Les bibliothèques grecques de l' Égypte hellénistique: Lire Homère à l'ombre des sycomores (French Edition)
 9782343220284, 234322028X

Table of contents :
REMERCIEMENTS
PRÉFACE
INTRODUCTION
De la Bibliothèque royale à la naissance des bibliothèques publiques et privées
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIÈRES

Citation preview

Alexandrie, cité grecque et nouvelle capitale dynastique, rayonne sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Sa Bibliothèque royale, lieu d’accumulation et de recherche totalement inédit, devient le nouveau cœur de l’hellénisme. Fondée par Ptolémée Ier avec le soutien de Démétrios de Phalère (330282 av. J.-C.), cette structure exceptionnelle à plus d’un titre est considérée traditionnellement comme le point de départ de l’histoire des bibliothèques. Néanmoins, les sources littéraires directes et les vestiges archéologiques sont rares voire inexistants. La découverte, en dehors d’Alexandrie, de plusieurs centaines de fragments de rouleaux de papyrus d’œuvres littéraires grecques témoigne de l’étendue de la dynamique culturelle et patrimoniale. L’étude des bibliothèques grecques en Égypte ptolémaïque lève le voile sur la diversité des structures de conservation et la nature des collections, tant à Alexandrie que dans les villes et villages hellénophones, notamment dans le Fayoum. Ces travaux de recherche portent un nouveau regard sur la richesse et la vitalité intellectuelle à l’époque lagide et permettent de revoir l’approche alexandro-centrée.

Cet ouvrage est lauréat du Prix scientifique L’Harmattan. Diplômée de l’École du Louvre, Hélène Fleury Ameztoy est responsable des fonds anciens à la Bibliothèque municipale de Bordeaux et est professeure associée à l’Université Bordeaux Montaigne. Doctorante en histoire, elle poursuit des recherches sur la transmission des savoirs et les relations entre pouvoir et culture à l’époque gréco-romaine.

Hélène Fleury Ameztoy

En 323 av. J.-C., à la mort d’Alexandre le Grand, le vaste territoire conquis par le Macédonien est partagé entre ses généraux. L’un d’entre eux, Ptolémée, hérite du pays du Nil où il fonde la dynastie des Lagides qui règne jusqu’à la mort de Cléopâtre VII en 30 av. J.-C. Durant trois siècles, des GrécoMacédoniens s’installent en Égypte où se développe une société atypique.

Hélène Fleury Ameztoy

Lire Homère à l’ombre des sycomores

Lire Homère à l’ombre des sycomores

LES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES DE L’ÉGYPTE HELLÉNISTIQUE

LES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES DE L’ÉGYPTE HELLÉNISTIQUE

Prix scientifique

Prix scientifique

LES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES DE L’ÉGYPTE HELLÉNISTIQUE LIRE HOMÈRE À L’OMBRE DES SYCOMORES Préface de Typhaine Haziza

Prix scientifique

Couverture : Lhote Nestor, Série de temples égyptiens (Thèbes) (MS114 ; E254239) Paris, bibliothèque centrale des musées nationaux Photo © RMN-Grand Palais / Michèle Bello

ISBN : 978-2-343-22028-4

25 €

LAURÉATS / Série Doctorat

Prix scientifique L’Harmattan

 

   ///).

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IV.1. DES BIBLIOTHÈQUES PRIVÉES À VOCATION « PROFESSIONNELLE » Les productions littéraires et les usages des collections se diversifient : l’érudit n’est plus le seul propriétaire de bibliothèques. La fréquentation d’une bibliothèque collective n’est pas non plus contradictoire avec la possession de sa propre collection de biblia. De nombreux professionnels, pour assurer leur activité, possèdent une bibliothèque. L’échange et l’acquisition de livres entre les amateurs se développent et reflètent la dynamique d’accumulation et d’exhaustivité typique de cette époque. Pour les enseignants et leurs élèves De rares bibliothèques privées grecques sont attestées par les sources littéraires dès le Ve s. av. J.-C. Il s’agit des bibliothèques de lettrés comme celle d’Euripide (481-407 av. J.-C.), dont l’œuvre traduit une érudition philosophique et sophiste341, pleine de parodies et d’allusions, qui s’inspire d’une riche collection de livres personnels342 dont il existe quelques témoignages littéraires343, et celle d’Aristote dont on connaît les différents aléas et propriétaires344. Cette dernière bibliothèque réunit au moins trois ensembles de livres345 : la collection personnelle du philosophe (composée des écrits philosophiques et littéraires des auteurs antérieurs), la production écrite d’Aristote lui-même (ses traités, ses documents de travail, les notes prises par ses étudiants lors de ses leçons orales) et, enfin, la production des disciples (leur participation aux recherches de l’école, leurs traités scientifiques et philosophiques). Pour Christian Jacob, on peut différencier des types de bibliothèques privées à l’époque classique : celles des lettrés-auteurs et celles de péripatéticiens346. À l’époque hellénistique, les professionnels et les élèves grecs gardent avec eux, chez eux probablement, de la documentation 341

Isabelle TORRENCE, Euripides, Londres, I. B. Tauris, 2019, chap. 4 et 5. Leighton REYNOLDS et Nigel Guy WILSON, Scribes…, op. cit., p. 1-19. 343 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3a ; ARISTOPHANE, Les Grenouilles, v. 943 et v. 1409. 344 Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 29-35. 345 Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76. 346 Christian JACOB, « Quatre fragments… », art. cité, p. 11-25. 342

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ou des textes nécessaires à la bonne pratique de leur métier ou de leur apprentissage. Ainsi, les rouleaux paralittéraires offrent le témoignage de la production de nombreuses listes (fleuves, dieux, artistes, auteurs, etc.). Par exemple, le livre scolaire347 (P. Cairo inv. 65445 = MP3 2642) qui date du IIIe s. av. J.-C. contient une liste des fleuves et des rivières, une liste de nombres, deux colonnes de mots monosyllabiques, une colonne de noms de divinités, quatre colonnes contenant des noms de 2, 3, 4 et 5 syllabes, ainsi qu’une petite anthologie poétique. La disposition en tableaux souligne un souci pédagogique. Des papyrus littéraires scolaires ont été retrouvés sur l’ensemble de la chôra : à Oxyrhynque (P. Köln Gr. 3.125 et P. Oxy. 4.761), à El Hibeh (P. Hibeh 2.184, P. Hibeh 2.189 et P. Heid. 1.200), à Krokodilopolis, à Memphis, à Tebtynis (P. Tebt. 3.901) ou encore à Ghorân (P. 110a et 110b, P. 66) (Fig. 2). On sait aussi que le frère de Zénon, Épharmostos, qui étudie à Alexandrie, cherche à se procurer une liste de livres (P. Col. Zen. II 60).

347

Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 31.

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Fig. 2 : Papyrus scolaires (P. 110a et P. 110b recto et verso), Lille, Institut de Papyrologie et d’Égyptologie.

Photo © Institut de Papyrologie et d’Égyptologie de Lille UMR 8164 HALMA (Univ. Lille, CNRS, MC)

Les maîtres utilisent les livres pour produire des documents scolaires comme les Livres du maître348 et peuvent également détenir une bibliothèque plus personnelle pour mener à bien leurs missions éducatives. Bernard Legras estime, en effet, qu’ils devaient posséder une collection qu’ils emportaient avec eux lors de leurs déplacements ; il s’agirait d’un type de « bibliothèque ambulante349 ». Pour les hommes de sciences La rencontre de la médecine égyptienne et des conditions très favorables octroyées aux praticiens grecs sous les premiers 348

Octave GUÉRAUD et Pierre JOUGUET, Un livre d’écolier du IIIe s. av. J.-C., Le Caire, IFAO, 1938. 349 Bernard LEGRAS, « Les lecteurs… », art. cité, p. 13.

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Ptolémées (accès à la Bibliothèque royale, mais aussi peut-être à une salle de dissection) crée une vaste émulation scientifique350 à Alexandrie et fait perdre à Cos la primauté de la bibliothèque médicale351. De ce fait, les pratiques médicales se développent dans les royaumes hellénistiques. Les médecins et les Asclépiades sont aussi des professionnels qui ont besoin, pour leur pratique et leurs connaissances, d’avoir accès à des données écrites et actualisées352 ; ils sont amenés à voyager353 pour rencontrer directement leurs confrères ou, indirectement, leurs ouvrages et à constituer leur propre bibliothèque. Pour Marie-Hélène Marganne, spécialiste des papyrus médicaux354, en matière de science proprement dite, il n’y a de transmission assurée que par les livres355 : sans les livres tout devient précaire. Ainsi, les bibliothèques personnelles et professionnelles doivent être considérées comme une évidence où la médecine connaît un développement sans précédent. Cependant, identifier leur propriétaire n’est pas chose aisée. En tout état de cause, il devait s’agir d’individus qui maîtrisaient la langue grecque. Ils étaient des Gréco-Macédoniens, des Égyptiens hellénisés ou encore des Juifs, médecins de profession ou amateurs éclairés, les philiatroi, « ceux qui aiment les médecins », chers à Galien356. Le papyrus documentaire grec (P. Heid. 3.226) confirme le développement d’une activité médicale en dehors des Asclépiades (apprentissage de père en fils) dès le IIIe s. av. J.-C. en Égypte. Le verso d’un compte conserve deux versions d’un contrat d’apprentissage de la médecine. L’étude approfondie de ce document par Antonio Ricciardetto permet de comprendre 350

Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 61. Jacques JOUANNA, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p. 83. 352 Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 19. 353 Marie-Françoise BASLEZ et Jean-Marie ANDRÉ, Voyager dans l’Antiquité, Paris, Fayard, 1993, p. 229. 354 Marie-Hélène MARGANNE, « Médecine grecque et papyrologie. Bilan et perspectives », Publications de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 15, n° 1, 2004, p. 235-251. 355 Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 21. 356 Marie-Hélène MARGANNE, « Les modes d’acquisition et de transmission du savoir médical dans l’Antiquité gréco-romaine », Histoire des sciences médicales, 2017, t. 51, n° 2, p. 163-174. 351

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qu’il s’agit, ici, plus exactement d’un exercice de scribe destiné à la maîtrise de la rédaction de contrats médicaux. Ce type de document est à rapprocher du Serment hippocratique357. Un nouveau type de livre apparaît : l’herbier illustré. Ce type d’ouvrages illustrés devait être relativement onéreux et pouvait donc se trouver sur les rayonnages des bibliothèques de collectionneurs, d’érudits ou d’amateurs éclairés. Selon Pline l’Ancien358, ce type de livre date du début du Ier s. av. J.-C., et aurait été inventé par le médecin Cratévas. À la même époque, Apollonios de Citium avait présenté comme une innovation son Traité des articulations illustré, dédié à un roi Ptolémée (Ptolémée XII Aulète, ou son frère, qui régna sur Chypre entre 80 et 58 av. J.-C.). Parfois mieux que les mots, le dessin permet d’expliquer les procédés de réduction hippocratiques. La découverte d’un lot de plusieurs fragments d’ouvrages médicaux hellénistiques originaires d’El Hibeh (P. Hibeh 2.190 ; P. Hibeh 2.191 ; P. Hibeh 2.192 ; Gr. 516 ; Gr. 39) confirme la présence d’une bibliothèque médicale. Ils pourraient constituer le fonds documentaire d’un praticien hippocratique de MoyenneÉgypte. Bernard Legras, quant à lui, pense avoir identifié dans les archives des khatokoi grecs du Serapeion de Memphis au IIe s. av. J.-C. la bibliothèque privée des frères Ptolémaios et Apollonios composées d’œuvres en grec (le papyrus de Milan) et en démotique (Le conte du Songe de Nectanébo)359. Pour les professionnels des arts du spectacle Il n’est pas possible aujourd’hui d’identifier un usage collectif de collections d’œuvres théâtrales destinées à être jouées dans un espace public. Cependant, la circulation de copies professionnelles d’œuvres théâtrales est bien attestée en Égypte. Leur caractère professionnel est confirmé par la présence de notes marginales (marginalia). Ainsi, le fragment d’une anthologie d’Euripide (P. 9771) originaire d’Hermopolis porte des annotations musicales, et un fragment d’Alceste d’Euripide 357

Ibid. PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, XXV, 8. 359 Bernard LEGRAS, Les reclus grecs du Sarapieion de Memphis, Louvain / Paris, Peeters, 2011, p. 193-229. 358

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(P. Oxy. 4546) exhumé des dépotoirs d’Oxyrhynque est considéré comme une copie de comédiens. Ils ne peuvent pas actuellement être rattachés à des collections privées. Au même titre que les fêtes ptolémaïques, le théâtre est le moyen privilégié pour transmettre et surtout fixer les textes littéraires. Le théâtre remporte un franc succès : les productions littéraires et les représentations sont en constante augmentation, notamment en raison des Dionysia360. Pour Jean Irigoin, c’est à partir du dernier quart du VIe s. av. J.-C. que le support écrit s’impose et que les productions littéraires se développent et se diversifient361. Après les festivals, les acteurs ont besoin d’obtenir des copies pour rejouer les pièces. Nous connaissons également au moins un des premiers Hellénophones en Égypte qui possède au IVe s. av. J.-C. un livre : il s’agit de l’homme enterré dans un cimetière de l’ancien faubourg de Memphis, à Bousiris, aujourd’hui Abousir. Il a été exhumé en 1902 avec, auprès de sa momie, un rouleau des Perses de Timothée (Pack² 1537)362 (Fig. 3) ainsi que des objets qui s’apparentent aux outils d’écriture (un petit sac en cuir, une éponge, un fer rouillé, un morceau de bois tourné). Le rouleau mesure 1 m 11. L’écriture est parfaitement lisible et identifiable puisque le poète se nomme lui-même dans les dernières lignes, Timothée le Milésien. Il reprend la partie du plus célèbre nome de Timothée, Les Perses, un nome citharodique, c’est-à-dire un long solo de chant exécuté avec accompagnement de cithare. Les notes de musique, signes mélodiques aussi bien que signes rythmiques, sont ici absents : il s’agit du livret d’une des plus célèbres « partitions » de l’Antiquité. Les poèmes sous forme écrite, contrairement aux versions orales, permettent de véhiculer une structure unifiée jusqu’à la recherche d’une édition à peu près définitive par les Alexandrins363. 360

Brigitte LE GUEN, « Théâtre et cités à l’époque hellénistique », Revue des Études Grecques, 1995, n° 108, p. 59-90. 361 Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 15. 362 Théodore REINACH, « Les Perses de Timothée », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1903, vol. 47, n° 2, p. 136-137. 363 Nicolas BERTRAND, « L’épopée homérique, de l’oralité à l’écriture », Camenulae, 2009, n° 3, p. 8.

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Fig. 3 : Papyrus Les Perses de Timothée de Milet (P. 9875 col. 2-6 recto), Berlin, Ägyptisches Museum.

Photo © Berliner Papyrus Datenbanke

Ce document est, à l’heure actuelle, le plus ancien livre grec que l’on possède. L’analyse paléographique le date de l’arrivée d’Alexandre le Grand en Égypte (332/331 av. J.-C.). L’analyse épigraphique, notamment les majuscules, permet d’en déduire qu’il s’agit d’une copie de « librairie », réalisée par un professionnel. Longtemps pensé comme un scribe364, le propriétaire de ce papyrus serait plutôt un rhapsode. Pour le papyrologue Eric G. Turner, il s’agirait de la tombe d’« un musicien ambulant venu en Égypte pour donner des récitals de musique grecque365 ». Mais pour Bernard Legras, ce rouleau est un document d’importation et son propriétaire serait un Grec de Memphis, un Hellénomemphite366. Cet exemple n’est pas la seule découverte de papyrus grec dans un contexte funéraire, mais ici le papyrus semble avoir été un objet significatif de la vie du défunt et non une offrande mortuaire367. IV.2. DES BIBLIOTHÈQUES PRIVÉES POUR UN USAGE PERSONNEL ET DE LOISIRS Le lectorat ne se réduit plus aux cercles d’érudits et de lettrés. Initialement pratiquée dans des petits cercles d’initiés, la lecture devient une activité plus personnelle. Le développement de la 364

Théodore REINACH, « Les Perses… », art. cité, p. 62-83. Eric Gardner TURNER et Colin Henderson ROBERTS (éds), Catalogue of the greek and latin papyri in the John Rylands Library, Manchester, vol. IV : documents of the ptolemaic, roman, and byzantine periods (n° 552-717), Manchester, Manchester University Press, 1952, p. 6. 366 Bernard LEGRAS, Lire en Égypte…, op. cit., p. 54. 367 Pénélope SKARSOULI, « Des papyri grecs en contexte funéraire. L’exemple de “L’Empédocle de Strasbourg” », Mètis, Dossier : normativité, 2017, p. 167187. 365

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production écrite, de la diffusion du livre et des idées initiées par les Sophistes, a pour conséquence une augmentation du lectorat et une variété de pratiques368. La lecture silencieuse369 qui permet de lire plus vite apparaît, pour Bernard Legras, dès la fin du Ve s. av. J.-C.370, et se développe pleinement au siècle suivant. Ce mode de lecture n’est pas à opposer à celui à haute voix : ces deux pratiques sont complémentaires. De la lecture comme moment de la vie associative propre à la cité, on passe à la lecture comme repli sur soi reflétant bien les attitudes culturelles et les courants de pensée de la civilisation hellénistique371. L’homme des Muses et le phénomène d’héroïsation L’époque hellénistique voit l’apparition d’un nouveau personnage dans la société : le mousikos anèr, l’homme des Muses, qui consacre sa vie à l’étude et qui peut espérer, après sa mort, goûter éternellement auprès des Muses le bonheur paisible du lettré. Cette démarche s’observe aussi dans l’iconographie des monuments funéraires, comme dans le sarcophage romain dit aux Muses conservé au Musée du Louvre (MR 880, n° usuel Ma 475). Réalisé vers le milieu du IIe s., période romaine où l’influence alexandrine est forte, cette pièce de marbre est vraisemblablement destinée à un lettré romain soucieux de manifester son attachement à la culture grecque. Les modèles sont empruntés à l’art grec classique des Ve et IVe s. av. J.-C. La création du temple des Muses, le Mouseion à Alexandrie, est l’aboutissement architectural de ce culte dans le quartier des palais royaux Basileia. Ce phénomène d’héroïsation372 vise au passage d’un personnage à l’existence avérée vers le statut de héros. En Grèce antique, le culte héroïque est le culte rendu par une communauté 368

Guglielmo CAVALLO et Roger CHARTIER (éds), Histoire…, op. cit., p. 12-20. Jesper SVENBRO, Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1988 ; Jesper SVENBRO, « La Grèce archaïque et classique. L’invention de la lecture silencieuse », dans Guglielmo CAVALLO et Roger CHARTIER (éds), Histoire…, op. cit. 370 Bernard LEGRAS, Lire en Égypte…, op. cit., p. 26. 371 Guglielmo CAVALLO et Roger CHARTIER (éds), Histoire…, op. cit., p. 12-20. 372 Jean-Pierre MOHEN, Les rites de l’au-delà, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 157. 369

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plus ou moins importante à un mort fameux ayant vécu dans un passé généralement légendaire et ayant apporté des bienfaits à cette communauté, par exemple comme fondateur de la cité, comme héros civilisateur ou encore comme guerrier373. Hésiode, au VIIIe s. av. J.-C., fixe le nombre et le nom des neuf Muses nées des neuf nuits que Mnémosyne la Titanide a passées avec Zeus374. Platon considère les neuf Muses comme des médiatrices entre le dieu et le poète375. Pour Ménandre (343-292 av. J.-C.), selon Henri-Irénée Marrou, la culture personnelle, telle que l’éducation classique permet de l’acquérir, apparaît comme « le bien le plus précieux qui soit donné aux mortels376 ». Dans son ouvrage les Vies des philosophes, le poète romain Diogène Laërce (180-240) relate de nombreuses anecdotes qui illustrent l’importance qu’a prise la culture dans la société hellénistique. À l’instar d’Alexandre le Grand qui est habité par le culte homérique377 et s’identifie à Achille, des particuliers pouvaient également vouer un culte à Homère.

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Paulo CARVALHO, « Les héros historiques de l’Asie Mineure », Circé. Histoires, Cultures & Sociétés (blog), 13 janvier 2014. (En ligne : ). 374 HÉSIODE, Théogonie, v. 77-79. 375 PLATON, Ion, 534. 376 Henri-Irénée MARROU, Histoire de l’éducation…, op. cit., p. 153-154 et 156. 377 Gilles COURTIEU, « La visite d’Alexandre le Grand à Ilion / Troie », Gaia, 2004, n° 8, p. 124.

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Fig. 4 : L’Apothéose d’Homère, bas-relief en marbre (GR. 1819.8-12.1), Londres, British Museum.

Photo © Marie-Lan Nguyen / Wikipédia

Le relief votif en marbre (Fig. 4) dit de l’Apothéose d’Homère, « œuvre d’Archélaos, fils d’Apollonios, de Pirène378 », est, à ce titre, exemplaire. Pour Jerome Jordan Pollitt379, il a probablement été exécuté vers 225-220 av. J.-C à Alexandrie, sous le règne de Ptolémée IV Philopator ; en revanche, pour Peter Marshall Fraser son origine est plus discutable, mais il soutient que la matière est sans conteste alexandrine et suggère qu’il a été réalisé pour un poète qui avait remporté une victoire à Alexandrie380. Le Musée du Louvre 378

Marion MULLER-DUFEU, La Sculpture grecque. Sources littéraires et épigraphiques, Paris, ENSBA, 2002, p. 573. 379 Jerome Jordan POLLITT, Art in the Hellenistic Age, Cambrigde, Cambridge University Press, 1986, p. 16. 380 Peter Marshall FRASER, Ptolemaic Alexandria…, op. cit.

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conserve, à travers une figurine en ronde-bosse et en terre cuite signée « Athénodoros » (Fig. 5), datée de la fin du Ier s. av. J.-C., la fidèle transcription de la Muse Clio figurée sur ce relief, témoignant de la célébrité du monument durant la période hellénistique. Fig. 5 : Muse debout tenant un volumen (Myr 204), Paris, Musée du Louvre.

Photo © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

L’imitation des pratiques royales par la nouvelle aristocratie hellénophone L’époque lagide voit l’apparition d’une aristocratie dont le statut social est associé à la possession de biens matériels culturels nouveaux : œuvres d’art et collections de livres381. En imitant les pratiques royales qui assurent à l’Égypte de devenir le conservatoire de la culture hellénique, l’élite lagide constitue 381

Jean CHARBONNEAUX, Grèce hellénistique, Paris, Gallimard, 2010.

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pour son propre intérêt (intellectuel ou social) des collections de biblia382. Cette démarche de mimétisme est soutenue par une littérature bibliothéconomique d’aide à la constitution de sa propre bibliothèque383, comme le propose le traité d’Artémon de Cassandreia (Ier ou IIe s. av. J.-C.), Peri sunagôgês bibliôn384, rapporté par le grammairien grec Athénée, lui-même né au IIe s. à Naucratis en Égypte. Pour Julien Tondriau, ce phénomène se développe essentiellement auprès des élites de la cour et des philoi qui participent à la tryphê royale, se caractérisant par le collectionnisme, la fabrication et l’exhibition du merveilleux385. En effet, le poète Posidippe (310-240 av. J.-C.) offre un portrait saisissant du rôle du merveilleux dans la vie de cour386. Contrairement à la grande masse des sujets, les membres de l’élite sont à même de participer – quoique dans une moindre mesure – aux procédés de collection. Si les thaumata387, les « merveilles », exhibés par les nobles, témoins de leur statut et de leur richesse, ont en commun avec les manifestations du pouvoir royal leur élément spectaculaire, ils s’avèrent toutefois moins éclatants. La constitution de bibliothèques privées peut répondre aussi à ce mouvement d’imitation qui consolide à la fois la hiérarchie sociale et un certain conformisme envers les valeurs proposées par les souverains. De riches Alexandrins possèdent, comme à Canope réputée pour son climat salubre388, des « villas » de campagne entourées de jardins389 avec vraisemblablement une bibliothèque privée. Les contextes de découvertes ou d’acquisitions ne permettent pas toujours d’apporter des informations probantes. Néanmoins, les 382

Luciano CANFORA et Nathaël ISTASSE, La bibliothèque…, op. cit., p. 19. La bibliothéconomie recouvre l’ensemble des techniques et savoir-faire nécessaires à la gestion d’une bibliothèque (la politique documentaire, la politique de services, la gestion des ressources et des moyens, les processus de traitement et de communication des documents, etc.). 384 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, XII, 515e. 385 Julien TONDRIAU, « La Tryphè, philosophie royale ptolémaïque », Revue des Études Anciennes, 1948, vol. 50, n° 1, p. 49-54. 386 POSIDIPPE, Section Lythika du papyrus de Milan (épigramme 1-20 AB). 387 HÉRODOTE, Histoires, II, 35. 388 AMMIEN MARCELIN, Histoires, XXII, 16, 13. 389 Pascale BALLET, La vie quotidienne…, op. cit., p. 183. 383

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papyrus littéraires hellénistiques découverts dans l’ensemble du territoire égyptien, en Basse-Égypte (Memphis), en MoyenneÉgypte (Bousiris, El Hibeh, Ghorân, Arsinoë, Oxyrhynque, Tebtynis) et en Haute-Égypte (Éléphantine, Hermopolis, Ptolémaïs) confortent l’idée que les riches propriétaires issus de la cavalerie des clérouquies du Fayoum, ou encore les fortunés commerçants et fonctionnaires de Ptolémaïs, peuvent aussi constituer leur propre collection de rouleaux. Le corollaire du développement des bibliothèques privées est l’apparition d’un personnage nouveau : le collectionneur. Le livre, source de savoirs, devient objet de collection. Dès le Ve s. av. J.-C., cette pratique apparaît. Socrate se moque en effet d’Euthydème, qui « avait fait une nombreuse collection d’ouvrages de poètes et de sophistes les plus renommés, [et qui] croyait, pour cette raison, l’emporter déjà en sagesse sur ceux de son âge390 ». Le jeune aristocrate se procure le plus grand nombre possible de livres pour constituer sa propre bibliothèque et acquérir les connaissances nécessaires pour briller en société. Le désir de collectionner des livres se traduit par deux courants : la bibliophilie et la bibliomanie. Le bibliophile est à la recherche de livres rares, la notion qualitative motive ses choix ; tandis que le bibliomane n’est intéressé que par l’aspect quantitatif de sa collection. Ainsi, quand ce phénomène prend encore plus d’ampleur à l’époque romaine, Lucien de Samosate, un des grands satiristes grecs qui vit en Égypte au IIe s. av. J.-C., écrit un pamphlet acerbe et piquant : L’Ignorant bibliomane. Il fustige les Gréco-Romains qui achètent sans discernement d’invraisemblables quantités de livres : « D’autant plus que tu n’achètes pas les meilleurs livres, mais que, t’en rapportant à ceux qui en font l’éloge au hasard, tu deviens un don de Mercure pour les bouquinistes hâbleurs, un trésor assuré aux brocanteurs de cette espèce391. » Ces pratiques sont également dénoncées par Sénèque (v. 1-65) : « Achetons les livres dont nous avons besoin, n’en achetons pas pour la parade392. »

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XÉNOPHON, Les Mémorables, IV, 2, 1 (trad. Talbot). LUCIEN DE SAMOSATE, L’Ignorant bibliomane (trad. Talbot). 392 SÉNÈQUE, De la tranquillité de l’âme, IX, 4, 5 (trad. Lazam). 391

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La porosité des fonds documentaires et littéraires Le livre a plusieurs fonctions dont la première est la conservation par écrit d’une information ; il permet aussi de garder dans les archives familiales la trace d’un exploit célébré par un poète ou peut faire l’objet d’une offrande à un dieu en guise d’ex-voto393. La notion de « bibliothèque » peut être comprise de manière très large et prendre en compte les copies personnelles de textes. La constitution d’une collection personnelle de biblia ne se matérialise pas nécessairement par la création d’un espace dédié. Ainsi, des œuvres littéraires peuvent être présentes dans des lots d’archives. Tout particulièrement étudiées par Claire Préaux394, Claude Orrieux395 et William Clarysse396, les archives privées et professionnelles de Zénon proviennent de Philadelphie, dans le Fayoum. Elles constituent un ensemble exceptionnel, de près de 1 800 papyrus actuellement publiés (sur plus de 5 000 au total), et une source d’informations unique. Elles décrivent un personnage d’un grand intérêt historique : fils d’Agreophon, Zénon est né vers 285 av. J.-C. à Kaunos, une ville de Carie, qu’il quitte pour poursuivre une carrière en Égypte. Il est d’abord un représentant d’entreprise et dans un premier temps le secrétaire privé du dioiketes ou ministre des finances Apollonios. Plus tard, il devient le gestionnaire d’une dôréa d’Apollonios à Philadelphie. Il combine cette fonction avec l’entrepreneuriat privé en Arsinoïte. Sa carrière en Égypte est bien illustrée par ses archives. Dans une lettre (P. Cairo Zen. 59888), nous apprenons qu’il fait reproduire des œuvres littéraires qui peuvent lui procurer un « passe-temps » quand il n’a « personne avec qui bavarder », ce qui fait sans contexte de Zénon un propriétaire d’une bibliothèque privée397. Nous savons également que Zénon possède des documents littéraires et a donc, à ce titre, une bibliothèque qui reste néanmoins difficile à évaluer. Ses archives sont associées à des 393

Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 15. Claire PRÉAUX, Les Grecs en Égypte…, op. cit. 395 Claude ORRIEUX, Les papyrus de Zénon…, op. cit. ; Claude ORRIEUX, Zénon de Caunos, parépidèmos, et le destin grec, Paris, Les Belles Lettres, 1985. 396 Willy CLARYSSE et Katelijn VANDORPE, Zénon…, op. cit. 397 Bernard LEGRAS, « Les lecteurs… », art. cité, p. 11. 394

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papyrus littéraires et paralittéraires (environ 0,8 %) ; parmi eux : deux épitaphes pour son chien de chasse, Tauron, qui a sauvé son maître (P. Cairo Zen. IV 59532 = LDAB6935), un fragment lyrique ou tragique avec notation musicale (P. Cairo Zen. IV 59533 = LDAB6931) et une liste de livres pour son frère Épharmostos qui étudie à Alexandrie (P. Col. Zen. II 60). Ce dernier fragment de papyrus retranscrit une liste des livres réalisés pour Épharmostos : une collection inconnue de Callisthène et une collection d’« Ambassades ». Ces biblia auraient peut-être appartenu à Zénon398 et auraient pu faire l’objet d’échanges. Parmi les textes divers, il y a trois couvertures de papyrus qui décrivent brièvement leur contenu (P. Lond. VII 2120, 2133 et peut-être 2187). Peut-être moins exceptionnelles, mais tout aussi instructives, les archives de Dryton datées de 174 à 94 av. J.-C. ont été découvertes à Pathyris où Ptolémée VI Philométor (163-145 av. J.-C.) a édifié un camp militaire. Elles sont constituées de 53 fragments de papyrus et de 6 ostraca. Dans cet ensemble d’archives familiales, un texte littéraire a été incorporé : un fragment de poème érotique (P. Dryton 50) copié, certainement par Dryton lui-même, au dos d’un de ses anciens prêts. Il a apparemment été écrit directement à partir d’un original dans lequel des signes comme des doubles points ont été utilisés comme aides399. La présence de rouleaux littéraires dans les archives privées permet d’attester de collections personnelles et induit l’idée d’une porosité entre archives et œuvres littéraires. Le contexte de découverte (remplois ou dépotoirs) reflète le mode de collecte de ces documents dégradés ou devenus obsolètes dès l’Antiquité, et non l’usage initial qui en était fait. Selon Jean-Luc Fournet, qui étudie précisément les textes, il existe également une perméabilité dans la production des archives et des œuvres

398

En ligne : . Elena ESPOSITO, Il « Fragmentum Grenfellianum » (P. Dryton 50). Introduzione, testocritico, traduzione e commento, Bologne, Pàtron editore, 2005, p. 50. 399

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littéraires à cette période ; il parle de la « littérarisation du document » et de la « documentarisation de la littérature400 ». IV.3. LES BIBLIOTHÈQUES PRIVÉES DANS L’ARCHITECTURE DOMESTIQUE Souvent rien ne distingue archéologiquement les locaux à destination domestique des lieux de stockage (mobile ou non) propres aux livres. Ainsi, à Tebtynis, la maison appelée la « Cantina dei Papyri401 » ne présente aucune structure particulière de stockage ou de consultation. Il est difficile de dire si les papyrus trouvés dans la cave venaient de cet édifice ou y avaient été transportés. Il faut donc rester très prudent quant à l’identification d’un espace de conservation domestique puisque les moyens de stockage fixes constitués de matières organiques peuvent avoir disparu tout comme les documents ou les conditionnements mobiles. Le modèle vitruvien de la bibliothèque privée hellénistique L’ingénieur romain Vitruve, au Ier s. av. J.-C., rappelle qu’une bibliothèque personnelle est indispensable pour l’élite grécoromaine : « Quant aux dignitaires, que l’exercice des plus hautes magistratures astreint à des obligations envers leurs concitoyens, […] il leur faut aussi des bibliothèques, des galeries de tableaux et des basiliques dont la magnificence de réalisation ne le cède en rien à celle des bâtiments publics402. » Cette description n’est pas sans rappeler la villa de Pison à Herculanum qui ne doit donc pas faire exception et dont le modèle est à trouver dans les bibliothèques privées hellénistiques. L’architecte décrit aussi la composition de riches demeures hellènes et notamment l’andronitis, partie qui regroupe les appartements des hommes et qui est dotée de bibliothèques : 400

Jean-Luc FOURNET, « Archives and libraries in greco-roman Egypt », dans Alessandro BAUSI et alii, Manuscripts and Archives. Comparative Views on Record-Keeping, Berlin, De Gruyter, 2018, p. 171-200. 401 Claudio GALLAZZI, « La “Cantina dei papiri”… », art. cité, p. 283-288. 402 VITRUVE, De l’architecture, VI, 5, 2 (trad. Callebat).

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« Ces appartements ont des vestibules magnifiques […]. Sous les portiques qui regardent vers le nord, des triclinia cyzicènes et des pinacothèques ; vers l’est, des bibliothèques, des exèdres vers l’ouest, mais, regardant vers le sud, des oeci quadratti […]403. » Nous notons l’absence de description d’espaces de conservation de livres dans le gynécée. Pour Peter Knüvener, les bibliothèques privées de l’époque impériale découvertes à Herculanum et à Pompéi sont des pièces de petites dimensions aménagées de meubles placés au centre de la pièce, parfois reconnaissables à leur décoration, associées à une petite pièce de lecture et à un triclinium404. Ce modèle reprend un type architectural grec. En s’appuyant sur ce modèle, Wolfram Hoepfner pense voir, dans des pièces de maisons à péristyle hellénistique de Délos, des bibliothèques405 : la maison du Dionysos, la maison de l’Inopos, la maison des Comédiens, la maison de la Colline. Michel Sève, quant à lui, rejette ces interprétations406. Les villas grecques en Égypte : des vestiges muets Si, d’après Vitruve, un espace domestique est consacré aux bibliothèques dans les villas grecques, les vestiges archéologiques en Égypte ne sont pas assez conséquents pour en attester. De même, le dossier de chantier de construction d’une villa de l’époque lagide à Philadelphie (P. Cairo Zen. II 59157 ; P. Cairo Zen. II 59665 ; P. Cairo Zen. II 59193), appartenant à un certain Diotimos (subordonné direct du diocète Apollonios), dont Zénon doit superviser les travaux, ne mentionne pas de bibliothèque407. Les fouilles des vastes nécropoles d’Alexandrie, comme celle de Mustafa Pacha, montrent le faste de l’architecture domestique alexandrine408. Plusieurs maisons d’époque gréco- romaine ont

403

Ibid., VI, 7, 3 (trad. Callebat). Peter KNÜVENER, « Private Bibliotheken in Pompeji und Herculaneum », dans Wolfram HOEPFNER (éd.), Antike Bibliotheken…, op. cit., p. 81-85. 405 Wolfram HOEPFNER (éd.), Antike Bibliotheken…, op. cit. 406 Michel SÈVE, « À propos des bibliothèques… », art. cité, p. 617. 407 Pascale BALLET, La vie quotidienne…, op. cit., p. 184. 408 Jean CHARBONNEAUX et alii, La Grèce hellénistique, nouv. éd., Paris, Gallimard, 2010, p. 418. 404

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été en effet mises au jour409 dans un quartier résidentiel occupé par des familles aisées qui vivaient dans des maisons de grandes dimensions richement décorées de mosaïques et de peintures murales, comme une maison d’époque impériale, découverte en 1994, de plus de 200 m2, décorée dans l’une des pièces d’une mosaïque figurant une tête de Méduse410. Seules de rares villas hellénistiques avec péristyle ont été exhumées en Égypte : aucune n’a pu apporter le témoignage de la présence d’une structure propre à une bibliothèque privée. À Tebtynis, une maison à péristyle à colonnes cannelées, construction d’apparat typiquement grecque, a été fouillée en 1996. Pour Dominique Valbelle411, elle s’inclut dans un ensemble plus large, daté de Ptolémée II, et devait être la propriété d’un personnage qui exerçait des activités à caractère agricole ou marchand en raison de la présence d’un pyrgos et d’un entrepôt, et qui occupait une position importante dans la société locale. Le péristyle de cette demeure donne sur la voie processionnelle. Actuellement, aucun vestige architectural ou architectonique ne permet d’authentifier une pièce destinée à conserver des documents écrits. Il faut s’éloigner du Nil et aller en Cyrénaïque, actuelle Libye, pour découvrir les vestiges architecturaux d’une vaste villa hellénistique à péristyle susceptible d’abriter une bibliothèque privée. Au IIe s. av. J.-C., la Cyrénaïque est sous domination ptolémaïque. Le futur Ptolémée VIII Évergète II y règne quelques années avec toute la monarchie jusqu’à sa disparition en 116 av. J.-C.412 À Ptolémaïs, ville fondée par les puissantes familles

409

Laurianne MARTINEZ-SÈVE, « Alexandrie. Travaux récents », Histoire urbaine, 2000, n° 2, p. 189-202. 410 Anne-Marie GUIMIER-SORBETS, « Le pavement du triclinium à la Méduse dans une maison d’époque impériale à Alexandrie (Terrain du théâtre Diana) », dans Jean-Yves EMPEREUR (éd.), Alexandrina I, Le Caire, IFAO (Études alexandrines I), 1998, p. 115-139. 411 Dominique VALBELLE, Les maisons-tours en Égypte durant la basse époque, les périodes ptolémaïque et romaine : actes de la table-ronde de Paris, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 29-30 novembre 2012, Paris, Centre de recherches égyptologiques de la Sorbonne, 2014, p. 40. 412 André LARONDE, « Alexandrie et Cyrène », dans Alexandrie : une mégapole cosmopolite. Actes du 9e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 2 & 3 octobre 1998, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1999, p. 96.

