Les méditations cartésiennes de Husserl
 9782711621422

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Les Méditations cartésiennes sont, en 1929, un texteévénement: fruit et trace des Conférences de Paris données par Husserl en Sorbonne les 23 et 25 février 1929, elles furent la première rencontre officielle de la Phénoménologie transcen­ dantale avec la pensée française. Traduites par Emmanuel Levinas et Gabrielle Peiffer (1931) elles sont le lieu de naissance de la pensée phénoménologique en France ; elles jouèrent le rôle décisif du texte de référence majeur, pour la première génération de phénoménologues français. Les Méditations sont en effet un texte fondateur : c’est là que, pour la première fois de manière publique et synthétique, Husserl déploie l’ensemble du programme de la phénoménologie transcendantale, étroitement rattaché à ses prémisses méthodiques les plus radicales. Cela fait d’elles, selon Husserl même, le texte de référence pour l’exacte compréhension de la phénoménologie transcendantale «mon œuvre maîtresse» écrit-il à Ingarden (mai 1929). Aujourd’hui, les Méditations apparaissent plus que jamais dans leur dense systématicité : trame conductrice inégalable pour exposer dans leuF^^ïi i < résn-7?srnTfi?\de la recherche husserlienne récente. [ ! Le lecteuf !r:Wî;ita^ k i. pui .iccon^-agner la lecture directe du texte husserlieh. .'hOc.-nui eptaiiô suivi. fûr et approfondi, de chacune des cinq »V. ifi iMt/is. Il est l’an-rd d’une nouvelle génération de spécialisé MM

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g .65-92. i 2. Husserl joue ici sur le lien et la proximité qui existent entre l'univers et le caractère universel des analyses qu'offre la phénoménologie transcendantale dans l’accomplissement ferme et constant de la réduction phénoménologique.

DEUXIÈME MÉDITATION rimée auparavant dans le § 18, selon laquelle l’objet, avec son identité,, n’entre pas de l’extérieur dans la conscience, mais qu’il est contenu en elle «comme sens (Sinn) », c’est-à-dire comme « effectuation intentionnelle de la synthèse de la conscience ». Cet objet intentionnel, le cogitatum en tant que cogitation. n’est jamais représenté comme quelque chose de définitivement donné, mais il ne peut être clarifié que grâce à l’explicitation des horizons, actuels et potentiels, mais toujours ouverts, qui relèvent, nous y insistons, de Vego transcendantal. L’intentionnalité d’horizon est un facteur essentiel dans la

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constitution du sens de l’objet intentionnel, car ce sens n’est jamais visé totalement, mais seulement de façon « implicite» - ce qui exige donc son explicitation dans d'autres expériences intentionnelles. Nous voyons ainsi en quoi le second moment du premier niveau de l’analyse phénoménologique dévoile les horizons de la temporalité et de la potentialité - dans leur enchevêtrement - comme les deux conditions transcendantales de la constitution de l’identité de l’objet.

II. La CRITIQUE DE L'ANALYSE intentionnelle LA « TYPIQUE » Husserl passe alors, dans les trois derniers paragraphes de la II‘méditation, au second niveau de la recherche phénoménologique -celui de la « critique » spécifique de l'expérience de soi de la vie intentionnelle. §20. La spécificitéde l'analyse intentionnelle

L’analyse intentionnelle - l’analyse de la conscience transcendantale ne doit pas être confondue avec l’analyse telle que Kant l'avait conçue dans son propre projet d’une philosophie transcendantale. Elle n’a rien d’une «décomposition» d'un tout en ses parties, procédé par excellence de la chimie, par exemple. Cela ressort déjà du fait que la vie conscientielle n’est pas une totalité de «données» de la conscience, qui renfermerait matériellement et spatialement ses éléments constitutifs. L'analyse de la conscience ne divise pas, ni ne sépare, ni ne décompose - elle dévoile (enthüllt) les potentialités impliquées dans les actualités, ce qui rend possible l’explicitation, la précision et la clarification du sens intentionnel de l’objet visé. Et ce qui est décisif, c’est que contrairement à l’analyse classique qui décompose un tout clairement délimité en un nombre fini d’éléments, l’objet visé excède la visée actuelle et ce, dans un horizon ouvert qui ne laisse pas anticiper-si ce n’est justement de façon conforme à cet horizon - ce que l'expérience est en droit de nous réserver. Si les éléments à analyser se distinguent, dans ces deux acceptions du terme d’« analyse », cela vaut davantage encore pour le procédé de l’ana­ lyse lui-même. (Husserl récapitule ici, encore une fois, l'essentiel des analyses accomplies dans les paragraphes précédents.) L’analyse inten­ tionnelle n’est pas, nous l’avons vu, une simple description parce que cela condamnerait la conscience à être «transparente», à rester «anonyme». Or, anonyme, elle l’est, mais non au sens où elle n’interviendrait pas ellemême dans la constitution du sens de l’objet; elle l'est au sens où elle n’est accessible que dans la «découverte» (Freilegung) dont il a déjà été

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question plus haut. Le phénoménologue ne se contente pas du simple constat de la corrélation noético-noématique, et n’affirme pas non plusencore moins - le «redoublement» de l’objet visé dans une structure conscientielle. Il pénètre, en la dévoilant, la vie intentionnelle anonyme. Comme nous l’avons déjà dit, cela exige - pour qu’il ne s’agisse pas d’une description située simplement à un autre niveau de l’analyse - des «réductions démantelantes» et des constructions phénoménologiques, permettant de reconstituer la genèse du sens - ce qui ne veut pas dire non plus qu’on retracerait seulement la chronologie des vécus constituants. Ce qui est enjeu, c’est l'explicitation de la nécess/réqui préside à cette genèse. Par exemple, l’analyse intentionnelle «explore» (erforscht), en se laissant guider par le fil conducteur d’un objet étendu perçu, les apparitions de cet objet étendu, avec tous les moments constitutifs, relevant d'abord de la sphère immanente (les «esquisses», etc.) et ensuite de la sphère pré­ immanente (la corporéité vivante primordiale, les kinesthèses, etc.) qui rendent cette apparition possible. Ou bien elle se sert de l'exemple d'un objet temporel (zeitliches Objekt) (tel morceau de mélodie), pour analyser les «objets-temps (Zeitobjekte)» constitutifs de ses caractères temporels (c’est-à-dire les « phénomènes ultimement constitutifs du temps » que sont par exemple les «phénomènes d’écoulement (Ablaufsphanoniene)» (dans la sphère immanente), ou les noyaux originaires, protentionnels et rétentionnels, du «procès originaire» (dans la sphère pré-immanente)). Les phénomènes de la sphère pré-immanente - de cette sphère où le regard réflexif du phénoménologue trouve les moments génétiques qui constituent le sens de ce qui apparaît dans la sphère immanente - ne sont pas simplement « là », à saisir tels quels; ils sont les potentialités nécessaires à la constitution de ce qui ne se donne dans une présentation concrète que de façon partielle. Ces potentialités peuvent revêtir des formes très diverses: elles peuvent être des horizons qui englobent tout ce qui est co-présent à une perception concrète; elles peuvent prédessiner ou anticiper des vécus seulement implicites; elles peuvent concerner des effectuations de sens du Moi, etc. En tant que telles, elles requièrent une approche méthodologique spécifique, qui est celle-là même, justement, de la phénoménologie transcendantale (avec ses réductions et constructions déjà évoquées). Nous voyons ainsi ce qui est nécessaire à la constitution de l’objet intentionnel dans la sphère immanente de la vie conscientielle - et ce, quel que soit l’objet considéré - selon toutes les modifications noétiques et noématiques de ce dernier. Même si l’analyse structurelle de ces dernières ne peut pas être fournie en des termes rigoureusement mathématiques (puisque la structure même de la vie intentionnelle le rend impossible), il existe cependant une

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régularité spécifique qui caractérise les synthèses de la conscience, pour autant qu'elles constituent - à la fois du côté de la noèsc et du côté du noèrne - l’unité du sens objectif. Husserl appelle « typique (Typik) » la généralité1 très particulière (parce que génétiquement constituée) qui circonscrit et prédcssinc cette régularité. Esquissons maintenant de façon sommaire le contenu d'une telle « typique »2.

