L'histoire du catharisme en discussion: le "concile" de Saint-Félix (1167) 9782914561099

147 88 11MB

French Pages 338 [310] Year 2005

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

L'histoire du catharisme en discussion: le "concile" de Saint-Félix (1167)
 9782914561099

Citation preview

L'HISTOIRE DU CATHARISME EN DISCUSSION

Cette publication a bénéficié du concours de l'Université de Nice- Sophia Antipolis et du CNRS

Illustration de la couverture : Début de la « Charte de Niquinta, antipape des hérétiques albigeois », Guillaume Besse, Histoire des Ducs de Narbonne, Paris, 1660, p. 483.

Diffusion :Librairie Archéologique © Centre d'Études Médiévales UMR 6130 - CEP AM: Centre d'Études Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, Université de Nice-Sophia Antipolis Centre National de la Recherche Scientifique

ISBN 2-914561-09-01 ISSN 1281-6809

COLLECTION DU CENTRE D'ÉTUDES MÉDIÉVALES DE NICE

VOLUME 3

L'HISTOIRE DU CATHARISME EN DISCUSSION

LE« CONCILE» DE SAINT-FÉLIX (1167)

SOUS LA DIRECTION DE MONIQUE ZERNER

NICE 2001

AVANT-PROPOS

MONIQUE ZERNER

Un concile cathare se serait tenu à Saint-Félix de Caraman près de Toulouse en 1167, selon une charte rédigée par des hérétiques eux-mêmes, un exemple unique dans l'histoire de l'hérésie médiévale. Cet acte, la « charte de Niquinta antipape des hérétiques albigeois », est au fondement de la vision dominante actuelle de l'histoire du catharisme, dont le Midi est vu comme la terre d'élection. En effet, si l'on en croit la charte, à cette date, une sorte de contre-église dépendant d'un pape de nom grec et hiérarchiquement organisée s'étendrait du nord de la France aux Pyrénées et en Lombardie. Mais ce concile n'est connu que par un texte édité en 1660 au milieu des actes publiés à la fin d'une histoire des ducs de Narbonne de Guillaume Besse, un auteur originaire de Carcassonne à peu près inconnu. Longtemps suspecte, maintes fois discutée, la charte est généralement tenue pour authentique dans un contexte où le catharisme fait fortune. Dans la suite logique de nos travaux sur l'hérésie, nous avons voulu exposer les raisons qui nous amenaient à rejeter l'authenticité de ce texte et provoquer un débat le plus large possible. C'est ainsi qu'a été organisée à Nice en 1999 une rencontre intitulée Revisiter l'hérésie méridionale : le supposé concile cathare de Saint-Félix (1167). La première demi-journée était consacrée à trois interventions montrant pourquoi on se devait, à notre sens, de remettre en cause l'existence de ce concile, la deuxième à un débat. Entre les deux, une nuit pour porter conseil comme certains 1'ont dit. La rencontre était annoncée en ces termes:

8

L'HISTOIRE DU CATHARISME EN DISCUSSION

Vendredi 29 janvier, 13 h 30 - 118 h. Pourquoi faut-il encore remettre en doute la réunion de Saint-Félix de Caraman ? Monique Zemer: « Retour sur la charte de Niquinta dans le contexte de 1'érudition au milieu du XVIIe siècle». Jean-Louis Biget: «La possibilité d'un faux des années 1222-1223 ». Jacques Chiffoleau: «La hiérarchie cathare, une contre-église construite par l'historiographie récente: à propos d'Antoine Dondaine». Samedi 30 janvier, 9 h - 12h30. Le pour et le contre. Débat général sur les hypothèses présentées la veille.

Chacun avait en main une reproduction des pages de l'Histoire des Ducs de Narbonne où se trouve imprimée la charte de Niquinta, les références des principales rééditions et un résumé des principales positions prises sur le document depuis un peu plus de cinquante ans. Le débat a été enregistré avec l'approbation des participants en vue d'une publication qui se voulait rapide. Karin Cavazzocca-Mazzanti et Rodolphe Kauffmann, doctorants de Nice, 1' ont transcrit dans les mois qui ont suivi, les intervenants ont renvoyé leurs corrections aussitôt ; je les remercie tous ici. Mais le livre ne paraît que maintenant parce que le débat a stimulé des nouvelles recherches qu'il convenait de présenter en seconde partie. La première partie, Débat: 1999, forme les actes de la rencontre proprement dits. Après l'introduction générale, vient la liste des rééditions de la charte à laquelle j'ai ajouté quelques remarques sur la manière dont les éditeurs sont intervenus sur le texte de Guillaume Besse, qui ne manque pas d'intérêt pour une histoire de l'érudition, suivies d'une mise au point bibliographique. Nos trois communications successives, la mienne, celle de Jean-Louis Biget et celle de Jacques Chiffoleau, font l'objet d'un compte rendu à partir des cassettes d'enregistrement, de sorte que les tenants et aboutissants du débat soient clairs. La décision a donc été prise de publier en seconde partie les articles issus de la rencontre. Il n'était pas sorti du débat une conclusion ferme et univoque, et plusieurs participants avaient souhaité que des diplomatistes et des codicologues fassent en quelque sorte un diagnostic de la charte de Niquinta d'un point de vue formel. Jacques Dalarun a engagé sous sa direction une petite équipe de l'Institut de Recherche d'Histoire des textes dans cette perspective. J'ai continué mes recherches sur Guillaume Besse. L'exhaustivité de l'enquête sur les noms cités dans la charte, menée au sein de l'Institut d'histoire et de recherche des textes, a mis en

AVANT-PROPOS

9

évidence un argument dont personne n'avait encore eu l'idée. Mes recherches m'ont amenée à découvrir très récemment bien d'autres écrits de la main de Guillaume Besse que ceux repérés par Mahul dans la collection Baluze ; parmi lesquels deux copies de la charte de Niquinta qui ne sont pas identiques. Jacques Dalarun et son équipe croient pouvoir conclure en faveur de l'authenticité de la charte; la cohérence de la démarche de Besse, désormais plus claire, me semble parler en sens inverse. Quel que soit le point de vue, la question de l'authenticité de la charte de Niquinta est donc encore renouvelée, ces découvertes ne pourront pas être ignorées. Il fallait les offrir au public sans plus tarder, sans attendre une synthèse hypothétique. Ainsi a pris forme la seconde partie, Positions : 2000-2001. L'article de Jean-Louis Biget est le fidèle écho de son intervention orale et creuse l'hypothèse d'un faux du XIIIe siècle en fonction du contexte historique. L'article de Jacques Dalarun et Denis Muzerelle reprend la question d'un faux moderne ou médiéval du point de vue formel. Me contentant de résumer les données sur 1' œuvre de Guillaume Besse que j'avais pu apporter avant mes dernières découvertes dans la collection Baluze, données que Jacques Dalarun et son équipe ont développées excellemment de leur côté, j'étudie le rapport de Besse avec les milieux érudits des années 1650-1660 et la place de la charte de Niquinta. Il manque le texte écrit que Jacques Chiffoleau s'était promis de faire, dont il nous a donné la teneur dans son intervention orale, qu'il n'est pas en mesure de remettre maintenant, au demeurant un texte dont l'ampleur du point de vue devrait dépasser le cadre d'un livre consacré au "concile" de Saint-Félix. En hors-texte, figure la reproduction des clichés photographiques des trois versions que nous a laissées Besse de la charte de Niquinta, et je remercie ici les conservateurs de la Bibliothèque Nationale et de la Bibliothèque Mazarine pour leur collaboration. En annexe, sont reproduits les récits du meurtre du vicomte de Béziers-Carcassonne par Guillaume Besse et par les auteurs qui l'inspirent, passages discutés durant le débat et évoqués à longueur d'analyses parce que ce meurtre et le "concile" sont datés de la même année 1167, Besse établissant un lien de cause à effet entre les deux ; de même, la lettre de Conrad de Porto sur laquelle repose l'hypothèse exposée par Jean-Louis Biget; et sont présentés les

10

L'HISTOIRE DU CATHARISME EN DISCUSSION

papiers de Besse dans la collection Baluze. L'index des noms propres anciens et modernes et la bibliographie des ouvrages cités devraient faciliter au lecteur les allers-retours entre la première et la deuxième partie. Je remercie Uwe Brunn, doctorant de Nice, qui m'a aidée avec minutie à préparer l'édition et qui a dressé l'index. Le lecteur est donc invité à suivre les cheminements divers d'une enquête. Comme l'écrivait l'historien de Toulouse Philippe Wolff, faire « le point » sur cette discussion austère est « 1' occasion de pénétrer dans le laboratoire et d'observer sur le vif le travail de 1'historien ». C'était il y a plus de trente ans, et il s'agissait de consacrer quelques pages au "concile" de Saint-Félix dans un ouvrage destiné au grand public cultivé, dans la collection d'histoire régionale éditée chez Privat, paru peu après que le colloque de Fanjeaux consacré aux cathares du Languedoc a vu s'affronter ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre 1'authenticité de la charte. Nous lui consacrons un livre et, malgré l'aridité de nombreuses pages, nous comptons sur le double intérêt que représentent l'histoire de l'hérésie médiévale et le démontage du travail de l'historien pour toucher un public qui dépasse un étroit cercle universitaire. Nice, le 9 mai 2001

PREMIÈRE PARTIE

DÉBAT

1999

INTRODUCTION

MONIQUE ZERNER

La « charte de Niquinta, Antipape des Heretiques Albigeois, contenant les Ordinations des Euesques de sa secte, par luy faites en Languedoc, à moy communiquée par feu M. Caseneuue, Prebendier au Chapitre de l'Église de Sainct Estienne de Tolosc, en l'an 1652 » surgit pour la première fois au milieu des actes ajoutés à l'histoire des ducs de Narbonne que Guillaume Besse, de Carcassonne, fait imprimer à Paris en 1660, sous ce titre 1 • On peut la résumer ainsi : Au mois de mai 1167, Papa Niquinta vint au "castrum" de SaintFélix et donna le "consolament"2 à une grande foule d'hommes et de femmes de l'église de Toulouse. Vinrent l'évêque des Français avec son conseil, les évêques de Lombardie, d'Albi, de Carcassonne, et le conseil de l'église d'Aran. Les Toulousains procédèrent à l'élection d'un évêque, on procéda à la réélection des évêques d'Albi, Carcassonne et Aran. Tous reçurent alors le "consolament". Niquinta dit de faire comme les sept églises d'Asie qui se délimitèrent entre elles pacifiquement, et de même l'église de Romanie et celles de Drogométie, de Mélenguie, de Bulgarie et de Dalmatie. Des hommes furent élus pour délimiter l'évêché de Toulouse par rapport à celui de Carcassonne, des limites furent définies devant témoins et deux chartes furent faites pour ceux de Toulouse et ceux de Carcassonne. Cette 1 Histoire des ducs, marquis et comtes de Narbonne autrement appelez Princes des Goths, ducs de Septimanie et marquis de Gothie. Dédié à Monseigneur l' Archevesque Duc de Narbonne, par le Sieur BESSE, Paris, chez Antoine de Sommaville, au Palais, sur le second Perron montant à la sainte Chapelle, à I'Escu de France, 1660, p. 483-486. 2 "Consolament", nom de l'imposition des mains nommée ainsi quand elle est accomplie par les hérétiques à partir des Contra Hereticos au début du XIIIe siècle.

14

DÉBAT: 1999

charte est la copie ordonnée par Pierre Isam et transcrite par Pierre Pollan le lundi 14 août 1232. L'objet de l'acte est étroitement institutionnel. Les évêques, les hommes qui délimitèrent les évêchés (appelés diuisores) et les témoins reçoivent tous nom et prénom (parfois seulement l'initiale), dont certains figurent dans des sources connues, mais non pas tous. Les noms des églises orientales se retrouvent sous des formes plus ou moins proches dans les sources de provenance inquisitoriale à part celui de Melenguie. Les noms géographiques servant de repères pour la division des deux évêchés sont aisément reconnaissables sauf une exception 3 . Mais la charte est à première vue extravagante. Nul texte médiéval ne fait allusion à ce rassemblement et nulle autre charte de provenance hérétique n'a jamais été retrouvée ni même évoquée dans les sources latines. Par ailleurs, le lien logique entre le texte et le sujet du livre de Guillaume Besse, qui est de prouver que le titre de duc de Narbonne appartient de droit et entièrement aux archevêques, et ceci depuis la croisade albigeoise, n'est pas évident. Mais il est vrai que les hérétiques jouent un rôle très important dans cette affaire pour la fin de la démonstration de Besse, puisque, si les comtes de Toulouse perdent le titre de duc de Narbonne qu'ils portaient depuis les Carolingiens et si Arnaud Amaury devenu archevêque de Narbonne s'en empare, c'est à cause de l'hérésie albigeoise. Le premier à donner au texte une place dans l'histoire de l'hérésie est un adepte de la secte des sociniens, le polonais Christophe Sandius qui, quelque quinze ans après la publication de Besse, l'intègre à son histoire de l'hérésie arienne avec le statut d'actes de concile, non sans faire une réserve sur son authenticité 4 . Un peu plus tard, un dominicain de Toulouse, qui ne connaissait probablement pas 1'œuvre de Sandius, en donne une version abrégée et corrigée. Mais les auteurs de 1'Histoire générale de Languedoc ne 3

Seul fait problème Lérida, en qui J'on voit aujourd'hui la cité catalane, oubliant que les érudits du XVIII' savaient que « Lerida » est une forme du nom d'une rivière qui se jetait dans 1'Ariège un peu en amont du confluent avec la Garonne avant la désorganisation du réseau hydrographique par le creusement du canal du Midi (voir la note de BRIAL dans la réédition de la charte de Niquinta du Recueil des Historiens des Gaules et de la France, ci-dessous p. 25, et mes remarques en conclusion, p. 25 1). 4 Cf. ci-dessous les principales rééditions de la charte de Niquinta et les principales positions critiques.

INTRODUCTION

15

daignent pas le rééditer et font une note sur son caractère suspect. La diffusion dans le public érudit ne commence vraiment qu'avec la parution du tome XIV du Recueil des Historiens des Gaules et de la France, où le texte est réédité in extenso en tenant compte des corrections du dominicain. Le texte est assez peu exploité jusqu'à la seconde guerre mondiale et, dans les années 1930, le chanoine Louis de Lacger le dénonce vigoureusement comme faux dans un bref appendice à son gros article sur l'histoire de l'Albigeois pendant la crise de l'albigéisme. C'est le Père Dondaine qui, en 1946, en fait une pièce maîtresse de l'histoire de l'hérésie, réédite scrupuleusement la charte d'après l'Histoire des Ducs de Narbonne, balaie les arguments de L. de Lacger et érige Je conciliabule en authentique concile albigeois, interprété comme 1' acte de naissance du dualisme absolu en Occident. Il est suivi par les spécialistes de l'hérésie médiévale les plus connus, comme Raoul Manselli. Mais Yves Dossat réinstalle le doute au Congrès des Sociétés Savantes de 1955, et de nouveau au troisième colloque de Fanjeaux en 1967, en montrant des impossibilités aux-quelles A. Dondaine n'avait pas pensé, tout en affirmant que le rejet du texte de Besse ne change pas fondamentalement notre vision de l'hérésie. Dans les années qui suivent le colloque de Fanjeaux, plusieurs historiens se penchent à nouveau sur la charte, Jean Duvemoy, Élie Griffe et Franjo Sanjek répondent aux objections de Y. Dossat et défendent les positions du Père Dondaine, tandis que R. I. Moore montre la fragilité des hypothèses qu'il faut emboîter pour soutenir l'authenticité des actes. En 1979, Bernard Hamilton reprend la critique de tout le document et conclut au montage authentique de trois extraits également authentiques. Il semblait qu'il n'y avait plus grand-chose à ajouter 5 • Notons qu'en 1994 paraît un article de Pilar Jimenez sur le concile de Saint-Félix, qui ne met pas en cause l'authenticité du texte publié par Guillaume Besse mais conteste 1' interprétation du Père Dondaine, dans Heresis, la revue du Centre d'études cathares de Carcassonne fondée en 1980. Le texte représente un enjeu considérable pour 1'histoire de l'hérésie. En effet, si la réunion de Saint-Félix a bien eu lieu, si les hérétiques avaient un pape, s'ils étaient capables de délimiter des diocèses et d'en créer de nouveaux à une date aussi précoce, bref si 5

Cf A. V AUCHEZ, Histoire du Christianisme, t. 5, Paris 1993, p. 467.

16

DÉBAT: 1999

une alternative institutionnelle se mettait en place, l'action de 1'Église contre 1'hérésie répondait à une menace, une concurrence mortelle. Alors que, jusqu'au XII" siècle, 1'hérésie résulte du rejet par l'autorité ecclésiastique d'une doctrine ou d'un choix de vie qui s'opposerait à son renforcement, de sorte que l'institution ecclésiale s'est largement définie à travers l'accusation d'hérésie, permettant à ceux qui triomphaient de leurs adversaires de les éliminer en forçant les différences dans 1'ambivalence de toute histoire du pouvoir, ce qui est abondamment démontré pour le premier christianisme et tout aussi clair au long de la crise grégorienne6 , il faudrait croire que l'hérésie est désormais toute autre chose. Ainsi, ou bien la société occidentale a construit sa dimension persécutrice7 sur un artefact qui aboutit par le biais de 1' inquisition et de 1' aveu nécessaire à concevoir 1' absolutisme 8 , ou bien elle a dû faire face à une nouvelle religion 9 , qui l'a entraînée dans la dérive persécutrice, laquelle a bien servi les intérêts du pouvoir. C'est notre interrogation depuis longtemps. Si tous les mots du texte sont passés à plusieurs reprises par Je crible de la critique, l'analyse des possibilités qu'avait Guillaume Besse de fabriquer un faux et des raisons qui auraient pu l'y pousser n'a guère été approfondie depuis L. de Lacger; elle est pourtant incontournable et primordiale, même si 1'on peut regretter d'être entraîné ainsi loin de l'hérésie au XIIe siècle. C'est l'objet de la première communication du colloque. Une autre possibilité se doit d'être approfondie, celle que la charte ancienne n'ait jamais existé et que le chanoine Caseneuve ait montré à Guillaume Besse un document du XIIIe siècle qui était un faux destiné à légitimer une démarche neuve, que nous savons bien attestée d'ailleurs par des sources d'origine inquisitoriale. C'est l'objet de la deuxième communication. Les partisans de 1'authenticité du texte avancent 6

Voir pour l'Antiquité les contributions de J.-P. WEISS:« La méthode polémique d'Augustin dans le Contra Faustum », J.-D. DUBOIS: «Polémiques, pouvoirs et exégèse, l'exemple des gnostiques anciens dans le monde grec», dans Inventer 1'hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l'inquisition, sous la dir. de M. ZERNER, Nice, 1998, et pour le Moyen Âge, D. IOGNA PRAT, ibid, «L'argumentation défensive: de la polémique grégorienne au "Contra petrobrusiano>" de Pierre le Vénérable», et id., Ordonner et exclure, Paris, 1998. 7 J'emprunte 1'expression à R. I. MooRE, The formation of a persecuting society, Oxford, 1987, trad. fr., La persécution, sa formation en Europe (X'-Xllf siècle), Paris, 1991. 8 Cf. J. CHIFFOLEAU, «Dire l'indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum du XII' au XIV' siècle», dans A.E.S.C., 1990, p. 289-324. 9 C'est bien la thèse deR. MANSELLi dans L 'eresia del male, Napoli, 1963.

INTRODUCTION

17

que Guillaume Besse n'aurait jamais pu inventer un si beau document, convenant aussi bien à ce que l'on sait de l'hérésie dans les années 1160, en oubliant trop facilement que le tableau qu'on en fait s'appuie souvent sur ce même document. Nous avons voulu sortir de cette tautologie; c'est le propos qu'a poursuivi Jacques Chiffoleau. finalement, le contexte des années 1160 n'apparaîtra qu'en filigrane. Plusieurs travaux de jeunes chercheurs sur l'hérésie au xrr siècle sont en cours, le moment n'est pas encore venu de débattre de cette ample question. Le but des organisateurs du colloque est seulement de montrer que la charte de Niquinta est loin d'être au-dessus de tout soupçon, non seulement dans ses détails mais aussi dans sa logique d'ensemble, et que s'en servir pour fonder un raisonnement sur l'hérésie méridionale n'est pas acceptable. Ce faisant, nous œuvrons pour la nécessaire révision générale des sources de l'histoire de l'hérésie qui s'impose aujourd'hui.

TRADUCTION DE LA CHARTE DE NIQUINTA*

MONIQUE ZERNER

L'an 1167 de l'Incarnation du Seigneur, au mois de mai, en ces jours-là, l'église toulousaine conduisit Papa Niquinta au castrum de Saint-Félix, et une grande multitude d'hommes et de femmes de l'église toulousaine et les foules voisines d'autres églises s'y rassemblèrent pour recevoir le "consolament", que le seigneur Papa Niquinta commença à "consoler". Et ensuite Robert de Spernone, évêque de l'église des Francigènes, vint avec son conseil; semblablement Marchus de Lombardie vint avec son conseil, et Sicard Cellarerius, évêque de l'église d'Albi 1 vint avec son conseil, et B. Catalani vint avec le conseil de l'église de Carcassonne, et le conseil de l'église d'Aran y fut. Toute la foule innombrable ainsi rassemblée, les hommes de l'église toulousaine voulurent avoir un évêque et élurent Bernard Raimondum ; et semblablement Bernard Catalanus et le conseil de l'église de Carcassonne, à la demande et sur le mandat de l'église toulousaine, et selon le conseil, la volonté et la solution du seigneur S. Cellarerii, élurent Guiraud Mercerium ; et les hommes d'Aran élurent Raymond de Casalis. Ensuite, Robert d 'Espernone reçut le "consolament" et 1' ordre épiscopal du seigneur Papa Niquinta pour être évêque de l'église des Francigènes ; et semblablement S. Cellarerius reçut le "consolament" et l'ordre épiscopal pour être évêque de l'église d'Albi ; et semblablement Marc hus, le "consolament" et 1' ordre épiscopal pour être évêque de l'église de Lombardie; semblablement

* Au début de la rencontre

de Nice, Jean-Louis BIGET a lu la traduction proposée par Jean dans Le catharisme: l'histoire des cathares, Toulouse, 1979, p. 216-218. Celle-ci toutefois reflète 1'état des discussions à la date où il écrivait, notamment Aran devient Agen selon la proposition de Y. DossAT. Voir aussi la traduction et le commentaire de Ph. WoLFF et celle de Fr. SANJEK(cf ci-dessous« Historique des positions sur la charte de Niquinta »).Nous avons opté pour la traduction la plus proche possible du latin, sans franciser les noms propres, encore objets de discussion, que nous avons laissés en italiques. 1 Abbiens. dans l'édition de l'Histoire des Ducs de Narbonne, A/biens. et Albiensis dans les copies manuscrites. DuvERNOY

20

DÉBAT: 1999

Bernard Raimondus reçut le "consolament" et l'ordre épiscopal pour être évêque de l'église toulousaine; et semblablement Guiraud Mercerius reçut le "consolament" et l'ordre épiscopal pour être évêque de l'église de Carcassonne; et semblablement Raymond de Casalis reçut le "consolament" et 1' ordre épiscopal pour être évêque d'Aran. Après ceci, Papa Niquinta dit à l'église toulousaine : «vous m'avez dit que moi, je vous dise si les coutumes des églises primitives sont légères ou pesantes. Et moi, je vous dirai que les sept églises d'Asie furent divisées et délimitées entre elles, et qu'aucune d'elles ne faisait à une autre quelque chose qui lui fût contraire. Et les églises de Romanae, et de Drogometiae, et de Melenguiae, et de Bulgariae, et de Dalmatiae sont divisées et délimitées. Et aucune ne fait à une autre quelque chose qui lui soit contraire, et ainsi elles sont en paix entre elles. Et vous, faites semblablement ». Et l'église toulousaine élut Bernard Raimondum et Guillaume Garsias et Ermengaud de Forest et Raymond de Beruniaco et Guilabert de Bono Vilario, et Bernard Guillermum Cantor, et Bernard Guillermum Bane ville, et Bertrand de Auinone pour être les diviseurs. L'église de Carcassonne élut Guiraud Mercelium, et Bernard Catalanum, et Grégoire et Pierre Calidas manus, et Raymond Pontium, et Bertrand de Molina, et Martin de Ipsa sala, et Raymond Guibertum pour être les diviseurs des églises. Ceux-ci rassemblés, ayant bien délibéré, dirent que l'église toulousaine et l'église de Carcassonne fussent divisées selon les évêchés. Et ainsi, l'évêché de Toulouse est divisé d'avec l'archevêché de Narbonne en deux endroits, et d'avec l'évêché de Carcassonne depuis Saint-Pons en suivant la montagne entre le castrum de Cabaret et le castrum d'Hautpoul, jusqu'à la division du castrum de Saissac d'avec le castrum de Verdun et entre Montréal et Fanjeaux, en sorte que de même que les autres évêchés sont divisés depuis la sortie du Razès jusqu'à Lerida en direction de Toulouse, ainsi l'église toulousaine les a en son pouvoir et son "gouvernement" ; semblablement, l'église de Carcassonne est divisée et délimitée de sorte qu'elle ait en son pouvoir et son "gouvernement" tout l'évêché de Carcassonne et l'archevêché de Narbonne et le reste de la terre comme il a été divisé et dit, jusqu'à Lerida en direction de la mer. Ainsi les églises sont divisées comme il est dit, pour qu'elles soient mutuellement en paix et d'accord, et que l'une ne fasse rien de contraire à l'autre. Les témoins et garants

TRADUCTION DE LA CHARTE DE NIQUINTA

21

de cette cause sont Bernard Raimond et Guill. Garsias et Errnengaud de Forest et Raymond de Bauniaco et Guilabert de Bono Vilario, et B. Guillermi Cantor, et B. Guill. Bane Ville, et Bertrand de Auinone, et Guiraud Mercerii de l'église de Carcassonne, et B. Catalani, et Grégoire et Pierre Calidas manus, et Raim. Pontii, et Bertrand de Molina, et Martin de Ipsa sala, et Raymond Guiberti. Tous ceux-ci mandèrent et dirent à Ermengaud de Forest de faire dicter la charte de l'église toulousaine. Semblablement, ils mandèrent et dirent à Pierre Bernardo de faire dicter la charte de l'église de Carcassonne. Et ainsi fut fait et accompli. Cette transcription, le seigneur Pierre Isarn la fit transcrire à partir de la vieille charte qui avait été faite, sous le pouvoir des susdits, qui divisèrent les églises comme il est dit plus haut. Feria II au mois d'août, le 14e jour, au début du mois, l'an 1232 de 1'Incarnation du Seigneur. Pierre Pollanus transcrivit ceci, le tout sur demande et sur mandat.

PRINCIPALES RÉÉDITIONS DE LA CHARTE DE NIQUINTA *

MONIQUE ZERNER

CHRISTOPHORUS SANDIUS est le premier à rééditer la charte, dans Nucleus historiae ecclesiasticae exhibitus in historia arianorum, 2e éd., Cologne, 1676, p. 390-392, à l'année 1167: Edidit Niquinta Antipapa haereticorum Albigensium sequentem chartam, continentem ordinationes episcoporum suae sectae, a se Jactas in Occitania, congregato conciliabulo. Il 1'intitule Acta Co neilii Feliciensis, il ne copie ni le titre ni la présentation de G. Besse, mais reproduit scrupuleusement son texte et ajoute quinze notes. Il propose deux corrections - "Abbiens. "} lege ut infra "A/biens.""Jura''} procul dubio leg. "Una. "- et rapproche Niquinta de Papa Nicétas en citant «l'ancien auteur» d'après Nicolas Viguier. JEAN-JACQUES PERCIN est le second à rééditer la charte dans les Monumenta conventus Talasani O. FF. Praed., Toulouse, 1693, Notae ad Concilia, p. 1-2. Mais il ne reproduit pas le titre et la présentation de Besse, qu'il ne cite pas. Après avoir évoqué les conciles de Tours et Lombers, il présente ainsi la charte : Praedicta damnatione non obstante, crearunt haeretici papam nomine Niquintam seu Nicetam, qui anno 1167 Conciliabulum Peliciense [sic] in oppido S. Felicis de Carman quinque leucis Tolosa distantis coëgit: cujus acta refera verbo ad verbum. Il met le texte en meilleur latin et le rend plus compréhensible en corrigeant les fautes de déclinaison, en rectifiant la ponctuation ainsi que certains mots (aut, p. 484, devient an; iura, p. 485, devient una), en changeant parfois leur ordre, en supprimant des q. auxquels il substitue en général et, en créant cinq alinéas, en omettant de nombreux passages, en corrigeant des noms en fonction de ses propres connaissances - ainsi Robert de Spernone devient Robert de * Cf. la liste des rééditions de la chmie de Niquinta distribuée aux patiicipants du colloque, ici complétée et annotée.

24

DÉBAT: 1999

Sperone (cf. les spéronistes italiens). Comparons par exemple la première phrase de la charte chez Percin à celle de 1' édition de Besse, Anno MCLXVII Incarnatione Dominicae in mense madii adduxit Papa Niquinta magnam multitudinem hominum et mulierum Ecclesiae Tolosanae, aliarumque ecclesiarum vicinarum ut acciperent consolamentum : où Percin a omis in diebus illis ecclesia Tolosana et in Castro Sancti Felicii (parce qu'il a trouvé inutile de répéter une indication qui figurait dans sa présentation ?), mis multitudo à l'accusatif (faisant ainsi de Papa Niquinta celui qui conduit les Toulousains), accordé vicine à ecclesiarum, et a encore omis congregauerunt se ibi ainsi que quod Dominus Papa Niquinta cœpit consolare (sans doute parce que le quod introduit une incohérence syntaxique et que le tout fait redondance avec ce qui précède). Dans la formule finale, il supprime q. Eccl. sic. superius scriptum est diuiserunt, met la dernière virgule après omnia et non avant, et corrige malheureusement 1232 par 1222. Somme toute, Percin fait plutôt un abrégé qu'une réédition. Dans le cours du texte, entre parenthèses, il donne une explication au mot consolamentum, à Francigenarum, à Lombardie qu'il faut lire, écrit-il, Lombarii dans le pays d'Albi (raison pour laquelle, sans doute, il omet ensuite les passages concernant Marc de Lombardie), àAranensis, et enfin pour Diuisores. Son commentaire porte sur les trois principaux évêchés que constituèrent les hérétiques (Toulouse, Carcassonne et Aran), et opère deux rapprochements, avec Lombers (« Siccard » et Olivier qui se trouvaient à Lombers furent nécessairement présents à Saint-Félix, écrit-il), et avec la création de l'anti-pape rapportée par Matthieu Paris, ce qui l'a probablement poussé à dater la copie de la charte de 1222 au lieu de 1232, par souci de vraisemblance. M.-J.-J. BRIAL édite la charte sous le titre Noticia conciliabuli apud S. Felicem de Caraman sub Papa haereticorum Niquinta celebrati, dans le Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XIV, Paris, 1806, p. 448-450. En tête, figurent les références à Besse et Percin. Brial reprend presque toutes les corrections de Percin (dont celle sur la date), mais retourne au texte de Besse pour restituer les principaux passages omis (mais non pas tous), en particulier celui sur les églises d'Orient. Il fait ressortir le statut différent du dernier paragraphe en le mettant en italiques, ce que n'avait pas fait

PRINCIPALES RÉÉDITIONS DE LA CHARTE DE NIQUINTA

25

Percin, mais le suit sans rien changer, sinon qu'il écrit charta et non carta). Il fait seize notes, cite la lettre de Conrad de Porto, reprend et complète les notes mises entre parenthèses par Percin, et donne la traduction en français des noms géographiques avec leur localisation ~ il convient de faire crédit à sa note sur Lérida, « le grand Lers qui se jette dans 1'Ariège avant le confluent avec la Garonne», écrit-il (cf. ci-dessus la note 3 de l'introduction). Désormais, c'est à cette édition qui est d'un accès facile que l'on va se référer, jusqu'à A. Dondaine. CÉLESTIN DoUAIS donne une réédition de la charte en pièce justificative, p. XXIX-XXI, dans Les Albigeois, leurs origines, action de l'Église au XII" siècle, Paris, 1879. Il se réfère à la réédition de Brial, reprend son titre et certaines de ses notes (dont celle sur Lérida), mais il ne fait commencer la charte qu'à Ecclesia Tolosana adduxit Papam Niquinta (supprimant la date de 1167), il modifie légèrement les coupures de paragraphes, il condense la formule finale de la division, et enfin coupe la fin du texte, qu'il arrête à similiter et Petra Bernardo, ut faceret chartam ecclesiae Carcassensis. Le texte apparaît donc sans date. ANTOINE DONDAINE est le premier à rétablir dans son intégrité l'édition de Besse, dans «Les actes du concile albigeois de SaintFélix de Caraman, essai de critique d'authenticité d'un document médiéval», Studi e Testi 125, Miscellanea Giovanni Mercati, Città del Vaticano, 1946, vol. 5, p. 326-327. Il reproduit le titre, « CHARTE DE NIQVINTA, Antipape ... », la brève analyse en français qui suit le titre, les abréviations, et lui laisse « son style barbare et ses fautes grossières», «sans lui apporter d'autres modifications que celles imposées par nos caractères modernes d'imprimerie» (il met en toutes lettres la conjonction et). Je note qu'il supprime des majuscules et rétablit parfois la lettre v, par exemple dans diuisores. ÉLIE GRIFFE réédite la charte sous le titre «La Noticia sur le conciliabule cathare de Saint-Félix de Lauragais» dans Les débuts de l'aventure cathare en Languedoc (1140-1190), Paris, 1969, p. 81-83. L'édition d'A. Dondaine est exactement reproduite, « sauf une modification de la ponctuation du dernier paragraphe

26

DÉBAT: 1999

pour en faciliter la lecture ». Ce faisant, É. Griffe adopte l'interprétation d'A. Dondaine qui propose que le lundi 14 août se rapporte à la division des diocèses en 1167 : il met un point à la place d'une virgule après Jacta et après in introitu mensis, une virgule à la place du point après Domini, il ajoute une virgule après scriptum est, supprime le point après diviserunt et la virgule après translatavit haec, ce qui donne : Hoc translatum fecit translatare Dominus Petrus Isarn. de Antiqua Carta in potestate supra dictorum Jacta. q. Eccl., sic. superius scriptum est, diviserunt Feria II, in mense A ugusti, XIV die, in introitu mensis. Anno M. CC. XXXII ab incarnatione Domini, Petrus Pollanus translatavit haec omnia rogatus ac mandatus. FRANJO SANJEK reproduit 1' édition d'A. Dondaine, sous le même «CHARTE DE NIQUINTA, antipape ... » dans «Le titre rassemblement hérétique de Saint-Félix-de-Caraman (1167) et les églises cathares au XII" siècle», Revue d'Histoire Ecclésiastique, LXVII, 1972, p. 771-779. Mais les abréviations sont résolues, conformément aux propositions d'A. Dondaine dans son commentaire, avec explications en note et traduction en vis-à-vis'. BERNARD HAMILTON réédite le texte sous le titre: «The SaintFélix Document» dans «The Cathar Council of Saint-Félix reconsidered », Archivum fratrum praedicatorum, XL VIII, 1978, p. 51-53. L'édition d'A. Dondaine est exactement reproduite mais divisée en sections sous-titrées (Besse 's heading, The date, The account of the council, Nicetas 'Sermon, The settlement of diocesan boundaries, The transcription formula). PILAR JIMENEZ reproduit exactement l'édition d'A. Dondaine sous le titre « Charte de Niqvinta, Antipape ... » dans «Relire la charte de Niquinta, 2) Étude et portée de la charte», Heresis, 23, décembre 1994, p. 27-28.

1 G. G. Merlo a fait remarquer que Sanjek supprime le q. "dérangeant" devant Marc de Lombardie, cf. infra p. 71.

PRINCIPALES POSITIONS SUR LA CHARTE DE NIQUINTA*

MONIQUE ZERNER

Nous faisons commencer cette recension à la première cnt1que radicale de la charte qui conclut au faux, venue du chanoine Louis de Lacger, fort de son expérience des faux commis par des parlementaires érudits de Toulouse à la fin du xvre siècle. LOUIS de LACGER, «L'Albigeois pendant la crise de l'albigéisme », dans R.H.E., XXIX, 1933, p. 314-315: appendice intitulé «Le conciliabule cathare de Saint-Félix de Caraman en 1167 ». Le premier à mettre systématiquement en doute la charte, L. de Lacger développe brièvement six arguments : l.Le document n'est connu que par G. Besse. 2.Il est unique en son genre. 3.La date est erronée: le 14 août 1222 n'est pas un lundi mms un dimanche (il n'a donc pas consulté l'ouvrage de Besse). 4.Raynier Sacconi indique qu'il y avait trois évêques en Lombardie et non pas un seul comme l'implique la charte. 5.L'existence d'un évêque du Val d'Aran est invraisemblable. 6.Le faussaire n'a pas une notion exacte du Consolamentum qm ne pouvait pas être donné deux fois.

La charte lui paraît inspirée par l'assertion du cardinal-légat Conrad de Porto, en 1223, qui disait que le vicaire de 1'antipape cathare avait créé des évêques dans le comté de Toulouse, qu'il était venu ordonner (voir annexe 5). Le faussaire pouvait trouver les noms de Sicard Cellerier, Bernard Raymond et Raymond de Baimiac dans Guillaume de Puylaurens et Roger de Hoveden. L. de Lacger croit reconnaître la main des plaisants mystificateurs parlementaires des XVI" et XVII" siècles, du genre de ceux qu'il a déjà

* Cf. le résumé des positions distribué aux participants du colloque.

28

DÉBAT: 1999

démystifiés à propos de la collection du conseiller de Masnau où se trouvaient trois chroniques qui étaient des faux, et de leur auteur présumé, le président Sabbathier de la Bourgade. La noticia de ce prétendu concile lui paraît être un faux probablement du XVIe ou du XVII" siècle. ANTOINE DONDAINE, «Les actes du concile albigeois de Saint-Félix de Caraman, essai de critique d'authenticité d'un document médiéval >>, dans Miscellanea Giovanni Mercati (Studi e testi 125), Città del Vaticano, 1946, vol. 5, p. 324-355. A. Dondaine est le premier à revenir au texte de Besse, poussé par son travail sur le Livre des deux principes, dans la préface duquel il a donné une nouvelle édition de la Somme de Raynier Sacconi, parue juste avant la guerre. Il commence par rééditer le document en reproduisant l'édition de Besse le plus exactement possible (cf. supra), et rejette ainsi les objections de L. de Lacger : 1 et 2 : objections non recevables, vu les textes que lui-même découvre. 3 : l'objection tombe, Lacger a suivi l'édition du Recueil des historiens des Gaules et de la France, qui avait suivi Percin, lequel avait corrigé 1232 en 1222 après avoir supprimé les mots qui précèdent la date. Mais le 14 août 1232 tombe un samedi, ce qui ne va pas mieux. A. Dondaine propose donc de faire abstraction de la ponctuation (forcément restituée par Besse), de couper autrement le texte en rapportant la date du lundi 14 août à l'année du concile (le 14 août 1167 tombant un lundi), 1' espace de trois mois séparant cette date du mois de mai indiqué au début de la charte s'expliquant par le temps qu'il aurait fallu pour délimiter les diocèses. 4 : objection non recevable car avant la fin du XIIe siècle, 1'église hérétique lombarde n'est pas divisée. 5 : objection pas plus recevable : au concile cathare de Pieusse en 1225, on constitue bien le diocèse de Razès, et avant 1230 le diocèse d'Agen, pourquoi pas un diocèse du Val d'Aran? 6: l'objection tombe aussi, sachant que le consolamentum décrit correspond au deuxième type, c'est-à-dire non pas à la cérémonie d'initiation à l'église cathare, de grande gravité, mais au renouvellement du "consolament" qui se faisait sans cérémonie.

Le contexte est celui d'une très grande assemblée d'hérétiques près de Toulouse, vraisemblable vu ce que 1' on sait par ailleurs (le

PRINCIPALES POSITIONS SUR LA CHARTE DE NIQUINTA

29

concile de Tours, l'assemblée de Lombers, la lettre de Raymond V au chapitre de Cîteaux, le compte-rendu de la mission toulousaine en 1178). Le document est fiable. Besse donne 1' origine de sa source, Pierre de Caseneuve, qui a réellement existé (A. Dondaine a vérifié la date de sa mort au registre des décès : 3111 0/1652). Le contenu prouve des connaissances précises, le mauvais latin est un argument de plus car les hérétiques albigeois étaient illettrés, comme le prouve le témoignage du légat sur la mission à Toulouse en 1178. Il est peu vraisemblable qu'un faussaire ait pris les noms d'hérétiques chez Guillaume de Puylaurens et Roger de Hoveden sans retenir ceux de Guillaume Peyre de Brens, parent de 1' évêque d'Albi, Pierre Maurand, Olivier, qu'on trouve aussi chez ces auteurs. Enfin, un faussaire aurait pu trouver dans 1' œuvre de Nicolas Vignier les noms de Papa Nicétas et Marc de Lombardie, que celui-ci a trouvés chez un ancien auteur qu'il cite de bonne foi ; mais il lui aurait fallu beaucoup de sens historique car Nicolas Vignier place son histoire à 1'année 1023. En revanche, il lui aurait fallu beaucoup de maladresse pour inventer Robert d'Espernon à partir des spéronistes italiens pris dans Raynier Sacconi et alors que 1' église française de Vérone se rattachait au dualisme mitigé. Le faussaire pouvait trouver les informations sur les églises orientales chez Raynier Sacconi mais la forme qu'il emploie, Drogometia, semble meilleure que Drugunthia (Raynier Sacconi) et Druguria (Nicolas Vignier). Melenguiae que l'on ne trouve nulle part de façon satisfaisante est une preuve de plus de 1'originalité des informations de l'auteur des actes. L'antagonisme des églises orientales, les allées et venues Orient-Occident, l'incorporation des albigeois à l'ordre dragovitchien rattaché au dualisme absolu, 1' institution de diocèses hérétiques sont attestés par ailleurs. Quant à la transcription au XIIIe siècle, la finale du document, elle « amène en terrain solide » parce que les noms se trouvent dans les dépositions d'inquisition rassemblées par Doat. Prétendra-t-on, se demande A. Dondaine, qu'un faussaire du XVII" siècle aurait cherché ces noms dans des vieux documents encore inexplorés ? Pierre Isarn figure dans un interrogatoire de 1243 qui en fait état vingt ans plus tôt comme évêque de Carcassonne, il allait voir amputer son diocèse à l'assemblée conciliaire de Pieusse, il est brûlé en 1226. Pierre Pollan apparaît dans des dépositions pour des faits

30

DÉBAT: 1999

de 1230, 1231, 1236 et comme évêque vers 1240, ce dont A. Dondaine déduit qu'il était fils mineur de Pierre Isarn et qu'il aurait lui-même copié les actes, d'où la date erronée de 1232. Peu après la parution de l'article des Miscellanea, A. Dondaine découvre deux textes de provenance inquisitoriale sur les divisions hérétiques, le De heresi Catharorum in Lombardia qu'il date des années 1210 et le Tractatus de hereticis qu'il date des années 1260, où apparaît un dénommé Papa Nicétas, ce qui le renforce encore dans ses convictions sur l'authenticité de la charte de Niquinta, mais où le fait que Marc est dit avoir apporté l'hérésie en Lombardie vers 1174l'oblige à rajeunir de quelques années la réunion de SaintFélix. C'est pourquoi il propose de mettre le concile en 1172, où le 14 août tombe aussi un lundi- 1167 est donc une date fausse, son précédent raisonnement sur la date perd son sens, le texte publié par Besse résiste, mais A. Dondaine insiste sur la proximité des dates qui lui paraît remarquable, et se sert de la charte pour élargir ses conclusions sur l'introduction du dualisme en Occident (voir « La hiérarchie cathare en Italie, II : Le "Tractatus de hereticis" d'Anselme d'Alexandrie O.P. », A.F.P., 1950, p. 245 et p. 266270). YVES DOSSAT, «Remarques sur un prétendu évêque cathare du Val d'Aran en 1167 », dans B.P.H.C. T.H.S., 1955-56, p. 339-347; «A propos du concile cathare de Saint-Félix : les Milingues », dans Cathares en Languedoc, CF. 3, 1968, p. 201-214. Y. Dossat n'est pas convaincu par les arguments d'A. Dondaine et, dès 1955, il expose au congrès des sociétés savantes des objections qui n'avaient pas encore été faites à l'authenticité de la charte publiée par Besse : 1. Chaque évêque arrive à Saint-Félix cum consilio suo. Ceci est incompréhensible ou invraisemblable, on ne connaît pas de chapitre entourant un évêque cathare. 2. Pourquoi se donner tant de mal pour s'aligner sur les divisions ecclésiastiques catholiques et ceci après la réunion d'un concile à Pieusse pour créer un diocèse du Razès ? 3. Pour expliquer la présence de Pierre Isam brûlé en 1226, A. Dondaine en est réduit à invoquer une erreur de date. Pour expliquer celle de Pierre Pollan, il en fait un scribe alors que c'est à

PRINCIPALES POSITIONS SUR LA CHARTE DE NIQUINTA

31

un notaire qu'on aurait dû faire appel, ce qui était possible car il y avait des notaires chez les croyants des hérétiques. 4. Certains barbarismes ne peuvent être que modernes, par exemple translatavit au lieu de transtulit.

Y. Dossat revient sur l'œuvre de Besse, capable de forger le document car il avait une connaissance très précise de 1'hérésie, connaissait la lettre de Conrad, avait accès aux archives de 1'Inquisition, et avait utilisé au moins un autre faux dans l'Histoire des ducs de Narbonne, le faux diplôme du roi Pépin. Revenant sur l'impossibilité d'un évêque Aranensis, autrement dit du Val d'Aran, où l'on n'a jamais entendu parler d'hérétiques, il fait une proposition qui pourrait arranger les tenants de l'authenticité de la charte : Besse aurait pu avoir fait une mauvaise lecture, 1'original portait peut-être Agenensis, en revanche vraisemblable car une ecclesia Agenensis est signalée dans les sources au xnr siècle. Au troisième colloque de Fanjeaux en 1967, Y. Dossat ajoute des objections de nature géo-historique. Il fait remarquer qu'on doit se garder de concevoir les dénominations géographiques à l'instar de noms désignant des territoires, comme l'a déjà dit Dondaine d'ailleurs, or c'est l'impression que donne ce document. Il ajoute l'impossibilité d'une église de Melenguiae, qui renvoie aux Milingues, tribu slave isolée du Péloponnèse, tardivement christianisée au Xe siècle, qui conserva son autonomie, avec laquelle 1' empire latin eut maille à partir, ignorée après le XIIIe siècle, mais connue des érudits du XVIIe siècle parce qu'un humaniste a publié à Leyde en 1611 une traduction du De administrando imperia de Constantin Porphyrogenète où il en est beaucoup question, traduction rééditée en 1617. Il conclut qu'il vaut mieux renoncer à 1'authenticité des actes, mais que cela ne modifie pas sensiblement notre vision du catharisme. Cette deuxième prise de position spectaculaire, à un colloque auquel participaient le père Vicaire, le chanoine Delaruelle, Élie Griffe et Raoul Manselli, où étaient présents Jean Duvernoy, des universitaires de Toulouse et où Y. Dossat faisait plusieurs contributions importantes sur les cathares en Languedoc au XIIIe siècle, va susciter un certain nombre de prises de position, majoritairement favorables à l'authenticité de la charte.

32

DÉBAT: 1999

JEAN DUVERNOY, «L'exégèse cathare de Jean sur les «Actes de Saint-Félix»», dans Cahiers d'études cathares, XIX, hiver 19681969, II" série n°40, fin de l'article : «Les «Actes de Saint-Félix» sont-ils des faux?» (p. 16-20). J. Duvernoy répond à Y. Dossat en faisant remarquer que «si faux il y a, Besse a, dans certains cas, donné une orthographe plus exacte au mot qu'il avait sous les yeux (« Drogometiae ») et, dans les autres, grossièrement déformé ce qu'il lisait ( « Aranensis », « Beruniaco ») », «tantôt avec un bonheur stupéfiant», « tantôt d'une manière absurde », discute ses différentes objections et conclut que Melenguie et Ecclesia Aranensis sont «des preuves invincibles de la bonne foi de Besse ». PHILIPPE WOLFF, Documents de l'histoire du Languedoc, dir. Ph. WOLFF, Toulouse, 1969, p. 99-104. Ph. Wolff fait alertement «le point» sur une discussion austère, donne sa propre traduction, p. 100-101, et hasarde deux remarques, sur le paradoxe de cathares qui, d'une part, n'éprouvent aucune gêne à dater d'après 1'« Incarnation du Seigneur» et, d'autre part, se fondent sur les frontières des archidiocèses de l'Église romaine abhorrée pour délimiter leurs diocèses. Il conclut qu'il paraît impossible d'arriver à une certitude véritable. ÉLIE GRIFFE, Les débuts de l'aventure cathare en Languedoc (1140-1190), Paris, 1969, p. 67-76: «Le rassemblement hérétique de Saint-Félix». É. Griffe se rallie entièrement à la «réhabilitation» du texte par A. Dondaine, et à l'intérêt extraordinaire du rassemblement de Saint-Félix, qui « a permis un rapprochement plus étroit entre les diverses églises du Midi et les églises de France et de Lombardie >>, qui « a engagé le catharisme occidental dans une opposition doctrinale encore plus marquée au christianisme traditionnel ». Résumant A. Dondaine, il intègre la suggestion d'Y. Dossat sur Aranensis, qui serait une mauvaise lecture commise par Besse de Agenensis, et modifie la ponctuation du dernier paragraphe de la charte comme l'avait suggéré A. Dondaine en 1950, de façon à pouvoir rapporter la date du 14 août au rassemblement lui-même (cf. supra). Sur le personnage de Besse, il complète un peu A. Dondaine en examinant 1' ensemble de ses trois ouvrages, pour

PRINCIPALES POSITIONS SUR LA CHARTE DE NIQUJNTA

33

souligner sa probité intellectuelle, malgré le fait qu'il se soit permis d'accueillir des légendes, l'épitaphe de Simon de Montfort et qu'il ait manqué d'esprit critique en insérant un document manifestement faux comme le diplôme du roi d'Aquitaine Pépin 1er. FRANJO SANJEK, «Le rassemblement hérétique de Saint-Félix de Caraman (1167) et les églises cathares au XII" siècle» dans R.H.E., tome LXVII, 1972, p. 767-799. F. Sanjek se rallie aussi entièrement à la « réhabilitation» du texte par A. Dondaine, qu'il présente très commodément avec de nombreuses notes à sa réédition du texte latin et à sa traduction en vis-à-vis (cf. supra). Il reprend la suggestion de Y. Dossat à propos de l'église du Val d'Aran, en revanche, il lui oppose une autre hypothèse à propos de l'église de Melenguiae, qu'il identifie à Melnik ville bulgare dans les Monts du Rhodope, conformément à la tradition de 1'historiographie bulgare. R. 1. MOORE, « Nicétas, émissaire de Dragovitch, a-t-il traversé les Alpes?», dans Annales du Midi, tome LXXXV, 1973, p. 85-90. R. Moore pense, au contraire de Y. Dossat, que l'authenticité des actes est une question importante, qui a permis à A. Dondaine d'en faire un tournant de l'hérésie, la venue de Nicétas entraînant 1' adhésion au dualisme radical hiérarchiquement ordonné et unifié, qui aurait marqué la naissance de l'albigéisme. Si la découverte du De heresi et du Tractatus apporte la preuve irréfutable que ceci eut lieu en Lombardie, que Nicétas et Marc de Lombardie . sont des personnages historiques, elle soulève un obstacle de plus à la défense du document publié par Besse à cause de contradictions de date - le voyage de Nicétas étant postérieur à 1172 -, et des contradictions sur le fond, puisque dans le De heresi on apprend qu'un évêque d'Outre-Mont, qu'on devrait comprendre comme le Languedoc, a conseillé aux cathares de Lombardie de faire ordonner leur nouvel élu en Bulgarie (dont l'église adhérait au dualisme mitigé). Renoncer à trop d'ingéniosité, renoncer à l'authenticité du document et accepter que Nicétas n'ait pas traversé les Alpes, permet de mettre en évidence le tournant toulousain de 117 5-117 6, précisément quand apparaît le consulat dont Pierre Maurand fait partie (cf. les travaux de J. Mundy), et le progrès simultané du radicalisme religieux et politique.

34

DÉBAT: 1999

BERNARD HAMILTON, «The Cathar Council of Saint-Félix reconsidered » dans A.F.P., XLVIII, Rome, 1978, p. 23-53. B. Hamilton est d'accord avec le point de vue général d'A. Dondaine : même si, techniquement, Besse avait la possibilité de trouver les noms des dirigeants hérétiques du XII" siècle dans les chroniques, le nom de Papa Niquinta dans Vignier (mais pourquoi Niquinta plutôt que Nicétas ?) et les noms des évêques hérétiques dans les papiers de l'inquisition, il serait très invraisemblable, selon lui, que Besse l'ait fait. En effet, la manière dont il évoque l'hérésie dans l'Histoire des ducs de Narbonne montre qu'il n'avait pas la connaissance de 1' évolution du catharisme que nous sommes aujourd'hui capables d'avoir, et que sa vision de l'hérésie en Languedoc ne s'accorde pas avec le contenu de la charte, qu'il n'a pas interprété correctement, comme le confirme la façon dont il évoque sa « dissertation sur la différence de ces Hérétiques que je dédie à Monseigneur l'Illustrissime Archevêque de Toulouse». Mais les discussions ont obscurci le problème en faisant de la réunion un concile. B. Hamilton propose de résoudre les difficultés internes du texte en faisant de 1' acte unique copié par Besse le résultat d'un montage de trois extraits : 1. L'extrait d'une histoire des églises cathares du Languedoc d'où viendrait la relation du rassemblement hérétique, à une date erronée peut-être par suite d'erreurs de transcription, qui se situerait sans doute après 1174 (venue de Nicétas donnée par le Tractatus) et avant 1177 (date de la lettre de Raymond V au chapitre de Cîteaux), d'où B. Hamilton tire une sorte d'état du catharisme vers cette date. 2. L'extrait d'un sermon à l'église de Toulouse sur les coutumes de l'église primitive, fondé sur Apoc. 1, 4, qui commence à Post haec vero. B. Hamilton pense que Eccl. Romanae doit se lire Romana et renvoie à l'église de Constantinople dont Nicétas était l'évêque (et non à celle de Philadelphie), ce qui prouverait que la source est byzantine, d'où 1' évocation des églises dualistes des Balkans contemporaines - il rejoint Dossat pour faire de l 'Eccl. Melenguiae celle des Milingues du Péloponnèse, laquelle en revanche ne lui paraît pas impossible. 3. L'extrait d'un compte-rendu du bornage entre les diocèses de Toulouse et Carcassonne qui commence à Eccl. Tolosana vero

PRINCIPALES POSITIONS SUR LA CHARTE DE NIQUINTA

35

eligit : huit assesseurs représentant chacune des deux églises se mirent d'accord, en utilisant les limites des diocèses catholiques parce qu'elles étaient bien connues - il faut lire Tortosa à la place de Tolosa dans sicut pergit apud Tolosam, il faut maintenir la lecture « Aran». Le tout aurait été rassemblé par Pierre Isarn en 122 3 (B. Hamilton se rallie donc à la correction de 1232 en 1223) avec des documents demandés à l'église de Toulouse, composé et copié le lundi 14 août (contre Dondaine, il résout le problème en faisant de q., qui au lieu de que), avec le but de rétablir une vie diocésaine normale maintenant que les croisés français perdent rapidement du terrain. La copie doit faire autorité, et sur le plan dogmatique (ceci impliquant qu'il y a eu des conversions au dualisme modéré et une crise - cf. la lettre de Conrad de Porto), et sur le plan juridictionnel (cf. le concile de Pieusse en 1225). Conclusion : le premier et le second extrait ont sans doute été écrits d'après les souvenirs de témoins, le troisième est une copie d'acte, la formule finale prouve que Nicétas a fait œuvre particulièrement durable dans la France du Midi, fidèle à son enseignement jusqu'au milieu du XIIIe siècle. PILAR JIMENEZ, « Relire la charte de Niquinta » : « 1) Origine et problématique de la charte», Heresis, juin 1994, 22, p. 1-41 ; « 2) Étude et portée de la charte», décembre 1994, 23, p. 1-28. 1. P. Jimenez conclut à l'authenticité des actes. Comme B. Hamilton, elle croit Besse incapable de forger le document puisqu'il y voit l'élection d'un antipape, ce qui signifie qu'il ne l'a pas compris. Elle rétablit une église d'Aran en insistant sur le fait que dans le texte même de son Histoire des ducs de Narbonne Besse situait Aranensis dans le Comnlinges et croit que celle-ci est vraisemblable. Elle adopte eccl. romanae, enfin elle corrige 1232 en 1223, y rapporte le lundi 14 août, et dit que, vu la situation difficile, un nouveau concile a très bien pu se tenir quelques années plus tard à Pieusse et aboutir à la création du diocèse du Razès. À la différence de B. Hamilton, elle présente le texte comme un vidimus composé de deux documents relatant deux moments complémentaires et rapprochés, une assemblée de cathares puis le bornage de nouveaux diocèses, et rétablit la date de 1167, celle de

36

DÉBAT: 1999

1174 tirée du Tractatus pouvant tout aussi bien être mise en doute et, d'ailleurs, être rapportée au moment où le « Secret» aurait été introduit chez les cathares italiens. 2. Mais elle conteste que Saint-Félix corresponde à un changement doctrinal. Le « conseil » correspond à la "communauté individuelle", ou église locale, à la base de l'organisation de l'Église cathare, démocratique, qui élit l'évêque. L'église cathare d'Albi étant le seul diocèse cathare méridional constitué avec Sicard Cellérier, il s'agissait d'en constituer un deuxième pour une église hérétique en pleine croissance. Le consolamentum correspond exactement à ce que l'on sait, un baptême spirituel obligatoirement donné par l'évêque comme dans l'Église primitive. Les églises d'Asie de la citation de l'Apocalypse renvoient allégoriquement aux églises bogomiles existantes en 1167, dont il est nécessaire de définir le plus précisément possible les juridictions en tenant compte des structures politico-religieuses avant le grand démembrement de l'Empire byzantin consécutif à la quatrième croisade. «Papa» renvoie au grec «pope » et non au latin «pape ». Enfin, elle avance les premiers éléments d'une discussion de l'existence d'un dualisme radical dans l'ordre bogomile en mettant en garde contre une interprétation anachronique du De heresi et du Tractatus, l'un des points de sa thèse aujourd'hui soutenue (Université de Toulouse-Le Mirail, 24 février 2001). Elle conclut que la charte de Niquinta est un repère important du point de vue de l'ecclésiologie, qui montre un mouvement soucieux de se répandre dans un milieu qui lui était favorable, plutôt que du point de vue du dogme, ce qui explique le silence des sources italiennes sur les activités de Nicétas en France méridionale.

