La cronique et histoire des mervilleuses aventures de Appolin roy de Thir 9782503548784, 2503548784

Apollonius, roi de Tyr aussi bien que marieur au début du roman, fuit les hommes du roi d'Antioche qui veulent le t

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La cronique et histoire des mervilleuses aventures de Appolin roy de Thir
 9782503548784, 2503548784

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La croniQue et histoire des mervilleuses aventures de Appolin roy de Thir

BIBLIOTHÈQUE DE TRANSMÉDIE sous la direction de Claudio Galderisi et Pierre Nobel

Volume 1

La cronique et histoire des mervilleuses a­ ventures de Appolin roy de Thir (d’après le manuscrit de Londres, British Library, Royal 120 c ii)

Édition critique par Vladimir Agrigoroaei publiée sous la direction de Claudio Galderisi et Pierre Nobel Préface de Claudio Galderisi

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© 2013, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2013/0095/48 ISBN 978-2-503-54878-4 Printed on acid-free paper.

Accessus à La « BibliothèQue de Transmédie » Du côté des nains

Une traduction peut-elle être faite pour les lecteurs qui ne comprennent pas l’original ? 1

« Le Moyen Âge tout entier est une vaste entreprise de traduction  », écrit Michel Zink dans sa préface aux trois volumes du Corpus des Translations médiévales2. Les milliers de traductions (environ 3 000), les 9 000 témoins (plus de 8  700 manuscrits et environ 300 incunables) à travers lesquels ces traductions nous sont parvenues, et qui constituent autant de versions, mais également autant de témoignages de la vitalité et de la diffusion de ces textes, prouvent la réalité matérielle et temporelle de cette «  vaste entreprise  ». Ils définissent aussi le seuil de ce que nous appelons la traduction médiévale. Un certain nombre de ces textes ne sont pas selon nos critères modernes de véritables traductions. Il s’agit souvent de ceux-là même qui constituent une vitrine de la translatio studii et qui garantissent 1  Walter Benjamin, « La tâche du traducteur », dans Mythe et Violence, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Denoël, 1971, p. 261-262. 2  Translations médiévales. Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge e (xi –xve). Étude et Répertoire, sous la direction de Claudio Galderisi, Turnhout, Brepols, 2011, vol 1, 616 p. ; vol. 2, t. I, 708 p., t. II, 846 p. 

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au lecteur médiéval des ponts solides entre l’Antiquité et sa propre époque. D’une certaine façon, la traduction est une invention des clercs médiévaux. Comme toutes les inventions, elle a évolué au fur et à mesure que ces auteurs trouvaient leur place à côté de l’Auteur du Livre. Elle s’est modifiée dans le temps jusqu’à devenir une entreprise spécifique, très différente, dans ses techniques et dans ses enjeux, de la translatio studii originale. Tous ces textes, y compris ceux dans lesquels l’œuvre source n’est plus qu’un prétexte, au sens propre comme au figuré, contribuent cependant à éclairer les raisons connues et les enjeux cachés de cette entreprise qui occupe durant cinq siècles la clergie médiévale et semble lui offrir un empire sans confins, un horizon illimité et un idéal intellectuel commun. Les clercs médiévaux ont été les premiers à faire de la traduction une liturgie de la secondarité et une éthique de la subjectivité ; ils ont été également les acteurs d’une sélection intellectuelle et littéraire, qui pour être moins visible, et moins étudiée, n’en constitue pas moins la trace d’une certaine imperméabilité du monde médiéval. Définir la ligne de crête qui sépare la réécriture de la traduction au Moyen Âge n’est pas toujours aisé. La citation, l’emprunt, y compris non crédités, et donc pouvant faire transiter dans la culture vernaculaire des notions, des valeurs, voire des seniores théoriquement incompatibles avec l’horizon chrétien, apparaissent comme consubstantiels à l’œuvre du clerc médiéval. C’est ce que signale la belle formule de Michel Zink. Il y a d’autre part des textes qui affichent leur secondarité, en surjouant parfois du rapport à l’auctoritas, selon un modèle rhétorique qui a été appelé « topos du livre-source », s’il ne s’agit pas en réalité d’un écran rhétorique. Si nous devions fonder aujourd’hui notre jugement sur la qualité du rapport textuel que l’œuvre vernaculaire entretient avec la source, antique ou médiévale, on serait tenté d’exclure un grand nombre de translations du corpus des traductions médiévales, à commencer sans doute par celles qui sont parmi les plus précoces et parmi les plus célèbres : la trilogie des romans antiques (Roman de Thèbes, Roman d’Eneas, Roman de Troie). Si la fidélité à l’ori-

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ginal ne peut pas être définie comme un critérium définitif, du moins dans les premiers siècles de la translatio médiévale, le modèle quantitatif n’offre pas toujours une discriminante plus fiable. Dans une société intellectuelle qui a fait de l’emprunt et de l’anonymat un art et une éthique du savoir partagé, identifier de larges extraits traduits d’une œuvre-source dans un texte vernaculaire ne veut pas dire que l’auteur ait eu l’intention ou la conscience d’avoir “publié” une traduction. Or cette conscience, affichée ou dissimulée, est ce qui nous paraît identifier le mieux l’intentio traductoris, et du coup le corpus des translations médiévales. «  La littérature se passe d’écrivains  », rappelait malicieusement une sentence du siècle des Lumières. Par-delà la richesse des leçons et les variantes des manuscrits, la traduction ne se passe pas de traducteurs, qu’ils soient anonymes ou connus de nous. Au cœur de la translatio studii, de cette œuvre collective qui a duré plusieurs siècles, il y a l’individu, le nain devenu réécrivain : le translateur devenu auteur. La traduction, y compris la traduction «  empêchée  » d’un certain nombre de classiques antiques et médiévaux, est sans doute le phénomène culturel et littéraire qui permet d’identifier et, dans une certaine mesure, de définir ce que l’on a appelé la « civilisation médiévale ». C’est vrai pour l’ensemble des lettres vernaculaires occidentales, mais c’est encore plus significatif pour les langues de la France médiévale : oïl, oc, francoprovençal. La langue d’oïl, en particulier, est assurément avec l’anglais, et peut-être au-delà, l’idiome vers lequel on traduit le plus. L’identité de cette langue, de sa culture, de sa religion, de sa littérature et de sa science est nourrie, enrichie et profondément modifiée par les milliers de traductions qui la fécondent. Sans ces traductions, on ne peut pas comprendre par exemple la réinvention de la littérature, au sens de lettre déjà écrite, qu’est l’œuvre de l’homme médiéval. Avec Antoine Compagnon, et bien avant sa seconde main, l’écrivain médiéval sait qu’« écrire, car c’est toujours récrire, ne diffère pas de citer  »3. Il sait aussi que dans la traduction, il est moins question d’écrire après, que Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 34. 3 

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d’écrire à la fois d’après et avec la source. Dans ce sens, la vraie seconde main médiévale est la source, ou plutôt sa copie, qui en circulant en même temps que ses traductions, du moins pendant la période de diglossie latin-vernaculaire, institue avec ces dernières un jeu de rôles et une nouvelle secondarité.

Une nouvelle translatio Pour comprendre cette relation dialogique entre les œuvressource et leurs traductions, entre la réécriture et l’écriture, il faut à la fois éditer ces textes et étudier – souvent d’abord identifier – leur rapport à la source, et plus souvent aux sources qui sont à l’origine. Lorsqu’on édite ou l’on traduit ces traductions, on s’aperçoit que la contamination agit à tous les niveaux : entre les copies d’une même source, entre les sources éventuelles, entre les sources et leur(s) traductions, entre ces dernières et les textes vernaculaires, qui sans afficher clairement leur travail de traduction ne peuvent pas dissimuler complètement leur secondarité. Au-delà de la fidélité ou de la liberté textuelle, l’opus du traducteur est connoté d’abord par la contamination culturelle, linguistique, codicologique. Mais la traduction médiévale possède une autre caractéristique qui la différencie profondément de la plupart des traductions modernes. Elle peut n’avoir qu’un seul destinataire et ne vivre que dans l’espace-temps d’un seul manuscrit. Nombreuses sont les traductions médiévales qui ont disparu de l’horizon culturel et scientifique pendant les siècles qui ont suivi – et cela parfois même à l’intérieur des confins temporels médiévaux – et qui, par conséquent, n’ont irrigué qu’en partie la pensée occidentale. Si leur impact sur la langue, la culture, la science ou la religion a été limité, géographiquement et chronologiquement, leur existence et leur faible circulation ne sont pas moins révélatrices d’un besoin, d’une intention, d’une commande, d’un état de la langue qui nous en disent parfois plus sur la société médiévale que ces traductions qui ont été de véritables succès des lettres vernaculaires.

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Best-sellers ou worst-sellers, ces translations nous rapprochent à la fois de l’Antiquité et du Moyen Âge et nous révèlent une conscience de l’altérité intellectuelle que l’homme moderne pense parfois avoir inventée. Or, on s’aperçoit en parcourant le Corpus Transmédie que l’importance des traductions médiévales n’a pas toujours échappé aux médiévistes. Rares sont en effet les traductions qui n’ont bénéficié d’aucune édition dans les deux derniers siècles. Les philologues semblent s’être aperçus très tôt que l’accès à ces textes seconds était une des conditions de la compréhension des autres textes vernaculaires. On trouve en effet dans le Répertoire Transmédie seulement une cinquantaine de translations médiévales inédites : des œuvres hagiographiques, mais également des récits connus (Les Aventures qui avinrent a Troies, de Jean de Flixecourt, L’Estoire des Troiens, de Jofroy de Waterford, etc.) et des traités importants (les Stratagèmes de Frontin par Jean de Rouvroy, le De amore et dilectione Dei d’Albertano da Brescia, le Secretum secretorum, le Hieron sive Tyrannus, l’Ars poetica d‘Horace, etc.). Par-delà ces traductions médiévales qui sont restées confinées dans les manuscrits, il y a un certain nombre de translations qui ne sont plus accessibles ou qui le sont dans des éditions datées, souvent dépassées. Au total, plus d’une centaine de traductions médiévales attendent aujourd’hui de connaître une deuxième translation : des nains juchés sur les épaules d’autres nains. Mais à la différence de la première, cette translation ne s’adresse pas à ceux qui ne comprennent pas la littera – Benjamin objecterait qu’aucune traduction n’est faite pour des lecteurs monolingues –, elle n’assume pas les formes d’une traduction, car ses enjeux et son but sont fondamentalement différents de ceux que poursuivaient les clercs médiévaux. Ce sont ces œuvres vernaculaires françaises, inédites ou inaccessibles, qui sont au cœur de ce volet philologique du projet Transmédie. Ce sont ces titres qui seront publiés dans cette Bibliothèque de Transmédie, qui sera donc intégralement consacrée aux traductions vernaculaires gallo-romanes.

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Au Moyen Âge, il s’agissait d’abord de sauver le passé pour donner une perspective au présent, de greffer un monde sur un autre en faisant de la source une ressource. Il était question pour ces chantres de l’humilité intellectuelle de valider une lettre à travers la littera, de cacher et de glisser en même temps une subjectivité d’après une autre, de donner à la rupture les semblances de la continuité : bref de se jucher sur les épaules des autres pour créer. Cette colossale œuvre de transfert a en réalité permis aussi de sauver le présent de ces clercs en tirant profit – le mot, on le sait, est l’un des plus utilisés par les traducteurs médiévaux, qui pensent à toutes les dimensions de ce profit : spirituelle, culturelle, esthétique, technique et matérielle – des perspectives intellectuelles et scientifiques qu’offrait l’Antiquité. Aujourd’hui, il s’agit moins pour nous de sauver ces lettres d’un autre temps ou de greffer notre vision du monde sur ces racines trop profondes, que de transférer pour mieux comprendre ce que les médiévaux ne pouvaient pas connaître de leur propre monde : de leur langue, de leur culture, de leurs idéologies et de leurs idiosyncrasies, de leur histoire… Telle est l’ambition de la nouvelle collection « Bibliothèque de Transmédie ».

Fidus interpres : la « Bibliothèque de Transmédie » La fidélité la plus complète à la lettre vernaculaire s’impose donc. Le respect le plus absolu de la trace que constitue la lettre manuscrite est le seul outil dont dispose le moderne translateur dans son œuvre d’archéologue. Seule l’édition garantit cette translatio généalogique. Une telle édition ne peut pas être une édition critique, c’est-à-dire fondée sur l’ensemble des manuscrits connus d’une même œuvre. Il ne s’agit pas ici d’une posture philologique ou du rejet d’une école qui a ses raisons, mais de respecter la pluralité même de l’acte de traduction et surtout de confronter entre elles et avec la source les différentes versions d’une même source. Le travail des éditeurs de cette collection sera donc in verbo.

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Ce respect de la lettre médiévale est d’autant plus nécessaire que plusieurs siècles séparent parfois deux ou plusieurs manuscrits d’une même version. Et que c’est chacun de ces témoins qui a été lu, cité et dans tous les cas connu d’un temps et d’une région à l’autre de l’Occident médiéval. Il serait dommageable pour le moderne nain d’effacer ou d’écraser les traces du transfert, car c’est surtout à travers ce transfert que s’opère et surtout agit la traduction médiévale. Cela n’empêchera pas dans quelques rares cas d’établir de véritables éditions critiques, lorsque la tradition manuscrite et l’histoire du texte traduit permettront et justifieront une telle reconstitution. Ces éditions seront accompagnées systématiquement d’une introduction historique et littéraire qui éclairera l’œuvre-source et sa traduction médiévale, d’une étude de la langue de la traduction, d’un apparat de notes linguistiques et d’un dossier permettant de confronter le(s) texte(s)-source et la traduction. Ce dossier devra servir à la fois à identifier, lorsque c’est possible, la où les version(s) de l’œuvre-source, pour mieux comprendre, d’une part, l’opus du traducteur médiéval (sa compétence linguistique, ses écarts, ses anachronismes, ses choix, ses réticences et ses objectifs) et, d’autre part, la circulation des œuvres-source. Chaque édition comprendra également un index des lieux et des noms cités dans la traduction, un glossaire et une bibliographie critique. *** Ces éditions auront donc pour objectif de reconstituer les fils généalogiques des traductions médiévales et peut-être de permettre aux médiévistes de donner un nom à un certain nombre de traducteurs anonymes, de commanditaires oubliés ou cachés, de destinataires réels ou implicites. Contribuer à mettre en lumière une histoire du traduire dans les langues de la France médiévale, et en français plus particulièrement, telle est l’ambition de cette Bibliothèque de Transmédie. Nous souhaitons ainsi offrir un panorama plus complet des tra-

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ductions médiévales pour mieux saisir la formation transnationale de la culture et de la langue françaises tout au long des siècles de sa sédimentation écrite ; nous espérons aboutir ainsi à une meilleure connaissance des conditions intellectuelles de la constitution du patrimoine culturel français. Sans oublier cependant que « La traduction est sujet et objet d’un savoir propre »4. Claudio Galderisi – Pierre Nobel

Antoine Berman, La Traduction et la lettre ou l’auberge du lointain, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 16. 4 

Préface

Tribulations d’Apollonius et impasses narratives L’homme n’a qu’un moyen de donner de l’unité à un ouvrage : l’interrompre et y revenir1.

Énumérer les motifs narratifs qui composent le récit de l’Apollonius de Tyr reviendrait en partie à faire un catalogue des principaux poncifs de la littérature médiévale2. On reconnaît dans l’Apollonius « les motifs les plus répandus du folklore universel, les schémas et les enchaînements narratifs les plus triviaux, les morceaux

Paul Valéry, Tel Quel 2. Idées, 1943, p. 50. Voici une liste des motifs présents dans la version qui en contient sans doute le plus, la version de Vienne : inceste ; tentative de meurtre de l’héritier ; compassion des hommes chargés de tuer l’innocent (2 fois) ; chevalier au dragon ; devinettes (2 fois) ; générosité du “bon prince” (3 fois) ; naufrage ; partage du manteau ; preuves d’habilité ; innamoramento ; exploits d’un chevalier inconnu ; foudre punitive ; fausse mort (2 fois) ; corps dans un tonneau ; envie envers un enfant doué ; trahison des tuteurs ; vierge dans un bordel ; guerre décennale ; trahison chez les assiégés ; non reconnaissance d’un proche ; souillure ; larmes non versées ; retrouvailles avec les fausses mortes. En réalité, certains motifs devraient être regroupés, d’autres pourraient donner lieu à deux ou trois unités stéréotypées. Les confins entre motif et thème, en particulier au sujet de la “générosité” ou de la “trahison”, sont également problématiques. Mais ce qui paraît remarquable c’est qu’une trentaine de séquences narratives, que l’on pourrait considérer comme autant de chapitres, ne développent en moyenne qu’une soixantaine de lignes chacune. 1 

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de bravoure les plus connus de la littérature latine »3. Cet aspect a été souligné par presque tous les critiques. Certains sont allés jusqu’à parler d’« andamento […] facile e trito da “Volksbuch” », en mettant ainsi l’accent sur un horizon d’attente populaire de l’histoire d’Apollonius4. Cependant, le succès de l’Apollonius au Moyen Âge semble davantage horizontal ou transnational que vertical et national – comme en témoigne un grand nombre de versions dans plusieurs langues européennes, mais somme toute un faible nombre de témoins manuscrits5, à l’exception des Cantari d’Antonio Pucci, qui sont attestés par une vingtaine de manuscrits6. Quelles que soient les versions, latines, grecques, romanes, anglo-saxonnes, etc., toutes ont en commun ce trait distinctif7 : la trace d’une diégèse apparemment composite. D’une langue à l’autre, les suppressions et les ajouts modifient souvent de manière considérable les enjeux historiques et esthétiques du récit et dans quelques cas les coordonnées épistémologiques de l’histoire d’Apollonius8 . Le changement du nom Le Roman d’Apollonius de Tyr, éd., trad. et prés. Michel Zink, Paris, UGE, 10/18, 1982, p. 45. Édition revue et augmentée, Paris, Le Livre de Poche, “Lettres Gothiques”, 2006. 4  Gioachino Chiarini, «  Esogamia e incesto nell’Historia Apolonnii regis Tiry », Materiali e discussioni per l’analisi dei testi classici, 10-1, 1983, p. 267-292, ici p. 28. 5  Elizabeth Archibald, Apollonius of Tyre. Medieval and Renaissance Themes and Variations. Including the Text of the Historia Apollonii Regis Tyri with an English Translation, Cambridge, D.S. Brewer, 1991, p. 183-216. 6  Antonio Pucci, Cantari di Apollonio di Tiro, éd. Renzo Rabboni, Bologna, Commissione per i testi di lingua, 1996, p. 11-27 et Errata corrige. 7  La seule version qui enrichisse de manière considérable l’intrigue et modifie de facto le modèle narratif est celle de Heinrich von Neustadt, sur laquelle je reviendrai. 8  Francesca Rizzo Nervo, en commentant les deux versions grecques du xvie siècle, rappelle que « il tema dell’incesto sembra aver subito une forte censura nella produzione letteraria medievale in lingua greca ». (« Le versioni greche medievali dell’Apollonio di Tiro », dans Vettori e percorsi tematici nel Mediterraneo romanzo. L’Apollonio di Tiro nelle letterature euroasiatiche dal Tardo-antico al Medioevo, éd. Fabrizio Beggiato et Sabina Marinetti, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2002. p. 151-166, ici p. 156-157). Ainsi « le sei strofe nelle quali Pucci narra l’incesto consumato da Antioco sono riassunte da Akontianos in soli ventisei versi  » (ibid., p. 163). 3 

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d’Apollonius de Tyr en Apollonius d’Antioche, dans le manuscrit de Vienne, en est sans doute l’exemple le plus frappant. Ce changement de nom comporte un brouillage partiel des coordonnées culturelles, puisque ce n’est plus seulement le désir incestueux de garder sa fille pour lui, et la honte qui dérive de la réponse d’Apollonius, qui motive Antioche, mais aussi le souhait de l’usurpateur de conserver le trône à la place de l’héritier légitime : Apollonius. Mais cette interférence entre les deux motifs, qui relèvent tous le deux du thème du désordre, moral et/ou social, ne parvient pas à modifier la structure narrative, qui reste fondamentalement la même. L’ajout du siège d’Antioche par Apollonius sert dans cette même version de Vienne à faire écouler les dix ans qui permettent à la fille d’Apollonius de devenir une victime potentielle de l’inceste – remplaçant ainsi le motif des quatorze ans d’exil en Égypte. Il y a là bien évidemment une coloration chevaleresque et même politique de l’histoire, qui répond au goût médiéval, mais la lutte entre le nouvel usurpateur Gontacle et Apollonius – dans laquelle celui-ci ne joue qu’un rôle somme toute secondaire – ne peut pas faire oublier au lecteur médiéval le véritable point de chute de l’histoire : les retrouvailles entre Apollonius et sa fille. S’il avait réellement voulu privilégier la thématique de la lutte de pouvoir et de ses enjeux juridiques et éthiques, l’adaptateur de cette version aurait dû inverser l’ordre des deux retrouvailles – celle avec la fille et celle avec la mère – en désamorçant ainsi le thème de l’incestueux innocent. Or, quelle que soit la version, la structure narrative reste fondamentalement la même. Mille ans de réécritures et d’adaptations de l’histoire d’Apollonius ne semblent pas avoir touché en profondeur l’intrigue, même si on peut considérer avec l’éditeur de l’Historia que le récit est un agrégat de microtextes et d’intertextes : un living text9. Ce roman, qui présente de nombreuses péripéties, est surtout un roman répétitif, comme le suggère Michel Zink dans son Introduction de la version de Vienne. Anna Maria Babbi rappelle à ce propos que c’est aussi cette permanence du modèle George A. A. Kortekaas, Historia Apollonii Regis Tyri. Prolegomena, text edition of the two principal Latin recensions, bibliography, indices and appendices, Groninguen, Bouma’s Boekhuis, 1984. 9 

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narratif à avoir assuré le succès de l’Apollonius, « essendo egli stesso un insieme di motivi folklorici, il suo successo è in definitiva legato al fatto di narrare il già noto, elemento fondamentale per la comprensione di un testo »10. Mais, pourrait-on ajouter, également pour son utilisation. C’est en des termes à peu près analogues qu’Elizabeth Archibald analyse le succès du texte11. Cette mouvance du discours et en même temps une telle stabilité du modèle narratif sont constitutives de son succès. Elles le sont à un tel point que l’on est tenté parfois de traiter l’ensemble de la tradition comme un macrotexte. L’étude globale des modifications et des ajouts médiévaux, comme celle que propose ici Vladimir Agrigoroaei dans son Dossier, permet d’ailleurs de mettre en évidence les tensions épistémologiques auxquelles est soumis l’Apollonius. Elle met également en lumière, malgré les anachronismes volontaires et les bévues du traducteur, l’exceptionnelle continuité et contiguïté des structures de pensée et de narration qu’il y a entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge.

Structure narrative et intrigue Comme le montre la tradition manuscrite latine, l’Historia était étudiée dans les écoles à côté du roman d’Alexandre12. C’est même cette pratique qui explique sans doute la centaine de manuscrits que nous possédons du récit. Anna Maria Babbi souligne à ce propos comment la preferenza accordata alla forma romanzesca è il passaggio naturale da una ricezione scolastica a una ricezione più allar-

Anna Maria Babbi, « Per una tipologia della riscrittura : la ‘Historia Apollonii Regis Tyri’ e il ms. Ashb. 123 della Biblioteca Laurenziana », dans Vettori e percorsi…, op. cit., p. 181-198, ici p. 182. 11  « The secret of the success of the story of Apollonius seems to have lain in this indeterminate genre and lack of explicit motivation or moralization, the variable ratio of dungheap in the adventures of a Tyrian Everyman ». (Archibald, op. cit., p. 106.) 12  Archibald, op. cit., p. 217-233. 10 

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gata, complice ovviamente la lingua, ma anche una trasformazione radicale della funzione del romanzo13.

Mais cette notion de roman apparaît comme problématique, en particulier parce que le texte ne se définit comme tel à aucun moment, faisant même de son ancrage pseudo-historique un de ses piliers diégétiques et par là même une des raisons de son succès. La relative stabilité du modèle narratif, et somme toute de l’intrigue, semble montrer que l’Apollonius est davantage un folktale, un sorte d’exemplum anthropologique développé, ou, pour reprendre l’heureuse formule de M. Zink, un « roman volé »14. En analysant l’ensemble de la tradition de l’Apollonius, on se rend compte qu’en dépit d’une matière romanesque abondante et de contextes de rédaction, de traduction ou d’adaptation très différents, les dimensions du récit restent fondamentalement stables : indiscutablement plus proches de celles d’un récit bref que de celles d’un roman en vers ou en prose. Deux ou trois milliers de vers ou de lignes suffisent en général15 à raconter les pérégrinations d’Apollonius. Il n’en est pas autrement dans la version de Londres ici éditée. Cette brièveté du récit, et plus particulièrement des versions en prose, est surprenante, lorsqu’on pense à l’évolution du genre romanesque. On sait que le roman en prose se distingue du récit en vers par sa tendance à l’exhaustivité, parfois à la prolixité. Le refus de l’elliptique semble être une caractéristique de tous les récits en prose. Dans ces textes, la prééminence de l’instance narrative – qui s’exprime à travers le « primat de la prolepse »16 et une série de marqueurs énonciatifs – est un des signes d’un goût pour l’explicite, qui correspond à une nécessité esthétique : l’émergence d’une autorité différente de celle du texte d’origine. Babbi, art. cit., p. 191. Michel Zink, Apollonius de Tyr. L’inceste révélé et le roman volé, Cours du Collège de France, 2006. 15  L’adaptation italienne en vers d’Antonio Pucci, qui a connu un grand succès tout au long du Moyen Âge et au-delà, compte 2 304 vers. 16  Bernard Cerquiglini, La Parole médiévale, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981, p. 50. 13 

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« Επέρασε του Απολλωνίου τα Βάσανα » : ‘avoir connu les tribulations d’Apollonius’, récitait encore au début du siècle dernier un vieux dicton de l’île de Rhodes17. Mais ces pérégrinations ne donnent pas lieu à une nouvelle odyssée romanesque ; elles ne sont pas l’objet d’une amplification d’auteur. D’autant plus qu’une tentative subie de meurtre, un naufrage, l’accouchement périlleux de son épouse lors d’une deuxième tempête, la trahison de son prévôt et la rencontre hasardeuse avec sa fille dans un bordel constituent une série de péripéties notable mais ne font pas d’Apollonius un des personnages les plus infortunés que l’histoire du roman antique ou médiéval nous ait légués. Mais là n’est pas le problème. Si la roue de Fortune tourne au moins trois fois dans l’Historia, on ne peut pas dire que le récit en profite pour glisser vers d’autres pentes, que pourtant la tradition littéraire médiévale de l’entrelacement invitait à parcourir. S’il paraît naturel que les versions vernaculaires, qui se donnent comme des traductions plus ou moins fidèles de l’Historia Apollonii Regis Tyri, ne s’écartent pas trop de la version latine18, il est plus surprenant que les auteurs des adaptations vernaculaires de l’Apollonius, comme par exemple celle de Vienne, restent somme toute assez proches de la structure narrative de l’Historia Apollonii Regis Tyri. Un exemple parmi d’autres. Au moment où la première tempête surprend Apollonius dans sa fuite, en lui faisant perdre ses richesses, ses hommes et son bateau, on pourrait s’attendre à ce que ce renversement de situation – qui a frappé particulièrement Arnaut Guilhelm de Marsan, dans son Ensenhamen19 –, offre au compilateur le prétexte pour modifier le cours de l’histoire, en y greffant des récits d’épreuves qualifiantes, ou à valeur moralisante ou encore encyclopédique.

Cité par Francesca Rizzo Nervo, art. cit., p. 153. Mais la prétendue fidélité à l’original n’empêche pas les auteurs-translateurs des romans antiques d’ôter et d’ajouter selon leur goût et celui de l’époque des épisodes plus ou moins nécessaires et anachroniques, en révolutionnant parfois l’intrigue, jusqu’à le rendre quasi méconnaissable. C’est ce que montre clairement Vladimir Agrigoroaei dans les Commentaires de la présente édition. 19  Éd. Giuseppe E. Sansone, Bari, Adriatica Editrice, 1977, p. 111-180. 17  18 

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Comme on le sait, l’Historia nous dit, et cela dans pratiquement toutes ses versions, qu’Apollonius doit aller se cacher pendant quelques temps « ad Pentapolitanas Cyrenaerorum ». Soudainement, la tempête se lève, Neptune enrage et fait couler le bateau d’Apollonius, qui est le seul rescapé. Où échoue alors l’infortuné exilé ? Dans une île inconnue ? dans un lieu merveilleux ? chez un peuple mystérieux ? Par comble de chance diégétique et de malchance romanesque, Apollonius se retrouve au port de Cyrène, c’est-à-dire là où il était prévu que le héros et l’histoire échouent. Le vent qui tourne, la « mer demente » sont des images du monde, des figures de Fortune et de sa roue capricieuse, qui traditionnellement renverse la position du sujet, du héros. Ces modifications sont même des constantes de la peregrinatio du héros ; elles font partie de ce que Georges Molinié a appelé, en parlant du roman grec, la « manière antithétique du genre catastrophique »20. Aussi, aurait-on pu imaginer qu’Apollonius, à l’instar d’Ulysse, d’Énée ou de cet Alexandre le Grand dont le mythe est constamment à l’arrière-plan de l’histoire – et dans la version de Vienne en interférence directe – entreprenne un long voyage d’initiation et d’apprentissage, culturel, émotif, guerrier, politique. Il aurait pu ainsi rencontrer ces merveilles que la mer et le hasard réservent à ceux qui osent les défier. Rien de tout cela pour notre héros, qui plus encore que poursuivi par Fortune, semble être protégé par elle. Quoi de mieux pour un exilé “condamné à mort” que l’anonymat, plus ou moins bien gardé, dans une terre lointaine ? On pourrait en effet imaginer que s’il était parvenu à bon port avec tous ses hommes et son vrai nom, l’envie ou l’argent auraient pu le trahir et faire retrouver sa trace au tyran incestueux. Apollonius semble être un personnage immuable, qui possède d’emblée toutes les facultés du clerc et du chevalier parfaits : joueur de harpe sans égal, guerrier capable dans l’adaptation de Vienne de tuer dès sa première sortie un chevalier « faé » – le chevalier au dragon –, que le mythique Alexandre n’était pas parvenu à vaincre, jeune homme fatal sans passé et sans avenir… ApolloGeorges Molinié, Du roman grec au roman baroque, Toulouse, Publications de l’Université de Toulouse – Le Mirail, 1982, p. 195 sqq. 20 

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nius n’apprend rien lors de ses pérégrinations, parce qu’il sait déjà tout, mais également parce qu’il n’a pas cette soif de connaissance, cette démesure qui est la marque des véritables héros, y compris parce que peut-être les tribulations de l’Apollonius célibataire se limitent à une fuite précipitée et à un malheureux naufrage. Même l’amour semble être pour lui davantage une formalité à expédier – c’est sans doute ce qui explique le silence de la version de Vienne au sujet du mariage d’Apollonius avec la fille d’Archistrates mais également le peu d’attention et de mots que le traducteur de la version ici éditée réserve à la rencontre amoureuse entre Apollonius et la fille du roi Archistrates. L’amour paraît dans ce récit un seuil romanesque aussi inévitable que fastidieux. C’est ce manque de passion qui projette la perspective de l’inceste virtuel entre Apollonius et sa fille au premier plan de l’œuvre21. En dépit du nom et de la légende qui sont rattachés à son nom, notre naufragé semble être davantage un actant de son récit qu’un personnage doté d’une épaisseur psychologique, d’une subjectivité sentimentale, d’une destinée romanesque. Même la dimension du nostos, pourtant récurrente dans le roman de l’Antiquité, est absente de ces récits. Le changement partiel de patronyme qu’opère une fois de plus l’adaptateur de la version de Vienne semble prouver que le nom du héros est à la fois consubstantiel à l’exemplarité de l’histoire et anecdotique par rapport au statut narratif du personnage. Si l’on voulait s’amuser à jouer le rôle de Fortune, et une fois de plus être sévères avec le malheureux « jouvencel », on pourrait gloser son Historia en rappelant que si elle a connu la gloire des universités, si les auteurs médiévaux lui réservent quelques citations rapides et un pillage systématique, son personnage éponyme ne semble pas frapper l’imaginaire des poètes médiévaux. Dans ce “hit parade” poétique médiéval qu’est la Divine Comédie, Dante Dans Jourdain de Blaye, chanson de geste, qui à partir du v. 712 devient le roman de Jordain de Blaye-Apollonius, tellement le récit suit pratiquement à la lettre les moindres détails de la trame de l’Historia…, Jourdain retrouve sa femme Oriabel, qui vit à Palerme en recluse, avant de retrouver sa fille Gaudissette, prisonnière dans un bordel. La présence d’Oriabel désamorce tous les risques et malentendus inhérents à la situation. ( Jourdain de Blaye, Chanson de geste, éd. Peter F. Dembowski, Paris, Honoré Champion, 1991, v. 3491-3494.) 21 

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ne se souvient pas du pâle Apollonius. À côté du « roman volé » il y a également un mythe qui a échoué sur les rivages de la Pentapole, moins par la faute de Neptune que par l’excès de prudence narrative et rhétorique de ses translateurs. Ce caractère normatif et normalisé du héros, ou plus exactement d’un savoir de personnage qui semble déterminé par une diégèse immuable, semble avoir constitué un véritable garde-fou pour les compilatuers médiévaux qui ont copié, traduit ou réécrit son histoire. Que l’on pense aux gestes d’Alexandre, qui font aussi l’objet d’un enseignement universitaire22, et au nombre incroyable de romans et de développements auxquels elles donnent lieu tout au long du Moyen Âge, en particulier en langue d’oïl. Certes le mythe d’Alexandre semble se prêter beaucoup plus que l’histoire d’Apollonius à une glose et à une réécriture quasi infinies, mais ce n’est pas la matière romanesque qui fait défaut à l’Historia, indépendamment de la possibilité d’entrelacer différemment son histoire23. Or, lorsqu’on compare la tradition globale de l’Historia, c’està-dire les 36 versions complètes (29 vernaculaires et sept latines), on s’aperçoit que seule la version allemande rédigée par Heinrich von Neustadt à la fin du Moyen Âge, qui compte 20  644 vers, introduit après le départ de Tarse24, où le héros vient de laisser sa fille, une série d’aventures merveilleuses d’Apollonius : ses combats avec les géants Gog et Magog, ses trois différents mariages, la rencontre avec les prophètes Énoch et Élie, etc., avant de revenir au plot traditionnel25. 22  Nombreux sont les codices latins dans lesquels l’Historia se retrouve à côté des récits concernant les gestes du grand roi. 23  Le changement diégétique le plus important est sans doute celui qui se trouve dans une version associée à des récits folkloriques des Îles de Cos, qui semble à son tour fondée sur la version grecque du xvie siècle rythmique (Archibald, op. cit., p. 71). Ici, non seulement tous les noms des personnages sont changés, mais surtout l’intrigue est différente. (Cf. R. M. Dawkins, « Modern Greek Oral Versions of Apollonius of Tyre », Modern Language Review, 37, 1942, p. 168-184, ici p. 176184.) 24  Cf. Heinrich von Neustadt, Apollonius von Tyrland…, éd. S. Singer, Berlin, Buchhandlung, ”Deutsche Texte des Mittelalters”, 1906, p. 3-328, ici p. 50, v. 2905. 25  Ibid., p. 238, v. 14922. L’interpolation des voyages merveilleux d’Apollonius occupe donc plus de 12 000 vers, c’est-à-dire 60% du roman. Mais les 8 000 vers de

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Dans les autres 35 versions, qui s’étalent pourtant sur mille ans d’histoire littéraire, c’est l’esprit de conservation qui semble dominer et freiner les rédacteur, les traducteurs ou les adaptateurs26. S’il est vrai que les traducteurs médiévaux introduisent ci ou là des ajouts, comme le montre très bien Vladimir Agrigoroaei dans ses Commentaires, ceux-ci transforment partiellement le cadre culturel et éthique du récit, mais ils ne modifient pas de manière considérable l’intrigue et surtout ne confèrent pas au récit la dimension esthétique et psychologique de roman. L’Apollonius reste un récit bref. Il semblerait que les clercs médiévaux aient considéré donc ce texte moins comme une matière mythologique, sujette, par conséquent, à des expansions et à des interpolations, et encore moins comme une œuvre de l’Antiquité, soumise, donc, aux aléas de la translatio, que comme une sorte d’hypermotif historique, dont le secret de l’exemplarité résiderait dans la syntaxe narrative. Une telle histoire pouvait alors se prêter à des ajustements culturels, à des récupérations politiques partielles ; elle ne pouvait en aucun cas donner lieu à des développements narratifs, sous peine de modifier la structure figurative du motif, d’altérer un sens qui tiendrait davantage au modèle narratif qu’à l’intrigue ou au discours. C’est ce qui expliquerait le fait que la presque totalité des auteurs médiévaux qui ont travaillé aux différentes versions de l’Apollonius soient restés anonymes. Heinrich von Neustadt, Jacob Falckenburg et Antonio Pucci sont les seuls auteurs médiévaux connus parmi les vingt-neuf traducteurs ou compilateurs des versions vernaculaires médiévales recensées par Archibald27. Les autres noms d’auteurs connus sont ceux de clercs qui ont inséré l’Historia ou des parties résumées de celle-ci dans des compilations, tels Lambert de Saintla partie “traditionnelle” d’Apollonius constituent déjà une amplification importante par rapport aux 2 304 vers, par exemple, des Cantari d’Antonio Pucci. 26  E. Burgio parle à juste titre d’expansion du roman selon ses « linee potenziali » (Eugenio Burgio, « I ‘romanzi’ di Apollonio in Francia. Testi e codici nel Tardo Medioevo », dans Vettori e percorsi…, op. cit., p. 263-284, ici p. 276). Mais cette expansion n’est jamais amplifiée par le discours, de sorte que les interpolations semblent davantage des rubriques de nouveaux chapitres, que des narrations achevées. 27  Archibald, op. cit., p. 182-203.

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Omer dans son Liber Floridus, Geoffroy de Viterbe dans son Panthéon, John Gower dans cette Confessio Amantis dont s’est sans doute inspiré Shakespeare pour son Pericles, Prince of Tyre. La littérarité modeste d’une grande partie des versions vernaculaires – celle qui est ici éditée ne fait pas exception – est due en partie à ce manque d’intérêt des grands auteurs en prose médiévaux pour le sujet de l’Apollonius, et à une époque – la plupart des manuscrits français datent de la fin du xive siècle et du début du xve siècle – à laquelle l’anonymat ne constitue plus la pratique dominante chez les romanciers. Mais cette timidité narrative n’est pas la conséquence d’une absence de paternité littéraire. L’anonymat n’a pas empêché l’auteur de Perceforest ou de Ysaïe le Triste, ou encore de Cleriadus et Meliadice, pour ne citer que quelques-unes des grandes sommes romanesques de la fin du Moyen Âge, de composer ces romans aux dimensions monumentales. À quoi tient alors la brevitas de l’ensemble des versions de l’Apollonius, qui, exception faite pour la version de Heinrich von Neustadt, ne dépasse jamais la cinquantaine de feuillets28 et les cinq mille lignes  ? Il semblerait que la question soit en effet double : d’une part, le questionnement sur la stabilité diégétique du texte ; d’autre part, les interrogations sur une matière narrative, qui, malgré ses potentialités romanesques, ne donne pas lieu à un récit plus riche, plus approfondi.

La traduction française n° 5 comporte l’ajout de trois épisodes : le siège de Tarse par Antiochus, celui d’Antioche par Apollonius et les questions sur l’amour que Lucienne adresse à Apollonius. Les deux manuscrits qui l’attestent comptent entre 50 et 80 feuillets  : Br1 = Bruxelles, Bibliothèque Royale, 11097, f.  1r-79v, xve s. ; Br2 = Bruxelles, Bibliothèque Royale, 11192, f. 1r-52r, xive s. (Voir « Historia Apollonii regis Tyri », s. v. Claudio Galderisi, dans Translations médiévales : Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (xie-xve siècles). Étude et Répertoire, volume 2 (tome 1) : Le Corpus Transmédie, sous la direction de Claudio Galderisi, avec la collaboration de Vladimir Agrigoroaei, Turnhout, Brepols, 2011, vol. ii, t. i, p. 80-81.) 28 

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Brevitas et intrigue Comme un grand nombre de récits médiévaux, l’Historia présente des invraisemblances. Michel Zink a signalé dans les notes de son édition environ une vingtaine de passages qui prêtent à confusion ou qui sont clairement contradictoires. D’autres écarts logiques ont été relevés et discutés par la critique29. Il s’agit pour l’essentiel d’incongruités qui ne semblent pas gêner généralement le lecteur médiéval, et qui constituent selon Propp une des caractéristiques du conte folklorique30. C’est ce que suggère Archibald, lorsqu’elle affirme que « In this respect HA is much more like folktale than either a Hellenistic or a medieval romance »31. Or si l’on peut affirmer que le modèle narratif de l’Apollonius est constant, que sa fable l’est également, on ne peut pas soutenir que la structure diégétique du texte est celle d’une forme brève. Ce sont plutôt l’intrigue et le discours32 qui ne montrent pas de signes d’une véritable amplificatio. On ne peut pas parler à propos de l’Apollonius de la tentation de l’encyclopédisme typique du roman grec, de ce goût de la greffe scientifique ou de la paradoxographie33, que l’on retrouve dans ces récits. La stabilité narrative de l’Apollonius n’est pas consubstantielle à son origine grecque34, elle semble liée surtout à une syntaxe narrative qui a dû apparaître à l’auteur médiéval comme constitutive de sa senefiance. D’autre part, l’en29  Cf. Alain D. Deyermond, « Motivos folklòricos y tècnica estructural en el Libro de Apolonio  », Filologìa, xiii, 1968-1969, p.  121-149, et Archibald, op. cit., p. 63-80. 30  Vladimir Propp, Morphologie du conte, trad. par Marguerite Derrida, Tzvetan Todorov et Claude Kahn, Paris, Seuil, 1970, chap. 2, n. 28. 31  Archibald, op. cit., p. 71. 32  Je reprends ici la distinction entre histoire et récit, avec les quatre catégories narratives de modèle narratif, plot, intrigue et discours, proposées par Cesare Segre. (Le Strutture e il tempo, Torino, Einaudi, 1974, chap. I.) 33  Cf.  A. Westermann, Paradoxographi graeci, éd. par A. W. Braunschweig, Amsterdam, Hakkert, 1963. 34  Cf. Thomas Hägg, The Novel in Antiquity, University of California Press, 1983, Massimo Fusillo, Il romanzo greco. Polifonia ed eros, Venezia, Marsilio, 1989, Le Monde du roman grec, Actes du colloque international tenu à l’École normale supérieure, Paris 17-19 décembre 1987, éd. Marie-Françoise Baslez, Philippe Hoffmann, Monique Trédé-Boulmer, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1992.

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trelacement, qui est un mode narratif constitutif du genre romanesque médiéval, est pratiquement absent de l’Apollonius. Or si la quantité n’est certainement pas un critère de jugement esthétique, si l’amplification peut se traduire par l’ajout ou le changement d’un simple nom propre, qui est souvent un texte tout entier, si d’une version à l’autre nombreuses sont les différences de détail – et les Commentaires en mettent ici en lumière un certain nombre –, cette mouvance contrôlée souligne, me semble-t-il, encore plus la retenue des auteurs. Le traducteur médiéval perçoit sans doute cette capacité de résistance d’Apollonius aux coups du sort à la fois dans sa portée historique et symbolique. Toute interpolation de nouveaux épisodes pourrait alors nuire à la fois à la vraisemblance et à la semblance de ce que Pioletti appelle la « struttura viatorica »35 du récit, du chemin de croix d’Apollonius. C’est ce qui semblerait prouver la description d’une copie perdue de l’Apollonius que signale le catalogue de la bibliothèque de Lanthony. L’histoire y est définie comme « passio Apollonii regis Tyri »36. Ce respect d’une structure chargée de sens et de symboles est sans doute à l’origine du « roman volé », de son omniprésence évanescente. L’Apollonius a dû apparaître aux compilateurs médiévaux davantage comme un mémento historiographique, un miroir des princes écrit par l’Histoire même, un « roman du destin » comme l’a défini Michel Zink, que comme un texte littéraire à écrire ou à réécrire. C’est sans doute cette tension du récit qui justifie l’insertion de l’Apollonius dans des manuscrits à visée moralisante37. 35  Antonio Pioletti, «  La struttura viatorica nell’Apollonio di Tiro  », dans Vettori e percorsi… L’Apollonio di Tiro nelle letterature euroasiatiche dal Tardo-antico al Medioevo, op. cit., p. 167-180, ici p. 179. 36  E. Burgio, art. cit. p. 276. Attilio Motta a parlé à ce propos de « genere costitutivamente mediano [che] consente all’Apollonio quelle che si chiamerebbero, in chimica, differenti valenze  ». («  Per i Cantari di Antonio Pucci. A margine di un’edizione dell’Apollonio di Tiro », Lettere Italiane, 4, 1998, p. 554-565, ici p. 561). Le Manuscript Context des Cantari est très riche et montre son extrême versatilité anthologique. Il est intéressant de souligner le fait que les Cantari, tout comme plus généralement l’Apollonius, sont systématiquement insérés dans des codex anthologiques – seul le ms. Firenze, Biblioteca Riccardiana, 2869/1 ne contient que l’Apollonio di Tiro – ; cela est en soi une preuve de la nature brève de ces récits, de leur manque d’autonomie codicologique. 37  E. Burgio souligne comment l’analyse du Manuscript Context permet de constater  «  la distinzione tra “ letture romanzesche” e letture “morali”  » (ibid.,

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Brevitas et concentration Mais si la symbolique de l’intrigue apparaît comme consubstantielle à l’exemplarité de l’Historia, le travail de l’adaptateur médiéval aurait pu s’exercer sur la narration et se traduire par une amplification des épisodes structurant l’histoire. On sait que l’inventio garantit à l’auteur vernaculaire un véritable mode d’affranchissement des canons antiques, et que l’amplificatio, qui est un des procédés de la narratio, assure un espace de subjectivité littéraire, et rend compte des mouvements de la pensée et du style38. Là aussi, d’une version à l’autre, on remarque une extraordinaire stabilité du temps du discours et du temps du récit. Les mêmes épisodes sont racontés avec la même quantité de mots, lorsque ce n’est pas avec les mêmes mots  ; en aucun cas ils ne donnent lieu à des amplifications remarquables – les lacunes sont plus à imputer à des erreurs des copistes ou à des problèmes de conservation des manuscrits qu’à des choix des traducteurs. Cette brevitas est moins une brièveté discursive qu’une véritable concentration narrative, selon le principe de la rhétorique antique. Les poéticiens médiévaux recommandent la brièveté dans la narratio, mais les auteurs en prose vernaculaire semblent avoir été très peu sensibles à cet art de la brevitas39. En revanche, dans l’Apollonius il n’y a aucune trace de ce que les Grecs appelaient l’αύξησις40, c’està-dire l’amplification par le haut, l’élévation du sujet ; aucun signe de dilatation du sujet, au sens d’amplification diégétique, horizontale, du sujet41. Il y a tout au plus dans quelques-unes des versions vernaculaires, dont celle de Vienne, des répétitions embarrassées, comme celles concernant le voyage d’Apollonius en Éthiopie ou l’arrivée du protagoniste à Tarse, racontées deux fois, mais elles p. 275). 38  Edmond Faral, Les Arts poétiques du xiie et xiiie siècles, Paris, Honoré Champion, 1924, p. 47-55. 39  Cf. Ernst Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, trad. Jean Bréjoux, Paris, PUF, 1956, p. 771-782. 40  Cf. Walter Plöbst, Die Auxesis. Studien zu ihrer Entwicklung und Anwendung, Inaugural-Dissertation…, München, Buchdruckerei C. Wolf, 1911. 41  Curtius, op. cit., p. 779.

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semblent davantage la conséquence d’une inadvertance ou de la grande désinvolture stylistique du traducteur-compilateur, que la trace d’un color rhetoricus, d’une intention d’orner le récit. Il est difficile de les considérer comme des exemples de récits parallèles tendant à l’amplification pathétique. Pourtant le récit est ponctué de blancs narratifs qui ne demandent qu’à être remplis, selon ce goût de l’explicite, cette esthétique de l’exhaustivité, que j’évoquais plus haut. On pourrait multiplier les exemples, je me contenterai d’en évoquer quelques-uns. Le partage de la pauvre robe du pécheur qui a recueilli Apollonius, écho évident du geste de saint Martin, est raconté en quelques lignes, alors qu’il aurait pu se prêter à une glose moralisante sur les bienfaits de la charité. Lorsque la fille du roi de Cyrène demande à Apollonius de lui raconter ses aventures, les traducteurs auraient pu saisir l’occasion pour introduire un récit du naufragé, un regard introspectif sur ses heurs et malheurs. Apollonius aurait pu, par exemple, raconter des aventures que le lecteur ignore encore, ou plus simplement amorcer un de ces récits-résumés, dont les romans médiévaux ont le secret, et dont la fonction utilitaire est évidente : rappeler aux lecteurs distraits les épisodes précédents du récit. La plupart des compilateurs se contentent d’un constat déceptif, en soulignant la tristesse d’Apollonius se remémorant ses infortunes. Ici la concision, mimétique de la déclaration laconique d’Apollonius dans l’Historia (« Si nomen quaeris, Apollonius sum vocatus ; si de thesauro quaeris, in mare perdidi »42) va même à l’encontre de la vraisemblance romanesque, puisque si Apollonius a raconté à la fille du roi ses aventures, elle est alors au courant de son identité et le stratagème de l’anonymat n’a plus lieu d’être. Le traducteur de la version de Londres est d’ailleurs obligé de feindre la distraction de la fille du roi, pour que le stratagème romanesque de l’anonymat ne devienne pas inutile.