§21. L'objet intentionnel commefil conducteur transcendantal Nous avons vu que la « première généralité » est le schéma ego-cogitocogitatum. Aussi définit-il la typique la plus générale. Celle-ci constitue le point de départ de l'analyse intentionnelle, et développe les descriptions générales de l’intentionnalité elle-même, sa synthéticité, la scission du Moi qu’on y décèle, etc. Toute particularisation de cette typique s’oriente par un fil conducteur — caractéristique de la phénoménologie dite «statique» que lui livre, du côté noématique, l’objet intentionnel : fil conducteur pour l'analyse des cogitationes corrélatives du cogitatum, et le portant en elles comme objet visé. Ainsi, la réflexion part toujours de l'objet donné, consi­ déré à présent seulement de façon générale et abstraite, pour revenir aux « modes de conscience (Bewusstseinsweisen) », actuels et potentiels, dans lesquels il se constitue, et se constitue dans son identité. Le type de ces modes de conscience se particularise à son tour en des types noéticonoématiques particuliers, par exemple la perception3, le ressouvenir, la rétention et la prétention4, la signification, l'association caractéristique de la conscience d'autrui5, etc. Si l’on considère l’objet intentionnel selon les particularisations qui le caractérisent, autant en droit qu'en fait, il faut procéder encore à d'autres distinctions : d’abord, entre l'ontologie formelle et l’ontologie matérielle. L'ontologie formelle (ou la logique formelle) s’occupe du « quelque chose en général (Etwas iiberhaupt) », de l’individu, de la totalité, de la relation, de l'étal de choses, etc6. En outre, elle traite de la différence entre des objec1. Husserl utilise souvent les concepts de « typique (Typik) » et de « typique d’essence » ou «typique eidétique (Wesenstypik) » comme synonymes. Voir par exemple Hua VIH, Supplément XIX,p. 425,1.37et p.428.1.32-42(datantde 1920). 2. Les deux derniers paragraphes de la II* méditation ont un caractère programmatique et ne posent pas de problème de compréhension particulier. Aussi pouvons-nous nous contenter ici de bien faire ressortirles distinctionsfondamentales caractéristiques de cette « typique ». 3. Voir Hua XXXVIII. ’iénoménologie de la conscience intime du temps et les 4. Voir les Leçons pour une phé. — ----- ‘‘ Manuscrits de Bemau (Hua XXXIII). 5. Cf la V'méditation. 6. Cf en particulier la ll'et la III* Recherches Logiques.

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tités « réales {real) » et des objectités « catégoriales ». Les objectités réales sont des objectités individuelles, concrètes, effectivement «là» dans l’espace et dans le temps, dans la mondanéité empirique. Elles relèvent d’cffectuations «accomplies» par des synthèses passives'. Les objectités catégoriales, en revanche, sont des objectités générales qui sont instituées dans des opérations qui relèvent de l'activité du Moi2. Les ontologies k matérielles particularisent l’individu «réal» en différentes «régions F réales » : les corps physiques, les êtres animés, les corps vivants, etc., caractérisées par des modifications relevant à nouveau de la logique formelle. Chaque «type»3 ainsi circonscrit connaît une «typique structurelle» identique, caractéristique des modes de conscience dans lesquels apparaît l'objectité étudiée. Cette typique structurelle traite des structures uni­ verselles de l’expérience transcendantale dont il a déjà été question plus haut, et a pour objet de fonder et de développer la théorie de la constitution transcendantale d’un «objet en général (Gegenstand überhaupt)». Dans cette théorie s’unifient les différentes théories transcendantales particu­ lières (de la perception, du ressouvenir, de la signification, du jugement, de la volonté, etc.). À partir de là se déclinent les théories transcendantales constitutives d’objeclités réales et idéales (par exemple des corps phy­ siques, de la nature, des êtres animés, des sociétés, des objets culturels et, enfin, du monde objectif en général) mais aussi d’« objets (Gegenstdnde) subjectifs » (par exemple des vécus immanents, de l'ego, de la temporalité, etc.). Il va de soi que ces théories des objectités, de la conscience de ces objectités (en tant que cette conscience est rendue possible par la synthèse des perceptions objectives) et de la corrélation monde-ego transcendantal ne peuvent être le thème exprès d’une recherche constitutive transcen­ dantale qu’en maintenant toujours fermement l'épokhè et la réduction phénoménologiques.

§ 22. L'idée de l’unité universelle de tous les objets et la tâche de leur élucidation constitutive Mais que faut-il entendre exactement par «type» ou par «type d’objet » ? Le type4, en tant que « généralité indéterminée », qui appartient à 1. Cf.De la synthèse passive, trad.fr. de B.Bégout et J. Kessler, «Krisis», Grenoble. Millon, 1998. 2. Cf. Hua XXXI. 3. Nous reviendrons sur le sens de ce concept dans le paragraphe suivant. si 4. Nous trouvons cette caractérisation du type au § 8 d'Expérienci ice etjugement. Pour une étude pluss approfondie, voir B. Bégout, Bd « Un air de famille. La doctrir inc husserlienne des •cherches husserliennes, husserliennes. Bruxelles, i types », Recherches 2002, n° 17, p. 3-32.

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une sphère de possibilités a priori, circonscrit l’horizon total d’un a priori général dont le degré de généralité se situe entre une simple abstraction et un eïdos. Aussi le type n’est-il pas un genre ou une espèce donné(e) d'avance, il n’est pas un concept présupposé qui déterminerait a priori . toute classification, mais c’est une sorte de cogitatum très spécifique ' servant donc de fil conducteur à l’investigation phénoménologique. Le type détermine en particulier la manière dont, de toute nécessité, les multi­ plicités conscicntielles constitutives se laissent unifier de façon synthétique afin de rendre compte par là de l’identité de l’objet intentionnel. Il contient les principes cidétiques de ces unifications synthétiques. Or, le type qui ordonne et organise ainsi les vécus intentionnels de la subjectivité transcen­ dantale entre à son tour dans une organisation constitutive. De sorte qu’il faut parler d’une «synthèse constitutive universelle» au sein de laquelle toutes les synthèses «fonctionnent» ou «opèrent» (fungieren) de façon concordante et qui englobe les objectités effectives et possibles selon leurs noèses et leurs noèmes corrélatifs. La lâche de la phénoménologie transcendantale s’avère ainsi immense : elle consiste à rendre compte de la constitution, à partir d’un tel fil conducteur «mobile» (par opposition à la conccptualité des sciences positives), de tous les objets de la conscience dans les multiplicités conscientielles de Vego transcendantal et ce, de façon que ces « fonctions » constitutives laissent apparaître l’enchaînement et la connexion de ces dernières. Cette tâche, Husserl la conçoit comme une « idée infinie régulatrice ». Celle-ci n’est pas une pure fiction, elle a exacte­ ment le même statut que la « chose » transcendante elle-même (cf. Ideen 1) : une totalité jamais atteinte complètement, mais qui guide (comme une sorte de telos) les effectuations actuelles et en circonscrit le caractère nécessaire. Dès lors, les horizons « intérieurs » et « extérieurs » des objets conscientiels se rejoignent et s’adjoignent entre eux dans un dévoilement constant. La phénoménologie transcendantale est ainsi la théorie des théories originai­ rement constitutives, en tant que ces dernières entrent dans un système possédant une unité universelle et « idéale ».

Alexander Schnell Université de Paris IV-Sorbonne

TROISIÈME MÉDITATION CARTÉSIENNE (§ 23-29) DE L’ORIGINE TRANSCENDANTALE DE L’EFFECTIVITÉ

I Après la première méditation, consacrée à établir l’attitude phénoménologique par la réduction phénoménologique transcendantale, la deuxième a mis en évidence la possibilité et le sens d’une élucidation de la structure des systèmes de potentialités intentionnelles, liées entre elles par une solidarité structurelle apriorique, qui rendent possible l’apparition d’un objet unifié identique, à partir de la variation de ses apparitions partielles comme données inadéquates. La structure de ces systèmes de possibilités intentionnelles, qui est une structure typique, est la règle sur laquelle s’appuie implicitement le je transcendantal vivant, pour opérer de manière non-réflexive la syn­ thèse des apparitions multiples (« esquisses » (Abschattungeri), ou données unilatérales) de l’objet visé. La conscience produit ainsi l’apparition changeante, mais cohérente et intelligible parce que réglée, d’un corrélât idéal, qui a la forme d’une unité-dans-ia-multiplicité. Cette unité est, selon Husserl, celle d’un sens1. Et c’est l’unité idéale de ce sens noématique qui fonde l’identité de l’objet intentionnel, comme identité apparaissante, dans le cours du flux des vécus et de leur temporalisation originaire. L’opération subjective-transcendantale qui suscite l’apparition intentionnelle de ce corrélât noématique idéal - lequel n’est autre que l’objet lui-même - est la synthèse d'identification qui traverse l’ensemble de ces apparitions variables, telles qu’effectivement vécues. C’est cette production intentionnelle du corrélât idéal identique en laquelle s’effectue la conscience-d’objet, que Husserl appelle « constitution ». La constitution

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I. Ce que dès les Recherches Logiques il déterminait déjà, dans le cas des actes intuitifs, comme « sens d'appréhension » (Auffassungssinn).