COMPTE RENDU DES INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET ET J. CHIFFOLEAU*

MONIQUE ZERNER

Monique Zerner M. Zerner commence par présenter le dossier de Saint-Félix de Caraman, composé des discussions érudites qui s'accompagnent pour bon nombre d'entre elles d'une réédition de la charte connue par la publication de Guillaume Besse et par celle-ci seulement, profondément altérée jusqu'à sa réédition scrupuleuse par Antoine Dondaine, et encore remaniée par la suite 1• Puis elle expose pour quelles raisons, elle-même, Jean-Louis Biget et Jacques Chiffoleau ont souhaité organiser une table ronde sur cette charte qui est depuis cinquante ans au cœur de 1'histoire du catharisme2 , avec le projet d'éditer les actes dans un volume qui ferait suite à Inventer l'hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l'inquisition. Pour sa part, elle entend montrer que la fabrication d'un faux par Guillaume Besse est vraisemblable pour des raisons auxquelles on n'avait pas encore pris garde. Besse est connu pour ses deux ouvrages, l'histoire des comtes de Carcassonne imprimée à Carcassonne en 1645, et l'histoire des ducs de Narbonne imprimée à Paris en 1660, au catalogue de la Bibliothèque Nationale. Tout ce que l'on sait de lui vient de ses œuvres 3 . Pour commencer, l'histoire de Carcassonne : la magnifique gravure en première page le présente comme citoyen de cette ville. Siège de la Cour des Aides depuis 1624, et des États en alternance avec Toulouse et Beaucaire à partir de 1644, Carcassonne n'était pas sans importance. La

* Le compte-rendu est fait à partir de l'enregistrement sur cassettes. Les références bibliographiques se trouvent aux articles rédigés par les auteurs. 1 Cf. ci-dessus les « Principales rééditions de la charte de Niquinta » et les «Principales positions sur la charte de Niquinta ». 2 Cf. ci-dessus l'« Introduction». 3 Noter que M. Zerner n'avait pas encore découvert le courrier de Besse à Baluze, et qu'elle n'évoque pas ici le Recueil de pièces pour servir à l'histoire de Charles VI.

38

DÉBAT: 1999

préface s'adresse aux Messires des trois États, l'avant-propos expose comment personne ne s'était encore intéressé à 1'histoire de la ville, sinon un chanoine qui avait commencé un travail sur l'histoire des évêques, que sa mort de la peste avait interrompu, travail dont lui-même s'était servi - de même, c'est un défunt chanoine qui lui communiqua la notice de Saint-Félix, dira-t-il plus tard. Son histoire de Carcassonne a 1' intérêt de le montrer à 1' œuvre : il a fait imprimer dans les marges, en italiques, ses références, qui montrent sa culture historique : en vrac, Strabon, Orose, Grégoire de Tours, l'histoire des Albigeois de Pierre des Vaux-de-Cernay, la chronique de Guillaume de Puylaurens, Matthieu Paris, Guillaume le Breton, mais aussi des auteurs récents (Catel, Zurita, Diago, César de Nostredame l'historien de la Provence ... ), enfin des actes tirés des archives de la cité et de Saint-Nazaire4 . Par ailleurs, Besse insère des documents traduits, par exemple le testament de Bernard Atton vicomte de Béziers «dont l'original se voit dans les archives du château de Carcassonne». Pour Trencavel, il se sert en gros de Catel. Il traite de l'hérésie en évoquant le concile de Lombers qu'il date de 1176 en suivant les historiens anglais. Sur l'Inquisition, dont il semble qu'il n'ait pas fréquenté alors les archives, il fait très court, dit-il, parce qu'il a été trop long sur les officiers dans le chapitre précédent. Pages 151-152, il publie une fausse épitaphe de Simon de Montfort, «qui mérite d'être vue », écrit-il. M. Zerner passe ensuite à l'histoire des ducs de Narbonne. La dédicace (que lit M. Zerner) et la préface, adressées à l'archevêque de Narbonne François Fouquet, sont explicites : la thèse de Besse, c'est que le titre de duc de Narbonne revient à l'archevêque (dernière phrase du livre) -noter le caractère présomptueux d'une telle revendication vis-à-vis du roi. On ne saurait mieux le dire que Vic et Vaissète dans le bref passage de l'histoire générale de Languedoc qu'ils consacrent à François Fouquet: «en lui offrant l'histoire des ducs de Narbonne, Besse venait de flatter les prétentions de François Fouquet caractéristiques de sa famille ». François est en effet le frère aîné du surintendant Nicolas Fouquet; en tant qu'archevêque de Narbonne, il est le président-né des États Cf. annexes 3 et 4 (extraits de l'Histoire des Comtes de Carcassonne et de l'Histoire des Ducs de Narbonne où les mentions marginales sont indiquées en note).

4

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J-L BIGET, J. CHIFFOLEAU

39

de Languedoc, et il a toute l'autorité que les préteurs, proconsuls et présidents de Narbonnaise avaient sous les Romains dans de telles assemblées, explique Besse dans sa préface. Ainsi, peut- on penser que le livre est une commande de François Fouquet. Il se présente assez différemment du précédent, avec moins de références en marge, sans document cité dans le cours du texte, mais plus de quatre-vingt pages d'actes renvoyés à la fin de l'ouvrage, dont l'erratum (p. 519), qui va seulement jusqu'à la page 417, dit qu'ils n'ont pas été relus : « Je laisse à part les fautes et supplie le lecteur judicieux et intelligent de les excuser et de les suppléer par sa bonté à celles qui ont été laissées aux actes latins qui sont depuis la page 435 ». Les actes forment une vingtaine de dossiers élégamment séparés par des frises. Il faut savoir que l'un des premiers est un diplôme de Pépin reconnu comme faux (ce qui ne veut pas dire pour autant que Besse 1' ait forgé, on sait que beaucoup de faux circulaient). M. Zerner note que certains actes ont été communiqués à Besse par M. de Vyon seigneur d'Hérouval, auditeur des comptes à Paris. Au milieu se trouve la charte de Niquinta, « à moi communiquée par feu M. de Caseneuve prébendier au chapitre de Saint-Étienne ». Première question: quel est l'intérêt pour Besse d'insérer dans ses preuves la charte de Niquinta, alors que le but de l'histoire est de montrer que l'archevêque doit avoir le titre de duc? En s'appuyant sur Guillaume de Newburgh, Besse sait que le vicomte avait été assassiné dans l'église de la Madeleine à Béziers à la suite d'une offense faite par un gentilhomme à un bourgeois, au retour du siège de Toulouse. Il date le meurtre de 116 7 grâce à Pierre des Vaux-deCernay, qui avait écrit à la suite du récit du massacre par les croisés des habitants de Béziers réfugiés dans 1' église de la Madeleine, en 1209, que cela s'était passé quarante-deux ans après l'assassinat du vicomte, de même que Vespasien avait rasé le Temple quarantedeux après la crucifixion (M. Zerner cite le texte de Pierre des Vaux-de-Cernay). Et il note qu'à la suite de cet assassinat, le fils et héritier Roger, lésé dans ses droits par le comte de Toulouse, reçoit alors du roi d'Aragon l'investiture du comté de Carcassonne et prend le titre de proconsul de Béziers, marque qu'il ne reconnaît plus le comte de Toulouse comme duc de Narbonne. Le tour est joué. L'épisode marque le début d'une histoire qui va faire perdre au comte de Toulouse son titre de duc; comme tel, c'est un précédent

40

DÉBAT: 1999

important pour la démonstration de Besse. C'est alors qu'intervient la charte de Niquinta, «j'essaye de montrer dans mon histoire des évêques de Carcassonne 5 que l'assassinat eut un plus grand motif», que le vicomte « ruina les nouveaux hérétiques » qui eurent l'impudence de se réunir en conciliabule, de créer un antipape lequel créa des évêques, que Besse cite (parmi eux celui d'Aran en territoire de Comminges), et Besse de renvoyer à 1' acte dont il emploie «un extrait» et qu'il doit « donner tout entier au fond de cette histoire» - il faut entendre l'histoire des ducs de Narbonne qu'il est en train d'écrire. Et, ajoute-t-il, ils furent imités par leurs descendants en 1223 qui créèrent de nouveau un pape, selon Matthieu Paris. «J'ose dire de là que ce vicomte est le premier martyr des hérétiques», écrit Besse : quelle meilleure manière de racheter la réputation de complicité d'hérésie faite aux vicomtes de Béziers-Carcassonne ! La démarche de Besse paraît assez claire. Il enchaîne en renvoyant à une sienne description des hérétiques, « en ma dissertation sur la différence de ces hérétiques, que je dédie à Monseigneur l'illustrissime archevêque de Toulouse», dont on ne sait pas si elle existe encore 6 . M. Zerner en vient ainsi au problème des commanditaires de Besse. François Fouquet, né en 1611, vient d'accéder au siège de Narbonne (17 mars 1659), où il était coadjuteur depuis 1656, après une belle carrière ; il va être emporté dans la disgrâce de son frère. Avec lui, Besse a failli réussir un très beau coup. Du point de vue du colloque, l'intéressant ici, c'est que Besse n'a pas dû commencer l'histoire des ducs de Narbonne avant l'arrivée de François Fouquet et l'a donc écrite vite. On s'étonne moins qu'il n'ait pas eu le temps de relire ses épreuves. S'il l'avait fait, il aurait corrigé la datation incohérente de 1232, lui qui avait donné dans son texte celle de 1223, une faute d'imprimerie sans aucun doute pour M. Zerner7 • L'archevêque de Toulouse, quant à lui, a été seulement pressenti par Besse, ce qui n'était pas innocent, mais n'a, apparemment, pas donné suite. Il s'agit certainement de Pierre de Marca, élu en 1652, qui devint archevêque de Paris en 1661 et s Cf. annexe 4, infra p. 263. M. Zemer a pu montrer ensuite qu'il ne faut pas confondre l'histoire des évêques de Carcassonne avec celle des comtes (cf. infra p. 230-231). 6 En fait la « dissertation » existe à 1' état manuscrit dans la collection Ba luze (cf. ci-dessous «Positions: 2000-2001 »et annexes 6 à 10). 7 La découverte des deux versions manuscrites, l'une où la date du vidimus est de 1223, l'autre de 1233, amène à reconsidérer la question (cf. infra p. 212).

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET, J. CHIFFOLEAU

41

mourut peu après. Avec lui, personnage très connu, savant hors pair, auteur d'une œuvre monumentale (Marca Hispanica) publiée bien après sa mort par Baluze, c'est le milieu érudit toulousain qui entre en scène. En fait partie M. de Caseneuve qui aurait communiqué la charte de Niquinta à Besse. Caseneuve, qui a réellement existé, écrivait Antoine Dondaine qui avait vérifié la date de sa mort au registre des décès (1652), est, en fait, bien loin d'être un inconnu. Il s'agit de Pierre de Caseneuve, qui figure au catalogue général de la Bibliothèque Nationale pour neuf ouvrages, en l'honneur de qui furent imprimés deux éloges en latin par son ami le magistrat Bernard Medon, qui fit le récit de sa vie et publia, à titre posthume, son œuvre sur les origines des jeux floraux de Toulouse. Bien plus, il avait laissé beaucoup de notes pour un dictionnaire étymologique de la langue française qui fut édité en 1694 avec celui de Ménage dont il était le rival et réédité en 1750 par Valhabert qui donnait à son tour un abrégé de sa vie, et disait Je mal qu'il avait eu à éditer une œuvre interrompue par une mort brutale (Caseneuve est mort de la peste) et laissée en désordre. Au XIXe siècle, on publie encore deux de ses lettres, dont 1'une à Bal uze. Rien ne permet de supposer un découvreur d'inédits, en revanche, c'est un homme de lettres, amateur de langue, grec, romain (sic), allemand, italien, espagnol, ancien provençal, qui avait étudié la théologie et le droit, se référait aux textes normatifs et aux œuvres littéraires. Il a laissé un excellent article sur le nom de «bougre» ; pas un mot n'indique un quelconque rapport avec le document publié par Besse. Ainsi, de la part de celui-ci, faire référence à Caseneuve, c'était s'abriter derrière un grand nom sans courir le risque d'une vérification, d'autant moins que les papiers du chanoine étaient entre les mains d'un héritier qui ne se hâtait pas de les publier. M. Zemer revient à l'intérêt pour l'hérésie dans le milieu toulousain à l'époque où écrivait Besse. Caseneuve était un protégé du prédécesseur de Pierre de Marca, autre grand personnage, Charles de Montchal, également savant, qui avait été chargé de faire une édition des Pères grecs, rapporte la précieuse notice de Moreri (dont le mérite est d'être chronologiquement assez proche), qui avait fait opérer en 164 7 la translation dans la cathédrale des reliques des inquisiteurs massacrés à A vignonet au XIIIe siècle (comme le rapporte la notice de la Gallia, également proche par la date). Toulouse était alors traversée par les passions religieuses. Ses

42

DÉBAT: 1999

évêques assumaient les plus hautes res-ponsabilités aux assemblées du clergé, mais la très catholique Toulouse était déchirée par la crise janséniste et les prédications jésuites atteignaient une rare violence. Aux tribunes du théâtre monté pour célébrer le mariage du roi avec l'infante d'Espagne (1660), on mit des figures; au milieu, celle de l'hérésie qui fut remplie de fusées et réduite en cendres. Pour conclure, il faut dire que Besse a travaillé sur commande et rapidement, qu'il ne manquait ni d'aplomb ni d'ambition et qu'avec l'histoire des ducs de Narbonne, il faisait un très beau coup qui aurait dû réussir, tandis qu'il en tentait un autre en s'adressant à l'archevêque de Toulouse. Sa culture était à la hauteur de ses ambitions ; c'était la même que celle de tout ce monde qui s'enivrait d'archives, qui lisait beaucoup, possédait un bagage historique, mythologique, géographique, savait utiliser les anciens comme les modernes, ce bagage qui commence à être mis en question par les philosophes vers 1650 - cf. la récente contribution d'Anthony Grafton à l'histoire de la lecture dirigée par Roger Chartier, très éclairante sur la lecture humaniste. Besse connaissait tous les auteurs qu'il fallait, il fréquentait archives et bibliothèques, il pouvait se croire capable de fabriquer une charte, tout comme ce conseiller au Parlement de Toulouse qui, à la fin du XVI" siècle, avait fabriqué trois chroniques qu'il avait jointes à sa collection, a démontré Louis de Lacger. Si Besse a fabriqué la charte de Niquinta, il ne faut pas négliger le côté ludique de la chose. Besse n'a vait pas besoin qu'elle soit parfaite. Par exemple, on peut facilement imaginer qu'il se soit amusé lui-même à latiniser le nom de Nicetas qu'il avait trouvé chez Nicolas Vignier, oublié à la fin du XVIW siècle mais que tout le monde connaissait jusqu'à Bossuet8 . M. Zerner risque enfin une dernière remarque, tirée de la mention d'un évêque d'Aran, qui a été discutée par beaucoup d'auteurs, et jugée invraisemblable par plusieurs. Il était facile d'ajouter la terminaison en ensis à Aran, et chacun ici n'aurait pas fait autrement pour fabriquer un nom d'évêque. En outre, on peut se demander si l'intérêt de Besse pour le Val d'Aran n'est pas lié à celui tout nouveau pour la frontière pyrénéenne, dans le contexte de la paix des Pyrénées qui a motivé la venue de la Cour à Toulouse La découverte de ses papiers dans la collection Baluze montre que Besse ne connaissait pas l'ouvrage deN. Vignier.

8

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET, J. CHIFFOLEAU

43

et que Mazarin signe en novembre 1659. Le traité devait être smv1 d'enquêtes pour mieux définir les clauses territoriales, qui furent confiées à une commission où Pierre de Marca représentait la France - passage à une notion de la frontière vue comme limite linéaire bien tracée, que vient lumineusement de mettre en évidence D. Nordmann dans son livre sur les frontières de la France, où il consacre un chapitre à la paix des Pyrénées. Il est vrai qu'on posa seulement quelques années plus tard la question du val d'Aran (partie supérieure du cours de la Garonne, en Comminges jusqu'au XIVe siècle, passée ensuite sous la couronne d'Aragon, quoique ses communications vers 1'Espagne soient bloquées par la neige pendant six mois de l'année). Le milieu des commanditaires de Besse est à la fois aux rênes du pouvoir et extrêmement savant, avant toutefois que soient établies les règles de la diplomatique. L'esprit du long paragraphe de la charte consacré à la délimitation des diocèses hérétiques ne serait-il pas caractéristique des années 1650-1660?

Jean-Louis Biget J.-L. Biget commence par dire que l'idée d'un faux du XIIIe siècle est née dans un séminaire tenu avec P. Bouc heron sur les origines, les modalités et les images de la dissidence dans la France du XIIIe siècle. Le concile de Saint-Félix pourrait être l'un des éléments mis en œuvre par l'Église dans la construction de l'hérésie au cours des années 1220-1230. Il fallait examiner cette hypothèse, qui permet de poser des problèmes de méthode essentiels. D'abord, parler des enjeux: la notice a pris une importance considérable dans l'historiographie du catharisme parce qu'elle touche à la conception des origines de la dissidence religieuse en Europe occidentale - exogène ou endogène, étrangère ou autochtone ? Et à ses structures institutionnelles - unifiée ou non des Balkans au Toulousain, organisée ou non en contre-église? Doit-on continuer à l'étudier comme aux xue et XIIIe siècles, comme les inquisiteurs ? Comme le fit, par exemple, Célestin Douais dans sa thèse sur les Albigeois parue en 1879 - et J.-L. Biget cite un extrait de l'avant-propos : «Le lecteur se convaincra que

44

DÉBAT: 1999

les Albigeois parvinrent à former une vaste conspi-ration, une société aux agissements secrets, une seconde cité tramant des complots dans la cité de Dieu » 9 . Il pourrait citer aussi Ch. Thouzellier, H. Maisonneuve. Il convient de faire progresser une historiographie depuis trop longtemps figée et répétitive. Le discours de l'Église sur l'hérésie n'est pas à inverser, mais à déconstruire, il produit de l'unité là où il n'en existe pas, entre les lieux, entre les sources. La pratique médiévale a instauré la règle de 1' intertextualité en scrutant les auctoritates pour définir la nouveauté ; il faut y penser quand on opère la mise en séquence de sources, qui n'est positive que si elles sont rigoureusement indépendantes les unes des autres. J.-L. Biget estime que si elles se répètent, elles ne se confirment pas, et même s'infirment parce que la trop grande unité apparaît en l'occurrence comme une forgerie. Pour définir l'hérésie, il faut scruter son cadre culturel (préscolastique), sociologique (le problème religieux du laïcat), institutionnel (la centralisation romaine), politique (1 'imputation d'hérésie aux Grecs et aux peuples des Balkans suit quasiment terme à terme l'évolution des rapports entre Barberousse et Manuel Comnène). La notice a pu s'inscrire dans le contexte pour le moins délicat des années 1220 en Languedoc et dans cette perspective, ce serait un faux destiné à servir d' excitatorium, comme la célèbre lettre qui a circulé avant la première croisade. En effet, premier constat, le concile de Saint-Félix ne fait l'objet d'aucune mention dans la documentation de la fin du XIr siècle pourtant prolixe sur la dissidence, rien chez Geoffroy d'Auxerre, rien dans les lettres rapportant la mission pontificale à Toulouse en 1178 (Pierre de Saint-Chrysogone et Henri de Marcy), rien dans Roger de Hoveden, rien dans Benoît de Peterborough qui rapporte longuement l'assemblée de Lombers. Or, selon la notice, l'assemblée de SaintFélix n'était pas clandestine; réunissant des centaines d'assistants, elle n'aurait pas dû échapper à la vigilance des tenants de 1' orthodoxie. Rien non plus chez Geoffroy de Vigeois pourtant averti des problèmes politiques de la région toulousaine. Ce silence fait problème. Sur C. Douais, voir supra, p. 25. En faisant ce compte-rendu, M. Zemer se permet de souligner que Douais a pris soin de donner à la notice de Niquinta 1'apparence la plus homogène possible en omettant la formule finale qui la présente comme une copie du XIII' siècle, sans le signaler bien sûr !

9

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET, J. CHIFFOLEAU

45

Le texte présenté par Besse donne des arguments en faveur de la copie tardive d'un document antérieur- si toutefois il ne s'agit pas d'un document entièrement réalisé au XVII" siècle. Des éléments plaident en faveur de son ancienneté. Un certain nombre de cacographies indicatrices d'une mauvaise lecture, donc de copies successives d'un document médiéval difficile à déchiffrer (ainsi, Raymond de Baimiac, l'un des hérétiques toulousains condamnés en 1178 puis en 1181 avant de rentrer dans le sein de 1'Église connaîtil trois appellations) 1• Les incohérences de la datation, comme 1' ont montré bien d' autres 2 . J.-L. Biget s'intéresse alors aux personnages cités. Bernard Raymond et Raymond de Baimiac sont bien connus par les deux lettres rapportant la mission de 11 78 largement diffusées dans 1' ordre cistercien, et par Guillaume de Puylaurens, de même Sicard Cellerier. A contrario, des vedettes de la polémique anti-hérétique autour de 1220 ne se trouvent pas dans la notice de Saint-Félix: Gaucelm et Vigouroux de la Bacone qualifiés d'évêques des hérétiques dans le Contra Manicheos attribué à Durand de Osca et publié par Ch. Thouzellier qui le date environ des années 12221223, Bernard de Simorre associé à Sicard le Cellerier par Pierre des Vaux-de-Cernay rapportant l'affrontement avec son oncle Guy des Vaux-de-Cernay en 1208, cité dans le même Contra Manicheos. J.L. Biget en profite pour faire remarquer que la juxtaposition des générations dans le Contra Manicheos, des anciens et nouveaux hérésiarques venus « enrichir le souffle de Léviathan » lui pose un problème de longévité : quand on sait par la documentation inquisitoriale qu'il faut avoir été ordonné depuis un certain temps avant de devenir évêque, même en supposant qu'en 1167 le clergé cathare ait été moins hiérarchisé, il faudrait admettre que Sicard le Cellerier soit devenu un très vénérable vieillard. Pierre lsarn et Pierre Pollan sont des personnages bien connus vers 1223 ; Pierre Isarn est attesté au début des années 1220, mort sur le bûcher en 1226 sur l'ordre de Louis VIII; Pierre Pollan est connu dès 1220, et il est souvent cité dans les témoignages devant l'Inquisition 1 J. Dalarun et l'équipe de l'I.R.H.T. reviendront longuement sur les variations de ce nom dont le plus usité est ignoré par Besse, et M. Zemer y revient en conclusion (p. 251). 2 J.-L. Biget en fait l'exposé. Voir ci-dessus, dans la présentation des principales positions sur la charte de Niquinta, les différentes solutions proposées au problème de la date du lundi 14 août 1232, année où le 14 août ne tombe pas un lundi.

46

DÉBAT: 1999

entre 1230 et 1241, dans un registre de Doat en partie copié à Albi en 1669, mais qui est bien dit venir des archives de 1' Inquisition à Carcassonne. Il est possible qu'un Carcassonnais ait pu avoir accès à ces archives au xvue siècle, mais en tout cas, pour les gens des années 1220, il s'agissait de contemporains, et point n'était besoin de les trouver dans les archives pour les citer dans une période où le catharisme a pu quitter la clandestinité ; pour d'autres personnages, il n'existe pas de trace, mais on n'a pas conservé toutes les archives de l'Inquisition. Pour Robert d'Espemon, on peut se demander à bon droit si son nom ne vient pas des spéronistes (de Hugues Speroni de Plaisance réfuté en Angleterre par Vacarius son ancien camarade d'études à Bologne), dissidents cités par Durand de Os ca, mais un faussaire du XIIIe siècle bien informé n'en aurait pas fait un Français du Nord. J.-L. Biget se tourne vers l'Italie : il ne croit pas aux écrits de « repentis », qui donnent une peinture dévalorisante des hérétiques, dans une suite de textes où se trouve Marc le premier évêque de Lombardie, cité avec Papa Nicetas, dont le De heresi catharorum in Lombardia et le Tractatus de hereticis, des textes trouvés par A. Dondaine qui les date respectivement des années 1210 et 1260 ; ils dépendent trop les uns des autres pour ne pas être suspects. Pour lui, un faussaire des années 1220 appartenant aux brigades antihérétiques pouvait connaître le De heresi in Lombardia, y prendre des noms appartenant aux mythes fondateurs formulés par l'orthodoxie et que le pouvoir impérial lui-même contribuait à diffuser. De toutes façons, ces textes ne font pas connaître grandchose des hérétiques. Ensuite, J.-L. Biget note qu'on voit affleurer les Bulgares, et que vers 1220, il y a des contacts entre cathares italiens et Bulgares, liés à la réception de l'apocryphe de la Cène secrète, mais surtout à la construction d'une hérésie à laquelle on assigne une origine extérieure. Des conflits de tous ordres avec l'Orient et les Grecs se sont multipliés, qui ont abouti à la prise de Constantinople en 1204 - Evervin de Steinfeld avait associé les hérétiques rhénans aux Grecs, Eckbert de Schonau les nomme cathares au moment où éclate une grave crise entre entre Barberousse et Manuel Comnène. Mais il s'agissait de Grecs. L'apparition des Bulgares est plus vraisemblable dans le contexte des années 1220 qu'en 1167. Les liens entre Rome et la Bulgarie se sont défaits après 1218, avec des

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J-L. BIGET, J CHIFFOLEAU

47

conséquences en Thrace et en Épire, et Honorius III envoie le 13 mai 1223 une lettre autorisant les croisés à se porter au secours de Guillaume de Montferrat dans des termes qui sont repris par Conrad de Porto dans la lettre qu'il adresse aux évêques de France pour les appeler à l'aide contre les hérétiques, termes que reprend Thibaud l'évêque de Rouen pour convoquer ses suffragants au concile convoqué à Sens. La tradition de cette missive, bien connue, bien datée, a été étudiée par le Père Sanjek, qui en prend les termes à la lettre, alors que J.-L. Biget y voit une construction d'un anachronisme exemplaire où le catharisme est présenté comme une seule religion organisée hiérarchiquement là où il y avait des sectes, comme le P. Dondaine lui-même le disait3 . On ne sait pas où étaient réellement implantées les église orientales. Le Tractatus d'Anselme d'Alexandrie, écrit beaucoup plus tard, fait figure de roman de 1' expansion du catharisme destiné à mettre en évidence une contre-église. La notice de Saint-Félix s'inscrit dans cette même logique où l'hydre hérétique a plusieurs têtes et un seul corps. Il est possible qu'en Italie, il y ait eu une lente structuration effective de la dissidence. Dans la Gaule méridionale, un minuscule concile cathare s'est peut-être tenu à Pieusse, où l'on aurait établi le tout petit diocèse du Razès qui aurait disparu avec les persécutions selon la thèse d'Y. Hagman. Mais son existence même est incertaine. Pour le reste, il est difficile d'imaginer que les cathares aient été « aliénés » au point de faire se superposer exactement diocèses cathares et diocèses catholiques ; procéder à des délimitations aussi précises paraît peu conforme à tout ce que 1'on sait de l'activité diffuse des parfaits, qui s'inscrit dans un cadre souple. J.-L. Biget croit que cette superposition sert à souligner que la contre-église hérétique se moule rigoureusement sur l'église romaine, pareillement structurée, prête à s'y substituer et qu'il faut donc la combattre. La notice de Saint-Félix est un document parallèle à la lettre de Conrad de Porto dont l'authenticité est bien prouvée par la mention de personnages vivant en 1220. Conrad de Porto, fils de la haute noblesse de Souabe, entré comme moine à Clairvaux en 1213, abbé de Cîteaux en 1217, présent comme tel au siège de Toulouse, devenu cardinal en 1219, légat d'Honorius III en 1220-1223, 3

Cf. annexe 5, « La lettre de Conrad de Porto », dans 1'édition du P. Sanjek.

48

DÉBAT: 1999

rencontre d'énormes problèmes dans le Midi, sans chef capable. Il lui faut des mercenaires, il doit trouver de l'argent; cherchant à prélever le vingtième sur les revenus du clergé, il rencontre beaucoup de résistances. La lettre de Conrad est un excitatorium destiné à mobiliser les énergies des évêques et du clergé, les premiers à être menacés par l'église dissidente, et s'appuie sur la répulsion suscitée par les Bulgares, hérétiques terrés dans leurs tanières. L'image est la même chez Honorius III et Césaire de Heisterbach. J.-L. Biget n'insiste pas sur la connexion cistercienne, évidente, qui remonte à la période précédente, et sa prise en charge de l'ordonnan-cement de la société chrétienne. Il ajoute que l'image des obédiences dissidentes donnée par les textes italiens trouvés par A. Dondaine participe d'un procès global très cistercien (voir le lien entre église fondatrice et église créée, le développement des églisesfilles à partir d'églises-mères). Si la notice de Saint-Félix est une forme d' excitatorium, pour qui et quand a-t-il été conçu, se demande J.-L. Biget. Philippe-Auguste est mort le 14 juillet 1223. Le 15 juillet, l'archevêque de Reims et Conrad de Porto célèbrent la messe de ses funérailles. La notice de Saint-Félix serait-elle un moyen de relancer la croisade ? En janvier 1226, à trois reprises, Philippe le Chancelier prêche la croisade et l'on sait qu'il y explique que seul le maintien de l'hérésie empêche la reconquête de la Terre Promise. La notice était peutêtre dans les archives du chapitre de Toulouse, où se trouvaient des érudits susceptibles de la trouver, comme Caseneuve. On pourrait imaginer qu'elle a été conçue dans le Midi, par un homme lié de près à Cîteaux, à Conrad et à Toulouse : l'évêque Foulques est tout désigné, qui était aux côtés en permanence pendant ces années, aux funérailles de Philippe-Auguste, au sacre de Louis VIII. Il a pu concocter un excitatorium qui n'aurait pas servi et le rapporter à Toulouse quand il se réinstalle sur son siège en 1229. Ceci expliquerait le caractère d'hapax de la notice et sa tradition problématique. Mais pourquoi Foulques aurait-il situé le conciliabule à Saint-Félix? Des raisons de politique locale peuvent l'expliquer. Le castrum de Saint-Félix, sur le front de cuesta qui domine la dépression périphérique de la Montagne Noire, perché sur un piton superbe, dépendait des Trencavel mais n'avait pas été l'un des plus touchés par l'hérésie. En 1215, le seigneur de Saint-Félix lègue sa terre au comte de Foix, laquelle est reprise par Raymond VII au

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET, J. CHIFFOLEAU

49

printemps 1220 et remise au comte de Foix en mai 1226. La notice a pu être forgée pour faire passer Saint-Félix sous la directe de la cathédrale de Toulouse et per-mettre aux chanoines d'étendre leurs droits sur Saint-Félix en tant que centre hérétique principal. Entre 1223 et 1229, la notice de Saint-Félix s'inscrit bien dans la ligne de la construction de l'hérésie. L'hypothèse d'un texte fabriqué pour servir d'excitatorium n'est pas impossible.

Jacques Chiffoleau J. Chiffoleau annonce que tout ce qu'il va dire ne doit pas faire oublier que des gens, qu'il n'appellera pas pour 1'instant des hérétiques, ont souhaité avoir de nouveaux liens spirituels et en sont morts, qu'il ne veut pas laisser entendre qu'il oublie les realia, même s'il va beaucoup insister sur l'analyse des textes. Le problème est d'articuler les deux. L'interrogation sur les contours, la consistance de 1'hérésie, il 1'a menée depuis longtemps dans la région sur laquelle il a travaillé, la Provence : si un jour le roi de France a fait raser les tours d'Avignon c'était sous le prétexte qu'A vignon était remplie de vaudois, alors que ce n'était pas le cas, il le sait bien. Son intérêt pour la question de l'hérésie est ancien et 1'avait amené à participer au séminaire de Nice sur 1'invention de l'hérésie dans la polémique au Xllc siècle. Mais sa présence ici et son intervention s'expliquent aussi par son intérêt pour les problèmes de l'histoire du droit, de la procédure et de la construction institutionnelle à travers la procédure : parmi les preuves que Saint-Félix de Caraman a eu lieu, aux yeux d'un certain nombre d'historiens, il y a les sources inquisitoriales interprétées en liaison avec la croyance en l'existence de ce concile quoiqu'elles soient plus tardives. Ainsi se pose le problème de l'élaboration du vrai en histoire, de la rencontre de ces deux sortes de narrationes, celle du concile ou du De heresi catharorum in Lombardia, et celle des confessiones devant les inquisiteurs à partir des années 1230-1240. Le problème du vrai pose celui de la preuve, troisième raison d'intervenir pour J. Chiffoleau: les actes de Saint-Félix de Caraman sont-ils vrais ou faux? Il est évident que, comme l'on n'est pas devant un original, le problème ne peut pas être posé dans les termes classiques de la critique externe et interne, étroitement

50

DÉBAT· 1999

limitée au document, et qu'il faut "contextualiser". Plus concrètement, il faut s'assurer qu'on applique au texte qui nous est donné par Besse les mêmes règles logiques que celles que l'on applique aux chartes "lambda" de tel cartulaire et tel chartrier, ou à un autre texte narratif, que l'on veille à ne pas s'enfermer dans un casus, à éviter les a priori provenant de raisonnements tautologiques. Malgré tout le respect que J. Chiffoleau porte à 1' impressionnant travail du père Dondaine, il pense que le raisonnement tautologique commence avec lui, et il va essayer de montrer comment la redécouverte et l'exploitation des actes de Saint-Félix ont été le produit de certaines logiques historiographiques, à leur tour suivies d'effets. Il ne lui échappe pas que les actes tels que les a transmis Besse ont une importance stratégique pour 1'histoire du catharisme, de son origine orientale dont J.-L. Biget a parlé en évoquant la conjoncture des années 1220, de sa nature dogmatique dont on a à peine parlé, en particulier du dualisme qui l'intéresse lui-même beaucoup à cause de ses liens avec la question de la souveraineté. Mais il va concentrer son intervention sur la construction de l'Église cathare aujourd'hui, la question qui a intéressé le père Dondaine. Y a-t-il une nature institutionnelle du catharisme et quelle est-elle? Voilà ce que J. Chiffoleau veut essayer d'aborder à partir de l'œuvre d'A. Dondaine, sachant que d'autres l'ont fait pour la période antérieure, notamment dans un colloque de Fanjeaux consacré à l'historiographie du catharisme4 . Il faut d'abord évoquer les textes trouvés par Dondaine et la lecture qu'il en fit. On sait l'importance de son œuvre, qui impliquait une connaissance extraordinaire des fonds de bibliothèques et une capacité impressionnante à établir des liens entre manuscrits. Il a travaillé surtout pendant la guerre sur un dossier de textes repéré auparavant, son article sur Saint-Félix paraît en 1946, en 194 7 paraît celui sur le Manuel de 1'Inquisiteur, en 1949 et 1950 paraissent les articles sur les hiérarchies cathares et, enfin, en 1959, l'article sur Durand de Huesca et la polémique anti-cathare 5 . Ensuite, son ordre, au nom de l'obéissance, lui a demandé de s'occuper désormais des œuvres complètes de Thomas d'Aquin, sans doute pour expier d'avoir étudié trop longtemps ces L'historiographie du catharisme, C. F. 14, Toulouse, 1979. Seuls les articles de 1946, 1947, 1949, 1950 et 1959 parus dans A. F. P. sont réédités en Variorum sous le titre Les hérésies et 1'inquisition, Xlf-Xllf siee/es, en 1990 (1\.D.L.R.).

4

5

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET, J. CHIFFOLEAU

51

« malheureux égarés » comme il écrivait lui-même en parlant des cathares. Il est évident que son statut de dominicain et plus largement d'homme d'Église a joué ; aujourd'hui, de même, jouent nos statuts respectifs. Son œuvre est capitale, mais sa lecture des quatre narrationes, comme il appelle les actes du concile de SaintFélix, le De heresi catharorum in Lombardia, et le Tractatus de hereticis d'Anselme d'Alexandrie, outre sa lecture de Sacconi, est très datée, étroitement et strictement positiviste, et ceci, pas au bon sens du terme : il parle de contenu historique en le distinguant du contenu dogmatique, pour ce que le document, dit-il, « nous apprend de vrai sur les faits » ; du même coup, il lui fait prouver ces faits. A. Dondaine ne s'interroge pas tellement sur le statut du texte, sa forme, ses fonctions. Il sait bien qu'il émane d'un inquisiteur, mais ceci n'a pas d'effet sur sa lecture. Il commet même des imprudences assez considérables pour un historien positiviste à l'ancienne, quand il utilise la lettre d'Yves de Narbonne ou celle de Conrad de Porto, intégrées par Matthieu Paris, qu'il prend à la lettre sans se poser la question de l'usage que celui-ci en fait. Matthieu Paris injecte en permanence des lettres extravagantes, des lettres vraies ou des lettres trafiquées, ou des excitatoria, sans parler des lettres tombées du ciel. A. Dondaine ne s'interroge jamais, non plus, sur la part de rhétorique argumentative chez un inquisiteur ou un hérésiologue lorsqu'il déclare venir d'une famille d'hérétiques, qu'il s'agisse de Pierre de Vérone, Raynier Sacconi ou Durand de Huesca. Comment pourtant ne pas penser à Augustin évoquant son passé manichéen ? Cette part de la création rhétorique argumentative dans le fait de dire «Je suis un ancien hérétique», ou « Je connais bien d'anciens hérétiques », il faudrait la mesurer. Curieusement, A. Dondaine l'ignore. Comme beaucoup d'autres, il se contente de noter que l'auteur est un apostat, un renégat, etc ... J. Chiffoleau, bien que non spécialiste, reste perplexe quand il voit Ch. Thouzellier extraire un traité cathare du Contra manicheos de Durand de Huesca, sans se poser la question de la simple nécessité rhétorique de mettre tout ce que l'on veut combattre dans la position prêtée à l'hérétique; ses arguments philologiques, au sein d'une critique positiviste classique que A. Dondaine ne fait pas, ne l'ont pas du tout convaincu. Il ne s'agit pas de dénier à tous ceux qui aspirent à une autre vie spirituelle la possibilité d'écrire et de

52

DÉBAT: 1999

s'exprimer par écrit, mais toute 1' expérience de J. Chiffoleau le pousse sur ce point à être beaucoup plus prudent. A. Dondaine ne prête pas attention à la structure et à la fonction des textes narratifs : quand il constate, ce qui l'ennuie un peu, que le De hereticis d'Anselme d'Alexandrie commence par Manès et 1' Asie, que le début est donc mythologique, par bonheur il voit que la suite devient de l'histoire. Mais ce n'est pas parce qu'il y a apparente historicisation qu'il n'y a pas volonté de décrire mythologiquement quelque chose. La forme historique ou historicisante n'implique pas forcément que toute mythologie a disparu. Et Grado G. Merlo a bien montré qu'il y avait historicisation des écrits sur 1'hérésie dans les trois premières décennies du XIIIe siècle, qu'il appelle le « storico-narrativo ». J. Chiffoleau pense même qu'il s'agit fondamentalement de mythologie, qu'il faudra faire une analyse de ces textes capitaux, dont il a fait distribuer quelques extraits 6 , sur lesquels portera 1'analyse précise qu'il livrera à l'écrit. Pour aller très vite, on peut voir que le mythologique est très fortement à 1' œuvre dans le fait que tous ces textes narratifs parlent de la division, de la secte, de la séparation, donc de 1'hérésie au sens fondamental. Là-dessus, s'articule le fait que cette division a donné lieu à une tradition, une transmission des pouvoirs qui n'est pas bonne, par opposition à la tradition apostolique. S'agissant de l'Église cathare, A. Dondaine dit lui-même qu'il ne regarde pas simplement ces quatre textes. « Cet appui mutuel que se donnent ces documents a des conséquences inattendues », écrit-iF : on entre là dans une analyse tautologique, où Saint-Félix garantit le De heresi, qui garantit le De hereticis, lequel garantit éventuellement un certain nombre d'interrogatoires de l'Inquisition qui garantissent tout ... Pour J. Chiffoleau, il y a une faute logique lourde, qui va permettre à A. Dondaine de réaliser son rêve, pouvoir faire un catalogue, comme il ne cesse de le dire : des Gesta 6 Les extraits distribués aux participants du colloque sont les suivants : A. DONDAINE, « La hiérarchie cathare en Italie, !. Le "De heresi catharorum in Lombardia" », A.F.P., 1949, p. 306307 (début du traité); id., « La hiérarchie cathare en Italie, Il. Le "Tractatus de hereticis" d'Anselme d'Alexandrie>>, A.F.P., 1950, p. 264-267 et extraits du traité, p. 308-311 (le début) et 324 (J'exp/ici!); RAYNERIUS SACCONI, Summa de Catharis, éd. FR. SANJEK, p. 48-51 et 58-59; Fr. SANJEK, «Le rassemblement hérétique de Saint-Félix de Caraman (1167) et les églises cathares au XII' siècle», R.H.E., 1972: Cartes, p. 784-785: «Les églises cathares aux XIIe et XIIIe siècles et leur appartenance aux ordres», «Le catharisme italien vers 1270 », «Le Midi cathare avant l'exil». 7 « La hiérarchie cathare en Italie, II .... », p. 266.

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J-L. BIGET, J CHIFFOLEAU

53

episcoporum d'hérétiques, un Liber pontificalis de l'hérésie, dans une démarche de ce point de vue ressemblant encore à celle de tous les hérésiologues du xrue siècle dont il est très proche. Il n'y a pas de doute là-dessus: «L'entreprise de dresser un tableau d'ensemble de la hiérarchie cathare paraissait chimérique ; elle est maintenant réalisable », écrivait-il encore 8 . Mais ses grands articles sur la hiérarchie cathare en Italie posent des problèmes considérables, qui expliquent qu'avec leur grand flair, un certain nombre d'historiens italiens de la génération qui nous précède ont eu beaucoup de réticences. En passant du mythologique à l'historique, les contrehiérarchies qu'on trouve dans Evervin de Steinfeld et autres, au milieu du siècle, deviennent tout à coup réelles, le triptyque évêques-prêtres-chrétiens prend corps, ce que 1' on trouve dans la mythologie hérétique depuis 1'Antiquité devient vrai, et c'est ce qui trouble J. Chiffoleau. Frappant, par exemple, l'extrait de la notice concernant Marc et 1'église de Concorezzo, qui a été distribué aux participants de la table ronde : Marc, tout à coup, d'une extraordinaire façon que J. Chiffoleau ne peut pas commenter ici, prend un poids de réalité plus lourd de ligne en ligne. Ce problème de tradition, de transmission et de succession est l'exact contraire de tout ce que proclame l'ecclésiologie catholique depuis notamment la réforme grégorienne : les réordinations, le problème de la validité des sacrements donnés par de mauvais prêtres sont au cœur des problèmes de la réforme grégorienne depuis la pataria. Bien avant, Yves de Chartres écrivait à propos du pape Innocent Ier en se référant aux sources de 1' Antiquité tardive : « au sujet de ceux, dit ce canon, qui s'appellent eux-mêmes les cathares, c'est-à-dire les purs, et qui rejoignent parfois 1'Église catholique, le saint et grand synode a décidé qu'ils recevront 1'imposition des mains et qu'ils pourront ainsi rester dans le clergé ». Ce "texte phare" d'Yves de Chartres pose le problème de l'interprétation du consolamentum, dont les actes de Saint-Félix de Caraman donneraient la première occurrence du point de vue chronologique s'ils étaient authentiques. J. Chiffoleau n'arrive pas à comprendre comment les spécialistes de 1'hérésie ne voient pas qu'il s'agit d'une projection directe de l'ordination. Les conséquences logiques lui paraissent claires. S'il s'agit d'une projection



" « La hiérarchie cathare en Italie, 1. ... », p. 294.

54

DÉBAT: 1999

des rites d'ordination catholique, l'ensemble du système ecclésial cathare est une projection fantasmatique des hérésiologues à propos de ce que vivent par ailleurs des gens qui réellement refusent un certain nombre de choses, aspirent à une autre vie spirituelle, J. Chiffoleau ne les oublie pas. La description qu'on trouve dans les traités des hérésiologues revient à dire que pour les catholiques, malgré 1'épisode patarin, les sacrements sont valides même quand ils ont été conférés par de mauvais prêtres et qu'on ne fait pas de réordination, selon une tradition qui est la bonne et qui fonctionne sur des bases ecclésiologiques justes, tandis que les hérétiques font l'inverse, c'est-à-dire doivent se réordonner sans cesse. Il ne faut pas oublier l'effet polysémique de l'imposition des mains par rapport à 1'ensemble des sacrements catholiques. Sur 1' interprétation des "rencontres" d'hérétiques, le rôle de l'œuvre d'A. Dondaine est considérable, et il faudrait faire après cette table-ronde sur Saint-Félix un autre séminaire sur les autres "rencontres", celle de Mosio du De heresi catharorum, celle des vaudois à Bergame en 1218 qui traite de séparation et semble poser un certain nombre de problèmes critiques graves malgré l'édition du Rescriptum par Gonnet, etc. Alors on pourrait parler de Pieusse, de Montségur, de toutes ces rencontres de cathares telles que les récits de l'Inquisition les font voir et même aller jusqu'à la rencontre de Chanforan au début du XVIesiècle. Toutes ces rencontres mériteraient d'être étudiées en série parce qu'elles ont des caractères communs. D'abord leur tradition textuelle pose des problèmes très difficiles, notamment si l'on veut essayer de croiser une narratio issue d'hérésiologues avec celles qui sortent des confessions de gens interrogés par des inquisiteurs. Les rencontres sont le signe soit de la désunion, soit au contraire de la "synagogue", ce sont les bouts de l'hydre ou son corps. La "synagogue" a une riche mythologie antique, mais elle a aussi de l'avenir au XIIIe siècle. La rencontre de Saint-Félix est un peu une "synagogue", inquiétante dans le contexte où écrivait Besse, qui pouvait l'être aussi dans le contexte d'un excitatorium, même si elle n'est pas désignée ainsi puisqu'elle est, par force, présentée positivement ; d'autres rencontres marquent la division et pourraient être mises en série et questionnées. Quant aux analyses des interrogatoires inquisitoriaux, des confessiones, revues comme certains le font actuellement en Italie, elles

INTERVENTIONS DE M. ZERNER, J.-L. BIGET, J. CHIFFOLEAU

55

viennent contredire en définitive les belles hiérarchies cathares de A. Dondaine9 . J. Chiffoleau pense qu'il faut imaginer des effets d'aller-retour entre les conceptions véhiculées par hérésiologues et inquisiteurs, et les pratiques mêmes des hérétiques : pour aller vite, à partir d'un certain moment, il est possible que les "contestataires persécutés" - il préfère les appeler ainsi - aient eu tendance à s'organiser, à vivre, et même à se penser en partie en fonction des modèles transmis par leurs persécuteurs. C'est aussi une suggestion pour des travaux sur la période postérieure, en pensant à ces quelques dizaines de milliers de femmes qui ont toutes raconté la même chose entre 1440 et 1650. Ainsi, la nature même du catharisme comme religion est difficile à saisir. J. Chiffoleau termine par les effets sur l'historiographie récente de la "lecture Dondaine", qui a produit une réification de l'hérésie, un fait positif que l'on peut décrire, cerner, ce qui gênait quelqu'un comme R. Morghen. Un sondage dans les Cahiers de Fanjeaux à partir de l'index permet de dire qui a fait le plus fréquemment référence à Saint-Félix de Caraman et pour quelles raisons, pendant les vingt-cinq premières années de ces colloques. R. Manselli arrive en tête, suivi de M.-H. Vicaire. Là où A. Dondaine voyait des sectes, R. Manselli, en bon hérésiologue, avait quant à lui envie de voir une religion. Que l'hérésie soit un objet bien identifié permet plus facilement de la mettre sous l'œil des spécialistes d'histoire des religions ; la réification de l'hérésie aboutit à en faire une religion contre une autre, une religion bien constituée. Tous, plus ou moins, dit J. Chiffoleau, nous avons défendu cette idée, ce que maintenant lui-même ne peut plus faire, non seulement après avoir lu Dondaine, mais pour s'être interrogé sur l'Institution. Il est vrai que nous avons besoin d'hérétiques, Oportet et haereses esse, mais pour nous-mêmes, de ce point de vue dernières victimes des hérésiologues et des inquisiteurs, nous qui avons besoin d'une religion pour redonner du poids à ces gens qui n'arrivaient pas à s'exprimer et que l'histoire traditionnelle avait évacués, alors que les sources nous apprennent surtout leur incapacité à instituer quelque chose, leur refus de 1'Institution. Et notamment depuis la réforme grégorienne. Ces gens, que les hérésiologues et les inquisiteurs appellent des cathares ou des hérétiques, J. Chiffoleau, " J. Chiffoleau cite G.

ZANELLA

et le cas de d'Armanno Pungilupo.

56

DÉBAT: 1999

qui refuse d'être dans ce camp, préfère les appeler des contestataires. Ou, si l'on veut, des dissidents, mais en quoi consiste la dissidence sinon en un refus de 1' Institution ? Leur fin n'est pas tellement liée à l'Inquisition, elle est liée à leur incapacité à s'instituer, à instituer: il pense que l'Église cathare n'existe pas mais qu'elle est une projection fantasmatique des inquisiteurs ou des hérésiologues sur la dissidence, qu'il n'y a pas non plus de religion cathare à proprement parler mais qu'au bout d'un certain temps, à force d'être persécutés, les "cathares" ont partagé un certain nombre de fantasmes de leurs persécuteurs et qu'ils ont commencé à s'organiser, sans être capables de devenir une institution. Ceci ne sera possible qu'à partir du moment où la chrétienté aura disparu, c'est-à-dire après le Grand Schisme. C'est pourquoi les actes du concile de Saint-Félix de Caraman, outre tous leurs aspects bizarres, lui paraissent faux, la démarche décrite impensable.

DÉBAT DU 30 JANVIER 1999

CLAUDIE AMADO, DOMINIQUE BARTHÉLÉMY, JACQUES BERLIOZ, JEAN-LOUIS BIGET, ANNE BRENON, ÉDINA BOZOKY, CÉCILE CABY, LOUISA BURNHAM, JACQUES CHIFFOLEAU, JACQUES DALARUN, PHILIPPE JANSEN, GUY LOBRICHON, GIOVANNI G. MERLO, R. l. MOORE, STEFANO MULA, ANDREA PIAZZA, JULIEN ROCHE, MONIQUE ZERNER

l'avis de certains est qu'il faut revenir sur la question typologique avant d'entrer à nouveau dans le document. G. LOBRICHON, PREMIER PRÉSIDENT DE SÉANCE :

J. DALARUN : je voudrais essayer de répondre à une question simple : qu'avons-nous sous les yeux ? Nous avons sous les yeux la photocopie d'un extrait d'un livre de 1660. Il s'agit des pages 483-486 d'un ouvrage de Guillaume Besse, dans lequel l'auteur produit des preuves, sur quoi il s'est appuyé pour construire une Histoire. L'hypothèse a été émise que le texte rapporté sous le titre de « Charte de Niquinta » pourrait être un faux, forgé par Guillaume Besse. Une partie des sources que nous considérons comme authentiquement médiévales nous ont été transmises par des éditions modernes ou des copies d'érudits. Ces érudits ont aussi fait de nombreux faux et ils étaient particulièrement bien placés pour ce faire puisque, précisément, ils étaient érudits. Néanmoins, le Jaux moderne répond à une règle impérative, celle de l'intérêt. Et Monique Zerner, plutôt no lens que volens, nous a donné à mon sens une preuve irréfutable que la «Charte de Niquinta » n'est pas un faux de Guillaume Besse, tout simplement parce que cette pièce est en contradiction avec le commentaire qu'il en donne. Or, lorsqu 'on fait un faux, on a les mains libres, on peut faire dire à la forgerie ce que l'on veut. Guillaume Besse ne dit pas dans son commentaire ce que dit la « Charte de Niquinta », donc ce n'est pas un faux de Guillaume Besse. M. ZERNER :

où est la contradiction ?

58

DÉBAT: 1999

J. DALARUN : Guillaume Besse prétend que Niquinta a été élu pape lors du « conciliabule » relaté dans la charte, ce que ladite charte ne rapporte pas. Ce texte, il faut évidemment le prendre à l'envers et ne pas partir de Anno MC LXVII Incarnationis dominice, même s'il est amusant de voir daté de l'Incarnation un document censé provenir d'une religion censée professer une doctrine qui réfute l'Incarnation ! Donc, il faut partir du dernier paragraphe et de sa dernière ligne : Petrus Pollanus translatavit haec omnia , rogatus ac mandatus. Translatare, qui revient trois fois dans le dernier paragraphe (translatum, translatare, translatavit) peut paraître impropre, sauf si ce terme désigne une mise au net en latin à partir d'un texte qui était en une autre langue. La mention rogatus ac mandatus est de type notarial (elle apparaît aussi à la page 484), mais on ne trouve mention ni du titre de notarius, ni de l'autorité créatrice de la fides publica. Petrus Pollanus singe le formulaire notarial. Remontons. C'est Petrus Isarn. qui a commandé ce translatum à Petrus Pollanus. Le scribe a effectué son translatum «à partir d'une antiqua carta », elle-même «faite in potestate < sur l'ordre ? > de ceux qui divisèrent les églises comme il est dit plus haut». Donc, l'antiqua carta porte a priori sur un seul point du texte qui précède : la partition entre les églises. L'ensemble du texte est d'une typologie incertaine. J'essaie cependant de lui appliquer les grilles d'analyse de la diplomatique, toujours à reculons. Avant la mention du mandant et du scribe du translatum, on trouve une liste de témoins. Ils appartiennent à la strate chronologique antérieure, pas à celle du translatum, et ils sont témoins non de la validité de l'acte, mais de la véracité du fait rapporté au-dessus. Ils mandent eux-mêmes collectivement deux personnes, l'un d'entre eux, Ermengaudus de Forest, et un certain Petrus Bernardus, pour qu'ils établissent un dictatum et cartam en deux exemplaires. Il faut très probablement confondre ce dictatus et carta avec l'antiqua carta dont s'inspire Petrus Pollanus pour produire ce qu'il faut dès lors considérer partiellement comme un vidimus. En remontant encore, on trouve le dispositif qui commence à la 5e ligne de la page 485, après dixerunt quod: c'est ce qui a été décidé, à savoir une délimitation pour éviter des conflits entre deux juridictions. Tout ce qui précède dixerunt quod forme préambule. Comment est-il constitué ? Toujours en marche

LE DÉBAT

59

arrière, en bas de la page 484 et en haut de la page 485, on nous explique qui a été désigné pour procéder à la conciliationpartition. Les noms des mandatés sont précisément ceux des témoins qui garantissent le fait et en commandent la mise par écrit. Cette fin de préambule, plus le dispositif, plus la liste des témoins et le mandat donné à Ermengaudus de Forest et Petrus Bernardus sont parfaitement cohérents entre eux. Ces éléments, et eux seuls, me semblent correspondre à l'antiqua carta. Ce qui pose problème dans le préambule, c'est bien plus la page 483 et la page 484 jusqu 'à vos facite. Une partie des éléments contenus dans cette première section est en accord avec le contenu de l'antiqua carta relative à la partition des églises : le premier des témoins cités au titre de l'Ecclesia Tolosana dans la liste de la page 485, Bernardus Raymundus, est élu évêque de Toulouse page 483 ; idem pour Guiraldus Mercerius à Carcassonne. Puis il y a des éléments qui ne correspondent à rien dans l'antiqua carta, mais qui sont en étroite relation avec les informations contenues dans le De heresi catharorum in Lombardia (soit dit en passant pour répondre à Jean-Louis Biget, le tirage au sort, pratiqué par les hérétiques selon ce traité, n'est en rien la preuve du chaos qui régnait dans la déviance, mais une référence au tirage au sort de Mathias pour remplacer Judas dans les Actes des Apôtres, ce qui éclaire aussi la prétention institutionnelle exacte de ces nouveaux apôtres, à savoir reproduire l'Église primitive). Pour reprendre la «Charte de Niquinta )) cette fois-ci dans l'ordre où elle se présente, on y trouve un long préambule qui raconte un événement, l'assemblée de Saint-Félix, dont on peut supposer que la mémoire est floue au moment où Petrus Pollanus « translate )) l'antiqua carta, mais dont le contenu correspond pour une part à ce qui circule à même époque dans le De heresi. S'agit-il de la fixation d'une tradition orale conservant la mémoire de faits advenus plus de cinquante ans auparavant ? Est-ce pur fantasme ? Raconter son origine de manière mythique n'est pas exactement fantasmer. Les origines romaines sont racontées sur le mode du mythe, mais il y avait bien des cabanes dès le milieu du VIIr siècle avant Jésus Christ sur le Palatin. Cette tradition relative aux années 1160 et qui circule encore dans les premières décennies du xur siècle peut avoir été enrichie d'éléments extraits de l'antiqua carta (l'élection des évêques de Toulouse et de Carcassonne, qui peut être extrapolation

60

DÉBAT: 1999

de la liste des mandatés et témoins). Du moment où il s'agit d'élire les représentants des églises de Carcassonne et Toulouse pour trouver une conciliation, je crois que nous entrons dans le vidimus de l'antiqua carta, qui n'est autre que le document rédigé pour consigner les résultats de la négociation et garantir la concorde, un pacte de paix somme toute. Le préambule « mythographique » a l'avantage de légitimer cette décision par le rappel de la tenue d'une assemblée extraordinaire comme par le discours prêté à papa Niquinta. M. ZERNER: avant d'avancer dans la critique que tu proposes de la lecture diplomatique du document, je voudrais dire un mot de ce que tu as compris comme une contradiction entre ma démonstration et le texte de Guillaume Besse. Dans son prologue, sa présentation de ce que tu appelles le document, Guillaume Besse fait du texte une charte, et on l'a suivi jusqu 'à tout récemment, la «Charte de Niquinta anti-Pape des hérétiques Albigeois, contenant les ordinations des évêques de sa secte ... », et il l'évoque dans son texte comme la charte qui montre que les hérétiques ont élu un antipape. Mais cela ne contredit en rien notre démonstration car si ce résumé est très malvenu puisque Niquinta n'a pas été élu, il n'est pas contradictoire avec son propos qui est d'illustrer la méchanceté des Biterrois qui ont assassiné le vicomte et cassé les dents de leur évêque. Ces mêmes vicomtes dont les paroles sentent affreusement le roussi puisqu'ils ont été désignés comme les complices des hérétiques. Donc il s'agit pour Guillaume Besse de dire, et c'est à cela que lui sert la charte, que les hérétiques avaient déjà envahi le pays et que le vicomte de BéziersCarcassonne était le premier martyr de la cause albigeoise. Voilà sa thèse novatrice car personne ne l'a dit avant lui et personne ne le redira après lui. J. ROCHE: à la lecture de Pierre des Vaux-de-Cernay, on voit qu'il pense que l'on peut assimiler les Biterrois aux hérétiques. Donc, Guillaume Besse n'avait pas besoin de forger un faux pour démontrer que le vicomte Trencavel était le premier martyr, il avait simplement à faire une lecture du texte de Pierre des Vaux-deCernay. On ne comprend pas bien pourquoi il aurait forgé cet acte alors qu'en fait, il n'en avait pas besoin.

