84, 413 1, 4-5 106 1, 4-8 1, 5-8 114 1, 6 73, 80-81, 139, 140, 212, 227, 413-414 1, 6-8 74, 77, 212, 228, 460, 463 1, 7 73 1, 8 18, 23, 38, 72-73, 75, 83, 91, 97, 106, 109-

524

1, 11 1, 13 1, 13-14 1, 14 1, 15 1, 15–6, 7 1, 15-26

1, 16 1, 16-20 1, 16-22 1, 17 1, 21-22 1, 22 1, 23 1, 24 1, 24-25 1, 25 1, 26 2 2–5 2–6 2–7 2, 1 2, 1-3

Index biblique

110, 115-116, 123, 142, 147, 160, 192, 209, 213, 224, 226227, 230, 233, 243, 259-260, 386, 390, 411-413, 431, 437, 439, 456, 462, 466 139, 411, 456 164 103 91, 101, 121 80, 103, 147, 164, 241, 263 84 35, 69-80, 84-86, 103, 164, 166, 212, 303, 460 241 164 71 460 69, 164 73, 79 164 91, 121 164 164 460 85, 90, 248, 317, 453, 463 19, 28, 30, 36-37, 159, 189, 210, 260 315 30 90, 101, 103-105, 108, 113, 117 104

2, 1-4 2, 1-13

2, 1-41 2, 1-47 2, 2 2, 2-3 2, 3 2, 4 2, 5

2, 5-6 2, 5-11 2, 6 2, 6-11 2, 7-8 2, 8 2, 9 2, 9-11

2, 10 2, 11 2, 11-36 2, 12-13 2, 13 2, 14 2, 14-15 2, 14-36 2, 14-39 2, 14-41

104 75, 84, 91, 93, 101104, 107-108, 122, 210, 267 118 81, 90, 197, 228, 458, 460 94, 101, 103, 396 108 94, 101, 103-104 91, 103-104, 107, 118 38, 101, 103-104, 108-109, 111-113, 118, 123, 227, 255, 397, 439, 466 104 96, 167 94, 101, 104, 107 104 104 107 112-113 38, 94, 97, 101, 104, 108-111, 113-114, 118, 123, 227, 256, 342, 397, 466 110, 113 103, 108, 112 104 104, 161 103, 436 107, 112, 396 396 91, 254 114 72, 80, 85, 91, 248, 396, 461

Index biblique

2, 16-21 2, 17

2, 17-18 2, 17-21 2, 18 2, 19 2, 19-20 2, 21

2, 22 2, 22-36 2, 23 2, 24 2, 24-36 2, 25-36 2, 26 2, 27 2, 29 2, 29-32 2, 30-31 2, 30-32 2, 31 2, 32 2, 33 2, 33-34 2, 36 2, 37 2, 38 2, 38-40 2, 38-41 2, 39

396 42, 75, 91, 110, 118, 122-123, 139, 255, 258, 396, 439, 466 122, 172 106, 255, 461 75, 91, 106 125, 461 145, 147 42, 75, 110, 116, 118, 123, 255, 258, 396, 439, 466 80, 82, 112, 125, 135, 210, 257 42, 255, 396 256, 286 284 222 322, 402 75, 418-419 255, 257 112, 257, 434 80, 255 74, 410 404 257 73 101 101 23, 80, 82, 96, 112, 118-119, 403, 413 112, 254, 396 38, 112, 238, 468 254, 396 375, 461 42, 82, 106, 110, 112, 116, 118, 123, 227,

2, 40 2, 41

2, 42 2, 42-47 2, 43 2, 44 2, 44-45 2, 44-47 2, 46 2, 47

3–5 3, 1 3, 1-3 3, 1-11 3, 1-16 3, 1-26 3, 2 3, 3 3, 5 3, 6 3, 6-7 3, 7 3, 7-8 3, 8 3, 8-9

525 255-258, 396, 439, 466 73 16, 49, 117, 125, 127, 144, 147, 171, 210, 238, 254, 294, 303, 396, 461 117, 238 107, 117, 125, 131, 152, 155, 235, 461 104, 125, 145, 150, 210 117, 154, 238, 241 120, 155, 157, 238 117 120-121, 126, 210, 238, 398, 461 16, 49, 117-118, 121, 125, 127, 144, 150, 210, 238, 294, 303 96, 125-126, 143, 150-151, 161 121, 133 126 57, 121, 131, 145, 147, 150, 156, 210 127 146, 203, 410, 462 131, 133 133 466 127 132 133, 135 125 126, 132-133 131

526 3, 9 3, 10 3, 10-11 3, 11 3, 12 3, 12-16 3, 12-26 3, 13 3, 13-15 3, 13-16 3, 13-19 3, 15 3, 16 3, 17 3, 17-20 3, 17-26 3, 18 3, 19 3, 19-25 3, 20 3, 21 3, 21-22 3, 22 3, 22-23 3, 22-26 3, 23 3, 25 3, 25-26 3, 26 4, 1 4, 1-3

Index biblique

127, 132, 134-135 129, 131, 134-135 134 126-127, 129, 132, 135 82, 127, 129-130, 134-135 127, 134, 142, 153, 260 121 127, 135-136 134, 222, 284 23 375 73, 135 127, 130, 133, 137, 141 138 130 127, 129, 137 119 38, 138, 375, 468 35, 96 119, 138-139 138 408 135, 141, 322, 470 140, 227, 462 222 127, 470 137-138, 141, 378, 439 82, 137 78, 80, 135, 137-138, 157, 322, 329 127 126, 160

4, 2 4, 3 4, 3-21 4, 4

4, 5 4, 7 4, 8 4, 9 4, 9-10 4, 10 4, 12 4, 13 4, 14 4, 16 4, 16-17 4, 16-22 4, 17 4, 17-18 4, 18 4, 21 4, 22 4, 24-31 4, 25 4, 27 4, 27-31 4, 29 4, 29-30 4, 30 4, 31 4, 31-32 4, 32 4, 32–5, 11

119, 121, 127, 419 125, 133 160 16, 49, 125, 144, 147, 210, 241, 303, 436, 461 249 127 127 128, 131 260 23, 82, 119, 126-128, 284 127 434 128 134 126 436 127 127 119, 125, 127, 160 127, 160 128, 132, 134 121 127 127, 318 434 434 145 125, 127, 146, 210, 238 92, 210, 434 152 125, 151, 154, 210, 241 120, 150, 157

Index biblique

4, 32 4, 32-33 4, 32-35 4, 33 4, 34 4, 34-35 4, 36-37 5, 1-11 5, 3 5, 4 5, 9 5, 11 5, 12 5, 12-16 5, 13 5, 14

5, 15 5, 15-16 5, 16 5, 17 5, 17-41 5, 20 5, 20-21 5, 21 5, 25 5, 25-27 5, 25-28 5, 26 5, 26-28 5, 27-41 5, 28

144, 153 294 125, 155, 235, 238 73, 125, 238 168 152 113, 234 127, 131, 150-151, 153-154, 169, 436 155 155, 238 155 19, 150-151 121, 126-127, 131, 146-149, 210 125, 145-146, 148, 235, 461 126, 127, 147-148 16, 49, 125, 127, 144, 147-149, 151, 210, 238, 241, 294, 303, 461 148-149 131, 147, 210 147-148, 210 170 160 127 121, 126 119 119, 121, 126-127 126 126 127 133 436 119, 127