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doit donc être comprise et décrite de deux manières, étroitement liées: d'abord au sens statique, comme un système de possibilités normatives déjà disponible, pré-organisé, dont on peut analyser la forme et le fonctionnement; puis également, et sur cette base, au sens génétique, en tant que processus dynamique qui opère1 une synthèse en acte, et a donc un caractère productif. Selon sa description statique, la constitution transcendantale est la relationfonctionnelle qui unit un objet intentionnel unitaire, ou un moment objectif de celui-ci, à la multiplicité corrélative des « modes d’être-donné » (Gegebenheitsweisen) 2 possibles dans lesquels seuls peut apparaître cet objet, ou son moment interne, tel que précisément il apparaît, et avec ce sens déterminé. Cette multiplicité forme une totalité cohérente systéma­ tique, conforme à une typique d'essence. C’est ce que déclarait clairement Husserl au § 22, à la fin de la méditation précédente :

Tout objet en général (et aussi tout objet immanent) définit une structure régulative (Regelstruktur) du Je transcendantal. En tant qu'il est ce que celui-ci se représente (Alssein Vorgestelltes), et quel que soit son mode de conscience (wie i/tuner Bewusstes), il définit aussitôt une règle universelle pour une autre conscience possible de lui-même, possible selon une typique prétracée en fonction de son essence ; et i 1 en va ai nsi naturellement pour tout objet concevable, pensable comme représenté

L’analyse intentionnelle a été définie au §20 comme l’opération de «dévoiler les potentialités impliquées dans les actualités de la conscience», et donc d’expliciter, par leur «dévoilement intuitif», les autres modes d’apparition intentionnelle qui sont co-impliqués de manière présomptive par le sens du cogito actuel, et en forment l’« horizon ». De ce fait, l’analyse intentionnelle est déjà une analyse de la constitution de 1. C’est ce caractère re r>» opératoire, actif, de la conscience constituante que Husserl indique couramment par l’emploi Moi du mot «Leistung» pour désigner l’effectuation intentionnelle d'une synthèse productive. 2. La seule traduction littéralement correcte serait : « modes de donnéité » ; mais elle ne correspond à aucun usagee courant en français. franç Les traducteurs français de Husserl ont préféré» «cession «modes de donnée»; on emploiera également ici cette depuis les débuts, l'expression traduction usuelle, pour éviter de déconcerter le lecteur. Mais il faut garder présent à l'esprit que «Gegebenheit» ne désigne lésigne pas le résultat d'une donation antérieure (ce qu’est, en français, une «donnée »), mais l’état ■de ce qui est ainsi donné, le statut d’être-donné; car. contrairement à la notionn française de de «donnée», l'expression husscrlienne indique a —i vient à l'apparition I*-; préserve l’écart entre ce qui (est donné ainsi) et le mode selon lequel il '■i adoptée précisément prêt apparaît. D'où la traduction ici, de manière toute ponctuelle. 3. Méditations cartésiennes, §§22.1 22. E. Husserl, Cesammelle Werke. 1.1 (désormais cité: >.90,1.4-11 M.de HuaI), p. 90,1.4-11 ;;trad, trad. M. de Launay, Paris, P.U.F., 1994, p.99,1.20-27, (trad. modifiée): _evinas.G. 19 trad. E. Levinas. G. Peiffer, Paris, Vrin, 1947, p. 46,1.8-15 ; 1992 pour l'édition de poche.

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l’objet; mais, comme mise au jour d’une simple dépendance fonctionnelle (constitution au sens statique), elle se borne à dévoiler les structures typiques de variation qui définissent toutes les modifications possibles d’une visée d’objet, selon tous les moments et aspects de ce vécu de visée qui contribuent de manière essentielle à déterminer l’unité et le sens de cet objet1. Ces modifications possibles de l’acte de visée sont de différents types, et elles interviennent à plusieurs niveaux distincts, dans le cadre de la structure d'ensemble de l’acte intentionnel, comme l’indiquait déjà Husserl au § 21 :

Le point de départ est nécessairement, chaque fois, l’objet donné directement, dont la réflexion part pour en revenir à la modalité de conscience correspondante, et aux modalités de conscience potentielles incluses dans l'horizon de celle-ci, puis à celles dans lesquelles il pourrait autrement être conscient comme le même objet dans l'unité d'une possible vie de la conscience. Si nous nous en tenons encore au cadre de la généralité formelle, [...] la diversité des modalités de conscience possibles de ce même objet - le typeformel global - se scinde en une série de types particuliers noético-noématiques strictement différenciés2. La deuxième méditation a ainsi mis en évidence le caractère structuré et légal de ces systèmes transcendantaux, régulateurs de la synthèse inten­ tionnelle objectivante3. Et elle conduit, au §22, à faire pressentir l'unité systématique que forme l'ensemble de ces types constitutifs, corrélatifs des types eidétiques-ontologiques correspondant aux différentes régions* 1. Méditations cartésiennes, §21, Hua I. p. 88,1.13-20; trad. de Launay, p. 97,1.16-24 : «Si l'on fixe un objet quelconque dans sa forme ou sa catégorie, et si l'on maintient constamment en évidence l'identité de cet objet, à travers la variation de ses modalités de conscience, il apparaît que. aussi fluctuantes qu’elles puissent être (...], ces modalités de conscience ne sont pourtant nullement arbitraires. Elles demeurent constamment liées à une typique structurelle qui est intangiblement igiblement la même tant que c reste consciente précisément l’objectité en tant que cette objectité-là. ctité-là. déterminée de cette manière [...). » (trad. (t LevinasPeiffer. p.44.1.19-27.) 2. Méditations cartésiennes, ibid.. Hua I, p.>. 887.1.11 -23 ; trad. de Launay, p. 96.1.10-21 ; trad. Levinas-Peiffer, p. 43,1.21 -33. Nous soulign 3. Au§21.

4. Quoique Husserl, dans la première section des Ideen I, réserve: |proprement ce terme aux seules régions ontologiques tologiques matériales, matérielles, parce que l'ontologie fort formelle, comme exploidétiques de l'objel-en-général, l'objet-en-général, ne définit pas une réf région d’objets, mais ration des caractères eidétiques seulementt laforme de toute région possible, la corrélation transcendantale qui régit l’a priori noétique pie (c'est-à-dire la solidarité fonctionnelle entre une noèse déterminée iet l'horizon de toutes> 'les noèses compossibles au sein du même horizon noético-noématique), et qui définit ss types constitutifs transcendantaux, vaut aussi bien pour les actes fondés catégoriaux, par squels sont données les catégories formelles, les idéalités logico-mathématiques. les

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d’objets possibles. Le système unitaire universel de tous ces types consti­ tutifs n’est donc autre chose que l’a priori intégral de la subjectivité transcendantale, dont l’exploration, «dans l’unité d’un ordre systématique englobant tout»1, est justement la «tâche immense»2 de l’analyse transcendantale de la conscience, comme auto-explicitation de Vego transcendantal ramené à son type eidétique universel, qui définit la phénoménologie transcendantale tout entière. Ce faisant, la deuxième méditation s’en tenait à l’explicitation descriptive-réflexive des corrélations intentionnelles qui unissent, à un type déterminé d’objet possible en général, les multiplicités idéalement jK^vorrespondantes d’apparitions noématiques, et de modalités de la EJqu'à celte sorte d’évidence appartient par essence (wesensmàssig) l’unila latéralité, plus précisément un horizon multiforme d’anticipations non-remplies, mais qui ont besoin de l’être, donc des contenus de simple visée (Meinung) qui renvoient à des évidences potentielles correspondantes ’. Or, du fait que la conscience de ces séries d’apparitions remplissantes potentielles, anticipées dans l’horizon de la donation actuelle, présuppose à son tour la pré-connaissance et la maîtrise de l’a priori subjectif noéticonoématique précédemment exposé, il suit que la transcendance de la chose spatiale, comme extériorité à Vego percevant, est de pan en part relative à son activité intentionnelle. C’est pourquoi Husserl considère que, dès cette fin du § 28, il lui est légitime de poser, dans toute sa généralité, la thèse de son idéalisme transcendantal : Que l’être du monde soit, de cette manière, même dans l’évidence auto­ donatrice, transcendant à la conscience, et le reste nécessairement, ne change rien au fait que c'est dans la vie de conscience (Bewusstseinsleben) seulement que tout objet transcendant se constitue, en tant qu’indisso­ ciable de celle-ci, et que c’est elle qui porte en soi indissociablement, à titre spécial et en tant que conscience-de-monde (Weltbewusstsein), le sens « monde »,et aussi ce monde-ci effectivement existant2.

§29 Husserl peut alors conclure en esquissant à grands traits le programme complet des analyses de la constitution transcendantale des objets et de leur être, dont cette méditation a montré qu’elles sont à la fois l’auto-explicitation des structures aprioriques de la vie de Y ego, et celle de l’origine du monde effectif.

1. Méditations cartésiennes, § 28 ; Hua l p. 96.1.27-31 ; trad de Launay, p. 107.1.14-18; :r, p. trad. Levinas-Peiffer, | 52,1.18-24 (trad.modifiée). 2.Ibid. Huai, p.97, p.. 1.7-13; trad. de Launay, p. 107,1.30- p. 108,1.5; trad. Levinas■ p. 53,1.2 (trad. modifiée). Peiffer,p.52,l.36-p

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Puisque, comme les paragraphes 23 à 28 l’ont établi, l’être de l’objet intentionnel (en tant qu’elïectivité) et la vérité de la visée cognitive renvoient à un système déterminé de synthèses potentielles d'apparitions, idéalement anticipables, selon une \oï a priori pré-tracée, on peut légitime­ ment poser qu’il existe une corrélation rigoureuse entre chaque type eidétique d’objet possible et un système transcendantal d’évidences, a priori possibles, correspondantes. Et cette corrélati vité transcendantale vaut pour toutes les régions ontologiques, non seulement pour les catégories for­ melles qui définissent les objets des disciplines logiques et mathématiques; mais également pour les catégories-substrats des ontologies matérielles, qui trouvent leurs cas particuliers concrets dans les individus empiri­ quement et effectivement existants dans le monde. Ainsi se définit - dans un aperçu final qui ne manque pas de grandeurl’ensemble universel et systématique de la recherche phénoménologique-transcendantale: elle doit bien être, en tant qu’Idée-fin d’une connaissance philosophiquement apodictique de l'étant, et du pouvoir de connaître de la subjectivité, l’auto-justification de la validité objective de la raison, sous toutes ses formes et pour tous ses domaines d'application; et ce, par l’élucidation, dans l’évidence d'une réflexion intuitive, de la structure universelle et complète de l’a priori subjectif noéticonoématique.