LE DÉBAT

61

M. ZERNER : Pierre des Vaux-de-Cernay ne dit pas que le vicomte de Béziers était le premier martyr, il dit que les habitants de Béziers avaient mérité d'être massacrés dans l'Église de la Madeleine parce qu'ils avaient assassiné leur vicomte quarante-deux ans auparavant. Pierre des Vaux-de-Cernay ne dit pas qu'ils étaient hérétiques.

J. ROCHE :je me propose de vous lire le texte extrait de Pierre des Vaux-de-Cernay, paragraphe 91 de la traduction de Pascal Guébin et Henri Maisonneuve de l'Histoire albigeoise : ... Comme nous l'avons vu au début de cet ouvrage, les hérétiques prétendaient que sainte Marie-Madeleine était la concubine de Jésus-Christ : de plus, c'est à l'intérieur de l'église qui lui est dédiée dans la ville que les Biterrois avaient tué leur vicomte et cassé les dents à leur évêque : c'est donc à juste titre que ces chiens dégoûtants furent pris et massacrés pendant la fête de celle qu'ils avaient insultée et dont ils avaient souillé l'église du sang de leur vicomte et de leur évêque ... Donc l'insulte exprimée au tout début du passage- les hérétiques prétendaient que sainte Marie-Madeleine était la concubine de Jésus-Christ - est clairement rapportée au meurtre du vicomte. M. ZERNER: je ne suis pas du tout d'accord, Pierre des Vaux-deCernay ne fait pas l'histoire de 1160, il est dans la description des hérétiques en 1209. J. CHIFFOLEAU : le fait que Besse n'ait pas besoin de faire un faux pour démontrer que Trencavel était le premier martyr, je vous 1'accorde, mais qu'il propose la charte de Niquinta comme preuve montrant que le pays est totalement entre les mains des hérétiques, est quand même une « surpreuve ». J. ROCHE : bien sûr, mais Besse ne l'utilise pas à ces fins. Il 1'utilise simplement pour corifirmer sa thèse, qu'il avait déjà lue dans Pierre des Vaux-de-Cernay, à savoir que les hérétiques sont impliqués dans le meurtre du vicomte. Il n'utilise pas du tout le texte pour montrer que le pays était totalement sous le joug des hérétiques et qu 'ils occupaient tout le pays.

J.-L. BIGET :je crois qu'il faudrait revenir au contexte méridional de 1660. Et quel est alors le problème du Midi, du point de vue des

62

DÉBAT: 1999

catholiques attachés à la monarchie ? C'est le problème protestant. Et il est clair que Guillaume Besse, et/ou celui qui a éventuellement fabriqué ce texte, l'utilisent pour montrer que la France connaît la situation où l'on se trouvait, d'après lui, au milieu du XII" siècle dans le Midi, c'est-à-dire dans une situation où la deuxième religion va conduire au régicide. Et l'on voit très bien que Guillaume Besse, même s'il n'était pas lui-même lié de très près au pouvoir, entretenait quand même des relations avec des gens qui en étaient proches : des érudits comme Caseneuve qui était ami des Dupuy, dont vous connaissez le fonds conservé à la B.N.F. Il faut donc prendre cela en compte. Je crois que Besse ne veut pas montrer terme à terme que le moment reproduit 1167, mais il place les événements qu'il narre dans la perspective de 1660. C'est le contexte de son temps qui explique l'utilisation qu'il fait de la notice. C'est la situation de 1660 qui l'amène à transférer sur la période médiévale des problèmes qui sont ceux de son époque. Je pense qu'il faudrait reprendre l'histoire du protestantisme dans le Midi au XVII" siècle. La révolte de Rohan est toute proche, elle s'est terminée autour de 1630 et Guillaumme Besse ainsi que Caseneuve ont vécu cette période. Tout cela pèse sur leur point de vue et je crois que si l'on néglige cela on ne peut pas comprendre ce qu'écrit Guillaume Besse. Ils 'agit pour Besse d'évoquer pour 1167 le meurtre du prince, l'atteinte à l'Église et l'on voit très bien le transfert qu'il opère. Je pense qu'il faut tenir compte de cela pour mieux comprendre les motivations de Guillaume Besse. Et si l'on discute pour savoir si terme à terme son propos rejoint ou non celui de Pierre des Vaux-de-Cernay, on est un peu « à côté de la plaque », car c'est un problème secondaire. M. ZERNER : j'aimerais vous lire le passage

incriminé dans l'ouvrage de Guillaume Besse : «j'essaye dans mon histoire des évêques de Carcassonne de montrer que l'assassinat du vicomte de Trencavel eut un plus grand motif qui est que le vicomte vaillant homme et fort bon catholique ruina les nouveaux hérétiques qui eurent l'impudence de s'assembler en corps de conciliabule où ils créèrent un antipape de leur secte nommé Niquinta et ce pseudopape créa des évêques : Robert de Spernon ou Espernon qui était évêque de la nation de France, Sicard Cellerier qui fut fait évêque d'Albi» ... Je ne cite pas ceux qui suivent sinon Raymond de

LE DÉBAT

63

Casals du pays d'Aran, territoire de Comminges. Besse continue : «L'acte que je dois montrer tout entier et dont j'emploie un extrait au fond de cette histoire, dit que ces évêques reçurent ensuite de la main de ce faux pape consolamentum et ordinem episcopi : ces évêques étaient appelés consolateurs. Ils furent imités par leurs descendants en l'an 1223. Lesquels créèrent de nouveau un antipape et celui-ci fit pour son légat en France un nommé Barthélémy de Carcassonne, qui s'appelait dans ses titres servus servomm sanctae fidei [Besse cite Conrad de Porto], et depuis, étant passé en Bulgarie, Croatie, Dalmatie et Hongrie, il y ordonna des évêques et il y établit des églises de sa secte, suivant Matthieu Paris et plusieurs autres. Voilà, à mon avis le sujet de la mort du vicomte de Trencavel; et de jàit, il ne resta de toute cette grande assemblée d'hérétiques faite à Saint-Félix, que ceux qui se réfugièrent et se fort~fièrent au château de Lombers et au château de Lavaur. J'ose dire de là que ce vicomte est le premier martyr dont les hérétiques surnommés du pays d'Albigeois aient répandu le sang». Il faut avancer plus loin dans le chapitre pour trouver qu'à la suite de cet assassinat le fils du vicomte, son héritier, atteint dans ses droits par le comte de Toulouse, reçoit alors 1'investiture du comté de Carcassonne du roi d'Aragon et prend le titre de proconsul de Béziers, marque qu'il ne reconnaissait plus le comte Toulouse pour duc de Narbonne et comme tel supérieur des comtes de Languedoc. Le problème est que la date de 1167 est seulement déduite de la remarque de Pierre des Vaux-de-Cernay qui dit que les habitants de Béziers avaient assassiné leur vicomte dans l'église de la Madeleine exactement quarante-deux ans avant d'être massacrés dans la même église, tout comme les juifs avaient crucifié Jésus quarante-deux ans avant la destruction du Temple par Vespasien. Guillaume de Newburgh ne donnait pas la date de la mort du vicomte. J'aimerais que Claudie Amado prenne la parole, elle qui connaît bien « les dossiers Trencavel ». C. AMADO: Pierre des Vaux-de-Cernay donne cette date d'après tout un faisceau d'événements qui ont marqué le Languedoc des Trencavel avec l'assassinat du vicomte. Je pense que Guillaume Besse avait accès à la documentation dite « du château de Foix » -c'est-à-dire au Cartulaire des Trencavel et à d'autres archives largement recopiées, par exemple dans la collection Doat. Il a pu

64

DÉBAT: 1999

avoir cette date en tête car la mort de Trencavel a été suivie de remaniements d'alliances autour de Roger. Le comte de Toulouse avait essayé de profiter de la jeunesse de Roger, l'héritier. Ce dernier se tourna vers le roi d'Aragon pour obtenir de l'aide. C'est dans ce contexte que s 'inscrit la légende du massacre des Biterrois, de la vengeance des « Aragonais » entrant (à la suite de Roger) dans Béziers en 1168, y massacrant tous les hommes et prenant de force les femmes comme épouses. Elle a couru dans l 'historiographie car l'assassinat du prince avait marqué les esprits. Une trêve fut proclamée par l'évêque de Béziers en 1170 (le texte subsiste), ce même évêque dont la chronique dit qu'il avait eu la mâchoire fracassée lors du meurtre. Il y avait aussi des traces écrites des punitions infligées « aux traîtres » qui avaient participé au complot. C'est donc un événement qui avait fortement retenti à Béziers et alentour. Il paraît tout à fait probable que Guillaume Besse soit tombé d'abord sur les textes de la tour de Foix ou d'autres restés dans les archives de Béziers, relatant ces événements datés de 1167 (on suppose que le meurtre eut lieu en septembre ou octobre) et des années suivantes, et qu'il ait reconstitué les choses à partir d'eux. J.-L. BIGET: j'aimerais intervenir à ce moment du débat. La démonstration de C. Amado est intéressante car il y a sûrement eu un retentissement à l'assassinat de Trencavel, mais je veux préciser que les archives de Trencavel ne se trouvaient pas à Carcassonne mais à Foix. Il n'est donc pas sûr que Besse, un Carcassonnais, ait consulté à la fois les archives de l'Inquisition qui se trouvaient dans la Tour de Carcassonne et les archives de Trencavel qui, elles, étaient à Foix, puisque les copies de Doat indiquent qu'elles sont faites d'après un cartulaire qui se trouve à Foix. Bien sûr, Guillaume Besse pouvait aussi se rendre à Foix, mais c'est là un autre problème. En revanche, une autre difficulté surgit, à laquelle j'avoue ne pas avoir pensé: comment sait-on effectivement, au XVIr siècle, que la mort de Trencavel est survenue en 1167 ? G. LOBRICHON: je ne sais pas si l'on peut poursuivre vraiment ce débat. En tout cas, on voit bien qu'il y a une « affaire Besse », qu'il y a une «affaire Pierre des Vaux-de-Cernay», qu'il y a une «affaire biterroise » ou « biterro-aragonaise ». Un empilement d'affaires extrêmement difficiles à démêler et je ne sais vraiment si

LE DÉBAT

65

on a les moyens d'aller beaucoup plus loin. C'est pour cela que je pense qu'il faudrait, d'une part, revenir dans le débat sur la question typologique si l'on peut apporter quelque chose de plus, et d'autre part, rentrer à nouveau dans le texte parce que se posent des problèmes philologiques et que l'on est tout de même dans une période historiographique où il est plutôt malsain de prétendre que les historiens doivent s'en tenir à leur seule méthode, qu'il est bon, en revanche, de s'ouvrir aux apports d'autres disciplines qui pourraient apporter peut-être quelques éclaircissements sur le texte en cause. En tous les cas, c'est ce que je propose: revenir sur la typologie et d'autre part revenir sur les problèmes purement lexicaux de ce document. J. CHIFFOLEAU : avant cela, je voudrais tout de même souligner que le texte de Guillaume Besse que nous a lu Monique Zerner répond nettement à cette question et que l'emballage de tous ces éléments par Guillaume Besse montre qu'il a un projet historiographique clair. J. DALARUK : il ne faut pas confondre deux choses. Que Guillaume Besse ait intérêt à utiliser ce document, sans doute, puisqu'il l'utilise. Mais on a pu constater hier une contradiction entre Monique Zerner et Jean-Louis Biget : plaidant 1'une pour un faux du XVTf siècle et 1'autre pour un faux du X/Tf siècle, ils ont tous deux su mettre en évidence des contextes expliquant que deux moments historiques aient pu ressentir le besoin de forger la même pièce, si ce n'est que ces deux moments sont séparés par quatre siècles et demi. Ces deux hypothèses arrivent à la même conclusion : le document est un faux. Mais elles ne se renforcent pas l'une l'autre; on aurait même tendance à penser qu'elles s 'annulent. Sans doute trouverait-on aux siècles intermédiaires d'autres moments où d'autres individus auraient eu un même intérêt à produire une telle forgerie. Simplement, ma remarque très technique n'est que de rappeler ceci: un homme qui fait un faux contrôle le contenu de ce faux ; et pour cause. Si quelqu'un veut prouver que les hérétiques élurent un antipape et que ce quelqu'un a de surcroît l'âme d'un faussaire, il écrira: omnes tune congregati elegerunt Niquintam papam. Si cette mention est absente du document, c'est que Guillaume Besse est contraint par une source dont il ne contrôle pas le contenu, donc qu'il n 'en est pas l'auteur.

66

DÉBAT: 1999

J. CHIFFOLEAU: entre le moment où il fait le Jaux dans ce but là et le moment où il constitue son chapitre, il peut s'être écoulé beaucoup de temps. Je doute de la netteté du lien logique entre le prologue de la charte et le texte du chapitre de Guillaume Besse.

J. DALARUN: j'ajoute que ce texte n'a rien d'effrayant dans son contenu. On ne dit pas que les hérétiques se retrouvent dans les caves, éteignent les lumières et se mettent à forniquer à tout-va 1 On voit l'assemblée ordonnée et paisible de gens qui ont une difficulté à affronter, mais le font collectivement, dans un esprit de conciliation et de paix. M. ZERNER : mais bien sûr puisque c'est un texte qui est présenté

comme de provenance hérétique. En tant que tel, il ne peut pas y être question d'hérétiques faisant des orgies, brûlant des fœtus et mangeant leurs cendres. C'est une charte hérétique qui prouve à quel point les hérétiques sont partout, d'où la déduction que le vicomte de Béziers est leur première victime. A. BRENON : sans aller jusque là, Guillaume Besse aurait pu tout de même les montrer moins sympathiques car la charte leur donne une bonne attitude. Sans aller jusqu 'aux turpitudes, il aurait pu les montrer moins évangéliques.

J. CHIFFOLEAU: si ce n'est qu'ils reprennent des limites de diocèses qui sont catholiques et qu'ils sont partout. Il ressort qu'il y a une quotidienneté de l'hérésie et c'est cela qui est inquiétant. On peut toujours agiter les vieux mythes et on peut continuer à les agiter très longtemps durant le Moyen Âge mais il peut y avoir aussi une façon de montrer que les hérétiques sont inquiétants, c'est de dire qu'ils sont partout et quotidiennement installés. M. ZERNER: je voudrais dire quand même que, si Jean-Louis Biget fait une autre proposition que moi, c'est que nous voulons pousser jusqu 'au bout les hypothèses possibles à propos de ce texte. Donc Jean-Louis Biget a examiné la possibilité du faux au moment de la copie, j'ai examiné la possibilité du faux en 16 50 quand la pièce est censée avoir été copiée. La possibilité du faux en 1167 est au cœur de la question. Qu'il soit bien clair que l'hypothèse qu'a essayé d'explorer le plus loin possible Jean-Louis Biget et l'hypothèse que j'ai explorée avec modération, sont

LE DÉBAT

67

simplement de bonne méthode. Il s'agit de comprendre avec quelles hypothèses cela marche le mieux. En tout cas, en ce qui me concerne, il me semble que la manière dont Guillaume Besse fait cette charte est très concevable dans les années 1650-1660. Mais on y reviendra sûrement plus tard dans le débat. J.-L. BIGET: il est intéressant de relever que Guillaume Besse luimême introduisait un parallèle entre la lettre de Conrad de Porto et la notice de Saint-Félix, mais celle-ci pose aussi certains problèmes. Je les énonce et peut-être que quelqu'un pourra y répondre, en particulier Anne Brenon. Il y a dans la teneur même du document des éléments d'interrogation. Sait-on si, d'une manière générale, les évêques cathares étaient élus ? D'autre part, sait-on, même si les sources ne sont pas prolixes là-dessus, comment ces «Églises » fonctionnaient et si elles étaient administrées par un conseil? En effet, n'a-t-on pas là une forme de description des synodes protestants ? On remarque que dans la notice, l'évêque apparaît toujours cum consilio suo, n 'est-ce pas ici une pratique protestante ? Et l'élection même des pasteurs ou des chefs des églises n'est-elle pas aussi un élément protestant qui serait donc, dans l'hypothèse d'un faux du XVLf siècle, une transposition du système protestant sur les cathares ? On sait que pratiquement depuis les origines du protestantisme, les catholiques ont projeté sur les réformés l'image de cathares dont ils faisaient leurs ancêtres, alors n'a-t-on pas encore dans la notice cette forme de projection ? C'est une question que je me pose tout en étant incapable dy répondre, car je ne connais pas bien le fonctionnement des églises protestantes. M. ZERNER : le problème du cum consilio a été étudié très sérieusement par Yves Dossat et c'est une des raisons pour laquelle, en 1955, dans son premier article, il trouvait que la charte était invraisemblable. Car, pour lui, jamais on ne trouve cum consilio dans des écrits cathares. J'ai beaucoup épluché la bibliographie ciblée sur Saint-Félix et j'ai été frappée par le fait que personne n'a repris et analysé cette objection d'Yves Dossat, et pourtant il se servait de cet argument pour montrer que l'acte était un faux. Et je suis bien contente de votre hypothèse, Jean-Louis Biget. En effet, mais je n'ai pas exploré cette possibilité, les églises protestantes ont pu inspirer Guillaume Besse.

68

DÉBAT: 1999

G. LOBRICHON : on arrive par ce détour au cœur du problème. Il s'agit de savoir quelles sont les pièces, autres que celle-ci, autorisant les historiens à parler du «gouvernement» des communautés cathares au XII" et même pendant tout le XIII" siècle. Quels sont les autres documents ? A -t-on des références qui permettraient de dire qu'une délibération cum consilio serait impossible ? Si notre document est seul, on est tous piégé, on ne pourra jamais rien dire de définitif à ce sujet. J. DALARUN : où se trouvent les occurrences de cum consilio dans

le texte ? Elles figurent dans ce que j'ai appelé le préambule « mythographique », non pas dans ce qui découle de l'antiqua cart a. C. CABY : je voudrais poser juste une question à propos de ces problèmes de transcription. Apparemment nous traduisons tous le translatum du dernier paragraphe par « transcrit». Pourrait-on comprendre par translatum, « transmis » ? Ou chercher un autre sens?

M. ZERNER: il a beaucoup été écrit là-dessus parce que c'est du mauvais latin. Sur translatare Yves Dossat s'est aussi attardé ; il en

fait un argument favorable à la thèse d'un faux du XVII" siècle. J. CHIFFOLEAU: je crois qu'il faut revenir sur le schéma d'interprétation que nous a proposé Jacques Dalarun, parce que, effectivement, c'est la dernière partie du texte qui permet de le raccrocher d'une manière ou d'une autre à la réalité des années 1160-12 30. Aussi, je pense qu'il faudrait peut-être repartir dans l'autre sens comme il le propose puisque c'est ce qui lui permet son hypothèse. Donc, il faut approfondir la mise en avant d'un préambule «mythologique » ou « mythographique » et c'est par la délimitation qu'il faudrait commencer.

J. DALARUN : cette délimitation dans le document me paraît essentielle. La répartition territoriale a fait 1'objet de deux exemplaires d'un dictatus et carta; c'est clairement dit dans le texte et cette consignation est certainement à confondre avec l'antiqua carta citée par Petrus Pollanus. Or cet homme, malhabile et peu instruit mais soucieux de citer ses sources, ne peut se réclamer d'aucun document écrit pour justifier sa relation de l'assemblée de Saint-

LE DÉBAT

69

Félix elle-même. Après la liste des témoins de la répartition des églises, il n'y a pas de date. La date terminale est celle du translatum. La date de mai 1167 me paraît donc à prendre avec précaution. M. ZERNER : tu penserais donc, toi qui découvre le dossier en quelque sorte, que nous sommes dans une mythographie au début du texte, mais dans ce cas la question reste entière : est-il de Guillaume Besse, ou date-t-il des années 1220 ? Tu pencherais pour une première partie faite vers 1220. C'est une des hypothèses faite par Bernard Hamilton qui distingue trois parties dans le texte. Pilar Jimenez en distingue deux.

J. CHIFFOLEAU : le problème c'est que vous dites vous aussi que cette première partie du texte il faut la rattacher au De heresi catharorum qui, que je sache, est un texte qui émane, non de l'Inquisition qui n'existait pas encore, mais des clercs. Donc la question se pose quand même. Est-on en pleine mythographie dès ce moment là, aurait-on une mythographie, dès 1220, partagée par les hérétiques et les clercs qui les pourchassent ? Cependant, pour revenir sur la délimitation des diocèses qui est d'abord un dit puis un écrit, je crois qu'il faudrait examiner de près, outre les arguments philologiques, la forme même de cette divisio et de cette présence de divisores et j'aimerais savoir à partir de quel moment on pourrait imaginer, en Languedoc, une divisio aussi .fine que celle présentée par la charte, dans ses termes et avec la présence de divisores. Pour moi, la situation que je connais bien de l'autre côté du Rhône, en Empire, dans le Marquisat que le comte Toulouse revendique aussi - mais tout vient de là et non de Toulouse -, je ne crois pas cela possible avant l'extrême fin du X!Tf siècle. J.-L. BIGET : juste un mot pour répondre à Jacques Chiffoleau. Tout ne vient pas du Marquisat, cher ami, on procède à des délimitations très strictes des diocèses de Toulouse et d'Albi autour de 1240. Cela sur une zone précise. Et pourquoi ? Toujours à propos des dîmes, car il faut savoir où passe la limite entre les paroisses pour les lever. Mais la délimitation avec des divisores porte seulement sur deux ou trois paroisses, avec un acte authentique en preuve.

70

DÉBAT: 1999

G. G. MERLO :je suis bien obligé de parler en italien parce que je ne parle pas le français 1• Mais je voulais souligner avant d'aborder mon point essentiel que cette discussion est d'une importance absolue. Donc, même si nous rentrons chez nous sans savoir si ce document est un faux ou pas, il s'agit sans doute d'un pas important pour la recherche sur l'hérésie, la recherche sur le catharisme et les catharismes. C'est donc un premier point absolument fondamental. Le deuxième point est également important, c'est absolument fondamental que l'on reprenne une discussion sur les sources dans la patrie de Mabillon. Et c'est grâce au professeur Zerner, non seulement que l'on peut avoir cette occasion, mais que l'on peut aussi repenser et proposer à nouveau une histoire des hérétiques dans les siècles centraux du Moyen Âge. C'est une question de méthode très importante, qui dépasse aussi Arsenio Frugoni, très justement et abondamment cité. Mais le cours d'Arsenio Frugoni était des années cinquante, et il ne faut pas non plus le surévaluer, parce que les Italiens sont étranges. Arsenio Frugoni a écrit un ouvrage sur la méthode, mais ensuite, lorsqu 'il a dû faire une notice pour le « Dizionario biografico degli Italiani » sur Arnaud de Brescia, il a utilisé lui aussi la méthode philologico-combinatoire. Il faut donc faire attention. Son cours reste cependant très important. Troisième point : le débat sur ce texte cache bien évidemment des choses beaucoup plus importantes, qui réapparaissent ici et là comme des résurgences, comme des sources. Il implique l'interprétation du catharisme, nous l'avons entendu, l'interprétation d'un grand fait historique du XIr et du XIIr siècle. Il ne s'agit donc pas d'un fait purement philologique, il ne s'agit pas simplement d'un jeu intellectuel. Ici sont en jeu des visions de l'histoire, des interprétations d'un phénomène aussi important que le catharisme dans le Midi de la France puis dans d'autres lieux. Ces points devraient expliquer à tout le monde, même à ceux qui sont moins au fait des misteria haereticalia, pour quelles raisons on conduit ce débat. J'arrive au quatrième point de ma courte intervention qui porte sur le document. Nous parvenons difficilement à nous libérer d'idées préconçues. C'est même peut-être une bonne chose que nous ne

1 Les interventions de G. G. Merlo ont été traduites en français par Karin CavazzoccaMazzanti, que nous remercions ici.

LE DÉBAT

71

nous en libérions pas. Une approche aseptisée d'un document est impossible. Alors chacun d'entre nous y met ses passions, qui peuvent être des passions pour le XVIr, le XX', le XIIr siècle. Personnellement j'ai des passions pour le XIr siècle, et je veux dire que les hypothèses qui ont été formulées sont des stimulations pour comprendre si le document est authentique ou non. Et même ici la position du professeur Zerner est fondée, puisque dans ce cas c'est le rôle de 1'historien de démontrer la non-authenticité, et non pas 1'authenticité. Puisque 1'authenticité semble être acquise. En effet Besse nous dit : « On m'a donné ce document, cette personne, ce prébendaire me l'a donné, je l'ai transcrit». Donc, nous n'avons aucun document pour affirmer que notre prébendaire est un faussaire ou bien que Besse est tout autant un faussaire. Ainsi c'est légitime, nous faisons cette enquête tel un commissaire de police et nous voyons s'il existe des raisons pour produire ce document. Ceci est très juste, Madame le professeur, mais par la suite nous ne pouvons pas oublier le produit, c'est-à-dire le résultat. Alors il faut voir. Vous essayez même de démontrer, d'une manière qui ne parvient pas à me convaincre, qu'il existe un lien entre l'objectif de Besse et le produit réalisé. Le produit, sic 'est Besse qui l'a produit, est absolument génial. C'était un faussaire comme il faut. Si le produit a été réalisé en 1223 ou 32, cela n'a pas d'importance, alors les faussaires étaient encore plus géniaux. Et donc, ou bien nous nous inclinons devant le génie des faussaires, et il peut y avoir cette possibilité, en français on parle d'une « hypothèse », mais c'est également possible que le document soit « authentique », c'est-à-dire qu'il n'ait pas été produit au XVIr siècle, mais qu'il ait été utilisé au XVIr siècle, et qu'il n'ait pas non plus été produit par un faussaire au début du xur siècle. Il y a des éléments qui, à mon avis, mettent fortement en doute l'éventualité d'une falsification. Pourquoi dire, à la fin, pourquoi écrire : Dixerunt Ermengaudo de Forest ... faceret dictatum. Pourquoi produire une copie de la charte ? C'est la première question. Deuxièmement, il y a des indices plus subtils, plus difficiles à recueillir, au point que certains éditeurs les ont enlevés. Par exemple si nous prenons la transcription de Besse faite par Sanjek, devant Marc de Lombardie, Sanjek supprime le q., parce qu'il est inutile. Page 483, il est écrit : Postea vero Robertus de Spernone ... q. Marcus Lombardie venit ... Sanjek ignore le sens, donc il supprime le q. en faisant sa

72

DÉBAT: 1999

transcription. Pourquoi? Parce que c'est un q. qui dérange. Mais si nous l'interprétons, comme cela me paraît légitime, de cette manière: quidam Marcus de Lombardia, et il n'y a pas d'autre lecture possible, on a un élément supplémentaire pour ce que le professeur Dalarun a appelé un préambule mythographique. Les autres personnes sont des gens du pays, Marc est un « quidam », un certain Marc qui arrivait de Lombardie. Ceci me semble un élément très important. Deuxième donnée : ce document me paraît être très favorable au monde de la dissidence. Il y a ce discours magnifique de papa Niquinta, Nicheta, Niceta, comme vous l'appelez, cela n'a pas d'importance. C'est un merveilleux discours évangélique: Postea vero... consuetudines. C'est un discours évangélique et positif Et je me demande enfin pourquoi un faussaire n'utiliserait-il pas le terme de catharus. C'est un document trop interne à un monde qui est en train de se construire. Et vous me dites : «Mais ils l'ont fait exprès ... ». Enfin... c'est possible. En ce qui me concerne, je dirais que, bien sûr, je suis satisfait et que, probablement, on peut très bien continuer les recherches sur Besse et son monde, sur les années vingt et trente du X!Tf siècle. Et ce n'est même pas la peine de changer la date de 1232. Si nous changeons la ponctuation, en la ramenant à 1223, c'est un lundi. Mais si nous renvoyons, comme d'autres l'ont fait avant nous, le lundi 14 août à l'année 1167, tout coïncide pmfaitement. Et donc nous n'avons même pas besoin de changer la date de l'année en 1223. Mais il serait intéressant à mon avis d'envoyer cette photocopie à ceux qui ne connaissent rien sur l'hérésie, c'est-à-dire aux diplomatistes, qui généralement connaissent très bien leur domaine, Italiens, Anglais, Allemands, Russes... et faisons une enquête en posant la question suivante : «d'après vous, du point de vue formel, d'après ce que vous lisez, le document présente-t-il des éléments de fausseté ou non ? ». Et probablement que ceux qui s'occupent de documents de manière professionnelle pourront nous communiquer des indications très importantes, afin d'éviter ces idées préconçues qui existaient de toute manière même dans mon discours. Et cela pour éviter de lire ce texte uniquement du point de vue du contenu. Mais le document est avant tout une forme documentaire. Puisque celui-ci ne relève d'aucune typologie, sinon de la mémoire. Nous pouvons l'appeler la mémoire semi-notariale, je ne sais pas ... Je m'engage de mon

LE DÉBAT

73

côté à l'envoyer à des paléographes diplomatistes italiens. Ce serait intéressant d'avoir leur avis, pour voir quels éléments peuvent nous fournir les professionnels des documents. Je devais être bref et j'ai été très long. Je vous demande de m'excuser. Ici il ne s'agit pas de dire que le professeur Zerner a tort, que le professeur Chiffoleau a raison, ce qui est très difficile, ou bien que le professeur Dalarun a raison, ce qui est plus facile ... J. DALARUN: à comprendre ... G. G. MERLO: ... mais il s'agit de voir des éléments, de s'efforcer de travailler ensemble pour arriver aux mille preuves qui peuvent nous aider à comprendre... Et cela justement à cause de l'importance du document. S'il a été ou non écrit par Besse, cela change les perspectives. Merci et excusez-moi. G. LOBRICHON : merci beaucoup. Ce sont des problèmes de méthode tout à fait intéressants et je note simplement qu'il serait très important que des diplomatistes et des paléographes, comme vous le disiez, relisent attentivement ce texte. Je suis frappé que l'édition de Guillaume Besse reproduise très clairement des abréviations qui pourraient être médiévales. Pour autant le fait qu'un q. signifierait systématiquement quidam n'est pas toujours évident dans les documents que je connais. J.-L. BIGET: de plus, l'abréviation n'est pas constante dans le texte. Il y a plusieurs q. qui ne peuvent pas tous signifier quidam. Mais effectivement on pense à quidam parce que dans le De heresi catharorum, il y en a beaucoup. M. ZERNER :je n'ai pas compris tout ce qu'a dit Giovanni Grado Merlo mais je voudrais donner deux éléments sur le q. Il faut rappeler que le problème de l'abréviation a déjà été discuté par Antoine Dondaine et c'est ce qui l'a amené à rapporter le 14 août à 1167; le même problème a été repris par B. Hamilton et c'est ce qui lui a permis de transformer que en qui et de rapporter le 14 août à 1223. Car le 14 août 1223 est un lundi. Le problème, c'est que les textes découverts par Antoine Dondaine, le De heresi et le Tractatus, font remonter la rencontre de Papa Niceta et Marc en Lombardie à une date postérieure à 1167. Mais ce que je voulais dire surtout c'est que si, comme il est probable, Besse avait

74

DÉBAT: 1999

eu en main l'histoire de l'Église de Nicolas Vignier, un protestant, parue en 1601 à Leyde, et bien connue, il a pu s'en inspirer. Nicolas Vignier écrit en toutes lettres - nulle abréviation à restituer - primum habuerunt episcopum quendam Marcum nomine, sub cujus regimine omnes Lombardi, et Tusci et Marchiani regebantur. Et, ajoute-t-il, iste Marcus ordinem suum habebat de Bulgaria. Veniens autem quidam Papa Niquetas nomine a Constantinopoli in Lombardiam... Quand Sandius édite la charte de Niquinta en prenant la précaution d'écrire à propos de Besse, si fides est, il renvoie en note à une citation prise chez Nicolas Vignier. J. DALARUN :j'aimerais revenir sur trois points évoqués par Grado Merlo, deux sur lesquels je partage entièrement son point de vue et l'autre non. Pourquoi faire un faux si compliqué dans la forme par ses emboîtements successifs et si peu propice à une propagande anti-hérétique sur le fond ? C'est une question qui mérite en effet d'être posée. La résolution du q. en quidam me paraît très pertinente, puisque Marchus Lombardiae est le seul personnage affublé de cette abréviation dans le texte et que la résolution en quidam rejoint la présentation du même Marcus dans le De heresi. En revanche, je ne crois pas que la date du 14 août puisse se rapporter à 1167. Un scribe qui se dit mandatus ac rogatus, même s'il ne fait que singer 1'ars notarie, mais pour cette raison justement, ne peut pas ne pas dater son acte et il doit le faire au jour près. Le 14 août doit donc être rattaché à la date qui suit et non à 1167. J. CHIFFOLEAU: Jacques Dalarun, je fréquente assez souvent un faussaire nommé Larivière qui a présidé aux faux du et XIr siècle dans la région provençale. Eh bien, je peux dire qu'il enchâsse les textes de façon extraordinaire pour illustrer la transcription et donner un effet de réel supplémentaire. Donc, il y a des faussaires capables de constituer des références de ce type.

xr

M. ZERNER : Besse possède déjà un excellent bagage historique quand il écrit l'Histoire de Carcassonne. Il connaît Matthieu Paris, Guillaume de Newburgh et Guillaume de Puylaurens, mais cela ne l'empêche pas d'inventer, par exemple l'épitaphe de Simon de Montfort.

LE DÉBAT

75

J.-L. BIGET: je voudrais simplement énoncer une remarque à partir de laquelle je ne conclus rien mais je crois qu'elle doit être faite. Sandius pose déjà la question de l'authenticité de la notice et Bossuet qui écrit un peu après et qui je crois est un historien sérieux -ce qui ne veut pas dire que j'adhère à ses vues-, ne cite pas cette preuve de Guillaume Besse. J'ai bien relu ses chapitres qui concernent les hérétiques dans «L'histoire des variations des églises protestantes », il fait l'impasse sur ce texte, qui pourtant est édité à Paris en 1660 et qu'il devait donc connaître. Il n'en parle absolument pas. C'est sans doute qu'il se posait des problèmes quant à son authenticité. M. ZERNER : j'ai regardé aussi très soigneusement cet ouvrage de Bossuet. Il aurait pu parler de cette «preuve » dans différents chapitres. Il fait un livre XI qu'il intitule «Histoire abrégée des Albigeois, des Vaudois, des Viclejites et des Hussites>>. C'est d'ailleurs en partie le titre que donnait déjà Guillaume Besse à sa «dissertation>>. Au chapitre 23 Bossuet traite de «l'origine des manichéens de Toulouse et d'Italie. Preuves qu'ils venaient de Bulgarie>>, au chapitre 24, de «la même origine prouvée par un ancien auteur chez N. Vignier ». Il aurait pu aussi en parler entre le chapitre sur Pierre de Bruis et Henri de Lausanne et le chapitre sur le concile de Lombers auquel il donne le titre de « Concile de Lombez. Célèbre interrogatoire de ces hérétiques ». Mais «L'histoire des variations des églises protestantes» est parue en 1688, c'est-à-dire bien après la disgrâce des Fouquet. Ici, je donne un argument qui va contre ma propre hypothèse : ceux qui sont liés aux Fouquet sont plus ou moins victimes d'une sorte de damnatio memoriae, ce qui pourrait expliquer que Bossuet ne cite pas Guillaume Besse, à la différence de Sandius. Bossuet avait-il eu connaissance de l'œuvre de Besse? Au point où nous en sommes, il convient d'explorer les arguments dans tous les sens.

A. PIAZZA : si c'est un Jaux du XVTf siècle pourquoi est-il relativement bien construit dans sa première partie et si obscur dans sa dernière partie ? Il existe une solution, qui est celle avancée par le professeur Merlo, mais la date de l'acte est insérée ensuite dans cette forme d'authentification, ou imitation d' authentification. Et celui qui construit un Jaux le fait bien jusqu 'au bout. S'il ne s'agit pas d'un faux du XV!f siècle, je remarque des

76

DÉBAT: 1999

contradictions. Je suis d'accord pour que ce texte soit mis entre les mains de paléographes diplomatistes. Et ils arriveraient à des choses très intéressantes. Le terme utilisé est antiqua carta. Carta est un terme juridique : quelle en est l'utilisation dans cette région, dans les années trente du XIIr siècle? S'il s'agit d'un terme juridique, pourquoi le document a-t-il au début cette étrange datation, dans laquelle certains éléments n'apparaissent pas, comme l'indiction ? Etait-elle utilisée ici ? Et pourquoi le document dit-il in diebus similis, termes qui font penser à une narration, et se termine en revanche par une liste des témoins qui fait penser à un document ? Et ensuite, que signifie hoc translatum fecit translatare ? Est-ce une transmission, une traduction ? Y a-t-il référence à des textes dans une langue différente de la langue latine première? Mon impression est que l'on trouve une composition d'éléments dans lesquels l'élément originaire, qui peut être la mémoire du fait, une mémoire de cinquante ans en arrière et peut-être même plus, est très forte. Il s'agit de toute manière de questions qu'il est nécessaire de se poser, à mon avis. J. CHIFFOLEAU : du premier point que vous avez soulevé, on a déjà parlé un peu, c'est ce problème de l'authentification du texte par un expert. Je crois, pour ma part, qu'il y a, en tous cas en France, des faux qui se présentent ainsi, c'est-à-dire avec un empilement de références. C. CABY: la question est aussi de savoir quel type de datation on

utilise dans le Midi à cette époque, ainsi que le problème de la portée juridique du terme carta. J. CHIFFOLEAU :je ne saurais pas le dire pour le Languedoc. Le

mot a-t-il vraiment une portée juridique ? En fait, de mon point de vue, c'est plutôt un terme générique. J.- L. BIGET : oui, c'est plutôt un terme générique, très courant au début du XIIr siècle. S. MULA: oui, mais en tous cas, c'est Guillaume Besse qui parle de charte. J. CHIFFOLEAU (et d'autres): mais là, il parle d'antiqua carta ...

J. DALARUN : et de dictatum et carta, donc il y a plusieurs étapes.

LE DÉBAT

77

M. ZERNER: j'ai une longue pratique des cartulaires provençaux. Carta se retrouve aussi bien dans les notices que dans les chartes complètes du point de vue de la diplomatique. J. CHIFFOLEAU : en revanche, vous avez posé une question très intéressante que Jacques Dalarun a soulevée aussi à propos du hoc translatum fecit translatare, c'est-à-dire à propos des différents niveaux de transmission du texte et du passage de l'oral à l'écrit et là, je suis aussi perplexe que vous et je suis assez sensible à l'argument que Jacques Dalarun a développé tout à l'heure. Il n'y pas de doute que dans ce cas, cela renvoie à quelque chose qui pourrait être une mémoire transmise oralement et écrite à un certain moment. Ce serait un élément qui plaiderait en faveur de l'authenticité. G. LOBRICHON: à propos de ces éléments de terminologie, on pourrait retenir ce consilium et ce gubemamentum auxquels il est fait allusion comme des termes qui posent problème.

J. ROCHE: j'ai fait une recherche sur le terme gubemamentum. L'étude de ce mot peut apporter de précieuses informations sur l'authenticité présumée de l'acte de Saint-Félix de Caraman. En effet, ce mot n'existe pas en latin classique, qui ne connaît que gubematio. Les dictionnaires de latin médiéval sont également muets quant à ce mot alors qu 'ils connaissent gubematio. Les fichiers du nouveau Du Cange donnent une seule attestation pour gubemamentum, celle de la charte de Niquinta, ce qui laisse planer le doute sur l'éventualité de l'emploi du mot au Moyen Âge. Dès lors, on peut envisager deux possibilités, celle d'un hapax, peu probable, ou celle d'un barbarisme. Je pense que gubemamentum est très certainement un barbarisme, qu'il ait été commis par Petrus Poflanus ou plus probablement par un éventuel faussaire. Une recherche étymologique va peut-être nous éclairer : le dictionnaire de Wartburg, « Franzosisches etymologisches Worterbuch », mentionne l'apparition du mot «gouvernement» en ancien français à la fin du XIr siècle dans une traduction en français de «Li sermon Saint Bernart », en 1190. Or dans le texte latin, le mot utilisé est gubematio et non gubemamentum: c'est donc le traducteur de saint Bernard qui a introduit cette nouveauté en français. Il serait dès lors plus logique de faire dériver ce

78

DÉBAT: 1999

barbarisme d'une contamination à partir du mot français, et sans doute à une époque plus tardive quand le français a supplanté le latin dans les milieux cultivés, plus sûrement à l'époque moderne qu'au Moyen Âge, surtout si l'on considère que les notions et les mots mêmes de «pouvoir » et de « gouvernement », associés dans la charte de Niquinta sont omniprésents à l'époque moderne. Je crois que cet argument peut laisser penser à un faux d'époque moderne, le faussaire s'étant laissé tromper par le mot français qu'il a tout simplement latinisé en lui ajoutant une banale terminaison latine, alors qu'un faussaire du Moyen Âge, plus pétri de latin, n'aurait certainement pas commis cette erreur, à moins de considérer que Petrus Pollanus pouvait commettre un tel barbarisme du fait d'une médiocre connaissance du latin. Si cet argument n'est pas décis~[, il apporte en tous cas un nouvel élément pour mettre en doute l'authenticité de la charte de Niquinta. G. LOBRICHON: oui, simplement on est aussi devant une carence de sources médiévales et notamment pour des problèmes comme ceux-là, dans cette région qui est bouleversée par les mutations profondes du gouvernement.

J. ROCHE : mais j'ai regardé et étudié Clovis Brunei, qui donne aussi les textes des chartes occitanes les plus anciennes, et on ne trouve aucun exemple de governamen ou même de mots qui s'approcheraient de ce terme là en occitan. Donc, on a l'impression que ce gubemamentum est un hapax. L. BURNHAM : si on dit que le document est authentique on est devant le problème de la transcription de Caseneuve ou de Guillaume Besse, ils auraient pu mal lire le mot qui commençait bien par guver ...

J. ROCHE : oui, mais on le voit tout de même mal passer de gubernatione à gubernamento. Paléographiquement, je ne vois pas comment cela serait possible. L. BURNHAM :

collection Doat.

oui, mais on peut lire ce genre d'écart dans la

LE DÉBAT

79

S. MULA : il y a par exemple la dation de 1232, Guillaume Besse parle dans son texte de 1223, donc là, c'est tout de même une faute de transcription. M. ZERNER : mais une faute sur un chiffre, ce n'est pas tout à fait la même chose que sur un mot complet. Je pense qu'une faute d'imprimerie ne fait pas de doute sur 1223. En revanche, le manuscrit de Guillaume Besse portait sûrement le mot de gubernamento qui a été imprimé.

J. CHJFFOLEAU: on a évoqué le problème du consilium, peut-être faut-il faire le point là-dessus et savoir ce qu'en pensent les présents ?

J.-L. BIGET :justement j'allais poser la question à Anne Brenon : trouve-t-on ce terme ailleurs ? Vous connaissez plus à fond les sources que moi dans ce domaine ou, en tous cas, selon une autre lecture. C'est important, parce que 1'on peut très bien voir un texte et ne pas faire attention à un mot parce qu'on ne s'y intéresse pas au moment où on le lit. A. BRENON :je ne me souviens pas avoir vu le mot. J. CHIFFOLEAU : si les inquisiteurs avaient entendu le mot « conseil», ils auraient demandé : «... et alors, qui faisait partie du conseil ? », je peux vous dire que c 'eût été clair. A. BRENON : j'ai comme l'impression que les hérétiques parlent beaucoup entre eux mais n'utilisent pas ce terme.

le mot « conseil» nous renvoie à une forme institutionnelle qui se retrouve dans 1'Église Réformée où un « conseil presbytéral » entoure le pasteur.

M. ZERNER :

J.-L. BIG ET: je dis simplement que c'est une enquête qu'il faut mener. Je ne l'ai pas conduite, mais cela m'a traversé l'esprit en travaillant pour venir ici puisque mon intime conv1ctzon est que, finalement, on a plutôt affaire à un faux du XVIr siècle qu'à un faux des années 1220-1230. Mais puisque j'ai la parole, je la garde pour dire que, s'ils 'agit d'un montage de Guillaume Besse ou de quelqu'un d'autre de son entourage, 1'auteur pourrait très bien avoir repris des éléments de textes divers, comme par exemple à la fin de la charte, ceux qui concernent Pollanus et Isarn. Il a

80

DÉBAT: 1999

peut-être effectivement transcrit des textes qui sont passés par les mains de quelqu'un à une époque donnée et qui sont aujourd'hui perdus. Donc, la notice peut être un montage à plusieurs niveaux. B. Hamilton, en distinguant les parties ou vous-même, Jacques Dalarun, indiquez que cela peut être un collage de plusieurs éléments. Alors, ce collage peut aussi avoir été effectué au XVJr siècle, ce n'est qu'une pure hypothèse de ma part, mais on est là pour discuter et je crois que cela fait avancer un peu les choses. J. CHIFFOLEAU: sautons un peu du coq à l'âne et passons au petit prêche. La prédication de Niquinta est tellement articulée qu'elle ne fait pas penser à un discours spontané mais à un petit discours très construit avec deux éléments. Dans un premier temps, la gravité ou la légèreté de la règle qui rappelle des problèmes monastiques, et puis ensuite les saintes églises d'Asie qui rappellent l'ApocaZvpse. Donc, c'est une prédication faite en « kit» de manière très rapide. Ainsi, cela peut répondre à G. Merlo sur le fait qu'on peut la mettre dans la bouche d'un hérétique même si on se situe comme un bon catholique en 1220 ou en 1650. M. ZERNER :je me permets de demander à mes étudiantes qui ont

travaillé sur les polémiques antihérétiques de donner les résultats de leur recherche sur les occurrences de la référence aux églises d'Asie. DOCTORANTES DE NICE :

on en trouve, mais jamais pour signifier

une division. D. BARTHÉLÉMY PREND À SON TOUR LA PRÉSIDENCE DES DÉBATS.

D. BARTHÉLÉMY : nous avons discuté du texte lui-même, un certain nombre de mots sont en suspens. La première question est de savoir si dans la lecture directe du texte, il y a encore des remarques à faire. Deuxièmement il me semble que nous avons d~jà beaucoup parlé de Guillaume Besse, donc de ce qui correspond à l'exposé de Monique Zerner hier. Il y a ensuite ce qui correspond à l'exposé de Jean-Louis Biget, c'est-à-dire tout ce qui tourne autour de la lettre de Conrad de Porto et l'hypothèse de /'excitatorium des années 1220. Et puis il y a tout ce que Jacques Chiffoleau a dit du père Dondaine, de l'Église cathare, de la

LE DÉBAT

81

conception qu'on se fait de l'ecclésiologie cathare. A mon avis, cela reste le gros morceau parce qu'il est évident que l'objection fondamentale au texte de ce concile, c'est qu'il donne ou il veut donner une image de l'ecclésiologie cathare qui détonne complètement. Je crois avoir fait à peu près le répertoire des thèmes qui restent à aborder. Comme nous allons être un peu pressés par le temps, est-il possible de savoir maintenant quels sont ceux qui souhaitent intervenir d'une manière substantielle ? A. BRENON: j'ai une petite remarque, ne pourrait-on pas s'interroger sur la forme Niquinta par rapport à la forme Nicétas de papa Nicétas qui apparaît dans les textes italiens ? Ne pourraiton pas supposer, comme dans le cas de Bogomile/Théophile, qu'on serait en présence d'un doublon, slavon-slave grec, Niquinta étant une forme plutôt slave du Nicétas grec ; ce qui pourrait signifier que, si la charte de Niquinta n'était pas un faux, elle pourrait manifester une tradition différente de celle des textes italiens ? C'est une simple question que je pose. Est-ce par hasard que Besse est tombé sur une graphie qui rappelle quand même sérieusement la forme slave? Ce n'est pas tout à fait le fruit du hasard, d'une transformation de l'oralité. Mais ce n'est qu'une question, je n'ai pas de réponse là-dessus. D. BARTHÉLÉMY : ensuite il y avait le problème des années 1220, Jean-Louis Biget est intervenu hier d'une manière forte sur la prosopographie, les personnages ... On pourrait revenir maintenant sur ces personnages et, par la même occasion, sur l'argumentation concernant les années 1220 ?

A. BRENON :je voudrais débattre sur le fond des deux interventions de Jean-Louis Biget et surtout de Jacques Chiffoleau, qui a soulevé le plus de questions chez moi. Hier, j'étais arrivée avec dans la tête l'idée que la charte de Niquinta, pour moi, était plutôt authentique. Et enfin, je suis désolée, mais je crois que je vais partir en pensant encore qu'elle est plutôt authentique, mais sans rien affirmer. Parce que vous avez très bien montré, Monique Zerner et Jean-Louis Biget, qu'il n'est pas du tout impossible qu'elle ait pu être forgée au XV1r siècle, pas du tout impossible qu'elle ait pu être forgée vers 1220-1230. Mais sans plus pour moi, et je crois qu'on pourrait effectivement réunir des dossiers presque

82

DÉBAT: 1999

xvr

aussi concluants pour le XV" siècle, le siècle et imaginer d'autres périodes où elle aurait pu être forgée. Je voudrais dire que, à partir du moment où on n'a pas d'éléments déterminants (et je crois qu'on n'en aura pas) pour et contre l'authenticité de la charte, le clivage entre ceux qui sont plutôt pour et ceux qui sont plutôt contre se fait à partir de l'interprétation qu 'on donne du « con-texte », je mettrais presque un trait d'union. En effet ceux qui disent «plutôt non » donnent une signification importante à la charte, en soulignant que selon qu'elle soit fausse ou vraie, cela change tout. Alors que ceux qui disent «plutôt oui», comme moi, en tout cas je suis arrivée avec cette idée, pensent qu'en fait c'est presque un faux problème, et que la charte soit authentique ou fausse, cela ne change pas fondamentalement nos connaissances de l'état de l'église cathare dans les années 1160-70. En effet, à partir du moment où Jean Duvernoy, Ylva Hagman, Pilar Jimenez et moi-même - et d'autres bien sûr -, nous l'avons débarrassée de l'appareillage et habillage doctrinal dont toute une lignée de traditions historiographiques depuis Schmidt jusqu 'à Dondaine et Barst l'avaient affublée, en faisant de l'acte de Saint-Félix l'acte fondamental de la naissance de l 'albigéisme, par la conversion de nos gentils hérétiques occidentaux qui étaient encore vaguement chrétiens parce que encore vaguement gnostiques et dualistes mitigés, en ces méchants hérétiques dualistes absolus tout à fait extérieurs au christianisme, venant d'un Orient douteux et manichéens ... ; bon, à partir du moment où nous l'avons débarrassée de tout cet habillage, que reste-t-il ? Je dirais, pas grand 'chose, et j'étais venue un peu dans l'idée que, finalement, tout ce que la charte nous apprend, c'est que les cathares avaient des évêques et cela, on le sait depuis Evervin ... J. CHIFFOLEAU : non, non, non. A. BRENON :je sais bien que vous pensez que non. On croyait du moins le savoir depuis Evervin, et on va suivre cette succession d'évêques hérétiques pendant tout le XIII" siècle. Qu'il y ait eu des pratiques de consolation multiple, indépendamment de toute raison doctrinale, qu'il s'agissait de mesures d'assurance sur la bonne lignée, la bonne tradition de l'esprit dont on était détenteur, on le sait par ailleurs. C'est le sens du mot ordre, le mot ordo en latin qui a fait beaucoup extrapoler le Père Dondaine, et qu'on a

LE DÉBAT

83

compris dans un sens dogmatique, alors que ces reconsolations étaient des renouvellements d'ordres de filiation apostolique. On a dans les textes de l'Inquisition un certain nombre d'autres exemples de consolations multiples. Et en plus des sources de l'Inquisition, on sait aussi par les rituels cathares qu'il y avait quand même un minimum d'organisation dans la communauté cathare. J'en viens donc à ce que nous disions, la communication de Jacques Chiffoleau change tout, bouleverse toutes les perspectives, parce qu'il affirme que ce contexte lui-même est à mettre en doute. Si on n 'inscrit plus la charte dans un environnement qui montre des évêques effectivement à l'œuvre auprès des communautés d'hérétiques, de bons hommes et de bonnes femmes, depuis le milieu du XTf siècle et même avant, jusqu 'à la fin du Xllf siècle, à ce moment-là effectivement la charte apparaît comme un monstre, en 1 I 67, et on penche tout naturellement pour l'hypothèse d'un faux. C'est bien sûr assez gênant parce que d'une part Jacques Chiffoleau, pris par le temps, n'a pas tout dit; il nous laisse un tout petit peu sur notre faim en laissant entendre qu'il faut abandonner cette malheureuse charte mais aussi le texte d 'Evervin et la lettre des chanoines de Liège et même jeter un regard suspicieux sur les dépositions devant l'Inquisition qui mentionnent des évêques, mais sans prendre le temps de démontrer pourquoi. Et d'autre part je n'ai eu que peu de temps pour essayer d'organiser des arguments, et je crois vraiment qu'il serait indispensable, après la communication de Jacques Chiffoleau, de réunir un nouveau colloque sur la question auquel je m'inscris tout de suite en songeant déjà à la communication que je pourrai y donner, et il faudrait inscrire également des spécialistes comme Jean Duvernoy, Ylva Hagman, Pilar Jimenez, et beaucoup d'autres. J'ai quand même quelques points précis à soulever ici en faveur de l'authenticité de la charte et de son influence. J'ai déjà parlé de la forme Nicétas/Niquinta, mais surtout je voudrais dire que la charte de bornage me paraît avoir été appliquée, ce qui est quand même plus intéressant. Les archives de l'Inquisition, même si on ne les prend pas tout à fait au pied de la lettre, même si on les considère d'un regard un peu crztzque, sont suffisamment nombreuses et précises pour que l'on voie effectivement, par exemple, à Fanjeaux, un fils majeur de l'église du Toulousain, et à Montréal un diacre de Carcassès, la délimitation fonctionne. Dans

84

DÉBAT: 1999

Montségur assiégée, on voit ce malheureux évêque de Razès, dont Jean-Louis hier vous mettiez en doute l'existence, Raimond Agulher, qui justement console les gens qui viennent du Razès, alors que l'évêque du Toulousain, d'abord Guilhabert de Castres, puis Bertrand Marti, console les gens du Toulousain. Dans la Montagne Noire, cette Montagne Noire qui sépare l'Aude du Tarn, on voit entre 1230 et 1245, donc à peu près l'époque des premières persécutions de Montségur, l'évêque cathare d'Albigeois Jean du Collet parcourir les bois de la Montagne Noire jusqu 'au pic de Nore et ne jamais déborder de l'autre côté. Et on voit par contre des membres de la hiérarchie de Carcassès hanter les mêmes bois côté sud jusqu 'au pic de Nore sans déborder. Donc on a vraiment l'impression que le bornage a été respecté, cela fonctionne bien. Et cela fonctionne si bien que les citations d'évêques et d'Églises dans les registres de l'Inquisition ne sont pas du tout faites au hasard, et il me semble qu'il faudrait quand même bien de l'imagination et de la vertu aux inquisiteurs, pour pousser chaque fois les prévenus à s'efforcer de dessiner un maillage de la hiérarchie cathare que l'on peut retrouver aujourd'hui de façon tellement précise que Jean Duvernoy lui a consacré six pages en clôture de son ouvrage l'Histoire des Cathares. Je voudrais ajouter que les rituels cathares nous donnent également des indications précieuses : les termes ordenament de sancta gleisa, ordenat, ordo dans le rituel latin, montrent une hiérarchisation dans les fonctions religieuses ; pour recevoir le consolament d'ordination, on se rend dans la maison de l' ordenat avec son ancien. Et c'est l 'ordenat qui administre, qui est le ministre de ce culte, jusqu 'au geste terminal, l'imposition des mains qui est collective, qui est donnée par les bons hommes et peut être, mais je ne m 'avance pas, les bonnes femmes présentes. Alors faut-il aussi mettre aux oubliettes les rituels cathares ? Il y en a trois, qui sont tous les trois très différents, de date et de nature, deux en occitan, un en latin. Et enfin, dernière question que je voudrais poser à Jacques Chiffoleau, et je vais m'arrêter là : cette image si sympathique aujourd'hui du contestataire, de cette sorte d'anarchiste qui refuse toute structure, toute institution, d'où la tirez-vous ? De quels textes ou absence de texte ? Personnellement elle m 'apparaît bien du XX" siècle, bien peu médiévale. J'avoue que j'imagine très mal au Xlle ou X/Tf siècle des sortes de libres

LE DÉBAT

85

penseurs, de libres croyants, je ne vois pas comment les appeler. Ht comment expliquer aussi, sauf à démentir les archives de l'Inquisition, que dans bon nombre de villages, des castra du Languedoc, notamment dans le Lauragais, on voit quand même toute une société s'engouffrer dans l'hérésie, femmes nobles en tête. Comment imaginer que l'hérésie ait connu un tel succès si elle n 'avait pas au moins une apparence d'Église organisée ? Et enfin, je vais terminer par une boutade, c'est ma conclusion, il faudrait faire un peu attention à nos arguments parce que, avec cette hyper-critique, hyper scientifique des textes, j'ai peur qu'on rejoigne la société du souvenir cathare, la société fondée par Déodat Roché qui a encore des adeptes aujourd'hui, et qui critique excessivement les historiens du catharisme en leur reprochant de travailler sur les textes. Et ces textes, disent ces spiritualistes, tout le monde sait très bien qu'ils sont fabriqués par l'Église romaine, et que si on veut vraiment connaître le catharisme, il vaut mieux écouter le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux. Je vous remercie.