5, 29-32 5, 30 5, 30-31 5, 31 5, 32 5, 33 5, 34 5, 35 5, 35-39 5, 37 5, 38 5, 39 5, 40 5, 40-41 5, 41 5, 42 6 6–28 6, 1–8, 3 6, 1

6, 1-7 6, 2 6, 2-3 6, 3 6, 4 6, 5 6, 6 6, 7

6, 8 6, 8–8, 1 6, 8–8, 3 6, 9

527 260 23 284 38, 82, 119, 375 73 125, 160 127 135 144 127, 235 169 154, 160, 436 127, 133 125 127 119, 121, 126, 210 49, 165 19 161, 163, 186 16, 49, 71, 125, 163164, 169, 210, 241, 294, 303, 461 161, 163, 165, 167, 436 151, 241 164, 166 164, 241, 341 121 113, 164, 167, 192 164 16, 49, 125, 163, 169, 171, 210, 241, 294, 296, 303, 436, 461 238 160 125 113, 341

528 6, 12 6, 13 6, 13-14 6, 14 7–28 7, 1 7, 2 7, 2-50 7, 2-53 7, 3 7, 3-8 7, 4 7, 5 7, 6 7, 7 7, 9 7, 9-16 7, 10 7, 10-15 7, 11 7, 11-15 7, 12 7, 15 7, 16 7, 16-43 7, 17 7, 17-19 7, 17-20 7, 17-43 7, 19 7, 20 7, 20-22 7, 21 7, 22 7, 23 7, 23-25

Index biblique

188, 260, 462 340 170, 174 340-341 315 174 175, 280 186, 278 57, 158, 161, 186, 229, 278, 462 176 378 177, 183, 189 176-177 177, 280 176, 182 176, 178-179 178, 280 178-179 177 175, 178 179 175, 178 175, 178 179 180 180 177, 280 280 180 175 180 180, 280 180 180 318 181

7, 25 7, 26-29 7, 27 7, 27-29 7, 29 7, 30-34 7, 33 7, 34 7, 35 7, 36 7, 38 7, 39 7, 39-41 7, 40-42 7, 42 7, 43 7, 44 7, 44-47 7, 44-50 7, 45 7, 47 7, 48 7, 48-50 7, 49 7, 51 7, 51-53 7, 52 7, 53 7, 54 7, 54-58 7, 54–8, 3 7, 58 7, 59-60 8 8–11

176 181 181 176 180 180 180 174 176 132 151, 175, 197, 287, 340 175 176 181 132, 182, 339 177, 235 175 182 176, 182 175 182 182-183, 358 182 183 175, 277 175, 279 175 340 160 187 187 161, 187 187 454 167, 193, 195-196, 225, 230, 453, 462

Index biblique

8, 1

8, 1-3 8, 2 8, 3 8, 4

8, 4-5 8, 4–12, 25 8, 4-25 8, 4-40 8, 5 8, 5-13 8, 5-25 8, 5-40 8, 6 8, 6-7 8, 8 8, 9-11 8, 12 8, 13 8, 14 8, 14-25 8, 17 8, 21 8, 25 8, 26 8, 26-40

8, 27 8, 29-35

83-84, 125, 150, 158159-161, 187-188, 192-193, 197, 210211, 235, 447, 462, 465 59 187 151, 187, 447 82, 125, 158-159, 191-193, 233, 235, 242, 462 191 56 161, 167, 187 84, 160, 190-192, 229-230, 233, 235 166, 210 194 211, 213, 462 57 210 210 210 210 16, 191, 210, 390 225 49, 191, 193, 210 191, 194 92, 210 191 191, 194 222 38, 167, 191, 215, 221, 224-228, 453, 462 218 221

8, 30 8, 31 8, 32 8, 32-33 8, 33 8, 34 8, 35 8, 36 8, 38 8, 39 8, 40 9 9, 1 9, 1-4 9, 1-19 9, 1-30 9, 2 9, 3 9, 15 9, 18-19 9, 26 9, 26-29 9, 27 9, 27-28 9, 29 9, 30 9, 31

9, 32 9, 32-42 9, 32–10, 48 9, 35 9, 37 9, 39 9, 41 9, 42

529 221, 404 221 222, 293 222 218 191 218, 221-223 218, 221, 223, 225 218, 222, 225 191, 195 57, 304 241, 296 447 194 161 268-269 194, 249 349, 430 225 194, 241 194 234 434 216 194, 241 16, 49, 57, 125, 151, 197, 210-211, 241, 294, 462 194, 249 131 194 16, 294 71, 249 169 169 16

530 10 10–11 10, 1–11, 18 10, 1 10, 1-2 10, 1-48 10, 2 10, 5 10, 9 10, 9-16 10, 14-15 10, 22 10, 28 10, 28-30 10, 34 10, 34-43 10, 38-40 10, 43 10, 44-46 10, 44-48 10, 45 10, 47 10, 48 11, 1 11, 1-18 11, 2 11, 5-17 11, 8-9 11, 15 11, 17 11, 18 11, 19 11, 19-20 11, 19-21 11, 19-30

Index biblique

111, 309, 313 17, 82, 110, 194, 228, 311, 344 60, 226, 233, 242, 463 211 216 303 216, 289 121 336 313 289 207, 289, 313 305 313 305 284 287 92 225 289, 307 313 225 49, 241, 289, 307 194, 336 194 305 313 92, 122, 313, 460 241, 313 233, 289, 307 167, 192-193, 233234-236, 243, 462 241 194, 234 84, 186, 193, 232-

11, 20 11, 21 11, 22 11, 22-23 11, 22-24 11, 22-27 11, 23 11, 24 11, 25 11, 25-26 11, 26 11, 27 11, 27-30 11, 28 11, 28-30 11, 29 11, 29-30 11, 30 12 12, 1 12, 2 12, 3 12, 5 12, 8 12, 9 12, 11 12, 12 12, 17 12, 24 13

235, 241-242, 303, 307, 443, 463 194, 211, 233, 234, 236, 239 16, 234-235, 237-238, 290, 294 150, 194-195, 234, 237 235 234 194 235-238, 291 16, 127, 234, 237238, 294 234 234-235 16, 150, 234-238, 241-242, 294 71, 195, 234 234-235 234, 239 194 195, 234, 238, 241 235 193, 234, 303-304 84 150 70, 81, 85 275 121, 150 291 291 275 121 83, 85, 241, 304 16, 49, 294, 436 47, 84, 248

Index biblique

13–14 13–28 13, 1–28, 31 13, 1 13, 2 13, 5 13, 8-12 13, 9-12 13, 12 13, 14 13, 14-15 13, 14-16 13, 14-43 13, 14-52 13, 15 13, 16 13, 16-22 13, 16-25 13, 16-41 13, 17 13, 17-20 13, 17-25 13, 17-31 13, 18 13, 19-20 13, 20 13, 20-25 13, 21 13, 22

