Le Livre des Aventures de Monseigneur Guilhem de la Barra
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LIVRE DES AVENTURES DE MONSEIGNEUR GUILHEM DE LA BARRA

Dans la même collection: 1. 2. 3. 4.

5.

Le garçon et l’aveugle. Jeu du XIIF- siècle. Traduit et commenté par Jean Dufournet. La passion du Palatinus. Traduit et comment par Jacques Ribard. Œuvres de Villon. Traduit et commentées par André Lanly. Riccold de Monte Croce. Pérégrination en Terre Sainte et au Proche Orient — Lettres sur la chute de Saint-Jean d’Acre. Traduit par René Kappler. Arnaut Vidal de Castelnaudary. Livre des aventures de monseigneur Guilhem de la Barra. Edité et traduit par Gérard Gouiran.

TEXTES ET TRADUCTIONS DES CLASSIQUES FRANÇAIS DU

MOYEN

AGE

sous la direction de Jean Dufournet et Philippe Ménard

5

ARNAUT VIDAL DE CASTELNAUDARY

LE LIVRE DES AVENTURES DE MONSEIGNEUR GUILHEM DE LA BARRA Edité et traduit en français moderne par Gérard GOUIRAN

Préfacé par Jean-Charles HUCHET

Révisé par Jean-Pierre CHAMBON

HONORÉ CHAMPION ÉDITEUR 7, QUAI MALAQUAIS

(VI:)

1997 Diffusion hors France: Editions Slatkine, Genève

©

1997. Honoré Champion Editeur, Paris.

Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays, y compris la Russie et les pays scandinaves. ISBN 2-85203-733-5 ISSN 1141-4820

INTRODUCTION

Le Roman de Guilhem de la Barra d’Arnaut Vidal de Castelnaudary reste injustement méconnu des médiévistes et du grand public. En témoigne le fait qu’il n’ait pas été réédité depuis 1895 ni jamais intégralement traduit en français. L'étrange mélange de mépris et d’intérêt que lui porta son premier éditeur!, l’esthétique littéraire du XIXE siècle et la méconnaissance de la culture occitane du bas moyen âge paraissent avoir obéré durant un siècle l’évaluation de ce texte qui demeure un des rares témoins d’une tradition romanesque occitane autonome et, à ce seul titre, il

aurait d’ailleurs mérité davantage de considération. Sans doute, Guilhem de la Barra n'est-il pas un chefd'œuvre, au sens où l’entend le lecteur de Jaufré ou de Flamenca, du Castia-gilos ou des Novas del papagai, ces trop rares joyaux narratifs qui renvoient au XIIIe siècle les feux d’une utopie courtoise où l’art de conter constituait le ciment d’un art de vivre et d’aimer, depuis longtemps révolue en 1318, date à laquelle Arnaut Vidal de Castelnaudary achève et probablement entreprend son roman. Autre temps, autres mœurs,

autre écriture dont la plus

grande proximité chronologique ne garantit pas qu’elle soit en sympathie plus naturelle avec les idées et les habitudes de production et de consommation textuelles du lecteur moderne. Paradoxalement,

le XIVE

siècle occitan

nous

est moins

familier que les XIIe et XIIIe siècles, occulté qu’il est par la représentation d’un déclin succédant à une apogée, l’ombre gagnant nécessairement après cet excès d’éclat de la civilisation des troubadours assassinée à son zénith par les chevaliers et les successeurs de Simon de Montfort et dont la longue agonie 1 Paul Meyer, Arnaut Vidal français,

Paris,

Guillaume de la Barre. Roman d'aventures par de Castelnaudary, Société des anciens textes 1895.

2

Introduction

substitue le mythe à l'Histoire. Nombre d’insuffisances de Guilhem de la Barra dénoncées jadis par Paul Meyer ne sont peut-être que l'expression d’une difficulté à prendre la mesure d’une écriture narrative propre au XIVe siècle, sans recourir à l’aune des deux siècles précédents et à sortir des mythes qui souvent écrivent l’histoire littéraire. Tirer Le roman

de Guilhem

de la Barra

de l’oubli

n’équivaut pas nécessairement à transformer en pur chef-d'œuvre

un texte autrefois jugé médiocre, mais tend plutôt à inviter à le lire comme un double signe: le signe d’une mutation des goûts et de la conscience

littéraires,

le signe des

contradictions

internes

aux

modalités de l’expression narrative à l’intérieur de l’aire occitane médiévale.

L'AUTEUR

L'auteur de Guilhem de la Barra se nomme au terme de son roman: « Ce roman a été composé sans difficulté et sans mal

par Arnaut Vidal » (vv. 5338-5339); la rubrique du manuscrit nous apprend qu’Arnaut Vidal était sans doute originaire de Castelnaudary («Ce livre sur les aventures de monseigneur Guilhem de la Barra a été fait par Arnaut Vidal de Castelnaudary »), dans l’actuel département de l’Aude, entre Toulouse et Carcassonne. La dédicace du roman au « noble Sicart de Montaut » (v. 5315), seigneur de Montaut et de Hauterive, deux communes de l'arrondissement de Muret dans le sud du comté de Toulouse, suggère qu’il était en situation d’obligé, voire de dépendance vis-à-vis d’un maître de Hauterive dont l'identité reste difficile à percer. En effet, un grand nombre d’actes mentionnent, entre 1230 et 1346, plusieurs Sicart de Montaut. Le premier, partisan de Simon de Montfort, apparaît dans la Chanson de la

Guilhem

de la Barra

3

Croisade Albigeoise?; la date de composition du roman (1318) donne à penser qu’il pourrait s’agir de son fils, voire d’un troisième Sicart de Montaut, mentionné dans deux actes de 1333 et 1346. Même incertain, ce réseau relationnel enracine Arnaut Vidal dans le comté de Toulouse.

Par ailleurs, Amaut Vidal de Castelnaudary nous est connu comme le premier lauréat des Jeux Floraux de Toulouse. Il remporta la violette d’or pour une pièce religieuse dédiée à la Vierge (« Mayres de Dieu, Verges pura »), conservée au verso du folio 34 d’un manuscrit exécuté à Toulouse au milieu du XIVE siècle*; la rubrique de la pièce précise: « Sirventés, lequel fut composé par sire Arnaut Vidal de Castelnaudary; il remporta la violette d’or à Toulouse, à savoir la première qui y fut donnée, ce fut en l’an 1324#». Antérieur de six ans, le Roman de Guilhem de la Barra pourrait être une œuvre de jeunesse.

Un registre de l’ancienne académie toulousaine précise que « mestre » Arnaut Vidal de Castelnaudary fut fait « docteur en gaie science pour une nouvelle chanson composée pour Notre Dame », ce qui donne à penser que sa production lyrique fut plus abondante que ce qui nous en est parvenu. Sans doute Arnaut Vidal fut-il membre de cette École poétique toulousaine qui, tout en prétendant recueillir dans la première moitié du XIVE siècle l’héritage des troubadours, n’en scelle pas moins sa liquidation définitive. Les honneurs conférés à Arnaut Vidal, le conformisme

formel et thématique de la pièce conservée, tout en expliquant la religiosité dans laquelle baigne Guilhem de la Barra, 2 Laisse 200 vers 53, laisse 205 vers 92 & laisse 210 vers 79, tome III de l'édition d’Émile Martin-Chabot, Paris, BellesLettres, 2€ éd., 1973 3 Cf. François Zufferey, Bibliographie des poëtes provençaux des XIVE et XVE siècles, Genève, 1981, pp. XVIII-XXI & pp. 12-13. 4 Cf. Jean-Baptiste Noulet, Las Joyas del Gay Saber, ParisToulouse, 1849, pp. 3-6 ; Joseph Rozès de Brousse, L’anthologie des jeux floraux 1324-1924, Paris, 1924, pp. 13-20.

4

Introduction

confirmeraient que ce roman constitue bien une œuvre de jeunesse, une forme d’expression abandonnée au profit d’un recentrage de l'intérêt littéraire en faveur de la lyrique appelé par le contexte toulousain. Le titre de « mestre », attribué à Araut Vidal par le registre, est d’origine universitaire. Son roman donne à penser qu’il fut juriste, comme Guilhem Molinier qui codifia en 1356 les Leys d’Amor, les canons poético-linguistiques de l’école de Toulouse. Guilhem de la Barra porte les traces de la formation juridique de son auteur qui, par exemple, prend soin de confier à un notaire la rédaction de la procuration donnée par le roi de la Serre à Guilhem de la Barra lorsqu'il lui délègue le gouvernement de son royaume (vv. 2724-2729). De même, accusé de trahison, Guilhem

est cité

quatre fois à comparaître avant de faire l’objet de mesures coercitives, conformément à l’usage des tribunaux (vv. 2920-

2931).

LE CONTEXTE

Juriste, poête officiel, ou du moins officialisé, Arnaut Vidal paraît un pur produit du contexte toulousain tel qu’il se présente au début du XIVE siècle. Toulouse, la rebelle, qui, dans la première moitié du XIIIe siècle, avait porté haut l’étendard de la résistance contre la France derrière ses comtes

Raimon

VI et Raimon

VII,

s’est assagie et embourgeoisée.

Conséquence de la Croisade contre les Albigeois, qui Opposa un demi siècle la maison de Toulouse à la maison de France, le traité de Meaux-Paris (1229) a démembré le comté de Toulouse et de facto procédé à son rattachement au royaume de France. La prise du château de Montségur en 1244 et le bûcher, où avec les Parfaits qui s’y étaient réfugiés se consuma définitivement l’idéal de pureté cathare, scellent symboliquement la mort de

Guilhem

de

la Barra

5

l'idéologie de la résistance au Nord qui conféra, au moins dans la mémoire occitane, une manière d’identité au Midi. Le comte de Toulouse

Raimon

VII meurt en 1249 sans héritier mâle, le comté

passe aux mains d’Alphonse de Poitiers, frère du roi de France Louis IX et époux de Jeanne, fille unique de Raimon VII. À la mort d’Alphonse

de Poitiers en

1271, le comté

de

Toulouse a achevé son intégration dans le royaume de France; il connaît une stabilité politique favorable à une extension économique qu’arrêtera la grande dépression du XIVE siècle. En 1255, le pouvoir municipal est limité, l’ordonnance autorisant l’élection populaire des capitouls est abrogée et les consuls nommés par Alphonse en personne. En 1270, une nouvelle monnaie

unique

est mise

en place; elle favorise

le travail des

changeurs et l’édification de fortunes rapides qui leur permettent de se transformer en banquiers. Parallèlement, en dépit de l’édit de 1251, Toulouse se développe par l’extension de « bastides », ces lotissements de banlieue construits à la hâte par des nobles et des bourgeois et destinés à accueillir les immigrants qui, toujours plus nombreux, viennent grossir la population active de la ville. Toulouse compte au début du XIVE siècle quarante mille habitants, mais n’en comptera plus que vingt mille au début du siècle suivant lorsque peste et famines auront accompli leur œuvre de mort. Dans le dernier quart du XIIIe et au début du XIVE siècle, l’activité commerciale se développe sans que Toulouse ne se lance dans de grandes aventures conquérantes ; l’idéal de sa bourgeoisie reste l’accession à la propriété foncière proche de la ville et l’appropriation d’un mode de vie aristocratique imité de celui des « rics omes » de jadis. La condamnation prononcée par Matfre Ermengaud contre les marchands biterrois s’applique bien davantage encore à ceux de Toulouse: « Ces marchands se font rentiers et « pezagiers » ou n’importe quelle autre « senhoria » puis ils lèvent par grande méchanceté et cupidité ardente maintes redevances nouvelles (...) Ils ne sont si orgueilleux que quand ils

6

Introduction

ont de grands domaines dont ils puissent vivre sans rien faire d’autre que percevoir leurs rentes, assis tout le jour sur la place, ou parfois allant à la chasse». Le projet romanesque de Guilhem de la Barra tire une partie de sa signification de ce contexte. Le roman d’Arnaut Vidal confirme qu’au début du XIVE siècle Toulouse est résolument passée dans le camp français, que son intégration au royaume de France est accomplie. Si la langue et la toponymie enracinent Guilhem

de la Barra

dans

l’aire

languedocienne,

la fiction

ne

participe guère de la culture occitane, ne se réclame notamment jamais de la /in’amor et des valeurs de la cortezia et de paratge, ne fût-ce que pour s’en démarquer. Paul Meyer pensait d’ailleurs que le roman d’Arnaut Vidal n’était que la version occitane d’un récit français primitif. Point n’est besoin de faire appel à cet archétype fictif ; l’auteur a fort bien pu conter directement en occitan un récit d'inspiration « française », utilisant la matière et les structures narratives du roman français pour un public dont la culture n’est plus animée par l’esprit de résistance et par la défense de valeurs identitaires, pour un public qui a déjà fait siennes les habitudes culturelles de celui qui fut un temps considéré comme l’envahisseur.

Plus significatif paraît encore le caractère anachronique ou