J.-L. BIGET : certaines limites existent effectivement. Je ne sais pas si elles sont absolument liées à un bornage effectif, mais il est vrai qu'on peut avoir une délimitation qui suit les crêtes de la Montagne Noire et je l'admets. Je suis aussi d'accord avec vous, et je pense que vous le savez depuis longtemps, sur le fait que le problème du dualisme mitigé et du dualisme absolu est un faux problème. C'est en effet l'hypothèse du père Dondaine qui, travaillant sur le Liber de duobus principiis a découvert qu'il pouvait faire de l'assemblée de Saint-Félix le moment du passage de l'un à l'autre. Je suis aussi d'accord avec vous pour dire que le catharisme est à l'origine un évangélisme. Mais je suis peut-être moins d'accord sur les dates, parce que les rituels cathares sont quand même du XIIr siècle. Faut-il projeter dans la période antérieure une organisation aussi stricte, sachant que les structurations se font progressivement, plutôt que d'un seul coup ? Enfin je suis aussi d'accord avec vous et j'attendais le temps des conclusions pour le dire, sur le fait que dans la mesure où l'on ne peut pas vraiment se prononcer définitivement sur l'authenticité ou la non-authenticité de la charte, le problème déterminant est le contexte. Mais sur ce point, je suis moins d'accord: le contexte

86

DÉBAT: 1999

permet-il de dire qu'un concile des églises cathares de l'Occident serait possible à Saint-Félix de Lauragais en 1167 ? Permet-il d'affirmer qu'il y aurait des liaisons organiques, au moins au niveau de l'ordination, entre les églises des Balkans et les églises de l'Ouest? Je ne crois pas à cela, et comme Raffaello Morghen, je pense que le catharisme, je l'appelle ainsi pour abréger, disons la dissidence évangélique méridionale, est autochtone. Cela lui confère d'ailleurs plus de mérite que si elle dérivait de précédents et de filiations balkaniques. Voilà mon point de vue. Et en ce qui concerne les évêchés, nous avons effectivement beaucoup de données, mais nous les avons grâce, si j'ose dire, à l'Inquisition et ce sont donc des données du xnr siècle, et penser qu'elles s'appliquent en 1167, c'est quand même les reporter pratiquement un siècle en amont ... J. CHIFFOLEAU :je n'ai pas grand-chose à vous répondre, je pense que vous m'avez mal compris sur un certain nombre de points. Je pense ne rien jeter aux oubliettes, et qu'il existe beaucoup de sociétés du souvenir cathare différentes, il n'y en a pas qu'une. Mais ce qui me pose problème, c'est la chronologie. Historien, je m 'occupe d'abord de chronologie. Le montage qui fait que l'on justifie en quelque sorte la véracité de Saint-Félix-de-Caraman en 1167 parce que des gens ont avoué en 1240 me paraît d'un point de vue méthodologique problématique. Et je pense qu'il y a un réel danger, si l'on cherche des justifications dans les rituels du xnr siècle, qui eux-mêmes sont connus de manuscrits encore plus tardifs. C'est ce que j'ai voulu mettre en évidence, peut-être trop rapidement, parce que je n'ai pas eu le temps de bien développer ma pensée et mes exemples concrets. Pardonnez-moi, mais cela me semble une perversion de l'historiographie du catharisme depuis longtemps, et malheureusement le père Dondaine y a beaucoup contribué, il y a là un problème logique qui me tracasse. C'est ce que j'ai appelé le raisonnement tautologique. Au fond, d'une certaine façon, que cet acte soit vrai ou faux n'a pas une véritable importance pour moi. Comme pour vous, n 'est-ce-pas ? Si ce n'est qu'il a permis de développer une historiographie où pratiquement, si je puis dire, le catharisme sortait tout armé de la cuisse de Jupiter, et cela pose un vrai problème. C'est simplement cet aspect que j'ai voulu souligner. Alors, en ce qui concerne par exemple

LE DÉBAT

87

l'analyse des sources inquisitoriales, il y a, en effet, un gros travail à faire encore, mais on est un certain nombre à l'avoir commencé depuis pas mal de temps. Et je dois dire que je suis consterné de voir que Jean Duvernoy, qui a fait un travail magnifique par ailleurs, s'obstine à mettre au style direct tous les interrogatoires qui sont au style indirect en latin. C'est scandaleux du point de vue scientifique. C'est surtout révélateur de ce que j'ai appelé hier la réification de l'hérésie. Parce que l'effet de réel est considérable. Quand on voit item dicit quod ... traduit par : « Et alors il a dit : «je suis parti voir un tel» ... », cela permet effectivement d'évacuer le problème de la production du texte, du moment de la procédure. Et c'est un problème grave, qui me paraît d'autant plus grave quand cela sert à argumenter la vérité d'un événement qui se serait passé cinquante ou soixante ans avant. Vous voyez, c'est seulement cela que je veux dire. Je suis d'accord également sur un autre point, puisque en regardant de près les interrogatoires recopiés dans la collection Doat, je me suis aperçu en effet qu'il y avait, comme d'ailleurs aussi en Italie, bien que cela fonctionne un peu différemment, non pas peut-être des délimitations précises mais des lieux et des regroupements. Mais je pense qu'il faut comprendre comment on les interrogeait. Je mets Evervin et les gens du XII", jusqu 'au milieu du XII", tout à fait dans une situation différente, je ne pense pas qu'ils nous apprennent quoi que ce soit de réel sur l'Église cathare, mais qu'ils ont besoin de penser les dissidences sous la forme de l'Église parce que c'est la menace fondamentale pour leur propre église. Ensuite il y a la période que Monique Zerner a étudiée ici dans son séminaire pendant quelques années, surtout la période des grandes polémiques. Et par la suite je rejoins la chronologie de Grado Merlo, les trois premières décennies du XIII" siècle sont capitales du point de vue de l'historicisation du mouvement. Mais j'ai dit à la fin de ma communication que cette historicisation et les pressions de l'Inquisition et auparavant des hérésiologues avaient sans doute contribué, hélas de façon très concrète, à accentuer l'organisation-même des groupes dissidents. Je ne dis pas du tout qu'ils sont restés inorganisés. Il a bien fallu qu'ils s'organisent, de façon positive ou négative, pour résister, parce qu'ils étaient dans une situation telle qu'ils y étaient obligés. Si l'on veut faire l'histoire du mouvement dissident il faut faire attention à ceci : l'état de structuration du mouvement varie. Et je

88

DÉBAT: 1999

ne crois pas, comme Jean-Louis Biget vous l'a dit à la jin de sa communication, qu'ils étaient structurés comme on l'indique dans la charte, mais qu'il y a une structuration qui s'est faite. Enfin sur votre dernier point à propos de l'institution, ce n'était pas le lieu de développer ma définition très précise. D'une manière générale mon point de vue, c'est que l'Église est la seule grande institution entre le Xf et le XIV siècle et que sa construction institutionnelle est au cœur des transformations politiques, économiques et sociales du Moyen Âge, après le XIf siècle en tout cas. Quand je dis qu'ils refusent cela, ce n'est pas en "baba cool" filant dans la montagne, rêvant à des choses « new age ». l'viais cette construction institutionnelle de l'Église s'est faite tout de même avec violence d'une certaine manière ; elle mettait en cause, en effet, les relations des hommes à eux-mêmes, à leurs dirigeants, à Dieu aussi, à cet ensemble de formes relationnelles qui ne se voient pas, de nous aux autres. Et cela induit un certain nombre de résistances, que j'admire, oui, d'une certaine façon, c'est vrai. Je pense que les hérétiques en général, et ceux du Moyen Âge, sont des gens qui, au fond, ont tenté de résister à ce mouvement d'institutionnalisation au cours du XII" et du XIIf siècle. C'est pour cette raison que je les ai qualifiés peut-être un peu rapidement, c'est vrai, d' antiinstitutionnalistes, mais il faudrait évidemment entrer dans les détails. J'ai insisté tout particulièrement sur la chronologie. Il me semble effectivement que ce qui se passe en Languedoc ou en Italie vers 1250 est différent de ce qui se passait entre li 60 et li 80, et que là il y a aussi les effets en retour de l'attitude de l'Église, comme le disait Monique Zerner au tout début de notre rencontre hier. Voilà. Je n'ai pas répondu de façon précise, mais pour conclure le débat de façon plus concrète, je peux vous dire que je vais organiser pendant les deux années qui viennent un séminaire régulier à Avignon où on lira ensemble des sources inquisitoriales, et on s'interrogera sur la façon dont elles ont été produites. En tout cas, sur les sources françaises, c 'est plus facile pour nous, mais on fera également appel à des amis italiens, pour venir nous montrer comment ils procèdent. Et en effet, m'intéressant depuis pas mal d'années à l'histoire de la procédure et des actes qui en émanent, je suis très sceptique sur la façon dont ces actes ont été pris jusqu'à maintenant, et c'est là dessus que je voulais intervenir en fait.

LE DÉBAT

89

Quand ils servent à réifier ou à rendre plus vrai quelque chose par un système rétrospectif, je ne suis pas d'accord. A. BRENON : je voulais simplement faire remarquer que l'organisation des églises cathares est visible à partir de 1150 et bien évidemment c'est du temps de la paix qu 'elles ont pu s'organiser, non du temps de la persécution. J. CHIFFOLEAU :justement, cela va dans mon sens. J. DALARUN :je voudrais revenir sur le contexte des années 12 2 0-

1230. Un acte a toujours une raison d'être, y compris une copie. Si un dénommé Petrus Isarn. a pris le soin de demander à un certain Petrus Pol/anus de «translater>> une antiqua carta en 1223, si tant est que l'on doive tenir cette date corrigée pour bonne, c'est qu'il y a une raison. Quelle est-elle ? C'est évidemment de faire respecter la partition territoriale. Et cela veut dire qu'au moment du translatum, ont de nouveau surgi des tensions, des risques d'empiétement, de conflit. On se réfère donc à une époque antérieure, où il y avait également eu des problèmes ; on légitime le respect de la partition en 1223 non seulement par la production d'un document vénérable, mais par le rappel d'une grande mise en scène, d'un moment solennel où, dans la concorde, sous l'autorité d'un grand personnage un peu mystérieux, on avait fixé des règles en vue du maintien de la paix. 1167 agit sur 1223 : la légitimité provient de l'ancienneté du document de référence et de la solennité de la rencontre, dont nous n'avons plus trace qu'au travers du filtre de 1223. Le fait qu'il y ait eu, comme le soulignait Anne Brenon, respect dans la longue durée de ces circonscriptions me semble aller dans le sens d'une vigilance des intéressés, dont cette relance de 1223 est l'expression écrite.

A. BRENON: on pourrait faire remarquer qu'on se situe justement dans ces années-là, 1223-1226, et je veux en venir à la fameuse rencontre de Pieusse, qui aboutit à la création de l'évêché de Razès. C'est l'époque où on croit que la guerre est finie, que la croisade est finie, où l'église se réinstalle et se réorganise. Je trouve que la coïncidence des dates est un élément assez intéressant.

J.-L. BIGET :juste un mot là-dessus :je ne sais pas si la rencontre de Pieusse est absolument certaine. Je suis d'accord avec vous

90

DÉBAT: 1999

pour le contexte ; il est vrai que, s'il y a eu une bonne structuration de l'Église cathare, elle s'est effectuée dans ces années-là. Mais je ne sais pas s'il s'agit d'une réorganisation ou d'une organisation, c'est aussi un problème.

R.I. MOORE : je voudrais dire deux choses, une petite et une plus générale. Le premier point me paraît important : je demande si l'une des bizarreries de ce document dans le préambule mythique, cette phrase avec cum consilio suo impossible à admettre, pourrait être une transcription fausse de cum filio. Si par exemple Besse avait un modèle protestant pour sa conception des églises cathares, il aurait pu faire cette correction. Ce n'est pas certain, mais très possible. Plus généralement le grand problème, selon moi, est que nous avons les groupes dissidents et nous avons aussi l'Église, et notre connaissance se fait toujours par les yeux de l'Église et par les sources qu'elle nous a laissées. Et ces communautés ont toujours leurs « leaders », leurs supérieurs. Qui sont-ils ? Ce sont au IX siècle des « rainmakers », au X -XI" siècles des viri sancti ou prédicateurs itinérants voués à la vie apostolique. Au XII" siècle ce sont des hérétiques, au XIII" siècle des cathares, des parfaits c'està-dire que nous avons le problème de distinguer l'organisation et la sociologie vraie des groupes dissidents, de l'organisation que voient les observateurs de l'Église orthodoxe. La question est de savoir s'il y a dans ce document un véritable «dépôt». Y a-t-il quelques informations que nous pouvons accepter comme vraies sur des dissidents réels dans le Languedoc de I 160 ? Cette question me paraît cruciale parce qu'il y a certainement dans les années 1160 en Languedoc des communautés qui ont leurs vrais chefs religieux, et ces chefs sont dits bonshommes. Mais qui sont-ils, reste-t-il quelque chose de vrai dans ce texte ? Pour ma part, je dis que non. Quand Petrus Pollanus et peut-être Pierre Isarn ont fait leur œuvre en 1223, il me semble possible qu'ils aient projeté leurs idées préconçues sur 1160 dans la mémoire de leur propre contexte traditionnel, s'ils en avaient une. É. BOZOKY : je voudrais poser une question. Je suis très intriguée par le statut des textes édités par Antoine Dondaine dont on a parlé hier, et ce qui m'inquiète beaucoup est en quelque sorte ce nouveau regard que l'on peut porter sur les textes émanant d'un milieu ecclésiastique ou inquisitorial. Et surtout, j'aimerais bien

LE DÉBAT

91

que vous répondiez un peu à la question des orzgznes des églises d'Italie. Vous dites que cela devient assez « romanesque » avec Anselme d'Alexandrie et vous pensez que c'est quelque chose de très reconstruit par les ecclésiastiques inquisiteurs, que cela n'a pas vraiment beaucoup de bases dans le réel. Cela m'intrigue beaucoup, parce que je ne vois vraiment pas, d'abord pourquoi il n'y aurait pas une filiation orientale, qui est tout de même prouvée par le dualisme, enfin par des textes qui sont plutôt dualistes, assez proches des bogomiles. D'autre part, en Italie on sait très bien que les cathares et d'autres hérétiques avaient un rôle assez important dans les luttes politiques, puisque avec 1'indépendance et 1'autonomie relative des villes il y avait sans doute beaucoup plus de liberté. Je connais nettement moins bien la situation des cathares dans le midi de la France, mais il y a des comparaisons à faire et je pense que dans les textes édités par Antoine Dondaine, même s'il y a des affabulations inquisitoriales, il y a sans doute des bases authentiques. J. CHIFFOLEAU : je ne voudrais pas que vous retiriez des idées fausses de mon intervention d'hier, qui était courte et en jin de journée. Tous les éléments dont vous parlez existent, nous sommes bien d'accord. C'est sur la manière de les agencer que nous ne sommes peut-être pas tout à fait d'accord avec nos prédécesseurs. Bien entendu les textes bogomiles existent, comme l 'Interrogatio Johannis, il n'y a pas de doute, et on sait par où elle est passée grâce à vous. Tout ceci est clair, j'en suis absolument certain. Bien entendu, des contestataires existent. Ce qui me laisse perplexe, comme historien de la religion en général, et de 1'institution, et puis comme lecteur de textes que beaucoup d'autres ont lu avant moi, c'est l'agencement. Mais là, je ne peux que poser une question, et non donner une réponse générale, un peu sur le mode de l'intervention de Robert Moore. Il ne s'agit pas d'une volonté perverse d'être sceptique, mais je suis perplexe sur les enchaînements logiques qui conduisent à créer réellement des objets, et je crois voir dans l'historiographie pour quelle raison on les a créés à un certain moment. J'appelle ainsi au travail et à la remise en cause d'un certain nombre de choses. Vous venez de faire allusion à une chose qui me tracasse beaucoup depuis de nombreuses années, comme elle tracasse forcément tous les Italiens. Il s'agit

92

DÉBAT: 1999

des relations entre l'hérésie et les mouvements communaux italiens qui sont compliquées, mais que j'atteste aussi en Provence, où il n'y a pas d'hérétiques, paraît-il, à l'exception de quelques vaudois que l'on trouve de temps en temps. Malgré cela, l'hérésie est présente d'une certaine manière dans toute la vie politique provençale. Il est vrai que je pense, comme Jean-T~ouis Biget, que d'un point de vue heuristique il vaut mieux supposer qu'il existe un mouvement qui se développe sur place et essayer de comprendre pourquoi. Pendant longtemps, la réflexion sur la transmission orientale de l'hérésie a bloqué les questions et l'analyse sociologique à laquelle appelait tout à l'heure R. Moore - une prosopographie et non pas forcément une étude des hiérarchies cathares. J.-L. BIGET: je voudrais simplement ajouter que je suis d'accord avec ce que vient de dire Jacques Chiffoleau. Je pense aussi, mais alors on entrerait dans un autre débat, qu'il n'est pas normal que des gens qui r~fléchissent sur la Bible, et qui sont placés dans une situation spirituelle et existentielle plus ou moins semblable, finissent par aboutir à des mouvements tout à fait parallèles, soit pour abréger, les bogomiles et les cathares. Je ne crois pas, cependant, qu'il y ait une superposition exacte. Et quand on cherche à tout prix à soumettre le catharisme au « lit de Procuste » du bogomilisme, on opère des réductions dans un sens ou dans l'autre qui ne me paraissent pas valables. En outre, et c'est une expérience d'historien, je dois dire que, depuis que je pratique l'histoire du Moyen Âge, j'ai toujours vu prédominer les causes endogènes sur les causes exogènes. Si bien que cette espèce de filiation très linéaire de l'hérésie par le truchement de quelques personnes, qui seraient venues des Balkans, en Italie, puis jusque dans le Languedoc avec aussi le récit du voyage de Marc à Naples, puis en France ... tout cela me paraît effectivement de l'ordre des origines mythographiques comme l'a dit Jacques Dalarun. Que les gens y aient vraiment cru, je crois aussi que cela fait partie du système, mais nous, nous n 'avons pas à y croire. Ph. JANSEN PREND À SON TOUR LA PRÉSIDENCE DU DÉBAT. Ph. JANSEN : il me semble qu'on a progressé sur deux points : indépendamment de la réalité, de l'authenticité du texte, reste

LE DÉBAT

93

essentiellement problématique la réalité potentielle de ce qui est décrit par rapport à la date de 1167. C'est essentiellement à partir de la filiation Orient/Occident qu'on mettait en relief la date de 1167; donc on est vraiment, je crois, au cœur de la question.

G. G. MERLO: je voudrais faire deux remarques. Lorsque nous abordons les thèmes du catharisme, nous hésitons toujours entre l'exigence d'identification d'une réalité spécifique et une interprétation générale. Et nous oscillons à notre avantage : en fonction du sujet, nous faisons un discours, ou général, ou bien relatif à l'identification. Il y a une remarque historiographique supplémentaire sur ce point : alors que les historiens français sont en train de s'occuper de catharisme italien, les historiens italiens ne s'occupent pas de catharisme français, contrairement aux Anglais, aux Allemands, aux Américains, et aux Espagnols. Mais, comme le souligne un de mes amis qui est serbe, les Italiens sont toujours forts de leur passé renaissant. Cette remarque conduit souvent au fait que dans l'interprétation du catharisme l'on donne une vision générale et que 1'on dise ensuite : «Mais de toute manière en Italie les Italiens savent cela », ou bien les Italiens qui, en optant pour les Français, disent « Ce sont les Français qui savent cela». Et de toute manière, un point fondamental est qu'en Italie les personnes comptent plus que dans le Midi de la France. Les Églises italiennes sont identifiées par les noms de personne, les Garattenses, les Albanenses, qui renvoient à un cathare, à un bon chrétien éponyme, ce que l'on ne retrouve pas, me semble-t-il, dans le Midi de la France. Ils 'agit donc d'une donnée importante, même par rapport aux formes institutionnelles : chacun se donnera en « bon chrétien », puisqu'il a un modèle, la communauté primitive. Ensuite, les niveaux d'institutionnalisation sont différents, ils doivent être évalués. En Italie, on ne trouve pas de délimitations géographiques, des « bornages » parce que l'adhésion est mixte. Les Concorrici, les Garattenses sont près de Milan, mais ils peuvent être également en Toscane, en Vénétie, ou au Piémont, cela importe peu. Alors il faudra réfléchir sur tout cela, et c'est en ce sens que Dondaine a mis 1'accent sur la hiérarchie cathare, parce qu'il l'a étudiée en Italie. Ainsi il ne faut pas lui attribuer trop de responsabilités, parce que non seulement Dondaine travaillait sur des thèmes qui, dans l'Église catholique

94

DÉBAT: 1999

des années cinquante et soixante, sentaient fortement le modernisme, c'est-à-dire qu'ils avaient l'odeur de l'hérésie, et Chiffoleau l'a bien souligné hier, mais c'était aussi un dominicain en somme, même pas un dissident. Pourtant c'est un grand homme, Dondaine, parce que, si quelqu'un d'entre nous avait découvert une infime partie de ce qu 'il a découvert, maintenant il serait en tournée mondiale comme une «star». Voilà pour le premier type de problèmes. Le deuxième point est qu'il faudrait aussi associer les Français et les Italiens dans la lutte contre l'Allemagne, d'un point de vue historiographique, bien entendu, même s'il s'agit de toute manière d'une alliance impossible. Il s'agit du problème que pose ce document, le problème de la conscience historique, de la mythographie, c'est-à-dire la conscience d'un passé qui devient fondamentale pour quelqu'un qui se construit, qui s'organise. Il n'est pas d'organisation qui ne se donne une mémoire, vraie ou fausse, cela a peu d'importance, mais qui s'en crée une au delà de la mémoire mythique de la communauté de Jérusalem. Pour le Midi français, que je ne sais jamais comment appeler - Languedoc, Midi, pour un italien c'est quelque chose d'étrange, appelons-le Midi et ce sera bien. Pour le Midi, la tradition, la grande tradition érudite méridionale de la fin du XIX siècle, début du XX' siècle, a conduit à la découverte de nombreux documents. Mais quelle conscience de la répression, avaient ces même filtrée peut-être par les documents, communautés d'elles-mêmes? On ne trouve pas ce que cela signifiait pour elles, et c'est fondamental. J'invite ainsi Monique Zerner, puisqu'elle a de grandes qualités d'organisation, à faire une rencontre, nous pouvons même la tenir à Milan, c'est moi qui invite cette fois-ci, autour des thèmes « cathares et pouvoir », « cathares et monde », au delà des schémas abstraits des historiens de la religion. Puisque tout phénomène historique reste dans l'histoire, s'il se pose le problème d'y rester, il pose le problème du pouvoir. Quel rapport ont les dualistes avec leur organisation, avec leur volonté de demeurer? Donc, appelons-le comme vous le voulez : « cathares et histoire », « cathares et monde ... » Et, à ce point, ne jetons pas les documents, même ceux de 1'Inquisition. Traitons-les avec délicatesse, traitons-les dans leur contexte, absolument. Pour cette raison le De Heresi catharorum et le Tractatus d'Anselme d'Alexandrie ne doivent pas être appréciés de

LE DÉBAT

95

la même manière, puisque le De Heresi - c'est une banalité - est antérieur à l'Inquisition, et le Tracta tus bien postérieur. Ainsi la logique du document est autre. Alors je conclus définitivement, je remercie encore tous les collègues. Je propose à Monique Zerner, à la professoressa Zerner comme le disent les Italiens, sans aucune ambition cosmique ou cosmogonique, de nous retrouver dans un autre lieu, ou bien dans celui-ci, à réfléchir une nouvelle fois à certains thèmes qui se trouvent de toute manière dans la conscience historiographique du moment. Avoir la possibilité de discuter de ces grands thèmes, qui ne pourront évidemment être réglés en cette occasion... mais qui, je le répète, rebondissent, reviennent tels une balle de tennis sur le document de 1167 ou 1223, parce que c'est vraiment un carrefour dont dérivent non seulement de nombreuses conséquences factuelles, mais aussi des manières d~fférentes de voir et interpréter l'hérésie. Ph. JAN SEN :je note que c'est la troisième proposition de colloque depuis le début du débat, ce matin. J. CHIFFOLEAU :je suis tout à fait d'accord. La question posée par ce texte est au fond l'histoire que les cathares se donnent à euxmêmes, sous la forme mythique ou narrativo-mythique. Le problème est de savoir d'où ils l'ont prise et comment ils l'ont formée. Mon hypothèse, qui est notre hypothèse à tous les trois en définitive, est que du point de vue de la création institutionnelle le texte vient plutôt de l'Église, qu'il soit de 1223 ou de Besse. Mais je pense qu'en f!:ffet, par le biais des cathares et des relations au monde, le problème du pouvoir est central et je crois qu'en prenant des exemples concrets, de l'ordre du casus, ce serait une très bonne manière d'unir l'analyse sociologique absolument nécessaire et la réflexion sur l'organisation interne des communautés, leur conscience, leur « auto-coscienza ». C'est absolument capital. Je souscris complètement à cette idée qu'il faut essayer de faire la chronologie de tout cela, ce qui est très compliqué lorsqu 'on est confronté à des textes sur le mythe. En ce qui me concerne, je persiste à penser que c'est plutôt à partir du début du XIII" siècle que cette auto-conscience, qui est due aussi en partie à la pression de l'Église institutionnelle, se met en place. Quant à la référence à l'Église mythique primitive, pour moi ce n'est pas du tout une base de construction institutionnelle, ce sera

96

DÉBAT: 1999

toujours une base de contestation de l'institution, encore aujourd'hui d'ailleurs- voir, par exemple, les pentecôtistes. M. ZERNER: je retiens le propos général d'une confrontation très soigneuse entre historiens de l'hérésie à propos de la Gaule méridionale, que j'appelle de mes vœux depuis plusieurs années parce que la distorsion des sources sur l'hérésie est extrême. On ne l'a peut-être pas dit suffisamment: les sources narratives qui précèdent l'Inquisition proviennent pour la plupart des historiographes du monde des Plantagenêts. Ce sont des chroniques anglaises qui donnent les principales pièces sur lesquelles nous raisonnons pour la période antérieure à Innocent III, et Besse les connaissait presque toutes. Ceci ne veut pas dire, pour autant, que tout ce qui est postérieur est faux, mais le statut des textes avec lesquels on travaille n'est alors plus le même. C'est pourquoi je pose la question qui m'est venue en écoutant ce qui s'est dit jusqu'à maintenant à propos de cart a : a-t-on rencontré dans un quelconque document de 1'Inquisition une évocation de charte ? Vous avez soulevé le problème de l'antiqua carta et le texte fait mention aussi de la cartam ecclesiae Carcassensis. Trouve-t-on des mentions de chartes hérétiques dans les documents de 1'Inquisition ? J. BERLIOZ: pour en revenir à l'analyse de Jean-Louis Biget, je crois qu'il serait indispensable d'interroger l'ensemble des textes cisterciens des XIIe et X!Tf siècles, en se demandant ce qu'ils disent sur 1'organisation même des cathares (je pense qu 'ils sont relativement silencieux à cet égard, mais il jàut le vérifier systématiquement). Un auteur comme Ga/and de Reigny, dans son Petit livre de proverbes, écrit vers 1140 (et qui vient d'être édité aux Sources chrétiennes, />, p. 306 : « Marcus epis copus, relicto ordine Bulgarie, suscepit ab ipso Nicheta ordinem Drugonthie ». Ibid. p. 308, mention de la Bulgaria et de la Drugonthia. 63 Sous la forme Ecclesia Drogometiae, Ecclesia Bulgariae. 64 Nam mu/tas scimus habuisse corruptiones et etiam diversi sunt in tres partes (. .. ) Nonnul/i enim eorum obediunt Graecis hereticis, a/ii autem Bulgariis et a/ii Drogovetis, voir Ch. THOUZELLIER, op. cit., p. 138-139. 6s Cf. A. DONDAINE, Un traité néomanichéen du Xl!{ siècle ... , p. 70. 66 Id., «La hiérarchie cathare en Italie: Il. ... », p. 308: Chez Anselme d'Alexandrie, Filadeljie remplace la Grèce. 67 M. ZERNER, «Du court moment où l'on appela les hérétiques des bougres», Cahiers de civilisation médiévale, 1989. Robert d'Auxerre parle de l'hérésie des Bulgares (Bulgarorum heresis) pour l'année 1201; il réemploie cette expression pour 1206 et 1207. Il utilise également burgaros, terme remplacé pour 1207 et au-delà (la chronique est poursuivie jusqu'en 1212) par albigenses, cf. art. cit., p. 319. 62

122

POSITIONS: 2000-2001

la Chanson de la croisade albigeoise, composée entre 121 0 et 1213, évoque cels de Bulgaria 68 , mais il est le nutritus de Baudoin de Toulouse, Français d'esprit et de cœur69 et il a besoin d'une rime en - ia 70 . Il emploie une notion que son protecteur connaît bien. Monique Zerner en conclut, à juste titre, que 1' association entre hérésie et Bulgarie s'effectue d'abord dans le Nord de la France, et non dans le Midi. En outre, elle est tardive et se renforce à partir de 1218, moment où les liens entre Rome et la Bulgarie se distendent. En effet, au temps de la IVe croisade, le tsar bulgare est Kalojan, frère cadet de Jeau et Pierre Asen qui 1' ont précédé sur le trône. Il règne de 1197 à 1207 et cherche à prendre appui sur les Occidentaux, qui s'efforcent également d'obtenir son alliance. Innocent III accorde le titre de primat à l'évêque de Tirnovo et fait parvenir une couronne à Kaloj an en décembre 1203 71 . Toutefois, après 1218, les relations entre Rome, les Occidentaux et la Bulgarie se détériorent, car Jean Asen II (1218-1241), fils et successeur de Kalojan s'allie à l'empereur de Nicée, Jean Vatatzès, qui multiplie les attaques contre 1' empire latin. Plus tard, Grégoire IX accuse le tsar des Bulgares de favoriser les hérétiques et il demande en 1238 aux Hongrois de préparer une croisade contre lui. C'est à cette époque que se diffuse principalement l'appellation de Bougres appliquée aux dissidents (puis aux sodomites, les hérétiques étant considérés comme tels, en raison de leur refus de toute activité sexuelle féconde). L'évocation de la Bulgarie comme l'une des sept églises de l'hérésie dans l'Orient balkanique permet ainsi de situer l'élaboration de la notice au XIIIe siècle et non au XUC. Il en va de même de la mention de la Romanie. Que le basileus se titre roi des Romains, cela est certain. Mais à partir de quand évoque-t-on, dans les textes occidentaux, la Grèce sous le nom de Romanie ? Une recherche dans les corpus des textes latins d'origine diverse montre que le terme apparaît à la faveur de l'opposition entre Alexandre Commène, les Normands d'Italie du

Éd. E. MARTIN-CHABOT, t. 1, vers 18, p. 10. Fils de Raimond V et de Constance de France, d'abord épouse d'Étienne de Blois, roi d'Angleterre. Parti en bas-âge pour la cour de France, en 1165. 70 Toute la laisse est composée sur cette rime. 71 P.L., 214, 1112-1115.

68 69

JEAN-LOUIS BIGET

123

sud, les Pisans et les Génois après 108072 • Au XIr siècle cependant, les occurrences se limitent à trente-deux dans les textes narratifs 73 et sont inexistantes dans les chartes 74 . Si l'hérésie occidentale se voit très tôt assigner des origines orientales, les Grecs sont mis en cause, sous cette appellation et non sous une autre. C'est le cas dans la lettre d'Everwin de Steinfeld à saint Bernard vers 11437 5 . Eckbert de Schünau évoque lui aussi les livres grecs (graeci codices) 76 • Enfin, Durand de Osca évoque également, après 1220 encore, les « hérétiques grecs »77 . La Romanie est ainsi pendant longtemps absente totalement du discours antihérétique. Le De heresi catharorum lui-même, s'il évoque l'ordo Bulgarie et l'ordo Drugonthie n'évoque ni la Grèce, à la différence de Durand de Osca, ni la Romanie. L'usage de ce dernier terme paraît devenir très courant après la IVe croisade. Villehardouin qui se titre duc de Romanie, l'emploie souvent78 . Il reste que dans les traités décrivant la hiérarchie cathare en Italie, il n'affleure que vers 1250 avec Rainier Sacconi7 9 . L'affleurement du nom de Romanie, pour désigner tout ou partie de l'ancien empire byzantin après 1220, s'explique bien par les assauts multiples que subit 1'Empire latin de Constantinople pour la défense duquel sont concédées les mêmes indulgences que pour la croisade en Terre sainte. En 1223, l'épirote Théodore met la main sur le royaume de Thessalonique. Une lettre d'Honorius III, en date du 13 mai de cette année-là, permet aux croisés d'aller au secours de Guillaume de Montferrat qui défend la Thrace. L'implantation des Latins dans 1'ancien empire grec peut seule expliquer qu'il reçoive de nom de Romanie. L'emploi de ce nom 72 Cf. R. L. WOLFF,« Romania: the Latin Empire of Constantinople», Speculum, 1948, p. 134. 73 Guibert de Nogent l'emploie huit fois à lui seul dans son récit de la croisade (Gesta Dei per Francos). 74 Cf. Thesaurus diplomatique de Louvain (12.800 actes antérieurs à 1200). Je remercie Julien THÉRY, qui a consulté ce Thesaurus pour moi. 75 P.L., 182, 679 D : llli vero qui combusti sunt, dixerunt nabis in defensione sua, hanc haeresim usque ad haec tempora occultatam fuisse a temporibus martyrum, et permanisse in Graecia, et quibusdam aliis terris. 76 Dans un de ses sermons, P.L., 195, c. 27. n Cf. supra, note 64. 78 VILLEHARDOUIN, La conquête de Constantinople, éd. E. FARAL, 1938-39. 79 Lequel évoque, à côté des églises hérétiques de Sclavonie, de Bulgarie, de Drugunthie, et des églises grecque et latine de Constantinople, celle de Philadelphie de Romanie. Cf. éd. cit. par A. DONDAINE, Un traité néomanichéen du XJ!f siècle ... , p. 64 et ss.

124

POSITIONS: 2000-2001

dans une notice postérieure à 1220 paraît bien plus vraisemblable alors qu'en 1167. La situation des régions bordant l'Adriatique explique aussi l'évocation des hérétiques de la Dalmatie. Notons que cette zone, le plus souvent appelée « Sclavonia » dans les œuvres postérieures (de Rainier Sacconi, Anselme d'Alexandrie etc.) est également nommée Dalmatie dans la lettre de Conrad de Porto. Dalmatie et Bosnie sont depuis toujours des zones névralgiques au contact des chrétientés latine et grecque et la IVe croisade a rassemblé en faisceau tous les problèmes de Rome dans les régions situées à 1' est de l'Adriatique. En Bosnie 80 , le ban Kulin, sa famille et dix mille chrétiens se sont convertis au bogomilisme 81 . Le 3 décembre 1221, Honorius III confie à son chapelain Aconius, légat en Croatie et en Hongrie, mission de se rendre en Bosnie. Selon le pape, « les hérétiques se terrent en cette région dans leurs tanières, à 1' exemple des lamies qui allaitent leurs petits les mamelles nues, enseignent en public et prêchent ouvertement leurs erreurs dépravées »R 2 . La formule est d'ailleurs reprise dans sa lettre par Conrad de Porto 83 ; ce dernier a été amené à intervenir plusieurs fois dans les affaires de l'Église de Croatie. En octobre 1222, se tient à Raguse une assemblée des évêques de Dalmatie et d'Illyrie dont le but est d'organiser la lutte contre l'hérésie. La mention de l'église de Dalmatie dans la notice de Saint-Félix peut donc renvoyer à des problèmes fortement actuels dans la décennie 1220-1230. Aux problèmes des Latins dans 1' ancien empire de Byzance se rattache également, sans doute, la présence de la Drugonthie et de la Mélenguie. Si 1' on fait abstraction de la notice, la Drugonthie (partie de la Thrace, partie de la Macédoine ?) 84 , semble apparaître pour la première fois dans le De heresi catharorum, avant de réapparaître chez Durand de Osca, faits qui s'affirment hautement significatifs. Quant à la Mélenguie, il s'agirait d'une région méridionale peuplée par des Slaves 85 . Les Mélingues sont ' 0 Les relations de Rome et des chrétiens bosniaques font l'objet d'un développement dans l'article du P. SANJEK: «Albigeois et "chrétiens bosniaques" », R.H.F., 1973, p. 264 et ss. 8 1 P.L., 214, c. 726 BC- cité par Ch. THOUZELLIER, Un traité cathare inédit. s2 Reg. Vat., vol. 15, p. 168. 83 Ecce pro [oribus in jàcie vestra lamiae nudatis mammis catulos suas !actant (cf. annexe 5, p. 267). 84 Cf. F. SANJEK, «Le rassemblement hérétique de Saint-Félix ... »p. 790. ss Cf. J. DUVERNOY, Cahier d'études cathares, 1962, XIII, n° 13, p. 26-27.

JEAN-LOUIS BIGET

125

mentionnés dans la version grecque de la Chronique de Morée (1204-1305), car ils causent des difficultés aux Francs de la principauté et à leurs chefs, les Villehardouin86 . Le contexte de l'époque une fois encore peut avoir joué en faveur de l'évocation des Mélingues, population insoumise, donc hérétique. Cependant, comme tous les chercheurs l'ont signalé, l' ecclesia Melenguiae n'est jamais citée hors la notice, comme église de la dissidence 87 . Voilà qui fait problème. Bien des auteurs se complaisent à traiter les problèmes du document révélé par Guillaume Besse en ayant recours à l'hypothèse de mauvaises lectures, de transcriptions erronées et de cacographies. Il n'est pas de raison de ne pas jouer à notre tour sur ce registre et de ne pas nous risquer sur le même terrain. Le De heresi catharorum paraît avoir joué un grand rôle dans 1'élaboration du « roman » de la dissidence et avoir été assez largement connu à toutes époques puisque Nicolas Vignier l'a utilisé dès 1601. Il est intéressant d'en relire la fin : Garattus epis copus ordinatus de Bulgaria manet Concorrentii; filius eius maior Nazarius et filius eius minor Giroldus de Brixia. Coloiannes episcopus de Mantua ; et habet ordinem de Sclavonia. Filius eius maior Orto de Bagnolo - set modo est episcopus - ; filius eius minor Aldricus de GILINGUELLIS de Mediolano. Marchisius de Soiano, episcopus de Drugonthia; filius eius maior Amizo. Nicola de Vicencia, episcopus de Sclavonia; filius eius maior Petrus Gallus, minor vocatur Prandus 88 . Un scribe fautif, un lecteur hâtif, ne peuvent-ils avoir pris un homme pour une région? Gilinguellis a pu engendrer la Mélenguie, connue par ailleurs. L'erreur a pu être ensuite redressée, d'où l'absence des Mélingues dans Rainier SacconL comme dans Anselme d'Alexandrie. En conclusion, on constate que les faits évoqués dans le De heresi catharorum, dans la lettre de Conrad de Porto et dans la notice du concile de Saint-Félix manifestent une parenté tellement forte que ces trois documents paraissent intimement liés, ce qui

Cf. Y. DOSSAT, «A propos du concile cathare de Saint-Félix : les Mélingues », CF. 3, 1968, p. 210. B. HAMILTON, art. cit., p. 38, est d'accord avec la localisation proposée par DOSSAT et renvoie à la Chronique de Morée, éd. J. LONGNON, Paris, 1911, p. 74-75. 87 B. HAMILTON écrit: «The Ecclesia Melenguiae is not recorded in any other eastern or western source about dualism »,art. cit., p. 38. 88 A. DONDAINE,« La hiérarchie cathare en Italie:!. ... », p. 312. 86

126

POSITIONS: 2000-2001

plaide, en ce qui concerne la notice, pour un faux confectionné dans les années 1220. Il reste à établir par qui, pourquoi et où ce faux a pu être élaboré.

CONNEXION CISTERCIENNE ET PISTE TOULOUSAINE

L'ordre de Cîteaux constitue la structure portante de l'Église à partir des années 1140. Il est l'agent principal de la centralisation romaine, favorisée depuis la mise en place du système féodal par le fait que l'Église- de par sa fonction spirituelle même - constitue la seule instance globale de régulation dans une société politiquement éclatée. Un des leviers de l'unification de la chrétienté autour du pape, après et en même temps que la croisade, est la lutte contre l'hérésie. Les deux thèmes sont fréquemment associes et entrecroisés. Les Cisterciens, poussés par leur conception de la foi et de la chrétienté, trouvent aussi dans leur rôle une sorte de réalisation sociale89 . Leur sincérité n'est pas à mettre en cause. Ils n'en sont pas moins - et très largement - responsables d'une image déformée et amplifiée de la dissidence, et ils fournissent également les cadres spirituels de la croisade contre les Albigeois90 . Au temps de la reconquête toulousaine, après 1218, les Cisterciens sont toujours aux affaires à Rome et dans le Midi et l'on a souligné déjà que Conrad de Porto, ancien abbé de Clairvaux et de Cîteaux, continuait d'appartenir à son ordre, tout en exerçant ses fonctions de cardinal et de légat. La lettre qu'il adresse en 1223 aux évêques de France s'inscrit parfaitement dans la ligne des conceptions cisterciennes. Ce sont les moines blancs d'abord qui

Bien analysée par R. !. MOORE dans sa conclusion à La persécution du catharisme, 1996. Il a souligné que, cadets de grandes familles ou bien membres de la petite noblesse, les Cisterciens trouvaient dans l'accroissement du rôle et du pouvoir de l'Église, une compensation à une forme de marginalité. 90 Aperçus de ce rôle J.-L. BIGET, «Les "Albigeois", remarques sur une dénomination», Inventer l'hérésie? ... p. 234. Ce sont des mss. d'origine cistercienne, le plus souvent, qui rassemblent vues et traités sur l'hérésie. Voir aussi Guerre et Paix en Languedoc, CF. 4, 1969, et Cisterciens de Languedoc (X!It'-XIV s.), CF. 21, 1986. 89

JEAN-LOUIS BIGET

127

ont unifié les dissidences en une hérésie 91 et vulgarisé, vmre codifié les croyances des dissidents, pour les réfuter92 . Dans les années 1219-1223 où Conrad de Porto œuvre pour la relance de la croisade méridionale, Césaire de Heisterbach compose son Dialogue des miracles, recueil d'exempta. Il y donne un tableau très noir de l'hérésie, stigmatise «le perfide comte de Saint-Gilles, prince et chef de tous les hérétiques, réfugié à Toulouse d'où il n'a pas cessé jusqu'à ce jour de persécuter et combattre les chrétiens »93 . Le moine rhénan évoque dans les lignes qui suivent Conrad de Porto et une lettre que ce dernier aurait écrite au chapitre général de Cîteaux narrant les turpitudes immenses des Toulousains: «Cette année-ci maître Conrad, cardinal-évêque de Porto, envoyé comme légat contre les Albigeois [ ... ] écrivit au chapitre cistercien [que] quelqu'un parmi les hommes les plus puissants de la cité toulousaine accomplit dans la haine du Christ et pour la confusion de notre foi un acte si horrible qu'il doit à juste titre émouvoir les ennemis du Christ eux-mêmes. Il purgea son ventre tout près de 1'autel de la plus grande église et nettoya les ordures avec la nappe de l'autel. Or les autres, ajoutant la fureur à la fureur, posèrent les excréments sur 1' autel sacré, sous le regard du Crucifié, mais en le traitant par le mépris. Ensuite, en dérision de l'image sacrée elle-même, ils lui coupèrent les bras, se comportant de façon pire que les soldats d'Hérode qui épargnèrent au mort d'avoir les cuisses brisées » 94 • Le passage s'avère indicatif de données fondamentales : le légat, pour obtenir l'appui de son ordre à la poursuite de la croisade dans le Midi, n'hésite pas à recourir à la diffusion de faits, qu'on est en droit - aujourd'hui- de juger suspects et l'on ne voit pas pour quelles raisons, en parallèle à la lettre qu'il a adressée aux évêques de France, le légat n'aurait pas fait fabriquer par son entourage la notice d'un concile n'ayant Un bon témoignage de cette unité de 1'hérésie affirmée dès les années 1180 est le manuscrit 582 de la B.M. de Dijon, provenant de Cîteaux, seul manuscrit où figure la relation du synode d'Arras de 1025 et qui comporte également la Manifestatio haeresis catharorum quam fecit Bonaccursus avec un résumé d'un autre traité : Adversus hereticos qui catari vocantur, qui passagii vocantur, qui Arnaldistas vocantur, cf. art. cit. supra. 92 Ainsi Alain de Lille, futur cistercien dans son traité De fide catholica, P.L., 21 O. On a de même souligné plus haut, que l'image donnée par les textes italiens des obédiences hérétiques participe d'une tradition de l'ordre et d'une filiation d'église-mère à église-fille très proche de celles des Cisterciens. 93 Cf. J. BERLIOZ, "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens". La croisade contre les Albigeois vue par Césaire de Heisterbach, Portet-sur-Garonne, 1994, p. 18. 94 Trad. J. BERLIOZ, op. cit. supra, p. 18. 91

128

POSITIONS: 2000-2001

jamais eu lieu. On voit bien, en tout cas, que l'horizon de réception d'une telle information était particulièrement favorable, en tout cas chez les Cisterciens, habitués à de telles amplifications, auxquelles le contexte des années 1220-1226 se prête particulièrement. A cet égard, Michel Roquebert a très clairement établi que le cycle du «Lancelot-Graal », qui met en place une chevalerie célestielle (entre 1220 et 1225), se développe sous influence cistercienne, en synchronie avec une relance de la croisade aboutissant à la venue de Louis VIII en 1226. Le roman du Graal forme un appel à la mobilisation de la chevalerie chrétienne aussi bien contre les ennemis de l'extérieur, les Infidèles, que contre les ennemis de l'intérieur, les hérétiques 95 . Conrad de Porto a lancé sa lettre aux évêques en juin 1223. Peu de temps après la réunion de Sens, le 14 juillet 1223, Philippe Auguste s'éteint. Le légat célèbre la messe des funérailles le lendemain à Saint-Denis, en même temps que l'archevêque de Reims. Louis VIII, sacré dans cette ville le 6 août, montre alors beaucoup de réticences à intervenir dans le Midi. La notice, répétons-le, peut avoir été forgée comme une sorte d' excitatorium pour la croisade, à une époque particulièrement difficile pour Amaury de Montfort. L'accent mis sur le danger hérétique, manifesté de façon tangible, doit pousser les barons à se croiser et les clercs à cotiser pour grossir le trésor de la guerre sainte. Dans la même ligne, en janvier 1226, Philippe le Chancelier prêche la croisade à trois reprises devant les clercs de l'Université et Eudes de Châteauroux, alors jeune théologien, rappelle dans ses sermons que la croisade a subi des revers en Orient, car l'Église est en proie au péché ; il souligne avec force que le combat contre 1'hérésie est la nécessité à laquelle est subordonnée 1' entrée dans la Terre Promise96.

* 95 Cf « Le Graal contre les Cathares », dans La persécution du catharisme. Xllf et XIV' siècle, Carcassonne, 1996 et Les cathares et le Graal, Toulouse, 1994. 96 Voir N. BERJOU, «La prédication de croisade de Philippe le Chancelier et d'Eudes de Châteauroux en 1226 »,La prédication en Pays d'Oc, C.F. 32, 1997.

JEAN-LOUIS BIGET

129

Dans un tel contexte et un tel climat spirituel, peut-on déterminer par qui la notice du concile de Saint-Félix aurait été rédigée entre 1223 et 1226 ? On doit pour cela tenir compte d'un fait essentiel: elle n'a fait l'objet d'aucune diffusion, puisqu'il n'en existe aucun exemplaire retrouvé hors de Toulouse. On peut donc imaginer qu'elle a été conçue pour un homme lié de près à Cîteaux, au légat Conrad (qui quitte le territoire de sa légation à 1' automne 1223) et à Toulouse. L'évêque Foulque ou quelqu'un de son entourage remplit toutes ces conditions. Son itinéraire est connu97 . On le sait familier de Conrad de Porto, avec lequel en 1220-1221 il réforme Saint-Pierre de l' Almanarre au diocèse de Toulon. Il se rend ensuite à Rome où il séjourne en même temps que saint Dominique. En 1223, il participe au concile de Sens ; le 15 juillet, il assiste aux funérailles de Philippe Auguste, le 6 août, il est présent au sacre de Louis VIII. Il ne peut rentrer à Toulouse à ce moment, mais soutient toutes les entreprises visant à l'élimination de Raimond VII. Le 30 novembre 1225 il assiste au concile de Bourges préliminaire à la croisade de 1226. Il revient dans le Midi avec les Français et rentre finalement dans sa cathédrale en 1229. Proche du légat et de la Curie, bien au fait des problèmes de l'hérésie tant dans le Midi qu'en Italie, au courant des écrits élaborés à son sujet, ancien Cistercien, Foulque a pu contribuer à l'élaboration de la notice de Saint-Félix, dont il n'a pas finalement fait usage, mais qu'il a ramené dans ses bagages à Toulouse. Le projet, éventuellement objet de copies plus ou moins déformantes, aurait été finalement exhumé par Caseneuve, un prébendier érudit du XVW siècle. Une telle destinée pourrait expliquer le caractère d'hapax de la notice et sa tradition à problèmes. Pourquoi Foulques et/ou ses scribes ont-ils choisi de fixer le concile hérétique à Saint-Félix? On notera ici que le memorandum de 1209 indiquant « les bourgs du comte de Toulouse dans lesquels il y a des hérétiques et leurs croyants »98 , débute par Saint-Félix, qui relève en fait, comme la plupart des castra cités, de Trencavel, vicomte d'Albi, Béziers et Carcassonne. Saint-Félix, dressé sur le front de cuesta dominant la dépression périphérique à la Montagne 97

98

Cf. P. CABAU, «Foulque ... évêque de Toulouse», dans C.F. 21, 1986. Cf. J. ROUQUETTE et VILLEMAGNE, Cartulaire de Maguelonne, t. Il, p. 59-60.

130

POSITIONS: 2000-2001

Noire contrôle cette voie de passage ouverte sur le Lauragais. La place a, de ce fait, été disputée au XII" siècle entre les Trencavel et les comtes de Toulouse 99 . Au printemps 1211, le bourg voisin des Cassés, pris par Montfort, a été témoin d'un bûcher important (de 60 à 80 victimes). Saint-Félix, révolté contre Montfort à 1' automne de la même année est repris par lui en printemps 1212. En 1215, le seigneur du lieu lègue sa terre au comte de Foix 100 . Le 18 mai 1226, Raimond VII, qui a reconquis Saint-Félix sur les Français en 1220, confirme cette cession 101 • L'histoire du castrum et de la seigneurie qui s'y trouvait rattachée est analogue à celle de beaucoup d'autres en Lauragais à la fin du XII" et au début du XIIr siècle. Des raisons de politique locale ont-elles joué pour que Saint-Félix soit désigné comme l'épicentre de la dissidence? Cela n'est pas impossible. En montrant que Saint-Félix était un repaire d'hérétiques, l'évêque de Toulouse et/ou certains membres du chapitre cathédral ont pu caresser l'espoir d'une commise qui serait favorable à 1' extension de leur temporel, car dans cette capitale de l'hérésie, une seigneurie ecclésiastique permettrait le meilleur développement de la pastorale orthodoxe 102 . En dernière analyse, il paraît très net que la notice du concile de Saint-Félix s'inscrit dans le registre de la construction de l'hérésie et qu'un faussaire proche des milieux cisterciens, de l'évêque Foulque et du légat Conrad- ou de ses successeurs - disposait de toutes les relations et de tous les éléments nécessaires pour confectionner un tel document.

Guillaume de Puylaurens (Chronique, édition J. DUVERNOY, 1976, p. 38-39) - qui n'évoque absolument pas le concile - raconte que Jeanne d'Angleterre, fille d'Aliénor, d'abord reine de Sicile, puis épouse de Raimond VI (1196), après avoir mis au monde le futur Raimond VII (1197) vient assiéger le castrum des Cassés (voisin de Saint-félix, en position homologue et qui appartenait aux mêmes seigneurs. Cela pour porter remède aux atteintes contre les droits de son mari. 1oo B.N.F., coll. Doat, fol. 157 et ss. 101 Histoire de Languedoc, t. VIII, no 250. 10 2 Dans cette ligne, signalons que la région est au XVII' siècle l'un des bastions de la Réforme, dont le bourg voisin de Puylaurens constitue un des centres les plus vivants.

99

JEAN-LOUIS BIGET

13 1

CONCLUSION

Nous n'avons pas la prétention d'avoir démontré de manière péremptoire et définitive que la notice du concile de Saint-Félix a été élaborée dans les années 1220-1226. En revanche, nous pensons avoir établi qu'il s'agissait bien d'une possibilité qu'on ne saurait totalement éluder. En outre, chemin faisant, il nous semble avoir souligné les difficultés et les faiblesses présentées par ce document. Les résoudre en invoquant une mauvaise lecture par-ci, une cacographie par-là aboutit à un cumul d'hypothèses arbitraires dont on ne pardonnerait pas l'incertitude à un historien débutant et qu'on s'étonne de voir développer par de plus chevronnés. Soulignons encore que la plus ou moins grande conformité de la notice avec les normes formelles des temps médiévaux n'atteste pas l'authenticité de son contenu. Si elle a été conçue et réalisée au xnr siècle, il est inévitable qu'elle utilise sans aucune difficulté le formulaire de l'époque. On a su construire des faux à l'allure de vrais, bien avant 1' épanouissement de la science diplomatique. De notre recherche ressort, en tout cas, un fait qui nous semble majeur et devrait donner lieu à des analyses poussées. Compte tenu qu'à la fin du XII" siècle et au début du XIII" siècle (et même audelà), aucune source ne mentionne le concile de Saint-Félix, compte tenu aussi de ce que certains des éléments de la notice apparaissent dans le De heresi catharorum, il y a tout lieu de penser que ladite notice dépend de ce dernier et lui est forcément postérieure. De toute manière, le document ne doit pas être considéré comme émanant de la dissidence. Il s'inscrit dans la construction d'une image de 1'hérésie par les défenseurs de 1'orthodoxie, image ensuite constamment reprise. Dans cette perspective, la dissidence est présentée comme une contre-église maléfique, puissante et unifiée, qui menace l'Église romaine, forteresse assiégée et pourtant seule garante du salut de l'humanité. Il faut prendre garde qu'une telle image, dessinée plus particulièrement par les Cisterciens, et d'une totale actualité dans les années 1220, ainsi que le prouve la lettre de Conrad de Porto, a son rôle dans le contexte de l'époque - dont elle dérive - sans correspondre pour autant à une réalité effective. Ce serait la négation de tous les acquis récents

132

POSITIONS: 2000-2001

de la "science" historique que de prendre ce type de documents au pied de la lettre, comme 1'ont fait bien souvent adversaires ou thuriféraires de la dissidence. Il faut sans doute rejeter ces vues passionnelles et bien des idées reçues, si l'on souhaite approcher quelque peu l'histoire sociale et religieuse du Midi aux XII" et XIIIe siècles. La construction de l'hérésie, en effet, ne participe pas seulement du passé ; elle continue dans le présent où les vieux antagonismes se manifestent avec clarté dans le champ historique, tout en s'épaulant mutuellement dans la culture de 1' erreur. À cet égard, il semble paradoxal d'affirmer que les études récentes démontrent que le concile de Saint-Félix s'inscrit parfaitement dans la ligne de l'évolution ultérieure du catharisme 103 . Il apparaît en effet de toute évidence que les historiens "modernes", quels qu'ils soient, ont bâti leur approche de l'église cathare à partir de ce texte 104 . Et précisément, il faut aborder ici une question de méthode. Peut-on édifier 1'histoire d'une contre-église étendue des Balkans à l'Atlantique et de la Méditerranée à la Rhénanie sur un document unique et isolé, que les seules conditions de sa tradition auraient fait rejeter par les historiens "positivistes", dont 1' authenticité est discutable et la valeur probante lourdement obérée ? Cela revient à poser une pyramide sur sa pointe, architecture imprudente ... Il convient de le formuler clairement : s'il faut se garder du fanatisme hypercritique, 1'histoire requiert des bases solides. Il a bien existé dans le Midi languedocien des XII" et XIIIe siècles une dissidence religieuse. Toutefois, elle n'a rien à gagner à être noyée dans une histoire spéculative et imaginée ; même si elle participe d'un contexte général à tout l'Occident, elle n'a rien à perdre d'être étudiée dans sa spécificité, à partir de documents indiscutables.

1 03 Ainsi que le dit B. HAMILTON, p. 25: «As Dondaine has pointed out, the document does in the main agree with the general picture of the evolution of Catharism in Languedoc which has emerged from recent studies ». 1 0 4 Et encore assez récemment Y. HAGMAN, dans Katarerna (Les cathares), Lund, 1994. Le sous-titre, fort explicite, de 1' ouvrage est : « Unité et diversité du mouvement catharobogomile ». Ce livre comporte des analyses nuancées et souvent intéressantes. Toutefois sa perspective générale est biaisée. Son premier chapitre est tout entier consacré à la notice de Saint-Félix. Il conclut que ce document doit occuper une place centrale dans l'histoire du catharisme. Je dois à l'amabilité de Corinne PÉNEAU, qui m'en a traduit les passages essentiels, d'avoir pris connaissance de cet ouvrage.

JEAN-LOUIS BIGET

133

L'Église romaine, dans la logique qui lui est propre soutient, au début du XIIIe siècle, que 1'hérésie est une hydre aux têtes multiples mais au corps unique : Species quidem habent diversas, sed caudas ad invicem colligatas, déclare, dans une formule porteuse de sens, Innocent III à de multiples reprises 105 . On comprend bien cette logique, mais elle ne doit pas être admise pour 1' expression de la réalité. Celle-ci est sans doute assez proche du tableau dressé par le Père Dondaine, dans l'Introduction au De heresi catharorum in Lombardia : «Fréquemment l'on parle du catharisme comme d'une religion, d'un corps spirituel hiérarchiquement organisé ; on a même discuté s'il y avait eu un pape cathare, chef suprême de la secte. C'est là une erreur historique grave. Il y a eu des sectes dualistes, aussi bien en Orient qu'en Lombardie, qui n'avaient de commun qu'un donné doctrinal plus ou moins apparenté [ ... Il faut] se garder de mettre de l'unité là où il n'y en a jamais eu. Les églises cathares, les diocèses cathares, autant d'entités bien distinctes, sans liens hiérarchiques, et probablement, à l'origine, sans communication de l'une à l'autre »106.

105 Références données par A. BORST, "La transmission de l'hérésie au Moyen Age", dans Hérésies et sociétés du Moyen Age au XVII! siècle, 1962 ; J. LE GOFF, édit. 1968, p. 173. 106 A. DONDAINE, «La hiérarchie cathare en Italie : I. ... », p. 292-293.

LA «CHARTE DE NI QUINTA», ANALYSE FORMELLE

JACQUES DALARUN, ANNIE DUFOUR, ANNE GRONDEUX, DENIS MUZERELLE, FABIO ZINELLI

Institut de Recherche et d'Histoire des textes

Le concile hérétique de Saint-Félix de Caraman a-t-il eu lieu? Poser cette question, c'est en poser aussitôt une autre : la « Charte de Niquinta », document qui relate la tenue en 1167 d'une assemblée des églises du Midi de la France que l'on dit cathares 1 , est-elle authentique ? Deux questions emboîtées pour un double enjeu : si la « Charte » est authentique, elle est le plus ancien document (et l'un des rarissimes dans l'absolu) sur l'hérésie méridionale qui émane des hérétiques eux-mêmes ; si son contenu est véridique, non seulement elle nous conserve la trace directe la plus ancienne d'une assemblée hérétique autonome dans le Midi de la France2 , mais surtout elle témoigne du degré d'organisation déjà atteint par les églises cathares en 1167, tant au niveau régional que dans leur réseau "international". Quand bien même on accepte de mettre entre parenthèses l'idée d'Antoine Dondaine selon laquelle le « concile albigeois de Saint-Félix de Caraman» aurait marqué le passage, pour les églises cathares de la France méridionale, du « dualisme mitigé » au « dualisme absolu », on voit que la question de l'authenticité de la «Charte de Niquinta » n'est pas indifférente.

