Le voyage à Crotone : découvrir la Calabre de l’Antiquité à nos jours- KROTON 1: Actes du Colloque international organisé par l’Unité d’archéologie classique du Département des sciences de l’Antiquité, Université de Genève, 11 mai 2012 9783034313292, 9783035202830, 3034313292

La cité de Crotone et son arrière-pays se trouvent au cœur d’un projet de recherches initié par l’Unité d’archéologie cl

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Le voyage à Crotone : découvrir la Calabre de l’Antiquité à nos jours- KROTON 1: Actes du Colloque international organisé par l’Unité d’archéologie classique du Département des sciences de l’Antiquité, Université de Genève, 11 mai 2012
 9783034313292, 9783035202830, 3034313292

Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
DOMENICO MARINO Introduzione 1
MATTEO CAMPAGNOLO Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage 3
CAMELIA ANA CHISU Crotonem petemus, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος. Sur la route de Crotone ou Crotone sur la route dans quelques témoignages textuels antiques 13
SALVATORE MEDAGLIA Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici. Il Bruzio nelle liste dei theorodokoi (IG, IV 1504 = IG, IV2 1, 95 e SGDI, 2580 = BCH 45, 1921, 1-85) 21
LORENZ E. BAUMER Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence 51
STEFANO O. CONDORELLI « To tell you the truth, I wish I were fairly back at Naples ». Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778) 61
PATRIZIA BIRCHLER EMERY « Nous quittâmes Crotone en regrettant Crotone ». Le voyage au royaume de Naples de Vivant Denon 77
JAN BLANC La Calabre, terre sublime ? Sir William Hamilton et les séismes de Calabre de 1783-1784 89
EMMANUELLE CHAMPION-HINDY Crotone et Pompéi : des « immortalités » contestées 99
ANNE-VIRGINIE DROZ Heinrich Westphal alias Justus Tommasini : Impressions d’un voyageur allemand en Calabre 111
TATIANA FORTE George Robert Gissing, un viaggiatore solitario 119
VIRGINIE NOBS Paolo Orsi : l’inventeur de la Grande Grèce 137
LES AUTEURS 143

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EGeA 1

VOL.1

Un premier volet des travaux a vu l’organisation d’un colloque international en 2012 à l’Université de Genève, réunissant des spécialistes, philologues, historiens de l’Antiquité, archéologues, pour discuter du voyage et des voyageurs à Crotone. Si la majeure partie des contributions s’intéresse aux voyageurs des temps modernes, les visiteurs de l’Antiquité sont aussi évoqués, mythiques ou réels, et leurs motivations analysées et comparées à celles des « touristes » plus récents. Les contributions de cet ouvrage en présentent quelques-uns, en questionnant leurs motivations et leur rapport au voyage, permettant ainsi une mise en perspective des raisons du voyage à Crotone.

Professeur d’archéologie classique à l’Université de Genève, Lorenz Baumer dirige plusieurs chantiers de fouilles, entre autres à Crotone. Il a notamment publié Kult im Kleinen. Studien zu ländlichen Heiligtümern spätarchaischer bis hellenistischer Zeit. Attika – Arkadien – Argolis – Kynouria (Rahden, 2004) et Mémoires de la religion grecque (Paris, 2010). Chargée de cours et chercheuse à l’Unité d’archéologie classique de l’Université de Genève, Patrizia Birchler Emery collabore à plusieurs projets de recherches, à Crotone et à Chypre. Elle enseigne dans les programmes de formation continue en archéologie classique à l’Université de Genève. Elle a notamment publié L’iconographie de la vieillesse en Grèce archaïque : une contribution à l’étude du grand âge (Sarrebruck 2010). Conservateur du Cabinet de numismatique de la Ville de Genève et chargé d’enseignement de l’Université de Genève, Matteo Campagnolo a enseigné les langues classiques et fait partie de l’équipe des éditeurs des Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève. Responsable des trouvailles numismatiques du Canton, il prépare la nouvelle exposition de numismatique du Musée d’art et d’histoire et collabore à la nouvelle édition des Ephemerides de Casaubon.

BAUMER, BIRCHLER EMERY, CAMPAGNOLO (éds.) LE VOYAGE À CROTONE

La cité de Crotone et son arrière-pays se trouvent au cœur d’un projet de recherches initié par l’Unité d’archéologie classique de l’Université de Genève, en collaboration avec l’Office territorial de Crotone et Sila de la Surintendance pour le patrimoine archéologique de la Calabre.

LORENZ E. BAUMER PATRIZIA BIRCHLER EMERY MATTEO CAMPAGNOLO (éds.)

LE VOYAGE À CROTONE: DÉCOUVRIR LA CALABRE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS KROTON 1

ISBN 978-3-0343-1329-2

www.peterlang.com

PETER LANG

EGeA 1

VOL.1

Un premier volet des travaux a vu l’organisation d’un colloque international en 2012 à l’Université de Genève, réunissant des spécialistes, philologues, historiens de l’Antiquité, archéologues, pour discuter du voyage et des voyageurs à Crotone. Si la majeure partie des contributions s’intéresse aux voyageurs des temps modernes, les visiteurs de l’Antiquité sont aussi évoqués, mythiques ou réels, et leurs motivations analysées et comparées à celles des « touristes » plus récents. Les contributions de cet ouvrage en présentent quelques-uns, en questionnant leurs motivations et leur rapport au voyage, permettant ainsi une mise en perspective des raisons du voyage à Crotone.

Professeur d’archéologie classique à l’Université de Genève, Lorenz Baumer dirige plusieurs chantiers de fouilles, entre autres à Crotone. Il a notamment publié Kult im Kleinen. Studien zu ländlichen Heiligtümern spätarchaischer bis hellenistischer Zeit. Attika – Arkadien – Argolis – Kynouria (Rahden, 2004) et Mémoires de la religion grecque (Paris, 2010). Chargée de cours et chercheuse à l’Unité d’archéologie classique de l’Université de Genève, Patrizia Birchler Emery collabore à plusieurs projets de recherches, à Crotone et à Chypre. Elle enseigne dans les programmes de formation continue en archéologie classique à l’Université de Genève. Elle a notamment publié L’iconographie de la vieillesse en Grèce archaïque : une contribution à l’étude du grand âge (Sarrebruck 2010). Conservateur du Cabinet de numismatique de la Ville de Genève et chargé d’enseignement de l’Université de Genève, Matteo Campagnolo a enseigné les langues classiques et fait partie de l’équipe des éditeurs des Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève. Responsable des trouvailles numismatiques du Canton, il prépare la nouvelle exposition de numismatique du Musée d’art et d’histoire et collabore à la nouvelle édition des Ephemerides de Casaubon.

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BAUMER, BIRCHLER EMERY, CAMPAGNOLO (éds.) LE VOYAGE À CROTONE

La cité de Crotone et son arrière-pays se trouvent au cœur d’un projet de recherches initié par l’Unité d’archéologie classique de l’Université de Genève, en collaboration avec l’Office territorial de Crotone et Sila de la Surintendance pour le patrimoine archéologique de la Calabre.

LORENZ E. BAUMER PATRIZIA BIRCHLER EMERY MATTEO CAMPAGNOLO (éds.)

LE VOYAGE À CROTONE: DÉCOUVRIR LA CALABRE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS KROTON 1

PETER LANG

LE VOYAGE À CROTONE: DÉCOUVRIR LA CALABRE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS

EGeA VOL.1

Direction : Prof. Lorenz E. Baumer (Université de Genève), Prof. Philippe Collombert (Université de Genève) Comité scientifique : M. Michel Aberson (Université de Lausanne), Prof. Mirko Novák (Université de Berne), M. François Queyrel (Directeur d’études, Ecole pratique des Hautes Etudes, Paris)

KROTON 1 Sous-série : Kroton Direction : prof. Lorenz E. Baumer (Université de Genève), M. Domenico Marino (directeur Office territorial de Crotone et de la Sila, Soprintendenza per i Beni Archeologici della Calabria – MIBACT et directeur du Museo Archeologico Nazionale di Crotone)

Série créée avec le soutien de l’Association Hellas et Roma et son comité : JacquesSimon Eggly (président), Benoit de Gorski (vice-président), Jean-Pierre Aeschbach (trésorier), Frederike van der Wielen (secrétaire), Jacques Chamay, Fiorella Cottier, Pierre Daudin, Marisa Perret; réviseurs: Patrick Odier, Hermann Schwyter.

LORENZ E. BAUMER PATRIZIA BIRCHLER EMERY MATTEO CAMPAGNOLO (éds.)

LE VOYAGE À CROTONE: DÉCOUVRIR LA CALABRE DE L’ANTIQUITÉ À NOS JOURS Actes du Colloque international organisé par l’Unité d’archéologie classique du Département des sciences de l’Antiquité, Université de Genève, 11 mai 2012

PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien

Information bibliographique publiée par «Die Deutsche Nationalbibliothek» «Die Deutsche Nationalbibliothek» répertorie cette publication dans la «Deutsche Nationalbibliografie»; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur Internet sous ‹http://dnb.d-nb.de›.

Nous remercions pour leur soutien à l’occasion du colloque et pour la publication du présent ouvrage : la Maison de l’Histoire de l’Université de Genève, la Faculté des lettres et le Département des sciences de l’Antiquité de l’Université de Genève, ainsi que l’Association Hellas et Roma.

ISBN 978-3-0343-1329-2 br. ISSN 2296-8628 br.

ISBN 978-3-0352-0283-0 eBook ISSN 2296-8636 eBook

Cette publication a fait l’objet d’une évaluation par les pairs. © Peter Lang SA, Editions scientifiques internationales, Berne 2015 Hochfeldstrasse 32, CH-3012 Berne, Suisse [email protected], www.peterlang.com Tous droits réservés. Cette publication est protégée dans sa totalité par copyright. Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur le copyright est interdite et punissable sans le consentement explicite de la maison d’édition. Ceci s’applique en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms, ainsi que le stockage et le traitement sous forme électronique. Imprimé en Suisse

Table des matières

Domenico M arino Introduzione

1

M atteo Campagnolo Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage  

3

Camelia A na Chisu Crotonem petemus, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος. Sur la route de Crotone ou Crotone sur la route dans quelques témoignages textuels antiques

13

Salvatore M edaglia Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici. Il Bruzio nelle liste dei theorodokoi

21

Lorenz E. Baumer Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence

51

Stefano Condorelli « To tell you the truth, I wish I were fairly back at Naples ». Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

61

Patrizia Birchler Emery « Nous quittâmes Crotone en regrettant Crotone ». Le voyage au royaume de Naples de Vivant Denon

77

Jan Blanc La Calabre, terre sublime ? Sir William Hamilton et les séismes de Calabre de 1783-1784

89

Emmanuelle Champion-H indy Crotone et Pompéi : des « immortalités » contestées

99

















A nne-Virginie Droz Heinrich Westphal alias Justus Tommasini : Impressions d’un voyageur allemand en Calabre

111

Tatiana Forte George Robert Gissing, un viaggiatore solitario

119

Virginie Nobs Paolo Orsi : l’inventeur de la Grande Grèce

137

Les auteurs

143





Domenico M arino

Introduzione

La serie speciale «Kroton – Etudes Genevoises sur l’Antiquité (EGeA)» apre con questo volume dedicato ai Viaggiatori («Le voyage à Crotone: découvrir la Calabre de l’Antiquité à nos jours»). Si tratta di un primo bilancio della riscoperta dell’antica città di Crotone e dei suoi resti monumentali o sepolti. Buon segno e buona prospettiva per una nuova collana editoriale che si presenta come un viaggio, appunto, nelle attuali ricerche e studi che riguarderanno il territorio dell’antica Kroton, nel senso più ampio del termine. Un’idea questa, nata dalle lunghe e fruttuose discussioni con Lorenz Baumer, che con me condivide la cura editoriale della serie. C’era necessità di questa collana? Certamente sì, alla luce delle attività che si stanno sviluppando in piena collaborazione tra la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Calabria e l’Università di Ginevra. Le iniziative messe in campo, ormai dal 2009, vanno dalle prospezioni di superficie, ai saggi archeologici, alla rilettura della documentazione di vecchi scavi e comportano anche colloqui, mostre con i relativi cataloghi, tesi di dottorato e memorie di master. I giovani ricercatori che contribuiscono alle ricerche in atto, avranno così la possibilità di pubblicare i loro studi e rinnovare, in tal modo, il fascino della storia dell’antica città, per molti aspetti ancora non svelata. Crotone ha molto da dire e questo progetto editoriale si propone di dare spazio e voce a temi ancora inesplorati. Le evidenze archeologiche dell’emporio miceneo sono tuttora inedite e le tracce

della fondazione dell’VIII secolo a. C. chiedono maggiore impegno di ricerca e analisi. Poco si sa del perimetro della città greca e delle sue lunghe mura, talmente poderose da essere citate da Livio, e la collocazione di tutte le necropoli solo ora, grazie a nuovi scavi, sta lentamente definendo l’effettiva estensione della grande città. L’impianto urbanistico della colonia romana si sovrappone, in età repubblicana, agli edifici tardo-ellenistici dell’acropoli di Kroton e si mostra, per merito di recenti indagini, in tutta la sua sorprendente dimensione monumentale. Una città, Crotone, ricordata da tutte le fonti per la sua posizione favorevole sulla costa e per il suo porto, che ne ha favorite la nascita e la continuità ininterrotta di vita. Anche i momenti legati alla nascita e consolidamento della diocesi cristiana di Crotone stanno restituendo edifici e necropoli che danno nuova luce a questi secoli poco conosciuti. Non di meno, l’intero territorio apporta ulteriori novità, per tutto lo sviluppo diacronico delle sue vicende secolari, e ci consente di valutare pienamente lo stretto rapporto che lo ha legato alla città, dal punto di vista sociale, culturale, religioso ed economico. Tra i tanti contesti spicca senz’altro la «città fantasma» di Akerentia, con i suoi monumenti e il suo luminoso paesaggio naturale. Un progetto ambizioso, frutto del lavoro di molti, che confluirà nella serie «Kroton». Una nuova proposta, dunque, che si affaccia sul panorama editoriale internazionale e che si prefigge di essere un lungo viaggio nella storia, fatto di tante mete, di tappe impreviste e di prospettive a volte inaspettate.  

M atteo Campagnolo

Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage  

Il est juste de le rappeler, pour mettre cette recherche en perspective, qu’elle est née dans le cadre d’un vaste projet pluridisciplinaire centré sur de nouvelles recherches archéologiques et historiques visant le développement et la mise en valeur de Crotone et de son arrière-pays. Le projet a été conçu et est dirigé par Lorenz Baumer, le professeur d’archéologie de l’Université de Genève, et Domenico Marino, directeur de l’Office territorial de Crotone et Sila (Surintendance pour les Biens archéologiques de la Calabre). Nous avons mis à disposition nos compétences linguistiques et celles d’historien éditeur de textes. Nous les remercions de l’invitation à y participer et à ouvrir les travaux du colloque consacré au voyage à Crotone. Dans une intervention qui se veut liminaire, nous nous bornerons à tracer quelques pistes en amorçant une réflexion qui doit servir à guider la réalisation d’un recueil de textes des plus complet, introduits, traduits et annotés, ayant pour objet les « Voyageurs et visiteurs à Κρότων, Cotrone, Crotone »1.  



1

Κρότων provient, selon l’étymologie la plus probable, du grec κροτών, –ῶνος, ὁ, ou κρότων, ricinus communis. Au Moyen Age, par une métathèse, la ville vit son nom transformé en Κοτρώνα (déjà chez Grégoire le Grand, Epistolae 2, on lit Cotrona, et Cotronensis est dit l’habitant dans les Dialogi 3.36). Selon nous, dans le cas de la ville de Calabre, la métathèse a été favorisée par une parétymologie populaire qui faisait dériver le nom de la ville de Crotone – impressionnante avec son acropole – du mot grec populaire κοτρόνα (grosse pierre qui dérive, ou, peut-être, a donné κοτρόνι(ον), (petite) pierre, v. Γ. Μ ΠΑΜΠΙΝΙΩΤΗ, Ετυμολογικό Λεξικότής Νέας Ελληνικής Γλώσσας • Ιστορία των λέξεων,

But et plan de la recherche Les voyageurs et les visiteurs à Crotone, que cherchent-ils ? En d’autres mots, quel attrait offre Crotone, quel motif de s’y rendre ? Crotone a certainement attiré les voyageurs depuis sa fondation, vers 710 av. J.-C. C’était la vocation de la ville puisque ses fondateurs mêmes arrivèrent en voyageurs, par la mer, selon le mode des colons grecs, attirés par une prospection de toute évidence prometteuse – quoiqu’en dise la tradition – qui précéda le choix du site2. Le but n’était pas de fonder une escale commerciale, mais de faire de la nouvelle implantation un centre de production agricole; comme les autres colonies achéennes du golfe de Tarente, Crotone a une vocation agraire3. Après les compagnons du héros fondateur, d’autres vinrent à Crotone pour y rester. Le plus célèbre de ceux-ci est Pythagore. Pour les voyageurs qui ne comptaient pas s’y fixer les attraits étaient également multiples. Crotone était connue, en  



Athènes 2012, s. v.). Ce mot est à l’origine du nom des petites villes homonymes de Κότρωνας (ou Κοτρῶνας), Kotronas, dans le Magne (Pélo­ ponnèse), et ailleurs, ou de villages dénommés Κοτρώνι, qui sont nombreux en Grèce. S’il en est ainsi, le nom arabe de Kroton / Kotron, Al Qutrunah, n’est que la traduction arabe du nom de la ville tel qu’il était prononcé par ses habitants au Moyen Age, comme, par exemple, en turc, Constantinople se disait Kostantiniyye. 2 Voir Guzzo 2011, p. 227-245, avec bibliographie récente. 3 Voir Faure 1978, passim; Steinhauer 2009, p. 394395.

4

M atteo Campagnolo

effet, pour son gouvernement basé sur l’en­seigne­ ment du philosophe, pour ses médecins, ses athlètes, dont Milon était le plus célèbre, ainsi que pour le sanctuaire d’Héra Lacinia4. Le souvenir de Pythagore hantait jusqu’à Plutarque, du temps de l’empereur Trajan. A l’époque byzantine, Crotone a eu une importance particulière en tant que port fortifié sur la route de l’Ouest. Plus tard, les rejetons des bonnes familles du Nord de l’Europe ne manquaient pas de l’inclure dans l’accomplissement de leur grand tour pour ses souvenirs classiques. Enfin, sont venus les archéologues. Les auteurs de ces voyages ont laissé non seulement de précieux renseignements sur les monuments de Crotone et des alentours, ils ouvrent une fenêtre sur la vie de ses habitants, qui débouche sur divers axes de recherche dans le domaine culturel, politique, ethnographique. On comprend l’intérêt de réunir une documentation partiellement dispersée et inédite, d’accès parfois difficile, généralement dépourvue d’instruments d’évaluation critique. Cela contribuera à enrichir et à préciser l’image de Crotone que se propose de faire revivre le projet interdisciplinaire susmentionné, en offrant une base de travail fiable. Pour l’Antiquité la réunion des sources est déjà bien engagée : les publications de Pietro Larizza et des anthologistes de l’Université de Reggio de Calabre sont déjà anciennes5. Aujourd’hui, on dispose d’autres ressources d’investigation, qui permettent de reprendre leurs recherches. Le Thesaurus Linguae Graecae en ligne servira de base à un autre volet du projet, la réunion de toutes les mentions de Crotone dans la littérature antique. La fondation de Crotone a été étudiée par le menu6. La connaissance de la biographie de Pythagore et des Pythagoriciens est placée sur

des bases solides7. Il s’agit de continuer ce travail jusqu’à l’époque moderne, jusqu’à aujourd’hui idéalement. Romano Pesavento, enseignant et chercheur local, se consacre depuis un certain temps à réunir les témoignages des voyageurs qui ont laissé un jugement sur leur passage à Crotone et en a tiré une série d’article brefs. Il existe des éditions de journaux de voyage en Calabre par des voyageurs, qui envisagent en général le sujet sous l’angle politico-économique et socio-ethnographique. Il s’agit soit d’éditions anciennes et introuvables, de qualité variable, soit de publications sans prétentions scientifiques, destinées essentiellement à un public local8, sans apparat de notes. Les passages concernant Crotone ne sont pas isolés et analysés. La Raccolta Tursi de textes de voyages, conservée à la Bibliothèque marcienne de Venise, et le Centro Inter­universitario di Ricerche sul Viaggio in Italia de Moncalieri offrent des ressources qu’il importe d’exploiter au mieux, avant de visiter les grandes archives et les grandes bibliothèques en Europe. Une fois réunies, les sources seront étudiées, décrites et replacées dans leur contexte et évaluées dans un cadre général, pour mieux les comprendre et les exploiter. Là aussi, les instruments ont été affinés par des sciences nouvelles ou renouvelées : l’ethnographie, pour commencer, l’histoire de la technique9. Les études de géo­ graphie humaine ont fait de grands progrès, on parle de géographie critique10. Pour la typo­logie des voyageurs, précieuses remarques dans Charmasson éd. 2010, passim, qui se présente « comme un guide des sources pour l’histoire des voyages et des voyageurs du XVIe au XXe siècle » et renvoie pour la période plus ancienne à Voyages en Mé­diterranée de l’Antiquité à nos jours : actes du 128e Congrès national des sociétés histo­riques et scientifiques, Bastia, 2003, Pelle­tier, M., et

4 5 6 7

8



Voir Marasco 1978, p. 111, 153-154. Voir Larizza 1934 ; Kroton : antologia 1984. Ouvrages cités dans Guzzo 2011, p. 227-229. R iedweg 20072 ; Pitagorici antichi 2010.









9 10

La maison d’édition Rubbettino mène dans ce domaine, comme dans d’autres, une politique active de mise en valeur de la Calabre. Qui font les deux l’objet d’un volume de « La Pléiade » (Poirier 1968 ; Gille 1978). Claval 20014 ; Koninck 20014 ; Bailly – Ferras 1997.

5

Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage  

Bergès, L., éds, Paris 2008, et Explorations et voyages scientifiques de l’Antiquité à nos jours : actes du 130 e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, La Rochelle, 2005, Demeulenaere-Douyère, Ch., éd., Paris, 2008. Enfin, des colloques récents entrouvrent des perspectives nouvelles : nous ne citerons que Conte­ stualizzare la « prima coloniz­za­zione ». Archeo­ logia, fonti, cronologia e model­li interpretativi fra l’Italia e il Mediterraneo. In memoria di David Ridg­way (1938-2012), 21-23 juin 2012, Rome, Villa Giulia, co-organisé par les Konink­lijk Nederlands Instituut, Academia Belgica, British School at Rome, et Créer une identité dans l’Anti­ quité : quand, pourquoi, comment ?, organisé à la Fondation Hardt, Vandœuvres, par l’Université de Genève, tenu les 28-29 octobre 2011.  











Limites temporelles et géographiques a) Temporelles : de l’Antiquité à nos jours. b) Géographiques : les textes que nous nous proposons d’étudier proviendront en majeure partie de l’Europe et de la région méditerranéenne.  



Catégories de voyageurs

Limites de la recherche Tout document a son intérêt : textes littéraires, inscriptions, correspondances, journaux de voyage, autant publiés qu’inédits, mais aussi rapports de police, journaux de fouille, etc. Les motifs et les circonstances du voyage ainsi que le background de son auteur feront l’objet d’une présentation et d’une analyse. Les témoignages recueillis seront regroupés selon une répartition thématique dont une liste indicative pourrait être la suivante11 :  



– Géographes – qui ont voyagé – de cabinet – Navigateurs – Marchands – Militaires – Administrateurs – Pèlerins – Religieux – Visites d’évêques – Enquêteurs

11

– Grand tour (avec distinction par siècles) – Cicérones – Artistes – Erudits – Savants – archéologues – Envoyés en mission de reconnaissance – Voyageurs imaginaires – Autres

Plusieurs index en faciliteront l’utilisation.

On examinera comment les voyageurs ont atteint Crotone. Par voie de mer, mais aussi par voie de terre, ou… ni d’une façon ni de l’autre. Selon quel itinéraire ? Les voyageurs suivent des itinéraires que les récits de voyage, mais aussi la connaissance du terrain, contribueront à préciser. Cela permettra de départager les premières grandes catégories de voyageurs, d’opérer des statistiques. Une autre clef de lecture est la place que Crotone occupe dans l’économie du voyage dont on étudie la relation : but du voyage, détour, passage obligé, désiré ou non.  



Méthode Fort de ces constatations, nous voyons un travail en trois phases : recueillir les textes, les munir d’une annotation, voire d’une traduction. Afin que ce travail ait un véritable sens, il faut ensuite « situer » le document dans les conditions de sa production et dans la vie de son auteur. Enfin, il faut le replacer dans le cadre général chronologique et typologique.  





6

M atteo Campagnolo

Voyages et non-voyages Percer les voyageurs à jour La question à se poser est pourquoi tel personnage voyage-t-il, puis pourquoi rédige-t-il le récit de son voyage ? Aujourd’hui, la plupart des gens qui voyagent, le font sans doute pour… voyager, bénéficiaires ou victimes inconscients de la publicité commerciale : faire voyager les gens est devenu une industrie. Comment en allait-il dans l’Antiquité et jusqu’à l’époque moderne ? Longtemps les raisons de voyager furent exclusivement commerciales, militaires et liées aux pèlerinages proches ou lointains, mais déjà au cours des siècles passés, les voyageurs du grand tour suivaient des modes, avec ce qu’elles avaient de contraignant. D’où la nécessité de mettre en perspective les récits et les témoignages que les voyageurs nous ont laissés, en constituant un corpus général, en leur appliquant une critique de fiabilité autant interne qu’externe. Il faut prendre le temps de se plonger dans une époque, la comprendre de l’intérieur. C’est un travail d’historien non dénué de sens de l’humour et de la psychologie des voyageurs. De nos jours, ce serait plutôt le fait du sociologue. Il est sans doute instructif de se demander ce qui se passe aujourd’hui. Est-ce par hasard que le mot « touriste » dérive du Grand Tour, le voyage sans obligations, accompli dans un but de formation par les rejetons de famille, en général nobles, qui en avaient les moyens ? Peu sont les voyageurs, nombreux sont les touristes pressés d’augmenter leur palmarès de destinations diverses et variées; ils ne se rendent pas compte à quel point ils sont manipulés : le voyage qu’ils croient décider librement, leur est en fait dicté, « vendu », comme le disent les « voyagistes », qui ne respectent ainsi même pas les apparences de libre  

















12





Qui lui-même affecte de douter de la liberté du voyageur, même de ses propres voyages : le voyage « est quelque chose qu’on croyait faire mais qui de sa propre autorité ‹ vous fait, ou vous défait › [L’usage du monde, Genève, 1963, p. 12] », cité par Urbain 2008, p. 15-16, lequel affirme préférer à cette concep-

choix du client. Ensuite ils se jettent sur les récits de grands voyageurs à la mode, comme Nicolas Bouvier par exemple12, de voyageurs qui ont su défendre leur indépendance (mais qui voyagent avant tout à l’intérieur d’eux-mêmes), en s’embarquant peut-être pour la première croisière qui soit… Les guides de voyage servent à les confirmer dans la bonté de leur choix. Ils sont rédigés par des professionnels du tourisme, souvent tout juste moins pressés que les voyageurs euxmêmes, quand ils ne s’appuient pas sur des informateurs, maîtres dans l’art d’établir une complicité avec le lecteur. Il semble vous prendre par la main, l’air de vous vouloir du bien. Le problème d’un guide aujourd’hui est qu’il est écrit pour un tourisme de masse, ou peu s’en faut. Il doit satisfaire aux exigences d’une majorité, en indiquant des lieux aptes à les accueillir sans trop de difficultés et avec l’assurance qu’ils ne vont pas trouver à se plaindre ensuite. Avec le résultat que des lieux sont complètement saturés de touristes et pour conséquence une dégradation de la qualité de l’accueil, l’augmentation des prix, la difficul­té de trouver de la place et de se mouvoir, etc. Toute­fois, les voyageurs, les pigeons – ont aurait envie de dire –, continuent obstinément à affluer. On en arrive aujourd’hui à mettre en péril la sécurité et la conservation à long terme des lieux trop fréquentés. D’autres, tout aussi valables, ou peu s’en faut, ne trouvent pas grâce aux yeux des promoteurs touristiques, avec le résultat qu’ils sont injustement délaissés, quand bien même ils pourraient offrir des alternatives valables et diminuer la pression excessive sur d’autres sites. Un article indispensable aujourd’hui dans les bagages de tout voyageur sont les lunettes. En voyageant nous mettons des lunettes : en réalité, nous en portons toujours ! Mêmes les voyageurs qui ont précédé la manie de mettre tout le temps  



tion aliénante du voyage celle offerte par Fernando Pessoa dans Le livre de l’intranquillité de Bernardo Soares, Paris, 1988 [1982], p. 203, que « Les Voyages sont les voyageurs eux-mêmes », c’est-à-dire que « Voyage et voyageur ne font qu’un ».

7

Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage  

des lunettes de soleil en portaient d’autres, mentales : il importe de s’en rendre compte. Au XVIIIe siècle, les voyageurs sont attirés en Calabre par la réputation dont jouissaient les villes de l’Antiquité et ils sont péniblement frappés par la réalité locale13. Il faut dire que cette vision négative des choses, cette incompréhension ne touche pas seulement Crotone et la Calabre. Ainsi, James Sully épingle  

[…] two of the least amiable characteristics of the British traveller in Italy […] : a disparagement of most things Italian, from its climate [!] to its people and their customs, as being immeasurably inferior to the Eng­ lish pattern […] and an unblushing flunkeyism.

Ce qui a pour conséquence qu’ils condamnent tout ce qu’ils ne comprennent pas. Quel contraste avec un voyageur d’une qualité intellectuelle exceptionnelle comme Edward Gibbon estimant qu’une année n’est pas de trop pour préparer un voyage à Rome14 ! Cette disposition d’esprit négative entre dans la catégorie que Jean-Didier Urbain nomme si bien « faillite de la communication » et dans laquelle il identifie « une disposition culturelle – que résume à l’idéal cette perle d’un lycéen : ‹ Dans le monde, il n’y a que la France qui n’est pas un pays étranger › »15.  











   

Décrypter le récit Il découle de ce qui précède que si les souvenirs des voyageurs sont des sources qu’il importe de mettre au service de la recherche, ils ne peuvent être exploités sans autre. Aucun document n’est plus subjectif, partiel et partial que le récit de voyage, donc difficile à exploiter tel quel. Les voyageurs ont beaucoup plus à nous apprendre sur eux-mêmes que sur les lieux qu’ils visitent16. 13 14 15 16 17

Voir aussi les communications qui suivent. Sully 1912, p. 46-48. Urbain 2008, p. 354. Plus ils sont conscients de faire de la littérature, plus il faut être prudent. Voir Denys d’Alexandrie, vv. 369-371 se référant à Crotone. Géographe de l’époque de l’empereur Hadrien. Il compilait des ouvrages de géographie et des récits de voyages, dans le but de fournir à la

Voyageurs de cabinet, ou imaginaires, ou encore virtuels, tantôt difficiles à décoder, tantôt faciles, comme dans la Description de la Terre habitée par Denys d’Alexandrie, le Périégète. Lui, au moins, était clair : il se vantait de n’avoir jamais voyagé ailleurs qu’au travers des rayons de la Bibliothèque d’Alexandrie. Et, selon ses intentions, son ouvrage devint un classique scolaire. Il eut un succès durable dans les écoles, dont témoignent deux traductions anciennes en latin, le commentaire d’Eustathe de Thessalonique et le grand nombre de manuscrits conservés17. Il faut dire que, dans sa compilation, Denys ne se départit pas d’une sobriété convenue, on aurait donc tort de lui en faire le reproche, mais il faudrait se garder de le prendre à témoin de ce qu’il ne pouvait pas savoir. Il y a les voyages que l’on planifie, pour mieux les éviter : au cours de cette journée, le titre d’une communication annonce que l’on va parler d’un voyage à Crotone planifié comme une solution de dernier recours, dans l’espoir de l’éviter18. Si le voyage n’eut pas lieu, le nom de Crotone avait été évoqué : le témoignage, même négatif, peut être enregistré. La critique des sources, réunir les métadonnées des données, les informations sur les informations. Cela peut paraître à la fois évident et inutile. Et pourtant, ce n’est ni anodin, ni toujours facile, comme dans le cas de Denys. Suivent pour conclure quelques réflexions préliminaires à l’étude des voyages et qu’il faudrait intituler « les raisons des voyages et des non-voyages ». Un détour apparent, pour mieux affronter ensuite les récits les plus divers. Tout le monde connaît Marco Polo et le récit de son voyage en Chine. Il Milione, en français le Livre des merveilles du monde, après avoir suscité  







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jeunesse studieuse un manuel facile à retenir (d’où la forme versifiée). Il suivit dans sa description la carte d’Eratosthène, comme son illustre prédécesseur Strabon. Voir infra, Camelia-Ana Chisu, « Crotonem petemus, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος. Sur la route de Crotone ou Crotone sur la route dans quelques témoignages textuels antiques », qui renvoie à Hdt. III, 131, et à Cic. Ep. A. CCCLX (31 mars 49 av. J.-C.).

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l’ébahissement de générations de lecteurs, en vint à être considéré comme une gigantesque fal­ sification par des lecteurs plus subtils. Tout n’y est-il pas excessif et donc suspect ? On en conclut qu’il avait tout inventé, en utilisant les récits des caravaniers que la maison de commerce de sa famille envoyait de Constantinople en Orient. Aujourd’hui, on est généralement revenu sur des positions moins radicales, on admet le fondement historique du récit de Marco Polo et la bonne foi fondamentale de celui-ci. Il est évident que, suivant le parti adopté, on a lu au fil des siècles le récit de Marco Polo avec des yeux très différents… Un autre cas célèbre montre qu’il y a beaucoup à apprendre de l’analyse des récits de voyage, quand bien même ils n’ont pas eu Crotone – même pas mentionnée d’ailleurs – pour but, surtout s’ils ont été écrits par les esprits les plus aigus et pénétrants qui aient vécu. Le baron de Montesquieu fut en vérité un voyageur doué de toutes les qualités requises par Charton chez un voyageur19, comme le prouve le récit de son voyage en Italie, plein d’informations intéressantes et d’analyses pénétrantes : avant même de se mettre en route, il commença par écrire sous forme de lettres le voyage de deux Perses en Europe et en France en particulier20. Dans cette correspondance pseudo-épigraphique, Montesquieu décrivait les réactions des deux voyageurs, en plaçant la France et son époque devant le miroir de l’autoanalyse21. Après avoir composé ce chef-d’œuvre de sociologie appliquée avant la lettre et développé le sens critique du voyageur, Montesquieu observa et décrivit l’Italie qu’il visita jusqu’à Naples avec la même acuité sans pitié. Cela avec une rare indépendance, qui lui venait non seulement de ce qu’il était l’un des esprits les plus aigus qui furent, mais aussi parce qu’il était son propre patron : contrairement

à la plupart des voyageurs de son temps, il ne payait pas son tribut à la mode du grand tour et il n’était pas envoyé par l’une ou l’autre puissance du temps en mission d’exploration22.

Voir infra. Comme son lointain prédécesseur Hérodote (Casson 1974, p. 97-98). Les lettres persanes datent de 1721. Montesquieu voyagea ensuite entre 1728 et 1729. Il rédigea De l’esprit des lois de 1731 à 1748, année de la publica-

tion (voir Montesquieu 19732, Chronologie et ibid., Voyage de Gratz à La Haye, passim). 21 Orlando 1980. 22 Voir Broc 1972; De Seta 1992; Black 1992; Grano 2006; Bertrand 2008. 23 Charton 1861, p. 7.



Le voyagiste Aussi, en étudiant les textes des voyageurs, il faudra se poser les bonnes questions, s’interroger sur la personnalité de ceux qui écrivent, sur leurs buts et leurs moyens, avant de se tourner vers les récits eux-mêmes et les informations qu’ils contiennent. Cela paraît évident, toutefois, trop souvent, on finit, par hâte ou pour d’autres bonnes raisons, par faire juste le contraire, en acceptant les descriptions à leur valeur faciale. Replacer le voyageur dans son contexte, ainsi que le voyage, est tout aussi important que de l’ajouter à notre récolte de sources sur Crotone. En faisant un peu ce que fait aujourd’hui le voyagiste, fin psychologue, sans troubler la paresse mentale de celui qu’il a en face de lui, habitué à ne pas se fatiguer et à voyager dans le seul but de voyager.





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Les conditions désirables pour voyager Les conditions désirables pour voyager au loin, et avec profit, sont la jeunesse, la force physique, l’énergie morale, la fortune, d’utiles recommandations, une instruction solide et variée. Il a suffi à plus d’un voyageur de quelques-uns de ces avantages pour rendre de grands services et devenir célèbre : Hérodote les possédait tous23.

De nos jours tout cela est devenu bien superflu pour voyager, mais ces qualités et conditions ont gardé toute leur valeur au début du XIXe siècle, comme l’ont montré les communications au cours du colloque. Et sans doute encore à l’époque où Charton écrit, dans le cas de voyages particuliers ou d’exploration.

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Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage  

Le grand avantage de s’intéresser aux voyages du passé est que voyager était en général long ou pénible ou coûteux ou risqué, ou les quatre à la fois. Ainsi, les voyageurs devaient avoir des motivations solides… Autre étape, fondamentale : analyser la typologie de chaque voyage, constituer des classes de voyages. Il faut prendre en compte les lieux communs qui risquent de fausser l’appréciation des informations sur les récits fournis par les voyageurs. Par exemple, pour expliquer que beaucoup de voyageurs provenant du Nord n’ont pas poussé leur voyage en Italie plus au Sud que Naples, on invoque la distance24. Que dire alors des voyageurs qui affrontaient un voyage dans un pays deux fois plus lointain, en Terre sainte par exemple ? La distance peut être un critère influant sur un certain type de voyage, mais quand on voit notre mentor, ce même Montesquieu, passer un mois à Venise, dont il ne trouve à dire que du mal, qu’il s’arrête à peine dans des villes artistiquement et historiquement aussi importantes que Padoue, Vicence et Vérone, qu’il prolonge un mois et demi son séjour à Florence, qu’il trouve passionnante, pleine de vie et de richesse et partant lui plaît immensément, on voit que le temps joue un rôle tout relatif dans ses choix. Et son plaisir aussi ! A Vicence il entend parler de Palladio, il admire le Palazzo della Ragione et la place, mais il ne va pas voir le Theatro Olimpico. Si on cherche dans Montesquieu des informations sur les beautés, sur l’importance de Vicence, on risque fort de manquer l’essentiel. En réalité, on aurait tort d’accuser Montesquieu de fourvoyer son lecteur : ce qui intéresse l’auteur De l’Esprit des lois, spécialiste de droit comparé et politologue, comme on dirait aujourd’hui, est la société par rapport au gouvernement; il étudie les potentialités des Etats qu’il visite. C’est dans la capitale qu’il lui faut être : là, il recueille des informations sur l’économie, l’armée, la forme de

gouvernement, il se fait une idée de la santé morale et politico-économique de chaque Etat. Après Rome, Montesquieu se rend à Naples, dernière étape en Italie qu’il considère digne d’attention. Il y visite les alentours immédiats et si particuliers, ensuite, ayant tout compris de l’Italie, il repart. Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas un sentimental, il ne s’intéresse pas aux gloires passées. Winckelmann n’était pas encore venu rendre l’Antiquité attrayante … Il serait donc sot d’accuser Montesquieu d’avoir négligé la visite de la Grande Grèce et de la Sicile. Remontons un bon siècle plus tôt à la rencontre du grand helléniste Isaac Casaubon (1559-1614), le plus grand de son temps25, un des plus grands de tous les temps. Rien ne doit lui échapper de ce que les anciens ont écrit. Entend-il parler d’une édition nouvelle, il n’a de cesse qu’il ne l’ait acquise. Il est capable de payer un copiste pour se procurer un inédit, lui qui n’est pas riche et qui a constamment des soucis d’argent. On a peine à croire que pour un homme aussi soucieux de tout savoir sur la civilisation antique voyager n’est strictement et absolument qu’un exercice détestable, auquel on ne se résout que par obligation. Les dangers, les taxes, l’inconfort sont de tous les instants26. Ce qui nous paraît particulièrement décevant c’est que, appelé de Genève à Montpellier pour y relever l’université, dans cette Provence dont la côte avait été colonisée par les Grecs, ses chers Grecs, avant de l’être par les Romains, il n’a aucune curiosité, mais absolument aucune, de retrouver les sites occupés par les anciens colons. Et de voir les ruines, fussent-elles impressionnantes, comme le pont du Gard, qu’il consent exceptionnellement à visiter en faisant un détour. Pour Casaubon, ce genre d’exercice est, à part les considérations que nous venons de faire, une perte de temps, au mieux un ὁδοῦ πάρεργον, un à-côté, pardonnable en période de « vacances ». L’archéologie n’a pas encore été « inventée »27.

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On verra aussi la vraie raison, illustrée avec pertinence, dans la communication d’Anne-Virginie Droz-dit-Busset. Cf. aussi, ci-dessous, l’analyse du voyage de Montesquieu en Italie. Selon Joseph-Juste Scaliger, cité dans Campagnolo 2005, p. 718.





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Comme il ressort de son journal, les Ephemerides, texte critique, annotation et traduction, Campagnolo, M., et Rey, A.-L., éds, en préparation. Parenty 2009, p. 101 ss.

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Quel détour pour parler de voyageurs à Crotone ! Justement, il nous semblait important, en profitant mutatis mutandis de l’exemple de Montesquieu et de Casaubon, de montrer qu’il faut avant tout prendre du recul et de la hauteur, si l’on veut non simplement inventorier les récits de voyage à Crotone, ou les mentions de la ville, mais comprendre les raisons d’un voyage, différentes à chaque époque, et presque d’un voyageur à l’autre. Il faut, oserions-nous dire, savoir à l’avance ce que le voyageur va voir et va raconter. Que voulons-nous dire par là ? Ces non-voyages, dans une perspective globale, peuvent être presque aussi intéressants que les voyages effectifs et surtout, ils sont plus difficiles à détecter, car ils ne mentionnent en général pas28 – c’est normal – le lieu de non-destination. Nous donnons à l’expression non-voyage un sens beaucoup plus vaste que Pierre Bayard, dans son Comment parler des lieux où l’on n’a pas été29. Pour nous, comme on l’aura compris, il ne s’agit pas seulement des lieux que l’on prétend avoir visité, sans avoir bougé de chez soi, mais des visites manquées, suite à toute sorte d’empêchement, et surtout, des cas où on a estimé qu’une visite était inutile, superflue, non souhaitable.  

Bibliographie

Il faudra tenir compte de tous ces cas de figures en se penchant sur la documentation relative aux voyages et aux voyageurs. La connaissance de la géographie et les techniques anciennes de navigation offrent des points d’ancrage incontournables et solides pour apprécier les informations que les voyageurs ont fourni. Pour conclure, nous voyagerons mieux nous aussi à Crotone, si nous écrivons nous-mêmes quelques « lettres persanes », nous plaçant à l’époque et dans la situation des voyageurs dont nous sommes appelés tour à tour à analyser les traces ou les informations qu’ils ont laissées. Sans négliger, comme Casaubon, la connaissance du terrain.

Bailly 20014 : Bailly, A., éd., Les concepts de la géogra­ phie humaine, Paris, 19984 (éd. rev. et augm.). Bailly – Ferras 1997 : Bailly, A. – Ferras, R., Eléments d’épistémologie de la géographie, Paris, 1997. Bertrand 2008 : Bertrand, G., Le grand tour revisité – Pour une archéologie du tourisme : le voyage des Français en Italie (milieu XVIII e siècle – début XIXe siècle), Rome, 2008 (« collection de l’école Française de Rome, 398 »). Black 1992 : Black, J., The British Abroad : the Grand Tour in the Eighteenth Century, Londres, 1992. Broc 1972 : Broc, N., La Géographie des philosophes : géographes et voyageurs français au XVIII e siècle, Montpellier, 1972 (thèse, université de Montpellier). Campagnolo 2005 : Campagnolo, M., « Isaac Casaubon étudiant de Théodore de Bèze », κορυφαίῳ Ἀνδρί. Mélanges offerts à André Hurst, Genève, 2005. Casson 1974 : Casson, L., Travel in the Ancient World, Sidney, 1974. Charmasson 2010 : Charmasson, Th. (éd.), Voyages et voyageurs. Sources pour l’histoire des voyages, Paris, 2010. Charton 1861 : Charton, Ed., Voyageurs anciens et mo­ dernes, Paris 1861, t. Ier. Claval 20014 : Claval, P., « Histoire de la géographie », dans Bailly 20014, p. 37-49. Denys d’Alexandrie : Dionisio di Alessandria, Descrizione della terra abitata, Amato, Eu., et Coccaro Andreou, F., (éds), Milan, 2005. De Seta 1992 : De Seta, C., L’Italia del Grand tour da Mon­ taigne a Goethe, Naples, 1982. Faure 1978 : Faure, P., La vie quotidienne des colons grecs : de la mer Noire à l’Atlantique au siècle de Pythagore, VIe siècle avant J.-C., Paris, 1978. Gille 1978 : Gille, B. (éd.), Histoire des techniques, Encyclopédie de la Pléiade, 1978. Grano 2006 : Grano, Br., Crotone tra Grand Tour, avven­ tura, guerra, Reggio Calabria, 2006 Guzzo 2011 : Guzzo, P. G., Fondazioni greche. L’Italia meridionale e la Sicilia (VIII e VII sec. a.C.), Roma, 2011. Koninck 20014 : Koninck, R. de, « La géographie critique », dans Bailly 20014, p. 185-198. Kroton : antologia 1984 : Kroton : antologia di scritti su Crotone antica, Reggio Calabria, 1984. Larizza 1934 : Larizza, P., Crotone nella Magna Grecia : ricostruzione storica e geografica dalle fonti grecoromane. Con rapido prospetto introduttivo sulla geologia e preistoria italo-greca, Reggio Calabria, 1934 + 18 pl. et carte.

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Contrairement à Cicéron.



Paris, 2012.

Aller à Crotone à travers les siècles : les raisons d’un voyage  

Marasco 1978 : Marasco, G., I viaggi nella Grecia antica, Roma, 1978 (« Bibliotheca Athena 22 »). Montesquieu 19732 : Montesquieu, Œuvres complètes, Roger Caillois éd., Paris, 19732 (« Bibliothèque de La Pléiade »). Orlando 1980 : Orlando, Fr., « Rhétorique des Lumières et dénégation freudienne (Montesquieu : Lettres persanes) », Poétique 41, février 1980, p. 78-89. Parenty 2009 : Parenty, H., Isaac Casaubon helléniste : Des studia humanitatis à la philologie, Genève, 2009. Pitagorici antichi 2010 : Pitagorici antichi : testimonianze e frammenti, (Timpanaro Cardini, M. (éd.), bibl. et

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Camelia A na Chisu

Crotonem petemus1, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος2. Sur la route de Crotone ou Crotone sur la route dans quelques témoignages textuels antiques Devant l’ambitieux projet proposé par Matteo Campagnolo, cette contribution sur le voyage à Crotone sera bien modeste. En effet, elle s’inscrit dans la première étape du vaste chantier d’exploration des sources littéraires anciennes – grecques et latines – sur Crotone qui fait l’objet de nos investigations actuelles. A ce point, on tentera seulement d’illustrer quelques formes de voyage concernant Crotone, d’une part, dans le temps du mythe et de la légende, celui des « commencements », d’autre part, dans le cadre des époques « historiques ». Bien que ces recherches soient en phase initiale, il est déjà évident que le voyage, sous ses différentes formes, constituera un paramètre central pour l’étude future de l’histoire de Crotone, en particulier pour l’examen des concepts d’échange et de transfert culturels, et que, par conséquent, il occupera une place de choix dans nos travaux à venir. En parcourant les textes et la bibliographie critique, on est marqué par un certain nombre d’éléments qui méritent attention. On est d’abord frappé par l’absence d’expérience directe de voyage ou de passage à Crotone chez les divers auteurs antiques qui mentionnent Crotone dans leurs textes. Ainsi, par exemple, les « grands voyageurs », historiens, explorateurs ou géo 











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L’auteure de l’article remercie chaleureusement Patrizia Birchler Emery et Salvatore Medaglia pour leurs conseils et suggestions. Cic. Att. 9.19.3. Hdt. 3.132. Casson 1979, André-Baslez 1993, Von M artels 1994, Constable 2003, Duchêne 2003, Elsner-

graphes de l’Antiquité (Hérodote, Pausanias, Denys le Périégète, Strabon – sans parler d’Hannon, de Xénophon ou d’Arrien, pour qui la région reste étrangère) livrent de l’information indirecte dans le temps et dans l’espace, sans caractère autobiographique, et ces sources ne transmettent pas réellement d’impressions de voyage et des relations de visu (par exemple, Hérodote a pu recueillir des informations sur Crotone lors de son passage à Thurioi en 444 av. J.-C., mais n’est pas allé voir ce fleuron de l’Antiquité). Serait-ce peut-être la raison pour laquelle on remarque la quasi-absence de mentions de Crotone dans de nombreuses études dédiées au voyage dans l’Antiquité gréco-romaine et en Méditerranée3 ? Les colloques et les titres sur ces sujets se multiplient, mais paradoxalement Crotone, que l’on pourrait imaginer comme étant une destination de choix, ne s’y retrouve que rarement. Le contraste est important avec d’autres cités de l’Italie du Sud qui y ont leur place (Syracuse, Rhégion, Tarente). Et enfin, en avançant avec les recherches sur les textes antiques, on a pu constater, que, en réalité, bon nombre des types de voyage classifiés et théorisés par ces auteurs correspondent tout à fait à ce que l’on peut attendre effectivement dans le cas de Crotone.  

Rutherford 2005, Soler 2005, A dams-Roy 2007, Gosch-Stearns 2008, Hunter 2008, Le Bohec 2008, Pelletier 2008, Dinet-GrandhommeLaboulais 2010, Whitfield 2011. On ne prend pas en compte ici les études concernant directement Crotone, ses habitants illustres (Pythagore, Milon, Démocédès) ou la Grande Grèce.

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2. Des voyages réels, en considérant des faits et des personnages « historiques », impliquant soit des personnalités du monde antique (Pythagore, Milon, Hannibal etc.), soit des déplacements exigés par la vie quotidienne. En détaillant

cette dernière catégorie, on retient plusieurs niveaux, en fonction des raisons du voyage7. Il y a d’abord les mouvements de populations, en allant de l’époque des indigènes, autochtones ou non, jusqu’à la christianisation et à l’époque byzantine, en passant par la colonisation grecque et par la romanisation. Il y a également les déplacements professionnels, dont certains sont des aller-retour. Les voyageurs sont des politiques et des ambassadeurs en déplacement officiel ou présents à des réunions. Il faut rappeler que la Ligue italiote a eu son siège au temple même d’Héra Lacinia à Crotone. Le voyage était donc vital pour l’entretien des relations avec les voisins, avec la Grèce et avec les propres colonies de la cité antique. Les voyageurs sont aussi des militaires (simples soldats, mercenaires, commandants, comme les tyrans de Sicile, Hannibal ou les gouverneurs romains). Ils sont encore des messagers, car toute correspondance suppose un voyage. Ils sont des marchands ou des artisans, des acteurs de la vie économique. Il y a les dé­ place­ments des célèbres médecins crotoniates, dont le parcours exceptionnel de Démocédès8, ceux des artistes, comme celui de Zeuxis d’Héraclée, le peintre invité par les Crotoniates à embellir le temple d’Héra Lacinia9, et des amuseurs itinérants. Il y a aussi les nombreux participants aux festivals et aux Jeux et les athlètes, dont Milon de Crotone, réputé pour sa force physique surhumaine10. Ces dernières situations font le passage entre les voyages à caractère professionnel et ceux de plaisance, culturels, d’exploration, de recherche ou d’études, comme ceux autour de l’école de Pythagore, lui-même un « intellectuel itinérant »11, initiateur et pratiquant de la « philoso-

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On n’insistera pas ici sur les atouts naturels de cette cité antique, qui ont pu favoriser son développement – et peut-être entraîner sa chute –, ni sur les moyens ou l’infrastructure de transport disponibles dans la région de Crotone. Il est bien établi qu’elle jouit d’une situation géographique privilégiée (d’un point de vue, dans une termi­ nologie actuelle, géopolitique, géoéconomique, géostratégique), avec une chora dotée d’un relief varié et fertile, propice à l’agriculture, riche en ressources naturelles (bois, métaux, sel gemme) et accessible tant par les voies terrestres que par celles maritimes (l’existence du port de Crotone étant attestée)4. Mais il semble intéressant, en faisant suite aux observations précédentes et par le recoupement des sources textuelles (en particulier, latines) avec les typologies opérées par la critique du voyage antique, de passer en revue quelques types de voyages impliquant Crotone, dans une classification sans doute non-exhaustive :  

1. Des voyages mythiques et légendaires, notamment dans le cas des mythes de fondation, déclinés en plusieurs versions et ayant au centre des figures comme Myscélos, Héraclès ou Philoctète, mais également d’autres passages dans la région, comme celui de Ménélas (chez Lycophron, dans son énigmatique Alexandra5) ou d’Enée (dans l’Enéide de Virgile6), bien que ces derniers auteurs ne nomment pas Crotone explicitement.



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Pour les réseaux de transport en Grande Grèce, cf. Vie di Magna Grecia, Atti II Conv. Studi Magna Grecia, Naples, 1963, en particulier, K irsten 1963 et Vallet 1963. Lyc. 859-865. Verg. Aen. 3.551-553. Cf. les catégories postulées par les études mentionnées dans la note 3, en particulier, la synthèse de Le Bohec 2008, « Voyager dans l’Antiquité : en guise d’introduction », p. 5-9.





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Parcours détaillé par Hdt. 3, en particulier 125-137. Dans la lignée des intellectuels voyageurs, ce célèbre médecin a partagé un destin comparable à celui de Pythagore en parcourant le monde et en étoffant sa carrière. Il a fait l’objet d’une étude pour la première fois en 1921 (Houdry 1921). Cic. Inv. 2.1.1-3. Pour Milon de Crotone voyageur, cf. VisaOndarcuhu 1997. Selon l’expression d’André-Baslez 1993, p. 224.

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Crotonem petemus, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος

phie du voyage »12, et des habiles médecins crotoniates. Selon les Vies de Pythagore de Diogène Laërce et de Jamblique, les jeunes des cités voisines se rendent à Crotone pour s’enrichir en connaissances. Ils viennent aussi de Sicile13, voire de plus loin. Une catégorie spéciale est constituée par les voyages à caractère religieux : les Crotoniates consultent systématiquement l’oracle de Delphes14 (pour Justin, en situation de danger, les Crotoniates sont « les premiers à consulter l’oracle de Delphes »15) ou envoient des représentants à Epidaure16. En sens inverse, si l’on concède une vocation pan-italiote ou même panhellénique au sanctuaire d’Héra Lacinia, on peut imaginer des « pèle­ ri­nages » dans la région de Crotone. Certes, on utilise un terme tardif et opérant pour un contexte chrétien17, mais très parlant dans le cas de ce temple « saint pour tous les peuples alentours » (sanctum omnibus circa populis18). Pour (Pseudo-)Aristote19, le temple représente un centre pour tous les Italiotes (πάντες Ἰταλιῶται), qui s’y réunissent pour la πανήγυρις d’Héra Lacinia. Crotone se révèle ainsi comme le cadre idéal pour un phénomène de « tourisme sacré » de masse avant la lettre. On rappelle aussi les voyages à caractère nonvolontaire, faits sous la contrainte et issus de l’esclavage, de la défaite de guerre ou de la condamnation à l’exil, pratiques habituelles pour l’Antiquité gréco-romaine (il y a l’exil à Crotone, comme celui de Pythagore ou comme celui projeté de Cicéron dans la Lettre à Atticus mentionnée à la note 1, ou bien l’exil de Crotone, comme celui du même Pythagore, ou, à plus grande échelle, celui des Crotoniates massivement transférés à Locres en 21620).

3. Des voyages fictionnels, de type Satyrica, chez Pétrone, de récréation, d’exploration et d’aventures, une sorte de « docu-fiction » avec laquelle on hésite entre le possible et l’imaginable. Plutôt qu’une tentative de synthèse, irréalisable pour l’instant, et à travers des éléments linguistiques liés à une thématique de voyage (entre « aller à / naviguer vers Crotone », « séjourner à Crotone », « partir de / fuir / s’éloigner / s’exiler de Crotone »), on a procédé à une sélection de textes qui illustrent la diversité des formes de voyage crotoniate. On pourra ainsi voir comment des textes d’intention et de facture très diverses, la plupart non dédiés au voyage, véhiculent une thématique de voyage et emploient un vocabulaire adapté. On a choisi quelques passages qui pourront bien montrer que Crotone n’est pas uniquement une destination, mais également une source, un point de départ en voyage, tout aussi bien qu’un lieu de passage, un nœud terrestre et marin. Car il faut tenir compte des multiples facettes des voyages à, des stationnements ou passages par ou des départs de Crotone (variable en fonction de la direction du mouvement), voyages qui peuvent même connaître des intersections et des superpositions. Le premier texte, malgré une description géographique assez réaliste, appartient essentiellement au domaine mythique et légendaire (il concerne Héraclès, Myscélos, Numa et Pythagore). Les passages suivants retracent les errances de Pythagore. Ensuite, on arrivera à Crotone à travers les yeux des voyageurs de Pétrone. Pour finir, on passera en revue deux mentions dans des descriptions géographiques, dans un périple et sur une carte.

12 André-Baslez 1993, p. 283. 13 Voir la deuxième Lettre d’Anaximène de Milet à Pythagore : Σὺ δὲ εἶ καταθύμιος μὲν Κροτωνιήτῃσι, καταθύμιος δὲ καὶ τοῖσι ἄλλοισι Ἰταλιώτῃσι· φοιτέουσι δέ τοι λεσχηνῶται καὶ ἐκ Σικελίης (éd. M. Marcovich) : « Mais toi, tu es désiré par les Crotoniates, désiré également par les autres Italiotes ; des disciples s’empressent pour t’écouter, en venant même depuis la Sicile. » 14 Cf. Jacquemin-Laroche 1990, p. 322 : « Le choix du trépied, symbole du dieu, siège de l’oracle et emblème monétaire de Crotone, est particulièrement heureux

pour une cité qui, d’après la tradition, consulta souvent la Pythie ». Iust. Epit. 20.2.5. D’ailleurs, l’intervention de Salvatore Medaglia dans le cadre de ce colloque aborde le positionnement de Crotone en rapport avec les theoroi. Pour une analyse très efficace des formes du pèlerinage antique, cf. Elsner-Rutherford 2005. Liv. 24.3.3. Mir. 96 (838a18). Liv. 24.3.15.





































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On commence ce parcours crotoniate avec une variante latine du mythe fondateur de Crotone, celle des Métamorphoses d’Ovide. En effet, avant d’aborder la personnalité de Pythagore au début de son livre 15, le poète raconte le voyage d’ex­ ploration du roi Numa dans la cité crotoniate, en relatant la naissance mythique de la cité qui a accueilli et abrité le philosophe, après son « grand tour » que l’on détaillera dans la suite21. Dans un même passage (Ov. Met. 15.7-25 et 53-62), on relève une série de voyages, un enchevêtrement de voyageurs, dont les motivations sont très différentes :

repos (on pourrait dire « transite ») chez Croton (le héros éponyme par la suite, qui remplit bien son devoir d’accueil de l’étranger, de xenia) :  







vv. 12-18, Héraclès chez son hôte Croton :  

‘Dives ab Oceano bubus Iove natus Hiberis litora felici tenuisse Lacinia cursu fertur et armento teneras errante per herbas ipse domum magni nec inhospita tecta Crotonis intrasse et requie longum relevasse laborem atque ita discedens, ‘aevo’ dixisse ‘nepotum hic locus urbis erit’, promissaque vera fuerunt’







Numa – le roi légendaire de Rome, qui, animé par sa curiosité intellectuelle et par un ardent désir d’apprendre et de comprendre les mystères de la nature, se lance dans un voyage de recherche sur les traces de Pythagore. La chronologie de ce voyage est en réalité des plus improbables, mais il constitue une projection intéressante d’un « voyage d’études » à Crotone, malgré l’anachronisme relevé déjà par Plutarque et par Tite-Live (puisque Numa est supposé avoir vécu bien avant Pythagore). Numa sera guidé par le savoir d’un vieillard du coin, véhicule typique de la mémoire vivante de la région22 :  







« On dit que, en partant de l’Océan enrichi avec les bœufs d’Ibérie, le fils de Jupiter a atteint les côtes laciniennes après un voyage fructueux. Et, pendant que son troupeau errait dans les herbes tendres, luimême entra dans la maison hospitalière du grand Croton et se reposa après son grand effort. Et en partant il dit ainsi : ‹ Cet endroit sera celui d’une ville au temps de nos petits-fils ›. Et ses promesses se révélèrent vraies ».

vv. 7-11, Numa à Crotone :  

L’Argien Myscélos, fils d’Alémon – celui qui a été choisi par Héraclès, qui effectue le voyage de fondation et qui posera les bases de la nouvelle cité (vv. 19-25). Tout cela appartient à un temps lointain, illo aevo, le temps mythique, dont fertur et fama établissent à la fois la distance et la tradition.

huius amor curae patria Curibusque relictis fecit, ut Herculei penetraret ad hospitis urbem ; Graia quis Italicis auctor posuisset in oris moenia, quaerenti sic e senioribus unus rettulit indigenis veteris non inscius aevi. (éd. W. S. Anderson)

vv. 53-59, fondation par Myscélos et toponyme Crotone :  

‘vixque pererratis, quae spectant litora, terris invenit Aesarei fatalia fluminis ora nec procul hinc tumulum, sub quo sacrata Crotonis ossa tegebat humus, iussaque ibi moenia terra condidit et nomen tumulati traxit in urbem.’ talia constabat certa primordia fama esse loci positaeque Italis in finibus urbis.

« L’intérêt [de Numa] pour ces choses a fait que, en quittant Cures (et) sa patrie, il pénétra dans la ville de l’hôte d’Héraclès [Croton]. Quand il demanda qui était le créateur de ces remparts grecs sur les côtes ita­liques, l’un des vieillards originaires du pays, bon con­ naisseur de l’époque ancienne, lui raconta ainsi »23.

‹ Et à peine traversa-t-il les terres qui donnent sur les côtes, qu’il arriva à l’ouverture de la rivière Esar, destinée pour lui, et, non loin de là, il trouva un tombeau, sous lequel la terre recouvrait les ossements sacrés de Croton. Et c’est là, sur la terre où on lui avait demandé de le faire, qu’il a fondé l’enceinte et il

Héraclès – le voyageur par excellence, qui arrive, part et revient symboliquement à travers sa promesse tenue ; il fait un passage et prend du  

21 Pour une analyse récente de ce passage comme mythe de fondation, cf. Nikolopoulos 2006. 22 Cf. Segal 2001, p. 71 : « This framing narrative […] is told by a knowledgeable elder as the voice of the tradition », une voix identifiée avec fama dans la suite.

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Les traductions des textes grecs et latins (extraits majoritairement des éditions Teubner) appartiennent à l’auteure de l’article.

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Crotonem petemus, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος

a transféré le nom de celui qui y était enterré [Croton] à la nouvelle cité. › Une tradition certaine disait que telles étaient les origines de cet endroit et de la ville érigée en territoire italien.

un inventaire des voyages de Pythagore, jusqu’à son arrivée à Crotone26 :  

Οὗτος ἤκουσε μέν, καθὰ προείρηται, Φερεκύδου τοῦ Συρίου· μετὰ δὲ τὴν ἐκείνου τελευτὴν ἧκεν εἰς Σάμον καὶ ἤκουσεν Ἑρμοδάμαντος τοῦ ἀπογόνου Κρεωφύλου, ἤδη πρεσβυτέρου. Νέος δ’ ὢν καὶ φιλομαθὴς ἀπεδήμησε τῆς πατρίδος καὶ πάσας ἐμυήθη τάς τε Ἑλληνικὰς καὶ βαρβάρους τελετάς. Ἐγένετο οὖν ἐν Αἰγύπτῳ, ὁπηνίκα καὶ Πολυκρά­­της αὐτὸν Ἀμάσιδι συνέστησε δι’ ἐπιστολῆς· καὶ ἐξέμαθε τὴν φωνὴν αὐτῶν […] Καὶ παρὰ Χαλδαίοις ἐγένετο καὶ Μάγοις. Εἶτα ἐν Κρήτῃ σὺν Ἐπιμενίδῃ κατῆλθεν εἰς τὸ Ἰδαῖον ἄντρον· ἀλλὰ καὶ ἐν Αἰγύπτῳ εἰς τὰ ἄδυτα […]. Εἶτα ἐπανῆλθεν εἰς Σάμον, καὶ εὑρὼν τὴν πατρίδα τυραννουμένην ὑπὸ Πολυκρά­ τους, ἀπῆρεν εἰς Κρότωνα τῆς Ἰταλίας· (Diog. Laer. Vit. [Pyth.] 8.2-3, éd. M. Marcovich)

Pythagore – le philosophe originaire de Samos, qui s’installe à Crotone comme un exilé volontaire (exsul sponte erat), connaissant un parcours d’apprentissage, d’initiation, voire d’élévation parmi les dieux, et d’enseignement :  

vv. 60-62, exil de Pythagore à Crotone :





Vir fuit hic ortu Samius ; sed fugerat una et Samon et dominos odioque tyrannidis exul sponte erat. « Il y avait là un homme originaire de l’île de Samos qui avait fui à la fois l’île et ses dirigeants par horreur de la tyrannie et qui s’était exilé de son propre gré ».

En passant toutefois avec Pythagore vers le domaine d’une existence réelle, attestée, voyons à présent comment d’autres auteurs relatent l’arrivée, le stationnement et le séjour ou le départ de Pythagore à et de Crotone (ou bien les trois à la fois), tout un gardant à l’esprit le caractère semidivin que certains ont tendance à attribuer à ce « grand voyageur »24. En réalité, il y a de nombreuses contradictions sur l’origine, les voyages, le décès de Pythagore (il serait non-grec, il y a confusion sur les endroits qu’il a visités, il serait mort à Crotone, à Métaponte ou même à Agrigente25). Les sources sont nombreuses et on rappelle ici les deux Vies de Pythagore (Diogène Laërce, Vie des philosophes, 8, et Jamblique, Vie de Pythagore), en particulier. Lisons Diogène Laërce. L’introduction sur les origines quelque peu obscures du philosophe (doute sur sa filiation, fils de Mnésarque ou de Marmakos, tyrrhénien ou samien), est suivie par  

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« Selon ce que l’on dit, il [Pythagore] a d’abord été disciple de Phérécyde de Syros. Après sa mort, il s’en alla à Samos et fut disciple d’Hermodamas, descendant de Créophyle, déjà plus vieux. Etant jeune et désireux de s’instruire, il s’est éloigné de sa patrie et fut initié à tous les mystères grecs et barbares. Il est ainsi allé en Egypte, lorsque Polycrate le mit en relation avec Amasis par une lettre. Il a appris leur langue […]. Il est aussi allé chez les Chaldéens et chez les Mages. Ensuite, en Crète, il est descendu avec Epiménide dans la grotte de l’Ida, tout comme il avait fait en Egypte avec les lieux sacrés […]. Il est ensuite rentré à Samos, et, trouvant son pays sous le joug du tyran Polycrate, s’est exilé à Crotone, en Italie ».



En effet, Pythagore enchaîne les voyages de type initiatique, cf. André-Baslez 1993, p. 283. D’après plusieurs sources, Pythagore a fini ses jours après avoir subi un nouvel exil en allant de Crotone à Métaponte, cf. Iust. Epit. 20.4.17-18 : Pythagoras autem quum annos XX Crotone egisset, Metapontum migravit, ibique decessit ; cuius tanta admiratio fuit, ut ex domo ejus templum facerent, eumque pro deo colerent. (éd. O. Seel) : « Mais après avoir passé vingt ans à Crotone, Pythagore l’a quittée pour s’installer à

Dans le registre du voyage fictionnel, il y a celui imaginé par Pétrone dans les Satyrica, un « roman d’aventures », anecdotique, du Ier siècle apr. J.-C., relatant les péripéties d’un groupe d’amis en Italie du Sud, en particulier à Crotone. Rédigé à la première personne du singulier (la voix d’Encolpe) autour d’un groupe d’amis qui entreprennent un voyage d’agrément, comme des touristes modernes, et qui débarquent à Crotone dans des conditions dramatiques27, il ironise sur  



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Métaponte et c’est là qu’il mourut. Il y a été tellement admiré, qu’on a transformé sa maison en temple et on l’a vénéré comme un dieu ». Pour une mort de Pythagore à Agrigente, cf. Diog. Laer. Vit. [Pyth.] 8.40 et 45. Dans ses Florides (15), Apulée amplifie même l’espace géographique des voyages de Pythagore, cf. André-Baslez 1993, p. 283-284. Sur le naufrage et l’arrivée mouvementée des voyageurs à Crotone, cf. Lago 2004 et Patimo 2007.

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Camelia A na Chisu

les chasseurs d’héritages dans une société crotoniate décadente et dépourvue de moralité. Cela, dans une cité jadis opulente et même première en Italie. Par la voix d’un campagnard28, les voyageurs apprennent et prennent ensuite conscience de la déchéance de la ville, devenue le terrain de prédilection de ces chasseurs d’héritages (heredi­ petae), au détriment des gens simples, cultivés et honnêtes, écartés de la vie de la cité. Un monde à l’envers29, dans lequel les voyageurs se prennent au jeu, puisque, une fois les aventuriers installés à Crotone (d’abord dans une auberge modeste, deversorium, et cherchant ensuite un meilleur logement, amplioris fortunae domus30), Eumolpe endosse le rôle d’une personne riche et gagne les faveurs des chasseurs d’héritages pour vivre confortablement. hoc peracto libenter officio destinatum carpimus iter ac momento temporis in montem sudantes conscen­ dimus, ex quo haud procul impositum arce sublimi oppidum cernimus. nec quod esset sciebamus er­ rantes, donec a vilico quodam Crotona esse cognovi­ mus, urbem antiquissimam et aliquando Italiae pri­ mam. […] ‘adibitis’ inquit ‘oppidum tamquam in pestilentia campos, in quibus nihil aliud est nisi ca­ davera quae lacerantur aut corvi qui lacerant.’ (Petr. 116, éd. K. Müller)

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La cité de Crotone est également mentionnée par des géographies, des catalogues des villes grecques sur la côte italienne, des cartes issues d’expéditions, de voyages d’exploration, de compilations, des itinéraires et des guides31. On retient ici deux textes, distancés par une fourchette temporelle importante, car on évoquera la « première géographie qui nous soit parvenue dans son intégralité »32 et ensuite une carte tardive qui mentionne une forme particulière du toponyme Crotone. La première appartient à un texte connu sous le nom de Pseudo-Scylax et datant du IVe-IIIe siècle av. J.-C. L’authenticité de ce passage est en doute, s’agissant probablement d’une interpolation tardive33. En l’absence d’une carte précise de son περίπλους (circumnavigatio, guide ou itinéraire), il est possible de suivre les points de passage uniquement sur une carte générale de la Magna Graecia. On peut ainsi refaire de façon précise, mais virtuelle, son parcours, fascinant par la présence du détail sur l’île de Calypso et, implicitement, sur les errances d’Ulysse :  





Ἐπάνειμι δὲ πάλιν ἐπὶ τὴν ἤπειρον, ὅθεν ἐξετραπόμην. Ἀπὸ γὰρ Ῥηγίου πόλεις εἰσὶν αἵδε· Λοκροὶ, Καυλωνία, Κρότων, Λακίνιον ἱερὸν Ἥρας καὶ νῆσος Καλυψοῦς, ἐν ᾗ Ὀδυσσεὺς ᾤκει παρὰ Καλυψοῖ, καὶ ποταμὸς Κρᾶθις καὶ Σύβαρις καὶ Θουρία πόλις. Οὗτοι ἐν τῇ Λευκανίᾳ Ἕλληνες. (Scyl. 13, éd. K. Müller)

« Ayant accompli ce devoir de bon cœur, nous suivons le chemin prévu et, en un instant et tout couverts de sueur, arrivons au sommet d’une montagne, d’où nous voyons clairement, non loin de là, une cité située sur un lieu très élevé. Et, comme nous errions, nous ne savions pas quelle était cette cité, jusqu’au moment où nous avons appris par un campagnard qu’il s’agissait de Crotone, ville très ancienne et autrefois la première de l’Italie. […] ‹ Vous arriverez, dit-il, dans une ville semblable aux champs en proie à la peste, où il n’y a rien d’autre que des cadavres qui se font dévorer ou des corbeaux qui les dévorent ›. »

« Mais je reviens au continent, duquel je me suis détourné. A partir de Rhegium, on trouve les villes suivantes : Locres, Caulonia, Crotone, le Lacinium, temple d’Héra, et l’île de Calypso, où Ulysse a habité à ses côtés, et le fleuve Crathis, et Sybaris, et la ville de Thurii. Ce sont les Grecs qui habitent en Lucanie ».

Le type de personnage-vecteur du savoir local également présent dans Les Métamorphoses d’Ovide ; cf. supra, note 22. Cf. également R indi 1980, p. 122 : « in particolare è tipica la figura dell’anonimo vilicus, nel suo ruolo di narratore delle vicende della città agli ignari stranieri ». Voir Fedeli 1987. Petr. 124. Dans ce contexte géographique, on rappelle la mention de Crotone par des auteurs latins comme Avie-

nus (Descriptio orbis terrae), Mela (De chorogra­ phia) ou Priscien (Periegesis), par Itineraria Anto­ nini Augusti et par des auteurs grecs comme Denys le Périégète (Orbis descriptio), Etienne de Byzance (Ethnica) ou Strabon (Geographica). Counillon 2004, p. 11. Inspirée peut-être par Pline l’Ancien (Nat. Hist. 3.96). Le passage étant controversé et pour une bonne compréhension de cette problématique, on recommande la lecture de l’article Vandermersch 1994.

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Crotonem petemus, ἐκ Κρότωνος ἀπιγμένος

A l’autre extrême temporel, dans la Tabula Peu­ tingeriana (7, 2), une carte dont l’original a été daté de façon approximative au IVe siècle apr. J.-C.34 et dont une copie réalisée à Colmar au cours du XIIIe siècle est conservée à la Bibliothèque nationale autrichienne, on peut lire aisément la variante médiévale (et vraisemblablement hapax) Crontona, placée dans le territoire du Lacinium. A la lumière des divers textes, on constate que la dimension voyage est largement présente dans les sources littéraires antiques sur Crotone, qu’elles soient en poésie ou en prose, épiques, historiques, philosophiques, rhétoriques, biographiques, géographiques, encyclopédiques, du roman ou de la correspondance, ces « genres » pouvant en réalité constituer tout autant de formes possibles d’écriture de voyage35. Si l’on souhaite appliquer ce critère, la cité antique devient un terrain d’études rêvé et la tâche est complexe, car « Sur la route de Crotone ou Crotone sur la route » pourrait constituer l’objet de nouvelles études. Il est donc tôt pour tirer des conclusions définitives sur Crotone et le voyage dans l’Antiquité et on peut, au-delà de nos recherches en cours, exprimer l’espoir d’y aller un jour, sur les pas d’Héraclès, de Pythagore et de tous les autres. Car les pièces crotoniates présentées à travers les images lors de l’exposition de 2010 ont, elles, bien fait la route de Genève.  







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Pour la Tabula Peutingeriana comme compilation d’itinéraires d’époques différentes, cf. Descœudres 2005. Cf. l’Introduction de Von Martels 1994 (« The Eye and the Eyes’s Mind », p. xi-xviii). Dans cette per­ spective inversée et comme un exemple pour le cas

QUCC TAPhA

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Salvatore M edaglia

Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici. Il Bruzio nelle liste dei theorodokoi (IG, IV 1504 = IG, IV2 1, 95 e SGDI, 2580 = BCH 45, 1921, 1-85) Nei documenti epigrafici oggetto di questo studio, provenienti da Epidauro e Delfi, sono elencati, secondo un ordine di tipo geografico, una serie di personaggi che rivestivano la carica della theorodokia con abbinato il nome della città in cui risiedevano. Il compito dei theorodokoi era quello di garantire assistenza e ospitalità ai theo­ roi che, in qualità di sacri ambasciatori, erano inviati dal proprio paese in città straniere al fine di annunciare le solenni festività che sarebbero principiate da lì a pochi mesi nei grandi santuari panellenici1. I theoroi nel portare l’annuncio estendevano alle comunità presso cui si recavano l’invito ufficiale a partecipare a tali feste2. Le liste dei theorodokoi erano certamente conservate negli archivi dei santuari quali documenti amministrativi utili per la pianificazione del viaggio dei theoroi; una copia della lista, però, era eternata su pietra sotto forma d’iscrizione e serviva a rendere pubblico omaggio a coloro i quali erano stati investiti della theorodokia con gli onori e gli oneri che ciò comportava3. Poteva capitare che queste liste fossero continuamente *

1

Desidero ringraziare Lorenz Baumer per avermi rivolto l’invito a partecipare al Colloque genevois; sono inoltre riconoscente a G. Squillace, A. Taliano Grasso, A. Zumbo e M. Intrieri per i preziosi suggerimenti e i proficui scambi di idee. «I teorodochi s’impegnavano ad ospitare i teoroi nelle proprie case, ad assisterli durante il loro soggiorno nel proprio paese, a garantir loro la sicurezza personale, a procurar loro i mezzi di trasporto per raggiungere la tappa successiva. Per far ciò essi dovevano essere naturalmente persone autorevoli, ed anche

aggiornate sicché nel corso del tempo l’ordine geografico era turbato dall’inserimento di nuovi theorodokoi e di altre città. In virtù di tali modifiche, tali cataloghi non di rado ricoprono ampi archi cronologici. I theoroi partivano per il loro viaggio con il dovuto anticipo, almeno di qualche mese, e seguivano itinerari ben studiati utilizzando le più agevoli vie marittime e terrestri. Ecco perché, oltre che sul piano strettamente storico-religioso, queste liste offrono ampi spunti di riflessione in materia di geografia storica e politica, favorendo in tal modo studi di tipo regionale basati sull’analisi delle implicazioni topografiche, toponomastiche, prosopografiche e politiche in esse contenute4. Da un confronto tra i cataloghi di Epidauro e Delfi, separati l’un l’altro da poco più di centocinquant’anni, emergono due diversi quadri del Bruzio che sono il pronto riflesso di mutazioni politico-istituzionali e segno dei cambiamenti nei rapporti tra alcune poleis magnogreche e i grandi centri panellenici della madre-patria.

2

3 4

possedere una borsa abbastanza pingue» (Guarducci 1969, p. 351). Per una raccolta delle fonti (letterarie ed epigrafiche) sulla theorodokia cfr., con bibliografia precedente, Perlman 2000, p. 13-62; sui theoroi si vedano Dillon 1997, p. 11-27, e Dimitrova 2008, p. 1-16. Guarducci 1969, p. 352. Per alcuni esempi di studi regionali si rimanda alla bibliografia riassunta in Mari 2000, p. 289 n. 90 (a cui ora sono da aggiungersi per altri riferimenti almeno Perlman 2000 e Dimitrova 2008).

Salvatore M edaglia

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Il catalogo di Epidauro è composto da due stele di marmo bianco rinvenute nel santuario di Asclepio nel corso degli scavi condotti da Panagiotes Kavvadias a partire dalla fine del XIX secolo5. Le stelai mostrano similarità nell’impaginato e nella resa scrittoria e furono forse realizzate dalla stessa mano6; il testo, non stoichedico, è ordinato su un’unica colonna. La prima stele (IG IV2 1, 94), frammentata in due pezzi non combacianti7, elenca i theorodokoi della Grecia centrale (Megara, Atene, Beozia), della Tessaglia, della Macedonia, della Calcidica, di Thasos e della Tracia. Nella seconda stele (IG IV2 1, 95)8 sono rubricati i theorodokoi di Corinto, Delfi, Amphissa, Naupatto, delle città dell’Acarnania, dell’Epiro, dell’Etolia e, infine, della Magna Grecia e della Sicilia (fig. 1). Entrambe le iscrizioni presentano delle rasurae e delle aggiunte in caratteri più piccoli prevalentemente poste a destra del testo originale, laddove vi era spazio disponibile. Posteriori anche di alcuni decenni e attribuibili a più mani9, in tali aggiunte sono elencate altre città con i nomi dei rispet­tivi theorodokoi. Sia nel testo appartenente alla prima stesura, sia negli addenda, il nome delle città è al nominativo o al dativo, mentre quello dei theoro­ dokoi è solitamente al nominativo senza patronimico. Quest’ultimo in genere è presente nella sezione dedicata alla Sicilia e all’Italia meridionale (IG, IV2, 1, 95, ll. 39-40, 42-43, 45)10.

Sulla base di considerazioni di natura storica fondate sulla menzione di Perdicca III, re di Mace­donia (l. 9), e della città di Datos in Tracia (l. 32), la prima versione di IG, IV2, 1, 94 è databile tra la primavera del 360 e l’inizio dell’estate del 359 a.C.11 Di poco più recente è invece la prima redazione di IG, IV2, 1, 95: una delimitazione della cronologia agli anni 356-354 a.C. si ottiene per via della presenza, tra i personaggi elencati, dei siracusani Dion figlio di Hipparinos (l. 39) e di Herakleidas figlio di Lysimachos (l. 40). La theorodokia dei due, infatti, va inquadrata tra il ritorno di Herakleidas a Siracusa nella primavera del 356 a.C. e il suo assassinio, per ordine di Dion, avvenuto presumibilmente nell’estate del 354 a.C.12. È forse possibile restringere ulteriormente la forchetta cronologica di IG, IV2, 1, 95 per via della menzione di Terina (l. 45) che, come riporta Diodoro (Diod., XVI, 15, 1-2), perse la libertà nel 356/355 a.C. per mano dei Brettii i quali, separatisi dai Lucani, pervennero a una koine politeia e promossero attacchi contro le città greche. Dunque la prima versione della seconda stele potrebbe essere stata compilata tra la primavera del 356 e l’inizio dell’estate del 355 a.C.13. La lista magnogreca riportata nell’iscrizione IG, IV2, 1, 95 occupa le ll. 41-45 ed elenca i theoro­ dokoi delle poleis di Locri, Crotone, Thurii, Taranto e Terina. Circa quindici anni dopo questa prima stesura, tra il 340 e il 338 a.C.14, furono inserite le città di Reggio (l. 47), Metaponto

IG, IV, 1505 = IG, IV2 1, 94-95; l’edizione più completa è ora quella di Paula Perlman (Perlman 2000, p. 68-81, 180-184 (Ep. Cat. E1 e E2)) alla quale si rimanda per una discussione critica e per la bibliografia completa relativa alle precedenti edizioni. Per la storia degli scavi e delle ricerche sull’Asklepieion di Epidauro, cfr. Melfi 2007, p. 19 ss. Perlman 2000, p. 72. Ia: m 0,27 × 0,26 × 0,10; Ib: m 0,48 × 0,61 × 0,10. M 0,38 × 0,87 × 0,09. La Perlman (2000, p. 78-81) distingue tre diverse mani (Mason A, B, C) per IG, IV2, 1, 94 (= ed. Perlman, Ep. Cat. E. 1) e altrettante (Mason I, II, III) per IG, IV2, 1, 95 (= ed. Perlman, Ep. Cat. E. 2). Sulla porzione del catalogo relativa alla Magna Grecia si vedano De Sanctis 1911-1912, p. 442 ss. (= De Sanctis 1966, p. 171 ss.); Manganaro 1964, p. 418;

Guarducci 1969, p. 355-356; Culasso Gastaldi 1999, p. 141 ss.; Nocita 2012, p. 38-42. Perlman 2000, p. 69-70; Mari 2002, p. 68 n. 1. De Sanctis 1911-1912, p. 442 ss. (= De Sanctis 1966, p. 171 ss.). Perlman 2000, p. 70-72; Mari 2000, p. 286, n. 83; Melfi 2007, p. 160, tab. 2, n. 147; Nocita 2012, p. 39 n. 31. Le ll. 46-47, 49, 52 di IG, IV2, 1, 95 sono state scritte dal medesimo scalpellino (Mason I): Perlman 2000, p. 79. Alla datazione 340-338 a.C. si giunge sulla base di elementi di esegesi storica riguardanti gli ad­ denda, sempre scritti da Mason I, relativi al teorodoco Hiketas, figlio di Nikanor (ll. 67-78), che fu tiranno di Leontinoi sino alla sua morte avvenuta nel 339338 a.C. e di Alkippos (ll. 71-72), figlio di Mamercos, tiranno di Catane, che probabilmente rivestì la carica

La lista dei teorodochi di Epidauro

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(l. 49) e Thurii (ll. 52-53) che pertanto appare due volte nel testo15 (fig. 2). La prima stesura di IG, IV2, 1, 94 ricorda il viaggio che i theoroi effettuarono per annunciare gli Asklepieia celebrati nel 358 a.C.; diversamente, il catalogo di primo impianto contenuto in IG, IV2, 1, 95 rimanda all’invito per le festività officiate nel 354 a.C.16. In ambedue i casi i theoroi partirono per portare l’annuncio (epangelia) un anno prima delle feste penteteriche celebrate a Epidauro17. Se volessimo prestar fede all’ordine con cui sono elencate, prima facie, le città del sud Italia ne verrebbe fuori un itinerario da sud verso nord18 che assai probabilmente fu percorso via terra19 (tav. 1). Infatti, i theoroi dopo aver visitato alcune città dell’Etolia sarebbero partiti direttamente

alla volta di Siracusa (l. 39) quando Dion era tiranno. Da qui, seguendo un itinerario marittimo, giunsero a Locri senza toccare Rhegion. L’as­ senza della polis magnogreca dello Stretto, da poco ribattezzata Phoebia da Dionisio II20, può forse essere spiegata con il fatto che essa non era libera e non a caso l’aggiunta del teorodoco Ἀλκέδαμο[…] /{…ωνος}, a ll. 47-4821 è inquadrabile in un orizzonte post-dionigiano dopo la liberazione del 351 a.C.22 La presenza sin da età anassilaica di un culto di Asclepio a Rhegion è indirettamente suggerita da un passo di Pausania in cui si menziona la dedica di un donario a Olimpia con la statua del dio medico da parte di Micito, tutore dei figli di Anassila23. Va sotto­li­ neato come la devozione verso il dio salutifero sembra trovare conferma anche nella monetazione

di teorodoco non prima della morte del padre av­ venuta nel 340-339 a.C.: cfr. Culasso Gastaldi 1999, p. 143-145; Perlman 2000, p. 78, 80; Nocita 2012, p. 39 n. 32. Anche la l. 87, al di là della verisimiglianza o meno dell’integrazione [Μέδ]μαι (vd. n. successiva), dovrebbe essere attribuita alla stessa mano. Le ll. 48 {…ωνος} e 53 {Δάμον} sono scritte in rasura e vanno assegnate a Mason II (Perlman 2000, p. 80). La posizione di queste due ll. suggerisce che prima dell’intervento di Mason II vi erano due nomi scritti da Mason I (vd. note 21 e 48). A queste città magnogreche si potrebbe forse aggiungere Medma se si accoglie la proposta di G. De Sanct­ is (1911-1912, p. 446 = De Sanctis 1966, p. 175) di integrare a l. 87 [Μέδ]μαι. M. Fränkel (IG, IV, 1504) proponeva [Κύ]μαι (ma vedi le condivisibili obiezioni di De Sanctis 1966, p. 175); F. Hiller von Gaertringen nell’edizione IG, IV2, 1, 95 legge …ΛΛΙ. Per quanto concerne la Sicilia, la prima versione del cata­logo menziona solo Siracusa a ll. 39-40. Le altre località isolane sono presenti nell’addendum (ll. 60-91). Perlman 2000, p. 72-73, 91 n. 100, 95. La fondatezza di questa ipotesi risiede nel fatto che il 358 e il 354 furono anni in cui si svolsero i giochi Istmici e da uno scolio a Pindaro sappiamo che gli Asklepieia erano celebrati nello stesso anno delle Istmiche (il secondo delle Olimpiadi) a nove giorni di distanza: cfr. Schol. Pind., Nem., 3, 147 (ed. Drachmann, v. III, 1966, p. 62). È presumibile che le aggiunte di IG, IV2, 1, 95, attribuite a Mason I e riguardanti la Sicilia e la Magna Grecia, furono iscritte in funzione delle festività celebrate nel 338 a.C. a Epidauro (Perlman 2000, p. 80, n. 56). Per un accenno all’itinerario in Magna Grecia e in Sicilia, cfr. Manganaro 1964, p. 418, e Givigliano

1994, p. 277 che propone il seguente percorso: «Dalla lista pervenutaci, relativa ai theorodokoi di ogni città, si può dedurre che questi theoroi seguano la via costiera ionica toccando Taranto, Metaponto, Thurii, Crotone, che attraversino l’istmo raggiungendo Teri­ na e ritornino poi indietro passando quindi per Locri e Reggio». Non si può però escludere che gli spostamenti avvenissero anche via mare perché le città joniche visitate erano tutte costiere. Strabo, VI, 1, 6. Cfr. Lucca 1995, p. 163-169. Vd. inoltre infra. IG, IV 1504 (Fränkel): Ἀλκίδαμος Ζήνωνος; IG, IV2, 1, 95 (Hiller von Gaertringen): Ἀλκέδαμος ‘Ιππίωνος; IAEpid, 41 (Peek): Ἀρχέδαμος. Come abbiamo già ricordato, i due interventi al testo riguardanti i theorodokoi di Reggio non sarebbero contemporanei: Ἀλκέδαμο[…] è del 340-338 a.C. (Mason I); {…ωνος} è invece opera di Mason II ed è pertanto successivo anche se non è possibile dire di quanto (Perlman 2000, p. 80). Rimangono da spiegare però le motivazioni di un intervento di Mason II limitato al solo patronimico. Diod., XVI, 45, 9; Plut., Dion, 58, 3. Vd. inoltre De Sanctis 1966, p. 175 e Culasso Gastaldi 1999, p. 144. Paus., V, 26, 2: «Le offerte votive di Micito ho trovato che sono molte e non riunite tutte insieme, ma presso le statue di Ifito eleo e di Echecheiria che incorona Ifito ci sono queste altre offerte di Micito: Anfitrite, Posidone ed Estia; sono opera di Glauco di Argo. E lungo il lato sinistro del tempio grande ne dedicò altre: Core figlia di Demetra, Afrodite, Ganimede e Artemide, e tra i poeti Omero ed Esiodo, e ancora dei come Asclepio e Igea» (trad. G. Maddoli).

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reggina. Fatte salve le difficoltà di assegnare con certezza ad Asclepio la rappresentazione sui tetradrammi di peso attico datati dopo il 461 a.C., più certa è l’attribuzione alla divinità dei tipi monetali in bronzo della fine del III sec. a.C.24. Com’è stato suggerito, i coni reggini di età annibalica potrebbero attestare la ripresa del tipo post-anassalico in una fase, quella ellenistica, in cui in città ci fu un rilancio del culto di Asclepio all’insegna del conservatorismo culturale25. A Locri la sacra ambasciata fu ricevuta da Bytios (l. 41)26 e se non fosse per la menzione del theo­ rodokos nella lista di Epidauro non avremmo altre indicazioni circa un culto di Asclepio nella polis magnogreca. È significativo che il passaggio dei theoroi si ponga proprio nel momento in cui, stando a Demostene, in città vigeva ancora l’eunomia27. Evidentemente la data demostenica del 353 a.C. funge da terminus post quem per l’a­ nomia instaurata da Dionisio II28 a prescindere da quando questi s’installò in città (356 o 351). Pare tuttavia credibile che il regnum di Dionisio II a Locri – che Giustino computa in sei anni29 – si debba far partire, come aveva già proposto il Ciaceri e come più recentemente ha ribadito G. De Sensi Sestito30, dal momento in cui questi perse la città di Rhegion e cioè nel 351 a.C. con la liberazione da parte di Leptine e Callippo. È a 24 25 26

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Castrizio 1995, p. 75-77. Castrizio 1995, p. 76; Bitto 2002, p. 137. Per la Ferrandini Troisi (1996, p. 53) il Bytios locrese avrebbe legami parentelari (discendente) con l’omonimo ieromnamone di Micene di V secolo a.C. attestato in SEG, XI, 298 (DVA, n. 936). Riserve condivisibili su questa ipotesi, in ragione della distanza geografica e cronologica tra i due, sono espresse in Nocita 2012, p. 41. Demosth., Timocr., 139. Strabo, VI, 1, 8. Cfr. Musti 1977, p. 99. Iustin., XXI, 3, 9. Ciaceri 1940, p. 4; De Sensi Sestito 1995, p. 56, n. 114. Non c’è ragione di leggere tale assenza su un piano esclusivamente politico (Facella 2001, p. 65). Kau­ lonia, distrutta nel 389 a.C. da Dionisio il Vecchio, dovette rinascere e ritornare autonoma poco dopo se nel 357-356 a.C. vi soggiornò il figlio, Dionisio II (Diod., XVI, 11, 3; Plut., Dio, XXVI, 7), a cui forse si deve proprio la sua ricostruzione (non attestata dalle fonti) alla stregua della già menzionata Reggio (cfr.

questo punto suggestivo notare come la stele di Epidauro, menzionando Locri e non Reggio nella prima stesura e proponendo la città dello Stretto come addendum, pare serbare traccia della situazione politica delle due poleis con riferimento proprio all’assenza della figura dominatrice di Dionisio II. Percorrendo la via jonica, la delegazione che doveva annunciare le festività in onore di Asclepio giunse a Crotone senza far tappa a Kaulonia31. Si tratta della stessa strada costiera che intorno alla metà del VI secolo i Crotoniati avevano seguito alla volta di Locri andando incontro alla sconfitta presso “la Sagra”32. Questo asse viario in antico era probabilmente conosciuto come dromo e in effetti tale denominazione, di matrice greca (ma per la quale non si può escludere una origine medioevale), si conserva per alcuni segmenti ancora ai nostri giorni, come nel caso di Locri dove designa un tratto urbano che corre ai piedi delle colline e parallelo alla costa33. Attesi a Crotone dal teorodoco Sosikos, figlio di Peithys (l. 42)34, i teori vi trovarono una città che da poco aveva recuperato la propria autonomia dai Siracusani i quali, sin dal 378 a.C., vi piazzarono un presidio sulla rocca35. È possibile che la fine del dominio siracusano coincida proprio con la data della morte di Dionisio I nel 367 a.C.36; non si può tut-

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Facella 2001, p. 64; Lombardo 2010, p. 13). Le ragioni dell’assenza di Kaulonia nella lista possono essere molteplici e tra queste non va escluso che dopo le alterne vicende che portarono il suo territorio a cadere nella sfera locrese e i suoi cittadini ad essere trasferiti a Siracusa (Diod., XIV, 106), non vi fosse chi rivestisse in città la carica di theorodokos. Viceversa, se all’assenza nella lista di Epidauro si volesse dare per forza un peso politico, si potrebbe supporre che la città al tempo della visita dei theoroi fosse ancora sotto l’influenza locrese e che, magari già ripopolata, ebbe di nuovo l’autonomia solo dopo il crollo della tirannide di Dionisio II a Locri nel 347-346 a.C. (Costabile 1992a, p. 29). Strabo VI, 1, 10 e 12. A damesteanu 1963, p. 55-56; Costamagna, Sabbione 1990, p. 45; Givigliano 1994, p. 269. Lomas 1993, p. 192: Sosikos Pythonos. Dion. H., XX, 7, 3; Liv., XXIV, 3, 8. De Sensi Sestito 1987, p. 286-287. De Sensi Sestito, Intrieri 1992, p. 56.

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tavia escludere che la piena emancipazione dal giogo siracusano sia da collocarsi poco più tardi, nel 356 a.C., quando venne meno la dynasteia di Dionisio II e quindi immediatamente prima dell’annuncio degli Asklepieia in città37. Oltre che dall’iscrizione di Epidauro, la presenza del dio medico all’interno del pantheon crotoniate pare essere suggerita da un passo della Vita pitagorica di Giamblico in cui si narra la vicenda aneddotica capitata a uno straniero all’interno dell’Asklepieion cittadino38. Da questa notizia letteraria, che attende ancora una conferma su base archeologica, si ricaverebbe l’esistenza in città di un santuario consacrato alla divinità sin dall’età arcaica39, vale a dire un po’ in anticipo rispetto alla diffusione del culto nel resto della penisola e in Sicilia40. Un’altra relazione tra il culto di Asclepio e Crotone in un orizzonte prepitagorico proviene da una notizia assai interessante (a cui solo di recente è stato dato il giusto risalto)41 contenuta nella Suda: vi si dice che il crotoniate Callifonte, padre del celebre Democede, era stato sacerdote di Asclepio a Cnido42. Certamente l’Asclepiade Callifonte portò a Crotone il patrimonio di conoscenze mediche che egli apprese nel corso del suo soggiorno a Cnido frequentando il santuario di Asclepio e che poi trasmise a Democede43. Il fortunato sviluppo della scienza medica crotoniate – che Erodoto dice essere ai tempi di Democede per fama la prima della Grecia44 – trovò nella medicina sacerdotale degli Asclepiadi (e nel culto di Ascle-

pio) uno dei fattori determinanti che va ad aggiungersi ad altre componenti quali l’atletismo, la cura verso la preparazione bellica e, ovviamente, il pitagorismo45. Dopo Crotone, i theoroi che volevano proclamare le festività del 354 a.C. giunsero a Thurii (l. 43) dove furono ricevuti e assistiti da Phrasidas figlio di Phayllos. Forse i sacri ambasciatori seguirono ancora una volta la via costiera jonica che solo pochi anni dopo l’annuncio sarà nuovamente percorsa, in senso inverso, dai Corinzi sbarcati a Thurii nel 345-344 a.C. per portare soccorso a Timoleonte in Sicilia46. Il segmento da Thurii al fiume Hylias – che è da identificarsi con l’odierno Nicà e già dalla seconda metà del V sec. fungeva da confine tra la chora di Thurii e la Crotoniatide –, fu utilizzato ancor prima dagli ateniesi Demostene ed Eurimedonte che nel 413 a.C. guidarono un contingente di rinforzi diretti a Siracusa47. Tra il 340 e il 338 a.C. nella stele fu aggiunto un nuovo theorodokos per Thurii il cui nome rimane sconosciuto in quanto cancellato e sostituito da quello del thurino Damon (l. 53)48. Non è improbabile che questo personaggio possa identificarsi con il figlio o il nipote del Damon ricordato da Diodoro49 e Pausania50 come vincitore nello stadio a Olimpia per due volte, nel 376 a.C. e nel 372 a.C.51 Sappiamo che Thurii negli anni immediatamente precedenti a questa modifica nella stele – che forse potrebbe essere messa in relazione con un nuovo passaggio dei theoroi per la

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Mele 1992, p. 37; De Sensi Sestito 1995, p. 51, n. 89. Iambl., V. Pyth., 126: «[…] una volta a uno straniero era caduta a terra, nel santuario di Asclepio, una cintura con del denaro; e poiché le leggi vietavano di raccogliere ciò che era caduto, lo straniero ne era indignato. Allora un pitagorico consigliò di raccogliere il denaro, che non era caduto a terra, e di lasciare invece la cintura, perché solo questa era a contatto col suolo» (trad. M. Giangiulio). Lippolis 2009, p. 146. Per la diffusione del culto in Italia cfr. Lippolis 2009, p. 145-147; per un focus sulla Sicilia vd. Calì 2009. Marasco 2008, p. 14 ss.; Squillace 2008, p. 35 ss. Suid., s.v. Δημοκήδης (= 19, 2 Diels-Kranz). Marasco 2008, p. 15-16; Squillace 2008, p. 35 ss. (e p. 42-62 per l’appendice documentaria sulle fonti riguardanti Democede).

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Hdt., III, 131, 3. Marasco 2008, p. 11 ss. (in partic. p. 15-16). Plut., Tim., 16, 1-4 e 19. Thuc., VII, 35. Cfr. supra, n. 14. In linea di ipotesi si può pensare che l’addendum sia legato alla morte di Phrasidas così come la duplicazione di Siracusa (ll. 39-40 e 61-64) è certamente dovuta alla nomina di due nuovi theorodokoi (Aristomaco e Clearco) in sostituzione dei defunti Dion ed Herakleidas (cfr. De Sanctis 1966, p. 172). Più difficile da spiegare è invece il motivo per il quale Damon sostituisce il nominativo eraso. Diod., XV, 36, 1 e XV, 50, 1. Paus., IV, 27, 9; VI, 5, 3; VII, 25, 2; VIII, 27, 8. Perlman 2000, p. 256, n° 84.

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celebrazione degli Asklepieia del 338 a.C. – era stata impegnata in una guerra contro i Brettii e che nel 344 a.C., quando era pienamente libera, approfittando della protezione del contingente corinzio che dovette trattenersi in città, e di cui si è già detto, poté sferrare un attacco contro di essi52. La duplice menzione di Thurii nella lista epidauria di IV secolo è sintomatica di quella corrente di rapporti che intercorrevano tra la polis e i contesti panellenici della madrepatria53. Rimanendo nell’ambito del IV secolo, oltre alle citate vittorie di Damon a Olimpia, va menzionata la restituzione della promantéia ai Thurini da parte dei Delfî54 con la quale si sanciva per Thurii il diritto di precedenza, con la sola eccezione di Taranto, nella consultazione dell’oracolo di Apollo π[ρò Ἰτ]αλιωτᾶν [πάν]των55. Sempre riguardo alla presenza thurina a Delfi nel corso di tale secolo ricordiamo che un tal [---]ος Φιλωνί[δα], [Θού]ριος ἀπ’ ’Ιτ[αλίας?], nel 315 a.C. ricevette la prossenia e altri onori56; inoltre un altro cittadino 52

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Plut., Tim., XVI, 1-4. Alla medesima vicenda bellica con i Brettii va riferito il passo di Diod., XVI, 15, 2. Su tali fatti vd. De Sensi Sestito 1993, p. 368, n. 140; De Sensi Sestito 1995, p. 62-63. Su questo tema si veda Mari 2000. Syll.3 295; Bousquet 1988, p. 19-21. Su questo argomento vd. Zorat 1996, p. 101 ss., con bibliografia precedente. Va precisato che sull’attribuzione del decreto a un Thurino permangono dubbi a causa dell’integrazione dell’etnico: cfr. Bourguet 1899, p. 499, n. 13; FD, III, 4, 388. Vd. inoltre Marek 1984 p. 39; Rougemont 1995, p. 185; Mari 2000, p. 287, n. 84; Nocita 2012, p. 268. CID, II, n. 23, l. 8: [---]μου Θούρ[ιος]; Lomas 1993, p. 193; Rougemont 1995, p. 185; Mari 2000, p. 286 n. 82; Nocita 2012, p. 73, 268. Per la corrispondenza dei due personaggi vd. Culasso Gastaldi 1999. IG, IV2, 1, 95 pone i nomi in rasu­ ra a l. 93: {ι· ‘Ίππων, Δαμόξενος}; IG, IV, 1504, l. 44 e Lomas 1993, p. 194: Πίσων Δαμόξενις. Mancuso, Spadea 2011, p. 381 ss. La posizione di Terina all’interno della lista forse non è il riflesso di un itinerario ben preciso, ma potrebbe rispecchiare l’ordine “mentale” di chi ha inciso o fatto incidere la lista, e che ha dapprima elencato le città joniche e solo dopo l’unica polis tirrenica. A prescindere da quale fu l’effettivo ordine di marcia dei theorodokoi (probabilmente da sud verso nord) la

di Thurii, il cui nome è andato perduto ma di cui si legge la desinenza finale al genitivo del patroni­ mico ([---]μου), compare tra il 334 e il 324/3 a.C. come privato contribuente nell’ambito dei lavori di riedificazione del tempio di Apollo57. Dopo la colonia panellenica di Thurii la lista menziona a l. 44, e su una superficie erasa post 356-355 a.C., due theorodokoi per Taranto: Hippon e Damoxenos (quest’ultimo da identificarsi con il tarantino Damoxenos, figlio di Philodamos, a cui gli Ateniesi concessero la prossenia secondo quanto si apprende dal decreto IG, II2, 248)58. Dopodiché a l. 45 è elencata Terina e il suo teorodoco Megon figlio di Agesidamos. Con il richiamo a Terina – che secondo recenti indagini andrebbe ubicata in contrada Iardini di Renda (S. Eufemia Vetere)59 – l’orizzonte geografico muta e da un itinerario che non aveva mai abbandonato il versante jonico si passa al Tirreno60 con la menzione di una sola realtà cittadina61. Se dobbiamo prestar fede alla cronologia della Perlman62, la peregrinatio dei theoroi fu compiuta

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sosta a Terina va pensata come intercalata tra le tappe di Locri e Crotone, e cioè lungo la via istmica il cui sbocco tirrenico era presidiato proprio dalla subcolonia crotoniate. Quest’arteria naturale si sviluppava nel punto in cui la penisola calabrese presenta una strozzatura (il cosiddetto “istmo di Catanzaro”). I tempi di percorrenza sono a noi noti attraverso un passo di Aristotele (Arist., Pol., 1329 b.) e Plinio il Vecchio riteneva non a torto questo restringimento la parte più stretta d’Italia («nusquam angustiore Italia»: Plin., N.h., III, 95). Lungo l’istmo scilletico-ipponiate, che vantava una forte valenza strategica, Dionisio il Vecchio voleva costruire un muro di sbarramento, ufficialmente volto a confinare i Lucani a nord, ma più realisticamente, secondo Strabone, per minare la koinonia italiota (Strabo, VI, 1, 10; Plin., N.h., III, 95). Con tutta evidenza si nota l’assenza di Hipponion e per tale fatto non pare lecito invocare ragioni inerenti il suo status politico essendo, al tempo del passaggio degli ambasciatori di Asclepio, città libera e autonoma in quanto sappiamo che cadde in mano brettia solo dopo Terina (Diod., XVI, 15, 1-2). Per dirla con le parole di G. De Sensi Sestito (1995, p. 62), «le ragioni della sua omissione […] possono essere state varie e non sarebbe corretto trarne la conclusione che Ipponio fosse già caduta in mano ai Brettii o che non si debba considerare attendibile l’ordine diodoreo delle conquiste».

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Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici

nell’immediatezza dell’offensiva brettia che co­ involse per l’appunto Terina. Il fatto che la piccola polis avesse un theorodokos accreditato presso il santuario-madre del culto di Asclepio a Epidauro rende il dio medico una componente certa del patrimonio religioso terineo63. Quest’ultimo era di matrice achea (e quindi in stretta relazione con quello della città-madre Crotone) e forse presentava una connessione tra il culto di Apollo e quello di Asclepio, accertata anche nell’Acaia peloponnesiaca64 e nota nella stessa Epidauro65. Del resto al mondo apollineo di matrice delfica ci riporta anche un documento epigrafico lacunoso, rinvenuto a Delfi nell’area del tempio, in cui Terina è inclusa in un elenco di etnici e nomi di città66. Sfortunatamente non conosciamo la natura di tale lista; resta suggestiva, ma non comprovabile, l’ipotesi dell’editore E. Bourguet secondo cui potrebbe trattarsi di un elenco di città che dovevano la loro fondazione all’oracolo pitico67. 62

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Vd. supra, n. 13. Bisogna tuttavia considerare anche la possibilità che gli eventi tramandatici da Diodoro e rubricati sotto l’anno 356 possano essersi svolti nell’arco di un tempo più lungo, forse di un decennio (De Sensi Sestito 1995, p. 61-62; De Sensi Sestito, M ancuso 2001, p. 45). L’attacco a Terina potrebbe pertanto essere avvenuto anche dopo il 356/355 (vd. a questo proposito già De Sanctis 1966, p. 446, e ora Culasso Gastaldi 1999, p. 144, n. 31): il che porterebbe ad una data di stesura dell’iscrizione IG, IV2 1, 95 più ampia, tra il 356 e il 354 a.C. che poi è quella postulata per primo dal De Sanctis. De Sensi Sestito 1999, p. 147. Il culto di Apollo a Terina è testimoniato anche dalla presenza della serie monetale bronzea recante sul dritto la testa del dio: Holloway, Jenkins 1983, nn. 123-124. De Sensi Sestito 1999, p. 147. Melfi 2007, p. 23-40. FD, III, I, n. 497, lin. 19 (Bourguet). De Sensi Sestito 1999, p. 147. Per un rimando all’iscri­zione si veda anche Rougemont 1995, p. 184; Lazzarini 2008, p. 305. L’edizione a cui fare riferimento e che riunisce 11 dei 12 frammenti che compongono la lista è ancora quella di A. Plassart (1921, p. 1-85) che supera quella precedente del Baunack redatta nel 1899 (SGDI, 2580) e che a sua volta aveva riunito i 4 frammenti sino ad allora èditi da B. Haussoullier (1883, p. 189203) e A. Nikitsky (1885, p. 101-103). A quest’ultimo si devono anche un’edizione in russo nel 1901 e poi un’altra edizione in tedesco nell’anno successivo

La lista dei teorodochi di Delfi Da Delfi proviene un catalogo di teorodochi inciso su una grande stele di pietra calcarea (203,5 × 108,5 × 25-26,5 cm) frammentata in 12 pezzi. Il testo è disposto su cinque colonne, di cui quattro (coll. I-IV) sulla faccia anteriore e una (col. V) su quella minore sinistra (fig. 3). Gran parte dei frammenti furono rinvenuti nel corso degli scavi eseguiti nell’ultima decade dell’Ottocento e attualmente sono conservati presso il Museo di Delfi. In ordine di tempo l’ultimo dei frammenti appartenenti alla stele è stato rinvenuto nel 193768. In merito al luogo in cui originariamente doveva essere eretta l’iscrizione possono essere confermate le parole di A. Plassart: Le lieu de trouvaille des plus gros fragments assure que la stèle était dressée sur la terrasse au soutènement polygonal. […] On imaginerait alors volontiers cette stèle adossée au soubassement du temple, à l’extrémité du petit retour parallèle au grand autel69.

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(Nikitsky 1902). Il nuovo frammento appartenente all’iscrizione, rinvenuto nel 1937, è stato pubblicato da L. Robert nel 1946 (Robert 1946, p. 506-523) e poi nuovamente dal Daux (1949b, p. 18-19; ma vd. L. Robert in Bull.ép. 1950, p. 163-167, n. 127 e ora SEG, LV, 574). L. Robert (1946, p. 508; 1960, p. 170, n. 1) e G. Daux (1980b, p. 318) annunciarono nuove edizioni della lista, senza però che queste vedessero mai la luce. Si attende la pubblicazione dell’edizione di J. Oulhen (Les théarodoques de Delphes, Tesi di dottorato all’Université di Paris X, Nanterre 1992) che sarà ospitata nel Corpus des Inscriptions de Delphes (cfr. Oulhen 1998, p. 224, n. 41) e alla quale, circolata in bozze o estratti, negli ultimi anni hanno fatto riferimento vari studiosi (cfr. ad es. SEG, XLII, 470; Rougemont 1995, p. 189-190; Perlman 1995, p. 128-129; 130, 134; Perlman 2000, p. 10; SEG, LVI, 555). L’edizione di A. Plassart è stata oggetto nel corso degli anni di emendamenti particolari, in parte dovuti ai due grandi epigrafisti francesi, L. Robert e G. Daux. Di queste e di altre proposte di miglioramento al testo del Plassart, di per sé esemplare, si può avere un quadro spulciando il Bull.ép. e il SEG. Per quanto concerne la sezione dedicata all’Italia meridionale (col. IV, ll. 81-117), l’edizione BCH, 45, 1921 va integrata con Manganaro 1964, p. 420 ss. (ma vd. Manganaro 2003 p. 134, n. 5) e Manganaro 1996, p. 131-138 (SEG, XLVI, 555). L’itinerario siciliano si giova inoltre delle annotazioni di A. Facella (2006, p. 192-195; SEG, LVI, 555). Plassart 1921, p. 3.

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Il catalogo ha un’estensione molto ampia e registra centinaia di località che furono visitate dai theorodokoi di Delfi per annunciare i Pythia e i Soteria percorrendo buona parte del bacino mediterraneo da Marsiglia a Cipro, da Bisanzio a Cirene70. Come il catalogo di Epidauro, anche la grande lista di Delfi presenta delle aggiunte e dei ritocchi successivi rispetto alla prima redazione: «Au cours des décennies on procéda aussi par rasurae assorties de corrections, et par additions insérées dans les intervalles entre deux colonnes ou entre les lignes ou en bas de la colonne, etc.»71. Il corpo principale della stele, denominato «lista di base», si limita alle coll. I-III e si data tra il 230 e il 210 a.C.72. Le coll. IV e V sono state redatte in un momento successivo e si pongono in pieno II secolo73. Tenendo conto dell’intera iscrizione, l’aggiunta più recente, relativa a Δικαίαρχος di Laodicea al Mare menzionato alle ll. 78-80 della col. IV, è del 168/167 a.C.74 (anche se c’è da sospettare che possa non essere l’ulti70 71 72

Nachtergael 1977, p. 350. Daux 1980b, p. 319. Cfr. pure Plassart 1921, p. 40, e Daux 1980a, p. 121. Una prima proposta di datazione si deve al Baunack che nelle SGDI del Collitz (n. 2580, p. 764) propose di datare la lista al 175 a.C. circa. A. Plassart la inquadrò nel primo quarto del II sec. a.C. (Plassart 1921, p. 41). Successivamente G. Daux (Daux 1944) propose come terminus ante quem per la lista di base il 178 a.C. avvalendosi del decreto di Dionysios Legetou con cui gli fu concessa la theorodokia a Delfi (cfr. Syll3, 608: erroneamente il decreto è posto tra i documenti spettanti a M. Acilio Glabrione). Pochi anni dopo L. Robert spostò il terminus ante quem del corpo principale della lista al 188 a.C. (Robert 1946, p. 514-515). A partire dal 1949 il Daux (1949b, p. 2127, vd. pure Daux 1980a, p. 120-123; Daux 1980b, p. 318-319) ritornò sull’argomento e in base a considerazioni di natura paleografica e prosopografica suggerì di datare le prime tre colonne della lista agli anni compresi tra il 235 e il 221 a.C. Più cauto il Nachtergael (1977, p. 350) per il quale «cette liste date de la seconde moitié du 3e siècle ou peut-être même du début du 2e siècle». Ancora agli inizi degli anni Novanta, con il concorso di altre argomentazioni, la datazione del Daux è stata ribadita da M. Hatzo­ p­ oulos (Hatzopoulos 1991, p. 347: 230-220 a.C.; SEG, XXXVIII, 413) che in un secondo momento (Hatzopoulos 1998, p. 1193 e SEG, XLVIII, 589) ha proposto quale data alta della lista il 220 a.C. circa.

ma75). Ciò dimostra che la lista è stata continuamente aggiornata per svariati decenni, probabilmente sino al 150 a.C. circa quando i Delfî decisero di realizzarne una nuova. A questa nuova lista vanno attribuiti due frammenti in marmo, datati appunto alla metà del II secolo a.C., in cui sono menzionate le città dell’Eolide, dell’Argolide, dell’Illiria, della Dolopia e forse dell’Etolia76. La sezione che ci interessa, dedicata all’Italia meridionale, è conservata nel frammento denominato “B”, alla IV colonna. Questo ulteriore pezzo dell’iscrizione fu rinvenuto nel 1880 da B. Haussoulier durante gli scavi presso il Portico degli Ateniesi e da questi pubblicato nel 1883 credendolo una lista di proxenoi77. L’itinerario magnogreco (col. IV, ll. 83-89) comprende le città di Taranto, Eraclea, Petelia, Taisia e Reggio con i nomi espressi in dativo e preceduti dalla preposizione ἐν78 (tav. 2). Questa sezione segue quella dedicata all’Etolia, all’Acarnania, all’Epiro (col. IV, ll. 44-77) e precede il percorso siceliota

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J. Oulhen, che ha riesaminato il testo nell’ambito della sua ricerca di dottorato (J. Oulhen, Les théaro­ doques…, op. cit.), ha fissato la cronologia della lista di base al decennio 220-210 a.C. (probabilmente prima del 214: Oulhen 1998, p. 224; SEG XLVIII, 589). P. Gauthier (1989, p. 149-150), analizzando il decreto di theorodokia e proxenia concessi nel 226/225 a.C. a Matrophanes (Syll.3, 549; cfr. pure SEG, XXXIX, 468) conclude: «S’il fut voté “vers 225”, le décret de Delphes relatif à Matrophanès dut précéder de peu la gravure de la liste des théorodoques (avant 221)» (ma vd. discussione in SEG, XLIII, 221). Da ultimo P. Perlman, in attesa del lavoro di J. Oulhen, ha prudentemente indicato quale possibile datazione della lista di base il ventennio 230-210 a.C. (Perlman 1995, p. 130; Perlman 2000, passim). Daux 1980a, p. 121. In questa data Dikaiarkhos fu onorato a Delfi con un decreto (SGDI, 2677 = OGIS, 241) con cui riceveva la thorodokia dei Pythia e dei Soteria: Plassart 1921, p. 37, 41; Daux 1936, p. 513; Nachtergael 1977, p. 350 (per il decreto vd. p. 457-459. n. 36). Cfr. pure SEG, XLIX, 555. Daux 1949b, p. 30. Daux 1949b, p. 27-30. Inoltre L. Robert in Bull.ép. 1950, p. 482-483, n. 127; Nachtergael 1977, p. 350351; Perlman 2000, p. 34. Haussoullier 1883, p. 198 ss. A questo elenco va aggiunta Elea (col. IV, l. 68), per la quale vd. infra.

Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici

(col. IV, ll. 90-117). La sezione occidentale dell’iscrizione, da Corcira a Lipari (col. IV, ll. 81-117), va inquadrata nel primo quarto del II sec. a.C.79. Il catalogo dei theorodokoi di Delfi ha un’impostazione geografica in cui si susseguono varie città raggruppate secondo itinerari di tipo regionale. L’ordine geografico è però sovente scombi79

Nello studio ormai classico, e tuttora fondamentale, di G. Manganaro che per primo diede adeguata rilevanza alla parte occidentale (soprattutto siciliana) del catalogo (Manganaro 1964, p. 419 ss.; per la Magna Grecia si vd. in particolare p. 422-423), si ipotizza che il viaggio dei theoroi delfici in Magna Grecia e in Sicilia si svolse nella primavera del 198 o del 194 a.C. (Manganaro 1964, p. 425 ss., e 1996, p. 132  ss.). Ritenendo che le città non menzionate nella lista «fossero politicamente esautorate, prive cioè di autonomia, per cui, se anche i theoroi delfici vi fecero sosta, non poterono presentare un invito ufficiale alla cittadinanza e riceverne ospitalità» (Manganaro 1964, p. 423), lo studioso giungeva a fissare la suddetta cronologia soprattutto (ma non solo) in ragione dell’assenza di Agrigento che, com’è noto, dopo essere stata devastata dai Romani nel 210 a.C. riottenne l’autonomia intorno al 193 a.C. (Manganaro 1964, p. 425 – dove si sottolinea anche che il conferimento della proxenia di Delfi a Λέοντις Σωσικρά­ τεος Ἀκραγαντῖνος (Syll.3, 585, n. 37) nell’a. 190/189 a.C. oltre a fungere da terminus ante quem per l’autonomia di Agrigento «fa escludere che in data posteriore la città possa non essere stata visitata dai theo­ roi delfici»). Sulla scia della proposta del Manganaro, ampiamente accolta in letteratura, Fausto Zevi si è pronunciato a favore del 194 a.C. legando questa data, e la non comune capillarità dell’an­nuncio dei theoroi di Delfi, all’entusiastico clima panellenico conseguente alla riconquistata libertà da parte dei Greci: quelli del 194 a.C. sarebbero stati dunque i primi giochi delfici dopo la proclamazione di T. Quinzio Flaminino alle Istmiche di Corinto del 196 a.C. (Zevi 2005, p. 807; ma cfr. già Manganaro 1964, p. 426). Prendendo spunto dalle recenti acquisizioni della critica ­– che tende a non dare alla presenza o all’assenza delle città nella grande lista una lettura vincolante in chiave di autonomia politica ­– M. Mari (2000, p. 288-289) ha rinunciato alla formulazione di una cronologia ad annum accogliendone una più ampia entro il primo quarto del II secolo a.C. Anche M. Nocita (2012, p. 79, e tab. alle p. 86-87) di recente si è pronunciata per una datazione al primo quarto del II secolo a.C. Gli studi di P. Perlman (1995, p. 131 ss.; 2000, p. 33; ma vd. anche Chaniotis 2000) facendo leva sull’esempio della sezione cretese hanno dimostrato che nella grande lista di Delfi sono

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nato a causa delle numerose aggiunte susseguitesi nel corso del tempo. Tra queste vale la pena di ricordare la presenza di un’altra città dell’Italia Meridionale, Elea, che è stata aggiunta col suo teorodoco Dionysios (col. IV, l. 68)80 subito dopo Massalia (col. IV, ll. 64-67). La parte magnogreca, da Taranto a Reggio (fig. 4), conserva tuttavia

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menzionate città che non erano indipendenti al momento in cui furono visitate dai theoroi, ma che lo erano state in passato. Questo, tuttavia, non impedì loro di intrattenere rapporti ufficiali con il santuario di Delfi (vd. ad es. Chaniotis 2000, p. 56: «[…] the Delphic list of theorodokoi can be used as evidence for the existence of a polis. How­ever, not every polis which had a theorodokos was independent at the point when the list was written down; but even those poleis which were not independent have had this status in the past. So, the fact that Lasaia appears in the Delphic list indicates a polis status, but does not necessarily mean that it was independent. Two other sites which appear in the same list, Matalon and Lebena, had been independent in the past, but by the late 3rd century B.C. had become depend­ent poleis of Phaistos and Gortyn respective­ly.»). Secondo questi studiosi pur non dovendo rinunciare alla possibilità di ricavare dalla lista dei theoro­do­koi notazioni inerenti lo status politico-istituzionale delle comunità cittadine ivi elencate, ciò non deve avvenire in maniera automatica: «[…] la presenza di una città in una lista di teorodoci non garantisce certo della sua piena autonomia di πόλις, ma è solo una soglia minima di sopravvivenza dello status di πόλις. Non è l’indizio di una autonoma politica estera, ma solo della volontà di conservare, attraverso la presenza ufficiale nei santuari panellenici, una forte identità culturale gre­ ca. È in questa luce che dobbiamo leggere anche le presenze e le assenze magno-greche e siceliote nella ‘grande lista’»: Mari 2000, p. 289; si vedano anche le osservazioni in Mari 2002, p. 70, e in partic. n. 1. Si tratta di un personaggio ben noto: l’Eleate Dionysios, figlio di Legetes, che rivestì la carica di prosseno a Delfi nel 180/179 o 179/178 a.C. (Syll.3, 585, ll. 229-230 = SGDI, 2581). Nel 178/177 a.C. i Delfî lo fecero oggetto di un decreto con cui lo ringraziavano per aver accettato la carica di theorodokos per i Pythia e i Soteria (Syll.3, 608; Daux 1944, p. 101-103, n. 11; Nacht­ ergael 1977, p. 456-457, n. 35). La carica di theorodokos rammentata in Syll.3, 608 (vd. supra n. 72) è chiaramente quella a cui si riferisce la lista a l. 68 della col IV. Cfr. a questo proposito Plassart 1921, p. 38, 66; Daux 1944, p. 102-103; Robert 1946, p. 514, n. 13; Daux 1980b, p. 318-322; Marek 1984, p. 35; Rougemont 1995, p. 189-191; Nocita 2012, p. 213-214.

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intatto il suo ordine basato su un itinerario coerente che si snoda lungo la costa jonica e che differisce da quello che fu percorso cento­ cinquant’anni prima dai theoroi di Epidauro (IG, IV2, 1, 95). Da Corcira (col. IV, ll. 81-82) i theoroi salparono in direzione di Taranto (col. IV, l. 83) e da qui proseguirono, forse via terra81, alla volta di Eraclea (col. IV, ll. 84-85). L’itinerario bruzio inizia con Petelia (col. IV, l. 86) senza che si faccia alcun cenno a città come Thurii e Crotone. L’assenza di queste due realtà cittadine (ma è da notare anche quella di Metaponto) è certamente sintomatica di una fase di crisi istituzionale e identitaria che investì quanto rimaneva delle illustri poleis in un momento di profonda trasformazione, segnato dalla fine della guerra annibalica, dallo smantellamento dell’apparato brettio e dall’azione politica romana che lungo lo Jonio dell’attuale Calabria diede vita alle colonie di Copia e Crotone. Analizzando la difficile condizione in cui si trovava Thurii tra la fine del III e gli inizi del II sec. a.C. si può forse comprendere come fosse possibile che la città non esprimesse un theorodokos per i Pythia e i Soteria. Infatti, se ancora l’agro thurino appare florido allorché Annibale nel 210 a.C. vi aveva spostato la popolazione della campana Atella, a lui rimasta fedele82, nel 204 a.C., sempre secondo il resoconto di Appiano, questi trasferì a Crotone 3.500 Thurini filo-cartaginesi (di cui 3000 dalla città e 500 dalla chora), impiantò un presidio in città e lasciò che i beni dei restanti cittadini fossero saccheggiati dai suoi 81

Come per il catalogo di Epidauro, anche per quello di Delfi non si può escludere che parte degli spostamenti dei theoroi pitici avvenisse via mare (come sostenuto ad es. in Insolera 2010, p. 242: «I theoroi seguivano la tradizionale rotta marittima […] che dalla Grecia conduceva verso il Bruzio e la Sicilia»; si vd. soprattutto p. 243, fig. 3) essendo tutte le poleis menzionate, probabilmente con la sola eccezione di Taisia, costiere e dotate di scali portuali. Questo vale anche per il centro di Petelia che, pur occupando un alto colle che domina la costiera dall’interno, era dotato di un approdo/ricovero per navi all’interno di un bacino endolagunare posto a ridosso della foce del Neto e di un ulteriore scalo in località Tronga presso l’attuale

soldati in ritirata83. A fronte della mancanza di un theorodokos thurino nella lista va comunque notato, come fatto di un certo interesse e che forse riduce il portato “politico” dell’assenza di Thurii, che nel 196 a.C., proprio quando gli Etoli dominavano sull’Anfizionia delfica, un Leon, Antallos Thourios, è onorato della prossenia a Thermos84. Tra l’altro il culto di Apollo doveva essere presente nella città di Thurii-Copia come sembrerebbe sottendere l’iscrizione in lamina di bronzo rinvenuta nel 1991 al Parco del Cavallo, e datata entro la prima metà del II sec. a.C., in cui la divinità appare in una dedica cumulativa assieme a Iuppiter, Minerva ed Hercules85. Il desolante quadro di depressione demografica della città all’indomani della fine del conflitto annibalico fa da preludio alla deduzione, nel 193 a.C., di una colonia Latina in agrum Thurinum. Del resto, pur in un contesto di appiattimento cronologico, Strabone nella Geografia mette in relazione la deductio di Copia proprio con lo stato di contrazione (oligandria) di Thurii86. Come ricorda Livio, la colonia era composta da 300 cavalieri e 3000 fanti ed ebbe come sede un ca­ strum Frentinum87. Al di là della controversa localizzazione del castrum, non senza ragione definito un “fantasma topografico” che tuttora sfugge alla ricerca archeologica88, la Copia romana, ubicata nel sito che fu prima di Sibari e poi di Thurii, ebbe inizialmente un’estensione e un corpo civico limitati. Le ridotte dimensioni della città di II sec. a.C. sono rese evidenti dal grande muro difensivo, costruito in opera cementizia su filari di blocchi in calcare, che obli-

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Marina di Strongoli (quest’ultimo, a giudicare dalle evidenze archeologiche, era certamente attivo in età imperiale e non è dato sapere se lo fosse anche in precedenza): cfr. Ceraudo 1997a; Ceraudo 1997b; Medaglia 2010, p. 180-182, n° 113, p. 201-202, n° 172. App., Hann., 49. App., Hann., 57. IG, IX 2, 21. Cfr. Nocita 2012, p. 95, 234. Iovei, / Apolin[ei?], / Mener[vai?], / Herco[lei?]: Zumbo 2004-2005. Strabo, VI, 1, 13. Liv., XXXIV, 53, 1-2; XXXV, 9, 7-8. Cfr. Paoletti 1993, p. 384 ss.; Paoletti 1994, p. 534. Paoletti 1993, p. 384.

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tera una plateia est-ovest di Thurii e che taglia in due la città lasciando all’esterno parte dei quartieri settentrionali89. Come anticipato, l’altra assenza significativa che caratterizza la sezione magnogreca del catalogo è costituita da Crotone90. La mancanza di un teorodoco in questa città appare tanto più indicativa se la si rapporta da un lato alla presenza nella lista della vicina Petelia e dall’altro alla corposa tradizione cittadina riguardante l’apollinismo e l’universo pitico in particolare91. Ad Apollo erano del resto consacrati almeno due edifici di culto: uno in città, come indicano due passi della Vita pitagorica di Giamblico92, e un altro presso il Lacinio dove un Apollonion costituiva una sorta di secondo polo sacro posto a non grande distanza dall’Heraion93.

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Paoletti 1993, p. 386-387; Greco 2003, p. 373. Secondo G. Rougemont i theoroi nel corso del loro viaggio in Magna Grecia sarebbero passati comunque da Crotone anche se questa non aveva in quel momento un cittadino che rivestisse la carica di teorodoco («[…] j’ai de la peine à admettre que, par exemple, les théores des Pythia ne s’arrêtaient pas à Crotone: je croirais plus volontiers qu’ils s’y arrêtaient, mais qu’il n’y avait pas, à cette époque, de théorodoque des Pythia à Crotone, qu’il y en avait peu en Grande Grèce et aucun sur la côte tyrrhénienne, et qu’on était bien aise d’en nommer un quand on pouvait»: Rougemont 1995, p. 190). Qualora i theoroi avessero scelto un percorso terrestre e non marittimo, c’è da rilevare che su un piano prettamente topografico il passaggio a Crotone non era necessario: è ormai un dato assodato che la via più breve per andare da Petelia verso sud, lungo la via jonica (ma ciò chiaramente vale anche per il senso di marcia inverso), non transitava per Crotone. Come dimostra l’assetto viario cristallizzatosi in età imperiale, che però ricalcava quasi per intero una viabilità più antica, dalla statio di Meto ubicata a ridosso della foce del fiume Neto era possibile raggiungere quella di Taci­ na attraverso un percorso interno che aggirava la penisola di Crotone e che era complementare a quello litoraneo riportato nella Tabula Peutingeriana (VI, 2). Il tragitto che aggirava Crotone, lasciando la città a oriente, ci è stato tramandato dall’Itinerarium An­ tonini (114) e trova un’ulteriore conferma in Plinio il quale, descrivendo la costa jonica dei Bruttii, da sud a nord, colloca subito dopo il fiume Tacina, e prima del promontorio Lacino, la città di Petelia all’interno (N.h., III, 96). Ciò è chiaramente possibile se si am-

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Dopo le vittorie degli inizi del V secolo a.C. nei giochi pitici del crotoniate Phayllos, che a Delfi fu onorato dai suoi concittadini con una statua94, l’epigrafia delfica per il momento non ci offre alcuna testimonianza riguardo ai rapporti intercorsi tra Crotone e Delfi95. L’unica iscrizione nota concerne un documento contabile dei naopi datato all’autunno del 339 a.C. in cui si fa menzione di un commerciante crotoniate di nome Δι[---]ς che è coinvolto assieme a due altri personaggi – Kallikrates di Kleitor e Nikanor di Ascheos – in un appalto per la fornitura di un lotto di legname di abete per il santuario ammontante complessivamente a 28.550 dracme96. C’è da dire, per inciso, che riguardo alla comunità greca insediata a Crotone abbiamo dati assai scarni per gli anni compresi tra la fine del III secolo

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mette che il comasco, nel redigere questa sezione della Naturalis historia, si servì di una carta-itinerario che riportava la variante contenuta anche nel citato Itinerarium Antonini Augusti. Sulla viabilità antica dell’area in oggetto cfr. Givigliano 1994, p. 320; Taliano Grasso 1997, p. 210, 225; Medaglia 2010, p. 85-86, n. 323, 100 fig. 55, 102. Sull’apollinismo di matrice pitica a Crotone, cfr. Giang ­ iulio 1989, p. 79-94. Sul ruolo di riferimento che il santuario pitico di Delfi ebbe rispetto alla città sin da epoca arcaica, cfr. Giangiulio 1989, p. 153-160. Iambl., V. Pyth., 50 e 261. SEG, XLVII, 1481; Medaglia 2010, p. 288, con bibliografia precedente. Paus., X, 9, 2. Per le altre fonti letterarie su Phayllos vd. Herod., VIII, 47; Plut. Alex., 34, 3-4; Schol. Acharn., 25. Per le iscrizioni che lo riguardano: IG, I3, 823 (acropoli di Atene); Dubois 2002, n. 90 con bibliografia precedente e Lazzarini 2005, p. 269, n. II, 114 (Crotone, Capo Cimiti). Vd. inoltre l’epi­ gram­ma agonistico edito in Preger 1891, n° 142. Permangono forti perplessità sull’attribuzione a Phayl­los della dedica sul plinto presso il thesauros degli Ateniesi a Delfi (FD, III, 1,1: Homolle) che sarebbe invece un’offerta dei Crotoniati ad Apollo (cfr. DVA, n. 896 e inoltre SEG, XL, 426): status quaestionis con bibliografia in Nocita 2012, p. 258-259. Sui rapporti tra Delfi e le poleis dell’Occidente greco (Magna Grecia e Sicilia), cfr. Rougemont 1995, p. 157-192. CID, II, 51; FD, III 5, 25 III B (ll. 9-10 Bourguet: Δι[οκ] / [λῆ]ς Κροτωνιάτας). Su tale rendiconto si vedano anche Bousquet 1977, p. 96-100; Roux 1979, p, 210-214.

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e l’inizio di quello successivo, sia in termini di evidenze archeologiche sia di notizie storiche. Lo stato di indebolimento della città è indubbio e reso chiaro da Livio che dopo l’età pirrica tratteggia una città contratta nel corpo civico e in quello urbano, tanto da ridursi a occupare la sola porzione a sud del fiume Esaro e ad avere una popolazione di circa 2000 individui97. La città, in ogni modo, manteneva intatte le sue potenzialità tanto che i Brettii vedevano nella conquista di Crotone, “nobile e opulenta”98, un obiettivo strategico, provvista com’era di mura e soprattutto di un porto99. Un’iscrizione rinvenuta a Tenos, datata alla metà circa del III secolo a.C., è in ordine di tempo l’ultima testimonianza dei rapporti diplomatici (e commerciali?) che la città greca, col tramite dei suoi cittadini, intrattiene con un centro del Mediterraneo orientale. Quando l’isola cicladica era sede del Koinon dei Neisiotai almeno un crotoniate100, assieme ad un tarantino e ad alcuni reggini, furono onorati con la prossenia101. Nel 215 a.C. gli aristocratici di Crotone, a causa del tradimento della plebe, che aveva assunto una posizione filo-brettia e filo-cartaginese, dopo essersi rifugiati nella rocca si lasciarono convincere da ambasciatori locresi inviati da

Annone ad abbandonare la città ai Brettii e a tras­ferirsi a Locri102. Dunque la città negli ultimi anni del conflitto annibalico è brettia e la comunità greca, ivi ancora residente e frammischiata agli italici, mancava della guida aristocratica filoromana che aveva preferito l’esilio alla coabitazione coi Brettii, rei di possedere una cultura tanto difforme da quella greca («alienos ritus mores legesque ac mox linguam…»)103. Il già menzionato trasferimento dei Thurini a Crotone da parte di Annibale nel 204 a.C. (App., Hann., 57) va forse letto proprio alla luce dell’interesse di quest’ultimo per la città alle prese con un disavanzo della popolazione. L’agro crotoniate, del resto, assunse una valenza strategica nelle ultime battute del conflitto annibalico104 e lo stesso Annibale vi fece non solo base105, ma al Lacinio, con azione propagandistica, prima di salpare per l’Africa lasciò testimonianza delle sue imprese dedicandovi un altare e un’iscrizione bilingue106. Nel 194 a.C. i triumviri Cn. Ottavio, L. Emilio Paolo e C. Letorio dedussero a Crotone una colonia romana, verosimilmente maritima, composta da 300 famiglie107. La motivazione di tale deduzione va letta, in primis, alla luce della necessità di garantire a Roma il controllo militare di un settore (soprattutto marittimo) che aveva giocato

Liv., XXIII, 30, 6: «Isdem ferme diebus et Bruttio­ rum exercitus Crotonem, Graecam urbem, circum­ sedit, opulentam quondam armis virisque, tum iam adeo multis magnisque cladibus adflictam ut omnis aetatis minus duo milia civium superessent». Liv., XXIV, 3, 1-2: «Urbs Croto murum in circuitu paten­ tem duodecim milia passuum habuit ante Pyrrhi in Italiam adventum. Post vastitatem eo bello factam vix pars dimidia habitabatur; flumen, quod medio oppido fluxerat, extra frequentia tectis loca praeter­ fluebat, et arx procul eis erat quae habitabantur». Sul piano archeologico la contrazione della città dopo la guerra tarentina, con l’abbandono del quartiere a nord dell’Esaro a cui fa riferimento Livio, è un dato che ormai sembra confermato: Medaglia 2010, p. 249-250, con bibliografia precedente. 98 Liv., XXIV, 2, 7. 99 Liv., XXIV, 2, 3. 100 IG, XII, Suppl. 313, l. 6. Stando al commento, ad locum, di F. Hiller von Gaetringen («Proxenoi secundum locorum situm enumerati. Ethnica ad no­ mina quae praecedunt referri debent, siquidem Lep­

tines et Philiscus Syracusani fuerunt») i prosseni di Crotone diventerebbero quattro (ll. 3-6): [---]ων Ἀρισοτέ­[λους---] Κροτωνιά[της] / [---] λάχου Κρο­τωνιά[της]  / Τιμοχά[ρης---] Κροτωνιά[της] / [---] λης Κροτωνιά­[της]. Cfr. Etienne 1990, p. 174, 191; Marek 1984, p. 83; Nocita 2012, p. 144, 257, 267, 270. Su Tenos e la confederazione dei Nesiotes, cfr. Etienne 1990, p. 85-124. Liv., XXIV, 3, 9-15. Liv., XXIV, 3, 12. Sulla rivolta del 215 a.C. a Crotone, vd. ora Fronda 2010, p. 171 ss. Liv., XXIX, 36, 4; Val. Ant., Hist., 29 apud Liv., XXX, 19, 11; Liv., XXX, 20, 6. Vd. inoltre De Sensi Sestito, Intrieri 1992, p. 69 ss. App., Hann., 57, 242. Pol., III, 33, 18; Liv., XXVIII, 46, 16. Sull’iscrizione cfr. Brizzi 1983; su Annibale al Lacinio vd. Jaeger 2006, p. 389-414; Guzzo 2007; Intrieri 2009, p. 56-57. Liv., XXXIV, 45, 5. Per un quadro topografico e archeologico delle evidenze attribuibili alla Crotone romana, vd. Medaglia 2010, p. 250-257.

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proprio nel sanguinoso conflitto appena giunto a compimento un ruolo decisivo108. A prescindere dalla datazione del viaggio dei theoroi di Delfi (sia che lo si inquadri nel 198-194 a.C. a ridosso della deduzione coloniaria, sia che lo si ponga entro il primo quarto del II secolo), appare interessante notare come, almeno nel caso di Crotone, la questione dell’assenza della città nella lista non vada letta, come sovente avviene, in termini di autonomia politica ma piuttosto, e in generale, come carenza di una vocazione identitaria di matrice greca tale da rendere ancora possibile o appetibile la comparizione della polis (o di quanto ne rimaneva) su scenari panellenici. È, infatti, da credere che la deduzione della colonia di diritto romano non comportò immediatamente la scomparsa della polis greca con le sue istituzioni. Per un po’ di tempo dovettero coesistere nella stessa area politai e cives (coloni), prima del definitivo assorbimento dei primi nella sfera istituzionale dei secondi109. Né si può credere che l’innesto di un piccolo castrum di 300 famiglie determini di fatto l’immediata fine, in termini istituzionali, della comu­nità residente. Quando ormai la colonia era stata dedotta da circa vent’anni e il censore Q. Flavio Flacco (173 a.C.) compì con azione sacrilega l’asportazione delle tegulae di marmo dal tempio di Hera al Lacinio110, Livio ci dice che

furono i socii a rimanerne inorriditi («auctori­ tate censoria sociis deterritis id sacrilegium prohibere»111). Nel resoconto sulla vicenda tramandatoci da Livio, che culminerà con la restituzione delle tegulae marmoreae e con la celebrazione di piacula in onore di Giunone su ordine del Senato, il riferimento ai socii è ricorrente112. Questi “alleati” difficilmente possono intendersi come “coloni”: essi non sono altro che i membri della comunità crotoniate, della ormai agonizzante polis Kroton, evidentemente definiti tali (socii) sulla base di quella alleanza ( foedus) che la città strinse con Roma a conclusione della guerra tarentina113. Passando dalle assenze all’analisi delle presenze, la prima tra le città bruzie a essere citata nella lista è Petelia (col. IV, l. 86)114. La menzione del centro appare del tutto naturale se si considera che limitatamente all’areale che costituiva il nucleo storico della Crotoniatide, tra II e I sec. a.C. Petelia divenne il maggiore polo culturale di rife­ ri­mento sostituendosi proprio alla polis achea115. Il centro – prima lucano e poi brettio116 – si distinse nel corso della seconda Guerra Punica per atti di grande eroismo e per essere stato fedele alleato di Roma («qui uni ex Bruttiis manserant in amicitia Romana»: Liv., XXIII, 20, 4)117. Già legata da tempo ai Romani con un foedus118, la

108 La valenza strategica del settore marittimo crotonese (e quindi della colonia) è evidenziata già nel 190 a.C., cioè solo pochi anni dopo la deduzione, quando C. Livio, prefetto della flotta, passò in rassegna al Laci­ nio la squadra navale pronta per dirigersi verso l’Egeo nella guerra contro Antioco III: Liv., XXXVI, 42, 1-4. 109 In questo senso già Sartori 1953, p. 119: «Non credo tuttavia che dopo la deduzione della colonia romana la città indigena sia scomparsa: il comune indigeno deve essere perdurato lunghi anni ancora, almeno fino alla guerra sociale, dopo la quale anche i suoi abitanti, ottenuta la cittadinanza, devono essere stati incorporati nella colonia». Cfr. inoltre Costabile 1984a, p. 88-89; De Sensi Sestito, Intrieri 1992, p. 74; Medaglia 2010, p. 93, 250. 110 Liv., XLII, 3, 1-11; Val. Max., I, I, 20. Sulla vicenda vd. Paoletti 1994, p. 525-526; La Rocca 1996, p. 89 ss. 111 Liv., XLII, 3, 3. 112 «Ad id censorem moribus regendis creatum? Cui sarta tecta exigere sacris publicis et locare tuenda more maiorum traditum esset, eum per sociorum ur­ bes diruentem templa nudantemque tecta aedium

sacrarum vagari! Et quod, si in privatis sociorum aedificiis faceret, indignum videri posset, id eum templa deum immortalium demolientem facere, et obstringere religione populum Romanum, ruinis templorum templa aedificantem, tamquam non iidem ubique di immortales sint, sed spoliis aliorum alii colendi exornandique!»: Liv., XLII, 3, 7-9. Sul foedus cfr. Sartori 1953, p. 115; Mele 1993, p. 286. Plassart 1921: ἐμ Πετελίαι; Manganaro 1964: ἐμ Πετηλίαι. Lazzarini 2004, p. 179; Cordano 2008, p. 66. Per un quadro storico-archeologico del sito di StrongoliPetelia cfr., con bibliografia precedente, Medaglia 2010, p. 160-175, n° 99. Strabo, VI, 1, 3. Vd. però le osservazioni in De Sensi Sestito 2004, p. 552 ss., a proposito di Petelia lucana. Si vd. inoltre Val. Max., 6,6, ext. 2; Polyb, VII, 1, 3 ap. Athen., 12, 528b-c; Front., IV, 5, 18; Liv., XXIII, 30, 1-4; Petr., Satyr., 141, 10; Sil. It., XII, 431-433; App., Hann., VII, 29. Liv., XXIII, 20, 8.

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città alla fine del conflitto ebbe lo status di civi­ tas foederata che mantenne fino a quando divenne municipio nell’89 a.C.119. A dispetto dei cruenti fatti di guerra che la videro protagonista tra il 216 e il 203 a.C., dobbiamo figurarci per Petelia una rapida ripresa dopo il conflitto120, in parte favorita dal trattamento privilegiato che gli fu concesso dai Romani e di cui v’è traccia nella benevolenza accordata alla città dalle fonti latine. Già all’indomani della fine della guerra annibalica è sintomatica la sollecitudine con cui Roma, stando al racconto di Appiano, fece in modo di far rientrare in città 800 petelini dispersi a seguito delle vicende belliche121. I documenti epigrafici in greco suggeriscono una corposa presenza della componente onomastica osco-bruzia all’interno della compagine cittadina122. Persino lo stesso nome del teorodoco petelino, ’Οφάλ[λιος], tradisce la sua appartenenza alla stirpe italica. Ma se i summenzionati documenti epigrafici provano la preminenza dell’ethnos osco-bruzio in seno al corpo cittadino, allo stesso tempo svelano quanto esso fosse profondamente intriso di costumanze elleniche. Del resto a Pete­ lia nel II sec. a.C. la lingua greca è quella ufficiale e con essa sono vergati i documenti di carattere pubblico. A Strongoli e nel territorio limitrofo (Santa Severina, Um­briatico, Punta Alice) sono stati rinvenuti una serie di mattoni, attribuibili al II sec. a.C., con bolli in lettere greche123. Spettanti a un’officina petelina, tali manufatti attestano in città una magistratura diarchica che fu operante sino all’istituzione del municipium. La coppia di

magistrati eponimi menzionati nella punzonatura, Leukios e Nouios, ha nomi brettii declinati alla greca e seguiti dai rispettivi demotici abbreviati (SEG, XXXIV, 1009); talvolta a questo marchio era associata la stampiglia ΔΗ, da sciogliersi probabilmente δη(μοσία πλίνθος)124. I mattoni in oggetto hanno dunque carattere pubblico e c’è da chiedersi se tale produzione, limitata all’arco di una magistratura, non debba rapportarsi a una qualche attività di monumentalizzazione (e/o ammodernamento) della città, posta in essere all’indomani del conflitto annibalico. Rimanendo nel II sec. a.C., possiamo porci lo stesso quesito a proposito di un altro importante documento epigrafico che, tra l’altro, costituisce l’esempio più manifesto dell’ellenizzazione del centro brettio. Si tratta della nota iscrizione IG, XIV, 637 in cui si attesta l’istituto della γυμνασιαρχία che a Petelia non aveva valenza politica intesa come magistratura eponimica. L’epigrafe ricorda due ginnasiarchi, Minatos Krittios Matilas figlio di Minatos e Markos Krittios figlio di Minatos (si noti l’onomastica osca), che costruirono una stoà di pertinenza del locale ginnasio con fondi della polis o, più realisticamente, del ginnasio stesso (… ἡ στοά κατε[σκ / ευ]άσθη ἐκ τῶν κοινῶν / χρημάτων)125. All’incirca dello stesso periodo della peregrinazione dei theoroi delfici è l’attestazione a Delo, tra la fine del III e l’inizio del II sec. a.C., di tre iscrizioni in lingua greca che rammentano un negotiator/mercator di nome Agathon Nympsios Petelinos e che confermano, assieme alla lista

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a sud del Neto, e ora in custodia presso il Museo Nazionale Archeologico di Crotone). Officine pubbliche di laterizi dovevano essere attive a Petelia anche prima del II secolo a.C. come sembrerebbe suggerire il bollo retroverso ΑΔ (damosion), per il momento isolato, rinvenuto nella necropoli delle Manche e preliminarmente datato al IV-III sec. a.C.: cfr. Medaglia 2010, p. 160, n. 98, p. 161, fig. 132. 125 Per la lettura di IG,XIV, 637 si vedano i recenti migliora­menti apportati in Ampolo 2008, p. 23-28 (a cui si rimanda per la bibliografia precedente e per le altre proposte di emendamento); per una contestualizzazione storica dell’iscrizione vd. Costabile 1984b; sulla ginnasiarchia a Petelia cfr. anche Cordiano 1997, p. 63-65.

Sartori 1953, p. 121. Paoletti 1994, p. 529. App., Hann., VII, 29. De Sensi Sestito 2004, p. 552. Per la bibliografia specifica, cfr. Medaglia 2010, p. 121 (Umbriatico), 132 (Punta Alice), 162 (Strongoli), 209 (Santa Severina). 124 Costabile 1991; Costabile 1994, p. 440-441, 463; Paoletti 1994, p. 530-531; Zumbo 1992, p. 365-366; Zumbo 1995, p. 269. Il bollo ΔΗ oltre che in associazione con quello relativo alla coppia di magistrati (SEG, XXXVI, 921) in alcuni casi ricorre da solo sui mattoni: cfr. Medaglia 2010, p. 155-156, n. 89, p. 168, n. 373 (a tali attestazioni si aggiunge il bollo inedito recentemente rinvenuto in contrada Pizzuta,

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delfia, la presenza di Petelini in ambiti extraregionali (IG, XI, 4, 1244-1246). Non conosciamo gli interessi commerciali di Agathon, ma certamente doveva essere facoltoso se consacrò a Serapide, Iside e Anubi due piccoli altari di marmo e si sobbarcò le spese per il locale Serapeion C provvedendo, κατὰ πρόσταγμα τοῦ Θεοῦ, alla ricostruzione del soffitto del tempio (ὀρόφωσις) e alla copertura laterizia del tetto (σὺν τῶι κεραμέ[ωι]) con l’intonacatura (κονίασις)126. Per comprendere appieno il retroterra politicoculturale che ha poi favortito la presenza di Pete­ lia nella lista, bisogna considerare che fu proprio in questa fase di ellenizzazione che credibilmente i Petelini diedero impulso al mito di Filottete al fine di sottolineare la non estraneità della città rispetto alla cultura di matrice greca127 e di dare un concreto supporto alla volontà di comparire su scenari internazionali. Il mito di Filottete nella Crotoniatide128 pur se già consolidato nel IVIII sec. a.C. (e in genere attribuito a informazioni di derivazione timaica129) era stato alimentato da

una tradizione epicoria più antica130 che, tuttavia, non comprendeva Petelia bensì altre realtà dell’hinterland crotoniate131. La connessione tra Filottete e Petelia, cioè l’inclusione della città tra quei centri indigeni che potevano vantare rapporti con l’eroe omerico, come Makalla, Chone e Krimisa, è più recente e proviene da una tradizione raccolta da fonti di età romana dopo che questa ebbe sviluppo in età post-annibalica132: «un’operazione che sembra potersi considerare parte integrante di quel processo di nobilitazione conseguente all’eroico comportamento della città durante il conflitto annibalico»133. Se però la storiografia romana favorisce l’esaltazione delle radici “eroiche” di Petelia, va sottolineato – come giustamente riconosce Maria Intrieri – che l’assunzione da parte della città di connotazioni nobili fu il frutto di un processo che ebbe uno sviluppo obbligato, quasi inevitabile, in cui il centro brettio, ormai egemone nel territorio, assorbì ed elaborò i meccanismi politici e culturali dell’area circostante134. In questo contesto di

126 Hatzfeld 1912, p. 197-198; Ferray et alii, 2002, p. 237; Nocita 2012, p. 104. 127 Zevi 2005, p. 808. 128 Lycophr., Alex., 911-929; Ps. Arist., De mir. ausc., 107; Apollod., FGrHist 244, fr. 167 ap. Strabo, VI, 1, 3. Per un’analisi della questione sul corpus della tradizione filottetea nella Crotoniatide cfr., con discussione e bibliografia, Intrieri 1989, p. 12 ss.; Musti 1991, p. 21 ss. (= Musti 2005, p. 12-31); Giangiulio 1991, p. 37 ss. 129 Bibliografia in Intrieri 1989, p. 14 e Giangiulio 1991, p. 47, n. 49. Secondo un’ipotesi di M. Giangiulio la tradizione non sarebbe affatto unitaria e per quanto concerne Licofrone e lo Ps. Aristotele deriverebbe da canali diversi. Fermo restando l’attribuzione a Timeo delle notizie a fondamento degli Occi­ dentalia di Licofrone, lo studioso propone di identificare in Lico di Reggio la possibile fonte dello Ps. Aristotele (Giangiulio 1991, p. 47, n. 49, p. 49, n. 55). 130 Intrieri 1989, p. 13-14; Musti 1991, p. 21; Giangiulio 1991, p. 49. 131 Russi 1988, p. 48, 50, con bibliografia. 132 Cato, Orig., 3, 3j (= 70 P) ap. Serv., in Aen., 3, 402; Verg., Aen., 3, 401-402; Serv., in Aen., 3, 401-402; Sol., II, 10; Sil. It., XII, 431-433; Strabo, VI, 1, 3. Per una discussione sulle fonti romane, l’inquadramento cronologico e la genesi della tradizione su Petelia filottetea, cfr. con bibliografia Russi 1988, p. 48, 50, e Intrieri 1989, p. 13-14. Non è possibile dire se

Catone, il quale attribuisce a Filottete la creazione delle mura peteline e non la fondazione della città (Cato, Orig., 3, 3j (= 70 P) ap. Serv., in Aen., 3, 402), si facesse portavoce di una tradizione già esistente ai suoi tempi in antitesi a quella che faceva dell’eroe tessalo l’oikistes di Petelia o se, viceversa, esprimesse una sua convinzione personale (vd. pure Giangiulio 1991, p. 46, n. 41). Per un commento al passo catoniano alla luce della componente “polemica” che nelle Origines traspare nei confronti dell’apporto di matrice greca, cfr. da ultimo Letta 2008, p. 185-186. 133 Intrieri 1989, p. 13. 134 La benevolenza di Roma se ideologicamente fa leva sulla fides petelina dimostrata nel corso della guerra annibalica, nella realtà dei fatti doveva riguardare interessi concreti, certamente di natura economica. È stato ipotizzato (Intrieri 1989, p. 29 ss.; ma vd. pure Marino, Taliano Grasso 2010, p. 72, n. 98) che questo legame vada individuato nel ruolo determinante, forse di coordinamento per lo Jonio (settentrionale?), che la città svolse nell’ambito dello sfruttamento delle risorse della silva Sila che, come ci è noto da un passo di Dionigi di Alicarnasso (Dion. H., XX, 15), era stata per metà ceduta dai Brettii ai Romani. Sullo sfruttamento della Sila in epoca romana, oltre all’ormai classico lavoro di A. Giardina (1981), vd., con ulteriore bibliografia, Givigliano 2004, p. 209 ss.; Marino, Taliano Grasso 2010, p. 51 ss.

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ascesa politica, un ruolo di legittimazione, almeno sotto il profilo cultuale, derivò a Petelia dal poter annoverare all’interno del suo agro il vicino santuario di Apollo Aleo il quale, secondo tradizione, era la sede in cui si conservavano le armi che Eracle aveva donato all’eroe tessalo135. Dopo Petelia, a l. 87 compare Locri con il suo theorodokos Φίλω[ν---]136. Quando il centro ricevette l’annuncio da parte dei sacri ambasciatori da pochi anni, con la riconquista di Scipione del 205 a.C.137, aveva ricevuto la restituzione del foedus con Roma138 che, nella sua prima versione, risaliva al 282139. Come socia navalis la città magno-greca ospitava un presidio e forniva triremi alla flotta di Roma come avvenne, per il periodo che qui ci interessa, nel 191 a.C. per Livio Salinatore e nel 171 a.C. per C. Lucrezio140. Al pari di molte altre poleis magno-greche, anche Locri in età tardo-ellenistica/repubblicana andò incontro a un inesorabile declino che sul piano archeologico si coglie soprattutto nella riduzione del tessuto urbano e nell’abbandono di alcuni santuari posti fuori le mura141. Pur in un quadro critico dal quale la città in qualche modo si risolleverà forse solo verso la fine dell’età repubblicana142, ancora al principio del II secolo a.C. la lingua e i costumi sono saldamente ellenici e ciò, oltre che dalla documentazione epigrafica in greco143 (che comunque registra un progressivo accoglimento di elementi onomastici romani quale riflesso dell’inserimento stabile nel corpo cittadino di nuclei familiari latini)144, è testimoniato

dal racconto di Polibio che visitando la città intorno alla metà del II secolo raccolse alcune testimonianze di costumi e tradizioni elleniche ancora in uso e creduti dagli stessi Locresi di origine antichissima145. Per quanto concerne la costituzione, questa rimase quella greca sino all’istituzione del municpium Locrensium dopo la guerra sociale146. Ancora nel 62 a.C., quando ormai la romanizzazione della città è pressoché compiuta, nella menzione di Locri assieme a Reggio, Taranto e Napoli fatta da Cicerone nel Pro Archita poeta si può forse intravvedere il perdurare in città di manifestazioni culturali di matrice greca147. Sotto il profilo cultuale, il legame di Locri con Apollo in età ellenistica ben si coglie nel nome Ἀπελλαῖος attribuito a un mese del calendario locale nelle tabelle dell’Olympieion148 e nella notizia di Aristosseno sull’esecuzione a Locri (e a Reggio) di peana primaverili di purificazione in onore di Apollo149. Guardando più indietro nel tempo attraverso la storia dei culti locresi, la presenza di Apollo diviene meno labile e suggella uno dei momenti più significativi della storia cittadina. Ad Apollo erano infatti indirizzati il voto della nona alla vigilia della guerra della Sagra contro Crotone150 e le offerte votive per l’avvenuta vittoria a Olimpia151 e forse a Delfi152. Sulla base della documentazione epigrafica nota, la presenza del theorodokos locrese nella lista di Delfi costituisce per ora l’ultima menzione sicura della città greco-italiota in contesti interna-

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148 De Franciscis 1972, tabb. nn. 1, 8, 39; Costabile 1992b, p. 231 (tab. 1, l. 4); 245 (tab. 8, l. 7); 307 (tab. 39, ll. 13-14). Apollo era raffigurato anche sui pinakes locresi: Prückner 1968, p. 79, typ. 120121. 149 Aristox. fr. 117 Wehrli, ap. Apoll., Hist. mir., 40. Sui peana cfr. pure Ps. Plut., De mus., 10. 150 Iust., XX, 3, 3. Per un commento al passo, cfr. Giangiulio 1983, p. 490 ss. 151 Paus., VI, 19, 6. 152 Sulla presenza di un possibile donario dei Locresi a Delfi offerto a seguito della battaglia della Sagra e a cui andrebbero attribuiti i blocchi con metope reimpiegate nella fondazione del thesauros dei Sicionii, cfr. De La Genière 1986, p. 395-409. Per altre offerte di Locresi a Delfi in onore di Apollo, vd. Anth. Pal., VI, 54 e IX, 584.

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Ps. Arist., De mir. ausc., 107. Plassart 1921, l. 87: Φιλω[νίδας]? App., Hann., 55; Liv., XXIX, 6-7; Zon., IX, 11. Diod., XXVII, 4, 7; Liv., XXIX, 19 e 21. Iust., XVIII, 1, 9. Liv. XXXVI, 42, 2; XLII, 48, 6-7. Sulla topografia, e la contrazione, della città in età tardoellenistica cfr., da ultimo, Sabbione 2005, p. 479 ss. Si vedano inoltre Costabile 1976, p. 70, 115 ss.; Costamagna, Sabbione 1990, p. 40; Paoletti 1994, p. 509. Paoletti 1994, p. 509. Costabile 1976, p. 65 ss.; Parra 1991, p. 200. Costabile 1976, p. 72 ss. Pol., XII, 5. Sartori 1953, p. 131. Cic., Arch., V, 10.

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zionali153. Sul piano dei rapporti diplomatici con Delfi154 sarebbe stato utile sapere se il prosseno Ὀρθέας Δάμωνος, locrese, attestato in un’iscrizione delfia datata poco prima della metà del III sec. a.C. sia un Magnogreco (come sostenuto, pur dubitativamente, dal Colin) o meno155. Certa è invece la prossenia per Philistion, figlio di Theudoros, locrese d’Italia, concessa dall’alia di Corcira alla fine del III secolo a.C.156. A l. 88 della col. IV, dopo Locri, è menzionata Taisia con il teorodoco Κόμβ[---]157. Questo centro, non ancora localizzato158, è ricordato da Appiano per essere passato nel corso della seconda guerra punica dai Cartaginesi ai Romani ed essere stato nuovamente assoggettato da Annibale nel 211 a.C. quando questi intendeva impossessarsi di Reggio159. Taisia è poi richiamata da Diodoro, sulla scorta di Posidonio, a proposito di un episo-

dio della guerra sociale che vede la piccola cittadina assediata nell’88/87 a.C. dai condottieri della lega italica e che a fronte dell’impossibilità di espugnarla decisero di cingere d’assedio Reggio nella speranza di poter poi passare in Sicilia e conquistare l’isola160. Due Taisinoi161 sono infine menzionati in una defixio a carattere giudiziario della fine del III sec. a.C. rinvenuta a Locri162. Sulla base della sequenza geografica che hanno i centri della lista delfia, possiamo senz’altro ritenere che Taisia vada localizzata tra Locri e Reggio. Considerando, inoltre, alcuni riferimenti contenuti nelle fonti appena citate e in cui tale centro è sempre strategicamente legato alla conquista della città dello Stretto, quasi fosse un caposaldo163, pare ragionevole pensareche esso sia da collocarsi in una posizione interna del versante jonico del Bruzio meridionale164, comunque

153 Due Locresi – ma non è certo che siano magnogreci – sono testimoniati in varie iscrizioni delie nel corso del II secolo come offerenti del tempio di Apollo. Si tratta di Demetrios Lokros, la cui offerta è registrata dopo il 166 a.C. per tre volte (ID, 1409, Ba, col. I, 2; 1441, A, col. I, 36; 1450, A, 32) e di Zoilos Lokros la cui phiale è rendicontata nel 153/152 a.C. (ID, 1432, Bb, col. II, 16) e nel 140/139 a.C. (ID, 1450, A, 10-11). Cfr. Ferrary et alii 2002, p. 236; Nocita 2012, p. 211, 222. 154 È utile qui richiamare il decreto FD, III, 1, 176 (= SGDI, 2840) datato tra il 315 e il 280 a.C. (Daux 1943, p. 25) in cui è concessa la proxenia, la proman­ teia e l’ateleia a Demarchos, figlio di Philotas, Lokros ek ton Epizephyrion Hipponieus. Sulla difficoltà di connotare in una giusta prospettiva storico-politica il doppio etnico, cfr., con bibliografia, Musti 1977, p. 114 ss., e, contra, Savalli 1989, p. 463 ss. 155 Cfr. Colin in FD, III 2, 186 (vd. pure p. 355) seguito da Marek 1984, p. 36: Lokroi (Unteritalien). Dubbioso a questo proposito G. Rougemont (1995, p. 182); cautela è espressa in Nocita 2012, p. 245. 156 IG, IX, 1, 658 (= SGDI, 3203). Per un commento cfr. inoltre Ferrandini Troisi 1996, p. 53; Nocita 2012, p. 93, 261-262. 157 Plassart 1921, l. 88: Κομπ[---]; Manganaro 2003, p. 134, n. 5: Κόμβ[ος]. 158 Per una raccolta delle fonti su Tisia vd. Oldfather 1932, coll. 2049-2051; Turano 1971, p. 19-37; Angeletti 2011, p. 677-679. 159 App., Hann., 44. 160 Diod., 37, 2, 13; Posid., fr. 242 Theiler. Il passo è riportato anche da Photius (Bibliotheca, 244 [392b]). In Diodoro il centro è chiamato Ἰσίας e non è possibile dire se al medesimo insediamento si debba ricondurre Ἰζιάς, la πόλις Οἰνώτρον posta da Ecateo

ἐν μεσογείᾳ, in virtù della somiglianza del polionimo: Hecat., FGrHist 1F 67a; (ap. Steph. Byz., s.v. ’Ιζιάς). Vd. pure Herodian., De pros. Cath., III-1, 286-287 Lentz. È da notare, comunque, che i contesti geografici riferiti alle due poleis così come si ricavano dalle due fonti sembrano essere diversi (Intrieri 1995, p. 144, n. 1). Su Ecateo e le poleis enotrie, vd. Ronconi 1993, p. 45-51 e Ronconi 1995, p. 37-47. Vd. infra, n. 170. Zumbo 1995, p. 269, B13; D’A more 1997; SEG, XLVII, 1483; Costabile 1999, p. 53-74; SEG, XLIX, 1359. Cordiano, Accardo 2004, p. 118. I tentativi d’identificazione del centro di Taisia sono numerosi e per quelli effettuati tra l’Ottocento e l’inizio del Novecento rimandiamo ad Angeletti 2011, p. 677 ss. C. Turano (1971, p. 49 ss.), al quale si deve una rassegna delle fonti antiche sul centro, ne pro­ pose l’identificazione con il territorio circostante l’odierno paese di Motta San Giovanni, sulle colline a sud-est di Reggio. Successivamente D. Castrizio (1995, p. 29-34) emendando il tradito, e certamente corrotto, Theseunti (e varianti) in Taesiati di un passo catoniano sui Tauriani tramandatoci da Probo (Prob., Praef. in Verg. Buc. p. 326 H (Cato orig. fr. 71 P.): «Item Cato originum III: †Thesunti (varianti Theseunti e Thelunti) Tauriani vocantur de fluvio, qui propter fluit…») ha proposto in maniera non del tutto convincente un’identificazione di Taisia con Taureana, localizzando così il centro sul versante tirrenico del territorio reggino: per alcune riserve a questa localizzazione cfr. Cordiano 2000, p. 162163; A rcuri 2002, p. 424; Letta 2008, p. 187 (a quest’ultimo contributo – p. 186-190 – si rimanda per un’aggiornata rassegna circa le varie ipotesi di emendamento al testo delle Origines).

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non troppo lungi da Locri se consideriamo le implicazioni derivate dalla citata defixio165. Nell’impossibilità di inserire con certezza la po­ lis in una prospettiva cronologica ecataica fondata sulla non comprovabile corrispondenza dei polionimi Τισίας/Ἰσίας/Ἰζιάς, non rimane che limitarci a osservare che il centro è menzionato a partire dalla fine del III sec. a.C. e che in data anteriore forse appartenne al territorio reggino. È inoltre da sospettarsi che Taisia in origine fosse uno di quei villaggi sparsi della chora reggina definiti περιοικίδες da Strabone166. L’emergere di questo centro fortificato dovette avvenire quando Reggio, pur riconquistata l’eleutheria nel 351/350 a.C., perse parte del controllo su quello che in data anteriore al dominio siracusano era il proprio territorio167. In questo «vuoto politico e militare»168, durato un trentennio, evidentemente trovarono terreno fertile alcune comunità volte a darsi forme di autonomia e di indipendenza, come nel caso della nascita dell’entità statale autonoma dei Tauriani169 e come, pur nelle dovute

proporzioni, avvenne forse per l’oppidum dei Tisiatai (o Taisinoi)170. L’ultima località del Bruzio ad essere visitata dai theoroi per l’annuncio dei Pythia e dei Soteria è Reggio dove ad attenderli, al tempo in cui essa era civitas foederata171, c’era il teorodoco Μυΐσκος (col. IV, l. 89). A giudicare da quanto si ricava dall’epigrafia delfica172, nel corso del II sec. a.C. Reggio è l’unica tra le poleis del Bruzio a vantare dei prosseni a Delfi, onore che in Magna Grecia spettò a tre eleati, a un tarantino e a un brindisino (romano)173. Nel 190/189 a.C., in un momento quindi vicino a quello in cui peregrinarono i sacri ambasciatori, è insignito della prossenia Ὄρθων Ζωπύρου ‘Ρηγῖνος il cui nome è inciso sul grande catalogo del muro poligonale174. Successivamente, nel 150/149 a.C., al kitha­ rodos reggino Athanadas, figlio di Zopyros, che si era particolarmente distinto gareggiando nei Soteria, a Delfi furono tributati molti onori (proxenia, prodikia, promanteia, asylia, ateleia e proedria)175.

165 Per quanto concerne la prossimità di Taisia con Locri, F. Costabile (1999, p. 73-74) osserva: «Da questo documento epigrafico si evince che la vicinanza fra Taisia e Locri fece sì che fra gli abitanti delle due poleis intercorressero rapporti ed interessi privati: si spiega probabilmente così che nella defixio, insieme ai nomi attestati a Locri, ne appaiano altri tipicamente italici che sembrano riferibili a Taisia». 166 Strabo, VI, 1, 6. Cfr. Insolera 2010, p. 237 ss. 167 Sull’assetto della chora reggina al termine del dominio siracusano, vd. Castrizio 1995, p. 11 ss. (in partic. p. 25-26); Cordiano 2000, p. 160 ss.; Insolera 2010, p. 238 ss. 168 Cordiano 2000, p. 161. 169 Per le fonti sui Tauriani, cfr. De Sensi Sestito 2005, p. 61-73. 170 L’etnico Ταισιάτης è attestato in Appiano (Hann., XLIV, 190); la forma *Ταισῖνος, evidentemente alternativa alla prima, si evince dal testo della defixio locrese alle ll. 7, 11 emendata da F. Costabile (1999, p. 72; SEG, XLIX, 1359). D. Castrizio (1995, p. 115117) attribuisce a Taisia un piccolo bronzo del peso di 1,96 gr. con al R/ la legenda TA: contra Insolera 2010, p. 245-246 che vede nella moneta in questione una emissione di Temnos, in Eolide, dell’inizio del III sec. a.C.; per G. Cordiano (2000, p. 169, n. 44) l’attribuzione della moneta a Taisia non è del tutto certa.

171 Invio di triremi come socia navalis: Liv., XXVI, 39, 5; Liv., XXXV, 16, 3; Liv., XLII, 48, 7; fedeltà a Roma: Plut., Fab., XXII, 1; Liv., XXIII, 30, 9; Liv., XXIV, 1, 1-2; Liv., XXVI, 12, 2. Cfr. Sartori 1958, p. 135; Buonocore 1989, p. 34. 172 Per il III secolo a.C. va segnalata l’iscrizione onorifica di Delfi riguardante Αἰσχύλος ‘Ρη[γῖνος]: Homolle 1899, p. 540, n. 27, l. 2. A causa della lacunosità dell’epigrafe non sappiamo quali onori ricevette il Reggino, ma non è escluso che si trattasse della proxenia. Rimanendo nell’ambito del III secolo (metà) ricordiamo che Reggio vantava prosseni anche a Tenos al tempo in cui l’isola era sede del Koi­ non dei Nesiotai: cfr. IG, XII Suppl. 313, l. 7. Nella medesima iscrizione, lacunosa, sono ricordati anche i prosseni di Crotone (vd. supra, n. 100) e di Taranto. 173 Nocita 2012, p. 78, e, per le fonti, p. 85-86. 174 Syll3, 585, l. 82; SGDI, 2581, l. 82; Daux 1936, p. 587; Rougemont 1995, p. 182. Sul catalogo dei prosseni delfici inciso sul cd. «muro poli­gonale», cfr. Daux 1936, p. 17 ss.; Guarducci 1969, p. 348-350. 175 Daux 1949a, p. 276-277, n. 27; Nachtergael 1977, p. 484-486, n. 70; Rougemont 1995, p. 182; Manganaro 2003, p. 134, n. 6; Nocita 2012, p. 78-79, e p. 192-193 con altra bibliografia. Come riportato dall’iscrizione a l. 16 una copia del decreto delfico doveva essere duplicata a Reggio.

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Com’è ampiamente noto Apollo vantava legami assai stretti con la città di Reggio e, assieme ad Artemide, era al centro del pantheon cittadino176. La stessa fondazione della colonia calcidese è ascritta da varie fonti a un responso dell’oracolo delfico177. Nella Delfi di età arcaica dovevano essere ben noti i legami con la città di Reggio se il kitharodos reggino Ariston, gareggiando nelle Pitiche contro il locrese Eunomos, per ingra­ ziarsi il pubblico ci tenne a far presente che i suoi antenati erano stati devoti del dio Apollo e che proprio da Delfi erano partiti per fondare la colonia reggina178. Secondo Varrone il culto di Apollo risalirebbe ancora più indietro dell’apoikia e sarebbe da collocarsi in età eroica quando Oreste, dopo essersi purificato del matricidio in uno dei fiumi che scorrono in prossimità della città, eresse presso Reggio un tempio dedicato al dio179. Dal lucus posto presso l’Apollonion i Reggini coglievano l’alloro che portavano con sé dando inizio a una dafneforia che si svolgeva periodicamente da Reggio a Delfi180. Nell’ambito delle annuali celebrazioni cittadine al dio vanno assai probabilmente inseriti anche i già menzionati peana cantati in primavera in onore di Apollo e di cui abbiamo notizia da Aristosseno181. Pure la riedificazione di una parte della città di Reggio con il nome di Phoebia ad opera di Dionisio II182 se da una parte è certamente legata al rapporto del tiranno con il dio del quale si ritene-

va figlio183, dall’altra dovette far leva proprio sulla centralità del culto apollineo a Reggio184. Altri indicatori della devozione ad Apollo sono costituiti dalla presenza dell’effige del dio nella monetazione cittadina a partire dal 430-420 a.C. circa185 e dai mattoni con la stampiglia ΑΠΟΛ­ ΛΩΝΟΣ e ΙΕΡΑ ΑΠΟΛΛΩΝΟΣ prodotti tra IV e II sec. a.C. da una figlina dell’Apollonion ed esportati anche nella vicina Messana186. Sulla base di quanto detto ben si comprende come, tra tutte le poleis del Bruzio, Reggio «non poteva non essere uno dei punti fermi dell’itinerario magno-greco e siceliota percorso dai theoroi del santuario pitico»187. Pur in toni modesti, il culto di Apollo continuò ad aver seguito a Regium Iulium anche nella prima età imperiale come confermano una serie di bassorilievi iscritti con attributi apollinei188 e un’iscrizione attualmente irreperibile, di I-II sec. d.C., che ricorda il lascito testamentario di Ti. Bervenus Ti. f. Sabinus IIII­ vir aed. pot. II al tempio di Apollo Maior189.

176 Sui principali culti di Reggio vd. Camassa 1987; Parra 2005 (su Apollo in partic. p. 425-426). 177 Antioch., FGrHist 555 F 9 apud Strabo VI, 1, 6; Heraclid. Lemb., fr. 55 (Dilts) = FGrHist 213 F 25; Diod., VIII, 23, 2; Dion. H., XIX, 2; Strabo, VI, 1, 6. Per un’analisi delle fonti sulla fondazione cfr. Vallet 1958, p. 66-80; Camassa 1987, p. 133 ss. Su Strabo, VI, 1, 6 (e FGrHist 555 F 9) vd. Musti 1994, p. 37-40. 178 Strabo, VI, 1, 9: «ἱεροὺς γὰρ εἶναι τοῦ Θεοῦ τοὺς προ­ γόνους αὐτοῦ καὶ τὴν ἀποικίαν ἐνθένδε ἐστάλθαι». 179 Varr., Ant. rer. hum., p. 110 Mirsch. 180 Cfr. n. precedente. Sul tema del culto apollineo a Reggio, e sulla tradizione varroniana in particolare, si veda Costabile 1979, p. 525-545. 181 Cfr. supra, n. 149 e Camassa 1987, p. 150. 182 Strabo, VI, 1, 6. 183 Plut., De Alex. fort. aut. virt., 338 b. 184 Sulla rifondazione di Reggio cfr. Lucca 1995, p. 163169.

185 Michelini 2001, p. 18-21, con bibliografia pre­ce­ dente. 186 Per il tipo cfr. IG, XIV, 2394, 1 (Messana). Inoltre Costabile 1979, p. 535; Camassa 1987, p. 184; Lucca 1995, p. 167; Parra 2005, p. 426. 187 Camassa 1987, p. 150. 188 Costabile 1979, p. 537-538 (in partic. nota 66 nn. I = IG, XIV, 617 = Buonocore 1989, p. 45, n. 617 = D’A more 2007, p. 34-37, n. 8 e II = Buonocore 1989, p. 60-61, n. 13 = D’A more 2007, p. 38-39, n. 10). Su IG, XIV, 617 si veda inoltre Buonocore 1989, p. 45. Per i rilievi in oggetto – in cui sono ricordati sacrifici celebrati ad Apollo e ad Artemide – vd. anche Camassa 1987, p. 148, e Lucca 1995, p. 167. 189 ILS, 5471. Cfr. Buonocore 1989, p. 41, n. 6 con bibliografia precedente e ora Michelini 2001, p. 9. Il riferimento ad un «tempio maggiore» evidentemente presuppone l’esistenza in città di un altro edificio di culto dedicato ad Apollo.

Possiamo concludere sottolineando l’importanza delle liste di Epidauro e Delfi quali testimonianze di notevole interesse storico. Se calate nei rispettivi quadri cronologici, esse fungono da spia delle trasformazioni e dei cambiamenti a cui furono soggette le istituzioni delle poleis bruzie tra la metà del IV e l’inizio del II sec. a.C. I due cataloghi, infatti, si collocano agli estremi

40 – l’inizio e la fine – di quella che fu la fase discendente della parabola storica del Bruzio greco. Con la lista epidauria ci si approssima al 356 a.C. e cioè a un momento decisivo, certamente di svolta, per la storia dell’attuale Calabria magnogreca. In quell’anno emblematico in cui cadde il potere dionisiano a Siracusa – con le conseguenti ripercussioni sull’estrema porzione della regione peninsulare – registriamo la nascita dalla costola lucana della confederazione autonoma dei Brettii. A questi ultimi, nuovi e agguerriti protagonisti dello scenario politico, si deve in gran parte imputare la lacerazione degli assetti regionali e il progressivo indebolimento delle città italiote. Dal canto suo, la lista di Delfi ci restituisce l’immagine, un po’ mutata, di un Bruzio che agli inizi del II secolo a.C. è reduce dalla guerra annibalica ed è investito dalla politica coloniaria romana. Con il rafforzamento dei foedera e le deduzioni di nuove colonie, lì dove sorgevano illustri poleis, andava in gran parte consolidandosi la romanizzazione dell’attuale Calabria con il conseguente tramonto dei fasti magnogreci.

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Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici

45

Fig. 1: La lista dei theorodokoi di Epidauro (da IG IV2 1, 95).

46

Salvatore M edaglia

Fig. 2: Le poleis magnogreche di IG IV2 1, 95.

Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici

Fig. 3: Stele dei theorodokoi di Delfi (BCH, 45, 1921): disposizione schematica delle cinque colonne sui frammenti conservati (da Daux 1965).

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Salvatore M edaglia

Fig. 4: Le poleis menzionate alla col. IV, ll. 83-90 della grande lista di Delfi (BCH, 45, 1921).

Dal viaggio dei theoroi di Epidauro a quello dei theoroi delfici

38 39 40 41 42 43 44 45

46 47a 47 48 49 50 51 52 53

49

Προσχέωι· Ἂνδρυς Συρακούσσαις· Δίων Ἱππαρίνου Ἡρακλείδας Λυσιμάχου Ἰταλίας· Λοκροῖς· Βύτιος Κρότωνι· Σώνικος Πείθους Θουρίοις Φρασίδας Φαΰλλου Τάραντ{ι· Ἳππων, Δαμόξενος} Τέρινα· Μέγων Ἁγησιδάμου vacat Ἰταλία· [ς] Ῥήγιον· Ἀλκέδαμο{…3-4..ωνος} Μεταπόντιον· Φιλήμενος {rasura} Θουρίοις· {Δάμων}

Tav. 1: Testo di IG, IV2 1, 95, ll. 38-53 (secondo l’edizione Perlman 2000, p. 180-182).

Col. IV 81

ἐγ Κορκύρᾳ Μνασίλ[ας,



82

Λαδέκτας, Λέω[ν, -



83

ἐν Τάραντι Νέω[ν, -



84

ἐν Ἡρακλείαι Ἡρα |[--



85     τεος Οὐτάλης • 86 ἐμ Πετηλίαι Ὀφάλ[λιος,



87

ἐν Λοκροῖς Φιλω[ν-



88

ἐν Ταισίαι Κόμβ[ος]



89

ἐν Ῥηγίωι Μυΐσκος[



90

ἐμ Μεσσάναι Λαρω[ν-



91

   νας, Λεύκων, Λα[-











Tav. 2: Testo di BCH, 45, 1921, col. IV, ll. 81-91 (secondo l’edizione Manganaro 1964, p. 420-421 e Manganaro 2003, p. 134 nota 5).

Lorenz E. Baumer

Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence

No literary works are more universally acceptable than those which contain an account of travels into foreign countries, and, if judiciously and faithfully executed, they certainly afford both an agreeable and useful amusement. This character, we apprehend, truly belongs to the performance now before us, which the learned, the lover of antiquity, and those who read merely for the sake of that general entertainment, of which books of this kind are naturally productive, will, we doubt not, peruse with satisfaction and pleasure3.

La Crotone actuelle, ou Crotone située dans le golphe à six milles de ce cap [= Capo Colonna], est la ville la plus affreuse de l’Italie, et peut-être du monde entier. Le mauvais air qui y règne la dépeuple tellement qu’elle ne contient que cinq milles âmes ; son promontoire est à peine connu, et ressemble à la campagne de Rome1.

C’est ainsi que le baron allemand Johann Hermann Riedesel décrit la Crotone moderne dans son « Voyage en Sicile et dans la Grande Grèce », à l’occasion de son passage en Calabre en mai 1767. Le récit du voyage, conçu en deux « Lettres » ou « Sendschreiben », fut publié provisoirement et sans indiquer le nom de l’auteur ni même l’en informer, par son ami et tuteur Johann Joachim Winckelmann à qui Riedesel avait adressé son texte. L’ouvrage, rédigé en allemand et republié en 1771, suscita un grand intérêt et devint l’un des livres les plus influents pour les voyageurs du Grand Tour en Sicile. La traduction en anglais, parue comme celle en français en 17732, reçut un accueil très favorable dans la Monthly Review, le premier magazine littéraire de Londres, qui connut une grande diffusion après avoir été fondé en 1749 par Ralph Griffiths :  











Une autre raison qui contribua à la large diffusion de l’ouvrage fut la remarque de Goethe, qui note dans son « Voyage en Italie » pour le 26 avril 1787 à Agrigente :  

J’ai joui, à la fenêtre, d’une magnifique matinée, ayant à côté de moi mon ami secret, silencieux, mais non pas muet. Une crainte pieuse m’a empêché jusqu’à présent de nommer le mentor que j’observe de temps en temps de l’œil et de l’oreille : c’est l’excellent de Riedesel, dont je porte le petit livre sur mon cœur comme un bréviaire ou un talisman. Je me suis toujours miré très volontiers dans les natures qui possèdent ce qui me manque, et c’est ici le cas : résolution tranquille, sûreté du but, moyens, connaissances et préparatifs nettement conçus et convenables ; relations intimes avec un maître excellent, avec Winckelmann : tout cela me manque, avec tout ce qui en découle4.



1

2 3

R iedesel 1773a, p. 190. Les citations de la présente contribution sont tirées de cette première traduction française, publiée chez François Grasset à Lausanne. Pour le texte original en allemand, voir R iedesel 1771 ainsi que l’édition commentée de Schulz 1965. R iedesel 1773b. – Autres traductions : R iedesel 1802 (français) ; R iedesel 1821 (italien). Monthly R eview 1772-1773, p. 199.





4

Goethe 1862, p. 319. Voir le paragraphe original en allemand cité par exemple dans Osterkamp 1987b, p. 194 : « Ich genoß des herrlichsten Morgens am Fenster, meinen geheimen, stillen, aber nicht stummen Freund an der Seite. Aus frommer Scheu habe ich bisher den Namen nicht genannt des Mentors, auf den ich von Zeit zu Zeit hinblicke und hinhorche ; es ist der treffliche von Riedesel, dessen Büchlein

52

L orenz E. Baumer

Le grand poète et savant allemand fut probablement aussi influencé par Riedesel et ses remarques négatives sur Crotone et sur la Calabre en général, comme on verra plus bas, dans sa décision de ne pas visiter du tout cette région de l’Italie du Sud et de la dépasser en bateau, sans s’arrêter. Mais avant de poser la question de l’influence du « Voyage en Sicile et dans la Grande Grèce » sur les voyageurs, il faudra regarder de plus près la personnalité du baron allemand ainsi que le récit qu’il donne de son séjour en Calabre.  



Johann Hermann von Riedesel, Freiherr zu Eisen­bach, est né le 11 novembre 1740 à Höllrich dans le Spessart et est décédé le 20 septembre 1784 à Vienne5. Après des études de droit, il n’a pas eu la possibilité de commencer la carrière usuelle d’un officier militaire à cause de sa taille, petite et bossue. Il est alors parti pour un Grand Tour qui l’a mené d’abord à Paris, puis à Rome, où il a rencontré en 1763 Winckelmann. De cette première rencontre s’est ensuite développée une amitié avec un intense échange de lettres. Ce fut en effet aussi à la demande de Winckelmann que Riedesel a entrepris en 1767 son voyage en Sicile et en Grande Grèce, suivi, en 1768, d’un voyage en Grèce et au Levant. Mais alors que le récit du voyage de Riedesel en Sicile et en Grand Grèce est devenu un ouvrage standard pour les voyageurs du Grand Tour, son périple en Grèce et au Levant, qui a eu lieu l’année même où Winckelmann fut assassiné à Trieste et qui l’a mené en trois étapes de Naples à Smyrne, de Smyrne à Athènes, et enfin d’Athènes à Constantinople, est largement tombé dans l’oubli6. Le récit de ce deuxième voyage fut publié, d’abord, en 1773, en français sous le titre « Re-

marques d’un voyageur moderne au Levant », et une année après en traduction allemande, mais sans susciter un intérêt particulier. Après plusieurs autres voyages en Europe, Riedesel est entré enfin dans le service diplomatique de Frédéric II de Prusse où il s’est engagé en particulier pour la Paix de Teschen de 1779, signée entre la Prusse et l’Autriche pour mettre fin à la Guerre de Succession de Bavière. Ce succès diplomatique est commémoré dans un portrait dont subsiste une copie gravée (fig. 1). En 1784, Riedesel est décédé à Vienne après un accident de cheval. Pour les deux voyages, Riedesel avait essayé sans succès de convaincre Winckelmann de l’accompagner7. Adepte de Winckelmann et certes influencé par celui-ci dans son regard sur les ruines et les antiquités en Italie, en Grèce et en Turquie, il était en même temps bien différent dans son parti d’étudier les monuments sur place et dans leurs conditions réelles, ce qu’a aussi souligné tout récemment et à bon droit Giovanna Ceserani8. On ne s’étonnera alors pas que l’on trouve dans le « Voyage en Sicile et dans la Grande Grèce » plusieurs mentions de Winckelmann, et que le récit, composé en deux parties dont la première traite de la Sicile, alors que la deuxième concerne le passage en Calabre, commence par un mot adressé à Winckelmann lui-même :  







Vous m’avez permis, mon cher ami, de vous communiquer les observations que je viens de faire en parcourant la Sicile, et la partie la moins connue du royaume de Naples : vous vous attendez bien, sans doute, à y trouver autres choses que des descriptions d’antiquités ; car vous savez combien j’aime à discourir avec mes amis, vous connoissez mes diverses fantaisies, et vous n’ignorez pas qu’elles embrassent plus d’un objet. Si leur multiplicité a mis quelquefois votre patience à l’épreuve, je ne me suis jamais aperçu



ich wie ein Brevier oder Talisman am Busen trage. Sehr gern habe ich mich immer in solchen Wesen be­spie­gelt, die das besitzen, was mir abgeht, und so ist es grade hier : ruhiger Vorsatz, Sicherheit des Zwecks, reinliche, schickliche Mittel, Vorbereitung und Kennt­nis, inniges Verhältnis zu einem meister­ haft Belehrenden, zu Winckelmann ; dies alles geht mir ab und alles übrige, was daraus entspringt. » – Sur l’importance de Riedesel pour Goethe voir Oster k ­ amp 1987b.

5

6 7 8

Pour la biographie de Riedesel, voir R ehm 1938, p. 71-101 ; Becker 1940, p. 7-62 ; Hausmann 1969, p. 55-56 ; Constantine 1984, p. 124-146 ; Oelwein 2003, p. 571 (avec bibliographie) ; Scamardi 2006, p. 32-36 ; Ceserani 2012, p. 80-86. Voir Baumer 2011 (avec bibliographie p. 81, n. 9). Pour le voyage en Grèce voir Baumer 2011, p. 80-81 ; pour le voyage en Grande Grèce et en Sicile voir Scamardi 2006, p. 35. Ceserani 2012, p. 81.

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Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence

qu’elle en ait été rebutée ; ainsi pour peu que vous daigniez user de la même complaisance pour ce tribut du tendre attachement que je vous ai voué pour la vie, je vais vous livrer avec la plus grande satisfaction la totalité de mes remarques. Je le fais avec d’autant plus de confiance que je connois votre indulgence, que je sais que vous m’aimez, et qu’au bout du compte il n’est rien dont vous ne parveniez à tirer quelque utilité9.

Ensuite commence le récit, par l’indication : « Je me suis embarqué le 10 Mars 1767, sur le Santa Maria del Parco, chébec du roi de Naples […] »10. La première lettre, plus importante et plus longue, donne la description du voyage en Sicile, où Riedesel a débarqué le 18 mars 1767 à Palerme. Sans vouloir entrer ici dans les détails de cette première partie du voyage qui a été discutée à maintes reprises déjà dans la recherche11, il suffit de rappeler que Riedesel s’est concentré sur les côtes ouest, sud et est de la Sicile, en laissant de côté le nord, car il n’y avait rien de grec à voir. Comme une année plus tard en Grèce, le baron se déplace majoritairement en bateau, avec quelques petites excursions qu’il fait à cheval. Le 11 mai 1767, il quitte la Sicile en empruntant le passage de Messine à Reggio de Calabre, deux mois exactement après son départ de Naples, au jour près. La deuxième partie du voyage, le passage en Calabre, porte la marque d’une plus grande rapidité qui semble parfois même presque expéditive, ce qui n’est pas sans influence sur la longueur du récit : dans l’édition française de 1773, le séjour en Sicile comprend 175 pages, alors que le voyage en Grande Grèce n’occupe que 90 pages. A la fin, ce ne seront que 22 pages qui traitent de la Calabre proprement dite12. Il faut  





bien dire que le séjour de Riedesel en Calabre n’a duré qu’une dizaine de jours, et il est arrivé à Tarente dès le 20 mai. Avant d’étudier la description de la Calabre de plus près, et étant donné que Crotone est au centre de l’intérêt de la présente contribution, rappelons brièvement que Winckelmann luimême a traité dans plusieurs publications de cette ville. A part une courte mention des monnaies de Crotone dans les Monumenti antichi inediti de 176713, il revient sur Crotone à plusieurs reprises dans son Histoire de l’Art dans l’Antiquité, publiée en 1764, où il parle, en se fondant sur les sources antiques, de la fameuse peinture de Zeuxis14, de l’apogée de la médecine à Crotone15 et enfin du fait que la ville, entourée d’un mur d’enceinte de 18 km, aurait compté à sa meilleure époque plus d’un million d’habitants, alors qu’il n’en restait que vingt mille pendant la Deuxième Guerre punique16. Il ajoute enfin l’épisode du démantèle­ment de la toiture du temple d’Héra Lacinia par Fulvius Flaccus17. Une autre mention de Crotone se trouve dans les Remarques sur l’architecture des anciens, publiée en allemand en 1762, donc cinq ans avant le voyage de Riedesel :  

A Crotone, dans la grande Grèce, il subsiste aussi des ruines, auxquelles on donne aujourd’hui le nom d’Ecole de Pythagore. Mais excepté les monumens dont nous venons de parler, il s’en est peu conservé dans ces contrées où se trouvoient anciennement de si grandes et de si célèbres villes, ainsi que je l’ai appris, entr’autres de Mylord Brudnell18, qui a parcouru, il y a environ trois ans, toute la côte de la Calabre, jusqu’à Tarente19.



9 10 11

12

R iedesel 1773a, p. 1-2. R iedesel 1773a, p. 2. Osterkamp 1987a, p. 142-144 ; Osterkamp 1987b ; Chevallier 1987 ; Scamardi 1987 ; Tuzet 1988, p. 37-40 ; Osterkamp 1992 ; Mertens 1993 ; Ceserani 2000, p. 188-191 ; I psen 2002 ; Faber, GarmsCornides 2006 ; Nestmeyer 2008, p. 13-15. R iedesel 1773a, p. 176-198. – Pour le séjour de Riedesel en Calabre : Turano 1971 ; Scamardi 1998, p. 63-70 ; Scamardi 2006, p. 31-37 ; Ceserani 2012, p. 84-86. – Pour son passage ensuite en Apulie en particulier Scamardi 1988, p. 18-23 (avec une nouvelle traduction en italien des paragraphes correspondants de son récit, p. 91-127).

13 14 15 16 17 18

19

Winckelmann 1767, p. 61 ; pour la traduction en français, voir Winckelmann 1808, p. 91. Winckelmann 1764 [2005], p. 251. Winckelmann 1764 [2005], p. 471 Winckelmann 1764 [2005], p. 539. Winckelmann 1764 [2005], p. 539. Le « Mylord Brudnell » est à identifier avec John Brudenell-Montagu, Lord Montagu et Marquess of Monthermer (1735-1770) qui était entre autres membre de la Society of Dilettanti à Londres. Son voyage en Calabre et en Apulie en 1757 est avéré, mais il manque des témoignages directs : R ehm 2002, p. 446-447, n. 29 (avec bibliographie). Winckelmann 1783, p. x (préface).

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L orenz E. Baumer

La base littéraire sur laquelle Riedesel a entrepris son voyage en Grande Grèce a donc été, à part les sources antiques, bien faible. Il souligne par ailleurs au début de son récit et après une courte adresse personnelle à Winckelmann, qu’il avait même renoncé à s’informer au préalable :

fondamentaux pour le génie de l’art grec22, et Riedesel, suivant ce même ordre d’idées, envisageait alors de les vérifier23. Ainsi, il s’exalte à l’occasion d’un passage à Malte qui a complété son tour en Sicile :  



Seconde lettre. Comme vous exigez, mon cher ami, que je vous communique les observations que j’ai faites dans la suite de mon voyage au travers de tout le royaume de Naples, immédiatement après avoir fait le tour de la Sicile, je vais vous livrer telles que je les ai jettées sur le papier à mesure que les objets me les fournissoient ; ce que je n’oserois hazarder, si je n’étois sûr que votre amitié me pardonnera mes erreurs et que votre profond savoir les redressera. Vous n’y trouverez rien de faux ni d’inexact, quant à la situation des lieux, ni même dans la description des choses que j’ai vues de mes yeux ; mais pour ce qui concerne mes conjectures et les jugemens que j’ai portés sur bien des objets, je vous préviens que j’ai suivi tout uniquement mes premières idées, sans beaucoup de réflexions, et sans consulter même aucun écrivain, ne m’ayant pas été possible de beaucoup méditer, ni de mener aucun livre avec moi, dans un voyage aussi pénible que celui-là20.

Ah ! mon ami, que la liberté est essentielle au bonheur de l’homme ; et comment se peut-il qu’il y en ait tant qui la méconnoissent, qui la méprisent et qui y renoncent volontairement. Ames insensibles ! pouvez-vous ainsi fouler aux pieds le plus grand bien de l’humanité !24

Dans ce même ordre d’idée, la description de la Sicile se termine par le constat désillusionné :  

En un mot le climat, le sol de la Sicile, et ses productions sont encore aussi bons qu’ils l’ayent jamais été, mais l’inestimable liberté dont jouissoit l’ancienne Grèce, la population, la puissance, la magnificence et le bon goût n’existent plus, et les habitans actuels peuvent dire fuimus Troës25.

Des observations similaires, même si elles sont partiellement contradictoires, sur l’influence du climat se trouvent aussi dans les pages sur la Calabre :  

Venu pour observer de ses propres yeux, il commence sa description par une analyse de la Charybde, qui « n’est ni profonde ni dangereuse, et que ce tourbillon n’est point occasionné par un goufre, mais uniquement par deux courants opposés, qui s’efforcent de pénétrer l’un du côté du nord, et l’autre du côté du sud, dans le détroit[…] », en ajoutant que « c’est ordinairement par l’ignorance des mariniers, qui prennent mal leur tems pour s’engager dans le détroit ; le courant les jette alors contre le rivage où ils sont forcés d’échouer »21. La volonté de vérifier les théories sur l’art et la culture antiques – surtout grecque – sur place, qui s’exprime dans ces lignes, et en même temps la forte influence de Winckelmann se révèlent surtout dans l’observation du climat et dans les remarques sur la liberté. Ces deux éléments étaient pour Winckelmann

Vous êtes sans doute étonné que tous ces débris de l’antiquité se trouvent toujours placés au dessous des villes actuelles de la Calabre. La raison de cela vient de ce que toutes les villes [médiévales et modernes] de cette province, à cause du mauvais air qui y règne pendant les chaleurs, ont été bâties sur les hauteurs, ce qui n’étoit pas aussi commun du tems des anciens ; la nombreuse population de cette contrée s’opposoit alors au mauvais air, dont les effets pernicieux n’étoient point connus dans ces tems là26.











20 21 22

R iedesel 1773a, p. 176-177. R iedesel 1773a, p. 177-178. L’influence du climat chez Winckelmann remonte à la base à la théorie des climats de Montesquieu, développée dans son Esprit des lois.

En ce qui concerne les monuments antiques, le passage en Calabre a abouti à une grande déception : à Reggio de Calabre, où il commence son court séjour, il constate :  



Il ne reste que très peu ou pour mieux dire point du tout de vestiges de l’ancien Rheggium, tout ce que j’en ai pu trouver se réduit à quelques vieux murs de briques ou mattoni, qui paroissent avoir appartenu à 23 Cette même idée a marqué encore plus clairement son voyage ultérieur en Grèce : Baumer 2011, p. 82. 24 R iedesel 1773a, p. 67. 25 R iedesel 1773a, p. 175. 26 R iedesel 1773a, p. 185.

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Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence

un temple, mais ils sont tellement endommagés qu’il n’est plus possible de reconnoitre si ce temple étoit de figure ronde ou quarrée27.

Il mentionne par ailleurs à Reggio de Calabre « plusieurs inscriptions grecques encastrées dans les façades de différentes maisons », mais mal placées, et il n’a ainsi « pas pris la peine de les transcrire, d’autant plus qu’elles sont à moitié effacées, et très difficiles à déchiffrer »28. Locres ne se présente pas mieux :  

d’avoir une vue d’ensemble de ce site de première importance32, ce n’était qu’une partie encore beaucoup plus réduite qui était visible au XVIIIe siècle. Pour ne citer que le début de la description que donne le baron allemand :  



Capo Colonne, est le Promontorium Lacinium, proche Crotone, sur lequel étoit bâti le fameux temple de Junon Lacinie, dont il s’est conservé des débris assez considérables. Ce temple étoit du même ancien ordre dorique que ceux de Pestum, de Girgenti [Agrigente], etc. Sa largeur est de soixante-six de mes pas, et sa longueur de cent trente-deux, cette mesure approchante suffit pour vous faire juger qu’il étoit d’une belle grandeur. Il subsiste encore d’un côté une partie des murs de la nef, auxquels j’ai observé comme une chose fort singulière, qu’ils étoient construits par lits qui sont alternativement en pierres et en briques. Le premier lit est en pierres ; il a sept palmes et demi de haut ; le second que je n’ai pu mesurer à cause de son élévation, est d’ouvrage réticulaire de briques. Il est clair qu’on a voulu par là donner plus de légèreté à ces murs […]33.







Je parcourus très longtems les ruines de cette ancienne cité, qui sont toutes en briques (mattoni) à la réserve de quelques murs qui sont en pierre, et je n’aperçus que les débris de quelques tombeaux qui fussent un peu reconnoissables ; tout le reste ne présente que des masses de maçonnerie, de l’ancienne forme desquelles on ne sauroit reconnoitre la moindre chose ; je ne doute pas que si l’on voulait déblayer et creuser, on ne trouvât sous ces ruines des fragmens de statues et de colonnes. Ce ne fut pas sans étonnement que je trouvai dans les ruines d’une ville grecque tant de débris d’édifices de briques, et si peu en pierre ; j’en ai conclu que Locres doit avoir été entièrement détruite dans des tems antérieurs, soit par un tremblement de terre, soit par les Romains, qui l’ont ensuite rebâtie à leur manière29.

Le même sentiment se répète aussi ailleurs, sans que la place permette d’entrer ici dans plus de détails ou de discuter les différents sites30. On constate en général et en comparaison avec la Sicile que les descriptions sont souvent plutôt rapides et que la déception a gagné Riedesel au fur et à mesure de l’avancement de son voyage31. Vu l’absence générale de ruines grecques visibles en Calabre, on s’étonnera moins qu’il nous donne une description détaillée du temple d’Héra Lacinia à Capo Colonna. Avec les fouilles archéologiques du siècle dernier, et même si on est loin 27 28 29 30 31

R iedesel 1773a, p. 178. R iedesel 1773a, p. 178. R iedesel 1773a, p. 182. Voir les exemples que donne Ceserani 2012, p. 84-85. Ceserani 2012, p. 85 remarque à bon droit : « Unlike Sicily, then, Magna Graecia left Riedesel with a sense of emptiness and disorientation ». 32 Voir récemment Spadea 2006 ; Medaglia 2010, p. 270-286 n° 282 (pour l’histoire de la recherche p. 274-277) et Baumer 2010, p. 20-24.

Ce paragraphe montre, comme ailleurs en Sicile ou en Grèce, le procédé de Riedesel qui ne s’est pas limité à donner une description, mais qui a pris soin de mesurer avec autant de précision qui cela lui était possible34. Il faut constater en même temps qu’il a interprété visiblement le mur d’enceinte du sanctuaire comme faisant partie du temple, lui donnant ainsi des dimensions beaucoup trop grandes, c’est-à-dire d’environ 56 × 122 m, alors que le temple ne mesurait en réalité que 24 × 59 m35. L’auteur s’étonne logiquement des dimensions de la colonne qui était beaucoup trop petite pour un tel bâtiment :  













Elle faisoit partie de la colonnade qui passoit derrière la nef ; l’ordre de cette colonne est, comme j’ai déjà dit, d’ancien dorique, sans base. Elle n’a de remarquable que sa petitesse en proportion de la grandeur

33 34

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R iedesel 1773a, p. 186-190. Ceserani 2012, p. 82 constate à juste titre : « Such measuring was crucial for Riedesel. […] Mesurements provide a testament to his presence at the sites as well as a way to lead the reader around the remains in lieu of visual illustrations. » Voir aussi Baumer 2010, p. 20. Pour les dimensions du temple voir Medaglia 2010, p. 281.

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L orenz E. Baumer

du temple, de plus, elle n’a que vingt cannelures au lieu de vingt-une qu’on trouve à toutes les autres colonnes de cet ordre ; c’est un fait que je puis affirmer et constater, ayant compté moi-même ces cannelures à trois ou quatre reprises36.

La description précise de Riedesel a eu aussi une influence sur la recherche plus récente : l’attribution (erronée, comme nous l’avons vu) du mur d’enceinte au temple a amené par exemple Dieter Mertens à supposer que le temple aurait connu à l’époque romaine une grande phase de restauration dont rien ne subsisterait aujourd’hui, à l’exception d’un fragment d’une tête de lion en marbre qui « présente toutes les caractéristiques d’un élément de restauration romaine »37. Visiblement basée sur la description de Crotone par John Brudenell-Montagu qu’a donnée Win­ckel­ mann dans ses Remarques sur l’architecture des anciens en 176238, Riedesel soupçonne par ailleurs « que la ville entière de Crotone étoit située dans ce même endroit, à en juger du moins par la quantité de vestiges de tombeaux et de maisons qu’on y trouve », en admettant en même temps qu’ils « sont dans un état de dégradation si complet, qu’il n’est plus possible d’y rien reconnaître »39. Il refuse en même temps d’interpréter le mur d’enceinte (qu’il a attribué pour sa part au temple) comme l’école de Pythagore, en ajoutant sur un ton légèrement cynique qu’on « pourroit tout aussi aisément faire voir la maison de l’athlète Milon, qui étoit Crotoniate »40. Des conséquences importantes ont été produites par la description de Crotone elle-même qui s’ajoute à celle du Capo Colonna et qui commence avec la phrase citée tout au début de cette contribution, après laquelle Riedesel mentionne :  

Le roi fait creuser un port dans cette ville ; il y a déja bien des années qu’on y travaille, la dépense s’en monte déja à cent huitante mille ducats de Naples, et les vaisseaux n’y sont encore en sureté ni pour l’ancrage, ni contre les vents, de sorte qu’il est manifeste que ce prince a été trompé41.

Selon le baron, le port n’était pas seulement inutile, mais avait aussi incité à la destruction partielle du temple d’Héra Lacinia, comme Riedesel l’observe pendant sa visite du cap :  

Le pavé de la nef est couvert de terre, qu’on pourroit aisément déblayer, ce qui serviroit à reconnoitre plus exactement la forme de l’édifice ; à moins que ce pavé n’eut pas déjà été détruit, car il n’y a que très peu de tems que cette terre a été jettée dans cet endroit, lorsqu’on fit la belle opération de déterrer les gradins des faces latérales du temple ; non point, comme vous pourriez vous l’imaginer, pour les voir et les mettre à découvert, mais pour les enlever et les employer à la construction du nouveau port de Crotone. M’en étant plaint à l’ingénieur de ce port, il crut me calmer en me disant qu’on en voyoit assez dans ce qui restoit du posticon pour dispenser de conserver le reste du temple42.



















36 37 38 39

R iedesel 1773a, p. 187-188. Mertens 1984, p. 198-200 pl. XXVc ; voir aussi Medaglia 2010, p. 281, et Baumer 2010, p. 21. Voir plus haut, p. 53 avec n. 17-18. R iedesel 1773a, p. 189. – Il n’est par ailleurs pas tout à fait sûr, mais au moins possible que Riedesel a aussi été à l’origine d’une autre proposition, avancée par plusieurs chercheurs italiens (voir Medaglia 2010, p. 284) : selon cette lecture des vestiges, la Crotone antique se serait trouvée au moins à partir de la fondation de la colonie romaine en 194 av. J.-C. à Capo Colonna, mais l’idée est contredite par plusieurs im-

La destruction partielle du temple qui a amené le baron à abandonner sa discrétion43 et à se mettre en contact direct avec l’un des responsables, n’a certes pas contribué à améliorer son image de Crotone. Le compte rendu déjà cité plus haut de l’édition anglaise du récit dans la Monthly Review de 1773 donne la traduction du paragraphe sur le temple à Capo Colonna, y compris le fait de sa destruction, mais supprime toute mention de la Crotone moderne44. Il est évident que la revue a ainsi contribué non seulement à la diffusion de l’ouvrage de Riedesel, mais surtout aussi à l’image négative de la Calabre et tout premièrement de Crotone. Le compte rendu se termine

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portantes découvertes récentes de l’époque romaine à Crotone elle-même. Pour l’instant, nous ne pouvons que constater que la fonction des bâtiments romains sur le Capo Colonna, dégagés au nord du temple, nous échappe encore. R iedesel 1773a, p. 189-190. R iedesel 1773a, p. 189. R iedesel 1773a, p. 188. Riedesel n’a eu que de très peu contacts avec la population locale lors de son séjour en Grande Grèce, ce que souligne aussi Ceserani 2012, p. 85. Monthly R eview 1772-1773, p. 281-282.

Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence

sur le plaisir que Riedesel a eu de retourner enfin en Campanie, avec sa riche nature et le bonheur qui en résulte :

57

Baumer 2010 : L. E. Baumer, « Trois sanctuaires extra-urbains », in : L. E. Baumer, D. Marino, éds., Ô dieux de Crotone ! Lieux et témoignages du sacré à l’intérieur d’une ville antique de Calabre. Catalogue d’exposition, Genève, Université, 1er octobre – 22 décembre 2010 ; Paris, Institut national d’histoire de l’art, 15 janvier – 1er avril 2011, Paris, 2010, p. 20-27.

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Monthly R eview 1772-1773, p. 286. – Voir aussi R iedesel 1773a, p. 262-263 : « Je respirois une douce volupté en m’approchant de cette heureuse Campanie où la nature a répandu si abondamment ses dons les plus exquis, & quoique j’eusse traversé dans ma course bien des provinces singuliérement favorisées du ciel, vous ne sauriez imaginer l’impression que fit sur mon ame, en rentrant dans ce pays, le superbe

aspect de la terre de Labour (Terra di Lavoro). La nombreuse population, la belle culture, la grande abondance de toutes les denrées nécessaires à la vie, l’aspect d’un peuple heureux, tout annonce la prospérité de cette contrée. Combien plus heureux encore ses habitans ne pourroient-ils pas être, si une administration mieux entendue secondoit tant d’avantages. »



Baron Riedesel appears greatly delighted as he advanced in his progress nearer the city of Naples : ‘I with pleasure approached, says he, the happy Campania, where Nature showers down her choicest blessings ; and though I had travelled through fine provinces, yet you cannot imagine how great was my joy, when I again viewed this country, and beheld the beautiful Terra di Lavoro. The populousnes, the cultivation, the abundance of provisions, the sight of contented people, all are proofs of the happiness of this country ; and how much more happily could the people live, if a wise government would contribute to their welfare’45.

En somme, on ne s’étonnera pas que pour beaucoup de voyageurs, le Grand Tour se soit par la suite arrêté à Naples ; et ceux qui sont allés plus loin vers le Sud et qui comme Goethe ont visité la Sicile, n’ont pas reçu par le récit de Riedesel d’invitation explicite à visiter aussi la Calabre, qui est restée alors – et en particulier en ce qui concerne Crotone – une région largement négligée. Mais quand on prend son temps pour y aller, la Crotoniate se présente avec une richesse archéologique et une beauté de paysages à découvrir, non seulement le long de sa côte, mais aussi dans son arrière-pays que le baron allemand n’a jamais eu l’occasion de visiter.  

Bibliographie

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L orenz E. Baumer

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Le passage du Baron von Riedesel à Crotone et son influence

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Fig. 1 : Johann Hermann von Riedesel, gravure par Jacob Adam d’après un portrait de Johann Daniel Donat. 1779-1782. Bibliothèque universitaire de Heidelberg, collection graphique, Graph. Slg. P_0832.

Stefano O. Condorelli

« To tell you the truth, I wish I were fairly back at Naples ». Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)  



Le 28 décembre 1776 en fin de journée, un troismâts de location entre dans le port de Naples avec à son bord une famille de riches Anglais accompagnés de leurs serviteurs et de leurs chevaux. Pour la mère et les enfants il s’agit du premier contact avec l’Italie ; le père, Henry Swinburne, a déjà séjourné dans la Péninsule, mais c’est la première fois qu’il se rend au sud de Florence1. Swinburne est, à cette date, un homme de trentetrois ans doté d’une solide culture classique et artistique et d’une belle fortune. Né à Bristol en 1743, quatrième fils d’une famille catholique de la petite noblesse anglaise, il avait d’abord étudié dans une grammar school du Yorkshire, puis, en France, au séminaire du monastère de Lacelle2. Il est possible qu’en tant que cadet ses parents l’avaient destiné à prendre l’habit monastique. Toutefois, la mort de sa mère en 1761 (son père était décédé en 1744), puis de son frère aîné en 1763 marquent un tournant dans son destin. Henry hérite en effet d’une pension annuelle ainsi que du domaine d’Hamsterley dans le comté de Durham. Grâce à cette indépendance financière, il peut se consacrer à ce qui est sans doute sa passion, à savoir les beaux-arts qu’il étudie à Pa-

ris, Bordeaux et Turin. Il voyage également dans le nord de l’Italie et séjourne à Florence. De retour à Paris, il rencontre une jeune fille anglaise élevée en France dans un couvent d’ursulines, Martha Baker, la fille d’un riche propriétaire des Antilles. Henry et Martha se marient à Aix-laChapelle en 1767 et s’installent peu après à Hamsterley. Nous ne savons pas grand-chose au sujet des sept années que le couple passa dans le comté de Dur­ham, si ce n’est qu’ils eurent trois enfants et qu’ils aménagèrent magnifiquement le parc d’Hamsterley. Selon leur biographe, les Swinburne se seraient ennuyés de cette vie campagnarde et auraient par conséquent décidé de partir en voyage3. Nous verrons par la suite que l’ennui ne fut sans doute pas l’unique raison du départ. Quoi qu’il en soit, après avoir pris les dispositions nécessaires pour une longue absence, le 27 février 1774 ils s’embarquent pour Calais avec nourrices, serviteurs et bagages. De début mars à début juin ils résident à Paris où ils fréquentent le grand monde et la cour, dans une atmosphère assombrie par la maladie et le décès de Louis XV4. Ils se rendent ensuite à Bordeaux, visitant au passage Orléans et les châteaux de la Loire. Bordeaux, où ils demeurent auprès de cousins par alliance, et où naît leur quatrième enfant, les retient onze mois, d’août 1774 à juin 1775. Ils parcourent ensuite le Sud-Est de

Pour sa biographie White 1841 ainsi que Prideaux 1898. Ce monastère, tenu par une communauté de bénédictins anglais réfugiés en France, accueillait des jeunes

catholiques anglais et irlandais. Cf. Butler 1836, p. 223. White 1841, p. VIII. Le roi décède le 10 mai 1774.

D’Hamsterley à Naples, en passant par la France et l’Espagne



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Stefano O. Condorelli

la France et les Pyrénées en compagnie de Thomas Gascoigne, un ami de longue date d’Henry, issu lui aussi d’une famille de l’aristocratie catholique anglaise. Après avoir installé Martha et les enfants à Tarbes, les deux amis décident d’entreprendre seuls un voyage vers l’Espagne. Comme Swinburne l’explique à son frère (à qui il demande de garder le secret sur ce voyage), ils n’ont pas vraiment un itinéraire fixé d’avance, mais plutôt un ensemble de villes qu’ils désirent visiter5 :  

Arles, Nîmes, le Pont du Gard et Orange. Pensant qu’il n’est pas prudent de franchir les Alpes en hiver, ils décident de rallier Naples par la mer. Ils affrètent une polacre (navire marchand portant trois mâts) et quittent Marseille le 17 décembre. Calmes plats et gros temps se succèdent au cours de la traversée. La nuit du 25 au 26 décembre, au large de l’île du Giglio, le vaisseau est pris dans une violente tempête et manque de prendre feu. Deux jours plus tard, au large de Ponza, ils aperçoivent la silhouette du Vésuve en éruption : « a new and striking scene to us all » écrit Swinburne8. Enfin, le 28 décembre, après onze jours de navigation, ils arrivent à Naples.  

How far we shall push our travels, or how long we shall be out I cannot yet affirm, as it will depend on circumstances ; but our present intention is to go as far as Grenada, Gibraltar, Cadiz, perhaps from hence to Lisbon, and afterwards to Madrid.

Partis au mois d’octobre 1775, ils parcourent d’abord la côte de Barcelone jusqu’à Cadix, puis reviennent par Séville, Madrid, Burgos, Bayonne, et sont de retour à Tarbes fin juin 1776. A Madrid, ils ont été reçus par le roi et ses ministres. Henry, qui a déjà prévu de passer l’hiver suivant à Naples, profite de l’occasion pour obtenir des lettres de recommandation pour cette ville6 :  

The Spanish ministers, écrit-il à son frère, have been so obliging as to send us letters of recommendation to all the principal people at the Neapolitan court, and moreover have mentioned us in their private correspondence, which will ensure us a welcome reception.





A Naples : excursions, mondanités et nostalgie du pays natal  

Autant par choix narratif 9 que sans doute par discrétion, Swinburne n’évoque pas dans son Travels in the Two Sicilies les aspects quotidiens de son séjour napolitain. Il n’y décrit pour l’essentiel que les principales excursions qui le conduisent dans les alentours de la grande ville : Vésuve, péninsule de Sorrente, fouilles d’Herculanum, Pompéi, Stabia, etc. C’est le recueil de ses lettres10 qui permet de saisir des éléments de vie quotidienne : une existence pleine d’agréments, résolument placée sous le signe de la mondanité. Installés dans des appartements à Chiaia – qui est alors le quartier à la mode de Naples –, les époux Swinburne et Gascoigne vont de bals en concerts, de théâtres en parties de cartes, de déjeuners en dîners et « conversazioni », sans oublier les chasses, les réceptions et les « grands galas » de la cour. Dans l’une de ses lettres, Henry  



C’est également à Madrid qu’il commence à mettre en ordre ses notes de voyage. Après plusieurs mois de « busy writing », il a terminé fin novembre de rédiger le manuscrit de son Travels through Spain, et se préoccupe de trouver un éditeur anglais7. Entre temps, la famille Swinburne au complet, toujours accompagnée de Gascoigne, a rejoint Marseille, après avoir visité en chemin  

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Lettre du 27 juillet 1775 in Swinburne 1841, p. 6364. Bien qu’il ne soit sans doute pas possible de prendre pour argent comptant l’intégralité des lettres de Swinburne, je pars du principe que cela ne concerne pas les aspects qui nous intéressent ici, à savoir les détails pratiques de ses voyages, ainsi que les considérations d’ordre personnel.









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Ibid., p. 116. Ce n’est que suite à son retour en Angleterre, en 1779, qu’il réussit à le faire publier. Swinburne 1783, I. p. 46. Cf. par exemple ce qu’il déclare dans Swinburne 1841, p. 80. Swinburne 1841.

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Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

déclare à ce propos : « The festinos [traduisons les réceptions] are crowded, and there is no end to the balls »11. Une vie mondaine d’une telle intensité n’est possible que parce que les trois Anglais sont immédiatement accueillis et pleinement intégrés par l’aristocratie napolitaine. Ainsi, à peine arrivés, ils sont présentés à la famille royale, puis invités à dîner et à l’opéra par le prince de Iaci (l’un des hommes les plus influents de la cour), puis encore conviés par le prince de la Rocca à la cérémonie pour la prise de voile de sa sœur dans le couvent de Santa Chiara. Dans la première lettre qu’il envoie depuis Naples, Swinburne se demande si cet accueil si chaleureux est dû à la gentillesse naturelle des Napolitains (gentillesse qui serait, selon lui, la conséquence de la douceur du climat) ou serait plutôt à mettre sur le compte des lettres d’introduction qu’il avait obtenues en Espagne (cf. supra)12. A côté des cercles napolitains, les nouveaux arrivés sont également rapidement intégrés par l’importante communauté étrangère de la ville. Swinburne, francophile de longue date, apprécie particulièrement les bals donnés par l’ambassadeur de France et les pièces jouées dans le théâtre « français » financé par ce dernier. Toutefois, en dépit – ou peut-être en raison – de ce climat cosmopolite, l’appartenance nationale demeure un facteur important de sociabilité. Ainsi, la colonie anglaise se réunit chaque semaine pour une soirée (« très agréable » note Swinburne) chez lord Tilney, un riche mécène qui avait dû fuir Londres et qui vivait avec faste à Naples depuis plusieurs années. Il arrive aussi qu’elle se cotise afin d’offrir des spectacles (par exemple une « burletta » au début du mois d’avril, peu avant le départ de Swinburne pour la Calabre). Enfin, lors des  















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Ibid., p. 132. Ibid., p. 125. Ibid., p. 126, 133, 145. Ibid., p. 64 et 118. Ibid., p. 124. Ibid., p. 182. Victoire d’autant plus significative que les chevaux napolitains passaient à l’époque pour être les meilleurs d’Europe. A ce propos cf. Braudel 1979, I, p. 393.

grands dîners à la cour, les Anglais sont généralement assis à la même table13. Ouvrons ici une parenthèse pour souligner que l’amour pour tout ce qui est « English » et la nostalgie du pays natal constituent un thème récurrent des lettres de Swinburne. Il se plaint régulièrement à son frère, qui réside en Angleterre, que celui-ci ne lui écrive pas plus souvent et plus longuement afin de l’informer des dernières nouvelles locales. « I know of nobody’s marriage, or death, or any one occurrence of the country » lui dit-il par exemple. Ou encore : « I have not had a letter from England the Lord knows when »14. Dans la première lettre qu’il lui adresse de Naples, il lui annonce dès la deuxième phrase : « There are a great many English here at present, of which those I know are… »15. Autres exemples : il évoque avec plaisir la sollicitude des souverains napolitains à l’égard de ses concitoyens, ou encore la victoire de chevaux « anglais » lors d’une course organisée dans les rues de la ville16. Ce patriotisme de Swinburne n’est pas sans influence sur sa façon de percevoir et juger les réalités qui lui sont étrangères. Contrairement à nombre de voyageurs de son époque (le prince de Ligne, Goethe ou encore Vivant Denon pour ne citer que quelques noms célèbres), et en dépit de sa xénophilie prononcée, il n’est pas à proprement parler un esprit cosmopolite, c’est-à-dire un homme peu dominé par un sentiment de « vanité nationale »17. J’insiste sur ce point, car plusieurs auteurs récents l’ont au contraire dépeint comme un fervent cosmopolite18. Or, bien qu’il se déclare sans préjugés, et bien qu’il lui arrive de critiquer la « vanité » patriotique des autres peuples européens, lui-même assume pleinement son identité et ses goûts britanniques. Nous avons déjà in­ diqué quelques exemples, nous pourrions en  































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Le cosmopolitisme fut, comme l’on sait, l’un des grands thèmes du xviiie siècle. Pour ne citer qu’un exemple, Duclos 1751, I, p. 75 écrit : « Les hommes de mérite, de quelque nation qu’ils soient, n’en forment qu’une entre eux. Ils sont exempts d’une vanité nationale et puérile, ils la laissent au vulgaire ». Cf. Di Matteo 1999, p. 212-213 ; Pesavento 2006 ; A moroso 2007.

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mentionner d’autres : ses remarques sur le peu d’appétit d’un « English stomach » pour la nourriture catalane ; ses allusions ponctuelles au sujet de la supériorité anglaise en matière d’agriculture, de médecine, de bonnes manières, de politique, etc. ; ou encore l’enthousiasme qu’il manifeste lorsqu’il rencontre des compatriotes au cours de ses voyages19.  









L’ambition d’une carrière littéraire Swinburne avait-il l’intention de visiter la Grande Grèce et la Sicile avant même de partir pour Naples, ou le projet mûrit-il sur place ? La question se pose dans la mesure où les régions les plus méridionales de l’Italie ne faisaient pas partie, à cette date, du circuit habituel du Grand Tour20. Jusqu’au début des années 1770, les voyageurs qui s’étaient aventurés au sud de Naples avaient été plutôt rares, et encore plus rares ceux qui avaient rédigé un compte rendu de leur voyage. La publication en 1771 du Reise durch Sizilien und Großgriechenland de Johann Hermann von Riedesel21 et, en 1773, du A tour through Sicily and Malta de Patrick Brydone avait cependant marqué un tournant. Traduits dans plusieurs langues, les deux livres avaient eu un grand succès et avaient contribué à créer une sorte d’effet de « mode » (pour reprendre l’expression qu’emploie Hélène Tuzet22) autour de la Sicile et de la Grande Grèce. Il est possible qu’Henry Swinburne, pour en revenir à lui, ait découvert les deux ouvrages l’année  



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Cf. par exemple Swinburne 1841, p. 73 et 393. Brydone 1773, p. 3, déclare à ce propos : « this little expedition [le voyage en Sicile] has never been considered as any part of the grand tour ». Brydone visite l’île en 1770, un an avant la publication du livre de Riedesel. Voir à ce sujet la contribution de L. Baumer dans cet ouvrage. Tuzet 1955, p. 9. Le livre de Riedesel avait été traduit en français et anglais en 1773. Inutile de préciser que l’ensemble des raisons, con­ scientes et inconscientes, qui incitèrent S. à entre-

même de leur publication anglaise23, à savoir en 1773. C’est en tout cas mon hypothèse. A tort ou à raison, je suis également porté à penser que les deux récits l’inspirèrent fortement, au point de jouer un rôle non négligeable dans son projet de quitter l’Angleterre pour un second Grand Tour bien différent du premier24. L’inspirèrent en quel sens ? En mettant en évidence que l’Europe offrait la possibilité de voyages aussi fascinants que les périples aux antipodes d’un Cook ou d’un Bou­ gain­ville25 et, d’autre part, en prouvant qu’une telle expérience permettait d’écrire un livre à succès. Il est donc possible que le projet de visiter le sud de l’Italie ait commencé à germer dans l’esprit de Swinburne alors qu’il était encore à Hamsterley. Pourtant, ce n’est pas vers l’Italie qu’il dirige d’abord ses pas, mais vers l’Espagne. De multiples raisons ont pu motiver ce choix. Je pense, toutefois, que l’une des plus importantes a sans doute été celle-ci : Sicile et Calabre ne lui offraient plus que le rôle du suiveur (puisque la gloire de les avoir « redécouvertes » et décrites avait été saisie par Riedesel) ; en revanche, il pouvait encore aspirer à être le premier à « redécouvrir » l’Espagne et ses antiquités. Aucune grande description en anglais de ce pays n’avait en effet été publiée depuis longtemps26. On comprend, par conséquent, pourquoi il demande à son frère de garder le secret au sujet de son plan (cf. supra) : il craint, de toute évidence, qu’un autre voyageur, s’inspirant de son idée, puisse lui ravir la première place. En janvier 1776, alors qu’il se trouve à Cadiz, il apprend cependant qu’un certain Richard Twiss a publié quelques mois plus tôt un Travels through Portu­  















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prendre ce Grand Tour ne peuvent que nous échapper. Cf. la célèbre mise en garde de Bourdieu 1986, p. 69-70. Pour une perspective historiographique plus générale Levi 1989. Pour mémoire, le Voyage autour du monde de Bougainville, publié en 1771, avait été traduit en anglais en 1772 ; Cook était revenu de son premier voyage en 1771 pour repartir en 1772. C’est ce qu’explique Swinburne dans la préface de Swinburne 1787, p. vi : « Les voyages d’Espagne qui ont paru jusqu’à présent sont ou vieux ou oubliés, et par conséquent peu propres, à plusieurs égards, à donner une juste idée de son état actuel ».

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Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

gal and Spain. Le coup est rude. Néanmoins, jugeant que l’ouvrage de son concurrent est très faible, Swinburne décide de persister dans son dessein. C’est ce qu’il explique à son frère27 :

dans la carrière littéraire, que sur celui qui y marche le plus hardiment et de son plein gré. C’est pourquoi je serai très franc, et je dirai que, lorsque je partis, mon intention étoit de publier les remarques que je pourrois faire sur ce royaume. J’avois un violent désir de fouler un chemin qui n’auroit pas été encore foulé par les voyageurs, afin de pouvoir connoître quelle confiance on pouvoit accorder aux relations qu’ils avoient déjà données.



The publication of a pompous book on Spain, by Mr. Twiss, damped my ardour when I heard about it ; but upon the perusal of the work my colour came again, and the resolution has become doubly strong in me. It is scarcely possible to write a more shallow, pedantic, catch-penny book than that […].

Ecrivant à un ami quelques jours plus tard, il ajoute : « the publication of Twiss’s book, I apprehended, would render my plan abortive »28. Preuve supplémentaire qu’il avait franchi les Pyrénées avec le plan en tête d’être le premier de sa génération à décrire l’Espagne. Plusieurs éléments indiquent que Swinburne prend très au sérieux ce projet. Depuis qu’il a quitté Paris, il tient par exemple un journal où il note « tout ce qu’il voit »29 ; en Espagne, il recueille des traductions de manuscrits arabes, s’informe auprès de lettrés, dessine et mesure les monuments antiques et mauresques, etc., afin d’étoffer le contenu de son récit avec ces matériaux et informations30. C’est toutefois dans la préface de son livre qu’il exprime le plus clairement le « violent désir » qui l’avait animé au cours de son voyage. Voici ce qu’il écrit31 :  

















La plupart des voyageurs [déclarent] qu’ils n’avoient pas eu d’abord l’intention de se faire imprimer, mais qu’ils y ont été déterminés par les sollicitations importunes de leurs amis32. Cette excuse réussit rarement ; car quand quelque défaut essentiel excite l’indignation du lecteur, il porte un jugement aussi sévère sur celui qui n’est entré qu’involontairement 27 28 29 30 31 32

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Swinburne 1841, p. 70. Ibid., p. 80. Ibid., p. 24 et 80. Cf. ses commentaires à ce sujet : ibid., p. 114. Swinburne 1787, p. vi. Il y a sans doute là une référence directe à la préface du livre de Brydone, où celui-ci déclare que les lettres qui composent l’ouvrage, écrites pour l’amusement de ses amis, « never were intended for publication. » Qu’il publie à Londres en 1787 sous le titre de Jour­ ney from Bayonne to Marseilles. Si l’on excepte la publication, en 1776, d’un journal de voyage vieux de plus d’un demi-siècle : celui de Dryden jr. qui avait visité la Sicile en 1700.

La rédaction du Travels through Spain n’a pas épuisé son ambition littéraire : le trajet des Pyrénées à Marseille lui fournit la matière pour un deuxième ouvrage33, et il arrive à Naples décidé à en écrire un troisième. Il est sans doute d’autant plus motivé qu’aucun nouveau livre de voyage en Grande Grèce et Sicile n’est paru depuis ceux de Riedesel et Brydone34. Cette fois, son but – tel qu’il ressort de la préface du Travels in the Two Sicilies35 – n’est plus d’être le premier, mais le meilleur, c’est-à-dire (selon ses propres termes) le plus exact et le plus complet. « Part of my route is fresh land, écrit-t-il, and where I shall be under the irksome necessity of treading in the footsteps of preceding authors, I hope something will be struck out that has escaped their penetration »36. Egratignant au passage Brydone et Riedesel, il ajoute que les voyageurs qui l’ont devancé ont souvent fait preuve de « hastiness, misconception or credulity », et que son propre tour lui a permis de corriger leurs erreurs. Enfin, pour attester la valeur de son livre par un témoignage prestigieux, il cite une lettre de William Hamilton, l’ambassadeur d’Angleterre à Naples37, qui déclare que l’ouvrage lui a été utile lors de son dernier voyage en Calabre et qui ajoute : « I could neither add nor alter »38.  











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Cette longue préface constitue un document de premier ordre pour analyser quelles étaient, en ce dernier quart du xviiie siècle, les règles et les exigences du récit de voyage en tant que genre littéraire distinct du roman : vérité, exactitude, précision, simplicité du style, etc. Sur ce thème cf. en particulier Chupeau 1977, Wolfzettel 1996 et Iachello 2000. Swinburne 1783, I, p. iv et vii pour cette citation et la suivante. Voir à son sujet la contribution de J. Blanc dans cet ouvrage. Lettre de 1789 cit. dans Swinburne 1790, I, p. viii.

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Quoi qu’il en soit, c’est probablement pour se distinguer de ses deux prédécesseurs que Swinburne prévoit de commencer son périple par les Pouilles, et de poursuivre ensuite vers la Calabre et la Sicile : Riedesel avait suivi le parcours inverse, tandis que Brydone avait seulement visité la Sicile. En suivant cet itinéraire, Swinburne échappe d’une certaine manière (pour reprendre son expression) à « l’ennuyeuse nécessité de marcher dans les pas » de ses devanciers.  





Voyage du printemps, voyage de l’hiver Est-ce par esprit de rivalité ou de jalousie39 ? Toujours est-il que Swinburne manifeste de la hargne envers le baron Riedesel et du dédain à l’égard de Brydone. Non pas tant dans son livre, où il se contente de les critiquer plus ou moins ouvertement (cf. supra et infra), mais dans ses lettres. Voici par exemple ce qu’il écrit, depuis Palerme, à son frère40 :  



I am sorry I left Brydone’s book at Naples for it would have amused me on the road, and I should be glad to see how far he deserves the reputation of lying that most travellers have bestowed on his work. However, he is certainly right in what he says about the scarcity of female beauty in this part of the world. I have baron Riedesel’s voyage with me ; it is incorrect and credulous. His Puglia journey gave me a disgust, for the continual blunders he makes ; but I am afraid his Sicilian one will prove worse.

Swinburne a beau se dire « dégoûté » par l’ouvrage de Riedesel, il l’emporte quand même en voyage, preuve qu’il ne lui est pas entièrement inutile. La remarque sur les femmes siciliennes montre qu’il a également lu attentivement Brydone. Faut-il s’en étonner ? Malgré leurs dé 





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Swinburne a deux motifs de jalousie : les deux auteurs l’ont précédé en Sicile et Grande Grèce, et ils ont obtenu ce succès littéraire auquel lui-même aspire. Remarquons qu’un autre voyageur, le comte de Borch (qui précède de quelques mois Swinburne en Sicile), fait preuve d’une hargne similaire à l’égard de Brydone, signalant à longueur de pages ses fanfaron-

fauts vrais ou supposés, les textes de ses devanciers lui offrent des informations de première main (état des routes, panoramas qu’elles offrent, localisation des sites archéologiques, etc.) qui lui ont certainement servi en chemin, comme lors de la planification de son itinéraire. Toutefois, lui-même raconte qu’il s’est essentielle­ ment préparé à travers la lecture des ouvrages de l’Antiquité. Strabon et Virgile sont les deux auteurs qu’il cite le plus souvent et qui lui paraissent les plus dignes de foi. Ainsi, décrivant la baie de Squillace, il s’attache à concilier la réalité du lieu avec ce qu’en dit Virgile. Ou encore, il considère que Strabon fait incontestablement autorité au sujet de la localisation du site de Locres41. Il cite également Homère, mais plus rarement et avec davantage de circonspection, par exemple à propos de l’identification de l’« île de Calypso » au large de Capo Rizzuto42. Autre type de préparation, celle qui concerne les aspects pratiques et logistiques du voyage. Peutêtre instruit par son expérience espagnole de l’année précédente, il ne part pas cette fois « à l’aventure », mais planifie au contraire minu­ tieuse­ment son parcours. Grâce à son réseau d’amitiés et de connaissances napolitaines, il a sûrement pu récolter de nombreuses données sur les régions qu’il a l’intention de traverser. Le prince de Francavilla, le meilleur de ses amis napolitains et l’un des plus grands feudataires des Pouilles, a probablement été une source de renseignements de premier ordre en ce qui concerne cette province. Par ailleurs, début avril 1777, quelques jours avant son départ, il rend visite à un certain docteur Domenico Cirillo qui lui montre ses « drawings of Calabria » et qui l’informe sans doute également sur la région43. Quelles qu’aient été ses sources exactes d’information, elles lui ont permis d’établir un itinéraire – que lui-même appelle une « route »44 – qui pré 













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nades et ses « erreurs » : Borch 1782, I, p. 153, 190, 196 et passim. Swinburne 1841, p. 187. Swinburne 1785, I, p. 325, 334. Ibid., p. 316-317. Ibid., p. 148. Ibid., p. 288.

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voit précisément le trajet, les temps de parcours, et par conséquent aussi les lieux où faire halte chaque nuit. En outre, comme plusieurs de ces étapes sont des villes ou des bourgs féodaux, Swinburne a obtenu de leurs seigneurs respectifs une lettre de « recommandation » censée lui ouvrir les portes de leur palais. C’est muni de cette « route », ainsi que de la carte du royaume la plus précise qu’il a pu trouver45, qu’il quitte Naples le 12 avril 1777. Comme lors du voyage en Espagne, il laisse sur place sa femme et ses enfants (non seulement parce que le voyage paraît trop dangereux et inconfortable, mais aussi parce que Martha est enceinte de six mois) et part en compagnie d’un ami. L’ami en question (presque certainement Thomas Gascoigne) rebrousse chemin au bout de quelques jours en raison d’une maladie non mieux précisée. Swinburne, pour autant, ne reste pas seul puisqu’il a emmené avec lui un guide ainsi que plusieurs serviteurs dont un valet napolitain. Néanmoins, ni la présence de ces derniers, ni les rencontres qui ponctuent son trajet (il aura d’ailleurs rarement l’occasion de converser avec des personnes appartenant à son « monde », ou du moins susceptibles de l’intéresser véritablement) ne peuvent pallier l’absence d’un ami aussi intime que Gascoigne. Cette relative solitude est sans doute l’une des causes de l’ennui et de la mélancolie qui vont parfois le gagner au cours du périple. Nous allons y revenir. Swinburne et ses « gens », comme il les appelle, cheminent à cheval. Une « chaise » (c’est-à-dire une voiture tirée par des chevaux ou des mulets) suit : il l’utilise pour transporter les bagages, mais aussi pour se reposer lorsqu’il est fatigué de chevaucher. Quand lui et ses hommes sont rompus de fatigue, il leur arrive également de faire une sieste sur la paille dans une grange. Par exemple, dans le fief de Cassano, près de Sybaris. Par contre, contrairement à ce qu’il avait fait en Espagne, il n’a pas emporté de lit de camp, sans doute parce qu’il pense que la préparation  





















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Ibid., p. 125. Il s’agit de la carte établie par G. A. Rizzi Zannoni et imprimée à Paris en 1769.

minutieuse de sa « route » va lui permettre de dormir chaque nuit dans de bons draps. Enfin, il raconte qu’il porte toujours sur lui, outre son journal de voyage, une paire de pistolets de poche et un sabre « si rouillé qu’il était impossible de le tirer du fourreau »46. Pour en venir au trajet, après avoir quitté Naples, Swinburne suit la grande route pour Bari, en passant par Avellino, Ariano et Foggia (voir la carte). De Bari il se rend à Ostuni, puis à Francavilla (la seigneurie de son ami) où il est accueilli en grande pompe par les autorités municipales et la population. De là il rayonne pour des excursions dans les environs. Il poursuit ensuite vers Tarente et Métaponte, et arrive en Calabre – et plus exactement à Monte Giordano, qui marque la frontière de la province – le 7 mai, un peu plus de trois semaines après son départ. Il reste en tout quinze jours en Calabre, longeant la côte Ionienne jusqu’à Crotone, puis continuant par la mer jusqu’à la plage de Catanzaro, enfin par voie de terre jusqu’à Reggio. Là, en raison des fortes chaleurs qu’il a éprouvées au cours des jours précédents, il renonce à continuer son voyage vers la Sicile47. Préférant éviter la longue route pour Naples (l’ancienne voie Popilia), mais faute de navire en partance pour cette ville, il s’embarque le 22 mai sur un vaisseau pour Gallipoli et, traversant une seconde fois les Pouilles, regagne Naples par Otranto, Lecce, Brindisi, Larello, Andria et Benevento. Swinburne avait tout d’abord eu l’intention de passer l’été et l’automne à Naples, et d’attendre l’hiver pour aller en Sicile. Une lettre à son frère nous apprend qu’il avait renoncé à ce projet, préférant se rendre à Rome. Toutefois, les conditions de santé de sa femme et le désir de participer une seconde fois au carnaval napolitain le con­ vainquent de prolonger son séjour jusqu’au printemps 1778. En conséquence, en attendant le carnaval, il a le temps de visiter l’île. « [Having resolved] that it was much better to spend the carnival at Naples, explique-t-il à son frère, I  









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Ibid., IV, p. 1. Ibid., I, p. 363.

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then, having much time upon my hand, resolved to pay a visit to this celebrated island »48. Pour ce second voyage – qu’il entreprend à nouveau seul – il choisit la voie la plus rapide, à savoir celle de la mer. Parti de Naples le 8 décembre 1777 sur un sloop, il arrive trois jours plus tard à Palerme, son vaisseau ayant été retardé par des conditions de vent adverses (la traversée durait normalement deux jours). Il demeure douze jours dans la capitale. Puis, accompagné de ses serviteurs et d’un garde faisant aussi office de guide, il traverse l’île à dos de mulet, passant par Ségeste, Sélinonte, Sciacca, Agrigente et Licata. Le mauvais temps l’ayant empêché de s’embarquer pour Malte, il poursuit sa route en direction de Terranova (aujourd’hui Géla), Caltagirone, Lentini et Syracuse où il séjourne quatre jours. Remontant vers le nord, il s’arrête quelques autres jours à Catane ; renonce à l’ascension de l’Etna (en raison de la neige trop abondante) et continue, par Taormine, jusqu’à Messine où il arrive le 21 janvier 1778. Là, il attend en vain pendant six jours un vaisseau qui puisse le ramener à Naples. Ne voulant pas patienter d’avantage, et préférant – comme au printemps, mais pour des raisons en partie différentes – éviter la voie de terre, il laisse ses bagages sur place et loue une grosse barque avec six rameurs afin de rallier la capitale par ses propres moyens. Le mauvais temps l’oblige cependant à débarquer en Calabre, à Tropea. N’ayant plus d’autre choix que de poursuivre par la route, il loue des chevaux pour lui et ses serviteurs et, via Nicastro, Cosenza, Lagonegro et Eboli, franchit en huit jours les 450 kilomètres et quelques qui le séparent de Naples où il arrive le 13 février. A posteriori, il se félicite du courage dont il a fait preuve en traversant la Calabre. Il écrit à ce propos à son frère49 :

eight days, and had the finest weather through the finest country ; besides which, the season has been so boisterous that my things are not yet come [in Naples] from Sicily.







Luckily I overcame my own backwardness and all the sinister ideas put into my head about roads and robbers, and have had reason to rejoice at my courage, for the journey amply repaid my trouble. I met with no accident of any kind, performed the route in 48 49 50

Swinburne 1841, p. 183. Ibid., p. 189. Ibid., p. 202.

Il se félicite également d’avoir voyagé avec célérité – un peu plus de deux mois entre son départ et son retour à Naples – et se déclare « most happy to get back au sein de ma famille and to find all well. »50  



En Calabre et à Crotone : beauté des paysages, magnificence du passé, misère du présent  

La route entre Reggio de Calabre et Naples est, aujourd’hui encore, probablement la plus pénible d’Italie51. Pour l’avoir parcourue à plusieurs reprises, je n’ai aucun mal à imaginer les réticences de Swinburne à ce sujet. Par contre, compte tenu de la force des tempêtes hivernales dans la mer Tyrrhénienne, on pourrait s’étonner qu’il ait pu envisager – et les matelots messinais avec lui – de naviguer jusqu’à Naples, en janvier, avec une simple barque. Pour se lancer dans une aventure aussi peu sûre, il fallait qu’il désirât éviter à tout prix la voie de terre (quant aux matelots, on peut supposer qu’ils étaient motivés par un excellent salaire). Chez un homme aussi posé que Swinburne, qui plus est père de famille, ni la longueur du trajet, ni même la perspective de routes enneigées ne semblent pouvoir à elles seules justifier une telle prise de risque. De toute évidence, la traversée de la mer Tyrrhénienne lui faisait moins peur que les « robbers » calabrais. N’est-ce pas surprenant ? Il est vrai que les routes de Calabre avaient la réputation de ne pas être très sûres. Cela dit, Swinburne les avait déjà parcourues quelques mois plus tôt, du nord au sud, sans rencontrer ni voleurs, ni brigands. Qui plus est, il ne semble  





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Les travaux de construction de l’autoroute SalerneReggio, commencés en 1966, ne sont toujours pas terminés. Par ailleurs, en hiver, il n’est pas rare que la neige oblige les automobilistes à mettre les chaînes.

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Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

avoir éprouvé aucune inquiétude de la sorte à la veille de ce premier voyage. Il est toutefois possible que, soit en Calabre même, soit lors de son retour à Naples, on lui ait rapporté des histoires susceptibles de l’avoir effrayé. C’est ce qu’il laisse entendre lorsqu’il évoque les « idées sinistres qui ont été mises dans ma tête au sujet des routes et des voleurs ». Nous n’en savons cependant pas plus. Nous ne possédons malheureusement pas la lettre où il raconte à son frère son premier périple calabrais52. C’est regrettable, car le livre de Swinburne ne donne que très peu d’éléments d’ordre personnel, alors que cette lettre aurait pu nous éclairer, non seulement sur la question des bandits, mais aussi sur les aspects quotidiens de ce voyage, ainsi que sur les impressions et les sentiments de l’auteur. Revenons maintenant sur ce premier voyage calabrais. Swinburne, nous l’avons dit, arrive à Monte Giordano le 7 mai 1777. Selon le programme qu’il s’était fixé à Naples, il aurait dû dormir dans l’auberge de ce bourg. L’« air de misère et de saleté » de celle-ci l’incite cependant à poursuivre jusqu’à Roseto, où un ami de son guide lui offre un meilleur gîte. Bien qu’il ait discuté avec son hôte jusqu’à tard dans la nuit, il se lève avant l’aube pour avoir le temps de visiter Sybaris. Ayant lu Riedesel, il sait déjà qu’il trouvera sur place des pans de murailles, les restes d’un aqueduc, ainsi que deux tombeaux que, dix ans plus tôt, ce dernier avait commencé à faire fouiller avec l’aide du seigneur local, le duc de Corigliano. Le site de Sybaris, chargé de mémoire, impressionne vivement Swinburne. Toutefois, alors que Riedesel avait écrit que les restes de murailles « paroissent avoir fait partie des murs de la ville »53, son analyse est différente54 :  













Je ne pense pas, affirme-t-il, qu’aucun des débris [des murailles, de l’aqueduc et des tombeaux] qui nous en restent encore remonte au temps de l’ancienne république de Sybaris. Ces ruines étant de briques dénotent plutôt l’ouvrage des Romains que celui des 52 53 54 55

Il est à peu près certain qu’il écrivit cette lettre qui se perdit peut-être en cours de route. R iedesel 1773, p. 196. Swinburne 1785, I, p. 280. Ibid., p. 287.

Grecs. Je n’ai jamais rencontré de briques dans toute la grande Grèce ni la Sicile, dans les ruines incontestablement grecques.

Remarquons que Swinburne ne mentionne pas Riedesel au sujet de Sybaris : ni en ce qui concerne les fouilles des deux tombeaux, ni en ce qui concerne son opinion quant à la nature des vestiges. Néanmoins, la critique indirecte est transparente, et elle n’aura probablement pas échappé à nombre de ceux qui, parmi ses lecteurs de l’époque, avaient également lu l’ouvrage du baron allemand. Après s’être longuement promené sur le site de l’ancienne ville, Swinburne poursuit jusqu’à Corigliano où il arrive à la tombée de la nuit. En chemin, il est conquis par la beauté des collines couvertes d’arbres fruitiers : « [la] diversité de teintes, écrit-il, de formes et de grosseur offroient un des plus beaux coups d’œil que j’aie vus, même en Italie où les paysages sont presque partout enchanteurs : ce bel aspect me ravit et m’enivra presque »55. Curieusement, alors même qu’il savait dès le départ qu’il aurait dû s’arrêter à Corigliano56, il avait négligé à Naples de demander une lettre de recommandation au duc (cf. supra). La « mauvaise odeur » et l’aspect misérable de l’unique auberge de la ville l’ayant fait fuir, il tente malgré tout sa chance auprès du palais ducal. Comme l’intendant refuse de lui donner un lit, il finit par louer une chambre chez un marchand d’huile. Il s’y trouve « si mal », dit-il, qu’il se lève à nouveau à l’aurore pour se remettre en route, comptant trouver un bon gîte à Cariati. Il y a du point de vue des étapes nocturnes un net contraste entre la partie calabraise et la partie apulienne du voyage. Dans les Pouilles, Swinburne avait non seulement réussi à suivre la « route » établie depuis Naples, mais il avait été également presque toujours magnifiquement reçu, que cela soit dans des demeures princières ou dans des couvents : à Francavilla, mais aussi à Bari, Tarente  























56

Swinburne se contredit sur ce point, car il déclare qu’il savait à l’avance qu’il n’y avait pas d’autre « gîte passable » sur la route entre Roseto e Corigliano et que sa « route » ne désignait pas Corigliano comme un gîte.

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et encore ailleurs. En Calabre, au contraire, rien ou presque ne se passe comme prévu : ni à Monte Giordano, ni à Corigliano, ni par la suite. Ainsi, l’un des chevaux s’étant mis à boiter, il est contraint de renoncer à rejoindre Cariati, et doit s’arrêter en pleine campagne, à Mirto, dans un fondaco isolé qui se révèle néanmoins moins terrible que ce qu’il avait craint. Pour le jour suivant, il avait prévu une étape à Cirò, petite ville surplombant le cap Alice ; cependant, il apprend en chemin qu’il n’y trouvera ni logement décent, ni de quoi manger. Il décide par conséquent de dormir dans la plaine, à nouveau dans une simple ferme, et remarque philosophiquement : « je ne trouvai qu’un bien médiocre gîte ; mais j’en avais eu de plus mauvais encore, et l’honnêteté de mes hôtes m’en dédommagea. »57 Le lendemain, 11 mai, Swinburne part à nouveau de très bonne heure ; il chemine le long de la route côtière à travers landes, prairies et marais, traverse en bac le fleuve Neto (qui marquait la frontière entre Calabre Citra et Calabre Ultra), et arrive à Crotone à l’heure du déjeuner. Crotone ne lui plaît pas. Son jugement est moins sévère que celui de Riedesel58, et il ne pense pas qu’elle est la plus affreuse des villes d’Italie59, mais il ne peut pas s’empêcher de comparer la Crotone moderne au souvenir mythique de la cité antique, et cette comparaison est entièrement défavorable à la première60 :

Les maisons y sont mesquines, les rues étroites et sombres […]. On y voit fort peu de mouvement et de commerce.

















Dans ces jours fortunés, écrit-il, Crotone étoit dans l’état le plus florissant : ses murs renfermoient un espace de douze milles ; et de toutes les colonies grecques elle fut la seule qui donna des secours à la mère patrie lorsqu’elle fut attaquée par les Perses.

Plus grave encore, il a l’impression que la décadence de la cité a entraîné au cours des siècles une décadence physique et morale de ses habitants : la force exceptionnelle des hommes, la beauté des femmes, le bonheur et la vertu de tous, les sages institutions héritées de Pythagore, toutes ces qualités – qui, rappelle-t-il, « faisoient l’admiration de la Grèce » – ne sont plus qu’un très lointain souvenir. En lieu et place de cette humanité bienheureuse, les Crotoniates du présent lui paraissent spécialement malheureux. S’il signale presque partout en Calabre la pauvreté et même la misère des populations, seulement à Crotone il déclare : « j’ai trouvé l’humeur, la misère et le désespoir peints sur tous les visages. » Et cette décadence ne concerne pas seulement les hommes, mais aussi, semble-t-il, la nature : « on m’a assuré, écrit-il, que le climat y est malsain en été ; ce qui ne doit pas venir d’une cause locale [entendons purement géographique], car la salubrité de Crotone était passée en proverbe chez les Anciens. » Il déplore, enfin, que les ingénieurs royaux aient puisé dans les vestiges archéologiques – avec semble-t-il l’accord du pouvoir central – les pierres nécessaires à la construction d’un port, de surcroît mal conçu et pratiquement inutilisable car exposé aux vents dominants :  



















[…] les restes vénérables de l’ancienne ville, de ses fauxbourgs et de ses temples [ont] été détruits pour fournir des matériaux aux môles et aux autres ouvrages : c’[est] une fort mince économie dans une entreprise de cette importance ; elle pourroit paraître même une barbarie de la part des ministres qui se sont vantés des excavations qu’ils ont fait faire à Herculanum et des soins qu’ils se sont donnés pour conserver les monuments de l’antiquité.

La ville qui se présente à ses yeux le frappe au contraire par son étroitesse, sa langueur et sa pauvreté61 :  

L’Esaro, qui couloit au milieu de l’ancienne ville, coule maintenant sur un lit de cailloux peu profonds à une distance considérable au nord de la ville. […] 57 58 59

Ibid., p. 300. Voir la contribution de L. Baumer dans cet ouvrage. Il est vrai qu’il avait déjà décerné à une rue de Tarente le titre de « plus affreuse habitation de l’Europe » : Swinburne 1785, I, p. 220.



A en juger par son emploi du temps du 11 mai, Swinburne ne s’est tout au plus arrêté que 60 61

Ibid., p. 309. Pour cette citation, ainsi que les suivantes, ibid., p. 304-306.

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Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

quelques heures à Crotone. Au cours de l’aprèsmidi, après avoir envoyé ses chevaux et certains de ses hommes à Catanzaro, il loue un bateau et rejoint par la mer Capo della Colonna où il visite le site du temple de Junon Lacinienne ; puis, il poursuit jusqu’à Capo Rizzuto qu’il atteint en fin de journée. Capo della Colonna semble l’avoir moins impressionné que Sybaris ou Métaponte. Contrairement à Riedesel, il ne pense pas que les vestiges archéologiques soient grecs, et il conteste l’idée selon laquelle l’ancienne cité de Crotone aurait été localisée sur ce promontoire. Ecoutons-le62 :  

ville, il dort dans le bateau tiré sur la plage, et rejoint le lendemain matin Catanzaro où il retrouve ses hommes et ses chevaux. Quatre jours plus tard, après avoir visité au passage le site de Locres, il arrive à Reggio de Calabre.

Conclusion : les mondanités prennent le pas sur l’aventure et l’ambition littéraire  



A une pointe qui avance sur la mer, on voit quelques pierres éparses et quelques couches de pierres d’un ancien bâtiment, qu’on dit être les ruines de l’école de Pythagore et du temple de Junon Lacinienne. Il y a environ quarante ans qu’il existoit encore deux colonnes de cet édifice. L’une des deux est tombée, l’autre existe sur une base de grandes et larges pierres taillées à facettes […]. Cette colonne diffère peu de celles de Métaponte ; mais quelques lits de briques, que l’on voit entremêlées avec les pierres de taille, me font douter que ces débris remontent à l’ancien temps de Crotone. Il est possible que les Romains aient rebâti ce temple, et qu’ils se soient servis des anciennes colonnes. […] Le baron de Riedesel croit que ces ruines faisoient partie de l’ancienne Crotone ; mais ce n’est pas possible, puisqu’elles se trouvent à sept milles de l’Esaro, que nous savons avoir coulé au milieu de la ville. Il me paroît à moi plus vraisemblable que ce sont des restes du collège des prêtres de Junon, ou des étables qui servoient aux nombreux troupeaux qui habitoient les landes et les forêts voisines.

Il passe la nuit sur la plage de Capo Rizzuto, dormant sous une hutte préparée par les matelots, à quelques pas seulement d’une tour de garde, afin de bénéficier de sa protection en cas d’éventuel raid barbaresque. Réveillé de nouveau à l’aube, il se rend sur un îlot – indiqué sur les cartes comme étant l’île de Calypso – où il ne trouve rien d’intéressant, si ce n’est des coquillages, ramassés par les matelots, dont il fait son déjeuner. Il navigue ensuite le long de la côte jusqu’à la plage de Catanzaro où il arrive à la tombée de la nuit. Renonçant à parcourir dans l’obscurité les deux heures et plus de marche qui le séparent de la 62

Ibid., p. 313-314.

Cette traversée de la Calabre marque le point d’inflexion du voyage de Swinburne. En dépit de son sens de l’aventure et de son désir de découverte, il est gagné, en chemin, par un sentiment croissant de découragement et de lassitude. Quelle en est la cause ? Lui-même invoque les « fortes chaleurs » qu’il a éprouvées. L’inconfort des gîtes et l’état accidenté des routes (à partir de Catanzaro, il remarque que celles-ci ne permettent plus le passage d’une « chaise », ce qui signifie qu’il est obligé de chevaucher sans cesse63) ont probablement également joué un rôle, d’autant plus qu’il a des raisons de craindre que routes et gîtes ne s’amélioreront pas en Sicile. Enfin, il est possible qu’il ait souffert de sa relative solitude ; on peut supposer qu’il se serait en tout cas moins fatigué et plus diverti s’il avait pu, comme en Espagne, voyager avec un ami. Quoi qu’il en soit, un certain épuisement physique et moral transparaît à plusieurs reprises dans son récit, en particulier au cours des derniers jours : les étapes lui paraissent de plus en plus pénibles, les paysages et les villes toujours plus déprimants. Voici, par exemple, comment il décrit la journée du 15 mai64 :  















Nous fîmes le lendemain 12 milles dans un pays bas et désagréable […]. Nous passâmes ensuite, pendant 6 milles, des montagnes affreuses […]. Après une marche bien fatigante dans des chemins horribles, nous arrivâmes à un des plus mauvais villages que j’aie jamais rencontrés […]. Les maisons sont de terre et de boue, et couvertes de branchages. Tout y avoit un aspect si triste, et les habitants une mine si piteuse, le temps étoit si orageux, que je pris le parti de 63 64

Ibid., p. 324. Ibid., p. 340.

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ne pas sortir de mon auberge enfumée, et de me consoler en buvant d’un vin blanc qui a beaucoup de corps et de saveur, quoiqu’un peu âpre.

dents. Grâce aux lettres de recommandations de l’archevêque, il a pu dormir chaque nuit dans un « lit excellent ». Il a spécialement apprécié certains lieux, certaines nourritures, certaines personnes : par exemple, les temples de Ségeste et d’Agrigente, les vins de Syracuse ou encore la compagnie du prince de Biscari à Catane. Cependant, dans l’ensemble, le voyage n’a pas réussi à combler ses attentes. La lassitude croissante qu’il ressent d’abord en Calabre, puis en Sicile, n’est pas en effet seulement la conséquence de la fatigue, de l’inconfort, de la solitude. Elle reflète également un sentiment diffus de déception et de mélancolie. Contrairement à un Cook ou à un Bougainville, Swinburne n’était pas parti à la découverte de pays inconnus (c’est du moins ce qu’il pensait), mais à la rencontre d’une région et d’une civilisation (la Grèce ancienne) qui, comme il le dit lui-même, lui étaient « familières » depuis sa « première éducation » et que l’histoire et la littérature lui avaient appris à connaître et à aimer68. Plus ou moins consciemment, il avait sans doute espéré retrouver non pas seulement des ruines, mais aussi une sorte d’image vivante de cette civilisation grecque disparue. Or, c’est cet espoir que son voyage dissipe douloureusement. Sur les sites des cités abandonnées – comme Métaponte, Sybaris ou Ségeste –, la présence de vestiges et le libre jeu de son imagination ont peut-être pu lui donner la sensation que le lien avec l’Antiquité n’était pas entièrement rompu. Mais là où les ruines sont englobées et recouvertes par une ville moderne, il est à chaque fois accablé par le contraste entre cette dernière et le souvenir fabuleux de la cité antique qui l’a précédée sur le même lieu. Nous l’avons signalé au sujet de Crotone, et il en va de même à Tarente ou encore à Syracuse. C’est d’ailleurs dans cette dernière ville que sa mélancolie touche son point culminant. Ecoutons-le69 :  

N’ayant plus ni l’énergie ni l’envie de poursuivre vers la Sicile, Swinburne, nous l’avons dit, écourte son voyage et revient plus tôt que prévu à Naples. Sept mois plus tard, le voici à Palerme ; alors qu’il s’apprête à quitter la ville pour visiter l’intérieur de l’île, il se sent à nouveau pris de découragement. Cette fois il est abattu à l’idée des conditions météorologiques – non plus la chaleur, mais la pluie et le froid – et de la longueur des chemins qui l’attendent65 :  



I propose to go to Segesta, écrit-t-il à son frère, but I dare not think on the confounded long route I have to go. […] I am ready but the weather is not. I have attempted some excursions in the neighbourhood [de Palerme], and have often been completely soaked through. However, I am in hopes, as it has become very cold, and the mountains behind us are covered with snow, that I shall get away tomorrow or the next day. To tell you the truth, I wish I were fairly back at Naples. Qu’ai-je à faire dans cette galère ? But as that kind of fretting after one’s dieux pénates can do nobody any good, and may do me harm, I shall not dwell upon the idea.

Rassemblant son courage, Swinburne se met en route (il est pourvu de lettres de recommandations de l’archevêque de Palerme, et il a demandé à des jeunes filles de prier « Dieu [de lui] accorder un bon voyage »66), mais sans grand enthousiasme. On a l’impression qu’il se lance plus par devoir que par plaisir : devoir envers lui-même sûrement ; devoir envers le livre qu’il projette ; certainement aussi nécessité de ne pas perdre la face vis-à-vis de ses amis, de sa famille, de la cour napolitaine, de l’archevêque de Palerme, etc. A moins de prétexter d’une maladie, comment pourrait-il en effet renoncer à partir sans compromettre sa réputation ? Le périple sicilien, tel qu’il le raconte à son frère67, a été fatigant mais s’est déroulé sans inci 











65 66 67 68

Swinburne 1841, p. 188. Swinburne 1785, III, p. 264. Swinburne 1841, p. 188 sq. « La première éducation rend cette contrée familière à presque tous les hommes. La poésie et l’histoire en















69

font connoître la topographie, et à peine existe-t-il un écolier qui ne puisse rendre compte des ruines de la Grande Grèce et de la Sicile. » Swinburne 1785, I, p. 5. Ibid., III, p. 378 et 381.

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Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

[Les] édifices [de la ville moderne] ne rappellent rien de l’architecture ni de l’opulence de l’ancienne Syracuse. Partout ailleurs on les trouverait passables, mais lorsqu’on pense à ceux qui étoient jadis élevés dans ce même endroit, ils paraissent alors bien peu de chose. […] Non seulement la fontaine Aréthuse, mais tous les autres objets qui l’environnent, inspirent un sentiment douloureux, lorsque l’on compare le triste état de ce qui en existe maintenant, à l’état florissant des beaux jours de Syracuse. Les Anciens nous ont laissé des descriptions pompeuses du commerce que faisoit ce port si bien situé, de l’opulence presque incroyable de ses citoyens, et des édifices somptueux pour lesquels ils prodiguoient une grande partie de leurs richesses. J’avois déjà vu les sites déserts de plusieurs grandes villes anciennes, et alors j’avais toujours gémi sur leurs ruines ; mais je n’ai jamais éprouvé un sentiment de pitié et de regret aussi vif et aussi pénible qu’en parcourant les ruines de Syracuse.

The masked balls here are extremely splendid this year ; I was at one last night with sir Thomas [Gascoigne] who was disguised en femme de chambre to the great diversion of the king, who took him under his arm, and paraded him about the galleries, ready to die with laughing.

D’ailleurs, toutes les lettres où il raconte son existence napolitaine – avec ou sans carnaval – témoignent de cette même joyeuse douceur de vivre, ainsi que d’une passion sans bornes pour les mondanités et les potins de la cour73. Remarquons que cet aspect un peu frivole de sa personna­ lité tranche avec l’image du voyageur-aventurier savant et austère que transmettent ses livres. Les biographes récents de Swinburne n’ont retenu que cette dernière dimension74. Insistons au contraire sur la coexistence – pendant un temps – des deux aspects (tout en gardant à l’esprit que, faute de sources, d’autres traits de son caractère nous échappent peut-être). Du reste, Swinburne partage ce goût prononcé pour la vie mondaine avec toute la bonne société de son temps, et il n’est sûrement pas l’unique figure de voyageur mi-érudit mi-homme du monde de l’époque75. Cela dit, si le séjour dans les Deux-Siciles marque un tournant dans la trajectoire de Swinburne, c’est dans la mesure où la première dimension (la sociabilité et la frivolité) prend le dessus sur la seconde (l’aventure et l’écriture). Au risque de trop simplifier un processus mental qui ne fut certainement pas linéaire, on pourrait dire qu’étant parti d’Angleterre avec le « violent désir de fouler un chemin qui n’auroit pas été encore foulé »76 et l’ambition de devenir un homme de lettre, il s’aperçoit en cours de route que l’existence du courtisan lui convient et le stimule davantage. Elle le stimule davantage sans doute parce qu’elle lui permet de fréquenter ses pairs, de nouer des relations humaines nombreuses et intenses, et ainsi de participer véritablement et activement à la vie du lieu, alors que lorsqu’il chemine de ville en ville, sans jamais s’arrêter nulle part plus que quelques jours, il n’est tout compte fait qu’un spectateur pressé.

Au sujet de Syracuse, cf. par ex. R iedesel 1773, p. 82, ou encore Brydone 1773, p. 285 qui écrit : « It is truly melancholy to think of the dismal contrast that its former magnificence makes with its present meanness. » Swinburne n’avait pas éprouvé cette même mélancolie lors de son voyage en Espagne, sans doute parce qu’il avait une moindre « familiarité » littéraire avec ce pays en comparaison avec la Grande Grèce et la

Sicile, et par conséquent il avait aussi des attentes moins importantes à son égard. The courts…, cit., p. 202. On pourrait multiplier les exemples : cf. ibid., p. 132, 154, 155, 182, 204, 205, 207. Cf. supra la note 18 pour la liste de ces auteurs. On pense par exemple à Vivant Denon. Voir à son sujet la contribution de P. Birchler Emery dans cet ouvrage. Cf. supra.

Les grandes cités déchues de Grande Grèce et de Sicile – et en particulier Syracuse – suscitent une impression semblable chez la plupart des voyageurs de l’époque70. Toutefois, mis à part Swinburne, nul, que je sache, n’exprime un tel degré de nostalgie et de douleur71. Le contraste est fort entre la triste lassitude qu’il ressent au cours de son voyage et la joie qu’il éprouve à son retour (cf. supra). La partie de la lettre où il décrit à son frère les grandioses festivités du carnaval napolitain – dans lesquelles il a plongé avec délice dès son retour de Sicile – déborde d’allégresse : il n’y est question que de « merveilleux spectacles », d’extrême « gaîté » et de déguisements débridés. En voici un extrait72 :  











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Ce phénomène n’a rien d’exceptionnel et il a été décrit maintes fois suivant les endroits et les époques77. Ce qui est intéressant dans le cas de Swinburne, c’est qu’il ne renonce pas aux voyages en eux-mêmes, mais adapte plutôt leur rythme et leur nature. Lors de son périple espagnol, la vie courtisane et mondaine n’avait occupé qu’une mince fraction de son temps ; dans les Deux-Siciles elle représente les trois quarts (douze mois sur seize). Il s’y consacre entièrement après avoir quitté Naples (mai 1778), sillonnant pendant onze ans l’Europe, de capitale en capitale, et résidant en particulier à Paris où lui et sa femme deviennent des intimes de Marie-Antoinette. La Révolution française marque un nouveau tournant dans sa vie : Swinburne, qui a entre-temps perdu sa fortune et celle de son épouse, revient d’abord en France comme diplomate pour le compte de l’Angleterre ; puis, à court d’argent, il accepte un poste lucratif de commissaire à Trinidad. Sa mission est un succès, mais il meurt dans cette île, en 1803, avant d’avoir pu revenir en Europe. La Calabre et la Sicile auront ainsi été ses derniers voyages « à l’aventure » et le Travels in the Two Sicilies son dernier livre.  









Bibliographie A moroso 2007 : F. Amoroso, « Travels in the Two Sicilies, Henry Swinburne alla scoperta della Sicilia », LC, 2007. Borch 1782 : M. C. de Borch, Lettres sur la Sicile et sur l’île de Malthe, Turin, 1782. Bourdieu 1986 : P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, juin 1986, p. 69-72. Braudel 1979 : F. Braudel, Civilisation matérielle et capi­ talisme, Paris, 1979. 77

Cf. par exemple ce qu’écrit De Staël 1807, I, p. 655 : « Voyager est, quoi qu’on en puisse dire, un des plus tristes plaisirs de la vie. Lorsque vous vous trouvez bien dans quelque ville étrangère, c’est que vous commencez à vous y faire une patrie ; mais traverser des pays inconnus, entendre parler un langage que vous comprenez à peine, voir des visages sans relation avec votre passé ou votre avenir, c’est de la soli-

Brydone 1773 : P. Brydone, A tour through Sicily and Mal­ ta, Londres, 1773. Butler 1836 : A. Butler, Vies des pères, martyrs, et autres principaux saints, tr. fr., Paris, 1836. Chupeau 1977 : J. Chupeau, « Les récits de voyages aux lisières du roman », Revue d’histoire littéraire de la France, 1977, n° 3-4, p. 536-553. De Staël 1807 : Mme de Staël, Corinne ou l’Italie (1807), repris in Œuvres complètes, Paris, 1836. Di Matteo 1999 : S. Di Matteo, Viaggiatori stranieri in Sicilia, Palerme, 1999. Duclos 1751 : C. Duclos, Considérations sur les mœurs de ce siècle, 1751, repris in Œuvres complètes, Paris, 1806. Iachello 2000 : E. Iachello, Immagini della città. Idee della città. Città nella Sicilia (xviii-xix secolo), Catane, 2000. Levi 1989 : G. Levi, « Les usages de la biographie », An­ nales ESC, 1989, vol. 44, p. 1325-36. Pesavento 2006 : R. Pesavento, « Henry Swinburne : il Nostra­damus dei crotonesi », La Provincia KR, 4 août 2006. Prideaux 1898 : W. Prideaux Courtney, « Henry Swinburne », Dictionary of National Biography, Oxford, 1898, vol. 55, p. 229-231. R iedesel 1773 : J.-H. von Riedesel, Voyage en Sicile et dans la Grande Grèce, tr. fr., Lausanne, 1773. Tuzet 1955 : H. Tuzet, La Sicile au xviii e siècle vue par les voyageurs étrangers, Strasbourg, 1955. Swinburne 1783 : H. Swinburne, Travels in the Two Sici­ lies in the years 1777, 1778, 1779 and 1780, Londres, 1783. Swinburne 1785 : H. Swinburne, Voyage de Henri Swin­ burne dans les deux Siciles, en 1777, 1778, 1779 et 1780, Paris, 1785. Swinburne 1787 : H. Swinburne, Voyage de Henri Swinburne en Espagne en 1775 et 1776, Paris, 1787. Swinburne 1790 : H. Swinburne, Travels in the Two Sici­ lies in the years 1777, 1778, 1779 and 1780, Londres, 1790 (2e édition). Swinburne 1841 : H. Swinburne, The courts of Europe at the close of the last century, Londres, 1841. White 1841 : C. White « Introduction » in H. Swinburne, The courts of Europe at the close of the last century, Londres, 1841. Wolfzettel 1996 : F. Wolfzettel, Le discours du voya­ geur : pour une histoire littéraire du récit de voyage en France, du Moyen Age au xviii e siècle, Paris, 1996. tude et de l’isolement sans repos et sans dignité ; car cet empressement, cette hâte pour arriver là où personne ne vous attend, cette agitation dont la curiosité est la seule cause, vous inspirent peu d’estime pour vous-même, jusqu’au moment où les objets nouveaux deviennent un peu anciens, et créent autour de vous quelques doux liens de sentiment et d’habitude. »

Les voyages d’Henry Swinburne dans les Deux-Siciles (1777-1778)

Fig. 1 : Le premier voyage en Grande Grèce de Swinburne (printemps 1777) © Stefano Condorelli.

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Patrizia Birchler Emery

« Nous quittâmes Crotone en regrettant Crotone ». Le voyage au royaume de Naples de Vivant Denon  



Ce n’est pas que tous les voyageurs qui ont parcouru l’Italie n’aient sans doute visité Naples, comme ils ont vu Rome et les autres villes de ce pays ; mais il n’y en a qu’un très-petit nombre qui aient été curieux de porter leurs pas jusqu’à l’extrémité du Royaume de Naples, qui aient osé, pour ainsi dire, traverser la Calabre, cette belle partie de l’Italie, depuis longtemps inculte, inhabitée, et que l’on regardait comme en proie aux bandits, et l’effroi des voyageurs4.

Introduction Le point de départ de cette étude est le Voyage pittoresque ou Description des royaumes de Naples et de Sicile, ouvrage édité entre 1781 et 1786 en quatre volumes in-folio comprenant plus de 400 illustrations, par Jean Claude Richard, abbé de Saint-Non, et Jean-Benjamin de Laborde, qui quitta d’ailleurs l’aventure en cours de route1 (fig. 1). Cet ouvrage eut un succès énorme, même s’il ne fit pas la fortune de ses éditeurs, succès qui est reflété par sa traduction rapide en anglais et en allemand2. Ce qui nous occupe ici n’est pas l’aventure éditoriale elle-même, mais la personne qui fut chargée en 1777 de la réalisation effective du voyage, Dominique-Vivant Denon, dont le journal servit de base et de fil conducteur à l’ouvrage de Saint-Non, ainsi que les éléments qu’on peut en tirer pour l’histoire de la recherche archéologique à Crotone3.

L’expédition Le but du Voyage pittoresque était de publier une sorte de reportage illustré sur des régions peu, voire pas connues de l’Italie du sud :

Les illustrateurs de l’expédition étaient au nombre de trois : deux architectes, Jean-Louis Desprez et Jean-Augustin Renard, et un peintre paysagiste, Claude-Louis Châtelet. Jean-Louis Desprez enseignait l’architecture à l’Ecole militaire de Paris, tout en poursuivant une carrière de dessinateur (il excellait alors déjà dans les scénographies), quand il gagna le Grand Prix de Rome. C’est durant sa première année en tant que boursier de l’Académie de Rome qu’il participa au voyage de Vivant Denon en Italie du sud. Il ne retourna à Rome qu’en 1779 et se dédia pendant encore quelques mois à la transposition de ses esquisses en dessins. Ses activités de scénographe durant son long séjour à Rome le firent remarquer par Gustave III de Suède, qui l’invita à venir exercer son art à sa cour. Desprez répondit à l’invitation du souverain et resta en Suède jusqu’à la fin de ses jours5.  



1 2 3

Pour les détails et la genèse de l’œuvre : Lamers 1995, p. 18 et p. 28. Lamers 2009, p. 8. C’est bien Vivant Denon et non l’abbé de Saint-Non qui effectua le voyage en Italie : Lamers 1995, p. 29 et p. 55, notes 100 et 101.

4 5

Saint-Non 1781-1786, Avant-propos de la première partie du premier volume, p. i. Voir Lamers 1995, p. 80-82, pour une biographie plus complète.

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Patrizia Birchler Emery

Grand prix de Rome en 1773, Jean-Augustin Renard, architecte de formation, passa les six années suivantes en Italie, à Rome, en Vénétie et à Naples, d’où il partit pour accompagner l’expédition du Voyage pittoresque. Il œuvra ensuite comme architecte officiel à Paris, sous divers gouvernements, du royal à l’impérial6. Quant à Claude-Louis Châtelet, il est le seul des trois dessinateurs à avoir participé au projet depuis le début. Il connaissait en effet déjà l’un des deux entrepreneurs de l’aventure éditoriale du Voyage pittoresque, Benjamin de Laborde, pour l’avoir accompagné dans son expédition en Suisse en tant que dessinateur7. Il s’embarqua donc à Marseille avec Vivant Denon en 1777 pour le voyage en Italie. Même s’il est l’un des deux principaux contributeurs du Voyage pitto­ resque quant aux illustrations, il reste moins connu pour sa production artistique que pour avoir été le membre du Tribunal révolutionnaire qui signa la condamnation à mort de MarieAntoinette8 ! Le rôle de Vivant Denon était quant à lui fondamental pour la réussite de l’entreprise : il était chargé de la préparation de l’itinéraire, de toute la logistique du périple et de la rédaction d’un journal de voyage ainsi que des descriptions des vues dessinées, tout cela sans rémunération, mais en étant juste défrayé. On peut se demander comment le choix des éditeurs s’est porté sur Vivant Denon et pourquoi ce dernier accepta de se lancer dans une entreprise comprenant de nombreux risques sans aucune compensation – en effet, il était entendu dès le début qu’il ne serait pas cité dans l’ouvrage : s’agit-il d’amour du risque, de l’aventure ou de l’Antiquité ?

Vivant Denon avait déjà trente ans au départ de l’expédition. Avant cela, il s’était formé comme dessinateur et graveur, avait suivi ensuite des cours de droit à Paris où il s’introduisit à la Cour et devint le Conservateur des pierres gravées du roi ; il s’essaya aussi à la dramaturgie9. En 177374, il devient gentilhomme d’ambassade à SaintPétersbourg, où il est « chargé de la correspondance » ; il revint ensuite à Paris en passant par la Suède et la Suisse, en mission secrète très probablement10. Denon connaissait Laborde, certes, et c’est ce dernier qui le présenta à Saint-Non pour la mission en Italie du sud. Il faut noter cependant que Denon ne rentra pas à Paris au retour de la Sicile, mais qu’il resta à Naples comme secrétaire d’ambassade jusqu’en 1785 et qu’il fut, plus tard, en 1793, expulsé de Venise où il résidait depuis 6 ans en tant que professeur de gravure et collectionneur d’art, parce que soupçonné d’espionnage pour le compte de la Convention. On peut supposer que le voyage de Denon en Italie du sud n’était pas dicté uniquement par des considérations artistiques et littéraires, mais aussi par une mission politique.

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Biographie et bibliographie plus complète : Lamers 1995, p. 84-85. Le voyage était destiné au recueil du matériel nécessaire pour l’édition des Tableaux topographiques, pittoresques, physiques, historiques, moraux, poli­ tiques, littéraires de la Suisse et de l’Italie, à l’origine indirectement du Voyage pittoresque, projet qui ne se concrétisera que partiellement ave la publication en 1781-1788 des Tableaux de la Suisse (Lamers 1995, p. 28-29 et p. 77).









Le « Voyage au royaume de Naples » de Vivant Denon  



Le journal original de Vivant Denon n’a jamais été retrouvé. Les extraits qu’il envoyait régulièrement à Saint-Non et Laborde étaient rédigés sur un ton assez libre et familier, et contenaient des anecdotes ou remarques qui en feraient toute la saveur aujourd’hui, mais que Saint-Non trou-

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Lamers 1995, p. 79 et p. 81, notes 188 et 201. Pour une biographie, on se référera à l’introduction de Denon 1999, p. 11-25, ainsi qu’au livre de R. Spiegel, Dominique-Vivant Denon et Benjamin Zix : témoins et acteurs de l’épopée napoléonienne : 1805-1812, Paris, 2000, ou encore au catalogue de l’exposition que le Louvre consacra à Dominique-Vivant Denon en 1999, Dupuy 1999. Les avis divergent à ce sujet, cf. Denon 1999, p. 13, note 3.

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Le voyage au royaume de Naples de Vivant Denon

vait déplacées ou superflues. Il réalisa donc tout un travail d’édition et d’adaptation du texte de Denon, coupant des passages, ajoutant des citations d’autres auteurs, des récits inspirés des textes antiques, afin de parvenir à une corrélation plus étroite entre le texte et l’image. Même si le texte ainsi édité n’est pas le texte original de Denon, sa contribution capitale n’est cependant citée à aucun endroit à sa juste valeur. Si Denon tenait rigueur à Saint-Non d’avoir utilisé ses notes sans jamais le citer, ce n’est probablement pas lui, mais Laborde qui lança et anima la querelle à propos du texte du Voyage pitto­ resque, l’une des premières liées à ce qu’on appellerait aujourd’hui les droits d’auteurs, ce qui est d’autant plus contradictoire qu’il se servit luimême largement d’une version revue du carnet de voyage de Denon pour rédiger les notes accompagnant sa traduction en français du récit du voyage en Italie de Swinburne (édité entre 1785 et 1789)11. Denon ne réagit pas tout de suite à ce « pillage », mais publia en 1788 sa propre version du « Voyage en Sicile ». Le « Voyage à Naples », par contre, ne fut jamais édité. On a retrouvé cependant récemment un manuscrit (mais pas de la main de Denon lui-même) contenant la description de Naples et ses alentours12, tandis que pour les Pouilles et la Calabre, c’est le texte publié par Laborde qui constitue la base de l’ouvrage édité sous le nom de Denon par Mathieu Couvet et intitulé : « Le voyage au royaume de Naples de Vivant Denon ».  













L’itinéraire Pour en revenir au voyage, après un hiver passé à explorer Naples et ses alentours (1777-1778), l’expédition part en avril 1778 pour le sud, en traversant d’abord la Campanie d’ouest en est, descendant ensuite à travers les Pouilles jusqu’à Tarente, Denon 1999, p. 21-23.

Vivant Denon archéologue L’expédition se base visiblement sur des itinéraires déjà suivis par d’autres voyageurs et, pour la localisation des sites antiques, sur les textes anciens. Avant de passer à la description de Crotone, voici quelques extraits du Voyage de Vivant Denon mettant en lumière sa méthode, à partir d’exemples situés plus au nord et plus au sud de Crotone, dans le désordre par rapport au déroulement du voyage. Sybaris





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où elle s’embarque pour rejoindre Métaponte. De là, le voyage se poursuit par voie de terre le long de la côte ionienne, de Rocca Imperiale à Reggio. La suite du voyage comprend un tour en Sicile et le retour vers Naples par la Calabre tyrrhénienne et le sud de la Campanie. Parmi les sites antiques décrits par Denon, on peut nommer pour la région qui nous intéresse Sybaris (très peu de vestiges visibles), Cirò (Capo Alice, où se trouvait le temple d’Apollon Alaios, mais aucun vestige visible), Strongoli (l’antique Petelia, où il décrit le mur d’enceinte et les trouvailles extraordinaires faites par les habitants), Crotone, Capo Colonna et Roccelletta di Borgia (Squillace).

Ce qui frappe, avant tout, c’est l’acharnement avec lequel Denon cherche les vestiges de cette ville, la minutie avec laquelle il décrit les quelques vestiges aperçus en stratigraphie dans une berge effondrée du Crati et l’enthousiasme avec lequel il pique-nique à l’endroit (vide de tout vestige) où il situe Sybaris antique :  

Je regrettais de n’avoir pu trouver le lieu où Sybaris et Thurium avaient existé pendant plusieurs siècles. Je pris tant d’informations, qu’enfin je trouvai un guide qui me promit de me conduire à ces ruines si 12

M.-A. Dupuy-Vachey. Vivant Denon et le voyage pittoresque : un manuscrit inconnu, Paris, 2009, et Dupuy-Vachey 2009, p. 13-14.

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précieuses pour moi et pour tous les amateurs de l’Antiquité…. [l’expédition part le lendemain pour une vacherie du duc de Corigliano située dans la plaine], … dans un lieu nommé Mintsirato, à huit milles de Corillano, à huit milles de Casal-nuovo et à trois milles de la mer. C’est là qu’était certainement l’antique Sybaris, et c’est le milieu juste de la plaine et du golfe. J’eus donc le plaisir inconcevable de dîner à Sybaris, car mon imagination me la retraçait tout entière. Après le dîner, je m’approchai du fleuve, qui est trop gros pour être passé à gué. Je trouvai cependant, dans l’escarpement de ses rives, la tranchée de l’ancien sol de la ville, qui se distingue parfaitement à la qualité de la terre, aux enduits et aux mat­ toni. Ce niveau antique est surmonté de 10 à 12 pieds de sable (3,25 à 3,90 m), que le Cratis et le Sybaris réunis y ont entassé ; ce qui empêche d’être étonné de ce qu’on ne trouve aucuns vestiges apparents à la surface actuelle ; car le fleuve ayant acquis, par son nouveau lit, la facilité de se déborder très souvent, a couvert alternativement toutes les parties de la ville, ainsi que celle de Thurium13.

Denon cite ensuite divers échantillons (amphores, mosaïques, monnaies, vaisselle en métal) retrouvés, qui à son avis annoncent de quel avantage seraient les fouilles d’une ville où le goût a été si recherché, et où l’on trouverait les formes grecques dans toute leur pureté, Sybaris n’ayant jamais été connue des Romains 14.

On note donc que Denon s’enthousiasme pour la pureté et le goût grecs, qu’il observe et décrit les vestiges et en tire des conclusions qui, si elles ne sont pas entièrement correctes, ne sont pas complètement fausses non plus. Squillace

d’une église du Bas-Empire, mais autour duquel les vestiges antiques sont si nombreux qu’il devait à son avis s’y trouver une ville. Le reste des ruines qui environnent l’église sont des mêmes matériaux que cet édifice, c’est-à-dire de grandes et larges briques, quelques-unes en ouvrage réticulaire, ce qui annonce une antiquité plus reculée. Un tombeau assez bien conservé et d’une forme ronde, avec onze niches égales, pourrait bien être un ouvrage romain… Je crus aussi distinguer la forme d’un théâtre, la partie circulaire, et l’arrachement des murs de l’avant-scène.15

La gravure publiée dans le Voyage montre le grand édifice en briques, en réalité une abbaye d’époque normande, probablement inachevée et édifiée principalement avec des matériaux de réemploi, et des champs vierges de toute construction ou végétation (fig. 2), vue qui n’a pas beaucoup changé depuis le passage de l’expédition, si ce n’est pour la présence d’une vaste oliveraie (fig. 3). On ne peut cependant nier un certain don d’observation à Denon, puisqu’il a effectivement reconnu le théâtre romain de Sco­ lacium, bien avant que le site ne soit fouillé au XXe siècle (fig. 4). Capo Colonna Sur le chemin de Crotone à Squillace, les voyageurs firent halte au sanctuaire d’Héra Lacinia, au Capo Colonna. Lors de la visite du site, à part les habituelles digressions historiques, Denon cherche à décrire de façon précise les restes du temple et ce qui l’entoure, quoiqu’il fût déjà, écrit-il, « détruit presque absolument ». Pour le temple :  

Le site de Roccelletta di Borgia, près de l’actuelle Squillace, est nommé « la Rocchetta » dans le texte de Denon. Après avoir démontré que le village moderne de Squillace ne peut pas recouvrir le site antique, il reconnaît l’ancienne Skylletion/ Scolacium près des ruines d’un imposant édifice en briques dans lequel il voit, à tort, les restes  

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Denon 1999, p. 245. Denon 1999, p. 246. Denon 1999, p. 257. Denon 1999, p. 253 : c’est-à-dire environ 53 × 167 m. Riedesel donne les dimensions suivantes : 56 × 122 m,

Sa forme était un carré long, de 163 pieds 8 pouces de large, sur 515 de longueur16. La face orientale, par laquelle on entrait, était probablement la seule qui fut décorée de colonnes. L’ordre en était dorique antique, sans base17.

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cf. la contribution de Lorenz Baumer dans ce même ouvrage. Denon 1999, p. 253.

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Le voyage au royaume de Naples de Vivant Denon

Il cherche ensuite, en vain, des indications sur les « degrés » entourant le temple et imagine  



d’après les vestiges qui en restent encore, … [qu’] il y avait un parvis, et des degrés qui descendaient jusqu’à la mer, et à plus de trois cents pieds de la colonne du péristyle18.

Il ne trouve aucune autre trace de l’ordre extérieur et encore moins d’un ordre intérieur, même si la largeur qu’il reconstitue rend une couverture indispensable à son avis. Il continue avec ce qu’il prend pour l’extérieur du temple :  

Les murailles avaient une grande largeur, et étaient bâties en caissons de pierre perdue, revêtue de taille jusqu’à une certaine hauteur, et plus haut en ouvrage réticulaire ou mosaïque19.

que la représentation de la gravure n’est pas conforme à la réalité. Crotone Une constatation qu’il faut répéter au vu de la gravure représentant Crotone depuis le sud (fig. 7) : les petits monastères situés au sud et au nord de Crotone sont représentés aux marges de la ville et du cadre de la gravure, tandis que dans l’esquisse d’origine (fig. 8), ils sont placées à part, car ils se trouvaient effectivement au-delà du cadre représenté. Voici le récit de Vivant Denon concernant Crotone :  



Des bords du Nieto [l’expédition vient de traverser le fleuve Neto, au nord de Crotone], nous avançâmes à travers une plaine de 11 milles21 parfaitement unie, très cultivée…Cette plaine est terminée et bordée par une chaîne de montagnes qui finit au cap Colonne, et forme un golfe, au fond duquel est située Crotone, jadis la fameuse Crotone… Avant que d’arriver à la Crotone moderne, on passe sur les ruines de l’ancienne, qui était bâtie en demi-cercle, au fond du golfe, et sur le fleuve Esarus qui la traversait, et n’est plus maintenant qu’un misérable ruisseau bourbeux, qui, hors les temps d’inondation, se perd dans le sable et n’arrive à la mer que par filtration 22.

Il parcourt ensuite les environs et reconnaît des maisons particulières, avec mosaïques et constate que beaucoup d’éléments se sont effondrés dans l’eau, car « la mer a repris sur cette langue de terre »20. On constatera que, comme Riedesel avant lui, Denon a visiblement confondu les murs de la partie sud du téménos avec les murs du temple. Le dessin envoyé pour Capo Lacinio représente Torre Nao, une tour de défense du XVIe siècle et la petite église de la Madonna de Capo Colonna (fig. 5). Dans le commentaire de Saint-Non, il est expliqué que l’état des vestiges du temple rendaient toute tentative de le dessiner inutile et que l’on se contenta de représenter la tour qui semblait plus pittoresque (fig. 6). On peut noter que l’Abbé fera toutefois ajouter sur la gravure la colonne du temple, dans une vue tout à fait impossible, celle-ci se trouvant en effet une centaine de mètres au sud de Torre Nao, c’est-à-dire dans le dos du spectateur. Le dessin d’origine ne comporte pas de colonne, mais, sur le feuillet de droite (ou sur son revers), une reconstitution du sanctuaire tel que l’avait compris le dessinateur, l’architecte Desprez. On ne peut que constater

Il observe ensuite que la ville « est maintenant réduite à un site très petit, qui, sans doute, était celui de la forteresse antique »23. Il constate enfin que le château construit par Charles Quint a détruit tous les vestiges antiques de la colline. Après avoir été plutôt mal reçus (disons même éconduits) par les notables de Crotone, malgré leurs nombreuses lettres de recommandation, les membres de l’expédition trouvent un gîte grâce à un négociant inconnu. Ils visitent le lendemain le port moderne (ou du moins ce qui devait l’être selon les visées du gouvernement de Naples) et constatent que ce sont des vestiges anciens qui servent à sa construction.

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Denon 1999, p. 253 : 300 pieds, c’est-à-dire 97,5 m environ. Ibid. Ibid.





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Denon 1999, p. 250 : onze milles équivalent à environ 21 km. La distance actuelle entre le fleuve et la ville de Crotone est de 13 km. Denon 1999, p. 251. Denon 1999, p. 251.

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Ils reprennent ensuite la route pour Capo Colonna et Denon écrit à ce moment : « Nous quittâmes Crotone en regrettant Crotone ». Or, la contradiction avec l’arrivée à Crotone est frappante : Denon reconnaît les ruines de Crotone antique en arrivant par le nord, mais n’en dit pas plus, ce qu’on s’explique très mal, vu les efforts de description et d’interprétation qu’il déploie à Sybaris et à Scolacium. De plus, un dessin a été exécuté par Desprez de cette approche de la ville (fig. 9). Ce silence est-il dû au dépit d’avoir été si mal reçu ? Il n’y a là pas de réponse, seulement des regrets pour les archéologues, car les observations et sondages plus récents concernant cette partie de Crotone montrent qu’en effet la ville s’étendait sur plusieurs kilomètres au nord de ce que nous pouvons nommer l’acropole, la colline où se situe la ville fortifiée médiévale. Denon n’a-t-il vraiment rien écrit de ces ruines de l’antique Crotone ? Le dessin de Desprez laisse espérer qu’une description existe quelque part : en effet, chaque dessin était en principe accompagné d’un commentaire écrit de la main de Denon, dont les textes originaux ne nous sont malheureusement connus qu’à travers les arrangements faits par l’éditeur du Voyage pittoresque, Saint-Non ou par Laborde dans sa traduction de l’ouvrage de Swinburne. Il n’est donc pas impossible qu’il existe quelque part une description des  





ruines de Crotone. L’expédition du Voyage pittoresque et Denon n’ont peut-être pas encore dit leur dernier mot à propos de cette cité antique.









Bibliographie Denon 1999 : Denon, D. V., Voyage au royaume de Naples, Paris, 1999. Denon 1999 : M.-A. Dupuy, éd., Dominique-Vivant De­ non : l’œil de Napoléon : Paris, musée du Louvre, 20 octobre 1999 - 17 janvier 2000, Paris, 1999. Dupuy-Vachey 2009 : Dupuy-Vachey, M.-A., Le « jour­ nal » de voyage de Vivant Denon : note sur un manus­ crit retrouvé, in : Itineraires 2009, p. 13-14. Grano 2006 : Grano, B., Crotone tra Grand Tour, avven­ tura, guerra, Reggio Calabria, 2006. Lamers 1995 : Lamers, P., Il viaggio nel Sud dell’Abbé de Saint-Non. Il « Voyage pittoresque à Naples et en Si­ cile » : la genesi, i disegni preparatori, le incisioni, Naples, 1995. Lamers 2009 : Lamers-Schütze, P. « Le mythe de Naples : Saint-Non, Denon et Le voyage pittoresque », in : Itineraires 2009, p. 7-10. Itinéraires 2009 : Les itinéraires de Vivant Denon. Naples et Pompéi. Catalogue d’exposition, Musée Denon, Manosque, 2009. Mozzillo 1993 : Mozzillo, A., Passaggio a mezzogiorno. Napoli e il Sud nell’immaginario barocco e illumi­ nista europeo, Milan, 1993. Saint-Non 1781-1786 : Saint-Non, J. C. Richard, abbé de, Voyage pittoresque ou description des royaumes de Naples et de Sicile, Paris, 1781-1786.

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Fig. 1 : Saint-Non 1781-1786 : frontispice du tome 1.

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Fig. 2 : Santa Maria di Roccelletta, gravure (d’après un dessin de Claude-Louis Châtelet), Saint-Non 1781-1786, vol. 3, après p. 110, n. 61.

Fig. 3 : Santa Maria di Roccelletta (2012, photographie S. Emery).

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Fig. 4 : Théâtre de l’antique Scolacium, parc archéologique de Roccelletta (2012, photographie S. Emery).

Fig. 5 : Torre Nao au Capo Colonna, dessin original de Jean-Louis Desprez, Kungliga Akademien för de fria Konsterna, Stockholm, P 49 : 1, p. 204-205 (d’après Lamers 1995, p. 236 fig. 223a).

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Fig. 6 : Torre Nao et chapelle de la Beata Vergine Maria di Capo Colonna, au Capo Colonna, gravure (d’après un dessin de Jean-Louis Desprez), Saint-Non 1781-1786, vol. 3, après p. 104, n. 58.

Fig. 7 : Vue de la ville de Crotone depuis le sud, gravure (d’après un dessin de Jean-Louis Desprez), SaintNon 1781-1786, vol. 3, après p. 104, n. 57.

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Fig. 8 : Vue de la ville de Crotone depuis le sud, dessin original de Jean-Louis Desprez, Kungliga Akademien för de fria Konsterna, Stockholm, P 49 : 1, p. 198-199 (d’après Lamers 1995, p. 236 fig. 224a).

Fig. 9 : Vue de la ville de Crotone depuis le nord, dessin original de Jean-Louis Desprez, Kungliga Akademien för de fria Konsterna, Stockholm, P 49 : 1, p. 202-203 (d’après Lamers 1995, p. 236 fig. 224b).

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La Calabre, terre sublime ? Sir William Hamilton et les séismes de Calabre de 1783-17841  

Le 5 décembre 1783, la Calabre et le nord-est de la Sicile sont secoués par un tremblement de terre d’une magnitude exceptionnelle. Les cinq répliques qui suivent, presque aussi puissantes, détruisent presque toutes les constructions que la première secousse avait épargnées – le 5 février 1784, puis le 7, le 26 et le 28 février, et encore le 1er mars2. C’est surtout la région des deux Calabres qui est la plus fortement touchée : la Calabre Ultérieure, qui forme la pointe de la botte de l’Italie, et qui est divisée par les plus hautes montagnes des Apennins, du nord au sud, dont plusieurs sont de nature volcanique ; et la partie de la Sicile que l’on appelle la vallée de Demona ou Valdemone, située en face de la Calabre Ultérieure et au sud des îles volcaniques de Lipari, assez largement au-dessus du niveau de la mer, dotée de hautes montagnes, dont l’Etna. Dans cette zone géographique, les dégâts sont particulièrement considérables. Sur les 375 villes ou villages calabrais mentionnés à la fin du xviiie siècle, 320 sont entièrement détruits, tandis que les autres, comme la ville d’Oppido (fig. 1), présentent des édifices en très mauvais état3… Ce n’est évidemment pas le premier séisme qui secoue la région. En 1770 puis en 1780, la Calabre avait déjà connu des tremblements de terre

assez destructeurs. Mais la force exceptionnelle du séisme de 1783-1784, et les dégâts épouvantables qu’il a entraînés, attirent très tôt l’attention de l’espace public européen, mais aussi les voyageurs qui, jusqu’à présent, s’étaient peu intéressés à cette région, qui visitent les deux Calabres avant de publier de très nombreux commentaires4. Parmi ces premiers pèlerins figurent des Italiens, comme Michele Sarconi (1732-1797)5, Giovanni Vivenzio6, mais aussi des Espagnols, comme le cardinal Antonio Despuig (17451813)7, ou des Français, à l’instar du géologue et minéralogiste Déodat Sylvain Tancrède de Dolomieu (1750-1802), qui publie l’un des premiers comptes-rendus savants du cataclysme8. Cette recrudescence touristique survit aux dernières répliques : la Calabre devient une nouvelle étape appréciée du Grand Tour, offrant aux visiteurs le spectacle à la fois effrayant et fascinant d’une terre dévastée et quasi déserte. Le théologien danois Friedrich Münter (1760-1830) y séjourne en 17859, suivi par un bourgmestre de Hambourg, Johann Heinrich Bartels (1749-1816), en 178610, un riche antiquaire anglais, sir Richard Colt Hoare (1758-1838), vers 179011, un homme d’état polonais, Franciszek Bielinski (17421809)12, et un voyageur anglais, Brian Hill (1747-

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Je remercie Stefano Condorelli pour ses précieux conseils regardant le contenu de la conférence dont cet article a été tiré. Messine 1783, p. 18 ; Hamilton 1784, p. 1-3. Messine 1783, p. 18. Placanica 1985 ; Chevallier 1995. Trombetta 1976, p. 169.



Trombetta 1976, p. 183. Trombetta 1976, p. 189. Trombetta 1976, p. 209. Trombetta 1976, p. 229. Trombetta 1976, p. 241. Black 1992, p. 54. Trombetta 1976, p. 259 ; Jaworska 1995.

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1814)13, en 1791, et un fameux poète allemand, Friedrich Leopold, comte de Stolberg (17501819), en 179214. Et ce tourisme sismique se poursuit au début du xixe siècle. En 1806, JeanBaptiste Duret de Tavel (1770-1861), un officier français, séjourne en Calabre, et certaines de ses lettres sont publiées en 182015. Et à partir du 20 mai 1812, Astolphe Louis Léonor, marquis de Custine (1890-1857), fait lui aussi le voyage de Calabre, en compagnie de l’antiquaire Aubin Louis Millin (1759-1818)16. Le plus célèbre de ces voyageurs est aussi l’un des premiers sur les lieux : le célèbre diplomate, antiquaire, archéologue et volcanologue anglais, sir William Hamilton (fig. 2)17. Lors des premières secousses du séisme calabrais, sir William est ambassadeur de Grande-Bretagne à la cour de Naples depuis près de vingt ans. Il fait partie des personnalités campaniennes les plus influentes et les plus actives. Durant son mandat diplomatique, il organise de nombreuses fouilles dans l’ancienne cité de Pompéi, en profitant pour amasser une quantité considérable de vases grecs et de statues romaines, dont il devient l’un des meilleurs spécialistes européens, jusqu’à la fin de sa vie. C’est toutefois son intérêt pour les volcans et les tremblements de terre qui, dès la fin des dernières répliques ayant frappé le sud de l’Italie, l’encourage à se rendre sur place, à parcourir les principaux sites touchés par le séisme et à publier, en 1784, une Relation des derniers tremblements de terre arrivés en Calabre et en Sicile.  

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Trombetta 1976, p. 267. Trombetta 1976, p. 279. Bertrand 2008, p. 174. Les mémoires de Millin sur son séjour calabrais n’ont pas été publiés, mais sont conservés à la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris (inv. ms. 6369-6375, t. V). Voir Bertrand 2008, p. 574. Fothergill 1969 ; K night 1990 ; Jenkins 1996 ; Constantine 2001. Chevallier 1995, p. 93. Le Mont Sila, dans les Apennins de la Calabre Ultérieure, le « pays des anciens Brutiens », était fameux dès ces temps-là par une immense et superbe forêt des plus beaux arbres, propres à la construction de tout genre, et dont on retirait une grande quantité de

Dès la fin du mois d’avril 1784, sir William s’enquiert auprès de Giuseppe Beccadelli, secrétaire d’Etat auprès du roi de Naples, Ferdinand IV, sur les récents événements18. Il apprend que le pays le plus maltraité est cette partie de la Calabre, qui est comprise entre le 38e et le 39e degré ; que les secousses les plus violentes se sont fait sentir depuis le pied des montagnes de l’Apennin appelées Monte Deio, Monte Sacro et Monte Caulone jusqu’au mont Sylae19 à l’ouest, et à la mer de Toscane20.

Très vite, il décide de se rendre sur place, durant une vingtaine de jours, afin de visiter « les parties de la Calabre Ultérieure et de la Sicile […] les plus affectées21 ». Il loue un spéronaire maltais pour lui, et une felouque napolitaine pour ses domestiques22, et il quitte Naples le 2 mai 178423, où il reviendra, le 23 mai24. De son bateau, il fait ses premières observations, constatant « les premiers effets du tremblement de terre » à Cetraro25, ainsi qu’à S. Lucido26. Le soir du 6 mai, il accoste à Pizzo. Il découvre une ville de 5000 habitants27, endommagée par les secousses du 5 février, complètement détruite par la réplique du 28 mars28. On lui rapporte que  







le volcan de Stromboli, qui est en face et en pleine vue de la ville, à la distance d’environ cinquante milles, avait moins jeté de fumée et vomi moins de matières enflammées, pendant ces tremblements de terre, qu’il n’avait fait ces dernières années29,

une observation préliminaire qui orientera les explications scientifiques proposées par sir William. Le savant anglais part ensuite à cheval jusqu’à

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poix ; cette forêt s’étend encore de nos jours depuis Taverno jusqu’à Reggio, l’espace de plusieurs milles : c’est la même dont Virgile fait mention dans son livre XII de l’Enéide, v. 214 : Ac velut ingenti Sila, sum­ moque Taburno » (Hamilton 1784, note 2, p. 2-3). Hamilton 1784, p. 2. Hamilton 1784, p. 5. Hamilton 1784, p. 5. Hamilton 1784, p. 6. Chevallier 1995, p. 93. Hamilton 1784, p. 6. Hamilton 1784, p. 6. Hamilton 1784, p. 7. Hamilton 1784, p. 7. Hamilton 1784, p. 8-9.

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Sir William Hamilton et les séismes de Calabre de 1783-1784

Monteleone, anciennement appelée Vibo Valentia30, à six milles31, qui a souffert des mêmes maux que Pizzo, et au même moment32. Il redescend ensuite dans la plaine, passant par Mileto, Soriano, Rosarno, Laureana, Macini, Vaticano, Polistena, S. Giorgio et Casalnuovo. Il continue par Castellone et Misicusco jusqu’à Terranuova33. Dans cette partie de la Calabre, il constate, avec un mélange de fascination et d’horreur, que des morceaux entiers de terrains, de bois, de forêts ont été déplacés sur plusieurs kilomètres34. Il traverse ensuite la région forestière de Seminara, Palmi35, Bagnara, Sinopoli et Solano36, et

Aussitôt de retour à Naples, le 23 mai, sir William rassemble et organise ses notes de voyage, rédigées en italien. Il les confie à Gasparo Sella, correspondant de l’Académie royale des Georgofili, qui s’occupe de la traduction française. Très rapidement, ce compte-rendu est publié en italien, sous le titre de Relazione dell’ultimo terremoto delle Calabrie e della Sicilia, ainsi qu’en français. Il s’agit de la Relation des derniers tremble­

ments de terre arrivés en Calabre et en Sicile, publiée à Genève, chez Paul Barde. A l’initiative du libraire genevois, qui possède également une librairie à Paris, quai des Augustins, au coin de la rue Pavée, l’ouvrage de sir William Hamilton est dédié à Horace-Bénédict de Saussure, « professeur de philosophie à Genève », explique Paul Barde, lequel affirme « devoir à plus d’un titre l’hommage de cette relation » : c’est Saussure qui lui a fait connaître cette relation en anglais et l’a encouragé à la faire publier en français, ce qui montre, au passage, l’extraordinaire réputation savante dont bénéficie alors sir William, mais aussi le succès de la diffusion de son compterendu, facilité par le choix de le faire traduire en français, la lingua franca de l’Europe des Lumières. L’ambition de la Relation n’est pas seulement de rendre compte, par le menu et dans l’ordre diachronique, du voyage et des découvertes de sir William. Il s’agit aussi, pour le volcanologue anglais, de proposer sa théorie des causes du phénomène sismique. S’appuyant sur l’autorité de Sénèque, dont il cite, en incipit, le passage des Questions naturelles où il est question des tremblements de terre39, il tente d’abord de proposer une description précise des séismes qui ont touché la région calabraise, à partir des témoignages qu’il a recueillis sur place. On lui raconte notamment que, dans la nuit du 5 au 6 février 1784, entre 19 heures et 7 heures du matin, on a

Hamilton 1784, p. 11. Strabon l’appelle aussi Hippo et Hipponium. C’est l’ancienne et célèbre ville des Bruttiens, « qui donna son nom au golfe voisin de Ste. Euphemia, nommé par les anciens historiens Sinus Viboniensis Phociensium et Sinus Naptinus, et par Pline et Thucydide Sinus Terinus » (Hamilton 1784, note 6, p. 11). Hamilton 1784, p. 9. Hamilton 1784, p. 12. Voir aussi Custine 1830 (1992), p. 143. Hamilton 1784, p. 29. Hamilton 1784, p. 29. Hamilton 1784, p. 45 ; Custine 1830 (1992), p. 156-157. Hamilton 1784, p. 46. Hamilton 1784, p. 47-48. Hamilton 1784, p. 56. Seneca, Naturalis Quaestiones, VI, 4 : « Cherchons donc quelle cause agite la terre jusqu’en ses fonde-

ments et met en branle une si pesante masse ; quelle est cette force, plus puissante que le globe, qui en fait crouler les immenses supports ; pourquoi la terre tantôt tremble, tantôt, n’ayant plus de lien, s’affaisse, tantôt se disjoint et se morcelle ; pourquoi, après un éboulement, elle reste longtemps entr’ouverte, ou se rapproche tout de suite ; pourquoi elle engloutit des fleuves renommés pour leur grandeur, ou en fait jaillir de nouveaux ; pourquoi elle ouvre de nouvelles sources d’eaux chaudes, ou en refroidit d’anciennes ; pourquoi des feux sont vomis des montagnes ou des rochers par des cratères jusque-là inconnus ; tandis que des volcans fameux pendant des siècles viennent à s’éteindre. Elle opère des prodiges sans nombre, change la face des lieux, déplace des montagnes, exhausse des plaines, des vallées, forme des collines, fait surgir du fond des mers de nouvelles îles. »

découvre [alors] le phare de Messine, toute la côte de Sicile jusqu’à Catanea, et derrière, le mont Etna élevant fièrement sa tête et terminant le tableau ; ce qui forme la plus belle vue et le plus magnifique spectacle qu’on puisse imaginer.37

C’est, déjà, la fin de son voyage. Il visite Reggio, qu’il quitte le 14 mai38.

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compté pas moins de trente-deux répliques40, et qu’à cette occasion

recueilli plusieurs témoignages, qui lui ont confirmé que les plus importantes secousses ont été accompagnées de « pluies violentes » et de « violents orages45 », et qu’elles  

la terre a été dans une agitation continuelle que le mouvement en était de diverse nature, et, pour me servir des expressions italiennes, ou vorticoso, ou orizontale, ou oscillatorio, c’est-à-dire, qu’on sentait quelquefois un mouvement de tournoiement, ou de tourbillon, ou un balancement horizontal, ou des espèces de coups et de pulsations qui venaient de bas en haut41.







semblaient venir avec le bruit d’un gros vent, du côté d’occident, qui commençait ordinairement par une commotion horizontale, et se terminait par le mouvement du tournoiement (vorticoso) dont on a parlé46.

De même, « avant chaque secousse, les nuages paraissaient fixés et immobiles, et […] immédiatement après une violente averse, on ressentait une secousse »47. Pour sir William, qui avoue que « tout ce qui tient des volcans » l’intéresse, il va donc de soi que ces secousses indiquent « quelque grande opération chimique de la nature », exclusivement liée à l’activité des volcans, qu’il décrit précisément, dans la dernière partie de son ouvrage48. La lecture de la Relation calabraise de sir William Hamilton réserve de nombreuses surprises. Le volcanologue ne se contente pas, en effet, de présenter sa théorie des relations entre les activités volcaniques et les phénomènes sismiques. Soucieux d’intéresser et de divertir un lecteur qui ne pourra se rendre sur les lieux, mais aussi de traduire, par ses mots, l’impression que lui ont laissée les sites et les habitants rencontrés sur son chemin, sir William se fait aussi poète et écrivain, dévoilant ce qui constitue un véritable récit, largement alimenté par trois types d’imaginaires scientifiques ou littéraires, qui font des paysages traversés par le savant anglais des lieux sublimes par excellence. Le premier, très commun au xviiie siècle, est celui de la théorie des climats, qui conduit sir William à tisser des liens étroits entre la nature physique et géologique de la région calabraise et le caractère de ses habitants. A cette occasion, l’auteur de la Relation distille quelques anec 

Suit un développement long et approfondi où, se fondant sur les analyses traditionnelles d’Aristote, de Pline l’Ancien, de Rudolph Agricola et d’Albert le Grand, sir William propose une typologie précise des mouvements sismiques :  











Aristote et Pline distinguent deux sortes de tremblements de terre, eu égard au genre de leurs secousses ; savoir, par tremblement et par pulsation ; le premier est horizontal par vibrations alternatives, semblables à l’espèce de secousse qu’éprouve une personne qui a la fièvre ; le second consiste dans un mouvement perpendiculaire haut et bas ; le nom qu’Aristote donne à cette dernière espèce est tiré de sa ressemblance avec une liqueur qui bout. Agricola en augmente le nombre et les classe en quatre sortes, que le Grand Albert réduit à trois ; savoir, par inclinaison, quand la terre oscille et se balance alternativement d’une partie à l’autre ; par pulsation, quand elle se meut de bas en haut, comme fait l’artère au pouls qui se resserre et se dilate ; et vorticoso, c’est-à-dire, par un mouvement tournoyant, lorsque la terre éprouve une secousse avec une espèce de frisson tournoyant et de fredonnement comme la flamme42.

C’est le mouvement vorticoso, surtout, qui abat les édifices43. Et son mouvement est si soudain que, comme l’ont raconté plusieurs paysans à sir William, « les plus gros arbres en furent pliés, et que leur cime touchait presque la terre »44. Sur la base de cette description, ainsi que des observations effectuées in situ, le volcanologue propose son explication. Il souligne d’abord avoir  



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Messine 1783, p. 18. Le commentateur souligne que le 5 février est aussi la date qui, selon Sénèque, dans les Questions naturelles, « fut fatal[e] à la campagne de Rome, par un tremblement de terre dont elle fut dévastée sous l’Empire de Néron et le Consulat de Regulus et Virginius » (Hamilton 1784, note 3, p. 3). Hamilton 1784, p. 3-4.

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Hamilton 1784, note 4, p. 3-4. Hamilton 1784, p. 13. Hamilton 1784, p. 14-15. Hamilton 1784, p. 4. Hamilton 1784, p. 13. Hamilton 1784, p. 14. Hamilton 1784, p. 5.

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dotes qui ne manquent pas de sel, et lui permettent de souligner la grande solidité morale et physique des Calabrais. Discutant avec un paysan de Terranuova, dont la maison avait été déplacée sur au moins un mille, il lui demande de détailler les plaies subies par sa femme qui, selon les dires du paysan, avait été « un peu » blessée :  



lieux communs de la littérature bucolique de Théocrite et de Virgile, et en présentant la Calabre comme une Thessalie ou une Arcadie qui n’aurait pas été corrompue par le temps. Près de Monteleone, il traverse ainsi « le plus beau pays » qu’il ait jamais vu,  





un véritable jardin d’oliviers, de mûriers, d’arbres à fruit et de vignobles. Ces arbres ombrageaient une abondante moisson de toutes sortes de graines, de pois, de fèves, et d’autres légumes, qui [lui] parurent croître parfaitement, quoique sous cet ombrage épais52.

Sa réponse, quoique d’une nature fort sérieuse, ne manquera pas de vous faire rire, ainsi que moi : ‘Monsieur, me dit-il avec un sang-froid vraiment unique, elle a eu les deux jambes et un bras rompus et une fracture au crâne, par laquelle sa cervelle est restée à découvert.’ Il me paraît en vérité,

conclut sir William non sans humour,

Cet Eden est aussi celui décrit par le marquis de Custine et Bielinski. Le premier parle d’une

que les Calabrais ont plus de fermeté que les Napolitains, et ils m’ont semblé supporter leur état affreux avec une patience et une résignation vraiment philosophiques49.

suite de vallons solitaires où de limpides ruisseaux arrosent, comme dans les vers du Tasse, des prairies parfumées et bordées de cystes et de romarins ; nous avions traversé des bois où le hêtre, le cytise en fleurs, l’alaterne, le myrte toujours verts protègent le voyageur par leur ombrage ou l’enivrent de leurs parfums53.

Cette résistance physique, liée à une forme de droiture et d’honnêteté morale, permet d’ailleurs à sir William de conforter le sérieux objectif de ses analyses, dans la mesure où elles se fondent sur les dires de témoins qui, visiblement, ont un « langage simple, mais vrai »50. Mais elle traduit aussi la difficulté, pour sir William, de recueillir les témoignages d’hommes et de femmes qui, impressionnés par le statut et, sans doute, la mise de leur interlocuteur, dont ils ne partagent pas la culture visuelle, littéraire et rhétoriques, paraissent incapables ou peu désireux d’exhiber leurs émotions, d’exprimer leurs souffrances ou d’entrer dans le détail d’une expérience personnelle. Le deuxième imaginaire auquel fait appel sir William est celui de la littérature idyllique, qui constitue, sans doute, une réponse littéraire à un problème historique : comment décrire une région qui, sur le plan historique, est censée avoir appartenu au territoire de la légendaire et sublime Grande Grèce51 ? Sir William résoud ce problème en faisant constamment appel aux

Pour ces trois voyageurs, la Calabre est un Pays de Cocagne. En plus des « deux précieuses productions d’huile et de soie, dans lesquelles cette province efface toutes les autres, et peut-être tous les pays du monde », cette terre « abonde encore en grains, vins, coton, fruits et légumes de toutes sortes »56. Et sans doute sir William pense-t-il aux utopiques Voyages de Gulliver, publiés par Jonathan Swift en 1721, quand il constate que certains chênes calabrais

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Hamilton 1784, p. 31. Jaworska 1995, p. 353. Messine 1783, p. 4 ; Hamilton 1784, p. 50. Hamilton 1784, p. 9.

Et dans les environs de Monteleone, il s’exclame : « Quel pouvoir magique il y a dans ce soleil qui a fait Claude Lorrain ! »54. Le second, plus nuancé, rejoint certains commentaires de Hamilton :  



   



Il ne manque rien dans la Calabre pour qu’elle puisse devenir un des plus beaux pays ; la fertilité du terrain, la bonté du climat, la situation favorable pour le commerce, tout cela existe, il faudrait seulement encourager ou plutôt introduire l’agriculture, faire des chemins, enhardir le commerce55.







Custine 1830 (1992), p. 137. Custine 1830 (1992), p. 146. Jaworska 1995, p. 358. Hamilton 1784, p. 10.



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sont d’une grosseur que je n’aurais jamais pu imaginer, étant la moitié aussi gros que les chênes mêmes, qui, dans ce pays, sont cependant de beaux bois de construction, et au moins trois fois plus gros que les oliviers qu’on trouve dans la Campagna Felice57.

Hamilton cherche tout autant à se défaire de ses sentiments les plus pathétiques qu’à faire valoir

sa fascination pour la beauté des pays traversés, même s’il a parfois quelque difficulté à s’en délecter en raison de la tragédie climatique qui s’y est déroulée quelques semaines auparavant. De fait, et compte tenu des circonstances dans lesquelles sir William découvre ce Paradis perdu, l’imaginaire tragique occupe évidemment une place centrale dans son discours. Depuis sa théorisation par Aristote, le motif de la catastrophe occupe, on le sait, une place fondamentale dans la tragédie, ainsi que dans le théâtre dramatique, lyrique et musical61. Aux côtés du crime et du maléfice, le cataclysme joue un rôle central dans les opéras du xviiie siècle, servi et exprimé par les effets spectaculaires des pièces à machines62. Et les séismes n’y sont d’ailleurs pas rares, comme dans la Sémélé composée en 1709 par Marin Marais, sur un livret d’Antoine Houdard de La Motte (V, 3), ou dans la partie consacrée aux « Incas du Pérou » dans les Indes ga­ lantes de Jean-Philippe Rameau et Louis Fuzelier (1735). On ne s’étonnera donc pas de l’émotion (à la fois psychologique et théâtrale) ressentie par sir William Hamilton, dans les environs de Polistena, face à un « triste théâtre de misères, difficile à décrire », dans une région où, durant un voyage de quatre jours, il ne rencontre aucun survivant63. On ne sera pas davantage surpris de constater que, pour le très rationnel sir William, certaines explications demeurent liées au fatum des Anciens. Soulignant que la plus violente réplique a eu lieu le 5 février, sir William rappelle, en citant Sénèque, que cette date « fut fatal[e] à la campagne de Rome, par un tremblement de terre dont elle fut dévastée sous l’empire de Néron et le consulat de Regulus et Virginius64 ». On pourrait être surpris de constater comme les observations savantes de sir William, en Calabre, semblent constamment parasitées par son imagination. C’est oublier, me semble-t-il, trois données, ou plutôt trois problèmes essentiels, de la tâche qu’il s’est assignée.

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Pour sir William, visiter la Calabre revient ainsi à remonter dans le temps. Près de Reggio, il admire un de ces jardins naturels, qui passe pour le plus riche de toute cette partie de la Grande Grèce, à environ un mille et demi de Reggio, et qui appartient (ce qui mérite d’être remarqué, en passant) à un gentilhomme de ce pays, dont le nom de baptême est Agamemnon. On ne saurait vanter assez la beauté des agrumes, nom général qu’on donne ici à tous les arbres qui portent des oranges, citrons, limons, cédrats ou bergamotes. Le sol sablonneux, la chaleur de l’exposition, la commodité d’un ruisseau limpide dont on distribue à plaisir les eaux part de petites rigoles autour du pied des arbres ; c’est à tous ces avantages réunis qu’ils doivent leur surprenante beauté, aussi bien que l’abondance de leurs fruits58.

Et « les environs de Laureana, située sur une colline » apparaissent au voyageur anglais comme « véritablement le jardin d’Eden »59. Cette dimension idyllique du récit de Hamilton, parfois légère, explique les saillies humoristiques de son discours, étonnantes dans un contexte aussi difficile :  









Je ne puis m’empêcher de remarquer ici en passant, que les religieuses qui vivent aussi dans ces baraques, se promènent continuellement dans les environs, sous la garde et protection de leurs confesseurs. Elles m’ont paru assez gaies, et prendre fort aisément leur parti de la liberté que leur a procuré l’abandon forcé de leur couvent. J’avais fait la même obsevation à l’égard des écoliers à Reggio ; en sorte que, sur un petit journal que j’écrivais à la hâte, et duquel j’ai transcrit de même le récit imparfait que je vous envoie, je fis cette remarque : tremblements de terre particulièrement favorables aux religieuses et aux écoliers60.

Hamilton 1784, p. 9-10. Hamilton 1784, p. 50. Hamilton 1784, p. 22. Hamilton 1784, p. 59-60.













Bouissou 2011. Bouissou 2011, p. 71-94. Hamilton 1784, p. 26. Hamilton 1784, note 3, p. 3

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Sir William Hamilton et les séismes de Calabre de 1783-1784

Le premier de ces problèmes concerne la description de ce qui, pour beaucoup de voyageurs du xviiie siècle, apparaît encore comme une terra incognita. Située aux confins de l’Italie, de la mer et de l’Afrique65, la Calabre n’apparaît presque jamais dans les premières cartes de l’Italie, y compris dans la Nova et vera descrittione de Italia ; ou alors, il n’en est montré que la partie septentrionale66. La Calabre apparaît comme un territoire « barbare », comme le souligne William Young, qui parle de barbarous regions, alors même qu’il connaît bien la région pour y être allé en 177267. Et quand, en 1812, le marquis de Custine forge à Terracine le projet de partir en Calabre, il se sent obligé d’écrire : « Je médite un projet dont la seule pensée me fait battre le cœur : c’est le voyage de Calabre »68. Quelques jours plus tard, il affirme être « dans un accès de joie » à cette idée :

culture visuelle des lecteurs ? Sir William regrette, pour cette raison, de ne pas avoir eu le loisir d’avoir pu avoir un dessinateur à ses côtés, lors de son voyage, contrairement à l’Académie de Naples72,  

son président ayant député quinze de ses membres avec des dessinateurs, pour faire des dessins propres à donner au public une ample et satisfaisante histoire de cette terrible catastrophe73.









Sir William ajoute, pour conforter ses remords :  

Lorsque les dessins de l’Académie paraîtront, ces détails, tout imparfaits qu’ils sont, auront leur degré d’utilité ; et si le temps me l’eût permis, j’aurais certainement pris un dessinateur en Calabre pour remplir ce double but74,









Car



ces sortes d’ébauches, toutes incorrectes et imparfaites qu’elles soient, ont, comme dans la peinture, le mérite de la première touche, et d’une sorte d’esprit qui se perd souvent dans un tableau plus fini75.



[Ma mère] n’eût jamais consenti à me laisser entreprendre seul une excursion si dangereuse ! La magie du voyage opère déjà sur mon imagination ! Toutes mes facultés sont en activité, ma vie est renouvelée d’espérance et d’attente. J’ai peur de n’avoir d’autre vocation que celle de voir des sites nouveaux et de changer de place sans autre but que le mouvement69.

La Calabre, pour le xviiie siècle, c’est l’autre70. En raison des mauvaises routes, le sud de Naples fait partie des régions les moins visitées de l’Italie. Et même si elle attire les voyageurs les plus aventureux, pour les ruines comme pour les paysages71, elle demeure à l’écart des circuits du Grand Tour : on y va encore moins qu’en Sicile, à laquelle on peut accéder assez facilement de Naples, en bateau. Comment décrire l’inconnu sans le ramener, de fait, au connu des récits littéraires et mythographiques ou, ce qui revient au même, et nous amène au deuxième problème, à faire appel à la  

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Trombetta 1976, p. 17 ; Bertrand 2008, p. 186. Bertrand 2008, p. 638. Messine 1783, p. 5 ; Black 1985, p. 185-186 ; Black 1992, p. 234. Custine 1830 (1992), p. 98. Custine 1830 (1992), p. 100. Fazio 1995, p. 75-84. Black 1992, p. 54.

Sir William vise ici, et c’est important, un troisième et dernier problème du discours savant : dans la mesure où son efficacité repose sur un compte rendu minutieux des faits et des détails, il gagne en précision ce qu’il perd en effet. Ce que l’on dit très bien, on l’exprime très mal ; pour restituer une expérience, il faut la suggérer plus qu’il ne faut l’expliquer. Suivant là les théories esthétiques d’Edmund Burke qui, une trentaine d’années plus tôt, avait souligné que l’effet sublime d’une représentation reposait sur son obscurité, sur la capacité de l’écrivain ou du peintre à ne pas tout dire, à ne pas tout montrer, sir William multiplie ainsi dans sa Relation les périphrases ou les regrets, qui sont autant de critiques qu’il s’adresse à lui-même, et qui con­duiront, après lui, le marquis de Custine ou  



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Ce rapport sera publié sous le titre Istoria de’ feno­ meni del tremoto avvenuto nelle Calabrie, e nel Valdemone nell’anno 1783, Naples, 1784, sous la direction de Michele Sarconi (Sarconi 1784). Hamilton 1784, p. 36. Hamilton 1784, p. 40. Hamilton 1784, p. 70-71.

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Franciszek Bielinski, à souligner que le savant doit se taire s’il veut être véritablement sublime :  

Je n’ose continuer à écrire, explique le premier !, comment se permettre de peindre un tel pays ? Admirer et se taire, c’est tout ce que peut faire un homme en extase devant les beautés de la Création76.

« À moins d’avoir été sur les lieux et avoir vu de ses propres yeux », souligne le second,

Paradoxe final et, en un sens, définitif, d’un discours, d’une représentation de la nature qui, pour être sublime, doit s’en écarter au profit de ce qu’elle en imagine. La Calabre de nos rêves (ou de nos cauchemars) a de beaux jours devant elle.





on croirait difficilement tous les phénomènes qui y arrivèrent. Hamilton, Dolomieu et tant d’autres ont donné les détails circonstanciés, ont voulu expliquer ces phénomènes ; moi je n’entrerais point dans ces détails, ma plume exprimerait difficilement ces observations scientifiques, je me bornerai donc à des choses que j’ai vues ; il est plus aisé de décrire ce qu’on aperçoit que d’en rendre raison, d’ailleurs, ce n’est point ma méthode, je n’ai ni le temps ni l’habileté nécessaires pour ces doctes écrits, et puis le but de ce pot-pourri qui n’est pas écrit pour être publié, m’en dispense77.

Plus tard, Bielinski ira plus loin encore, en sousentendant, au sujet de l’Etna, qu’il est plus facile de décrire un lieu où l’on est jamais allé78 : Brydone, selon lui, « a fait une superbe description du sommet de l’Etna, du lever du soleil du soleil observé sur l’Etna quoiqu’il n’y ait pas été79 », ce qui est en partie vrai80. Brydone parle un « langage poétique » qui s’adresse à l’imagination81, tandis que Bielinski, lui, cherche à se contenter d’apporter un témoignage strictement visuel :  











Je décris ce que j’ai vu, sans faire l’enthousiaste ni inventant des choses qui n’arrivèrent point : j’aurais pu faire comme les autres et jouir du privilège des Voyageurs auquel il est permis de débiter des mensonges, mais ce n’est point mon génie : vraie et laco­ nique voilà ma devise82. […] Un Sarmate a un langage simple, mais vrai, les accidents lui arrivent rarement puisqu’il les sait prévenir. Voilà donc pourquoi la relation de mon voyage d’Etna n’est ni une fable, ni un roman83. 76 77 78

Custine 1830 (1992), p. 150. Les pages suivantes sont à l’avenant. Jaworska 1995, III, 1, p. 351. Sur cet enjeu, qui remet en cause l’idée, reçue, selon laquelle la vérité d’un événement ou d’un lieu ne peut s’exprimer qu’en y ayant assisté ou en s’y étant rendu, voir Blanc 2011.

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Jaworska 1995, p. 352. Giardina 1995, p. 249-260. Jaworska 1995, p. 353. Jaworska 1995, p. 356. Jaworska 1995, p. 353.

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Messine 1783 : Description historique de la ville de Mes­ sine, Paris, 1783. Placanica 1985 : Placanica, A., Il filosofo e la catastrofe. Un terremoto del Settecento, Turin, 1985. Sarconi 1784 : Sarconi, M., Istoria de’ fenomeni del tre­ moto avvenuto nelle Calabrie, e nel Valdemone nell’ anno 1783, Naples, 1784. Seneca : Naturales Quaestiones. Trombetta 1976 : Trombetta, A., La Calabria dell’700 nel giudizio dell’Europa, Naples, 1976.

Fig. 1 : Johann Baptist Bergmüller, La ville d’Oppido, en Calabre, après le tremblement de terre du 5 février 1783, 1783, eauforte rehaussée de couleurs à l’aquarelle, 28,2 × 39,1 cm, Londres, British Museum, Department of Prints and Drawings, inv. 1898,0725.8.1015.

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Jan Blanc

Fig. 2 : Henry Hudson d’après sir Joshua Reynolds, Portrait de Sir William Hamilton, 1787, manière noire, 61,5 × 37,6 cm, Londres, British Museum, Department of Prints and Drawings, inv. 1831,1112.2.

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Crotone et Pompéi : des « immortalités » contestées  





Dès 1773, dans son Préliminaire au Voyage de Hollande, Diderot – comme beaucoup d’autres auteurs – invite le voyageur à ne pas faire confiance à sa mémoire qui peut être rapidement défaillante1. En dépit de ces recommandations2, on constate régulièrement un écart temporel entre le moment du voyage et le moment du récit. L’auteur attend souvent de nombreuses années avant de rédiger ce qu’il a vu et vécu ; la publication du récit, quant à elle, n’intervient que plusieurs dizaines d’années plus tard3. La mise en texte de l’expérience viatique peut alors parfois s’avérer problématique. La rédaction d’un compte-rendu de voyage à l’intérieur d’un cabinet d’études entraîne régulièrement un travail de relecture. Le récit de voyage est donc souvent le résultat d’une écriture intertextuelle4. Les auteurs mentionnent de nombreuses sources an-

ciennes, citent des récits contemporains, incluent des ouvrages relatifs à l’histoire de la ville et du pays, notent des réflexions personnelles ou celles de leurs accompagnateurs. Ces multiples insertions révèlent différentes intentions. Il peut s’agir pour l’auteur de suppléer aux défaillances de ses propres informations ou pour pallier son incompétence dans un domaine afin de proposer au lecteur un récit de voyage conforme à l’attente qu’elle suppose. Il peut également s’agir d’introduire dans le tissu narratif une autre voix que celle de l’auteur, permettant ainsi de corriger l’excès de subjectivité qu’il pourrait manifester. En effet, le point de vue des auteurs des ouvrages consignés dans le récit peut s’avérer à l’opposé de leurs propres observations ou informations. Il s’agit en d’autres termes, d’une sorte « d’honnêteté intellectuelle » de la part de l’auteur. Cette dernière peut être voulue – pour alimenter un débat – ou feinte –, les différents points de vue servant à justifier l’intérêt de la relation de voyage. La lecture peut s’avérer également nécessaire

Diderot 1821, p. 155 : « Et surtout méfiez-vous de votre imagination et de votre mémoire. L’imagination dénature, soit qu’elle embellisse, soit qu’elle enlaidisse. La mémoire ingrate ne retient rien, la mémoire infidèle mutile tout ; on oublie ce qu’on n’a point écrit, et l’on court inutilement après ce que l’on écrivit avec négligence. » Sur ces questions de palliatif à la mémoire, cf. Bertrand 2008, p. 46-47. Cf. Bertrand 2008, p. 136-144. Dans son ouvrage, G. Bertrand qui se fonde sur un échantillon de 212 auteurs de récits français, belges ou suisses francophones, présente dans un tableau récapitulatif (tous

les 10 ans de 1750 à 1810) l’âge du voyageur lors de sa visite en Italie et l’âge du voyageur lors de la publication de son récit. Les résultats de son étude montrent qu’en 1750, l’âge moyen du voyage est de 32,4 ans alors que celui de la publication est de 52,4 ans ; en 1760 : 35,4 / 50,6 ; en 1770 : 34,2 / 49,5 ; en 1780 : 33, 5 / 54,4 ; en 1790 : 33,2 / 46 ; en 1800 : 33,7 / 45, 3 ; en 1810 : 37,5 / 52, 7. Cette analyse montre bien l’écart temporel entre le moment du voyage et le moment du récit. Pour que cette enquête soit complète – dans le cadre chronologique de notre étude –, il faudrait poursuivre la réalisation de ce tableau jusqu’à l’année 1900. Cf. Pasquali 1994.

Les problèmes liés à la mise en texte de l’expérience viatique



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pour que l’auteur se remémore son propre voyage ou encore qu’il le prolonge mentalement. Ce travail de relecture, qui est a priori justifiable, a cependant souvent des conséquences contestables. En effet, le plagiat est un problème majeur des récits de voyageurs. Au lieu de citer ou de renvoyer aux écrits de ses contemporains ou de ses prédécesseurs, l’auteur s’approprie souvent ses dires, à quelques exceptions près5. Par conséquent, les descriptions ont une propension très nette à se ressembler. La reprise de citations antiques, pour lesquelles on ne manque pas cette fois-ci de mentionner l’auteur, aboutit aux mêmes effets ; néanmoins, celles-ci permettent de donner du crédit aux récits selon les critères de la tradition littéraire de l’époque. Ces problèmes sur la mise en texte de l’expérience viatique sont valables aussi bien pour Pompéi que pour Crotone. Mais, c’est surtout le recours systématique aux auteurs antiques qui a attiré, dans un premier temps, mon attention. Caution historique inévitable pour qu’un récit soit digne de confiance, l’insertion de ces références antiques, qu’il s’agisse des relations de voyage à Pompéi ou de celles à Crotone, a eu pour effet de remettre en cause, dans une certaine mesure, la célébrité dont ont bénéficié à l’époque antique ou aux XVIIIe et XIXe siècles ces deux villes.  

Pompéi : « une immortalité dont Rome seule aurait dû jouir »6  





Il est bien entendu logique que les voyageurs aient systématiquement exploité les epistulae de Pline le Jeune dans leurs récits. Mais, rappelons tout de même, que ces lettres – seules sources 5

Cf. Aubert de Linsolas 1836, p. 146-153 ; 159-166. La première partie du récit retranscrite en italique dans l’ouvrage n’est pas l’œuvre de l’auteur, mais celle du Comte de Forbin : « M. le Comte de Forbin ne s’est pas borné à reproduire avec son pinceau les enchantements de la campagne de Naples ; il a employé aussi la plume de l’écrivain ». (p. 140). Ce n’est que dans les « quelques observations ajoutées au précédent chapitre » (p. 160-172) qu’Aubert de Linsolas nous

écrites presque contemporaines de la célèbre éruption du Vésuve en 79 – sont souvent remises en cause. Entre autres, l’absence de mention du nom de la ville fait l’objet de nombreuses interrogations de la part des voyageurs. Nombre d’entre eux tenteront – comme à l’heure actuelle – de démontrer que le phénomène décrit par Pline n’est pas celui qui a rayé de la carte les cités campaniennes. Bien que la Pompéi antique n’ait pas fait couler beaucoup d’encre, la littérature viatique pompéienne ne déroge pas à la règle qui consiste à multiplier les références aux sources anciennes. Le « silence des écrivains anciens »7, selon la formule de Gaston Boissier, n’est pas seulement dû à la disparition brutale de la ville de Pompéi. On le doit peut-être aussi au fait que les habitants de Rome ne pouvaient concevoir leur vie en dehors de celle-ci. Le désintérêt qu’ils manifestaient probablement à l’égard de la petite bourgade de Pompéi, tout juste bonne à leurs yeux pour servir de lieu de villégiature, n’était guère propice aux éloges qu’attendaient les modernes devant une telle redécouverte. Mais, contre toute attente, le neveu du célèbre naturaliste n’est pas l’unique auteur dont la notoriété perdura au cours des XVIIIe et XIXe siècles dans les relations de voyage. Les voyageurs – « pétris » par la tradition littéraire du récit de voyage en Italie et bons connaisseurs de Vitruve –, vont tenter à mesure de la redécouverte progressive du site, de donner une description architecturale des monuments qu’ils visitent à Pompéi en les comparant aux modèles de l’architecte romain. Leurs visions, modelées par le goût classique, lui-même soustendu par une certaine image de la Rome antique, ne sont pas sans poser quelques questions. La théorie de Vitruve, qui définit le concept du « beau idéal », répond aux normes en vigueur en  







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livre ses propres remarques : « J’ai cité le récit d’un voyageur qui comme moi a visité Pompéi et le Vésuve ; voici maintenant les observations personnelles ; égale­ ment recueillies en présence des objets que je décris » (p. 159). On peut dater son récit de l’année 1819 par rapport aux monuments décrits durant sa visite de Pompéi. Il ne sera publié qu’en 1835-1837. Latapie 1776, p. 225. Boissier 1880, p. 309.

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Crotone et Pompéi : des « immortalités » contestées  





son temps8. Cette notion subjective est ainsi « standardisée » par des règles nommées les « canons de Vitruve » : est jugé « élégant » et « plein de magnificence » l’édifice classique ; « sobre », l’édifice « sévère », et « décadent », l’édifice « déroutant »9. Depuis le XVIe siècle, il subsiste une position académique qui, d’un point de vue culturel, modèle les sentiments éprouvés par les voyageurs devant les arts de l’Antiquité. Pour déterminer si une architecture est digne d’intérêt – en d’autres termes si elle est « noble » ou non – ces derniers se référent systématiquement aux notions de « bon ou de mauvais goût » telles que les enseigne Vitruve via ses commentateurs de la Renaissance. Ces paramètres leur permettent alors de mesurer les différences et les ressemblances qui existent entre leur objet d’étude et l’idéal de la perfection. Le jugement de valeur, positif ou négatif est alors fonction du degré plus ou moins grand de conformité à cette règle. Après leur traditionnel séjour à Rome, les voyageurs ont pris l’habitude d’évaluer les monuments par rapport au De Architectura de Vitruve. Recourant systématiquement à la comparaison entre les architectures qu’ils voient et le texte qu’ils lisent, la majorité des voyageurs va de ce fait désapprouver les édifices publics et privés de Pompéi, malgré l’impression très forte que provoque sur eux la découverte de la cité. En effet, nul doute que le site antique de Pompéi passionne l’Europe cultivée depuis le milieu du XVIIIe siècle. En 1765, par exemple, le chevalier de Jaucourt, rédacteur de l’article sur Pompéi publié dans l’Encyclopédie de Diderot, écrit : « Voici presque dix ans que l’on parle avec admiration de cette découverte »10. En 1779, le baron Dominique Vivant Denon, dans son Voyage au royaume de Naples, mentionne que « les ruines de Pompéia [sont] les plus intéressantes qui existent dans l’univers »11. En 1796, Edmond de  







































Bourke conclut sa Notice sur les ruines en expliquant que celles « de Pompéi, qu’il a] quitté à regret, ont fait sur [lui] une si forte impression que leur […] souvenir ne s’effacera pas facilement de [s]on esprit »12. Au cours du XIXe siècle, les voyageurs témoignent toujours dans leur relation de l’émerveillement provoqué par la redécouverte des ruines de la cité campanienne. Aubert de Linsolas, qui parcourt l’Italie entre 1835 et 1837, confesse :  







De tous les objets qui appellent les curieux dans le berceau de la gloire et des arts, parmi les monuments de toute espèce que renferme l’heureuse Italie, il n’en est point de plus remarquable, de plus extraordinaire que Pompéi : Rome elle-même ne peut lui être comparée13.



En 1852, Jules d’Aoust déclare que « le spectacle qui se présente à l’entrée de la ville frappe si vivement l’imagination, qu’on ne saurait l’oublier à jamais »14. En 1866, Eugène Dognée débute sa relation en écrivant que « Pompéi est l’un de ces noms qui, par un magique prestige, évoquent les plus splendides visions »15. Pourtant, les voyageurs ne sont pas tous aussi enthousiastes et ne manquent pas de faire part de leur déception – voire de leur indignation – lorsqu’ils découvrent les architectures de la cité. Dans l’incipit de sa Description des fouilles de Pompéi en 1776, François de Paule Latapie16 donne le ton du débat qui va animer les récits des voyageurs :  









le volcan […] en couvrant de ces cendres une ville médiocre, peu digne des regards de la postérité si le temps seul eût agi sur elle, […] lui a procuré par cette destruction passagère une immortalité dont Rome seule aurait dû jouir.17











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Cf. Bek 1986, p. 139-148. Cf. Pauwels 2008. Jaucourt 1765, p. 150-154. Denon 1997, p. 115. Bourke 1826, p. 239-240. Aubert de Linsolas 1836, p. 166. Aoust 1853, p. 73-75.

Au début du XIXe siècle, Eugène Emmanuel Amaury-Duval avoue : « Disons franchement qu’à Pompéi tout est joli, que rien n’est beau ;  





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Dognée 1866, p. 5. La Description des fouilles de Pompéi de Latapie est une lettre d’une vingtaine de pages destinée à l’origine à D. Trudaine. Elle fut néanmoins lue à l’Académie de Bordeaux dans la séance du 30 juin 1776. Latapie 1776, p. 225.

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qu’on y trouve souvent le goût, la grâce, jamais le grand, le majestueux. » Il va même jusqu’à affirmer qu’« il en est qui sont presque fâchés d’avoir eu une si haute idée des anciens, et qui ne voient en cela rien de beau, de merveilleux »18. Le résultat de l’enquête comparative de Quatremère de Quincy entre l’architecture monumentale de Pompéi et les idéaux de l’époque, publié en 1825 dans l’Encyclopédie méthodique : Dictionnaire d’architecture19, reflète l’opinion générale : « Pompéia ne dut être qu’une ville de troisième ordre »20. Le jugement porté sur les édifices publics n’évolue guère durant la seconde moitié du XIXe siècle. En 1866, Eugène Dognée tient encore à faire savoir que « ces bâtisses n’ont pas un caractère grandiose »21. L’architecture domestique fait l’objet des mêmes critiques. Les voyageurs sont déçus du manque de faste de ces constructions. En 1779, dans sa Lettre à M. Bian­ coni, Winckelmann constate que les « maisons étaient très simples, et [les] appartements fort bas et fort petits. » Il en déduit que « la vie domestique des anciens [devait être] fort frugale et sans le moindre luxe »22. Au début du XIXe siècle, Mallet s’étonne encore « de la petitesse des maisons de Pompéia »23. Même la villa de Diomède est qualifiée « de grandeur médiocre »24. Néanmoins, pour Louis de Ronchaud la comparaison entre la ville de Rome et celle de Pompéi  































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A maury-Duval 1821, p. 432. Chaque tome est paru en deux parties : le tome I (Abajour – Coloris des Fleurs) en 1788 (p. 1-320) puis en 1790 (p. 321-730), le tome II (Colossal – Mutules) en 1801 (p. 1-358) puis 1820 (p. 361-744), le tome III (Nacelle – Zotheca) en 1825 (p. 1-344) puis 1828 (p. 345-664). Jean Nicolas Huyot (1780-1840), Jean Rondelet (1743-1829) et Antoine Laurent Castellan (1772-1838) ont collaboré à la rédaction de l’Ency­ clopédie méthodique : Dictionnaire d’architecture ; mais le tome III est entièrement, ou presque, de la plume de Quatremère de Quincy. Cf. Darnton 1982 ; Becq 1991 ; Blanckaert 2006 ; Turco 2006. Quatremère de Quincy 1825, p. 158. Quatremère de Quincy a repris quasi intégralement cette notice dans son Dictionnaire historique d’architecture, compre­ nant dans son plan les notions historiques, descrip­ tives, archéologiques, biographiques, théoriques, didactiques et pratiques de cet art (Paris, 1832, II, p. 269). En 1850, Charles Bonucci reprend aussi cette

est inappropriée : « Comment une petite ville de province, récemment détruite, à peine rebâtie, aurait-elle pu être comparée à la cité reine, dont la construction et l’embellissement étaient l’œuvre de longs siècles et du monde entier ? »25 Le Comte de Kératry est du même avis. Pompéi était « seulement une ville de province, qui comptait environ 30 000 âmes ». C’est pourquoi il explique à ses lecteurs qu’« il ne faut pas demander à Pompéi les magnificences de la grandeur Romaine ». En revanche, il affirme que, « si la grandeur romaine lui manquait, […] elle avait conservé la grâce de son pays d’origine la Grèce »26. Sa conclusion est loin d’être partagée par tous ses pairs, puisque la dévalorisation de l’art romain par rapport à l’art grec est une des constantes des publications au XIXe siècle. Quand à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe l’itinéraire traditionnel du voyage d’Italie se prolonge vers Naples et vers la Sicile27, les voyageurs s’y rendent avant tout pour voir les restes antiques de la Grande Grèce sur lesquels les découvertes campaniennes de la seconde moitié du XVIIIe siècle venaient d’attirer l’at­ tention. Ce prolongement vers le sud a donc un corrélat dans le sens du temps historique : les voyageurs sont, à cette époque, impatients de découvrir une Antiquité plus reculée, d’origine grecque28. Le mécompte des voyageurs est par  























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expression dans son article « Pompéia (Histoire) » publié dans l’Encyclopédie moderne : « Cette petite ville, de troisième ordre, dont un cinquième, à peine connu, peut se parcourir en moins d’une demi-heure, possède un Forum, huit temples, une basilique, trois places publiques, des thermes, deux théâtres et un vaste amphithéâtre. » (BONUCCI 1850, p. 42-50). Dognée 1866, p. 45. Winckelmann 1784, p. 254. Mallet 1817, p. 249. Castellan, à la même époque, reconnaît cependant que bien qu’« étant resserrées », elles sont « commodes pour un petit ménage. » (Castellan 1819, p. 364.) Latapie 1776, p. 238. Ronchaud 1861, p. 389. K ératry 1867, p. 10. Sur le développement de l’itinéraire traditionnel, cf. De Seta 1992, p. 199 et suivante. Cf. Momigliano 1979, p. 157-158 ; Tuzet 1995 ; Chevallier 1984.

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conséquent amplifié par l’espoir déçu de retrouver des archétypes de l’art grec sur le site de l’antique Pompéi. A lire les voyageurs, on se demande même si « l’immortalité » souhaitée pour la ville de Rome par Latapie n’aurait pas dû revenir à la Grèce. En effet, en 1777, Henri Swinburne, décrivant les peintures des entablements d’une demeure pompéienne, qu’il qualifie de « lourds et chargés d’ornements ridicules », déclare : « je fus aussi surpris que fâché d’en trouver de si mauvais dans une ville où l’on aurait dû suivre plus fidèlement les règles de bon goût, qui était l’apanage des Grecs »29. L’Encyclopédie méthodique de Quatremère de Quincy – citée précédemment – n’est en réalité qu’un manifeste de l’art grec. Dans son article « Romaine (Architecture) »30 du tome III, l’auteur entend démontrer que « l’architecture romaine n’est autre chose elle-même que l’architecture grecque »31. Il est alors logique que sa notice consacrée à Pompéi aboutisse à la con­ clusion suivante : « Les monuments de Pompéia appartiennent à l’architecture grecque ». Cependant, poursuit-il, force est de constater :  















cer la longue domination des Romains, chez lesquels le goût de l’architecture grecque avait reçu plus d’une altération32.

Cette « élégante » manière de résoudre la contradiction qu’il a à présenter Pompéi comme une ville de « troisième ordre » tout en en faisant un exemple (dégénéré ?) de l’architecture grecque trouve écho chez Noémie Dondel du Faouëdic. En 1874, celle-ci écrit dans ses souvenirs de voyage : « L’architecture qui règne à Pompéi dans les édifices publics est une corruption de l’ar­ chitecture grecque »33. Dans son Dictionnaire raisonné d’architecture et des sciences qui s’y rattachent de 1879, Ernest Bosc conclut à son tour sa notice sur l’« Art pompéien » en des termes semblables :  





















Si nous […] rapprochons [l’architecture pompéienne] de l’architecture grecque, dont elle est bien la fille, nous la trouvons dégénérée, abâtardie ; elle n’est, pour ainsi dire, que le Louis XV, le style Pompadour de l’art grec. Le lecteur voudra bien nous pardonner cette hardiesse d’expression, parce qu’elle dépeint bien à l’esprit la position, la valeur respective de ces deux architectures. Tous ceux qui ont le véritable sentiment de l’art partageront notre manière de voir à cet égard, et surtout si, comme nous, ils ont parcouru en tous sens les ruines de Pompéi, ils reconnaîtront que, sauf deux ou trois édifices ayant d’assez belles proportions, tous les autres sont petits, étroits, mesquins…













qu’elle ne s’y montre point dans toute sa pureté primitive […]. Les peuples divers qui l’ont habitée tour à tour, ont dû y laisser des traces de leur passage. Mais on y sent particulièrement l’influence que dut y exer-

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Chevallier 1984, p. 45. Quatremère de Quincy 1825, p. 296-300 : « Au mot Architecture, on a renvoyé cet article, pour ce qui concerne cet art dans ces rapports avec les Romains. Nous avons renvoyé de même à son article, ce qui regarde spécialement l’architecture grecque. En cela, nous voulûmes rester fidèles au plan de ce Dictionnaire, où nous avions promis de consacrer un article général à chacune des architectures connues […] Ainsi Rome, dès son origine, non seulement n’eut point une architecture originaire de l’Italie, mais elle ne put rien trouver autour d’elle qui, de près ou de loin, sous une forme ou sous une autre, ne vint de la Grèce, ne se trouvât dans la Grèce. Les développements de ces arts ne firent que tendre de plus en plus à rapprocher son art de bâtir, ses monuments, ses plans, ses ordonnances, des modèles de la Grèce. Rome, de tout temps, eut donc la même architecture que les Grecs. Il n’y a donc pas, à proprement parler, d’architecture romaine, si, par cette épithète, on entend une architecture originale. »

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Quatremère de Quincy 1825, p. 300 : « Comme on le voit au mot Architecture Grecque, nous avons cru que cet art, devenu aujourd’hui universel, étant celui qui est la matière expresse et spéciale de ce Dic­ tionnaire, et trouvant à chacun de ses articles les définitions, les notions, les développements, enfin l’ensemble et les détails historiques, théoriques et pratiques de son origine et de sa formation, de ses principes et de ses règles, de ses applications et de ses exemples, il serait inutile de redire en abrégé, dans un article, ce qu’on trouve étendu à presque tous les articles de l’ouvrage. Mais l’architecture romaine n’est autre chose elle-même que l’architecture grecque, qui, par les raisons qu’on a développées ailleurs, se propagea partout où les Grecs pénétrèrent, partout où leur génie, plus conquérant que leurs armes, étendit son influence. » Quatremère de Quincy 1825, p. 158. Dondel du Faouëdic 1875, p. 250.

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Il y a cinquante ans à peine, il aurait fallu beaucoup d’audace à un auteur pour s’exprimer ainsi sur Pompéi, tant l’enthousiasme, disons plus, l’engouement au sujet de cette ville, était à son comble. Aujourd’hui, les préventions sont tombées, l’enthousiasme s’est refroidi ; la seule réalité, froide et juste, subsiste, et nous sommes bien obligés de reconnaître que l’architecture pompéienne n’était pas, tant s’en faut, à la hauteur de sa peinture, de sa sculpture, de ses bronzes.34

Les jugements des voyageurs ne sont néanmoins pas tous aussi cinglants. En 1819, William Gell tente d’excuser ce manque de conformité à l’original grec :  

On retrouve dans la plupart des monuments de Pompéi l’architecture grecque avec ses grâces et son élégance, mais un peu altérée par la barbarie des peuples qui ont successivement habité cette ville, et par le génie des Romains, dont l’influence dut surtout se faire sentir.35

Dans ses Observations générales sur les édifices de Pompéi, Mazois explique qu’effectivement « les monuments [publics] de Pompéi appartiennent à l’architecture grecque » et qu’« on est forcé de convenir qu’elle ne s’y montre pas dans toute sa  



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Bosc 1879, p. 552. Gell 1827, p. 28-29. Mazois 1813-1819, p. 21. Dans le second XIXe siècle, Dyer reprend l’hypothèse de Mazois lorsqu’il mentionne les fragments de la Forma Urbis conservés au Capitole : « There are preserved in the Capitoline Museum at Rome some curious fragments of a plan of Rome engraved on marble, about the time of Septimius Severus. Mazois refers to them, in proof that the houses at Pompeii are in their origin and disposition Roman houses, and not Grecian, as has been generally supposed from the Grecian faste which prevails in the architecture and decorations. The constant recurrence of the atrium, which was not found in the Greek houses, leaves in this opinion no doubt upon his subject. We copy one of these fragments, both as a curious relief, and that the reader may have the opportunity of judging for himself of the resemblance in general arrangement between the three ground plans contained in it, and those which we shall give hereafter from Pompeii. » (Dyer 1868, p. 263-264.) Dyer, tout comme Mazois, illustre ses propos en reproduisant un extrait du plan de Rome – « Fragment of a Plan of Rome, engraved on marble » – Dyer 1868, p. 263) et des « Plans de maisons romaines tirées du plan antique de Rome conservé au Capitole » (Mazois 1821-1824, pl. 1.)

splendeur », mais il module ses propos en ajoutant que, malgré cela, « les édifices de cette ville ne manquent point de simplicité, ni de noblesse, ni de grâce »36. En ce qui concerne l’architecture domestique, il veut au contraire prouver que les maisons de Pompéi sont bien de style romain et non de style grec37. Il juge donc cette comparaison inutile38. En 1842, Jean Gaume note toujours que « les édifices de Pompéi tant publics que particuliers sont d’une construction noble [et] élégante » même s’il convient qu’ils n’ont pas « la pureté de l’architecture grecque »39. Dans son mémoire sur le Quartier des Théâtres de 1858, l’architecte Bonnet affirme que « si ces ruines n’ont pas la grandeur de celles des autres monuments de la Grande Grèce, ni la perfection de leurs détails », elles offrent néanmoins l’avantage d’avoir laissé des traces de leur tradition40. Mais, cette idée répandue que l’architecture pompéienne était grecque n’est en réalité qu’un autre moyen détourné de critiquer les réalisations romaines. En effet, au XIXe siècle, même si les sites de Rome sont concurrencés par la découverte des monuments de la Grèce, la principale consé 

















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Mazois 1821-1824, p. 1 : « En parcourant le traité et les explications qui vont suivre, on sera peut-être étonné de me voir ranger les maisons de Pompéi dans la classe des habitations romaines ; car cette sorte de tradition du goût grec, qui domine dans les ornements et les détails de ces intéressantes ruines, semble avoir accoutumé tout le monde à regarder les maisons de cette ville comme grecques : mais les descriptions données par Vitruve dans son sixième livre appuient mon assertion. » Gaume 1847, p. 629. Jean Gaume visite Pompéi le 22 février 1842. Bonnet 1858, p. 309 : « Dans un premier voyage que je fis à Pompéi en 1857, je fus frappé de la beauté des ruines que cette ville renferme, en même temps que de la finesse des fragments d’architecture que l’on rencontre de toute part. Dans un grand nombre d’édifices publics et particuliers, on retrouve les traces irrécusables de leur architecture primitive où l’art grec brille presque dans toute sa pureté. Si ces ruines n’ont pas la grandeur de celles des autres monuments de la Grande Grèce, ni la perfection de leurs détails, elles sont néanmoins une précieuse tradition de l’architecture intime des anciens en Grèce et en Italie. Les ordres des portiques du Quartier des Soldats et du forum triangulaire ont une analogie frappante avec ceux du portique de Délos et du stade de Messène, tant dans les proportions générales que dans les profils des moulures. »

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quence porte davantage sur l’appréciation de la valeur de l’art romain – considéré comme imitateur – que sur la remise en cause des caractéristiques définissant la notion du « beau idéal ». Quoi qu’il en soit, ce fait explique que seul le temple dorique du Forum triangulaire de Pompéi fasse l’objet de quelques remarques élogieuses. L’Abbé de Saint-Non le décrit en ces termes :  

à Rome, Pompéi ne retient donc l’attention que par les quelques éléments de son architecture que les commentateurs se plaisent à relier à l’art grec.





on trouve les restes d’un ancien temple, qui a été bâti dans le style grec, et dans les proportions de ceux de Paestum.41 […] on ne peut […] douter que ce monument ne fût d’une beaucoup plus grande antiquité, que tous les autres édifices de Pompéi : sa construction était plus élevée, plus imposante ; et même, d’après les dimensions et ce qui est resté des colonnes qui l’entouraient, il devait être d’une proportion noble, majestueuse, et rentrait beaucoup dans le style et la forme des anciens temples grecs, nommés périptères42.

Dans ce court extrait qui accompagne les deux gravures de Jean-Louis Desprez43 (fig. 9), il est remarquable que l’intérêt porté à ce temple provienne presque uniquement de sa ressemblance avec les temples de Paestum44 (fig. 10) découverts à la même période45 et donc de sa filiation avec l’art grec. Ces temples, décrits par Pilati di Tassullo comme « ce qu’il y a de mieux conservé après le Panthéon de Rome »46, ne pouvaient qu’assurer la renommée de cet édifice de Pompéi47, puisque Lalande décrit le Panthéon comme « le plus beau reste de la magnificence de l’ancienne Rome, le seul temple de Rome qui soit conservé dans son entier »48 et Meyer déclare qu’il est « le plus beau monument légué par l’antiquité » en lui accolant ces qualificatifs : « grandeur, majesté, splendeur, puissance »49. Inférieure

Crotone : « les divers états qui composaient ce pays furent redevables d’une célébrité à laquelle ils n’auraient jamais pu prétendre par leur étendue »50.  



On retrouve la comparaison avec les temples de Paestum dans la littérature viatique consacrée à Crotone. L’Abbé de Saint-Non, dans le dernier quart du XVIIIe siècle, rapproche le temple de Junon Lacinienne de ceux de Paestum. Il écrit :  

La forme générale et l’enceinte du temple était un carré long de cent soixante-trois pieds huit pouces de large sur cinq cents quinze de profondeur. La face orientale où se trouvait l’entrée, était, suivant toute apparence, la seule qui fut ornée de colonnes. L’ordre en était dorique, sans base du même genre que les temples de Paestum, mais d’une dimension plus grande, comme on le voit par la colonne qui reste que l’on a déchaussée à l’entour et qui se trouve porté sur onze assises de pierres de taille d’un pied d’épaisseur51.



















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Dans son Mémoire sur le Quartier des Théâtres, Bonnet fait le même constat : « un temple dorique grec d’une ordonnance très sévère offrant une grande analogie avec ceux de Paestum tant dans le caractère des profils que dans la nature des matériaux avec lesquels il était construit. » (Bonnet 1858, p. 316). Saint-Non 1782, p. 134-135. « Plan et élévation d’un ancien temple grec situé à Pompéi » et « Vue perspective et rétablissement du même temple grec à Pompéi » (Saint-Non 1782, pl. 82). Cf. pour comparaison du temple dorique de Pompéi avec les temples de Paestum, les ouvrages illustrés parus avant celui de Saint-Non de : Soufflot 1764 ; Morghen 1767 ; Dumont 1769 (1ère éd. en 1767) ;



Alors que quelques voyageurs à Pompéi, comme les architectes Gell ou Mazois cités précédemment, tentent – pour le premier – de légitimer l’absence de similitude entre les monuments pompéiens et grecs, ou – pour le second – de démonter qu’il est logique que les domus soient

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Major 1768 ; Piranèse 1778-1779. Voir aussi : Lang 1950, p. 48-64. Cf. Chevallier 1984, p. 61-71. Pilati di Tassullo 1777, p. 195-196. Il est à noter que, tout comme l’étude des jugements de valeurs présentée ici, celle qui se réfère aux temples de Paestum est à nuancer. Tous les voyageurs ne sont pas autant extasiés que Pilati di Tassullo. Sur cette question : cf. Carthy 1972, p. 760-769. Cf. Chevallier 1980, p. 401-419. Lalande 1790, p. 506. Meyer 1792, p. 33-37. Duret de tavel 1820, p. 163. Saint-Non 1782, p. 106.

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de style romain et non de style grec, Swinburne va remettre en cause le caractère grec du temple de Junon Lacinienne et lui donner une attribution romaine. Il explique alors :

Le baron de Riedesel croit que ces ruines faisaient partie de l’ancienne Crotone ; mais cela n’est pas possible, puisqu’elles se trouvent à sept milles de l’Esaro […] Il me parait à moi plus vraisemblable que ce sont des restes du collège des prêtres de Junon, ou des étables qui servaient aux nombreux troupeaux qui habitaient les landes et les forêts voisines55.



on voit quelques pierres éparses et quelques couches de pierres d’un ancien bâtiment, qu’on dit être les ruines de l’école de Pythagore et du temple de Junon Lacinienne. Il y a environ quarante ans qu’il existait encore deux colonnes de cet édifice. L’une des deux est tombée, l’autre existe sur une base de grandes et larges pierres, taillées à facettes ; elle sert aux navigateurs de point de reconnaissance. Cette colonne diffère peu de celle de Métaponte ; mais quelques lits de briques, que l’on voit entremêlées avec les pierres de taille, me font douter que ces débris remontent à l’ancien temps de Crotone. Il est possible que les Romains aient rebâti ce temple, et qu’ils se soient servis des anciennes colonnes : cette conjoncture devient presque certaine par ce que rapporte l’histoire du censeur Flavius Flaccus.52

Swinburne, qui a sans nul doute échangé ses idées avec Johann Hermann von Riedesel53, n’est pas d’accord avec l’interprétation que ce dernier fait du temple54. Dans son récit, l’écrivain et voyageur anglais mentionne :  

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Swinburne 1785, p. 312-313. Il est en effet impossible qu’il ait lu sa relation compte tenu de la date de la publication. Baumer 2010, p. 23-24. Swinburne 1785, p. 313-314. Swinburne 1785, p. 307-308. Swinburne explique que les habitants de Crotone « furent redevables de ces vertus aux sages institutions et aux maximes sévères de l’école de Pythagore : ce philosophe, après de longs voyages entrepris pour son instruction, fixa son séjour dans ce lieu, où quelques auteurs ont cru qu’il était né, ou dont au moins il était originaire, car on croit assez généralement qu’il était de Samos. Cet illustre sage passa les derniers temps de sa vie à élever ses disciples dans l’exercice de sa sublime morale, et à former les Crotoniates dans cette véritable science du gouvernement, qui seule peut assurer le bonheur, la gloire et l’indépendance. » Swinburne 1785, p. 308 : « Par l’influence de cette philosophie [pythagoricienne] les habitants de Crotone habituèrent leurs corps à la frugalité et aux fatigues, et leurs cœurs à la frugalité et au désintéressement : leurs vertus faisaient l’admiration de la Grèce, et il était passé en proverbe que les derniers des Crotoniates étaient les premiers des Grecs. Dans une des assemblées des jeux olympiques, il y eut sept citoyens

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la vue de cette unique colonne du temple de Junon Lacinienne – dont les descriptions dans la littérature viatique sont nécessairement sommaires – qui remet en cause la « célébrité » dont jouit Crotone. Car, plus qu’une description des ruines, c’est surtout son histoire ancienne – et dans une certaine mesure contemporaine – que les voyageurs relatent. A ce titre, les références aux sources antiques ne variant guère d’une correspondance à une autre, les récits de voyage à Crotone ont, comme ceux à Pompéi, un caractère immuable. Peu d’auteurs manquent en effet de faire allusion au séjour de Pythagore56 dans la ville et aux effets bénéfiques que ce dernier a eus sur elle ainsi qu’aux exploits sportifs de l’athlète Milon57. La guerre des Crotoniates contre les Sybarites58 et la destruction  

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de Crotone parmi les vainqueurs, et le nom de Milon était devenu presque aussi fameux que celui d’Hercule. » Swinburne 1785, p. 309-310 : « de toutes les colonies grecques elle fut la seule qui donna des secours à la mère patrie, lorsqu’elle fut attaquée par les Perses. Elle punit les Sybarites de leur honteuse mollesse ; mais la victoire devint fatale aux vainqueurs, car l’or et tous les vices qui l’accompagnent s’introduisirent dans Crotone, et altérèrent bientôt la pureté de ses mœurs. » ; Duret de tavel 1820, p. 164 : « Elle fut la seule des colonies grecques qui donna des secours à la mère patrie, lors de l’invasion des Perses. Mais la victoire qu’elle remporta sur les Sybarites lui devint funeste. Les vices et la mollesse qu’elle chercha à détruire, s’introduisirent dans son sein. » ; Sambon 1870, p. 321-322 : « Cette période de gloire et de succès ne fut pas toutefois de longue durée. Les richesses considérables dont les Crotoniates se trouvèrent alors en possession amenèrent dans leur ville un changement absolu de mœurs. Les Phytagoriciens considérés comme de trop rigides censeurs durent s’éloigner ; leur école fut livrée aux flammes ; et par contre coup le luxe et la mollesse prirent la place des vertus qui avaient fait la grandeur et la prospérité de cette ville. »

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Crotone et Pompéi : des « immortalités » contestées  





du temple de Junon Lacinienne par Annibal59 fait également l’objet de nombreuses digressions. Swinburne, entre autres, rappelle aussi que les « médecins avaient une grande réputation : parmi eux Alcméon et Démocède étaient les plus célèbres »60. Cependant, certains voyageurs, tels que SaintNon et Swinburne, contestent la renommée dont bénéficie Crotone. Pour ces auteur, sa réputation ne semble tenir qu’à la notoriété de deux de ces habitants ; à savoir Pythagore et Milon. SaintNon constate :  









cette […] ville qui avait pu mettre cent mille hommes sur pied dans la guerre des Sybarites, n’a maintenant au plus que cinq mille habitants » et affirme même « qu’il est […] assez vraisemblable qu’ils ne tiennent en rien de cette vertu athlétique qui rendit l’ancienne Crotone si fameuse dans l’Antiquité61.

Duret de Tavel explique :  

la grandeur et la renommée de Crotone est due à Pythagore, le législateur et le réformateur de la GrandeGrèce. Ce fut à sa sagesse, à ses lumières, au soin que prirent ses disciples de propager sa sublime doctrine, que les divers états qui composaient ce pays furent redevables d’une célébrité à laquelle ils n’auraient jamais pu prétendre par leur étendue62.

Compte tenu de la carence de réalité archéologique du site, il semblerait que le passage des voyageurs à Crotone ne soit donc justifié que par l’envie de visiter la ville où vivaient ces figures célèbres ; ville qui, comme le rappelle nombre d’auteurs, était, dans les temps anciens « connue et fameuse pour sa salubrité »65. En effet, SaintNon, dans sa description relativement concise des lieux, ne manque pas de rappeler à ses lecteurs que la beauté du paysage d’antan – le « Nil Crotone salubrius » selon la traduction latine de la formule consacrée de Strabon dans sa Géographie (II, IV, 43) – a disparu : « on passe sur les ruines de l’ancienne [Cotrone] qui était bâtie en demi-cercle au fond du Golfe et sur le Fleuve Escarus ou Esaro qui la traversait. Ce n’est plus maintenant qu’un misérable ruisseau bourbeux »66. Les voyageurs à Pompéi et à Crotone doivent ainsi accomplir un parcours dont les étapes sont fixées par les itinéraires de leurs prédécesseurs et respecter la tradition de la mise en texte de l’expérience viatique. Cependant, ils sont aussi condamnés, pour avoir du succès et être originaux, à « fabriquer de l’altérité », c’est-à-dire à répondre aux attentes d’un lectorat avide de dépaysement, de surprise et de nouveauté. Les voyageurs doivent alors nécessairement « équilibrer » leurs récits. Puisqu’à Pompéi, les textes antiques sont quasiment absents, les voyageurs ont tendance à décrire longuement les ruines découvertes. En revanche, devant l’absence de vestiges crotoniates, ces mêmes voyageurs vont alors insister sur les sources anciennes et se plaire à décrire les anecdotes historiques. Dans  





















En 1870, Luigi Sambon, dans son ouvrage intitulé Recherches sur les monnaies de la presqu’île italique63, déclare également que ce n’est qu’aux « institutions » que Crotone est « redevable de la gloire qui s’attache encore aujourd’hui à son nom ». Il prend alors pour exemple l’école de Pythagore64.  







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Saint-Non 1782, p. 106 : « Annibal fut le premier destructeur de ce temple, un des plus vastes qui aient existé dans l’antiquité. » ; Swinburne 1785, p. 314 : « Ce temple a été le théâtre d’une action barbare commise par Annibal […] : ils disent qu’Annibal, forcé d’obéir aux ordres du sénat de Carthage, rassembla dans ce temple tous ses alliés d’Italie, et y fit massacrer par des soldats africains tous ceux qui refusèrent de s’embarquer avec lui. » ; Duret de tavel 1820, p. 161 : « Les Romains accusent Annibal d’avoir été le premier destructeur de ce monument, cité comme un des plus beaux morceaux d’architecture qu’ait créé le génie des Grecs. » Swinburne 1785, p. 308. Saint-Non 1782, p. 104.



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Duret de tavel 1820, p. 163. Sambon 1870. Dans sa préface, l’auteur explique que « cet écrit a pour objet de compléter celui qu’[il] publi[a], en l’année 1863, sur les monnaies de l’Italie méridionale ». Sambon 1870, p. 321 : « le célèbre Pythagore vint ouvrir dans cette ville l’école connue sous le nom d’italique. » Saint-Non 1782, p. 105 ; Swinburne 1785, p. 304 : « On m’a assuré que le climat y était malsain en été ; ce qui ne doit pas venir d’une cause locale, car la salubrité de Crotone était passée en proverbe chez les anciens. » Saint-Non 1782, p. 104.

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cette littérature de voyage, Pompéi et Crotone sont les deux faces symétriques d’un procédé unique qui aboutit à la même conclusion : ces villes bénéficient d’un statut d’« immortalité » que certains voyageurs ont tenté de contester.  





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Crotone et Pompéi : des « immortalités » contestées  





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Heinrich Westphal alias Justus Tommasini : Impressions d’un voyageur allemand en Calabre  

Le but de cet article est de décrire comment un voyageur allemand du début du XIXe siècle per­ ce­vait la ville de Crotone et de montrer que les récits de voyage peuvent enrichir notre connaissance de cette cité à travers le regard de ceux qui se déplacèrent pour aller l’observer. Pour ce faire il est nécessaire de présenter en quelques mots la personne qui nous livre ses impressions ainsi que le contexte tant historique qu’intellectuel dans lequel prit place ce voyage. Ce voyageur est un jeune allemand, né dans le Schwerin, le 30 juin 1794, appartenant à la bourgeoisie, éduqué et doté d’un esprit aventureux, comme le montrera sa brève biographie. Le nom d’auteur qu’il s’est choisi est Justus Tommasini, alors qu’il se nommait en réalité Johann Heinrich Westphal. Le choix de ce pseudonyme n’est pas anodin et est d’autant plus intéressant que Westphal, qui est l’auteur de plusieurs livres, ne l’utilise que dans son ouvrage sur la Calabre et sans expliquer son choix. La signification du choix du prénom Justus paraît cependant évidente, puisqu’en latin l’adjectif justus se traduit par droit, juste, fondé. En l’utilisant, Heinrich Westphal pouvait démontrer son intention d’honnêteté quant aux propos et aux remarques qu’il ramènerait de son voyage. Quant au nom de famille Tommasini, il est le diminutif du prénom italien Tommaso, soit Thomas en français, et renvoie certainement au personnage de saint Thomas, dont une des caractéristiques est de ne croire que ce qu’il voit. Le pseudonyme choisi révèle ainsi les intentions du voyageur écrivain : ne transcrire que la vérité de  

ce qu’il a pu constater de ses yeux. Quoi de mieux qu’un tel surnom quand un voyageur décide de retranscrire ses impressions d’une région étrangère ! Quand il eut 19 ans, en 1813, Tommasini re­ joignit les troupes du général Lützow, un officier prussien, dont l’animosité à l’égard de Napoléon était telle, qu’il combattit les troupes de l’Empereur dans les armées de chacune des puissances coalisées contre la Grande Armée. Si nous ne pouvons attribuer à Tommasini une pareille animosité à l’égard de l’Empereur français, nous remarquons cependant qu’il combattit contre lui dans les Ardennes puis à Mecklemburg et au Danemark. Il participe enfin en tant qu’officier à la bataille de Ligny, ultime combat gagné par Napoléon avant Waterloo en 1815. A la fin des guerres napoléoniennes, Tommasini reprit ses études de mathématiques à l’Université de Gottingue où il obtint sa licence en 1817. Il travailla ensuite comme enseignant à Vechelde et à Danzig. Il était également géographe et aurait donné quelques conférences sur l’astronomie à Stettin. Dès le début des années 1820, Tommasini allait voyager à travers le monde : en 1822 il se rendit en Egypte, puis, en 1823 il s’installa en tant qu’enseignant à Naples, d’où il entreprit plusieurs voyages en Italie et en Sicile, qu’il visita cinq fois. En 1825 il se rendit en Calabre et dans les Pouilles ; le récit de ce dernier périple constituera le centre de notre propos. En 1830, il entreprit un second voyage en Egypte, le long du Nil jusqu’en Nubie. Il mourut en 1831, alors qu’il rejoignait Termini  





A nne-Virginie Droz

112 Imerese depuis Syracuse à dos d’âne1. Pris de violentes coliques, Tommasini se résigna à attendre que son muletier aille chercher de l’aide, mais malheureusement, lorsque ce dernier revint avec des secours, notre voyageur était déjà mort. Tommasini rédigea divers ouvrages sur les campagnes autour de Rome et des Naples, dont un Guide pour accompagner la carte des environs de Naples à l’usage des voyageurs paru à Rome en 1828 et Die römische Kampagne in topogra­ phischer und antiquarischer Hinsicht paru à Berlin et Stettin en 1829. Ces livres étaient destinés à compléter les cartes et à faciliter les voyages des futurs curieux désirant découvrir ces régions. Tommasini dit en effet dans l’introduction de son Guide pour accompagner la carte des environs de Naples que :

Plusieurs raisons ont pu pousser Tommasini à se rendre en Sicile. La première est l’Italien­ sehnsucht, cet engouement pour l’Italie et ses trésors culturels qui apparut en Allemagne dès le XVIIIe siècle. Cet intérêt atteignit au XIXe siècle la Sicile à cause de son héritage classique, de son Moyen Age chrétien et de sa nature méditerranéenne, mais aussi à cause de l’engouement des Allemands pour la famille Hohenstaufen, dont le membre le plus éminent, Frédéric II, était enterré dans la cathédrale de Palerme. L’exigence de consolidation, si ce n’est de fondation de l’identité allemande, qui suivit les guerres de libération antinapoléoniennes n’y étaient pas étrangères3.



Il y a, tant du Royaume des deux Siciles que des environs de Naples, un assez grand nombre de cartes, parmi lesquelles se distinguent avantageusement celles de Rizzi Zannoni. Il paraîtrait donc superflu d’en faire une nouvelle. Cependant quand on se donnera la peine d’examiner ces cartes existantes avec un peu plus d’attention, on s’apercevra facilement, qu’aucune d’elles ne remplit pas (sic) le but désiré, c’est-à-dire, « celui de donner au Voyageur autant que possible une idée juste des environs de Naples, de lui faire remarquer tout ce qui doit attirer son attention, et d’éviter par-là, tout ce qui offre seulement un intérêt militaire, statistique ou topographique, et qui générale­ ment n’intéresse pas la plupart des voyageurs »2.

En plus d’être lui-même un grand voyageur, il avait clairement également le désir de faire partager ses découvertes à ceux qui voudraient suivre ses pas et de leur faciliter ainsi la visite. Ces informations biographiques donnent l’image d’un jeune homme qui ne vit pas en marge de la réalité de son époque. Il avait une connaissance pratique de son temps. Quels étaient donc les motifs qui ont pu conduire Tommasini en Sicile et en Calabre, régions qui sont géographiquement à l’opposé de son lieu de naissance, et à s’installer à Naples ?  

1 2 3

Tommasini 2009, p. 8. Westphal 1828, p. 3. Tommasini 2009, p. 9.

Un prédécesseur allemand : Heinrich Bartels  

A part Johann Hermann von Riedesel (17401785)4, il faut surtout mentionner Johann Heinrich Bartels, né à Hambourg le 20 mai 17615. A l’âge de vingt ans, Bartels entre dans la francmaçonnerie et reçoit en 1783 le titre de maître. En 1784, il devient le précepteur d’un jeune anglais qu’il va accompagner dans son voyage de formation en Italie6. Bartels finira ce voyage en 1787 seul, recevant de l’argent du père de son élève à qui il va dédier le livre sur la Calabre : Briefe aus Kalabrien und Sizilien. (1792). Le tableau qu’il dressera de la Calabre à la fin du XVIIIe est celui d’un pays connaissant de véritables difficultés économiques7. Son opinion est que la Calabre serait capable de se redresser et de dépasser ses problèmes actuels, de devenir une terre prospère, si elle sortait de sa présente léthargie. Son récit est intéressant en ce qu’il a rencontré au long de son passage toutes les couches de la société locale, alors que son impartialité n’est pas absolue. Il a ainsi de la peine, en tant  

4 5 6 7

Voir la contribution de L. E. Baumer dans le présent recueil. Scamardi 1998, p. 110. Scamardi 1998, p. 111. Scamardi 1998, p. 110- 112.

Heinrich Westphal alias Justus Tommasini : Impressions d’un voyageur allemand en Calabre

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que protestant, à rester neutre envers la religion catholique et ce qui lui apparaissait comme des superstitions8. Bartels et Tommasini sont représentatifs par le fait qu’ils se rendirent en Calabre pour approfondir leurs connaissances sur les merveilles de l’Antiquité. Mais le récit de voyage de Bartels allait faire découvrir une nouvelle dimension, celle de la réalité sociale de ces contrées reculées. Tommasini allait comme Bartels découvrir cette terre en se mettant en contact avec ses habitants et en se confrontant à la dure réalité. L’importance de l’Antiquité classique ne doit cependant pas être sous-estimée. Dans les ouvrages de Tommasini consacrés à la campagne romaine et napolitaine, les antiquités et l’histoire romaine jouent non seulement le rôle de balises du chemin présenté, mais sont aussi la motivation qui conduit les voyageurs à entreprendre ces promenades. Ainsi même si Tommasini ne nous transmet pas directement l’attrait que revêtent pour lui l’Antiquité et ses trésors, nous pouvons nous rendre compte de leur importance à ses yeux.

Contexte local et européen Dans un ouvrage relatant son voyage en Italie et en Sicile, entrepris en 1801 et 1802, le baron Antoine Creuzé de Lesser, auteur dramatique et homme politique français, écrivait : « L’Europe finit à Naples, et même elle y finit assez mal. La Calabre, la Sicile, tout le reste c’est l’Afrique. »9. La Calabre, jugée trop dangereuse et difficilement accessible, ne faisait pas partie du Grand Tour. Elle était soumise à une renommée ambiguë, celle d’un pays de barbares et de brigands, mais en même temps celle d’un pays fertile et héritier d’un passé glorieux.10 Aussi, pour Crotone, les récits de voyageurs témoignent qu’ils comparaient toujours l’état plutôt décevant de la ville actuelle à l’image révélée par les sources antiques.   





8 9 10 11

Scamardi 1998, p. 145-148. Scamardi 1998, p. 149. Scamardi 1998, p. 10. Fatica 1992, p. 476.

En effet, l’état dans lequel se trouvaient les populations durant la période où le voyage de Tommasini prit place était préoccupant : il régnait alors une véritable famine en Calabre, beaucoup de pauvres gens étaient réduits au vagabondage et à la mendicité11. Dans la vie de tous les jours, les habitants de la Calabre vivaient dans des conditions hygiéniques qui étaient déjà à l’époque qualifiées de déplorables par les administrations communales et le gouvernement central12. Ils partageaient leur logement avec leurs animaux, laissaient leurs détritus dans la rue, faisaient macérer le lin dans la maison. Même quand on leur donna la possibilité de changer, ils s’y refusèrent. Ils défendaient alors leur manière de vivre, opposée à celle des seigneurs qui les opprimaient. Les grands changements qui visaient à résoudre ce problème ne prirent place que quelques années plus tard, en 1836 et 1837, lorsqu’une épidémie de choléra toucha la Calabre13. La plupart des terres étaient aux mains des grandes familles baronniales, plus intéressées à garder leurs possessions qu’au développement ou à l’amélioration de la vie de leur sujets. Une grande partie de ces nobles vivaient d’ailleurs à Naples, près du pouvoir. Il y avait bien eu, de la part du gouvernement de Murat, la volonté de redistribuer les terres de manière plus équitable à la population. Mais, dans les faits, ces efforts ne furent pas toujours couronnés de succès. Ainsi Caroline Bonaparte, la femme de Murat, avait, en janvier 1815, fait cadeau à Domenico Barbaja de vingt-huit des meilleures terres dans la région montagneuse de la Sila qui avaient appartenu au commandant Don Louis de Medici. Ce même Barbaja avait soit vendu, soit échangé ces parcelles avec les grandes familles de la région qui vivaient dans les cités de Cosenza, Crotone et Corigliano. Si ces terres avaient changé de mains, le problème initial demeurait le même14. Peu de temps après ces événements, Tommasini effectua son voyage en Calabre. Avant son départ,  

12 13 14

Fatica 1992, p. 476. Fatica 1992, p. 468. Fatica 1992, p. 474.

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le 10 septembre 1825, il séjourna quelques temps à Naples avec un ami qui avait prévu de l’ac­ compagner. Ils y rencontrèrent la noblesse napolitaine qui n’avait pour les autochtones qu’un mépris certain et qui ne compatissait pas à leurs malheurs15. Elle était plus que disposée à insister sur l’inutilité et surtout le danger d’un périple à travers la Calabre en en dressant un sombre tableau : les habitants étaient extrêmement pauvres et la région sortait d’une série de conflits armés et de réformes16. Enfin le personnage qui en était le plus emblématique serait le brigand et il faut reconnaître que ce dernier était loin d’être une légende. A l’origine de ce phénomène se trouvait certainement un mal-être social et un dénuement extrême des populations17. Les moyens mis en œuvre par les brigands étaient la séquestration d’une personne et l’envoi d’une demande de rançon à sa famille. Si la pauvreté était un facteur d’apparition du brigandage, elle ne suffisait pas à en assurer la pérennité : les brigands purent perdurer parce qu’aux yeux des habitants les plus démunis, ils jouaient le rôle de héros locaux, de vengeurs des pauvres. Il va de soi que pendant les périodes de troubles politiques et sociaux, le brigandage était plus développé. Cet état de fait amena l’ami de Tommasini à renoncer en fin de compte à son projet. Tommasini, quant à lui, décida de traverser cette contrée hostile avec l’apparence d’un homme du commun,

voire d’un vagabond pour éviter d’être attaqué18. Bien que les histoires de rançon et d’attaque de diligences soient monnaie courante dans les diverses auberges qu’il traversa, il ne rencontrera pas un seul brigand, même si cette possibilité restait toujours présente à son esprit. Le plus grand danger qu’il encourut fut finalement celui de ne pas trouver de logis ou de nourriture à la fin de ses longues journées de marche. Un voyageur étranger ne représentait pour ces brigands que peu d’intérêt car ils n’auraient pas su à qui adresser la demande de rançon.

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sinnungen, bemerkte ihnen aber, dass ich wenig von den Räubern zu fürchten habe, da ich nichts bei mir trüge ; was freilich nicht ganz der Wahrheit gemäss war, doch fand ich es für gut so zu sprechen. » « J’ai rencontré aujourd’hui le Procaccio, accompagné de plusieurs gendarmes et miliciens. Les premiers m’ont demandé mon passeport, comme d’habitude, et lorsqu’ils l’eurent vu, ils me souhaitèrent un bon voyage avec une politesse qui ne leur est pas habituelle, ils m’exhortèrent à être sur mes gardes, car la région n’était vraiment pas sûre ; en premier lieu ils me mirent en garde contre les bergers qui étaient tous en arme, et ne manquaient pas facilement l’occasion de commettre un vol. Je remerciais ces gens pour leurs sentiments bienveillants, leur faisais cependant remarquer que j’avais peu à craindre des voleurs, car je ne portais rien sur moi, ce qui n’était pas tout à fait vrai, mais je trouvais bon de le dire. »





Tommasini 2009, p. 9. Fatica 1992, p. 474 ; p. 503 ; p. 506-507. Scamardi 1998, p. 133. Tommasini 2009, p. 10 ; Tommasini 1828, p. 74 : Tommasini, qui vient de rencontrer dans une auberge sur la route pour Cozensa un procaccia accompagné d’un détachement de gendarmes. Il dit « Der Pro­­ caccio begegnete mir heute, von einer Menge Gens­ d’armes und Milizien begleitet. Die ersten fragten mich, wie gewöhnlich, nach dem Passe, und als sie diesen gesehen, wünschten sie mir mit einer ihnen sonst nicht eben gewöhnlichen Höflichkeit eine glückliche Reise, ermahnten mich aber auf meiner Hut zu sein, denn die Gegend sei gar zu unsicher ; vorzüglich warnten sie mich vor den Hirten, die sämmtlich bewaffnet seien, und nicht leicht eine Gelegenheit versäumten, eine Räuberei auszuführen. Ich dankte den Leuten für ihre wohlwollenden Ge-

L’Histoire dans ce récit de voyage L’Histoire ne semble pas avoir prise sur cette terre de Calabre, si nous comprenons cette dernière comme étant synonyme de progrès. En effet toutes les réformes entreprises par les divers régimes politiques présents dans le royaume des Deux-Siciles, qu’il s’agisse de la monarchie éclairée des Bourbons ou des troupes napoléoniennes, ne purent faire changer en profondeur le système quasi féodal qui se maintenait dans ces contrées. L’Histoire n’existe qu’au passé et elle surgit de temps en temps, telle une anecdote qui viendrait interrompre l’immuabilité des lieux et rappeler que la région a connu de grands événements tels

Heinrich Westphal alias Justus Tommasini : Impressions d’un voyageur allemand en Calabre  

le débarquement de Murat à Pizzo di Gioacchino, ou les incursions maritimes du légendaire corsaire Ucciali (enfant de Le Castella qui fut enlevé lui-même dans sa jeunesse par des pirates et qui après une carrière de forban pleine de succès deviendra gouverneur de l’Algérie et de la Tunisie), ou encore qu’elle fut, selon Tommasini, le pays natal de Thomas d’Aquin19. La Grande Grèce ne semble être présente chez Tommasini que dans les noms de quelques lieux ou dans quelques restes archéologiques qu’il rencontre de temps en temps. Mais s’il lui faut évoquer ce passé incroyable, c’est bien pour mettre en avant l’état de déchéance dans lequel les mêmes lieux se trouvent maintenant. A son arrivée à Crotone le 6 octobre 1825, Tommasini constate par exemple :  

In alten Zeiten hatte man das Sprichwort : Aliae urbes, si ad Crotonem conferentur, vanae nihilque sunt ; *) ( * Andere Städte kommen, mit Kroton verglichen, gar nicht in Betracht.) das würde jetzt grade umgekehrt wahr sein, denn der Ort ist elend genug20. Dans les temps anciens on avait le proverbe : Aliae urbes, si ad Crotonem conferentur, vanae nihil sunt ; *) (* D’autres villes, en comparaison de Crotone, ne sont pas à prendre en considération.) le contraire serait aujourd’hui vrai, car l’endroit est assez misérable21.

La description qu’il nous livre de la ville n’a en effet rien de très glorieux :  

Anfangs finden sich eine Menge niedriger Häuser, meistens Magazine, dann tritt man in die Stadt selbst ein, die mit Mauer und Graben umgeben, also befestigt ist, schlechte und enge Strassen und nur wenige hübsche Häuser hat. Sie ist auf einem ins Meer vortretenden niedrigen Hügel erbaut, auf dessen höchsten Punkte sich die Zitadelle erhebt ; an der ins Meer vortretenden Spitze aber befindet sich der durch Molen gebildete und geschützte Hafen, welche indessen von geringer Bedeutung ist ; zwei bis drei Brigan­ tino’s, etliche kleinere Küstenfahrzeuge und Barken ist alles was sich jetzt hier von Schiffen vorfindet22.

fossé, est ainsi fortifiée, ses rues sont mauvaises et étroites et elle contient seulement quelques belles maisons. Elle a été construite sur une petite colline s’avançant dans la mer, au sommet de laquelle se dresse la citadelle, alors que sur la pointe qui se jette dans la mer se trouve le port formé et protégé par les môles, lequel a cependant peu de signification ; deux à trois brigantins, un bon nombre de petites embarcations de cabotage et de barques, est tout ce que l’on peut trouver ici comme bateaux.

Il reconnait que les habitants de cette région, bien que tous habillés tels des brigands et vivant dans une région plutôt déserte, sont ou du moins paraissent un peu plus intelligents que ceux qu’il a rencontrés auparavant. A noter que la plupart des Crotoniates qu’il va rencontrer le prennent soit pour un marchand d’huile génois (ce qui sous-entend l’existence d’un tel commerce dans la région), soit pour un espion du gouvernement de Naples (ce qui montre les mauvais rapports des autochtones avec les autorités). Les Crotoniates ne pouvaient pas concevoir qu’on puisse prendre plaisir à s’adonner au tourisme dans leur région où il n’y aurait, selon eux, rien à voir. C’était également l’avis des autorités locales qui essayèrent de faire avouer à Tommasini durant tout son séjour, quelles seraient les véritables raisons de son voyage et qui lui confisquèrent son passeport jusqu’à son départ. On ne se montrait cependant pas hostile, puisqu’on lui indiqua une adresse où trouver un gîte pour la durée de son séjour à Crotone. La police l’accompagna même dans son auberge dont la tenancière n’avait qu’un œil. Le problème principal vient surtout de la différente perception du travail d’espion, plutôt positive du point de vue italien, mais déshonorante aux yeux du voyageur. Andere noch scharfsinnigere sind, wie oft der Fall, noch unglücklicher in ihren Vermuthungen gewesen, und haben mich nicht undeutlich, oder vielmehr sehr deutlich, merken lassen, dass sie mich für einen Spion der Regierung nähmen, was hier, wo jeder einen hinlänglichen Fond von Nichtswürdigkeit in sich fühlt, um selbst, ohne irgend einen Skrupel, eine solche

Au début ne se trouvent que de modestes maisons, principalement des magasins, puis on entre dans la ville-même, qui entourée d’un mur d’enceinte et d’un 19 20

Tommasini 1828, p. 166-167. Tommasini 1828, p. 162-163.

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21 22

Toutes les traductions ont été faites par l’auteur de l’article. Tommasini 1828, p. 168-169.

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Ehrenstelle anzunehmen, weiter keine Schande bringt. Vergebens sage ich ihnen, dass ein Deutscher zuviel auf Ehre halte, um den Spion seiner eigenen, geschweige denn einer fremden Regierung zu machen ; sie finden es ganz in der Ordnung, dass ich so spreche, und verharren nur um so mehr in ihrer Meinung, die am Ende vielleicht eher nützlich als schädlich für mich ist23.

fut le seul à comprendre les raisons qui avaient motivé Tommasini à entreprendre son voyage, et les deux hommes se parlèrent pendant plusieurs heures d’égal à égal :  

Ich ging hin, und fand den freundlichsten Empfang bei dem würdigen Geistlichen, der, schon bejahrt, hier in ruhiger Zurückgezogenheit lebte : es war der erste Mensch, den ich seit Neapel traf, und eine Un­ ter­haltung von vier bis fünf Stunden, die durch ein vortreffliches Mittagsessen keineswegs gestört ward, gewährte mir das grösste Vergnügen. Er nahm mich weder für einen genuesischen Ölkrämer, noch für einen Polizeispion, sondern begriff den Zweck meiner Reise sehr wohl ; nur verwunderte er sich, wie ich die Beschwerden eines solchen Marsches so von der leichten Seite nehmen könne. Sein Neffe, ein junger Mensch von etwa siebenzehn Jahren, hatte etwas pedantisches in seinem Wesen, wie fast alle jungen Leute, die in den Kollegien erzogen sind : von der Welt wußte er gar nichts, denn seine Welt waren die Studien, und nur als sich das Gespräch auf gelehrte Gegenstände wandte, löste sich das Band seiner Zunge, und er sprach recht gut und vernünftig25.

D’autre, encore plus perspicaces, se sont montrés, comme c’est souvent le cas, encore plus malchanceux dans leur suppositions, et m’ont fait remarquer non pas indistinctement mais plutôt très clairement, qu’ils me prenaient pour un espion du gouvernement, ce qui, ici où chacun a en lui-même un fond d’infamie suffisant pour accepter, sans aucun scrupule une telle position honorifique, n’est pas considéré comme une honte. Je leur expliquai alors vainement qu’un allemand a trop d’honneur pour devenir espion pour le compte de son propre pays, sans parler d’un gouvernement étranger ; ils trouvent normal que je parle ainsi, et n’en persistent pas moins dans leur idée, qui à la fin me sert peut-être plus qu’elle ne me nuit.

Le but principal de l’étape de Crotone était la visite des ruines du temple de Junon à Capo Colonna, preuve de l’intérêt de Tommasini pour la Grande Grèce. Le 7 octobre il se rend sur les lieux et les décrit avec beaucoup de détails. Il questionne les habitants qui vivent à proximité du temple pour avoir des informations à son sujet. Mais ce qu’il peut en retirer est que l’archéologie ne constitue pas un grand intérêt pour ces derniers et que si les fondations du temple ont été mises à jour ce fut dans le but d’utiliser ses pierres pour un édifice public de Crotone :

Je m’y rendis, et trouvai l’accueil le plus amical auprès d’un honorable intellectuel, qui déjà âgé, vivait ici dans une retraite paisible : c’était le premier homme que je rencontrais depuis Naples, et une entre­v ue de quatre à cinq heures, qui ne fut aucunement dérangée par un repas exquis, me fit le plus grand des plaisirs. Il ne me prit ni pour un marchand d’huile napolitain, ni pour un espion de la police, mais compris fort bien le but de mon voyage ; il s’étonnait seulement de voir comment je pouvais prendre les difficultés d’une telle marche de manière si légère. Son neveu, un jeune homme d’à peu près dix-sept ans, avait quelque chose de pédant dans sa manière d’être, comme presque tous les jeunes gens qui sont éduqués dans les collèges : il ne connaissait rien du monde, car son monde c’étaient les études, et seulement lorsque la conversation tournait autour de sujets érudits sa langue se déliait et il parlait assez bien et raisonnablement.



Diese Steine sind wahrscheinlich in späterer Zeit zu irgend einem Gebäude in Cotrone selbst verwendet worden 24. Ces pierres ont vraisemblablement été utilisées ultérieurement pour la construction d’un bâtiment à Crotone-même.

Mais sa journée ne sera pas perdue. En effet, sur les recommandations du commandant des gendarmes de Crotone, il se présenta à un chanoine qui habitait dans les parages. Ce dernier était un digne descendant des grands intellectuels qui vivaient autrefois sur ces terres. Il semble qu’il 23 24

Tommasini 1828, p. 164. Tommasini 1828, p. 171.

Il est intéressant de trouver près de Crotone ce vieil homme éduqué et éclairé, et qui joue cer­ taine­ment un rôle dans la perception que Tommasini nous livre de la ville. Le fait qu’il s’agisse d’un homme d’église n’est pas en soi une preuve de connaissance et de sagesse si nous observons les autres expériences que le voyageur a faites 25

Tommasini 1828, p. 172-173.

Heinrich Westphal alias Justus Tommasini : Impressions d’un voyageur allemand en Calabre  

ailleurs. Ce ne fut en effet pas le premier homme d’église que croisait Tommasini, mais ce fut la première entrevue qui semble avoir porté ses fruits. Il rapporte en effet dans son récit de voyage une rencontre avec un prêtre à Portoglia, qui ne manque pas de piquant et qui introduit plus la thématique de la religion en Calabre que celle du savoir. Ainsi Tommasini, après une journée de marche est emmené dans l’église par le prêtre qui lui propose de sauver son âme de protestant en lui parlant de Dieu et de la vraie foi. Le curé de campagne est très étonné que cette brebis égarée connaisse cependant Saint-Augustin et entreprend avec lui une discussion sur ce sujet, l’invitant enfin à partager son repas. L’autre épisode marquant ayant trait à la religion est celui du départ de Marina di Corigliano. Sa logeuse, persuadée qu’en tant que protestant Tommasini serait un peu sorcier, lui demande de lui révéler les chiffres du loto. Elle lui assure que si elle venait à gagner de l’argent, elle l’utiliserait à bon escient. Cela lui permettrait en fait de pouvoir payer pour faire sortir ses morts du purgatoire. Tommasini conclut que le loto serait une machination de ce mauvais gouvernement calabrais, qui tout en travaillant main dans la main avec l’Eglise ne fait que récupérer l’argent qu’il faisait mine de donner au travers du jeu :

plutôt pauvre et aurait bien besoin d’argent, mais qu’elle souhaitait gagner per cavar i miei morti dal purgatorio comme elle le disait. Le loto est une bonne invention pour prendre aux pauvres leur argent, mais le purgatoire n’est pas non plus à mépriser ; les mauvais gouvernements (car les bons ne permettent pas le loto) et les curetons vont toujours main dans la main, et ce que les premiers laissent gagner aux gens, les derniers le leur reprennent.

Ce manque de critique chez les gens du peuple côtoie un manque de culture flagrant de certaines instances dirigeantes, comme cela est bien représenté chez le commandant de la gendarmerie. Quand ce dernier s’entretint avec Tommasini pour lui rendre ses papiers, il aperçut dans la chambre du voyageur allemand un exemplaire du Décameron de Boccacio et lui demanda alors si l’auteur de ce livre, à n’en pas douter, selon lui, franc-maçon, vivait encore :  

Die kleine, niedliche Ausgabe des Decameron, welche Du mir in Rom schenktest, und die mich auf dieser Reise begleitet, lag auf dem Tisch. Der Lieutenant, welcher vielleicht glaubte die Statuten einer Freimaurerloge zu finden, ergriff das Buch, und blätterte darin herum, wodurch er nun freilich den wahren Inhalt kennen lernte, aber die Fragen, welche er desshalb an mich that, überzeugten mich bald, daß er, obgleich aus Salerno, also aus einer noch etwas zivilisierten Gegend gebürtig, gar keine Kenntniss von Boccaccio habe, denn er wollte unter andern wissen, ob der Verfasser noch lebe27.



Die Frau meines Wirths muss mir den Ketzer angemerkt haben, oder mich doch für eine Art von Hexenmeister halten : sie hat Nummern fürs Lotte von mir verlangt, und zwar sagte sie, dass es ihr nicht darum zu thun sei, für sich zu gewinnen, obgleich sie arm genug und des Geldes sehr bedürftig wäre, sondern sie wünsche zu gewinnen, per cavar i morti miei dal purgatorio, wie sie sich ausdrückte. Das Lotto ist eine gute Erfindung, den armen Leuten das Geld abzunehmen, aber auch das Fegfeuer ist nicht zu ver­ achten ; schlechte Regierungen (den [sic] keine gute wird das Lotto zugeben) und Pfaffen gehen immer Hand in Hand, und was etwa die ersten noth­ge­d run­ gen die Leute gewinnen lassen, das nehmen ihnen die letzten ab26.

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La petite et adorable édition du Décameron que tu m’as offerte à Rome et qui m’accompagne dans ce voyage, se trouvait sur la table. Le lieutenant, qui croyait peut-être trouver des statuts d’une loge maçonnique, s’empara du livre, le feuilleta, et en découvrit ainsi le véritable contenu, mais les questions qu’il me fit à ce sujet me convainquirent bientôt que, malgré qu’il vienne de Salerne, c’est-à-dire qu’il soit né dans une région raisonnablement civilisée, il n’avait aucune connaissance de Boccace, car il voulait entre autre savoir si l’auteur était encore en vie.

La femme de mon aubergiste doit avoir vu en moi l’hérétique, ou me prendre pour une sorte de mage : elle m’a demandé les numéros du loto, et disait qu’il ne s’agissait pas de gagner pour elle, bien qu’elle soit

Le jugement que porte Tommasini sur la Calabre est certes désabusé mais pas totalement négatif. Il reconnaît à ces gens certaines qualités comme le courage et la volonté de rester libres et de ne pas se laisser faire par leur gouvernement, à l’origine d’ailleurs des problèmes de brigandage et de

Tommasini 1828, p. 188-189.

27

Tommasini 1828, p. 175.

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pillage. Cette terre fut occupée dès l’Antiquité, elle fut toujours mise au service des élites locales, les barons, qui l’avaient maintenue dans un état d’assujettissement quasi médiéval, ce qui ne pouvait lui permettre de se développer. Le regard de Tommasini sur Crotone enrichit la vision que nous pouvons avoir de cette ville et de ses habitants sur des aspects aussi divers que l’architecture, la société et la culture. A travers son regard nous percevons les difficultés du voyage à Crotone, autant pratiques que culturelles et nous rencontrons une série de personnages hauts en couleur et autant de témoins de cette époque qui, sans lui, seraient aujourd’hui totalement tombés dans l’oubli. L’autre n’est pas toujours une entité facilement saisissable : la Calabre reste donc pour Tommasini une terre d’aventure hors normes, un voyage quelque peu extraordinaire à entreprendre. Nous nous en rendons compte devant ce récit qui, bien qu’extrêmement riche et complet, ressemble plus à un roman d’aventure qu’à une description scientifique ou militaire. Comme dans l’introduction de son Guide des environs de Naples, ce qui compte avant tout dans ce récit est la rencontre avec la terre de Calabre et avec ses habitants, avec leurs ressources et leur âme.  

Bibliographie Brilli 2003 : Brilli, A., Un paese di romantici briganti : gli italiani nell’immaginario del Grand Tour, Bologne, 2003. Fatica 1992 : Fatica, M., « La Calabria nell’età del Risorgimento », in : A. Placanica et al., Storia della Calabria moderna e contemporanea, il lungo periodo, Rome, 1992, p. 447-538. Gaxotte 1975 : Gaxotte, P., Histoire de l’Allemagne, Paris, 1975. Placanica 1992 : Placanica, A et al., Storia della Calabria moderna e contemporanea, il lungo periodo, Rome, 1992. Pütter 1998 : Pütter, L. M., Reisen durchs Museum : Bil­ dungserlebnisse deutscher Schriftsteller in Italien (1770-1830), Germanistische Texte und Studien, Band 60, 1998. Scamardi 1998 : Scamardi, T., Viaggiatori tedeschi in Calabria : Dal Grand Tour al turismo di massa, Rubbettino Editore, 1998. Tommasini 1828 : Tommasini, J., Spaziergang durch Kala­ brien und Apulien, Constance, 1828. Tommasini 2009 : Tommasini, J., Passeggiata per la Cala­ bria, Introduzione di Teodoro Scamardi, Soveria Mannelli, 2009. Westphal 1828 : Westphal, J. H., Guide pour accompa­ gner la carte des environs de Naples à l’usage des Voyageurs, Rome, 1828.

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Tatiana Forte

George Robert Gissing, un viaggiatore solitario «Perché gli uomini invece di stare fermi se ne vanno da un posto all’altro?» Bruce Chatwin Le Vie dei Canti

Introduzione Il viaggio di Gissing verso il Sud d’Italia ebbe inizio nell’autunno del 1897. Coincide con il suo ultimo periodo letterario, allorquando lo scrittore inglese, lasciandosi alle spalle le tematiche sociali e morali, trova fonte d’ispirazione e grande interesse nelle meraviglie del mondo classico1. La sua vasta cultura umanistica, ma anche le numerose letture, le tante conversazioni degli anni passati, le conoscenze che spaziavano dall’arte al diritto, lo convincono a ripercorrere l’itinerario descritto ne La Grande Grèce dal famoso archeologo francese François Lenormant2. Il romanziere si può annoverare tra gli ultimi, dei viaggiatori inglesi, sulle tracce del famoso Grand Tour3. Come ebbe a dire Lord Granborne nel corso di un suo viaggio in Francia: «No man understands Livy and Caesar, Guicciardini and Monluc, like him, who has made exactly the Grand Tour of France and the Giro of Italy», pertanto osservare de visu i luoghi del passato e calcarne le vestigia rappresentava quasi una neces1 2

3

Badolato 1999, p. 31. L’itinerario percorso da Gissing sarà, qualche anno dopo, ripreso e affrontato da Norman Douglas e poi descritto nel suo Old Calabria. Con questi termini si fa riferimento ad una moda, nata nel XVII secolo come un rituale di viaggio, appartenente a modelli educativi inglesi, secondo i quali in Inghilterra per prima ma poi in tutta Europa, i giovani e non soltanto, dovevano partire per conoscere nuovi luoghi e nuove genti.

sità4. Assistiamo, infatti, tra il XVIII e il XIX secolo, ad un incremento evidente di viaggi in Italia, tanto da far pensare ad una «moderna esplorazione della penisola»5. L’interesse è ancora più acceso per quei luoghi della classicità, dove appunto sono fiorite le civiltà del passato, con una conseguente «massiccia riscoperta romantica dell’Italia»6. Cos’ha Gissing in comune con gli altri viaggiatori del Grand Tour? Per tutti, il viaggio aveva uno scopo ben preciso: la conoscenza personale dei luoghi. Quindi, andare alla scoperta delle lontane terre, dove grandi civiltà in un lontano passato hanno fatto la storia dell’uomo, affondandovi le loro radici. Alla base stava anche un altro principio: l’osservazione. Tanti erano i particolari che si poteva avere occasione di fissare a memoria: documenti, reperti, monete; il posto di primo piano era riservato al paesaggio, da osservare in dettaglio, montano o marino che fosse, con panorami pittoreschi che non potevano passare inosservati anzi, il più delle volte volutamente fermati in dipinti o disegni di celebri autori, che ritraevano 4

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Bertrand 2002, p. 9: «Nessuno comprende Tito Li­ vio e Cesare, Guicciardini e Monluc come colui che ha fatto con precisione il Grand Tour della Francia ed il Giro d’Italia». Scaramellini 1993, p. 19, citando F. Venturi, 1973, p. 1102. Brilli 1987, p. 69. Fu così anche per Gissing. Nella prima edizione di By the Ionian sea, Chapman & Hall, London, 1901, compaiono i dipinti originali di Leo von Littrow.

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E’ felice di allontanarsi dall’umido grigiore inglese. Pernotta il 23 Settembre a Milano, «Oh

meraviglioso sole che splende! Mentre scrivo ho di fronte il Duomo» e quindi raggiunge rapidamente Siena11. Trascorre un mese intero nella cittadina toscana, godendo il tepore di un dolce clima settembrino. Ha l’opportunità di scoprire il centro storico, le mura, i magnifici giardini pubblici e resta piacevolmente sorpreso dalla cordialità dei senesi, «Sto molto bene», e sceglie la cittadina medievale come luogo dove ultimare il saggio critico su Charles Dickens, «Attendo al mio lavoro in condizioni molto confortevoli»12. Il paesaggio toscano, tuttavia, non lo colpisce particolarmente. Ha sempre in mente l’idea di pianificare un viaggio verso il sud della penisola. «Sento un gran desiderio di andare nel glorioso Sud»13. Avverte che questa è l’occasione giusta e non intende rinunciarvi. Cura nel dettaglio tutti i particolari dell’itinerario che ha ben impresso a mente e tracciato sulla carta. Come tutti i viaggiatori, anch’egli doveva possedere conoscenze pratiche che gli consentivano di affrontare gli spostamenti in sicurezza, dal calcolo dei tempi alla confidenza con i mezzi di trasporto. Poi essere in grado di parlare l’italiano sufficientemente bene per farsi capire, presentarsi con buone maniere per dare un buon esempio del proprio Paese di provenienza. Doveva necessariamente possedere tutti gli strumenti indispensabili per affrontare, da solo, qualsiasi imprevisto gli potesse capitare. Per ultimo, non certo per importanza, saper organizzare un bagaglio non ingombrante, ma fornito di tutto quel che era indispensabile al lungo viaggio14. Perché un viaggio «Sulle rive dello Jonio»? Spingersi, anche con un pizzico di audacia nel profondo Sud, verso terre distanti e un po’ dimenticate, rappresenta per lo scrittore il concretizzarsi di un antico sogno di gioventù nato sui banchi di scuola. Al tempo le sue giornate trascorrevano nelle letture dei classici greci e roma-

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scorci o vedute da punti di vista scelti accuratamente7. Non è la prima volta che Gissing ha occasione di visitare il Bel Paese. Perché gli piace così tanto l’Italia? Verso questo Paese nutre un amore, sincero e senza pregiudizi, che gli fa dire: È una bellissima nazione, bellissima al di là di quanto sia possibile descriverla a coloro che non la conoscono… Il periodo di vita di una persona difficilmente potrebbe essere sufficiente a visitare l’Italia nei dettagli. Chi avrà potuto vedere in Italia ogni cosa degna di essere visitata?8

La sua è un’ammirazione pienamente consapevole, che comprende anche tutti i limiti che il Paese tristemente mostra: Ho sempre sentito che è un paese spaventoso. La sua bellezza indescrivibile si accompagna ai pensieri più tetri; si può andare dove si vuole e si trovano tracce del sangue e delle lacrime…ciò è valido per tutto il mondo: ma qui è evidente molto di più che in altri paesi… Per quanto riguarda la gente, Lei vede secoli di sofferenza sul suo volto e la odi dalla sua voce. Sì, sì, piace l’Italia, ma nel senso più nobile della parola9.

Oltre lo scopo di completamento del percorso formativo-culturale e al di là del piacere e del divertimento che riceve dal viaggio, soprattutto questo in Italia, Gissing affianca anche un’urgente necessità di salute. Le sue già precarie condizioni respiratorie, messe a dura prova da un precedente enfisema, sono in continuo peggioramento. Così conta di alleviare i numerosi disturbi di cui soffre, con la mitezza del clima italiano: Sono venuto in Italia per l’inverno, poiché i miei polmoni mi creano disturbi ed è per me imprudente rimanere in Inghilterra. Spero di superare questo momento e mi sforzo con energia10.

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Lettera a Margaret Bedford Gissing, Siena, 27 settembre 1897, in Badolato 1999, p. 177-179. Lettera a Mrs H. G. Wells, Siena, 3 ottobre 1897, in Badolato 1999, p. 182-185. Lettera a E. L. Allhusen, Siena, 3 ottobre 1897, in Badol­ ato 1999, p. 181-182.

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Lettera a Margaret Bedford Gissing, Milano, 24 settembre 1897, in Badolato 1999, p. 177. Lettera al figlio Walter, Siena, settembre 1897, in Badolato 1999, p. 180. Lettera a Eduard Bertz, Siena, 29 ottobre 1897, in Badolato 1999, p. 189-191. Bertrand 2002, p. 22.

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archeologico, che aprirono con decisione la strada verso il sud, dove era possibile rintracciare scampoli di civiltà passate nel loro ambiente naturale. Gissing non arriva al Sud con un approccio scientifico e da studioso, la sua visione è squisitamente romantica. E’ il viaggio nostalgico, nel passato archeologico, di uno scrittore vittoriano non così popolare, né ancora così famoso, che si muove sulla scia della moda ottocentesca, quella di viaggiare nei paesi del Mediterraneo, lasciando molto spazio al sentimento20. By the Jonian sea non è un romanzo, ma un prezioso taccuino di viaggio che, come scrive lo stesso autore in una lettera alla sorella, custodisce, annotati con cura, i suoi ricordi e le sue impressioni, così «ho sufficiente materiale per poter scrivere un piccolo buon libro»21. I viaggi in esplorazione di luoghi lontani e a volte malserviti, presentano sovente difficoltà e molti disagi, per cui raramente si affrontano da soli. La compagnia di un precettore, di qualche famigliare e, per coloro che ne avevano possibi­ lità, di valletti, era sempre raccomandabile. Gissing era un viaggiatore solitario, ma non imprudente: i rischi, durante il percorso, potevano essere molti ed insidiosi e ne è pienamente consapevole quando scrive:

ni – da Omero a Virgilio, da Teocrito a Pitagora – dal vago sapore fantastico. Egli sapeva bene che quei luoghi esistevano davvero e che un giorno li avrebbe toccati con mano. Quel che lo incuriosisce più di tutto è fare la conoscenza del paesaggio calabro, sintesi perfetta nei luoghi, di civiltà magnifiche del passato e aspetti più contemporanei, che si riveleranno, questi ultimi, più tristi e malinconici15. Poter ricalcare quei luoghi che considera land of ro­ mance, «la terra della mia immaginazione», vissuta dai Greci prima e dai Romani poi, provoca in lui, amante della classicità, un’emozione incontenibile16. Fare un passo indietro nella storia, vedere e sfiorare cosa, appartenente al mondo antico, fosse realmente sopravvissuto all’oblio impietoso del tempo e all’incuria degli uomini è una promessa che ha fatto a sé stesso. Immergersi nei luoghi del mito antico, nella magnificenza di un illustre e nobile passato, saràcome raggiungere finalmente l’agognato paradiso perduto, anche se la scoperta non sarà priva di grandi delusioni e amarezze. «Qui al nord si conduce una vita confortevole, ma non deve pensare che rimanderò a lungo il viaggio in Calabria» scrive Gissing17 «devo recarmi al più presto possibile nella Magna Grecia, nel vecchio mondo morto»18. Nel Settecento, periodo di grande espansionedel fenomeno del Grand Tour, il Sud appariva lontano se non del tutto assente dagli itinerari dei viaggiatori19. Per tutto l’Ottocento ed oltre, invece, si assiste ad una netta inversione di marcia. Lo stesso diviene meta obbligatoria per studiosi di vario genere, geografi, naturalisti, artisti, antiquari e molti letterati ed intellettuali, sulla spinta ricevuta anche dalle campagne di ricerca e scavo

Certo si era diffusa, anche come voce comune tra i viaggiatori, un’ampia letteratura sul brigantaggio23, che andava ad amplificare i timori di chi era in procinto di partire, talvolta colorando con espressività e note di folclore luoghi e genti. Vestirsi in

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Bertrand 2002, p. 34. Per molto tempo la Calabria è stata messa da parte negli itinerari, non vi si recava nessuno e, per raggiungere la Sicilia, ci si imbarcava direttamente da Napoli. Badolato 1999, p. 21. Lettera a Mrs. H. G. Wells, Siena, 3 ottobre 1897, in Badolato 1999, p. 182-185. Lettera a Morley Roberts, Siena, 24 ottobre 1897, in Badolato 1999, p. 188-189. Bertrand 2002, p. 35.

Dovrò stare bene attento al Sud. I giornali riportano in modo chiaro che esiste una nuova e forte dose di brigantaggio. Cercherò di non fare nulla di imprudente22.

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Agostini 2008, p. 17. Ciò sarà d’avvio a nuove concezioni estetiche, il cui interesse spazierà dalla cultura in generale all’arte dei giardini. Lettera ad Ellen, Catanzaro, 7 dicembre 1897, in Badolato 1999, p. 207-208. Lettera a Eduard Bertz, Siena, 29 ottobre 1897, in Badolato 1999, p. 189-191. Journal d’un voyage en Italie et en Suisse pendant l’année 1828, Paris, Verdière, 1833, p. 232.

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tono dimesso per non attirare l’attenzione era divenuta abitudine comune tra gli intrepidi viaggiatori; chi poteva portava con sé armi e polvere da sparo e soprattutto si raccomandava di percorrere gli itinerari più noti, in quanto molto più frequentati, senza mai cedere alla curiosità di percorsi non tracciati, dove trappole e insidie erano volutamente nascoste dagli indigeni per tendere agguati anche mortali. I briganti erano spesso descritti come capaci di crudeltà e violenze senza scrupoli, il ché portava a dedurre «la visione di una penisola ancora primitiva ed arretrata, vittima del sole e di un’incoercibile pigrizia»24. A tutto ciò si sommano molti altri imprevisti ed incertezze, dalle quali non bisognava lasciarsi scoraggiare: il tragitto stradale impervio e spesso discontinuo, il cattivo tempo che impediva il prosieguo, le attese alle dogane e, da non sottovalutare, una generale diffidenza che si mostrava nei confronti dello straniero. Gissing mette in conto tutti questi aspetti e preventivamente si procura una serie di lettere di presentazione, utili come lascia passare al cospetto di amministratori o potenti locali, «andrò direttamente a Napoli, dove vedrò Marion Crawford e avrò delle lettere di presentazione per la Calabria»25. A tal proposito troverà aperture anche presso il consolato, «Il Console Britannico di questa città mi ha consegnato delle lettere di presentazione che mi saranno d’aiuto in Calabria»26 e da lì, si sposterà in Calabria, «Poi inizia il vero viaggio, che attendo con ansia»27. Il solo pensiero di intraprendere, con grandi aspettative ed entusiasmo, questa nuova avventura che lo porta verso la Terra del Sole, lo mette di buon umore. Ne giova il suo spirito come la sua salute. Da parte mia, mi sembra di essere in condizioni di salute eccellenti; ho davvero un colorito buono28 .

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Bertrand 2002, p. 29-30. Lettera a Eduard Bertz, Siena, 29 ottobre 1897, in Badolato 1999, p. 189-191. Lettera a H. G. Wells, Napoli, 13 novembre 1897, in Badolato 1999, p. 195. Lettera a H. G. Wells, Napoli, 5 novembre 1897, in Badolato 1999, p. 192.

Fa una sosta a Paola, poi a Cosenza e Taranto. Quindi scende in treno lungo il golfo del mar Jonio e lungo le sue rive, dopo Metaponto, fa tappa a Cotrone29.

Cotrone tra archeologia e modernità Dalla Stazione Ferroviaria all’Albergo Concordia Come molti altri viaggiatori, per gli spostamenti Gissing sceglie di affidarsi ai mezzi pubblici, molto più sicuri e di compagnia: può capitare di condividere il tragitto con altri passeggeri e il tempo, a volte lunghissimo, sembra scorrere più veloce. Sul treno che da Sibari lo conduce a Cotrone, viaggia da solo nello scompartimento, il ché lo fa sentire, tutto sommato, più comodo. Giunge nella cittadina intorno alle ventidue di giovedì 25 novembre 1897, accolto da una serata ventosa e da un cielo che minacciava piogge e temporali. La piccola Stazione Ferroviaria, se non per una leggera operazione di restauro, si mostra oggi come allora, ed è sempre distante dal centro abitato (fig. 1). La sua presenza nella cittadina è di fonda­ mentale importanza: è l’aspetto più vistoso di quel processo di modernità a cui anche il profondo Sud si è avviato, pur con molta lentezza e minore vivacità del nord. La linea ferrata e le sue stazioni, disseminate sul territorio, rappresentano una trama sottile, ma importantissima, di unifica­zione in senso ampio di questo antico territorio, caratterizzato anche dalla varietà di molti paesaggi. Per raggiungere l’Albergo Concordia c’è da percorrere il lungo viale in terra battuta, che dalla

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Lettera ad Algernon, Napoli, 14 novembre 1897, in Badolato 1999, p. 196. La città si è chiamata Cotrone (forse dall’arabo Qu­ trunah) dal medioevo fino al 1928, quando il nome fu mutato in Crotone, in ossequio al toponimo di età greca e romana.

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ferrovia porta a Corso Vittoria30 (fig. 2). Con altri due viaggiatori di commercio approfitta di una sgangherata e sudicia diligenza, guidata da un conducente poco abile, che lo lascia nel centro della cittadina. Il viaggio è anche una sfida: mette alla prova lo spirito di adattamento del viandante. E mentre gli alberghi del Nord o le famiglie blasonate garantivano, per coloro che potevano approfittarne, una dignitosa ospitalità, le locande del Sud o quelle disseminate nelle campagne lungo i percorsi, offrivano scarse garanzie agli avventori. In più occasioni si presentavano poco pulite, con le porte senza serrature, il cibo servito pessimo, i costi sorprendenti ed una percepita ed irritante intesa tra oste e briganti del posto31. Sapevo già che Cotrone non offriva altri alloggi decorosi32,

annota Gissing. Difatti l’accoglienza fu del tutto inesistente: qualsiasi settentrionale che trascorresse un giorno o due alla Concordia da semplice turista ne riporterebbe una forte impressione33.

larico, curato dal medico Riccardo Sculco, cui Gissing rivolge parole di profonda gratitudine. Ha modo, nel corso del riposo forzato, di osservare con attenzione la padrona dell’albergo, che classifica come tutti gli altri albergatori del Sud. Il suo racconto diventa improvvisamente carico di realismo, quasi una «fotografia di vita contemporanea»35: è rozza, sporca, per nulla professionale, litigiosa, primitiva, insomma, davvero insopportabile. Annotazioni che sente di fare per sottolineare la decadenza del Sud anche rispetto all’Italia postunitaria, che ha unito insieme figli di terre diverse. Il medico Sculco, a sua volta, cattura al capezzale l’attenzione del paziente inglese. Si dilunga sulle differenze tra italiani del Sud e del Nord e su un’unità del Paese che, è evidente, interessava molto poco al dottore, il quale contrapponeva con sincero rammarico il presente ad un passato storico nobilissimo. Oggi l’albergo è l’Hotel Concordia, rinnovato nei locali. Reca all’ingresso una targa di marmo a ricordo dei soggiorni di Lenormant prima, Gissing poi, ed infine Douglas36. Alla ricerca dell’antica Kroton

Prende possesso autonomamente della prima stanza che trova libera, arredata nell’essenziale, non particolarmente pulita, con affaccio sulla piazza Duomo, che dalle tre di notte diventa rumorosissima per un continuo vociare di gente, che trascorre poi, tutto il giorno, a chiacchierare infruttuosamente. Il Concordia era anche l’unico ristorante della città. La qualità dei cibi, delle pietanze ed il servizio erano pessimi. Anche la condotta di vita, in generale, è scadente: «le risorse della città sono misere»34. Gissing contava di ripartire al più presto: alla visita crotonese aveva destinato giusto pochi giorni. Inaspettatamente il suo soggiorno venne forzatamente protratto da un contagio ma30

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Il Corso Vittoria, con porticato neo-dorico, fu realizzato dove sorgeva la Porta di Terra della città, sormontata dall’antico stemma citato da G. B. di Nola Molisi. Essa fu abbattuta dal Comune, dopo l’Unità d’Italia, con parte delle mura di cinta e del Castello. Bertrand 2002, p. 28. Gissing 1993, p. 36.

Gissing giunge in città già adeguatamente preparato circa la sua storia, sin dalla sua fondazione. In una lettera che scrive al figlio Walter, con cui è in continuo contatto epistolare e che segue su carta, dall’Inghilterra, gli spostamenti del padre, spiega come di tutto quel sacro passato «non restano che alcune pietre…ma la campagna è molto bella e io gioisco moltissimo a guardarla»37. Il mattino seguente il suo arrivo, va alla ricerca dello spirito degli antichi. Si inoltra a piedi nel centro, che si raccoglie tutto sull’antica acropoli; da subito visita la Cattedrale, che è dirimpetto alla sua stanza d’albergo. L’edificio nell’esterno, come nell’interno, non presenta – a suo parere – 33 34 35 36 37

Gissing 1993, p. 54. Gissing 1993, p. 45. Così commenta Pierre Coustillas in Badolato 1984, p. 74. Coustillas 2002. Lettera a Walter, Cotrone, 26 novembre 1897, in Badol­ ato 1999, p. 202-204.

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alcun elemento di pregio, né custodisce opere o elementi dell’arte di buona fattura38. L’accoglienza al pellegrino è fredda e avvilente. Rapidamente guadagna l’uscita e a destra imbocca una strada che corre sotto il maestoso Castello di Carlo V, il Viale Regina Margherita (fig. 3), realizzato da pochi anni sugli antichi bastioni. Ammira compiaciuto questa ampia baia che, da sotto la fortezza, si apre spingendosi nel mare profondoe chiude a sud con il promontorio di Capo Lacinio. Con l’ausilio di un cannocchiale riesce addirittura ad intravedere la colonna superstite e conta di poter raggiungere il posto l’indomani via mare, con una barca. A tal proposito ha avuto modo di documentarsi e pare che il tragitto a piedi preveda il superamento di colline, oggi luogo panoramico noto come l’Irto, per un sentiero carrareccio che, in parte, costeggia un pauroso precipizio sul mare. Gissing sfortunatamente si ammala e non riuscirà a vedere il sito archeologico e rendere omaggio alla colonna superstite del Tempio di Hera Lacinia, edificio sacro e noto in tutto il mondo ellenico, guida per tanti naviganti della storia, al pari di un moderno faro39. Il desiderio, a lungo sognato e perseguito, di calcare il promontorio Lacinio, purtroppo non si realizza. Lo sconforto è esasperante per lo scrittore che, a letto ammalato, si accontenta delle descrizioni del suo medico curante, persona colta e gentile. Quando, agli inizi del XX secolo, Norman Douglas giunse a Crotone, non mancò di visitare il medico crotonese, che rispose: Ricordo benissimo il giovane poeta inglese…e mantenni con lui una fitta corrispondenza. Era intelligentissimo, molto colto sulla storia della Magna Grecia. Ho trascorso al suo capezzale ore bellissime, parlando della terra calabra che conosceva più e meglio di uno scrittore italiano40.

Poco distante osserva incuriosito una piccola flotta di barche a vela, protette da un ampio molo. 38 39

E’ strano il fatto che Gissing non faccia alcun riferimento al quadro della Madonna di Capo Colonna, presente nella Cattedrale. Praz 1958, p. 3. Mario Praz descrive così la colonna in un famoso articolo ne Il Tempo, para gonandola ad un faro e poi aggiunge, riferendosi a Gissing: «meta

Era nel porto della città, l’unico valido tra Reggio e Taranto, dominato in alto dagli spalti del Castello. Conosce bene le vicende che portarono alla ricostruzione più recente del porto: in seguito al terribile terremoto del 1783 venne rafforzato, prelevando enormi blocchi smontati dagli edifici a Capo Colonna. «Perché disfarsi del passato?» è la domanda che si pone. Egli compie contemporaneamente un viaggio nello spazio e nel tempo: pone a confronto quel che vede con le architetture del passato; a Cotrone è alla ricerca di quel paesaggio archeologico, che non rintraccia, testimone di civiltà dall’eco vastissima e si chiede: Che ne è stato delle rovine di Cotrone? Nella squallida cittadina di oggi non resta traccia dell’antichità. Eppure una città cintata da mura della circonferenza di dodici miglia non doveva sparire facilmente… andò tutto adoperato nella costruzione delle case, dei templi e delle mura romane, che poi sono anche loro crollate o rimaste sepolte?41

La sua delusione è profonda e definisce Cotrone una «strana piccola città». Prosegue dunque nella sua passeggiata cittadina. Osserva il paesaggio intendendolo come panorama, un’ampia veduta da ammirare e restarne compiaciuto o dispiaciuto. Sospinto dalle sferzate violente del vento, si trova nei pressi delle basse colline che dominano tutto intorno la città, avvolgendola come una cintura. Questo è il paesaggio crotonese che gli si apre in un grande respiro: colline di fango durissimo, in realtà argilla, dal colore grigio-azzurro, dall’aspetto rugoso e con sorprendenti ferite e grosse buche sui fianchi, pericolose per l’esploratore poco accorto. Una sfumatura mediterranea accenna a «Qualche gialla ginestra e qualche pianta di camomilla crescevano qua e là negli avvallamenti; ma non un filo d’erba»42. La mancanza d’acqua provoca una sterilità perpetua, che domina queste alture

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che gli occhi intravedono, ma che le circostanze impediscono di toccare». Badolato 1974, p. 7-8b; «Gissing e Sculco» in Il Crotonese, 97, 11-14 dicembre 1998; Minervino 1993 per il viaggio di Gissing al Sud. Gissing 1993, p. 38. Gissing 1993, p. 37.

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aride dal suolo di ferro. Descrivono, anche nei colori, un paesaggio urbano immobile, fatto di antiche pietre argillose. Rappresentano un piccolo ecosistema: sono esse stesse conseguenza delle condizioni climatiche del luogo, a loro volta incidono negativamente sulla salute degli abitanti del posto e sul loro brutto aspetto43. Una conclusione alla quale giunge rapidamente anche Gissing, confrontando l’aspetto tra crotonesi e catanzaresi: questo personaggio giovane e rubicondo…la sua faccia aveva la tinta più splendente di salute…a Catanzaro ne avrei visti altri come lui…il mio sospetto che la povera Crotone malarica provasse una specie di gelosia per le brezze salubri di Catanzaro, che è inoltre una località molto più ricca44.

Sul clima riporta: Mi dicono che a Crotone piove pochissimo… l’aria è malarica e gli abitanti sono tutti più o meno malati; si incontrano contadini orribilmente sfigurati da una malaria cronica; il tipo di faccia più comune a Cotrone è rozzo e goffo, più rozzo, mi parve, di qualsiasi fisionomia vista nelle altre tappe del mio viaggio. Un fotografo aveva esposto una quantità di ritratti, ed era una mostra che faceva paura; alcuni visi raggiunge­ vano un grado di incredibile bruttezza e di volgarità

E per effetto dell’insalubrità del clima, tutti a Cotrone sembravano avere delle disposizioni più o meno tetre45.

In una lettera al suo amico Bertz riporta: È un luogo terribilmente insalubre e durante il mio vagare sono stato colpito dalla febbre, che si è evoluta in una congestione polmonare46,

l’aria tutto intorno è irrespirabile e pesante e l’acqua è contaminata, tanto da soffrire di sete. Annota qui, con lucido realismo di denuncia, come non sia mai stato fatto nulla di buono in questa città a favore della popolazione, affinché una persona possa dissetarsi senza timore47. Gissing 43 44 45 46

Agostini 2008, p. 24. Gissing 1993, p. 64-65. Gissing 1993, p. 44. Lettera a E. Bertz, Cotrone, 2 dicembre 1897, in Badolato 1999, p. 205-206.

resta colpito già allora da quel che è costume, tra la gente, anche in tempi moderni: una innata e diffusa predisposizione a dolersi di ogni cosa e lamentarsi con gemiti e continuamente: «era solo un’abitudine lagnosa e querula dovuta alla poca salute», giustifica lui48. Incontro con il Sindaco al Municipio Ad una manciata di metri dall’Albergo Concor­ dia, lungo la salita di Corso Vittorio Emanuele, si trova oggi la Casa della Cultura, nell’edificio che al tempo di Gissing ospitava il Municipio (fig. 4). E’ lì che si reca lo scrittore, chiedendo di incontrare il Sindaco. E’ lui il proprietario di un magnifico fondo chiamato «Gesù», di cui parla a lungo Lenormant, descrivendolocome un rigogliosissimo giardino, per bellezza, simbolo della natura, in parte destinato ad aranceto «un vero paradiso terrestre […] e si darebbe volentieri per quadro ad un idillio»49. Incuriosito il romanziere intende visitarlo, ma necessita di un permesso, la proprietà è infatti privata. Viene ricevuto senza difficoltà dal Sindaco, seduto in ufficio in compagnia di un amico. La risposta alla sua richiesta fu sì positiva, ma perché voleva visitare l’aranceto? Gissing viene quindi sottoposto ad un imbarazzante interrogatorio. I due signori, curiosi e perplessi nel sentirlo argomentare, non credevano alla giustificazione fornita loro: «per la bellezza naturale del luogo». Né credevano al fatto che fosse in visita a Cotrone per motivi d’interesse storico, era troppo banale: dietro l’apparenza si celavano, a parer loro, sicuramente interessi economici. Gissing si rese amaramente conto, nel corso del suo viaggio, come nel Sud del Paese il denaro rappresentasse l’unico vero argomento d’interesse per la gente. I possidenti pensano unica­mente a fare affari. Gli argomenti culturali risultavano del tutto effimeri e di scarsissima im­ por­tanza. La gente del popolo non possedeva neppure gli strumenti più elementari dell’istruzione: 47 48 49

Il primo acquedotto cittadino, che captava le fresche sorgenti della Sila, sarà inaugurato solo nel 1907. Gissing 1993, p. 54. Lenormant 1976, vol. 2, p. 184.

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tenuta ai margini doveva lavorare giusto per sopravvivere. Da qui il pensare comune, tuttora largamente diffuso, di dubitare sempre e di diffidare di tutti. Non può non rilevare, come in questa occasione, l’arroganza della classe dirigente. Egli dà volutamente peso morale alla descrizione, glielo impone la sua sensibilità ed il suo pensare. Non ha altezzosità e si interessa alle persone che incontra. Ha desiderio di conoscenze dirette con la gente del posto, ma l’incontro con il primo cittadino è assai deludente. Al termine del colloquio gli viene consegnato un foglio con la firma «superba» di «Berlinghieri»50. Poco sotto, a stento, Gissing decifra «senza nulla toccare»: il Sindaco, fermo nelle sue convinzioni, rimane sospettoso fino alla fine. In visita all’aranceto lungo Viale alla Ferrovia Il Fondo Gesù era, anche a quel tempo, un ampio appezzamento di terreno molto conosciuto in città. Il Duca di Santa Severina Nicola Sculco riporta, in un suo testo, l’importanza archeologica del luogo. Non è da escludere che fosse ancora voce diffusa tra la gente, allorquando era in visita Gissing, la notizia che chi avesse avuto desiderio di vedere i ruderi dell’antica Crotone doveva recarsi lì. Molti racconti di spettacolari ritrovamenti e favolosi reperti circolavano ampiamente:

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Gissing è alla ricerca di uno scorcio panoramico nuovo. Dopo quello delle colline grigio-azzurre vuole visitare l’aranceto, fitto di agrumi profumati. E forse è anche incuriosito da un proba­ bile ed inaspettato panorama archeologico che gli si potrebbe presentare. Si rammarica di non possedere alcuna lettera di presentazione per Cotrone: «fu un peccato…mi sarebbe piaciuto molto visitare una delle migliori famiglie», che in città, per quanto blasonate, tradivano at­ teggiamenti provinciali52. Qualcuna di queste avrebbe sicuramente accolto il romanziere con più calore, aprendogli qualche prezioso scrigno archeologico. Da Corso Vittoria, dove si apre l’ingresso dell’Albergo Concordia, percorre a piedi il polveroso e lungo Viale alla Ferrovia (fig. 5). All’aranceto si accede tramite un imponente portale, sormontato da un blasone, su cui spicca la scritta Fondo Gesù (fig. 6). Il suo lascia passare non serve: la vecchina che si affaccia dalla loggia non sa leggere e gli dice di andare liberamente dove vuole. Gli si apre una pittoresca prospettiva: gli aranci…si alternavano a melagrani e tamarischi e a molti arbusti sempreverdi…ad intervalli si ergevano magnifici pini. I viali erano limitati da giganteschi fichi d’india, spesso di forma così fantastica che mi fermavo meravigliato…sorgeva una palma meravigliosa, le cui foglie si agitavano pesantemente al vento che tirava alto. Purtroppo, in tutte le piantagioni, non c’è un solo punto in cui esista la possibilità di sedersi53.

detto suolo fu frugato e rifrugato da colossali scavi, per essere stato, secondo la leggenda, l’antica tomba e la casa del Vecchio Crotone. Anche il Marchese Berlingieri praticò scavi…vi trovò vasi italo-greci, due teste di statue di marmo a grandezza naturale, una gamba di bronzo, diversi tronchi di colonne, capitelli, fregi…ed un bellissimo marmo con greca iscrizione. Ritrovò pure molte monete d’argento, riempiendone due cassette, che furono mandate a Napoli e vendute a prezzi favolosi… Duemila e più monete si divisero i germani Berlingieri…i contadini nello zappare le fragole del giardinetto trovarono una moneta d’oro… Non esiste più nulla di quei preziosi avanzi51.

Nulla vede di archeologico: del resto, sappiamo bene che era già stato tutto saccheggiato dai proprietari. Lo stesso aranceto si presentava piuttosto inselvatichito ed inospitale. Forse, ripensa Gissing, la fitta piantagione di agrumi, ammirata da fuori il cancello, lasciava al viandante un ricordo, frutto tutto dell’immaginazione, sicuramente più piacevole che non visitarla.

Così nel testo originale. Il Sindaco in carica dal 1896 al 1899 fu il Marchese Anselmo Berlingieri. Sculco 1905, p. 34-36: il testo è posteriore alla venuta di Gissing, ma raccoglie memorie e antichi ricordi diffusi in città già molto tempo addietro. F. Caivano scrive: «Vicino a questa fonte (Acquabona) vuolsi che sia abitato il Vecchio Crotone» (Caivano 1872, p. 48),

e ne parlava diffusamente – due secoli prima – anche Nola Molisi «refrigerio di tutti l’infermi, dove si tiene sia stata la casa et il tumulo del Vecchio Crotone, per li grandissimi edifici sotterranei che vi si trovano, con bellissimi lavori, et altri» (Nola Molisi 1649, p. 56). Gissing 1993, p. 45. Gissing 1993, p. 40-41.

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Si spinge quindi poco più in là. Desidera osservare da vicino l’Esaro, il fiume che appartiene alla storia del luogo, che lo connota fortemente nel paesaggio come fosse un guardiano delle sue antiche origini. Gli si presenta un’altra deludente prospettiva. Al tempo del massimo splendore di Kroton, il fiume scorreva dentro l’abitato e le sue rive erano ornate da splendide costruzioni: Guardai là, verso la stazione ferroviaria, vidi un solco verde, il corso di quell’acqua quasi stagnante assolutamente pestilenziale che ancora si chiama Esaro54.

Anche in questa occasione Gissing non può fare a meno di tornare indietro nel tempo, allo splendore del luogo, che anche Pitagora avrà ammirato, alla bellezza e alla grazia cantata delle genti e alla loro sapienza. Il confronto con un presente tristissimo è inevitabile: Il fiume Esaro non serve a nulla e poiché nessun altro fiume scorre nei dintorni, le lavandaie di Cotrone vanno a fare il bucato sulla spiaggia55.

L’antico fiume ha perso ogni fascino ed è, esso stesso, testimone dello scorrere del tempo, che ha mutato in peggio la bellezza romantica del luogo56 (fig. 7). Anche in tempi attualissimi, come già osservava Gissing, alti canneti frenano lo scorrere dell’acqua verde e fangosa, che appare immobile a chi sta a guardare, pervaso da un’invincibile malinconia nell’osservare, con sdegno, cotanto degrado e squallore.

senti (fig. 8). Alle sue spalle, dominano le grigie colline d’argilla. Il grande cancello di ferro è chiuso. Al suono del campanello compare il custode «un uomo molto più raffinato nel contegno e nel parlare di quanto si trovi comunemente tra la gente di questa regione», che lo fa entrare58. Lo guida in giro per il camposanto e racconta come, in nove anni di lavoro, ha trasformato la sterpaglia in un odoroso giardino, adorno di fiori magnifici e di straordinaria grandezza, alternati a cespugli profumati, gerani in numerose varietà (almeno dieci) e tante rose. Il custode accenna alla sua vita, per anni valletto presso un nobile della città59, con il quale ebbe occasione di viaggiare in tutta Europa, anche a Londra. Anche in questa occasione non manca un rimando al passato lontanissimo. Gissing giunge in Calabria perché la considera una terra magica, ricca di tanti tesori ancora da scoprire, pregna di antichi valori per i quali è degna d’esser visitata60. Purtroppo i figli di questa terra raramente ne vanno orgogliosi o, comunque, sembra non ne siano consapevoli. Se ne rende conto quando il guardiano gli dice: Che uno viaggiasse dalla Calabria all’Inghilterra gli pareva comprensibile, ma si meravigliava che valesse la pena di venire dall’Inghilterra alla Calabria61.

Tuttavia questo fu un incontro inaspettato, che lo colpì tanto da fargli dire: la sua semplice bontà e la sua intelligenza mi avevano impressionato molto favorevolmente. Mi piace immaginarmelo ancora quietamente felice tra i muri del suo giardino, intento a curare i fiori che crescono sopra i morti di Cotrone62.

Al Cimitero lungo la strada per Capo Colonna “Quando viaggio non manco mai di visitare i cimiteri…le tombe hanno un grande significato”57. Gissing si incammina lungo la strada che conduce a Capo Colonna: il Cimitero è lontano dal centro abitato e sorge lungo la via, magnificamente in riva al mare, circondato da mura pos54 55 56 57 58

Gissing 1993, p. 38. Gissing 1993, p. 44. Agostini 2008, p. 21. Gissing 1993, p. 42. Gissing 1993, p. 42.

Giulio Marino (Catanzaro 1842 - Cotrone 1901) è il nome della guardia civica, custode del Cimitero di Cotrone, che lo scrittore evoca con discreta emozione (fig. 9). Uno dei pochi volti che Gissing incontra nel suo cammino a cui Pierre Coustillas,     

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Il Barone Luigi Berlingieri. Agostini 2008, p. 18. Gissing 1993, p. 42-43. Gissing 1993, p. 43.

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tra i più grandi studiosi del romanziere, ha dato un nome, ricercando i suoi discendenti e ricostruendone la storia63. Norman Douglas, che seguirà anni dopo le orme di Gissing, scriverà: E che ne è di quell’altro amico di Gissing, il cortese custode del cimitero? Morto, come gli uomini dei quali curava le tombe, come lo stesso Gissing…Mi hanno mostrato la sua tomba sul lato destro dell’ingresso; una misera piccola tomba, con una croce di legno numerata, e che presto sarà rimossa per far posto ad un’altra tomba64.

Giunti ai saluti, Gissing riceve in dono dal custode un gran mazzo di fiori accompagnato da un sorriso aperto e caloroso; un gesto così commovente che lascia in lui un vivido ricordo e lo muove ad una riflessione sul suo garbo e la sua cortesia: avrebbe desiderato che fosse lui quella mattina a sedere sulla poltrona del Sindaco. Sulla strada decide di fermarsi ad una chiesetta che aveva notato all’andata, per visitarla e osservarla con più attenzione. Versava in pessime condizioni, quasi in totale rovina, pare a causa del terremoto65. Le sue piccole dimensioni e la distanza dal centro abitato le conferivano un carattere intimo e religioso. La sua cupola di maioliche colorate si stagliava intatta nel grigio diffuso delle colline che l’abbracciavano intorno, con un contrasto indovinato che caratterizzava di bello il panorama intorno. È la chiesa di Santa Maria del Carmine, della seconda metà del Cinquecento, tuttora esistente e molto mutata nell’aspetto. La sua cupola colorata purtroppo non esiste più e l’edificio, rimaneggiato, mostra poco rispetto del passato. Al posto delle colline rugose, belle nel loro fascino deso63

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Coustillas, Liguori 2001; Coustillas 2004, p. 141, nota 2; Cristofaro 2005, p. 53. Centouno anni dopo la venuta di George Gissing in Italia, il professor Pierre Coustillas (Emeritus, Université de Lille) e la sua consorte, Signora Hélène, hanno ripercorso le orme del romanziere inglese: “Studioso francese ripercorre i luoghi descritti in By the Ionian sea” in Il Crotonese, ottobre 1998, e in Il Domani della Calabria, ottobre 1998. Douglas 1956, p. 313. Pesavento 1997. Danneggiata dal terremoto del 1832, per interesse di G. M. Messina e P. Berlingieri

lato, oggi sorgono soffocanti e brutti palazzi, che guastano l’incanto del luogo (fig. 10). Due ragazzini scambiano Gissing per un architetto in sopralluogo, venuto con l’intento di restaurare la diruta chiesetta. Il romanziere ovviamente nega, ma gli occhi furbi dei giovanetti non credono alla semplice visita culturale a cui fa riferimento Gissing: la diffidenza è fortissima e loro non si lasciano certo ingannare. La partenza per Catanzaro Gissing è ansioso di ripartire. Un violento temporale lo costringe a rimandare la partenza di altri due giorni. Vuole lasciare al più presto Cotrone, luogo terribilmente insalubre, come ricorda in più occasioni «ho trascorso giorni terribili a Cotrone!»66 e «la popolazione qui appartiene al medioevo nel vero senso della parola», scrive al suo amico Bertz67. Con profondo dolore e con un romantico realismo, per un attimo pensa male di Cotrone e dei suoi abitanti e dice «è un paese stanco e pieno di rimpianti, che guarda sempre indietro, verso le cose del passato, banale nella vita presente ed incapace di sperare sinceramente nel futuro»68, ma si ricrede subito: uno straniero non deve giudicare con superiorità un altro popolo. Risale lesto sulla cigolante diligenza che lo porta alla Stazione Ferroviaria. Una nota di tristezza traspare dal suo animo quando consapevolmente si rende conto che né le testimonianze archeologiche, né le migliori espressioni dell’arte classica si salveranno dall’usura del tempo e soprattutto dall’ignoranza degli uomini, incapaci di coniugare il presente con il passato69. Un punto di vista amaramente attuale. Già sui

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fu restaurata. Rimase in abbandono finché nel 1887 un nubifragio ne rovinò la facciata e la parete destra. Così si presentava alla fine del secolo con una cupola di tegole colorate e minacciante rovina. Lettera a Eduard Bertz, Catanzaro, 9 dicembre 1897, in Badolato 1999, p. 208-209. Lettera a Eduard Bertz, Catanzaro, 2 dicembre 1897, in Badolato 1999, p. 205-206. Gissing 1993, p. 59. Badolato 1999, p. 27.

George Robert Gissing, un viaggiatore solitario

binari, in attesa del treno, avverte un immenso sollievo e parte alla volta di Catanzaro lunedì 6 dicembre. Si muove poi verso Reggio Calabria e Roma. Il viaggio si concluderà, nell’aprile del 1898, con il suo rientro in Inghilterra.

George Robert Gissing, letterato ribelle e girovago Il vissuto di George Gissing è paragonabile alla trama di un romanzo avventuroso. L’Inghilterra non ha mai molto amato questo figlio, supportata nell’ideologia da una critica moralista e spietata, che per molti anni lo ha ingiustamente relegato ai margini fra gli autori vittoriani. Ma Gissing decise di pennellare la propria esistenza senza attribuire troppa importanza ai pregiudizi, modellandola sui temi dell’unicità e pregna di sentimento autentico, come fosse un’irripetibile opera d’arte. Nasce a Wakefield (Inghilterra, 22 novembre 1857) e muore a Ispoure (Francia, 28 dicembre 1903) da una famiglia modesta, ma conosciuta nella piccola comunità: il padre era il farmacista del paese. Una terribile sventura lo sorprende appena tredicenne, lasciandolo orfano di padre. Un evento tristissimo, che sconvolgerà il corso della sua vita, ad iniziare dalle condizioni economiche che, rapidamente, peggiorano. Presto è costretto a cambiare scuola: lascia la Back Lane School, che già frequentava con successo, per trasferirsi alla Lindow Growe School di Alderley Edge, nel Cheshire. Il giovanetto, sensibilissimo nell’animo, si lega molto agli affetti della famiglia. Molto devoto alla madre, nutre amore profondo verso i fratelli. Si appassiona allo studio dei classici, unendolo ad una raffinata inclinazione per i temi della Natura. Il suo talento per la scrittura è precocissimo e sorprendente. E’ continuamente alimentato dalle tante letture degli autori classici, latini e greci, che lo conducono ad elaborazioni fantastiche e minuziose descrizioni.

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La sua carriera scolastica prosegue grazie alle numerose borse di studio che vince, gareggiando in certamina nazionali su temi in greco e latino. Ottiene una borsa di studio anche per l’Università di Londra e si avvia ad una carriera universitaria assai brillante. Al talento prezioso che fa di lui uno scrittore nato, nel suo animo si fanno rapidamente strada una terribile inquietudine e quel tormento inspiegabile che lo agiteranno fino alla fine dei suoi giorni. Neppure ventenne mette egli stesso un freno al cursus honorum di illustre accademico, nonché alla sua reputazione, vivendo con leggerezza e da innamorato perso. E’ convinto di poter redimere dalla strada una giovanissima prostituta, Helen Harrison, che lui chiama affettuosamente Nell, ed è sorpreso a rubare denaro e pochi altri oggetti nel College dove è ospitato. Cercherà di scagionarsi, senza successo, spiegando che il denaro serviva a comprarle una macchina da cucire. Espulso, conoscerà anche la prigione e i lavori forzati. La famiglia giunge in soccorso: una rapida raccolta di denaro e qualche lettera di presentazione sono sufficienti a farlo partire per l’America. Lì avrebbe dimenticato i suoi amori di gioventù, lavorando per sopravvivere. Oltre oceano, tra Chicago e Boston, collabora con varie testate giornalistiche ed inizia a scrivere le famose Short Stories (se ne contano circa 110). Ma non dimentica la sua Nell. Era il 1876. In capo ad un anno fa ritorno in Inghilterra e sposa la giovane, che egli considera, con convinzione, vittima di una società crudele. La sua Nell, nel frattempo, non ha mai abbandonato la prostituzione ed ora è dedita anche all’alcool. Vivono in un quartiere malfamato di Londra e nulla distoglie Gissing dalla stesura del suo famoso Workers in the dawn (1880). Il romanzo non raggiunge il successo sperato e sopravvivere diventa sempre più difficile. Per allontanare i fantasmi della povertà, Gissing è costretto ad affiancare, all’attività di scrittore, l’insegnamento privato. Dopo solo tre anni, il matrimonio fallisce miseramente, ma non abbandona del tutto la moglie. Continua a mantenerla per altri cinque anni, fino alla morte di lei, sopraggiunta per alcolismo.

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130 In quella che viene definita la sua prima fase letteraria (1880-1889), ad attirare l’attenzione del romanziere sono le vite della gente del popolo che lotta senza tregua. Nonostante gli sforzi profusi, la loro risulta essere una corsa ineluttabile, con scarsi margini di salvezza. Nel New Grub Street, una delle sue opere migliori, Gissing scrive: «la povertà di oggi sta al corso moderno come la schiavitù stava al mondo antico; essa ne diventerà il carattere predominante. Ma ora come allora la miseria degrada la vita degli uomini nella stessa misura»70. Nel 1888, con un gruzzoletto faticosamente messo da parte, visita per la prima volta l’Italia, toccando capitali dell’arte e della storia: Roma, Napoli, Paestum, Firenze, Bologna e Venezia. L’anno successivo, tornato in patria, compone The Emancipated, che riflette in parte le forti emozioni ricevute dal viaggio in Italia ed in parte sottolinea con incisività la condizione intellettuale e spirituale della donna. L’universo femminile, che certo Gissing conosceva bene e per diretta esperienza, è sempre stato al centro del suo interesse, in un susseguirsi di relazioni complicate e, per certi aspetti, irrisolte. Virginia Woolf, sua grande ammiratrice, fu la prima a riconoscere a Gissing la grande capacità nel fare breccia nel lento processo di emancipazione femminile, tenendosi lontano da romanticherie e manifestazioni antifemministe care ai suoi connazionali71. Raro pregio per uno scrittore vittoriano, ancor più significativo se pensiamo a quanto fosse sessuofoba, classista, maschilista e illiberale la società britannica del tempo, tanto da essere definito «il profeta del femminismo»72. Se riflettiamo che a questo stato d’animo del romanziere, si affiancano una perdurante indigenza e continui insuccessi letterari, si comprende il profondo senso di frustrazione che lo perseguita. Fuggire da quella realtà opprimente era una necessità, viaggiare continuamente un bisogno vitale, un’illusione pia alla quale aggrapparsi, anche se il sollievo era momentaneo.

Gissing non si sente compreso dalla società in cui vive, per la quale conta soltanto il denaro e con esso caos, gelosie e cattiveria. Il romanziere inglese è ancora romanticamente legato ai temi della bellezza ed attento a temi sociali ed attualissimi – povertà, casi umani, disagio di vita in tempi moderni, sesso – tutti argomenti spinosi, che nessuno voleva trattare apertamente ed egli, per questo, ne pagò un caro prezzo73. Continua la sua attività letteraria, ancorché sfruttato dai suoi editori, componendo all’incirca un romanzo all’anno. Ad essa alterna lunghi viaggi che lo portano, ribelle e girovago, negli Stati Uniti ed in Europa. Qui tocca molti Paesi, sarà in Italia per ben tre volte. Nel 1891 si sposa per la seconda volta, con Edith Underwood, e va a vivere ad Exeter. Pur con le rinnovate difficoltà matrimoniali, dovute alle precarie condizioni mentali della donna, nascono due figli. In questi anni scrive alcune tra le sue opere migliori, Born in exile, The odd woman e circa settanta racconti. Ad ispirarlo in questa seconda fase letteraria (1889-1897) sono sempre le donne e i temi cari alla morale. Anche questo matrimonio fallisce. E’ il 1897 ed i coniugi si separano. La moglie viene dichiarata insana di mente ed i due bambini sono accuditi dalla zia paterna. Nello stesso anno Gissing pianifica il suo terzo viaggio in Italia, in occasione del quale, nel corso del soggiorno senese, trova condizioni favorevoli per concludere il suo saggio su Dickens. Poi, final­ mente, raggiunge la Terra del Sole, il sud della Penisola, dove secoli prima fiorì la gloriosa civiltà Magno Greca, luoghi del suo immaginario quasi mitici, che per tanti anni aveva sognato di visitare. Dai suoi appunti di viaggio, quest’ultimo per molti aspetti ricco di sorprese e avventuroso, vedrà la stampa nel 1901 un volumetto che porta il titolo di By the Ionian sea. Ormai sono i temi della cultura classica, la storia e l’archeologia ad interessare fortemente il romanziere inglese, che in questa sua terza fase

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M. F. Minervino in Gissing 1993, p. XII. Woolf 1912, p. 138-139.

Praz 1958, p. 3. Halperin 1982, p. XIII-426.

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letteraria (1897-1903) si dedica al romanzo storico e Veranilda, ambientato nella Roma del VI sec. d. C., ne dà prova. Intanto la sua reputazione, in patria, cresce. Diviene amico di colleghi quali Henry James e H. George Wells. Grazie all’aiuto di George Meredith e Thomas Hardy, i critici lo collocano tra i tre migliori romanzieri del tempo. I problemi di salute, parimenti, si fanno sempre più insistenti. Conosce una giovane traduttrice parigina, Mademoiselle Gabrielle Fleury, e si trasferisce a vivere con lei in Francia. Preferisce mantenere intatto il suo legame formale con la moglie, madre dei suoi figli, e sposa clandestinamente la giovane francese: un’ulteriore prova di rottura degli schemi morali vittoriani. Gli ultimi anni sono segnati da una profonda sofferenza fisica. Afflitto da una devastante tubercolosi, trascorre un periodo nel Sanatorio di Nayland in Inghilterra. Intanto esce il famoso The Private Papers of Henry Ryecroft, la sua opera più autobiografica. Nel 1903, nel corso di una passeggiata, contrae un banale raffreddore che risulterà fatale per la sua già precaria salute. Muore di enfisema polmonare nella casa che condivideva con la sua giovane moglie. E’ sepolto nel cimitero protestante a Saint-Jeande-Luz, in Aquitania, presso il confine atlantico tra Spagna e Francia.  

Bibliografia Agostini 2008: Agostini, D., George Gissing: incursioni sui paesaggi dello Ionio, in Quaderni della Rivista. Ricerche per la progettazione del paesaggio, 5, Vol. I, Università degli Studi di Firenze, 2008. Badolato 1974: Badolato, F., «Meeting Dr. Sculco’s son», in: The Gissing Newsletter, X, 3, 1974. Badolato 1984: Badolato, F. (a cura di), George Gissing. Antologia critica, Roma, 1984. Badolato 1999: Badolato, F. (a cura di), George Gissing, La terra del sole. Lettere dall’Italia e dalla Grecia (1888-1889), Soveria Mannelli, 1999.

131 Bertrand 2002: Bertrand, G., Il Grand Tour come feno­ meno sociale e culturale dall’Europa al Sud dell’Ita­ lia, Quaderni del Parco Old Calabria, 1, San Giovanni in Fiore, 2002. Brilli 1987: Brilli, A., Il viaggio in Italia. Storia di una grande tradizione culturale, Milano, 1987. Caivano 1872: Caivano, F., Storia crotoniata preceduta da un cenno sulla Magna Grecia, Napoli, 1872. Coustillas 2002: Coustillas, P., Gissing and Calabria, in: The Gissing Journal, XXXVIII, 4, 2002. Coustillas 2004: Coustillas, P., George Gissing. By the Ionian sea. Notes of a Ramble in Southern Italy, Oxford, 2004. Coustillas, Liguori, 2001: Coustillas, P., Liguori, T., «“At Cemetery found a delightful guardian”: the Crotone Gardener identified», in: The Gissing Journal, XXXVII, 4, 2001. Cristofaro 2005: Cristofaro, D., George Gissing. Il viag­ gio desiderato (Calabria 1897), Cosenza, 2005. Douglas 1956: Douglas, N., Old Calabria, New York, 1956. Gissing 1901: Gissing, G., By the Ionian sea, Chapman & Hall, London, 1901. Gissing 1993: Gissing, G., Sulle rive dello Ionio. Un vitto­ riano al sud, introduzione di M. F. Minervino, traduzione di M. Guidacci e M. F. Minervino, con un saggio di Virginia Woolf, Torino, 1993. Halperin 1982: Halperin, J., Gissing. A life in books, Oxford-New York, 1982. Lenormant 1976: Lenormant, F., La Grande Grèce, Paris 1881-83, traduzione italiana a cura di A. Lucifero, 3 voll., Chiaravalle Centrale, 1976. Minervino 1990: Minervino, M. F., Gissing. Viaggio al Sud (1897-98), Lungro (CS), 1990. Minervino 1993: Minervino, M. F., La vita desiderata, Cosenza, 1993. Nola Molisi 1649: Nola Molisi (di), G. B., Cronica dell’an­ tiquissima e nobilissima città di Crotone e della Ma­ gna Grecia, Napoli, 1649. Pesavento 1997: Pesavento A., Il convento del “Carmino” o dei Carmelitani di Crotone con chiesa intitolata a Santa Maria di Monte Carmelo, in La Provincia KR, 40, 1997. Praz 1958: Praz, M., Gita alla Colonna, in Il Tempo, XV, 199, 19 luglio 1958. Scaramellini 1993: Scaramellini, G., La geografia dei viaggiatori: raffigurazioni individuali e immagini collettive nei resoconti di viaggio, Milano, 1993. Sculco 1905: Sculco, N., Ricordi sugli Avanzi di Cotrone, Cotrone, 1905. Woolf 1912: Woolf, V., The Novels of George Gissing, in: Times Literary Supplement, 11 Jan. 1912.

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Fig. 1: La Stazione Ferroviaria di Crotone (foto T. Forte).

Fig. 2: Il Corso Vittoria con il porticato neo-dorico. Sulla destra l’ingresso dell’Albergo Concordia (cartolina postale, 1914).

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Fig. 3: Il Viale Regina Margherita, affacciato sul mare ai piedi del Castello (cartolina postale, 1912).

Fig. 4: Il Corso Vittorio Emanuele. Sulla destra è visibile l’ingresso del Municipio con la torre dell’orologio (cartolina postale, inizi XX secolo).

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Fig. 5: Viale alla Ferrovia, oggi Via M. Nicoletta (cartolina postale, 1917).

Fig. 6: Portale d’ingresso al Fondo Gesù, con il blasone dei Marchesi Berlingieri (foto T. Forte).

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Fig. 7: Il fiume Esaro presso la foce (foto T. Forte).

Fig. 8: L’ingresso del Cimitero di Crotone con le mura di cinta ottocentesche (foto T. Forte).

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Fig. 9: Giulio Marino, guardia civica e custode del Cimitero incontrato da G. Gissing (Archivio Privato D. Marino).

Fig. 10: La Chiesa del Carmine (foto T. Forte).

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Paolo Orsi : l’inventeur de la Grande Grèce  

« Percorrevo per lo più regioni sconosciute all’archeologo e allo storico dell’arte e i disagi, sovente non piccoli, delle strade e delle miserabili taverne ove ero costretto a pernottare erano ad usura compensati dalla magnificenza dei panorami, dalla campagna lussureggiante di vegetazione, ma piu che tutto dai ricordi storici che irrompevano nella mia mente, infine dai risultati scientifici1. »  



Comment Paolo Orsi, né sujet autrichien et élevé dans le Trentin, devint-il l’archéologue qui exerça l’influence la plus forte à ce jour sur l’archéologie de la Grande Grèce ? Personnage façonné par son époque, il sut en anticiper l’évolution, ce qui rend son travail encore précieux aujourd’hui. Paolo Orsi naquit à Rovereto le 17 octobre 18592. Il est le septième d’une fratrie de huit enfants. Son père était un commerçant aisé, il mourut lorsque Paolo n’avait pas encore 3 ans. Son éducation a été assurée par sa mère et son grandoncle, qui était directeur du lycée de la ville, puis directeur du musée de Rovereto. Au cours de sa formation au lycée de sa ville natale, il développa un profond intérêt pour la recherche et, plus précisément, pour l’archéologie. Il comprit pendant ses longues promenades dans les montagnes du Trentin l’importance de l’observation du cadre environnemental dans l’étude d’un site, une observation minutieuse qui permet de favoriser la compréhension du contexte de ce dernier. Adolescent, Orsi présentait déjà tous les traits de caractère qui lui permirent sa prolifique carrière et avait déjà développé son système de carnets, novateur pour l’époque3. Sa nature perfectionniste le poussant à y consigner la moindre information, ces données présentent aujourd’hui en-

core une grande valeur. Orsi partait explorer le territoire, équipé de ses fameux carnets où il consignait toutes ses impressions et découvertes, accompagnant ses notes de relevés épigraphiques ou de croquis précis. A la fin de ses études secondaires, Paolo poursuit ses études à l’université. Le Trentin était encore une province de l’empire austro-hongrois qui interdisait, en raison de l’importance des mouvements nationalistes recherchant le ralliement de la région au jeune Etat italien, à ses sujets de se former en Italie. A 19 ans, Paolo choisit l’Université de Vienne et commença à publier ses premiers articles sur l’épigraphie et l’archéologie du Trentin : préhistoire et époque romaine. L’année suivante, il était nommé directeur du Musée civique de Rovereto. Elevé dans un milieu désirant le rattachement du Trentin à l’Italie, mais reniant le terrorisme pour y parvenir, Orsi demanda la nationalité italienne qu’il obtint en 1884. Il était alors libre de se perfectionner à Rome, sous l’égide de Luigi Pigorini. Il s’éloigna quelque peu de l’archéologie au début de sa vie professionnelle. Il enseigna au lycée d’Alatri dans le Latium, puis fut vice-bibliothécaire à la bibliothèque nationale de Florence. Il profita de ce poste peu contraignant pour renouer

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Paroles prononcées par Paolo Orsi à San Marco Argentano en 1925. Voir : Spadea 20052, p. 264. Pour plus d’informations sur l’enfance de Paolo Orsi, on pourra consulter Paolo Orsi (1859-1935) 1935.



Une description technique des carnets se trouve dans Paoletti 2005, p. 198.

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avec la publication archéologique. Son premier contact avec du matériel méditerranéen ne se fit pas en Grande Grèce, mais à Florence lorsque Federico Halbherr, autre archéologue fameux né à Rovereto, lui confia l’étude et la publication du matériel en bronze de ses fouilles sur le Mont Ida en Crète4. Il quitta Florence en 1888, à 29 ans, lorsqu’il fut nommé inspecteur à la Surintendance de Syracuse. Paolo Orsi, qui ne connaissait pas le sud du pays, appréhendait ce départ vers l’inconnu et pour une destination qu’il n’avait pas choisie. Orsi eut des contacts avec la Calabre dès sa nomination en tant qu’inspecteur de la Surintendance à Syracuse puisqu’il est choisi par Giuseppe Fiorelli pour travailler à Locres, en collaboration avec l’Institut allemand de Rome en 1889. Orsi, parfaitement bilingue, porta la part la plus importante du poids du projet. Il fut aussi confronté pour la première fois à un problème récurrent de son travail dans la région, les relations, le plus souvent tendues, avec les propriétaires des terrains fouillés. L’année suivante, il travailla en Calabre, à Caulonia, mais ne s’occupa pas effectivement du territoire de Crotone avant 1907. Entre décembre 1887 et janvier 1888, les Américains Clarke et Emerson entamèrent des fouilles dans le sanctuaire de Capo Colonna, sans autorisation. Le souvenir de cet événement resta très présent à l’esprit d’Orsi. En 1907, l’intermédiaire du duc de Baden, l’archéologue allemand Friedrich von Duhn, intervint auprès du ministère en soumettant une demande d’autorisation pour entamer des fouilles à Locres et à Crotone ; il s’agissait en fait de Capo Colonna5. Orsi avait précédemment autorisé son collègue von Duhn à étudier le matériel conservé dans les collections Lucifero et Albani, à Crotone. Il restait cependant méfiant à l’idée de confier des fouilles à une mission étrangère, ce qui motiva son préavis négatif. D’une part, il désirait évidemment montrer

que l’archéologie du jeune Etat italien pouvait assumer elle-même les fouilles des sites les plus prestigieux de son territoire. D’autre part, il gardait en mémoire les fouilles américaines dont toutes les informations avaient été perdues. Il semble par ailleurs que l’exigence de l’équipe allemande de publier les résultats dans sa propre langue ainsi qu’une proposition déséquilibrée de répartition des trouvailles n’aient pas joué en faveur des Allemands. Les autorités refusèrent donc l’autorisation, ce refus permit à Orsi d’obtenir les fonds pour entamer lui-même les recherches. Cet épisode joua un rôle capital dans l’institution d’une Surintendance pour la Calabre et donna plus de poids à la requête d’Orsi qui désirait la constitution d’une entité administrative détachée de l’autorité de Naples dont la Calabre dépendait alors. Orsi se proposa bien évidemment pour assumer cette charge, il fut donc nommé mais résidait toujours à Syracuse, siège provisoire de la nouvelle structure car il conservait simultanément la Surintendance de la Sicile Orientale. Ce ne fut qu’en 1910, lors d’une pause dans les fouilles de Locres, qu’Orsi réussit à programmer des travaux dans le sanctuaire de Capo Colonna. Cependant, immobilisé à Locres par une violente sciatique6, il fut contraint de confier les recherches crotoniates à son assistant Ricca. Orsi ne se trouvait pas en continu sur le terrain mais y effectuait des visites. Il dut composer avec l’opposition des notables locaux, menée par le marquis Armando Lucifero, inspecteur honoraire des fouilles. Il eut notamment un différend, sur le site même, avec Nicola Sculco, un érudit local. D’autres préoccupations inquiétaient Orsi, dont la conservation de l’unique colonne subsistante du temple d’Héra Lacinia. Le ministère avait fait poser du béton en 1909, pour tenter de la solidifier mais la mesure semblait déjà insuffisante. L’objectif de la campagne de fouilles était d’explorer le temple, le mur du péribole et de « tester » l’existence d’éventuels trésors. Orsi remarqua que

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Pour avoir un aperçu de la collaboration entre les deux archéologues roveretains, on se reportera à l’article Beschi 1991.



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Les événements sont relatés avec le plus de précisions dans Spadea 20052, p. 265. Sabbione 2005, p. 206.

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le site avait servi de carrière aussi bien pour le château, la citadelle que pour le port de Crotone. La fouille mit au jour un petit édifice thermal avec des mosaïques, mais les travaux de dégagement ne purent être menés jusqu’au bout7. On apprend par les carnets de Ricca que vingt ouvriers étaient employés sur le chantier. Les frais étaient limités à l’indispensable, les lits de l’équipe étaient arrivés par train et par mer de Syracuse. Orsi conclut cette campagne, déçu des résultats, en écrivant au ministère qu’avant de pouvoir mener les recherches plus avant, il faudrait exproprier les terrains concernés. La région de Crotone retint à nouveau l’attention du surintendant l’année suivante. En juin 1911, Paolo Orsi, accompagné de son dessinateur Carta, effectua un voyage à Santa Severina pour étudier les vestiges byzantins et normands. C’est à cette occasion qu’il se rendit à Cerenzia Vecchia8. Il désirait visiter le site pour tenter de répondre à deux grandes questions : le site pouvait-il être identifié avec celui où mourut Alexandre le Molosse vers 330 ? Et pouvait-on retrouver des vestiges de l’époque byzantine, période où Cerenzia était le siège de l’évêché de Santa Severina ? Une fois encore, il fut déçu. Seul un chapiteau retint l’attention du surintendant, il ne le data que du XIIIe siècle, bien éloigné donc des vestiges byzantins attendus et recherchés. Toujours conscient de l’importance de veiller à la préservation du patrimoine, il ordonna de prélever le chapiteau et de le conserver en lieu sûr. Le trajet entre Santa Severina et Cerenzia fut couvert en quatre heures en voiture à chevaux. Au cours du voyage, il rencontra l’ingénieur Stanislao Martucci, qui fut son hôte et son guide lors de la visite/prospection qu’il mena pendant deux heures à Cerenzia Vecchia. Orsi demanda à Martucci, photographe amateur, de prendre les

premiers clichés centrés sur le site. Auparavant, des photographies y avaient déjà été prises par Ernesto Benincasa, mais le site ne servait que de décor à des portraits. Pourtant, en dépit de ces tentatives malchanceuses, le sol crotoniate réservait une belle surprise à son surintendant. En 1914, Paolo Orsi effectua une première tentative afin de situer le temple d’Apollon Alaios9. Il resta trois jours à Punta Alice et parcourut les marécages à la recherche de vestiges, car d’anciennes traditions locales plaçaient le temple à cet endroit. Comme ces prospections se révélèrent infructueuses, Orsi estima que la zone était trop exposée au vent et au soleil, et qui plus est, située en plein marais, pour que les Grecs l’aient choisie pour établir leur temple. Le climat de suspicion de la première guerre mondiale contribua à entraver les recherches puisque qu’Orsi fut soupçonné d’espionnage. Après la guerre, le gouvernement souhaitait lutter contre le chômage et assainir les plaines côtières de la Calabre où sévissait la malaria. Le programme de bonification des terres concernait également la zone de Punta Alice et, le 11 avril 1923, le Génie civil de Catanzaro écrivit à Orsi pour signaler la découverte de matériel antique – de blocs, de terres cuites, d’une base en marbre et des monnaies de bronze – lors des travaux. Orsi ne s’en inquiéta pas, il demanda de conserver le matériel et de prévenir en cas de nouvelles découvertes. Personne ne fit le déplacement de Syracuse. Le 29 février 1924, Orsi reçut une note où il était question de la destruction du temple. On y mentionnait des blocs, des colonnes, des chapiteaux et des pièces en marbre dont une tête masculine un peu plus grande que nature avec des cheveux rapportés, décrite comme étant « probablement une image antique réadaptée par les Byzantins »10. Il s’agissait de la première description de

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La famille Berlingieri, à qui le terrain appartenait, ordonna de recouvrir l’édifice. Orsi laissa alors des indices sur l’emplacement de la structure dans ses notes mais le bâtiment et son décor ne furent redécouverts et fouillés qu’en 2003 par la Surintendance. Voir Spadea 2006, p. 60-62.





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Le séjour d’Orsi est détaillé dans l’article de Frasca 2000. Au sujet de ces campagnes, on consultera Spadea 20051 et, bien évidemment Orsi 1933. Spadea 20051, p. 253.

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la tête de la statue de culte réalisée en employant la technique acrolithe. La tête fut alors récupérée par la direction de la bonification et envoyée à Syracuse avant le 12 avril 1924, date à laquelle Orsi envoya une note à l’ingénieur Di Lorenzo, directeur de la bonification, pour le remercier et le féliciter de s’être employé à récupérer des objets importants. Il ajouta qu’il était humain et naturel que de petits, voire de minuscules objets aient été rejetés dans les marais alentour ou emportés par les ouvriers comme jouets pour leurs enfants. Les fouilles se déroulèrent entre le 24 avril et le 18 mai 1924, commencées par Carta, puis poursuivies par Orsi en personne. Le ministère n’avait pas de fonds disponibles pour le financement, Orsi recourut donc à la fondation Magna Graecia, créée quelques années plus tôt par son ami Umberto Zanotti Bianco afin de promouvoir la culture locale. Le ministère reprendra la charge des travaux dans un second temps. Carta écrivit à Orsi dès le début des travaux pour l’informer de leur déroulement. Orsi vint pour la première fois sur le chantier le 3 mai, il fut alors frappé par le mauvais état de conservation du temple. Les travaux se déroulèrent en deux phases simultanées, Orsi et ses collaborateurs parcoururent à nouveau le terrain à la recherche d’autres vestiges, travail rendu difficile par la remontée de l’eau dans cette terre encore marécageuse, et des ouvriers tamisèrent les déblais afin de retrouver le plus de pièces possibles. Ils en retrouvèrent de nombreuses, notamment en or, prouvant la richesse et l’importance de l’antique sanctuaire. Le soir du 24 mai 1924, un ouvrier vint apporter sa dernière trouvaille à l’équipe, trouvaille qu’un violent orage avait déterrée et endommagée. Il s’agissait d’une statuette d’Apollon en or. Orsi la considéra comme la plus belle pièce retrouvée dans les déblais. Le sanctuaire de Punta Alice fut l’un des rares chantiers mené par Orsi à bénéficier d’une publication monographique. L’archéologue décrivait ses

autres travaux dans de minutieux et précis rapports de fouilles mais trouvait rarement le temps d’y consacrer un ouvrage complet. L’ouvrage fut publié en 193311. Orsi ne fut pas un grand voyageur, il ne quitta l’Italie qu’à deux reprises après sa nomination en Sicile. Il effectua un voyage entre l’Autriche et l’Allemagne qui lui donna l’occasion de revoir von Duhn et de rencontrer Furtwängler12. Son second voyage hors de la péninsule eut lieu à l’occasion d’un congrès à Rhodes, organisé par Amedeo Maiuri. Il transita par Athènes pour se rendre dans l’île, alors colonie italienne. Il retournait toutefois régulièrement à Rovereto et effectua un voyage à Turin et dans la vallée d’Aoste, à l’occasion de l’exposition universelle de 1911. L’année 1924 amena deux grands changements dans la vie de Paolo Orsi. En premier lieu, une nouvelle organisation administrative lui retira l’administration de la Calabre. En second, il fut nommé sénateur « pour mérite scientifique »13. Dès lors, il se rendit régulièrement à Rome pour témoigner des problèmes rencontrés dans le cadre de sa fonction de surintendant. Il intervint à deux reprises lors des discussions du budget par deux discours intitulés « Per l’archeologia » où il tenta de démontrer l’importance d’allouer des ressources financières et humaines suffisantes aux Surintendances14, pour fouiller bien sûr mais aussi pour assurer la protection des sites et la publication des résultats. Mais que nous reste-t-il de Paolo Orsi, aujourd’hui considéré comme l’un des archéologues italiens les plus marquants ? Tout d’abord, Orsi suivait une méthode de travail bien rodée, notamment avec le système de ses fameux carnets. Cent-cinquante carnets recouvrent ses années de recherches en Italie du sud et sont conservés au Musée national de Syracuse. Bien qu’il n’ait pas toujours suivi les fouilles en personne, toute information devait être minutieusement

11 Voir Orsi 1933. 12 Le voyage dura 14 jours. Il partit de Rovereto puis se rendit à Innsbruck, Munich, Nuremberg et Heidelberg. Concernant les voyages de Paolo Orsi, voir Arias 1987.

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Pour plus de détails sur le travail politique d’Orsi, on consultera, entre autres, Paoletti 2005. Les discours furent prononcés les 16 mai 1925 et 2 juin 1927.

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consignée, qu’il s’agisse du nombre d’ouvriers, de découvertes, de dessins d’objets, de schémas stratigraphiques ou architecturaux ou encore de tous les frais occasionnés par les recherches. Le principal intérêt de Paolo Orsi, qui nous paraît aujourd’hui très moderne, est la sauvegarde du patrimoine. Il préconisait dans ce but une publication rapide des résultats obtenus sur le terrain. Les rapports de fouilles, très complets, parus dans les Notizie degli scavi étaient primordiaux à ses yeux. Il désirait rendre les informations disponibles le plus rapidement possible. Aujourd’hui, les archéologues contemporains continuent d’explorer les sites découverts par Orsi. Ses plus importantes trouvailles calabraises comme les Dioscures de Marasà ou l’acrolithe de Cirò sont exposées dans le Musée national de Reggio Calabria15. Le Musée national de Syracuse, quant à lui, porte le nom du surintendant le plus fameux que la région ait connu. L’orientation scientifique des recherches d’Orsi influence la perception que nous avons des sites. Par manque de moyens, il choisit de se limiter à l’étude et à la sauvegarde de sanctuaires ainsi que de nécropoles. Et, de fait, les cités antiques de Calabre sont particulièrement mal connues. Ainsi, l’archéologue moderne suit-il les pas d’Orsi à la fois bénéficiaire de ses recherches minutieuses et gardien de ses trouvailles.

Bibliographie

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Museo nazionale di Reggio Calabria, sans numéro d’inventaire et inv. 6499.

A rias 1987 : Arias, P. E., « Paolo Orsi : una vita », Prospet­ tiva. Rivista di storia dell’arte antica e moderna, 51, 1987, p. 75-80. Beschi 1991 : Beschi, L., « Paolo Orsi e l’archeologia greca : contributi e orientamenti critici », in : Atti del convegno Paolo Orsi e l’archeologia del ’900, (Roverto, 12-13 maggio 1990), Roverto, 1991, p. 69-80. Frasca 2000 : Frasca, M., « Paolo Orsi a Cerenzia Vecchia », Magna Graecia. Rassegna di archeologia, storia, arte, attualità, n. 1-2 janvier-juin, 2000, p. 3536. Orsi 1933 : Orsi, P., Templum Apollinis Alaei ad Crimisa promontorium, Rome, 1933. Paoletti 2005 : Paoletti, M., « Paolo Orsi : La ‹ dura disciplina › e il ‹ lavoro tenace › di un grande archeologo del novecento », in : Magna Grecia. Archeologia di un sapere, (catalogue d’exposition, Catanzaro, Complesso monumentale di San Giovanni, 19 giugno 31 ottobre 2005), Milan, 2005, p. 192-198. Paolo Orsi (1859- 1935), Rome, 1935 (Pas d’auteur du recueil mentionné). Sabbione 2005 : Sabbione, Cl., « Paolo Orsi a Locri », in : Magna Grecia. Archeologia di un sapere, (catalogue d’exposition, Catanzaro, Complesso monumentale di San Giovanni, 19 giugno - 31 ottobre 2005), Milan, 2005, p. 199-207. Spadea 20051 : Spadea, R., « Cirò Marina : Le paludi di Punta Alice », in : Magna Grecia. Archeologia di un sapere, (catalogue d’exposition, Catanzaro, Complesso monumentale di San Giovanni, 19 giugno 31 ottobre 2005), Milan, 2005, p. 252-255. Spadea 20052 : Spadea, R., « Paolo Orsi a Capo Colonna », in : Magna Grecia. Archeologia di un sapere, (catalogue d’exposition, Catanzaro, Complesso monumentale di San Giovanni, 19 giugno - 31 ottobre 2005), Milan, 2005, p. 264-268. Spadea 2006 : Spadea, R., « L’abitato del promontorio lacinio e la colonia romana di crotone16 », in : Spadea, R. (éd.), Ricerche nel santuario di Hera Lacinia a Capo Colonna di Crotone, Rome, 2006, p. 51-65.

L’initiale de la cité semble avoir subi une faute de frappe, le nom est orthographié tout en minuscule. Voir : Spadea 2006, p. 51.

Les auteurs

Lorenz Baumer, Prof., Université de Genève, département des sciences de l’Antiquité

Patrizia Birchler Emery, Dr., Université de Genève, département des sciences de l’Antiquité

Jan Blanc, Prof., Université de Genève, département d’histoire de l’art et de musicologie

Matteo Campagnolo, Dott., Musée d’art et d’histoire de Genève, Cabinet de numismatique / Université de Genève, département des sciences de l’Antiquité

Emmanuelle Champion-Hindy, Dr., Université de François-Rabelais de Tours, Centre Tourangeau d’Histoire et d’études des Sources (CeTHiS)

Camelia Ana Chisu, Dr., Université de Genève, département des sciences de l’Antiquité

Stefano Condorelli, Dr., London School of Economics, Economic History Department / Université de Berne, Center for global studies / EHESS Paris, Centre de recherches historiques

Anne-Virginie Droz-dit-Busset, MA, Freie Universität Berlin

Tatiana Forte, Dott., Crotone (KR), Italie

Domenico Marino, Dr., Ufficio territoriale di Crotone e della Sila / Soprintendenza per i Beni archeologici della Calabria

Salvatore Medaglia, Dr., Università della Calabria, Dipartimento di Studi Umanistici / Université de Genève, département des sciences de l’Antiquité

Virginie Nobs, MA, Université de Genève, Département des sciences de l’Antiquité / Ecole Pratique des Hautes Etudes, section des sciences historiques et philologiques