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grecques venant de Cyrène, Jean Charbonneaux413 rattache la structure dite du « Palais aux colonnes » à la création alexandrine (choix de pièces architectoniques et foisonnement ornemental) ou au moins à l’art du IIe ou du Ier s. av. J.-C. Cette demeure est la plus luxueuse des villas dans le quartier d’habitations le long du cardo, au nord de l’agora. La villa est sur deux niveaux de 600 m² et se divise en deux parties : au sud, une partie résidentielle avec plusieurs pièces construites au-dessus d’une citerne, puis une cour principale dont le péristyle à colonnes à fûts cannelés entoure un grand bassin rectangulaire et dont les sols étaient recouverts de mosaïques ; et au nord, une partie officielle centrée sur une grande salle de réception, recouverte de mosaïques dont Jean-Claude Golvin a réalisé une restitution414. Là encore, aucune salle n’a pu être identifiée comme un espace dévolu spécifiquement à la conservation ou la consultation de documents écrits (archives ou livres). Au regard du contexte culturel, social et économique du propriétaire de ce palais, il apparaît néanmoins fort probable que cette demeure ait abrité une collection de rouleaux. Mais à l’heure actuelle, aucune structure ne permet d’identifier une pièce dédiée à cette pratique. Un regard vers la péninsule italienne : Pompéi et Herculanum Des recherches similaires ont été réalisées dans la péninsule italienne. Pompéi offre un contexte culturel figé en 79, très influencé par l’art de vivre alexandrin et la culture littéraire grecque, comme l’a mis en lumière le chercheur italien Marcello Gigante en analysant les citations des graffiti415. Nous devons donc nous tourner vers les villes de Pompéi et d’Herculanum pour essayer d’appréhender l’aspect des bibliothèques ptolémaïques. Des bibliothèques privées romaines ont bien été

413

Jean CHARBONNEAUX et alii, Grèce hellénistique…, op. cit., p. 23-99. Voir en ligne : . 415 Alain MICHEL, « [compte rendu] Civiltà delle forme letterarie nell’antica Pompei de Marcello Gigante », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 1985, vol. 1, n° 2, p. 214-215. 414

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découvertes416 dans ce contexte archéologique très particulier, mais leur identification ne fait pas l’unanimité des historiens. En raison d’une structure apparentée à des étagères417 dans une petite pièce ouverte sur une colonnade avec une série de quatre exèdres alternativement semi-circulaires et rectangulaires, il a longtemps été considéré que la maison dite de Ménandre disposait d’une bibliothèque privée. Penelope Allison met en doute cette identification, arguant que ces tablettes portaient des petits objets en céramique (lampes, verres et vaisselles découverts au sol) et non des rouleaux418. En revanche, une bibliothèque privée est bien attestée dans la villa de Pompéi VI, 17, 41419 par la présence d’une niche pouvant accueillir un armarium et de peintures murales aux motifs iconographiques évocateurs, ainsi que d’une exèdre à colonnade sous un péristyle. Même dans le cas exceptionnel de la découverte de la bibliothèque de Pison, à la Villa dite des Papyrus à Herculanum, rien ne distingue archéologiquement cet espace d’une autre pièce d’une villa de luxe420. La présence de rouleaux littéraires reste indubitablement le meilleur témoignage permettant l’identification d’un lieu comme bibliothêkê. De plus, le volume de la collection conditionne l’espace utile de stockage (un meuble ou une pièce), rendant d’autant plus difficile l’authentification de la présence d’une bibliothêkê dans le domaine privé. À cela s’ajoute le fait que la pièce utilisée pour conserver des livres ne fait pas l’objet nécessairement d’une modification substantielle des modèles d’architecture domestique existants. En revanche, comme le dit Vitruve421, un emplacement est privilégié par commodité : à proximité d’un espace extérieur pour bénéficier d’éclairage et de la déambulation. Qu’en est-il des bibliothèques collectives ? Peut-on dans ce 416

Peter KNÜVENER, « Private Bibliotheken in Pompeji und Herculaneum », dans Wolfram HOEPFNER (éd.), Antike Bibliotheken…, op. cit., p. 81-85. 417 Lawrence RICHARDSON Jr., « The libraries of Pompeii », Archaeology, 1977, n° 30, p. 394-402. 418 Penelope Mary ALLISON, Pompeian households, Los Angeles, University of California Press, 2004. 419 Volker Michael STROCKA, « Pompeji VI 17, 41. Ein Haus mit Privatbibliothek », RM, 1993, n° 100. 420 Thomas HENDRICKSON, « The invention… », art. cité, p. 383. 421 VITRUVE, De l’architecture, VI, 4, 1.

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cas identifier plus spécifiquement un modèle d’architecture grecque propre à la conservation et la lecture de rouleaux de papyrus ? Concentrer la connaissance et les savoirs, c’est détenir un nouveau pouvoir culturel, mais aussi politique. Au moins jusqu’au IIe s. av. J.-C., la Bibliothèque royale lagide exerce cette fonction de manière hégémonique sur les royaumes hellénistiques. Novatrice à bien des égards, elle ne doit pas masquer la bibliothèque du Serapeion d’Alexandrie considérée comme la toute première bibliothèque publique ou encore le développement inédit des bibliothèques privées ou collectives, bien audelà de la capitale ou du delta du Nil. Les fragments de biblia permettent d’identifier quelques propriétaires et montrent que la possession de collections d’œuvres littéraires et scientifiques est devenue courante. Les bibliothèques privées peuvent aussi permettre une pratique collective en s’ouvrant à tout érudit local ou voyageur de renom, comme ce sera le cas durant plusieurs siècles avant que les bibliothèques publiques à proprement parler n’apparaissent au XIXe s. En effet, l’exemple de la bibliothèque particulière de Pison à Herculanum démontre, dans un contexte romain fortement influencé par l’époque hellénistique, que son usage peut devenir collectif. Elle s’apparente à une bibliothèque de mécène422 puisqu’elle est fréquentée par un collège de lettrés dont l’épicurien Philodème (110-40 av. J.-C.) est le principal membre.

422

Daniel DELATTRE, La Villa des papyrus et les rouleaux d’Herculanum, Liège, Éditions de l’ULG, 2006, p. 80-82.

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PARTIE II La bibliothèque grecque de l’Égypte hellénistique : un espace déjà défini et bien organisé ?

À l’instar de la Bibliothèque royale, des bibliothèques publiques et privées, dont les caractéristiques typologiques sont encore difficiles à cerner, émergent en Égypte. La conservation et l’accumulation de rouleaux littéraires marquent l’installation progressive d’une nouvelle relation avec le support écrit. Quels sont les impacts structurels et organisationnels de cette nouvelle pratique culturelle des Hellénophones ? Plusieurs points nécessitent d’être étudiés pour répondre à cette question. Dans un premier temps, il convient de voir si pour satisfaire à ce besoin les Gréco-Macédoniens s’adaptent aux modèles architecturaux existants ou si, au contraire, ils en créent un nouveau. En effet, la lecture et le stockage des rouleaux demandent des aménagements particuliers et la nature même du papyrus, en raison de sa fragilité, nécessite la mise en place de modes de conservation spécifiques.

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CHAPITRE I Tentative d’identification du modèle architectural de la bibliothèque grecque

Si l’on reprend les différentes données connues des bibliothèques grecques ptolémaïques, des éléments architecturaux sont concordants. Mais, peut-on parler pour autant d’un modèle architectural grec ? Les bibliothèques grecques, contrairement aux formes fixes romaines, ne présentent apparemment pas de plans ou de structures types423. Pour Ada Caruso, les observations générales permettent d’exclure la prééminence d’un modèle standardisé424. Néanmoins, Elżbieta Makowiecka a essayé d’établir, par opposition au modèle de la bibliothèque romaine, une architecture spécifique à la bibliothèque grecque425 en ne retenant comme exemples que les grands édifices publics ou surtout palatiaux. Pour elle, la différence majeure se réduit essentiel-lement à une salle donnant sur une cour à portique dans le cas grec, ce qui l’apparente au gymnase, et à une salle sans cour, oblongue, en largeur ou en hémicycle. D’autres structures hellénistiques426 se caractérisent par une salle de lecture principale avec des espaces 423

Brigitte GRATIEN et Roger HANOUNE (éds), Lire l’écrit. Textes, archives, bibliothèques dans l’antiquité, Villeneuve-d’Ascq, Université Charles-deGaulle-Lille III, Maison de la recherche, 1997, p. 109-117. 424 Ada CARUSO, « Le biblioteche… », art. cité, p. 61-81. 425 Elżbieta MAKOWIECKA, The origin and evolution of architectural form of roman library, Varsovie, Wydawnictwa Uniwersyt etu Warszawskiego, 1978. 426 Sidnie White CRAWFORD et Cecilia WASSEN (éds), The Dead Sea scrolls at Qumran and the concept of a library, Leiden / Boston, Brill, 2016, p. 93.

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adjacents pour le stockage, des meubles en bois surélevés, un podium détaché qui protège les livres contre l’humidité des murs extérieurs et des statues de divinités protectrices, telles qu’Athéna et/ou Sérapis. Il existe, en Égypte ptolémaïque, une grande variété de solutions architecturales adaptées au lieu qui accueille une bibliothèque (gymnase, sanctuaire, etc.). Néanmoins, après étude et comparaison, plus qu’un plan type, ce sont des espaces qui doivent être identifiés comme indispensables aux usages propres des bibliothèques grecques. I.1. DES FILIATIONS ET DES INFLUENCES À RÉINTERROGER Si la Bibliothèque du Mouseion est à l’initiative sans précédent du développement des bibliothèques grecques en Égypte, la confrontation avec les institutions traditionnelles égyptiennes de conservation des écrits (bibliothèques ou centres d’archives) a aussi très certainement joué un rôle. Les bibliothèques égyptiennes Il n’y a plus de doute sur l’existence de bibliothèques en Égypte avant l’installation des Grecs427, mais les témoignages de ces institutions restent rares et peuvent s’avérer équivoques. Les Égyptiens ont depuis plusieurs millénaires un lien particulier avec l’écrit : les murs des temples, ceux des tombeaux, sont gravés ou peints de hiéroglyphes et, par conséquent, peuvent être considérés comme de véritables bibliothèques428. L’écrit est apposé aussi sur des supports mobiles : ostraca ou papyrus. Les premières manifestations littéraires se trouvent dès l’époque thinite (v. 3150-2700 av. n. è.), même si l’on ne peut véritablement parler de littérature qu’à partir de l’Ancien Empire (v. 2700-2200 av. n. è., IIIe-VIe dynasties), avec le dévelop-pement 427

John SPERRY, « Egyptian libraries. A survey of a evidence », Libri, 1958. Fayza M. HAIKAL, « Private collections and temple libraries in Ancient Egypt », dans Mostafa EL-ABBADI et Omnia Mounir FATHALLAH (éds), What happened to the ancient library of Alexandria ?, Leiden / Boston, Brill, 2008, p. 39-54. 428

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d’abord d’une littérature funéraire, puis celui d’autres genres tels que les biographies ou les enseignements moraux. La littérature égyptienne connaît son apogée sous le Moyen Empire (v. 20331786 av. n. è., XIe-XIIIe dynasties), souvent qualifiée d’âge d’or de la littérature et dont les productions littéraires deviennent des œuvres de référence, encore recopiées au Nouvel Empire (v. 1580-1077 av. n. è., XIXe dynastie) et au cours des époques tardives429. Dès l’Ancien Empire, au IIIe millénaire av. n. è., la présence de lieux propres à la conservation des documents est attestée. Des institutions traditionnelles égyptiennes conservent des livres430. La première d’entre elles est la « Maison des rouleaux de papyrus » ou la « Maison du livre » (per-medjat - pr-mḏȝ.t). L’accès à ce lieu de conservation des rouleaux apparaît comme sacré et est tenu secret. Le papyrus Anastasi I431 de la XIXe dynastie (1296-1186 av. J.-C.), une satire sur les scribes, le rappelle : « La maison des livres est cachée, on ne la voit pas, son cycle divin est caché et ................ Dis-moi ce que tu sais (d’entre eux). Ensuite je te répondrai : “Prends garde que tes doigts ne s’approchent pas des hiéroglyphes”. Donc, je dis : “............ comme quand ....... s’assoit pour lire les brouillons”432. » La nature des documents conservés dans ces « Maisons du livre » reste controversée (archives et/ou livres religieux)433. Au IVe s. av. J.-C., dans le Timée de Platon, Solon échange avec un prêtre 429

Sur l’histoire de la littérature égyptienne et les différents genres développés, voir l’ouvrage de référence : Antonio LOPRIENO (dir.), Ancient Egyptian literature. History and forms, Leiden / New York, E.J. Brill (Probleme der Ägyptologie ; 10), 1996 ; pour une présentation des principaux textes connus, voir par exemple : Miriam LICHTHEIM, Ancient egyptian litterature, Berkeley / Los Angeles / London, University of California press, 1973-1980, 3 vol. 430 Antoinette LE NORMAND-ROMAIN et Alain SCHNAPP, « Naissance des collections et des bibliothèques », Perspective. Actualité en histoire de l’art, 2016, n° 2, p. 5-10. 431 Le papyrus acheté par Giovanni Anastasi en 1839 est conservé maintenant au British Museum et porte le numéro 10247. 432 Traduction de l’auteure en français d’après la transcription en anglais dans Alan GARDINER (éd.), Egyptian hieratic texts. Serie I, Literary texts of the New Kingdom. Part I, The Papyrus Anastasi I and the Papyrus Koller, together with the parallel texts, Leipzig, Hinrichs’sche Buchhandlung, 1911, p. 14. 433 Günter BURKARD, « Bibliotheken im alten Ägypten », Bibliothek, Forschung und Praxis, 1980, vol. 4, p. 85.

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égyptien qui lui explique que « tout ce que nous connaissons, chez vous ou ici ou ailleurs, d’événements glorieux, importants ou remarquables sous d’autres rapports, tout cela existe chez nous, consigné par écrit et conservé dans nos temples depuis un temps immémorial434 ». Ce dialogue illustre la présence de « livres » (tout au moins d’archives) dans les temples. Le prêtre donne des précisions plus loin sur le type de livres conservés : « nos livres sacrés parlent d’un espace de huit mille années. Je vais donc t’entretenir sommairement des lois et des plus beaux exploits des Athéniens pendant ces neuf mille ans. Une autre fois, quand nous en aurons le loisir, nous suivrons dans les livres mêmes les détails de cette histoire435. » Les temples ne renferment pas uniquement des ouvrages religieux ou mythologiques436. Les bibliothèques qui y sont attachées conservent aussi des textes littéraires, des prescriptions magiques et médicales mais aussi des archives437. Elles sont attestées sur l’ensemble du bassin méditerranéen oriental. Kim Ryholt a démontré que ces traditions se perpétuent chez les Égyptiens durant l’époque gréco-romaine438. Elles sont particulièrement attestées à Tebtynis au temple de Soknebtynis439 et au temple de Narmouthis dans le Fayoum où une « maison d’ostraca » a révélé du matériel archéologique contenant les instructions d’archivage et de classement des documents pour un apprenti bibliothécaire440. La nature des collections de ces bibliothèques reste floue. Seuls trois témoignages de catalogues ou descriptifs de bibliothèques de temples (Philae, Edfou et Tôd), tous d’époque

434

PLATON, Timée, 22-24 (trad. Cousin). Ibid. 436 Lilian POSTEL, « Hérodote et les annales royales égyptiennes », MOM Éditions, 2013, vol. 51, n° 1, p. 89-118. 437 Fayza M. HAIKAL, « Private collections… », art. cité, p. 39-54. 438 Kim RYHOLT, « Libraries from late period and graeco-roman Egypt, c.800 BCE-250 CE », dans Gojko BARJAMOVIC et Kim RYHOLT (éds), Libraries before Alexandria, ancient near eastern traditions, Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 390-472. 439 Kim RYHOLT, Narrative Literature from the Tebtunis Temple Library, Copenhagen, Museum Tusculanum Press (The Carlsberg Papyri ; 10), 2012. 440 Katelijn VANDORPE et Herbert VERRETH, « Temple of Narmouthis. House of the ostraca », Leuven Homepage of Papyrus Collections, 2012. (En ligne : ). 435

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tardive, restituent partiellement ces fonds documen-taires441. Le catalogue de la bibliothèque du temple d’Edfou permet de se faire une idée du contenu. Le temple d’Edfou conserve la trace d’un inventaire gravé sur l’un de ses murs et la présence de niches442 : il y est fait mention du Livre pour abattre Seth, du Livre de protection du trône, du Livre de protection des heures ou encore du Livre d’apaiser Sekhmet443. La « Maison de Vie » (per-ânkh), qui n’est pas à confondre avec la « Maison du livre », est une institution dont les fonctions sont à rattacher aux écoles de scribes et au lieu de rédaction des ouvrages nécessaires à la vie du temple. Elle serait un lieu d’enseignement scolaire destiné à l’élite égyptienne, en général en lien avec les grands centres religieux, à l’instar des vestiges de l’époque du Nouvel Empire (2e moitié du IIe millénaire av. n. è.) à Tell el-Amarna et au Ramesseum de Thèbes444. D’après le témoignage de Diodore de Sicile, ce complexe funéraire, institution réservée aux scribes, comportait aussi une bibliothèque445. Si l’ensemble des chercheurs estime qu’il s’agit d’un centre culturel et scientifique, deux principales théories s’opposent : l’une y voit un « scriptorium » et l’autre une « université »446. Dès le IIIe millénaire av. n. è., les bibliothèques royales sont également attestées en Égypte (Gizeh)447. La découverte en Moyenne-Égypte à Tell el-Amarna, ville fondée vers 1345 av. J.C. par Amenophis IV/Akhénaton pour devenir la nouvelle capitale du royaume d’Aton, de trois ex-libris en faïence gravés 441

Nicolas-Christophe GRIMAL, « Bibliothèques et propagande royale à l’époque éthiopienne », dans Jean VERCOUTTER (dir.), Livre du centenaire, 1880-1980, Le Caire, IFAO, 1980, p. 38-39. 442 Maurice ALLIOT, « Le culte d’Horus à Edfou au temps des Ptolémées », BIFAO, 1954, n° 20, p. 146. 443 Laetitia MARTZOLFF, « La pratique du rituel dans le temple égyptien », Archimède, 2014, p. 21-31. 444 Christian LEBLANC, « L’école du temple (ât-sebaït) et le per-ânkh (maison de vie) à propos de récentes découvertes effectuées dans le contexte du Ramesseum », Actes du neuvième Congrès international des égyptologues, Grenoble, 6-12 sept. 2004, vol. II, Orientalia Lovaniensia Analecta, 2007, n° 150, p. 1101-1108. 445 DIODORE, Bibliothèque historique, I, 49, 3. 446 Günter BURKARD, « Bibliotheken… », art. cité, p. 88. 447 Frédéric BARBIER, Histoire des bibliothèques, Paris, A. Colin, 2016, p. 8.

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au nom d’Amenophis III (v. 1391-1253 av. J.-C.) et de son épouse la reine Tiiy confirme cette existence. Deux « Chambres de vie » et un « Lieu de la correspondance de pharaon » ont été identifiés448, mais aucune structure propre à la conservation de rouleaux n’a été exhumée à Tell el-Amarna. La possibilité que les vastes collections systématiques d’écrits religieux, scientifiques et historiques conservés dans les bibliothèques des temples aient contribué à inspirer la création de la Bibliothèque d’Alexandrie doit être sérieusement envisagée449. Le modèle primitif d’accumulation de livres pourrait être trouvé dans la bibliothèque sacrée de Ramsès II (1301-1235 av. J.-C.) au Ramesseum de Thèbes. Au Ier s., Diodore décrit cette bibliothèque avec, à l’entrée, une indication : « Clinique de l’âme450 ». Dans ce mausolée de Ramsès II, l’institution correspond à un plan original et ambitieux ordonné par le roi : la réunion d’un nombre de livres importants (en l’an 325, Jamblique de Chalcis parle de 20 000 rouleaux451) dans un but initiatique, répartis dans un espace qui leur est dédié au sein d’une architecture hautement symbolique où figurent Toth à tête d’ibis, l’inventeur des lettres, et aussi Saf « mère des écrits » et « présidente de la salle des livres »452. Selon Fayza Haikal, la Bibliothèque royale avec ses scribes doit avoir été l’équivalent d’une « Maison des livres » ; le Mouseion, quant à lui, reprend le concept de la « Maison de Vie » des temples égyptiens453. Les archives : des lieux de conservation déjà implantés sur le territoire Dans l’Antiquité grecque, les organismes destinés à la conservation de documents écrits se répartissent en deux groupes étroitement apparentés et difficiles à distinguer architectura448

Antoinette LE NORMAND-ROMAIN et Alain SCHNAPP, « Naissance des collections… », art. cité. 449 Kim RYHOLT, « Libraries in ancient Egypt », dans Jason KÖNIG (éd.) et alii, Ancient libraries, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 23. 450 DIODORE, Bibliothèque historique, I, 49, 1-6 (trad. Bataille). 451 JAMBLIQUE, Les mystères d’Égypte, VI, 5. 452 Christian LEBLANC, Ramses II et le Ramesseum, Paris, L’Harmattan, 2019, chap. 2. 453 Fayza M. HAIKAL, « Private collections… », art. cité, p. 53-54.

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lement : le mieux connu matériellement est celui des bâtiments d’archives dans lesquels sont déposés des documents officiels, économiques ou administratifs et qui apparaissent dès la formation des premiers États centralisés454 ; et d’autre part, les bibliothèques dont le type architectural est une variante du précédent et qui sont généralement réservées à la seule conservation des documents littéraires. Quand la satrapie perse d’Égypte est conquise par Alexandre après sa victoire à Issos en 333 av. J.-C., les Gréco-Macédoniens trouvent une province organisée par une administration locale séculaire avec des scribes égyptiens, et dans la capitale, à Memphis, des bureaux centraux occupés par des Perses qui utilisent principalement l’araméen. Il fait peu de doute qu’au plus haut niveau l’araméen a été immédiatement supplanté par le grec455. Les niveaux inférieurs de l’administration ont continué à être occupés par des scribes égyptiens et des fonctionnaires. Les monarques locaux sont laissés en place pour prélever les impôts456. L’administration lagide s’appuie sur la structure existante mise en place par les Égyptiens : des unités administratives en cascade (les nomes, les topoi et les kômai)457 qui nécessitent de nombreux fonctionnaires et un réseau permettant la conservation d’archives. Jean-Luc Fournet distingue trois types d’archives : les archives privées, les archives administratives publiques et les archives des communautés458. Des institutions publiques, les grapheia et les agoranomoi, sont chargées de conserver les archives publiques de la chôra. Les archives sont aussi bien en grec qu’en égyptien (écritures hiératique et démotique) voire même bilingues459. Celles de la ville de Tebtynis sont constituées d’un ensemble dont 192 textes sont datés de la période de 20 av. J.-C. à 56 av. J.-C. Elles se rapportent aux activités d’Apion et de son fils Kronion en tant que chefs du grapheion, juste postérieures à la période 454

Ernst POSNER, Archives in the Ancient World, Cambridge, Harvard University press, 1972, p. 28. 455 DIODORE, Bibliothèque historique, XIX, 23, 3. 456 ARRIEN, L’Anabase, III, 5.2. 457 Bernard LEGRAS, L’Égypte…, op. cit., p. 90-92. 458 Jean-Luc FOURNET, « Archives… », art. cité, p. 182-183. 459 Willy CLARYSSE, « Egyptian scribes writing Greek », Chronique d’Égypte, vol. 68, n° 135-136, 1993, p. 186.

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ptolémaïque, mais elles restent instructives quant à leur organisation. Pour Bart Van Beek, le terme grapheion ne se réfère pas à un bâtiment public, mais plus à une charge qui se transmet de père en fils460. Le rôle du chef d’un grapheion est essentiellement de communiquer les archives à la capitale du nome et à Alexandrie. Il n’y a pas besoin de grandes salles de stockage : une pièce de la maison du chef du grapheion suffit, et le lieu de stockage peut changer en fonction de son responsable, ce qui expliquerait la présence de textes privés de Kronion dans les archives du grapheion de Tebtynis. Néanmoins, il faut noter que des œuvres littéraires sont associées à des papyrus documentaires (privés, professionnels et administratifs). Si cette porosité existe aussi dans les archives de Zénon, elle est absente en revanche dans celles de l’homme d’affaires Dionysos461 à Akôris dans le nome d’Hermopolite. Des liens entre bibliothèques et archives sont avérés également à Rhodes par l’inscription épigraphique du IIe s. av. J.-C. retrouvée in situ462. La distinction de traitement de conservation entre papyrus documentaires et littéraires n’est pas très claire. D’extérieur, le bâtiment abritant le grapheion de Tebtynis ne présente aucune caractéristique particulière. Il a été identifié comme tel par Gilberto Bagnani463 en raison de plusieurs niches qui présentent des percées permettant l’encastrement d’étagères en bois464. Le bâtiment est une construction soignée qui se situe sur une voie processionnelle menant au sanctuaire de Soknebtynis, centre de pèlerinage réputé du Fayoum. Sa façade offre une composition cohérente aux murs concaves construits avec soin en brique crue renforcée de bois et de pierre. Les murs nord et sud de ce bâtiment étaient rehaussés de pilastres de calcaire dont la fonction reste obscure. Les renfoncements encadrés de pilastres constituent un motif architectural assez répandu qui peut avoir une fonction uniquement décorative. Ce bâtiment est donc un édifice qui ne 460

Bart VAN BEEK, « Kronion… », art. cité. Bart VAN BEEK, « Archive of Dionysios… », art. cité. 462 Gaëlle COQUEUGNIOT, Archives et bibliothèques…, op. cit., p. 39-41. 463 Gilberto BAGNANI, « Gli scavi di Tebtunis… », art. cité, p. 119-134. 464 D. J. Ian BEGG, « Tebtunis, 1934-1999. The two insulae », Échos du monde classique, 2000, vol. 44, n.s. 19, n° 2, p. 237. 461

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présente pas de particularité architecturale. C’est pourquoi, pour Claudio Gallazzi et Bart Van Beek465, le grapheion est une maison privée où sont stockées des archives publiques. La tradition narrative de l’histoire des bibliothèques grecques Les caractéristiques architecturales propres à une bibliothèque n’ont pas été identifiées au Lycée d’Aristote, ni même à Alexandrie ou à Pergame. C’est l’identification même du lieu de la bibliothèque royale de Pergame qui a initié les recherches des caractéristiques structurelles466 au Lycée et à Alexandrie. Les motifs architecturaux communs, une colonnade et une ou plusieurs pièces, sont assez banals pour être trouvés n’importe où et répondent aux pratiques de lecture qui nécessitent un moment de déambulation pour un échange philosophique. Mais, surtout, cet espace déambulatoire est idéal pour discuter et lire à haute voix sans risquer de gêner : les lectures et les tentatives d’éloquence pouvant atteindre un volume sonore relativement important467. À l’époque hel-lénistique, l’espace déambulatoire est une organisation spatiale fréquente dans les complexes culturels et religieux du monde grec. Ainsi, la stoa et le peripatos apparaissent comme des éléments non caractéristiques, mais néanmoins indispensables à l’usage des bibliothèques hellénistiques. Les lecteurs peuvent, dans cet espace, se prêter à leur activité, assis ou en se promenant468. Thomas Hendrickson469 s’interroge sur l’impact de l’histoire de la bibliothèque du Lycée d’Aristote, qui est pour lui une « tradition narrative » constitutive de l’histoire des bibliothèques grecques et induirait de la sorte une recherche systématique d’une colonnade et d’une stoa. Le philosophe est généralement considéré comme le premier fondateur d’une bibliothèque au sens propre du terme470, c’est-à-dire une collection d’ouvrages 465

Claudio GALLAZZI (éd.), Achille Vogliano…, op. cit., p. 163 ; Bart VAN BEEK, « Kronion… », art. cité. 466 Thomas HENDRICKSON, « The invention… », art. cité, p. 384. 467 PLUTARQUE, Vie de Démosthène, 7. 468 Claude RAPIN et alii, « Les textes littéraires… », art. cité, p. 225-266. 469 Thomas HENDRICKSON, « The invention… », art. cité, p. 371-413. 470 Gaëlle COQUEUGNIOT, « Des mémoriaux… », art. cité, p. 47-61.

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conséquente, présentant une organisation interne, accessible audelà du simple cercle familial. Il s’agit de la bibliothèque du Lycée dont la disposition et l’organisation auraient, d’après Strabon471, inspiré la création de la Bibliothèque du Musée d’Alexandrie. Certains chercheurs en ont déduit l’existence de bibliothèques publiques dans les gymnases de l’Académie et du Lycée où s’établirent les écoles de Platon472 et d’Aristote. Cependant, les restitutions de la bibliothèque de Platon dans le gymnase de l’Académie et de celle d’Aristote dans le gymnase du Lycée ne reposent sur aucune attestation substantielle et doivent, par conséquent, être rejetées. Thomas Hendrickson est rejoint par Michel Sève sur ce sujet473. Il n’existe en effet pas de description de lieu de conservation de la collection d’Aristote à Athènes. Le professeur américain remarque également qu’il n’y a pas de preuve de distinction d’usage : stockage de livres dans un magasin et activités liées au livre (lecture, discussion, etc.) sous la colonnade. Nous n’avons donc aucun exemple de bibliothèque privée à l’époque classique alors qu’il y a une multitude d’exemples de bibliothèques privées à l’époque romaine474. Si l’école platonicienne était bien installée dans le quartier de l’Académie, rien ne prouve en effet qu’elle ait « annexé » certaines salles du gymnase. Marie-Françoise Billot475 a d’ailleurs rappelé que Platon possédait là une petite propriété et qu’il est plus raisonnable de replacer l’« école » qu’il fonda dans ce jardin privé. Quant à la bibliothèque restituée dans le gymnase du Lycée, son existence et sa localisation découlent en grande partie de la prétendue identification de la bibliothèque de l’Académie. La tradition narrative des bibliothèques grecques débute donc semble-t-il par une histoire un peu romancée et arbitraire qui a influencé notre approche architecturale et structurelle des bibliothèques grecques.

471

STRABON, Géographie, XVII, 1, 8. Wolfram HOEPFNER (éd.), Antike Bibliotheken…, op. cit., p. 56-62. 473 Michel SÈVE, « À propos des bibliothèques… », art. cité, p. 605-619. 474 Thomas HENDRICKSON, « The invention… », art. cité, p. 384. 475 Marie-Françoise BILLOT, « Académie », dans Richard GOULET (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, Paris, Éditions du CNRS, 1989, p. 704. 472

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Mus par un besoin collectif de conserver et de transmettre un patrimoine culturel sur une terre éloignée d’Athènes, les Hellénophones semblent s’être inspirés de modèles de conservation d’écrits qu’ils connaissaient ou qu’ils côtoyaient en Grèce et en Égypte. Le terme polysémique de « bibliothèque » ne doit pas réduire le lieu de la conservation des écrits à un édifice ou à un aménagement architectural. Actuellement, rien n’atteste que des édifices propres à la conservation des écrits littéraires aient existé en Égypte ptolémaïque. Les bibliothèques semblent avoir été des espaces intégrés à des bâtiments plus larges à vocation éducative, culturelle ou cultuelle. De plus, la bibliothèque ne se présentant pas comme un édifice conçu initialement pour assurer cette fonction, l’espace destiné au stockage peut être rudimentaire et donc difficilement repérable et identifiable. I.2. DES ESPACES EXTÉRIEURS TYPIQUES Les bibliothèques grecques présentent néanmoins des caractéristiques architecturales qui diffèrent du modèle romain. Ce sont essentiellement des espaces extérieurs. En effet, si la structure architecturale extérieure des bâtiments de conservation des archives n’offre apparemment pas de particularisme, l’association presque systématique d’espaces de déambulation, accompagnés ou non de jardins d’agrément, apparaît déterminante dans le cas des bibliothèques. Cet espace couvert assez lumineux est propice à la lecture et à la promenade. Des espaces de déambulation La stoa est le terme grec désignant aussi un portique, c’est-àdire un bâtiment ou la partie d’un bâtiment couvert, fermé à l’arrière par un mur plein et ouvert en façade par une colonnade. C’est un lieu de rencontres, destiné à protéger diverses activités des intempéries. Les premiers philosophes stoïciens se réunissent sous la Stoa Poikilè (la « Colonnade Peinte »), près de l’agora d’Athènes, lieu éponyme pour « les gens de la Stoa476 ».

476

Sadley LONG, Les philosophes hellénistiques, vol. 1, Paris, Garnier Flammarion, 2001 (1re éd. 1986), p. 24-25.

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L’une des rares bibliothèques hellénistiques bien connues, et aussi l’une des plus anciennes, est celle de Pergame, capitale du royaume des Attalides, qui date d’Eumène II (début du IIe s. av. J.-C.). Elle est attestée par les fouilles : elle s’élevait dans l’enceinte du sanctuaire d’Athéna Polias au-dessus du théâtre. Située au deuxième étage de ce temple qui se présentait comme un portique doté de trois côtés, cette bibliothèque était constituée de trois vastes pièces ouvertes sur une colonnade extérieure où les lecteurs pouvaient s’installer. Elle se composait de quatre locaux ouverts sur la stoa nord de la cour du sanctuaire ; trois d’entre eux seulement étaient destinés à la conservation des livres, mais nous ignorons quel était le mobilier de classement ; le quatrième était une salle ornée de statues, analogue sans doute à l’exèdre du Musée d’Alexandrie et probablement destinée, comme les stoai, à la lecture des livres. Quoique les sources en mentionnent plusieurs autres à Pella, Antioche ou à la cour de Mithridate du Pont477, Pergame offre les seuls vestiges structurels probants d’une bibliothèque hellénistique royale478. Le « péripate » est un motif architectural qui s’apparente à un grand promenoir couvert. Strabon le mentionne quand il décrit le Musée « [qui] fait partie des palais, avec un promenoir, une exèdre, et un grand local dans lequel se trouve le réfectoire des savants membres du Musée479 », sans pour autant parler de la bibliothèque. Le Peripatos est le nom de l’école philosophique d’Aristote. Comme les autres écoles philosophiques d’Athènes (Académie, Stoa, Kepos), il a reçu son nom de l’endroit où les leçons ont été données, dans ce cas le peripatos. En conséquence, les membres de l’école s’appellent les péripatéticiens, ceux qui marchent sous le péripate. Sur la mosaïque de l’Académie de Platon découverte à Pompéi et conservée au Musée archéologique national de Naples (Inv. 124545), datée du début du Ier s., Platon est représenté enseignant en plein air, entouré de ses disciples à proximité d’une colonnade. La villa romaine de Pison à Herculanum reproduit en partie, avec son péristyle et son grand jardin, un gymnase ou une école de type hellénistique. Cette

477

Jenö PLATTHY, Sources…, op. cit., p. 170, Fig. n° 166-167. Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 91. 479 STRABON, Géographie, XVII, 1, 8 (trad. Laudenbach). 478

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forme athénienne a été choisie pour inspirer la vie et le travail du philosophe épicurien Philodème (v. 110-40 av. J.-C.). Des espaces de pause propices à la conversation De façon récurrente, l’exèdre apparaît comme un motif architectural typique des lieux d’étude. De forme semi-circulaire, elle facilite le contact entre les interlocuteurs qui peuvent se voir et échanger. La station assise est ici privilégiée pour assurer l’écoute et la conversation. Fig. 6 : Exèdre du Serapeion de Memphis

Photo © Charles Picard / AIBL

Équipée de sièges ou de bancs, cette structure semi-circulaire facilite, en effet, le contact entre les interlocuteurs. Strabon mentionne bien une exèdre480 au Mouseion. Ce motif architectural est typique de la représentation de l’assemblée d’érudits. 480

Ibid.

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Un groupe hellénistique, daté de la période de Ptolémée Ier, a été désensablé par Mariette en 1851 au Serapeion de Memphis. Cette œuvre (Fig. 6) en calcaire des carrières de Tourah, aujourd’hui en très mauvais état de conservation, est connue par les photographies de Théodule Devéria481, réalisées lors de leur découverte, et celles prises un siècle plus tard par Charles Picard lors de leur deuxième désensablement482. En 1950, Jean-Philippe Lauer, architecte à Saqqarah de 1926 à 2001, entreprend l’exhumation des statues du Serapeion et, entre 1950 et 1952, l’helléniste Charles Picard procède à une étude approfondie des sculptures. La structure qu’elles forment est un hémicycle appelé « l’exèdre des poètes » qui représente les statues-portraits de onze philosophes et écrivains dont certains seulement ont pu être identifiés (Platon, Pindare, Démétrios de Phalère483 debout – initiateur de la fondation de la Bibliothèque royale d’Alexandrie – et Hésiode) réunis autour d’Homère484. Cette dernière rondebosse eut un tel rayonnement sous l’Antiquité qu’elle est à l’origine de la diffusion d’un des modèles iconographiques du poète les plus répandus485. Charles Picard, en raison de la situation stratégique de ce groupe statuaire à l’entrée du Serapeion, pense qu’il est nécessaire d’y voir un lien direct avec la nécropole, lieu propice à la méditation486.