1 Nous employons ici les termes d' "hérétique" ou de "cathare" au premier degré, dans leur acception reçue, bien conscients cependant du fait qu'eux-mêmes doivent être soumis à la critique. Qu'il suffise de rappeler que, dans le document en question, ni les églises, ni les personnes (hommes, femmes, évêques) ne sont qualifiées d'aucune sorte. Délibérément, nous n'entrerons pas dans l'histoire de l'hérésie méridionale, nous contentant une fois pour toutes de renvoyer aux remarquables synthèses de J.-L. BIGET, «Les "Albigeois". Remarques sur une dénomination», dans Inventer l'hérésie? Discours polémiques et pouvoirs avant l'Inquisition, dir. M. ZERNER, Nice, 1998, p. 219-255; Idem,« Hérésie, politique et société en Languedoc (v. 1120- v. 1320) », dans Le Pays cathare. Les religions médiévales et leurs expressions méridionales, dir. J. BERLIOZ, Fanjeaux, 1998, p. 17-64. 2 À la différence du "concile de Lombers" tenu en 1165, qui est en fait une dispute entre hérétiques et catholiques suscitée par Girard, évêque d'Albi, et consignée dans des sources cléricales.

136

POSITIONS : 2000-2001

Et tout de suite l'idéologie s'en mêle, avec de curieux regroupements. Si l'on se sent l'âme d'un apologiste de l'Église catholique ou d'un propagandiste du pouvoir capétien, on trouvera dans la tenue du concile de Saint-Félix la preuve que le "péril hérétique" n'était pas un phantasme des clercs, mais une réalité. Si l'on a quelque affection pour le catharisme, l'assemblée de 1167 démontrera que les églises cathares n'étaient pas des groupuscules informes, ombres inverses de la seule Église qui soit, mais avaient déjà atteint un degré d'institutionnalisation qui les plaçait en position de véritable concurrence par rapport à l'Église catholique romaine. Si l'on est en revanche persuadé que l'hérésie est fondamentalement le produit du discours des clercs, que l'idée d'églises cathares constituées est le résultat d'une extraordinaire opération de "désinformation" cléricale, on acceptera difficilement de tenir pour authentique la relation d'une si solennelle assemblée. Si l'on pense de surcroît que la déviance méridionale est endogène, procédant avant tout des tensions internes de la société languedocienne mises en scène comme hérétiques pour justifier des luttes de pouvoir à l'échelle de la région ou du royaume, on aura les plus fortes réticences à prendre pour argent comptant un document qui consigne la venue dans le Toulousain d'un mystérieux Niquinta, que le De heresi Catharorum in Lombardia incite à confondre avec un hérésiarque originaire de Constantinople. Plus les présupposés ou les enjeux idéologiques sont forts dans un dossier donné, plus il importe, en bonne méthode, d'en soumettre les pièces à une analyse impavide : l'heuristique a précisément pour fonction de circonscrire l'espace précis où l'herméneutique peut déployer son inventivité. Mais c'est là où l'affaire se corse dans le cas de la« Charte de Niquinta »,pour deux raisons principales. D'une part, seul ce document relate l'assemblée de Saint-Félix; la règle du recoupement entre témoignages indépendants ne trouve donc pas ici d'assises évidentes. D'autre part et surtout, la « Charte de Niquinta » ne nous est transmise que dans un ouvrage imprimé de 1660 ; toute possibilité d'expertises "techniques" sur la matérialité du supposé document médiéval semble donc réduite à néant. Pourtant, les bons auteurs ne manquent pas qui se soient essayés à l'approche formelle, interne ou externe, de la « Charte de Niquinta » telle qu'elle nous est livrée. Chacun d'entre eux a

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

13 7

apporté sa pierre, mais en fait Antoine Dondaine, dès son article de 1946, avait produit 1' essentieL Non pas que tous aient après lui repris ses conclusions, tant s'en faut. Mais les arguments pro et contra se sont presque exclusivement échangés sur le canevas que le savant dominicain avait fixé en amont, en réponse aux critiques de Louis de Lac ger sur 1' authenticité du document rapporté par l'ouvrage de 1660. Élucidation des noms de personnes ou de lieux présents dans la « Charte », attestations externes de certains d'entre eux, dates fixant les fourchettes de la présence possible de tel ou tel protagoniste : sur tous ces points, Antoine Dondaine a, en quelque sorte, fixé la règle du jeu et ses suivants, se contentant plus d'une fois de reprendre l'information contenue dans les notes infrapaginales de 1'article de 1946 sans remonter de première main aux sources citées, ont eu le plus grand mal à briser le "cercle magique" où 1' esprit pénétrant d'Antoine Dondaine les avait par avance enfermés. Les pistes tracées en 1946 sont vite devenues ornières. Au-delà des opinions divergentes et des éclats polémiques, ce qui frappe à la lecture des articles consacrés au concile de Saint-Félix, c'est leur profonde similitude. Parmi ces héritages d'Antoine Dondaine, 1'un des plus communément reçus veut qu'un même auteur, dans un même article, doive à la fois trancher sur 1' authenticité de la «Charte de Niquinta » et dire son mot de l'état de l'hérésie méridionale entre XII" et XIIIe siècle. Là où 1' analyse devrait être, autant que faire se peut, déconnectée des enjeux d'interprétation, l'herméneutique ne cesse en réalité d'infiltrer l'heuristique 3 . Quelques membres de l'Institut de recherche et d'histoire des textes du CNRS se sont piqués au stimulant défi lancé par Monique Zerner lors de la table ronde tenue à Nice les 29-30 janvier 1999. Aucun d'entre nous n'est spécialiste de l'hérésie méridionale; aussi est-ce une analyse formelle que nous proposons, fondée sur la fréquentation des érudits (et des faussaires) modernes, sur la lexicographie latine et occitane, sur la diplomatique ou la paléographie. La critique étant animée par le doute, il est évident que nous n'avons pas la prétention, pas même dans le registre formel, d'apporter la solution à la vexatissima quaestio de la « Charte de Nous sommes bien conscients que l'analyse qu'on dit formelle n'est exempte ni d'attendus ni de conséquences idéologiques. La méthode critique est aussi une idéologie ; nous 1'assumons comme telle.

3

138

POSITIONS: 2000-2001

Niquinta » et, par voie de conséquence, du concile de Saint-Félix. Nous voudrions simplement tenter de faire sauter quelques verrous du "cercle magique" à peine évoqué. Nous affronterons d'abord la question : la « Charte de Niquinta » peut-elle être une forgerie moderne ? Dans ce premier temps, il nous faudra donc partir, à rebours, de l'ouvrage de Guillaume Besse imprimé en 1660, qui seul livre le document, comme Monique Zerner nous en a montré le chemin. Nous voudrions essayer à notre tour, de comprendre les motivations de 1' auteur moderne, mais aussi de reconstituer très concrètement ce qu'il pouvait avoir sur son bureau au moment de la rédaction de son ouvrage. Puis nous poserons la question à 1' envers : la « Charte de Niquinta » peut-elle être un document médiéval? Nous verrons alors si les formes latines, les abréviations, le lexique, les dates et les lieux cités se conforment ou non à ce que 1' on peut savoir par ailleurs des usages des XII" et XIIr siècles. Redisons-le : ces deux moments d'analyse formelle - volontairement limités à cela n'ont en rien la prétention d'apporter des réponses toutes faites aux historiens de l'hérésie dans le Midi de la France, mais de leur offrir quelques pistes pour renouveler les termes de leur questionnement.

l. UN FAUX MODERNE?

1. Guillaume Besse historien Né à Carcassonne au début du XVW siècle, Guillaume Besse est avocat dès avant 1635 et meurt avant 1681 4 . Le Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale signale trois ouvrages qui lui soient dus 5 dont deux regardent 1'histoire de la France méridionale6 , l'un publié en 1645, l'autre en 1660. R. d' AMAT, «Besse (Guillaume), historien», Dictionnaire de biographie française, 6, Paris, 1954, col. 321. 5 Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale, 12, Paris, 1902, col. 654655. 6 Le troisième est le Recueil de diverses pièces servant à 1'histoire du roy Charles VI, avec un discours qui sert d'introduction ... (abrégé Recueil pour l'histoire de Charles VI), dédié à Monseigneur le Surintendant, par le sieur BESSE, Paris, A. De Sommaville, 1660. 4

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

139

L'Index général des manuscrits décrits dans le Catalogue des manuscrits des bibliothèques publiques de France a plusieurs entrées au nom de Besse, mais dont, vérification faite, aucune ne correspond à notre Guillaume 7 . Partons du livre imprimé le plus récent : Histoire des Dvcs, Marqvis et Comtes de Narbonne 8 • De la page 1 à la page 434 s'étend l'Histoire proprement dite, en trentetrois chapitres ; de la page 43 5 à la page 519, les « Actes renvoyez a la fin de l'Histoire des Dvcs, Marquis & Comtes de Narbonne, avec plusieurs autres Pieces servant à l'Histoire». Au chapitre XXIX, Besse détaille la période correspondant au pouvoir de « Raymond, fils de Faydide, Comte de Tolose, vingtcinquiéme Duc, Marquis & Comte de Narbonne». C'est là, en relation avec l'assassinat du vicomte Raimond Trencavel à Béziers, qu'il fait allusion «au Conciliabule que cet Antipape Niquinta tint au Chasteau de sainct Felix en Lauraguais, au mois de May de cette année 1167 »,renvoyant à« l'Acte que ie dois donner tout entier, & dont i' employe vn extraict au fond de cette Histoire »9 . La « Charte de Niquinta » se trouve en effet dans l'annexe consacrée aux «Actes » 10 . En parcourant cette annexe, on se rend compte, en diverses occurrences, que le terme d'« extraict » signifie pour Besse, étymologiquement, "document tiré de", "copié à partir de", et non pas "citation partielle d'un document" 11 . Besse veut donc 7 Cf. Index général des manuscrits décrits dans le Catalogue des manuscrits des bibliothèques publiques de France, dir. M. POPOFF, 1, Paris, 1993, p. 249; la recherche resterait à faire pour les fonds parisiens. 8 Histoire des Dvcs, Marqvis et Comtes de Narbonne, avtrement appeliez Princes des Goths, Dvcs de Septimanie, et Marqvis de Gothie (abrégé Histoire des Ducs de Narbonne). Dédié à Monseigneur 1'Archevesque Duc de Narbonne. Par le sieur BESSE. A Paris, chez Antoine de Somma ville, au Palais, sur le second Perron montant à la sainte Chapelle, à 1'Escu de France. MDCLX. Avec Privilege du Roy. L'ouvrage est dédié «à Monseignevr l'illvstriss. et reverendiss. messire François Fovcqvet, Archevesque Duc de Narbonne, & Conseiller du Roy en ses Conseils ». 9 Cf. Histoire des Ducs de Narbonne, p. 325 (N.D.L.R., voir annexe 4, p. 264). 10 On sait que toutes les éditions suivantes (SANDIUS en 1676, PERCIN en 1693, BRIAL en 1806, RACK! en 1869, DOUAIS en 1880, DONDAINE en 1946, GRIFFE en 1969, SANJEK en 1972, HAMILTON en 1978, JIMENEZ en 1994) découlent directement ou indirectement de Besse. Signalons l'édition moins connue de M. [Alphonse] MAHUL, Cartulaire et archives des communes de l'ancien diocèse et de l'arrondissement administratif de Carcassonne, 1, Paris, 1857, p. 2 (N.D.L.R., la seule à laquelle ne renvoie pas A. Dondaine). 11 Par exemple, p. 43 7 : « Cet Extraie! a esté tiré d'autre Extraie! des Archives du Roy du Chasteau de la Cité de Carcassonne, contenant que ledit Acte est dans 1'Armoire des Titres d'Alet & Limoux, ledit Extraie! signé de Moret Procureur du Roy en la Sen esc haussée de Carcassonne & de Burgas, Greffier et Garde desdits Archifs, duquel moy Antoine Lauziere Notaire Royal sous-signé, ay tiré le present à la requisition de M'Guillaume Besse Aduocat en Parlement; Et apres deuë collation faite sur 1'Extraie! qui est en mon pouuoir, ie me suis icy

140

POSITIONS: 2000-2001

indiquer qu'il donne bien en annexe l'intégralité de la «Charte »12 que lui a communiquée « feu M. Caseneuve, Prebendier au Chapitre de l'Eglise de Sainct Estienne de Tolose, en l'an 1652 ». Ce qui intéresse Besse dans ce passage de son chapitre XXIX, c'est la raison pour laquelle les habitants de Béziers tuèrent Raimond Trencavel. Ainsi écrit-il : « l'essaye en mon Histoire des Euesques de Carcassonne, de monstrer que cet assassinat eut vn plus grand motif » 13 ... Puisque nous n'avons pas conservé d'Histoire des Euesques de Carcassonne due à Besse, il faut supposer qu'il fait ici allusion à son Histoire des Comtes de Carcassonne, publiée en 1645 14 . Commençons par rechercher dans cet ouvrage, de quinze ans antérieur à l'Histoire des Dvcs, Marqvis et Comtes de Narbonne, le passage concernant l'assassinat de Raimond Trencavel. Le « chapitre vingt-hvictieme » du livre de 1645 est consacré à « Roger III. et Raymond Trincauel freres ». Voici 1' enchaînement des faits qui nous intéressent plus directement 15 : - il y eut un concile anti-hérétique à Albi «en l'année 1176 »; - Raimond Trencavel y assista ; - il se rendit ensuite à Béziers ; - les hérétiques de la cité, « indignez contre luy de ce qu'il venoit d'assister à la condamnation de leurs erreurs», le massacrèrent dans l'église de la Madeleine;

sous-signé. A la cité de Carcassonne, ce premier iour de Iuin 1654. Signé, LAVZIERE, Notaire Royal. Depuis auoir recouuré le susdit Extracit, Monsieur de Gairaud Seigneur de Cuchoux au Diocese d'Alet, m'a enuoyé autre Extraict du mesme Acte, & il m'a esté deliuré de sa part par le Sieur de Gairaud de Carcassonne». Et encore, dans le Recueil pour l'histoire de Charles VI, introduction : « Quant aux pieces que je donne de mon chef, je les ai fidelement extraites ou fait extraire des Registres de la cour du senechal de Carcassonne ». 12 Contrairement à ce que supposent B. Hamilton et P. Jimenez. 1 J Cf. Histoire des Comtes de Carcassonne, p. 122-125 et Histoire des Ducs de Narbonne, p. 324 (N.D.L.R., voir annexe 3, p. 259-260 et annexe 4, p. 263). 14 Histoire des Comtes de Carcassonne par G BESSE Citoien de Carcassonne. A Beziers, Pour Arnaud Estradier Marchan Libraire de Carcassonne, Avec Privilege du Roy, 1645. L'ouvrage est dédié« A Messeignevrs, Messeignevrs des Trois Estats de la Prouince de Languedoc». Il est vrai que Besse fait parfois allusion à certains de ses ouvrages (ou projets d'ouvrage?) ; ainsi G. BESSE, Histoire des Ducs de Narbonne, p. 325-326: «En ma dissertation sur la difference des Heretiques, que ie dedie à Monseigneur l'Illustrissime Archeuesque de Tolose » (N.D.L.R., voir annexe 4, p. 264). 15 Cf. Histoire des Comtes de Carcassonne, p. 123-124 (N.D.L.R., annexe 3, p. 259-260).

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

141

- quarante-deux ans plus tard, sept mille Biterrois moururent au même lieu en la fête de la Madeleine, par une juste punition du Ciel. Cherchons maintenant à identifier les sources de Besse dans le plus ancien de ses ouvrages. Le début du récit relate un concile d'Albi qu'il faut certainement confondre avec la fameuse "dispute" de Lombers, advenue en 1165 16 . Besse, qui cite d'ordinaire ses références en marge, n'indique pas ici l'origine de son information. Les actes du concile de Lombers étaient alors conservés manuscrits dans les archives de l'Inquisition de Carcassonne 17 , mais l'année 1165 y est exactement citée et ce ne peut donc être la source de Besse 18 . La date fautive de 1176 provient du résumé des actes de la rencontre que Roger de Hoveden reporte dans sa Chronica ; du reste, la liste des participants au concile, clercs et laïcs, que donne Besse, correspond bien aux informations livrées par le chroniqueur anglais, y compris lorsqu'il indique, à deux reprises, la présence du vicomte : videlicet Trenkevalli, ego Trenkevellus vicecomes 19 • Mais nous avons vu qu'aucun témoignage, pas plus celui de Roger de Hoveden qu'un autre, n'est explicitement invoqué comme source de ce passage dans l'ouvrage de 1645. En revanche, le récit du meurtre de Raimond Trencavel et l'ultime notation d'un châtiment providentiel des Biterrois sont clairement indiqués, en marge, comme provenant de l'« Hist. des Albigeois par Pierre Moine de Valsernay »20 . Enfin, toujours en marge, Besse cite 16 P. LABBE et G. COSSART, Sacrosancta concilia, 10, Paris, 1671, col. 1470-1479. Besse ne pouvait évidemment pas avoir accès à cette édition, mais les actes du concile de Lombers étaient largement répandus et utilisés par les historiens. 1 7 Dans son ouvrage de 1645, Besse cite abondamment les archives du roi, de la commune, du chapitre, ou du château de la cité de Carcassonne. 18 VIC et VAISSÈTE, H.G.L., éd. A. MOUNIER, 7, p. 1. Une copie de cet acte a été réalisée à l'époque moderne: Paris, Bibliothèque nationale de France, Collection de Languedoc (Doat), 21, fol. 1 ss. 19 Chronica magistri Rogeri de Hovedene, éd. W. STUBBS, 2, Londres (Rerum britannicarum medii aevi scriptores), 1869, p. 105-117; le nom de Trencavel est cité p. 107 et 117. Cf. la correction de la date de 1176 apportée par VIC et VAIS SÈTE, H. G.L., 7, p. 1-4. 2 ° Cf. Histoire des Comtes de Carcassonne, p. 123 pour Je contenu de la doctrine hérétique et p. 124, en marge: «Le sus allegué c. 18. »,pour l'assassinat de Raimond Trencavel à Béziers (N.D.L.R., annexe 3, p. 259) ; ce qui correspond bien à PETRI VALLIUM SARNAII MONACHI, Historia Albigensis, éd. P. GUÈBIN et E. Lyon, 1, Paris, 1926, p. 86-93 (N.D.L.R., voir annexe 1, p.255). La lettre adressée à Innocent III par Arnaud Amaury, légat pontifical, au lendemain du massacre de 1209 fait également allusion à la coïncidence entre le lieu de l'assassinat de Raimond Trencavel et la date liturgique de la chute de Béziers; P.L, 216, col. 139: in festo sanctae Magdalenae, in cujus ecclesia cives Bitterrenses dominum suum dudum proditionaliter interfecerant, mane obsessa est civitas.

142

POSITIONS: 2000-2001

nommément « Guill. de Neubringe. Hist. d'Angleterre», mais uniquement pour raconter la manière dont Roger Trencavel vengea la mort de son père21 . Certes, Besse aurait pu avoir accès direct aux éditions des textes de Roger de Hoveden22 , de Pierre des Vaux-de-Cemay23 et de Guillaume de Newburgh24 . Mais le montage des sources médiévales s'éclaire du moment où l'on identifie la source moderne principale de l'ouvrage de 1645, soit les Memoires de l'Histoire dv Langvedoc par Guillaume de Catel, publiées en 1633. Besse, d'un bout à l'autre de son volume, ne cache pas sa dépendance envers son devancier25 . Parfois, il s'en éloigne et fait appel à des sources indépendantes ; parfois, comme dans le passage qui nous intéresse, il est à la limite du pillage ou du plagiat. Mais il ne fait en cela qu'agir comme la majorité des historiographes de l'époque et il était après tout bien normal qu'il s'appuie sur l'un des rares auteurs à l'avoir précédé sur le sujet. Guillaume de Catel, fils et petit-fils de conseillers au Parlement de Toulouse, occupe la charge de son père à compter du 1er avril 1588, après avoir étudié à Paris et passé ses examens de droit à Toulouse. Comme magistrat, il se distingue par sa dureté, faisant brûler Jean Duval pour magie en 1614 et Vanini pour athéisme en 16192 6. Son Histoire des comtes de Tolose paraît en 16232 7 . Il meurt en 1626 et ses Memoires de l'Histoire dv Langvedoc sont publiées à titre posthume en 163 3 28 . Si les travaux de Catel sont 21 W!LLELMI PARVI canonici de Novoburgo Historia rerum anglicarum, dans Chronicles of the Reigns of Stephen, Henry II., and Richard !., 1, éd. R. HOWLETT, Londres (Rerum britannicarum medii aevi scriptores), 1884, réimpr. Wiesbaden, 1964, p. 129. 22 Par des éditions de 1596 ou 1601. 23 Par la traduction française d'A. SORBIN, Toulouse, 1568 (1569), réimpr. Paris, 1569 et 1585; ou l'édition deN. CAMUZAT, Troyes, 1615. 24 Dans une édition imprimée à Anvers de 1567, dans celle imprimée à Heidelberg en 1587, ou de manière plus plausible dans l'édition parisienne de Jean PICARD, parue en 1610. Rappelons que Guillaume de Newburgh rédige sa chronique vers 1196-1198. " Ainsi, dans le passage qui précède directement le récit du concile anti-hérétique, p. 123 : « Surquoy Catel a remarqué» ... (N.D.L.R., voir annexe 3, p. 259). 26 R. d'AMAT, « Catel (Guillaume)», Dictionnaire de biographie française, 7, 1956, c. 14051406. 27 Histoire des Comtes de Tolose, par M. Guillaume CATEL, avec quelques traitez et chroniques anciennes concernant la même histoire, Tolose, P. Bosc, 1623. 28 Memoire de l'Histoire dv Langvedoc, cvrievsement et jidelement recveillis de diuers Autheurs Grecs, Latins, François & Espagnols; & de plusieurs Titres & Chartes tirés des Archifs des villes & Communautez de la mesme Prouince, & autre circonuoisins, Par M" Gvillavme DE CATEL, Conseiller du Roy en sa Cour de Parlement de Tolose. Auec les Tables & Indices necessaires. A Tolose, Par Arnavd Colomiez, Imprimeur ordinaire du Roy, & de

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

143

tombés dans l'oubli, c'est qu'ils furent ensuite largement dépassés par la somme des bénédictins de Saint-Maur, Claude de Vic et Joseph Vaissète 29 • Au livre IV de ses Memoires, traitant de Raimond TrencaveP 0 , Catel s'appuie explicitement sur Roger de Hoveden pour noter que le vicomte fut présent « au Concile tenu contre les Heretiques en la ville d'Alby, par Gerard Euesque d'Alby ». Catel ajoute que le chroniqueur anglais place l'événement sous l'année 1176, date qu'il conteste et propose de redresser en 1156, non sans réserves sur son propre raisonnement. Puis il utilise nommément Pierre des Vaux-de-Cernay pour raconter l'assassinat de Raimond Trencavel et Guillaume de Newburgh pour éclairer les raisons de la querelle 3 1 • Besse n'est donc pas retourné directement aux sources médiévales pour construire son récit publié en 1645. De Catel, il a retenu la relation du concile de Lombers et le récit de 1' assassinat de Raimond Trencavel à Béziers, soit, indirectement, les témoignages de Roger de Hoveden et Pierre des Vaux-de-Cernay. Son apport personnel, à 1' articulation des deux sources médiévales fournies par Catel, consiste à présenter dans un rapport de cause à effet la présence du vicomte au concile que tous deux disent d'Albi et son assassinat à Béziers. Mais Besse a été paresseux sur l'établissement des dates. Il sait bien, par Pierre des Vaux-de-Cernay, que le massacre ultérieur des habitants de Béziers par les Croisés venus du Nord a eu lieu en 1209 et que l'assassinat de Raimond Trencavel s'était produit quarante-deux ans auparavant, soit en 1167. Sans s'embarrasser des réserves de Catel, Besse reprend l'année livrée par Roger de Hoveden pour le concile de Lombers. Il suit néanmoins son guide moderne, Catel, dans l'enchaînement des faits (concile dit d'Albi, puis assassinat de Raimond Trencavel), au mépris des dates exprimées. Pour que le récit de 1645 fonctionne, il faut bien évidemment redresser « en 1' année 1165 » comme date

l'Vniuersité. M. DC. XXXIII. Avec Privilege dv Roy. Signalons une autre édition, même date, même lieu, chez P. Bosc. 29 Dom VIC et VAISSÈTE, Histoire générale du Languedoc, avec des notes et les pièces justificatives, composée sur les auteurs et les titres originaux, Paris, 1730-1745, 5 vol.; rééd. Toulouse 1840-1846, 10 vol.; Toulouse, 1872-1892, 15 vol. 30 G. CATEL, Memoires de l'Histoire dv Langvedoc, p. 637-640 (N.D.L.R., voir annexe 2, p. 256). 31 Pour avoir accès à ces trois sources médiévales, Catel pouvait utiliser les éditions anciennes que nous avons citées ci-dessus, toutes antérieures à 1615.

144

POSITIONS: 2000-2001

du concile anti-hérétique et expliciter « en l'année 1167 » comme date de 1' assassinat. En tout état de cause, lorsqu'il publie son Histoire des Comtes de Carcassonne en 1645, Besse ne cite nullement la «Charte de Niquinta », dont il n'a alors probablement pas connaissance, ce qui est d'ailleurs en conformité avec une communication du document en 1652 par « feu M. Caseneuve »32 . Quinze ans plus tard, le même Guillaume Besse publie son Histoire des Dvcs, Marqvis et Comtes de Narbonne. Ce deuxième ouvrage doit sans cesse être confronté au premier, dans la mesure où l'auteur remploie volontiers, dans une perspective narbonnaise, des éléments qu'il avait d'abord exposés dans une perspective carcassonnaise, ce qui est de bonne guerre. Reprenons 1'enchaînement (confus) des faits dans le livre de 166033 : - en 1167 a lieu un second siège de Toulouse, auquel seul «Guillaume de Neubringe » fait une allusion indirecte34 ; - selon cet auteur, c'est en revenant du siège de Toulouse que Raimond Trencavel accepte de faire réparation à un citoyen biterrois (offensé par la première réparation qu'il avait dû faire après avoir lui-même offensé un gentilhomme du vicomte); - traquenard : Raimond est assassiné dans 1' église de la Madeleine à Béziers3 5 ; -le chroniqueur anglais ne date pas précisément l'assassinat (ni le supposé second siège de Toulouse, par conséquent), mais «Pierre Moine de Valsemay » le situe quarante-deux ans avant 1209 ; donc Raimond fut assassiné en 1167, donc le second siège de Toulouse eut lieu cette même année, c.q.f.d. 32 A. DONDAINE,« Les actes du concile albigeois ... », p. 334, a établi, d'après les registres de l'état civil de Saint-ftienne de Toulouse, que Pierre de Caseneuve meurt le 31 octobre 1652. 33 Cf. Histoire des Ducs de Narbonne, p. 323-324 (N.D.L.R., voir annexe 4, p. 263). 34 Le raisonnement de Besse est ici spécieux. GUILLAUME DE NEWBURGH, Historia rerum anglicarum, éd. R. HOWLETT, consacre son chapitre X (éd. cit., p. 121-126), sous l'année 1159-1160, à l'expédition d'Henri Il contre Toulouse, indiquant que le comte de Barcelone et Guilelmus quoque cognomento Trencheveil se joignent au roi d'Angleterre. Le chapitre XI (éd. cit., p. 126-130) raconte, sous l'année 1167, l'horrible assassinat de Raimond Trencavel. L'idée d'un deuxième siège de Toulouse (chez BESSE) provient (chez GUILLAUME DE NEWBURGH, éd. cit., p. 126) de la phrase: Idem vir nobilis et magnus, juxta nomen magnorum qui sunt in ilia terra, cum post Tolosanam, cui interfuit, expeditionemfinibus suis per circuitum jàrtiter in pace ageret ... En réalité, le chroniqueur médiéval n'a pas ici un usage rigide du temps et il fait allusion au seul siège de Toulouse conté précédemment. 3s Et non pas «in Carcassonne cathedral » comme écrit par distraction B. Hamilton, « The Cathar Council of Saint-Félix ... »,p. 25.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

145

En réalité, Besse ne s'est pas ici contenté de reprendre son récit de 1645. Mais il n'a pas non plus pris la peine de remonter aux sources primaires. Il est retourné se servir, une fois de plus, auprès des Memoires de l'Histoire dv Langvedoc du précieux CateP 6 . En 1645, Besse n'avait pas traité équitablement les sources citées dans les Memoires, privilégiant les témoignages de Roger de Hoveden et Pierre des Vaux-de-Cernay, tout en négligeant l'essentiel de l'apport de Guillaume de Newburgh. En 1660, s'il utilise encore abondamment l'Historia Albigensis, il ne dit mot du concile de Lombers et dévoile, en revanche, les raisons de 1' assassinat de Raimond Trencavel telles que les détaille, toujours via Catel, Guillaume de Newburgh. Mais s'il les cite tout au long, les mobiles avancés par le chroniqueur anglais 37 ne satisfont cependant pas Besse. En amont des deux auteurs modernes, il y a, dès les sources médiévales, contradiction - ou complémentarité "exégétique" sur l'interprétation du même fait: à la vision idéologique et providentielle de Pierre des Vaux-de-Cernay s'oppose la version anecdotique de Guillaume de Newburgh. En 1660, s'il ne fait plus allusion au concile anti-hérétique, Besse, liant à nouveau la mort de Raimond au conflit contre 1'hérésie, persiste et signe sur le fond, se référant par conséquent à son ouvrage antérieur: «l'essaye en mon Histoire des Euesques de Carcasonne, de monstrer que cet assassinat eut vn plus grand motif, qui est que le Vicomte Trincauel qui estoit vn tres vaillant homme, & fort bon Catholique, se trouuant en ce temps là auoir les armes à la main, il ruina ces nouueaux Heretiques, qui eurent l'impudence de s'assembler en corps de Conciliabule, où il creerent vn Antipape de leur secte, nommé Niquinta ». Le « Conciliabule» de Saint-Félix a pris, dans le raisonnement de 1660, la place qu'occupait le concile dit d'Albi (en fait de Lombers) dans le raisonnement de 1645. Mais la conclusion est, en substance, identique : « l'ose dire de là que ce 36 Dans son deuxième ouvrage, Besse utilise plus encore Catel que dans le précédent, tant pour son Histoire des Comtes de Tolose que pour ses Memoires de l'Histoire dv Langvedoc. Besse loue régulièrement les qualités d'historien de son devancier (ainsi, Histoire des Ducs de Narbonne, p. 5, 260, 281, 286) et reconnaît sa dépendance à l'égard de Catel pour sa connaissance des sources (p. 7, 249, 275, 319, 323). 37 GUILLAUME DE NEWBURGH, Historia rerum anglicarum, p. 126-128. Le chroniqueur anglais ne fait pas la moindre allusion à un rapport entre l'hérésie et l'assassinat du vicomte, tandis que, chez Pierre des Vaux-de-Cernay, le massacre des hérétiques de Béziers en 1209 est bien présenté comme la vengeance divine pour l'assassinat de Raimond Trencavel quarante-deux ans plus tôt.

146

POSITIONS: 2000-2001

Vicomte est le premier Martyr dont les Heretiques surnommez du pays d'Albigeois ayent répandu le sang». La question des sources de Besse ainsi résolue (en fait, une seule et même source, secondaire, pour les ouvrages de 1645 et 1660), reste à comprendre son argumentation et l'usage du nouveau document qu'il produit en 1660, unique élément du passage qui ne dépende pas des Memoires de Catel. Entre l'hypothèse («l'essaye ... de monstrer ») et la conclusion («l'ose dire de là») s'étend le bref rapport du« Conciliabule» par Besse. Avant d'entrer dans son contenu, remarquons bien son articulation avec le récit en cours, dans lequel ce passage forme comme une incise : « il ruina ces nouueaux Heretiques, qui eurent l'impudence de s'assembler en corps de Conciliabule, où ils creerent vn Antipape de leur secte, nommé Niquinta ». En réalité, il n'y a aucun lien explicite de cause à effet ou d'effet à cause entre la principale et la première relative : rien ne dit, par exemple, que Raimond Trencavel attaqua l'assemblée de Saint-Félix, ou que les hérétiques réunis en ce lieu décidèrent 1'assassinat du vicomte38 . Il ne faut voir là que l'indication d'une nouvelle coïncidence découverte par Besse depuis 1645, grâce à l'apport de Caseneuve en 1652: une assemblée hérétique s'est tenue la même année où Raimond Trencavel fut assassiné, preuve du péril qui couvait à ce moment de toutes parts, indice supplémentaire - mais combien ténu - d'un rapport entre l'assassinat de Raimond et l'hérésie, ce qui permet de revenir au récit principal : « Voila, à mon aduis, le subjet de la mort du Vicomte Trincauel ; Et de fait, il ne resta de toute cette grande Assemblée d'Heretiques faite à sainct Felix, que ceux qui se refugierent & se fortifierent au Chasteau de Lombers, & au Chasteau de Lauaur ». Comment comprendre le « Et de fait » ? Besse a beau présenter Raimond Trencavel «les armes à la main», il n'ose pas prétendre qu'il s'en prit militairement aux hérétiques assemblés. Il y a là comme une association d'idées, un rapprochement à valeur d'insinuation, pour masquer une aporie. L'imagination du lecteur peut la combler de deux façons : soit les hérétiques préméditèrent la mort de Raimond Trencavel à Saint-Félix39 , soit celui-ci les mit "Contrairement à ce qu'affirme P. JIMENEZ, «Relire la charte de Niquinta, 1) Origine ... », p. 10. 3 9 C'est Jaforzatura inconsciente de P. Jimenez.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

14 7

à mal et les Biterrois les vengèrent. Mais Besse, s'il ouvre la voie à ces spéculations, ne peut être pris en flagrant délit d'interprétation excessive. Dans le corps de l'excursus consacré au« Conciliabule», Besse se tient en général au plus près de la source dont il annonce l'édition en annexe : « & ce Pseudo-Pape crea des Euesques; Robert de Spemon ou Esperon fut fait Euesque de la Nation de France, & Sicard Cellerier fut fait Euesque d'Alby, & plusieurs autres ; & au Conciliabule que cét Antipape Niquinta tint au Chasteau de sainct Felix en Lauraguais, au mois de May de cette année 1167. il crea encore de nouueaux Euesques; sçauoir Bernard Raymond fut éleu Euesque de Tolose, Geraud Mercier de Carcassonne, & Raymond de Casals du pays d'Aran, territoire de Comenge. L'Acte que ie dois donner tout entier, & dont i' employe vn extraict au fond de cette Histoire, dit que ces Euesques receurent en suite de la main de ce faux pape, consolamentum & ordinem Episcopi : ces Euesques estoient appeliez Consolateurs ». En revanche, au début de l'cxcursus, Besse mord le trait par rapport à sa source en déclarant : « ... ces nouueaux Heretiques, qui eurent l'impudence de s'assembler en corps de Conciliabule, où il creerent vn Antipape de leur secte, nommé Niquinta »... Sans même revenir sur la confusion autour du terme de papa, il faut noter que le document transcrit en annexe ne dit nullement que Niquinta fut créé pape à l'occasion de l'assemblée tenue in Castro Sancti Felicii40 . L'auteur du XVIr siècle, qui a nécessairement à 1' esprit le modèle catholique romain, ne peut imaginer un antipape qu'élu à la semblance du pape. Il force de la même manière le texte, rapporté par Matthieu Paris, de la Lettre de Conrad de Porto aux évêques de France en date du 2 juin 1223 41 lorsqu'il écrit, aussitôt à la suite de son récit du « Conciliabule » de SaintFélix: «Ils furent imitez par leurs Descendans en l'an 1223. lesquels creerent de nouueau vn Antipape, & celuy-cy fit pour son Legat en France vn nommé Barthelemy de Carcassonne, qui 40

É. GRIFFE, Les débuts de l'aventure cathare ... , p. 80, commente: si Besse« en avait rédigé lui-même la teneur, il n'aurait pu se tromper de la sorte en parlant de Niquinta ». Et F. SANJEK, «Le rassemblement hérétique de Saint-Félix ... », p. 781, n. 4, ajoute:« Cette citation met en évidence un G. Besse maladroit plutôt qu'un falsificateur». 41 Éd. F. SANJEK, «Albigeois et "chrétiens" bosniaques ... », R.H.E.F., 59, 1973, p. 252-256. Besse pouvait consulter des éditions de 1'Historia major de MATTHIEU PARIS en date de 1571, 1589, 1606; mais surtout l'édition de Londres, 1640, ou celle de Paris, 1644.

148

POSITIONS: 2000-2001

s'appelloit dans ses Titres, Servus servorum Sanctae Fidei, & depuis estant passé en Bulgarie, Croacie, Dalmatie, & Hongrie, il y ordonna des Euesques, & y establit des Eglises de la secte, suiuant Matthieu Paris, & plusieurs autres». Voilà donc le laboratoire de Guillaume Besse historien, soit comment il réunit sa documentation, comment il construit son récit, comment il échafaude ses interprétations. 2. Les noms de personne cités

Arrivons-en à la « Charte de Niquinta » transcrite par Besse en annexe de son ouvrage de 1660, pour n'y prendre en considération, dans un premier temps, que les noms de personnes. Le document en livre vingt-quatre. Trois ne sont cités qu'une fois (les noms sont transcrits tels qu'ils apparaissent dans 1'édition de 1660) : -Petra Bernardo - Dominus Petrus Isarn. -Petrus Pollanus. Quinze apparaissent à deux reprises : - Robertus de Spernone Ep. Eccl. Francigenarum 1 Robertus d 'Espernone ... Ep. Eccl. Francigenarum - q. Marc hus Lombardie 1 Marc hus .... Ep. E. Lombardiae - Raimundum de Casalis 1 Raimundus de Casalis ... ep. Aranensis - Guillermum Garsias 1 Guill. Garsias - Raimund. de Beruniaco 1 Raimundus de Bauniaco - Guilabertum de Bono Vilario 1 Guilabertus de Bane Villario - Bernardum Guillermum Cantor 1 B. Guillermi Cantor - Bernard. Guillermus Bane ville 1 B. Guill. Bane Ville - Bertrand. de Avinune 1Bertrand de Avinone - Gregor. Calidas manus 1 Gregor. Calidas manus - Petrum Calidas manus 1 Petrus Calidas manus - Raimundum Pontium 1 Raim. Poncii - Bertrandum de Molina 1 Bertrand. de Molina - Martinum de Ipsa sala 1 Martinus de Ipsa sala - Raimondum Guibertum 1 Raimund. Guiberti. Deux noms apparaissent à trois reprises : - Sicardus Cellarerius Eccl. Abbiens. Ep. 1 Domini S. Cellareri 1 S. Cellarerius ... Ep. Eccl. Albiensis

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

149

- Ermengaudum de Forest/ Ermengaudus de Forest / Ermengaudo de Forest.

Quatre enfin à quatre reprises : - Papa Niquinta / Papa Niquinta 1 Domino Papa Niquinta 1 Papa Niquinta - B. Catalani 1 Bernardus Catalanus 1 Bernard. Catalanum 1 B. Catalani - Bernard. Raimundum 1 Bernardus Raimundus ... Ep. Eccl. Tolosanae 1 Bernardum Raimundum 1 Bernard. Raimund. - Guiraldum Mercerium / Guiraldus Mercerius ... Ep. Eccl. Carcassensis 1 Guiraldum Mercelium 1 Guiraldus Mercerii.

Commençons par les rares pistes offertes par la critique interne. On note d'abord des variantes graphiques pour le nom d'un même personnage, portant le plus souvent sur le deuxième élément de 1' anthroponyme. Ces variantes sont, pour la plupart, insignifiantes et l'on sait à quel point le constat est banal pour les documents médiévaux et jusqu'à l'époque moderne. Par rapport à l'hypothèse d'un texte composite formé de trois parties raboutées (1. chronique de la rencontre, 2. sermon de Niquinta, 3. acte de bornage entre les églises de Toulouse et de Carcassonne )42 , on remarque que trois personnages interviennent à la fois dans les parties 1 et 3, à savoir Bernard Catalan, Bernard Raimond et Guirald Mercier. Bernard Catalan vient en 1 à la tête de la délégation de l'église de Carcassonne, mais sans titre précis; il demande l'élection d'un évêque propre en compagnie du Consilium de Carcassonne, mais c'est Guirald Mercier qui est élu ; en 3, Bernard Catalan est cité à deux reprises au deuxième rang dans la délégation carcassonnaise. Guirald Mercier est donc élu évêque de Carcassonne, consolé et ordonné en 1, puis est toujours cité au premier rang de la délégation carcassonnaise en 3. Bernard Raimond, élu évêque de Toulouse, consolé et ordonné en 1, est cité deux fois au premier rang de la délégation toulousaine en 3. La hiérarchie mise en place au sein de l'église de Carcassonne comme au sein de celle de Toulouse en 1 (avec la présence spécifique d'une sorte de chef de délégation provisoire en la personne de Bernard 42 Hypothèse soutenue par B. HAMILTON, «The Cathar Council of Saint-Felix ... », 1. p. 483484 jusqu'à consolamentum & ordinem Ep. ut esset ep. Aranensis, 2. p. 484 de Post hec vero Papa Niquinta à Similiter & vos fa cite, 3. p. 484-486 de Eccl. vero Tolosana à ita fuit fact. & impletum ; sans compter la souscription qui suit.

150

POSITIONS: 2000-2001

Catalan pour Carcassonne43 ) est donc parfaitement respectée en 3. Mais si 1' ensemble du document est un faux, ou si 1 est une extrapolation de 3 (le contraire semble plus difficile 44 ), ce respect des hiérarchies prouve simplement que le faussaire est un homme méticuleux. Sortons de la critique interne. Selon Antoine Dondaine, reprenant pour une part des identifications antérieures et y ajoutant ses propres recherches, sept de ces personnages sont aussi attestés dans diverses sources des XII"- XIII" siècles : - Dans le De heresi Catharorum in Lombardia rédigé vers 1220, on trouve cité papasnicheta (var. Papa Nicetas) nomine de constantinopolitanis partibus (var. a Constantinopoli) 1 ab ipso Nicheta (var. illo Papa Niceta) 45 • Dans le Tractatus de hereticis d'Anselme d'Alexandrie rédigé vers 1266 : quidam qui vocabatur Comment comprendre ce passage, p. 483-484 : similiter vero & Bernardus Catalanus & Consilium Eccl. Carcassensis rogatus ac mandatus ab Eccl. Tolosana & cum consilio & voluntate & solucione Domini S. Cellarerii elegerunt Guiraldum Mercerium? Bernard Catalan et le Cons ilium de 1' église de Carcassonne sont mis à égalité par le balancement et .. et. La difficulté provient de rogatus ac mandatus. Cette formule, singée de l'art notarial, se retrouve dans la souscription de Pierre Pollan. En cette première occurrence, elle ne peut grammaticalement s'accorder ni au Consilium, ni au doublet Bernard Catalan plus le Consilium. Elle ne peut non plus indiquer que Bernard Catalan serait une sorte de vicaire mis par les Toulousains à la tête de la délégation carcassonnaise, puisqu'il se retrouve ensuite dans les rangs des acteurs et témoins carcassonnais du bornage. On doit donc bien comprendre que rogatus ac mandatus s'applique tant à Bernard Catalan qu'au Consilium, au mépris de la grammaire. Pour que soit créé l'évêque de Carcassonne, il faut à la fois l'initiative de l'église de Toulouse (rogatus ac mandatus ab Eccl. Tolosana), laquelle a suscité l'assemblée et vient à peine de se doter d'un évêque, et la décision de l'évêque d'Albi, qui a pour lui l'autorité de l'ancienneté de sa charge; cum consilio & voluntate & solucione crée un crescendo qui laisse entendre que Sicard Cellerier a tranché 1' affaire pour finir, mais qu'il y avait dissension. On peut donc supposer soit que Toulouse poussait Bernard Catalan et qu'Albi soutenait Guirald Mercier, soit plutôt que Toulouse et Albi ne voulaient pas du choix spontané des Carcassonnais (Bernard Catalan) et imposèrent donc leur candidat (Guirald Mercier). Sur la place particulière de Bernard Catalan dans la délégation carcassonnaise, P. }!MENEZ, «Relire la charte de Niquinta, 2) Étude ... », p. 5 et 23. 44 La charte de bornage (3) paraît la partie la plus solide du document. Un certain nombre des informations de la partie "chronique" (1) peut en résulter, tels quelques-uns des noms des représentants au «Conciliabule» des églises de Toulouse et Carcassonne (Bernard Catalan, Bernard Raimond, Guirald Mercier). De même, des éléments du discours de Papa Niquinta (2) peuvent provenir de la charte de bornage. On trouve ainsi en 3 : Quod ita Eccl. sunt divisas sic. dictum est, ut habeant pacem & concordiam adinvicem & iura [pour una] ad altera non facial, aliquid ad suam contradicionem; et en 2 : Eccl. Asiae fuerunt divisas & terminatas inter illas, & nulla il/arum faciebat ad aliam aliquam rem ad suam contradicionem. Et Eccl. Romanae, & Drogometiae & Melenguiae, & Bulgariae, & Dalmatiae sunt divisas et termin. & una ad altera non facit aliq. rem ad suam contradicionem. Mais il est vrai que ces arguments sont facilement réversibles. 45 De heresi Catharorum in Lombardia, éd. A. DONDAINE, « La hiérarchie cathare en Italie: 1. ... »,p. 306. Nous livrons les noms sous la forme et au cas où ils sont cités dans les éditions. 43

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

15 1

Papas Nicheta qui episcopus erat illorum de Constantinopolim/iste Papas Nicheta 1 Papas Nicheta 46 . - Dans le De heresi Catharorum in Lombardia : quemdam episcopum marcum nomine 1 iste marcus 1 marcus 1 marcus episcopus 1 marcus 1 ab eodem marco. Dans le Tractatus de hereticis : unum qui dicebatur Marchus, qui erat de loco ibi propre qui dicitur Cologina 1 ille Marchus 1 Marchus 1 predictum Marchum 1 Marchcus 1 episcopus Marchcus 1 domino Marcha 1 dominus Marchus. -Dans le Liber contra Manicheos de Durand de Huesca en date des années 1222-1223, Sic hardi Cellararii est cité parmi les hérésiarques du Languedoc 47 . Dans la Chronica magistri Guillelmi de Podio Laurentii rédigée entre 1273 et 1276, il est dit que Guillaume [V], évêque d'Albi (1185-1227), eut un débat adversus heresiarcham ma-gnum Sicardum (var. Cicardum) dictum Cellariarum (var. Cellerarium, Celleriarium) apud Lomberium publiee residentem 4 8. Dans les Gesta regis Henrici secundi de Benoît de Peterborough rédigés de 1169 à 1192, on trouve sous 1' année 11 7 8 le report de la lettre encyclique du cardinal légat Pierre de SaintChrysogone, où est narrée la dispute à Toulouse entre le prélat et quidam falsi fratres, Raimundus de Bauniaco, Bernardus Raimundi et quidam alii 49 . La Chronica magistri Rogeri de Houedene, qui compile et complète l'œuvre de Benoît de Peterborough de façon quasi simultanée et couvre de manière autonome la période 1192-1201, donne la même lettre sous la même année et cite quidam falsi fratres, Raimundus videlicet de Bauniaco, Bernardus Raimundi et quidam alii haeresiarchae 50 . ANSELME D'ALEXANDRIE, Tractatus de hereticis, éd. A. DONDAINE, «La hiérarchie cathare en Italie: II .... »,p. 309. 47 DURAND DE HUESCA, Liber contra Manicheos, éd. C. THOUZELLIER, Une Somme anticathare. Le "Liber contra Manicheos" de Durand de Huesca, Louvain (Spicilegium sacrum Lovaniense, Études et documents, 32), 1964, p. 78. " Chronica magistri Guillelmi de Podio Laurentii, éd. J. DUVERNOY, Paris (Sources d'histoire médiévale), 1976, p. 34-36. 49 Gesta regis Henrici secundi Benedicti abbatis. The Chronicle of the Reigns of Henry JI. and Richard. A.D. 1169-1192, known commonly under the name of Benedict of Peterborough, éd. W. STUBBS, 1, Londres (Rerum britannicarum medii aevi scriptores), 1867, p. 202-206; les noms sont cités p. 202. 5 Chronica magistri Rogeri de Hovedene, 2, p. 155-160; les noms sont cités p. 155. On trouve également, p. 152: quidam falsi fratres, Raimundus videlicet et quidam haeresiarchae, avec un renvoi en marge à« Benedic. l, 202-202 » et en note «de Bauniaco, or Bauviaco, Benedict. ». Les deux personnages ne sont cités que par le premier élément de leurs noms, p. 156 et 159. 46

°

152

POSITIONS: 2000-2001

Dans la Chronica magistri Guillelmi de Podio Laurentii, on apprend que unum qui vocabatur Bernardus Ramundi fait partie des hérétiques assiégés dans le château de Lavaur, qu'il se rend au cardinal légat, se convertit en compagnie d'un compagnon (Raimond de Bauniac, a-t-on supposé 51 ) et devient chanoine de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse ; le chroniqueur se souvient qu'enfant, il a entendu appeler Bernard Raimond arrianum 52 . - Dans la Collection Doat, une déposition de Raimond Aiffre en date du 13 novembre 1243 fait état de Petrum Isarni episcopum haereticorum et le même Petra Isarni episcopo haereticorum est mentionné vers 122653 . Le 4 juillet 1245, Bernard dels Plas l'aîné d'Auriac déclare aux inquisiteurs Bernard de Caux et Jean de SaintPierre que Item vidit stare hereticos in manso dels Sezeros in Charamanesio et fuit ibi cap tus P. Hysarni, hereticus, et ipse testis interfuit captioni eius ; tandis que, le même jour, un autre témoin fait remonter la venue de Pierre Isarn à vingt ans en amont de sa déposition 54 . Toujours dans les documents d'archives, il est dit qu'Humbert de Beaujeau «fit brûler vif vers ce temps-là [1226], à Caunes, dans le diocèse de Narbonne, un évêque des hérétiques, nommé Pierre Isarn, qui avoit été condamné par l'archevêque de Narbonne »55 . - Encore dans la Collection Doat, des dépositions de Pierre Daidé dit Orre de Pradelis le 8 février 1244, d'Belis de Mazairolis le 3 août 1243, de Bernard de Padiers de Lavinaria le 3 févier 1244 citent Petrum Pollanum ou Polanum, P. Follain, Petrus Pollainh,

Nous reviendrons ci-dessous sur les différentes graphies du toponyme. Chronica magistri Guillelmi de Podio Laurentii, éd. cit., p. 28. Paris, B.N.F., Collection de Languedoc (Doat), 23, fol. 80v et 84v-85r, citée par A. DONDAINE,« Les actes du concile albigeois ... », p. 347, n. 46. 54 Toulouse, Bibliothèque municipale, ms. 609, f. 87r-v, cité par Y. DOSSAT, «Remarques sur un prétendu évêque cathare ... », p. 343, n. 3. 55 Domaine de Montpellier, Actes ramassés, liasse 1, n. 15, original perdu, rapporté dans VIC et VAISSÈTE, H.G.L., éd. A. MOLINIER, 6, p. 619. L'expression «vers ce temps-là» n'implique pas une datation précise du fait en 1226. Or, c'est sur cette date que l'on s'appuye d'ordinaire pour marquer le terme de 1' épiscopat cathare de Pierre lsam à Carcassonne et, par conséquent, pour réfuter la date de 1232 livrée par la souscription de la "Charte de Niquinta". Il faut éviter de retenir comme une donnée rigide des dates en réalité approximatives. Il est naturel et salutaire de vouloir dater avec précision, par une série d'hypothèses, des faits livrés sans datation, ou avec une datation floue, ou clairement erronée par les sources. Mais il convient aussi de garder en mémoire que ces résultats reposent sur des hypothèses et de ne pas les ériger en certitudes bloquant d'autres hypothèses. 51

52 53

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

153

Petrus Pollani pour des faits remontant à 1230, 1231, 1236, 124056 . En admettant que la « Charte de Niquinta » soit une forgerie moderne, il aurait donc fallu que le faussaire, pour remployer des noms provenant de sources médiévales, ait eu au minimum accès au De heresi Catharorum in Lombardia (Papa Nicetas et Marcus), à la chronique de Guillaume de Puylaurens (pour Bernard Raimond et Sicard Cellerier), à celle de Benoît de Peterborough ou plutôt à celle de Roger de Hoveden57 (pour Raimond de Bauniac et Bernard Raimond), enfin aux registres d'inquisition (pour Pierre Isarn et Pierre Pollan). Le passage du De heresi concernant Papa Nicetas et Marcus était édité depuis 1601 par Nicolas Viguier, mais placé par cet auteur sous l'année 1023 58 ; situer les mêmes hommes dans la seconde moitié du XII" siècle, comme le fait la « Charte de Niquinta », aurait donc réclamé une extraordinaire clairvoyance. La Chronica de Roger de Hoveden avait été publiée par H. Savile en 1596 et 160!5 9 ; celle de Guillaume de Puylaurens en 1623 60 , 5 6 Collection de Languedoc (Doat), 23, fol. 129v-130r, 13lr, 137v, 175r-v, !86r-189v, 195r-v, citée par A. DONDAINE,« Les actes du concile albigeois ... »,p. 350, n. 51. Ce personnage est d'ordinaire présenté en compagnie d'un ou plusieurs autres hérétiques; aux fol. 129rv-130r, il délivre le consolamentum à un malade; au fol. 186r, il est dit episcopus tune temporis haereticorum. Un Petrum Bernardi est également cité dans la déposition de Raymond Jean de 1\bia devant l'inquisition en 1238, pour avoir été fait en 1225 jilium minorem du nouvel évêque du Razès au concile de Pieusse - Collection de Languedoc (Doat), 23, fol. 270r, citée par A DONDAINE, p. 349. Il semble difficile de le confondre avec le Petra Bernardo mentionné dans la "Charte de Niquinta" comme rédacteur de 1' acte de bornage pour le compte de l'église de Carcassonne : trop de temps sépare les deux mentions et l'anthroponyme est d'une affligeante banalité. 57 On donne d'ordinaire l'avantage à Roger de Hoveden, pour la raison exprimée par W. STUBBS, «Preface», dans Gesta regis Henrici secundi Benedicti abbatis, !, p. XXX: «The great compilation of Hoveden had superseded the originals from which he drew ». N. VIGNIER, Recueil de l'Histoire de l'Église, Leyden, 1601, p. 268: l'auteur transcrit les noms Marcus et Papa Nicetas. La déformation en Niquinta n'est donc pas de son fait. Avant 1660, la source est rééditée par J. USSHER, Gravissimae quaestiones de christianarum ecclesiarum, Londres, 1613, p. 226-227. ' 9 ROGER! HOVEDENI Annalium pars prior & posterior, dans Rerum anglicarum scriptores post Bedam praecipui, ex vetustissimis codicibus manuscriptis nunc primum in lucem editi, éd. H. SAVILE, Londres, 1596, fol. 229-471; rééd. Francfort, 1601, p. 400-829. La première bdition complète de Benoît de Peterborough est postérieure : BENEDICTUS, abbas PETKOHURGENSIS, De vila et gestis Henrici II et Ricardi I, éd. T. HEARNIUS, Oxford, 1735. STUBBS fait bien allusion, dans sa préface à l'édition de 1867, p. XXXII, à une publication ~artie Ile de 1'œuvre de Benoît de Peterborough par sir James W ARE dans la première édition de ses Irish Antiquities, où il publierait la chronique de Benoît jusqu'à 1'année 1177, puis celle de Roger pour la suite des événements. Mais nous n'avons pas trouvé cet ouvrage à la Bibliothèque nationale de France et il ne doit pas être confondu avec le De Hibernia et mtiquitatibus ejus, disquisitiones in quibus, praeter ea quae de Hibernia antiqua explicantur,

ss

154

POSITIONS: 2000-2001

précisément par le grand informateur de Besse, Guillaume de Catel, puis en 1649 par François Du Chesne61 • Besse, il est vrai, cite fréquemment les deux chroniqueurs dans ses ouvrages de 1645 et de 1660, mais en dépendance de Catel. La Collection Doat, riche de deux cent cinquante-huit volumes, est constituée de copies exécutées dans divers dépôts d'archives pour le compte de Colbert, de 1665 à 1670, envoyées à Paris par Jean de Doat, président de la Chambre des comptes de Navarre; les volumes 21-37, qui concernent les hérétiques, ont été copiés de 1667 à 1669 à partir du Trésor des chartes du roi à Carcassonne, Rodez, Narbonne, Foix et des archives de l'Inquisition de Carcassonne, des Dominicains de Toulouse, de Narbonne ... En 1660, c'est donc la masse brute des archives de l'Inquisition que Guillaume Besse aurait dû affronter pour trouver les attestations de Pierre Isarn et Pierre PoUan. Mais voyons de plus près les formes des anthroponymes attestés à la fois dans et hors la « Charte de Niquinta ». Dans la rencontre de Nice, les 29-30 janvier 1999, Anne Brenon faisait remarquer que le De heresi Catharorum préfère la forme grecque Nicetas, tandis que le document publié par Besse opte pour la forme slave Niquinta 62 • Pilar Jimenez imagine, pour sa part, « une mauvaise traduction en latin du nom grec Nicétas »63 . Il faut plutôt supposer que le clerc cultivé auteur du De heresi Catharorum a donné la graphie latine décalquée du grec qu'il était en mesure de restituer, tandis que le document d'origine hérétique, dû à un auteur peu instruit, s'est fait l'écho phonétique de la forme courante (y compris dans la prononciation grecque médiévale, remarque C. Sandius 64 ) du nom donné au personnage venu d'Orient. « Niquinta » n'est pas slave; c'est un nom grec qui a subi la "iotisation" 65 . Quelque raison que l'on retienne. pour cette mores et consuetudines veterum, quam mediorum temporum, describuntur ... , authore Jacobo WARACO, pourtant publié à Londres en 1654. Nous remercions vivement Gilette Labory pour son aide. 60 Éd. G. CATEL, Histoire des Comtes de Tolose, p. 49-107 de la seconde pagination. 6 1 Éd. F. DU CHESNE, Historiae Francorum scriptores coaetani, 5, Paris, 1649, p. 666-705. 62 La remarque n'a de sens que si l'on considère qu'il s'agit du même homme, ce qui est admis depuis C.C. SANDIUS, Nucleus historiee ecclesiasticœ ... , p. 391. 63 P. JIMEJ\EZ, «Relire la charte de Niquinta, 1) Origine ... », p. 14. 6 4 C.C. SANDIUS, p. 391 : Michi verosimile videtur eundem esse hune Papam Niquintam, et papam Nicetam, de quo scribit auctor antiquus [citation du De heresi Catharorum tirée deN. Vignier]. Nam Niquinta Galli pronunciant Nikinta: et Niceta, vocem graecam, Graeci pronunciant Nikita, quod Galli nequeunt aliter scribere, quam Niquinta. 65 Paul Géhin, que nous remercions de son avis, nous confirme qu'à Byzance, au XII' siècle,