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Jean-François Lavigne Université de Nice • Sophia Antipolis

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QUATRIÈME MÉDITATION CARTÉSIENNE (S 30 - 41) La GENÈSE DE L'EGO TRANSCENDANTAL

Le chemin vers Vego transcendantal demeure dans la pensée de Husserl un chemin cartésien, dans la mesure où la question directrice est celle de la science, et où ce qui caractérise la voie cartésienne n’est pas d’abord de partir de Vego, mais d’accéder à l’ego cogito à partir de l’idée de science, qui détermine toute la position de la question. Tout en assumant pleinement ce chemin cartésien, Husserl veut montrer que cette voie épistémologique ne condamne en aucune façon à un ego compris comme âme dans le monde. En effet, ce chemin cartésien permet de se libérer de toute appréhension purement psychologique de soi, pour se saisir comme l’origine des actes constituant le sens du monde. En outre, le chemin cartésien ne conduit pas à se trouver enfermé dans un ego sans monde, et il permet de saisir Vego comme ce qui donne lieu à un monde. De fait, dans le projet des Médita­ tions cartésiennes, il ne s’agit pas d’accéder à l’ego transcendantal pour luimême, comme s’il s'agissait d’un étant privilégié particulièrement inté­ ressant, mais bien d’assurer la possibilité de la connaissance transcendante. Contre les attaques visant l’abstraction de Vego, son caractère prétendu­ ment formel et vide, Husserl veut montrer que le chemin cartésien permet d’accéder à la vie concrète de Vego qui donne lieu à un monde. Le renverse­ ment cartésien, une fois purifié de ce qu’il restait de psychologisme et de naturalisme chez Descartes, doit permettre d’ouvrir l’esprit à Vego transcendantal comme source de tout apparaître, de toute lumière sur le monde, et c’est pourquoi la conclusion de la IVe méditation pourra com­ prendre l’égologie transcendantale comme un idéalisme absolu. Il faut reconnaître que jamais Husserl n’avait formulé aussi radicalement ce projet d’un idéalisme transcendantal et égologique, et il semble bien qu’en réaction au reproche heideggerien d’avoir manqué la question de l’être, et de n’avoir pas su comprendre l’être même de la vie, Husserl réponde par un

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effort supplémentaire de radicalité, de façon à mettre en évidence que le chemin cartésien qui part de l’idée de science permet vraiment de décrire la vie intentionnelle, et que l’ego transcendantal n’est pas un étant, mais l’être absolu qui se clive par rapport à tout étant. En effet, dévoiler l’ego transcen­ dantal, pour Husserl, ce n’est pas s’enfermer dans l’abstraction d’une perspective purement épistémologique, ni s’en tenir à un je abstrait, corrélai de la nature des sciences de la nature, qui est elle-même une abstraction. Si ce reproche d’abstraction peut, selon Husserl, s’adresser au «je pense» kantien, il ne touche pas la phénoménologie transcendantale, qui décrit la vie elle-même dans son être propre. Il serait stérile d’ironiser sur l’incom­ préhension dont Husserl fait sans doute preuve vis-à-vis des critiques heideggeriennes; l’intelligence de la IVe méditation suppose de compren­ dre que Husserl répond à partir de son propre projet d’une philosophie comme science rigoureuse, et qu’il assume pleinement la répétition de l’idée cartésienne de la science, comme science universelle à partir d’une fondation absolue. La philosophie comme science rigoureuse n’a pas perdu le sens de Vépistèmè, et l’égologie transcendantale est ce qui va permettre de regagner l’essence originelle de la science, qui consiste à décrire les choses à partir d’elles-mêmes. En conséquence, l’égologie transcendantale sera la science de l’être; et science ne signifie pas seulement, ici, un système de propositions vraies, mais désigne l’accès à la source ultime du sens. Autrement dit, le chemin cartésien conduit à un concept transcen­ dantal de science, et à un concept transcendantal de subjectivité, qui permettent de se 1 i bérer de toute anthropologie, empirique ou apriorique. Dans ce chemin cartésien vers l’ego on sera conduit à s’interroger sur le mode d’être du «je », qui n’est jamais celui d’un étant, qu’il s’agisse d’une réalité sensible, d’un objet investi d’esprit ou d’une objectivité d’entende­ ment. Par suite il sera possible de se libérer de la pseudo-évidence condui­ sant à interpréter le «je pense» dans le sens de «je suis une chose qui pense». Toute la IVe méditation montrera que l’ego transcendantal n’est pas seulement pensé par rapport aux choses dont il rend possible la connaissance; il est aussi décrit selon sa manière d’être propre, dans sa vie active et passive. Certes, jamais Husserl ne remet en cause la règle de l’évidence; mais il veut prouver qu’il ne demeure pas aveugle à l’être du cogiter, libérer l’ego transcendantal libère de toute représentation, et permet de faire de la chose elle-même le chemin de sa connaissance. Dès lors, ce qui caractérise le chemin cartésien n’est pas, selon l’image d’Epinal, l’obsession de la certitude du point de départ, mais c’est le souci de faire de l’évidence la source de toutes les normes, et donc le principe de la science. En effet, (et Husserl connaît l’extrême résistance à cette vérité), l’évidence n’est rien de psychologique, d’affectif, elle n’est pas un signe

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psychologique de la vérité; elle est la donation des choses elles-mêmes. Il est donc nécessaire de mettre en évidence l’évidence elle-même, pour pouvoir accéder à Vego cogito comme subjectivité transcendantale: la règle du vrai surgit de Vego, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit produite par lui. Ainsi, la philosophie comme science rigoureuse suppose une évidence première qui soit un fondement, et la remise en cause de l’évidence de l’existence du monde est ce qui permet de dévoiler cette évidence première. L’être du monde n’est pas un être absolu, et en prendre conscience est ce qui permet de s’ouvrir à Vego cogito : le monde étant l'index de confirmations et de validations d’être, l’expérience du monde reconduit à l’expérience de soi comme je pur. L’interrogation sur le je transcendantal ne commence pas avec la IVe méditation, et dès le § 8 la subjectivité transcendantale apparaît comme le sol ontologique de toute validation, à partir de la réduction du monde à une simple prétention d’être. Le sens d’être de Vego se trouve d’abord déterminé négativement comme n’étant pas une parcelle de monde, puis positivement comme une capacité de réflexion, par laquelle cette vie est là pour moi. Quelle que soit la diversité des vécus, ils peuvent tous faire l’objet d’une saisie réflexive, et l’époché phénoménologique ne fait absolument rien perdre du champ de l’expérience; elle ne conduit pas à un ego sans monde, qui ne serait conscience de rien, et qui ne pourrait pas être le principe unificateur de la vie intentionnelle. Le je n’est donc pas un objet particulier du monde, isolé par abstraction; il se définit comme une capacité a priori de prendre conscience de soi, qui ne peut apparaître qu’à partir de la vie intentionnelle dans laquelle le monde se constitue. Contre toute idée d’un «je» abstrait, le «je» transcendantal se donne comme ce dont mon monde tire son sens et sa validité. Ce je pur n’est pas un simple substrat pour le flux des cogitationes, et il n’est pas non plus ce qui accom­ pagne ces vécus comme une simple forme, il est l’origine de la vie du sujet dans sa totalité. Le § 9 décrit alors cette expérience vivante de soi de façon à distinguer le présent vivant de soi, la pure donnée à soi-même dans l’actualité de Vego cogito, qui fait l’objet d’une donnée adéquate immé­ diate et sans reste, et l’horizon constant de cette pure actualité, à savoir ce qui est indissociable de la vie subjective, la vie passée, les propriétés habituelles, qui ne peuvent faire l’objet d’une donnée adéquate. Il s’agit de montrer que la prise en compte de la concrétude de la vie subjective, pour échapper à la conception d’un je abstrait, n’interdit pas pour autant l’apodicticité du «je suis » : Vego est originairement donné à lui-même, et donné selon une appropriation infinie de sa propre vie. Dès lors, le § 10 a pu montrer que l’évidence apodictique du je transcendantal ne doit pas être confondue avec la certitude du je psychologique, qui isole un étant privilé-