481

Clémentine DURAND, « Les photographies des sculptures grecques du Sérapéum de Memphis par Théodule Devéria », dans Raphaële BERTHO (dir.) et alii, Patrimoine photographié, patrimoine photographique. Actes de colloques et livres de l’Institut national d’histoire de l’art, Paris, INHA, 2013. (En ligne : ). 482 Jean-Philippe LAUER et Charles PICARD, Les statues ptolémaïques du Sarapieion de Memphis, Paris, Presses Universitaires de France, 1955. 483 Charles PICARD, « La statue-portrait de Démétrios de Phalère au Sarapieion de Memphis. Exèdre des poètes et des sages », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 1953, vol. 47, n° 1, p. 77-97. Source : www.persee.fr 484 Charles PICARD, « Les originaux retrouvés des statues grecques du Sérapeion de Memphis », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1951, vol. 95, n° 1, p. 71-81. 485 Anna SADURSKA, « Quelques remarques sur l’iconographie d’Homère », BCH, 1962, vol. 86, n° 2, p. 504-509. 486 Charles PICARD, « Les originaux… », art. cité, p. 71-81.

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I.3. DES AMÉNAGEMENTS INTÉRIEURS PEU SIGNIFICATIFS Alors que la Bibliothèque royale d’Alexandrie est devenue une référence universelle, aucune source ne relate son aménagement intérieur et aucun vestige archéologique n’a été exhumé permettant de mieux comprendre son organisation spatiale. De nombreuses hypothèses ont été émises à partir des différents éléments constitutifs des premières bibliothèques grecques. Les réponses architecturales choisies pour assurer le stockage, la conservation et la consultation des papyrus reposent sur des problématiques communes à l’ensemble des hommes de l’Antiquité. Cependant les bibliothèques grecques ptolémaïques offrent certaines particularités. Des espaces de lecture Bien qu’aujourd’hui l’absence d’un espace de consultation dans une bibliothèque moderne à vocation collective soit inenvisageable, la salle de lecture grecque reste difficilement identifiable. Son existence même peut être discutée. Un biblion se lit à deux mains, chacune tenant un bout du document. Traditionnellement, le lecteur tient le rouleau dans sa main gauche qu’il déroule avec sa main droite. Puis, au fil de la lecture, la main gauche ré-enroule tandis que la droite déroule (Fig. 7). Lorsque le livre est achevé, il faut ré-enrouler le document jusqu’au début pour le lecteur suivant. Il semble plus confortable de lire en position assise avec le rouleau sur les genoux ou appuyé sur une table. Il faut déchiffrer un texte écrit en scriptuo continua ; l’usage est donc de lire à haute voix.

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Fig. 7 : Peintre de Klügmann, Lécythe à (435-425 av. J.-C.)

figures rouges

Muse lisant un volumen (CA 2220), Paris, Musée du Louvre. Photo © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) / Hervé Lewandoski

Il est facilement imaginable qu’en raison de ce mode de lecture, une salle fermée ou exiguë puisse s’avérer rapidement bruyante, comme l’a fait remarquer Démosthène487 qui aimait s’isoler pour lire dans une pièce sans éclairage naturel. La lecture se réalise le plus souvent à l’extérieur, aussi bien en position debout qu’assise, dans l’espace déambulatoire. La lumière du jour offre un confort visuel non négligeable. La salle de lecture proprement dite semble donc le plus souvent absente des structures grecques et serait d’origine romaine488, ce qui expliquerait pour Peter Fraser l’inexistence d’un mobilier spécifique à l’époque hellénistique489. L’absence d’espaces de lecture serait donc liée au mode de lecture des rouleaux de papyrus. Des espaces de stockage Des aménagements structurels récurrents ont été observés pour les archives, mais jamais encore dans le contexte avéré de 487

PLUTARQUE, Vie de Démosthène, 7. Robert BARNES, « Cloistered bookworms… », art. cité, p. 68. 489 Peter Marshall FRASER, Ptolemaic Alexandria…, op. cit., p. 324. 488

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bibliothèque. De nombreux historiens ont tenté de reconstituer ces espaces de stockage fixe. Bibliothêkê désigne en grec le lieu de stockage des livres et donc aussi, par extension, les « rayonnages » et, par métaphore, la salle (quand on commence à en bâtir une) où sont placés les meubles « bibliothèques »490. Les descriptions sont trop rares ou insuffisamment précises pour permettre de restituer la présence de niches dans les grandes bibliothèques ptolémaïques. L’historien romain d’origine grecque Ammien Marcellin491, au IVe s., décrit en latin la bibliothèque du Serapeion d’Alexandrie et parle des bibliothecae sans préciser leur organisation. Nous savons, d’après Aphthonios d’Antioche, rhéteur et évêque d’Alexandrie qui dit avoir visité le Serapeion vers 315, que les rayonnages des livres sont placés sous les portiques et qu’« à l’intérieur des galeries sont construites des pièces. Les unes servent de dépôts pour les livres ; elles sont ouvertes aux amoureux du savoir, prodigues de leur peine, et elles invitent la ville entière à s’approprier le savoir492 ». Ils se localiseraient autour de la cour entourée de colonnes située au centre du sanctuaire. Un plan du sanctuaire d’époque ptolémaïque, proposé par Judith Mac Kenzie493, fait apparaître les colonnades où Aphthonios localise la bibliothèque. Dix-neuf salles consécutives de 3 mètres par 4 mètres ont été mises au jour. Elles auraient pu être des pièces de stockage de rouleaux494 ou des espaces d’accueil d’écoles495. Pour Rufin d’Aquilée (v. 345411)496, qui est à Alexandrie en 372, ces salles seraient plutôt des cellules de prêtres. Au XIIe s., alors que le Serapeion est déjà détruit, Benjamin de Tudèle décrit, dans Voyage de Benjamin, quelques centaines de colonnes encore debout et vingt salles décorées. Pour Lora Johnson497, il est difficile de savoir s’il s’agit de casiers ou de salles propres à la bibliothèque qui auraient été vus au XIIe s. par Benjamin de Tudèle dans les vestiges de l’édifice. 490

Gaëlle COQUEUGNIOT, Archives et bibliothèques…, op. cit., p. 3. AMMIEN, Histoires, XXII 16, 13. 492 APHTHONIOS, Progymnasmata, 12, 8 (trad. Patillon). 493 Judith S. MCKENZIE, « Reconstructing… », art. cité, p. 73-121. 494 Robert BARNES, « Cloistered bookworms… », art. cité, p. 68. 495 Lora Lee JOHNSON, The hellenistic and roman library…, op. cit., p. 65. 496 Rufin d’AQUILÉE, Histoire ecclésiastique, II, 23-30. 497 Ibidem, p. 63. 491

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Mais, pour Luciano Canfora, les bibliothèques hellénistiques ne sont pas constituées d’une salle en tant que telle498. Ainsi, il propose que les rayonnages (bibliothékai) soient disposés comme dans la « bibliothèque sacrée » de Ramsès, c’est-à-dire le long du péripate. Selon Maurice Sartre, il en va de même pour la Bibliothèque royale organisée par des alignements de rayonnages placés sous les portiques ou dans les couloirs499. Il est tout à fait envisageable que les copies les plus précieuses n’aient pas été conservées sous les portiques, mais à l’intérieur du bâtiment, probablement dans un espace réservé et protégé. En raison de l’expansion massive des collections et de l’asphyxie probable des lieux, disposer les livres sous les portiques est un choix certainement aussi pragmatique. La consultation doit en être d’autant plus facilitée pour les savants qui peuvent se servir directement lors de leur déambulation. Nous appellerions aujourd’hui cela une mise à disposition de livres en « accès direct ». On sait en revanche qu’il existe à Alexandrie des « magasins » de stockage, sortes de zones de transit pour les papyrus. En effet, d’après le médecin grec Galien qui séjourne dans la capitale de la province de l’Empire romain de 143 à 157, les livres arrivant par bateau en Égypte sont entreposés dans des lieux appelés « magasins » (apothêkai)500. Ils sont placés dans ces espaces avant d’être mis sur des « rayonnages ». Les rouleaux y sont semble-t-il marqués, triés, répartis entre « bibliothèquemère » et « bibliothèque-fille ». Les nombreuses copies commandées au centre de reproduction qu’est Alexandrie peuvent aussi être stockées là en instance d’exportation501. D’autres aménagements structurels récurrents ont été observés dans les bibliothèques antiques. Les banquettes de terre battue ou de brique crue appelées podiae, sont disposées le long des murs comme celles de la bibliothèque de Celsus à Éphèse (IIe s.). Ce sont des éléments difficilement probants d’iden-

498

Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 95. Maurice SARTRE, « Le rêve fou de la Bibliothèque d’Alexandrie », L’Histoire, 2002, n° 265, p. 18. 500 GALIEN, Commentaires aux Épidémies III d’Hippocrate II. 501 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 84. 499

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tification d’un lieu de conservation502. À l’heure actuelle, aucune banquette de ce type n’a été découverte en Égypte. Contrairement aux espaces extérieurs, l’aménagement structurel intérieur des bibliothèques grecques de l’Égypte hellénistique n’apparaît pas comme un élément significatif et déterminant pour permettre l’identification de ces lieux de conservation.

502

Gaëlle COQUEUGNIOT, « Des mémoriaux… », art. cité, p. 47-61.

127

CHAPITRE II Un enjeu récurrent pour les bibliothèques grecques : assurer la conservation des papyrus

Au-delà de ces aménagements structurels, Mary Carruthers503 dégage le rôle central des cases ou des compartiments juxtaposés qui rappellent le modèle du pigeonnier. En effet, dans le champ sémantique, les auteurs utilisent la métaphore des casiers où l’on range les rouleaux pour organiser leur pensée. Les niches permettent une répartition physique de l’approche intellectuelle des contenus des textes. Ainsi, pour Luciano Canfora, qui pense que les espaces de stockage s’étalent le long du péripate du grand promenoir couvert, chaque niche aurait accueilli un genre déterminé d’auteurs504. En effet, il est nécessaire de prendre en compte la particularité du matériau pour mieux appréhender les stratégies de conservation des Hellènes. Une œuvre littéraire était généralement constituée de différents volumina (devenus des « volumes » ou autrement dit des « livres »). Il était impérieux de stocker l’entité ainsi constituée de plusieurs livres ou volumes dans un même contenant (mobile ou non) pour éviter toute perte d’information. De plus, la forme du rouleau est propice à un rangement pyramidal ou cylindrique, qui évite l’écrasement ou la dispersion du document. Les particularités matérielles constituantes des biblia occasionnent donc la mise en place de 503

Mary CARRUTHERS, The book of memory, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 36-37. 504 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit.

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modes de conservation préventive spécifiques : le rouleau de papyrus est un document extrêmement fragile qui nécessite des conditions de stockage et de manipulation particulières. II.1. DES MODES DE STOCKAGE ADAPTÉS L’originalité du papyrus est d’être le premier support d’écrit de surface flexible, souple, légère et solide505. Ces propriétés présentent des avantages pour la lecture et l’écriture, mais aussi des contraintes de stockage. Plusieurs types de modes de stockage peuvent avoir coexisté à l’époque hellénistique. Ils étaient nécessairement adaptés au volume des collections conservées. Des solutions pour ranger et stocker les rouleaux L’objectif de l’aménagement de stockage est d’assurer un système de rangement et de classement pratique qui évite au biblion de rouler et de s’écraser. Plusieurs solutions ont été choisies en fonction de la volumétrie, des possibilités et des contextes. Le rouleau peut se ranger à plat ou debout selon le contenant. Pour assurer la stabilité de ces volumina, il semble que le modèle choisi soit un rangement dans des modules sous forme de croisillons ou de rayonnages506 dans le cas de collections significatives. En effet, la disposition pyramidale ou en losange apparaît comme la plus évidente. Des propositions de restitution de niches sous forme de croisillons ont été réalisées pour le Métrôon d’Athènes507. Nous rejoignons Gaëlle Coqueugniot508 qui pense que cet aménagement est convaincant pour les collections en masse car bien adapté à la conservation de 505

Simone BRETON-GRAVEREAU et Danièle THIBAULT, L’aventure des écritures. Matières et forms, Paris, BnF, 1998, p. 84. 506 Rudolf BLUM, Kallimachos. The Alexandrian library and the origins of bibliography, Madison, University of Wisconsin Press, 2011, p. 191. 507 Panos VALAVANIS, « Thoughts on the Public Archive in the Hellenistic Metroon of the Athenian Agora », AM, 2002, n° 117, p. 221-255. 508 Gaëlle COQUEUGNIOT, « Coffre, casier et armoire. La Kibôtos et le mobilier des archives et des bibliothèques grecques », Revue archéologique, 2008, n° 44, p. 293-304.

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nombreux documents plutôt que les coffres et s’avère plus pratique que des étagères linéaires sur lesquelles les papyrus pouvaient rouler et tomber. Ce type d’aménagement est attesté dans la salle A3 du chreophylakeion d’Europos-Doura, à Cyrène au nomophylakeion (collège de magistrats) et au grapheion de Tebtynis où des percées permettent l’encastrement d’étagères en bois509. Le mobilier de stockage fixe, destiné au classement et à la conservation des manuscrits, est difficilement identifiable. C’est pourquoi, dans la pièce 107 de la trésorerie d’Aï-Khanoum, il n’a pas pu être reconnu avec certitude510. En effet, sur les parois internes de la pièce aucune trace significative, du type de celles qu’auraient laissées par exemple des étagères en bois, n’a été observée. En Égypte, aucun vestige d’aménagement de placards ou de casiers n’a été découvert dans des espaces intérieurs. Il est néanmoins possible au regard des témoignages archéologiques pergaméniens d’émettre l’hypothèse qu’une pratique similaire pouvait exister en Égypte. Les manuscrits les plus précieux de la bibliothèque royale de Pergame auraient été conservés dans des placards de bois fermés disposés sur un socle511. Ils auraient été décorés d’un encadrement de pierre, dont des fragments ont été découverts sur place et interprétés par les fouilleurs comme ceux de niches pour des statues aménagées dans les murs. La salle devait être éclairée d’une fenêtre dont les fragments sur place ont été pris pour ceux d’une porte. Les mortaises disposées de place en place dans les murs est et nord, qui se poursuivent derrière l’emplacement de la statue d’Athéna, ne peuvent en revanche avoir servi à fixer ces placards. Le reste de la collection aurait été placé dans les pièces adjacentes, munies de meubles de bois placés au centre des pièces. On connaît beaucoup mieux les installations romaines grâce aux sources littéraires ou iconographiques. La bibliothèque privée de la villa de Pompéi VI, 17, 41512 présente une grande niche, de plus de deux mètres de large, sans doute pour un 509

D. J. Ian BEGG, « Tebtunis, 1934-1999 : the two insulae… », art. cité, p. 237. Claude RAPIN et alii, « Les textes littéraires grecs de la Trésorerie d’Aï Khanoum… », art. cité, p. 225-266. 511 Wolfram HOEPFNER (éd.), Antike Bibliotheken…, op. cit., p. 41-52. 512 Volker Michael STROCKA, « Pompeji VI 17, 41… », art. cité. 510

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armarium disparu. Sur le mur faisant face à l’entrée est, une fresque reproduit une exèdre semi-circulaire dans laquelle un poète assis tient une lyre et a à ses pieds une boîte de rouleaux. Sur le mur de droite, est peint un personnage masculin, tenant un rouleau. Cette structure peinte fait face à la niche de la bibliothèque. Pline le Jeune qui décrit sa villa à Laurentin parle d’armaria parieti inserta : « […] on a aménagé dans l’un de ses murs une armoire ou plutôt une bibliothèque qui recèle des ouvrages non de lecture, mais d’étude513. » C’est le même terme d’armaria librorum514 qu’Orose et Aphthonios emploient pour désigner les rayons à livres qu’ils ont pu voir au IVe s. encore, mais vides dans les temples d’Alexandrie, vingt ans après la destruction du Serapeion. Les Romains utilisent ici leur propre vocabulaire pour décrire un aménagement grec. Des conditionnements pour protéger et transporter les livres Contrairement au mode de stockage qui est fixe, le conditionnement est un moyen de conservation mobile. Différentes formes, rectangulaires, cylindriques et triangulaires, se développent. Le mode de stockage le plus archaïque est la jarre ou l’amphore515. Elles sont essentiellement utilisées pour conserver des archives, comme celles découvertes en 1905 par une équipe archéologique italienne à Deir el-Medineh : l’une des deux jarres contenant les archives gréco-démotiques de Totoès et de son épouse (IIe s. av. J.-C.)516. Dans des poteries utilisées ordinairement pour les préparations culinaires, des rouleaux de manuscrits 513

PLINE LE JEUNE, Correspondance, II, 17, 8 (trad. Hucher). OROSE, Histoire, VI, 15, 32 ; VITRUVE, VII, 1, parle aussi d’armaria pour Alexandrie ; SÉNÈQUE, De la tranquillité de l’âme, IX, 4, 6 ; APHTHONIOS, Progymnasmata, 12. 515 Gérald FINKIELSZTEJN, « Du bon usage des amphores hellénistiques en contextes archéologiques », dans Céramiques hellénistiques et romaines, productions et diffusion en Méditerranée orientale. [Actes du colloque tenu à la Maison de l’Orient méditerranéen Jean Pouilloux du 2 au 4 mars 2000], Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux (Travaux de la Maison de l’Orient méditerranéen ; 35), 2002, p. 227-233. 516 Hélène CUVIGNY, « Les poubelles… », art. cité. 514

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d’une communauté du IIIe s. av. J.-C ont été découverts à Qumrân en Cisjordanie entre 1947 et 1956. Ces documents ont été manifestement cachés517 au Ier s. av. J.-C. et leur conditionnement dans les poteries ne peut donc pas être significatif d’un mode de stockage pérenne propre à une bibliothêkê. En revanche, les manuscrits littéraires de la trésorerie d’Aï-Khanoum518, la grande ville grecque en Afghanistan du Nord fondée au IVe s. av. J.-C., surnommée l’Alexandrie de l’Oxus par Ptolémée, auraient pu être stockés dans des poteries dont nous ignorons le type et la contenance. Les textes ont été découverts in situ et gisaient avec divers groupes de tessons appartenant à des vases écrasés au milieu des débris du mur sud de la trésorerie. Le conditionnement cylindrique, qui épouse parfaitement la forme du rouleau, à l’image des tubes-pendentifs de Cheq519 datés de l’époque de la XXIe dynastie (vers 1000 av. n. è.), peut aussi être utilisé. Les Grecs et les Romains semblent préférer l’usage de la kámpsa (en grec) (ou scrinium en latin), cassette de forme cylindrique dont les témoignages iconographiques sont nombreux. Cet objet, qui s’apparente finalement au portedocument, pouvait être en bois avec un couvercle (à Herculanum, un scrinium se détruisit immédiatement lors de sa découverte520). Il permet également de compartimenter les écrits521 et d’y loger des boules odoriférantes et des fioles de parfum522. La kámpsa peut également être fixe ou mobile puisqu’elle se présente parfois avec une lanière. Ces boîtes ont donc plusieurs fonctions : stockage et transport. Le coffre est le meuble de rangement multifonction par excellence de l’Antiquité à l’époque moderne. Il est le mobilier de base de n’importe quelle demeure antique et peut devenir à lui seul une bibliothêkê. Certains témoignages littéraires laissent 517

Jean-Baptiste HUMBERT et Estelle VILLENEUVE, L’affaire Qumrân. Les découvertes de la mer Morte, Paris, Gallimard, 2006. 518 Claude RAPIN et alii, « Les textes littéraires… », art. cité, p. 225-266. 519 Étuis à papyrus magiques, inv. E 3316 et 3317, conservés au Musée du Louvre. 520 Gabriel PEIGNOT, Essai historique et archéologique sur la reliure des livres, et sur l’état de la librairie chez les anciens, Paris, Victor Lagier, 1834. 521 HORACE, Art poétique, I. II, 1, 112. 522 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, VII, 30.

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envisager une telle configuration. Au IVe s. av. J.-C., Xénophon, dans un passage de l’Anabase, donne une énumération des restes d’un naufrage à Salmydessos où les coffres et les livres sont juxtaposés523, ce qui laisse penser que les premiers pouvaient renfermer les seconds. À l’époque hellénistique, lorsque le vocabulaire se diversifie et devient plus explicite, on voit apparaître le terme kibôtos524 qui désigne un coffre-fort ou une armoire. Formé sur la racine du terme « tour », ce mot désigne un meuble plus haut que large et correspond donc tout à fait à une armoire525. On sait qu’Alexandre le Grand conserve précieusement une édition de l’Iliade corrigée par Aristote lui-même. Connue sous le nom de l’édition « de la cassette526 », ce conditionnement est appelé scrinium par Pline l’Ancien527, κιβώτιον par Plutarque528 et νάρθηξ par Strabon529. Le terme kibôtos peut finalement désigner toutes sortes de meubles, qu’ils soient complètement fermés ou ouverts sur un côté530. La présence des coffres est attestée en Égypte ancienne et dans le monde gréco-romain, comme par exemple le coffre-fort découvert à Pompéi à l’effigie des Ptolémées531. Ces coffres semblent servir de bibliothèque « par défaut ». Un conditionnement très particulier a été découvert à Alexandrie en 1847, dans le jardin de la maison du consul d’Autriche de Laurin. Il s’agit d’un bloc de granit avec une cavité portant une inscription grecque : « Trois tomes de Dioscorides532 ». L’identité de l’auteur est encore à certifier ; il pourrait s’agir d’un médecin grec qui officiait sous Cléopâtre VII (51-30 av. J.-C.) ou à l’époque de Trajan (98-117). Il mesure 44 cm de long et 39 cm de haut et peut effectivement loger trois 523

XÉNOPHON, Anabase, VII, 5, 12. ÉLIEN, Variétés historiques, 9,13 ; Hérondas, 7, 15. 525 Gaëlle COQUEUGNIOT, « Coffre… », art. cité, p. 293-304. 526 PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 8, 2 ; 26, 1 (trad. Flacelière et Chambry). 527 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, VII, 108. 528 PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 8, 2. 529 STRABON, Géographie, XIII, 1, 27. 530 Gaëlle COQUEUGNIOT, « Coffre… », art. cité, p. 293-304. 531 François QUEYREL, « Portraits de souverains lagides à Pompéi et à Délos », BCH, 1984, vol. 108, n° 1, p. 267-300. 532 Evaristo BRECCIA, Alexandrea ad Aegyptum. Guide, Bergame, Istituto italiano d’arti grafiche, 1914, p. 65. 524

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rouleaux. En revanche, l’usage et l’origine n’ont pu être déterminés533. Selon Reinach534, l’épigraphie permet de circonscrire l’inscription environ entre 220 av. J.-C. et 140 av. J.C., et de rattacher ce bloc à des structures cultuelles décrites par Pacôme de Tabennèse. Pour Maud Bellier, en revanche, ce coffre de granit serait bien en lien avec la Bibliothèque royale535. Un inventaire épigraphique536 contemporain d’Aristarque (v. 310-230 av. J.-C.) évoque une boîte triangulaire de bois contenant les dix livres du poète Alcée dans le Trésor d’Andros, à Délos. Pour conserver l’intégrité de l’œuvre, Jean Irigoin estime que les dix rouleaux devaient être stockés dans une boîte de la forme d’un triangle équilatéral dont les côtés équivalaient à quatre fois le diamètre d’un rouleau, de manière à empiler les dix rouleaux en pyramide sur quatre niveaux : 4 / 3 / 2 / 1537. II.2. LA PRÉSERVATION DES COLLECTIONS En raison des conditions de conservation et de manipulation, mais aussi des propriétés intrinsèques du papyrus, la longévité du rouleau est courte ; elle ne dépasserait pas deux siècles538. Son entretien et sa restauration sont donc nécessaires à la bonne conservation des collections et peuvent finir par s’avérer onéreux539. Les Gréco-Macédoniens appliquent les principes de la conservation préventive540, une notion reprise et formalisée au 533

Antoine Jean LETRONNE, « Sur la découverte d’un papyrus grec, à Thèbes, et d’une capse à contenir des livres, à Alexandrie », Revue Archéologique, 1847, vol. 4, n° 2, p. 757-759. 534 Adolphe-Joseph REINACH, « Voyageurs et pèlerins dans l’Égypte grécoromaine », BSAA, 1909, n° 11. 535 Maud BELLIER-CHAUSSONNIER, Origine et diffusion…, op. cit., p. 422. 536 Inscription de Délos 1400, 7. 537 Jean IRIGOIN, « Les éditions de textes », dans Franco MONTANARI (dir.), La philologie grecque à l’époque hellénistique et romaine, Genève, Fondation Hardt, 1994, p. 48. 538 AULU-GELLE, Nuits Attiques, II, 3, 5. 539 Noureddine TLILI, « Les bibliothèques en Afrique romaine », Dialogues d’histoire ancienne, 2000, vol. 26, n° 1, p. 151-174. 540 Par conservation préventive, on entend l’ensemble des actions directes ou indirectes menées en faveur des collections qui ont pour but de prévenir les dégradations et de prolonger la durée de vie des documents : le contrôle de l’environnement, l’élaboration et le suivi d’un plan d’urgence, le transfert de

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XXe s. dans les bibliothèques541 pour réduire les coûts et les interventions curatives. Des moyens pour éviter les dégradations mécaniques Les rouleaux sont constitués traditionnellement de 15 à 30 feuillets et mesurent 6, 9 ou 12 mètres de long542. Le plus grand diamètre possible est évalué à 6 cm, ce qui est relativement conséquent pour assurer une consultation confortable. En raison de leur poids et de leur structure, la manipulation des rouleaux n’est pas chose aisée543 et peut s’avérer même dangereuse544. Pour faciliter la manipulation et éviter l’écrasement, un cylindre de cèdre, de buis ou d’ivoire, appelé omphalos, est inséré et fixé à la dernière feuille du rouleau. Tout comme les boîtes de conservation, à l’instar de celle très ornée d’Alexandre le Grand545, ces omphaloi ou umbilici peuvent être richement décorés de boutons546. Les seuls témoignages de cylindres enrouleurs proviennent des volumina de la Villa des Papyrus d’Herculanum547. Probablement en raison de sa structure en bois, aucun cylindre gréco-macédonien ne nous est parvenu. La pose d’étiquette-titre permet de réduire les manipulations et donc les dégradations mécaniques. La présence de titres est une pratique avérée depuis le IVe s. av. J.-C. en Grèce. Dans le Linos d’Alexis, Héraclès doit choisir parmi les ouvrages de la bibliothèque de son maître Linos : « Approche et prends le livre que tu veux ; puis, en regardant soigneusement les titres, tu pourras lire tranquillement et à loisir. Il y a là Orphée, Hésiode, des tragédies, Choirilos, Homère, Épicharme, des ouvrages de support (micrographie pour l’archivage, numérisation et éditions de document de substitution pour la communication) (cf. Fiche pratique de la BnF). (En ligne : ). 541 Raphaële MOUREN (dir.), Manuel du patrimoine en bibliothèque, Paris, Cercle de la Librairie, 2007, p. 107-216. 542 Bernard LEGRAS, Lire en Égypte…, op. cit., p. 69. 543 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 13. 544 PLINE LE JEUNE, Lettres, II, 1, 5. 545 PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 26, 1. 546 MARTIAL, Épigrammes, 6. 547 Mario CAPASSO, « Omphalos/umbilicus : dalla Grecia a Roma », Rudiae, 1990, vol. 2, p. 7-29.

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toutes sortes. Tu me montreras ainsi vers quoi se porte ton naturel548. » Nous ne pouvons pas savoir avec certitude si Alexis décrit là le titre indiqué à l’intérieur du rouleau ou s’il parle du titre-étiquette dont témoigne Cicéron au Ier s. av. J.-C. quand il écrit à son ami Atticus : « Je voulais aussi que tu m’envoies deux ou trois des gens de ta librairie, […] que tu leur fasses prendre un bout de parchemin, de quoi faire des titres, des sillyboi, comme vous dites, je crois, vous autres Grecs549. » Cette pratique d’étiquetage est présente en Égypte à l’époque romaine. À Oxyrhynque, un fragment de papyrus (Fig. 8) avec un sillybos de parchemin porte le nom du poète du Ve s. av. J.-C., Bacchélide, avec la mention, en dessous, de Dithyramboi. Ici, on peut considérer qu’il s’agit bien du titre de l’œuvre et non du genre (le dithyrambe est à l’origine un chant en l’honneur de Dionysos) car, comme l’a démontré Nadine Le Meur-Weissman, « nous pouvons déduire des papyrus retrouvés et des citations d’auteurs anciens que l’ensemble de son œuvre comportait six livres de poèmes composés pour les dieux : Hymnes, Péans, Dithyrambes, Prosodia, Panathénées, Hyporchèmes, et deux ou trois composés pour les hommes550 ». Le morceau de texte attaché est du 17e dithyrambe. Conservé à la British Library sous la cote BL papyrus 2056 (= P. Oxy. 1091), le manuscrit est daté du IIe s. av. J.-C. Le sillybos permet d’identifier les rouleaux, de teinte naturelle ou de couleurs vives. Cette étiquette peut prendre différentes formes551.

548

ALEXIS, Linos, 148-150. (ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, 4, 164 b-d) (trad. Carrière, Le carnaval et la politique, 1979). 549 CICÉRON, Correspondance (Atticus, IV, 4a, 1) (trad. Constans). 550 Nadine LE MEUR-WEISSMAN, « Les dithyrambes de Pindare et Bacchélide sont-ils des hymnes ? », dans Richard BOUCHON (éd.) et alii, Hymnes de la Grèce antique. Approches littéraires et historiques. Actes du colloque international de Lyon, 19-21 juin 2008, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 2013, p. 87. 551 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 14.

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Fig. 8 : Étiquette-titre d’Oxyrhynque (P. 2056), Londres, The British Library.

Photo © The British Library Board

Apposer un titre nécessite de travailler sur le contenu, de l’analyser et donc de constituer des séries de métadonnées qui enrichiront ces contenus et permettront de les manipuler. La bibliothèque élabore ainsi un dispositif de transfert de médiation à travers des procédures qu’elle met en œuvre autour des rouleaux qu’elle conserve552. La maîtrise de l’environnement et la lutte contre les dégradations La stabilité de la température et de l’humidité relative est nécessaire pour assurer la bonne conservation des papyrus. Les normes actuelles553 préconisent un environnement à 18° C et un taux de 50 % d’humidité relative ; au-dessus de ces mesures, il existe un risque de dégradation et d’infestation fongique, et endeçà, les livres s’assèchent, deviennent friables et se désagrègent. La maîtrise d’un tel environnement est difficile à assurer en Égypte, terre humide et chaude loin des conditions idéales de 552

Frédéric BARBIER, Histoire des bibliothèques…, op. cit., p. 33. ENSSIB, « Conserver des documents patrimoniaux », 2014. (En ligne : ).

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conservation. Le Fayoum, gigantesque dépression dans le désert occidental de l’Égypte, est un lac entouré de marécages où « l’air est lourd et étouffant pendant les chaleurs estivales car, le long des berges, les lacs deviennent marécageux sous l’effet de l’évaporation due au rayonnement solaire554 ». Alexandrie possède en revanche des avantages climatiques et Strabon précise que « la qualité du climat mérite aussi d’être soulignée555 ». Au plus fort de la canicule, la ville préservée des miasmes des marais et des eaux stagnantes est continuellement balayée d’un vent frais venu de la mer. Ainsi, en été, les Grecs de province séjournent en villégiature dans la région d’Alexandrie556. Cependant, cet air est profondément humide avec la proximité de la mer et du lac Maréotis557. La crue annuelle du Nil et les travaux d’assèchement et d’irrigation du Fayoum558 menés par Cléon sous le règne de Ptolémée II Philadelphe (283-246 av. J.-C.) ont certainement eu un impact sur la stabilité environnementale. Des dispositifs de ventilation559 et une exposition à nord/sud peuvent prolonger la conservation des documents. L’architecte Vitruve, au Ier s. av. J.C., déconseille ainsi de construire des bibliothèques ouvertes vers le couchant : « Chambres et bibliothèques doivent avoir une exposition est : leur usage demande en effet la lumière du matin et, de plus, les livres ne se déliteront pas dans les bibliothèques. De fait, dans toutes celles qui ont une exposition sud et ouest, les livres sont détériorés par les teignes et par l’humidité, l’arrivée des vents humides faisant naître et se développer les teignes, tout en imprégnant les volumes d’une humidité qui les moisit560. »

554

STRABON, Géographie, XVII, 1, 7 (trad. Laudenbach). Ibid. 556 Pascale BALLET, La vie quotidienne…, op. cit., p. 21. 557 Lucien Xavier POLASTRON, Livres…, op. cit., p. 34. 558 Philippe FLEURY, « L’hydraulique ancienne, de l’Égypte à Rome », Cahiers de la MRSH, 2005, n° 41, p. 177. 559 Panos VALVANIS, « Thoughts on the public archive in the hellenistic Metroon of the Athenian Agora », AM, 2002, n° 117, p. 221-255 ; Volker Michael STROCKA, « The Celsus library of Ephese », dans Ancient libraries in Anatolia. Libraries of Hattusha, Pergamon, Ephesus, Nysa, Ankara, Middle East Technical University Library, 2003, p. 37. 560 VITRUVE, De l’architecture, VI, 4, 1 (trad. Callebat). 555

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Des produits répulsifs contre les nuisibles sont aussi appliqués comme procédés de prévention. Les papyrus sont enduits d’huile de cèdre (Kedrion elaion) qui leur donne en plus une belle teinte blonde561 et les assouplit. Le poète romain Horace (65-27 av. J.C.) explique que pour conserver ses poèmes, il faut qu’ils soient « parfumés à l’huile de cèdre ou conservés dans de brillants coffres de cyprès562 ». Les vertus imputrescibles de l’huile de cèdre sont bien connues des Égyptiens qui l’utilisent lors de la momification et l’embaumement563 ; elle est considérée également comme un antimite. Le cyprès est un bois utilisé fréquemment en Égypte pour la réalisation de sarcophages564 et peut donc avoir été choisi aussi pour confectionner les kibôtoi. Les insectes, essentiellement les mites565, et les rongeurs sont les ennemis des bibliothécaires et des collectionneurs. Épharmostos se plaint à son frère Zénon au IIIe s. av. J.-C. dans un courrier (P. Lond. VII 2033) : « La lettre que tu as écrite à Ménon […] a été complètement mangée par les souris […] ; écris-en une autre aussi vite que possible566. » Malgré la mise en place de ce que nous appellerions aujourd’hui des techniques et des moyens de conservation préventive567, le rouleau endommagé demande des travaux de réparation voire de restauration. Cicéron (106-43 av. J.-C.), dans une lettre adressée à son ami Atticus, nous apprend qu’il a eu recours à des glutinatores (les colleurs)568. Enfin, si une partie du document est jugée trop endommagée, elle peut être remplacée par une nouvelle copie du passage manquant qui sera collée en jointure comme sur le papyrus daté du IIe s. (P. Lit. Lond. 27 = MP3 998). En raison des conditions matérielles identiques, on en déduit que cette pratique de réparation est également appliquée fréquemment en Égypte ptolémaïque. En effet, Démétrios de Phalère, dès la fondation de la Bibliothèque d’Alexandrie, 561

Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 44. HORACE, L’art poétique, II, 323-332 (trad. Richard). 563 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, VII, 3, 35. 564 Amandine MARSHALL, Les momies égyptiennes : la quête millénaire d’une technique, Paris, Fayard, 2013, p. 73. 565 STRABON, Géographie, XIII, 1, 54. 566 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 46. 567 LUCIEN DE SAMOSATE, Le bibliomane ignorant, 16 (trad. Talbot). 568 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 44. 562

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demande à Ptolémée Ier Sôter (305-283 av. J.-C.) les moyens nécessaires aux travaux de réparation des rouleaux : « Sur ton ordre, ô roi, en ce qui concerne les ouvrages qui manquent encore et qu’il faut réunir pour compléter la Bibliothèque, et la réparation de ceux qui sont en mauvais état, j’y ai mis tous mes soins et je viens te soumettre le projet suivant569. » La reproduction La reproduction n’est pas ici considérée comme moyen de dupliquer en vue de multiplier la diffusion d’une œuvre, mais bien d’assurer sa conservation. Lorsque l’environnement n’est pas propice à la bonne conservation des biblia, notamment dans un milieu humide et infesté d’insectes comme peuvent l’être les villes ou villages proches du Nil, les dégradations surviennent et peuvent être irrémédiables. Quand le document est trop abîmé pour être préservé, l’unique façon pour conserver son texte est de le reproduire. La copie est considérée comme une étape ultime pour sauver l’œuvre, avec le risque d’erreurs qui a été rapporté par Strabon570 et Plutarque571 au sujet de la transmission de la bibliothèque d’Aristote. Cette pratique est fréquente pour le document d’archives, unique et officiel, constitué essentiellement d’actes notariés ; il peut devenir un enjeu de conservation, sa perte pouvant s’avérer dramatique. Gaëlle Coqueugniot572 rapporte le cas du scandale des archives publiques de Ptolémaïs Évergétis, capitale du nome Arsinoïte (aussi connue sous le nom de Krokodilopolis à l’époque lagide et d’Arsinoë aux époques romaine et byzantine). Les bibliophylaques se rejettent mutuellement la faute de pertes et dégradations : certains rouleaux sont amputés de leur partie initiale, d’autres endommagés, et d’autres encore sont vermoulus (P. Fam. Tebt. 15, I, 36). La nécessité de doubler ces archives entre 68 et 73 av. J.-C. pour garantir l’immuabilité des actes met en lumière l’état de conservation extrêmement dégradé des papyrus. 569

Lettre d’Aristée à Philocrate, II, 29 (trad. Pelletier). STRABON, Géographie, XIII, 1, 54. 571 PLUTARQUE, Vie de Sylla, 26, 1. 572 Gaëlle COQUEUGNIOT, Archives et bibliothèques…, op. cit., p. 41. 570

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CHAPITRE III L’apparition de véritables pratiques de gestion documentaire

Le bibliothécaire est un professionnel dont le contour des missions se dessine. Démétrios de Phalère (360-282 av. J.-C.), philosophe et fondateur de la Bibliothèque royale, est reconnu comme un personnage assez influent pour avoir son effigie auprès d’Homère dans l’exèdre du Serapeion de Memphis. De véritables techniques bibliothéconomiques voient le jour comme le classement, l’ordonnancement, le signalement dont la production de documents secondaires (les catalogues) ou encore la mise en place de véritables politiques documentaires. III.1. LE BIBLIOTHÉCAIRE : AFFIRMATION D’UNE PROFESSION La notion de professionnalisation va au-delà de la responsabilité d’un lieu de stockage et de conservation. Elle implique l’usage de pratiques bibliothéconomiques réfléchies dans le but d’assurer la conservation et la transmission des textes. Ainsi, deux appellations sont utilisées : l’épimélète (Ἐπιμελητὴς), celui qui surveille, et le bibliophylaque (du grec bibliophylax, Βιβλιοφύλαξ), celui qui garde des rouleaux, c’està-dire le « conservateur », titre d’ailleurs toujours utilisé aujourd’hui en bibliothèque.