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

15 5

divergence, elle réduit fortement les chances de dépendance, à quelque époque que ce soit, entre le De heresi Catharorum ou a fortiori Anselme d'Alexandrie et 1'auteur de la «Charte de Niquinta »66 . Admettons néanmoins que faussaire moderne il y ait et qu'il se soit fourni, comme il est le plus souvent suggéré, à la chronique de Roger de Hoveden pour insérer dans sa forgerie le nom de Raimond de Bauniac. La graphie Raimundus videlicet de Bauniaco est celle que donne William Stubbs dans son édition de la Chronica en date de 1869 ; inutile de dire que ni Besse ni un auteur antérieur n'y avaient accès. Les deux éditions d'H. Savile, en revanche, étaient disponibles au XVII" siècle, puisqu'elles ont été publiées en 1596 et 1601. Mais on y trouve mention de Raimundus videlicet de Baimiaco 67 , mélecture très probablement due à Savile en personne (comme tant d'autres portant sur les anthroponymes), étant donné que W. Stubbs, à ce même endroit du récit, ne cite aucune variante à Bauniaco dans son édition critique 68 . Que ce Raimond, toute fantaisie graphique mise à part, soit celui de la « Charte de Niquinta », cela semble avéré du fait qu'il est présenté dans l'une et l'autre sources comme compagnon de Bernard Raimond 69 . Mais NtKT)TŒÇ se prononçait sans conteste Niquitas au nominatif et Niquita au vocatif. Rappelons que G. BESSE, Recueil pour 1'histoire de Charles VI, introduction, écrit : «Quoi qu'il en soit, j'ai laissé le tout en sa langue naturelle et j'ai cru même que je ferais tort à l'antiquité si je ne suivais régulièrement l'orthographe de ce temps-là». 67 Éd. de 1596, fol. 328v; éd. de 1601, p. 575. 68 On a du mal à comprendre pourquoi A. DONDAINE, «Les actes du concile albigeois ... », p. 335 et n. 20, citant le report de la lettre encyclique du cardinal légat Pierre de SaintChrysogone par Roger de Hoveden en se fondant explicitement sur l'édition de Stubbs publiée en 1869, choisit de donner les graphies Raimundus videlicet de Baimiaco, Bernardus Raymundi, qui ne correspondent pas au texte donné par Stubbs (Raimundus videlicet de Bauniaco, Bernardus Raimundi), mais se rapprochent du texte donné par Savile (Raimundus videlicet de Baimiaco, Bernardus Raimundi). La seule explication plausible à cette bévue est la suivante. Depuis le XVIII' siècle, C. de Vic et J. Vaissète, se fondant sur 1'édition Savile de 1596, citent «Raimond de Baimiac & Bernard Raimundi » (H.G.L., 6, p. 82, 95, 96) ou «Raimond de Baimiac & Bernard de Raimond» (H. G.L., 7, p. 12-13, 690), avec néanmoins une occurrence de «Raimond de Bainiac » (H.G.L., 6, p. 1017). L. de Lacger, qui aurait pourtant pu en 1933 s'appuyer sur 1' édition de Stubbs, continue à parler de « Bernard Raymond et Raymond de Baimiac dans Hoveden », pour la raison qu'il ne se réfère à la chronique qu'à travers de Vic et Vaissète, donc en dépendance de l'édition de Savile de 1596. Réfutant L. de Lacger, A. Dondaine est en quelque sorte victime de son adversaire ; l'autorité de l'H.G.L. fait le reste. C'est sous le nom de Raimond de Baimiac que la plupart des historiens continue à citer celui qui s'appelait certainement Raimond de Bauniac. 69 Il est précisément identifié comme tel depuis 1933 par L. de LACGER, «L'Albigeois pendant la crise de 1'albigéisme ... », p. 315 : «Le compositeur de la pièce [... ] a trouvé le nom de Sicard Cellérier dans Guillaume de Puylaurens et ceux des cathares toulousains Bernard Raymond et Raymond de Baimiac dans Hoveden ». 66

156

POSITIONS: 2000-2001

pourquoi le faussaire présumé, découvrant un Raimundus videlicet de Baimiaco, leçon donnée par les éditions de 1596 et 1601 toutes deux dépourvues d'apparat critique, l'aurait-il transformé dans sa forgerie en Raimund. de Beruniaco puis en Raimundus de Bauniaco ? On comprend qu'un scribe médiéval distrait ou qu'un éditeur moderne imprécis confondent -aim-, -erun- et -aun- puisque ces trois groupes de lettres peuvent présenter le même nombre de jambages. On comprendrait moins qu'un faussaire moderne, au moment même où il s'empare d'un nom historique qui va donner un cachet d'authenticité à sa forgerie, s'amuse à le déformer au risque de le rendre méconnaissable, donc de ruiner son propre effort. Simple mé1ecture du nom puisé dans l'une des éditions anciennes de Roger de Hoveden ? Mais, là encore, deux mélectures différentes à quelques lignes d'intervalle semblent plus plausibles pour un copiste médiéval ou un auteur moderne inattentifs que pour un faussaire moderne d'autant plus attentif qu'il sertirait là du vrai dans du faux 70 . Et surtout, par quel miracle la deuxième de ces mélectures retomberait-elle sur la graphie certainement exacte de Bauniaco, que W. Stubbs ne rétablit qu'en 1869? Benoît de Peterborough, dans ses Gesta, donne bien la leçon Raimundus de Bauniaco ; du moins est-ce celle que livre, sans aucune variante signalée, l'édition de William Stubbs en date de 1867. Dès lors, dira-t-on, il suffisait à un faussaire agissant à une date antérieure à 1660 de se fournir directement au modèle de Roger de Hoveden. De nouveau, la piste tourne court, puisque la plus ancienne édition complète des Gesta, due à Thomas Hearne, ne remonte qu'à 1 73 571 . Avant cela, la notoriété de Benoît de Peterborough, éclipsé de longue date par son continuateur, est d'ailleurs très faible chez les historiens. Remettons ces éléments en ordre. Roger de Hoveden recopie sous 1' année 1178 la lettre encyclique du cardinal légat Pierre de Saint-Chrysogone à partir de son modèle, Benoît de Peterborough, et donne comme lui la mention d'un Raimond de Bauniaco. Savile, 70 Sans oublier la question posée par A. DONDAINE, «Les actes du concile albigeois ... >>, p. 339 : pourquoi un faussaire qui se serait ainsi "servi" dans les chroniques y aurait-il négligé tant d'autres noms authentiques pour les dix-sept personnages cités dans la charte et sans attestation externe ? 71 De vita et gestis Henrici Il et Ricardi 1, 1, p. 256 : quidam falsi fratres, R(aymundus) videlicet de Bauviaco, et B(ernardus) Raimundi; et p. 258 : quidam fa/si fi'atres, Raimundus de Bauniaco, Bernardus Raimundi.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

157

soit qu'il s'appuie sur un témoin manuscrit fautif7 2 , soit plutôt qu'il produise alors une des mélectures dont il est coutumier, transforme de Bauniaco en de Baimiaco, ce qui se comprend fort bien au vu du nombre égal de jambages. Qu'un faussaire moderne, ayant sous les yeux la leçon erronée de Baimiaco, en revienne à la version avérée de Bauniaco 73 , donnée originellement tant par Benoît de Peterborough que par Roger de Hoveden, nous avons déjà dit que cela nous paraît hautement improbable. Le rédacteur de la «Charte de Niquinta >>, très précisément de l'acte de bornage, ne dépend pas d'un emprunt aux éditions anciennes de Roger de Hoveden, puisqu'il donne une leçon supérieure à celle de Savile. S'il donne la même graphie que Benoît de Peterborough, il n'en dépend probablement pas plus puisqu'il travaille avant la première édition complète des Gesta 74 . Cas d'école: si deux sources indépendantes livrent un même fait ou une même leçon, c'est qu'elles sont toutes deux authentiques et que le fait est avéré ou la leçon exacte. Un des copistes de l'acte de bornage (Pierre PoUan?) ou de la « Charte de Niquinta » tout entière (Pierre PoUan ? Caseneuve ? Besse ?), qui a sous les yeux deux occurrences de Raimundus de Bauniaco, déforme la première en Beruniaco (un -a- trop ouvert peut être confondu avec -er-), mais consigne correctement la seconde, ce que les éditions de Savile ne donnaient aucun moyen de faire au XVIIe siècle75 • Dès lors, pour convaincre Besse ou l'un quelconque de ses devanciers de forgerie, il faudrait démontrer soit qu'un extrait de Benoît de Peterborough ou de Roger de Hoveden, livrant la bonne leçon de Bauniaco, était en circulation avant 166076 , soit que le W. STUBBS, "Preface", dans Chronica magistri Rogeri de Hovedene, 2, p. XV, avoue qu'il n'a pu établir de quel manuscrit dépend l'édition de Savile et conclut: « I am inclined to consider it an eclectic if not a critical version». 73 Ce Bauniac est certainement un toponyme, mais qui résiste à l'identification. Signalons un Beaunac, Dordogne, hameau de la commune de Trélissac, arrondissement de Périgeux, canton Périgeux-1\ord; en remerciant Anne-Marie Legras de ce renseignement. Citons encore Bonnac, Ariège, arrondissement de Pamiers, canton de Pamiers-Est; ou Bonnac, Cantal, arrondissement de Saint-Flour, canton de Massiac; ou Bonnac-la-Côte, Haute- Vienne, arrondissement de Limoges, canton d'Ambazac. 74 En admettant que Be~~e ait eu accès à l'introuvable édition partielle due à Ware en 1654, notons que cette date est postérieure de deux ans au moment où Besse prétend avoir connaissance de 1'acte par Caseneuve. 7 5 Voir les schémas ci-dessous. 76 Dans le cas de Besse, cela paraîtrait d'autant plus invraisembable qu'il semble ignorer (et pour cause) Benoît de Peterborough et que, lorsqu'il cite Roger de Hoveden, il ne se donne pas même la peine de remonter à l'édition de Savile, mais dépend servilement de Catel. Un 72

158

POSITIONS: 2000-2001

supposé faussaire moderne aurait eu accès aux manuscrits d'une des deux chroniques, lesquels, à l'évidence, n'ont Jamms quitté l' Angleterren.

3. De Guillaume Besse à Pierre de Caseneuve Au terme de cet examen, il semble exclu que Guillaume Besse ait fabriqué la « Charte de Niquinta », soit de toutes pièces, soit en assemblant de sa propre initiative des matériaux hétéroclites. Car un faussaire poursuit un but et, pour dénoncer un faux, il faut pouvoir énoncer ce but. Certes, Besse poursuit bien un même but en 1645 et en 1660: affirmer que Raimond Trencavel fut assassiné à Béziers en 1167 pour avoir osé prendre parti contre l'hérésie et présenter ainsi le vicomte comme un martyr de la foi catholique, ce qui lui était suggéré par Pierre des Vaux-de-Cernay. Dès 1645, son siège est fait. Mais l'excursus consacré à l'assemblée de SaintFélix est, dans cette perspective, d'un bien maigre profit : ces hérétiques (nullement désignés comme tels par la «Charte de Niquinta ») ne commettent aucun délit, n'agitent aucune doctrine perverse, résolvent leurs problèmes de juridiction dans un esprit de concertation digne des Actes des apôtres. Besse est contraint de exemple frappant dans G. BESSE, Histoire des Ducs de Narbonne, p. 322, où l'auteur fonde son récit « suiuant Zurita, et Diago, et apres eux M. Cate1, Matthieu Paris, Thomas Valsingham, Roger de Houeden, et Guillaume de Neubringue, historiens anglois, l'abbé Robert, et plusieurs autres». Le fait que Besse classe les auteurs modernes et médiévaux à rebours est significatif: s'il cite Roger et les autres après Catel, c'est qu'il les cite d'après Catel. 77 Pour les Gesta de Benoît de Peterborough, le manuscrit original est perdu. Les deux seuls manuscrits médiévaux qui nous soient parvenus, conservés à Londres, British Library, Cotton, Julius A. Xl. (anc. 117) et Vitellius E. XVII. (anc. 317), ont été copiés à l'abbaye de Peterborough, puis ont été détenus le premier par William Cecil Burghley, le second par William Canden, avant d'intégrer tous deux la bibliothèque de Robert Cotton (1571-1631). Le témoin manuscrit signalé dans le catalogue de la bibliothèque de Westminster en 1672 a dû disparaître dans l'incendie de 1694. Le témoin conservé dans la Harleian Collection sous la cote 4321 est une copie réalisée entre 1691 et 1694, à partir du Julius ou du manuscrit perdu de Westminster; W. STUBBS, "Preface", dans Gesta regis Henrici secundi Benedicti abbatis, 1, p. XXI-XXXII. Vérification faite à la British Library, le Julius et le Harleian arrêtent le récit des faits en 1177. Le Vitellius est donc le seul qui nous concerne. Mutilé par un incendie en 1731, il aurait été copié par Wanley au début du XVIII' siècle ; Heame utilisa cette transcription. Aujourd'hui restauré, Vitellius donne, fol. 34v: Raimundus de Bauniacu. Pour la Chronica de Roger de Hoveden, le plus ancien manuscrit, pour la tranche chronologique qui nous intéresse, est conservé à Londres, British Library, Reg. 14 C. 2. Le manuscrit Arundel 150, sur lequel Savile a peut-être fondé son édition fautive, est lui-même écrit sans soin et avec de nombreuses omissions; W. STUBBS, "Preface", dans Chronica magistri Rogeri de Hovedene, 2, p. X-XVIII. Dans le Reg. 14C. 2, fol. 184: Bau-1-niaco; dans l'Arundel 150, fol. 70v : Bauniaco, mais on comprend que Saville ait pu lire Baimiaco.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

15 9

forcer sa source pour parler de l'élection d'un anti-pape. S'il était l'auteur du faux, qu'est-ce qui l'aurait empêché d'ajouter: et omnes sic innumerabiliter congregati elegerunt dictum Niquintam sicut papam etc. ? Par ailleurs, si tout cela était inventé pour renforcer l'hypothèse d'un assassinat de Raimond Trencavel par de dangereux hérétiques biterrois, pourquoi situer ce « Conciliabule » in oppido S. Felicis de Carman quinque leucis Tolosa distantis 78 ? Ce lieu est parfaitement logique au regard d'une réelle rencontre entre des représentants des églises cathares d'Albi, de Toulouse et de Carcassonne79 . Il ne l'est nullement dans l'économie de la démonstration de Besse. L'inadéquation entre sa claire motivation et le document qu'il produit laisse toujours plus à penser que le document est livré par l'historien tel qu'il le reçoit. Ce qui arrange Besse, en revanche, dans sa démonstration alambiquée (en 1645, il avait accolé un concile qu'il croyait daté de 117 6 à un meurtre survenu en 1167 ; en 1660, il veut à la fois dater deux événements, dont un tout à fait improbable - le second siège de Toulouse -, et affiner son interprétation doctrinale de 1' assassinat), c'est que le « Conciliabule » ait justement lieu en 1167, puisque le seul lien entre la rencontre de Saint-Félix et le meurtre de Raimond Trencavel, ce n'est ni la proximité géographique, ni la participation de tel ou tel personnage aux deux événements, mais la coïncidence chronologique. Résumons : Besse a son idée depuis 1645, forgée sur les pièces que lui fournissait Catel ; Caseneuve lui remet en 1652 un document dont il ne sait trop que faire, mais qu'il met de côté. Au moment de rédiger l'ouvrage publié en 1660, une association d'idées vient à Besse, provoquée par la coïncidence de date 80 : 1167, c'est l'année de la mort de

n J. J. PERCIN, p. 1. C'est Besse lui-même qui identifie in Castro Sancti Felicii de la "Charte de Niquinta" avec le « Chasteau de Saine! Felix en Lauraguais», alors qu'il y avait d'autres Saint-Félix possibles; BESSE, Histoire des Ducs de Narbonne, p. 483 (cf. hors texte) et p. 325 (N.D.L.R., annexe 4, p. 264) et B. HAMILTON,« The Cathar Council of Saint-Felix ... », p. 31. 79 Il suffit de regarder une carte pour s'apercevoir que Saint-Félix-Lauragais, site perché et fortifié, est au centre du triangle Albi-Toulouse-Carcassonne et que, s'il se trouve dans 1'actuel département de la Haute-Garonne, il est à la limite du Tarn et de 1' Aude. Au XII' siècle, Saint-Félix dépend du diocèse de Toulouse ; ce qui explique que, dans la "Charte de Niquinta", l'église cathare de Toulouse prenne l'initiative de la rencontre: Ecclesia Tolosana adduxit Papa Niquinta in Castro Sancti Felicii. Cf. également P. JIMENEZ, «Relire la charte de Niquinta, 2) Étude ... »,p. 5, 22 et 24. so Au vu de l'économie de l'insertion du document dans le récit historique, s'il fallait suspecter un élément de la« Charte de Niquinta »,ce serait la date de 1167, au motif: trop beau pour être vrai.

160

POSITIONS: 2000-2001

Raimond Trencavel; voilà qui prouve que l'hérésie bouillonnait de toutes parts à ce moment ; donnons à tout hasard ce document pour renforcer la thèse du martyre du vicomte, non par preuve contraignante, mais comme par analogie. L'accusation de forgerie a aussi plané sur «feu M. Caseneuve, Prebendier au Chapitre de l'Eglise de Sainct-Estienne de Tolose », qui a communiqué en 1652 la« Charte de Niquinta » à Guillaume Besse. Philippe Wolff se fait l'écho du soupçon en s'interrogeant : «Comment ce chanoine, dont d'autres sources confirment 1' existence (et la mort, le 31 octobre 1652), et qui n'était pas un érudit, se trouvait-il en possession d'un tel document? »81 • Le doute, implicite, peut peser doublement sur l'informateur de Besse: comment l'homme, n'étant pas un savant, aurait-il été en mesure de trouver puis de transcrire correctement la « Charte de Niquinta »? S'il n'a pas pu trouver un document authentique, ne l'aurait-il pas fabriqué? Monique Zerner a rendu justice à la réputation de savant de Pierre de Caseneuve, bien établie de son temps. Peut-être est-ce en effet sur le cas de Caseneuve que les historiens préoccupés du concile de Saint-Félix ont été les plus légers. D'abord parce qu'entre les deux soupçons cités à l'instant, il faut choisir. Comment le chanoine toulousain, trop ignare pour copier un document médiéval, aurait-il su le fabriquer de toutes pièces ? Aurait-il pu, mieux que Besse, retrouver la graphie de Bauniaco dans les lointains témoins manuscrits des œuvres de Benoît de Peterborough ou de Roger de Hoveden? Par ailleurs, on ne se donne pas la peine de faire un faux pour ne pas lui trouver d'usage. Caseneuve n'utilise pas la charte par lui-même. S'il la transmet à d'autres qu'à Besse, ceux-ci n'ont pas mordu à 1'hameçon. En 1652, avant de mourir le 31 octobre, il remet le document à Besse. Mais s'il l'a forgé, que veut-il prouver? Donnet-il quelque indication, une sorte de mode d'emploi du faux à son destinataire ? On ne sait. Le fabrique-t-il, ce qui est une des ruses préférées des faussaires 82 , en fonction d'un besoin démonstratif de Besse? En ce cas, c'est beaucoup de travail pour un faible Ph. Wolff, Documents de l'Histoire de Languedoc ... , p. 103. Monsieur, J'ai su de notre commun ami Untel que vous vous intéressiez en ce moment à telle question. Le hasard a justement voulu que je mette la main sur un document qui a rapport à votre affaire. N'ayant pas la prétention d'égaler vos mérites, je me permets de vous adresser humblement ledit document, dont je suis bien persuadé que vous saurez faire Je meilleur usage. Votre dévoué ... 81

82

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

161

rendement, puisqu'il aurait pu forger un texte appuyant avec beaucoup plus de pertinence la thèse de l'historien, ne serait-ce qu'en situant le «Conciliabule» à proximité de Béziers. A défaut d'en faire un faussaire, un roué, doit-on soupçonner notre chanoine, «qui n'était pas un érudit», d'avoir été incapable de transmettre à Guillaume Besse un document fiable ? Au fait, qui a dit que Caseneuve tout à la fois était un parfait inconnu et n'était pas un savant ? Antoine Dondaine a eu le mérite de dépouiller les registres d'état civil pour découvrir l'année et le jour de sa mort. Mais comment se fait-il que ni lui, ni ses suivants n'aient eu l'idée d'ouvrir le Dictionnaire de biographie française, ou le Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale83 , ou ... de lire les plaques des rues de Toulouse 84 ? Citons le Dictionnaire de biographie française : « Caseneuve (Pierre de). Né à Toulouse le 31 oct. 1591, il étudia la théologie, le droit, les langues anciennes et vivantes, entra dans les ordres et obtint une prébende de chanoine à S.-Étienne de Toulouse. Il accepta une place de précepteur dans la maison de MontmorencyFimarcon et écrivit pour ses élèves Caritée ou la Cyprienne amoureuse, 1621. L'archevêque de Toulouse, Charles de Montchal, l'employa ensuite à des études de droit coutumier pour lesquelles, dit-on, il n'avait que peu de goût. Il publia cependant

Instruction pour le franc alleu de la province de Languedoc, 1640, qui eut une deuxième édition sous le titre Le franc alleu de la province de Languedoc, 1654. Pierre de Caseneuve était plutôt un grammairien. Il préparait un ouvrage sur 1' étymologie de la langue française mais, lorsqu'il eut appris que Ménage travaillait dans le même sens, il s'effaça devant lui. Son manuscrit, repris par Simon de Val-Hébert, fut imprimé bien plus tard, en 1694, en appendice aux Origines françaises, de Ménage. Pierre de Caseneuve mourut le 31 oct. 1652. Il a publié d'autres ouvrages : La Catalogne françoise, 1644, ouvrage de propagande politique ; Histoire de la vie et des miracles de S. Edmond, 1644 ; L'origine des jeux jleuraux,

83

Op. cit. supra, n. 5, col. 561-562. La rue Pierre de Cazeneuve part du Boulevard des Minimes en direction du Nord. La plaque porte:« Pierre de Cazeneuve, écrivain toulousain (1591-1652) ». Notre Caseneuve ne figure pas en revanche dans l'Index général des manuscrits ... , op. cit. supra, n. 7.

'4

162

POSITIONS: 2000-2001

paru après sa mort en 1659, où il se place parmi les adversaires de la légende de Clémence Isaure »ss. La plus ancienne biographie de Pierre de Caseneuve fut écrite en latin par son ami le magistrat Bernard Medon 86 . Dédiée à Nicolas Heinsius, elle parut à Toulouse en 1656, puis en 1659 en tête de l'édition posthume de l'Origine des ieux fleureaux de Toulouse8 7 • En 1875, Philippe Tamizcy de Larroque cite encore le chanoine comme un savant consciencieux, 1'un des érudits toulousains qui font le plus honneur à la province de Languedoc 88 . Ses ouvrages, d'ailleurs, le prouvent. A la lecture de l'Instruction pour le francalleu de la province de Languedoc, il ressort que Caseneuve édite convenablement ses pièces justificatives (essentiellement des actes royaux du XVIe siècle), qu'il transcrit les écritures anciennes sans difficulté et pratique correctement le latin. Il cite régulièrement ses informateurs, historiens antérieurs et sources imprimées 89 . La Catelogne françoise, ouvrage qui traite des droits du roi sur les comtés de Catalogne et de Roussillon, dédié sans surprise à Mazarin, débute par une table des auteurs et des sources cités. Caseneuve n'y édite qu'une pièce justificative en fin de volume, mais très convenablement : « Extraict du testament de Gerard, dernier comte de Roussillon »90 . Dans son Origine des ieux fleureaux de Toulouse, notre chanoine cite de larges passages des registres de l'Académie des jeux floraux, recopiant avec soin le nom des intervenants dans 1' acte de fondation du fameux concours poétique. Il introduit ses citations par des formules du type : « Voicy les parolles du livre des Ieux-fleureaux, qui conserve 85

R. D'AMAT, «Caseneuve (Pierre de)», Dictionnaire de biographie française, 7, col. 1306. Vita Petri Casanove vira amplissimo Nicolao Heinsio pro foederatorum Belgarum Republica apud invictissimum Suecorum regem Karolum Gustavum oratnri, a d Bernardo Medonio olim inscripta ac edita. 87 Origine des ieux fleure aux de Toulouse, par feu Mr DE CASENEUVE avec la vie de 1' author par Monsieur Medon, à Toulouse chez Raymond Bosc, 1659. 88 Lettres toulousaines. !. P. de Caseneuve. Il. Saint-Blanca! et Medan. III. J. Doujat. Publiées par P. TAMIZEY DE LARROQUE, Auch (Extrait de la Revue de Gascogne), 1875, p. 5. 89 Instruction pour le franc-alleu de la province de Languedoc, par P. DE CASENEUVE, Toulouse, J. Boude, 1640; rééd. sous le titre Le franc-alleu de la province de Languedoc establi et defendu. Seconde edition reveue et augmentee d'un second livre ... à laquelle a esté de plus adjousté un traicté de l'origine, de l'antiquité et des privileges des Estats Generaux de la mesme province. Ensemble un recueil des chartes de ses principaux privileges, par P. DE CASENEUVE, Toulouse, J. Boude, 1645. 90 La Catelogne françoise, où il est traité des droits que le roy a sur les camlez de Barcelonne et de Roussillon et sur les autres terres de la principauté de Catelogne, par P. DE CASENEUVE, Tolose, P. Bosc, 1644. On notera qu"'extraict" désigne là encore un texte dans son intégralité. 86

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

163

encore à la postérité la memoire de cette belle institution». Et lorsqu'il est contraint d'abréger, il précise : «dans cette lettre que sa longueur me deffend de rapporter entiere »91 . Dans aucun des ouvrages précédemment mentionnés, Caseneuve n'aborde les questions religieuses. Mais il compose en revanche une Histoire de la vie et des miracles de S. Edmond, roy d'Estangle ou Angleterre orientale92 . À cette occasion, Bernard Medon nous apprend : Plura circa res sacras contulerat, quae si in ordinem redegisset, multum utilitatis Ecclesiae allatura erant, sed nzmza diffidentia praepeditus, optimis lucubrationibus invidit lucem 93 • Ne peut-on imaginer que le chanoine toulousain, qui ne traita pas d'hérésie dans ses ouvrages imprimés, accumula cepen-dant des matériaux sur le sujet, dont le document qu'à l'approche de sa mort il aurait transmis à Guillaume Besse 94 ? Savant consciencieux, Pierre de Caseneuve était parfaitement en mesure de trouver et de transcrire en l'état la« Charte de Niquinta ». Ce document, tel qu'il nous est rapporté par Caseneuve puis par Besse, est bien un « extraict », c'est-à-dire la citation fiable et intégrale d'un document ancien. Prébendier cauteleux, pratiquant une sorte d'auto-censure sur des questions religieuses brûlantes, le chanoine toulousain n'a guère, il faut l'avouer, le profil d'un faussaire. Exonérer Besse ou Caseneuve du soupçon de falsification ne doit pas ressortir à l'impression, mais aux preuves et au raisonnement. Tout est affaire de rendement: une forgerie, c'est du travail; or, tel qu'il est utilisé, le document produit par Besse a un rendement extrêmement faible, alors même qu'un faussaire peut en toute liberté (puisqu'il tient la plume) donner un rendement maximal à son labeur. Or si faux il y a, travail il y eut, entre autres pour trouver sept noms historiques et les introduire dans la forgerie. Les sources qu'il aurait fallu utiliser pour ce faire appartiennent à des typologies variées et ne sont pas d'accès évident. De plus, l'un des noms attestés par les sources externes, livré sous une P. DE CASENEUVE, Origine des ieuxfleureaux de Toulouse, p. 67 et 68. Histoire de la vie et des miracles de S. Edmond, roy d 'Estangle ou Angleterre orientale, par P. DE CASENEUVE, Tolose, P. Bosc, 1644. 93 B. MEDON, Vi ta Petri Casanove, p. 8, dans P. DE CASENEUVE, Origine des ieux fleureaux de Toulouse. ' 4 G. BESSE, Histoire des Ducs de Narbonne, p. 142 et 423, cite Le franc-alleu et, p. 124 et 271, La Catelogne françoise; il pratiquait donc les livres du défunt chanoine. Après exhumation de l'œuvre de Pierre de Caseneuve, on comprend mieux pourquoi les deux hommes, ayant travaillé sur des sujets voisins, pouvaient être liés. 91

92

164

POSITIONS: 2000-2001

graphie erronée par les éditions disponibles de la Chronica de Roger de Hoveden, est pourtant donné par la « Charte de Niquinta >> dans sa forme authentique. Si donc l'acte a été forgé à l'époque moderne, par Caseneuve, par Besse ou tout autre, ce faussaire, doué du don de divination, a failli de surcroît inventer le concept d'acte gratuit. Ou disons-le plus clairement en deux points, en réponse à notre première question : 1. la « Charte de Niquinta » ne peut pas être une forgerie moderne; 2. Caseneuve et Besse offrent toutes garanties d'une transmission respectueuse du document médiéval. Jacques Dalarun

II. UN DOCUMENT MÉDIÉVAL ?

1. Guillaume Besse éditeur Si l'on considère comme acquis que Guillaume Besse n'a pas forgé lui-même le texte qu'il publie sous le titre de «charte de Niquinta », il reste à s'interroger sur la nature du document qu'il reproduit et sur le crédit qu'on peut lui accorder. Le fait que le dernier intervenant dans la chaîne de transmission puisse être considéré comme de bonne foi ne saurait en effet être regardé comme une garantie de sincérité du document. L'exercice n'est guère facile, puisqu'il consiste à entreprendre une critique serrée et approfondie d'un texte que nous ne connaissons qu'à travers une édition95 établie dans des conditions et selon des règles qui nous échappent a priori. Le cas n'est pas véritablement inédit; mais lorsqu'il se présente il est généralement possible de rattacher la pièce en cause à une tradition documentaire ou à un contexte historique suffisamment connus. Ici, nous avons affaire à un document atypique, seul en son genre - même si l'on admet qu'il est pratiquement impossible d'élaborer un texte de nature documentaire sans se conformer, plus ou moins consciemment, à quelques modèles rédactionnels plus ou moins contraignants - et Pour alléger les renvois à cette édition, nous nous y référerons désormais sous la forme « PPP.LL », où PPP représente la page et LL le numéro de la ligne.

95

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

165

qui est le seul à témoigner des faits qu'il rapporte. Autrement dit, les seuls critères sur lesquels on puisse fonder la critique seraient ceux de la cohérence interne, si l'édition que nous procure Besse ne présentait un certain nombre de caractères formels ou linguistiques dans lesquels on peut espérer trouver le reflet de son original. La latinité assez scabreuse, la ponctuation chaotique, les abréviations demeurées en suspens, sont autant d'indices qu'on peut espérer exploiter à cette fin. Mais on ne peut se faire une juste idée de la fiabilité de ces indices sans avoir préalablement examiné les habitudes éditoriales de l'auteur. Une lecture attentive des pièces justificatives publiées en annexe à l'Histoire des Ducs de Narbonne ... (celle des comtes de Carcassonne n'en contient pas) fait apparaître Guillaume Besse comme un historien sérieux. Il a tout à fait conscience de l'importance qu'il y a à procurer des éditions correctes des sources puisqu'il déclare, à propos de l'une de ces pièces (p. 460) : «Elle a esté imprimée par Catel [ ... ], mais avec beaucoup de fautes qu'il faut corriger selon l'acte cy-dessous ». Il cite très précisément ses sources : nous avons vu qu'il les qualifie « d'extraits» lorsqu'il s'agit de copies. Mieux même, il signale scrupuleusement, au moyen du même terme, le recours à une copie au second degré: « Extraict ... tiré d'autre extraict. .. » (p. 438) ; ou encore « Extraict d'autre extraict escrit en parchemin à rouleaux, en lettre fort ancienne ... » (p. 439). Ce dernier exemple montre que le concept « d'extrait » s'applique aussi bien à une copie médiévale. À défaut de cette mention «d'extrait» - et bien que les termes "original" ou "authentique" ne soient que rarement prononcés on doit penser que Besse a lui-même effectué la transcription à partir de 1' original : cette supposition est parfois corroborée par la mention de la présence de sceaux96 , de paraphes ou de signatures ; mais plus souvent, par le rappel des conditions dans lesquelles il a eu accès au document97 • Chaque pièce est précédée d'un intitulé qui en précise la nature : "bulle", "acte", "contrat", "confirmation", 9 6 « Les sceaux des deux évesques pendent aux originaux ... » (p. 500) ; « Le sceau est un lyon rampant» (p. 504); «Le sceau est une croix ancrée» (ibid.) 97 «Sommaire du paréage ( ... ) estant en la Chambre des comptes de Paris, dont j'ay eu communication par la faveur de M. de Vyon( ... ), auditeur des comptes», p. 468; «Arrest du Parlement( ... ) à moy communiqué ... », p. 487.

166

POSITIONS: 2000-2001

"jugement"... Dans cet ensemble, le texte relatif au concile de Saint-Félix est le seul qui soit qualifié de « charte » : le terme est repris tel quel des dernières lignes du texte (« ut faceret die tatum et cartam », 485.30, 486.2 ; «de antiqua ch arta », 486.5) ; mais ce renoncement à apporter toute précision supplémentaire témoigne sans doute aussi de la perplexité de l'historien quant à la nature exacte du document. La technique de publication est conforme aux habitudes des érudits de l'époque, bien éloignées encore des concepts d'édition diplomatique ou critique. Les pièces transcrites, et notamment celles qui sont publiées sur la base «d'extraits», présentent un aspect parfaitement poli : graphies normalisées, en particulier pour l'usage de la diphtongue ae, et du "t assibilé" (-ti- vs. -ci-) ; abréviations résolues, souvent même là où l'usage tolère volontiers 1' emploi de formes abrégées9 8 . La « Charte de Niquinta » fait partie des quelques pièces qui échappent à cette normalisation. C'est ce qui ressort immédiatement d'un simple comptage des abréviations que Besse laisse subsister dans ses textes 99 : Document

p. 435, « Contrat de bail. .. » p. 438, «Confirmation accordée ... » p. 440, « Acte de change ... » p. 441, « Jugement rendu ... » p. 444, « Confirmation ... » p. 446, « Sommaire d'autres donations ... » p. 448, diplôme de Charles le Simple p. 449, «Bulle du pape Estienne ... » p. 452, «Divers actes ... » p. 468, «Sommaire du paréage ... » p. 470, «De l'information ... »

Nombre 1 3 4 0 2 5 2 1 9 36 14

Par page 0,33 1,5 4

2,5 2 0,33 0,57 18 4,67

(p. 473-482: documents en français)

p. 483, «CHARTE DE NIQUINTA » p. 487, «Arrest du Parlement ... »

81 4

27 2

(p. 489-495 : documents en français.) Notamment dans le cas des composantes d'une expression de date: kal(endas), apr(ilis), etc. 99 N'ont pas été comptabilisées les abréviations « D. » ou «Dom.» normalement employées devant un nom de personne, «S.» devant un nom de saint, ainsi que les noms propres représentés par une simple initiale. 98

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

p. 496, «Sentence de condamnation ... » 19 p. 500, «Divers actes ... » 14 (p. 502: document en français.) p. 503 [suite des « Divers actes ... »] 59 (p. 5 05 sqq. : documents en français et en castillan.)

167

4,75 7 24,5

En dehors de celui qui nous occupe (et dont on ne veut pas préjuger pour l'instant), il s'agit de documents dont on peut penser qu'ils ont été transcrits par Besse lui-même sur les originaux : le «Sommaire du paréage ... » publié aux pages 468-471 en est un bel exemple. Mais le cas le plus intéressant est celui des pièces publiées aux pages 503-504. Il s'agit là de trois attestations de paiement, datées du 26 avril 1353 et dont les sceaux sont précisément décrits 100 . Ces trois documents étant rédigés dans des termes pratiquement identiques, on s'attendrait à ce que l'éditeur multiplie les abréviations au fur et à mesure, afin de s'épargner les redites. Or c'est exactement l'inverse que l'on observe : relativement nombreuses dans le premier document, les abréviations se font plus rares dans le second, et plus encore dans le troisième. Tout se passe comme si, éclairé par les occurrences antérieures, Besse hésitait de moins en moins à développer les abréviations rencontrées. Mais cette explication attribuerait à notre érudit une incompétence paléographique peu compatible avec la fréquentation assidue des documents anciens dont il témoigne à maintes reprises. Il est certainement plus satisfaisant de considérer que la multiplication des abréviations représente au contraire un souci de se conformer à 1' original là où le savant a eu entre les mains des documents anciens. Mais il s'agit évidemment d'une attitude qui ne lui est pas naturelle ; et dans le cas du triple document de 1353, sa tendance spontanée à développer les abréviations a probablement repris peu à peu le dessus sous l'effet d'une lassitude provoquée par les redites. Dans le cas qui nous intéresse, on observe finalement : 1. que ce document, qui se présente explicitement comme une copie (« translatum », 486.4), est qualifié simplement «d'extrait» - et non pas «d'extrait d'autre extrait»; 2. que Besse indique précisément comment il en a eu connaissance, ce qu'il ne fait habituellement que lorsqu'il a eu accès à des documents anciens ; 100

Voir n. 96.

168

POSITIONS: 2000-2001

3. que le nombre particulièrement élevé d'abréviations (en fait, le plus élevé de tout 1' ensemble) révèle un souci de fidélité analogue à celui que Besse éprouve devant des documents originaux des xnr- XIVe siècles. Tous ces éléments convergent pour donner à penser que Besse a eu sous les yeux un document médiéval qu'il pouvait croire "original".

2. Structure et formulaire Comme nous l'avons déjà signalé, on distingue assez facilement trois parties dans le texte que Besse nous propose comme un tout. La première, qui s'étend jusqu'à« Post hêc vero ... » (484.16), se présente comme procès-verbal d'une assemblée des églises cathares tenue à Saint-Félix de Caraman. La partie finale (à partir de « Eccl. vero Tolosana ... », 484.25) apparaît comme un protocole de délimitation des frontières (on pourrait dire "de bornage") entre les églises de Toulouse et Carcassonne. Entre ces deux parties principales, un court passage d'un style très différent assure la jointure : il est censé rapporter les propos prononcés par Niquinta au cours (ou à 1' issue) du premier épisode, lesquels mirent en branle le processus de délimitation dont la troisème partie constitue 1' aboutissement. La présence de deux formules de datation, placées à chacune des extrémités du texte et indiquant des millésimes très éloignés (1167 d'une part, 1232 de l'autre) achève de contribuer à l'impression première d'avoir affaire à un texte composite. La formule finale, considérablement plus développée et plus riche de circonstanciels que la sèche datation initiale, retient immédiatement l'attention. À lire la date telle qu'elle est imprimée, les faits (quels qu'ils soient) se seraient produits le lundi (feria LF) 14 août 1232. Une difficulté surgit immédiatement: le 14 août ne tombe pas un lundi en 1232, mais un samedi; cette coïncidence se produit au contraire dans les années. . . 115 0, 1161, 116 7, 11 72, 1178, 1189, 1195, 1200, 1206, 1217, 1223, 1228, 1234, 1245 ... Pour résoudre cette incohérence chronologique, il a été proposé de corriger le millésime en « 122 3 »101 . Or 1'erreur qui est ainsi

lü!

Cf. B. HAMILTON,« The Cathar Council of Saint-Felix ... », p. 28.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

169

supposée, si elle est relativement facile quand il s'agit de chiffres arabes (il suffit de permuter les deux derniers chiffres du millésime) 102 , 1' est infiniment moins en chiffres romains. Et 1' on peut exclure catégoriquement qu'un document de cette époque ait fait usage d'un autre système que la numération latine pour exprimer la date. La correction pourrait néanmoins sembler plausible s'il n'existait une solution beaucoup plus évidente, puisque 1167 - mentionnée en tête du document - fait partie des années pour lesquelles la coïncidence se vérifie. C'est donc manifestement à cette année qu'il convient de rapporter cette mention du quantième. Dès lors, le millésime de 1232 ne saurait représenter autre chose que la date de la copie effectuée par Pierre Pollan. Pour ramener à une lecture correcte, il suffit simplement d'introduire un point là où Besse n'a placé qu'une virgule (suivie, notons-le, d'une majuscule) : «... XIV die in introitu mensis [.]Anno M. CCXXXII. [ ... ] ». Cette décomposition de la date finale en deux éléments indépendants a déjà été proposée par A. Dondaine 10 3, qui fait porter la mention du quantième sur le verbe diviserunt. Mais on peut sans doute suggérer une solution encore plus satisfaisante en proposant de voir dans « qui ecclesias... diviserunt » une mention marginale ou interlinéaire explicitant supradictorum, et maladroitement réinsérée dans le texte. On retombe alors, en effet, sur une formule de datation tout à fait classique 10 \ dans laquelle le quantième se rapporte à Jacta : « .. .de antiqua carta in potestate supradictorum < [sc il.] qui Ecclesias si eut scriptum est diviserunt >Jacta feria II ... ». Le point qui suit « diviserunt » (s'il faut lui accorder une importance) s'en trouve également mieux justifié. Dans cette hypothèse, le quantième relatif aux événements consi-gnés par le document (qu'il s'agisse de l'accord frontalier ou de la rédaction de 1' acte) demeure sans indication du millésime, qu'il faut aller rechercher au tout début du texte : «Anno M. C.LXVII. Incarnationis Dominice ... ». Faut-il tenter d'expliquer 102 C'est ce qui est implicitement supposé par la correction proposée; car on ne voit pas en quoi 1223 serait plus plausible que 1228 ou 1234, qui satisfont également à la condition tout en étant plus proches du millésime indiqué. 103 A. DONDAINE,« Les actes du concile albigeois ... », p. 329-330. 104 Cf. O. TERRIN, Cartulaire du chapitre d'Agde, Nîmes, 1969 (Publications de la Société d'histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit, 1), nos 141, 174, 260, 287, 300, etc.

170

POSITIONS: 2000-2001

cette apparente anomalie en imaginant qu'en remaniant la formule de datation finale pour y faire mention du processus de transcription, Pierre Pollan a fait sauter le millésime initialement inscrit et lui a substitué celui qui correspondait à son intervention ? Ou même que c'est lui qui a pris l'initiative de reporter cette date en tête du document ? De telles suppositions sont en réalité sans objet, la documentation médiévale méridionale de cette période nous offrant en grand nombre des exemples similaires. Entre autres sources, le cartulaire des Templiers de Douzens 1 05 , au diocèse de Carcassonne, fournit une kyrielle de documents datés du troisième quart du XIIe siècle, dans lesquels la datation se présente exactement sous cette même forme 106 : l'acte débute directement par l'indication du millésime : «Anno Incarnationis Dominice tanto ... » 107 ; il s'achève- après l'énumération des témoins - par un complément de datation, fréquemment introduit par la formule «Jacta carta ... » 108 que suit l'indication du jour sans répétition du millésime. Le quantième est ici exprimé de manière différente 109 , en «quantièmes mensuels», dans ce système particulier qui décompte directement les jours dans la première quinzaine du mois («in introitu mensis »),puis à rebours à partir du dernier jour, dans la seconde quinzaine («in exitu mensis »). On peut citer de nombreux exemples de cette formulation, souvent associée à la férie et

105 Cartulaires des Templiers de Douzens pub!. par P. GÉRARD et E. MA GNOU sous la dir. de Ph. Wolff, Paris, 1965 (Collection de documents inédits sur l'histoire de France, série in-8°, vol. 3). 1OA Sur les 207 documents du Cartulaire A, 87 débutent par une indication de date. Dans 43 de ces derniers, la date est répartie entre millésime initial et quantième final. 1 0 7 À Douzens, la date initiale ne coexiste jamais avec une invocation («In no mine Domini ... »,ou équivalent) ou une formule de notification(« Notum sit... », ou équivalent) ce qui correspond exactement à notre cas, mais est loin de constituer une règle générale : cf. Cartulaire ... d'Agde (déjà cité), n°' 19, 29, 34, etc.; Cartulaire du prieuré de Saint-Gilles de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, 1129-1210, éd. par D. LE BLÉVEC et A. VENTURINI (Paris-Turnhout, 1997; Documents, études et répertoires publ. par l'I.R.H.T.), n°' 24, 105,

272. 108 Ou« ... que Jacta est... »: 10 cas (cf. n°' 8, 15, 19, ... ). On trouve aussi les variantes: «factum (ou actum) est hoc ... (date)»: 9 cas (cf. n°' 28, 30, 39, ... ); et « ... et ... (nom du scribe) ... qui scripsit... (date)»: 24 cas (cf. n°' 32, 62, 63, ... ). 1 0 9 À Douzens, celui-ci est systématiquement libellé en "quantièmes calendaires" (ou "à la romaine" ; autrement dit, par rapport aux calendes, ides et nones). li est régulièrement assorti de l'indication de la férie (comme ici) et d'une mention de règne (absente ici).

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

1 71

à l'année de l'Incamation 110 . Elle est par ailleurs courante dans les documents en langue vulgaire 111 . Ces explications ne résolvent pas entièrement la difficulté, puisque nous nous trouvons apparemment avec une indication de mois initiale ( « in mense madii ») en contradiction avec le quantième qui figure dans la formule finale. Mais des anomalies de ce genre ne sont pas sans exemple dans les documents médiévaux portant des indications chronologiques multiples insérées en différents points du texte. Dans son Manuel de diplomatique (Paris, 1925), A. Giry insiste sur les conséquences d'un décalage chronologique entre le fait juridique et la rédaction de 1' acte documentaire qui le notifie - voire, dans certains cas, entre les différentes phases d'un processus juridique étalé dans le temps, ces circonstances pouvant amener l'insertion d'éléments de datation apparemment contradictoires ou incohérents 112 . Or, sans préjuger des conclusions auxquelles nous amènera notre analyse, il est clair que nous avons justement ici affaire à une chaîne d'événements qui se sont sut.:cédés dans le temps.

Comme le fait observer F. Sanjek, «les formules diplomatiques translatare et translatavit sont fréquentes dans les chartes privées du temps et de la région »113 . Effectivement, le verbe translatare est attesté dans les actes méridionaux dès 908 dans une charte du Roussillon : « Stephanus de Mantico hanc chartam translatavit de betula in nova »114 . On le retrouve dans le cartulaire de Saint-

11 0 Cf. par exemple, Cartulaire de l'abbaye de Lézat, éd. P. OURLIAC et A.-M. MAGNOU, t. 1, Paris, 1984, n°' 152, 196,230,231,235,259,318, 340-341 (ces exemples concernent tous les années 1230-1240). 111 Elle se trouve couramment dans les Fors Béarn (cf. Les fors anciens de Béarn, éd. P. OURLIAC et M. GILLES, Paris 1990, p. 506 [14]: «en l'entrant deu mees de may»); ainsi que dans A. LUCHAIRE, Recueil de textes de l'ancien dialecte gascon d'après des documents antérieurs au XIV' siècle, Paris, 1881 (par ex. n° 56, 1237, p. 123: « Asso Jo .VI. dias a l'entran de mai»). Voir aussi E. LEVY, Provenzalisches Supplement-Worterbuch, Leipzig, 1894-1924, t. IV, p. 232. 112 « Dans les actes privés, il pouvait arriver... que des circonstances particulières fissent dater de 1'un des moments de la "documentation", ou même encore que les diverses parties de la date correspondissent respectivement à des moments différents. (... ) C'est affaire à la critique, en cas de non-concordance des éléments d'une date ... de résoudre la difficulté en retrouvant les rapports respectifs des diverses parties de la date avec 1' "action" et la "documentation"» (p. 586). 1 " F. SANJEK, «Le rassemblement hérétique de Saint-Félix ... »,p. 783. 114 B. ALART, Cartulaire roussillonnais, Perpignan, 1880, IV, p. 13.

172

POSITIONS : 2000-2001

Victor de Marseille en 104!1 15 , dans celui du chapitre d'Agde à plusieurs reprises, et ce dès 114 7 116 ; dans celui de Maguelone en 1166 117 , etc. On retrouve même à Poblet, en 1156, l'expression « translatum translatare » de la «Charte de Niquinta » (486.4), impliquant dans ce cas deux écritures successives : « hoc est translatum fideliter trans la tatum »118 . On observe qu'à chaque fois on se retrouve dans le même type de contexte : il s'agit de "faire du neuf avec du vieux" 119 , de recopier proprement une charte ancienne sur un support neuf, sans pour autant changer en quoi que ce soit à la teneur de la charte en question (ce qui s'exprime le plus souvent par l'introduction de l'adverbe «fideliter » 120 ) ; du moins dans les limites du possible, comme en témoigne un des extraits cités par Du Cange: « nomen cuius non potuit translatari, quia cartula disrupta erat »121 . On peut se demander enfin ce qu'implique exactement l'expression «in potestate supradictorum », dont le sens n'est

115 B. GUÉRARD, Cartulaire de 1'abbaye de Saint- Victor de Marseille, Paris, 1857 (Collection de documents inédits. Collection des cartulaires de France, 8-9), t. II, p. 251 : « Poncius monachus qui hune testamentum translatavit ». 1 16 Cartulaire ... d'Agde (déjà cité), n° 298, p. 268: «in praesentia ... Petri qui hoc scripsit ... Adam translatavit hanc cartam » (an. 1147); - ibid., n° 340, p. 303 : «Adam scripsit et translatavit hoc testamentum de hoc quod scripsit Petrus de Pomariolo » (an. 1147); -ibid., n° 40, p. 50 : « ab omnibus supradictis rogatus Johannes translatavit hanc carta ab alia »

(an. 1166). 117 J. ROUQUETTE et A. VILLEMAGNE, Cartulaire de Maguelone, t. l, Montpellier, 1912, n° 129, p. 250. 118 E. TODA et J. PONS 1 MARQUÉS, Cartulari de Poblet, Barcelona, 1938, no 271, 1, p. 165. ll9 C'est ce qui ressort clairement, par exemple, de cette charte de Carcassonne de 1154: « Arnaldus de Clarano hic subdictam literaturam et rationem de altera carta translatavit in istam » (M. MAHUL, Cartulaire et archives des communes de l'ancien diocèse et de l'arrondissement administratif de Carcassonne, Paris, 1857-1882, t. V, p. 271, col. 1, an. 1154) ; ou encore cette charte portugaise de 1157 : «hanc cartam renovari et translatari fecimus » (Documentas medievais Portugueses. Documentas regios. l : Documentas dos condes Portugalenses ede D. Alfonso Henriques a. 1095-1185, t. I, Lisboa, 1958 [Academia Portuguesa da historia], no 260, p. 323). 12° Ibid., n° 107, p. 109: «hanc scripturam translatavit et transcripsit Bernardus de Morezio fideliter »(an. 1195).- E. TODA et J. PONS 1 MARQUÉS, Cartulari de Poblet, Barcelona, 1938, n° 75, p. 42: «hanc cartam fideliter translatavi » (an. 1181). - J. DELAVILLE LE ROULX, Cartulaire général de l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (1 100-131 0), t. I : Jl00-1200, Paris, 1894, n° 960, p. 609: «Gille/mus presbiter, qui hoc fideliter translatavit» (an. 1194). 121 Voir H. DONIOL, Cartulaire de Brioude (Liber de Honoribus Sancto Juliana collatis), Clermont-Ferrand-Paris, 1863 (Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de ClermontFerrand). Peuvent être ainsi trancrits des testaments ou des chartes, soit isolément soit en recueil : « Unum librum de parguameno in quo transcribantur sive translatentur omnia instrumenta ad comune pertinentia ». Statuta sive leges municipales Arelatis (an. 1162-1202), dans Ch. GIRAUD, Essai sur l'histoire du droit français, t. II, p. 185-245, ici 95, p. 222.

INSTITUT DE RECHERCHE ET D'HISTOIRE DES TEXTES

173

évidemment pas celui que pourrait suggérer une lecture trop rapide : "en possession des susdits" 122 . L'acception la plus courante du terme potestas est celle de "ressort" administratif ou judiciaire, et c'est bien dans ce sens qu'il apparaît plus haut, à deux reprises, dans le "Protocole" 123 . Ceci inciterait à voir ici une sorte de complément de lieu indéterminé portant sur Jacta : "quelque part sur le territoire des susdits". Mais cette hypothèse s'accorde mal avec 1' explicitation « qui eccl(esias) ... diviserunt », qui paraît désigner indistinctement les Toulousains et les Carcassonnais.

"Procès-verbal" de l'assemblée de Saint-Félix. La première partie commence par une formule a priori surprenante «In diebus illis ... ». Il semble difficile d'en trouver d'autres exemples dans les documents médiévaux, et la tournure même, par son caractère narratif très affirmé, paraît ressortir davantage au domaine annalistique qu'à l'aire de la diplomatique. Elle peut néanmoins trouver une justification dans le cadre de ces documents relatant un processus qui s'est développé sur un certaine période, à propos desquels on a évoqué ci-dessus l'autorité de Giry. A l'époque où l'acte est dressé, les faits initiaux remontent déjà à un certain temps; le rédacteur est capable d'en situer l'époque 12 4, en fournissant une indication du mois, mais il lui est difficile d'être plus précis125. Il tient, d'autre part, à justifier (si maladroitement que ce puisse être) l'écart entre la date qu'il mentionne en tête du document et le dies praesens qui apparaîtra dans la datation finale. D'où l'indication vague et passe-partout «vers cette époque ... », qui n'est là que pour justifier par anticipation le «Post hêc vero ... » (484. 16) par lequel est introduite la seconde phase du processus 126 . 1 2 2 Outre que po testas ne saurait être regardé comme synonyme de possessio, des raisons de vraisemblance s'y opposent: les supradicti sont plusieurs, alors qu'il n'y a qu'un exemplaire; et ils sont certainement morts depuis longtemps. 123 «!ta ... ha beat in sua potestate et in sua gubernamento » (485.13-14 et 15-16). 12 4 En outre, les« postea vero» qui jalonnent cette première partie (483.9 et 484.4) semblent impliquer qu'elle s'est elle-même développée sur un certain laps de temps. 125 Si même cela pouvait être nécessaire. La datation au mois, sans aucune indication de quantième, est en effet extrêmement fréquente (et même majoritaire), à la même époque, dans les acte des Templiers de Saint-Gilles : cf. Cartulaire ... de Saint-Gilles (déjà cité), n°' 5, 6, 8, 9, 12, 13, 16, 18, 20, etc. 1 2 6 Les cartulaires méridionaux contemporains fournissent un certain nombre d'exemples de documents correspondant ainsi à des faits fractionnés dans le temps, et dont la partie ultérieure est introduite par des expressions très comparables : on retrouve «post hec ... » dans

174

POSITIONS: 2000-2001

La mention du «conseil» qui entoure chacun des évêques 127 a été considérée comme suspecte par Yves Dossat au prétexte qu'aucune institution cathare de ce nom n'est mentionnée dans les autres documents 128 . Mais rien n'indique qu'il faille ici voir une allusion à une entité institutionnelle stable et bien définie. Le témoignage des textes contemporains, tant latins 129 que romans 130 , montre qu'il est tout à fait possible d'entendre ce terme au sens d'un groupe informel de personnes accompagnant une personnalité tant soit peu importante et l'assistant dans la prise de décisions : son "entourage" dans la langue d'aujourd'hui. Pour le rédacteur de l'acte, cette formule assez vague offre l'avantage de

le Cartulaire... d'Agde (n° 434, aa. 1228-1231), où l'on rencontre aussi « sequenti vero tempore ... » (n° 257, aa. 1152-1164). Dans le Cartulaire ... de Saint-Gilles (déjà cité), l'enchaînement est régulièrement opéré au moyen de l'expression «postea vero ... » (nos 169, a.l190; 18l,a. 1185; 188,a.1185;211,aa.l188-1189;217,a.1202;252,a.1182).En revanche, on n'y trouve rien d'analogue à l'« in diebus illis »qui figure ici: sans doute parce que le plus souvent, c'est le premier fait qui constitue le principal de l'acte, les faits subséquents n'étant mentionnés qu'à titre subsidiaire. Le parallèle serait plutôt à faire avec des actes d'arbitrage ou de conciliation, qui débutent généralement par le rappel de faits antérieurs, éventuellement introduits par une indication temporelle assez vague telle que « Cum olim ... » (cf, par exemple, Cartulaire... d'Agde, n° 352). On peut encore suggérer un rapprochement avec cette expression, en tête d'un acte de 1098: « Dominus comes Astanova [de Fezensac] in die sue peregrinationis quo lerosolimam arripuit iter... » (Cartulaire du chapitre de l'église métropolitaine Sainte-Marie d'Auch, éd C. LACAVE LAPLAGNE BARRIS, Paris-Auch, 1899 [Archives historiques de la Gascogne, 2' série, fasc. 3-4], Cartulaire noir, n° 57). 127 483.10, 11, 12, 14. 12 8 Y. DOSSAT, «Remarques sur un prétendu évêque cathare ... », p. 342. 129 Les différentes acceptions du terme sont difficiles à distinguer en latin médiéval, en raison de la confusion précoce et constante entre consilium (résolution, avis, opinion) et concilium (réunion de personnes) : cette difficulté est signalée parC. DU CANGE ( Glossarium mediae et infimae latinitatis, t. II, Paris, 1842, p. 552) et par J. F. NIERMEYER (Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden, 1976, p. 255). On trouve même la forme hybride conscilium (Novum glossarium mediae latinitatis ab anno DCCC usque ad annum MCC, fasc. Pars - Passerulus, Hafniae, 1989, s. v.« pars», p. 437, § 3, ~) qui, de surcroît, renvoie implicitement à conscius, conscientia. 130 En ce qui concerne le français «conseil», selon W. VON WARBURG (Franzosisches 2 etymologisches Worterbuch, Bd. II , Base!, 1946, col. 1071), le sens de «réunion de personnes qui délibèrent » émerge dès le XII' siècle (déjà dans la Chanson de Roland), alors que celui de >, Inventer l'hérésie ? Discours polémiques et pouvoirs avant l'Inquisition, dir. M. ZERNER, Nice, 1998, p. 141-142). 63 Cf. annexe 6, p. 271 :coll. Baluze 7, fol. 35. 6o

61

236

POSITIONS: 2000-2001

dépendant d'Aurillac. De là était natif Jean de Concoregio médecin de Montpellier, duquel fait mention Remachus Lymburgius in Vitis illustrium medicorum. »64 Sachant que, dans l'extrait de la Summa de Raynier Sacconi, se trouve l'histoire de Jean le juif de Concorezzo, on peut supposer que Baluze a cherché quelles confusions avaient pu être commises par les auteurs que citait Besse. La note suivante, d'une autre encre, renvoie à un antipape hérétique que Baluze connaît par un continuateur de Baronius65 : « Johannes Beneventi Antipapa. Odorici Raynaldi an. 1235. Voir Mathieu Paris. » Il se propose de vérifier la chose chez Matthieu Paris. Baluze n'a pas ignoré les papiers de Besse, il les a classés comme tout ce qui lui passait par les mains, il y est revenu, il leur a ajouté ses propres notes sur le sujet. Mais il n'a rien fait de la charte de Niquinta et de la «Dissertation», et s'il a jamais montré le contenu du portefeuille aux érudits qui auraient pu s'y intéresser, ceux-ci n'en ont rien tiré. L'écrit de Besse sur l'hérésie est resté enfermé dans une armoire. Pierre de Marca, de son côté, n'en a rien fait non plus. Pourtant, lui aussi avait traité des différences entre les hérétiques dans l'Histoire du Béarn, dont Besse s'était abondamment inspiré; la «Dissertation», s'il l'a bien reçue, a pu l'intéresser, mais aussi l'irriter. À mon avis, la charte de Niquinta, invérifiable, est largement en cause. Elle joue un rôle central dans la « Dissertation » ; trop suspecte, elle lui fait perdre tout son intérêt. La référence à Caseneuve ne l'a pas sauvée. La référence à Caseneuve

Besse pouvait-il savoir que Baluze avait été très proche de Pierre de Caseneuve ? J'ai retrouvé une lettre très affectueuse du chanoine à Baluze qu'il presse de revenir au plus vite de Tulle, se recommandant au souvenir de son père, ceci en 1651 - notons que

64 FucHs REMACLUS, Illustrium medicorum qui superiori sœculo floruerunt ac scripserunt vitœ, ut diligenterita et fideliter excerpta, Paris, 1541, p. 120 : « Ioannes de Concoregio Mediolanensis : doeuil Bononiœ et Papiœ, summa ingenii laude (1434-1501). » 65 BARONIUS CJESAR, Annales ecclesiastici ab anno 1198, ubi desinit Baronius, auctore Odorico Raynaldo [prêtre oratorien] ... Tomus XIII, Romœ, 1646, p. 467, 15: « adversus hœreticos sententiam renovavit, quibus consentium ea, quœ eius vitœ auctor Viterbii gesta monumentis consignauit 1bi multos hœreticos, quorum unus Ioannes Beneuenti Papa dicebatur, tum ex testium asssertionefideli, tum tum ex confessione proprio ... » (1235, Grégoire IX à Viterbes).