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gié. Autrement dit, le «je suis » n’est plus compris comme une expérience certaine privilégiée au milieu d’expériences douteuses, il est la vie de tout cogito actuel. Il ne s’agit donc plus d’une détermination ontique de soi, puisque par la réduction j’accède à mon être propre, dont l’essence est d’être le présent de toute vie intentionnelle. Il s’agit donc d’être plus cartésien que Descartes, en cessant d’expliquer le monde par le je psycho­ logique de l’expérience interne, qui maintient dans une pensée de la substance, pour expliquer le monde par un ego qui se comprend lui-même sur l’horizon du temps1. La libération de l'ego transcendantal permet de voir qu’ il est possible de parler de « ma » vie personnelle sans que ce caractère mien fasse référence au moi naturel, au moi intramondain. Descartes, ayant référé la cogitatio à une chose qui pense, et compris l’âme comme une partie de la totalité âmecorps, n’a pas pu penser ce caractère mien de la vie subjective, que Husserl décrit dans la IVe méditation. Le sens d'être de l'ego transcendantal est de se temporaliser en temporalisant le monde, et c’est pourquoi c’est l’ensem­ ble des structures a priori du «je suis » qu’il s’agit d’amener à l’évidence. En élucidant l’autoconstitution du je comme monade, ce sont bien les structures de la subjectivité qu’il s’agit de mettre au jour, en tant qu’elles élucident le sens de l’objectivité : l’autogenèse du sujet, le fait que pour le sujet «être» signifie avoir à se constituer continûment, n’est pas étudiée pour elle-même, mais sur l’horizon de la question de l’objectivité. Telle est la position husserlienne de la question de l'ego : l’ego devient une question pour lui-même à partir de l’objectivité du monde comme question. Ainsi la transcendance dans l’immanence du je pur demeure interrogée à partir de l’énigme de la transcendance du monde, et la seconde méditation a déjà montré que l’auto-explicitation de l'ego demeure subordonnée à l’élucida-

l.Cela n'empêche certes pas de penser que la réduction demeure, malgré tout, dépendante de ce qu'elle réduit, et que la désubstantification de Vego n’est pas encore une élucidation ontologique du sum. Quoi qu'il en soit, le style des Méditations cartésiennesest très différent de celui des Recherches phénoménologiques pour la constitution (livre II des Idées directrices pour une phénoménologie) : il ne s'agit plus ici de montrer que la personne n'est pas un étant de type nature par la grâce d'un je pur, mais de radicaliser la perspective égologique en ne parlant plus d'un étant doué d'intentionnalité, pour élucider plutôt la signi­ fication transcendantale de la mienneté par laquelle la substantialité cesse d'être le fil conducteur qui sert à interroger la vie subjective dans son individuation radicale. Il n'y a pourtant ici rien de comparable à une herméneutique de la facticité, et il faut reconnaître que jamais dans les Méditations cartésiennes Husserl ne s'interroge sur l'origine• des actes intentionnels. On peut seulement accorder à la phénoménologie transcendantale: qi que le sujet accède bien primairement à son être propre, et qu'une individuation absolue marqu que le je pur de lacogitatio, laquelle rendra possible l’autoconstitution du sujet comme monade.

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tion de l’énigme du monde. Lnlchspaltung1 du § 15 souligne bien que cette réflexivité originaire concentre en elle toute la lumière de l’être, et que du

même coup la tâche philosophique est celle d’une élucidation de soi-même comme ego transcendantal dans toute sa concrétion. L’idéalisme absolu de la IVe méditation est donc déjà en germe : il n’y a rien d’antérieur au «je suis», qui est l’origine de toute synthèse, dont le temps est la forme universelle. Il fallait donc indiquer que l’égologie transcendantale se déploie à partir d’une théorie de l’objet, et que c’est pour celte raison que les problêmes constitutifs de l'ego transcendantal lui-même sont abordés après l’analyse des structures de la vie intentionnelle, qui ne se réduit pas au «je pense », en prenant le fil conducteur de la constitution de l’objet sensible. Certes, toute identité d’objet présuppose l’ipséité absolue du je pur; néanmoins l’analyse phénoménologique ne pouvait pas commencer directement par l’auto-élucidalion de l'ego, car c’est en montrant préala­ blement que la réalité est réductible au sens qu’il est possible de tenir une égologie transcendantale. Il s’agit, en effet, de remonter du sens constitué aux actes subjectifs qui le rendent possible. C’est pourquoi l’analyse de l’ego ne peut se déployer que maintenant, et non dans la deuxième ou la IIIe méditation. C’est pour ce motif également que la IVe méditation sera l’ultime réponse, dans la sphère solipsiste, à l’énigme de la synthèse qui donne lieu à un monde. Selon Husserl, l'être de l’étant ne peut apparaître qu’à un ego qui cherche à dégager l’a priori de la corrélation entre l’objet d’expérience et ses modes de donation, et qui saisit dans cette activité ses structures universelles. Comme l’indique le titre de la IVe méditation, il s’agit de montrer maintenant que l’ego transcendantal n’est pas un simple pôle d’identité vide et qu’il porte en lui toute la richesse d’une vie en se constituant luimême selon des structures qu’il est nécessaire d'élucider. Ainsi la réduc­ tion conduit maintenant le regard à se porter vers la merveille de l’être pour soi de Vego, qui est en quelque sorte toujours déjà auprès de lui-même, toujours déjà ouvert à lui-même, et donc finalement toujours de prime abord déjà lui-même2. Or, comme l’indique la feuille sténographiée placée dans le manuscrit au début de la IVe méditation, en comprenant l'ego sur l’unique horizon du temps, Husserl peut accorder à l’auto-constitution de l’ego une place charnière entre la IIIe méditation, qui a établi que la tem­ poralité immanente est le fondement de l’objectivité, et la Ve méditation l.Ou «scission de l’ego»; cf.Méditations cartésiennes, § 15, p.[73]; trad. de Launay p. 79-80. 2. Le Dasein heideggerien, qui n’est pas de prime abord lui-même et quii pensées de l'identité personnelle ■qui. en n’élucidant que l'acte du souvenir, mettent en évidence évidence une singularité passée. £Être soi signifie se maintenir dans ses validations, en dépit îpit des périodes de passivité, et "l'ipséité concrète tient donc à une persévérance qui est présentée ici comme une déter détermination ontologique du sujet : cette persévérance est un mode du rapport à soi et du rapport au monde qui ne contient pas de détermination éthique. On peut remarquer effectivement que cette structure est éthiquement neutre et que l'inconstance comme l'obstination sont des modes de cette mienneté transcendantale. La conviction à travers laquelle le je se tient et se maintient n'est pas nécessairement une conviction raisonnable et il y a aussi une persévérance dans le mal, un endurcissement, qui peut appartenir au je pur. Sur cette unité de la décision (Einheit der Enlschiedenheit) voir le texte de mai 1932, Hua XV, Appendice XX (trad. fr. dans Sur

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comme substrat identique de propriétés, puis comme moi personnel dans la synthèse de toutes ces propriétés, aussi bien dans l’accomplissement de son humanité, dans l’acte de tenir des décisions rationnelles, que dans le reniement de cette humanité, dans une vie infrahumaine, c’est-à-dire ici ? f dans la vie d’une brute : il y a de la persévérance dans la vie du philosophe il comme dans celle du criminel. En montrant que le je n’est pas la simple identité d’un acte intemporel de réflexion, Husserl peut montrer qu’il est possible de penser une identité concrète dans le changement. L'habitus est une unité persistante identique et non une unité noématique et, de ce fait, le je substrat des habitus est un je qui se temporalise par son style persistant, ou par son caractère personnel. De ce point de vue, je suis toujours déjà donné à moi-même selon un certain style1, ou selon un certain caractère, par lequel il n’y a pas seulement unité du vécu de celui qui se décide, mais également unité de la décision qui persiste pour celui qui se décide. Ce substrat identique n’est pas le je pur, mais il est inséparable de ce je pur, qui est inséparable de sa vie2. Le style et le caractère sont issus ici du pouvoir du je, et n’ont rien à voir avec une détermination anthropologique. Il ne s’agit pas d’un soubassement de l’activité du je, mais d’un faire du je lui-même. Le. style est bien, dans ce contexte, une propriété noétique, et non une propriété réale : il marque la forme singulière du rapport à soi et du rapport au monde, c’est-à-dire le mode singulier de la temporalisation de soi. Autrement dit, comme individuation de la genèse transcendantale, le style est le comment du je transcendantal comme rapport: c’est la forme singulière d’une persévérance structurelle. Chaque constitution du monde se fait à sa façon propre en fonction de ses habitus et, de ce fait, le style ne peut pas être une propriété de la chose, puisqu’ il ne définit pas le quoi, mais le comment. Dès lors, ne pas tenir compte du style serait faire abstraction de la façon dont, de fait, le sujet s’est voulu lui-même; ce serait faire abstrac­ tion de sa genèse propre. Or c’est bien à travers le système des convictions qui le constituent que le sujet accomplit toute expérience, et le style est donc l’enchaînement de l’être d’une subjectivité concrète, dans sa temporalité. Il l'intersubjectivité !). Cette unité de la décision est T auto-constitution du moi comme « personne ».en prenant le terme au sens large, et faute de mieux ! 1. Voir Sur l'intersubjectivité I, p. 174. 2. On voit en quoi cette mise en évidence de l’habitualité noétique prépare la description de la vie par vocation absolue de la Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, c'est-à-dire celle du philosophe qui se maintient, solidairement avec toute une tradition, dans la responsabilité absolue à l’égard du sens du monde de telle sorte que cette responsabilité ne soit jamais comprise comme un état. L’auto-constitution temporelle du je en inalyses de l’historicité transcendantale, mais avant ces un moi personnel fait signe vers les analyses analyses il était nécessaire d’avoir mor antré• que•le moi personnel est un système de convictions dans l’unité du présent vivant.