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Du scribe au bibliophylaque : une identité et des fonctions qui se dessinent Le scribe exerce une profession hautement prisée dans l’Égypte antique573. Dès l’Ancien Empire, le titre de shd zhw prmdu ntr, « Directeur des scribes des archives des livres divins », apparaît574. On le retrouve gravé sur un plateau d’offrandes sur pied en calcaire conservé au Musée du Caire (CGC 1353), daté de la Ve dynastie (2500-2300 av. J.-C.), provenant d’après Mariette du mastaba 36 de Saqqarah. Ce titre se perpétue et est utilisé aussi au Nouvel Empire. Dans une tombe thébaine575 datée du règne de Ramsès II (1279-1213 av. J.-C.), le propriétaire, un certain Amenwashu, se présente comme « scribe des livres sacrés dans la Maison d’Amon576 ». Les témoignages de l’usage de titres propres à la responsabilité attachée à une collection documentaire sont cependant assez rares. Tout comme le scribe et le copiste, un personnel spécifique amené à gérer une collection de livres voit le jour. À Rhodes, plusieurs fragments de cinq décrets de fonctionnement (A1, A2, A3, A4 et A5) portent des inscriptions datées de la seconde partie du IIe s. av. J.-C., étudiées tout particulièrement par Emilio Rosamilia. Selon lui, la collection, certainement une propriété publique, était confiée à la garde des gymnasiarques dont la responsabilité était de mener des travaux relatifs à la bibliothèque et de contrôler les employés spécialement sélectionnés. Après avoir indiqué leur intérêt, ces derniers auraient été inscrits sur une liste spéciale et soumis à l’approbation de l’assemblée par vote577. 573

Voir particulièrement Chloé RAGAZZOLI, Scribes. Les artisans du texte en Égypte ancienne (1550-1000), Paris, Les Belles Lettres, 2019 ; COLLECTIF, À l’école des scribes. Les écritures de l’Égypte ancienne, Montpellier, CENIM, 2016, et Patrizia PIACENTINI, Les scribes dans la société égyptienne de l’Ancien Empire, vol. I. Les premières dynasties, les nécropoles memphites, Paris, Cybelle (Études et mémoires d’égyptologie ; 5), 2002. 574 Patrizia PIACENTINI, Les scribes…, op. cit., p. 473. 575 Tombe TT 111, dans la Vallée des nobles. 576 Alan H. GARDINER, « The House of Life », Journal of Egyptian Archaeology, 1938, n° 24, p. 161 (traduit en français par Antoinette Le Normand-Romain et Alain SCHNAPP, « Naissance des collections… », art. cité). 577 Emilio ROSAMILIA, « Biblioteche a Rodi all’epoca di Timachidas », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, serie 5, 2014, n° 6/1, p. 325-361.

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Ptolémée Ier Sôter (305-283 av. J.-C.) ne fait pas appel à un scribe ou à un gymnasiarque pour mener à bien son projet, mais à son conseiller royal, Démétrios de Phalère, considéré comme un « expert578 ». À l’époque de Ptolémée II Philadelphe (283-246 av. J.-C.), la Bibliothèque royale prend des dimensions gigantesques et demande une direction propre : l’un des savants nommés par le roi prend la fonction de prostatès de la Bibliothèque579. L’identité des bibliothécaires alexandrins qui se succèdent à cette charge est connue par trois sources : un papyrus fragmentaire d’Oxyrhynque daté du IIe s. av. J.-C. (P. Oxy. 1241)580, les notices de l’encyclopédie grecque du Xe s., la Souda581 et l’introduction au commentaire sur Aristophane, Les Prolégomènes, du grammairien byzantin Jean Tzétzès (11101180). Les chercheurs actuels sont relativement unanimes582 pour dresser la liste suivante : Zénodote (285-270 av. J.-C.), Apollonios de Rhodes (270-245 av. J.-C.), Ératosthène (245v. 204/1 av. J.-C.), Aristophane de Byzance (v. 204/1-189/6 av. J.-C.), Apollonios Eidographos (v. 189/6-175 av. J.-C.), Aristarque (175-145 av. J.-C.) et Cydas. Le P. Oxy. 1241 ne mentionne pas le nom de Callimaque. Peter Fraser583 et Rudolf Blum584 pensent néanmoins qu’il a succédé à Zénodote (285-270 av. J.-C.). Le contenu de ce papyrus a été effectivement remis en cause dernièrement par Jackie Murray585. Elle le lie au catalogue 578

Juliette ROY, « Conseiller le roi en Égypte hellénistique… », art. cité. Luciano CANFORA, Histoire de la littérature grecque…, op. cit., p. 31. 580 « . . . Apollonius, fils de Silleus, d’Alexandrie, appelé le Rhodien, le disciple de Callimaque ; il était aussi l’enseignant du premier roi. Il a été remplacé par Eratosthenes, après quoi est venu Aristophanes le fils d’Apelles de Byzance, puis Apollonius d’Alexandrie, le soi-disant Eidographos ; et après lui, Aristarque, fils d’Aristarque, d’Alexandrie, mais originaire de Samothrace ; il devint aussi le professeur des enfants de Philopator. Il était suivi de Cydas, des lanciers ; et sous le neuvième roi fleurit Ammonius, Zenodotus, Dioclès et Apollodore les grammairiens » (traduit en anglais par Parsons, 1952). 581 Pour consulter les notices de la Souda, voir l’édition numérique Souda On Line (http://www.stoa.org/sol/). 582 Harry GAMBLE, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme, Genève, Labor et Fides, 2012, p. 275. 583 Peter Marshall FRASER, Ptolemaic Alexandria…, op. cit., p. 330-334. 584 Rudolf BLUM, Kallimachos…, op. cit., p. 127-133. 585 Jackie MURRAY, « Burned after reading. The so-called list of alexandrian librarians in P. Oxy. X 1241 », Aitia, 2012, n° 2, p. 544. 579

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militaire qui suit la liste des bibliothécaires pour défendre l’idée qu’il s’agirait non pas d’un document à portée historique, mais d’une œuvre littéraire de piètre qualité similaire aux catalogues en prose des époques hellénistique et impériale. Une source supplémentaire, une inscription trouvée au temple d’Aphrodite à Paphos (Kouklia) à Chypre (OGIS 172)586 datée de vers 100 av. J.-C., mentionne le nom d’Onesandros, fils de Nausicrate, prêtre du Ptolémaion fondé par Ptolémée IX Sôter II (116-109 av. J.-C.) et directeur « de la grande bibliothèque d’Alexandrie » en 89 av. J.-C. Selon la Souda O 386587, il est l’auteur d’un Commentaire de la République de Platon. Or, si l’identité des bibliothécaires alexandrins est connue, leurs fonctions restent floues et multiples. Ils cumulent différentes fonctions. Leur rôle, en tant que précepteur royal, est avant tout de parfaire l’éducation de la dynastie des Lagides, à l’image d’Aristote qui le fut pour Alexandre. Ainsi, Zénodote d’Éphèse est le précepteur du futur Ptolémée II, Apollonios de Rhodes celui du futur Ptolémée III et Aristarque de Samothrace celui du futur Ptolémée VII. Cette tradition se perpétue jusqu’au XIXe s. avec entre autres Vincent de Beauvais (1190-1264), bibliothécaire et précepteur des enfants du roi Louis IX, ou encore Jacques Hardion (1686-1766), bibliothécaire du roi et de la famille royale et précepteur de Mesdames de France, ou enfin Philippe Bas (1794-1860), bibliothécaire-administrateur de la Sorbonne et précepteur de Louis-Napoléon Bonaparte. Le bibliophylaque, le gardien de la collection royale de livres (littéralement « le gardien des livres »), est aussi responsable de l’entretien et de l’utilisation de la collection. Mais apparemment il n’est ni obligé ni habilité à poursuivre son accroissement. En tout cas, il n’y a pas de preuve que les bibliothécaires d’Alexandrie soient préoccupés par les acquisitions ou qu’ils aient des moyens financiers à leur disposition à cette fin588. Il semble que cela relève uniquement du prêtre des Muses, c’est-à586

L’inscription a été publiée originellement par R. Elsey Smith, dans D. G. HOGARTH et alii, « Excavations in Cyprus, 1887-88. Paphos, Leontari, Amargetti », JHS, 1888, p. 147-271. 587 Pour consulter les notices de la Souda, voir l’édition numérique Souda On Line (http://www.stoa.org/sol/). 588 Rudolf BLUM, Kallimachos…, op. cit., p. 102.

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dire du souverain lui-même. Strabon en décrivant Aristote comme « un collectionneur de livres hors pair » qui « enseigna aux rois d’Égypte la manière de constituer une bibliothèque589 » sous-entend qu’être bibliothécaire demande des compétences propres à ce domaine tout nouveau qu’est la bibliothéconomie. Néanmoins, collectionner ou amasser des livres n’est pas la seule tâche du bibliothécaire. Zénodote (330-260 av. J.-C.), en appliquant une nouvelle façon d’étudier les classiques grecs590 par recensement, annotation et signalement, devient le premier véritable bibliothécaire591. En dehors de la Bibliothèque royale pour laquelle il existe des sources littéraires, il est assez difficile d’identifier d’autres bibliothécaires. La gestion des bibliothèques de gymnase aurait pu être directement sous la responsabilité du gymnasiarque592, comme le propose Van Groningen. Des missions bibliothéconomiques bien définies Une partie des tâches des bibliothécaires alexandrins sont assez similaires à celles du bibliothécaire moderne593 : inventorier les rouleaux ; identifier le contenu ; classer par genre littéraire puis à l’intérieur de chaque genre ; classer les rouleaux par ordre alphabétique d’auteurs et d’œuvres ; rassembler les exemplaires d’une même œuvre (les doublons devaient être nombreux). La particularité des missions du bibliothécaire alexandrin est de comparer les variantes textuelles, d’établir le texte et de le disposer de la manière la plus satisfaisante, et enfin d’expliquer les difficultés du texte et en rendre compte soit dans des commentaires suivis, soit dans des monographies spécialisées. Il est donc en charge d’assurer la transmission d’un texte « officiel », de garantir la qualité des écrits et des connaissances et de constituer un patrimoine littéraire et 589

STRABON, Géographie, XIII, 1, 54 (trad. Tardieu). Luciano CANFORA, Histoire de la littérature grecque…, op. cit., p. 47-48. 591 Cécile MARCOUX, « Alexandrie, poëtique des savoirs », Revue française de psychanalyse, 2014, vol. 78, p. 503. 592 Marcel HOMBERT, « [compte rendu] Le Gymnasiarque des métropoles de l’Égypte romaine de B. A. Van Groningen », Revue belge de Philologie et d’Histoire, 1925, vol. 4, n° 4, p. 743-748. 593 Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 29-42. 590

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scientifique. À l’époque lagide, des pratiques intellectuelles et des techniques inédites induisent une accumulation et une confrontation de textes594. La constitution de dépôts de livres transcrit une transformation majeure dans les pratiques savantes puisqu’elle rend possible l’exercice de la pensée à partir de la confrontation des textes et des idées : la doxographie595. L’organisation de l’espace de conservation par des rayonnages, l’ordonnancement, le nécessaire traitement physique des documents par la pose de sillyboi par exemple, sont des actions propres à la gestion documentaire et peuvent donc être considérées comme des tâches bibliothéconomiques. Cependant, à cela s’ajoute désormais un besoin d’appliquer une méthodologie et une rationalité. Ainsi, se développe une littérature secondaire propre à l’organisation d’une bibliothèque. Les plus anciens « manuels » connus596 sont le Perì synagogês bibliôn « Sur la collection de livres » et le Perì bibliôn kréseos « Sur l’utilité des livres ». Ces deux ouvrages sont l’œuvre du grammairien Artemon de Cassandre (v. 215-144 av. J.-C.), élève de Cratès de Mallos (v. 220-140 av. J.-C.). Ce grammairien est connu pour avoir mené une polémique au sujet d’un élève d’Aristarque de Samothrace, philologue de la Bibliothèque d’Alexandrie597. La production de documents secondaires : les catalogues Avec le développement des centres de conservation de textes, un tout nouveau type d’écrits apparaît : les catalogues. Outil bibliographique indispensable pour signaler et retrouver un document, le catalogue s’inscrit dans la lignée des textes paradoxographiques hellénistiques inaugurés par Callimaque de Cyrène (v. 283-246 av. J.-C.) qui en fait un genre littéraire. Devenu expert des collections de la Bibliothèque d’Alexandrie, il rédige des livres-catalogues comme le Recueil des merveilles 594

Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76. Emmanuelle CHAPRON, « Bibliothèques », dans Dionigi ALBERA (dir.) et alii, Dictionnaire de la Méditerranée, Arles, Actes Sud / Maison méditerranéenne des sciences de l’homme, 2016, p. 164-171. 596 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, XII, 515e ; XV, 694a. 597 Giusy M. A. MARGAGLIOTTA et Andrea Aldo ROBIGLIO (éds), Art, intellect and politics, Leiden / Boston, Brill, 2013, p. 367. 595

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sur toute la terre classées par lieux, dont seulement vingt-cinq fragments ont survécu. La 27e notice de la Souda nous apprend qu’il est l’auteur des Pinakes (Catalogues des auteurs qui brillèrent dans chaque discipline), ouvrage bibliographique de contenu littéraire en cent vingt rouleaux. Même s’ils ne peuvent être considérés comme des catalogues à proprement parler (absence apparemment de notion d’exemplaire ou de localisation) ou des inventaires (absence apparemment de numéro ou de date d’entrée dans les collections) de la Bibliothèque d’Alexandrie, ces livres reflètent probablement une commande598. Cette première tentative consciente d’un répertoire historicolittéraire s’apparente davantage à une bibliographie exhaustive de la production littéraire grecque et augure la naissance de la bibliothéconomie599. En effet, les auteurs sélectionnés ont été regroupés par thème et classés par ordre alphabétique : une brève notice biographique suit les titres des œuvres composées, accompagnées de notes incipit et stichométriques pour déterminer l’authenticité et l’intégrité des copies. Seul un directeur de bibliothèque peut avoir la responsabilité de ce travail travail monumental600, néanmoins le doute persiste que Callimaque ne l’ait jamais été. Cette tâche a été poursuivie par Aristophane de Byzance vers 200 av. J.-C. en corrigeant et complétant les Pinakes dans son œuvre : les Additions aux Pinakes de Callimaque601. Callimaque, en s’inspirant des textes paradoxographiques, rédige le premier outil bibliographique : les Pinakes. Il est considéré comme un des pères de la bibliothéconomie. Si des listes d’auteurs ont été découvertes sur tous les sites602, les documents qui correspondent strictement à la période étudiée sont au nombre de deux. Le premier, le P. Tebt. III 695 (= Pack 2071) (Fig. 9), est contemporain des Pinakes de Callimaque (datation du IIIe s. av. J.-C). Il s’agit d’une liste de tragédiens découverte avec les archives de Kronion à Tebtynis dans un 598

Rosa OTRANTO, Antiche liste…, op. cit., p. 11. Jean SIRINELLI, « Un regard… », art. cité, p. 92. 600 Rudolf BLUM, Kallimachos…, op. cit., p. 127. 601 Luciano CANFORA, Histoire de la littérature grecque…, op. cit., p. 71. 602 Rosa OTRANTO, Antiche liste…, op. cit. 599

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cartonnage de momie. Le fragment contient un texte sur deux colonnes. Fig. 9 : Liste de Tragédiens (P. Tebt. III 695), Berkley, Berkley University.

Photo © UC Berkley University

Le deuxième papyrus (P. Mich. inv. 3498 + 3250b ro 3250a et c ro), daté du IIe s. av. J.-C. et de provenance inconnue, acheté au Caire en 1920603, présente une liste d’œuvres lyriques et tragiques. À partir de l’époque romaine, ce type de documents se multiplie en Égypte. Le papyrus (Pack 2089.01) d’Arsinoïte dans le Fayoum, daté de la première moitié du Ier s., conserve la liste des livres d’une bibliothèque privée604 et plusieurs listes d’ouvrages viennent d’Oxyrhynque. Ils attestent du développement de pratiques initiées dès le IIIe s. av. J.-C.

603

Cassandra BORGES et C. Michael SAMPSON, New literary papyri from the Michigan collection. Mythographic lyric and a catalogue of poetic first lines, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2012, p. 9. 604 Rosa OTRANTO, Antiche liste…, op. cit., pl. n° 3.

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III.2. RÈGLEMENTER L’ACCESSIBILITÉ AUX COLLECTIONS Accéder aux collections, et donc aux savoirs, est un enjeu fondamental. Une des caractéristiques des fonds manuscrits, par rapport aux imprimés que nous connaissons aujourd’hui, est leur extrême volatilité. Au gré des copies, des corrections successives et des annotations, le texte initial se dénature, s’appauvrit ou au contraire s’enrichit et peut être amené à disparaître. Une des missions de la Bibliothèque royale alexandrine est de produire des versions « officielles ». L’accessibilité aux collections s’entend donc d’une part comme l’accès au texte original et, d’autre part, comme l’accès à l’espace « bibliothèque ». L’atelier des copistes Quand les livres ne sont pas disponibles chez les libraires, il faut en demander des copies. Les exemplaires conservés dans des bibliothèques assurent la diffusion de copies « officielles » qui ont une valeur incontestable. La Bibliothèque d’Alexandrie joue ce rôle indispensable, une sorte de « dépôt légal » avant l’heure. Elle dispose d’ateliers de copistes, mais aussi d’équipes de savants susceptibles d’éditer les textes et le cas échéant de les traduire. L’importance de ces activités explique qu’elles soient encadrées par l’administration605 : les supports sont standardisés (autrement dit, les volumina se présentent selon des modèles constants) et le travail de copie est tarifé. En principe, au IIe s av. J.-C. et pour un travail ne représentant pas de difficultés particulières, le tarif est de 28 drachmes pour 10 000 lignes ou de 13 drachmes pour 6 300 lignes. Les copistes qui peuvent se spécialiser606 reçoivent un salaire proportionnel au nombre de lignes copiées : leur rémunération les classe parmi les artisans les mieux payés d’Égypte607. La pratique de copier des exemplaires « officiels » alexandrins se perpétue au-delà de l’époque lagide608. Suite à l’incendie de la bibliothèque du Portique d’Octavie à Rome en 80, Domitien « avait fait réparer à grands 605

Frédéric BARBIER, Histoire des bibliothèques…, op. cit., p. 33. Daniel DELATTRE, La Villa des papyrus…, op. cit., p. 71-74. 607 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 33. 608 Richard GOULET, « La conservation… », art. cité, p. 29-62. 606

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frais les bibliothèques consumées par l’incendie, recherchant partout des exemplaires de livres qui avaient péri, et envoyant jusqu’à Alexandrie pour les copier et les corriger609 ». La copie est un procédé de transmission610 à haut risque. Réaliser une copie est une tâche qui demande rigueur et patience. Certains scribes peuvent réaliser de nombreuses fautes ou erreurs si on en croit Strabon qui déplore les dommages qu’Apellicôn de Téos infligea aux écrits d’Aristote611. Outre le fait de veiller au respect du texte, il faut veiller à conserver la forme612 avec la correspondance entre l’œuvre ou ses sections et le contenu d’un rouleau de papyrus de vingt feuilles qui est la dimension commercialisée. Le plus ancien témoignage d’un copiste date de la fin du IIIe s. av. J.-C. Il écrit à la fin du fragment des Sicyoniens de Ménandre (P. Sorb. inv. 72 + 2272 + 2273 = MP3 1308.1) : « Comme il m’est agréable de faire reposer les trois doigts613 ! » La position du copiste grec est assez inconfortable puisqu’il écrit sur ses genoux614 et en tenant de la main gauche son rouleau sur lequel il écrit de la main droite615. Des propriétaires de bibliothèques privées peuvent avoir un atelier de copies à domicile. Cette production au caractère presque industriel est bien avérée chez les Romains. Ainsi, Cicéron (106-43 av. J.-C.) écrit en 45 av. J.-C. à son ami et éditeur Atticus (110-32 av. J.-C.) que « les livres destinés à Varron ne tarderont pas. Ils sont en cours d’achèvement, comme tu l’as constaté ; il ne reste plus qu’à finir de corriger les fautes de copistes. […] Ceux que je destine à Brutus sont aussi entre les mains des copistes616 ». Néanmoins, il semble bien qu’en Égypte

609

SUÉTONE, Vie des douze Césars, XII, 20. Richard GOULET, « La conservation… », art. cité, p. 29-62. 611 STRABON, Géographie, XIII, 1, 54. 612 Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 21. 613 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 32. 614 P. Lit. Lond. 11 = MP3 697 : « c’est le calame qui m’a écrit, la main droite sur le genou » (trad. Bouquiaux-Simon). 615 George PARASSOGLOU, « Some thoughts on the postures of the ancient Greeks and Romans when writing on papyrus rolls », S&C, 1979, vol. 3, p. 521. 616 CICÉRON, Correspondance (Atticus, XIII, 23, 2). 610

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ptolémaïque, d’après les études de William Johnson617, une majorité de copies de province ou du moins d’Oxyrhynque ait été réalisée par des mains non professionnelles. Ainsi, Dryton a luimême copié le poème érotique (P. Dryton 50) au dos d’un de ses anciens prêts. Le texte a apparemment été copié directement à partir d’un original dans lequel des signes comme des doubles points ont été utilisés pour faciliter la réalisation618. Seule une lettre du IIe s. qui proviendrait d’Oxyrhynque (Brit. Libr. inv. 2110) présente la liste de paiements pour la copie de livres d’Aristophane et de Sophocle, mais nous ignorons l’auteur et le destinataire de cette correspondance. Des marques d’appartenance Aucune marque d’appartenance ou de propriété des collections de biblia n’a, à l’heure actuelle, été découverte que ce soit sous forme « d’estampillage » ou d’ex-libris. Ces derniers sont cependant d’usage dès l’époque égyptienne, notamment pour les collections royales d’Aménophis III (v. 1440-1352 av. J.-C.), pharaon de la XVIIIe dynastie. À l’époque ptolémaïque, des crétules619 et des sceaux sont utilisés pour les archives. Ces artefacts ont surtout fait l’objet de recherches iconographiques et stylistiques mais rarement de recherches sur leurs usages en raison du manque d’information de contexte de découverte620. Les livres peuvent cependant porter le nom de leur ancien propriétaire ou encore du correcteur. Galien nous apprend que le nom du médecin Mnémon de Sida en Pamphylie est inscrit sur l’exemplaire de la Bibliothèque alexandrine de l’édition du IIIe livre des Épidémies d’Hippocrate lors du dépôt dans les apothecae en précisant qu’il s’agit du « livre des navires, selon 617

William Allen JOHNSON, Bookrolls and scribes in Oxyrhynchus, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 32-59. 618 Elena ESPOSITO, Il « Fragmentum Grenfellianum »…, op. cit., p. 50. 619 Elément qui permet de fermer les papyrus. Pour des exemples iconographiques, voir l’ouvrage d’Estelle GALBOIS, Images du pouvoir et pouvoir de l’image : les médaillons-portraits miniatures des Lagides, Pessac, Ausonius (Scripta antiqua ; 113), 2018. 620 Marie-Françoise BOUSSAC, « Archives et sceaux du monde hellénistique », BCH, 1996, suppl. 29, p. 349-363.

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le correcteur Mnémon de Sida621». Cette pratique semble habituelle et apparaît comme la première étape avant le rangement définitif dans les bibliothèques. Ainsi, Galien explique par là même que l’origine des livres arrivant à Alexandrie est inscrite sur le document, à l’instar de ceux qui viennent « des navires », et que « les employés du roi inscrivaient sur les exemplaires qu’on déposait dans les armoires, les noms de tous les navigateurs apportant les livres622 ». Des modes de consultation règlementés Les modalités d’accès d’une bibliothèque publique (telle que peut l’être celle du Serapeion d’Alexandrie) sont relativement bien connues. Une grande plaque de pierre locale découverte fortuitement en 1986 sur l’acropole de Rhodes623 présente une inscription fragmentaire d’une cinquantaine de lignes datées du IIe s. av. J.-C. qui précise « que personne n’emporte les livres consacrés (aux dieux du gymnase ?) à l’extérieur / si quelqu’un les emmenait ou les échangeait…624 ». Une inscription épigraphique en grec d’époque romaine sur une stèle de marbre veiné625 affiche le règlement de la bibliothèque de Pantainos sur l’agora d’Athènes (fouillée par Shear en 1940 et Thompson en 1947) et indique également qu’« aucun livre ne sera emprunté, car nous l’avons juré ; la bibliothèque sera ouverte de la première à la sixième heure626 ». Ce règlement stipule que les livres ne sont pas empruntables et que les lecteurs doivent prêter serment de ne dérober aucun livre. Cette restriction est également attestée à la bibliothèque de Rhodes au IIe s. av. J.-C.627. Les livres doivent donc être consultés sur place et tout emprunt est proscrit. Néanmoins, un réexamen de la graphie de la gravure atteste qu’il 621

GALIEN, Commentaires aux Épidémies III d’Hippocrate II. Signification des caractères à la fin des maladies (trad. Littré). 622 Ibid. 623 Ioannis PAPACHRISTODOULOU, « Das hellenistische Gymnasion von Rhodos. Neues zu seiner Bibliothek », dans Akten des XIII. Internationalen Kongresses für klassische Archäologie, Berlin, P. von Zabern, 1990, p. 500-501. 624 Gaëlle COQUEUGNIOT, Archives et bibliothèques…, op. cit., p. 135. 625 Athènes, musée de l’Agora, n° I.2729, époque de Trajan (98-117). 626 Gaëlle COQUEUGNIOT, Archives et bibliothèques…, op. cit., p. 25. 627 Emilio ROSAMILIA, « Biblioteche a Rodi… », art. cité, p. 325-362.

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s’agit d’un ajout postérieur au Bas-Empire628. S’il n’existe pas de témoignages directs en Égypte lagide, il est néanmoins avéré qu’à l’époque romaine des dispositifs architecturaux assurent un accès restreint et surveillé aux bibliothèques collectives. À la bibliothèque de Philippes en Grèce, à la fin du IIe s., la façade de la grande salle était une large baie à colonnes fermée par des grilles métalliques (comme en témoignent les marques laissées sur le stylobate)629. Tout comme les livres, les archives ne sont pas empruntables. En conséquence, des copies sont réalisées pour pouvoir en faire usage. La possibilité de prêt des ouvrages à domicile est relativement récente dans l’histoire des bibliothèques. Il faut attendre le livre imprimé pour que cette pratique s’installe. III.3. LA MISE EN PLACE DE STRATÉGIES D’ORGANISATION Le classement, l’ordonnancement et le rangement sont nécessaires pour retrouver une information ou un document. Ces pratiques propres à la bibliothéconomie matérialisent l’organisation d’une pensée et de concepts intellectuels facilitant la recherche d’information. La bibliothèque a une signification plurielle : à la fois regroupement physique (un lieu, qu’il s’agisse à l’origine du coffre ou du rayonnage puis du bâtiment) et intellectuel (une collection)630. Classifier et repérer ou les prémices d’une méthode de cotation Des témoignages assez clairs attestent du traitement des documents d’archives. Au IIIe s. av. J.-C., Zénon, intendant du 628

Homer A. THOMPSON et Richard Ernest WYCHERLEY, The Agora of Athens, Princeton, ASCSA, 1972. 629 Michel SÈVE, « Nouveautés épigraphiques au forum de Philippes », dans Inscriptions of Macedonia. Third International Symposium on Macedonia. Thessaloniki, 8-12 December 1993, Thessalonique, Aristotle University of Thessaloniki, 1996, p. 176-177. 630 Patrick LATOUR, Classements et classifications des bibliothèques avant la Révolution. Séminaire ALMA 2008-2009, Centre de recherches historiques de l’Ouest (CERHIO-UMR CNRS 6258), 2008.

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domaine d’Apollonios à Philadelphie, classe ses archives en portant un numéro sur chacune des lettres reçues et en précisant le lieu et la date de réception, mais aussi le sujet631, ce qui nécessite la mise en place plus ou moins consciente d’une indexation632. Il s’agit donc ici d’un véritable traitement intellectuel qui doit s’ajouter à la production d’un document secondaire de type « inventaire » ou « catalogue » reprenant de manière synthétique la totalité des informations. Ce mode de classement numérique semble être privilégié pour classer les archives et les livres dès l’époque gréco-romaine. Un groupe d’ostraca, daté de 150 à 225 av. J.-C., découvert dans la « maison des ostraca » contre le mur oriental du temple à Medinet Madi (ancien Narmouthis) dans le Fayoum, contient des instructions pour tous les types de services du temple. Ces documents sont bilingues (démotique-grec), apparemment écrits par un « bibliothécaire apprenti633 » qui a reçu sa formation sur le tas et a écrit – peut-être pour un usage personnel – toutes sortes d’instructions impliquées dans l’archivage ou la copie de textes. Certains des ostraca sont numérotés en grec (de 1 à 16, le dernier à l’encre rouge), montrant qu’ils ont été classés pour consultation. Les instructions sont écrites en démotique, mais les chiffres et les mots ont été ajoutés en grec par le scribe bilingue. Le classement par ordre numérique qui permet de localiser un document rappelle le système de cotation des bibliothèques rationnalisé au XIXe s. avec la classification décimale du bibliographe américain John Dewey, toujours en vigueur en bibliothèques. En Sicile, à Tauromenion, plusieurs fragments d’enduits muraux ornés de dipinti rouges attestent, selon Giacomo

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Willy CLARYSSE et Katelijn VANDORPE, Zénon…, op. cit., p. 89. L’indexation fait appel à un langage documentaire qui consiste à décrire finement le contenu d’un document dans le but de le rendre accessible via le catalogue par diverses entrées. (cf. Fiche pratique Enssib). (En ligne : ). 633 Katelijn VANDORPE et Herbert VERRETH, « Temple of Narmouthis : House of the ostraca », Leuven homepage of papyrus collections, 2012. (En ligne : ). 632

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Manganaro634 et Horst Blanck635, de l’existence d’une bibliothèque de la 2e moitié du IIe s. av. J.-C. Cinq fragments de cet enduit mural, de couleur crème, portent encore des traces de textes peints en rouge. Elles correspondent à des notices bibliographiques d’auteurs antiques636. Elles étaient disposées en colonnes d’environ 10,50 cm de large, séparées par un blanc de 3,50 cm, et constituaient la liste d’auteurs, probablement classés par ordre alphabétique, dont les œuvres étaient conservées dans la bibliothèque637. Ces panneaux auraient été sur le mur du fond d’une stoa. À Rhodes, un catalogue sur stèle d’une bibliothèque du IIe s. av. J.-C. présente un panneau similaire avec un double classement thématique et alphabétique638. Cependant, on ne sait pas si l’agencement des collections correspond au classement du catalogue. En Égypte ptolémaïque, si aucun vestige de ce type ne nous est parvenu, on peut raisonnablement penser que des moyens d’information et de signalement sont présents dans les bibliothèques collectives (comme celle du Serapeion d’Alexandrie), pour faciliter les recherches du lecteur et du bibliothécaire. Dans le cas de la Bibliothèque du Mouseion, où le nombre de rouleaux se compte en plusieurs centaines de milliers, il est envisageable qu’une signalétique fine (écrite ou iconographique), assortie de la pose de sillyboi, ait été réalisée. Les Pinakes de Callimaque, considérés comme une production d’écrits secondaires, s’apparentent à un catalogue exhaustif et bibliographique des œuvres littéraires. Ils ne peuvent donc pas être appréhendés comme un outil propre à signaler une localisation639.

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Giacomo MANGANARO, « Una biblioteca storica nel ginnasio di Tauromenion e il P. Oxy 1241 », Parola del Passato, 1974, n° 29, p. 389-409. 635 Horst BLANCK, « Un nuovo frammento del ‘catalogo’ della biblioteca in Tauromenion », Parola del Passato, 1997, n° 52, p. 241-254. 636 Gaëlle COQUEUGNIOT, Archives et bibliothèques…, op. cit., p. 39-41. 637 Giacomo MANGANARO, « Una biblioteca nel ginnasio a Tauromenion nel II sec. a. C. », dans Andràs ALFÖLDI et alii, Römische Frühgeschichte, Heidelberg, C. Winter, 1976, p. 83-96. 638 Emilio ROSAMILIA, « Biblioteche a Rodi… », art. cité, p. 325-362. 639 Sidnie White CRAWFORD et Cecilia WASSEN (éds), The Dead Sea scrolls…, op. cit., p. 41.

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Ordonner et ranger par domaine de la connaissance Le rangement des rouleaux littéraires doit prendre en compte la structure particulière du support640. Chaque unité littéraire est en réalité constituée de différents volumes. Il est donc nécessaire de conserver un découpage structurel pour conserver l’intégrité d’une œuvre sur les rayonnages. Strabon nous apprend que la Bibliothèque royale d’Alexandrie est organisée sur le modèle de la bibliothèque d’Aristote. Son élève, Démétrios de Phalère, « avait été le premier, à notre connaissance, à faire ce qu’on appelle une collection de livres, et à apprendre aux rois d’Égypte comment organiser leur bibliothèque641 ». Ce lien entre la collection d’Aristote et la Bibliothèque d’Alexandrie peut faire référence à un ordonnancement intellectuel par domaine et non à un classement numérique. Aristote n’a pas explicitement formulé les modalités d’organisation du Musée ou de la Bibliothèque, mais il a précisé dans La Politique que « toute vie se partage en deux : travail et loisir, guerre et paix ; et, parmi les actions, les unes ont pour but ce qui est nécessaire et utile, les autres ce qui est noble642 ». Dans L’Éthique à Nicomaque, il fait du loisir (scholè) la condition du bonheur et l’activité la plus noble643. La Bibliothèque royale lagide est à vocation universaliste et encyclopédiste : il est fort probable que son organisation soit par discipline avec un classement des connaissances que Zénodote, le premier gardien des livres de 282 à 260, a dû initier644. En tant que précepteur royal, il lui est nécessaire d’organiser et de ranger les livres par genre littéraire, auteurs et œuvres pour faciliter leur utilisation dans le cadre d’un enseignement645. En revanche, on sait par Martial qu’au Ier s. à Rome, dans la bibliothèque d’Auguste (du Temple Neuf), « l’asile de toutes les Muses646 », les ouvrages étaient répartis par catégorie : histoire, géographie,

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Jean IRIGOIN, « Les éditions de textes… », art. cité, p. 47. STRABON, Géographie, XIII, 1, 54 (trad. Tardieu). 642 ARISTOTE, La Politique, VII (trad. Aubonnet). 643 André BERNAND, Alexandrie…, op. cit., p. 88. 644 Cécile MARCOUX, « Alexandrie… », art. cité, p. 502-509. 645 Rudolf BLUM, Kallimachos…, op. cit., p. 127. 646 MARTIAL, Épigrammes, 12, 3, 8. 641

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jurisprudence, médecine, poésie647. Ce découpage par domaines de connaissance semble s’imposer et fait écho aux travaux de signalement de Callimaque où les œuvres sont classées selon de grandes rubriques – l’épopée, la rhétorique, les philosophes, les historiens, les médecins, la poésie et ses différents genres, etc. –, à l’intérieur desquelles les auteurs sont énumérés par ordre alphabétique comme dans la bibliothèque648. Le classement par ordre alphabétique et par matières est utilisé également dans le catalogue de la bibliothèque de Rhodes649 au IIe s. av. J.-C. Nous avons plusieurs indices sur les méthodes de rangement des livres à la Bibliothèque d’Alexandrie. Tout d’abord, il y a le terme εδαφος de la scholie aux Olympiques de Pindare, mais qui pose un problème d’interprétation : il peut vouloir signifier « ce qui relève des livres du fondement », pour décrire les « manuscrits fondamentaux »650. Au IIe s. av. J.-C., Apollonios dit l’Eidogophe explique qu’Aristophane de Byzance entreprend de donner une nouvelle disposition aux compositions musicales contenues dans la Bibliothèque d’Alexandrie suivant leurs modes musicaux651. Certains exemplaires sont classés en fonction de leur cité d’origine. Nous savons que différentes versions des épopées homériques existent et sont dénommées « de Chios », « de Sinope » et « de Massalia ». En outre, le nom du savant qui avait corrigé ou « édité » un texte pouvait être signalé652. La papyrologie nous a donné un exemple de titre et du nombre de lignes inscrit à la fin du rouleau : le papyrus des Sicyoniens de Ménandre (fin du IIIe s. av. J.-C.)653. D’ailleurs, cette indication devait être courante 647

PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, XXXIV, 43. Edward Alexander PARSONS, The Alexandrian Library…, op. cit., p. 138. 649 Emilio ROSAMILIA, « Biblioteche a Rodi… », art. cité, p. 325-362. 650 PINDARE, Vies. Commentaire, dans Scholies à Pindare. Vol. I. Vies de Pindare et scholies à la première Olympique « Un chemin de paroles » (O. I, 110), texte, traduction et commentaire par Cécile DAUDE, Sylvie DAVID, Michel FARTZOFF et alii. Besançon, Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, 2013. p. 149. 651 Charles WESSELY et Charles-Émile RUELLE, « Le papyrus musical d’Euripide », Revue des Études Grecques, 1892, vol. 5, n° 19, p. 269. 652 SOUDA, s. v. Zénodote. (En ligne : ). 653 Alain BLANCHARD et André BATAILLE, « Fragments sur papyrus du ΣΙΚΥΩΝΙΟΣ de Ménandre », Recherches de papyrologie, 1964, n° 161, p. 103-176, pl. VI-XIII. 648

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puisque Diogène Laërce, le poète et biographe romain du IIIe s., la donne pour les auteurs dont il traite. Ainsi, Speusippe (407339 av. J.-C.) écrivit 43 475 lignes, Xénocrate (396-314 av. J.C.) 224 239, Aristote (384-322 av. J.-C.) 445 270 et Théophraste (371-288 av. J.-C.) 232 800654. Ce sont les éléments de description bibliographique encore utilisés aujourd’hui : marques d’appartenance, format bibliographique, etc. La statue de culte : de l’ornementation à la signalétique Dans le cas de collections constituées de plusieurs centaines de volumes, il est indispensable de signaler au lecteur le classement des documents pour faciliter leur recherche et leur accessibilité. Cette nécessité peut se traduire par la mise à disposition d’outils (comme un catalogue ou un inventaire mobile ou fixe) ou d’éléments significatifs ou mnémotechniques. Ces moyens sont à rapprocher de notre signalétique actuelle. Les bibliothèques privées ou publiques romaines richement décorées sont influencées par les bibliothèques hellénistiques. Cicéron indique dans ses lettres à Atticus qu’il a fait appel à des bibliothécaires (librarioli) pour arranger, ordonner et décorer sa bibliothèque pour que tout soit « du plus bel effet655 ». Pour un Romain, l’éducation hellénique reste le modèle à suivre. Les témoignages écrits au Ier s. (Juvénal, Suétone et Pline le Jeune notamment), tout comme les vestiges archéologiques (par exemple à Sagalos, ville hellénisée après la conquête d’Alexandre et capitale de Pisidie romaine, ou encore à Herculanum et Pompéi), attestent de la présence d’une riche décoration hellénisante constituée de bustes, de peintures et de mosaïques dans les bibliothèques privées romaines à l’image de la qualité de la collection et de son propriétaire656. Sénèque fustige ces pratiques romaines et les impute à la tradition alexandrine : « Parfois l’habitant de Rome – non l’indigène de la Sicile si pauvre en livres – étale un mobilier plus fastueux 654

DIOGÈNE DE LAËRCE, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, IV, 5 ; IV, 14 ; V, 27 ; V, 50. 655 CICÉRON, Correspondance (Atticus, IV, 4a ; IV, 8) (trad. Beaujeu). 656 Robert BEDON, « Les bibliothèques grecques et romaines », Archeologia, 1985, n° 208, p. 58-66.

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encore : sa bibliothèque cossue, où livres et portraits d’auteurs ne servent que d’ornement – ornement, se dit-on, exquis, voire dans la tradition, affirme le philosophe, de cette oiseuse et riche bibliothèque aménagée par Ptolémée I ou II à Alexandrie657. » Cette tradition ornementale est probablement issue de l’origine cultuelle des premières bibliothèques grecques installées dans des sanctuaires où les statues des divinités vénérées sont érigées à proximité, mais aussi du lien direct qu’elles peuvent avoir avec le culte. C’est le cas pour Homère qui est devenu progressivement une figure incontournable de la religion grecque. Il reçoit alors dès sa mort, au VIIIe s. av. J.-C., un culte funéraire à Ios658 qui s’apparente aux cultes héroïques et devient une figure sacrée. Strabon décrit qu’à Smyrne (Turquie) « il y a une bibliothèque et l’Homereion, un portique à quatre côtés contenant un sanctuaire d’Homère et sa statue en bois »659. Le plus célèbre reste celui d’Alexandrie. Le sanctuaire d’Homère était placé à l’intérieur du Musée qui abritait la Bibliothèque. Dans son Histoire variée, Élien (175-235) évoque sa présence : « Ptolémée Philopator fit préparer un temple pour Homère. Il y installa une statue fort belle qui le représentait assis et disposa autour d’elle, en cercle, les villes qui s’arrogent la naissance d’Homère660. » Anna Sadurska, qui s’est intéressée aux types iconographiques d’Homère, différencie deux grands types de représentations : Homère seul et Homère dans des groupes661. La description d’Élien reprendrait, selon elle, un type apparenté au groupe des Sept Sages, philosophes et écrivains du groupe trouvé au Serapeion de Memphis (Fig. 6). Au même titre qu’Homère, les auteurs d’œuvres littéraires acquièrent un statut particulier et sont statufiés comme peuvent l’être les héros, les dieux ou les guerriers. D’après la Vie des dix orateurs, l’orateur athénien Lycurgue (390-324 av. J.-C.) édicte une loi pour élever « des statues en bronze aux poètes Eschyle, 657

SÉNÈQUE, Lettre à Lucilius, XLVI, 1 (trad. Préchac). Flore KIMMEL-CLAUZET, « Cultes d’Homère, aspects idéologiques », GAIA. Revue interdisciplinaire sur la Grèce ancienne, 2006, vol. 10, n° 1, p. 171-186. 659 STRABON, Géographie, XIV, 1, 37 (trad. Laudenbach). 660 ÉLIEN, Histoire variée, XIII, 22 (trad. Dacier). 661 Anna SADURSKA, « Quelques remarques sur l’iconographie d’Homère », BCH, 1962, vol. 86, n° 2, p. 504-509. 658

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Sophocle et Euripide, […] faire exécuter et […] conserver aux archives une copie officielle de leurs pièces que le secrétaire de la cité devait lire aux acteurs appelés à interpréter leurs œuvres. Il n’était pas en effet permis de s’écarter du texte officiel662 ». Si la présence de bustes dans les bibliothèques grecques n’est pas attestée, elle ne peut pas non plus être exclue. Le musée grécoromain d’Alexandrie conserve des collections issues essentiellement des fouilles des nécropoles. Elles offrent donc une image assez tronquée des pratiques quotidiennes alexandrines ou grécomacédoniennes à l’époque lagide. Il existe néanmoins quelques découvertes archéologiques qui peuvent être mises en lien avec une ornementation de bibliothèque : un artefact en os et ivoire à l’effigie de Sapho (n° 1982) assise sur un rocher les cheveux flottant au vent et jouant du Trétrachorde découvert en 1890 sur les collines de Rhokatis à Alexandrie ; une petite terre cuite représentant un buste de vieillard drapé et barbe pointue découverte également à Alexandrie (n° 1544) ou un marbre de 23 cm, portrait d’un vieillard (n° 15), et enfin un petit bronze d’un homme drapé comme un orateur (n° 495)663. Même si le vieillard est un motif iconographique traditionnel pour représenter le philosophe, rien ne permet pour le moment de créer un lien direct avec une ornementation de bibliothèque comme les petits bustes d’Épicure retrouvés dans la bibliothèque de la villa de Pison à Herculanum664. Le philosophe romain Sénèque confirme cette pratique : « La bibliothèque est devenue l’ornement obligé de toute maison qui se respecte. J’excuserais parfaitement cette manie, si elle venait d’un excès d’amour pour le travail ; mais ces œuvres sacrées des plus rares génies de l’humanité, avec les statues de leurs auteurs qui en marquent le classement, on les acquiert pour les faire voir et pour en décorer les murs665. » Cette pratique se perpétue ensuite durant plusieurs siècles, comme

662

PSEUDO-PLUTARQUE, Vie des dix orateurs, IV, 841f (trad. Cuvigny). Giuseppe BOTTI, Catalogue des monuments exposés au musée gréco-romain d’Alexandrie, Alexandrie, A. Mourès, 1900. 664 Daniel DELATTRE, La Villa des Papyrus…, op. cit., p. 14-15. 665 SÉNÈQUE, De la tranquillité de l’âme, IX, 4, 7 (trad. Lazam). 663

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l’atteste la décoration de la bibliothèque de Mazarin666 au XVIIe s. En Égypte, aucune structure architecturale particulière n’a été découverte attestant de bâtiments indépendants propres à la conservation et à la consultation de livres. L’intégration d’espaces de stockage dans des édifices culturels, éducatifs et cultuels existants semble avoir été le choix des Hellénophones. Les bibliothèques (pièce, meuble ou aménagement structurel) sont installées dans des lieux propres à l’activité intellectuelle, qui nécessite des espaces déambulatoires comme la stoa ou le peripatos. Le modèle architectural des bibliothèques grecques est contraint par le support d’écrits, le rouleau de papyrus, induisant un mode de lecture spécifique. Le changement de support, à l’époque romaine, est une des raisons des modifications profondes de l’organisation spatiale des bibliothèques. Si le bâtiment « bibliothèque » n’apparaît pas sous une forme architecturale novatrice, la gestion des collections et des lieux de conservation, en revanche, est tout à fait inédite et répond, dès l’époque hellénistique, à des enjeux bibliothéconomiques. Ainsi, la production de documents secondaires et d’outils bibliographiques, mais aussi l’accessibilité des collections préoccupent les bibliothécaires de la Bibliothèque royale, mais aussi les particuliers, comme Zénon, qui mettent dès lors en place des stratégies de classement. Elles diffèrent finalement peu des préconisations d’un ordre strict pour transcrire physiquement l’ordonnancement intellectuel que Gabriel Naudé, bibliothécaire de Mazarin et présenté souvent comme le précurseur de la bibliothèque moderne667, recommande en 1627 dans son ouvrage Advis pour dresser une bibliothèque.

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Yann SORDET, « D’un palais (1643) l’autre (1668) : les bibliothèques Mazarine(s) et leur décor », Journal des Savants, janv.-juin, 2015, p. 79-138. 667 Philippe HOCH, Gabriel Naudé et les débuts de la science des bibliothèques au XVIIIe siècle, Metz, Académie nationale de Metz, 1996, p. 67-80.

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PARTIE III Les collections littéraires grecques de l’Égypte hellénistique

Les rouleaux fragmentaires grecs font l’objet de fréquentes études. Leur transcription permet aux codicologues de faire ressurgir des textes disparus, et la masse et la richesse des papyrus documentaires sont pour les historiens une source intarissable d’informations sur la vie quotidienne des Grecs en Égypte. Notre propos, ici, est d’étudier le livre en tant qu’objet archéologique. Cette approche est relativement inédite.

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CHAPITRE I La constitution des collections

Conserver et sélectionner des livres sont des actes constitutifs de la gestion d’une bibliothèque. Or, cette démarche s’inscrit dans une organisation plus large qui se définit comme le « circuit du livre ». Comment, à l’époque ptolémaïque, les gestionnaires des bibliothèques collectives et les propriétaires de bibliothèques privées développaient-ils leurs collections ? Existait-il un réseau de professionnels du livre ? Et enfin, mettaient-ils en œuvre ce qu’on appelle aujourd’hui une politique documentaire ? I.1. LES CONDITIONS ET MODES D’ACQUISITION DES LIVRES EN ÉGYPTE Le commerce prospère des papyrus et des biblia À partir de l’introduction des papyrus dans le monde grec, le commerce du livre s’organise petit à petit668. La production de papyrus et son exportation se centralisent dans le delta du Nil et à Alexandrie. Les notaires publics, et donc certainement également les copistes, achètent leurs matières premières dans des magasins d’État (P. Teb. III, 78, daté de 159 av. J.-C.)669. Le prix du papyrus est connu (P. Cairo Zen. 59010, 59687 et 59688). En 259-257 av. J.-C., un rouleau s’acquiert en déboursant 4 oboles (1-2 oboles équivalent au salaire 668

Bernard LEGRAS, Lire en Égypte…, op. cit., p. 33. Naphtali LEWIS, Papyrus in classical antiquity, Oxford, Oxford University Press, 1974, p. 125.

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journalier)670. Les sources concernant le prix des biblia sont peu nombreuses. Si Platon (v. 428-348 av. J.-C.) fait une allusion dans l’Apologie de Socrate au livre d’Anaxagore que l’on peut acheter pour une drachme dans l’orchestra à Athènes671, nous n’avons pas d’informations pour l’Égypte lagide. Il semble néanmoins que plusieurs catégories d’édition soient disponibles, offrant des formats variés672, des qualités de papyrus plus ou moins précieuses ou encore une écriture plus ou moins soignée. Le marché semble prospère puisque Ptolémée V (204-181 av. J.C.) interdit, d’après Pline qui rapporte Varron673 (sans doute dans son De Bibliothecis perdu depuis lors)674, l’exportation des rouleaux de papyrus. Le roi, subissant un affaiblissement de son pouvoir, riposte en privant de la sorte son adversaire attalide des capacités matérielles d’accroître le rayonnement culturel de Pergame. Par sa capacité à résister à ses voisins les Galates, Eumène II (197-148 av. J.-C.) est devenu, en effet, aux yeux des Grecs des cités, la nouvelle figure tutélaire de l’hellénisme675. Dès le IVe s. av. J.-C., le commerce de livres est déjà conséquent dans le monde grec. Xénophon (v. 430-355 av. J.-C.) témoigne, en retraçant l’anecdote d’un naufrage, que les rouleaux littéraires sont déjà nombreux : « Sur la grève, on trouvait beaucoup de lits, beaucoup de coffres, beaucoup de papyrus couverts d’écriture et tous les autres objets que les gens de mer emportent dans des caisses de bois676. » À la fin du IVe s. av. J.C., la diffusion de collections de livres et le commerce de livres sont encore plus dynamiques677 et se concentrent en Attique678. Les particuliers acceptent parfois de payer très cher un livre, comme le fait Aristote pour obtenir quelques rares ouvrages du

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Ibid., p. 132. PLATON, Apologie, 26d. 672 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, XIII, 74-77 et 81-82. 673 PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, XIII, 70. 674 Luciano CANFORA, Histoire de la littérature grecque…, op. cit., p. 35. 675 Catherine GRANDJEAN et alii, Le monde hellénistique, 2e éd., Paris, A. Colin, 2017, p. 197. 676 XÉNOPHON, Anabase, VII, 5.14 (trad. Masqueray). 677 Tönnes KLEBERG, « Commercio librario ed editoria nel mondo antico », dans Guglielmo CAVALLO (éd.), Libri…, op. cit., p. 27-39. 678 Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 19. 671

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philosophe Speusippe après sa mort679. Nous savons, par Plutarque, qu’Alexandre le Grand, en grand lecteur formé par Aristote, veut lire l’Iliade d’Homère corrigée de la main du philosophe. Il demande également à son ami et trésorier Harpale de se procurer l’œuvre de l’historien Philistos, des tragédies d’Euripide, de Sophocle et d’Eschyle ainsi que des dithyrambes de Télestès de Sélinonte et de Philoxénos de Cythère, auprès d’une librairie athénienne680. À l’époque hellénistique, le centre du rayonnement culturel se déplace. Alexandrie, en raison de ses activités économiques, mais aussi intellectuelles et éditoriales, est sans aucun doute, avec Rhodes, la nouvelle place du commerce du livre681. Un certain Apollonios informe son fils dans une lettre du Ier s. (P. Oxy. VIII, 1153)682 d’une livraison de coffres de livres par le capitaine Heraklas à Alexandrie. La grande vitalité de ce commerce est assurée en particulier par des libraires ambulants dont la trace est avérée dès le IIe s. en Égypte683. Il s’agit en l’occurrence du libraire Deios, spécialisé dans le commerce du codex de parchemin (P. Petaus 30). Ce papyrus est une lettre écrite par Petaus, scribe du village Ptolémaïs Hormou, sous la dictée de Julius Placidus. Ce dernier s’adresse à son père, Herclanus, et parle de l’achat de livres auprès d’un marchand ambulant. Le libraire avait six « parchemins », mais Julius Placidus ne les a pas achetés. En revanche, il a acheté huit autres livres qu’ils ont au préalable « collationnés » ou « comparés » (avec des copies ?) vraisemblablement sur du papyrus, le support traditionnel à l’époque. Au IIIe s., des libraires fixes exercent à Oxyrhynque. L’un d’eux demande dans un papyrus (PSI inv. 19662v = MP3 2087) une liste de livres, sans doute pour ses clients684 : vingt dialogues de Platon (qu’il mentionne par titre), quatre œuvres de Xénophon, tout ce qui peut se trouver d’Homère, de Ménandre ou d’Euripide. Même si cet exemple est postérieur à l’époque 679

Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 18. PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 28, 1. 681 Tönnes KLEBERG, « Commercio librario ed editoria… », art. cité, p. 27-39. 682 En ligne : . 683 Bernard LEGRAS, Lire en Égypte…, op. cit., p. 86. 684 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 34. 680

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hellénistique, il permet de confirmer l’implantation d’une dynamique commerciale autour du livre chez les GrécoRomains. Les modes d’acquisition et de renouvellement des collections Les premières collections de livres sont constituées par différents moyens : emprunt, échange, copie et achat685, mais aussi don686, legs ou vol. La diffusion des livres est d’abord une affaire de cercles privés et d’amis687. Les savants s’écrivent et échangent leurs travaux688. Le manuscrit, pièce unique et précieuse, se transmet de main à main. L’auteur « laisse aller » son texte (c’est le sens du gr. ekdidômi, lat. edere ; d’où ekdosis, edito, fr. édition) en en autorisant lecture et reproduction afin de le faire connaître. Il conserve vraisemblablement l’original qu’il peut travailler pour en fournir éventuellement une nouvelle rédaction qui devient une édition révisée689. Cette démarche est avérée encore plusieurs siècles plus tard, si l’on pense aux différentes éditions des Essais que Montaigne (1533-1592) a revues, écrites et publiées initialement pour un cercle restreint d’amis. Le mode d’acquisition de livres le plus courant se réalise par la production de copies privées. Elles peuvent être exécutées au verso de rouleaux documentaires, comme dans le cas du papyrus de la Constitution d’Athènes (P. Lit. Lond. 103) attribuée à Aristote, qui est tout juste postérieur à l’époque ptolémaïque (daté du Ier/IIe s.). Bernard Legras pense que durant les années 80, Épichamos (fils de Polydeukès, propriétaire terrien du nome d’Hermapolite) a commandité la copie à un atelier d’écriture 685

Ibid., p. 37. Comme plus tard à l’époque romaine, des éditions grecques étaient offertes en cadeau à l’occasion des Saturnales. Dans le livre XIV des Épigrammes de Martial, chacun des 223 poèmes est composé d’un titre indiquant le nom de l’objet offert en cadeau, puis de deux vers évoquant cet objet. 687 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 34. 688 Christian JACOB, « Un athlète du savoir : Ératosthène », dans Christian JACOB et François de POULIGNAC (éds), Alexandrie, IIIe siècle av. J.-C., Paris, Autrement, 1992, p. 113. 689 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 34. 686

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d’Hermopolis, siège de sa propriété, en fournissant comme support d’écriture des rouleaux contenant des documents périmés (comptes relatifs à un domaine d’Épichamos rédigés par l’administrateur de la propriété, Didymos, fils d’Aspasios)690. L’exemplaire, réalisé par quatre scribes différents, est vraisemblablement destiné à la bibliothèque privée de ce personnage. Le manque de soin de la mise en page des rouleaux, tout comme l’absence d’annotations marginales, suggère que cette copie a été réalisée à l’intention d’un lecteur commun attiré par une lecture « légère691 ». À ces copies privées, s’ajoutent les achats de copies professionnelles. Les collections peuvent être le fruit de recherches précises d’œuvres littéraires692 de lecteurs avertis comme Platon693 ou encore Alexandre le Grand que Plutarque qualifie de philanagnôtê694, l’anagnoste étant celui qui lit les écrits de son maître. Ainsi, on sait que Ptolémée II Philadelphe (283-246 av. J.-C.) aurait acheté à Nélée une partie de la bibliothèque d’Aristote695 (qui n’aurait pas compris les écrits du philosophe696) et que Ptolémée III Évergète (246-222 av. J.-C.) aurait acquis les exemplaires des grands auteurs attiques en versant une énorme caution de quinze talents d’or (soit 400 kg d’or) à Athènes pour que soient envoyées les œuvres d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Galien raconte que le roi préféra garder ces originaux et perdre la caution697. Les rois lagides font appel à de véritables antiquaires698, des courtiers699, qui connaissent parfaitement les mouvements du marché du livre à Athènes et à Rhodes, les grandes places libraires du monde grec où l’on peut s’approvisionner en 690

Bernard LEGRAS, Lire en Égypte…, op. cit., p. 144-145. Natascia PELLÉ, Le livre d’histoire dans les papyrus, Liège, Éditions de l’ULG, 2011, p. 20. 692 Tönnes KLEBERG, « Commercio librario ed editoria… », art. cité, p. 27-39. 693 DIOGÈNE LAËRCE, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, III, 9 ; VIII, 15. 694 PLUTARQUE, Vie d’Alexandre, 26, 1. 695 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3 a-b. 696 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 38. 697 GALIEN, Commentaires aux Épidémies III d’Hippocrate II. 698 Ibid. 699 Jean SIRINELLI, « Un regard… », art. cité, p. 82-93. 691

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rouleaux les plus précieux, comme nous l’apprend Athénée : « C’est de Nélée, dit-il, qu’acheta tout le fonds [d’Aristote] le roi de chez nous, Ptolémée, surnommé Philadelphe, qui l’amena, avec les livres acquis à Athènes et à Rhodes, dans la belle Alexandrie700. » Cette soif de nouveautés est attestée chez les particuliers qui s’échangent des ouvrages, comme en témoigne une lettre privée d’Oyxrhynque (P. Oxy. 18. 2192 = MP3 2091), datée de la fin du IIe s. Elle relate la demande de copies d’ouvrages et la possibilité de les acquérir ; son auteur précise : « Si vous en trouvez […] que je n’ai pas, faites-les copier et envoyez-les moi !701 » Des lettres privées de la période romaine témoignent aussi de cette pratique chez les Hellénophones. L’une d’entre elles, sur un papyrus d’origine inconnue du Ier s. (P. Getty Mus. inv. acc.76.AI.57), contient une liste de livres épicuriens et une autre, sur un fragment d’Oxyrhynque (P. Mil. Vogl. 1.11) du IIe s., présente une liste d’ouvrages d’auteurs stoïciens. L’acquisition aléatoire (par le vol, la réquisition ou le don) est aussi un moyen de développer sa collection. D’après Galien702, Ptolémée III Évergète (246-222 av. J.-C.) promulgue une loi imposant à tout voyageur débarquant à Alexandrie de céder les manuscrits en sa possession contre des copies. D’après le médecin grec, la copie est rendue alors que l’original intègre les collections du Mouseion. Le don et le legs sont les derniers procédés qui assurent l’accroissement d’une collection. L’histoire de la postérité de la bibliothèque d’Aristote (384-322 av. J.-C.) est un enchevêtrement d’épisodes à démêler703 pour lesquels les sources littéraires sont parfois contradictoires704.

700

ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3 b (trad. Desrousseaux). Harry Y. GAMBLE, Livres et lecteurs aux premiers temps du christianisme, Genève, Labor et Fides, 2012, p. 133. 702 GALIEN, Commentaires aux Épidémies III d’Hippocrate II. 703 Christian JACOB, « Quatre fragments… », art. cité, p. 11-25. 704 Sur la bibliothèque d’Aristote, voir Madalina DANA, « Mobilité et destins croisés : les réseaux culturels des cités du Pont-Euxin », dans Laurent CAPDETREY et Julien ZURBACH (éds), Mobilités grecques. Mouvements, réseaux, contacts en Méditerranée de l’époque archaïque à l’époque hellénistique, Pessac, Ausonius (Scripta Antiqua ; 46), 2012, p. 199-217 ; Paul SCHUBERT, « Strabon et le sort de la bibliothèque d’Aristote », Les Études Classiques, 2002, vol. 70, n° 3, p. 225-237. 701

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Néanmoins Strabon705, Plutarque706 et Athénée de Naucratis707 racontent qu’Aristote donna sa bibliothèque personnelle à son élève Théophraste qui lui-même la légua (en plus de la sienne) à sa mort en 287 av. J.-C. à son disciple Nélée, fils de Coriscus. Cette pratique de transmettre à ses élèves, disciples ou amis, est restée très courante, comme on peut le voir avec la « librairie » de Montaigne (1533-1592), constituée en partie de celle héritée de son ami La Boétie (1530-1563) qui est donnée à sa mort à Marie de Gournay (1565-1645), sa disciple et éditrice. Le don ou cadeau de livres, voire de bibliothèques, existe également. D’après Plutarque, Marc Antoine offre en 41 av. J.-C. à Cléopâtre VII (51-30 av. J.-C.), remontée sur le trône d’Égypte, « la bibliothèque de Pergame, qui contenait à peu près deux cent mille volumes708 ». La conduite d’une véritable politique documentaire à Alexandrie Galien indique que les nouvelles acquisitions de la Bibliothèque royale sont apparemment dans un premier temps stockées dans les apothêkai (magasins ou entrepôts) avant leur rangement définitif. Elles sont traitées et analysées, leur provenance est indiquée et les livres jugés intéressants sont mis de côté avec le titre « livres de la petite tablette709 ». Les bibliothécaires alexandrins exercent donc des choix de conservation et de développement des collections. Conduire une politique documentaire consiste à gérer l’accroissement des collections en mettant en place des critères de sélection, de développement et de suppression (désherbage710). La formalisation de cette pratique n’a été 705

STRABON, Géographie, XIII, 1, 54 (trad. Tardieu). PLUTARQUE, Vie de Sylla, 26, 1. 707 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3 b (trad. Desrousseaux). 708 PLUTARQUE, Vie d’Antoine, 58, 9 (trad. Flacelière et Chambry). 709 GALIEN, Commentaires aux Épidémies III d’Hippocrate II (trad. Littré). 710 Le désherbage « consiste à retirer des rayonnages en magasin ou en libreaccès les documents qui ne peuvent plus être proposés au public. On parle également d’élimination, d’élagage, de retrait des documents, ou de révision, de réévaluation, de requalification des collections » (cf. Fiche pratique de l’Enssib). (En ligne : 706

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théorisée qu’à la fin du XXe s. en France par Bertrand Calenge711. Maud Bellier émet des doutes sur l’approche bibliothéconomique des Ptolémées. Elle serait véhiculée, pour elle, par une tradition littéraire venant de la Lettre d’Aristée712. Néanmoins, des éléments nous permettent de penser qu’il s’agit bien d’une démarche raisonnée à court et moyen termes. Ptolémée Ier, en tant que compagnon d’Alexandre bâtisseur d’un empire à l’image de l’universalisme anthropologique d’Aristote713 et épaulé par l’élève du même philosophe, Démétrios de Phalère (330-282 av. J.-C.), possède les compétences intellectuelles pour organiser une politique culturelle714. En cherchant à manifester sur le plan symbolique l’universalité de leur empire715, les Ptolémées réunissent de manière exhaustive les livres existants (universalisme) et accumulent en un même lieu la totalité du savoir humain (encyclopédisme) : c’est le rêve d’une « bibliothèque totale716 » qu’ils matérialisent par des stratégies différentes d’acquisition intensive. La tradition veut que les Lagides s’assurent, dans un premier temps, de regrouper les œuvres fondatrices de la culture hellénique : une partie de la bibliothèque d’Aristote717 constituée de livres d’auteurs contemporains ou postérieurs, de ses propres ouvrages et de ses travaux autographes718, les versions « originales », ou en tout cas celles considérées comme telles commandées par Pisistrate au VIe s. av. J.-C. des Tragiques Eschyle, Sophocle et Euripide ; et enfin, les versions des épopées homériques en différentes langues. Les premiers Ptolémées créent, dans un espace intellectuel et linguistique inédit, un fonds ). 711 Bertrand CALENGE, Conduire une politique documentaire, Paris, Cercle de la librairie, 1999. 712 Maud BELLIER-CHAUSSONNIER, Origine et diffusion…, op. cit., p. 464. 713 Annick STEVENS, « La loi selon Aristote, du religieux au naturel », Revue de Philosophie Ancienne, 2004, vol. 22, n° 1, p. 61-70. 714 Peter Marshall FRASER, Ptolemaic Alexandria…, op. cit., p. 311. 715 Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76. 716 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 42. 717 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3 a-b (trad. Desrousseaux). 718 André BERNAND, Alexandrie des Ptolémées…, op. cit., p. 96.

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qui peut être considéré comme « patrimonial ». Pour la première fois en un même lieu, tout ce qui est écrit en grec, avec les particularités locales et régionales, est réuni de façon organisée, déclinable en systèmes et en cases719. Parallèlement à la constitution de ce fonds hellénique, le roi cherche à acquérir toute la production éditoriale et mandate Démétrios de Phalère, en qualité d’« expert720 », pour « réunir, au complet si possible, tous les ouvrages parus dans le monde entier. En procédant à des achats et à des transcriptions721 » ; et de citer les livres des Éthiopiens, des Indiens, des Perses, des Élamites, des Babyloniens, des Assyriens, des Chaldéens, des Latins, des Phéniciens, des Syriens et ceux sacrés de Judée722. Démétrios a établi que pour répondre à cette commande, 500 000 rouleaux au total sont nécessaires. D’après Épiphane de Salamine (310-403), Ptolémée II Philadelphe (285-246 av. J.-C.) aurait « écrit à chacun des rois et des gouvernants de la terre en les priant avec la plus grande insistance de lui envoyer sans hésitation ni délai les livres qui existaient dans son royaume ou sa province, œuvres de poètes ou de prosateurs, d’orateurs ou de sophistes, de médecins, d’iatrosophistes, historiens ou d’autres encore723 ». Cet appel a dû être entendu jusqu’en Inde, comme le suggère une stèle (de l’édit n° 13724) de l’époque du roi Ashoka de Kandahar (260-230 av. J.-C.)725. Des écrits bouddhistes deviennent également disponibles, suite à l’échange d’ambassades entre Ashoka et Philadelphe. Afin de réaliser une collection la plus exhaustive possible, les premiers Ptolémées réquisitionnent les livres arrivant à Alexandrie par bateau pour être copiés. Mais d’après Galien, une autre décision a été 719

Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76. Juliette ROY, « Conseiller le roi… », art. cité. 721 Lettre d’Aristée à Philocrate, II, 9 (trad. Pelletier). 722 ÉPIPHANE, Sur les mesures et les poids, XI. 723 ÉPIPHANE, Sur les mesures et les poids, X (trad. Moutsoulas). 724 L’édit n° 13 d’Ashoka atteste de l’étendue des relations avec le monde hellénistique en évoquant les populations grecques dans son empire. La deuxième partie de l’édit n° 13 de l’inscription de Khalsi (inscription sud) porte la mention des rois hellénistiques : Antiochos II, Ptolémée II, Antigone II Gonatas, Magas de Cyrène et Alexandre II d’Épire. 725 Charles ALLEN, Ashoka : the search for India’s lost emperor, Londres, Abacus, 2012, p. 83. 720

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appliquée. Ptolémée III Évergète (246-221 av. J.-C.) « était si ambitieux et fastueux en ce qui concerne les livres, qu’il ordonna que tous les livres de ceux qui débarquaient d’Alexandrie lui soient apportés, afin qu’on fasse immédiatement des copies et que l’on rende aux visiteurs non pas les originaux mais les copies ». On peut en déduire que ce fonds dit « des navires » était constitué de livres produits hors terre lagide, et pouvait de fait être considéré comme un fonds « étranger ». La Bibliothèque royale d’Alexandrie ne regroupe pas uniquement des œuvres littéraires grecques, elle inclut aussi des traductions en grec726. La première d’entre elles et peut-être la plus emblématique est la traduction en grec de la Torah. En se fondant sur l’autorité d’Hécatée d’Abdère, Démétrios convainc le roi de la nécessité d’acquérir aussi « les livres de la loi judaïque » et de les traduire. La Lettre d’Aristée à Philocrate, ouvrage dont ni l’auteur, ni la date exacte ne sont connus727, relate les circonstances de la traduction des écrits hébreux en grec. La traduction de la Torah de l’hébreu en grec est une nécessité pratique pour la grande communauté juive d’Alexandrie, déjà hellénisée à la fin du IIIe s. av. J.-C. La traduction de la Septante a été exécutée au coup par coup au cours des IIIe et IIe s. av. J.-C. par 72 traducteurs hébreux, experts dans les deux langues, sur l’île de Pharos. Ce travail a été rendu possible à Alexandrie en raison de l’abondance du matériel de recherche disponible à la Bibliothèque728. Tzétzès indique au XIIe s. : « Quand tous les livres grecs, et ceux de tous les peuples étrangers incluant les Hébreux ont été collectés par le généreux roi Ptolémée Philadelphe où il y avait une rivière avec de l’or et du pourpre pendant sept mois, ils ont été traduits en grec par des savants bilingues729. » Ainsi, autour des textes grecs, les « sagesses barbares730 » domestiquées731 sont assujetties par la 726

Robert BARNES, « Cloistered bookworms… », art. cité, p. 65. Lettre d’Aristée à Philocrate, Introd., traduction et notes par A. PELLETIER, Paris, Le Cerf, 1962, p. 57. 728 Laurence VIANÈS (dir.), La naissance de la Bible grecque, Paris, Les Belles Lettres, 2017, p. XI-LV. 729 Jean TZÉTZÈS, Historiarum Variarum Chiliades, VII. 730 Sur les « sagesses barbares », voir Arnoldo MOMIGLIANO, Sagesses barbares. Les limites de l’hellénisation, Paris, Maspero, 1979 (éd. orig. 1976). 731 Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76. 727

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traduction en grec ; la Torah et les versets de Zoroastre constituent les exemples les plus représentatifs de cette pratique. Pline l’Ancien, l’encyclopédiste romain du Ier s., signale en effet que Hermippus, un étudiant de Callimaque, écrivit un livre volumineux sur le zoroastrisme732 : un commentaire sur les vers de Zoroastre. D’après cet exemple, tout indique que les vers ont été traduits de l’iranien en grec, et que ces textes étaient donc bien disponibles à Alexandrie. L’accessibilité en langue grecque assure la compréhension des textes « barbares », facilitant aussi de la sorte leur possible domination733. Les lacunes sont également comblées par des commandes éditoriales en grec. Au début du IIIe siècle av. J.-C., un prêtre chaldéen nommé Berosus a écrit une histoire de Babylone. Son livre est rapidement devenu connu en Égypte et a probablement été utilisé par Manéthon, prêtre égyptien d’Héliopolis. Ptolémée Ier demande, à ce même Manéthon, une chronologie de l’histoire de l’Égypte (Ægyptiaca) en grec qui relate une chronique des souverains jusqu’à Alexandre le Grand. Le roi adresse une demande identique à Hécatée d’Abdère : mener une enquête sur les institutions et les croyances juives734. Néanmoins, si la bibliothèque est étroitement liée au Musée puisqu’elle est destinée à rassembler la documentation permettant aux savants de travailler735, il semble qu’elle soit aussi constituée d’un fonds destiné spécifiquement au roi, lié aux stratégies militaires. D’après Plutarque, « Démétrios de Phalère conseill[e] au roi Ptolémée d’acquérir et de lire les livres traitant de la royauté et du gouvernement ; “car, ce que les amis n’osent pas conseiller aux rois, c’est écrit dans les livres”736 ». Cette tradition s’est perpétuée. Près de deux millénaires plus tard, Mazarin, ministre d’État du jeune Louis XIV de 1643 à 1661, applique cette même recommandation en demandant à Gabriel Naudé, son bibliothécaire, de rédiger un ouvrage rassemblant toutes les publications sur la guerre et l’art militaire : Bibliographia Militaris (1683). 732

PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, XXX, c. 1. André BERNAND, Alexandrie des Ptolémées…, op. cit., p. 96. 734 Claire PRÉAUX, Le monde hellénistique, Paris, PUF, 2002, p. 566-567. 735 Jean TZÉTZÈS, Historiarum Variarum Chiliades, VII. 736 PLUTARQUE, Œuvres morales, 189 d (trad. Fuhrmann). 733

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Les collections hellénistiques de province sont constituées en majorité d’œuvres littéraires grecques, mais aussi de documents d’origine barbare traduits ou non en grec. Certains peuvent aussi être en démotique, comme la collection des reclus du Serapeion de Memphis737. Un fragment de texte traduit atteste de la présence de textes égyptiens découverts dans les papyrus littéraires grecs. Le Conte du songe de Nectanébo, en deux versions, l’une démotique et l’autre grecque, est présent dans la bibliothèque attribuée par Bernard Legras aux frères Ptolemaion et Apollonios, katokhoi au Serapeion de Memphis738. Sans pour autant anéantir la collection royale, Ptolémée VIII Évergète II (145-116 av. J.-C.) porte gravement atteinte à son développement. En 145 av. J.-C., à son retour de Cyrène, où Ptolémée VI Philométor et ses partisans l’avaient exilé, Évergète II lance une vaste campagne de répression des Alexandrins qui soutiennent son opposant et ordonne l’expulsion des savants739. En choisissant Cydas, un militaire appartenant au corps des lanciers, comme gardiens des livres, le roi met un coup d’arrêt à la politique documentaire universaliste de ses prédécesseurs. I.2. LA CAPACITÉ VOLUMÉTRIQUE DES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES La Bibliothèque royale d’Alexandrie est exceptionnelle tant par son organisation que ses collections, mais elle ne doit pas faire oublier les autres bibliothèques qui se développent et qui peuvent être constituées de très peu de livres, voire d’un seul ouvrage. Du « livre-bibliothèque » aux collections encyclopédiques Parallèlement aux grandes collections princières, des bibliothèques privées voient le jour. Les plus modestes d’entre elles peuvent être constituées d’un unique biblion : le « livre-

737

Bernard LEGRAS, Les reclus grecs…, op. cit., p. 193-229. Ibid. 739 Peter Marshall FRASER, Ptolemaic Alexandria…, op. cit., p. 61-62. 738

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bibliothèque740 ». Il regroupe l’ensemble des connaissances que son propriétaire juge nécessaire de conserver auprès de lui. Un seul livre, sur un seul rouleau, peut finalement être considéré aussi comme « bibliothèque ». Afin de pallier la rareté ou le coût du livre et de répondre à la demande des lecteurs, les anthologies se multiplient. Sur un même rouleau ou plusieurs rouleaux, différents textes ou extraits prisés des lecteurs et des acquéreurs sont sélectionnés et copiés. Cette volonté apparaît dans des démarches contemporaines de conservation et de transmission avec la production en hiératique de compilations de traditions ancestrales, comme par exemple le papyrus dit de Jumilhac741, conservé au Musée du Louvre (E. 17110). De nombreux fragments d’œuvres sont des anthologies littéraires (4 sur 17 à Tebtynis ; 3 sur 97 à Oxyrhynque ; 6 sur 90 à El Hibeh) et notamment d’œuvres poétiques ou théâtrales. Le format du rouleau se prête bien à la compilation de textes courts, d’auteurs différents ou non, et est couramment utilisé dans le cadre scolaire ou celui de collections privées sommaires. Alors que les anthologies se définissent par le critère de sélection, un autre mouvement fondé sur l’exhaustivité voit le jour. Les compilations apparaissent : elles s’inscrivent dans la dynamique de la paradoxographie et de l’idée d’accumulation. La fin de l’époque hellénistique voit une forte production en grec d’œuvres inédites de compilations qui portent le nom même de « bibliothèque »742. Elles se reconnaissent aux sommes de connaissances et d’informations qu’elles concentrent généralement en plusieurs dizaines de rouleaux. Différents ouvrages, au projet universaliste et encyclopédique, se nomment ainsi : Bibliothèque d’Apollodore (IIe s. av. J.-C.) ou encore Bibliothèque historique de Diodore de Sicile (Ier s. av. J.-C.). L’historien grec justifie d’ailleurs en partie son travail par la disparition de textes. Il mentionne que déjà cinq des cinquantehuit livres de l’historien Théopompe (v. 403/378-320 av. J.-C.) relatifs à l’histoire de Philippe de Macédoine sont introu740

Luciano CANFORA, Le copiste comme auteur, Toulouse, Anacharsis, 2012, p. 73-83. 741 Jacques VANDIER, Le papyrus Jumilhac, Paris, CNRS, 1961. 742 Luciano CANFORA, Le copiste…, op. cit., p. 78.

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vables743. L’œuvre de Diodore de Sicile, initialement constituée de quarante livres, en est d’ailleurs aujourd’hui amputée de vingtcinq. Les données sur la volumétrie des papyrus littéraires grecs peuvent parfois prêter à confusion. En effet, une œuvre peut être constituée de plusieurs rouleaux. Les données qui nous sont parvenues sont essentiellement en volumina et non en nombre d’exemplaires de livres. Au-delà du mythe, la quantité exceptionnelle des fonds alexandrins S’il n’y a pas de limite financière connue, il semble bien que la volumétrie ait été un problème qui a motivé la création de la « bibliothèque-fille » du Serapeion d’Alexandrie par Ptolémée III Évergète (246-221 av. J.-C.), ce qui sous-entend que la capacité maximale de la Bibliothèque royale ait été atteinte très rapidement. Cette deuxième bibliothèque, plus petite que la première, accueille des copies ou des doubles de la Bibliothèque du Mouseion en raison du fort accroissement de ses propres collections. Il est assez complexe et ardu de vouloir définir la volumétrie des collections alexandrines : les témoignages sont contradictoires et les sources parlent indifféremment de volumes ou d’exemplaires (un titre étant souvent constitué de plusieurs volumes). Néanmoins, il est nécessaire de se prêter à cet exercice pour tenter d’évaluer la volumétrie des collections royales. Le projet de Démétrios de Phalère est retranscrit dans la Lettre d’Aristée à Philocrate datée du Ier s. av. J.-C. : « Combien de dizaines de milliers de volumes y a-t-il au juste ? [demande Ptolémée Sôter à Démétrios qui lui répond] : Plus de vingt, ô roi, mais je vais m’occuper d’urgence de ce qui reste à faire pour atteindre 500 000744. » Nous notons avant toutes choses que, seulement quelques années après la fondation de la Bibliothèque, le nombre de volumes sur ses rayonnages aurait atteint une quantité déjà non négligeable de 200 000 rouleaux745. Si 743

DIODORE, Bibliothèque historique, XVI, 3, 8. Lettre d’Aristée à Philocrate, II, 10 (trad. Pelletier). 745 Cette quantité est à prendre au conditionnel puisqu’Ibn al-Kifti dans la même Lettre d’Aristée parle aussi de 54 000 rouleaux. 744

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l’objectif initial est d’atteindre rapidement le demi-million de documents, il faudrait donc ajouter à ces 200 000 livres, 300 000 nouveaux volumes. Les sources littéraires indiquent de possibles achats : les volumes issus des bibliothèques d’Aristote746 et de Théophraste que Ptolémée II achète à Nélée, mais aussi les livres acquis à Athènes et à Rhodes747 auxquels s’ajoute l’ensemble des commandes, des productions et des traductions réalisées par et pour la Bibliothèque. Un demi-siècle après sa fondation, Ptolémée III Évergète réquisitionne, quant à lui, l’ensemble des livres qui arrivent au port d’Alexandrie et crée ce qui est appelé aujourd’hui « le fonds des navires748 » ; il fait également construire le Serapeion et donne accès à une nouvelle bibliothèque constituée de fonds documentaires consultables par le public. Un nouvel apport massif arrive à la fin du règne des Ptolémées : Cléopâtre VII (51-30 av. J.-C.), d’après Plutarque et Tzétzès, augmente de manière substantielle les collections en acceptant, de la part de Marc Antoine, 200 000 volumes de la bibliothèque de Pergame749. Plusieurs sources littéraires concernent la volumétrie globale des fonds royaux. L’érudit byzantin Jean Tzétzès, au XIIe s., indique que la collection de la Bibliothèque royale était constituée de 90 000 rouleaux « non-mélangés » (amigeis) et de 400 000 rouleaux « mélangés » (summigeis) ; la bibliothèque du Serapeion conservait, quant à elle, 42 800 rouleaux750. Un humaniste anonyme du XVe s., dans une scholie de Plaute751, reprend ces mêmes informations tirées très probablement directement de Jean Tzétzès : « [Ptolémée] fonda deux bibliothèques, l’une hors du quartier des palais, l’autre dans ce quartier. Il y eut 42 800 volumes dans celle hors du quartier 746

Nous considérons ici les volumes collectionnés par Aristote et non ses archives et écrits personnels ; voir p. 211. 747 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3 a-b. 748 GALIEN, Commentaires aux Épidémies III d’Hippocrate II. 749 PLUTARQUE, Vie d’Antoine, 58, 9 ; Jean TZÉTZÈS, Historiarum Variarum Chiliades, VII. 750 Jean TZÉTZÈS, Prolegomena de comedia (Willem Johann Wolff KOSTER, Scholia in Aristophanem, pars I, fasc. I A. Prolegomena de comoedia, Groningue, Bouma, 1975, p. 43). 751 Scholie latine écrite au XVe s., scholion plautinum, d’après un manuscrit de Plaute qui se trouve dans la collection du Collegio Romano.

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royal ; mais il y en eut 400 000 de “commixtes” et 90 000 de “simples” et “sigestes” dans celle du palais, ainsi que le rapporte Callimaque, homme de cour et bibliothécaire royal, qui inscrivit des titres sur chaque volume752. » Il situe ces données au début du IIIe s. av. J.-C. mais cette datation est remise en cause par Luciano Canfora753. L’événement marquant de la « guerre d’Alexandrie » en 48 av. J.-C. donne lieu à de nouvelles spéculations sur la quantité de livres conservés à la Bibliothèque d’Alexandrie qui aurait en l’occurrence subi à cette occasion des dommages754. Les chiffres sont ici très variables. Au Ier s., Sénèque parle de 40 000 volumes détruits lors de cet incendie755 et Ammien Marcellin (v. 300-395 av. J.-C.) qui reprend les propos d’Aulu-Gelle756 du IIe s. dit que les « 700 000 volumes réunis par le soin attentif des Ptolémées757 » brûlèrent tous lors de la guerre d’Alexandrie et le pillage de la cité. Selon Luciano Canfora, cette quantité ne serait pas relative aux rouleaux conservés à la Bibliothèque royale mais à d’autres papyrus destinés à l’exportation758. Néanmoins, la tradition veut que les rouleaux pergaméniens aient été offerts à Cléopâtre VII pour compenser la perte de ceux détruits lors de la « guerre d’Alexandrie »759. Si nous suivons l’idée émise par Luciano Canfora, à savoir que les rouleaux détruits n’étaient pas ceux de la Bibliothèque, nous nous heurtons à la difficile gestion de l’arrivage massif de ces 200 000 nouveaux rouleaux nécessitant de nombreux mètres linéaires laissés vides, ce dont manquait manifestement à cette époque la Bibliothèque royale. Au regard de la variété des sources et de leur fiabilité relative, il apparaît illusoire de vouloir trouver la volumétrie exacte de la Bibliothèque royale, d’autant que celle-ci a dû être amenée à 752

Friedrich RITSCHL, Die Alexandrinischen Bibliotheken unter den ersten Ptolemäern und die Sammlung der Homerischen Gedichte durch Pisistratus, Breslau, Aderholz, 1838, p. 3 (trad. Matter). 753 Luciano CANFORA et Nathaël ISTASSE, La bibliothèque…, op. cit., p. 18. 754 Voir p. 213. 755 SÉNÈQUE, De la tranquillité de l’âme, IX, 4, 5. 756 AULU-GELLE, Les nuits attiques, VII, 17, 3. 757 AMMIEN, Histoires, XXII 16, 13 (trad. Berger et Frézouls). 758 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 84. 759 PLUTARQUE, Vie d’Antoine, 58, 9 ; Jean TZÉTZÈS, Historiarum Variarum Chiliades, VII.

182

évoluer constamment au gré de son développement mais aussi très probablement des sinistres qu’elle a pu subir (infestations fongiques et incendies plus ou moins dévastateurs, etc.). Ainsi, par recoupements et avec toutes les précautions possibles, il est envisageable que les collections royales aient pu contenir au maximum 500 000 rouleaux. Cette somme, rapportée à celle de nos bibliothèques les plus modernes, est considérable d’autant qu’il s’agit ici uniquement de copies manuscrites. En effet, en France, nos très grandes bibliothèques municipales actuelles conservent (tous supports, langues et époques confondus) en moyenne plus d’un million de documents chacune. À titre d’exemple également, la bibliothèque nationale de France détient aujourd’hui, quant à elle, une collection de 15 millions de livres, dont 250 000 manuscrits anciens et modernes. Même s’il peut sembler maladroit de vouloir comparer ces données, cela permet néanmoins de mieux appréhender l’immensité du fonds documentaire conservé à la Bibliothèque royale alexandrine. Il faut considérer que cette collection devait occuper un espace assez conséquent, de plusieurs kilomètres linéaires, en raison du nombre mais aussi du format encombrant des rouleaux. La bibliothèque du Serapeion d’Alexandrie conserve, d’après Tzétzès, 42 800 rouleaux760. Nous devons comprendre ce chiffre comme sa capacité maximale. La différence substantielle de volumétrie des deux bibliothèques alexandrines corrobore l’idée qu’elles exercent des missions bien différentes. La quantité de 40 000 rouleaux, soit plus de dix fois moins que la Bibliothèque alexandrine, permet de réaliser des projections pour les autres bibliothèques collectives de la chôra égyptienne. L’évaluation des capacités volumétriques des autres bibliothèques de la chôra égyptienne La volumétrie des bibliothèques peut aller de l’unique « livrebibliothèque » à plusieurs milliers de rouleaux. Mise à part la bibliothèque de Pison à Herculanum, il n’existe aucun vestige archéologique à l’heure actuelle d’une structure de conservation avec in situ des rouleaux de papyrus encore en place.

760

Jean TZÉTZÈS, Historiarum Variarum Chiliades, VII.

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Les sources littéraires permettent de reconstituer la volumétrie des plus grandes bibliothèques privées. La première bibliothèque d’érudit significative, et dont nous avons des éléments substantiels, est la bibliothèque d’Aristote : on parle d’une collection d’environ 700 rouleaux761. Cette volumétrie réclame un espace de stockage et un classement appropriés. Elle doit être une des plus conséquentes de son époque. Néanmoins, depuis le Ve s. av. J.-C., le dynamisme de la production littéraire alexandrine a favorisé l’accessibilité aux œuvres. Il est fort possible que les lettrés hellénophones aient possédé rapidement des bibliothèques aussi volumineuses. En effet, au Ier s. av. J.-C., Cicéron dispose d’une bibliothèque dans chacune de ses nombreuses résidences762 et son ami le bibliophile Tyrannion, d’après la Souda763, a accumulé une collection de près de 30 000 volumes. Ces volumétries restent exceptionnelles et ne représentent pas la quantité « moyenne » ou « médiane » (si cela peut vraiment avoir un sens ici) des livres conservés par le lettré ou l’amateur grec éclairé. En effet, d’autres données nous éclairent : Pline l’Ancien, au Ier s., dit que 2 000 rouleaux sont à la base de sa documentation764, et 1 838 rouleaux ont été exhumés de la bibliothèque de Pison à Herculanum (il faut néanmoins considérer que la bibliothèque dans son intégralité n’a pas encore été mise au jour)765. Il semble que, pour les érudits grécoromains, la quantité d’un millier de documents soit une somme nécessaire à l’exercice de leur travail. Au regard des nombreux et variés papyrus littéraires fragmentaires qui ont été retrouvés en grande partie dans le Fayoum et à Oxyrhynque, il s’avère que les Hellénophones d’Égypte, qui ne sont pas nécessairement des érudits mais qui peuvent être des lecteurs « ordinaires », sont également des propriétaires de collections. On dénombre à l’heure actuelle, 761

Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 37. Anna MANGIATORDI, « Le ville di Cicerone, fra innovazione e tradizione », Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia. Università degli studi di Bari, 2003, n° 46, p. 213-252. 763 Pour consulter les notices de la Souda, voir l’édition numérique (En ligne : ). 764 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 37. 765 Daniel DELATTRE, La Villa des Papyrus…, op. cit. 762

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d’après la base de données internationale Trismegistos766, 267 fragments littéraires de la période hellénistique, de 332 à 30 av. J.-C. : les plus anciens fragments littéraires datent de l’arrivée d’Alexandre en Égypte (Les Perses de la nécropole d’Abousir) (Fig. 3). Ce chiffre est bien sûr à considérer avec circonspection car s’il reflète bien le dynamisme de la production littéraire et confirme la diffusion de celle-ci sur l’ensemble de la chôra, il est nécessaire de rappeler que ces découvertes ont lieu essentiellement dans des cartonnages de momie (papyrus utilisé comme matériau de remploi) ou encore dans des dépotoirs et donc jamais dans un contexte de bibliothêkê. De plus, la totalité des fragments de rouleaux exhumés à Oxyrhynque n’a pas encore fait l’objet de publication. Notre vision est donc tronquée. Néanmoins, nous pouvons émettre des hypothèses en partant du postulat que les Hellénophones ont à disposition pour entreposer leurs rouleaux au moins une kámpsa ou un kibôtos. Ainsi, on peut penser qu’ils peuvent avoir jusqu’à plusieurs dizaines de rouleaux. En effet, il semble qu’une quantité supérieure à une centaine de rouleaux demeure exceptionnelle et soit réservée aux professionnels (médecins et enseignants), aux érudits et à l’élite aristocratique. Selon toute vraisemblance, en province, le nombre de documents conservés dans des structures collectives et publiques ne doit pas excéder quelques dizaines de milliers de rouleaux. L’historien grec Polybe du IIe s. av. J.-C. nous rappelle en effet dans ses Histoires que chaque ville grecque possède une bibliothèque767. Ainsi, en prenant toutes les précautions possibles, et tout en tenant compte de l’ensemble des données parfois contradictoires et des témoignages archéologiques qui subsistent, notre regard de bibliothécaire et d’historien nous permet raisonnablement d’estimer que l’ensemble des collections de papyrus littéraires en Égypte hellénistique ne dépasse pas le million de rouleaux, dont un quart maximum très probablement conservé en province.

766 767

En ligne : . POLYBE, Histoires, XII, 27, 4 (trad. Pédech).

185

CHAPITRE II Tentative de reconstitution des fonds documentaires des bibliothèques de province

Après avoir vu les types de bibliothèques ptolémaïques, leurs aménagements structurels et les pratiques et stratégies bibliothéconomiques mises en place pour assurer la sélection, la conservation et la transmission des textes, il est pertinent d’essayer de reconstituer les collections en analysant les fragments littéraires d’époque lagide. Ce travail n’a, jusqu’à ce jour, jamais été réalisé. L’époque hellénistique fait preuve d’un grand dynamisme culturel et d’une production littéraire intense qui se traduit par le nombre abondant de biblia retrouvés en province. Aujourd’hui, près de 250 papyrus littéraires fragmentaires grecs de cette époque nous sont parvenus. Ils sont peu nombreux au regard des milliers de rouleaux qui devaient exister et circuler (au moins 600 000 à Alexandrie et quelques dizaines de milliers d’autres en province probablement). II.1. RADIOGRAPHIE DES COLLECTIONS LITTÉRAIRES GRECQUES Les papyrus analysés sont issus de la base de données internationale accessible en ligne Trismegistos qui référencie l’ensemble de la documentation papyrologique exhumée et publiée. La méthode de recherche a été assez simple, basée sur l’utilisation des occurrences suivantes : le lieu de découverte

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« Égypte », la langue « le grec », le support « papyrus » et « ostraca », le genre « littéraire », la date « de 330 à 30 av. J.C. ». Les résultats obtenus ont permis de réaliser des tableurs avec de nombreuses informations (lieu de découverte, auteur, description, transcription, cote et lieu de conservation) dont certains ont été transformés en tableaux synthétiques pour une meilleure lisibilité (Fig. 10). Fig. 10 : Tableau récapitulatif des papyrus littéraires d’époque ptolémaïque (d’après la base Trismegistos)

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Le premier constat est l’étendue géographique des découvertes conditionnées par des contextes de fouilles plus ou moins fortuits. La quasi-totalité des fragments est issue des cartonnages de momies ou des dépotoirs. L’image des collections qui nous parvient est donc un peu tronquée, mais c’est la seule aujourd’hui à notre disposition. Aucun papyrus n’a été exhumé à Alexandrie. Les fonds documentaires de la Bibliothèque royale sont connus par les sources littéraires et ne sont pas étudiés dans cette partie qui s’attache uniquement au papyrus artefact. Nous devons donc considérer ici que nous analysons les collections des bibliothèques collectives et privées de province. Nous partons du postulat qu’en province 250 000 rouleaux maximum768 circulent et sont conservés dans les bibliothèques. Il nous en reste presque

768

Voir p. 184.

188

                 

250 fragments. Notre analyse se fonde donc sur une proportion évaluée à 1/1 000. Le corpus d’étude s’élève précisément à 237 papyrus : pour seuls 167 d’entre eux, les auteurs sont identifiés. Lorsque le nom de ceux-ci n’a pu être reconnu, le genre littéraire de l’œuvre a prévalu. Que lisent et conservent les Hellénophones ? Les fragments de textes littéraires trouvés en province qui ont pu être identifiés sont en majorité issus d’œuvres d’époque archaïque (46 %), ensuite d’époque classique (35 %) et enfin d’époque hellénistique (19 %) (Fig. 11). L’objet de notre étude étant de mieux appréhender la composition des collections hellénophones, les papyrus sont étudiés en fonction de leur importance numérique. Fig. 11 : Répartition des textes littéraire grecs hellénistiques par époque (d’après la base Trismegistos)

Le nombre substantiel de textes d’époque archaïque, presque la moitié des découvertes, s’explique par l’omniprésence des épopées homériques, œuvres fondamentales aux apprentissages scolaires et à l’ancrage de l’identité grecque. Mais, en dehors des

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œuvres homériques, d’autres textes poétiques peuvent être identifiés. Un fragment des élégies de Tyrtée provient d’Hermopolis (P. 11675). Tyrtée, poète officiel de Sparte au VIIe s. av. J.-C., est l’auteur d’une forme poétique nouvelle, l’élégie, qui se caractérise par des chants guerriers à portée éducative, connus sous le nom d’Exhortations769. Les œuvres d’un autre poète lacédémonien archaïque, Alcman (v. 672-612 av. J.-C.), ont été exhumées également à Hermopolis et à Oxyrhynque (P. 11777 ro + P. 11801 ro ; P. Oxy. 2387). Alcman est réputé pour ses poèmes destinés aux adolescents amoureux et pour ses hymnes au mariage770 dont les Parthénées. À El Hibeh, plusieurs fragments du poète Épicharme (v. 540-450 av. J.-C.) ont été exhumés (P. Hibeh 1.1 ; P. Hibeh 1.2 ; P. Heid. Gr. 1.181 ; TM id : 59734 = Wiener Studien 89). Il est connu pour ses poèmes comiques et sa filiation à l’école philosophique pythagoricienne771. À Oxyrhynque, les œuvres des poètes grecs Hésiode (VIIIe s. av. J.-C.) (P. Oxy. 2496 ; P. Oxy. 4660 ; P. Tebt. 3.690), Pindare (518-438 av. J.-C.) (P. 1533 ro ; P. Louvre E7734) et Stésichore (630-555 av. J.-C.) (P. Oxy. 2618 ro ; P. Oxy. 2617 ; P. Oxy. 2803) ont été identifiées. Les œuvres classiques représentent un tiers des fragments de papyrus des bibliothèques grecques d’époque ptolémaïque. La typologie des textes est, pour cette période, beaucoup plus variée : tragédie, poésie, philosophie, musique, rhétorique, etc. Les fragments les plus nombreux sont ceux des grands auteurs classiques de théâtre tragique et comique athéniens. L’œuvre d’Euripide772 (480-406 av. J.-C.) est la plus représentée avec les pièces Iphigénie en Tauride, La folie d’Héraclès, Hippolyte, Télèphe, Érechthée, Oreste, Hélène, Les Bacchantes (P. Hibeh 1.24 ; P. Heid. Gr. 1 205 ; P. Hibeh 1.25 ; P. Strasb. inv. WG 306-307 v ; P. Hibeh 1.7 ; P. Hibeh 2.173 ; P. Sorb. 2252 ; P. Sorb. 2328 ; P. Oxy. 9.1178 ; P. Köln Gr. 3 131 ; P. Oxy. 67 769

Magali ANNÉE, La diction des chants parénétiques, de Kallinos à Tyrtée, Thèse de doctorat, Études grecques, Paris 4, 2014. 770 Nicolas RICHER, Sparte…, op. cit., p. 85 ; George HINGE, Die Sprache Alkmans. Textgeschichte und Sprachgeschichte, Wiebaden, Riechert, 2006. 771 Jean-Paul DUMONT (éd.), Les présocratiques, Paris, Gallimard, 2008, p. 191-213. 772 Jacqueline ASSAËL, Euripide, philosophe et poète tragique, Louvain, Peeters, 2001.

190

4546 ; P. Tebt. 3.901 ; P. Tebt. suppl. 1245). Le papyrus dit de Didot, conservé au Musée du Louvre (E 7172) (Fig. 12), daté du IIe s. av. J.-C., provient probablement du Serapeion de Memphis. Il mesure plus d’un mètre. Sur le recto, 42 vers d’Euripide forment les trois premières colonnes, une autre main a écrit sur les deux colonnes suivantes, et sur la dernière colonne on trouve un compte de dépenses. Sur le verso, les trois premières colonnes contiennent des vers d’Euripide et sur la quatrième se trouvent des vers d’époque alexandrine773. Fig. 12 : Papyrus Didot (E7172), Paris, Musée du Louvre.

Photo © Musée du Louvre Dist. RMN-Grand Palais / Georges Poncet

Certaines de ces œuvres ne sont connues que de manière fragmentaire. Au début du IIIe s. av. J.-C., Aristophane de Byzance regroupa toutes les pièces d’Euripide colligées à partir de copies antérieures en une édition, ce qui permettait d’en assurer plus facilement la diffusion. Plusieurs fragments de notre corpus documentaire ont été identifiés comme des anthologies de l’œuvre d’Euripide et peuvent être aussi des copies du travail de l’Alexandrin (par exemple, le papyrus P. 9771 d’Hermopolis,

773

Henri WEIL (dir.), Un papyrus inédit de la Bibliothèque de M. Ambroise Firmin-Didot. Nouveaux fragments d’Euripide et d’autres poètes grecs, Paris, Librairie de Firmin-Didot, 1879.

191

conservé aujourd’hui à Berlin). Son œuvre occupe une place non négligeable à l’époque hellénistique774. L’œuvre de Sophocle (495-406 av. J.-C.) est ensuite la plus plébiscitée : les personnages de Tyro et Niobé ont été identifiés sur différents fragments (P. Hibeh 1.3 ; P. Hibeh 1.11 ; P. Michigan 6585 a ; P. Oxy. 23.2369 ; P. Oxy. 67.4546 ; P. Tebt. 3.692). Ptolémée II Philadelphe (283-246 av. J.-C.) avait entrepris, avant même l’acquisition par son successeur des manuscrits des Tragiques conservés à Athènes, une édition des Tragiques par Alexandre d’Étolie, lui-même poète et grammairien. Après l’achat des copies athéniennes par Ptolémée III Évergète (246-221 av. J.-C.), Aristophane de Byzance est chargé d’élaborer une nouvelle édition qui devient l’édition de référence775. En revanche, l’œuvre d’Eschyle (v. 525-456 av. J.-C.) apparaît nettement sous-représentée dans les fragments de papyrus ptolémaïques avec la présence d’un seul fragment identifié (P. Heid. Gr. 1.186). Dans une moindre mesure, les œuvres de Posidippe de Pella (P. Louvre 7171 + 7172) et d’Astydamas (P. Hibeh 2.174 ro ; P. Hibeh 2.179 ro) sont aussi lues. Certaines d’entre elles sont intégrées dans des anthologies. La comédie ancienne est assez bien représentée par plusieurs textes fragmentaires d’Aristophane (v. 450-385 av. J.-C.) (P. Oxy. 2.212 ; P. Oxy. 31.2545 ; P. Oxy. 22.2336 ; P. Oxy. 53.3716). Ces pièces sont appréciées car elles perpétuent leur rôle dans l’éducation civique et morale des Hellénophones776. L’omniprésence des auteurs « classiques » s’explique par l’abondance des reprises, significative d’un attachement aux origines « comme la volonté de garder présentes à la mémoire les valeurs de la démocratie et de proclamer à jamais la liaison théâtre-cité. Cela n’a rien à voir avec une prétendue sclérose de l’art théâtral777 ». 774 Éric PERRIN, « Propagande et culture théâtrales à Athènes à l’époque hellénistique », Pallas, 1997, n° 47, p. 201-218. 775 Jacques JOUANNA, Sophocle, Paris, Fayard, 2007, p. 526. 776 Ghislaine JAY-ROBERT, L’invention comique. Enquête sur la poétique d’Aristophane, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, p. 11. 777 Brigitte LE GUEN, « Théâtre… », art. cité, p. 76.

192

Les œuvres philosophiques classiques sont également conservées sur les rayonnages de bibliothèques provinciales ptolémaïques avec, par ordre d’importance numérique : Platon (428-347 av. J.-C.) (P. Pisa Lit. 29 ; P. Hibeh 2.228 ; P. Oxy. 33 2662), le sophiste Hippias (443-399 av. J.-C.) (P. Hibeh 1.13) et Socrate (P. Hibeh 2.182) avec une biographie attribuée au philosophe Antisthène (ou à un de ses disciples) par Tiziano Dorandi778 ; mais également les œuvres de rhétorique d’orateurs attiques retenus dans le Canon alexandrin779, compilation réalisée par Aristophane de Byzance et Aristarque de Samothrace au début du IIIe s. av. J.-C. : Lysias (v. 458-380) (P. Hibeh 1.14), Démosthène (384-322 av. J.-C.) (P. Berlin 9781 ; P. Oxy. 11.1377), Eschine (v. 390-317 av. J.-C.) (P. Lille 114 + P. Lille 70 + P. Lille 85 + P. Lille 86 + P. Lille 91) et Isocrate (PSI 2.120). Enfin, d’autres domaines induisent un usage plus professionnel comme des fragments musicaux de Timothée (P. Grenf. 2.8 a ; P. Berlin 9875) et médicaux d’Hippocrate (P. Tebt. 3.897). Mais au-delà des œuvres d’époques archaïque et classique, les bibliothèques des provinces renferment également les productions contemporaines. Près de 20 % des fragments véhiculent les créations littéraires des auteurs et de savants hellénistiques dans l’ensemble de la province égyptienne. Cette présence démontre la vitalité de la diffusion culturelle et intellectuelle, bien au-delà d’Alexandrie avec la présence de rouleaux « non-mélangés », mais aussi des rouleaux « mélangés » avec des anthologies regroupant des poèmes d’Euphorion de Chalis (v. 275-210 av. J.-C.), d’Aratos de Soles (315-245 av. J.-C.) ou encore des Alexandrins Callimaque (v. 305-240 av. J.-C.) et Philetas (v. 340-285 av. J.-C.). La variété du corpus des œuvres poétiques hellénistiques démontre un fort intérêt pour la lecture déclamée lors de banquets ou bien dans le cadre de la lecture isolée. Ainsi, en plus des épigrammes, domaine dans lequel Callimaque excelle, un nouveau genre 778

Tiziano DORANDI, « Socrates in the ancient biographical tradition, from the Anonymous P. Hib. 182 to Diogenes Laertius », dans Alessandro STRAVU et Christopher MOORE (éds), Socrates and the Socratic Dialogue, Leiden, Brill, 2018, p. 788-791. 779 QUINTILIEN, De l’institution oratoire, X, 1, 61 (trad. Cousin).

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littéraire apparaît : le poème élégiaque de l’invective. Il utilise un catalogue d’exemples mythologiques pour maudire un adversaire. Les fragments P. Sorb. inv. 2254 (Fig. 13) et P. Brux. inv. E. 8934 constituent des exemples de ce type de poème pour lesquels les contextes de découvertes sont inconnus. Le papyrus P. Brux. inv. E. 8934 daté du milieu ou de la seconde moitié du IIe s. av. J.-C. est attribué par Marc Huys à Hermésianax (IVe/IIIe s. av. J.-C.), poète grec de l’école d’Alexandrie780. Il conserve l’exemple le plus ancien du genre littéraire des άραί, sous une forme assez particulière toutefois : l’auteur menace de tatouer son ennemi avec des représentations de châtiments terribles, tirés de la mythologie. Ce procédé d’inspiration magique confère au poème une place unique dans la littérature grecque. La philosophie contemporaine est aussi lue et conservée, comme l’attestent quelques rouleaux fragmentaires. Le premier d’entre eux (P. Grenf. 27a) est un texte d’Épicure (v. 342-270 av. J.C.)781. Né à Samos, élève de Xénocrate, il crée vers 311 av. J.-C. une école de philosophie à Mytilène (île de Lesbos), avant de prendre la direction d’une école à Lampsacus (Lâpseki en Turquie). En 306 av. J.-C., il s’installe définitivement à Athènes pour professer sa doctrine à ses disciples fidèles dans son jardin. Le fragment exhumé à El Hibeh date du IIIe s. av. J.-C. et est donc juste postérieur à l’activité du philosophe. On trouve également des extraits de l’œuvre de Théophraste (v. 371-288 av. J.-C.), disciple de Platon et maître de Démétrios de Phalère, qui très bien représentée à El Hibeh (P. Hibeh 116, P. Hibeh 2.183), et de celle du stoïcien Chrysippe (280-206 av. J.-C.) (P. Louvre N 2326). Les œuvres scientifiques hellénistiques font aussi partie des collections hellénophones, notamment celle du médecin Dioclès de Caryste (384-322 av. J.-C.) à El Hibeh ou encore les travaux du savant alexandrin Érastosthène (276-194 av. J.-C.) à Oxyrhynque. Aucune copie de notre corpus documentaire hellénistique n’est exactement contemporaine de sa date de création. Les plus proches sont les copies médicales de

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Marc HUYS (éd.), Papyri Bruxellenses Graecae II. 22, Le poème élégiaque hellénistique P. Brux. inv. E.8934 et P. Sorb. inv. 2254, Bruxelles, Musées royaux d’art et d’histoire, 1991. 781 Julie GIOVACCHINI, Épicure, Paris, Les Belles Lettres, 2008.

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Dioclès de Caryste. Il est à noter que l’œuvre d’Aristote est absente de ce corpus782. Fig. 13 : Fragment d’un poème élégiaque (P. Sorb. inv. 2254), Paris, Institut de Papyrologie.

Photo © Sorbonne Université – Institut de Papyrologie

Les épopées homériques : un véritable « best-seller » Alors que, d’après Socrate, elle est réservée au Ve s. av. J.-C. aux rhapsodes783, l’œuvre d’Homère784 est devenue sans conteste celle qui est abondamment copiée, transmise, conservée et commentée à l’époque ptolémaïque785. Tous les sites de

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Voir p. 211. XÉNOPHON, Les Mémorables, IV, 2, 10. 784 Il est unanimement reconnu que derrière les épopées homériques se cachent plusieurs auteurs archaïques rassemblés traditionnellement sous le nom du poète Homère. Voir en particulier Gérard LAMBIN, Le roman d’Homère. Comment naît un poète, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016. 785 Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 34. 783

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découvertes de papyrus offrent au moins un extrait des épopées786 attribuées traditionnellement au poète (à l’exception de Memphis). Il est également présent dans les papyrus nonlittéraires787. Sur l’ensemble des fragments littéraires grecs de l’époque ptolémaïque, les épopées homériques représentent le cœur des collections : plus de 28 % des écrits pour lesquels l’auteur a pu être identifié (46 sur 167 identifiés) sont attribués à Homère avec une nette préférence pour l’Iliade. Cette proportion est d’autant plus grande que le nombre de fragments est faible, comme par exemple à Hermopolis (40 %) (P. 16007 ; P. 16709 ; P. 11678 et P. 17054). Cette différence notable peut supposer que les bibliothèques rares ou réduites étaient constituées presque exclusivement de textes homériques. En effet, pour Grégory Nagy788, il s’agit du modèle classique de la bibliothèque véhiculé par le Mouseion, où Homère apparaît comme l’auteur littéraire originel lié au pouvoir, à la richesse et au prestige des fondateurs dynastiques des grandes bibliothèques du monde grec ancien. Les épopées homériques peuvent être considérées comme le marqueur identitaire de l’hellénisation. Leur omniprésence dans les biblia est révélatrice de la place qu’occupe ce mythe fondateur. Une des plus anciennes éditions de l’Odyssée (Fig. 14) date du dernier quart du IIIe s. av. J.-C. ; elle a été découverte en 1900 dans un cartonnage de la nécropole de Ghôran, au sud du Fayoum789. Le rouleau comportait deux chants (IX et X) et les fragments, conservés à l’Institut de papyrologie à la Sorbonne, présentent la fin de l’épisode du Cyclope et le début de celui d’Éole. Le demi-format et l’aspect cursif de l’écriture indiquent qu’il ne s’agit pas d’une édition de luxe. Une première main a copié le texte puis a ajouté des corrections suivant un autre modèle. Une seconde main a également apporté des 786

Hélène MONSACRE (éd.), Tout Homère, Paris, Albin Michel / Les Belles Lettres, 2019. 787 Jean-Luc FOURNET, « Homère dans les papyrus non littéraires : le Poète dans le contexte de ses lecteurs », dans Guido BASTIANINI et Angelo CASANOVA (éds), I papiri omerici, Florence, Istituto papirologico « G. Vitelli », 2011, p. 125-157. 788 Grégory NAGY, « Homère… », art. cité, p. 151. 789 Francesca MALTOMINI, « P. Sorb. Inv. 2245. Confluenza di testimoni omerici », ZPE, 1999, n° 128, p. 301-305.

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modifications. Le texte est parfois raturé. Les traits obliques dans la marge correspondent à un décompte décimal des vers. Sur un autre fragment du même rouleau (colonne IX), un delta signale en marge le 400e vers depuis le début du rouleau. Il correspond en fait au vers 396 de la vulgate, les vers additionnels et omis devant être pris en compte. Ce signe confirme l’hypothèse que la division en chants est connue avant l’édition d’Aristarque (v. 217-144 av. J.-C.)790. Fig. 14 : Fragment de l’Odyssée d’Homère (P. Sorb. inv. 2245, col. X, XI, XII), Paris, Institut de Papyrologie.

Photo © Sorbonne Université – Institut de Papyrologie

Jusqu’au IIe s. av. J.-C., les savants de la Bibliothèque d’Alexandrie travaillent sur les épopées homériques. Les fragments de l’Iliade et de l’Odyssée offrent un texte non uniforme qui provient d’exemplaires de librairie ou de copies faites par des particuliers pour leur usage personnel ; les variantes textuelles sont grandes. À partir de 150 av. J.-C., les vers supplémentaires disparaissent et le texte présente une grande uniformité en conformité avec le texte établi au Musée d’Alexandrie, ce que les philologues modernes nomment l’édition alexandrine d’Homère791. La forte présence des épopées homériques dans les fragments de papyrus permet de dater la fixation de ces textes. À partir du IIe s. av. J.-C., les différentes versions disparaissent de la circulation au profit d’une version 790 791

En ligne : . Jean IRIGOIN, Le livre grec…, op. cit., p. 34.

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« officielle » d’un texte « standard », diffusée par une copie accessible publiquement (dans une bibliothèque publique) ou peut-être utilisée par des scribes professionnels pour des copies destinées aux librairies792. À Oxyrhynque, la présence de Commentaires de textes homériques est avérée dès le IIe s. av. J.C. (P. Wash. Univ. 2 63 Packmann) et se poursuit au Ier s. av. J.C. (P. Oxy. 4451 ; P. Oxy. 8 1086). Un genre plébiscité : l’art déclamatoire Avant même les épopées homériques, les œuvres plébiscitées par les Hellénophones sont les tragédies et comédies qui occupent 33 % du corpus, toutes époques confondues (Fig. 15). Fig. 15 : Graphique par genre des papyrus hellénistiques (d’après la base Trismegistos)

Le genre le plus conservé dans les bibliothèques à l’époque hellénistique est le théâtre ; les copies retrouvées datent de toute la période ptolémaïque. Les auteurs fondateurs de l’identité des Hellènes (Eschyle, Sophocle, Euripide) sont présents en nombre à El Hibeh, Hermopolis, Ghorân, Memphis, Oxyrhynque et 792

Leighton REYNOLDS et Nigel Guy WILSON, Scribes…, op. cit., p. 1-19.