MONIQUE ZERNER

237

l'écriture de Caseneuve est, s'il est possible, encore plus lisible et soignée que celle de Baluze 66 . Ce Caseneuve, « qui a réellement existé », se contentait de noter Antoine Dondaine après avoir vérifié la date de sa mort au registre des décès, le 31 octobre 1652, n'est rien moins qu'un illustre inconnu. Faire référence à Caseneuve, c'était s'abriter derrière l'autorité d'un personnage respecté et admiré mais mort, sans contrôle possible. Point n'est besoin de consulter les registres paroissiaux pour connaître la date de sa mort, puisqu'on publia peu après deux éloges qui font le récit de sa vie avec le catalogue de ses œuvres imprimées et non imprimées, l'un en latin, paru en 1656, l'autre paru en 1659 avec sa dernière œuvre posthume. Je n'insiste pas plus, puisque Jacques Dalarun en traite abondamment. Signalons seulement que Baluze lui consacra aussi un éloge en vers 67 • Plutôt qu'un amateur d'archives, on voit se dessiner un homme de bibliothèque, homme de lettres, amateur de langue, grec et latin, allemand, italien, espagnol, ancien provençal, également théologien et excellent connaisseur en jurisprudence. Il rend hommage à la belle bibliothèque de l'archevêque dans la préface de son ouvrage sur la Catalogne française paru en 1644, et donne une bonne idée de l'ambiance érudite qui régnait dans le cercle de l'archevêché: «... il faut que j' advouë que j'ay esté grandement ay dé par la faveur que me fit Monseigneur l'archevesque de Tolose, de me permettre 1' entrée de cette belle Bibliothèque qu'il enrichit tous les jours de ces rares Thresors, qui sont ou cachez dans les anciens Manuscrits, ou publiez dans les Livres imprimés. » Lui-même était réputé pour ses travaux sur Eusèbe dont il rétablit le texte, pour sa connaissance du droit canon et civil, du grec et de l'hébreu6 8. L'important ici, c'est qu'au moment de sa mort soudaine, dans 1'une des épidémies de peste qui ravagèrent alors le Midi, il travaillait à un dictionnaire étymologique de la langue française et laissait beaucoup de notes. Le dictionnaire fut édité longtemps plus 66 Coll. Baluze 361, fol. 1. La lettre est publiée au XIX' siècle par Ph. TAMIZEY de LARROQUE, Lettres toulousaines (1. P. de Caseneuve.- Il. Saint-Blancat et Medon. - III. J. Doujat.), Auch,

1875. Coll. Baluze 354, fol. 248-9, «Pièce de vers latins par Baluze pour Pierre Casanova et Jean Samblancati morts de la peste à Toulouse» (Auvray-POUPARDIN, Catalogue des manuscrits de la

67

collection Ba/uze). 68

Cf. la notice sur Charles de Montchal dans L. MORÉRI, Le grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane ... nouvelle éd., Paris, 1759, qui a l'intérêt d'être proche du personnage du point de vue chronologique.

238

POSITIONS: 2000-2001

tard avec grand soin, à la suite du dictionnaire de Ménage son rival, que certains trouvaient moins bon69 . Simon Valhebert eût du mal à faire l'édition, dans le désordre d'une œuvre inachevée où beaucoup de mots étaient abrégés, et au milieu des difficultés faites par son neveu et héritier. Caseneuve trouvait ses références dans les textes normatifs, capitulaires, coutumes, et les textes littéraires édités (de Raoul Glaber aux différents historiens des croisades). S'il avait trouvé une quelconque valeur au papier sur Niquinta, il me semble qu'il l'aurait gardé et que le papier aurait été trouvé par son éditeur. Il aurait dû l'intéresser pour un article au moins, celui sur «bougre », excellent, où Niquinta aurait eu sa place70 : «Nos Anciens François au lieu de Bulgarie & Bulgares, disaient Bougrie & Bougre. Dans l'Histoire du Maréchal de Villehardouin, liv. 6, Joanissa Roy de Valachie et de Bulgarie est appelé Roy de Blachie et Bougrie, qui est une province assez proche de Constantinople. De là sortirent une espèce d'hérétiques, appelés Bougres, desquels Matth~us Paris en la vie d'Henri III [ ... ]. Il est bien vrai qu'en ce temps ici [chez Froissart] le mot de Bougre signifie seulement Sodomite [ ... ]et c'était parce que la Sodomie était l'une des abominations approuvée par cette sorte d'hérétique et c'est pourquoi Matth~us Paris dit, de quorum erroribus malo tacere quam loqui. »

Pas une entrée du dictionnaire, pas un mot de 1' article, ne laissent entendre un quelconque rapport avec la charte que Caseneuve aurait communiquée à Besse. Si vraiment il a découvert au cours de ses travaux l'étrange charte, l'étrange papier, il faut que ce soit peu avant de mourir et qu'il en fait si peu de cas qu'il 1' ait donné. L'article de Caseneuve fait plutôt penser au début du Tractatus de hereticis découvert par Antoine Dondaine. On peut se demander si Besse ne profite pas de discussions qu'il aurait eues avec Caseneuve quand il fait allusion aux croisés, à Constantinople et à Jérusalem dans le chapitre sur « les divers noms que les hérétiques G. MÉNAGE, Dictionnaire étymologique ou oris;ines de la lanrsue française, nouvelle édition revue et augmentée par 1'auteur avec Les origines françaises de M. DE CASENEUVE, Paris, 1694. L'ouvrage est réédité, corrigé et complété en 1750. 7 0 Comparer avec la définition du Dictionnaire étymologique de la langue française de Godefroy, qui passe sous silence le premier sens (cf. M. ZERNER, «Du court moment où l'on appela les hérétiques des bougres et quelques déductions», Cahiers de civilisaiion médiévale, XXXII, no 4, 1989, p. 305-324). 69

MONIQUE ZERNER

239

ont portés » et écrit (chapitre IV) : « On appelait aussi les hérétiques d'Albigeois d'un nom général Bulgares et vulgairement Bougres, soit qu'ils fussent entachés du crime qui nous est signifié par ce terme, ou plutôt à cause qu'ils professaient le manichéisme et l'avaient appris des peuples de Bulgarie proche de Constantinople, lors que les Français eurent de la communication avec eux, depuis la conquête de Jérusalem. » Le sujet de l'hérésie médiévale poussait Besse à sortir de Carcassonne et à fréquenter les érudits de Toulouse. Le climat religieux des deux villes était différent. Les luttes entre catholiques et protestants avaient marqué Carcassonne où la ville basse acquise à la Réforme s'était dressée contre la cité catholique, Besse s'en était fait l'écho dans l'un des derniers chapitres de l'Histoire des Comtes de Carcassonne, où il n'avait pas de mots assez durs pour dénoncer les huguenots à 1' origine des événements qui avaient ensanglanté sa ville. Les hérétiques de son temps tenaient même plus de place que ceux du siècle auxquels il ne consacrait que quelques lignes inspirées de Catel et de Pierre des Vaux-de-Cernay; signe de son désintérêt, il fait très court sur l'inquisition parce qu'il a été trop long dans le chapitre précédent sur les sénéchaux de Carcassonne, écrivait-iF 1 . Son intérêt pour l'hérésie médiévale au début des années 1650 est sans doute nouveau. Il est peut-être né de ses contacts avec le milieu toulousain noués à la faveur de la session des États à Carcassonne, que présidait l'archevêque de Toulouse. Tout autre en effet était le climat religieux de la très catholique Toulouse, qui connaissait de vives tensions liées aux crises internes du catholicisme, entre jansénistes et dévots 72 . Charles de Montchal avait présidé 1'assemblée du clergé à Paris en 1645 et il avait été mêlé aux débuts du jansénisme. Il était mort emporté par la peste contractée à Carcassonne pendant la session des États. Il avait une réputation de grande piété. Il était capable de s'intéresser à 1'hérésie médiévale : sous son égide, en 164 7, on avait procédé à la translation des corps de deux Toulousains massacrés avec les inquisiteurs à Avignonet le 29 mai 1242, un chanoine et son clerc,

xne

G. BESSE, Histoire des Antiquitez et des Comtes de Carcassone, p. 209: le chap. 38, «L'inquisition de la Saincte Foy en Carcassonne», tient sur quatre pages (p. 206-209) ; le chap. 37, «Des Seneschaux de Carcassonne, & et leurs Officiers», en compte vingt-deux (p. 184-205). n Cf. A. AUGUSTE, Les origines du jansénisme dans le diocèse de Toulouse, Toulouse, 1922. 71

240

POSITIONS: 2000-2001

qu'on enferme dans une caisse plombée, avec une inscription sur du marbre 73 . Quant à Pierre de Marca, qui joua un rôle de premier plan à la tête de l'assemblée du clergé, nous savons déjà qu'il s'était luimême intéressé à l'hérésie au Moyen Âge dans l'Histoire du Béarn. Bref, ces nouveaux contacts ont sans doute encouragé Besse à écrire sur l'hérésie. Le scenario suivant est possible : un papier de qualité médiocre, de provenance douteuse, lui a été passé par le chanoine Caseneuve, ce papier a piqué sa curiosité et son imagination, alimenté une nouvelle direction de recherche qu'il a embrassé avec enthousiasme et ardeur, à sa façon brouillonne. De ce papier, il en tire ce qu'il appelle la charte de Niquinta, l'acte est retouché, rendu plus propre, plus acceptable, peut-être même avec une certaine bonne foi ; et la « Dissertation » montre qu'il en use avec prudence. Pourtant elle ne convainc personne, Besse ne réussit pas à la publier. La publication à Paris de l'« Histoire des Ducs de Narbonne» Un seul parmi les projets dont Besse déborde en 1654 voit le jour, l'Histoire des Ducs de Narbonne. La présence de la charte de Niquinta au milieu des actes trouvés à Paris a une explication simple. L'ouvrage a été composé en deux temps : grâce à l'indication recueillie par le bibliophile Gaston Jourdanne qu'il n'avait pas pu vérifier, nous sommes en droit de supposer que le manuscrit, plus ou moins prêt en 1654, avait été imprimé une première fois en 1657 dans une édition restée confidentielle. L'ouvrage avait de quoi séduire François Fouquet qui n'était encore que le coadjuteur d'un très vieil archevêque ; aussitôt élu en 1659, il aura donné à Besse les recommandations nécessaires pour monter à Paris faire réimprimer le livre dans de bonnes conditions et l'aura mis en relation avec Vyon d'HérouvaF 4 • Besse rédige alors une lettre de dédicace ainsi qu'une préface et les lui adresse. Arrivé à Paris, il retouche encore son œuvre. C'est alors seulement qu'il insère la charte de Niquinta dans ses preuves. Gallia Christiana, t. Xlll, col. 62. En 1657, depuis 1628, l'archevêque de Narbonne est Claude de Rebé, qui approche alors les soixante-quinze ans. François Fouquet, évêque-comte d'Agde depuis 1644, est élu archevêque coadjuteur de Narbonne le 9 janvier 1656, et archevêque de Narbonne le 17 mars 1659. Né en 1611, il est le fils aîné de Marie de Maupeou et François Fouquet (cf. Ga/lia christiana, Paris, 1736, t. VI). 73

74

MONIQUE ZERNER

241

Le dernier chapitre de l'Histoire des Ducs de Narbonne allongé D'après son titre 75 , le dernier chapitre devait s'arrêter initialement à la page 398 de notre édition, c'est à dire à la mort de Raymond VII en 1249 et à l'épiscopat de Guillaume de Broa devenu archevêque de Narbonne en 1246, mais il continue encore pendant vingt-huit pages sans un seul alinéa à partir de la page 402 : «Je ne fais plus mention des archevêques de Narbonne qui sont depuis ce Guillaume de Broa », écrit-il page 398, «d'autant que je me réserve d'en traiter dans la seconde partie de cette histoire, qui doit composer en particulier celle des archevêques, ducs de Narbonne, que la confiscation de ce duché sur le comte de Toulouse, ni moins la déclaration du vicomte que la ville de Narbonne ne relevait plus que du roi de France, et non d'autre, ne peut avoir privés de droit qu'ils y ont eu de tout temps, et qu'ils y ont conservé, comme nous verrons par un million de preuves ... » ; « un million de preuves », voilà bien le style de Besse. Il s'appuie sur les actes que Vyon d'Hérouval lui a communiqués, «produits aux preuves», sur des lettres patentes de Charles VI «produites», écrit-il, «dans le Recueil que j'ai fait de plusieurs pièces servant à l'histoire de Charles VI non encore imprimées» (page 419). Dans son chapitre de conclusion, il annonce de nouveau son projet d'écrire une seconde partie : « ... dans toute la suite de cette histoire qui comprendra celle de tous les archevêque ducs de Narbonne depuis l'archevêque Arnaud Amalric jusqu'à présent. .. » (page 432) et il achève ainsi son livre, page 433 : « ... le titre de duc est aujourd'hui légitimement dû aux archevêques de Narbonne, qui doivent être désormais appelés archevêques ducs de Narbonne: c'est aussi le titre que je leur donnerai dans la suite de cette histoire. » L'appendice copieusement enrichi Parallèlement, Besse allonge l'appendice d'une cinquantaine de pages. Celui-ci est organisé chronologiquement jusqu'au gros dossier qui avait dû enchanter Fouquet, page 452 à 467 : sous le titre de « Divers actes servant à justifier le droict que les archevesques de 75 Le chapitre trente-troisième et dernier a pour titre : «Raimond dernier du nom, Arnaud, Pierre Amelin et Guillaume de Broa Archevesques et 28. 29. 30. coseigneurs de Narbonne, Aymeric V. et Aymeric VI. Vicomtes de Narbonne. » Il est long de 46 pages (p. 380-426), tandis que les autres chapitres font 10 à 20 pages.

242

POSITIONS: 2000-2001

Narbonne ont prétendu sur le duché de Narbonne», se trouvaient la lettre adressée par Arnaud Amaury à Innocent III pour revendiquer le titre de duc, la réponse du pape confirmant le titre, le début de la même lettre adressée à tout le clergé. Jusqu'à ce dossier, les actes proviennent des archives ecclésiastiques locales. À partir de la page 468, la majorité des actes se trouvent à Paris et presque tous ont été communiqués à Besse par Vyon d'Hérouval. Je l'imagine arrivant à Paris, pris dans cette fièvre documentaire qui commence à avoir des effets institutionnels, découvrant les actes concernant son cher Midi dans le trésor des chartes royales 76 et regrettant de ne pas les avoir connus plus tôt77 . Il en donne quelques échantillons en vrac, selon le cas résumés ou transcrits dans la langue originale, latin, français ou espagnol, en italiques quand ils sont en latin : successivement le sommaire d'un paréage du temps de Philippe le Bel « estant dans la chambre des Comptes de Paris, cotté lettre V, dont i'ay eu communication par la faueur de M. de Vyon, seigneur d'Hérouual, Auditeur des Comptes », une « Information des droicts que le Roy auoit dans le Duché & vicomté de Narbonne», à la suite une longue transaction en langue française de la ville de Narbonne datée de 1508 venant d'un Mémorial de la Chambre des Comptes de Paris. Ici s'intercale la charte de Niquinta. Elle est suivie de l'arrêt du Parlement de Toulouse trouvé chez le Conseiller Guillaume de Masnau en mars 1654, dont une copie se trouve dans la collection Baluze 78 , d'un long acte communiqué par M. de V yon, puis d'une sentence trouvée à Carcassonne qui avait déjà fait 1' objet d'une communication à Baluze en 165479 . Tous les actes suivants, jusqu'à la fin de l'appendice, ont été communiqués à Paris par Vyon d'Hérouval. G. BESSE, Histoire des Ducs de Narbonne, p. 517-519, mémoire «de divers Actes faisant mention de quelques Comtés & Vicomtés du Languedoc, qui peuvent servir à l'Histoire, estans dans le Trésor des Chartes de France, pris de l'Inventaire des Titres dudit Trésor, Volume V qui regarde les Gouvernements de Guyenne & de Languedoc ». 77 Cf. supra n. 14. 78 Cf. supra n. 49 et annexe 6, p. 272: Coll. Baluze 275, fol. 67. 79 « Sentence de condamnation à mort donnée par le sénéchal de Carcassonne, assisté du vicomte de Narbonne contre Hélie Patrice et ses complices, criminels de lèse majesté pour avoir voulu livrer la ville de Carcassonne au fils du roi de Majorque et le reconnaître pour roi», «extraite des Archives tenues en l'église paroissiale de Saint-Saturnin de la Cité de Carcassonne, où est aussi la sentence au long de la susdite condamnation». Il faudrait vérifier si la sentence est la même que celle copiée par Besse dans la collection Baluze, qui concerne les mêmes personnages (cf. supra, n. 49). 76

MONIQUE ZERNER

243

Il est clair que Besse n'avait pas prévu de publier la charte de Saint-Félix dans l'Histoire des Ducs de Narbonne première manière. Dans la phrase tortueuse où il écrivait qu'il devait publier l'acte tout entier au fonds de cette histoire 80 , c'est à l'histoire des évêques de Carcassonne encore inachevée qu'il faisait allusion, qu'il a peut-être renoncé à finir ou à faire éditer. La publication de la charte de Niquinta est une décision de dernière minute ; elle est glissée entre deux actes du XIVe siècle, dans cette deuxième partie de 1'appendice qui ne suit plus 1' ordre chronologique. Besse est pressé, il n'aura pas le temps de relire les épreuves. Outre les exigences de l'imprimeur qu'on peut deviner, le contexte politique, avec la conclusion du traité des Pyrénées, le déplacement de la Cour dans le Midi et le mariage du roi, contexte sur lequel j'ai assez insisté dans mon intervention orale pour ne pas y revenir, suffisent à expliquer cette hâte. La fin de 1' appendice était un florilège destiné à faire remarquer l'étendue de sa curiosité d' "antiquaire", au sens où on l'entendait alors. Besse, qui avait fait une «Dissertation» sur l'hérésie qu'il n'avait pas réussi à publier et qui avait prévu de faire une histoire de l'Inquisition qui n'avait pas eu de suite, profitait de l'occasion pour publier sur ces sujets les rares copies en sa possession ne provenant pas d'anthologies. La faiblesse des actes originaux Même s'il nous semble curieux d'archives, Besse en compulse fort peu hors de « sa période » qui semble être celle du règne de Charles VI et les presse au maximum dans ses œuvres publiées. Le courrier envoyé à Baluze le 18 février 1654 avec la charte de Niquinta ne comprend qu'un seul acte trouvé par lui-même, tiré d'un registre de la cour du sénéchal de Carcassonne, lequel il semble avoir envoyé deux fois 81 . Il revient toujours au même registre de la Cour du roi, déjà cité dans l'Histoire des Comtes de Carcassonne. Il envoie de préférence des extraits et des analyses en français, ainsi

° Cf. Histoire des Ducs de Narbonne, p. 325 (voir annexe 4, p. 264). Un prêtre et chanoine de Carcassonne, GÉRARD DE VIC, originaire de Narbonne, commençait peut-être à préparer la chronique des évêques qui paraît en latin en 1667, Chronicon historicum episcoporum ac rerum memorabilium ecclesiœ Carcassonis, s.!., 1667 (cf. Ph. WOLFF, art. cit. supra, p. 72): par deux fois, il renvoie à G. Besse, mais sans le nommer : ex jide authoris Historicœ Comitum Carcas., p. 71 et 77 ; en revanche, il cite nommément et souvent le chanoine « Maître Bernard Estelat », dont Besse avait déjà exploité les papiers. 81 Cf. annexe 6, infra p. 271, Coll. Baluze 7, fol. 39; et p. 273, Coll. Baluze 379, fol. 308. 8

244

POSITIONS: 2000-2001

ce « Mémoire », le seul repéré par les auteurs du catalogue Baluze parce qu'il porte bien en évidence la mention « envoyé de Carcassonne à Toulouse au mois de décembre 1653 par M. Guillaume Besse », intitulé « Memoires pour Monsieur Baluse tirées du registre des Archives du Roi de la cité de Carcassonne intitulé Registrum curiae franciae dressé du temps de s. Louis » : il tient sur un rectoverso et sc compose de l'analyse en français de trois serments de fidélité prêtés à saint Louis en 122982 . J'expliquerais volontiers la pauvreté des dossiers d'actes originaux dans l'œuvre de Besse par ses difficultés de lecture, aggravées par un latin incertain. Éloquent à cet égard est le deuxième acte de l'appendice, un diplôme carolingien qui a fait l'objet de la plus grande attention des érudits parce qu'on ne le connaît que par Guillaume Besse. C'est un faux. Il s'agit d'un acte du roi d'Aquitaine Pépin 1er« vidimant» un diplôme de Charlemagne concernant les terres désertes de Leuc qui dépendaient du monastère de Saint-Hilaire, dont Besse dit que c'est un « Extraict d'autre extraict écrit en parchemin à rouleaux en lettre fort ancienne, contenant plusieurs autres priuileges accordez par Louis le debonnaire, & Charles le Chauue au susdit monastere, estans dans les archiues dudit Sainct Hilaire. » Baluze, qui possède pourtant un exemplaire de l'Histoire des Ducs de Narbonne, ne le met pas dans ses Capitularia regum Francorum copiés en 1677. Certes, milieu XIXe, Mahul le publie d'après Besse 83 , mais ensuite l'éditeur des Monumenta démontre que c'est un faux et le date du Haut Moyen Âge 84 • Le dernier mot est-il à Léon Levillain, l'éditeur des actes de Pépin 1er? Pour lui, le diplôme aurait été forgé au XIœ siècle à partir d'un authentique diplôme d'immunité de Pépin (appartenant au fonds de l'abbaye de Saint-Hilaire) auquel auraient été empruntés des éléments du protocole et de la datation, transcrit de façon très fautive par Besse 85 . Levillain corrige pas moins de dix-sept fautes, les unes grammaticales, les autres de sens (sed au lieu de seu, Sanctœ Saturnine au lieu de Sancti Saturnini, monachus presentis pour monachi presentes ... ). Cependant, il n'est pas 82 Cf. annexe 6, infra p. 273: Coll. Baluze 379, fol. 35\r-v. Notons la promesse de fidélité des habitants de Saint-Antonin qu'ils . Dans la marge, en romaines: «Condes de Barcelona 1. 2. c. 167 ».

262

ANNEXES

Zurita, dit qu'il donna beaucoup d'assistance à la Vicomtesse Ermengarde de Narbonne sa cousine, contre ceux qui voulaient la troubler dans ses Estats; c'est à dire contre sa sœur Ermessinde, mariée au Comte Don Almaric de Lara, dit vulgairement en espagnol D. Maurice: car ie tiens pour constant que le secours que la Vicomtesse Ermengarde emprunta du Comte de Barcelonne, fut pour raison du partage entre sœurs des Estats de leur commun père Aymeric II. Vicomte de Narbonne. Et de là ie tire cette conséquence, que puis que le Comte de Barcelonne vint en Languedoc deux diuerses fois pour les affaires de la Vicomtesse de Narbonne sa cousine, qu'il fit aussi pour ceux du Vicomte de Carcassonne son vassal, ce qu'il estait obligé d'y faire par la consideration de ses propres interests, qui l'engageaient d'honneur dans la défense du Vicomte. Mesme que quelque qualité de Duc de Narbonne que portast le Comte de Tolose, nous ne le voyons pas pourtant paroistre, pendant tous les /page 3221 démeslez qui furent pour raison du partage des Estats du Vicomte de Narbonne, où le rang qu'il tenait dans la Province meritait bien qu'il fust appellé, s'il n'eust eu rien à demesler auecque le Comte de Barcelonne, qui s'en estait rendu arbitre. De là vint aussi que le Comte de Barcelonne, fondé sans doute sur les pretensions imaginaires de ses Ancestres sur le Duché de Septimanie & Marquisat de Gothie, extorqua de la Vicomtesse Ermengarde de Narbonne la sousmission & hommage qu'elle luy fit de tous les Estats du Vicomte Aymeric Il. son pere, desquels elle auoit herité ; l'acte en fut fait à Perpignan au mois de Fevrier de l'an 1157. & la Vicomtesse bailla pour ostages deux des Principaux Barons de sa Terre, appelez Guillaume de Piteus, & Armengol de Leucate, auec les chasteaux qu'ils tenoient de la Vicomtesse. D'icy vint que par le testament de ce Comte de Barcelonne de l'an 1162. il disposa du droit qu'il auoit sur la Cité de Narbonne. Par toutes ces raisons le Comte de Barcelonne se ligua en suite auec le Roy Henry d'Angleterre qui auoit de grandes pretensions sur le comté de Tolose, & ayant joint leurs Trouppes, ils assiegerent Tolose l'an 1159. au 1 mois d'aoust , suivant Zurita, & Diago, & après eux M. Catel, Mathieu Paris, Thomas Valsinghan, Roger de Houeden, & Guillaume de Neubringe, Historiens Anglois, 1'Abbé Robert, & plusieurs autres, parlent de cette guerre : & ce dernier remarque particulièrement que ce fut à Blaye quelque temps deuant, que le Roy d'Angleterre & le /page 323/ Comte de Barcelonne 2 se virent, & firent dessein pour rendre leur Alliance d'autant plus durable, de marier Richard, fils du Roy d'Angleterre, auecque la fille du Comte de Barcelonne, qui estoient encore enfans ; le Roy promit de donner à son fils Richard le Duché de Guyenne, ainsi qu'escrit Zurita et Diago, qui pretend mal à propos que ce Traicté fut fait l'année suiuante. Au reste, ils sont 1 Dans la marge, en romaines, « Zurita, 1. 2. c. 17. annal. de Arrag. Diago Condes de Barcel. 1. 2. c. 169. Guill. Neubring hist. Angl.l. 2. c. 10. Paris, Valsingh. houed. & al. apud Catell. ». 2 Dans la marge, en romaines, «In vit. Raymond V. ».

4. HISTOIRE DES DUCS DE NARBONNE

263

d'accord auec Guillaume de Neubringe, que le Vicomte Trincauel estoit à œ siege, & remarquent que lors que le Roy d'Angleterre se retira, il laissa le commandement de l'Armée au Comte de Barcelonne, au Vicomte Trincauel & à Guillaume Seigneur de Montpellier. Le Siege de Tolose n'ayant pas pour lors reüssi au Roy d'Angleterre, il fut renouuellé en l'année 1167. 1 Guillaume de Neubringe est le seul Historien qui fait mention de ce second Siege de Tolose, lors que faisant le recit de la mort du Vicomte Trincauel massacré par les Habitans de Besiers dans 1'Eglise de la Magdeleine, il dit que le sujet de cet assassinat vint de l'affiont que les Habitans de Besiers pretendaient auoir receu en la personne d'vn de leurs Citoyens. Celuy-cy ayant offencé vn Gentilhomme qui estoit à la suite du Vicomte, lors qu'il reuenoit du Siege de Tolose, le Vicomte luy en fit faire vne telle reparation, que 1'honneur du Citoyen en demeura blessé : Les Habitans de Besiers releuant l'interest de leur Concitoyen, requirent le Vicomte aussi-tost apres son retour de la guerre 2 , de vouloir reparer l'infamie qu'il auoit faite à ce Citoyen, ce que le Vicomte leur /page 3241 accorda, & prirent iour pour s'assembler dans l'Eglise de la Magdeleine de Besiers, où il fut assassiné auec tous les Grands de son Conseil, & vn sien ieune fils. Quoy que le temps de ce massacre n'ait pas esté precisement remarqué, si est-ce qu'il tombe sur l'an 1167. suiuant Pierre Moine de Valsemay, lequel parlant de la prise de la ville de Besiers par 1'Armée de la Croisade, 1' an 1209. dit que sept mille Citoyens de Besiers furent tuez dans 1'Eglise de la Magdeleine, où ils s' estoient retirez pour garentir leur vie, & que cela arriva par vn iuste iugement de Dieu, d'autant (dit-il) que tout ainsi que la ville de Hierusalem fut ruinée par Vespasian & Tite, quarante-deux ans apres que les Iuifs eurent crucifié Nostre Sauueur, de mesme Besiers fut desolée quarante-deux ans apres que les Citoyens de cette ville eurent fait mourir leur Seigneur, & cassé les dents à leur Euesque, qui l'auoit voulu deffendre dans la mesme Eglise de la Magdelaine. Voila donc qui iustifie qu'en l'an 1167. la ville de Tolose fut reassiegée, quoy que les Histoires ne facent pas vne particuliere mention de ce Siege. l'essaye en mon Histoire des Euesques de Carcassonne de monstrer que cet assassinat eut vn plus grand motif, qui est que le Vicomte Trincauel qui estoit vn tres vaillant homme & fort bon catholique, se trouuant en ce temps là auoir les armes à la main, il ruina ces nouueaux Heretiques, qui eurent l'impudence de s'assembler en corps de Conciliabule, où ils creerent vn Antipape de leur secte, nommé Niquinta, & ce Pseudo-Pape crea des Euesques; Robert !page 3251 de Spemon ou Esperon fut fait Euesque de la Nation de france, & Sicard Cellerier fut fait Euesque d'Alby, & plusieurs autres; &

1

2

Dans la marge, en romaines, « Hist. Angl. 1. 2. cap. II. ». Dans la marge, en romaines, «Robert Dumont, Croniq. apud Catell. ».

264

ANNEXES

au Conciliabule que cet Antipape Niquinta tiny au Chastcau de Sainct-Félix en Lauraguois, au mois de May de cette année 1167. il crea encore de nouueaux Euesques; sçavoir Bernard Raymond fut éleu Euesque de Tolose, Geraud Mercier de Carcassonne, & Raymond de Casals du pays d'Aran, territoire de Comenge. L'Acte que ie dois donner tout entier, & dont j'employe vn extraict au fond de cette Histoire, dit que ces Euesques receurent en suite de la main de ce faux Pape, consolamentum & ordinem episcopi : ces Euesques estoient appelez Consolateurs 1• Ils furent imitez par leurs Descendans en l'an 1223. lesquels creerent de nouueau vn Antipape, & celuycy fit pour son Legat en France vn nommé Barthelemy de Carcassonne, qui s'appelait dans ses Titres Seruus seruorum Sanctae Fidei, & depuis estant passé en Bulgarie, Croatie, Dalmatie & Hongrie, il y ordonna des Euesques, & y établit des Eglises de sa secte, suiuant Mathieu Paris, & plusieurs autres. Voilà, à mon aduis, le subjet de la mort du Vicomte Trincauel ; Et de fait, il ne resta de toute cette grande Assemblée d'Heretiques faite à SainctFelix, que ceux qui se refugierent & se fortifierent au Chasteau de Lombers, & au Chasteau de Lauaur. l'ose dire de là que ce Vicomte est le premier Martyr dont les Heretiques surnommez du pays d'Albigeois ayent répandu le sang. En ma dissertation sur la difference de ces Heretiques, /page 326/ que ie dedie à Monseigneur l'Illustrissime Archeuesque de Tolose, ie fais voir quels estoient ces Heretiques, & quelle leur croyance, & particulièrement ie monstre qu'en Languedoc ils estoient diuisez en quatre branches, appeliez Arriens, Manicheens, Vaudois, & Bonshommes, & que ces deux derniers estoient absolument differens, quoy qu'ils ayent esté iusques icy confondus ensemble. Apres ce que dessus, nous trouuons 2 que nostre Raymond Comte de Tolose & Duc de Narbonne, bailla en fief à Roger Bernard Comte de Foix mary de Cecilie, fille de feu Vicomte Trincauel, & à cette Cecilie, & ses enfans, toute cette terre que possedait Roger frère de Trincauel, c'est à dire, Carcassonne, & Carcassez, le pays de Rasez, & ce qu'il auoit en Albigeois, horsmis Castelvieil, & le bourg d'Alby, & le fief qu'il auoit en pays Tolosain; & en outre il luy promit de ne faire ny paix ny tréue auec Roger fils de Trincauel, ny auec ses autres enfans, sans 1' aduis & le consentement de Roger Bernard, de Cecilie, & de leurs enfans, & qu'il l'assisterait fidellement. Cet Acte contient plusieurs autres choses que i'obmets, & est datté du troisiesme des Nones de Decembre 1167. auquel temps Raymond Trincauel estoit decedé, comme cet acte iustifie. D'où vint que Roger fils de Trincauel prit en cette mesme année 1167. investiture du Comté de Carcassonne & 1 Dans la marge, en romaines, « Spond. Annal. Eccl. ann. 1123 [faute de frappe, lire 1223]. num. 8. Math. Paris. hist. Angl. an. 1223. Perrin hist. des Vaud. 1. I.c.2. & 9. c.2. 1.17 ». 2 Dans la marge, en romaines,« Ancien Invent. de Foix dans M. de Marca pag. 722 de l'hist. de Bearn».

4. HISTOIRE DES DUCS DE NARBONNE

265

autres Estats de son pere, du Roy Alphonse d' Arragon 1, pour tenir le tout en la mesme manière, & sous /page 3271 les mesmes obligations que Trincauel les tenait du Comte de Barcelonne. Depuis ce temps le Vicomte prit dans ses Titres celuy de Proconsul de Besiers, soit, ou pour marque qu'il ne reconnaissait plus le Comte de Tolose pour Duc de Narbonne, & comme tel Superieur des Vicomtes du Languedoc, ou enfin pour faire allusion au Titre de Marquis de Gothie, & le retablir insensiblement en sa personne par celuy de Proconsul de Besiers, qui estait vne piece qui ne releuoit pas du Comté de Barcelone, comme Carcassonne ; & peut estre mesme que le respect du Roy d' Arragon qui auoit les mesmes pretensions que ses Ancestres sur le Languedoc, empescha le Vicomte Roger de prendre vn titre plus auguste que celuy de Proconsul. Mais ce qui me donne le plus de peine 2 , est l'hommage fait par le mesme Vicomte Roger fils de Trincauel, à la Vicomtesse Ermengarde de Narbonne, l'an 1171. dans lequel il excepte en termes expres le Comte de Tolose; Car tous les Mémoires que nous auons des Affaires de ce temps-là, nous font voir iusques où allait l'inimitié du Comte de Tolose contre le Vicomte de Carcassonne Raymond Trincauel, qu'il querellait encore après sa mort, puis qu'il bailla en fief au Comte de Foix, & à Cecilie de Besiers, Carcassonne, & autres terres, au preiudice de Roger, fils & légitime successeur de Trincauel. Qoy qu'il en soit, il est du moins certain que ceux-là se trompent, qui escriuent que dés le decez de R. Trincauel, vn sien frere nommé Roger se saisit de Carcassonne /page 3281 au preiudice de ses Nepueus, & qu'il en fut depossedé par Raymond Comte de Tolose, en cette année 1167. Car outre que Raymond Trincauel n'auoit qu'vn seul frere nommé Roger, qui estait son aisné, auquel il succeda par le deffaut d'enfans, il est aussi fort véritable que la ville de Carcassonne ne fut point ostée aux enfans de Raymond Trincauel. L'Acte dont i'ay cy-deuant parlé de l'hommage fait en cette année 1167. par Roger, fils & héritier deR. Trincauel, au Roy Alfonse d'Arragon, qui luy bailla en fief la ville de Carcassonne, pour la tenir en la mesme forme & maniere que son pere la tenait du Comte de Barcelonne ; & la Concession que ce Vicomte de Carcassonne, prenant le titre de Proconsul de Besiers, accorda en l'année 1170. au Chapitre de l'Eglise N.-D. de S. Sauueur de Carcassonne, concernant la construction de quelques Fours dans le Bourg de Carcassonne, laquelle i'employe en mon Histoire des Euesques de Carcassonne, font voir que le Vicomte Roger fils de Trincauel, estoit Maistre de Carcassonne, & en l'année 1167. & en 1170.

Dans la marge, en romaines, « Zurita, Indic. rer. Arag. 1. 2 ». Dans la marge, en romaines, « Catel, en ses Vicomtes de Narbonne» (cf. les Mémoires de l'Histoire du Languedoc). 1

2

266

ANNEXES

ANNEXE 5. LA LETTRE DE CONRAD DE PORTO

Édition E. MARTÈNE et V. DURAND, Thesaurus novus anecdotorum, t. 1, Paris, 1717, col. 901, rééd. Fr. SANJEK, p. 252-256, «Albigeois et «chrétiens» bosniaques », R.H.E.F., t. LIX, 1973, p. 251-267. Th(eobaldus) Dei gratia Rothomagensis archiepiscopus venerabilibus fratribus omnibus suffraganeis suis salutem, gratiam et honorem. Litteras venerabilis patris C(onradi) Portuensis et Sanctae Rufinae episcopi, apostolicae sedis legati, recepimus in haec verba : « V enerabilibus fratribus Dei gratia archiepiscopo Rothomagensi et ejus suffraganeis abbatibus, prioribus, decanis, archidiaconis, capitulis in Rothomagcnsi provincia constitutis, C(onradus) ejusdem miseratione Portuensis et sanctae Rufinae episcopus, apostolicae sedis legatus, salutem in Christo Jesu. Dum pro sponsa veri crucifixi vestrum cogimur auxilium implorare, potius compellimur lacerari singultibus et plorare. Ecce enim derelicta est filia Sion sicut umbraculum in vinea, sicut tugurium in cucumerario, et sicut civitas quae vestatur. Dicere compellimur cum propheta : Nolite incumbere ut consolemini me super vastitate filiae populi mei. Dies emm interfectionis est, concultationis et fletuum.

Non est qm sustentet eum ex omnibus filiis quos genuit, et non est qui apprehendat manum ejus, ex omnibus filiis quos nutrivit. Ecce

Thibaud, par la grâce de Dieu, archevêque de Rouen, à tous ses vénérables frères ses suffragants salut, grâce et honneur. Nous avons reçu en ces termes une lettre du père Conrad, évêque de Porto et de Sainte-Rufine, légat du Saint-Siège : « Aux vénérables frères, à l'archevêque de Rouen et à ses suffragants, abbés, prieurs, doyens, archidiacres et chapitres constitués dans la province de Rouen, Conrad, par la même grâce de Dieu évêque de Porto et de SainteRufine, légat du Siège apostolique, salut dans le Christ Jésus. Tandis que nous nous efforçons d'implorer votre aide pour 1' épouse du véritable Crucifié, plus encore sommes-nous traints de gémir et de pleurer. Voici en effet que la fille de Sion est restée comme une cabane dans une vigne, comme un abri dans un champ de concombres, comme une ville dévastée. Nous sommes forcés de dire avec le prophète : N'insistez pas pour me consoler de la dévastation de la fille de mon peuple car c'est un jour de tueries, d'écrasements et de larmes. Parmi tous les fils qu'elle a enfantés, pas un ne la soutient et pas un ne lui tend la main de ceux qu'elle a nourris. Voici l'année de

5. LETTRE DE CONRAD DE PORTO

annus retributionis judicii Sion. Possidet eam onocrotalus, ericius et ibix. Ecce extenditur super eam mensura ut redigatur in nihilum et perpendiculum in desolatione. Ecce pro foribus in facie vestra lamiae nudatis mammis catulos suos Jactant, irruunt in Dominum servis videntibus in praesentibus vispiliones et Isauri perfidiae. Non est qui arripiat gladium ultionis, qui dirident sabbata nostra ; et Dominum derelinquunt, blasphemantes sanctum Israël. Non est qui adstruat causam crucifixi, clamat propheta, sed Altissimum per prophetam : Surdi audite, caeci intuemini ad videndum. Quis caecus nisi servus meus ad guern nuncios meos misit ? Quem non moveat Dagon erectus contra arcam fringit. Ecce quod vidimus m finibus Brunarum, Croatiae, et Dalmatiae juxta Hungariam nationem, ut per antipapam moras antichristi de cetero breviores esse minime dubitetur, dum novus lucifer novae arrogantiae fellibus intumescens, sed suam contendit ponere in lateribus aquilonis, non tarn ut sit similis Altissimo apostolorum princ1p1s successori, guam ut ipsum cum universali Ecclesia deprimat et annulet.

Hinc est quod papa perfidiae, qui maceriam vineae Domini sabaoth jam pro magna parte dedit in direptionem, et singularis ferus vineam depascitur et conculcar : ad eum confluunt Albigenses, ut ad eorum consulta respondeat, eJUS inhiantes

267

l'exécution du jugement de Sion. Le pélican, le hérisson, le bouquetin 1'envahissent. Voici que le cordeau s'étend sur elle afin de la réduire à néant et le fil à plomb pour la tenir dans la désolation. Voici qu'à votre porte, à votre face, les lamies, les mamelles nues, allaitent leurs petits. Il n'est personne pour prendre le glaive de la vengeance, eux qui rient de nos fêtes et ils ont abandonné le Seigneur, blasphémant le Saint d'Israël. Il n'est personne pour appuyer la cause du Crucifié, proclame le prophète, et par le prophète le Très-Haut: Sourds entendez, aveugles voyez. Quel aveugle ? Si ce n'est mon serviteur, vers qui j'ai envoyé mes messagers ? Et personne ne repousse le Dragon qui, dressé contre 1'arche, la brise. Voici ce qui nous avons vu dans les confins des Bulgares, de Croatie et Dalmatie, près de la nation hongroise. Par un anti-pape le retard de la venue de l'antéchrist est abrégé sans aucun doute, tandis que le nouveau Lucifer se gonflant du fiel d'une arrogance nouvelle prétend asseoir son siège aux confins du Septentrion. Non pas tellement pour se rendre semblable au successeur très haut du prince des Apôtres, mais pour l'abaisser et l'anéantir avec l'Église universelle. D'où il ressort que le pape de la perfidie, qui a jeté par terre le mur de la vigne du Seigneur Sabaoth, tel une bête sauvage, dévore et piétine cette vigne. Vers lui affluent les Albigeois pour le consulter, bouche bée devant ses

268

ANNEXES

doctrinis, et ejus damnati sectae judicia complectentes. Iste Satanus quemdam suae perversitatis hominem usque in Agennum dioecesim diffamavit, nomine Bartholomaeum Carcassensem. Est enim de Carcassona oriundus, vices illius agentem, ut illis corruptis partibus propinetur uberius fel draconis m calice Babilonis. Cui Bartholomaeo Vigorosus de Bathona haereticorum ep1scopus funestam exhibendo reverentiam, sedem et locum suum concessit in villa quae dicitur Poiors et seipsum transtulit in partes Tholosanas. lste est Bartholomaeus qui litterarum suarum undique discurrentium prius salutationis alloquio seipsum intitulat in hune modum : « Bartholomaeus servus servorum hospitalis sanctae fidei tali salutem ». Iste etiam, quod est detestandum dictu et horrendum auditu creat episcopos et ecclesias perfidiae ordinare con tendit. Et inter has et alias enormitates nullus prosilit Mathathias, qui irruat in Judaeum idolis sacrificantem ; nullus Othoniel qui velit liberare Israel a jugo Cusaurachaim ; nullus accedit Sangar qui vomere percutiat Philisteos : non est Gedeon qui liberet Israël de manu Madian. Ecce vir levites concidit in duodecim frustra uxorem quam acceperat de Bethleem Juda, et misit in terminos Israël, qua habitatores Gabaà turpiter sunt abusi : sed heu, filii Israël pariter non congregantur, ut hujus perpetratores flagitii prosequantur : quaeritur fides Jesu-Christi et non est qui apponat se murum pro domo Israël : non est qui ex adverso

doctrines et embrassant les jugements de la secte de ce damné. Ce Satan a fait connaître, jusque darls le diocèse d'Agen, un certain homme de sa corruption nommé Barthélemy de Carcassonne qui, en effet, originaire de Carcassonne, agissant en son nom, offre fort abondamment à ces régions corrompues le fiel du dragon dans le calice de Babylone. À ce Barthélemy, Vigorosus de la Bacona, évêque des hérétiques, montrant une révérence scélérate, a donné son siège et sa maison dans un bourg nommé Pujols et luimême s'est rendu dans la région de Toulouse. Ce même Barthélemy dans ses lettres répandues partout s'intitule ainsi en guise de salutation : « Barthélemy, serviteur hospitalier des serviteurs de la sainte foi, à un tel, salut». Luimême, chose détestable à dire et horrible à entendre, crée des évêques et s'efforce d'organiser les églises de perfidie. Et parmi ces énormités et bien d'autres encore, aucun Mathatias n'accourt pour se ruer sur un Juif sacrifiant aux idoles, aucun Othoniel pour libérer Israël du joug de CouchanRusheataïm, nul Sangar pour frapper les Philistins, nul Gédéon pour libérer Israël de la main de Madian. Voici le lévite qui coupa en douze morceaux la femme qu'il prit à Bethléem de Juda et 1'envoya dans les territoires d'Israël, celle dont les habitants de Gabaa abusèrent honteusement, mais hélas, les fils d'Israël ne se sont pas rassemblés pour venger les auteurs de cette infamie. On

5. LETTRE DE CONRAD DE PORTO

ascendat, et tandem sanguis proditorum de manu negligentium requiretur.

Hinc est quod nos monemus instantius, rogamus attentius, et per aspersionem sanguinis Jesu-Christi propensius obsecramus auctoritate domni papae qua fungimur in hac parte, districte praecipientes quatenus veniatis Senonas in octava apostolorum Petri et Pauli proxime futuri, ubi etiam alii praelati Franciae favente Domino, congregabuntur, parati consilium dare super negotio praedicto Albigensium, et cum aliis qui ibidem aderunt providere, alioquin inobedientiam vestram domno papae curabimus significare.

Datum Provin(i) VI Nouas Junii. Hujus auctoritate mandati vobis mandamus predicta die, Senonis personaliter intersitis (accersatis). » Eccetis etiam eadem auctoritate omnes abbates, priores, decanos, archidiaconos, et capitula vestrarum dioecesum, ut ibidem conveniant eadem die attentius provisuri, ut negotium istud ita fideliter exequi studeatis, ne a Domino Jesu-Christo, cujus fides in periculo constituta est, in districto examine propter hoc puniri debeatis, et ne a domno papa possitis de negligentia seu inobedientia reprehendi.

269

cherche la foi de Jésus-Christ et il n'en n'est pas qui se fasse le rempart de la maison d'Israël, personne qui affronte l'adversaire et, à la fin, le sang des traîtres est exigé de la main des lâches. A cause de cela nous vous rappelons avec insistance, nous vous demandons avec force et par aspersion du sang de Jésus-Christ nous vous supplions très instamment, en vertu de 1'autorité du seigneur pape dont nous sommes revêtus en la circonstance, vous ordonnant formellement de venir à Sens dans la prochaine octave des apôtres Pierre et Paul, là où les autres prélats de France, s'il plaît au Seigneur, se rassembleront, prêts à donner leur avis sur l' affaire précitée des Albigeois, et avec les autres qui y viendront : s'il en était autrement, nous serions obligés de signaler votre désobéissance au seigneur pape. Donné à Provins, le six des nones de juin. De notre autorité, nous vous ordonnons d'être présents à Sens en personne au jour susdit. En vertu de la même autorité que tous les abbés, prieurs, doyens, archidiacres et les chapitres de vos diocèses soient présents le même jour, qu'ils soient attentifs à s'informer, de sorte que vous vous appliquiez à suivre parfaitement cette affaire, afm que vous ne dussiez être châtiés à la suite d'un examen rigoureux par le Seigneur JésusChrist en qui la foi est mise en péril et que vous ne soyez pas réprimandés par le seigneur pape pour négligence ou désobéissance.

270

ANNEXES

ANNEXE 6. LES PAPIERS DE GUILLAUME BESSE DANS LA COLLECTION BALUZE (7, 275, 379)

N.B.

Le catalogue de la bibliothèque de Baluze, préparé par ses soins et imprimé selon sa volonté après sa mort (1718), paru en 1719, contient en troisième partie les manuscrits ou «fonds Baluze », dont les chartes et papiers conservés dans sept armoires allaient former la « collection Baluze ». Dans la septième armoire, Baluze avait mentionné «Portefeuille de M. Besse de Carcassonne >/ La conservation de la collection Baluze a rencontré quelques problèmei. Aussitôt après la mort de Baluze, les papiers des sept armoires sont reclassés dans un ordre complètement différent par le garde des manuscrits, Jean Boivin, qui en dresse deux catalogues. A la mort de Jean Boivin (1 726), l'abbé de Targny son successeur tente de rétablir les paquets des armoires selon le classement de Baluze, sans résoudre toutes les difficultés d'où «l'armoire incertaine» (1727-1728). Plusieurs catalogues sont à nouveau dressés. Dans les années 1830, ces papiers sont mis dans le plus grand désordre par un érudit sans scrupule. Ils sont définitivement reclassés en 1843-1844, formant ce qu'on appelle désormais la collection Baluze, dont un inventaire très complet par Lucien Auvray et René Poupardin paraît 3 en 1921 . Il est probable que le portefeuille de Besse a éclaté dès Boivin et que son successeur n'a pas cherché à le reconstituer. L'index du catalogue de L. Auvray et R. Poupardin contient deux références à Besse. L'une renvoie au fol. 3 7 du vol. 7, l'un des treize volumes concernant les conciles, en tête de la collection conformément aux priorités de Baluze (vol. 1 à 13). L'autre renvoie au fol. 351 du vol. 379, volume classé dans l'armoire incertaine. La précieuse table à la fin du catalogue m'a permis de repérer la dissertation sur les hérétiques au mot «albigeois» (vol. 275, fol. 1); dans ce même volume se trouvent des bribes d'un autre courrier de Besse, repérables par l'écriture et par leur format proche du courrier du volume 7. Il y a sans doute encore des papiers de Besse à découvrir dans les autres volumes concernant le Midi. M. Zerner

1 É. BALUZE, Bibliotheca baluziana, pars tertia, Paris, 1719, p. 112, septième armoire, «Portefeuille de M. Besse de Carcassonne ». 2 Cf. L. AUVRAY, «La collection Baluze à la Bibliothèque Nationale, historique et composition», B.E.C., 1920, p. 5-86. 3 L. AuvRAY et R. POUPARD IN, Catalogue des manuscrits de la collection Ba/uze, Paris, 1921.

6. PAPIERS DE GUILLAUME BESSE

COLL. BALUZE 7: «Recueil de copies et de notes sur les Conciles »

271 1

Description deL. AUVRAY et R. POUPARDIN, Catalogue, p. 13: «Fol. 37. Lettre de G. Besse à Baluze (Carcassonne, 18 févr. 1654). Fol. 38. Extraits divers relatifs au concile de Narbonne (1 043). Fol. 45 ... ». Inventaire des papiers de Besse et des notes de Baluze s y rapportant • Fol. 35 (environ 115xl80 mm, papier découpé, verso blanc). « Concorrès est un prieuré ... », de la main de Baluze. • Fol. 36 (environ 95xl80 mm, papier découpé dans une page de titre, au verso en lettres capitales : Decreta Ecclesiae Gallicanae ... ). « 1167. Conciliabulum apud s. Feliciem ... », de la main de Baluze. • Fol. 37. (environ 180x250 mm): Lettre de la main de Besse. En bas à droite, «envoyé de Carcassonne à Toulouse par M. Guillaume Besse», 2 de la main de Baluze • • Fol. 38r (environ 180x250mm). Fin de l'acte copié au fol. 39, dafé de 1381, de la main de Besse. • Verso blanc • Fol. 39r-v (environ 180x250 mm). «D'un registre de la cour du senechal de Carcassonne cotte [... ] Jean, fils du Roy de France Duc de Berry et d'Auvergne Comte de Poitou [ ... ] a nostre aimé et feal conseiller et maistre des requestes [... ] Monseigneur Simon de 3 Cramant ... », de la main de Besse . • Fol. 40r-v (environ 180x250 mm). Fin de la charte de Niquinta. • Fol. 4lr-v (environ 180x250 mm). Début de la charte de Niquinta. • Fol. 42r-v (environ 180x250 mm).« Des archives du chapitre de l'église cathédrale de Carcassonne extrait des Memoires de feu M. Estelat de la d. église. L'an de l'incarnation de notre seigneur quarante trois après mil ere mil quatre vingts une indiction ... », de la main de Besse. Dans la 4 marge à droite, « 1043 »,probablement de la main de Baluze • • Fol. 42v-bas (environ 180x250 mm). Titre de la charte de Niquinta.

1 L.

AuvRAY et R. POUPARDIN, Catalogue des manuscrits de la collection Ba/uze ... , p. 13. Ibid., Table alphabétique, p. 493 : «Besse (Guillaume). Lettre à Baluze ». 3 Cf. infra 379, fol. 308-311, autre copie du même acte. 4 Besse fait allusion à cet acte dans !'Histoire des ducs de Narbonne, p. 252-253, en disant qu'il le publie dans son Histoire des évêques de Carcassonne : « Le temps de ce synode provincial n'est pas remarqué, mais pour moi je tiens que ce fut en l'année 1043 car un acte, que je donne en mon Histoire des Évêques de Carcassonne, extrait des archives de la même ville, fait foi qu'en cette année 1043, l'an treizième d'Henri le très bon, il fut tenu un concile provincial en la ville de Narbonne auquel se présenta Vuillelmus Ugonis ... ». 2

272

ANNEXES

COLL. BALUZE 275: «Mélanges, relatifs surtout à l'histoire du Midi de la 1 France »

Description deL. AUVRAYetR. POUPARDIN, Catalogue, p. 333: Fol. 1. «Dissertations sur la différence des hérétiques généralement appelés Albigeois, divisés en quatre branches, suivies d'extraits de chroniques et de pièces se rapportant à l'histoire des Albigeois. Fol. 74 ... ». Inventaire des papiers de Besse • Fol. 1 à 30r (environ 230x350 mm). «Dissertation». • Fol 31 à 62r (environ 250x360 mm). «Preuves». • Fol. 38r-39r: «Charte de l'antipape Niquinta ». • Fol. 63 à 66 (même format). Blanc. • Fol. 67r-v (environ 170x250 mm).« Martini scribo parlamentario jurato regio. Extrait d'autre extrait inséré dans les Mémoires manuscrites de M. Guillaume de Masnau, Conseiller au Parlement de Tolose, duquel 2 i'ay tiré le présant, estant à Tolose, en mars 1654. [fin d'un acte] Autre arrest donné contre certains ecclésiastiques de Besiers criminels de lese Maiesté divine et humaine. Nouerint universi quod nos Robertus de Chaluco miles domino de Intraquis [ ... ] Extrait des registres de la cour 3 du seneschal de Carcassonne. »

1

L. AUVRAY et R. POUPARDlN, Catalogue des manuscrits de la collection Ba/uze ... , p. 333. Besse a publié l'acte dans les preuves de l'Histoire des ducs de Narbonne, p. 487-488: « Arrest du Parlement ambulatoire de Languedoc, par lequel le Seneschal de Tolose fut relaxé des cas & crimes à luy imposez, à moy communiqué par M. Guillaume de Masnau, Conseiller au Parlement de Toulouse. Die veneris in Crastinum Acensionem Domini, Anni 1283, apud Carcassonam [ ... ] Comdemnamus dictos scyndicos ad Emendam & expensas. Datum pro copia à Petro Martini scribo parlamentario jurato regio ... ». 3 Cf. Histoire des ducs de Narbonne, p. 496 : « Sentence de condamnation à mort, donnée par le Seneschal de Carcassonne [ ... ] contre He lie Patrice et ses complices, criminels de leze Majesté [ ... ] ; extraicte des Archives tenues en l'Eglise paroissiale de Saint-Saturnin de Carcassonne, où est aussi la sentence au long de la susd. condemnation ». Acte de 1289, vidimus de 1404. 2

6. PAPIERS DE GUILLAUME BESSE

273

1

COLL. BAL UZE 379 : « Extraits divers »

Description de L. AUVRAY et R. POUPARD IN, Catalogue, p. 423-424: « ... Fol. 301. Notes sur l'histoire de l'Espagne envoyées à Baluze. Fol. 308. Lettres (1380-1383) relatives à Simon de Cramaud, plus tard évêque de Carcassonne. [Fol. 313 ... ] Fol. 351. Notes extraites des archives de Carcassonne, envoyées à Baluze par Guillaume Besse. Fol. 354 ... ». Inventaire des papiers de Besse • Fol. 301 (environ 170x233 mm). «Pour Monsr Baluze ». «Les maures s'estant rendus maistres de l'Espagne, il y eut un grand nombre d'Espagnols qui se retirèrent en France ... », de la main de Besse. En marge, griffonné pour être rendu illisible, « envoyé par Monsieur Guillaume Besse », probablement de la main de Baluze. • Fol. 308-311. (environ 168x250 mm).« Jean fils du roy de France ... », de la main de Besse. Au verso, « pour Simon de Cramaud », de la main 2 deBaluze. • Fol. 351. «Notes extraites des archives de Carcassonne envoyées à Baluze par Guillaume Besse. Mémoires pour Monsieur Baluze ... » : «Vicomtes de Cambors, fol. 60... S. Antonin, fol. 61... Abbaye d'Uzerche, fol. 63 ... St Martial de Limoges, fol. 63 ... », de la main de 3 Besse. • Fol. 352r. Blanc. Au verso, « Combor 1229 - Userches 1228 - St Martial Abbaye 1229 », de la main de Baluze. • Fol. 353. «Geoffroy de Pompadour evesque de Carcassonne eut un neveu nommé Hélie de Pompadour qu'il fit archidiacre de Carcassonne et de l'Evesché d'Alet l'an 1447, et enfin transféré à l'Evesché de Viviers où il siégeit en l'an 1475, suivant un acte des archives du chapitre de Carcassonne du samedi 15 juillet. Communiqué par M. Guillaume 4 Besse (de Carcassonne, qui écrit 1'histoire des Comtes de Carcassonne ) le 5 février 1654 à Toulouse», de la main de Baluze.