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est donc déjà possible de décrire la propriété, ce que Husserl nommera dans la Méditation suivante la primordialilé, sans référence à l'intropathie*. Avec le § 33 Husserl introduit le terme leibnizien de monade en dehors de tout présupposé métaphysique, pour désigner ce je concret qui n’est pas sans monde, mais qui est au contraire inséparable de son monde environ­ nant. Le je pur avec ses habitus et son vécu est la monade qui a un monde, et ainsi monade et Umwelt sont en co-appartenance. Ce sont les actes de cet ego concret qui permettent d’élucider les objets de ce monde, dans leur sens et leur subsistance: l’identité de l'objet reconduit à l’identité du sujet qui le constitue. Dès lors, la question de l’identité personnelle, de la monade, n’est pas une question régionale portant sur celte chose particulière qu’est la personne, mais englobe tous les problèmes constitutifs. Ainsi, le je pur, qui se saisit statiquement comme pôle, se saisit aussi génétiquement comme monade, même si cette double donation n’est pas sans poser de problème. Même si Husserl montre que le je pur, dans sa genèse transcen­ dantale, est inséparable de son monde, il n’en demeure pas moins qu’il est

I. Meme si c'est après la fin de la rédaction des Méditations cartésiennes (mai 1929)que Husserl relit très attentivement Être et temps (en juillet-août 1929), il est difficile de ne pas voir dans ce début de la IV* méditation une Auseinandersetzung avec Être et temps, dédié à Husserl en avril 1926. Certes, l'interrogation sur la monade est ancienne chez Husserl et remonte aux années 1910-1911, mais le « dialogue » avec Heidegger le conduit à radicaliser son concept du propre. De même que Être et temps déconstruit la figure centrale de Descartes pour poser la question de l’être, Husserl déconstruit aussi la figure de Descartes mais pour poser la question de la genèse transcendantale. Husserl a bien répondu, avec ce § 32. au reproche heideggerien de s'en tenir à un pur sujet épistémologique, vide, sans histoire et sans monde. Certes, il ne voit pas en quoi l’autoconstitution temporelle du je transcendantal ne saurait suffire à annuler l'objection de Heidegger, mais le § 32 montre bien que la confrontation, et bientôt la rupture, entre Husserl et Heidegger ne porte pas sur l'opposition entre un ego abstrait et un Dasein concret, mais entre l'individuation absolue de l'ego transcendantal en sa genèse, et l'individuation radicale du Dasein dans sa facticité. Husserl s'est bien senti directement visé par le § 10 d'Être et temps, comme n'ayant pas été capable de saisir le mode d'être de la personne, dont il aurait manqué la micnneté. La critique de Heidegger visait le texte des Idées II, qui, utilisant le vocabulaire de l'assemblage, permettait en effet d'objecter que la personne n’est pas un étant du type nature, qui par la grâce d'un je pur sse constituerait dans l’unité d’une histoire. Les Méditations cartésiennes prêtent jcoup moins le flanc àcette objection, et l'individuation noétique n’est en rien ce qui vient beauc jter à une couche de nature. Husserl ne s'en tient pas à l'ego comme fondement, et s’ajout :erroge bien le sens d’être de la personne, c’est-à-dire le comment de son accomplissement inter"' Hujsserl, Sm-> en libérant l'ego transcendantal, pousse jusqu’au bout la signification transcendan­ tale de la mienneté, et c'est sans doute aussi cela qui le conduira à réaliser, avec la rédaction des Méditations cartésiennes, la rupture sans retour avec la conception heideggerienne, existentiale, de la mienneté; avec l’idée d'une individuation du Dasein plus originaire que celle du je. et la rendant possible. En décrivant la genèse transcendantale de l'ego, le projetée Husserl demeure d’élucider la genèse transcendantale du monde objectif; et c’est justement dans le je des habitus que la transcendance du monde objectifpeut se constituer.

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aussi donné à lui-même en dehors du monde. Comment concilier alors l’intuition pure du je et la compréhension de soi dans sa genèse? Au concept du «je substrat des habitus », la notion de monade ajoute plusieurs significations, et d’abord celle de totalité : la subjectivité concrète ne se laisse pas diviser en parties, mais elle est un tout dans lequel le je et la vie intentionnelle sont inséparables *. La subjectivité se donne comme une totalité et non comme un composé, elle se donne donc bien comme une monade. Le concept de monade implique aussi la signification de sim­ plicité, de non-séparation 2, en ce que tout en elle est radicalement indi vidué par sa place temporelle. Dans la simplicité de cette genèse, dans l’unité de ce devenir vivant, il n’y a pas à faire de division entre le présent vivant et le passé de la monade : elle n’est présente qu’en étant devenue et elle n’a un passé qu'en pouvant y revenir par des actes présents. Il y a donc une indivi­ dualité absolue de la monade comme genèse, qui est concrètement iden­ tique dans le changement même de ses actes et de ses états, alors que le je pur demeurait abstraitement identique. La troisième signification nouvelle est l’idée de clôture, qui conduira au problème de l’intersubjeclivité et au fait de savoir si la monade a ou non des fenêtres. Pour l'instant, la clôture marque la co-appartenance du je au vécu et du vécu au je3. Il faut recon­ naître cependant que dans ce§ 33 Husserl n’explicite pas vraiment la nature de la monade, c’est-à-dire le sens transcendantal de la substantialité du sujet, dans la mesure où il cherche d’abord à souligner que la constitution du monde dans sa transcendance ne peut s’expliciter que par l’autoconstitution du je comme monade. Pour le moment, la question n’est pas de savoir si on peut vraiment accéder par cette voie à l’altérité du monde; elle est de savoir s’il est possible de montrer que le monde environnant immanent est bien inséparable du je, et qu’il ne peut y avoir de monde transcendant face au «je » que par les vécus immanents de sa conscience. Tout objet se constitue comme «sens identique de ses propriétés multiples », mais ce que l’analyse génétique ajoute, notamment par rapport aux Idées I, c’est la façon dont la genèse de l’ego participe à cette constitu­ tion: l’autoconstitution de l’ego accompagne toutes les représentations. Cette explicitation de l’être (Sein-Auslegung) montre que l’objet lui-même est une genèse : ce matin je suis revenu dans cette salle où j’ai déjà fait cours et cet objet « salle » est constitué comme l’identique de mon expérience de celte salle. Cela signifie que son sens est constitué par une histoire, qui est 1. Voir Surl'intersubjectiivité II. p. 139. 2. « La monade est une essence « simple », infragmentable, elle est ce qu'elle est en advenant continuellement dans le temps », Sur l’intersubjectivité II. p. 484. 3. « Le je est en relation avec ce vécu qui est sien et le vécu en relation avec le je, tous deux allant de pair ; nous parlons alors de monade », Suri’intersubjectivité il, p. 498.

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celle de ma monade, et c’est pourquoi elle est un objet de mon monde environnant propre : l’explicitation de l’être de cette salle est inséparable de l’auto-explicitation de ma monade. D’une façon générale, toutes les perceptions sédimentées, confirmées ou niées, fondent un habitus, c’est-àdire une façon singulière de constituer le monde. Les objets de ce monde environnant étant le résultat de l’activité synthétique du je, V habitus est bien ce qui fonde la co-appartenance du je et de son monde : toute position l d’être (Seinsetzung) est elle-même un habitus, et cette genèse propre de la I monade fonde le caractère propre du noème « monde » ainsi constitué. Le F monde environnant n’est donc pas lecorrélat noématiqued’unje abstrait et I sans histoire, mais le corrélai noématique d ’ un je qui se constitue lui-même dans ses formes noétiques persistantes, dans l’unité d’une histoire. Ainsi, le je n’est concret que dans sa relation à un monde qu’il constitue, et il n’y a de monde (au sens du monde de la vie) que pour un sujet lui-même vivant, c’est-à-dire en genèse. Cette co-appartenance entre la genèse de l’ego et la genèse du monde, celle connexion entre les déterminations de l’objet et les habitus du sujet, est ce qui assure la possibilité de l’élucidation phénomé­ nologique comme auto-explicitation de l’ego *. L'élucidation de la genèse transcendantale du monde se heurte à une difficulté: le retour à la monade, à «ma» monade, n’enferme-t-il pas la description phénoménologique dans la facticité, sans parvenir à faire voir les structures a priori de toute subjectivité transcendantale et donc du monde? La phénoménologie se veut philosophie du voir, dans laquelle il y a intuition aussi bien d'une chose sensible ou d’une généralité que d'une vérité logique. Contre toute théorie de l’abstraction, il s’agit de montrer que les essences elles-mêmes font l’objet d’une saisie intuitive, mais la question du § 34 est de savoir comment accéder à une saisie immédiate de Va priori. En partant directement de la réduction eidétique on courait le risque de la comprendre comme une méthode d’abstraction; tandis qu’en partant, dans un style cartésien, de mon ego de fait, il est possible de montrer maintenant comment il y a bien intuition de Veidos ego dans la mesure où cette intuition est bien obtenue à partir de l’intuition de mon ego de fait. Il est vrai que la réduction eidétique peut être mise en œuvre indépendamment de la réduction phénoménologique, mais si l’analyse eidétique n’ intervient qu’à ce moment des Méditations cartésiennes, et non comme première section, ainsi que dans les Idées /, c’est pour montrer que l’intuition de Veidos ego n’est pas séparée de l’intuition de mon ego de fait,

et temps a ouvert un tout autre horizon de réflexion, I. Il est clair que Heidegger avec: Être . ju’avec cette analyse de la monade Husserl pousse le plus mais il n’cn demeure pas moins qu loin possible l’idée directrice de la1 |phénoménologie, à savoir que la question du sens renvoie toujours à un état de la pensée.