83, 234, 237, 303, 307, 311 298, 464 56 150 349 241 155 303 290, 349 241, 249, 256, 396, 398 251 256 250-251, 272, 464 249, 254, 297, 377, 396, 458 135, 251, 340, 377, 396 135, 216, 250, 256257, 287-288, 377 377 23 57, 249, 251, 254, 263, 396 176, 280-281, 284, 315, 378 279 278-279, 285, 287, 289 278 280 280 287 279 281, 287 282-283

13, 22-23 13, 23 13, 24 13, 25 13, 26 13, 26-37 13, 26-39 13, 26-41 13, 27 13, 27-29 13, 27-31 13, 27-37 13, 28 13, 28-37 13, 30 13, 31 13, 32 13, 32-33 13, 32-37 13, 32-39 13, 32-41 13, 33 13, 34 13, 34-37 13, 35 13, 36-37 13, 37 13, 38 13, 38-39 13, 38-41 13, 41 13, 42 13, 42-43

531 402, 404 257, 282, 284, 293, 322, 419 284 216, 250-251, 257, 284, 286-288, 289 42 377 279 377 256, 284 284 419 282 222 377 286 283, 286 257 80, 322, 377, 402, 404 293 286 286, 339 38 42 255, 257, 287 255 257 340 42, 252-253, 256, 287, 291, 377, 464 377 470 250-251, 290, 396 249-251, 253-254, 288-289, 396

532 13, 42-45 13, 42-52 13, 43 13, 44 13, 44-48 13, 44-52 13, 45

13, 46

13, 46-47

13, 46-48 13, 47 13, 47-48 13, 48 13, 48-49 13, 49 13, 49-52 13, 50

13, 50-51 13, 51 13, 51-52 13, 52

Index biblique

407 40, 57 16, 250, 275, 289290, 292, 296, 377 249-251, 254, 292, 296, 396 250-251, 272, 288 250 249, 251-254, 257258, 265, 267, 271, 275, 292, 294, 296, 377, 396, 400, 423 78, 80, 251-252, 256, 258, 275, 286, 292, 329, 396-397, 430 83, 249, 254, 263, 276, 307, 349, 395, 425 290 38, 252, 256, 292 396-397, 464 250-254, 256, 258, 290, 293, 296, 349 249 251-252, 294, 296, 436 252, 272, 293-294, 396, 399 249-250, 254, 257, 271, 274-275, 289, 294-296, 349, 377, 396 250 249, 254, 277, 295 249 249-250, 252, 265, 276, 295-296, 377

14, 1 14, 1-2 14, 1-4 14, 1-6 14, 1-7 14, 2 14, 3 14, 3-5 14, 3-6 14, 4 14, 5 14, 5-6 14, 7 14, 8-10 14, 8-20 14, 15-17 14, 19 14, 20 14, 21 14, 21-22 14, 21-23 14, 21-27 14, 22 14, 23 14, 27 14, 28 15 15, 1 15, 1-5 15, 1-35 15, 2-4 15, 3 15, 3-4

16, 241, 249, 263, 273, 275, 349, 421 291, 421 407 263 248, 260, 262 263, 273-274, 276, 436 303 273 263 276 274, 349 294 263 303 436 337, 349, 380 349 276 16, 276 349 295 349 276, 291, 296 150, 276 150, 276, 307, 349, 464 276 17, 47, 60, 83-84, 262 276, 303, 306-307, 340 58, 436 237, 458, 463 195 150, 276, 303 349

Index biblique

15, 4 15, 5 15, 7 15, 7-8 15, 7-9 15, 7-11 15, 8 15, 8-11 15, 9 15, 9-10 15, 9-11 15, 10 15, 11 15, 12 15, 12-21 15, 13 15, 13-21 15, 14

15, 14-18 15, 15 15, 16

15, 16-17 15, 16-18 15, 17 15, 17-19 15, 18 15, 19 15, 19-21 15, 20 15, 21

150, 276, 303 241, 307, 340 241, 290, 328-329 310, 313 303, 309 305, 309, 312 313 464 313, 333, 336 305 464 276, 309, 339 241, 291, 313, 337 303, 349 35, 96 241 309, 312 17, 44, 276, 309-310, 314, 316- 317, 318, 328-329, 334, 334, 338, 464, 470 43, 309, 319 328, 339 44, 303, 319, 322, 329, 402, 404, 408, 410, 464 82 38, 311, 316, 318, 345 17, 318, 321, 328329, 338 464 328 309, 334, 337, 339 464 334, 337, 339, 342 338-339, 342-343,

15, 22 15, 22-23 15, 23 15, 28 15, 29 15, 30-31 15, 32 15, 33 15, 36 15,36–18,22 15, 41 16–28 16, 1 16, 2 16, 3 16, 4 16, 5 16, 15 16, 16-40 16, 17 16, 20-21 16, 21 16, 30-34 16, 31 16, 33 16, 34 16, 40 17, 1 17, 1-4 17, 1-5 17, 1-10 17, 4 17, 5 17, 5-9 17, 6

533 417 150, 241, 276, 304, 306 335 241, 276, 303-304 335 306, 336 304, 306 276 276 276 212, 237 150, 276 304 276 276 341, 418 82, 84, 304, 335, 343 16, 150, 294 49, 225, 271, 398 436 269 341 340-341 349 225 225 271, 398 271, 398 276 264, 273 407 248, 260, 264 16, 275-276, 291 271, 274, 276 264, 273, 276 276, 459

534 17, 6-9 17, 10 17, 10-12 17, 10-14 17, 11-12 17, 12 17, 13 17, 13-14 17, 14 17, 14-15 17, 15 17, 16 17, 16-21 17, 16-22 17, 16-33 17, 16-34 17, 17 17, 18 17, 19 17, 20 17, 21 17, 22 17, 22-23 17, 22-29 17, 22-31 17, 23 17, 24 17, 24-25 17, 24-28 17, 24-29 17, 25 17, 25-28 17, 26 17, 27

Index biblique

274 264, 273, 276, 294 265, 273 248, 260, 264-265 16 275 265, 273-274, 276 294 265, 276 265, 273 265 379 352 362 352 458, 465 18, 374, 398, 423 31, 351, 364, 374, 377, 379 373, 375, 377 373, 375, 377 352 377 354, 357 377 29, 349, 355-357, 361, 365, 373 361, 364, 377, 379380 354, 357 351, 368 337 354 351 354, 358 351, 378 351, 374, 380

17, 28 17, 29 17, 30 17, 30-31 17, 31 17, 32 17, 32-34 17, 33 17, 34 18, 1-3 18, 1-18 18, 3 18, 4-5 18, 5-8 18, 6 18, 6-7 18, 6-8 18, 7 18, 7-8 18, 8 18, 9-11 18, 10 18, 12-17 18, 13 18, 15 18, 18 18, 19-20 18, 19-21 18, 21 18, 22 18, 23 18, 26 18, 27

371, 373 354, 360 354, 364-365, 375377 351, 360, 366, 368, 378-379 351, 355, 365, 376377 378, 436 377 364 376 265 248, 260, 265-266 271 265-266, 273, 407 273 265, 267, 276-277, 295, 395-397, 425 274 266 216, 271, 398 265 16, 225 266, 273 16, 276, 311, 314, 317 266, 274, 407 340 340 266, 273, 276, 418 268 248, 267, 273 267 150, 195 237, 276 434 276, 296