1

L. AUVRAY et R. PoUPARDIN, Catalogue des manuscrits de la collection Ba/uze ... , p. 421. Cf. supra, 7, fol. 39, même acte. 3 L. AUVRAY et R. PoUPARDlN, Catalogue ... , Table alphabétique, p. 493: «Besse (Guillaume) [ ... ] Envoi de documents à Baluze ». 4 Baluze a d'abord écrit « Evesques », qu'il a barré pour écrire au-dessus « Comtes>>. 2

274

ANNEXES

ANNEXE 7. COPIE DE LA CHARTE DE NIQUINTA DE LA MAIN DE GUILLAUME BESSE (COLL. BALUZE, 275, FOL. 38-39)

N.B.

Le texte ci-dessous n'est pas une réédition de la charte de Niquinta qui n'aurait pas de sens vu les caractères des deux copies de la main de Besse exposés dans mon article, mais un document de travail çlestiné à une réflexion sur la pratique de la copie des textes latins par un érudit local des années 1650. Le lecteur trouvera dans l'encart hors texte la photographie des deux copies que les Conservateurs de la Bibliothèque Nationale ont bien voulu nous autoriser à reproduire et que nous remercions ici. La copie de la «Dissertation» (275, fol. 38-39) étant sur des feuilles de plus grand format que celle envoyée à Baluze (7, fol. 40-42), sa reproduction photographique est de lecture plus difficile ; pour cette raison, il a paru préférable de transcrire cette version. Ce choix a, par ailleurs, l'avantage de ne pas laisser entendre que la copie envoyée à Baluze, probablement antérieure, pourrait être plus proche d'un original médiéval à mon sens improbable. Les abréviations sont reproduites à cause des discussions que celles de l'édition imprimée ont suscitées. Les points de ponctuation sont précédés d'un espace insécable pour les distinguer des points d'abréviation. L'emploi des majuscules est modernisé. Les variantes de la copie envoyée directement à Baluze sont données en note. Cependant, celles qui concernent la ponctuation, dont cette copie est dépourvue à l'exception de six points, ne sont pas prises en compte. De même, les abréviations des mots les plus fréquents qui diffèrent de celles de la «Dissertation » ne sont pas notées : « e. » pour ecclesia, toujours abrégé ainsi, sauf les exceptions signalées en notes ; « e. » ou « eps » avec un tilde pour episcopus, également toujours abrégé ainsi ; si!' pour similiter; accep. pour accepit; «dus» pour dominus. Ne sont pas notées non plus les variantes de l'orthographe de « Carcassonne », toujours écrit avec deux « s » dans la copie envoyée à Baluze. M. Zerner

7. COPIES DE LA CHARTE DE NIQUINTA

275

Charte de 1' antipape Niquinta et de 1' ordination des euesques de sa secte ; amoy communiquée par feu M. Caseneuue prébendier de St Estienne de 1 To1ose . 2 Anno M.C.LX. VII. Incamationis Dominicae in mense Madii in diebus illis 3 ecclesia to1osana adduxit Papa Niquinta in Castro sancti felicii et magna 4 multitudo hominum et mulierum eccl. to1osanae a1iarumque ecclesiarum 5 vicine congregauerunë se ibi ut acciperene conso1amentum quod8 dominus 10 Papa Niquinta cepie consolare. Postea vero Robertus de Spemone ep. eccl. 11 francigenarum venit cum consilio sua. Q Marchus Lombardie venit cum 12 13 consi1io suo simi1iter , et Sicardus Cellarerius eccl. A1biens. ep. venit cum 14 consi1io suo, et B . Cata1ani venit cum consi1io Eccl. Carcassensis et 15 16 consilium ecclesiae 1 fol. 38v 1 Aranensis fuit ibi. Quod omnes sic . b'1' . 17 to 1os. 18 ecc119 mnumera 1 Iter congregat1. h ommes . vo 1uerunt habere epm20 . Et e1egerunt Bernard. Raimundum. Simi1iter vero et Bemardus Catalanus et 21 consilium Eccl. Carcacensis rogatus ac mandatus ab eccl. To1osana, et cum 22 consilio et vo1untate et so1ucione Domini S. Cellarerii e1egerunt Guira1dum 23 24 Mercerium, et homines Aranensis e1egerunt Raymundum de Casalis.

1 7,fol. 42v bas, Charte de Niquinta Antipape des Heretiques surnommez d'Albigeois laquelle m'a eté communiquée par feu M. Caseneuve. 2 7,fol. 41, Dominice. 3 7, fol. 41, eccla, avec tilde. 4 7,fol. 41. tolosane. 5 7,jàl. 41, ecclarum, avec tilde. 6 7,fol. 41, con abrégé par signe spécial. 7 7, fol. 41, accipert. '7,fàl. 41, Q à la panse au dessus de la ligne, à la hampe incurvée vers la droite et traversée par un trait oblique. 9 7,fol. 41, cep'. ; éd.. cœpit. 10 7,fol. 41, P". ea. 11 2 75, Q à la panse sur la ligne dont la hampe est traversée par deux traits paralléles obliques, bavure d'encre; 7,fol. 41, Q à la panse au dessus de la ligne, à la hampe incurvée vers la droite et traversée par un trait oblique (cf n 8). Éd. : « q. ». 12 7,fol. 41, similiter: seul cas où similiter n'est pas abrégé. 13 7,fol. 41, Albiensis. 14 7,fol. 41, B". 15 7,/ol. 41, Q à la panse au dessus de la ligne et à la hampe incurvée vers la droite et traversée par un trait oblique, avec un accent dans la partie supérieure du x ainsi formé. 16 7,fol. 41, os avec tilde. 17 7,fol. 41, hos avec tilde. 18 7,fol. 41, tolosanae. 19 7,fol. 41, hos tolosanae e. voluerunt... 20 275, tilde. 21 7,.fol. 41, eccla. 22 7,.fol. 41, per (abrégé, par signe spécial en cursive) au lieu de et. 23 7,fol. 41, hoes 24 7,fol. 41, Raimondum.

ANNEXES

276 25

26

Postea vero Robertus d'Espemone accepit consolamentum et ordinem episcopi à domino Papa Niquinta ut esset episcopus eccl. Francigenarum. Similiter et S. Cellarerius accepit consolamentum et ordinem episcopi ut 27 esset episcopus eccl. Albiensis. Similiter vero Marchus consolamentum et 28 ordinem episcopi ut esset ep. eccl. Lombardie. Similiter vero Bemardus 29 Raymundus accepit consolamentum et ordinem episcopi ut esset ep. eccl. 30 tolosanae. Similiter et Guiraldus Mercerius accepit consolamentum et 31 ordinem episcopi, ut esset ep. eccl. Carcacensis. Similiter et Raymundus de Casalis accepit consolamentum et ordinem episcopi ut esset ep. eccl. 32 3 34 Aranensis. Pose haec vero Papa Niquinta dix. eccl. Tolosanae 35 . 36 Vos 7 dixistis mihi, ue ego dicam vobis consuetudines primitiuar. 38 ecclesiarum39 sint leues aut graues et ego dicam vobis septem eccl. Asiae fuerunt diuisas, et 40 terminatas inter illas , et nulla illarum faciebat ad aliam aliquam rem ad 41 E . 42 , et Me1engme . et . . suam contrad1c10nem. t ecc1. R omanae, et Drogometlae 43 Bulgariae , et Dalmatiae sunt diuisas et termin. et una ad altera44 non facit 45 aliq. rem ad suam contradicionem et ita pacem habent inter se. 46 Similiter et 47 48 eccl. vero Tolosana elegit Bemardum Raymundum et vos facie Guillermum Garsias et Ermengaudum de Forest, et Raimundum de 49 Beruniaco et Guilabertum de Bono V ilario, et Bemardum Guillermum Contor, et Bernard. Guillermum Bone Ville, et Bertrand. de Auinione. Ut

25

7,fol. 41, cf n. JO. 275, apostrophe rétablie, après le« d »,avant le« e »de début de mot (cf la lettre grecque). En 7, graphie identique. 27 7,fol. 4lv, Marchus accep. consolamentum. L'éd. et 275 am. accepit. Cf plus haut D. 26

MuzERELLE. 28

29 30 31

32 33 34 35

36 37 38

39 40 41

42 43 44 45

46 47 48

49

7,fol. 41v, le point est mis. 7,fol. 41v, Raimondus. 7,fol. 41v, le point est mis. 7,fol. 41v, Raimondus. L'éd. am. eccl. 7,fol. 41, Pet signe d'abréviation suscrit. 7, fol. 41v, eccl. 7,fol. 41, tolosane. 7Jol. 41v, le point est mis. 7, fol. 41 v, ut écrit par dessus et raturé. 7,fol. 41 v, primitivarum. 7,fol. 41 v, ecclarum, avec tilde. 7,fol. 41v, pourrait se lire diuisae et terminatae inter illas. 7Jol. 41v, On ne peut savoir si le point est mis (collage de lafeuille). 7,fol. 41v, Drogometie. 7,fol. 41v, Bulgarie. 7,fol. 41v, alra (tilde allongé). 7,fol. 41v, non facial. 7Jol. 41v, le point est mis. 7,fol. 41v, facite. 7, fol. 41v, eccla. 7,fol. 41v, am. Guillermum.

7. COPIES DE LA CHARTE DE NIQUINTA

277

50

essent diuisores eccl. eccl. vero Carcasensis elegit Guiraldum Mercerium et 51 Bernard. Catalanum, et Gregor. et Petrum Calidas manus, et Raimundum Pontium, et Bertrandum de Molino, et Martinum de Ipsa Sala, et 52 Raimundum 1 fol. 39 1 Guibertum ut essent diuisores eccl. quod 53 isti 55 56 54 congregati et bene consiliati dix er. quod eccl. tolosanae, et eccl. 57 58 Carcasensis sint diuisas propter episcopatos quod sic. episcopatum 60 59 Tolosae diuiditur cum archiepiscopato Narbon. in duobus locis, et cum episcopato Carcasensis à Sancto Poncio sicut61 montana pergit inter Castr. 62 Cabaretii et Castr. Altipulh et usq. 63 ad diuisionem Castri Saxiaci et Castri Verduni et pergit inter Montem Regalem et Fanum Jouem quod64 sicut65 alii 66 episcopati diuiduntur ab exitu Redensis usque ad Leridam sicut67 pergit apud Tolosam. Ita eccl. Tolos. 68 hab. 69 in sua potestate et in suo 70 71 gubernamento; similiter et eccl. Carcasensis sicut diuiditur et terminatur 72 habeat in sua potestate et in suo gubernamento omnem episcopatum73 74 Carcasens. et archiepiscop. Narbonens. et aliam terram sic. diuisum e75 • 76 et dictum usque ad Leridam sicut vergit apud mare. Quod 77 ita ecce 8 sunt diuisas 79 sic. 80 dictum est ut habeant pacem et concordiam adinuicem et iura 50 7, fol. 40, eccles (tilde courbé) . Eccla (tilde plat); Éd. om. eccl. A noter que la lecture de 7 est la plus sensée : ... ut essent diuisores ecclesiarum . Ecclesia vero Carcassensis ... 51 7,fol. 40, Gregorium. 52 7, fol. 40, ecclar. 53 7, fol. 40, cf n.8. Éd. : « q. ». 54 7, fol. 40, dixerunt. 55 7Jol. 40, abrégé qd. 56 7, fol. 40, eccl.. 57 7,fol. 40, cf n.8. 58 7Jol. 40, sicut. 59 7,fol. 40, Tolose. 60 7,fol. 40, Narbone. 61 7Jol. 40, sic avec tilde. 62 7, fol. 40, castrum. 63 7Jol. 40, usque. 64 7, fol. 40, autre abréviation du quod : q avec une barre oblique croisant la hampe. 65 7,fol. 40, sic avec tilde. 66 7, fol. 40, episcopati en toutes lettres. 67 7Jol. 4 0, sic avec tilde. 68 7,fol. 40, eccl. tolosana. 69 7,fol. 40, habet. 70 7, fol. 40, un point au lieu du point-virgule. 71 7, fol. 40, Eccla. 72 7,fol. 40, habet. 73 7, fol. 40, episopatum en toutes lettres. 74 7, fol. 40, archiepisopatum Narbonensis en toutes lettres. 75 275, tilde sur« e ». 76 7, fol. 40, le point est mis. 77 7,fol. 40, cf n.8. 78 7,fol. 40, eccl.. 79 7, fol. 40v, diuisae plutôt que diuisas ?

278

ANNEXES 82

ad altera 81 non faciat aliquid ad suam contradicionem. Hui us s. testes rei et defensores Bernard. Raimund. et Guill. Garsias, et Ermengaudus de Forest et Raimundus de Bauniaco et Guilabertus de Bono Vilario, et B. Guillermi 83 Contor, et B. Guill. Bone Ville, et Bertrand de Auinone; et eccl. Carcasensis Guirald. Mercerii, et B. Catalani, et Gregor et Petr. Calidas 84 85 Manus, et Raim. Poncii, et B. de Mo lino, et Martinus de Ipsa Sala et 86 87 88 Raimundus Guiberti; quod omnes 1st1 mandauerunt et dix. Ermengaudo de Forest ut faceret dictatum et cartam Tolosane eccl. simil. et 89 Petro Bernardo mandauerunt et dixerunt ut faceret dictatum et cartam eccl. Carcasensis, et ita fu. fact. et impletum. Hoc translatum fecit translatare Dus Petrus Isarn. de antiqua carta in potestate supra dictorum facta q. eccl. sic. superius scriptum est diuiserunt. Feria IL in 90 91 mense Augusti, Xliii die in introitu mensis, Anno M. CCXXXIII. ab 92 incarnatione Domini. Petrus Pollanus translatauit hac omnia rogatus ac mandatus.

80

7, fol. 40v, sicurn. 7, fol. 40v, alra. 7, fol. 40v, le point est mis. 83 7,fol. 40v, quod (type décrit n.8.) au lieu de et. 84 7, fol. 40v, Rairnondus 85 7,fol. 40v, Bertrand. 86 7,fol. 40v, Rayrnundus. 87 7,fol. 40v, cf n.8. 88 7,fol. 40v, dixerunt. 89 7, fol. 40v, facerent. 90 275 et de même 7,fol. 40v: entre anno et M.CC ... s'intercalent deux lettres assez raturées pour être illisibles. 91 7,fol. 40v, MCCXXIII. 92 7,fol. 4 Ov, has ou hac ? 81

82

8. DISSERTATION: TABLE

279

ANNEXE 8. TABLE DE LA DISSERTATION DE G. BESSE SUR LA DIFFÉRENCE DES HÉRÉTIQUES SURNOMMÉS D'ALBIGEOIS

N.B.

L'orthographe de Besse est respectée dans les titres des chapitres et des preuves comme échantillon de sa manière d'écrire. Les mots soulignés par Besse sont en italiques. Pour l'intelligence des «Preuves », sont transcrits le début et la fin des citations, certains passages, ou la citation entière si elle tient en une proposition. M. Zerner {Coll. Baluze 275, Fol. 1} DISSERTATION SUR LA DIFFERENCE DES HERETIQUES generalement appelés ALBIGEOIS, divisés en quatre branches avec un discours sommaire de tout ce qui a este faict pour 1' extirpation de ces heretiques [Fol. 1]. L'estat déplorable du Languedoc, au temps des Albigeois. Chap. 1. [Fol. 2vj Les Albigeois sont ces heretiques du haut Languedoc contre lesquels les croisades ont été preschees, et les inquisitions establies à Tolose et à Carcassonne. Chap. II. [Fol. 3] De l'origine du nom d'Albigeois, des autheurs de leurs sectes et du conciliabule 1 qu'ils tinrent à S. Félix de Caramaniy en Languedoc. Chap. III. [Fol. 4v] Des diuers noms que les heretiques d'Albigeois ont portés. Chap. IV. [Fol. 6v] De la creance en general des heretiques d'Albigeois. Chap. V. [Fol. 8v] Quels estaient les Vaudois selon un historien de la Religion prétendue réformée ; de la naissance de leur heresie. Et en quoy ils ont este conformes aux Albigeois. Chap. VI. [Fol. Jlv] De la raison pourquoy les Albigeois ont este appelés Arriens et Manicheens. Chap. VII. [Fol. 13v] Quels estaient les heretiques surnommés Bonshommes, et de leurs opinions. Chap. VIII.

1 « des auteurs de leurs sectes et du conciliabule » : correction en surcharge sur « et du conciliabule».

280

ANNEXES

[Fol. 15v}. De la différence qu'il y auoit entre les Vaudois et les Bonshommes. Chap. IX. [Fol. 16r] Confirmation de ce que dessus, avec l'autorité du P. Reynerius, qui auoit este luy mesme euesque parmi les heretiques. Chap. IX. 1 [Fol. 17v] Des papes et euesques des Albigeois en Languedoc 2 • Chap. X. [Fol. 18v} Coniectures touchant l'origine du nom Chap. Xl.

de Bonshommes.

[Fol. 19v} De la conversion de Durand de Osca, euesque des heretiques Bonshommes. Chap. XII. [Fol. 2lv] De la maniere d'estre rescus en la secte des Bonshommes sortant de l'Eglise Romaine. Chap. XIII. [Fol. 22v] L'ordre de receumr tels heretiques dans l'Eglise en leur conversion. Chap. XIV. [Fol. 24v] De l'establissement de l'Inquisition Chap. XV.

contre les Albigeois.

[Fol. 26v-30} Conclusion de cette dissertation des Albigeois contenant la refutation de ce que dit Perrin, historien huguenot, sur la dispute faicte à Montréal l'an 1206. {Fol. 3lr} PREUVES DE LA DISSERTATION des hérétiques surnommés D'ALBIGEOIS [Fol. 31 r] Du concile tenu par le pape Calixte II a Tolose 1'an 1119. [barré] [Fol. 3lr] D'un livre escrit à la main, intitulé de temporibus et annis generalium et particularium conciliornm, composé par frère Bernard Guidonis de !ordres des freres prescheurs; dans M. Catel et ses comtes de Tolose, page 178. 3 [Fol. 32 à 34, pages

blanche~]

[Fol. 35] Du concile de Tours tenu par le pape Alexandre III l'an 1163. [page blanche]

1

«IX»: sic. «Languedoc» : correction en surcharge sur« Midi». 1 G. CATEL, Histoire des Comtes de Tolose, Toulouse, 1623, p. 178 : «ce fut le premier de son pontificat que le pape Calixte vint à Tolose & y tint vn concile, duquel nous trouuons l'abbrégé dans frère Bernard Guidonis, dans vn petit livre que i'ay de lui escrit à la main, intitulé De tempo ris et annis generalium et particularium Conciliorum ». 2

8. DISSERTATION: TABLE

281

[Fol. 36] De l'histoire d'Angleterre de Roger de Hoveden, 2. partie. [page blanche] [Fol. 37} Des epistres de s. Bernard ep. 240. 241. et in cant. serrn. 66. [page blanche] [Fol. 38r] Des lettres d'Alphonse Roy d'Arragon, estant dans la preface de Jean Mariana jesuiste sur les trois livres de Lucas Tudensis aduersus Albigenses dans la Biblioteque des Peres, tome 4. 2. part. 1 [Fol. 38r-39v] Charte de l'antipape Niquinta, et de l'ordination des euesques de sa secte ; amoy communiquée par feu M. Caseneuue prebendier de st Etienne de Tolose. [Fol. 39v-40r] De la chronique de Guillaume de Puylaurens, de l'edition de M. Catel coner au Parlement de Tolose 2 . De castro Vauri dudum ante adventum signatorum ... Cap. XII. [où G. de Puylaurens rapporte qu'autrefois il avait entendu appeler Bernard Raymond, chanoine de l'église, l'arrien} De altercatione episcopi Albiens. habita cum heresiarcha. Cap. IV. [extrait] Cap. VIII. [Sur la dispute de Pamiers : extrait]. [Fol. 40v] De l'histoire des Albigeois, par Pierre moine de Valsemay, de l'édition de M. Duchesne, dans le V. tome des historiens françois. 3 Cap. VI [4 lignes sur Bernard de Cimorre]. Obsidio Minerbae, Cap. XXXVII [4 lignes}.

f Fol. 4lrj Des annales d'Angleterre de Mathieu Paris, ad ann. M. CC. XXIII. Circa dies istos, heretici albigenses constituerunt sibi antipapam m finibus Bulgarorum, Croatie [... ] et ecclesias perfide ordinare contendit. [Fol. 41v} De l'histoire ecclesiastique, par M. de Sponde euesque de Pamiers, ad ann. 1222. 4 [page blanche]

1 Bibliothecae Patrum et veterum auctorum ecclesiasticorum, tomus quartus, quo multipliees tractatus contra haereses varias continentur, par M. de LA BIGNE, pars II, Paris, 1624, « Ioannis

Marianae praefatio in Lucam Tudensem »,col. 582-3. 2 G. CATEL, Histoire des Comtes de Tolose, p. 49-107, Chronicon Magistri Guillelmi de Podio

Laurentii. 3

Fr. Du CHESNE, HistoriaP Francorum Scriptores, t. V, Paris, 1649, p. 554-665: Historia Albigensium de Pierre des Vaux-de-Cernay (d'après l'éd. de N. Camuzat). Ce tome comporte un appendice sur les écrivains de l'histoire des Albigeois (Appendix ... continens Rerum Albigensium Scriptores), où Du Chesne réédite entre autres toutes les chroniques éditées par Catel dans l'Histoire des Comtes de Toulouse : le Chronicon de Guillaume de Puylaurens (cf. supra n. 6), les Praeclara Francorumfacinora (cf. infra n. 14). 4 H. SPONDANUS, Annales ecclesiastici ex XII tamis Caesar i Baronii, Paris, 1613.

282

ANNEXES

[Fol. 42-43r] Du [sic] prolegomena in scriptores contra sectam Waldensium, dans la bibliothèque des Pères, tome 4. part. 2. 1 De pemiciosa secta huius faeconditate. Cap. 1. Idem licuit Albigensibus quod Waldo. idem patarani [ ... ] damnata perversitate2 • De W aldensibus, pauperibus de Lugduno de W aldensibus, Pauperibus de Lugduno, Leonistis, Gazaris et Catharis. Cap. II. [4 lignes] De Patarinis. Cap. 111. Patareni seu paterini [... ] leonistae 3 . [JO lignes] De aliis Waldensium sectarum nominibus, de quibus mentio in Constitutione Fredericii Imperatoris. Cap. IV. In constitutione Frederici [ ... ] totque seditiones pacim concitatas meritissimo subiit4 • [27 lignes] [Fol. 43v-46r] De l'histoire des Albigeois par Pierre moine de Valsemay, dans le tome V. des historiens français, publiés par M. Duchesne. Prefatio. De legatione fratris Petri de Castronouo ... cap. 1. [extrait] De diuersis sectis. cap. II. [Fol. 43v-45v, le chap. est intégralement copié] Cap. III. [Fol. 45v-46, extrait} Descriptio vitae corruptae atque morum comitis Tolosani... cap. IV. [extrait] De colloquio A Pamiers etc. Cap. VI [extrait de trois lignes] [Fol. 46v-47r] De la chronique de Guillaume de Puylaurens de 1'edition de M. Catel conseiller au parlement de Toulouse. Prologue. Erant quidam Arriani [ ... ] diaboli pertransibant. Cap. III [bref extrait, fol. 47] Cap. VII. Terramque extra repleuerant Arriani, Manichei, heretici, et valdenses. [seul extrait cité] Cap. XV. Guillelme de Solerio qui fuerat hereticus vestitus. [seul extrait cité] [Fol. 47r] De l'epistre escrite par les euesques du concile de Lauaur au pape Innocent III estant dans le tome des escriuains de M. Duchesne. Ep. 35. 5 In castro suo, quo Casses appellatur [ ... ] multitudinem copiosam. Haereticos et rotarios. [Fol. 47v] De la Cronique intitulée Praeclara francorum facinora 1•

1

Bibliothecae Patrum et veterum auctorum ecclesiasticorum, tom us quartus ... pars II, d'après « Prolegomena in scriptores contra sectam waldensium »,col. 722-742 (9 chap.). Ibid., col. 722 (extraits). 3 Ibid., col. 725-726 (extraits). 4 Ibid., col. 726-727 (extraits). 5 Fr. Du CHESNE, Historiae Francorum Scriptores .. . , p. 738-739 (35'm' lettre éditée dans le vol.). J. ÜRETSER, 2

8. DISSERTATION: TABLE

283

Hereticos albigenses, et tolosanos et carcassonenses . [Fol. 47v] Des articles de paix entre le roi st Louis et le comte de Tolose, dans le susd. tome V des escriuains françois de M. Duchesne. Haeretici, credentibus, fautoribus 2 ••• [Fol. 47v] Des lois et coustumes donnees par le comte Simon de Montfort aux peuples d'Albi, Besiers, Carcassonne, Razès, et autres, estant dans le Registrum Curiae Franciae. Nullus hereticus vestitus et reconciliatus ... [Fol. 48r-49r} Index capitum Lucae Tudensis episcopi adversus Albigensium errores apud Biblioteca Patrum, tome 4, part. 2. 3 [Fol. 49v-58v] Du Traité de Reinerius de l'ordre des Ff. Praedicatorum contre les Vaudois, publié par le père Jacques Gretser jésuiste, estant dans la Bibliotèque des Pères, tome 4. part. 2. 4 [Fol. 49v-52v] De sectae modernorum hereticorum. Cap. V. 5 Nota quod secta Pauperum de Lugduno .... [Fol. 53-58] De norninibus sectarum. Caput VI. Runcarii in magna parte concordant cum paterinis [ ... ] item joscpistae contrahunt matrimonium spirituale, et praeter coitum omnes delectationes exercent6 . [Fol. 59r] Du livre de Piliis Dorffius contra Waldenses dans la Bibliothèque des Pères, tome 4. part. 2. De sepultura in cemeteriae, Cap. XXII. 7 Item dicunt haeretici waldenses ... [deux lignes} [Fol. 59v-60r] De l'histoire des Albigeois par Pierre moine de Valsernay. Cap. III. [dispute de Montréal] Cap. VIL [miracle du papier dans le feu} [Fol. 60r-v] De la Chronique de Guillaume de Puylaurens. Cap. IX. [dispute de Montréal]

1 Praeclara Francorum facinora seu Chronicon ab anno Domini MCCII ad annum cuiusdem Domini MCCCXI incerta autore, cf. 1'" éd. par G. CA TEL, Histoire des Comtes de Tolose, p. 111-155 (ou, selon Cate1, chronique de Simon de Montfort dont l'auteur pourrait être Pierre de Lodève), et. Fr. Du CHESNE, Historiae Francorum Scriptores, t. V, p. 764-792. 2 Fr. Du CHESNE édite tout le traité de Paris. 3 Bibliothecae Patrum ... t. 4, « Lucae Tudensis Episcopi adversus Albigensium errores lib. III. ex editione Ingolstadana a. 1612. lac. Gretseri Societ. Ièsu Theologi ». Index, col. 591-594 (copié intégralement). 4 Ibid., « Reineri ordinis Praedicatorum liber contra Waldenses ex editione Ingolstadana eiusdem. Jacobi Gretseri » 1612, col. 746-775, (Summa de RAYNIER SACCONI). 5 Ibid., chap. 5, col. 749-752. 6 Ibid., chap. 6, col. 753-765 (à première vue copié intégralement). 7 Ibid., « Petri Pilichdorf. .. liber contra sectam Waldensium », chap. 22, col. 790-792.

284

ANNEXES

[Fol. 61-62r] Dispositif de la sentence de condamnation contre un prestre condamné comme Vaudois et relaps : extrait du franc aleu du s. Galand, pag. 347. In Deo nomine Joan. episcopus, commissarius et delegatus praedictus, Christi nomine inuocato, et habentes prae ocules solim Deum [ ... ] de te coram nabis in vestib sacerdotalib. constituto, procedimus in hune modum. Calix et patena ... Stola sacerdotalis ... Dalmatica ... Liber euangeliorum ... Stola diaconalis .. . Calix ... , Patena ... , Ureolus ... , Aqua ... , Manilo ... , Manutergium ... Tunica subdiaconalis ... Manipulus ... Liber epistolarum ... Cero feragium ... Ureolus ... Liber exorcismorum ... Liber quo eius fuit lector ... Claues ... Habitus ecclesiasticalis .. . [Fol. 62} Rasio capiti .. . Post haec, radatur sibi caput, antequam ipsum recipiat curia secularii. In quorum omnium praemissorum, et testimonium, et memoriam futuram, de praedictis omnib. iussimus per bertrandum Piserium capellanum nostrum, et auctoritate apostolica notarium publicum, fieri publicum instrumentum et ipsum sigilli nostri appositione muniri. L'auteur du quel ceste sentence de degradation, a este tenu d'un livre d'ancienne escriture, contenant diuerses poursuites faictes durant les inquisitions de la foy, en la province de Languedoc, sous la fin du regne du roy Philippe le bel; et que celle cy est de l'annee 1319 mais il la produit sans aucune datte 1• [Fol. 63-66, pages blanches}

1

Souligné par Besse.

9. DISSERTATION: EXTRAITS

285

ANNEXE 9. EXTRAITS DE LA DISSERTATION SUR LA DIFFÉRENCE DES HÉRÉTIQUES SURNOMMÉS D'ALBIGEOIS

N.B.

Ces extraits sont destinés avant tout à faciliter l'intelligence de la « Dissertation » et ne prétendent pas au statut d'une édition définitive. Ils sont édités avec l'orthographe d'aujourd'hui. Besse a l'habitude de souligner les mots latins, comme il est de règle pour indiquer à l'imprimeur que les lettres doivent être en italiques, et quelques autres : les mots soulignés par Besse sont en italiques ci-dessous. Monique Zerner L'état déplorable du Languedoc, au temps des Albigeois. Chap. 1. [Coll. Baluze 275, fol. 1, Incipit] Pendant que les princes et seigneurs français, après avoir méprisé les périls des mers épuisaient encore jusqu'à la dernière goutte de leur sang pour ôter la Terre sainte des mains des infidèles 1, en un mot pendant que les Français poussés de zèle et de piété travaillaient jour et nuit en Orient à rebâtir les églises et relever les autels que les ennemis de la foi y avaient abattus, 1'ennemi du genre humain, pour s'opposer au progrès des armées victorieuses des chrétiens, suscita en Occident et dans les quartiers de Provence et Languedoc 2 des hommes assez méchants et impies pour oser condamner publiquement tous les sacrements de l'Église ... Les Albigeois sont ces hérétiques du haut Languedoc contre lesquels les croisades ont été prêchées, et les inquisitions établies à Toulouse et à Carcassonne. Chap. IP [Fol. 2vj Les Albigeois sont ces hérétiques du douzième et treizième siècle, qui furent condamnés au concile d'Albi tenu l'an 1176, contre qui les croisades ont été prêchées et les inquisitions établies à Toulouse et Carcassonne, sous le pontificat d'Innocent III et sous le règne du roi Philippe Auguste ; et qui ont eu pour protecteurs et défenseurs de leurs erreurs, les comtes de Toulouse, de Foix, de Béarn et de Comminges, le vicomte de Carcassonne et Béziers, et plusieurs autres grands seigneurs du Languedoc et de Gascogne, contre lesquels il a fallu soutenir une cruelle guerre pendant huit ans ou plus. Ce sont ces hérétiques qui osèrent entreprendre de tenir des Conciles, créer des papes et ordonner des évêques de leur secte, et pour semer leurs erreurs partout envoyer des légats et des émissaires, non seulement dans 1

2

3

Besse écrit « Indiffeles » au lieu de « infidèles», seule faute de ce type rencontrée. Besse a d'abord écrit, puis barré,« Toulouse et Albi». Le chapitre II ci-dessous, 1'un des plus courts, est cité en entier.

286

ANNEXES

toutes les provinces de France, mais même dans 1'Angleterre, dans 1'Espagne, dans 1'Italie, dans 1'Allemagne, et enfin dans la Hongrie, la Bulgarie, la Croatie, la Dalmatie, Constantinople et autres lieux éloignés. En un mot les Albigeois sont ces hérétiques du Languedoc qui ont été si différents entre eux en opinions, que sous le nom général d'Albigeois ont été compris tous ceux qui ont été appelés Petrobrusiens, Henriciens, Arriens, Manichéens, Vaudois, Cathares, Bonshommes et infinis autres noms comme nous le verrons dans la suite ; et particulièrement nous verrons que les Albigeois en Languedoc ont été divisés en quatre branches, Arriens, Manichéens, Vaudois, et Bonshommes, quoique presque tous nos historiens aient confondu ces deux derniers ensemble. De 1'origine du nom d'Albigeois, des auteurs de leurs sectes et du conciliabule qu'ils tinrent à S. Félix de Caraman en Languedoc. Chap. III. [Fol. 4r-v] .. . Ces nouveaux et ramassés hérétiques prenant avantage du schisme qui était dans 1'Église du temps du pape Alexandre III qui a tenu le siège depuis l'an 1159 jusqu'en 81 contre lequel furent créés les Antipapes Victor IV puis Pascal III, Calixte III et Innocent III qui renonça à la papauté ; tous les hérétiques (dis-je) qui durant ce temps-là se trouvèrent en Languedoc s'étant unis ensemble créèrent un Antipape de leur secte appelé Niquinta, lequel suivant la charte produite à la fin de ce traité, assembla un conciliabule au château de S. Félix de Caramanni en Lauraguais, diocèse de Toulouse, au mois de mai de l'année 1167. En ce conciliabule cet Antipape fut assisté de plusieurs évêques de sa secte, savoir Robert d'Espemon évêque de l'église de France, francigenarum, Sicard Cellerier évêque de 1'église d'Alibi, et quelques 1 autres, avec grande multitude d'hommes et de femmes; et pour · lors, il fut procédé à l'élection de quelques autres évêques; Bernard Raymond fut élu évêque de Toulouse, Giraud Mercier de Carcassonne, et Raymond de Casalis du pays d'Aran ; ensuite de quoi 1'Antipape Niquinta confirma leur élection, et l'acte dit en termes exprès qu'un chacun reçut de sa main consolamentum et ordinem episcopi. L'Histoire ne fait pas mention ni de cet Antipape Niquinta, ni de ces autres évêques, hormis 2 seulement Sicard Cellerier duquel Guillaume de Puylaurens parle avec des termes exprès qui témoignent que c'était un très méchant homme. Celui-ci se fortifia dans le château de Lombers en Albigeois, et avec les gens de guerre qu'il tenait en garnison, il se rendit si redoutable qu'il devint comme le chef et le capitaine de tous les hérétiques : de sorte que ceux qui se rangèrent sous sa bannière, et dont la plus grande partie était manichéens et arriens, furent généralement appelés les hérétiques

1 2

«quelques» : correction en surcharge sur «plusieurs». « hormis » : correction en en surchage sur « elle parle ».

9. DISSERTATION: EXTRAITS

287

d'Albigeois ; à mon avis, peut-être, pour ne pas savoir quel nom leur donner. Or il court des actes du concile d'Albi qui fut tenu contre eux en l'année 117 6, que soit par ironie ou autrement, ces hérétiques d'Albigeois furent appelés Bonshommes, et qu'ils publiaient hautement qu'ils professaient la Religion en sa pureté, et pour cette raison se nommaient eux-mêmes Cathares, mot qui signifiait les purs ; titre qu'autrefois les Novatiens ont voulu prendre ; et ils sont autrement appelés Puritains, par quelques écrivains du temps. Si bien que tout considéré, je crois que ce fut au pays d'Albigeois, par le moyen de Sicard Cellerier, que prit son commencement cette secte des Bonshommes ou Cathares du Languedoc ; ce que nous examinerons plus bas. Des divers noms que les hérétiques d'Albigeois ont portés. Chap. IV. [Fol. 6} ... On appelait aussi les hérétiques d'Albigeois d'un nom général Bulgares et vulgairement Bougres, soit qu'ils fussent entâchés du crime qui nous est signifié par ce terme, ou plutôt à cause qu'ils professaient le manichéisme et l'avaient appris des peuples de Bulgarie proche de Constantinople, lors que les Français eurent de la communication avec eux, depuis la conquête de Jérusalem ... De la raison pourquoi les Albigeois ont été appelés Arriens et Manicheens. Chap. VII. [Fol. 12v-13] ... Les vaudois s'étant joints aux henriciens, ils tinrent ensemble le 1 conciliabule de Saint-Félix en Lauragais composé d'une grande multitude de peuples de ces deux sectes, de l'un et de l'autre sexe; et comme la plupart de ceux-ci admettaient ces trois degrés, d'évêque, de prêtre, et de diacre, ils créèrent un antipape et des évêques, et demeurèrent d'accord de tous les points de la croyance des petrobrusiens, et furent seulement en dispute de ceux des arriens et manichéens pour ce qui concernait le créateur du ciel et de la terre, l'humanité de Jésus-Christ et la négation du vieux testament. Il n'est point à la vérité ni d'historien ni de journal aucun qui dise ceci; mais s'il m'est permis de chercher des lumières dans une obscurité si grande, je puis l'assurer avec l'autorité de Guillaume de Puylaurens, qui nous apprend que les vaudois furent toujours en controverse avec les arriens et les manichéens. Et c'est en ce sens qu'il faut croire que les vaudois voyant les peuples se ranger en foule à leur secte parce qu'elle tenait plus de la doctrine des apôtres que celle des autres, ils furent obligés de la maintenir par des disputes publiques ...

1

«ensemble le» : correction en surcharge sur« un».

288

ANNEXES

Quels étaient les hérétiques surnommés Bonshommes, et de leurs opinions. Chap. VIII. [Fol. 13] Et pour venir maintenant au point principal de cette dissertation, il faut observer que de la contrariété d'opinions qui était entre les hérétiques surnommés Arriens et Manichéens et les Vaudois, il advint dans le conciliabule de Saint-Félix en Lauragais qu'il se forma un quatrième parti, qui était encore au temps du moine de Valsemay reconnu sous le nom de Bons Hommes et sont autrement appelés cathares ... Des papes et évêques des Albigeois en Languedoc 1 • Chap. X. Fol. l?v-18} Mais afm de ne rien omettre pour ce qui regarde nos bonshommes ou cathares du Languedoc, la curiosité ne sera pas impatiente de remarquer d'ailleurs, que ceux-ci ayant toujours admis les degrés de pape, d'évêque, de diacre et autres, il est aisé d'inférer de là que le premier pape de cette secte fut Niquinta, lequel fonda les églises de France, d'Albi, de Carcassonne, de Toulouse, d'Aran, de Lombardie, de Rome, de Drogometiae, de Melenguiae, de Bulgarie et de Dalmatie, et y créa et ordonna des évêques. Après quoi, nous trouvons que les hérétiques du Languedoc avaient plusieurs évêques, soit avant, soit durant les guerres de la croisade ; et de fait parmi les cent quarante hérétiques qui furent brûlés tout vifs au siège de Minerve entre Carcassonne et Narbonne, l'an 1211, il y avait beaucoup de parfaits, qui est le même qu'évêques, et depuis encore, M. de Sponde, en sa continuation de l'histoire ecclésiastique 2 , remarque qu'en l'année 1222 ou 23, les hérétiques du Languedoc ayant dans leur parti plusieurs évêques, c'est à dire des évêques de leur secte, ils eurent une seconde fois l'impudence de créer un pape de leur créance, et celui-ci de faire pour son légat en France un certain Barthélémy natif de Carcassonne qu'il avait aussi créé évêque : ce Barthélémy se nommait dans ses titres servus servorum sanctaefidei comme porte la lettre que l'évêque de Porto légat du pape contre ce Barthélémy en Bulgarie, Croatie et Dalmatie en écrivit à 1'évêque de Rouen et ses suffragants produite aux preuves, tirée des annales d'Angleterre de Matthieu Paris. Elle nous apprend que celui-ci se vantait d'avoir le pouvoir de créer des évêques, et qu'étant passé en Bulgarie, Croatie, Dalmatie et Hongrie, il y fonda des églises, et y créa des évêques, et ayant même établi son siège en la ville de Polios ou Porles, il prit la qualité de Pape des Albigeois ... 3 «Languedoc» : correction en surcharge sur« Midi». Annales ecclesiastici ex XII tamis Caesar i Baronii, Paris, 1613 (cf. annexe 8, « Table des chapitres et des preuves de la Dissertation sur la différence des hérétiques», au fol. 41 v). 3 Cf. annexe 4, Histoire des ducs de Narbonne, p. 325 : « ... Ils furent imités par leurs descendants en l'an 1223 lesquels créèrent de nouveau un Antipape, & celui-ci fit pour son légat en France un nommé Barthelemy de Carcassonne, qui s'appelait dans ses titres Seruus 1

2

9. DISSERTATION: EXTRAITS

289

Conclusion de cette dissertation des Albigeois contenant la refutation de ce que dit Perrin, historien huguenot, sur la dispute faite à Montréal l'an 1206. [Fol. 2 lv} ... Voilà quelle a été cette hérésie des Albigeois, et ce qui a été fait pour leur extirpation ; elle prit ses commencements dès le douzième siècle et quoique la guerre qu'on lui a faite en Languedoc ait duré depuis 1209 jusqu'à 1240 si est-ce pourtant que cette hérésie a été entièrement éteinte dans cette province que sous le règne de Philippe le Bel, c'est à dire dans le commencement du quatorzième siècle. Nous verrons ceci dans le traité particulier de la justice de 1' inquisition contre les Albigeois que j'ai dessein d'en donner; et par avance, j'avertis le lecteur que j'ai dit beaucoup de particularités des guerres contre les Albigeois dans mon histoire des Ducs, Marquis et Comtes de Narbonne, où il pourra s'en instruire. Que si j'ai rien à ajouter à cette dissertation, c'est seulement que quoique puissent dire Chassagnon et Perrin dans leur histoire des Albigeois ... 1

[Fol. 30] ... Depuis ce temps nos rois ont fait la distinction du Royaume de France en deux langues, Langue d'ouy et Langue d'oc, comme j'ai remarqué en mon Histoire des Ducs, Marquis et Comtes de Narbonne; et quoique le Languedoc comprit alors tout le pays outre la Loire, si est pourtant qu'à cause que la province de Narbonne fut établie le chef de la Langue d'oc par l'établissement du Parlement de Toulouse pour tous les peuples qui avaient l'idiome semblable, de là est venu que le nom de Languedoc lui est demeuré. Il est donc vrai de dire que le nom de Languedoc prit ses commencements avec le temps des guerres des Albigeois : car comme les sont celles que les originaires habitants de la province conservèrent, les autres aussi sont celles qui furent confisquées aux hérétiques, et données par le comte de Montfort, ou par le roi de France, aux Français, sous cette servitude des us et coutumes de la vicomté de Paris, ainsi que j'ai remarqué en mon histoire des Ducs de Narbonne. [explicit}

seruorum Sanctae Fidei, & depuis étant passé en Bulgarie, Croatie, Dalmatie & Hongrie, il y ordonna des évêques, & y établit des Églises de sa secte, suivant Matthieu Paris, & plusieurs autres». 1 J.-P. PERRIN, Histoire des Chrestiens Albigeois ... , Genève, 1618, p. 8. Voir ci-dessous, « 5. La controverse de Montréal».

290

ANNEXES

ANNEXE 10. LA CONTROVERSE, OU DISPUTAT/0, DE MONTRÉAL

N.B.

Le dossier de la controverse de Montréal (disputatio au sens de l'exercice scolaire pratiqué alors) se compose des deux seules sources du XI!f siècle qui l'évoquent, citées in extenso, du chapitre que Jean-Paul Perrin lui consacre dans son histoire des vaudois et des albigeois, et des lignes où Guillaume Besse en traite dans sa conclusion. Les textes latins ont été retraduits le plus littéralement possible, le brefpassage de Pierre des Vauxde-Cernay à partir de l'édition de E. Guérin et P. Guébin, tome 1; le chapitre 9 de la Chronique de Guillaume de Puylaurens à partir de l'édition de Guillaume Catel dont se servait Besse. J'ai conservé la graphie latine des noms propres. Les textes en français de Besse et Perrin ont été transcrits en rétablissant l'orthographe moderne mais sans modification des anciennes tournures. Le but est de présenter un dossier d'accès facile qui permette d'apprécier à sa juste valeur le texte ancien exploité par Perrin et la critique apportée par Besse. Monique Zerner

GUILLAUME DE PUYLAURENS, Chronique, page 59 de l'édition de G. Catel, chapitre 9. « Ensuite, parmi les multiples disputes qui eurent lieu avec les hérétiques en divers endroits, l'une des plus solennelles eut lieu à Montréal où furent présents nos champions et le vénérable Pierre de Castello nova légat, son collègue Maître Radulfus, pour sa partie ainsi que plusieurs autres boni viri, et pour l'autre partie, l'hérésiarque Arnaldus Othonis 1, Guilhabertus de Castris, Benedictus de Termina, Poncius Iordani et beaucoup d'autres dont les noms ne sont pas écrits dans le livre de vie, l'an du Seigneur 1207. On disputa par le moyen d'écrits durant plusieurs jours devant des arbitres élus par les parties, à savoir, Bernardo de Villanoua et Bernardo de Arcens, chevaliers, et Bernardo Goti 2 et Arnaldo Riberiae·\ bourgeois, auxquels les parties remirent leurs écrits. Le fondement de la dispute fut pour la partie des hérétiques qu'Arnaldus Othonis accusa l'Église romaine défendue par l'évêque d'Osma4 d'être ni la sainte Église, ni l'épouse du Christ mais l'Église du diable et la doctrine des démons, et d'être la Babylone que Jean dans l'Apocalypse accuse en tant que «mère des fornications et des 1

2 3 4

Autre leçon: Otonis, cf. l'édition de J. DUVERNOY. Besse, Gothi; autre leçon: Raymundo Godi, cf. l'édition de J. Besse, Riberie. Latin, Oxomensis.

DUVERNOY.

JO. LA CONTROVERSE DE MONTRÉAL

291

abominations, ivre du sang des saints et des martyrs de Jésus-Christ», dont l'ordination n'est ni sainte ni bonne ni instituée par le Seigneur Jésus-Christ, disant que jamais le Christ ni les apôtres n'avaient ordonné ou installé l'ordre de la Messe comme elle est ordonnée aujourd'hui. Pour prouver le contraire, l'évêque se présenta avec les autorités du Nouveau Testament. Quelle douleur que parmi des chrétiens 1' état de 1'Église et de la foi catholique se fût avili au point d'être obligé de remettre au jugement de laïcs 1' examen de tant d'outrages. Les mêmes parties apportèrent donc les écrits aux laïcs susdits, qui reçurent d'elles l'autorité de juger, et ils refusèrent de délibérer et se séparèrent sans avoir achevé l'affaire. Pour moi, bien des années après, je demandai au seigneur Bernardum de Villanoua ce qu'on avait fait des écrits susdits, ou si la dispute avait été conclue. Il me répondit que rien n'avait été conclu, car les écrits furent perdus à l'arrivée des croisés, quand tous s'enfuirent de ce castrum et des autres. Il dit que cependant centcinquante hérétiques environ se convertirent à la foi après avoir compris ce qui avait été dit. Pour moi, je soupçonne que quelques-uns de ses collègues qui étaient favorables aux hérétiques les avaient supprimés ... »5

PIERRE DES V AUX-DE-CERNAY, Hystoria Albigensis, pages 28-29 de 1'édition de E. Guérin et P. Guébin, t. 1, Paris, 1926. « Un jour, tous les hérésiarques se réunirent en un certain castrum du diocèse de Carcassonne, appelé Montréal, pour disputer tous ensemble contre les hommes apostoliques si souvent nommés. À cette dispute se rendit frère P. de Castronovo qui, nous l'avons dit un peu plus haut, avait quitté ses compagnons à Béziers. On désigna des juges parmi les croyants des hérétiques. La dispute se prolongea quinze jours et les propositions furent mises par écrit et apportées aux juges pour qu'ils promulguent la sentence du jugement, mais ces juges eux-mêmes, voyant leurs hérétiques manifestement dépassés, ne voulurent pas donner de sentence: bien mieux, les écrits qu'ils avaient reçus des nôtres, ils refusèrent de les rendre dans la crainte d'une divulgation, mais les apportèrent aux hérétiques. »

JEAN-PAUL PERRIN, Histoire des Chrestiens Albigeois contenant les longues guerres, persécutions qu'ils ont souffert à cause de la doctrine de l'Évangile. Le tout fidèlement recueilli des historiens qui ont écrit, et des mémoires qui nous ont été fournies par personnes dignes de foi, habitées en la dite contrée et cottées en marge, Genève, 1618. Épître dédicatoire à

5

Latin : suppressissent; autre leçon aujourd'hui retenue, sumpsissent, cf. 1'édition de J. Duvernoy.

292

ANNEXES

François de Bonne, Duc, Pair et Maréchal de France, Lieutenant général pour sa majesté en Dauphiné ... , pages 7 à 11. En marge de la page 8 : «Cette dispute est la plus célèbre qui ayt esté entre les Albigeois & les Euesques & Prestres. Chassagnon6 en fait mention au 1. liu. de l'Histoire des Albig. p. 72. Item Jacques de Riberia en ses recueils de de la ville de Toulouse. Cette dispute rn' a esté enuoyee de 1'Albigeois par le Sieur Rafin Pasteur de l'Eglise de Realmont, en vieux mémorial, escrit à la main.» « ... Quand les Albigeois eurent recognu l'intention du Pape, qui estait de pretexter, que n'ayant tenu à lui que ceux qu'il iugeoit desuoyés ne reuinssent au giron de l'Eglise Romaine par la douceur des remonstrances, ils estimerent qu'il faloit soustenir leur croyance par telles conferences, ou qu'ils donneroyent subiet d'estimer qu'il y aurait en leur Religion de la faiblesse, s'il n'y auoit aucun Pasteur qui la voulust soustenir. Il fut donc conclud parmi les Albigeois de faire entendre aux Euesques, que leurs Pasteurs ou quelques vns d'eux pour le reste, estoyent prests de soustenir leur croyance par la parole de Dieu, pourueu que les conferences qui s'en feroyent fussent bien reglees. Sçavoir, qu'il y eust des Modérateurs qui fussent gens d'authorité d'vn parti & d'autre, qui eussent de quoy empescher tout tumulte & sédition. Item, pourueu que ce fut en lieu ou l' acces fust libre, & le lieu asseuré pour toues personnes qui assisteroyent en ladite conference. D'avantage, qu'on choisist quelque subiect par accord commun, duquel il ne fust permis sortir qu'il ne fust vidé. Et que celui qui ne pourrait soustenir par la parole de Dieu, fut reputé & tenu pour vaincu. Les Euesques & Moynes accepterent toutes les susdites conditions. Le lieu fut Montreal pres Carcassonne, le temps fut en l'annee mille deux cens six. Les arbitres accordés de part & d'autre, B. de Villeneusue 7 & B. Auxerre8 pour les Euesques : & pour les Albigeois R. de Bol & Antoyne Riuière 10 : Arnaud Hot 11 fut le Pasteur Albigeois accompagné de ceux qui furent estimés propres pour vne telle action : Arnaud arriva le premier au lieu & iour de l'assignation. Puis arriva l'Euesque Eusus 12 , & le Moyne

6

J. CHA~SANJON, Histoire des Albigeois touchant leur doctrine & religion, contre les faux bruits qui ont esté d'eux ... le tout recueilli fidèlement de deux vieux exemplaires écris à la main, 1'un en langage du Languedoc, l'autre en vieil François, par Jean Chassanion de Monistrol en Vellai, S. 1., 1595, épître dédicatoire à Catherine, Sœur unique du roi, Princesse de Navarre ... En occitan, sans doute un abrégé de la Chanson de la croisade albigeoise, car Chassanion écrit p. 13: «Leurs méchancetés ont esté si grandes, que l'autheur de l'histoire quoiqu'il fut catholique Romain, ne peust les dissimuler.». En français, l'Histoire de Pierre des Vaux-deCernay« diuulguuee par Arnaud Sorbin prêtre de Montech l'an 1569 ». 7 Cf ci-dessus, la Chronique de Guillaume de Puylaurens dans l'édition de Catel. 8 B. Auxerre à la place de Bernardo de Arcens dans la Chronique de Guillaume de Puylaurens. 9 R. de Bot à la place de Bernardo Goti, ibidem. 10 Antoyne Riuière à la place de Arnaldo Riberiae, ibidem. 11 Arnaud Hot à la place de Arnaldis Othonis, ibidem. 12 Eusus à laplace de Osma, ibidem.

10. LA CONTROVERSE DE MONTRÉAL

293

Dominique Espagnol, auec deux Legats du Pape, sçauoir est Pierre Chastef1 3 & Raoul de Just Abé de Candets, P. Bertrand Prieur d'Auteriue: Item le Prieur de Palats, & plusieurs autres Prestres et Moynes. Les Theses proposees de la part d'Arnaud furent : Que la Messe avec la Transsubstantiation estait de l'inuention des hommes, non de l'ordonnance de Christ, ni de ses Apostres. Que l'Église Romaine n'est point l'espouse de Christ, ains l'Eglise de troubles enyuree du sang des Martyrs. Que la Police de l'Église Romaine n'estait ni bonne ni saincte, m establie de Iesus Christ. Arnaud enuoya ses propositions à l'Euesque, lequel demanda quinzeine pour respondre 14 , ce qui lui fut accordée 15 • Au iour marqué l'Euesque ne faillit de paroistre avec vn grand escrit. Arnaud Hot demanda d'estre ouy de viue voix sur le champ, disant qu'il voulait respondre à tout ce qui estait contenu audit escrit, priant les auditeurs de ne s'ennuyer s'il estait long en respondant à un escrit prolixe. Il lui fut promis qu'il seroit entendu avec attention & patience sans qu'il fust interrompu. Il discourut à diuerses heures durant quatre iours, & auec telle admiration des assistans & adresse de sa part que tous ces 1'Euesques, Abés, Moynes et Prestres eussent bien désiré estre ailleurs. Car il desduisit sa réponse selon les points couchés audit escrit avec tel ordre & clarté qu'il fit cognoistre aux assistans que l'Euesque ayant beaucoup escrit, n'auoit pourtant rien conclud qui peust veritablement estre tiré à l'aduantage de l'Eglise Romaine contre ses propositions. En après Arnaud demanda que puis que les Euesques & lui estoyent obligés des le commencement de leur conference de prouuer leur dire par la seule parole de Dieu, il fust commandé aux Euesques & Prestres que la Messe telle qu'ils la chantoyent fust par eux authorisee, piece par piece, comme ayant esté ainsi instituee par le Fils de Dieu, & chantée de mesme par ses Apostres, commenceant depuis l'introït qu'ils appellent iusqu'à I'Ite Missa est: mais les les Euesques ne peurent vérifier qu'aucune desdites pieces eut esté ordonnée en telle action ni par Iesus Christ ni par ses Apostres. Ce fut là que les Euesques receurent de la honte, & du desplaisir. Car Arnaud les auoit reduits au seul Canon qu'ils pretendoyent la meilleure piece de leur Messe, auquel poinct il prouua que la saincte Cène du Seigneur n'estait point la Messe disant. Que si la Messe estait la sainte Cène instituée par le Seigneur, il y aurait apres la consecration tout ce qui a esté en la Cène du Seigneur, sçavoir du pain : Mais en vostre Messe il n'y a point de pain ;

13

Pierre Chastel : cf. Pierre de Castello nova, ibidem. Cf. Chassanion, p. 71 : « ... & dura la dispute l'espace de quinze jours.». 15 Noter l'absence de Guilhabert de Castres, Benoît de Termes et Pons Jordan cités dans la Chronique de Guillaume de Puylaurens.

14

294

ANNEXES

Car par la transsubstantiation le pain s'esuanouit. Donc (dit-il), la Messe sans pain n'est point la saincte Cene du Seigneur où il y a du pain. Iesus Christ a rompu du pain } Le Prestre romp le corps non le pain Sainct Paul a rompu le pain Donc le Prestre ne fait point ce que Iesus Christ a fait ni S. Paul. Sur ces Antitheses que voulut faire Arnaud de la saincte Cene de nostre Seigneur Iesus Christ auec la Messe pour prouuer qu'elle n'estait ni de Christ ni de ses Apostres ; les Moynes, Euesques, Legats et Prestres se retirerent sans en vouloir ouyr d'avantage, craignans qu'ils ne donnassent des impressions aux assistans qui es branlassent bien fort la croyance de la Messe. Le Moyne des vallees Semay a tasché de rendre cette action suspecte ; disant que lorsque les luges heretiques surmontés, voyans la mauuaistié de leur cause, & la misere de la dispute pour eux, ne voulurent point donner (dit-il) de iugement de ceste dispute, ni mesme rendre les escrits aux nostres, de peur (adiouste-il) qu'ils ne vinssent au jour, & rendirent aux heretiques les leurs. Mais comment deux Legats du Pape, des Euesques, Abés, Moynes & Prestres se seroyent-ils iettés en lieu où il y eust eu vne telle supercherie ? 16 Ce Moyne dit au mesme endroit que les principaux Heresiarques estoyent venus trouuer les Catholiques au Chasteau de Montréal pour disputer. Ils tenoyent donc le Chasteau, & pomiant il n'y auoit pas occasion de doubte ni de telle violence. En apres comment les Euesques auront ils requis que les moderateurs fissent iugement en vn point de dispute, ou ils tiennent qu'ils ne faut autre iugement que celui du Pape qui ne peut errer ? Dauantage, comment a sceu le Moyne que les Albigeois ont esté surmontés, s'il ne s'en est point donné de iugement ? Il se tint presques en mesme temps plusieurs autres disputes, comme à Sérignan, à Pannies : mais ce n' estoit que pour amuser les Albigeois. Car cependant que l'Euesque de Toulouze & l'Euesque d'Onezimonde 17 disputoyent à Pamies, & les deux Legats du Pape auec Arnaud à Montréal, B. De Villeneusue Arbitre et Moderateur pour les Euesques annoncea qu'il n'auoit 16 Cf. J.C!IASSANION, op. cil., p. 71-72: