L'Histoire psychoanalytique. Une Anthologie: Recueil de textes présentés et commentés [Reprint 2017 ed.] 9783110880281, 9789027973269

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L'Histoire psychoanalytique. Une Anthologie: Recueil de textes présentés et commentés [Reprint 2017 ed.]
 9783110880281, 9789027973269

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ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES VI" SECTION : SCIENCES ECONOMIQUES

Le savoir historiqua 7

MOUTON EDITEUR • PARIS • LA HAYE

SORBONNE EI SOCIALES

lntroduction

Il existe dejll une Iitterature assez abondante sur ce que devraient etre les rapports de l'histoire et de la psychanalyse. Mais vient un moment ou les faiseurs de programme s'entendent dire : Hic Rhodus, hic salta. Nous voulons bien croire que la psychanalyse ouvre de vastes perspectives, mais nous voudrions savoir ce qu'en cinquante ans, elle a ete capable de faire. A cette sommation, combien legitime, cette anthologie voudrait repondre avec modestie et sincerite. Il existe en Amerique et en Allemagne des anthologies de ce genre. Gelle-ci est la premiere qui paraisse en franfais. Peu de mots suffiront pour exposer les principes qui nous ont guide. 1. Distinguons d'abord histoire psychologique et histoire psychanalytique. L'histoire psychologique est aussi ancienne que l'histoire, puisque taut fait humain possede un aspect psychique. Il n'est aucun Iivre d'histoire, depuis Herodote et Thucydide qui ne puisse se lire dans cette dimension, meme s'il est centre sur l'histoire materielle ou sur l'histoire culturelle. On peut concevoir une histoire psychologique isolant le fait psychique, comme an a fait ces temps-ci une histoire biologique, une histoire climatique, etc. Approfondie, elle devra rencontrer cette pluralite de dimensions qui composent le fait humain. L'histoire psychanalytique se presente comme une sous-section de l'histoire psychologique. Elle se caracterise d'abord par sa methode. C'est autant que possible celle de la eure psychanalytique avec les Iranspositions rendues necessawes par la specificite des textes historiques, qui ne ressemblent pas a ceux produits par un patient dans ses associations libres, mais qui peuvent taut de meme leur etre compares parce que ceux qui les ecoutent, l'historien a sa table ou le psychanalyste dans son. fauteuil, peuvent prendre envers eux Ia meme position,

FRANK E. MANUEL

Du bon et du mauvais usage de Ia psychologie dans l'histoire * Il nous a paru adequat de donner la parole en premier a Frank Manuel, parce qu'il temoigne a Ia fois des justes exigences de l'historien de metier, de bonne volonte melee d'inquietude devant l'usage de Ia psychologie en histoire et de quelques prejuges envers la psyehanalyse - prejuges que je distingue soigneusement des judieieuses critiques qu'il formule tres bien. Voiei quelques objeetions qui me sont venues a l'esprit et que je Iivre pour mettre le leeteur dans l'esprit critique qui devra etre le sien taut au lang du present volume. 1. Deux details. Au sehema, par ailleurs diseutable, d'Erikson, Manuel objecte que, dans la Florenee du Moyen Age, les peres etaient vieux et mouraient de banne heure et que par consequent le schema d'Erik.ron ne pouvait s'appliquer. Dans la mesure ou ee sehema se refere ala formation et a la resolution du eomplexe d'(Edipe, l'age du pere, la presenee meme du pere aupres de l'enfant n'a pas une influence empiriquement constatable et ne determine pas une evolution type avec une regularite Observable. D'autre part je n'ai pas compris comme F. Manuel l' evolution de Luther teile que la decrit Erikson. Plut6t que de depasser le pere, Luther, selon Erikson, eherehe une resolution negative (soumission passive) du complexe d'(Edipe. 2. Frank Manuel (suivant en cela Lucien Febvre) semble croire a un changement fondamentat de la nature humaine au cours de l'Bvolution historique. La ps,,chanalyse me semble du c6te de eeux qui affirment que l'homme ne change pas. C'est pour elle Ia condition meme de son exerciee eomme methode historique. Si l'inconscient change, et, par Ia meme occasion, les mecanismes du refoulement, le contenu du refoule, finalement tout l'appareil psychique, le psychanalyste d'aujourd'hui n'a aucune chance de comprendre l'ineonscient dans un materiet d'une

* Version

fran~aise de l'article c The Use and Abuse of Psychology in History ~. Traduit et publie avec l'autorisation de Daedalus, Journal of the A!I).erican Academy of Arts and Sciences, Boston, Mass., Hiver 1971, Hislorical Studies Today. Une premiere version de cet essai fut presentee comme Rabbi Irving M. Levey Lecture a Princeton, le 29 avril 1970.

PHILIP RIEFF La signification de l'histoire et de Ia religion dans Ia pensee de Freud *

Philip Rieff est l'un de ceux qui ont avec le plus de fineue pris la mesure de Freud d'rm point de vue exterieur a la psychanalyse pour mieux Je situer a /'interieur de /'histoire cu/turelle de son siecle. C'est l'objet de son Iivre, Freud : The Mind of the Moralist, 1959. Je regrette que dans le present article il n'ait pas developpe Ia deuxieme partie de son programme, qui etait de retracer l'usage que Freud a fait de Ja notion d'analogie. L'analogie est en effet un point de contact entre la psychanalyse et les metaphysiques qui distinguent des ordres (au sens de Pascal ou de l'Aquinate) et etablissent entre eux des rapports de ressemblance et de correspondance. L'analyse que fait Rieff de l'idee implicite de Kairos chez Freud est d'une admirable justesse. On peut ajouter que cette notion du « moment opportun ~ domine Ia technique meme de la eure et le choix du moment de l'interpretation. Je ne suis pas sur que Freud soit monocausaliste, ou, s'il a donne l'impreuion de l'etre, la psychanalyse ne l'est ni en droit ni en fait. Une fois qu'on a decide, a propos d'un phenomene quelconque, d'utiliser la metbade psychanalytique, on est cantraint d' exclure taute autre metbade jusqu'a ce que celle-ci ait epuise ses effets. Pour creuser un tunnel, on peut choisir le pic ou l'explosif, mais on ne peut utiliser les deux ensemble. Freud etait coherent a rester psychanalyste jusqu'au baut. A proPos de la mwholoeie historique de Freud, peut-etre n'a-t-on pas assez remarque ceci : Freud a situe le conflit pere-fils dans Ia tragedie grecque et non pas dans Ia tradition qui etait familialement Ia sienne, la tradition biblique. Le pere exemplaire est ainsi Laios qui rejette et abandonne son enfant et non pas Abraham qui l'epargne et eprouve Ia bonte du Pere. Freud a deflecte son ambivalence redipienne contre ses peres selon la chair et selon la loi : Abraham, a qui il refuse la paternite du peuple juif, Moise qu'il traite en • Version fran~aise de l'article c The Meaning of History and Religion in Freud's Thought », Journal of Religion 31 (2), avr. 1951. Publie egalement par Bruce MAZLISH dans son recueil Psychoanalysis and History, Englewood Cliffs, N. ]., Prentice-Hall Inc., 1963, pp. 23-45, et reproduit ici avec i'aimable autorisation de l'auteur.

GEzA R6HEIM L'evolution de Ia culture * Geza Roheim appartient a la branche hongroise de la psychanalyse, pour ainsi dire a sa branche baroque. L'ecole hongroise est toujours inventive, intrepide dans ses explorations, entiere dans sa maniere d'exposer, ouverte sur d'autres disciplines, parfois aventureuse et aventuriere. Toutes ces qualites et ce dernier defaut se retrouvent dans ce texte de Geza R6heim, assez typique de la deuxieme generation des psychanalystes. Il etait l'eleve de Ferenczi, profand psychanalyste mais aussi auteur d'une petite cosmologie portative. R6heim etait un anthropolo gue de terrain, et dans ses interpretations des ?lUiteriaux australiens il ne delaye pas le vin pur de la psychanalyse. Il offre ainsi un rare exemple de double qualification. Dans sa richesse, ce texte porte la marque d'un rousseauisme, assez caracteristique de l'anthropologie d'avant-guerre. L'homme primitif est plus heureux, notamment en menage, son surmoi le laisse plus en paix. N ous 1Joulons bien le croire sur parate, mais cela ne prouve pas que « Ia chevalerie, les Minnesänger, taut cela paraitrait bien ridicule a la lumiere des feux de Pitchenara >. Pourquoi, civilises, ne ririonst1ous pas de la subincision australienne ? Quand R6heim depeint l'achevement de la maturation comme l'etat de celui qui a ete analyse, c'est a se demartder s'il mettait quelquefois les pieds aux reunions de sa societe de psychanalyse. R6heim considere l'homme primitif comme reellement primitif par rapport a un etat ulterieur de son developpement social. En cela il n'abandonne pas l'idee d'une nature humaine, puisque l'evolution s'analyse comme une modification du systeme defensif. Mais R6heim se separe de ceux qui admettent une equivalence des cultures dans une combinatoire synchronique des systemes culturels. R6heim, le premier, met en rapport le conflit psychique humain. avec une situation physiologique : la prematuration de l'etre humain dont il prit l'idee chez Bolk. L'hypothese est interessante et a ete



Version fran~aise de l'article c The Evolution of Culture ~. Th11 lntwnational Journal o/ Psycho-oAnalysis 15 (4), oct. 1934, pp. 387-418. Publie egalement par Bruce Mazlish dans son receuil Psychoanalysis and Hist01'y, Englewood Cliffs, N.]. Prentice-Hall Inc., 1963; pp. 69-84, sous une forme abregee, tel qu'il est reproduit ici avec !'aimahle autorisation du literary execul01' de G. R6heim.