Index biblique

19, 1 19, 1-7 19, 6 19, 7 19, 8 19, 8-9 19, 8-10 19, 9 19, 10 19, 20 19, 21 19, 23 19, 23-41 19, 32 19, 39 19, 40 20, 6 20, 7 20, 7-11 20, 11 20, 16 20, 17 20, 20 20, 21 20, 24 20, 25 20, 25-35 20, 26 20, 26-27 20, 28 20, 38 21 21–26 21–28 21, 1

249, 276 267, 296 92 267 267, 273 268 260, 267-268, 407 267-269, 271, 273274, 276-277, 465 267-268, 273, 294, 436 16, 49, 294, 436 195, 411, 439, 448 268-269, 276 436 150 150 150 139 121 121 121 100, 195 150 271, 398 360 291 386, 449 459 277 295 151 386, 449 454 60, 270 28 249

21, 4 21, 5 21, 8 21, 11 21, 11-15 21, 17 21,17–28,28 21, 17-26 21, 18 21, 20 21, 21 21, 21-26 21, 22-26 21, 24 21, 25 21, 26 21,27–26,32 21, 27-28 21, 28 21, 30 21, 36 22 22, 1-21 22, 3 22, 4 22, 12 22, 17 22, 17-21 22, 19 22, 21 23 23, 1-7 23, 3 23, 6 23, 7-10 23, 11 23, 29

535 296, 386 249 167 449 195 195, 241 433 57 304 16, 23, 189, 241, 340 340-341, 416 341 418 340, 416, 447 304, 335-336 416, 447 416 341 340, 416 223 291 59, 304 421 340-341, 416, 447 268-269, 276 340, 349 195 349 241 110 453 421 340 416, 418-419, 447 407 386, 411, 439, 448 340

536 24, 5 24, 6 24, 10-21 24, 11 24, 14 24, 14-15 24, 15 24, 22 24, 24 25, 1-3 25, 8 25, 10-12 25, 11 25, 12 25, 16 25, 19 26 26, 2-3 26, 2-29 26, 3 26, 5-7 26, 5-8 26, 6 26, 6-7 26, 6-8 26, 7 26, 8 26, 10 26, 17 26, 17-18 26, 18 26, 20 26, 22-23 26, 23 26, 25 26, 26

Index biblique

269, 459 340, 416 421 219 268-269, 276, 340, 416 447 418-419 268-269, 276 360 195 340-341, 416, 447 411 386 386 340-341 357 57, 304 416, 447 421 340-341 416 447 418 212, 419 419 85, 418-419, 460 378 195, 241 314, 436 349 360, 375 195, 375 222 293, 314, 349, 419 107 434, 459

26, 28 26, 32 27–28 27, 1–28, 15 27, 1-2 27, 3–28, 15 27, 3-44 27, 10 27, 14-44 27, 20-21 27, 21-26 27, 22-24 27, 24 27, 29 27, 31 27, 33-34 27, 33-38 27, 37 27, 39–28, 1 27, 41 27, 43-44 27, 44 28 28, 1 28, 1-6 28, 2-3 28, 8 28, 14 28, 15 28, 16 28, 16-22 28, 16-31

28, 17

240-241 386 440, 446, 452, 465 447, 451 448 448 448 448 450 448 450 448 386, 411, 439, 448 450 448 448, 450 448, 450 448 450 450 450 249, 448 14, 47 448 155 450 249 387, 448 386, 452 387-388, 398, 438, 448 270, 273 186, 248, 260, 270, 274, 276, 388-389, 391, 395-397, 427, 446, 449, 458 249, 340-341, 389-

Index biblique

28, 17-20 28, 17-22 28, 17-25 28, 17-28 28, 17-31 28, 19 28, 19-20 28, 20 28, 21 28, 21-22 28, 22

28, 23

28, 23-24 28, 23-25 28, 23-28 28, 24 28, 24-25 28, 24-27 28, 25 28, 25-27 28, 25-28 28, 26 28, 26-27

28, 26-28 28, 27 28, 28

390-391, 395-396, 416, 428 60, 391, 395-396, 447, 466 390 389-390, 395 388 40 386, 400, 423 447 401, 411, 414, 416, 418-419 195 174, 391, 395-396 269, 389, 391, 396, 400, 422, 426, 436, 465 340, 389-391, 395396, 398, 403, 412, 414, 421, 438, 448 291 388, 390 270, 273 275, 421 271, 390-391, 395396, 402, 436 400 389, 395, 404, 428 396, 412 208, 389-391 424 31, 36, 38, 277, 295, 317, 397, 401-403, 465 42, 274, 395, 424 424, 429, 466, 469 18, 21, 349, 387, 396-

28, 28-30 28, 29 28, 30

28, 30-31

28, 31

Romains 1, 19-20 3 5, 2 7, 3 9–11 9, 17-18 11, 1 11, 7-8 11, 7-10 11, 11-12 11, 15 11, 25 11, 25-26 11, 26 1 Corinthiens 8–11 10, 16 11, 17-34 11, 24 14, 23

537 397, 399-400, 412413, 423, 431, 447, 455 466 389 21, 388, 390, 396, 413, 430, 437-438, 448-449, 465 270, 273, 388, 390, 396-398, 429, 431, 433, 436-437, 447, 449, 452, 466 390, 395, 403, 412414, 452, 455

367 416 291 241 49, 406, 414, 416, 432 424 459 406 424 424 424 424, 432 424 432

417 121 121 104, 121 104

538 Galates 2, 1-14 2, 6 2, 11-14 3, 13 5, 1-12 Ephésiens 4, 8 6, 17

Index biblique

417 335, 337 335 138 417

102 399

Philippiens 2, 6-11 3, 7-9

222 417

Colossiens 4, 14

133

1 Thessaloniciens 1, 8 3, 1

360 350

Hébreux 2, 9-10 3, 18-19 10, 25

222 421 340

1 Pierre 2, 5 2, 7-8 2, 9

171 421 171

Apocalypse 1, 4 1, 6 1, 11 1, 12 1, 16 1, 20 4, 5 5, 1 5, 6 5, 10 8, 2 20, 6

166 171 166 166 166 166 166 166 166 171 166 171

Index de la littérature juive et chrétienne ancienne 1 Hénoch 14 45,4-6 89,44-45 89,44-49 91,18 96,3

103 140 282 282 269 140

2 Hénoch 30,15

269

1QH 1,13-15 10,23 10,29 15,23

357 154 154 154

1QM 2,1 3,13-15 5,1-2

76 76 76

1QpHab 2,3 1QS 1,11-12 1,8–3,12 5,1 5,2 5,7

5,5-6 5,8 6,7 6,14 6,16-23 8,1 8,1.2 8,12 8,19 9,8-9 9,17-19 9,20 10,21

95 326 120 120 120 76 326 120 120 120 269 269 269

1QSa 1,29 2,14-15

76 76

2 Baruch 32,6 57,2 77–78

140 140 212

3 Maccabées 2,9

358

4 Esdras 7,75 13,1 13,40-48

140 103 212

95

120, 154 99 120 120 120

540

4 Maccabées 5,25

Index de la littérature juive et chrétienne ancienne

357

4Q174 1,2-4 1,6-7 1,7 1,10-11 1,12 1,13

326 326 325 325 325 326

4QFlor 1,12

318

Actes de Paul 14

386

Berakoth Rabba 11b 47b

199 200

Bereshit 94,7

200

b. Gittin 10a b. Hullin 4a 6a

b. Shabbat 88b b. Yoma 69a CD 1,3-5 1,13 2,6 3,12-13 5,3-5 6,2-11 6,19 7,16 7,17-18 8,3-4 8,21 20,10 20,13 Exode Rabba 5 [71]

331

95

199 422 269 269 326, 422 326 326 95 318, 325 327 468 95 326 326

95, 101

200

200 199

b. Masseketh Kuthim 61b 200 b. Pesahim 25ab

b. Sanhédrin 74a

331

Flavius Josèphe Antiquités Juives 1,85 1,194 2,199 2,275 3,79-80 3,206 3,252 3,318 4,290-291

360 360 179 360 95 358 100 219 220

541

Index de la littérature juive et chrétienne ancienne

8,4,3 8,108 8,227 9,277-291 9,290 9,290-291 9,291 11,114-115 11,302-325 11,331 11,336 11,340 11,340-341 11,341 12,256-260 12,257-259 12,257-264 13,48-57 13,74 13,252 13,255-256 13,256 13,310-311 13,322-324 16,41 16,166 16,169 17,254 18,14 19,290 20,118-123 Guerre des Juifs 1,63 2,42-43 2,122 2,232-247 3,2,4

358 359 358 199 200 201 209 199 200 219 219 200 201 200 200 199 199 200 199 100 199 200 199 199 435 435 435 100 358 435 202 199 100 120 202 237

3,409 4,272-275 7,43-45

195 219 243

Jubilés 6,10 6,15-19 6,17 6,19 6,21 7,20 10,26 16,18 19,7 22,1 24,10 33,20 46,9-10

99 99 95 95 99 331 94 171 99 99 99 171 179

Kethuboth 27a

199

Mekhilta Ex. 19,2 19,8 20,2

101 101 101

Midrash Ps 92,3 (202a)

101

m. Nedarim 3,10

200

m. Nidda 4,2

200

542

Index de la littérature juive et chrétienne ancienne

Oracles sibyllins 3,101-103 4,8-11 Philon De Decalogo 32–36 33 35 44–49 46 47 48 66

94 358

95 101-102 101 95 101-102 101 101 360

De Specialibus Legibus 1,183 100 1,271 358 1,324-325 218 2,167 358 2,176 100 2,188-189 95 2,189 101-102 De Vita Contemplativa 7 360

De Vita Mosis 1,303 358 2,165 358 2,168 In Flaccum 45 441-442 45-46 441 46 441 Legatio ad Caium 281-283 440 p. Sanhédrin 3,6,21b

331

Psaume de Salomon 9,1-2

193

p. Shebiith 35 49-50

331 331

Targum Pseudo-Jonathan Ex 19,2 101 Ex 20,2 95

Index des auteurs grecs et latins Aelius Aristide In Jovem 24 Ambroise Sermon 36 Apulée De Platone 1,5 Aratos Phaenomena 5 Augustin Sermon 155,5-6 266 268 269 271 Homélie sur l'évangile de Jean 6,10 Cicéron De Natura Deorum 2,5,15 2,19,49 2,41,153

Pro Flacco 26,62

351

93

Corpus Hermeticum 4,1 5,4 5,10

357 359 358

358

Cyrille de Jérusalem Catéchèse baptismale 17,17

93

359

359

94 93 93 93 93 93

359 359 359

Diogène Laërce Vies 2,20 2,45 2,122

362 362 362

Dion Cassius Histoire romaine 43,51,9

166

Dion Chrysostome Discours Olympiques 12,27-28 12,32 12,60 Epictète Entretiens 1,28,3

359 359 358, 360

360

544 4,7,6 Epiphane Panarion 2,11 Euripide Hercule 1345-1346 Eusèbe de Césarée Histoire ecclésiastique 2,1,13 Grégoire de Nazianze Discours 41,16 Hérodote Histoires 1,195 2,22 2,29 3,20 3,101 3,108,2 3,114 7,70 Homère Odyssée 1,21-22 Horace Odes et épodes 3,45-48

Index des auteurs grecs et latins

357

94

358

215, 224

93

358 216 216 216 216 360 217 216

217

226-227

Jamblique Vie de Pythagore 30,168

120

Jean Chrysostome Homélie sur la Pentecôte 2 Homélies sur les Actes 38,1

379

Lactance Divinae Institutiones 6,25

358

Lucien de Samosate L'eunuque 6

218

Lucrèce De Rerum Natura 1,63-80

360

Origène Contre Celse V,34

342

Pausanias Description de la Grèce 3.1.7-8

444

Philostrate Vie d’Apollonius de Tyane 4,1

216

Pindare Pythie 1,61-71

447

93

Index des auteurs grecs et latins

Platon Apologie 17a 17c 19b 21bc 23b 24bc 26b 29d 30b 33a Euthyphron 2c 3b Gorgias 457d Lois 4,716d 5,735e 5,740e 9,708b 11,929cd 11,930e Phèdre 70b République 449a 454a Timée 28c 33d 34b 37c 76c

363 362 359, 374 363 359, 374 362 362 362 362 362 362 362 359 358 441 441 441 358 441 360 374 362 357 358 358 360 357

545

Pline l’Ancien Histoire naturelle 6,181-188

2 17

Pline le Jeune Lettres 10,96,8

342

Plutarque De Pythiae Oraculis 407f-408a De Repugnantiis Stoicorum 6,1034b De Superstitione 1,164-165 De Tranquilitate Animi 20,477cd Moralia 6,167d 1052a Polybe Histoire II,56

445 358 357 360 360 358

50

Pseudo-Galien Definitiones Medicae 19,349

359

Sénèque Lettres à Lucilius 31,11 41,1 41,1-2 4,95,47-49 4,95,50 120,14

360 358 359 358 358 359

546

Index des auteurs grecs et latins

Questions naturelles 6,8,3-4

217

Sextus Adversus Mathematicos 9,61 Strabon Géographie 1,1,6 6,1,6 17,2,1

217 444 217

Suétone Vies des Césars Néron 16,2

342

Tacite Annales 3,64 15,44,3

165 342

Thucydide La Guerre du Péloponnèse 5,70

360

359

Virgile Enéide I,1-7 I,102-130 I,102-222 I,157-164 I,174-176 I,184-196 I,197-207 I,278-279 I–VI III,11-12 III,13-18 III,96 III,250-257 III,388-395 VII–XII Xénophon Cyropédie 3,3,58 4,2,15 Memorabilia 1,1,2 1,1,10 1,1,15

450 450 450 450 450 450 450 227 450 450 450 450 450 450 450

357 360 362 362 359

Index des auteurs modernes Adler Nikolaus 105 Ådna Jostein 224 Aland Barbara 62 Aletti Jean-Noël 53, 258, 469 Alexander Loveday C.A. 195, 362, 386, 393, 399, 403405, 449, 453-454, 468 Amir Yehoshua 440-442 Amsler Samuel 324 Aune David E. 133, 212 Avemarie Friedrich 208, 216217, 219, 222, 225-226 Azara Pedro 445 Backhaus Knut 50, 342-343 Balz Hors 434 Barrett Charles K. 109-110, 118, 123, 127, 133, 136, 146, 148, 165-167, 183, 190, 208, 215-216, 240, 269, 283, 288, 290-291, 303, 311, 316, 331, 337, 356, 362, 379, 419, 424, 430, 438-439 Baslez Marie-Françoise 448 Bauckham Richard J. 120, 324, 331, 401, 409-411 Bauer Walter 92, 240 Bauernfeind Otto 130 Baur Ferdinand Chr. 10-11, 162 Beale Gregory K. 93-94

Bechard Dean Philip 94, 224, 351 Becker Eve-Marie 329, 459 Behm Johannes 107, 193 Bengel Johann A. 428, 437 Benoît Pierre 68, 146 Benz Ernst 361 Berder Michel 60, 64, 417 Bergholz Thomas 388 Bieringer Reimund 457 Bihler Johannes 164, 166-167 Blass Friedrich 63 Bleeker Claas Jouco 77 Blomberg Craig L. 358 Blum Erhard 468 Böcher Otto 337 Bock Darrell L. 204 Bockmuehl Markus 331 Böhm Martina 199, 202-203, 206, 208-209, 211-212 Boismard Marie-Emile 26, 62, 430 Bonnah George K.A. 104-105, 338 Bonz Marianne Palmer 39-40, 46, 52, 92, 94, 97, 109110, 117-118, 126, 215, 449-450, 453, 459 Bornhäuser Karl 387 Bornkamm Günther 377-378 Bourquin Yvan 262, 393 Bovon François 8-9, 13, 21-23,

548

Index des auteurs modernes

26, 37-38, 52, 68, 110, 166, 202, 206-207, 293, 380, 428 Bowman John 208 Brawley Robert L. 20-21, 27, 195 Bremmer Jan N. 445 Breytenbach Cilliers 271, 298, 426, 451 Brown Raymond E. 68, 403 Bruce Frederick F. 410, 412 Bultmann Rudolf 368-369, 459 Bunbury Edward Herbert 217 Burfeind Carsten 266, 419, 452 Bussmann Claus 217, 246, 386 Butticaz Simon 393, 440, 448 Cadbury Henry J. 18, 53, 239, 241, 338, 362, 418, 435 Calame Claude 445 Callan Terrence 331 Camassa Giorgio 444 Cancik Hubert 51, 69, 306 Capper Brian 120 Carr Arthur 72 Carras George P. 416 Carroll John T. 401, 405, 410411 Casevitz Michel 441 Cathcart Kevin J. 327 Causse Antonin 96, 111 Chéreau Georgette 93 Clark Albert Curtis 61 Clarke Andrew C. 79, 82-83, 119 Clarke Andrew D. 72, 362 Coggins Richard J. 211

Conzelmann Hans 12-14, 17, 23, 43, 70, 73, 75, 114, 117, 136, 148, 165, 170, 174, 182, 215, 217, 224, 240, 269, 285, 291, 303, 316, 328-329, 332, 338, 356, 368, 408, 414, 425, 436 Cunningham Scott 157, 188 Dahl Nils Alstrup 72, 315-316 Darr John A. 27, 55, 57 de Meester Paul 217-219, 224 Deines Roland 308, 333-336, 340-341 Deissler Alfons 324 Deissmann Adolf 207 Delage Marc 355 Delling Gerhard 279, 284, 433435 Delobel Joël 60 Denova Rebecca I. 77, 111, 338 Desautels Luc 68 Deutschmann Anton 40-41, 43, 46-47, 246-249, 253, 260-261, 264, 268-275, 290-291, 295-296, 314, 317, 394, 418, 427-428 Dibelius Martin 130, 174, 351, 355-356, 366-367, 375 Dietrich Walter 467 Dinkler Erich 216-217, 219, 229 Dionne Christian 130 Domagalski Bernhard 165 Dömer Michael 74, 92, 104,

Index des auteurs modernes

109, 303, 314 Dougherty-Glenn Carol Lisa 443-446 Ducat Jean 444 Dunn James 308 Dupont Jacques 93-95, 97, 101-102, 105, 107, 109, 113, 116, 152, 167, 221, 248, 258-260, 303, 309, 315-317, 319, 322, 326, 351-352, 354, 356, 364, 370, 373, 377-380, 388398, 391, 394, 397, 400, 402, 404, 413, 416, 421 Dupont-Roc Roselyne 64 Eckey Wilfried 80, 178, 253, 314, 432, 468 Eisen Ute E. 9, 53, 57, 304305, 393-394, 402, 413, 427 Eiss Werner 99-100 Ellis E. Earle 217 Eltester Walter 366, 449 Emmelius Johann-Christoph 11 Enslin Morton S. 201 Epp Eldon Jay 63 Ernst Josef 204, 206 Esser Hans Helmut 341-342 Fasce Silvana 444 Fichtner Johannes 205 Fitzmyer Joseph A. 76, 78, 130, 136, 139, 201, 216, 289, 315, 331-332, 350, 356, 418

549

Flichy Odile 48, 285-287 Flusser David 48, 77 Foakes-Jackson Frederick J. 63 Foerster Werner 399 Fohrer Georg 399 Fuller Michael E. 73, 76, 77 Fusco Vittorio 73, 401, 404405, 408, 412, 426-427, 429, 449 Ganser-Kerperin Heiner 126, 131-133, 136, 182-183, 196, 204, 219, 315 Gärtner Bertil 356, 368, Gaston Lloyd 26 Gaventa Beverly Roberts 219, 224, 228 Gempf Conrad H. 224 George Augustin 119, 276, 340-341, 470 George Martin 467 Gerber Daniel 408 Giesen Heinz 92-93, 102, 106107, 111 Gilbert Gary 98, 110, 453 Giles Kevin N. 151 Gill David W.J. 224 Given Mark 357, 360, 362 Gordon Robert P. 327 Goulder Michael D. 255 Gourgues Michel 355, 370, 376 Gowler David B. 27 Graham Alexander John 442 Grappe Christian 99, 132-133, 145-146

550

Index des auteurs modernes

Grässer Erich 8-9, 14, 49, 60, 70, 75, 449 Grassi Joseph A. 221 Griesbach Johann Jakob 61 Gross Heinrich 73 Gruenwald Ithamar 77 Grundmann Walter 432, 457 Güting Eberhard 109 Haacker Klaus 178, 341-342, 418-419 Haase Wolfgang 153, 247 Haenchen Ernst 12-14, 17, 2324, 26-27, 62, 70, 80, 100, 105, 111-113, 145146, 148, 174, 178, 232, 234, 237, 239, 241, 246, 251, 253, 263, 267, 279, 289, 295, 303-304, 306, 319, 329, 335, 338, 352353, 374, 415, 418, 421, 425, 435, 452 Häfner Gerd 50 Hagene Sylvia 77, 133, 137, 140 Hamm Dennis 131, 202, 207 Hansack Ernst 438 Hartenstein Judith 458 Haudebert Pierre 203, 207 Haulotte Edgar 117 Hauser Hermann J. 388-391, 403, 434-438 Hengel Martin 162 Hilary Mbachu 316, 339 Hjelm Ingrid 199-201 Holladay Carl R. 185

Holtzmann Heinrich-Julius 103, 112, 121, 376 Hommel Hildebrecht 355, 366-367 Hort Fenton John Anthony 64 Ilan Tal

71

Jeremias Jörg 324 Jervell Jacob 15-18, 20-22, 2526, 33-34, 38, 40-41, 43, 48, 51, 54, 76, 79-81, 9495, 100, 111, 113, 127, 136, 138, 141, 147-148, 183, 189, 202, 204, 209211, 216, 226, 237, 239, 241, 250, 253, 263, 267, 284-285, 291, 295, 297, 307, 315, 320-321, 329, 332, 335, 338, 350, 415418, 421, 425, 438, 450 Jeska Joachim 179, 248, 275, 279, 281-289 Johnson Luke T. 15, 50, 236, 338 Jürgens Burkhard 307, 316317, 333-334, 339-340 Kampling Rainer 43, 469, Karrer Martin 428-429 Käsemann Ernst 157 Keck Leander 24, 76, 400 Kee Howard Clark 28 Kellermann Ulrich 324 Kermode Frank 392 Kilgallen John J. 176, 183, 427 Kingsbury Jack Dean 28, 53

Index des auteurs modernes

Klauck Hans Josef 68, 104, 111, 152, 154, 209, 440442 Klein Günter 69 Klinghardt Matthias 27, 340341 Koch Dietrich-Alex 111, 113, 118, 281, 287-290 Kodell Jerome 49, 163, 171 Koet Bart J. 252, 292-293, 407 Kohler Kaufmann 171 Kränkel Emmeram 138 Kraus Wolfgang 242 Kremer Jacob 49, 93-94, 99100, 106-108, 113, 267 Kretschmar Georg 101, 104 Külling Heinz 368, 375 Kvalbein Hans 224 Labahn Michael 433 Lake Kirsopp 18, 63, 68, 93, 109, 174, 176, 239, 334, 336, 338, 362, 418 Lang Manfred 351 Le Déaut Roger 95 Légasse Simon 164, 171, 177, 187 Legrand Lucien 372 Lehnert Volker A. 426-427, 458 Lentz John Clayton 448 Levinskaya Irina 289 Lindemann Andreas 117, 207, 211, 219, 224-225, 254, 259, 368 Lindijer Coert H. 221 Lohfink Gerhard 18-20, 27, 30,

551

33, 43, 46, 51-52, 54, 80, 95-96, 111-113, 126-127, 138-139, 150, 197, 236, 314-316, 319-320 Lohse Eduard 90, 95, 97, 100, 105, 109, 117-118 Loisy Alfred 26 Löning Karl 30-33, 43, 46-47, 60, 153, 183, 247, 307308, 314, 340-341, 371372, 378, 432 Lüdemann Gerd 68, 104 Luz Ulrich 467 Macchi Jean-Daniel 199 Macholz Christian 468 Maddox Robert 51 Magness James Lee 393 Mainville Odette 404 Malkin Irad 444-446 Marguerat Daniel 28-29, 4749, 52-55, 57, 60, 61, 7475, 78, 80, 92, 110, 117119, 121, 125-126, 128, 131-132, 134-135, 147, 150-155, 159, 163-166, 169, 175-177, 179-180, 182-184, 186-188, 190193, 196, 209, 215, 217218, 222-224, 234, 236238, 248, 253, 258-260, 262, 269, 277, 279, 285287, 293, 305, 317, 335, 341, 357, 360-361, 372, 377-378, 382, 393-394, 397, 408, 417-419, 421, 426, 438-439, 446-449

552

Index des auteurs modernes

Marshall I. Howard 79, 112, 119-120, 188, 206, 403 Martyn J. Louis 24, 76, 400 Mathieu Yvan 135, 138, 141 Matson David Lertis 225, 264, 272, 398 Mayordomo-Marín Moisés 56 McCown Chester C. 201 McKnight Scot 308 Mealand David L. 433, 437 Menoud Philippe H. 62, 70, 78, 81, 379 Menzies Robert P. 102-103, 114 Merkel Helmut 342, 426 Miller Theresa 442, 444 Minear Paul S. 400, 403, 408 Mineshige Kiyoshi 152-154 Moessner David 400, 403, 405, 408, 427, 440 Moore Stephen 45 Mortimer Armine Kotin 392 Müller Klaus 331, 338 Munck Johannes 178, 418 Mussner Franz 20, 73, 105, 107, 121, 224, 226, 233234, 246, 268, 295, 314, 320, 331, 356, 368, 369, 386, 417-418, 427, 430 Nägele Sabine 325-327, 338 Nagy Agnes A. 362, 364 Nauck Wolfgang 356 Neirynck Frans 248, 253, 394 Neuberth Ralph 306 Neubrand Maria 43-44, 47, 53, 307-309, 314-317, 321-

322, 324-325, 329, 333338 Neudecker Reinhard 99-100 Neudorfer Heinz-Werner 180 Nicklas Tobias 61 Noordegraaf Albert 34 Norden Eduard 352, 356 Nowack Wilhelm 324 O’Toole Robert F. 28, 102 Oehler Markus 320 Oepke Albrecht 139-140 O'Neill John C. 15, 270 Overbeck Franz 10-11, 23 Pao David W. 37-38, 40, 46, 73, 76, 80, 97, 111-113, 116, 140, 216, 221, 321322, 333, 336, 339, 364, 418 Parsons Mikeal C. 131-132, 141, 394, 413 Paul Shalom M. 324 Paulo Pierre-Antoine 311, 322 Penner Todd 50, 163, 168, 177, 453 Perret Jacques 450 Perrot Charles 317 Pervo Richard I. 93, 227, 401 Pesch Rudolf 79-80, 94-95, 104, 110, 147, 151-152, 155, 174, 177, 182, 196, 209, 216, 218, 224, 232, 234, 239, 242, 252, 281, 290, 303, 306-307, 314, 320, 338, 418, 421, 425, 432

Index des auteurs modernes

Peterson David 79, 112, 119120, 188 Pichler Joseph 249-250, 253, 259, 282-283, 288, 297 Pines Shlomo 77 Plümacher Eckhard 14-15, 71, 151, 217, 219, 225, 239, 351-352, 362, 424, 429, 431, 459 Pohlenz Max 351, 355, 367 Pokorn Petr 78, 151, 375 Porter Stanley E. 61 Potin Jean 99-100 Powell Mark Allan 28 Praeder Susan Marie 450 Price Robert M. 168 Prieur Alexander 73-75, 394, 399-400, 403, 437 Prigent Pierre 166 Radl Walter 217, 246, 248, 259, 338, 386, 396, 399, 401 Räisänen Heikki 405, 409 Rapske Brian 437 Ravens David 8, 34-35, 202, 205, 209-210, 212, 400402 Read-Heimerdinger Jenny 61 Reasoner Mark 51 Reinach Théodore 209 Reinhardt Wolfgang 33-34, 40, 49, 80, 111-112, 117, 143-144, 147, 151, 170, 234, 236, 238, 242, 266, 294, 437, 439 Rengstorf Karl H. 69, 81, 166 Rese Martin 27

553

Resseguie James L. 55 Riaud Jean 203 Riesner Rainer 239 Rius-Camps Josep 61 Roloff Jürgen 43, 46, 54, 69, 74, 106, 113, 117, 119121, 136, 138, 145-146, 148, 151, 154, 161, 165, 167, 176, 178, 182-183, 215-216, 232, 239, 263, 281-282, 288, 290, 297, 303, 306, 311, 314, 320, 328, 332, 338, 351, 356, 364, 368, 375-376, 417, 421, 424, 425 Ropes James Hardy 64 Rosner Brian S. 72 Ruether Rosemary R. 457 Rüpke Jörg 308 Rusam Dietrich 314-315, 320, 329, 424 Rüsen-Weinhold Ulrich 458 Safrai Shmuel 220 Samain Etienne 91, 93-94, 97, 114, 122 Samkutty Vanmelitharayil J. 199-203, 205 Sánchez Héctor 303 Sanders Jack T. 26-27, 48, 51, 209, 291, 421, 467 Sandnes Karl Olav 362 Sass Gerhard 428 Schaller Berndt 440, 442 Schiffner Kerstin 176, 179,183 Schille Gottfried 133, 147, 162, 177, 224, 234, 237, 263,

554

Index des auteurs modernes

295, 303, 331, 333, 338, 350, 418 Schleiermacher Friedrich 201 Schlier Heinrich 434 Schlosser Jacques 135 Schmid P. Benno 443-445, 450-451 Schmidt Karl Ludwig 277 Schmidt Karl Matthias 189 Schmidt Martin Anton 277 Schmidt Werner H. 323 Schmithals Walter 436 Schnackenburg Rudolf 52 Schneider Gerhard 55, 57, 70, 73, 78, 102, 109, 113, 117, 119, 130, 148, 167, 178, 182, 190-191, 215, 217, 239, 290, 319, 333, 338-339, 350, 356, 365, 421, 425, 430, 468 Schreiber Stefan 99, 106 Schröter Jens 271, 298, 329, 426, 451, 459 Schulz Siegfried 69 Schwartz Daniel R. 113, 339 Schweizer Eduard 315, 366, 469 Scott James M. 94, 112-115, 224, 401 Seccombe David 35-36, 46, 48, 112, 188, 193, 220, 307 Sellner Hans Jörg 260, 320, 333 Shaked Shaul 77 Sieben Hermann Josef 306 Siegele-Wenschkewitz Leonore 457

Skinner Matthew L. 447 Snowden Frank M. 228-229 Söding Thomas 469 Spencer F. Scott 191, 193, 202203, 206, 215, 217-219, 222-223, 237 Spicq Ceslas 277, 340 Spiro Abram 178 Spitta Friedrich 104 Staehlin Gustav 76, 117, 119, 146-147, 239, 332, 335, 338, 351, 355, 364, 374, 420, 437-438, 448 Steck Odil Hannes 174 Stegemann Ekkehard W. 11, 468 Stegemann Wolfgang 48 Stemberger Günter 179 Stenschke Christophe W. 33 Sterling Gregory E. 49-50, 72, 180, 184-186, 440, 443, 459 Steyn Gert J. 292, 311, 418 Stowasser Martin 318, 326 Strange William A. 60 Strathmann Hermann 316 Strauss Mark L. 74, 102, 247248, 263, 281, 284, 290, 303, 318-319, 321, 402405, 410 Strecker Georg 440 Strelan Rick 147-148 Stroumsa Gedaliahu G. 77 Taeger Jens-Wilhelm 375 Tajra Harry W. 421, 433 Talbert Charles H. 91, 449-

Index des auteurs modernes

450 Tannehill Robert C. 24-25, 27, 36, 53-54, 112, 125, 127, 131, 160, 190-191, 203, 210, 215, 217, 220, 222, 225, 228, 238, 247, 261, 268, 271, 277, 295, 305, 316, 319, 322, 332, 338, 378, 386, 393-395, 398399, 402-403, 405-406, 410-411, 413, 416, 421, 422 Taylor Justin 240, 449 Temporini Hildegard 153, 247 Theissen Gerd 155, 468 Theobald Michael 424, 438 Thompson Richard P. 55-59, 308 Tiede David L. 73, 75, 400, 402, 405, 407-408, 412 Tilly Michael 61 Torgovnick Marianna 393394, 399 Trocmé Etienne 93, 162 Trotta Francesco 444-446 Tuckett Christopher M. 195, 410, 453 Turner Max 35, 46-47, 94, 96, 100, 102, 113-114, 139, 141, 320-321, 328 Tyson, Joseph B. 26, 258, 261, 272, 395, 400, 405, 415 Uehlinger Christoph 93 Untergassmair Franz Georg 342

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Vahrenhorst Martin 428 van Segbroeck Frans 73, 407, 449 Vander Stichele Caroline 453 Verheyden Joseph 60, 248, 254, 394, 399, 404, 410, 416 Vielhauer Philipp 12, 367, 375 Vollenweider Samuel 467 von Bendemann Reinhard 428 von Dobbeler Axel 162 von Harnack Adolf 352, 373 Wainwright Arthur W. 408, 411 Waitz Hans 331, 333 Wall Robert W. 79, 139 Walton Steve 56 Wasserberg Günter 36-37, 4849, 53, 126, 129, 140, 160, 162, 177, 182, 253, 256, 288-292, 311, 323, 333, 387, 393, 399, 409, 415, 418-419, 424, 430, 468-469 Wehnert Jürgen 331-332, 336 Weiser Alfons 338, 350-351, 356, 362, 364, 369, 373, 375, 377, 391, 395, 415, 430, 448, 454, 458 Wellhausen Julius 162, 323 Wendt Hans Hinrich 154, 176, 313, 338, 415, 420 Wengst Klaus 428 Werman Cana 185 Westcott Brooke Foss 63-64

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Index des auteurs modernes

Wikenhauser Alfred 146, 178, 237, 306, 333, 418 Wilckens Ulrich 48, 174 Wildberger Hans 325 Wills Lawrence M. 28, 46, 51, 260-262 Wilson Stephen G. 76, 110, 115, 303, 305, 315, 331, 335-336, 340-341, 356, 374, 377-378, 380 Wilson Walter T. 439 Winter Bruce W. 72, 362 Witherington Ben III 191, 268, 303, 320, 333, 350, 395, 398, 418, 439, 469 Witherup Ronald D. 305 Wolff Hans Walter 323-324 Wolfson Harry Austryn 440 Wolter Michael 74, 202, 208, 271, 400, 411-413, 426, 451, 470

Zahn Theodor 112-113, 154, 177, 336, 438 Zangenberg Jürgen 199, 201 Zeller Eduard 10 Zenger Erich 323 Zimmermann Johannes 326 Zingg Paul 34, 170, 236, 241, 291 Zmijewski Josef 121, 125, 132, 134, 145-146, 148, 151, 159, 167, 176, 178-179, 181, 142, 250, 252, 264, 266, 268, 281-282, 290, 294, 303, 306, 314, 320, 331, 350, 356, 370, 398, 424 Zumstein Jean 56, 157, 261, 434 Zwiep Arie W. 67-68, 71-72, 77, 81