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mais qu’elle est au principe même de cette intuition : la vision de l’essence est le principe même de toute visibilité. Ainsi, le passage de ma monade à l’errfos ego n’est pas un cas particulier d’idéalisation, mais bien la clé de J l'idéalisme transcendantal égologique. En conséquence, le projet même fl des Méditations cartésiennes réussit ou échoue dans ce § 34. Certes, les ] recherches précédentes ont déjà dégagé des nécessités d’essence, ont déjà mis en œuvre un concept défini de l’a priori comme intuitif et idéal, mais seul le fait d’établir la possibilité d’une saisie de l'être objectif de l’essence de Vego peut fonder la phénoménologie comme possibilité. Or la fermeture sur ma monade rend hautement problématique l’intuition de Veidos ego-, car à partir de mon ego de fait, il est certes possible d’imaginer d’autres ego, mais ce n’est pas là obtenir une idéalité. Je peux encore m’imaginer autre, par exemple plus patient, je peux même dégager mon idéal empirique de perfection, mais là encore ce n’est pas une saisie de l’essence. Comment passer du réel au possible? L'eidos ego doit pouvoir être saisi en dehors de toute facticité, et être la condition de possibilité de tout ego de fait ; son idéalité doit être absolument libre de tout rapport à une subjectivité particulière actuelle. Tel est l’instant de vérité de la voie cartésienne : ou l’on demeure bloqué dans la facticité, ou l’on peut accéder à l’essence de Vego libre de toute empirie, c’est-à-dire à l’a priori de toute expérience possible en général. C’est la variation imaginative, dont Husserl va définir les conditions, qui rend possible le dévoilement de l’a priori par réduction de l’a poste­ riori, et qui du même coup rend visible la facticité comme une parti­ cularisation de l’essence. En effet, c’est elle qui montre comment, à partir de l’expérience concrète de soi comme monade, il est possible d’accéder à l’a priori subjectif en général comme a priori concret, et non comme a priori construit par abstraction. La méthode de l’idéalisation est iden­ tique, pour Vego transcendantal, à celle qui est mise en œuvre pour tout autre étant, comme la table ou l’objet rond: la variation doit être libre, arbitraire et s’accompagner du « etc. ». Autrement dit, on part d’une table quelconque, on lui fait subir toute modification possible sans autre limita­ tion que l’exigence que ce soit toujours une perception de table, dans une neutralité complète vis-à-vis de la valeur d’être de ce qui est perçu, de façon que toute perception particulière finisse par se donner comme une pure possibilité. Le souvenir n’ouvrirait ici qu’à des possibilités liées à l’expé­ rience factuelle de ma monade, mais ne pourrait pas donner à voir telle perception de table, comme un pur possible indépendant de toute vie monadique particulière. L’imagination, elle, est infinie, et n’a d’autre limite que l’essence de la chose même, qui se donne alors à voir indépen­ damment de ma subjectivité particulière, ce qui est une condition impé-

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rieuse de la possibilité d’une connaissance objective du monde. Le pouvoir libérateur de l’imagination n’est pas de supprimer la singularité d’une perception, mais de la donner à voir comme une pure possibilité libre de l’a priori concret. Ainsi Husserl, après s’être efforcé de prouver qu’il ne manque pas la subjectivité concrète, revient brutalement à son projet central, pour montrer que le monde n’est pas pour autant une production de ma monade particulière, et qu’à partir de ma vie factuelle il y a un chemin d’accès à l’a priori concret des choses, qui est indépendant de ma facticité. Il s’agit de montrer que laconnaissance objective ne demande pas dechoisir entre un moi empirique factuel et un ego transcendantal purement formel. Alors que l’intuition de telle table devant moi est soumise à des conditions contraignantes, notamment qu’un objet n’est jamais perçu seul, l’intuition des essences suppose de se libérer de toute contrainte : on peut prendre pour point de départ une projection qui n’a aucun lien avec la vie factuelle, puisque la variation peut et doit être arbitraire, sans souci de concordance, et qu’une multiplicité ouverte infinie doit être donnée‘.C’est donc bien cette liberté de l’imagination volontaire, forme spécifique de la conscience d’objet sous le mode du « comme si », qui permet la donnée de cette irréalité qu’est l’eidos dans toute son extension idéale. Il n'y a donc dans cette méthode eidétique aucun psychologisme, puisque l’es­ sence n’est pas le résultat d’une abstraction, et qu’elle n’a pas d’existence «mentale». L’essence comme sens idéal n’est donc pas identique au noème comme sens constitué d’un objet, même si cette constitution n’est pas possible sans le sens idéal. Le corrélât de l’intuition pure des possibi­ lités est donc bien « une conscience intuitive et apodictique d’universalité. L’eidos lui-même est un universel vu ou visible». Cette imagination libre donne accès à la rationalité du monde, en ce qu'elle rend possible l’évidence des essences, c’est-à-dire une donnée directe et adéquate. L’essence qui se donne de soi-même, de façon apodictique, n’est donc pas le résultat d’une construction ou d’une déduction. Husserl peut ainsi montrer, contre les empiristes et les rationalistes, que l’évidence n’est pas un mode subjectif de présence à soi, mais bien le mode de donnée des essences. Sans cette conscience intuitive et apodictique d’universalité, il n’y a en quelque sorte rien à voir; le voir eidétique donne sens au voir. La fiction est donc bien, comme le disait déjà le § 70 des Idées /, l’élément vital de toute science eidétique, parce qu’elle donne accès au sens idéal indépen­ damment de toute subjectivité actuelle. Par elle, l’ego transcendantal dans sa réflexivité se comprend lui-même comme un pur regard eidétique, parce 1 - Sur cette question voir L'idée de la phénoménologie, quatrième leçon; Idées I, §70;et Expérience etjugement, § 87.

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qu’en elle il fait non seulement l’expérience de sa liberté, mais aussi celle de la résistance de l’essence, qui fait que la chose elle-même est la norme de sa connaissance. De ce point de vue, Husserl peut dire que Veidos précède tous les concepts, dans la mesure ou il a toujours montré que c’est seulement dans le remplissement intuitif que la connaissance se forme. Autrement dit, sans intuition eidétique il n’y a pas de concept, mais seulement une intuition symbolique vide. La nomination n’est en effet une connaissance que si elle se fonde dans l’intuition eidétique, dans la mesure où l’intuition des essences est ce qui assure qu’elle n'est pas le résultat d’un acte de la subjectivité, mais est donnée avec toute perception particulière, et s’impose donc à toute subjectivité. L’a priori concret précède bien toutes les significations verbales, et pour Husserl une philosophie qui ne s’en tiendrait qu’aux significations verbales serait aussi creuse et morte que son objet. En comprenant le possible pur non comme un probable, ce qui maintiendrait un lien avec la vie égologique factuelle, mais comme un simple pensable, Husserl explicite la conversion de l’intuition sensible en intuition catégoriale. Ces thèmes ne sont pas nouveaux dans la pensée de Husserl, mais ici ils prennent une autre signification, puisque la saisie de Veidos ego a valeur de fondement. En effet, avec les Méditations cartésiennes l’évidence de l’eWos est indissociable de l’évidence de Veidos ego: l’élucidation de la rationalité du monde ne peut être séparée de l’élucidation des structures a priori de la subjectivité transcendantale. L’ego doit donc s’idéaliser luimême pour idéaliser tous ses objets d’expérience : le retour à Veidos par le libre jeu de l’imagination est toujours en même temps un retour à Veidos ego. Le sujet connaissant s’idéalise, il se saisit lui-même comme une pure possibilité, il saisit tout élément de sa vie singulière factuelle comme un simple exemple d’une possibilité pure, il saisit toute genèse particulière de sa monade comme une possibilité des formes temporelles universelles, lois aprioriques de toute genèse. Dès lors - Husserl insiste sur ce point - la phénoménologie comme égologie ne s’en est jamais tenu à un moi empirique, mais depuis le début des Méditations cartésiennes son objet est en réalité Veidos ego. Toutes les investigations d’essence de la phénoméno­ logie ne sont donc rien d’autre que le « dévoilement de l’etdos universel de l’ego transcendantal en général ». Ainsi, la variation imaginative est aussi la capacité de s’imaginer autre sans s’imaginer un autre et elle est donc la capacité à faire en soi l’expérience de la résistance de l’essence. Ma monade se donne alors à voir comme une pure possibilité de Veidos ego et la fiction est également l’élément vital de toute égologie, comme elle sera un élément décisif du transfert aperceptif dans la Ve méditation. En cela, le chemin cartésien qui a conduit du moi empirique au je pur, puis du je pur à