NORMAN 0. BROWN Liberte ..

Dans le courant de ce qu'on appelle legirement la psycha114lyse gauchiste, Marcuse est celebre et Brown a peu pres inconnu. A certains egards, il vaudrait mieux que leurs reputations fussent interverties. Certes, Brown. est un esoteriste, quelque chose comme le Swede~ borg ou le Saint-Martin de la psycha114lyse. Il ne distingue pas les plans. Quan.d il ecrit que la femme est un penis, ou que Ia couronne royale est un vagin, il confond foyeusement le verbe etre et le verbe symboliser. Il inverse le rapport freudien entre le fa et le moi : au moi de ceder la place. Il est « pour ~ la perversite infantile, etc. Mais il le dit sur le seul ton oit tout cela soit supportable, celui de la poesie et de l'humour. Kant ecrivait que « Je mysticisme ne peut se produire, dans un siecle de lumieres, qu'en se dissimulant derriere une scolastique sous le couvert de laquelle il peut se risquer a delirer en quelque sorte avec raison » (Prolegomenes a toute metaphysique future). Cette scolastique mystico-scientiste, qui plonge un Marcuse, un Lacan dans le pedantisme le plus desolant, n'existe pas chez Brown. Son Iivre se presen.te en sourates, comme une suite de « dits » initiatiques, le plus ouvertement du mon.de. Mais Brown est tres cultive. Philologue forme a Oxford, il a accumute dans la solitude des universites americaines d'immenses et baroques lectures qu'il dispose en une mosaique toufours surprenante, evocative, ingenieuse. Je n'ai pas de raison de cacher que je l'ai lu non seulement avec amusement, mais profit. Dans la Iitterature assez etouffante de la discipline, c'est un Iivre ou l'on respire. Il degage l'euphorie des gnoses debutantes. En voici le premier chapitre.

Freud, avec son mythe de la revolte des fils contre le pere au sein de Ia horde primitive, prehistorique, ne nous offre pas une explication historique des origines, mais un archetype supra-historique; eternellement recurrent ; un mythe ; une vieille histoire. • Extrait du volume Le cOf'ps d'amour, Paris, DenoiH (Dossiers des Lettres Nouvelles), 1967, pp. 11-43. Traduction de Georges Dadoun. Reproduit avec l'aimable autorisation des editeurs. (Edition originale : New York, Random Hause, 1966.)

GEORGES DEVEREUX

La psychanalyse et l'histoire : une application a l'histoire de Sparte* L'ceuvre de Georges Devereux tant par le volume que par Ia qualite est sans conteste Ia plus importante qui soit dans le domaine de l'application de la psychanalyse aux autres sciences sociales. Elle possede toute l'inventivite de l'ecole hongroise, en outre les qualites de rigueur et de precision qtti lui font quelquefois defaut; enfin, une largeur de culture sans egale. Georges Devereux reunit, en effet, un nombre impressionnant de competences : psychanalyste, ethnographe, helleniste. De surcroit, il a refU une formation mathematique physique et logique poussee, et developpe une vocation d'epistemologue. Enfin, il est enorme et fecond travailleur. Dans son ceuvre considerable, nous choisissons un article specifiquement historique. Comme presque tous les travaux de Devereux, il est a Ia fois factuel et methodologique, car, si, comme le dit Poincare, Ia methode, c'est le choix des faits, l'auteur adore choisw un groupe de faits nouveaux qu'il aborde d'un ceil neuf pour le plaisir de mettre au point un nouveau chapitre de Ia methode. Le style de Devereux est sans appret, deliberement « scientifique », limpide. Il deteste les effets de clair-obscur, Ia resonance artiste, le 7argon de secte. Mais que l'article soit cL:Iir, ne signifie pas qu'il soit facile. Pour ma part, je l'ai relu bien des fois et il m'a toujours livre des richesses nouvelles. Le lecteur curieux ferait sagement de se reporter a l'Ethnopsyehanalyse eomplementariste * *, ou Georges Devereux a rassemble ses travaux theoriques et meme a From Anxiety to Method ***, contribution essentielle a l'epistemologie contemporaine.