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Tebtynis. À Hermopolis Magna, le fragment d’une anthologie des œuvres d’Euripide (P. Berol 9771) présente des annotations musicales. Elles amènent à penser que les œuvres théâtrales étaient conservées à Hermopolis Magna dans le but d’être produites sur place. La présence de très nombreux fragments d’œuvres contemporaines comme celles de Ménandre (v. 343-292 av. J.-C.), auteur comique grec considéré comme le représentant de la Nouvelle Comédie, corrobore l’idée de la nécessité de conserver ces textes pour assurer les représentations théâtrales dans la chôra égyptienne793. Le public de la Comédie change à l’époque hellénistique pour devenir le miroir d’une société athénienne en crise constituée d’une classe moyenne d’artisans ou de petits propriétaires fonciers794. La Nouvelle Comédie connaît un grand succès. Ménandre, qui vécut sous le règne de Ptolémée Ier Sôter, est très prisé par les Grecs en Égypte. Les œuvres du dramaturge athénien, dont les intrigues comiques sont assez répétitives, représentent 30 % des pièces conservées, dont 80 % des comédies. La poésie, à l’instar du théâtre, est aussi déclamée. Les cartonnages des momies du Fayoum sont à l’origine de belles découvertes comme le papyrus de Milan (P. Mil. Vogl. 8.309 = MP3 1435.01) (Fig. 16) édité en 2001 par Guido Bastianini et Claudio Gallazzi795. Il aurait été écrit à Alexandrie entre la fin du IIIe s. et le début du IIe s. av. J.-C. Ce document est écrit des deux côtés ; il mesure 1,55 m de long sur 19,6 cm de haut. Il conserve sur 16 colonnes environ 110 épigrammes (598 vers) attribuées à Posidippe de Pella, poète comique né à Cassandrée en Macédoine et actif à Athènes et à Alexandrie à la cour de Ptolémée II Philadelphe. Quand il réside à Athènes, il devient célèbre comme auteur de comédies. Il continue la tradition de Ménandre et de la Nouvelle Comédie : intrigues sentimentales, peintures familières, études psychologiques composent son théâtre. Il s’agit du premier exemple survivant d’un livre de poésie grecque, ainsi que du plus riche ajout au corpus de la poésie grecque

793

Ibid. Luciano CANFORA, Histoire de la littérature grecque…, op. cit., p. 80. 795 Guido BASTIANINI et Claudio GALLAZZI (éds), Epigrammi…, op. cit. 794

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classique depuis de nombreuses années. Ce livre de poésie est une copie professionnelle qui a été réparée à un moment donné. Fig. 16 : Papyrus de Milan (P. Mil. Vogl. VIII 309 col. XIV), Milan, Università degli Studi.

Photo © Università degli Studi di Milano

Plusieurs fragments de papyrus de poésie lyrique ont également été exhumés, notamment les œuvres de Simonide de Céos à El Hibeh (P. Hibeh 1.17) ou de Timothée à El Hibeh et à Memphis. Il reste également une copie singulièrement soignée d’Alcman de Sardes découverte à Hermopolis Magna et une autre à Oxyrhynque qui porte des annotations en marge (P. Oxy. 2387). Dans le domaine de l’art déclamatoire, nous ajoutons les écrits de rhétorique des orateurs du Canon alexandrin : Démosthène à Hermopolis (P. 9781) et à Bousiris (P. 16895 et P. 2128), et ceux de l’orateur athénien Lysias à El Hibeh. II.2. DES COLLECTIONS SCIENTIFIQUES L’époque hellénistique voit l’émergence et la profusion des recherches scientifiques. Le Mouseion offre aux savants des moyens jusqu’alors inconnus pour travailler, chercher et 200

expérimenter. Aucun fragment de cette époque des œuvres d’Archimède ou d’Euclide n’a été retrouvé. Néanmoins des papyrus scientifiques attestent de la diffusion des recherches alexandrines en dehors de la capitale lagide. Un riche fonds médical L’école médicale d’Alexandrie est la plus prestigieuse de l’Antiquité ; elle recueille les traditions asclépiennes de Cos et de Cnide et augmente les ressources et l’étendue de l’enseignement. À l’observation pure et simple, telle que la pratiquent les hippocratistes, les médecins alexandrins, Hérophile (v. 330-250 av. J.-C.) et Érasistrate (v. 310-250 av. J.-C.), ajoutent l’étude scientifique de l’anatomie796 attestée par le papyrus (P. Lit. Lond. 167 = Inv. 2397r = MP3 2358) de provenance inconnue. Le choix d’une grande marge supérieure et l’écriture soignée signifient qu’il devait probablement s’agir d’un rouleau de bibliothèque797. Les papyrus littéraires médicaux de l’époque hellénistique qui nous sont parvenus restent rares. Leur présence devient en revanche vraiment significative en Égypte à l’époque romaine. Ils illustrent, dès la fin du IIIe s. av. J.-C., le haut niveau atteint en médecine et leur diffusion jusqu’en province est attestée par la présence de « manuels » ou d’« abrégés » et de « traités ». Ils sont très influencés par certains écrits hippocratiques798. Les écrits du fondateur de la médecine moderne, Hippocrate (v. 460377 av. J.-C.), rendant distincte cette pratique pour en faire une véritable profession, sont attestés dans les bibliothèques grecques de province. Dès l’époque hellénistique, Hippocrate est un classique à l’origine d’une production écrite de commentaires et glossaires. Le « Corpus hippocratique », qui comprend entre soixante et soixante-douze traités médicaux écrits en langue ionienne entre la fin du Ve s. av. J.-C. et la fin du IIIe s. av. J.-C., est réuni vers le IIe s. av. J.-C. à Alexandrie799. 796

Sur l’étude de l’anatomie, voir Heinrich VON STADEN, Herophilus. The art of medicine in early Alexandria, Cambridge, Cambridge University Press, 2007. 797 Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 71. 798 Jacques JOUANNA, Hippocrate, op. cit., p. 489-513. 799 Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 116.

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Le premier fragment médical est un traité d’ophtalmologie anonyme en quatre fragments conservés dans des institutions différentes (P. Grenf. 2.7b ; P. Ryl. 1.39 ; P. Heid. inv. 401 ; P. Hibeh 2.190) qui provient d’El Hibeh et qui est daté du IIIe s. av. J.-C. Il s’agit d’un des plus anciens traités sur les infections des yeux. Il traite du mécanisme de la vision, de la pathologie, de l’étiologie et de la thérapie de plusieurs infections. Il se rapproche du traité De la vision d’Hippocrate (v. 460-377 av. J.C.), de son élève Dexippe de Cos, et de Cassius800 ; ou encore de celui de chirurgie faciale originaire du Fayoum (P. Univ. Giss. 4.44)801. À El Hibeh, cinq fragments médicaux sont attestés ; la majorité d’entre eux a été attribuée à Dioclès de Caryste, médecin athénien de l’époque hellénistique. Il est considéré comme le principal successeur immédiat d’Hippocrate. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages dont il ne reste que les titres ou quelques fragments. Ceux, conservés à la British Library de Londres (P. Hibeh 2.191 = P. 2.964 et P. Hibeh 2.192 = P. 2.965), ont été retirés des cartonnages de momies. Le fragment P. Hibeh 2.191 daté du IIIe s. av. J.-C. peut être rapproché du traité hippocratique des Maladies des femmes. Enfin, un papyrus (P. Tebt. 3.897 = TM id. 60195 = UC 2376 vo = MP3 539.21) provenant du cartonnage de la momie 103 de Tebtynis présente un passage qui montre de grandes ressemblances avec le traité hippocratique du Régime802. Datée de la 2e moitié du IIIe s. av. J.C., cette copie est donc antérieure aux travaux réalisés sur le « Corpus hippocratique » par les savants d’Alexandrie. Une documentation historique des origines gréco-macédoniennes À l’époque classique, les Grecs ont des lectures de voyage803 et leur intérêt, en dehors de toute obligation professionnelle, pour l’histoire et la géographie croît à l’époque hellénistique. Un nouveau genre littéraire historico-géographique se généralise : la 800

Ibid., p. 72. Marie-Hélène MARGANNE, L’ophtalmologie dans l’Égypte gréco-romaine d’après les papyrus littéraires grecs, Leiden, Brill, 1994, p. 73-80. 802 Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 115. 803 Guglielmo CAVALLO et Roger CHARTIER (éds), Histoire…, op. cit., p. 15. 801

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périégèse804, attestant du goût grandissant pour l’histoire et les « guides de voyages » inspirés des travaux d’Hécatée de Millet (550-476 av. J.-C.) et des Enquêtes d’Hérodote (v. 480-425 av. J.-C.). Giacomo Manganaro pense voir à Tauromenion (Sicile) une bibliothèque datant du IIe s. av. J.-C. spécialisée dans le domaine de l’histoire805. En effet, les fragments enduits portent les noms de Callisthène (360-328 av. J.-C.), Fabius Pictor (254201 av. J.-C.) et Philistos de Syracuse (v. 432-356 av. J.-C.). Les trois historiens « canoniques », Hérodote (v. 480-425 av. J.-C.), Thucydide (v. 465-395 av. J.-C.) et Xénophon (v. 430355 av. J.-C.), sont bien représentés dans les papyrus d’époque romaine. À l’époque ptolémaïque, les quelques fragments exhumés démontrent déjà l’intérêt suscité par ce domaine de connaissance. Natascia Pellé reconnaît un fragment des Histoires d’Hérodote806 (P. Duke inv. 756 + P. Mil. Vogl. inv. 756 = MP3 481) des IIIe/IIe s. av. J.-C. ; deux fragments de Thucydide de la même époque ont été récupérés dans des cartonnages de momies. Il est à noter que l’œuvre de contemporains est également présente dans les bibliothèques de province. Un fragment (P. Oxy. 24.2399) concernant l’histoire de la Sicile de Douris de Samos (v. 340-270 av. J.-C.), élève de Théophraste à l’école péripatéticienne, a été découvert à Oxyrhynque. L’abondance et la variété de sa production montre qu’il est extrêmement attaché à sa patrie et peut manquer d’objectivité807. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage intitulé Makedonika sur l’histoire de la Macédoine. Ce sujet revient dans le papyrus de Bousiris (P. 13044) identifié comme l’unique œuvre du pseudoCallisthène, Le roman d’Alexandre. Cet auteur inconnu égyptien ou grec d’Égypte qui vit au IIIe ou IIe s. av. J.-C. voulait se faire passer pour Callisthène, le contemporain et biographe d’Alexandre le Grand dont les chroniques sont perdues. Par cet intérêt prégnant pour l’histoire macédonienne, et donc pour les origines régionales et fondatrices des Lagides, les Hellénophones 804

Marie-Françoise BASLEZ et Jean-Marie ANDRÉ, Voyager…, op. cit., p. 64. Giacomo MANGANARO, « Una biblioteca… », art. cité, p. 83-96. 806 Natascia PELLÉ, Le livre d’histoire…, op. cit., p. 26. 807 Denis KNOEPFLER, « Trois historiens hellénistiques. Douris de Samos, Hiéronymos de Cardia, Philochore d’Athènes », Publications de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2001, vol. 11, n° 1, p. 30-35. 805

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démontrent leur attachement à leurs origines. Deux fragments datés du Ier s. av. J.-C. identifiés par Luisa Prandi808 sont à rattacher au personnage d’Alexandre le Grand ; ils concernent la bataille du Granique (P. Hamb. 2.130) et l’expédition asiatique (P. Oxy. 4.679). Nous écartons volontairement du corpus d’étude le papyrus illustré (P. Collections privées = MP3 168.02) contenant un texte du géographe Artémidore d’Éphèse (vers 100 av. J.-C.)809 qui proviendrait d’Antaioupolis en Haute-Égypte. L’authenticité de ce grand rouleau qui daterait du Ier s. av. J.-C. a été remise en cause dernièrement810. Des textes aussi très érudits La présence d’ouvrages de « sciences dures » est de moindre importance. Les lecteurs se réduisent à un cercle d’initiés. La démarche scientifique demande concertation, confrontation et expérimentation. Les savants entretiennent des relations personnelles, correspondent, se rencontrent à Rhodes ou à Alexandrie et comparent leurs découvertes811. Ainsi, au IIIe s. av. J.-C., Archimède explique dans sa préface au traité Sur les spirales qu’il a beaucoup tardé à faire circuler les démonstrations de ses propositions parce qu’il a voulu « les soumettre d’abord à des hommes qui, pratiquant les mathématiques, préfèrent se consacrer eux-mêmes à leur recherche812 ». Le plus ancien biblion grec illustré connu jusqu’ici date du e II s. av. J.-C. (P. Paris 1 = MP3 369) (Fig. 17). Il provient du Serapeion de Memphis et contient un abrégé du Traité d’astronomie d’Eudoxe de Cnide. Abondamment enrichi de 808

Luisa PRANDI (éd.), Corpus dei papiri storici greci e latini, Parte A, Storici greci. 2, Testi storici anepigrafi. vol. 9, I papiri e le storie di Alessandro Magno, Pisa, Fabrizio Serra, 2010. 809 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 32. 810 L’authenticité de ce papyrus est controversée par un nombre de plus en plus élevé d’historiens. Voir Luciano CANFORA, The true history of the so-called Artemidorus Papyrus, Bari, Edizioni di Pagina, 2007. 811 Bernard VITRAC, « Les préfaces des textes mathématiques grecs anciens », dans Patricia RADELET-DE-GRAVE (dir.), Liber amicorum Jean Dhombres, Louvain, Brepols, 2008, p. 518-556. 812 ARCHIMÈDE, Sur les spirales, préface (trad. Mugler).

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diagrammes en couleurs du zodiaque et des constellations, ce livre est fortement influencé par l’iconographie égyptienne813. Eudoxe de Cnide (408-352 av. J.-C.) est un astronome, géomètre, médecin et philosophe grec. Contemporain de Platon, il tente le premier de formuler une théorie sur le mouvement des planètes. Il est l’un des savants grecs qui est allé à l’école des prêtres égyptiens à Héliopolis du temps de Nectanébo II (360-343 av. J.C.), peu avant la conquête d’Alexandre le Grand. Fig. 17 : Papyrus astronomique d’Eudoxe (P. Paris 1 = MP3 369 ; N2325), Paris, Musée du Louvre.

Photo © RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski

Près du Fayoum, des ouvrages scientifiques ont également été copiés et conservés. À El Hibeh, un traité de métrologie (P. Heid. inv. 1119 a-b) a été exhumé. La métrologie est une science des mesures et des étalons et, par là même, des monnayages. À Oxyrhynque, un texte fragmentaire daté du Ier s. av. J.-C. (P. Oxy. 3000) est attribué à Ératosthène (v. 276-194 av. J.-C.). Il est conservé à la Sackler Library à Oxford (Fig. 18). Découvreur de la méthode de mesure de la circonférence de la 813

Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 28.

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Terre, Ératosthène est nommé à la tête de la Bibliothèque alexandrine et devient précepteur de Ptolémée IV ; il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’astronomie et la géographie. Ce document est annoté et porte un titre. Fig. 18 : Papyrus attribué à Ératosthène (P. Oxy. 3000), Oxford, Sackler Library.

Photo © Sackler Library

Ainsi, l’intérêt pour les sciences ne se concentre pas uniquement à Alexandrie et à Memphis, il se diffuse bien au-delà de la capitale lagide dès le Ier s. av. J.-C., c’est-à-dire après que les savants aient été chassés d’Alexandrie.

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CHAPITRE III La dispersion des collections

La disparition des textes et des collections des bibliothèques est un sujet qui préoccupe dès la fin de l’époque hellénistique. Diodore (v. 90-30 av. J.-C.) prend conscience de la perte de textes814 quand il raconte l’avènement de Philippe II de Macédoine en 359 av. J.-C. Il mentionne l’œuvre de l’historien Théopompe (v. 403/378-320 av. J.-C.), les Philippiques, relative à l’histoire de Philippe de Macédoine qui se composait de 58 livres et « dont cinq étaient introuvables815 ». Plusieurs raisons peuvent être à l’origine de la dispersion des collections ptolémaïques : la précarité du support et l’établissement de nouvelles structures. L’Égypte, devenue province romaine à la mort de la dernière reine d’Égypte, Cléopâtre VII, en 30 av. J-C., ne voit pas la disparition im-médiate de ses bibliothèques. La destruction intentionnelle de bibliothèques ou le brûlement816 volontaire des livres ne semble pas avoir été à l’origine de leur dispersion. L’Égypte, et tout particulièrement Alexandrie, conserve un statut particulier ; se développe à son égard un sentiment des nouveaux dirigeants oscillant entre respect, jalousie et détestation.

814

Luciano CANFORA, Le copiste…, op. cit., p. 83. DIODORE, Bibliothèque historique, XVI, 3, 8 (trad. Vernière). 816 Le terme de « brûlement » s’applique aux livres. Voir Renard HERVÉ, Incendies volontaires de bibliothèques. Bruit et silence des bibliothécaires, Enssib, Mémoire d’étude, 2010, p. 16. 815

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III.1. LA MISE AU REBUT DES PAPYRUS Le support des écrits hellénistiques, le papyrus, est par nature très fragile. Les modes de consultation et de stockage sont de plus très dégradants pour les livres. En raison de l’extrême fragilité de leur support, les collections des bibliothèques ptolémaïques n’ont que très rarement pu être conservées à court, moyen et long termes. La mise au rebut des biblia obsolètes ou dégradées est fréquente et est, aujourd’hui, l’une des principales sources d’information sur les textes anciens. Dans la plupart des cas, il s’agit de fragments jetés pour deux raisons essentielles : leur état ne leur permet plus d’être manipulés ou leur contenu n’intéresse plus leur propriétaire. Ce sont des papyrus désormais sans valeur. Vieux livres, travaux scolaires, mais aussi actes officiels, pièces de comptabilité, correspondance sont stockés ensemble pour servir de combustible (à Tebtynis dans la « Cantina dei Papiri »), de rembourrage pour le cartonnage de momie (El Hibeh ou Tebtynis) ou directement jetés dans les dépotoirs (temple de Soknebtynis à Tebtynis et Oxyrhynque). Des papyrus jetés dans les dépotoirs : détritus ou combustibles Pour le plus grand plaisir des archéologues, les papyrus considérés comme des détritus sont jetés dans des dépotoirs817. Ainsi, pendant plus de mille ans, les habitants d’Oxyrhynque déversèrent leurs déchets dans une série de sites dans le désert bordant la ville818. Le fait même que la ville soit construite au bord d’un canal et non du Nil est un facteur de conservation. En effet, la crue du Nil n’y couvre pas annuellement les terres comme c’est le cas des villes construites sur les berges. Quand le canal s’assèche, la nappe phréatique s’abaisse et son niveau ne remonte plus. Comme la rive ouest du Nil ne reçoit jamais de pluies, les détritus des habitants d’Oxyrhynque restent en place et se recouvrent graduellement de sables et y restent enterrés pendant plus d’un millénaire. Le dépotoir du temple de Soknebtynis de Tebtynis se situe le long du mur est du temenos du temple. Il est utilisé pendant 817 818

Hélène CUVIGNY, « Les poubelles… », art. cité. Peter PARSONS, La cité…, op. cit., p. 82-83.

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plusieurs siècles : environ 12 000 fragments dont 500 fragments d’époque hellénistique (dont 30 % sont en grec) y ont été amoncelés. Lors de leur découverte, certains d’entre eux étaient encore enroulés et scellés819, d’autres étaient déjà sous forme de fragments. Les fouilles de Tebtynis, et plus particulièrement celles de la « Cantina dei Papiri », ont permis d’exhumer d’autres rouleaux. Réalisées sans la rigueur scientifique d’aujourd’hui, ces fouilles ne peuvent être finement exploitées. Néanmoins, Claudio Gallazzi820, reprenant le témoignage de Bagnani, réussit à éclaircir les choses : les papyrus étaient entreposés dans une cave à vin à laquelle on accédait par une trappe placée immédiatement derrière le seuil de la porte. Cette cave avait été déjà partiellement explorée par des pilleurs. La fouille méthodique a ensuite permis de mettre au jour une quantité remarquable de papyrus. L’absence de jarres, de boîtes ou de niches indique que le sous-sol n’était pas destiné au stockage des archives familiales ou d’une bibliothèque. Ici, les papyrus, mélangés à de vieux paniers, des morceaux de cordes et des nattes, sont entreposés pour devenir des matériaux inflammables. Des papyrus réemployés : écriture recto-verso et cartonnage de momies Il arrive que le verso d’un livre soit réutilisé par la suite pour écrire un autre texte littéraire, mais c’est infiniment plus rare que la récupération du recto d’un document. Les frères Ptolemaios et Apollonios821 n’ont pas hésité à utiliser le verso d’une édition calligraphique d’un traité philosophique comportant de nombreuses citations d’Euripide, Pindare, Ibycos, Anacréon, Sappho attribué à Chrysippe comme un vulgaire papier où ils ont noté leurs rêves et leurs comptes (P. Paris 2 = MP3 246, Memphis, milieu du IIe s. av. J.-C.)822. Il en va de même avec l’Ars Eudox (P. Paris 1) (Fig. 17) : des modèles épistolaires ont été écrits au verso du document astronomique823. Cette pratique 819

Jean LECLANT et Anne MINAULT-GOUT, « Fouilles… », art. cité, p. 369. Claudio GALLAZZI, « La “Cantina dei papiri”… », art. cité, p. 283-288. 821 Sur les archives des frères Ptolemaios et Apollonios, voir tout particulièrement Bernard LEGRAS, Les reclus grecs du Sarapieion…, op. cit. 822 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 18. 823 Marie-Hélène MARGANNE, Le livre médical…, op. cit., p. 37. 820

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est également attestée par Catulle824 (84-54 av. J.-C.) qui nous apprend, dans son poème, que les éditeurs recyclent les supports en papyrus usés. Néanmoins, des textes peuvent aussi être bien écrits et même harmonieusement disposés sur des versos, tel un exemplaire d’Homère issu des fouilles à Oxyrhynque (P. Oxy. 2.223 + P. Köln 5.210 = MP3 733) de la 1re moitié du IIIe s. qui contenait le chant V de l’Iliade et dont seule la moitié a survécu. Il est écrit au dos d’une longue pétition datée de 186 adressée au gouverneur romain d’Égypte. C’est également le cas d’un fragment d’un traité grammatical latin de Palaemon, grammairien connu à l’époque de Tibère et de Claude (P. Lit. Lond. 184 + P. Mich. 7.429 = MP3 29996, Karanis, fin du IIe/début du IIIe s.). Il est écrit au verso d’un registre militaire rédigé entre 163 et 170. Les cartonnages de momies ont souvent livré des papyrus recyclés825. Utilisés comme matière première, les rouleaux de papyrus littéraires ou documentaires servent à confectionner, à l’aide d’eau et de colle, les masques et pectoraux des momies. Le texte initial n’est plus considéré comme digne d’intérêt ou l’état de conservation nuit à son usage. Ainsi, les cartonnages des momies humaines (nécropoles de Tebtynis et El Hibeh) et animales, en l’occurrence celles de crocodiles à Tebtynis, peuvent être à l’origine de belles découvertes comme celle du papyrus de Milan (P. Mil. Vogl. 8.309 = MP3 1435.01) édité en 2001 par les professeurs italiens Guido Bastianini et Claudio Gallazzi826. Daté de la fin du IIIe s. av. J.-C., le biblion a été envoyé à un centre de recyclage827 vers 176 av. J.-C., très probablement dans la région du Fayoum en Égypte, pour former le pectoral d’une momie828.

824

CATULLE, Poésies, XXII, 5. Voir en particulier Naphtali LEWIS, Papyrus in classical antiquity, Oxford, Clarendon Press, 1974, chap. 6. 826 POSIDIPPE DE PELLA ; Guido BASTIANINI et Claudio GALLAZZI (éds), Epigrammi…, op. cit. 827 Sur le recyclage, voir Sarah J. CLACKSON, It is our father who writes. Orders from the monastery of Apollo at Bawit, Cincinnati, Ohio, American Society of Papyrologists, 2008. 828 POSIDIPPE DE PELLA ; Guido BASTIANINI et Claudio GALLAZZI (éds), Epigrammi…, op. cit. 825

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Enfin, les textes littéraires peuvent également servir d’emballage, comme le fragment (P. 13270) de l’île d’Éléphantine. Le remploi est une pratique commune sous l’Antiquité, comme en témoignent les supports d’écriture : les ostraca servent de bulletins de vote ou de jetons d’entrée, les papyrus sont lavés pour être réécrits829. III.2. LA TRANSMISSION DES BIBLIOTHÈQUES DES LETTRÉS Les bibliothèques peuvent faire l’objet de don ou de legs. Ainsi, on sait que le philosophe péripatéticien Lycon de Troade au IIIe s. av. J.-C. légua dans son testament ses livres, ceux qui ont été lus en public, à son affranchi Charès ; mais il légua ceux qu’il n’a pas rendus publics à Callinos « pour qu’il les mette en circulation avec soin830 ». L’exemple des péripéties de la bibliothèque d’Aristote Une bibliothèque privée est une somme de livres choisis et consultés qui forme une collection. Mais, la particularité de la bibliothèque de l’érudit est d’être constituée, en plus des livres de référence, de ses propres archives et travaux manuscrits. En transmettant sa bibliothèque, le lettré souhaite voir poursuivre et diffuser son œuvre ou ses recherches. Il faut donc bien distinguer ces deux éléments dans la bibliothèque d’Aristote : d’une part, les œuvres d’autres auteurs qu’il a lues et conservées et, d’autre part, ses archives constituées de ses propres écrits. Ainsi, quoique les sources disponibles ne s’accordent pas831, plusieurs d’entre elles attestent qu’Aristote, à sa mort en 322 av. J.-C., transmet sa bibliothèque832 à son élève Théophraste qui

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Christine HOËT-VAN CAUWENBERGHE, « “Rien ne se perd, tout se transforme”. Réflexions sur le remploi des supports inscrits dans le monde romain et particulièrement en Gaule Belgique », Revue du Nord, 2013, vol. 403, n° 5, p. 277-297. 830 Tiziano DORANDI, Le stylet…, op. cit., p. 122. 831 Paul SCHUBERT, « Strabon et le sort de la bibliothèque d’Aristote », art. cité. 832 Sur la bibliothèque d’Aristote, voir Madalina DANA, « Mobilité et destins croisés : les réseaux culturels des cités du Pont-Euxin », dans Laurent

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lui-même la légua en 287 av. J.-C. à son élève Nélée. Athénée explique que Nélée vendit à Ptolémée II la bibliothèque de documentation d’Aristote enrichie de celle de Théophraste pour compléter le fonds de la Bibliothèque royale833. Il pourrait s’agir donc là de rouleaux d’œuvres collectées et sélectionnées par Aristote et non de ses propres écrits ou ceux de son école. Cela est corroboré par l’absence de l’œuvre du philosophe dans les papyrus littéraires ptolémaïques et le fait qu’entre la mort de Théophraste en 288 av. J.-C. et l’activité de Strabon au Ier s., les philosophes péripatéticiens travaillent et mènent leur recherche sans prendre appui sur les écrits d’Aristote834. En effet, Strabon précise que le philosophe Nélée de Scepis a gardé pour lui ce qu’on peut appeler les originaux ou les papiers d’Aristote835 (les notes des cours destinés à ses seuls élèves) et ses traités ésotériques. Quand il quitte Athènes, Nélée les emporte dans sa ville natale et les lègue à des parents qui les cachent dans une grotte (probablement dans des jarres). Pendant plus d’un siècle, les papiers d’Aristote restent ainsi cachés et inaccessibles. En 100 av. J.-C., ces papiers sont vendus à Apellicon de Téos, un riche bibliophile, qui les ramène à Athènes. En 86 av. J.-C., lors de la bataille de Chéronée, Athènes tombe aux mains des Romains et le général romain Sylla confisque la riche bibliothèque d’Apellicon. En 84 av. J.-C., la bibliothèque est transportée à Rome836 où le grammairien grec Tyrannion d’Amisos, fait prisonnier, est chargé de mettre en ordre et de transcrire les papiers d’Aristote. Le philosophe Andronicos de Rhodes est chargé de poursuivre ce travail et est à l’origine de la première édition des traités ésotériques d’Aristote vers 60 av. J.-C. Les péripéties de la bibliothèque de Théophraste et d’Aristote retracées par Plutarque mettent en lumière la disparition des collections par négligence837. Les manuscrits d’Aristote, altérés CAPDETREY et Julien ZURBACH (éds), Mobilités grecques…, op. cit., p. 199217 ; Paul SCHUBERT, « Strabon et le sort de la bibliothèque… », art. cité. 833 ATHÉNÉE, Les Deipnosophistes, I, 3 a-b (trad. Desrousseaux). 834 Paul SCHUBERT, « Strabon et le sort de la bibliothèque… », art. cité, p. 233. 835 STRABON, Géographie, XIII, 1, 54. 836 Ibid. 837 PLUTARQUE, Vie de Sylla, 26, 2-3.

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par leur stockage dans une cave, sont lacunaires et comblés par Apellicon de manière fantaisiste. Andronicos de Rhodes publie les copies accompagnées de tables : les copistes ajoutent des fautes à toutes les altérations, dégradant une fois de plus les originaux838. Ces copies, déjà fautives, produisent à leur tour d’autres copies où s’introduisent de nouvelles fautes. Il s’agit ici donc bien des travaux du philosophe et non des ouvrages constituant une collection privée. Les bibliothèques privées assurent la transmission des savoirs Au cœur d’enjeux politico-culturels, les bibliothèques officielles, ou du moins celles financées par un pouvoir public, sont des établissements fragiles souvent cibles de destruction. Au contraire, les bibliothèques de la sphère privée sont plus propices à être épargnées839, mais pouvaient être victimes des pillages. Elles sont ainsi en grande partie à l’origine de la transmission des textes antiques. Si la décision de Ptolémée VIII de chasser en 144 av. J.-C. les savants du Mouseion affecta la vie intellectuelle alexandrine, il ne semble pas que le fonds documentaire royal ait été « purgé ». En revanche, Suétone (70-160) rapporte que Caligula (12-41) « conçut aussi la pensée de détruire les vers d’Homère : “pourquoi, disait-il, ne me permettrait-on pas la même chose avec Platon, qui le bannit de sa république ?” Il s’en fallut de peu qu’il n’éloignât de toutes les bibliothèques les écrits et les images de Virgile et de Tite-Live “l’un, selon lui, n’avait ni génie, ni savoir, et l’autre était un historien verbeux et négligé”840 ». Le sort de la Bibliothèque royale d’Alexandrie a fait l’objet de nombreuses théories. Notre propos n’est pas ici de remettre en cause le travail d’éminents historiens, mais de replacer en perspective l’ensemble des sources à notre disposition pour évaluer la fragilité des bibliothèques princières ou royales, plus en prise avec les enjeux politico-culturels que les bibliothèques privées. La Bibliothèque royale, d’après des sources littéraires 838

DIOGÈNE DE LAËRCE, Vie de Théophraste. Marc BARATIN et Christian JACOB (éds), Le pouvoir…, op. cit. 840 SUÉTONE, Vie des douze Césars, IV, 34 (trad. Panckoucke). 839

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concordantes, aurait été l’objet de destructions partielles et de pillages lors de la guerre d’Alexandrie, c’est-à-dire au moment où le pouvoir lagide vacille avec l’arrivée de César. Si les faits ne sont pas avérés et peuvent toujours prêter à discussion, nous devons néanmoins noter que la majorité des historiens romains a choisi de faire coïncider la chute des Lagides avec la destruction, symbolique peut-être, de tout ou partie de la Bibliothèque. En 48 av. J.-C., César débarque victorieux en Égypte, initialement à la poursuite de Pompée qui croyait avoir trouvé refuge à Alexandrie auprès de Ptolémée XIV fraîchement placé sous sa tutelle par le Sénat. L’année suivante, les conflits de succession des Lagides amènent le déclenchement d’une guerre civile, dite d’Alexandrie. César incendie la flotte égyptienne qui ravage le port et cause de lourds dommages. Selon Sénèque (v. 1-65) qui fustige la Bibliothèque qui, pour lui, n’illustre qu’« une orgie de littérature », « 40 000 livres furent brûlés à Alexandrie841 ». Plutarque (46-125) précise les faits et explique que l’incendie se répandit aux bâtiments voisins jusqu’au quartier royal du Brouchion et dévasta « la grande bibliothèque842 ». Aulu-Gelle (v. 123-180) atteste que « lors de la première guerre d’Alexandrie, au cours du pillage de la ville, [les livres] furent incendiés tous, par hasard, sans intention ni volonté délibérée, par des soldats auxiliaires843 ». Dion Cassius (155-235), quant à lui, ne parle pas de la Bibliothèque mais de la destruction de livres prestigieux : « Il s’ensuivit nombre de combats, de jour comme de nuit, entre les deux camps, de nombreux incendies qui aboutirent à l’incendie des installations portuaires, des dépôts de blé et de livres – innombrables et de la plus grande valeur, à ce qu’on dit844. » Luciano Canfora s’appuie sur cette dernière source pour émettre l’hypothèse que ce serait un entrepôt du port rempli de papyrus à destination de Rome qui aurait, en réalité, été incendié845. Cette possibilité n’exclut pas que, lors de ces moments troublés, une partie de la collection royale stockée sur

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SÉNÈQUE, De la tranquillité de l’âme, IX, 4, 5 (trad. C. Lazam). PLUTARQUE, Vie de César, 49, 6 (trad. Flacelière et Chambry). 843 AULU-GELLE, Les nuits attiques, VII, 17, 3. 844 DION CASSIUS, Histoire romaine, XLII, 38, 2 (trad. Hinard et Cordier). 845 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 84. 842

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des rayonnages ou armoria en bois ait pu aussi être la proie de flammes ou de pillages. Assurément, durant la guerre dite d’Alexandrie en 48 av. J.C., le Mouseion n’a pas été détruit puisqu’« Alexandrie est à peu près à l’abri de l’incendie, parce qu’il n’entre ni charpente ni bois dans ses constructions, que tous les étages y sont voûtés, et les toits recouverts en maçonnerie ou pavés846 ». Lors de son séjour en Égypte en 25-20 av. J.-C., Strabon, en effet, décrit le Mouseion847, omettant certes la Bibliothèque qui continue pourtant à jouer un rôle dans les premiers siècles suivants848. Près de trois siècles plus tard, en 270-275, le quartier royal du Brouchion qui abrite le Mouseion est rasé en partie par l’empereur Aurélien849 en conflit avec Zénobie de Palmyre qui cherche à imposer une filiation avec les Ptolémées850. La Bibliothèque royale a dû pâtir directement de cette destruction. Il est aussi possible que des dommages aient été commis quelques années auparavant, lors de la venue de Caracalla à Alexandrie en 215-216 qui pertétra, à cette occasion, de nombreux massacres851. Au IVe s., lorsque Épiphane de Salamine visite Alexandrie, la Bibliothèque est vide, le quartier du Brouchion est ruiné852. En 641, le calife Omar aurait ordonné d’utiliser les livres comme combustibles pour chauffer les bains de la ville853. La bibliothèque du Serapeion, quant à elle, ferme officiellement et définitivement le 16 juin 391, date de l’édit de l’empereur Théodose Ier qui ordonne la fermeture de tous les temples païens. Le sanctuaire du Serapeion d’Alexandrie étant un des plus célèbres et représentatifs du paganisme égyptien854, 846

PSEUDO-CÉSAR, Guerre d’Alexandrie, 1-3 (trad. Andrieu). STRABON, Géographie, XVII, 1, 8. 848 Gilbert ARGOUD, Science…, op. cit. 849 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 19. 850 Maurice SARTRE et Annie SARTRE-FAURIAT, Zénobie, de Palmyre à Rome, Paris, Fayard, 2014, p. 104-109. 851 Chris RODRIGUEZ, « Caracalla et les Alexandrins : coup de folie ou sanction légale ? », The Journal of Juristic Papyrology, 2012, n° 42, p. 229-272. 852 ÉPIPHANE, Sur les mesures et les poids, IX. 853 Luciano CANFORA, La véritable histoire…, op. cit., p. 97-112. 854 Jean-Luc FOURNET, « Tensions religieuses dans l’Égypte de l’Antiquité tardive », dans Jean-Luc FOURNET (dir.) et alii, Civilisations en transition (III). Sociétés multiconfessionnelles à travers l’histoire du Proche-Orient. Actes du 847

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les chrétiens sous l’évêque Théophile (384-412) s’en prennent directement à ce symbole du paganisme et le détruisent pour y construire une église855. Au début du Ve s., Paul Orose se lamente : « Comme nous l’avons vu nous-mêmes des armoires à livres, dont le saccage rappelle à notre époque qu’elles ont été vidées par des hommes de notre époque856. » Plus épargnées, les bibliothèques de la sphère privée assurent la conservation et la transmission des textes. Thémistios, dans son discours à l’Empereur857 prononcé en 357, constate le désastre qui frappe les bibliothèques publiques et exalte la décision de Constance II de doter Constantinople, la nouvelle capitale, d’une grande bibliothèque858. Il est conscient des risques et des pertes que viennent de subir les bibliothèques (l’édit de 303 de Nicomédie de Dioclétien ferme les églises et confisque les livres sacrés). Il précise que les œuvres de Thucydide, Isocrate, Platon et Démosthène ne sont pas en danger puisqu’elles sont conservées sans aucun doute dans les bibliothèques privées : « Du moins, les biens des particuliers se conservent sans loi. Et il suffit de préserver ce qui reste de l’excellence859. » Néanmoins, la transmission des textes n’est pas due uniquement à leur non-destruction intentionnelle. Pour qu’elle se réalise, le texte doit être copié. Or, pour qu’il le soit, le texte doit être considéré comme digne d’intérêt. III.3. LE TRANSFERT DES COLLECTIONS À LA FIN DE L’ÉPOQUE LAGIDE Le changement de support du livre n’est pas un phénomène anodin dans l’histoire des écrits. En effet, il impacte durablement l’intégrité et la transmission des textes, les modes de lecture et de stockage. colloque scientifique international, 7-8-9 septembre 2016, Byblos (Liban), Centre International des Sciences de l’Homme, 2017, p. 63-92. 855 Annick MARTIN, « Alexandreia christiana : un nouveau rôle historique pour la capitale de l’Égypte en Orient », Mélanges de l’école française de Rome, 1996, vol. 108, n° 1, p. 172. 856 OROSE, Histoires contre les païens, VI, 32, 15 (trad. Arnaud-Lindet). 857 THÉMISTIOS, Discours IV, 59d-60c. 858 Marc BARATIN et Christian JACOB (éds), Le pouvoir…, op. cit., p. 267. 859 Richard GOULET, « La conservation… », art. cité, p. 46.