George A. A. Kortekaas, The Story of Apollonius, King of Tyre. A study on its Greek origin and an edition of the two oldest Latin recensions, Leiden-Boston, Brill, 2004, RA 15, p. 136, l. 15-17. 42 

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Plus généralement, c’est tout l’épisode du séjour à Cyrène qui est déceptif sur le plan du discours. Notre traducteur aurait pu amplifier dans une perspective courtoise l’innamoramento de la fille du roi, ou nous montrer, pourquoi pas, les troubles du jeune Apollonius, qui en est d’après le récit à sa première expérience amoureuse. On pourrait une fois encore multiplier les exemples43. Je préfère m’arrêter quelques instants sur un des rares ajouts qu’ait connus l’histoire d’Apollonius dans ses versions françaises. Dans la version de Vienne, au début du récit, Apollonius est mené par les envoyés d’Antioche affronter un chevalier mystérieux, qui a su défaire tous les chevaliers d’Alexandre et qui tient le grand roi en échec. Une fois de plus, le récit est expédié en quelques mots. Apollonius vainc sans trop de peine, donc sans trop de mérite, le terrifiant chevalier au dragon. Cette rapidité est d’autant plus surprenante que cette interpolation devait servir dans une perspective chevaleresque à prouver d’emblée la valeur guerrière du jeune bachelier : à faire de ce joueur de harpe un nouveau Tristan. Le combat avec un chevalier au dragon est bien entendu un motif, mais qui n’a pas laissé beaucoup de traces dans le folklore indoeuropéen, et dont les occurrences connues relèvent de la littérature française médiévale. Elles sont au nombre de deux. La première occurrence du motif se trouve dans la Continuation Perceval de Gilbert de Montreuil. Ici, Perceval parvient à La description du coffre dans lequel Apollonius fait mettre ce le cadavre de la fausse morte occupe dans la traduction littérale de l’Historia trois lignes. À titre de comparaison, dans le Conte Floire et Blancheflor, récit par certains aspects proche de l’Apollonius, la description du cénotaphe, dans lequel les parents de Floire lui font croire avoir enterré Blancheflor, s’étend sur une quarantaine de vers et donnant lieu à une véritable ekphrasis (cf. Le Conte de Floire et Blancheflor, éd. JeanLuc Leclanche, Paris, Honoré Champion, 1983, p. 33-34, v. 553-588.). On pourrait objecter qu’en pleine mer et pressé par les événements, Apollonius ne peut pas avoir recours à des artisans capables de fabriquer un objet d’art, mais le narrateur aurait pu, par exemple, amplifier la description de la beauté du visage de la jeune épouse – comme c’est le cas dans pratiquement tous les romans idylliques. Dans Jordain de Blaye, lors d’une tempête, le jeune Jourdain-Apollonius est obligé par les marins d’abandonner sa femme Oriable, qui vient d’accoucher, dans « scring », une caisse de bois, car « mers ne sueffre arme qui navré fust ». ( Jourdain de Blaye, éd. cit., v. 2157, et v. 2222-2228).  43 

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vaincre le chevalier au dragon, en tuant le dragon et en réussissant même à convertir le chevalier possédé par l’Ennemi. La seconde, quasi identique à celle de l’Apollonius, est dans le Perlesvaus. Le motif littéraire du combat contre un dragon ou un être monstrueux date de l’Antiquité (Persée, Hercule, etc.). Il acquiert une dimension chrétienne et hagiographique avec Jacques de Voragine, qui, dans La légende dorée, met en scène le combat de saint George contre le dragon. Ce motif semble être inspiré du récit mythologique de l’égide, que Zeus donne à Athéna. Il s’agit, comme on le sait, d’une cuirasse faite avec la peau de la chèvre Amalthée et qui porte en son centre la tête de la gorgone Méduse. La description la plus célèbre se trouve dans l’Iliade 44. Mais ce qu’il paraît intéressant de souligner c’est qu’alors même que l’adaptateur, ou le poème en vers qu’il a pu dérimer, ajoute une épreuve glorifiante, qui installe d’emblée Apollonius au-dessus du mythique Alexandre, la brièveté embarrassée révèle le caractère parenthétique de l’interpolation et souligne par contraste la tendance centripète du squelette diégétique original. Chez Gerbert de Montreuil, le récit du même épisode compte plus d’un milliers de vers45, c’est-à-dire, compte tenu de l’amplification syntaxique que comporte la mise en prose, environ la moitié de tout l’Apollonius.

« Autour de ses épaules, elle jette l’égide frangée, redoutable, où s’étalent en couronne Déroute, Querelle, Vaillance, Poursuite qui glace les coeurs et la tête de Gorgo, l’effroyable monstre, terrible, affreuse, signe de Zeus porte-égide  ». (Homère, Iliade, éd. Paul Mazon, avec la collaboration de Pierre Chantrain, Paul Collart et René Langumier, Paris, Les Belles Lettres, 1937, lib. v, p. 142, v. 738-742.) 45  Gerbert de Montreuil, La Continuation de Perceval, éd. Mary Williams, Paris, Honoré Champion, “CFMA”, 3 tomes, 1922, 1925, 1975, t. ii, p. 72, v. 896010015. Dans Jourdain de Blaye, le jeune Jourdain-Apollonius doit affronter un puissant chevalier sarrasin, figure du démon, qu’il cherche à l’instar de Perceval dans la Continuation de Gerbert de Montreuil de convertir à la religion chrétienne ( Jourdain de Blaye, éd. cit., p. 61, v. 1875-1878). 44 

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L’auteur du Perlesvaus se souvient de cette légende – mais également du combat de Tristan avec le Morholt – lorsqu’il décrit l’affrontement entre Perlesvaus et le Chevalier au Dragon Ardent46 : Il voit le Chevalier al Dragon monté. Il l’esgarda a merveille, por ço qu’il estoit si grans : onques mes n’avoit veü home de si grant corsage. Il vit l’escu a son col qui molt estoit grans, noirs et hideus. Il voit la teste del dragon en mi qui gete fu et flame a grant esploit, si laide et si orrible que tote la champaigne en put47.

Le combat tourne à la faveur de Perlesvaus, non sans mal pour le héros, qui est blessé : Perlesvaus voit la teste del dragon dont la teste estoit grans et large et orrible. Il l’avisse de s’espee et li bote el palais la dedenz al plus droit que il onques poet et la teste del dragon gete un si grant cri que tote la chamapigne et la forest en retentist dusc’a .ii. liues galesches. La teste del dragon se torne vers son saignor par grant aïr, si l’art et broïst tot en porre, et la teste del dragon en part aussi comme esfoudres vers le ciel48.

Comme on peut le constater, l’adaptateur de Vienne semble s’inspirer du Perlesvaus49. Mais pour la énième fois, là où l’auteur 46  Le motif est répertorié par Stith Thompson (Motif-Index of Folk-Literature, Copenhagen, Rosenkild and Bagger, 6 vol., 1956 : B.11.1.4 “Devil in form of Dragon” ; 303.8.10 “Devil in dragon’s head on a shield is expelled by a knight”, qui donne comme unique référence les deux romans du Graal. Ce sont les mêmes références que l’on retrouve dans le Motif-Index de Anita Guerreau-Jalabert (Index des motifs narratifs dans les romans arthuriens français en vers (xiie-xiiie siècles), Genève, Droz, “Publications romanes et françaises”, 1992, p 23. p.  87). Il est en revanche absent des autres répertoires des folkloristes. 47  Le Haut Livre du Graal. [Perlesvaus], éd. Armand Strubel, Paris, Le Livre de Poche, “Lettres Gothiques”, 2007, p. 652-654. 48  Ibid., p. 658. 49  Il semble probable, étant donné la diffusion limitée de ce motif, que l’auteur de la version de Vienne de l’Apollonius a connu le Perlesvaus, ce qui offre déjà un témoignage intéressant sur ses goûts romanesques. En revanche, l’histoire de la tradition manuscrite ne permet pas de savoir lequel des deux témoins intégraux du Perlesvaus parvenus jusqu’à nous a pu servir de modèle à l’adaptateur incon-

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anonyme du Perlesvaus, qui pourtant avait déjà ramassé le récit, raconte le combat sur plus d’une centaine de lignes, le compilateur inconnu fait encore plus bref, en racontant l’exploit exceptionnel d’Apollonius, qui n’a pourtant d’après l’histoire que treize ou quatorze ans, en une trentaine de lignes. Et alors même que l’épisode se prêtait à une moralisation dans une perspective chrétienne de la victoire d’Apollonius50. Notre récit semble résister, donc, globalement à la tendance à l’anachronisme, qui est pourtant à l’origine même de l’écriture romanesque, de la mise en roman. Ce n’est donc pas la matière romanesque, ce que Michel Zink a appelé la « chair du récit », qui fait défaut à l’Apollonius, c’est l’opus qui n’y joue qu’un rôle subalterne. La concision n’est pas ici un idéal stylistique, une garantie contre le tedium qui guette le lecteur, une virtus dicendi, comme c’est le cas dans la plupart des récits brefs français de la fin du Moyen Âge, qui finiront par alimenter la littérature de colportage au xvie siècle51. Elle est l’expression d’une nu. Cette référence pourrait corroborer l’hypothèse de Maurice Delbouille, qui croyait que les détails absents de l’Historia et présents dans l’adaptation de Vienne dérivaient directement du poème en vers du xiie siècle. (Cf. Maurice Delbouille, « Apollonius de Tyr et les débuts du roman français », dans Mélanges Rita Lejeune, Gembloux, Duculot, 1969, p. 1171-1204 ; M. Zink, op. cit., p. 48-50.) Si tel était le cas, ce serait plutôt l’Apollonius qui aurait pu servir de modèle à Gerbert de Montreuil et à l’auteur anonyme du Perlesvaus. 50  Perceval qui se bat contre l’Ennemi est déjà une figure du Christ, qui aurait pu inspirer l’adaptateur de Vienne. (Cf. Jean Larmat, « Perceval et le chevalier au dragon : la croix et le diable », dans Le Diable au Moyen Âge (doctrine, problèmes moraux, représentations), 3e colloque du CUER-MA. Aix-en-Provence, 3-5 mars 1978 Senefiance, 6, p. 293-305 ; Susan Purkart, « The Perlesvaus : a literary study », p. 38, cité dans Thomas E. Kelly, “Le Haut Livre du Graal : Perlesvaus”. A structural study, Genève, Droz, 1974, p. 105 sqq. 51  Il faut aussi remarquer que cette concision n’est pas due à un effet de mode, elle est consubstantielle à toutes les versions vernaculaires – à l’exception de celle d’Heinrich von Neustadt – mais aussi latines de l’Apollonius. Elle traverse les siècles et les langues. Les romans brefs français de la fin du xve siècle, en revanche, non seulement se fondent sur une matière romanesque moins riche et moins dense, mais ils n’ont pas la même circulation géographique et temporaire que l’Apollonius. Ces romans brefs, dont la pénétration est très limitée aussi bien sur un plan linguistique que culturel, ne peuvent pas être comparés à un récit comme l’Apollonius, dont la tradition manuscrite peut rappeler celle de l’histoire d’Alexandre. À la rigueur, la brièveté de l’adaptation française du xve siècle pourrait être expliquée par un effet

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densité signifiante de la matière, de ce que Geoffroy de Vinsauf appelle le « purum corpus materiae »52, c’est-à-dire de ce qui doit être dit, et que l’ornatus verborum, où s’illustre l’auteur, ne peut que voiler, désarticuler, rendre inaudible. La brevitas consubstantielle à l’Apollonius est cette virtus narrationis que la sémiotique appelle intentio operis.

Exemplum et esthétique romanesque Le Manuscript Context peut sans doute contribuer à éclairer en partie cette particularité de l’Apollonius. La version contenue dans le manuscrit de Londres, Chronique et histoire des merveilleuses aventures, est précédée d’un roman du xve siècle, dont la structure narrative n’est pas sans rappeler celle de notre récit : Cleriadus et Meliadice. L’exemplaire de l’incunable Garbin qui se trouve au Musée Dobrée à Nantes est relié avec Ponthus et Sidoine53, le roman dont s’inspire Cleriadus et Meliadice54. Dans ces deux romans, la roue de Fortune tourne à plusieurs reprises pour les héros. On y retrouve un grand nombre de motifs narratifs présents dans l’Apollonius55, et surtout le thème de la mésalliance apparente, propre de mode. Mais, par delà le fait que les romans longs sont tout aussi nombreux au xve siècle que les romans courts, la version de Vienne présente une matière romanesque qui est beaucoup plus riche que celle souvent monothématique de ces récits brefs. Il faut aussi remarquer que la brièveté de ces récits, par exemple ceux de Richars li biaus ou de Robert le Diable, pour ne citer que deux romans dont les enjeux concernant la filiation et la parenté sont proches de ceux de l’Apollonius, se concrétise en un nombre de vers (respectivement 5 450 et 5 078 octosyllabes), qui représente le double, par exemple, de ceux des Cantari de Pucci. 52  Faral, éd. cit., p. 271, § 30. 53  Dans les codices anthologiques, Ponthus et Sidoine est souvent accompagné de récits moralisants. (Cf. Ponthus et Sidoine, éd Marie-Claude de Crécy, Genève, Droz, 1997, p. vii-xxxvi.) 54  Ibid., p. xxxiv. 55  Michel Zink a souligné comment le motif du saignement du nez, présent dans la version de Bruxelles, se retrouve aussi dans Cleriadus et Meliadice. (Zink, op. cit., p. 21). Sur la question des motifs littéraires dans ce roman, je me permets de renvoyer à mon article, « Cleriadus et Meliadice. Une chronique de motifs littéraires du Moyen Âge », Vives Lettres, 8, 1999, p. 85-97.

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du roman idyllique. Cleriadus, en particulier, est organisé en 45 chapitres, c’est-à-dire six de moins que les 51 parties que compte l’Historia – notons que le traducteur de la version de Londres ne semble pas ignorer l’articulation en chapitres de la source latine. Mais le roman français se développe sur 209 feuillets56, c’est-à-dire environ huit fois plus que ceux qu’occupe la version de l’Apollonius qui est ici éditée57. Ce rapprochement, d’autant plus significatif que les autres témoins de Cleriadus et Meliadice ne contiennent pas d’autres textes58, entre deux récits à la structure diégétique si similaire et à l’intrigue si différente nous offre peut-être une clé d’interprétation non pas de l’horizon d’attente de l’Apollonius mais plutôt de sa charge didactique et symbolique59. Fatigué sinon lassé par l’interminable récit des aventures de Cleriadus et Meliadice, le lecteur médiéval peut retrouver dans l’Apollonius qui les suit à la fois un épitomé et une glose de cellesci : un accessus non pas au texte, mais à la leçon qui émane du récit de l’impondérable de la vie, de l’arbitraire de la roue de Fortune. En parlant de l’axe signifiant du récit, Eugenio Burgio a voulu analyser l’opposition entre Archistrates et Antioche comme le véritable axe paradigmatique du roman : « la vera ossessione del London, British Library, ms. Royal 20 C II, f. 1-209. Ibid., f. 210r-236r. Un résumé de la trame de l’Apollonius occupe environ une demi-heure, soit 25% environ du temps de lecture à voix haute de tout le récit. À titre de comparaison, la lecture de l’analyse que Gaston Zink propose dans l’Introduction de son édition de Cleriadus et Meliadice, qui ne se limite pas seulement à résumer l’intrigue du roman, ne dépasse pas les 20 minutes, c’est-à-dire 3% environ du temps de lecture globale. 58  Cf.  Cleriadus et Meliadice, éd. Gaston Zink, Paris-Genève, Droz, 1984, p. ix-xiv. 59  Dans l’article cité, Burgio met en évidence deux typologies d’insertion de l’Apollonius dans les codex : un contexte “chevaleresque”, qui serait témoigné par le manuscrit de Londres ainsi que par le codex de Bruxelles, Bibliothèque Royale 9632-9633, f. 138r-167v, où l’Apollonius est aussi précédé par un autre roman idyllique du xve siècle, le Paris et Vienne de Pierre de La Cépède (f. 1r-136v), qui n’est jamais associé ailleurs à d’autres textes (cf. Babbi, art. cit., p. 191) ; et un contexte didactique et moralisant, qui est attesté par trois témoins : Chantilly, Musée Condé, 497 [ancien 1576], f. 84-142 ; Chartres, 419, f. 49r-61v ; Paris, BnF, fr. 20042, 25v50v. (Cf. Burgio, art. cit., p. 267-270). Mais ces deux réceptions médiévales ne me paraissent pas contradictoires, elles me semblent au contraire justifiées à la fois par la brevitas du récit et par son caractère stéréotypique. 56  57 

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romanzo è la relazione tra (uso della) sovranità e (uso delle) relazioni di parentela »60. Il est indiscutable que bien plus qu’un roman idyllique l’Historia è « a romance of travel »61 ; mais il est encore plus un récit où l’exemplarité de la diégèse s’oppose au romanesque du discours, qui se fonde sur l’entrelacement de récits et de lectures, sur la multiplicité des points de vue, sur la caractérisation des personnages, sur l’écriture interstitielle. Cette exemplarité est beaucoup moins dans les plis de l’histoire que dans la saturation du romanesque par la symbolique du fatuum provoqué. Le thème de l’inceste joue ce rôle de fixation narrative du symbolique. Non pas l’inceste en tant que crime contre nature, dû à une malédiction des Dieux travestie en hasard, en malentendu, comme dans Œdipe, mais l’inceste en tant que symbole de la folie suprême que l’abus de la fonction royale peut favoriser, provoquer ou excuser.

Devinette et noyau symbolique Dans ce sens la complexité de la devinette qu’Antioche pose à Apollonius, son opacité également, est symbolique de cette incompressibilité diégétique, de cette prégnance diégétique62. Le fait que l’énigme nous est parvenue sous différentes formes63, ou même que sa formulation directe a été omise par exemple dans la version de Vienne, témoigne de sa complexité formelle, qui est Ibid., p. 275. Le traducteur/copiste de la version de Londres confond par ailleurs les deux noms (cf. infra f. 227ra). 61  Archibald, op. cit., p. 32. 62  Je reprends ici une partie des éléments que j’ai présentés dans mon étude de l’ensemble des versions de la devinette. («  La tradition médiévale de la devinette d’Antiochus dans les versions latines et vernaculaires de l’Apollonius de Tyr : textes, variantes, classification typologique, essai d’interprétation », dans « Qui tant savoit d’engin et d’art » : Mélanges de philologie médiévale offerts à Gabriel Bianciotto, éd. Claudio Galderisi et Jean Maurice, Poitiers, CÉSCM, “Civilisation Médiévale”, 16, 2006, p. 415-433.) 63  RA : « Audi ergo questionem : Scelere uehor, maternam carnem uescor, quaero fratrem meum, meae matris uirum, uxoris meae filium  : non inuenio  »  ; RB 4  : « Audi ergo quaestionem : Scelere ueor, maternam carnem vescor, quaero fratre[m] meum, matris meae filium, uxoris meae uirum, nec inuenio ». (Kortekaas, éd. cit., 1984, p. 282, str. 4, l. 10-12 et p. 283, str. 4, l. 13-15). 60 

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une conséquence de sa relative longueur. Cette complexité semble être une particularité des devinettes énoncées à la première personne64, dans lesquelles la subjectivité grammaticale voile l’exemplarité. Les devinettes généalogiques, dont semble faire partie celle de l’Apollonius, se fondent souvent sur un « je » impersonnel accompagné d’un présent de vérité générale. Dans le cas de l’Apollonius, la complexité structurelle de la devinette généalogique serait doublée d’un changement d’énonciateur, puisque c’est le père qui expose l’énigme et non pas sa fille. Cette difficulté a été sans doute perçue par les auteurs médiévaux ; elle a été résolue par Shakespeare dans Pericles, Prince of Tyre en remplaçant l’énonciateur : c’est la fille qui apparaît sur scène juste à temps pour poser la devinette. Mais ce n’est pas seulement la construction énonciative et la complexité de l’énigme qui a dû gêner les auteurs médiévaux, c’est aussi sinon surtout l’incompréhensibilité apparente de l’énigme, et cela quelles que soient ses formulations par rapport aux faits narrés dans l’Historia. À la suite d’Apollonius et de sa réponse sans hésitations, les auteurs médiévaux ont été tentés de faire coïncider le contenu de la devinette avec ce que l’Historia a révélé sur la relation incestueuse entre Antioche et sa fille. Mais une devinette est d’abord un test d’intelligence, qui doit confirmer la supériorité du locuteur sur l’interlocuteur, ou, en cas de solution, celle de celui-ci sur le premier, selon le respect (ou pas) du contrat qui a été passé entre locuteur et interlocuteur. Or ce n’est pas seulement le contenu de la devinette qui est problématique et apparemment incongru, ce sont également sa forme et sa structure qui sont ici inhabituelles.

64  Dans le ms. de la Bibliothèque du Musée Condé de Chantilly, 654, il y a parmi les 523 devinettes citées, une vingtaine d’énigmes énoncées à la première personne – je n’ai pas retenu celles où le « je » introduit la demande. Elles sont presque toutes – exception faite pour le n° 207 et le n° 208 – à la fois les plus longues et les plus complexes du recueil. (Cf. Devinettes françaises du Moyen Âge, éd. Bruno Roy, dans Cahiers d’Études Médiévales, 3, Montréa1, Bellarmin, Paris, Vrin, 1977 : n° 8, 19, 31, 32, 46, 82, 107, 136, 147, 162, 168, 186, 187, 194, 199, 207, 208, 268, 269, 295, 305, 319, 320, 331.)

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En réalité, le brouillage entre l’un et l’autre est produit essentiellement par la réponse qu’apporte Apollonius. Après avoir déduit que le contenu de la devinette concerne un inceste entre un père et sa fille, Apollonius accomplit ce que les sémioticiens appellent une méta-abduction. Il fait alors coïncider son interprétation du texte de la devinette avec la réalité dans laquelle il se trouve. Cette opération, qui a été légitimée par anticipation par le narrateur, se fonde sur une identification arbitraire entre le « je » du locuteur et celui impersonnel ou neutre de la devinette. Cependant, si l’on reprend la devinette et on la replace dans le cadre d’un test d’intelligence, d’un rapport de forces entre un locuteur et son ou ses interlocuteur(s), sans céder à la tentation d’en faire d’emblée un abrégé métaphorique de l’Historia, du moins telle qu’elle est explicitée, l’énigme possède du fait même de sa complexité une cohérence, que l’opacité apparente de l’imbroglio généalogique ne fait que renforcer. En lisant cette devinette dans un recueil d’énigmes, nul doute qu’elle identifierait le protagoniste d’un double inceste : celui d’abord d’un fils avec sa mère, puis un deuxième de ce même fils avec sa fille/sœur. Le motif du double inceste n’est pas très courant dans la littérature de l’Antiquité tardive et médiévale, mais on en rencontre un certain nombre d’exemples65 dans les légendes : celles de Grégoire et de Juda ou dans les nouvelles de la fin du Moyen Âge et de la moitié du xvie siècle. La formulation qui apparaît dans la version

65  Cf. Frederic C. Tubach, Index exemplorum. A handbook of medieval religious tales, Helsinki, Suomalainn Tiedeakatemia, 1981, n°  2375 (Gregory, romance of ), 2732 (Incest, father with daugther), 2733-2736 (Incest, mother and son) 2846 ( Judas abandoned by parents). On le retrouve aussi dans le Motif-Index de Thompson (Q541.3) et dans le Types… de Aarne et Thompson (n° 933 Gregory on the Stone). Cf. aussi, Alessandro D’Ancona, La Leggenda di Vergogna e la Leggenda di Giuda, Bologna, Gaetano Romagnoli, 1869, et Anita Guerreau-Jalabert, « Grégoire ou le double inceste. Le rôle de la parenté comme enjeu (xiie-xixe s.) », dans Réception et identification du conte depuis le Moyen Âge, Actes du colloque de Toulouse, janvier 1986, éd. Michel Zink et Xavier Ravier, Toulouse, Service des Publications, 1987, p. 21-49 ; Elizabeth Archibald, Incest and the Medieval Imagination, Oxford, Clarendon Press, 2001, p. 107-144).

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RA de l’Historia se retrouve quasi à l’identique dans un certain nombre d’épitaphes médiévales66. Une fois la devinette insérée dans l’Historia, une telle solution paraît incongrue, simplement parce que le récit ne nous dit rien sur la femme d’Antioche, si ce n’est que la conduite du régent l’inquiète beaucoup, et que sa fille lui ressemble énormément. L’Historia n’interdit donc pas explicitement d’imaginer que le forfait d’Antioche avec sa fille n’est pas le premier acte incestueux qu’il ait accompli. Mais celle de la vraisemblance romanesque de la devinette est une fausse question, celle-là même qui a poussé Apollonius à une identification arbitraire entre les deux « je », fondée sur une connexion entre les idées et les choses. Antioche peut être un père incestueux et poser en même temps une devinette qui ne concerne que partiellement son inceste. Sa faute serait ainsi voilée par un crime encore plus terrible, mais surtout plus difficile à décrypter. Le choix d’une devinette sur l’inceste de la part d’Antioche a été analysé comme une sorte de pulsion à s’autoaccuser. Après tout, il aurait pu choisir une énigme quelconque, comme celle assez obscure sur Caïn et Abel. En revanche, le choix d’une énigme qui ne dit la vérité qu’à moitié (voire une autre vérité) permet au locuteur de cacher le crime aux yeux d’autres auditeurs moins habiles ou moins enclins qu’Apollonius à des conjectures infaillibles. Il lui permet également d’accuser le “détective” Apollonius de n’avoir pas répondu

66  Dans ses Antiquités nationales, Aubin-Louis Millin raconte qu’au milieu de la nef de l’église collégiale d’Econis on pouvait lire l’inscription suivante : Ci git l’enfant, ci git le père Ci git la soeur, ci git le frère, Ci git la femme et le mari, Il ne sont que deux corps ici. (Antiquités nationales ou recueil de monuments pour servir à l’histoire générale et particulière de l’Empire françois, Paris, 1790, t. 3, s. xxviii, p. 6.) Au xviie siècle, on la retrouve chez Pierre Guillebaud, dans l’Hortus Epitaphiorum selectorum ou jardin d’epitatphes schoisis où se voient les fleurs de plusieurs vers funèbres, tant anciens que nouveaux tirés des plus fleurissantes villes de l’Europe, Paris, Gaspard Méturas, 1648.

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comme il convenait. Ce qui, si l’on oppose devinette et récit, et l’on prend l’énigme au pied de la lettre, n’est pas faux67. La méta-abduction arbitraire, bien que partiellement exacte, faite par Apollonius a des conséquences malheureuses pour son énonciateur, mais heureuses pour le récit. Cependant, le saut logique qui mène Apollonius à découvrir une vérité honteuse symbolise ici le seuil du romanesque. Sans cette conjecture, le récit des tribulations d’Apollonius se serait vraisemblablement arrêté là. Apollonius aurait pu, par exemple, se retirer de son abduction, et renoncer à dévoiler son interprétation ; ou bien il aurait pu traiter la devinette comme une question externe à sa propre histoire et y reconnaître la référence à un double inceste, sans nécessairement faire d’Antioche le criminel protagoniste. En réalité, Apollonius ne peut pas échapper à son statut d’utilité symbolique. Pris au piège, comme le lecteur, par sa congruence de personnage et par ce que le narrateur lui impose (ainsi qu’au lecteur), il ne peut pas franchir ce seuil de vérité et il est condamné à une science qui ne saurait devenir une prescience. Le sien est le destin d’une œuvre que la charge symbolique et sa syntaxe narrative condamnent à une renommée sans pathos, sans mythe68.

Modèle narratif et modèles culturels C’est la leçon immédiatement appréhensible par les clercs médiévaux d’une éthique boécienne du fatuum que construit à travers le symbolisme obscur de la devinette et au fil des épisodes la narration exemplaire de l’Apollonius. 67   C’est ce qu’avait déjà remarqué Jean R. Scheidegger : « Et si le texte problématique de cette énigme était à prendre à la lettre ? S’il cachait également, en même temps qu’il le dévoile, un inceste œdipien ? » (« Pères et filles dans l’Apollonius de Tyr », dans Les Relations de parenté dans le monde médiéval, Senefiance, 26, 1989, p. 259-271, ici p. 262.) 68  On pourrait définir le mythe comme l’inverse d’une devinette : le mythe se constitue comme une réponse qui comporte une question, alors que la devinette est une question qui demande une réponse, mais aussi une image qui comporte cette même réponse. (Cf. André Jolles, Einfache Formen, Halle, Niemeyer, 1930, p. 129).

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Toute amplification romanesque qui développerait une thématique parallèle risquerait de rendre illisible l’exemplarité de cette leçon. Le modèle narratif du récit doit rester inchangé pour que son message ne soit pas brouillé ou parasité par l’intention de l’auteur ou par celle du lecteur. Aussi, les motifs-chapitres du récit fonctionnent comme un texte déjà donné, comme une stimulation programmée. L’irréductibilité narrative de l’Apollonius met en évidence l’immanence d’un récit prémythologique, d’une matière anthropologique. Immanence que la narration doit seulement souligner sans saturer, que le discours ne doit ni cacher ni corrompre ni enjoliver. À la différence de l’élaboration du mythe, dans lequel l’écriture joue un rôle à la fois constitutif et amplificateur, le discours ne joue dans l’Apollonius qu’une fonction syntaxique, figurative pour ainsi dire. Il est un liant subordonné à un ordo narratif qui se donne comme un signifiant symbolique. Une telle charge signifiante rend problématique toute écriture qui serait une réécriture. Elle témoigne d’une intentio auctoris – je pense au premier auteur – qui résiste aux gloses et à la translatio, parce que fondée davantage sur la narration symbolique que sur le récit romanesque. Lorsque, au-delà du Moyen Âge, cette leçon ne sera plus perceptible sous sa forme originale, lorsque le conflit épistémologique entre crime social et crime contre nature ne frappera plus de son interdit les consciences littéraires, l’auctoritas du clerc osera s’affranchir de ces contraintes et franchir le seuil du romanesque. Il ne revient pas au critique moderne d’écrire en lieu et place du clerc médiéval le roman d’Apollonius ; cependant il ne semble pas exagéré d’affirmer que malgré la circulation d’au moins huit versions françaises, l’Apollonius français n’attend pas seulement une nouvelle édition, il cherche surtout son écrivain. Claudio Galderisi Université de Poitiers – CESCM

Abréviations

RA – Recensio A RB – Recensio B RSt – Recensio de Stuttgart VG – Version de Gdansk VB – Version de Bruxelles VL – Version littérale VN – Version de Nantes VF – Version de Florence VV – Version de Vienne

Introduction

Item unum romanum de Apollonio et Tiro scriptum in carta bombacis… Cette phrase apparaît en 1388 dans un inventaire du notaire Gerolamo da Udine, qui ne possédait que trois livres : un roman inconnu, l’Apollonius en question et un livre de prières. Le choix du propriétaire témoigne de la popularité de l’Historia Apollonii regis Tyri à travers le Moyen Âge. Apollonius, roi de Tyr aussi bien que marieur au début du roman, fuit les hommes du roi d’Antioche qui veulent le tuer à cause de son interprétation d’une devinette que le roi lui a posée. Après avoir perdu tous ses biens dans un naufrage, il est recueilli par le roi de Cyrène, qui le charge d’instruire sa fille. La princesse tombe amoureuse de son maître jusqu’au point d’en être malade ; le roi apprécie beaucoup le jeune homme et par conséquent lui donne sa fille en mariage. C’est ainsi que les aventures du protagoniste du roman peuvent se poursuivre en suivant une autre pente. Le développement narratif est condensé dans toutes les versions latines, elles-mêmes étant des traductions supposées d’une version originale grecque. Ces versions latines sont conservées par soixante manuscrits, dont les plus anciens remontent aux ixe et xe siècles. Elles ont été lues par des clercs, des poètes et des chroniqueurs1, qui ont mentionné de temps à autre la célébrité du protagoniste. À la suite du Michel Zink, Le Roman d’Apollonius de Tyr. Version française du xve siècle de l’Histoire d’Apollonius de Tyr, Paris, Livre de Poche, “Lettres gothiques”, 2006, p. 30-31. 1 

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surgissement des littératures en langues vernaculaires, le roman d’Apollonius a été traduit en anglais (une version en ancien anglais, deux en moyen anglais), en espagnol (trois versions), en allemand (trois versions), en italien (trois versions), en danois (deux versions), en grec (deux versions), en tchèque (une version) et en néerlandais (une version). C’est en France toutefois que le roman eut le plus grand succès, car parmi les traductions en langues vernaculaires se trouvent aussi huit versions françaises2. L’une de ces dernières fait partie du Violier des histoires romaines, traduction du début du xvie siècle des Gesta Romanorum3. Une autre version, la plus ancienne, celle de Gdansk (la  VG)4, n’est qu’un fragment d’un poème du xiie siècle, témoignant seulement de la solution proposée par le protagoniste pour la devinette du roi Antiochus. La version littérale (VL)5 est incluse dans cinq manuscrits, deux du xive siècle et trois du xve siècle6. Une autre version, celle de Bruxelles (VB)7, est contenue dans deux

2  Pour l’inventaire complet des traductions médiévales françaises, voir « Historia Apollonii regis Tyri », s. v. Claudio Galderisi, dans Translations médiévales : Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (xie-xve siècles). Étude et Répertoire : Le Corpus Transmédie, sous la direction de Claudio Galderisi, avec la collaboration de Vladimir Agrigoroaei, Turnhout, Brepols, 2011, vol. ii, t. i, p. 79-82. 3  Claudio Galderisi, «  La tradition médiévale de la devinette d’Antiochus dans les versions latines et vernaculaires de l’Apollonius de Tyr : textes, variantes, classification typologique, essai d’interprétation », dans « Qui tant savoit d’engin et d’art » op. cit. 4  Frej  Moretti, «  L’Apollonio di Tiro anticofrancese  : nuove acquisizioni da Danzica », Studi Mediolatini e Volgari, 49, 2003, p. 125-149 ; Alfred Schulz, « Ein Bruchstück des altfranzösischen Apolloniusromanes », Zeitschrift für romanische Philologie, no. 33, 1909, p. 226-229 ; Charles B. Lewis, « Die altfranzösischen Prosaversionen des Apollonius-Romans », Romanische Forschungen, 34, 1915, p. 272273 ; le manuscrit de Gdansk, Biblioteka Gdánska 2425 (xiiie s.). Pour une datation avant la Philomena de Chrétien de Troyes voir Maurice Delbouille, « Apollonius de Tyr et les débuts du roman français  », dans Mélanges offerts à Rita Lejeune, professeur à l’Université de Liège, vol. 2, Gembloux, Duculot, 1969, p. 1176. 5  Charles B. Lewis, art. cit., p. 2-46. 6  Claudio Galderisi, art. cit., p. 425 ; les manuscrits de Bruxelles, Bibliothèque royale, 9633, f. 138r-167v (xve s.) ; Chantilly, Musée Condé, 497, f. 84-142 (xve s.) ; Chartres, Bibliothèque municipale, 419, f. 49r-61v (xive s.) ; Paris, Arsenal, 2991, f. 1r-23v (xive s.) ; Paris, BnF, f. fr. 20042, f. 25v-50v (xve s.). 7  Charles B. Lewis, art. cit., p. 46-147. 

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manuscrits8 qui datent du xive siècle ; son traducteur a montré une certaine prédilection pour l’amplification des parties descriptives9 ainsi que pour les scènes de tournoi. Il reste deux autres versions, l’une conservée dans un manuscrit à Vienne (VN)10 (du xive ou xve siècle11), l’autre à Florence (VF)12. Ces deux versions ajoutent des épisodes chevaleresques, des tournois, un siège, mais aussi une descendance biblique. Finalement, deux incunables13, l’un de Genève, l’autre de Nantes (VN)14, conservent une traduction assez fidèle du texte latin, proche par moments de notre version de Londres15. Cette dernière, que nous préférons dénommer « La cronique et histoire des mervilleuses aventures de Appolin roy de Thir », pour reprendre l’incipit du récit, a été conservée dans un seul manuscrit, celui de Londres, British Library, Royal 20 C II. C’est ce manuscrit que nous éditons ici.

8  Claudio Galderisi, art. cit., p.  425  ; le manuscrit Bruxelles, Bibliothèque Royale, 11097, f. 1r-79v (xve s.). 9  Eugenio Burgio, « I ‘romanzi’ di Apollonio in Francia. Testi e codici nel Tardo Medioevo », dans Vettori e percorsi tematici nel Mediterraneo romanzo / L’Apollonio di Tiro nelle letterature euroasiatiche dal Tardo-antico al Medioevo : [Roma (Villa Celimontana), 11-14 ottobre 2000], éd. Fabrizio Beggiato et Sabina Marinetti, Soveria Mannelli, Rubbettino, “Medioevo romanzo e orientale”, 6, 2002, p. 265. 10  Michel Zink, op. cit., p. 60-132 et p. 142-236 ; le manuscrit de Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, 3428, f. 1r-55r (xve s.). 11  xve siècle chez Michel Zink, op. cit., p. 33, Claudio Galderisi, art. cit., p. 425 ; xive siècle chez Eugenio Burgio, art. cit., p. 265. 12  Marina Rocchetti, L’Apollon de Tyr (Firenze Biblioteca Laurenziana, ms. Ashb. 123), thèse dactyl. de l’Université de Vérone, 1995-1996, p. 47-221. Pour une datation de ce manuscrit au début du xive siècle, voir Anna Maria Babbi, « Per una tipologia della riscrittura : la ‘Historia Apollonii Regis Tyri’ e il ms. Ashb. 123 della Biblioteca Laurenziana », dans Vettori e percorsi…, op. cit. p. 181-197. 13  Claudio Galderisi, art. cit., p. 426. 14  Jean-Jacques Vincensini, « La Cronique et Hystoire de Appollin, roy de Thir, Nantes, Musée Dobrée, impr. 538. Introduction, édition critique et perspectives », dans « Qui tant savoit d’engin et d’art », op. cit., p. 515-532. 15  Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 510.

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Le manuscrit de Londres, British Library, Royal 20 C II L’histoire de ce manuscrit n’est pas très bien connue. Il a été transcrit probablement en Flandre dans la deuxième partie du xve siècle et a été inclus dans les collections anglaises sous le règne d’Edouard iv de York (1461-1481)16. Nous le retrouvons en 1535 dans la bibliothèque du Palais Richmond, le numéro 71 du catalogue des manuscrits17. Il s’agit d’un manuscrit en parchemin composé de 236 feuillets (381 × 273 mm18). La traduction du roman d’Apollonius occupe les f. 210r-236r19 ; il a été copié après le roman de Cleriadus et Meliadice, qui occupe les f. 1-209v, et a été transcrit par le même copiste. Chaque page a deux colonnes de trente lignes, qui contiennent entre 20 et 27 lettres. Dans les parties médiane et inférieure de la bordure du f. 210r on aperçoit un espace vide qui prend la forme d’un écu. Nous nous attendrions à trouver là un blason qui n’a pas été peint. La bordure des f. 210r, f. 217v et f. 222r est similaire à la bordure employée dans les manuscrits flamands pour les feuillets dotés de miniatures20. Il s’agit d’une bordure extrêmement élaborée, utilisant plutôt des formes peintes que des rinceaux.

16  Eugenio Burgio, art. cit., p. 268, croit qu’il s’agit d’un intervalle plus précis : 1450-1460. 17  Ce catalogue est en réalité une liste des livres manuscrits et imprimés des rois d’Angleterre qui se trouvaient en 1535 au Palais Richmond. La liste a été conservée dans le manuscrit Moreau 849 de la Bibliothèque nationale de France (f. 166-167), parmi les papiers de Philibert de La Mare et de Fevret de Fontette (Henri Omont, « Les manuscrits français des rois d’Angleterre au château de Richmond », dans Études romanes dédiées à Gaston Paris le 29 décembre 1890, par ses élèves français et ses élèves étrangers des pays de langue française, Paris, Émile Bouillon, 1891, p. 1-13, ici p. 4 et 9 : mention d’un Cleriadus et Meliadus dans la liste des manuscrits de 1535). 18  ‘Cleriadus et Meliadice’, roman en prose du xve siècle, édition critique par Gaston Zink, Paris – Genève, Droz, “Textes littéraires français”, 328, 1984, p. xi. 19  H. L. D. Ward, Catalogue of Romances in the Department of Manuscripts in the British Museum, vol. 1, Londres, British Museum, Order of the Trustees, 1883, p. 166. 20  Susie Nash, Between France and Flanders  : Manuscript Illumination in Amiens in the Fifteenth Century, Londres, British Library, 1999, p. 254.

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Les miniatures ont été peintes sur les mêmes feuillets. Il n’y a que trois miniatures dans l’Apollonius (Antiochus et sa fille  : f. 210r ; Apollonius reçoit la lettre que sa future femme adresse à son père : f. 217va ; le médecin découvre la fausse morte : f. 222ra), par rapport aux vingt-huit miniatures du roman Cleriadus et Meliadice. Le premier feuillet de la version de Londres de l’Apollonius donne l’impression que le manuscrit était un objet de luxe. Néanmoins, la suite ne montre pas la même qualité esthétique. Le manuscrit est alors sans ornementation et nous n’avons pas affaire à un manuscrit de luxe. L’écriture des feuillets du manuscrit de Londres, British Library 20 C II, peut être classifiée comme un exemple de bâtarde21 . Le copiste se sert souvent des majuscules pour séparer les différentes parties du texte ou le passage du discours indirect au discours direct (et l’inverse), voire deux idées différentes dans la même phrase. L’emploi des lettrines est limité. Elles sont peintes en or et rouge ou bleu22. La première (l’I du f. 210r) est la plus grande (sur 4 ur, i.e. 4 lignes) ; elle est d’ailleurs la première lettre du texte à proprement parler. Les autres lettrines23 n’ont que la moitie de sa hauteur (sur 2 ur), mais les A des f. 217v et f. 222r, qui accompagnent deux miniatures de la largeur d’une colonne de texte, atteignent des dimensions intermédiaires (sur 3  ur). Nous reconnaissons donc un emploi des lettrines lié aux illustrations du manuscrit : la première lettrine correspond à la grande miniature et les deux lettrines intermédiaires suivent les deux autres miniatures. On pourrait envisager également un emploi des lettrines par rapport au texte, puisque chacune apparaît après une rubrique.

21  Loopless bastarda : Albert Derolez, The Palaeography of Gothic Manuscript Books : From the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, “Cambridge Studies in Palaeography and Codicology”, 2003, p. 163-166 ; littera formata, caractéristique des manuscrits provenant de la cour des ducs de Bourgogne  : Jacques Stiennon et Geneviève Hasenohr, Paléographie du Moyen Âge, Paris, Armand Colin, 1973, p. 121. 22  Eugenio Burgio, art. cit., p. 267-268, note 25. 23  I. e. les E des f. 211v, f. 215v et f. 225v ; les A des f. 214r et f. 225v ; le P du f. 219v ; les Q des f. 223r, f. 227r, f. 227v et f. 235r ; le R du f. 224v ; et le O du f. 228r.

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Tableau des abréviations

Le texte présente des abréviations traditionnelles. Parmi ces abréviations se trouvent les tildes qui correspondent aux abréviations par suspension ou par contraction. Le copiste a utilisé aussi le crochet24, les lettres suscrites et le dérivé de la note tironienne qui Ex : « Archicastres » ( f. 217ra, ligne 19) ; « Archicastres » ( f. 219va, ligne 11) ; « maistre » ( f. 222vb, ligne 21) ; « s’esmerveillerent » ( f. 223va, lignes 14-15) ; 24 

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marque l’-us final. Il faut signaler un signe de suspension pour – ur25 et les lettres en exposant qui servent à multiplier ou à marquer l’ordinal26. La dernière catégorie est celle des signes de ponctuation : la virgula suspensiva comme marque d’une pause de lecture, le point interstitiel qui marque la fin d’une idée, et un signe qui sert de bout-de-ligne au f. 213vb.

Remarques linguistiques  La langue de la version de Londres est le français commun. Il y a cependant quelques traits particuliers à signaler (le signe X indique le nombre d'occurrences) : Un exemple de réduction de la diphtongue ai à a. Ex : « fasoit » x 1 (f. 221ra) / « faisoit » x 15 ( f. 211rb, f. 211vb x 3, f. 213ra, f. 213vb, f. 214va, f. 214vb, f. 216rb, f. 221ra, f. 223rb, f. 225rb, f. 229rb, f. 231vb, f. 233rb). Voir aussi la palatalisation de a devant une consonne palatale ou une ancienne palatale  : «  pucellaige  » ( f.  226ra, f.  228ra)  / « pucellage » ( f. 226va, f. 227va, f. 227vb). Cf. « compaignie » ( f. 210va, f. 214ra, f. 219va, f. 220rb, f. 221ra, f. 224ra, f. 233va x 2, f. 233vb x 2, f. 234rb, f. 234va, f. 235rb) / « compagnie » ( f. 229ra) ; « faichent » ( f. 217ra). On trouve également ai pour ei devant nasale, une graphie répandue en Picardie. Ex. : « baignier » ( f. 226va) ; « ensaignier » ( f. 210va) / « enseignier » ( f. 217rb) ; « enchainte » (f. 220rb) ; « estraintes » ( f.  221ra)  ; «  faignoit  » ( f.  210va)  ; «  paine  » ( f.  229rb, f.  231rb, f. 231va) ; « plain » ( f. 215va), « plaine » ( f. 213ra, f. 215vb), « plains » ( f. 225va) ; « plainement » ( f. 232ra) ; « saignier » ( f. 231rb). Maintien graphique du e en hiatus. Ex : « eage » x 3 ( f. 210va, f. 211rb, f. 223va). « plaist a sçaver » ( f. 215vb, ligne 16) ; « terre » ( f. 217va, ligne 6). 25  Ex : « honneur » ( f. 213vb, ligne 6) ; « seigneur » ( f. 214va, ligne 28) ; mais aussi « monseigneur » ( f. 217ra, ligne 8) ; « Nostreseigneur » ( f. 221ra, ligne 11) ; « Nostreseigneur » ( f. 222vb, ligne 21). 26  Ex : ; « xviii mille » ( f. 216va, ligne 30) ; « iiii cent » ( f. 230vb, ligne 28) ; « ii cent » ( f. 230vb, ligne 29) ; « iiiie jour » ( f. 214ra, ligne 29).

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Il y a alternance graphique o / ou. Ex. : « douleur » ( f. 216ra x 2, f. 221va, f. 222rb, f. 223ra, f. 225va, f. 230ra, f. 231va x 3, f. 231vb) / «  doleur  » ( f.  228va, f.  229va, f.  230va, f.  231rb), «  doleurs  » ( f. 222rb, f. 230vb) ; « couppasses » ( f. 235ra) / « copper » ( f. 225ra, f. 229va x 2), « coppast » ( f. 231va) ; « mourir » ( f. 213rb), « mouroit » ( f. 230rb) / « morir » ( f. 212ra, f. 224vb, f. 225ra x 3, f. 229ra, f. 229va, f. 234vb, f. 235vb), « morut » ( f. 210rb, f. 223vb, f. 225va, f. 231rb, f. 235va), « mouras » ( f. 212vb). On signale un cas de oi à la place de o : « pren la moitié de l’oir » ( f. 221va). La fricative prépalatale sonore est transcrite par g et accessoirement par ge. Ex. : « bourgois » ( f. 213rb x 2, f. 213vb, f. 214ra, f. 224rb, f. 224va, f. 227ra, f. 228vb, f. 229ra, f. 232rb, f. 232va, f. 234rb x  2, f.  234vb, f.  235ra, f.  235rb  x  2) / «  bourgeois  » ( f.  223rb)  ; « menguë » ( f. 211va), « manguë » ( f. 212va) ; « naga » ( f. 223ra) / « nagier » ( f. 229ra, f. 233va), « nagea » ( f. 223ra), « nagerent » ( f.  213ra, f.  214ra, f.  221ra), «  nagierent  » ( f.  234va, f.  235rb)  ; « vengance » ( f. 211ra, f. 232vb). On lit aussi « cherga » ( f. 215ra) (‘chercha’) qui peut s’expliquer par un phénomène de dissimilation. Les formes suivantes en ch sont picardes. Ex : « chinquante » ( f. 225ra) ; « commencha » ( f. 210vb x 2, f. 212ra, f. 215rb, f. 216ra, f. 216rb, f. 219ra, f. 222va, f. 222vb, f. 223rb, f. 225ra, f. 226rb, f. 227rb, f. 227vb, f. 228ra, f. 231rb, f. 232va, f. 234ra, f. 235ra) ; « garchon » ( f. 226rb), « garchons » ( f. 226rb) ; « menchoine » ( f. 228vb) ; «  prinche  » ( f.  215rb) / «  prince  » ( f.  211va, f.  213ra, f.  213rb), «  princes  » ( f.  220ra, f.  229va)  ; «  pieche  » ( f.  212vb)  ; «  rechepvoir  » ( f.  220va). Mais on lit aussi c. Ex  : «  commença  » ( f. 210vb x 2, f. 212vb, f. 215vb, f. 220va, f. 222va, f. 222vb, f. 228ra, f. 229ra, f. 230va, f. 231ra). Pour la transcription du n palatalisé, le copiste recourt à ngn ou à gn. Ex : « besongne » ( f. 225va) ; « complaingnoit » ( f. 214rb) ; « ensengneroit » ( f. 217rb), « ensaignier », ( f. 210va) ; « oingnoit » ( f. 225rb, cf. « oignement », f. 225rb) ; « prengnes » ( f. 219rb) ; « retiengnes » ( f. 223vb) ; « soustiengne » ( f. 231rb) ; « vergongne » ( f. 211va, f. 212rb, f. 212va) ; « viengne » ( f. 230rb). G final apparaît comme lettre diacritique dans « ung » (passim).

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Présence de b  /  p indiquant la valeur consonantique de v. Ex : « debvoir » ( f. 222rb, subst.), « debvez » ( f. 215vb, f. 224vb, f. 232rb), « debvoit » ( f. 212rb, f. 227ra) ; « escripvez » ( f. 218ra), « escripve » ( f. 218va), « escripvirent » ( f. 235ra), « escripvoit » ( f.  218vb)  ; «  rescripvit  » ( f.  217va)  ; «  recepvoir  » ( f.  220vb, f. 223rb, f. 227ra), « rechepvoir » ( f. 220va), « recepvez » ( f. 223va). Les graphies «  escripvez  », «  escripve  », «  escripvirent  » et « escripvoit » ont dû influencer la forme de l’infinitif : « escripre » ( f. 213vb, f. 218ra, f. 236ra). Dans les exemples suivants, la graphie peut être expliquée par une tendance étymologisante  : «  congneu  » ( f.  219ra, f.  226va, f. 228rb), « congneue » ( f. 234rb), « congneut » ( f. 219ra, f. 220rb, f. 222rb, f. 228rb), « congneust » ( f. 222va), « congnois » ( f. 214vb, f. 216rb, f. 227ra, f. 229vb), « congnoy » ( f. 216va), « congnoisse » ( f. 227va), « congnoissoit » ( f. 220rb, f. 234ra), « congnoissoye » ( f.  232va), «  congnoistront  » ( f.  224rb), «  congnoissance  » ( f. 218va) ; « recheupt » ( f. 214vb) ; « receuprent » ( f. 223rb) ; « sepmaines » ( f. 220ra). La forme « pooit » du verbe pouvoir (« il ne le pooit escondire  », f.  212rb) nous a orienté vers les graphies  «  pouoir  » ( f.  210vb)  ; «  pouoit  » ( f.  226ra, f.  227ra x  2)  ; «  pouoye  » ( f. 230va) ; « pouez » ( f. 228vb, f. 230rb) ; « pouoient » ( f. 234ra)27. Quant aux verbes savoir et avoir, les formes «  averont  » ( f. 228ra) et « averay » ( f. 212ra) nous ont orienté vers les graphies « sçavrez » ( f. 215vb), « avray » ( f. 230va, f. 230vb), « avras » ( f. 213ra), « avra » ( f. 214va, f. 216rb), « avrez » ( f. 215vb, f. 220vb), « avroit » ( f. 215rb), « avroye » ( f. 218rb)28. Ie, anciennement apparu derrière un phonème palatalisé, est conservé graphiquement. Ex  : «  acouchier  » ( f.  220va)  ; «  baisier » ( f. 215va, f. 226va, f. 227rb, f. 234ra) ; « changier » ( f. 219ra) ; « chargier » ( f. 213ra), « chargiez » ( f. 216vb) ; « chier » ( f. 219rb, f. 234ra), « chiere » ( f. 210vb, f. 211ra x 2, f. 215va, f. 215vb, f. 216ra x  2, f.  221rb, f.  224rb)  ; «  chief  » ( f.  212vb, f.  222rb, f.  232va)  ; 27  Cf. Omer Jodogne, « ‘Povoir’ ou ‘pouoir’ ? Le cas phonétique de l’ancien verbe ‘pouoir’ », Travaux de linguistique et de littérature, 4, 1966, p. 257-266. 28   Cf. A. T. Baker, « Le futur des verbes avoir et savoir », Romania, 63, 1937, p. 1­30.

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« commencierent » ( f. 225rb, f. 229ra, f. 235vb) (mais également : « commencerent » ( f. 213va, f. 218ra, f. 221rb, f. 223rb, f. 228ra x 2, f. 229ra, f. 229rb, f. 232va, f. 232vb, f. 233va)) ; « congié » ( f. 212ra, f. 214ra, f. 214va, f. 215ra, f. 216vb x 2, f. 219va, f. 221ra, f. 223va, f.  223vb  ; f.  233vb, f.  234rb)  ; «  couchier  » ( f.  223ra, f.  227va)  ; « couroucié » ( f. 214ra, f. 218rb, f. 231rb), « courocié » ( f. 211rb), «  couroucyé  » ( f.  218va), «  courouciez  » ( f.  225vb), «  courouchié » ( f. 211rb) ; « dangier » ( f. 217va, f. 220va) ; « eslongier » ( f. 210va) ; « gaignier » ( f. 227va), « gaignié » ( f. 227vb) ; « laissié » ( f. 221va, f. 222rb, f. 223ra, f. 225va, f. 228rb, f. 232va) ; « legiereté » ( f. 214vb) ; « marchié » ( f. 224ra, f. 234vb) ; « mengier » ( f. 214va, f. 235vb) ; « messagier » ( f. 214va, f. 215rb) ; « muchier » ( f. 225ra, f. 225rb) ; « nagier » ( f. 229ra, f. 233va). « nagierent » ; mais également : « nagerent » (vide supra) ; « pitié » ( f. 211ra, f. 212va, f. 214rb, f. 216va, f. 219vb, f. 226va, f. 226vb, f. 227rb, f. 227vb, f.  231vb, f.  232vb, f.  233ra, f.  234ra), mais on lit aussi «  pité  » ( f. 214rb, f. 215vb). On retrouve la consonne intercalaire d dans les verbes venir : « vindrent » ( f. 211vb, f. 213ra, f. 215rb, f. 224rb, f. 229ra, f. 232va, f.  233va, f.  234rb x  2, f.  234va, f.  235rb)  ; et tenir  : «  tindrent  » ( f. 228ra, f. 234rb). On trouve la graphie « bledz » ( f. 213rb x 2, f. 213va) à côté de « bled » ( f. 213rb) et « blé » ( f. 213va, f. 213vb x 2). Les lettres z et s en position finale peuvent être interchangeables. La deuxième personne du singulier du subjonctif du verbe avoir est toujours « ayez ». Ex. : « josne homme, ayez mercy de toy mesmes » ( f. 212ra) ; « je te donne terme que d’icy a trois jours tu ayez a declairer » ( f. 212ra) ; « meschant, ayez mercy de toy » ( f. 228rb) ; « seigneur, ayez mercy de toy » ( f. 231rb). La même alternance graphique se trouve dans le paradigme du verbe faire : « faictez doncques la feste pour vous et pour moy » ( f. 229ra-rb) ; mais : « Appolin, ne faictes doubtez » ( f. 234ra). Dans certains cas d’agglutination, le copiste n’a pas transcrit la consonne latérale finale du pronom personnel il : « qu’i ». Ex. : « et tant fist le maulvaiz plain de malice qu’i osta la fleur et virginité de sa fille propre » ( f. 210vb) ; « respondit que se Dieu luy faisoit grace qu’il retournast en son estat, qu’i luy rendroit a cent

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doubles » ( f. 214va) ; « pour le grant froit qu’il faisoit en mer, et le grant vent qu’i fasoit » ( f. 221ra) ; « te cuides qu’i soit ton pere et ta mere » ( f. 224ra). Dans un seul cas, on trouve « qui » à la place de « que ». Ex. : « si vous prie qui la recepvez de bon cuer et la nommez Tarcye » (f. 223rb). Le cas contraire est également attesté. Ex. : « Nobles bourgois de Militaine, que par vostre grant bonté vous estes assamblez » ( f. 232va). Il existe également un emploi de et avec valeur de si. Ex. : « quant l’an fut passé, et le roy qui estoit moult viel vint en grant maladie » ( f. 235va). On trouve quatre occurrences de l’article indéfini pluriel « unes », toujours en relation avec le mot « lettres » : « escripvez unes lettres chascun » ( f. 218ra), « elle escript unes lettres » ( f. 218va), « dessoubz sa teste mist unes lettres lesquelles contenoient les parolles qui s’ensievent » ( f. 221va), « unes lettres disans » ( f. 224ra). Le pronom personnel féminin apparaît plusieurs fois sous la forme « le », il s’agit d’un trait régional picard : « Et tant plus le regardoit et plus le convoittoit » ( f. 210va) ; « …le traytre pere le commencha a la resconforter » ( f. 210vb) ; « Et quant le roy vit si grant franchise, il en print grant plaisir, car elle mesmes le delivra a Appolin » ( f. 216vb). Le substantif épicène « doubte » est féminin dans notre texte : « pour la doubte de Anthiocus » ( f. 213vb). L’adjectif « grant » présente la forme épicène, toujours antéposée : « grant » (passim), « grans » ( f. 210vb x 2, f. 213vb, f. 216vb, f. 220ra, f. 221va, f. 224ra, f. 228ra, f. 229ra, f. 231va, f. 232rb x 2, f. 232vb, f. 233va, f. 235rb, f. 236ra). La forme « grande » apparaît quatre fois ( f. 211va, f. 220ra, f. 226vb, f. 235va) en position d’attribut29. On rencontre une seule occurrence dans laquelle cette forme est antéposée : « a ma grande necessité » ( f. 235vb).

Cf. « estoit tant grande pour la beaulté » ( f. 211va) ; « la feste fut grande de tous esbatemens » ( f. 220ra) ; « elle sera grande » ( f. 226vb) ; et « a grant joye, si tres grande que ce seroit » ( f. 235va). 29 

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L’adjectif « royal » n’a qu’une seule occurrence épicène : « a feste royal » ( f. 220ra) / cf. « royal » ( f. 210va, f. 222rb, masculin), « royaulx » ( f. 223vb, f. 229rb), « royalles » ( f. 221va, f. 232va). On trouve aussi un infinitif substantivé  : «  retourner  » ( f. 213rb, « la fille aloit tous les jours au retourner de l’escolle »). La première personne (singulier) du présent du verbe vouloir se retrouve sous deux graphies différentes : « veul » ( f. 218va, f. 219rb, f. 220va, f. 222rb, f. 223rb x 2, f. 229ra, f. 231ra) / « veulx » ( f. 218va, f.  235rb, f.  235vb)  ; cf.  «  veulx  » pour la deuxième personne du singulier ( f. 212va, f. 213rb, f. 217rb, f. 224vb, f. 225ra, f. 231ra x 2). « Voix » ( f. 211ra) est la première personne du présent de l’indicatif du verbe aller. Suite à une réduction de ai en a, le morphème s de la première personne du singulier a été également ajouté dans le cas du verbe avoir : « je ne luy as pas demandé » ( f. 215ra). Il convient également de signaler l’alternance de radical aux formes faibles et aux formes fortes dans les verbes suivants. Ex. : « trouver » ( f. 211va, f. 212va, f. 212vb, f. 214rb, f. 217rb, f. 217va, f. 218rb, f. 220ra), « trouvé » ( f. 211va, f. 219ra x 2), « trouvez » ( f.  217vb), «  trouvera  » ( f.  212rb), «  trouveras  » ( f.  214va, f. 221va, f. 224ra), « trouveroit » ( f. 224ra), « trouva » ( f. 218rb x 3, f. 222va, f. 223vb, f. 227rb, f. 235vb), « trouverent » ( f. 224rb, f. 231va) / « treuves » ( f. 214va), « treuve » ( f. 218vb) ; mais également : « lieve » ( f. 226rb) / « leva » ( f. 217rb, f. 230ra, f. 233ra, f. 234ra), « levez » ( f. 226va, f. 227rb), « levee » ( f. 217ra). Le morphème de l’imparfait et du conditionnel apparaît sous la graphie -oye-. Ex. imparfait : « aloyent » ( f. 224va) ; « amoyes » ( f.  218rb)  ; «  avoye  » ( f.  219rb, f.  231va, f.  232ra, f.  234vb), « congnoissoye » ( f. 232va) ; « disoyes » ( f. 228rb), « disoyent » ( f. 227ra) ; « estoye » ( f. 229vb, f. 231va), « estoyes » ( f. 234vb, f.  235ra), «  estoyent  » ( f.  228vb)  ; «  portoyent  » ( f.  227rb)  ; « pouoye » ( f. 230va) ; « prenoye » ( f. 218rb) ; « regardoye » ( f. 230ra) ; « sçavoye » ( f. 224rb) ; « seroyes » ( f. 218rb, f. 218va) ; « trambloye » ( f. 236ra) ; « vouloyent » ( f. 226vb), Ex. conditionnel : « avroye » ( f. 218rb) ; « vouldroye » ( f. 216va) ; « donroye » ( f. 229va) ; « feroyes » ( f. 227va) ; « osteroye » ( f. 232ra). La graphie –oye apparaît également au présent du verbe envoyer : « envoye » ( f. 230ra).

Introduction55

Au futur, le copiste conserve la forme ancienne du verbe donner, avec amuïssement de e entre n et r  : «  donray  » ( f.  213va, f. 219vb, f. 227ra, f. 229va, f. 230ra, f. 230rb, f. 230vb), « donroye » ( f. 229va), « donroit » ( f. 211va, f. 226ra x 3, f. 227ra). Toujours au futur, on rencontre deux formes réduites du verbe avoir qui sont surtout attestées au nord de la France : « aras » ( f.  212vb), «  aroient  » ( f.  213va). On rencontre également les formes courtes « sçaray » ( f. 227vb) et « sçara » ( f. 228ra) pour le verbe savoir. Le e svarabhaktique, spécifique au nord de la France, apparaît dans «  renderay  » ( f.  222va, f.  228rb)  et «  viveray  » ( f.  214va, f. 219rb, f. 223va). Pour le verbe être au passé simple, on rencontre deux graphies différentes de la troisième personne du singulier : la forme nouvelle « fut » ( f. 210va x 2, f. 213rb, f. 216ra, f. 216vb, f. 219ra, f. 220ra x 2, f. 220rb x 3, f. 221ra x 2, f. 221rb, f. 223ra x 2, f. 223va, f. 225ra x 2, f. 226va, f. 227ra x 2, f. 227vb x 2, f. 228rb, f. 228va, f. 228vb, f. 231vb, f.  232vb, f.  233rb x  2, f.  233vb, f.  234va, f.  234va, f.  234vb, f.  235ra x 4, f. 235va x 2, f. 235vb x 2, f. 236ra) ; et la forme ancienne « fu » ( f. 211rb, f. 214va, f. 217va, f. 221ra, f. 221vb, f. 222ra, f. 224va, f. 230rb, f. 234va x 2, f. 235rb). Le scribe a également la tendance à confondre dans l’écriture le passe simple : « fust » ( f. 210vb, f. 215rb, f. 224vb, f. 225vb x 2, f. 226ra, f. 236ra) ; et l’imparfait du subjonctif : « fust » ( f. 211va, f. 216rb, f. 221ra, f. 221rb, f. 221va, f. 222va, f. 223ra, f. 226ra, f. 226va x 2, f. 228va, f. 229ra, f. 229rb, f. 229vb, f. 232rb, f. 233va, f. 234ra) ; mais également « fuist » ( f. 214va). Le verbe avoir au passé simple présente une forme caractérisant le nord de la France dans les cas suivants. Ex. : « eubt » ( f. 210rb, f. 210va, f. 212ra, f. 212vb, f. 213vb x 2, f. 216ra, f. 216va, f. 218va, f. 219ra x 2, f. 219vb, f. 220vb, f. 221rb, f. 222rb, f. 222vb, f. 223ra x 2, f. 223rb, f. 223va x 3, f. 224va, f. 225rb x 2, f. 226va, f. 227rb x 2, f. 227vb x 2, f. 228rb x 2, f. 228va, f. 229ra, f. 231vb, f. 234ra, f. 234rb, f. 234va, f. 235rb, f. 235va, f. 235vb), « eubrent » ( f. 214ra, f. 220ra, f. 220va, f. 223rb, f. 229ra, f. 231ra, f. 234rb, f. 234va). La désinence de l’imparfait du subjonctif du verbe aller est pour une seule occurrence en –aisse, un traitement picard : « allaisse » ( f. 229va).

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Le scribe écrit aussi  «  peut  » pour le passé simple ( f.  210vb, f. 212vb x 2, f. 213ra x 2, f. 217ra), une forme du Nord plutôt qu’une forme moderne. La même graphie marque également le présent de l’indicatif. Ex. : « la mer ne peut souffrir chose morte » ( f. 221rb). Les formes « peurent » ( f. 220ra) et « receuprent » ( f. 223rb) sont également picardes. Le verbe prendre présente un radical à nasale au passé simple : « prindrent » ( f. 221ra, f. 225rb, f. 228ra, f. 228va, f. 230va, f. 231va, f. 234rb), « print » ( f. 210ra, f. 212ra, f. 213ra, f. 214ra, f. 214rb, f. 214va, f. 214vb, f. 216vb x 2, f. 218ra, f. 219ra, f. 219va, f. 222va, f. 223va x 2, f. 225ra, f. 228ra, f. 230vb, f. 231ra, f. 235rb) ; et le participe : « prins » ( f. 213va, f. 213vb, f. 214rb, f. 225vb, f. 232rb, f. 234vb, cf. » aprins », f. 218vb ; « aprinse », f. 216rb). Il existe cependant deux autres formes différentes : « prist » ( f. 219va) ; et « prinst » ( f. 232va). Au subjonctif imparfait, on rencontre plusieurs formes qui sont attestées dans le nord et l’est de la France. Ex. : « deuist » ( f. 227ra) ; « peuist » ( f. 217rb, f. 221rb) ; « sceuist » ( f. 214vb). D’autres formes de subjonctif imparfait sont picardes. Ex. : « pensaissent » ( f. 225va) ; « allaisse » ( f. 229va). Le subjonctif imparfait du verbe ouvrir est formé sur un passé sigmatique : « prierent a la portiere qu’elle leur ouvresist l’eglise » ( f. 233vb). La tournure aller + infinitif est l’équivalent d’un passé simple, ce qui peut aussi relever d’un tic d’auteur : « il va proposer en soy mesme contre les temptacions de la char » ( f. 210va) ; « sy va pourpenser une question en son mauvais courage qu’il la proposeroit » ( f. 211rb) ; « ainsi comme la pucelle faisoit son oroyson, vont venir des mariniers » ( f. 225rb) ; « et quant il vit la pucelle tant belle, il en va promettre .x. escus » ( f. 226ra) ; « Appolin s’en vouloit retourner et va penser qu’il retourneroit par Tarcye » ( f. 233rb) ; « et la mauvaise femme va respondre » ( f. 235ra). Une périphrase similaire signale le verbe venir comme semi-auxiliaire vide de sens : « et quant vint qu’elle eubt environ .xi. ans » ( f. 210va) ; « mais le vent se tourna et vindrent arriver en la cyté de Millitaine » ( f. 229rb). Une périphrase verbale différente est utilisée pour le futur proche : « quant je me doy acouchier » ( f. 220va).

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Anticipation ou reprise du pronom personnel. Une forme atone de ce dernier apparaît devant l’infinitif dans l’exemple suivant : « …le traytre pere le commencha a la resconforter » ( f. 210vb). Le scribe mélange deux constructions : « fist mettre en vestemens royaulx » et « fist mettre or et argent foyson ». Ex. : « en quoy il la fist mettre en vestemens royaulx et or et argent foyson et unes lettres disans qui trouveroit le coffre » ( f. 223vb-224ra). La construction « pour la tienne amour » ( f. 233rb) témoigne d’un caractère assez conservateur de la langue du copiste. Les mots suivants présentent des formes picardes : « alongue » ( f. 218ra) ; « assir » ( f. 215rb) ; « menchoine » ( f. 228vb) ; « mervilleuses » ( f. 210r) ; « muchier » ( f. 225ra, f. 225rb) ; « pieche » ( f. 212vb) ; « varlet » ( f. 215ra, f. 227ra, f. 227va, f. 229va, f. 222rb, f. 222va). La langue du copiste de la version de Londres de l’Apollonius de Tyr se caractérise par des traits conservateurs et régionaux qui sont du nord de la France.

La source de la version de Londres Ces remarques préliminaires, qui concernent le support, l’écriture et la langue ne suffisent pas à éclairer le travail du traducteur. C’est à la source de la version de Londres que nous consacrons les pages suivantes. La plupart des critiques estiment que la traduction de Londres se fonde sur un texte latin appartenant à la RSt (recensio de Stutt­ gart), basée à son tour sur la recensio B (RB)30. Néanmoins, la RSt n’a jamais été éditée et les informations dont nous disposons pour tirer des conclusions quant au rattachement de la version de Londres à cette redactio latine sont insuffisantes, voire douteuses. Ch. B. Lewis (1915) a voulu démontrer cette paternité, mais son argumentation est tributaire d’une étude antérieure, celle d’E. Klebs (1899), qui décrivait et analysait les différentes redactiones latines Cf. Eugenio Burgio, art. cit., p. 264, qui cite Charles B. Lewis, art. cit., p. 236240 sans offrir d’autres preuves supplémentaires. 30 

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de l’Historia Apollonii regis Tyri31. Les conclusions de Ch. B. Lewis se fondent donc sur une description qui prend en compte onze manuscrits regroupés en quatre groupes, dont le deuxième, dénommé le Pariser Gruppe, est composé de cinq sous-groupes. Il faut cependant signaler que la description la plus récente des manuscrits de la RSt se trouve dans l’introduction de l’édition de G. A. A. Kortekaas. Ne souhaitant pas s’attarder sur une analyse des autres redactiones latines – son édition s’intéresse uniquement aux redactiones A et B latines –, l’éditeur ajoute quatre autre sousversions aux onze manuscrits analysés par E. Klebs pour la RSt : une «  amalgamated version  » dans un manuscrit de Leipzig  ; deux manuscrits du xve siècle sur lesquels se fonde une editio princeps datant du milieu de 1474 ; une « free version » conservée dans deux manuscrits  ; et un «  abstract  », dont le manuscrit le plus ancien date du xie siècle32. Compte tenu de l’état de la question, l’argumentation de Ch. B. Lewis doit être certainement réévaluée, mais son étude ne peut être analysée qu’à la lumière d’une édition de la mystérieuse redactio de Stuttgart. G. A. A. Kortekaas a changé par ailleurs la classification des manuscrits de la RSt en les classant en groupes et sous-groupes. E. Archibald avait par ailleurs signalé que la version de Londres est « in many places […] either abbreviated or freely rendered »33, ce qui pose un problème supplémentaire quant à l’identification de la source de plusieurs passages de notre traduction. En l’état actuel de nos connaissances, les extraits publiés de la RSt latine ne se trouvent que dans l’ancienne étude d’E. Klebs34. 31  Elimar Klebs, Die Erzählung von Apollonius aus Tyrus, Berlin, Georg Reimer, 1899, p. 80-105 (analyse de la RSt), 412-422 (brève mention des versions françaises) et en particulier p. 414 (mention de la version de Londres). 32  G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 18-19. 33  Elizabeth Archibald, Apollonius of Tyre : Medieval and Renaissance Themes and Variations. Including a Text and Translation of the ‘Historia Apollonii Regis Tyri, Cambridge, D. S. Brewer, 1991, p. 199. 34  George A. A. Kortekaas cite certaines leçons de la RSt dans son Commentary on the Historia Apollonii Regis Tyri, Leiden-Boston, Brill, “Mnemosyne  : Bibliotheca Classica Batava”, supplementum 284, 2007. Ses citations se résument pourtant à la mention de certains syntagmes qu’il compare aux leçons des autres redactiones.

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Le chercheur les a reproduits dans la description des divers sousgroupes de manuscrits. Or ces morceaux choisis, que nous essayons de comparer à la traduction française de Londres, ne présentent pas une version stable. Sous le sigle RSt se cache en réalité un amalgame de textes latins et non pas une véritable recensio, éditée comme les RA et RB. Par conséquent, la comparaison que nous essayons de mener est loin d’être incontestable35. Il existe dans la version de Londres des parties du texte qui témoignent d’une proximité possible avec une version inspirée par la RB ou par la RSt. Dans le passage qui décrit par exemple le naufrage d’Apollonius se trouvent des formules qui ont pu être inspirées de ces deux versions. Il faut également signaler qu’une partie de la réplique d’Apollonius après la tempête (dans la RSt) se trouve dans le texte de la version de Londres, mais elle est attribuéé au pêcheur (cf. C29) ; quant au récit de la mort d’Archicastres, épouse d’Apollonius, il semble également correspondre au texte de la RSt, mais la version de la RB n’est pas très différente en l’occurrence. Il n’y a qu’un seul passage qui ressemble fidèlement à la RSt latine : la scène qui se déroule devant la statue de Priape (cf. C77). Pour toutes ces raisons, il semble plus prudent d’affirmer qu’il n’y a pas des preuves évidentes que notre traduction dérive de la RSt. De surcroît, la partie la plus importante de cette version latine, qui aurait pu montrer le rapport entre la RSt et la version de Londres (la devinette du roi Antiochus), n’a pas non plus été éditée. Certains suppressions ou abrégements dans la traduction française permettent même de supposer l’inverse. Quelques exemples. Dans le passage concernant les Neptunalia, le traducteur de la version de Londres fait prendre au protagoniste une décision contraire à celle qu’il avait assumée dans la RSt. De même, le nom de la fille du roi Antiochus, qui apparaît clairement dans la RSt, est absent de la version de Londres ; il est également absent de la RB (cf. C1 et C2). Par la suite, le texte de la version de Londres semble s’inspirer du vincitur (ab) amore des RA et RB, et non pas du pudor Il convient d’ajouter que la comparaison d’E.  Klebs s’appuie principalement sur les parties introductives des différents textes de la RSt. Il donne très peu d’exemples tirés de la deuxième partie du récit. 35 

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vincitur amore de la RSt (cf. C7). Ce cadre est rendu encore plus compliqué par la mention d’une pinte de vin dans le rituel funéraire que pratique Tharsia devant la tombe de sa nourrice. Cette pinte ne se retrouve pas dans la RB ou dans la RSt, mais dans la RA (cf. C66)… La version de Londres semble donc suivre un modèle latin différent, que nous ne pouvons pas identifier en l’état. Il se peut que la version de Londres suive l’un des sous-groupes de la RSt, mais rien n’empêche de penser qu’elle suive une autre redactio latine que nous n’avons pas encore identifiée. En clair  : soit le traducteur de notre version avait sous les yeux un manuscrit latin, qui n’est sans doute pas parvenu jusqu’à nous, et qui pouvait conserver une version mélangeant des parties de la RSt et de la RB et dans un cas spécifique même de la RA ; soit il a traduit en utilisant lui-même les deux redactiones latines RA et RB et le groupe RSt, ce qui au vu de sa négligence linguistique et du peu d’intérêt qu’il semble porter à l’original paraît improbable. Pour mener à bien une comparaison exhaustive avec la source latine, il faudrait s’intéresser à trois redactiones et non pas à une seule redactio  : les RA, RB et – pour les passages publiés par E. Klebs – la RSt. Notre comparaison ne peut être donc que partielle, et de ce fait sans doute partiale ; elle se trouve dans les commentaires du dossier de cette édition. Dans ces commentaires nous avons également analysé la relation entre la version de Londres et celle de Nantes (VN)36. Elle a été déjà signalée, mais il est difficile d’évaluer sa nature ou d’admettre que ces deux versions françaises remontent à une version commune et perdue, justifiant donc une seule édition critique37. D’une part, on observe plusieurs coïncidences que nous n’énumérerons pas ici. Si l’on s’appuie sur ces exemples, on peut en effet affirmer qu’il n’y a qu’une seule vériJ.-J. Vincensini, art. cit. E. Burgio, art. cit., p. 263, note 5 annonce le projet d’édition des deux versions regroupées (la VN est désignée par le sigle G en fonction de l’incunable de Genève ; nous préférons l’abréviation VN par rapport à l’incunable de Nantes, déjà édité par J.-J. Vincensini) ; p. 264-265, note 11, E. Burgio signale « l’accordo » des deux versions « nell’innovazione di alcune microsequenze ». Il ne cite cependant qu’un seul détail, qui témoigne en effet de cet accord, à la fin du récit, dans le chapitre 51 du texte latin de la RB. 36  37 

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table dissemblance entre les deux versions : la VN, à la différence de la version de Londres, augmente plusieurs parties du récit. Elle serait donc plus riche que notre traduction.  Mais cette richesse est en réalité fluctuante. D’autre part, on peut identifier dans la version de Londres d’autres coïncidences avec d’autres versions françaises que la VN ne présente pas. Notre traduction contient également un grand nombre de détails qui permettent de penser qu’elle suit un texte latin différent. Ainsi, certains passages, absents de la VN, sont inspirés des RB et RSt. On peut citer par exemple la description de la fille d’Antiochus (cf. C2). Plus avant dans le récit, la VN cite une « terre des Penthapolitans », fondée peut-être sur une leçon latine différente, là où la version de Londres annonce une « terre de Penthapolis », traduction correcte de la Penthapolis latine. Dans le même passage, la VN cite le toponyme Terme, mauvaise lecture de Cyrene, que la version de Londres ne mentionne pas du tout (cf. C27). Le nom du médecin est également différent : « Hermon » dans la version de Londres et « Cyromont » dans la VN. Il est difficile d’expliquer cette dernière différence par l’écart des deux versions face à une source française commune. Il est plus simple d’y reconnaître deux sources latines différentes et non encore identifiées (cf. C56). Mais les différences ne s’arrêtent pas là. Dans la VN, Tharsia se sert de l’eau pour laver le tombeau de sa nourrice alors que dans la version de Londres elle apporte une pinte de vin pour faire une libation (cf. C66). Quant au traitement médical de la fausse morte, il est également différent. Le mot « sain » de la version de Londres correspond au latin pectus, alors que ce terme n’a pas de correspondant dans la VN (cf. C59)38. Enfin, on remarquera que le texte de la devinette, partie à la fois matricielle et emblématique de l’Historia, est différent dans la version de Londres et dans la VN. La première cite un texte latin que nous avons trouvé dans un manuscrit dérivé de la RB. Elle traduit correctement le latin vescor (« je menguë »), tandis que la VN se sert d’un terme différent : « user » (cf. C13). Pour les autres exemples, pour la comparaison avec les trois redactiones latines et pour d’autres comparaisons avec d’autres versions françaises médiévales, voir les commentaires dans le dossier qui suit l’édition. 38 

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Il faut donc avouer qu’en l’état de nos connaissances il est impossible de tirer une conclusion ferme. Notre propre opinion est que les deux versions françaises remontent à deux textes latins appartenant à un groupe commun de témoins manuscrits, mais qu’il n’y a pas de relation directe entre la VN et la version de Londres. Cette dernière est certainement la copie d’un texte français perdu. Les fautes de copiste que nous avons observées (cf. par exemple la note 60 de l’édition ou les C17, C49, C64) semblent le prouver. Il est cependant peu probable que ce texte perdu soit la source des incunables de Genève et de Nantes.

Remarques littéraires  La comparaison avec les sources latines ne suffit pas cependant à éclairer le travail du traducteur. Nous consacrons alors les pages suivantes aux enjeux littéraires de la traduction de Londres et au style du traducteur. Sur le plan de la typologie, les traductions en moyen français possèdent un certain nombre des traits communs. La plupart sont précédées d’un prologue dédicatoire, où le traducteur se nomme et fait l’éloge de son commanditaire39. Toutefois, nous n’avons trouvé aucune trace d’un commanditaire. L’espace vide du premier feuillet, qui ne présente aucun blason, semble indiquer que son destinataire n’a pas été son commanditaire40. De surcroît, les différentes leçons du manuscrit analysées dans nos commentaires permettent de supposer qu’il est la copie d’une traduction, et non le manuscrit autographe du traducteur41. 39  Serge Lusignan, «  La topique de la Translatio Studii et les traductions françaises de textes savants au xive  siècle  », dans Traduction et traducteurs au Moyen Âge : Actes du colloque international du cnrs organisé à Paris, Institut de recherche et d’histoire des textes, les 26-28 mai 1986, éd. Geneviève Contamine, Paris, Éditions du cnrs, 1989, p. 304. 40  Claude Buridant, « Translatio medievalis : Théorie et pratique de la traduction médiévale », Travaux de linguistique et littérature, 21, 1, 1983, p. 92. 41  Les erreurs sur les noms – Tarcye (nom de l’épouse d’Appolin  : f.  218vb x 2, f. 219ra, f. 219rb) ou Antiochus (nom d’Anthigoras : f. 227ra, f. 229rb), etc. –

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Il faut se souvenir également que l’exercice de la traduction a ses propres présupposés théoriques42. Pour la traduction que nous avons éditée, ces présupposés sont évidents dans le traitement des realia romaines. Le traducteur savait que le texte devait être transposé dans un autre code, celui du nouveau destinataire43. Ce dernier n’attendait sans doute pas des merveilles, mais plutôt des scènes ou des circonstances exotiques. Le traducteur de la version de Londres est contraint par son idiolecte de supprimer ces circonstances et d’étoffer le rôle des personnages principaux. Il élimine ainsi la tempête et les devinettes de Tharsia, les parties les plus célèbres du récit latin, dont la première était une catégorie virgilienne per se44. Les versions antiques lui sont parvenues sous une forme déjà christianisée, qu’il christianise encore plus en leur attribuant une moralité passagère. Ainsi les merveilles qu’il annonce dans la première rubrique, inspirées sans doute par la copie du Cleriadus qui le précède dans le même manuscrit45, sont effacées graduellement vers la fin du récit. Dans son colophon, le traducteur ne mentionne plus les merveilles ou les aventures. Il les a omises simplement parce qu’elles n’existent plus. Toutefois, puisque nous ne connaissons l’ancienne structure de l’Historia Apollonii regis Tyri que par ses intermédiaires latins médiévaux, désignés comme RA, RB ou RSt, l’analyse textuelle de la version de Londres doit continuer à s’appuyer sur le rapport qu’elle entretient avec ces versions. Pour ce qui concerne le début du récit, les différences sont mineures46. Le clerc qui a rédigé la semblent plutôt ceux d’un traducteur qui se trompe de personnage, que ceux d’un copiste. 42  Ces fondements sont parfois sociolinguistiques et le message est émis dans un idiolecte propre à l’émetteur (l’auteur du texte original). L’idiolecte est défini par des coordonnées diverses  : géographiques, sociales et techniques (Claude Buridant, art. cit., p. 90). 43  Claude Buridant, art. cit., p. 90. 44  Anna Maria Babbi, art. cit., p. 182. 45  Cf.  Eugenio Burgio, art.  cit., p.  267-268 qui considère que la version de Londres peut être incluse dans un groupe de traductions françaises de l’Historia Apollonii qui « si collocano sul versante ‘cavalleresco’ del corpus ». Voir supra la Préface de C. Galderisi. 46  Au début du récit les deux versions latines donnent une lecture similaire : l’Incipit historia Apollonii regis Tyrie de la RA ne diffère de l’Incipit His-

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traduction de Londres respecte par exemple l’ordre des phrases latines et n’insère que trois mots au début de son récit  : «  cronique », « mervilleuses » et « aventures »47. L’« histoire » est une traduction fidèle du mot latin historia48. Si elle est l’ouvrage d’un historien49, Apollonius devient un personnage réel, dans la mesure où il raconte lui-même son destin à la fin du récit50. Une « cronique » étant une forme d’histoire, l’usage en parallèle des deux mots finit par transformer le titre en une expression tautologique. Bien que les deux mots aient dans le langage courant du xve siècle des acceptions similaires, sinon identiques, le traducteur aurait pu les employer selon un choix esthétique complémentaire, celui du binôme synonymique, dans lequel un premier terme néologique est éclairé par le second. Sachant, cependant, que les deux mots existaient dans la langue française, nous croyons qu’il faut trouver une autre explication. En espérant trouver une liaison entre les deux termes du titulus et les concepts narratologiques employés dans les prologues médiévaux, nous avons découvert alors le jugement de Paulin de Venise, qui explique dans son Compendium qu’il existait deux manières d’écrire une histoire au xive siècle. L’une était la démarche historiographique, qui négligeait la chronologie des histoires ; l’autre était celle chronographique, qui, bien que favorisant la chronologie, ne mettait pas en évidence la continuité des histoires51. Nous trouvons ici l’ancien débat entre toria Apollonii regis Tyri de la RB que par l’addition d’une voyelle finale. 47  « Cy commence la cronique et histoire des mervilleuses aventures de Appolin roy de Thir ». 48  Ses acceptions en ancien et moyen français varient. La plupart des occurrences renvoient à l’acception d’histoire, mais aussi à un conte, à un tableau, à une statue ou à une représentation dramatique. 49  blmf / atilf, entrée « histoire », réponse 4, B. 50  La fin de la RB latine, suivie par la version de Londres : Casus suos suorumque ipse descripsit et duo volumina fecit : unum Diane in templo Ephesiorum, aliud in biblioteca sua exposuit (G. A. A. Kortekaas, éd. cit., p. 411). 51  Isabelle Heullant-Donat, « Les prologues des chroniques universelles à la fin du Moyen Âge », dans Les Prologues médiévaux, Actes du Colloque international organisé par l’Academia Belgica et l’École française de Rome avec le concours de la Fidem (Rome, 26-28 mars 1998), éd. Jacqueline Hamesse, Turnhout, Brepols, 2000, p. 584. Pour une analyse des tâtonnements médiévaux à propos des définitions des

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les annales et les histoires, un conflit connu depuis l’Antiquité. L’avis de l’écrivain vénitien est le témoignage d’une tradition et non pas celui d’une opinion personnelle. Or, puisque la version de Londres se désigne à la fois comme « histoire » et « cronique », on pourrait avancer que le traducteur visait peut-être à réunir les deux traditions. Du point de vue littéraire, le récit de Londres est une vraie « histoire », et non pas une « cronique », mais le traducteur a pu vouloir donner plus de garanties à ses lecteurs quant à la véridicité de son récit, en rappelant l’existence de deux manières différentes de conter, toutes les deux traduisant des faits réels. Quant au mot « aventure », qui complète la « chronique » et l’« histoire », il a en moyen français la même acception qu’en français contemporain. Elle est l’histoire aléatoire ou le destin permis par les êtres divins d’un héros guidé par des faits surnaturels. En conséquence, le merveilleux, l’autre coordonnée du roman, s’oppose à son historicité. À la fin du Moyen Âge, la merveille indique une littérature des merveilles, tradition dérivée des œuvres de Pline l’Ancien, passée ensuite par l’intermédiaire d’Isidore de Séville, de Raban Maur, de Gervais de Tilbury, et arrivée finalement dans la Lettre du Prêtre Jean ou dans le Livre des Merveilles de Marco Polo52. Il s’agit d’un imaginaire médiéval, issu d’une tradition empirique, qui s’oppose au réel ou au vraisemblable parce qu’il a recours à une liberté d’invention totale, mais qui passe graduellement et cycliquement à l’état empirique, plus proche du réel. L’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance et la modernité, l’Orient et l’Occident exploitaient les mêmes artifices  : le goût pour le fabuleux, le plaisir de l’aventure irréelle, l’amour du merveilleux, qui s’expriment dans des œuvres hétérogènes. Toutegenres historiques, voir Bernard Guénée, « Histoires, annales, chronique. Essai sur les genres historiques au Moyen Âge », Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, 28, 4, 1973, p. 997-1016. 52  Isabelle Heullant-Donat, art. cit., p. 581-582, divise les « chroniques universelles » en trois types : relevant des series temporum ; accordant une place prépondérante au récit ; voulant faire état de la totalité des connaissances passées et présentes. La dernière catégorie renvoie au genre encyclopédique des imagines mundi et à la littérature des merveilles. L’emploi des mots « chronique », « histoire » et « merveilles » dans le titulus de la version de Londres essaie peut-être simplement de susciter une captatio benevolentiae concernant la véridicité du récit.

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fois, ces œuvres d’imagination, récits étranges de voyages sur des mers peuplées de merveilles, n’épuisent pas l’imaginaire. Ils n’en donnent qu’une vision réduite, où l’imaginaire est défini en creux, comme absence de contraintes. Toutefois, Apollonius est réel, il n’appartient pas à l’imaginaire. Il est vraisemblable. Il a existé. Il a été roi dans plusieurs cités, comme le dit la fin de son histoire53. Il est un méta-auteur et un méta-personnage, l’une des raisons pour lesquelles son histoire n’a pas été touchée. Quelle est donc la merveille d’Apollonius ? L’emploi des mots appartenant à la famille de « merveille » est variable en moyen français. La « merveille » frappe d’étonnement par sa beauté ou par sa grandeur. Un regard attentif montrera que la version de Londres contient onze mots appartenant à cette famille lexicale, parmi lesquels on ne distingue qu’un seul emploi de toutes les acceptions  présentées précédemment  : l’étonnement54. De surcroît, nous avons observé que la merveille se trouve souvent associée au champ sémantique du verbe « pleurer ». Or à travers les peines larmoyantes de ses protagonistes, le public de cette version prenait conscience du caractère prodigieux de l’histoire d’Apollonius. On peut ainsi relever dans le texte les occurrences du syntagme « tout en plourant ». En examinant les cas où l’expression garde une structure morphologique et phonétique fixe, nous avons observé qu’elle a été adoptée dans treize cas différents, toujours en relation avec les moments-clés de la narration. Elle apparaît également en relation avec un verbe narratif (« dire », « remercier », « prendre congé », « compter », « jeter un cri ») ou avec un verbe qui exprime une action symbolique par de gestes à valeur discursive (« se jeter », « baiser », « embrasser »). Les occurrences les plus fréquentes sont liées au verbe « dire ». Nous constatons alors un emploi équivoque des larmes. Elles sont à la fois des nœuds narratifs et, comme les merveilles, des indications données par le compilateur médiéval à ses lecteurs. Dans l’un des fragments, on 53  Pour l’authenticité de l’Historia comme biographie voir les considérations de Maurice Delbouille, art. cit., p. 1184-1185. 54  Nos conclusions ont été confirmées par le choix du traducteur de la version de Londres. Il traduit le verbe latin miror par « se merveiller ».

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lit  : «  Appolin eubt desenflé son cuer de plourer  ». C’est dans cet emploi singulier, que nous espérons trouver la clé du mystère des larmes. Elles viennent du cœur de chaque personnage, et non pas de ses yeux. Elles soulignent les moments discursifs essentiels et sont un ‘instrument spirituel’, le résultat direct de la pénitence commune des lecteurs et des personnages55. On dirait qu’elles représentent en même temps la pénitence du traducteur. L’homme médiéval était sans doute dans un étonnement profond devant Apollonius, ce souverain qui continue à mener une vie périlleuse et aventureuse, bien qu’il ait un caractère assez banal. Notre héros s’illustre surtout par ses talents musicaux, pédagogiques ou pour une chevalerie artificielle (dans les VV, VB et VF). Lorsqu’on lit la version de Londres et que l’on découvre la référence aux merveilles et aux larmes, on a l’impression que ces ajouts ont le même effet anachronique, mutatis mutandis, que le rire artificiel dans les séries télévisées. Nous pouvons imaginer que les dames et les chevaliers auxquel(le)s la traduction de Londres était destinée pleuraient et s’émerveillaient au rythme des aventures scandé par le traducteur. Les « mervilleuses aventures » du titulus annonçaient au public de quelle manière il devait interpréter ces dernières. Toutefois, nous ne devons pas négliger le fait qu’Apollonius est un voyageur, et dans une certaine mesure un viator, un personnage qui relie des terres et des villes parfois inconnues et plus souvent bien connues. Les merveilles du titulus jouaient peutêtre un double rôle, intrinsèque et extrinsèque. Une fois liées à la structure des nœuds narratifs du texte, elles devaient provoquer une réaction de la part du public, tout en renvoyant à la littérature des merveilles. À cela s’ajoute le fait que l’Historia débute par un inceste. Or pour le transposer, le clerc médiéval devait prendre ses précautions. Il ne pouvait pas offenser la sensibilité de ses lecteurs. Il trouve cer55  Piroska Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge. Un instrument spiritual et quête d’institution (ve-xiiie siècles), Paris, Albin Michel, 2000, p. 376-381, 394-398. D’ailleurs, le roi ne pleure pas devant la tombe vide de Tarcye, justement parce que son cœur semble lui suggérer qu’il n’y a là qu’un simulacre vide.

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tainement difficile une traduction fidèle du texte latin, presque elliptique. Le traducteur, lui-même un savant, est donc soumis aux tentations de l’exercice littéraire. Là où le texte latin établit  qui cum luctatur cum furore, pugnat cum dolore, la lutte intérieure du personnage doit être amplifiée, car la pratique littéraire antique semble échapper à notre philologue médiéval56 : « et tant plus le regardoit et plus le convoittoit  »57  ! Pour sauvegarder sa propre sincérité, le traducteur précise les circonstances d’une telle obscénité58. Son intervention concernant les tentations de la chair rappelle aux lecteurs leurs propres pénitences. Ce choix anachronique n’est pas ponctuel, car il sera utilisé partout à travers le récit, à chaque fois que les propos du texte latin risquent de paraître honteux pour un public médiéval. Ce choix esthétique du traducteur de la version de Londres n’est pas singulier, car les autres versions françaises utilisent les mêmes artifices59. Le trait fondamental de la traduction de Londres devient alors un choix banal, commun aux autres versions françaises. 56  Pour l’utilisation des métaphores et comparaisons entre lutte et amour dans la littérature antique voir G. A. A. Kortekaas, Commentary on the Historia Apollonii regis Tyri, Leiden-Boston, Brill, “Mnemosyne. Bibliotheca Classica Batava”, 2007, p. 13-14. 57  On peut reconnaître un respect formel face au texte latin, car le traducteur traduit (« regardoit / convoittoit ») suivant le modèle ( furore / dolore). 58  « Tant qu’il avint ung pou de tempz qu’il va proposer en soy mesme contre les temptacions de la char ». 59  Par exemple, dans la traduction du même fragment, la VL joue avec deux mots qui renvoient à un champ sémantique charnel (désir et plaisir), en les doublant d’un adjectif qui évoque un caractère immoral (félon). Cf. VL : « Mais il avint que comme son pere feust en deliberacion a qui il la marieroit, il, contraint de l’ardeur de felon desir et plaisir, enchëy en l’amour de sa fille et l’encommença plus a amer » (Charles B. Lewis, éd. cit., p. 2). La VF veut excuser son personnage et passe d’un moralisme faible (l’emploi de l’adjectif « mauvais ») à la folie : Cf. VF : «  mez comme le peres pensast au quel trespuissant home la peust doner a feme constreignant la maveisse flambe de covoitisse, si chei en fol amor de sa fille et einsi la comença a amer plus qu’il ne convient a pere » (Marina Rocchetti, éd. cit., p. 47). C’est le traducteur de la VN qui “exagère” le plus, car il met en scène le diable : non comme un personnage qui intervient dans l’action du roman, mais comme une recette livresque, à valeur apotropaïque, qui témoigne d’une répulsion auctoriale pour les personnages du récit. Cf.  VN  : «  Durant celles choses le roy, par mauvais eschauffemens et par temptacion du dyable, fut esmeu et mist son amour en sa fille » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 515).

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Pourtant, le choix moralisateur n’est pas une constante immuable du récit de Londres et le traducteur ne se limite pas à utiliser une seule méthode. Dans un autre fragment où il semble suivre fidèlement le texte latin60, l’impium thorum, qui pouvait être exploité pour servir de fondement à la moralité, a été oublié par le traducteur, bien qu’il renvoie à l’injustice et à la désacralisation61. L’inconsistance du discours du traducteur pourrait s’expliquer par son désir de moraliser seulement les fragments neutres. Il aurait décidé de supprimer en entier les autres fragments du texte latin qui témoignent de scènes tout à fait outrageuses. La traduction de Londres ne transmet plus le savoir de la langue de l’Historia. Son objectif n’est pas de rendre un sens qui soit accessible à tous, par-delà la diversité des cultures et des langues. Les frontières modernes entre traduction fidèle et adaptation libre n’ont pas la même rigidité au Moyen Âge62. Pour nous, la version de Londres est une adaptation, pour les médiévaux elle était d’abord une traduction, témoignant de cette souplesse qui est l’une des caractéristiques de la conception médiévale de la traduction63. Parmi les diverses expériences, la traduction littéraire met en relief l’existence d’éléments qui permettent de passer d’une culture à une autre, aussi éloignées soient-elles. L’asymétrie entre les deux langues et les deux cultures s’avère cependant trop grande pour que l’on puisse ‘traduire’, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Le traducteur doit recourir aux périphrases ou aux gloses pour réaliser la traduction du texte latin vers la langue française et vers la culture de ses locuteurs64. Comme le suggère Giuseppe di Stefano,

60  Lat. RB  : Et ut semper impiis thoris filia frueretur, ad expellendos petitores novum nequitiqe genus excogitavit ; cf. version de Londres : « Et, pour l’amour de ce, elle fu demandee en mariage par maintz filz de roys, de ducz, de contes et moult d’aultres nobles et puissans seigneurs ». 61  Le choix de l’impius latin dérivait probablement des adjectifs grecs (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 35). 62  Claude Buridant, art. cit., p. 88-89. 63  Ibid., p. 89. 64  Serge Lusignan, art. cit., p. 304.

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si la langue latine est plus riche, le problème de la ‘désignation’ ne pouvait pas ne pas se poser par endroits, et même fréquemment à qui fait œuvre de traducteur  : le problème de la richesse est, en effet, celui de la désignation des mots et des concepts propres à une civilisation que, par la recherche des équivalences, le traducteur doit faire surgir au sein d’une autre civilisation, celle de ses lecteurs à lui65.

Le traducteur n’a pu choisir que deux solutions : les calques anachroniques et l’amplificatio. Il utilise largement le procédé de l’amplificatio dans la version de Londres. Il augmente discrètement la structure du texte latin par des propositions courtes, en essayant de crayonner des portraits approximatifs ou d’introduire des motifs divers, notamment le decorum (πρέπον) de l’Antiquité classique, interprété selon la manière médiévale. Il introduit par exemple une noblesse de l’esprit, associée à la beauté des personnages du récit latin. Son Antiochus est humain, honnête et digne d’être un roi au début du roman, mais c’est Apollonius qui surmonte tous les autres personnages, car il est le protagoniste. C’est pour cette raison qu’Apollonius parle de temps à autre à la place d’autres personnages. En même temps, le texte oscille souvent entre la nécessité de l’anachronisme et la tentation de la glose. Notre version est un récit ‘actif’ et les dialogues apparaissent dans des fragments où la RB latine utilise la prose. Portés par l’amplificatio du rôle d’Apollonius, les autres personnages principaux du récit (Anthigoras, Tharsie et le roi de Cyrène) occupent l’espace de la scène et relèguent au second plan les personnages secondaires (Strangulio et Denise, le ribaud, voire la femme d’Apollonius, qui devient une sorte d’utilité narrative). Le traducteur confie sans doute aux hommes la force motrice de la narration. La seule femme qui semble être sur le même plan, la fille d’Apollonius, gagne son statut de personnage principal uniquement parce qu’elle est l’un des vecteurs de la narration. Le renforcement du rôle des personnages principaux transforme la version de Londres en un récit décontextualisé. Cette histoire ne conserve plus les cir65 

Giuseppe di Stefano, Essais sur le moyen français, Padova, Liviana, 1977, p. 51.

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constances du récit latin original, même si le traducteur a toujours gardé les proportions du texte en remplaçant ses omissions par des ajouts. Quant aux augmentations, elles ne sont pas de vrais accroissements, mais plutôt des gloses infranarratives. Le traducteur ne fait pas grand cas des énoncés courts et de l’accélération du discours latin ; il essaie d’uniformiser le développement narratif et a besoin de mettre en valeur les scènes qu’il considère comme plus importantes, bien qu’elles aient une place modeste dans le texte source. Paradoxalement, l’amour, un topos qui pouvait renforcer le statut des personnages dans son récit, en est presque absent. Une telle omission est liée sans doute à l’effacement des personnages féminins. La plupart des ajouts de la version de Londres sont des anticipations ou des reprises des fragments antérieurs et postérieurs. Leur emploi a pour objet de donner un surplus de dynamisme. Le traducteur de la version de Londres a certainement lu et compris le texte latin, mais, après les premières pages, il ne se préoccupe plus de le suivre soigneusement. Il donne l’impression de vouloir terminer son histoire et il se dépêche d’arriver aux épisodes suivants66. Quelques exemples. Là où la RA latine a comme protagonistes Strangulio et Denise, l’auteur latin de la RB a déjà réduit le fragment, mais notre traducteur a voulu le réduire davantage. Il supprime prima luce, trouve un équivalent pour scelerata («  faulse femme ») et ne peut pas concevoir les amicos et patriae principes comme compagnie de la dame. Il donne à Denise d’autres dames67 et oublie qu’elles doivent d’abord s’asseoir. Il les fait seulement Il se peut également qu’une partie de ces aspects soient dus en réalité au copiste et non pas au traducteur de la version de Londres. Dans la présentation de notre manuscrit, G. Zink s’intéresse uniquement au roman de Cleriadus et Meliadice, mais il décrit le travail du copiste comme étant maladroit et très pressé : « ms négligé, sous l’apparence trompeuse de ses enluminures, écrit à la diable par un scribe peu lettré et encore moins scrupuleux » (G. Zink, éd. cit., p. xxi). 67  La VN s’est inspirée directement du récit latin : « Si leur commença a dire : Seigneurs, saichéz que Tarcie, fille du roy Appollin morut l’aultre jour de mort subite, dont nous sommes en grant dueil. Et en morant elle prya qu’elle fust enterree auprés de sa nourrice et ainssi l’ay je fait metre la. Et pour tant vous ay je mandéz 66 

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venir, abrège les gestes de deuil et donne tout de suite la parole à la scelerata. Dans les fragments suivants, tout a été correctement traduit, sauf la cause de la mort de la fille, car le traducteur ne peut pas invoquer une simple maladie d’estomac. Dans son esprit, les grands personnages ne trépassent pas à cause de simples malheurs physiques, mais ils sont victimes de douleurs morales et spirituelles. Le traducteur semble alors ne plus être intéressé par la traduction et souhaite achever cet épisode le plus vite possible. Nombre de traductions médiévales témoignent du souci de traduire l’intégralité du texte d’origine et de lui conserver ses grandes divisions en livres ou en chapitres, selon le cas68. Pour une raison analogue, la version de Londres rejoint tout de suite, après chaque modification, la structure du texte latin. La traduction est fidèle, elle n’amplifie que les mots insignifiants, mais le traducteur est de temps en temps soumis aux tentations de l’exercice littéraire, bien qu’il lui manque toujours le courage, ou le talent. Il voudrait greffer sur la narration des conflits supplémentaires mineurs, mais il s’arrête au moment où l’écart entre sa traduction et le récit latin lui paraît mettre en danger la structure du récit69. Ces conflits ne sont pas alors des vraies scènes, mais des circonstances narratives liées au caractère moralisateur de sa traduction. Nous ne savons pas si le traducteur a compris les différentes acceptions des mots latins les plus difficiles, car il leur a donné des valeurs générales qui ne reflètent pas les idées du texte original. Dans d’autres cas, il traduit l’idée du texte latin par des propositions presque identiques, qui rappellent l’utilisation du binôme synonymique. Il arrive presque au même résultat que le texte original, non pas en le suivant, mais en se permettant des licences littéraires. La conséquence immédiate de cette action est une forme particulière d’amplificatio. Il ne diffère pas en cela de ses collègues médiévaux. Les traducteurs de cette époque aimaient les gloses, par lesquelles ils expliquaient le texte et s’adressaient ainsi aux lecquerre affin que luy faisons aulchuns honneurs pour l’amour de son pere qui jadis fist tant de bien a la cité » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 525). 68  Serge Lusignan, art. cit., p. 304. 69  Voir supra, Claudio Galderisi, « Préface ».

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teurs : « je ne le say proprement mettre en romant »70. Ils reconnaissent leurs fautes, ils s’apercevaient des différences entre le latin et le français, voire de leurs propres interprétations douteuses71. Lorsque les traducteurs de la Renaissance ont pensé à leurs prédécesseurs, ils ont considéré que leurs fautes étaient démesurées, leur choix des mots incertain et leurs traductions éloignées de l’original. Leonardo Bruni et ses contemporains ont appris le grec, ont perfectionné leur maîtrise du latin et ont voulu donner à leur traduction la valeur d’une copie parfaite. Ils considéraient que les ambiguïtés devaient être résolues par une étude et par une juste attention prêtée au contexte, nullement par des paraphrases incertaines ou par des remplacements ; ils estimaient que leur plus grand devoir était celui de rendre parfaites l’élégance, l’acuité et la précision du récit72. Les traducteurs médiévaux, en revanche, ne privilégiaient pas une analyse approfondie des textes et des contextes originaux, parce que le latin qu’ils connaissaient n’était pas le latin classique, mais le latin médiéval. L’absence d’un traité médiéval consacré à la traduction, déterminée par une faible autonomie des langues vulgaires par rapport au latin et par l’absence de grammatisation, fait que les principes fondamentaux et la stratégie globale de la traduction restent incertains73. Le traducteur de la version de Londres ne sent pas le besoin d’être fidèle à tout prix au texte de la RB ou du manuscrit latin qu’il a sous les yeux. Il traduit parfois scrupuleusement, mais son esthétique l’oblige à des choix différents sur le plan rhétorique. Comme le dit Borges, en interrogeant les concepts fragiles d’auteur, traducteur et plagiaire : « La historia, madre de la verdad ; la idea es asombrosa. Menard, contemporáneo de William James, no Giuseppe di Stefano, op. cit., p. 52. Dans les prologues des traductions médiévales, les traducteurs alignaient un certain nombre de remarques, les unes portant sur l’utilité de l’œuvre pour son destinataire, les autres sur la difficulté de rendre le texte latin en français (Serge Lusignan, art. cit., p. 304). 72  Paul Botley, Latin Translation in the Renaissance : The Theory and Practice of Leonardo Bruni, Giannozzo Manetti, Erasmus, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 6-7, 140-141, 144-145. 73  Claude Buridant, art. cit., p. 94-95. 70 

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define la historia como una indagación de la realidad sino como su origen. La verdad histórica, para él, no es lo que succedió ; es lo que juzgamos que succedió »74. De la même manière, pour le traducteur de la version de Londres, l’histoire d’Apollonius (vraisemblable et réelle) n’était pas le résultat d’analyses et d’études savantes de la civilisation antique, mais ‘ce qu’il pensait que s’est passé’.

Toilette et établissement du texte  Nous avons reproduit le plus fidèlement possible le texte du manuscrit de Londres, y compris lorsque les leçons qu’il présentait pouvaient paraître obscures ou problématiques. Nous avons essayé d’éclairer ces leçons en les comparant le plus souvent au(x) modèle(s) latin(s) ou aux variantes présentes dans les autres versions vernaculaires. Ces éclairages se trouvent dans le Dossier qui suit l’édition du texte. Nous avons suivi les règles habituelles d’édition pour la présentation du texte75 et les choix faits par le scribe médiéval. Nous n’avons pas changé les différentes graphies du même mot. Nous signalons ici les principaux choix éditoriaux : - Les chiffres romains ont été reproduits tels qu’ils apparaissent dans le manuscrit. - L’accent aigu a été utilisé sur le e tonique en finale absolue ou en syllabe finale devant un s. - Le tréma a été utilisé pour signaler les hiatus. - La cédille a été utilisée pour le sc- en tête de mot (le paradigme du verbe « sçavoir »).

74  Jorge Luis Borges, Pierre Menard, autor del Quijote, dans Narraciones, éd. Marcos Ricardo Barnatan, Madrid, Catedra, “Lettras Hispanicas”, 1995, p. 94. 75  Mario Roques, « Règles pratiques pour l’édition des textes français et provençaux », Romania, 52, 1926, p. 243-249 ; Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Fascicule i : Conseils généraux, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, École nationale de chartes, 2005 (2001) ; et Fascicule iii : Textes littéraires, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, École nationale de chartes, 2002.

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- Nous avons suivi le manuscrit pour la transcription de « puis que » (toujours en deux mots). - La ponctuation est moderne, mais elle essaye de mettre en valeur le mouvement de la phrase et le style très dialogué du traducteur. Cela nous a obligé à utiliser les tirets cadratins à la place des guillemets pour les dialogues. - Les points de suspension ont été utilisés pour désigner le début des répliques acéphales (le traducteur passe souvent du discours indirect au discours direct). Nous avons signalé par un appel de note de bas de page : - Les suppressions et les corrections, de même que les répétitions du copiste. - Les comparaisons avec les fragments importants des trois recensiones latines (RSt, RB et RA) qui peuvent éclairer le contenu de la traduction française. - Plusieurs comparaisons avec les versions françaises médiévales qui peuvent expliquer les choix du traducteur (en particulier la version de Nantes). Les commentaires de l’édition, trop longs pour être inclus dans les notes de bas de page, sont présentés dans un dossier complémentaire qui suit l’édition. Ils ont été signalés en exposant dans le texte de cette dernière par un astérisque suivi de leur numéro (cf. *C76 pour le commentaire C76).

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f. 210r. Le roi Antiochus et sa fille (© The British Library Board).

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f.  222r. Le médecin découvre la fausse morte (© The British Library Board).

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Édition

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[f. 210ra] Il estoit ung roy appellé Anthiocus, lequel print le nom en la cité de Anthioce. Lequel roy avoit une femme espousee*C1, qui estoit parfaicte en touttes beaultez corporelles, de touttes sciences et de touttes no [f. 210rb] blesses ; de la quelle dame le roy eubt une fille qui ressambloit sa mere en touttes vertus et en toutte beaulté corporelle*C2. Aprez ung pou de tempz la dame morut, dont le roy fist moult grant dueil, et luy fist faire le service tel comme il appertenoit a une roynea*C3. Et [f. 210va] puis fist nourir la fille et la fist ensaignier en touttes bonnes condicions selon l’estat royal*C4 ; laquelle fille creut tant en grant beauté et en toutte noblesse que c’estoit grant merveille a veoir*C5. Et quant vint qu’elle eubt environ .xi. ans*C6, la damoiselle resplendissoit en grant beaulté que son pere propre convoita avoir charnelle compaignie avecques elle. Et tant plus le regardoit et plus le convoittoit, tant qu’il avint ung pou de tempz qu’il va proposer en soy mesme contre les temptacions de la char. En la fin, comme celuy qui n’aloit point le droit chemin de nature, fut vaincu*C7. Et quant la fille fut en l’eage de .xii. ans, ung jour le pere entra en sa chambre et faignoit qu’il voulsist parler a elle de conseil et fist eslongier touttes ses gens *C8 loingz de sa chambre. Et [f.  210vb] quant il vit qu’il estoit tout seul avec sa fille, si la va prendre de toutte sa puissance, et la demoiselle se commencha a deffendre de tout son pouoir. Nonobstant, elle ne peut resister contre la force de son pere, et tant fist le maulvaiz plain de malice qu’i osta la fleur et virginité de sa fille propre*C9. Et quant la demoiselle se vit ainsi deshonnouree, si commença a faire grant dueil, et le traytre pere le commencha a la resconforter en luy promettans grans dons et grans richesses. Atant se party de sa chambre, et la nourice de la dame entra en la chambre et vit la fille qui estoit triste et melancolieuse, qui plouroit moult fort*C10. Et la nourice regarda le sang qui estoit

« Comme il appertenoit a une royne » ; VN augmente : « dont sa mere en enfantant d’elle morut ». a 

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sur le pavé de la chambre, si fust moult esbahye et dont commença a crier et dist : — Ma chiere fille, dont est venu ce sang [f. 211ra] ne pour quoy plourez vous ainsi ? Adonc respond la fille : — Ma chiere nourice, sachiez que je suis sanglante d’une orde et villaine taiche, car j’ay perdu ma virginité, et sachiez que en ce lit se sont perdus les noms des deux personnes notables. Et la nouriche respond : — Qui a eu tant de hardiesse de vyoler le lit a une pucelle fille de roy ? Pour certain je le voix dire a vostre pere, qui en fera cruelle vengance ! La fille respond : — Ma chiere nourice, vous ne m’entendez pas ! Et ou est mon pere ? La nourice sans attendre va compter a son seigneur comment sa fille estoit malade et fort desconfortee. Et le roy fist semblant d’avoir pitié de sa fille  ; si fist venir les medecins et moult d’aultres gens pour resconforter sa fille*C11. En ceste maniere, le maulvaiz desloyal pere, par l’espace d’ung [f. 211rb] grant tempz, habitoit avec sa fille charnellement et si faisoit samblant d’estre courocié du mal de sa fille. Et quant la fille vint en l’eage de .xv. ans, la renommee s’espandit par maintes terres de sa grant beaulté. Et, pour l’amour de ce, elle fu demandee en mariage par maintz filz de roys, de ducz, de contes et moult d’aultres nobles et puissans seigneurs. Et quant le roy vit qu’elle estoit tant requise, et d’aultre part les barons de son pays l’admonnestoient de la marier, dont le roy en estoit moult courouchié comme celluy qui la pensoit tenir tous les jours de sa vie en la grant dissolution qu’il avoit commenceea*C12, sy va pourpenser une question en son mauvais courage [et]b qu’il la proposeroit a ceulx qui demandoient sa fille, et qui ne sçaroit donner solution, si perderoit la teste. Laquelle question s’ensieut : a  « Les barons de son pays », cf. lat petitores. VN : le futur mariage de la fille relève du choix du père. b  Dans le manuscrit : « sy va pourpenser une question en son mauvais courage qu’il la proposeroit ». Mélange possible de deux constructions : « pourpenser une question » et « pourpenser qu’il proposeroit une question ».

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[f.  211va] Scelere vereor, maternam carnem vescor. Quero patrem meum, matris mee filium, nec invenio. Qui vault autant dire comme : “J’ay vergongne de mon pechié, je menguë la char de ma mere ; je quiers mon pere, filz de ma mere, et ne le puis trouver”a*C13. Et quant il eust trouvé sa question, si fist crier par tout son royaulme que tout filz de roy ou de prince qui sçaroit declairer la dite question, il luy donroit sa fille a femme et la moitié de son royaulme ; et aussi qui ne la sçaroit declairer fust tout certain qu’il perdroit la teste sans nulle mercy*C14. Et non pourtant la renommee de la fille estoit tant grande pour la beaulté qu’elle avoit que moult de filz de roys se mirent a l’adventure de la demander pour femme. Et quant ilz estoient venus devant le roy, il leur presentoit sa question, et [f. 211vb] s’ilz ne la sçavoient bien declairier a son plaisir, il leur faisoit oster la teste sans nulle mercy, et puis faisoit pendre les testes sur les murs de son palaix*C15. Et quant aulcun par sa subtilité diroit la declaracion de la dite question, aussi bien leur faisoit trenchier la teste, car il estoit obstiné en sa maulvaistié, [et] disoit qu’il n’en sçavoient riensb. Comment Appolin entendit les nouvelles de la fille Antiochus et comment il solut la question de la condicion du mariage.

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Et tant que les nouvelles de la beaulté de sa fille vindrent a ung jour aux oreilles d’ung josne homme, filz du roy de Thir, qui avoit nom Appolin*C16, lequel, pour la grant amour dont il l’amoit, s’en vint en la presence du roy Antiochus, luy demandant [f. 212ra] sa fille pour femme ; auquel le roy respondit et dist : — Dy moy, josne homme, est vif ton pere et ta mere ? Sy luy respondy Appolin : — Oy moy qui suis cy devant toy. Et le roy luy demanda comment il a nom*C17. Respond Appolin : Devinette différente par rapport aux recensiones latines : veor devient vereor ; frater devient pater et uxoris mee filium disparaît. VN : « user » à la place de vehor et vescor latins. b  « Les murs de son palaix », cf. lat. caput et porta. VN : « […] et les faisoit mectre hors de la cité pour ce que ceulx qui la demanderoient veissent l’exemple affin que nul ne la demandast ». a 

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— Tant comme vie me durera en fortune, j’averay nom Appolin, seigneur de Thir. Et le roy luy dist : — Scez tu la condicion du mariage de ma fille ? Sy luy respondit Appolin : — Elle est demoustree sur la porte de ton palaix. Antiochus luy dist : — Josne homme, ayez mercy de toy mesmes  ! Je te donne terme que d’icy a trois jours tu ayez a declairer la question faicte par moy sur le mariage de ma fille. Et se tu ne laa declaires bien, soyez certain que il te fauldra morir ! Et quant il eubt dit, Appolin print congié du roy et s’en entra en sa chambre et commencha a estudier, car il estoit bon clercq. Et moy/[f. 212rb]ennant la grace de Dieu trouvera la declaracion de la dite question. Et quant vint au tiers jour qu’il debvoit respondre, il se presenta devant le roy luy demandant sa fille pour espousee. Et le roy luy dist : — Josne homme, sauvez ta vie et ayez bon acord sur la condicion de tel mariage. Appolin respond : — Roy Anthiocus, j’ay confiance en Dieu qui m’aidera a exposer et a souldre ta question, et pour tant je demande ta fille pour espouse. Et le roy, voyant qu’il ne le pooit escondire, proposa sa question et dist : — Appolin, dictez moy la declaracion ainsi qu’il appertient ! Et lors Appolin regarda devers le ciel, ayant bonne esperance en l’ayde de Dieu, et dist : — Roy Anthiocus, tu as proposé ta question. Entens a moy ! Quant tu dis scelere vereor, c’est ton pechié et ta vergongne.

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Dans le manuscrit : « la ».

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Regarde toy mesmesa ! Aprés, quant [f. 212va]b tu dis maternam carnem vescor, c’est a dire “je manguë la char de ma mere”, regarde ta fille. Et quant tu dis quero patrem meum et matris mee filium nec invenio, c’est a dire “je quiers mon pere, filz de ma mere, et ne le puis trouver”. Et, se tu veulx bien entendre, c’est ta vergongne de toy et de ta fille*C18. Et quant le roy entendit ce que ne voloit pas oÿr et congneut bien que Appolin avoit bien apperceu le mistere de la question et donna bonne declaration en la grant honte du roy. Lors dit Appolin : — Je t’ay proposé la question. Adonc respondit le roy : — Tu n’as pas bien respondu ainsi qu’il appertient, pour quoy tu as deservi mort. Non pourtant, j’ay pitié de toy, car je voy que tu es josne et innocent. Et pour l’amour de ce, je te donne terme [f. 212vb] d’icy a ung mois. Et se tu scez declairier le dit article, tu aras ma fille pour femme, et s’il est le contraire, je te jure par mon chief que tu en mouras. Et quant Appolin entendit les parolles du roy Anthiocus, tout melancolieux s’en vint a son hostel et entra en sa chambre, et commença a estudier de toutte sa puissance, et ouvrit son entendement pour mieulx sçavoir la declaration de la dite question*C19. Et quant il eubt assez estudié et veillié de jour et de nuyt, eubt mis tout son effort et toutte sa diligence qu’il peut en nulle maniere, il ne peut trouver meilleure declaration que la premiere estoit. Et quant il ot pensé une grant pieche, si dist a par luy tout en plourant : « Que fais tu icy ne pourquoy te traveilles tu en vain ? Car tu as bien solu la question, laquelle t’a esté presentee, [f. 213ra] mais la fille du roy n’avras tu pas pour femme, car pour certain le roy Anthiocus ne t’a donné ce terme, fors que, quant il

Cf. lat. RA : « Domine rex, proposisti mihi questionem ; audi ergo solutionem. Quod dixisti : scelere vehor, non es mentitus : te respice. Et quod dixisti : maternam carnem vescor, nec et hoc mentitus es : filiam tuam intuere ». Cf. lat. RB : « Bone rex, proposuisti questionem. Audi eius solutionem. Nam quod dixisti : scelere veor, non es mentitus : te respice ! Maternam carnem vescor : filiam intuere tuam ». b  . Dans le manuscrit : « quant [f. 212va] quant ». a 

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seroit passé, pour te faire trenchier la teste et te faire villainnement [morir]a. Et pour ce n’est mestier de prendre bon remede sur ce. » Et quant vint le lendemain bien matin, il s’en partit en bonne maniere et secrete et s’en vint a Thir le plus tost et le plus secretement qu’il peut, et fist chargier une nef, la plus grant qu’il peut, toutte plaine de bledz, et print grant foyson d’or et d’argent, et tout ce qu’il luy faisoit besoing, non pas comme roy, mais comme marchant*C20. Si se partist de Thir et fist mettre le voille au vent*C21, et nagerent tant qu’ilz vindrent en une cyté appellee Tarcye, en laquelle cyté avoit ung prince nommé Strangulio et sa femme Denise. Et [f. 213rb] quant Appolin fut arrivé, il oÿt dire que en la cyté avoit grant defaulte de bledz. Lors Appolin manda querir Strangulio qu’il venist parler a luy, et luy dist. — Prince et gouverneur de la cyté de Tarcye*C22, j’ay entendu que vous avez grant deffaulte de bledz, pour quoy je vous dy que je advitailleray vostre cyté de bled se vous me volez tenir sus, car le roy Anthiocus me poursieut. Et quant Strangulio entendit ceste parolle, si se laissa cheoir a ses piedz et luy dist : « Seigneur Appolin, se tu veulx secourir la cyté souffreteuse de vivres, nous ne cellerons pas tant seullement ta personne, mais, se mestier est, nousb combatrons pour toy jusques a mourir. Et tantost Strangulio compta les nouvelles aux bourgois de la ville, et les bourgois respondirent [f.  213va] que ce vouloient ilz ouÿr dire de la bouche de Appolin. Lors Appolin se mist en une grant place qui estoit en la cyté et monta en une chaiere, et illecques furent presens tous ceulx de la cyté. Puis dist Appolin si hault que tous l’entendirent*C23 : — Seigneurs, bourgoys de la cyté de Tarcye, lesquelz la grant famine tient en destresse, moy, Appolin de Thir, garniray vostre ville de bledz si vous me voulez celer et garantir. Je vous donray a  Erreur du copiste. Pour l’ajout, voir les tournures : « je n’ay garde de nulluy de la faire morir » ( f. 224vb) ; « tu me veulx faire morir » ( f. 225ra) ; « les belles robes te font morir » ( f. 225ra) etc. b  < no >. Dans le manuscrit : « nous no combatrons ».

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cent mille sextiers de fromment pour le pris que je l’ay acheté en ma terre*C24. Adont commencerent tous a dire a une voix : — Sire, grant mercys ! Et tantost Appolin commanda que on leur livrast du blé a certain pris tant qu’ilz en aroient mestier. Et quant chacun en eubt prins tant qu’il en eubt besoing, si dist Appolin que il ne vouloit point [f. 213vb] avoir le nom d’estre marchant. Sy rendit l’argent a tous ceulx qui avoient prins du blé. Et quant les barons et bourgois virent le grant honneur et franchise qu’il leur faisoit, si firent faire une ymage d’or en remembrance de Appolin et la mirent sur ung piller de pierre en la plus grant place de la ville. Et tenoit le dit ymage du blé en la main  ; et firent escripre lettres dessoubz les piez qui disoient*C25 : « O cyté de Tarcye, restauree par Appolin de Thir, qui donna grans dons par sa franchise et appaisa la grant famine de Tarcyea*C26. » Comment Appolin, par le conseil de Strangulio et de Denise, sa femme, monta sur mer pour la doubte de Anthiocus. Et comment et par quel maniere il perdit tout.

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[f. 214ra] Aprés ung grant tempz, Strangulio et Denise, sa femme, conseillerent a Appolin qu’il s’en alast, car ilz ne le tenoient pas bien seur. Et quant Appolin entendit le conseil qu’i luy donnoit, il fist appareillier ses nefz et y fist mettre tout ce quy luy estoit necessaire, et au plus matin s’en partit, luy et toutte sa compaignie. Et les bourgois de la ville l’acompaignerent jusques a la rive de la mer, et le commanderent a Dieu, car il estoit moult couroucié de son partement. Appolin aussi print congié d’eulx, et puis entra en sa nef, et aprés misrent les voisles au vent et eubrent bon vent par trois jours. Sy nagerent vers la terre de Penthapolis, car la pensoit il qu’il n’avroit garde du roy Anthiocus*C27. a  « O cyté… famine de Tarcye », cf. lat. RA : Tarsia civitas Apollonio Tyrio Donvm dedit eo qvod sterelitatem svam et famem sedaverit  ; cf. lat. RB : Tarsia civitas Apollonio Tyro donvm Dei eo qvod libertate sva famem sedaverit  ; cf.  VN, où la cité n’est plus restaurée, mais remplie et préservée.

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Et quant vint au .iiiie. jour, le tempz se mua en telle maniere [f. 214rb] que tous perirent fors Appolin, qui se sauva sur une table et vint a la rive de la mer tout nu. Puis regarda devers le maulvaiz tempz, et puis dist*C28 : — O fortune perverse et mauvaise qui deçoys les hommes du monde, comment tu m’as bien prins pour moy mettre du tout au bas ! Seigneu[r] Dieu, que pouray je devenir ne ou pouray je aler pour ma vie trouver ?a Ainsi comme il se complaingnoit, il se tourna de l’aultre part et vit ung pescheur a la rive de la mer qui avoit sur ses espaules ung gros manteau. Et Appolin s’en vint vers luy et se mist a genoulx, en luy priant qu’il voulsist avoir pité de luyb : « Et adfin que tu saches a qui tu feras bien, je suis nommez Appolin roy de Thir, quy ay tout perdu par fortune de mer !c » Et quant le pescheur l’entendit, si luy en print pitié et le me/[f. 214va]na dedens son bateau et luy donna a mengier de telle vyande comme il avoitd*C29. Puis despoulla son manteau et luy en donna la moitié ; puis luy dist : — Va t’ent en la cyté et tu trouveras aucun qui avra mercy de toy. Et se tu ne treuves mieulx, ma povreté, telle qu’elle est, ne te fauldra tant que je viveray. Et se mieulx ne peulx faire, tu pescheras avec moy et gaignerons nostre vye au mieulx que nous pourons.

Cf. lat. RSt : Stans vero Appollonius in litore nudus et intuens mare tranquillum ait : « Neptune, fraudator hominum, deceptor innocentium, Antiocho rege crudelior, propter hoc me reservasti ut inopem et egenum rex crudelissimus persequatur. Quo ibo, quam partem petam aut quis ignotus dabit mihi auxilium vitae ? » b  Cf.  lat. RSt  : Et haec ad semet ipsum locutus subito animadvertit et vidit piscatorem grandi sago ac sordido tributario circumdatum et cogente necessitate prosternens se illi ad pedes profusisque lacrimis ait. c  Cf.  lat. RSt  : «  Miserere quicunque es, succurre nudo et naufrago et non humilibus natalibus genito, et ut scias cui miserearis, ego sum Tyrius Apollonius patriae meae princeps. Audi nunc trophaeum calamitatis meae qui modo genibus tuis provolutus deprecor vitam ». d  « Telle viande comme il avoit » et suiv., cf. la VN : « povres viandes ». Cf. lat. RSt  : Piscator ut vidit speciosum iuvenem pedibus suis provolutum, misericordia motus tenuit manum eius et duxit eum intra tecta paupertatis suae posuitque epulas quas potuit habere. a 

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Et se Dieu te donnoit grace que tu recouvrasses la terre, qu’il te souvenist de moya. Et Appolin respondit que se Dieu luy faisoit grace qu’il retournast en son estat, qu’i luy rendroit a cent doubles. Atant print congié de luy et s’en ala en la cyté. Et quant il fu en la place, il vit ung messagier qui fist ung cry de par le seigneur, que tout homme de quelque estat qu’il fuist qui sçaroit [f. 214vb] jouer a la pelote se rendist tantost en celle place, car le roy Arcicastre, seigneur de la cyté, vouloit sçavoir s’il y avoit homme qui en sceuist tant que luy*C30. Quant Appolin entendy les parollesb, si se pensa qu’il y seroit, et tantost le vit on en la place. Lors Appolin, qui la estoit, saillit avant et recheut l’esteuf avant qu’il cheïst a terre et la bailla au roy. Et le roy la getta une aultrefois a Appolin, et recheupt en la presence de tous. Et quant le roy vit la grant legiereté, si dist a soy mesme qu’il n’y avoit homme quy en sceust tant comme il faisoit ; sy dist a ses gens : « Saillez hors, car je congnois que cest gentil homme est pareil a moy de bien jouer. » Et quant Appolin vit que le roy le louoit ainsi, si se tira prez du roy et luy dist moult de bonnes parolles et subtilles. La ou le roy prenoit grant plaisir, Appolin print [f. 215ra] congié du roy et s’en va par la cyté. Et quant le roy sceut qu’il s’en estoit party, si dist par sa foy qu’il estoit bien dolant de ce qu’il n’avoit sceu qui estoit celluy qui si bien avoit recheu l’esteuf et luy avoit dit tant de bonnes parolles. Sy commanda a ung de ses gentilz hommes que il alast aprés luy et qu’il sceust qui il estoit. Et quant le varlet l’attaint, il regarda son vestement, si s’en retourna devers le roy et luy dist : — Sire, celuy que demandez c’est ung homme de marine et si a passé peril en la mer. Et le roy luy demanda comment il le sçavoit. Dist l’escuyer : Cf. lat. RSt : « Tolle quod habeo et vade in civitatem, ibi forsitan qui misereatur tui invenies. Si non inveneris, huc revertere. Paupertas quaecumque fuerit sufficiet nobis, mecum piscaberis. Illud tamen admoneo te ut, si quando deo favente dignitati tuae redditus fueris, ne despicias dimidium tribunarii mei ». Apollonius ait : « Si non memor fuero tui, iterum naufragium patiar nec tui similem inveniam qui mihi misereatur ». b  Absence de licore Palladio et d’ingreditur lavacrum. a 

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— Sire, je ne luy as pas demandé, mais l’abit le demoustre. Et tantost le roy luy commanda que il retournast hastivement et qu’il feist tant qu’il le luy amenast. Adonc l’escuier le cherga par la ville et fist tant qu’il le trou/[f. 215rb]va, et luy dist que le roy luy mandoit qu’il venist parler a luya. Adonc s’en vindrent tous deux ensamble, et quant ilz furent a l’entree du palaix, Appolin s’aresta et luy dist qu’il n’iroit plus avant ainsi mal vestu, car il avroit honte entre tant de gens honnourables comme il y avoit. Adonc le messagier le va conter au roy, et luy dist tout ce que Appolin luy avoit dit. Si commanda le roy qu’il fist assir a table. Et quant il fust assiz, il advisa le long des tables tant de belle vasselle, si luy souvint de sa perte et commencha a larmoyer*C31. Adonc ung prinche qui se seoit devant le roy luy dist : — Cestuy a quy vous faictes tant d’honneurs et l’avez semons au disner est ja envieux de vos biens*C32 ! Le roy respondit : — Vous dictez mal, car il n’a envye de rien du mien, mais je croy qu’il a perdu plus que [f. 215va] ce ne vault. Puisb le roy regarda Appolin, et luy distc : « Amy, beuvez et mengiez, se vous attendez avoir plus de biens que vous n’avez perdu. » Comment la fille du roy Archicastres enquist et demanda a Appolin ses adventures. Entandis que le roy estoit a table, la fille du roy entra dedens la salle et va baisier le roy, et puis aprés tous ses parens, puis s’en retourna devers le roy son pere et luy demanda qui estoit celluy qui estoit en tant honneste lieu, qui avoit le visage tant plain de larmes. Le roy a  « Sy commanda a ung de ses gentilz hommes… venist parler a luy », cf. lat. RB : Et respiciens unum de famulis ait : « Iuvenis ille, qui mihi officium fecit, vide, quis est  ». Ille secutus iuvenem vidit eum tribunario sordido coopertum. Reversus ad regem ait : « Iuvenis ille naufragus est ». Rex ait : « Unde scis ? » Famulus ait : « Illo tacente habitus indicat ». Rex ait : « Vade celerius et dic illi : rogat te rex, ut venias ad cenam ». b  . Dans le manuscrit : « puis que ». c  L’accord des temps verbaux pose problème dans cette tournure.

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luy respondit qu’il n’en sçavoit riens, mais qu’il luy avoit moustré le jeu de la pelote et pour tant l’avoit il semons a disner*C33. — Et pour tant, ma chiere fille, je vous prie que vous luy sachiez qui il est, car par adventure [f. 215vb] quant vous le sçavrez, vous luy ferez du bien et avrez pité de luy. Quant le demoiselle entendit son pere, si s’en vint vers Appolin et luy dist tout honteusement : — Sire, nonobstant que vostre face soit plaine de plours et de larmes, la chiere demoustre que vous debvez estre de bonne part. Sy vous prie, mais qu’il ne vous desplaise, que vous me dictez qui vous estes ! Appolin respondit : — Se mon nom vous plaist a sçaver, j’ay nom Appolin  ; se vous demandez de mes richesses, en mer les ay perdues ; se vous demandez de la noblesse, a Thir l’ay lassee ! La demoiselle ne l’entendit pas et luy dist*C34 : — Je vous prie que le me dictez plus clerement, que je le puisse entendre. Lors Appolin, voyant la voulenté de la damoiselle, luy commença a dire touttes ses adventures commea [f.  216ra] cy devant sont escriptes ; et quant il eubt tout conté, si commencha a plourer. Et quant le roy le vit, il dist a sa fille : « Ma chiere fille, vous avez mal fait de luy demander ses adventures, car vous luy avez renouvellé son dueil ; et pour luy appaisier sa douleur il me plaist que luy donnez du mien ce qu’il vous plaira. » Et quant la fille entendit son pere, si dist a Appolin qu’il feist bonne chiere, car puisque son pere le vouloit, elle le feroit riche homme ; et Appolin la mercya tout en plourant. Quant le roy oÿt les parolles de sa fille, si en fut bien joyeux et luy dist  : «  Belle fille, je vous prie que vous fachiez aporter vostre vielle, sy osterez la douleur de cest homme et esjoÿrez toutte ma court. » Sy commanda la fille que on la luy apor/[f. 216rb]tast, et quant elle la tint, elle commencha a jouer et chantoit avecques la vielle bien doulcement. Et tous ceulx qui l’escoutoient la louoient moult et disoient au roy que nul ne poroit mieulx chanter, ne a 

Tout en bas de cette colonne le copiste a écrit pour mémoire : « cy devant ».

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jouer, ne sonner que faisoit la fille. Appolin ne disoit mot et le roy s’esmerveilloit pourquoy il ne la louoit comme les aultres. Et [dist] : — Appolin, tu vois que tous loent ma fille en l’art de musique et tu ne diz mot, pour quoy il me semble que tu prises son jeu moins que tous les aultres*C35. Respond Appolin : — Sire roy, s’il te plaist, je te diray ce que je y congnois.  Le roy dist que bien luy plaisoit. — Seigneur – dist Appolin – ta fille a failli. Elle n’a pas esté bien aprinse, mais quant elle avra joué, fay moy baillier la vielle. Tu verras qui en scet le plus : ta fille [f. 216va] ou moy. Le roy luy dist : — Appolin, je congnoy que tu es maistre en touttes sciences. Et commanda que on luy baillast la vielle et la fille l’emmena en sa chambre et le fist vestir de belles robes ; puis s’en retourna en la salle touchant la vielle si doulcement que c’estoit merveilles. Et quant il eubt finé sa chanson, il mist jus la vielle, et puis dist balades, rondeaulx et chansons tres plaisantes*C36. Et quant la fille veit qu’il estoit moult habille en touttes sciences, si fust amoureuse de luy, et puis regarda son pere et luy dist : — Monseigneur, vous m’avez ottroyé que tout ce que vouldroye donner a Appolin que je luy donne. Respond le roy : — Il est verité et bien me plaist. Et la fille regarde Appolin et luy dist : « Maistre, pour la pitié que mon pere a de vous, je vous donne .xviii. mille [f. 216vb] escus et .iiii. chevaulx chargiez d’argent et de drapz pour faire robes, et .xx. serviteurs qui vous serviront. » Et puis appella son tresorier et luy commanda qu’il aportast ce qu’elle luy avoit dit, car il plaisoit bien a son pere. « Et le m’aportez en le presence de tous mes amis ! »  Et par le commandement de la fille luy fut aporté en la presence du roy et de tous ses amis. Et quant le roy vit si grant franchise, il en print grant plaisir, car elle mesmes le delivra a Appolin. Et Appolin mercya le roy et elle des grans dons que luy avoit donnez, puis demanda congié au roy et luy dist : « Je vous remercye du bien

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et de l’honneur que vous me faictes, et Dieu vous gart de malle fortune. »  Atant print congié et appella ses serviteurs que la pucelle luy avoit [f. 217ra] bailliez, et leur dist : « Prenez ce que on m’a donné et alons querir hostel en ville ! »  Et quant la pucelle vit que son amy s’en vouloit aler, si avoit grant paour de ne le veoir jamais ; sy vint a son pere et luy dist : — Monseigneur et mon pere, je vous prie que vous fachiez meshuy demourer Appolin, adfin que mauvaises gens ne luy faichent desplaisir. Respond le roy : — Ma fille, bien avez dit.  Adont commanda que on luy baillast une chambrea*C37. Adonc quant Appolin veyt, le tint a grant courtoysie. Et la pucelle Archicastres ne peut dormir toutte nuyt, car elle estoit ferue du trait d’amours. Et quant vint le matin au point du jour, elle vint en la chambre du roy son pere et le salua. Et quant le roy la veit, il luy dist : — Ma fille, a quoy tient il que vous estes levee plus matin que vous n’avez a coustume ? Respond la fille : — [f.  217rb] Monseigneur, c’est pour la grant [voulenté] que j’ay d’apprendre. Sy vous prie, s’il vous plaist, que vous retenez Appolin, car vous sçavez bien que moult est souffissant, si m’aprendra*C38. Et quant le roy voit que sa fille a grant voulenté d’aprendre, si en est bien joyeux. Atant se leva de son lit et s’en alerent, luy et sa fille, en la chambre de Appolin, et luy dist : « Appolin, la grant science qui est en toy esmeut ma fille tant qu’elle a grant voulenté d’aprendre. Et je te jure ma foy que, se tu veulx enseignier, ce que t’a esté tolu a tort je te feray rendre et te mettre en ta possession de ta terre ! » a  « Commanda que on luy baillast une chambre », cf. lat. RA : Cui rex ait : «  Bene dicis, domina  ; iube ergo ei dari unam zetam, ubi digne requiescat  »  ; cf. lat. RB : Rex ait : « Bene dicis, domina » et confestim iubet ei adsignari zetam, ubi digne quiesceret.

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Et quant Appolin entent la promesse, si l’en mercye grandement et luy promist que il ensengneroit a la pucelle moult volentiers ce qu’il sçaroit. Aprés ung petit de tempz, la pucelle ne sçavoit trouver maniere comme elle peuist moustrer [f.  217va] s’amour a Appolin. Sy se pensa qu’elle se feroit malade et se mist au lit. Et quant le roy vit sa fille malade, si fist venir tous les mires de sa terre pour sçavoir quelle maladie sa fille avoit ; si regarderent touttes les vainnes, mais ilz ne sceurent oncques trouver qu’elle eust nul mal ne dangier. Comment la fille d’Archicastres rescripvit a son pere qu’elle vouloit avoir pour mary celluy qui fu fortuné en mer*C39.

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[f. 217vb] Aprez ung petit de tempz, le roy se vouloit aler esbatre et mena Appolin avec luy. Et quant ilz furent hors de la cyté, ilz rencontrerent trois filz de roys qui aloient demander sa fille pour femme*C40. Et saluerent le roy moult honnourablement, comme il appertenoit, et le roy leur rendit salut. Aprez, le roy leur demanda comment ilz se sont trouvez ensamble, et l’un d’eulx respond pour tous : — Sire, nous sommes venus pour demander ta fille pour femme, et sachiez que tous trois en sommes amoureux pour le grant bien que nous en avons oÿ dire. Pour quoy, s’il vous plaist, eslisiez lequel qu’il vous plaira qui soit vostre gendre, car sachiez que nous sommes riches gens et de grant lignage. Et [f. 218ra] le roy respond : — Vous soiiez les bien venus, mais vous n’estes pas venus en tempz convenable, car ma fille pour le present est malade, et mal ad ce disposeea ; mais adfin que ne vous soit advis que j’alongue le tempz, escripvez unes lettres chascun et y mettez vostre nom et vos titles, et je les envoyeray a ma fille, et elle choisira lequel qu’elle vouldra. Adonc commencerent a escripre leurs lettres et mirent leurs noms et leurs dignitez, et puis les baillerent au roy. Et le roy les bailla a Appolin, et luy dist : « Portez moy cecy a vostre clergesse a 

Confusion possible entre « malade » et « mal disposée ».

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et ne demourez gueres, car ses nobles hommes desirent tous vostre retour ! » Appolin print les lettres et s’en va au palaix, et entra en la chambre de [f. 218rb] la fille ; et quant elle vit celluy que elle amoit tant, si luy dist en moult grant joye : — Maistre, comment estes vous entré cheans tout seul ?  Respond Appolin : — Madame, vostre pere m’y a envoyé et veez cy les lettres*C41. Si les list et trouva les noms des trois roys, mais ce ne luy plaisoit riens quant elle ne trouva le nom de celluy qu’elle amoit tant. Et quant la fille ot leües les lettres et moult bien visetees, pensant tousjours trouver celluy que tant elle amoit et elle ne trouva point, si regarda Appolin au visage, et puis luy dist : — O mon maistre, ne seroyes tu pas bien couroucié se je prenoye mary ? Respond Appolin : — Non, mais j’en avroye grant joye !  Sy dist la pucelle : — O maistre, se tu me amoyes [f. 218va] autant comme je fay toy, tu en seroyes couroucyé.  Aprés, elle escript unes lettres et les envoya au roy par Appolin ; esquelles lettres avoit escript : «  Seigneur roy misericordieux, puis qu’il te plaist que je escripve lequel je veulx pour mary, sachiez que je veul celluy qui a souffert peril en mer, et qui a esté trompé par la fortune de la mer. Et ne te merveille se une pucelle t’a ainsi escript, car pour honte ne l’ose dire de bouche, mais je le mande par escript en papier et en encre, qui n’a point de congnoissance ne de honte*C42. » Et quant le roy eubt veues et visitees par loysir les lettres aportees de par sa fille par Appolin, il regarda tous les trois ensamble qui la estoient attendans [f. 218vb] la response de Tarcyea, et leur dist : — Lequel de vous a souffert peril en mer et a esté trompé par fortune de mer ?  Respond ung des seigneurs : Erreur dans le manuscrit, vide infra. Il s’agit non pas de Tarcye mais de la fille du roi (Archicastre). a 

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— Je suys celluy que vous dittes !  Et ung des aultres dist : — Taisiez vous, mauvais parjure*C43 ! N’avez vous pas honte de mentir devant le roy  ? Vous avez tousjours aprins avecques moy a l’escole  ! Et quant souffristes vous peril en mer  ? Jamais  n’y entrastes*C44. Par quoy n’estes pas celluy que Tarcye a rescript au roy son pere pour avoir a mariage, et par ainsi vous ne l’avrez a mariage non plus que moy. Et quant le roy ne treuve qui estoit celluy pour qui la fille escripvoit, sy regarde Appolin et luy dist : « Tenez ces lettres et regardez se vous sçarez [f. 219ra] entendre ce que n’entens pas, car vous estiez en la chambre quant les lettres furent escriptes. »  Appolin regarda les lettres, et quant il eubt congneu que Tarcyea la fille du roy l’amoit tant, si fut honteux et commencha a rougir et ne respondit mot. Quant le roy le veit rougir et luy changier son visaige de couleur, si le print par la main et luy dist : — As tu trouvé celluy qui ma fille demande avoir a mariage ?  Respond Appolin : — Sire, je l’ay trouvé, s’il vous plaist.  Et quant il eust ce dit, il rougist plus fort que devant ; si s’en apperceut le roy et congneut que la lettre avoit esté faicte pour luy ; si en eubt grant joye, pour ce que sa fille vouloit avoir ung homme sage et bon clercq pour mary. Sy dist a Appolin : — [f.  219rb] Je suys bien joyeulx quant ma fille desire ce qui estoit ma voulenté. Sy te prie que tu la prengnes a femme.  Adonc Appolin se mist a genoulx devant le roy et luy dist : — Chier sire, je vous remercye du grant honneur et plaisir que vous me faictes  ; et sachiez que vous me priez de chose de quoy vous estiez digne d’estre priez que moy. Pour quoy je vous remercye grandement et veul estre vostre serviteur a tousjours, tant que viveray. Atant le roy se tourna devers les trois filz de roys qui la estoient venus pour avoir Tarcyeb a mariage, et qui la estoient pour avoir responce, et leur dist  : «  Seigneurs, je vous avoye dit que vous a  b 

Confusion : Archicastre. Confusion : Archicastre.

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n’estiez pas venu en tempz deu pour la maladie de ma fille, mais, se Dieu plaist, quant il sera tempz et [f. 219va] elle sera garie, je le vous feray assavoir.  Ainsi leur donna congié. Comment Archicastre donna a Appolin sa fille a femme et que tantost aprez ilz se partirent et monterent en mer pour aler au pays et en la terre de Thir.

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Puis le roy Archicastre print le roy Appolin par la main en grant joye, et entra en la cyté et le menoit non pas comme le [hoste]a, mais comme gendre, et entrerent au palaix*C45. Puis laissa le roy toutte sa compaignie fors que Appolin, que il prist par la main et le mena en la chambre de la fille et luy dist : — Doulce fille, qui as tu esleu pour mary ? Quant la fille l’entendit, si se getta a ses piez et dist : — Mon pere, puis que le desirez a le sçavoir, j’aime mieulx celluy qui a esté trompé [f. 219vb] par fortune de mer ! Et adfin que l’entendez mieulx, je demande Appolin de Thir, mon maistre. Et se vous ne le me donnez, vous perdrez vostre fille ! Et quant le roy vit sa fille plourer, sy en eubt pitié, et luy dist : « Ma fille, resconfortez vous, car je vous donray mary celuy que vous demandez, et assigneray vos noepces briefvement au tiers jour. » Le roy fist mander tous les barons et les nobles de toutte sa terre, et quant ilz furent assamblez, le roy leur dist : « Amis, je vous ay fait venir adfin que vous sachiez ma voulenté, car je vueil donner mary a ma fille ung qui est nommé Appolin de Thir. Si vous prie que vous vous esjoïssiez de ce que ma fille a volu avoir ung tant sage homme et clercq bon comme il est »*C46. Et ilz respondirent [f. 220ra] que ilz estoient bien joyeulx. Et quant le roy oÿt leur reponse, si leur dist : — Seigneurs, je vous prie que d’icy a trois sepmaines vous soiiez icy pour m’y faire honneur aux nopces de ma fille. . «  Hoste  » s’oppose linguistiquement à «  gendre  » (‘hôte étranger’ / ‘membre de la famille’, ce que ne fait pas « honteux ». a 

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Quant vint au jour assigné de par le roy Archicastre, et les princes et les barons furent venus, et dames et demoiselles en grans triumphes, la feste fut grande de tous esbatemens et de tous instrumens qui se peurent trouver. Les viandes furent prestes et appareilliés en diverses manieres ainsi comme il appertenoit a feste royal, et eubrent grant habondance de touttes gens. Et la pucelle fut moult richement vestue de drapz d’or et couronnee de fin or et de pierres precieuses*C47. La furent servis moult honnourablement, et durerent [f. 220rb] les noepces .viii. jours. Aprés ung petit de tempz, la dame fut enchainte et fut grosse d’enffanta. Et advint ung jour que elle et Appolin avecques leurs gens s’en aloyent esbatant sur la rive de la mer. Si virent venir une nef qui venoit au port. Appolin ala celle part, luy et sa compaignie. Quant la nef fut arrivee, le patron saillit en terre*C48 et distb qu’il estoit de Thir. Ce dist Appolin : « Ma terre est nommee*C49 ! » Et le patron ne le congneut mie, et luy demanda se il sçavoit nouvelles du seigneur de Thir. Respondit Appolin que bien le congnoissoit. Ce dist le patron : « Se vous le veez, dittez luy qu’il se esjoïsse, car le roy Anthiocus et sa fille sont mors ; la fouldre les a tuez et occis, et les seigneurs et barons l’ont esleu pour [f. 220va] roy et luy ont reservé la couronne. » Appolin eubt si grant joye [de]c celles nouvelles, puis dist a sa femme : — Adfin que vous sachiez mieulx qui je suys, vous en avez bon tesmoing et vray, mais je vous prie qu’il ne vo[us] desplaise, car je veul aler rechepvoir le royaulme qui m’est ottroyé. Et quant la dame oÿt les parolles, si commença a plourer et dist [a] Appolin : — Monseigneur et mon amy, se vous estiez en estrange pays, vous deveriez venir quant je me doy acouchier. Et maintenant, quant je suis pres de mon acouchement, vous vous en voulez aler. Au mains, s’il vous plaist, laissiez moy aler avecques vous, adfin

Absence de lat. cum… ventriculum formatum sexto mense et aestivo tempore. . Dans le manuscrit : « et Appolin dist ». c  . a 

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que, se j’ay aulcun dangier pour mon enfantement, vous me puissiez secourir et aidier. Ce dist [f. 220vb] Appolin : — Il me plaist bien, s’il plaist au roy. Quant la dame vit qui le luy ottroyoit, elle s’en vint a son pere et luy dist : « Mon pere, esjoïssiez vous, car le roy Anthiocus est mort. La fouldre et tempeste du ciel les a occis et mis a mort, luy et sa fille, pour la mauvaise vie qu’ilz tenoient. Non pourtant le royaulme et la couronne sont ottroiiez a mon mary ; pour quoy, s’il vous plaist, laissiez moy aler avecques luy, car se vous laissiez en aler vostre fille, se Dieu plaist, vous en avrez deux au retour ! » Le roy eubt grant joye de ces nouvelles. Si luy ottroya sa demande et commanda que l’en feist aprester ce que mestier leur estoit. Et dist que on fist venir une femme qui feust souffissante a recepvoir l’enfant, et une nourice qui avoit [f. 221ra] nom Lithorides, pour aler avec la royne. Et quant tout fut prest, il leur bailla or et argent et pierres precieuses, drapz d’or et de soye a grant plenté, puis prindrent congié du roy tout en plourant, et Appolin s’en entra en la nef, luy et sa compaignie. Nostre Seigneur leur donna bon tempz et nagerent tant que ilz furent en la haulte mer. Et quant vint a ung samedy, au point du jour, la royne enfanta d’une belle fille*C50 ; mais, pour le grant froit qu’il faisoit en mer, et le grant vent qu’i fasoit, la royne fu congelee et les vainnes furent estraintes, et le sang fut en telle maniere qu’il sambloit a tous qu’elle fust morte*C51. Les dames et demoiselles commencerent a faire grant dueil ; et lors Appolin entra en la cham/[f. 221rb]bre, et quant il vit sa femme morte, il se getta sur le corpz et dist tout en plourant : « O chiere espousee Archicastre, fille de roy*C52, que diray je a ton pere, qui m’avoit tant doulcement receully ? » En disant ces parolles, le patron entra en la chambre et dist : « Seigneur, la mer ne peut souffrir chose morte. Il convient que le corpz de la royne soit getté en la mer, car le peril est tant grant que tous perirons. Aymez vous mieulx que tous soyons peris, que le corpz de royne soit jetté en mer ? » Adont Appolin se recorda du peril qu’il avoit aultreffois passé, sy eubt paour de retourner en ce peril. Sy commanda faire ung coffre qui fust bien joint, que l’eaue n’y peuist entrer. Quant tout

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ce fut fait, Appolin [f. 221va] vestit sa femme de robes royalles et luy mist une couronne sur sa teste, et la mirent dedens le coffre avecques deux charges d’or, et dessoubz sa teste mist unes lettres lesquelles contenoient les parolles qui s’ensievent : «  O tu qui ce coffre trouveras, pren la moitié de l’oir et de l’aultre fay faire une tombe a ce corpz, car moult de gens ay laissié en douleur. Et se tu ne le faiz, je prie a Dieu que tu soyes le desrenier de ton lignage et qu’il ne soit homme au monde qui mette ton corpz en terre*C53. » Puis Appolin baisa sa femme, et a grans plours et gemissemens la jetterent en mer. Appolin commanda expressement et sur touttes riens que la fille fust bien nourye, adfin que la peust monstrer au roy Archicastres [f. 221vb] pour sa fille qu’il avoit perduea*C54. [f. 222ra] Comment la femme de Appolin fu mise au coffre et gettee en la mer, [et] arriva au tiers jours en la terre des Effés*C55.