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la monade, se poursuit en conduisant de la monade à Veidos ego, objet des paragraphes suivants. L’égologie transcendantale va pouvoir étudier les structures invariables de toute expérience, sans lesquelles il n’y a pas d’objet. Il faut reconnaître cependant que dans celte deuxième partie du §34 Husserl affirme plus la nécessité d’une réduction à Veidos ego, qu’il n’en montre la possibilité. Il affirme bien la clôture de la subjectivité, et la nécessité de ne pas faire appel à l’intersubjectivité, puisqu'il s’agit d’en fonder la possibilité; mais il ne se demande pas si la variation libre de l’imagination peut s’effectuer dans les mêmes conditions pour la table et pour Vego. Il y a d’abord une question de principe : l’accès à l’origine de tout sens idéal peut-il être identique à l’accès au sens idéal d’une chose particulière? En outre, en rappelant la nécessité d’exclure l’intersubjectivité, Husserl indique indirectement une difficulté : à partir de mon ego de fait, il n’est possible de saisir que Veidos de mon ego transcendantal, et non Veidos de Vego transcendantal en général. L’une des conditions de la varia­ tion imaginative, son arbitraire, ne semble pas ici parfaitement satisfaite, puisqu’il n’est pas possible de multiplier arbitrairement les sujets, sauf à présupposer l’intersubjectivité. La fiction produite à partir de mon seul ego de fait ouvre au possible de soi, mais non pleinement au possible pur, et c’est donc la possibilité même de l’intuition eidétique qui peut ici être mise en question. La possibilité de décrire la vie du sujet sans tomber dans l’empirie est-elle ici pleinement établie? Est-il totalement possible de soustraire Vego à toute facticité? Au moment même où la possibilité de l’idéalisme transcendantal égologique doit se gagner contre toute anthro­ pologie, le propos de Husserl ne deviendrait-il pas, étrangement, plus prescriptif que descriptif? Husserl n’est pas sans réponse à de telles objections, dans la mesure où la réduction à Veidos ego n’est pas pour lui une question régionale, et où toute recherche des nécessités d’essence est une élucidation de Veidos ego', de ce fait, si la possibilité de la variation imaginative est établie pour la table, elle est aussi établie pour Vego, et il est donc inutile de l’établir à nouveau. En outre les structures de la subjectivité ne sont pas dépendantes de chaque subjectivité actuelle et il n’est pas nécessaire de partir d’une pluralité de monades pour accéder à l ’eidos ego, puisque chaque sujet peut depuis son histoire retrouver le je pur comme opérateur réflexif. Husserl a donc bien mis en évidence la possibilité d’une saisie des lois a priori de toute genèse transcendantale, et l’eidétique demeure pour lui la «philo­ sophie première» par rapport à toute philosophie génétique. Ce §34 dégage donc bien la structure onto-ego-logique de la phénoménologie, et la double réduction, phénoménologique et eidétique, comme méthode : c’est

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bien le même ego qui se saisit comme je pur, puis comme monade, et qui ensuite saisit en lui-même la structure universelle de Vego. Le § 35 peut alors montrer en quoi la méthode eidétique peut clarifier le parallélisme entre psychologie intentionnelle et phénoménologie transcen­ dantale. Ce n’est pas Veidos de l'âme qu’il s’agit de donner à voir, mais Veidos de Vego transcendantal, c’est-à-dire les conditions de possibilité de toute expérience en général. La psychologie phénoménologique comme critique de l’expérience interne peut bien être un point de départ; il est nécessaire toutefois de s’arracher à toute positivité, si on veut montrer que le temps est l’être de toute chose. L'eidos âme demeure Veidos d’une substance, alors que Veidos ego est vraiment Veidos d’une genèse. Pour désubstantifier Vego et pour montrer que tout être, parce que constitué par Vego temporalisant, doit être compris comme temporel, il n’y a pas à renoncer à la méthode eidétique, bien au contraire. Au-delà des déclarations d’intention, il s’agit, à partir du § 36, de mettre en œuvre cette méthode eidétique de façon à dégager les lois d’essence de Vego. Il s’agit d’une étape essentielle pour montrer que le «je pense » n’est pas le seul texte de la psychologie rationnelle et que, transcendantalement, il est possible d’effectuer une idéalisation de Vego qui conduit à mettre en évidence une « structure universelle a priori », une structure en quelque sorte structurante pour toute la vie de Vego. L'ego transcendantal n’est pas vide, parce qu’il se définit par des structures constituantes, des formes universelles de la genèse égologique. La monade n’est pas l’assemblage d’un je formel et d’une somme indifférente de vécus; elle est ce qui se constitue selon des structures a priori, qui font qu’un sujet, en fonction de ce qu’il est devenu, ne peut pas par principe tout devenir. Ainsi, la mise en évidence de Veidos ego libère de l’anonymat d’un ego qui serait à la fois personne et tout le monde, car compris en faisant abstraction de sa genèse. La variation eidétique est précisément ce qui apprend à voir toute genèse factuelle, autrement dit la mienne, puisqu’il n’est pas possible de présup­ poser l’intersubjectivité, sinon comme exemple de possibilité pure. En faisant librement et arbitrairement varier mon ego de fait, je peux saisir en toute clarté qu’ il y a une singularité qui résiste à cette variation, et que dans cette genèse que je suis, tous les possibles ne sont pas compossibles. Autrement dit, la simple succession ne peut pas assurer seule l’ordre de la genèse égologique, et ce qui a eu lieu détermine d’une certaine façon l’ho­ rizon a priori des possibles. Il ne s’agit pas ici d’une réflexion sur la finitude de Vego, puisque tout ego transcendantal conserve un horizon infini de possibilités; mais seulement de souligner que toutes les possibilités ne peuvent pas êtres ouvertes en même temps dans un même ego, et que l’ordre tient aussi à la loi de la coexistence, sans laquelle le temps perdrait

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toute réalité, puisque l’horizon des possibles serait toujours identiquement ouvert, comme s’il ne s’était rien passé. Déjà dans les Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, Husserl avait montré que le temps n’est pas la simple condition de possibilité rendant le donné accessible, mais qu’il est la subjectivité elle-même dans son pouvoir de synthèse, puisque l’unité d’une pièce est l’unité d’une diversité qui s’écoule. La perception de la pièce ne consiste pas dans l’application d'une unité fixe sur une diversité mouvante, puisque la pièce est une unité synthétique dans le temps immanent, qui est lui-même mouvant ; et que, de ce fait, la conscience transcendantale n’est pas un élément fixe accompa­ gnant les représentations mouvantes, mais est elle-même temps. Les Méditations cartésiennes prolongent ces analyses, en montrant non seulement que l’être de Vego est fluent, mais qu’en outre cette temporalisation porte en elle la structure a priori de la coexistence et de la succession. Pour le montrer, celui qui élabore une science eidélique de Vego s’idéalise lui-même, pour voir que cette possibilité ne peut être que celle d’un ego rationnel. Ainsi, cette possibilité suppose bien un type a priori particulier, et n’est pas compossible avec la vie animale: la théorisation scientifique n’est un possible que pour un ego rationnel, ce qui inclut, pour le moment, l’enfant1. La vie animale peut correspondre à une forme de centration égologique, sur le mode du «comme si », qui n’est pas compos­ sible avec l’activité scientifique. De même pour le fou (car Husserl envi­ sage parfois cette question), l’activité rationnelle ne peut coexister qu’avec la guérison. Néanmoins, une deuxième condition a priori apparaît: cette théorisation ne peut être placée imaginativement à n’importe quel moment de ma vie, et notamment, elle n’est pas compossible avec l’enfance. L’arbi­ traire de la variation trouve ici une limite, puisque dans ma vie d’enfant la recherche scientifique demeure un possibleet ne peut devenir effective. Ainsi, la monade n’est pas une pure forme vide; au contraire, les vécus intentionnels, les unités constituées, les habitus, temporalisent Vego, qui n’est pas un simple pouvoir intemporel de dire «je », mais porte en lui une vie, qui fait qu’il ne peut pas tout devenir indifféremment. Sans succession il n’y a pas de temps, sans la loi de la coexistence non plus, et ces deux structures a priori font que Vego se temporalise sans cesse. Le temps est donc la forme universelle de celte activité de succession et de coexistence, dans laquelle chaque genèse est particulière. La variation imaginative dévoile le temps comme la forme de toutes les formes, et Husserl prolonge ici les analyses du § 18, sur le temps comme essence même de l’ego identifié au pou voir de synthèse : pour que lefluxde 1. Husserl n’évoque pas ici la question du fou.

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l'apparaître soit un seul et même flux, il doit se constituer lui-même dans l’unité d’une synthèse, et cette synthèse est ici comprise comme celle de la genèse égologique. 11 s’agit bien pour l’analyse intentionnelle de mettre en évidence la structure - c’est-à-dire la syntaxe - de toute expérience possi­ ble, mais la question est maintenant d’établir le lien indissociable entre l’égologie et la théorie de l’objet. Non seulement des synthèses ponctuelles donnent lieu à des objets intentionnels, mais celles-ci renvoient à la synthèse continue de la vie égologique : l’ego transcendantal temporalisant est lui-même temporalisé. Dire, au §37, que «le temps est la forme uni­ verselle de toute genèse égologique » ce n’est pas le comprendre de façon kantienne comme la condition de possibilité rendant l'ego accessible; il ne s’agit pas de la contrainte de saisir dans le temps l’essence intemporelle de Vego. Tout au contraire, il s’agit pour Husserl de montrer que l'ego est temps, que le temps est l'ego dans son mode de donnée, et que la tempo­ ralité du rapport à soi fonde la temporalité du rapport aux choses. La tem­ poralité des objets intentionnels se fonde sur la temporalité des actes intentionnels, qui se fonde elle-même sur la temporalité de l’ego transcendantal : l’eg