La presente emde a deux buts : 1. Elle eherehe a definir et a clarifier les principes et les methodes de l'applieation des theories et de la teehnique de la psyehanalyse freudienne a l'etude des phenomenes historiques, non pas afin de • Article paru dans Annales ESC (20) 1965, pp. 18-44, et reproduit ici avec l'aimable autorisation des editeurs. •• Paris, 1972. ••• Paris- Lao Haye, 1967.

E.R. DODDS La crainte de Ia liberte * Il n'est pas necessaire de presenter aux historiens le grand helleniste anglais Dodds, ni son Iivre celebre Les Grecs et l'irrationnel dont nous donnons le dernier chapitre. Dodds, potw c#er Gibbon, dans Ia tradition de qui il se place, invile Ia nouvelle race de pelerins a « admirer les reliques non de Ia superstition mais de /'Empire :.. L'empire est celui de Ia raison, dans ses rapports a11ec l'ensemble des croyances traditionnelles qu'il subsume sous le nom de Conglomerat. Admise Ia these que le monde antique s'abtme dans une montee irresistible de l'i"ationnel (ce qui suppose que les Peres de l'Eglise et Plotin soient ranges avec les astrologues et les magiciens qu'ils combattaient) il faut expliquer cette montee. Dodds rejette les faciles explications par la decadence genetique ou economique. Il appuie son intuition stw l'experience de l'homme du xx· siecle, temoin d'une remontee de barbarie et d'une demission devant la grande tache que Kant assignait aux Lumieres: sapere aude. Pour « oser savoir :. il faut avoir surmonte des obstacles inconscients. Bien qu'il ne fasse pas usage de la terminologie psychanalytique, ce dont son bon gout d'helleniste anglais le preserve, le point de vue de Dodds est directement celui ou Ia psychanalyse place l'historien de Ia culture.

A man's W01'SI dif/iculties begin when hB is able to do a.r hfJ likfJs. T.H. Huxley

Il me faut commencer ce dernier chapitre par un aveu. En projetant les conferences qui servirent de base a cet ouvrage, je pensais illustrer ce que fut 1'attitude grecque a 1'egard de certains problemes durant toute une epoque de l'histoire, allant depuis Homere jusqu'aux derniers neo-platoniciens pai'ens, epoque presque aussi longue que celle qui va de l'Antiquite a nos jours. Mais le materiel s'accumulant cependant que je redigeais les conferences, il devenait bientot evident •

Extrait du volume Les Grecs et l'irrationnel, Paris, Aubier, 1955, pp. 226255. Traduction de Michael Gibson. Reproduit avec l'aimable autorisation des editeurs. ~ition originale : Berkeley, Ca!., University of California Press, 1959.)

RICHARD L. RUßENSTEIN

Scribes, pharisiens et hypocrites l'identification rabbinique avec Je pecheur * La psychanalyse ayant beaucoup a dire SIW l'interiezw de l'homme, devait manifestement toucher a Ce qui est plus interieur encore, Dieu. Pour cela il faut etre tres savant des choses de la reUgion, et hien plus savant que n'etait Freud dans celui de ses lwres qui est assurement l'un des plus faihles, L'avenir d'une illusion. Le rare merite du Iivre de Ruhenstein L' imagination religieuse est de soumettre a une investigation psychanalytique intelligente un materiet tres ample et professionnellement domine. Ruhenstein est rahhin, professeur de theologie juive a Harvard et directeur de /'Institut B'nai B'rith a New York. La source principale a laquelle il se refere est la partie legendaire, poetique, souvent populaire, de Ia tradition juive, l'Agadah. C'est Ia en effet que les fantasmes s'expriment avec le plus de liberte. Le rapprochement de textes qui n'avaient jamais ete rapproches de fafon qu'ils rendent ensemble un sens nouveau est une tache classique de l'historien. Que le principe de ce rapprochement puisse etre des configurations fantasmatiques reperees par psychanalyse suffit a faire de celle-ci une methode historique legitime. Je ne crois pas cependant que !es interpretations si ingenieuses et vraies de I'auteur soient, comme il l'ecrit, autant de clous enfonces szw le cercueil de l'Agadah. Il reconnait lui-meme que la veritable signification de la speculation freudienne est moins t:Uzns ce qu'elle revele sur les origines des religiom que t:Uzns ce qu'elle revele sur la « condition humaine ). La psychanalyse bien. temperee donne un insight precieux sur les mecanismes psychiques a l'ceuvre dans !es religions. Mais, comme les religions ne se reduisent pas a ces mecanismes, la psychanalyse ne peut se substituer a elles comme un procede plus parfait et plus conscient pour faire jouer ces mecanismes. Ou alors il arrive a la psychanalyse ce qu'il peut lui arriver de pire : devenir la religion de ces mecanismes. Nous donnons ici le chapitre IX et avant-dernier.

• Extrait du volume L'imagination religieuse, Paris, Gallimard, 1971, pp. 280310, et publie id avec l'aimable autorisation des editeurs. Traduction de Georges Magnane.

NORMAN COHN Les Saints contre les cohortes de I'Antechrist * Dans un Iivre qui a ete pionnier et e.rt 1Mintenant cla.r.rique, Norman Cohn a regroupe comme une entite de premißre importance le.r marges dispersees et delaissees de l'historiographie medievale et renaissante : Eudes de l'Etoile et le.r premier.r 1110U1lement.r me.rsianique.r, les croi.rade.r populaire.r, le.r Flagellant.r, les Freres du Libre E.rprit, le millenium egalitaire de Müntzer et ]ean de Leyde. Il fait apparaitre le monde des cathedrales, de.r universites et des cours comme un e.rquif fragile menace par le.r tem#te.r et environne de mon.rtres. La zone dangereu.re e.rt partiellement geographique (la region rhenane), partiellement .rociale (le.r foules urbaines, Ia demiintelligent.ria clericale) et toujours psychique : les pul.rions inconsciente.r. L'extrait que nous donnons presente un des schemas qui ont commande le point de vue de Cohn sur la mythologie medievale de l'Antechrist. On notera que ce .rchema est simple et applicable beaucoup de phenomene.r differents, notamment quelque.r-un.r de notre siecle. Ce n'est pas simplisme, mais simplicite de la partie mime de la p.ryche qui est ici interes.ree. Rien n'est plus pauvre et monotone que !es images et /es .rymptomes nevrotique.r.

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Les sauveurs des Demiers Jours Les documents concernant cette premiere periode, si rares soient-ils, suffisent a etablir que les mouvements decrits dans les chapitres precedents s'inspiraient des reves messianiques clont Ia forme etait determinee en grande partie par Ia tradition johannique er sibylline. 11 ne fair aucun doute, par exemple, qu'Eudes de l'Etoile assuma le role du Christ de Ia Parousie, puisqu'il se decerna lui-meme le titre de Celui qui doit venir juger /es vivants, les 1110rts et le monde. Et il est au moins raisonnahte de supposer que ses disciples, profondement convaincus de sa divinite, tantot pillant et massacrant, tantot vivant dans le plus grand luxe et dans un etat d'allegresse parfaite, • Extrait de : Les /t~natiques de l'Apocalypse, Paris, Librairie Julliard, 1962, pp. 61-80. Traduction de Sirnone Clemendot. Reproduit avec l'aimable autorisation des editeurs. (Edition originale : Londres Seeker & Warburg, 1957.)

MICHEL DE CERTEAU

Ce que Freud fait de l'histoire a propos de •• Une histoire demoniaque au XVII" siecle .. * Cette anthologie campte peu d'auteurs franfais. Nous avons voulu donner ici un echantillon de psychanalyse parisienne. Non que le present article soit un « article de Paris >, mais il porte la marque d'un etat d'esprit et d'un etat du style bien representatif de notre capitale pendant les annees 60. ll a d'autres titres a l'interet qu'y prendra l'historien. Michel de Certeau a publie d'importantes etudes sur Ia spiritualite du xvu· siecle et ses accidents. Il a certainement raison d'ecrire que la psychanalyse trouve son sens veritable « non pas dans les elucidations qu'elle substitue a des representations anterieures, mais dans l'acte meme, jamais fini, d'elucider >. Encore, a mon avis, qtlil soit difficile d'elucider sans de temps a autre formuler une elucidation. Il a bien raison de mettre en garde contre Ja « nouvelle rhetorique » et les « figures de style » qui degradent Ia psychanalyse. On lira donc ici comment « le travail de l'histoire (Geschichte) ne cesse de cacher ce qui etait lisible, et cela par le geste meme qui demultiplie le simple pour le devoiler ».

Ce que nous appelons d'abord l'histoire n'est qu'un recit. Tout commence avec Ia devanture d'une legende, qui dispose des objets « curieux » dans !'ordre ou il faut les Iire. Gest l'imaginaire dont nous avons besoin pour que l'aüleurs repete seulement l'ici. Un sens re~u est impose, dans une organisation tautologique qui ne dit rien d'autre que le present. Quand nous recevons le texte, une Operation a deja ete effectuee : eile a elimine l'alterite et son danger, pour ne garder du passe, integres dans les histoires qu'une societe se raconte a Ia veillee, que des fragments encastres dans le puzzle d'un present. Ces signes arranges en legende restent pourtant susceptibles d'une autre analyse. Alors commence une autre histoire. Elle tend a instaurer l'heteronomie ( « cela s' est passe ») dans l'homogeneite du lan-



Article paru dans Annales ESC (3), mai·Jum 1970, pp. 654-667. Reproduit avec l'autorisation des editeurs.

JOHN DEMOS Themes sous-jacents dans Ia sorcellerie en Nouvelle-Angleterre au XVII" siecle * Le travail de lohn Demos montre bien comment l'insight psychanalytique modife Ia sensibilite de l'historien, deplace ses centres d'interet et transforme son questionnaire. Elle lui permet Ia distinction des deux plans factuels et fantasmatiques, lesquels sont l'un et l'autre doues de realite. Le reel historique est donc double : l'imaginaire n'est pas l'ombre du factuel, mais, dans son ordre, aussi reel que lui. Cela dit, Demos ne s'enferme pas dans le cadre psychanalytique. Il essaie plut6t de l'elargir aux dimensions d'une psychologie sociale. Je regrette qu'il n'ait pas pousse jusqu'a l'histoire culturelle. Deux siecles apres les evenements qu'il relate, Hawthorne donnait dans The Scarlet Letter un tableau retrospectif de la Nouvelle-Angleterre : il y a vu par ses propres moyens la meme presence envahissante du Mal, la meme necessite de Ia parole confessante et guerissante. Je suis d'accord que le sorcier est autant l'agresse que l'agresseur. Mais je ne suis pas certain que le « troisieme sein ~ vu par un des accusateurs de proces soit a interpreter en termes uniquement oraux. ll faudrait peut-81-re mieux supposer qu'il y a la une denegation typiquement fetichiste de « manque > de penis chez la femme et que le troisieme sein est un phallus imaginaire devenu sein par regression. Je me mefie de l'explication d'une constellation fantasmatique par le training infantile. Il y a vingt-cinq ans, Gorer a voulu proceder ainsi pour le caractere national russe. Celui-ci etait bien correctement decrit, mais le training qui etait cense l'expliquer hait probablement une importation recente d'Occident. En fait, la psychanalyse donne de plus en plus d'autonomie a la psyche, dans sa capacite de prendre telle ou telle configuration, faute de pouvoir " Version frant;aise de l'article c Underlying Themes in the Wieeheraft of Seventeenth-Century New England 1>, paru dans American Historical Review 75 (5), juin 1970, pp. 1311-1326, et reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'auteur. Une premiere version de cet article fut presentee a une reunion de !'Organisation of American Historians en avril 1967. Pour leurs commentaires et leurs critiques, l'auteur tient a remercier : Robert Middlekauff, Mary Maples Dunn, Robert I. Rotberg, Raphael Demos, Dorothy Lee, Robert A. Le Vine, les membres du Group for Applied Psychoanalysis, et surrout David Hackette Fischer et Virginia Demos.

LOUIS BEIRNAERT L'experience fondamentale d'lgnace de Loyola et l'experience psychanalytique *

Pour justifier la presence de cet article dans cette anthologie historique il suffirait de rappeler que beaucoup de choses sont sorties de Ia conversion d'Ignace de Loyola. Mais telle n'est pas la vraie raison. Une meilleure, serait qu'il est convenable de donner un exemple d'un genre qui a longtemps paru epuiser l'application de la psychanalyse a l'histoire, la biographie. Or ce genre est dangereux, puisqu'il oblige Je psychanalyste a operer des reconstructions perilleuses faute de documents, ou pire, a plaquer sur une vie des schemas passe-partout qui n'ont que trop de chances de « coller :t. Apres quoi l'historien n'est pas plus avance. Or Louis Beirnaert ne fait pas une biographie, mais, sur la base de documents abondants, soigneusement critiques et portant sur un episode psychotique court et restreint, il donne une interpretation. Une autre raison est, qu'apres des articles cantonnes dans les bornes par eux-memes plantees, je voulais donner U1Z article, a divers titres, Iimite. Limite, parce qu'il est rare que l'auteur se trouve aussi parfaitement de plain-pied avec son sujet, hors de toute visee psychanalytique. Limite, parce qu'il s'agit d'une 1"egion ou la raison setele n'a plus cours, celle de la vie spirituelle, et ou pourtant la psychanalyse peut penetrer sans sortir de son ordre. Pour reprendre une expression qui avait sa place dans le vocabulaire de la spiritualite, nous sommes a Ia « fine pointe » de la psychanalyse. Limite, parce que ce travail se place dans une perspective lacanienne moderee, mais non pas moderement lacanienne. Le lecteur reconnalt au passage la commode distinction entre l'ordre de l'imaginaire ( celui de la relation duelle de l'enfant a la mere) et l'ordre du symbolique, triangute par Ia position paternelle. Limite enfin parce qu'il n'est pas sU-r que la Iimite soit respectee. Il se produit ou ne se produit pas un passage ontologique ou le leurre imaginaire refoit le nom du demon et la loi paternelle, le nom de Dieu. Nous sommes sur Ia corde raide. L'auteur, apres nous y avoir conduits, nous y laisse. Au moment ou nous donnons ce texte a l'imprimeur, l'auteur nous envoie un avertissement que le lecteur trouvera a la p. 288. " Extrait de La psychat1alyse, Paris, PUF, 1957, vol. Reproduit avec l'aimable autorisation des editeurs.

III,

pp. 111-138.

ERIK H. ERIKSON La legende de Ia jeunesse de Maxime Gorki * ]e tiens cette etude d'Erikson pour son chef-d'ceuvre. Apres la guerre, quand il etait important pour les Etats-Unis de comprendre la civilisation russe, des chercheurs de toutes disciplines furent reunis et sollicites de donner leur avis sur une grande variete de materiaux. Erikson n'avait rien d'un historien ni d'un slaviste, mais il etait ethnologue et psychanalyste. On lui projeta le vieux et beau film : « La jeunesse de Maxime ». La psychanalyse, comme toute pratique veritable, est une education du regard et de l'ouie et c'est etonnant tout ce qu'Erikson a reussi a tirer de ce film. Son commentaire est un modele d'explication de texte. Cet exercice, qui est a la base de notre metier d' historien, est celui qui a le plus a gagner a la « sensibilisation » psychanalytique. Ce commentaire « profane » a ete pour moi, historien de la Russie, une lefon. Il me semble vrai dans beaucoup de details et meme dans ses lignes gent3rales. Sur un point cependant, je crois qu'Erikson fait un contresens. Il fait du mouvement revolutionnaire l'equivalent de cette education au monde moderne par quoi est passe l'Occident et que Weber relie au protestantisme. Le film, qui est tres fidele a la lettre des Souvenirs de Gorki, peint en effet cette profonde Iransformation d'une societe traditionnelle, mais il peint la naissance d'une bourgeoisie russe. C'est le milieu auquel Gorki avait Ia vocation sociologique d'appartenir. Et c'est de ce milieu que le mouvement revolutionnaire, comme beaucoup de ses contemporains, l'a retire. Un dernier detail : l'abbe Chappe d'Auteroche dans son voyage en Russie au XVIIIe siecle avait ete frappe par le fait que les bebes russes • Texte publie dans En/ance et societe, Neuchitel, Delachaux & Niestle, 1959, chap. X, pp. 236-268, et reproduit ici avec l'aimable autorisation des editeurs. Ce chapitre est issu de ma participation comme conseiller occasionnel, a l'ensemble de rechetehe de l'Universite de Columbia sur les cultures contemporaines, finance par l'Office de Recherche Navale. Je dois remercier les membres du groupe russe pour les faits et les interpretations qu'ils m'ont foumis, particulierement Sula Benet, Nicolas Calas, Geoffrey Gorer, Nathan Leites, et Bertram Schaffner; et sureout l'animateur de leur seminaire, Margaret Mead, qui m'a fair connaitre le film discute ici. Selon un document de la cinematheque du Musee d' Art Moderne de New York, le film discute ici a ete presente pour la premiere fois a Moscou en 1938. Le metteur en scene ecait un ecrivain nomme Mark Donskoi, la compagnie Soyuztetfilm. Je vis Ie film a New York en mars 1948.

SAUL FRIEDLANDER

La solution finale •

Un reve est une realisation de desir, mais le reveur est prive de la motricite. Uneideologie est aussi une realisation de desir et se deroule a bien des egards comme un reve. Mais le reveur, dans le cas du nazisme, a mis a sa disposition le pouvoir de !'Etat, et l'a rendu totalitaire pour en faire l'instrument de son desir dans un monde helas eveille. L'etude de Saut Friedländer combine habilement, a propos du nazisme, les differentes et legitimes voies d'approche de l'historien : le facteur culturel, le facteur social et le facteur psychologique. Je me suis demande si je ne donnerais pas le premier chapitre de son Iivre, ou il accede par ces trois voies a l'antisemitisme moderne; ou le quatrieme ou il fait une histoire de cas : le cas d'Adolf Hitler. Si j'ai choisi le dernier, c'est parce qu'il rend compte irresistiblement de la solution finale comme d'un processus essentiellement psychique, et non comme accomplissement d'une finalite rationneUe et politique. Cette rupture avec le reel, qui signe le caractere pathologique du phenomene nazi, oblige a le considerer dans ses finalites inconscientes et non selon un fonctionalisme qui serait en l'occurrence inoperant, voire justificatoire. A mesure que l'aventure approche de son terme, les facteurs sociaux et culturels cessent d'agir et laissent le champ entier, qui couvre l'Europe, a l'envahissement du fantasme. La « psycho-histoire » devient alors le seul recours.

C'est dans le cadre de l'antisemitisme moderne en Occident et en Allemagne particulierement que sont nees les tendances qui, par suite d'une conjoncture specifique, ont mene a l'eclosion de l'antisemitisme obsessionnel d'une partie de la sociere allemande clont Adolf Hitler est devenu le porte-parole et le chef. Autour de Hitler un groupe s'est forme, entierement soumis a l'emprise du Führer et pret a executer la volonte de celui-ci jusqu'en son ultime consequence : la solution finale du problerne juif. Cependant, Adolf Hitler et son groupe n'agirent pas dans le vide. Leur action eßt ete considerablement genee sinon rendue impossible • Extrait du volume L'antiJemitisme nazi, Paris, Seuil, 1971, pp. 173-202 Reproduit avec l'autorisation des editeurs.

ANDRE STEPHANE L'univers contestationnaire * Voici un exemple « d'histoire immediate ~. Deux psychanalystes ont passe le mois de mai 1968 a ecouter ce que leur disaient leurs patients secoues par les « 6venements ~, le soir a se promener en ville, en pretatzt l'oreille aux rumeurs de Ia Sorbonne et de l'Odeon, a lire les journaux, enfin a ecrire leurs reflexions. Le tout a donne un Iivre explosif, l'un des plus injuries de Ia saison, et qui reste, avec le Iivre tout a fait different de Raymond Aron, le seul qui soit vraiment et fermement dans cette annee troublee, alle a contre-courant. Il allie a une vive sensibilite au texte significatif, et a l'incident type, une theorie tres articulee qui a permis aux auteurs de vivre pleinement ceJ jottrnees tout en gardant raison et en evitant l'effet de foule. Le don d'empathie et la facttlte de garder la distance sont deux qualites difficiles a posseder a la fois et necessaires toutes deux a l'exercice de la psychanalyse. Elles ont donne a ce Iivre son caractere scandaleux et intelligent. Durable. Nous en donnons deux chapitres, choisis parmi les plus techniques. Tant pis pour l'aridite du vocabulaire et l'usage de concepts, dont on voudra bien admettre, afin qu'ils ne choquent pas, qtlils sont d'origine experimentale et necessaires au raisonnement.

Le contestataire et Ie

cc

narcissisme cosmique

»

c: Je suis Fils de l'Homme et de la Femme, d'apres .~e qu'on m'a dit, cela m etonne... je croyais etre davantage. ~ Lautreamont

Cesvers du poete nous servent d'introduction a l'etude de notre sujet place dans la perspective du narcissisme, concept extremement polyvalent et qui presente, du point de vue scientifique, certaines obscurites. Il a cependant l'avantage de recouvrir en meme temps une • Extrait du volume L'univers contestationnaire, Paris, Petite Bibliotheque Payot, 1969. Nous reproduisons ici, avec l'aimable autorisation des editeurs, les chapitres 14, pp. 232-244 et 16, pp. 257-265.

Table des matieres

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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1. LA PSYCHANALYSE DANS SON ENSEMBLE

Frank E. MANDEL, Du bon et du mauvais usage de Ia psychologie dans l'histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Philip RIEFF, La signification de l'histoire et de Ia religion dans Ia pensee de Freud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Geza R6HEIM, L'evolution de Ia culture . . . . . . . . . . . . . . . . . . Norman 0. BROWN, Liberte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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2. ANTIQUITE

Georges DEVEREUX, La psychanalyse et l'histoire : une application a l'histoire de Sparte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . E. R. Donns, La crainte de Ia liberte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Richard L. RUBENSTEIN, Scribes, pharisiens et hypocrites : l'identification rabbinique avec le pecheur . . . . . . . . . . . . . .

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3. MOYEN AGE ET TEMPS MODERNES Norman CoHN, Les Saints contre les cohortes de l'Antechrist . . Michel DE CERTEAU, Ce que Freud fait de I'histoire : a propos de « Une histoire demoniaque au xvne siede :. . . . . . . . . • • John DEMOS, Themes sous-jacents dans la sorcellerie en Nouvelle-Angleterre au xvn• siecle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Louis BEIRNAERT, L'experience fondamemale d'Ignace de Loyola et l'experience psychanalytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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