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Un support de meilleure qualité que le papyrus : le parchemin Pline l’Ancien rapporte que, d’après le traité nommé Sur les bibliothèques de Varron, Eumène II (197-160 av. J.-C.), roi de la dynastie attalide en Asie Mineure, qui avait un goût ostentatoire pour les arts et les lettres, fonde une bibliothèque à Pergame860. Jaloux, Ptolémée V (204-181 av. J.-C.) décréta l’embargo sur le papyrus pour freiner cette concurrence. La recherche d’un nouveau support de l’écrit aurait abouti à l’émergence du parchemin. Ce nouveau support résulte du traitement que l’on fait subir à des peaux de chèvres, de moutons, d’antilopes, de chevaux parfois, pour les préparer à recevoir une écriture d’abord tracée au calame puis à la plume d’oie. Plus résistant que le papyrus, le parchemin se généralise au IVe siècle. L’appellation pergamene charta est avérée pour la première fois en 301, dans l’édit de Dioclétien861. La présence du parchemin est attestée en Égypte grécoromaine par le témoignage d’une correspondance (P. Petaus 30) datée du IIe s. : un Hellénophone parle d’un libraire ambulant qui propose des livres en papyrus et en parchemin. Peu à peu, le parchemin est préféré au papyrus dont la fabrication se poursuit jusqu’au milieu du Xe s. en Égypte. Il apparaît en Europe occidentale au début de notre ère (vers 80), comme l’atteste le poète latin Martial862. Ce nouveau matériau, plus onéreux que le support végétal, offre de très bonnes qualités de conservation et de manipulation et peut être réemployé après avoir effacé le texte par grattage. La fondation d’une vaste bibliothèque à Constantinople a pour objectif de procéder à la sauvegarde du patrimoine littéraire et scientifique qui tend à disparaître en le copiant sur parchemin. L’empereur Julien (361-363) compte sur ces collections recouvrées pour imposer comme doctrine officielle, un hellénisme centré sur la tradition platonicienne863. 860

PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle, XIII, 21, 70. Édit de Dioclétien, VII, 38. 862 Simone BRETON-GRAVEREAU et Danièle THIBAULT, L’aventure des écritures…, op. cit., p. 108. 863 Brigitte TAMBRUN-KRASKER, « Byzance, Platon et les platoniciens. Platon et l’Orient », Bruxelles, HAL-SHS, 2012, p. 5. 861

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Ainsi, les collections des bibliothèques hellénistiques n’ont survécu que par des copies et transferts sur un nouveau support. Un redoutable format concurrent du rouleau : le codex Le changement de format à l’époque romaine a un impact sur l’organisation des bibliothèques : intégrité des textes, manipulation et stockage. Les premières formes de tablettes à écrire qui donnent leur nom au codex (caudex, tronc d’arbre, bûche), premiers codices864, sont d’origine latine. Le poète latin Martial, au Ier s., vante les mérites d’un nouveau type de petit livre dans une épigramme : « Toi qui veux qu’à la ville ainsi qu’à la campagne / Partout mon livre t’accompagne / Et voyage avec toi dans de lointains climats / Sur tes rayons laisse les grands formats / Fais emplette d’un exemplaire / Écrit en menu caractère / Bien réduit, bien compact, et dont le parchemin / Tienne aisément dans une seule main865. » Selon Alain Deremetz, la structure concise de ces poèmes est imputable au format de ce nouveau support866. Il utilise le principe d’une série de tablettes attachées « reliées » par une ficelle mais l’applique à un autre matériau : non plus le bois, mais la peau, tout aussi résistante et plus fine, plus souple, plus légère. En Égypte, les plus anciens codices sont sur papyrus, mais seule une face est utilisée ou les faces sont doublées pour devenir support d’écriture. Le codex se substitue définitivement au rouleau au Ve s. Jean Gascou, qui a analysé précisément les codices documentaires d’Égypte sur papyrus, remarque leur multiplication à la fin du IIIe et au début du IVe s. et note qu’ils sont un aspect de la romanisation de la province867. Le transfert du volumen au codex est le premier goulet d’étranglement à travers lequel passent les textes antiques et qui 864

Sur le sujet, voir Alain BLANCHARD (éd.), Les débuts du codex. Actes de la journée d’étude organisée à Paris les 3 et 4 juillet 1985, Paris, Brepols (Bibliologia), 1989. 865 MARTIAL, Épigrammes, I, 3 (trad. Deremetz). 866 Alain DEREMETZ, « Rhétorique de renonciation éditoriale. Le paratexte chez Martial », Communication & Langages, vol. 154, n° 1, 2007, p. 39-48. 867 Jean GASCOU, « Les codices documentaires égyptiens », dans Alain BLANCHARD (éd.), Les débuts du codex. Actes de la journée d’étude organisée à Paris les 3 et 4 juillet 1985, Paris, Brepols (Bibliologia), 1989, p. 70-101.

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permet, entre autres choses, de fixer la succession des rouleaux. La conservation du contenu de certains ouvrages ou section d’ouvrages est assurée au détriment d’autres œuvres ou passages jugés moins intéressants868. Le type de regroupement réalisé au moment du passage du volumen au codex entraîne la perte de livres par groupes de cinq (1 codex = 5 volumina ou 1 codex = 7 tragédies)869. De l’œuvre de Polybe, en quarante livres, seuls les cinq premiers ont été conservés. De plus, le nécessaire procédé de copie est source d’erreurs. Si le passage du volumen au codex a participé à la sauvegarde des collections, il est aussi à l’origine de la disparition et de la transformation des textes eux-mêmes, étant un support qui subit de nombreux accidents dus aux lacunes et omissions des copistes telles que les inversions de rouleaux870. La naissance de l’antiquariat Parallèlement aux libraires, un marché nouveau apparaît à la fin de l’époque hellénistique : l’antiquariat871. Ce mouvement s’apparente au style artistique archaïsant qui se développe à la même époque en sculpture ou en peinture. Bien étudié pour la statuaire grecque872, il répond également à une demande de l’élite romaine naissante873 qui désire s’attacher l’héritage d’une filiation hellène. Ce courant est présent chez Varron et Pausanias, amateurs d’« antiquités », voire même chez Plutarque qui se passionne pour les choses du passé874. Ainsi, les livres anciens ont aussi des amateurs, comme le rapporte Aulu-Gelle (v. 123-186) qui voit dans le port de Brindisi des « paquets de livres [grecs] à vendre […] sales d’avoir été longtemps négligés et [qui] avaient une allure et un aspect 868

Richard GOULET, « La conservation… », art. cité, p. 34. Luciano CANFORA, Le copiste…, op. cit., p. 69. 870 Jean IRIGOIN, « Accidents matériels et critique des textes », Revue d’Histoire des Textes, 1988, vol. 16, n° 1986, p. 1-36. 871 Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 38. 872 Mary Anne ZAGDOUN, La sculpture archaïsante dans l’art hellénistique, Thèse de doctorat, Art et archéologie, Paris 4, 1986. 873 Danièle et Yves ROMAN, Rome, l’identité romaine et la culture hellénistique, 218-31 avant J.-C., Paris, SEDES, 1994, p. 233-237. 874 Pascal PAYEN, « Les recueils de Questions et la tradition ‘antiquaire’ dans le corpus de Plutarque », Pallas, 2013, n° 90, p. 217-233. 869

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repoussants875 », ce qui n’arrêta néanmoins pas l’auteur des Nuits attiques d’en acheter beaucoup tant le prix était dérisoire. Un intérêt pour les « vieux livres » apparaît et, dès lors, une technique de vieillissement des livres neufs est appliquée. Dion Chrysostome ou Dion de Pruse (v. 40-120), rhéteur grec, dit qu’ils étaient plongés dans un tas de grains de manière à leur donner une patine876. Ainsi, un courant du « vieux faux » voit le jour et répond à une certaine nostalgie pour les collections anciennes disparues. La dispersion des collections des bibliothèques grecques est donc due, en partie, à des raisons intrinsèques : la très grande fragilité matérielle et le format en rouleau peu adapté aux nouvelles pratiques de lecture et de conservation devenues beaucoup plus intenses à l’époque hellénistique. Ainsi, il était nécessaire que les collections soient à plusieurs reprises recopiées. Les supports détériorés étaient soit détruits, jetés dans des dépotoirs, soit réemployés, par exemple dans les cartonnages de momies. Néanmoins, certaines collections prestigieuses de lettrés sont conservées et recherchées voire pillées. Les changements de format et de support mettent définitivement fin aux bibliothèques grecques de l’époque ptolémaïque.

875 876

AULU-GELLE, Les nuits attiques, IV, 4, 1-5 (trad. Marache). Odette BOUQUIAUX-SIMON, Les livres…, op. cit., p. 38.

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CONCLUSION

En fondant la Bibliothèque du Musée sur le modèle de l’école d’Aristote, Ptolémée Ier Sôter et Démétrios de Phalère, dans les premières années du IIIe s. av. J.-C., déplacent le centre de conservation des savoirs. Désormais, Alexandrie, capitale tout juste sortie des sables, irradie l’ensemble du monde hellénisé. Nous ne sommes plus dans un système politique de cités mais dans celui des empires hellénistiques qui se disputent l’héritage d’Alexandre le Grand877 et de l’hellénisme. Le contexte particulier de l’Égypte ptolémaïque semble être à l’origine du développement inédit du concept moderne de bibliothèque : une organisation structurelle et fonctionnelle de transmission et de conservation d’écrits. Le puissant rayonnement de la Bibliothèque royale d’Alexandrie est encore vivace plus de deux millénaires après sa fondation, et tend à masquer un mouvement bibliothéconomique beaucoup plus général et profond à l’époque ptolémaïque. En raison de la grande quantité de fragments de papyrus et des sources littéraires, nous savons que les Hellénophones de la chôra égyptienne possèdent des collections de livres pour assouvir des besoins culturels. Néanmoins, les vestiges archéologiques en Égypte ne présentent aucune structure architecturale spécifique susceptible d’être rattachée à des bâtiments qui pourraient être des bibliothèques. Si notre postulat de départ est qu’une bibliothèque est uniquement un bâtiment, nous sommes dans l’erreur. En effet, il apparaît que les bibliothèques grecques en Égypte ptolémaïque occupent une pièce ou des pièces dans des lieux existants (temple, gymnase, 877

Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76.

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espace domestique) avec la mise en place de mobilier de stockage (kámpsa, kibôtos) ou des rayonnages. La bibliothèque hellénistique ne propose pas de modèle architectural spécifique et s’inscrit dans la continuité du modèle des écoles philosophiques (une zone de stockage et un espace déambu-latoire), mais innove en revanche dans ses pratiques. Conserver, gérer, certifier, commenter et transmettre des écrits sont des activités bibliothéconomiques tout à fait inédites et qui ne sont pas uniquement pratiquées à la Bibliothèque royale d’Alexandrie, mais aussi dans les villes de province égyptienne. L’étude des biblia grecs d’époque hellénistique retrouvés sur le sol égyptien (dans les dépotoirs ou les cartonnages de momies) atteste de l’existence et de la vivacité des bibliothèques en province. D’après les fragments et les recoupements possibles, nous pouvons considérer qu’il ne s’agit pas en Égypte lagide uniquement de bibliothèques à vocation éducative ou scolaire, ou encore de simples « outils » pour les cités878. La configuration très différente de la Grèce, avec l’absence de cités (mis à part Alexandrie, Naucratis et Ptolémaïs) et le besoin de reconnaissance identitaire sur un sol culturellement déjà très riche, ont fortement influencé la mise en place de modes d’appropriation culturelle originaux. Ainsi, on peut sans nul doute entrapercevoir des bibliothèques de recherche à Oxyrhynque où plusieurs fragments portent des scholies, des bibliothèques scolaires ou personnelles contenant des épopées homériques, ou encore des bibliothèques médicales ou scientifiques. La présence de textes littéraires associés aux archives personnelles et professionnelles mises au rebut permet de penser que les Gréco-Macédoniens possédaient leur propre collection littéraire. Un véritable réseau de bibliothèques se met en place mais nous ignorons encore l’étendue de son organisation ; des savoir-faire apparaissent ; des enjeux nouveaux se développent. Mais au-delà même du vaste territoire ptolémaïque, la bibliothèque grecque joue un rôle déterminant auprès des royaumes hellénistiques diffusant la pensée aristotélicienne sur l’ensemble du bassin méditerranéen oriental879. 878 879

Maud BELLIER-CHAUSSONNIER, Origine et diffusion…, op. cit., p. 609. Jean SIRINELLI, « Un regard… », art. cité, p. 88.

222

Enfin, les sources littéraires et les découvertes de papyrus corroborent la mise en place d’une professionnalisation des tâches du bibliothécaire. Il n’est plus un simple gardien des textes mais devient un gestionnaire, garant de la qualité, de la bonne conservation et de la transmission des écrits. La rédaction par Callimaque des Pinakes concrétise la prise de conscience de la nécessaire élaboration de catalogues et de notices bibliographiques. Une bibliothèque n’est pas seulement un lieu de stockage, c’est une collection qui nécessite l’usage d’outils bibliothéconomiques de gestion et de signalement de ces fonds documentaires. Ainsi, quelques listes d’ouvrages circulent déjà en Égypte ptolémaïque ; ce mouvement s’intensifie à l’époque romaine. La mise en place de modes de classement, de repérage et de valorisation des fonds (cote chiffrée, bustes d’auteurs, etc.) est toujours d’actualité. On peut aussi voir dans la constitution des fonds de la Bibliothèque royale d’Alexandrie la mise en place d’une véritable politique documentaire. Cette nouvelle maîtrise bibliothéconomique permet la constitution, la conservation et la gestion de fonds documentaires patrimoniaux d’un héritage hellénique. Il semble que trop souvent l’historiographie des bibliothèques antiques passe facilement de la fondation de la Bibliothèque royale alexandrine aux bibliothèques romaines880. Or, les bibliothèques fondées et organisées par des Gréco-Macédoniens sont à l’origine du développement des bibliothèques privées et publiques romaines dont l’archétype, depuis la fondation d’Asinius Pollio en 39 av. J.-C., marque durablement la civilisation occidentale. Des structures, sous la forme d’une architecture prestigieuse et monumentale, fleurissent au Ier s. et surtout au IIe s. sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Il s’agit de bibliothèques ostentatoires de quelques grands mécènes évergètes (la famille d’Oppii à Philippes, Celsus à Éphèse, Néon à Sagalassos) qui offrent à la cité des collections de livres. Aucune structure de ce type n’a été exhumée en Égypte ptolémaïque, ni aucune mention littéraire ne fait état de bâtiment « bibliothèque ». Le concept de bibliothèque, à l’époque ptolémaïque, est lié aux pratiques de conservation et de 880

Jason KÖNIG (éd.) et alii, Ancient Libraries…, op. cit.

223

transmission nécessaires à la vie culturelle ou professionnelle. Elles s’exerçaient dans les lieux qui nécessitaient un usage des écrits. La chute des Ptolémées en 30 av. J.-C. et la dispersion des collections des bibliothèques grecques ne marquent pas la fin de la position dominante du monde hellénique. Les Romains participent activement à perpétuer son rayonnement881. La bibliothèque, « ornement obligé de toute maison qui se respecte882 », est devenue une pratique à laquelle on accorde de l’importance et pour laquelle on se documente en lisant dès le Ier s. des manuels du « bon bibliophile », comme l’œuvre en douze volumes de Philon de Byblos, et au siècle suivant Philobiblos « l’amateur de livres » de Damophilos et de De bibliothecis en trois volumes de Varron. Depuis, les bibliothèques privées se sont développées avec la démocratisation de l’éducation et du livre, mais la fréquentation aujourd’hui des bibliothèques publiques en France, par exemple, reste faible (18 % de la population est abonnée, 28 % les fréquente)883. Le modèle type de nos bibliothèques de lecture publique, hérité de l’archétype romain, est celui d’un bâtiment autonome accessible à tous et renfermant des collections encyclopédiques. Or, ce modèle s’essouffle et les professionnels se questionnent pour proposer des établissements plus proches des aspirations quotidiennes et créer ainsi « la bibliothèque troisième lieu884 ». En effet, nous sommes désormais bien au-delà de l’idée d’un simple lieu de stockage. Cette nouvelle bibliothèque s’inscrit dans le mouvement des complexes culturels plus vastes associant espaces de détente et de loisirs, et espaces sportifs comme, par exemple, l’Alhóndiga de Bilbao. Et

881

Danièle et Yves ROMAN, Rome…, op. cit. SÉNÈQUE, De la tranquillité de l’âme, IX, 4, 7 (trad. Lazam). 883 En ligne : . 884 Mathilde SERVET, « Les bibliothèques troisième lieu. Une nouvelle génération d’établissements culturels », BBF, 2010, n° 4. 882

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finalement, cette conception « intégrante » et inclusive885 de la bibliothèque n’est pas très éloignée des bibliothèques grecques dans les gymnases et les temples. La bibliothèque n’est assurément pas le résultat d’une évolution objective, par ajustements successifs dans la définition de ses contenus, de sa finalité et de ses usages886. En effet, l’émergence des bibliothèques ne se manifeste pas seulement par des traits matériels et architecturaux, ou encore par des critères quantitatifs ou qualitatifs. Le plus significatif est l’intérêt d’un individu ou d’un groupe pour la collection de ces objets matériels que sont les livres. Ce point de vue induit à la fois des pratiques bibliothéconomiques (acquisition, conservation et gestion documentaire), mais aussi de considérer la collection d’objets comme source de savoir et de pouvoir. Cet ensemble constitué arbitrairement forme un tout qui prend du sens. Ainsi, pour Christian Jacob, les présupposés liés à l’apparition des bibliothèques sont, en premier lieu, « la confiance dans le pouvoir et la valeur instrumentale des livres, comme dépôts de savoir, de connaissances pratiques et techniques, de sagesse, de vérité, d’un état de la langue, d’une mémoire sociale887 » ; et, en second lieu, la conscience que « l’accumulation des livres produit des effets spécifiques, non réductibles à l’addition des effets de chaque livre pris isolément ». Empreints de nostalgie athénienne, mais également emplis d’une fougue nouvelle, les Gréco-Macédoniens, sur un sol étranger nourri de culture égyptienne, ont mis en place les bases des pratiques bibliothéconomiques. Ces stratégies de conservation des textes littéraires dans des bibliothèques (privées ou publiques) ont assuré la transmission de la culture hellénique, mais aussi permis l’enrichissement et la confrontation des savoirs nécessaires au développement de la recherche scientifique. Ainsi, grâce aux bibliothèques grecques de l’Égypte ptolémaïque, une production inédite scientifique et littéraire s’est développée pour devenir un des piliers de notre culture occidentale.

885

Thomas CHAIMBAULT-PETITJEAN et Marie-Noëlle ANDISSAC, « Des bibliothèques inclusives », Bibliothèque(s), 2015, 2015, n° 8, p. 10-12. 886 Christian JACOB, « Rassembler la mémoire… », art. cité, p. 53-76. 887 Ibid.

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CHRONOLOGIE

323-283 av. J.-C. : Ptolémée Ier Sôter, satrape puis roi d’Égypte après 305 av. J.-C. - Fondation de la Bibliothèque royale avec le soutien de Démétrios de Phalère (330-282 av. J.-C.) - La collection royale est estimée à 200 000 volumes à compléter et à réparer (Lettre d’Aristée) - Appel aux rois et aux grands de ce monde pour l’envoi de livres (Lettre d’Aristée) 283-246 av. J.-C. : Ptolémée II Philadelphe - Zénodote (285-270 av. J.-C.) et Apollonios de Rhodes (270245 av. J.-C.), directeurs de la Bibliothèque - Traduction de textes hébreux (Bible dite de la Septante) (Lettre d’Aristée) - Commandes éditoriales : Ægytus - Acquisition de la bibliothèque d’Aristote à Nélée (Athénée) - Les Pinakes de Callimaque (305-240 av. J.-C.) 246-222 av. J.-C. : Ptolémée III Évergète Ier - Ératosthène (245-204/1 av. J.-C.), directeur de la Bibliothèque - Acquisition des exemplaires d’Eschyle, Sophocle et Euripide (Galien) - Promulgation de la loi imposant à tout voyageur débarquant à Alexandrie de céder les manuscrits en sa possession contre des copies, constitution du « fonds des navires » (Galien) - Fondation du Serapeion d’Alexandrie et de sa bibliothèque - Fondation du gymnase et de la bibliothèque du Ptolemaion à Athènes

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222-204 av. J.-C. : Ptolémée IV Philopator - Ératosthène (245-204/1 av. J.-C.), directeur Bibliothèque

de

la

204-181 av. J.-C. : Ptolémée V Épiphane Eucharistos - Aristophane de Byzance (204/1-189/6 av. J.-C.) et Apollonios Eidographos (189/6-175 av. J.-C.), directeurs de la Bibliothèque - Attale II (197-160 av. J.-C.) fonde la bibliothèque royale de Pergame - Embargo sur le papyrus (Pline l’Ancien) 181-145 av. J.-C. : Ptolémée VI Philométor - Aristarque (175-145 av. J.-C.), directeur de la Bibliothèque 145-144 av. J.-C. : Ptolémée VII Eupator 144-116 av. J.-C. : Ptolémée VIII Évergète II Tryphon (usurpateur) - Répression des Alexandrins et expulsion des savants 107-88 av. J.-C. : Ptolémée X Alexandre Ier Philométor 88-80 av. J.-C. : Ptolémée IX Sôter II 80 av. J.-C. : Ptolémée XI Alexandre II 80-58 av. J.-C. : Ptolémée XII Aulète 58-55 av. J.-C. : Bérénice IV 55-51 av. J.-C. : Ptolémée XII Aulète Néos Dionysos 51-47 av. J.-C. : Ptolémée XIII Dionysos ou Philopator - Règne conjointement avec sa sœur et épouse Cléopâtre VII, puis, de 49 à 47 av. J.-C., avec son autre sœur, Arsinoé. - 48 av. J.-C. : guerre d’Alexandrie et destruction de rouleaux de papyrus 47-44 av. J.-C. : Ptolémée XIV Philopator II - Règne conjointement avec sa sœur et épouse Cléopâtre VII. 44-30 av. J.-C. : Ptolémée XV Philopator Philometor Caesar, dit Césarion - Règne conjointement avec sa mère Cléopâtre VII. 228

51-30 av. J.-C. : Cléopâtre VII Théa Philopator - Règne conjointement avec ses frères et époux Ptolémée XIII et Ptolémée XIV, puis avec le général romain Marc Antoine et son fils Ptolémée Césarion. - Don de Marc Antoine de 200 000 rouleaux provenant de la bibliothèque de Pergame (Plutarque et Tzétzès) 30 av. J.-C.-641. : Province romaine, Provincia Aegypti - 25-20 av. J.-C. : visite de Strabon et description du Mouseion - 215-216 : massacres de Caracalla à Alexandrie - 270-275 : le quartier royal du Brouchion d’Alexandrie est rasé par Aurélien

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TABLE DES FIGURES

Couverture : Lhote Nestor, Série de temples égyptiens (Thèbes) (MS114 ; E254239), Paris, Bibliothèque centrale des musées nationaux. Fig. 1 : Carte de l’Égypte avec les sites de découverte de papyrus littéraires ptolémaïques. Fig. 2 : Papyrus scolaires de Ghorân (P. 110a et P. 110b recto et verso), Lille, Institut de Papyrologie et d’Égyptologie de Lille UMR 8164 HALMA (Univ. Lille, CNRS, MC). Fig. 3 : Papyrus Les Perses de Timothée de Milet (P. 9875 col. 2-6 recto), Berlin, Ägyptisches Museum. Fig. 4 : L’Apothéose d’Homère, bas-relief en marbre (GR. 1819.812.1), Londres, British Museum. Fig. 5 : Muse debout tenant un volumen (Myr 204), Paris, Musée du Louvre. Fig. 6 : Exèdre du Serapeion de Memphis. Fig. 7 : Peintre de Klügmann, Lécythe à figures rouges (435-425 av. J.C.), Muse lisant un volumen (CA 2220), Paris, Musée du Louvre. Fig. 8 : Étiquette-titre d’Oxyrhynque (P. 2056), Londres, The British Library. Fig. 9 : Liste de Tragédiens (P. Tebt. III 695), Berkley, UC Berkley University. Fig. 10 : Tableau récapitulatif des fragments de papyrus littéraires d’époque ptolémaïque (d’après la base Trismegistos).

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Fig. 11 : Répartition des textes littéraire grecs hellénistiques par époque (d’après la base Trismegistos). Fig. 12 : Papyrus Didot (E7172), Paris, Musée du Louvre. Fig. 13 : Fragment d’un poème élégiaque (P. Inv. Sorb. 2254), Paris, Sorbonne Université, Institut de Papyrologie. Fig. 14 : Fragment de l’Odyssée d’Homère (P. Inv. Sorb. 2245, col. X, XI, XII), Paris, Sorbonne Université, Institut de Papyrologie. Fig. 15 : Graphique par genre des papyrus hellénistiques (d’après la base Trismegistos). Fig. 16 : Papyrus de Milan (P. Mil. Vogl. VIII 309 col. XIV), Milan, Università degli Studi di Milano. Fig. 17 : Papyrus astronomique d’Eudoxe (P. Paris 1 = MP3 369 ; N2325), Paris, Musée du Louvre. Fig. 18 : Papyrus attribué à Ératosthène (P. Oxy. 3000), Oxford, Sackler Library.

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WEBOGRAPHIE Leuven Database of Ancient Books : Papyri.info : Les carnets de Nimrod. Bibliothèques de l’Antiquité :

Base de données Mertens-Pack3 : < http://cipl93.philo.ulg.ac.be/Cedopal/MP3/dbsearch.aspx>

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TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS.................................................................................7 PRÉFACE ..............................................................................................9 INTRODUCTION ..................................................................................13 PARTIE 1 De la Bibliothèque royale à la naissance des bibliothèques publiques et privées ............................................27 CHAPITRE I La Bibliothèque royale d’Alexandrie, une bibliothèque à nulle autre pareille ...........................................29 I.1. UN NOUVEL OUTIL DE DOMINATION CULTURELLE ET POLITIQUE ..................................................30 Une structure dans un complexe mémoriel ................................30 Une bibliothèque érigée en modèle............................................31 Un accès limité et recherché, soumis à la volonté royale...........32 Une bibliothèque très politique ..................................................34 I.2. DES MISSIONS INÉDITES DE CONSERVATION ET DE RECHERCHE ....................................................................36 Constituer et conserver un patrimoine littéraire .........................36 Produire des éditions critiques et des traductions ......................40 Légitimer des productions littéraires contemporaines ...............42 Garantir la protection des œuvres et des auteurs........................44 CHAPITRE II La diffusion des bibliothèques dans l’ensemble de la chôra égyptienne ......................................................................47 II.1. LE SIGNE DE LA DIFFUSION : DES PAPYRUS EN NOMBRE EN PROVINCE .....................................................47 Basse-Égypte .............................................................................49

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Région du Fayoum et Moyenne-Égypte ....................................51 Haute-Égypte .............................................................................59 II.2. LES MOTEURS DE LA DIFFUSION...................................62 La politique offensive d’alphabétisation des Lagides ................62 L’expulsion des savants d’Alexandrie .......................................64 II.3. VERS LA CONSTITUTION D’UN VÉRITABLE RÉSEAU DE BIBLIOTHÈQUES ? ...............................................66 CHAPITRE III Des bibliothèques à vocation collective dans l’espace public ........69 III.1. LES PREMIÈRES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES..........69 Offrir une bibliothèque : une nouvelle pratique évergétique .....70 La bibliothèque du Serapeion : la deuxième grande bibliothèque d’Alexandrie .........................................................72 III.2. DES BIBLIOTHÈQUES COLLECTIVES POUR PARTAGER LES SAVOIRS .............................................74 Travailler en bibliothèque, une pratique devenue nécessaire à l’apprentissage ........................................................................75 Les bibliothèques dans les espaces éducatifs .............................77 Les bibliothèques dans les espaces cultuels à vocation médicale ...................................................................81 CHAPITRE IV Le développement des bibliothèques privées..................................85 IV.1. DES BIBLIOTHÈQUES PRIVÉES À VOCATION « PROFESSIONNELLE » .............................................................86 Pour les enseignants et leurs élèves ...........................................86 Pour les hommes de sciences .....................................................88 Pour les professionnels des arts du spectacle .............................90 IV.2. DES BIBLIOTHÈQUES PRIVÉES POUR UN USAGE PERSONNEL ET DE LOISIRS ....................92 L’homme des Muses et le phénomène d’héroïsation .................93 L’imitation des pratiques royales par la nouvelle aristocratie hellénophone ...........................................................96 La porosité des fonds documentaires et littéraires .....................99

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IV.3. LES BIBLIOTHÈQUES PRIVÉES DANS L’ARCHITECTURE DOMESTIQUE .............................101 Le modèle vitruvien de la bibliothèque privée hellénistique ...101 Les villas grecques en Égypte : des vestiges muets .................102 Un regard vers la péninsule italienne : Pompéi et Herculanum .... 104 PARTIE II La bibliothèque grecque de l’Égypte hellénistique : un espace déjà défini et bien organisé ? ........................................107 CHAPITRE I Tentative d’identification du modèle architectural de la bibliothèque grecque .............................................................109 I.1. DES FILIATIONS ET DES INFLUENCES À RÉINTERROGER ...................................................................110 Les bibliothèques égyptiennes .................................................110 Les archives : des lieux de conservation déjà implantés sur le territoire..........................................................................114 La tradition narrative de l’histoire des bibliothèques grecques 117 I.2. DES ESPACES EXTÉRIEURS TYPIQUES ........................119 Des espaces de déambulation...................................................119 Des espaces de pause propices à la conversation .....................121 I.3. DES AMÉNAGEMENTS INTÉRIEURS PEU SIGNIFICATIFS .................................................................123 Des espaces de lecture .............................................................123 Des espaces de stockage ..........................................................124 CHAPITRE II Un enjeu récurrent pour les bibliothèques grecques : assurer la conservation des papyrus .............................................129 II.1. DES MODES DE STOCKAGE ADAPTÉS ........................130 Des solutions pour ranger et stocker les rouleaux ....................130 Des conditionnements pour protéger et transporter les livres ..132 II.2. LA PRÉSERVATION DES COLLECTIONS .....................135 Des moyens pour éviter les dégradations mécaniques .............136 La maîtrise de l’environnement et la lutte contre les dégradations.............................................................138 La reproduction ........................................................................141

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CHAPITRE III L’apparition de véritables pratiques de gestion documentaire.. 143 III.1. LE BIBLIOTHÉCAIRE : AFFIRMATION D’UNE PROFESSION ................................................................143 Du scribe au bibliophylaque : une identité et des fonctions qui se dessinent ........................................................................144 Des missions bibliothéconomiques bien définies ....................147 La production de documents secondaires : les catalogues .......148 III.2. RÈGLEMENTER L’ACCESSIBILITÉ AUX COLLECTIONS ..........................................................................151 L’atelier des copistes ...............................................................151 Des marques d’appartenance ...................................................153 Des modes de consultation règlementés ..................................154 III.3. LA MISE EN PLACE DE STRATÉGIES D’ORGANISATION ...................................................................155 Classifier et repérer ou les prémices d’une méthode de cotation................................................................................155 Ordonner et ranger par domaine de la connaissance ................158 La statue de culte : de l’ornementation à la signalétique .........160 PARTIE III Les collections littéraires grecques de l’Égypte hellénistique .....165 CHAPITRE I La constitution des collections .......................................................167 I.1. LES CONDITIONS ET MODES D’ACQUISITION DES LIVRES EN ÉGYPTE .........................................................167 Le commerce prospère des papyrus et des biblia.....................167 Les modes d’acquisition et de renouvellement des collections 170 La conduite d’une véritable politique documentaire à Alexandrie .............................................................................173 I.2. LA CAPACITÉ VOLUMÉTRIQUE DES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES ........................................178 Du « livre-bibliothèque » aux collections encyclopédiques.....178 Au-delà du mythe, la quantité exceptionnelle des fonds alexandrins ...............................................................180 L’évaluation des capacités volumétriques des autres bibliothèques de la chôra égyptienne.......................................183 244

CHAPITRE II Tentative de reconstitution des fonds documentaires des bibliothèques de province ........................................................187 II.1. RADIOGRAPHIE DES COLLECTIONS LITTÉRAIRES GRECQUES.................................................................................187 Que lisent et conservent les Hellénophones ? ..........................189 Les épopées homériques : un véritable « best-seller » .............195 Un genre plébiscité : l’art déclamatoire ...................................198 II.2. DES COLLECTIONS SCIENTIFIQUES ............................200 Un riche fonds médical ............................................................201 Une documentation historique des origines gréco-macédoniennes...............................................................202 Des textes aussi très érudits .....................................................204 CHAPITRE III La dispersion des collections ..........................................................207 III.1. LA MISE AU REBUT DES PAPYRUS .............................208 Des papyrus jetés dans les dépotoirs : détritus ou combustibles ..........................................................208 Des papyrus réemployés : écriture recto-verso et cartonnage de momies..........................................................209 III.2. LA TRANSMISSION DES BIBLIOTHÈQUES DES LETTRÉS ............................................................................211 L’exemple des péripéties de la bibliothèque d’Aristote ...........211 Les bibliothèques privées assurent la transmission des savoirs................................................................................213 III.3. LE TRANSFERT DES COLLECTIONS À LA FIN DE L’ÉPOQUE LAGIDE...........................................216 Un support de meilleure qualité que le papyrus : le parchemin.............................................................................217 Un redoutable format concurrent du rouleau : le codex ...........218 La naissance de l’antiquariat....................................................219 CONCLUSION ....................................................................................221 CHRONOLOGIE.................................................................................227 TABLE DES FIGURES .........................................................................231 BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................233

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Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]

L’Harmattan Sénégal 10 VDN en face Mermoz BP 45034 Dakar-Fann [email protected] L’Harmattan Cameroun TSINGA/FECAFOOT BP 11486 Yaoundé [email protected] L’Harmattan Burkina Faso Achille Somé – [email protected] L’Harmattan Guinée Almamya, rue KA 028 OKB Agency BP 3470 Conakry [email protected] L’Harmattan RDC 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala – Kinshasa [email protected]

L’Harmattan Hongrie Kossuth l. u. 14-16. 1053 Budapest [email protected]

L’Harmattan Congo 67, boulevard Denis-Sassou-N’Guesso BP 2874 Brazzaville [email protected] L’Harmattan Mali ACI 2000 - Immeuble Mgr Jean Marie Cisse Bureau 10 BP 145 Bamako-Mali [email protected] L’Harmattan Togo Djidjole – Lomé Maison Amela face EPP BATOME [email protected] L’Harmattan Côte d’Ivoire Résidence Karl – Cité des Arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan [email protected]

Nos librairies en France Librairie internationale 16, rue des Écoles 75005 Paris [email protected] 01 40 46 79 11 www.librairieharmattan.com

Librairie des savoirs 21, rue des Écoles 75005 Paris [email protected] 01 46 34 13 71 www.librairieharmattansh.com

Librairie Le Lucernaire 53, rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris [email protected] 01 42 22 67 13

Alexandrie, cité grecque et nouvelle capitale dynastique, rayonne sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Sa Bibliothèque royale, lieu d’accumulation et de recherche totalement inédit, devient le nouveau cœur de l’hellénisme. Fondée par Ptolémée Ier avec le soutien de Démétrios de Phalère (330282 av. J.-C.), cette structure exceptionnelle à plus d’un titre est considérée traditionnellement comme le point de départ de l’histoire des bibliothèques. Néanmoins, les sources littéraires directes et les vestiges archéologiques sont rares voire inexistants. La découverte, en dehors d’Alexandrie, de plusieurs centaines de fragments de rouleaux de papyrus d’œuvres littéraires grecques témoigne de l’étendue de la dynamique culturelle et patrimoniale. L’étude des bibliothèques grecques en Égypte ptolémaïque lève le voile sur la diversité des structures de conservation et la nature des collections, tant à Alexandrie que dans les villes et villages hellénophones, notamment dans le Fayoum. Ces travaux de recherche portent un nouveau regard sur la richesse et la vitalité intellectuelle à l’époque lagide et permettent de revoir l’approche alexandro-centrée.

Cet ouvrage est lauréat du Prix scientifique L’Harmattan. Diplômée de l’École du Louvre, Hélène Fleury Ameztoy est responsable des fonds anciens à la Bibliothèque municipale de Bordeaux et est professeure associée à l’Université Bordeaux Montaigne. Doctorante en histoire, elle poursuit des recherches sur la transmission des savoirs et les relations entre pouvoir et culture à l’époque gréco-romaine.

Hélène Fleury Ameztoy

En 323 av. J.-C., à la mort d’Alexandre le Grand, le vaste territoire conquis par le Macédonien est partagé entre ses généraux. L’un d’entre eux, Ptolémée, hérite du pays du Nil où il fonde la dynastie des Lagides qui règne jusqu’à la mort de Cléopâtre VII en 30 av. J.-C. Durant trois siècles, des GrécoMacédoniens s’installent en Égypte où se développe une société atypique.

Hélène Fleury Ameztoy

Lire Homère à l’ombre des sycomores

Lire Homère à l’ombre des sycomores

LES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES DE L’ÉGYPTE HELLÉNISTIQUE

LES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES DE L’ÉGYPTE HELLÉNISTIQUE

Prix scientifique

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LES BIBLIOTHÈQUES GRECQUES DE L’ÉGYPTE HELLÉNISTIQUE LIRE HOMÈRE À L’OMBRE DES SYCOMORES Préface de Typhaine Haziza

Prix scientifique

Couverture : Lhote Nestor, Série de temples égyptiens (Thèbes) (MS114 ; E254239) Paris, bibliothèque centrale des musées nationaux Photo © RMN-Grand Palais / Michèle Bello

ISBN : 978-2-343-22028-4

25 €

LAURÉATS / Série Doctorat

Prix scientifique L’Harmattan