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Au tiers jour que la royne fu mise en mer, le coffre arriva en la terre des Effés, en la quelle terre avoit ung mire nouvel, nommé Hermon*C56, qui ung jour s’en aloit esbatant sur la rive de la mer et vit le coffre que les ondes avoient getté pres de la rive de la mer. Si commanda a ses gens que ilz le tirassent dehors et le portassent a son hostel, et tantost firent son comman/[f. 222rb]dement. Et le mire ouvrit tout doulcement le coffre et vit la dame qui estoit vestue en estat royal. Si congneut tantost de quoy elle estoit morte, puis dist a soy mesmes : « Amye, moult de doleurs as laissié a tes parens ! » Et puis regarde soubz son chief et vit la quantité de l’or et les lettres qui estoient dessus et dist : « Je veul sçavoir que ceste lettre dit. » Quant le mire eubt veues et leues les lettres, si dist : « Il est mestier que nous donnons remede et conseil a ceste douleur, ainsi me doint Dieu salut que je y feray mon debvoir et ma puissance. »

La colonne vb ne contient que deux lignes et le début de la rubrique (« Comment la ») au fond de la même page, répété au début de la page suivante. a 

Comment la femme de Appolin fu mise au coffre101

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Et ainsi commanda que on luy aportast une boiste d’oignement, et ainsi comme il le oingnoit va venir ung qui avoit esté varlet du mire, josne de tempz, mais il estoit viel de sens ; et demanda dont estoit venu ce corpz. Et le maistre luy dist. Puis [f. 222va] dist que on luy aportast l’empole du precieux onguement : « Si verrons se ceste dame est morte ou vive. » Et on luy aporta, et le mire commença a oindre. Puis luy tasta les nerfz et les vaines et tout le corpz, mais en la fin n’y trouva nulle challeur, par quoy il congneust qu’ellea fust morteb*C57. Et quant son varlet l’oïst, si luy dist*C58  : «  Maistre, telle femme que vous pensez que soit morte est toutte vive. Et pour ce, s’il vous plaist, je l’aporteray a mon hostel et a l’ayde de Dieu je la renderay toutte vive. » Et le maistre dist qui luy plaist bien  ; et tantost fist porter le coffre et la dame en son hostel et la mist en ung lit, et fist chauffer de l’uille et print de la lainec et l’envolepa dedens bien chauldement*C59. Lors le sang qui estoit gellé pour le froit se commencha a eschauffer pour la chaleur [f.  222vb] de la laine et de l’uille, et l’esperit commencha a aler parmy les vaines, et tantost ne demoura gueres que la dame ouvrit les yeulx*C60. Et quant vint a mynuytd, la dame commencha a parler a grant paine et dist*C61 : « Je vous prie, quel que vous soyez, que mon honneur soit gardé comme il appertient a fille de roy et femme de roy. » Quant le clercq vit que la dame commença a parler et que il avoit fait ce que son maistre n’avoit sceu faire, tout joyeulx s’en retourna a son maistre et luy dist : — Loué soit Nostre Seigneur ! La dame est en bon respit ! Lors le maistre entra en la chambre ou estoit la dame et il la vit vive. Sy en eubt grant joye et dist a son clercq :

< ne >. Dans le manuscrit : « qu’elle ne fust morte ». Cf. VN : « Quant il heut bien et diligamment oing le corps de la damoyselle, ilz luy tasterent les poulz des bras et du nés et ilz n’y trouverent nulle chailleur, dont tous commencerent a dire qu’elle estoit morte, excepté l’apprentif qui dist ». c  < et tout le sain >. d  Cf. VN : « parler au minuit ». a 

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— Je prise moult ta science et, adfin que tu ne diez que ayez traveillié pour neant, amy, preng cest tresor et le fay aporter en ton hostel. [f.  223ra] Puis fist appareillier les viandes telles qu’ilz appertenoient a la dame qui estoit malade*C62  ; et aprés pou de tempz, le mire manda querir tous ses amis pour leur demander conseil, car il la vouloit mettre au temple de Dyane, car la estoit gardee toutte virginité*C63. Et tous dirent que c’estoit bien fait. Et sachiez que tant que la dame fust en l’ostel du mire, elle prioit tousjours que il ne laissast couchier homme avecques elle. Comment Appolin, aprés qu’il eubt mise sa femme en mer, naga vers la cyté de Tarcye, et la bailla sa fille en garde.

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Quant Appolin eubt laissié la royne en la mer, il nagea en grant douleur, tant qu’il arriva en la cyté de Tarcye ; et quant il fut arrivé au port, il saillit de la nef et entra en la cyté, ou il fut [f. 223rb] noblement recheu par les bourgeois de la ville. Puis s’en ala au palaix de Strangulio et de Denise, sa femme, qui le receuprent en grant joye. Et quant Appolin les vit, si commencha a plourer  ; et ilz leur demanderent qu’il avoit, ne pourquoy il faisoit tel dueil. Sy leur conta tout ce qui luy estoit advenu, et comment il avoit perdu sa femme en mer, dont tous ceulx qui l’oÿrent commencerent a plourer pour la perte qu’il avoit. Et d’aultre part, ilz eubrent grant joye de la fille qui estoit demouree. Et quant Appolin eubt desenflé son cuer de plourer, si dist a Estrangulio et a Denise, sa femme : — Mon bon hoste, puis que ma femme est perdue, je ne veul recepvoir le bien qui m’est ottroyé ; et si ne veul point retourner devers le pere de ma femme, mais au mieulx que je pouray [f. 223va] je me viveray. Je vous recommande ma fille, et vous prie que vous la nourissiez avec la vostre. Si vous prie qui la recepvez de bon cuer et la nommez Tarcye, le nom de vostre cyté. Et recommanda la nourice qui avoit nom Lithorides. Et quant il eubt ce dit, il leur bailla la fille et grant or et argent ; puis fist serrement que il ne feroit hoster sa [barbe, ne se cheveulx, jusques a

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tant que fusse]a mariee*C64, dont tous s’esmerveillerent du serment que il avoit fait. Et Appolin luy promist que, s’ilz la nourissoient bien, que il leur rendroit leur guerdon au plaisir de Nostre Seigneur. Quant Appolin eubt recommandé sa fille, il print congié et s’en retourna a la nef ; puis print son chemin d’aler en Egipte. Et quant la fille eubt .vi. ans, on la mist aprendre a l’escolle avecq la fille de Strangulio*C65. Et quant elle fut en l’eage de .xiiii. ans, ung [f.  223vb] jour qu’elle venoit de l’escolle, si trouva sa nourice Lithorides malade au lit. Et la fille se assist sur le lit, auprés d’elle, et luy demanda quel mal elle avoit. La nourice respond : — Ma fille, je suis moult malade. Si te prie que tu retiengnes bien ce que je te diray. Qui penssez tu qui soit ton pere ? Respond la fille : — N’est pas mon pere Estrangulio ? Et la nouriche luy dist en plourant : — Ma fille, adfin que tu saches tout ton lignage, je le te diray avant que je meure. Ma fille – dist la nourice – ta mere avoit nom Arcicastrez, de la terre des Panthapolitains, et tu fus nee en mer, et ta mere morut a l’enfantement. Ton pere a nom Apolin de Thir et fist grant dueil de la mort de ta mere ; puis fist faire ung coffre, en quoy il la fist mettre en vestemens royaulx et or et argent [f. 224ra] foyson et unes lettres disans qui trouveroit le coffre, qu’il fist enterrer le corpz honnourablement comme royne, de l’or et de l’argent qui estoit dedens. Puis il se resconfortoit a vous du dueil de vostre mere et vint a Tarcye. Et vous et moy recommanda a Estrangulio et a sa femme, et leur bailla grans tresors, et fist veu que jamais ne osteroit sa barbe, ne se cheveulx, jusques a tant que fussiez mariee. Aprés, ton pere et sa compaignie entrerent en mer, et promist de retourner quant tempz seroit de toy marier, mais il y a tant de tempz que nous n’oÿsmes nouvelles de luy, et me doubte qu’il soit mort ; pour quoy, se ton hoste, que te cuides qu’i soit ton pere et ta mere, te faisoient aulcun tort, que tu t’en ailles a la place du marchié, et la trouveras ung ymage faicte en la remembrance de ton pere, qui est sur ung pillier monté [f. 224rb] dessus. Et prens l’ymage pas sa main, puis dy les parolles que je t’ay dictes. Et quant a 

Cf. le f. 224ra pour la reprise du syntagme.

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les bourgois congnoistront que on te faiteraa, il leur souvendra du bien que ton pere leur fist. Respond la fille : — O ma treschiere nouriche, se tu fusses morte, je n’eusses sceu telles nouvelles. Que eusse je fait, car je ne sçavoye qui estoit mon pere ne ma mere ? En disant ces parolles, la nourice rendit l’ame a Dieu, de quoy la fille fist grant dueil. Et quant il oÿrent crier la fille, si vindrent celle part et trouverent la nourice morte, et selon leur coustume la firent enterrer et luy firent faire une tombe bien ouvree, et la mirent a la rive de la mer. Aprés ung petit de tempz, la fille laissa le dueil et retourna a l’escolle, et chascun jour quant elle retournoit de l’escolle, elle portoit une [f. 224va] pinte de vin et du pain a la tombe de sa nouriceb. Et puis comptoit tout en plourant touttes ses adventures, comme Lithorides luy avoit dit et compté*C66. Comment par envye Denise commanda a Theophille qu’il occist Tarcye et comment par la grace de Dieu elle fu preservee de mort.

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Racompte la piteuse histore que ung jour de une grant feste Denise et sa fille avec Tarcye s’en aloyent esbatant parmy la ville. Les bourgois regardoient Tarcye et la louoient a merveilles, et dirent que bien eureux estoit le pere qui l’avoit engendree et la mere qui l’avoit portee, car moult est belle et bien enseignee ; et celle qui va decoste, elle est si bien nyce. Denise entend ce que on dit de sa fille et oÿt löer Tarcye ; sy en eubt moult grant desplaisir et dist a soy mesmes que son [f. 224vb] pere deveroit estre mort, puisqu’il n’estoit venu : « car il y a plus de .xiiii. ans que nous ne oÿsmes nouvelles de luy, et sa nourice est morte ; pour quoy je n’ay garde de nulluy de la faire morir, et de ses belles robes je vestiray ma fille, et puis elle sera tenue pour belle. » Aprés fist venit ung homme qui estoit villain serf, qui avoit nom Theophille. Quant le villain fust venu, la dame parla a luy et luy dist : . Émendation d’un passage qui n’offre pas de sens satisfaisant. Cf. VN : « Et tous les jours ainssi qu’elle en venoit, elle pregnoit plaine une aiguiere d’eau et alloit laver le tombeau de sa nourrice ». a 

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— Theophille, se tu veulx estre franc, tue moy Tarcye ! Respond le villain : — Quel mal vous a fait la pucelle ? — Comment – dist la dame – villain, me debvez vous contredire de ce que je vous demande ? Se vous ne le faictes, je me vous monstreray comment il m’en desplait. Occis la promptement et la gette en mer ! Et quant tu retourneras, je te feray franc*C67 ! Le villain, tant pour crainte que pour estre franc, luy ottroya et [f.  225ra] appareilla ung couteau bien trenchant, puis s’en ala muchier deriere la tombe de la nourice, ou la fille aloit tous les jours au retourner de l’escolle. Quant la fille fut venue a la tombe, elle commencha a faire sa complainte comme elle avoit a coustume. Et le villain saillit avant, qui estoit derriere la tombe, et print la fille par les cheveulx et la mena a la rive de la mer. Quant il fut la, il luy vouloit copper la teste*C68. Quant la fille vit ce, si luy dist : — Theophille, quel mal te ay je fait  ? Pourquoy tu me veulx faire morir ? Respond le villain : — Il te fault morir, et sachiez que le grant tresor que ton pere te laissa et les belles robes te font morir. Quant la fille l’entendy, si luy cria mercy tout en plourant, et luy pria qu’il luy donnast espace de prier Nostre Seigneur. Et le villain luy dist : — Prie hardiement, mais n’ayez pas esperance [f. 225rb] de plus vivre ; et Dieu m’en soit tesmoing que je le fay malgré moy. Ainsi comme la pucelle faisoit son oroyson, vont venir des mariniers, et quant ilz virent la pucelle que le villain vouloit tuer, commencierent tous ensamble a crier : « Ne tuez pas la pucelle, car elle est nostre. » Et quant le villain les oÿt, il eubt paour et s’en fuist muchier deriere la tombe de la nourice. Et les mariniers prindrent la fille et la mirent en leur nef. Le villain saillit de derriere la tombe et veit que les mariniers en emportoient sa fille. Sy en eubt grant joye et rendit graces a Dieu de ce que ne l’avoit tuee. Puis s’en retourna a la ville et dist a la dame que il avoit fait commandement et que il luy pleust de faire ce qu’elle luy avoit

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promis. La dame respondit : « Tu l’as fait tout en present et tu me demandez ja a estre franc ? [f. 225va] Retourne t’en en ton hostel et fay ta besongne, et ne demande plus rien. » Et le villain s’en retourna a son hostel tout dolant. A l’aultre jour aprés, la faulse femme, voulant couvrir la mort de la pucelle, manda querir les dames de la cyté  ; et quant elles furent venues, la faulse dame leur vint a l’encontre vestue de dueil et les yeulx plains de larmes, adfin qu’ilz pensaissent qu’elle avoit fait grant dueil, et dist : — Mes amyes, sachiez que Tarcye, fille de Appolin de Tir, est morte, et morut l’aultre jour soubdainement du grant dueil qu’elle avoit de sa nourice, dont elle m’a laissié grant douleur. Et quant les gens veyrent la faulse femme vestue de noir et plourer si piteusement, si pensoient qu’elle deist vray, et furent moult [f. 225vb] courouciez tous pour le bien [que]a Appolin leur avoit fait en la cyté  : «  Sy vous ordonnons que on luy face une tombe d’argent, en lettre escripte d’or*C69, qui die : “Cy gist Tarcye fille de Appolin de Thir”*C70. » Et la firent mettre la ou la dame disoit qu’elle estoit enterree, emprez sa nourice. Comment Tarcye, fille de Appolin, fust menee a Militaine*C71 et fust par les mariniers livree et vendue au maistre du bordel.

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En ceste partye dist le conte que les mariniers*C72 qui avoient prins Tarcye arriverent en la cyté de Millitaine. Et quant ilz furent arrivez, ilz menerent la pucelle en la ville et la vouloient vendre. Adonc vint ung mauvaiz houlier, qui estoit moult riche d’or et d’argent, et quant il la vit tant belle, sy se pensa qu’elle luy gaigne/[f. 226ra]roit grant foyson d’argent s’elle estoit sienne. Et d’aventure arriva le seigneur de la cyté*C73, qui avoit nom Anthigoras. Et quant il vit la pucelle tant belle, il en va promettre .x. escus*C74, et le ribault dist qu’il en donroit .xx., et le seigneur dist .xxx., et le ribault dist .xl.*C75, et tant que le ribault vint jusques a cent ; puiz dist que, s’il y avoit homme qui en voulsist a 

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plus donner, qu’il en donroit .x. escus plus que homme qui y fust. Et quant le seigneur veit que il en donroit tant, si se pensa qui le laisseroit, car aussi bien pouoit il avoir son pucellaige, car il la mettroit au bourdeau avecques les aultres femmes, et en ceste maniere ne luy coustera pas tant, et si luy vauldra autant que s’il l’avoit achetee. La fille fust livree au ribault, et il bailla l’argent et la mena en son hostel*C76 ; puis [f. 226rb] luy monstra ung bel ymage d’or et pierres precieuses*C77, et luy dist : — Fille, aoure cest ymage ! Respond la fille : — Sire, saulf vostre grace, je n’ay pas a coustume de aourer tel ymage. Ce sont les sarasins qui aourent les ydoles. Lors dist le ribault : — Fille, je croy que vous n’estes pas a qui vous a achetee  ; saichiez que tu es venue entre les mains du maistre du bourdeau ! Quant la pucelle l’entendit, si commencha a trembler, et tout en plourant se getta a ses piez ; puiz luy dist : — Sire, pour la reverence Nostre Seigneur Jhesucrist, aiiez mercy de moy et de ma virginité, et [ne]a veuillez livrer mon corpz a deshonneur. Respond le ribault : — Lieve toy, ne scez tu pas bien que larmes de femmes n’achevent riens envers nous aultres ?b Aprés appella ung de ses garchons, qu’il tenoit pour servir les femmes*C78, et luy [f. 226va] dist : « Maine moy ceste fille en celle chambre, et la fay baignier et adouber ; et puiz fay crier parmy la ville que qui vouldra avoir le pucellage de Tarcye, qu’il payera une livre d’orc. » Et tantost le garchon fist le commandement de son maistre, et quant Anthigoras oÿt, le roy si s’en ala tantost desguiser adfin qu’il ne fust congneu ; et fist tant qu’il fust premier en la chambre . Cf. lat. RSt : Leno ait : « Leva te misera, nescis quia apud tortorem et lenonem terror nec preces neque lacrimae ualent ». c  Cf. lat. RSt : Et vocavit ad se villicum suum puellarum cui ait : « Vade ad cellam ubi preseida stetit, ornetur diligenter et titulus scribatur : qui Tharsiam devirginare voluerit, libram auri mediam dabit, postea singulis aureis populo patebit ». a 

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de la pucelle. Et quant il fut dedens, il s’assist dessus le lit et vouloit baisier la fille. Et quant Tarcye le vit, si se gecta a ses piés et luy dist : « Seigneur, pour la reverence de Jhesucrist, ayez mercy de moy et ne me veuillez pas hoster ma virginité, car par adventure tu ne scez pas qui je suys ; je suys fille a Appolin de Thir. » Aprés luy compta touttes ses adventures. Quant Anthigoras l’entendit, il en eubt grant pitié et luy dist : — Levez vous, ma [f. 226vb] belle fille, car j’ay pitié de vous et nous ne sçavons quelle fortune nous est a passer, car par adventure la pareille me poroit advenir. Tenez vecy .xl. escus que je vous donne, adfin que je vous garde vostre virginité, et que vous priiez tous ceulx qui viendront vers vous qu’ilz ayent mercy de vous comme j’ay eu, jusques atant que Dieu vous ait fait grace de saillir de ceste captivité. Adont la pucelle tout en plourant dist : — Pour Dieu, ne dictes a nulluy ce que je vous ay dit. Respond Anthigoras : — Se je le dy a nulluy, ainsi en puisse il prendre a ma fille quant elle sera grande. Atant s’en partit Anthigoras tout plourant. Comment Tarcye par la grace de Dieu gardoit sa virginité contre tous les maulvaiz houliers qui la vouloyent vyoler*C79.

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[f. 227ra] Quant Anthigoras fut party de la chambre a la pucelle, le ribault, qui debvoit recepvoir l’argent, entra dedens la chambre et dist : — Il m’est advis que celluy qui s’en va ne t’a pas despucellee. Respond la pucelle : — Sauve vostre grace, si suys. En aprés entra ung filz de bourgois, et le varlet s’en issit dehorsa. Anthigoras estoit bien en lieu ou il pouoit bien oÿr ce qu’ilz disoyent. Quant le compaignon fut entré, il demanda a la pucelle combien luy avoit donné Anthigoras. Elle dist : Erreur du copiste : ce n’est pas le varlet qui sort de la chambre mais bien le ribault. a 

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— .xl. escus*C80. Respond le compaignon : — Il deuist avoir grant honte si puissant homme comme il est d’avoir si pou donné, mais pour ce que tu congnoisa que je t’ayme mieulx je t’en donray chinquante. Anthiocusb, qui estoit en lieu qu’il pouoit tout entendre, si dist a soy mesmes que tant plus y donroit, tant plus y perdroit. [f. 227rb] Quant la pucelle eubt receu l’argent, le compaignon la vouloit baisier et la pucelle se getta a ses piez en luy criant mercy ; puis elle luy compta touttes ses adventures, et quant le compaignon oÿt les nouvelles, sy en eubt grant pitié et luy dist : — Levez vous, ma belle fille, car moult de gens sont qui ne scevent les fortunes qu’ilz ont a passer, car encore poroy je pis prendrec que vous n’avez ; ce qu’elle luy avoit dit. Atant s’en saillit de la chambre et trouva Anthigoras, qui commencha a sousrire et dist  : «  Je croy que toy et moy sommes compaignons, mais attendons icy pour veoir que feront les aultres. » Sy virent moult de compaignons qui portoyent assez d’argent, mais tous s’en retournerent plourant par les parolles que la pucelle disoit. [f. 227va] Comment le houlier commanda a ung de ses serviteurs qu’il alast couchier avec Tarcye pour la despuceller*C81

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Quant vint la nuyt*C82, la pucelle s’en retourna a l’ostel du ribault et luy dist : — Tenez sire. Veez cy l’argent de mon pucellage. Respond le ribault : — Je ne sçay  ; il me samble, se tu fuches corrumpue, que tu ne feroyes pas si bonne chiere, mais fay tant que mon argent soit recouvré. Si la tint grant tempz et la fille portoit tant d’argent Le copiste se trompe vraisemblablement et il faut sans doute lire « cognoisse ». Erreur dans le manuscrit, vide infra. Il s’agit non pas d’Anthiocus  mais d’Anthigoras. c  Toute la phrase est difficilement compréhensible, à moins que le «  r  » de « prendre » ne soit une abréviation pour « pretendre ». Cf. « plus pretendre », leçon possible. a 

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comme elle pouroit gaignier. Ung jour le ribault dist a ung villain qui estoit son varlet : « Cuidez tu que je ne congnoisse bien que Tarcye est encore pucelle bien appert  ? Car elle aporteroit plus d’argent qu’elle ne fait se elle estoit despucellee. Et pour ce couche aujourd’huy avecques elle et la despucellea*C83. » [f. 227vb] Et quant il fut nuyt, le villain l’amena en sa chambre et luy dist : — Dy moy verité se tu es encore pucelle ou non ? Respond la fille : — Je le [seray]b tant comme il plaira a Dieu. Et dist le villain : — Comment as tu tant gaignié tous ces jours passez ? Adont la pucelle se getta a ses piez et commencha a plourer, disant : — Pour la reverence de Jhesucrist, ayez mercy de moy et de ma virginité, qui suis une povre fille de roy ! Et quant le villain l’ouÿt, si fut tout esbahy, et luy demanda qui elle estoit, et elle luy compta touttes ses adventures. Et quant il l’eubt escoutee, sy en eubt grant pitié et luy dist : — En verité, je ne croy pas que tu puisses tousjours garder ton pucellage, car trop est mauvaiz le ribault qui t’a achetee. Adont luy dist la pucelle : — Je te prie que tu faches tant que je aye une vielle, car j’en sçay bien jouer, et de tous instrumens. Et [f.  228ra] se je l’ay, je compteray touttes mes adventures aux gens, tout en chantant ; et je croy qu’ilz averont mercy de moy. Et si, ne me sçara nul faire question que je ne la saiche souldre. Tantost aprés le villain luy aporta une vielle, et la pucelle la print, quy en encommencha a dire tant bien que merveilles. Lors les gens de la ville se commencerent a assambler la ou s’arestoit pour oÿr la pucelle, qui chantoit et jouoit merveilleusement bien. Puis commença a faire grans questions, tant qu’il n’y avoit homme qui luy sceust respondre, et tous se < Et pour ce couche aujourd’huy avecques [f. 227vb] elle et la despucelle >. Saut du même au même. b  . a 

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tindrent bien comptens d’elle, et commencerent tous a louer, et la prindrent en si grant amour que merveilles. Et luy donnerent tant d’argent qu’elle en vouloit, adfin qu’elle peust bien garder son pucellaige. La pucelle avoit assamblé grant argent et le portoit tout aua ribault son maistre. [f. 228rb] Sy cesse le compte de parler de la pucelle et retourne a parler de Appolin. Comment Appolin revint en la cyté de Tarcye et comment il fist grant dueil quant on luy donna a entendre que sa fille estoit morte.

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Ci dist le conte que quant Appolin eubt tant erré par mer, il luy souvint de sa fille qu’il eubt laissié a Tarcye. Et vint celle part secretement, adfin qu’il ne fust congneu, et s’en vint a l’ostel de Strangulio. Et quant Strangulio le vit de loing, si le congneut et dist a sa femme : — A, faulse femme, tu disoyes que Appolin estoit mort ! Respond Denise : — Oÿ, je le vous ay dit. — Ha, mauvaise femme, la pire de touttes les aultres, le vois tu la ou il vient pour avoir sa fille ? Que doy je faire, ne quel compte luy en renderay je ? La faulse femme dist : — Meschant, ayez mercy de toy ! Ne scez tu qu’elle diffamoit ta fille ? Et se Tarcye estoit [f. 228va] en vye, on ne tiendroit compte de nostre fille ! Lors prindrent conseil que ilz se vestiroient de noir et diroient a son pere qu’elle estoit morte subitement : — Et quant il nous verra vestus de noir, il cuidera que ce soit verité. Ainsi comme ilz parloient, Appolin entra layens, qui avoit grant joye. Et quant il vit son hoste vestu de noir, qui plouroit, si dist :

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< tou >. Dans le manuscrit « tout au tou ».

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— Mon bon hoste, pourquoy plourez vous quant je viengz ? Je croy que je deusse mieulx plourer que vous, seigneur. Ce dist Denise : — Pleust a Dieu que ung aultre que moy ne mon mary te portast les nouvelles, car Tarcye ta fille est morte de mort subite. Appolin sea pasma et estoit comme mort de sa grant doleur qu’il eubt, et fut grant tempz sans parler. Et quant la parolle luy fust revenue, il regarda la faulse femme et dist : « Selon ce que j’entens, [f. 228vb] il n’a gueres que ma fille est morte. Ou sont les belles robes que je luy laissay ? » Et tantost on les luy aporta, et dist Denise : — Croiez nous, sire, car moult nous desplait de la mort de vostre fille. Et adfin que vous ne diez que ce soit menchoine, nous avons pour tesmoing les bourgois de la ville de Tarcye, lesquelz ont fait faire une tombe d’argent*C84, et ta fille qui gist a la rive de la mer, emprez celle de sa nourice. Et tout ce pouez vous veoir s’il vous plaist. Quant Appolin entendit ces parolles, il creut que sa fille estoit morte, et dist a tous ses gens  : «  Prenez touttes ses robes qui estoyent a ma fille, et les portez a ma nef, adfin que quant je les verray, que mon deul renouvelle. Et je yray veoir sa tombe. » Et quant il fut a la tumbe, il vit les lettres qui disoient : « Chy gist Tarcye, fille de Appolin de Thir, et [f. 229ra] ceste tombe luy ont fait faire les bourgois de Tarcye pour les grans biens que son pere leur avoit fait*C85. » Après, quant il eubt [leues]b les lettres, commença a mauldire pour ce qu’il avoit leue la mort de sa fille. Puis dist a ses genz : « Mettez moy en la sentine de la nef, puisque je ne puis avoir joye en terre. Je veul morir dessoubz sans jamais avoir clareté. » Tantost que Appolin se fust mis en la nef, commencerent a nagier et eubrent bon tempz pour aler vers les partyes de Thir, mais le vent se tourna et vindrent arriver en la cyté de Millitaine. Et le patron de la nef et toutte la compagnie se commencierent a esjoÿr. Et Appolin, qui estoit dessoubz, demanda pour quoy c’estoit. Ce dist le patron : a  b 

< pass > ; anticipation du mot suivant. .

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— Appolin, esjoïssiez vous, car il est aujourd’huy une grant feste. Appolin dist tout en souspirant : — Faictez doncques la [f. 229rb] feste pour vous et pour moya. Lors commanda a son tresorier qu’il donnast a chacun .xii. escus d’or et qu’ilz priassent Dieu pour luy  ; et commanda que homme ne luy parlast de saillir dehors sur paine de perdre la teste. Le patron de la nef ala en la cyté acheter ce que luy faisoit mestier*C86, puis s’en retourna en la nef et commanda que elle fust paree de drapz de soye et de drapz royaulx*C87. Et commencerent a mener grant joye, et beurent et mengerent. Vint celle part Anthiocus, seigneur de Militaine, qui s’en aloit abatant a la rive de la mer et regardoit les nefz et galees qui la estoient ; et entre les aultres vit la nef de Appolin, qui estoit moult notablement paree. Si dist a ses gens : — Moult me plaist celle nef, qui est tant bien paree. Quant ceulx de la nef oÿrent qu’ilz la louoient tant, sy luy dirent : — [f.  229va] Seigneur prince, plaise vous de venir esbatre avecques nous ? Quant Anthigoras oÿt qu’ilz l’appelloient ainsi, si entra dedens la nef et leur donna .x. escus, puis demanda ou estoit le maistre de la nef, et ilz respondirent : « Le maistre est la bas en la sentine, en grant doleur, et dit que jamais ne verra clareté pour l’amour de sa femme qu’il a perdue en mer et une fille en terre. Et pour ce veult leans morir de deul. » Ce dist Anthigoras a ung varlet de la nef : — Va luy dire que le seigneur de ceste terre luy demande, et je te donray deux escus. — Seigneur, dist le varlet, je en [donroye quatre avant]b que je y allaisse, car il me feroit copper la teste, car il l’a ainsi ordonné, que

a  Cf. lat. RSt : « Gaude Apolloni scias enim hodie Neptunalia esse ». « Quod si quis servorum meorum fecerit, crura eius frangentur ; liber si fuerit, malum libertatis accipient ». Mirati sunt omnes quod se ita obligasset. b  . Dans le manuscrit : « je en donroye avant quatre que je y allaisse ».

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tout homme qui luy parlera de saillir dehors, qu’il luy fera copper la teste*C88. Respond Anthigoras : — Ceste ordonnance [f.  229vb] ne s’entent point de moy. Dittes comment il a nom. Sy dirent ceulx de la nef : — Il a nom Appolin, roy de Thir. Anthigoras pensa en soy mesmes que Tarcye luy avoit dit que Appolin de Thir estoit son pere. Si s’en entra en la sentine et vit Appolin, qui avoit si grant barbe ; sy dist a haulte voix : « Appolin, vient a la clarté ! » Lors il cuida que ce fust aucun de ses gens, si le regarda bien felonnement, et puis apperceut qu’il n’estoit pas de ses gens, pour ce qu’il estoit richement vestu. Adont dist Anthigoras : — Je cro[y] que tu te merveilles de quoy je ja [te]a nomme par ton nom et si ne te congnois. Saiches que je suis seigneur de ceste terre et suys nommé Anthigoras. Je m’estoye venu esbatre a la rive de la mer et ay veu entre les aultres nefz la vostre, plus richement paree que lesb [f. 230ra] aultres, et tandis que la regardoye vos gens m’ont prié gracieusement de moy venir esbatre. Sy leur ay demandé ou estoit le maistre de la nef, lesquelz m’ont dit que vous estiez en la sentine en grant douleur, pour laquelle chose je suis venus vous prier qu’il vous plaise issir dehors de ces tenebres, et venez a la clarté. Et je vous donray des meilleures choses que vous n’avez perdues. Appolin leva la teste et luy dist : — Sire, grant mercys des biens que me offrez, mais quant de moy je ne puis jamais isir dehors, tant comme il plaira a Dieu que je vive. Voyant Anthigoras il ne fera aultre chose a soy mesmes, puis appela ung sien escuier et luy dist : « Va dire au maistre de Tarcye que la m’envoye icy, car elle est belle et bien doulce en parolles, pour sçavoir s’elle poura [f. 230rb] faire saillir cest homme de la Dans le manuscrit  : «  je ja nomme  »  : «  je ja [te] nomme  » ou «  je t’a nommé » (erreur de copiste). b  En bas du feuillet : < aultres et >. a 

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chartre ; car ce seroit dhommage se ung si noble homme mouroit ainsi. » Quant le ribault sceut que son seigneur luy mandoit, si luy greva moult, mais il ne osa contredire. Sy commanda a Tarcye qu’elle alast a la nef parler a Anthigoras. Quant elle fu dedens la nef, Anthigoras luy dist : « Doulce fille, vostre scyence est icy necessaire pour reconforter le seigneur de ceste nef qui est la bas en la sentine qui pleure sa femme qui est perdue. Et, belle fille, alez parler a luy et luy priez qu’il viengne a la clareté ; et se vous le pouez amener, je vous donray .xxx. escus en or et autant en argent ; et si vous garderay .xxx. jours, adfin que vous puissiez mieulx garder vostre virginité. » Quant la pucelle oÿt Anthigoras, elle entra incontinent [f. 230va] en la sentine et salua Apolin et dist : — Dieu te gart, seigneur. Esjouÿ toy, car je croy qu’il y a grant tempz que tu ne vis femme du bourdeau qui gardast chasteté. Pour ce, voys je comme chambouriere, mais jamais je ne fiz chose orde ; je suis ainsi comme la rose entre espines et ne me espine point. Mariniers me prindrent et me amenerent ycy, et me vendirent a ung malvaiz homme, maistre du bordeau, mais j’ay gardé ma virginité ; et se pour plourer pouoye recouvrer ce qui est perdu, il ne seroit homme plus noble que moy, car je suis fille de roy et de royne, et je mefye en Dieu que en aucun tempz je avray vie. Sy te prie, Appolin, que tu laisses ta doleur*C89. Appolin regarda la pucelle et commença a souspirer et luy dist : — Belle fille, je vous mercye de vostre bon conseil [f.  230vb] et de vos bonnes parolles, mais je vous prie que vous ne me parlez point de consolation ; par adventure feray je semblablement a vous que en aucun tempz je avray consolation. Sy vous prie que vous en aillez. Veez cy .ii. cent escus que vous donne. Autant valloit comme se vous me aviez fait saillir de la ou j’en suys. Je vous prie que vous ne traveilliez plus pour moy, car quant vous me faictes souvenir du tempz passé, vous renouvellez mes doleurs. La fille print l’argent et s’en monta a mont, et Anthigoras luy demanda se elle avoit pour neant traveillié icy. — J’ay fait ce que j’ay peu, mais il m’a priee que m’en alasse, et m’a donné .ii. cent escus, et que je n’y retourne plus.

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Dist Anthigoras : — Je t’en donray .iiii. cent et luy reporte .ii. cent, et luy dy que tu aymes mieulx sa sancté [f. 231ra] que son argent. Lors Tarcye retourna en la sentine et s’assist decoste Appolin, et luy dist : — Puisque tu veulx demourer en ceste fortune, je te veul faire des questions, et se tu me scez respondre, je m’en yray ; et se tu ne le veulx oÿr, pren ton argent. Lors Appolin, adfin que il prenist l’argent qu’il luy avoit donné, dist que il entendroit voulentiers  : «  car je sçay bien que a mon mal n’a point de remede, fors que de plourer. Dy ce que tu vouldras. »  C90  Adonc commença a faire de moult fortes questions, mais Appolin luy donnoit a tout responce. Quant la pucelle eubt finees ses questions et vit que Appolin luy avoit tres bien respondu, si se tourna devers luy et dist : « Seigneur, entendez la voix de ceste pucelle qui tant doulchement vous prie ; ottroyez luy ce qu’elle demande. » Lors la print par la main et le [f. 231rb] vouloit tirer par force de la chartre, et luy dist : « Seigneur, ayeza mercy de toy, car ce seroit dhommage se ung tant bel homme comme tu es mouroit ainsi. » Quant Appolin vit la pucelle qui le vouloit tirer de la chartre, tout couroucié retrait ses bras que elle tenoit, et la pucelle cheÿt a terre et frappa contre ung coffre en telle maniere qu’elle se fist ungb grant playe aux genoulx et commencha fort a saignierc ; puis dist tout en plourant*C91 : — Helas, Seigneur Dieu Jhesucrist, comment souffrez vous que ceste pucelle soustiengne tant de doleur, car depuis que je fus nee, je n’euz que paine et angoisse. Ma bonne mere Archicastres morut pour moy quant elle enfanta, et mon bon pere la mist en mer dedens ung coffre et puis me bailla en garde a Strangulio et a Denise sa femme, avec [f.  231va] grans richesses. Aprés commanderent a ung villain serf qu’il me coppast la teste a la rive de la mer, et ainsi qu’il me vouloit decoler, arriverent des mariniers qui me prindrent et me amenerent en ceste ville ; et j’ay souffert Lire : « ayes ». Confusion probable de lettres de la part du copiste. c  « Cheÿt a terre et frappa contre ung coffre en telle maniere qu’elle se fist ung grant playe aux genoulx », cf. lat. calx, ‘talon’. a 

b 

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moult de paine et de douleur. O Appolin roy de Thir, pourquoy n’es tu en lieu que tu me puisses aidier ? Quant Appolin oÿt ce que la pucelle disoit, tout en plorant crya a haulte voix : — O mes amis et mes serviteurs, venez et mettez fin a mon angoisse et a ma douleur ! Anthigoras et les aultres qui estoient en la nef devalerent tantost en bas et trouverent Appolin qui avoit acolee Tarcye et disoit : — Voiiez cy ma fille pour quoy j’estoye en douleur et en tristesse. Je suys Appolin qui t’avoye [f. 231vb] baillie a Strangulio et a sa faulse femme Denise  ; dy moy comment avoit a nom la norice ? Dist la pucelle : — Elle avoit nom Lithorides. Adont Appolin aultreffois cria et dist : — Pour certain tu es ma fille ! Dist la fille : — Se tu demandes Tarcye, je suys celle. Sy saillit Appolin a la clarté, et getta ses robes de douleur et se revestit des robes de lyesse ; puis baisa sa fille tout en plourant, de la grant joye qu’il avoit. Quant Anthigoras les vit ainsi embrasez tous deux plourans, si en eubt grant pitié, et tout en plourant compta a Appolin comment Tarcye estoit la venue, et comment elle fut livree au ribault, et comment il la faisoit aler avec les aultres folles femmes au lieu publicque. Puis dist Anthigoras : — Seigneur, [f. 232ra] je te prie pour celuy qui t’a donné grace de retrouver ta fille, que tu ne luy donnez aultre mary que moy, car je suys seigneur de ceste terre, et par mon moyen elle est avecques toy. Et si est demouree vierge, car elle scet bien que je luy ay esté comme pere. Dist Appolin : — Comment pouray je estre contraire a ta voulenté ? Je le te ottroye plainement, que je avoye promis que je ne osteroye ma barbe ne mes cheveulx jusques a tant que ma fille eust mary. Non

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pourtant, je vous requier que ma fille soit vengee du mauvais ribault qui l’a si ordement tenuea. Atant entrerent Appolin et Anthigoras en la cyté, puis Anthigoras manda querir tous les barons et chevaliers de la cyté, qu’elle ne perisse par ung mauvais homme. Atant les nouvelles [f.  232rb] alerent par la ville, tant que ne demoura homme ne femme qui ne venist pour sçavoir pourquoy la cyté debvoit perir. Adont Anthigoras parla et dist : — Seigneurs barons et bourgois, sachiez que Appolin roy de Thir est venus en grans nefz et en grans galees contre la cyté de Militaine, pour ce que le maistre des ribaulx luy tient sa fille par force. Et adfin que la cyté ne soit destruitte, mettons y aulcun remede. Les seigneurs respondirent tous ensamble : — Soit prins le ribault et livré es mains de Appolin pour en faire a sa voulenté ! Quant Anthigoras oÿt ce, si commanda que le ribault fust prins et que on le menast les mains liees deriere le dos au palaiz devant Appolin. Puis le roy fist faire ung cry, que tout homme et toutte [f. 232va] femme venist a la place pour veoir la justice du ribault. Appolin vint la en belles robes royalles, et avoit laissié tout son deul et osté sa barbe et ses cheveulx. Anthigoras luy mist une couronne sur son chief, puis prinst sa fille par la main et vindrent a la place et monterent sur une chaiere qui avoit esté faicte pour eulx ; et tous les gens commencerent a plourer si fort de grant joye de la justice du ribault. Puis Appolin fist faire silence et commencha a dire en telle maniere : « Nobles bourgois de Militaine, que par Cf.  lat. RB  : Tunc erigens se et proiectis vestibus lugubribus induit vestes mundissimas, et adprehensam eam osculabatur et flebat. Videns eos Athenagora utrosque in amplexu cum lacrimis inherentes, et ipse amarissime flebat et narrabat, qualiter sibi olim hoc ordine puella in lupanari posita universa narrasset, et quantum temporis erat, quod a piratis adducta et distracta fuisset. Et mittens se Athenagora ad pedes Appollonii dixit : « Per Deum vivum te adiuro, qui te patrem restituit filie, ne alio viro Trasiam tradas ! Nam ego sum princeps huius civitatis et mea ope permansit virgo ! » Appollonius ait : « Ego huic tante bonitati et pietati possum esse contrarius ? Immo opto, quia votum feci non depositurum me luctum nisi filiam meam nuptam tradidero. Hoc vero restat, ut filia mea vindicetur de hoc lenone, quem sustinuit inimicum ». a 

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vostre grant bonté vous estes assamblez, veez cy ma fille que je ne congnoissoye aujourd’huy, laquelle le maulvais ribault a tenue deshonnestement jusques aujourd’huy  ; et par vostre courtoysie est encores pu/[f. 232vb]celle. Pour tant que vous puissiez rendre plus grant grace, je vous prie que vous pourchassiez vengance de ma fille ». Anthigoras et les aultres commencerent a crier fort : « Ardez le mauvaiz houlier, et ses biens donnez a la fille, et l’amenez devant tous ! » Il fut mis dedens ung grant feu et ses biens furent donnez a la fillea, non point pour necessité qu’elle eust, mais adfin qu’elle en feist a sa voulenté. De quoy elle donna au villain, a qui son maistre l’avoit baillé a despuceler*C92, .x. escus pour ce qu’il avoit eu pitié d’elle ; et a touttes ses compaignes donna grans dons selon le plaisir qu’elle luy avoit fait, et les effranchist touttes, car elles [f. 233ra] estoient touttes en subjection du ribault*C93. Puis Appolin se leva et dist a Anthigoras : — Noble seigneur, pour ce je vous rens graces et mercy de vostre bonne justice et de la pitié que vous avez eue de moy – et a toutte communaulté de vostre cyté –, et pour la grant courtoysie qu’ilz m’ont fait, je leur donne quarante charges d’or, lesquelles leur feray livrer presentement. Et quant Anthigoras et ses gens de la cyté virent la grant franchise de Appolin, ilz luy rendirent mercys ; puis firent faire une nef de letton et ung ymage d’or qui estoit sur le bout de la nef devant et tenoit le ribault. Et escripvirent en l’ymage : « Appolin roy de Thir, qui a recouvré les murs de la cyté de Millitaine, pour la tienne amour et pardurable honneur avons fait cest ymage*C94 ». Aprés [f. 233rb] ung petit de tempz, Appolin donna sa fille a femme a Anthigoras a grant joye, ainsi qu’il avoit promis. Aprez que les nopces furent faictes, Appolin s’en vouloit retourner et va penser qu’il retourneroit par Tarcye. La nuyt quant il fut couchié, il luy fut advis en songe que une voix luy disoit  : «  Appolin, . a 

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adresse ton chemin en Effés. Et quant tu isteras, va t’ent au temple de Dyane, et la, en la presence de tous, comptes touttes les adventures ; et ainsi seras moult resconforté et joyeux. Aprés yras en Tarcye et vengeras ta fille. Adont Appolin s’esveilla tout esbahy du songe qu’il avoit fait ; sy le vient compter a sa fille et a son gendre, et ilz luy dirent : « Fay a ta voulenté, car nous sommes tous prestz de toy obeÿr. » Lors Appolin commanda a garnir la nef de ce qui faisoit [f.  233va] besoing et se mist dedens, et sa fille et son gendre et leur compaignie  ; et porta avecques luy grans richesses. Si commencerent a nagier vers Effés. Appolin issit tout premier, et puis aprés les aultres, et s’en entrerent en la cyté des Effés, puis demanderent le temple de Dyane et on leur moustra auquel temple, comme devant avons dit, estoient mises les femmes qui vouloient garder chasteté. Et la estoit pour abbasse Archicastres, la femme de Appolin de Thir, qui avoit bien demouré .xv. ans leans, laquelle son mary cuidoit qu’elle fust morte*C95. Appolin et toutte leur compaignie vindrent vers le temple et prierent a la portiere qu’elle leur ouvresist l’eglise, car ilz vouloient faire leur [f. 233vb] oroyson*C96. Lors la portiere dist : « Attendez ung petit s’il vous plaist, et je l’iray dire a madame l’abesse. » Atant s’en vint dire la portiere a l’abesse que ung roy et sa fille et son gendre avecques grant compaignie de gens, qui sont a la porte : « qui vous prient que vous leur donnez congié de entrer ceans pour faire leurs oroysons, et si veullent parler a vousa. » Quant Archicastre oÿt la portiere, elle commanda que on luy appareillast une chaiere au temple, avecq grant compaignie de nobles dames, et s’assist en son siege. Puis fist ouvrir la porte et dist que on feist venir le roy, et quant il fut entré, luy et son gendre et sa fille, ilz getterent aux piez de la royne qui estoit tant belle que c’estoit [f. 234ra] merveilles, et pensoient que ce feust la deesse. Et commencha a compter touttes ses adventures, dont tous ceulx qui

Cf. lat. RSt : « Sanctissima et sacratissima sacerdatum domina, venit rex nescio quis cum filia et genero suo cum multis doctibus et postulat orare posse in sacrario ». a 

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l’entendoient ne se pouoient tenir de plourer pour la pitié qu’ilz en avoienta. Et quant Archicastres eubt oÿ sa complainte et ses adventures, adoncques elle se leva courant et le va embrassier et baisier. Et Appolin, qui ne congnoissoit pas que ce fust sa femme, la bouta arriere de soy ; et tout en plourant elle getta ung cry et dist : — Appolin, ne faictes doubtez, car je suis vostre femme Archicastres ! Et pour certain tu es Appolin le roy de Thir, mon mary, mon chier seigneur et amy ! Je te prie que tu me moustres ma fille. Appolin dist : — Veez vostre fille ! Tarcye moult tendrement l’embrasse et la baise, et Antigoras aus/[f. 234rb]si, son gendre. Et sachiez que moult y eubt de larmes espandues de joye. Les nouvelles furent sceues par la cyté de Effés que Appolin avoit congneue sa femme Archicastres, qui estoit abbesse du temple Dyane. Tous les gentilz hommes et bourgois de la ville vindrent faire honneur en grant reverence a Appolin, et moult joyeusement en grant joye et soulas la tindrent l’espace d’un grant tempz. Tandis la noble dame Archicastres establit en son lieu une noble dame pour abbesse. Puis Appolin remercya moult les bourgois de la ville du bien qu’ilz avoient fait a luy et a sa femme et a sa compaignie. Sy prindrent congié et entrerent en leurs nefz a grant joye, et eubrent bon vent a leur gré, tant qu’ilz vindrent [f. 234va] arriver en la cyté de Anthioce, ou ilz gardoient la couronne a Appolin. Et la fut receu moult joyeusement comme roy et comme celluy qu’ilz desirent pour seigneur. Et quant il eubt demouré ung grant tempz, il mist son royaulme en bon gouvernement, puis s’en ala a a  Cf.  lat. RSt  : «  Ego ab adolescentia mea rex natus sum Tyrius Apollonius appellatus, cum ad omnem scientiam pervenissem regis Antiochi quaestionem exolvi ut filiam eius in matrimonio acciperem. Sed ille ei foedissima sorte sociatus cuius pater natura fuerat constitutus per impietatem coniux effectus me machinabatur occidere. Quem dum fugerem, a Cyrenensi rege Archistrato eo usque gratissimo sum susceptus affectu ut filiam eius mererer accipere. Quae cum mecum desiderat properare ad proprium regnum, hanc filiam meam peperit quam coram te, magna Diana, repraesentare iussisti. Postea in navi cum pareret, emisit spiritum. Quam ego regio indui habitu et in loculum cum xx sesterciis auri dimisi ut inventa digne sepeliretur ».

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Thir, et les barons et les chevaliers du pays furent moult joyeulx de ce qu’ilz eubrent recouvré leur seigneur, et firent grant feste et dura bien .xv. jours. Aprés Appolin tint court generalle a tous venans, et adonc couronna son gendre roy de Thir, lequel fu au plaisir et joye de tout le peuple*C97. Aprés que ce fu fait, Appolin et sa compaignie se misrent en mer et nagierent tant qu’ilz vindrent a Tarcye ; et quant les barons de Tarcye le virent, si furent moult joyeux de sa [f. 234vb] venue. Et tantost qu’il fut entré, il commanda que Strangulio fut prins, et sa femme, et qu’ilz fussent amenez devant luy, et tous les bourgois et habitans de la cyté fussent assamblez. Et quant ilz furent venus, si dist : — Entendez a moy, seigneurs. Dittez moy se je fuz oncques desagreable a homme ne a femme de ceste cyté. Et tous respondirent : — Certes non, mais avons dit tousjours que tu estoyes seigneur de Tarcye, car tu nous a gardé de mort et de famine. Et se il est chose necessaire, nous sommes prestz et appareilliez de morir pour toy ; et tu scez bien que l’ymage que nous avons fait faire au marchié est tesmoing de ce promis*C98. Appolin dist : — J’avoye baillee ma fille a Strangulio et a sa femme en garde, et ne me la veullent rendre. [f. 235ra] Et la mauvaise femme va respondre : — Seigneurs, lisiez l’escript de la tombe. Nous ne la pourions pas moustrer, puis qu’elle est morte. Adonc Appolin dist : — Doulce fille, veez cy qui disoit que tu estoyes morte ? Pren les robes de ton pere. Adont Tarcye commencha a dire a haulte voix : « Dieu te gart, Denise ! Veez cy Tarcye, qui est resuscitee de mort !*C99 » Lors la faulse femme commencha a trambler et les gens furent tous esbahis. Et Tarcye commanda que on luy amenast Theophille, et se fut prestement fait. Et quant Theophille fut venu devant, elle luy demanda : — Dy moy tout hault, adfin que chascun l’entende, qui fut celluy qui te commanda que tu me couppasses la teste ?

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Et le villain respond : — Ce fut Strangulio et Denise. Et quant les bourgois l’oÿrent, ilz vont tantost courant pren/[f.  235rb]dre Strangulio et sa femme Denise. Et quant les bourgois furent prest, ilz les menerent lapider dehors la cyté. Et quant ilz furent mors, ilz vouloient lapider Theophille, mais Tarcye leur pria qu’ilz le laissassent, et dist : « Pour tant que tu me laissas prier Dieu, dont j’en suis garantye de mort, car tandis vindrent les mariniers qui me emmenerent ; et pour ce je veulx que tu soyes franc. » Comment Appolin reedifia les murs de la cyté de Tarcye, et de la s’en ala vers la terre Penthapolis*C100.

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Quant tout ce fu fait, Appolin print grant plaisir avecques les bourgois de Tarcye et leur donna grans donsa, et fist reparer les murs de la cyté. Et quant il eubt la esté .vi. moys, il s’en partist et se mist en mer avecq sa compaignie, et nagierent [f. 235va] vers Cytrane qui est terre de Penthapolis, qui estoit le royaulme du pere de sa femme. Et quant ilz furent arrivez, le roy Archicastres qui recouvra sa fille et son gendre, la fille de sa fille et son mary en sa viellesse, il n’est homme qui puist compter le plaisir qu’il eubt. Sy les ala embrassier, et les gens de la ville tendirent toutte la cyté de drapz de parement*C101 ; et furent recheus a grant joye, si tres grande que ce seroit forte chose a recompter tant que la feste dura bien .vi. moys. Et quant l’an fut passé, et le roy qui estoit moult viel vint en grant maladie, de quoy il morut, et donna le moitié de son royaulme a sa fille et l’aultre moitié a la fille de sa fille. Puis fut enterré moult honnourablement, comme il appertenoit a ung roy, [f.  235vb] et quant le tempz du dueil fut passé, les gens se commencierent a resjoÿr.

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« Dons », cf. lat. munera.

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Ung jour Appolin s’en aloit esbatant a la rive de la mer et trouva le pescheur quy luy avoit donné a boire et a mengier eta la moitié de son manteau quant il eschappa tout nu de la mer. Sy commanda que on luy amenast au palaix ; et quant il vit qu’on l’amenoit au palaix, il eubt grant paour de morir. Appolin fut retourné au palaix et commanda que on l’amenast en la presence de sa femme et de tous les gens, et dist : « Voyez cy le bon homme qui me donna confort a ma grande necessité et me moustra le chemin par ou je vins a l’ostel de vostre pere. » Et dist au pescheur  : «  O bienheuré homme, je veul que tu saiches que je suis Appolin [f.  236ra] de Thir, lequel, quant je trambloye, tu me donnas la moittié de ton manteau. » Sy commanda que on luy donnast grans heritages et hommes et femmes dessoubz luy, et de honnestes robes, et le retint de sa court. Aprez luy vint celluy qui luy dist que le roy Anthiocus estoit mort. Appolin le baisa, et puis luy donna tant de richesses qu’il fut riche toutte sa vie. Quant touttes ces choses furent passees, Appolin engendra ung filz de sa femme, roy de Anthioce. Appolin vesquit bien .lxxiiii. ans avec sa femme. Touttesfois, tant comme il vesquit il fust roy d’Anthioce et de Thir, et de la terre des Penthapolis et de Citrianne et de Tarcye, et en son tempz les tint en bonne paix. Puis fist escripre ses adventures et les mist en .vi. lieux, dont [f. 236rb] l’un fist mettre en la terre des Effés et l’aultre au temple de Dyane, et l’aultre en Anthioce, et l’aultre en Cytrianne, et l’aultre en Tarcye, et l’aultre a Thir*C102. Ainsi est finee l’istore et cronique de Appolin de Thir. 

Cy fine l’istore et cronique de Appolin roy de Thir.

a 

. Faute de copiste.

Dossier

Les commentaires suivants ont pour principal objectif d’expliquer les choix faits par le traducteur médiéval et d’éclairer sa maîtrise de la langue de l’œuvre source. Nous avons essayé de mettre en relation ses choix avec ceux qui ont été faits par d’autres traducteurs français médiévaux de l’Historia Apollonii regis Tyri (les traducteurs des versions suivantes : littérale, de Gdansk, de Bruxelles, de Nantes, de Florence et de Vienne). Nous n’avons souhaité inclure ces commentaires dans l’Introduction ou dans les notes de bas de page pour deux raisons : d’une part, à la différence des notes explicatives habituelles, ces commentaires se présentent souvent sous la forme d’une digression comportant des références bibliographiques ; d’autre part, leur contenu ne concerne pas seulement la version de Londres du Roman d’Apollonius, mais également la version de Nantes et/ou les cinq autres versions françaises médiévales. Les numéros des commentaires ont été signalés dans l’édition en exposant  ; ils sont précédés d’un astérisque. Pour faciliter l’éventuel travail de repérage du lecteur, nous avons décidé de reprendre, après chaque numéro de commentaire, les coordonnées du feuillet où se trouve le texte français analysé, ainsi que les mots ou les phrases du texte qui ont été commentés. * C1 (f. 210ra) :

« Il estoit ung roy appellé Anthiocus, lequel print le nom en la cité de Anthioce. Lequel roy avoit une femme espousee… »

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

La référence à la reine prouve ici la dérivation de notre version de la RB (ou de l’une des rédactions issues de cette dernière : la RSt par exemple) ; le récit latin mentionne une amissa coniunx (« femme décédée »). La version de Londres amplifie le texte latin avec deux propositions. Dans la deuxième, le traducteur brosse un portrait approximatif de la reine : la perfection physique (« parfaicte en touttes beaultez corporelles  »), la perfection scientifique ou la sagesse  («  de touttes sciences  ») et la perfection de sa noblesse (« de touttes noblesses »). La reine reste toutefois un personnage effacé malgré cette description en trois membra, car elle ne porte aucun nom et n’apparaît plus dans le reste du roman. La VV amplifie ce changement. Elle met en scène une reine active, qui parle à son mari et qui tente de le mettre sur le bon chemin1. Il n’y a aucune liaison sur le plan structurel ou sémantique entre la version de Londres et la VV, mais les traducteurs ont sans doute perçu une lacune narrative dans le discours original, qu’ils ont essayé de remplir par des clichés ou par une métahistoire. Dans le passage suivant, la reine apparaît une deuxième fois (à la place de l’amissa coniunx) et le récit parle de la beauté de la fille. Puisque le traducteur a déjà employé toute sa panoplie métaphorique à propos de la reine, pour ne pas être obligé de se répéter, il trouve une solution plus simple : la fille ressemble à la mère « en touttes vertus et en toutte beaulté corporelle ». Il crée ainsi une raison supplémentaire pour l’inceste paternel. Beauté et noblesse d’esprit sont souvent liées pour un homme du Moyen Âge, la pensée médiévale n’opérant pas une dichotomie entre l’esthétique et l’éthique. La beauté fusionne ainsi avec la bonitas ; le fait que la fille soit belle indique aussi qu’elle est noble et vertueuse : « touttes vertus »2. Le nom de la fille, qui apparaît cependant dans la RSt latine3, ne se trouve pas dans le texte français.

Michel Zink, éd. cit., p. 62, 64. Philippe Logié, « Fonctions du beau et du laid dans les Romans d’Antiquité », dans Le Beau et le laid au Moyen Âge, Aix-en-Provence, CUER MA, “Senefiance”, 43, 2000, p. 353-355. 3  E. Klebs, op. cit., p. 92 : Hic habuit filiam speciosissimam nomine Creusam, iniqua libidinis flamma coepitque eam plus diligere quam a patre oportebat, qui cum 1 

2 

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* C2 (f. 210rb) :

« …de la quelle dame le roy eubt une fille qui ressambloit sa mere en touttes vertus et en toutte beaulté corporelle. »

Le sens de l’adjectif latin speciosus4 concerne la beauté du visage (species). Le médiolatin garde cette acception dans des occurrences bibliques5. La VL offre une traduction littérale6. La version de Londres préfère une périphrase mais elle garde le sens7. On trouve d’autres abrègements ou d’autres paraphrases dans la VV et dans la VF. Le passage est absent de la VN. Dans ce cas précis, le texte de la version de Londres semble suivre les RA et RB, plutôt que la RSt. * C3 (f. 210rb) :

«  …et luy fist faire le service tel comme il appertenoit a une royne. »

Les VV et VN, de même que notre version, augmentent la structure du texte latin, puisque tout roi a besoin d’une reine, et qu’une fille ne peut pas mener sa vie en dehors d’une famille. La VN précise l’existence de ce personnage féminin8 ; la VV mentionne une famille et essaie de fournir une explication au désastre9 ; quant à la version de Londres, elle est la seule qui développe vraiment l’idée. Le compilateur de cette version a introduit le motif du deuil, la cé-

luctaretur cum furore pugnaret cum dolore, pudor vincitur amore, stimulante libidinis igne, quae scelere patris impietate poluta. 4  Cf. lat. RA : His habuit unam filiam, virginem speciosissimam, in qua nihil rerum natura exerrauerat, nisi quod mortale statuerat ; lat. RB : Hic habuit ex amissa coniuge filiam, virginem speciosissimam, in qua nihil natura rerum erraverat, nisi quod mortalem statuerat ; lat. RSt : Hic habuit filiam speciosissimam nomine Creusam. 5  Cf.  factum est autem post haec ut Absalom filii David sororem speciosissimam vocabulo Thamar adamaret Amnon filius David et deperiret eam  (Vulgate, 2 Samuel, 13, 1). Et traderet ei partes suas et septem puellas speciosissimas de domo regis (Vulgate, Esther, 2, 9). 6  « Une fille de tres grant beauté » (Charles B. Lewis, éd. cit., p. 2). 7  « En toutte beaulté corporelle ». 8  «  Dont sa mere en enfantant d’elle morut  »  (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 515). 9  « Une maladie » (Michel Zink, éd. cit., p. 64).

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rémonie funéraire et le πρέπον de l’Antiquité classique : « comme il appertenoit a une royne ». * C4 (f. 210va) :

« Et puis fist nourir la fille et la fist ensaignier en touttes bonnes condicions selon l’estat royal… »

La version de Londres et la VN se concentrent sur l’éducation de la fille du roi. Le fait que les VV et VB ne mentionnent pas ce détail ne peut pas être interprété comme un refus de développer le thème, mais plutôt comme une contrainte liée à la spécificité de leur trame narrative : dans la VV, il n’y a pas de place pour un roi qui s’intéresse vraiment à sa fille. L’Antiochus de cette version est un monstre en proie aux désirs charnels. À la différence de la VV, notre version et la VN, qui suivent le parcours de l’Historia, ne peuvent amplifier le récit qu’en respectant les orientations du texte latin. C’est ainsi qu’elles créent un Antiochus humain, honnête et digne d’être un roi. * C5 (f. 210va) :

« …laquelle fille creut tant en grant beauté et en toutte noblesse que c’estoit grant merveille a veoir. »

Le latin utilise speciosus et formonsus pour deux types différents de beauté10  : celle du visage (species) et celle du corps ( forma), que nous trouverons dans la RA, où l’emploi des deux concepts témoigne d’une double beauté du personnage féminin. Néanmoins, la pulchritudo de la RB renvoie à un lieu commun absent de la version de Londres11. Dans ce texte, le traducteur a envisagé une double qualité (« en grant beauté et en toutte noblesse »), soit parce qu’il pouvait avoir sous les yeux une version latine (la RSt ?), soit parce que la valeur générale du mot français « beauté » ne lui permettait pas de refléter l’idée de l’original. 10  Cf. lat. RA : et species et formonsitas cresceret ; lat. RB : specie pulchritudinis cresceret. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison avec cette rédaction dérivée de la RB. 11  Toutefois, les RA et RB n’utilisent jamais l’adjectif pulcher, elles emploient généralement speciosus, aux positif et superlatif (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 6).

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*C6 (f. 210va) :

« Et quant vint qu’elle eubt environ .xi. ans… »

L’adjectif latin nubilis fait partie de la famille lexicale du verbe nubo (« couvrir avec une voile », « marier une fille »)12 et semble être inspiré d’une expression grecque13. Les filles romaines et grecques se mariaient à la puberté (douze ans). Les paragraphes suivants indiquent pourtant une référence plus exacte  : le désir sexuel du père commence au moment où la fille avait douze ans. Le traducteur a voulu peut-être faire apparaître un conflit intérieur chez le père ; il a amplifié la moralisation de ses personnages, puisque la « charnelle compaignie » est une redondance qui sert à dissiper les ambiguïtés du texte. Quant aux realia médiévales, il n’est pas le lieu de faire ici une étude démographique sur la question de l’âge du mariage des filles au Moyen Âge14. Ainsi, l’âge de la fille d’Anthiocus dans la version de Londres peut être une traduction fidèle et attentive de l’original latin ou une équivalence médiévale. La VF et la VN sont les seules qui traduisent exactement le sens de l’adjectif latin15. * C7 (f. 210va) :

«  En la fin, comme celuy qui n’aloit point le droit chemin de nature, fut vaincu. »16

La « nature » représente ici probablement les ‘attributs propres à un être’, mais « le droit chemin » renvoie évidemment aux lois de Cf. lat. RA : Que dum ad nubilem pervenisset etatem ; lat. RB : Quae cum ad nubilem venisset aetatem. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 13  G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 8. 14  Marguerite d’Anjou avait quinze ans au moment de son mariage avec Henri vi d’Angleterre, et Marguerite Beaufort douze ans au moment de son mariage avec Edmond Tudor (Christopher N. L. Brooke, The Medieval Idea of Marriage, Oxford, Oxford University Press, 1991, p. 12). 15  Cf. VF : « Et con elle fu parvenue en aage de marier et sa biauté fu plus et plus creuz, plusors la demandoient a feme et acoroient a grant promession » (Marina Rocchetti, éd. cit., p. 47). Cf. VN : « Quant la dicte fille fut venue en aige de marier » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 515). 16  Cf. lat. RA : vincitur amore ; lat. RB : vincitur ab amore ; lat. RSt : pudor vincitur amore. 12 

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l’Église apostolique. On ne peut pas non plus négliger la théorie qui fait son apparition dans la deuxième partie du xiiie siècle et qui relie l’harmonie de la Nature au Gouvernement terrestre. Le caractère noble de l’homme est alors le trait qui ‘suit’ la nature17. La VL introduit aussi l’idée d’un mariage ; la VV met en scène un débat des barons sur l’impossibilité de l’inceste, en raison du decorum qui doit gouverner l’État, alors que la VF mentionne un « fol amor »18. Pour ce qui est du rapport entre la version de Londres et la RSt, le pudor vincitur amore de cette dernière n’est pas la source de notre traduction, qui semble plutôt suivre ici les RA et RB. * C8 (f. 210va) :

« Et quant la fille fut en l’eage de .xii. ans, ung jour le pere entra en sa chambre et faignoit qu’il voulsist parler a elle de conseil et fist eslongier touttes ses gens loingz de sa chambre. »19

Au temps de l’Antiquité classique, le famulus était un esclave ou un esclave libéré qui faisait partie de la familia : la totalité des esclaves d’une maison ou d’un propriétaire. Le sens a subsisté dans le vocabulaire médiolatin, mais le mot a été employé pour designer un ‘serviteur’20. Trois versions suivent le texte latin  : la VF qui parle de « vallez », la VN (des hommes sans aucune fonction spéciale : « ceulx »), et la version de Londres (« ses gens »). Les autres versions s’éloignent du texte latin et parlent de « serjens » (VL) ou de « barons » (VV).

17  Piero Morpurgo, L’Armonia della natura e l’ordine dei governi (secoli xiixiv), Firenze, Sismel, edizioni del Galuzzo, 2000, p. 27-28. 18  Cf. VF : « mez comme le peres pensast au quel trespuissant home la peust doner a feme constreignant la maveisse flambe de covoitisse, si chei en fol amor de sa fille et einsi la comença a amer plus qu’il ne convient a pere » (Marina Rocchetti, éd. cit., p. 47). 19  Cf. lat RA : Famulos longe excedere iussit, quasi cum filia secretum conloquium habiturus […] ; lat. RB : […] famulos longius secedere iussit, quasi cum filia secretum conloquium habiturus. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 20  M. M. Postan, « The famulus : the estate labourer in the xiith and xiiih centuries », The Economic History Review, Supplement 2, 1954, p. 1-11.

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* C9 (f. 210vb) :

« Et quant il vit qu’il estoit tout seul avec sa fille, si la va prendre de toutte sa puissance, et la demoiselle se commencha a deffendre de tout son pouoir. Nonobstant, elle ne peut resister contre la force de son pere, et tant fist le maulvaiz plain de malice qu’i osta la fleur et virginité de sa fille propre. »

Le traducteur de la version de Londres utilise deux mots équivalents : lat. repugno > fr. « commencha a deffendre » et « resister » ; lat. filia > fr. « demoiselle » et « elle ». Ce dédoublement syntaxique témoigne d’une moralisation du traducteur. * C10 (f. 210vb) :

« Atant se party de sa chambre, et la nourice de la dame entra en la chambre et vit la fille qui estoit triste et melancolieuse, qui plouroit moult fort. »

L’adjectif latin flebilis a un sens à la fois actif (‘qui pleure’) et passif (‘qui mène à pleurer’). La présence dans la traduction de l’adjectif « triste » est complétée par la deuxième partie d’un binôme synonymique (« melancolieuse »). Ce dernier ajout peut cacher un sens réflexif. Une fille « triste et melancolieuse » serait une fille qui provoque en même temps les larmes des autres et les siennes. * C11 (f. 211ra) :

« La nourice sans attendre va compter a son seigneur comment sa fille estoit malade et fort desconfortee. Et le roy fist semblant d’avoir pitié de sa fille ; si fist venir les medecins et moult d’aultres gens pour resconforter sa fille. »

Le traducteur a été obligé de modifier le canevas. Il n’a pas compris le ubi est pater et a supprimé le passage qui suivait21. Dans les VL et VF c’est la nourrice qui convaincra la fille de coucher avec son père. Le même fragment est à l’origine d’un développement narratif dans la VV, où la nourrice persuade la fille dès le début.

Cf. lat. RB : Patrisque sui ut voluntati satisfaceret ortatur. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir et d’approfondir la comparaison. 21 

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* C12 (f. 211rb) :

« Et quant le roy vit qu’elle estoit tant requise, et d’aultre part les barons de son pays l’admonnestoient de la marier, dont le roy en estoit moult courouchié comme celluy qui la pensoit tenir tous les jours de sa vie en la grant dissolution qu’il avoit commencee, sy va pourpenser une question en son mauvais courage qu’il la proposeroit a ceulx qui demandoient sa fille, et qui ne sçaroit donner solution, si perderoit la teste. »

La présence des barons (cf. VV) demeure mystérieuse. Ces barons sont peut-être une interprétation des petitores latins, mais il n’y a aucune relation entre les deux catégories. Ces derniers seront mentionnés dans les paragraphes suivants en tant que princes et rois. Le traducteur a estimé peut-être qu’il fallait souligner la trahison de l’État plus encore que celle de la famille. Dans cette partie, la VF préfère anticiper la punition des marieurs, tandis que la VV ne mentionne que ces derniers. La VN poursuit avec sa propre explication : le mariage de la fille doit être décidé par le père. * C13 (f. 211va) :

« Laquelle question s’ensieut : Scelere vereor, maternam carnem vescor. Quero patrem meum, matris mee filium, nec invenio. Qui vault autant dire comme  : J’ay vergongne de mon pechié, je menguë la char de ma mere ; je quiers mon pere, filz de ma mere, et ne le puis trouver. »

Pour cette devinette emblématique du récit, nous disposons d’une étude exhaustive des versions latines et vernaculaires22. Dans le récit de Londres, le traducteur a cité le texte latin, mais la devinette qu’il propose aux lecteurs est différente : veor (graphie alternative de vehor) devient vereor ; frater devient pater ; et uxoris mee filium disparaît entièrement. Le verbe latin veho a l’acception de ‘porter’, mais il peut également signifier ‘marcher’ ou ‘circuler’ lorsqu’il est employé en diathèse moyenne ou passive (vehor). En relation avec l’ablatif de scelus, il reçoit un complément de lieu, le syntagme devient alors : ‘je me complais dans un crime’. Il n’y a pas de ‘vergogne’ dans la plupart des manuscrits de la RB latine et la 22 

Claudio Galderisi, art. cit., p. 415-433.

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devinette est absente des passages édités de la RSt. Vereor, le verbe cité et traduit dans la version de Londres, a l’acception d’‘avoir peur’. Son emploi témoigne vraisemblablement d’une interprétation prudente d’un fragment latin corrompu dans le manuscrit source, ce que confirme par ailleurs un manuscrit latin transcrit au xiiie siècle dans le sud de la France23. La VN semble suivre un manuscrit identique, puisque son traducteur emploie bizarrement le même verbe (« user ») à la place de vehor et vescor. Ces deux choix différents certifient l’existence d’un passage corrompu dans la source latine, voire l’utilisation de manuscrits dérivés des RB ou RSt. Dans six des sept versions françaises, la première partie de la devinette possède une évidente stabilité formelle et textuelle24. La métaphore de la chair maternelle est commune à notre version et aux VG, VB, VF, VN, VL. Seule la VV fait l’impasse sur le texte de la devinette, en affirmant qu’il s’agit d’une langue étrangère : le grec. Le problème survient quand les VF, VL et VN mentionnent un frère, mari de sa femme, ou quand la VB parle d’un père, fils de sa femme. Notre version évoque en revanche un père, fils de sa mère. Dans toutes les autres versions françaises, la devinette est soit une aporie, soit elle ne concerne pas une situation incestueuse. Dans la version de Londres, la devinette témoigne d’un inceste mère-fils, qui n’est pas expliqué par le texte25. Le traducteur opère une modification qui n’éclaire pas l’impasse narrative. * C14 (f. 211va) :

«  Et quant il eust trouvé sa question, si fist crier par tout son royaulme que tout filz de roy ou de prince qui sçaroit declairer la dite question, il luy donroit sa fille a femme et la moitié de son royaulme  ; et aussi qui ne la sçaroit declairer fust tout certain qu’il perdroit la teste sans nulle mercy. »

23  Ms. Madrid, Biblioteca Nacional, 9783 (E e 103), qui contient la leçon vere et remonte au début ou au milieu du xiiie siècle (G. A. A. Kortekaas, éd. cit., p. 47, 283). 24  Claudio Galderisi, art. cit., p. 428. 25  Ibid.

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Ce passage résulte d’une interprétation du traducteur, car le seul élément correspondant du texte latin est accipiat filiam meam in matrimonio et decollabatur. Sans connaître l’histoire du roi Œnomaos, à laquelle renvoie le texte latin26, le traducteur a enrichi le thème par des motifs présents dans les contes universels (la tête coupée et la moitié du royaume). En outre, le roi Antiochus pense à une solution pour exaucer ses désirs charnels, mais aussi pour dissimuler ses actions. On retrouve la même idée dans la RB latine (stimulata mente), mais la fonction de la devinette est moins importante dans ce dernier récit, puisqu’elle n’est pas liée à ses réflexions. * C15 (f. 211vb) :

« Et quant ilz estoient venus devant le roy, il leur presentoit sa question, et s’ilz ne la sçavoient bien declairier a son plaisir, il leur faisoit oster la teste sans nulle mercy, et puis faisoit pendre les testes sur les murs de son palaix. »

Les versions latines emploient deux mots-clés : caput et porta. À la fin de l’Antiquité, porta était la porte d’une ville ; la porte d’un bâtiment était nommée ianua ou ostium. Le traducteur a cependant traduit par « les murs de son palaix ». La VV a préféré garder le mot, mais en réduisant le champ sémantique : « et cellui qui fauldroit avroit la teste couppee et mise a la porte de la tourt ». Selon G. A. A. Kortekaas27, ce choix est plus proche des récits latins. La VN donne une leçon différente : « et les faisoit mectre hors de la cité pour ce que ceulx qui la demanderoient veissent l’exemple affin que nul ne la demandast ». « Hors de la cité » veut dire ‘sur la façade des murs de la cité’ ; dans ce cas précis, nous avons là un témoin douteux de l’emploi de porta au sens de ‘porte de la ville’.

Cf. G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 38-39. Ibid., p. 39, cite pour comparaison un fragment d’Hérodote (V, 14), où πύλαι représentent les portes d’une ville. G. A. A. Kortekaas se rend compte aussi du fait que l’iconographie médiévale de ce motif témoigne des têtes sur les murailles des villes, ce qui est le choix de la VN. 26  27 

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* C16 (f. 211vb) :

« Et tant que les nouvelles de la beaulté de sa fille vindrent a ung jour aux oreilles d’ung josne homme, filz du roy de Thir, qui avoit nom Appolin… »

Apollonius n’est plus le princeps patriae suae, il est devenu le « filz du roy de Thir  ». Cette condensation narrative peut être l’effet d’une interprétation. Le « prince » pouvait être l’héritier d’un royaume28. Quant aux autres parties de l’énoncé latin (la circonstance temporelle – interposito brevi temporis spatio ; la richesse du protagoniste – locuplex inmenso ; et son éducation – fidus habundantia litterarum), elles ont été purement et simplement supprimées. * C17 (f. 212ra) :

« Sy luy respondy Appolin : « Oy moy qui suis cy devant toy. » Et le roy luy demanda comment il a nom. »29

L’« oy » de la version de Londres (verbe au mode impératif) se trouve dans la réplique d’Apollonius. Le traducteur n’a sans doute pas compris le passage correspondant latin (et notamment la périphrase signare diem – « rendre l’âme »). Il a préféré garder l’ordre des mots du modèle et créer un nouvel énoncé. Il est également possible, sinon probable, que le manuscrit de la British Library soit une copie (comme semblerait le prouver le saut du même au même que nous avons signalé dans la note 60 de l’édition) ; il s’agirait alors d’une faute de copiste et non pas d’une erreur de traduction.

28  Il est également possible que l’interpretatio rende parfaitement compte d’une réalité de la fin de l’Antiquité. Pour cette période, patriae princeps veut dire princeps civitatis (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 44-45). 29  Cf. lat. RA : […] gener regio genere hortus peto filia tuam in matrimonium ; cf. lat. RB : Iuvenis ait : « Ultimum signaverunt diem ». Rex ait : « Ultimum nomen reliquerunt  ». Iuvenis ait  : «  Regio genere ortus in matrimonio filiam tuam peto ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison avec cette rédaction.

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* C18 (f. 212va) :

« Roy Anthiocus, tu as proposé ta question. Entens a moy ! Quant tu dis scelere vereor, c’est ton pechié et ta vergongne. Regarde toy mesmes ! Aprés, quant tu dis maternam carnem vescor, c’est a dire je manguë la char de ma mere, regarde ta fille. Et quant tu dis quero patrem meum et matris mee filium nec invenio, c’est a dire je quiers mon pere, filz de ma mere, et ne le puis trouver. Et, se tu veulx bien entendre, c’est ta vergogne de toy et de ta fille. »

Dans la première partie du passage, le traducteur respecte le texte latin, mais il ignore un mot (solutio). Après la citation, il ajoute le péché et la vergogne. Les solutions trouvées par les autres versions sont proches de l’original, mais toutes les réponses sont erronées, car la devinette semble désigner un inceste mère-fils. Apollonius fait un usage instrumental de la devinette. Il associe la valeur neutre de cette dernière à la réalité de son expérience immédiate, en opérant une méta-abduction et en déduisant une fausse solution : l’inceste père-fille30. * C19 (f. 212vb) :

«  Et quant Appolin entendit les parolles du roy Anthiocus, tout melancolieux s’en vint a son hostel et entra en sa chambre, et commença a estudier de toutte sa puissance, et ouvrit son entendement pour mieulx sçavoir la declaration de la dite question. »

Apollonius ne monte pas à bord d’un navire, mais se retire dans une chambre qui ne se trouve plus à Antioche mais à Tyr. Le traducteur a oublié le voyage mais il s’est aperçu très tôt de son erreur. Il a été obligé de le mentionner en une seule proposition dans un paragraphe suivant, avant le départ pour Tharse. La consultation des livres résulte en effet de la traduction d’un autre passage du texte latin, que le traducteur propose ici par anticipation. Les circonstances des actions d’Apollonius, absentes de la version de Londres, sont pourtant présentes dans la RB latine31. La VG, fragmentaire, Claudio Galderisi, art. cit., p. 429-430. Dans les autres versions (VN, VF), Apollonius reçoit simplement la réponse d’Antiochus et retourne à sa propre cité, suivi par Thaliarchus. 30  31 

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témoigne peut-être du même choix, car les douze derniers vers mentionnent une « cité », une « mer », une « terre », un « art » et une interrogation probable : « tu quel part »32. Ces mots permettent d’entendre un périple nautique, une arrivée et la question rhétorique qu’Apollonius se pose (l’« art » et l’interrogation). * C20 (f. 213ra) :

« Et quant vint le lendemain bien matin il s’en partit en bonne maniere et secrete et s’en vint a Thir le plus tost et le plus secretement qu’il peut, et fist chargier une nef, la plus grant qu’il peut, toutte plaine de bledz, et print grant foyson d’or et d’argent, et tout ce qu’il luy faisoit besoing, non pas comme roy, mais comme marchant. »

Dans ce passage, la VV oublie les navires et met en scène des chevaux ; la VN est davantage intéressée par le fait contemporain : elle respecte le texte latin, mais rappelle les « patrons » (propriétaires médiévaux de navires). Le traducteur de la version de Londres a suivi le passage latin, mais il a remplacé vestem copiosam par « tout ce qu’il luy faisoit besoing », a oublié les pauci comitantes fidelissimi servi, la hora noctis tertia, et l’altum pelagus33. Il a préféré introduire un autre syntagme, qui sert à renforcer le déguisement d’Apollonius (« non pas comme roy, mais comme marchant »). Son intérêt, comme nous l’avons déjà souligné, porte plutôt sur Apollonius. * C21 (f. 213ra) :

« Si se partist de Thir et fist mettre le voille au vent… »

Le traducteur n’apprécie pas les exploits nautiques d’Apollonius ou il ne connaît pas la mer et les histoires des marins. Pour l’une de ces raisons, il veut abréger. Il ne garde presque rien de la version latine. Maurice Delbouille pense pourtant que «  la confrontation du fragment de Dantzig avec le texte correspondant de l’Historia ne permet guère de voir dans quelle mesure le roman français s’écartait du récit latin dans le détails de l’affabulation » (art. cit., p. 1187). 33  Hora noctis tertia indique un moment où les habitants d’une ville dorment déjà ; dans ce cas, pour renforcer l’idée, la RA latine ajoute silentissima (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 72). 32 

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* C22 (f. 213rb) :

«  Prince et gouverneur de la cyté de Tarcye, j’ay entendu que vous avez grant deffaulte de bledz, pour quoy je vous dy que je advitailleray vostre cyté de bled se vous me volez tenir sus, car le roy Anthiocus me poursieut. »

La rencontre accidentelle avec Strangulio devient une visite politique. Lors de cette visite, Apollonius est clairement en position de supériorité et ne se déplace qu’après avoir été contacté par les autorités de la ville (Strangulio est un « prince » ou un « prince et gouverneur »)34. En revanche, la VN le transforme sans aucune raison en un vieillard et lui donne la parole, non seulement pour parler de la famine, mais aussi pour qu’il raconte le destin tragique de la cité. * C23 (f. 213va) :

« Et tantost Strangulio compta les nouvelles aux bourgois de la ville, et les bourgois respondirent que ce vouloient ilz ouÿr dire de la bouche de Appolin. Lors Appolin se mist en une grant place qui estoit en la cyté et monta en une chaiere, et illecques furent presens tous ceulx de la cyté. Puis dist Appolin si hault que tous l’entendirent. »

« Se mettre » ne traduit pas fidèlement le latin ascendere ; cette modification est due à un changement dans l’ordre des mots. De même, Apollonius ne monte pas sur le tribunal, mais entre dans le forum. Le traducteur n’a pas voulu créer une image (cf. le texte latin), mais plutôt proposer un développement dynamique. Là, sur la « grant place » sont « presens » (lat. presentibus) « tous » (lat. cunctis) « ceulx de la cyté » (lat. civibus). Un dernier ajout peut nous aider à mieux comprendre l’esthétique narrative du traducteur, c’est lorsqu’Apollonius ne « parle » pas, mais prononce ses paroles « si hault que tous l’entendirent ». Quant à la solution trouvée par les VV et VN, elle est fidèle au texte latin. Le tribunal est un siège de juge ou un échafaud (interprétation littérale du mot latin). 34  Dans les récits latins, Strangui(l)lio, dont le nom veut dire «  étrangleur  » (cf.  le verbe grec στραγγαlάω, un dérivé de la «  corde  », στραγγάλη) est un homo maesto vultu dolens, ce qui témoigne de l’érudition de l’auteur latin (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 109).

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* C24 (f. 213va) :

«  Seigneurs, bourgoys de la cyté de Tarcye, lesquelz la grant famine tient en destresse, moy, Appolin de Thir, garniray vostre ville de bledz si vous me voulez celer et garantir. Je vous donray cent mille sextiers de fromment pour le pris que je l’ay acheté en ma terre. »

Les textes latins mentionnent centum milia modiorum. Le modius latin est une unité de mesure des matières sèches (8,680 litres). Il devient le «  muid  » (8,5 litres) dans la VV. La VN supprime l’inquiétante question de la quantité et joue avec un verbe (« garniray »). La version de Londres préfère le setier. Le setier de Paris valait 12 boisseaux de 640 pouces cubes, soit 152 litres. La quantité de blé devient énorme (« cent mille sextiers » = 1.788.235 muids = 15.199.997 litres), soit 17,8 fois supérieure à la quantité mentionnée dans l’original latin. Le traducteur croyait sans doute à une richesse merveilleuse d’Apollonius (doublée également d’une largesse incommensurable), ou il a fait plus probablement une erreur d’interprétation et de calcul. * C25 (f. 213vb) :

«  Et quant les barons et bourgois virent le grant honneur et franchise qu’il leur faisoit, si firent faire une ymage d’or en remembrance de Appolin et la mirent sur ung piller de pierre en la plus grant place de la ville. Et tenoit le dit ymage du blé en la main ; et firent escripre lettres dessoubz les piez qui disoient… »

L’apparition de l’or montre que le traducteur a voulu donner une tonalité plus majestueuse à la scène. Il a renoncé à la biga latine et a inventé « ung pilier ». Le forum est devenu la place la plus grande de la ville et la posture triomphale de la statue perd son pied gauche symbolique. La VN adopte la même solution que la version de Londres, mais garde le pied gauche de la statue. À la différence de ces deux versions, la VV reste très proche de l’original. * C26 (f. 213vb) :

« O cyté de Tarcye, restauree par Appolin de Thir, qui donna grans dons par sa franchise et appaisa la grant famine de Tarcye. »

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Le traducteur ne s’aperçoit pas qu’il s’agit en réalité d’une inscription. Pour lui, la narration continue. Les inscriptions médiévales, même celles du xve siècle, sont souvent versifiées, mais le compilateur se refuse de traduire en vers et introduit un ajout : la restauration de la ville par Apollonius. * C27 (f. 214ra) :

« Appolin aussi print congié d’eulx, et puis entra en sa nef, et aprés misrent les voisles au vent et eubrent bon vent par trois jours. Sy nagerent vers la terre de Penthapolis, car la pensoit il qu’il n’avroit garde du roy Anthiocus. »

Le traducteur supprime Cyrène. Dans cette partie du récit, la VN peut nous aider à expliquer une telle suppression. Elle mentionne en effet un nom de lieu différent  : Terme. Première hypothèse : une relation, directe ou indirecte, entre notre version et la VN. Ce passage pourrait être le témoignage d’une source commune qui aurait suivi une copie latine comportant des fautes d’écriture ou des variantes ponctuelles. Toutefois, le choix différent de traduire la Pentapolis latine (« terre de Penthapolis » et « terre des Penthapolitans ») et les ajouts plus nombreux de la VN sembleraient infirmer une telle interprétation. Deuxième hypothèse, tout aussi problématique, et qui n’explique que le choix de la VN : l’existence d’un manuscrit-source corrompu et une confusion qui a donné lieu à une leçon différente. Terme peut être le résultat d’une mauvaise lecture d’un manuscrit écrit en bâtarde, puisque les lettres capitales C et T se confondent partiellement même dans le manuscrit de Londres. L’absence d’un i ou d’un y (Cirene ou Cyrene) peut être aussi expliquée par un regroupement des jambages (i + n = m). De plus, la VV, qui modifie les toponymes (voir Milet > Palerme), a gardé les deux noms, mais a inversé leurs statuts géographiques : « Penthepose » devient la cité et « Cirene » devient un pays. * C28 (f. 214rb) :

« Et quant vint au .iiiie. jour, le tempz se mua en telle maniere que tous perirent fors Appolin qui se sauva sur une table et vint a la rive de la mer tout nu. Puis regarda devers le maulvaiz tempz, et puis dist : – O fortune perverse et mauvaise qui deçoys

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les hommes du monde, comment tu m’as bien prins pour moy mettre du tout au bas ! Seigneu[r] Dieu, que pouray je devenir ne ou pouray je aler pour ma vie trouver ? »

Le naufrage d’Apollonius est un épisode célèbre. Il confère la caractéristique principale au protagoniste, puisque ce dernier devient dans les pages suivantes un « naufragé ». Contrairement au traducteur de la VV, qui a respecté les figures de style employées par le texte latin, le nôtre les a fait disparaître : mutata fides devient « le tempz se mua » ; la caligo et le gubernator disparaissent complètement. En outre, la nudité d’Apollonius intervient au moment de son arrivée sur le littoral africain. De la même manière, le traducteur “oublie” qu’il faisait beau (mare tranquillum, quod paulo ante turbidum) pour que son protagoniste puisse regarder « devers le maulvaiz tempz ». Dans cette dernière partie, le texte de la RSt peut être la source de la version de Londres, même si la traduction française s’éloigne à la fois de la RB et de la RSt.  * C29 (f. 214va) :

« Et quant le pescheur l’entendit, si luy en print pitié et le mena dedens son bateau et luy donna a mengier de telle vyande comme il avoit. Puis despoulla son manteau et luy en donna la moitié, puis luy dist : — Va t’ent en la cyté et tu trouveras aucun qui avra mercy de toy. Et se tu ne treuves mieulx, ma povreté, telle qu’elle est, ne te fauldra tant que je viveray. Et se mieulx ne peulx faire, tu pescheras avec moy et gaignerons nostre vye au mieulx que nous pourons. Et se Dieu te donnoit grace que tu recouvrasses la terre, qu’il te souvenist de moy. Et Appolin respondit que se Dieu luy faisoit grace qu’il retournast en son estat, qu’i luy rendroit a cent doubles. »

Le traducteur supprime une partie du texte latin, mais il ne change que des mots insignifiants ; le passage renvoie par ailleurs à la légende de saint Martin. La VN amplifie le texte et la VV change entièrement le rapport entre les deux personnages. Pour ce qui est de la « telle viande comme il avoit », il s’agit d’une traduction fidèle du latin epulas quas potuit, qui témoigne du fait que notre tra-

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ducteur ne considérait pas le poisson comme une viande noble35. Les « povres viandes » de la VN, les « telz viandes comme il puet avoir » de la VF et la « telle viande comme il avoit » de la version de Londres deviennent le « pain » dans la VV. Le traducteur de cette version pensait sans doute à un pauvre citadin et non pas à un pauvre pêcheur. De nouveau, la RSt pourrait être la source de la version de Londres, mais la traduction française modifie sensiblement le texte source : les mots d’Apollonius dans la RSt (Apollonius ait  : ‘Si non memor fuero tui, iterum naufragium patiar nec tui similem inveniam qui mihi misereatur’) ont été attribués au pêcheur. Le traducteur a alors dû insérer une nouvelle phrase (« Appolin respondit… »). * C30 (f. 214vb) :

« Atant print congié de luy et s’en ala en la cyté. Et quant il fu en la place, il vit ung messagier qui fist ung cry de par le seigneur, que tout homme de quelque estat qu’il fuist qui sçaroit jouer a la pelote, se rendist tantost en celle place, car le roy Arcicastre, seigneur de la cyté, vouloit sçavoir s’il y avoit homme qui en sceuist tant que luy. »

Quand le traducteur arrive à l’épisode où l’esclave invite les gens dans le gymnasium, soit il ne comprend pas de quoi il s’agit exactement (precinctum sabano), soit il comprend très bien mais il est gêné (puerum nudum per platea currentem oleo unctum). Il préfère alors condenser l’épisode. Quant au gymnasium latin, le traducteur savait bien qu’il s’agissait d’un bâtiment où l’on pouvait s’amuser, comme le prouve la suite du passage, avec la scène impudique des individus nus dans une salle de bain ; il remplace alors le tout par le jeu de balle, qui apparaît dans le récit latin plus tard. La VV trouve une solution plus fidèle : des baigneurs dans une rivière, qui s’habillent au moment où ils jouent au jeu de balle. La VF propose un choix surprenant (le « ginnace »), mais le glose pour qu’il n’y ait pas de confusion : « cest au bain ». De la même manière, le messager n’annonce pas un jeu de balle, mais une invitation à se Auguste Thomazi, Histoire de la pêche des âges de la pierre à nos jours, Paris, Payot, 1947, p. 295-309. 35 

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baigner et porte un « sabain », que l’on trouve également dans la VL sous une acception différente. La VB est la plus proche du texte latin ; elle mentionne un « jovenenciel bel et appert et ot le cief tout nut et .i. pourchaint de toile devant luy et aloit criiant par les rues ». * C31 (f. 215rb) :

« Et quant il fust assiz, il advisa le long des tables tant de belle vasselle, si luy souvint de sa perte et commencha a larmoyer. »

Cette vaisselle peut être considérée non seulement comme l’ensemble des ustensiles utilisés pour manger, mais également comme la fonte des métaux précieux et des espèces («  vaisselle  » ou « joyaux »), forme usuelle de thésaurisation36. * C32 (f. 215rb) :

«  Adonc ung prinche qui se seoit devant le roy luy dist  : — Cestuy a quy vous faictes tant d’honneurs et l’avez semons au disner est ja envieux de vos biens ! »

Le traducteur s’est aperçu que la conduite d’Apollonius à table était impolie pour un homme médiéval. Plusieurs textes décrivent ‘la manière de se contenir à table’, or selon leurs conseils l’invité doit être taciturne et circonspect. Il doit toujours garder une politesse rigoureuse à l’égard de son amphitryon. Les larmes d’Apollonius pouvaient être interprétées comme un affront37. * C33 (f. 215va) :

«  Le roy luy respondit qu’il n’en sçavoit riens, mais qu’il luy avoit moustré le jeu de la pelote et pour tant l’avoit il semons a disner. »

Sans comprendre le sens du verbe latin discumbo (‘descendre du lit’), le traducteur le supprime et la fille n’arrive plus jusqu’à Apollonius… Elle ne peut que l’observer de loin. La seconde moitié du 36  Adolphe Dieudonné, Monnaies royales françaises depuis Hugues Capet jusqu’à la Révolution, Paris, Picard, “Manuel de numismatique française”, 3, 1916, p. 32 37  Nicole Crossley-Holland, op. cit., p. 212-213 ; Sharon Wells, art. cit., p. 71-73.

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passage est un rafistolage (suppressions habituelles et modifications : gymnasium > « pelote »). Ce remaniement entraîne une transformation : le roi prie la fille de découvrir l’identité d’Apollonius. La fille n’est plus soumise à la tentation du libre arbitre. Il faut également observer que le roi ne lui dit pas que le protagoniste est un naufragé. Il lui dit simplement « qu’il n’en sçavoit riens ». * C34 (f. 215vb) :

« Se mon nom vous plaist a sçaver, j’ay nom Appolin ; se vous demandez de mes richesses, en mer les ay perdues  ; se vous demandez de la noblesse, a Thir l’ay lassee  ! La demoiselle ne l’entendit pas et luy dist : — Je vous prie que le me dictez plus clerement, que je le puisse entendre. »

Dans la RB latine, Apollonius ne révèle pas son nom et devient l’enseignant de la fille38. Dans la version de Londres, un tel ajout pouvait changer l’histoire, même si Apollonius ne fait pas état de son titre royal. Le traducteur s’aperçoit de sa propre faute et la cache derrière un autre ajout (« la demoiselle ne l’entendit pas et luy dist »), qui sert à éliminer les ambiguïtés créées par la première insertion et à anticiper l’adverbe aperte du texte latin. * C35 (f. 216rb) :

« Sy commanda la fille que on la luy aportast, et quant elle la tint, elle commencha a jouer et chantoit avecques la vielle bien doulcement. Et tous ceulx qui l’escoutoient la louoient moult et disoient au roy que nul ne poroit mieulx chanter, ne jouer, ne sonner que faisoit la fille. Appolin ne disoit mot et le roy s’esmerveilloit pourquoy il ne la louoit comme les aultres. Et [dist]  : — Appolin, tu vois que tous loent ma fille en l’art de musique et tu ne diz mot, pour quoy il me semble que tu prises son jeu moins que tous les aultres. »

La VF parle d’une harpe, modification qui se trouve aussi dans les VL, VB et VV. La harpe était probablement l’équivalent le plus proche de la lyre antique des deux récits latins. Cette traduction est pourtant erronée. Un équivalent exact devait être la cithara, 38 

L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison.

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l’instrument préféré des temps hellénistiques39. Il y avait quatre types de harpes au Moyen Âge, mais les traducteurs des versions françaises pensaient probablement à la harpe dite gothique, au profil plus élancé, qui a été utilisée aux xive et xve siècles40. L’emploi d’un autre instrument au lieu de la lyre pourrait s’expliquer par la noble et longue histoire de la harpe dans la littérature médiévale, et notamment dans le cycle de Tristan, qui a pu influencer le choix des traducteurs des quatre versions citées. Pour ce qui est de la version de Londres, la vièle est un instrument assez différent, dérivé de la fidicula latine, plus récent et cintré. Peut-être, faut-il voir là une modernisation de la part du traducteur de Londres, mais la harpe était aussi employée à la même période. Dans la famille des vièles, il existait un cordophone composé d’une caisse monoxyle en forme de poire. Cet instrument s’appelait ‘lira’ (lat. lyra) et ressemblait au rebec d’origine arabe41. Le traducteur de la version de Londres connaissait vraisemblablement cet instrument. À ses yeux, la lyra devait être une vièle. * C36 (f. 216va) :

« Et commanda que on luy baillast la vielle et la fille l’emmena en sa chambre et le fist vestir de belles robes. Puis s’en retourna en la salle touchant la vielle si doulcement que c’estoit merveilles. Et quant il eubt finé sa chanson, il mist jus la vielle, et puis dist balades, rondeaulx et chansons tres plaisantes. »

Il est peu probable que le traducteur ait compris les différents registres de la littérature antique (induit statum… induit tragicum), mais il a trouvé une solution correcte, en les remplaçant par des équivalents médiévaux.

39  G. A. A. Kortekaas mentionne κιθάρα comme choix préférentiel ; λύρα n’est attestée que par un seul exemple dans tous les romans grecs hellénistiques (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 223). À la différence de la cithara, la lyre est un instrument à sept cordes, tendues sur une carapace de tortue (Annie Belis, Les Musiciens dans l’Antiquité, Paris, Hachette Littératures, 1999, p. 15-16). 40  Gérard Le Vot, Vocabulaire de la musique médiévale, s.  l., Minerve, 2001, p. 100-101. 41  Gérard Le Vot, op. cit., p. 123, 189, 226-227.

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* C37 (f. 217ra) :

« Adont commanda que on luy baillast une chambre. »

Zeta est une variante rare du mot latin classique diaeta ; son origine est grecque42. En effet, diaeta veut dire la diète, mais son deuxième sens est celui de chambre de jour ou salle à manger. L’auteur de la version de Londres n’a pas compris le vrai sens du mot, mais le contexte était clair. Il a choisi « chambre », en évitant par cette généralité une confusion. * C38 (f. 217rb) :

« Monseigneur, c’est pour la grant [voulenté] que j’ay d’apprendre. Sy vous prie, s’il vous plaist, que vous retenez Appolin, car vous sçavez bien que moult est souffissant si m’aprendra. »

Le verbe latin peto n’est pas perçu dans son deuxième sens, celui de ‘chercher’, mais dans son acception principale (‘prier’ ou ‘demander’). L’adresse paternelle est remplacée par une adresse royale. Le traducteur mentionne le nom d’Apollonius à la place d’un simple hospes et transforme la fille en une amoureuse traîne-misère qui implore l’accord du père. Elle n’invoque plus l’importance des études, mais plutôt celle d’Apollonius. Le rôle de la musique dans l’éducation antique n’était absolument pas négligeable. Quand un enfant arrivait à l’âge de treize ans, il devait apprendre en premier lieu à jouer de la lyre. S’il ne savait ni chanter, ni jouer de la lyre, il était considéré comme un ignorant43. Le prétexte utilisé par la fille perd ainsi sa valeur dans le cadre médiéval et le traducteur intervient pour expliquer la scène. * C39 (f. 217rb) :

« Comment la fille d’Archicastres rescripvit a son pere qu’elle vouloit avoir pour mary celluy qui fu fortuné en mer »

Il s’agit d’une nouvelle partie de l’Historia que notre traducteur considère comme dramatique. Il ajoute une rubrique pour mon42  Nous n’avons trouvé que deux occurrences (tardives) dans la littérature latine pour ce traitement phonétique : Aeli Lampridii Antoninus Heliogabalus, xxx, 7 ; xxxi, 4. 43  Annie Belis, op. cit., p. 15-16.

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trer que l’amour de la fille d’Archistrates changera la destinée tragique d’Apollonius. La miniature peinte avant le titre de ce chapitre occupe l’espace de onze lignes sur la première colonne du f. 217v. Quant au titre, il occupe les cinq dernières lignes de la même colonne. * C40 (f. 217vb) :

«  Aprez ung petit de tempz, le roy se vouloit aler esbatre et mena Appolin avec luy. Et quant ilz furent hors de la cyté, ilz rencontrerent trois filz de roys qui aloient demander sa fille pour femme. »

Le forum doit disparaître et la promenade officielle du roi dans la ville devient une récréation qui mène les deux personnages « hors de la cyté », non pas pour renforcer le contexte, mais plutôt pour le faire disparaître. Le traducteur présente alors les marieurs qui se transforment de iuvenes en « filz de roys », sous l’influence probable de l’adjectif nobilis (au superlatif). Dans la VV, cette partie du récit devient le point de départ d’une métahistoire qui réunit des personnages exotiques (le fils du roi de Hongrie et le roi de Chypre) et met en scène des tournois et des batailles, un deuxième combat du protagoniste et un grand festin royal, interrompu par une lacune dans le manuscrit. * C41 (f. 218rb) :

«  Appolin print les lettres et s’en va au palaix, et entra en la chambre de la fille, et quant elle vit celluy que elle amoit tant, si luy dist en moult grant joye : — Maistre, comment estes vous entré cheans tout seul ? Respond Appolin : — Madame, vostre pere m’y a envoyé et veez cy les lettres. »

Il manque nondum mulier et mala, témoin d’une maladie d’amour44, soit parce que le traducteur ne le comprend pas, soit

44  L’expression latine renvoie probablement à une formule grecque. G. A. A. Kortekaas interprète en fonction de la RA (si enim virgo tantum adfert, quantum mulier ?), d’où il extrait l’opposition de virgo à mulier et la met en relation avec l’équivalent grec du syntagme « être malade », ce qui indique une maladie d’amour de la jeune fille. Cf. G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 273-274.

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parce qu’il a compris qu’il s’agit de qualités négatives de la gente féminine. * C42 (f. 218va) :

« Seigneur roy misericordieux, puis qu’il te plaist que je escripve lequel je veulx pour mary, sachiez que je veul celluy qui a souffert peril en mer, et qui a esté trompé par la fortune de la mer. Et ne te merveille se une pucelle t’a ainsi escript, car pour honte ne l’ose dire de bouche, mais je le mande par escript en papier et en encre, qui n’a point de congnoissance ne de honte. »

Le traducteur semble oublier que l’action se développe graduellement, que la fille ne dit pas clairement à son maître qu’elle est amoureuse et qu’Apollonius doit le découvrir dans la lettre. Le traducteur anticipe («  autant comme je fay toy  »), puis traduit optimus par « misericordieux », permicto par « qu’il te plaist » et pudica par « honte ». Il fait quelques suppressions et interprète parfaitement l’expression per ceram mandavi, car il ne s’agit pas d’un sceau, comme le mentionne la VV ou la VF, mais d’une tablette cirée ; le traducteur parle donc de « papier et encre ». * C43 (f. 218vb) :

« Respond ung des seigneurs : — Je suys celluy que vous dittes ! Et ung des aultres dist : Taisiez vous, mauvais parjure… »

Le sens exact de l’expression morbo te consumis (‘que la maladie te consume !’) semble échapper au traducteur ou peut-être il ne souhaite pas que “ses” personnages, des fils de rois, s’expriment à travers des malédictions comme dans la VF. Il choisit alors de les faire parler suivant un régistre plus noble : « mauvais parjure ». * C44 (f. 218vb) :

« …Vous avez tousjours aprins avecques moy a l’escole ! Et quant souffristes vous peril en mer ? Jamais n’y entrastes. »45

45  Cf. lat. RA : « Tace, morbus te consumit nec salvus es, cum socio te coetaneum meum et mecum licteris eruditum et portam civitatis numquam existi : ubi naufragium fecisti ? » ; cf. lat. RB : « Tace, morbo te consumis. Mecum litteras didicisti, portam civitatis numquam existi : quando naufragium fecisti ? » L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison.

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Pour renforcer le mot « mer », le traducteur donne une valeur comparable à numquam existi. Néanmoins, puisque la porte de la cité ne se trouve plus dans sa traduction, il ne peut utiliser que le verbe « entrer ». Sa traduction reste pourtant fidèle, parce que exire portam et « entrer en mer » évoquent la même action dans une ville portuaire. * C45 (f. 219va) :

«  Puis le roy Archicastre print le roy Appolin par la main en grant joye, et entra en la cyté et le menoit nonpas comme le honteux, mais comme gendre, et entrerent au palaix. »

«  Honteux  » ne correspond pas à l’hospes latin. Apollonius a honte, mais à ce moment-là ce n’est pas la honte qui intéresse l’auteur latin, c’est l’état social. La domus regia est interprétée comme « palaix ». Cette interprétation n’est peut-être pas le résultat d’un savoir classique (domus aurea = « palais de l’empereur »), mais d’une intuition. * C46 (f. 219vb) :

«  Le roy fist mander tous les barons et les nobles de toutte sa terre, et quant ilz furent assamblez, le roy leur dist : « Amis, je vous ay fait venir adfin que vous sachiez ma voulenté, car je vueil donner mary a ma fille ung qui est nommé Appolin de Thir. Si vous prie que vous vous esjoïssiez de ce que ma fille a volu avoir ung tant sage homme et clercq bon comme il est ». »

Les vicinarum urbium potestates ne sont plus les égaux du roi Archistrates. Ils deviennent de grands seigneurs subordonnés à celui-ci (« les nobles de toutte sa terre »). Cette transformation est déclenchée probablement par la présence de l’adjectif latin nobilis. Consedunt du texte latin a été remplacé par l’expression « furent assamblez  ». Dans la RB latine, le roi ne veut pas que ses amis connaissent sa «  voulenté  », mais qu’ils sachent la raison pour laquelle ils ont été convoqués46. Pour la première fois, à cause d’une négligence singulière, le traducteur semble diminuer l’importance d’Apollonius : le preceptorem suum latin devient un « ung » dé46 

L’absence d’une édition de la RSt nous oblige à analyser le passage de la RB.

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personnalisé. Mais il se peut aussi que le traducteur entende ainsi souligner la mésalliance et préparer le coup de théâtre qui va suivre. * C47 (f. 220ra) :

«  Quant vint au jour assigné de par le roy Archicastre, et les princes et les barons furent venus, et dames et demoiselles en grans triumphes, la feste fut grande de tous esbatemens et de tous instrumens qui se peurent trouver ; les viandes furent prestes et appareillié en diverses manieres ainsi comme il appertenoit a feste royal, et eubrent grant habondance de touttes gens. Et la pucelle fut moult richement vestue de drapz d’or et couronnee de fin or et de pierres precieuses. »

Le traducteur introduit dans son récit des richesses qu’il a trouvées dans d’autres récits médiévaux. Il conclut sa description en mentionnant la durée fabuleuse du festin et le decorum qui a accompagné les cérémonies («  .viii. jours  »  ; «  honnourablement »). Il oublie cependant l’un des passages les plus importants de l’Historia : l’affection que les deux mariés éprouvent réciproquement. * C48 (f. 220rb) :

«  Et advint ung jour que elle et Appolin avecques leurs gens s’en aloyent esbatant sur la rive de la mer. Si virent venir une nef qui venoit au port. Appolin ala celle part, luy et sa compaignie. Quant la nef fut arrivee, le patron saillit en terre… »

L’emploi du mot « patron » est une interpretation médiévale, car les comptes des navires arrêtés pour le service du duc de Bourgogne indiquent qu’en 1470 et 1475 les navires étaient commandés par un « maître » ou, s’ils venaient de la mer Méditerranée, par un « patron »47. Sachant que le manuscrit de Londres date de la même période et qu’il a été rédigé dans le nord ou le nordest de la France, nous croyons que le traducteur utilise le mot ici dans une acception spéciale (l’action de son roman, même si les toponymes sont confus, se passe en mer Méditerranée). TouteJacques Paviot, La Politique navale des Ducs de Bourgogne : 1384/1482, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1995, p. 308 47 

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fois, notre traducteur ne semble pas connaître le vocabulaire des marins, or le « patron » pouvait être un synonyme d’un « home mestre d’une neef » ou d’un « maistre ». Ce dernier était choisi par les propriétaires du navire, mais il n’avait un pouvoir décisionnel que lors d’un combat. Le reste du temps, c’était le pilote (le gubernator latin) qui commandait. Ce pilote est absent de la version de Londres48. Il faut aussi remarquer que dans un passage suivant, le gubernator latin, comparable au pilote, est remplacé par le même « patron ». * C49 (f. 220rb) :

« …et dist qu’il estoit de Thir. Ce dist Appolin : « Ma terre est nommee ». »49

Il faut sans doute envisager l’existence d’un certain nombre de corruptions dans le manuscrit latin utilisé par le traducteur ou dans le manuscrit source de la version de Londres. La deuxième partie de la conversation présente dans les rédactions latines a été supprimée  ; il est cependant impossible de préciser si cette suppression a été faite par le traducteur ou par un copiste. * C50 (f. 221ra) :

« Le roy eubt grant joye de ces nouvelles. Si luy ottroya sa demande et commanda que l’en feist aprester ce que mestier leur estoit. Et dist que on fist venir une femme qui feust souffissante a recepvoir l’enfant et une nourice, qui avoit nom Lithorides, pour aler avec la royne. Et quant tout fut prest, il leur bailla or et argent et pierres precieuses, drapz d’or et de soye a grant plenté, puis prindrent

Jean Merrien, La Vie quotidienne des marins au Moyen Âge : Des Vikings aux galères, Paris, Hachette, 1969, p. 112-113. 49  Cf. lat. RA : […] et dum utrique eam laudarent pariter, recognovit eam Apollonius de sua esse patria. Conversus ait ad gubernatorem : « Dic michi, si valeas, unde venisti ? » Gubernator ait : « De Tyrio ». Apollonius ait : « patriam meam nominasti ». Ad quem gubernator ait : « Ergo tu Tirius es ? » Apollonius ait : « Ut dicis ; sic sum » ; cf. lat. RB : Et dum eam mirantur et letantur, cognovit eam Apollonius esse de patria sua. Et conversus ad gubernatorem ait : « Dic, si valeas, unde venis ? » Gubernator ait : « A Tyro ». Apollonius ait : « Patriam meam nominasti ». Gubernator ait : « Ergo Tyrius es ? » Apollonius ait : « Ut dicis ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 48 

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congié du roy tout en plourant et Appolin s’en entra en la nef, luy et sa compaignie. Nostre Seigneur leur donna bon tempz et nagerent tant que ilz furent en la haulte mer, et quant vint a ung samedy, au point du jour, la royne enfanta d’une belle fille… »50

Le navire disparaît entièrement (navem produci in littore). Lycoris n’est plus la nourrice de la femme (son âge explique sa mort dans le récit latin), mais devient une nourrice, qui «  avoit nom Lithorides ». Le traducteur ajoute de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, « drapz d’or et de soye a grant plenté ». Il remplace les baisers par des larmes, introduit « Nostre Seigneur » et oublie les vents et l’attribut de la déesse latine Junon (Lucina). * C51 (f. 221ra) :

« …mais, pour le grant froit qu’il faisoit en mer, et grant vent qui fasoit, la royne fu congelee et les vainnes furent estraintes, et le sang fut en telle maniere qu’il sambloit a tous qu’elle fust morte. »51

La mention du froid peut être une interprétation du passage latin correspondant de la RSt. Le traducteur reprend l’organisation en trois membra de la phrase latine et opère des changements dans les détails (congelato sanguine : « la royne fu congelee » ; concluso spiritu : « les vainnes furent estraintes » ; defunctae repraesentavit effigiem : « qu’il sambloit a tous qu’elle fust morte »). Nous avons là un motif récurrent dans les récits idylliques : la mort apparente52. Cf.  lat. RB  : Rex hilaratus iussit navem produci in littore et omnibus bonis implere. Pretarea nutricem suam Lycoridem et obstetricem peritissimam propter partum eius simul navigare precepit. Et data profectoria deduxit eos ad litus. Osculatur filiam et generum et ventum prosperum optat. Et ascendentes navem cum multa familia multoque apparatu alto vento navigat. Qui dum per aliquod dies variis ventorum flatibus detinentur, septimo mense cogente Lucina enixa est puella puellam. Cf. lat. RSt : Et sic ascenderunt navem cum multa familia multoque aparatu. Vento itaque flante apparent altum pelagum intrant in quo cum per aliquos dies variis ventorum flatibus detinerent vii contingente luce enixa est puella. 51  Cf.  lat. RSt  : Sed frigore ventorum flantium congelato sanguine conclusoque spiritu defunctae repraesentavit effigiem. 52  Voir Claudio Galderisi, « Idylle versus fin’amor ? De l’« amor de lonh » au mariage  », dans Le Récit idyllique. Aux sources du roman moderne, dir. Claudio Galderisi et Jean-Jacques Vincensini, Paris, Classiques Garnier, “Recherches de littérature médiévale”, 2008, p. 17-32. 50 

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* C52 (f. 221rb) :

« Les dames et demoiselles commencerent a faire grant dueil ; et lors Appolin entra en la chambre, et quant il vit sa femme morte, il se getta sur le corpz et dist tout en plourant : « O, chiere espousee Archicastre, fille de roy… » »

Il se peut qu’une faute des RB et RSt53 pousse le traducteur à donner à la fille le nom du père. Il décide alors d’abréger cette partie. Pourtant, on ne peut pas exclure une autre hypothèse : pour l’auteur latin, le substantif Archicastres pouvait être décliné au génitif singulier féminin et raccroché à la première déclinaison grecque. Son nominatif serait donc Archicastre. * C53 (f. 221va) :

« O tu qui ce coffre trouveras, pren la moitié de l’oir et de l’aultre fay faire une tombe a ce corpz, car moult de gens ay laissié en douleur. Et se tu ne le faiz, je prie a Dieu que tu soyes le desrenier de ton lignage et qu’il ne soit homme au monde qui mette ton corpz en terre. »

La citation a été déplacée. Dans les redactiones latines, elle se trouve au moment où le médecin d’Effés récupère le coffre. La version de Londres synthétise le texte de la lettre et ajoute le Dieu chrétien, cette fois apotropaïque et vindicatif. * C54 (f. 221vb) :

« Puis Appolin baisa sa femme, et a grans plours et gemissemens la jetterent en mer. Appolin commanda expressement et sur touttes riens que la fille fust bien nourye, adfin que la peust monstrer au roy Archicastres pour sa fille qu’il avoit perdue. »

À la fin du chapitre, le traducteur ignore la deuxième partie des heurs et malheurs d’Apollonius. Il n’écrit que deux lignes sur toute la deuxième colonne du f. 221vb. Ce choix peut être mis en relation avec la miniature qui se trouve au-dessus du titre qui est au début du f. 222ra.

Le –es final d’Archicastres était la corruption d’un génitif en –is qui s’accordait à regis. Ce nom apparaît également dans la RSt. 53 

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

* C55 (f. 222ra) :

« Comment la femme de Appolin fu mise au coffre et gettee en la mer, [et] arriva au tiers jours en la terre des Effés. »

Les livres de géographie, présents dans les textes latins, n’apparaissent pas dans la version de Londres. Les occurrences du mot « Effés » permettent d’observer que ce nom propre est toujours lié à une « terre »54. Ainsi, la « terre des Effés » n’est pas la terre d’une ville, mais la terre d’un peuple. La VN parle d’«  Effessiens », la VL de la cité de « Ephese », la VB mentionne d’une « chité de Efeze », la VF un toponyme incertain « Efesse », et la VV, qui ne comporte pas ce passage, en raison d’une grosse lacune, mentionne vers la fin du récit un simple « Ephese ». Le texte latin de la RB parle d’un litus Ephesiorum que nous trouvons également dans la RA. Il semble alors que toutes les versions faisant apparaître un toponyme au singulier connaissent la géographie méditerranéenne. * C56 (f. 222ra) :

« Au tiers jour que la royne fu mise en mer, le coffre arriva en la terre des Effé, en laquelle terre avoit ung mire nouvel, nommé Hermon. »55

Le nom « Hermon » traduit le latin Ceremo. Ce nom (cf. le mot ancien français « hermant », ‘guerrier’) est l’un des noms propres connus au Moyen Âge. Pour cette partie du récit, la VN garde une forme du nom plus proche du Ceremon latin56. La VF ne change pas le nom latin (« Ceremon »)57 et la VB introduit un h (« Cheremon »)58. « Arriva au tiers jours en la terre des Effes » ; « le coffre arriva en la terre des Effes ; « dont l’un fist mettre en la terre des Effes ». 55  Cf. lat. RB : Tertia die eiciunt unde loculum in litore Ephesiorum, non longe a presidio medici cuiusdam Ceremonis. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 56  « Et emprés de la mer demouroit ung myege qui avoit nom Cyromont. Celluy miege s’ebatoit a la rive de la mer et vit celle arche, si la fist prendre a ses serviteurs et l’en fit porter a sa maison » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 522). 57  Marina Rocchetti, éd. cit., p. 115. 58  Charles B. Lewis, art. cit., p. 93. 54 

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* C57 (f. 222va) :

«  … puis dist que on luy aportast l’empole du precieux onguement : — Si verrons se ceste dame est morte ou vive. Et on luy aporta, et le mire commença a oindre. Puis luy tasta les nerfz et les vaines et tout le corpz, mais en la fin n’y trouva nulle challeur, par quoy il congneust qu’elle ne fust morte. »59

L’élève ne s’approche pas du corps de la dame et ne la déshabille plus. Puisqu’il n’est plus le sujet des phrases suivantes (le mot « mire » renvoie à Hermon), toutes les indications médicales du texte latin se transforment en un « taster les nerfz ». Dans la VN, les indications médicales sont similaires. Il s’agit de la ‘prise du pulse’60. Le traducteur de la version de Londres a préféré donner un renseignement ambigu. De cette manière, le « varlet » ne peut plus découvrir que la dame en réalité n’est pas morte. Ce dernier n’étant plus le sujet de la phrase, c’est le médecin qui va s’apercevoir qu’elle est décédée. Les faculae latines ont probablement suggéré au traducteur l’emploi du mot « chaleur ». * C58 (f. 222va) :

« Et quant son varlet l’oïst, si luy dist. »

«  Varlet  » est utilisé dans l’acception de ‘jeune homme’, ou de ‘jeune homme placé, pour sa formation, en service auprès d’un seigneur’, ce qui explique le choix de notre traducteur, puisque l’équivalent latin était iuvenis.

Cf. lat. RB : Cum vidisset corpus speciosum super rogum positum, ait : « Magister, unde hoc novum funus ? » Ceremon ait : « Bene venisti : haec enim hora te expectavit. Tolle ampullam unguenti et quod supremum est defuncte beneficium, superfundae sepulturae ». Pervenit iuvenis ad corpus puellae, detrait a pectore vestem, fundit ungenti licorem, per artifices officiosa manu tractus precordiam sensit, temptat tepidum corpus et obstipuit. Palpat indicia venarum, rimatur auras narium ; labia labiis probat : sensit spiramentum gracilem, luctantem vitam cum morte, et ait famulis suis : « Subponite faculas per quatuor angulos lentas ». Quibus subponitis puella teporis nebula tacta, coaculatus sanguis liquefactus est. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison avec cette dernière rédaction. 60  Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 523. 59 

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* C59 (f. 222va) :

« Et quant son varlet l’oïst, si luy dist : « Maistre, telle femme que vous pensez que soit morte est toutte vive. Et pour ce, s’il vous plaist, je l’aporteray a mon hostel et a l’ayde de Dieu je la renderay toutte vive ». Et le maistre dist qui luy plaist bien ; et tantost fist porter le coffre et la dame en son hostel et la mist en ung lit, et fist chauffer de l’uille et print de la laine et l’envolepa dedens bien chauldement. »61

Dans son édition de l’incunable de Nantes, J.-J. Vincensini62 suppose l’absence du mot « sain[g] » et propose la variante : « et fist chauffer de l’uille et print de la laine [et tout le sang] et l’envolepa dedens bien chaudement », mais le traducteur utilise auparavant la graphie « sang ». Le manuscrit de Londres propose aux lignes 2426 de la première colonne du f. 222v un texte certainement corrompu. Le manuscrit conserve la phrase : « et fist chauffer de luille et print de lalaine et tout le sain ». Cette construction n’a aucun sens, puisqu’elle est suivie d’une proposition juxtaposée (« et l’envelopa dedens bien chauldement ») qui amène ensuite une subordonnée (« lors le sang qui estoit gelle pour le froit se commencha a eschauffer pour la chaleur de lalaine et de luille »). Le traducteur a peutêtre été tenté d’éliminer «  le sain  », n’y voyant qu’anticipation fautive de sang63. Néanmoins, bien que le traducteur emploie dans son récit des formes graphiques différentes du même mot, il garde la même forme lorsque le mot se répète à l’intérieur d’un même passage. On peut alors imaginer que « le sain » et « le sang » renvoient à des réalités différentes. En confrontant le passage français et son équivalent latin, on peut s’apercevoir d’une ressemblance, car « le sain » occupe la place du fudit super pectus puellae. « Sain » devient alors le correspondant de pectus, i.e. poitrine. Cette supposition semble prouver l’existence (hypothétique) d’un manuscritsource français. Ce dernier ne serait pas une source de la VN, car Cf.  lat RA  : Adhibitis secum viribus tulit puellam in cubiculo suo et posuit super lectulum, velum divisit, calefecit oleum, madefecit lanam et effudit super pectus puelle ; cf. lat. RB : Et his dictis pertulit puellam in cubiculo suo et posuit in lectum. Calefecit oleum, madefecit lanam, fudit super pectus puellae. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 62  Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 523, note 28. 63  Ibid., p. 523. 61 

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l’interprétation de cette dernière version est différente : « Tantost la fist mectre en ung beau lit et mist chauffer grant foison d’uylle et d’eau sus laine. Et luy envelopa tout le corps tant que en peu de heure les conduis qui ferméz estoient commencerent a ouvrir et le sanc qui dedens estoit congellé commença a yssir »64. * C60 (f. 222vb) :

«  Lors le sang qui estoit gellé pour le froit se commencha a eschauffer pour la chaleur de la laine et de l’uille, et l’esperit commencha a aler parmy les vaines, et tantost ne demoura gueres que la dame ouvrit les yeulx. »

Nous n’avons pas trouvé une telle recette dans les ouvrages de pharmacologie médiévale. Les recettes consultées s’appuient sur des variantes de remèdes, réparties en plusieurs catégories. Il y a des potiones, des boli, clisteri, aquae, sirupi, pillulae et des unguenti. Notre remède fait partie de la dernière catégorie. Pour ce qui est de l’utilisation de la laine, le traducteur médiéval pouvait penser à l’usage des textiles (linimentum ou panum)65. * C61 (f. 222vb) :

« Et quant vint a mynuyt, la dame commencha a parler a grant paine et dist… »

L’indication temporelle « parler au minuit » est également ajoutée dans la VN. L’insertion de « minuit » ne peut être cependant évoquée comme preuve d’une source commune – nous ne connaissons pas la forme de ce passage dans la RSt. Cette insertion peut être simplement liée au merveilleux. Le traducteur attendait sans doute des merveilles et pouvait croire que la résurrection de la reine en était une. Ibid., p. 523 Giovanni Silini, Umori e farmaci : Terapia medica tardo-medievale, Bergamo, Iniziative Culturali, 2001, p. 190-206 ; Britta-Juliane Kruse, « Women’s Secrets : Health and Sexuality of Women in Unpublished Medieval Texts », dans Sex, Love and Marriage in Medieval Literature and Reality, Thematische Beiträge im Rahmen des 31st International Congress ob Medieval Studies an der Western Michigan University (Kalamazoo), 8-12 May 1996, Greifswald, Reineke-Verlag, 1996, passim ; Irma Naso, Università e sapere medico nel Quattrocento : Pantaleone da Confienza e le sue opere, Vercelli, Cuneo, Società per gli studi storici, archeologici ed artistici della Provincia di Cuneo, Società storica vercellese, “Storia e Storiografia”, 24, 2000, passim. 64  65 

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

* C62 (f. 223ra) :

« Puis fist appareillier les viandes telles qu’ilz appertenoient a la dame qui estoit malade… »66

Les salubribus cibis et fomentis deviennent des «  viandes  »  ; le fomentum latin était un type de bouillie. Dans ce fragment de la recensio B, le terme a l’acception de médicament ou onguent. Cibum était le nom générique de tout aliment. Notre traducteur suit seulement ce dernier mot. * C63 (f. 223ra) :

« …et aprés pou de tempz, le mire manda querir tous ses amis pour leur demander conseil, car il la vouloit mettre au temple de Dyane, car la estoit gardee toutte virginité. »67

Le traducteur semble oublier que le médecin voulait adopter la dame, sans doute parce que cette réalité antique ne pouvait pas être gardée dans son monde médiéval. Il arrive alors tout de suite au « temple de Dyane ». Son choix est surprenant ; les autres versions font état d’interprétations et de changements. Par exemple, la VF a trouvé une solution parfaite : « et il la mist entre lez nonainez dou moustier de Dyane ou lez damez sanz fausser gardoient toute maniere de chastée »68. * C64 (f. 223va) :

« Et recommanda la nourice qui avoit nom Lithorides. Et quant il eubt ce dit, il leur bailla la fille et grant or et argent ; puis fist serrement que il ne feroit hoster sa [barbe, ne se cheveulx, jusques a tant que fusse] mariee… »

Le manuscrit de la British Library comporte ici une faute de copiste. La séquence « hoster sa mariee » n’a aucun sens. Nous

Cf. lat. RB : Et iussit puellam salubrioribus cibis et formentis recreare. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 67  Cf. lat. RB : Et post paucos dies, ut cognovit eam regio genere ortam, adhibitis amicis adoptavit eam sibi filiam. Et rogante cum lacrimis, ne ab aliquo contingeretur, inter sacerdotes Diane feminas fulsit, ubi omni genere castitatis inviolabiliter servabatur. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 68  Marina Rocchetti, éd. cit., p. 121. 66 

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avons ensuite69 une reprise du syntagme, qui offre une traduction fidèle du passage latin. Ce saut semble plus probable de la part d’un copiste que de celle d’un traducteur. La version de Londres pourrait être la copie d’un texte qui a circulé, a été lu et a été copié au moins en deux exemplaires. * C65 (f. 223va) :

« Et quant la fille eubt .vi. ans, on la mist apprendre a l’escolle avecq la fille de Strangulio. »70

Dans le récit latin, la fille va à l’école dès l’âge de cinq ans. Les studia liberalia, bien connues au Moyen Âge, n’ont pas été traduites non plus. * C66 (f. 224va) :

« Aprés ung petit de tempz la fille laissa le dueil et retourna a l’escolle, et chascun jour quant elle retournoit de l’escolle, elle portoit une pinte de vin et du pain a la tombe de sa nourice. Et puis comptoit tout en plourant touttes ses adventures, comme Lithorides luy avoit dit et compté. »

La présence d’« une pinte de vin et du pain » ne renvoie pas à la RB latine (ni à la RSt), mais à la RA71. La construction est également absente de la VV72 . Il est possible que cet ajout soit une anticipation, mais la VN a une construction similaire : « Et tous les jours ainssi qu’elle en venoit, elle pregnoit plaine une aiguiere d’eau et alloit laver le tombeau de sa nourrice  »73. Ce nouveau témoignage et les dissimilitudes entre les deux versions françaises (« vin » et « eau ») font apparaître comme improbable une version française qui serait à l’origine de notre version et de la VN.

Cf. le manuscrit de Londres : f. 224ra. Cf. lat. RB : Interea puella Tharsia facta est quinque annis. Mittitur in scola, deinde studiis liberalibus. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 71  G. A. A. Kortekaas, éd. cit., p. 343. 72  Michel Zink, éd. cit., p. 164. 73   Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 524. 69 

70 

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* C67 (f. 224vb) :

«  Apré fist venit ung homme qui estoit villain serf, qui avoit nom Theophille. Quant le villain fust venu, la dame parla a luy et luy dist : — Theophille, se tu veulx estre franc, tue moy Tarcye ! Respond le villain : — Quel mal vous a fait la pucelle ? — Comment – dist la dame – villain, me debvez vous contredire de ce que je vous demande  ? Se vous ne le faictes, je me vous monstreray comment il m’en desplait. Occis la promptement et la gette en mer ! Et quant tu retourneras, je te feray franc ! »74

Après les avoir mentionnées par anticipation, les pensées de Denise ont été ici supprimées. À leur place, on trouve le villicus qui ne vient plus spontanément vers la dame. À cause d’une approximation ou d’une fausse étymologie, ce dernier se transforme en un « villain serf ». Le traducteur de la VN a bien interprété l’acception du villicus latin (‘intendant’) : « Tantost fist venir ung sien esclave qui demouroit hors de la ville, en leur grange »75. La VF propose la même interprétation que celle de Londres (« serf »)76. * C68 (f. 225ra) :

«  Quant la fille fut venue a la tombe, elle commencha a faire sa complainte comme elle avoit a coustume. Et le villain saillit avant, qui estoit derriere la tombe, et print la fille par les cheveulx et la mena a la rive de la mer. Quant il fut la, il luy vouloit copper la teste. »

Dans la source latine la modalité du crime n’est pas définie. Il suffisait d’utiliser le pugio d’une manière ou de l’autre, ou même de jeter la fille à la mer. Pour le traducteur de la version de Londres, mais aussi pour ceux des VN et VF, le crime ne peut se manifester que par la décapitation – par contamination, sans doute, avec les forfaits déjà commis par le roi Antiochus au début du roman. Cf. lat. RB : Et iussit venire vilicum de suburbano. Cui ait : « Theophile, si cupis libertatem, Tarsiam tolle de medio ». Vilicus ait : « Quid enim peccavit innocens virgo ? » Scelerata dixit : « Negare mihi non potes ; fac, quod iubeo. Sin alias, sentias me iratam. Interfice eam, mitte corpus eius in mare. Et cum nunciaveris factum, premium libertatem accipies ». 75  Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 524. 76  Marina Rocchetti, éd. cit., p. 129. 74 

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* C69 (f. 225vb) :

«  Et quant les gens veyrent la faulse femme vestue de noir et plourer si piteusement, si pensoient qu’elle deist vray, et furent moult courouciez tous pour le bien [que] Appolin leur avoit fait en la cyté : « Sy vous ordonnons que on luy face une tombe d’argent, en lettre escripte d’or… » »

La même tombe apparaît dans la VN (« ung beau sepulcre d’argent bien ordonné  »77). En effet, le texte latin permettait d’entendre l’emploi du métal déjà utilisé pour la statue d’Apollonius78 ; ce sont les pièces de monnaies des commanditaires79. Le traducteur n’a pas compris ce sens et a remplacé le cuivre par le premier métal précieux qui lui est venu à l’esprit. Mais il a pu également penser à un emploi symbolique des deux métaux : l’or peut être lié à l’homme (Apollonius), l’argent à la femme (Tharsia). Notre traducteur ne possédait évidemment pas un savoir alchimique, mais la métaphore des deux métaux précieux a traversé toute la littérature médiévale. * C70 (f. 225vb) :

« …qui die : “Cy gist Tarcye, fille de Appolin de Thir” »

Le traducteur inverse l’ordre des mots. Il place l’inscription au milieu de la phrase, parle de lettres dorées, ne comprend pas les formules latines (ce qui l’oblige à abréger le texte épigraphique) et paraphrase le reste. Le même ajout se trouve dans la VV80. La première partie de l’inscription est une reprise fidèle de l’ordre des formules funéraires des xive-xve siècles (nom, indication temporelle et prière), mais elle ignore les renseignements concernant la vie de Tharsia81. La deuxième partie, qui répète la première, est la vraie traduction de l’inscription latine.

Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 525. Ex aere = « de cuivre », « de bronze ». 79  Ex aere collato est le synonyme de confere pecuniam, qui veut dire « payer » ; son emploi porte sur les cadeaux salvateurs qu’Apollonius avait offerts à la ville lors de son arrivée treize ans auparavant (G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 525). 80  Michel Zink, éd. cit., p. 174. 81   Robert Favreau, Épigraphie médiévale, Turnhout, Brepols, “L’Atelier du Médiéviste”, 5, 1997, p. 305-310. 77  78 

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* C71 (f. 225vb) :

« Comment Tarcye, fille de Appolin, fust menee a Militaine… »

« Militaine » est un toponyme mal compris (cf. RB : Militena)82 ; nous ne connaissons pas la forme de ce nom dans la RSt. Dans le texte latin de la RA la phrase est  : Qui Tharsiam rapuerunt, advenerunt in civitatem Mytilenam. Or, Mytilena était une cité antique dans l’île de Lesbos. Le nom de la cité était connu des marins français du xve siècle et gardait le phonétisme antique  : Methelin83. * C72 (f. 225vb) :

« En ceste partye dist le conte que les mariniers… »

Les versions françaises utilisent des noms différents pour les piratae du texte latin  : «  mariniers  » (notre version, VV), «  larrons » (VL), « robëours » (VB), « corssauz » (VF, VN). Toutes les variantes prouvent que les traducteurs étaient ici confrontés à un mot rare, qui présente très peu d’occurrences en ancien et moyen français. Puisque les acceptions du mot pirata peuvent être exprimées par la périphrase ‘marin voleur’, les solutions trouvées suivent cette logique. Dans notre version et dans la VV, les traducteurs ont préféré élargir le sens : ils ont privilégié l’acception ‘marin’. Un autre type d’élargissement se trouve dans les VL et VB qui penchent pour l’acception ‘voleur’. Quant aux deux dernières versions, elles utilisent une réalité de la fin du Moyen Âge, le ‘corsaire’. * C73 (f. 226ra) :

« Et d’aventure arriva le seigneur de la cyté… »

Cette fois, le traducteur a choisi « seigneur » pour le mot latin princeps, et non pas le « prince » des VF et de VN. Il a compris le princeps civitatis et a choisi l’acception plus générale. Dans notre version, le mot « seigneur » peut effectivement signifier anachroCf.  lat. RB  : interea pyratae, qui Tharsiam rapuerunt, in civitate Militena deponunt et venalem inter cetera mancipia proponunt. 83  Jacques Paviot, op. cit., p. 121. 82 

Dossier163

niquement le seigneur apanagiste, opposé au «  prince  », le seigneur suzerain84. * C74 (f. 226ra) :

«  …qui avoit nom Anthigoras. Et quant il vit la pucelle tant belle, il en va promettre .x. escus. »

Les sesterces du récit latin sont remplacés par des « écus » dans la version de Londres. La VF mentionne des « talents d’or » ; la VB des « sextiers de florins d’or » ; la VL des « besans d’or » ; la VV des « livres », mais auparavant elle utilise des « florins » ; et la VN des « besans d’or ». Les versions françaises ne parlent pas des « deniers », ce qui pourrait être le choix le plus simple, le denier évoquant d’une façon générale toutes les monnaies. Le « florin », monnaie d’origine italienne, frappée pour la première fois à Florence en 1253, ne deviendra une monnaie française qu’après le « gros royal » ou « grand florin » de Philippe le Bel (1290). Son nom fut appliqué ensuite à toutes les monnaies royales  ; il sera la véritable monnaie d’or jusqu’à l’« écu » de Charles vi. La « livre » était simultanément une monnaie et un poids. Il faut alors insister sur le fait que la VV parle de « florins », ce qui permet de supposer une origine plus ancienne que celle de la version de Londres, qui parle d’« écus ». Suivant la même logique, il faut noter que le « besant » était une monnaie d’or frappée autrefois à Constantinople ou dans les pays des Sarrasins. Cela permet d’entendre que la monnaie devait être méditerranéenne pour les traducteurs de la VN et de la VL. Quant au « talent » que l’on trouve dans la VF, il est la monnaie biblique par excellence85. Sachant que le manuscrit a été copié dans le nord de la France, nous ne pouvons pas ignorer que dans la deuxième moitié du xive siècle et au début du xve siècle, les villes de Flandre connaissent des soulèvements, mais qu’elles restent fidèles à leur suzerain, même si ce suzerain est parfois remplacé par un seigneur apanagiste. L’exemple de la ville de Dunkerque peut illustrer l’existence de ce conflit entre les deux pouvoirs seigneuriaux  : la comtesse Yolande de Bar contre le duc Philippe le Hardi (Stéphane Curveiller, op. cit., p. 224-231). 85  Adolphe Dieudonné, Monnaies royales françaises depuis Hugues Capet jusqu’à la Révolution, Paris, Picard, “Manuel de numismatique française”, 3, 1916, p. 103, suiv. ; idem, Monnaies féodales françaises, Paris, Picard, “Manuel de numismatique française”, 4, 1936, p. 51-52. 84 

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

Ainsi, lorsque notre traducteur emploie l’écu, il met également en place une donnée temporelle anachronique  ; son horizon historique ne va pas au delà d’un siècle. De même, le traducteur de la VV a le même horizon temporel : il situe son récit toujours cent ans auparavant, cette fois au plus tôt vers la fin du xiiie siècle, au temps de Philippe le Bel. Les seules versions qui ne choisissent pas la solution anachronique sont celles qui utilisent les « talents » et les « besants » (VF, VN et VL). * C75 (f. 226ra) :

« …et le seigneur dist .xxx., et le ribault dist .xl. … »

Le texte latin évoque un leno et la solution trouvée par la VF est le «  cavet  »  /  «  gavet  »  /  «  gauvet  ». La VB mentionne le «  hourier  » et la VV parle d’un serviteur d’Athenagoras, « moult putier et fort macquereau et houllier, lequel l’andictoit moult fort a son seigneur, et estoit appelé Leonyus  ». Le fait que leno devient un serviteur du roi dans la VV est sans doute la conséquence d’une réalité médiévale  : les officiers municipaux ou princiers de chaque cité étaient chargés de faire respecter les règlements sur la prostitution, d’enregistrer les filles, de les refouler ou de les admettre en leur faisant payer une taxe86. Dans les scènes suivantes de la version de Londres, les clients du bordel deviennent des «  maulvaiz houliers  » et le ribaud un «  houlier  ». Le traducteur connaît l’acception du mot leno, mais il préfère parler d’un ribaud. «  Ribaut  » est un terme d’injure dont la signification est très étendue et très variée (‘homme de plaisir’, ‘débauché’, ‘méchant’, ‘scélérat’ ou ‘vagabond’). Le «  houlier  » est un homme qui tient un lieu de débauche, le terme « maquereau » a une acception similaire. Le « putier » et le « putenier » sont des débauchés par excellence, et le « cavet » / « gavet » / « gauvet » peut être inspiré par « cave », substantif masculin d’origine méridionale qui signifie ‘imbécile’ ou ‘trompeur’.

86 

Jacques Rossiaud, La Prostitution médiévale, Paris, Flammarion, 1988, p. 43-44.

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* C76 (f. 226ra) :

« La fille fust livree au ribault et il bailla l’argent et la mena en son hostel… »

Le salutatorium était au Moyen Âge un portique ou une chambre où les laïcs et les religieux pouvaient se rencontrer pour donner et recevoir de l’aumône. Le même mot désigne parfois la sacristie des églises et des cathédrales87. Le traducteur choisit une autre solution, il le transforme en « son hostel ». * C77 (f. 226rb) :

« Puis luy monstra ung bel ymage d’or et pierres precieuses et luy dist : — Fille, aoure cest ymage ! Respond la fille : — Sire, saulf vostre grace, je n’ay pas a coustume de aourer tel ymage. Ce sont les sarasins qui aourent les ydoles. »

Le Priapus aureus ex gemmis et unionibus est devenu « ung bel ymage d’or et pierres precieuses ». Le numen n’est pas compris dans sa vraie acception ou ne peut pas être traduit à cause de l’emploi antérieur de la statue à la place d’un dieu. Le nom du dieu antique était connu des prêtres médiévaux ; il représentait le paganisme, les Sarrasins, l’alter, parfois le Diable et invariablement l’une des faces de Mahomet. Les clercs médiévaux ont toujours parlé de lui, et son image a été élevée par les paysans hérétiques et par les sorciers. Priapus était donc l’une des peurs constantes de l’Église. Quant au choix de Lampsaceni = « Sarasins », il suit la même logique. Pour ce qui est du passage tout entier, il semble suivre fidèlement la RSt latine, avec les suppressions habituelles : Priapum : « ung bel ymage » ; ex auro : « d’or » ; et gemmis et unionibus  : «  et pierres precieuses  »  ; et ait Tharsiae  : «  et luy dist  »  ; Adora nomen, praesentissimum  : «  fille, aoure cest ymage » ; puella ait : « respond la fille » ; nunquam adoravi tale numen : « je n’ay pas a coustume de aourer tel ymage » ; et numquid civis Lapsacenus es ?’ Leno ait : ‘Quare ?’ Puella dixit : ‘Qui Lampsaceni Priapum colunt’ : « Ce sont les sarasins qui aourent les ydoles ». 87 

Cf. G. A. A. Kortekaas, op. cit., p. 543-544.

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

* C78 (f. 226rb) :

« Aprés appella ung de ses garchons, qu’il tenoit pour servir les femmes… »88

Les noms propres mentionnés par les recensiones principales latines (Amiantus, Briseis) perdent leur valeur ironique ou grotesque dans la RSt89 ; cette version latine ne conserve qu’un seul nom sous une graphie corrompue (Preseis)90. Dans la mesure où notre traducteur a suivi la RSt, il n’a certainement pas compris l’ironie du passage et a préféré le supprimer. * C79 (f. 226vb) :

«  Comment Tarcye par la grace de Dieu gardoit sa virginité contre tous les maulvaiz houliers qui la vouloyent vyoler. »

Le titre (nouveau) du chapitre évoque pour les lecteurs la possibilité d’une scène de viol. Pour les hommes médiévaux, le viol (raptus) n’était pas la même chose que le dépucelage forcé (stuprum). Il lui était occasionnellement associé, mais la plupart des documents permettent de considérer que les deux termes étaient différents91. Le verbe « vyoler » a en moyen français le même sens qu’aujourd’hui ; il n’a été utilisé que trois fois dans la version de Londres, ce qui témoigne peut-être d’une certaine gêne du traducteur. Ce dernier a préféré le verbe « despuceller » (quatre occurrences) ou encore les périphrases inspirées par la source latine : « oster la fleur et virginité » etc. 88  Cf.  lat. RB  : Leno ait  : «  Alleva te misera  ; nescis, quia apud tortorem et lenonem nec preces nec lacrime valent  ». Et vocavit vilicum puellarum et ait  : «  Amiante, cella, ubi Breseida stat, exornetur diligenter et titulus scribatur  : Qui Tharsiam violare voluerit, libram auri mediam debet ; postea singulos aureos populo patebit ». Et fecit vilicus quod iusserat dominus eius. 89  À l’origine, ces deux noms étaient péjoratifs, car Amiantus dérive de l’adjectif grec ἀμίαντος (‘pur’, ‘sans vice’). Le fait même qu’il soit le nom d’un serviteur dans un espace de prostitution souligne l’intention de tourner en ridicule le personnage. Briseis, comme l’on sait, est le nom de la vierge prêtresse troyenne enlevée par Achille. Les deux noms témoignaient donc d’une ironie littéraire évidente. 90  Cf. lat. RSt : Vade ad cellam ubi Preseida stetit, ornetur diligenter et titulus scribatur. 91  Kim M. Phillips, « Four Virgins’ Tales : Sex and Power in Medieval Law », dans Medieval Virginities, éd. Anke Bernau, Ruth Evans, Cardiff, University of Wales Press, 2003, p. 80-87. Les lois ne s’intéressaient pas à la virginité féminine (sauf pour un raptus).

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* C80 (f. 227ra) :

«  En aprés entra ung filz de bourgois et le varlet s’en issit dehors. Anthigoras estoit bien en lieu ou il pouoit bien oÿr ce qu’ilz disoyent. Quant le compaignon fut entré, il demanda a la pucelle combien luy avoit donné Anthigoras. Elle dist : .xl. escus. »92

Dans la version de Londres, ce n’est pas le client suivant, un discipulus, qui va entrer dans la chambre de la fille, mais le ribaud. Ce choix est analogue à celui de la VN, qui met en scène un esclave. Dans le récit latin de la RB, la fin de la réplique du roi contient un jeu de mots (usque ad lacrimas : le personnage parle des larmes en général, et non pas des larmes de la fille, le contexte immédiat les transforme en ses propres larmes). Le traducteur n’a pas compris peut-être ce jeu de mots. Il était toutefois conscient du fait que sa suppression devait être dissimulée, il a alors anticipé la rencontre de la fille avec le ribaud. Cette modification a entraîné d’autres changements dans le reste de la scène. Nous trouvons un iuvenis plus “intéressant” (« ung filz de bourgois »). Quant au solito more hostium clausit, il n’est pas du tout compris. À sa place, le traducteur met un « varlet » qui correspond au ribaud. Peut-être, ne connaissait-il pas l’acception du mot hostium («  la porte  », avec une fausse aspiration initiale). * C81 (f. 227va) :

« Comment le houlier commanda a ung de ses serviteurs qu’il alast couchier avec Tarcye pour la despuceller. »

Le traducteur a choisi d’insérer une autre rubrique (le même choix est attesté par la VN). Le chapitre antérieur était composé d’une seule scène, celle du compagnon et de la pucelle. Le nouveau chapitre traite dans deux scènes d’un conflit identique : Cf. lat. RB : Occurrit illi discipulus suus et ait : « Quomodo tecum novitia ? » Athenagora ait : « Non potest melius : cum magno effectu usque ad lacrimas ! » Et secutus est eum ad videndum rei exitum. Iuvenis cum intravit, puella solito more hostium clausit. Cui iuvenis : « Si valeas, indica mihi, quantum tibi dedit iuvenis, qui ad te intravit ? » Puella ait : « Quater denos aureos dedit migi ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison avec cette rédaction. 92 

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

le vilain et la pucelle  / la délivrance de la fille. Notre traducteur s’est souvenu probablement des récits hagiographiques et a sans doute voulu renforcer la scène du viol en ajoutant deux rubriques93. * C82 (f. 227va) :

« Quant vint la nuyt… »

Pour la version de Londres et pour la VN, l’acte sexuel ne peut être accompli que dans l’obscurité de la nuit94, la fille implorant de nouveau « Jhesucrist ». Nous ne connaissons pas la forme de ce passage dans la RSt et il est absent de la RB. Le traducteur n’a pas compris le sens de dominus, qui renvoie au violeur. Il l’a donc considéré comme le début d’une prière. * C83 (f. 227va) :

« Si la tint grant tempz et la fille portoit tant d’argent comme elle pouroit gaignier. Ung jour le ribault dist a ung villain qui estoit son varlet  : «  Cuidez tu que je ne congnoisse bien que Tarcye est encore pucelle bien appert ? Car elle aporteroit plus d’argent qu’elle ne fait se elle estoit despucellee. Et pour ce couche aujourd’huy avecques elle et la despucelle ». »95

Dans les récits hagiographiques, les saintes vierges parvenaient toujours à sauver leur virginité. Leurs histoires (de viol ou quasi-viol) présentent presque toujours un scénario biparti : la première scène est celle d’un péril (le risque du viol), la deuxième est celle d’une délivrance (miraculeuse). Dans ce type d’histoires, les païens essaient de violer une vierge chrétienne (Kathleen Coyne Kelly, « Useful Virgins in Medieval Hagiography », dans Constructions of Widowhood and Virginity in the Middle Ages, éd. Cindy L. Carlsson, Angela Jane Weisl, New York, St. Martin’s Press, 1999, p. 137-139). 94  Cf. VN : « Lors l’esclave, le vespre, la mena en sa chambre », Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 526. 95  Cf. lat. RB : Facta autem huius rei fine infinitam obtulit pecuniam lenoni dicens : « Ecce virginitatis meae precium ». Et ait leno : « Quantum melius est hilarem te esse et non lugentem ! Sic ergo age, ut cotidie ampliores pecunias afferas ». Et cum puella de lupanar reversa diceret : « Ecce, quod potuit virginitas », hoc audito leno vocavit vilicum puellarum et ait : « Amiante, tam neglegentem te esse non vides, ut nescias Tharsiam virginem esse. Si virgo tantum offert, quantum dat mulier ? Duc eam in cubiculo tuo et eripe ei nodum virginitatis ». La forme de ce passage dans la RSt est inconnue. 93 

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Dans la RB, le ribaud veut que la fille renonce à sa virginité, or dans la traduction de Londres il veut qu’elle reste vierge. Le traducteur introduit alors un long moment pendant lequel la virginité de la fille n’est pas souillée. Par la suite, le ribaud change d’avis – ce qui contredit ses actes antérieurs – et le traducteur peut retrouver le cours normal du récit latin. Mais, manifestement embarrassé, il utilise des paraphrases et supprime consciemment une métaphore (eripe ei nodum virginitatis), alors qu’il l’avait traduite au début de son récit. La version de Londres ne s’intéresse pas au « despucellage ». * C84 (f. 228vb) :

« Et, adfin que vous ne diez que ce soit menchoine, nous avons pour tesmoing les bourgois de la ville de Tarcye, lesquelz ont fait faire une tombe d’argent… »96

Le récit latin décrit une tombe plaquée de cuivre ou de bronze. Cette partie de l’énoncé est condensée dans la version de Londres et le mot aes est remplacé par « argent ». Aes est l’un des mots latins les plus connus. Puisqu’il n’existe aucune référence à des tombes en argent, le traducteur a pu se rapporter à un âge légendaire où les tombes étaient construites avec des matériaux précieux. * C85 (f. 229ra) :

« Chy gist Tarcye, fille de Appolin de Thir, et ceste tombe luy ont fait faire les bourgois de Tarcye pour les grans biens que son pere leur avoit fait. »

Le traducteur a remplacé Diis Manibus du texte latin, une formule obligatoire des inscriptions funéraires romaines, par un «  chy gist » français. Pour ce qui est de l’ex (a)ere collato latin, il l’a traduit par « pour les grans biens que son pere leur avoit fait ».

96  Cf.  lat. RB  : Ex parte proferuntur omnia  ; et dicunt  : «  Crede nobis, quia filiam tuam cupivimus incolumen resignare. Et ut scias nos non mentiri, habemus rei huius testimonium : cives memores beneficiorum tuorum ex ere conlato in proximo littore filie tue monumentum fecerunt, quod potes videre ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison.

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

* C86 (f. 229rb) :

«  Le patron de la nef ala en la cyté acheter ce que luy faisoit mestier… »

Puisque le navire médiéval n’a pas de trésorier, la place du dispensator latin est prise par un « patron », celui qui est chargé de tous les problèmes administratifs. * C87 (f. 229rb) :

« …puis s’en retourna en la nef et commanda que elle fust paree de drapz de soye et de drapz royaulx. »

En l’absence des guirlandes antiques, le navire ne peut être orné que par des « drapz ». Le traducteur de la VN a utilisé aussi les textiles, mais il a parlé de bannières, en expliquant que c’est la coutume des matelots97. * C88 (f. 229va) :

« — Seigneur, dist le varlet, je en donroye avant quatre que je y allaisse, car il me feroit copper la teste, car il l’a ainsi ordonné, que tout homme qui luy parlera de saillir dehors, qu’il luy fera copper la teste. »98

Le jeu de mots de la source latine (Si possum de duobus aureis iii habere crura) échappe au traducteur. Il avait par ailleurs déjà choisi d’utiliser la décapitation99. La solution trouvée par la version de Londres témoigne non seulement d’un mauvais choix, mais également, en l’occurrence, d’une mauvaise maîtrise du latin.

97  Cf. VN : « Quant il fut retourné, il para la nef royallement et mist belles bannieres sus ainssi que le jour le portoit. Et ainssi est la coustume des mariniers » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 527). 98  Cf. lat. RB : Iuvenis ait : « Si possum de duobus aureis iii habere crura ? », et : « Tam utilem inter nos munere elegisti nisi me. Quere alium, qui eat, quia iussit, quod, quicumque eum appelaverit, crura ei frangantur ! ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 99  Cf. VN : « Pardonnéz moy, dist le patron, car il a ainssi dit que le premier qui parleroit a luy qu’il luy feroit coupper le chief ».

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* C89 (f. 230va) :

«  Quant la pucelle oÿt Anthigoras, elle entra incontment en la sentine et salua Apolin et dist : « Dieu te gart, seigneur. Esjouÿ toy, car je croy qu’il y a grant tempz que tu ne vis femme du bourdeau qui gardast chasteté. Pour ce voys je comme chambouriere, mais jamais je ne fiz chose orde  ; je suis ainsi comme la rose entre espines et ne me espine point. Mariniers me prindrent et me amenerent ycy, et me vendirent a ung malvaiz homme, maistre du bordeau, mais j’ay gardé ma virginité  ; et se pour plourer pouoye recouvrer ce qui est perdu, il ne seroit homme plus noble que moy, car je suis fille de roy et de royne, et je mefye en Dieu que en aucun tempz je avray vie. Sy te prie, Appolin, que tu laisses ta doleur. »100

Dans cette scène, le traducteur français s’est trouvé confronté à un poème que le traducteur de la VB a traduit en vers101. De la même manière, le traducteur de la VV a remplacé les hexamètres latins par des vers français. L’absence de l’introduction latine dans la version de Londres (et his carminibus modulata voce cantare exorsa est) laisse à penser que le traducteur a considéré qu’il s’agissait de la continuation du discours de la fille. Il ne savait sans doute pas comment traduire les jeux de mots (per sordes gradior, set sordis conscia non sum). À ses yeux, la seule personne qui pouvait marcher au milieu des ordures était une servante, la « chambouriere ». Le deuxième vers a été bien traduit, mais il était assez simple (Sicut rosa in spinis nescit compungi mucrone > «  je suis ainsi comme la rose entre espines et ne me espine point  »)  ; il renvoyait à des motifs littéraires connus, que l’on retrouve dans toute l’Antiquité102. Les deux vers suivants ont été Cf. lat. RA : His carminibus cepit modulata voce canere : « Per sordes gradior, set sordis conscia non sum / Sicut rosa in spinis nescit compungi mucrone… » ; cf. lat. RB : Et his carminibus modulata voce cantare exorsa est : « Per sordes gradior, et sordis conscia non sum / Sicut rosa in spinis nescit compungi mucrone… ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 101  Le traducteur de la VB commence par une paraphrase du poème latin, supprime la rose entre les épines et compose ainsi un poème différent. 102  Cf.  G.  A.  A. Kortekaas, op. cit, p.  687-688, qui cite Ammien Marcellin, Hégésippe, Hieronyme et Grégoire le Grand. Cf. C. Galderisi, art. cit., qui étudie le rapport entre les énigmes de Tharsia et le recueil de Symphosius. 100 

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remaniés ( ferientis iniquo) et le cinquième a été abrégé (ni fletus et lucti et lacrime de amissis inessent). Le sixième, qui révèle la tragédie de la fille (nulla me melior, pater si nosset, ubi essem) est supprimé ; le traducteur préfère s’arrêter sur la condition royale de cette dernière : le septième vers. Quant aux trois vers suivants, ils ont été également supprimés. Par la suite, après un retour provisoire au texte original («  je mefye en Dieu que en aucun tempz je avray vie  »), le traducteur renonce à sa traduction et intervient pour remplir le reste de la narration. Le choix de son ajout est toutefois surprenant, car il contredit le récit d’origine : la fille d’Apollonius connaît déjà le nom de l’étranger alors que leur conversation n’en est qu’au début. Cette trouvaille enlève à l’histoire tout suspense narratif : si la fille a déjà reconnu le père, le récit peut s’arrêter là. * C90 (f. 231ra) :

[fragment absent]103

L’extrait est absent de la version de Londres. Dans la VB, les poèmes latins ont été traduits soigneusement (le trimètre iambique a été remplacé par un tétramètre). Bien qu’il ait traduit auparavant le texte par des vers, le traducteur de la VV a préféré traduire toutes les paraboles en prose. Le traducteur de la version de Londres s’est caché derrière une seule phrase et a éludé les subtilités du texte latin. * C91 (f. 231rb) :

« Quant Appolin vit la pucelle qui le vouloit tirer de la chartre, tout couroucié retrait ses bras que elle tenoit, et la pucelle cheÿt a terre et frappa contre ung coffre en telle maniere qu’elle se fist

103  Cf. lat. RB : Et ait Tharsia : « Est domus in terris, clara que voce resultans. Ipsa domus resonat, tacitus sed non sonat hospes. / Ambo tamen currunt, hospes simul et domus una ». Et ait ad eum : « Si rex es, ut asseris, in patria tua, – rege enim nichil convenit esse prudentius – solve mihi questionem, et vadam  ». Appollonius capud agitans ait : « Ut scias me non esse mentitum : domus, que in terris resonat, unda est ; hospes huius domus tacitus piscis est, qui cum domo sua currit ». […] Appollonius ait : « Grandes ad auras scale gradus sunt ; uno conserti ordine equali mansione manent ; alta quicunque petunt, per eos comitantur ad auras ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison.

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ung grant playe aux genoulx et commencha fort a saignier ; puis dist tout en plourant… »104

Le latin (calx) ne trouve pas sa place dans cette partie du récit ; le traducteur anticipe la scène suivante par un autre geste, le fait de faire retirer les mains, qui est devenue un agrippement de vêtements dans les VN et VB et un acte agressif de la part de la fille dans la VF. Le traducteur arrive finalement au même résultat, car la fille « cheÿt a terre et frappa contre ung coffre en telle maniere qu’elle se fist ung grant playe aux genoulx ». Puisque la plaie de la fille n’est pas crédible sans le coup de pied (calx) que lui inflige le père, il invente « ung coffre ». Le conflit narratif gagne ainsi un adjuvant (un objet), de sorte que la faute d’Apollonius, assumée par le texte latin, est devenue une malchance fortuite qui permet de faire une nouvelle allusion au motif érotique et incestueux du sang et du genou105. * C92 (f. 232vb) :

« Il fut mis dedens ung grant feu et ses biens furent donnez a la fille, non point pour necessité qu’elle eust, mais adfin qu’elle en feist a sa voulenté. De quoy elle donna au villain, a qui son maistre l’avoit baillé a despuceler… »

Les mots de Tharsia106 n’ont pas été traduits ; la VN les supprime aussi107. Il est possible que cette suppression remonte à une source commune, la RSt latine peut-être. Cf. lat. RB : Et his dictis misit capud super Appollonium et strictis manibus complexa dixit : « Quid te tantis malis affligis ? Exaudi vocem meam et deprecantem respice virginem, quia tante prudentie virum mori velle nefarium est. Si coniugem desideras, restituet ; si filiam, salvam et incolumen invenies. Et presta petenti, quod te precibus rogo ». Et tenens lugubrem eius manum ad lumen conabatur adtrahere. Tunc Appollonius in iracundia versus surrexit et calce eam percussit, et impulsa virgo cecidit. Et de genu eius cepit sanguis effluere, et sedens puella cepit flere et dicere. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 105  Ce motif est présent dans d’autres traductions médiévales de l’Historia Apollonii, mais également dans Cleriadus et Meliadice, texte qui précède la traduction de Londres, voir M. Zink, éd. cit., p. 14-15. 106  Cf. lat. RB : Dono tibi vitam, quia beneficio tuo virgo permansi. 107  Cf.  VN  : «  Lors dist Tarcie a l’esclave qui luy avoit gardee sa virginité  : « Pour le bien et service que tu m’as fait, je t’ay fait franc et te donne cens besans d’or. » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 530). 104 

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* C93 (f. 233ra) :

« …et a touttes ses compaignes donna grans dons selon le plaisir qu’elle luy avoit fait, et les effranchist touttes, car elles estoient touttes en subjection du ribault. »

Libertas est supprimée. Dans le nouveau contexte, le bénéficiaire ne peut plus être un « serf » mais un « villain » qui est déjà libre. On parle cependant de l’affranchissement d’autres filles, mais non pas comme d’une vraie libération, puisqu’elles ne sont pas des esclaves. * C94 (f. 233ra) :

«  Et quant Anthigoras et ses gens de la cyté virent la grant franchise de Appolin, ilz luy rendirent mercys ; puis firent faire une nef de letton et ung ymage d’or qui estoit sur le bout de la nef devant et tenoit le ribault. Et escripvirent en l’ymage : Appolin roy de Thir qui a recouvré les murs de la cyté de Millitaine, pour la tienne amour et pardurable honneur avons fait cest ymage. »

Statuam ingentem du récit latin perd ses proportions gigantesques mais gagne en valeur. Elle est devenue « ung ymage d’or ». Navis devient « une nef de letton », notre traducteur étant intéressé par l’utilisation des motifs métallifères ; et caput lenonis, un symbole de la victoire pour les hommes de l’Antiquité, est supprimé, car il n’a aucune place dans le scénario médiéval. À la place de filiam in dextro brachio sedentem, on aperçoit le ribaud pendu. Pour un lecteur antique, une telle statue serait une vraie caricature, digne d’une scène comique, mais pour notre traducteur ce n’est pas l’image qui l’intéresse, ce sont les mots. Il essaye de transformer la statue victorieuse d’Apollonius en un résumé des événements récents. Il ne lit pas le texte de l’inscription latine, puisqu’il a supprimé la fille et ne voit plus l’universus populus. Il voit uniquement les aedes, qui pour un Romain étaient les temples, et se permet une autre invention : la restauration des murs de la cité. La scène apparaît également dans la VN ; elle sera reprise dans une rubrique ultérieure.

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* C95 (f. 233va) :

« Lors Appolin commanda a garnir la nef de ce qui faisoit besoing et se mist dedens, et sa fille et son gendre et leur compaignie ; et porta avecques luy grans richesses. Si commencerent a nagier vers Effé. Appolin issit tout premier, et puis apré les aultres, et s’en entrerent en la cyté des Effé, puis demanderent le temple de Dyane et on leur moustra auquel temple, comme devant avons dit, estoient mises les femmes qui vouloient garder chasteté. Et la estoit pour abbasse Archicastres, la femme de Appolin de Thir, qui avoit bien demouré .xv. ans leans, laquelle son mary cuidoit qu’elle fus morte. »

Le mot abbasse est également présent dans la VF. Lucienne, femme d’Apollonius, est la « dame du temple » dans la VB. Dans la VL, elle garde une fonction identique  : «  principale entre lez autres prestresses ». À nos yeux, la « principale » est celle qui jouit d’une prééminence, l’équivalent parfait du latin principatum tenebat. La même construction est attestée par la VV, où elle est «  la principale entre les autres religieuses comme abbesse ». Il faut également signaler que dans les romans chevaleresques une veuve doit idéalement préférer le célibat. Néanmoins, étant en même temps la femme du héros, elle doit également aimer ce dernier. Ces deux traits différents du caractère d’une veuve embarrassaient les auteurs médiévaux, mais nos traducteurs ont trouvé une solution parfaite par rapport au modèle latin : la femme d’Apollonius devient une religieuse, la plus importante de toutes les religieuses, l’abbesse. Ce qui paraît logique pour un homme médiéval habitué aux couvents des béguines et à leurs vœux facilement interrompus108. * C96 (f. 233vb) :

«  Appolin et toutte leur compaignie vindrent vers le temple et prierent a la portiere qu’elle leur ouvresist l’eglise, car ilz vouloient faire leur oroyson. Atant s’en vint dire la portiere a l’abesse que

108  Rebecca Hayward, « Between the Living and the Dead : Widows as Heroines of Medieval Romances », dans Constructions of Widowhood and Virginity in the Middle Ages, éd. Cindy L. Carlsson, Angela Jane Weisl, New York, St. Martin’s Press, 1999, p. 222 ; Anna Roberts, « Helpful Widows, Virgins in Distress : Women’s Friendship in French Romance of the Thirteenth and Fourteenth Centuries », ibid., p. 25-26, 29.

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

ung roy et sa fille et son gendre avecques grant compaignie de gens, qui sont a la porte « qui vous prient que vous leur donnez congié de entrer ceans pour faire leurs oroysons, et si veullent parler a vous  ». Quant Archicastre oÿt la portiere, elle commanda que on luy appareillast une chaiere au temple, avecq grant compaignie de nobles dames, et s’assist en son siege. Puis fist ouvrir la porte et dist que on feist venir le roy, et quant il fut entré, luy et son gendre et sa fille, ilz getterent aux piez de la royne qui estoit tant belle que c’estoit merveilles, et pensoient que ce feust la deesse. Et commencha a compter touttes ses adventures, dont tous ceulx qui l’entendoient ne se pouoient tenir de plourer pour la pitié qu’ilz en avoient ».

Le sacrarium était dans le monde antique un dépositoire des objets sacrés d’un temple. Au Moyen Âge, il est devenu le ‘basin’ ou le sanctuaire, option préférée par exemple par le traducteur de la VF. À la différence de ce dernier, notre traducteur ne connaît pas très bien l’Antiquité. Il doit transformer la courte phrase latine109 en une histoire vraisemblable et cette histoire ne peut se passer que dans un monastère. En relation avec le dicitur du début de la partie suivante, il crée un dialogue qui se termine par une demande de visite adressée à l’abbesse. Dans les phrases suivantes, il ne comprend pas le geste d’Apollonius, qui met des offrandes dans le sacrarium, ou il est gêné par son aspect païen et décide de le supprimer. Il faut également remarquer que le long discours d’Apollonius dans la RSt a été supprimé. Cette suppression n’empêche pas cependant le traducteur de simplifier à nouveau le récit latin (cf. le commentaire C90). * C97 (f. 234va) :

«  Aprés Appolin tint court generalle a tous venans, et adonc couronna son gendre roy de Thir, lequel fu au plaisir et joye de tout le peuple. »

En l’absence d’une édition de la RSt, nous pouvons comparer la version de Londres à la RB latine, qui parle uniquement du couronnement d’Athenagoras. Notre traducteur semble vouloir ralentir Cf. lat. RB : et rogat sibi aperire sacrarium. Cf. lat. RSt, dans le passage suivant : venit rex nescio quis cum filia et genero suo cum multis doctibus et postulat orare posse in sacrario. 109 

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le rythme de la narration : il invente une « court generalle », un espace où la décision politique peut être prise110. La même scène a été exploitée par la VB, après une grande bataille. On y trouve une description de la fête, inspirée par l’entrée du Christ à Jérusalem, puisque Apollonius fut « mist sur une blance mulle et tenoient doy comte le frain ». * C98 (f. 234vb) :

«  Et tantost qu’il fut entré, il commanda que Strangulio fut prins, et sa femme, et qu’ilz fussent amenez devant luy, et tous les bourgois et habitans de la cyté fussent assamblez. Et quant ilz furent venus, si dist : — Entendez a moy, seigneurs. Dittez moy se je fuz oncques desagreable a homme ne a femme de ceste cyté. Et tous respondirent : — Certes non, mais avons dit tousjours que tu estoyes seigneur de Tarcye, car tu nous a gardé de mort et de famine. Et se il est chose necessaire, nous sommes prestz et appareilliez de morir pour toy ; et tu scez bien que l’ymage que nous avons fait faire au marchié est tesmoing de ce promis. »

Les cives beatissimi Tharsie sont des « seigneurs ». Una voce est remplacée par « tous » et, lorsque le titre de pater patriae (généralisé après Trajan pour tous les empereurs romains) n’est pas compris ou n’a aucun équivalent médiéval ; les barons-bourgeoisseigneurs-habitants abjurent leur foi et deviennent les vassaux d’Apollonius. L’ancien seigneur (Strangulio) perd tous ses droits, mais le traducteur ne se souvient pas qu’Apollonius ne règne pas sur cette ville. Le traducteur de la VN donne aussi à Apollonius le titre de seigneur après une élection royale faite par les « citadiens ». * C99 (f. 235ra) :

«  Adonc Appolin dist  : «  Doulce fille, veez cy qui disoit que tu estoyes morte ? Pren les robes de ton pere. » Adont Tarcye

Cf. VN : « Et pour sa bienvenue donna au mary de sa fille toute celle terre, puis aprés se misdrent sus mer » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 531). 110 

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commencha a dire a haulte voix : « Dieu te gart, Denise ! Veez cy Tarcye, qui est resuscitee de mort ! »111 »

Dans le récit latin, la femme de Strangulio ne répond pas à Apollonius, mais aux seigneurs. La théâtralité d’Apollonius, qui s’adresse aux pouvoirs infernaux, n’est pas comprise par le traducteur. Quant au personnage de la fille, il semble ne pas avoir un dynamisme romanesque propre. Bizarrement, elle prend les « robes » de son père. L’expression peut signifier que la fille est invitée par son père à prendre sa place («  robes  » royales), un choix fait également par le traducteur de la VN112. Il est également possible que le père lui demande de montrer les robes qu’elle lui avait données lorsqu’il l’avait laissée avec Strangulio et Denise. * C100 (f. 235rb) :

« Comment Appolin reedifia les murs de la cyté de Tarcye, et de la s’en ala vers la terre Penthapolis. »

Le traducteur a voulu séparer la fin de la narration de l’ensemble du récit, en introduisant un nouveau chapitre, mais le choix est étonnant, car la première partie du titre n’annonce pas une scène importante. Sachant qu’Apollonius avait déjà réparé les murs de la cité de «  Militaine  », le traducteur l’oblige ici à réédifier les murs de la cité de « Tarcye ». La répétition de son acte permet de supposer que la reconstruction des murs était une question importante aux yeux de notre traducteur. Pour quelqu’un qui avait connu les malheurs de la Guerre des Cent Ans, la reconstruction des murs d’une cité pouvait être l’un des problèmes récurrents de sa propre ville. Puisque notre manuscrit a été probablement copié Cf. lat. RB : Et Appollonius ait : « Commendavi filiam meam Stranguilioni et Dionisiadi uxori eius ; hanc mihi reddere noluerunt ». Scelerata mulier ait : « Bone domine, quid ? Tu ipse titulum legisti monumenti ! » Appollonius exclamavit : « Domina Tharsia, nata dulcis, si quid tamen apud inferos heres, relinque Thartaream domum et genitoris tui vocem exaudi ». Puella depost tribunal regio habitu circundata capite velato processit et revelata facie male mulieri dixit : « Dionisiadis, saluto te ego ab inferis revocata ». L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 112  Cf. VN : « Lors Appollin fist venir sa fille, puis luy dist : ‘Or sus, belle fille, il fault que vous faisséz tesmoingnaige de voustre mort !’ » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 531). 111 

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dans le nord-est de la France vers 1450-1460113, après une grande campagne d’élévation ou de réparation des enceintes fortifiées114, l’apparition de cette rubrique pourrait être liée au vécu du traducteur. Dans les cités soumises au duc de Bourgogne, ces travaux publics étaient souvent l’œuvre du seigneur115. * C101 (f. 235va) :

« Et quant ilz furent arrivez, le roy Archicastres qui recouvra sa fille et son gendre, la fille de sa fille et son mary en sa viellesse, il n’est homme qui puist compter le plaisir qu’il eubt. Sy les ala embrassier, et les gens de la ville tendirent toutte la cyté de drapz de parement… »

Les «  drapz de parement  » étaient probablement des draps d’apparat  ; dans la VB, au moment de l’entrée d’Apollonius en Antioche, le traducteur dit qu’« on aourna toutes les rues et pourpendi des dras d’or »116. Pour lui, les draps sont une constante de l’embellissement citadin. * C102 (f. 236rb) :

« Appolin vesquit bien .lxxiiii. ans avec sa femme. Touttesfois, tant comme il vesquit il fust roy d’Anthioce et de Thir, et de la terre des Penthapolis et de Citrianne et de Tarcye, et en son tempz les tint en bonne paix. Puis fist escripre ses adventures et les mist en .vi. lieux, dont l’un fist mettre en la terre des Effé et

Eugenio Burgio, art. cit., p. 268. Vers 1350, de nombreuses enceintes urbaines étaient en ruine ou n’avaient pas bénéficié de l’entretien nécessaire. Les enceintes des xive et xve siècles ont été bâties sur la longue durée et la documentation est plus riche pour les villes du Nord (Alain Salamagne, Les Villes fortes au Moyen Âge, Paris, Jean-Paul Gisserot, 2002, p. 29-42). 115  L’élite bourgeoise du bâtiment était absente des chantiers de la fin du xive siècle et elle a eu une participation partielle dans les chantiers du milieu du xve siècle (Jean-Pierre Sosson, « Chantiers urbains, chantiers ducaux dans les anciens Pays-Bas méridionaux (xive-xve s.) : Deux univers de travail différents ? », dans À la cour de Bourgogne : Le duc, son entourage, son train, éd. Jean-Marie Cauchies, Turnhout, Brepols, 1998, p. 133). 116  Charles B. Lewis, art. cit., p. 142. 113 

114 

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l’aultre au temple de Dyane, et l’aultre en Anthioce, et l’aultre en Cytrianne, et l’aultre en Tarcye, et l’aultre a Thir. »117

Le traducteur de la version de Londres n’est pas satisfait de la présence des deux exemplaires autographes dans le récit latin, traduits soigneusement par le traducteur de la VF et omis par celui de la VB. Notre traducteur les multiplie et parle de six copies, que l’on a déposées dans presque tous les toponymes qu’il a rencontrés dans son récit. Néanmoins, il commet une erreur, puisqu’il ne se souvient plus que le « temple de Dyane » se trouve dans « la terre des Effés ». Le fait que la VN mentionne également les six copies permet de supposer que ce choix a été déterminé par une lectio différente dans le manuscrit latin118. La VN oublie également que le temple de Diane se trouve dans la « terre des Effessiens »119.

Cf. lat. RB : Casus suos suorumque ipse descripsit et duo volumina fecit : unum Diane in templo Ephesiorum, aliud in biblioteca sua exposuit. L’absence d’une édition de la RSt ne permet pas ici d’élargir la comparaison. 118  Pour Eugenio Burgio, art.  cit., p.  264 (et la note 11 des p.  264-265), cette coïncidence est l’indice de l’appartenance commune (de la version de Londres et de la VN) à la RSt. Nous n’avons pas identifié ce passage de la RSt dans les exemples reproduits par E. Klebs. 119  Cf. VN : « Et en fist .vi. livres desquelz l’ung fut au temple de Dyana, l’aultre en la terre des Effessiens, l’aultre en Anthyoche, l’aultre en Terme, l’aultre en Tarcie et l’aultre en son royaulme gentil de Thir  » (Jean-Jacques Vincensini, art. cit., p. 532). 117 

Index des noms

Anthigoras, f. 226ra, f. 226va x 2, f. 226vb x 2, f. 227ra x 3, f. 227vb, f. 229rb, f. 229va x 3, f. 229vb x 3, f. 230ra, f. 230rb x 3, f. 230vb x 2, f. 231va, f. 231vb x 2, f. 232ra x 2, f. 232rb x 2, f. 232va, f. 232vb, f. 233ra x 2, f. 233rb, f. 234rb ; Antigoras, f. 234ra ; nommé par erreur Anthiocus, f. 227ra ; roy de Thir, f. 234va. Anthioce (ville), f. 210ra, f. 236ra x 3. Anthiocus, f. 210ra, f. 212rb x 2, f. 212vb, f. 213ra, f. 213rb, f. 213vb, f. 214ra, f. 220rb, f. 220vb, f. 236ra ; Antiochus, f. 211vb x 2, f. 212ra ; sa fille, f. 210rb, f. 210va, f. 210vb, f. 211ra, f. 211rb, f. 211va, f. 211vb, f. 212rb, f. 212vb, f. 220rb, f. 220vb ; son épouse, f. 210ra ; nourice de sa fille, f. 210vb, f. 211ra. Appolin, f. 210ra, f. 211vb x 2, f. 212ra x 6, f. 212rb x 3, f. 212va x 2, f. 212vb, f. 213rb x 3, f. 213va x 6, f. 213vb x 3, f. 214ra x 3, f. 214rb x 3, f. 214va, f. 214vb x 5, f. 215rb x 2, f. 215va x 2, f. 215vb x 4, f. 216ra x 2, f. 216rb x 4, f. 216va x 3, f. 216vb x 2, f. 217ra x 2, f. 217rb x 4, f. 217va, f. 217vb, f. 218ra x 2, f. 218rb x 3, f. 218 x 2, f. 218vb, f. 219ra x 2, f. 219rb, f. 219va x 3, f. 219vb x 2, f. 220rb x 4, f. 220va x 2, f. 220vb, f. 221ra x 2,

f. 221rb x 2, f. 221va x 2, f. 222ra, f. 223ra x 2, f. 223rb x 2, f. 223va x 2, f. 225va, f. 225vb x 3, f. 226va, f. 228rb x 4, f. 228va x 2, f. 228vb x 2, f. 229ra x 4, f. 229rb, f. 229vb x 4, f. 230ra, f. 230va x 2, f. 231ra x 4, f. 231rb, f. 231va x 4, f. 231vb x 3, f. 232ra x 2, f. 232rb x 3, f. 232va x 2, f. 233ra x 3, f. 233rb x 5, f. 233va x 3, f. 234ra x 4, f. 234rb x 3, f. 234va x 3, f. 234vb, f. 235ra, f. 235rb x 2, f. 235vb x 3, f. 236ra x 3, f. 236rb x 2 ; Appolin de Thir, f. 213va, f. 213vb, f. 214rb, f. 219vb x 2, f. 223vb, f. 225vb, f. 226va, f. 228vb, f. 229vb x 2, f. 231va, f. 233va, f. 235vb-236ra, f. 236rb x 2 ; roy de Thir, f. 210ra, f. 232rb, f. 233ra, f. 234ra, f. 236ra ; filz du roy de Thir, f. 211vb ; seigneur de Thir, f. 212ra, f. 220rb ; seigneur de Tarcye, f. 234vb ; roy d’Anthioce, f. 236ra. Archicastre (beau-père d’Appolin), f. 215va, f. 217va, f. 219va x 2, f. 220ra, f. 221va, f. 235va. Archicastre (épouse d’Appolin, fille du précédent), f. 217ra, f. 221rb, f. 231rb, f. 233va, f. 233vb, f. 234ra x 2, f. 234rb x 2 ; abbesse du temple de Dyane, f. 234rb ; nommée par erreur Tarcye, f. 218vb x 2, f. 219ra, f. 219rb.

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

Barons (les) ; d’Anthioce, f. 211rb, f. 220va ; de Tarcye, f. 213vb, f. 234va ; de Citrianne, f. 219vb, f. 220ra ; de Militaine, f. 232ra x 2 ; de Thir, f. 234va. Bourgeois (les) ; de Tarcye, f. 213rb x 2, f. 213va, f. 213vb, f. 214ra, f. 223rb, f. 224rb, f. 224va, f. 228rb, f. 229ra, f. 234vb, f. 235ra x 2, f. 235rb ; de Militaine, f. 232rb, f. 232va ; d’Effés, f. 234rb x 2 ; filz de bourgeois de Militaine, f. 227ra. Citrianne, f. 236rb ; Cytrane, f. 235va. Denise (épouse de Strangulio), f. 213ra, f. 213vb, f. 214ra, f. 223rb x 2, f. 224va x 3, f. 228rb, f. 228va, f. 228vb, f. 231rb, f. 231vb, f. 235ra x 2, f. 235rb. Dieu, f. 212rb x 3, f. 214ra, f. 214rb, f. 214va x 2, f. 216vb, f. 219rb, f. 220vb, f. 221va, f. 222rb, f. 222va, f. 224rb, f. 224va, f. 225rb x 2, f. 226vb x 2, f. 227vb, f. 228va, f. 229rb, f. 230ra, f. 230va x 2, f. 231rb, f. 235ra, f. 235rb ; Jhesucrist, f. 226va, f. 227vb, f. 231rb ; Nostreseigneur, f. 221ra, f. 222vb, f. 223va, f. 225ra ; Nostreseigneur Jhesucrist, f. 226rb. Dyane ; temple de Dyane, f. 223ra, f. 233rb, f. 233va, f. 234rb, f. 236rb ; portiere du temple de Dyane, f. 233va. Effés, f. 233rb, f. 233va ; cyté de(s) Effés, f. 233va, f. 234rb ; terre des Effés, f. 222ra x 2, f. 236rb. Egipte, f. 223va. Filz de roys (trois), marrieurs d’Archicastres, f. 217vb. Hermon (médecin), f. 222ra ; mire, f. 222ra, f. 222rb x 2, f. 222va. Lithorides (nourice), f. 221ra, f. 223va, f. 223vb, f. 224va, f. 231vb. Mariniers (les), f. 225rb x 3, f. 225vb x 2, f. 230va, f. 231va, f. 235rb. Militaine (ville), f. 225vb x 2, f. 229rb, f. 232rb, f. 232va, f. 233ra ; Millitaine, f. 229ra.

Patrons de navire (les), f. 220rb x 3, f. 221rb, f. 229ra x 2, f. 229rb. Pêcheur (le), f. 214rb x 2, f. 235vb x 2. Penthapolis, f. 214ra ; terre (de / des) Penthapolis, f. 235rb, f. 235va, f. 236ra ; terre des Panthapolitains, f. 223vb. Ribault (le), f. 226ra x 4, f. 226rb x 2, f. 227ra, f. 227va x 3, f. 227vb, f. 228ra, f. 230rb, f. 231vb, f. 232ra, f. 232rb x 2, f. 232va x 3, f. 233ra x 2 ; houlier, f. 225vb, f. 226vb, f. 227va, f. 232vb ; maistre des ribaulx, f. 232rb. Sarasins, f. 226rb. Strangulio, f. 213ra, f. 213rb x 3, f. 213vb, f. 214ra, f. 223rb, f. 223va, f. 224ra x 2, f. 231rb, f. 231vb, f. 234vb x 2, f. 235ra, f. 235rb ; Estrangulio, f. 223rb, f. 223vb, f. 224ra ; sa fille, f. 233va. Tarcye (ville), f. 213ra, f. 213rb, f. 213va, f. 213vb x 2, f. 223ra, f. 224ra, f. 228rb x 2, f. 228vb, f. 229ra, f. 233rb x 2, f. 234va x 2, f. 234vb, f. 235rb x 2, f. 236ra, f. 236rb. Tarcye (fille d’Apollin), f. 223va, f. 224va x 4, f. 224vb, f. 225va, f. 225vb x 3, f. 226va x 2, f. 226vb, f. 227va x 2, f. 228rb, f. 228va, f. 228vb, f. 229vb, f. 230ra, f. 230rb, f. 231ra, f. 231va, f. 231vb x 2, f. 234ra, f. 235ra x 3, f. 235rb. Theophille (le vilain), f. 224va, f. 224vb x 2, f. 225ra, f. 235ra x 2, f. 235rb. Thir (ville), f. 213ra x 2, f. 215vb, f. 219va, f. 220rb, f. 229ra, f. 234va, f. 236rb ; roi de Thir, seigneur de Thir, voir Appolin, Anthigoras. Tresorier (le) ; du roi Archicastres, f. 216vb ; d’Appolin / de la nef, f. 229rb. Valet (le) ; d’Archicastres, f. 215va ; de Hermon, f. 222rb, f. 222va ; du ribault, f. 227va ; de la nef, f. 229va x 2.

Glossaire

achever, v. ; « larmes de femmes n’achevent riens » ( f. 226rb), les larmes des femmes n’arrivent à rien / n’ont aucun succès. adouber, v. ( f. 226va), habiller. adventure, s. ; événement digne d’être conté : « demanda a Appolin ses adventures » ( f. 215va), « dire touttes ses adventures » ( f. 215vb), « demander ses adventures » ( f. 216ra), « comptoit tout en plourant touttes ses adventures » ( f. 224va), « compta touttes ses adventures » ( f. 226va), « compta touttes ses adventures » ( f. 227rb, f. 227vb), « je compteray touttes mes adventures » ( f. 228ra), « comptes touttes les adventures » ( f. 233rb), « compter touttes ses adventures » ( f. 234ra), « quant Archicastres eubt oÿ sa complainte et ses adventures » ( f. 234ra), « fist escripre ses adventures » ( f. 236ra) ; « se mirent a l’adventure » ( f. 211va), prirent des risques ; « par adventure » ( f. 215va, f. 226vb, f. 230vb), « d’aventure » ( f. 226ra), par hasard. advis, s. « soit advis que » ( f. 218ra), « est advis que » ( f. 227ra), il semble que. adviser, v. « advisa » ( f. 215rb), apercevra.

advitailler, v. pourvoir de nourriture et d’autres choses nécessaires ; « advitailleray vostre cyté de bled » ( f. 213rb). alonguer, v. différer, retarder ; « j’alongue le tempz » ( f. 218ra). aourer, v. adorer ( f. 226rb), « aourent » ( f. 226rb). appareillier, v. préparer ; « appareillier ses nefz » ( f. 214ra), « les viandes furent prestes et appareilliés » ( f. 220ra), « fist appareillier les viandes » ( f. 223ra), « appareilla ung couteau » ( f. 225ra). aprester, v. préparer ; « que l’en feist aprester ce que mestier leur estoit » ( f. 220vb). apprendre, v. instruire ; « elle n’a pas esté bien aprinse » ( f. 216rb). ardre, v. brûler ; « ardez » ( f. 232vb). article, s. point précis d’une question ; « declairier le dit article » ( f. 212vb). aultreffois, adv. jadis : « peril qu’il avoit aultreffois passé » ( f. 221rb) ; une autre fois : « adont Appolin aultreffois cria » ( f. 231vb). au mains ( f. 220va), adv. au moins. baisier, v. ( f. 215va, f. 226va, f. 227rb, f. 234ra), embrasser ; « baisa » ( f. 221va, f. 231vb, f. 236ra), « baise » ( f. 234ra).

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LA CRONIQUE ET HISTOIRE D'APPOLIN ROY DE THIR

bas, adv. ; « mettre du tout au bas » ( f. 214rb), abattre quelqu’un totalement. besoign, s. ; faire besoign être nécessaire, manquer « faisoit besoign » ( f. 233rb-va). besongne, s. tâche, activité ; « fay ta besongne » ( f. 225va). bourdeau, s. lieu de prostitution ; ( f. 226ra, f. 226rb, f. 230va, f. 230va). bourgois, s. groupe social différent de la noblesse et du clergé, mais qui se distingue aussi du peuple, membre de ce groupe social ( f. 213rb x 2, f. 213vb ; f. 214ra ; f. 224rb, f. 224va, f. 227ra, f. 228vb, f. 229ra, f. 232rb, f. 232va, f. 234rb x 2, f. 234vb, f. 235ra, f. 235rb, f. 235rb) ; bourgoys ( f. 213va) ; bourgeois ( f. 223rb). bouter, v. « bouta arriere de soy » ( f. 234ra), repoussa loin de lui. certain, adj. « pour certain » ( f. 211ra, f. 213ra), de façon sûre. chaiere, s. chaire, trône ( f. 213va, f. 232va, f. 233vb),. chambouriere, s. chambrière, servante ( f. 230va). chartre, s. prison, geôle ( f. 230rb, f. 231rb x 2). cauldement, adv. ( f. 222va), de façon à avoir chaud. ceans, adv. ici dedans ( f. 233vb) ; cheans ( f. 218rb). chemin ; s. « print son chemin » ( f. 223va), se dirigea ; « adresse ton chemin » ( f. 233rb), prends la route. chief, s. tête (f. 212vb, f. 232va). chiere, s. ; faire bonne chiere, se réjouir, faire bonne figure ; « qu’il feist bonne chiere » ( f. 216ra), « tu ne feroyes pas si bonne chiere » ( f. 227va). clareté, s. lumière ( f. 229va, f. 230rb, f. 229ra) ; « clarté » ( f. 230ra, f. 231vb).

clergesse, s. femme lettrée ; « portez moy cecy a vostre clergesse » ( f. 218ra). communaulté s. ( f. 233ra), ensemble des habitants d’une ville. compaignie, s. ; « charnelle compaignie » ( f. 210va), relation sexuelle. compaignon, s. celui qui partage une femme avec un autre ( f. 227ra x 2, f. 227rb x 2), « compaignons » ( f. 227rb x 2). compaigne, s. celle qui tient compagnie ; « compaignes » ( f. 232vb). complaindre, v. se lamenter ; « se complaingnoit » ( f. 214rb). compte, s. ; « tiendroit compte » ( f. 228va), prenait en considération. congeler, v. raidir ; « la royne fu congelee » ( f. 221ra). congié, s. autorisation de se retirer « print congié » ( f. 212ra, f. 214va, f. 214vb-215ra, f. 216vb, f. 223va) ; « prindrent congié » ( f. 234rb) ; « demanda congié » ( f. 216vb). congnoissance, s. conscience ( f. 218va). connaître, v. savoir : « congneut bien que Appolin avoit bien apperceu » ( f. 212va) ; « je congnois que cest gentil homme est pareil a moy de bien jouer » ( f. 214vb) ; « je te diray ce que je y congnois » ( f. 216rb) ; « je congnoy que tu es maistre en touttes sciences » ( f. 216va) ; « il eubt congneu que Tarcye la fille du roy l’amoit tant » ( f. 219ra) ; « congneut que la lettre avoit esté faicte pour luy » ( f. 219ra) ; « congneut tantost de quoy elle estoit morte » ( f. 222rb) ; « il congneust qu’elle fust morte » ( f. 222va) ; « quant les bourgois congnoistront que on te faitera » ( f. 224rb) ; « pour ce que tu congnois que je t’ayme mieulx » ( f. 227rb) ; « cuidez tu que je ne congnoisse bien que Tarcye est encore pucelle bien

Glossaire185

appert ? » ( f. 227va) ; identifier quelqu’un comme quelqu’un de connu : « le patron ne le congneut mie » ( f. 220rb) ; « adfin qu’il ne fust congneu » ( f. 226va, f. 228rb) ; « quant Strangulio le vit de loing, si le congneut » ( f. 228rb) ; « tu te merveilles de quoy je ja [te] nomme par ton nom et si ne te congnois » ( f. 229vb) ; « veez cy ma fille que je ne congnoissoye aujourd’huy » ( f. 232vb) ; « Appolin, qui ne congnoissoit pas que ce fust sa femme » ( f. 234ra) ; « Appolin avoit congneue sa femme » ( f. 234rb). conseil, s. conseil ( f. 213vb, f. 214ra, f. 222rb, f. 223ra, f. 228va, f. 230vb) ; « de conseil » ( f. 210va), en secret. courage, s. for intérieur ; « mauvais courage » ( f. 211rb). coustume, s. ; avoir a coustume, avoir l’habitude « vous n’avez a coustume » ( f. 217ra), « avoit a coustume » ( f. 225ra), « je n’ay pas a coustume » ( f. 226rb). cuer, s. ; « de bon cuer » ( f. 223va), volontiers, de bon gré. cuider, v. croire, penser ; « cuides » ( f. 224ra), « cuida » ( f. 229vb), « cuidez » ( f. 227ra, f. 227va), « cuidera » ( f. 228va), « cuidoit » ( f. 233va). declairer, v. expliquer, donner une solution ; « declairer la question » ( f. 212ra), « declaires » ( f. 212ra). declaracion, s. explication ( f. 212rb, f. 212vb x 2),. decoste, prép. à côté de ; « celle qui va decoste, elle est si bien nyce » ( f. 224va) ; « s’assist decoste Appolin » ( f. 231ra). demander, v. ; « demanderent le temple » ( f. 233va), demandèrent où se trouvait le temple. demourer, v. rester ( f. 217ra), « fille qui estoit demouree » ( f. 223rb), « tu

veulx demourer en ceste fortune » ( f. 231ra), « si est demouree vierge » ( f. 232ra), « ne demoura homme ne femme » ( f. 232rb) ; « ne demourez gueres » ( f. 218ra), ne tardez pas ; « il ne demoura gueres que » ( f. 222vb), il ne tarda pas que ; et rester, séjourner : « qui avoit bien demouré .xv. ans leans » ( f. 233va), « quant il eubt demouré » ( f. 234va). desenfler, v. faire cesser d’être triste ; « eubt desenflé son cuer de plourer » ( f. 223rb). deservir, v. mériter ; « pourquoy tu as deservi mort » ( f. 212va). deshonnestement, adv. ( f. 232va), d’une manière indigne. desplaisir, v. ; faire desplaisir causer des ennuis ; « faichent desplaisir » ( f. 217ra). despouiller, v. deshabiller ; « despoulla » ( f. 214va). despuceller, v. dépuceler, déflorer ( f. 227va), « despucelle » ( f. 227va), « ne t’a pas despucellee » ( f. 227va). devaler, v. descendre ; « devalerent tantost en bas » ( f. 231va). diffamer, v. discréditer ; « diffamoit » ( f. 228rb). diligence, s. zèle ( f. 212vb). disposer, v. ; « mal ad ce disposee » ( f. 218ra), dans une mauvaise disposition pour cela. dissolution, s. dépravation ; « en la grant dissolution qu’il avoit commencee » ( f. 211rb). dolant, adj. malheureux ( f. 215ra, f. 225va). double, s. ; « a cent doubles » ( f. 214va), au centuple. doubte, s. ; faire doubtez, avoir des doutes, être dans l’incertitude : « ne faictes doubtez » ( f. 234ra) ; « pour la doubte de » ( f. 213vb), par crainte de.

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doulcement, adv. avec délicatesse ( f. 222rb) ; doulchement ( f. 231ra). effranchir, v. affranchir ; « effranchist » ( f. 232vb). empole, s. ampoule ( f. 222va). emprez, prép. tout près ( f. 225vb, f. 228vb). entandis, adv. ; « entandis que » ( f. 215va), pendant que. entendement, s. jugement ; « ouvrit son entendement » ( f. 212vb). esbahir, v. étonner ; « esbahy » ( f. 227vb, f. 233rb), « esbahye » ( f. 210vb), « esbahis » ( f. 235ra). esbatement, s. divertissement ; « esbatemens » ( f. 220ra). esbatre, se, v. pron. se promener pour s’amuser ( f. 217vb, f. 229va, f. 229vb, f. 230ra) ; « esbatant » ( f. 222ra, f. 224va, f. 235vb) ; erreur : « abatant » ( f. 229rb). escondire, v. refuser (f. 212rb). esjoÿr, v. réjouir ( f. 229ra) ; « esjoïssiez » ( f. 219vb, f. 220vb, f. 229ra), « esjouÿ » ( f. 230va). eslongier, v. éloigner ; « fist eslongier touttes ses gens » ( f. 210va). esperance, s. ; avoir esperance, espérer ; « ayant bonne esperance » ( f. 212rb), « n’ayez pas esperance » ( f. 225ra). esperit, s. souffle vital, principe de vie ; « l’esperit comencha a aler parmy les vaines » ( f. 222vb). espiner, s’, v. pron. se piquer avec des épines ; « ne me espine point » ( f. 230va). esteuf, s. balle du jeu de paume ( f. 214vb, f. 215ra). estreindre, v. serrer, comprimer ; « les vainnes furent estraintes » ( f. 221ra). faillir, v. faire défaut ; « ne te fauldra » ( f. 214va) ; échouer, se tromper : « ta fille a failli » ( f. 216rb).

faux, adj. ; « faulse femme » ( f. 225va x 2, f. 228rb x 3, f. 231vb, f. 235ra), menteuse. felonnement, adv. violemment ( f. 229vb). femme, s. ; « folles femmes » ( f. 231vb), débauchées, femmes qui se prostituent. ferir, v. blesser ; « ferue du trait d’amours » ( f. 217ra). finer, v. terminer ; « il eubt finé sa chanson » ( f. 216va), « la pucelle eubt finees ses questions » ( f. 231ra), « ainsi est finee » ( f. 236rb), « fine » ( f. 236rb). franc, adj. libre, qui n’est pas asservi ( f. 224vb x 3, f. 225rb, f. 235rb). franchise, s. noblesse de cœur, générosité ( f. 213vb x 2, f. 216vb, f. 233ra). fortune, s. ; sort, destin : « tant comme vie me durera en fortune » ( f. 212ra), « quelle fortune nous est a passer » ( f. 226vb), « demourer en ceste fortune » ( f. 231ra) ; suite d’événements : « les fortunes qu’ilz ont a passer » ( f. 227rb) ; hasard : « fortune perverse et mauvaise » ( f. 214rb) ; chance : « Dieu vous gart de malle fortune » ( f. 216vb) ; tempête : « fortune de mer » ( f. 214rb, f. 218vb, f. 219vb), « fortune de la mer » ( f. 218va). galee, s. galère ; « galees » ( f. 229rb, f. 232rb). garantir, v. protéger, sauver ; « j’en suis garantye de mort » ( f. 235rb). garde, s. surveillance, protection ; « bailla en garde » ( f. 223ra) ; n’avoir garde de, n’avoir rien à craindre : « n’auroient garde » ( f. 214ra), « je n’ay garde de nulluy » ( f. 224vb). garnir, v., approvisionner ; « garniray vostre ville de bledz » ( f. 213va) ; « garnir la nef de ce qui faisoit besoing » ( f. 233rb-va).

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getter, v. (emploi absolu) se jeter ; « ilz getterent aux piez de la royne » ( f. 233vb). guerdon, s. récompense ( f. 223va). habiter, v. ; habiter charnellement, avoir un rapport sexuel ; « habitoit avec sa fille charnellement » ( f. 211rb). hardiement, adv. courageusement ( f. 225ra). hardiesse, s. audace ( f. 211ra). heritage, s. biens-fonds, propriétés, domaines ; « grans heritages » ( f. 236ra). heuré, adj. ; « bien heuré » ( f. 235vb), bienheureux. honneste, adj. honorable, digne de considération ; « estoit en tant honneste lieu » ( f. 215va) ; « honnestes robes » ( f. 236ra). hostel, s. logis ( f. 212vb, f. 217ra, f. 222ra, f. 222va x 2, f. 222vb, f. 225va x 2, f. 226ra). houlier, s. débauché, ribaud ( f. 227va), « houliers » ( f. 226vb). illecques, adv. à cet endroit-là ( f. 213va). incontinent, adv. aussitôt ( f. 230rb). justice, s. jugement, procès ( f. 232va x 2). la, adv. ; la ou, au moment où ; « la ou le roy prenoit grant plaisir » (f. 214vb). leans, adv. là-dedans ( f. 229va), « layens » ( f. 228va). legiereté, s. agilité ( f. 214vb). letton, s. laiton ; « une nef de letton » ( f. 233ra). loysir, s. ; « par loysir » ( f. 218va), en prenant son temps, à son aise. lyesse, s. joie ( f. 231vb). mander, v. convoquer ( f. 219vb) ; « manda » ( f. 213rb, f. 223ra, f. 225va, f. 232ra) ; « mandoit » ( f. 215rb, f. 230rb) ; « mande » ( f. 218va).

maniere, s. ; « en bonne maniere » ( f. 213ra), convenablement. matin, s. ; « plus matin » ( f. 217ra), tôt dans la journée. maulvaistié, s. malveillance ( f. 211vb). menchoine, s. mensonge ( f. 228vb). mer, s. ; « haulte mer » ( f. 221ra), mer profonde. merveille, s. ; « a merveilles » (f. 224va), de façon étonnante. meshuy, adv. à présent, maintenant ( f. 217ra). mestier, s. ; mestier estre, être nécessaire : « mestier est » ( f. 213rb), « ce que mestier leur estoit » ( f. 220vb), « il est mestier » ( f. 222rb) ; avoir / faire mestier, avoir besoin : « aroient mestier » ( f. 213va), « faisoit mestier » ( f. 229rb). mire, s. médecin ( f. 222ra, f. 222rb x 3, f. 222va, f. 223ra x 2), « mires » ( f. 217va). monter, v. ; « monta a mont » ( f. 230vb), monter en haut. muchier, se, v. pron. se cacher ( f. 225ra, f. 225rb). nager, v. naviguer ; « nagerent » ( f. 213ra, f. 214ra, f. 221ra), « nagierent » ( f. 234va, f. 235rb), « nagier » ( f. 229ra, f. 233va), « naga » ( f. 223ra), nagea ( f. 223ra). neant, s. ; « pour neant » ( f. 222vb, f. 230vb), pour rien. nerf, s. ligament, tendon ; « tasta les nerfz » ( f. 222va) nourrir, v. élever, éduquer ; « nourissiez » ( f. 223va), « nourissoient » ( f. 223va). nouvel, adj. jeune ; « mire nouvel » ( f. 222ra).  nyce, adj. sot, idiot ( f. 224va). oignement, s. baume, onguent ( f. 222rb) ; « onguement » ( f. 222va). ordement, adv. de manière ignoble ( f. 232ra).

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ordonnance, s. ordre, disposition ( f. 229va). ottroyer, v. accorder, donner ; « ottroya » ( f. 220vb, f. 224vb), « qui m’est ottroyé » ( f. 220va), « ottroyoit » ( f. 220vb) ; « sont ottroiiez » ( f. 220vb), « ottroyez » ( f. 231ra), « ottroye » ( f. 232ra). ouvrer, façonner, orner ; « ouvree » ( f. 224rb). paix, s. ; « tint en bonne paix » ( f. 236ra), il assura la paix. pardurable, adj. éternel ( f. 233ra). parer, v. orner ; « paree » ( f. 229rb x 2, f. 229vb). parement, s. ; de parement, d’apparat : « drapz de parement » ( f. 235va). parjure, adj. et s. ( f. 218vb), menteur, celui qui fait un faux serment. part, s. ; extraction, naissance : « vous debvez estre de bonne part » ( f. 215vb). pasmer, se, v. pron. perdre connaissance ; « se pasma » ( f. 228va). patron, s. capitaine, celui qui commande l’équipage d’un bateau ( f. 220rb x 2, f. 221rb, f. 229ra, f. 229rb). pelote, s. balle ( f. 214vb) ; « jeu de la pelote » ( f. 215va), jeu de balle. pieche, s. ; « une grant pieche » ( f. 212vb), un long moment. point, s. ; « point du jour » ( f. 221ra), lever du soleil. pourpenser, v. réfléchir mûrement ( f. 211rb). preserver, v. mettre à l’abri de ; « preservee de mort » ( f. 224va). prestement, v. aussitôt ( f. 235ra). promis, s. ; « tesmoing de ce promis » ( f. 234vb), témoin de cela qui a été promis. proposer, v. exposer, présenter ; « proposeroit » ( f. 211rb), « proposa » ( f. 212rb) ; poser une question : « je t’ay proposé la question » ( f. 212va) ; « proposer en soy mesme contre »

( f. 210va), prendre une décision au fond de lui-même contre. pucellage, s. virginité ( f. 226va, f. 227va, f. 227vb), « pucellaige » ( f. 226ra, f. 228ra). puissance, s. force : « de toutte sa puissance » ( f. 210vb) ; capacité : « commença a estudier de toutte sa puissance » ( f. 212vb), « je y feray mon debvoir et ma puissance » ( f. 222rb). recommander, v. désigner quelqu’un à la protection d’une autre personne ; « recommanda » ( f. 223va, f. 224ra) ; « recommande » ( f. 223va) ; « eubt recommandé » ( f. 223va). remede, s. moyen pour prévenir une situation pénible : « bon remede » ( f. 213ra), « mettons y aulcun remede » ( f. 232rb) ; remède (sens médical) : « donnons remede » ( f. 222rb). remembrance, s. souvenir, mémoire ( f. 213vb, f. 224ra). rescripre, v. écrire à nouveau ; « celluy que Tarcye a rescript au roy son pere pour avoir a mariage » ( f. 218vb). respit, s. pardon ; « est en bon respit » ( f. 222vb). retourner, v. (infinitif substantivé) retour ; « au retourner » ( f. 225ra). rien, pron. indéf. ; « ce ne luy plaisoit riens » ( f. 218rb) ; « sur touttes riens » ( f. 221va), par dessus tout. savoir, v. faire savoir : « je vous prie que vous luy sachiez qui il est » ( f. 215va) ; connaître : « sceues » ( f. 234rb). science, s. savoir ( f. 217rb, f. 222vb), « scyence » ( f. 230rb) ; arts, disciplines : « sciences » ( f. 210ra). semondre, v. inviter ; « l’avez semons au disner » ( f. 215rb), « l’avoit il semons a disner » ( f. 215va). sens, s. intelligence, savoir ; « viel de sens » ( f. 222rb).

Glossaire189

sentine, s. fond de cale ( f. 229ra, f. 229va, f. 229vb, f. 230ra, f. 230va, f. 230vb). sonner, v. jouer, interpréter ( f. 216rb). souffissant, adj. compétent ( f. 217rb), « souffissante » ( f. 220vb). souffreteux, adj. qui est dans le besoin ; « souffreteuse » ( f. 213rb). souffrir, v. endurer ; « souffrir chose morte » ( f. 221rb). soulas, s. plaisir ( f. 234rb). souldre, v. résoudre ; « a souldre ta question » ( f. 212rb), « je ne la saiche souldre » ( f. 228ra). soustenir, v. endurer, subir ; « soustiengne » ( f. 231rb). subtilité, s. ingéniosité, intelligence ( f. 211vb). tandis, adv. alors ; « tandis la noble dame Archicastres establit » ( f. 234rb) ; « tandis vindrent les mariniers » ( f. 235rb). tant, adv. ; « tant que » ( f. 211vb, f. 213ra, f. 214va, f. 217rb, f. 219rb, f. 221ra, f. 223ra x 2, f. 223va, f. 226ra, f. 227va, f. 227vb, f. 228ra, f. 232rb, f. 234rb, f. 234va, f. 235va), aussi longtemps que, jusqu’à ce que ; « (jusques) a tant que » ( f. 223va, f. 224ra, f. 232ra), jusqu’à ce que ; « atant » ( f. 210vb, f. 214va, f. 216vb, f. 217rb, f. 219rb, f. 226vb x 2, f. 232ra x 2, f. 233vb), à ce point. taster, v. toucher, examiner ; « tasta les nerfz » ( f. 222va). tempz, s. durée du temps : « grant tempz » ( f. 211rb, f. 214ra, f. 227va, f. 228va, f. 230va, f. 234rb, f. 234va), « ung petit de tempz » ( f. 217rb,

f. 217vb, f. 220rb, f. 224rb, f. 233rb), « ung pou de tempz » ( f. 210rb, f. 210va, f. 223ra) ; « en aucun tempz » ( f. 230va, f. 230vb), pendant un certain temps ; le temps qu’il fait : « le tempz se mua » ( f. 214ra), « le maulvaiz tempz » ( f. 214rb), « Nostreseigneur leur donna bon tempz » ( f. 221ra), « eubrent bon tempz » ( f. 229ra) ; vie, âge : « josne de tempz » ( f. 222rb) ; tempz deu, délai nécessaire ; « que vous n’estiez pas venu en tempz deu pour la maladie de ma fille » ( f. 219rb). tenir, v. ; « tenir sus » ( f. 213rb), soutenir ; « ilz ne le tenoient pas bien seur », ils n’étaient pas sûrs de lui, ils ne lui faisaient pas confiance. traveillier, v. pron. faire souffrir : « ne pourquoy te traveilles tu en vain » ( f. 212vb) ; v. prendre de la peine : « adfin que tu ne diez que ayez traveillié pour neant » ( f. 222vb), « je vous prie que vous ne traveilliez plus pour moy » ( f. 230vb). triumphe, s. accueil triomphal ; « en grans triumphes » ( f. 220ra). varlet, s. jeune homme, serviteur ( f. 215ra, f. 227ra, f. 227va, f. 229va, f. 222rb, f. 222va). viseter, v. lire ; « ot leües les lettres et moult bien visetees » ( f. 218rb). vyoler, v. violer (acception moderne) ( f. 211ra, f. 226vb). ydole, s. représentation d’une divinité païenne ; « ydoles » ( f. 226rb). ymage, s. statue ( f. 213vb, f. 224ra, f. 224rb, f. 226rb x 3, f. 233ra x 3, f. 234vb).

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Table

Accessus. « Du côté des nains », par Claudio Galderisi et Pierre Nobel 5 Préface. « Tribulations d’Apollonius et impasses narratives », par Claudio Galderisi

13

Abréviations

41

Introduction Le manuscrit de Londres, British Library, Royal 20 C II Remarques linguistiques  La source de la version de Londres Remarques littéraires  Toilette et établissement du texte  Illustrations

43 46 49 57 62 74 76

Édition. La cronique et histoire des mervilleuses aventures de Appolin roy de Thir

81

Dossier

125

Index des noms

181

Glossaire

183

Bibliographie

191

Table

205